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DROIT COMMERCIAL
2l j / /
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE DEUXIÈME
PAR J. 3ÉDARRIBE
Avocat près la Cour 4’appel d’Aix, ancien Bâtonnier]
Membre correspondant do l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
D EU XIÈM E ÉD ITIO N
revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudei]
TOME DEUXIÈME
PARIS
AIX
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ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
L. LA RO SE, LIBRAIRE
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2 , RUE PONT-MOREAU, 2
1879
JX X oo^üO
��DROIT COMMERCIAL
ou
COMMENTAIRE Dü CODE DE COMMERCE
LIVRE II
DU COMMERCE MARITIME
INTRODUCTION
SOMMAI RE
1. Caractère du droit maritime. Sources auxquelles il faut re
monter.
2. Difficultés de cette recherche par l’absence de toute légiste
tion écrite. Usages en tenant lieu.
3. Pratique des Phéniciens.
4. Ce qu’étaient les lois Rhodiennes. Origine de la loi Rhodia
de jactu.
5. Législation romaine. Epoque à laquelle elle dut s’occuper
du droit nautique.
6. Marseille n’a eu des lois écrites qu’au treizième siècle.
7. Influence du droit romain en Orient et en Occident .
8. Comment il fut conservé dans celui-ci. Lois d’Amalfi. Ce
qu’elles étaient.
9. Effet des Croisades sur le droit des nations de l’Occident.
Consulat de la mer.
10. Son adoption par le commerce de la Méditerranée, en Italie
et à Marseille notamment.
�2
DROIT MARITIME.
11. Caractère de ce recueil. Opinion de Hubner, réfutée par
Emérigon.
12. Jugements on Rôles d’Oléron. Son origine française parfai
tement justifiée par Valin.
13. Effet de ce recueil.
14. Origine des lois de Wisbuy. Leur effet.
15. Apparition, au seizième siècle, du Guidon de la mer. Son
caractère.
16. Ordonnances de Charles-Quint et de Philippe II, de 1551,
1563 et 1565.
17. Origine, nature et caractère des lois hanséatiques.
18. Appréciation de ces divers recueils en regard du droit ro
main.
19. Recherches des ordonnances des rois de France avant celle
de 1681. En quoi elles consistent.
20. Promulgation de l'ordonnance de 1681. Ses effets.
21. Caractère du droit qu'elle consacre.
22. Son influence sur le Code de commerce.
23. En quoi consiste le droit maritime. Rapports sous lesquels il
doit être envisagé.
24. Premier rapport : Droit des gens.
25. Deuxième rapport : Police de la navigation. Sûreté des ports
et rades. Législation.
26. Lois et ordonnances pour le sauvetage des personnes et des
propriétés.
27. Législation relative à la validité des prises. Nature et origine
de la course.
27 bis. Traité de Paris du 30 mars. Déclaration du 16 avril 1856.
28. Contraventions aux règles tracées pour la propriété des na
vires, but et objet de la législation. Conditions. Sanc
tion pénale.
29. Spécialité du Code de commerce.
30. L’ordonnance de 1681 régit encore le commerce pour tous
les cas sur lesquels le Code garde le silence. Exemples.
�INTRODUCTION.
5
31. Moralité et but des dispositions du titre ix, livre îv.
32. Caractère spécial de l ’article 27 de ce titre. Difficultés qu’il
peut faire surgir.
33. Le tiers de la propriété n'est accordé que pour les effets tirés
du fond delà pleine mer. Conséquences.
34. L’article 27 s’applique-t-il au sauvetage d’un navire ?
33. Le navire abandonné par son équipage est assimilé au navi
re naufragé.
36. Remarquable arrêt de la cour d’Aix.
37. Appréciation du fait de l'abandon. Ce qui le constitue.
38. Espèce notable soumise au tribunal de Marseille et à la cour
d’Aix.
39. Quels sont les frais dont les sauveteurs sont affranchis par
l’article 25. Conséquences.
40. Droit des sauveteurs de demander le partage en nature.
1. — Le commerce maritime a été régi, de tout
temps, bien plutôt par des usages que par des lois po
sitives. Ce n’est là que la conséquence forcée du but qu’il
se propose. Destiné à ouvrir, à entretenir des relations
de peuple à peuple, de nation à nation, ses règles doi
vent offrir un caractère de généralité que ne pouvait leur
assurer une législation locale. Elles ne pouvaient donc
résulter que de l’assentiment, au moins tacite, des com
merçants de tous les pays.
C’est cet assentiment général qui est devenu le fonde
ment du droit maritime. C’est en se préoccupant des us
et coutumes universellement pratiqués, que chaque lé
gislateur a pu imposer des règles susceptibles d’assurer
au commerce maritime l’essor qu’il entendait et voulait
lui imprimer.
�4
DROIT MARITIME.
Il faut donc, pour l’exacte appréciation de ces règles,
interroger les coutumes des nations mêmes les plus an
ciennes, chez lesquelles la navigation fut en honneur;
saisir le droit dans son principe, le suivre dans ses dé
veloppements, et constater l’état où se trouvèrent les lé
gislateurs successivement appelés à le régir.
Cette recherche pourrait paraître superflue, si l’inter
prétation d’une loi existante pouvait rationnellement
faire abstraction des origines. Mais nous dirons avec
Blackstone : Que les antiquités de la jurisprudence ne
paraîtront point inutiles à l’homme qui remarquera que
les anciennes doctrines sont le fondement de celles qui
sont en vigueur aujourd’hui, et qu’il est par conséquent
difficile de comprendre plusieurs règles de la loi mo
derne sans recourir à l’ancienne.
Nous ajouterons avec Bouchard : Qui que ce soit ne
deviendra jamais jurisconsulte s’il ignore l’origine du
droit, s’il ne sait quels en furent les auteurs, et à quel
le époque il fut établi.
Donc, indépendamment du point de vue historique,
un retour sur le passé offre un intérêt juridique incon
testable. C’est par la pratique de nos devanciers, c’est
par la pensée du législateur ancien que se manifestera la
portée de la pratique nouvelle, que s’expliquera l’in
tention du législateur actuel.
2. — Avouons cependant que, pour le droit mari
time, le retour vers le passé se trouve nécessairement
circonscrit. Nous n’avons aucun témoignage écrit des
�5
us et coutumes des nations commerçantes de l’antiquité,
et cependant les uns et les autres furent pendant fort
longtemps les seules lois de la navigation et du com
merce. Mais il est permis de les saisir en parcourant les
divers recueils qui nous ont conservé les principes suc
cessivement consacrés, s’il est vrai que ces principes
n’ont été que les résultats de la tradition de ce qui se
pratiquait avant.
Or cette pratique ne saurait être l’objet d’un doute,
l’assentiment unanime qu’elle recueillit résulte de la
transformation qu’elle fit subir à la navigation. La pau
vreté, le courage, le besoin, l’amour du pillage, disait
l’orateur du gouvernement, l’ont enfantée ; mais cette
source s’est épurée, des communications utiles et un
un commerce régulier fondé sur la foi réciproque ont
succédé au brigandage h
Ce progrès n’a pu évidemment naître que par l’adop
tion réciproque de règles protectrices, sous l’égide des
quelles les étrangers pouvaient se livrer avec sûreté à
l’échange des produits, et se pourvoir des objets indis
pensables à leur bien-être.
INTRODUCTION.
3. — Au premier rang des nations vouées à la na
vigation et au commerce, nous rencontrons les Phéni
ciens. Homère lui-même rendait le plus éclatant témoi
gnage de l’étendue et de l’importance de leurs relations.
C’est même à un Phénicien qu’on a attribué l’invenlion
i
Exposé des motifs, liv. 2,
tit. 1 à 8.
�f)
DROIT MARITIME.
de la navigation. S’il faut en croire Sanchoniaton , Onfous, un des premiers héros de la Phénicie, s’étant saisi
d’un arbre à demi-brûlé, en coupa les branches et eut
le premier la hardiesse de s’exposer sur les eaux, arbo
re cujus ante ramos amputaverat, navigii loco usus,
primus sese ausus mari committere l.
Ce qui est plus certain, c’est que les Phéniciens avaient
donné à leur commerce des développements tels, que
Tyr, leur capitale, avait mériié d’être appelée le mar
ché des nations.
A quelles règles obéissaient ces hardis navigateurs ?
Quel était le droit public des époques qui virent suc
cessivement briller Tyr, Sidon et Carthage ? C’est ce qu’il
est impossible de déterminer, ces règles et ce droit non
écrits ne pouvant être établis que par les quelques no
tions que les Romains inscrivirent dans leur législation.
4-. — On a prétendu induire de celte législation que
les Rhodiens avaient un corps de droit écrit. Les lois de
ce peuple, célèbre par son commerce et ses victoires
navales, dit Emérigon, avaient pour objet la navigation,
elles étaient si sages qu’elles tenaient lieu de droit des
gens aux habitants des îles de la mer Egée. Adoptées
par la Grèce, elles le furent également par les Romains.
Cicéron en faisait l’éloge dans son oraison Pro lege Manilia 2.
Ces graves autorités n’établissent qu’une seule chose,
1 Boulay-Paty, Dr. com., t. \, p. 2.
2 Préface du Traité des Ass., p. 1 t.
�INTRODUCTION.
7
à savoir le caractère remarquable des principes aux
quels les Rhodiens obéissaient, mais ces principes avaientils été colligés en un corps de lois ? Ne consistaient-ils
que dans des usages traditionnellement pratiqués ? Ce
doute est permis. M. Boucher, qui donnait en 1808 une
traduction du Consulat de la mer, résout la question
dans ce dernier sens, et non sans fondements apparents.
Il pense donc que les lois Rhodiennes ne consistaient
que dans des usages purement pratiques, qui ne furent
rédigés par écrit que fort tard, et lorsque déjà les Rho
diens, asservis par les Romains, en étaient en quelque
sorte devenus les esclaves.
Ce qui vient à l’appui de cette opinion, c’est que nous
n'avons d’autres lois Rhodiennes que celles qui se ren
contrent dans le corps du droit romain, c’est ensuite
l’origine de la loi Rhodia de jactu. La voici, telle que
la rapporte Terrasson dans ses Mélanges historiques :
« Plusieurs marchands voyageant sur mer furent
troublés dans leur route par une tempête qui ne leur
laissa d’autres ressources, pour échapper au péril, que
de jeter à l’eau la plus grande partie de leurs marchan
dises ; ayant ainsi échappé au naufrage, ils s’adressè
rent à l’empereur Claude, et lui demandèrent de déci
der : 1° que la perte des marchandises jetées à la mer
retombât sur tous ceux qui avaient eu intérêt à sauver
leur vie, et que par conséquent les propriétaires des
marchandises conservées fussent tenus d’indemniser ceux
qui avaient sacrifié leurs biens à l’utilité commune ;
2° que la même règle fût observée, dans plusieurs au-
�8
DROIT MARITIME.
très cas, celui par exemple où un vaisseau chargé de
marchandises, étant pris par des pirates, on est obligé
de le racheter, ou bien dans celui où, pour se soustraire
à un péril urgent; on est obligé de jeter à la mer les
mâts ou quelques autres instruments du navire.
« L’Empereur, frappé de la justice de cette requête,
crut devoir en référer au sénat. La difficulté étant expo
sée, le sénateur Néron s’écria : Envoyez à Rhodes des
députés à l’effet de recueillir avec soin les usages qui
s’y observent, tant au sujet des trajets, voyages de longs
cours, négociations, ventes, sociétés relatives au com
merce maritime, qu’au sujet de la fabrique des vais
seaux et des transports d’espèces d’or, d’argent ou au
tres monnaies.
« C’est ce qui fut exécuté. De retour à Rome, les
députés, qui avaient réuni et interrogé les marchands et
les mariniers, déposèrent l’ensemble des renseignements
qu’ils avaient recueillis. Ces documents furent remis par
l’Empereur au consul, qui les mit en ordre ; on ignore
si la rédaction qui en fut faite fut suivie d’un décret de
confirmation. »
Telle est l’origine de la loi Rhodia de jactu. et cette
origine donne raison à M. Boucher. Jusque-là les lois
Rhodiennes étaient purement traditionnelles. On n’eût
certes pas ignoré à Rome leur existence si, codéfiées dans
une loi écrite, elles avaient été dès lors certaines. C’est
ce Code qu’on aurait consulté, au lieu de cette enquête
auprès des marchands et mariniers que les députés fu
rent chargés de recueillir et recueillirent en effet.
�INTRODUCTION.
9
5. — Ce que raconte Terrasson se passait vers l’an
53 de l’ère nouvelle. Il ne faudrait pas cependant en
conclure que les Romains avaient été jusque-là étran
gers au droit nautique et au commerce maritime. Cujax place avec raison au temps de la première guerre
punique l’époque à laquelle ils durent s’initier à la
connaissance de ces matières. C’est alors, en effet, que
les Romains commencèrent à étendre leur domination
en dehors de l’Italie, et qu’ils durent se livrer au com
merce maritime. On vit peu après paraître l’édit du pré
teur, de exerciloria actione, et successivement ces dé
cisions relatives à la navigation qu’on trouve éparses
dans le droit romain l.
Ces décisions furent consacrées par Justinien, on ren
contre en effet, dans ses Pandectes, les règles relatives
à l’affrètement des navires, à la police du commerce et
de la navigation, aux obligations contractées par le pa
tron pour le compte de l’armateur ; à la responsabilité
de celui-ci à raison des faits des patrons et des autres in
dividus employés sur le navire ; au prêt à la grosse ; au
jet et à la contribution ; enfin au naufrage. Toutes ces
lois furent également maintenues dans les Basiliques3.
6. — Mornac, sur la loi 9, Dig. ad legem Rhodiam
1 Emérigon, 4ss., p. 3.
Dig., lib. 19, t. 2, Locali conducti; 1. 48, t. 12, De lege Julia annona ; 1. 50, t. 11, De nundinis ; 1. 14, t. 1. De exercitoria actione ;
1. 4, t. 9, Nautœ, caupones slabularii recepla restituant ; 1 22, t. 2.
De nautico Fenore; 1.14, t. 2, De lege Rhodia dejactu; 1. 47, t, 9,
De incendio, ruina, naufragio.
2
�DROIT MARITIME.
de jactu, enseigne qu’à l’exemple des Rhodiens, Mar
seille avait fait des lois nautiques que l’injure du temps
nous a dérobées, mais ces lois ne virent le jour qu’assez tard, puisque ce n’est qu’au treizième siècle que
Marseille, promulgant ses statuts municipaux, y insé
rait diverses règles que sa position, ses mœurs et la na
ture de son commerce lui avaient rendues indispensa
bles, et auxquelles elle obéissait depuis longtemps. Ses
règles furent dès lors à l’abri des injures du temps. La
république de Marseille, s’écrie Emérigon avec un légi
time orgueil, se comporta toujours avec sagesse, et con
serva ses principes. Ses statuts municipaux, qui furent
promulgués au treizième siècle, renferment, au sujet
de la navigation et des contrats maritimes , plusieurs
chapitres qui sont dignes de l’antiquité la plus éclairée,
et nous pouvons nous glorifier que nos anciennes lois
nautiques ne sont pas perdues. Elles avaient été gavées
sur pierre, Eorum leges, Ionico more erant publiée
propositœ. Elles ont été transmises d’âge en âge par les
mœurs des citoyens et par l’esprit de commerce qui
rend Marseille toujours si florissante l.
Donc, avant le treizième siècle, Marseille, comme tou
tes les cités commerçantes, n’avait pour unique règle
que la tradition suivie soit dans la pratique la plus ré
pandue, soit dans ses propres besoins.
7. — La vérité est que pendant fort longtemps le
1 Emérigon,
ibid., p. 5.
�11
droit nautique n’eut d’autre législation écrite que les
dispositions que le droit romain avait successivement
consacrées.
La conquête de l’Italie par Bélisaire et la réunion, sur
la tête de Justinien, des empires d’Orient et d’Occident
rendirent les Pandectes la loi commune de l’un et de
l’autre, mais, à l’époque où Léon, fils et héritier de Ba
sile, fit paraître le recueil des lois auquel il donna le
nom de son père, l’empire d’Occident avait été de nou
veau séparé de celui d’Orient ; il était devenu en près que totalité la proie de divers conquérants. Faut-il con
clure de là, comme on l’a fait, que le droit romain en
avait complètement disparu ? La vérité historique ne
nous parait pas le permettre.
Sans doute, pour les transactions et les actes ordi
naires de la vie, le droit commun des vaincus dut s’ef
facer devant celui du vainqueur. Chaque nation ayant ses
mœurs, ses usages, la législation dans l’Occident dut né
cessairement réfléter ceux des diverses nations qui l’as
servirent tour à tour. Mais Rome, placée par Charlema
gne sous le pouvoir temporel de la Papauté, ne pouvait
oublier la législation à laquelle elle avait obéi si long
temps et qui, de ce foyer, devait naturellement se ré
pandre dans tout l’Occident.
INTRODUCTION.
8. — Ce qui est encore vrai, c’est que pendant long
temps l’Occident fut dévoré par des guerres longues et
intestines. Le vainqueur de la veille était le vaincu du
lendemain, et le conquérant, exterminé à son tour, en-
�12
DROIT MARITIME.
traînait dans sa chute les lois que le génie ef le caractère
de sa nation lui avaient inspirées.
En cet état, l’impossibilité d’un commerce quelconque
devait faire perdre de vue le droit nautique. Mais Pise,
mais Florence, mais Gênes, mais Venise à la tête du
commerce, trouvaient, dans leurs si importantes rela
tions avec l’Orient, l’occasion naturelle de connaître le
droit qui n’avait pas cessé de le régir et de se gouver
ner par les traditions au milieu desquelles elles exploi
taient si largement leur commerce.
Cette tradition et ces lois s’étaient soigneusement con
servées à Amalfî, dont les habitants, au témoignage
d’Azuni, eurent la gloire d’être, dans les dixième et on
zième siècles, les plus célèbres et les plus habiles com
merçants de l’Archipel. Plusieurs familles romaines, dé
sirant se soustraire aux atteintes du despotisme, s’étaient
embarquées pour se réfugier à Constantinople. Ayant
naufragé au promontoire escarpé de Minerve, elles ré
solurent de s’établir dans les environs, et y fondaient la
ville d’Amalfi, qui devint en peu de temps le dépôt du
commerce du Levant. Bientôt il s’y créa une Cour d’a
mirauté , à laquelle recoururent librement toutes les
nations de la Méditerranée et Constantinople elle-mê
me, et qui, dit Azuni, donna une haute idée des prin
cipes d’équité, et des profondes connaissances d’Amalfil.
Or, à quelles inspirations devait obéir celte Cour? Par
quelle législation devait-elle résoudre les difficultés qui
i
Système du droit marit.y 2e édit.
�lô
lui étaient soumises, si Amalfi n’a jamais reconnu que
le droit romain lui-même? La vérité de cette proposition
résulte de ce fait historique : Charlemagne, ayant dé
truit le royaume des Lombards, fit en vain chercher en
Italie l’oüvrage de Justinien, ce trésor demeura caché
jusqu’au douzième siècle. Enfin, dans la guerre que l’em
pereur Lothaire II vint faire en Italie, en 11217, contre
Roques, comte d’Apuli et de Sicile, on trouva dans la ville
d’Amalfi un exemplaire des Digestes. Les Pisans, qui
avaient secouru l’Empereur dans cette expédition, l’ob
tinrent pour récompense de leurs services. C’est l’origi
nal de toutes les Pandectes qui se sont ensuite repro
duites 1.
Amalfi suivait donc le droit romain, et, puisque les
nations de la Méditerranée recouraient librement à la ju
ridiction de son amirauté, puisque Constantinople ellemême venait y puiser des règles, au lieu de dire que
le droit romain avait disparu, il est beaucoup plus exact
d’admettre qu’il n’avait pas cessé de régir l’Orient et
l’Occident; seulement, il n’avait pas encore reçu la sanc
tion officielle des nations qui s’étaient formées des débris
de l’empire d’Occident ; la France, l’Allemagne, l'Es
pagne, encore dans l’enfance, n’attendaient que l’occa
sion qui, en leur démontrant la nécessité d’une législa
tion nautique, devait leur inspirer le désir d’en régler
les dispositions.
9. — Les croisades fournirent cette occasion. L’EuINTRODUCTION.
i Lebeau,
Hisl. du Bus-Empire, t.
4, p. 427.
�DROIT MARITIME.
rope, précipitée sur l’Orient vers le douzième siècle, put
se convaincre par elle-même de l’avantage qu’elle ren
contrerait en arrêtant un droit destiné à régir les rela
tions que le contact de tant de nations avait multipliées
entre elles, et bientôt, étendu à la Syrie qu’elles se pro
posaient de conquérir. Le séjour des croisés à Constan
tinople ne fut pas sans utilité à ce point de vue. Le dé
veloppement du commerce qui y régnait, les pratiques
des Vénitiens et des Génois étaient les éléments et les ba
ses naturelles de la législation destinée à régir la navi
gation et le commerce maritime.
De là, le Consulat de la mer devenu, depuis, la
source du droit qui régit aujourd’hui cette double ma
tière dans les diverses contrées commerçantes du monde
civilisé.
10. — Le premier exemplaire de ce recueil parut en
langue catalane et fut imprimé en 1494. Cet exemplai
re, que Valin regrette de n’avoir pu consulter, sê ter
minait par un appendice indiquant les diverses épo
ques des adhésions que recueillirent ses dispositions.
On y lit notamment : En l’an 1102, dans les kalendes
de septembre, ces règlements furent confirmés à Acre
par le roi de France Louis et pour le comte de Tou
louse ; en l’an 1162, dans le mois d’août, ils le furent
à Marseille dans la maison de l’Hôpital, en la puis
sance du seigneur Joffre Antar pour les tenir en tout
temps.
„
Le Consulat de la mer fut donc suivi en France, il
�15
en fut de même pour l’Italie : Consulatus maris, ensei
gne Casaregis , in materiis maritimis tanquam universalis consuetudo, habens vim legis, inviolabiliter
altendenda est apud omnes provincias et nationes l.
Emérigon, qui constate la pratique marseillaise, rap
pelle également ces paroles de Lubeck : Cceterum fere
omnium gentium leges et consuetudines maritimas col
lectas et in certis capitibus dispositas, videre licet in
elegantissimo libro, gui vocatur Consulatus maris, ex
lingua italica in Belgicam translatus.
INTRODUCTION.
I I . — Cet assentiment unanime est un témoignage
irrécusable de l’équité des règles tracées par le Consulat
de la mer, de l’excellence de ses dispositions. Telle n’est
pas l’opinion que professe Hubner ; à son avis, ce re
cueil ne serait qu’une masse informe, un amas assez
mal choisi de lois maritimes et positives, et d’ordonnan
ces particulières du moyen âge ou des siècles peu éclai
rés, joint à une compilation de décisions privées; ni les
uns ni les autres ne sauraient être d’aucun secours à
ceux qui voudraient discuter le droit des nations belli
gérantes, au sujet de la navigation des neutres.
Pour ce qui regarde les décisions, ajoute Ubner , el
les ne paraissent absolument bonnes à rien dans la pra
tique, surtout n’étant pas seulement motivées, ni même
faites dans un temps où l’on sut ce que c’est qu’un com
merce intelligent ou la manutention d’icelui2.
1 Disc. 213, n° 2.
2 Préface du Traité mr
la saisie des bâtiments neutres.
�DROIT MARITIME.
Singulier reproche que ce dernier adresse à l’Italie
des onzième et douzième siècles, qui la virent à l’apogée
de sa prospérité commerciale. Reproche qui, d’ailleurs,
pas plus que les autres, n’est justifié par Hubner, s’oc
cupant, non du commerce ordinaire, mais d’une ques
tion de droit public. A cet égard, le Consulat de la mer
a le tort d’admettre une doctrine contraire à celle de no
tre auteur. Hubner, en effet, pense, et avec raison, que
le pavillon couvre la marchandise , qu’en conséquence
celle de l’ennemi lui-même ne saurait être saisie à bord
d’un neutre. Le Consulat décide le contraire.
Serait-ce pour triompher plus facilement que Hubner
traite le Consulat de la mer comme il le fait? Nous
laisserons notre illustre Emérigon résoudre cette ques
tion.
Hubner, nous dit-il, ayant trouvé dans le chapitre
274 des décisions contraires à son système, a été de
mauvaise humeur contre l’ouvrage entier, mais, s’il l’eût
examiné avec quelque soin, il se serait convaincu que
les décisions que le Consulat renferme sont fondées sur
le droit des gens. Voilà pourquoi elles réunirent les suf
frages des nations. Elles ont fourni une ample matière
aux rédacteurs de l’ordonnance de 1681, et, malgré
l’écorce gothique qui les enveloppe quelquefois , on y
admire l’esprit de justice et d’équité qui les a dictées l.
Emérigon a raison, ce qui le prouve d’une manière
sans réplique, c’est que ces décisions, sauf les modificai Ibid., p. 8.
�INTRODUCTION.
17
lions que le progrès de la navigation, les mœurs, les
usages des nations, leurs besoins commandaient, forment
la base de tout le droit nautique, tel qu’il existe de nos
jours. Ce n’est pas , en effet, aux seuls rédacteurs de
l’ordonnance que le Consulat de la mer a été d’un puis
sant secours ; les divers recueils qui sont venus succes
sivement régir l’Océan et les mers du nord n’ont pas hé
sité à en reproduire les dispositions se conciliant ou
pouvant se concilier avec les besoins et les intérêts qu’ils
venaient satisfaire.
12. — Le premier en date de ces recueils est celui
intitulé : Jugements, ou Rôles d'Oléron, il suivit à
courte distance le Consulat de la mer, et eut sur les mers
occidentales toute l’autorité que celui-ci exerçait dans
l’Orient. En même temps, dit Cleirac, que les coutu
mes de la mer, insérées au livre du Consulat, furent en
vogue et en crédit par tout l’Orient, la reine Eléonore,
duchesse de Guienne, fit dresser le premier projet des
jugements, intitulés les Rôles d'Oléron, du nom de son
île bien-aimée , pour servir de loi sur la mer du Ponens.
L’origine française de ce remarquable recueil ne sau
rait être méconnue, elle a été cependant contestée. Sel—
den, entre autres, qui revendique l’empire des mers
pour l’Angleterre, sa patrie, et qui fait reposer cet em
pire sur les lois qu’elle aurait dictées, prétend que cel
les qui composent les Rôles d'Oléron furent d’abord re
cueillies et mises en ordre par l’aïeul d’Edouard Pr, et
�DROIT MARITIME.
promulguées ensuite par Richard Cœur-de-Lion, à son
retour des Croisades.
Cette prétention ne supporte pas l’examen. Comment,
observe très judicieusement Valin, l’aïeul d’Edouard au
rait-il pu commencer cette collection, puisqu’il n’avait
jamais eu aucun droit sur l’ile d’Oléron. La Guienne, en
effet, ne passa à l’Angleterre que par le mariage de
Henri, comte d’Anjou, depuis roi d’Angleterre, avec la
reine Eléonore, que le roi de France Charles VII avait
répudiée; conséquemment, ajoute Valin, si cette collec
tion avait été commencée avant Richard, qui naquit de
ce mariage et succéda à son père, il est évident qu’elle
ne peut être attribuée qu’à la reine Eléonore elle-même,
à l’exclusion des rois d’Angleterre, puisqu’on ne peut
supposer qu’elle put être ordonnée par des princes sans
autorités aucunes sur l’ile d’Oléron ; à cette circonstan
ce se réunit cette autre non moins décisive, à savoir que
les Jugements d'Olèron n’ont pour objet que la naviga
tion dans les mers de Gascogne, et depuis Bordeaux jus
qu’à Rouen, sans aucun rapport avec la navigation an
glaise L
Les Rôles d’Oléron ont donc une origine exclusive
ment française, ils ne devinrent le droit commun de l’An
gleterre que par la promulgation qu’en fit le roi Richard,
rendant ainsi hommage à l’œuvre éminente de la reine
sa mère, qu’il augmenta d’ailleurs d’un grand nombre
de décisions spéciales aux mœurs de sa nation.
i Valin,
Comment, de l'ord. de 1681,
préface, p. 12.
�fe®"'
INTRODUCTION.
19
13. — Ce recueil eut le même sort
le Consulat
de la mer. Adopté en France par les ports de mer de
l’Océan, promulgué en Angleterre, il recueillit bientôt
les adhésions les plus nombreuses, il devint la règle com
mune de l’Océan, comme le Consulat de la mer était
celle de la Méditerranée. Son apparition première est in
diquée en l’année 1150 ou 1152.
14. — Un siècle après, la Suède dotait la mer Bal
tique d’une législation spéciale. C’est à Wisbuy, capitale
de l’ile de Gothland , anciennement la foire et le mar
ché les plus célèbres de l’Europe, qu’elle vit le jour. Elle
fut arrêtée par les maîtres et marchands de celte ma
gnifique capitale , d’où l’appellation d’ordonnances de
Wisbuy.
Ces ordonnances, dit Valin, dont la date, selon Sel—
den, ne remonte pas au-delà de 1288, viennent immé
diatement après les Jugements d'Oléron. Elles ont eu
cela de commun avec ces Jugements qu’elles ont été
adoptées par les autres nations dès qu’elles ont paru,
Limiers, dans son Histoire de Suède, imprimée à Ams
terdam en 1721, dit qu’elles étaient autrefois aussi esti
mées dans la mer Baltique, qu’ailleurs les lois Rhodiennes et les Jugements d'Oléron. Loccenius, dans sa pré
face, en parle en ces termes : Quœ leges eamdem ferme
auctorilatem hodie obtinent,quam olim leges Rhodiœ
En un mol, et suivant l’expression de Grotius, à l’épo1 Valin,
Comment, de l’ord. de 1681, préface, p
rM
KS§«
!
�20
DROIT MARITIME.
que que nous examinons, Lex Rhodia navalis, pro jure
gentium in illo mari Mediterraneo vigebat, sicut
apud Galliam leges Oleronis, et apud omnes transrhemanos leges Wisbuensesl.
15.
— Le seizième siècle vit se produire divers mo
numents de droit nautique. Citons en première ligne le
Guidon de la mer. Ce traité, dit Cleirac, qui le transcrit
dans la seconde partie de sa compilation, est pièce fran
çaise et fut ci-devant dressé en faveur des marchands
trafiquant en la noble cité de Rouen, et ce avec tant
d’adresse et de subtilité tant déliée que l’auteur d’icelui,
en expliquant les contrats ou polices d'assurances, a in
sinué et fait entendre avec grande facilité tout ce qui est
des autres contrats maritimes et tout le général du com
merce naval. Ce dont se plaint Cleirac, c’est de la mul
titude d’erreurs, d’omissions et de transpositions qui ont
jeté ce traité dans le mépris, comme un diamant brut,
tout à fait obscur et méconnaissable.
Mais, observe Emérigon, malgré les souillures dont
cette pièce française est maculée, on y trouve les véri
tables principes du droit nautique. Si le style est suran
né, si le texte en est corrompu en divers endroits, le Gui
don n’en est pas moins très précieux par la sagesse et le
grand nombre des décisions qu’il renferme.
16. — En 1551, Charles-Quint fît publier à Bruxel1 Dans tous ces passages, nos auteurs, sous la qualification de
Rhodia navalis, désignent le Consulat de la mer.
liMÉ wüL-.-.. ...
jf
Lex
�INTRODUCTION.
21
^es divers règlements pour le commerce maritime. Phi
lippe II, son successeur, en développa les dispositions
par les ordonnances de 1563 et 1565.
17. — Enfin, en 1591, selon Yalin, en 1597, sui
vant d’autres auteurs, parurent les lois hanséatiques.
Depuis longues années, les villes libres de l’empire :
Lubeck, Brunswick,. Dantzick et Cologne s’étaient réu
nies pour protéger leur commerce sur la mer Baltique
et sur l’Océan Germanique. Les avantages de cette asso
ciation déterminèrent un grand nombre d’autres villes
à s’y affilier, Lisbonne, Séville, Barcelonne, Cadix, Li
vourne, Messine, Naples, Amsterdam, Calais, Bouen,
Saint-Malo, La Rochelle, Bordeaux, Bayonne, Marseille
y accédèrent successivement. Bref, l’association se com
posa bientôt de soixante-deux villes selon les uns, de
quatre-vingt-une selon les autres. C’est cette ligue que,
par corruption de la langue allemande, on a qualifié de
hanse teutonique.
Les commerçants répandus depuis le fond du Nord
jusqu’anx extrémités de la France, de l’Espagne, de
l’Italie étaient sans cesse instruits de l’état présent du
commerce. Dans toutes ces contrées, la hanse était le
nœud qui les liait les uns aux autres par un intérêt
commun.
» Si cette grande association, observe M. Boulay-Paty,
imprima le plus d’activité au commerce de l’Europe,
elle exigea en même temps des lois privatives et positi
ves pour organiser sa navigation et lui servir de règles.
�■
22
DROIT MARITIME.
En conséquence , les députés des diverses villes, dans
une assemblée générale réunie à Lubeck, arrêtèrent des
règlements qui furent publiés pour la première fois en
1591 ou 1597.
» Ces règlements furent depuis revus, corrigés et aug
mentés dans une seconde assemblée de députés tenue,
le 23 mai 1614, dans la même ville de Lubeck. Dans
celte dernière compilation, qui a pour titre : Jus hanseaticum maritimum , la distribution des matières a été
faite en un plus grand nombre d’articles, classés en
quinze chapitres ou titres ; elle est beaucoup mieux or
donnée que la première, mais le fond est le même, à
quelques changements près l. »
18. — Telles furent les diverses législations qui ré
girent le droit nautique en France, notamment jusqu’en
1681. On peut dire de chacune d’elles ce qu’on a dit
spécialement du Consulat de la mer, qui en est d’ail
leurs le type uniforme , à savoir , qu’elle renferme les
bons établissements et les bonnes coutumes qui appar
tiennent à la mer, que les hommes sages qui avaient
voyagé donnèrent d'abord à nos ancêtres ; lesquels rè
glements sont faits suivant les livres de la sagesse des
bonnes coutumes.
Ce caractère substantiel à la loi nautique amenait iné
vitablement à cette conséquence que les principes géné
raux, réellement marqués au coin de l’équité et de la
i
Dr. marit., 1 .1, p. 80 et 81.
�INTRODUCTION.
23
sagesse, ne pouvaient subir de biens graves modifica
tions. Aussi chaque législateur devait-il puiser largement
dans l’œuvre de ses prédécesseurs, et consacrer à son
tour ce que la pratique éclairée de la navigation avait
fait adopter par le droit romain. Les seules modifica
tions possibles étaient celles que commandaient les dé
veloppements du commerce, les mœurs et les besoins
auxquels chaque législation venait satisfaire.
Aussi remarque-t-on que le Consulat de la mer, que
les Jugements d'Olèron que les Lois Wisbuyennes, que
le Guidon de la mer, que les ordonnances de CharlesQuint et de Philippe II, que les règlements hanséatiques ne présentent aucune dissidence avec les règles fon
damentales et essentielles consacrées par le droit romain.
A l’appui de celte proposition, M. Boucher, dans son
édition du Consulat de la mer, a dressé un tableau dont
la première colonne rappelle une à une les dispositions
de la loi Rhodia de jactu. En regard, et dans une co
lonne spéciale, se trouvent celles que chacun des re
cueils que nous venons d’indiquer renferme sur les mê
mes matières, et il est facile de se convaincre de l’iden
tité presque absolue qui existe entre les unes et les au
tres. Si on avait suivi la même méthode pour toutes les
matières recueillies dans les autres parties des Pandec
tes, on serait arrivé au même résultat. On peut donc
conclure avec vérité que le droit romain a été le fonde
ment réel de tout le droit maritime au moyen-âge.
19. — Nous voudrions avoir à rappeler dans cette
�‘i h
DROIT MARITIME.
même période, quelques ordonnances, édits ou déclara
tions de nos rois sur la matière, mais il n’existe rien,
il faut le dire, qui ait pour objet les règles du commer
ce ou les contrats maritimes.
Cependant, dès la naissance du royaume, les rois de
France n’avaient pas cessé d’avoir des relations avec
l’empire d’Orient. Ces relations devinrent même fort
importantes sous le règne de Charlemagne. L’histoire
nous apprend en effet que ce grand monarque envoya
de puissants secours aux chrétiens d’Egypte et d’Afri
que, à Alexandrie et à Carthage, pour le développement
de leur commerce et pour réprimer les entreprises des
Vénitiens qui prétendaient dès lors à en monopoliser
les opérations. On le voit encore, dans le même but,
cultiver l’amitié du calife Haroun, qui lui céda, par ca
pitulation, le quartier occupé à Jérusalem par les chré
tiens.
D’autre part, Louis-le-Débonnaire arme, en 820, des
flottes sur la Méditerranée pour poursuivre les pirates
qui l’infestaient. Louis, fils de Lothaire, réclamait à
Constantinople contre des insultes qu’avaient reçues des
marchands esclavons, ses sujets, qui faisaient le com
merce de la Méditerranée,
Malheureusement ce ne pouvaient être là que des
lueurs passagères, comme nous en rencontrerons quel
ques autres dans l’histoire de notre marine. De tout
temps, observe Valin, la France a pu armer des vais
seaux et se signaler par d’importantes victoires navales.
Mais ses efforts ne survivaient pas à l’occasion qui les
�INTRODUCTION.
25
avait fait naître. Les vaisseaux étaient vendus ou dépé
rissaient faute d’entretien, parce que nous n’avions ni
ports de sûreté, ni chantiers, ni magasins, ni arsenaux
fournis de ce qui est nécessaire pour tenir toujours un
certain nombre de vaisseaux en état '.
La France n’avait donc point de marine militaire per
manente, l’absence de cet élément protecteur devenait
pour la marine marchande une occasion inévitable de
ruine, et dut nécessairement s’opposer à ses développe
ments et à ses progrès.
Comment d’ailleurs la France aurait-elle pu se livrer
au commerce extérieur, lorsqu’à l’intérieur les affaires
commerciales succombaient sous les crises qu’elles du
rent successivement rencontrer ! les guerres civiles, la
tyrannie féodale, les fureurs religieuses, les excès de
l’anarchie, l’insurrection des ducs et des comtes.
Quelle place pouvait se faire le commerce au milieu
de ces agitations et de ces désordres ? Qui pouvait son
ger à des expéditions à l’étranger et se préoccuper des
règles destinées à les protéger?
Aussi, et relativement au droit nautique, notre bilan
est facile à établir : le voici tracé par notre maître , l’il
lustre Valin :
« Les rois de la première race n’ont publié aucune
loi sur la marine. Dans les Capitulaires, tant de Charle
magne que de Louis-le-Débonnaire et Charles le Chauve,
sous la seconde race, tout se réduit à un seul chapitre,
intitulé De littorurn custodia.
i Sur le préambule de l'ordonnance.
�26
DROIT MARITIME.
» Les premiers rois de la troisième race n’ont pas
montré plus d’ardeur ; de sorte qu’avant l’ordonnance
de Charles VI, en 1400, nous n’avons point encore de
lois maritimes 1.
» Depuis cette époque jusqu’à François Ier, il n’y a
que la petite ordonnance de 1480, rendue uniquement
en faveur de l’amiral de Bourbon.
» Nous en avons deux de François Ier, une de 1517,
l’autre de 1543,' toutes deux en faveur des amiraux de
La Trémouille et Dannebaud, conformes pour le fond à
celle de 1400, mais un peu plus étendue.
» Henri III en fit une aussi en 1584, à la réquisi
tion de l’amiral de Joyeuse, elle n’est guère qu’une co
pie de celle de 1543.
» Au surplus, toutes ces ordonnances n’avaient, à
proprement parler, d’autre objet que le règlement des
droits et de la juridiction de l’amiral2. »
C’est là, il faut en convenir, un bien mince, un bien
léger bagage. Mais disons, pour être juste, que la faute
en était surtout aux circonstances ; ce qui manquait alors
à la France, c’était le calme, l’ordre, la stabilité, sans
lesquels il n’y a aucun commerce possible.
À peine étaient-ils rétablis, à peine était-il assis sur
le trône qu’il venait de conquérir que le bon Henri ré
solut d’en développer les conséquences et d’assurer la
prospérité du royaume en le dotant d’un commerce éten1 Cette ordonnance ne traite que de l’amirauté, de la piraterie et des
prises.
2 Sur le préambule de l’ord. de 1681.
�INTRODUCTION.
27
du. On le voit dans ce but former le plan d’une marine
militaire, encourager de compagnies importantes par des
privilèges capables de les indemniser amplement des
avances nécessitées par leurs opérations, enfin affermir
l’état de nos pêcheries sur les côtes de l’Amérique sep
tentrionale.
La mort si soudaine, et si à jamais regrettable de ce
bon et grand roi, vint malheureusement arrêter tous ces
projets. Mais ce que les agitations de son règne et sa
propre faiblesse ne permirent pas à Louis XIII d’exécu
ter, fut brillamment accompli par son fils et successeur,
Louis XIV, par les conseils et les soins de son immortel
ministre Colbert.
20. — Alors, en effet, notre marine militaire reçut
une organisation forte et permanente. Sûr d’une pro
tection efficace, le commerce ne tarda pas à prendre
l’essor qu’on voulait lui imprimer, et son développement
trouva un nouvel et énergique élément dans cette belle lé
gislation qui sa résume dans les admirables ordonnan
ces de 1673 et 1681.
La dernière fit pour le commerce maritime ce que la
première avait fait pour le commerce de terre. Sans
doute les rédacteurs purent s’aider des diverses lois qui
avaient été rendues sur la matière, interroger la prati
que tant naticmale qu’étrangère. Malgré ce puissant se
cours, on a pu, à bon droit, s’étonner de ce que la ma
tière des contrats maritimes ayant été négligée pendant
si longtemps en France, il s’y soit trouvé tout à coup
�28
DROIT MARITIME.
des hommes capables de former ce corps de doctrine
suivi, précis, lumineux même malgré sa profondeur,
qu’on ne peut se lasser d’admirer dans l’ordonnance.
C’était là une brillante, une admirable revanche de ce
long silence que nous avions gardé. Dès son apparition,
cette œuvre immortelle non seulement excita une admi
ration universelle, mais encore devint le Code commun
de tous les commerçants. Les nations les plus jalouses
de notre gloire, dit Valin, déposant leurs préjugés, leur
haine même, l’adoptèrent à l’envi, comme un monu
ment éternel d’intelligence et de sagesse.
21. — Cependant l’ordonnance ne crée pas un droit
absolument nouveau. Ses éminents rédacteurs ne pou
vaient fermer les yeux à l’évidence, ni refuser d’em
prunter aux législations précédentes des principes dont
la rigoureuse exactitude, sanctionnée par la pratique, en
commandait l’exécution en tout temps et en tous lieux.
Leur mission était au contraire de se pénétrer de leur
esprit, de fondre les diverses législations dans un seul
corps approprié aux mœurs et aux besoins de l’époque.
Ce qui explique que l’ordonnance et le Code de com
merce, qui l’a en quelque sorte reproduite, se trouvent
sur plusieurs points en complète et parfaite harmonie
avec les précédentes législations et avec le droit romain
qui en avait formé l’élément fondamental.
0 ;M .
22. — L’ordonnance de 1681 n’a pas cessé d’être
ce qu’elle fut dès son apparition. Le temps ne lui a rien
�INTRODUCTION.
29
enlevé de son prestige, et l’admiration qu’elle excita
trouva un écho fidèle dans la commission chargée de la
préparation du Code et dans l’esprit de tous ceux qui
présidèrent à sa rédaction.
L’orateur du gouvernement, exposant les motifs du
livre 2 du Code de commerce, faisait remarquer que ce
livre comprenait toutes les transactions maritimes et
était destiné à remplacer l’ordonnance de 1681.
» Vous dire, ajoutait-il, que nous avons conservé
tous les principes qu’elle a consacrés en ce qui touche
les contrats maritimes ; que nous ne nous sommes per
mis qu’un petit nombre de changements qui nous pa
raissent justifiés par ceux même qu’ont éprouvés le com
merce et la navigation dans le laps d’un siècle, ou par
la justice la plus évidente, c’est vous dire, ce nous sem
ble, que l’amour de l’ordre, le respect dû à la sagesse
de nos ancêtres et une juste circonspection ont dirigé
nos travaux, et que c’est avec confiance que nous ve
nons soumettre ce projet de loi à votre examen. Cette
confiance nous est inspirée par notre admiration même
pour l’ordonnance sur laquelle nous nous appuyons. »
23. — L’ordonnance de 1681 embrasse et régit le
droit maritime dans son intégralité. Ce droit, dit M. Dal
loz, peut être défini l’ensemble des règles qui régissent
la mer et ses rivages, les marins, les navires, les expé
ditions maritimes et les contrats auxquels ces expédi
tions donnent lieu l. On peut donc le considérer sous
un triple rapport.
1 Nouveau rép., v.
Dr. mark , n° 1.
�30
d ro it
Ma ritim e .
21. — Le premier est purement politique et se ré
fère à l’intérêt général des nations. Entre autres ques
tions fort importantes que ce point de vue soulève, se
présentent celles relatives à la liberté des mers, à des
obstacles que les nations belligérantes peuvent y appor
ter en temps de guerre non seulement pour leurs natio
naux respectifs, mais encore à l’endroit des neutres.
Tout cela ne pourrait être obligatoirement réglé que
du consentement et par le concours de toutes les nations.
On s’en est donc jusqu’ici référé, à cet égard, au droit
des gens que chaque gouvernement ne manque pas d’in
terpréter dans l’intérêt qu’il poursuit, et, comme en
cette matière il est impossible d’en appeler à une auto
rité judiciaire quelconque, les diffic ultés qui peuvent
s’offrir ne peuvent être résolues que par les armes.
25. — Sous un second rapport, le droit maritime
comprend les lois, ordonnances et règlements pour la
police de la navigation, la sûreté des ports et rades, la
défense des côtes auxquels doivent pourvoir les divers
droits imposés aux navigateurs.
Tout ce qui se réfère à ces objets, tout ce qui concerne
l’administration, la police des rivages, les mesures sani
taires à observer est confié à des agents spéciaux de
l’autorité publique, et se trouve,depuis le Code, exclusi
vement régi-par une législation spéciale et particulière.
On peut notamment consulter sur ces matières la loi du
13 août 1791 et le décret du 10 mars 1807 sur les offi
ciers des ports ; la loi du 3 mars et l’ordonnance du 17
�r ■’ V
.\
INTRODUCTION.
;:
31
■
août 1822 sur la police sanitaire; la loi du 15 août
1792 et le décret du 12 décembre 1806 sur le pilotage.
Il existe en outre d’autres règlements auxquels leur spé
cialité à tel ou tel port affecte un caractère tout particu
lier, ne pouvant intéresser que la localité elle même.
26. — La police de la navigation comprend néces
sairement les mesures concernant le sauvetage des per
sonnes et des propriétés dans les naufrages ou autres
accidents de mer. L’intérêt qu’inspirent les malheurs
de ce genre indiquait la nature du devoir que le législa
teur avait à remplir ; mais les droits de l’humanité ne
devaient pas faire négliger la sûreté de l’Etat. Il fallait
donc, en suivant les inspirations de l’une, empêcher
qu’un ennemi mal intentionné n’abusàt de l’hospitalité
qu’il aurait reçue,
Des règlements, conciliant toutes les exigences, sont
intervenus, dont l’exécution est exclusivement confiée
aux agents de l’administration. On les trouve dans les
lettres patentes du 10 janvier 1770, la loi du 13 août
1791, l’arrêté du directoire du 27 thermidor an vu, ce
lui du gouvernement du 6 germinal an vin, celui du
17 floréal an ix, l’ordonnance du 3 mars 1781 sur les
consulats.
27. — Au point de vue de la police de la naviga
tion, le droit maritime comprend ce qui est relatif aux
prises sur la validité desquelles le gouvernement s’est
réservé le droit absolu de prononcer, on a cru longtemps
�32
DROIT MARITIME.
que le moyen de faire cesser la guerre au plus tôt con
sistait à la rendre la plus onéreuse et la plus désastreuse
pour l’ennemi. Ce moyen, on avait cru le trouver dans
la course qui s’attaquait même à la propriété privée,
ruinait le commerce d’une nation et la réduisait à la po
sition la plus fâcheuse.
Le but avait fait illusion sur l’iniquité du moyen, à
tel point que Valin lui-même n’hésite pas à proclamer
ennemis de l’État ceux qui s’efforçaient d’en faire res
sortir les inconvénients, l’illégalité et les vices.
Ils avaient raison cependant; la course n’a aucun
fondement sérieux, même dans le droit de la guerre. Ce
droit, en effet, attribut essentiel de la souveraineté, n’ap
partient qu’à l’Etat, ne doit et ne peut dès lors êire
exercé que par les forces régulières de l’Etat, qu’au pro
fit de l’Etat et contre les forces, les droits et les biens
de l’Etat ennemi. Confier cet exercice à des simples par
ticuliers, c’était donc méconnaître le droit lui-même,
tomber dans des graves inconvénients que les lois nom
breuses de la matière avaient voulu réprimer, sans pou
voir jamais y parvenir.
Le corsaire, n’obéissant qu’à son avidité sans con
trôle efficace au milieu des solitudes des mers, ne cher
chait qu’à assouvir sa cupidité , sans s’inquiéter quel
quefois de la nationalité de la proie qu’il convoitait. On
l’a dit depuis longtemps et avec juste raison, la course
n’était qu’une piraterie organisée, aussi redoutable pour
les neutres que pour l’ennemi lui-même.
La France prit une noble, une généreuse initiative,
�35
La loi du 7 janvier 1793 abolit les leitres de marque,
mais des lois de ce genre ne peuvent être exécutées
qu’autant qu’elles sont acceptées par tous. S’interdire
la course, tandis qu’elle serait autorisée par les autres
nations, ne'pouvait raisonnablement entrer dans la pen
sée du législateur.
Le relus de l’Europe contraignit donc la France à
persister dans les anciens errements. Ne pouvant faire
disparaître cette institution, on voulut au moins lui im
primer le caractère le plus légal, le plus conforme au
droit des gens. De là les décrets des 31 janvier et 1" oc
tobre 1793, 9 messidor an ni, 3 brumaire an iv ; les
lois des 12 .vendémiaire et 26 nivôse an vi, 26 ventôse
an vm, 9 ventôse an ix, 18 vendémiaire et 2 prairial
an xi ; le décret du 9 septembre 1806, et les avis du
conseil d’Etat des 4 avril 1809 et 18 août 1811, qui
vinrent compléter les précations déjà prises par l’or
donnance de 1681, par les règlements des 27 janvier
1706 et 26 juillet 1778.
La France peut encore revendiquer l’honneur d’avoir
proclamé le droit des neutres. Pour elle, le pavillon de
vait couvrir la marchandise. Les manifestes de 1806 et
de 1812 seront les monuments éternels de la droiture
de ses intentions et de la sagesse de ses vues.
Au moment où nous écrivons, la France est sur le
point de voir ses efforts couronnés du plus éclatant suc
cès. La guerre qu’elle soutient, de concert avec l’An
gleterre, contre la Russie, s’ouvre sous les plus heuraux auspices. Ces hautes et grandes nations ont en
INTRODUCTION.
i— 3
�34
DROIT MARITIME.
effet déclaré qu’elles s’abstiendraient de délivrer des let
tres de marque, et proclamé le principe que le pavillon
couvre la marchandise. L’empressement que toutes les
nations ont mis à s’associer à ces actes de haute mora
lité, l’engagement de fermer leurs ports à tous corsaires
est une preuve de la répugnance universelle qu’inspire
la course telle qu’elle était pratiquée , et fait espérer
qu’elle disparaîtra bientôt du droit public des nations.
2 7 bis. — Les espérances que faisait naître le début
delà guerre d’Orient n’ont pas été trompées. La paix,
que les glorieux triomphes des armées alliées ont con
quise les a toutes confirmées. Le traité de Paris, du 30
mars 1856, a expressément aboli la course et fait dis
paraître les lettres de marque.
Cette grande résolution modifiait tellement le droit
public jusque-là suivi, qu’il devenait indispensable d’en
asseoir les bases pour l’avenir. Ce devoir a été rempli
parla déclaration du 16 avril 1856, honneur éternel
des diplomates qui l’ont consacrée.
Il est désormais acquis :
1° Que la course est abolie ;
2° Que le pavillon couvre la marchandise de l’enne
mi, à l’exception de la contrebande de guerre ;
3° Que les marchandises neutres, à l’exception de la
contrebande de guerre, ne sont pas soumises à la prise
sous le pavillon de l’ennemi ;
4° Que les blocus, pour être réels, doivent être effi
caces, c’est-à-dire maintenus par une force réellement
suffisante pour empêcher l’approche de la cote ennemie.
�35
C’est là un progrès immense que la raison, que les
mœurs actuelles approuvent hautement. Espérons que
tous les intéressés s’empresseront de s’y associer et de
partager le lustre qu’une pareille déclaration fait rejaillir
sur les grandes nations qui l’ont signée.
INTRODUCTION.
28. — Dans la catégorie des lois de police, dont
l’application est réservée à l’autorité, se placent les rè
glements relatifs à la construction des navires et aux
conditions de nationalité.
Sans doute, un navire est une propriété privée. Il
semblerait dès lors que l’administration devrait demeu
rer complètement étrangère à sa construction ; que quant
à la nationalité, comme la propriété suit le sort du pro
priétaire, le navire construit ou acheté par un Français
devrait être par cela même autorisé à se parer de nos
couleurs. Le droit que l’autorité s’est réservée de contrô
ler l’un, de proclamer l’autre, est évidemment une dé
rogation à la loi commune. Mais cette dérogation trou
ve sa justification dans la nature même des choses.
La protection que le législateur doit à tous les citoyens
devait plus particulièrement s’étendre sur ces hommes
courageux qui, à travers des dangers nombreux et inces
sants, se vouent à la navigation et contribuent si puis
samment à la prospérité de l’Etat par les développements
qu’ils impriment au commerce. Or la sûreté et la vie de
l’équipage, celle des passagers tiennent bien souvent à
la solidité du navire, à sa bonne construction. L’intérêt
général faisait donc un impérieux devoir de veiller à
�36
DROIT MARITIME.
l’une et à l’autre, il ne fallait pas en effet qu’une écono
mie sordide vînt aggraver des dangers déjà trop graves.
D’autre part, l'honneur d’arborer le pavillon natio
nal était un privilège qu’il convenait de réserver à ceux
qui se sont montrés dignes de l’obtenir, en exécutaut
d’abord religieusement les prescriptions de la loi. Cette
réserve était d’autant plus légitime que le droit au pa
villon entraîne plusieurs avantages, entre autres, l’abais
sement des droits de la navigation dans les ports fran
çais d’abord, ensuite dans les pays obligés par les trai
tés à placer notre marine à l’instar de la leur et sur le
pied le plus favorisé.
Enfin le pavillon, c’est la patrie elle-même. Les in
jures qui lui seraient faites, les avanies qu’il rencontre
rait s’adresseraient à la nation et pourraient, à défaut
d’une éclatante réparation, motiver des repressailles et
ouvrir les hostilités.
C’est donc à bon droit que l’autorité s’est réservée le
droit exclusif de délivrer l’acte de francisation. Cet acte
décrit le navire dont il constate le nom, atteste qu’il a
été mesuré, reconnu bien construit, et que la construc
tion est française. Il lui assure le droit d’arborer
nos couleurs et de jouir de tous les privilèges atta
chés à la nationalité.
L’acte de francisation doit accompagner le navire dans
toutes les expéditions qu’il entreprend. Le capitaine doit
l’avoir en sa possession pendant le voyage, et, à son ar
rivée dans un port quelconque, le déposer au bureau
des douanes, où il reste jusqu’au départ du navire.
�37
D’autres obligations sont imposées aux propriétaires
des navires. EUes se réfèrent aux inscriptions et mar
ques, au jaugeage, à la visite, au congé et aux droits de
navigation.
La sanction pénale de ces diverses obligations varie
selon l’importance et la nature de celle qui a été omise
ou violée. Le plus communément c’est une amende plus
ou moins élevée. Cette amende est prononcée par les
tribunaux, mais la poursuite appartient exclusivement à
l’administration, sauf le droit des tiers à obtenir la ré
paration du préjudice que la contravention a pu leur
occasionner.
INTRODUCTION.
29. — Toutes ces matières se trouvaient réglemen
tées par l’ordonnance de 1681, offrant ainsi un corps
complet de droit maritime, elles ont disparu du Code de
commerce. Destiné exclusivement à régir les rapports
de citoyen à citoyen, celui-ci a dû se borner à la ma
tière des contrats d’où naissent ces rapports. Il n’a donc
emprunté à l’ordonnance que ce qui se réfère à ces con
trats, à leurs conditions, à leurs effets.
50. — Mais, a ce point de vue même, il n’est pas
inutile de rappeler que cette ordonnance n’a pas cessé
d’être en vigueur et de régir toutes les hypothèses sur
lesquelles le Code a gardé le silence. Comme exemple
notable, nous mentionnerons ses dispositions sur les
naufrages, bris et échouements, et sur l’indemnité due
aux sauveteurs.
�38
DROIT MARITIME.
3 i. — La haute moralité, la convenance profonde
de ces dispositions n’ont pas besoin d’être relevées, il fut
un temps où le naufrage devait fatalement aboutir à une
destruction complète, à la mort des malheureux navi
gateurs. La fureur des hommes accomplissait ce que les
éléments n’avaient pu faire ; les infortunés, que les va
gues n’avaient pas engloutis, n’abordaient la côte que
pour y être inhumainement massacrés, ou tout au moins
violemment dépouillés. Heureux encore si de lueurs per
fides ne les avaient pas dirigés sur l’écueil où le navire
était venu se briser.
En France même, cet horrible usage avait eu ses bar
bares sectateurs. Sans doute, et à plusieurs reprises,
des tentatives pour le faire cesser avaient été essayées.
Des lois avaient été portées pour le punir d’une manière
exemplaire ; l’impossibilité d’en contraindre, d’en assu
rer l’exécution les avait condamnées à l’impuissance.
L’énergique répression de ce brigandage infâme n’est
pas le moindre titre des rédacteurs de l’ordonnance,
elle ne saurait manquer de leur assurer l’éternelle re
connaissance des amis de l’humanité. On lit avec orgueil
leurs dispositions, on s’honore des motifs qui les dic
tent, autant qu’on applaudit à leurs résultats.
Leur violation constituant des délits ou des crimes,
leur examen se plaçait en dehors du cadre que s’étaient
tracés les rédacteurs du Code de commerce. Il est tou
tefois une hypothèse dans laquelle leur observation est
dans le cas de donner naissance à un litige ordinaire de
la compétence de la juridiction commune.
�INTRODUCTION.
39
Les auteurs de l’ordonnance avaient compris qu’il
importait, tout en réprimant l’abus, de ne pas découra
ger ceux qui seraient tentés d’aider au sauvetage des ef
fets exposés à périr, lorsqu’il s’agirait de remédier non
à un danger actuel et imminent, mais à un mal déjà
en quelque sorte consommé.
32. — Dans le premier cas, l’attribution du sauve
tage à l’administration, son droit de réquisition, la pei
ne que le refus d’y obtempérer fait encourir permettaient
de s’en tenir à la juste rétribution du travail et au paie
ment des journées fournies. Mais tout cela ne suffisait
plus pour le sauvetage des effets trouvés en pleine mer
ou totalement submergés.
En pareil cas, ce sauvetage ne peut être opéré qu’a
vec un danger plus grand, qu’au prix d’un retard dans
le voyage du navire sauveteur. Comment obtenir l’un
ou l’autre, si le profit du sauvetage ne devait apparte
nir qu’au propriétaire.
Il fallait donc intéresser les sauveteurs, et, le principe
une fois admis, déterminer la quotité de cet intérêt. Il
était impossible de s’arrêter à un salaire fixe, car, dans
certains cas, le salaire pouvait rester fort au-dessous de
ce qui était mérité. S’en référer à l’appréciation des tri
bunaux avait aussi ses dangers, la crainte seule que le
résultat ne répondît pas à l’indemnité méritée pouvant
empêcher toute tentative de sauvetage.
Le législateur de 1681 fit donc lui-même la part des
sauveteurs. L’article 27, titre 9, livre 4 de l’ordonnance
�40
DROIT MARITIME.
leur accorde en toute propriété le tiers des objets sau
vés, suivant en cela les errements du droit romain luimême. C’est là évidemment une véritable expropriation
contre le propriétaire, mais èelui-ci serait d’autant plus
mal venu à s’en plaindre, qu’il recouvre les deux tiers
de ce qu’il devait considérer comme totalement perdu.
Le silence gardé par le Code à ce sujet n’est pas
l’abrogation de l’ordonnance. Ce que la doctrine et la
jurisprudence en ont conclu, c'est que la matière est en
core aujourd’hi régie par l’ordonnance. Il devient dès
lors indispensable de s’expliquer sur quelques difficultés
que son texte peut soulever.
33. — En première ligne, pour que les sauveteurs
acquièrent la portion de propriété qui leur est départie,
il faut ou que les effets sauvés aient été trouvés en pleine
mer, ou qu’ils aient été tirés de son fond. La loi Rhodienrie distinguait même ces deux hypothèses ; elle n’ac
cordait qu’un cinquième si les effets avaient été trouvés
sur les flots ; quant à ceux tirés du fond des eaux, elle
attribuait le tiers, s’ils l’avaient été à une profondeur de
huit coudées ; la moitié, si cette profondeur était de
quinze coudées.
Pour les effets trouvés ailleurs qu’en pleine mer, ils
étaient, soumis à l’application de l’article 20, portant .
Si les vaisseaux ou effets échoués sur le rivage ne sont
‘point réclamés dans l’an et jour, ils seront partagés
entre nous ou les seigneurs auxquels nous aurons cédé
notre droit et l’amiral, les frais de sauvement et de
�41
justice préalablement pris sur le tout. De là cette con
séquence déjà écrite d’ailleurs dans l’article 24, qu’en
cas de réclamation dans l’an et jour, les effets doivent
être rendus à leur propriétaire, à la seule charge de
payer les frais de sauvetage.
Ces deux articles n’exigent donc que le paiement des
frais sans attribution aux sauveteurs d’une portion quel
conque de la propriété. Faut-il les entendre en ce sens
qu’ils ne disposent que pour les effets flottants ou dépo
sés sur la plage, de manière qu’ils ne font nul obstacle
à l’application de l’article 28 dans le cas où le sauve
teur avait eu à les tirer des eaux ? Laffirmative a été
soutenue. Des jurisconsultes avaient pensé que les arti
cles 24 et 26 se restreignaient au cas d’échouement sans
submersion, qu’en conséquence, dès que celle-ci s’était
opérée, le tiers de la propriété était acquise au sauve
teur.
Mais Yalin professe l’opinion contraire et trouve, en
tre les articles 24, 26 et 27, une telle différence, et la
disposition du dernier tellement spéciale, qu’il est im
possible de les confondre et de régir par celle-ci les cas
prévus par les deux premiers. Après tout, ajoute-t-il,
l’usage, qui est le meilleur interprète des lois, a tou
jours été de n’attribuer à ceux qui trouvent des effets
échoués sur le rivage et qui les sauvent, que leurs frais
de sauvement.
« Ce qui autoriserait même cet usage, indépendam
ment de la loi, si elle n’était pas aussi claire qu’elle l’est,
c’est qu’au moyen de l’établissement des gardes-côtes
INTRODUCTION.
�4-2
DROIT MARITIME.
dans les amirautés, ou ce sont eux qui découvrent les
premiers les effets qui arrivent à la côte, ou , s’ils sont
prévenus par d’autres, ils en sont informés d’abord, et
aussitôt ils font travailler au sauvement. Or, d’une ou
d’autre manière, il n’échet que le paiement des jour
nées, au Heu de la délivrance d’un tiers, parce qu’ils
sont préposés par les officiers de l’amirauté pour recueil
lir et mettre en sûreté tout ce qui vient à la côte.
» Ne serait-il pas ridicule, au reste, que ceux qui
trouveraient ainsi des effets sur le rivage, et qui les sau
veraient sans aucun risque, comme sans grand travail,
fussent aussi favorisés que ceux qui, avec des risques et
beaucoup plus de dépenses, les sauveraient sur les flots
en pleine mer, ou les tireraient de son fond.
» Enfin, ce qui est sauvé sur le rivage ou ailleurs
n’est qu’une épave, et la règle est en matière d’épaves,,
comme il a été observé, que celui qui la trouve ne peut
prétendre que les frais par lui faits pour la sauver.
Cette règle, confirmée par le règlement du 23 août 1739,
ne souffre d’exceptions que dans les cas exprimés par
les articles 29 et 36. Il faut donc nécessairement s’en
tenir là. »
Pour bien saisir la portée réelle de cette doctrine, il
faut se rappeler que les rivages de la mer comprennent
une certaine zone qui, quoique continuellement couverte
par les eaux, n’en est pas moins considérée comme ri
vage. Or, dans cette zone, le sauvetage n’est pas libre,
il appartient exclusivement à l’administration que la loi
charge spécialement d’y procéder ; de là les prescriptions
�43
ayant pour objet de la mettre à même de l’accomplir.
En cas de sinistre, toutes personnes, quelle que soit leur
qualité, disent notamment les arrêtés du 27 thermidor
an vu et 17 floréal an ix, témoins d’un échouement
ou d’un naufrage, doivent en informer immédiatement
l’officier en chef de la marine le plus voisin du lieu.
En cas de négligence ou de refus, elles peuvent être ré
putées complices du pillage des effets naufragés.
Il importe donc peu que les effets soient submergés
ou non. Dès qu’ils se trouvent dans la zone réservée,
l’administration a seule le droit de prendre ou d’ordon
ner toutes les mesures capables d’en opérer le sauvement. En agissant ainsi, elle n’accomplit qu’un devoir
auquel la loi l’a préposée dans un intérêt public et gé
néral, on ne comprendrait pas dès lors que son accom
plissement pût devenir pour elle un moyen d’acquérir
un droit sur les effets sauvés, autre que celui d’être
remboursée des frais qu’elle a exposés.
Quant à ceux qui auraient procédé au sauvetage, ils
ne sont et ne peuvent être considérés que comme les ou
vriers de l’administration, alors même qu’ils auraient
agi avant son intervention. Il ne leur est jamais dû que
le salaire de leurs peines et soins, que le remboursement
des frais qu’ils auraient été dans le cas d’avancer.
De ce qui précède, il résulte que l’article 27 de l’or
donnance, qui est encore aujourd’hui la seule loi de la
matière, ne concerne que les effets submergés ou flottant
en pleine mer, c’est-à-dire en dehors de la zone réser
vée. Là, en effet, le sauvetage n’est plus qu’un fait sponINTRODUCTION.
�44
DROIT MARITIME.
tané, volontaire de la part de celui qui l’entreprend.
Les effets à l’égard desquels il l’exerce sont en l’état
perdus pour le propriétaire qui les recouvrera par ce
moyen. Des actes de cette nature méritaient d’être en
couragés et par conséquence récompensés. L’attribution
au sauveteur du tiers de leur valeur est rationnelle et
juste.
34. — On s’est depuis longtemps demandé, on se
demande encore quelquefois aujourd’hui si celui qui
sauve un navire en pleine mer est recevable à invoquer
le bénéfice de l’article 27, et si on doit lui attribuer le
tiers du navire.
Au soutien de la négative, on invoquait le texte des
articles 24, 26 et 27. On faisait remarquer les expres
sions de l’article 24 : Les vaisseaux échoués et les mar
chandises et autres effets, etc... Celles de l’article 26 :
Si les vaisseaux et autres effets, échoués, etc... Or,
ajoutait-on, l’article 27 ne parle plus que des effets nau
fragés. La prétérition volontaire du vaisseau prouve que
le législateur l’a exclu de la règle tracée par ce dernier
article.
L’esprit de la loi, le bon sens et la logique repoussent
cette solution. Nous venons de le dire, le but unique de
l’article 27 est d’encourager le sauvetage. Si la loi a ellemême fixé la récompense, c’est que le vague, en cette
matière, pouvait contrarier ce but, la craintej d’une in
demnité insuffisante devant amener l’indifférence et
l’abandon, au lieu des efforts qu’exige ce sauvetage.
�INTRODUCTION.
45
Sans doute le tiers en propriété peut constituer pour
les sauveteurs un bénéfice important. Mais, quel tort
fait-on à l’intéressé ? Il avait tout perdu, on lui restitue
les deux tiers. L’opération est assez fructueuse pour lui.
C’est d’ailleurs l’appât de ce bénéfice qui doit déter
miner de tenter le sauvetage, et qui est le seul moyen
d’atteindre le but qu’on se proposait, multiplier les sau vetages. Pourrait-on dès lors prétendre sérieusement que
la loi n’a pas recherché pour les navires ce qu’elle veut
pour une malle, pour un ballot, pour une caisse. Une
pareille conduite serait d’autant plus inconcevable,
qu’une malle, qu’une caisse flottant sur l’eau est sauvetée
sans beaucoup d’efforts, sans grands dangers, sans re
tards dans le voyage, tandis que le contraire se réalise
dans le sauvetage d’un navire. Ce n’est pas sans dangers
qu’on parviendra toujours à l’aborder. Puis il faudra le
mettre à même d’atteindre le port le plus voisin, ce que
le sauveteur ne pourra faire souvent sans se détourner
de sa route. Il devra faire passer à bord une partie de
son équipage, et retarder ainsi sa propre navigation, au
risque de ce qui pourra en résulter.
Tout cela, on le tentera pour acquérir le tiers de la
propriété. Refusez cette récompence, et vous verrez les
navires éviter avec soin l’approche de celui que l’aban
don ou le naufrage fait errer au hasard , et laisser
ainsi aux vagues une proie qu’ils ne leur arracheraient
qu’au profit d’un tiers inconnu.
Nous avons donc raison de le dire, la solution que
nous combattons serait illogique, contraire à l’esprit de
�—
DROIT MARITIME.
la loi. Aussi, a-t-elle été repoussée par la jurisprudence,
tant avant que depuis le Code de commerce.
35. — On a prétendu, en second lieu, que l’aban
don d’un navire par son équipage ne constituait pas le
naufrage dans le sens de l’article 27 de l’ordonnance ;
que dès lors il n’était dû qu’une indemnité à ceux qui
avaient recueilli ce navire et l’avaient conduit en lieu de
sûreté. C’est dans ce sens a-t-on dit, que s’était pro
noncé Emérigon.
Mais l’avis contraire était nettement et carrément en
seigné par Valin. « A l’exemple des effets naufragés,
trouvés en pleine mer, disait ce non moins célèbre ju
risconsulte, il est naturel de conclure que si un navire
abandonné par son équipage, soit après échouement,
soit pour éviter le danger d’un naufrage imminent, soit
enfin par la crainte d’être pris par des pirates ou par
l’ennemi, est trouvé en pleine mer et sauvé, le tiers en
appartiendra à celui qui l’aura sauvé, de manière qu’il
faudra lui payer le tiers de la valeur , tant du navire
que de tout ce qui s’y trouvera, sauf le recours des pro
priétaires contre les assureurs chargés de la baraterie
de patron, et des uns et des autres contre le capitaine
du navire pour le cas où il ne serait pas excusable de
l’avoir abandonné. La raison, en effet, étant la même
que dans les deux cas de notre article, la décision ne
peut être différente, que celui qui a rencontré ainsi le
�47
navire abandonné à la merci des flots soit de la même
nation ou d’une autre 1.
Cet avis a prévalu, la jurisprudence y a conformé ses
décisions. Il en existe de nombreuses émanées des tri
bunaux de commerce de Marseille et de Bordeaux , des
cours d’appel d’Aix, de Bordeaux, de Douai et de Rouen.
Nous nous bornons à transcrire les motifs d’un arrêt
que la première rendait le 27 février 1817.
INTRODUCTION.
36. — « Considérant qu’il résulte des déclarations
du capitaine commandant le Saint-Jean-Baptiste, et
de celles des capitaines russe et anglais, savoir : des
premières, que l’équipage de ce navire, se voyant pour
suivi par des pirates, l’abandonna ; et des secondes,
que le même navire a été trouvé en pleine mer deux
jours après l’abandon et ramené par les capitaines russe
et anglais ;
» Considérant que le navire abandonné est perdu
pour l’armateur et les chargeurs ; que ceux-ci ne peu
vent plus avoir qu’une espérance, c’est que le navire
abandonné soit rencontré et ramené par d’autres bâti
ments ; que, pour que cette espérance se réalise et ne
soit pas toujours illusoire, il faut que le navire qui s’ex
pose pour en sauver un autre, soit en s’approchant
d’un bâtiment où l’on ne voit pas d’équipage, ce qui
peut être l’effet de la ruse des forbans, soit par la perte
de temps que peut entraîner le changement de route,
i Sur l’article 27, tit. 9, liv. 4.
�DROIT MARITIME.
soit par la diminution de son équipage, qui doit fournir
au navire abandonné un nombre d’hommes nécessaire
pour le diriger, ce qui le livre ainsi plus longtemps, et
avec moins de monde, aux hasards de la mer, trouve
une récompense de cette action ;
» Que si cette récompense était arbitrairement fixée,
il en pourrait résulter que l’incertitude de ce qu’on de
vait obtenir n’excitât pas assez le courage et l’ardeur
des marins, et par là fit totalement perdre ce qui aurait
dû être sauvé ;
» Que si c’est un devoir pour les magistrats d’appli
quer, même au cas qu’elles n’auraient pas prévu, les
lois existantes, c’est avec d’autant plus de raison lors
qu’il y a de l’analogie entre l’hypothèse établie par la
loi et celle qui ne l’est pas ;
» Qu’il ne peut y avoir d’analogie plus complète que
celle qui existe entre un naufrage et un abandon ; que,
dans les deux cas, il y a perte absolue pour les pro
priétaires de la chose naufragée ou abandonnée ; qu’on
peut ajouter que, dans le cas de naufrage, les marins
du bâtiment naufragé peuvent quelquefois rencontrer
une partie des effets naufragés, tandis qu’il est évident
que le navire abandonné par son équipage est totale
ment perdu pour ses armateurs, si des étrangers ne
viennent l’arracher aux dangers de la mer ; que dès
lors il semble que c’est avec d’autant plus de raisons
qu’on doit appliquer l’article 27 du titre des naufrages
au cas de l’abandon, puisque celte application est à
�49
l’avantage des propriétaires du navire et des marchan
dises abandonnées ;
» Considérant que c’est dans ce sens que Valin a
interprété l’article 27, titre des naufrages, de l’ordon
nance de 1681 ;
» Que cette interprétation n’est point contredite par
l’arrêt rapporté dans le recueil de Regusses, et opposé
par les appelants ; qu’on y voit bien un équipage aban
donner son navire, mais après un échouement, circons
tance différente du naufrage, sans être poursuivi, seule
ment à cause de la crainte des Maures qui pourraient
s’apercevoir de l’événement du rivage ; que le même
navire non capturé s’était dégagé de lui-même , et qu’il
était si peu abandonné, comme dans l’espèce, que le ca
pitaine qui le commandait était allé aussitôt chercher
dans un port voisin, avec offre du tiers de la chose sau
vée, valant 280,000 livres, d’autres navires pour rame
ner le sien ;
» Qu’Emérigon , dans son Traité des assurances,
également opposé, ne dit rien qui soit capable d’infir
mer l’opinion de Valin ;
» Considérant, en fait, que les capitaines russe et an
glais se sont exposés à des dangers graves, soit en dé
routant, soit en diminuant leurs équipages pour con
duire le Saint-Jean-Baptiste ; que ce serait nuire au
bien du commerce, intéressé à ce que les marins soient
encouragés à rendre de pareils services, que d’admettre
ce sens étroit dans lequel les appelants ont voulu inter
préter l’ordonnance, et que ce double motif doit faire
i—4
INTRODUCTION.
�KO
DROIT MARITIME.
confirmer le jugement dont esl appel, sans néanmoins
que les capitaines russe et anglais puissent prétendre
autre chose que le tiers adjugé par le consul de France
à Smyrne, tous les frais faits par eux pour le sauvement demeurant à leur charge l.
Il serait difficile de ne pas rendre hommage à la va
leur doctrinale de cet arrêt ; mais nous avons plus spé
cialement à insister sur deux faits qui en résultent et
qui sont de nature à résoudre deux difficultés que la
matière peut faire surgir.
37. — C’est d’abord l’insistance que met la Cour à
établir en fait la certitude de l’abandon ; c’est qu’en ef
fet, pour que celui-ci soit légalement admis et produise
les conséquences consacrées psr l’article 27, il ne suffit
pas qu’il y ait eu désertion matérielle du navire ; il
faut que cette désertion ait été exécutée sans esprit de
retour. En conséquence, si un navire placé dans une
position critique n’était abandonné par son équipage
que pour aller solliciter des secours d’un autre navire
en vue et en position de donner ces secours, le sauve
teur, qui dans l’intervalle se serait saisi de ce navire et
l’aurait ramené, ne serait pas fondé à en réclamer le
tiers, on ne saurait voir dans la conduite de l’équipage
cet abandon qu’exige la loi.
En conséquence, dans les procès de celte nature, les
tribunaux auront toujours à résoudre en fait la question
i Journal de Girod et Clariond, t. 2, p. 1,375. V. ib id .; t. 11, p. 1,
265; t. 16, p. 2, 122 ; t. 17, p. 2, 25 ; t. 20, p. 6 ; t. 24, p. 1,15.
�INTRODUCTION.
51
de l’abandon ; si la solution est affirmative, le tiers du
navire et de son chargement est acquis aux sauveteurs.
En cas de solution négative, on ne doit leur attribuer
qu’une juste et légitime indemnité.
38. — C’est ce que la cour d’Aix vient de consacrer,
il y a peu de jours, dans l’espèce suivante :
Les navires la Nuova Speranza in Dio et le Richard
rencontrent en mer le navire le Racine, abandonné de
son équipage, et en opèrent le sauvetage ; les capitaines
de ces deux navires actionnent le capitaine et l’arme
ment du dernier en délivrance du tiers du navire et de
la cargaison.
Dans l’intérêt du Racine, on soutient en droit, devant
le tribunal de commerce, que l’article 27, titre 9, livre 4
de l’ordonnance ne dispose que pour les effets et ne s’ap
plique pas aux navires.
On soutient, en fait, qu’il n’y a pas eu en réalité aban
don ; que le capitaine et l’équipage n’avaient momenta
nément quitté le navire que pour aller à bord de la gabarre de l’Etat la Girafe solliciter des secours que le
mauvais temps n’avait pas permis au commandant de
celle-ci de réaliser immédiatement ; que, pendant tout
le jour, le navire le Racine n’avait pas cessé d’être en
vue de la Girafe, et qu’on ne l’avait perdu de vue que
par suite de l’abordage des navires sauveteurs, qui
l’avaient entraîné avec eux ;
On concluait donc que ceux-ci n’avaient rien à récla
mer ; que, dans tous les cas, il ne leur était dû qu’une
indemnité.
�82
DROIT MARITIME.
Le tribunal avait donc à juger, en droit, si le navire
abandonné est régi par l’article 27 de l’ordonnance ; en
fait, s’il y avait eu réellement abandon. Il résout affir
mativement la première question, et négativement la se
conde ; en conséquence, il n’adjuge qu’une indemnité
qu’il fixe à 20,000 francs. Voici les motifs de ces so
lutions :
« Attendu que le Code de commerce n’ayant rien sta
tué sur le droit de sauvetage, ce droit reste régi par l’or
donnance de 1681, et spécialement par l’article 27, ti
tre 9, livre 4, pour les effets naufragés qui sont trouvés
en pleine mer ou tirés de son fond ;
» Attendu qu’une jurisprudence unanime, et notam
ment celle de la cour du ressort, applique cette disposi
tion au cas d’un navire et d’un chargement abandonnés
en pleine mer ;....
» Attendu que si le fait de l’abandon du navire par
son équipage et son capitaine est évident pour le tribu
nal, il ne lui est pas aussi démontré que cet abandon
ait eu lieu sans aucun esprit de retour, puisque, dans
la délibération sur le journal du bord du Racine, le
commandant de la Girafe exprime l’intention qu’il avait
d’envoyer le lendemain une embarcation à bord pour
sauver au moins les hardes et effets des marins du Ra
cine, mais que le fait de la rencontre du Racine par les
deux sauveteurs, qui ont changé sa marche pour lui
trouver un réfuge, a rendu nulle cette intention mani
festée par le commandant de la Girafe, puisque le len
demain le Racine avait complètement disparu de l’ho-
�33
rizon ; que, dans de pareilles circonstances, il n’y a pas
lieu à la délivrance du tiers du Racine et de* son chargement ; qu’il suffit d’une indemnité proportionnée à
l’importance du service rendu, et aux préjudices et re
tards qui sont résulté pour les deux navires de l’assis
tance qu’ils ont donnée. »
Ce jugement, déféré à la cour d’appel d’Aix, a été
purement et simplement confirmé, avec adoptiun des
motifs, par arrêt du 3 juillet 1854 l.
Toute controverse est donc impossible. L’expression
de l’ordonnance : effets naufragés comprend dans sa
généralité les navires eux-mêmes et leur cargaison. On
ne saurait donc refuser l’allocation du tiers de la valeur
des uns et des autres à celui qui, rencontrant fortuite
ment, en pleine mer, un navire abandonné par son
équipage, l’a soustrait aux flots et conduit dans un port
où il est en sûreté.
La première condition pour que ce tiers soit réclamé
et alloué, c’est que le navire ait été rencontré en pleine
mer. On remarquera, en effet, les termes de l’ordon
nance : Si les effets naufragés ont été trouvés en pleine
mer ou tirés de son fond. Sur la valeur desquels on est
édifié , en les rapprochant de l’article 24 , titre ix ,
liv. iv : Les vaisseaux échoués, et les marchandises et
autres effets provenant de bris ou naufrage trouvés en
mer ou sur les grèves, pourront être réclamés dans
l'an et jour de la publication qui en aura été faite et
INTRODUCTION.
i Inédit au moment où nous écrivons.
�ils seront rendus aux propriétaires ou à leurs commis
sionnaires , EN PAYANT LES FRAIS FAITS POUR LES SAUVER.
ïi
il
Aussi la cour d’Àix jugeait-elle avec raison, le 26 juil
let 1866, que : au cas d’un navire échoué à la côte ou
en vue des côtes , le sauveteur n’a droit qu’au prix de
son travail et au remboursement de ses frais ; la dispo
sition des lois maritimes qui accorde au sauveteur le
tiers des objets sauvés n’est applicable qu’au cas où le
navire est échoué au large et hors de la vue des côtes h
Cependant ces frais peuvent n’être pas suffisants pour
rendre indemne le capitaine sauveteur. Or l’intention
de l’ordonnance n'est pas douteuse, pour encourager les
navires à s’entr’aider et à se dévouer à la mission de
sauver çe qui est ou en perdition ou perdu, elle a en
tendu que celui qui se vouerait à cette mission fut lar
gement rétribué pour empêcher que la crainte de com
promettre ses intérêts ne fil taire la voix de l’humanité
et du devoir.
Or, le capitaine qui sauve un navire échoué, mais
non abandonné, peut, outre les frais matériels, en
éprouver un préjudice. Ainsi son voyage pourra se trou
ver plus ou moins retardé pour conduire le navire dans
un port ; il peut être retenu dans ce port plus ou moins
longtemps et obligé d’y fournir la nourriture à son équi
page ; il peut avoir éprouvé des dommages matériels,
soit dans le corps, soit dans les agrès de son navire,
etc... Serait-il juste de laisser tout cela à sa charge et
�INTRODUCTION.
55
de rendre ainsi son acte de dévouement onéreux, soit
pour lui, soit pour son armement?
La réponse ne pouvait être douteuse. Aussi a-t-il été
jugé que le sauveteur a droit, dans ce cas, non seule
ment au remboursement de ses frais et à une indem
nité représentant le préjudice qu’il aurait souffert, mais
encore à une rémunération proportionnée au service
rendu 1.
La seconde condition pour que le sauveteur reçoive
le tiers que lui alloue l’ordonnance, est que le navire
arraché à la mer eût été abandonné par son équipage.
En fait, cet abandon peut offrir des difficultés, car il ne
suffit pas qu’il se soit matériellement réalisé ; il faut en
core qu’il ait eu lieu sans esprit de retour, et c’est parce
que cette condition ne se rencontrait pas que dans l’af
faire du Racine, la cour d’Aix réduit le sauveteur à une
simple indemnité.
Mais de quels actes induire l’absence d’un abandon
intentionnel? La cour d’Aix, dans cette même affaire,
la fait résulter de ce que le capitaine et l’équipage du
Racine ne l’avaient abandonné que pour aller à bord
de la gabarre de l’Etat la Girafe solliciter du secours.
Mais ce secours on ne va pas ordinairement le deman
der en masse, et lorsqu’on croit que le danger n’est pas
tellement imminent que ces secours peuvent le conjurer,
on se contente d’envoyer quelques hommes et les autres
restent à bord pour les manœuvres que le salut du na1 Rouen, 7 janvier '1853. Aix, 3 juillet 1854. J . d u P ., 2, 1853, 173 ;
�36
,
/"
DROIT MARITIME.
vire peut exiger en attendant l’arrivée du secours. Donc,
si le capitaine et l’équipage du navire l’avaient déserté
en masse, c’est que tous considéraient le navire comme
irrévocablement perdu, comme ne devant et ne pouvant
résister le temps nécessaire pour que le secours arrivât.
Comment dès lors admettre l’existence d’un esprit de re
tour ? Il pouvait y avoir chez le capitaine l’espoir fort
incertain d’une chance favorable. Mais la volonté bien
arrêtée de revenir n’était pas admissible. Cette volonté
était inconciliable avec la certitude d’un désastre pro
chain pouvant seule expliquer l’abandon général du ca
pitaine et de l’équipage.
D’ailleurs se livrer à l’appréciation de ce qui caracté
risera ou non l’abandon intentionnel, n’est-ce pas subs
tituer l’arbitraire à la règle édictée par la loi ? Si se ré
fugier à bord d’un stationnaire de l’Etat pour lui de
mander secours exclut cet abandon intentionnel, pour
quoi décider autrement si en l’absence d’un stationnaire,
obligés de se réfugier dans le port le plus voisin, le
capitaine et l’équipage font des démarches pour tenter
de sauver le navire qu’ils ont abandonné ? Quel est le
capitaine qui s’abstiendra de faire ou de provoquer ces
démarches, si elles suffisent pour faire refuser au sau
veteur le tiers que lui attribue la loi ?
La cour d’Aix n’a pas hésité cependant à déclarer que
ces démarches ne pouvaient aboutir à ce résultat. Yoici
dans quelle espèce :
A la suite d’un abordage qui lui avait occasionné de
fortes avaries, le brick anglais le Cupid avait été pris à
�57
la remorque par le navire abordeur VAurora, à bord
duquel l’équipage du Cupid s’était réfugié. La remorque
ayant cessé et n’ayant pu être rétablie, le Cupid aban
donné à dix lieues au sud de l’île de Parquerolles, avait
été rencontré, saisi et conduit dans le port de Marseille
par le bateau des Messageries nationales le Gange.
Sur la demande en attribution du tiers du navire et
et de la cargaison, le capitaine du Cupid conteste le fait
de l’abandon intentionnel. À l’appui il excipe de ce que
arrivé à Gênes, il avait donné au consul Anglais avis
de l’abandon ; que cet avis avait été transmis à Mar
seille et que les assureurs avaient fait des démarches
pour obtenir des moyens de sauvetage.
Mais, oppose l’arrêt, si à Gênes le capitaine a pré
venu le consul Anglais de l’abandon de son navire, si
l’avis en a été transmis à Marseille, si les assureurs ont
fait des démarches pour obtenir des moyens de sauve
tage, rien n’avait été encore organisé lorsque le navire
le Cupid a été ramené dans le port de Marseille. D’ail
leurs l’intention que doit toujours avoir un capitaine,
lorsqu’il sera en sûreté à terre, de faire sauveter son na
vire, n’est pas l’intention de retourner à bord qui
n’existe que lorsqu’un capitaine et son équipage enten
dent ne quitter leur navire que momentanément en ne
le perdant pas de vue ou en conservant un espoir plau
sible de revenir bientôt l’occuper '.
La cour aurait pu ajouter qu’en donnant avis de
INTRODUCTION.
1 23 mars 1868, B u lle tin
d es A rr ré ts d ’A ix ,
1868, 169.
�88
DROIT MARITIME.
l’abandon de son navire, le capitaine ne fait que rem
plir le devoir de faire le rapport de mer que sa qualité
lui inpose. Qu’on ne saurait dès lors rigoureusement en
rien conclure autre que la constatation d’un fait accom
pli, constatation qni ne peut avoir aucune influence sur
l’intention qui a présidé à ce fait ;
Que sur la connaissance de l’abandon, les assureurs
se livrent à des démarches pour obtenir des moyens de
sauvetage. Quoi de plus naturel ? N’ont-ils pas le plus
grand intérêt à ce sauvetage ? C’est uniquement dans
cet intérêt qu’ils agissent. Comment le capitaine qui,
d’ailleurs, demeure étranger à ces démarches, en ferait-il
résulter la preuve qu’il n’a pas abandonné son navire
sans esprit de retour ?
Consacrer une pareille prétention, c’eût été abroger
les dispositions que l’ordonnance avait consacrées pour
encourager et multiplier les sauvetages. Dans quels cas,
en effet, les eût-on appliquées ?
Nous croyons donc qu’en cette matière, par cela seul
qu’il a abandonné son navire, le capitaine est présumé
l’avoir fait sans esprit de retour. Que cette présomption
comporte la preuve contraire , soit, mais cette preuve
c’est au capitaine à la fournir, et elle ne peut résulter
que de ses faits personnels de nature à faire admettre
l’intention qu’il allègue.
Tant qu’il reste à bord un homme de l’équipage, le
navire n’est pas abandonné, quel que soit d’ailleurs
l’événement qui a fait disparaître le reste de l’équipage.
Ainsi la cour de Rennes jugeait, le
mai 1867, que
�59
l’article 27, titre 9, livre 4 de l’ordonnance sur la ma
rine de 1681, qui accorde le tiers pour droit de sauve
tage des effets ou navires naufragés trouvés en pleine
mer, n’est applicable qu’à la double condition que les
navires ainsi trouvés fussent abandonnés par leur équi
page, et qu’ils aient été rencontrés fortuitement.
« Attendu, dit la Cour, qu’aucune de ces conditions
ne se rencontre dans l’espèce ; qu’en effet il résulte du
rapport du capitaine Mahout, commandant, et du capi
taine Rouy, second du trois-mats Nantaise et Créole,
ainsi que de la déclaration de Bernard Kanl matelot de
la Caroline, que ce furent les signaux de ce dernier
qui signalèrent celle-ci à l’attention de la Nantaise et
Créole ; que si les voiles de la Caroline étaient déchi
rées, ce navire n’était pas désemparé ; qu’il était de
meuré étanche et n’avait éprouvé dans sa coque que des
avaries de peu d’importance ; que depuis le coup de
mer qui, le 9 janvier précédent avait emporté le capi
taine de la Caroline et quatre des cinq hommes qui
composaient avec lui son équipage, Bernard Kanl, resté
seul à bord, n’avait pas cessé de lutter énergiquement
pour la conservation de son navire et le salut de sa per
sonne ; et qu’au moment où ses signaux furent aperçus
de la Nantaise et Créole, il continuait encore la lutte
malgré l’affaiblissement de ses forces et le décourage
ment qui, suivant son expression, commençait à le ga
gner ; que s’il a déclaré qu’il ne gouvernait la Caroline
que sur des données incertaines, il n’en résulte pas
moins qu’il la gouvernait ; qu’on ne saurait donc dans
INTRODUCTION.
�60
DROIT MARITIME.
l’état des faits de la cause voir dans la Caroline un na
vire naufragé ou dans un état d’abandon équivalent à
un naufrage, ou trouvé fortuitement en pleine mer,
puisqu’il est constant que ce navire avait à son bord, et
y a conservé jusqu’à son entrée à Saint-Nazaire, un
homme énergique, dernier représentant de son équi
page, il est vrai, mais capable encore d’aider à son sa
lut, qui n’en avait jamais désespéré et dont les efforts
et les signaux ont été, en réalité, la cause première de
sa conservation 1.
La cour de Rennes avait raison. L’espèce qu’elle avait
à juger n’avait rien de commun avec l’hypothèse pré
vue et régie par l’ordonnance de 1681. La Caroline
était, non un navire naufragé ou abandonné, mais un
navire en détresse auquel aucun capitaine n’aurait pu
refuser aide et secours sans se déshonorer et se faire
mettre au banc des nations civilisées. La Nantaise et
Créole ayant rempli ce devoir d’humanité, il était juste
qu’elle fût indemnisée de ses frais et du préjudice qu’elle
en avait éprouvé. Mais il était impossible de lui accor
der autre chose.
Pour bien faire saisir et apprécier le sens et le carac
tère de cet arrêt, il importe de mettre en regard celui
que la cour de Rouen rendait le 2 décembre 1840. Là
aussi il restait à bord deux hommes de l’équipage,
mais ils se trouvaient dans un état tel qu’au moment
où le navire, à la merci des vents et des flots, avait été
�INTRODUCTION.
'
61
abordé par les sauveteurs, l’un n’était plus qu’un cada
vre, et l’autre ne pouvait plus fournir aucuns renseigne
ments, et n’avait même donné aucun signe de connaisnaissance.
En conséquence la Cour déclare que le tiers réclamé
par les sauveteurs leur est acqm's et doit leur être at
tribué»
« Attendu que pour interpréter sainement l’arti
cle 27, livre 4, titre 9 de l’ordonnance de 1681, et en
faire une juste application à la cause, il faut rechercher
dans quelles vues il a été rédigé, qu’elles ont été l’in
tention et la pensée dominantes de son auteur ; qu’en
parlant d’effets naufragés trouvés en pleine mer ou tirés
de son fond, c’est-à-dire abandonnés par leur proprié
taire ou tout à fait échappés à son action et à son pou
voir, l’intention évidente du législateur a été que, quel
que fût l’étal auquel un navire pouvait se trouver ré
duit, on ne devait pas le considérer comme abandonné,
tant que le capitaine ou quelqu’un de ses représentants,
étant restés à bord, avaient encore les moyens ou de
faire quelques manœuvres, ou quelques tentatives de
salut, ou d’appeler des secours, ou de faire des signaux
de détresse ; mais que le législateur n’a pu vouloir en
tendre qu’un navire n’était point abandonné parce
qu’on verrait encore à son bord des cadavres ou des
hommes devenus tout à fait incapables de tenter le
moindre effort ou de manifester une volonté, sur le
point, en un mot» de rendre le dernier soupir h
�fi 2
DROIT MARITIME.
Loin de se contredire ces deux monuments de juris
prudence se confirment. Ils partent du même principe,
et s’ils diffèrent dans le résultat, c’est par une consé
quence logique de ce principe.
Dans l’un, en effet, le survivant à bord manœuvrait
tant bien que mal le navire, n’avait pas cessé de veiller
à son salut et avait pu faire des signaux de détresse,
qui avaient en effet réussi à amener des secours.
Dans l’autre, au contraire, il n’y avait plus à bord
que des moribonds incapables de se livrer à un acte
quelconque qui pût les tirer de leur triste position.
Aussi est-ce fortuitement que le sauveteur avait rencon
tré le navire flottant à l’avanture, livré h la merci des
flots, et était parvenu à le conduire en lieu sûr. Il n’y
a donc pas lieu de s’étonner si dans celui-ci on accorde
au sauveteur le tiers, tandis que dans le premier on ré
duit ses droits à une juste et légitime indemnité.
39. — Le second point à relever dans l’arrêt d’Aix
de 1817, c’est le refus qu’il fait d’accorder autre chose
que le tiers du navire et du chargement, laissant les frais
du sauvetage à la charge des sauveteurs ; on soutenait
cependant le contraire, en se fondant sur ces expres
sions de l’article 27 : La troisième partie en sera déli
vrée incessamment et sans frais, etc... Ainsi, disait-on,
la récompense doit être nette et entière, on violerait
donc l’esprit et le texte de la loi, si on ne remboursait
pas les frais du sauvetage, indépendamment de l’attri
bution du tiers.
�INTRODUCTION.
65
La Cour écarte ceite induction et consacre sur ce
point la doctrine de Valin. Ces expressions, dit ce grand
jurisconsulte, signifient simplement que les sauveteurs
auront leur tiers franc et quitte de tous frais de justice,
de garde et de loyer de magasins, et nullement qu’ou
tre leur tiers, ils seront payés sur les deux tiers restant
de leurs frais de sauvement ; ces frais-là, il est évident
qu’ils les confondent en eux-mêmes, au moyen du tiers
qu’ils ont dans les effets, lequel tiers ne leur est acquis
qu’en considération de leur travail et des risques qu’ils
peuvent avoir courus à ce sujet.
Cette interprétation de l’ordonnance est marquée au
coin de la plus sage raison. En effet, il n’y a sauvetage
accompli que lorsque le navire sauveté est ancré dans
le port de refuge. Conséquemment tout ce qu’il en a
coûté pour arriver là, étant précisément ce qui motive
l’attribution du tiers dans la propriété, ne saurait être
ajouté à ce tiers. Les frais sont en quelque sorte le prix
de cette attribution faite à titre d’indemnité seulement.
Mais l’arrivée au port de refuge donne droit à des
frais plus ou moins considérables ; abandonné par ceux
qui l’ont sauvé et qui retournent à leur bord, il faut
d’abord une garde pour veiller sur le navire en atten
dant que son équipage en reprenne possession ; il peut
être nécessaire de débarquer les marchandises, et l’ab
sence des propriétaires appelle l’iniervention de la jus
tice. Ce débarquement entraîne la location de magasins
pour y déposer les marchandises. Or, tous ces frais
sont bien la conséquence de sauvetage, mais ils ne se
I
�64
DROIT MARITIME.
réalisent qu’après son accomplissement, il n’était donc
,pas possible de les mettre, dans une proportion quel
conque, à la charge des sauveteurs.
Ainsi, et par rapport aux frais, on doit considérer
deux époques : la première, du moment de l’abordage
par le sauveteur jusqu’à l’arrivée dans le port de re
fuge ; la seconde, du jour de l’arrivée dans ce port jus
qu’à celui de la liquidation. Les frais de la première
restent sans répétition à la charge des sauveteurs, qui
reçoivent en échange le tiers dans la propriété ; ceux de
la seconde concernent exclusivement les armateurs et
chargeurs, qui ne peuvent en imputer une fraction quel
conque sur le tiers qu’ils sont obligés d’abandonner.
Il pourrait arriver de là que l’indemnité du tiers fût
inférieure au frais exposés par les sauveteurs, mais, dans
ce cas, ceux-ci peuvent, c’est encore la doctrine de Yalin,
abandonner ce tiers et se faire rembourser de leurs frais,
on ne pourrait les contraindre à agir autrement. L’arti
cle 27 de l’ordonnance constitue un bénéfice dans l’in
térêt exclusif des sauveteurs; s’ils déclarent y renoncer,
nul ne saurait avoir la prétention de les forcer à l’accepter.
40. — Terminons en faisant observer que l’article /
27 exige que le tiers soit délivré en espèce ou en deniers.
Le sauveteur est donc libre de demander le partage en
nature, ou la vente, si ce partage est impraticable.
L’usage attesté par Yalin est de laisser l’opiion au sau
veteur, qui ne contribue dans aucun cas aux frais de
l’un et de l’autre.
�3 Ier
Des navires et autres, bâtim ents de m er
Article
190.
Les navires et autres bâtiments de mer sont meubles.
Néanmoins, ils sont affectés aux dettes du vendeur,
et spécialement à celles que la loi déclare privilégiées.
SOMMAIRE
41. Objets qui composent un navire.
42. Signification des termes de l’article 190. Navires et autres
bâtiments de mer.
43. Navires déclarés meubles par l’édit d’octobre 1666, Consé
quences de ses dispositions.
44. Doctrine de l'ordonnance de 1681. Modifications à l’édit en
cas de vente volontaire.
45. Effets du décret dans la vente judiciaire. Pourquoi l’article
1", titre xiv, livre i, parle de l’hypothèque.
46. Le Code de commerce s’est conformé à l’ordonnance. Motif
qui a déterminé l’affectation spéciale aux dettes privilé
giées.
47. Quels sont les navires exceptés de celte affectation ?
48/ Conséquences de cette exception49. Caractère de l’action des créanciers. Conséquences.
50. Tant que l’acheteur n’a pas payé les créanciers, le navire
reste affecté aux dettes même postérieures à la vente.
41. — Dans le langage usuel et légal, l’expression
navire comprend non seulement la coque, mais encore
�DROIT 'MARITIME.
tous les objets qui forment l’appareil indispensable pour
l’équiper et le mettre en état de naviguer. Ces derniers,
qu’on désigne sous le nom d’après, se composent de la
chaloupe, des canots, des ancres, mâts, cables, voiles,
poulies, vergues, etc. Ils sont les accessoires nécessaires
du navire et en deviennent par conséquent partie inté
grante, malgré qu’on puisse les en détacher sans frac
tures. Ils en suivent donc le sort, alors même que, tem
porairement enlevés, ils reposeraient ailleurs que sur le
bord.
Il suffit même qu’un objet ait été ou soit destiné à la
navigation du navire pour qu’il soit définitivement in
corporé à celui-ci. Ainsi, observe M. Pardessus, l’ex
pression du navire comprendrait même les canons qui
ne seraient pas placés à bord, s’ils avaient déjà servi ou
s’ils étaient disposés pour son usage habituel.
Mais il est d’autres facultés qui, quoique inhérentes
en quelque sorte au navire, n’en constituent pas moins
une propriété distincte et séparée. Tels sont l’armement
et les victuailles, c’est-à-dire les approvisionnements
de guerre ou de bouche que le navire peut avoir reçu,
les avances faites à l’équipage ; tel est, à plus forte rai
son, le fret acquis au moment où se réalise la transac
tion relative au navire,
C’est surtout en matière de vente ou de saisie de na
vire que ces règles sont importantes à retenir, nous au
rons plus tard à en déduire les conséquences h
1 V . art. 19B et 197.
�42. — Les navires diffèrent entre eux par leur na
ture, leurs formes, leur voilure, leur capacité. De là ces
qualifications de trois mâts, bricks, cutters, tartanes,
brigantins, sloop,félouques, etc.... Ces appellations nau
tiques ont le mérite de désigner d’une manière plus par
ticulière les navires auxquels elles s’appliquent.
Mais la loi ne pouvait s’arrêter à ces distinctions sans
influence possible sur ses dispositions. Elle a donc tou
jours employé l’expression générique de navire, qui
comprend tout ce qui est consacré à la navigation ma
ritime, les navires du plus petit tonnage comme du plus
fort ; les chaloupes, les esquifs mêmes, lorsque les uns
et les autres ne sont pas l’accessoire d’un autre navire.
Adverlendum est quod nomen navis uti genericum,
convenit omnibus vascellis, et sic eliam urcæ et pineo,
licet sint naves minoris armamenti et securitatisl.
Sub vocabulo navis, omnia navigationum généra comprehenduntur 2.
Dans la pratique marseillaise, on donne aux trois
mâts la qualification de vaisseaux. Mais l’usage le plus
général est de laisser cette qualification aux navires de
l’Etat, tout comme celle de bateaux est réservée à ceux
qui servent à exploiter la navigation fluviale.
Le Code de commerce a imité ses devanciers. Les ter
mes de l’article 190 : Les navires et autres bâtiments
de mer comprennent tout ce qui est habituellement des
tiné au commerce et à la navigation maritime.
1 Casaregis, Disc. 4, n° 29.
2 Stypmanus, Jus marit., pars 3, caput 1, n° 8.
�68
DROIT MARITIME,
45. — En France, les navires étaient dans l’origine
considérés comme immeubles. Le fondement de cette
règle reposait sur l’importance de leur valeur. Il parais
sait peu rationnel de les assimiler à un simple meuble.
En conséquence, comme tous les autres immeubles, ils
pouvaient être hypothéqués ; on les soumettait de plus
au retrait lignager. On les déclarait enfin passibles des
droits des lods et ventes, en cas d’aliénation.
Cet intérêt féodal avait peut-être fortement contribué
à maintenir un état de choses que condamnaient les
besoins et les exigences du commerce. Tout ce qui gê
nait la transmission des navires, tout ce qui rendait leur
propriété incertaine étaient autant d’entraves apportées
à celui-ci.
C’est ce que la chambre de commerce de Marseille
avait parfaitement compris; c’est ce qu’elle signalait
énergiquement dans les réclamations qu’elle adressait à
l’autorité, et qui parvinrent à déterminer enfin l’édit du
8 octobre \ 666.
Il importe, disait cet édit, que les vaisseaux puissent
être négociés, achetés et vendus promptement, en toute
sûreté; en conséquence, voulons et nous plaît qu’à
l’avenir les navires soient censés et réputés meubles,
sans qu’ils puissent être pris et considérés comme im
meubles dans les ventes, achats, traités et compositions
qui en peuvent être faits, à quelque prix et sommes qu’ils
puissent se monter, ni être chargés, ni être rendus sus
ceptibles d’aucunes hypothèques ; saisis, vendus ou ad-
�jugés, ni les déniers qui en proviendront distribués d’au
tres façons et manière que ceux qui proviennent les au
tres meubles1.
Cet édit considère le contraire comme le fruit d’un
usage qui s’était abusivement glissé, particulièrement
dans les ports et hâvres de Provence, abus qu’il est ur
gent de réprimer pour rendre le commerce maritime
plus libre et par cela même plus florissant.
A dater de ce moment, et surtout dans les ports et
hâvres de Provence, la propriété d’un navire devint celle
d’un meuble, Comme tels, les navires furent soustraits
au retrait lignager, au droit des lods et vente. Aucune
hypothèque ne fut susceptible de les grever.
L’édit ne s’explique pas sur les privilèges, mais son
silence est facile à expliquer ; il ne permet la distribu
tion du prix que de la même manière que celle du prix
des meubles ordinaires. Il n’admet donc d’autres privi
lèges que ceux que le droit commun avait consacré à
l’endroit de ceux-ci, tout en excluant toute affectation
spéciale et tout droit de suite.
Ce refus absolu était-il avoué par la raison que les
navires sont meubles? C’est ce que la définition de
tout temps adoptée, et que l’article 528 du Code civil
consacre, démontre jusqu’à l’évidence. Mais il faut con
venir que ce sont des meubles d’une nature particulière,
susceptibles par leur importance d’autoriser une déroi Collection de M. Isambert, t. <8, p. 89.
�70
DROIT MARITIME.
galion au règles ordinaires. D’ailleurs, il faut avant tout
favoriser la construction pour laquelle on recourra le
plus ordinairement à la confiance et au crédit. Or,
n’était-ce pas agir en sens contraire que de tolérer que
la créance des constructeurs, par exemple, pût être ir
révocablement perdue par une vente volontaire suivie
d’un paiement immédiat, malgré qu’ignorant la pre
mière, ils n’eussent pu empêcher le second. Dans tous
les cas, n’était-ce pas là un puissant moyen de fraude
offert à la mauvaise foi ?
44. — C’est ce que pensèrent les rédacteurs de l’or
donnance de 1681. Cette inspiration rend raison des
dispositions qu’ils consacrent dans le titre x du livre &
Le principe que les navires sont meubles est formel
lement consacé par l’article 1er. Néanmoins, ajoute l’ar
ticle 2, ils resteront affectés aux dettes du vendeur jus
qu’à ce qu’ils aient fait un voyage en mer sous le nom
et aux risques du nouvel acquéreur, si ce n’est qu’ils
aient été vendus par décret.
L’ordonnance distingue donc la vente volontaire de la
vente judiciaire. Dans l’hypothèse de la première, le
navire restait affecté aux dettes du vendeur jusqu’à la
condition exigée par l’article 2. On n’avait pas voulu
que les créanciers vissent leurs droits anéantis avant
d’avoir été en mesure de les faire valoir.
Valin remarque avec raison que la loi ne distinguant
pas, il faut admettre que les dettes auxquelles le navire
est affecté sous toutes dettes tant simples que privilégiées.
�ART. 1 9 0 .
71
A la vérité, ajoute-t-il, cela parait d’abord extraordi
naire, surtout par rapport aux dettes non privilégiées,
attendis que, suivant la maxime générale des pays cou
tumiers, meubles n’ont suite ; aussi l’édit d’octobre
1666 avait-il autorisé la vente volontaire des navires,
de manière que l’acquéreur ne pouvait être recherché
sous aucun prétexte par les créanciers du vendeur.
Mais au fond, quoique cette doctrine eût pour motif
l’intérêt de la navigation et du commerce, il en pouvait
résulter des abus et des fraudes, et c’est avec juste rai
son qu’il y a été dérogé. Un navire, pour être au rang
des meubles, n’en est pas moins un objet sur lequel les
créanciers de celui auquel il appartient ont naturelle
ment plus de droits de compter que sur ses autres ef
fets. On conçoit d’ailleurs que ce n’est pas un effet né
gociable, comme une lettre de change, une facture de
marchandises, un billet à ordre, etc., et qu’en cette qua
lité de meuble incorporel, il convenait qu’il ne pût effi
cacement changer de maître que par une tradition réelle,
sensible, ou quelque chose d’équivalent h
45. — Cette tradition réelle, sensible, ou son légi
time équivalent, résultait des formalités prescrites pour
la vente judiciaire, de l’adjudication qui la clôturait.
Aussi, dans celle hypothèse, l’ordonnance n’admet plus
aucune affectation en faveur des créanciers. Il est évi
dent que l’acquéreur, déposant le prix de son adjudicai Aix, 20 août 4819, Rouen, 20 mai 1863 ;
J. du P.
1864, 281.
�72
DROIT MARITIME.
tion, devait être définitivement libéré envers tous. C’est
ce qui résulte expressément de la disposition de l’arti
cle 1er, titre xiv, livrer : Les navires et autres vaisseaux
pourront être saisis et décrétés par autorité de justice,
et seront tous privilèges et hypothèques purgés par le
décret.
On pourrait induire de ces derniers termes que l’or
donnance permettait d’hypothéquer les navires, contrai
rement à ce qui s’induit de leur qualité de meubles.
Mais l’ordonnance ne fait ici que se conformer à un état
de choses qui naissait des législations diverses que la
France reconnaissait. Il était des pays où la coutume
déclarait les meubles susceptibles d’hypothèques, et qui
dès lors n’en excluait pas les navires, c’est ce qui avait
déterminé le législateur à s’en expliquer.
Mais partout où l’hypothèque ne pouvait affecter que
les immeubles, les navires y étaient de plein droit sous
traits, en force des dispositions soit de l’édit de 1666,
soit de l’ordonnance de 1681.
Le Code de commerce s’est entièrement conformé à la
doctrine de celle-ci, l’article 190, en affectant le carac
tère de meubles aux navires, les soumet cependant aux
dettes du vendeur, les motifs qui avaient déterminé les
rédacteurs de l’ordonnance ont également prévalu dans
la discussion de notre loi actuelle.
46. — Le Code a seulement complété le systè
me, en déclarant les navires plus spécialement affectés
aux dettes privilégiées. L’unique but de cette disposition
�AKT. 1 9 0 .
75
est de déterminer la position réelle des créanciers privi
légiés et de justifier la préférence qui leur est accordée
sur les autres créanciers. Le droit de prélever intégrale
ment ce qui leur est dû, tandis que ces derniers ne sont
admis qu’à une distribution par contribution, a paru
devoir être écrit dans la loi. Il est la conséquence de
cette affectation spéciale que notre article consacre.
4-7. — Quelle est, par rapport au privilège, la portée
réelle de l’article 190. L’affectation pèse-t-elle sur toute
espèce de navire, quels qu’ils soient?
L’affirmative était soutenue au conseil d’Etat, et ses
partisans demandaient qu’on substituât à l’expression
de navires et autres bâtiments de mer, consacrée par
l’article, celle de : Les navires et généralement tous les
bâtiments de mer. Mais cette proposition fut rejetée
parce que, dit M. Locré, elle eût fait porter sur les plus
petits bateaux le privilège établi par la seconde disposi
tion de l’article, et qu’on ne voulût pas l’étendre jus
que-là l.
Mais quels sont les plus petits bateaux sur lesquels les
créanciers n’ont aucun droit de suite ? Nous avons déjà
dit que les termes généraux de l’article 190 compre
naient tout ce qui servait à la navigation, quel que fût
d’ailleurs son tonnage.
Cette règle, unanimement admise, dicte la réponse
que doit recevoir notre question. C’est moins en réalité
Esprit du Code de com., art.
'I90.
�7i
DROIT MARITIME.
par la capacité que par la destination dû bateau qu’on
doit la résoudre. Il est dans chaque port une foule de
petits bateaux destinés à des promenades dans le port
ou dans la rade, ou à conduire les voyageurs à bord
des navires en partance. Il en est d’autres dont l’objet
exclusif est de faciliter l’embarquement ou le débarque
ment des marchandises. Les uns et les autres, utiles
auxiliaires de la navigation, ne sont pas destinés à na
viguer eux-mêmes, et dès lors ne se trouvent pas com
pris dans la catégorie de ceux que désigne l’article 190.
Meubles de leur nature, ces bateaux échappent à tout
droit de suite, ce qui le prouve, c’est l’impossibilité de
purger ce droit, si on en reconnaissait l’existence.Comme
l’ordonnance, l’article 193 du Code affranchit les navi
res qui, après une vente volontaire , ont fait un voyage
en mer sous le nom et aux risques de l’acheteur. Com
ment cette chance de libération s’accomplirait-elle pour
des bateaux ne devant jamais voyager. L’affectation se
rait donc éternelle, ce qui serait d’autant plus étrange,
que la valeur de ceux-ci ne sera jamais comparable à
celle dont on peut acquérir la propriété libre, à la con
dition de l’article 193.
Ainsi les petits bateaux qu’on a entendu excepter de
l’affectation de l’article 190 sont uniquement ceux qui
sont destinés au service du port ou de la rade, qui non
seulement ne voyagent pas, mais qui n’ont rien de ce
qui pourrait les mettre à même de voyager. Dans ce
nombre, nous placerions sans hésiter les remorqueurs à
vapeur que chaque port possède aujourd’hui.
�ART.
190.
75
48, — Les conséquences de cette exception sont fa
ciles à saisir. L’acquéreur volontaire, qui a payé comp
tant, ne saurait être recherché par les créanciers, sauf
le cas de fraude.
La saisie de ces bateaux obéit aux règles ordinaires
en matière de saisie mobilière. Dans la distribution du
prix, on n’admeitrait d’autres privilèges que ceux édictés
par l’article 2102 du Code civil.
49. — Quel est le caractère de l’action que l’article
190 confère aux créanciers privilégiés ou non? Cette
action, dit Valin, ne peut être que l’action révocatoire
fondée sur ce que le propriétaire du navire n’a pu le
vendre au préjudice des créanciers. Donc, dans l’opi
nion de Valin, les créanciers seraient obligés de faire
révoquer la vente, et c’est ce que nous ne saurions ad
mettre.
Sans doute, les créanciers ne pourraient procéder par
voie de sommation de payer ou de délaisser. C’est là un
effet spécial à l’hypothèque et qui suppose à 'priori
l’existence de celle-ci, ce qui ne peut se rencontrer dans
notre hypothèse.
Mais la vente volontaire d’un navire est sans effet à
l’égard des créanciers du vendeur, précisément parce
qu’ils peuvent ne pas la connaitre. En conséquence, pour
ce qui les concerne, la propriété n’a pas cessé de rési
der sur la tête de leur débiteur. Ils peuvent donc, après
commandement, faire procéder à la saisie du navire.
Les formes tracées à celte saisie ne permettent pas de
�'P i
- O-'-1'
76
DROIT MARITIME.
S
craindre qu’elle puisse être ignorée de l’acheteur. Interyiendra-t-il, son acte à la main, pour s’opposer à la
saisie? Les créanciers ne sont même pas contraints de
le faire annuler. Si le prix est sérieux et légitime, ils se
borneront à demander qu’il leur soit distribué, et c’est
en consentant seulement à cette demande que l’acqué
reur pourrait faire cesser les effets de la saisie, sauf son
recours contre son vendeur qu’il aurait déjà payé.
Les créanciers peuvent donc laisser la vente intacte, à
la condition d’être payés ; ils n’ont même jamais eu le
droit d’empêcher leur débiteur de vendre; ils ne seraient
donc obligés de recourir à la révocation que s’ils soute
naient que la vente, faite à vil prix, est simulée fraudu
leuse, et faite en fraude de leurs droits, ce qu’ils se
raient obligés de prouver.
50. — La vente ne devient donc définitive que par
le paiement régulièrement fait aux créanciers et accepté
par eux. Ce qui le prouve, c’est que, de l’avis de Valin lui-même , l’affectation du navire concerne même
les dettes postérieures à la vente non suivie de paie
ment. Celui-ci opéré et la vente devenue parfaite, au
cun créancier postérieur ne saurait élever la moindre
réclamation.
1
�Article 191
.
Sont privilégiées, et dans l’ordre où elles sont ran
gées, les dettes ci-après désignées :
1° Les frais de justice et autres frais pour parvenir à
la vente et à la distribution du prix ;
2° Les droits de pilotage, tonnage, cale, amarrage et
bassin ou avant-bassin ;
3° Les gages du gardien et frais de garde du bâti
ment depuis son entrée dans le port jusqu’à la vente ;
4° Le loyer des magasins où se trouvent déposés les
agrès et apparaux ;
5° Les frais d’entretien du bâtiment et de ses agrès
et apparaux, depuis son dernier voyage et son entrée
dans le port ;
6° Les gages et loyers du capitaine et autres gens de
l’équipage employés au dernier voyage ;
7° Les sommes prêtées au capitaine pour les besoins
du bâtiment pendant le dernier voyage, et le rembour
sement du prix des marchandises par lui vendues pour
le même objet ;
8° Les sommes dues aux vendeurs, aux fournisseurs
et ouvriers employés à la construction, si le navire n’a
point encore fait de voyage, et les sommes dues aux
�78
DROIT MARITIME,
créanciers pour fournitures, travaux, main-d’œuvre pour
radoub, victuailles, armement et équipement avant le
départ du navire, s’il a déjà navigué ;
9° Les sommes prêtées à la grosse sur le corps, quille,
agrès, apparaux, pour radoub, victuailles, armement et
équipement avant le départ du navire ;
\ 0° Le montant des primes d’assurances faites sur le
corps, quille, agrès et apparaux, et sur armement et
équipement du navire, dues pour le dernier voyage ;
\\° Les dommages-intérêts dus aux affréteurs pour
le défaut de délivrance des marchandises qu’ils ont
chargées, ou pour remboursement des avaries souffertes
par lesdites marchandises par la faute du capitaine ou
de l’équipage.
Les créanciers compris dans chacun des numéros du
présent article viendront en concurrence, et au marc le
franc, en cas d’insuffisance du prix.
Article 192.
Le privilège accordé aux dettes énoncées dans le pré
sent article ne peut être exercé qu’autant qu’elles seront
justifiées dans les formes suivantes :
1° Les frais de justice seront constatés par les états
de frais arrêtés par les tribunaux compétents :
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
79
2° Les droits de tonnage et autres, par les quittances
légales des receveurs ;
3° Les dettes désignées par les numéros 1, 3, 4 et 5
seront constatées par des états arrêtés par le président
du tribunal de commerce ;
4° Les gages et loyers de l’équipage, par les rôles
d’armement et de désarmement arrêtés dans les bureaux
de l’inscription maritime ;
5° Les sommes prêtées et la valeur des marchan
dises vendues pour les besoins du navire, pendant le
dernier voyage, par des états arrêtés par le capitaine,
appuyés des procès-verbaux signés par le capitaine et
les principaux de l’équipage, constatant la nécessité de
l’emprunt ;
6° La vente du navire par un acte ayant date cer
taine, et les fournitures pour l’armement, équipement
et victuailles du navire, par les mémoires, factures ou
états visés par le capitaine et arrêtés par l’armateur,
dont un double sera déposé au greffe du tribunal de
commerce avant le départ du navire ou, au plus tard,
dans les dix jours après son départ ;
7° Les sommes prêtées à la grosse sur le corps,
quille, agrès, apparaux, armement, équipement avant
le départ du navire seront constatées par des contrats
�80
DROIT MARITIME.
passés devant notaire ou sous signature privée, dont les
expéditions ou doubles seront déposés au greffe du tri
bunal de commerce dans les dix jours de leur date ;
8° Les primes d’assurances seront constatées par les
polices, ou par les extraits des livres des courtiers d’as
surances ;
9° Les dommages intérêts dus aux affréteurs seront
constatés par les jugements ou par les décisions arbitra
les qui seront intervenues.
SOMMAIRE
51. Dispositions de l’ordonnance de 1681, sur les privilèges. Ca
ractère de ses dispositions.
52. Comment elles étaient appliquées dans la pratique.
53. Motifs qui ont déterminé l’adoption de l’article 191. Son ca
ractère.
54. Raisons qui ont dicté l’ordre des privilèges.
55. Numéro premier. Frais de justice et autres frais pour par
venir à la vente et à la distribution du prix. Que com
prennent les frais de saisie ?
56. Ce qu’il faut entendre par les frais autres que ceux de jus
tice.
57. Comment doivent être justifiés les frais colloqués au pre
mier rang.
58. Numéro deux. Frais de pilotage, tonnage, cale, amarrage.
bassin et avant-bassin. Caractère de ces frais.
59. Justification dont ils sont susceptibles.
60. Numéro trois. Gages du gardien du bâtiment. Motifs du
privilège.
�61. Numéro quatre. Sommes dues pour location des magasins
où sont déposés les agrès et apparaux. Caractère de celte
location.
62. Le locateur peut-il, en outre, réclamer un privilège spécial
sur les agrès et apparaux ? Opinion de M. Pardessus.
Réfutation.
63. Opinion de M. Boulay-Paly. Son caractère. Réfutation.
64. Hypothèse dans laquelle le locateur pourrait réclamer un
privilège spécial sur les agrès et apparaux. Sa position
à l’égard du navire dans ce cas.
63. Le locateur peut-il, comme les autres créanciers, s’opposer
à la vente séparée du navire et de ses agrès et appa
raux ?
66. Numéro cinq. Frais d’entretien du bâtiment et de ses agrès.
67. Justifications requises pour les créances colloquées aux 3"e,
4"' et 3"° rangs.
68. Numéro six. Gages et loyers du capitaine et autres gens de
l'équipage employés au dernier voyage. Faveur dont
cette créance a joui dans tous les temps.
69. La masse peut-elle forcer les gens de mer à se faire collo
quer soit intégralement, soit proportionnellement sur le
fret qui leur est aussi spécialement affecté?
70. Le privilège des gens de mer est-il acquis à ceux qui ont
traité pour une part dans le profit ou dans le fret?
71. Le privilège n’est dû que pour les salaires ou gages. Doit-on
leur assimiler le droit de chapeau ?
72. Comment doivent être comprises les expressions de l’arti
cle 191 : pendant le dernier voyage.
73. Exemple de ce que peuvent être les frais autres que les
frais de justice dont parle le numéro 1".
74. Le privilège des gens de mer s’étend à l’indemnité qui leur
est accordée pour droit de conduite.
75. Comment se justifie la créance des gens de met ?
76. Quid dans l’hypothèse d’un engagement à la part ?
i—6
�82
DROIT MARITIME.
77. Pour le droit de conduite.
78. Numéro sept. Les sommes prêtées au capitaine pour les be
soins du bâtiment pendant le dernier voyage et le rem
boursement des marchandises par lui vendues pour le
même objet. Nature et objet de ce privilège.
79. Motifs donnés par Valin, pour expliquer la priorité accordée
aux gens de mer sur les prêteurs.
80. Comment doit s’entendre entre ceux-ci le concours prescrit
par le dernier paragraphe de l’article.
81. Le numéro sept met sur la même ligne les prêteurs à la
grosse et les prêteurs ordinaires.
82. Nécessité de prévoir la vente des marchandises pour subve
nir aux besoins du voyage.
83. Droits que cette vente confère aux propriétaires de ces mar
chandises. Justesse de leur assimilation au prêteur.
84. Etait admise sous l’ordonnance malgré qu'elle ne s’en fût
pas expliquée. Ses conséquences.
85. Justification exigée du prêteur. A son égard, les disposi
tions de l’article 192 ne sauraient être taxées de sévéri
té. Pourquoi ?
86. Est-il tenu de suivre l’emploi de ses fonds ?
87. Quid à l’endroit du chargeur dont on a vendu les marchan
dises?
88. Comment s’établit la qualité de la créance ?
89-. Le chargeur peut-il, comme le prêteur, réclamer des inté
rêts. Depuis quelle époque sont-ils dus ?
90. Quelles fournitures pourraient obtenir le privilège du nu
méro 7 ?
91. Numéro huit. Les sommes dues au vendeur, aux fournis
seurs et ouvriers employés â la construction si le navire
n’a pas voyagé, et les sommes dues aux créanciers pour
fournitures, travaux, main-d’œuvre pour radoub, vic
tuailles, armement et équipement avant le départ, s’il a
déjà voyagé.
�92. Silence gardé par les législations antérieures à l’ordonnance
de 1681 sur le privilège du vendeur. Conséquences.
93. Dispositions de l’ordonnance. Son caractère.
94. Caractère de celle du Code de commerce. Déroge à l’arti
cle 2102 du Code civil.
95. La condition imposée au privilège du vendeur est éminem
ment juste.
96. Interprétation donnée à cette condition par Valin.
97. Opinion d’Emérigon. Son caractère.
98. Que doit-on décider depuis le Code ?
99. Modification adoptée par M. Dageville, qui concède au ven
deur le droit de revendiquer le navire après la perte du
privilège. Réfutation.
99 biB. Quel est le voyage qui éteint le privilège du vendeur ?
100. Signification des termes si le navire a voyagé, suivant qu'il
s’agit du vendeur ou des constructeurs. Conséquences.
101. A quelles conditions les ouvriers auront-ils action contre
le propriétaire, et privilège sur le navire.
102. Disposition du C onsulat de la m er.
103. De l’ordonnance de 1681.
104. Silence gardé par le Code. Conséquences.
105. Quid des ouvriers employés dans les ateliers d’un cons
tructeur ?
106. Condition pour que les créanciers, dont les fonds ont servi
à désintéresser les fournisseurs et ouvriers, obtiennent
le privilège accordé à ceux-ci.
107. Si le navire a voyagé, le privilège du numéro 8 appartient
aux créanciers pour fournitures, main-d’œuvre, travaux
pour radoub, etc......Différence entre eux et les ven
deurs et constructeurs.
108. Seconde différence.
109. Les fournitures pour victuailles comprennent la nourriture
de l’équipage dans le port d’armement. A quelles con
ditions ?
110. Comment doivent être justifiées les créances mentionnées
au numéro 8 ?
�DROIT MARITIME.
111 Par qui doivent être arrêtés les comptes, si l’affréteur est
en même temps l’armateur du navire?
112. Les états,mémoires et factures visés et arrêtés doivent être
déposés au greffe du tribunal de commerce. Conséquen
ces de l’exécution de cette prescription.
113 Arrêt de la cour de Caen, qui juge que ce dépôt ne pour
rait être suppléé par un ajournement. Discussion.
114. Comment et entre qui se réaliserait le concours des privi
légiés du numéro 8 ?
115. Numéro neuf. Les sommes prêtées à la grosse sur corps,
quille, agrès et apparaux pour radoub, victuailles, ar
mement et équipement avant le départ du navire.
116. Justice de ce privilège. Pourquoi on lui a préféré celui des
fournisseurs inscrits au numéro précédent.
117. Le privilège du numéro 9 ne serait pas acquis aux prêts
ordinaires. Conséquences.
418. Existe-t-il, et dans quelles proportions dans le cas de rup
ture du voyage? Opinion de M. Boulay-Paty pour la
négative. Réfutation.
119. Arrêt de la cour de Caen pour l’affirmative.
420. Exception si, après la rupture, il y a eu novation de la
dette. Comment s’établirait cette novation ?
421. Effet de la rupture après le commencement du risque à
l’endroit du privilège.
122. Ce privilège existerait-il pour le prêt prorogé ou renouve
lé? A quel rang serait-il colloqué ?
123. Forme pour la justification du privilège du numéro 9. Ef
fets de sa violation.
124. Numéro dix. Le montant des primes d’assurance sur le
corps, quille, agrès et apparaux, et sur armement et
équipement du navire dues pour le dernier voyage.
125. Effets du silence que l’ordonnance avait gardé à cet égard.
126. Reproche adressé à l’article 191 d’être en contradiction
avec l'article 331. Réponse.
�127. Motifs qui devaient faire reléguer le privilège pour la prime
d’assurance au dixième rang.
128. Si l’assurance est faite à temps, la prime est-elle privilé
giée pour tous les voyages faits dans la durée du temps
convenu, ou seulement pour le dernier voyage ?
129. En cas de sinistre, le tiers quia payé la prime à la décharge
de l’assuré, et qui a été subrogé à l’assureur peut-il se
faire rembourser par privilège sur le montant de l’assu
rance ?
130. Justification que l’assureur doit fournir pour justifier sa
demande.
131. Effet de la quittance pure et simple. Quid si le paiement
est mentionné reçu en billets ou valeurs ?
132. Numéro onze. Les dommages-intérêts dus aux affréteurs
pour le défaut de délivrance des marchandises qu’ils ont
chargées, ou pour remboursement des avaries souffertes
par lesdites marchandises par la faute du capitaine ou de
l’équipage.
133. Variations que le privilège des chargeurs a subies.
134. L’article 191 est limitatif et restrictif.
135. Les dommages-intérêts doivent résulter d’un jugement ou
d’une décision arbitrale. Ces documents ne pourraient
être remplacés par une transaction, quand même elle
aurait une date certaine.
136. Toute dérogation à l’ordre tracé par l’article 191 ne saurait
valoir, à moins d’être consentie par ceux qu’elle ferait
descendre à un rang inférieur.
51. — L’ordonnance de 1681 ne réglait ni l’ordre
des privilèges, ni les créances auxquelles le privilège
était attaché. Toutes ses dispositions, quant à ce, se ré
duisaient aux articles 16 et 17 des titres de la saisie des
navires.
�86
DROIT MARITIME.
Aux termes du premier, le loyer des matelots em
ployés au dernier voyage devait être colloqué de préfé
rence à tous créanciers ; après eux , les opposants pour
deniers prêtés pour les nécessités du voyage ; ensuite,
ceux qui avaient prêté pour radoub, victuailles et équi
pement avant le départ; enfin les marchands chargeurs.
L’article 17 ajoutait : Si le navire vendu n’a pas en
core fait de voyage, les vendeurs, les charpentiers, les
calfateurs et autres ouvriers employés à la construction,
ensemble les créanciers pour les bois, cordages et autres
choses fournies pour le bâtiment seront payés par pré
férence à tous créanciers, et par concurrence entre eux.
Ces deux dispositions étaient loin d’épuiser les causes
de préférence. Ne devait-elle pas, en effet, s’attacher
naturellement à toute créance prenant sa source dans
l’intérêt commun des créanciers ? Ainsi les frais de jus
tice pour parvenir à la réalisation du gage, ceux que
la conservation et le bon entretien de ce gage avaient
occasionnés ne devaient-ils pas être prélevés avant toute
distribution ?
Cette conséquence, que la raison signalait, était déjà
consacrée par le droit commun en matière ordinaire ;
et c’est sans doute parce que,quelque exceptionnelle que
fût la matière, le législateur s’en était référé au droit
commun, que la législation de 1681 avait gardé à cet
égard le plus complet silence.
52. — Aussi, la doctrine n’avait-elle pas hésité à re
fuser aux articles 16 et 17 tout caractère limitatif et res-
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
87
trictif, non pas seulement quant au privilège en prin
cipe, mais encore à l’endroit du rang qui devait lui être
assigné. En réalité, celui des gens de mer, que l’ordon
nance plaçait en première ligne , ne venait qu’en sep
tième dans la pratique consacrée par les tribunaux.
On colloquait avant lui.
1° Les frais de justice occasionnés par la sentence
d’ordre ;
2° Les frais de la saisie et du décret, tant ordinaires
qu’extraordinaires ;
3° Les gages du gardien du navire, tant avant que
depuis la saisie ;
4° Les loyers des magasins où avaient été placés les
agrès et apparaux, s’ils avaient été tirés du navire ;
3° Les frais pour raccommodage des voiles et cor
dages ;
6° Le droit de calage et amarrage du navire depuis
son arrivée au quail.
De plus, on avait admis comme créances privilé
giées, mais comme venant après les chargeurs, les pri
mes pour assurances du dernier voyage et les prêts h
la grosse laissés en renouvellement d’un voyage précé
dent.
33. — Malgré le caractère juridique de cette doc
trine et la pratique qu’elle avait déterminée, le silence
de la législation pouvait créer des difficultés, amener
■p if
1 Valin, sur l’art. 16, tit. xiv, liv. 1er.
fi*'*'*$
�des divergences en ce qui concernait surtout l’ordre des
privilèges. Le désir de bannir les unes et d’asseoir irré
vocablement l’autre a dicté à notre législateur la dispo
sition de l’article 191.
On ne peut qu’applaudir à celle résolution ; en ma
tière de privilège, tout doit être prévu, la préférence qui
en résulte est assez préjudiciable à ceux qui doivent la
supporter pour qu’ils soient fondés à ne s’y soumettre
que lorsque la loi les y conlraint expressément ; cette
règle, déjà consacrée en matière ordinaire, pouvait et
devait l’être en matière commerciale et spéciale, dans
laquelle surtout il importe de dissiper toute incertitude
et de bannir tous les doutes.
Ce double résultat est atteint par l’article 191. Désor
mais, il ne saurait exister d’autres créances privilégiées
que celles nominativement indiquées dans sa disposi
tion. Son caractère limitatif et restrictif ne saurait être
contesté , toute réclamation qui ne trouverait pas son
point d’appui dans une des catégories visées serait in
failliblement éconduite. Rélégué au rang des simples
chirographaires, le créancier n’aurait d’autre droit que
de concourir proportionnellement et au marc le franc,
prélèvement fait des créances privilégiées.
L’article 191 règle en outre le rang auquel les divers
privilèges doivent être colloqués. L’ordre qu’il crée est
absolu et de rigueur. Il n’est que l’application logique
de la pensée qui a présidé à la constitution du privilège.
54. — La préférence appartenait naturellement aux
�créances qui avaient un caractère d’utilité plus général.
En première ligne de cette catégorie se plaçaient les frais
de saisie et de vente, ceux de la poursuite de l’ordre ; il
ne pouvait pas être que ces frais, réalisés pour arriver
à une liquidation générale, pussent, en cas d’insuffi
sance du prix, rester à la charge de celui qui les avait
exposés dans un intérêt commun.
Après la réalisation, se plaçaient les frais exposés pour
la conservation du gage. Ayant nécessairement profité à
tous, ils devaient, au moyen d’un prélèvement intégral,
être payés par tous ; d’ailleurs, si la masse en était gre
vée d’un côté, la masse en profitait d’un autre, car ils
avaient énergiquement contribué au résultat obtenu par
la vente.
La conservation du navire s’offrait sous un double as
pect. Ce n’est pas seulement depuis son arrivée au port
et avant et depuis la saisie qu’on avait dû y veiller.Cette
arrivée n’était elle-même que la conséquence de l’heu
reux voyage qu’il venait d’accomplir ; il était donc juste
de reconnaître et de récompenser les soins' et les avan
ces qui avaient amené ce résultat.
Ces considérations expliquent l’économie de la loi et
l’ordre qu’elle a consacré ; nous en trouverons la preuve
dans les développements que nous allons donner aux
dispositions de l’article 491.
Quelque juste que soit en elle-même la préférence ac
cordée à certaines créances, elle n’en est pas moins exor
bitante à l’encontre de ceux qui doivent en subir les ef
fets. Aussi, a-t-il paru convenable d’exiger des créanciers
�90
DROIT MARITIME.
un mode de justification de leurs droits, tel qu’il dût
exclure toute idée de surprise et de fraude. C’est cette
précaution qui a donné naissance à l’article 192, dont
nous aurons à déterminer les effets en mettant ses dis
positions en regard de chacun des privilèges que nous
allons énumérer et examiner.
55. — Numéro 1er. Au premier rang des créances
privilégiées, la loi place les frais de justice et autres faits
pour parvenir à la vente et à la distribution des prix.
Elle assigne donc un rang unique à ce qui avait été dis
tingué par la pratique ancienne
Les frais de saisie comprennent tous ceux qui, y com
pris le procès-verbal de saisie, ont dû être exposés pour
l’accomplissement des formalités prescrites ; ceux de dis
tribution ne peuvent s’entendre que de ceux exposés par
le poursuivant pour provoquer l’ouverture de l’ordre,
pour la sommation aux créanciers opposants, pour le
jugement et la clôture de l’ordre.
Les frais de production faits par chaque créancier
restent à sa charge, et ne sont colloqués qu’au rang as
signé à la créance elle-même, conformément à la dis
position de l’article 214 ; il en est de ces frais comme
de ceux exposés par les créanciers pour poursuivre et
obtenir judiciairement le paiement de ce qui leur est dû,
ils augmentent la créance et se confondent avec elle.
1 Voy. supra n° 52.
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
91
56. — Il était indispensable de ne pas omettre cette
observation, car on aurait pu prétendre que la loi dé
clarait les frais de production privilégiés, en se fondant
sur ces termes de l’article 191 : Les frais de justice et
autres. En effet, quels peuvent être les frais pour par
venir à la vente et à la distribution des prix, si ce n’est
les frais de justice ? Donc, en en admettant d’autres, la
loi n’a pu entendre que ceux de production et de pour
suite contre le débiteur.
Mais la nature spéciale de l’objet vendu explique ce
que les termes de la loi peuvent offrir d’obscur et d’am
bigu. Un navire est une propriété particulière dont l’ex
ploitation est soumise à des conditions et à l’acquitte
ment de certains droits dont l’administration peut con
traindre le paiement, en refusant, dans le cas contraire,
les pièces indispensables à la navigation. Or, l’adjudica
taire d’un navire ne l’achète que pour l’utiliser. En
conséquence, si, la vente terminée, il se trouve con
traint à des dépenses pour la faire sortir à effet, il est
juste que ces dépenses soient déduites de son prix et l’af
fectent par privilège. En d’autres termes, la disposition
de l’article 191 ne peut s’entendre que des faux frais
commandés par la nécessité de dégager le navire des
obstacles administratifs s’opposant à sa libre exploita
tion, et à assurer ainsi les effets de la vente U
i
57. — L’article 192 exige que les frais de justice
1 V.
infra, n° 73.
�92
DROIT MARITIME.
soienl justifiés par des états arrêtés par les tribunaux
compétents. On avait d’abord proposé de conférer ce
pouvoir au président du tribunal de commerce, mais la
rédaction actuelle fut préférée sur l’observation que, les
saisies n’étant que l’exécution des jugements, les tribu
naux de commerce étaient incompétents pour en con
naître.
La demande en collocation devra donc être accompa
gnée d’un état établissant la quotité des frais, ce qui sera
facile pour ceux de la saisie qui auront pu être liquidés.
Quant à ceux de la procédure d’ordre, ils ne pourront
l’être qu’après la clôture. Ils devront, dès lors, être col
loqués pour mémoire ; mais leur paiement ne pourra
être régulièrement opéré que sur le vu de l’état exigé
par notre article.
Le § S! de l’article 192 ajoute : Les dettes désignées
dans les numéros J, 3, 4 et S de l’article 191 seront
constatées par des états arrêtés par le président du tri
bunal de commerce; à l’endroit du numéro un, cette
prescription ne concerne que les frais autres que ceux
de justice dont il y est question, et dont nous venons de
nous occuper. Ils ne seront donc payés que sur état ar
rêté par le président du tribunal de commerce.
58. — Numéro 2. Seront colloqués au second rang
des privilèges les sommes payées pour droit de pilotage,
tonnage, cale, amarrage, bassin et avant-bassin.
Dans la pratique adoptée sous l’empire de l’ordon
nance, ces droits étaient relégués au sixième rang. Leur
�ART.
191
, .
192
95
transport au second rang, consacré par le Code, s’ex
plique parla nature même des droits qu’il s’agit de rem
bourser. Charges inséparables du navire, sa disponibi
lité absolue était au prix de leur acquittement, leur
paiement était donc forcé pour donner à la vente tous
les effets donc elle est susceptible.
D’ailleurs, au point de vue du privilège en lui-même,
la détermination du législateur de 1807 se justifie parfai
tement. Le navire n’est vendu que parce qu’il est heu
reusement entré dans le port, que parce qu’il a pu y
séjourner ; c’est ce double objet que procure le paiement
des droits dont nous nous occupons.
C’est dans l’intérêt général de la navigation que les
pilotes lamaneurs ont été institués. La connaissance
qu’ils ont des rades et ports auxquels ils sont attachés
les rend indispensables pour diriger les navires à l’en
trée et à la sortie, et leur faire éviter ce naufrage au
port que la connaissance imparfaite des capitaines étran
gers pourrait leur faire subir L
La dépense pour le salaire, et dans certains cas pour
l’indemnité due aux pilotes, a donc réellement profité
à la masse entière des créanciers, en préservant et con
servant le navire, Il est donc juste qu’elle soit prélevée
par privilège, avant toute distribution.
Les droits de tonnage, cale, amarrage, etc., consti
tuent à proprement parler le loyer de la place qu’occupe
le navire dans les diverses positions dans lesquelles il
peut se trouver. Ce sont des impôts grevant la navigai Décret du 12 décembre 1806.
�94
DROIT MARITIME.
tion. L’Etat est chargé de la police, de l’entretien et de
tout ce qui doit contribuer à la sûreté des ports. Dans
ce triple objet, il est tenu d’avoir de nombreux officiers,
un matériel important. N’était-il pas rationnel d’en im
poser la charge à ceux qui profitent exclusivement du
bénéfice que produit la dépense ?
Quoi qu’il en soit, puisque le paiement de ces droits
est la condition du séjour du navire dans le port, ceux
qui profitent de ce séjour pour réaliser leur gage et ob
tenir paiement de ce qui leur est dû personnellement
doivent y pourvoir. Ils n’ont pu saisir le navire qu’en
se substituant aux obligations du propriétaire envers
l’Etat.
59. — Les créances dont il s’agit dans le numéro 2
de l’article 191 ne comportent pas d’autre justification
que la représentation des quittances des receveurs. Ema
nées d’une autorité publique, ces quittances font foi du
paiement et de sa quotité. Aussi, est-ce tout ce qu’exige
l’article 192.
Après ces deux privilèges, qu’on peut considérer com
me publics, la loi passe aux privilèges particuliers. Elle
s’occupe d’abord de ceux qui ont eu pour objet la con
servation du navire immédiate et actuelle. Elle les classe
dans l’ordre suivant :
60. — Numéro 3. Les gages du gardien du bâti
ment depuis son entrée dans le port jusqu’à la vente.
Le navire désarmé, ancré dans un port éloigné du
�ART.
191
, .
192
95
domicile de l’armateur, a besoin d’un gardien qui puis
se veiller à sa conservation et empêcher tonte soustrac
tion. L’institution de ce gardien est forcée dès qu’il y a
saisie, puisqu’il doit être institué dans le procès-verbal
de saisie.
Dans l’un et l’autre cas, d’ailleurs, la conservation
du navire profitera à la masse des créanciers. En échan
ge, elle devra payer par privilège celui qui a eu le man
dat d'y veiller. Ce privilège comprend non seulement
les salaires du gardien, mais encore les sommes qu’il
aurait dépensées pour l’entretien journalier du navire.
61. — Numéro 4. Les sommes dues pour loyer des
magasins où se trouvent déposés les agrès et apparaux.
Le désarmement du navire, dispersant l’équipage,
prive les agrès et apparaux de ces soins incessants que
leur conservation requiert. D’ordinaire, aussi, il est sui
vi d’un emmagasinement qui doit les soustraire aux ca
prices du temps, et empêcher leur dégradation.
La location de magasins, dans ce but, est donc un
acte de conservation qui contribuera à porter la vente à
un prix convenable. Elis profite par conséquent à tous
les créanciers. Elle devait déterminer, en faveur de ce
lui qui l’a consentie, un classement privilégié.
Ce privilège et le précédent prouvent que le législateur
a toujours considéré le navire comme une unité indivi
sible, comprenant tout ce qui le met en état de navi
guer. Par le fait, le gardien est colloqué sur le prix des
agrès et apparaux, malgré que sa surveillance se soit
�presque exclusivement exercée sur la coque. A son tour,
le locataire profite du prix de celle-ci, bien qu’elle ne
soit jamais entrée dans les magasins. Telle est la con
séquence des dispositions des numéros 3 et 4 de l’arti
cle 191.
62. — Mais ces dispositions créent un droit parti
culier, exclusif à la maiière qui nous occupe. M. Par
dessus nous parait avoir méconnu ce caractère, lorsqu’il
enseigne que le locateur a un privilège spécial sur les
agrès et apparaux, tant qu’ils sont déposés dans ses ma
gasins. À son égard, dit-il, les uns et les autres forment
un principal, et il a pu ne louer ses magasins que par
suite de la garantie qu’ils lui offraientl.
Nous ne saurions admettre cette doctrine, que notre
article condamne d’une manière expresse. L’adjudica
taire d’un navire a acquis la propriété entière de tout
ce qui le compose, celle des agrès et apparaux, comme
celle du corps et de la quille. Il n’a qu’une seule obli
gation à remplir, celle d’en payer ou d’en déposer le
prix dans les vingt-quatre heures. On ne comprendrait
pas dès lors qu’après l’accomplissement de cette obliga
tion on pût lui refuser la délivrance d’une partie de l’ob
jet qu’il a acquis. Il faudrait pour cela admettre que le
locateur peut à son gré changer les conditions de la
vente, exiger une ventilation que non seulement la loi
n’a nulle part autorisée, mais qui se trouve de plus
condamnée par l’économie de ses dispositions.
l
Cours de droit com.,
n° 243.
�191, 192.
97
•»
L’unique droit du locateur est d’être payé par privi
lège sur le prix produit par la vente. Il aurait d’autant
plus mauvaise grâce de se plaindre de l’indivisibilité ad
mise par la loi, que cette indivisibilité double ses ga
ranties en lui affectant le corps du navire qui n’a jamais
été à sa disposition.
‘
,
L’argument tiré de ce que le locateur a pu ne louer
ses magasins que par suite de la garantie que lui of
fraient les agrès et apparaux nous touche fort peu. Celui
qui loue pour recevoir des objets de cette nature n’igno
re pas et ne peut ignorer qu’ils font partie d’un navire,
qu’ils doivent en suivre la condition et le sort ; on ne
lui cause aucun grief lorsqu’on lui applique les consé
quences de ce principe. Il a dû nécessairement prévoir
cette application, et si celte prévision lui paraissait dan
gereuse, il était libre de ne pas traiter.
ART.
63. — M. Boulay-Paly va plus loin que M. Par
dessus. Il refuse tout privilège spécial, si la vente a été
annoncée comme la vente d’un navire, sans autre dé
signation. Mais il déclare le locateur fondé à le récla
mer, si l’on a exprimé qu’on vendait le navire avec ses
agrès et apparaux L
Mais M. Boulay-Paty le reconnaît lui-même, la vente
d’un navire, sans autre indication, comprend de plein
droit les agrès et apparaux. Comment, dès lors, admet
tre que la spécification de ceux-ci dans le cahier des
1 T. 2, p. 413.
i—7
�charges ou dans les placards et, annonces puisse intro
duire un droit quelconque ? Toute la différence réelle
ment existant entre les deux hypothèses de ce juriscon
sulte est la suivante : dans la première, on vend, sans le
dire, les agrès et apparaux ; dans la seconde, on an
nonce les accessoires du navire. Tout cela ne saurait
changer la nature et le caractère de la vente, et puis
qu’elle est dans les deux cas identique, puisqu’elle com
prend les mêmes objets, elle ne saurait autoriser un ré
sultat différent.
Cette opinion, indépendamment de ce qu’elle mécon
naît la volonté formelle de la loi, a de plus ce caractère
particulier qu’elle fait dépendre le privilège non plus de
la nature du droit, mais des termes dans lesquels la
vente est annoncée. Le poursuivant pourra donc le con
firmer ou l’anéantir à son gré. On nous permettra de
la considérer comme absolument inadmissible.
Le locateur n’a donc jamais à prétendre que le pri
vilège que l’article 191 lui confère sur le navire dans
son ensemble. Nous l’avons déjà dit, si quelqu’un avait
à se plaindre de cette disposition, ce ne serait certes pas
lui. On double ses chances de paiement en lui affectant
le corps du navire et en augmentant de la valeur de ce
lui-ci le gage sur lequel il pouvait raisonnablement fai
re porter son privilège. Une ventilation qui , séparant
cette valeur de celle des agrès et apparaux, laissait celleci affectée proportionnellement aux privilèges précé
dents, ne pouvait que l’exposer à une chance de perte
dont on l’a exonéré.
�64. — Cette règle ne reçoit qu’une seule exception
résultant de sa nature même. Fondée sur l’indivisibilité
du navire dans l’ensemble des objets qui le mettent en
état de naviguer, elle cesse d’être applicable si cette in
divisibilité n’a pas été conservée.
Ainsi, si on a vendu d’abord le navire, ensuite, et
dans un second lot distinct et séparé, les agrès et appa
raux, il y aurait eu en”réalité deux ventes, ayant cha
cune un objet spécial.
De là, cette conséquence que l’article 191 deviendrait
inapplicable en ce qui concerne le locateur. Son privi
lège affecterait spécialement les agrès et apparaux, mais
il ne pourrait le faire porter sur le corps du navire, qui
ne serait jamais entré dans ses magasins.
65. — Au reste, cette hypothèse ne se réalisera que
fort rarement, et tout au plus dans le cas d’innavigabi
lité du navire. La dépréciation qui en résulterait dans
le cas contraire est si évidente, qu’on peut être certain
que le poursuivant se gardera bien d’y recourir ; que,
s’il agissait autrement, le propriétaire, les créanciers
seraient fondés à s’y opposer et à faire condamner sa
prétention par la justice.
Au nombre des créanciers recevables à former oppo
sition, nous plaçons sans hésiter le locateur lui-même.
Sous quel prétexte, en effet, lui contesterait-on ce droit?
L’intérêt est la mesure des actions. Le locateur en a
un, aussi évident qu’incontestable, à empêcher toute
vente séparée. En effet, ce qui donne une valeur morale
�aux agrès et apparaux, c’est leur adjonction au navire
dont ils ont été momentanément distraits, et cette va
leur morale, le locateur a dû y compter. Il pourrait bien
se faire que, réduits à leur valeur matérielle, ils ne de
vinssent insuffisants pour payer le locateur, ne venant
jamais qu’en quatrième ligne.
À ce point de vue donc, le locateur est fondé à de
mander une vente unique portant sur tout ce qui cons
titue le navire. Mais ce qui rend son droit plus évident
encore, c’est qu’au moyen de cette vente, son privilège
affectera le corps du navire, c’est qu’il sera payé sur le
prix de l’ensemble, ce qu’une vente séparée ne lui per
mettrait pas d’obtenir. L’intérêt est donc indubitable.
L’action en est une conséquence forcée.
66. — Numéro 5. Les frais d’entretien du bâtiment
et de ses agrès et apparaux depuis son dernier voyage et
son entrée dans le port.
Ce privilège a un double objet, l’entretien du navire
pendant le dernier voyage, l’entretien depuis la fin du
voyage, et l’entrée dans le port où se consommera la
vente. La préférence accordée aux avances faites dans
l’une ou l’autre hypothèse est la conséquence naturelle
de l’esprit qui a présidé à l’admission des privilèges en
principe. Sans l’entretien pendant le dernier voyage, le
navire aurait pu ne pas arriver ; sans l’entretien depuis
l’entrée au port, il aurait pu dépérir. Tout au moins en
serait-il résulté une différence dans le prix de la vente
que le mauvais état du navire, de ses agrès et apparaux
1.0
�ART.
191, 192.
101
eût empêché d’atteindre le chiffre que leur parfait état
a permis d’obtenir.
Les frais faits pour l’entretien profitent donc à la
masse des créanciers, elle ne pouvait, dès lors, récuser
l’obligation de les payer avant toute contribution. Cette
obligation trouve d’ailleurs son équivalent dans les ré
sultats de la vente, que ces frais ont rendue plus favo
rable.
67. — L’article 192 indique la forme dans laquelle
les dettes colloquées aux 3œe, 4me et 5me rangs des pri
vilèges doivent être justifiées. Les créanciers doivent pro
duire un état arrêté par le président du tribunal de
commerce.
Il importe toutefois de remarquer que si l’état arrêté
par ce magistrat est indispensable en la forme, il n’a, au
fond, aucune autorité décisive contre les intéressés. La
religion du président peut d’autant mieux être surprise,
qu’il a moins de moyens de vérifier et de contrôler la
sincérité et la valeur réelle de la dépense.
La loi n’a pas même entendu lui imposer cette vérifi
cation et ce contrôle, elle s’en réfère à cet égard à l’in
térêt personnel qui saura bien signaler la fraude, et
prouver l’exagération. En réalité donc, l’état même ar
rêté par le président du tribunal de commerce n’est
qu’une allégation de la part du créancier. Tous ceux
qui y ont intérêt peuvent dès tors la contester, la faire
repousser ou réduire dans ses légitimes proportions.
Iv
P'
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, 4:#-
�102
DROIT MARITIME.
68. — Numéro 6. Les gages et loyers du capitaine
et autres gens de l’équipage employés au dernier voyage.
Ce privilège ne pouvait offrir en principe la moindre
difficulté, c’est au prix des fatigues et des soins de l’équi
page que le retour heureux du navire s’est effectué.
Ceux-là donc qui sont appelés à profiter de ce retour
doivent avant tout tenir compte des uns et des autres.
Cette conséquence est si. naturelle, si légitime, que
nous la rencontrons dans la législation de toutes les
époques. Ne restàt-il qu’un clou du navire, disait éner
giquement le Consulat de la mer, qu’il doit être em
ployé à payer les salaires des mariniers.
C’est ce même principe qu’on rencontre dans les Rô
les d'Oléron, dans la Hanse teutonique, enfin, dans
l’ordonnance de 1681, déclarant les gages et salaires
des gens de mer préférables à toutes autres créances.
En réalité cependant, ainsi que nous l’avons déjà ob
servé, ces gages et loyers ne venaient qu’au septième
rang. C’est ce que le Code de commerce a justement con
sacré ; et si aujourd’hui nous trouvons ces gages et loyers
au sixième rang, c’est qu’on a réuni dans un seul arti
cle les frais de la sentence d’ordre et ceux de la saisie et
de la vente, auxquels on avait assigné un rang parti
culier sous l’empire de l’ordonnance.
Le fondement juridique de cette détermination de no
tre législateur réside dans celte pensée que le rang du
privilège doit être le corollaire de l’utilité qu’en a retiré
la masse. Or, sans contredit, les créances classées dans
les cinq premiers numéros ont profité à l’équipage. Que
�■ •
■ '
ART.
191, 192.
103
deviendraient les droits qu’il a à exercer, si le gage
n’élait pas judiciairement liquidé, si, pendant le voyage
et depuis son entrée au port, le navire et ses agrès n’a
vaient été conservés, entretenus, réparés ? Dès-lors l’or
dre consacré, qui reléguait au sixième rang le privilège
des gens de mer, était logiquement et rationnellement
justifié.
69. — Indépendamment du privilège sur le navire,
les gens de mer en ont un autre sur le fret qui leur est
spécialement affecté. Pourra t-on leur objecter l’existen
ce de ce dernier, soit pour les écarter de la distribution
du prix du navire, soit pour ne les y admettre que pro
portionnellement ?
La négative ne nous paraît pas contestable. Au cré
ancier du privilège seul à en déterminer l’ex'ercice et
l’appréciation ; il peut, quelque général qu’il soit, le
faire porter à son choix, sur telle ou telle portion des
biens du débiteur. Ce principe du droit commun reste
applicable dans notre matière L
70. — La loi permet aux gens de mer de stipuler
pour prix de leur engagement, soit une part dans le pro
fit, soit une part dans le fret. Dans ces hypothèses, le
paiement de ce qui peut leur être dû sera-t-il garanti
par le privilège de l’article 191 ?
La raison de douter se puise dans le caractère même
1 Boulay-Paty, Dr. marit., t. p. -Hb.
\
�104
DROIT MARITIME,
du contrat. Le matelot qui stipule une somme déter
minée pour le voyage, ou qui s’engage à tant par mois,
consent un louage d’œuvres, et devient créancier des
salaires qui lui sont dus tant à l’égard du débiteur, que
des créanciers qu’il peut avoir.
Celui qui traite moyennant une part dans le fret ou
dans le profit contracte une véritable société. On peut
bien dès lors admettre en sa faveur l’action personnelle
contre son coassocié, mais non lui reconnaître, à l’en
droit des créanciers, un droit et moins encore une pré
férence sur l’actif de la société.
Mais le doute s’efface devant les termes généraux de
l’article 191, le privilège s’attache aux gages et salaires
dus à l’équipage sans distinction aucune. Il suffit donc
que la dette existe, pour que la préférence lui soit ac
quise. *
Mais, dira-t-on, l’article 191, dans sa généralité, ne
s’est en réalité occupé que de l’hypothèse la plus usuelle,
à savoir celle où les matelots ont traité à tant par mois
ou à tant par voyage ; mais cette objection est repous
sée par l’esprit de la loi.
Ce dont l’article 191 a voulu tenir compte, c’est de
l’utilité des services rendus par l’équipage. Or, de quel
que manière que cet équipage ait traité, il n’en est pas
moins certain qu’il a conservé le navire, qu’il l’a heu
reusement conduit dans le port où il a été saisi par les
créanciers. Ces motifs, qui légitiment le privilège dans
un cas, permettent-ils de le repousser dans l’autre ?
Au reste, ce qui achève de démontrer la vérité de no-
�ART.
191, 192.
10b
tre doctrine, c’est la disposition de l’article 271 du Code
de commerce. Ici on ne dira pas que le législateur ne
s’est occupé que de telle ou telle hypothèse, il vient de
s’occuper de chacune d’elles, de celle d’un traité pour
une part du profit ou du fret notamment.
L’article 271 cependant proclame ce principe : Que le
navire et le fret sont spécialement affectés au loyer des
matelots. Cette règle, ainsi tracée d’une manière généra
le et absolue, ne doit-elle pas recevoir son application
dans tous les cas ? Si la loi en eût voulu excepter une
catégorie quelconque, n’eût-elle pas établi cette excep
tion d’une manière formelle ?
L’absence de toute distiction justifie que la règle de
l’article 271 s’applique à toutes les hypothèses prévues
par l’article 265. Toute différence serait donc manifeste
ment contraire à l'esprit de la loi. Nous venons de le
dire, en effet, de quelque manière qu’il doive être payé,
le matelot n’agit pas de deux façons. Les dangers, les
fatigues qu’il brave dans l’intérêt du navire ne permet
taient pas de le soustraire à son action, et de ne lui of
frir qu’une garantie que la position de l’armateur pour
rait rendre illusoire.
Le privilège du numéro 6 est donc, dans tous les cas,
la conséquence de l’engagement des gens de mer et de
l’exécution qui lui a été donnée. Mais ce privilège doit
être restreint, aux termes de la loi, au montant de gages
et salaires.
71. — De là cette conséquence que toute créance
�106
DROIT MARITIME.
qui ne réunit pas ce caractère ne saurait se placer dans
l’hypothèse de notre numéro, quelque affinité qu’il y
eût d’ailleurs entre les causes de la créance et les gages
et. salaires.
Ainsi, le capitaine a habituellement à percevoir, in
dépendamment de ses gages, notamment le droit de cha
peau, qu’on qualifie quelquefois de cape, chapeau vin,
chausses, étrennes ou pot de vin, ce droit est-il ga
ranti par le privilège ?
On peut dire, pour l’affirmative, que le droit de cha
peau fait en réalité partie des salaires du capitaine. Son
importance a dû nécessairement être prise en considé
ration, et a dû influer sur la détermination du chiffre
assigné à ces derniers. Le capitaine pourrait, avec rai
son, prétendre que ce chiffre eût été plus élevé, s’il n’a
vait trouvé dans le droit de chapeau le complément de
la juste rétribution qui lui était due. Le contrat, dirat-il dès lors, consenti d’une manière indivisible, doit
être exécuté dans les mêmes conditions. Qu’importe, que
je prélève à titre de droit de chapeau ce que j’aurais in
contestablement prélevé à titre de salaires.
Mais quelques spécieuses que soient ces objections, on
ne saurait les accueillir ; elles sont repoussées par les
principes, par la nature même des choses.
Les privilèges sont de droit étroit. On ne peut les éten
dre d’un cas à un autre, il suffit donc que l’article 191
ait borné celui qu’il édicte aux gages et salaires des gens
de mer, pour qu’il ne puisse être invoqué pour les cré
ances n’appartenant ni aux uns ni aux autres.
�V^iVv.;
V,
•
ART.
,i .
191, 192.
7*
\ •
•
107
C’est évidemment ce qui se réalise pour le droit de
chapeau, qu’on ne peut même, à proprement parler, as
similer aux salaires. La raison décisive c’est qu’il n’est
pas dû par l’armateur propriétaire. Le droit de chapeau,
en effet, est une gratification que le chargeur accorde en
sus du prix du fret. C’est donc lui qui en est débiteur,
et c’est de lui seulement que le capitaine est en droit de
l’exiger ; il ne peut le répéter du propriétaire que si ce
lui-ci l’a reçu, parce que, dans ce cas, il n’aura agi que
comme mandataire du capitaine. Entre eux, donc, il ne
peut s’agir que d’une créance née à l’occasion de ce man
dat, et qu’il est impossible de confondre avec celle des
salaires dont le propriétaire est exclusivement et directe
ment tenu. Il est donc certain qu’on ne peut attacher
à l’une le privilège que la loi attribue spécialement à
l’autre.
C’est ainsi que le tribunal civil de Marseille l’avait ju
gé le 19 juillet 1832. Sur l’appel dont il fut l’objet, ce
jugement fut purement et simplement confirmé par ar
rêt de la cour d’Aix, du 21 novembre 1833 L
72. — Ces jugement et arrêt statuent sur une diffi
culté que peuvent offrir les termes de l’article 191 : Der
nier voyage. Doit-on les entendre en ce sens que le
voyage se continue de plein droit jusqu’au retour du na
vire dans le port du départ, surtout lorsque le retour a
été stipulé dans l’affrètement ?
i Journal de Marseille, t. 14, 1. 257.
�108
DROIT MARITIME.
Dans l’espèce, le navire sarde la Caroline avait été
expédié de Gênes pour un voyage aux Antilles et retour
dans les Etats-Sardes.
Le capitaine conduit le navire à Tampico et de là à la
Havane, où il prend un chargement de retour pour Mar
seille.
Au commencement de février 1830, il arriva dans ce
dernier port. Le consignataire du navire le nolise au
gouvernement français pour l’expédition d’Alger.
D’après les conditions imposées par le gouvernement
français à l’égard des navires étrangers affrétés par lui
pour cette expédition, la Caroline doit faire le voyage
sous pavillon français.
Les anciennes expéditions sont déposées à la chancel
lerie du consulat sarde à Marseille, pour être reprises
au retour d’Alger.. Tout l’ancien équipage se retire, à
l’exception du capitaine et du second, dont les salaires
sont déterminés. Un nouvel équipage est embarqué à
Marseille.
Le navire étant de retour à Marseille, l’équipage est
congédié, les salaires du capitaine et du second sont ré
glés et acceptés par eux sans protestations ni réserves.
Ce navire est ensuite saisi et judiciairement adjugé.
Dans l’ordre ouvert pour la distribution du prix, le
capitaine et le second réclament le paiement de quinze
mois d’appointements, c’est-à-dire depuis le premier dé
part de Gênes jusqu’au moment où le navire avait quit
té le port de Marseille pour se rendre à Alger. Cette ré
clamation est déclarée faite par privilège, sous prétexte
�que le navire, n’étant pas rentré dans les Etats-Sardes,
n’avait en réalité fait qu’un seul voyage, qui était le
dernier; que l’opération sur Alger n’était qu’une échelle
de ce même voyage qui s’était ainsi continué.
Le caractère privilégié de la créance est contesté par
les créanciers. Ils soutenaient que le premier voyage a
été rompu pour faire place à un second qui lui a été
substitué, celui de Marseille à Alger; que celui-ci a donc
été réellement le dernier ; que, dès lors, les créances ré
clamées pour le précédent ne peuvent jouir du bénéfice
de l’article 191.
Ce système prévalut. Le tribunal de Marseille et la
cour d’Aix, après avoir rappelé les faits que nous ve
nons d’exposer, en tirent la conséquence : Qu’il y a eu
rupture et terminaison du voyage des Antilles à Mar
seille ; que celui de Marseille à Alger ne peut être con
sidéré comme une continuation du premier, comme une
échelle, mais doit l’être au contraire comme un nou
veau, comme le dernier voyage.
« Il est vrai, ajoutent les jugement et arrêt, que, d’a
près les accords contenus au rôle d’équipage lors de
l’armement du brick la’ Caroline dans le port de Gê
nes, il fut convenu d’un voyage aux Antilles et retour
dans les Etats-Sardes ; mais que ce retour eut lieu dans
le port de Marseille, où le navire fut consigné au sieur
Blanchenay, d’ordre du sieur Monlebruno, armateur à
Gênes, et où, du consentement de celui-ci, il fut no
lisé par le gouvernement français pour l’expédition
d’Alger ;
�DROIT MARITIME.
HO
» Que vainement on prétendrait que l’armateur n’a
vait pas eu le droit d’agir ainsi ; qu’il est certain qu’un
navire peut être désarmé hors du port d’armement com
me dans ce port, que c’est ce qui résulte de la loi du 5
germinal an xii , qui accorde un droit de conduite aux
gens de mer pour se rendre dans leurs quartiers, s'ils
sont congédiés dans les pays étrangers, ou dans les
ports de France autres que ceux où les navires auront
été armés, pour raison du désarmement desdits na
vires. »
Cette doctrine, en droit, est incontestable ; ce qui en
résulte, c’est que dans les questions de la nature de cel
les que nous examinons, tout se réduit à une simple
proposition de fait : y a-t-il eu rupture et terminaison
du voyage d’abord entrepris. Sur ce terrain, convenons
que le tribunal et la cour ont fait une juste, une exacte
appréciation des circonstances, il est impossible de ren
contrer des faits plus caractéristiques de la terminaison
et de la rupture que ceux que l’espèce présentait.
Nous rencontrons encore, dans ces deux monuments
de jurisprudence, un exemple de ce que peuvent être les
frais autres que les frais de justice, pour lesquels le
premier numéro de l’article 191 accorde privilège.
73. — Nous avons vu que le navire nolisé au gou
vernement français, obligé de naviguer sous le pavillon
national, avait été dans la nécessité de déposer ses ex
péditions au consulat de Sardaigne à Marseille. L’adju
dicataire, appartenant lui-même à cette nation, les
�ART.
191, 192.
111
réclama donc pour faire naviguer le navire qu’il venait
d’acheter.
Mais le consul refusa de les rendre jusqu’à paiement
de 461 fr. dus à la caisse des invalides de Sardaigne,
pour droits sur les salaires de l’équipage depuis le dé
part de Gênes jusqu’au désarmement à Marseille.
Contraint de payer, l’adjudicataire demanda d’être
autorisé à retenir cette somme par privilège, en déduc
tion de son prix. Vainement contesta-t-on cette de
mande. Accueillie par le tribunal, elle fut également
consacrée par la Cour.
Répétons donc que par les frais autres que ceux de
justice, la loi entend tous ceux que l’adjudicataire sera
forcé de subir pour avoir la libre disposition du navire
qui lui a été vendu.
74. — La loi de germinal an xn, en assurant aux
gens de mer un droit de conduite pour se rendre dans
leurs quartiers, en cas de congé hors le port d’armement,
a fait de ce droit un accessoire des salaires. En consé
quence, le privilège, garantissant ceux-ci, protège éga
lement celui-là. L’accessoire suit le sort du principal.
75. — La quotité des salaires des gens de mer ne
saurait soulever des difficultés. Elle a été établie avant le
voyage par une pièce dont l’authenticité ne saurait être
méconnue, ni contestée. Le rôle d’armement arrêté par
l’administration renferme non seulement les nom, pré
noms et qualité de chacun des membres de l’équipage,
mais encore le chiffre des salaires convenu par l’arma
teur et accepté par l’autre partie.
�112
DROIT MARITIME.
Ces salaires courent de plein droit jusqu’au désarme
ment du navire. Ce désarmement, à quelque époque
qu’il s’opère, n’est régulièrement acquis qu’en suite de
la déclaration dans les bureaux de l’inscription mariti
me. Ses registres constatent donc l’engagement, le salai
re convenu, la durée du rervice.
On comprend pourquoi le législateur a, pour toute
pièce justificative de la créance des gens de mer, exigé
l’extrait du rôle d’armement et de désarmement.
76. — Dans l’hypothèse d’un engagement pour une
part dans le profit ou dans le fret, la quotité de la cré
ance ne pourrait être établie que par la liquidation de
l’opération dans le premier cas. Dans le second, elle
résulterait des connaissements, des manifestes d’entrée
et de sortie. Mais, dans les deux hypothèses, la produc
tion du rôle d’armement n’en serait pas moins utile, ne
fût-ce que pour justifier le caractère de l’engagement.
77. — Quant à l’indemnité pour droit de conduite,
sa quotité ne saurait jamais faire naître des difficultés.
La loi du 5 germinal an xn, en en consacrant le prin
cipe, en a en même temps fixé la quotité. Elle accorde
une somme déterminée par myriamètres, et cette somme
varie suivant la qualité du réclamant et le rôle qu’il
remplissait à bord. Ce rôle acquis, on n’a plus qu’à dé
terminer la distance à parcourir, et à régler la somme
à allouer sur le total des myriamètres.
�78. — Numéro 7. Les sommes prêtées au capitaine
pour les besoins du bâtiment pendant le dernier voyage,
et le remboursement des marchandises par lui vendues
pour le même objet.
Il était facile de prévoir que la navigation pouvait,
par ses chances diverses, faire naître des nécessités im
prévues, des besoins urgents auxquels il est indispensa
ble de satisfaire, sous peine d’interrompre le voyage
sans pouvoir l’achever. Cette prévision est devenue
l’origine de la faculté donnée au capitaine d’emprunter
pour radoub, victuailles, etc. l.
Le privilège en faveur des prêteurs est un encourage
ment que la loi a voulu donner à des prêts que la posi
tion du navire rendait d’une nécessité extrême et abso
lue. Il ne fallait pas que la crainte de n’être pas inté
gralement remboursé empêchât de réaliser les ressources
que le navire puisera dans les capitaux que le capitaine
. est obligé de se procurer.
Au point de vue des créanciers, du propriétaire du na
vire, le privilège des prêteurs pendant et pour le der
nier voyage se justifie d’une manière fort naturelle. Ces
préteurs ont mis le navire à même de poursuivre son
voyage, de l’achever. Sans leur secours, le gage était
perdu ou tout au moins singulièrement amoindri. Dès
lors, les créanciers ont eux-mêmes profité des prêts qui
ont servi à la conservation de ce gage et aux réparations
que son état exigeait. Il était donc juste de leur préférer
1 Voy. art 233, C comra.
I — 8
�114
DROIT MARITIME.
celui qui n’a pas craint, en réalisant des avances, de
faire le bien commun.
79. — Ce caractère du prêt, fait pendant le dernier
voyage, avait même paru de nature à faire placer le pri
vilège des prêteurs sur la même ligne que celui des gens
de mer. Puisqu’il est certain, disait Valin, que, sans les
sommes versées par les prêteurs, le navire n’eût pas
achevé son voyage, pourquoi ne pas faire concourir leur
privilège avec celui de l’équipage 1?
Valin s’explique le refus de concours par la position
même de l’équipage, déjà créancier avant la réalisation
des emprunts. Il est vrai de dire, observe-t-il, qu’en
quelque endroit que le navire eût été retenu, ne pouvant
plus continuer son voyage, les matelots auraient trouvé
le moyen de se faire payer de leurs gages sur le prix en
provenant.
Ce motif peut avoir de la gravité, mais seulement à
l’endroit des salaires acquis jusqu’au jour de l’emprunt.
Mais il ne saurait s’étendre à ceux courus depuis, et
que le défaut de prêt aurait empêché de courir. Mais ce
qui justifie le classement adopté par le législateur, c’est
que, depuis comme avant les prêts , l’équipage a veillé
à la conservation du navire; qu’il l’a conduit à bon sauvement au prix de périls, de peines et de soins sans
lesquels les prêts seraient demeurés sans efficacité, sans
résultats. En vain, dit fort bien Pothier, le navire aul Sur l’art. 16, titre des S aisies..
�ART.
191, 192.
IIS
rait-il été équipé, en vain aurait-il été radoubé et ré
paré pendant le voyage, s’il n’eût été conduit au lieu de
sa destination par le travail desdits matelots et gens de
mer L
La préférence accordée à ces derniers est donc ra
tionnelle et juste. Ils ont agi d’une manière profitable
pour les prêteurs eux-mêmes, en conservant leur gage
et en assurant ainsi le remboursement de leurs avan
ces : Salvam fecit pignons causam, utiliter ejus negotium gessit.
Ce motif est d’autant plus décisif, que les privilèges
de l’article 191 ne reconnaissent pas d’autre base. Ils
n’ont été consacrés que sur cette prévision. Les prê
teurs, pendant le dernier voyage, doivent si peu la que
reller, qu’ils n’ont pas d’autre raison de justifier la pré
férence qui leur est accordée sur les prêteurs pour ra
doub et victuailles avant le départ ; ils ne priment, en
effet, ceux-ci que parce que les sommes par eux prêtées
pendant le dernier voyage ayant conservé le gage com
mun, il est juste qu’elles soient remboursées avant les
créances qui auraient péri, si cette conservation n’avait
pas été réalisée.
80. — La maxime que nous citions tout à l’heure,
et qui est la justification des catégories de privilèges
consacrés, sert encore à résoudre une difficulté que peut
soulever l’application de l’article 191.
l C o n tra t
à la g rosse,
n° 84,
�116
DROIT MARITIME.
D’une part, en effet, la loi appelle au septième rang
les créances pour sommes prêtées, pendant Je dernier
voyage, pour les besoins de la navigation. D’autre part,
la loi ajoute : Les créanciers compris dans chacun des
numéros de l’article 191 viendront en concurrence et au
marc le franc, en cas d’insuffisance du prix.
Comme conséquence, on pourrait soutenir qu’il suffit
que le prêt destiné aux besoins du bâtiment ait été ef
fectué pendant le dernier voyage, pour que tous les prê
teurs concourussent entre eux. Le numéro 7, dirait-on,
n’exige qu’une seule condition, l’avance faite pendant
le dernier voyage. Son accomplissement doit donc [la
cer tous les prêteurs sur la même ligne, quelles que
soient d’ailleurs l’époque et la date de leur créance.
Ce raisonnement est juste, mais à une condition que
l’esprit de la loi commande à savoir : que les diverses
sommes empruntées l’aient été en vue d’une seule et
même opération, et aient été employées dans une seule
et même circonstance.
Un navire battu par la tempête, ou contrarié dans sa
navigation aborde dans un port. Le besoin de renouve
ler ses provisions, ou de parer à des réparations urgen
tes se faisant sentir, le capitaine emprunte, après les
formalités d’usage, les sommes jugées nécessaires. Que
ces sommes soient fournies par un seul ou par plusieurs;
que, dans ce dernier cas, elles le soient à des dates dif
férentes, il n’y a pas à distinguer, tous les prêteurs sont
sur la même ligne, il ne saurait exister entre eux au
cune cause de préférence, ils viendront donc, en cas
�ART.
191
, .
192
117
d’insuffisance, en concours et au marc le franc. Il en
serait de même si la somme, jugée d’abord nécessaire,
ayant été employée, un second emprunt était indispen
sable pour compléter les réparations inachevées.
La loi, qui ne s’arrête pas à la différence de date, ne
pouvait avoir égard à celle des lieux dans lesquels les
emprunts sont contractés. Dans notre hypothèse, par
exemple, le port de relâche peut ne pas offrir des res
sources suffisantes pour le radoub du navire, il faudra
se procurer les matériaux nécessaires dans des localités
plus ou moins éloignées ; il peut se faire aussi que l’in
tégralité des sommes indispensables ne puisse être em
pruntée sur les lieux, et qu’il faille se la procurer ail
leurs en tout ou en partie. Il n’y a là rien de nature à
motiver une préférence pour les uns au détriment des
autres-. Il suffit que les emprunts contractés en divers
temps, en divers lieux, aient reçu une destination uni
que pour que le concours prescrit par l’article 191 se
réalise. Une préférence pour les uns serait non seu
lement injuste, mais encore dangereuse. La crainte de
n’être pas le premier prêteur ^pourrait être un obstacle
à tout crédit.
Mais on ne saurait appliquer la même doctrine dans
l’hypothèse où des besoins s’étant successivement décla
rés, les emprunts pour réparations ou victuailles se son
réalisés dans des lieux différents ou à des époques plus
ou moins rapprochées. Il est évident qu’ici la préférence
peut être réglée par l’influence que les derniers em
prunts ont exercé sur la conservation du gage.
�118
DROIT MARITIME.
Supposez un navire parti de Marseille pour la Marti
nique. Des avaries importantes l’obligent de relâcher
dans un port intermédiaire, et les réparations devien
nent la cause d’un emprunt. Le navire reprend la mer,
mais, assailli par une tempête, il est forcé de rentrer
dans le port qu’il vient de quitter ou de se réfugier dans
tout autre. Il faut cependant se livrer à de nouvelles ré
parations, et de nouveau recourir à un emprunt pour
cet objet.
Les choses ne sont plus égales entre les prêteurs. Si,
après les dernières réparations, le voyage a pu s’accom
plir, c’est grâce à ces réparations mêmes, l’effet des pre
mières ayant été anéanti par les chances de la navi
gation.
Ceux donc qui ont fourni aux dernières doivent être
préférés. Ils peuvent, à bon droit, soutenir qu’ils ont
fait l’avantage des premiers prêteurs en conservant leur
gage et l’on peut leur appliquer l’axiome Salvam fecit
pignoris causam, utililer ejus negotium gessit.
Ainsi, dit Emérigon : Erunt novissimi primi et primi
novissimi ; et lorsqu’au conseil d’Etat ce résultat était
considéré comme un fait anormal, l’archichancelier le
justifiait par cette considération que, sans les derniers
prêteurs, le gage eût été perdu pour tout le monde.
Le concours prescrit par le dernier paragraphe de
l’article 191 ne se réalisé qu’entre créanciers de même
nature. Par exemple, dans notre hypothèse tous ceux
qui ont fourni ou avancé des fonds pour la première ré
paration concourront non seulement entre eux, mais
�r
I I
art.
191, 192.
119
encore avec les chargeurs dont on aurait vendu les
marchandises dans le même objet, mais ils seront pri
més par les créanciers ayant pourvu à la seconde qui, à
leur tour, concourront entre eux, mais dont la colloca
tion sera subordonnée à celle de ceux qui auraient four
ni ou avancé des fonds pour la troisième. Toutes ces col
locations seront faites au septième rang. Seulement, leur
ordre sera établi de telle sorte que les créanciers les plus
récents seront payés les premiers.
Sans doute l’article 191 ne s’en explique pas formel
lement, mais ce qui ne se trouve pas dans son texte est
évidemment dans son esprit.' Il est vrai encore que les
prêts ordinaires se référant au dernier voyage sont pla
cés sur le même rang que ceux à la grosse. Pourquoi,
dès lors, ne les régirait-on pas par les principes appli
cables à ces derniers? Or, à cet égard, la solution que
nous indiquons est expressément consacrée par l’article
323. Le dernier emprunt est toujours préféré aux pré
cédents.
81. — L’article 191 ne distingue pas, dans le para
graphe sept, les prêts ordinaires des prêts à la grosse.
Toute distinction eût été irrationnelle, puisque la con
servation du navire et sa mise en état d’accomplir le
voyage, bases essentielles du privilège, sont atteintes par
les uns comme par les autres. En conséquence, l’identi
té dans les effets devait nécessairement déterminer un mê
me mode de remboursement. Cette conclusion, enseignée
par Valin, Emérigon, Pothier, est également celle que
�120
DROIT MARITIME.
la doctrine moderne a sanctionnée. Tel est notamment
l’avis de MM. Pardessus, Dageville, Boulay-Paty.
Le privilège pour sommes prêtées pour le dernier
voyage est donc acquis, quelle que soit la forme conve
nue et adoptée.. Le caractère aléatoire du contrat à la
grosse n’a, dans celte hypothèse, d’autre effet que celui
d'autoriser un intérêt plus élevé , et d’accroître ainsi
l’importance du prélèvement. Dans tous les cas, en ef
fet, les intérêts n’étant que l’accessoire du principal, le
privilège qui protège celui-ci couvre également ceux-là,
c’est ce qui est expressément établi par l’article 214 du
Code de commerce.
82. — Les prévisions de la loi, en ce qui concerne
la navigation des navires , ne devaient pas s’arrêter à
l’hypothèse d’un emprunt. Celte hypothèse pouvait être
irréalisable, soit à cause de l’état de la place, soit parle
refus absolu des capitalistes et commerçants. Pouvaiton s’arrêter devant cette impossibilité et condamner le
navire à une perte inévitable?
La raison, l’intérêt des chargeurs eux-mêmes s’éle
vaient contre une pareille conséquences Aussi, et dans
cette prévision, le capitaine a-t-il été autorisé à puiser
dans le chargement IuLmême les ressources qu’exige
l’état du navire, et qu’il n’a pu se procurer ailleurs.
La vente des marchandises pour remplacer l’emprunt
est une véritable expropriation de leur propriétaire, ou
tout au moins un emprunt forcé qu’on lui fait subir,
Mais ce qui a dû faire passer sur la rigueur d’un pareil
�ART.
191, 192.
121
acte, c’est l'intérêt général du commerce lui-même et
l’indispensabilité des besoins auxquels il fallait pour
voir.
83. — Nous verrons plus tard les formalités dont la
loi a entouré cette vente. Nous n’avons ici qu’à nous
occuper de ses conséquences pour le propriétaire.
La plus immédiate de ces conséquences est le droit
d’être remboursé dans une légitime proportion. Mais il
ne suffisait pas de consacrer ce principe, il fallait, au
tant que possible, en assurer l’exécution en attachant à
la créance un caractère privilégié.
La nature du privilège résultait ici de la force des
choses, il ne saurait exister aucune différence réelle en
tre celui qui a fourni aux nécessités du navire par la
vente de sa chose, et celui qui a prêté des fonds pour le
même objet. On ne pouvait donc refuser au premier ce
qu’on accorderait au second.
La pensée de les placer sur la même ligne s’offre si
naturellement à l’esprit, qu’on la trouve inscrite dans
la législation de toutes les époques.
Le chapitre 105 du Consulat de la mer dispose :
Si le capitaine a besoin d’argent pour l’expédition du
navire, et s’il ne trouve personne qu’il veuille lui en
prêter, il doit vendre des marchandises jusqu’à concur
rence de la somme nécessaire, et ceux dont les mar
chandises ont été vendues pour ces objets seront préfé
rés à tous les autres, excepté aux mariniers pour leurs
salaires.
�Le marchand, dit l’article 45 de l’ordonnance de Wisbuy, auquel appartiennent les marchandises vendues
pour besoins du vaisseau, aura spéciale hypothèque et
suite sur le navire, comme le créancier qui aurait prêté.
i
84. — L’ordonnance de 1681 confirme au capitai
ne en cours de voyage le pouvoir de vendre les mar
chandises de son chargement pour radoub, victuailles et
autres nécessités du bâtimentl. Mais elle ne s’explique
pas sur la nature et le caractère de la créance résultant
de l’exercice de ce pouvoir. Il n’en est fait aucune men
tion dans l’article 16, titre de la saisie, qui indique les
privilèges.
La pratique avait suppléé à ce silence. On colloquait
sans difficulté la créance du propriétaire des marchan
dises vendues après les salaires des gens de mer. On
était arrivé à ce résultat en assimilant ce propriétaire
au tiers qui aurait prêté les deniers. L’argent provenant
des marchandises vendues, disait Emérigon, est un ar
gent véritablement prêté pour les nécessités du voyage.
Le privilège est donc le même que celui accordé au
prêteur. Ils doivent venir en concours 2.
L’article 191 n’a donc fait, dans le numéro 7, que se
conformer à cette pratique, que copier les anciennes lé
gislations. Sous son empire, la vente a conservé son ca
ractère, et confère au propriétaire le privilège du prê1 Liv. 2, tit. 1, art. 19. *
2 C o n tra ts à la G rosse, chap. 12, sect. 4.
SM,
�teur. Les principes régissant celui-ci sont donc de tous
points applicables aux chargeurs dont la marchandise
aurait été vendue, même à l’endroit du concours. En
cas de ventes successives pour des besoins différents, la
préférence serait due et accordée à ceux dont les mar
chandises auraient été vendues en dernier lieu.
85. — Le prêteur ou chargeur qui réclame le privi
lège du numéro 7 doit prouver non seulement la réali
té de la vente ou de l’emprunt, mais encore sa régula
rité. L’article 192 s’occupe du mode dans lequel cette
preuve doit être fournie. Il faut, en cas d’emprunt, que
le titre, et, dans l’hypothèse d’une vente, que les états
des marchandises vendues, arrêtés par le capitaine,
soient appuyés de procès-verbaux signés par lui et par
les principaux de l’équipage, constatant la nécessité de
l’emprunt ou de la vente l.
Cette exigence, en ce qui concerne le prêteur, est ra
tionnelle et juste ; elle trace à celui-ci la marche qu’il
doit suivre. Celui qui est sollicité par un capitaine de
prêter en vue du privilège du numéro 7 de l’article 191,
peut et doit s’assurer de l’accomplissement des formali
tés auxquelles est subordonnée la capacité de l’emprun
teur, La prudence lui conseille non seulement de se faire
représenter la délibération constatant l’urgence, mais
encore d’en exiger une copie certifiée.
86. — Cette précaution prise, le privilège ne saurait
�m
DROIT MARITIME.
lui être contesté, alors même qu’infidèle à son devoir,
le capitaine n’aurait pas donné aux fonds la destination
qu’ils devaient recevoir.
De tout temps, en effet, il a été reconnu que le prêteur
n’a pas à s’immiscer dans l’emploi des fonds ni à le
suivre ; qu’il doit, en conséquence, obtenir son rem
boursement privilégié, sans qu’on puisse le soumettre à
justifier que la somme par lui prêtée a réellement pro
fité au navire l.
La doctrine contraire conduirait à exiger chez le prê
teur des connaissances incompatibles avec sa qualité et
sa condition. En effet, dit Emérigon, il faut être du mé
tier pour juger de la nécessité et de la nature des dé
penses faites ou à faire en pareille occasion. Punira-ton le prêteur de ce qu’il n’était pas du métier ?
L’étrangeté de cette conséquence justifie la décision
de la loi romaine : Non opportet creditorem ad hoc
adstringi ut ipse reficiendœ navis curarn suscipiat et
negotium domini gérât. Quod certe futurum sit si necesse habebat probare pecuniam in refeclionem erogatam esse2.
Le prêteur ne saurait dans aucun cas répondre de
l’infidélité du capitaine. Il lui suffit donc d’établir qu’il
n’a prêté que sur délibération régulière, constatant l’ur
gence des réparations ou autres nécessités, et autorisant
le capitaine à se procurer les fonds nécessaires, pour
i L. 1. § 9, Dig.
de exercit. acl.
Sentence de Marseille, du 9 août
�, .
ART. 191 192
125
qu’on ne puisse lui contester le privilège qu’il récla
merait.
Cela est surtout vrai pour le prêt à la grosse, qui,
comme nous le verrons bientôt, confère le privilège,
alors même qu’il ne mentionnerait pas qu’il a été con
tracté pour les nécessités du voyage.
Mais remarquons que le privilège acquis dans cette
hypothèse est celui du neuvième rang. Il faut donc, lors
que le prêteur réclame sa collocation au septième, que
sa créance emprunte un caractère spécial des circonstan
ces en vue desquelles elle a été contractée. Or, ce carac
tère ne peut résulter que du rapport nécessaire entre
l’emprunt et la délibération qui l'autorise après avoir
constaté l’urgence des besoins auxquels il est destiné à
satisfaire.
Il faut donc que ce rapport soit établi par le contrat,
et le prêteur agira prudemment en y insérant une men
tion expresse. Il résulterait suffisamment de la clause
par laquelle les parties déclareraient traiter en exécution
de la délibération prise conformément à la loi, et pour
s’y conformer.
87. — La justification imposée au prêteur n’a rien
d’exorbitant. On devrait donc l’exiger d’une manière
absolue. Pourrait-on agir avec la même sévérité à l’en
droit du chargeur dont tout ou partie de la marchan
dise aurait été vendue sous prétexte des besoins du na
vire ?
11 y a, dans la position respective de l’un et de l’au-
�126
DROIT MARITIME.
tre, une différence qui ne permet pas de les placer sur
la même ligne à l’endroit des justifications exigées. Le
prêteur est généralement sur la même localité que le
navire lui-même, il est libre d’accepter ou de refuser
les propositions qui lui sont faites, et, dans le premier
cas, il doit s’assurer de la condition et de la capacité de
celui avec qui il va traiter, et exiger, par conséquent, la
preuve de l’accomplissement des formalités auxquelles
elles sont subordonnées l’une et l’autre. L’omission de
ce devoir est une imprudence, une faute lourde dont les
conséquences peuvent, sans trop de rigueur, être lais
sées àda charge de son auteur.
Telle n’est pas, à beaucoup près, la position du char
geur dont les marchandises ont été intégralement ou
partiellement vendues. Il ne pouvait en aucune manière
s’opposer à cette vente, qu’il ne connaîtra qu’après sa
perpétration, ni, par conséquent, empêcher le capitai
ne, dispensé d’obtenir son concours ou son consente
ment.
Cette position, exceptionnelle et spéciale , ne doit pas
être perdue de vue lorsqu’il s’agit de la justification du
privilège demandé. Il est vrai que la loi ne s’en est pas
expressément préoccupée, puisqu’elle exige du chargeur
ce qu’elle met à la charge du prêteur. Ce qui, au reste,
a pu la déterminer à en agir ainsi, c’est que dans notre
hypothèse l’intérêt à ce que les formalités soient exacte
ment remplies est tout entier du côté du capitaine. Il ne
pourra être exonéré de la responsabilité personnelle que
la vente lui impose qu’en prouvant qu’il n’a fait qu’o-
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
127
béir à une nécessité qu’il aura soin, dès lors, de faire
reconnaître et constater.
Par une supériorité de raisons incontestable, le char
geur ne pourrait, dans aucun cas, être astreint à suivre
et à justifier l’emploi des fonds provenant de la vente
de ses marchandises. La collusion qu’on pouvait redou
ter de la part du prêteur est ici d’autant plus improba
ble, que les fonds auront reçu leur emploi, quel qu’il
soit, lorsque le chargeur apprendra que sa marchandise
a été vendue. Aussi, dirons-nous avec M. Pardessus
que le privilège réclamé serait inévitablement accordé,
quand même le prix des marchandises vendues en route
par le capitaine n’aurait profité ni au navire ni à l’ar
mateur, mais aurait, par exemple, tourné au profit ex
clusif du capitaine L
Nous ajouterons avec M. Dalloz que l’armateur ne se
rait pas fondé, pour écarter ce privilège, à exciper de
ce que l’affrètement aurait été consenti dans le lieu de
sa demeure, sans qu’il en eût autorisé l’acceptation, s’il
n’avait pas désavoué en temps utile le capitaine2.
88. — La quotité de la créance, dont le privilège
garantit le recouvrement, est indiquée, à l’endroit du
prêteur, par le titre dont il est porteur. Il n’est pas in
dispensable que ce titre ait date crtaine, il pourrait être
sous seing-privé, alors même qu’il s’agirait d’un con.
'
0
1 N° 946.
2 Nouveau
Dictionnaire,
v.
Droit maritime,
§
n° 250.
�128
DROIT MARITIME.
trat à la grosse pour lequel, d’ailleurs, la loi autorise
cette forme. Quel qu’il soit, il est évident que les cir
constances d’époque, des lieux, des causes de l’emprunt,
des formalités que la loi exige avant sa consommation
en assignent en quelque sorte le moment précis, et ren
dent impossible la fraude que l’exigence d’une date cer
taine a pour objet de prévenir.
Relativement au chargeur, la quantité des marchan
dises vendues étant certaine, le doute ne pouvait surgir
que sur le prix auquel il pouvait prétendre. Or, ce dou
te, l’article 234 du Code de commerce l’a résolu en
prescrivant que le chargeur serait remboursé d’après la
valeur des marchandises de même nature et qualité,
dans le lieu de la décharge du navire à l’époque de son
arrivée. Cette valeur établie, la quotité de la créance est
par cela même déterminée.
89. — Le prêteur a droit aux intérêts depuis le jour
du prêt, et ces intérêts varient suivant qu’il s’agit d’un
prêt ordinaire ou d’un contrat à la grosse. Dans l’un et
l’autre cas, ils s’ajoutent au capital et en suivent la con
dition et. le sort. Le chargeur ne saurait en prétendre
aucun, si ce n’est depuis l’arrivée du navire au lieu du
déchargement. En lui tenant compte de ses marchandi
ses au cours de la place le jour de l’arrivée, on lui ac
corde tout ce qu’il aurait eu si les marchandises étaient
arrivées en bon port. Mais, puisque laJoi considère la
vente comme réalisée à ce même jour, il est juste que le
chargeur, qui aurait joui de son argent dans le cas
�d’une vente ordinaire, soit dédommagé de cette perte
de jouissance par une allocation d’intérêt. Le point de
départ de cette allocation varie suivant que le cours ap
pliqué se référait à une vente au comptant, ou à une
vente avec terme de trente, soixante ou quatre-vingt-dix
jours. Il ne doit être fixé, dans ce dernier cas, qu’à par
tir de l’expiration du délai.
90. — Toutes fournitures faites à l’armement, ou
qui lui ont profilé, entrent dans la catégorie des som
mes pour lesquelles le numéro 7 de l’article 491 accor
de privilège. C’est donc avec juste raison que le tribunal
de Marseille a jugé, le 19 janvier 1835, que les fourni
tures faites d’ordre du capitaine, en logement, nourri
ture, blanchissage et frais de maladie, soit au capitaine,
soit aux membres de l’équipage pendant la relâche du
navire, donnaient lieu en faveur des fournisseurs, non
seulement à une action personnelle contre le capitaine,
mais encore à un privilège sur le navire, ces créances
constituant des prêts faits au capitaine pour les besoins
du navire l.
Qui veut la fin veut les moyens. En attendant les ré
parations dont l’urgence a motivé la relâche, il faut que
l’équipage vive, qu’il soit entretenu en santé et surtout
en maladie. Ce sont là des dépenses à la charge de l’ar
mement, et, s’il y a été pourvu par un tiers, on ne sau
rait lui refuser une action contre cet armement. L’état
1 Journal de Marseille, t. 45,4, 297.
I
9
�130
DROIT MARITIME.
de ces fournitures réglé par le capitaine, ou arrêté par
la justice, constituerait une créance privilégiée du sep
tième rang.
91. — Numéro 8. Les sommes dues au vendeur,
aux fournisseurs et ouvriers employés à la construction,
si le navire n’a point encore fait de voyage, et les som
mes dues aux créanciers pour fournitures, travaux, main
d’œuvre, pour radoub, victuailles, armement et équipe
ment avant le départ du navire, s’il a déjà voyagé.
92. — Le privilège du vendeur n’est nommément
inscrit dans la loi que depuis l’ordonnance de 1681 l.
Les législations précédentes gardaient le silence à ce su
jet. Le chapitre 32 du Consulat de la mer semble mê
me l’exclure, ou tout au moins lui préférer le privilège
des constructeurs. Nous y lisons en effet : Les maîtres
de hache, calfals et autres ouvriers, comme ceux qui
ont fourni le bois, la poix, les clous et autres objets
nécessaires pour la construction du navire, vendu
avant qu'il ait été lancé à la mer, ou avant qu'il ait
fait son premier voyage, seront préférés à tous autres
créanciers, quels qu'ils soient.
On comprend dès lors que les prétentions du vendeur
non payé, revendiquant la chose aux termes du droit
commun, devaient faire naître de nombreuses difficultés.
Ce sont ces difficultés que le législateur de 1681 prévint
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
131
en déterminant la position qu’occuperait désormais le
vendeur non payé.
95. — Il lui assigna donc le même rang que celui
auquel il appelait les ouvriers et fournisseurs pour la
construction, à la condition faite à ceux-ci, à savoir que
le navire n’aurait pas encore voyagé.
Cette condition détermine le caractère du privilège. Ce
n’était pas le privilège réservé au vendeur d’un immeu
ble ; l’ordonnance affectant au navire la qualité de meu
ble, la vente ne pouvait produire, dans les deux cas,
des résultats identiques.
Est ce le privilège que le droit commun reconnaissait
au vendeur d’effets mobiliers non payés? Pas d’avanta
ge. Ce qui le prouve, c’est l’exigence de la condition ap
posée à son exercice, condition qui, dans tous les cas,
constituait une dérogation formelle au principe absolu
du droit commun.
L’article 2102 du Code civil confirme le privilège du
vendeur d’effets mobiliers, mais l’intention du législa
teur commercial d’y déroger à l’endroit des navires ne
saurait être contestée, elle résulte d’une manière certaine
et évidente de la discussion au conseil d’Etat. La dispo
sition du numéro 8, disait M. Berlier, est fondée sur
l’usage, et quoique cet usage soit contraire à ce qui se
pratique dans les ventes de meubles ordinaires, il pa
rait'convenable de le maintenir, puisque nulle réclama
tion n’indique qu’on s’en soit mal trouvé l.
i Procès-verbal du 7 juillet, n° 22.
�DROIT MARITIME.
132
L’absence de toute réclamation s’explique par le ca-*
ractère de la condition, éminemment appropriée aux
exigences et aux besoins réels du commerce. Celui-ci n’a
pas d’autre base que le crédit qui ne peut reposer que
sur les apparences. Lorsqu’on voit un individu possé
dant un navire et l’exploitant depuis plus ou moins long
temps, on doit l’en estimer le seul, le véritable proprié
taire. Admettre la permanence du privilège du vendeur,
c’était donc arracher après coup, à des malheureux cré
anciers, une garantie sans laquelle ils ne le seraient pas
devenus. Ce résultat était d’autant plus anormal, que
le silence et l’inaction prolongés du vendeur peuvent
n.’être que la conséquence d’une collusion entre lui et
le vendeur, pour donner à celui-ci un crédit menson
ger et le mettre en état de faire des dupes.
Si l’on se récriait sur la rigueur de cette supposition,
nous répondrions que la loi n’a pas hésité à l’admettre
dans plusieurs autres cas, et à la rendre la base de ses
dispositions. N’est-ce pas elle qui fait annuler l’hypothè
que en cas de faillite, lorsque l’inscription n’a été re
quise que plus de quinze jours après l’acte constiiutif ?
N’est-ce pas elle qui, dans la même hypothèse, fait re
fuser la revendication des marchandises entrées dans
les magasins du failli ou de son commissionnaire ? Pour
quoi donc n’aurait-on pas fait pour la possession appa
rente d’un navire ce qu’on fait pour celle de marchan
dises, ou d’une solvabilité menteuse ?
95. — Le caractère temporaire et conditionnel du
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
133
privilège du vendeur n’est pas seulement dans les véri
tables exigences du commerce. Il est encore marqué au
coin d’une évidente justice. Comment le vendeur pour
rait-il s’en plaindre? Il est suffisamment prévenu de
l’effet que produira le voyage fait par le navire sous le
nom et aux risques de l’acheteur. Il est donc en de
meure d’établir ses prévisions sur cette base et de pré
venir le danger qui le menace.
Le moyen d’arriver à ce résultat est fort simple, il ne
s’agit que de vendre au comptant, et d’exiger rigoureu
sement l’exécution de l’obligation de l’acheteur, et, en
cas de défaut ou de refus, de saisir le navire pour em
pêcher la perte du privilège.
Mais la vente au comptant n’est pas toujours facile et
praticable. L’exiger serait souvent rendre toute vente
impossible. Le propriétaire peut donc être contraint
d’accorder un terme. Même dans cette hypothèse le
moyen de conserver le privilège, quoi qu’il arrive, n’est
pas moins facile. Le vendeur n’a qu’à stipuler que la
mutation sur l’acte de francisation ne pourra être re
quise et opérée qu’après l’expiration du terme et le paiement opéré. Dès lors, le navire continuant à naviguer
sous son nom, la condition exigée par notre article ne
pourrait se réaliser. Il n’est pas douteux en effet que,
malgré que la loi ne s’en explique pas ici formellement
le voyage qui seul ferait cesser le privilège du ven
deur, est celui qui, aux termes de l’article 193, aurait
été exécuté sous le nom et aux risques de l’acheteur.
Enfin, et dans tous les les cas, Mn’a qu’à remplir la
mesure conservatoire exigée par l’article 193. On peut
�154
DROIT MARITIME.
facilement prévoir que malgré toutes ses diligences le
privilégié ne pourra souvent empêcher le départ du na
vire. Mais si l’accomplissement du voyage purge le pri
vilège, il n’en est pas de même de sa sortie du port,
aussi verrons-nous que l’opposition prescrite par cet
article 193, est utilement réalisée après le départ^. Or,
cette opposition, le vendeur non payé peut et doit la si
gnifier comme le doit tout autre créancier privilégié.
Si aucune de ces précautions n’a été prise, le vendeur
est présumé avoir volontairement renoncé à son privi
lège sur la chose vendue, il a exclusivement suivi la foi
de son acheteur, il est dès lors à l’instar de tout autre
créancier ordinaire, si le cas prévu se réalise.
Cette confusion devait paraître incontestable sous
l’empire de l’ordonnance, comme elle l’est à notre avis
depuis le Code. Aussi ne comprenons-nous pas que deux
jurisconsultes aussi éminents que Valin et Emérigon
aient admis le contraire, quoique dans des proportions
différentes.
Ainsi Valin enseigne d’une manière absolue que, pour
ce qui concerne le vendeur, le fait du voyage du navire
ne peut influencer sur sa position. Son privilège, dit-il,
est le même après comme avant. Il est en droit de l’exer
cer dans tous ces cas 2. Mais que signifient dès lors ces
termes de l’ordonnance : Si le navire vendu n'a point
encore fait de voyage ? A quoi bon faire précéder de
1 V» infra, n° 150.
3 Sur l’art. 17, tit. des Saisies.
�ART. 1 9 1 ^ 1 9 2 .
135
cette restriction la mention du privilège du vendeur ? Ce
n’est pas ainsi que le législateur avait procédé dans l’ar
ticle 16, énumérant les divers privilèges.
Valin n’échappe à l’autorité de cette objection qu’en
soutenant que le privilège du vendeur, quoique non
nommé dans l’article 16, est cependant régi par sa dis
position, et voici son raisonnement. L’article 17 assimile
le vendeur non payé aux charpentiers, callaleurs et au
tres ouvriers employés à la construction et aux fournis
seurs des bois, cordages et autres choses nécessaires au
navire. Celte assimilation doit être admise dans le cas
de l’article 16, et puisque celui ci appelle à un rang
privilégié ceux qui auront prêté pour radoub, victuail
les et équipements avant le départ, il est évident qu’il
appelle également le vendeur non payé qui leur est as
similé.
Il est vrai, ajoute Valin, que l’article 2, titre 10, livre
2, déclare que le voyage du navire, sous le nom et aux
risques de l’acheteur, purge le navire de l’affectation aux
dettes du vendeur. Mais cet article n’est que contre les
créanciers du vendeur, et non contre le vendeur luimême. Que l’acheteur prescrive contre les créanciers du
vendeur, il n’y a là rien que de très naturel, puisqu’il
ne prescrit que contre les gens à qui il ne doit rien ;
mais que cet article le mette à couvert de ce qu’il doit à
son vendeur pour le reste du prix de la vente, c’est ce
qui répugnerait absolument.
Valin, en concluant de là au maintien du privilège
malgré le voyage, confond ce privilège avec l’obligation
�DROIT MARITIME.
156
\
personnelle de l’acheteur, que personne n’a jamais pré
tendu subordonner pas plus à ce voyage qu’à vingt au
tres que le navire pourrait faire, et qui ne peut être
éteinte que par la prescription ordinaire. Il oublie enfin
que la question de privilège ne se débattra jamais entre
le vendeur et l’acheteur. II est en effet sensible que les
seuls intéressés à contester ce privilège sont les créan ciers de ce dernier, qui seront fondés à ne subir une
préférence quelconque que dans le cas où cette préfé
rence est nommément inscrite dans la loi. Eux seuls
pouvaient doncexciper de l’article 17, et aucun des ar
guments de Valin ne répond à ce point de vue.
97. — Emérigon a compris que l’article 17 de l’or
donnance devait produire un effet quelconque. Mais il
borne la perte du privilège en faveur de ceux qui ont
acquis la qualité de créancier pendant le voyage même.
En principe, dit-il, le vendeur à crédit peut réclamer la
chose vendue, tant qu’il la trouve restante et en nature
entre les mains de l'acheteur. Donc le vendeur d’un
navire, dont le prix est encore dû, peut le réclamer par
droit de suite pour se payer par privilège, pourvu qu’il
cède le pas aux créanciers déclarés privilégiés par l’ar
ticle 16 que je viens de citer. Il répugnerait aux règles
les plus triviales que le vendeur à crédit d’un navire
qui revient de voyage fût exclu par les créanciers sim
plement hypothécaires, ou qu’il fût forcé de venir en
concours avec des chirographaires dont les titres sont
étrangers à la navigation l.
i
Contrats à la grosse, chap. xu, sect. iv .
♦
�Ce que cette opinion offre de remarquable, c’est
qu’elle consacre l’extinction du privilège en faveur de
ceux qui n’ont que faire de cette extinction, car ils sont
appelés, dans tous les cas, à le primer, et qu’elle la re
fuse à ceux auxquels elle profiterait réellement. Remar
quons au reste qu’elle se fonde uniquement sur les prin
cipes du droit commun, auxquels l’article 17 n’aurait
pas dérogé.
Quoi qu’il en soit, et en admettant que l’ordonnance
laissât place au doute, ce qu’il est permis de croire en
voyant douter Emérigon et Valin, le Code de commerce
l’aurait nettement tranché, son esprit et son texte ne
permettent plus d’hésiter.
98, — Notre législateur trouvait, dans la doctrine
de Valin et d’Emérigon, la nécessité de la consacrer ex
pressément, s’il l’avait acceptée. Or, c’est la doctrine
contraire qui prévalut au conseil d’Etat. M. Locré, qui
résume la discussion que subit le paragraphe 8, termine
par ces mots : On voit, par les motifs qui ont déterminé
la décision du conseil, que ce privilège n’est qu’une ex
ception au droit commun. Dès lors, il n’a que les ef
fets que la loi spéciale lui a donnés, et non tous ceux
que le droit commun attache au privilège du vendeurl.
La seule conclusion à tirer de là est celle que nous
avons déjà exposée, et que nous avons prouvé reposer
sur l’intérêt réel du commerce autant que les notions
�138
DROIT MARITIME.
d’une exacte justice. C’est aussi celle à laquelle se sont
ralliées la doctrine moderne et la jurisprudence. C’est
ainsi que la cour d’Aix, notamment, consacrait, par ar
rêt du 17 juillet 1828, que le voyage opéré depuis la
vente volontaire du navire avait absolument éteint le
privilège du vendeur.
99. — M. Dageville, tout en se prononçant dans le
même sens, en revient cependant indirectement à l’opi
nion d’Emérigon. 11 enseigne, en effet, que le vendeur
qui a perdu le privilège spécial que la loi lui accordait
est néanmoins fondé à revendiquer le navire non payé
entre les mains de l'acheteur après le voyage, mais à la
charge de souffrir l’exercice de tous les privilèges énu
mérés dans l’article 191 h
Nous ne pouvons admettre que la loi ait elle-même
consacré les moyens de se soustraire à ses dispositions,
de les éluder, de les annuler. C’est cependant ce carac
tère que lui imprimerait l’opinion de M. Dageville.
La loi a attaché la perte du privilège au voyage opé
ré depuis la vente, c’est-à-dire que la chose n’est plus
affectée, qu’elle est soustraite au droit de suite du ven
deur. Pourquoi la loi a-t-elle prononcé ainsi si, le pri
vilège disparaissant, le vendeur pouvait revendiquer la
chose ?
Vainement dirait-on que cette revendication sauve
garde les créances privilégiées. Nous répondons d’abord
�qu’on ne comprend pas une revendication opérant le
retour de la chose grevée de charges d’une origine né
cessairement postérieure à la cause qui l’engendre , au
droit qui la motive. Qu’est-ce que la revendication, si
ce n’est la réalisation de la clause résolutoire ? Or, l’ef
fet de celle ci n’est-il pas la reprise de la chose franche
et libre de toute charge du chef du possesseur évincé ?
Mais dans ces termes mêmes, la loi n’échapperait
pas au reproche que nous adressions tout à l’heure à
l’opinion d’Emérigon. Evidemment la perte du privilège
n’a été édictée qu’en faveur de ceux qui sont en posi
tion d’en profiter. Dans notre hypothèse, ceux-là ne
peuvent être que les créanciers simples chirographaires.
On reconnaît que les privilégiés doivent passer avant le
vendeur, même dans le cas d’une revendication ; qu’a
vaient-ils donc à se préoccuper du maintien ou de l’ex
tinction du privilège ?
Il n’en est pas de même des non privilégiés. L’ex
tinction est pour eux d’un intérêt évident. Elle empêche
le prélèvement de ce qui est dû au vendeur et le con
traint à venir avec eux au marc le franc. C’est à quoi
il échappera cependant au moyen de la revendication.
En vérité, autant valait ne pas édicter la perle du privi
lège, puisqu’elle ne pourrait sortir à effet que lorsque
la question de savoir si elle est ou non acquise est in
différente et inutile.
Ces considérations militent puissamment contre le
droit de revendication. Sur quel texte de loi pourrait-on
d’ailleurs l’étayer ? Invoquera-t-on l’article 2102 ? Mais
�140
DROIT MARITIME.
nous venons de prouver que le Code de commerce a
formellement entendu y déroger, et, suivant l’expression
de M. Locré, n’accorder au vendeur que le privilège
seulement, et dans les limites qu’il trace.
Pourquoi, si l’on s’en réfère à l’article 2102, ne l’ac
cepte-t-on pas dans toute son étendue ? Pourquoi modi
fie-t-on le droit qu’il confère au point de maintenir les
charges privilégiées dont le possesseur dépouillé a grevé
la chose ? Est-ce qu’une pareille conséquence peut invo
quer le texte ou l’esprit de cet article ?
Enfin, et en réalité, l’article 2102 serait inapplicable,
car les conditions qu’il exige ne peuvent pas se rencon
trer. En effet, la revendication n’est permise que si la
vente a été faite sans terme, que si elle est poursuivie
dans la huitaine de la livraison, que si, enfin, l’objet
revendiqué se trouve dans le même état qu’au moment
de celte livraison. Comment rencontrer ces deux der
nières conditions, lorsque le navire a voyagé depuis la
vente ?
M. Dageville n’est pas plus heureux lorsqu’il invo
que l’article 576 du Code commercial ancien. La loi de
1838 s’est chargée de la réponse, en prohibant nommé
ment le privilège et le droit de revendication établi par
le § 4 de l’article 2102 du Code civil h
D’ailleurs, l’article 576 de l’ancien comme du nou
veau Code n’autorisait que la revendication des mar
chandises. Or, il est certain que les navires n’ont ja
mais été assimilés à celles-ci.
1 Voy. notre
Gomment, sur l’art. 850 de la loi de 1838.
�Ajoutons que l’article 577 déclarait la revendication
recevable dans le cas seulement où la marchandise était
encore en route et qu’elle n’était pas encore entrée dans
les magasins du failli ou dans ceux du commissionaire
chargé de les vendre pour son compte. En d’autres ter
mes, point de revendication lorsque le failli était entré
en possession réelle de la marchandise. Or, cette prise
de possession réelle pouvait-elle être contestée lorsque
l’acheteur du navire l’avait fait voyager sous son nom et
à ses risques, c’est-à-dire lorsqu’il avait fait en quelque
sorte transcrire son contrat par la mutation de l’acte de
francisation ?
Nous avons donc raison de le dire, l’opinion de M.
Dageville est inacceptable. Elle est condamnée par le
texte et l’esprit de la loi spéciale. Elle n’a aucun fonde
ment juridique, tant sous le rapport du droit commun,
qu’au respect du droit commercial général.
99 bis. — Quel est le voyage qui, aux termes de
l’article 191, numéro 8, entraîne la perte du privilège
du vendeur non payé ? Est-ce un voyage quelconque
sans limitation de durée ? Est-ce celui que définit l’ar
ticle 194 ?
Il semble difficile d’admettre qu’en parlant de voya
ge dans les articles 191 et 193, le législateur n’ait pas
donné à ces termes une acception identique dans les
deux cas. Aussi MM. Dageville et Alauzet enseignentils que le privilège du vendeur n’est perdu que par un
voyage en mer tel que le définit l’article 194.
�U2
DROIT MARITIME.
Mais par arrêt du 121 août 1861,1a cour de Caen
s’est prononcée en sens contraire, et a jugé que le voya
ge qui, aux termes du numéro 8 de l’article 191, en
traîne la perte du privilège du vendeur, doit s’entendre
de tout voyage sans limitation de durée, fait conformé
ment à la destination du navire ; qu’ici ne s’applique
pas la définition du voyage en mer que contient l’arti
cle 194, et qui est uniquement relative au cas prévu
par l’article 193. Cet arrêt s’étaye des considérations
suivantes :
» Considérant que l’article 191, en accordant un
privilège au vendeur, aux fournisseurs et aux ouvriers
sur les navires et autres bâtiments de mer, y a mis
pour condition que le navire n’ait pas encore fait de
voyage, d’où il suit que si le navire a fait un voyage,
le privilège n’existe plus ; que cette disposition de la loi
a été édictée dans l’intérêt du commerce maritime, afin
que les ouvriers ou fournisseurs qui, après un premier
voyage, ont procuré à l’armateur ou au patron les
moyens d’en faire un second, aient la certitude d’être
payés de leurs travaux ou de leurs fournitures sur la
valeur du navire, ce qui ne peut avoir lieu qu’autant
que ces derniers ne rencontreraient pas de privilèges
antérieurs qui leur seraient préférés, ou qui viendraient
en concours avec le leur ;
» Considérant que l’article 191 n’a pas limité la du
rée du voyage qui entraîne, pour le vendeur, la perte
de son privilège ; qu’il suffit donc d'un voyage fait con
formément à la destination du navire pour que le privi-
4
�lége du vendeur soit perdu ; que cette disposition de la
loi n’a d’ailleurs rien de contraire à l’équité, puisque
le vendeur peut toujours, s’il n’est pas payé, conserver
son privilège en s’opposant au voyage du navire ;
» Considérant qu’il est constant, en fait, que le bateau
de pêche Nolre-Dame-des-Vicloires, appartenant à Perchey depuis le 11 novembre 1839 , jour où il a com
mencé de naviguer, jusqu’au 9 décembre suivant, jour
où il a été vendu aux enchères, a fait plusieurs voyages
à la pêche, et a été presque constamment à la mer ;
qu’il en résulte que le Lefoullon ne peut plus invoquer
le privilège du vendeur , que l’on objecte que l’article
194 a défini ce qu’on doit entendre par un voyage de
navire, et que le bateau Notre-Dame-des-Victoires n’au
rait pas rempli les conditions auxquelles la loi reconnaît
qu’il y a eu voyage ; mais que cet article 194 se rap
porte évidemment à l’article 193 dont il n’est que le
complément, article qui prévoit un cas tout différent de
celui soumis à la Cour ; qu’appliquer au numéro 8 de
l’article 191 la définition du voyage donnée par l’arti
cle 192, serait rendre illusoire la disposition de cet ar
ticle 191 pour les navires destinés au cabotage ou à la
pêche côtière, puisque leur navigation se compose d’une
série de voyages dont, le plus souvent, ancun n’a la
durée fixéé par l’article 194 C »
L’objection tirée des difficultés que pourrait présen
ter l’application de l’article 194 aux navires destinés au
�IM
DROIT MARITIME.
cabotage, n’est pas nouvelle, elle faisait le sujet des ob
servations que présentaient MM. Corvetto, Crelet, Réal,
dans la discussion de cet article.
M. Berlier, notamment, disait qu’il ne comprenait
pas comment nne disposition semblable serait exécutée
dans la navigation au petit cabotage , c’est-à-dire dans
la navigation qui se fait de côte en côte, de port en port.
« Dans l’espace de trente jours, ajoutait-il, et sans
rentrer au port du départ primitif, le bâtiment cabo
teur aura pu entrer dans quatre à cinq ports différents,
aura laissé et repris charge dans chacun, se sera ra
doubé ou ravitaillé dans plusieurs, comment en ce cas
le privilège s’exercera-t-il si les trente jours se comptent
depuis la sortie du port primitif et qu’on soit encore
dans ce délai ? Les créanciers de la première expédition
seront donc admis avec ceux qui le sont devenus relati
vement aux voyages subséquents et notamment au der
nier ? Si c’est ce qu’on veut on va se jeter dans de
grands embarras et s’exposer à préjudicier à ceux pour
qui le privilège est établi au profit de ceux contre les
quels il a jusqu’à ce jour, été considéré comme éteint.
Dans ce système il conviendrait au moins que le privi
lège s’exerçât d'abord par les créanciers de la dernière
expédition en remontant de série en série jusqu’à la
première. Mais il vaut mieux ne pas perpétuer le privi
lège après un nouveau voyage fait en mer, et la rédac
tion de la section définissait justement pour toutes les
classes de navigation ce que c’est qu’un voyage fait en
mer. L’usage aussi n’eût pas permis de confondre le vrai
�ART.
191
, .
192
145
voyage avec une promenade ou le voyage consommé
avec une relâche accidentelle l. »
On ne dira donc pas que le législateur se soit fait la
moindre illusion sur les conséquences de ses disposi
tions relativement à la navigation au cabotage. Donc
refuser d’appliquer celles-là sous prétexte des difficultés
que soulèveraient celle-ci, ce n’est pas interpréter la
loi, c’est la modifier, c’est la changer, ce qu’il n’a ja
mais été permis de faire aux tribunaux.
D’ailleurs, si, comme le disait M. Berlier, l’article
194 définit ce qu’est le voyage en mer pour toutes les
classes de navigation, il n’y a pas hésiter et on doit
l’appliquer au cas de l’article 191 comme à celui de
l’article 193. Sans doute cette application peut dans
quelques cas, offrir des inconvénients pour certains cré
anciers. Mais à nos yeux et sous le rapport de l’équité
les droits du vendeur sont aussi respectables que ceux
des ouvriers et fournisseurs, surtout que ceux des cré
anciers ordinaires, et nous ne saurions admettre que le
privilège qui les couvre puisse être perdu par un voya
ge de vingt-quatre heures, par une simple sortie pour
la pêche, ne demandant souvent que l’intervalle d’un
jour ou d’une nuit, c’est-à-dire, suivant l’expression de
M. Berlier, par une promenade.
Nous croyons donc à la généralité de la règle édictée
par l’article 194 et à son applicabilité absolue au cas de
l’article 191, comme à celui de l’article 193. Sans doui Locré,
Législ, civ. et com m t,
18, p. 304.
10
Wk
�146
DROIT MARITIME.
te ces deux articles diffèrent entre eux, l’un réglant le
rang des privilégiés entre eux, l’autre se référant au
droit de suite des créanciers du vendeur sur le navire
et indiquant les conditions auxquelles il est éteint.
Mais faut-il conclure de cette différence que le légis
lateur donne au voyage dont parle l’article 191 une
acception tout autre de celle que cette expression reçoit
dans l’article 193? Nous cherchons en vain ce qui,
dans le texte et l’esprit de la loi, autoriserait l’affirma
tive, et nous sommes d’autant moins disposés à l’ad
mettre qu’elle aboutirait à cette étrange anomalie que
le vendeur, dépouillé de son privilège au regard des
créanciers de celui-ci, l’aurait conservé contre les cré
anciers de l’acheteur pour lequel le droit de suite n’est
purgé que par le voyage que définit l’article 194, et
qui, aux termes formels de la disposition de l’article
193, peut seul éteindre le privilège.
On objecte qu’il y a dans la rédaction de ce dernier
un vice évident, et qu’on se tromperait fort si on pen
sait qu’il n’est que le corollaire de l’article 191 ; que ce
ne sont pas les droits des créanciers les uns à l’égard des
autres que l’article 193 a en vue, mais leurs droits à
l’égard du tiers détenteur, ou, si l’on veut, leur privi
lège, car c’en est un dans un certain sens vis-à-vis de
l’acquéreur, privilège qui n’est autre, par rapport à lui,
que le droit de suite ; que c’est de ce droit de suite que
l’article 193 purge la chose ; que c’est de ce droit, et
non delà créance qu’il prononce l’extinction.
Mais supposez que le vendeur n’ait pas d’autre res-
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
147
sources que la valeur du navire, ou que ses autres res
sources soient insuffisantes pour payer toutes ses dettes,
est-ce que la perte du droit de suite n’entraînera pas
celle des créances ou du moins de certaines d’entre elles?
et ce ne sera guère que dans l’une de ces deux hypo
thèses que s’agitera la question de privilège. Quel inté
rêt offrirait-elle si le débiteur est en état de payer tout
le monde ?
D’ailleurs, n’est-ce pas là le résultat auquel vient
aboutir l’article 191 ? Est-ce que, en refusant le privi
lège si le navire a fait un voyage, il ne laisse pas la cré
ance subsister en son entier ; on comprend dès lors le
peu de signification de l’argument, et si l’effet est le
même dans l’un et l’autre cas, la solution ne saurait
être différente. Si le privilège su? le navire se maintient
contre le tiers acheteur tant que le navire n’a pas fait un
voyage tel que le définit l’article 194, il ne saurait être
perdu au profit de ceux qui doivent en subir l’effet.
L’article 191 ne dit pas que le voyage qui entraîne
la perte du privilège du vendeur est celui qui est fait
sous le nom et au risque de l’acheteur. Nul cependant
n’oserait soutenir que cette condition ne soit pas indis
pensable. Or, dès que cet article trouve son complément
dans l’article 193, dès que la condition exigée par ce
lui-ci à cet égard est commune à celui-là, il ne peut
pas être qu’on n’applique pas à l’une et à l’autre les
exigences que l’article 194 édicte relativement à ce que
doit être le voyage.
Nous repoussons donc le système de l’arrêt de Caen,
�DROIT MARITIME.
U8
nous ne pouvons admettre que le privilège qui serait
perdu au regard des créanciers existe encore contre
l’acheteur exposé dès lors ou à renoncer au navire, ou
à payer une seconde fois le prix qu’il aurait versé aux
mains du vendeur. Nous comprendrions parfaitement le
contraire, car la position du tiers qui, de bonne foi, et
trompé par le vendeur, a acheté et payé le navire, nous
parait plus favorable que celles des créanciers qui, ayant
suivi la foi de leur débiteur, ont volontairement couru
la cbance de son insolvabilité. Donc si pour le tiers il
n’y a de voyage libératoire que celui qui se réalise dans
les conditions voulues par l’article 194, il serait con
traire à l’équité de faire résulter la perte du privilège du
vendeur d’un voyage quelconque et de faire profiter ain
si les créanciers de l’afcheteur d’une chose qui n’a ja
mais appartenu à leur débiteur.
100. — Nous n’avons pas besoin de dire qu’à l’en
droit du vendeur , le voyage produisant l’extinction ’du
privilège est exclusivement celui qui a été réalisé après
la vente, sous le nom et aux risques de l’acheteur. Quel
ques nombreux qu’eussent été les voyages faits avant ou
depuis, aux nom et risques du vendeur, ils ne pour
raient être pris en considération.
Il n’en est pas de même à l’égard des fournisseurs et
ouvriers employés à la construction. En ce qui les con
cerne, la loi doit être interprétée dans la rigoureuse ac
ception des termes dont elle se sert. Le privilège n’existe
qu’en tant, comme le disait le Consulat de la mer, que
�le navire n’a pas été lancé à la mer, ou que, l’ayant
été, il n’a pas encore quitté le port de construction.
Cependant, si le navire n’était sorti du port de cons
truction que pour aller, dans un port voisin, achever et
compléter aon armement, le privilège aurait continué
d’exister. Ce n’est pas Fà le voyage dont se préoccupe le
législateur, qui doit être l’exploitation du navire, et non
la mise en état de voyager bientôt.
101. — En principe, le privilège des constructeurs,
ouvriers ou fournisseurs n’a jamais soulevé la moindre
contradiction. Mais il n’est jamais que l'accessoire de
l’obligation incombant au propriétaire du navire. Or,
cette obligation peut ne pas exister surtout à l’endroit
des ouvriers ou fournisseurs qui, dès lors, ne sauraient
se prétendre privilégiés sur le navire. Tel serait le cas
où les uns et les autres auraient uniquement traité avec
l’entrepreneur et n’auraient jamais connu que lui, ni
exigé d’autre garantie que la sienne.
Mais à quelles conditions admettra-t-on la réalité de
cette hypothèse? Suffira-t-il que les ouvriers et fournis
seurs aient été choisis par l’entrepreneur, et exclusive
ment commandés par lui ?
L’affirmative ne serait pas douteuse en droit com
mun. Celui qui a fourni sans Tordre du propriétaire,
domino non mandante, n’a aucune action contre lui.
A plus forte raison n’aurait-il aucun privilège sur la
chose.
Mais le droit commun a dû subir de nombreuses mo-
�150
DROIT MARITIME.
difications lorsqu’il s’est agi des matières commerciales,
toujours entourées par la loi d’une protection particu
lière. Au rang de ces matières se place la construction'
des navires qui seconde si puissamment les développe
ments de la navigation.
Or, cette construction présenté cela de particulier que
les ouvriers, que les fournisseurs sont encouragés par
l’idée que le navire qu’ils vont créer restera particuliè
rement affecté au remboursement de leurs avances et
salaires. Cette espérance, la loi devait en assurer l’effet
contre une collusion et une fraude trop faciles pour n’être pas redoutables, celle de n’attribuer que la qualité
de constructeur à celui que les ouvriers et fournisseurs
ont dû croire propriétaire du navire.
102. — Ce qui pouvait résulter de la loi, c’était l’a
bandon de la construction navale, ou tout au moins la
naissance de graves difficultés. C’est cette conviction qui
a, de tout temps, éveillé la sollicitude du législateur.
Voici, notamment, la disposition qu’elle avait fait insé
rer dans le Consulat de la mer ;
« Si un maître de hache ou calfat prend un ouvrage
à prix fait, il est tenu de payer tous ceux qui travaillent
avec lui ; c’est à quoi il doil s’engager ; et si ceux qui
sont engagés avec lui ne savent pas qu'il travaille à
l'entreprise, le patron doit le leur dire et le leur
prouver, parce que si ce maître de hache ou calfat était
un trompeur ou sans crédit, s’il n’avait pas de quoi
payer ses ouvriers, il pourrait en être la victime. Ainsi,
�si le patron ne prévient pas que son ouvrage est à l’en
treprise, et ce, lorsqu’ils commenceront à travailler, s’ils
ne sont pas payés, ils pourront s’emparer de l’ouvrage
qu’ils auront fait, et le retenir jusqu’à ce qu’ils soient
satisfaits de leur travail, ainsi que des dommages, pré
judice et coût qui leur adviendrontl. »
Ainsi le propriétaire du navire en construction devait
non seulemeut prévenir les ouvriers, mais encore leur
prouver qu’il avait traité à l’entreprise. A défaut, les
ouvriers et fournisseurs devaient être payés sur la chose
qu’ils pouvaient retenir même.
103. — L’ordonnance de 1681 ne rappelle nulle
part la prescription du Consulat de la mer. Ce silen
ce, non moins que les principes du droit commun, en
fin, la déclaration du 16 mai 1747 qui se prononce
contre les ouvriers employés par un entrepreneur ont
jeté du doute sur ce qui avait été nettement tranché par
le Consulat de la mer, et fait naître la controverse.
Yalin se prononce d’abord pour le droit commun. Il
ne reconnaît donc aux fournisseurs et ouvriers le droit
d’exercer un privilège que s’ils ont travaillé ou fourni
par ordre du propriétaire. Mais il modifie immédiate
ment cette solution par un tempérament qui, comme
l’observe Emérigon, rapproche beaucoup sa doctrine de
celle du Consulat de la mer. Il ajoute, en effet, tout
cela s’entend néanmoins si les ouvriers et fournisseurs
1 Boucher, t. 2, n° 83, p. 6 9 ,
�182
DROIT MARITIME.
ont su que l’ouvrage était en entreprise, et qu’ils n’a
vaient affaire qu’à l’entrepreneur l.
Emérigon est beaucoup plus affirmatif. Il discute la
question avec cette intelligente capacité, avec cette haute
science qui le distinguent, et arrive à la conclusion que
voici :
« Les charpentiers, calfateurs et autres ouvriers em
ployés à la construction, ensemble les créanciers pour
bois, cordages et autres choses fournies pour le bâti
ment doivent jouir du privilège à eux accordé, à moins
que, dans le principe, on ne les ait avertis en due for1me que, s’ils n’ont pas le soin de se faire payer par
l’entrepreneur, ils n’auront aucun privilège sur le na
vire2. »
104. — Notre Code de commerce a imité l’ordon
nance, en gardant le silence sur les ouvriers et fournis
seurs employés par l’entrepreneur. Que faut-il conclure
de ce silence? Ceci uniquement : qu’une fois, encore, la
loi a voulu rendre hommage à l’indépendance absolue
de la juridiction consulaire, en refusant de lui imposer
une règle formelle. Elle ne pouvait distinguer les erre
ments des précédentes législations. Au même titre qu’el
les, elle devait empêcher que les ouvrierrs, que les four
nisseurs ne devinssent victimes de la mauvaise foi et de
la fraude. Mais, pour leur découverte et leur répression,
elle s’en réfère entièrement aux tribunaux.
1 Sur l’art. '17, titre des Saisies.
2 Contrats à la Grosse, chap. xu, sect. 4.
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
133
On doit donc dire aujourd’hui, comme autrefois, que
le privilège est acquis si les ouvriers et fournisseurs ont
ignoré que la construction du navire était exécutée à
forfait et à l’entreprise. Sans doute le moyen le plus pé
remptoire d’exclure tout prétexte de ce genre, c’était
d’obliger, dès le début, d’avertir les ouvriers et fournis
seurs de la véritable position de celui avec qui ils trai
tent. Toutefois, on n’a pas cru devoir imposer formel
lement cette obligation. N’était-ce pas d’ailleurs pros
crire, par cela seul, tout autre moyen de prouver au
trement que les ouvriers et fournisseurs avaient toujours
connu la vérité, qu’ils n’avaient pu par conséquent être
trompés.
L’ignorance sur l’existence du forfait et de l’entre
prise est donc, pour les ouvriers et fournisseurs, la con
dition essentielle, indispensable du privilège sur le na
vire. L’ignorance est un fait négatif dont la preuve se
rait fort difficile, qui s’efface d’ailleurs devant la justi
fication qu’on a su et connu le fait dénié. C’est donc au
propriétaire qui conteste le privilège à fournir cette
dernière justification. Elle peut résulter de toutes les
circonstances tendantes à établir que le caractère de l’en
treprise ne pouvait être, n’a pas été méconnu ou ignoré.
Son appréciation, et par suite celle de l’ignorance allé
guée est, comme toute questiou de fait, abandonnée
souverainement aux deux degrés de juridiction l.
405. — De quelque faveur que la créance de l’ou1 Caen, 21 mars 1827.
\
�154
DROIT MARITIME.
vrier ou du fournisseur ait dû être entourée, il est évi
dent que la position peut être telle que la preuve dont
nous venons de parler serait elle-même inutile. Com
ment, en effet, admettre que l’ouvrier, que les fournis
seurs d’une de ces importantes maisons de constructions
navales pour compte de tiers, dont les ateliers sont en
permanence, les approvisionnements considérables et
sans affectation spéciale à tel ou tel navire, vint pré
tendre qu’il a compté sur une autre garantie que celle
de cette maison elle-même. Une pareille prétention, si
elle osait se produire, devrait être immédiatement, ab
solument condamnée ; elle serait contraire à l’évidence.
Mais il en serait autrement, s’il était allégué que la
maison était dans l’habitude de construire pour son
propre compte des vaisseaux qu’elle revendait à des
commerçants ; et que si, dans l’occasion, le navire pa
raît avoir été construit à forfait, ce n’est que par le ré
sultat d’une simulation dans l’objet de priver les ouvriers
et fournisseurs du privilège qui leur est dû.
De pareilles prétentions méritent examen, et la preu
ve qui devrait en être offerte pourrait être et serait pro
bablement accueillie. Il en serait de même dans l’hy
pothèse où l’on soutiendrait que, malgré que le navire
ait été construit sur les chantiers du constructeur, celuici n’avait été chargé que de la direction et de la sur
veillance des travaux exécutés pour le compte exclusif
du propriétaire.
En dernière analyse, la question du privilège des ou
vriers et fournisseurs, classé au numéro 8 de l’article
�ART.
191, 192.
155
191, ne peut sérieusement s’engager que lorsque les
faits sont tels qu’ils ont autorisé ces ouvriers et fournis
seurs à croire de bonne foi qu’ils n’étaient employés
que pour le compte du propriétaire, et qu’ils devraient,
dès lors, se considérer comme privilégiés. La constata
tion des faits et de leur caractère amènerait la recon
naissance et l’attribution du privilège.
Dans le cas contraire, et toutes les fois que les ou
vriers et fournisseurs n’ont pas été, n’ont pu être trom
pés sur leur position réelle, et qu’ils n’ont traité qu’a
vec l’entrepreneur construisant à forfait, le litige doit
être tranché par l’application de l’article 1798 du Code
civil. Le propriétaire du navire ne pourrait être action
né qu’à raison et jusqu’à concurrence des sommes qu’il
devrait encore à l’entrepreneur. Les ouvriers et fournis
seurs se substitueraient à celui-ci, même dans le privi
lège qu’il pourrait revendiquer en sa qualité L
106. — Le privilège des ouvriers et fournisseurs
pourrait être invoqué par les prêteurs des fonds em
ployés à les désintéresser, mais à la condition que ces
prêteurs auront été expressément subrogés à ce droit. A
défaut, et quelque certain que fût l’emploi des fonds,
le privilège ne pourrait être revendiqué par celui qui
les aurait fournis. A la condition, en outre, que le na
vire n’aurait pas voyagé. Dans le cas contraire, le pri
vilège se serait éteint sur la tête des ouvriers et fournisI Rouen, 31 mars 1826 ; Caen, 21 mars 1827 ; Aix, 31 mai 1827’
confirmé par la Cour fie cassation, le 30 juin 1829.
�156
DROIT MARITIME.
seurs, à plus forte raison le serait-il sur la tête des su
brogés.
107. — Le privilège du vendeur, celui des construc
teurs, ouvriers ou fournisseurs, éteints par le voyage du
navire, est immédiatement remplacé par un autre, à sa
voir, celui des créanciers pour fournitures, main-d’œu
vre, travaux pour radoub, victuailles, armement et équi
pement avant le départ.
Il existe entre cette nouvelle catégorie de créanciers
et celle qu’elle remplace, cette différence d’abord que les
vendeurs et constructeurs ne sont privilégiés que si le
navire n’a pas voyagé, tandis que les créanciers pour
radoub et victuailles, avant le départ, seront fondés à
revendiquer leur privilège, alors même que ce départ
n’aurait pas été effectué.
Supposez qu’après avoir été construit ou acheté, un
navire soit resté longtemps dans le port. On se décide
enfin à le faire voyager. Mais il faut le mettre en état,
et les sommes nécessaires pour le radoub, les victuail
les, l’armement et l’équipement sont avancées par des
tiers.
Mais si, avant la réalisation du voyage projeté, le na
vire est amiablement ou judiciairement vendu, comment
empêcher les créanciers pour radoub de recourir à la
distribution du prix? La masse des créanciers n’ont-ils
pas profité des sommes avancées par eux, et n’est-il pas
certain que sans la dépense de ces sommes et leur des
tination, le navire n’eût pas atteint le chiffre auquel il
�v
, .
a r t . 191 192
157
s’est vendu. Il y a donc de la part des créanciers pour
radoub non seulement conservation, mais encore ac
croissement du gage, et par conséquent une juste cause
au privilège qu’ils revendiqueraient.
Ajoutons que non seulement ce privilège devrait être
colloqué au huitième rang, comme celui du vendeur ou
des constructeurs, mais qu’il devrait passer avant l’un
et l’autre. Sans la mise en état due aux dernières dé
penses, le gage aurait pu périr en tout ou en partie.
Ceux qui profitent de cette dépense doivent donc en sup
porter le prélèvement.
!08, — Une seconde différence existe, et celle-ci au
préjudice des créanciers pour radoub, victuailles, équi
pement et armement avant le départ. Pour eux, en ef
fet, la concession d’un rang égal à celui du vendeur et
des constructeurs est plutôt apparente que réelle. Le pri
vilège de ceux-ci ne s’exerçant que lorsque le navire n’a
pas voyagé, il est évident que la plupart de ceux qui
précèdent n’existeront pas, et qu’au lieu du huitième
rang, ce privilège sera appelé aux quatrième, cinquiè
me, sixième, etc......
Il n’en est pas de même pour les créanciers pour
radoub, victuailles avant le départ. Le plus souvent, ce
départ se sera effectué, et les nécessités du voyage au
ront créé notamment les privilèges des numéros 6 et 7
qui, avec les précédents, peuvent absorber le prix du
navire.
Le huitième rang est donc, en général, le seul que
�DROIT MARITIME.
188
puissent espérer les fournisseurs pour radoub, victuail
les et équipement avant le départ. Sous ce rapport , ils
n’ont pas la chance de faveur dont le vendeur et les
constructeurs peuvent profiter. Nous avons dès lors rai
son de le dire, ils sont moins favorablement traités que
ces derniers. Mais nous n’avons pas à revenir sur les
motifs que le législateur a eu d’en agir ainsi, et qui ne
sont pas autres que ceux qui ont dû faire préférer les
créances indiquées aux numéros précédents.
109. — Les fournitures pour victuailles, déclarées
privilégiées par le numéro 8, comprennent non-seule
ment la provision pour le voyage, mais encore celles
consommées' par l’équipage dans le port d’armement.
Les hôteliers et cabaretiqrs qui y ont pourvu sont fon
dés à réclamer une collocation privilégiée, lorsque la
dépense était à la charge de l’armement.
Mais l’équipage n’est pas libre de se nourrir à sa vo
lonté. Il doit l’être à bord, lorsque l’armateur y a pour
vu. Le privilège ne pourrait donc être alloué qu’à la
condition que le réclamant justifierait que les fournitu
res par lui faites l’ont été d’ordre et du consentement
du capitaine ; ou que, comme on dit en termes de ma
rine, il n’y avait pas marmite à bord.
110. — La loi indique les justifications qu’elle exige
de ceux qui postulent le privilège du numéro 8.
La vente doit être constatée par l’acte intervenu à ce
sujet. Cet acte peut être dans la forme authentique ou
�159
191, 192.
sous seing-privé. Mais, dans ce dernier cas, faudrait-il
qu’il eût acquis date certaine ?
Cette circonstance ne peut être ici que d’un fort mi
nime intérêt. Les créanciers de l’acheteur seront obligés
de recourir à la vente pour établir les droits de leur dé
biteur, ils n’en contesteront donc pas la certitude. Com
ment, dès lors, déclineraient-ils l’obligation d’en payer
le prix, s’il ne l’a pas été?
Diront-ils que la date devrait être certaine pour la
question de l’admissibilité du privilège ? Mais le voyage
qui purge le privilège est, comme nous l’avons dit,
celui qui est fait sous le nom et aux risques de l’ache
teur. Il suppose donc la mutation sur le registre des
francisations. Quelle nécessité, dès lors, que la vente
soit certaine? N’est-elle pas fixée par celle de la mu
tation ?
Si la mutation sur l’acte de francisation n’a pas été
opérée, le vendeur ne saurait même élever la question
de privilège.
Pour les tiers, en effet, il n’y a d’autre propriétaire
du navire que cèlui qui est indiqué comme tel par l’acte
de francisation. Donc celui qui traite avec le capitaine
du navire contracte réellement avec ce propriétaire et
il l’a pour débiteur sans que celui-ci puisse lui opposer
une vente que ce tiers n’a ni connue ni pu connaître.
Peu importe que cette vente ait une date certaine.
Cette certitude n’a pas fait disparaître la propriété ap
parente résultant de l’indication de l’acte de francisation
et cette apparence suffit pour que les intéressés soient
ART.
�160
DROIT MARITIME.
admis à exercer contre son bénéficiaire les droits et ac
tions qu’ils peuvent avoir contre le navire.
Ainsi la cour de Rouen jugeait, le 23 janvier 1841,
que la poursuite de saisie et vente d’un navire est régu
lièrement introduite contre ceux que l’acte de francisa
tion indique comme propriétaires de ce navire ; qu’en
conséquence il ne suffit pas à celui dont le nom a été
porté à tort sur l’acte de francisation d’établir qu’il est
étranger à la propriété du bâtiment pour obtenir son
renvoi de l’action et échapper à la condamnation aux
dépens 1.
La jurisprudence commerciale n’a pas hésité à don
ner au principe le développement logique qu’il com
portait. Le tribunal de commerce de Marseille jugeait
donc, le 9 août 1864, que celui qui est désigné sur
l’acte de francisation comme copropriétaire d’un navire
est responsable, dans la proportion de son intérêt, des
dettes contractées pour ce navire ; qu’il en est ainsi
même pour celui qui a ‘cessé d’être copropriétaire si
l’acte de cession ou de vente de ses droits n’a pas été
mentionné sur l’acte de francisation2.
Le 25 novembre 1865, le tribunal de commerce de
Nantes imposait la même responsabilité à celui qui, n’é
tant que créancier nanti figurait comme propriétaire
sur l’acte de francisation 3.
Or si le vendeur, en l’absence de mutation sur l’acte
1 J. du P., 1, 1844, 422.
2 Journal de Marseille, 1864, 4,219.
3 Ibid.. 1866, 2, 149
�de francisation, est responsable des dettes contractées
pour le navire pendant le voyage qui a suivi la vente,
comment pourrait-il prétendre être payé de ce qui lui
est dû sur le prix par privilège et de préférence aux
créanciers? Il est au contraire évident qu’il ne peut ve
nir même en concours avec eux et que ce n’est qu’après
qu’ils auront été payés intégralement de leurs créances •
qu’il aura à prendre l’excédant s’il en existe. Tenu luimême de ce paiement si le prix de la revente était insuf
fisant, il ne saurait à plus forte raison s’opposer à ce
que ce prix soit d’abord consacré à l’opérer.
Dans une espèce soumise au tribunal de commerce
de Marseille on excipait de ce que la revente du navire
avait eu lieu sur la tête de l’acheteur tombé en faillite,
et le juge-commissaire avait, dans la distribution du
prix colloqué, le vendeur de préférence aux divers cré
anciers du dernier voyage.
Mais sur les contredits de ceux-ci le tribunal, persis
tant dans sa jurisprudence, réforme l’état de colloca
tion et juge, le 5 juillet 1867, que le vendeur d’un na
vire qui, après la vente, a continué d’être porté comme
propriétaire sur l’acte de francisation, continue à être
responsable, à l’égard des tiers, des dettes contractées
pour ce navire ; qu’il ne peut donc, dans le cas où son
acheteur , étant tombé en faillite , le navire est re
vendu et le prix distribué, être colloqué pour le solde
qui lui reste dû, préférablement aux créanciers pour
fournitures ou argent prêté au capitaine, les sommes
dues à ces créanciers constituant des dettes dont il sei — \\
�(
162
DROIT MARITIME.
rait lui-même tenu, sauf l’abandon du navire et du
fret L
L’article 192 se taii sur les fournitures pour cons
truction et sur les ouvriers qui y ont été employés. La
créance des uns et des autres se justifie donc par la
présentation de leur compte respectif. On ne pouvait se
préoccuper d’une simulation portant sur le fait d’une
construction, mois on pouvait présumer que la dépense
serait exagérée ; que, par une collusion dans l’intérêt
du saisi, on pourrait dissimuler des à-comptes payés.
La faculté que tous les créanciers ont de contester la
créance, d’en demander la réduction, était le seul re
mède efficace, le seul possible.
Les fournitures pour radoub, victuailles, armement
et équipement avant le départ, ne devant être payées
qu’après le retour, laissaient à la fraude le temps de
s’accomplir, et diminuaient les moyens de contrôle. On
peut, avant tout voyage, constater et apprécier les tra
vaux de construction. Comment faire l’un et l’autre pour
des fournitures consommées, pour des réparations dont
le voyage aurait fait disparaître toute trace ?
La fraude consistant à supposer ces fournitures et ces
réparations, à en exagérer les chiffres pour favoriser cer
tains créanciers au détriment des autres était donc faci
le ; c’est cette prévision qui a déterminé les précautions
prises par la loi.
Elle exige d’abcrd que les fournitures soient justifiées
1 Ibid., <867, 1, 266. lnfrà, n° 158.
\
�art. 1 9 1 , 1 9 2 .
163
par les mémoires, factures ou états visés par le capitaine
et arrêtés par l’armateur. La pensée de la fraude n’est
bien souvent inspirée que par l’issue de l’opération qui
en fait naître le besoin. En conséquence, obliger les
fournisseurs à émettre leurs prétentions dès l’origine et
avant même que l’issue de l’affaire puisse être jugée,
c’est éloigner la fraude, c’est, du moins, en diminuer
la probabilité.
Les créanciers peuvent bien dresser leurs factures,
mémoires ou états, et les présenter au capitaine et à
l’armateur, mais ils ne peuvent contraindre matérielle
ment le premier à les viser, le second à les arrêter.
Cependant, le refus de l’un ou de l’autre, celui qu’ils
feraient l’un et l’autre, ne sauraient paralyser des droits
légitimes. L’approbation obtenue de la justice équivau
drait au visa et à l’arrêté prescrits.
\ ' '' '
l i t . — La faculté d’arrêter les comptes, conférée à
l’armateur sans autre désignation, a soulevé quelques
difficultés. Bien souvent l’affréteur prend l’armement à
son compte, et on le désigne alors sous le nom d’ar
mateur. Les comptes et mémoires arrêtés par cet arma
teur confèreraient-ils le privilège accordé pour radoub,
victuailles, armement et équipement ?
En droit commun, la question ne saurait être dou
teuse. L’affréteur-armateur, quelle que soit l’étendue
de son contrat, n’est qu’un véritable locataire, il n’ac
quiert que la jouissance du navire. La propriété n’en
réside sur sa tête ni en tout ni en partie. Comment donc
�164
DROIT MARITIME.
lui reconnaître la faculté de la grever, et mieux encore
de l’aliéner.
Sur quoi s’appuyerait-on pour soutenir le contraire
en droit commercial ? Dirait-on que le radoub, que l’é
quipement, que l’armement ont réellement profité à la
chose elle-même ; qu’il est donc juste que le propriétai
re de celle-ci en tienne compte. En fait, cette objection
peut n’être pas fondée, car le profit des réparations
faites avant le départ peut avoir été absorbé par le voya
ge et n’avoir été utile qu’à l’armateur-affréteur.
De plus, le propriétaire ajoutera que c’étaient là des
dépenses d’entretien dont la charge par l’affréteur a été
prise en considération au moment du contrat. Si je me
suis contenté du prix stipulé, dira-t-il, c’est qu’indépendamment de ce prix l’affréteur avait à payer les dépen
ses que motivait l’état actuel du navire.
Dira-t-on que les fournisseurs ont pu être trompés 1
Mais cet argument ne peut même être spécieux. Ces four
nisseurs sont en position de veiller utilement à leurs in
térêts, ils doivent connaître la qualité de celui qui pro
voque leurs concours, et, cette qualité connue, ils doi
vent exiger que le propriétaire autorise et garantisse les
réparations. La négligence qu’ils ont mise à assurer leur
position ne saurait leur mériter ni l’approbation de la
loi, ni une protection spéciale et extraordinaire.
On doit donc appliquer le principe du droit commun,
suivant lequel nul ne peut affecter ni aliéner une chose
s’il n’en a la libre et entière disposition. Or, un loca
taire n’a jamais été dans cette position à l’endroit de
la chose louée.
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
165
Cependant et pour ce qui concerne ïe radoub et les
dépenses d’armement et d’équipement, les parties ont
pu décider qu’elles seront exécutées à la charge du pro
priétaire, s’engageant à livrer le navire en parfait état
de navigation. Qui devrait, dans ce cas, arrêter les mé
moires, factures et états ?
Cette question doit être résolue-par les principes du
mandat maritime, incontestablement l’affréteur serait,
quant aux réparations à faire, le mandataire du proprié
taire, il devrait être assimilé au capitaine lui-même.
L’article 332 du Code de commerce le régirait donc,
il ne pourrait, en conséquence, par l’approbation qu’il
donnerait aux comptes dans le lieu du domicile du pro
priétaire, conférer ni un privilège sur le navire, ni une
action personnelle contre ce propriétaire. C’est ce qu’a
fort juridiquement décidé le tribunal de commerce de
Marseille par jugement du 5 juillet 1825 L
112. — Après le visa du capitaine et l’approbation
du propriétaire dans le sens que nous venons d’indi
quer, formalité qui s’oppose, en faveur de ce dernier,
toute collusion entre le capitaine et les fournisseurs , la
loi s’est occupée à prévenir toute collusion entre ces four
nisseurs et le propriétaire lui-même. Elle exige le dé
pôt au greffe d’un double des factures, mémoires ou
états, avant le départ du navire ou au moins dans les
dix jours de ce départ.
i J o u rn a l
de M a rseille ,
t. 6,4, 463.
�166
DROIT MARITIME.
_ Les tiers auront dans ce dépôt une garantie contre les
variations dont la fâcheuse issue du voyage pourrait ins
pirer le besoin, dans l’intérêt soit du créancier, soit du
propriétaire. On peut même espérer que l’impossibilité
de voir réussir cette fraude empêchera toute tentative.
Toute l’utilité des précautions prises par la loi réside
donc dans ce dépôt. Il est, dès lors, inutile de faire re
marquer que son accomplissement est rigoureusement
exigé, à peine d’être déchu du privilège réservé aux
créances de ce genre.
Ainsi le consacrait le tribunal civil de Marseille, par
jugement du 27 mars 1866. Dans cette espèce des four
nisseurs de comestibles, de biscuits, d’accons, d’ouvriers
et d’ustensiles pour l’embarquement des marchandises,
demandaient dans la distribution du prix du navire,
d’être payés par privilège du montant de leur créance.
Chacun d’eux produisait une facture visée par le
capitaine et arrêtée par l’armateur, mais ils avaient
omis le dépôt prescrit par l’article 192 et les autres cré
anciers, excipant de l’inexécution de cette formalité, re
fusaient de reconnaître un caractère privilégié à la dette.
Mais le navire avait été saisi et judiciairement vendu
avant le départ. Dès lors, disaient les fournisseurs, la
forclusion qu’on nous oppose n’a pu se réaliser. En ef
fet, le dépôt peut être fait, non seulement avant le dé
part, mais encore dans les dix jours qui suivent ce dé
part. Or, le navire n’étant jamais parti, ce dernier dé
lai n’a ni couru ni pu courir contre nous.
Le vice de ce raisonnement se manifeste de lui-même.
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
167
Le délai de dix jours après le départ est un délai de fa
veur concédé en vue de la dévorante activité des affai
res commerciales, et en prévision de l’hypothèse la plus
ordinaire, la plus probable, le départ du navire. Son
objet unique a été de garantir les fournisseurs de l’im
possibilité dans laquelle ils se seraient trouvés d’effec
tuer le dépôt avant le départ, soit que ce départ suive
de trop près la fourniture, soit que l’armateur tarde
volontairement ou involontairement d’arrêter la facture,
mais il n’a pas été ni pu être dans l’intention du légis
lateur que ce délai, en cas que le navire ne parte pas,
aboutit à ce résultat de dispenser d’une formalité qui,
pour les tiers exposés à subir l’effet du privilège, est
une garantie de la sincérité et de la légitimité de la
créance.
Ainsi, à quelque époque que le navire effectue son
départ, le dépôt prescrit par l’article 192 est utilement
fait dans les dix jours qui suivent la sortie du port.
Mais si le navire ne prend pas la mer, soit qu’une sai
sie vienne l’immobiliser, soit que le voyage soit rompu,
les fournisseurs ne peuvent conserver leur privilège
qu’en remplissant la formalité à laquelle la loi en su
bordonne l’effet, ils sont en mesure de le faire dans tous
les cas, car leur intérêt leur fait un devoir de s’assurer
de ce que devient le navire, ils le sont surtout en cas de
saisie, car la publicité que reçoit celle-ci les avertit suf
fisamment et rend, par conséquent, plus urgentes en
core leurs diligences. Bien loin de se croire dispensés
du dépôt par celte saisie, ils doivent y voir un motif
plus pressant pour l’effectuer.
�168
DROIT MARITIME.
Pourraient-ils être relevés de leur négligence par le
dépôt de leurs titres opéré en exécution des prescriptions
de l’article 213 du Code de commerce ?
On remarquera d’abord que le greffe dont parle l’ar
ticle 492 est celui du tribunal de commerce, tandis que
celui indiqué par l’article 213 est inévitablement celui
du tribunal civil, puisqu’il s’agit de la distribution du
prix qui ne peut être poursuivie et réglée que par la
juridiction ordinaire. On ne peut donc admettre que le
dépôt de l’article 213 puisse remplacer ou suppléer ce
lui de l’article 192.
On le peut d’autant moins que l’objet du premier est
le classement de la créance dans la distribution et par
conséquent la justification de cette créance. Or, le prin
cipe de celle-ci est fort indépendant des effets qui peu
vent en résulter. La créance peut exister avec comme
sans le privilège. Dès lors celui qui réclame et la cré
ance et le privilège, doit de toute nécessité déposer les
titres justificatifs de l’une et de l’autre. Or, si l’existence
du privilège est subordonnée à l’exécution des prescrip
tions de l’article 192, l’absence de la preuve légale de
cette exécution est un invincible obstacle à l’admission
du privilège.
En un mot, disait avec raison le tribunal civil de
Marseille, l’article 213 fixe le moment où le privilège
doit se produire avec toutes les justifications à l’accom
plissement desquelles son exercice est subordonné. Fau
te de quelqu’une de ces justifications, à cet instant, la
déchéance se réalise, le privilège est éteint, et la créan
�ce qui s’est produite destitués des conditions auxquelles
le privilège était attaché n’est plus comprise dans la
distribution que comme obligation pure et simple.1.
113. — La cour de Caen a même jugé, le 28 fé
vrier 1844, que ce dépôt n’est pas même suppléé par
l’obtention d’un jugement portant condamnation con
tre le capitaine au paiement du montant des fourni
tures 2.
L’arrêtiste n’indique pas les faits de l’espèce sur la
quelle cet arrêt est intervenu. On ignore donc à quelle
date avait été donné contre le capitaine l’ajournement
suivi de condamnation. Cependant cette date constitue
le véritable point du litige, sa connaissance était donc
d’autant plus essentielle, qu’on doit admettre ou repous
ser la doctrine de l’arrêt, suivant que l’ajournement au
rait été donné après ou avant l’expiration du délai fixé
par l’article 192.
En effet, la fraude que la loi a voulu prévenir peut
se consommer même devant la justice. Le capitaine, le
propriétaire lui-même colludant avec les fournisseurs se
défendra mal ou même pas du tout, et les juges ne pour
ront que consacrer une créance ayant toutes les appa
rences de la sincérité.
Le jugement rendu doit être respecté, et rien n’em
pêchera son exécution entre parties ; mais ce jugement
ne lie pas les tiers. Ceux-ci, pour repousser le privilège,
1 J o u rn a l de M a rse ille , 1867, 2, 32.
�170
DROIT MARITIME.
objecteraient avec raison qu’en supposant la créance
sincère, le premier ne serait acquis que si le dépôt pres
crit avait été effectué. Or l’expiration avant l’ajourne
ment du délai imposé à ce dépôt avait entraîné la dé chéance que le jugement n’avait pu rétracter et n’avait
pas rétractée.
La doctrine de la cour de Caen est fort juridique dans
cette hypothèse. On ne pourrait même décider autre
ment qu’elle ne l’a fait. Mais en serait il de même si
l’ajournement, sur lequel la condamnation contre le ca
pitaine a été obtenue, est d’une date antérieure au dé
part du navire, ou tout au moins à l’expiration de dix
jours après ce départ ?
On comprend le dépôt au greffe lorsque les visa et
arrêté prescrits ne sont l’objet d’aucune difficulté. Ce
dépôt, dans ce cas, est facile et la loi le prescrit pour
empêcher toute variation ultérieure dans le chiffre des
prétentions des fournisseurs. La loi entend si bien ne
statuer que dans cette hypothèse, qu’elle exige que le
compte déposé soit visé par le capitaine et arrêté par
l’armateur.
Mais si l’un ou l’autre se refuse à remplir cette for
malité, le dépôt, tel qu’il est exigé par la loi, ne pourra
avoir lieu. Quelle sera donc la position des fournisseurs?
Seront-ils fatalement privés de leur privilège, qui dépen
dra ainsi de la volonté unique du capitaine ou de l’ar
mateur ?
C’est donc à la justice que les fournisseurs doivent
s’adresser, c’est à elle qu’ils doivent demander ces visa
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
171
et arrêtés qu’on leur refuse si injustement. Or, à quoi
bon le dépôt , si ce recours précède le départ du navire
ou se place dans le délai de dix jours ? Est-ce que la ci
tation ne formule pas les prétentions du demandeur, de
manière à rendre toute variation frauduleuse impossi
ble? Dès lors, le but de la loi étant rempli, la déchéan
ce du privilège serait une injustice sans motifs.
Ce n’est qu’en se méprenant sur l’objet de la forma
lité prescrite par l’article 19H, que la cour de Caen pa
raît préjuger en faveur de l’opinion que nous repous
sons.
» Le public, dit l’arrêt, ne peut aller vérifier dans le
plumitif où sont consignés les jugements s’il y a des af
fectations sur le navire, et connaître par ce moyen le
rapport de la valeur du navire avec celle des dettes dont
il est grevé ; il ne peut trouver ces renseignements que
dans les mémoires détaillés, placés dans un dépôt par
ticulièrement consacré à cet objet, et dans lesquels on
aurait annoncé.qu’ils avaient été approuvés par le tribu
nal, le capitaine n’ayant pu ou n’ayant voulu le faire. »
Prenons acte de ces dernières paroles, l’état déposé
doit mentionner l’approbation de la justice lorsque le
capitaine a refusé ou a été empêché de donner la sien
ne, mais pour que cette mention soit possible, il faut
qu’il y ait eu citation en justice suivi de jugement.
Mais si le refus du capitaine ne se manifeste qu’au
moment du départ, si son impuissance n’est due qu’à
ce départ lui-même, qu’on a pu devancer de quelques
heures ou de quelques jours, faudra-t-il que les four-
�172
DROIT MARITIME.
nisseurs perdent nécessairement leur privilège parce que
le temps ne leur a pas permis d’obtenir jugement avant
l’expiration du délai de l’article 192? Ce serait là une
monstrueuse conséquence qu’il n’a jamais été dans la
pensée de la loi d’autoriser.
La cour de Caen ne se trompe-t-elle pas d’ailleurs
lorsqu’elle explique l’exigence de la loi comme ayant
pour objet de mettre le public à même de connaître les
dettes précédemment contractées et juger ainsi de la
confiance qu’ils doivent accorder ? A notre avis, le texte
de l’article 192 repousse cette explication. Il s’agit, dans
le numéro que nous examinons, des créances pour ra
doub, victuailles ou armement avant le départ du navire,
il ne sera donc pas possible qu’on emprunte, dans cet
objet, après le départ réalisé, malgré que le dépôt des
mémoires, factures ou états soit légalement opéré dans
les dix jours de ce départ. On conviendra, en se plaçant
au point de vue de la cour de Caen que la loi a agi
d’une manière singulière, le moyen de contrôle qu’elle
aurait voulu donner arriverait précisément lorsque tout
est nécessairement consommé.
Dira-t-on que ce dépôt sera utile si non aux créan
ciers de la localité, au moins à ceux qui plus tard et
pendant le voyage seront sollicités de prêter? Mais qu’im
porte à ceux-ci que ce dépôt ait été ou non effectué.
Dans tous les cas, leur privilège prime celui pour som
mes prêtées ou fournies avant le départ. Qu’ont-ils donc
à se préoccuper de l’existence et de la quotité de cel
les-ci !
�La loi ne permet pas d’accueillir la théorie de la cour
de Caen, son seul et unique motif, en ordonnant le dé
pôt au greffe des titres, a été, dans le cas que nous exa
minons, de préciser en temps non suspect la nature et
la quotité des créances. On empêchait ainsi le chiffre
de varier au gré des besoins que le résultat fâcheux du
voyage pouvait créer. On prévenait toute collusion, toute
fraude.
Or, ce résultat est acquis par une citation en justice
donnée avant le départ ou dans les dix jours qui l’ont
suivi. La créance est dès lors déclarée, et la forme est
par elle seule exclusive de toute idée de collusion. La
déchéance du privilège n’aurait plus aucun fondement,
la raison et la justice ne permettent pas de la consacrer.
114. — Il semblerait, d’après la disposition finale
de l’article 1921, que tous les privilèges indiqués au nu
méro 8 doivent concourir au marc le franc. Mais nous
devons rappeler à cet égard l’observation déjà faite sous
le numéro 7. Le concours ne s’établit qu’entre créances
de même nature. Toutes doivent être placées au numé
ro 8. Mais des motifs sérieux s’opposeraient à ce qu’el
les fussent rangées sur une même ligne.
Comprendrait-on par exemple, dans la première hy
pothèse, un concours entre le vendeur et les construc
teurs ? Mais ce qui est dû à ces derniers est la dette pro
pre et personnelle du vendeur lui-même. La raison in
dique que le vendeur doit payer avant de l’être. Il sera
donc nécessairement rangé après les constructeurs.
�174
DROIT MARITIME.
Il est un seul cas où le vendeur pourrait concourir
avec les fournisseurs, à savoir, lorsque les sommes ré
clamées par ceux-ci proviennent d’une réparation opé
rée depuis la vente, et qu’un long séjour dans le port a
rendu nécessaire. Alors, en effet, le vendeur ne leur a
jamais rien dû. S’ils ont réparé le navire saisi et vendu
avant la réalisation du voyage qu’ils l’avaient mis en
état d’entreprendre, le vendeur a lui-même fourni le
navire. Il y a donc absence de tout motif de préféren
ce, et conséquemment nécessité de les placer sur la mê
me ligne.
Dans la seconde hypothèse, lorsque le navire a voya
gé, tout ce qui a été prêté ou fourni avant le départ
constitue une même nature de créance. Le concours au
marc le franc des fournisseurs divers devient forcé.
115. — Numéro 9. Les sommes prêtées à la grosse
sur les corps, quille, agrès et apparaux pour radoub,
victuailles, armement et équipement avant le départ du
navire.
116. — Le privilège des prêteurs à la grosse, dit
Yalin, est juste et légitime, puisque ce prêt a mis l’arma
teur à même de faire faire le voyage au navire, ou d’en
accomplir le chargement. Cette appréciation n’a jamais
rencontré la moindre contradiction.
Ce dont o,n s’est étonné, c’est que le législateur n’ait
pas assigné au privilège du prêteur à la grosse pour ra
doub, victuailles et armements avant le départ, le mê-
�A
t
t'
ART.
191, 192.
me rang qu’aux fournisseurs qui ont traité avec l’ar
mateur, le même rang qu’aux ouvriers qui ont été em
ployés, et qui sont, comme les fournisseurs, colloqués
au numéro 8. Cependant les fournitures et travaux ont
été faits avant le départ, ni plus ni moins que le prêt
à la grosse lui-même.
La raison, répond M. Delvincourt, c’est que la loi a
voulu favoriser l’ouvrier, ordinairement pauvre, don
nant son industrie, plutôt que le capitaliste qui spécule
sur ses fonds en les prêtant à la grosse. Mais cette ré
ponse est loin de résoudre la difficulté. On ne fait pas
ordinairement une législation de sentiments. L’argent
équivaut à l’industrie et a dû rencontrer partout une
égale protection. D’ailleurs, applicable aux ouvriers qui
ont fourni la main d’œuvre, la réponse de M. Delvin
court manque de justesse à l’endroit des fournisseurs.
Ceux-ci spéculent sur les marchandises comme le capi
taliste sur son argent, et sont souvent beaucoup plus
riches que celui-ci.
La vraie cause de la détermination du législateur est
donc ailleurs. S’il refuse une concurrence que Valin
conseillaitl, c’est qu’il donne au prêteur à la grosse le
moyen d’obtenir mieux que cette concurrence. Il n’a en
effet qu’à suivre l’emploi des fonds qu’il prête, et à
veiller à ce qu’ils reçoivent la destination qui leur est
assignée.
Il est évident que si les fournisseurs et les ouvriers
1 Art. 7 titre des C o n tra ts
à la g ro sse.
III
175
1 1
�176
DROIT MARITIME.
sont désintéressés au moyen de ces fonds, leur privilège
est éteint avec leur créance elle-même. Le prêteur n’a
pas même besoin d’obtenir une subrogation, elle s’opère
par la substitution du numéro 9 au numéro précédent,
puisqu’il n’existe plus de créanciers de cette catégorie.
Que si les fonds prêtés n’ont pas reçu cette destina
tion, si leur application au radoub, armement ou équi
pement n’a été qu’un prétexte pour concéder et acqué
rir le privilège du numéro 9, la concurrence serait in
juste. Les ouvriers ou fournisseurs ont certainement
consacré les sommes dont ils sont créanciers aux be
soins du navire, tandis que les sommes prêtées ont servi
à tout autre chose. Or, qu’elle est la preuve la plus dé
cisive de ce défaut d’emploi, si ce n’est l’existence des
créances contractées pour le radoub? La certitude qu’el
les n’ont pas été payées n’est-elle pas la conséquence
forcée de ce fait qu’elles sont encore dues.
Ce n’est pas au reste que la loi fasse un devoir au
prêteur de suivre l’emploi de ses fonds ; il n’a pas mê
me besoin de faire exprimer dans l’acte qu’il prête pour
radoub, victuailles ou armement. Il suffit que le prêt
soit consenti sur corps, quille, agrès et apparaux pour
que le privilège lui soit acquis. Mais ce privilège n’est
que celui du numéro 9. Les autres besoins du navire ne
devant venir qu’après son radoub, ses victuailles, son
armement, ou son équipement.
117. — Le privilège du numéro 9 a une spécialité
absolue. Nous avons vu que lorsqu’il s’agit de prêts faits
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
177
pour les besoins et pendant la durée du dernier voyage,
la forme dans laquelle ils ont été réalisés importe peu.
Le privilège est acquis aux prêteurs ordinaires, comme
à ceux qui ont prêté à la grosse. L’urgence des besoins
a fait bannir toute distinction.
Il n’en est pas de même dans notre hypothèse, le pri
vilège du numéro 9 est attaché à la chance aléatoire que
le prêteur à la grosse accepte. En conséquence, ceux
qui auraient prêté en la forme ordinaire ne pourraient
le réclamer.
Ils y seraient irrecevables, alors même que l’acte
énoncerait que les sommes fournies sont destinées à
payer les fournisseurs et ouvriers. L’offre de prouver
que cette destination a été remplie serait inadmissible.
Ainsi que nous l’avons dit, la subrogation aux droits
des fournisseurs et ouvriers, en faveur des bailleurs de
fonds, ne peut résulter que d’une convention formelle
ment consentie par ces mêmes fournisseurs et ouvriers.
Le privilège acquis au prêteur à la grosse couvre
non seulement le capital mais encore le profit maritime
et les intérêts au taux commercial depuis le jour de l’exi
gibilité de la créance jusqu’à celui du paiement effectif.
C’est ce que la Cour de cassation a formellement con
sacré par arrêt du 20 février 1844 K
Mais ce privilège n’existe qu’autant que le contrat à
la grosse a été régulièrement contracté dans les formes
voulues par la loi. A cette condition, il importe peu que
1 D. P., 44, 4, 488.
I — 12
�178
DROIT MARITIME.
les fonds aient été remis au capitaine ou aux propriétai
res ; sauf ce qui est prévu par l’article 321, le navire
serait valablement affecté.
118 .
— L’existence d’un risque est de l’essence du
contrat à la grosse. Si, après l’emprunt, le voyage en
vue duquel il a été contracté n’est pas accompli, cette
condition ne s’étant pas réalisée, le contrat se trouve par
cela même sans effets. C’est ce qui se réaliserait, par
exemple, si au moment de partir, mais avant d’être
prêt à faire voile, le navire était saisi et vendu judiciai
rement. Quels seraient, dans ce cas, les droits du prê
teur ?
Aucune difficulté, aucun doute ne saurait s’élever sur
la nécessité de son remboursement. Mais l’insolvabilité
du débiteur, manifestée par la saisie du navire, ne per
met guère de supposer que ce remboursement puisse
s’opérer autrement que sur le prix du navire. L’on s’est
alors demandé s’il pourrait être prélevé par privilège.
La négative est enseignée par M. Boulay-Paty. La
rupture du voyage, dit ce jurisconsulte, enlève le risque
qui est de l’essence du contrat de grosse. En conséquen
ce, l’absence de cette condition empêche l'acquisition
du privilège L
Nous doutons fort que cette doctrine réponde aux vues
du législateur. Le secours puissant que le prêt à la gros
se fournit à la navigation a paru un motif pour en en1 T. 1, p. 141, C o n f. d'A g eville, t. 2, p. 29.
�art. 1 9 1 , 1 9 2 .
179
courager la réalisation. Or il serait è craindre, dans le
système de M. Boulay-Paty, que le prêteur ne consentit
à verser les fonds qu’après le départ effectif du navire,
ce qui le mettrait à l’abri de toute saisie ultérieure.
Ce que nous reprochons, d’ailleurs, à cette doctrine,
c’est de confondre le profit maritime et le capital. Que
la rupture du voyage, faisant disparaître tout élément
pour le premier, empêche l’acquisition d’un privilège,
c’est là la conséquence de la perte du droit lui-même.
La rupture du voyage aura donc pour effet immédiat
de réduire l'intérêt dû au taux légal.
Mais, en quoi cette rupture pourra-t-elle influer sur
le privilège pour le principal ? Est-ce que le privilège
n’est pas acquis par la signature du contrat ? On ne
pourrait donc le faire dépendre d’un événement ulté
rieur sans arracher, au mépris de ce contrat, la garan
tie en vue de laquelle le prêteur s’est décidé à agir.
D’ailleurs, si la rupture du voyage entraînait la perle
du privilège même pour le principal, le sort du con
trat à la grosse se trouverait à l’entière discrétion de
l’emprunteur. Il saurait bien trouver un prétexte pour
la déterminer, en supposant que le projet de voyage ne
fût pas un leurre pour se procurer un crédit qu’on eût
refusé de lui faire sans l’affectation spéciale dont le na
vire devait être l’objet.
Ce serait là une fraude dangereuse autant que facile,
elle pourrait bien, ainsi que nous le disions tout à l’heu
re, faire obstacle au développement du prêt à la grosse,
�DROIT MARITIME.
180
et priver ainsi la navigation de cet énergique élément
de prospérité.
119. — C’est ce que la cour de Caen a pensé, aussi
s’est—elle empressée, dans son arrêt du 28 février 1844,
de proscrire un système pouvant amener une pareille
conséquence. Le caractère juridique de cet arrêt ressort
avec évidence de la justesse de ses motifs.
« Considérant, dit la Cour, que le contrat à la grosse
est essentiellement aléatoire ; que pour sa validité il faut
toujours qu’il y ait des risques maritimes à courir ; que
si donc le voyage est rompu avant le risque commencé,
même par le fait de l’armateur, il n’y a pas de contrat
à la grosse ; mais qu’il suit de là seulement que le prê
teur n’a point droit au profit mariiime stipulé ; qu’il
n’a droit qu’à l’intérêt ordinaire ; mais que le privilège
n’est pas le prix du risque ; qu’il est la condition sans
laquelle le prêtêur n’aurait pas consenti à prêter ; qu’il
suffit dès lors que le prêt ait eu lieu et que les parties
aient eu l’intention de faire un contrat à la grosse avec
tous les effets que ce contrat produit, pour que le privi
lège doive exister ; que, sans cela, il n’y aurait vérita
blement pas de prêt à la grosse possible K »
Ainsi, dans aucun cas, le prêteur ne pourra, sous
prétexte qu’il est étranger à la rupture ou que cette rup
ture est le fait unique et spontané de l’armateur, pré
tendre s’attribuer le profit qu’il eût pu acquérir si le
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
181
voyage s’était réalisé, mais on ne pourra lui contester
le privilège pour le remboursement de son capital et de
l’intérêt au taux légal et ordinaire 1.
Dans son jugement du 27 avril 18662, le tribunal
civil de Marseille s’est prononcé en sens contraire et a
consacré l’extinction du privilège. Les faits particuliers
du procès pouvaient légitimer cette solution. Dans l’es
pèce, en effet, les prêteurs à la grosse avaient, quinze
jours après le contrat et sans que le navire eût pris la
mer, poursuivi le paiement du billet, obtenu jugement,
et, en vertu de ce jugement, fait saisir et vendre le na
vire. L’un d’eux avait fait prononcer la résiliation du
contrat qu’il avait même omis de faire enregistrer au
greffe du tribunal de commerce dans les dix jours de sa
date, comme le prescrit l’article 192 § 7, sous peine de
la perte du privilège.
On pourrait donc facilement présumer et admettre
que le voyage du navire n’avait jamais été dans les pré
visions des parties ; qu’il ne s’était agi que d’un prêt
ordinaire qui n’avait été qualifié de prêt à la grosse que
pour créer un privilège au préjudice des autres créan
ciers. Le refus de ce privilège n’était dès lors que la lé
gitime et juste conséquence de la fraude tentée contre
les tiers.
On ne saurait conclure de cette hypothèse à celle où,
s’agissant réellement d’un prêt à la grosse, le défaut de
départ du navire est le fait unique de l’armateur ou
»
1 V. in fra , art. 320.
2 Supp., n» 412
�182
DROIT MARITIME.
d’un de ses créanciers qui fait saisir et vendre le navire.
Dans ce cas, en effet, il n’y a aucun reproche à adres
ser au prêteur ni à se méprendre sur ses intentions, il
n’a donné son argent qu’en vue du privilège qui lui a
été concédé et acquis au moment du contrat, et qui ga
rantissait son remboursement. Comprendrait-on que le
fait du débiteur ou que celui d’un tiers pût lui arracher
cette garantie qui était la condition sine qua non de son
engagement?
Sans doute il a pu prévoir que le navire pourrait ne
pas partir. Mais qu’a-t-il cru et dû croire dans cette
hypothèse ? qu’il ne pourrait exiger le profit maritime,
car c’est à cela que la loi borne l’effet du défaut de
risque. Mais aller au-delà et l’exposer par le refus du
privilège à perdre tout ou partie du capital serait ajou
ter à la loi, violer le contrat et lui en substituer un au
quel il n’a ni consenti ni voulu consentir.
Admettre qu’il pût en être ainsi ce serait porter à la
navigation le coup le plus funeste et, comme le dit avec
raison la cour de Caen, rendre le prêt à la grosse im
possible. Où trouver en effet un prêteur, si, après avoir
donné l’argent, fait assurer le prêt à la grosse, la rup
ture du voyage fût-elle le résultat du caprice de l’arma
teur, entraîne non seulement la perte du profit mariti
me, le bénéfice de l’assurance, mais encore compromet
plus ou moins le capital ?
L’intérêt public lui-même proteste contre la doctrine
q u i, suspendant ainsi une épée de Damoclès sur la
tête du prêteur à la grosse , aurait pour conséquence
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
183
de tarir la ressource la plus utile, la plus indispensable
à la navigation.
Mais, objecte le jugement, aux termes de l’article 193
les privilèges maritimes s’éteignent par les moyens gé
néraux d’extinction des obligations. Or, au nombre de
ces moyens, l’article 12134 du Code civil comprend les
nullités du contrat et l’effet de la condition résolutoire.
Certes nul ne contestera que le privilège ne peut sur
vivre à la créance et que la nullité ou l’événement de la
condition résolutoire qui enlève à celle-ci tout lien de
droit, anéantit de plein droit tous ses accessoires.
Mais la rupture du voyage n’entraîne pas la nullité
de la créance, elle n’atteint que la quotité de l’intérêt
qui avait été stipulé et qu’elle réduit au taux légal. La
créance continue donc d’exister et dès lors il ne peut
pas être que l’armateur, que des tiers, que la justice
elle-même viennent après coup en changer les condi
tions et en modifient le mode d’exécution légalement
convenu.
Il y a même mieux, si le prêteur à la grosse ne pou
vait, dans notre hypothèse, prétendre au privilège du
numéro 9 de l’article 191, on ne saurait lui contester
celui du numéro 8. En effet, il n’aura prêté que pour
le radoub, pour les victuailles, l’armement ou l’équipe
ment du navire avant le départ, il se trouverait donc
dans la catégorie de ceux auxquels ce numéro 8 accor
de expressément un privilège.
120. — Mais cette règle comporte une exception.,
�184
DROIT MARITIME.
Si, après la rupture du voyage, les contractants ayant
pris de nouveaux accords avaient innové à la dette. Cette
novation, l’arrêt de la cour de Caen la fait justement ré
sulter de cette circonstance que, postérieurement à la
rupture, le prêt à la grosse avait été converti en un prêt
ordinaire. Le prêteur ne pourrait se plaindre de la perte
du privilège, toutes les fois qu’il y aurait expressément
ou tacitement renoncé.
121 . — Nous verrons plus tard qu’en matière de
prêt à la grosse, le risque peut commencer avant même
le départ du navire. Les parties peuvent en effet en fixer
l’ouverture soit au jour du prêt, soit à celui où le char
gement sera effectué. Dans tous les cas, la rupture du
voyage après l’époque déterminée ne saurait rétroagir.
Le profit maritime serait acquis au prêteur au prorata
du temps écoulé depuis l’ouverture du risque jusqu’à la
rupture du voyage. Ce prorata de profit serait protégé
par le privilège.
122 . — On s’est demandé si le privilège dont nous
nous occupons existe en faveur du créancier qui proroge
le prêt à la grosse, c’est-à-dire qui, le voyage pour lequel
il avait prêté terminé, au lieu d’exiger ce qui lui est dû
en capital et profit, le laisse entre les mains du capitai
ne pour un second voyage.
Aucun doute ne saurait exister si cette prorogation
prenait la forme d’un nouveau prêt, par exemple, si les
parties, réglant et quittançant le prêt primitif, en con-
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
185
tractaient un second. Quelques simulées que fussent la
réception des deniers et leur numération nouvelle, le
contrat ferait foi et produirait tous ses effets ordinaires.
Que si les parties, au lieu de cette simulation, se sont
contentées de renouveler ou de proroger le prêt primitif,
le privilège existera , mais il sera primé par les créan
ciers de sommes réellement prêtées pour le voyage. Cette
décision est expressément commandée par l’article 3213,
renouvelé de l’article 10 de l’ordonnance, titre des con
trats à la grosse.
Emérigon, écrivant sous l’empire de celle-ci, a pu
soutenir que le privilège pour le renouvellement ne pou
vait être opposé au propriétaire. Les motifs qu’il invo
que étaient les suivants :
« Le Guidon de la mer, chapitre 19, article 2, parle
du renouage, c’est-à-dire des cédules d'argent à profit,
continuées de voyage en voyage. Telles novations, ditil, n’obtiennent le privilège d’être portées par spéciale
hypothèque sur les deniers du voyage, ains sont décla
rées puisnèes de toutes. Si le marchand prend tout le
profit de chaque navigation et laisse son principal ezmains du maître pour les voyages espérés à faire, cela
sera bon, non au préjudice des bourgeois et victuailleurs, ni aussi de tous ceux qui baillent actuellement
leurs deniers à profit.
» L’article 10, titre des contrats à la grosse, dit éga
lement que les deniers laissés par renouvellement ou
continuation n’entreront point en concurrence avec les
deniers actuellement fournis pour le même voyage.
�DROIT MARITIME.
186
» Pour la manière dont cet article 10 est conçu et
pour la relation qu’il a avec le Guidon de la mer, je
crois que le créancier des deniers laissés en renouvelle
ment doit avoir un privilège qui soit déclaré le puisné
de tous, et qui ne nuise en rien aux bourgeois ou pro
priétaires du navire, à moins qu’ils n’eussent ratifié le
renouvellement fait par leur capitaine l. »
Mais le silence de l’article 10, rapproché du principe
de la responsabilité, écrit dans l’article 2 du titre des
propriétaires, ne devait-il pas conduire à la conclusion
contraire ? Cette responsabilité des faits du maître ou
capitaine ne peut cesser que devant une exception for
mellement écrite dans la loi. Cette exception, le Guidon
de la mer l’exprimait, mais comment l’admettre lors
que l’ordonnance ne l’avait pas renouvelée. Le silence
était ici l’exclusion.
Quoi qu’il en soit, la juste autorité qui accompagne
le nom d’Emérigon a entraîné M. Boulay-Paty, qui s’est
rallié à sa doctrine et qui en admet les conséquences
sous l’empire du Code. Mais cette doctrine, observe très
judicieusement M. Dalloz, est inconciliable avec les ar
ticles 216 et 232 du Code de commerce.
La responsabilité des faits du capitaine est aujourd’hui
une règle générale et absolue. Le droit de celui-ci d’ad
ministrer, de grever le navire, ne cède que dans une
seule circonstance, à savoir, lorsqu’il se trouve dans le
lieu de la demeure du propriétaire. En principe donc,
i
Contrats à la grosso, chap. xu , sect. iv.
�ART.
191, 192 .
187
la loi limitant la nécessité de l’autorisation ou de la ra
tification à un cas déterminé, l’exclut par cela même
dans tous les autres. Il est dès lors impossible de suivre
les errements du Guidon de la mer, qui disposait dans
un sens diamétralement contraire.
Sans doute nous dirons avec M. Boulay-Paty, il est
fâcheux que les prêts s’accumulent et que le propriétai
re soit obligé de les payer plus tard en masse. Mais à
qui la faute, si ce n’est au propriétaire lui-même ? Il
n’a qu’à exiger, à l’expiration de chaque voyage, un
compte fidèle de son mandataire, et, s’il y a suffisance,
à le contraindre au remboursement des emprunts, à l’o
pérer lui-même au besoin. Pourquoi la loi protégeraitelle, au détriment des tiers, ceux qui refusent ou négli
gent de se protéger enx-mêmes ?
Supposera-t-on que le capitaine a agi de mauvaise
foi, qu’il a trompé le propriétaire, ce sera un déplorable
malheur, mais il est beaucoup plus naturel, beaucoup
plus juste d’en laisser les conséquences à la charge de
celui qui a eu au moins le tort de mal placer sa con
fiance plutôt que d’en rendre victime les tiers, qui n’ont
rien à se reprocher.
En résumé donc, en supposant que la doctrine d’Emérigon dut être consacrée sous l’ordonnance de 1681,
on ne le pourrait plus depuis la promulgation du Code.
Le renouvellement du billet de grosse par le capitaine
affecterait régulièrement le navire et serait obligatoire
pour le propriétaire dans le cas prévu par l’article 232.
Mais le renouvellement ne produit cet effet qu’en tant
�188
DROIT MARITIME.
qu’il porte sur la somme même pour laquelle le billet
de grosse avait été originairement consenti. Ce billet
lui même ne pourrait s’appliquer qu’à ces sommes.
Dans l’hypothèse d’un paiement, l’effet du contrat a
cessé de pouvoir se produire. On ne saurait le faire re
vivre sous prétexte d’une autre créance due au porteur.
Ainsi, celui qui ayant prêté à la grosse pour radoub,
victuailles, armement ou équipement, aurait été rem
boursé de ses avances, aurait perdu par cela seul tout
droit au privilège du numéro 9. Il importerait peu
qu’il fût resté nanti du billet de grosse. La prétention
de l’appliquer à d’autres sommes dont il est créancier
serait irrecevable.
Plus vainement encore aurait-il obtenu pour celles-ci
un billet de grosse postérieurement au remboursement
de ses premières avances. La masse des créanciers serait
recevable et fondée à lui refuser le privilège qu’il récla
merait.
La cour d’Aix le décidait ainsi, par arrêt du 18 jan
vier 1833. Sur le pourvoi dont il fut l’objet, cet arrêt
fut confirmé par la Cour de cassation, le 4 mars 1835.
123. — Le prêteur à la grosse réclamant sa collo
cation par privilège doit justifier d’un titre régulier dont
l’expédition ou le double aura été déposé au greffe du
tribunal de commerce,
Dans cette circonstance, le dépôt a pour but d’éclai
rer le public sur la solvabilité de l’emprunteur ; aussi
est-il exigé non plus dans les dix jours du départ du
navire, mais dans les dix jours de la date du titre.
�art. 1 9 1 , 1 9 2 .
189
L’inexécution de cette prescription, comme l’irrégu
larité du titre, ferait perdre le privilège du numéro 9.
Le créancier serait réduit à une action personnelle con
tre son débiteur et ne pourrait participer à la distribu
tion du prix du navire qu’au marc le franc avec les cré
anciers ordinaires,
124. — Numéro 10. Le montant des primes d’as
surance faites sur les corps, quille, agrès, apparaux et
sur armement et équipement du navire dues pour le
dernier voyage.
125. — Le privilège des assureurs ne se trouvait
pas inscrit dans l’ordonnance de 1681. Cependant il
avait été consacré par la pratique attestée par Emérigon
et Valin.
Mais le silence de la législation avait jeté de l’incer
titude sur le rang que ce privilège devait obtenir. Ainsi
Valin enseignait que les assureurs devaient être collo
qués concurremment et sans préférence des uns sur les
autres avec ceux qui avaient prêté à la grosse soit avant
le départ, soit pendant le voyage
Les auteurs du Code ne l’ont pas pensé ainsi. Les
prêteurs à la grosse pendant le voyage ont obtenu le
septième rang ; ceux qui ont traité avant le départ ne
viennent qu’au neuvième, mais les uns et les autres sont
préférés aux assureurs, qui ne peuvent réclamer que
le dixième.
126. — On a beaucoup blâmé cette préférence, on
�190
DROIT MARITIME.
a surtout reproché à l’article 191 de to mber dans une
contradiction évidente avec l’article 331, établissant le
concours entre les assureurs et prêteurs en cas de sinis
tre suivi de sauvetage. Mais le blâme est immérité , le
reproche est injuste. C’est ce dont il est facile de se
convaincre.
La préférence accordée aux prêteurs est équitable,
conforme d’ailleurs au principe fondamental des privi
lèges dans la matière qui nous occupe. La base adoptée
a été celle de l’unité à l’endroit de la masse. Ceux qui
ont réellement amélioré la position de tous doivent né
cessairement primer ceux qu’ils ont ainsi favorisés.
Or, les prêteurs à la grosse, avant le départ, ont mis
le navire à même de réaliser le voyage, et fourni ainsi
l’aliment de l’assurance, procuré le moyen d’acquérir la
prime. Ceux qui ont prêté pendant le voyage ont em
pêché un sinistre qui pouvait amener l’abandon et for
cer les assureurs à payer le montant de l’assurance.
Les uns et les autres ont donc contribué à procurer aux
assureurs le gain légitime que la prime représente. La
loi ne pouvait donc, sans inconséquence, s’écarter du
point de vue qui l’avait dirigée dans la matière des pri
vilèges. Ce qui était juste pour les uns ne pouvait pas
cesser de l’être pour les autres.
Le reproche de contradiction avec l’article 331 n’est
pas mieux fondé. L’article 191 se place dans l’hypothèse
d’un voyage heureusement accompli, rendant exigible
la prime d’assurance.
Nous avouons que l’argument tiré de ce que les as-
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
191
sureurs agiraient ici de lucro captando, tandis qu’il
. s’agit pour les prêteurs de damno vilando , nous tou
che peu. Indépendamment de leur capital, ces derniers
réclament et doivent obtenir le profit maritime qui cons
titue également un bénéfice. Mais nous dirons que la
cause légitime de la préférence qui leur est accordée est
celle qne nous indiquions tout à l’heure. Les prêteurs
ont conservé le gage commun, et cela suffit pour qu’ils
en profilent avant ceux dont ils ont amélioré la con
dition.
L’article 331 prévoit une hypothèse bien différente.
Le navire est perdu, il ne peut plus s’agir ni de prime
ni de profit maritime. Si les prêteurs perdent leur capi
tal, les assureurs doivent payer le montant de l’assu
rance. Où serait le motif de préférer les uns aux autres?
Loin de s’applaudir de ce que les prêts à la grosse ont
facilité le voyage, les assureurs pourraient s’en plain
dre, car si le voyage eût manqué, le navire n’aurait pas
fait naufrage.
Il n’y avait donc ici qu’une seule considération qu’on
pût raisonnablement suivre. Dans une catastrophe com
mune, l’égalité relative entre les diverses victimes est un
devoir. C’est ce qui a déterminé et dû déterminer la dis
position de l’article 331.
La différence dans la solution, loin d’être une con
tradiction, n’est donc que la conséquence logique de
celle qui existe dans les deux hypothèses. Nous avons
dès lors raison de le dire, le reproche est immérité.
�192
DROIT MARITIME.
127. — On serait tenté d’en adresser un autre h
l’article 191, celui d’avoir relégué au dixième rang le
privilège des assureurs qui conserve le prix, à défaut de
la chose. Mais, en fait, cette conservation n’offre aucun
avantage à la masse privilégiée, nous verrons en effet
sur l’article suivant que les privilèges, quels qu’ils soient,
sont éteints par la perte de la chose et n’affectent jamais
le montant de l’assurance. Cette masse ne pouvait dès
lors être grevée d’un droit qui ne lui profitera dans au
cun cas.
L’utilité de l’assurance est exclusivement acquise à la
masse chirographaire, à laquelle le montant de l’assu
rance sera distribué. Le privilège contre elle était la juste
conséquence de la conservation du gage ou de la va
leur. C’est ce privilège que l’article 191 consacre et
qu’il laisse intact en le plaçant au dixième rang.
128. — Dans tous les cas, ce privilège n’est acquis
que pour la prime due pour le dernier voyage, ces ter
mes ne sont susceptibles d’aucune difficulté , lorsqu’il
s’agit d’une assurance pour voyage d’un port déterminé
dans un autre, ou pour aller dans l’un et revenir dans
l’autre. L’assurance n’étant acquise qu’après la fin du
voyage, la prime n’est réellement due que par l’arrivée
du navire dans le port de deslination. L’aller et le re
tour ne constituent qu’un seul vovage, et ce voyage est
le dernier dont parle l’article 191.
Mais l’assurance peut être faite à temps, par exem pie, pour six mois, un an, deux ans. La prime dans ce
�art. 1 9 1 , 1 9 2 .
193
cas, est elle privilégiée pour tous les voyages entrepris
pendant la durée de l’assurance ? Ne l’est—elle que pour
le dernier ?
La cour de Rouen s’est prononcée dans le premier
sens. « Attendu que si l’assurance est faite pour un
temps limité, elle comprend nécessairement tous les
voyages qui peuvent se faire dans l’espace déterminé
par la police ; que, dans ce dernier cas, la prime se
trouvant faite en masse, elle devient indivisible ; d’où il
suit que les voyages prennent le même caractère d’in
divisibilité que la prime, et doivent être considérés, au
respect des contractants, comme un seul et même voya
ge, auquel s’applique l’article 191 du Code de com
merce 1. »
Cet arrêt fait une interprétation exacte du texte et de
l’esprit de l’article 191. La restriction du privilège à la
prime pour le dernier voyage n’a pas évidemment d’au
tre objet que celui d’empêcher la cumulation des pri
mes. Il faut que l’exigibilité de chacune d’elles se réa
lisant, l’assureur en poursuive le remboursement. Or,
tant que le délai de l’assurance n’est pas expiré, tant
que l’incertitude sur le résultat du voyage n’est pas dis
sipée, il n’y a pas d’exigibilité proprement dite, puisque
le sinistre se réalisant, les assureurs auraient à payer et
non à recevoir. C’est ce qui a lieu dans une assurance
à temps.
Il est vrai que la prime peut être exigée et payée au
1 7 juillet 1828 ; môme Cour, 26 mai 1840, J. du P., 2, 1840, 208.
i — 13
�194
DROIT MARITIME,
moment de la police. Mais, dans ce cas, il ne saurait
être question de privilège. Cette hypothèse n’enlève donc
rien à la justesse de la solution de la cour de Rouen.
129. — La question de privilège ne saurait naître à
l’endroit des assureurs dans le cas de sinistre. La pri
me leur est de droit acquise, et ils la retiendront par
compensation avec les sommes qu’ils auront à payer.
Mais, précisément à cause de la faculté d’exiger d’a
vance le paiement de la prime, on a dû se demander si
celui qui aurait opéré ce paiement à la décharge de l’as
suré serait fondé à s’en faire rembourser par privilège
sur le montant de l’assurance.
La cour de Bordeaux a jugé l’affirmative par arrêt du
28 janvier 1839 *. Mais cette solution se fonde unique
ment sur le principe qu'en cas de perte du navire les
privilèges sont transportés sur le montant de l’assuran
ce. Nous démontrerons tout à l’heure que ce principe
est inadmissible. Si cette inadmissibilité est reconnue,
les conséquences du principe tomberaient avec le prin
cipe lui-même, et la solution de la cour de Bordeaux
n’aurait plus de base juridique.
En effet, celui qui a payé un créancier, eût-il été for
mellement subrogé à ses droits, ne peut jamais les exer
cer que dans la limite imposée au subrogeant lui-mê
me. La perte du navire entraînant l’extinction des pri
vilèges, l’assureur n’en pourrait exercer aucun. Comment
son subrogé aurait-il une autre condition ?
l D. P., 39, 2. U S .
�Il est vrai que l’assureur, même en cas de sinistre,
sera intégralement payé de la prime. Mais cet effet n’est
plus le résultat d’un privilège quelconque. Il ne se pro
duit que parce que créancier et débiteur de sommes
également certaines et exigibles, sa dette se trouve de
plein droit éteinte jusqu’à concurrence du montant de
sa créance. Or l’exception de compensation purement
personnelle n’est jamais comprise dans une subroga
tion, quelque étendue qu’on la suppose.
Dès lors, celui qui aura payé la prime à la décharge
de l’assuré pourra, s’il a été subrogé aux droits des as
sureurs, s’en faire rembourser avec privilège, s’il y a
lieu, c’est-à-dire si le voyage fini et le navire heureu
sement revenu, sa vente soit volontaire, soit forcée don
ne lieu à une distribution. Dans l’hypothèse contraire,
si le navire a péri, les privilèges sont éteints. Ils ont
fait place à des créances ordinaires, concourant au marc
le franc sur le montant de l’assurance.
150. - L’assureur, réclamant la prime pour la
quelle il a privilège, doit justifier son droit pour la re
présentation de la police d’assurance, ou à défaut par
un extrait des livres des courtiers. L’entremise du cour
tier donne de l’authenticité à la police. Aussi la loi con
sidère-t-elle comme certaine la date indiquée soit dans
l’acte, soit dans l’extrait des livres.
Mais la police peut avoir été rédigée par les parties
elles-mêmes, sans le concours de notaire ou de cour
tiers ; on pourrait, dans ce cas, vouloir reprocher à
�196
DROIT MARITIME.
l’acte un défaut de certitude dans la date que rien ne
garantit. La doctrine a admis que la transcription de
la police sur le registre que les assureurs tiennent, et
sur lesquels les diverses polices sont inscrites jour par
jour, suffirait pour établir cette certitude, il en serait de
même du billet de prime dont l’assureur n’aurait pas été
payé.
151. — La quittance donnée par l’assureur, soit sur
la police, soit de toute autre manière, anéantirait le pri
vilège, alors même qu’il prouverait par écrit ayant date
certaine qu’il n’a pas été réellement remboursé. Les
contre-lettres ne sont pas opposables aux tiers. Or la
question du privilège ne sera jamais agitée que contre
eux. Les créanciers pourraient donc s’opposer avec suc
cès à la demande de l’assureur, alors même qu’ils re
connaîtraient l’absence de paiement réel. Il y a eu, di
raient-ils, novation, et tous les droits attachés à l’an
cienne créance se sont éteints par la substitution d’une
nouvelle.
Cependant cette doctrine ne reçoit d’application que
lorsque la quittance est pure et simple. Si elle énonçait,
par exemple, que le paiement a été fait en billets ou par
un transport de valeurs, la quittance ne serait que
conditionnelle. La preuve que ces billets ou valeurs
n’ont pas été payés en ferait disparaître l’effet, et re
placerait l’assureur dans la position oit il était avant la
quittance l.
i Lyon, 29 décembre >1830.
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
197
Cette solution suppose que la relation entre les effets
impayés et la quittance de la prime est parfaitement ac
quise. Si cette relation n’était pas établie, ne résultait
pas des effets eux-mêmes , comment se convaincre que
les effets produits n’ont pas une cause autre que la
prime.
L’assureur doit donc, pour éviter une difficulté dont
le résultat pourrait être la perte de son privilège, en
même temps qu’il déclare recevoir son paiement en ef
fets, veiller à ce qu’ils soient causés valeur pour solde
de la police d’assurance du...
Celte indication peut elle-même n’être que le résultat
d’une collusion pour assurer le privilège à une créance
ordinaire, il est facile de refaire un billet, d’ajouter ou
de remplir un endossement d’abord laissé en blanc.
Mais c’était là un de ces inconvénients qu’il est beau
coup plus facile de prévoir que de prévenir. La loi ne
pouvait donc que s’en référer à l’intérêt de ceux qui
auront à souffrir de cette fraude, ils sont recevables à
l’alléguer, à en prouver l’existence. Cette preuve amè
nerait forcément le rejet de la prétention de l’assureur.
152. — Numéro 11. Les dommages-intérêts dus
aux affréteurs pour le défaut de délivrance des mar
chandises qu’ils ont chargées, ou pour remboursement
des avaries souffertes par lesdites marchandises par la
faute du capitaine ou de l’équipage.
135. — Le privilège des chargeurs ou affréteurs a
�DROIT MARITIME.
198
subi de nombreuses variations. Placé, par le Consulat
de la mer, aù deuxième rang, immédiatement après
celui des gens de mer, il fut relégué, par l’ordonnance
ne 1681, au quatrième, c’est-à-dire au dernier, puis
que cette ordonnance ne consacrait que quatre privilè
ges. Du moins, était-il en cet état préféré à celui des as
sureurs, car, ainsi que nous l’avons déjà observé, con
trairement à l’opinion de Valin, réclamant pour celui-ci
le concours avec les préteurs, et, conformément à l’opi
nion d’Emérigon, le privilège des assureurs n’obtenait
que le cinquième rang.
Le Code de commerce a interverti cet ordre, il place
le privilège des affréteurs après celui des assureurs. De
plus, il le restreint aux dommages-intérêts pour défaut
de délivrance de la marchandise chargée, ou pour ava
ries provenant de la faute du capitaine ou de l’équipage.
134. — Or, comme ces deux hypothèses se réalise
ront fort rarement, on peut dire que le privilège de l’af
fréteur est plutôt nominal que réel, cette circonstance a
fait mettre en question le caractère de l’article 191. On
s’est demandé si sa teneur excluait le privilège pour les
autres droits que l’affréteur aurait à prétendre.
La raison de douter, dit M. Dalloz, naît des termes
généraux de l’article 280, portant que les navires,
agrès et apparaux, le fret et les marchandises chargées
sont respectivement affectées à l’exécution des conven
tions des parties, d’où l’on pourrait conclure que le prige de l’affréteur existe pour tous les dommages-inté-
�ART. 1 9 1 , 1 9 2 .
199
rêts qui peuvent lui être dus par suite de l’inexécution
du contrai d’affrètement K
Cette conclusion serait-elle juridique ? Ne donne-telle pas à l’article 280 une étendue qu’il ne comporte
pas ? Cette disposition n’a été que la consécration de
cette vieille maxime : Le batel est obligé à la marchan
dise, et la marchandise au batel. Mais, pour que cette
réciprocité puisse s’exercer, il faut de toute nécessité
que la convention ait reçu son exécution.
Supposez, en effet, que l’affréteur n’a pas opéré le
chargement auquel il s’était engagé, l’armateur ou le
capitaine obtiendra des dommages-intérêts à raison de
cette inexécution. Cette condamnation donnera-t-elle
un privilège sur ce qui devait faire l’objet du charge
ment? Non, évidemment. L’affectation de l’article 280
se réduit aux marchandises chargées. Celles qui ne l’ont
pas été ne répondent donc des obligations de leur pro
priétaire qu’au même titre que le reste de son actif.
Pourquoi en serait-il autrement pour l’affréteur, dont
on n’a pu, ou dont on n’a pas voulu charger les mar
chandises qu’on s’était engagé à embarquer ? Quel mo
tif de donner à cette inexécution un effet plus étendu
qu’à celle qui proviendrait de son fait ? On ne pourrait
plus cependant exciper de la réciprocité, car elle n’exis
terait pas. Dès lors, si cette réciprocité est la base uni
que de l’affectation, si le droit de l’affréteur n’est que
le corollaire de celui de l’armateur, celui-ci dira avec
1 N ou veau D ic tio n n a ir e , v. D r o it m a ritim e , n° 273
�200
DROIT MARITIME.
raison : Mon navire ne peut être affecté qu’au même
titre que votre marchandise, et puisque l’inexécution ne
me confère aucun privilège sur celle-ci, vous ne pouvez
en prétendre aucun sur celui-là.
Il y a d’ailleurs, entre l’article 280 et l’article 191,
cette différence essentielle que le premier ne dispose
qu’au respect des parties contractantes, tandis que le
second règle le droit des tiers. C’est donc à celui-ci qu’il
faudra exclusivement se référer, lorsque le privilège sera
revendiqué. Le privilège, en effet, intéresse surtout les
tiers qui ne devront le subir qu’en tant qu’ils le trou
veraient inscrit dans la loi. Ils seront donc fondés à re
pousser celui de l’affréteur, s’il se trouve en dehors des
conditions de l’article 191.
Cet article est essentiellement restrictif, si l’on s’en
réfère aux principes généraux du droit. Les privilèges
sont des exceptions qui ne peuvent être reconnues que
si elles résultent d’une disposition formelle. En cette
matière, il n’est pas même permis de raisonner par ana
logie. Il suffit donc que l’article 191 ait tracé les cas
dans lesquels l’affréteur sera privilégié, pour que l’ex
clusion soit de plein droit accueillie dans tous les au
tres cas.
Ajoutons que cette conséquence , qui se déduit du
texte, ressort plus évidente encore de l’esprit de la loi.
Ce qui fixe cet esprit, c’est la pratique même en pré
sence de laquelle se trouvait le législateur au moment
où il arrêtait ses dispositions.
L’ordonnance de 1681 accordait un privilège aux
�marchands chargeurs sans condition, sans restriction
aucune. D’autre part, elle consacrait que le navire, ses
agrès et apparaux, le fret et les marchandises chargées
seront respectivement affectés aux conventions des par
ties 1. Le rapprochement de ces deux dispositions sem
blait donner au privilège du chargeur un caractère de
généralité absolue.
Il n’en était pas ainsi cependant, et la doctrine, ap
pelée à examiner la question, n’avait pas hésité à ré
duire ce privilège aux proportions depuis consacrées
par notre article 191. Ainsi, on ne l’admettait que si
les marchandises chargées pour le compte des affréteurs
ne leur avaient pas été remises, l’armateur ou le capi
taine les ayant retenues en tout ou en partie ; ou que
si les marchandises leur ayant été délivrées, elles s’é
taient trouvées avariées par le fait du maître ou des
gens de l’équipage, dont le propriétaire du navire est
responsable.
Valin ajoutait : Hors ces deux cas, il n’y a pas de
privilège à prétendre de la part des marchands char
geurs ; car, s’il ne s’agit que des dommages-intérêts
prétendus par un affréteur qui, à l’occasion de la saisie
du navire ou autrement, aura été obligé de retirer du
navire les marchandises qui y avaient été chargées, ou
qui aura été empêché d’y faire son chargement, il est
évident qu’à cet égard sa créance est simple et ordinai
re, sans aucune sorte de privilège, du moins, je crois
1 V. art. 16, tit. de
la S a isie,
et art. 11, tit, des
C h arles p a r tie s.
�DROIT MARITIME.
202
que c’est ainsi qu’on doit limiter la disposition de l’ar
ticle xi du titre des Chartes parties *.
La preuve que les auteurs du Code ont partagé la
croyance de Valin, c’est qu’ils ont consacré législative
ment sa doctrine, en limitant, dans l’article 191, le
privilège de l’affréteur aux deux seuls cas qu’il indi
quait. Ce serait donc se méprendre étrangement que de
contester le caractère restrictif de l’article 191. Les li
mites tracées au privilège de l’affréteur n’auront-elles
d’autres effets que d’autoriser aujourd’hui ce qui n’était
pas reçu sous l’empire de l’ordonnance, accordant le
privilège sans restriction ni condition ?
Concluons donc que le privilège de l’affréteur n’existe
que dans les hypothèses prévues par l’article 191 ; et
que l’article 280, qui règle les droits des parties entre
elles, ne saurait être opposé aux tiers contestant le pri
vilège dans tous les autres cas2.
155. — L’article 192 veut que les dommages-inté
rêts jusqu’à concurrence desquels l’affréteur peut récla
mer un privilège soient justifiés par les jugements, ou
par les décisions arbitrales qui seront intervenues.
M. Dageville pense que ces documents pourraient être
remplacés par une transaction ayant date certaine et
faite de bonne foi. Mais, ajoute-t-il, si cette transaction
était arguée de fraude, elle pourrait être rejetée. Ce que
M. Dageville omet de dire, c’est s’il suffira pour moti1 Art. <16, titre de la Saisie.
V. Aix, 9 décembre 1870. J.
2
du P., 1871,
3S1.
�art. 1 9 1 , 1 9 2 .
203
ver ce rejet, d’une simple allégation, ou bien si l’auteur
de cette allégation sera tenu de la justifier.
Nexistât-il que ce doute, que l’opinion de M. Dageville devrait être repoussée. A la règle simple et précise
de la loi, elle substituerait les longueurs et les embar
ras d’un procès dont la solution, toujours difficile, le
devient plus encore lorsque les tiers sont obligés de
prouver une fraude dont ils sont victimes.
L’article 192 exige taxativement un jugement ou une
sentence arbitrale. Cette exigence doit être remplie,
puisque l’affréteur n’est nullement excepté de la pres
cription générale qui veut que le privilège accordé aux
dettes dans l’article 191 ne puisse être exercé qu’autant qu’elles seront justifiées dans les formes tracées par
l’article 192 lui-même.
La forme est donc ici obligatoire et restrictive, l’ex
clusion de la transaction résulte donc formellement de
ce que l’article 192 n’admet que les jugements et les
sentences arbitrales.
Ajoutons que cette exclusion est juste , même en ad
mettant que la transaction soit pure de toute collusion.
Une transaction comporte l’idée de sacrifices mutuels.
Or, les droits des tiers étant indépendants de la volonté
du débiteur, les créanciers ne peuvent être tenus d’ac
cepter les sacrifices qu’il a plu à celui-ci de s’imposer.
136. — Du motif que la matière des privilèges in
téresse surtout les tiers, résulte cette autre conséquence,
l’ordre des privilèges réglé par l’article 191 est de droit
�204
DROIT MARITIME.
étroit et absoju. Toute dérogation, tous changements
stipulés par les parties contractantes en dehors du con
sentement de ceux qui auraient à les souffrir seraient
nuis et de nul effet. On ne pourrait ni s’en prévaloir ni
les opposer aux intéressés.
Article 193.
Les privilèges des créanciers seront éteints, indépen
damment des moyens d’extinction des obligations :
Par la vente en justice faite dans les formes établies
par le titre suivant,
Ou lorsqu’après une vente volontaire le navire aura
fait un /voyage en mer sous le nom et aux risques de
l’acquéreur et sans opposition de la part des créanciers
du vendeur.
A rticle 1 9 4 .
Un navire est censé avoir fait un voyage en mer :
Lorsque son départ et son arrivée auront été consta
tés dans deux ports différents et trente jours après le
départ ;
Lorsque, sans être arrivé dans un autre port, il s’est
écoulé plus de soixante jours entre 1e départ et le retour
�ART. 1 9 3 , 1 9 4 .
203
dans le même port, ou lorsque le navire, parti pour un
voyage de long cours , a été plus de soixante jours en
voyage sans réclamation de la part des créanciers du
vendeur.
SOMMAIRE
137. Nécessité de régler la durée des privilèges.
138. Véritable portée de l’article 193. Discussion au conseil
d’Etat.
139. Modes généraux d’extinction des privilèges.
140. La perte du navire assuré transporte-t-elle les privilèges
sur le montant de l’assurance ?
141. Les ouvriers et fournisseurs ne peuvent faire assurer leur
créance, mais ils peuvent la vendre ou la céder à forfait.
142. Effets de l’assurance du navire faite parles créanciers,
privilégiés ou non.
143. Mode spécial d’extinction des privilèges. Vente en justice.
144. La loi ne réduit pas cet effet à la vente par suite de saisie.
Conséquences.
145. Effet de la vente volontaire sur les privilèges. Pour
quoi les a-t-on corlsidérés comme purgés par le voyage.
146. Devoir pour les créanciers de former opposition. Consé
quences de l’omission.
147. Ce devoir peut-il être modifié par la nature de la créance
ou par les circonstances ?
148. L’article 193 exige le cumul des conditions qu’il énonce.
149. Qui peut se prévaloir de sa disposition.
150. Recevabilité de l’opposition. Délai dans lequel elle peut
être réalisée.
151. Sa forme. Ses effets.
152. Peut-elle être faite par les créanciers postérieurs à vente?
�206
DROIT MARITIME.
137. — Les privilèges, par les conséquences qu’ils
entraînent, devaient être exactement déterminés non pas
seulement quant aux causes qui les produisent, mais
encore quant à la durée de leur exercice. Attachés à la
créance, il semblerait qu’ils devraient exister tant que
celle-ci n’est pas éteinte. Mais ce résultat, juste à l’en
contre du débiteur, ne pourrait être ainsi qualifié à l’en
droit de ses créanciers ordinaires. Pourtant, c’est à ces
deniers, plutôt qu’au débiteur, que les privilèges sont
réellement onéreux. Il n’est donc pas surprenant qu’on
ait eu à rechtrcher s’il convenait de les séparer de l’ac
tion personnelle, et s’ils pouvaient être éteints nonobs
tant et pendant la durée de celle-ci.
En droit commun, cette question ne pouvait surgir
que dans la matière immobilière, qui seule peut offrir
une application des privilèges. Les meubles ne recon
naissant aucun droit de suite, l’acquéreur n’a pas à se
préoccuper de la nature des droits des créanciers de son
vendeur, il est valablement libéré en payant le prix en
tre les mains de celui-ci.
Mais les navires sont meubles. Fallait-il dès lors les
soumettre à la même règle ? L’article 191 indique com
ment cette question a été résolue. Nous venons de par
courir la série des privilèges qu’il accorde sur les navi
res, que l’article 190 déclare d’ailleurs affectés aux det
tes du vendeur sans aucune distinction.
Dès lors naissait la question que nous venons de po
ser. Convenait-il de laisser la masse chirographaire sous
le coup du privilège que la nature de certaines créances
�ART. 1 9 3 , 1 9 4 .
207
commandait de consacrer ? Fallait-il exposer l’acheteur
à être recherché par les créanciers du vendeur, tant que
celui-ci ne s’était pas libéré? L’article 193 indique
l’opinion que le législateur a adoptée sur l’une et l’au
tre de ces difficultés.
Ce qui commandait cette opinion, c’était l’intérêt du
crédit commercial, l’intérêt de la navigation, celui des
propriétaires des navires eux-mêmes. Cette qualité ap
pelle la confiance par les garanties qu’elle présente aux
capitalistes. Or, aurait-on pu compter sur cette garan
tie, si l’existence de privilèges menaçait de l’absorber à
toute époque ? Qui eût jamais osé acheter un navire et
le payer, si un terme quelconque ne venait pas le libé
rer en ses mains.
138. — Ces considérations déterminaient la vérita
ble portée de l’article 193. Ce qui est éteint par l’ac
complissement des conditions qu’il énumère, ce n’est
pas seulement le privilège, c’est encore l’affectation aux
dettes édictée par l’article 193. En d’autres termes, le
possesseur actuel du navire est à l’abri de toutes recher
ches du chef du propriétaire précédent, et de la part de
ses créanciers, privilégiés ou non.
Le projet du Code avait pensé qu’il convenait de l’ex
primer. La commission proposait donc de dire : Les
droits des créanciers privilègiés et autres seront éteints.
Celte rédaction rencontra au conseil d’Etat une objection
qu’elle avait le tort de n’avoir pas prévenue. On lui re
procha de paraître faire tomber l’extinction sur le fond
�208
DROIT MARITIME.
du droit des créanciers privilégiés, et sur la créance de
ceux qui n’ont pas de privilège. Or, tout le monde con
venait que le fond du droit devait être expressément et
formellement réservé.
L’équivoque dont on se plaignait pouvait facilement
disparaître. Le droit qu’on entendait conserver, c’était
celui des créanciers contre leur débiteur. On devait donc
rédiger l’article d’une manière qui ne laissât aucun
doute. Ce résultat était acquis en disant : Les droits des
créanciers privilégiés ou non, su r l e n a v ir e ou c o n tr e
l ’a c h e t e u r , seront éteints. Cela laissait subsister l’ac
tion personnelle contre le débiteur, et réservait par con
séquent le fond du droit.
La rédaction actuelle, très explicite sur la perte du
privilège, ne s’explique pas assez sur les non privilégiés
et pourrait laisser dans le doute la question de savoir si
l’acheteur est libéré de toutes recherches en même temps
que du privilège. Mais si l’expression est obscure, la
pensée du législateur ne l’est pas. La discussion au
conseil d’Etat en est la preuve. L’accomplissement des
conditions de l’article 193 met le navire à l’abri dé
sormais de toutes prétentions des créanciers du vendeur,
quelle que soit la nature de leurs droits. Il libère en
conséquence l’acheteur qui aurait payé le prix de toute
obligation ultérieure. Il est à l’abri de toutes recher
ches.
159. — Les causes auxquelles ce résultat est atta
ché sont générales ou spéciales à la matière ; ainsi le
�ART.
193, 194.
209
privilège est éteint par un des moyens qui produisent,
en droit commun, l’extinction de la créance. Comment
concevoir, en effet, que le privilège survécût à la créance
elle-même ? Il n’en est que l’accessoire, qu’un moyen
devant en garantir, en assurer l’exécution. Cette exécu
tion accomplie, sa raison d’être a cessé d’exister.
Ainsi le paiement, la novation, la remise de la dette,
la compensation, la confusion, la perte de la chose, la
nullité ou la rescision, l’effet de l'action résolutoire, en
fin la prescription, éteignent le privilège l.
Le caractère et l’effet de chacun de ces modes d’ex
tinction sont tels que les définit le droit commun. C’est
donc sous l’influence de celui-ci qu’ils doivent être ap
préciés. La loi spéciale n’en a modifié qu’un seul, la
prescription, dont nous aurons à nous occuper sous le
titre 13.
Il en est un second que la nature des choses nous
force d’examiner pour résoudre un point sur lequel la
controverse n’a pas cessé d’exister. Nous voulons parler
de la perte de la chose.
Il n’est pas de cause d’extinction plus énergique que
la perte de la chose. Comment, en effet, concevoir un
privilège sur un objet qui a cessé d’exister !
140. — Mais en général les navires sont assurés, et,
en cas de sinistre, l’assureur doit tenir compte de la va
leur qui leur a été assignée. Le montant de l’assurance
1 Art. A234 du Code civil.
i— U
�DROIT MARITIME.
210
se substitue donc à la chose. Les privilèges grevant
celle-ci pourrom-ils être exercés sur ce prix ?
Nous avons déjà cité un arrêt de la cour de Bordeaux,
du 28 janvier 1839, qui consacre l’affirmative l. Mais
cet arrêt se contente d’admettre, sans le discuter, le
principe de la substitution du montant de l’assurance
au navire. Il faut donc chercher ailleurs les motifs de
cette opinion. Nous allons les trouver dans la doctrine
que Valin enseignait sous l’empire de l’ordonnance.
Ce célèbre jurisconsulte commence par rappeler un
arrêt du Parlement de Bordeaux, du 7 septembre 1738,
qui repousse cette substitution, par le motif qu’elle n’est
autorisée par aucune loi. Il répond :
« Il est vrai qu’il n’en existe point pour ce cas pré
cisément. Mais, dès que le privilège des fournisseurs est
formellement établi par les articles 16 et 17 du titre xiv
ci-après, quoi de plus naturel que de le transférer sur
le produit de l’assurance du navire affecté à ce privilège,
puisque, au fond, ce sont les choses qu’ils ont fournies
et les ouvrages qu’ils ont faits au navire qui ont fait la
matière de l’assurance jusqu’à concurrence de la valeur
qui lui était due ?
» Dans la réalité, le navire est représenté par le
produit de l’assurance que l’assureur doit payer. Si
le navire n’eût pas été mis en état de navigation , il
n’aurait pas été assuré. Les fournisseurs et les ou
vriers seront donc fondés à dire que c’est leur chose
i V. supra n» 129.
�art. 1 9 3 , 1 9 4 .
211
qui a été assurée lorsque le débiteur a fait assurer le
navire l. »
L’aveu fait par Valin, qu’aucune loi n’autorise la
substitution pour laquelle il se prononce, enlève à son
opinion tout caractère juridique. En effet, Valin n’en
seigne-t-il pas lui-même que la matière des privilèges
est de droit étroit; qu’il n’est pas permis de raisonner
par analogie. Il suffirait donc du silence gardé par la
loi, pour exclure toute idée de privilège sur le montant
de l’assurance.
Sans doute le prix est l’équivalent de la chose, il la
représente même complètement en cas de vente, mais
pourquoi ? Parce que la chose n’a pas cessé d’exister ;
que les créanciers la suivent dans les mains mêmes de
l’acheteur, ils peuvent l’y saisir, et leur privilège sur le
prix n’est que la conséquence du privilège existant sur
la chose, jusqu’après leur paiement. La différence donc,
dans l’hypothèse d’une vente et dans celle que nous exa
minons, est capitale. Dans l’une, la chose existe. Elle
a péri dans l’autre. Comment le résultat serait-il le
même ?
Ce qui se réalise d’ailleurs dans le cas d’un immeu
ble, peut-il se produire dans l’hypothèse d’un objet par
ticulier? Non, dit Emérigon. Dans ce cas, le prix ne
succède pas à la chose : In particularibus pretium non
succedit in loco rei. Les auteurs nombreux qui l’ont
ainsi admis, de Luca, Fabert, Dupérier, se fondent sur
i Liv. 1er, tit. 12, art. 3.
�212
DROIT MARITIME.
divers textes de droit. Il suit de ce principe que si l’a
cheteur fi qui on a fait crédit a revendu aussi à crédit la
marchandise achetée et qu’elle ait cesssé d’être extame
et en nature, le vendeur primitif n’a aucun privilège sur
le prix dû par le second acheteur, quoique ce prix pro
cède de la chose qui lui avait été propre et dont il n’a
pas été payé. Telle était la jurisprudence constante du
parlement d’Aix. A plus forte raison, les fournisseurs et
les ouvriers n’ont point de privilèges sur les assurances
d’un navire qui ne leur a jamais appartenu, « Car,
comme dit Cujas sur la loi 6, Dig. § 3, Comm. divid.,
il n’y a rien d’essentiellement commun entre le droit de
gage et le droit de propriété : Nihil commune habet
pigms, cum dominio. »
On pourrait objecter' qu’Emérigon raisonne en droit
commun, mais l’application de ce droit à la matière
commerciale n’est repoussée que lorsque la loi spéciale
ou l’usage déroge à ses dispositions. Or, de l’aveu même
de Yalin, cette loi spéciale gardant le silence sur la ma
tière , celle-ci se trouve forcément sous l’empire des
principes rappelés par Êmérigon, dont voici la conclu
sion :
« En un mot, l’ordonnance de 1681 n’accorde aux
ouvriers et fournisseurs le privilège que sur le navire,
par conséquent ils n’en ont aucun sur les assurances. Si
le navire était représenté par l’assurance, il faudrait que
les privilèges sur les sommes assurées fussent accordés
aux matelots et à tous les autres créanciers dont il est
�ART.
193, 194.
213
parlé dans l’article 16, titre de la Saisie. Par ce moyen
l’objet de l’assurance serait manqué K
Cette dernière considération est décisive, et il est évi
dent qu’on devrait décider en faveur de l’un ce qu’on
admettrait dans l’intérêt de l’autre. La loi ne distingue
les privilèges que par le rang qu’elle leur assigne, mais
on ne pourrait, chacun venant à ce rang, leur contester
l’identité d’effets. D’ailleurs, est-ce que les prêteurs ne
pourront pas dire ce que Yalin met dans la bouche des
fournisseurs : Sans notre argent, le navire n’étant pas
en état de naviguer n’aurait pu être assuré. Lors donc
que notre débiteur a contracté une assurance sur le na
vire, c’est notre chose qu’il a assurée.
Le système de Valin, indépendamment de ce qu’il n’a
aucun fondement, conduirait donc à une inégalité cho
quante, si on le réduisait aux fournisseurs et ouvriers.
Mais en l’étendant à tous les privilégiés, on méconnaît
l’objet de l’assurance ; on rendrait inique le classement
au dixième rang de la prime due pour cet objet. Elle
aurait dû être placée immédiatement avant le privilège
des gens de mer, si elle avait réellement pour but de
conserver le gage commun.
Aussi, est-ce l’opinion d’Emérigon qui a prévalu dans
la doctrine moderne, consacrée notamment par un ar
rêt d’Aix, du 26 mai 1818 s.
Une des conséquences que Valin déduisait de son sys1 Contrats à la grosso, chap. xn, sect. vu.
t. 1, p. 13; Pardessus, ri" 957 ; Delvincourt, t.
p. 186.
s Boulay-Paty,
1,
�214
DROIT MARITIME.
tème, était la faculté pour les ouvriers et fournisseurs
de sommer le propriétaire de déclarer s’il avait ou non
fait assurer ; et, en cas de négative, de se faire autoriser
à assurer pour son compte. Le rejet du système entraîne
celui de ses conséquences :
Les ouvriers et fournisseurs peuvent aujourd’hui s’op
poser au départ du navire, le faire saisir même pour
être payé de ce qui leur est dû. S’ils n’ont pas usé de
ce droit, s’ils ont laissé le navire abandonner le port
sans réclamation, ils ont par cela même accepté les dis
positions prises par l’armateur. L’assurance n’est qu’un
acte de l’administration de sa propre chose, que nul,
pas même les tribunaux , ne sauraient le contraindre à
accomplir contre sa volonté.
141. — Les ouvriers et fournisseurs peuvent-ils du
moins faire assurer le montant de leur créance ? Non, à
notre avis. Le contrat d’assurance suppose un droit sou
mis à une perte complète en cas de sinistre. Or, le droit
des ouvriers et fournisseurs n’est nullement en question.
La perte du navire leur enlèvera sans doute une garan
tie pouvant rendre leur remboursement plus facile et
plus certain, mais l’action personnelle sur tous les au
tres biens de leur débiteur leur restera. Ce n’est que
parce qu’il en est autrement dans le contrat à la grosse
que la loi a prescrit son assurance.
Mais si les ouvriers et fournisseurs ne peuvent faire
assurer, il leur est loisible de traiter de leur créance, de
la vendre, de la céder à forfait. L’acheteur ou le ces-
�ART. 1 9 3 , 1 9 4 .
215
sionnaire ne pourrait se délier de son obligation. Le
contrat serait maintenu alors même que le rembourse
ment du vendeur ou du cédant eût été subordonné à la
perte du navire. Ce contrat serait non une assurance,
mais un cautionnement sous condition L
142. — Enfin , rien n’empêche les créanciers ,
quels qu’ils soient, de faire assurer le navire à défaut du
propriétaire, mais dans ce cas, ne pouvant agir que
comme mandataires de celui-ci, ils courraient le risque
de voir la prime rester à leur charge, si le propriétaire
excipait du défaut de mandat. En cas de perte du navi
re, le montant de l’assurance n’appartiendrait qu’au
propriétaire exclusivement et ne leur profiterait pas au
trement que par la distribution au marc le franc, à la
quelle ils prendraient part comme tous les autres cré
anciers.
145. — Aux modes ordinaires d’extinction de la
créance, la loi commerciale en a joint deux autres qui,
tout en respectant celle-ci, n’en éteignent pas moins le
privilège. Le premier résulte de la vente en justice dans
les formes prescrites par le titre 2.
Puisque les navires étaient, quant à l’affectation aux
dettes, assimilés aux immeubles, fallait-il bien que ce
lui qui en deviendrait adjudicataire eût le moyen de
s’en assurer la possession franche et libre, en en payant
le prix.
1 Emérigon, ibid.
\
�21G
DROIT MARITIME.
Le doute ne pouvait naître que sur le mode de pur
ger cette affectation. L’on ne pouvait adopter celui pres
crit en matière immobilière, d’abord, parce que les cré
ances ne devant et ne pouvant être inscrites, lien n’an
nonce l’existence et le nombre des créanciers ; ensuite,
parce qu’on ne pouvait apporter dans notre matière trop
de célérité, et que de nombreuses formalités auraient
consommé un temps précieux et multiplié les frais.
On a donc dû faire résulter la purge du navire de la
procédure elle-même. C’est ce qui explique ces termes
de notre article par la vente en justice faite dans les for
mes établies dans le titre suivant. Ces formes ayant pour
objet de donner à la saisie et à la vente la plus éclatante
publicité, à mettre ainsi en demeure d’agir les parties
intéressées, leur accomplissement convertit le privilège
et la simple affectation elle-même en un droit sur le
prix.
144. — Nous remarquons qu’en parlant de la vente
en justice, l’article 193 n’ajoute pas par suite de saisie.
On en a conclu avec juste raison que la déchéance du
privilège est encourue toutes les fois que la vente en
justice n'est que la conséquence de la volonté libre et
spontanée du propriétaire.
Telle serait la licitation du navire par suite d’une
égalité de voix sur Tutilité de sa conservation ou par
suite d’une majorité quelconque ; celle poursuivie en
cas de succession échue à des héritiers mineurs. Dans
toutes ces hypothèses, le navire serait purgé, mais à
�ART. 1 9 3 , 1 9 4 .
517
condition que les formes prescrites par le titre % auraient
été scrupuleusement observées.
La vente par licitation, que le propriétaire poursui
vrait, ne cesserait pas d’être une vente volontaire. Elle
ne produirait donc l’extinction des privilèges que con
formément à ce qui est prescrit pour celle-cil.
145. — La vente volontaire n’exigeant que le con
sentement mutuel du vendeur et de l’acheteur, on ne
pouvait, sans blesser l’équité , lui faire produire l’ex
tinction des privilèges. On le pouvait d’autant moins,
que les navires ne sont pas susceptibles de tradition
réelle, que le transfert de leur propriété est purement
moral, sans que rien l’annonce au public.
Mais on ne pouvait pas, dans l’intérêt de la naviga
tion, sans porter atteinte au droit de propriété, pros
crire la vente volontaire. C’est cependant le résultat
qu’on aurait atteint si l’acheteur eût pu craindre d’être
indéfiniment recherché par les créanciers du vendeur.
Il fallait donc mettre un terme à cette recherche, et le
moyen la loi l’a trouvé dans l’exploitation du navire.
Le voyage opéré depuis la vente , sous le nom et aux
risques de l’acheteur, purge les privilèges et tous droits
sur le navire.
C’est à tort qu’on taxerait cette prescrilion de sévé
rité, elle est rationnelle et juste. Sans doute, la vente
amiable est essentiellement secrète, on ne lui a imposé
1 Pardessus, n° 950,
�218
DROIT MARITIME.
aucune publicité obligatoire, mais pour que le voyage
s’opère sous le nom de l’acheteur, il faut de toute né
cessité qu’il ait fait opérer la mutation sur le registre
des francisations. Celte formalité, s’opérant sur un re
gistre que le public peut toujours consulter, équivaut à
la transcription en matière de vente immobilière.
Sans doute, encore, les commerçants ne peuvent être
tenus d’aller tous les jours compulser le registre de l’ad
ministration. Aussi, ne leur impose-t-on pas ce devoir
tant que le navire stationne et demeure, sous leurs yeux,
dans le port. Ce stationnement n’offre aucun danger et
ne menace nullement les droits des créanciers. Ils peu
vent donc s’abstenir de toute démarche.
Mais le départ du navire doit éveiller leur sollicitude,
parce qu’il met ces mêmes droits en péril. Alors la pru
dence exige qu’on s’informe du nom de celui qui a or
donné ce départ, et qu’on vérifie s’il ne s’est opéré au
cune mutation dans la propriété. Les créanciers qui ont
manqué à ce devoir ont commis une faute lourde, et
s’ils perdent leur privilège, peuvent-ils l’imputer à au
tre chose qu’à leur négligence ?
Donc la loi, en exigeant que le voyage se fit sous le
nom et aux risques de l’acheteur, a suffisamment pro
tégé les créanciers. L’accomplissement de cette condi
tion, exigeant la mutation sur le registre des francisa
tions, manifeste la vente en la rendant en quelque sorte
publique. C’est à cette mutation que la disposition de
l’article 193 se réfère exclusivement. De telle sorte que
si elle n’avait pas été réalisée, le navire eût-il fait vingt
�art.
195, 194.
219
voyages d’ordre et pour le compte de l’acheteur, les pri
vilèges du chef du vendeur continueraient à le grever.
146. — La mise en mer du navire place donc le
créancier en demeure d’agir. La connaissance de la vente
l’oblige, s’il veut conserver son privilège, de faire signi
fier une protestation et une opposition ; s’il laisse ac
complir le voyage sans procéder à cet acte, ses droits
sur le navire sont à jamais éteints.
En effet, l’article 193 est général et absolu. L’absence
d’opposition entraîne irrémissiblement l’extinction du
privilège, quelle que soit, d’ailleurs, la nature de la
créance à laquelle il est attaché.
147. — On a voulu contester ce caractère et soute
nir que l’article 193 ne concerne que les créances res
tées occultes et qui ont besoin de l’opposition pour se
manifester. On concluait donc qu’il ne pouvait être ap
pliqué lorsque la créance ayant reçu une publicité obli
gée, l’acheteur avait pu la connaître.
Ce système s’est notamment produit dans une espèce
où il s’agissait d’un prêt à la grosse régulièrement trans
crit au greffe du tribunal de commerce du port d’arme
ment Accueilli par le tribunal de Marseille, il fut re
poussé par la cour d’Aix. Il est utile de transcrire ces
deux décisions, car, mises en regard l’une de l’autre,
elles font ressortir le véritable caractère de l’article 193
et prouvent combien il est absolu et sans exception.
Par billet privé, enregistré et transcrit au greffe du
�220
DROIT MARITIME.
tribunal de Marseille, du 7 septembre 1822, la dame
Tamisier prêta 6,000 fr. à la grosse au sieur Dupuis,
armateur, propriétaire de treize quirats du brick l’in
trépide, capitaine Lion, pour un voyage de Marseille à
Montevideo et Buenos-Ayres et retour à Marseille, où le
brick se trouvait alors en charge. Le sieur Dupuis af
fecta pour sûreté du prix la portion lui appartenant dans
le navire.
Mais bientôt après, le 22 octobre 1822, il vend tous
sés droits au sieur Collin, par acte seing-privé.
Cependant l'intrépide part le 22 novembre suivant
pour le lieu de destination désigné par le contrat de
grosse, sous le commandement du capitaine Lion, dont
le nom seul est porté sur le congé délivré pour la sortie
de Marseille. Le sieur Dupuis était à bord, en sorte que
la dame Tamisier ne put se douter de la mutation de
propriété survenue depuis le prêt à la grosse.
En mai 1824, l'Intrépide, qui avait été à BuenosAyres, à Bahia, à Rio-Janeiro, à Fernambouc, rentre
au Havre après une navigation de quinze mois. Alors
la dame Tamisier, qui avait signifié, le 22 mars 1824
seulement, son billet à la grosse à l’acheteur Collin, l’a
journe en paiement des six mille francs, comme affec
tés par privilège sur le navire.
Celui-ci soutint que le privilège était éteint par la
vente privée, suivie d’un voyage fait en mer sous le nom
et aux risques du nouveau propriétaire. Il ajoutait que
l’acte portant en sa faveur cession des 13/24 ayant appar
tenu à Dupuis avait été transcrit sur le registre des fran'
'
'
.
;
'
\
�art.
195 , 194 .
221
cisations de Toulon, port auquel Ylntrépide appartenait,
et que celle transcription, faite en exécution delà loi du
17 ventôse an xi, suffisait pour instruire les créanciers
du changement de propriétaire.
Les moyens opposés par la dame Tamisier se trou
vent reproduits par le jugement qui les accueille en ces
termes :
« Attendu que les circonstances de la cause sont tel
les qu’il serait injuste que la dame Tamisier, par Ter
reur dans laquelle elle a été induite, eût encouru la dé
chéance prononcée par l’article 193 du Gode de com
merce ;
» Qu’en effet , le seul acte indicatif de la mutation
de la propriété d’un navire, qui est l’émargement de la
vente sur l’acte de francisation, ayant été fait dans l’es
pèce à l’administration des douanes à Toulon, port de
la matricule de Ylntrépide, il n’est pas étonnant que la
dame Tamisier ait ignoré la vente ; que, par consé
quent, elle ne se soit pas mise en mesure de conserver
ses droits ;
» Que si à cette circonstance relevante on ajoute celle
que le navire , quoique changeant de maître, n’a pas
changé de nom, qu’il a suivi la même destination, avec
les mêmes expéditions , sous le commandement du
même capitaine qui avait souscrit le contrat à la gros
se de la dame Tamisier, et ayant enfin à bord, en qua
lité de subrecargue, le sieur Dupuis, ancien proprié
taire, il demeure démontré que la damq Tamisier a dû
rester dans une ignorance et dans une sécurité parfai
tes relativement à cette vente et à ses droits ;
�DROIT MARITIME.
222
» Attendu que la dame Tamisier avait donné, par la
transcription au greffe du billet de grosse dont s’agit,
toute la publicité que la loi exige, et avait, en consé
quence, mis le sieur Collin à même de connaître son
privilège ;
» Attendu qu’entre la dame Tamisier, qui a été dans
une ignorance complète de la mutation, et le sieur Col
lin, qui doit être présumé légalement avoir eu connais
sance du privilège de celle-ci, on ne saurait balancer ;
car s’il est dans l’esprit de la loi que l’acquéreur ail con
naissance du privilège dont le navire peut être grevé,
elle a pareillement entendu que le créancier ait pu être
instruit de la vente, puisque, à défaut, les choses ces
seraient d’être égales. »
Il faut avouer que si l’article 193 devait subir une
exception quelconque, c'eût été dans les circonstances
relevées par le jugement, mais cet article ne se prête à
aucun tempérament. Sans l’opposition qu’il prescrit, le
privilège est absolument éteint.
Aussi l’interprétalion que le tribunal, dominé par le
fait, donne à sa disposition est inadmissible. Il importe
peu que l’acheteur ait ou ail pu avoir connaissance des
droits du créancier, il faut en outre que ces droits lui
aient été directement dénoncés par la voie de l’opposi
tion, sans laquelle il peut et doit croire que le créancier
s’est entendu avec son débiteur et a renoncé à toutes
prétentions sur le navire.
Quant au créancier, il a toujours un infaillibe moyen
de connaître la vente, celui de consulter le registre des
�19a, 194..
225
francisations. Dans l’espèce, si après le départ de {'In
trépide, la dame Tamisier eût procédé à cette recher
che, elle n’eût pas manqué d’être instruite de ce qu’il
lui importait de connaître.
En réalité donc, la négligence était du côté de celleci, elle devait en supporter les conséquences, quelque
atténuation que cette négligence reçût des circonstances
du procès.
Cependant la cour d’Aix, investie par l’appel de Col
lin, hésita d’abord ; mais l’arrêt définitif, rendu après
partage, réforma le jugement par les motifs que voici :
« Considérant que la loi en déclarant meubles les na
vires les a cependant rendus susceptibles d’être affectés
de certains privilèges, au nombre desquels se trouve ce
lui attaché à l’emprunt à la grosse, et qu’en même temps
elle a fourni aux créanciers le moyen de conserver lesdils privilèges de la manière qu’elle a déterminée ;
» Considérant que d’après les articles 193 et 194 du
Code de commerce, dans le cas de vente volontaire d’un
navire, les privilèges sont perdus sur la chose vendue
lorsque le navire a fait un voyage aux risques et sous le
nom de l’acheteur, et que la loi a soin de déterminer
elle-même, dans l’article 194, ce qu’elle entend par
voyage capable de purger le navire ; que dès lors il ne
reste plus qu’à examiner, un point de fait, si ces circons
tances se sont rencontrées avant la demande de la dame
Tamisier en paiement de son billet de grosse ;
» Considérant, quant au voyage, qu’il est prouvé......
(suit l'énumération des faits établissant cette preuve);
ART.
�224
DROIT MARITIME.
» Considérant que la deuxième circonstance se ren
contre au procès ; que le voyage a été fait aux risques
de Collin, puisque la dame Tamisier reconnaît la sin
cérité de la vente ;
» Considérant enfin que le voyage a été fait au nom
de Collin, l’acquisition est du 22 octobre 1822. Le 4
novembre suivant, Collin a affrété le navire ; le 12, il
l’a fait assurer en son nom, le 13, il a fait transcrire
son titre d’acquisition sur le registre des francisations,
à Toulon, port de l’immatricule du navire, ledit navire
n’est parti de Marseille que le 22 du même mois, mais
le capitaine ayant à bord, conformément à l’article 226
du Code de commerce, l’acte de propriété du navire et
l’acte de francisation constatant la transcription dudit
acte de propriété ;
» Considérant que cette série de faits ne présente au
cun indice de fraude,et que la fraude ne se présume pas;
» Considérant que le registre des francisations et la
transcription qui doit s’y faire de tous actes de muta
tion sont à l’égal du registre des transcriptions en ma
tière d’immeubles, et sont destinés à tenir les tiers au
courant des divers changements que la propriété du na
vire peut éprouver ; qu’il est facile à tout tiers intéressé
de se tenir au courant de ce registre public pour être
parfaitement instruit ;
» Que c’est à tort que la dame Tamisier excipe de ce
que le congé délivré au navire à Marseille, au lieu de dé
signer nomément Collin comme propriétaire du navire,
se contente d’indiquer que le navire appartient aux dé-
�nommés dans l’acte de francisation, puisque le congé
n’est qu’un simple passavant ou permis de naviguer
exigé sous le seul rapport de la police de la navigation ;
que ce n’est là que le fait de la douane, tandis que ce
lui de l’acquéreur est la transcription de son titre au re
gistre des mutations ; que l’article 226 du Code de com
merce ne parle pas du congé, et qu’il résulte du décret
du 15 janvier 1792, qui contient le modèle des congés
maritimes, que ces congés ne sont pas tenus de men
tionner nommément les propriétaires, et peuvent s’en
référer sur ce point à l’acte de francisation x. »
143 . — La déchéance résultant de l’accomplisse
ment des conditions de l’article. 193 est donc générale
et absolue. Elle atteint les privilèges de toute nature,
alors même que la certitude de la créance serait, com
me dans les prêts à la grosse, comme pour les privilè
ges du numéro 8, constatée par un dépôt au greffe du
tribunal de commerce.
Mais l’article 193 exige la réunion de toutes les cir
constances qu’il indique : voyage réalisé depuis la ven
te ; voyage au nom du vendeur ; voyage à ses risques.
Cette dernière condition suppose la sincérité de la vente.
Si la vente était simulée, si elle n’avait été qu’une ma
nœuvre pour essayer de libérer le navire des charges qui
le grèvent, la condition ne serait pas remplie. La preuve
de cette simulation, que les créanciers du vendeur sont
1 22 décembre 1824.
i — 15
�226
DROIT MARITIME.
toujours recevables à alléguer et à prouver , même par
témoins, rendrait l’article 493 inapplicable, alors même
que le navire aurait voyagé sous le nom du prétendu
acquéreur.
149. — L’application de l’article 193 peut être sol
licitée par l’acheteur. Son .intérêt serait incontestable,
surtout dans le cas où, ayant payé le vendeur, il serait
exposé à payer deux fois par la recherche dont il est l’ob
jet de la part des créanciers.
Mais cet intérêt disparait en quelque sorte lorsque ,
débiteur du prix, le litige n’aurait d’autre résultat possi
ble que de le forcer à l’appliquer aux créanciers. La
question de savoir dans quelles proportions chacun d’eux
participerait à sa distribution le préoccuperait fort peu ;
il se bornerait à l’offrir ou à le déposer.
Mais, dans cette hypothèse, l’intérêt des créanciers chi
rographaires se subsiitue à celui de l’acheteur ; sans
être de la même nature, le premier n’en est pas moins
évident.
Il est vrai que, par rapport à ces créanciers, l’extinc
tion du privilège n’aura pas pour effet d’éteindre la cré
ance, mais elle placera les droits du ci-devant privilé
gié au niveau des leurs, et au lieu de subir un prélève
ment intégral, ils n’auront plus qu’à souffrir le con
cours au marc le franc auquel il sera réduit.
L’utilité du droit en assure l’exercice. Les créanciers
chirographaires seront donc recevables à invoquer l’ar
ticle 193, et fondés, le cas échéant, à en obtenir l’ap
plication.
�150. — L’opposition dont l’effet est de conserver le
privilège est recevable tant que le voyage entrepris n’est
pas accompli. Il était impossible de l’exiger avant le dé
part. Ainsi que nous le disions tout à l’heure, c’est ce
départ qui, devant inspirer l’idée d’un danger, est dans
le cas d’éveiller la sollicitude des créanciers et de les
exciter à s’enquérir du nom sous lequel il va être exé
cuté. Jusque-là, le stationnement du navire dans le port
étant un juste motif de sécurité, toute recherche deve
nait inutile.
Donc le voyage sera nécessairement commencé lors
que cette recherche s’exécutera ; dès lors, aussi, il était
juste d’accorder pour l’opposition un délai indépendant
du départ et qui se prolongeât au-delà.
C’est ce que l’article 193 a fait en n’accordant l’ex
tinction du privilège que lorsque le navire aura fait un
voyage sans opposition de la part des créanciers. Ces ter
mes prouvent que la fin du voyage fait exclusivement
expirer le délai de l’opposition.
De là la nécessité de préciser le moment où le navire
serait censé avoir accompli le voyage, et de mettre un
terme aux difficultés que le silence gardé à ce sujet par
l’ordonnance de 1681 avait fait éclore.
Or, dans l’acception ordinaire, faire un voyage, c’est
se rendre d’un lieu dans un autre ; dès lors, commencé
au moment où l’on quitte le premier, le voyage est ter
miné dès que l’on arrive dans le dernier.
Mais appliquer cette règle à la navigation, c’était lais
ser le délai de l’opposition aux chances du voyage ; pré-
�228
DROIT MARITIME.
senter cette anomalie que dans certains cas ce délai se
serait prolongé pendant des années entières, tandis que
dans d’autres il n’aurait pas duré plus de vingt-quatre
heures ; c’était enfin encourager la fraude et priver les
créanciers de leu;.- droit, avant même qu’ils fussent en
demeure de l’exercer.
Il fallait donc d'abord distinguer la navigation du ca
botage de cc'te au long cours, et fixer à l’une et à l’au
tre un délai qui conciliât les justes intérêts des créan
ciers et les exigences de la prompte transmission de la
propriété des navires. C’est dominé par ce point de vue
que le législateur a sanctionné l’article 194.
La sortie d’un port et l’entrée dans un autre, dû
ment constatées, constituent un voyage, mais à condi
tion que la première sera séparée de la seconde par un
espace de trente jours. Ce terme a été fixé en vue du
grand et du petit cabotage, mais il est applicable à la
navigation au long cours. Quelle que soit donc la des
tination du navire, il suffit qu’après trente jours de na
vigation il soit entré dans un port pour que le privilège
soit purgé. Il importerait peu que l’entrée dans ce port
ait eu lieu à litre d’échelle ou par fortune de mer et
comme relâche, le résultat serait le même.
Lorsque le navire, sans avoir touché à aucun autre
port, revient au port du départ, son voyage ne purge le
privilège que lorsqu’il s’est écoulé plus de soixante jours
entre la sortie et la rentrée.
Enfin le navire parti pour une navigation au long
cours n’a pas besoin d’être arrivé au port de sa desti-
�art. 1 9 3 ,
194.
229
nation pour que son voyage soit censé fait. Malgré qu’il
ne soit encore entré dans aucun port intermédiaire, le
voyage est présumé accompli par cela seul qu’il compte
plus de soixante jours de navigation.
Le délai de l’opposition est donc au minimum de
trente jours ; au maximum de soixante. L’un et l’autre
courent du jour où le navire a quitté le port d’armement.
Les créanciers ne seraient donc pas recevables, dans le
cas où le navire serait entré dans un port avanî trente
jours, à soutenir qu’ils avaient un nouveau délai soit de
trente, soit de soixante jours, du moment où le navire
avait quitté ce dernier port. Dans ce cas, le délai serait
définitivement épuisé par l’entrée dans un second port
plus de trente jours, où s’il s'était écoulé plus de soixan
te jours depuis la sortie du port d’armement.
Ajoutons que si le navire entré dans un port en moins
de trente jours revenait au port d’armement sans tou
cher à un autre, les privilèges ne seraient purgés que si
sa rentrée avait eu lieu plus de soixante jours depuis
son départ, c’est le second paragraphe de l’article 194
qu’il faudrait appliquer.
151. — L’opposition, dont la loi fait résulter la
conservation des privilèges , doit être faite par acte ex
tra-judiciaire signifié tant à l’ancien qu’au nouveau
propriétaire. Il importe en effet que celui-ci connaisse
l’obstacle qui s’oppose à sa libération et les charges
prétendues sur la chose qui lui a été vendue. L’igno
rance dans laquelle l’aurait laissé l’opposant tourne-
I
�230
DROIT MARITIME.
rait contre ce dernier et enlèverait à son acte toute effi
cacité.
L’effet de l’opposition en temps utile ne saurait être
la nullité de la vente. Ainsi que nous l’avons déjà vu,
l’action des créanciers dans ce cas n’est pas même l’ac
tion en délaissement des créanciers hypothécaires sur
les immeubles. La vente du navire sortirait donc à ef
fet, à moins que, querellée de simulation ou de fraude,
elle ne dût être annulée sous ce rapport.
Les créanciers ne trouvent donc dans leur opposition
que le moyen de conserver leur affectation privilégiée ou
non, et le droit de contraindre l’acheteur à mettre en
distribution le prix déterminé par la vente, s’en fût-il
déjà libéré entre les mains du vendeur, sauf son droit
d’abandonner le navire et son recours contre le ven
deur dans tous les cas.
Cette conséquence affecte à l’opposition un caractère
de personnalité qu’il ne faut pas perdre de vue ; elle con
serve seulement les droits du créancier dont elle émane.
Le créancier non opposant ne pourrait ni en exciper ni
en profiter.
Celte règle recevrait pourtant une exception. La dé
chéance du créancier est dans l’intérêt unique de l’ache
teur, lui seul peut l'invoquer. Dès lors, si, usant du
droit qui lui appartient, il déclarait, sur les oppositions
qui lui sont signifiées, renoncer au bénéfice de la vente,
la propriété du navire retournerait sur la tête du ven
deur , et avec elle renaissent toutes les charges qui la
grevaient de son chef. Les créanciers ne pourraient s’op
�poser entre eux une vente qui serait censée n’avoir ja
mais existé.
152. — On s’est demandé si le droit de former op
position appartient aux créanciers postérieurs à la vente.
La négative absolue est enseignée par MM. Dalloz et
Dageville, même dans le cas d’une vente sans date cer
taine. MM. Boulay-Paly et Delvincourt exigent celle-ci.
Dans le doute, nous n’hésiterions pas à nous ranger de
leur avis, qui paraît plus juridique, qui expose moins à
la fraude que celui de MM. Dalloz et Dageville.
Mais est-ce bien par le fait unique de la vente que
doit se résoudre notre question ? Nous hésitons à le
croire, avec d’autant plus de raison qu’en réalité les na
vires ne sont ni des meubles ni des immeubles dans l’ac
ception ordinaire. On ne saurait donc les régir par les
règles que le droit commun a tracées aux uns et aux
autres. A une matière spéciale il faut des principes spé
ciaux et particuliers.
Quelles seraient les conséquences d’une vente mobi
lière en droit commun ? Pas autres que de soustraire la
chose vendue aux droits des créanciers du vendeur du
moment même de la vente et de la tradition réelle et ef
fective qui l’a suivie.
Il n’en est pas de même de la vente d’un navire. Fûtelle authentique, elle ne soustraira la chose aux droits
des créanciers du vendeur que par l’accomplissement des
conditions tracées par l’article 193, et cela, disait Valin.
dans le but de suppléer au défaut dê tradiiion réelle, sen-
�232
DROIT MARITIME.
sible ; et cet accomplissement est indispensable pour
donner à la vente sa perfection et son effet contre les
créanciers du vendeur.
Sous ce rapport donc, la vente d’un navire se rap
proche beaucoup da la vente d’un immeuble ; c’est en
poursuivant ce rapprochement que nous trouverons la
solution de notre difficulté.
L’acquéreur d’un immeuble ne saurait répudier les
charges inscrites dans la quinzaine de la transcription.
Celle-ci donne à la vente la publicité que le défaut de
tradition réelle, sensible, a pour effet de lui refuser.
Pourquoi, par assimilation, ne dirait-on pas que le pro
priétaire d’un navire n’est définitivement dépouillé de sa
propriété vis-à-vis des tiers que par la mutation opérée
sur l’acte de francisation ;
C’est là la véritable transcription en matière de vente
de navires ; elle est indispensable pour faire évanouir
cette prescription légale que tout le monde admet : qu’à
l’endroit des tiers le seul propriétaire du navire est ce
lui dont le nom figure sur l’acte de francisation. Il y au
rait donc rigueur outrée à punir celui qui a traité dans
la conviction que cette présomption légale lui imposait.
Ajoutons qu’en n’opérant pas la mutation, l’acheteur
a failli à un devoir que la loi spéciale lui impose ; il
s’est ainsi rendu, volontairement ou non, complice de
l’acte frauduleux de son vendeur, et contribué à la faus
se persuasion de celui qui a traité avec ce dernier, comp
tant sur les garanties que lui offrait le navire.
Il est vrai qu’on n’aurait aucun reproche de ce genre
�à adresser aux créanciers antérieurs contestant l’admis
sion des créanciers posjérieurs à la vente. Mais évidem
ment la vente, qui pour eux n’est parfaite que par cette
mutation suivie d’un voyage, ne saurait être parfaite
pour ceux-ci. À défaut de la première de ces formali
tés, ils ont dû croire à un registre public qui leur indi
quait leur débiteur comme le propriétaire du navire,
croyance qu’ils n’avaient aucun moyen de contrôler.
Leurs droits, comme ceux des autres créanciers, sont la
conséquence de cet état des choses.
Nous croyons donc que les créanciers postérieurs à la
vente, quelle qu’en soit la forme, mais antérieurs à la
mutation sur l’acte de francisation, sont recevables à
former opposition au voyage entrepris et non achevé, et
à participer à la distribution du prix du navire.
Quant à ceux qui auraient traité après cette muta
tion, la vente les écarterait dans tous les cas, car elle
recevrait une date certaine par l’accomplissement de
cette formalité.
A rticle 1 9 5 .
La vente volontaire d’un navire doit être faite par
écrit et peut avoir lieu par un acte public ou par un acte
sous signature privée.
Elle peut être faite pour le navire entier ou pour une
portion du navire.
�254
DROIT MARITIME.
Le navire étant dans le port ou en voyage.
A rticle 1 9 6 .
La vente volontaire d’un navire en voyage ne préju
dicie pas aux créanciers du vendeur.
En conséquence, nonobstant la vente, le navire ou
son prix continue d’être le gage desdits créanciers, qui
peuvent même, s’ils le jugent convenable, attaquer la
vente pour cause de fraude.
SOMMAIRE
153. Caractère de l’article 195. Son objet.
154. La nécessité d’une vente par écrit authentique ou sous
seing-privé fut ajoutée par le conseil d’Etat. Caractère
de cette condition.
155. Motifs du silence que l’ordonnance de 1681 avait gardé à
cet égard.
156. Effet de la violation sur ce point de l’article 195.
157. Effet de la vente du navire qui voyage sur les dettes anté
rieures et postérieures.
158. De quelle manière pourra, plus tard, s’éteindre l’affecta
tion du navire.
159. L’article 196 ne considère pas la vente comme nulle à l’en
droit des créanciers du vendeur. Droit qu’il leur ré
serve.
160. Quand le navire sera-t-il considéré comme en voyage.
161. Quel est le voyage exigé par les articles 193 et 195.
161 bis. Les articles 1599 et 2279 du Code civil sont-ils applica
bles à la vente des navires.
�art. 1 9 3 , 1 9 6 .
233
161 ter. La vente d’un navire a non domino peut servir de base
à la prescription ? Délai de celle-ci.
153. — Les navires constituant une propriété pri
vée, leur disposition devait être abandonnée à la volon
té, à la convenance, à l’intérêt et aux besoins de leur
possesseur. Aussi la loi ne s’en occupe-t-elle que pour
déclarer qu’elle peut être réalisée en tout temps et en
tous lieux, en quelque part que se trouve le navire.
Le plus ordinairement le navire appartient à plu
sieurs. N’appartint-il qu’à un seul, que l’intérêt de ce
lui-ci pourrait exiger qu’il en relint une partie; c’est
dans cette double prévision que le législateur en permet
l’aliénation partielle comme l’aliénation totale.
Mais la règle que nul n’est forcé de rester dans l’in
division reçoit exception dans la copropriété des navi
res. Leur licitation ne peut être ordonnée que si elle est
demandée par les propriétaires représentant la moitié
de l’intérêt total. Son aliénation volontaire n’est pos
sible que si elle est librement consentie par l’unani
mité des intéressés. C’était là de nouveaux motifs pour
autoriser l’aliénation partielle, qui sera peut-être la
conséquence forcée de la position du quirataire, et de
la nécessité dans laquelle il est de réaliser toutes ses
ressources.
Les ventes de meubles ou de marchandises ont lieu
ordinairement sans écrit. Le consentement mutuel des
parties, la tradition réelle et effective entre les mains de
l’acheteur suffit. C’est surtout la facilité de constater
�256
DROIT MARITIME.
cette tradition qui a fait admettre la preuve orale de la
vente en droit commercial.
-154. — La section, s’en référant à cet usage géné
ral, n’avait rien proposé sur la forme de la vente des
navires. Les conséquences de ce silence étaient que, mal
gré que les navires ne fussent ni dans la classe des mar
chandises, ni dans celle des meubles ordinaires, on au
rait pu en disposer même verbalement comme de ceuxci. Mais le contraire parut préférable au conseil d’Etat,
et M. Joubert proposa et fit admettre que la vente d’un
navire devait toujours être constatée par écrit.
Cette intervention dans la forme de la vente n’est pas
heureuse. Le seul résultat qu’elle puisse atteindre est
de grever les transactions commerciales et d’imposer
des frais inutiles. Cela résulte de l’article 193 lui-même.
La vente, par écrit n’a pu être exigée qu’à l’endroit des
créanciers. Or, pour ce qui les concerne, le fait de la
vente est indifférent; il ne porte aucune atteinte à leurs
droits. L’affectation qu’ils ont sur le navire ne cesse
d’exister que par le voyage exécuté sous le nom et aux
risques de l’acheteur :
L’accomplissement de cette condition exige la muta
tion sur l’acte de francisation. Cette mutation, qui sera
au moins consentie par le vendeur, constitue la vérita
ble vente, qui serait dès lors censée avoir été faite de
vant l’administration.
155. — Cette considération avait paru décisive sous
l’empire de l’ordonnance de 1681.
�ART. 1 9 5 , 1 9 6 .
237
» Qu’importe, disait Valin, de quelle manière l’ache
teur ait fait l’acquisition, dès qu’un contrat, même pardevant notaire, ne pouvait dans le principe le garantir
des deties de son vendeur, et que, pour les purger, il
fallait nécessairement qu’il fît faire un voyage au navire
sous son nom et à ses risques; qu’à cette fin il décla
rât par un acte au greffe de l’amiraujé que le navire
lui appartenait comme l’ayant acquis, et qu’en consé
quence il prit les expéditions sous son aom ?
» Puisqu’il ne peut purger les dettes de son vendeur
qu’en observant ces formalités, il est donc évident qu’il
n’a besoin que. de prouver qu’il les a effectivement rem
plies pour être à couvert de toutes recherches, de quel
que manière qu’il ait acquis le navire , soit verbale
ment soit sous seing-privé, soit par acte devant no
taire l. »
C’est celte doctrine, quelque rationnelle qu’elle fût,
que le Code a condamnée par l’article 195. La vente
verbale n’est plus admise. Par conséquent, la preuve
orale de son existence ne pourrait être ni offerte ni re
çue. Elle doit être par écrit et constatée par un acte
sous seing-privé, ce que l’article 18 de la loi du 27
vendémiaire an n avait même prohibé.
En l’état l’exigence de l’article 195 peut bien inté
resser le vendeur et l’acheteur, mais ne saurait avoir
une influence quelconque à l’égard des tiers, comme
cela s’induit des termes de l’article 193. Les dettes gre1 Liv. 2, tit. 10, art. 3.
f î '-
�238
DROIT MARITIME.
vant spécialement le navire et auxquelles la loi a atta
ché un privilège, contractées, soit avant, soit après la
vente, ne sont purgées que par le voyage du navire sous
le nom et aux risques de l’acheteur, c’est-à-dire par la
mutation sur l’acte de francisation. Sans celte formalité
l’acte écrit, quelle que fut sa forme, quelque certaine
que fut sa date, laisserait ces dettes intactes et ne sau
rait en détruire ou en modifier les effets.
En serait-il de même pour les dettes commerciales
ou civiles ordinaires ? Les créanciers seraient-ils receva
bles et fondés en cas de faillite de leur débiteur, à faire
comprendre dans l’actif le navire dont la vente anté
rieure, réunissant les conditions de l’article 195, n’au
rait pas été inscrite sur l’acte de fancisalion ?
La doctrine et la jurisprudence se sont divisées sur
cette question. Dans leur contrat de commission ,
MM. Delamarre et Lepoitvin se prononcent pour l’affir
mative. Ils s’étayent sur un arrêt de la cour de Rennes
du 3 mai 1843 L
M. Dufour se prononce pour la validité absolue de la
vente et estime qu’elle est opposable aux tiers. Seule
ment comme le défaut de mutation a induit ces tiers en
erreur et leur a causé un préjudice, M. Dufour leur ac
corde le droit de poursuivre la réparation de ce préju
dice par application de l’article 1382 du Code civil3.
Dans une note à la suite d’un arrêt de la cour de
1 T . 4, n° 99.
2 D ro it maritime, t. 2, n°* 512, 513.
�ART.
193, 196 .
239
Bordeaux du 22 août 1860 dont nous allons parler,
M. Alauzet n’admet pas ce tempérament. Comme la
cour de Bordeaux, il estime que la vente régulièrement
constatée par écrit lie irrévocablement les tiers.
C’est surtout entre les cours de Bordeaux et de Ren
nes qu’existe la controverse. Outre l’arrêt du 3 mai
4843, cité par MM. Delamarre et Lepoitvin, celle-ci
jugeait, les 17 mars 1849 et 12 mai 1863, que la vente
totale ou pariielle d’un navire n’est valable à l’égard
des tiers, et ne peut être opposée aux créanciers du ven
deur qu’autant que celte vente a été inscrite sur l’acte
de francisation, selon les prescriptions de la loi du 27
vendémiaire an n K
La cour de Bordeaux, qui jugeait le contraire le 26
juillet 1858, le décidait de nouveau le 22 août 1860 2.
Pour la cour de Bordeaux, la vente étant parfaite par
le consentement réciproque sur la chose et sur le prix,
son effet immédiat et certain est le transfert de la pro
priété sur la tête de l’acheteur envers et contre tous;
l’article 195 du Code de commerce ne méconnaît ni ne
modifie ce principe ; il en subordonne l’effet à l’exis
tence d’un acte écrit ; donc lorsque cette condition est
remplie, la règle reprend tout son empire et s’impose à
la justice comme à tous les intéressés.
A l’argument tiré du décret du 27 vendémiaire an ir,
prescrivant la mention de la vente au dos de l’acte de
1 J . au P ., sous cass., 1852, 1, 612 ; 1863, 746.
* Ib id ., 1859, 878; 1861, 326.
�240
DROIT MARITIME.
francisation, la cour de Bordeaux répond que ce décret
n’a qu’un but exclusivement politique, et ne réglemente
la vente nés navires qu’au point de vue de l’état dans
l’objet: 1° d'assurer aux Français les privilèges atta
chés au pavillon national ; 2° d’empêcher toute usur
pation de ces privilèges de la part des étrangers ; que
rien n’indique qu’il ait entendu et voulu sauvegarder
les intérêts de ceux qui traitent avec les propriétaires
des navires ; que ce serait donc ajouter à ce décret et à
l’article 195 du Code de commerce lui-même que de
décider que la vente d’un navire parfaite et régulière
entre les parties ne peut être opposée aux tiers, lors
qu’elle n’a pas été inscrite sur l’acte de francisation.
Resterait, dans ce système, à expliquer pourquoi l’ar
ticle 193 n’admet l’efficacité de la vente contre les cré
anciers du navire que lorsque ce navire a fait un voya
ge sous le nom et aux risques de l’acheteur, c’est-à-dire
qu’après la mutation sur l’acte de francisation ; pour
quoi l’article 196 déclare que la vente volontaire du na
vire en cours de voyage ne préjudicie pas aux créan
ciers du vendeur qui conservent leur affectation sur le
prix. Cependant il ne peut s’agir dans l’un et l’autre
cas que d’une vente régulière en la forme et réunissant
le concours des volontés sur la chose et sur le prix.
Comprendrait-on dès lors que le vendeur qui, à dé
faut de mutation sur l’acte de francisation, est resté pro
priétaire du navire pour les constructeurs, les ouvriers,
les fournisseurs, les prêteurs à la grosse, tant antérieurs
que postérieurs à la vente, en eût perdu la propriété à
�l’endroit de ceux qui ne sont devenus ses créanciers
qu’en vue de la garantie que leur offrait le navire et sur
la foi d’un document public qui en attribuait la pro
priété à leur débiteur ?
Ce serait là un piège odieux tendu à la confiance pu
blique, que bien évidemment le législateur n’a ni auto
risé, ni pu vouloir autoriser, et contre lequel il a édicté
les articles 193 et 196 du Code de commerce, et bien
antérieurement le décret du 27 vendémiaire an h . Que
ce décret ait un but politique et de police, on ne sau
rait ni le méconnaître, ni le contester. Mais prétendre
qu’il ne saurait être invoqué dans l’intérêt privé des
tiers ayant traité avec les propriétaires de navires, c’est
en méconnaître l’esprit et lui reprocher d’avoir sacrifié
l’intérêt général du commerce.
Aussi la Cour de cassation, investie du pourvoi contre
les deux arrêts de Bordeaux, les a cassés l’un et l’autre
les 3 juin 1863 et 16 mars 1864 1.
La Cour suprême déclare que les dispositions de l’ar
ticle 17 du décret du 27 vendémiaire an ii , ne sont pas
seulement un règlement de police pour la navigation
qu’elles n’ont pas seulement un but politique, mais
qu’elles ont aussi pour objet la protection des intérêts
privés; que le registre matricule prescrit ouvert à tous
les intéressés leur permet de s’assurer si le bâtiment ap
partient en tout ou en partie à la personne avec laquelle
ils veuleut traiter ; que, par dérogation au droit com-
�242
DROIT MARITIME.
mun en matière de vente mobilière, les articles 193 et
196 du Code de commerce, accordent aux créanciers
un droit de suite sur le navire dont ils ne sont dépouil
lés que dans les conditions indiquées ; qu’en l’absence
de ces conditions , les créanciers du vendeur ne sont
pas ses ayants cause, obligés de subir les conséquences
de l’aliénation totale ou partielle qu’il a faite ; qu’ils
usent, au contraire, d’un droit qui leur est propre en
soutenant que l’acquéreur ne peut, en cas de faillite du
vendeur, leur être préféré sur le prix du navire qui leur
reste affecté tant que leur droit de suite n’a pas été éteint
conformément à la loi ; qu’il importe peu que la cour
de Bordeaux déclare les ventes sincères et ajoute que
leur date est fixée au besoin par les comptes établis dans
les livres du vendeur ; que ces considérations sont sans
force à l’égard des tiers qui, tant que l’acquéreur n’a
rien fait pour les avertir d’un changement de propriété,
ont dû considérer comme leur gage les navires qui n’ont
pas cessé d’être immatriculés sous le nom seul de l’ar
mateur avec lequel ils ont traité ; qu’il importe donc
peu qu’ils ne soient devenus créanciers que postérieure
ment à la vente ; que tant qu’elle n’a pas été inscrite
au bureau du port d’attache, elle n’existe pas à leur
égard, et le navire est resté leur gage.
Cette doctrine, essentiellement juridique au point de
vue de la législation spéciale , ne l’est pas moins au
point de vue du principe général qui domine la matière
commerciale. On sait avec quelle sollicitude le législa
teur a veillé à proscrire les pièges dont la confiance pu-
�art.
195, 196.
243
blique pourrait être victime. Dans le cas de faillite no
tamment, il prohibe la revendication des marchandises
non payées dès que par leur entrée dans les magasins
de l’acheteur elles sont venues, en apparence du moins,
accroître sa solvabilité; de plus il permet de refuser tout
effet à l’hypothèque valablement acquise s’il s’est écoulé
plus de 15 jours entre la date du titre constitutif et celle
de l’inscription.
Or l’acheteur d’un navire qui omet de faire la muta
tion sur l’acte de francisation, ne commet-il pas la né
gligence reprochable à ce créancier hypothécaire ? N’at-il pas, comme celui-ci, le tort de dissimuler la posi
tion du vendeur, et de laisser le public croire à une
solvabilité qui n’existe plus? Pourquoi donc ne ferait-on
pas pour lui ce qu’on fait pour celui-là, et maintien
drait-on la vente alors qu’on annule l’hypothèque 1?
156. — Mais l’effet de l’article 195 se concentre
uniquement dans l’hypothèse de l’absence de la muta
tion dans l’acte de francisation. Il est impossible d’ad
mettre que l’administration opérera celte mutation sur
le dire du premier venu ; elle exigera ou la représenta
tion du titre, ou tout au moins la comparution et le con
sentement du vendeur, qu’elle constaterait d’une maniè
re régulière dans l’acte même.
Comment, dès lors, après ce consentement, le ven
deur pourrait-il exciper de l’absence d’un acte de vente
Voy. supra n° 410.
:
�244
DROIT MARITIME.
écrit ? Les tiers eux-mêmes seraient-ils fondés à soulever
cette exception ? L’acheteur ne serait-il pas dans le cas
de répondre avec raison et succès : L’acte écrit que vous
demandez se trouve dans la mutation elle-même. Ne se
rait-ce pas là tout au moins un commencement de preu
ve par écrit, autorisant la preuve testimoniale et ren
dant dès lors les présomptions admissibles. Or, quelle
présomption plus décisive que celle que fournit la mu
tation suivie d’une exécution conforme , par exemple
l’affrètement et l’assurance du navire, etc...
Si la mutation n’est pas opérée, les tiers et le vendeur
lui-même pourront exciper de l’absence d’un acte écrit,
et cette absence rendra la vente sans effet.
Il en serait de même si après la mutation un tiers pré
tendait être associé à celui dont le nom a été substitué à
l’ancien propriétaire. Ici le silence gardé à son endroit
par l’acte de francisation serait une présomption con
traire à sa demande, et celle-ci, se référant à l’acquisi
tion d’une part quelconque dans le navire, ne pourrait
être établie que par écrit, aux termes de l’article 195.
C’est ce qui a été consacré dans une espèce que nous
rapporterons plus tardl.
157. — Le navire, dit l’article 195, peut être ven
du malgré qu’il soit en voyage; mais l’article 196 ajoute
que cette vente volontaire ne préjudicie en aucune façon
aux créanciers du vendeur, et c’était justice.
�art.
195 , 196.
245
En effet, une déchéance ne peut être que le résultat
d’une faute, d’une négligence quelconque. Nous avons
dit quels sont les fondements de celle édictée dans l’ar
ticle 193.
Pourrait-on assimiler la vente du navire en voyage à
celle hypothèse, et exiger ici ce qu’on a exigé des créan
ciers dans celle-ci ? Non, évidemment. La sortie du port
d’armement s’est faite sous le nom du débiteur. Le
voyage devait donc se réaliser à ses risques. La certitu
de de l’un et de l’autre dispensait les créanciers de; toute
précaution.
Comment, d’ailleurs, les obliger à une opposition ?
La vente peut ne se réaliser qu’après les délais obligés.
Dans tous les cas, ils peuvent ne la connaître qu’après
leur expiration. Ils auraient donc perdu leur droit sans
avoir été à même de le conserver.
La loi a reculé devant une pareille énormité, et elle
a voulu constater expressément son intention. La vente
faite pendant le voyage laisse donc intacts les droits ac
quis avant le départ.
Elle conserve également ceux acquis depuis et même
postérieurement à la vente, fût-elle authentique. D’une
part, en effet, le capitaine empruntant en cours de voya
ge le fera sur les expéditions, sur les papiers dont il est
porteur, et qui tous sont au nom du vendeur ; de l’au
tre, en supposant que la vente eût immédiatement trans
porté à l’acheteur tous les droits du vendeur, le prêt fait
pour les besoins du navire, quoique fait au nom de ce
lui-ci, n’en aurait pas moins profité à la chose de l’a-
�246
DROIT MARITIME,
cheteur, qui en serait personnellement tenu, tout com
me de la responsabilité des actes du capitaine.
158. — Il ne faudrait pas conclure de l’article 196
que le navire vendu, étant en voyage, reste indéfiniment
obligé à l’affectation des créanciers du vendeur. Cet ef
fet n’est admis par la loi que pour le voyage dans le
cours duquel la vente s’est opérée ; quelque prolongée
qu’en soit la durée, il ne saurait purger celte affecta
tion.
Mais dès que le navire est rentré au port d’armement,
les choses reprennent leur cours ordinaire ; les voyages
entrepris ultérieurement rentrent sous l’application de
l’article 193. Opérés aux nom et risques de l’acheteur,
ils éteindraient les droits des créanciers, faute par eux
d’avoir signifié une opposition dans les délais prescrits.
159. — L’article 196 peut donner lieu à un équi
voque qu’il est bon de dissiper. Le navire ou son prix,
dit-il, reste le gage des créanciers. Les créanciers ontils donc l’option d’exiger l’un ou l’autie ? On comprend
que l’affirmative conduirait à ce résultat que la loi, au
torisant la reprise en nature du navire, aurait par cela
même considéré la vente comme si elle n’avait jamais
existé, et lui aurait refusé tout effet.
Ce résultat ne saurait être admis ; il faudrait, pour
qu’il en fût autrement, supposer que l’article 196 refuse
positivement ce que l’article 195 vient d’autoriser d’une
manière expresse. A quoi bon, en effet, dire que le na
�vire peut être vendu étant en voyage, si les créanciers
pouvaient se soustraire aux effets de cette vente ?
Ainsi, ce qui dans l’hypothèse de l’article 196 est dû
aux créanciers, c’est le prix stipulé. Mais la vente doit
produire tous ses effets, c’est-à-dire qu’au moyen du
paiement de ce prix entre les créanciers, le navire sera
libéré de toute affectation.
Ce qui le prouve, c’est l’article 196 lui-même, permet
tant aux créanciers d’attaquer la vente pour cause de
fraude. Or, évidemment cette permission était fort inu
tile, si les premiers mots de l’article avaient la significa
tion que nous combattons.
Ce qu’il faut induire de l’ensemble de cette disposi
tion, c’est que la transmission du navire à l’acheteur,
quoique définitive, laisse celui-ci sous l’affectation aux
dettes du vendeur, qu’il n'en est libéré que par la dis
tribution du prix aux créanciers, mais que cette distri
bution est forcée, de telle sorte que l’acheteur ne peut
s’y soustraire qu’en renonçant au bénéfice de la vente.
160. — Une difficulté s’est présentée sur la maniè
re dont il fallait interpréter la vente en voyage. Le na
vire n’a-t-il terminé son voyage que lorsqu’il est rentré
dans le port d’où il est parti, quelque durée qu’il mette
à opérer ce retour, quelques opérations qu’il ait réali
sées dans l’intervalle ?
L’affirmative était soutenue dans l’espèce de l’arrêt de
la cour d’Aix, du 22 décembre 1824.
« Un navire, disait-ou, comme un individu, a un do-
�248
DROÏT MARITIME.
micile ; ce domicile est le port dans lequel il est imma
triculé, dans lequel il a été francisé, auquel il appar
tient, et dans lequel il doit opérer son retour, retour qui
est môme garanti par un cautionnement, d’où il suit
que le navire est en voyage dès l’instant qu’il quitte le
port, et qu’il continue d’être en voyage jusqu’au mo
ment où il y rentre.
» On doit bien se garder de confondre le navire en
voyage, dont parle l’article 196, et le voyage du navire
dont il est parlé dans les articles 193 et 194.
» Le navire en voyage est celui qui ne se trouve pas
dans le port de la matricule, de même que l’individu
en voyage est celui qui ne se trouve pas dans son domi
cile.
» Le voyage du navire, au contraire, est la naviga
tion d’un port de sortie à un port de destination. »
L’étrange conséquence d’un pareil système en com
manderait seule le rejet, alors que ce rejet ne décou
lerait pas de la vérité des choses, de la logique ellemême.
En effet, si le navire commence à être en voyage à sa
sortie du port de l’immatriculation, et si le voyage ne
finit que par le retour dans ce même port, il sera vrai
de dire que pour certains navires le voyage sera perpé
tuel, qu’ils ne pourront jamais être vendus qu’en cet
état, fussent-ils demèurés dix ans inactifs dans un port,
à l’exploitation duquel ils étaient originairement et ex
clusivement destinés. Je m’explique.
Les ports les plus fréquentés de la France ne sont pas
�ART.
198 , 196.
249
ceux où l’on construit le plus grand nombre de navires.
Dans nos contrées, par exemple , il existe à La Seyne,
près Toulon, et à La Ciotat, d’importants chantiers de
construction dans lesquels les négociants de Marseille
notamment font édifier leurs plus importants vaisseaux.
Ce qui arrive dès lors, c’est que ces vaisseaux sont
francisés, soit à La Ciotat, soit à Toulon. Mais ils sont
destinés à servir le port de Marseille, dans lequel ils
sont conduits soit avant, soit après leur armement, d’où
ils ne retourneront jamais au port d’origine, que quel
ques-uns, ceux construits à La Seyne, par exemple,
n’ont même jamais revu.
Ces navires, vendus en état de désarmement dans le
port de Marseille, seraient vendus en état de voyage,
mais autant vaudrait effacer l’article 193, car il n’y au
rait jamais qu’un seul voyage, celui pendant lequel le
navire aurait été vendu, et l’application de sa disposi
tion serait impossible.
Disons donc avec la cour d’Aix qu’un navire qui se
trouve en armement dans un port n’est pas censé en
voyage par cela seul que ce port n’est pas celui de sa
matricule. Il n’y a de navire en voyage que celui qui
navigue actuellement, et l’article 196 ne s’applique qu’à
la vente faite, soit dans un port d’échelle, soit pendant
que le navire est en mer.
161. — Une observation commune aux articles 193
et 195 est que le voyage dont il y est question ait réel
lement pour objet et pour but l’exploitation du navire.
�250
DROIT MARITIME.
Ainsi, le navire nouvellement construit, qui serait con
duit dans un port voisin pour compléter son armement,
ne serait pas par cela en état de voyage, il en serait de
même de celui que l’acheteur, dans l’intention de le
faire radouber, aurait fait conduire ailleurs que dans le
port d’achat. Quelque longue qu’eût été la traversée,
quelque durée qu’eût éprouvé la navigation, les droits
des créanciers du vendeur ne seraient point purgés. Ce
double fait, dit avec raison M. Pardessus, serait plutôt
des préparatifs pour le voyage que le voyage lui-même.
165 bis. — La vente du navire est-elle régie par
l’article 1599 du Code civil ? Peut-on
en cette matière
«
se prévaloir de la règle édictée par l’article 2279 même
Code ? Telles sont les questions qui se présentaient à la
cour de Rouen dans une espèce où un navire vendu
était revendiqué par ses premiers propriétaires.
La Cour déclare que l’article 1599 n’étant applicable
ni aux meubles, ni aux matières commerciales, on ne
pouvait régler par ses prescriptions la vente d’un navire
qui est en même temps meuble et matière de com
merce.
Que l’article 1599 ne régisse pas la vente de meubles
ordinaires, c’est ce qu’on était bien forcé d’admettre.
Un meuble se transmet de la main à la main sans que
rien le constate. Or pour reprocher à quelqu’un d’avoir
acquis a non domino et lui enlever l’objet de son achat,
il faudrait le convaincre d’une faute, d’une négligence,
d’une imprudence. Or on trouve cette faute, cette négli
�gence, cette imprudence chez celui qui reçoit un meu
ble en échange du prix auquel il l’achète ?
C’est surtout en matière commerciale que l’applica
tion de l’article 1399 jèterait le désarroi le plus com
plet dans les transactions. Où en serait-on si les ventes
faites à la Bourse, dans les foires, dans les marchés de
vaient être constatées par écrit, et si les acheteurs avant
de conclure étaient obligés d’exiger que leur vendeur
justifiât de sa propriété.
Il est vrai que les navires sont en même temps meu
bles et matières de commerce, mais il ne viendra jamais
à l’esprit de personne de les assimiler à une balle de
laine ou à une barrique de sucre. Ils sont dans une
classe à part, spéciale, et loin de leur appliquer les rè
gles édictées pour les autres meubles, la loi en a soumis
la transmission à des conditions exceptionnelles, et
exige notamment qu’elle soit constatée par écrit.
Donc celui à qui on propose l’achat d’un navire doit,
avant de traiter, exiger la représentation des litres jus
tifiant de la propriété du vendeur. S’il manque à ce de
voir il se rend coupable d’imprudence, de négligence
graves, et s’il a acquis réellement du non propriétaire,
il ne saurait se soustraire à la règle édictée par l’arti
cle 1399 du Code civil.
Au reste on remarquera que la nullité que cet arti
cle prononce est en faveur et contre les parties'contrac
tantes. Or, si l’acheteur lui-même peut l’invoquer, à
combien plus forte raison doit-on déclarer redevable ce
lui dont on a vendu la chose à son insu et contre sa vo-
�252
DROIT MARITIME.
lonté. Celui-ci, en effet, agit principalement en reven
dication et on ne saurait utilement lui opposer la vente
si en réalité celui qui l’a consentie n’avait ni mandat,
ni pouvoir de le représenter et d’agir pour lui.
Sans doute le propriétaire n’agit pas à un autre titre
lorsqu’il réclame un meuble ordinaire. Mais ici son ac
tion vient se heurter contre la règle tracée par l’article
2279 du Code civil, en fait de meubles la possession vaut
titre. Cette règle peut-elle être invoquée et appliquée en
mati'ère de navires ?
Il semble que poser cette question c’est se permettre
une véritable énormité. Comment, en effet, concevoir un
doute quelconque lorsqu’on s’en réfère à l’esprit qui a
dicté et qui légitime l’article 2279 ? Tout le monde le
reconnaît et l’enseigne. Les meubles sont l’objet de mu
tations si multipliées, si rapides ; ils ont d’ailleurs une
individualité si peu accusée qu’il était impossible d’exi
ger pour en établir la propriété une autre preuve que
leur possession matérielle, et c’est précisément la dispo
sition de l’article 2279 qui rend inapplicable aux ven
tes de meubles l’article 1599. La présomption tirée de
la possession est pour l’acheteur juris et de jure. Il ne
peut donc à son égard exister un achat à non domino,
D’ailleurs, abstraction faite du cas de perte ou de vol,
la chose ne sera en possession de celui qui la détient
que du fait même du propriétaire. Or, si quelqu’un
doit supporter les conséquences de l’infidélité du loca
taire, du mandataire ou du dépositaire, c’est évidem
ment et exclusivement celui qui l’a choisi.
�ART.
198 , 196 .
253
Est-ce qu’on peut sérieusement prétendre qu’il doit
en être de même des navires ? Sans doute, ils sont meu
bles de leur nature, mais quelle différence dans l’im
portance et la valeur ? Est-ce que leur transmission
peut s’opérer de la main à la main ? Est-ce que l’inté
rêt du commerce et le développement de ses transac
tions exigeaient qu’on ne lui imposât aucune forme ?
Or, ces formes la vente des navires les rend indis
pensables. Aux termes de la loi cette vente doit être
constatée par un acte authentique ou sous seing-privé,
à défaut elle est radicalement nulle, et n’en a pas trans
mis la propriété.
Donc, le premier devoir, la plus impérieuse obliga
tion de celui qui traite de l’acquisition d’un navire, est
d’exiger la représentation du titre qui en confère la pro
priété à celui qui se propose de le vendre. Cette repré
sentation sera facile en quelque lieu que se trouve le
navire, puisque, aux termes de l’article 226 du Code
de commerce, le capitaine doit avoir à bord l’acte de
propriété et l’acte de francisation.
Conséquemment celui qui achèterait le navire sans
s’être fait justifier de la propriété de son vendeur, a
commis une faute grave, une imprudence impardonna
ble, et s’il a réellement acquis à non domino, il doit
supporter les conséquences de l’une et de l’autre. Il ne
saurait lui être permis d’échapper à la juste réclamation
du véritable propriétaire, en invoquant le bénéfice de la
règle édictée par l’article 2279 du Code civil.
Cela ressort si évidemment de la nature même des
�284
DROIT MARITIME.
choses, que le mettre en question semble, nous venons
de le dire, une témérité. Or, l’opinion contraire a été
non seulement soutenue, mais encore consacrée. Dans
son arrêt du 3 juillet 1867, la cour de Rennes déclare
l’article 1599 inapplicable et applique l’article 2279.
L’arrêt constate en fait que la vente du navire le Co
lorado n’a pas été autre chose qu’une vente pure et
simple de la chose d’autrui par ceux qui l’ont ou faite
ou ordonnée. Il ajoute :
« Considérant toutefois que l’article 1599 du Code
civil, qui prononce la nullité de ces sortes de ventes,
n’est textuellement applicable ni aux meubles, ni aux
matières de commerce, et que la nullité desdites ventes
n’est d’ailleurs point telle qu’elles ne puissent ni servir
de base à la prescription, ni être ratifiées par le pro
priétaire ;
» Considérant que les navires sont à la fois meubles
et matières de commerce ; que pourtant la loi, vu leur
importance et leur valeur, en a soumis la vente, la sai
sie et l’appropriation à des formalités exceptionnelles,
mais qu’aucune de ces formalités n’a pour but ni pour
résultat de faire qu’ils soient possédés autrement et avec
d’autres conséquences de droit que les autres biens dans
la classe desquels ils se trouvent compris ;
» Considérant que , dans l’espèce , les appelants ont
eu la possession réelle, patente et entière du Colorado ;
qu’ils l’ont acquise publiquement par un acte régulier
d’un officier public, en vertu d’un ordre de l’autorité
légale, conformément aux usages du pays, sans opposi-
�ART.
195, 196.
25b
lion du représentant des propriétaires sur les lieux, avec
toutes les apparences de son consentement, et qu’une
possession ainsi fondée sur un juste titre, commencée
de bonne foi et continuée de même pendant plusieurs
mois au su des intimés, sans trouble de leur part, peut
être utilement opposée à leur demande...............
» Considérant au surplus que postérieurement au
voyage de l’un d’eux à la Havane, les intimés ont ac
quiescé à la vente et concouru autant qu’il était en eux
à son exécution (suit l’indication des faits d’où la Cour
déduit cet acquiescement et ce concours) l.
Ainsi la cour de Rouen oppose à la demande en re
vendication du navire trois fins de non-recevoir puisées
la première dans l’inapplicabilité à la matière de l’arti
cle 1S99 du Code civil ; la seconde dans le principe
qu’en fait de meubles la possession vaut titre; la troi
sième dans la ratification tacite donnée à la vente.
Devant la Cour de cassation on insistait sur les con
sidérations que nous venons d’indiquer pour justifier
que c’était mal à propos et illégalement que les deux
premières avaient été accueillies. Quant à celle puisée
dans une ratification, on soutenait que pour qu’une ra
tification fût possible, il fallait une convention qui, quoi
que atteinte d’un vice de nature à l’annuler , liait ce
pendant les parties tant que la nullité n’avait été ni
poursuivie ni prononcée. Qu’ainsi il paraissait avoir
prévalu en jurisprudence qu’entre le vendeur et l’ache1J. du P., 4868, 989.
�256
DROIT MARITIME.
leur. La nullité de la vente de la chose d’autrui était
prescriptible par dix ans aux termes de l’article 1304 du
Code civil, et pouvait se couvrir par une confirmation,
mais qu’il ne saurait en être ainsi pour le propriétaire
dont on avait vendu la chose sans son consentement ;
qu’il n'était intervenu à son égard aucun contrat ; qu’il
n’existait aucune convention et que dès lors toute rati
fication était impossible, car, ainsi que l’enseigne Mer
lin et que le proclamait le tribun Jaubert, on ne peut
ratifier ni confirmer une obligation qui n’existe pas ;
dans tous les cas, on soutenait que les actes relevés par
l’arrêt ne pouvaient constituer la ratification.
Ces moyens furent accueillis par la Cour de cassa
tion. Un arrêt du 18 janvier 1870 casse l’arrêt de
Rouen. Voici les motifs qui déterminent cette cassation :
« Vu les articles 1599, 2279 du Code civil, et les ar
ticles 190 et 195 du Code de commerce ;
» Attendu que, suivant les constatations de l’arrêt
attaqué, le navire anglais le Colorado, déclaré en état
d’innavigabilité, a été vendu aux enchères publiques à
la Havane, sans le concours ou le consentement soit des
propriétaires dudit navire , soit même du capitaine ;
qu’ainsi la vente est nulle comme ayant pour objet la
chose d’autrui ;
» Attendu, néanmoins, que l’arrêt attaqué a repoussé
l’action en nullité et en revendication de Haws et con
sorts par une double fin de non-recevoir tirée : 1° de
ce que les acheteurs auraient une possession valant ti
tre aux termes de l’article 2297 du Code civil ; 2° de ce
�que les propriétaires auraient, par certains faits d’exé
cution, approuvé ou ratifié la vente, et renoncé à se
prévaloir de la nullité dont elle était viciée à leur égard;
» Mais attendu, en premier lieu, qu’un navire, quoi
que meuble de sa nature, est soumis, quant aux saisies,
adjudications ou ventes dont il peut être l’objet, à des
règles spéciales qui excluent, en cette matière, l’appli
cation du principe suivant lequel en fait de meubles
possession vaut titre ;
» Attendu , en second lieu , que si l’action du pro
priétaire de la chose vendue sans son consentement peut
être déclarée non-recevable lorsqu’on lui oppose soit une
approbation ou ratification expresse, soit des actes vo
lontaires d’exécution qui impliqueraient de sa part la
volonté de renoncer à son droit, les faits tels qu’ils sont
constatés par l’arrêt attaqué ne présentent les caractères
ni d’une ratification expresse, ni d’une ratification ta
cite, d’où l’on puisse induire contre les demandeurs la
volonté de renoncer à leur action en nullité de la vente
et en revendication du navire ;
» D’où il suit qu’en déclarant, dans l’état des faits
ainsi constatés, les demandeurs non-recevables dans
leur action et en les déboutant de leur demande en res
titution du navire, l’arrêt attaqué a faussement appli
qué et par suite violé suit l’article 2279 du Code civil,
soit les principes en matière de ratification et de renon
ciation, et en outre formellement violé l’article 1599
i — 17
�258
DROIT MARITIME.
même Code et les articles 190 et 195 du Code de com
merce \ »
On remarquera que loin d’admettre que la vente de
la chose d’autrui ne puisse être ratifiée par le proprié
taire, la Cour de cassation consacre implicitement le
contraire, et c’est avec raison. Comment, en effet, in
terdire ou empêcher qu’un individu renonce au béné
fice d’une nullité introduite en sa faveur ? Un pareil ri
gorisme que rien n’autorisait d’ailleurs n’a pu entrer
dans les prévisions du législateur.
161 ter. — Il est également certain que la vente d’un
navire consentie à non domino peut servir de base à la
prescription en faveur de l’acheteur. Par quel laps de
temps s’accomplira celte prescription ?
La question ne peut être douteuse si l’acheteur, ayant
négligé toutes les précautions que commandait la na
ture des choses, n’a à invoquer ni juste titre, ni bonne
foi. La prescription trentenaire pourrait seule le mettre
à l’abri de l’action du propriétaire.
Supposez au contraire qu’on ait acquis un navire de
celui à qui il n’appartenait pas , mais en faveur de qui
les apparences étaient assez fortes pour que l’acheteur
pût être considéré comme de bonne foi. Par quel laps
de temps aurait-il prescrit ?
Suivant M. Pardessus il semble naturel, dans ce cas,
de continuer l’application par analogie des principes du
droit civil. Il enseigne, en conséquence, que de même
que celui qui acquiert de bonne foi un immeuble d’une
�ART.
195, 196.
259
personne qui n’en est pas propriétaire prescrit contre le
vérilable propriétaire, par le laps de temps et les moyens
qui servent à prescrire contre les hypothèques, de mê
me il parait convenable de décider que l’acheteur de
bonne foi d’un navire, prescrit contre le légitime pro
priétaire lorsqu’il l’a possédé pendant le temps et avec
les circonstances qui purgent les droits des créanciers
sur les navires *.
C’est-à-dire que l’acheteur d’un navire a non domi
no serait à l’abri de toutes recherches lorsque le navire
aurait fait un voyage en mer sous son nom et à ses ris
ques soit après une navigation de trente ou de soixante
jours 2.
Ce système ne nous paraît pas admissible, il soulève
les plus sérieuses objections, et pourrait dans un cas
donné, avoir pour résultat de dépouiller le véritable
propriétaire avant même qu’il connût la vente et la né
cessité d’agir. Est-ce que d’ailleurs , en droit civil, la
purge des hypothèques par l’ordre et la distribution du
prix influe sur le délai de dix ou de vingt ans que l’ar
ticle 2265 du Code civil accorde au propriétaire dont
l’immeuble a été vendu sans son concours ? Pourquoi
donc la circonstance qui amène l’extinction des privilè
ges sur les navires anéantirait-elle également le droit
du véritable propriétaire?
Oui, on doit par anologie appliquer les principes du
droit civil ; et ce qu’il faudrait en conclure, c’est que la
prescription de l’action en matière de vente du navire
1 N° 618.
2 Art. i 93, 194 G. comm.
�260
DROIT MARITIME.
d’autrui, devrait se régler par la disposition de l’article
2Ü65, et c’est ce que pensent et enseignent MM. Boulay-Pafy, Dageville et Alauzet.
Seulement sera-ce le délai de dix ans, sera-ce celui
de vingt ans qu’il faudra admettre ? Ce dernier, on le
sait, est déterminé par la situation de l’immeuble. Or,
les bâtiments de mer n’ont pas de situation propre et
invariable. Un jour ici, un autre jour là, le lendemain
à deux cents lieues. Sur quelles bases se déterminera-ton ? Prendra-t-on pour le lieu de situation le port d’ar
mement? Comme l’observe M. Labbé, dans le Journal
du Palais, ce serait transformer une disposition arbi
traire de la loi au moyen d’équivalents également arbi
traires.
On se trouve donc en présence de ces trois termes :
trente ans, vingt ans, dix ans. Pour nous, nous nous
prononçons sans hésiter pour ce dernier. Il nous parait
suffire et au-delà à la protection due au légitime pro
priétaire. On peut en théorie examiner et discuter ces
questions. Mais en pratique elles ne se rencontreront
guère. La vente du navire d’autrui n’est et ne peut être
qu’une très rare exception. Mais ce qu’on ne verra ja
mais, c’est que celui dont on a vendu le navire reste dix
ans sans réclamer, et s’il le fait il faudrait en conclure
qu’il a approuvé la vente et qu’il l’avait autorisée. Lui
accorder dix ans, c’est donc lui faire la part la plus large
et lui accorder une protection telle qu’il pourrait la ré
clamer.
�V
,
TITRE ïï
■
De la sa isie et vente des navires
—
........... —
A rticle
197.
Tous bâtiments de mer peuvent être saisis et vendus
par autorité de justice, et le privilège des créanciers sera
purgé par les formalités suivantes.
SOMMAIRE
162. Caractère de l’article 197. Son origine. Ses motifs.
163. A qui appartient le droit de saisir, de faire vendre le navi
re. Conditions de son exercice.
164. Saisie conservatoire. Quand peut-elle être exercée. Ses for
mes.
165. Contre qui la saisie doit être dirigée.
166. Effet de la saisie régulière.
162. — La faculté de saisir les navires n’a jamais
été ni révoquée en doute, ni contestée. Leur propriété
constitue une portion plus ou moins considérable de
l’actif du débiteur. Elle est donc, comme cet actif luimême, affectée au paiement des créanciers.
Le droit de saisir n’avait donc pas besoin d’être ex
primé. C’est ce que pensaient quelques conseillers d’Etat,
mais les navires étant déclarés meubles, faillait-il les
�262
DROIT MARITIME.
soumettre, quant à leur saisie et à leur vente, à la for
me que le droit commun a tracée pour les meubles or
dinaires ?
L’ordonnance de 1681 avait eu à résoudre cette ques
tion. En effet, l’édit du 8 octobre 1666, en consacrant
les principes que les navires sont meubles, n’avait re
culé devant aucune de ses conséquences. Il permettait
donc de les vendre et négocier eu toute sûreté et sans
formalités de justice, il prohibait de plus qu’ils fussent
saisis, vendus ou adjugés, ni les deniers en provenant
distribués, que de la manière dont on en usait à l’égard
des autres meubles.
L’ordonnance de 1681 dérogea à cet usage et consa
cra des dispositions contraires. Cela, dit Valin, à cause
des abus et fraudes qui en pouvaient résulter. Les cré
anciers doivent plus naturellement compter sur la ga
rantie d’un navire que sur celle des effets mobiliers or
dinaires, dont la rapide circulation est nécessaire et iné
vitable Or, le système de 1666 trompait cette prévision
et se prêtait merveilleusement à la simulation d’une alié
nation qui ne comportait aucune règle, aucun délai, et
qui dépouillait les créanciers sans leur accorder aucun
moyen de conserver leurs droits.
>
Cependant le législateur de 1681 ne crut pas devoir
consacrer les formalités de la saisie immobilière. Les
longueurs qu’elles occasionnent parurent inconciliables
avec la rapidité si essentielle à toutes les choses com
merciales. De là, la nécessité de consacrer une procé
dure particulière, énumérée dans les diverses disposi
tions du titre que l’ordonnance consacre à la saisie".
�art. 197.
265
Les rédacteurs du Code se rangèrent à cette doctrine
de l’ordonnance. Indépendamment de sa rationalité, ils
y étaient engagés par l’hommage que lui avait déjà ren
du la législation ordinaire. Ainsi, l’article 331 du Code
civil avait proclamé le principe que la saisie des bateaux
et navires pouvait être soumise, à cause de leur impor
tance, à des règles particulières que l'article 620 du Code
de procédure civile avait plus furd édictées pour les na
vires de dix tonneaux et au-dessous.
C’est en s’appuyant sur ces dispositions qu’on contes
tait au conseil d’Etat l’utilité de l’article 197. A quoi bon,
disait M. Réal, poser le principe abstrait que les bâti
ments de mer peuvent être saisis ? Il ne s’agit que de
régler les formes de la saisie et de la vente. Déjà, l’on
trouve dans l’article 620 du Code de procédure civile
une disposition sur la vente des bâtiments de dix ton
neaux et au-dessous. Il ne reste donc à régler que celle
des bâtiments d’un port plus élevé.
Mais le conseil d’Etat, partageant le désir exprimé par
M. Bégouen, que le Code de commerce fût complet et
ne renvoyât ni au Code civil, ni au Code de procédure,
maintint l’article. Le principe de la saisissabilité des na
vires était l’introduction naturelle aux formalités qu’on
allait consacrer, et dont l’accomplissement devait purger
le navire des dettes du vendeur.
Au fond, ce principe, que la loi commerciale a tenu
à rappeler, était indiqué par la force des choses. Il était
impossible d’admettre que dans une hypothèse quelcon
que le paiement d’une dette, d’ailleurs exigible, dépen-
�DROIT MARITIME.
264
dit entièrement de la volonté du débiteur, et, qu’à son
refus, ses créanciers ne pussent exécuter judiciairement
la partie quelquefois la plus considérable de son actif.
Une disposition de ce genre eût été sans doute un im
mense avantage pour les propriétaires de navires. Mais
bientôt les graves dangers qu’elle offrait pour le crédit
public, pour le crédit particulier lui-même, n’auraient
pas manqué d’éclater. Qui eût consenti à faire des avan
ces sur navire, si celui-ci ne pouvait être réalisé judi
ciairement, et si, malgré le défaut de remboursement en
temps convenu, son propriétaire avait pu se perpétuer
dans sa possession ?
Les navires devaient donc être saisissables. L’intérêt
réel de la navigation n’exigeait qu’une seule exception,
et nous verrons que le législateur n’a pas manqué de la
consacrer dans l’article 215.
165. — Le droit de saisir le navire appartient à tout
créancier du propriétaire, il est attaché à la qualité et
non à la nature de la créance. Son exercice ne pourrait
donc rencontrer aucun obstacle, qu’elles que fussent l'o
rigine et les causes de la dette, et alors même qu’elles
n’auraient aucun rapport avec la navigation.
Mais cet exercice suppose que la créance résulte d’un
titre authentique ayant l’exécution parée. Il faudrait,
en outre, que ce titre réunît les autres conditions pres
crites par l’article 551 du Code de procédure civile, dont
la disposition générale et absolue ne reçoit aucune ex
ception.
�ART.
197.
268
164. — Toutefois et conformément à l’article 172
du Code de commerce, le porteur de lettres de change
protestées faute de paiement pourrait, avec permission
du juge, frapper le navire d’une saisie conservatoire.
L’effet de cette saisie se bornerait à empêcher le pro
priétaire de disposer du navire au préjudice du saisis
sant. Elle ne pourrait être suivie de la procédure en ven
te qu’après la condamnation du débiteur et en vertu du
jugement1.
Ce qui est licite dans l’hypothèse de l’article 172, l’est
également toutes les fois qu’il s’agit d’une dette contrac
tée pour le voyage que le navire va entreprendre, et
pour laquelle on serait en droit d’exiger la caution dont
parle l’article 215. Mais le juge compétent pour autori
ser la saisie n’est plus le président seul. Dans ce cas,
l’article 418 du Code de procédure civile permettant
d’assigner de jour à jour, d’heure à heure sans ordon
nance, le tribunal doit être immédiatement investi. À lui
seul donc appartiendrait le droit d’autoriser la saisie
conservatoire en attendant la solution du procès.
La saisie faite contrairement à ces conditions, c’est-àdire celle qui n’aurait pas pour base un titre authenti
que, ou qui aurait été exercée sans autorisation de l’au
torité compétente, serait frappée d’une nullité radicale
et absolue. Le saisissant serait tenu à la réparation du
préjudice qu’elle aurait pu causer. Ce préjudice pour
rait être important et les dommages-intérêts considérai Pardessus, n° 609. V° in f r a , art. 315.
�DROIT MARITIME.
266
blés si, par exemple, le navire ayant pris ses dernières
dispositions, la saisie seule l’a empêché de réaliser sa
sortie du port, et a retardé ainsi son voyage.
165. — Pour les tiers, il n’y a pas d’autre proprié
taire d’un navire que la personne indiquée parl’aclede
francisation. C’est donc contre toutes celles qui y figu
rent que la saisie doit être dirigée. Les copropriétaires
qui auraient omis de s’y faire inscrire n’en seraient pas
moins atteints par la saisie, sauf de revendiquer leur
portion s’ils se trouvaient en position de le faire.
Mais le navire entier ne peut être saisi que par les
créanciers porteurs d’une créance privilégiée, grevant
l’intégralité du navire. Le créancier personnel d’un co
propriétaire ne pourrait opérer une pareille saisie que
si le nom de son débiteur figurait seul sur l’acte de fran
cisation.
Dans le cas contraire, la saisie ne pourrait porter que
sur la portion d’intérêt appartenant à son débiteur. La
dette privilégiée, qu’elle ail été consentie par un des co
propriétaires ou par le capitaine, n’en est pas moins la
dette commune, celle du navire lui-même. La dette per
sonnelle ne grève que celui qui l’a souscrite, et n’affecte
que l’intérêt lui appartenant dans une communauté quel
conque. La saisie serait donc nécessairement réduite à
cet intérêt, sans que les résultats dussent amener la li
citation du navire et mettre fin à l’indivision.
En effet, la vente volontaire du navire ne peut se réa
liser que du consentement unanime des copropriétaires.
�ART. 197.
267
Plus tard, nous verrons que sa licitation ne peut être
ordonnée que si elle est demandée par des propriétaires
formant ensemble la moitié de l’intérêt total. Ces dispo
sitions seraient facilement éludées si celte licitation de
vait être la conséquence de la saisie. Le propriétaire de
quelques quirals qui, l’ayant demandée, ne l’aurait pas
obtenue, pourrait se soustraire à ce refus en faisant pra
tiquer une saisie par un de ses créanciers1.
166. — La loi rappelle, dans l’article 197,1e prin
cipe qu’elle a déjà consacré dans l’article 193, à savoir,
que la vente sur saisie purge le navire de toutes dettes
du chef du saisi. Mais cet effet est subordonné à la ré
gularité de la saisie, régularité ne pouvant résulter que
de l’observation des formalités prescrites par les articles
suivants.
Article 198.
Il ne pourra être procédé à la saisie que vingt-qua
tre heures après le commandement de payer.
Article 199.
Le commandement devra être fait à la personne du
propriétaire ou à son domicile, s’il s’agit d’une action
générale à exercer contre lui,
1V. in fr a , art. 220,
�268
DROIT MARITIME.
Le commandement pourra être fait au capitaine du
navire, si la créance est du nombre de celles qui sont
•susceptibles d’un privilège sur le navire, aux termes de
l’article 191.
S O MMA I R E
167. Convenance et justice de faire précéder la saisie d’un com
mandement.
168. Formes de ce commandement. Condition qu’elle impose
aux commerçants.
169. Faculté de s’opposer à la délivrance des expéditions, mais
avec permission déjugé.
170. Le navire, ni ses expéditions ne peuvent être saisis-arrêrêtés. Arrêts des cours de Rouen et de Rennes.
171. Délai qui doit séparer la saisie du commandement. Receva
bilité de la preuve testimoniale pour établir qu’il n’a pas
été observé.
172. A qui le commandement doit-il être notifié. Caractère de
l'article 199.
173. Quid ? si le titre contient élection de domicile.
167. — La nécessité d’un commandement avant
toute saisie était indiquée par la raison. Les motifs qui
l’avaient déterminée, en matière ordinaire, ne pouvaient
comporter une exception dans aucun cas. La mise sous
la main de la justice de la fortune du débiteur était une
ressource suprême pour atteindre à une solution que la
résistance obstinée du débiteur, ou son impuissance, ne
permet pas d’obtenir par la voie amiable. Il fallait donc,
avant d’en venir à sa réalisation, constater officiellement
�ART. 1 9 8 , 1 9 9 .
269
l’une ou l’autre. Cette constatation résulte d’une ma
nière notoire du refus d’obéir à la sommation légale qui
lui est faite par le commandement.
Frapper un homme d’une mesure aussi grave qu’une
saisie, aussi considérable par ses effets, sans l’avoir mis
à même de la prévenir, ne pouvait entrer ni dans les
convenances, ni dans les prévisions de la loi. C’est ce
qui rend raison de la disposition de l’article 198.
168. — Le législateur ne s’est pas expliqué sur la
forme de ce commandement. Cela prouve qu’il s’en est
référé à cet égard aux principes ordinaires, et notam
ment aux articles S83 et suivants du Code de procédure
civile.
Ainsi le commandement devra contenir la notification
du titre, s’il n’a déjà été notifié ; et ce titre, comme nous
l’avons déjà dit et comme le prescrit l’article S5I du
même Code, doit être exécutoire et pour sommes liqui
des et certaines.
Cette première condition ne se rencontrera pas sou
vent. En commerce, on n’a pas souvent recours au mi
nistère du notaire , les créances résultent le plus sou
vent de titres privés, de comptes courants, pas même
arrêtés. Celles des fournisseurs et ouvriers ne consistent
même que dans le compte qui peut n’être ni reconnu
ni accepté.
De là cette conséquence que pour avoir un litre exé
cutoire, le créancier devra poursuivre en justice la liqui
dation de ses droits, et obtenir un jugement définitif
condamnant le débiteur.
�DROIT MARITIME.
270
Mais ce qui peut arriver, c’est que, pendant l’instan
ce, le navire aura le temps de quitter le port, ce qui
empirera la position du créancier, soit en lui enlevant
le gage, soit en le grevant de privilèges qui, contractés
pendant le voyage, obtiendront la priorité et la préfé
rence.
169. — Ce danger devait être prévu et conjuré. Déjà
nous avons examiné à ce point de vue les droits des
porteurs de lettres de change, des ouvriers et des autres
fournisseurs1.
Quant aux autres créanciers, s’ils ne peuvent recou
rir à une saisie conservatoire, ils peuvent du moins s’op
poser à la sortie du navire, en empêchant la délivrance
des expéditions. Cette opposition ne saurait être faite que
sur permission du juge. Elle doit être signifiée à l’ad
ministration et à l’armateur.
170. — On a été plus loin encore. On a prétendu,
par application à l’article 557 du Code de procédure
civile, qu’on pouvait, en vertu d’un titre privé et sans
permission du juge ni commandement préalable, saisir-arrêter soit le navire lui-même, soit ses expéditions.
Mais cette double prétention a été, avec raison, re
poussée.
Celte prétention est même incompréhensible à l’en
droit du navire. L’article 557 suppose évidemment que
i V.
supra n» 164.
�la chose saisie-arrêtée se trouve dans les mains d’un
tiers chargé à un titre quelconque de la restituer à un
autre. Or, cette condition ne saurait se réaliser dans no
tre hypothèse. En quelque lieu que gise le navire , sa
propriété et sa possession n’ont pas cessé d’être sur la
tête de celui qui est indiqué par l'acte de francisation.
On peut, dès lors, le saisir-exécuter. Mais, le saisir-arrêter, évidemment non I
On a prétendu en trouver le moyen dans cette cir
constance que la disposition du navire peut être empê
chée par la douane, que l’on considérait dès lors com
me le dépositaire du navire. Mais la cour de Rouen a
fort judicieusement répondu : que le droit de celle-ci
de s’opposer au départ constituait une mesure de po
lice et non un fait de détention qui puisse la faire con
sidérer comme étant réellement en possession du na
vire *.
Il n’en est pas de même des papiers de bord. Ici la
douane est réellement dépositaire, chargée de les remet
tre au moment du départ. S’ensuit-il qu’ils puissent de
venir en ses mains l'objet d’une saisie-arrêt?
Remarquons d’abord que les papiers d’un navire ne
constituent jamais une propriété distincte de celle du
navire. Ils ne sont qu’un accessoire indivisible et insé
parable de celle-ci, à tel point que la vente du navire,
sans aucune désignation, en confère la propriété exclu
sive à l’acheteur qui, seul, a désormais le droit de se les
faire délivrer.
i 2 février1841,
J . du P .,
1, 1841, 310.
�272
DROIT MARITIME.
Ajoutons que l’article 557 ne permet de saisir que les
choses qui ont une valeur appréciable, qui peuvent être
délivrées au saisissant, ou vendues pour le prix en être
distribué aux créanciers. Or, les expéditions d’un navire
n’ont aucune valeur appréciable, elles ne peuvent être
délivrées au saisissant, elles ne pourraient être vendues
isolément du navire. A quoi donc servirait une saisiearrêt, oh serait l’intérêt du saisissant ?
Concluons donc avec la cour de Rennes que les ex
péditions d’un navire ne peuvent, pas plus que le na
vire lui-même, être l’objet d’une saisie-arrêtL Elles le
peuvent d’autaut moins qu’elles partagent inévitable
ment le sort du navire, et que la saisie-exécution de ce
lui-ci les comprend virtuellement. On ne peut donc re
courir à une saisie-arrêt que pour éluder la nécessité
d’un commandement préalable, et ce but ne saurait être
consacré.
On peut cependant s’opposer à leur délivrance, pour
empêcher le navire de se mettre en route. Mais cette op
position ne saurait, dans aucun cas, se réaliser que par
la permission du juge.
17! . — Le commandement régulier au point de
vue des articles 583 et suivants du Code de procédure
civile ne peut être suivi d’exécution que vingt-quatre
heures après sa signification. Ce délai est de rigueur;
mais son expiration permet de passer outre, immédial 28 février 4824.
�art.
198, 199.
273
tement à la saisie. Ainsi, si la signification a été faite
aujourd’hui à midi, la saisie pourra se réaliser demain
à midi et quelques minutes.
Il semble dès lors que la loi eût dû prescrire à l’huis
sier d’indiquer l’heure à laquelle il signifie le comman
dement. Cette indication était utile pour prévenir toute
difficulté et pour qu’on ne pût saisir le lendemain dans
la matinée, alors que le commandement n’a été donné
que dans l’après-midi de la veille.
Cependant, elle n’a pas été ordonnée. Dès lors, on ne
pourrait faire un grief à l’huissier de l’avoir omise, ni,
à plus forte raison, exciper de l’omission pour arguer le
commandement de nullité.
Mais le délai de vingt-quatre heures n’en doit pas
moins être observé. Dès lors, le saisi serait recevable à
alléguer que la saisie a été prématurée et qu’elle doit
être annulée. La conséquence de ce droit est la faculté
de prouver la vérité du reproche, et, comme dans le si
lence des actes de l’huissier , il ne s’agirait pas d’une
preuve outre et contre leur contenu, la preuve testimo
niale serait admissible, sans inscription en faux préa
lable l.
Le délai de vingt-quatre heures n’est qu’un minimum
avant l’expiration duquel le créancier ne saurait procé
der à la saisie. Mais rien ne l’empêche de la retarder
plus longtemps. La saisie peut-être réalisée sans com
mandement nouveau, tant que le premier n’est pas pé1 Boulay-Paty, 1 .1, p. 4 81.
�274
DROIT MARITIME.
rimé. La durée de cetle péremption est d’un an, à dater
du jour de la signification.
172. — Sous l’empire de l’ordonnance de 1681,
Yalin enseignait que le commandement devait toujours
être signiflé à personne ou à domicile. Le projet du Code
ne renfermait aucune disposition à cet égard ; mais la
question surgit et dût être examinée dans la discussion
au conseil d’Etat.
Le silence gardé par le projet se fondait sur la dispo
sition de l’article 201. La section avait pensé que ce qui
était exigé pour la notification du procès-verbul de sai
sie devait l’être pour celle du commandement. Mais plu
sieurs orateurs, se rattachant à l’opinion de Valin, de
mandaient que cetle dernière ne pût être faite qu’à per
sonne ou à domicile.
Cette opinion, il faut le reconnaître, reposait sur des
raisons considérables. La saisie n’est que la conséquen
ce du refus de paiement que le commandement a pour
but de constater. N’était—il pas dès lors naturel et juste
que la mise en demeure s’adressât au débiteur ? Son
mandataire, plus ou moins éloigné de lu i, pouvait-il
répondre d’une manière suffisante, n’était-il pas à crain
dre que le refus de sa part fût en dehors de la volonié
et des ressources du mandant? On courait donc le ris
que d’autoriser une saisie avec toutes ses déplorables
conséquences, avant même que le débiteur fût en état
de connaître la poursuite, ce qui l’aurait déterminé à la
prévenir en obéissant au commandement.
�ART.
198 , 199 .
275
Mais on répondait qu’en rendant cette signification di
recte obligatoire, on introduisait des lenteurs considé
rables dans une procédure qui exige beaucoup de célé
rité. On ajoutait que le vaisseau pourrait s’échapper
pendant les délais qu’entraînerait le commandement,
lorsque le propriétaire serait éloigné.
Ce qui naquit de cette discussion, ce fut la disposition
de l’article 199, que M. Berlier justifiait en ces termes:
« Il y a une distinction à faire : s’agit-il d’une action
dirigée contre le propriétaire en vertu de jugements ou
titres non sépcialement applicables au vaisseau com
mandé par le capitaine, nul doute qu’en ce cas le com
mandement ne doive être fait à la personne ou au domi
cile du propriétaire, puisque le capitaine ne le représente
que pour les affaires directement propres au navire, et
ne saurait, dans les limites de son mandat tacite, ré
pondre à un commandement qui procéderait de causes
étrangères à l’équipement du navire, à son radoub, aux
approvisionnements, etc..... Mais s’agit-il d’une action
de cette dernière nature, toutes significations et le com
mandement même peuvent se faire au capitaine quand
le propriétaire est absent et n’a point sur les lieux une
autre personne chargée de ses pouvoirs spéciaux ï.
Ces paroles sont le commentaire le plus clair, le plus
explicite de l’article 199. Elles fixent le véritable sens de
ces termes : Lorsqu'il s'agit d'une action générale à
exercer contre lui, que nous y rencontrons. Elles nous
dispensent d’insister.
1 Locré, t. 18, p. 342 et suiv.
�276
DROIT MARITIME.
Ainsi, en cas d’absence du propriétaire, le comman
dement pourra être fait au capitaine du navire, lorsqu’il
s’agira d’une dette puisant son origine dans les prépa
ratifs ou-les besoins de la navigation. Il devra être fait
directement à la personne ou au domicile du débiteur,
lorsque la dette réclamée est une dette ordinaire et étran
gère par ses causes à la navigation. Cette règle est ab
solue et ne comporte aucune exception. Ainsi, un cré
ancier, réclamant le paiement de deux dettes apparte
nant chacune à une de ces deux catégories, devrait s’y
conformer à la lettre. Le commandement qu’il se bor
nerait à donner au capitaine ne serait valable et régu
lier que pour celle qui se trouverait dans la première.
173. — Au reste, même en ce qui concerne les det
tes se référant à la navigation , la faculté de notifier ce
commandement au capitaine cesserait d’exister si, dans
le litre constitutif de la dette, le débiteur avait élu un
domicile spécial. L’effet de l’élection, tel qu’il est réglé
par l’article 111 du Code civil, se réalise en matière
commerciale comme en matière ordinaire. Partout le lé
gislateur a accepté la loi que les parties se sont impo
sées. Ses propres prescriptions n’ont été édictées que
pour suppléer au silence que les parties auraient gardé
dans la convention.
Ce principe détermine celte autre conséquence, que le
commandement notifié au domicile élu serait régulier
et suffisant, alors même qu’il s’agirait d’une dette ordi
naire et étrangère à la navigation. On ne pourrait sou
�tenir le contraire sans se placer en contradiction mani
feste avec l’article 141 du Code civil.
Article
200.
L’huissier énonce dans le procès-verbal ;
Les nom, profession et demeure du créancier pour
qui il agit ;
Le titre en vertu duquel il procède ;
La somme dont il poursuit le paiement ;
L’élection de domicile faite par le créancier dans le
lieu où siège le tribunal devant lequel la vente doit être
poursuivie, et dans le lieu où le navire saisi est amarré ;
Les noms du propriétaire et du capitaine ;
Le nom, l’espèce et le tonnage du bâtiment.
Il fait l’énonciation et la description des chaloupes,
canots, agrès, ustensiles, armes, munitions et provi
sions.
Article
201.
Si le propriétaire du navire saisi demeure dans l’ar
rondissement du tribunal, le saisissant doit lui faire no
tifier, dans le délai de trois jours, copie du procès-ver-
�278
DROIT MARITIME.
bal de saisie, et le citer devant le tribunal pour voir pro
céder à la vente des choses saisies.
Si le propriétaire n’est point domicilié dans l’arron
dissement du tribunal, les signification et citation lui
sont données à la personne du capitaine du bâtiment
saisi, ou, en son absence, à celui qui représente le pro
priétaire ou le capitaine, et le délai de trois jours est
augmenté d’un jour à raison de deux myriamètres et
demi (cinq lieues) de la distance de son domicile.
S’il est étranger et hors de France, les citation et si
gnification lui sont données ainsi qu’il est prescrit par
le Code de procédure civile, article 69.
SOMMAIRE
174. La saisie est soumise aux conditions de l’article 585 du
Code de procédure civile. Conséquences.
175. Est-il nécessaire que l’huissier fasse itératif commande
ment ?
176. Enonciations que doit renfermer le procès-verbal. Objets
qu’elles se proposent.
177. 1° La personnalité dn saisissant, la nature dê ses droits.
De quoi ils résultent.
178. 2" Désignation du lieu où le débiteur pourra faire signifier
les offres de paiement ou les actes de procédure.
179. 3“ L’identité du navire saisi. Nature des énonciations.
180. Effets de leur omission ou de l’erreur dont elles peuvent
être entachées.
181. Caractère de l’obligation de décrire les chaloupes, canots,
�182.
183.
184.
185.
186.
187.
188.
189.
190.
191.
192.
193.
194.
agrès, etc......L’omission empêcherait-elle les chaloupes
et canots d’être compris dans la vente?
Opinion de Yalin pour l’affirmative. Ses fondements.
Opinion contraire d’Emérigon. Motifs qui l’ont faite pré
valoir.
Qnid des munitions de guerre et des approvisionnements
de bouche ?
Obligation de l’huissier d’établir un gardien. Qualités que
celui-ci doit offrir.
Nécessité de notifier le procès-verbal de saisie et de citer
le saisi pour assister à la vente. Forme de la citation.
A qui elles sont notifiées, si le saisi est domicilié dans l’ar
rondissement du tribunal investi.
Quid dans le cas contraire ? Délai de la notification.
Caractère de ce délai. Au profit de qui est-il accordé ?
La citation doit-elle être donnée aux délais ordinaires des
distances ?
Dans l’hypothèse du second paragraphe de l’article 201, la
citation ne peut être donnée qu’à la personne. Motifs.
Comment procéderait-on, dans la même hypothèse, s’il n’y
avait ni capitaine, ni représentant ?
Ou lorsqu’il s’agit d’un étranger ?
Effet de l'inexécution de l’article 201.
174. — Le refus d’obéir au commandement permet
de passer outre à la saisie. Il en est de celle-ci comme du
commandement lui-même. L’huissier , à qui elle est
commise, doit, pour tout ce qui n’est pas réglé par la loi
commerciale, suivre les conditions prescrites par le droit
commun.
Ainsi il doit, aux termes de l’article 585 du Code de
procédure civile, être assisté de deux témoins français,
majeurs, non parents ni alliés des parties ou de lui-mê*
�280
DROÏT MARITIME.
me, jusqu’au degré de cousin issu de germain inclusi
vement, ni leurs domestiques; le procès-verbal énoncera
les noms, professions et demeures de ces témoins, qui
devront le revêtir de leur signature tant sur l’original
que sur la copie.
Cette signature est rigoureusement exigée, la déclara
tion de l’huissier, que les témoins n’ont pu ni su signer,
n’empêcherait pas la nullité du procès-verbal.
Au reste , toutes les difficultés que pourrait soulever
la régularité de l’accédit de l’huissier seraient appréciées
sous l’influence du droit commun et résolues par les
principes applicables à la saisie exécution en matière
ordinaire l.
175. — L’article 585 exige que le procès-verbal men
tionne un itératif commandement, mais seulement dans
le cas où la saisie a lieu en la demeure du saisi. Cette
restriction résout à notre avis la question de savoir si
celte formalité est requise dans la saisie des navires.
L’itératif commandement est une mise en demeure
suprême pouvant être suivie d’effet, lorsqu’elle s’adresse
au débiteur ou à ses proches. Tel qui n’a pas cédé de
vant ce qu’il croyait une menace vaine, peut céder de
vant la réalité que l’accédit de l’huissier annonce. C’est
pour qu’aucun doute ne puisse s’élever à cet égard que
la loi a voulu que l’huissier constatât la persistance du
refus, s’il procède dans la demeure du saisi.
i Chauveau sur Carré, art. 585 et suiv.
�Or, cette circonstance ne se réalisera jamais dans la
saisie d’un navire. Le plus souvent l’huissier se trouvera
en présence d’un gardien incapable d’obéir à l’itératif
commandement qui ne constituerait plus qu’une for
malité dérisoire.
Nous pensons donc que cette formalité ne saurait être
exigée en cette matière, nous croyons de plus que d’huis
sier la réalisera dans tous les cas. C’est là un protocole
qu’on est sûr de trouver en tête des procès-verbaux de
saisie : Quod, abundat non vitiat.
176. — L’article 200 déroge, en ce qui concerne les
énonciations du procès-verbal, à toutes autres règles.
Il n’y a d’essentiel que ce qu’il prescrit. Le caractère de
sa disposition est facile à saisir. La loi a voulu qu’il
résultât du procès-verbal : 1° la personnalité du sai
sissant, la nature de ses droits ; 2° le lieu où le débi
teur pourra réaliser ses offres de paiement et signifier
les actes de procédure ; 3“ enfin l’identité du navire
saisi.
177. — Dans le premier objet, elle prescrit à l’huis
sier d’énoncer dans le procès-verbal les nom, profession
et demeure du créancier ; le titre en vertu duquel il
agit, les sommes dont il poursuit le paiement. On pour
ra ainsi, au premier coup d’œil, juger si le saisissant a
qualité pour se prévaloir du titre , si ce titre est au
thentique, si la somme réclamée résulte de celui-ci, si
elle est liquide et exigible.
�282
DROIT MARITIME.
178 . — Dans le second objet, la loi, qui n’a pas en
core exigé obligatoirement une constitution d’avoué, veut
que le procès-verbal constate élection de domicile dans
le lieu où le navire saisi est amarré , et dans celui où
siège le tribunal qui doit connaître de la saisie.
Le lieu de la saisie peut être celui du domicile du sai
si, celui où il pourra plus facilement trouver des res
sources. Son intérêt exigeait donc qu’il pût y faire des
offres, et c’est ce qui lui a été accordé par l’exigence
d’une élection de domicile de la part du saisissant.
Quant à celle qui doit se réaliser au lieu où siège le tribuual, elle n’est pas moins utile. Les réclamations ju
diciaires, que le saisi peut avoir à exercer, lui seront le
plus souvent suggérées par les conseils qu’il consultera
sur cette localité, dans laquelle d’ailleurs elles sont ap
pelées naturellement à se produire.
Quoi qu’il en soit, la double élection de domicile est
essentielle et de rigueur. C’est une facilité que la loi a
voulu ménager au saisi, et dont il ne saurait être privé.
179. — Dans le troisième objet que nous avons in
diqué, le procès-verbal de saisie contiendra les noms
du propriétaire et du capitaine du navire, le nom, l’es
pèce et le tonnage de celui-ci, l’énonciation et la des
cription des chaloupes, canots, agrès, ustensiles, armes,
munitions et provisions.
Le seul propriétaire apparent du navire est celui dont
le nom figure dans l’acte de francisation. Si cet acte
contient plusieurs noms, et que la dette pour laquelle
�art.
200, 201.
285
on saisit soit privilégiée , le procès-verbal doit les indi
quer tous. Il ne doit contenir que celui du débiteur,
s’il s’agissait d’une dette à laquelle le navire n’est tenu
qu’en vertu de l’affectation générale consacrée par l’ar
ticle 190.
L’exécution de la loi, en ce qui concerne le nom du
capitaine, est subordonnée à l’état dans lequel le navire
se trouve au moment de la saisie. Elle serait impossible
dans le cas, par exemple, où son désarmement l’aurait
précédée.
Les noms du propriétaire et du capitaine, s’il en exis
te un, sont des éléments d’identité du navire, mais ils
ne la déterminent pas d’une manière précise. Aussi
l’huissier doit-il indiquer non seulement le nom du na
vire lui-même, mais encore son espèce et sa capacité.
180 . — Ces prescriptions ne doivent pas être envi
sagées au même point de vue. L’omission ou la fausse
indication du nom du propriétaire, du capitaine du na
vire, pourrait, dans certains cas, motiver la nullité de
la saisie. L’erreur sur l’espèce ou sur le tonnage ne
pourrait jamais autoriser ce résultat. En effet, où serait
le préjudice réel de la déclaration que le navire saisi est
un brick de cent cinquante tonneaux, lorsqu’en réalité
il s’agirait d’une goélette d’un port supérieur ou infé
rieur ?
Au reste, l’huissier a un moyen bien simple d’éviter
toute erreur de ce genre. Les papiers du bord sont for
cément déposés à la douane, il doit donc s’y transpor-
�m
DROIT MARITIME.
ter et les y consulter. La transcription au procès-verbal
des indications de l’acte de francisation le rendrait inat
taquable.
181. — La désignation des accessoires du navire,
tels que chaloupes, canots, agrès, etc., peut avoir son
utilité, et l’huissier fera bien de se conformer sur ce
point au désir de la loi. Mais elle est fort indifférente au
point de vue du transfert de la propriété.
En effet, la saisie d’un navire comprend forcément
toutes ses dépendances, tout ce qui le met à même de
remplir la destination à laquelle il est voué, alors même
qu’aucune d’elles n’aurait été indiquée ou décrite au
procès-verbal. C’est ce qui a été toujours admis pour
les voiles, poulies, vergues, ancres, mâts, gouvernail.
Tout cela, disait la loi romaine, constitue le navire luimême : Quasi membra navis sunt. A tel point que sans
eux, les navires seraient le plus souvent inutiles : Quia
plerœque naves inutiles essentl.
Un seul point était controversé, à savoir, si les cha
loupes et canots se plaçaient dans la même catégorie.
182. — Valin et les auteurs qu’il cite soutenaient
la négative. Us se fondaient sur cet autre principe du
droit romain : Scapha navis non est instrumentum na
vis 2. Ils disaient avec Labeon que la chaloupe ne dif1 L. 242, Dig. de verb. sign.
2 L. ult. Dig. de inst. legalo.
�fère du navire que par la capacité et non par le genre,
et que l’instrument d’une chose quelconque doit être
d’un autre genre. Ils pensaient en conséquence que l’ad
judicataire d’un navire ne pouvait revendiquer la cha
loupe, si elle n’avait pas été nommément décrite dans
le procès-verbal de saisie1.
Cette opinion de Valin a d’autant plus lieu de sur
prendre, qu’il enseigne lui-même que l’assurance du na
vire sans autre désignation comprend la chaloupe et le
canot. Cet effet, admis universellement, ne prouve-t-il
pas que l’une et l’autre sont des dépendances insépara
bles du navire. Pourquoi les en séparerait-on dans le
cas de vente ?
183. — Ce résultat paraît inadmissible à Emérigon,
rappelant ces paroles du jurisconsulte Paul : Si navem
cum instrumenta emistis prœstari tibi debet scapha
navis, il soutient que la chaloupe du navire est comprise
dans les agrès du navire, parce qu’elle est absolument
nécessaire pour la navigation, qu’il en est de même du
canot2.
L’opinion d’Emérigon a prévalu et devait prévaloir.
La chaloupe et le canot sont au nombre des agrès et
suivent comme ceux-ci, dont ils partagent la destina
tion, le sort du navire auquel ils sont attachés. La saisie
du navire et dépendances les comprend virtuellement,
1 Valin, sur l’art. 2, titre de la Saisie.
6 sect. 7.
s Des Assurances, chap.
�286
DROIT MARITIME.
alors même qu’on n’en trouverait ni énonciation, ni
description dans le procès-verbal.
D’autre part, on tient pour certain que l’indication
des accessoires du navire, lorsqu’ils ont été décrits dans
le procès-verbal, ne restreint par le droit de l’adjudica
taire aux objets énoncés. De telle sorte que s’il se trou
ve dans le navire ou ailleurs plus d’agrès et apparaux
qu’il n’en a été énoncé, l'adjudicataire est fondé à les
exiger avec le navire lui-même, s’il prouve que le tout
était réellement affecté à celui-ci.
Ce double effet détermine le véritable motif de la dis
position de l’article 200, à l’endroit des chaloupe, ca
not, agrès, etc... Leur description au procès-verbal est
moins une formalité légale qu’une mesure de précau
tion prise en faveur et contre le gardien. Des effets
pourraient être enlevés par son fait ou par sa négligen
ce ; l’adjudicataire pourrait tout au moins le prétendre
ainsi. C’est cette double éventualité que l’exécution litté
rale de notre article tend à prévenir en fournissant le
moyen de prouver la première, en rendant la seconde
moins probable, et dès lors moins admissible.
184. — Nous avons déjà dit que le mot navire, qui
comprend les agrès et apparaux, laissait en dehors les
provisions de guerre ou de bouche qu’on désigne par la
qualification d’armements ou de victuailles. Ces derniè
res surtout ne sont pas l’élément le moins essentiel de la
navigation. Mais on a dû l’admettre ainsi parce qu’en
réalité les uns et les autres peuvent n’avoir jamais ap-
�ART. 2 0 0 , 2 0 1 .
287
partenu au propriétaire, et sont destinés à ne lui appar
tenir dans aucun cas.
Le propriétaire du navire, en effet, n’en est pas tou
jours l’armateur. Cette qualité peut avoir été transférée
à l’affréteur, seul chargé dans ce cas de pourvoir à la
subsistance de l’équipage et à la sûreté du navire pen
dant le voyage qu’il lui fait entreprendre. Il n’y avait
donc aucune indivisibilité à admettre entre choses pou
vant appartenir à des propriétaires différents.
Si le propriétaire a agi comme armateur, les armes,
les munitions, les approvisionnements dont il a muni le
navire seront sa propriété et pourront, comme telles,
être saisies ; mais elles ne le seront qu’en tant que le
procès-verbal l’indiquera. La description, inutile en
quelque sorte pour les agrès, apparaux, canots et cha
loupe, sera indispensable dans cette hypothèse. Son ab
sence laisserait, tous ces objets en dehors de la saisie.
185. — Indépendamment du devoir à l’endroit des
énonciations du procès-verbal, la loi impose à l’huisier
celui de députer un gardien à la saisie. C’était là une
conséquence logique de la saisie elle-même. Le gardien
était d’autant plus nécessaire, que les choses saisies de
meureront, après comme avant, exposées en public et
sans défense spéciale.
L’ordonnance de 1681 exigeait un gardien solvable.
Mais, disait avec raison Valin, si cela devait s’entendre
d’un gardien dont la fortune serait suffisante pour ré
pondre de la valeur du vaisseau, la chose deviendrait
bientôt impraticable.
I
j!
�DROIT MARITIME.
288
On avait donc accepté les termes de l’ordonnance en
ce sens que le gardien devait être un homme vigilant et
fidèle , dont la moralité et la probité devaient rassurer
sur l’intégrité du dépôt qui lui était confié. Malgré que
le Code ait fait disparaitre l’expression de solvable, on
ne saurait mettre en doute son intention de rencontrer
ces mêmes qualités chez le gardien qu’il impose. L’huis
sier serait responsable du choix qu’il aurait fait d’un
homme qui, notoirement, n’en aurait aucune.
L’usage suivi en cas de désarmement d’un navire est
de préposer un gardien pour en assurer la conservation.
L’huissier pourrait conserver celui qu’il trouverait éta
bli au moment de la saisie. La confiance dont il aurait
été investi de la part du propriétaire serait une garan
tie dont l’huissier a pu se contenter.
186. — Celui qui n’a pas payé sur commandement
peut se décider à le faire après saisie. Dans tous les cas,
il peut avoir des moyens à faire valoir contre la forme
de la saisie, des exceptions à invoquer. Il fallait donc
le mettre en état de proposer utilement les uns et les
autres.
Or, la première condition dans ce but était la notifi
cation du procès-verbal de saisie. La seconde, une cita
tion à comparaître devant le tribunal investi, à l’effet de
voir procéder à la vente. L’article 201 exige l’une et
l’autre.
Ce tribunal, ne pouvant être que le tribunal civil, la
citation doit être conforme à ce qu’exige le droit com-
�ART. 5 0 0 , 5 0 1 .
589
mun en celte matière. Elle doit contenir une constitution
d’avoué, sous la peine édictée par l’article 60 du Code
de procédure civile.
187. — Cette notification, suivie de citation, doit
être faite au débiieur lui-même, c’est-à-dire à sa per
sonne ou à son domicile, si, absent du lieu de la saisie,
il demeure cependant dans l’arrondissement du tribu
nal qui doit en connaître. Le délaûde trois jours, dans
lequel l’article 201 exige ces notification et citation, estil accordé au créancier pour faire ses diligences, n’est-il
indiqué que comme le terme dans lequel le saisi devra
comparaître ? C’est sur quoi ij est permis d’hésiter ; ce
qui le prouve, c’est l’interprétation qu’a reçue la secon
de disposition de l’article relativement au délai qu’elle
indique, interprétation dont nous aurons à nous occu
per. Quoi qu’il en soit, et pour éviter toute difficulté, le
saisissant fera bien d’opérer ces notification et citation
avant l’expiration des trois jours de la saisie.
188. — Eli le saisi n’est pas domicilié dans l’arron
dissement du tribunal investi, les notification et cita
tion seront données en la personne du capitaine, ou,
en cas d’absence, à celui qui représente le saisi ou le ca
pitaine.
Notons bien que le capitaine ou celui qui le repré
sente ; que le représentant du saisi dont s’occupe l’arti
cle, se trouveront sur le lieu même de la saisie, et par
conséquent dans l’arrondissement du tribunal devant lei — 19
�290
DROIT MARITIME.
quel se poursuit la saisie. Il y aura donc, pour l’exploit
que doit donner le saisissant, exactement les mêmes fa
cilités que dans l’hypothèse où le saisi demeure dans cet
arrondissement. Cependant la loi veut que le délai de
trois jours , accordé dans celle-ci, soit augmenté dans
celle-là d’un jour par deux myriamèlres et demi pour
la distance entre le lieu où siège le tribunal et celui du
domicile du saisi.
189. — Si les délais de l’article 201 sont exclusive
ment dans l’intérêt du saisissant, quelle peut être l’uti
lité de cettre prorogation dans le second cas? On la
comprendrait, si la citation devant être donnée au do
micile réel, l’éloignement de ce domicile rendait les trois
jours évidemment insuffisants. Mais puisque dans cette
hypothèse cette citation est valablement donnée au capi
taine ou à celui qui représente le saisi ou le capitai
ne lui-même, c’est-à-dire sur les lieux mêmes, on ne
la comprend plus. Aussi a-t-on universellement admis
que cette prorogation est toute en faveur du débiteur
saisi, et qu’elle n’a d’autre but que de lui faciliter la con
naissance de la saisie.
Voici, alors, comment nous comprendrions l’article
201. Dans la première hypothèse, les criées pour arri
ver à la vente peuvent commencer trois jours après la
saisie. Dans la seconde, on ne peut y procéder qu’après
ce même délai, augmenté de celui accordé pour les dis
tances, délai pendant lequel le saisi pourra transmettre
ses instructions soit au capitaine, soit à son représentant.
�200, 201.
291
Il nous semble évident, en effet, que, malgré que la
présence du saisi aux criées ne soit pas requise, il peut
avoir intérêt à les prévenir pour empêcher la publicité
qui en résulte. Ce but peut être rempli par la prolon
gation du délai, à laquelle l’article 201 ne permet pas
au saisissant de déroger ou de renoncer, ce qu’il lui se
rait toujours loisible de faire , si cette prolongation était
uniquement dans son intérêt.
ART.
190. — Nous arrivons, par cette interprétation, à
une difficulté que soulève l’article 201. Est-ce au délai
ordinaire que la citation à comparaître doit être donnée,
à moins d’une ordonnance, autorisant une abréviation,
et ce délai doit-il être, dans tous les cas, augmenté de
celui des distances ?
L’affirmative est enseignée par quelques auteurs, tout
en admettant que la prolongation du délai de trois jours
est dans l’intérêt exclusif du débiteur saisil.
Cette doctrine nous parait condamnée par l’esprit de
la loi. Le but que le législateur a poursuivi dans la pro
cédure tracée pour la vente des navires ne permet pas
de l’accueillir. Cette célérité à laquelle on a déjà tant
sacrifié existerait-elle si, indépendamment de la pro
longation du délai de trois jours, le débiteur pouvait en
core jouir de celui des distances ? Mieux valait prescri
re, dans tous les cas, la notification au domicile réel,
car, n’entraînant jamais que le dernier, elle aurait mé
nagé un temps considérable.
1 Pardessus, n° 614. Boulay-Paty, t.
4 , p.
498.
i
�292
DROIT MARITIME.
Que deviendra cependant la saisie pendant ce double
délai ? C’est ici que se manifeste l’embarras de la doc
trine que nous combattons. En effet, M. Pardessus n’ad
met pas que cette saisie puisse être suspendue. Dans l’in
tervalle, dit-il, on accomplira les formalités tracées par
la loi, suivant l’importance du navire saisi.
Mais si cet accomplissement a lieu en effet, le moment
de la vente arrivera souvent avant l’expiration du dou
ble délai. Dans l’hypothèse de l’article 202, qui est la
plus considérable, ces formalités se réduisent à trois
criées, de huitaine en huitaine, et l’article 204 veut qu’à
la suite de la troisième, l’adjudication soit prononcée
au plus offrant et dernier enchérisseur ; c’est donc, en
tout, vingt-quatre jours qu’exige la consommation de
la vente, et, dans certaines circonstances, ces vingt-qua
tre jours n’auront pas suffi pour l’expiration des délais
des distances ; à plus forte raison du double délai qu’on
réclame.
Dira-t-on qu’arrivés à la troisième criée on suspen
dra l’adjudication ? L’économie de la loi repousse toute
possibilité de ce genre, elle n’accorde que la faculté
d’ordonner deux remises, c’est-à-dire un nouveau dé
lai de quinze jours. Mais, indépendamment de la ma
nière dont la loi a envisagé l’usage de cette faculté, qu’ar
rivera-t-il si l’expiration de ce nouveau délai se réalise
avant celle de celui qu’on réclame pour le saisi?
Toutes ces complications, dans une matière que la loi
a considérée comme essentiellement urgente, prouvent
que la doctrine que nous repoussons ne saurait être ad-
�ART. 2 0 0 , 2 0 1 .
295
mise. Ce ne peut pas êlre pour doubler les délais que
l’article 201 a permis de donner l’ajournement ailleurs
qu’au domicile réel. Une pareille détermination n’a pu
être prise que dans l’intention de les abréger.
D’où nous concluons que la citation, en cas d’absence
du propriétaire, valablement donnée au capitaine ou au
représentant de l’un ou de l’autre, suspend le cours des
formalités de la vente, qui ne peuvent être entamées
qu’après l’expiration de trois jours de la saisie, augmen
tés d’un jour par chaque deux myriamètres et demi pour
la distance du domicile réel.
De quoi se plaindrait le saisi ? S’il avait été cité à ce
domicile, il ne jouirait que du même délai augmenté
d’un jour par chaque trois myriamètres, pour la distan
ce qui le sépare du lieu où siège le tribunal. Evidem
ment, en lui accordant un jour pour deux myriamètres
et demi, on fait sa position meilleure, et on lui accorde
une prolongation de délai.
C’est que la loi a voulu êlre juste à son égard. Quel
que indispensable que lui parût la plus prompte expédi
tion, elle ne devait pas permettre, elle n’a pas permis
qu’un individu fût irrévocablement dépouillé de sa cho
se, sans avoir été à même de surveiller la régularité de
son expropriation. Mais, aller jusqu’à dire qu’elle ac
corde au débiteur commercial un délai double de celui
qu’elle impartirait au débiteur ordinaire, c’est évidem
ment outrer son intention et la méconnaître.
En résumé donc, la citation à donner au saisi doit se
borner à l’appeler à la vente. Les délais de celle-ci sont
�294
DROIT MARITIME.
réglés par la loi. L’ouverture des formalités fait courir
ces délais, qui ne peuvent plus être interrompus. Dès
lors, il convenait de retarder cette ouverture assez pour
que la citation pût produire un effet utile. En fixer le
moment après trois jours de la saisie, augmentés d’un
jour par deux myriamètres et demi de distance, c’est
remplir l’objet que s’est proposé le législateur, et accor
der au saisi un temps d’autant plus suffisant, qu’après
l’expiration de ce délai, ving-quatre jours au moins s’é
couleront encore avant d’arriver à la vente.
191 . — L’article 201 exclut la possibilité d’une ci
tation au domicile du capitaine, dans sa seconde hypo
thèse, alors même que ce domicile se trouverait dans le
lieu où le navire saisi est amarré, ou dans celui où siège
.le tribunal investi. Le capitaine n’est appelé à recevoir
l’exploit que s’il est présent. Il faut, dès lors, que cette
présence résulte de l’acte lui-même. C’est donc à sa per
sonne que l’huissier doit s’adresser. La citation à domi
cile ne remplirait pas le but de la loi, car le capitaine
pourrait en être momentanément éloigné, et, pour peu
que son absence se prolongeât, le saisi ne pourrait être
averti à temps. Les mêmes motifs ont fait adopter la
même décision pour les représentants soit du proprié
taire, soit du capitaine.
192. — Qu’arrivera-t-il si, dans la seconde hypo
thèse, le navire étant désarmé, le saisi n’avait aucun
représentant sur la localité ? Valin enseignait que, dans
�ART. 2 0 0 , 2 0 1 .
295
ce cas, les notification et citation devraient être faites
au domicile réel. Nous croyons que, sous l’empire du
Code, le fait du débiteur ne saurait enlever au créan
cier une faveur que lui confère la loi. Nous considére
rions le gardien du bâtiment comme le représentant du
propriétaire'qui l’a- institué, et nous admettrions, com
me régulière et valable, la signification faite à sa per
sonne. A notre avis encore, à défaut même du gardien,
on pourrait laisser la copie au parquet du procureur de
la République.
193. — C’est à ce magistrat que devraient être don
nées les notification et citation, si le propriétaire du na
vire saisi est étranger ou hors de France.
Cette disposition exige deux conditions : la qualité
d’étranger, la résidence hors de France. De là cette
conséquence que le négociant étranger, habitant en
France, serait assimilé au Français et régi par les deux
premiers paragraphes de l’article 201. Son domicile se
rait, quant à ce, présumé être le lieu de sa résidence.
194. — L’inexécution des prescriptions de l’article
201 imprimerait à la procédure un caractère absolu d’ir
régularité. Elle n’aurait pas pour effet d’annuler la sai
sie, mais elle lui enlèverait tout effet, en annulant tout
ce qui l’aurait suivie.
�296
DROIT MARITIME.
A rticle 2 0 2 .
Si la saisie a pour objet un navire dont le tonnage
soit au-dessus de dix tonneaux, il sera fait trois criées
et publications des objets en vente.
Les criées et publications seront faites consécutive
ment, de huitaine en huitaine, à la Bourse et dans la
principale place du lieu où le bâtiment est amarré.
L’avis en sera inséré dans un des papiers publics im
primés dans le lieu où siège le tribunal devant lequel la
saisie se poursuit, et, s’il n’y en a pas, dans ceux qui se
raient imprimés dans le département.
A rticle 2 0 3 .
Dans les deux jours qui suivent chaque criée et pu
blication, il est apposé des affiches :
Au grand mât du bâtiment :
À la porte principale du Tribunal devant lequel on
procède ;
Dans la place publique et sur le quai du port où le
bâtiment est amarré, ainsi qu’à la Bourse de commerce.
A rticle 2 0 4 .
Les criées, publications et affiches doivent désigner :
�\
ART. 2 0 2 , 2 0 3 , 2 0 4 .
297
Les nom, profession et demeure du poursuivant ;
Les titres en vertu desquels il agit ;
Le montant de la somme qui lui est due ;
L’élection de domicile par lui faite dans le lieu où siè
ge le Tribunal et dans celui où le bâtiment est amarré;
Les nom et domicile du propriétaire du navire saisi ;
Le nom du bâtiment, et, s’il est armé ou en arme
ment, celui du capitaine ;
Le tonnage du navire ;
Le lieu où il est gisant ou flottant ;
Le nom de l’avoué du poursuivant ;
La première mise à prix ;
Le jour des audiences auxquelles les enchères seront
reçues.
SOMMAIRE
195. Influence que le plus ou moins d’importance du navire sai
si devait avoir sur la procédure.
196. Le classement fait par l’ordonnance de 1681 devait-il être
maintenu ? Discussion au conseil d’Etat.
197. Procédure lorsqu’il s’agit d’un navire au-dessus de dix
tonneaux. Comment et en quels lieux doivent se faire
les publications.
198. L’avis doit en être inséré dans un des papiers publics qui
s’impriment dans le lieu où siège le tribunal, et, à dé
faut, dans le département.
199. Délai de l'affiche. Dans quels lieux doit-elle être apposée ?
�298
DROIT MARITIME.
200. Enonciations que doivent renfermer les criées, publications
et affiches. Conséquences de quelques-unes d’elles.
201. Réfutation de l’opinion de M. Delvincourt , enseignant
qu’une seule affiche suffit.
202. Caractère de l'article 204. Conséquences de sa violation.
203. Qui peut s’en prévaloir ?
204. Obligations pour le poursuivant de justifier de l’accomplis
sement des formalités.Mode de cette justification.
195. — La dérogation à la procédure ordinaire, en
matière de saisie mobilière, n’étant que la conséquence
de l’importance des navires, il est évident que les for
malités pour arriver à la vente devaient varier suivant
cette importance même et la nature plus ou moins con
sidérable du navire saisi. C’est ainsi que l’ordonnance
de 1681, distinguant les navires suivant qu’ils jau
geaient plus ou moins de dix tonneaux, avait adopté
pour ces derniers une procédure beaucoup plus som
maire.
196. — Cette limite répondant aux exigences actuel
les de la navigation était-elle en rapport avec les déve
loppements qu’elle avait reçus depuis et jusqu’en 1807 ?
Les auteurs du projet du Code et la section du conseil
d’Etat qui présentait ce projet avaient pensé le contrai
re. Ils proposaient, en conséquence, de porter cette li
mite à vingt tonneaux.
Mais déjà le Code de procédure civile avait consacré
celle de l’ordonnance. On demanda, dès lors, qu’elle
fût maintenue dans le Code de commerce, dans le but
de le mettre en harmonie avec le premier.
�art , 2 0 2 , 2 0 5 , 2 0 4 .
299
Vainement la section faisait-elle remarquer que cette
harmonie n’était nullement troublée, puisque le Code de
commerce ne statuait que sur les bâtiments dont le Code
de procédure ne s’était pas occupé; qu’adapter la forme
sommaire aux navires de dix tonneaux à vingt, ce n’é
tait pas porter atteinte à ce qui avait été admis pour
ceux de un à dix. Le conseil d’Etat, sur la proposition
de M. Réal, s’en tint purement et simplement au systè
me de l’ordonnance.
197. — L’article 2102 s’occupe de l’hypothèse de la
saisie d’un navire de plus de dix tonneaux. Il ouvre la
série des formalités que cette saisie comporte.
Il faut donc trois criées et publications des objets sai
sis. L’ordonnance de 1681 exigeait que ces publica
tions se fissent par trois dimanches consécutifs, à l’is
sue de la messe paroissiale du lieu où le navire était
amarré.
Le Code a été mieux inspiré, les criées et publications
doivent se faire non seulement sur la principale place
du lieu de la saisie, mais encore à la Bourse. Relati
vement à la matière, ce mode, et surtout le dernier, est
de tout point préférable, car il est surtout plus utile.
C’est à la Bourse que le navire trouvera des acheteurs,
c’est elle qu’il importe, dès lors, d’aviser de la vente.
Il résulte de cette prescription que la publication ne
doit plus être faite les dimanches, puisque la Bourse
chôme précisément ce jour-là. D’ailleurs, la prohibition
n’en résulterait pas moins du silence gardé à cet égard
�300
DROIT MARITIME.
par le code. Les criées et publications sont des actes
d’huissiers qui ne pourraient être faits les dimanches
qu’en vertu d’une autorisation expresse et formelle.
L’huissier doit donc se transporter aux lieux indi
qués, y procéder à la criée et publication. Cette opéra
tion est constatée par un procès-verbal.
Les criées doivent se succéder de huitaine en huitai
ne, sans interruption, de manière à arriver à la vente
dans le plus bref délai possible. Ce résultat nons paraît
commandé par le texte et par l’esprit de la loi.
198. — Chaque criée doit être précédée d’un avis
indiquant les jour et heure auxquels elle sera réalisée.
Cet avis est inséré dans un des papiers publics qui s’im
priment dans le lieu où siège le tribunal devant lequel
on procède. Cette insertion doit augmenter la publicité
de la saisie, et amener un plus grand nombre de con
currents.
Le projet du Code portait que l’avis serait inséré dans
les journaux. Mais, en 1807, ceux-ci n’avaient pas en
core reçu le développement auquel ils ont atteint de
puis. La plupart des localités n’étaient desservies que
par de simples feuilles d’annonces auxquelles on aurait
pu refuser la qualification de journal, pour contester la
régularité de la saisie. Il convient, disait le tribunat, de
prévenir cette chicane, et, sur sa proposition, le conseil
d’Etat substitua au mot journal les expressions que con
tient l’article 202. On aura donc satisfait à la loi, dit
avec raison M. Locré, dès que l’avis a été inséré dans
�ART. 2 0 2 , 2 0 5 , 2 0 4 ..
501
une feuille qui est entre les mains de tout le monde,
sous quelque dénomination qu’elle paraisse l.
S'il ne s’imprime aucune feuille dans le lieu où siège
le tribunal, l’avis doit être inséré dans une de celles qui
s’impriment dans le département. Cette feuille, si on
veut se conformer à l’esprit de la loi, doit être celle de
la localité la plus voisine.
199. — Le législateur ne s’est pas contenté de cette
première publicité. Il veut, en outre, que dans les deux
jours de chaque criée, il soit apposé dans les lieux qu’il
détermine des affiches annonçant la saisie et la vente.
Cette formalité essentielle est encore du ministère de
l’huissier, qui doit la constater par procès verbal.
Il était facile de satisfaire à la loi pour l’apposition au
grand mât, à la porte du tribunal, sur la place publi
que. Mais il était moins aisé de déterminer l’endroit où
devait se réaliser celle qui doit se faire sur le quai. L’u
sage a heureusement interprété la loi. On la place or
dinairement sur la partie de la coque du navire qui fait
face au quai et qui le déborde quelquefois.
Il est inutile de faire observer que toutes les fois
qu’une formalité doit se faire à la Bourse, elle n’est
obligatoire que dans le cas où il en existe une sur la
localité. A défaut, celte formalité, devenant impossible,
se trouve par cela même supprimée. La loi n’exige pas
même qu’elle ait lieu à la Bourse la plus voisine.
1 E sp rit du Code de com ., art, 202.
�302
DROIT MARITIME.
200. — L’article 204 règle les énonciations que doi
vent renfermer les criées, publications et affiches. Nous
n’avons à insister que sur quelques-unes dont les con
séquences méritent d’être relevées.
Ainsi, ces divers documents doivent indiquer le lieu
où le navire est gisant ou flottant.
Le navire est gisant lorsqu’il est amarré dans un
port. Il est flottant lorsqu’il se trouve hors du havre, à
flot et sur ses ancres. La loi ne fait donc aucune dis
tinction quant au droit de saisir. Il peut être exercé,
dans ce dernier cas, comme lorsque le navire est dans
le port. Cette conséquence, que Yalin tirait de l’arti
cle 5, titre des saisies, s’induit également de l’article
204.
Les criées, publications et affiches doivent mention
ner le nom de l’avoué du poursuivant, de là cette dou
ble conséquence : le tribunal appelé à connaître de la
saisie ne peut être que le tribunal civil ; la constitution
d’avoué est indispensable. Nous avons vu, en effet qu’elle
doit être faite , à peine de nullité , dans la citation qui
suit la notification de la saisie L
201. — Enfin, le dernier paragraphe de l’article 204
rend obligatoire l’indication des audiences auxquelles les
enchères seront reçues. Cette prescription prouverait à
elle seule, et indépendamment de l’article 203, l’erreur
dans laquelle est tombé M. Delvincourt, soutenant
i V, supra n° 186.
�ART. 202, 205, 204.
305
qu’une seule affiche suffit, malgré qu’on doive faire trois
publications.
Le saisissant peut bien désigner spontanément le jour
de l’audience à laquelle les enchères seront reçues à la
suite de la première criée, mais il ne le peut pour les
audiences suivantes. La raison en est fort simple : c’est
que sa détermination appartient au juge.
Ce n’est qu’après la réception des secondes enchères
que le magistrat commis désignera le jour de l’audience
pour les troisièmes et dernières. Ce n’est donc qu’après
cette désignation que pourrait être apposée l’affiche, si
une seule suffisait.
De là celte conséquence que les deux premières en
chères se seraient écoulées sans que le public eût été ef
ficacement à même de connaître le jour fixé pour leur
réception.
De plus, l’affiche n’aurait pas été apposée dans les
deux jours des premières et secondes criées, ce qui se
rait la violation la plus flagrante de l’article 203.
L’opinion de M. Delvincourt n’est donc en harmonie
ni avec l’esprit, ni avec le texte de la loi. On ne pour
rait l’admettre sans faire violence à l’un et à l’autre.
Chaque criée doit être suivie d’une affiche. Il faut donc
trois affiches, par cela seul qu’il doit y avoir trois criées.
202.. — Quel est le caractère de l’article 204 ? Quel
les seraient les conséquences de sa violation ?
Le Code de commerce n’ajoute la peine de nullité, en
cas d’inobservation des formalité qu’il prescrit, à aucune
�304
DROIT MARITIME.
de ses dispositions, pas plus, au reste, que le Code de
procédure civile dans les cas de saisie-exécution. On ne
peut néanmoins le méconnaître ; la procédure n’est ré
gulière qu’à la condition d’exécuter ponctuellement la
loi.
Quelle efficacité pourrait on dès lors attacher à une
procédure irrégulière ? Quelle serait la sanciion des ga
ranties que la loi a entendu donner au débiteur saisi,
s’il pouvait être définitivement dépouillé en dehors de
ces garanties ?
/
Il faut donc nécessairement conclure que l’inobserva
tion de la loi doit être suivie d’une peine, et cette peine
ne saurait être que la nullité.
Mais cette nullité doit elle rétroagir et atteindre la sai
sie dans son origine ? Peut-être laudrait-il aller jusquelà si on ne consultait que la rigueur du droit ; ne pour
rait-on pas dire, en effet, que la saisie n’est valable
que par l’observation stricte, dans les délais voulus des
formalités qu’elle comporte ; que dès lors, si ces forma
lités ne sont pas remplies, si ces délais ne peuvent plus
être observés, tout s’efface et disparait.
Mais celte conclusion a paru trop sévère. M. Pardes
sus, entre autres, enseigne donc que, sans prononcer la
nullité de la saisie, le tribunal devrait ordonner que la
procédure sera refaite, à partir du premier acte irrégu
lier inclusivementl.
Le même auteur ajoute qu’il faudrait que l’irrégula-
�ART.
202, 203, 204.
303
rité fût proposée avant l’adjudication définitive. Le si
lence gardé jusqu’après la prononciation rendrait toute
réclamation ultérieure non recevable. Il ne faudrait pas
que l’événement de la vente fournit la matière d’une
attaque devant laquelle on avait hésité et qu'il importe
de restreindre dans les plus étroites limitesl.
205. — Le droit du saisi de se prévaloir des irré
gularités de la procédure n’a pas même besoin d’être éta
bli. Ce n’est à vrai dire que pour le mettre à même de
l’exercer qu’on l’appelle devant le tribunal.
Ce même droit ne saurait être raisonnablement con
testé à ses créanciers. L’intérêt qu’ils ont à tout ce qui
peut influer sur le résultat de la vente les rend receva
bles à se plaindre d’une omission ou d’une irrégularité
propre à porter atteinte à la publicité que la vente doit
recevoir, et à écarter ainsi une partie de ceux qui au
raient pu enchérir.
Mais les créanciers du saisi sont inconnus et peuvent
le demeurer trois jours encore après l’adjudication. Ce
lui-là donc qui voudrait attaquer la procédure devrait
dénoncer sa qualité, faire signifier ses titres, et interve
nir dans la poursuite sur saisie.
204. — Le poursuivant est tenu de justifier de l’ac
complissement des formalités requises, la nature de cette
justification est indiquée par l’état des choses.
i Boulay-Paty, t. 1, p. 206.
Dageville,
t. 2, p. 84,
I — 20
�DROIT MARITIME.
306
Les criées et publications sont constatées par des pro
cès-verbaux, l’insertion de l’avis, par la production du
numéro du journal qui la renferme.
L’affiche indique par son contenu si elle s’est con
formée à ce qui est prescrit. Son apposition est consta
tée par le procès-verbal qui a dû en être rédigé.
La production de toutes ces pièces satisfera à l’obli
gation que la loi impose au poursuivant.
Article 205.
Après la première criée, les enchères seront reçues
au jour indiqué dans l’affiche.
Le juge commis d’office pour la vente continue de
recevoir les enchères après chaque criée, de huitaine en
huitaine, à jour certain fixé par son ordonnance.
Article 206.
Après la troisième criée, l’adjudication est faite au
plus offrant et dernier enchérisseur, à l’extinction des
feux, sans autre formalité.
Le juge commis d’office peut accorder une ou deux
remises de huitaine chacune.
Elles sont publiées et affichées.
�ART.
208, 206.
307
SOMMAIRE
205. Il est procédé à la réception des enchères dès la prem ière
criée, à l’audience indiquée par l'affiche.
206. Cette réception est continuée après la seconde criée, à l’au
dience indiquée par le juge.
207. L ’adjudication définitive suit la troisièm e criée, sauf la re
m ise que le juge peut ordonner.
208. Discussion au conseil d ’E tat. Motifs qui ont fait accorder
ce pouvoir.
209. Le juge peut l’exercer d ’office.
210. Le dernier enchérisseur est-il lié par son offre, m algré la
rem ise ? Négative admise au conseil d ’E tat.
211. Opinion contraire de MM. Pardessus et B oulay-Paty. R é
futation.
212. Le Code réduit à deux les rem ises que le juge peut autori
ser ou ordonner.
213. Délai qu’elles com portent. Ordre dans lequel elles doivent
être prononcées. Publicité qui leur est donnée.
205. — La première criée détermine l’intervention
de la justice dans la procédure en vente. Elle est en ef
fet suivie de la réception des enchères au jour indiqué
par l’affiche. Ce jour doit se placer nécessairement dans
la huitaine qui doit séparer la première criée de la se
conde.
Pour cette fois, l’indication de l’audience est le fait
unique et spontané du poursuivant. Tout ce qui s’est
accompli jusque-là était la conséquence de l’exécution
due à son titre, exécution qu’il pouvait poursuivre sans
recourir à la justice.
�'
508
;
'
'
. i ■
,
DROIT MARITIME.
Mais la réception des enchères est un acte de juridic
tion, elle a pour conséquence de dépouiller le saisi , et
d’investir l’enchérisseur delà propriété des objets saisis.
Un pareil effet appelait forcément l’intervention de l’au
torité publique.
Donc, au jour indiqué par l’affiche apposée à la suite
de la première criée, un juge, que le tribunal commet
d’office et sans formalité, reçoives enchères; mais, sans
passer outre à l’adjudication, il se borne, à l’extinction
des feux, de renvoyer la continuation au jour qu’il lui
conviendra d’indiquer. Cette ordonnance est suivie de
la seconde criée, suivie elle-même d’affiche, annonçant
l’audience à laquelle a renvoyé le juge.
a
11
206. — Le jour de cette audience, il est procédé com
me à la première, et une seconde ordonnance destinée à
recevoir une égale publicité détermine le jour auquel les
enchères ont été continuées.
La juste déférence due au magistrat, le respect qui
s’attache à son caractère et à son autorité devaient le
rendre l’arbitre unique de la procédure, dès qu’il y avait
pris une part active. C’est donc par un sentiment de
haute convenance que la loi lui défère le droit exclusif
de fixer le jour de l’audience ultérieure. Toutefois, son
pouvoir était limité par la nature des choses. L’audience
devait se combiner avec les délais tracés aux criées.
C’est pourquoi notre article prescrit que l’audience ait
lieu de huitaine en huitaine Le juge pourrait la fixer
avant l’échéance, mais non après l’expiration de ce délai.
�ART.
205, 206.
509
207. — L’audience qui suit la troisième criée doit
voir le terme de la procédure. Après la troisième criée,
dit l’article 206, l’adjudication est faite au plus offrant
et dernier enchérisseur, à l’extinction des feux, sans au
tre formalité.
Le contraire peut cependant se réaliser, puisque le
juge peut croire utile d’user du pouvoir que lui confère
ce même article d’accorder une remise. Celle-ci peut
même être suivie d’une seconde, après laquelle l’adju
dication ne pourrait plus être retardée.
Il importe de se fixer sur le caractère et la nature de
ce pouvoir. C’est par l’appréciation de l’un et de l’autre
que le juge se fixera sur l’usage qu’il doit en faire.
208. — La concession de ce pouvoir trouva de
chauds adversaires dans le sein du conseil d’Etat, l’in
convénient des remises, disait-on, c’est d’introduire une
procédure abusive, car ces remises ont toujours lieu
parce que le public sait qu’on n'adjugera pas à la pre
mière audience et que les enchérisseurs ne se présente
ront qu’à celle où la délivrance doit être tranchée. Mais
ils eussent paru de même à la première, s’ils eussent
espéré qu’on adjugerait. Il en est des remises comme
de l’adjudication préparatoire, où personne ne va, c’est
du temps et de l’argent perdus. Cet inconvénient est fa
cile à éviter. Sans doute, il est dans l’intérêt général
qu’il y ait des avertissements géminés, publics et réité
rés à de tels délais que les enchérisseurs puissent être
nombreux ; mais quand les diverses publications ont eu
�310
DROIT MARITIME.
lieu, il est utile que l’adjudication se fasse à jour pro
chain, et surtout certain, parce que cette certitude est
un véhicule pour les enchérisseursï.
Evidemment ces reproches faisaient fausse route , on
pouvait justement les adresser à la procédure telle qu’elle
était arrêtée. L’exigence de trois enchères consécutives,
rendant à peu près inutiles les deux premières, au vu et
su de tout le monde, devait rendre les enchérisseurs peu
jaloux de s’y présenter.
Mais les remises ne peuvept se réaliser que le jour de
la troisième et dernière enchère. Elles ne peuvent être
que le résultat d’accidents nés à l’audience même, que
nul n’est dans le cas de prévoir avec certitude.
Le saisi eût-il manifesté d’avance l’intention de la
solliciter, qu’on ne saurait savoir encore si elle sera ou
non accordée. Ce doute seul doit donc amener les en
chérisseurs sérieux à se présenter à cette audience pour
y réaliser les offres qu’ils sont dans le cas de faire.
Ce que nous disons dans cette hypothèse est en outre
vrai dans celle-ci : une première remise a été déjà ac
cordée, la même incertitude existe sur la décision que
prendra le juge, et l’identité de cause doit produire des
résultats analogues.
Les objections qui se produisirent au conseil d’Etat
auraient été fondés, si les remises avaient été obligatoi
rement prescrites, mais le Code n’a voulu conférer au
juge qu’une pure faculté dont ses partisans mêmes resi Procès-verb. du 41 juillet 4807, n° 10. Locré, t. 18, p. 315.
�ART. 205, 206.
311
treignaient l’exercice au cas où le juge voit que, par un
concert entre les enchérisseurs présents, la chose va être
vendue beaucoup au-dessous de sa valeur. Ce n’est que
dans ce cas, disait M. Bégouen, que le juge usera du
droit de prononcer la remise.
Ainsi, la règle générale sera l’adjudication définitive
après la troisième criée. La remise n’est qu’une excep
tion à laquelle le juge ne doit recourir que très rare
ment. Dès lors, disparait l’inconvénient qu’on voulait
éviter par le refus du pouvoir qui était sollicité.
209. —• La consécration de ce pouvoir fit naître im
médiatement la question de savoir si le juge devait être
autorisé à l’exercer d’office. L’affirmative fut adoptée.
L’efficacité de la mesure tenait à celte solution. Il ne
fallait pas, en effet, que l’absence du saisi, que la né
gligence du poursuivant pût faire triompher la fraude
dont le législateur se préoccupait, et assurer un résul
tat aussi dommageable aux créanciers qu’au saisi luimême.
Ce qui devait en outre déterminer le législateur, c’é
tait la pratique suivie sous l’empire de l’ordonnance de
1681. Cette pratique, attestée par Valin, reconnaissait
au juge le droit d’ordonner d’office la remise l.
210. — Le conseil d’Etat eut ensuite à examiner
une autre question, à savoir, si le dernier enchérisseur
1 Art. 8, tit. des Saisies.
�312
DROIT MARITIME.
était lié par son offre, nonobstant la remise, et celle-ci
fut nettement résolue par la négative. M. Béranger ob
serva que le dernier enchérisseur ne s’est engagé qu’à
condition qu’il aurait la chose à l’instant. En consé
quence, le laisser dans l’incertitude pendant huit ou
seize jours, ce serait, en certains cas, déranger toutes
ses combinaisons, et par suite l’exposer à des pertes.
211. — C’est cependant la solution contraire que
MM. Pardessus et Boulay-Paty enseignent. Quel est le
caractère de leur doctrine ?
S’il nous est permis de le dire, ces honorables juris
consultes ont trop facilement cédé à l’autorité de Valin.
Il est vrai que le Code reproduit la disposition de l’or
donnance. II y a donc en réalité identité de législation.
Mais, en présence de la discussion que nous venons de
rappeler, peut-on atteindre aux mêmes conséquences ?
C’est ce que nous contestons.
Les motifs que Valin donne de son opinion se rédui
sent à ceci : l’enchérisseur a dû s’attendre à la remise
sur le fondement de l’article 8 , qui la déclare faculta
tive, et de l’usage qui a presque établi la nécessité d’ac
corder des remises après l’adjudication, sur la troisième
criée.
Valin a donc, à défaut d’une disposition législative,
une raison plausible à invoquer, l’usage, ce souverain
interprête des lois, surtout en matière commerciale, qui
. les modifie et les abroge même.
Or, nous dit Valin lui-même, l’usage des remises
�était si généralement suivi, que ceux qui se présentaient
pour se rendre adjudicataires ne faisaient jamais d’en
chères sérieuses qu’après que les remises avaient été
épuisées. De sorte, ajoute-t-il, que ce qui n’avait été
pratiqué dans le principe que par grâce, en faveur de
la partie saisie, est devenu en quelque sorte de néces
sité l.
Dès l’instant que les remises étaient devenues une né
cessité et que l’usage avait fait de la règle l’exception, et
de l’exception la règle, nul ne pouvait l’ignorer. On pou
vait donc plus ou moins justement dire à l’adjudicataire
qu’il avait réellement surenchéri en vue même de la re
mise et volontairement accepté la chance que lui faisait
celle-ci.
Pourrait-on le dire encore depuis le Code, comme le
fait M. Boulay-Paty, car M. Pardessus ne donne aucun
motif de son opinion ? Nous ne saurions l’admettre. En
effet, le Code a expressément abrogé l’usage invoqué par
Valin. Aujourd’hui le juge n'usera du droit d'accorder
la remise que lorsqu’il verra que, par l’effet de la col
lusion, la chose va être vendue beaucoup au-dessous
de sa valeur.
Loin d’être nécessaire, la remise reste une très rare
exception que la loi n’a même admise qu’à regret. Com
ment dès lors opposer à l’enchérisseur actuel l’objection
qu’on faisait à celui de l’ordonnance. Ce que j’ai pu, ce
que j’ai dû prévoir, répondra-t-il avec raison, c’est le
�314
DROIT MARITIME.
maintien, c’est l’observation de la règle générale. Je n’ai
offert mon argent qu’à la condition qu’on me délivre
rait la chose. Sans doute une exception, qu’on ne doit
appliquer qu’avec une grande discrétion et très rarement,
a pu empêcher cette délivrance , mais ce refus, entraî
nant celui de mon offre, m’a immédiatement libéré.
L’esprit de la loi condamne donc l’opinion de MM.
Pardessus et Boulay-Paty. Nous doutons même très fort
que celle de Valin pût être suivie sous l’empire de l’or
donnance. Rien dans la loi spéciale ne l’autorisait, il
fallait donc recourir aux principes ordinaires et alors,
comme aujourd’hui, ces principes la condamnaient for
mellement.
La vente aux enchères ne cesse pas d’être régie par
les principes de la vente volontaire. Comme celle-ci, elle
ne devient parfaite que par le concours des volontés sur
la chose et sur le prix. Or, ce concours n’a jamais exis
té', lorsque sur une offre quelconque l’adjudication n’est
pas prononcée.
Il répugne à la raison d’admettre un contrat synallag
matique et consensuel dans lequel l’une des parties se
rait engagée , l’autre libre. Vainement dirait-on que
l’enchérisseur pourra exiger la délivrance, si au jour de
la remise son offre n’est pas dépassée ; mais s’il per
siste dans son offre, il n’aura qu’à la renouveler, et son
droit à la chose ne sera que la conséquence de l’adju
dication, qui sera alors prononcée en sa faveur.
D’ailleurs, pour juger de la perfectibilité du contrat,
il faut remonter à son origine. Ici, que voyons-nous
�dans l’opinion que nous repoussons ? L’enchérisseur dé
finitivement lié , alors même qu’il aurait combattu la
remise et déclaré rétracter son offre si elle était pronon
cée ; le vendeur, au contraire, libre de traiter avec un
autre à des conditions plus avantageuses. Or, une pa
reille conséquence, nous le répétons, est aussi inadmis
sible en droit qu’en raison.
Elle ne l’est pas moins en équité. Le prix de l’adjudi
cation doit être payé ou déposé dans les vingt-quatre
heures. Celui-là donc qui vient faire des offres après la
troisième criée doit être en mesure de réaliser l’un ou
l’autre dans l’incertitude d’une remise.
Ce prix peut être considérable. Sera-t-il forcé de le
garder improductif dans sa caisse pendant la durée des
deux remises qui peuvent se succéder ? Il peut s’agir ce
pendant de 40, de 50, de 60,000 francs.
Ce n’est pas tout. Une crise commerciale, la faillite
de correspondants peuvent dans l’intervalle le forcer à
appliquer à son commerce les fonds qu’il destinait à son
acquisition. En cet état, le contraindre à recevoir le na
vire serait l’exposer à une folle enchère inévitable.
Dans l’un et dans l’autre cas, la perspective qu’on of
frirait à l’enchérisseur suffirait pour écarter tout négo
ciant prudent et sage. Est-ce là le but qu’a pu se pro
poser le législateur ?
Nous n’hésitons donc pas à conclure que lorsque le
juge commis, au lieu de prononcer l’adjudication après
la troisième criée, a continué l’opération à une audien
ce ultérieure, les offres sont par cela même devenues
�316
DROIT MARITIME.
sans effet ; celui dont elles émanent reprend son entiè
re liberté, il ne peut être lié envers personne, puisque
personne ne l’est à son égard.
212- — Sous l’empire de l’ordonnance de 1681, on
pouvait accorder d’autres remises, indépendamment des
deux que l’ordonnance autorisait expressément. Seule
ment, ainsi que Yalin nous l’apprend, ces autres re
mises ne pouvaient être ordonnées d’office, elles devaient
être sollicitées soit par le poursuivant, soit par un cré
ancier opposant.
Cela n’est plus praticable aujourd’hui. Le Code n’au
torise en tout que deux remises. Après la seconde, l’ad
judication définitive est forcée, quel que soit le résultat
de l’enchère.
213. — En fixant le nombre des remises à deux,
notre article a réglé l’importance de chacune d’elles.
C’est un délai de huit jours qu’elle comporte. Le texte
même de l’article indique que le juge ne peut les pro
noncer que successivement, et la seconde à l’audience
indiquée pour la première. Il est évident que si, à cette
audience, les causes qui avaient motivé celle-ci n’exis
taient plus ; si les offres étaient en proportion de la juste
valeur du navire, uu plus long délai deviendrait inutile.
On devrait s’abstenir de toute nouvelle remise.
Chaque remise doit être publiée et affichée, pour in
diquer l’audience à laquelle le juge a fixé les enchères.
Ce sont là des frais nouveaux à supporter par la masse.
�ART. 2 0 5 , 2 0 6 .
317
Mais leur nécessité naissait de la mesure même. On ne
prononce la remise que dans l’espoir d’attirer un plus
grand concours d’acheteurs, que pour créer une utile
concurrence. Comment atteindrait-on ce but, si la re
mise ne recevait pas la plus grande publicité ?
Elle doit être manifestée par une publication et par
affiche , l’une et l’autre doivent être conformes à ce qui
est prescrit par l’article 204.
Article 207 .
Si la saisie porte sur des barques, chaloupes et au
tres bâtiments du port de dix tonneaux et au-dessous,
l’adjudication sera faite à l’audience, après la publica
tion sur le quai pendant trois jours consécutifs, avec af
fiche au mât, ou, à défaut, en autre lieu apparent du
bâtiment, et à la porte du Tribunal.
Il sera accordé un délai de huit jours francs entre la
signification et la vente.
SOMMAIRE
214. Caractère et objet de l'article 204.
215. Modifications qu’il fait subir à l’article 620 du Code de pro
cédure civile.
216. A l’ordonnance de 1681.
217. Délai fixé pour la vente. Conséquences de sa franchise.
�518
DROIT MARITIME.
218. Sur quels points l’article 207 a-t-il abrogé l’article 620 du
Code de procédure civile ?
219. La faculté d’accorder des remises peut-elle être exercée
dans l’hypothèse de l’article 207 ?
220. Exception que subit la règle tracée par cet article.
214. — La disposition de l’article 207 consacre une
procédure beaucoup plus sommaire pour la vente sur
saisie des bâtiments du port de dix tonneaux et au-des
sous. Le peu de valeurs que ces navires auront, en gé
néral, ne permettait pas de multiplier les frais qui au
raient bientôt absorbé une notable partie du prix, elle
est renouvelée de l’article 9, titre des Saisies, de l’or
donnance de 1681.
Déjà l’article 620 du Code de procédure civile s’était
occupé de cette matière. Mais le désir de revenir au sys
tème de l’ordonnance, dont cet article s’élait quelque
peu écarté, fit adopter l’article 207 et consacrer les mo
difications qu’il introduit au Code de procédure civile.
215. — Celui-ci, en effet, accordait au moins un
mois pour réaliser la vente. Il écartait l’intervention des
magistrats en déclarant qu’il serait procédé à l’adjudica
tion sur les ports, gares ou quai sur lesquels se trou
vaient les objets saisis. Il voulait qu’il fût affiché quatre
placards au moins et fait trois publications au lieu de
la saisie , dont la première ne pouvait être réalisée que
huit jours après la signification de la saisie. Dans les
villes où il s’imprime des journaux, ces publications
devaient être suppléées par l’insertion au journal de
�ART. 2 0 7 .
319
l’annonce de la vente , laquelle annonce était répétée
trois fois dans le cours du mois précédant la vente.
C’est désormais à l’audience , et conséquemment par
un magistrat commis, que l’adjudication des bâtiments
au-dessous de dix tonneaux sera prononcée. Cette adju
dication doit être précédée de trois criées faites sur le
quai, pendant trois jours consécutifs , par l’huissier ,
qui en dresse procès-verbal.
216. — C’était cette seule formalité que prescrivait
l’ordonnance. C’était, en réalité , une bien mince pu
blicité que celle qui se bornait à instruire de la saisie
et de la vente ceux que le hasard faisait assister aux
criées. Aussi, Valin faisait-il remarquer combien il était
indispensable qu’une affiche apposée au mât du bâti
ment, sur le quai et devant la principale façade du pa
lais appelât une concurrence plus réelle et plus utile.
C’est ce que les auteurs du Code ont également pensé ;
ils ont donc prescrit l’affiche au mât, et, à défaut, en
tout autre lieu apparent du bâtiment et à la porte du tri
bunal.
217. — En réduisant les formalités, notre article a
également réduit le délai de la vente. Elle pourra se réa
liser huit jours francs après la notification de la saisie.
La franchise de ce délai le place d’abord sous l’em
pire de la maxime : Dies termini, non computantur in
termino. C’est le seul que doive accorder le saisissant,
si le saisi est domicilié sur le lieu de la saisie ou dans
�320
DROIT MARITIME.
l’arrondissement du tribunal devant lequel la saisie est
poursuivie.
Si le propriétaire est domicilié hors de l’arrondisse
ment, les notification et citation sont données conformé
ment à l’article 201, et le délai est augmenté d’un jour
par deux myriamètres et demi de distance du domicile
réel du lieu où siège le tribunal. Ce n’est que pour les
formalités de la vente que la loi a consulté le tonnage
du navire. Quant aux prescriptions des articles 199, 200
et 201, elles sont générales et absolues. Elles s’appli
quent indistinctement à tous les navires.
Dans la réalité des choses, on ne saurait guère pré
voir dans notre hypothèse la nécessité d’une augmenta
tion ou tout au moins d’une augmentation de délais
considérable. La destination des navires est indiquée
par leur tonnage. Tout au plus s’ils servent au petit ca
botage. C’est là une industrie le plus ordinairement ex
ploitée par des personnes de la localité ou des localités
voisines. Quoi qu’il en soit, comme dans tous les autres
cas, on ne pouvait permettre l’adjudication sans que le
débiteur eût été mis à même d’en surveiller l’opportu
nité et la régularité.
218. — L’article 620 du Code de procédure civile a
une portée beaucoup plus générale que l’article 207 ; le
premier met sur la même ligue les bâtiments, barques
et chaloupes destinés à la mer, et les bacs, galiotes, ba
teaux et autres bâtimenis de rivière ; les moulins et au
tres édifices mobiles assis sur bateaux ou autrement,
�tandis que l’article 207 ne dispose , en général , que
pour les bâtiments de mer. On devrait donc conclure
de là que ce dernier n’abroge l’article 620 qu’à l’en
droit de ceux-ci, et que, dès lors la saisie et la vente de
tous les autres doivent rester sous l’empire du Code de
procédure.
Les développements de la navigation fluviale ont
amené des rapprochements forcés entre les bâtiments
qui s’y livrent et les bâtiments de mer. On devrait donc
les assimiler les uns aux autres, avec d’autant plus de
raison que la plupart des premiers ajoutent à leur des
tination primitive le cabotage entre certains ports de
mer. C’est ainsi, notamment, que les bateaux du Rhône
viennent d’Arles à Marseille.
Mais la saisie d’un bateau uniquement consacré à la
montée et à la descente des fleuves et opérant la pre
mière à l’aide d’équipages de bêtes de sommes destinées
à cet objet, celle surtout des moulins et autres édifices
assis sur bateaux, continuerait d’être régie par l’article
620 du Code de procédure civile.
219. — La faculté donnée au juge par l’article 206,
d’accorder une ou deux remises, peut-elle être exercée
dans l’hypothèse de l’article 207? Valin admettait l’affir
mative, que quelques auteurs professent encore sous
l’empire du Code l.
Nous partageons, à cet égard , le doute exprimé par
1 Pardessus, n» 602 ; Dageville, t. 2, p. 90.
i — 21
�DROIT MARITIME.
322
MM. Boulay-Paty et Delvincourt. Sans doute il n’y a
aucune antinomie réelle entre les articles 206 et 207.
Mais il existe entre eux cette différence que le législa
teur, qui s’explique formellement dans un cas, se tait
dans l’autre. Or, ce silence est d’autant plus significatif,
qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle s’il en fût.
Notre doute s’accroît des motifs qui ont fait sanction
ner la disposition de l’article 206 à cet endroit. La col
lusion entre enchérisseurs trouve une cause dans la va
leur de l’objet qu’il s’agit d’acquérir, et qui promet un
bénéfice assez important pour payer le silence exigé de
quelques-uns d’entre eux. O r, quel peut être ce béné
fice, lorsque la valeur minime de la chose vendue est
aussi certaine que dans l’hypothèse de l’article 207 ?
Que sera-ce si l’on considère que , loin de présenter
un résultat favorable, la remise, dans le cas de l’article
207, pourrait déterminer un résultat tout à fait opposé.
L’utilité de la remise consiste dans la publicité qu’elle
reçoit, et qui doit amener un plus grand nombre d’a
cheteurs. Aussi l’article 206 en prescrit-il la publication
et son annonce par une affiche.
Or, cette publicité est impossible dans le cas de l’ar
ticle 207. Tout le monde, en effet, reconnaît que la re
mise ne pourrait être faite que pour l’audience du len
demain. Or, quelle mesure prendre dans ce délai de
vingt-quatre heures ?
Ce qui se réaliserait serait, dès lors, .que la remise se
rait connue de ceux qui assistaient à l’audience, mais
que le public l’ignorerait ; que les enchérisseurs de la
�ART. 2 0 7 .
323
veille pourraient se présenter le lendemain, mais que
leur nombre ne serait pas augmenté. On se trouverait
donc à la seconde audience dans le même état qu’à la
première, et ainsi l’inconvénient devant lequel on a re
culé continuerait d’exister.
Il n’y a donc pas, entre l’hypothèse de l’article 207
et celle de l’article 206, une identité telle qu’on doive
nécessairement conclure de l’uné à l’autre, et admettre
dans la première un pouvoir expressément indiqué dans
la seconde.
220 . — La règle que la procédure est indiquée par
la capacité du navire ne reçoit qu’une seule exception,
à savoir, si la même saisie comprenait des navires audessus et au-dessous de dix tonneaux. La poursuite si
multanée des deux procédures, loin d’économiser les
frais, les multiplierait dans ce cas. Il est donc rationel
de se réduire à une seule.
Mais celle-ci ne peut être que celle prescrite par l’ar
ticle 202. D’abord, parce que les navires au-dessus de
dix tonneaux ne peuvent jamais être vendus autrement;
ensuite, par les garanties plus multipliées que sa pu
blicité offre à tous les intéressés.
A rticle 20 8 .
L’adjudication du navire fait cesser les fonctions du
�324
DROIT MARITIME.
capitaine , sauf à lui à se pourvoir en dédommagement
contre qui de droit.
Article
209.
Les adjudicataires des navires de tout tonnage seront
tenus de payer le prix de leur adjudication dans le dé
lai de vingt-quatre heures, ou de le consigner , sans
frais, au greffe du tribunal de commerce, sous peine d’y
être contraints par corps.
À défaut de paiement ou de consignation, le bâtiment
sera remis en vente, après une nouvelle publication et
affiche unique, à la folle enchère des adjudicataires, qui
seront également contraints par corps au paiement du
déficit, des dommages, des intérêts et des frais.
SOMMAIRE
221. Effet de l'adjudication. Elle révoque les fonctions du ca
pitaine. Motifs de l’article 208.
222. Législation ancienne sur le caractère des fonctions du ca
pitaine. Conséquences.
223. Le seul droit réservé au capitaine est celui de se pourvoir
en dédommagement contre qui de droit.
224. Réponse au reproche fait à l’article 208 de se placer en
contradiction avec l’article 218.
225. Le dédommagement n’est-il dû que s’il y a convention par
écrit ? Dissentiment avec M. Dalloz. Réfutation.
226. Eléments constitutifs du dédommagement dû au capitaine.
�227. Interprétation et étendue des expressions de l’article con
tre qui de droit.
228. L'adjudication sur licitation révoque-t-elle le capitaine ?
229. Devoir pour l’adjudicataire de payer son prix. Mode et dé
lai de ce paiement.
230. Effet du refus ou du retard.
231. Droit de poursuivre la folle enchère. Procédure à suivre.
Ses effets.
232. Quid, si le prix de la revente excède celui de la première
adjudication ?
221. — L’adjudication crée des droits, impose des
devoirs à celui en faveur de qui elle a été prononcée.
Le premier et le plus incontestable de ces droits, c’est
de recevoir non seulement la propriété, mais encore la
disposition libre, absolue de la chose adjugée. Or, le
maintien du capitaine à la tête du navire adjugé portait
atteinte à ce droit, et imposait à l’adjudicataire un man*
dataire qu’il aurait pu ne pas vouloir accepter. Ce main
tien eût été, de plus, une véritable servitude imposée au
navire pouvant écarter certains enchérisseurs. A ce dou
ble titre, la loi devait s’en expliquer, et elle l’a fait en
prononçant que l’adjudication fait cesser les fonctions
du capitaine. Dès-lors aussi ses salaires cessent de cou
rir et ne reprennent que du jour du contrat, si l’adjudi
cataire l’accepte, ce qu’il est toujours libre de faire.
Il serait difficile de se rendre raison de la nécessité
de l’article 208, en présence de l’article 218. N’est-il
pas évident que puisque celui qui a directement traité
avec le capitaine a toujours le droit de le révoquer, ce
droit ne pouvait jamais exciter le moindre doute en fa-
�326
DROIT MARITIME.
veur de celui qui est judiciairement investi de la pro
priété du navire ?
Mais il convenait de s’expliquer sur la nalure des
fonctions du capitaine, de déterminer la position de l’ad
judicataire relativement aux salaires et au dédommage
ment que le capitaine aurait à prétendre, soit par l’effet
de l’adjudication, soit par la convention que prévoit l’ar
ticle 218. On aurait pu en effet prétendre, dans ce der
nier cas, que l’adjudicataire, héritant du droit de con
gédier, héritait également des obligations du proprié
taire. O r, tout cela se trouve officiellement réglé par
l’article 208.
222. — Jusqu’en 1681 , le commandement ou la
maîtrise d’un navire avait été considéré comme un droit
inhérent au navire, susceptible d’être saisi sur la tête de
celui qui l’exerçait, et par conséquent irrévocable de la
part du propriétaire. Celte irrévocabilité tenait surtout
à cette circonstance que, dans l’asage, la maîtrise n’é
tait conférée qu’à un copropriétaire du navire , d’où le
nom de com-bourgeois, sous lequel on désignait le
maître.
C’est à juste titre, dit Yalin, que cet état des choses,
mal entendu, a été changé par l’ordonnance. La maî
trise d’un navire n’est qu’une commission donnée à ce
lui qui en est revêtu pour commander le navire sous les
ordres du propriétaire, commission ne pouvant conférer
aucun droit de propriété sur le navire, et qui, par sa
nature, devait être essentiellement révocable comme tout
�mandat. C’est dans ce but que l’ordonnance déclare ici
que la maîtrise n’est pas susceptible de saisie non plus
que d’opposition à fin de distraire ou de charge, et,
ailleurs, que le maître, quoique intéressé dans le navi
re, peut être congédié par les autres propriétaires, en
le remboursant, sur sa réquisition, de sa portion dans
le navire \
223. — C’est ce que le Code a également consacré.
Il n’a pas cru, cependant, devoir exprimer que la maî
trise ne pouvait être vendue ou saisie, ni devenir la ma
tière d’une opposition à fin de distraction ou de charge.
Tout cela résultait énergiquement de l’effet que produit
l’adjudication. Où serait l’origine d’un droit en faveur
du capitaine qui se trouve de plein droit révoqué par
l’adjudication ?
Le seul qui lui soit réservé est celui de poursuivre en
dédommagement. Ce droit lui-même n’est plus une char
ge du navire ; il ne peut être exercé que contre qui de
droit, c’est-à-dire que contre l’ancien propriétaire.
224. — A 1'occasion de cet exercice, on a reproché
à l’article 208 de se placer en contradiction flagrante
avec l’article 218. Celui-ci, a-t-on dit, confère au pro
priétaire le droit illimité de congédier le capitaine sans
indemnité, à moins d’une convention contraire. Or la
révocation à la suite de la saisie n’est que l’exercice in1 Art. 13, tit. des S a is ie s ; art. 4, tit. des P ro p r ié ta ir e s.
�328
DROIT MARITIME.
direct de ce droit ; pourquoi dès lors la rendre l’origine
d’une action en dédommagement ?
La différence entre ces deux dispositions s’explique
par celle des termes mêmes dont s’est servi le législa
teur : dédommagement, dans l’article 108 ; indemnité,
dans l’article 218. Un dédommagement s’entend de la
réparation d’une perte effective subie par celui qui la
demande. Une indemnité comprend non seulement la
perte matérielle , mais encore le préjudice moral, mais
enfin le gain dont on a été privé par la mesure dont on
se plaint.
L’article 208 n’autorise ni la poursuite de la répara
tion du préjudice moral qui, à vrai dire, ne saurait exis
ter réellement, ni la répétition de tout ou de partie du
gain que le capitaine aurait réalisé si le voyage qu’il de
vait entreprendre n’avait été interrompu par la saisie et
par l’adjudication. Mais était-il juste délaisser pour le
compte personnel du capitaine les sacrifices et frais
qu’il s’est imposé pour venir prendre le commandement
qui lui était offert ? Pouvait-on hésiter entre lui et l’ar
mateur ?
Le capitaine n’est pas tenu de connaître l’état des
affaires du propriétaire qui le choisit, probablement
même il l’a complètement ignoré , car la crainte des
conséquences d’une saisie, s’il avait pu la croire im
minente, l’aurait empêché de traiter. Il a donc dû croi
re que l’offre qu’on lui faisait était sérieuse ; peut-être
même ne l’a-t-il acceptée qu’en abandonnant une po
sition plus certaine, quoique moins avantageuse. La
�ART. 1 0 8 , 1 0 9 .
pensée d’un voyage prochain, la nécessité d’y pourvoir
l’auront entraîné dans des frais devenus inutiles, ne fussent que ceux du voyage pour se rendre au lieu oû le
navire est amarré.
Le propriétaire, au contraire, connaissait bien cer
tainement sa position et l’imminence d’une saisie. Il a
dès lors agi avec une déplorable légèreté lorsque, se dis
simulant à lui-même le péril de sa situation, il traitait
d’un commandement dont bientôt il devait perdre la
disposition.
Ajoutons que dans l’hypothèse de l’article 218, la ré
vocation est le fait unique de l’armateur , que le capi
taine a dû et pu prévoir, et dont il a volontairement ac
cepté la chance. Ici, observe M. Boulay-Paty, le proprié
taire saisi n’use pas de la faculté qui lui était concédée;
il laisse le capitaine sous le coup d’une force majeure,
qui est le résultat de son inconséquence, de son impé
ritie, peut-être même de sa mauvaise conduite à lu i,
propriétaire. Ce n’est pas , à vrai dire, le propriétaire
qui révoque le capitaine, ce n’est pas sa volonté, c’est
sa faute, et il est juste que celui qui se trouve démonté
de cette manière soit dédommagé des suites d’une faute
dont il se trouve la victime.
Ce n’est donc pas une indemnité que l’article 208 ac
corde. Dès lors il ne saurait être en contradiction avec
l’article 218. Dans tous les cas, la différence dans l’hy
pothèse devait en amener une dans le droit.
�530
DROIT MARITIME.
ques difficultés. M. Dalloz ne l’admet que lorsqu’il exis
te une convention écrite, comme dans le cas de l’arti
cle 218.
Il enseigne, en effet, que pour que le capitaine con
gédié soit fondé à se pourvoir en dédommagement com
me le dit l’article 208, il faut qu’il ait été stipulé expres
sément et par écrit qu’il ne pourrait être congédié sans
indemnité. C’est ce qui résulte formellement de l’article
218, qui, après avoir reconnu au propriétaire le droit
de congédier le capitaine, ajoute : « Il n’y a pas lieu à
indemnité, s’il n’y a convention par écritl. »
Nos précédentes observations repoussent avec succès
la liaison que M. Dalloz admet entre les articles 208
et 218.
Mais une réponse plus péremptoire encore , si c’est
possible, nous est fournie par la doctrine antérieure au
Code. L’article 208 de celui-ci n’est que la répétition de
l’article 13, titre des Saisies, de l’ordonnance de 1681,
à cette différence que celui-ci, après avoir réservé au
maître l’action en dédommagement, ajoutait : Si aucun
lui est dû.
Si cette restriction avait été maintenue par le Code,
l’opinion de M. Dalloz y puiserait sans doute un argu
ment. Veut-on savoir cependant comment elle avait été
considérée sous l’empire de l’ordonnance? Valin lui re
fusait absolument l’effet de jeter le moindre doute sur
le droit au dédommagement. « Ne serait-il pas absur1 N o u v ea u r é p ., v. Dr. m a r il , n» 141.
�de, disait-il, de considérer cet article comme laissant à
décider s’il est dû au maître un dédommagement ou
non contre la partie saisie, tandis qu’il lui sert précisé
ment à se pourvoir contre elle à ce sujet ? »
Valin soutenait donc ces mots : « si aucun lui est
dû, » ne pouvaient raisonnablement signifier autre
chose, sinon que le dédommagement du maître en sera
plus ou moins considérable, suivant les circonstances :
« Il reste toujours, continuait-il, qu'il lui est dû un
dédommagement dès qu'il hti est sauvé à se pourvoir
à cette fin ; il n'y a plus d'examen à faire que pour
déterminer jusqu'où ira ce dédommagement, eu égard
à la perte du maître. »
Sans doute cette opinion de Valin pouvait être con
testée. et nous ne voyons pas qu’elle l’ait été ; mais en
fin la loi se prêtait à une autre interprétation. Or, n’estce pas pour bannir toute difficulté à ce sujet que le Code
de commerce a fait disparaître la restriction de l’ordon
nance ?
On ne peut donc raisonnablement contester le prin
cipe et le subordonner à l’existence d’une convention
écrite. Cela ne nous paraît pas possible. Ne serait-il pas
absurde, dirons-nons à notre tour, si tel avait été le
but du législateur, d’autoriser le capitaine à se pourvoir
en dédommagement sans condition, sans restriction.
L’article 218 a pu et dû se préoccuper d’une conven
tion écrite, précisément parce que la loi refusait toute
indemnité ; mais lorsqu’elle a inscrit le droit dans ses
dispositions, qu’esl-il besoin de cette convention ? La
�352
DROIT MARITIME.
loi elle-même en tient lieu et suffit pour qu’il puisse être
réclamé indépendamment du fait des parties.
La conclusion de Valin est donc, aujourd’hui surtout,
incontestable. Elle repousse la doctrine de M. Dalloz ,
qui méconnaît ouvertement le caractère respectif des ar
ticles 208 et 218.
226. — M. Boulay-Paty commet une erreur d’un
autre genre , lorsqu’il soutient que le dédommagement
du capitaine doit comprendre les profits qu’il aurait réa
lisés dans le voyage interrompu par la saisie. La loi veut
un dédommagement et non pas la récompense d’un gain
éventuel, et c’est ainsi que nous venons de voir Valin
interpréter l’ordonnance de 1681. Le capitaine ne doit
rien perdre de ce qu’il a dépensé, mais il n’est pas ap
pelé à réaliser aucun profit.
Ce qui prouve l’exactitude de cette observation, c’est
que le dédommagement accordé au capitaine est préle
vé par privilège sur le prix du navire. Or, si ce dédom
magement comprenait le profit espéré , on donnerait
au capitaine révoqué un droit qu’il ne pourrait obtenir,
même après l’accomplissement du voyage. Nous avons
vu, en effet, que même le droit de chapeau acquis ne
pouvait participer au privilège accordé aux salaires du
capitaine.
Le capitaine ne doit donc être dédommagé que de la
perte dont il justifie et dont nous avons déjà indiqué les
éléments. Aux dépenses réelles qu’il a pu faire , aux sa
crifices qu’il a pu s’imposer, il faut ajouter le salaire
�ART.
208, 209.
333
des peines et soins qu’il a donnés à l’armement. Nous
verrons que ce salaire doit lui être payé, même dans le
cas de l’article 218, à plus forte raison devrait-il l’être
dans celui de notre article 208,
*
^ 2 7 . — Nous avons déjà indiqué que l’action du
capitaine ne peut être intentée que contre le proprié
taire ; que c’était là ce qu’il fallait induire des termes
de l’article « contre qui de droit. »
M. Boulay-Paty donne à ces expressions une étendue
beaucoup plus considérable. Il enseigne que le capitaine
serait fondé à se pourvoir contre celui qui aurait saisi
sans droits et qui aurait ainsi fait manquer ou retarder
le voyage.
Mais si la saisie a été faite sans droits, elle n’aura été
suivie ni de vente ni d’adjudication ; le capitaine n’aura
donc pas été révoqué. Or, l’action de l’article 208 est
précisément subordonnée à l’adjudication entraînant la
révocation.
Dans la double hypothèse prévue, le préjudice résul
tant de la rupture ou du retard du voyage est éprouvé
par l’armement. C’est donc à lui que la réparation doit
être accordée, c’est lui qui est seul recevable à la pour
suivre. D’ailleurs l’action du capitaine , pour le préju
dice que la rupture du voyage lui occasionne person
nellement, ne serait pas évidemment celle de l’article
208, qui ne saurait exister ; elle ne pourrait se fonder
que sur l’article 1382 du Code civil.
�334
DROIT MARITIME.
228 . — On s’est demandé si l’adjudication sur lici
tation produirait l’effet que l’article 208 attache à cel
le-ci à la suite d’une saisie, c’est-à-dire si elle fait ces
ser les fonctions du capitaine, M. Pardessus est pour la
négative.
Cette question n’a un intérêt réel que dans un seul
cas, à savoir, si une convention existant entre le capi
taine et le propriétaire stipule une indemnité en cas de
congé. En effet, l’adjudicataire est libre de congédier le
capitaine dès que, devenu propriétaire du navire, il
peut user de la faculté de l’article 218.
Mais pourra-t-il le faire dans notre hypothèse, sans
payer l’indemnité stipulée ? Cette indemnité devient dans
ce cas une charge du navire. Il est évident que le fait de
la licitation, étranger au capitaine , n’a pu lui enlever
le bénéfice de son contrat.
La convention, dit M. Pardessus, doit donc être exé
cutée par le nouveau propriétaire , comme elle eût dû
l’être par l’ancien. Mais celui-ci a commis une faute s’il
ne s’est pas expliqué dans le cahier des charges sur
l’existence de la convention.
Le capitaine pourra donc réclamer l’indemnité de ce
lui qui le congédie. Mais l’adjudicataire aura son re
cours contre le précédent propriétaire, qui aurait dissi
mulé ou omis de mentionner la convention.
229 . — Le devoir d’acquitter le prix de son acquisi
tion naissait pour l’adjudicataire du bénéfice que lui con
fère l’adjudication. Ici la loi ne distingue plus, quelque
�soit le tonnage du navire adjugé, le prix doit en être payé
ou déposé au greffe du tribunal de commerce dans les
vingt-quaire heures de l’adjudication.
La loi s’en réfère à l’adjudicataire pour le mode qu’il
lui plaira d’adopter, il n’est pas douteux que le paie
ment opéré entre les mains du poursuivant serait satisfactoire et libérerait l’adjudicataire, quoi qu’il arrivât,
mais à une condition, c’est qu’il n’existât en ses mains
aucune opposition â la délivrance des deniers.
Si une seule avait précédé le paiement, la responsa
bilité de l’adjudicataire serait engagée , il pourrait être
recherché si lè poursuivant avait dissipé les fonds. Dans
ce cas donc, la consignation au greffe, que la prudence
commande dans toutes les hypothèses, serait inévitable
et forcée.
250. — L’inobservation de l’article 209 ouvre une
double action au saisissant, au saisi lui-même , à ses
créanciers.
Chacun d’eux peut contraindre l’adjudicataire au paie
ment ou à la consignation. L’adjudication constituant un
véritable jugement, son exécution ne saurait être sus
pendue ni arrêtée ; celte exécution n’a besoin que d’être
précédée d’une signification avec commandement, vingtquatre heures après elle pourrait être réellement pour
suivie sur tous les biens de l’adjudicataire, et même sur
sa personne, car la loi le soumet formellement à la con
trainte par corps l.
231. — Cette poursuite se réaliserait par les voies
i Nous rappelons que la contrainte par corps a été abolie.
�336
DROIT MARITIME.
ordinaires et notamment par celle de la saisie, mais il
est dans l’actif de l’adjudicataire un objet qu’il eût été
dérisoire de soumettre à la saisie ordinaire, cet objet,
c’est le navire adjugé ; pour celui-ci, en effet, la voie de
la folle enchère s’offrait naturellement, et c’est elle que
la loi a consacrée.
Faute donc par l’adjudicataire de payer ou de consi
gner dans les vingt-quatre heures de l’adjudication et
du commandement qui lui en a été fait, la folle enchère
est ouverte et déterminera la revente du navire.
La procédure, pour arriver à cette revente, est extrê
mement simple. Après l’expiration du délai du com
mandement, le poursuivant fera publier et afficher l’an
nonce delà folle enchère, indiquera le jour et l’heure de
la vente qui doit être réalisée trois jours seulement après
là publication et l’affiche.
L’adjudication sur folle enchère se poursuit aux ris
ques et périls de celui qui l’a nécessitée. Il est donc tenu
de la différence du prix , des intérêts courus depuis le
moment de la première adjudication jusqu’à la seconde,
de tous les frais. En d’autres termes, quel que soit le ré
sultat de l’adjudication sur folle enchère, ce que les cré
anciers doivent recevoir, c’est le prix intégral de la pre
mière, augmenté des intérêts courus et à courir jusqu’au
paiement du déficit, paiement auquel le fol enchéri est
tenu même avec contrainte par corps.
On ne peut se rendre exactement raison de ce que la
loi a voulu en imposant au fol enchéri la responsabi
lité des dommages. A-t-elle voulu parler des dommages
�208, 209.
337
matériels qu’il aurait pu causer au navire ? Mais ces
dommages, s’ils existent, auront diminué la valeur du
navire et influé sur le prix de la revente, on les lui fait
donc supporter en le chargeant du déficit entre ce prix
et celui qu’il avait lui-même offert.
Serait-ce le dommage du retard dans le paiement ?
Mais ces dommages, lorsqu’il s’agit du paiement d’une
somme d’argent, ne peuvent consister que dans l’intérêt
au taux légal, et cet intérêt on l’oblige de le payer. Il
nous semble donc que l’article aurait pu s’abstenir de
parler d’un dommage qu’il est impossible de prévoir en
dehors des autres adjudications qu’il prononce.
ART.
232. — La folle enchère ne peut être pour les cré
anciers une occasion d’obtenir de celui qui la subit au
tre chose que ce à quoi l’obligeait l’adjudication qu’il
avait rapportée. Elle ne peut devenir pour eux une cau
se de bénéfice que si le prix de la revente excédait ce
lui de la première adjudication.Cet excédant, en effet, ne
pourrait être réclamé par le fol enchéri, car l’inexécu
tion de son contrat lui a fait perdre tous droits à la cho
se. La revente se poursuit à ses risques et périls, mais
jamais à son profit.
Cependant il trouverait un avantage à cet excédant,
celui d’être exonéré jusqu’à concurrence du paiement des
intérêts et frais que la loi met à sa charge. L’obligation
que la loi lui impose à cet égard n’ayant pour but que
de réparer le préjudice que l’insuffisance du prix occa
sionnerait aux créanciers, il est évident qu’elle ne saui — 22
�538
DROIT MARITIME.
rait exister, lorsque ce préjudice a disparu devant le ré
sultat contraire.
Dans ce cas, disait Yalin, il est juste de compenser les
intérêts et les frais avec le profit de la nouvelle adjudi
cation, et de n’exiger du fol enchéri que la différence
que présenterait les premiers après celte compensation.
Ce sentiment, qui est également celui de Pothier, doit
être consacré sans hésitation.
Article 2 1 0 .
Les demandes en distraction seront formées et noti
fiées au greffe du tribunal avant l’adjudication.
Si les demandes en distraction ne sont formées qu’après l’adjudication, elles seront converties de plein droit
en oppositions à la délivrance des sommes provenant de
la vente.
A rticle 2 1 1 .
Le demandeur ou l’opposant aura trois jours pour
fournir ses moyens.
Le défendeur aura trois jours pour contredire.
La cause sera portée à l’audience sur simple citation.
SOMMAIRE
233. Motifs de la disposition de l’article 210.
�art.
208, 209.
559
234. Causes pouvant motiver la demande en distraction. Peutelle porter sur les accessoires du navire ?
235. Peut-elle être exercée par celui qui a acheté le navire avant
la saisie, sans avoir fait encore opérer la mutation sur
l’acte de francisation ? A quelles conditions ?
236. Forme de la demande en distraction. Délai dans lequel elle
doit être réalisée.
237. Effet de l’adjudication, suivant que la distraction a été de
mandée avant ou après.
238. La demande en distraction formée après t’acjudication est
régie par l’article 212.
239. Comment elle doit être instruite et jugée.
240. Silence gardé sur l’appel du jugement. Conséquences.
241. Adjudications dont est passible le demandeur en distraction
qui succombe.
233. — La saisie d’un navire ne peut être prati
quée que sur la tête de celui dont le nom figure sur l’acte
de francisation. Les copropriétaires qui n’ont pas requis
leur inscription sur cet acte ne peuvent dès lors querel
ler la régularité de la saisie. Le saisissant ne saurait être
tenu de se livrer à des investigations minutieuses pour
découvrir une vérité qu’on lui dissimule , au mépris
d’une prescription formelle de la loi.
Mais l’effet de cette dissimulation ne pouvait être la
perte du droit lui-même. La loi reconnaît donc aux co
propriétaires le droit d’empêcher la vente de l’intérêt
qui leur appartient, en le faisant distraire de la saisie.
Mais, en accordant ce droit, le législateur a imposé
un délai à son exercice, en a réglementé la forme. C’est
ce double objet que se proposent les articles 210 et 211.
�340
DROIT MARITIME.
234. — La copropriété d’un navire est une cause de
distraction tellement légitime, lorsque la saisie n’a pas
pour base une dette du navire lui-même, qu’elle ne pou
vait être ni contestée ni méconnue. Mais la distraction
peut être demandée pour les objets que la loi considère
comme les accessoires du navire.
Il est difficile de concevoir un navire sans le cortège
obligé des divers objets indispensables à son exploita
tion. Il peut se faire cependant que, soit par impuis
sance de fournir à la dépense, soit pour éviter la perte
de temps que nécessiterait la construction, le proprié
taire emprunte ou loue une partie de ces objets. L’usa
ge de ces locations ou emprunts, à l’endroit des chalou
pes et canots, n’a rien qui sorte des habitudes commer
ciales.
Il est évident que les objets réellement empruntés ou
loués ne pourraient être enlevés à leur véritable proprié
taire, ni devenir le gage des créanciers du locataire ou
de l’emprunteur. En principe donc , on peut admettre
que la distraction peut en être demandée.
Mais, en pareil cas, les juges ne sauraient agir avec
trop de prudence. L’abus et la fraude sont bien près du
droit. S’il est injuste de dépouiller un propriétaire de sa
chose, il ne faudrait pas non plus que, déguisant le vé
ritable caractère du contrat, on parvint à soustraire aux
créanciers une partie de leur gage, au profit exclusif de
l’un d’eux, qu’il plait au débiteur de favoriser.
On devrait se montrer sévère dans l’appréciation des
preuves offertes à l’appui de la demande en distraction.
�ART.
210 , 211 .
341
Il ne suffirait pas que son auteur prouvât qu’à une cer
taine époque il avait la propriété des effets qu’il reven
dique. Il faudrait en outre qu’il justifiât qu’il ne s’en
est pas dessaisi à titre de vente , qu’on aurait plus tard
convertie en location ou emprunt pour sauver le ven
deur du danger de perte que lui offre la répartition du
navire à tous les créanciers.
On devrait donc dès l’abord exiger soit un acte au
thentique, soit un sous seing-privé ayant date certaine ;
il faudrait que l’un ou l’autre se fût réalisé en temps
non suspect ; enfin, qu’une exécution conforme résultât
des faits et circonstances.
C’est aux tribunaux qu’il appartient de concilier et de
faire respecter tous les droits, leurs lumières et leur pru
dence sont un sûr garant du soin qu’ils apporteront dans
la solution de questions aussi délicates.
255. — Celui qui aurait volontairement acquis le
navire avant la saisie, mais qui n’aurait pas encore opé
ré la mutation sur l’acte de francisation, serait receva
ble à le faire distraire de la saisie, qui deviendrait ainsi
caduque, si elle n’avait que ce seul objet. La loi, en af
fectant le navire aux dettes du vendeur, lui en laisse la
disposition exclusive. Sa vente, n’étant que l’exercice de
ce droit, devrait nécessairement produire ses effets, sauf
le cas de fraude, toujours excepté par la loi.
La preuve de l’achat ferait donc tomber la saisie, mais
à condition par l’acheteur d’offrir aux créanciers de
payer ou de consigner le prix et le paiement des frais de
�342
DROIT MARITIME.
la saisie, ces frais n’ayant été que la conséquence de sa
négligence à opérer la mutation de propriété.
236. — Les conditions que la loi trace à l’exercice
du droit de distraction se réfèrent à la forme de la de
mande, au délai dans lequel elle doit se produire.
Elle veut que la demande soit formée et notifiée au
greffe du tribunal, rien ne peut suppléer à celte forma
lité, son inexécution rendrait la demande sans efficacité
possible, quel que fût d’ailleurs le mode adopté. C’est ce
qui était admis sous l’empire de l’ordonnance. Ainsi,
disait Valin, si la demande était formulée entre les mains
de l’huissier, soit au moment de la saisie, soit pendant
les criées, elle devrait être renouvelée au greffe du tri
bunal, sous peine de demeurer stérile et nulle. Le greffe
indiqué par notre article est celui du tribunal investi de
la connaissance de la saisie, c’est-à-dire du tribunal
civil.
La demande doit être formée avant l’adjudication.
Celle qui ne viendrait qu’après, dit notre article, serait
convertie de plein droit en une opposition à la délivran
ce des sommes provenant de la vente.
237. — L’effet de la demande en distraction, en
supposant qu’elle dût être accueillie, varie donc singu
lièrement, suivant l’époque qui la verra se produire.
Réalisée avant l’adjudication, elle assure dans son in
tégralité le droit sur lequel elle est fondée, la vente ne
saurait désormais l’affecter, elle se trouvera nécessaire-
�ART.
210 , 211 .
343
ment réduite à la portion d’intérêt ou aux choses appar
tenant réellement au saisi, les choses revendiquées re
viendront en nature au demandeur en distraction. Le
saisissant n’a jamais eu le droit de les saisir, moins en
core de les faire vendre ; le débiteur lui-même n’aurait
pu en demander la licitation hors les cas prévus par la
loi, à plus forte raison ses créanciers ne pourraient le
faire.
Si la demande en distraction n’est formée qu’après
l’adjudication, celle-ci est irrévocable, elle a valable
ment et définitivement compris même ce qui n’appar
tenait pas au saisi.
C’est là une nouvelle et importante dérogation au droit
commun. En effet, l’article 731 du Code de procédure
civile dispose expressément que l’adjudication définitive
ne confère à l’adjudicataire d’autres droits à la chose
que ceux qu’avait le saisi, la revendication de ce qui ne
lui appartenait pas est donc recevable tant que le droit
n’a pas été éteint par la prescription ou par tout autre
moyen légal.
En matière de navires, au contraire, la vente judi
ciairement consommée purge non seulement les privilè
ges, mais encore la copropriété. Cet effet est rigoureux,
mais il était dicté par les exigences commerciales; on ne
pouvait ni laisser indéfiniment en suspens la propriété
des navires, ni permettre de remettre en question la
vente qui venait de se consommer au vu et su de tout
le monde et sans réclamation aucune.
On a donc considéré cette absence de réclamation
�544
DROIT MARITIME.
comme un consentement tacite à la vente. Par suite, la
demande en distraction n’a plus d’autre effet que d’affecier le prix jusqu’à concurrence de la valeur des cho
ses revendiquées. Cette valeur est facile à déterminer
lorsqu’il s’agit de la copropriété du navire. Le deman
deur doit recevoir autant de vingt-quatrièmes du prix
qu’il possède de quirats. Dans les autres cas, il serait
procédé à la détermination de la valeur due par une
expertise.
La partie du prix afférente au demandeur en distrac
tion serait prélevée sur le prix total, de préférence même
aux créanciers privilégiés du saisi, mais après ceux in
diqués aux cinq premiers numéros de l’article 191. S’il
est juste que les frais de réalisation du navire pèsent sur
le navire entier, on ne pouvait permettre que les cré
anciers particuliers du saisi profitassent de ce qui n’a ja
mais appartenu à celui-ci.
238. — De ce que la demande en distraction for
mée après l'adjudication n’était plus qu’une opposition
à la délivrance des deniers, on a conclu qu’elle tombait
sous le coup de l’article 112 ; qu’elle n’était donc plus
recevable après l’expiration du délai que cet article pres
crit. Certes, si une exception au principe déjà si rigou
reux de l’article 112 était méritée, c’était celle qui au
rait permis au copropriétaire de se présenter tant que
la distribution n’était pas réalisée. Quel tort faisait-on
aux créanciers, puisqu’on ne leur enlevait, en défini
tive, qu’une chose sur laquelle ils n’ont jamais pu ni dû
compter ?
4
�ART.
210 , 211 .
545
Cependant cette exception n’a pas même été consa
crée. Il résulte donc de l’ensemble de la législation que
le demandeur en distraction est dépouillé de la chose
s’il ne produit sa demande qu’après l’adjudication ;
qu’il perd tout droit au prix, s’il ne l’a pas réalisée
dans les trois jours de cette adjudication. On ne pouvait
plus énergiquement lui faire sentir tout le prix de sa vi
gilance.
»
239. — La demande en distraction, à quelque épo
que qu’elle se réalise, amènera la nécessité d’une ins
truction. Cette instruction, pour se conformer à l’esprit
général du législateur, devait être essentiellement som
maire. En conséquence, on a accordé au demandeur
trois jours pour fournir ses moyens à l’appui, et au dé
fendeur trois jours pour y répondre. C’est ce qui était
également pratiqué sous l’empire de l’ordonnance de
1681. Le but qu’on a voulu de tout temps atteindre a
été d’empêcher les parties de retarder par des lenteurs
calculées la solution d’une difficulté essentiellement ur
gente.
De l’ensemble de l’article 111, il résulte que ce n’est
en quelque sorte qu’après la mise en état de l’affaire
qu’elle doit être portée à l’audience , et la citation ne
peut être retardée au-delà de six jours, mais elle peut
être donnée avant, si les parties n’ont pas consommé le
délai imparti à chacune d’elles.
Ainsi, si le demandeur a déposé ses moyens le jour
même ou le lendemain de sa demande, le délai de trois
�346
DROIT MARITIME.
jours, accordé au défendeur, courra du moment où, avi
sé de l’accomplissement de cette formalité , il aura pu
prendre connaissance des moyens et y répondre. Que si
cette réponse se réalise immédiaiement , rien n’empê
chera l’une ou l’autre des parties de porter la cause à
l’audience et de provoquer jugement.
En d’autres termes, la citation doit nécessairement
être donnée six jours après la notification au greffe de
la demande, mais elle peut être donnée avant. Cette so
lution, loin d’êire contradictoire avec la loi, ne fait au
contraire que s’y conformer de tous points.
Nous ajoutons que si de la réponse du défendeur nais
sait le besoin de justifications nouvelles, de la produc
tion de titres, les juges pourraient accorder un délai
pour y satisfaire. Quelque désir qu’ait la loi d'accélérer
le jugement, elle n’impose point aux tribunaux le devoir
de prononcer en l’absence de documents qu’ils jugent
indispensables. Elle s’en remet entièrement à leur pru
dence pour toute mesure devant contribuer à une bonne
et exacte justice.
240. — Le jugement statuant en pareille matière
sur choses d’une valeur indéterminée sera susceptible
d’appel. Il est surprenant que la loi n’ait pas cru devoir
s’exprimer sur les délais et l’instruction de cet appel,
qui reste en l’état soumis au droit commun pour l’une
et pour l’autre.
Il est vrai que le tribunal peut ordonner l’exécution
provisoire de son jugement. Mais cette exécution ne se
�'?
-
’J
-
v
!i-.
-,
ART.
'
;
210 , 211 .
347
comprend que dans l’hypoihèse d’une décision repous
sant la distraction. Mais, dans cette hypothèse même,
l’exécution provisoire ne saurait être ordonnée que sous
charge de caution, les parties ne se trouvant dans au
cun des cas où le contraire est permis par la loi.
Si le jugement accueillait la distraction, l’appel en
suspendrait de plein droit l’exécution, et serait un obs
tacle à ce qu’on passât outre à l’adjudication. Il ne se
rait dans l’intérêt de personne de la poursuivre jusqu’a
près l’arrêt à intervenir.
Mais, dans ce cas, la position du poursuivant est un
sûr garant qu’il n’apportera aucun délai dans la réali
sation et dans la poursuite de son appel. Cet appel de
vrait être jugé dans le plus bref délai. La Cour ne sau
rait refuser une procédure d’urgence sans méconnaître
l’esprit de la loi.
241. — Le demandeur en distraction, qui succombe
en définitive, doit être condamné non seulement aux dé
pens de l’instance, mais encore aux frais dont cette ins
tance serait l’origine et la cause. Si, par exemple , la
demande en distraction avait empêché l’adjudication
d’avoir lieu à l’audience indiquée, il faudrait de nouvel
les publications et affiches pour qu’elle pût valablement
se réaliser plus tard. Il ne serait pas juste que ces frais
fussent supportés par la masse injustement attaquée.
Si cette adjudication ne pouvait être prononcée contre
le succombant, à litre de dépens, elle devrait l’être à ti
tre de dommages-intérêts. Ceux-ci pourraient en outre
�348
DROIT MARITIME.
s’étendre au préjudice que ce retard a occasionné, tel
par exemple que l’intérêt du prix qui, en cas d’adjudi
cation, aurait pu courir en faveur des créanciers, ou ce
lui qu’ils auraient perdu sur leur capital par l’effet du
retard dans leur paiement.
Article 212.
Pendant trois jours, après celui de l’adjudication, les
oppositions à la délivrance du prix seront reçues ; passé
ce temps, elles ne seront plus admises.
Article 213.
Les créanciers opposants sont tenus de produire au
greffe leurs titres de créance, dans les trois jours qui sui
vent la sommation qui leur est faite par le créancier
poursuivant ou par le tiers saisi ; faute de quoi, il sera
procédé à la distribution du prix de la vente, sans qu’ils
y soient compris,
Article 214.
La collocation des créanciers et la distribution des
deniers sont faites entre les créanciers privilégiés, dans
l’ordre prescrit par l’article 191, et entre les autres cré
anciers, au marc le franc de leurs créances.
�Tout créancier colloqué l’est tant pour son principal
que pour les intérêts et frais.
SOMMAIKE
242. Caractère de la disposition de l’article 212.
243. Discussion que le délai de trois jours suscita au conseil
d’Etat.
244. A qui profite la déchéance résultant de son inobservation?
245. C’est au greffe du tribunal civil que doit être faite l’oppo
sition à la délivrance des deniers. Quid, de celle signi
fiée au greffe du tribunal de commerce ?
246. Conséquence du défaut de productions des titres dans les
trois jours de la sommation. Caractère de celle-ci. But
qu’elle se propose.
247. Le délai de trois jours est irritant et fatal.
248. Le juge doit, à son expiration, procéder au rangement des
créances. Comment doit-il procéder ?
249. Quid, dans le cas où, tous créanciers payés, il reste un ex
cédant sur le prix ?
250. Renvoi au Code de procédure civile pour tout ce qui suit
la collocation provisoire. Droit des créanciers de la con
tester. Etendue de ce droit.
251. Le créancier qui n'a pas obtenu condamnation contre son
débiteur peut-il, dans l’objet d ’une collocation éven
tuelle, le citer à cet effet dans l’instance d’ordre et de
mander la jonction ?
242. — L’adjudication transmet à l’adjudicataire la
propriété entière, franche, libre de la chose vendue. Le
prix seul demeure affecté aux charges dont elle était gre
vée, et sa distribution va les anéantir et les faire dispa
raître.
�350
DROIT MARITIME.
La saisie n’a pas d’autre but que cette liquidation,
qui en est dès lors la conséquence logique et naturelle.
Mais la distribution, pour être équitable, doit se faire
entre tous les créanciersTOr, dans la vente d’un navire,
comme dans celle d’un objet mobilier quelconque,
l’existence de ces créanciers peut être inconnue. Elle ne
se révèle avec certitude qu’au moment où, prenant l’ini
tiative, ils dénoncent leurs droits en s’opposant à ce qu’il
soit passé outre à la distribution en leur absence.
L’exigence de l’article 212, à cet égard, n’a donc rien
d’irrationnel. Elle est la conséquence forcée de l’état des
choses. L’indication du greffe, comme le lieu où doivent
être signifiées les oppositions, était elle-même comman
dée par la procédure suivie jusque-là, et par celle qui
devait être ultérieurement suivie.
243. — Mais le Code de commerce a dérogé aux
principes ordinaires, quant au délai accordé pour signi
fier cette opposition. Le Code de procédure la déclare
recevable tant que la distribution du prix n’a pas été
faite, et l’on doit convenir que cette prescription ne man
que ni de rationalité, ni de justice.
Mais la section du conseil d’Etat crut devoir admet
tre une règle qu’elle trouvait dans l’ordonnance de 1681,
et qui, à son avis, accélérait davantage les opérations.
Des oppositions tardives, disait le rapporteur, nécessitent
toujours un nouveau travail, et il en résulte du préjudice
pour les créanciers qui, étant pour l’ordinaire des négo
ciants, ont intérêt de hâter la rentrée des fonds avec
lesquel ils alimentent leur commerce.
�Cette proposition souleva de nombreuses objections.
Quel inconvénient y a-t-il, disait M. Bigot de Préame
neu, à retarder un peu les opérations, lorsqu’il s’agit de
faire justice ? Or, Yalin l’enseignait lui-même, on n’est
plus juste avec les créanciers éloignés, lorsqu’on opère
avec une précipitation qui ne leur permet pas d’exercer
leurs droits.
Merlin observait qu’on ne voyait pas pourquoi des
créanciers qui exercent leurs droits sur des navires se
raient traités autrement que ceux qui exercent leurs
droits sur tout autre bien meuble.
M. Treilhard disait qu’il fallait du moins tenir la ba
lance égale, et ménager avec le même soin tous les cré
anciers légitimes. Si l’on se place dans ce point de vue,
on ne repoussera pas celui qui se présente après trois
jours, mais encore à temps.
Enfin, M. Défermon trouvait que le législateur n’avait
pas de motifs pour admettre des déchéances, en matière
d’intérêts, qu’il fallait donc transporter ici la disposition
du Code de procédure L
Il parraît que ces divers motifs parurent concluants.
Le procès-verbal nous apprend, en effet, que la propo
sition de M. Défermon fut adoptée. Cependant la rédac
tion définitive du Code n’en fait aucune mention, et
l’article 212 y figure tel que la section l’avait présenté.
En l’état donc, il n’est pas douteux que l’opposition à la
délivrance des deniers, formée plus de trois jours après
i Procès-verbal du 14 juillet 1807, n°6 ; Locré, 1.18, p. 320.
�882
DROIT MARITIME.
l'adjudication , ne serait plus recevable et ne conférerait
aucun droit de participer à la distribution.
244. — Cette forclusion ne profite qu’aux créanciers
opposants. A eux donc le droit exclusif d’en exciper.
Mais le saisi ne serait dans aucun cas recevable à le fai
re. Ainsi, si, tous les créanciers opposants payés, il res
tait un excédant sur le prix, le saisi ne saurait se le faire
attribuer. Il appartiendrait de droit aux créanciers que
la tardiveté de leur opposition a écarté de la première
distribution.
245. — L’article 212 est absolu. Il s’applique à tous
les créanciers, privilégiés ou non. Nous avons déjà dit
qu’il régit même ceux qui auraient le droit de se pour
voir en distraction, et qui ne l’auraient pas exercé avant
l’adjudication b
L’article 112 omet d’indiquer à qui devra être notifiée
l’opposition à la délivrance des deniers. M. Dalloz pense
qu’elle doit l’être au greffe du tribunal civil, de même
que la demande en distraction 2. Tel nous paraît être le
véritable esprit de la loi. Il est vrai que l’article 209
prescrit de faire la consignation du prix au greffe du tri
bunal de commerce. Mais le greffier ne recevra cette
somme que pour la déposer à la caisse des consigna
tions. Il n’a donc qu’un rôle purement secondaire et
sans importance réelle.
i V. supra n» 237.
s Nouveau Répertoire, v.
Droit maritime,
n° 159 .
�%
ART. 212, 213, 214.
333
C’est au contraire devant le tribunal civil que se pour
suivra la procédure en distribution. C’est lui qui rendra
le jugement de clôture. C’est donc là naturellement que
le poursuivant doit s’enquérir des divers prétendants à
la distribution.
L’opposition faite ailleurs qu’au greffe du tribunal ci
vil devrait-elle être considérée comme nulle et de nul
effet? La cour de Poitiers s’est prononcée pour la néga
tive dans une espèce où l’opposition avait été signifiée
au greffe du tribunal de commerce. Le principal motif
de cet arrêt, rendu le 9 mai 1848, est qu’il n’y a de
nullités que celles fondées sur une disposition de loi, et
que l’article 212 n’en édicte aucune K
Ce qui, à notre avis, rend cette solution juridique,
c’est que, dans l’espèce, le poursuivant avait eu en temps
utile connaissance de l’opposition ; que son auteur avait
comparu dans l’ordre et réclamé collocation. En cet
état, la nullité de l’opposition n’était ni juste, ni lé
gale.
Notre question ne peut donc offrir un intérêt réel que
dans l’hypothèse suivante : Le quatrième'jour après l’ad
judication, le poursuivant se rend au greffe du tribunal
civil, et, prenant connaissance des oppositions, il fait
signifier la sommation de produire les titres. Celte som
mation n’est pas adressée à celui qui a fait notifier son
opposition au greffe du tribunal de commerce, et les trois
jours de la procédure expirent sans qu’il ait produit ses
1 D. P ., 49, 2. 231.
i — 23
�DROIT MARITIME.
3U
titres. Pourra-t-il se faire relever delà déchéance pro
noncée par l’article 213 ?
Nous ne le pensons pas. Le poursuivant n’est pas en
faute pour n’avoir tenu aucun compte d’une opposition
qu’il ne connaissait pas, dont il ne pouvait s’enquérir.
La faute est toute entière à celui qui a mal connu la loi,
qui en a fait une fausse application.
L’article 213, qui indique le dépôt des titres au gref
fe, n’indique pas non plus celui du tribunal civil. Hési
terait-on cependant à repousser la réclamation de ce
lui qui, ayant fait ce dépôt au greffe du tribunal de com
merce, n’aurait pas été colloqué dans l’ordre. Pourquoi
donc en serait-il autrement, dans le cas où l’omission
du nom du créancier parmi ceux admis à la réparti
tion proviendrait d’une erreur du même genre à l’en
droit de l’opposition à la délivrance des deniers ?
Nous ne dirons donc pas , avec le jugement dont la
cour de Poitiers adopte les motifs, que l’opposition doit
être faite au greffe du tribunal de commerce. Celui qui
agirait ainsi se tromperait gravement. 11 s’exposerait à
laisser le poursuivant dans l’ignorance de son droit. La
faute qui a entraîné l’absence de la sommation, et, par
suite, le défaut de diligences de sa part, lui étant toute
personnelle, il devrait en supporter les conséquences.
Mais nous admettons que si l’opposition faite au greffe
a été connue, si, dans les trois jours de la sommation,
le créancier a produit ses titres, le fait que ce greffe est
celui du tribunal de commerce ne serait plus un motif
suffisant pour le faire repousser de l’ordre.
�ART. 212, 213, 21/k
5sr>
246. — La déchéance que l’article 212 prononce
pour défaut d’opposition dans les trois jours de l’adju
dication, l’article 213 la consacre contre celui qui, dans
le même délai de trois jours, n’a pas obéi à la somma
tion de pruduire ses titres. Cette production devant four
nir la base de la collocation , c’est encore au greffe du
tribunal civil qu’elle doit être faite.
La sommation est en quelque sorte l’ouverture de
l’ordre, car le dépôt des titres qu’elle provoque n’a pas
d’autre objet que celui de mettre le juge commis à mê
me de procéder au classement des créances et à déter
miner la distribution du prix.
A ce titre, elle peut être réalisée par tous ceux qui
sont intéressés à amener ce résultat. En première ligne,
les créanciers; en seconde ligne, le saisi, qui peut et doit
ardemment désirer une prompte liquidation. C’est lui
que l’article 213 désigne, malgré la qualification de tiers
dont il fait très improprement précéder sa qualité.
Celte sommation est rigoureusement prescrite non
seulement dans le but que nous venons d’indiquer, mais
encore comme mise en demeure des créanciers oppo
sants. Elle fait courir, en effet, le délai dans lequel cha
cun d’eux devra produire ses titres au greffe du tribunal
civil.
247. — Ce délai est de trois jours. A défaut de l’a
voir utilisé, les opposants seraient forclos. Ils ne seraient
pas compris dans la distribution.
Quelques doutes se sont élevés sur le caractère de ce
�356
DROIT MARITIME.
délai. M. Boulay-Paty , notamment, pense qu’il n’est
pas fatal, et que les créanciers ont le droit de produire
tant que la distribution n’a pas été faite.
On ne saurait l’admettre ainsi sans placer le législa
teur dans une contradiction flagrante, car il aurait au
torisé dans l’article 213 ce qu’il venait de proscrire for
mellement dans l’article 212. Ce qui motivait-celui-ci
et déterminait l’irrecevabilité de l’opposition à la déli
vrance des deniers postérieure au délai de trois jours,
c’est que les oppositions tardives nécessitaient un nou
veau travail, et nuisaient ainsi à l’accélération de la pro
cédure.
Or, la même nécessité résultera d’une production tar
dive, il n’est dès lors pas permis de croire que le légis
lateur n’ait pas admis une règle identique en présence
du même inconvénient.
Tenons donc pour certain que le délai de trois jours
pour la production des titres est irritant et fatal. Celui
qui l’a laissé écouler sans réaliser la production ne peut
être admis à la distribution , à quelque époque que se
produisit plus tard cette formalité. C’est ce que la cour
d’Aix a expressément consacré par arrêt du 17 juillet
1828. Dans le système contraire, dit l’arrêt, la déchéan
ce, au lieu de tirer son origine d’une disposition de la
loi, dépendrait uniquement du fait du juge. Or , dans
aucun cas, on ne saurait subordonner le droit des par
ties à la diligence plus ou moins grande que le jugecommissaire peut mettre à terminer les opérations qui
lui sont confiées.
�art .
212, 213, 214.
3Î57
248. — Nous arrivons donc à cette conséquence
que, le quatrième jour après la sommation, le juge peut
procéder à la collocation et au rangement des créances
produites, le mode de ce rangement est naturellement
indiqué.
Si les créanciers produisants appartiennent à la caté
gorie de ceux qui pouvaient demander la distraction et
qui ont négligé de le faire avant l’adjudication, le prix
se divise. La partie représentant l’intérêt que chaque
créancier avait sur le navire lui est personnellement et
exclusivement attribuée.Nous avons déjà dit que cette par
tie se compose, pour les copropriétaires du navire, d’au
tant de vingt-quatrièmes sur le prix que chacun d’eux
possédait des quirats. Dans les autres cas, la valeur est
déterminée par les juges, ou amiablement convenue par
les parties, ou fixée par experts.
La partie afférente aux créanciers est d’abord affectée
aux privilégiés dans l’ordre établi par l’article 191. Cha
cun d’eux est appelé à son tour et doit recevoir l’inté
gralité de ce qui lui est dû. Les créanciers ordinaires
sont ensuite colloqués tous au même rang et se distri
buent entre eux et au marc le franc ce qui reste libre
après le paiement des privilégiés.
La collocation, à quelque titre qu’elle ait été obtenue
et quelle que soit la qualité de la créance, doit com
prendre non seulement le capital, mais encore les inté
rêts et les frais. C’est également par cette réunion que
se détermine entre créanciers ordinaires la quotité pour
laquelle chacun d’eux doit prendre part à la contribu. tion.
�DROIT MARITIME.
558
249. — Nous avons déjà dit que si, tous les créan
ciers intégralement payés, il restait un excédant de va
leur, cet excédant n’appartiendrait pas au saisi s’il existe
des opposants ou de produisants tardifs. C’est donc en
tre eux qu’il devrait être distribué.
L’ordre de la collocation serait seulement modifié. A
cette époque, les privilèges seraient absolument éteints.
Transportés par l’adjudication de la chose sur le prix,
ils ne sont conservés sur celui-ci que par l’accomplisse
ment des formalités prescrites par les articles 212 et
213. Qu’elle que fût donc la qualité de la créance dans
son origine, il n’y aurait plus que des créanciers ordi
naires entre lesquels l’excédant serait réparti au marc le
franc.
Il n’en serait pas de même des copropriétaires qui
n’auraient formé leur demande en distraction ou pro
duit leurs titres qu’après l’expiration des délais, ils sont,
eux, propriétaires et non créanciers privilégiés, et leur
droit n’est jamais purgé que relativement aux sommes
déjà distribuées, ils pourraient donc le prélever sur l’ex
cédant, et proportionnellement avant toute distribution
aux créanciers.
250. — La loi commerciale ne régissant la matière
que jusqu’à la collocation provisoire inclusivement, il
en résulte que, pour tout ce qui peut se réaliser ulté
rieurement, on doit s’en référer au Code de procédure
civile. En conséquence, les contredits à cette collocation
provisoire, la forme dans laquelle ils doivent se produi-
�212, 213, 214.
389
re, le mode de leur jugement sont ceux pratiqués en
matière ordinaire.
Le droit que chaque créancier opposant en temps uti
le a de contester les collocations, soit quant au fond du
droit, soit quant au privilège réclamé, est général, illi
mité, absolu ; inutilement le créancier contesté établi
rait-il que son droit ou que son privilège résulte d’un
jugement ayant acquis l’autorité de la chose jugée. Le
conteslant serait recevable à frapper ce jugement de
tierce-opposition, encore bien qu’il émanât d’un tribu
nal de commerce. C’est ce que la cour d’Aix a jugé par
arrêt du 21 novembre 1833 l.
ART,
251. — Ce même arrêt décide que, dans une ins
tance en distribution de prix, où l’armateur ne se trou
ve pas en cause, il ne peut dépendre du capitaine de l’y
appeler en introduisant contre lui une instance en con
damnation pour solde de reliquat de compte , à raison
de la gestion du navire, et en demandant la jonction
de cette instance avec celle du contredit à la distribution.
Cette solution est une juste conséquence des principes
sur la matière. Comment un individu pourrait-il se faire
colloquer dans un ordre pour un droit qui n’est pas
même reconnu par le prétendu débiteur. Ralentir la
poursuite de l’ordre jusqu’après la condamnation judi
ciaire contre ce dernier, aurait l’inconvénient de retar
der indéfiniment une instruction que la loi a pris tant
de soins à accélérer.
i Jo u rn a l de M arseille, t. U , 4, Ï57.
�360
DROIT MARITIME.
Il faut un titre pour produire dans l’ordre. Celui qui
a négligé de faire reconnaître ou constater ses droits
contre son débiteur ne saurait y être admis.
Article 215.
Le bâtiment prêt à faire voile n’est pas saisissable, si
ce n’est à raison des dettes contractées pour le voyage
qu’il va faire; et, même dans ce dernier cas, le cau
tionnement de ces dettes empêche la saisie.
Le bâtiment est censé prêt à faire voile lorsque le
capitaine est muni de ses expéditions pour son voyage.
SOMMAIRE
252. L’ordonnance de 1681 permettait de saisir le navire prêt à
faire voile. Appréciation qu'en faisait Yalin.
253. Projet du Code et motifs de la section chargée de le pré
senter.
254. Discussion au conseil d’Etat. Résultat qu’elle produisit.
255. Amendement proposé par le tribunat et adopté par le con
seil d’Etat.
256. A quel m om ent le navire se ra -t-il réputé en état de faire
voile.
257. Causes qui peuvent déterminer le refus des expéditions.
Conséquences de l’opposition d’un créancier.
258. Le navire, insaisissable dans le port d’armement, peut-il
être saisi dans le port d’échelle ou de relâche ?
�I
ART. 2 1 8 .
361
259. Quid, pour les dettes contractées dans ce dernier port
pour les besoins du voyage ?
260. Droits et obligations du créancier qui a reçu le navire en
gage. Jugement du tribunal de commerce de Marseille.
261. Constatation que doit renfermer le jugement ou arrêt main
tenant la saisie d’un navire prêt à faire voile.
262. Objet et conséquences du cautionnement autorisé par l’ar
ticle 215.
263. Caractère de ce cautionnement. Forme de sa réception.
264. Les règles de l’article 215 s’appliquent aux bateaux navi
guant sur les fleuves ou rivières.
265. Quid, pour les étrangers? Doutes qui se sont élevés. So
lution.
252. — L’ordcnnance de 1681 n’avait admis au
cune exception au droit de saisir le navire. Dans quel
que position que ce trouvât celui-ci , l’exercice du droit
ne pouvait être ni méconnu, ni arrêté. C’est ce qui s’in
duit implicitement de l’article 17, titre des Saisies, aux
termes duquel le copropriétaire du navire, partiellement
saisi lorsqu’il était prêt à faire voile , pouvait obtenir
qu’il pût accomplir le voyage en donnant caution jus
qu’à concurrence de l’estimation qui serait faite de la
portion saisie.
j Celte disposition, ainsi réduite à un cas spécial, prou
vait que dans tous les autres la saisie, à quelque époque
qu’elle fût réalisée, devait recevoir et produire tous ses
effets.
Celte disposition avait été sévèrement appréciée avant
la promulgation du Code de commerce. Valin lui re
prochait d’être en défaut sur tous les points, et de sa»
.
•" ■ il
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;ri
�362
DROIT MARITIME.
crifier l’intérêt de tous les ayants droit à celui du sai
sissant.
Pour juger du mérite de ce reproche, on n’a qu’à ré
fléchir aux intérêts engagés lorsque le navire est prêt à
faire voile.
Ce n’était plus le débiteur qu’on punissait de son re
fus de paiement. On en faisait supporter les plus fâcheu
ses conséquences aux chargeurs qui, sur la foi d’un
traité régulier , avaient embarqué leurs marchandises.
Fallait-il les contraindre à un débarquement? On met
tait à leur charge des frais considérables qui, d’avance,
ruinaient leur spéculation. L’attente de la réalisation du
voyage par l’adjudicataire ne leur était pas moins défa
vorable par le retard qu’elle occasionnait dans l’arrivée
des marchandises au lieu de destination, retard qui pou
vait en amener la mévente ou la dépréciation.
Les intérêts des créanciers du saisi n’étaient pas moins
sacrifiés. D’une part, en effet, l’obligation de continuer
le voyage pouvait écarter certains enchérisseurs et con
tribuer à diminuer le prix de la vente. De l’autre, on
empêchait le gain du fret, qui devait garantir d’autant
le paiement des dettes du saisi.
253. — L’attention des auteurs du Code était donc
naturellement sollicitée par cet état de choses. La section
chargée d’en soutenir le projet n’avait pas hésité à répu
dier le système de l’ordonnance de 1681. L’insaisissa
bilité du bâtiment prêt à faire voile, disait son rappor
teur, M.. Regnaud de Saint-Jean-d’Àngely, est mieux
�ART. 215.
363
adaptée à l’intérêt général du commerce qui tient à l’ac
tivité de la navigation, et à la justice qui ne veut pas que
les intérêts d’un grand nombre soient sacrifiés à ceux
d’un créancier négligent, ou au moins tardif à exercer
ses droits. Le navire doit être considéré comme parti,
s’il n’est retenu par le vent. Hors ce cas même, le na
vire prêt à faire voile ne saurait être saisi sans que préa
lablement on ne décharge les marchandises qui sont à
bord. De là, des retards qui nuisent toujours aux affré
teurs et qui peuvent même nuire à l’Etat, si le charge
ment du vaisseau est destiné à approvisionner des flottes
ou des armées.
« Quant aux créanciers, la disposition proposée ne
fait rien perdre à ceux qui ont un privilège, puisque leurs
droits sont conservés et qu’ils les exerceront au retour.
Les autres retrouveront également leur gage , et ils le
trouveront augmenté de tout le bénéfice du fret.
« Au surplus, quand on serait dans la nécessité de
froisser quelques intérêts, l’intérêt de l’Etat, celui du
commerce, qui est inséparable de l’intérêt des affréteurs,
devraient être préférés à tout autre. Or, ils défendent de
permettre la saisie du navire prêt à faire voile. »
25i. — La justesse de ces considérations ne pouvait
être contestée qu’à l’endroit des créanciers privilégiés.
Pour eux, en effet, le voyage peut entraîner l’extinction
du privilège, si le navire vient à périr. Cette chance mé
ritait la plus grande considération, car, quelque sacrés
que fussent les droits des affréteurs et des créanciers
�364
DROIT MARITIME.
ordinaires, pouvait-on et devait-on leur sacrifier ceux
non moins sacrés des privilégiés ?
Mais cet inconvénient grave n’exigeait pas le rejet de
la proposition de la section. Un tempérament équitable
devait en corriger l’effet. Ce tempérament, adopté par le
conseil d’Etat, était ainsi motivé par M.. Berlier :
« L’interdiction de saisir dans tous les cas un navire
prêt à faire voile est trop absolue. U y a lieu d’établir à
ce sujet une distinction entre les créanciers.
« S’agit-il de ceux qui ont construit ou réparé le na
vire, fourni les agrès, etc......, en un mot, s’agit-il de
ceux que la loi déclare avoir un privilège sur le navire,
l’extrême faveur qui leur est due doit l’emporter sur
celle que réclament les chargeurs, et l’intérêt même de
la navigation ne permet pas que de tels créanciers soient,
en aucuns cas, inhabiles à saisir la chose qui n’aurait
pas existé sans eux, et dont le prix leur est dû.
« A. l’égard des autres créanciers ordinaires et non
privilégiés, c’est une autre position. S’ils n’ont pas exer
cé leurs droits en temps utile , s’ils ont attendu que le
navire fût chargé et muni de ses expéditions, ils peuvent
bien être contraints à laisser opérer le départ, et atten
dre le retour.
Cette distinction, ajoutait M. Berlier, dérive d’une au
tre règle admise en cette matière. La loi veut, en effet,
qu’aucun homme de l’équipage, étant à bord pour faire
voile, ne puisse être arrêté pour dettes civiles, si ce n'est,
dit l’ordonnance, pour les dettes contractées pour le
voyage. — L’application de cette exception au navire
�ART. 2 1 5 .
365
lui-même est sensible, car c’est aussi pour le voyage
cfu’ont eu lieu les fournitures faites à l’armateur et aux
quelles s’attache le privilège l.
255. — Cette distinction ne pouvait être repoussée,
mais il existait un moyen qui, sans en méconnaître la
justice, conciliait tous les intérêts sans en sacrifier au
cun. Les privilégiés ne pouvaient vouloir empêcher le
voyage que pour éviter que la perte du navire n’éteignit
leur privilège, ou, dans le cas d’un heureux retour, que
pour se soustraire à la préférence due aux prêteurs et
fournisseurs, pour les besoins et pendant la durée du
dernier voyage, préférence qui pouvait compromettre le
paiement intégral qu’ils étaient certains d’obtenir avant
le départ.
Le tribunat pensa donc que tout ce que pouvaient rai
sonnablement prétendre les créanciers privilégiés, c’était
d’être garanti contre cette double éventualité. Or , cette
garantie résultait d’un cautionnement assurant dans tous
les cas le sort de la créance ; quel motif, dès lors, de
porter un coup funeste aux chargeurs, en leur impo
sant inévitablement une saisie désastreuse pour leurs in
térêts.
Les sections réunies proposèrent donc d’introduire
dans l’article 215 les mots : Et même, dans ce dernier
cas, le cautionnement de ces dettes empêche la saisie.
Celte proposition fut accueillie par le conseil d’Etat.
1 Procès-verbal du U juillet 4807, n» 8 ; Locré, t. 48, p. 322 et suiv,
�3C 6
DROIT MARITIME.
Le rapport de la discussion législative était utile pour
fixer le véritable sens de l’article 215. Le navire prêt à
faire voile est absolument insaisissable lorsqu’il s’agit
d’un créancier pour dette ordinaire. Les créanciers pri
vilégiés seuls peuvent le saisir ; mais l’offre d’une cau
tion empêche la saisie ; son acceptation ne pourrait être
déclinée par le créancier saisissant.
*
2K6. — La principale difficulté que l’application de
l’article 215 pouvait faire surgir était sans contredit celle
de savoir à quel moment le navire devait être réputé
prêt à faire voile. La loi devait s’en expliquer, et elle
s’en est en effet expliquée. Le navire est censé prêt à
faire voile lorsque le capitaine est muni de ses expédi
tions pour son voyage.
Nous verrons tout à l’heure que, dès l’arrivée d’un
navire dans un port, le capitaine est tenu de déposer en
douane l’acte de propriété du navire , l’acte de franci
sation, le rôle d’équipage pour les reprendre à son dé
part. De plus, et pour opérer celui-ci, le navire doit être
muni d’un congé de sortie. Lorsque toutes ces pièces se
trouvent à bord, la sortie du port ne dépend plus que du
capitaine ou de l’armateur. Le navire est réellement prêt
â faire voile.
Le refus par la douane de restituer les expéditions ou
de délivrer le congé de sortie empêcherait le navire de
quitter le port. Il ne serait donc plus prêt à faire voile,
alors même qu’en fait le chargement serait complet et
que toutes les dispositions pour prendre la mer seraient
�#
art. 2 1 5 .
567
prises. La saisie, même pour déliés ordinaires, serait
praticable, et ses effets ne pourraient même être préve
nus par un cautionnement.
257. — Or, ce refus peut être spontané de la part
de la douane, comme si le navire n’avait pas rempli en
vers elle les obligations auxquelles il est tenu ; il peut
être provoqué par l’opposition qu’un créancier peut for
mer, avec autorisation du juge, à la délivrance des ex
péditions.
La douane n’est pas juge de la régularité et de la va
lidité de l’opposition. Elle n’a qu’à renvoyer les parties
à s’entendre ou à se pourvoir, et à refuser la délivrance
des papiers et congé jusqu’à la main-levée de l’opposi
tion, soit volontaire, soit judiciaire.
La conduite contraire pourrait l’exposer à une pour
suite en dommages-intérêts, si le navire était parti. S'il
était encore dans le port, il pourrait être saisi par le
créancier opposant. La délivrance des expéditions obte
nue malgré l’opposition et postérieurement à la signifi
cation ne le ferait pas légalement considérer comme
prêt à faire voile, malgré qu’il le fût réellement. On ne
peut, a dit la cour d’Aix, déclarer le navire insaisissa
ble comme prêt à faire voile lorsque l’inhibition de re
mettre le billet de sortie a été notifiée au capitaine du
port avant la délivrance des expéditions pour le voyage L
258. — On s’est demandé si le navire insaisissable
i 20 août 4819.
�368
DROIT MARITIME.
dans le port, comme prêt à faire voile, pouvait être saisi
pendant le voyage, en relâche ou dans un lieu d’échel
le. L’affirmative conduirait à cette étrange conséquence
que le voyage, qui ne peut être interrompu tant qu’il
n’est qu’imminent, pourrait l’être dès qu'il a commen
cé, à quelques lieues du port de sortie. Autant, certes,
valait-il permettre la saisie avant le départ.
Cependant les recueils de jurisprudence indiquent,
comme ayant décidé dans ce sens, un jugement rendu,
le 12 mars 1830, par le tribunal de commerce de Mar
seille. Mais, en réalité, cette décision est loin d’avoir la
portée qu’on lui prête. Le tribunal, en effet, ne refuse
d’appliquer l’article 215 que parce que Marseille, où la
saisie avait été faite, ne pouvait être considérée comme
un port de relâche ou de simple échelle ; que, par les
circonstances de la cause, elle était réellement devenue
le lieu de la destination et du reste.
Il s’agissait dans cette espèce d’un billet de grosse
souscrit à Gênes sur le navire YAssunta, pour un voyage
de Gênes au Brésil et à Buenos-Ayres. Ce billet était
payable à six mois fixes et à six mois de délai, même
hors de Gênes.
L’Assunta, ayant réalisé le voyage , avait opéré son
retour à Marseille, où il avait débarqué la majeure par
tie de sa cargaison. C’est là que les sieurs Julien Berardi, auxquels le billet de grosse avait été transmis,
firent opérer la saisie du navire.
Le capitaine demandait la nullité de cette saisie par
application de l’article 215. Aucun navire, disait-il, au-
�ART. 2 1 b .
369
cun navire ne peut être saisi lorsqu’il est prêt à faire
voile, et le navire YAssunta se trouve précisément dans
ce cas, puisque Marseille n’est qu’un lieu d’échelle re
lativement à son voyage, et qu’il est muni de toutes
ses expéditions pour suivre ce voyage et se rendre à
Gênes.
Mais le tribunal le déboute attendu que le navire l’Assunta était le gage de la créance dont les sieurs Julien
Berardi et fils sont porteurs ; que l’article 213 du Code
de commerce, dont le capitaine voudrait se prévaloir ,
ne disposant que pour le départ du navire du lieu de
l’armement, ne saurait être applicable à l’espèce où il
s’agit d’un n’avire parti de Gênes pour Montevideo et
Buenos-Ayres ; que Marseille ne saurait être considérée
comme un lieu d’échelle en l’état des circonstances que
le tribunal a été à même d’apprécier dans la contestation
qui a eu lieu pardevant lui, entre le sieur Montebruno,
de Gênes, et ledit capitaine ; que ce capitaine, qui avait
engagé la consignation de son navire à deux prêteurs
différents en venant à Marseille, où il a débarqué la ma
jeure partie de sa cargaison, au liéu de se rendre direc
tement à Gênes, a évidemment eu en vue de soustraire
à ses créanciers privilégiés le gage de leur créance ; que
le créancier porteur d’une obligation sanctionnée parla
justice, ayant pour sûreté de son paiement tous les biens
de son débiteur, a incontestablement la faculté de les
exécuter partout où il les trouve ; qu’au surplus, l’insai
sissabilité déclarée par l’article 215 ne l’ayant été, dans
l’esprit de la loi, que dans l’intérêt de la navigation en
i — 24
�DROIT MARITIME.
370
général et celui des chargeurs en particulier, il répugne
rait à la justice que l’étranger, débiteur d’une obliga
tion, pût s’en faire un moyen , à l’encontre d’un Fran
çais, pour mettre une partie de son avoir hors des exé
cutions de ses créanciers L
On le voit, tout ce qui résulterait de cette décision,
c’est que les tribunaux doivent apprécier si le navire est
ou non en cours de voyage, si le port dans lequel il est
saisi est ou non un port d’échelle ; si enfin la déclara
tion dans les expéditions du lieu de reste est sincère et
véritable. Le tribunal de Marseille ne juge donc pas
qu’on peut toujours saisir le navire en cours réel de voya
ge. Il ne valide la saisie que parce qu’il arrive à cette
conviction que Marseille n’était pas un lieu d'échelle, et
que l’indication du retour à Gênes n’était qu’un men
songe dans un but frauduleux, puisque ce retour s’était
effectué à Marseille.
Le jugement n’a donc pas la signification qu’on lui
prête, et qui, dans tous les cas, n’aurait, à notre avis,
aucun caractère juridique. L’article 215 prohibant la
saisie d’un navire prêt à faire voile pour un voyage, l’af
franchit pour tout le cours de ce voyage ; il demeure in
saisissable dans le lieu de simple échelle ou de relâche,
comme dans le port d’armement lui-même.
259. — Mais il en serait autrement si la saisie était
causée pour sommes empruntées ou fournitures faites au
i Journal de Marseille, t.
■-
6
p. 89.
�ART.
215.
371
lieu de la relâche ou de l’échelle. Le droit de saisir, dans
ce cas, loin d’être refusé par l’article 215, s’induit for
mellement de son texte. Le prêt ou les fournitures faites
dans le cours du voyage le sont dans l’intérêt et pour
l’utilité de ce voyage ; ils confèrent un privilège incon
testable ; ils peuvent donc motiver la saisie du navire,
même lorsqu’il est prêt à faire voile.
Mais de là cette autre conséquence, que les intéressés
ont la faculté d’empêcher la saisie en cautionnant le
montant de la dette. Ceux qui invoqueraient l’article 215
pour le maintien de la saisie ne pourraient en repous
ser l’application à l’endroit du cautionnement et de ses
effets.
260. — Le navire prêt à faire voile, qui ne peut être
saisi, ne pourrait, à plus forte raison, être vendu par
le créancier qui l’aurait reçu en gage, l’exception oppo
sable aux créanciers ordinaires le serait également au
créancier gagiste.
Il y a mieux, la nature des droits de celui-ci amène à
cette conséquence : que fût-il créancier privilégié, n’eûtil prêté que pour le voyage que le navire va entrepren
dre, il ne pourrait en provoquer la vente, alors même
que le navire ne serait pas prêt à faire voile.
En effet, la mise en gage du navire exige sa transmis
sion matérielle et effective entre les mains du créancier;
c’est donc celui-ci qui est chargé de l’exploiter. La ré
gularité du gage exige même que le propriétaire confère
tous ses droits et la qualité d’armateur. C’est le créancier
�372
DROIT MARITIME.
qui retirera le fret, sauf à se régler plus tard avec le dé
biteur.
En cet état des choses l’affrètement contracté par lui
ou par le capitaine, dans le cas où il y est autorisé, de
viendrait obligatoire. Chargé de le faire exécuter, il s’est
par cela même interdit d’en contrarier les effets en pré
tendant faire vendre le navire. On devrait donc le décla
rer non recevable dans cette prétention.
Les A et 5 juillet 1832, les sieurs Gilibert fils ainé et
Cie, en vertu d’un affrètement souscrit avec le capitaine
du navire le Soleil, du port de Bordeaux, actuellement
amarré au port de Marseille, chargent sur ce navire des
marchandises pour un voyage aux fies Maurice et Bour
bon, et retour à Marseille.
Le capitaine avait fait construire le navire, mais ayant
emprunté au sieur Changeur, négociant à Bordeaux,
les sommes nécessaires pour cette construction, il avait
donné, à titre de gage, le navire dont, disait l’acte, le
sieur Changeur reste le propriétaire exclusif et l’arma
teur, sauf le cas de remboursement.
Le 11 juillet, le sieur Changeur, représenté à Mar
seille par un procureur fondé, obtient du président du
tribunal une ordonnance en vertu de laquelle il fait si
gnifier au capitaine du port et au commissaire des clas
ses des oppositions à la délivrance du billet de sortie, et
à l’ouverture du rôle d’équipage du navire le Soleil.
Il fait ensuite commandement, et, à défaut de paie
ment, il assigne le capitaine devant le tribunal pourvoir
�art.
21b.
373
ordonner la vente, aux termes de l’article 2078 du Code
civil.
Mais les sieurs Gilibert fils et Cie forment opposition
à l’ordonnance du 11 juillet, et assignent à leur tour le
sieur Chargeur devant le tribunal. Ils demandent que les
défenses faites au capitaine du port et aux commissai
res des classes soient soulevées, et que le voyage aux îles
Maurice et Bourbon, pour lequel le capitaine a engagé
le navire, soit effectué.
Le sieur Changeur conteste cette demande ; il soutient
qu’elle n’est ni recevable ni fondée en l’état du contrat
de nantissement, qui lui confère le droit de faire vendre
le navire , son gage , pour parvenir au paiement des
sommes qui lui sont dues ; que le capitaine poursuivi
par lui ne peut aucunement disposer du navire pour un
nouveau voyage, sans avoir acquitté les parties échues
des avances qui lui ont été faites sous la garantie du nan
tissement ; que dès lors les sieurs Gilibert et Cie n’ont
pu valablement affréter ce navire ainsi affecté et le sou
mettre à un nouveau voyage, au préjudice de ses droits.
Ceux-ci répondent qu’ils sont étrangers aux accords
qui peuvent exister entre le sieur Changeur et le capi
taine ; qu’ils ont traité avec ce capitaine pour l’affrète
ment du navire le Soleil, dont il a le commandement
exclusif ; qu’il ne peut donc dépendre du sieur Chan
geur, en se prétendant créancier sur le navire, de venir
entraver l’exécution de ce contrat ; que, bien loin de là,
il serait lui-même garant de cette exécution, puisqu’il
figure comme propriétaire-armateur de ce navire ; l’in-
�574
DROIT MARITIME.
térêt du commerce et de la navigation ne permettent pas
d’admettre un système contraire.
Cette réponse était péremptoire, et le système qu’elle
développait fort juridique en tous points. Aussi fût-il
consacré par le tribunal de commerce de Marseille dans
les termes suivants :
« Attendu que le capitaine, lorsqu’il se trouve hors du
domicile du propriétaire, a la libre disposition et le com
mandement du navire ;
« Attendu que l’acte du 14 juin 1830 confère des
droits très étendus au sieur Changeur et un véritable
nantissement sur le navire le Soleil, mais n’enlève pas,
et laisse au contraire le commandement et la libre dis
position de ce navire au capitaine ;
« Que, d’ailleurs, à l’égard des sieurs Gilibert fils
aîné et Cie, le sieur Changeur n’est autre chose que le
propriétaire du navire indiqué par l’acte de francisa
tion, et qu’au lieu de pouvoir exciper de sa qualité de
créancier, il serait, au contraire, tenu envers eux de la
garantie des faits du capitaine l. »
Voilà donc une nouvelle exception au droit de provo
quer la vente du navire, mais celle-ci est tout entière
dans la qualité du créancier. Exiger la remise du navire
en gage, c’est s’assurer une préférence sur les créanciers
ordinaires avec lesquels le propriétaire pourra plus tard
contracter, mais c’est en même temps accepter aux yeux
des tiers la qualité de propriétaire-armateur, et, par
1 28
juillet 1 882 ; Journal de Marseille, t. 13,
p. 268.
�AKT.
215.
575
voie de conséquence, la responsabilité des actes du capi
taine pour tout ce qui concerne le navire.
261. — Il résulte de l’article 215 que le navire prêt
à faire voile est de droit insaisissable ; d’où la consé
quence que pour maintenir la saisie qui en aurait été
faite, ou pour obliger les ayants droit à donner caution,
les tribunaux doivent constater dans leur décision qu’en
fait, la dette pour laquelle la saisie a été faite a été con
tractée pour le voyage. L’absence de cette constatation
dans le jugement ou arrêt constituerait une violation de
l’article 215, et donnerait lieu à cassation L
262. — Le cautionnement que la loi permet de don
ner aux créanciers privilégiés, et qui rend la saisie non
recevable, a pour objet la représentation du navire à l’é
poque du retour déterminé par le congé. En conséquen
ce, si, l’époque arrivée, le navire n’est pas mis à la dis
position du créancier, la caution est obligée de le dé
sintéresser en capital, intérêts et frais. Le voyage se fait
donc réellement aux risques de la caution. De là cette
conséquence que la somme pour laquelle elle s’est obli
gée, étant soumise aux chances de la navigation , peut
devenir la matière d’un contrat d’assurance.
Si le navire est de retour au temps indiqué, la caution
n’est pas encore dégagée, les dettes contractées pour les
besoins du voyage entraînent privilège , et sont payées
1 Cass., 28 octobre 4814.
�376
DROIT MARITIME.
avant celles contractées au moment du départ C’était pré
cisément pour se soustraire à cette préférence que la sai
sie était poursuivie. Il est donc juste que le créancier, •
qui n’a été arrêté que par la caution, trouve dans celleci le moyen d'échapper à cette même préférence qui lui
a été imposée.
Dans le cas où les dettes privilégiées du voyage occa
sionneraient, par la préférence qui leur est due, une
perle plus ou moins considérable pour le saisissant, ce
lui-ci devrait en être indemnisé par la caution, il doit
toujours, et quoi qu’il arrive, être intégralement payé
après le voyage, comme il l’aurait été avant, si la saisie
n’avait pas été arrêtée.
263. — L’obligation de donner caution avant de
soustraire le navire à l’effet de la saisie est absolue. Ce
lui qui ferait partir le navire avant de l’avoir exécutée
serait purement et simplement responsable de la dette,
et pourrait être condamné à la payer immédiatement L
La caution doit être offerte et acceptée dans la forme
ordinaire. C’est au greffe que devraient être faites les
soumissions, que devraient se réaliser les observations,
l’acceptation ou le refus. Le caractère commercial de
l’opération ferait juger la solvabilité de la caution au
point de vue de ce qui se pratique pour le commerce.
264. — L’article 215 est-il applicable aux bateaux
2 Rennes, 21 mars 1812.
�ART.
215.
577
sur fleuves ou rivières navigables? Les développements
remarquables de noire navigation intérieure feraient ré
soudre affirmativement cette question, alors même quelle
ne l’aurait pas été depuis longtemps. La doctrine a tou
jours admis la règle du droit romain : Navern accipere
debemus, sive marinant, sive fluviatilem, sive in aliquo stagno navigetl. La cour de Rennes la consacrait
dans son arrêt du 21 mars 1812. Il est vrai que cet ar
rêt fut cassé par la Cour régulatrice, le 25 octobre 1814,
Mais cette cassation est-elle même un préjugé en faveur
de l’opinion que nous indiquons , elle ne fut en effet
prononcée que parce que les conditions de l’article 215
n’avaient pas été indiquées comme s’étant réalisées dans
l’espèce, ce qui eût été fort indifférent si cet article n’a
vait pas dû être appliqué aux bateaux sur fleuves ou ri
vières navigables.
265. — L’application de l’article 215 aux étrangers
a soulevé quelques doutes. II s’agit ici, a-t-on dit, d’une
matière commerciale, or, l’article 16 du Code civil ex
cepte précisément l’étranger de l’obligation de donner
caution dans cette circonstance.
La pensée qui a dicté l’article 16 du Code civil est
évidente. Elle a eu pour but de protéger les régnicoles
contre les mauvaises contestations que les étrangers se
raient d’autant plus encouragés à prodiguer, que d’a
vance ils se sauraient à l’abri de toute condamnation.
1 L. t, § 6., Dig. de exercit. acl.
�378
DROIT MARITIME,
Mais conclure de là à l’inapplicabilité de l’article 215,
ce serait étrangement intervertir les rôles, car on dispen
serait l’étranger d’une caution imposée aux Français euxmêmes. Or que la loi ait voulu en matière commerciale,
placer l’étranger sur la même ligne que les nationaux,
elle ne faisait que remplir un devoir que lui prescrivait
l’intérêt du commerce lui-même. Mais bien certainement
elle n’a jamais voulu affranchir le premier des obliga
tions qu’elle imposait à ceux-ci.
Cette certitude a même fait soutenir l’inapplicabilité
de l’article 215, mais à un point de vue bien différent.
Ainsi, on a prétendu que la caution qui, entre Français,
n’était nécessaire qu’à l’endroit des créanciers privilé
giés, pouvait dans tous les cas être exigée de l’étranger,
et qu’à défaut le navire pouvait être saisi, même par un
créancier ordinaire.
« Ce ne sont plus, à vrai dire, des commerçants, ob
serve M. Boulay-Paty ; ce sont ici des mandataires qui
n’offrent aucune garantie après leur départ; qui Délais
sent aucune chose sur les lieux pour répondre de leurs
dettes ; ils peuvent ne jamais revenir, il serait donc
dangereux de leur appliquer la faveur de la loi, on doit
les laisser partir dans le cas seulement où ils donneraient
cette caution solvable, soit que la dette ait été contractée
pour le voyage, soit à raison de toute autre dette h »
Celte solution serait avantageuse à certains créanciers,
mais funeste pour la navigation en général. Celle-ci exige
i T. 1, p. 244.
Conf. Dagevillc, t. 2, p.
109.
�AiiT.
*
215.
379
en effet qu’on appelle dans nos ports le plus grand nom
bre d’étrangers possible. Or, ce résultat ne peut être at
teint qu’en leur offrant les mêmes garanties qu’à nos
nationaux.
Que ferait l’étranger si son navire, prêt à mettre à la
voile, pouvait être arbitrairement saisi et vendu à défaut
d’une caution que sa qualité même lui rendra bien sou
vent impossible, et toujours bien difficile à se procurer,
si pour une dette, bien souvent contractée en pays étran
ger, on interrompait son voyage et détruisait sa spécu
lation ? Il dirigerait son navire et son industrie vers des
pays moins rudes et plus hospitaliers, au grand détri
ment de notre commerce.
On nuirait donc à l’intérêt général pour protéger l’in
térêt privé, qui n’a pas même besoin de cette protection.
On craint que l’étranger ne paye pas ce qu’il doit, qu’il
disparaisse et ne revienne plus ! Mais cette crainte, si elle
est partagée par les créanciers, doit d’autant plus exci
ter leur vigilance. Pourquoi donc attendent ils que le na
vire soit prêt à mettre à la voile. Ils pouvaient, ils devaient
le saisir avant. S’ils n’ont pas cru devoir le faire, ils
n’ont qu’à subir les conséquences d’une négligence qui
leur est toute personnelle; Volenti non fit injuria.
Nous croyons donc que l’étranger, comme le Français,
peut invoquer l’article 215 ; qu’appelé à profiler, comme
ce dernier, du principe d’insaisissabilité qu’il consacre,
il en subit également l’exception, et qu’à l’endroit des
créanciers privilégiés il n’acquiert la liberté de son na
vire qu’en donnant la caution exigée.
�TITRE III
D es P ropriétaires de Navires
Article 216 .
Tout propriétaire de navire est civilement responsa
ble des faits du capitaine, et tenu des engagements contractés par ce dernier, pour ce qui est relatif au navire
et à l’expédition. Il peut, dans tous les cas, s’affranchir
des obligations ci-dessus, par l’abandon du navire et
du fret.
Toutefois, la faculté de faire l’abandon n’est point ac
cordée à celui qui est en même temps capitaine et co
propriétaire du navire. Lorsque le capitaine ne sera que
copropriétaire, il ne sera responsable des engagements
contractés par lui, pour ce qui est relatif au navire et à
l’expédition, que dans la proportion de son intérêt.
■
Article 2 1 7 .
Les propriétaires des navires équipés en guerre ne
seront toutefois responsables des délits et déprédations
commis en mer par les gens de guerre qui sont sur leurs
�ART. 2 1 6 , 2 1 7 .
381
navires, ou par les équipages, que jusqu’à concurrence
de la somme pour laquelle ils auront donné caution, à
moins qu’ils n’en soient participants ou complices.
SOMMAIRE
266.
267.
268.
269.
270.
271.
Objet du titre 3.
Caractère de la responsabilité des faits du capitaine.
Disposition du droit romain.
— Du Consulat de la mer et de l’ordonnance de Wisbuy.
— De l’ordonnance de 1681. Controverse qu’elles firent
naître sur l’étendue de la responsabilité.
Du Code de commerce de 1807. Système que consacra la
Cour de cassation.
272. Motifs donnés par la cour d ’Aix à l ’appui du systèm e con
traire.
273. Conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation.
Présentation du projet de loi adopté en 1841.
274. Exposé des motifs. Discussion.
275. Conséquences de l’adoption de la loi.
276. Pour que le propriétaire soit responsable, il faut que le fait
ait été accompli par le capitaine dans la direction du na
vire et contre l’intérêt de l’armateur. Conséquences
quant à la contrebande exécutée ou tentée par le capi
taine.
•277. — Quant à l’omission du consulat prescrit au capitaine.
278. Caractère de la responsabilité. Ses effets.
279. Le propriétaire qui a loué le navire désarmé n’est pas moins
responsable. Ses droits contre l’affréteur-armateur.
280. Quid, si le capitaine qui s'était prohibé tout remplacement
s’est fait remplacer.
281. Répond-il des faits du pilote ?
282. Contre qui les tiers peuvent-ils diriger l’action en respon-
�382
DROIT MARITIME.
sabilité ? Comment pourront-ils exécuter la condamna
tion contre le capitaine, s’ils l’ont tout seul poursuivi?
283. Intérêt du propriétaire à une poursuite collective. Consé
quences pour l’appel en cause du capitaine ou de l’affré
teur-armateur.
284. Droit du propriétaire de se libéier par l’abandon du navire
et du fret.
285. L'abandon s’applique-t-il au fait du capitaine qui, cumu
lant ses fonctions et celles de subrecargue, a agi en cette
qualité ?
286. Quid, si le capitaine avait agi comme préposé par les ar
mateurs à des opérations de commerce pour leur compte.
287. Les faits de l’équipage sont compris dans la disposition de
l’article 216.
288. L’abandon n’est plus recevable, si le propriétaire a fait un
acte annonçant l’intention de ne pas s’en prévaloir.
P uta, s’il a accepté les lettres de change tirées par le
capitaine, pour règlement de l’emprunt ou de l’indem
nité.
289. Quid, s’il a approuvé les billets de grosse ?
290. — Après règlement des avaries communes et après saisie ?
291. — Après délaissement aux assureurs ?
292. Dans ce cas, les assureurs ne sont-ils responsables de la
faute ou du délit du capitaine que s’ils ont pris à leurs
risques la baraterie du patron ?
293. L’abandon ne peut être fait que par le propriétaire. Consé
quences lorsqu’il en existe plusieurs.
294. Le navire et le fret doivent seuls être abandonnés, mais
non la cargaison, si elle appartient au propriétaire du
navire.
295. Ni le montant de l’assurance. Débats à ce sujet dans la dis
cussion de la loi de 1841.
296. Effets de l’abandon à l’égard du propriétaire, du capitaine
et des créanciers.
�art. 2 1 6 , 2 1 7 .
383
297. En quelle forme et à quel moment peut-il être offert et
re'alisé. Conséquences de la tardiveté sur les dépens de
l’instance.
298. L’abandon n'est pas recevable de la part du capitaine qui
est en même temps propriétaire ou copropriétaire du
navire. Motifs.
299. Nature de son obligation dans l’un et l’autre cas. Exclusion
de toute solidarité.
299 bis. La faculté d’abandon existe-t-elle pour les engagements
du capitaine qui est en même temps propriétaire ou co
propriétaire du navire dans le cas prévu par l’art. 232.
299 ter. Quid du copropriétaire du navire qui en est le capitaine
en second ?
300. Motifs de la restriction de la responsabilité, en cas d’arme
ment en guerre.
30t. Nature et conséquence de l’article 217. Il ne s’applique
qu’au cas de délit ou de déprédation.
302. Caractère et effets de la participation ou de la complicité
du propriétaire.
266. — La propriété de navires est une propriété
exceptionnelle dans ses conditions d’existence, dans le
mode de son exploitation. L’intérêt général et public a
fait prescrire certaines formalités dont l’Etat est en droit
d’exiger l’accomplisssement: Ces formalités étant étran
gères au commerce proprement dit, le Code s’en est pu
rement référé aux lois spéciales qui les déterminent et
en règlent la forme.
Mais il devait nécessairement s’occuper des rapports
que celte propriété entraîne enlre les propriétaires et
ceux qui reçoivent la direction et le commandement du
navire, de ceux qui naissent entre les propriétaires en-
�384
DROIT MARITIME.
tre eux. Le titre que nous abordons régit les uns et les
autres, en définit le caractère, la nature et les effets.
267. — Nul ne peut commander un navire, s’il n’a
subi les épreuves et accompli les études qui doivent lui
conférer la qualité de capitaine. C’est donc dans une
classe déterminée que les propriétaires doivent choisir ce
lui qu’ils mettront à la tête de leur navire. Mais cela ne
pouvait empêcher que le capitaine ne fût, en réalité, le
mandataire du propriétaire pour tout ce qui est relatif à
la direction et à la navigation du navire. De cette qua
lité de mandataire et de mandant naissait pour ce der
nier une responsabilité qu’il convenait de déterminer.
Le principe ne pouvait être et n’a jamais été l’occasion
d’une difficulté et d’un doute. Mais il en était autrement
de son étendue. Celle-ci fut diversement appréciée par
les .législations anciennes.
268. — Le droit romain, appliquant à la navigation
le principe du droit commun, s’était prononcé pour la
responsabilité indéfinie et absolue. Actes, fautes, délits,
quasi-délits du capitaine, tout réfléchissait contre le pro
priétaire et obligeait sa fortune entière : Omnia enim
facta magistri débet prœstare qui eum prœposuit;
alioquin contrahentes decipientur. Æquum fuit, eum,
qui magistrum prœposuit, teneri, ut tenetur qui institorern tabernœ vel negôtio prœposuitl.
i L. I , S 5, Dig. de E x e rc it. a c t.
�ART, 2 1 6 , 2 1 7 ,
385
Ainsi, aucun doute ne pouvait s’élever, du moins sur
les engagements contractés par le capitaine. L’intérêt des
tiers avait paru le commander ainsi.
Une pareille solution pouvait singulièrement entraver
le développement de la navigation. Le peu d’essor du
commerce maritime chez les Romains explique jusqu’à
un certain point que le législateur ne se soit pas trop
préoccupé de ce danger.
Mais il n’en fut pas ainsi des nations commerçantes
de la Méditerranée. Aussi voyons-nous le Consulat de
la mer restreindre la responsabilité des propriétaires. II
la limitait, même pour les engagements du capitaine,
au navire et au fret, soit que le navire vint à périr, soit,
qu’arrivé au port, sa valeur fût insuffisante pour rem
plir ces engagements.
Cependant le Nord et notamment la Suède n’accep
tèrent pas celte règle. La loi de Wisbuy se conforma au
principe du droit romain, et, comme lui, consacra la
responsabilité indéfinie.
270. — L’ordonnance de 1681 avait donc à faire
un choix entre les deux systèmes. Elle parut préférer ce
lui du Consulat, puisque l’article 2 du titre 8 du deuxiè
me livre, tout en réclamant la responsabilité du pro
priétaire, lui permit de s’en affranchir par l’abandon du
navire et du fret.
Mais alors naquit la question de savoir à quoi s’ap
pliquait la faculté d’abandon. Ne se bornait-elle pas à la
responsabilité des délits ou quasi-délits du capitaine ?
i — 25
�586
DROIT MARITIME.
Pouvait-elle comprendre celle naissant d’engagements
contractés légalement par le capitaine ?
Valin, dominé par les principes du drcit romain,
s’efforçait de meitre l’ordonnance en harmonie avec
cette législation. Il enseignait donc que la faculté de
faire abandon pour se libérer de toute responsabilité ne
pouvait être admise qu’à l’endroit des obligations illici
tes du capitaine. Il est évident, disait-il, que s’il s’agit
de dettes contractées par le capitaine pour cause qui ont
réellement tourné au profit du navire, alors que le na
vire arrive à bon port ou non , l’armateur ne peut se
dispenser de payer b
Emérigon tenait pour l’opinion contraire. L’action en
responsabilité, disait il, ne compète contre les proprié
taires que jusqu’à concurrence de l’intérêt qu’ils ont sur
le corps du navire. De sorte que, si le navire périt ou
qu’ils abdiquent leur intérêt, ils ne sont garants de rien.
On voit par là, ajoutait-il, que l’obligation où les pro
priétaires sont de garantir les faits de leur capitaine,
£st plutôt réelle que personnelle. Pendant le cours du
voyage, le capitaine pourra, pour les nécessités du bâ
timent , prendre deniers sur le corps, mettre les ap
paraux en gage , ou vendre les maichandises de son
chargement ( article 19, titre du Capitaine). Voilà
tout. Son pouvoir légal ne s’étend pas au-delà des li
mites du navire dont il est le maître, c’est-à-dire admi
nistrateur. Il ne peut engager la fortune de terre de ses
i Art. 2, tit. des P ro priéta ires.
�ART. 216, 217.
387
armateurs, qu’autant que ceux-ci y ont consenti d’une
manière spéciale l.
271. — L’opinion d’Emérigon avait prévalu dans la
pratique, et cette pratique ne discontinua point sous
l’empire du Code. On crut même qu’elle avait été for
mellement consacrée par l’article 216, que le législateur
de 1807 avait conçu en ces termes : Tout propriétaire
de navire est civilement responsable des faits du capi
taine, pour ce qui est relatif au navire et à l’expédition;
La responsabilité cesse par l’abandon du navire et du
fret.
On suivit, en conséquence , les anciens errements.
Doctrine et jurisprudence se prononçaient dans ce sens,
lorsque la Cour de cassation vint condamner celte in
terprétation. Trois fois saisie de la question, elle décide
trois fois que l’article 2!6, qui décharge le propriétaire
d’un navire de la responsabilité civile des faits du capi
taine, moyennant l’abandon du navire et du fret, ne con
cerne que ceux des engagements du capitaine qui résul
tent soit de sa faute, soit d’un délit ou d’un quasi-délit,
et non ceux qu’il a contractés légalement.
La responsabilité dont on peut s’exonérer par l’aban
don du navire et du fret, disait la Cour de cassation, est
qualifiée par la loi elle-même de responsabilité civile.
Or, celle-ci n’existe que pour les fautes, délits ou quasidélits de celui qu’on emploie. Elle ne saurait s’appliquer
' C ontrais à ta grosse, chap. îv, sect. xi, §S I et 2.
�DROIT MARITIME.
388
aux actes faits légalement dans l’exercice du mandat.
La responsabilité est alors directe et positive, le man
dant étant présumé avoir agi lui-même l.
272. — L’arrêt de la cour d’Aix, qui faisait l’objet
du pourvoi jugé le 1er juillet 1834, exposait avec netteté
les motifs de se prononcer pour la responsabilité res
treinte dans tous les cas. Après avoir rappelé la doctrine
d’Emérigon, et constaté une parfaite identité dans les
dispositions du Code et celles de l’ordonnance , il con
cluait qu’on ne pouvait décider sous l’empire de celui-ci
que ce qu’on admettait sous l’autre ; que cette doctrine
était équitable et juste ; que l’armateur qui expédie un
navire sait très bien qu’il peut le perdre, mais il n’a ja
mais entendu perdre autre chose ;
Qu’en droit, on ne pouvait exciper des principes or
dinaires sur le mandat, puisque la loi spéciale règle la
position du capitaine et du propriétaire ; qu’on doit donc
s’en référer exclusivement à ses dispositions ;
Qu’en fait, le mandat du capitaine est bien différent
du mandat ordinaire ; que le capitaine ne peut être pris
que dans une classe d’individus ;
Qu’il contracte toujours en son nom et jamais au nom
du propriétaire et comme son mandataire ;
Que ses pouvoirs ne sont pas déterminés par les pré
tendus mandants, mais uniquement par la loi ;
Qu’enfin, le capitaine est toujours premier obligé, le
l 16 juillet 1827 ; 14 mai 1833 ; 1« juillet 1834.
�ART. 2 1 6 , 217.
389
propriétaire-armateur n’est que civilement responsable,
tandis que, dans le mandat ordinaire, le mandataire
n’est pas tenu, et le mandant est seul obligé ;
Que, d’ailleurs, cette responsabilité civile ne doit s’en
tendre que de l’absence de toute action personnelle con
tre le propriétaire, même pour les engagements légiti
mement contractés ; ce qui prouvait bien que l’abandon
couvrait ceux-ci comme tous les faits illicites.
Mais ces considérations échouèrent. La Cour de cas
sation les repoussa en 1834, comme elle les avait re
poussées en 1827 et en 1833.
273. — Celte jurisprudence était on ne peut pas
plus avantageuse aux capitalistes et aux chargeurs. Mais
elle renfermait un danger si sérieux pour les armateurs,
qu’elle devait être un obstacle au développement de la
navigation. Comment se résoudre, en effet, à confier la
disposition de sa fortune entière à la discrétion d’un ca
pitaine, quelque habile, quelque honnête qu’il parût.
Aussi ce troisième arrêt fit-il naître de telles réclama
tions que, dès 1839, un projet de loi était soumis au
pouvoir législatif, pour donner à l’article 216 l’inter
prétation que la Cour suprême ne croyait pas pouvoir
lui donner. Le besoin de se livrer à des investigations
nombreuses sur une question aussi grave fit d’abord
retirer le projet qui fut représenté, discuté et adopté en
1841.
Il n’est pas sans intérêt de rappeler que les investiga
tions qui se portèrent sur les législations étrangères cons-
�390
DROIT MARITIME.
tâtèrent que le principe de l’efficacité de l’abandon dans
tous les cas était consacrée en Italie, qui se régissait par
le Consulat de la mer, paç le statut de Hambourg, par
le Code de commerce des Pays-Bas, par la loi maritime
de la Suède, par le Code du Dannemark ;
Que la distinction admise par la Cour de cassation,
écrite dans le statut de Wisbuy, se retrouvait dans les
Codes de commerce d’Espagne, de Prusse et de Naples;
enfin, qu’en Angleterre et aux Etats-Unis, les précédents
et les usages étaient dans le même sens.
L’exemple de ces deux dernières nations prouve que
cette distinction n’a rien d’absolument antipathique aux
mœurs commerciales. Pourtant elle est devenue pour le
commerce français l’objet d’une répugnance invincible.
C’est ce que va nous apprendre l’exposé des motifs de la
loi de 4841.
**•
274. — « On a prétendu, disait le ministre, que
les propriétaires de navires se trompaient sur leurs vé
ritables intérêts. Si la mesure qu’ils sollicitent est adop
tée, leurs capitaines, a-t-on dit, ne trouveront plus à
emprunter en cours de voyage pour subvenir aux be
soins du navire, ou, si l’on consent à leur prêter, ce ne
sera que par la voie onéreuse du contrat à la grosse. Us
auront, il est vrai, la ressource de vendre les marchan
dises pour se procurer des fonds, mais alors la perte re
tombera sur les chargeurs, puisque ceux-ci n’auront
d’autre garantie que la valeur souvent insuffisante du
navire et du fret.
�216, 217.
591
« Qu’on se rassure. La loi n’aura pas ces effets désas
treux.
« Remarquons d’abord que tous les organes légaux
du commerce réclament avec vivacité et persévérance la
mesure sur laquelle vous êtes appelés à délibérer. Les
chambres et le conseil supérieur de commerce sont una
nimes ; les Cours royales consultées se sont prononcées
dans le même sens, à une grande majorité.
« Comment se ferait-il que tant d’hommes spéciaux,
tant d’esprits éclairés fussent dans l’erreur, et que leur
aveuglement fût poussé à ce point que, pour soustraire
les armateurs à quelques chances trop onéreuses, ils
vinssent provoquer une loi qui les exposerait à ne plus
trouver d’affréteurs ?
« On peut être également certain que les chargeurs ne
sont point sacrifiés par l’établissement d’une règle en fa
veur de laquelle s’élèvent les graves autorités que nous
venons d’indiquer. Les chambres de commerce, même
dans les ports de mer, comptent dans leur sein au moins
autant de chargeurs que d’armateurs; celles des villes de
l’intérieur n’ont point parmi leurs membres des pro
priétaires de navires, et toutes, sans exception, tiennent
le même langage. »
/
Le ministre avait raison d’ajouter que cette impor
tante unanimité d’opinion , à qui tant de confiance est
due, semblait rendre toute discussion impossible. Cepen
dant il n’en fut pas ainsi ; mais l’opposition que le pro
jet rencontra dans l’une et l’autre chambre fut facile
ment vaincue.
ART.
�592
DROIT MARITIME.
Sans doute, dans le but d’éviter toutes difficultés, le
projet de loi avait omis le mot civilement, mais il fut ré
tabli par la chambre des pairs, sur la proposition de
M. Persil. Mais les explications données par l’honora
ble pair ne permettaient plus l’interprétation qu’en fai
sait naguère la Cour de cassation. « L’armateur, disait
M. Persil, ne peut être indéfiniment responsable des
faits du capitaine. Par exemple, si celui-ci a fait un acte
de piraterie, la loi ne pouvait étendre à l’armateur la pei
ne que le Code prononce contre la piraterie, ce dont
pourrait faire douter la suppression du mot civilement,
son rétablissement ne fut consacré que pour dissiper ce
doute.
275. — Il résulte donc de l’article 216 actuel que
les propriétaires des navires sont responsables des faits
de leur capitaine. Mais cette responsabilité, qu’elle se
réfère à des actes licites ou illicites, cède par l’abandon
du navire et du fret. Dans aucun cas le capitaine n’a pu
engager que le navire et son produit, qui seuls répon
dent de ses engagements.
On a voulu distinguer entre les contrats que, dans le
cours du voyage, le capitaine peut souscrire par exem
ple pour prêt à la grosse ou pour toutes autres avances,
et ceux qui prenant leur source dans le mandat formel ou
dans la gestion d’affaires doivent être considérés comme
engageant directement et personnellement l’armateur et
sortant de la catégorie de' ceux que régit l’article 216.
Ainsi, dans une espèce soumise à la cour de Rouen,
�on soutenait que l’article 216 ne pouvait être invoqué
contre le créancier qui, s’étant rendu caution aux fins
de dégager le navire d’une saisie et d’un embargo et de
lui permettre de faire voile, réclame le remboursement
de ce qu’il a payé en suite du cautionnement.
Dans l’espèce, le cautionnement avait eu pour objet
la garantie éventuelle des dommages-intérêts que les
saisissants prétendaient leur être dus pour non exécu
tion d’une charte-partie souscrite avec eux par le capi
taine ; dommages-intérêts qui avaient été judiciairement
fixés en principal et frais à 46,803 fr.
Le tribunal de commerce de Fécamp d’abord, la cour
de Rouen ensuite repoussent celte prétention, et, par
application de l’article 216, déclarent l’armateur libéré
par l’abandon du navire et du fret. Le jugement, dont
l’arrêt s’approprie les motifs, considère que les disposi
tions de l’article 216 sont une dérogation au droit com
mun, qu'elles sont générales et absolues et qu’il n’est
pas permis d’en restreindre l’application par des excep
tions que la loi n’a pas prévues ; que les demandeurs
sont mal fondés à prétendre que leur intervention, quel
que utile qu’elle ait été, ait constitué un quasi contrat
qui lie l’armateur personnellement conformément aux
articles 1371, 1372 et 1375 du Code civil ; que c’est
avec le capitaine seul qu’ils ont contracté ; que c’est par
suite des faits de ce capitaine et pour lui qu’ils se sont
engagés, et que l’armateur est resté complètement étran
ger au contrat ; que l’engagement en contre garantie
qu’ils ont fait prendre au capitaine prouve d’ailleurs
�394
DROIT MARITIME.
qu’ils se rendaient bien compte de la limite de leur re
cours ; qu’il apparait des pièces produiles qu’ils n’ont
pas même fait part alors à l’armateur du cautionne
ment qu’ils donnaient et de ce qui se passait ; qu’on ne
saurait admettre qu’un cautionnement puisse donner
plus de droits que le versement de la somme dont il
peut rendre passible, et que si les demandeurs eussent
prêté, le 12 janvier, les 46,000 fr. pour dégager le na
vire, leur intervention, malgré son utilité, n’eût pu leur
donner un droit contre l’armateur personnellement ;
qu’en ce qui concerne la nature du service rendu aux
intérêts de l’armement, le prêt à la grosse et la plupart
des avances faites au navire à l’étranger rendent un
service analogue, puisqu’ils ont également pour résultat
de permettre au navire de continuer son voyage et à
l’armateur de bénéficier des frets qu’il s’est assurés, et
que cependant il n’en résulte pas un droit personnel
contre l’armateur; qu’admettre qu’un cautionnement
puisse constituer un privilège serait créer une exception
et que la loi n’en admet aucune ; que l’article 216 est
un moyen de libération pour l’armateur, toutes les fois
qu’il n’y a pas renoncé, et que les renonciations doivent
être expresses et ne se présument pas. »
Cet arrêt était vivement critiqué devant la Cour de
cassation , on l’accusait d’avoir faussement appliqué
l’article 216 du Code de commerce, et violé les articles
1372, 1375 et 2028 du Code civil. A l’appui du pourvoi
on invoquait les considérations suivantes :
« En limitant la portée que peuvent avoir pour l’ar-
�mateur les divers engagements contractés par le capi
taine en cours de voyage, l’article 216 du Code de com
merce n’a pas entendu déroger aux règles des articles
1999 et 2001 du Code civil et aux principes qui régis
sent les engagements propres de l’armateur à l’égard des
tiers; en l’absence d’un mandat un tiers peut intervenir
spontanément dans l’intérét de l’expédition et du navi
re. Quelle sera donc la conséquence de cette interven
tion ? La gestion d’affaires est assimilée en droit au man
dat, de même que le mandataire a contre son mandant,
pour le recouvrement de ses avances, l’action mandali
contraria, de même le gérant d’affaires a contre le maî
tre de l’affaire l’action negotiorum gestorum contraria ;
mais à la différence du mandataire, le gérant n’a de re
cours qu’à la condition de l’utilité de sa gestion et dans
la mesure de l’avantage qu’elle a procuré au proprié
taire. Celui qui s’engage comme caution à l’insu du dé
biteur principal, fait-il acte de gestion d’affaires ? Tels
sont les termes auxquels se réduit la question du pro
cès. Or cette question est résolue affirmativement par
tous les auteurs. Ils enseignent que celui qui se rend
caution à l’insu du débiteur, mais sans opposition de sa
part, est un véritable gérant d’affaires et a contre le dé
biteur principal l’action negotiorum gestorum contraria
pour le remboursement de ses avances ;
« Quelles raisons donne l’arrêt pour appliquer, dans
l’espèce, l’article 216 du Code de commerce ? La géné
ralité des termes de cet article ? Mais il oublie que les
obligations résultant soit du mandat, soit de la gestion
�596
DROIT MARITIME.
d’affaires sont personnelles à l’armateur et ne peuvent,
à ce titre, tomber sous l’application de celte disposition.
D’après l’article 216 actuel, l’armateur peut s’affran
chir, dans tous les cas, par l’abandon, des engagements
contractés en cours de voyage par le capitaine, mais il
ne peut, en aucune hypothèse, se libérer, de celte fa
çon, des obligations qui pèsent sur lui directement ;
« L’arrêt reconnait l’utilité de l’intervention des cau
tions, mais il déclare que cette intervention, quelque
utile qu’elle ait été, quelque profit qu’elle ait procuré à
l’armateur, n’a point conféré à ces cautions le droit de
réclamer contre ce dernier l’application des articles 1375
et suivants du Code civil. La Cour s’appuye sur cette
circonstance que ces cautions ont traité avec le capitaine
seul. Mais le capitaine représentant l’armateur, il est
naturel que ce soit lui qui ait obtenu l’intervention des
demandeurs. Il importe peu également que la nécessité
de l’intervention ait été amenée par les faits du capi
taine, et l’on ne saurait dire que ce soit pour celui-ci à
l’exclusion de l’armateur que l’intervention a eu lieu.
L’engagement en contre-garantie pris par le capitaine
personnellement n’était et ne pouvait être qu’une ga
rantie accessoire donnée par le capitaine aux interve
nants et qui devait s’ajouter à celle que ceux-ci devaient
trouver contre l’armateur dans les principes du droit
commun ;
« Enfin l’arrêt termine par deux observations dont
l’une n’est qu’une pétition de principes, et dont l’autre
repose sur une confusion ;
�ART. 2 1 6 , 21 7.
397
« La première est : « Qu’on ne saurait admettre
qu’un cautionnement donne plus de droits que le ver
sement de la somme dont il peut rendre passible, et que
si, le 12 janvier, les cautions eussent prêté au capitaine
les 46,000 fr. pour dégager le navire, leur interven
tion, malgré son utilité, n’cût pu leur donner un droit
contre l’armateur personnellement. » Cet argument n’est
qu’une pétition de principes, car, si la gestion d’affaires
se fût produite, non sous la forme d’un cautionnement,
mais sous celle d’un versement pur et simple, immédiat
et sans condition des fonds nécessaires pour dégager le
navire, s’il eût existé ainsi une intervention véritable de
la part d’un tiers dans l’intérêt du navire et de l’expé
dition, non un contrat intéressé et commutatif tel que
celui de prêt à la grosse ou autre, la question serait de
savoir si l’intervenant n’aurait pas contre le maître de
l’affaire une action subordonnée à l’utilité de son fait et
ayant pour mesure cette utilité même. L’arrêt suppose
résolu ce qui est la question, et la solution qu’il donne
parait complètement inadmissible ;
« La seconde observation est que : « Le prêt à la
grosse et la plupart des avances faites au navire à l’é
tranger rendent un service analogue.... et que cepen
dant il n’en résulte pas un droit personnel contre l’armaleur. » L’arrêt a tort de confondre le prêt à la gros-^
se ou autres contrats intéressés qui ont leurs effets et
leurs règles propres, soit avec le mandat exprès, soit
avec le mandat tacite ou gestion d’affaires. Les premiers
�598
DROIT
MARITIME.
sont précisément des contrats commutatifs et aléatoires
qui, passés par le capitaine seul dans un long voyage,
ont dû préoccuper le législateur et n’ont pu être laissés
sans aucune limite à la charge de l’armateur. Le man
dat exprès, au contraire, comme tout engagement éma
né de l’armateur même, l’oblige personnellement ; et
quant au mandai tacite ou gestion d’affaires, il l’oblige
parce qu’il est de l’essence de ce quasi-contrat d’obliger
tout le monde ; que, reposant exclusivement sur l’équi
té, il engage, indépendamment de tout consentement,
ceux à qui profile la gestion ; qu’il n’est pas possible
que celui dont l’affaire a été gérée conserve le profit de
la gestion sans indemniser celui à qui il en est rede
vable. »
Ces arguments peuvent être spécieux , mais ils n’a
vaient évidemment aucune valeur ni en droit, ni sur
tout en fait dans l’espèce. Aussi la Cour de cassation se
fonde-t-elle pour rejeter le pourvoi sur ce que l’arrêt
attaqué constate : 1- que la somme de 46,803 fr. payée
par les cautions l’a été pour dégager le navire d’une
saisie et d’un embargo ; 2° que c’est avec le capitaine
seul que les cautions ont contracté ; 3° que c’est par
suite des faits du capitaine et pour lui que les cautions
se sont obligées ; 4° que le propriétaire du navire est
resté complètement étranger au contrat ; que l’opération
ainsi définie rentrait dans l’application de l’article 216
du Code de commerce ; que, dès lors, en validant l’a
bandon du navire et du fret consenti par l’armateur,
�ART.
2 1 6 , 21 7.
399
l’arrêt attaqué n’avait ni violé, ni faussement appliqué
les articles invoqués1.
Il est évident que dans les questions de la nature de
celles que nous examinons le fait jouera un grand rôle,
mais l’application de l’article 216 sera la règle générale
à laquelle il ne pourra et ne devra être dérogé, que s’il
est établi que l’armateur a, non pas seulement connu,
mais encore formellement autorisé l’opération, ou que
l’ayant ratifiée il se l’est appropriée et a paru ainsi re
noncer à se prévaloir du bénéfice de l'article 216.
Car le principe que cet article ne s’applique pas aux
engagements personnels de l’armateur n’est contesté par
personne. Loin de le méconnaître, le tribunal de com
merce de Fécamp et la cour de Rouen lui rendent le
plus éclatant hommage par le soin qu’ils prennent à
constater que les cautions n’avaient traité et même en
tendu traiter qu’avec le capitaine exclusivement.
Nous ne saurions admettre que le tiers qui traite avec
le capitaine en cours de voyage puisse jamais prétendre
a^oir agi en vertu d’un mandat formel ou tacite de l’ar
mateur. On n’est pas, on ne saurait être le mandataire
ou le negotiorum gestor de celui avec qui on traite. Or
celui qui contracte avec le capitaine contracte avec l’ar
mateur. Que celui-ci soit en effet représenté par celuilà, c’est la chose la moins contestable. Aussi, quelle que
soit la participation du capitaine au contrat, il n’est
personnellement engagé que s’il a expressément consenti
140 août 1869. J. du P. 4869, 4849.
�DROIT MARITIME.
400
à l’être. Comment d’ailleurs reconnaître à l’action que
celui qui traite avec le capitaine est recevable à exercer
contre l’armateur un fondement autre que celui qui ré
sulte du mandat donné par celui-ci et en vertu duquel
agit le capitaine.
Il ne saurait donc, en notre matière, être question
pour le tiers ni de mandat, ni de gestion d’affaires. Tout
ce que ce tiers pourrait alléguer, c’est qu’ayant traité
avec le représentant de l’armateur celui-ci s’est trouvé
directement obligé aux termes du principe quis mandat
ipse fecisse videtur.
Cette prétention serait irréfutable, n’était précisément
l’article 216 qui, en ce point, a dérogé au droit com
mun. On n’a pas voulu, dans l’intérêt du commerce
maritime, que la fortune entière de l’armateur fût à la
discrétion d’un capitaine agissant loin de lui sans le con
sulter, sans pouvoir le consulter. On a donc fait du man
dat du capitaine un mandat spécial sui generis dont les
conséquences onéreuses ne peuvent s’étendre au-delà du
navire et du fret qu’il a produit.
Or le système que nous repoussons ne tend à rien
moins qu’à neutraliser cette intention de la lo i, et à
faire de l’article 216 une lettre morte et sans application
possible.
Le prêt à la grosse, les avances pour achat d’appa
raux ou de victuailles ou pour frais de réparation n’ont
et ne peuvent avoir d’autre but que celui que se propose
le cautionnement, c’est-à-dire de mettre le navire en
état de continuer le voyage. Or, si celui qui fournit ce
�art.
21 6, 21 7.
401
cautionnement peut se dire le gesteur d’affaires de l’ar
mateur, on ne voit pas pourquoi on refuserait cette qua
lité au prêteur à la grosse, au fournisseur des avances.
Cette différence aboutirait à ce résultat si justement con
damné par les jugement et arrêt, d’attacher au caution
nement un privilège qui n’a aucune raison d’être, l’uti
lité d’une promesse, d’un engagement éventuel de ver
ser des fonds ne pouvant être supérieure à l’uiililé d’un
versement actuel et immédiat.
L’objection qu’on ne saurait confondre les contrats
commutatifs, intéressés avec, soit le mandat exprès, soit
le mandat tacite, est pire qu’une confusion, qu’une pé
tition de principes. Dans tous les contrats souscrits avec
le capitaine en cours de voyage, le tiers, nous venons
de le dire, n’a ni agi ni pu agir comme mandataire for
mel ou comme gesteur d’affaires de l’armateur. Il a con
tracté avec cet armateur lui-même par l’intermédiaire
du capitaine, son représentant légal, mais dans la li
mite édictée par l’article 216.
Le tribunal de Fécamp et la cour de Rouen avaient
donc raison. Soustraire le cautionnement à cette limite,
ce serait ajouter à la loi et créer une exception qui n’est
ni dans son esprit, ni dans son texte.
Nous ajoutons, nous , que la prétention contraire
pourrait arriver à ce résultat que, loin d’être utile à l’ar
mateur, l’intervention des cautions lui causerait dans
certains cas un grave préjudice.
Supposez, dans l’espèce, que les saisissants, ayant ob
tenu l’adjudication de 40,800 fr., en eussent poursuivi
i — 26
�DROIT MARITIME.
402
le paiement contre l’armateur, est-ce que le droit pour
celui-ci de se libérer par l’abandon du navire aurait été
contestable ? Si le cautionnement avait abouti à lui faire
perdre ce droit, il est évident qu’au lieu d’être utile la
gestion d’affaire aurait nui singulièrement au proprié
taire, autorisé dès lors à en récuser les effets.
Ceci nous amène à conclure que le cautionnement ne
conférant des droits que s’il a eu pour conséquence un
paiement quelconque, ces droits se régleront, même au
point de vue de l’article 216, par la nature de la cré
ance que ce paiement a éteint. La caution ne saurait
avoir de droits autres et plus étendus que ceux du cré
ancier primitif, auquel le paiement l’a subrogée. Elle
sera donc ou non écartée par l’article 216, suivant que
cet article aurait ou non écarté le créancier primitif.
276. — Pour que la responsabilité du propriétaire
soit encourue, il faut que le fait, la faute, le délit ou le
quasi-délit dont on veut le faire résulter ait eu lieu dans
la conduite du navire au préjudice de l’armateur. Le
capitaine qui commettrait un fait préjudiciable ailleurs
qu’à bord, ou qui, dépassant les limites de son man
dat et oubliant les devoirs qui lui sont imposés, se livre
rait à un acte évidemment prohibé, n’engagerait en rien
le propriétaire à l’endroit des tiers que cet acte aurait
lésés. Telle serait la contrebande que le capitaine exé
cuterait ou tenterait d’exécuter.
C’est ainsi que la cour d’Aix décidait, le 20 décem
bre 4819, que la responsabilité du propriétaire ne s’é-
�art.
21 6, 217.
403
tendait pas aux engagements que les lois interdisent ;
qu’elle cesse donc lorsque le capitaine a pris, dans un
connaissement, l’obligation de porter en France une
marchandise prohibée.
Dans ce cas, le propriétaire, à l’abri de l’action des
tiers, ne pourrait non plus être recherché par la doua
ne. Cependant, par arrêt du 30 avril 1830, la Cour de
cassation a, dans un cas de contrebande, déclaré le pro
priétaire civilement responsable de l’amende prononcée
en faveur de la douane ; mais loin d’affaiblir notre doc
trine, cet arrêt la corrobore. Ce qui dans l’espèce dé
termine la responsabilité, c’est qu’il est décidé en fait
que l’expédition avait été opérée par les ordres du pro
priétaire, sous sa direction présumée et presque sous ses
yeux ; c’est que l’arrêt attaqué le déclarait lui-même en
contravention.
Ces faits justifiaient la décision ; mais puisque leur
existence reconnue en devient l’unique fondement, il
faut conclure que cette existence ne se rencontrant pas,
la responsabilité n’eût été ni encourue, ni prononcée.
En d’autres termes, la Cour de cassation ne décide pas
que la contrebande du capitaine oblige le propriétaire.
Tout ce qui résulte de cet arrêt, c’est que ce dernier ne
pourrait impunément faire la contrebande sous le cou
vert de son capitaine.
277. — La cour d’Aix a également jugé, le 7 mai
1821, que le capitaine qui omet de faire son consulat
ou rapport de sa navigation au lieu du reste, ne com-
�404 •
DROIT MARITIME.
met pas par là une faute dont l’armateur puisse être
responsable ; qu’en conséquence, si, à défaut de repré
sentation du consulat, l’assuré ne peut obtenir des as
sureurs le montant du déficit, il n’a pas de recours con
tre l’armateur.
« Le défaut de la représentation du journal et l’omis
sion du rapport de navigation, dit l’arrêt, ne sont pas
des titres d’exemption du paiement des avaries, lors
que, comme ici, leur consistance et leur cause sont cons
tatées.
« Lors même que cette omission serait un titre
d’exemption, l’armateur, responsable du fait de son ca
pitaine, seulement dans ce qui est relatif au navire et à
l’expédition, ne saurait en répondre dans les faits qui
sont relatifs à la police générale de la navigation ; l’o
bligation par le capitaine de faire au greffe du tribunal
de commerce le rapport des principaux événements de
sa navigation, étant surtout dans un intérêt public, les
armateurs, qui d’ailleurs ne peuvent le contraindre à
remplir ce devoir, ne sauraient être responsables civile
ment de son omission. »
Dans une autre circonstance, on soutenait que cette
omission constituait la baraterie du patron, mais la cour
de Bordeaux déclare que celle-ci ne peut s’entendre que
des délits ou fautes que le capitaine peut commettre au
préjudice de l’armateur dans la conduite du navire ;
qu’elle ne saurait donc résulter de l’omission d’une for
malité prescrite pour constater les causes du délaisse
ment. En conséquence, et comme la courd’Aix, elle re-
�fuse d’imposer à l’armateur la responsabilité de cette
omission. Cet arrêt de la cour de Bordeaux, ayant été
déféré à la cour régulatrice, fut sanctionné par elle. Le
pourvoi fut rejeté par arrêt du 3 août 1821.
278. — La responsabilité du propriétaire n’est donc
engagée que par les faits, les fautes, les délits ou quasidélits accomplis dans l’exercice des fonctions du capi
taine et relatifs à la conduite, à la direction ou à l’ad
ministration du navire. Mais , dans ces limites, cette
responsabilité est absolue, le propriétaire ne saurait la
récuser, alors même que le fait dont elle résulte aurait
été expressément et formellement interdit au capitaine.
Ainsi l’armateur qui aurait prohibé à son capitaine
tout emprunt à la grosse ne serait pas moins responsa
ble de ceux qui auraient été contractés au mépris de cette
prohibition, excepté qu’il pût justifier que les prêteurs
connaissaient la prohibition et se sont ainsi sciemment
associés à sa violation l.
Ainsi encore, dans l’hypothèse d’une vente ou d’une
mise en gage de marchandises pendant le voyage, l’ar
mateur ne serait ni recevable ni fondé à exciper de l’inaccomplissement des formalités prescrites par la loi ;
il ne pourrait s’exonérer de la responsabilité qu’en allé
guant et prouvant la collusion entre les chargeurs et le
capitaine.
�406
DROIT MARITIME.
279. — La responsabilité du propriétaire, dans tous
les cas où elle est acquise, repose sur ce fondement que
ceux qui ont directement ou indirectement traité avec
le capitaine agissant en sa qualité et dans les limites de
ses attributions, ont réellement traité avec le navire luimême, qui est devenu le principal obligé.
De là cette conséquence que le propriétaire est atteint
alors même qu’ayant loué son navire désarmé, l’affré
teur aurait opéré son armement, choisi le capitaine et
composé l’équipage. Les tiers ne sont pas tenus de res
pecter un contrat qu’ils ignorent le plus souvent, et
leurs droits ne peuvent changer de nature au gré des
parties intéressées. D’ailleurs, le propriétaire, responsa
ble de celui à qui il confie la direction de son navire,
doit, à plus forte raison, répondre de celui qu’il se subs
titue momentanément dans ses droits à la propriété et
à la disposition de ce navire.
Les créances résultant des faits du capitaine, étant
plutôt réelles que personnelles à l’égard du propriétaire,
conservent ce caractère à l’endroit des tiers qui ont trai
té avec le capitaine ou qui sont victimes de sa faute. On
ne saurait donc, dans aucun cas, leur soustraire le gage
que la loi elle-même leur affecte spécialement, et les
renvoyer à se pourvoir contre un affréteur qui pourrait
être insolvable.
Mais le propriétaire tenu envers les tiers aurait un
recours incontestable contre l’affréteur-armateur. Celuici, qui puisait dans son contrat le droit de choisir le ca
pitaine, répond naturellement de l’exercice qu’il en a
�fait. Vainement, prétendrait-il que le propriétaire, ayant
agréé le capitaine, s’en est approprié le choix ; cet agré
ment du fréteur ne peut détruire l’effet de l'élection
spontanément faite par l’affréteur, il ne peut être consi
déré que comme un acte de convenance. Il n’est jamais
présumé fait que sous toutes réserves. C’est donc à ce
dernier qu’incombe la responsabilité des faits de celui
qu’il a réellement imposé. C’est ce que la Cour de Douai
a sagement décidé, à notre avis K
280. — La responsabilité du propriétaire et celle de
l’affréteur, dans notre hypothèse dernière, comprennent
non seulement les faits du capitaine, mais encore ceux
de celui qu’il s’est substitué dans son commandement
pendant la durée du voyage. L’interdiction de se faire
remplacer faite au capitaine et acceptée par lui ne sau
rait être un obstacle à ce résultat. Ulpien ajoute qu’il
devrait en être ainsi alors même que le capitaine se se
rait subrogé la personne qui lui aurait été expressément
interdite : Finge enim et nominatim retm prohibas
se, ne titio magistro UTARis, dicendum, tamen erit eo
usque producendum utilitatem navigantium 2.
L’intérêt de la navigation ! Tel a été, tel est et tel sera
le motif décisif de la sévérité qu’on serait tenté de re
procher à certaines dispositions du législateur, mais celle
dont nous nous occupons n’est que juste. Les tiers qui
1 28 mai 4845. D. P. 45, 2, 4 54.
2 L. 4, § 5, Dig. de exercit. ad.
�408
DROIT MARITIME.
contractent pendant le voyage traitent avec le navire, et
ils ont dû considérer comme ayant le droit de comman
der celui qu’ils voyaient commander en effet. Avaientils les moyens de connaître les accords intervenus entre
l’armateur et le capitaine remplacé, pouvaient-ils même
s’en informer?
D’ailleurs, si on pouvait opposer de pareils accords à
ces tiers, on s’exposerait à des fraudes nombreuses, bien
tôt les propriétaires trouveraient le moyen d’annuler la
responsabilité qui pèse sur eux, en se ménageant d’a
vance l’occasion de s’y soustraire par des conventions
particulières que les capitaines accepteraient ou seraient
forcés d’accepter ; mais le résultat infaillible d’un pareil
étal de choses serait d’aliéner le crédit, d’enlever toute
confiance. Qui se hasarderait désormais à traiter avec le
capitaine dans un lieu éloigné du domicile du proprié
taire et sans son concours formel ?
Ainsi, que le propriétaire ait ou non prohibé les em
prunts à la grosse, qu’il ait ou non interdit le rempla
cement du capitaine, il n’en est pas moins tenu civile
ment des actes, des fautes de celui qui , en fait, com
mandait le navire, sauf son recours contre le capitaine
qui aurait violé ou méconnu ses engagements.
281. — L’entrée et la sortie de certains ports, ha
vres ou rtvières présentent quelquefois des dangers tels
que la conduite des navires opérant l’une ou l’autre doit
être confiée à des personnes de la localité, que des étu
des spéciales, qu’une connaissance approfondie des lieux
�mettent à même de triompher de tous les obstacles. Tel
est le but que la loi s’est proposée par l’institution des
pilotes. Le propriétaire est-il tenu des faits de celui dont
le capitaine a dû emprunter le secours ?
L’affirmative a été consacrée par arrêt de la cour de
Rennes, du 3 août 1633. Cet arrêt se fonde, entre au
tres motifs, sur ce que le pilote n’agit que sous la sur
veillance du capitaine, lequel a le droit de lui faire des
remontrances et d’arrêter la manœuvre si elle est évi
demment mauvaise.
Cs motif est plus que contestable, il est difficile d’ad
mettre que le capitaine puisse contrarier les mesures
prises par le pilote, même sous prétexte que la manœu
vre serait évidemment mauvaise. Cette manœuvre peut
être commandée par la nature de l’obstacle à franchir,
du péril à éviter. Or le pilote connaît les lieux, et com
ment déférer l’appréciation de ses actes au capitaine et
à l’équipage qui sont censés ne pas avoir cette connais
sance.
On retomberait bientôt dans les inconvénients que
l’institution des pilotes a eu pour objet de prévenir. Leur
pouvoir est et doit être à l’abri du contrôle du capitaine,
qui d’ailleurs engagerait gravement sa responsabilité si,
par suite d’ordres contraires et dans leur exécution, le
navire venait à éprouver ou occasionnait à autrui un
préjudice quelconque. C’est ce que la cour de Bordeaux
consacrait lorsqu’elle décidait, par arrêt du 23 février
1829, que le capitaine dont le navire se trouve sous la
conduite de pilotes ne peut s’opposer aux mesures que
�410
DROIT MARITIME.
ces pilotes prennent pour le salut du navire et de la car
gaison.
Mais, si nous attaquons ce motif de la cour de Ren
nes, nous acceptons complètement la solution qu’elle
donne à notre question. Elle a raison d’observer : qu’en
principe, l’armateur est responsable des faits de ses pré
posés à la conduite du navire ; que cette responsabilité
ne saurait cesser par le motif que ces préposés ne peu
vent être choisis que dans une certaine classe d’hom
mes reconnus capables par l’autorité et reçus par elle ;
Qu’ainsi, bien que le capitaine au long cours ne puis
se être choisi par l’armateur que parmi les individus
légalement reconnus capitaines, l’armateur ne répond
pas moins des faits et fautes de celui qu’il emploie ;
Qu’il y a parité de raisons à rendre l’armateur res
ponsable des faits du pilote lamaneur ; que si l’autorité
a, par mesure de prudence et de police, investi un cer
tain nombre de marins à la charge spéciale de diriger
les navires dans la navigation périlleuse de l’entrée des
rivières, ces hommes, lorsqu’il sont employés par l’ar
mateur ou par le capitaine lui-même, deviennent les
préposés de l’armateur ;
Qu’en admettant que le ministère de ces pilotes lamaneurs fût forcé, cette mesure de précaution prise par
l’autorité, dans l’intérêt bien entendu de l’armement et
pour la garantie de l’inexpérience probable du capitai
ne dans la navigation de l’entrée des rivières, ne saurait
être retournée contre les tiers auxquels le navire aurait
fait dommage pendant la présence à bord du pilote la-
�ART.
21 6, 21 7.
maneur, et que pourtant cet inconvénient existerait si
ces tiers n’avaient plus, en ce cas, d’action que contre
les pilotes qui ne sont pas ordinairement fortunés.
En d’autres termes, l’armateur n’ignore pas que, dans
certaines circonstances, le capitaine qu’il choisit ne peut
suffire aux exigences que la sûreté de son navire impo
se ; que ce capitaine devra se faire suppléer par des pi
lotes. Il est, par cela même, censé avoir consenti à em
ployer l’un de ces auxiliaires, et lui avoir confié la di
rection du navire. Il répond donc de ses actes comme
il répondrait du capitaine, qui a dû être momentané
ment remplacé.
282. — Les tiers, fondés à se prévaloir de la res
ponsabilité édictée par l’article &16, ont donc pour obli
gés le capitaine, le propriétaire, et, dans certains cas,
l’affréteur. Ils peuvent diriger leur action contre celui
qu’ils jugent convenable d’attaquer, sauf à se pourvoir
plus tard contre les autres. Il n’en était pas ainsi sous
le droit romain, et le tiers, qui s’était adressé d’abord à
l’un des débiteurs, ne pouvait recourir contre les autres,
en vertu de la maxime : Electa via non datur regressus ad alleram. Mais c’était là une de ces nombreuses
subtilités que notre droit a sagement repoussées. Aujour
d’hui ce recours non seulement n’est pas interdit, mais
il est même forcé dans certaines circonstances.
Ainsi le capitaine, qui a légalement traité en sa qua
lité, n’a pas contracté d’obligation personnelle. Il ne
peut être tenu qu’en cette même qualité et à l’endroit
�412
DROIT MARITIME.
du navire, on ne pourrait donc l’exécuter que sur ce
navire, et la raison indiquait qu’on ne pouvait attein
dre celui-ci qu’après une condamnation contre le pro
priétaire.
Lors donc qu’il s’agit d’un emprunt ou d’une vente
de marchandises pendant le voyage et pour les besoins
du navire, le prêteur ou chargeur pourra poursuivre le
capitaine et le faire condamner à le rembourser. Mais
la condamnation ne pourra être exécutée qu’après qu’il
aura requis et obtenu l’exécution commune du juge
ment contre le propriétaire.
Le capitaine qui a commis une faute, un délit ou un
quasi-délit est personnellement obligé et par conséquent
tenu sur ses propres biens. On pourra donc, après con
damnation, l’exécuter isolément, mais sur ces seuls biens,
Dans ce cas même, on ne saurait faire porter les exécu
tions sur le navire qu’après la déclaration de jugement
commun avec le propriétaire. Il en serait de même pour
l’obligation personnelle que le capitaine contracte parla
signature des connaissements.
285. — L’intérêt du propriétaire à ce que la pour
suite s’exerce collectivement ne saurait être ni méconnu,
ni contesté. Cette poursuite le mettra à même de réali
ser l’action en garantie qu’il peut avoir à exercer contre
le capitaine. Mais cet intérêt, qui autoriserait le proprié
taire à amener le capitaine dans l’instance, ne saurait
suffire à lui donner le droit d’imposer cet appel à son
adversaire. Ce qui lui confère ce droit, c’est la nature de
�art . 2 1 6 , 2 1 7 .
413
son obligation. Civilement responsable, il ne peut être
atteint que si le fait d’où s’induit cette responsabilité,
est contradictoirement établi avec le capitaine qui, seul
d’ailleurs , pourra le plus souvent fournir les explica
tions nécessaires à son appréciation. Aussi a-t-il été jugé
que le jugement ou arrêt, qui déchargerait le capitaine,
déchargerait par cela même le propriétaire K
La mise en cause du capitaine, demandée par le pro
priétaire, devrait donc être accueillie et imposée au de
mandeur.
Il n’en serait pas de même dans le cas où le proprié
taire aurait à réclamer une garantie de l’affréteur-armateur. Le tiers n’est pas tenu de s’en préoccuper. Il ne
connaît, lui, et il peut ne vouloir connaître que le capi
taine et le propriétaire. Les droits que celui-ci peut avoir
contre l’affréteur restent indépendants de son action. En
conséquence, le premier pourra, s’il le juge convenable,
amener le second au procès, mais par voie de garantie
et aux formes et dans les délais ordinaires. Il ne serait
ni recevable, ni fondé à imposer ce soin à celui qui l’at
taque lui-même.
284. — Enfin le propriétaire condamné a toujours
le moyen de se soustraire aux effets de sa condamnation,
en abandonnant le navire et le fret. La loi de 4841 a
définitivement tranché toute controverse à cet égard ;
qu’il s’agisse d’un contrat, ou des conséquences d’un
1 Cass., 28 février 4834.
�414
DROIT MARITIME.
fait, d’une faute, d’un délit même, l’abandon du navire
et du fret libère intégralement le propriétaire.
285. — L’article 216 ne dispose évidemment que
pour les faits du capitaine agissant en cette qualité, et
dans l’accomplissement de la mission spéciale qui lui
est confiée. Mais, à cette mission, le capitaine peut en
joindre une autre, à savoir, la gestion de la cargaison,
ou le soin de se livrer à des opérations commerciales
pour le compte de ses commettants.
Emérigon enseignait que les engagements pris à l’oc
casion de la gestion de la cargaison entraient dans la
catégorie des faits dont les propriétaires pouvaient décli
ner la responsabilité, mais à la charge d’abandonner,
outre le navire et le fret, la cargaison tant d’entrée que
de sortie, ou du moins d’en tenir compte ; qu’il suffirait
que les propriétaires-armateurs n’eussent pas profité des
engagements de leur capitaine, et que leur fortune de
terre n’en fût pas devenue plus opulente l.
Nous en demandons pardon à ce grand maître. Cette
doctrine n’était, à notre avis, ni dans le texte, ni dans
l’esprit de l’ordonnance, elle ne tendait à rien moins
qu’à consacrer une cession de biens partielle que rien
n’autorisait, alors pas plus qu’aujourd’hui.
L'abandon, en matière d’engagements contractés par
le capitaine en sa simple qualité, se justifie par le motif
si rationnellement indiqué par Emérigon lui-même, à
1 C o n tra ts
à la gro sse,
chap. ïv, sect. xi, § 3.
�ART. 2 1 6 , 2 1 7 .
4.15
savoir, que le mandat de commander un navire n’est et
ne peut être relatif qu’à la direction et à l’administration
du navire lui-même, et ne peut s’étendre aux au 1res
biens. On a donc pu, dans l’intérêt général de la navi
gation, en restreindre les effets au navire et au fret.
Mais confier à un tiers la gestion d’une cargaison,
c’est lui conférer non plus un droit d’administration,
mais le droit de disposition. En vertu de ce mandat, il
pourra la vendre, la réaliser, en tirer parti au nom et
dans l’intérêt du propriétaire, comme il le ferait lui-mê
me. C’est rentrer dans le mandat ordinaire, en consti
tuant un commis pour la gestion de ses intérêts.
C’est dès lors accepter toutes les conséquences de cette
gestion. L’article 216, purement spécial, parce que le
mandat dont il s’occupe est exceptionnel, ne saurait de
venir l’origine d’une dérogation à la règle générale du
mandai ordinaire.
Personne ne contesterait cette conséquence, si la ges
tion de la cargaison avait été confiée à un autre qu’au
capitaine, ce qui est assez dans l’usage du commerce.
Evidemment les propriétaires de la cargaison ne pourT
raient éluder les conséquences des engagements pris par
le subrecargue qu’ils auraient placé à bord. Ils ne pour
raient. sous aucun prétexte, invoquer l’article 216, qui
serait d’autant plus inapplicable que ces propriétaires ne
seraient que des affréteurs n’ayant aucun droit sur le
navire. Comment donc en serait-il autrement parce que
le double mandat de capitaine et de gesteur aurait été
réuni sur la même tête ?
�Les deux mandats n’en diffèrent pas moins dans leurs
causes et dans leurs effets immédiats. Le premier n’af
fecte que le navire, le second se réduit à la cargaison et
n’atteint celui-ci que comme tout autre partie de l’actif
du débiteur.
Donc, tout ce qui naîtra de cette réunion sera la né
cessité de distinguer les causes de l’engagement, dont
l’exécution est poursuivie. Cet engagement se réfère-t-il
aux fonctions de capitaine, la responsabilité du proprié
taire s’effacera par l’abandon du navire et du fret. A-til été souscrit pour la gestion de la cargaison, cette res
ponsabilité sera indéfinie, la loi n’autorisant nulle part
l’abandon de celle-ci?
I
■
286. — À plus forte raison, en serait-il ainsi si le
capitaine avait été expédié dans un pays quelconque avec
mission d’y faire pour les armateurs des opérations de
commerce, et de s’y livrer à des spéculations convenues.
Tous les engagements qu’il aurait contractés à raison
des unes ou des autres pèseraient indéfiniment sur les
armateurs, qui ne seraient ni recevables, ni fondés à in
voquer le bénéfice de l’article 216,
Tel est l’avis de M. Boulay-Paty \ qui cependant se
prononce pour la doctrine d’Emérigon dans le cas du
concours des fonctions de capitaine et de subrecargue.
C’est là une contradiction flagrante que rien ne justifie.
Que le mandat de négocier doive être exécuté en dehors
1 T. \ , p. 287 et suiv.
�ou à l’occasion de la cargaison, il n’en conserve pas
moins son caractère, il n’en reste pas moins distinct de
celui résultant de la qualité de capitaine, on ne saurait
donc, dans aucun cas, les confondre.
Concluons donc que toutes les fois que le capitaine
réunit des fonctions diverses, il se trouvera, à l’endroit
de chacune d’elles, dans la même position que tout au
tre mandataire. L’application de l’article 216 ne pour
ra jamais être invoquée que pour les engagements uni
quement relatifs à la direction et à l’administration du
navire.
287. — Les faits du capitaine, dont la responsabi
lité peut être répudiée par l’abandon du navire et du
fret, comprennent ceux de l’équipage, dont le capitaine
est responsable. On avait sans succès soutenu le contrai
re. L’article 216, disait-on, autorise bien le propriétaire
du navire à s’affranchir des faits du capitaine, mais il
ne dit rien quant à la responsabilité des faits de l’équi
page. Cependant celui-ci est composé de personnes qui,
de même que le capitaine , sont agents ou préposés de
l’armateur et dont celui-ci est également responsable.
Celte responsabilité est de drbit commun, et l’artice 216,
qui permet de s’en affranchir quant aux faits du capi
taine, est une disposition exceptionnelle qui ne peut être
étendue d’un cas à un autre. Donc, la règle générale,
qui veut que l’armateur réponde de ses préposés, sub
siste dans^toute sa force, quand il s’agit de matelots ou
de tous autres que le capitaine.
i — 27
�418
DROIT MARITIME.
Ainsi la loi, qui n’a pas voulu que le propriétaire pût
être ruiné par le capitaine, aurait reconnu ce pouvoir à
un matelot, à un simple mousse. Cette conséquence peutelle se concilier avec les considérations qui présidèrent
à l’adoption de la loi de 1841 ?
Le tribunal de commerce de Marseille ne l’a pas ad
mis, et avec beaucoup de raison. Si l’article 216, dit-il,
ne parle pas de l’équipage , c’est qu’il a considéré les
faits de ceux qui le composent comme les faits du capi
taine qui les a choisis, qui les commande, et qui par là
doit en répondreL
L’abandon du navire et du fret est donc recevable,
que la faute, le fait, le délit ou le quasi-délit soit im
putable à l’équipage ou au capitaine lui-même. J)ans
aucun cas, le propriétaire ne peut, par les résultats de
la navigation, être engagé sur ses autres biens et au-delà
du navire lui-même. Cette faculté est donc du plus haut
intérêt, non seulement pour le propriétaire, mais encore
à l’endroit des créanciers dont elle peut considérable
ment réduire et même anéantir le gage. Aussi en a-t-on
contesté la recevabilité dans plusieurs cas.
288. — En règle générale, l’abandon peut être of
fert et réalisé en tout état de cause, tant que le proprié
taire n’y a pas expressément renoncé. Cette volonté s’in
duirait d’actes inconciliables avec l’exercice de cette fa
culté. Telle serait l’acceptation que le propriétaire donI 16 octobre 1833 ; Jo u rn a l de M a n eille , t. U , I, 48.
�ART. 2 1 6 , 2 1 7 .
4.19
nerait à des lettres de change tirées sur lui par le capi
taine, et souscrites pour règlement de l’indemnité con
venue ou de l’emprunt contracté.
289. — En serait-il de même de la simple approba
tion mise au bas d’un billet de grosse souscrit par le ca
pitaine ? La cour d’Aix a jugé la négative par arrêt du
26 mars 1818. Cette simple approbation, dit la Cour,
ne confère au prêteur que le privilège sur le corps du
navire, conformément à l’article 321, et n’opère aucu
ne obligation personnelle contre le propriétaire dont il
ne puisse plus s’affranchir par l’abandon du navire et
du fret.
Cet arrêt fait-il une juste application de la loi ? Ce qui
permet, à notre avis, d’en douter, ce sont les motifs qui
ont fait consacrer l’article 216. Si le propriétaire ne peut
être engagé par les faits du capitaine, ce n’est qu’en vue
de leur position respective, et de l’impossibilité dans la
quelle le premier se trouve de contrôler utilement les ac
tes du capitaine. Cela est incontestable lorsque celui-ci
a contracté et agi pendant le voyage et à des distances
plus ou moins considérables. Il est certain dans ce cas
qu’on peut dire au prêteur qu’il n’a traité que sur la ga
rantie du navire, du fret et de l’obligation personnelle
du capitaine, s’il a cru devoir l’exiger.
Mais peut-on en agir ainsi dans l’hypothèse de l’ar
ticle 321, lorsque le propriétaire a autorisé formelle
ment l’emprunt ou concouru à l’acte ? N’est-ce pas lui
qui a emprunté directement, et dès lors autoriser l’a-
�420
DROIT MARITIME.
bandon, n’est-ce pas le relever des conséquences de son
propre fait ?
Vainement dit-on que les formalités de l’article 321
ne tendent qu’à conférer le privilège sur le corps du na
vire et le fret, mais ces formalités sont indispensables
pour la constitution légale de la créance, à tel point
qu’en cas d’inobservation le propriétaire n’est pas obligé
et n’a en conséquence aucun besoin de recourir à l’a
bandon.
Dès lors l’approbation seule du propriétaire le consti
tuant débiteur, nous avons raison de dire que lui con
céder en cet état la faculté de se libérer par l’abandon
du navire et du fret, c’est non plus l’exonérer des faits
du capitaine, mais l’affranchir des effets de sa propre
obligation.
Quoi qu’il en soit, et en admettant que la doctrine de
l’arrêt doive être suivie, au moins faudrait-il la restrein
dre à l’hypothèse de l’article 321, c’est-à-dire au cas
où l’approbation est requise pour la perfectibilité de
l’emprunt. Dès lors celle que le propriétaire ferait du
billet de grosse valablement contracté par le capitaine
seul ne pourrait être, à notre avis, considérée que com
me la ratification pure et simple du fait du capitaine,
que comme l’acceptation spontanée de l’engagement par
lui contracté, faisant obstacle à tout abandon ultérieur.
290 . — Dans une autre espèce, on soutenait devant
le tribunal de commerce de Marseille que l’offre du pro
priétaire d’abandonner le navire et le fret n’était plus
�art. 2 1 6 , 2 1 7 .
m
recevable après un règlement d’avaries communes pro
voqué par le capitaine, et opéré au lieu de décharge,
mais hors du lieu de la demeure du propriétaire et sans
sa participation. Une autre fin de non recevoir était ti
rée de la saisie du navire antérieurement à l’offre.
A l’appui de la première, on soutenait qu’il importait
peu que le propriétaire eût ou non participé au règle
ment. La connaissance qu’il a eue de la procédure, di
sait-on, ei le silence qu’il a gardé équivalent à une par
ticipation, et lui rendent, dès lors, cette procédure per
sonnelle.
Quant à la saisie, on ajoutait qu’elle avait dépouillé
le propriétaire de ses droits ; qu’il ne pouvait donc plus
abandonner une chose qui avait cessé de lui appartenir,
Mais cette double fin de non recevoir fut repoussée.
Le tribunal considère, d’une part, que la saisie opère
seulement la séquestration et non l’expropriation ; que
dès lors l’abandon fait après la saisie, ayant pour objet
une chose encore appartenant à celui qui offre de le réa
liser, pouvait et devait être admis.
Sur le règlement d’avaries, le tribunal considère que
le propriétaire n’ayant pas figuré dans l’instance, on ne
saurait en exciper contre lui ; qu’on pourrait d’autant
moins s’en prévaloir d’ailleurs pour contester l’abandon;
que ce n’est qu’à la suite des jugements portant règle
ment qu’un propriétaire-armateur de navire peut con
naître le véritable état des choses et délibérer, en suffi
sante connaissance , sur le parti qu’il lui convient de
�don avant le règlement des comptes et créances l.
Le principe invoqué devant le tribunal, à savoir, qu’on
ne saurait abandonner ce qu’on ne possède plus, n’a
pas été et ne pouvait pas être contesté, seulement son
application exige qu’il y ait désinvestissement réel, et
le tribunal refuse de trouver ce désinvestissement ou
mieux encore cette dépossession dans le fait unique de
la saisie.
Mais si cette saisie, légalement poursuivie, avait été
suivie de l’adjudication , la dépossession serait complète
et effective, dès lors tout abandon ultérieur serait irre
cevable, parce qu’il n’aurait plus d’objet. C’est ce que le
tribunal de commerce de Marseille et la cour d’Àix ont,
à diverses reprises, formellement consacré2.
291. — Mais ce principe reçoit exception dans le cas
où la perte du navire est le résultat d’une fortune de
mer. Elle n’est plus alors un obstacle à l’abandon, et le
propriétaire poursuivi peut le réaliser encore, alors mê
me qu’au lieu d’être seulement innavigable, le navire
aurait été englouti dans les flots.
Il y a mieux encore dans cette hypothèse, l’abandon
peut être réalisé même après le délaissement aux assulette règle, aujourd’hui unanimement admise en
s et en jurisprudence, est fondée sur les carac1 30juin 4828. J o u r n a l de M arseille, t. 9, 4, p. 493.
2 26 mars 4825, 25 janvier 4832
�'
art.
■'
2 1 6 , 21 7.
423
tères et les effets respectifs de l’abandon et du délaisse
ment.
Le premier n’est jamais translatif de propriété, ce qui
en résulte est pour le propriétaire du navire la libéra
tion de toutes les obligations, de tous les faits contractés
par le capitaine ou commis par lui ; pour les créanciers,
c’est le cantonnement de leurs droits qui ne changent
pas de nature et qui restent, après comme avant l’aban
don, des simples droits de créance.
Le délaissement, au contraire, confère aux assureurs
la propriété des choses qui en font la matière. Mais cette
propriété n’est transférée que dans l’état où elle se trou
ve au moment du délaissement, et les assureurs, subs
titués au droit des propriétaires, se trouvent également
substitués à toutes leurs obligations.
La raison juridique de cette double substitution, c’est
que, par la réalisation du sinistre faisant l’objet de l’as
surance, les assureurs prennent la place de l’assuré dès
le commencement du voyage. C’est pour leur compte et
à leurs risques et périls que le voyage est présumé s’être
accompli, que le navire a navigué, ils doivent donc sa
tisfaire à toutes les charges dont cette navigation et ce
voyage sont devenus l’origine. Ils répondent des faits du
capitaine, devenu le leur, et ils ne peuvent à leur tour se
libérer des effets de cette responsabilité que comme l’as
suré aurait pu le faire lui-même, c’est-à-dire par l’a
bandon du navire et du fret.
En réalité donc, le délaissement ne fait que substi
tuer un débiteur à un autre, l’abandon arrivant après
�424
DROIT MARITIME.
n’est que le moyen offert aux créanciers de se faire payer
par le débiteur nouveau contre lequel ils ne sauraient
recourir qu’après l’abandon. Le délaissement n’occa
sionne donc aucun grief, aucun préjudice aux créan
ciers, car la chose sur laquelle ils ont seulement à exer
cer leurs droits, ils la trouveront aux mains des assu
reurs dans l’état même où elle se serait rencontrée en
tre les mains du débiteur primitif, et ils pourront l’exé
cuter comme ils auraient pu le faire avant le délaisse
ment.
Sans doute, la vente sur saisie n’a pas d’autre résul
tat que de substituer un propriétaire à un autre, mais,
dans ce cas, l’acheteur reçoit le navire franc et libre de
toutes charges, il n’est tenu qu’au paiement du prix.
C’est donc tout au plus celui-ci que l’ancien propriétaire
pourrait abandonner, ce que l’article 216 ne saurait au
toriser.
292. — Quelques auteurs subordonnent la faculté
d’abandon après délaissement au cas où cet abandon
porte sur des créances valablement et légalement con
tractées par le capitaine. Les assureurs, à leur avis, ne
pouvant répondre de ses faits , fraude , délit ou quasidélit, que s’ils ont garanti la baraterie du patron. Mais
cette distinction est repoussée par la fiction dont nous
parlions tout à l’heure. Le délaissement ayant pour ef
fet de faire remonter l’obligation des assureurs au mo
ment du départ, ils sont tenus des conséquences d’un
voyage qui s’est réalisé à leurs risques et périls, ainsi
que des faits du capitaine qui est présumé le leur.
�Au reste, c’est à tort qu’on a placé M. Boulay-Paty au
nombre de ceux qui soutiennent cette distinction, ce que
cet honorable professeur enseigne, c’est que la respon
sabilité des assureurs souffre encore moins de difficul
tés lorsque ils ont pris à leurs risques la baraterie du
patron, ce qui ne l’exclut nullement dans le cas con
traire.
292 kis. — Dans une espèce jugée par la cour d’Al
ger on a prétendu que l’abandon était non recevable
parce que l’armateur avait d’abord invoqué trois excep
tions contre la demande des chargeurs ; ensuite parce
qu’il avait fait procéder au sauvetage du navire et de la
cargaison.
La première de ces fins de non recevoir était, évidem
ment sans fondement juridique. Il est certain que l’a
bandon ne devient nécessaire et utile que si la dette
existe, que si l’armateur en est responsable. La consé
quence logique est donc qu’on ne saurait dès lors lui
contester le droit préjudiciel de discuter la poursuite
dont il est l’objet, de soutenir qu’il n’y a pas de dette,
ou que, si elle existe, elle doit lui demeurer étrangère.
Pourquoi, en effet, abandonnerait-il son navire et le
fret s’il n’était tenu de rien ?
L’abandon n’est qu’un mode spécial de paiement qui
présuppose nécessairement une dette due et certaine.
Sans doute l’armateur peut ne pas user de la faveur que
lui fait la loi , mais cette intention ne se présume pas
facilement. Elle ne peut s’induire que d’un fait l’éta
blissant d’une manière positive.
�m
DROIT MARITIME.
Or comment reconnaître ce fait si l’armateur n’a, jus
qu’au moment où il signifie l’abandon, que contesté la
dette, que soutenir qu’il ne saurait en être responsa
ble ? Lui contester le droit après qu’il a succombé sur
ces exceptions serait lui interdire l’exercice du privilège
précisément au moment où il lui est utile et nécessaire.
La cour d’Alger ne pouvait donc hésiter et, en re
poussant cette fin de non recevoir, elle se conformait à
une jurisprudence jusque-là constante.
Ainsi, par arrêt du 31 décembre 1856 , la Cour de
cassation déclarait que l’article 216 ne fixant aucun dé
lai pour l’exercice de la faculté d’abandon, cet abandon
peut être admis tant qu’il n’est intervenu aucun fait
duquel on puisse induire que l’armateur a renoncé à
son droit.
« Qu’une semblable renonciation ne peut s’induire
ni de ce que l’armateur, actionné en dommages-inté
rêts pour perte de marchandises, a défendu au fond, ni
de ce que l’armateur a employé le navire à un voyage
postérieur à celui dans lequel a eu lieu la perte des mar
chandises, si ce n’est que depuis ce nouveau voyage
commencé que l’armateur a été actionné en dommagesintérêts, et que par suite il a pu proposer l’abandon du
navire h »
Il est vrai que dans celte espèce l’armateur avait
conclu simultanément au fond et à l’abandon, mais ne
l’eût—il pas fait qu’on n’aurait pu déclarer cet abandon
1 J. du P., 1857, 522.
4
�ART. 2 1 6 , 2 1 7 .
427
non recevable. C’est ce qui s’induit des considérations
que nous venons d’exposer et que la cour d’Àix consa
crait en jugeant, le 2 mars 1865, que l’abandon peut
être fait en tout état de cause et pour la première fois
en appel1.
La renonciation à l’exercice de la faculté d’abandon
ner le navire et le fret pouvait-elle s’induire, comme on
le soutenait devant la cour d’Alger, de ce que l’armateur
avait fait procéder au sauvetage du navire et de la car
gaison ?
La négative ne pouvait souffrir aucun doute. En agis
sant ainsi, dit avec raison l’arrêt, l’armateur n’avait fait
que ce qu’il était de son devoir de faire ; on conçoit, en
effet, que vu la saison où l’on se trouvait, il y avait ur
gence à retirer du navire et de la mer tout ce qui pou
vait être sauvé , puisqu’il était à craindre que le moin
dre coup de mer, si fréquents à cette époque de l’année,
ne vînt à tout disperser ; ce qui a été fait constitue donc
un acte de bonne administration, et il serait vraiment
extraordinaire que le chargeur qui seul en profite, et
dans l’intérêt duquel il s’est opéré, pût y puiser un grief
contre l’armateur.
Ces deux fins de non recevoir n’avaient donc rien de
sérieux et devaient être repoussées. Au fond, les char
geurs qui avaient traité, non avec le capitaine, mais
avec l’agent de la Compagnie à Oran, soutenaient que
celle-ci, directement engagée, était en réalité à leur
i
Ibid.,
<866, 354.
�428
DROIT MARITIME.
égard un simple commissionnaire de transports régi par
les articles 96 et suivants du Code de commerce ; que
par conséquent elle ne pouvait se prévaloir de l’article
216 ; que dans tous les cas propriétaire et capitaine du
navire, elle se trouverait dans l’exception prévue par ce
même article.
Il est reconnu et admis que les règles que le livre vi
du Code de commerce édicte pour les commissionnaires
de transports par terre et par mer ne s’appliquent pas
à la grande navigation. Celle-ci est exclusivement régie
par le livre ii du même Code relatif au commerce ma
ritime.
Les propriétaires de navires à bord desquels ils em
barquent et transportent les marchandises qui leur sont
confiées, sont, non des commissionnaires, mais des ar
mateurs, et comme tels on ne saurait leur refuser de se
prévaloir de l’article 216 et d'user de la faculté qu’il
édicte en leur faveur.
Cette faculté puisait sa raison d’être dans l’impossi
bilité où se trouve placé le propriétaire du navire de
présider lui-même au transport, dans la nécessité de le
confier à un capitaine. Sans doute ce capitaine est de
son choix, mais ce choix est restreint et ne peut tomber
que sur un de ceux à qui l’Etat a reconnu cette qualité
ce qui ne pouvait pas empêcher qu’il ne répondit de la
faute, du délit ou du quasi-délit de celui qu’il a préposé.
Mais dans la détermination des effets de cette res
ponsabilité, on ne pouvait oublier que la distance et
l’éloignement apportent le plus invincible obstacle à ce
�429
*' ART. 2 1 6 , 2 1 7 .
que l'armateur surveille exactement le capitaine et puis
se le révoquer à temps. Il était donc juste de lui tenir
compte de cette impossibilité.
Il y avait d’ailleurs pour cela la plus impérieuse des
raisons, l’intérêt public et général. Les services que la
navigation rend au commerce et à l’industrie exigeaient
impérieusement qu’on n’omit rien de ce qui pouvait la
favoriser et l’encourager. Or, si la responsabilité de l’ar
mateur s’étendait à sa fortune de terre, c’en était fait de
la navigation. Qui eût osé en braver les périls et les dan
gers, si la faute, le délit ou le quasi-délit du capitaine
devenait pour le propriétaire l’origine d’une ruine com
plète, absolue, inévitable? C’est là précisément ce que
l’article 2H6 a fort justement prévenu et entendu pré
venir.
Ce qui est nécessaire et juste pour un armateur quel
conque, ne pouvait pas ne pas l’être pour la Compagnie
nationale des Messageries. Celle-ci ne fait que ce que
fait celui-là. Elle ne s’en distingue que par l’étendue
et l’importance des services que ses nombreux navires
rendent à la navigation et au commerce. C’était là une
circonstance qui en rendait l’existence plus précieuse,
plus nécessaire encore , et si on la plaçait dans l’excep
tion qu’on réclamait contre elle cette existence devenait
impossible, et la ruine de tous les intéressés imminente.
On peut en juger par ce seul fait : devant la cour d’Al
ger elle justifiait qu’un seul de ses paquebots venait
d’importer de l’Indo-Chine un chargement de balles de
soie d’une valeur de vingt millions. Que serait-elle donc
�430
DROIT MARITIME.
devenue si ce chargement, ayant péri par la faute du
capitaine, elle eût dû en répondre sur sa fortune de
terre ?
Maintenant qu’importait que, dans l’espèce, les char
geurs eussent traité, non avec le capitaine, mais avec
son agent? Mais le capitaine n’était lui-même que son
agent, et n’est-ce pas pour cela qu’elle répondait de ses
fautes?
Si, à l’origine du contrat, le capitaine n’est que l’a
gent, que le mandataire de l’armateur, il devient dans
l’exécution partie distincte et nécessaire, si bien qu’il
répond directement et personnellement des marchandi
ses qu’il reçoit ; que l’armateur n’est que civilement
responsable. C’était justice, puisque n’ayant pas le droit
de diriger et de commander le navire, il est forcé de
s’en remettre au capitaine.
N’est-ce pas d’ailleurs celui-ci qui reçoit la marchan
dise, qui en signe et en délivre les connaissements?
Donc, en acceptant ces connaissements, les chargeurs
traitent directement avec lui et ne peuvent ignorer ni
que l’armateur, .quel qu’il soit, n’est que civilement res
ponsable, ni qu’il pourra se libérer de cette responsabi
lité par l’abandon du navire et du fret.
Quant à l’objection que la Compagnie nationale était
en même temps propriétaire et capitaine du navire, elle
était insoutenable en fait et ne pouvait manquer d’être
repoussée.
La cour d’Alger ne pouvait donc hésiter et n’hésite
pas. Elle déboule les chargeurs de toutes leurs excep-
�ART. 216, 217.
451
lions, et déclare admissible l’offre de la Compagnie im
périale d’abandonner le navire et le fret.
« Attendu, dit l’arrêt, que pour repousser l’abandon
qu’offre la Compagnie nationale, les sieurs Sarrat,
Moutte et Lescure prétendent que ladite Compagnie n’est
pas un armateur, mais,un simple commissionnaire dont
les engagements se trouvent dès lors réglés par les ar
ticles 98 et suivants du Code de commerce, et qu’ils
soutiennent que, dans tous les cas, elle se trouverait
placée dans l’exception prévue par l’article 216 lui-mê
me qu’elle invoque ;
« Attendu, sur la première objection, qu’en droit,
la loi reconnaît deux sortes de commissionnaires, les
uns par terre et par eau, les autres par voie de mer ;
que ces derniers sont parfaitement distincts des pre
miers ; qu’ils prennent, en effet, le nom d’armateurs et
sont régis par des dispositions particulières ;
» Attendu, cela étant, que le transport dont il s’agit
ayant eu lieu par mer, on ne voit pas pourquoi la Com
pagnie des Messageries nationales serait, comme le veu
lent les intimés, régie, pour ce fait, par les articles de la
loi relatifs à ceux qui ont lieu par terre; qu’il n’y a, en
effet, aucune raison pour qu’il en soit ainsi ;
» Que loin de là, il suffît de constater l’esprit qui a
présidé à l’introduction dans le Code de commerce de
l’article 216 pour être convaincu que, sauf les exceptions
par lui prévues, il est nécessairement applicable à tout
propriétaire de navire, quelle que puisse être sa condi
tion exceptionnelle, qui navigue sur mer ; que c’est ef-
�432
DROIT MARITIME.
fectivement dans un but de haute politique et pour fa
voriser l’extension de la navigation qu’il a été édicté ;
» Que cela est si vrai que la première rédaction ayant
donné lieu à des interprétations et à des décisions pou
vant être nuisibles à cette même navigation, le gouver
nement a cru devoir proposer et faire voter la loi du 14
juillet 1841, par suite de laquelle, depuis lors, les pro
priétaires de navires peuvent s’affranchir, par l’aban
don, de toute responsabilité, non seulement en ce qui
touche les faits illicites du capitaine, mais encore en ce
qui concerne les faits licites en eux-mêmes.
» Qu’en cet état, il serait vraiment étrange qu’une
Compagnie qui a lancé sur les mers un si grand nom
bre de navires et dont il importe dès lors, dans le but
que le législateur a voulu atteindre, de favoriser le dé
veloppement, fût précisément exclue du bénéfice de la
loi, et fût rangée dans la catégorie des simples com
missionnaires ;
» Que cela ne saurait être ; que la décision des pre
miers juges doit donc être infirmée sur ce point ;
» Que, sans doute, adoptant à un point de vue le
système de résistance des sieurs Sarrat, Moutte et Lescure, ils ont appuyé leur jugement sur cette circonstan
ce ; qu’alors même que l’article 216 serait applicable en
principe’, la susdite Compagnie ne pourrait point l’in
voquer par le motif qu’elle serait tout à la fois proprié
taire et capitaine de ses navires ; mais qu’en fait et en
droit, c’est là une erreur évidente ;
» Attendu, en effet, que quelle que soit l’organisation
�particulière et, si l’on veut, exceptionnelle de la Compa
gnie en instance, on ne peut cependant contester qu’en
dehors des membres qui la composent elle a des capi
taines ayant mission spéciale et exclusive de diriger ses
navires ; qu’on ne peut pas nier non plus que, s’il est
vrai que les capitaines sont à son choix, elle ne peut ce
pendant les prendre que parmi les individus ayant les
qualités requises et obligatoires ;
» Qu’il est constant, enfin, qu’une fois le capitaine
à bord, il n’y a plus, en ce qui touche la Compagnie
dont il s’agit, ainsi que cela a lieu à l’égard de tous au
tres propriétaires distincts et séparés, qu’une seule vo
lonté, qu’une seule direction, celle que le capitaine croit
devoir donner au navire qui lui est confié ;
» Attendu, cela étant, que, soutenir que la Compa
gnie est en même temps son capitaine, c’est nier l’évi
dence, c’est en outre incontestablement méconnaître les
véritables principes en celte matière :
» Qu’à la vérité on oppose qu’à terre, soit pour les
chargements, soit pour les déchargements, on n’a pas
affaire audit capitaine mais bien uniquement à la Com
pagnie ; mais que cela importe peu dès le moment qu’il
appert, de tous les connaissements eux-mêmes, que tout
est fait au nom et pour le capitaine ; que celte circons
tance ne serait pas d’ailleurs de nature à enlever à ce
dernier sa personnalité et à le confondre avec la Com
pagnie dont il a reçu le mandat. »
Le pourvoi contre celle décision avait été admis par
la Chambre des requêtes ; mais la chambre civile le rei — 28
�DROIT MARITIME.
434
jetait le 22 mai 4867, revêtant ainsi de sa haute sanc
tion la doctrine de la cour d’Alger.
Après avoir rappelé et constaté le caractère général et
absolu de la faculté accordée par le premier § de l’arti
cle 216, la Cour suprême considère :
« Qu’en vain les demandeurs opposent, en remon
tant à l’origine du contrat, que les marchandises ayant
été remises à la Compagnie qui se serait directement
obligée à faire le transport maritime, il s’agirait, non
plus d’un engagement du capitaine, mais d’un engage
ment personnel du propriétaire lui-même ; que, d’une
part, l’objection manque en fait, en ce que l’arrêt atta
qué constate que le contrat intervenu dans les condi
tions habituelles chaque fois que l’expédition est faite du
lieu de la demeure de l’armateur ou de son fondé de
pouvoir, a été formé, sinon avec le capitaine lui-même,
au moins pour son compte et en son nom , ainsi qu’il
appert de tous les connaissements ;
» Que, d’autre part, elle n’est pas fondée en droit ;
qu’en effet, l’armateur ou le propriétaire, obligé, pour
exécuter le contrat, de charger des marchandises sur un
navire dont la conduite ne lui appartient pas, ne sau
rait être considéré, même quand il a reçu ces marchan
dises à l’origine, comme obligé personnellement ; que
sa personnalité s’efface devant celle du capitaine, son
préposé, auquel il ne peut se dispenser de confier l’exé
cution, et que, dès lors, les marchandises venant à périr
en mer par la faute du capitaine, il n’y a aucun motif
de distinguer, au point de vue du droit d’abandon con-
�sacré par l’article 216, entre celte hypothèse et celle où
le chargeur a traité directement avec le capitaine, le pro
priétaire n’étant tenu, dans l’une comme dans l’autre,
qu’en sa qualité de propriétaire responsable des faits de
ce dernier L »
On remarquera que la Cour de cassation ne s’expli
que pas sur l’objection tirée de ce que la Compagnie
était en même temps propriétaire et capitaine de ses na
vires. Ce silence s’explique par ce fait qu’on ne la sou
tenait plus devant elle, on en avait donc reconnu l’ina
nité et rendu hommage à cette proposition de la cour
d’Alger qu’elle était essentiellement contraire à la raison
et au droit.
Si, parce que l’armateur choisit le capitaine, il était
censé commander le navire, le droit d’abandon ne trou
verait jamais à s’exercer, car le premier soin de celui
qui arme un navire est de lui choisir un capitaine.
L’effet unique de ce choix est et ne peut être que l’obli
gation de répondre des fautes, des délits et des quasidélits de ce capitaine, et c’est précisément en vue de
celte responsabilité que l’article 216 a été édicté. Si le
capitaine n’était pas l’homme de l’armateur , à quel ti
tre infligerait-on à celui-ci la responsabilité des fautes
de celui-là.
A l’appui du sy-lème repoussé par la Cour de cassa
tion, on invoquait l’arrêt qu’elle avait rendu le 30 août
1859. Mais cet arrêt ne faisait autre que décider que
�436
DROIT MARITIME.
l’article 216 ne s’appliquait pas aux engagements per
sonnels de l’armateur. Dans cette espèce il s’agissait
d’un matelot réclamant son salaire, et comme l’équipa
ge avait été formé dans le lieu de la demeure de l’ar
mateur, la Cour suprême induisait de l’article 223 que
l’armateur avait concouru ou était présumé avoir con
couru à sa formation, et faisait résulter de ce concours
son engagement personnel1.
Conclure de la reconnaissance de cet engagement
qu’on devait également l’admettre contre la Compagnie
et en faveur des chargeurs était, on le voit, impossible.
L’arrêt de 1859 ne pouvait donc exercer aucune auto
rité sur le litige, et bien certainement celui de 1867 ne
s’explique et ne se justifie que par l’absence de tout en
gagement personnel de la part de l’armateur.
Concluons donc que toutes les fois que celui-ci n’est
tenu que comme civilement responsable du capitaine,
il est recevable et fondé à se libérer par l’abandon du
navire et du fret, et que cet abandon peut être offert en
tout état de cause , après comme avant toute plaidoirie
sur le fonds, à moins que l’armateur se le soit formel
lement ou tacitement interdit.
293. — L’abandon ne peut être réalisé que par le
propriétaire. Celui-ci, nous l’avons déjà dit, ne peut
être que celui qui figure comme tel sur l’acte de franci
sation. Ne fût-il pas seul propriétaire, que l’abandon
I Ibid., 4860, 466
�ART. 216, 217.
437
fait par lui serait valable tant pour les créanciers qu’à
l’endroit des copropriétaires, sauf sa responsabilité visà-vis de ces derniers, en cas d’inopportunité ou de col
lusion.
Si l’acte de francisation indique plusieurs propriétai
res, l’entier navire ne peut être abandonné que par tous.
L’abandon n’est pas une mesure d’intérêt commun
sur laquelle l’article 220 appelle la majorité à se pro
noncer obligatoirement. Sans doute les actionnaires peu
vent se réunir et délibérer , mais chacun d’eux est ap
pelé à faire ce qui lui parait préférable, et ne serait li
béré que par l’abandon fait par lui ou par un manda
taire spécial dûment autorisé.
Ainsi, dit M. Duvergier, si la majorité vote pour la
conservation du navire, tous ceux qui ont été d’un avis
contraire ne peuvent pas être privés de la faculté de fai
re l’abandon de leur intérêt particulier. Cette doctrine
est approuvée par M. Dalloz, d’abord parce que l’arti
cle 216 ne fait nul obstacle à un abandon partiel, que
le contraire résulte de cette circonstance : que les faits du
capitaine n’engagent que le navire et le fret, d’où la con
séquence que les coïntéressés ne répondent chacun que
de sa part et portion dans l’un et dans l’autre ; ensuite
parce qu’en usant du bénéfice de l’article 216 ils n’ag
gravent nullement le sort des plus forts intéressés, les
quels n’auront, après comme avant, à supporter que la
part des dettes afférant à leur part de propriété 1.
i N ouveaurép., v.
D r. m a r i l ,
n° 217,
�438
DROIT MARITIME.
294. — Aux termes de noire article, l’abandon doit
comprendre le navire et le fret, c’est-à-dire que les pro
priétaires du navire ne sauraient être fondés à retenir
ce dernier, et à réaliser ainsi un profit d’un voyage réel
lement onéreux. On a bien pu, par les motifs que nous
avons indiqués, les exonérer sur tous leurs autres biens,
mais il eût été inique de leur permettre de s’attribuer
le bénéfice de l’opération dont ils répudient les charges.
Le navire et le fret doivent donc être abandonnés aux
créanciers. Mais c’est là tout, et ceux-ci ne peuvent, dans
aucun cas, exiger autre chose. Ainsi , si le propriétaire
du navire était en même temps propriétaire de la car
gaison, il ne serait pas tenu d’abandonner celle-ci, les
créanciers ne pourraient ni la saisir, ni la fuire vendre,
tout ce qu’ils seraient fondés à exiger , c’est le fret que
cette cargaison aurait eu à payer si elle avait été réali
sée par un étranger. Le prix de ce fret serait facilement
établi par le cours de la place au moment du charge
ment.
294 bis. — La nécessité d’abandonner le fret conduit
à cette double conséquence : 1° obligation pour le pro
priétaire du navire de restituer tout ce qu’il a reçu à ce
titre ; 2° celle de subroger le créancier à tous ses droits
et actions pour en contraindre ce paiement s’il est en
core dû.
Dans cette dernière hypothèse, aucun doute ne sau
rait surgir si ce paiement doit être exigé de l’affréteur et
poursuivi contre lui. Mais si cet affréteur s’est libéré
entre les mains du capitaine, quaile sera la position du
�216, 217.
439
propriétaire? Devra-t-il de ses deniers rembourser le
fret? Lui suffira—t—il de céder tous ses droits contre le
capitaine?
A l’appui de l’obligation de rembourser, on a invo
qué les considérations suivantes : « Le fret et le navire
sont indissolublement liés l’un à l’autre ; en conséquen
ce, l’abandon de celui-ci entraîne inévitablement l’aban
don de celui-là dans tous les cas, le fret, de quelque
façon qu’il ait été perçu , est considéré comme un ac
cessoire du navire. Pour repousser l’obligation de rem
bourser, il faudrait faire une distinction selon que le
fret aurait été perçu d’une façon ou d’une autre, et cette
distinction serait contraire au texte et à l’esprit de la
loi. Le capitaine est, d’ailleurs, le mandataire de l’ar
mateur et n’agit qu’au nom et pour le compte de ce der
nier. Il a le droit de toucher valablement le fret en son
lieu et place, et ce fret, ur,e fois touché, doit être réputé
acquis par le propriétaire lui-même. On ne peut assi
miler cette perception à un engagement du capitaine
dont le propriétaire puisse s’affranchir. Il n’y a là qu’u
ne libération de l’affréteur. Pour autoriser la non re
constitution de ce fret verbalement perçu au nom de
l’armateur, il eût fallu une disposition de loi spéciale
venant s’ajouter à l’article 216 ; cette disposition n’existe
pas. Lorsque le fret a été ainsi encaissé, il ne peut s’a
gir d’un fret à recouvrer, mais d’un fret perçu. »
Cette doctrine méconnaît, à notre avis, le texte et l’es
prit de l’article 216. Le but et l’objet de sa disposition
ont été de distinguer la fortune de terre de" l’armateur
de sa fortune de mer, dans l’intérêt même de la naviART.
�440
DROIT MARITIME.
gation, et de borner au sacrifice de celle-ci la perte qui
peut résulter du voyage du navire.
Cette perte ne serait ni absolue, ni entière, si, en aban
donnant le navire, le propriétaire pouvait retenir le fret
qu’il a retiré à l’occasion de ce voyage. Yoilà pourquoi
liant indissolublement le navire et le fret, l’article 216
exige qu’on les abandonne l’un et l’autre.
Mais si le propriétaire ne doit rien retenir de sa for
tune de mer, il ne saurait être tenu dans aucun cas de
prendre sur sa fortune de terre et de subir sur celle-ci
une perte quelconque. Or, que retiendra-t-il lorsque le
capitaine , ayant touché le fret, l’a encore en mains ?
A-t-il dans ce cas un autre droit que celui de recourir
contre le capitaine pour le contraindre à rendre comp
te ? S’il fait abandon de ce droit, ne se place-t-il pas
dans les conditions de l’article 216 ?
Exigez au contraire que, reconstituant le fret perçu
par le capitaine, il le rembourse de ses deniers, et vous
le placez en dehors de cet article , et vous lui en faites
perdre le bénéfice. Quelle position lui ferait l’insolvabi
lité du capitaine ? Les fonds qu’il aura remboursés se
ront perdus pour lu i, et il se trouvera avoir ajouté au
sacrifice de sa fortune de mer , une partie quelconque
de sa fortune de terre, contrairement à la volonté si ex
presse du législateur,
Donc, la doctrine qui méconnait et viole l’article 216,
est, non celle que nous soutenons, mais uniquement
celle que nous combattons. Quel grief d’ailleurs fait-on
au créancier en laissant à sa charge la chance de l’in-
�solvabilité du capitaine ? Cette chance ne la courrait-il
pas si le fret était encore en mains de l’affréteur ?
On objecte, et c’est ici le second argument, qu’on ne
saurait assimiler ces deux hypothèses, parce que le ca
pitaine étant le mandataire du propriétaire, le fret tou
ché par lui est présumé l'avoir été par ce dernier.
En droit commun il en serait indubitablement ainsi.
Mais il en est et il doit en être autrement dans la ma
tière qui nous occupe, par cette raison péremptoire que
l’article 216 a entendu déroger et déroge au droit com
mun. On pouvait en douter avant la loi de 1841, et ce
doute la Cour de cassation le consacrait lorsque , com
me nous venons de le voir , elle jugeait, les 14 mai
1833 et 1er juillet 1834, que la responsabilité dont on
pouvait s’exonérer par l’abandon étant qualifiée de res
ponsabilité civile, ne pouvait exister que pour les fautes,
délits ou quasi-délit de celui qu’on emploie ; qu’elle ne
saurait s’appliquer aux actes faits légalement dans l’exer
cice du mandat, la responsabilité étant alors directe, le
mandant est présumé avoir agi lui-même h
On ne saurait oublier que c’est cette doctrine de la
Cour suprême qui provoqua la loi de 1841 qui la re
pousse et la condamne expressément. Ce dont elle per
met au propriétaire de se libérer par l’abandon du na
vire et du fret, ce sont les actes et les engagements con
tractés par le capitaine pour tout ce qui est relatif au
navire et à l’expédition. Or, est-ce que, en contractant
i V. supra n° 271.
�DROIT MARITIME.
442
dans ce double objet, le capitaine n'agit pas en qualité
de mandataire de l’armateur? Et si cette qualité n’est
pas un obstacle à l’abandon, dans ce cas, comment le
deviendrait-elle dans celui où le capitaine a touché le
fret qu’il a encore en mains ?
Sans doute, en percevant le fret, le capitaine ne con
tracte pas un engagement, mais cette perception n’estelle pas un fait? Ce fait n’est-il pas relatif au navire et
à l’expédition ? Or, dans ces conditions, l’article 216 ne
distingue pas , il met sur la même ligne les faits et les
engagements. On ne saurait dès lors contester à l’arma
teur la faculté et le droit de se libérer par l’abandon des
uns et des autres.
Le tribunal de commerce du Havre s’étant prononcé
dans ce sens, son jugement avait été déféré à la cour de
Rouen qui le confirmait par arrêt du 8 février 1870.
Devant la Cour on objectait que si le fret avait été
encaissé par le consignataire, le propriétaire serait bien
obligé de le restituer, quand bien même celui-ci ne lui
en aurait pas tenu compte ; qu’il ne devait et ne pouvait
pas en être autrement pour le capitaine.
Mais, répond l’arrêt : l’assimilation qui sert de base
à l’objection n’est pas exacte ; en effet le consignataire
est librement choisi ; le capitaine, au contraire, n’est
qu’un mandataire légal et forcé, qui ne peut être pris
que parmi certaines personnes pourvues de brevet, qui,
en cours de voyage, dans le cas de mort ou de préva
rication, peut même, à l’insu du propriétaire, être choi
si par un consul ; cette différence , dans l’origine du
�ART. 216, 217.
UZ
mandat, justifie l’inégalité dans la mesure de la respon
sabilité du propriétaire. D’ailleurs l’objection fait abs
traction de la disposition même de l’article 216 qui a
précisément pour but d’affranchir le propriétaire, à de
certaines conditions, de la responsabilité de tous les faits
quelconques accomplis par le capitaine.
Cet arrêt fut dénoncé à la cour de cassation comme
violant les articles 216 et 320 du Code de commerce.
Mais après un délibéré en la chambre du conseil, la sec
tion civile rejette le pourvoi le 17 avril 1872.
« Attendu, en droit, dit l’arrêt, que si le capitaine a
généralement, en vertu du mandat nécessaire et spécial
qu’il tient de sa qualité et de la loi, pouvoir de toucher
le fret pour le propriétaire, il n’en résulte pas que ce
lui-ci doive être réputé avoir reçu lui-même ce que le
capitaine a touché en ladite qualité ; que les règles du
mandat ordinaire à cet égard n’ont pas ici d’application;
» Attendu, en effet, que l’article 216, en permettant
au propriétaire du navire de s’affranchir, dans tous les
cas, de la responsabilité des faits du capitaine par l’a
bandon du navire et du fret, n’en excepte pas le cas où
le capitaine a touché le fret sans lui en tenir compte et
où ce fret est réclamé au propriétaire en vertu de l’arti
cle 216; que, pour s’exonérer de la responsabilité de
ce fait , comme de tout autre fait du capitaine, le
propriétaire ne doit qu’un abandon du navire et du
fret, et satisfait conséquemment à son obligation en
abandonnant aux créanciers tous les droits qu’il peut
�444
DROIT MARITIME,
avoir contre le capitaine pour le recouvrement du fretl.
295. — Dans les observations que suscita la présen
tation du projet de loi de 1841 , quelques Cours, no
tamment celle d’Aix, demandaient que l’abandon com
prît, outre le navire et le fret, le montant de l’assurance
que le propriétaire aurait contractée. Cette prétention ,
qui s’était déjà produite devant les tribunaux , avait été
formellement condamnée. L’assurance, avait dit la cour
de Rennes, est le prix de la prime payée par l’assuré,
et ce prix ne peut être affecté à la garantie des obliga
tions contractées par le capitaine, auxquelles la loi n’af
fecte expressément que le navire et le fret2.
Quoi qu’il en soit, la proposition lut reproduite avec
force à la chambre des pairs. Son adoption devait, di
sait-on, préserver les prêteurs et chargeurs des consé
quences d’un concert, entre le capitaine et l’armateur
désintéressé par l’assurance, pour emprunter ou vendre
des marchandises, à l’effet de réparer un bâtiment sans
valeur réelle.
Mais cette proposition ne fut pas accueillie, l’opinion
de la majorité, telle qu’elle résulte de la discussion , fut
que les rapports établis entre le propriétaire du navire
et les prêteurs ou chargeurs devaient demeurer tout à
fait indépendants des contrats d’assurance que chacun
d’eux pouvait passer ; que l’obligation d’abandonner le
1 J . d u P ., 1872, 988.
? Rennes, 12 mai 1822, ,
�ART. 2 1 6 , 2 1 7 .
44S
montant de l’assurance ne tendrait à rien moins qu’à
interdire l’assurance du navire à l’armateur, déjà privé
du droit de faire assurer le fret , car ce serait bien lui
interdire cette assurance que de lui en retirer le béné
fice ; qu’un tel système rendrait la loi nouvelle stérile
pour les armateurs.
La crainte d’un concert coupable entre le capitaine et
l’armateur parut peu fondée ; d’une part, en effet, le
propriétaire du navire, qui ne peut faire assurer le fret
ni les gages des gens de mer, n’est pas complètement
désintéressé par l’assurance ; le fût-il, en faisant assu
rer le fret à l’étranger, il ne faut pas oublier que le con
cert frauduleux qu’on redoute ici entraînerait pour l’ar
mateur une responsabilité dont il ne serait pas permis
de s’affranchir par l’abandon du navire et du fret ; car
la fraude, comme on sait, fait exception à toutes les rè
gles ; une pareille fraude d’ailleurs constituerait une vé
ritable baraterie, et il n’est pas permis de supposer qu’un
armateur voulût s’exposer aux peines terribles que nos
lois ont infligées à ce crime.
296. — L’abandon a pour effets :
1° De libérer le propriétaire du navire de la respon
sabilité de tous engagements contractés ou encourus par
le capitaine, sans distinction entre l’emprunt, la vente
des marchandises et la faute, le délit ou le quasi-délit;
2° De libérer le capitaine lui-même, toutes les fois
qu’ayant contracté en sa seule qualité, il n’a pris aucune
obligation personnelle. Or celle-ci résultant toujours de
�446
DROIT MARITIME.
la faute du délit ou du quasi-délit, le capitaine , auteur
de l’un ou de l’autre, n’en reste pas moins obligé, mal
gré l’abandon ;
3° De réduire les créanciers à l’unique faculté de
poursuivre leur paiement sur la chose abandonnée. Cet
effet se produit d’une manière absolue, et envers tous.
Ainsi l’abandon réalisé envers un créancier met le pro
priétaire à l’abri de toute action de la part de ceux qui
réclameraient ultérieurement. Il n’existe plus pour eux
qu’une action en quelque sorte réelle, et ils ne peuvent
exercer leurs droits que sur le navire abandonné ou sur
le prix de la vente qui en a été faite1.
297. — L’abandon n’est soumis à aucune forme
spéciale. Il peut en conséquence être réalisé soit par ac
te notarié signifié, soit par un simple exploit d’huissier,
soit enfin par la déclaration du propriétaire , contenue
dans des conclusions par lui prises lorsqu’il est actionné
en paiement des engagements dont il est civilement res
ponsable.
Dans ce cas , les dépens de l’instance devraient être
mis à sa charge jusqu’au jour de celte déclaration. Cet
te instance n’aurait pas eu lieu s i, décidé à user de la
faculté de l’article 2L6, le propriétaire eût légalement
dénoncé cette volonté ; à défaut, le créancier, en recou
rant à la justice, n’a fait qu’user d’un droit incontesta
ble qui ne pourrait devenir l’origine de l’obligation de
supporter les dépens.
i Marseille, 20 septembre 1830 ; Journal de Marseille, 11, 1,277
�ART. 2 1 6 , 2 1 7 .
447
A plus forte raison en serait-il ainsi, si l’abandon
n’était offert que conditionnellement et dans le cas de
succombance sur la demande principale. Le propriétai
re, en effet, ne sera tenu d’abandonner que si la cré
ance existe, que si son importance est déterminée ; il
peut donc, au principal, contester l’une ou l’autre, et
n’offrir l’abandon que subsidiairement et dans le cas où
il serait déclaré mal fondé dans ses contestations. Une
pareille conduite n’élèverait aucune fin de non-rece
voir contre l’acceptation de l’offre , mais le rejet des
conclusions principales deviendrait un juste et légiti
me motif de condamner le propriétaire à tous les dé
pens '.
298. — Le dernier paragraphe de l’article 216 re
fuse la faculté de faire abandon à celui qui est en mê
me temps capitaine et propriétaire ou copropriétaire du
navire.
Cette disposition trouva de l’opposition dans les cham
bres législatives. On lui reprocha, entre autres, d'être en
contradiction avec le principe même de la loi. Mais bien
loin d’être mérité, ce reproche ne pouvait être justement
adressé qu’à l’objection elle-même.
En effet, si on a permis au propriétaire du navire de
s’exonérer des faits du capitaine par l’abandon du na
vire et du fret, c’est qu’il a paru injuste de le laisser in
définiment obligé sur toute sa fortune pour des engage1 Rouen, 4,rjuin 4841 ; J. du P. 4844, 447.
�448
DROIT MARITIME.
ments, licites ou non, contractés par un mandataire que
la loi lui impose pour le commandement du navire , et
dont il est dans l’impuissance de surveiller et de con
trôler la conduite. Mais si le propriétaire traite directe
ment et personnellement, n’est-il pas naturel de le lais
ser sous l’empire de son obligation et de lui en imposer
les conséquences absolues et indéfinies, n’est-il pas évi
dent qu’une restriction quelconque à cette obligation n’a
plus ni motifs réels, ni justification plausible, qu’elle
violerait donc la raison et la loi ? Quoi, le propriétaire
qui ratifie le fait du capitaine serait indéfiniment tenu,
privé de la faculté de faire abandon , et l’on admettrait
le contraire pour le propriétaire qui a personnellement
et directement traité !
Le rapporteur de la chambre des députés, l’honorable
M. Dalloz, avait donc raison de dire, dans son second
rapport, que la disposition critiquée dérivait si naturel
lement du principe de l’article 216, que, dans le silen
ce de la loi nouvelle, le droit commun n’aurait pas per
mis d’admettre une autre doctrine.
Or, celui qui est en même temps capitaine et proprié
taire, lorsqu’il traite avec le tiers, ne saurait isoler ces
deux qualités l’une de l’autre. Il contracte non à raison
de la chose d’autrui, mais à l’occasion de sa propre cho
se. S’il est tenu des conséquences de ses engagements,
ce ne peut être par suite d’une responsabilité civile quel
conque, mais uniquement par l’effet de son obligation
directe et personnelle. Il ne saurait dès lors être reçu à
invoquer le bénéfice de l’article 216.
�m
La jurisprudence n’a jamais hésité sur le caractère de
l’article 216 et sur son inapplicabilité aux engagements
personnels du propriétaire. Cette inapplicabilité elle n’a
cessé de la proclamer même lorsque la personnalité de
l’engagement ne résultait qu’indirectement soit du fait
en lui-même, soit d’une disposition légale.
Ainsi, de toute certitude l’abandon du navire et du
fret libère le propriétaire même envers l’équipage, mais
à la condition qu’il a été choisi et formé par le capitai
ne seul et sans le concours de ce propriétaire.
Or cette condition n’est pas admissible lorsque l’équi
page a été formé dans le lieu de la demeure de celuici. Dans ce cas, en effet, aux termes de l’article 223, le
capitaine ne peut agir qu’avec le concours des proprié
taires, et il n’est pas permis de croire que ce devoir n’a
pas été rempli.
Il n’est pas présumable en effet que le propriétaire
du navire ait renoncé à un droit dont l’exercice l’inté
resse si gravement et n’ait pas revendiqué la haute
main dans le choix des personnes et dans la détermi
nation des salaires.
Comment supposer d’ailleurs que le capitaine n’ait
pas tenu son armateur au courant de ses agissements à
ce sujet ? Le silence gardé par celui-ci serait une ratifi
cation formelle des actes de celui-là et constituerait le
concert exigé par l’article 223.
Aussi, et par deux arrêts du 1-eraoût 1855, la cour de
Bordeaux refuse-t-elle à l’armateur le droit de se libé
rer dans ce cas des loyers et salaires de l’équipage par
art . 2 1 6 , 2 1 7 .
i — 29
�4 KO
DROIT MARITIME.
l’abandon du navire et du fret. Ces arrêts décident avec
raison que si le capitaine a plus particulièrement le
choix des hommes pour la composition de son équipa
ge, c’est sur l’armateur que pèse la charge du paiement
des salaires et loyers ; c’est donc lui qui règle les con
ditions de leur engagement, la direction et la durée du
voyage, et c’est ce qu’il ne manquera pas de faire, lors
que c’est dans le lieu où il demeure qu’il est procédé à
la formation de l’équipage. Or, qu’il soit directement
intervenu ou qu’il se soit borné à approuver les actes
du capilaine, le contrat est autant de son fait que du
fait de celui-ci.
Ce contrat d’ailleurs se rattache à la période de l’ar
mement du navire, aux préparatifs nécessaires pour le
mettre en état de prendre la mer. Or l’article 216 ne
s’étend aux obligations contractées à ce sujet que lors
que le capitaine, éloigné du lieu de la demeure de l’ar
mateur, a pu et dû agir seul et sans son concours.
On objectait qu’en affectant spécialement le navire et
le fret à la créance des gens de l’équipage, le législateur
avait implicitement reconnu que cette créance ne gre
vait que la fortune de mer de l’armateur. Mais, répond
la cour de Bordeaux, c’est là une sûreté de plus que la
loi a voulu donner aux matelots, en même temps qu’elle
lie plus intimement leurs intérêts à celui de l’armateur
et au succès de l’expédition ; il serait d’autant plus in
juste que l’armateur pût se libérer envers eux par l’a
bandon du navire et du fret, que, sauf quelques faibles
à-comptes, il ne peut leur payer leurs loyers qu’à leur
�I
ART.
216, 217.
ib l
retour ; qu’ils sont presque toujours dans l’impossibi
lité de prendre des précautions pour la conservation de
leurs droits et que, soumis à l’autorité du capitaine, ils
subiraient cependant la peine de ses fautes et de sa mau
vaise gestion K
La conclusion à laquelle la cour de Bordeaux arrive
est que l’armateur ne peut, par l’abandon du navire et
du fret, s’affranchir de l’obligation de payer les salaires
et loyers de l’équipage lorsque cet équipage a été formé
au lieu de sa demeure.
Cette conclusion et les motifs qui l’inspirent nous pa
raissent essentiellement juridiques. Ou ne saurait équivoquer sur la portée de l’article 216 du Code de com
merce, sa lettre et son esprit sont on ne peut pas plus
précis. L’abandon du navire et du fret n’a et ne peut
avoir qu’un résultat unique, affranchir l’armateur de la
responsabilité civile des faits du capitaine. Donc, toutes
les fois qu’il s’agira d’un engagement direct de la part
de l’armateur , l’article 216 ne pourra être même in
voqué.
Doit-on admettre cet engagement direct lorsque l’é
quipage est formé au lieu de la demeure de l’armateur?
L’affirmative ne saurait être l’objet d’un doute.
Vainement soutiendrait-on en fait que le capitaine a
agi seul et sans le concours de l’armateur. Cette préten
tion n’a rien de vraisemblable, et l’on ne saurait admet
tre que le capitaine, s’il n’a suivi que ses propres insi J. du P., 1857, 620.
�452
DROIT MARITIME.
pirations, n’ait pas au moins instruit l’armateur dont
l’approbation rendait seule le contrat définitif.
Mais outre son invraisemblance cette prétention a
contre elle le texte formel de l’article 223. En prescri
vant le concert entre l’armateur et le capitaine dans le
cas qu’il prévoit, cet article présume que ce concert a
existé, et cette présomption n’admet pas même la preu
ve contraire. C’est ce que la Cour de cassation a formel
lement consacré le 30 août 1859.
Dans l’espèce de cet arrêt, le tribunal de commerce
de Bordeaux avait validé l’abandon du navire et du fret
et déclaré l’armateur libéré envers l’équipage , malgré
que cet équipage eût été formé dans le lieu de la de
meure de cet armateur.
Mais sur le pourvoi dont il avait été l’objet, ce juge
ment fut cassé comme violant expressément les articles
216 et 223 du Code de commerce, et 1134 du Code
civil.
« Attendu, dit la Cour suprême, que si l’article 216
» du Code de commerce permet au propriétaire du na» navire de s’exonérer, par l’abandon du navire et du
» fret, de la responsabilité civile des faits et des enga» gements du capitaine, le bénéfice de cette disposition
» exceptionnelle n’est point susceptible d’extension, et
» ne peut être invoqué par le propriétaire du navire
» pour limiter ses obligations personnelles résultant de
» ses propres faits et engagement ;
» Attendu que la présomption dérivant de l’article
» 223 du Code de commerce est que le propriétaire ar-
�ART. 2 1 6 , 2 1 7 .
»
»
»
»
453
mateur a dû concourir avec le capitaine au choix et
à l’engagement des hommes de l’équipage, lorsque
l’équipage a été formé dans le lieu de la demeure de
l’armateur h »
Cet arrêt, en déterminant le caractère de l’article 223,
affirme de plus fort que l’immunité de l’article 216 est
exclusivement réservée pour les obligations résultant des
faits du capitaine agissant loin de l'armateur et hors la
portée de sa surveillance ; qu’elle ne saurait être invo
quée lorsqu’il s’agit d’engagements directement ou in
directement contractés par le propriétaire du navire per
sonnellement, Ce principe, la Cour suprême le consa
crait de nouveau le 11 avril 1870.
Dans l’espèce l’affréteur du navire la Lily avait été
obligé, en cours de voyage, à faire à ce navire de nom
breuses, d’importantes réparations. Sur sa demande en
remboursement le propriétaire du navire, invoquant
l’article 216, déclarait abandonner le navire et le fret.
Mais le demandeur soutenait que cette prétention était
non recevable , les dépenses ayant été occasionnées par
le vice propre du navire et étaient personnellement impu
tables au propriétaire obligé de fournir un navire en bon
état de navigation.
Ce système est en définitive consacré par la cour de
Bordeaux. Après avoir rappelé que l’article 216 est sans
application pour les engagements personnels du proprié
taire du navire, l’arrêt ajoute :
1 J.
du P.,
1860, 156.
•7
�m
DROIT MARITIME.
« Attendu, en fait, que la charte-partie de la Lily,
» dans laquelle Yieira puise le principe de son action
» contre Lopez , a été passée directement entre eux ;
» que ce contrat n’a été, à aucun titre, dans l’espèce,
» le fait du capitaine ; que Lopez était donc personnel» lement obligé par son contrat et par la loi de livrer
» à son affréteur un navire en bon état de navigabilité
» et en mesure de faire le voyage convenu ; qu’ainsi,
» donc, s’il est prouvé que ce navire était réellement
» atteint d’un vice propre et hors d’état de naviguer au
» moment où il a fait voile, les dommages qui en sont
» résultés pour l’armement doivent être considérés com» me résultant du fait du fréteur Lopez, et comme en» gageant sa responsabilité personnelle, sans qu’il puis» se être admis à se libérer des faits qui en ont été la
» conséquence par abandon du navire et du fret, ce qui
» ressort, du reste, de la disposition même de l’article
» 298, puisque cet article, applicable dans l’espèce, in» flige au fréteur la perte de son fret, et qu’ainsi l’ar» mateur ne peut, en ce cas, faire abandon de ce qu’il
» a déjà perdu. »
Ce dernier motif n’a pas grande portée, car lorsque
le navire a été englouti dans la mer l’armateur l’a évi
demment perdu, cependant nul ne lui a jamais contes
té, dans ce cas, la faculté d’invoquer le bénéfice de l’ar
ticle 216, et de se libérer par l’abandon du navire de la
responsabilité civile des actes ou faits du capitaine.
Ce qui légitime cet arrêt, c’est non pas seulement que
la charte-partie était le fait propre du propriétaire du
�ART.
216, 217.
483
navire, mais encore, mais surtout parce que le dom
mage provenant du vice propre n’est imputable ni au
fait ni è l’acte du capitaine, et que lorsqu’il n’a pas
fourni un navire en état de naviguer, le propriétaire a
violé son devoir, manqué à ses obligations et qu’il est
tenu non plus comme civilement responsable, mais di
rectement et personnellement.
Aussi est-ce sur celte personnalité de l’obligation que
se fonde la Cour de cassation pour rejeter le pourvoi dont
l’arrêt de Bordeaux avait été l’objet K
Aucun doute donc ne saurait s’élever. L’article 216
s’applique exclusivement au cas de responsabilité des
faits ou actes du capitaine. Si l’engagement dont l’exé
cution est poursuivie dérive directement ou indirecte
ment du fait du propriétaire. La prétention de celui-ci
de s’en libérer par l’abandon du navire et du fret est
non recevable et mal fondée.
299 . — Ainsi, de deux choses l’une, ou le capitaine
est en même temps propriétaire exclusif du navire, ou
il en est seulement copropriétaire. Dans le premier, il
répond intégralement de ses faits, et cette responsabilité
est indéfinie, elle s’étend à tous ses autres biens comme
au navire et au fret, et il ne se libère nullement par
l’abandon de ceux-ci, abandon qui lui est dès lors in
terdit.
S’il n’est que copropriétaire, il est évident qu’il n’en1 J. du P., 4874, 833.
�456
DROIT MARITIME.
gage directement que son intérêt, et qu’il n’a pas cessé
d’agir comme mandataire pour tout l’excédant, à moins
qu’il n’ait contracté soit expressément, soit implicite
ment une obligation personnelle. Il ne sera donc indé
finiment tenu qu’à proportion de son intérêt, qui ne
pourra jamais devenir la matière d’un abandon, mais
l’abandon consenti par ses copropriétaires le libérera
d’autant.
L’article 216 considère donc la dette résultant des faits
du capitaine comme essentiellement divisible entre tous
les intéressés. Cela résulte et de l’admission de l’abandon
partiel, et de la disposition textuelle au sujet du capi
taine copropriétaire. La conséquence logique de cette
divisibilité légale est l’exclusion de toute solidarité entre
copropriétaires.Cette exclusion est juste, car chacun d’eux
n’a donné mandat au capitaine que jusqu’à concurren
ce de sa part. Il ne saurait donc, dans aucun cas, être
tenu au-delà.
A
299 bis. ■— Le caractère de l’article 216 est invinci
blement déterminé par sa dernière disposition. La faveur
de se libérer par l’abandon du navire et du fret n’est
concédée que pour les actes et faits du capitaine. Il eût
été trop rigoureux de laisser le propriétaire du navire
tenu sur toute sa fortune des engagements contractés
loin de lui et à son insu par son préposé. Elle ne sau
rait donc être réclamée pour ce qui concerne les obli
gations formellement autorisées ou personnellement con
tractées par le propriétaire lui-même.
�art.
216, 217.
457
Rentrent nécessairement dans cette catégorie les en
gagements contractés par le capitaine qui est en même
temps propriétaire du navire. Il est dès lors évident
qu’il ne pouvait être ni recevable ni fondé à prétendre
s’exonérer de leurs effets par l’abandon du navire et du.
fret.
Si le capitaine n’est que copropriétaire du navire, il
n'est personnellement engagé qu’à concurrence de son
intérêt. Pour tout ce qui les concerne, ses cointéressés
restent régis par le droit commun édicté par l’article
216 ; et se libèrent valablement par l’abandon du na
vire et du fret.
4
A la condition cependant que l’engagement aura été
contracté en cours de voyage. Car s’il a été pris au lieu
de la demeure des copropriétaires, la faculté d’abandon
trouverait un obstacle invincible dans l’article 232 qui,
non seulement ne permet pas, mais encore prohibe au
capitaine de faire travailler au radoub du bâtiment, d’a
cheter des voiles, cordages ou autres choses pour le bâ
timent, de prendre à cet effet de l’argent sur le corps
du navire et de fréter le navire, sans l’autorisation spé
ciale des propriétaires.
Il est évident que l’engagement contracté par le sim
ple capitaine au mépris de l’article 232 ne créerait ni
droit ni action directe contre le propriétaire. Qu’en se
rait—il si le capitaine était en même temps coproprié
taire ?
En ce qui le concerne et jusqu’à concurrence de son
intérêt, il serait tenu sur tous ses biens en vertu des
�DROIT MARITIME.
principes que nous venons d’exposer. De plus et en ver
tu des termes de l’article 232, il serait même obligé pour
le surplus sans pouvoir se libérer par l’abandon.
En effet, la prohibition d’agir comme capitaine abou
tit inévitablement à cette conséquence qu’il s’est engagé
comme propriétaire personnellement et comme autorisé
par ses cointéressés. Il répondrait donc intégralement
sauf son recours contre les copropriétaires le cas échéant.
Ainsi le tribunal de commerce de Marseille jugeait
avec raison le 21 novembre 1866, que l’achat d’un cof
fre de médicaments avant le départ du navire et dans le
lieu de la demeure du propriétaire, est une dépense con
cernant l’armateur et que le capitaine ne peut faire qu’a
vec le consentement de ce dernier ; qu’en conséquence
celui qui est en même temps capitaine, copropriétaire
et armateur du navire et qui a fait un achat de cette na
ture, est censé l’avoir fait comme armateur et non com
me capitaine et ne peut s’en libérer par l’abandon du
navire et du fretl.
Dans l’espèce le capitaine était propriétaire de 17/24;
il soutenait qu’il n’était tenu de la dette que dans celte
proportion et qu’il pouvait s’en libérer par l’abandon
du navire et du fret. Aucune de ces prétentions n’était
admissible et le rejet de la dernière était d’autant plus
juridique en ce qui le concernait, que la faculté d’aban
don eût dû être refusée aux autres quirataires.
Il est évident en effet que, possesseur des 17/24, le
ÿ
i Journal de Marseille, 1867, 1, 8.
�art. 2 1 6 , 2 1 7 .
4S9
capitaine était de droit et de fait l’armateur du navire ;
qu’il représentait donc ses cointéressés et qu’il agissait
comme leur fondé de pouvoirs. Ceux-ci se trouvaient
donc liés par l’acte de leur mandataire et, tenus envers
le créancier, ils n’auraient pu exercer leur garantie con
tre le capitaine que par la preuve qu’ils n’avaient ni
expressément ni tacitement autorisé celui-ci à procéder
à l’armement. Le contraire établi ou présumé, aucun
d’eux n’aurait pu se libérer de sa part de la dette par
l’abandon du navire et du fret.
Si l’intérêt du capitaine n’allait pas à la moitié plus
un des quirats, ceux qui auraient contracté avec lui dans
le cas prévu par l’article 232 ne pourraient agir contre
les autres intéressés qu’en prouvant qu’ils avaient ex
pressément ou tacitement autorisé le capitaine à procé
der à l’armement.
2 9 9 ter. — Quelle est la position du propriétaire du
navire qui en est le capitaine ep second ? Dans quelle
mesure répond-il des engagements, des fautes, des dé
lits du capitaine en premier? Peut-il s’en exonérer par
l’abandon du navire et du fret ?
Ces questions se présentaient au tribunal de com
merce 'du Havre. Dans l’espèce un prêteur à la grosse
poursuivait le paiement de son billet contre le capitaine
en premier, copropriétaire de la moitié du navire, et le
capitaine en second, propriétaire de l’autre moitié. Les
défendeurs opposaient la perte du navire et se préva
laient subsidiairement de l’article 216 du Code de com-
�460
DROIT MARITIME.
merce. Mais le créancier, excipant de ce que la perte
avait eu lieu à la suite d’un déroutement, ce déroute
ment constituait une faute commune aux deux capitai
nes, qui les rendait passibles solidairement de domma
ges-intérêts, et non recevables à réclamer la faveur de
l’article 216.
Ce système est acceuilli par le tribunal. Le jugement
constatant l’existence du déroutement, déclare que la
perte du navire s’est réalisée hors le temps et les lieux
du risque, condamne en conséquence, les deux capitai
nes solidairement au paiement du billet de grosse et leur
refuse la faculté de se libérer par l’abandon du navire et
du fret.
Voici, relativement au capitaine en second, les motifs
du jugement :
« Attendu que le capitaine Ferret, copropriétaire du
navire pour l’autre moitié, second capitaine à bord de
puis le départ de France et qui l’a commandé en défi
nitive dès le départ de Saint-Thomas pour le cap Hui
taine, n’est pas mieux placé pour s’abriter de l’article
216 ; que s’il n’a pas été partie intervenante au contrat
de grosse du 20 juin 1864, il est de toute évidence qu’il
n’a pas pu en ignorer les dispositions puisque l’emprunt
a été nécessité par des avaries antérieures à l’arrivée à
Battimore, et constatées par un procès-verbal signé par
lui comme second et par tout l’équipage ; qu’il est cer
tain en outre qu’il n’a fait, sous aucune forme aucune
protestation ni réserve, en sa qualité de copropriétaire,
contre la déviation entamée par le capitaine Montagne ;
�ART. 2 1 6 , 21 7.
461
qu’au contraire et en prenant la direction du navire, il
a continué et aggravé de plus en plus le déroutement ;
qu’il a donc véritablement commis et partagé la faute
qui a causé le dommage ; qu’il est donc tenu égale
ment à la réparation entière de son importance. »
Appel ayant été émis, la cour de Rouen adopte les
motifs du jugement et le confirme. Cette détermination
de faits amènera à son tour et motivera la décision de
la Cour suprême. En effet, par arrêt du 30 juin 1869,
la chambre civile rejette le pourvoi :
« Attendu que l’arrêt attaqué a déclaré en fait que le
changement de route, cause de la perte du navire, était
imputable non seulement à Montagne , capitaine dudit
navire et son propriétaire pour moitié, lequel avait sous
crit l’emprunt à la grosse, mais encore au demandeur
en cassation, q u i, étant à bord comme second du na
vire, dont il était propriétaire pour l’autre moitié, n’a
vait pu ignorer cet emprunt, et, ayant plus tard succé
dé dans le commandement du navire au capitaine Mon
tagne , tombé malade dans le cours du voyage, avait
lui-même, par la direction donnée au navire, continué
et aggravé le risque résultant du changement de route ,
que de ces circonstances, souverainement appréciées, la
cour de Rouen a justement conclu que le demandeur en
cassation était, aussi bien que Montagne, personnelle
ment assujetti à la responsabilité, envers le porteur de
grosse , du changement de route , ainsi que du sinistre
qui avait atteint le navire hors des lieux du risque par
suite de ce changement, et qu'il n’avait pu en cotisé
�DROIT MARITIME.
462
quence, par l’abandon du navire et du fret, se libérer
de cette responsabilité, même quant à ce qui excédait sa
part dans la propriété du navire '. »
Nous trouvons que la Cour de cassation a fait trop
bon marché de ses attributions en abandonnant son
droit de rechercher et de vérifier la valeur juridique des
faits imputés à faute. Certes, si le capitaine en second
avait concouru à la faute rendant le prêt à la grosse exi
gible malgré la perte du navire, il devait en supporter
toutes les conséquences, et le caractère direct et person
nel de la responsabilité excluait toute possibilité de se
prévaloir du bénéfice de l’article 216.
Mais la faute existait-elle réellement, résultait-elle des
faits relevés par la cour de Rouen et le tribunal de com
merce du Havre ? Que la Cour de cassation n’eût pas à
rechercher si ces faits étaient ou non acquis, nous l’ad
mettons. Mais leur conséquence légale , mais leur effet
juridique ne tombaient-ils pas naturellement sous l’em
pire de son appréciation et au besoin de sa censure ?
Le capitaine en second, disait l’arrêt de Rouen, n’est
pas, il est vrai, intervenu au contrat, mais il n’a pu en
ignorer les dispositions puisque l’emprunt a été nécessi
té par des avaries antérieures à l’arrivée à Battimore,
et constatées par un procès-verbal signé par lui et par
tout l’équipage. Il est évident en effet que dans ces cir
constances le second n’avait pu ignorer la nécessité
d’emprunter pour la réparation des avaries. Mais de là
1 J.
du
P., 1869, 1216.
�ART. 2 1 6 , 2 1 7 .
463
à connaître les clauses du contrat il y a encore loin, et
le soin qu’avait mis le capitaine en premier d’éloigner
du contrat son second, malgré sa qualité de capitaine et
de copropriétaire de la moitié du navire, n’indique pas
qu’il lui ait communiqué les conditions de l’emprunt,
celle surtout qui indiquait la route à suivre par le na
vire.
L’ignorance du second à ce sujet que rien n’exclut ex
pliquait l’absence de protestation et de réserve puisque
elle impliquait l’absence forcée de toute idée d’un dé
routement. D’ailleurs, le contraire admis, à quoi au
raient servi les protestations et les réserves ? Est-ce que
la loi permet au capitaine en second de contrôler les ac
tes du capitaine en premier, de s’y opposer ? Celui-ci
n’est-il pas l’arbitre unique et souverain de la direction
à donner au navire ? Ne souscrit-il pas seul les chartesparties indiquant les marchandises à charger, les lieux
de chargement et de destination ? Ne considérera-t-il
pas et ne traitera-t-il pas comme un matelot rebelle le
membre de l’équipage quel qu’il soit qui voudrait inter
venir et s’opposer à l’exercice de son droit ?
Dès lors le capitaine en second ne pouvant s’opposer
au déroutement, n’avait à réaliser ni protestations ni ré
serves. Il n’aurait été en faute que si la loi les lui eût
prescrites. Or celle loi n’existe nulle part dans nos çodes.
Mais, ajoute l’arrêt, le capitaine en second ayant pris
le commandement du navire , a suivi la route qu’avait
pris le capitaine en premier, il a donc continué et ag
gravé de plus en plus le déroutement.
�464
DROIT MARITIME.
C’est ici que le jugement consacre non une erreur de
fait, mais l’erreur de droit la plus prononcée.
D’abord est-ce que le capitaine en second remplaçant
le capitaine en premier a, je ne dirai pas le droit, mais
la possibilité de changer de route ? Peul-il renoncer à
conduire à sa destination le chargement qui se trouve à
bord et rompre ainsi les chartes-parties souscrites par le
capitaine en premier? À combien de réclamations ne
donnerait-il pas lieu, à quels dommages-intérêts n’ex
poserait-il pas l’armement ?
Déclarer coupable de faute celui qui n’a fait que ce
qu’il ne pouvait pas ne pas faire, n’est-ce pas mécon
naître et violer à son égard les principes de droit les plus
élémentaires.
D’ailleurs à quoi bon rompre le voyage commencé
pour rentrer dans la route du risque quoi qu’il doive
en coûter ? Est-ce que la reprise de cette route fera revi
vre le risque à la charge du prêteur à la grosse ?
En cette matière le déroutement commencé a rendu le
prêt à la grosse exigible , et cette exigibilité ne saurait
être modifiée de ce que le navire ayant repris la bonne
route, la perte serait survenue dans les lieux du risque.
Les lieux du risque, une fois abandonnés, nous dit Emérigon, par le déroutement volontaire, ne se retrouvent
plus aux yeux de la loi. Le contrat, une fois dissout, ne
peut se renouveler que par le consentement respectif des
partiesl.
�ART. 2 1 6 , 2 1 7 .
k6S
Cette doctrine a d’ailleurs son fondement juridique
dans ce fait : que le temps consommé à quitter et à re
prendre la rpute obligatoire a tout au moins retardé la
navigation, et est censé la cause déterminante du si
nistre l.
Ainsi si, dans l’espèce, le capitaine en second, suc
cédant au commandement du navire, avait quitté la
route suivie jusque-là, et était rentré dans celle impo
sée par le billet de grosse, sa détermination n’eût exercé
aucune influence sur les droits du porteur de ce billet.
L’exigibilité qui était résultée de plein droit du déroute
ment n’en eût pas moins été acquise ; et la continua
tion de ce déroutement, en quelque sorte forcé par la
nécessité de rendre le chargement actuel à sa destina
tion, n’était en droit ni une faute, ni une aggravation
du tort imputable au capitaine en premier.
Il n’y avait donc pas faute commune, d’où l’impos
sibilité d’une condamnation solidaire. Sans doute le ca
pitaine en second, en qualité de copropriétaire, était
tenu des faits du capitaine en premier, mais il n’en était
que civilement responsable aux termes de l’article SI 6,
et pouvait dès lors s’en libérer par l’abandon du navire
et du fret. Le refus que lui avait opposé la cour de
Rouen constituait donc, en ce qui le concernait, une
violation expresse de cet article 216, qui eût dû encou
rir la censure de la Cour de cassation.
En résumé, le copropriétaire d’un navire qui est à
1 V. in fr a , n° 909. 1
i — 30
�466
DROIT MARITIME. *
bord comme capitaine en second, n’est tenu, à moins
d’engagements directs, des faits du capitaine en pre
mier, que de la même manière que tout autre proprié
taire. Il est donc recevable et fondé à invoquer le bé
néfice de l’article 216 dans tous les cas où celui-ci est
admissible à s’en prévaloir.
300. — L’article 217 consacre une exception au
principe de la responsabilité des armateurs, et cette ex
ception est juste.
Tant que la course n’aura pas été bannie du Code des
nations, chacune d’elles se verra obligée non seulement
à la maintenir; mais encore à la favoriser. Sans doute,
et nous l’avons déjà observé , la morale proteste contre
son principe. Mais sa suppression ne peut être que le
résultat d’un assentiment universel de tous les peuples,
il est impossible à une nation de désarmer tant qu’on
armera contre elle. Donc, et en attendant ce progrès si
désirable qu’exigent la raison et la justice, chaque na
tion aura à veiller soit à protéger ses propriétés, soit, à
titre de représailles, à occasionner le plus de mal possi
ble à celle de l’ennemi.
Notre législateur a pensé que la responsabilité des ar
mateurs, même tempérée par la faculté d’abandon, pou
vait décourager l’armement en guerre dans le cas où il
y aurait intérêt à ce qu’il se développât. En effet, on ne
formera pas l’équipage d’un navire ou d’une lettre de
marque avec les éléments qui président à la constitution
d’un équipage ordinaire. Les garanties de modération et
�art .
216, 217.
467
de moralité qu’on recherche dans celui-ci, on ne sau
rait les exiger dans celui-là. Il fallait donc mesurer la
responsabilité des armateurs au genre des nécessités
qu’ils auront à subir.
De là la disposition de l’article 217, réduisant la res
ponsabilité des actes de l’équipage d’un navire armé en
guerre, ou en guerre et en marchandises, à la somme
pour laquelle les propriétaires sont tenus de donner
caution, conformément à ce qui est prescrit par le rè
glement du 2 prairial an xi.
301. — Remarquons qu’en vertu de cette disposi
tion, toutes les fois qu’il s’agira des délits et dépréda
tions de l’équipage, le propriétaire n’a pas même be
soin d’abandonner le navire. Il perd la somme cautionnée, sur laquelle les victimes des uns et des autres sont
exclusivement autorisées à exécuter les condamnations
qu’elles ont obtenues. Mais si les engagements licites du
capitaine excédaient cette somme, le propriétaire serait
tenu ou de les payer intégralement, ou d’abandonner le
navire.
Au reste , l’article 217 n’a voulu relever les proprié
taires que de la responsabilité civile qui est la consé
quence de leur qualité. Aussi subordonne-t-il le bé
néfice de sa disposition à la condition que le proprié
taire ne se sera rendu ni participant, ni complice des
délits et déprédations de l’équipage. Celte condition
n’a pas besoin d’être justifiée, elle honore le législa
teur.
�468
DROIT MARITIME.
502. — La participation ou la complicité du pro
priétaire l’exposerait non seulement h une responsabi
lité indéfinie, mais encore aux peines correctionnelles
ou criminelles encourues par l’équipage. Nous sommes
donc conduit à les examiner sous ce double rapport.
Or la participation ne pourra exister que si le pro
priétaire est embarqué sur le navire, sa présence serait
une présomption dont il ne pourrait anéantir les effets
que par la preuve que c’est malgré lui et au mépris de
ses efforts que l’équipage a agi.
La complicité sera plus souvent alléguée, car elle peut
être assumée indépendamment de toute présence à bord.
On peut vouloir la faire résulter des actes du propriétai
re, comme si ses instructions commandaient l’acte exé
cuté par l’équipage, ou si, après sa consommation, il
avait sciemment reçu une part dans le bénéfice illégiti
me que cet acte a produit.
Au point de vue de notre droit criminel, la compli
cité ne peut résulter que de faits positifs, dont le carac
tère est déterminé par la loi elle-même. Ainsi, engager
quelqu’un à commettre un crime, le lui conseiller mê
me, ce n’est pas encourir la peine de la complicité, à
moins que l’un et l’autre se soient réalisés par dons,
promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoirs,
machinations ou artifices coupables.
Cependant il en serait autrement dans notre matière.
L’armateur qui aurait par ses instructions ou autrement
conseillé l’acte illégal de l’équipage en aurait assumé
toute la responsabilité, même au regard de la loi pénale.
�ART. 2 1 6 , 2 1 7 .
46 9
Sa position même, son autorité sur l’équipage le feraient
justement admettre ainsi.
Mais il en serait autrement de la réception d’une part
sciemment acceptée dans le profit illégitime. On ne
pourrait assimiler cette réception à un récel, ni y trou
ver le concours aux faits qui ont consommé le délit ou
le crime.
Cependant un acte de ce genre ne pourrait rester im
puni, il constituerait au moins une fraude civile, et dès
lors l’armateur devrait être privé du bénéfice de l’ar
ticle 217. On le condamnerait à rembourser indéfini
ment ce qui aurait été alloué par la justice à titre de ré
paration.
Article 218.
Le propriétaire peut congédier le capitaine.
Il n’y a pas lieu à indemnité, s’il n’y a convention
par écrit.
Article 219.
Si le capitaine congédié est copropriétaire du navire,
il peut renoncer à la copropriété et exiger le rembour
sement du capital qui la représente.
Le montant de ce capital est déterminé par des ex
perts convenus ou nommés d’office.
�DROIT MARITIME.
470
■
f
SOMMAIRE
303. Nature de l’engagement du capitaine. Peut être congédié
au gré du propriétaire. Conséquences.
304. Droit ancien sur l’indemnité.
305. Le Code la refuse absolument. Ses motifs.
306. La disposition de l’article 218 est d’ordre public. Consé
quences.
307. Mais on peut déroger à sa disposition quant à l’indemnité.
308. Nature et caractère de la convention écrite, exigée par l’ar
ticle 218.
309. Peut-elle résulter de l’interdiction que se fait le proprié
taire de congédier le capitaine pendant un temps déter
miné?
310. Droits que le capitaine est appelé à exercer en cas de con
gé, soit avant, soit pendant le voyage.
311. La faculté de congédier le capitaine est applicable même
au capitaine copropriétaire. Dans quel cas ?
312. Mais celui-ci peut exiger son remboursement.
313. Nature de cette faculté.
313 bis. Congédiement indirect. Sa nature.
314. Comment il est procédé à l’estimation du capital.
315. Délai de l’option laissée au capitaine.
305. — Le capitaine qui accepte le commandement
d’un navire, loue en quelque sorte son industrie et ses
œuvres. Mais la nature spéciale de la mission qu’il est
appelé à remplir, les pouvoirs qui en résultent relative
ment à l’administration et éventuellement à la disposi
tion du navire, la responsabilité que ses actes et faits en
traînent pour le propriétaire affectent au contrat, à l’en-
�ART. 2 1 8 , 2 1 9 .
471
droit de celui-ci, un caractère prédominant et exclusif,
celui du mandat.
C’est ce qui explique la différence majeure entre la dis
position de l’article 218 et celle de l’article 270. Comme
le capitaine, le simple matelot peut être congédié, même
sans cause valable. Mais si le matelot justifie qu’il n’en
existe réellement aucune, il a droit à une indemnité
contre le capitaine , indemnité dont la loi détermine et
fixe la quotité et la nature. Le capitaine n’est pas même
admis à faire celte justification, aucune indemnité ne
devant, dans aucun cas, lui être allouée.
Le capitaine est donc plus mal traité que le matelot.
Mais cette anomalie n’est que la conséquence de la na
ture de leur engagement respectif ; simple louage d’œu
vre pour celui-ci, il devient un pur mandat à l’endroit
de celui-là. Le premier échappait donc à l’application
de l’article 2003 du Code civil, qui régissait forcément
le second.
0
504. — A cet égard, cependant, la législation n’a
pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. Ainsi l’arti
cle 14 de la Hanse teutonique n’admettait le licencie
ment du capitaine qu’avec sujet et pour cause légitime.
Mais l’ordonnance de 1681 repoussa cette restriction.
Elle consacre le principe de la révocabilité absolue, mê
me dans l’hypothèse où le capitaine est copropriétaire
du navire. Elle ne lui réserve, dans ce cas, que le droit
de se faire rembourser de son intérêt.
Mais l’ordonnance n’avait rien exprimé à l’endroit de
�472
DROIT MARITIME.
l’indemnité. D’où la question de savoir si le capitaine
avait la faculté d’en demander et d’en obtenir une. La
négative absolue s’étayait sur ce motif que, puisque le
propriétaire ne faisait qu'user du droit que tout mandant
conserve de révoquer le mandat, il n’était pas possible
d’admettre que l’exercice de ce droit dût devenir l’ori
gine d’une obligation en faveur du mandataire.
Telle n’était pas l’opinion de Valin qui, distinguant
l’indemnité des dommages-intérêts, refusait l’une, mais
accordait les autres. Il se peut, disait le savant com
mentateur, que le propriétaire ne congédie le capitaine
que par caprice, ou parce qu’un autre lui fait des con
ditions meilleures. Il suffit que cela se puisse pour qu’il
y ait lieu d’examiner le sujet du congé, et pour juger
s’il sera avec ou sans dommages-intérêts, n’étant pas à
présumer que cet article ait entendu qu’un capitaine
pût être congédié sans dommages-intérêts indistincte
ment, tandis que l’ordonnance en accorde à tout officier
du navire et au simple matelot, s’il est congédié sans
cause valable, quoique leur réputation n’ait pas à en
souffrir , à beaucoup près, autant que celle du capi
taine l.
305. — L’article 218 ne laisse plus aucune place au
doute et à la controverse. Il condamne l’opinion de Va
lin. Le propriétaire est désormais le seul arbitre du main
tien et du remplacement du capitaine. Il peut le congéi Art. 4, tifc. des P ro p r ié ta ir e s.
�ART. 2 1 8 , 2 1 9 .
473
dier en tout temps, en tous lieux, sans que le capitaine
ait à en demander les motifs et à réclamer ni indemni
té, ni dommages-intérêts.
Cette solution était une conséquence de la nature du
contrat. Elle est beaucoup plus rationnelle que celle
adoptée par Valin, laquelle n’allait à rien moins qu’à en
lever au propriétaire le droit de révocation qu’on parais
sait lui accorder. Un simple doute sur la probité, sur la
capacité du capitaine suffira au propriétaire, pour qu’il
croie devoir le congédier. Que fera la justice devant la
quelle le capitaine demandera compte des motifs de son
renvoi ? Croira-t-elle à ses protestations, ordonnera-telle une enquête pour éclaircir ce doute et dissiper tout
soupçon ? Mais tout cela ne fera pas que le propriétai
re, dès que sa confiance n’était plus entière, n’ait pu et
dû le remplacer. Faudra-t-il que, dans la crainte d’une
adjudication de dommages-intérêts, il ait couru la chan
ce de voir ses intérêts compromis, son navire perdu, la
vie de l’équipage mise en question ;
D’ailleurs, comment se dissimuler les graves incon
vénients qu’une discussion en justice pourrait entraîner
pour le capitaine lui-même. Son congédiement aurait
passé inaperçu et aurait même pu rester ignoré du pu
blic. Les débats qu’il susciterait lui donneront une écla
tante publicité, les révélations, fondées ou non, qui se
produiront à l’audience, et surtout la décision qui ap
prouvera la conduite du propriétaire lui occasionneront,
dans tous les cas, un préjudice beaucoup plus considé
rable qu’il n’en aurait souffert de la révocation.
�474
DROIT MARITIME.
Toutes ces considérations faisaient donc un devoir au
législateur de ne pas se placer en dehors des principes
généraux du mandat dont la constitution et la révoca
tion sont exclusivement livrées à la volonté spontanée
et libre du mandant.
306. — Les conséquences graves que l’impéritie du
capitaine pourrait avoir pour l’équipage et pour les pas
sagers qu’il serait chargé de diriger et de conduire ont
toujours fait considérer la: disposition de l’article 218
comme d’ordre public. On ne saurait y déroger. Donc
la clause par laquelle le propriétaire s’interdirait de con
gédier le capitaine serait nulle et de nul effet. Elle ne
ferait aucun obstacle à l’exercice du droit conféré par
l’article 218.
Par application de cette règle, la cour de Rouen ju
geait, le 16 mai 1838, que le capitaine copropriétaire
pourrait être congédié, malgré que par l’acte créant
l’indivision pour la construction et l’armement dü na
vire, le commandement lui eût été assuré pour un temps
déterminé, égal à la durée de l’associationl.
La même Cour consacrait plus explicitement encore
notre principe, en déclarant, le 20 janvier 1844, que
la disposition de l’article 218 était d’ordre public ; qu’en
conséquence, le propriétaire d’un navire peut toujours,
à son gré et sans allégation de motifs, congédier le ca
pitaine, encore bien que, par une clause formelle de
�art.
218, 219.
4 .7 5
l’engagement, il ait renoncé à son droit, et que le capi
taine soit le copropriétaire du navire l.
La faculté de congédier le capitaine, celui-ci fût-il co
propriétaire du navire, est absolue et sans limite. Son
exercice ne reconnaît d’autre règle que la volonté de ce
lui qui est appelé à la réaliser.
307. — Mais la prohibition de transiger sur le prin
cipe, n’existe plus à l’égard des conséquences que le
congé peut entraîner. L’article 218 ne refuse toute in
demnité que s’il n’existe pas de convention écrite entre
les parties. C’est là reconnaître explicitement la légalité
de celle qui serait intervenue et en rendre l’exécution
obligatoire.
On peut donc stipuler qHe le congé donné au capitai
ne sera l’occasion d’une indemnité, et en déterminer
même la nature et le chiffre. Aucun doute ne pouvait
s’élever sur le principe, mais son application n’a pas
laissé que de soulever quelques difficultés.
308. — L’article 218 exige-t-il une convention sur
le fait même d’une indemnité en cas de congé, ou bien
suffit-il que l’engagement du capitaine soit constaté par
écrit ?
C’est dans ce dernier sens que le tribunal de commer
ce de Marseille s’était prononcé maintes fois. Il accor
dait donc l’indemnité toutes les fois que le capitaine jus1 I b id ., 2 ,1844,
425
�47 6
DROIT MARITIME.
tifiait d’un engagement écrit. Il avait été plus loin en
core. À défaut même de cet engagement, il avait fait ré
sulter la convention écrite de l’inscription du nom du
capitaine sur le rôle d’équipage.
Les motifs du tribunal sont que l’article 218 ne sau
rait s’entendre d’une convention par écrit sur l’indem
nité même, ce qu’il n’était pas nécessaire de prévoir ;
mais d’une convention par écrit sur l’engagement ;
Que l’article 218, tel qu’on voudrait l’interpréter, se
rait en opposition avec le droit général, avec l’équité
naturelle, et cesserait d’être en harmonie avec les au
tres dispositions par lesquelles le législateur a si claire
ment manifesté la volonté de conserver au capitaine le
droit de demander une idemnité , quand il se trouve
privé de ses fonctions par une cause qui ne lui est pas
personnelle et qui n’est pas un cas fortuit (art. 208, 270
et 272);
Que la disposition qui attache l’indemnité du capitai
ne à l’existence du contrat de louage par écrit, et non à
des pourparlers, à des promesses verbales, à un simple
projet qui souvent n’a produit que des soins très légers,
est sage ; car elle tend à éviter l’arbitraire dans de pa
reils événements ;
Que si l’article 218 avait le sens qu’on cherche à lui
donner, le législateur, au lieu de cette expression : S’il
n’y a convention par écrit, aurait employé celle-ci : S’il
n’y a convention contraire ; comme il le fait dans les ar
ticles 353, 356, 352 du Code commerce, et dans l’ar
ticle 1986 du Code civil :
�ART. 2 1 8 , 2 1 9 .
477
Que le projet du Code de commerce accordait l’in
demnité au capitaine congédié sans cause valable, et n’a
joutait autre condition ;
Que le second projet ajoute : Il n’y a pas lieu à in
demnité, si le capitaine est congédié avant l’ouverture
du rôle d’équipage, ou s’il n’y a convention par écrit,
ce qui ne peut s’entendre assurément d’une convention
sur l’indemnité elle-même ;
Que le Code n’ayanî laissé subsister que l’expression
s’il n’y a convention par écrit, a conservé le sens qu’elle
avait dans le projet, précédée de celle avant l’ouverture
du rôle d’équipage L
L’interprétation que le tribunal de Marseille donne à
l’article 218 produirait ce singulier résultat, que la con
dition que le législateur met au refus de l’indemnité ne
se réaliserait jamais. En effet, l’engagement du capitai
ne, ne résultât-il que de la correspondance, n’en sera
pas moins écrit. Dans tous les cas, on ne pouvait se dis
simuler qu’il y aurait un rôle d’équipage. Or, si l’ins
cription du nom du capitaine est la convention écrite
exigée par l’article 218, cet article n’est plus qu’une vé
ritable dérision. Le refus de l’indemnité n’est qu’ap
parent, il n’y aura jamais absence de convention écrite.
Cette seule considération est décisive contre la doctritrine que nous combattons. Elle crée en effet un préju
gé contre elle, préjugé qu’il est facile, d’ailleurs, de jus
tifier au fond.
i
Journal de Marseille, t. 1,
3, 1, 302 ; t 7, K, 176; t,1 0 , 1, 33.
�DROIT MARITIME.
478
Nous ne parlerons pas de l’assimilation qu’on veut
établir entre le capitaine et les autres membres de l’é
quipage. Nous avons déjà fait ressortir en quoi diffère
le contrat qui intervient entre eux, et cette différence
dans la nature en amenait nécessairement une dans les
résultats.
Mais, objecte le tribunal, si la convention exigée par
l’article 218 devait porter sur l’indemnité elle-même, il
n’était pas nécessaire de la prévoir 1 Erreur, car, sans
cette prévoyance de la loi, l’existence de cette convention
aurait souffert et présenté beaucoup de difficultés.
On se serait prévalu du caractère public de la faculté
de congédier le capitaine r e t, considérant l’indemnité
promise commme un obstacle à son exercice, on n’au
rait pas manqué de soutenir la nullité de la convention.
Elle ne constitue, aurait-on dit, qu’une dérogation in
directe à une règle d’ordre public, à laquelle on ne pou
vait directement renoncer. Depuis quand est-il permis
de faire indirectement ce qu’on ne peut faire d’une ma
nière directe. La prévision d’une difficulté de ce genre
pouvait et devait déterminer le législateur à s’expliquer,
et c’est ce qu’il a fait.
Mais pourquoi ne s’est-il pas contenté de dire : Sauf
convention contraire, comme il l’a fait dans plusieurs
autres circonstances ? La raison en est simple et facile.
Le législateur voulait exiger la preuve littérale de la dé
rogation à l’article 218, quant à l’indemnité. Il fallait
donc exprimer cette volonté, puisqu’on statuait en ma
tière commerciale, oit la preuve testimoniale est de droit
�ART.
218, 219.
479
commun. L’expression, s'il n’y a convention écrite, n’a
donc d’autre but que de créer une exception à ce droit.
Lui en assigner un autre, c’est méconnaître ouvertement
la pensée du législateur.
On conviendra que si le Code de commerce n’a voulu
consacrer que ce qui était pratiqué sous l’ordonnance,
il était inutile qu’il ajoutât à sa disposition le refus de
toute indemnité, et surtout qu’il admît comme la con
vention qu’il exige le simple engagement du capitaine ou
l’ouverture du rôle d’équipage. La certitude de l’un et
de l’autre, dans tous les cas, réduisait sa disposition à
l’hypothèse indiquée par le tribunal : de simples pour
parlers, d’un projet non encore arrêté. Or, dans ce cas,
il ne pouvait être question d’indemnité, puisque aucun
lien réel n’existait entre les parties. Inutile par consé
quent de le prévoir.
Tenons donc pour certain que la convention dont
parle la loi ne peut être que celle qui, prévoyant l’exer
cice de la faculté de congédier le capitaine, stipule en sa
faveur une indemnité, cet exercice se réalisant. Toute
autre interprétation méconnaît le véritable caractère de
l’article 218.
C’est ce que la cour d’Aix a admis. Son arrêt, du 10
août 1826, constate que l’engagement du capitaine est
un véritable mandat ; qu’on ne saurait, dès lors, le con
fondre avec celui des matelots ou autres officiers du bord,
ni par conséquent se prévaloir des articles 270 et 272
du Code de commerce ; qu’en système général de légis
lation, lorsque des droits particuliers sont réglés par
�480
DROIT MARITIME.
une disposition spéciale, on ne doit plus admettre d’a
nalogie. Répondant ensuite au reproche de sévérité
adressé à son système, l’arrêt ajoute : Attendu que le ca
pitaine a la faculté de faire avec le propriétaire du na
vire toute convention et tous accords pour régler l’in
demnité en cas de congé ; que , dès lors, il doit s’im
puter de n’avoir pas exigé du propriétaire du navire un
traité qui détermine et fixe son droit pour ce cas éven
tuel.
Malgré cet arrêt , qui réformait un jugement du tri
bunal de commerce de Marseille, ce tribunal avait quel
que temps encore persisté dans sa jurisprudence , qu’il
a définitivement abandonnée depuis 1828.
309. — La cour de Rouen, dans son arrêt du 20
janvier 1844, auquel nous faisions tout à l’heure appel,
admet que la convention sur l’indemnité peut résulter
implicitement des termes de l’engagement lui-même.
Elle l’induit dans l'espèce de ce que l’engagement por
tait que le capitaine ne pourrait être congédié pendant
un temps déterminé.
Si l’article 218 nous paraissait devoir comporter un
tempérament quelconque, nous adopterions cette doc
trine sans hésiter. Mais il ne saurait, à notre avis, en
admettre aucun. Ce qui nous le prouve, c’est la contra
diction dans laquelle l’arrêt de Rouen tombe avec luimême, pour atteindre le résultat qu’il consacre.
D'une part, en effet, il déclare expressément qu’une
clause de cette nature est radicalement nulle comme con-
�ART. 2 1 8 , 2 1 9 .
481
traire à l’ordre public. Or, n’est-ce pas méconnaître ce
caractère que de lui faire produire un effet quelcon
que ? C’est surtout pour les nullités de ce genre qu’il
est vrai de dire : Quod nullum est, nullum producit effectum ;
D’autre part, il consacre que l’existence de cette clau
se n’empêche pas le propriétaire de révoquer le capi
taine à son gré et sans allégation de motifs. Cepen
dant il le condamne à des dommages-intérêts, s’il est
établi que le capitaine n’a pas contrevenu à ses obliga
tions.
C’est-à-dire que le propriétaire, dispensé d’alléguer
les motifs de sa résolution, sera tenu de les faire con
naître, de les établir, de les discuter. Ces motifs, en ef
fet, peuvent être indépendants de l’inexécution que le
capitaine aurait fait de ses obligations. Quelque fidélité
qu’il ait mise à les remplir, un soupçon sur sa probité,
sa délicatesse, sa capacité, pourrait être pour le proprié
taire un motif légitime pour le congédier.
Sera-t-il obligé d’alléguer ce soupçon, de le justifier;
mais alors la faculté de congédier sans allégation de
motifs n’existe plus réellement pour lui, puisque, s’il se
tait, il sera infailliblement condamné à des dommagesintérêts. L’on retombe donc dans les inconvénients de
cette révocation contradictoire que l’article 218 a voulu
précisément prévenir.
Les contradictions que nous reprochons à l’arrêt sont
donc évidentes, et nous ne saurions, dès lors, en ac-
Ë#
�482
DROIT MARITIME.
d’Àix, et nous croyons interpréter sainement le texte et
l'esprit de la loi en disant avec elle : L’indemnité n’est
due que si elle a été expressément convenue en cas de
congé, ce que le capitaine peut et doit prévoir dans tous
les cas.
La cour de Rennes vient de se ranger à l’opinion de
la cour de Rouen, en jugeant, le 18 juillet 1865, que
la clause d’uu compromis de navigation portant que
l’armateur s’engage à conserver au capitaine son com
mandement, équivaut à la stipulation d’une indemnité
pour le cas où le capitaine serait congédié l.
En consultant cet arrêt, on est frappé de la rationnalité et de la force juridique des considérations qui font
repousser la prétention du capitaine de faire résulter de
la clause l’impossibilité pour l’armateur de le congédier.
Mais l’induction que cette clause équivaut à la pro
messe d’une indemnité est loin d’offrir les mêmes bases.
Elle n’est étayée que de ce seul motif : « Considérant
que la garantie donnée par Chevalier à Rertrand de lui
conserver son commandement, et l’insertion dans le
compromis de navigation du 18 juin 1862, de la clau
se que celui-ci ne prend d’intérêt dans le navire qu’à la
condition d’être capitaine, équivalaient, dans l’intention
des parties, à la stipulation d’une indemnité pour le cas
de congé sans motifs appréciables. » C’est-à-dire que
la cour de Rennes admet comme certain ce qui avait le
plus besoin d’être établi : Quod erat demonstrandun.
�ART.
2 1 8 ,^ 2 1 9 .
483
Nous n’ignorons pas que les contrats s’interprêtent
par l’intention des parties, et que l’appréciation de cette
intention est laissée à l’arbitrage souverain du juge.
Mais cette règle subit des exceptions. Elle est surtout
inapplicable toutes les fois que la loi exige non pas seu
lement la certitude de l’intention, mais encore sa cons
tatation par écrit. Est-ce que l’intention de s’associer
ou de s’obliger par lettre de change, quelque certaine,
quelque évidente qu’elle fût, ferait admettre la société ou
la lettre de change ?
Pourrait-il en être autrement dans notre hypothèse ?
L’article 218 n’exclut-il pas toute indemnité au capitai
ne congédié sans motifs appréciables à moins de con
vention contraire par écrit ? L’absence de cet écrit pour
rait-elle ne pas produire l’effet qu’elle produirait incontestablemen t dans le cas de société ou de lettre de change ?
Sans doute l’armateur qui a promis de ne pas con
gédier le capitaine et qui le congédie, manque à son en
gagement. Mais, et la cour de Rennes le consacre, si
cette violation de sa promesse n’est que l’exercice d’un
droit que l’intérêt public lui-même lui a fait conférer, si
l’interdiction formelle d’en user ne saurait le lier. Com
ment sa stipulation pourrait-elle devenir l’origine et la
cause d’un dédommagement ?
Ce dédommagement a bien pu être dans l’intention
du capitaine , mais il est plus que problématique qu’il
ait été dans celle de l’armateur, et ce problème la loi
n’en confie la solution qu’aux parties elle-mêmes.
Est-ce qu’elles ne sont pas en mesure de le faire ?
�484
DROIT MARITIME.
Moins que personne le capitaine ne peut ignorer la dis
position de l’article 218. Si donc son intention est d’ê
tre indemnisé en cas de congé, si cette condition est ac
ceptée par l’armateur , il lui sera d’autant plus facile
de le constater que l’engagement pris par celui-ci de lui
conserver son commandement sera nécessairement écrit,
et rien n’était plus naturel que de stipuler que la viola
tion de cet engagement donnerait lieu à une indemnité.
Dans l’espèce de l’arrêt de Rennes il y avait transac
tion, et puisque dans les accords que cette transaction
constatait il n’était fait aucune mention d’une indemnité
en cas de congé. C’était évidemment que l’armateur
n’avait pas eu l’intention de traiter à cette condition.
Admettre cette intention c’était donc méconnaître le con
trat et violer l’article 218.
Il est vrai que dans l’espèce la promesse de conserver
le capitaine avait déterminé celui-ci à prendre un inté
rêt dans le navire. Mais cet intérêt il n’était pas forcé de
le conserver. Il était juste que son obligation à ce sujet
s’éteignit avec la cause qui l’avait déterminée ; et l’arti
cle 219 permettait de ramener les choses à l’état d’a
vant la transaction.
310. — Le congé peut être donné en tout temps,
avant et pendant le voyage. Le capitaine peut, dans l’un
et l’autre cas, avoir des répétitions à exercer, des droits
à faire valoir, indépendamment de l’indemnité, s’il en
était dû aucune.
Ainsi, on reconnaît qu’en cas de congé avant le dé-
�art.
218, 219.
483
part, le capitaine doit être payé des peines et soins qu’il
a donnés à l’armement jusqu’au moment de sa révoca
tion. Dans l’usage, ces peines et soins ne sont pas comp
tés au capitaine. Il en est indemnisé par le profit qu’il
retirera du voyage. Mais si, en lui enlevant le comman
dement avant le voyage, on lui interdit ce profit, il est
juste de lui tenir compte d’un travail auquel il ne s’est
livré que dans une éventualité dont le propriétaire em
pêche la réalisation. Le propriétaire ne saurait s’enri
chir à son détriment. Il doit donc l’indemniser de la
surveillance qu’il a donnée aux réparations, à l’arme
ment et à l’équipement du navire, à plus forte raison
doit-il le rembourser des salaires courus et des avances
qu’il peut avoir exposées pour la mise en état du navi
re, telles que paiement de fournitures et salaires du gar
dien h;
Si le congé est donné en cours de voyages, le capitaine
ne doit être remboursé que de ses salaires et des bénéfices
acquis. Il est de plus fondé à exiger les frais de conduite
et de retour au lieu du départ, dans les proportions ré
glées par l’arrêté du 3 germinal an x i i 2.
311. — La faculté de congédier le capitaine existe
même à l’endroit du capitaine copropiétaire. Mais son
exercice, dans ce cas, n’est pas toujours possible. Il se
trouve naturellement subordonné à la quotité de son in1 Tribunal de commerce de Marseille, 20 octobre 1830,
Marseille, t. n , 1, 286.
2 Aix, 10 août 1826.
Journal de
�486
DROIT MARITIME.
térêt dans le navire. Comment en effet constituer une
majorité à laquelle cet exercice esf exclusivement déféré,
si le capitaine possédait au moins douze quirats?
Dans cette hypothèse, son remplacement ne pourrait
être provoqué et ordonné par justice que sur des mo
tifs graves et justifiés. Hors de ce cas, le capitaine co
propriétaire est, au regard de la majorité, dans la même
position qu’un capitaine ordinaire à l’endroit de son ar
mateur. Celle-ci peut le révoquer à son gré et sans al
légation de motif, alors même que l’acte d’indivision lui
aurait formellement interdit cette faculté. C’était là la
conséquence directe du caractère d’ordre public qui s’at
tache à la révocation.
512. —- Mais ce qui pouvait résulter de son exerci
ce, c’était, d’une part, de rompre tout lien d’harmonie
entre les communistes. Une pareille mesure peut et doit
être considérée par celui qui en est l’objet comme une
grave injure, comme un témoignage de mauvais vou
loir et d’une injuste méfiance, rendant tous rapports
ultérieurs avec ceux qui l’ont sanctionnée très difficiles,
sinon impossibles.
D’autre part, le capitaine peut n’être devenu copro
priétaire du navire qu’en vue du commandement qui
lui en était confié. Lui retirer ce commandement, c’é
tait donc changer la nature de son contrat, et lui im
poser une charge désormais onéreuse, soit qu’il eût be
soin de ses fonds pour se placer ailleurs, soit qu’il eût
compté pour remplir ses engagements sur les profits at
tachés à l’emploi qu’on lui retire.
�ART. 2 1 8 , 2 1 9 .
487
De là la condition mise au congédiement du capi
taine copropriétaire. Par une dérogation au droit com
mun, les coïntéressés seront contraints d’acheter sa part
d’intérêt, de lui en rembourser la valeur s’il le requiert.
513. — Les termes de notre article sont formels et
précis, le capitaine pourra exiger le remboursement du
capital représentatif de son intérêt. La loi s’en remet
donc entièrement à la volonté du capitaine, et, puisque
ce n’est qu’une pure faculté que la loi lui confère, la
conséquence logique est que les coïntéressés ne sauraient
le contraindre à l’exercer ; à défaut d’initiative de sa
part, les choses restent forcément, après la révocation,
ce qu’elles étaient avant.
Mais si le capitaine, au lieu d’exiger son rembourse
ment de ses coïntéressés, vendait à un tiers, ces derniers
pourraient-ils exercer le retrait et se mettre au lieu et
place de l’acheteur?
Il parait que cette faculté de retrait existait sous le
droit antérieur à l’ordonnance de 1681 ; ainsi Valin rap
pelle une disposition de la Hanse teutonique, prévoyant
une fraude, que l’exercice de cette faculté pouvait faire
naître.
Le capitaine pouvait s’entendre avec son acheteur et
convenir d’un prix apparent fort supérieur à la valeur
réelle, soit pour empêcher le retrait, soit pour le rendre
plus onéreux. Dans cette prévision, la Hanse teutonique
voulait que les retrayants pussent demander et obtenir
la détermination de la valeur réelle par une expertise.
�DROIT MARITIME.
488
Valin enseigne que cette faculté doit être accordée sous
l’empire de l’ordonnance de 1681. On doit accorder la
préférence aux cointéressés pour empêcher, dit-il, qu’ils
n’éprouvent le désagrément d’avoir un associé de mau
vaise humeur ou qui leur déplairait. Cependant il ne
se dissimule pas les inconvénients que ce droit de pré
férence pourrait avoir pour le capitaine, celui entre au
tres de ne pouvoir trouver des acquéreurs voulant faire
valoir sa portion à juste prix, à cause de l’incertitude où
ils seraient de conserver leur achat. Cependant, ajoutet-il, tout inconvénient cesserait si cette sorte de retraite
n’avait lieu que faute d’avoir offert la préférence, et si,
outre cela, l’acheteur avait la faculté de refuser son rem
boursement sur le pied de l’achat, pour le demander
sur le pied de l’estimationl.
Le Code de commerce n’autorise plus cette prétention.
La copropriété d’un navire est une propriété ordinaire,
celui qui la possède peut en disposer à son gré, la ven
dre, la céder, la donner à qui lui plaît, sans que per
sonne ait à lui demander compte de sa disposition. Il
ne devrait de préférence à personne, à moins qu’il n’eût
formellement contracté l’obligation contraire en faveur
de ses co'intéressés.
Loin d’avoir créé la moindre entrave à ce droit, la
loi n’a conféré au capitaine copropriétaire révoqué la
faculté de se faire rembourser par ses copropriétaires que
pour le favoriser. Il peut vouloir sortir tout de suite de
l Art. 4, tit.
des Propriétaires.
�art.
218, 219.
489
l’indivision, avoir besoin de rentrer actuellement dans
ses fonds, et ne point immédiatement trouver un acqué
reur. C’est cet acquéreur immédiat que l’article 2119 a
voulu lui offrir en contraignant ses coïntéressés à le rem
bourser sur sa réquisition.
513 bis. — Le capitaine réduit par le fait de ses co
propriétaires à abandonner la direction du navire , est
en réalité congédié. L’effet du congé ne serait pas autre.
Dès lors il importe assez peu de quelle manière il se
produit ; qu’il résulte d’une révocation expresse ou ta
cite, la position du capitaine est la même, et dès lors
son droit à exiger le remboursement de sa part dans la
copropriété du navire ne saurait être méconnu ou con
testé.
Ainsi, un arrêt de la cour de Caen, confirmatif d’un
jugement du tribunal de commerce d’Avranches, jugeait
que l’affrètement pour un voyage au long-cours d’un
navire commandé par un capitaine qui, n’étant reçu
que pour le grand cabotage, ne peut continuer à com
mander le navire dans une expédition au long-cours,
équivaut au congédiement du capitaine ; que, par suite,
si ce capitaine est copropriétaire du navire, et si l’affrè
tement a eu lieu sans son consentement, il peut user du
droit que lui confère l’article 2119 du Code de commer
ce, de renoncer à sa part dans la propriété du navire
et de s’en faire rembourser par les autres propriétaires.
Cet arrêt fut dénoncé à la Cour de cassation comme
violant les articles 2119 et 2I20 du Code de commerce ;
�490
DROIT MARITIME.
on soutenait à l’appui du pourvoi, que mal à propos la
cour de Caen avait considéré comme un congédiement,
l’affrètement pour un voyage de long-cours d’un navire
que le capitaine ne peut plus commander, parce qu’il
n’est reçu que pour le grand cabotage, bien que les au
tres propriétaires n’eussent pas manifesté l’intention de
priver le navire des services du capitaine, et que rien
n’empêchât celui-ci de conserver son commandement en
se faisant recevoir capitaine au long-cours.
L’excuse n’était guère admissible. Il était évident, en
effet, que les copropriétaires n’avaient pu agir qu’intentionnellement, ne pouvant ignorer l’impossibilité pour le
capitaine de commander au long-cours, leur prétention
de n’avoir pas eu l’intention de le priver de son com
mandement n’était pas sérieuse, car ils n’avaient pu
ignorer que tel était l’inévitable résultat de l’affrètement
pour un voyage de long-cours.
D’ailleurs il ne pouvait s’agir de rechercher l’inten
tion dans laquelle les copropriétaires avaient agi. En
fait, le capitaine s’était vu retirer le commandement du
navire contre sa volonté et sans son consentement, il se
trouvait donc dans les conditions de l’article 219 qui se
préoccupe du fait sans s’inquiéter ni s’enquérir de l’in
tention qui y a présidé.
Sans doute le capitaine avait encore la ressource de
se faire recevoir capitaine au long-cours. Mais pour cela
il ne suffît pas de vouloir, il faut encore réunir les qua
lités requises qui ne peuvent s’acquérir que par des étu
des spéciales, et pendant le temps consacré à ces études
�ART. 2 1 8 , 2 1 9 .
491
que serait devenu le navire ? Est-ce que l’affréteur au
rait consenti à en retarder le voyage pour attendre que
le capitaine eût reçu et acquis le droit de le comman
der? Dans tous les cas, comment admettre légalement
chez les copropriétaires du capitaine le pouvoir de for
cer celui-ci à postuler une qualité qu’il ne considérerait
pas comme nécessaire.
Les prétentions du pourvoi n’étaient donc ni fondées
ni recevables, et le rejet de ce pourvoi était inévitable.
Aussi était-il prononcé par arrêt du 8 avril 1862 l.
314. — L’article 14 de la Hanse teutonique voulait
que ce remboursement se bornât à la restitution du prix
que le capitaine avait lui-même donné lors de l’achat.
Cette disposition n’était pas juste , elle convertissait en
une peine la faveur qu’on faisait au capitaine.
En effet, les circonstances, des réparations importan
tes faites depuis l’achat pouvaient avoir augmenté la va
leur du navire. Il n’était donc pas rationnel de priver
le capitaine de sa part dans cet accroissement de va
leur auquel il avait, dans certains cas, contribué de ses
deniers.
Le Code laisse les parties s’entendre elles-mêmes sur
la valeur de la part du capitaine. A défaut d’entente
amiable, il veut que cette valeur soit déterminée par des
experts convenus ou commis d’office, ce qui concilie tous
les intérêts.
J J.
du P.,
4863, 966
�492
DROIT MARITIME.
515. — L’article 219 est une dérogation au droit
commun, il convient dès lors de le renfermer dans des
limites raisonnables. Or, les motifs qui l’ont fait consa
crer indiquent que la réquisition du capitaine doit sui
vre de très près sa révocation. En conséquence, s i,
nonobstant cette révocation, le capitaine avait activement
concouru aux délibérations des intéressés, si, sans y
concourir, il les avait exécutées en contribuant aux ré
parations votées, il serait présumé avoir renoncé au bé
néfice de l’article 219. Redevenu simple copropriétaire,
il ne pourrait plus contraindre les autres à lui rembour
ser le capital représentant son intérêt.
Article 2 2 0 .
En tout ce qui concerne l’intérêt commun des pro
priétaires d’un navire, l’avis de la majorité est suivi.
La majorité se détermine par une portion d’intérêt
dans le navire excédant la moitié de la valeur.
La licitation du navire ne peut être accordée que sur
la demande des propriétaires formant ensemble la moi
tié de l’intérêt total dans le navire, s’il n’y a, par écrit,
convention contraire.
SOMMAIRE
316. Nécessité de régler les conditions de la communion d’inté-
�ART. 2 2 0 .
493
rets résultant de la copropriété du navire, à défaut de
convention.
317. Cette communion ne constitue pas une association com
merciale en participation. Ce qui l’en distingue.
318. Ni une société civile.
319. Conséquences, quant à la juridiction, pour les contestations
entre copropriétaires.
320. Quant à l’admissibilité de la preuve testimoniale, pour éta
blir la vente ou l’achat de la copropriété.
320 bis. Peut-on , entre parties, établir la vente par correspon
dance?
321. Caractère de la majorité à laquelle est soumise l’adminis
tration du navire commun.
322. Conséquences dans l’hypothèse où il n'y a que deux pro
priétaires ayant chacun douze quirats. Disposition de la
Hanse teutonique.
323. Opinion d’Emérigon sous l'ordonnance de 1681.
324. Que doit-on décider depuis le Code dans cette hypothèse,
comme dans toutes celles où les voix sont partagées ?
323. Objets sur lesquels la majorité est appelée à statuer.
326. L’admission du voyage entraîne l’obligation de contribuer
à la dépense que la mise en état du navire exigera. Na
ture de cette obligation. Conséquences.
327. Mais la nécessité, la nature et le coût de la dépense doi
vent être fixés par experts. Arrêt de la cour d’Aix dans
ce sens.
328. La majorité ne peut obliger la minorité à faire assurer le
navire.
329. Droit du gérant qui a contracté une assurance intégrale de
se faire rembourser proportionnellement par les divers
quirataires.
330. La majorité qui, à défaut d’affrètement, délibère de faire la
cargaison du navire ne lie pas la minorité quant à ce.
331. Mais elle doit lui tenir compte du fret des marchandises
qu’elle aurait chargées elle-même.
�494
DROIT MARITIME.
332. Résumé.
333. Si la majorité se prononce contre le voyage, la minorité
pourra-t-elle être autorisée à l’exécuter et à faire con
tribuer la majorité à la dépense de la mise en état.
334. Que faudrait-il décider si la majorité déclarait que le navire
ne naviguera plus jamais?
335. La majorité ne peut rétracter ses délibérations. Consé
quences.
336. Caractère du mandat qu'exerce le copropriétaire qui a reçu
la qualité d’armateur gérant. Conséquences à l’endroit
des copropriétaires cl des tiers.
337. Etendue de ce mandat pour les actions actives ou passives
de la copropriété.
338. Responsabilité du gérant-armateur.
339. Son obligation de tenir ses copropriétaires au courant des
changements survenus au voyage.
340. Etendue et caractère de la responsabilité des copropriétai
res à l’endroit des faits de l’armateur-gérant. Peuventils se prévaloir de l'article 216 ?
341. Opinion de M. Dalloz pour l’affirmative. Ses motifs.
342. Réfutation.
343. Solution.
344. Le gérant nommé ou toléré peut être révoqué par la ma
jorité. Exception que cette règle comporte.
345. Comment se dissout la copropriété d’un navire. Exception
au droit commun.
346. Conditions qu’exige la vente volontaire.
347. Durée de l’action en revendication du copropriétaire sans
le consentement duquel la portion a été vendue. Inappli
cabilité de l’article 193.
348. L’unanimité des volontés n’est exigée que pour la vente de
l’entier navire. Conséquences.
349. Formes de la licitation. Dans quel cas peut-elle être de
m andée et accordée ? Discussion au conseil d ’E tat.
�ART. 2 2 0 .
350.
351.
352.
353.
354.
495
Sagesse de la disposition qui prescrit l'intervention des tri
bunaux. Son objet.
A quelles conditions la licitation pu rg e-t-elle les privilèges
et l ’affectation des créanciers ?
Com m ent serait-il procédé à la licitation des navires appar
tenant à différents propriétaires et m is en société pour
les exploiter en com m un ?
Dissolution de la copropriété par la perte, l ’innavigabilité
ou la confiscation du navire. L eur influence sur les pou
voirs du g éran t-arm ateu r.
A qui appartiendrait le navirê construit avec les débris du
navire com m un ?
316. — La construction et l’acquisition d’un navire
sont ordinairement les résultats d’une réunion de per
sonnes contribuant à l’une ou à l’autre dans des pro
portions déterminées. Les sommes nécessaires peuvent
s’élever à un chiffre tel que certaines classes de com
merçants ou de propriétaires ne sauraient y suffire, sans
compter que ceux qui seraient en mesure d’y pourvoir
sont ordinairement peu jaloux d’exposer une trop forte
partie de leur fortune sur une propriété aussi chanceuse,
aussi exposée à dépérir.
Ge qu’un seul ne pourrait ou ne voudrait faire, l’as
sociation l’accomplit. Le fardeau, divisé sur plusieurs
têtes, se trouve naturellement allégé.
La communion suit quelquefois la construction ou l’a
chat au lieu de les précéder. Ainsi le possesseur de l’en
tier navire peut se trouver dans des circonstances telles
qu’il éprouve le besoin de rentrer au moins dans une
partie de ses fonds. Or, comme le navire se subdivise en
�496
DROIT MARITIME.
vingt-quatrièmes ou quirats, il lui est facile, s’il en trou
ve l’occasion, d’en céder une partie et de transférer ain
si la copropriété partielle du navire.
Mais, dans celte circonstance, on rencontrera moins
souvent un fait qui se réalisera habituellement lorsque
la construction ou l’achat ne sera que la conséquence
d’un concours préalable entre les intéressés. L’acte qui
sera alors dressé à cet effet pourra régler les conditions
de la copropriété, le mode d’administration, en un mot,
les devoirs et les droits respectifs de toutes les parties.
Cet acte se réalisant, la loi n’avait pas à se préoccuper
des uns et des autres, elle ne pouvait, dans ce cas com
me dans tous les autres, que respecter une volonté lé
galement et expressément déterminéeL
Ce qu’il fallait prévoir, c’était l’absence d’un acte de
ce genre, le silence qu’il garderait sur tel ou tel point
non prévu. La conséquence de cette prévision a été la
consécration de l’article 220.
517. — Cette disposition constitue le droit com
mun en matière de copropriété de navires, et c’est par
elle que doivent sé résoudre les difficultés qui peuvent
s’offrir. Mais avant d’indiquer ces difficultés et leur so
lution, il importe de se fixer sur le caractère réel de la
propriété d’un navire. Cette détermination est indis
pensable à un double point de vue, la juridiction à la
quelle sont soumis les copropriétaires, le mode de preui Rennes, 22 juillet 4 863 ; J.
du P .,
4864, 637.
�■
..
ART. 2 2 0 .
ve qu’ils sont fondés à offrir pour la constatation de leurs
droits.
Ou a bien souvent qualifié d'association en participa
tion la communion d’intérêt résultant de la copropriété
d’un navire. De là on a conclu que les difficultés entre
coïntéressés devaient être déférées à des arbitres, à l’ex
clusion des tribunaux ordinaires.
Mais il y a en réalité, entre la communion naissant
de la copropriété d’un navire et la société, de différen
ces telles qu’il est impossible de les confondre. Ces dif
férences étaient relevées en ces termes par un juge
ment du tribunal de commerce de Marseille, du 31 mai
1833 :
» Attendu que la partie d’intérêt qu’un individu peut
acquérir sur un navire, bien qu’elle ne porte pas spécia
lement sur une partie déterminée du navire et qu’elle
le rende communiste jusqu’à concurrence de son intérêt
avec les autres copropriétaires, ne saurait cependant
constituer entre les différents quirataires une société en
participation ;
» Que c’est un droit de copropriété soumettant, d’a
près la loi, le copropriétaire à suivre l’avis de la majo
rité en tout ce qui tend à utiliser la chose commune,
mais que le copropriétaire peut exercer dans toute sa
plénitude en vendant et transmettant son intérêt à qui
bon lui semble , sans consulter les autres copropriétai
res tandis que dans la société même en participation,
l’associé, s’il n’y a convention contraire, ne peut rien
faire sans son coparticipe, pas même céder à un autre,
i — 32
�498
DROIT MARITIME.
sans son consentement, sa part d’intérêt dans la chose
commune ;
» Qu’il est de l’essence de la société que la volonté
de mettre quelque chose en commun entre des person
nes désignées préside à sa formation ; qu’on ne peut
donc la supposer là où la chose qui fait l’objet de la
société est souvent possédée par des individus qui non
seulement ne se connaissent pas, mais qui sont quel
quefois domiciliés à des distances considérables les uns
des autres ;
» Que si l’on n’a jamais considéré comme société en
participation le voyage à part, à bien plus forte raison
doit-on exclure de la société la simple copropriété d’un
navire ;
» Qu’enfin on ne saurait trouver une société dans un
état de choses qui ne laisse pas que de continuer avec
les héritiers ou ayants droit du prétendu associé, quelle
que puisse être d’ailleurs leur incapacité h »
On peut ajouter que la société ordinaire a un terme,
passé lequel chaque associé peut réclamer la dissolution
et la liquidation de la chose commune, tandis que la
copropriété d’un navire doit durer autant que le navire
lui-même, qu’elle ne peut se dissoudre que par sa lici
tation, laquelle ne peut être ordonnée que si elle est de
mandée par douze quirats au moins.
318. — Les principales différences existant entre la
I
Journal de Marseille, t. 43,
1, 4 83.
�ART. 2 2 0 .
499
copropriété d’un navire et la société commerciale se re
trouvent entre elle et la société civile. Celle-ci, en effet,
ne se distinge de la société commerciale que par le mo
de de son administration, sa constitution, ses conditions
de durée. Les causes de sa dissolution sont les mêmes.
Il y a plus, aux termes de l’article 1859 du Code civil,
chaque associé a le droit de s’opposer à l’opération pro
jetée par les autres, et cette opposition suffit pour l’exo
nérer de toute responsabilité ; dans la copropriété d’un
navire, au contraire, l’avis de la majorité devient la loi
commune.
En réalité donc, tout ce que celle-ci offre de commun
avec la société, c’est la communion de droits et d’inté
rêt sur une même chose. On ne saurait dès lors l’assi
miler à celle-ci, car, non dicmlur socii, qui sunt cousortes ejusdem negotii h
319. — Dès lors aussi les difficultés que cette com
munion soulève entre coïntéressés ne peuvent devenir
l’objet d’un arbitrage que s’il intervient un compromis.
A défaut, la connaissance en appartient aux tribunaux
ordinaires. Or, comme l’achat d’un navire, pour en
louer l’usage, constitue un acte commercial, c’est à la
juridiction consulaire que cette connaissance se trouve
naturellement et exclusivement déférée3.
1 Troplong, des S ociétés, n° 20 et suiv.
2 L’abolition de l’arbitrage forcé a rendu lajuridiction ordinaire com
pétente même dans l’hypothèse d’une société.
�500
DROIT MARITIME.
320. — L’admissibilité de la preuve testimoniale
pour justifier l’achat de la copropriété du navire a été
soutenue à un double point de vue. On voulait la faire
résulter d’abord du caractère commercial de l’acte, en
second lieu de la disposition de l’article 49 du Code de
commerce.
Nous venons de répondre à ce dernier moyen, en
prouvant que la copropriété d’un navire ne constituait
pas une association en participation. Dès lors, il est
évident que l’article 49 du Code de commerce , spécial
à celle-ci, ne saurait être invoqué lorsqu’il s’agit de la
première.
Quant à l’autre moyen , il n’est pas mieux fondé.
Sans doute la preuve testimoniale est de droit commun
en matière commerciale, mais à une condition néan
moins, à savoir que la loi spéciale n’ait pas dérogé à ce
droit.
Or le Code de commerce, qui consacre cette déroga
tion pour les sociétés ordinaires et les lettres de change
dans les articles 39 et 110, en crée une non moins ex
presse pour l’achat des navires dans l’article 195. Cet
achat doit être constaté par écrit, dit cette disposition.
Dès lors la preuve testimoniale ne saurait être reçue pas
plus que lorsqu’il s’agirait d’établir l’existence d’une so
ciété ou celle de la lettre de change.
On a objecté que l’article 195 ne devait s’entendre
que par rapport au tiers ; que dès lors l’acheteur et le
vendeur restaient sous l’empire du droit commun, et
notamment de l’article 109 du Code de commerce. Cette
�ART. 2 2 0 .
SOI
objection manque de fondement, elle crée une distinc
tion que l’esprit de la loi et son texte repoussent. L’ar
ticle 195 ne fait que ce que les articles 30 et 110 font.
Or, soutiendrait-on que les parties entre elles pourraient
prouver par témoins l’existence d’une société, d’une let
tre de change ? Pourquoi donc la loi, qui ne distingue
pas dans ces deux hypothèses, aurait-elle distingué dans
celle de l’article 195 ? L’identité du but n’est-elle pas
la conséquence de celle de la disposition ?
Vainement fait-on appel à l’article 109. Celui-ci s’oc
cupe en général de l’achat et de la vente des effets mo
biliers et marchandises, et les navires sont exceptés de
la catégorie des uns et des autres. Dût-on les y com
prendre, que l’article 109 devrait céder devant la spé
cialité de l’article 195, qui aurait formellement excepté
les navires de sa généralité, et aurait exigé pour ceux-ci
des justifications particulières : Specialia derogant generalibus.
Ainsi l’article 195 est absolu. Quelles que soient les
personnes entre lesquelles il s’agira de la vente et de
l’achat d’un navire, on ne saurait, sans violer sa dispo
sition, les admettre à recourir à la preuve testimoniale.
520 bis. — Mais pourrait-on induire de la corres
pondance l’acte écrit que cet article exige ?
La cour de Bordeaux s’est prononcée pour l’affirma
tive en jugeant, le 23 avril 1872, qu’entre les parties
la vente d’un navire ou d’une part d’un navire peut se
prouver par la correspondance et que la disposition de
l’article 195 du Code de commerce ne concerne que les
�802
DROIT MARITIME.
rapports des parties avec les tiers ; l’arrêt estime que du
vendeur à l’acheteur la nécessité d’un acte public ou sous
signature privée n’est pas absolue, et qu’on ne voit pas
pourquoi la correspondance qui fournirait une preuve
écrite ne suffirait pas pour établir entre eux la conven
tion qu’ils auraient faite1.
La raison en est cependant fort simple. C’est que la
loi exclut tout autre preuve que l’acte public ou sous si
gnature privée. Prétendre que l’article 195 ne régit pas
les parties entre elles, c’est ce qu’on ne saurait raison
nablement admettre.
Nous venons de le dire, cet article ne fait pour la ven
te des navires que ce que les articles 39 et 110 font
pour les sociétés et la lettre de change. Pourrait-on, en
tre parties, faire résulter l’une ou l’autre de leur cor
respondance ? Non évidemment. Mais alors comment le
ferait-on pour la vente d’un navire ou d’une part d’un
navire ?
La distinction qui motive l’arrêt de Bordeaux est
d’autant moins admissible qu’en ce qui concerne les
tiers la forme de la vente est fort indifférente. Ils ne
peuvent en subir les effets que par la mutation sur l’ac
te de francisation et, comme nous l’avons dit, cette mu
tation est en réalité l’acte public.
L’article 195 s’impose d’autant plus aux parties et
aux parties exclusivement, qu’aux termes de l’article 18
de la loi du Tl vendémiaire an il, la vente d’un navire
ne peut résulter que d’un acte public contenant copie
de l’acte de francisation. Or, la seule modification que
I J. du P., 1872, 797.
�ART. 2 2 0 .
S03
le Code ait consacré est de permettre l’acte sous signa
ture privée.
Mais que l’acte soit public ou sous signature privée,
il n’en devra pas moins, pour être valable, contenir la
copie de l’acte de francisation. Ainsi le décidait le tribu
nal de commerce de Marseille le 27 avril 1854 1. Or
qui, si ce n’est les .parties, pourra et devra satisfaire à
cette exigence ?
-«■
La correspondance ne remplira jamais celte condi
tion. Donc, voulût-on la considérer comme l’acte écrit
exigé par l’article 195, qu’on devrait lui refuser tout
effet en vertu de la loi du 27 vendémiaire an n. Mais
cette assimilation, loin d’être autorisée, est formellement
proscrite par la loi.
En effet, l’article 109 du Code de commerce, dans
l’énumération des modes de preuve, indique l’acte pu
blic ou sous signature privée d’abord, la correspondan
ce ensuite. Il les distingue donc, et, vouloir les con
fondre, c’est évidemment se placer en opposition mani
feste avec sa disposition.
Dans tous les cas, qu’y gagnerait-on ? Dût-elle être
acceptée comme titre sous seing-privé que la correspon
dance n’en resterait pas moins sans effets. La vente est
un contrat essentiellement synallagmatique et, comme
tel, soumis aux prescriptions de l’article 1325 du Code
de commerce.
Dira-t-on que les lettres réciproques de proposition
et d’acceptation équivalent au double original ? Soit.
i J o u r n a l de
M arseille,
t, 32, 1, 124.
�504
DROIT MARITIME.
Mais l’article 1325 exige de plus que chaque original
mentionne le nombre des originaux qui ont été faits, et
le défaut de mention invalide le titre. Or, rencontrerat-on jamais cette mention dans la correspondance ?
On ne dira pas ici que cette exigence n’est qu’en fa
veur des tiers. En refusant le droit de s’en prévaloir à
la partie qui a exécuté la convention, l’article 1325 re
connaît explicitement ce droit à toutes celles des parties
qui ne peuvent être écartées par cette exception.
Cela répond à l’argument moral que l’arrêt de Bor
deaux invoque dans son dernier motif, consistant à
dire : « Qu’il répugnerait à l’équité et à la bonne foi,
qu’en présence d’une preuve littérale, complète et déci
sive, les contractants pussent, à leur gré , s’affranchir
de leur engagement réciproque. » Est-ce que l’acte sous
seing-privé auquel on n’a à reprocher que le défaut de
mention du nombre des originaux n’offre pas cette preu
ve et d’une manière plus précise encore ? Cependant la
loi la repousse et permet aux parties de se dégager de
leurs engagements.
Que sa décision à ce sujet puisse être querelée au
point de vue de l’équité et de la bonne foi, cela ne sau
rait autoriser les tribunaux à ne pas l’appliquer tant
que le législateur ne l’aura ni abrogée, ni modifiée.
En dernière analyse, la correspondance n’est qu’un
mode de preuve destiné à suppléer à l’acte écrit et n’est
pas, dès lors, et ne peut pas être cet acte lui-même.
On ne peut donc l’invoquer et l’admettre que dans les
cas où la loi autorise la preuve testimoniale.
Cette preuve l’article 195 la repousse et l’exclut puis-
�ART. 2 2 0 .
505
qu’il n’admet, pour constater la vente d’un navire ou
d’une part d’un navire, que l’acte public ou sous signa
ture. Les parties seules pouvant exécuter cette prescrip
tion, y sont naturellement et forcément obligées. Donc,
dire et consacrer, comme le fait la cour de Bordeaux,
qu’elles peuvent ne pas s’y conformer, c’est violer l’ar
ticle 195 dans son esprit et dans son texte.
521. — Le mode d’administration du navire com
mun était indiqué par la force des choses. Si chacun
des propriétaires conservait la plénitude de son droit, tes
volontés pouvaient être assez divergentes pour que toute
administration en devînt impossible. Il fallait donc qu’à
défaut d’une règle conventionnelle on imposât à tous
l’avis de la majorité.
Mais la raison s’opposait à ce que cette majorité fût
simplement nominale, il s’agit, en effet, de disposer
d’un intérêt fort inégalement réparti quelquefois. Un
seul peut posséder vingt quirats, tandis que les quatre
autres appartiendront à quatre, à six, à huit propriétai
res différents. Subordonner le sort du navire à l’avis du
plus grand nombre de voix , c’était donc livrer le prin
cipal intérêt à la discrétion du moindre.
C’était donc le cas ou jamais de dire avec la raison
écrite : Majorem esse partent pro modo dibiti, nonpro
modo per sonarum. C’est ce que pensèrent les auteurs
du Code de commerce.
La majorité ne peut donc se former que par l'adhé
sion d’intérêts représentant plus de la moitié de l’intérêt
�DROIT MARITIME,
506
total, c’est-à-dire quelle n’existera que si la mesure
proposée est accueillie par les propriétaires de treize quirats au moins.
322. — Cette disposition peut aboutir fatalement à
ce résultat que toute majorité deviendra impossible, par
exemple l’hypothèse où il n’existera que deux copro
priétaires possédant chacun douze quirats.
Dans la prévoyance de cette hypothèse, l’article 59 de
la Hanse teulonique disposait : Si de deux bourgeois
auxquels appartient un navire, l'un d'iceux veut qu’il
navigue, et l'autre s’y oppose et le défend, celui qui
le veut faire naviguer doit prévaloir.
Quelques auteurs, notamment M. Dageville, estiment
qu’il doit en être également ainsi depuis le Code, car on
doit toujours préférer le parti le plus conforme à la des
tination réelle et naturelle du navire ; d’où la consé
quence qu’il devrait en être ainsi toutes les fois que, mal
gré l’existence de plusieurs copropriétaires, douze qui
rats se seraient prononcés dans un sens et douze quirats
dans un autre.
323. — Telle était, sous l’empire de l’ordonnance
de 1681, l’opinion d’Emérigon qui, ainsi que nous le
verrons tout à l’heure, allait beaucoup plus loin enco
re, puisqu’il permettait à la minorité, lorsque la majo
rité s’était prononcée contre le voyage, de se faire au
toriser à le réaliser et à emprunter à la grosse, sur l’in
térêt de la majorité, jusqu’à concurrence de la contribu-
�tion que celle-ci devrait fournir pour la mise en état
du navire l.
524. — Quoi qu’il en soit, et pour nous restreindre
à ce qui concerne l’égalité de voix, nous ne saurions
admettre la doctrine de M. Dageville non plus que celle
de l’illustre Emérigon. Cette doctrine,très rationnellesous
l’empire de l’article 59 de la Hanse leutoniq'ute, avait
cessé de l’être dès la promulgation de l’ordonnance de
1681.
En effet, cette ordonnance, après avoir déclaré que
l’avis des intéressés qui auront la plus grande part au
navire serait suivi, ajoute : Aucun ne pourra contrain
dre son associé de procéder à la licitation d’un navire
commun, si ce n’est que les avis soient également par
tagés sur l’entreprise de quelque voyage2.
Voilà donc le cas d’une égalité des voix parfaitement
prévu, et le seul remède indiqué est la licitation. Il est
vrai que les termes de l’article paraissent restrictifs à
Valin, d’où il tire la conséquence que si le discord se
réalisait, non pas sur l’entreprise de quelque voyage,
mais sur la destination future et absolue, la licitation ne
serait pas obligatoire.
« Sur quoi, dit-il, il convient d’observer qu’il ne s’a
git pas là de deux avis égaux, dont l’un serait de lais
ser aller le navire sans aucune sorte de navigation, et
1 V. in f r a , n° 333.
2 Art. Bet 6, tit. des P r o p r ié ta ir e .
�P08
DROIT MARITIME.
l’autre entréprendre telle ou telle navigation. Il n’est
pas douteux alors que l’avis favorable à la navigation ne
dût l’emporter, sauf à discuter. »
Notons bien que c’est là la conséquence de la restric
tion que l’on met au droit de provoquer la licitation.
Or, puisque celle-ci était réduite à un cas déterminé, il
est certain qu’il fallait trouver un moyen légal de sortir
de l’embarras qui naissait dans tous les autres de l’éga
lité d’avis. Ce moyen ne pouvait être que l’intervention
de la justice.
Aujourd’hui le Code de commerce n’admet comme
obligatoire que l’avis de la majorité. Donc, en l’absence
de celle-ci, il n’y a de loi pour personne. L’article 220,
ainsi que nous le prouverons bientôt, a, de plus, dérogé
à l’ordonnance, en rendant la licitation obligatoire dans
tous les cas, à la seule condition qu’elle serait deman
dée par douze quirats.
Supposons, donc, qu’il s’agisse de la destination fu
ture du navire ; que douze quirats se prononcent pour
la continuation de sa navigation, que douze autres veuil
lent le convertir en moulin, ou le consacrer à tout autre
usage, par exemple, le louer pour magasin ou pour ca
serne.
Que feront les premiers? Demanderont-ils à la justice
d’imposer leur volonté aux derniers, mais ils seront ar
rêtés dès leur premiers pas par la demande en licita
tion, aujourd’hui recevable, quelle que soit la cause du
discord. Leur reconnaître ce droit, c’est donc aboutir
inévitablement à une exposition de frais inutiles, puis-
�ART. 2 2 0 .
qu’ils peuvent directement obtenir la licitation que les
défendeurs ne manqueront pas de réclamer pour échap
per aux conséquences et aux dépens de l’instance.
Il résulte donc de l’article 220 que le seul moyen de
résoudre le discord qui éclate à raison de la destination
du navire, est la demande en licitation, à plus forte rai
son doit-il en être ainsi lorsque ce discord ne se réalise
qu’à l’occasion d’un voyage particulier accepté par les
uns, repoussé par les autres. Dans le premier cas, en
effet, on comprend jusqu’à un certain point l’interven
tion de la justice. Le motif de rendre au navire sa des
tination naturelle aurait pu paraître plausible et la faire
admettre.
Mais, dans le second, ce motif ne saurait même être
allégué. Refuser un voyage déterminé et spécial, ce n’est
pas méconnaître cette destination, c’est purement et sim
plement arrêter une mesure que les circonstances peu
vent très bien motiver.
Ainsi, on peut craindre que la destination projetée ne
puisse se réaliser dans la saison. Le fret offert peut ne
pas paraître suffisant eu égard aux dépenses et aux dan
gers qu’on va être obligé de faire et de courir. Il fau
dra bien au fond qu’il y ait un peu de tout cela, car on
ne saurait facilement admettre que les propriétaires de
douze quirats renonceront à faire valoir leur propriété
uniquement par obstination et sur le simple désir de
nuire à leurs cointéressés.
Qu’aurait donc à faire la justice en cet état ? Condam
ner la crainte des uns, sanctionner les espérances des
�DROIT MARITIME.
MO
autres ! Mais l’événement pourrait cruellement réformer
la décision et ne laisser que le juste regret de l’avoir
provoquée et rendue.
En résumé, chacun est libre de disposer de sa pro
priété comme il l’entend, sans pouvoir jamais être con
traint de faire autrement. Cette conséquence du droit de
propriété devait fléchir dans le cas de communion dans
la possession d’un navire, car le choc de nombreuses
volontés individuelles faisait craindre que le navire ne
pût être utilement administré. La loi a donc sagement
agi en s’en rapportant à l’avis de la majorité, et en le
rendant obligatoire pour tous. Mais, c’est là une déro
gation au droit commun, et dès lors on ne saurait éten
dre sa disposition à des cas non prévus. S’il se réalise
que la majorité ne puisse se créer et que les efforts des
intéressés n’arrivent qu’à une égalité, la communauté
devient irrationnelle, anormale, elle doit cesser d’exister
et se dissoudre par la licitation du navire.
325. — L’article 220 n’appelle la majorité qu’à ré
gler ce qui concerne l’intérêt commun des copropriétai
res. Dans celte catégorie , se placent l’entreprise et la
destination du voyage, le choix du capitaine et de l’é
quipage, la fixation des gages, la rédaction des instruc
tions, l’affrètement du navire.
326. — La faculté de voter pour le voyage projeté
ou proposé entraîne celle d’imposer à tous les intéres
sés l’obligation de concourir à toutes les dépenses que
�ART. 2 2 0 .
511
la mise en état du navire peut entraîner. Oui veut la fin
veut Je moyen, et si le voyage arrêté par la majorité est
obligatoire, le radoub, l’armement et l’équipement, sans
lesquels le voyage serait irréalisable, doivent l’être éga
lement.
Permettre à la minorité de refuser d’y contribuer, ce
serait méconnaître l’article 220, en annuler le bénéfice,
et soumettre la majorité à subir la loi de la minorité.
Les membres de celle-ci doivent donc, comme ceux de
la majorité, supporter dans la dépense une part propor
tionnelle à l’intérêt que chacun d’eux a dans la proprié
té du navire, c’est ce qui a été de tout temps rigoureu
sement prescrit et observé.
Cette obligation n’a pas même besoin d’être sanction
née et consacrée par les tribunaux, elle existe de plein
droit, et son exécution peut être poursuivie dans la for
me prescrite par l’article 233, ç’est-à-dire que la déci
sion de la majorité constitue le consentement requis par
cet article. Dès lors, le capitaine ou le gérant-armateur
pourra, sur autorisation du juge, emprunter à la grosse
sur l’intérêt des refusants.
327. — Mais l’obligation ne peut pas dépasser cer
taines limites, celles d’une nécessité réelle. Il ne faudrait
pas que dans son zèle la majorité fit une dépense excé
dant les besoins, il est donc juste que celle-ci soit arrê
tée par des gens de l’art, qui en dresseront le devis, et
que cette mesure soit suivie d’une adjudication au ra
bais. Le refus que des coïntéressés feraient de contri-
�DROIT MARITIME.
312
buer en l’absence de cette double mesure devrait être
consacré par la justice.
« Attendu, disait la cour d’Aix, dans son arrêt du 23
février 1837, que si, aux termes de l’article 220 du Co
de de commerce, l’avis de la majorité des propriétaires
d’un navire doit prévaloir en tout ce qui concerne l’in
térêt commun, on ne saurait étendre cette disposition
jusqu’à accorder à la majorité le droit de fixer arbitrai
rement et la nature des réparations à faire au navire,
et la quotité des dépenses qu’elles nécessiteront.
» Que, dans l’espèce, le sieur Boutony n’a ni présen
té ni offert aux intimés un devis des réparations à faire
au navire, lequel devis aurait pu être débattu par toutes
les parties, ainsi qu’elles en avaient le droit ;
» Qu’en ces circonstances, c’est avec raison que les
premiers juges ont ordonné les formalités portées par le
jugement dont est appel, et qui tendent à fixer d’une
manière incontestable soit la nature, soit le montant
des réparations dont s’agitl. »
Les formalités ordonnées par le jugement n’étaient
autres que celles que nous venons d’indiquer, à savoir,
un rapport d’expert, un devis des réparations, et leur
mise en adjudication au rabais.
Cette doctrine est équitable et juste, elle donne à l’ar
ticle 220 sa véritable et naturelle signification. Donc l’o
bligation de la minorité de contribuer à la dépense vo
tée par la majorité est subordonnée à la détermination
1 J o u rn a l de M arseille, 1 . 1 6 ,1 , 149.
�ART. 2 2 0 .
S I3
des réparations réellement nécessaires et à celle de la
quotité de la dépense. Cette détermination, provoquée
par la majorité seule, pourra toujours être débattue par
la minorité.
328. — Si la majorité qui vote pour le voyage et
la réparation du navire décidait également que le navire
sera assuré, la délibération sur ce point ne serait pas
obligatoire pour la minorité. L’assurance est certes une
excellente mesure que la prudence conseille, puisqu’elle
doit, en cas de sinistre, indemniser l’assuré de la perte
qu’il serait dans le cas de subir, mais nul ne saurait ja
mais être contraint de la contracter.
Or, la majorité n’est appelée à statuer que sur les
opérations concernant l’intérêt commun , c’est-à-dire
celles qui ne pourraient se diviser et qui seraient'inexé
cutables, si elles ne s’appliquaient généralement à tout
le navire. Or, l’assurance se place naturellement en de
hors de cette catégorie.
En elfel, elle n’a pas besoin d’être générale ; quoique
régie dans un intérêt commun, la propriété du navire
reste déterminée et distincte sur la tête de chaque co
propriétaire jusqu’à concurrence de sa part et portion.
Chacun d’eux est libre de faire assurer pour ce qui le
concerne, il sauvegarde ainsi son,intérêt sans avoir
besoin du concours des autres cointéressés, dès lors ce
concours ne peut être requis ni moins encore ordonné.
Ainsi la majorité, libre de veiller à une assurance en
ce qui la concerne et de la contracter, n’a pas à s’eni — 33
�514
DROIT MARITIME.
quérir de ce que fera la minorité. Toute prétention à la
contraindre à l’imiter serait non recevable et mal fon
dée. La délibération qu’elle prendrait à cet effet n’au
rait aucune autorité.
329. — Cependant, si sans provoquer de délibéra
tion à cet égard , le copropriétaire investi de la qualité
d’armateur-gérant avait assuré la totalité du navire, son
recours contre chaque quirataire ne saurait lui être re
fusé. La faculté de contracter l’assurance est comprise
dans le mandat que reçoit le gérant, mandat qui se ré
sume dans l’obligation de protéger efficacement les in
térêts qui en font l’objet.
Or, l’assurance est un acte de bonne administration.
Son utilité est telle, qu’à moins de l’expression expresse
d’une volonté contraire, nul des copropriétaires ne peut
être censé y avoir renoncé. Il ne saurait donc se sous
traire à la réclamation de celui qui, ayant agi dans cette
conviction, réclamerait les avances par lui faites pour
le paiement de l’assurance.
Voulût-on considérer celle-ci comme en dehors du
mandat, qu’elle n’en constituerait pas moins une ges
tion d’affaires qui, utilement accomplie, donnerait à ce
lui qui s’en était chargé le droit d’obtenir le rembour
sement de ses avances.
330. — Si, l’occasion d’affréter le navire ne se pré
sentant pas, il était question de le charger pour le comp-
�S15
te des propriétaires, la minorité sera-t-elle liée par la
décision affirmative de la majorité ? Sera-t-elle obli
gée de contribuer à la cargaison, sous peine d’y être
contrainte ?
Cette difficulté, examinée par Valin, est par lui réso
lue négativement par le motif qu’en conférant à la ma
jorité la faculté de statuer en tout ce qui concerne l’in
térêt commun, la loi n’a entendu se préoccuper que de
l’intérêt réel des propriétaires. Or, cet intérêt n’est et ne
peut consister qu’en ce que le navire navigue au profit
commun, et qu’il soit mis en état pour cela.
Ce n’est donc, ajoute Valin, que pour cette fin que
l’avis du plus grand nombre doit être suivi, soit pour
régler l’entreprise et la destination du voyage, soit pour
le choix du capitaine et la formation de l’équipage, soit
enfin pour dresser les instructions à suivre durant le
voyage.
Or, rien de tout cela n’a de relation au moins di
recte et nécessaire avec le chargement du navire, parce
que la qualité de chargeur n’a rien de commun avec
celle de propriétaire ou copropriétaire d’un navire, et
que notre article ne parle que de l’intérêt commun des
propriétaires ; ce qui n’emporte qu’une idée restreinte à
l’armement et à l’équipement du navire, indépendante
par conséquent de l’objet de sa cargaison.
De ce que le plus grand nombre peut contraindre le
moindre de contribuer à l’armement d’un navire en com
mun, il ne s’ensuit donc nullement qu’il puisse l’obliART. 2 2 0 .
�316
DROIT MARITIME.
ger tout de même de fournir son contingent pour la car
gaison 1.
Cette opinion a été accueillie par la doctrine moder
ne, elle devait l’être, car le contraire ne pouvait être en
seigné, sans méconnaître la véritable position des par
ties.
Devenir copropriétaire d’un navire, ce n’est pas con
tracter l’obligation de se livrer à des opérations com
merciales, obligation qui pourrait être incompatible avec
la position qu’occupe le copropriétaire ou les fonctions
qu’il est appelé à remplir. D’autre part, elle pourrait
être au-dessus des ressources réelles dont elle pourrait
disposer.
On ne devient possesseur d’une portion d’un navire
que pour en percevoir les revenus proportionnels. On ne
peut, dès lors, être soumis à la loi de la majorité que
dans et pour ce qui se rapporte à ces revenus.
Qu’en conséquence, la majorité ait le pouvoir de sta
tuer sur ce qui les concerne ; qu’elle vote la mise en
état du navire devant voyager, et que sa délibération à
cet égard soit obligatoire pour tous, rien déplus naturel,
mais qu’elle prétende forcer la minorité à faire le com
merce, qu’elle l’oblige à subir les chances défavorables
d’une expédition pouvant sans doute présenter des bé
néfices, mais offrant également la possibilité d’une per
te, c’est ce qu’on ne saurait admettre ni tolérer.
La majorité n’aurait un pouvoir pareil que si l’acte
i Art. B, tit.
des Propriétaires.
�ART. 2 2 0 .
si 7
créant l’indivision le lui avait expressément conféré. En
l’absence de toute convention de ce genre , elle ne sau
rait le puiser dans l’article 220 qui régit la communion
d’intérêts résultant de la copropriété d’un navire, mais
qui ne force personne à contracter une société commer
ciale comme le serait celle ayant pour objet l’achat et la
revente d’une cargaison.
331. — Dans l’espèce sur laquelle s’expliquait Valin, on soutenait subsidiairement que la majorité, si elle
n’a pas le droit de contraindre à opérer la cargaison,
doit au moins pouvoir charger des marchandises jusqu’à
concurrence de son intérêt, sans être obligée d’en payer
le fret à la minorité.
Valin nous apprend que cette prétention était repous
sée par une consultation d’Emérigon, s’étayant sur ce
que, par la nature de l’indivision, le navire commun
appartenant à tous les portionnaires, sans que l’on pût
assigner à chacun d’eux une portion séparément de celle
des autres, la prétention de la majorité était une chi
mère, puisqu’elle ne pouvait pas raisonnablement s’at
tribuer aucune portion du navire pour son intérêt, à l’ex
clusion de la minorité, sans que celle-ci eût droit de
dire mon intérêt à moi porte sur cette place que vous
venez prendre, comme sur le reste du navire.
La consultation concluait donc que le fret était dû à
la minorité :
1° Parce que le fret est acquis au navire ; au moyen
�b l8
DROIT MARITIME.
de quoi tous ceux qui ont droit à ce navire doivent aussi
prendre part au fret, quel que soit le chargeur ;
2° Que cela est d’autant plus juste que, suivant l’axio
me de droit, celui qui participe aux charges et à la dé
pense, doit participer aux profits. D’où il s’en suit que
la minorité, contribuant à l’armement et courant les
risques de la navigation , doit nécessairement prendre
part au fret que gagnera le navire à l’occasion des mar
chandises chargées par la majorité ;
3° Qu’il n’y a aucune différence à faire entre un char
geur étranger et un chargeur copropriétaire , par rap
port au fret, attendu que ce dernier n’agit pas alors en
cette qualité, mais seulement comme chargeur , au
moyen de quoi il doit le fret comme un chargeur étran
ger , et cela au navire, sauf à lui à prendre part à ce
même fret à raison de l’intérêt qu’il a dans le navire ;
4° Qu’en supposant que la majorité agit en cela en sa
qualité de copropriétaire, elle n’en serait pas mieux fon
dée à se prétendre exempte du fret afférant à la mino
rité ; l’associé, ou tout autre communiste, n’ayant pas
droit de scinder l’usage de la chose commune et d’en
appliquer à son profit particulier les fruits, sous pré
texte qu’il ne les aura perçus qu’à proportion de l’inté
rêt qu’il y avait. Tout ce qui a été retiré doit être rap
porté à la communauté pour être partagé ;
5° Qu’il importait peu qu’il restât un vide dans le
navire, non seulement parce que c’est un accident as“ sez ordinaire, mais encore parce qu’il est de nature,
comme tous les autres hasards , à tomber sur tous les
�ART.
220.
intéressés dans un navire, lorsqu’ils n’ont pas de quoi
le charger en entier, ou qu’ils ne sont pas dans cette vo
lonté , c’est à eux à chercher des marchandises à fret
pour le surplus, et s’ils n’en trouvent pas', le navire en
souffre, et c’est une perte pour la communauté ;
6° Enfin, que la majorité n’avait pas plus de droit
de s’emparer de la quotité du navire lui appartenant,
pour y charger des marchandises sans en payer le fret,
qu’un cohéritier ou un copropriétaire pour les trois
quarts dans une maison n’aurait droit de l’occuper jus
qu’à concurrence des trois quarts, sans en payer le loyer.
Ce cohéritier ne serait pas recevable à dire à son co
héritier du quart restant : Je n’occupe la maison que
jusqu’aux trois quarts ; ainsi je ne vous dois aucun loyer,
puisque je n’use que de mon droit, et que rien ne vous
empêche d’occuper, vous aussi, le quart que vous avez
dans la maison. Celui-ci lui répliquerait avec raison :
Vos trois quarts n’étant pas distingués, puisque nous
n’avons pas fait le partage de la maison, vous ne pou
vez pas dire que ce que vous occupez soit vos trois
quarts. J’ai sûrement mon quart dans ce que vous avez
jugé à propos de prendre, comme dans le reste de la
maison. Notre propriété étant indivise, notre droit à l’un
et à l’autre s’étend sur toute la maison. Ainsi, ayant un
quart dans ce que vous occupez, vous m’en devez né
cessairement le loyer pour mon quart ; et, à l’égard de
ce qui est resté vacant, c’est une perte pour nous deux.
Or, si ce raisonnement est décisif contre un copro
priétaire de maison, susceptible de division par appar-
j
Ut
f"
�DROIT MARITIME.
520
lements ou par chambres, à combien plus forte raison
l’est-il contre les copropriétaires d’un navire absolu
ment indivisible? La majorité déclare qu’elle ne char
gera qu’à proporiion de son intérêt, mais quelle par
tie du navire prendra-t-elle pour placer les marchan
dises dans laquelle la minorité ne puisse pas soutenir,
avec raison, qu’elle a une part correspondante à son in
térêt ?
Si la question que nous examinons se présentait ja
mais sous l’empire de l’article 220, sa solution ne sau
rait être douteuse. La doctrine si juridique que nous ve
nons de rappeler amènerait infailliblement le rejet de la
prétention de la majorité.
352. — En résumé, donc, la majorité a le droit de
voler pour le voyage, et ce vote entraîne pour la mino
rité l’obligation de contribuer à la dépense qu’occasion
nera la mise en état du navire, laquelle dépense doit
être déterminée, comme nous le disions tout à l’heure.
Si la minorité se refuse à celte contribution, la majorité
a le droit de l’y contraindre, en se faisant autoriser à
emprunter à la grosse, sur l’intérêt que les refusants ont
sur le navire.
Mais le pouvoir de la majorité ne va pas jusqu’à im
poser à la minorité l’obligation de contribuer à la car
gaison, et si, au refus de celle-ci, elle réalise cette car
gaison en tout ou en partie, elle doit lui tenir compte
de sa part proportionnelle dans le fret,
�ART. 2 2 0 ,
521
333. — Si la majorité se prononce pour le désar
mement du navire, la minorité pourra-t-elle deman
der et obtenir l’autorisation de réaliser le voyage, et obli
ger la majorité à contribuer à la dépense de la mise en
état ?
Nous avons déjà indiqué que l’affirmative était sou
tenue et enseignée par Emérigon, qui étayait son opi
nion : d’abord sur la destination naturelle du navire :
Navis enim, dit-il avec la loi romaine, ad hoc paratvr,
ut naviget ; ensuite, sur la disposition de l’article 59 de
la Hanse teutonique, dont nous avons rappelé la dis
position plus haut E
Mais, répondait Valin, la Hanse teutonique ne parait
résoudre que le cas de deux propriétaires ayant des droits
égaux sur le navire et ne pouvant, dès lors, atteindre à
la majorité. On ne pourrait donc en invoquer les pres
criptions que lorsque , malgré un plus grand nombre
de propriétaires, on serait arrivé à un partage d’intérêt.
Mais ces prescriptions seraient sans application absolue
à notre article qui veut, indistinctement, qu’en tout ce
qui concerne l’intérêt commun des propriétaires, l’avis
du plus grand nombre soit suivi. Or, le point de sa
voir si l’on fera naviguer le navire ou non, concerne as
surément l’intérêt commun des propriétaires ; par con
séquent c’est l’avis du plus grand nombre qui doit dé
cider. ■
Je conclus donc, termine Valin, qu’en quelque cir—
i C on trats à la grosse, chap. iv, sect. îv, § 3.
�DROIT MARITIME.
522
constance que ce soit, le plus petit nombre des intéres
sés dans un navire ne peut jamais être reçu à présenter
en justice un projet de navigation contre l’avis du plus
grand nombre, et que, sans autre examen, il doit être
absolument débouté, quelque offre qu’il fasse, attendu
la disposition de cet article, qui doit d’autant plus être
respecté, qu’il serait extrêmement dangereux d’y donner
la moindre atteinte1.
Cette conclusion n’a rien perdu de son caractère ju
ridique et rationnel. L’article 220 s’est approprié la dis
position de l’ordonnance. Il en a donc admis toutes les
conséquences.Celle qu’en tirait Yalin n’en est pas moins
logique. La solution que nous en avons tirée, en cas de
partage égal de voix, indique infailliblement celle à la
quelle on doit aboutir, lorsque la majorité s’est pronon
cée. Sans doute, le pouvoir des tribunaux est grand et
devait l’être ; mais il ne saurait aller jusqu’à subor
donner la majorité à la loi de la minorité, en présence
d’une disposition de loi qui décide et admet le contraire,
avec infiniment de raison.
Il est cependant une observation importante qui ne
saurait être négligée. Yalin raisonne dans l’ypothèse
d’une délibération intervenue sur le projet d’un voyage
particulier, et par laquelle la majorité a pris la résolu
tion de laisser le navire dans le port, jusqu'à ce que
le temps devienne plus favorable à la navigation ; et
ce qui rend son opinion plus décisive encore, c’est qu’on
i Art. 5, tit.
des Propriétaires.
�ART. 2 2 0 .
523
ne saurait même dire, dans ce cas, que la destination du
navire est changée. Renvoyer à une navigation ulté
rieure, c’est, en réalité, maintenir cette destination
qu’une inopportunité actuelle empêche de réaliser.
334. — Mais que devrait-on décider si la majorité
délibérait que le navire sera désarmé d’une manière ab
solue et définitive ; qu’il ne reprendra jamais la mer ?
Nous avons déjà dit que dans l’hypothèse d’une égalité
de voix sur celte question, le remède était à côté du mal,
puisque chaque opinion, ayant pour elle douze quirats,
peut immédiatement provoquer la licitation.
Lorsqu’au contraire la majorité s’est prononcée dans
un sens, la minorité, ne remplissant pas la condition de
la loi, ne pourrait provoquer cette mesure. Faudra-t-il
donc la condamner sans aucun recours à subir la perla
de son intérêt en la soumettant à la délibération qui le
déclare pour toujours improductif?
Cela serait d’autant plus inique, que cette délibéra
tion peut être le résultat d’une odieuse spéculation de la
majorité ; dans le cas surtout où elle réside dans un
seul, qui, assez riche pour sacrifier pendant plus ou
moins longiemps les revenus de ses treize quirats, cher
cherait, par ce moyen, à se défaire de ses intéressés, en
les forçant à céder à vil prix une propriété qu’ils ne
pourraient laisser improductive, ou qui n’obéirait qu’à
un sentiment d’animosité ou de haine auquel la loi ne
saurait s’associer.
Il est donc impossible d’admettre qu’elle ait pu auto-
�524
DROIT MARITIME.
riser un pareil effet. Dans ce cas, la minorité doit avoir
un moyen de sortir de la position qui lui est faite. Si ce
moyen n’était pas dans le texte, il serait incontestable
ment dans l’esprit de la loi.
Or, ce moyen, nous le rencontrons dans la nature
même de la délibération. Déclarer qu’un navire sera
pour toujours désarmé, c’est en reconnaître l’innavigabililé. Mais celle innavigabilité peut être contestée par
tous ceux qui y ont intérêt, et elle doit être, dans ce cas,
déclarée par la justice.
La minorité pourrait donc appeler à celle-ci de la
décision de la majorité et la faire réformer. Cela nous
parait d’autant plus certain, qu’à notre avis il est dou
teux que l’article 220, en appelant la majorité à diri
ger l’administration de la chose commune, lui concède
le pouvoir de la condamner à ne jamais plus rien pro
duire
11 est vrai que la majorité pourra se soustraire aux ef
fets du jugement qui aurait réformé la décision, en pro
voquant la licitation. Mais n’eùt il produit que ce ré
sultat, que le recours de la minorité l’aura dégagée de
l’embarras et de la position étrange dans laquelle la pla
çait la délibération de la majorité.
Dans tous les cas, l’innavigabililé constitue la perte
du navire et dissout la communauté dont il était la ma
tière. Ce qui reste, ce n’est plus un navire, ce sont des
débris dont chaque intéressé peut provoquer la vente.
On ne saurait leur appliquer la règle que l’article 220
met à la licitation du navire lui-même. La minorité
�ART. 2 2 0 .
525
pourrait donc toujours, sans attaquer la délibération
condamnant le navire, en provoquer la vente.
Js
355. — Dans tous les cas où la majorité oblige la
minorité, elle s’oblige à plus forte raison elle-même. De
là, on a conclu qu’un voyage d’abord admis par elle de
vrait être exécuté, alors même que, revenant sur la dé
libération, la majorité se fût prononcée en sens contrai
re. La minorité dans celte seconde délibération, aurait
le droit de faire ordonner l’exécution de la première, à
moins que des événements graves réalisés dans l’inter
valle ne vinssent en justifier le retrait.
L’insuffisance des fonds originairement votés, pour la
réparation, l’armement et l’équipement du ncvire, et la
nécessité d’en voter de nouveaux ne constitueraient pas
l’événement pouvant motiver ce retrait. Non seulement
l’acceptation du voyage impliquerait la nécessité de la
mise en état complète, mais la dépense déjà faite serait
un motif de plus pour poursuivre les réparations. La
décision contraire rendrait inutile et fruslratoire la som
me déjà consacrée à cet objet, ce qui serait une perte
réelle pour tous.
Ainsi l’insuffisance des fonds votés et employés n’au
toriserait pas la majorité à revenir sur sa délibération.
Elle devrait recevoir son exécution même au prix d’un
nouvel appel de fonds qui serait obligatoire pour tous,
et auquel chacun devrait contribuer, sous la peine por
tée par l’article 232 du Code de commerce.
�526
DROIT MARITIME.
336. — L’administration matérielle et courante du
navire par la majorité serait assez difficile. Aussi la
confie-t-on, dans l’usage, 'à l’un des copropriétaires,
qui prend alors la qualification d’armateur-gérant.
Le mandat qu’il exerce peut être exprès et arrêté par
la majorité, mais il peut n’étre que tacite et résulter de
la tolérance que les autres propriétaires ont mis à le
laisser agir en cette qualité^ à leur vu et su, et sans ré
clamations. A plus forte raison s’induirait-il du règle
ment qu’ils auraient fait avec lui pour des opérations
précédentes, et des comptes présentés par lui, débattus
et acceptés par eux.
Par rapport aux tiers, l’existence du mandat résulte
de la possession publique et certaine de la qualité d’ar
mateur-gérant. Us ne pourraient donc, pour les actions
intentées au nom de cet armateur-gérant et en sa qua
lité, les soutenir non recevables par application de la
maxime nul ne plaide par procureur, ni l’obliger soit à
indiquer le nom de ses copropriétaires, soit à justifier
d’un mandat formel de leur part.
La cour de Rennes, qui l’avait ainsi jugé, le 9 juin
4817, en faveur du consignataire du navire, déclarait
dans un second arrêt, du 7 mai 4818, qu’il devait à
plus forte raison en être de même pour l’armateur-gérant dans la personne duquel résident tous les droits de
la propriété, et dont les opérations ne pourraient être
attaquées que par ses coïntéressés.
Elle décidait, en conséquence, qu’il n’est pas néces
saire qu’un armateur qui procède contre les fournis-
�ART. 220 .
527
seurs du constructeur, lesquels réclament le privilège sur
le navire, justifie du mandat de ses cointéressés dans
l’armement.
337. — L’armateur-gérant exerce donc en sa qua
lité, mais en son nom, toutes les actions actives du na
vire et en poursuit les droits. Il peut non seulement ac
tionner les tiers, mais encore le capitaine lui-même et
exiger de lui le compte des voyages et opérations faites
pour le compte de l’armement.
Par réciprocité, il est le défendeur légal à toutes les
actions passives qui se trouvent valablement intentées
contre lui. Sans doute il n’est pas prohibé aux tiers de
mettre en cause tous les copropriétaires, mais ils ne sont
pas obligés de le faire, leurs droits se trouvant intégra
lement sauvegardés par la poursuite contre l’armaleurgérant seul.
338.
Les droits et les obligations de celui-ci, soit
qu’il agisse en vertu d’un mandat formel, soit qu’il n’ait
qu’un mandat tacite, sont, à l’endroit de ses coïntéressés, ceux d’un mandataire ordinaire, à cette différence
qu’en les obligeant il s’oblige nécessairement et person
nellement jusqu’à concurrence de son intérêt dans le na
vire.
Donc, pour ce qui le concerne, il répond de sa faute,
et cette responsabilité est plus ou moins sévère et rigou
reuse, selon que le mandat est ou non salarié.
�DROIT MARITIME.
828
559. — Une de ses principales obligations est de
tenir ses cointéressés au courant des diverses circonstan
ces de la navigation du navire, notamment des change
ments qui pourraient être faits au voyage primitif. En
un mot, de tout ce qui peut influer sur l’assurance déjà
contractée ou en nécessiter une nouvelle. Ainsi, la cour
de Montpellier jugeait, le 10 décembre 1835 que l’ar
mateur, chargé de la gestion et administration du navi
re, qui n’a pas fait connaître les changements opérés au
voyage primitif, était responsable du préjudice qui en
était résulté pour ses copropriétaires, de celui notam
ment résultant, en cas de naufrage, de ce que les assu
rances par eux prises ont été annulées à raison de la
non déclaration du changement qui devait devenir l’ob
jet d’une assurance nouvelle.
510. — Une difficulté sérieuse s’est élevée à propos
de la responsabilité des copropriétaires à l'endroit des
engagements contractés par l’armateur gérant. On a pré
tendu ne voir dans ces copropriétaires que de simples
associés commanditaires ne pouvant être tenus au-delà
de leur intérêt dans le navire ; on leur a même reconnu
la faculté de se prévaloir du bénéfice de l’article 216 et,
en conséquence, de se libérer par l’abandon du navire
et du fret.
Mais M. Boulay-Paty se prononce pour la responsa
bilité solidaire et indéfinie. D'abord, dit-il, l’article 216
du Code de commerce ne permet l’abandon du navire et
du fret que relativement aux faits du capitaine, et ne re-
�garde point les faits du copropriétaire-armateur. Sa dis
position est une exception au droit commun, qui ne s’é
tend point à d’autres cas1.
541. — M. Dalloz reproche à la doctrine de M. Boulay-Paty d’être plus conforme aux principes du droit
commun qu’aux règles particulières du droit maritime.
En matière de commerce maritime, dit-il, le principe
que le législateur a voulu faire prédominer, c’est que
nul ne soit exposé à perdre, par le fait d’autrui, au-delà
de ce qu’il a voulu mettre en risque ; c’est ce qui s’in
duit de l’article 216. Méconnaître cette règle, ce serait
entraver le développement des sociétés nautiques et con
trarier par là l’esprit de la loi, qui a voulu les favoriser.
« Le caractère des sociétés, ayant pour objet l’exploi
tation du navire, doit être principalement apprécié d’a
près l’intention vraisemblable des parties. Or, lorsqu’il
y a d’un côté un associé-gérant, de l’autre un associé
étranger à la gestion du navire, n’est-il pas naturel de
penser que celui-ci n’a pas entendu assumer sur sa tête
une responsabilité plus lourde que celle qui pèse sur les
associés commanditaires ou sur les membres d’une so
ciété anonyme ?
» Enfin il résulte de la disposition finale, ajoutée à
l’article 216 par la loi du 14 juin 1841, que le capi
taine, qui est en même temps copropriétaire du bâti
ment, n’est responsable des engagements par lui sous1 T.
p. 366.
�DROIT MARITIME.
530
crits à raison du navire que dans la proportion de son
intérêt ; d’où il faut conclure, a fortiori, que le copro
priétaire non capitaine, qui n’a personnellement con
tracté aucun engagement, ne peut être obligé au-delà de
sa part. Nous pensons donc, et c’est aussi l’opinion de
M. Dageville, que l’associé à la propriété d’un navire
n’est responsable des faits et engagements du coproprié
taire-armateur que jusqu’à concurrence de sa mise de
fonds, et que même il peut se libérer par l’abandon de
sa part dans le navire et le fretl. »
342. — M. Dalloz se trompe. Le droit maritime, tel
que le Code l’avait d’abord consacré, ne répugne pas
absolument à l’application de la règle principale du man
dat, quis mandat, ipse fecisse videtur. La preuve en est
dans la controverse qui s’était établie sous l’empire de
l’ordonnance de 1681, et dans la jurisprudence de la
cour de cassation depuis le Code, consacrant la respon
sabilité indéfinie du propriétaire pour les engagements
du capitaine, autres que ceux résultant de la faute, du
délit ou du quasi-délit.
La preuve la plus décisive s’en trouve dans la loi de
1841 elle-même. Le principe que M. Dalloz conteste
était si bien dans la loi , qu’il a fallu une loi contraire
pour l’en bannir. Mais le caractère exceptionnel de celleci commande forcément d’en restreindre l’application au
fait spécial qui a motivé l’exception. Dès lors, puisque
i
Nouveau rép., v. Dr. marit , n° 289.
�ART. 2 2 0 .
351
le législateur de 1841 s’est borné à autoriser l’abandon
pour les faits du capitaine, il a par cela même non seu
lement refusé, mais encore formellement prohibé de l’ad
mettre pour les faits du gérant-armateur. La cour d’Aix
nous l’enseignait tout à l’heure. En système général de
législation, lorsque des droits particuliers sont réglés
par une disposition spéciale de la loi, on ne doit plus
admettre d’analogies. Quelle que soit donc celle qui peut
se trouver entre le capitaine et le gérant-armateur, l’a
bandon facultatif pour un cas ne saurait l’être dans l’au
tre, par cela seul que la loi s’expliquant sur l’un a gar
dé le silence sur l’autre.
Que si d’ailleurs on scrute les motifs du législateur,
on rencontre bientôt la raison déterminante de cette dis
tinction. Si on relève les propriétaires de la responsabi
lité des faits du capitaine, c’est d’abord que le choix de
celui-ci est restreint dans une certaine classe ; c’est en
suite que ce mandataire, en quelque sorte imposé, agira
le plus souvent à des distances tellement considérables,
que tout contrôle est rendu impossible.
Le choix de l'armateur-gérant est purement sponta
né et volontaire ; il agit le plus souvent dans le port
d’armement, sous les yeux et toujours sous le contrôle
possible des copropriétaires.
En d’autres termes, le capitaine est un véritable man
dataire. L’armateur-gérant est plutôt un instituteur pré
posé à l’opération par les copropriétaires intéressés. On
comprend dès lors la distinction que la loi a dû faire
entre eux, on comprend surtout que la faculté spéciale-
�S52
DROIT MARITIME.
ment accordée pour les faits de l’un ne puisse pas être
exercée pour les faits de l’autre.
Donc, le texte et l’esprit de la loi ne permettent pas
d’accueillir la doctrine de M. Dalloz.
Nous n’admettons pas d’avantage l’assimilation d’un
copropriétaire de navire à l’associé commanditaire. La
communion d’un navire, qui n’est pas même une asso
ciation en participation, ne saurait être une société or
dinaire. Celle-ci constitue un être moral, propriétaire
exclusif des mises des associés tant commanditaires
qu’ordinaires, ces mises forment le fonds commun dis
tinct de l’avoir particulier des associés. Dans la com
munion d’un navire, chaque propriétaire reste seul maî
tre de son intérêt, qu’il peut toujours vendre et aliéner,
que ses créanciers peuvent toujours saisir, sans que les
autres aient le droit de s’y opposer.
S’agit-il d’une société, pourquoi les copropriétaires
seraient-ils réputés commanditaires? Parce qu’ils ne gè
rent pas ? Mais combien d’associés en nom collectif, qui
se trouvent dans la même position. D’ailleurs, aucune
loi ne leur prohibe la gérance, comme le Code le con
sacre pour les commanditaires. Enfin la société en com
mandite étant une exception, ne se présume pas, elle
doit clairement résulter de l’acte, et jamais on ne la ren
contrera dans l’acte de copropriété d’un navire.
iMais M. Dalloz, assimilant le copropriétaire non gé
rant au copropriétaire capitaine, veut en conclure, a for
tiori, que, puisque celui-ci, qui a lui-même contracté,
n’est tenu de l’engagement que jusqu’à concurrence de
�son intérêt dans le navire, il ne saurait en être autre
ment pour le premier.
L’engagement du capitaine copropriétaire est en effet
réduit à son intérêt. Mais, dans celte proportion, sa res
ponsabilité est indéfinie, puisque l’article 216 lui pro
hibe de faire abandon. Donc, tout ce qui résulte de sa
disposition, c’est, ainsi que nous l’avons déjà observé,
que la loi en cette matière n’admet pas la solidarité ; ce
lui qui traite avec le navire contracte réellement avec ses
divers quirataires, et il n’a contre chacun d’eux qu’un
droit correspondant à l’intérêt le concernant. Mais con
clure de cette absence de solidarité à la faculté d'aban
don, c’est donner à l’article 216 une signification qu’il
ne comporte nullement.
345. — Aussi, ne dirons-nous pas avec M. Boulay-Paty que chaque copropriétaire est solidairement et
indéfiniment tenu des faits de l’armateur-gérant, nous
admettons au contraire que la dette reste d’autant plus
divisible que le mandat donné par chacun d’eux se ré
fère uniquement à la part qu’il a dans le navire, parce
qu’en réalité aucun d’eux n’a jamais eu le moindre
droit sur la part des autres. Nouvelle preuve que la
communion de propriété n’a pu constituer une société.
En conséquence, les obligations contractées par l’ar
mateur—gérant réfléchissent contre tous les copropriétai
res. Chacun d’eux en est tenu indéfiniment, mais sans
solidarité et seulement pour une part proportionnelle à
son intérêt dans le navire.
�534
>
DROIT MARITIME.
344. — La gérance du navire étant essentiellement
une mesure d’intérêt commun, sa disposition en est
laissée à la majorité. Comme celui qui institue a le droit
de révoquer, la majorité n’est pas ici liée par la déli
bération. Elle peut en tout temps retirer le mandat
qu’elle aurait conféré,et sans être obligée d’alléguer des
motifs.
Ce droit de révocation subit une exception dans le cas,
par exemple, où la qualité d’armateur a été légalement
conférée par la convention. Ainsi, le propriétaire de
l’entier navire, ou d’un intérêt représentant la majorité,
en cède une part quelconque, mais en se réservant la
qualité d’armateur. Cette condition lie toutes les par
ties, et cette qualité doit être maintenue sur la tête de
celui qui l’a stipulée.
D’autre part, un individu, sollicité d’acheter une part
quelconque dans un navire, ne consent à en devenir pro
priétaire qu’à la condition d’en être l’armateur. L’ac
ceptation de celte condition rend cette qualité désor
mais acquise et irrévocable,
Peu importe, dans l’un et l’autre cas, que le copro
priétaire qui a stipulé ait conservé ou acquis un intérêt
représentant la majorité. Il suffit qu’au moment du con
trat la réunion de sa part et de celle des copropriétaires
atteignît à cette proportion, pour que la condition soit
définitive. En acceptant, ces derniers se sont formelle
ment interdit de voter pour la révocation. Tenus de
l’exécution du contrat, ils ne pourraient, dans aucun
�cas, s’associer à une mesure qui en serait la violation la
plus expresse.
Par application de ces principes, le tribunal de com
merce de Marseille décidait, le 15 janvier 1844, que la
convention verbale arrêtée entre les deux principaux
quirataires d’un navire formant la majorité, et d’après
laquelle il est convenu que l’un des deux ne s’est ren
du copropriétaire du navire que sous la condition qu’il
en serait l’armateur, est obligatoire pour celui qui l’a
souscrite et pour les autres cointéressés formant la mi
norité ;
Qu’en conséquence, le propriétaire-armateur qui, en
vertu d’une telle convention, a géré l’armement en cette
qualité, ne peut, sans motifs de reproches graves et fon
dés, en être dépossédé à la poursuite de l’autre princi
pal copropriétaire, capitaine du navire ;
Que, dans de pareilles circonstances, celui-ci ne peut
notamment contraindre le propriétaire-armateur à lui
donner l’autorisation d’affréter le navire, quand celuici prouve qu’il s’occupe lui-même de chercher un affrè
tement convenable à l’intérêt des quirataires 1.
La première conséquence admise par le jugement est
marquée au coin de la raison et de la justice. Une con
vention légalement contractée doit recevoir sans doute
sa pleine et entière exécution. Mais il faut que cette
exécution soit conforme à l’intention réelle des parties.
Celui qui s’est réservé la qualité d’armateur ne peut donc
1 Journ al de M arseille , t. 23,1, 88.
�S36
DROIT MARITIME.
en être dépouillé, mais à la condition qu’il aura admi
nistré en bon père de famille et dans l’intérêt de tous.
Les abus qu’il aurait commis, les dangers que son ad
ministration passée ferait concevoir pour l’avenir de
viendraient tout autant de motifs de lui retirer l’admi
nistration, nonobstant la convention. Mais il ne suffirait
pas qu’on alléguât les uns et les autres, il faudrait qu’on
les justifiât pour que l’effet que nous signalons pût et
et dût être consacré par la justice.
345. — La loi spéciale a dérogé, en matière de co
propriété de navires, à la règle que nul ne saurait être
tenu de rester dans l’indivision. Le législateur a voulu
multiplier les associations de ce genre, à cause de leur
influence sur les progrès et les développements de la na
vigation. Il ne pouvait atteindre ce but qu’en les met
tant à l’abri d’une dissolution qui pouvait être fort in
tempestivement demandée ou dictée par le mauvais vou
loir ou le caprice.
Donc, la copropriété d’un navire, n’ayant aucun ter
me déterminé, ne peut cesser par son expiration. Elle
ne se dissout ni par la mort naturelle ou civile, ni par
l’interdiction ou la déconfiture de l’un ou de plusieurs
des intéressés ; elle se continue avec les acheteurs ou
les héritiers mineurs ou femmes mariées.
La seule manière dont elle prenne fin est l’aliénation
ou la perle du navire.
L’aliénation du navire est volontaire ou forcée. Voici
les règles applicables à l’une et à l’autre.
�art .
220.
537
346. —> La vente volontaire, devant amener la fin
de l’indivision, ne peut être ordonnée par la majorité.
Elle n’est régulière que si elle est admise par l’unani
mité des copropriétaires. On aurait pu cependant, con
sidérant la vente comme concernant l’intérêt commun,
en laisser la décision à la majorité. Mais le pouvoir de
celle-ci, se réduisant à l’administration, ne pouvait s’é
tendre à une mesure dont la conséquence immédiate est
de mettre un terme à cette administration. D’ailleurs,
celle-ci étant forcée, on pouvait bien en régler les con
ditions. Mais la vente ne pouvait l’être dans aucun cas,
moins encore dans celui qui nous occupe, puisqu’il est
toujours loisible à celui qui veut recourir à ce moyen de
l’employer pour l’intérêt qui le concerne. La faculté de
contraindre ses autres copropriétaires à l’imiter n’avait
donc plus de motifs plausibles.
Sans doute, la majorité arrivera au même résultat,
puisque la licitation pouvant être demandée par un in
térêt représentant la moitié de l’intérêt total, pourra, à
plus forte raison, l’être par un intérêt dépassant cette
moitié. Mais, dans ce cas, on sera obligé de la faire or
donner par la justice, qui peut la déclarer inopportune
et sauvegarder ainsi les droits de la minorité concéder à
la majorité la faculté de procéder à la ven te volontaire c’é
tait donc enlever à la minorité cette garantie suprême
que le législateur a voulu lui assurer.
Aussi, à quelque chiffre que s’élève la majorité, at
teignit-elle à vingt-trois quirats, la vente qu’elle eût
consentie, sans la demander à la justice , ne cesserait
pas d’être une vente volontaire, alors même qu’elle eût
�DROIT MARITIME.
S38
été faîteaux enchères et par-devant la justice. Elle res
terait dès lors irrégulière et nulle à l’endroit de la mi
norité.
347. — L’action de la minorité est, comme toutes
autres, soumise à des exceptions tirées soit de la rati
fication; soit delà prescription. Mais si, à l’endroit de
cette dernière, le principe est incontestable, son appli
cation n’a pas manqué de soulever quelques difficul
tés relativement au délai dans lequel elle peut être ac
quise.
M. Pardessus estime que si l’acheteur a été de bon
ne foi, il serait recevable à invoquer l’article 193 et à
opposer au copropriétaire la prescription acquise contre
les créanciers par le fait seul d’un voyage fait depuis la
vente sous son nom et à ses risques. De même, dit-il,
que celui qui acquiert de bonne foi un immeuble d’une
personne qui n’en est pas propriétaire, prescrit contre
le légitime propriétaire par le laps de temps et les
moyens qui servent à prescrire contre les hypothèques,
de même , il paraît convenable de décider que l’ache
teur de bonne foi d’un navire prescrirait contre le véri
table propriétaire, lorsqu’il l’aurait possédé pendant le
temps et avec les circonstances qui purgent les droits
des créanciersl.
Il n’est pas exact de dire qu’en droit ordinaire on pur
ge la propriété par le laps de temps et par les moyens
servant à prescrire contre les hypothèques. Le contraire
�ART. 2 2 0 .
est formellement écrit dans l’article 2180 du Code civil,
déclarant que les hypothèques sont prescrites en faveur
des tiers détenteurs par le temps réglé pour la prescrip
tion de la propriété.
Aussi, ne trouvons-nous dans ce Code aucune dispo
sition qui détermine la durée de la prescription contre
les créanciers. Ce que nous rencontrons, c’est l’article
2263, fixant à dix ans la prescription contre le vérita
ble propriétaire en faveur de celui qui a acquis a non
domino, avec bonne foi et juste titre. Dès lors, et en
vertu de l’article 2180, le même délai de dix ans pro
duira le même effet contre les hypothèques.
L’application de cette règle à l’affectation des créan
ciers sur un navire conduisait à cette conséquence que
cette affectation ne devrait être éteinte qu’au moment où
s’éteindrait le droit du propriétaire dont la chose a été
vendue par un tiers. Or, c’est ce que le législateur n’a
pas cru devoir autoriser. De là, l’article 193 créant pour
ces créanciers une prescription spéciale et de courte du
rée. Mais évidemment cet article, se taisant sur le droit
du propriétaire, laisse ce droit sous l’empire absolu de
la règle ordinaire.
L’article 193 n’est qu’une exception au principe gé
néral de l’article 2180 du Code civil, il faut donc le res
treindre dans les termes mêmes dont il s’est servi, aller
au-delà, ce serait méconnaître son caractère et prêter au
législateur une intention qu’il n’a pas eue.
La preuve de cette dernière proposition nous est fourpie par l’article 210 du Code de commerce. Lorsque le
�DROIT MARITIME,
840
législateur a voulu purger le droit de propriété comme
celui des créanciers, il s’en est formellement expliqué.
L’article 210 le déclare expressément pour la vente en
justice. Donc, si l’article 193 est muet à cet égard, c’est,
comme nous le disons, qu’il ne crée qu’une exception
ne pouvant jamais exercer la moindre inüuence sur les
droits des copropriétaires.
L’action en revendication dure donc trente ans, tout
au moins dix ans, si on veut assimiler l’acheteur du na
vire à l’acquéreur de bonne foi d’un immmeuble vendu
à non domino l.
Au reste , en matière d’acquisition d’un navire , la
prétendue bonne foi de l’acheteur sera tuujours fort
contestable. Il lui est facile, en effet, d’arriver dans tous
les cas à la connaissance de la position véritable du ven
deur.
S’agit-il d’une vente volontaire, il doit d’abord con
sulter l’acte de francisation et exiger ensuite la repré
sentation des litres et documents justifiant la propriété
alléguée. Cette précaution est d’autant plus urgente, qu’il
est de notoriété publique que les navires ne soni que ra
rement la propriété d’un seul, et que cette notoriété est
dans le cas d’éveiller la plus inquiète sollicitude.
S’agit-il d’une vente en justice et par enchères, il doit
consulter le jugement ordonnant la licitation et malgré
lequel la vente ne cesse pas d’être volontaire, ou la déi Conf. Boulay-Paty,
marit., n° 188.
1 .1, p. 351 ; Dalloz,
Nouv. Répert.
V.
Dr
�ART. 2 2 0 .
841
libération constatant la volonté unanime des coproprié
taires.
Si, dans chacun de ces cas, il n’a pris aucune de ces
précautions, il ne pourrait guère exciper de sa bonne
foi, il n’a à signaler que sa propre imprudence.
348. — L’unanimité de volontés que la vente exi
ge, hors le cas de licitation, n’est, requise que lorsqu’il
s’agit de l’aliénation intégrale du navire. La vente amia
ble des diverses portions est absolument facultative pour
les propriétaires qui n’ont besoin ni du concours, ni
même du consentement les uns des autres, à moins que
le contraire n’eût été stipulé dans la convention créant
l’indivision.
On devait d’autant plus le décider ainsi, que le pro
priétaire de quelques quirats seulement n’a pas d’autre
moyen de sortir de l’indivision, et cependant il peut
avoir intérêt ou besoin d’en sortir ; il convenait donc de
lui permettre d’aliéner à son gré la partie d’intérêt dont
il jugera convenable de se défaire.
349. — Aux termes de l’article 220, la licitation ne
peut être ordonnée que sur la demande de propriétaires
formant ensemble la moitié de l’intérêt total , c’est-àdire représentant au moins douze quirats. Quelque dé
sir qu’eut le législateur de voir ces communions se per
péluer, fallait-il bien prévoir le cas où, par un partage
égal des voix toute administration devenait impossible.
Sans doute ce partage peut n’êlre qu’accidentel, et la
�842
DROIT MARITIME.
majorité, impossible dans ce cas, se prononcera dans
une autre circonstance. Mais cet espoir ne pouvait exis
ter lorsqu’une demande en licitation émanait de pro
priétaires de douze quirats, il était dès lors évident que
le dissentiment était grave et profond, et que ceux qui
se livraient à une pareille démarche, si elle était d’a
bord repoussée, saurait bien en rendre l’accueil ulté
rieur indispensable en perpétuant la division.
A quoi bon dès lors recourir à de nouvelles épreu- '
ves, soumettre les copropriétaires à des tiraillements
nouveaux ? Toute mesure, dans cet objet, ne pouvait
que nuire à l’intérêt de tous par la perte du temps pen
dant lequel le navire restait improductif et exposé à se
détériorer.
Dans celte conviction, la section du conseil d’Etat pro
posait de déclarer que la licitation était de droit, s’il y
avait égalité de voix.
Dans la discussion, cette proposition fut attaquée com
me restreignant trop le droit de demander la licitation.
« Dans le droit commun, faisait observer M. Siméon,
la licitation peut être provoquée par un seul des copro
priétaires. Cependant ici elle pourrait, par le fait, ne dé
pendre que du vœu de la majorité, par exemple lors
qu’il y a une première délibération sur la question de
savoir si le navire partira, et que l’affirmative est déci
dée ; comme la délibération lie chaque copropriétaire,
il en résulte que la majorité a paralysé implicitement,
dans chacun d’eux, la faculté de faire liciter. »
M. Siméon se trompe, répondait M. Bégouen. Sui-
�ART. 2 2 0 .
54-3
vant les dispositions de l’ordonnance, la licitation n’était
admise que dans le seul cas où les avis se trouvaient
également partagés sur l’entreprise de quelque voyage,
de sorte que la section, bien loin de restreindre les cas
où la licitation pourra avoir lieu, propose de les éten
dre ; puisque d’abord la disposition de la première par
tie de l’article étant générale et sans restriction y est ap
plicable, et que la dernière partie du même article n’exi
ge pas même la majorité, mais seulement partage égal
des voix pour que la licitation soit de droit. »
Sur ces observations l’article fut admis, sauf rédac
tion *.
550. — L’article 220 indique quelle fut la rédac
tion définitive. La licitation doit être demandée en jus
tice, mais elle ser a ordonnée si la demande est faite
par des propriétaires représentant la moitié de l’intérêt
total.
Ce résultat a même servi à contester l’utilité du re
cours aux tribunaux, à quoi bon les investir, dès que
leur autorité est enchaînée et qu’ils sont obligés de con
sacrer la demande ?
Cette objection méconnaît la nature de la mission con
fiée aux tribunaux. Ils seront obligés d’accueillir la li
citation, si les propriétaires sont eux-mêmes fondés à la
réclamer. Or, ils ne le seront pas toujours, notamment
dans le cas auquel M. Siméon faisait allusion. Dès que
1 Procès-verbal du d4 juillet -1807 ; Locré, t. 18, p. 326, n°42.
�844
DROIT MARITIME.
la majorité a délibéré un Voyage, ce voyage doit être ac
compli .Nous ayons vu qu’elle ne peut même pas revenir
sur sa décision dont les intéressés peuvent contraindre
l’exécution pure et simple.
Pourquoi cette obligation et ce droit, si les coproprié
taires, si la majorité d’hier peut indirectement se sous
traire à l’une et éluder l’autre, c’est évidemment le dou
ble but que se proposerait et qu’obtiendrait la demande
en licitation.
On pourrait donc valablement la contester, la soute nir inopportune et irrecevable jusqu’après le voyage, et
les tribunaux non seulement pourraient, muis encore de
vraient la déclarer telle et refuser de l’accueillir.
Leur intervention était donc indispensable et par con
séquent utile , elle sera surtout l’une et l’autre lorsqu’il
s’agira de déterminer les formes de la licitation.
Les formalités prescrites par le titre deux ne sont obli
gatoires que dans le cas de saisie. On n’est donc pas
forcé de les suivre pour la licitation.
Peut-être les poursuivants qui n’agissent qu’avec l’ar
rière-pensée de devenir eux-mêmes adjudicataires au
ront-ils intérêt à ce qu’il en soit ainsi. Mais évidemment
les autres propriétaires auront un intérêt contraire et
pourront demander que les étrangers soient admis à
concourir aux enchères, et que le projet de celles-ci re
çoive la plus grande, la plus notoire publicité.
Qui donc eût prononcé sur ces prétentions, réglé les
formes de la licitation, admis le concours des étrangers,
si dans sa sagesse la loi n’avait pas appelé les tribu-
�545
naux, dès l’origine, à statuer sur la demande en licita
tion ? Le reproche qu’on faisait à l’article 220 est donc
aussi injuste que mal fondé.
Au reste, il en est de la licitation comme de la cons
titution de la communauté, de son administration. La
loi ne la régit que faute par les parties de l’avoir fait
elles-mêmes, et c’est ce que l’article 220 indique par
ses derniers termes : S’il n’y a, par écrit, convention
contraire.
Le législateur n’a donc pas considéré sa disposition à
l’endroit de la licitation, quoique prise dans un intérêt
général, comme d’ordre public, il a permis d’y déroger
tant en la forme qu’au fond ; les parties ont toute lati
tude.
Seulement, ces dérogations doivent être certaines, in
contestables. Voilà pourquoi notre article exige qu’elles
soient rédigées par écrit. L’absence de cet écrit replace
rait les parties sous l’empire absolu de l’article 220,
toute preuve par témoins qu’il y a été dérogé ne serait
ni recevable ni admissible.
ART. 2 2 0 .
551. — Aux termes de l’article 193, les privilèges
sont éteints par la vente en justice, et nous avons déjà
observé que ces termes ne s’appliquaient pas exclusive
ment aux ventes à la suite de saisie. La licitation se pla
cerait donc sous l’empire de l’article 193. Elle purgerait
les droits des créanciers privilégiés ou non, mais à la
condition édictée par l’article 193 lui-même, à savoir,
i — 35
�546
DROIT MARITIME.
qu’elle aurait eu lieu dans les formes établies par le ti
tre deux. L’exécution de ces formalités créant une publi
cité certaine, constitue les créanciers qui n’ont pas fait
leurs diligences en état de négligence, et leur enlève tous
droits contre les tiers acquéreurs.
En conséquence , si la convention ou le jugement
traçait à la licitation une forme plus sommaire , les
privilèges et l’affectation des créanciers sur le navire
ne seraient pas atteint. Ils ne seraient purgés que par
le mode consacré dans la vente volontaire , à savoir ,
par le voyage fait sous le nom et aux risques de l’a
cheteur.
552. — La copropriété d’un navire n’est pas une
société, mais elle peut en devenir l’occasion, par exem
ple, si les propriétaires de plusieurs navires différents en
mettaient l’exploitation en commun.
Ce qui entre dans une pareille société, c’est exclusive
ment les revenus. Les navires ne cessent pas d’apparte
nir privativement à leurs divers propriétaires, qui n’ac
quièrent ni ne confèrent aucun droit sur la propriété les
uns des autres.
De là cette conséquence que la dissolution de la so
ciété, livrée aux formes ordinaires, resterait sans influen
ce sur le sort futur des navires ; on ne pourrrait en or
donner la licitation, alors même qu’elle serait deman
dée et poursuivie par la majorité des associés. Chaque
navire se trouverait placé sous l’empire de l’article 220,
et ne pourrait être licité qu’à la demande des proprié-
�ART. 2 2 0 ,
$47
taires auxquels il appartient originairement et auxquels
il n’a jamais cessé d’appartenir.
353. — La copropriété d’un navire est privée de
tout aliment par la destruction du navire, elle est donc
naturellement dissoute par le naufrage ou par l’innavigabilité de ce navire, par sa confiscation. L’effet immé
diat de l’un et de l’autre est la révocation absolue du
pouvoir conféré à l’armateur-gérant, tout ce qu’il pour
rait faire à l’avenir, relativement aux droits qui peuvent
compéter aux anciens copropriétaires, n’aurait aucune
valeur à leur encontre.
Cette règle est importante , surtout en matière de
confiscation. Cette mesure peut dans certain cas, dont
les exemples nous ont été fournis dans ces derniers
temps, devenir la matière d’une indemnité en faveur
des propriétaires. L’armateur-gérant pourrait-il cé
der valablement cette indemnité au préjudice de ceuxci ?
Dans une espèce qui se présentait devant la Cour de
Paris, on soutenait l’affirmative. En droit, le gérant
d’une société en participation, disait-on, est, à l’égard
des tiers, seul propriétaire des objets de la participa
tion ; il a le droit d’en disposer sans que celui qui a
acheté de bonne foi puisse être de la part des participants
l’objet d’aucun recours
Mais la Cour repousse cette doctrine et consacre la
nullité de la cession que l’armateur-gérant avait consen
tie de l’indemnité due aux copropriétaires.
�548
DROIT MARITIME.
Considérant, dit l’arrêt, que par l’effet de la confisca
tion, la société a été dissoute et l’opération terminée,
sauf le recouvrement des assurances ; qu’il ne s’agissait
plus que d’une liquidation administrative à suivre; d’une
indemnité à partager entre tous les intéressés ; que la
cession faite par le gérant n’a donc aucun caractère com
mercial ; qu’on ne pouvait, par conséquent, invoquer
les principes qui régissent les sociétés commerciales, pour
soutenir qu’il a pu vendre valablement la part de ses
coïntéressés.
Cet arrêt fut frappé d’un pourvoi, et on demandait
sa cassation devant la Cour suprême, entre autres mo
tifs, pour violation des principes sur les associations
commerciales, et spécialement des articles 1873 du Code
civil, et 48 du Code de commerce. L’arrêt, disait-on,
oppose que Martin de La Cavatte avait cessé d’être gé
rant de la participation ; rien n’avait pu apprendre aux
tiers que la participation eût cessé, et de fait elle exis
tait jusqu’à la liquidation de l’entreprise ; le gérant avait
si peu cessé de gérer, que lui seul a poursuivi la liqui
dation de l’indemnité postérieurement à la confiscation
du navire.
On concluait dès lors que l’acheteur ou le cessionnai
re de bonne foi ne pouvait être privé des fruits de la ces
sion.
A son tour, la Cour de cassation proscrivit ce systè
me. Par arrêt du 17 avril 1838, elle rejette le pourvoi,
attendu que du fait de la confiscation et de la vente du
navire par le gouvernement espagnol, résulte la consé-
�ART. 2 2 0 .
349
quence que le gérant n’avait plus capacité de disposer
de l’indemnité sans le concours et au préjudice de ses
associés en participation 1.
Ainsi, la dissolution de la communauté par la con
fiscation ou le naufrage anéantit les pouvoirs du gé
rant. Les tiers qui connaissent l’une ou l’autre ne
peuvent prétendre en avoir ignoré, ils ne peuvent plus
traiter avec ce gérant à propos de la chose ancien
nement commune que s’il en a reçu le mandat ex
près de ses cointéressés. Tout ce qu’il ferait à défaut ou
en dehors de ce mandat n’obligerait que lui seul.
La seule exception que cette règle puisse recevoir
se réaliserait dans le cas où l’acte du gérant ne serait
que la conséquence et le complément de la gestion.
Ainsi, l’abandon qu’il signifierait aux assureurs, s’il
avait réalisé l’assurance intégrale du navire, ne pour
rait être contesté par eux, sous-prétexte de défaut de
pouvoirs.
354. — L’innavigabilité du navire non suivi d’a
bandon soit aux créanciers, soit aux assureurs, laisse
la copropriété commune exister sur ce qui reste du
navire. D’autre part, celui-ci conserve son identité ,
quoique tout ce qui avait servi à le construire ait été
changé par l’effet des réparations ; les divers matériaux
successivement employés à remplacer les parties dé
fectueuses ou détruites leur sont substitués d’une ma-
�550
DROIT MARITIME.
nière telle que le corps est toujours réputé le même 1.
Qu’en serait-il donc du navire que le gérant aurait
fait construire et dans lequel il aurait employé les dé
bris du navire commun ?
La cour de Rennes, saisie de la question, l’a résolue
à l’aide d’une distinction qui paraît rationnelle. Elle a
décidé que lorsque le copropriétaire a, dans la construc
tion, employé les débris du navire commun reconnu
innavigable par tous les intéressés et démoli à leur
connaissance, le fait seul de l’emploi des vieux maté
riaux ne suffit pas pour conférer à ceux-ci un droit de
copropriété sur le navire neuf. Ils n’ont à prétendre que
le remboursement proportionnel de la valeur des ma
tériaux employés ;
Mais que le copropriétaire qui, après avoir fait à ses
cointéressés une demande de fonds pour radouber le na
vire commun, s’avise, sur le défaut de réponse de leur
part, de le faire démolir à leur insu, et sans en avoir
fait constater /’innavigabilité , ne peut réclamer la
propriété exclusive du navire nouveau dans la construc
tion duquel on a fondu la coque et les gréements de
l’ancien. Il n’a alors à demander à ses coïntéressés que
leur part dans la dépense2.
1 Pardessus, n° B99.
2 27 janvier 1826.
FIN DU PREMIER VOLUME.
�L e s c h iff r e s i n d i q u e n t l e s n u m é r o s d ’o rd re
A
Abandon. — Effets de l’abandon sur la responsabilité des propriétaires
à l’endroit des faits du capitaine, 284. — Est-il recevable pour les
engagements pris par le capitaine agissant en qualité de subrecargue
qu’il réunit à celle du capitaine? 28S et suiv. — L’abandon libère
le propriétaire de la responsabilité pour les faits de l’équipage, 287.
— Dans quels cas l’offre d’abandonner le navire et le fret doit être
accueillie ou repoussée ? 288 et suiv. — Qui peut le consentir ? Con
séquences lorsqu’il y a plusieurs propriétaires, 293. — 11 ne doit
comprendre que le navire et le fret, et non le montant de l ’assuran
ce, 294 et suiv. — Effets de l’abandon à l’égard du propriétaire, du
capitaine, des créanciers, 296. — Comment et à quelle époque il
doit être réalisé, 297. — N’est pas reeevable de la part du capitaine
qui est en même temps propriétaire ou copropriétaire dn navire, 298
et suiv. — V oy. S aisie.
Action. — Caractère de l ’action des créanciers des vendeurs d’un navire
contre l ’acheteur, 49. — Durée de celle du copropriétaire dont on a
vendu l’intérêt sans son consentement, 347,
Adjudicataire. — Droits et devoirs que lui crée et impose l’adjudica
tion, 221 et suiv. _ Obligation de payer le prix. Conséquences du
refus ou du retard, 229 et suiv. — V oy. E nchère.
Adjudication. — Fait cesser de plein droit les fonctions du capitaine,
221. — Q u id, de celle à la suite de la licitation ? 228.— Elle est un
obstacle à tout abandon ultérieur pour s’exonérer des faits du capi
taine, 290.
A ffiche. — Délai dans lequel elle doit être apposée à la suite des criées.
Dans quels lieux elle doit l’être, 199. — Enonciations qu’elle doit
�552
TABLE ALPHABÉTIQUE
renfermer, 200. — La loi exige trois affiches consécutives, 201. —
Comment il est justifié, 204. _ Où doit-elle être apposée dans le cas
de saisie d’un navire au-dessous de dix tonneaux, 216. _ Une seule
affiche suffit pour la revente sur folle enchère, 331.
Affréteur . — Voy Privilège.
Amalfi. — Son origine, son importance. Caractère de ses lois sur le
droit nautique, 8.
Armateur. — Voy. Gérant.
Armes. _ Les armes qui peuvent se trouver à bord ne rentrent pas
dans la dénomination d’agrès et apparaux Conséquences en cas de
saisie, 184.
Assurance. — Le montant de l’assurance est-il, en cas de perte du na
vire, grevé des privilèges des créanciers? 140. — Effet de celle con
tractée par les créanciers du propriétaire, 142. — L’assurance du na
vire votée par la majorité n’est pas obligatoire pour la minorité.
328. — Le gérant qui, sans délibération, l’a contractée pour l'entier
navire, doit en être proportionnellement remboursé par les divers
quirataires, 329. — Voy. Abandon.
Avis. — L ’avis des criées ou publications doit être inséré dans un des
papiers publics du lieu où siège le tribunal, et, à défaut, du départe
ment, 198. — Comment il est justifié de l’accomplissement de cette
formalité? 204.
B
Bateau. — Les règles de l’article 216 sont applicables aux bateaux na
vigant sur les fleuves et rivières, 264. — Voy.
Batiment. _ Voy. Navire.
Saisie.
O
Canot. — Voy. Chaloupe.
Capitaine. — Le capitaine dont les fonctions cessent par suite de l’ad
judication a le droit d’obtenir un dédommagement, 223 et suiv.— Ce
que doit comprendre ce dédommagement, 226. — Contre qui doit-il
�DES MATIÈRES.
SS3
êlre poursuivi ? 227. — Nature de son mandat, peut être révoqué au
gré des propriétaires, sans allégation de motifs et sans indemnité,
303 et suiv. — La disposition de l’article 21 8 est d’ordre public.
Conséquences, 306. — Mais on peut y déroger quant à l’indemnité,
307. — La convention écrite exigée peut-elle résulter soit de l’enga
gement lui-même, soit de l’inscription au rôle d’équipage, 308 et
suiv. — Droits que le capitaine a à exercer, en cas de congé, indé
pendamment de l’indemnité, 310. — Le capitaine copropriétaire est
soumis à la révocation, sauf la faculté de se faire rembourser de son
intérêt dans le navire, 311. — Nature de cette faculté. Comment
doit-elle être exécuté? 312 et suiv. — Dans quel délai? 315. —
Voy. A bandon, A dju dication , R esponsabilité.
Cautionnement. — Effet du cautionnement dans la saisie d’un navire
prêt à faire voile, 255. — Objet du cautionnement. Son caractère et
ses formes, 262 et suiv — Peut être exigé de l’étranger comme du
Français, 265.
Chaloupe. — La chaloupe est l’accessoire obligé du navire. Conséquen
ces en cas de saisie et de vente de celui-ci, 181.
Chargeur. — Voy. Privilège.
Citation. — La notification du procès-verbal de saisie doit être accom
pagnée d’une citation au saisi, pour voir procéder à la vente. For
mes de cette citation, 186. — Où doit-elle être signifiée? 187 et suiv.
— Doit-elle être donnée aux délais ordinaires des distances, 190. —
Doit-elle être laissée à personne dans le cas du second paragraphe
de l’article 201 ? 191. — Q u id,, si le saisi n’a sur les lieux ni capi
taine, ni représentant, 192. — S’il s’agit d’une saisie contre un
étranger, 193.
Code de commerce. — Sa spécialité, 29.
Collocation. — Epoque à laquelle le juge doit ouvrir le procès-verbal
de collocation. Son caractère, 248 et su iv .— Peut-elle être demandée
par le créancier qui n’a pas encore un titre certain ? 251.
Commandement. — Nécessité d’un commandement préalable à la saisie.
Ses formes, 167 et suiv. — Délai qui doit le séparer de la saisie,
171. — A qui doit-il être signifié ? 172. — Quid, en cas d’élection
de domicile dans le titre ? 173.
�b54
TABLE ALPHABÉTIQUE
Confiscation. — Dissout la copropriété du navire. Ses effets sur les pou
voirs de l’armateur-gérant, 353.
Congé. — Voy. C a p ita in e .
Copropriété. _ Fréquence et avantage de la copropriété en matière de
navires. Nécessité d’en régler l’administration à défaut de stipulations
par les parties, 316. — Ne constitue ni une association en partici
pation, ni une société, 317 et suiv. — Ne peut être prouvée par té
moin, 320. — Caractère de la majorité appelée à l’administrer, 321.
Comment se dissout la copropriété? 344.
Constructeurs. _ Droit des constructeurs sur le navire. — Voy. P r i
vilè g e .
Consulat de la mer.
— Son origine, son influence sur le droit nauti
que, 9 et suiv.
Criées . — Comment et en quels lieux doivent se faire les criées ou
publications ordonnées dans le cas de saisie d’un navire de plus de
dix tonneaux, 197. — En quoi elles consistent, 200. — Effets de
l’inobservation, 202. — Comment justifie-t-on de leur aecomplssement, 204.
Croisades. — Effets des croisades sur le droit nautique des nations oc
cidentales ? 9.
Course. — Législation sur la matière, sa nature, son origine, 27. —
Conséquence de l’armement en course pour la responsabilité des pro
priétaires de navires, 300 et suiv.
JD
Dédommagement. — Voy. C a p ita in e .
Délai — Délai de l’opposition au voyage pour conserver le privilège,
150 et suiv — Pour opérer la saisie, 171. — Délai de la notification
du procès-verbal de saisie avec citation. Caractère, 188 et suiv, —
Délai de la vente, lorsque le navire saisi est d’un port inférieur à dix
tonneaux, 217. — Délai de l’opposition à la délivrance des deniers,
243. — De la production des titres pour obtenir collocation, 246.—
Voy. A b a n d o n . A ctio n ,
A ffich e , C ita tio n . C om m a n dem en t, Criées,
D is tr a c tio n , E n ch ères, O p p o sitio n , S a isie, V ente.
�DES MATIÈRES.
555
Délaissement. — N’est pas un obstacle à l’abandon du navire et du
fret, 291.
Distbaction. — Causes pouvant motiver une demande en distraction,
233 et suiv. — Formes de cette demande et délai dans lequel elle
doit être réalisée, 236. — Ses effets, suivant qu’elle est antérieure
ou postérieure à l’adjudication, 237 et suiv. — Comment doit-elle
être instruite et jugée, 239 et suiv. — Condamnations que pourra
encourir le demandeur qui aura succombé, 241.
Dboit mabitime. — Son caractère, ses origines, 1. — Difficultés que
présente la recherche de celles-ci, 2. —Rapports sous lesquels il doit
être envisagé, 23 et suiv.
Dboit bomain. — Epoque à laquelle il a eu à s’occuper du droit nauti
que, 5. — Influence qu’il a exercée en Orient et en Occident, 7. —
Comment il se conserva dans celui-ci, 8. — Appréciation de ce droit,
eu égard aux divers recueils de lois nautiques, 18.
E
E nchèbe. — Epoque et ordre de réception des enchérès pour la vente sur
saisie, 205 et suiv. — Le dernier enchérisseur, après la troisième
criée, est-il lié par son offre, malgré la remise? 210 et suiv.
Enchèbe (F o lle). — Formalités de la folle enchère. Ses effets, 231 et
suiv.
E nchéeissedb. — Voy. E n ch ère.
E tbangeb. — Ne peut être dispensé de donner caution dans le cas de
saisie d’un navire prêt à faire voile. Peut-on l’exiger de lui dans tous
les autres cas ? 265 et suiv.
Expéditions. — Nature du refus que la douane peut faire de délivrer les
expéditions du navire. Conséquence de leur remise après opposition
d’un créancier, 257. — Ne peuvent être saisies-arrêtées par applica
tion de l’article 557 du Code de procédure civile, 270.
F oübnisseubs. — Droits des fournisseurs pour radoub, victuailles, ar-
�5oG
TABLE ALPHABÉTIQUE
mement et équipement du navire, avant ou pendant le voyage, voy.
P r iv ilè g e , ue peuvent faire assurer leur créance, mais ils peuvent la
ceder à forfait, 141.
F rais . — De justice et autres. — Voy. P r iv ilè g e .
F rancisation. — Celui dont le nom figure dans l’acte de francisation
est, à l’endroit des tiers, le seul propriétaire du navire. Conséquen
ces, 168.
Gr
Gage. — Droits et obligations du créancier qui a reçu un navire en
gage, 260.
Garlien . — Voy. P r iv ilè g e . — Qualité que doit offrir celui que l’huis
sier institue sur saisie, 185.
Gérant. _Caractère du mandat confié au copropriétaire choisi pour
être l’armateur-gérant du navire, son étendue , 336 et suiv. — Ses
obligations et ses droits, responsabilité qu’il encourt, 338 et suiv—
Etendue et caractère de celle que ses faits entraînent pour ses copro
priétaires, 340 et suiv. — Peut toujours être révoqué, sauf conven
tion contraire, 344. — Il l’est de plein droit par la perte, l’innaviga
bilité ou la confiscation du navire, 353.
Guidon de la mer. — Son origine, influence qu’il exerça, 15.
»
f
H
teutonique. — Origine de ce recueil de droit nautique, son ca
ractère, 17.
H uissier . — Doit se conformer à l’article 585 du Code de procédure ci
vile, 174.— Est-il tenu de faire itératif commandement, 175.—
Enonciations que doit renfermer son procès-verbal de saisie, leur
objet, 176 et suiv. — Son obligation de constituer un gardien, qua
lités qu’il doit rechercher en lui, 185. — Il est chargé de faire les
criées. Il en dresse procès-verbal, 197. — Ainsi que de l’apposition
des affiches, 199 et suiv,
H anse
�DES MATIÈRES.
;>57
I
Indemnité. — Voy. C a p ita in e
I nexécution. — Effets de l’inexécution de l’article 200, relatif au pro
cès-verbal de saisie, 480. — De celle des articles 204, 204, 494 et
suivants. Qui peut s’en prévaloir? 203.
Innavigabilité. — L’innavigabilité du navire dissout la communion d’in
térêts. Ses effets à l’endroit de l’armateur-gérant, 353.
Insaisissabilité. — Le navire prêt à faire voile est insaisissable, excep
tion en faveur des créanciers privilégiés, 252 et suiv. — Dans ce der
nier cas, le cautionnement empêche la saisie, 255. — A quel moment
le navire est-il présumé prêt à faire voile, 256 et suiv. — L’insaisis
sabilité cesse-t-elle dans le cas d’une relâche ou d’entrée dans un port
d’échelle, 258 et suiv. — Constatation que doit contenir le jugement
ou l’arrêt qui repousse l’exception d’innavigabilité du navire prêt à
faire voile, 264.
J uridiction. — Quelle est la juridiction compétente pour statuer sur les
contestations entre coproprietaires d’un navire ? 349.
Licitation . — Quand et par qui la licitation doit être demandée et or
donnée? 849 et suiv. — A quelles conditions purge-t-elle le navire du
droit des créanciers privilégiés ou non ? 354. — Comment doit-on y
procéder, lorsque des navires possédés par divers propriétaires ont
été mis en société pour les exploiter en commun, et que la société
vient à se dissoudre ? 352.
M
Majorité. — Comment se calcule la majorité appelée à administrer le
�558
TABLE ALPHABÉTIQUE
navire commun ? 321. — Objets sur lesquels elle est appelée à sta
tuer, 325. — L’admission par elle d’un projet de voyage rend obli
gatoire pour la minorité la contribution aux dépenses qu’exige la
mise en état du navire, 326. — Peut-elle déterminer elle-même la
nature et la quotité des réparations. 327. — La majorité ne peut
obliger la minorité à faire assurer le navire, 328. — Ni la forcer à
concourir à la cargaison, si elle est d’avis de la réaliser, ni à lui re
fuser sa part dans le fret pour les marchandises qu’elle aurait char
gées à concurrence de son intérêt seulement, 330 et suiv. — Quid,
si elle décidait le désarmement absolu et définitif du navire ? 334.—
Elle ne peut revenir sur sa délibération. Conséquences, 335. — Peut
révoquer l’armateur-gérant, Dans quels cas? 344,
Marseille se régissait par des lois spéciales qui n’ont été émises qu’au
treizième siècle. 6 ._Avait adopté le Consulat de la m er , 10.
Minorité. — Yoy. M ajorité.
Munitions. — Les munitions de guerre ne sont pas comprises sous la
dénomination d’agrès et apparaux. Conséquences en cas de saisie du
navire, 184.
IV
Navire. — De quoi se compose le navire sans autre désignation, 41.—
Signification des termes de l’article 190 ; navires et autres bâtiments
de mer, 4 2 .— L’édit de 1666 les déclara meubles. Conséquences,
43. — Doctrine de l’ordonnance de 1681, 44 et suiv. — Du Code de
commerce. Ses motifs, 46. — Quels sont les navires exceptés de l’af
fectation aux dettes, 47. — Conséquences de l’affectation, 50. — In
fluence que le plus ou moins d’importance du navire exerce sur la
procédure de saisie, 195 et suiv. — Formalités, suivant que cette
saisie porte sur un navire de plus ou de moins de dix tonneaux, 197,
214 et suiv. — Q u id , lorsquelle comprend des navires de l’un et de
l’autre tonnage, 220 — A qui appartient le nouveau navire construit
avec les débris de l’ancien? 354.
�DES MATIÈRES.
559
O
Oléron ( Rôle d'). — Origine de ce recueil, son influence, 12 et suiv.
Opposition. — Nécessité pour les créanciers de s’opposer au voyage du
navire. Caractère de cette obligation, 146 et suiv. — Qui peut se
prévaloir de son inaccomplissement, 148 et suiv. — Délai de l’oppo
sition, sa forme, ses effets, 150 et suiv. — Les créanciers postérieurs
à la vente ont-ils le droit de faire cette opposition ? 152. — On peut
former opposition à la délivrance des expéditions du navire. En
quelle forme ? 469. — Dans quel délai? 242 et suiv. — Où doitelle être signifiée ? 245. «= La délivrance des expéditions postérieu
res à l’opppositiou empêche qu’on puisse réputer le navire prêt à fai
re voile, 257.
Ordonnance. — Ordonnances de 4564, 4563 et 4565 sur le droit nauti
que, par Charles-Quint et Philippe II, 16. — Ordonnances des rois
de France avant 4681, leur nature, 49. — Ordonnance de 4 681, son
caractère, ses effets, 24 et suiv. — Elle continue d’être obligatoire
pour tous les points sur lesquels le Code n’a rien statué, 30.
Ouvriers. — Droit des ouvriers employés à la construction d’un navire,
voy. Privilège. — Ne peuvent faire assurer leur créance, mais il leur
est loisible de la vendre à forfait, 444.
P
P artage
des voix . — Ses effets avant et sous l’empire de l’ordonnance;
et depuis le Code, 322 et suiv.
P erte du navire éteint les privilèges, voy. Privilège. — Dissout la co
propriété, 353.
P héniciens. — Pratique nautique des Phéniciens, 3.
P ilote. _ Voy. Privilège. — Nature des fonctions du pilote. Le pro
priétaire répond de ses faits, 281.
P orts. — Sont, ainsi que les rades, soumis à des lois de police et de
sûreté, 25,
�560
TABLE ALPHABÉTIQUE
P rêteurs. — V oy. Privilège.
P reuve littérale . — La vente d’un navire doit être prouvée par écrit.
453 et suiv. — Il en est de même de la convention réglant l’indem
nité, en cas de congé du capitaine, 308. — De celle qui dérogerait à
à l’article 220, en matière de licitation, 350.
P reuve testimoniale. — Est recevable pour prouver qu’il n’y a pas
eu un intervalle de vingt-quatre heures entre le commandement et la
saisie, 171. — Ne peut être admise dans le cas où la loi exige une
preuve par écrit, 308, 320, 350.
P rivilège. — Dispositions de l’ordonnance de 1681 sur les privilèges.
Comment on les avait appliquées dans la pratique, 51 et suiv. —
Motifs qui firent adopter l’article 191, son caractère, 53. — Econo
mie de la loi sur l’ordre des privilèges, 54. — Les frais de justice
pour arriver à la vente et à la distribution du prix viennent au pre
mier rang. Ce que la loi entend par frais autres que ceux de justice,
55 et suiv. — Comment on doit justifier de ces frais, 57. — Au
deuxième rang sont colloqués les frais de pilotage, tonnage, cale,
amarrage, bassin et avant-bassin, caractère de ces frais, justifica
tions qu’ils comportent; 58 et suiv. — Les frais de garde ont le troi
sième rang, 60. — Le quatrième rang des privilèges appartient aux
créanciers pour location de magasins où ont été déposés les agrès et
apparaux, 61. — Le locateur a-t-il, en outre, un privilège spécial
sur ces derniers ? 62 et suiv. — Peut-il s’opposer à la vente séparée
du navire et de ses agrès et apparaux ? 65. — Les frais pour l’entre
tien du bâtiment et de ses agrès viennent au cinquième rang, 66. —
Justification exigée pour ces trois derniers privilèges, 67. — Les ga
ges ou salaires du capitaine et autres gens de l’équipage pour le der
nier voyage sont colloqués au sixièm e rang. Nature et étendue de ce
privilège, 68 et suiv. — Ce qu’il faut entendre par dernier voyage,
72. — Le privilège des gens de mer comprend l’indemnité du droit
de conduite, comment il est justifié, 74 et suiv. — Le septième rang
est accordé aux créanciers pour sommes prêtées ou pour marchandi
ses vendues pendant le dernier voyage. Nature et objet de ce privi
lège, 78 et s u iv .__Comment se réalise le concours entre les créan
ciers du numéro sept, 80. — Il n’y a ici aucune distinction à faire
entre les prêteurs à la grosse et les prêteurs ordinaires, 81.— Droits
que la vente des marchandises, pendant le voyage et pour les besoins
�DES MATIÈRES.
861
du navire, confère au chargeur, 82 et suiv. — Justification que doi
vent fournir les prêteurs et chargeurs, 85 et suiv. — Fournitures
pour lesquelles ont peut réclamer le privilège du numéro sept, 98.—
Huitième rang, vendeur non payé et constructeurs, à défaut, les cré
anciers de fournitures pour radoub, victuailles, armement et équipe
ment avant le départ, 92 et suiv. — Le vendeur qui a perdu son
privilège n’a plus le droit de revendiquer le navire, 99. — Différence
quant au voyage entre le vendeur et le constructeur, 100. — Drois
des ouvriers employés à la construction. A quelles conditions pour■ ront-ils réclamer le privilège, 101 et suiv. — Les créanciers dont les
deniers ont servi à désintéresser les constructeurs et ouvriers leur
sont-ils de plein droit subrogés à l’endroit du privilège, 106. — Dif
férence entre les créanciers pour fournitures, travaux, main-d’œuvre,
radoub, et les vendeurs et epnstructeurs, 107 et suiv — Ce que la
loi comprend par les fournitures et victuailles, 109. — Comment
doivent être établis les privilèges du numéro huit. Conséquences de
l’inobservation de l’article 192, 110 et suiv. — Les prêteurs à la
grosse sur corps, quilles, agrès et apparaux, avant le départ du navi
re, viennent au neuvième rang des privilèges, 115 et suiv. — Ce pri
vilège existe-t-il s’il y a rupture du voyage ? 118 et suiv. — Effet de
cette rupture après le commencement des risques, 121. — Le privi
lège peut-il être réclamé par celui qui a prorogé le prêt, 122. — Jus
tification que doit fournir celui qui réclame ce privilège, 122. — Au
dixième rang sont colloqués les assureurs pour la prime du dernier
voyage, 124 et suiv. — Reproches adressés à cette disposition. Ré
futation, 12b et suiv. — Comment se règle la prime, si l’assurance
est à temps ? 128. — En cas de sinistre, le tiers qui a payé à la
décharge de l’assuré a-t-il privilège sur le montant de l’assurance ?
129. — Justification à fournir par l’assureur. Effet de la quittance
qu’il aurait concédée, 130 et suiv. — Les chargeurs qui ont des
dommages-intérêts à réclamer sont colloquées au onzième rang;
à quelles conditions sont-ils privilégiés? 132 et suiv. — Pourraiton, au jugement ou à la décision arbitrale exigée, substituer une
transaction ? 135. — Caractère de l’article 191, impossible d’y dé
roger, 136. — Durée du privilège, mode d’extinction, 136 et suiv.
P bocès- vebbal he saisie. — Voy. Huissier. — Doit être notifié au sai
si, 186.
i — 36
�5«2
TABLE ALPHABÉTIQUE
P ropriétaire. — Voy. Abandon, Responsabilité.
P ropriété . — But et objet de la législation sur la propriété des nav ires,
28. — Voy. Copropriété.
P rovisions ee bouche. — Ne sont pas comprises dans la dénomination
d’agrès et apparaux. Conséquences en cas de saisie, 4 84.
P ublications — Voy. Criées.
XX
R ade. — Voy, Port.
R emise. — Remises que le juge peut accorder après les enchères sur
troisième publication, 207. — Discussion dont cette faculté fut l’ob
jet, 208. — Peuvent être accordées d’office, 209. — Les remises ne
peuvent jamais excéder le nombre de deux, 212. — Délai que cha
cune d’elles comporte, leur ordre successif, leur publicité, 213 —
Peut on en accorder lorsqu’il s’agit d’un navire de moins de dix ton
neaux? 219.
R esponsabilité . — Caractère de la responsabilité imposée aux proprié
taires de navire pour les faits du capitaine, 266 et suiv. — Son
étendue en droit romain et sous notre ancien droit, 268 et suiv. _
Système de la Cour de cassation sous l’empire du Code de com
merce Conséquences, 271 et suiv. — Loi du 14 juin 4841, ses mo
tifs, ses effets, 273 et suiv. — En quels cas et à quelles conditions a
lieu la responsabilité, ses effets, 276 et suiv. — Quid, lorsque l’af
fréteur a lui-même armé le navire ? 279. — Si le capitaine s’est fait
remplacer, malgré qu'il se le fût interdit, 280. — La responsabilité
s’étend aux faits du pilote, 281. — Droits des créanciers. Comment
et contre qui ils peuvent les exercer? 282 et suiv. V oy. Abandon.
— Restriction en cas d’armement de guerre, 300 et suiv. — Carac
tère de la participation ou de la complicité faisant disparaître cette
restriction, 302. — Nature de la responsabilité du gérant-armateur,
338. — Caractère de celle que ses faits font encourir à ses coproprié
taires, 340 et suiv.
R evendication. — Le vendeur non payé, déchu de son privilège, ne
peut revendiquer le navire, 99. — V oy. Action, Distraction, Pri
vilège.
�DES MATIÈRES.
563
R hodiens. — Caractère des lois que pratiquaient les Rhodiens. Origine
de la loi Rhodia
dejaclu, 4.
S
Saisie . — Nécessité de cette voie d’exécution contre les navires, 462. —
Par qui elle doit être poursuivie? 163. — Contre qui? 165. — Ef
fets de la saisie régulière, 1 66 .— Ne fait pas obstacle à l ’abandon du
navire et du fret. 290.
Saisie-aeeét . — Le navire et ses expéditions ne peuvent être saisisarrètés dans les formes prescrites par l’article 357 du Code de procé
dure civile, 170.
Saisie cgnsebvatoibe. — Peut-elle être réalisée? Dans quels cas et
sous quelle forme ? 4 64.
Sauvetage. — Lois et ordonnances sur le sauvetage des personnes et
des choses, 26. _ Moralité et but des dispositions de l’ordonnance de
1684, 34 et suiv. — Le tiers de la propriété n’est acquis que sur les
effets tirés du fond de la mer, 33. — Quid, lorsqu’il s’agit du sauve
tage d’un navire? 34. — Le navire abandonné par son équipage est
assimilé au navire naufragé, appréciation du fait, 35 et suiv. —
Quels sont les frais dont les sauveteurs sont affranchis ? 39. — Droit
de demander le partage en nature, 40.
T
T itres . — Chaque créancier opposant est tenu de produire ses titres.
Dans quel délai? 246. — Caractère de ce délai. Effet de son expira
tion, 246.
V
Vaisseau. — V oy. Navire,
V ente . — Effets de la vente en justice sur les privilèges et droits aux
quels le navire est affecté, 4 43 et suiv. — De la vente volontaire
145. — Doit être constatée par écrit, 163 et suiv. — Effet de la vio-
�564
ta b le a lph a bétiq ue
lation de cette prescription, 156. — Effet de la vente consentie, le
navire étant en voyage, 157 et suiv. — N’est pas nulle, droits des
créanciers de l’attaquer, 1 5 9 .— Quand le navire sera-t-il réputé être
en voyage? 160. — A quelles conditions peut avoir lieu la vente vo
lontaire de l’entier navire, 346. — Droit du copropriétaire qui n’a
pas consenti, durée de ce droit, 347.
Victuailles. — Ce que la loi comprend sous ce nom, 109.
Voyage. — Voy. Opposition, Privilège, Vente ; — V oy. de plus n°
161.
AV
W isbuy. — Origine des lois de W isbuy, leur caractère, influence qu’el
les acquirent, 14.
FIN DE LA TABLE ALPHABÉTIQUE
��
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/335/RES-22986_Bedarride_Commerce-maritime-2.pdf
a1730c48b1fa689c880c9636978a26d5
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Text
A
22J H
D R O I T COMMERCIAL
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE DEUXIÈME
Tome 2
P hn J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier!
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
D E U X IÈ M E
É D IT IO N
(
�A
22J H
D R O I T COMMERCIAL
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE DEUXIÈME
P hn J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier!
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
D E U X IÈ M E
É D IT IO N
(
��DROIT COMMERCIAL
ou
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
L IV R E II
DU COMMERCE MARITIME
TITRE
UC
IV.
CAPITAINE
ARTICLE
221 .
Tout capitaine, maître ou patron, chargé de la con
duite d’un navire ou autre bâtiment, est garant de ses
fautes, même légères, dans l’exercice de ses fonctions.
ARTICLE
222.
Il est responsable des marchandises dont il se charge.
Il en fournit une reconnaissance. Cette reconnaissance
se• nomme
Connaissement.
\
�2
DROIT MARITIME.
SOMMAIRE
355. Qualités requises pour être capitaine. A. qui appartient le
choix. Effets du contrat.
356. Celui qui traiterait avec un capitaine déjà engàgé avec un
autre, devrait- il des dommages-intérêts à celui-ci ?
357. Nature de la mission confiée au capitaine. Conséquences.
358. Est-il tenu de la faute très-légère ?
359. Double responsabilité qu’il encourt. De quoi elle résulte.
Nullité de toute convention contraire.
360. Sa responsabilité pour la contrebande ou pour violation des
lois de police ou de discipline. Conséquences.
361. Ce qu’est la baraterie du patron dont s’occupe le Code de
commerce.
362. La responsabilité de l’article 221 atteint le capitaine engagé
à la part.
363. A qui appartient l ’appréciation du fait, celle de son impu
tabilité, celle de ses conséquences.
355.
— Nul ne peut être préposé au commandement
d’un navire, s’il n’a acquis la qualité de capitaine, maî
tre ou patron, dans les formes et aux conditions pres
crites par les lois spéciales qui déterminent les unes et
les autres K
Restreint dans la catégorie des brevetés, le choix du
capitaine est laissé à la volonté libre du propriétaire,
de l’armateur ou de la majorité des copropriétaires du
1 Ordonnance de 1681, liv. 2, tit 2 ; Règlement du 1er janvier 1786,
art. 3; Lois des 10 août 1791 et 25 octobre 1795, art. 9, 10, 13 et 16 ;
Décret du 3 brumaire an iv ; Arrêté du 10 thermidor an x ; Ordonnances
des 7 août 1825 et 25 octobre 1827.
�ART.
221
ET
222.
3
navire. La loi n’intervient, relativement à la personne
choisie que pour sanctionner les engagements récipro
quement contractés et pour en commander l’exécution,
en tant néanmoins qu’ils n ’ont rien de contraire à l’or
dre public.
La nomination du capitaine et son acceptation forment
donc entre lui et les propriétaires du navire un contrat
d’une nature spéciale et particulière. En ce qui se réfère
à ces derniers, le capitaine les représente pour tout ce
qui concerne le navire. Pour les tiers, il est en quelque
sorte le propriétaire lui-même. Ceux-ci, en effet, ne
sont point tenus de se faire exhiber ses pouvoirs, de les
discuter. Ainsi, toute convention particulière ayant pour
objet de restreindre les droits que l’usage a fait résulter
de la qualité de capitaine ne pourrait même leur être
opposée.
356.
— La loyauté commerciale fait un devoir aux
propriétaires de navire de ne pas traiter avec un capi
taine actuellement au service d’un autfe. Mais est-il
vrai, comme l’enseigne M. Pardessus, que l’oubli de ce
devoir donnerait à ce dernier une action en dommagesintérêts contre le propriétaire lui-même? C’est-à-dire
que M. Pardessus applique à l’engagement-du capitaine
les dispositions des articles 10, 11 et 12 de la loi du
22 germinal an xi sur les ouvriers.
La doctrine de M. Pardessus nous parait condamnée
par les précédents législatifs. En effet, la Hanse teutonique l’avait formellement consacrée. L’article 15 défen-
�DROIT MARITIME.
dait à tout bourgeois de prendre aucun maître sans lui
faire au préalable exhiber son attestation et le congé
qu’il aura eu par écrit des autres bourgeois qu’il a
servis précédemment, à peine de quinze écus d'amende.
La nature de cette pénalité indique le but que
s’élait proposé le législateur. L’exigence de l’attestation
et du congé n’avait d’autre objet que d’établir que celui
à qui on confiait les fonctions de capitaine avait réelle
ment cette qualité, qui ne résultait à cette époque que
de la preuve de son exercice même. Aussi et dès que
cette qualité put être légalement justifiée, on renonça à
ces attestations et au congé. C’est ce qui faisait dire à
Valin : « Les capitaines et autres officiers mariniers
sont trop connus aujourd’hui pour qu’on ait besoin de
prendre ces précautions avant de les engager l. »
Ainsi la disposition de la Hanse teutonique qui, sans
justifier la doctrine de M. Pardessus, l’autorisait jusqu’à
un certain point, était tombée en désuétude, même
avant l’oj-donnance de 1681. Ce qui le prouve, c’est le
silence gardé par elle à cet égard, silence d’autant plus
significatf qu’en ce qui concerne les matelots elle défend
d’engager ceux qui sont actuellement au service d’un
autre, sous peine de nullité de l’engagement et d’une
amende de èent livres applicable moitié à l’amiral, moi
tié au premier mailre 2.
Comment donc exiger sous l’empire du Code ce que
�ART.
221
ET
222.
5
l’ordonnance n’avait pas autorisé. Aucune disposition ne
fait supposer une pareille intention, pas même la loi
du 22 germinal an xi, dont se prévaut M. Pardessus.
En effet, la spécialité incontestable de celte loi en res
treint forcément l’application dans les limites qui y sont
tracées. Ces limites ne peuvent s’étendre jusqu’au capi
taine. Soutiendrait-on, par exemple, que celui-ci doit
être muni du livret? Cependant il faudrait aller jusquelà, dans la doctrine de M. Pardessus. On ne peut être
coupable d’un fait quelconque que si on a agi au moins
avec imprudence ou légèreté, et c’est ce que fait le maî
tre employant un ouvrier sans se faire représenter le
livret sur lequel il doit trouver la justification de la libé
ration de tous engagements antérieurs. La loi serait im
morale si elle punissait, même pécuniairement, celui
qu’elle n’aurait pas mis à même de l’éviter.
Quel rapport y a-t-il d’ailleurs entre l’ouvrier et le
capitaine d’un navire qui puisse autoriser leur assimila
tion? Le premier ne promet que son travail, qu’il ne
peut même engager valablement au-delà d’un certain
temps ; le second est non-seulement un mandataire,
mais encore un véritable comptable des affaires de l’ar
mement, que nul ne peut utilement gérer en l’absence
du propriétaire. L’expiration du temps promis entraî
nera de plein droit la libération du premier, auquel le
maître ne peut sans dommages-intérêts refuser son
attestation. L’expiration de l’engagement du capitaine
pourra le laisser réliquataire envers l’armateur d’une
somme quelconque, jusqu’au paiement de laquelle ce-
�6
DROIT MARITIME.
lui-ci pourrait refuser le visa du livret. De telle sorte que
si le capitaine était réellement dans l'impossibilité de
faire ce remboursement, il ne pourrait plus être em
ployé par personne.
Le seul devoir que la loi ait imposé au capitaine est
celui qui est écrit dans l’article 238 du Code de com
merce, mais la peine résultant de sa violation lui est
toute personnelle. Il serait donc impossible d’en étendre
l’application au propriétaire auquel il s’est présenté
comme libre de tous engagements, qui a traité avec lui
dans cette conviction, et qui ne pouvait utilement con
trôler la déclaration qui lui était faite.
357.
— La mission confiée au capitaine d’un navire
appelait toute la sollicitude du législateur. Les funestes
conséquences, les malheurs irréparables que pouvait en
traîner un moment de fatale négligence commandaient
la plus grande sévérité dans tout ce qui pouvait le pré
venir et l’empêcher.
En effet, maître absolu de la direction de la naviga
tion, le capitaine n’est pas seulement l’arbitre suprême
des intérêts pécuniaires importants dont les propriétai
res et les chargeurs l’ont rendu dépositaire, il dispose, en
outre, du salut et de la vie de l’équipage et des passa
gers. Tout dépend de sa vigilance, de sa scrupuleuse fidé
lité à remplir tous ses devoirs. Il ne suffisait donc pas
de s’être assuré de sa capacité, il fallait l’intéresser le
plus puissamment possible à en faire un emploi éclairé
et utile.
�ART.
221
ET
222.
7
De là la responsabilité même de ses fautes légères écri
tes dans l’article 221, et qui aurait pu ne pas l’être sans
qu’aucun doute ne pût s’élever à cet égard. En effet,
mandataire salarié dans tous les cas, le capitaine tom
bait sous l’application de l’article 1992 du Code Napo
léon, dont l’interprétation dans ce sens n’est contestée
par personne.
558.
— Dans la théorie des fautes si longuement exa
minée en droit commun, on est, malgré l’avis contraire
de Toullier, convenu que le mandataire, même salarié,
ne répondrait pas de la faute très-légère. Le Code Napo
léon, dit M. Troplong, exclut les superlatifs ; il n’exige
du mandataire que la diligence ordinaire, raisonnable
du bon père de famille. Le droit civil n’est pas un Code
de devoirs ascétiques.
MM. Delamarre et Lepoitvin partagent l’avis de M.
Troplong, mais ils distinguent entre le mandataire civil
et le mandataire commercial. Ce dernier, disent-ils,
toujours certain de gagner, quelle que soit pour le com
mettant l’issue de l’opération, doit à la chose commise
non pas seulement les soins qu’il apporte à ses propres
intérêts, mais encore les soins que la loi romaine exige
de celui qui emprunte à usage : Exaetissimam, diligentiam cuslodiendœ rei prœstare compellitur, nec sufficit eamdem diligentiam adhibere guam suis rebus adhibet, si alius diligentior custodire p o lu e ritl .
i Traité du Cont. de commission, tit. 2, n° 219 et stiiv. ; T roplong,
art. 1992 n°s 391 et su iv.
�8
DROIT MARITIME.
M. Troplong repousse celle distinction, il pense qu’en
matière commerciale c’est le type du bon père de fa
mille commerçant qui sert de base, et que, quand on
trouve qu’un mandataire commercial s’est réglé sur ce
modèle, il a satisfait aux devoirs de la prudence et de la
bonne foi.
Quoi qu’il en soit, la question n’a pas encore été exa
minée au point de vue du capitaine d’un navire. Peutêtre, si elle l’eût été, l’aurait-on résolue dans le sens
que MM. Delamarre et Lepoitvin admettent pour le com
missionnaire. L’esprit de la loi semble l’exiger ainsi, car
les énormes conséquences des fautes même très-légères
du capitaine ne permettent pas de croire qu’on a voulu
lui laisser une latitude quelconque dans la mission qu’il
remplit. C’est de lui qu’on doit exiger les soins d’un
père de famille très-bon, très-diligent. C’est lui qui doit
réellement être l’homme aux cent yeux, totus oculeus,
pour qui il n’y a point de fautes vénielles, en faveur
de'qui il ne saurait exister d’excuse toutes les fois qu’il
s’est écarté d’une manière quelconque de la marche qu’il
devait suivre.
Il est évident que notre article 221 a voulu quelque
chose de plus que l’article 1992 du Code civil. Or, si
celui-ci, sans l’exprimer, met la faute légère à la charge
du mandataire, l’article 221 allant nécessairement audelà, doit comprendre la faute très-légère.
3 5 9 . — Le capitaine répond de ses fautes non-seule
ment envers les propriétaires du navire pour le dom -
�ART.
221
ET
222.
9
mage que celui-ci peut éprouver, mais encore envers
les chargeurs pour tout ce qui concerne les marchandi
ses confiées par chacun d’eux. Il est à leur endroit un
véritable entrepreneur de transports ou voiturier, et, en
cette qualité, on doit lui appliquer les règles prescrites
par les articles 1782 etsuivants du Code civil, et par la
section 7 titre 6 du livre premier du Code de commerce.
Nous aurons plus tard à déduire les conséquences de
cette responsabilité spéciale, dont le principe est consa
cré par l’article 222. La remise des marchandises aux
mains du capitaine doit être constatée par une recon
naissance que le Code a qualifié de connaissement, dont
nous verrons bientôt le caractère, les conditions et les
effetsl.
Cette double responsabilité est acquise par le seul fait
de l’acceptation du commandement du navire, quelles
que fussent d’ailleurs les conventions particulières dont
le mandat légal du capitaine aurait pu être l’objet. Les
droits et les devoirs naissant de cette qualité sont d’or
dre public, et,n’admettent par conséquent aucune déro
gation de la part des parties. Le système contraire ne
tendrait à rien moins qu’à éluder les garanties que la loi
a cru devoir exiger lorsqu’il s’est agi de la collation du
grade, et à affranchir le capitaine de ce zèle obligé à rem
plir ses devoirs, en l’exonérant de toute responsabilité.
Ainsi, la Cour de cassation décidait, le 4 juin 1834,
que l’autorité du capitaine, en ce qui concerne la con1 Infrà, tit. 7, art. 281 et suiv.
�10
DROIT MARITIME.
duite du navire, le commandement des manœuvres et la
discipline de l’équipage, est une délégation de l’autorité
publique; que, dès lors le capitaine ne pouvait valable
ment l’abdiquer en faveur d’une personne étrangère à
la marine ; que la convention renfermant une pareille
abdication était donc frappée d’une nullité radicale et
absolue.
De son côté, le tribunal de commerce de Marseille
consacrait, le 2 août 1827, que la hiérarchie des pou
voirs à bord des navires marchands était d’ordre public;
qu’en conséquence la convention par laquelle le capi
taine titulaire en chef est privé du commandement du
navire et subordonné au capitaine en second était illicite
et nulle, et ne pouvait recevoir aucune exécution K
Cette doctrine était commandée par l’intérêt du com
merce et par la sûreté des équipages. On ne pouvait pas
permettre que le nom d’un capitaine ne fût qu’un piège
pour capter la confiance des uns et des autres, pour les
abandonner ensuite à l’impéritie du premier venu. Le
capitaine, qui pour échapper à la responsabilité oserait
exciper d’une pareille convention, devrait d’autant moins
être écouté qu’en la souscrivant il aurait non-seulement
oublié ses devoirs, mais encore gravement manqué à la
dignité de son caractère : Nemo audilur propriam tu rpitudinem allegans.
3 6 0 . — Indépendamment de cette double responsa1 Journal de Marseille, t. 9, 1, 38.
�(
ART.
221
ET
222.
11
bilité, le capitaine en encourt une troisième, à savoir :
celle résultant des contraventions aux lois de douane et
de la violation des lois réglant la police des ports et rades
ou de celles concernant la discipline de la marine mili
taire à laquelle ils sont soumis. Toutes ces matières se
plaçant en dehors du Code de commerce, nous nous
bornons à les indiquer. La seule observation que nous
devons faire est celle-ci : la contrebande à laquelle se
livrerait le capitaine pourrait amener la saisie, soit mo
mentanée, soit définitive du navire. Dans un pareil cas,
il est évident que le capitaine répondrait aux proprié
taires et chargeurs des conséquences de l’une et de l’au
tre, et qu’il serait obligé de les indemniser du préjudice
résultant de la confiscation ou du simple retard occa
sionné dans le voyage.
5 6 1 . — Dans la pratique, on qualifie de baraterie
du patron toutes les fautes que le capitaine peut com
mettre dans l’accomplissement de sa mission. Mais il
est évident que leur imputabilité et leurs conséquences
diffèrent essentiellement, suivant que le fait constituera
une faute plus ou moins grave ou une contravention,
un délit ou un crime. Toutes auront pour effet d’enga
ger la responsabilité du capitaine envers les intéressés au
navire ou à la cargaison. Les dernières donneront lieu
soit à une simple amende, soit à un emprisonnement,
soit à une peine afflictive et infamante.
On distinguera donc entre la baraterie criminelle et la
baraterie simple ou civile. La répression de la première
est aujourd’hui régie par la loi du 10 avril 1825,
�12
DROIT MARITIME.
La baraterie simple ou civile comprend les dois, fau
tes, imprudences ou impérities ayant occasionné un pré
judice au navire ou à la cargaison. C’est de celle-ci que
le Code de commerce s’occupe exclusivement pour en
régler les effets et les conséquences.
Dans ce sens, la baraterie du patron peut se réaliser
avant ou pendant le voyage, au moment de la rentrée
du navire. C’est dans ces diverses périodes que le Code
l’examine non-seulement dans les articles suivants, mais
encore dans les diverses dispositions des titres qui nous
restent à examiner.
3 6 2 . — Ce qu’il importe de constater dès à présent,
c’est que la responsabilité édictée par l’article 221 contre
le capitaine est générale et absolue, quel que soit l’en
gagement contracté. On a voulu faire une distinction
lorsque le capitaine est engagé à la part, mais cette dis
tinction a été repoussée. La loi, a dit la Cour de Ren
nes, ne fait et ne pouvait faire aucune différence. Le ca
pitaine à la part est non un mandataire gratuit, mais
un mandataire salarié, quoique d’une autre manière
que le capitaine à appointements fixes, il est même plus
largement récompensé, ce qui loin d’affaiblir sa respon
sabilité, la rend au contraire plus rigoureuse K
3 6 3 . — D’autre part la loi qui posait le principe de
la responsabilité ne pouvait descendre dans le détail des
i 4 2 juillet <1846,
�ART. 2 2 3
ET
224.
13
faits constituant la faute, elle devait s’en rapporter à la
prndeuce et aux lumières des tribunaux. Il suffît donc
de faire remarquer que l’idée de faute implique forcé
ment la violation d’une prescription légale, l’oubli d’un
devoir, l’omission d’une précaution commandée par la
prudence. C’est dans ce cercle que s’agitera la question
de responsabilité du capitaine. Dès lors la nature et
l’existence du fait, son imputabilité, ses conséquences,
sont complètement abandonnées à l’appréciation souve
raine du juge L
A r t ic l e
223.
Il appartient au capitaine de former l’équipage du
vatsseau et de choisir et louer les matelots et autres gens
de l’équipage, ce qu’il fera néanmoins de concert avec
les propriétaires, lorsqu’il sera dans le lieu de leur
demeure.
A r t ic l e
224.
Le capitaine tient un registre, coté et paraphé par un
des juges du tribunal de commerce, ou par le maire ou
son adjoint, dans les lieux où il n’y a pas de tribunal
de commerce.
Ce registre contient les résolutions prises pendant le
1 Cass., 8 mars 1832.
�U
DROIT MARITIME.
voyage, la recette et la dépense concernant le navire, et
généralement tout ce qui concerne le fait de sa charge
et tout ce qui peut donner lieu à un compte à rendre, à
une demande à former.
SOMMAIRE
l
364. Choix de l’équipage laissé au capitaine. Conditions exigées
par l’ancien droit. Conséquences.
365. Discussion au conseil d’Etat.
366. Détermination de ce que signifie le concert exigé par l'ar
ticle 223.
367. Quid, lorsque, sans y demeurer, le propriétaire a un fondé
de pouvoirs sur les lieux ?
368. A qui appartient le choix du subrecargue? Conséquences
'pour la responsabilité du capitaine.
369. Par qui doivent être réglés les conditions de l ’engagement
et les salaires de l ’équipage?
370. Renvoi aux lois spéciales pour divers devoirs du capitaine,
quant aux personnes et aux choses qu'il doit embarquer
et aux formalités à remplir.
371. Faute qu’il commettrait s’il se contentait d’un équipage in
expérimenté ou insuffisant. Conséquences.
372. Etendue et nature de la responsabilité du capitaine pour les
faits de l ’équipage.
373. Obligation d’avoir un registre. Sa forme.
374. Mentions qu’il doit renfermer. Résolutions prises pendant
le voyage.
375. Comment faut-il entendre ces mots : Tout ce qui concerne
la charge ?
376. Utilité et avantages du livre de bord.
�ART.
22o
ET
224.
\n
36 4.
— Les devoirs du capitaine commencent dès
que son engagement est définitivement contracté, il est
chargé dès lors de préparer le voyage et de mettre le na
vire en état de l’entreprendre. Il doit donc se livrer à
tous les soins qu’exigent l’armement et l’équipement.
La chose la plus urgente est la constitution de l’équi
page. Le choix des officiers et matelots devait être laissé
au capitaine, d’abord parce qu’il est destiné à naviguer
avec eux et qu’il est responsable des uns et des autres ;
ensuite, parce que sa position et sa navigation précé
dente le mettent, mieux que personne, à même de juger
de la capacité et de la moralité de ceux qui peuvent
vouloir en faire partie. Un équipage, disait Valin, n’est
jamais mieux composé que lorsqu’il est du choix du maî
tre. C’est ce que les précédentes législations avaient ad
mis. Le Consulat de la mer le Droit hanséatique, le
Guidon de la mer avaient tour à tour consacré le droit
du capitaine à cet égard.
Tous n’avaient pas cependant cru que ce droit dût
être exercé d’une manière absolue et sans limite. Ainsi,
l’article 16 de la Hanse teutonique obligeait le capitaine
de s’entendre avec le propriétaire, lorsque celui-ci de
meurait dans le lieu de l’armement, et cette disposition
avait pris place dans l’ordonnance de 1681.
Rien n’est plus juste, disait Yalin, que ce devoir im
posé au capitaine, puisque le propriétaire ou l’armateur
est la partie la plus intéressée au succès du voyage pro
jeté, et que d’ailleurs il est responsable des fautes et dé
lits des gens de l’équipage comme des faits du navire.
�16
DROIT MARITIME.
Mais le propriétaire, recherché à l’occasion de cette
responsabilité, avait son recours contre le capitaine. En
dernier résultat, c’était donc à celui-ci qu’incombait la
responsabilité et les effets de la composition vicieuse de
l’équipage. Aussi Yalin lui-même ne considérait-il pas
le droit du propriétaire comme bien démontré, puisque
ce n’est qu’à titre de déférence qu’il conseillait au capi
taine de n’engager personne sans l’aveu du premier, de
prendre les matelots qui lui seraient indiqués par lui,
de ne pas retenir ceux qui ne lui seraient pas agréables.
Mais si les matelots ou officiers indiqués par l’arma
teur ne paraissaient pas convenables au capitaine, si,
placé entre une responsabilité qu’il pouvait considérer
comme trop imminente et un acte de déférence, il ne
croyait pas devoir accomplir cet acte, que devait-il ar
river? Qui devenait juge du conflit? C’est ce que n’avait
réglé ni le Droit hanséatique, ni l’ordonnance de 1681.
365.
— C’est précisément cet embarras qui avait
préoccupé les auteurs du Code de commerce. La com
mission originaire et la section du conseil d’Etat avaient
cru ne pas devoir le laisser subsister. Elles l’avaient
donc tranché,.mais en déniant au capitaine le droit de
former l’équipage, elles avaient donc omis l’article 323,
innovant ainsi à l’ordonnance de 1681.
Mais l’opinion contraire fut vivement soutenue au
conseil d’Etat. Ses partisans prétendaient que le choix
de l’équipage devait être déféré au capitaine, parce qu’il
répond des gens qui le composent. C’est à l’armateur,
�ART.
223
ET
224.
17
disaient-ils, à choisir un bon capitaine, et à celui-ci à
s’entourer d’un bon équipage.
En principe, répondait la section, on ne peut voir
dans le capitaine que le mandataire du propriétaire, et
c’est pour cette raison qu’on doit lui refuser le choii de
l’équipage.
En effet, la justice n’oblige pas ici de s'écarter des
principes, elle veut au contraire qu’on s’y tienne, car,
si le capitaine répond de l’équipage, le propriétaire en
répond aussi, et en outre des avaries. Dans celte posi
tion, la garantie due au propriétaire ne permet pas de
rendre indépendent un capitaine qui souvent ne pré
sente aucune garantie. Voilà pourquoi Valin ne veut pas
seulement que le capitaine obtienne l’agrément du pro priétaire, s’il est présent, mais encore celui du commis
sionnaire à l’armement, si le propriétaire n’est pas sur
les lieux
Jusque-là les systèmes en présence étaient absolus,
mais alors naquit la proposition de les concilier, en obli
geant le capitaine à se concerter avec le propriétaire,
seulement lorque celui-ci se trouverait sur les lieux.
L’ordonnance, disait-on, avait admis ce tempérament,
il faut rentrer dans ses termes. Si le capitaine et le pro
priétaire ne peuvent s’accorder, le tribunal pronon
cerait.
La section opposait qu’il était difficile de comprendre
en quoi consiste l’obligation que l’ordonnance impose
au capitaine de se concerter avec le proriétaire. A qui
entend-elle que la décision appartiendra ? On dit que le
H — 2
�\8
DROIT MARITIME.
tribunal prononcera! Mais il est impossible au juge de
décider si un matelot doit ou non être engagé.
366.
— Cette discussion était utile à rapporter, car
elle détermine le sens précis de l’article 223. Il est vrai,
qu’en se conformant à l’ordonnance, on retombait dans
l’embarras que nous relevions tout-à-l’heure, et que la
section rappelait si à propos, en s’opposant à ce qu’on
en revînt à l’ordonnance.
Mais on lui répondit que, puisque cette ordonnance
n’avait pas excité des réclamations, il n’y avait pas de
motifs pour la changer ; qu’il ne fallait pas, sous le pré
texte de vaines difficultés, rendre étranger au choix de
l’équipage un capitaine que l’équipage doit seconder, et
qui en répond.
S’étayant ensuite de la doctrine de Valin, M. Bigot de
Préameneu en concluait que le mot concert n’a jamais
présenté de difficultés réelles. Cette expression, ajoutait
le prince archichancelier, est parfaitement entendue :
elle signifie que le capitaine est obligé de présenter au
propriétaire les noms des individus dont il a fait choix,
et que le propriétaire peut les rejeter.
Sur ces observations dernières, le conseil d’Etat décida
que l’article 5, titre 1®r, livre II, de l’ordonnance serait
rétabli dans le projet, et que les explications données
sur le sens dans lequel le mot concert doit être pris se
raient insérées au procès-verball:
l Locré, Esprit du Code de c o m art. 223.
�ART. 223 ET 224.
19
Cet article 5 de l’ordonnance est devenu notre article
223. Son interprétation est désormais fixée. Le choix
de l’équipage appartient au capitaine, mais avec obliga
tion de s’entendre avec le propriétaire ou l’armateur,
lorsque celui-ci demeure sur les lieux. Le pouvoir de
celui-ci se borne en quelque sorte à un veto à l’égard
des personnes proposées par le capitaine, sans qu’il
puisse jamais le contraindre à recevoir celles qu’il pro
poserait lui-même. Ce qui est imposé au capitaine, c’est
la déférence et non une abnégation forcée de son inté
rêt. Ce qui est d’autant plus rationnel, que le proprié
taire trouve dans le droit que lui confère l’article 218
un moyen énergique de rendre ses observations prépon
dérantes.
367.
— Ce que nous concluons encore de la discus
sion au conseil d’Etat, c’est que l’obligation du capitaine
de se concerter avec le propriétaire n’existe que lorsque
celui-ci demeure sur les lieux. Nous ne l’admettons donc
pas dans l’hypothèse indiquée par Valin, à savoir,
lorsque, sans demeurer sur les lieux, le propriétaire y
est représenté par un fondé de pouvoirs.
Nous remarquons d’abord que l’article 223 garde le
plus complet silence à cet égard, ce qui est d’autant
plus significatif que, lorsque le législateur a voulu pla
cer le fondé de pouvoirs sur la même ligne que le co
propriétaire, il a eu le soin de l’exprimer. Nous en trou
vons un remarquable exemple dans l’article 232.
D’autre part, le capitaine ne doit pas au fondé de
�DROIT MARITIME.
pouvoirs la déférence qu’il est obligé de témoigner à son
propriétaire. Il ne peut rencontrer chez le premier les
mêmes sentiments, les mêmes garanties que lui offre ce
dernier. A. l’esprit de conciliation que la loi suppose à
celle-ci, le fondé de pouvoirs pourrait fort bien substi
tuer le caprice et une opposition systématique.
Ce n ’est d’ailleurs pas sans hésitation qu’on a appelé
le propriétaire à s’immiscer dans le choix de l’équipage.
L’hommage qu’on a cru devoir à sa qualité ne pouvait
être que personnel et uniquement attaché à cette qualité.
Le silence gardé par l’article 223 sur le fondé de pou
voirs n ’est que la conséquence de la règle du défaut de
transmissibilité des prérogatives exclusivement attachées
à la personne.
3 6 8 . — Il n’est qu’une seule personne dans tout
l’équipage, qui soit en dehors du choix du capitaine, c’est
le subrecargue. Les fonctions de celui-ci consistant à
gérer la cargaison, le propriétaire de celle-ci a seul le
droit incontestable de le députer et de le choisir.
Mais, par une juste et logique réciprocité, le capitaine
est affranchi de toute responsabilité pour les faits et ac
tes que le subrecargue accomplit dans l’exécution de son
mandat. En affet, loin de pouvoir rien lui ordonner, le
capitaine est à ses ordres pour tout ce qui concerne la
cargaison, il n’aurait à répondre que s’il avait refusé
de les exécuter.
3 6 9 . — Les droits du capitaine, relativement au choix
de l’équipage, se bornent à la désignation des personnes.
�ART.
225
et
224.
21
La discrétion qui lui est laissée ne s’étend pas aux con
ditions de l’engagement et surtout au salaire à allouer.
La détermination de celui-ci appartient exclusive
ment au propriétaire. Dès lors, le capitaine ne saurait
l’engager au-delà de ses instructions, et à défaut de
celles-ci, des usages et du cours de la place. Il ne pour
rait donc se faire rembourser de ce qu’il aurait promis
ou payé en sus de ses instructions ou des usages. Il en
serait cependant autrement si le propriétaire, régulière
ment informé du taux des salaires que le capitaine a été
dans la nécessité d’accorder, n’avait fait ni réclamations,
ni réserves.
370. — La force et le nombre de l’équipage, sa
composition se règlent ordinairement par la capacité et
l’importance du navire. Des lois spéciales ont réglé les
devoirs du capitaine relativement à la nationalité des
officiers et matelots, au nombre des mousses et novices,
à la présence d’un chirurgien à bord, ou à l’embarque
ment d’un coffre de médicaments et d’une caisse d’ins
truments de chirurgie ; relativement à l’obligation de
déclarer au commissaire des classes les conditions de
son engagement, sous peine de perdre le prix de son
voyage, et, s’il est armateur, les conditions d’engage
ment de son équipage ; enfin, à l'obligation de présen
ter celui-ci à la revue, en France, du même commissaire
des classes, et à l’étranger du consul français *.
1 Edit de juillet 1720, t. 6 , art. 8 ; Règlement du 23 janvier 1727;
Ordonnance du 17 octobre 1784, tit. 14, art. 1 et 9 ; Loi du 21 sep
tembre 1793 ; Décret du 3 brumaire an iv ; Ordonnance du 4 mars 1819;
Déc. m inist. du 13 décembre 1817; ordonnance du 29 octobre 1837,
�22
DROIT MARITIME.
3 7 1 . — Ce qui touche réellement à notre matière à
cet égard, c’est l’observation qu’un capitaine, qui aurait
engagé un équipage impropre au navire ou qui partirait
avec un équipage insuffisant pour les besoins de la ma
nœuvre, commettrait une faute des plus lourdes, qu’il
compromettrait gravement non-seulement le navire et
la cargaison, mais encore la vie et le salut de l’équipage
et des passagers ; qu’en conséquence, rien ne pourrait
l’exonérer de l’obligation de réparer le préjudice souf
fert, quel qu’il fût. C’est là un point sur lequel toutes
les législations n’ont jamais varié. Leurs dispositions
unanimes sont résumées par Casaregis dans la proposi
tion suivante : Ad damni igitur emendationem tenebitur navis magister, si minus idoneas nacelas et homines, aut ignotos vel imperitos ministres, sive non omnes ad usum navis necessarios adhibueritl.
572.
— La responsabilité du capitaine obéit à des
principes différents, selon qu’il s’agit d’un acte person
nellement commis par lui ou d’un fait émanant de l’é—.
quipage. Il est personnellement et indéfiniment tenu du
premier, il ne répond de l’autre qu’en sa qualité de
capitaine.
De là cette importante conséquence que l’abandon
que le propriétaire civilement poursuivi ferait du na
vire et du fret laisserait dans le premier cas le capitaine
sous le coup de son engagement personnel. Il en serait
,
1 Dite. 23
671
7
�ART.
223
ET
224.
23
autrement dans le second. La libération du propriétaire
épuiserait les droits des créanciers, entraînerait de plein
droit celle du capitaine, non-seulement à l’endroit des
créanciers, mais même vis-à-vis du propriétaire.
573.
— Le capitaine, soit qu’il navigue seulement
en sa qualité, soit qu’étant lui-même l’armateur il fasse
le commerce pour son propre compte, n’en est pas
moins obligé de rendre raison de ses opérations aux
nombreux et divers intéressés dans la navigation.
On a donc exigé de lui un livre sur lequel il doit,
jour par jour, inscrire les résultats de cette navigation,
en marquer toutes les circonstances saillantes.
L’ordonnance de 1681, qui prescrivait également la
tenue de ce registre, ordonnait qu’il serait coté et para
phé par un des principaux intéressés. Le Code a préféré
demander l’accomplissement de cette formalité à l’auto
rité judiciaire ou civile. Cette précaution parut néces
saire et était réellement utile pour prévenir toute fraude.
Malgré que l’ordonnance de 1681 ait consacré un ti
tre spécial à l’écrivain, il est certain, d’après le témoi
gnage de Valin, que l’usage d’en embarquer ailleurs que
sur les navires de guerre avait été complètement déserté.
Cependant il s’était encore conservé pour les navires de
la Compagnie des Indes, pour ceux armés en course ou
destinés au commerce dans les Echelles du Levant. Au
jourd’hui on a supprimé ce rouage inutile, et trans
porté au capitaine les fonctions qui étaient confiées à
l’écrivain.
�24
DROIT MARITIME.
3 7 4 . — L’article 224 a cru devoir indiquer ce qui
devait être inscrit sur le registre.
C’est, en première ligne, le procès-verbal des résolu
tions prises pendant le voyage. Le projet du Code exigeait
la mention des délibérations, et il avait d’abord été
consacré par le conseil d’Elat. Mais ce mot parut dan
gereux aux sections réunies du Tribunat. 11 peut, di
saient-elles dans leurs observations, faire réclamer le
fait et autoriser la chose. Or, si l’on permet de délibérer
en mer, il n’y a plus ni ordre, ni discipline ni com
mandement.
On substitua donc le mot résolution à celui de déli
bération, pour qu’on ne pût se méprendre sur les droits
de l’équipage, il n’a que voix consultative et, quel que
soit son avis, le capitaine n’en reste pas moins l’arbitre
suprême de la conduite à tenir.
Mais la résolution n ’en doit pas moins être inscrite
sur le livre de bord : elle doit être signée par ceux qui
l’ont arrêtée, et son existence devient un des moyens de
justification contre les reproches qui pourraient être
adressés au capitaine.
L’ordonnance de 1681 voulait que le capitaine inscri
vit sur son registre le nom des officiers et matelots de
son équipage, le prix et les conditions de leur engage
ment. On a pensé avec raison que tout cela résultant
aujourd’hui du rôle d’équipage, il était complètement
inutile de le faire figurer sur le livre de bord.
3 7 5 , — Ce qu’il doit renfermer pour répondre à sa
�ART.
225
et
224.
25
destination, c’est tout ce qui concerne le fait de la charge.
La recette, la dépense et généralement tout ce qui peut
donner lieu à un compte à rendre, à une demande à
former.
Les premiers termes nous sont expliqués par la dis
cussion au conseil d’Etat. On considéra, comme concer
nant la charge, la rencontre d’un bâtiment, les mesures
disciplinaires ordonnées par le capitatne contre un mem
bre de l’équipage ou un passager, etc.
3 76.
— Le livre de bord doit donc être le récit fidèle
de la navigation, en mentionner toutes les péripéties et
toutes les opérations accomplies durant le voyage.
Le registre ou livre de bord, alors même qu’il ne se
rait pas tenu jour par jour, mais qui serait régulier en
la forme, fait foi de son contenu jusqu’à preuve con
traire, mais, hors le cas de perte constatée, le capitaine
ne pourrait se dispenser de le produire.
Ainsi, il a été jugé que malgré la régularité de son
rapport de mer, dûment vérifié par l’interrogatoire des
gens de l’équipage, le capitaine peut être astreint à re
présenter, à l’appui de sa demande en règlement d’ava
ries par lui formée, son livre de bord tenu conformé
ment à l’article 224 l.
L’observation de l’article 224 est donc du plus haut
intérêt pour le capitaine, c’est sur quoi nous aurons à
insister en examinant l’article 228.
1 P ouai, 2 .juin 1845, p . P. 45, 4, 58,
T'"
�26
DROIT MARITIME.
ARTICLE
225.
Le capitaine est tenu, avant de prendre charge, de
faire visiter son navire, aux termes et dans les formes
prescrites par les règlements.
Le procès-verbal de visite est déposé au greffe du
tribunal de commerce ; il en est délivré extrait au capi
taine.
SOMMAIRE
377. Obligation du capitaine de veiller à la mise en état matérielle
du navire
378. Précautions prises par l’ancien droit. Fonctions des huis
siers-visiteurs.
379. Conséquences de leurs suppressions. Vœu de la Cour de
Rennes pour obliger le capitaine à provoquer la visite.
380. Forme de cette visite.
381. Modification à l ’ordonnance de 1681 sur l’époque à laquelle
il doit y être procédé.
382. Sont soumis à la visite, les navires destinés à une navigation
au long cours seulement.
383. Mais, doivent-ils être visités avant de prendre charge pour
le voyage de retour comme pour celui de l ’aller ?
384. Exception dans le cas de relâche pour avaries. Motifs,
385. Caractère de l’article 225. Dans quelle étendue lie-t-il les
capitaines étrangers ?
386. Renvoi à l’article 228 pour les conséquences de l’inobserva
tion de l ’article 225.
387. Où doit être fait le dépôt du procès-verbal, et qui doit en
délivrer l ’extrait.
�37 7.
— Le loi qui confie au capitaine le soin de choi
sir l’équipage, le charge encore, sous sa responsabilité,
de veiller à la mise en état matérielle du navire. Il doit
donc tenir la main à ce que toutes les réparations néces
saires à la sûreté de la navigation qu’il va entreprendre
soient effectuées. Toute négligence à cet égard pourrait
avoir des conséqueces tellement funestes, que le capi
taine en serait impardonnable.
À plus forte raison, devrait-il être sévèrement puni
si, par condescendance pour la parcimonie des arma
teurs, ou pour ne pas les effrayer par le chiffre de la
dépense, il s’était borné à des réparations apparentes,
ayant pour objet de masquer les défectuosités du navire
plutôt que de les corriger sérieusement.
378.
— La mise en état du navire est tellement im
portante qu’à toutes les époques le législateur n’a pas
cru devoir s’en rapporter au capitaine, malgré l’inté
rêt personnel que celui-ci a à sa stricte exécution. C’est
ainsi que nous trouvons l’obligation de faire visiter le
navire, notamment dans l’ordonnance de 1681.
À cette époque, et depuis longtemps, cette visite était
confiée à des préposés appelés huissiers-visiteurs, qui
étaient attachés aux amirautés, et dont les fonctions
avaient été réglées par un titre spécial de l ’ordonnance.
Ils devaient, à l’arrivée et au départ d’un navire, pro
céder à sa visite, en dresser procès-verbal et le remet
tre au capitaine, sous peine de tous dépens et domma
ges-intérêts procédant du retardem ent1.
�28
DROIT MARITIME.
*
Ainsi, la visite du navire était de plein droit, le capi
taine n’avait pas même à la requérir. Confiée d’office
aux huissiers-visiteurs, l’ordonnance n’imposait aux ca
pitaines d’autre devoir que celui de la souffrir, sous
peine d ’amende arbitraire.
3 7 9 . — Les huissiers-visiteurs ayant été supprimés
avec les sièges auxquels ils étaient attachés, leur réta
blissement ne devint l’objet d’aucune proposition dans
les nombreuses observations que suscita le projet du
Code de commerce, mais nul ne songeait à supprimer la
visite, on examina donc d’abord la question de savoir
qui devrait la provoquer.
La Cour de Rouen répondait que c’était au capitaine;
qu’il était en effet rationnel qu’avant même de charger
celui-ci fût tenu de faire visiter son navire par des gens
de l’art, à l’effet de s’assurer s’il est en état de faire route.
La Cour ajoutait : les règlements rendus à cet égard
ont été négligés, il en est résulté nombre de naufrages;
si l’on en fait un article dans le Code, peut-être sera-t-il
plus strictement observé. La commission accueillit ce
vœu, elle proposa donc d’obliger le capitaine à requérir
la visite qui serait confiée à deux anciens capitaines et
à deux intéressés à la cargaison.
3 8 0 . — Mais le conseil d’Etat crut devoir se borner
à consacrer en principe l’obligation pour le capitaine
de requérir la visite, s’en référant, quant à la forme, à
celle arrêtée par les lois et règlements. Nous en sommes
�ART.
22b.
29
donc restés, sur ce point, à la loi des 9-13 août 1791.
Or, cette loi dispose que le capitaine ou armateur qui
veut mettre un navire en armement doit appeler deux
officiers-visiteurs qui, après avoir1*reconnu l’état du na
vire, donnent leur certificat de visite, en y exprimant
brièvement les travaux dont le navire leur parait avoir
besoin pour être en état de prendre la mer.
Elle veut que lorsque l’armement est fini et que le
navire est prêt à prendre charge, il soit requis une
seconde visite. Le procès-verbal de la première est repré
senté et le nouveau certificat doit exprimer le bon et dû
état du navire.
Enfin ces visites sont confiées à d’anciens navigateurs
choisis à cet effet par le tribunal de commerce, et, à
défaut, par les officiers municipaux h
381.
— La visite du navire avait pour objet, sous
l’ordonnance de 1681, non pas seulement l’étal maté
riel du navire, mais encore l’exécution des prescriptions
des lois de police et d’intérêt général. Les huissiers-visi
teurs devaient’’notamment vérifier comment était com
posé l’équipage, le nombre et la qualité des passagers,
si le navire était muni de toutes ses expéditions. Tout
cela ne pouvait se faire utilement qu’au moment du
départ, car, dans l’intervalle plus ou moins long entre
ce départ et la visite, le capitaine aurait pu changer une
partie de son équipage ou embarquer des passagers non
déclarés.
l Tit, 3, art. 3, 6,4 2 et 43.
�30
DROIT MARITIME.
Le Code de commerce, ne s’occupant que des intérêts
commerciaux, a pu fixer autrement l’époque de la visite,
et la rendre plus conforme aux exigences de ces mêmes
intérêts. Eu l’exigeant avant le chargement, on évite les
frais de mise à bord et du débarquement dans l’hypo
thèse où, la marchandise déjà chargée, le navire serait
déclaré en mauvais état et exiger des réparations néces
sitant le déchargement.
3 8 2 . — La déclaration du 17 août 1779 soumettait
à la visite tous les navires indifféremment, quelle que
fût la navigation à laquelle ils se livraient. La loi des
9-13 août 1791 ne l’exige que pour les voyages au long
cours. Le silence gardé par le Code de commerce doitil être considère comme un retour à la déclaration de
1779 ? La négative a été consacrée par la jurisprudence.
Le Code de commerce, en se référant quant à la forme
de la visite aux lois antérieures et notamment à celles
des 9-13 août 1791 a, par cela même, maintenu ses
dispositions quant aux navires exceptés de la formalité
de la visitel.
3 8 3 . — L’abrogation de la déclaration de 1779 par
la loi de 1791 s’étend-elle à la visite que la première
prescrivait pour le voyage de retour? On a voulu induire
la négative de ce que, soit la loi de 1791, soit l’article
225 ne renfermait rien de contraire à cette obligation.
l Rouen, 22 juin 1822; Bordeaux, 27 février 1826.
�ART. 225.
51
En conséquence, le tribunal de commerce de Marseille
jugeait, le 18 mars 1822, que sous l’empire du Code, le
capitaine qui voyage au long cours doit faire visiter son
navire tant avant de prendre charge pour le voyage
d’aller, qu’avant de prendre charge pour le voyage de
retour L
Mais la doctrine contraire a été consacrée par la juris
prudence, qui a vu dans l’article 225 une dérogation
à la déclaration de 1779. La Cour de cassation a donc
décidé, le 3 juillet 1839, que les navires partant pour
un voyage au long cours ne doivent jamais être visités
qu’avant le chargement et dans le port d’où leur voyage
va être entrepris ; que cette visite suffit pour l’aller et le
retour2.
Mais cette visite doit avoir lieu, quel que soit le port
du chargement primitif. Ainsi l’ordonnance du 29 octobre
1833 est venue charger les consuls de veiller spéciale
ment à l’exécution de cette formalité, lorsque le départ
devait s’effectuer du port dans lequel ils résident.
384.
— L’obligation de faire visiter le navire ne
reçoit qu’une exception, à savoir, le cas de relâche pour
cause d’avarie. Les formalités à suivre dans cette hypo
thèse suppléent évidemment à la visite et la rendent su
perflue. En effet, non-seulement les experts constate
ront les avaries et les réparations qu’elles exigent, mais
i Journal de Marseille, 1.3,4,110.
J. D. P., 2, 1839, 370; V. infrà, art 369 et 383.
�52
DROIT MARITIME.
il est encore d’usage que, dans une dernière vacation,
ces mêmes experts se livrent à l’examen des travaux
ordonnés, et en vérifient et en attestent la bonne et en
tière exécution. Or cette exécution constitue la mise en
état du navire. Toute visite ultérieure serait donc un
effet sans cause.
*
3 8 5 . — L’article 225 n’a pas seulement un intérêt
commercial, il constitue en outre une loi de police et de
sûreté générale. A ce titre, il s’impose, aux termes de
l’article 3 du Code civil, aux capitaines, quelle que soit
leur nationalité.
Mais les capitaines étrangers qui ont obéi aux pres
criptions de leurs propres lois, ne peuvent être obligés
de se conformer en outre à la loi française. Ainsi les
chargeurs français ne pourraient exiger une visite du
navire du capitaine qui serait porteur d’un certificat de
libre navigation émané des autorités de son pays, et équi
valant à celui de visite.
Quant aux obligations des capitaines français en pays
étrangers, elles résultent de celles imposées en France
aux capitaines étrangers. L’ordonnance de 1833 charge
bien nos consuls de veiller à ce que les navires soient
visités, mais évidemment elle ne pouvait prescrire d’au
tre forme que celle en usage dans le pays.
3 8 6 . — Nous verrons sous l’article 228 quels sont
pour le capitaine les effets de l’inobservation de l’article
225. Ce que nous devons constater ici, c’est que la vi-
�ART.
225.
33
site est de rigueur, et que le procès-verbal destiné à la
constater ne saurait être remplacé même par l’aitestalion du capitaine, affirmée par l’équipage K
587. — Ce procès-verbal doit être déposé au greffe
du tribunal de commerce, et il en esi délivré un extrait
au capitaine. Une ordonnance du 1er novembre 1826
dispose que dans les ports où il n’y aura pas de tribunal
de commerce, ces procès-verbaux de visite seront reçus
parle juge de paix du canton.
Que les capitaines pourront, dans les vingt-quatre
heures de la remise, s’en faire délivrer un extrait par le
greffier de la justice de paix.
Qu’à l’expiration de ce délai le juge de paix est tenu
d’envoyer les procès verbaux au greffe du tribunal de
commerce le plus voisin, et que le dépôt en sera fait au
greffe dudit tribunal.
ARTICLE
226.
Le capitaine est tenu d’avoir à bord l’acte de propriété
du navire,
L’acte de francisation,
Le rôle d’équipage,
Les connaissements et chartes parties,
Les procès-verbaux de visite,
Les acquits de paiement ou à caution de la douane.
1 Bordeaux, 7 mai 1832.
il — 3
�54
DROIT MARITIME.
A r tic le 2 2 7 .
Le capitaine est tenu d’être en personne dans son
navire, à l’entrée et à la sortie des ports, havres, ou
rivières.
SO M M A IR E
3 8 8 . C a r a c t è r e d e l ’a r t i c l e 2 2 6 .
3 8 9 . M o t i f s q u i l ’o n t f a i t i n s é r e r d a n s le C o d e d e c o m m e r c e .
3 9 0 . D o c u m e n ts e x ig é s, le u r n a tu r e .
3 9 1 . A u t r e s p i è c e s d o n t l e c a p i t a i n e d o i t ê t r e p o r t e u r p o u r la
s û r e t é de sa n a v ig a tio n .
3 9 2 . C o m m e n t l e c a p i t a i n e d o i t e x é c u t e r l ’o r d r e d e p a r t i r q u e l u i
d o n n e l ’a r m a t e u r ?
3 9 3 . N é c e s s i t é d e sa p r é s e n c e à b o r d à la s o r t i e e t à l ’e n t r é e d e s
p o rts, h a v re s e t riv iè res. N a tu r e de c e tte o b lig a tio n .
3 9 4 . C a r a c t è r e d u d e v o i r d ’a p p e l e r u n p i l o t e .
3 9 5 . L e c a p i t a i n e c e s s e - t - i l d ’ê t r e r e s p o n s a b l e p a r l a p r é s e n c e d u
p ilo te à b o r d ?
3 9 6 . I n d e m n i t é d u e a u p i l o t e p o u r l e s a v a r i e s o u la
p e r te d e sa
c h aloupe.
3 9 7 . C o n tre q u i d o it-il d irig e r son a c tio n ?
388.
— L’article 224 prescrit au capitaine un livre
de bord, destiné à mentionner sa situation vis-à-vis des
armateurs ou des chargeurs, et tous les incidents qui
ont pu surgir pendant le voyage. Mais ce livre ne suffit
pas à la régularité de la navigation. L’article 226 indi
que les divers documents dont il doit être accompagné.
L’ordonnance de 1681 ne contient aucune disposition
�ART. 2 2 6
ET 2 2 7 .
5S
analogue à celle de l’article 226. C’est peut-être ce qui
avait déterminé la commission à l’omettre dans le pre
mier projet du Code. Mais, dans les observations qu’il
présenta sur ce projet, le tribunal de commerce de Bor
deaux en réclama la consécration. Le capitaine, disaitil, ne doit jamais naviguer sans avoir à bord les pièces
justifiant la nationalité du navire, le droit des chargeurs
et l’identité du chargement, on doit même lui en faire
un devoir absolu. L’article 226 prouve que cette opi
nion, d’abord admise par la commission, fut plus tard
consacrée par le conseil d’Etat.
3 8 9 . — Au premier aspect, on croirait que les exi
gences de l’article 226 se réfèrent bien plutôt à la police
générale de la navigation et aux droits de la douane qu’à
l’intérêt commercial et privé des parties. Mais un navire
qui n’aurait pas à bord les pièces indiquées par l’article
pourrait être inquiété par les croiseurs de l’Etat, retenu
ou retardé dans sa marche. En imposant au capitaine
le devoir de les avoir en sa possession, on est tout au
moins arrivé à ce résultat que ces inconvénients venant
à se réaliser, il ne lui sera plus permis de récuser la
responsabilité du préjudice que les propriétaires ou
chargeurs en auront éprouvé.
3 90. — Le capitaine est donc obligé d’avoir en sa
possession, dès qu’il entre en voyage :
1° L’acte de propriété du navire, c’est-à-dire l’acte
d’achat, si le navire a été acquis depuis et après sa
�56
DROIT MARITIME.
construction. Si le propriétaire actuel l’avait lui-même
fait construire, la propriété devrait être établie par les
traités passés avec les constructeurs, par les factures et
comptes des ouvriers et fournisseurs dont le capitaine
devrait pouvoir justifier ;
2° L’acte de francisation. Cet acte n’est pas seulement
utile pour justifier le droit au pavillon national. Il est
souvent une défense efficace contre certaines avanies,
contre certaines difficultés que pourrait rencontrer le
pavillon d’une autre nation. D’ailleurs l’acte de franci
sation constate la bonne construction du navire, sa jauge
officielle, et sous ce dernier rapport, il doit servir à ré
soudre les questions que pourrait soulever la quotité du
chargement ;
3° Le rôle d’équipage. On appelle ainsi l’état de tou
tes les personnes embarquées à bord du navire.
Nous verrons plus tard l’utilité que cette pièce peut
avoir sur les débats qui pourraient s’élever sur les con
ditions de l’engagement du capitaine et des gens de l’équi
page, sur le taux de leur salaire.
L’institution du rôle d’équipage est surtout d’une
profonde utilité dans l’intérêt de l’Etat. Autorisé à requé
rir pour la marine militaire les services de tous les ma
telots inscrits, il s’est par cette institution créé un moyen
énergique de connaître le nombre total de nos mate
lots ; de juger ceux qui sont actuellement disponibles,
de prévenir les désertions et d’empêcher les appelés de
se soustraire à l’inscription maritime.
Cet intérêt public explique la sévérité qu’on a de tout
�ART.
226
ET
227.
57
temps apportée à veiller à l’exécution de ce qui concerne
le rôle d’équipage. L’ordonnance de 1784, qui régit
encore la matière, soumet le capitaine à une amende de
300 livres pour chaque- matelot dont le nom n’est pas
inscrit sur le rôle d’équipage.
Nous n’avons pas à entrer dans de plus longs dé
tails sur les faits que doit mentionner le rôle d’équipage,
sa régularité rentrant dans la matière de la police ma
ritime qu’on a sagement distinguée de la matière com
merciale qui doit seule nous occuper.
4° Les connaissements et la charte-partie. Les con
naissements constatent l’identité- de la cargaison et ex
cluent toute idée de contrebande ou de commerce étran
ger prohibé par l’ordonnance de 1784. L’utilité de leur
existence à bord est indiquée par ce fait que les tribu
naux de la Guadeloupe ont vu dans l’absence des con
naissements un motif suffisant pour prononcer la con
fiscation du navire. Il est vrai que cette décision a été
infirmée par la Cour de cassation, le 22 juillet 1825.
Mais la saisie du navire, ne dût-elle aboutir à aucun
résultat fâcheux, n’en occasionne pas moins un préju
dice important que le capitaine doit avoir soin d’éviter
en se conformant à la loi.
Ce qui peut résulter encore de l’absence des connais
sements, c’est que le capitaine ne soit pas en état de
restituer utilement la marchandise à celui qui doit la
recevoir, ce qui le rendait responsable envers le char
geur ; il ne pourrait même, dans ce cas, être dispensé
�O8
DROIT MARITIME.
de rembourser la marchandise non consignée, par l’offre
qu’il ferait de la représenter l.
L’obligation d’avoir à bord les chartes-parties souffre
exception, par exemple, dans le cas où la cargaison ap
partient au propriétaire du navire lui-même.
Il faudrait l’admettre ainsi lorsque le capitaine a chargé
à la cueillette, ou lorsque, comme dans le petit cabotage,
il n’est pas d’usage de souscrire des chartes-parties ;
dans tous ces cas, le droit à l’usage du navire résulte
suffisamment des connaissements.
Enfin la loi exige que le capitaine soit porteur des
procès-verbaux de visite et des acquits de paiement ou à
caution de la douane.
Tel est l’ensemble des documents que l’article 226
exige, et dont le capitaine doit être porteur, à peine de
devenir responsable des événements que le défaut d’un
ou de plusieurs pourrait entraîner.
391.
— À ces exigences il faut ajouter celles que les
lois de police, que la santé publique, que l’intérêt du
fisc ont imposées. Ainsi, indépendamment des pièces
que nous venons d’énumérer, le capitaine doit avoir à
bord un congé, c’est-à-dire un permis de navigation, sans
lequel les navires ne peuvent sortir des ports du royau
me. Ce congé est le passe-port du navire, il est délivré
par la douane.
Une patente de santé ou certificat faisant connaître
�ART.
226
ET
227.
59
l’état sanitaire du lieu d’où il est parti, et celui du na
vire lui même au moment de son départ.
Enfin, un manifeste ou état général de sa cargaison
qui est, à l’arrivée, remis à la douane 1.
Il importe que les énonciations de ce manifeste soient
conformes aux acquits de la douane. Toute différence
faisant supposer une substitution de marchandises pour
rait amener la saisie et la confiscation de celles qui se
trouveraient sur le navire.
Il importe encore que le manifeste mentionne toute la
marchandise chargée; celle qui serait omise pourrait
être confisquée, et il est évident que le capitaine coupa
ble de cetie omission devrait indemniser le chargeur de
toutes les conséquences qui en seraient résultées.
392.
— Le capitaine qui a pris toutes les disposi
tions convenables est obligé de se mettre en route au
premier ordre de son armateur, ou au jour indiqué dans
ses instructions, mais l’exécution de ce devoir est entiè
rement laissée à son appréciation,et nécessairement su
bordonnée à- sa possibilité. Le capitaine qui mettrait à la
voile malgré le mauvais temps, ou malgré la prohibi
tion de sortie que peuvent contenir les règlements locaux,
commettrait une faute lourde, des conséquences de la
quelle il ne cesserait pas d’être responsable sur le motif
que l’équipage consulté aurait résolu le départ.
C’est, en effet, sa volonté seule qui doit le diriger dans
1 Loi des 43-22 août 4794, 4 germinal an xj.
�40
DROIT MARITIME,
la conduite du navire, il n’a ni conseil à prendre ni
ordre à recevoir, si sa conviction lui fait craindre quel
ques dangers. Le tribunal de commerce de Marseille a
même jugé, le 16 février 1826, qu’il n’est, pas obligé
de mettre en mer lorsqu’il juge que le temps est con
traire, quoique le chargeur lui en ait donné l’ordre pres
sant et formelï.
1
5 9 5 . — La présence du capitaine sur le navire à
l’entrée ou à la sortie des ports, havres ou rivières est
un devoir urgent pour lui. C’est la Cour de Rouen qui
proposa d’en consacrer l’injonction dans le Code de com
merce. Un capitaine, disait-elle, étant dans le voisinage
de son domicile, se fait descendre en mer pour y arriver
plus promptement, et laisse la conduite du navire à son
second qui, manquant quelquefois des connaissances
requises, se trouve maîtrisé par les événements. Beau
coup d’accidents, même des naufrages sont résultés de
cette imprudence des capitaines, il est essentiel de les
prévenir, en obligeant les capitaines de remplir entière
ment leurs devoirs.
Ces observations devaient d’autant plus être accueil
lies, que l’entrée ou la sortie des ports, havres ou riviè
res offre toujours du danger soit par le voisinage de la
terre, soit par le stationnement de nombreux navires,
soit par les difficultés naturelles de la localité. Ce n’est
donc pas le moment pour le capitaine d’abandonner
i Journal de Marseille, t. 7, 1, 56,
î .
1
1
, ' V
'
�ART.
226
ET
227.
41
une direction que sa réputation lui a méritée.L’article 227
est donc parfaitement conforme à la raison elle-même,
il résulte de son esprit comme de son texte que le capi
taine doit être à bord à l’entrée et à la sortie, soit qu’il
s’agisse du départ, soit que le navire doive être seule
ment conduit en rade, et qu’il ne doit l’abandonner,
dans aucun cas, que lorsqu’il est solidement mouillé ou
amarré à la place qui lui est destinée.
L’obligation imposée au capitaine par l’article 227
n’est nullement affaiblie par le fait qu’un pilote aurait
été appelé à bord pour conduire le navire soit à l’entrée
soit à la sortie du port, havre ou rivière. Cet appel con
stitue même un devoir indépendant de l’obligation, et
auquel le capitaine ne saurait manquer sans affecter sa
responsabilité.
394.
— On sait que, justement préoccupé du danger
qu’offre l’entrée ou la sortie de certains ports, havres
ou rivières, le législateur exigea que tout navire fût con
fié à la direction d’un pilote dont les études spéciales et
la pratique des localités rendaient le secours utile, sinon
indispensable. On sait encore que ce secours, obliga
toire dans certain cas, est facultatif dans d’autres, en ce
sens que, sauf les exceptions formellement prévues, le
capitaine peut se passer du pilote, mais qu’il n’en est
pas moins obligé de le payer.
La prudence fait donc un devoir au capitaine com
mandant un navire de plus de quatre-vingt tonneaux,
qui ne fait pas habituellement la navigation de port en
�42
DROIT MARITIME.
port, et ne pratique pas habituellement l’embouchure
des rivières, d’appeler et d’employer réellement le pilote.
L’omission de ce devoir rendrait, en cas d’accident, la
responsabilité du capitaine bien plus lourde K
•
•
395.
— Mais cet acte de prudence accompli, surgit
la question délicate de savoir à qui du pilote ou du ca
pitaine incombera la responsabilité du préjudice qui
pourra survenir soit au navire, soit à la cargaison.
Nous avons déjà dit que le propriétaire répond des
faits du pilote comme de ceux du capitaine2. Mais en
même temps nous admettions, avec la Cour de Bordeaux,
que ce dernier n’a pas le droit de s’opposer aux mesu
res que le pilote, sous sa responsabilité, juge devoir
prendre pour le salut du navire ou de la cargaison 3.
C’est également ce que le tribunal de Marseille avait for
mellement jugé le 1 1 mai 1817.
S’il faut en croire les recueils d’arrêt, ce tribunal se
rait revenu de cette jurisprudence. Deux fois, en effet,
il aurait déclaré le capitaine responsable, malgré la pré
sence du pilote à bord.
Mais, consulter ces jugements, c’est se convaincre
que, parfaitement appropriés à l’espèce, ils ne portent
aucune atteinte au principe que nous considérons com
me seul juridique. Le premier, en effet, rendu le 2 avril
1 Casaregis, Disc. 23, n° 68.
2 Suprà, n° 281,
3 23 février ! 829.
�18219, rend le capitaine responsable parce qu’il n’était
pas présent au moment de la sortie du navire. Or, nous
venons de le dire, l’assistance du pilote ne dégage pas le
capitaine de l’obligation que lui impose l’article 227, il
y avait toute raison de le décider ainsi, car le pilote, sim
ple marin par l’état, par l’éducation, par les mœurs,
peut s’oublier, se quereler avec l’équipage, le brutaliser,
ne pas être obéi par lui. Tous ces inconvénients dispa
raissent devant la présence du capitaine, qui doit être
puni d’ailleurs s’il n’a pas obéi à la loi.
Dans le second jugement, rendu le 5 mai 1831, le
tribunal avait à statuer sur une demande en dommagesintérêts formée par le fermier d’une madrague, dont les
filets tendus avaient été déchirés par le navire.
Il est vrai que dans ce jugement, le tribunal, dans un
de ses motifs, paraît admettre que le capitaine peut s’op
poser aux manœuvres du pilote. Mais les raisons réelles
de le déclarer responsable sont immédiatement déduites
en ces termes :
« Attendu que le capitaine n’est pas, à plus forte rai
son déchargé de l’obligation de surveiller ce qui se passe
en mer, afin d’en prévenir le pilote qui, placé au gou
vernail, peut souvent ne pas apercevoir ce qu’il y a vers
la proue du navire ; que, dans l’espèce particulière, si
le capitaine ou son équipage eussent rempli celte sur
veillance, ils auraient incontestablement prévenu à temps
le pilote du signal annonçant la présence de la madrague,
et celui-ci l’aurait facilement évitée . »
i Journal de Marseille, t. 8, 1, 1 86 ; l. 9, 1, 247 ; t. 11, 1, 56,'
�Tout ce qui nous parait résulter de ces décisions, c’est
que la présence du pilote à bord n’est et ne saurait être
pour le capitaine et l’équipage le droit de se croiser les
bras et de fermer les yeux; que leur devoir est de coopé
rer à la direction du navire et de la faciliter autant
qu’il est en eux. Le préjudice uniquement imputable à
l’oubli de ce devoir ne résulte pas même du fait ou de
la faute du pilote, qui ne répond ni du capitaine ni de
l’équipage. A quel titre donc le lui ferait-on supporter?
Que si, au contraire, le préjudice est dû à une fausse
manœuvre, à la négligence, à l’impéritie du pilote, en
rendre le capitaine responsable serait consacrer une in
justice qui n’est ni dans la lettre, ni dans l’esprit de la
loi.
La preuve, nous la puisons en outre dans la jurispru
dence. Ainsi, si la mise à bord du pilote est la consé
quence d’un embargo mis sur le navire, le capitaine
privé de tout commandement, est par cela même affran
chi de toute responsabilité, malgré que son mandat lé
gal, qui l’investit de toutes les actions actives et passives
du navire ne cesse pas de subsister. En conséquence,
les actes de protestation et de recours signifiés de bonne
foi à ce capitaine, à raison d’un abordage, dans les
vingt-quatre heures de l’événement, sont valables et
consacrent les droits du demandeur contre l’administra
tion de la marine, seule responsable des faits du pilote
par elle délégué x.
�art.
226 et 227.
46
396.
— Le pilote qui a dirigé un navire doit être
non-seulement payé des salaires qui lui sont alloués,
mais encore indemnisé du préjudice que la conduite du
navire lui a pu occasionner. C’est ce qui s’induisait de
l’article 46 du décret du 12 décembre 1806, portant :
si dans un gros temps la chaloupe d’un pilote, en abor
dant le navire à la mer, reçoit quelques avaries, elle
sera réparée aux frais du navire et de la cargaison, il en
sera de même si la chaloupe se perd en totalité.
Cet article avait fait surgir deux difficultés : l’une sur
la forme, l’autre sur le fond. L’obligation de réparer,
a-t-on dit, n’est attaché qu’à l’avarie ou la perte subie
au moment et par le fait de l’abordage. Le pilote ap
porte au navire le secours de son expérience pratique, il
faut donc qu’il aborde ; dans l’abordage, manœuvre de
nécessité, et souvent périlleuse pour une embarcation
légère, la chaloupe éprouve des avaries ou périt ; la jus
tice exigeait que le pilote fût indemnisé.
Mais si la chaloupe d’un pilote remorque un navire,
le dirige dans les passes, l’éloigne des écueils, et si le
navire et la chaloupe naviguant plus ou moins long
temps à la suite l’un de l’autre, la chaloupe sombre et
périt par la seule violence des vents ou de la tempête,
l’article 46 cesse d’être applicable. Le sinistre est le ré
sultat d’une fortune de mer ordinaire, il n’est pas une
conséquence immédiate du secours que le pilote apporte
au navire en danger, c’en est une médiate et éloignée.
Il serait facile de démontrer tout ce que cette doctrine
a d’illogique, combien elle s’écarte non-seulement de
�l’esprit de la loi, mais encore des principes du droit
commun en matière de mandat ou de gestion d’affaires.
Ce qui rend toute démonstration inutile, c’est qu’elle a
été législativement condamnée. En effet, l’article 12 du
règlement pour le pilotage, du 23 novembre 1S44, dis
pose que lorsque le pilote perdra sa chaloupe au service
d’un navire, l’armateur ou le propriétaire sera tenu
d’en payer la valeur.
597. — Le pilote a donc incontestablement action
pour se faire indemniser. Mais contre qui devra-t-il
l’exercer? C’est ici la difficulté de forme.
Cette perte, a-t-on dit, ne constitue qu’une avarie
commune. Donc, chaque intéressé n’est tenu que de sa
part et portion. Le pilote, ne pouvant rien exiger au delà, doit donc les actionner tous.
Cette prétention a été avec juste raison écartée. Celui
qui répond principalement envers le pilote, c’est le pro
priétaire ou l’armateur. Il peut dès-lors l’attaquer iso
lément, sauf à lui de se pourvoir contre les autres inté
ressés pour la part proportionnelle afférant à chacun
d’eux C
i
Article 228.
En cas de contravention aux obligations imposées par
les quatre articles précédents, le capitaine est responsa
ble de tous événements envers les intéressés au navire
�ART. 228, 229 ET 250.
Article 229.
Le capitaine répond également de tout le dommage
qui peut arriver aux marchandises qu’il aurait chargées
sur le tillac de son vaisseau, sans le consentement par
écrit du chargeur.
Cette disposition n’est point applicable au petit cabo
tage.
Article 230.
La responsabilité du capitaine ne cesse que par la
preuve d’obstacles de force majeure.
S O M M A IR E
3 9 8 . B u t e t e f fe t d e la r e s p o n s a b i l i t é i m p o s é e a u
capitaine p a r
l ’a r t i c l e 2 2 8 .
3 9 9 . C o n s é q u e n c e d e l ’a b s e n c e d u l i v r e d e b o r d .
400.
Quid,
en cas de p e rte . De q u o i p e u t-e lle r é s u lte r ?
401. Q u a n d d o it-o n a d m e ttr e le cap itain e à en e x c i p e r ?
4 0 2 . C o n sé q u e n c e s d e l 'o m is s io n d e l à v isite , n a t u r e e t c a ra c tè re
d e la p r é s o m p t i o n q u ’e l l e c r é e .
4 0 3 . C o n s é q u e n c e s d e l ’i n o b s e r v a t i o n d e l ’a r t i c l e 2 2 6 . N a t u r e d e
la p r e u v e c o n t r a i r e .
404.
Quid,
d e l ’i n o b s e r v a t i o n d e l ’a r t i c l e 2 2 7 .
4 0 5 . D e v o i r s d u c a p i t a i n e à l ’e n d r o i t d u c h a r g e m e n t . O b l i g a t i o n
de ne pas prendre des marchandises au-delà de la capacité
du navire. Conséquences.
�■
• y * .
48
f
-
-
y
~
~
. ..
. ’ -j
DROIT MARITIME.
4 0 6 . R e s p o n s a b i l i t é q u ’il e n c o u r t e n c a s d ’a c c i d e n t s o u d e r e t a r d
d a n s le c h a r g e m e n t d e s
m arc h a n d ise s m ises à
sa d i s
p o sitio n .
4 0 7 . S e s d e v o i r s q u a n t à l e u r a r r i m a g e , r é g i e s q u ’il d o i t s u i v r e à
cet égard.
4 0 8 . R é p o n d d e s a v a r i e s d e la m a r c h a n d i s e d é b a r q u é e h o r s la
p r é s e n c e d u c o n s i g n a t a i r e , s ’il n ’a p a s f a i t c o n s t a t e r le b i e n ê t r e d e son a r r i m a g e .
4 0 9 . M o t i f s d e la p r o h i b i t i o n d e c h a r g e r s u r le t i l l a c , s a n s l e c o n
se n te m e n t é crit du c h a rg e u r.
4 1 0 . E x c e p t i o n p o u r la n a v i g a t i o n a u p e t i t c a b o t a g e .
4 1 1 . F o r m e d u c o n s e n t e m e n t . R é s u l t e r a i t d e la c l a u s e d u
con
n a isse m e n t.
412.
D o i t - o n a s s i m i l e r a u c h a r g e m e n t s u r t i l l a c c e l u i f a i t d a n s la
d u n e tte ?
4 1 3 . N a t u r e d e la p r e u v e d e la f o r c e m a j e u r e e x i g é e p a r l ’a r t i
cle 2 3 0 .
4 1 4 . C a r a c tè r e d e sa d isp o sitio n . C o n s é q u e n c e s .
4 1 3 . M i s s io n c o n f i é e a u x t r i b u n a u x . A p p l i c a t i o n s d i v e r s e s .
4 1 6 . L a f o r c e m a j e u r e n ’e x i s t e q u e l o r s q u e l e s c a u s e s d e l ’é v é
n e m e n t n e p e u v e n t ê t r e i m p u t é e s n i a u fait d u c a p ita in e ,
n i à c e l u i d e l ’é q u i p a g e .
398.
— Le capitaine qui n’a pas religieusement exé
cuté les obligations qui lui sont imposées a violé ses
devoirs, commis une faute grave. L’article 228 l’en pu
nit, en lui imposant la responsabilité de tous les événe
ments qui ont pu survenir. C’était là, en effet, l’unique
sanction que la loi pût édicter. Elle est assez onéreuse
pour retenir le capitaine dans la voie qui lui est tracée.
Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer la posi
tion du capitaine, suivant qu’il se sera ou non conformé
�art.
228, 229
et
230.
49
aux prescriptions des articles 224 et suivants, que nous
venons d’analyser.
399.
— Le livre de bord, nous l’avons déjà dit,
pourvu qu’il soit régulier en la forme, et malgré qu’il
n’ait pas été tenu jour par jour, fait foi de son contenu
jusqu’à preuve contraire. Ainsi les recettes et dépenses,
les avaries éprouvées, la nécessité d’un radoub, d’une
relâche, le changement forcé de route, la vente ou
l’achat de victuailles en mer, les mesures prises contre
un matelot ou un passager ; tout cela est présumé léga
lement accompli,
Le livre de bord est donc, en réalité, une ressource
précieuse pour le capitaine. Il y puise non-seulement
les moyens d’attaquer les intéressés, mais encore ceux
de se défendre. Il peut dire à ses adversaires et à ses
juges : croyez, parce que mon livre l’atteste; et cette
raison est décisive. On ne peut l’écarter qu’en prouvant
le mensonge ou la fraude ; ce qui n’est pas toujours pos
sible pour des événements réalisés en pleine mer, et
dont il n’existera souvent d’autre témoin que le livre de
bord lui-même.
Supposez que le capitaine n’ait pas exécuté l’article
224. Un événement dommageable pour le navire ou le
chargement s’est réalisé. La présomption légale est con
tre le c'apitaine. Le silence qu’il a gardé sur les causes
qui l’ont amené, le défaut de mention sur le livre de
bord ne saurait être autrement interprété que comme
h
— 4
�DROIT MARITIME.
50
un aveu que ce fait est imputable à la faute ou à la né
gligence du capitaine.
Vainement voudrait-il y suppléer par les termes de
son consulat. On lui répondrait, avec la Cour d’Aix, que
celui-ci ne peut-être considéré comme une preuve lé
gale des événements de la navigation, lorsque le livre
de bord n’est pas représenté, puisque c’est précisément
ce livre qui devait fournir les matériaux du rapport dont
on ne peut dès lors contrôler l’exactitude l.
Plus vainement encore proposerait-il une preuve tes
timoniale. Cette preuve, toujours admissible en faveur
des intéressés au navire ou à la cargaison, ne saurait
être invoquée par le capitaine qui a pu se créer une
preuve littérale. La seule dont il pût utilement se préva
loir, serait celle résultant de la constatation judiciaire
du fait de force majeure qu’il aurait provoquée au mo
ment de l’événement, comme dans l’espèce jugée par la
Cour de Rennes, le 21 juin 1811.
400.
— Cette règle souffrirait exception si le défaut
de représentation du livre de bord, que le capitaine
prouverait avoir tenu, était la conséquence de la des
truction ou de la perle fortuite de ce livre. La loi qui
punit la violation de ses prescriptions, ne saurait sévir
contre un événement indépendant de la volonté de celui
qui en est victime, et qui n’a pu ni le prévoir ni l’em
pêcher. Donc, en cas de perte du registre justifiée, le
i 21 j u i l l e t 1 8 2 1 ,
Journal de Marseille,
t. 2, 1, 3 7 1 .
�ART.
228, 229,
et
230.
SI
rapport du capitaine, dûment vérifié par l’équipage, de
vrait être admis à sa décharge. On devrait, en outre,
accueillir toutes les preuves que le capitaine serait en
mesure d’offrir. La force majeure légitimerait cette dé
rogation au droit commun.
401.
— Mais il ne faudrait pas que la perte du livre
de bord devînt une de ces excuses banales derrière les
quelles la mauvaise foi essaye de se retrancher. Le ca
pitaine ne devrait être admis à l’alléguer que lorsque sa
probabilité serait démontrée par la nature de l’événe
ment auquel on la rattache. Par exemple la perle,
l’abandon précipité ou le naufrage du navire ; dans ce
cas, la preuve de la destruction du livre de bord résul
terait suffisamment de ce qu’il ne figurerait pas dans
les objets sauvés, détaillés dans le rapportï.
402.
— L’omission de la visite du navire, prescrite
par l’article 225 rend le capitaine responsable de tout le
préjudice éprouvé par le navire et le chargement. Ce
préjudice est présumé avoir été occasionné par le mau
vais état du bâtiment. Ceux qui en sont les victimes sont
donc fondés à en rendre responsable celui qui n’a pu
violer la loi que dans l’intention de dissimuler ce mau
vais état.
Mais cette présomption s’efface devant la preuve du
contraire. L’article 228, a dit la Cour de cassation, ne
l Rennes, 12 juillét 1816.
�32
DROIT MARITIME.
crée pas une présomption juris et de ju re. La responsa
bilité résultant du défaut de visite cesse par la preuve
que le sinistre provient d’événements de mer ou de force
majeure. Dans l’espèce, la Cour tirait la preuve contraire
du rapport régulier constatant qu’à la sortie du port un
coup de vent ayant fait échouer le navire, l’eau avait
pénétré de toute part et occasionné ainsi à la cargaison
un préjudice considérable l.
Celte interprétation n’est pas une faveur faite au capi
taine contre les chargeurs. Le bénéfice en est également
acquis à ces derniers. Nous verrons, en effet, que l’arti
cle 297 les admet à prouver le mauvais état du navire,
nonobstant et contre les certificats de visite.
403.
— Nous avons déjà dit que l’omission des piè
ces exigées par l’article 226 peut avoir des conséquences
fâcheuses pour la navigation du navire. Des soupçons
sur la légitimité de l’opération, une présomption de
contrebande pourraient porter les croiseurs de l’Etal à le
saisir, à le conduire dans le port le plus voisin, et oc
casionner ainsi des retards plus ou moins considérables.
A l’arrivée au port de destination, les mêmes difficultés
sont de nature à surgir de la part de l’administration ;
l’oubli seul de la patente de santé peut faire refuser la
libre pratique.
Le capitaine serait évidemment responsable envers qui
de droit, et cette responsabilité peut atteindre à des li1 Cass. 17 avril 1834,
�ART.
228, 229,
ET
230.
33
miles considérables. En effet, les retards, le changement
de route imposés au navire peuvent l’avoir exposé à des
avaries, à un naufrage qu’il eût pu éviter, si le capitaine
avait eu le soin de se munir des pièces exigées par la loi.
On sent, dès lors, qu’il ne suffirait plus de prouver
que l’avarie ou le naufrage est la conséquence d’une
fortune de mer, d’une force majeure. On objecterait au
capitaine que, sans les retards et les difficultés auxquels
sa faute a donné lieu, le navire aurait évité les hasards
qui l’ont assailli.
La responsabilité du capitaine ne cesserait donc que
par la preuve que l’absence des pièces ayant occasionné
ces retards et ces difficultés n’est due qu’à la force ma
jeure, et une preuve de ce genre est difficile même à
concevoir.
404.
— Ce que nous disons de l’inobservation de
l ’article 226 s’applique à celle de l’article 227. Le capi
taine, absent du navire à l’entrée ou à la sortie des
ports, havres ou rivières, ne serait relevé de la respon
sabilité des événements, quels qu’ils fussent, qu’en jus
tifiant qu’il a été retenu ailleurs par une force majeure.
Peut-être que s’il eût commandé le navire, le sinistre
eût été évité. C’est du moius ce que la loi suppose. Ici la
présomption est juris cl de ju re. Le capitaine ne peut
donc en éviter les effets que par la preuve qu’un obsta
cle de force majeure l’a seul empêché d’être à son poste.
4 0 5 . — Le chargement du navire que le capitaine
�54
DROIT MARITIME.
doit surveiller et diriger ne constitue pas la partie la
moins délicate de ses devoirs. Déjà l’article 222 l’a dé
claré responsable des marchandises qui lui sont remises,
et cette responsabilité ne concerne pas seulement l’obli
gation de les restituer à la fin du voyage, elle s’étend,
en outre, à leur conservation pendant tout le cours de
la navigation.
La principale obligation du capitaine, à l’endroit du
chargement, est de ne pas surcharger le navire en rece
vant au-delà de sa capacité réelle. Il ne doit pas sacri
fier la sûreté du navire et celle de l’équipage au désir
d’augmenter le bénéfice qu’il doit prélever sur le. fret.
Or, l’encombrement résultant d’un chargement excessif
compromet l’une et l’autre. La manœuvre en est gênée,
le navire est plus difficile à gouverner, ce qui peut don
ner lieu à des avaries plus ou moins graves.
La surcharge du navire a toujours été considérée
comme une faute. Avant l’ordonnance de 1681, on
n ’hésitait pas à déclarer le capitaine personnellement
tenu à réparer tout le préjudice qui en était résulté1.
Rien de contraire ne résulte des dispositions du Code de
commerce. Aujourd’hui donc on doit dire avec M. Par
dessus que le capitaine ne doit réellement embarquer
que ce que le navire peut porter ; que l’excédent doit
être mis à terre, sauf le recours des chargeurs contre
qui de droit.
La faute du capitaine, que son obéissance aux ordres
i Casaregis,
æ
Disc.,
23, n» 69 e t a u t o r i t é s q u ’il cite.
:j ï s p 7/ '
v ■.
�ART. 228, 229 ET 230.
3b
de l’armateur n’effacerait pas, serait bien plus grave
encore si, ayant directement traité avec les chargeurs, il
avait pris des engagements au-delà de la possibilté du
navire. Sa responsabilité personnelle, même envers l’ar
mateur civilement poursuivi, en serait la juste, l’iné
vitable conséquence.
406.
— La seule obligation que contractent les char
geurs, est celle de livrer les marchandises soit sur le
quai, soit le long des bords du navire, suivant la con
vention. Leur chargement et leur arrimage appartien
nent exclusivement au capitaine, qui répond, dès lors
du préjudice auquel ils peuvent donner lieu 1.
La marchandise est censée au pouvoir du capitaine,
dès qu’elle est mise à sa disposition dans le lieu convenu
Toutes les mesures ultérieures pour la faire arriver à
bord le concernent et doivent être exécutées à ses risques
et périls. Ainsi, il répond de tous les accidents qui peu
vent arriver par défaut de soins, d’attention ou de pré
cautions des matelots ou autres personnes par lui em
ployées au chargement.
Il répond même des accidents que le retard occasion
nerait. Ainsi le tribunal de Marseille jugeait avec raison,
le 12 octobre 1829, que l’acconier qui a transporté au
près du bord du navire des marchandises destinées à y
être embarquées en est suffisamment déchargé par la
remise qu’il fait au capitaine du billet portant avis, de
i Rouen, 14 décembre 1820 et 9 octobre 1827; Cass.. 7 juillet 1824
�56
DROIT MARITIME.
407.
— La marchandise rendue à bord, il faut pro
céder à son arrimage. Le devoir du capitaine, à cet en
droit, se borne à disposer le chargement de la manière
la plus convenable à chaque nature de marchandises et
à fermer ses écoutilles avec soin, sans qu’il soit obligé
d’examiner si la marchandise qui lui est remise est bien
ou mal conditionnée.
Mais il est responsable de tous les dommages que
pourrait entraîner un arrimage vicieux, si, par exem
ple, des marchandises pesantes avaient été placées sur
des caisses légères ou fragiles.
S’il a négligé de placer un fardage sous une mar
chandise sujette à s’avarier, si elle n ’est pas protégée
contre le contact du sol.
Les cas d’application de cette règle sont fréquents.
Nous nous contenterons d’en rappeler un qui a le mé
rite de bien déterminer l’étendue et la nature du devoir
du capitaine.
1 Journal de Marseille, 1.9, <, 293.
\ —
la part du chargeur, de l’envoi des marchandises pour
l’embarquement; que par suite le capitaine est tenu,
dès ce moment, de délivrer à l’acconier récépissé des
marchandises chargées sur la chatte que celui-ci a con
duite, et placée le long de son bord; qu’en conséquence,
si depuis l’arrivée des marchandises jusqu’à leur embar
quement effectif, une partie de ces marchandises éprouve
fortuitement un dommage, le capitaine ne peut rejeter
sur l’acconier la responsabilité de l’événement *. -
�ART.
228, 229
ET
230.
57
Le tribunal de commerce de Marseille jugeait, le 11
janvier 1S36, que bien que, d’après les règles généra
les de l’arrimage, les barriques se placent sur le premier
plan du navire, il est cependant dans l’ordre d’un bon
arrimage de les placer à fond de cale, s’il se trouve dans
le chargement des marchandises lourdes; qu’en consé
quence, le capitaine qui néglige de suivre cette disposi
tion est en faute, et par suite tenu de l’avarie éprou
vée par la marchandise contenue dans ces barriques par
l’effet du poids considérable des autres marchandises
superposées '.
Il n’y a donc, en matière d’arrimage, d’autre règle à
suivre que celle qui est de nature à assurer la conser
vation de toutes les marchandises. Les précautions à
prendre varient donc suivant les effets composant chaque
chargement. Le capitaine ne doit pas seulement suivre
l’usage général, il ne peut s’écarter des exigences spécia
les et particulières, sans engager sa responsabilité. Son
obligation personnelle ne serait nullement affaiblie de
ce qu’il aurait confié la disposition de son chargement à
des arrim eurs-jurés2.
408.
— Le capitaine intéressé à faire’un bon arri
mage ne l’est pas moins à le faire constater, s’il veut
s’exonérer du payement des avaries que la marchandise
aurait pu éprouver durant le voyage.
1 Journal deM arseille , t. 4 6, 4, 481.
3 Rouen, 14 décembre 1820.
�S8
DROIT MARITIME.
Ainsi on a jugé que le capitaine qui débarque la mar
chandise hors la présence du consignataire, et sans foire
constater le bien-être de son arrimage, est responsable
des avarias reconnues à cette marchandise, et attribuées
au contact ou au coulage d’autres marchandises char
gées sur le même bord, bien que son consulat men
tionne des tempêtes et des mauvais temps, alors d’ailleurs
qu’il ne justifie pas d’événements de navigation qui aient
pu désarrimer la cargaison et produire l’avarie ; que de
ce défaut de justification résulte la présomption que
l’avarie est le résultat d’un vice d’arrimage ou d’un dé
faut de précaution de la part du capitaine l.
409.
— Le chargement sur tillac a toujours été con
sidéré comme dangereux : pour le navire, dont il en
combre le pont et rend les manœuvres plus dificiles;
pour les marchandises exposées aux intempéries du
temps et à être les premières dont on se débarrassera
dans le cas d’un jet à la mer.
Aussi, l’avail-on prohibé au capitaine, mais une pa
reille prohibition ne pouvait être absolue, il est des mar
chandises qui peuvent subir ce mode de transport. Dans
tous les cas, le chargeur peut le consentir. On avait
donc subordonné à ce consentement l’effet de la prohi
bition. Cette prescripiion, que l’ordonnance de 1681
avait empruntée au Consulat de la mer, se retrouve
dans notre article 229.
•>
1 Journal de Marseille, t. 10, 1, 132.
\
�ART.
228, 229
ET
230.
39
Ce que le Code exige de plus que l’ancien droit, c’est
que le consentement du chargeur soit donné par écrit,
il est juste qu’aucun doute ne puisse s’élever sur un fait
dont les conséquences peuvent être si considérables. On
l’avait de tout temps tellement compris ainsi, qu’au té
moignage de Valin, malgré le silence gardé par l'or
donnance, on exigeait la preuve écrite du consentement
toutes les fois qu’il s’agissait de marchandises d’une va
leur de plus de cent francs.
410.
— L’exception que notre article consacre en
faveur du petit cabotage était également admise sous
l’ordonnance de \ 681, quoiqu’elle n’eût pas été prévue K
Le Code n’a donc fait que consacrer un usage univer
sellement suivi avant lui, et qui se justifiait par la nature
même des choses. Le petit cabotage s’opérant de port en
port, les voyages s’accomplissent ordinairement dans un
délai assez court pour que la marchandise n’ait pas le
temps de souffrir beaucoup. Quelquefois même les na
vires'qui le desservent ne sont pas pontés. Enfin, si ce
mode de chargement a un inconvénient, il produit éga
lement un avantage en contribuant à faire fixer le fret
à un prix peu élevé.
Sans doute, le même effet se produit dans la naviga
tion au grand cabotage ou au long cours. Les marchan
dises chargées sur tillac ne payent ordinairement que
la moitié du fret de celles chargées sous couverte, mais
1 V a l in , a r t . 12, tit .
du Capitaine.
�60
DROIT MARITIME.
la durée du voyage, en multipliant les hasards, aggrave
singulièrement l’inconvénient de ce mode. De plus,
l’article 421 considère le jet des marchandises sur tillac
comme avarie particulière aux risques exclusifs du char
geur.
Au reste, celui qui veut profiter, même à ce prix, de
la réduction du fret, est libre de le faire, la loi l’autorise
à consentir. L’exigence d’une preuve écrite est même
bien plutôt dans l’intérêt du capitaine que dans le sien
propre.
4 1 1 .- — Le législateur n’a tracé aucune forme à ce
consentement, il doit être écrit, il résulterait évidem
ment de l’acceptation d’un connaissement portant la
clause à charger sur couverte. Sans doute, le connais
sement n’est signé que par le capitaine, mais l’accepta
tion par le chargeur de l’original que lui remet le capi
taine en rend toutes les conditions communes et con
tradictoires. Le chargeur, qui ne pourrait plus contester
le prix du fret, la quotité du droit de chapeau qui y
seraient stipulés, ne pourrait pas davantage récuser la
clause du chargement sur tillac. *
412.
— La prohibition édictée par l’article 229 a fait
naître la question de savoir si les effets chargés dans la
dunette d’un navire doivent être assimilés à ceux char
gés sur tillac, et si, responsable de ceux-ci, le capitaine
l’est également de l’avarie ou de la perte de ceux-là,
lorsqu’il a agi sans le consentement du chargeur?
�art.
228, 229
et
250.
61
61
Cette question, affirmativement résolue par le tribu
nal de commerce de Marseille, a été décidée en sens
contraire par le tribunal de commerce et par la Cour
d’appel de Bordeaux. Celle divergence mérite d’être
examinée et résolue.
La dunette, qu’on désigne également sous les noms
de rouf, cabanne, carrosse, est une espèce de petit loge
ment élevé sur le pont à l’arrière du bâtiment, soit au
moment de sa construction, soit à une époque ulté
rieure. Elle est ordinairement destinée au logement du
capitaine ou des autres officiers de l’équipage.
Dès-lors, disait-on devant le tribunal de Marseille, là
où la prudence permet de loger les principaux de l’équi
page, peut-il y avoir de l’imprudence à loger des mar
chandises, dont la valeur, quelle qu’elle soit, ne peut
être comparée à la vie d’un seul homme.
En un mot, la loi défend le chargement sur couverte,
à peine de responsabilité contre le capitaine et les arma
teurs, elle ne défend point le chargement sous couverte-,
or tout objet placé sous le rouf est sous couverte. Donc,
point de faute, et point de responsabilité à raison d’un
chargement ainsi effectué,
Peu importe, répondait-on, que le chargement dans
la dunette soit un chargement sous couverte ; la loi ne
parle pas de couverte mais bien de lillac. Il ne suffit
donc pas, pour détourner la responsabilité du capitaine
et de l’armateur, que l’objet chargé soit couvert d’une
manière quelconque, il faut qu’il soit couvert par le
tillac, ou sous la couverte du,i tillac.
I
*
'
�62
DROIT MARITIME.
On conçoit, en effet, qu’un objet chargé sur le pont,
quelque couvert qu’il soit, est toujours exposé à des ris
ques auxquels ne sont pas soumis les objets chargés dans
l’intérieur du navire. La preuve, s’il en était besoin, se
trouverait même dans l’espèce actuelle, car le ro u f et
tout ce qu’il renfermait ont été emportés, tandis que les
objets chargés sous tillac ont été préservés.
Peu importe encore que le capitaine elles principaux
de l’équipage eussent leur logement dans la dunette,
car, outre que cette circonstance est étrangère à la ques
tion, elle ne démontre qu’une malheureuse témérité.
L’événement fatal survenu n’a que trop bien justifié la
sage prévoyance de la loi (dans l’espèce, les vagues qui
avaient emporté la dunette avaient également enlevé le
capitaine et son second).
Ce système fut entièrement consacré par jugement du
15 mai 1329 l.
Le tribunal de commerce et la Cour de Bordeaux, pour
écarter ce précédent qui était invoqué à leur barre, font
remarquer qu’il s’y agissait d’une dunette qui avait été
élevée sur le tillac, c’est-à-dire d’un rouf, qui était loin
de présenter la même solidité qu’une dunette régulière
ment construite en même temps que le navire.
Observons cependant qu’il était acquis au procès de
Marseille que le rouf avait servi à l’babitation du capi
taine et autres officiers du bord, ce qui tendait à en
établir la bonne et solide construction. Il est vrai qu’il
l Journal de Marseille , 1 . 10, 1 , 108.
�ART.
228, 229
et
250.
65
avait été emporté par un coup de mer. Mais le consulat,
fait après l’événement par ceux qui survivaient, consta
tait que ce même coup de mer avait emporté le lieute
nant qui tenait la barre, enlevé le gouvernail avec tout
ce qui y tenait, le capot de la chambre d’en bas et partie
de la troisième écoutille, la grande chaloupe à douze ra
mes et dix-sept pièces à eau non montées. En un mot,
la violence des vagues avait été telle, et les ravages dans
toutes les parties du navire si considérables, qu’on de
vait être convaincu que la dunette la plus solidement
construite n’aurait pu résister.
Quoi qu’il en soit, partant de ce point que la dunette
était régulièrement construite, le tribunal de commerce
et la Cour de Bordeaux déclarent qu’elle constituait le
plus haut étage du bâtiment à l’arrière; que sa couver
ture est confectionnée comme celle du reste du bâtiment,
et qu’elle offrait des lors aux chargeurs autant de sécu
rité que plusieurs parties de la cale. D’où ils concluent
que la disposition de l’article 229 est inapplicable; que
si la loi a proscrit le chargement sur tillac, c’est par le
motif que les marchandises s’y trouvent exposées aux
intempéries de l’air et aux violences de la mer, mais
qu’il n’en est pas de même lorsqu’il existe sur le bâti
ment une dunette solidement construite, où les objets
sont à l’abri du mauvais temps et sous la sauvegarde du
capitaine qui a sa chambre dans celle partie du bâtiment
1
*\ ' "
1 6 décembre 1838 et 13 janvier 1841 ; J D. P. 1, 1841, 452 et
�____________ t
64
DROIT MARITIME.
Nous préférons, sans hésiter, la doctrine du tribunal
de commerce de Marseille. Rien, dans celle de la Cour
de Bordeaux ne répond aux motifs décisifs que nous
avons fait connaître.
La marchandise placée dans l’intérieur du navire est
protégée par les murailles de celui-ci, elle pourra être
avariée par l’eau de la mer, mais elle ne sera emportée
que si le navire, crevé ou submergé, périt lui-même.
Celles placées dans la dunette sont beaucoup plus ex
posées à l’invasion des eaux. Ce qui pourra même se
réaliser, c’est qu’elles seront emportées avec la dunette
elle-même. Quelque solide que soit celle-ci, elle n’en est
pas moins en quelque sorte construite en l’air sur le
pont, et l’obstacle momentané qu’elle opposera ne fera
qu’accroître la violence des vagues, qui finiront par en
triompher.
D’ailleurs, en supposant que les effets chargés dans
la dunette sont à l’abri des intempéries de l’air, ils n’en
sont pas moins directement sous la main de l’équipage,
ils seront donc les premiers dont on se débarrassera en
cas de nécessité d’un jet à la mer. Or, c’est cet inconvé
nient qui a contribué à la prohibition de l’article 229,
ce qui le prouve, c’est que le chargement sur tillac, sans
le consentement du chargeur, engagerait la responsabi
lité du capitaine, alors même qu’il s’agirait d’objets
d’une nature telle qu’ils n’eussent nullement à souffrir
ni de l’intempérie du temps, ni de l’eau de la mer.
Donc, charger dans la dunette, c’est charger sur le
tillac, c’est exposer la marchandise à des chances qu’elle
�ART.
2 2 8 , 2 2 9 ET 2 3 0 .
GS
n ’aurait pas courues dans l’intérieur du navire ; c’est,
en un mot, contrevenir à l’article 229. La réalisation de
ces chances engage dès-lors la responsabilité du capi
taine.
415.
— Dans tous les cas de faute, de négligence,
d’imprudence d’impéritie, la responsabilité du capitaine
est absolue. Celte règle n’était susceptible que d’une seule
exception, à savoir, la force majeure, et c’est ce que con
sacre l’article 230.
Quelle est la preuve exigée par celte disposition ? Le
projet primitif du Code portait : « Celte preuve se fait
dans les formes déterminées par les règlements d’admi
nistration publique relatifs à la police des navires. »
La Cour de Rouen fit observer que le fait de force ma
jeure devait se trouver indiqué dans un des documents
que le capitaine doit représenter, par exemple sur le livre
de bord prescrit par l’article 224.
La commission adopta cet avis, elle proposait en con
séquence de dire que la preuve serait faite dans les for
mes déterminées par les articles 242 et suivants.
Cette proposition fut accueillie par le conseil d’Etat.
C’est donc, comme le disait le rapporteur du tribunal,
par les procès-verbaux que le capitaine dépose à son ar
rivée qu’on juge de sa conduite, pourvu que son rap
port soit vérifié. L’article 247 le suppose. En disposant
que les rapports non vérifiés ne sont pas admis à la dé
charge du capitaine et ne font pas foi en justice, il décide
h
— 5
�DROIT MARITIME.
que les rapports vérifiés feront preuve, en réservant ce
pendant aux parties la preuve contraire.
4 1 4 . — L’article 230 donna lieu à des observations
qu’il importe de rappeler pour en déterminer le vérita
ble caractère et la portée réelle.
« C’est, disait notamment le tribunal de commerce de
Paimpol, beaucoup trop étendre la responsabilité du
capitaine, en ne la faisant cesser que par la preuve
d’obstacle de force majeure.
« Si cet article était maintenu tel qu’il est proposé,
on ne trouverait bientôt ni capitaines, ni propriétaires
de navires.
« Les premiers craindraient l’effet direct de la loi qui
le plus souvent, serait appliquée contre eux dans la ri
gueur de ses expressions ;
« Les propriétaires ne voudraient pas encourir les
dangers toujours renaissants d’une garantie que la loi
aurait étendue à l’infini.
« Il est un grand nombre d’accidents maritimes qui
n ’appartiennent pas à ce qu’on entend par force ma
jeure. Telles sont les erreurs ou méprises de plus d’un
genre qui accompagnent le métier de marins.
« Un navire fait route dans une direction que le ca
pitaine pouvait également fixer sur une des autres lignes
de la boussole ; il rencontre un écueil dont il se croyait
éloigné.
« Là, on ne saurait dire qu’il y ait force majeure,
une erreur devient la seule causerie l’accident, mais il
r*
H
i
' ÆL
æ
*7'
r
SJ
�ART. 2 2 8 ,
229
et
230.
67
n e p a ra ît p a s n é a n m o in s ju ste d e r e n d re le ca p ita in e
r e sp o n sa b le .
« I l est p lu sie u r s a u tres c irco n sta n ces a p p r ise s par
l ’e x p é r ie n c e , et q u i n e p e u v e n t, sa n s in ju stic e , to m b e r à
la ch a rg e d u c a p ita in e .
« Il c o n v ie n d r a it d ’ajou ter à l ’article : Ou par l'effet
des acccidents qui tiennent aux hasards, ou à l’impré
voyance inséparable de la navigation et du chômage
dans le port. »
La cra in te d ’affaib lir et d ’én erv er le p r in c ip e d e la
r e sp o n sa b ilité , e n fo u r n issa n t u n e e x c u se a ssu rée a u x
ca p ita in e s in e x a c ts o u n é g lig e n ts, et d ’o b lig er le ju g e à
le s a b so u d r e co n tre sa c o n v ic tio n , fit rep o u sse r cet a m e n
d e m e n t.
O n c o n sid éra e n su ite q u ’en e x ig e a n t q u e le ca p ita in e
m e n tio n n e d a n s s o n c o n su la t le s h a sa rd s q u ’il a c o u r u s,
l ’a rticle H 42 in d iq u e q u ’o n d oit lu i en ten ir c o m p te . La
re sp o n sa b ilité n ’est q u e la c o n sé q u e n c e d e la fa u te ;
si
c e lle -c i n ’existe p as e n ré a lité , la p rem ière n e sa u ra it
être n i e n c o u r u e , n i p r o n o n c é e .
4 1 5 . — A in si, q u e ls q u e so ie n t le s term es d e l ’arti
cle $ 3 0 , la q u e stio n d e sa v o ir si l ’é v é n e m e n t co n stitu e
ou, n o n u n e force m a jeu re e st e n tiè r e m e n t la issé e à l ’a p
p ré c ia tio n d es tr ib u n a u x . C’est d a n s cette p e n sé e q u e la
lo i s ’est a b ste n u e d e d é fin ir av ec p r é c isio n le s ca s d e force
m a jeu re, c o m m e la C our d e R o u e n p ro p o sa it d e le fa ire.
E lle a p référé s ’e n référer à la p r u d e n c e d es trib u n a u x
q u i sa u r o n t b ie n d istin g u e r le m a lh e u r d e la fa u te o u d e
�68
DROIT
MARITIME.
l’imprudence. Le capitaine qui a agi de bonne foi ne
saurait répondre d’un sinistre, alors même qu’il l’eût
évité en agissant autrement.
Cette mission, nos tribunaux ont su la comprendre et
la remplir. Ainsi, le tribunal de commerce de Marseille
décidait, le 24 décembre 4832, que le capitaine qui
avait à bord les cartes et instruments connus et usités
au port de départ, ne peut être déclaré responsable de
l’échouement du navire survenu à la suite de l’erreur
dans laquelle il a été jeté par les cartes qu’il a consul
tées l .
De son côté, la Cour de Bordeaux a jugé, le 6 décem
bre 4838, que dans toutes les traversées, et notamment
dans celle de France aux Antilles, les erreurs de longi
tude par estime, lors même qu’elles seraient considéra
bles, peuvent ne pas être imputées comme faute au ca
pitaine 2.
416.
— Mais, dans le cas d’erreur comme dans
tous les autres, le capitaine doit indiquer la cause du
sinistre, et ces causes doivent être telles qu’elles soient
reconnues indépendantes de son fait et de celui de l’équi
page. En l’absence de cette indication, c’est l’un ou
l’autre de ces faits qui est présumé.
Ainsi, il a été jugé que l’incendie qui a lieu à bord
d’un navire ne peut être rangé dans la classe des cas
i Journal de Marseille, t. 13. 1 , 337.
�ART. 2 3 1 .
gg
fortuits que lorsque le capitaine en indique la cause et
qu’il prouve qu’il n’y a eu ni faute, ni négligence de sa
part ou de la part de l’équipage1.
A r t ic l e 2 3 1 .
Le capitaine et les gens de l’équipage qui sont à bord,
ou qui, sur des chaloupes, se rendent à bord pour faire
•
»■
voile, ne peuvent être arrêtés pour dettes civiles, si ce
n’est à raison de celles qu’ils auront contractées pour le
voyage ; et même, dans ce dernier cas, ils ne peuvent
être arrêtés s’ils donnent caution.
SOMMAI RE
417. Motifs du privilège d'insaisissabilité accordé aux gens de
mer prêts à faire voile.
418. Caractère et conséquences de ce privilège.
419. La contrainte par corps contre les gens de mer peut être
exercée à bord, hors le cas prévu par l’article 231. A quel
les conditions ?
420. Véritable signification des expressions de l ’article : dettes
civiles.
421. Distinction de celles contractées pour le voyage. Consé
quences.
i Cass., 4 janvier 1832; A ix, 11 ju illet 1833.
�70
DROIT MARITIME.
422. Faculté d’empêchîr l’exécution de la contrainte par un cau
tionnement. Effets de celui-ci sur l'exigibilité de la dette.
423. Etendue et forme du cautionnement.
424. Dans quelle mesure l’insaisissabilité doit s ’étendre aux
biens ?
425. Conséquences de la saisie des marchandises déjà chargées.
426. Il n’y a que les salaires des matelots qui ne puissent être
saisis.
427. Fondement de l’opinion pour l ’insaisissabilité de ceux du
capitaine, dn pilote et des autres officiers. Réfutation.
417. — L’intérêt général du commerce, le préjudice
qu’éprouveraient une foule de chargeurs d’un obstacle
an départ du navire prêt à faire voile autorisaient une
exception au droit de tout créancier de contraindre le
payement qui lui est dû par la saisie même de la per
sonne du débiteur. C’est ce que les diverses législations
n’ont jamais hésité à consacrer. Ainsi et à l’endroit des
gens de mer prêts à faire voile, l’insaisissabilité écrite
dans le droit romain se retrouve dans le Consulat de
la mer, dans l’ordonnance de Wisbuy, dans celle de
1681.
Le Code devait d’autant plus s’approprier cette règle,
que déjà il avait proclamé l’insaisissabilité du navire
prêt à faire voile. Or ce principe devenait une précau
tion inutile, si le départ pouvait être empêché par la
saisie personnelle du capitaine ou des gens de l’équi
page. L’article 231 était donc en réalité une conséquence
forcée de l’article 215.
418.
U
Notre législateur, en consacrant le principe,
�ART.
231.
71
a cru devoir lui assurer tout le développement dont il
était susceptible. L’ordonnance de Wisbuy,celle de 1681
semblaient ne prohiber l’arrestation des gens de mer
que lorsqu’ils étaient rendus à bord. On pouvait donc
conclure qu’on pouvait les saisir soit à bord des cha
loupes sur lesquelles ils se rendaient sur le navire, soit
sur les quais où ils s’embarquaient.
Une pareille conclusion enlevait toute autorité réelle
à la règle de l’insaisissabilité. Aussi était-elle repoussée
par Valin, enseignant la doctrine contraire.
Cette doctrine est aujourd’hui législativement consa
crée. Il est vrai que l’article 231 ne parle pas des gens
de mer encore à quai, mais il n’est pas douteux qu’il
ait entendu consacrer l’opinion de Valin. Or celle-ci ne
saurait être douteuse. Les gens de mer, dit-il, ne peu
vent être saisis, qu’ils soient déjà embarqués dans les
chaloupes, ou qu’ils soient encore sur le quai à ce des
sein, attendu que dans ces circonstances c’est tout com
me s’ils étaient à bord \
Si notre texte est muet sur ce point, son esprit est
explicite. On ne veut pas que le navire, prêt à faire voile,
puisse être retardé. Ce but exige que les gens de l’équi
page se rendent à bord, et qu’ils ne puissent être sai
sis dans l’exécution de ce dessein.
Mais du texte et de l’esprit de la loi résulte la certi
tude que l’insaisissabilité des gens de mer n’est acquise
qu’au moment où le navire est prêt à faire voile. En
i Art. 44, tit. du Capitaine.
�72
DROIT MARITIME.
conséquence, le capitaine, comme tout autre membre
de l’équipage, peut être arrêté tant que le navire est
sous charge, quelque avancés que puissent être les pré
paratifs du départ. L’intervalle, qui doit nécessairement
séparer ce départ de l’arrestation, permettra de rempla
cer celui qui a subi celle-ci. Dès-lors, la prohibition
deviendrait sans motifs plausibles et ne constituerait plus
qu’un privilège que rien ne légitimerait. La question de
savoir si le navire est ou non prêt à faire voile se ré
soudra parla règle édictée dans le deuxième paragraphe
de l’article 215.
419.
Emérigon enseignait que le capitaine et les
gens de l’équipage demeurant à bord ne pouvaient y
être arrêtés à aucune époque, par la raison que le na
vire était, dans ce cas, leur habitation, et que personne
ne peut, à l’occasion de la contrainte par corps pour
dettes, de domo sua extrd h il. '
Cette opinion a été nécessairement modifiée par notre
législation actuelle sur la contrainte par corps. Le con
cours du juge de paix, rendant l’exercice de la contrainte
possible dans le domicile même du débiteur, l’autorise
rait à bord du navire comme dans tout autre habitation.
4 2 0 . — L’expression dettes civiles, dont se sert l’ar
ticle 231, n’a été consacrée que par opposition à ce
qu’on pourrait appeler dettes criminelles résultant d’une
�art.
231.
73
prévention de crimes ou délits. L’action publique ne
doit rencontrer aucun obstacle, un mandat d’amener ou
d’arrêt doit recevoir en tout temps sa pleine et entière
exécution.
Dès lors, la contrainte par corps pour dettes com
merciales est régie par l’article 231. Cela est d’autant
plus incontestable, que les matelots, par exemple, n’é
tant pas commercants, ne pourront être soumis à la
contrainte par corps que par le caractère commercial de
la dette qu’ils auront contractée.
421.
— L’article 231 fait pour les dettes des gens
de mer la distinction que l’article 215 édicte pour cel
les du navire. Celles contractées par le capitaine ou au
tre membre de l’équipage, pour le voyage qu’ils vont
entreprendre, pourront motiver l’arrestation même dans
l’hypothèse du navire prêt à faire voile.
Une identité parfaite de raisons devait déterminer un
•résultat identique.
Toutefois, cette distinction utile, en ce qui concerne
le capitaine dont le navire et l’armateur répondent,
n ’est guère susceptible d’effets à l’endroit des matelots.
Quelle peut être, en effet, pour ceux-ci la dette contrac
tée pour le voyage. On a refusé ce caractère à celle ré
sultant de leur alimentation, avant que l’armateur eût
commencé de les nourrir en établissant marmite à bord.
Dans le cas où cette dépense ne donnerait pas lieu à un
recours contre le capitaine ou l’armateur, par exemple,
si le premier ne l’avait pas autorisée, l’action contre les
�74
DROIT MARITIME.
matelots ne constituerait qu’une action purement ordi
naire et personnelle aux débiteurs.
422.
— Quoi qu’il en soit, la contrainte par corps
pour dettes contractées pour le voyage peut être exécu
tée contre le débiteur à bord ou s’y rendant pour faire
voile. Mais son exercice est empêché par la dation d’une
_ caution. Cette disposition fut introduite dans le Code
sur la demande du tribunal, qui s’abstint de la motiver.
Peut-être était-il inutile de le faire en présence des mo
tifs qui avaient déterminé le même principe dans l’hy
pothèse de l’article 245.
Ce qui résulte de la faculté donnée par notre article,
c’est la prorogation du terme en faveur du débiteur. Il
est évident que, puisqu’il s’agit de l’exercice de la con
trainte par corps, c’est que la dette est exigible. Cepen
dant la loi n’impose pas le devoir de la payer actuelle
ment; si elle l’avait ainsi voulu, elle n’eût pas manqué
d’exiger la consignation qui, faisant de plein droit ces
ser l’emprisonnement lui-même, devait être a fortiori
un obstacle absolu à toute poursuite.
Il ne faut donc pas en douter, l’article 231 proroge
l’exigibilité de la dette. C’est là une grave dérogation au
droit commun, mais, en la consacrant, le législateur ne
faisait que céder aux exigences réelles de la navigation
et à l’intérêt général du commerce. En présence de ce
double but, il devait d’autant moins hésiter, que le cré
ancier avait au moins le tort de n ’avoir pas réalisé ses
poursuites en temps plus opportun.
J.
ju
*
.
!
•*
jU
�art.
231.
73
■423. — L’exécution du voyage étant la raison déter- /
minante de la prorogation du terme, la durée de cette
prorogation se trouvait nécessairement indiquée par celle
du voyage lui-même. Cet aperçu détermine, à notre
avis, l’étendue et la nature du cautionnement exigé.
Ce que promet celui qui le donne, c’est qu’à la fin du
voyage les poursuites personnelles pourront être repri
ses. Il garantit dans cet objet le retour du débiteur. Ce
retour, replaçant les choses dans l’état ^>ù elles étaient
avant le départ, la caution se trouve libérée. Elle ne se
rait obligée de payer que si le débiteur meurt pendant le
voyage, s’il déserte ou abandonne le navire.
Le cautionnement est régi, quant à sa forme, par la
qualité de celui qui le consent. S’il est commerçant, il
suffit que son crédit soit bien établi et sa solvabilité no
toire. S’il n’est pas commerçant, il doit faire ses sou
missions conformément aux prescriptions de l’article
2018 et suivants du Code Napoléon l.
424.
— L’insaisissabilité édictée par l’article 231
n’est relative qu’à la personne. En conséquence, le ca
pitaine ou tout autre membre de l’équipage peut tou
jours être poursuivi et exécuté sur ses biens.
L’article 6 de l’ordonnance de Wisbuy s’en exprimait
formellement en ces termes : Le créancier pourra faire
exécuter, saisir et vendre ce qu'il trouvera dans le
navire appartenant à son débiteur.
L’ordonnance de 1681 et le Code de commerce n’ont
pas reproduit cette disposition. Cette reproduction était
i L’abolition de la contrainte enlève tout intérêt à l’article 231
�76
DROIT MARITIME.
inutile, puisque tout doute était impossible devant leur
texte et leur esprit. L’immunité temporaire qu'ils consa
crent est exclusivement réservée à la personne. Les biens
restaient par cela même sous l’empire de la règle géné
rale.
>
Le créancier a donc la faculté de saisir, même sur le
navire prêt à faire voile, tout ce qui appartient au débi
teur. Les seules choses qu’il doive respecter sont les har
des, armes et instruments de navigation nécessaires au
voyage. Celui-ci, ne pouvant être directement empêché,
ne saurait l’être indirectement, en plaçant la personne
dans l’impossibilité de l’accomplir.
425.
— La saisie des marchandises, nécessitant leur
déchargement avant leur départ, donnerait lieu au paie
ment des droits que l’article 291 confère à l’armateur.
Ainsi le demi-fret, les frais du chargement et ceux du
déchargement et de recharge des autres marchandises
qu’il faudrait déplacer devraient être ou remboursés par
le saisissant, ou colloqués par privilège sur le prix des
marchandises saisies, immédiatement après les frais de
justice. Ces divers frais sont établis par la convention
ou par le cours de la place en ce qui concerne le fret,
par la quittance des ouvriers pour tous les autres.
L’armateur pourrait même réclamer des dommagesintérêts pour le retard que la saisie et ses conséquences
apporteront au départ du navire, mais les dommagesintérêts ne sont dus que par le débiteur saisi, ils doivent
être fixés par les tribunaux ou évalués par experts.
�ART. 2 3 1 .
77
426.
— La saisie peut-elle porter sur les salaires ?
L’ordonnance du 1er novembre 1745 consacre la néga
tive en faveur des matelots ; et, comme à cet égard elle
est encore applicable, il n’est pas douteux, pour ce qui
les concerne, que leurs gages ne peuvent être saisis, c’est
ce que la Cour de cassation vient de décider encore tout
récemment K
Mais l’ordonnance de 1745 ne parle que des mate
lots, c’est-à dire ceux qui sont employés à la manœuvre
du navire sous les ordres du capitaine, du pilote et des
autres officiers. Or l’insaisissabilité, étant un privilège,
ne peut être reconnue qu’en faveur de ceux auxquels la
loi l’attribue expressément et formellement.
La conséquence, c’est que ce privilège ne saurait être
réclamé ni par le capitaine, ni par le pilote, ni par les
autres officiers. On a prétendu qu’il étaient tous com
pris sous la désignation générique de matelots. Mais
cette prétention, repoussée sous l’empire de l’ordonnance
de 1681, l’a été également depuis la promulgation du
Codea.
427.
— Dans un sens contraire, on a contesté l’ap
plication actuelle de l’ordonnance de 1745. Il y a été
dérogé, a-t-on dit, notamment par l’article 111 de
l’arrêté du 22 mai 1803, et par l’article 37 du règle
ment du 17 juillet 1816.
1 Gazette des Tribunaux du 12 janvier 1855.
2 C ass., 11 ventôse an îx ; Aix, 3 juin 1829 et 24 janvier 1834.
�78
DROIT MARITIME.
Nous venons de voir que telle n’est pas l’opinion de
la Cour d’Aix ; et c’est, il faut le dire, avec raison qu’elle
consacre le contraire.
En effet, l’article 411 du décret de 1803 dispose que
les parts de prise des marins, comme leurs salaires, sont
insaisissables. Nous ne trouvons plus ici le terme res
trictif de matelots employé par l’ordonnance de 1745,
et le décret comprend évidemment les capitaine, pilote
et autres officiers. Mais ce décret, spécial aux armements
en course qu’on voulait favoriser, doit être restreint à la
matière qu’il régit. On ne saurait ni légalement, ni ra
tionnellement conclure de la faveur qu’il accorde à la
course, qu’il a entendu disposer d’une manière géné
rale pour les armements ordinaires.
La disposition du décret de 1803 se trouve textuelle
ment rappelée dans l’article 37 du règlement du 17 juil
let 1817. Faut-il en induire que ce règlement a entendu
généraliser une mesure jusque-là spéciale; il n’est pas
permis de le croire.
D’abord, ce règlement est exclusivement relatif à l’ad
ministration et à la comptabilité de l’établissement des
invalides de la marine.
Son objet a été, comme l’observe la Cour d’Aix dans
son arrêt de 1829, de réunir en un seul corps toutes
les dispositions des lois auparavant éparses qui concer
naient la marine, sans changer la nature et l’effet que
ces lois aveient eu jusqu’alors ; il a soin de rappeler en
marge tous les articles des lois et des décrets d’où sont
puisées ses dispositions.
�ART. 2 3 2
ET 2 3 3 .
79
Le règlement de 1817 a donc accepté la législation
telle qu’elle existait avant. Il n’a ni innové ni dérogé à
ce qui était prescrit. La preuve la plus irrécusable de ce
caractère se tire de cette circonstance, qu’il n’a jamais
été inséré au Bulletin des lois.
Il est donc vrai qu’en ce qui concerne les armements
ordinaires, c’est la loi de 1745 qui doit seule être suivie.
Or cette loi, n’accordant l’insaisissabilité des salaires
qu’aux matelots, permet de saisir ceux du capitaine, du
pilote et des autres officiers.
A r t ic l e 2 3 2 .
Le capitaine, dans le lieu de la demeure des proprié
taires ou de leur fondé de pouvoirs, ne peut, sans leur
autorisation spéciale, faire travailler au radoub du bâti
ment, acheter des voiles, cordages et autres choses pour
le bâtiment, prendre à cet effet de l’argent sur le corps
du navire, ni fréter le navire.
A r t ic l e 2 3 3 .
Si le bâtiment était frété du consentement des pro
priétaires, et que quelques-uns d’eux fissent refus de
contribuer aux frais nécessaires pour l’expédition, le ca-
�80
DROIT MARITIME.
pitaine pourra, en ce cas, vingt-quatre heures après
sommation faites aux refusants de fournir leur contin
gent, emprunter à la grosse pour leur compte, sur leur
portion d’intérêt dans le navire, avec autorisation du
juge,
SOMMAIRE
428. Motifs de la prohibition au capitaine d ’agir sans autorisation
dans le lieu de la demeure des propriétaires ou de leur
fondé de pouvoirs.
429. Comment doit être appliqué l’article 232, lorsque le navire
appartient à plusieurs?
430. Effet de la violation pour le radoub ou l ’achat de voilesr cordages, etc.
431. Droit des créanciers de venir contre les propriétaires par
l’action indirecte.
432. L’emprunt à la grosse contracté au mépris de l ’article 232
est nul et sans effets.
433. Conséquences de cette nullité.
434. Controverse sous l’ordonnance de 1681, sur le sort de l’af
frètement consenti par le capitaine seul, dans le lieu d e là
demeure des propriétaires.
435. Le Code de commerce en consacre la nullité.
436. Caractère de la nullité. Par qui elle peut être invoquée ?
437. Quid, de l’affrètement dans le lieu de la demeure du fondé
de pouvoirs ou, en l ’état, de la présence accidentelle du
propriétaire.
438. Ou de celui en cas de remplissage.
439. Faculté conférée au capitaine, en cas d ’affrètement régulier,
de contraindre les copropriétaires à contribuer aux dépen
ses de la mise en état du navire.
�ART. 2 3 2
F.T 2 3 3 .
81
440. Cette faculté peut-elle être exercée, lorsque le refus de con
tribuer émane de la majorité ou de l’unanimité des pro
priétaires?
441. Procédure à suivre dans ce cas.
442. Effet de la condamnation obtenue par le capitaine contre le
refusant, ou de l ’emprunt à la grosse qu’il aurait souscrit.
4-2,8. — Le propriétaire qui contracte avec un capi
taine et lui donne le commandement du navire lui im
pose le devoir et lui confère par cela même le droit de
faire tout ce qu’exige la mise en état du navire.
Mais, après tout, le capitaine n’est qu’un mandataire.
Quelque étendus que soient ses pouvoirs, quelque usage
qu’il soit autorisé d’en faire en l’absence du mandant,
il est rationnel, lorsqu’il s’agit d’une dépense ou d’un
emprunt à la charge du navire, que ses pouvoirs cessent
devant la présence du mandant, ou s’arrêtent devant
celui qui a reçu de lui le mandat spécial de pourvoir à
ce double objet. Dans le premier cas, on admet que le
propriétaire s’est réservé exclusivement de disposer de sa
chose. Dans le second, la preuve qu’il n ’a pas entendu
s’en rapporter au capitaine résulte du choix qu’il a fait
d’un tiers pour le représenter à cet effet.
De là la défense au capitaine de faire, dans le lieu de
la demeure des propriétaires ou de leurs fondés de pou
voirs, aucun radoub ni achat d’équipement quelconque,
et la prohibition d’emprunter à la grosse ou de fréter le
navire sans une autorisation spéciale ou expresse.
4 2 9 . — L’application de l’article 232 est sans dif—
a— 6
�82
DROIT MARITIME.
ficulté dans l’hypothèse d’un seul propriétaire pour le
navire. Le capitaine est censé dans le lieu de la demeure
lorsque ce propriétaire est réellement domicilié dans
l’arrondissement du port d’armement, ou lorsqu’il s’est
choisi un fondé de pouvoirs dans cet arrondissement.
Dans l’ypothèse de plusieurs copropriétaires, la solu
tion présente plus d’embarras. Les uns, en effet, peu
vent se trouver sur les lieux ; les autres, résider à des
distances plus ou moins considérables. Quelle sera donc
la position du capitaine?
Tout doute serait tranché, si l’un des copropriétaires
avait été investi de la qualité d’armateur-gérant, ou si
tous avaient constitué un fondé de pouvoirs unique. La
demeure de l’un ou de l’autre dans l’arrondissement du
port d’armement placerait le capitaine sous l’empire de
l’article 232. Il en serait do même si chaque proprié
taire s’était choisi sur la localité un fondé de pouvoirs
spécial.
À défaut d’armaieur-gérant ou de fondé de pouvoirs
spécial ou général, l’article 232 ne pourrait, à notre
avis, être invoqué que si le capitaine se trouve au lieu où
demeure la majorité des copropriétaires. C’est celle-ci
qui est le seul propriétaire réel du navire, puisque seule
elle a le droit et la faculté d’admettre le voyage et d’or
donner la dépense. Le capitaine la connaîtra toujours,
car c’est avec elle qu’il aura traité, tandis qu’en réalité
il peut ne pas connaître tels ou tels quirataires, si sur
tout leur nom ne figure pas sur l’acte de francisation.
�ART. 2 3 2
ET 2 3 5 .
85
4 5 0 . — Le devoir que l’article 232 impose est assez
clair, assez positif pour se passer de tout autre commen
taire ; ce dont on a à s’enquérir, c’est de l’effet de sa
violation.
A cet égard, une distinction est nécessaire entre le
radoub ou l’achai d’agrès et apparaux, et l’emprunt à la
grosse et l’affrètement du navire.
Le radoub ou l’achat non autorisé ne donnerait au
créancier aucun droit contre le propriétaire, aucun pri
vilège sur le navire. Il n’aurait pour débiteur principal
et direct que le capitaine lui-même.
Cette règle est absolue dans l’hypothèse où le radoub
et l’achat ont été faits dans le lieu de la demeure du
propriétaire lui-même. Ce fait étant matériellement cer
tain, celui qui a traité avec le capitaine ne pourrait pré
tendre l’avoir ignoré; il devait et pouvait facilement le
connaître en s’informant de son nom, chose que doit es
sentiellement faire celui qui va traiter avec un capitaine.
Ce nom devait en même temps lui révéler le fait de la
demeure.
L’institution d’un mandataire est plus difficile à dé
couvrir. Elle manque habituellement de notoriété et de
publicité; elle peut, dès lors, être réellement ignorée. La
bonne foi du tiers alléguant cette ignorance devrait donc
être appréciée, et, si elle était reconnue et admise, elle
pourrait motiver un recours contre le propriétaire, sauf
la garantie que celui-ci pourrait avoir à exercer contre
le capitaine.
�i
84
DROIT MARITIME.
4 3 1 . — Dans tous les cas. lorsque le radoub a été
réellement opéré, que des objels d’équipement ache
tés ont réellement profité au navire, le propriétaire de
vrait en restituer le montant. Nul ne peut s’enrichir au
détriment d’autrui. Il n’est donc pas douteux que le ca
pitaine lui-même, responsable envers les tiers, ne fût
recevable à poursuivre cette restitution. Dès-lors, les
tiers le pourraient eux-mêmes, en exerçant les droits du
capitaine, leur débiteur. Mais le propriétaire pourrait
leur opposer toutes les exceptions qu’il aurait à faire
valoir contre le capitaine. C’est là la conséquence de
l’action indirecte.
4 3 2 . — L’emprunt à la grosse contracté par le ca
pitaine sans autorisation, dans le cas prévu par l’article
232, serait radicalement nul à l’endroit des propriétai
res, alors même qu’il aurait eu pour objet de faire face
à des dépenses nécessaires et urgentes, et que les som
mes empruntées auraient réellement reçu cette desti
nation.
Peu importerait même que le capitaine fût coproprié
taire du navire. Cette qualité lui donnait le droit d’en
gager son intérêt de toute manière, mais elle ne lui con
cédait pas la faculté d’affecter la portion des autres ayants
droit aux chances plus ou moins onéreuses d’un emprunt
à la grosse.
4 3 3 . — Mais dans cette hypothèse, pas plus que
dans la précédente, les propriétaires ne sauraient se
�ART.
232
et
233.
83
soustraire à l’action indirecte du créancier, bien entendu
qu’ils ne devraient jamais au-delà de ce que le capitaine
aurait à exiger lui-même, à savoir, la restitution de ce
dont le navire aurait réellement profité.
De là la conséquence que le profit maritime ne sau
rait dans aucun cas être à la charge des propriétaires en
tout ou en partie. Cela est d’autant plus évident, que la
nullité du prêt déchargerait le capitaine lui-même de
l’obligation de payer ce profit. Il n’y serait tenu que
pour sa part et portion, s’il était copropriétaire. Dans le
cas contraire, il ne saurait l’être, à moins qu’il ne soit
personnellement obligél.
434.
— L’affrètement contracté par le capitaine seul,
au mépris de l’article 232, est-il également nul, de telle
sorte que l’affréteur n’ait qu’une action en dommagesintérêts contre le capitaine, s’il y a lieu?
Cette question était controversée et pouvait l’être sous
l’empire de l’ordonnance de 1681. Celle-ci, en effet, se
bornait à disposer : Le maître sera tenu de suivre l’avis
des propriétaires quand il affrétera au lieu de leur de
meure. C’était là un devoir moral, un acte de juste défé
rence plutôt qu’une obligation stricte. Aucune sanction
pénale ne le garantissait, aucun mode de constater son
accomplissement n’était prescrit, ce qui faisait dire à
Emérigon : le tiers qui de bonne foi contracte à ce sujet
avec le capitaine n’est pas obligé de s’enquérir si celui—
i Cass., 17 février 1824; infrà, art. 321.
�86
DROIT MARITIME.
ci s’est conformé ou non à l’avis des propriétaires ; il
suffit que la charte-partie soit rédigée par écrit et passée
entre le marchand et le maître pour que sa validité ne
puisse être méconnue l.
MaisValin enseignait la nullité. Lorsque le proprié
taire est présent, disait-il, eût-il par ci-devant donné
un pouvoir général par écrit, ce pouvoir est suspendu
de plein droit tant que le propriétaire sera sur les lieux,
de manière que, sans son avis, le maître ne pourra faire
un affrètement valable2.
435.
— Le Code de commerce a résolu la question
dans ce dernier sens. L’article 232 ne se borne plus à
exiger, comme l’article 223, un concert entre le pro
priétaire et le capitaine. Ce dernier ne peut, dans le
lieu de la demeure du premier, fréter le navire sans son
autorisation expresse.
Dès lors le capitaine qui agit autrement outre-passe
évidemment les limites de son mandat. Il ne peut donc
obliger le mandant, même en vertu des principes ordi
naires au mandat.
Les mêmes principes conduisent à cette autre consé
quence que les tiers qui se sont associés à l’excès de pou
voir du mandataire ne peuvent pas même recourir con
tre celui-ci, s’il ne s’y est obligé personnellement3, Or,
1 Contrat à la grosse, chap. 4, sect. 3.
Art. 2, titre des Chartes parties.
3 Art. 1997 C. civ.
2
�ART. 2 5 2
ET 2 5 3 .
87
dans notre espèce, les tiers qui ont traité avec le capi
taine seul, dans le lieu de la demeure du propriétaire,
n ’ont pu être trompés sur son défaut de pouvoir. Ils ne
pouvaient ignorer la loi qui le proclame ainsi, et dont
la violation ne comporte même pas l’allégation de bonne
foi.
Il y a entre le Code de commerce et l’ordonnance une
différence telle qu’à notre avis le doute ne saurait exister.
Il ne s’agit plus dans l’article 232 d’un engagement que
la loi n’interdit pas au capitaine, et pour lequel on lui
conseille plutôt qu’on ne lui ordonne certaines précau
tions, notre article est impératif; il prononce une inter
diction formelle : Le capitaine ne peut...... sans auto
risation. L’autorisation peut donc seule légitimer l’acte
et en assurer la validité. C’est parce que M. Pardessus a
méconnu ce caractère de l’article 232 que sa doctrine se
rapproche de celle d’Emérigon l.
Nous croyons donc que l’affrètement consenti au mé
pris de sa disposition est atteint d’une nullité radicale.
Il ne saurait produire aucun effet, même vis-à-vis du
capitaine, à moins qu’il n’eût faussement persuadé aux
affréteurs que le propriétaire ne demeurait pas sur le
lieu. .
Il pourrait, dans ce cas, être condamné à des dom
mages-intérêts 2.
4 3 6 . — Cette nullité est purement relative, et dans
1 N» 662.
2 Conf. Boulay-Paty, t. 2, p. 54.
�88
DROIT MARITIME.
l’intérêt unique du propriétaire; il est donc seul receva
ble à s’en prévaloir. Ainsi l’affréteur ne pourrait se dis
penser de tenir ses engagements ni poursuivre la résilia
tion du traité qu’il aurait souscrit avec le capitaine seul.
Le propriétaire qui n’a pas autorisé peut ratifier. Cette
intention, pouvant résulter de l’absence de toute récla
mation après la connaissance de l’affrètement irrégulier,
résulterait bien plus énergiquement encore de la résis
tance que le propriétaire opposerait à la demande en
résiliation.
La seule faculté qu’on ne pourrait contester à l’affré
teur qui apprendrait, après le traité avec le capitaine
seul, la présence du propriétaire sur le lieu, serait d’in
terpeller celui-ci, et de requérir sa ratification. Cette ra
tification serait de plein droit acquise si, régulièrement
mis en demeure, le propriétaire n’avait pas déclaré qu’il
considérait l’affrètement comme nul.
4-37. — L’article 232 ne devait prévoir que l’hypo
thèse d’un affrètement dans le lieu de la demeure du
propriétaire, néanmoins son esprit conduit à cette con
séquence que sa présence, même accidentelle sur le lieu
de l’affrètement, désinvestit le capitaine du droit d’agir
sans autorisation.
Mais, dans ce cas, il ne suffirait pas au propriétaire
de prouver qu’il était présent au moment du contrat, il
devrait justifier en outre que l’affréteur n’a pu l’igno
rer. Une présence accidentelle dans un lieu quelconque
peut facilement être inconnue ; on peut et on doit même
�ART. 2 5 2 ET 2 3 3 .
89
le présumer ainsi jusqu’à preuve contraire. A. défaut,
ou faute de celte preuve, l’affrètement contracté hors du
lieu de la demeure du propriétaire devrait être maintenu.
Il pourrait en être également ainsi de celui souscrit
dans l’ignorance de l’existence sur la localité d’un fondé
de pouvoirs, la bonne foi, le plus ou moins de notoriété
de cette existence devraient être prises en considération
alors seulement que les conditions du contrat et le prix
stipulé ne présenterait rien de contraire aux usages et
au cours de la place.
438.
— L’affrètement dont s’occupe l’article 232 est
et ne peut être que celui qui, portant sur la totalité du
navire, en transporte la jouissance à l ’affréteur pour un
temps plus ou moins long. On ne saurait lui assimiler
les affrètements partiels et de remplissage que le capi
taine en cours d’armement trouverait à réaliser. Ceuxci constituent des actes de bonne administration, qu’on
ne peut présumer avoir été interdits par le propriétaire.
439.
— Il en est de l’affrètement comme de tous
autres contrats. Dès qu’il est régulièrement consenti et
accepté il devient la loi des parties ; son exécution ne
saurait être ni retardée ni refusée. Or, cette exécution
doit déterminer le voyage du navire, et, par voie de con
séquence, sa mise en état de bonne navigation.
C’est dans cette prévision que l’article 233 confère au
capitaine la faculté de contraindre ceux des coproprié
taires qui refuseraient la part pour laquelle ils doivent
contribuer à cette mise en état.
�90
DROIT MARITIME.
440.
— On s’est demandé si le capitaine pourrait
exercer cette faculté, si le refus de contribuer provenait
non pas seulement de quelques-uns des copropriétaires,
mais de la majorité d’entre eux ou de tous.
On a, dans les deux cas, appuyé la négative : 4° sur
ce que les propriétaires peuvent ne pas exécuter la charte
partie, sauf à payer aux affréteurs tels dommages-inté
rêts que de raison, conformément à l’article 1142 du
Code civil ; 2° sur ce qu’il ne saurait appartenir au
capitaine de contraindre ses mandants à faire ce qu’il
leur plaît de refuser, sous les peines de droit.
Nous sommes d’un avis contraire. Pour nous, la ques
tion ne saurait être douteuse tant que le refus ne pro
vient que de la majorité. En effet, pour que l’affrète
ment soit régulier, il faut qu’il ait reçu l’assentiment de
la majorité. Or, nous l’avons déjà dit, cette majorité ne
peut rétracter sa délibération. Il suffirait donc qu’un
seul quirataire, quel que fût son intérêt, en poursuivît
l’exécution pour que celle exécution fût forcée K Or, c’est
ce que sont présumés vouloir ceux qui ont payé leur
contribution.
^a question parait plus délicate lorsque le refus est
unanime. D’une part, en effet, l’obligation de faire ne
peut être matériellement contrainte, et se résout en dom
mages-intérêts ; de l’autre, il semble singulier d’auto
riser le mandataire à poursuivre ses mandants à l’occa
sion du mandat et pour sa réalisation.
�\ r t . 252
et
253.
91
Cependant M. Pardessus n’hésite pas. Se plaçant dans
l’hypolhèse d’un propriétaire unique et dans laquelle,
par conséquent, le refus est nécessairement unanime, il
enseigne l’application de l’article 233. Si le navire, ditil, avait été frété par l’armateur ou par le capitaine du
consentement de celui-ci, il suffirait que le capitaine,
vingt-quatre heures après lui avoir fait une sommation,
si fit autoriser par le tribunal du lieu à l’emprunt des
fonds nécessairesl.
Telle est aussi l’opinion de M. Dalloz, qui se fonde,
entre autres motifs, sur ce que dans notre hypothèse le
capitaine agirait comme représentant les affréteurs2.
Ce motif est plus que contestable. Il est évident que
le capitaine ne devient le mandataire des chargeurs ou
affréteurs que relativement aux marchandises. Il faut
donc, pour que cette qualité puisse être acquise, que ces
marchandises aient été chargées, et ici elles ne le sont
pas, puisqu’il s’agit de mettre le navire en état de les
recevoir. D’ailleurs, comment le capitaine pourrait-il,
s’il représentait les affréteurs, revendiquer un autre
droit que celui qui appartient à ceux-ci, à savoir une
allocation de dommages-intérêts?
La véritable raison de décider est celle indiquée par
M. Locré. Dans l’affrètement, le capitaine n’est pas seu
lement le mandataire des propriétaires, il est encore leur
coobligé, leur garant. L’affréteur ayant action contre
1 N° 630.
Nouv. Rép., V. Droit maritime. n° 370.
2
�92
DROIT MARITIME.
lui comme contre eux \ sa responsabilité, conséquence
de sa signature lorsqu’il a traité lui-même avec l’auto
risation des propriétaires, naîtrait, dans le cas ou ces
derniers auraient directement agi, de la négligence qu’il
mettrait à exécuter l’article 233. On soutiendrait que
s’étant associé au mauvais
vouloir de ceux-ci, il doit en
.
partager les conséquences.
Le capitaine poursuivant l’exécution de l’article 233,
agit donc dans son intérêt personnel. On comprend, dèslors, qu’il puisse le faire malgré le refus que lui oppo
seraient tous les propriétaires.
4 4 t . — Ce refus se réalisant, le capitaine doit mettre
en demeure ceux dont il émane. Il doit leur adresser
une sommation de verser le montant de leur contribu
tion. A défaut, et vingt-quatre heures après, il doit être
autorisé à emprunter à la grosse sur l’intérêt des
refusants.
Cette autorisation doit émaner du juge, c’est-à-dire
du tribunal de commerce, et, à défaut, du juge de paix.
Elle doit être demandée par une simple requête non
communiquée et sans citation, mais seulement accom
pagnée de l’acte d’affrètement et de l’original de la som
mation.
442.
— L’urgence de l’exécution a fait dispenser le
capitaine de toute autre formalité judiciaire. Il n’est
i Esprit du Code de commerce, art. 233.
�ART.
234, 235
et
236.
93
obligé de s’adresser aux tribunaux que s’il ne trouvait
pas à emprunter à la grosse ; l’article 233 n’autorise que
ce mode d’emprunt. Dès lors l’impossibilité de le réali
ser mettrait le capitaine dans la nécessité de poursuivre
par les voies ordinaires la condamnation des refusants.
Mais cette condamnation n’engagerait que l’intérêt
que ceux-ci ont au navire. Elle ne pourrait être pro
noncée et moins encore exécutée sur les autres biens h
Il en serait de même du prêt à la grosse que le capi
taine aurait trouvé à réaliser. Le créancier n ’aurait
d’autre garantie que la part du débiteur dans le navire,
et celui-ci pourrait toujours s’en libérer par l’abandon
du navire et du fret.
Article 234.
Si, pendant le cours du voyage, il y a nécessité de
radoub ou d’achat de victuailles, le capitaine, après
l’avoir constaté par un procès-verbal signé des princi
paux de l’équipage, pourra, en se faisant autoriser en
France par le tribunal de commerce, ou, à défaut, par
le juge de paix, chez l’étranger par le consul français,
ou, à son défaut, par le magistrat du lieu, emprunter
l Tribunal de commerce de Marseille, 31 mai 1833 ; Journal de Mar
seille, t. 13, 1, 180.
�94
DROIT MARITIME.
sur corps et quille du vaisseau, mettre en gage ou vendre
des marchandises jusqu’à concurrence de la somme que
les besoins constatés exigent.
Les propriétaires, ou le capitaine qui les représente,
tiendront compte des marchandises vendues, d’après le
cours des marchandises de même nature et qualité dans
le lieu de la décharge du navire, à l’époque de son
arrivée.
L’affréteur unique, ou les chargeurs divers qui seront
tous d’accord, pourront s’opposer à la vente ou à la
mise en gage de leurs marchandises, en les déchargeant
et en payant le fret à proportion de ce que le voyage
est avancé. A défaut du consentement d’une partie des
chargeurs, celui qui voudra user de la faculté du déchar
gement sera tenu du fret entier sur les marchandises.
Article 235.
Le capitaine, avant son départ d’un port étranger ou
des colonies françaises, sera tenu d’envoyer à ses pro
priétaires ou à leur fondé de pouvoirs un compte signé
de lui, contenant l’état de son chargement, le prix des
marchandises de sa cargaison, les sommes par lui em
pruntées, les nom et demeure des prêteurs.
�Le capitaine qui aura, sans nécessité, pris de l’argent
sur le corps, avilaillement ou équipement du navire, en
gagé ou vendu des marchandises ou des victuailles, ou
qui aura employé dans ses comptes des avaries ou des
dépenses supposées, sera responsable envers l’armement,
et personnellement tenu du remboursement de l’argent
ou du payement des objets, sans préjudice de la pour
suite criminelle, s’il y a lieu.
S OMMÀI HE
443. Droit du capitaine lorsqu’il se trouve hors le lieu de la de
meure des propriétaires ; nullité par rapport aux tiers des
dérogations qui y seraient stipulées.
444. Arrêt remarquable de la Cour de cassation.
445. Rationalité de ce droit.
446. Précautions imposées à son exercice.
447. Caractère de l ’autorisation du juge. Devoir du capitaine de
provoquer l ’expertise à défaut de consul, vice-cqpsul ou
agept français dans la localité.
448. La nécessité de pourvoir aux victuailles n ’est pas moins
urgente que celle du radoub. Conséquences.
449. Le capitaine dûment autorisé peut-il emprunter autrement
qu’à la grosse? Controverse sous l’ordonnance de 168t.
450. L’affirmative résulte des dispositions du Code.
451. Faculté de vendre ou de mettre en gage les marchandises.
Dérogation au droit ancien à l’endroit des apparaux.
�96
DROIT MARITIME.
452. Droit des chargeurs d’empêcher la vente ou la mise en gage,
en déchargeant leurs marchandises. Comment se paye le
fret dans ce cas?
453. Le capitaine peut affecter son chargement au prêt â la grosse
qu’il obtient pour les besoins du navire.
454. Devoir du capitaine lorsque le radoub du navire exigerait
une dépense surpassant ou égalant presque la valeur du
navire réparé.
455. Effet de l’inobservation de l ’article par rapport au capitaine.
456. Les propriétaires ne pourraient se refuser de payer les
prêteurs.
457. Opinion contraire de M. Boulay-Paty. Réfutation.
458. Jurisprudence.
459. L’exécution de l’article 234 n’est pas un obstacle à la preu
ve contraire. Mode de celte preuve contre le capitaine et
les tiers.
460. Obligation du capitaine de justifier de l ’emploi des sommes
empruntées.
461 Position du capitaine qui a emprunté sans nécessité, ou qui
a passé dans ses comptes des avaries ou des dépenses
supposées.
462. Peine que prononçait l’ordonnance. N ’est plus autorisée que
s’il y a lieu. Conséquences.
463. L’obligation d’envoyer l’état prescrit par l ’article 235 con
cerne tous les capitaines indistinctement.
464. Exception que cette obligation comporte.
465. Effet de l ’inexécution totale ou partielle.
443.
— Le capitaine, représentant légal des pro
priétaires, est naturellement appelé, en leur absence, à
administrer comme à conduire le navire. Aussi ne lui
a-t-on jamais contesté le droit de faire tous les actes
que commandent la conservation et l’exploitation du bâ-
�ART.
234, 233
et
236.
97
liment. Le soumettre, quelle que fût la distance du d o
micile des propriétaires, à rapporter leur autorisation
lorsqu’il s’agira de réparation, d’équipement ou d’affrè
tement, c’était sacrifier l’utilité de sa mission et quelque
fois la chose elle-même à des convenances auxquelles
la présence des propriétaires sur les lieux commandait,
seule d’avoir égard.
Si l’intérêt bien entendu des propriétaires exigeait
qu’on investit le capitaine de ce droit, l’intérêt des tiers
exigeait plus encore. Le capitaine hors le lieu de la de
meure des propriétaires est leur aller ego. Il ne pouvait
pas être que, par des conventions particulières, on déro
geât à cette règle sans rendre les tiers victimes de pré
cautions qui n’auraient souvent d’autre but que de
soustraire les propriétaires aux conséquences des enga
gements du capitaine, s’ils étaient jugés inopportuns ou
préjudiciables.
444.
— Aussi la Cour de cassation décidait-elle, le
12 février 1840, que nonobstant l’interdiction qui lui
était faite par des conventions particulières entre lui et
, les propriétaires, le capitaine pouvait, hors la demeure
de ceux-ci, affréter le navire sans leur consentement K
Cette espèce est remarquable en ce qu’il s’y agissait
d’un navire armé pour le grand cabotage, et que le ca
pitaine avait affrété pour un voyage au long cours. De
1 J. du P ., ^, 1840, 843.
Il — 7
�98
DROIT MARITIME.
là avait surgi la nécessité d’un doublage en cuivre qui
avait coûté 10,000 francs.
Or, disait le propriétaire, l’engagement du capitaine
constate qu’il s’est interdit tout changement dans le gré
ement du navire. Cette interdiction, l’affréteur pouvait la
connaître, il n’avait qu’à se faire représenter les pou
voirs du capitaine, et il est en faute pour n’avoir pas
exigé cette représentation.
Voici les observations que ces prétentions suggéraient
au conseiller-rapporteur :
» Le mandat donné au capitaine est d’une nature
telle, qu’elle ne comporte pas l’application des règles gé
nérales de ce contrat. Dans le droit commun, le mandat
est un contrat volontaire que le commettant et le man
dataire peuvent limiter à leur gré, et dont le mandataire
est toujours tenu de justifier lorsqu’il agit au nom de la
personne qu’il représente. Les tiers qui traitent en de
hors des termes du mandat ne peuvent se plaindre lors
que le mandant refuse de ratifier ce qui a été fait au delà du mandat. Mais il n’en est pas de même lorsqu’il
s’agit d’un pouvoir confié à un capitaine de navire. Quand
il prend le commandement, le capitaine s’oblige par
cela même à représenter le propriétaire et à faire en tous
lieux, pour ce dernier, ce qui est nécessaire pour la con
servation et l’exploitation du navire, et il est investi d’un
mandat illimité, résultant de la nature des choses, man
dat qui ressort notamment de l’article 232 et des diver
ses autres dispositions du Code de commerce. Les tiers
ne sont point appelés à discuter le mandat ; pour eux,
�ART. 234-,
2 3 5 ET 2 3 6 .
99
le capitaine est le représentant légal des propriétaires,
sauf l’accomplissement de certaines formalités prescrites
par la loi. S’il arrive que, par des conventions particu
lières, le propriétaire juge convenable d’interdire au ca
pitaine de faire certains actes, sans son autorisation, ces
conventions ne peuvent avoir de force à l’égard des
tiers \ »
4 4 5 . — Ainsi, le droit conféré aux capitaines par
l’article 234 ne comporte aucune dérogation dont les
propriétaires puissent exciper contre les tiers. Ce droit
d’ailleurs n’est que la conséquence des devoirs imposés
au capitaine. Le voyage ne saurait être accompli sans
victuailles, sans les réparations nécessaires. À cet égard
surtout, l’obligation du capitaine est tellement urgente,
que s’il se bornait à employer des moyens palliatifs sans
réparer à fond, il engagerait gravement sa responsabi
lité et répondrait personnellement de tout le préjudice
qui en serait résulté.
Or qui veut la fin veut les moyens. Le capitaine de
vait être en état de faire face à la dépense, et pour cet
objet, être mis en position de se procurer l’argent né
cessaire.
4 4 6 . — On n’a pas cru toutefois devoir s’en référer
à l’allégation du capitaine, on a exigé que la nécessité
de l’achat de victuailles ou du radoub fût constatée. Cette
i D alloz, Nouv. Rép., V . Droit maritime, n° 366-
�constatation résulte du procès-verbal signé parles prin
cipaux de l’équipage. C’est ce que l’ordonnance de 1681
se contentait de prescrire.
A son exemple, la commission première du Code
n ’exigeait pas autre chose. Mais, dans les observations
que souleva le projet, on signala la nécessité et l’oppor
tunité de l’intervention de l’autorité publique. L’influence
que le capitaine exerce naturellement sur son équipage
ne permet pas de croire à la possibilité d’une indépen
dance réelle. Or, disait notamment le tribunal et le con
seil de commerce de Caen, il n’existe que trop de capi
taines qui, sur le moindre prétexte, relâchent dans un
port, y font de grandes dépenses qui sont ruineuses pour
les armateurs. Certainement les tribunaux de commerce
n’autoriseront pas les dépenses qui ne leur paraîtront
pas urgentes et nécessaires pour la continuation du
�ART.
254, 255
et
236.
101
à-dire en France, le tribunal de commerce ou le juge
de paix, à l’étranger, le consul français, le vice-consul
ou l’agent qu’un décret du 22 septembre 4854 assimile
au consul, doit, avant de se prononcer, vérifier par lui
même ou faire examiner par des experts l’état réel du
navire, et n’autoriser que la dépense strictement néces
saire.
A défaut de consul, vice-consul ou agent français, la
loi se contente, à l’étranger, de l’autorisation du magis
trat local. Or, il est évident que le Code n’a rien à pres
crire à celui-ci. Mais, à défaut par lui d’ordonner la
vérification, le capitaine doit la provoquer lui-même,
s’il désire mettre sa responsabilité à couvert. On pour
rait en effet, en l’absence de toute constatation, lui con
tester la nécessité, l’urgence et surtout la quotité de la
dépense.
448.
— L’achat de victuailles n’est pas moins urgent,
moins indispensable que la réparation matérielle du
navire. Un des devoirs du capitaine avant le départ est
de veiller à ce que le navire en soit pourvu de manière
à suffire à la nourriture de l’équipage et des passagers.
La prudence lui recommande même de ne pas calculer
trop juste et d ’avoir égard, dans son approvisionnement,
aux éventualités de la navigation.
Il peut néanmoins se faire que ces éventualités aient été
telles, que toutes les sages précautions du capitaine soient
devenues insuffisantes. Il pourra et devra dès lors y sup
pléer par l’achat de victuailles, soit en mer, soit dans un
�102
DROIT MARITIME.
lieu de relâche. Le défaut d’autorisation du juge, dans le
premier cas, ne saurait être pris en considération. Il
suffirait que la nécessité d’un achat fût constatée par un
procès-verbal signé des principaux de l’équipage.
449.
— Le capitaine qui a rempli les formalités de
l’article 234 et reçu l’autorisation du juge est libre
d’emprunter sur les corps et quille du navire. Ces ex
pressions de l’article doivent-elles être entendues en ce
sens que le capitaine ne puisse emprunter autrement
qu’à la grosse ?
Sous l’empire de l’ordonnance, Emérigon soutenait
l’affirmative. La loi, disait-il, a réduit le capitaine en
cours de voyage à la faculté de prendre des deniers sur
le corps du navire. S’il tire des lettres de change sur ses
armateurs, cet engagement, quoique conçu en nom qua
lifié, lui devient personnel, attendu qu’il a excédé son
pouvoir légal; il ne doit contracter aucune obligation qui
ne soit inhérente au navire et qui ne dépende du suc
cès de l’expédition m aritim eï.
Cependant Yalin atteste que l’usage était contraire ; il
est rare, disait-il, que le maître qui est en voyage et qui
a besoin d’argent emprunte à la grosse, soit que le pro
fit maritime qu’on voudrait exiger lui paraisse trop con
sidérable, soit que le prêteur ne veuille pas courir le
risque de l’événement2.
i Cont. à la grosse, chap. 4, section 41, S 5.
? Art. 19, tit. du Capitaine.
�ART.
234, 235,
ET
236.
103
450.
— Dans leurs observations sur le projet du
Code, le tribunal et le conseil de commerce de Nantes
voulaient que la faculté d’emprunter par lettres de
change fût expressément consacrée. Si ce vœu n ’a pas
été exaucé, c’est qu’on crut qu’il était inutile de le faire,
le texte et l’esprit de la loi ne laissant aucun doute à cet
égard.
L’emprunt pour radoub et victuailles est une de ces
nécessités qu’il faut inévitablement subir. Rien ne devait
donc en arrêter l’accomplissement. L’article 234, auto
risant l’emprunt à la grosse, permettait donc par cela
même l’emprunt ordinaire ; qui veut le plus, veut le
moins Or, emprunter par lettres de change, c’est con
tracter d’une manière bien moins onéreuse pour les ar
mateurs.
Il est vrai que l’emprunt à la grosse étant anéanti par
le naufrage et la perte du navire, offre une éventualité de
libération qui n’est pas attachée à l’emprunt ordinaire,
mais cet argument n’a plus aucune portée, depuis sur
tout qu’aux termes de la loi de 1841 la faculté d’aban
donner le navire et le fret s’applique à tous les engage
ments du capitaine, et que son exercice peut se réaliser
malgré le naufrage et la perte du navire.
En réalité donc, l’emprunt par lettres de change pré
sente aujourd'hui cfet incontestable avantage de dispen
ser, en cas d’un heureux voyage, du payement d’un pro
fit maritime souvent considérable, il n’a plus en cas de
sinistre, l’inconvénient d’obliger l’armateur à le rem
bourser, puisqu’il s’en libérera par l’abandon du navire
et du fret.
�104
DROIT MARITIME.
Concluons donc que ce que le législateur a voulu,
c’est que le capitaine trouvât dans tous les lieux ce qui
lui était indispensable pour continuer sa navigation.
Qu’importaient dès lors les moyens qu’il sera forcé
d’adopter, cette intention amenait à cette conséquence
qu’on devait les consacrer tous.
45 î. — La preuve en réside formellement dans la
disposition même de notre article, il était possible que
la réalisation d’un emprunt, quel qu’il fût, devint im
possible. Dans cette hypothèse, la loi n’a pas reculé de
vant un emprunt forcé, devant une véritable expropria
tion. Le capitaine pourra vendre ou engager les mar
chandises de son chargement, jusqu’à la concurrence
des sommes nécessaires au navire.
Le droit ancien avait été plus loin encore. Le Consu
lat de la mer, les Rôles d’Oléron, l’ordonnance de Wisbuy, la Hanse Teulonique, l’ordonnance de 1681 ellemême permettaient au capitaine d’engager les apparaux
du navire. Devant une pareille unanimité, la commis
sion avait inscrit cette faculté dans le projet du Code,
mais elle en fut retranchée sur le double motif qu’elle
était inutile et dangereuse.
Inutile! puisque la vente ou la mise en gage des mar
chandises suffisait, dans tous les cas, pour procurer les
ressources dont on avait besoin.
Dangereuse! car bien qu’elle pût s’entendre que des
apparaux actuellement disponibles, le capitaine pouvait
en avoir usé avec une telle latitude, que le salut du na
vire pouvait s’en trouver ultérieurement compromis.
�art.
234, 235
et
236.
105
On se borna donc à autoriser la vente ou la mise en
gage des marchandises chargées, quel que fût d’ailleurs
leur propriétaire, en corrigeant autant que possible ce
que de pareilles mesures ont de réellement rigoureux.
Celui dont on a ainsi disposé de la chose doit être rem
boursé, non pas de la valeur qu’elle a produite, car le
capitaine a pu être obligé de la céder à un prix inférieur
et même vil, mais de sa valeur suivant le cours des marchandises de même nature et qualité dans le lieu du
reste, à l’époque de l’arrivée du navire. Il était difficile
de s’arrêter à un parti plus équitable.
452.
— Le Code de 1807 ne s’étant pas expliqué sur
la faculté que pouvaient avoir les chargeurs d’empêcher
la vente ou la mise en gage de leurs marchandises, en
les déchargeant dans le lieu ou se trouve le navire. Cette
lacune a été remplie par la loi du 15 juin 1841.
Le projet de loi ne s’occupait que du déchargement
intégral du navire. Soit qu’il n’y eût qu’un seul char
geur, soit que tous consentissent le déchargement, il ne
pouvait plus y avoir ni vente, ni mise en gage, par la
raison fort simple que le voyage étant définitivement
rompu, le navire ne devait plus être réparé aux dépens
des marchandises désormais étrangères à sa navigation ;
par une juste réciprocité, le fret ne devait être payé qu’à
proportion de la navigation réalisée.
Dans la discussion, on se préoccupa du déchargement
partiel. Nul doute qu’il ne fût toujours loisible pour le
chargeur, mais fallait-il réduire le fret, ou l’imposer en
entier?
�106
DROIT MARITIME.
La réduction à un fret proportionnel dans cette hypo
thèse ne parut pas équitable. Le capitaine, disait la com
mission de la chambre des Députés, est dans ce cas tenu
de poursuivre son voyage jusqu’à destination ; si par le
retrait d’une partie de la cargaison, le chargement se
trouvait réduit à la moitié, au cinquième de ce qu’il
était au moment du départ, comme d’après les termes
absolus du projet, il y aurait lieu à la réduction du fret
sur tout le reste, proportionnellement à la distance res
tant à parcourir, l’armateur supporterait toute la dé
pense à faire pour cette dernière partie du voyage, il ne
recueillerait que la moindre partie du fret stipulé com
me prix de l’obligation contractée par lui.
En conséquence, la commission proposa et fît ad
mettre la dernière disposition de l’article 234, exigeant
le fret entier en cas de déchargement partiel ; or, il est
évident que si la valeur de ce fret suffisait pour couvrir
les besoins du navire, le déchargement partiel empêche
rait la vente ou la mise en gage non-seulement des mar
chandises déchargées, mais encore de toutes celles qui
resteraient à bord.
453.
— Le capitaine qui a la faculté de vendre ou
d’engager les marchandises de son chargement, peut-il
également les affecter à l’emprunt à la grosse contracté
dans le cas et aux formes de l’article 234?
Un arrêt de la Cour de Rennes, du 25 juillet 1831,
sans décider positivement la négative, arrive indirecte
ment à ce résultat. S’il est vrai, dit cet arrêt, que dans
�art.
234, 255
et
236.
107
le silence de l’article 234, le capitaine puisse, au lieu de
vendre ou de mettre en gage la marchandise, être au
torisé à emprunter à la grosse sur ces objets comme sur
les corps, quille et agrès, au moins cet emprunt doit-il
être limité à la part incombant aux chargeurs dans la
dépense nécessitée par les besoins de la cargaison seule.
Cette doctrine n’est pas autre chose que la négation
du droit. En effet, la cargaison peut bien avoir une
part dans la dépense à supporter, s’il s’agit par exem
ple de la réparation d’une avarie commune. Mais que
les besoins de la cargaison seule puissent jamais auto
riser l’application de l’article 234, c’est ce qu’il est dif
ficile, je ne dirai pas d’admettre, mais de comprendre.
Or, à notre avis, dénier le droit, c’est méconnaître
l’esprit delà loi, car c’est exposer le capitaine à ne pou
voir contracter l’emprunt. Il peut se faire, en effet, que
pour plus de garantie on exige l’affectation de la car
gaison comme celle du navire lui-même.
Qu’arrivera-t-il si, cette condition étant posée, le ca
pitaine ne pouvait l’accepter? L’emprunt serait impos
sible, le capitaine serait réduit à vendre ou à engager la
marchandise. Ainsi, sous prétexte de l’intérêt des char
geurs, on empirerait singulièrement leur position. Ils
ont, en effet, un avantage incontestable à l’emprunt, car
le payement du billet de grosse mettra en leur posses
sion l’intégralité de ce qu’ils ont embarqué. La vente en
fait disparaître une partie, et l’indemnité qu’ils doivent
recevoir, quoique juste en principe, peut leur occasion
ner un préjudice. Supposez, en effet, qu’à l’arrivée du
�108
DROIT MARITIME.
navire le cours soit en baisse, les chargeurs en supporte
ront les conséquences qu’ils auraient évitées si, recevant
la marchandise, ils avaient pu en retarder la vente jus
qu’à ce que le cours se fût amélioré. Or, c’est précisé
ment ce que l’emprunt à la grosse permettra de réaliser.
Ajoutons que ce mode n’aggravera jamais la position
des chargeurs. En admettant, en effet, qu’à défaut de
payement du billet de grosse la marchandise soit saisie
et vendue, l’armateur sera obligé de les indemniser dans
le mode prescrit par l’article 234.
Ainsi, l’intérêt de la navigation exige que le capitaine
puisse emprunter à la grosse. Tout ce qui peut en ré
sulter de pire pour les chargeurs, c’est de se trouver
dans la même position où ils seraient si leur marchan
dise avait été réellement vendue. On doit donc résoudre
notre question par l’affirmative, et c’est ce que faisait la
Cour de Rouen par arrêt du 29 décembre 1831.
C’est, au reste, ce que la Cour de Rennes n’a pas
tardé de faire elle-même, en jugeant, le 18 décembre
1832, que le droit accordé par la loi au capitaine de
mettre en gage ou de vendre les marchandises du char
gement, en cas de nécessité de radoub ou de victuailles,
emportait pour lui celui de les affecter à un emprunt à
la grosse.
454.
— L’exécution de l’article 234 doit être intel
ligente et n’être réalisée que lorsqu’elle ne peut devenir
onéreuse pour les armateurs ou propriétaires. Le capi
taine engagerait gravement sa responsabilité s’il réparait
�ART.
2 3 4 , 23b
ET
236.
109
le navire alors que le montant de ces réparations excé
derait ou égalerait presque la valeur qu’aurait le navire
après sa mise en état.
Toutes les fois donc que le chiffre de la dépense déter
miné par les experts fera craindre ce résultat, le capi
taine doit provoquer une seconde expertise, à l’effet de
savoir si, en raison de ce qu’il en coûtera pour réparer
le navire, il ne convient pas mieux de le faire déclarer
innavigable et de le vendre.
C’est ce que jugeait le tribunal de Marseille, le 16 oc
tobre 1829. Son jugement, déféré à la Cour d’Aix, fut
confirmé par arrêt du 27 avril 1830, qui n’a été inséré
dans aucun recueilx.
455.
L’inobservation de l’article 234 a pour con
séquence de rendre le capitaine personnellement tenu
envers les armateurs. La nécessité de la dépense, sa
quotité n’est plus acquise ni justifiée. La présomption
qu’elle était inopportune résulte du défaut des forma
lités tendant à établir le contraire. Il y a donc faute de
la part du capitaine, et on devrait justement lui en faire
supporter les conséquences.
4 5 6 . — Mais les propriétaires du navire seraientils fondés à refuser aux tiers le remboursement des som
mes empruntées, ou de la valeur des objets vendus ou
engagés ?
1 Journal de Marseille , t. 4 0 , 4 , 275.
�110
DROIT
MARITIME.
Cette question doit se résoudre par la nature elle ca
ractère de l’article 234. L’emprunt à la grosse, notam
ment, sera le plus souvent réalisé à l’étranger et con
senti par des personnes qui ne sont pas même tenues
de connaître, et encore moins d’exécuter les prescrip
tions du Code de commerce. Les punir de la faute du
capitaine, serait un moyen d’éteindre tout crédit au grand
détriment de noire navigation.
Sans doute l’emprunt peut se réaliser dans un port
français. Fallait-il distinguer et traiter les Français plus
défavorablement que les étrangers?
A quoi bon une pareille rigueur? Est-ce que le capi
taine n’est pas, hors de la demeure des propriétaires, le
véritable propriétaire du navire? Est-ce que les tiers ne
doivent pas croire à sa fidélité envers ses mandants?
Ce sont ces considérations qui ont dicté l’article $34,
uniquement relatif aux rapports entre le capitaine et ses
armateurs. Ce caractère est celui que Yalin assignait à
l’article 19, titre 1, livre 2 de l’ordonnance, dont les
dispositions ont passé dans notre article 234. Ces for
malités, disait-il, ne sont nécessaires que pour la sûreté
du capitaine et pour le disculper envers l’armateur ou le
propriétaire du navire. Leur omission ne peut être op
posée-aux tiers.
Il est certain que notre Code n’a voulu que ce que
prescrivait l’ordonnance. La preuve nous est fournie par
le silence qu’il a gardé à cet égard. Si notre législateur,
dit la Cour de cassation dans son arrêt de 1845, eût
voulu que l’article 234 fût entendu autrement que ne
�i
ART.
234, 235 et 236.
111
l’avait été l’article 19 de l’ordonnance, il n’aurait pas
admis une innovation aussi importante sans le déclarer
expressément.
457.
— M. Boulay-Paty enseigne, au contraire, que
l’inobservation de l’article 234 peut être opposée aux
tiers ; que le Code a dérogé à cet endroit à l’ordonnance;
que l’article 312 le prouve en soumettant impérieuse
ment à ces formalités le contrat fait à l’étranger ; de
sorte, ajoute-t-il, que celui qui ne représenterait pas
les pièces justificatives n’aurait droit ni contre les arma
teurs, ni contre le navire et le fret L
M. Boulay-Paty outre singulièrement la conclusion à
déduire de ses prémisses. L’article 312 ne prononce
d’autre peine que la perte du privilège, ce qui résultait
déjà de l’article 192. Mais la perte du privilège ne sau
rait être la perte de la créance. De ce que le créancier
aura perdu cette garantie, il ne s’en suit nullement que
le débiteur soit libéré.
Donc, le défaut de justification de l’accomplissement
des formalités exonérera les créanciers de l’obligation de
supporter le prélèvement de la dette, quisviendra seule
ment en concours avec eux. Cet effet est juste, même
vis-à-vis du prêteur étranger, en faveur de ce principe
rappelé par M. Desèze, dans la discussion de la loi de
1817, à savoir, que lorsqu’il s’agit d’un payement, c’est
la loi du pays dans lequel il s’accomplit qui doit en rei Tome 2, page 65 et suiv.
�112
♦
DROIT
MARITIME.
gir la forme et les effets. On peut donc, dans ce cas, op
poser à l’étranger même notre Code de commerce, ce
qu’on ne pourrait faire pour la constitution de la dette.
L’article 31 2 est donc, en réalité, un argument déci
sif contre le système de M. Boulay-Paty. Pourquoi s’oc
cuper du privilège, si la dette est éteinte. Donc, si la loi
se borne à édicter la perte de celui-ci, c’est que l’autre
continue à subsister; qu’elle grève chirographiquement
le navire comme les autres biens du débiteur principal,
c’est-à-dire du propriétaire.
Au reste, le doute n’est même plus permis en présence
de l’article 236. Tout ce qui résulte de l’omission des
formalités de l’article 234, c’est la présomption que
l’emprunt a été contracté sans nécessité. Or, dans ce
cas, l’article 236 se borne à déclarer le capitaine res
ponsable envers Y armement et personnellement tenu du
remboursement.. Mais si la dette ne pouvait être récla
mée de l’armateur, si elle était nulle contre les tiers, à
quoi bon la responsabilité du capitaine envers l’ar
mement?
Ce qui arrive dans l’hypothèse de l’article 236 se réa
lisera dans celle de l’inobservation de l’article 234,
c’est-à-dire que les propriétaires seront tenus de payer
le créancier, sauf leur recours contre le capitaine.
/;
. • v. '
458.
— C’est dans ce sens et contre la nullité de
l’emprunt que s’est prononcée la jurisprudence. La Cour
de Rennes le jugeait ainsi le 16 décembre 1811.
Le 18 décembre 1818, la Cour d’Âix décidait : que
�ART. 234, 233 et 236.
113
l'emprunt à la grosse contracté par un capitaine en
cours de voyage était obligatoire en faveur du prêteur
contre les propriétaires du navire et l’armateur, quoique
les formalités prescrites par l’article 234 n’eussent pas
été observées.
La Cour de Rouen s’étant prononcée en sens con
traire, les 28 novembre 1818 et 21 août 1841, ses arrêts
déférés à la Cour suprême, ont été cassés pour fausse,
application de l’article 234, les 28 novembre 1821 et
9 juillet 1845 K
Enfin, la Cour d’Amiens ayant également consacré la
doctrine de M. Boulay-Palÿ, le 30 août 1833, son arrêt
fut également cassé le 5 janvier 1841 2.
Celle persistance de la Cour de cassation doit fixer la
jurisprudence. L’emprunt contracté au mépris de l’arti
cle 234 est valable en faveur des tiers, à moins qu’on
prouvât que le prêteur a colludé avec le capitaine et
s’est associé à sa fraude.
La Cour de Rennes, qui le jugeait ainsi le 16 décem
bre 18M , vient, malgré ces nombreux et graves précé
dents, de se prononcer en sens contraire. Elle déclare,
le 18 août 1859, que l’article 234 doit être observé à
peine de nullité du prêt, tant contre les tiers que contre
l’armateur.
Ce dernier arrêt interprète l’article 234 autrement
que la Cour de cassation, et repousse l’argument que
�i 14
DROIT MARITIME.
celle-ci tire de l’article 236, par le motif que cet arti
cle ne prévoit que le cas où un capitaine aurait pris de
l’argent sans nécessité, tout en observant scrupuleuse
ment les formalités prescrites par l’article 234 l.
Il est bien difficile d’admettre qu’on puisse dénier,
ou méconnaître la nécessité, lorsque cette nécessité a été
attestée par les principaux de l’équipage, reconnue par
l’une des autorités que l’article 234 charge d’autoriser
l’emprunt. Donner ce pouvoir ce serait ouvrir la porte à
de nombreuses difficultés, à des procès sans fin, enlever
aux prêteurs toute sécurité, toute garantie, et par con
séquent rendre le prêt à la grosse impossible.
Nous croyons donc que le prêt est inattaquable lors
que les exigences de la loi ont été satisfaites. Ce n’est
donc pas pour ce cas que l’article 236 a voulu ou pu
vouloir édicter la responsabilité du capitaine.
Nous ne reviendrons pas sur les considérations par
lesquelles nous avons justifié la doctrine de la Cour de
cassation et établi qu’il n’y a de juridique que l’inter
prétation qu’elle donne aux articles 2 3 4 e t236. Maison
nous permettra d’opposer à l’arrêt de la Cour de Ren
nes de 1859, l’arrêt de la Cour de Rennes de 1811.
Celui-ci, en effet, valide le prêt à la grosse contracté
sans les formalités de l’article 234, tant contre l’arma
teur qu’à l'égard des tiers. Relativement à l’armateur, il
considère :
» Que le capitaine de tout bâtiment de mer étant le
i J. du P. 1864, 697.
�ART.
234, 235
et
236.
115
préposé des propriétaires, les actes qu’il passe pour faits
de sa gestion les obligent à l’égard des tiers avec lesquels
il a traité, si ce n’est dans le cas de collusion fraudu
leuse ; que hors le lieu de la demeure des armateurs, il
n’a pas même besoin d’un pouvoir spécial pour traiter,
mais qu’il est investi légalement du pouvoir de les re
présenter ;
« Que ces principes, conformes aux lois Rhodiennes,
aux lois Romaines et à l’ordonnance de 1681, ont été
dans tous les temps appliqués plus spécialement aux
contrats à la grosse aventure.
» Que les anciens législateurs n’avaient pas ignoré
les inconvénients qui pouvaient résulter de la latitude de
pouvoir donnée quelquefois à des mandataires infidèles ;
mais que l’intérêt du commerce exigeant que les prêts à
la grosse fussent encouragés, et que pour la sûreté, la
facilité et la promptitude des négociations on inspirât
de la confiance aux prêteurs, ils avaient cru devoir sa
crifier au bien public quelques considérations particu
lières ;
» Que néanmoins ils avaient pourvu autant que pos
sible à l’intérêt des armateurs en rendant le capitaine
responsable des emprunts qu’il aurait faits sans néces
sité au nom de l’armement ; qu’à la vérité, cette mesure
pouvait devenir quelquefois illusoire par l’insolvabilité
du capitaine, mais que c’était alors aux armateurs à
s’imputer d’avoir choisi ja o u r préposé un homme im
moral, talem virum eleffise ;
�116
DROIT MARITIME.
» Que nulle part le Code de commerce n’a prononcé
contre les prêteurs la nullité d’un contrat de grosse, faute
au capitaine d’avoir fait constater le besoin d’emprunter;
que le tribunal de Quimper, en le décidant de la sorte,
s’est mépris sur le vrai sens de la loi en portant qu’ellecomprenait dans sa généralité le capitaine et le prêteur,
ce qui est contraire à la lettre et à l’esprit du texte;
» Que l’article 234 qui a servi de base au jugement
appelé, établit : 1° le pouvoir du capitaine pour em
prunter, et par conséquent la faculté du prêteur de
s’adresser à lui seul comme représentant l’armateur par
tout où il n’est pas ; 2° les formalités auxquelles est as
treint le capitaine pour constater la nécessité de l’em
prunt.
» Que l’article 236 rend le capitaine responsable des
emprunts qu’il aurait faits, mais que dans aucun de ces
articles, il n’esi fait aucune mention du prêteur à la
grosse. »
Certes, la démonstration est péremptoire, et l’on ne
comprend pas que la Cour de Rennes se soit exposée, en
1859, à se voir reprocher, ce que, en 1811, elle repro
chait au tribunal de Quimper, d’avoir méconnu la lettre
et l’esprit des articles 234 et 236.
Précis et formel contre l’armateur, l’arrêt de 1811 ne
l’est pas moins à l’égard des tiers. En effet, après avoir
rappelé les obligations faites au prêteur par les articles
192 et 312, il arrive à cette conclusion que leur inexé
cution entraîne seulement à l’égard des tiers la déché
ance du privilège, mais jamais la nulli lé du contrat qui
�ART.
234, 2 3 b
et
236.
H7
subsiste dans toute sa force entre le prêteur, le capitaine
et l’armement.
Là, et là seulement se trouve la vérité juridique. Les
articles 234 et 236 ne peuvent être séparés, ils sont le
complément l’un de l’autre, et de leur ensemble il ré
sulte que les formalités exigées par le premier n’intéres
sent réellement que le capitaine qui n’est de rien tenu
s’il les a remplies, qui est responsable envers l’armement
s’il les a négligées.
Or, cette responsabilité, l’article 236 la stipule expres
sément en faveur de l’armement, n’est-ce pas là recon
naître que celui-ci est tenu du prêt même fait sans né
cessité? qu’aurait-il en effet à exiger du capitaine, de quoi
aurait-il à se faire rembourser si le prêt à la grosse
étant nul à son égard, il n’avait rien eu à débourser,
rien déboursé?
Les chargeurs pourraient-ils, eux, exciper de l’inob
servation de l’article 234, pour se dispenser de payer
le billet de grosse auquel le chargement aurait été affecté?
La négation s’induit des mêmes motifs que pour l’ar
mateur. En effet le capitaine est en cours de voyage le
représentant légal et de l’armateur et des chargeurs, il
est formellement autorisé à emprunter sur la cargaison
comme sur le navire; et il n’y a aucune raison pour
décider que l’affectation valable pour celui-ci, ne le se
rait pas, ne pourrait l’être pour celle-là.
Les réclamateurs de la marchandise ne pourront donc
se la faire délivrer qu’en remboursant la somme prêtée,
�118
DROIT MARITIME.
sauf, si la nécessité de l’emprunt n’est ni constatée ni
acquise, leur recours contre le capitainel.
La Cour de cassation, à laquelle l’arrêt d’Aix avait
été déféré en a confirmé la doctrine, en rejetant le pour
voi, le 4 décembre 1866.
« Attendu, dit l’arrêt, que les formalités prescrites par
l’article 234 ont pour objet de mettre à couvert la res
ponsabilité du capitaine vis-à-vis de son armateur et de
lui fournir les moyens de justifier sa conduite, et d’éta
blir la nécessité où il s’est trouvé, pour accomplir son
voyage, d’engager son navire et le chargement ; mais
que l’omission de ces formalités ne saurait être opposée
aux tiers-porteurs de bonne foi de la lettre de grosse, la
quelle est transmissible par la voie de l’endossement et
assimilée par l’article 313 du Code de commerce aux au
tres effets de commerce ; que c’est donc à bon droit que
les consignataires du chargement du Bornéo ont été
déclarés responsable de l’emprunt à la grosse contracté
par le capitaine3. »
459.
— L’observation des prescriptions de l’article
234 fait présumer la nécessité de la dépense, et légitime
par conséquent l’emprunt ou la vente des marchandises.
Mais ni l’expertise ordonnée par le juge, ni l’autorisation
donnée à la suite n’excluent la preuve contraire. En ef
fet, le capitaine peut avoir trompé les experts par l’ap -
�ART.
254, 255,
et
236.
119
parence qu’il a su donner au navire, ou les avoir cor
rompus. Quelque improbable quesoit une pareille fraude,
la loi s’en est préoccupée. S’en référant aux principes
ordinaires, elle en a toléré la preuve qui, comme dans
tous les cas de fraude, peut-être faite par témoins.
Ce qui est vrai contre le capitaine se réaliserait contre
le prêteur lui-même. L’allégation qu’il s’est sciemment
prêté à la fraude du capitaine rendrait la preuve orale
admissible dans tous les cas, à moins que sa bonne foi
ne résultât suffisamment des faits et circonstances. Vaine
ment donc le tiers prétendrait-il exciper de l’autorisa
tion du juge, en suite de laquelle il a prêté. Sa mauvaise
foi lui faisant perdre le bénéfice du contrat au profit des
propriétaires, on ne pouvait dans tous les cas prohiber
d’en offrir et d’en rapporter la preuve.
460.
— Nous avons déjà dit que le prêteur, n’étant
pas obligé de suivre l’emploi de ses fonds, ne saurait
être tenu d’en justifier K Mais il n’en est pas ainsi du
capitaine. De lui aux propriétaires, il s’agit de régler la
dépense réelle, car le chiffre n’est jamais fixé que par
approximation par les experts.
De même que le capitaine aurait le droit d’exiger ce
qu’il aurait payé en sus de l’estimation, de même il doit
tenir compte du reliquat qu’il n ’aurait pas employé. Or,
la vérité à cet égard ne peut résulter que d’un compte
fidèle et exact, appuyé des quittances des fournisseurs et
�120
DROIT MARITIME.
ouvriers. C’est ce compte que les propriétaires ont le
droit d’exiger.
4 6 1 . — Le capitaine qui ne se serait pas conformé
à l’article 234 serait présumé avoir emprunté, vendu ou
engagé les marchandises sans nécessité. Il tomberait
dès lors sous l’application de l’article 236. Il en serait
de même de celui qui a porté en compte des avaries ou
des dépenses supposées. Il serait donc responsable enveré l’armement, c’est-à-dire tenu de garantir les pro
priétaires ou l’armateur des effets de la poursuite des
préteurs ou chargeurs.
4 6 2 . — L’ordonnance ne se contentait pas de celle
responsabilité. Partant de ce principe que, plus la con
fiance qu’on doit au capitaine est absolue et illimitée,
plus son abus mérite une répression sévère, elle voulait
que dans tous les cas d’emprunt ou de vente sans néces
sité, ou de supposition d’avaries ou de dépenses, H fût
déclaré indigne de la maîtrise et banni du port de sa de
meure ordinaire.
Cette peine a paru trop sévère à noire législateur. Il a
compris qu’il est dans les fautes, même celles qui pa
raissent les plus inexcusables, des degrés dont on doit
tenir compte ; qu’en bonne justice, on devait s’arrêter
non au fait mais à l’intention. Il ne prescrit donc la
poursuite criminelle que s'il y a lieu.
Ainsi, quelle que soit l’intention du capitaine, les faits
prévus par l’article 236 engagent sa responsabilité. Mais
�art.
234, 255
et
236.
121
il ne sera poursuivi criminellement et puni des peines
portées par la loi que si à la matérialité du fait se réunit
une intention évidemment mauvaise et frauduleuse.
463.
— L’obligation imposée au capitaine par l’ar
ticle 235 a été renouvelée de l’ordonnance. Mais le rang
qu’oçcupait dans celle-ci l’article 30, titre 1", livre 2,
faisait croire à Valin que ses prescriptions n’étaient obli
gatoires que pour le capitaine naviguant à profit
commun.
Le projet primitif du Code ne s’expliquait pas à cet
égard. Plus tard, et sur les observations de quelques
tribunaux et conseils de commerce, elle avait limité l’obli
gation d’envoyer l’état aux capitaines naviguant à pro
fit commun. Mais sur les réclamations du commerce de
Bordeaux, cette limitation fut repoussée, et l’envoi de
l’Etat imposé à tous les capitaines indistinctement.
Les motifs qui ont fait prescrire cet envoi prouvent la
sagesse de cette solution. On l’a exigé; soit pour empê
cher qu’on puisse substituer pendant le voyage des mar
chandises à celles primitivement chargées ; soit pour
mettre les intéressés à même de consommer les opéra
tions qu’ils jugeront utiles ; d’assurer la marchandise si
elle ne l’a pas été; de la revendre pour la livrer à l'ar
rivée du navire ; soit enfin pour qu’on puisse préparer
le payement des engagements pris par le capitaine Tout
cela, on le voit, est fort indépendant de la qualité en la
quelle navigue le capitaine.
4 6 4 . — Mais ce qui résulte de ces motifs, c’est que
�122
DROIT MARITIME.
la loi suppose que le capitaine a fait lui-même le char
gement pour le compte de ses mandants. Si le capitaine
s’était borné à affréter le navire, il ne serait tenu que de
faire connaître cet affrètement à ses propriétaires et à
leur transmettre l’état des sommes empruntées.
Il en serait de même s’il avait à bord un subrecargue
chargé de la gestion de la cargaison et de procurer le
chargement de retour, ou si ce chargement avait été
opéré par le propriétaire lui-même. Dans ce dernier cas,
disait Valin, ce serait au propriétaire à en dresser la
facture générale, dont il ferait donner une reconnais
sance par le maître, pour lui en compter sur le double
qu’il lui en laisserait.
465.
— L'omission de l’envoi exigé par l’article 235,
lorsqu’il est à la charge du capitaine, ou seulement l’ou
bli de quelques-unes des indications prescrites, consti
tuerait une faute, et engagerait la responsabilité du capi
taine ; cette responsabilité pourrait atteindre à des limi
tes considérables, comme si le propriétaire n’avait pu
faire assurer dans l’ignorance de la nature de la cargai
son, ou si, faute de connaître le prix d’achat, il avait
manqué l’occasion de revendre favorablement.
�Au t .
237
et
A r t ic l e
258.
123
237.
Hors le cas d’innavigabilité légalement constatée, le
capitaine ne peut, à peine de nullité de la vente, vendre
le navire sans un pouvoir spécial des propriétaires.
A r t ic l e
2 38.
Tout capitaine de navire, engagé pour un voyage, est
tenu de l’achever, à peine de tous dépens, dommagesintérêts envers les propriétaires et les affréteurs.
SOMMAIRE
466. Le pouvoir confié au capitaine ne renferme pas celui de
vendre le navire. Conséquences.
467. L’exception d’innavigabilité était admise sous l’ordonnance ;
comment et pourquoi elle fut introduite dans le Gode ?
468. Conditions pour qu’il y ait innavigabilité, et formes pour sa
constatation.
469. Qui peut la prononcer ?
470. Effet de l’inobservation des formes à l ’égard du capitaine et
des intéressés. Nature de la preuve.
47f. La vente faite hors le cas d’innavigabilité et sans pouvoir
spécial est nulle envers les tiers.
472. Motifs de cette différence entre la vente et l’emprunt.
473. Effet de la vente régulière sur la mission du capitaine. De
voirs qu’il a à remplir, droits qu’il peut exercer.
474. Origine de l’obligation imposée au capitaine d'accomplir le
voyage qu’il s’est engagé d'effectuer. Nature de cette
obligation,
�124
DROIT MARITIME.
475. Les chargeurs ne peuvent empêcher le propriétaire de con
gédier le capitaine, en vertu de l ’article 218.
476. A quelle époque le voyage est-il censé terminé ?
477. Exception que comporte l’obligation édictée par l ’article 238.
Force majeure.
478. Le capitaine peut-il être dispensé du voyage sur le motif que
le lieu de destination a été envahi par une épidémie ?
479. Comment il est pourvu au remplacement du capitaine léga
lement empêché?
480. Poursuite extraordinaire à laquelle peut être exposé le ca
pitaine qui rompt son engagement.
il
i|| jjf
466.
— La mission du capitaine, quelque étendue
qu’elle soit et qu’elle dût être, n’est après tout qu’un
mandat. Or, s’il peut être de l’essence de celui-ci que
celui qui en est revêtu administre et exploite souverai
nement la chose qui en fait l’objet, il répugnerait à la
raison de lui reconnaître la faculté d’aliéner la chose
elle-même. Cela est vrai pour le capitaine de navire dont
le pouvoir comprend légalement : Tantum de peritia in
arte navigandi, non de dominio et proprietate navis.
La faculté de vendre le navire n’est donc pas comprise
dans le mandat de le commander, elle ne peut irésulter
que d’un pouvoir spécial et exprès. Le capitaine ne peut
dès lors l’exercer en l’absence de ce pouvoir. C’est ce qui
a toujours été consacré, c’est ce que nous trouvons dans
le Consulat de la mer, dans les Jugements d'Olèron,
dans la Hanse teutonique, dans l’ordonnance de Wisbuy
et dans celle de 4 684.
Malgré le silence gardé par cette dernière
�ART. 2 3 7 et 2 3 8 .
125
sur le cas d’innavigabilité, il n’est pas douteux que la
vente par le capitaine ne fût licite, ce cas se réalisant.
Aussi, disait Valin, un maître ne s’avise pas de vendre
son navire ; mais quand il veut s’en défaire, il trouve
aisément le secret de le faire condamnerl.
Donc, le Code, en exceptant le cas d’innavigabilité de
la prohibition, n’a pas introduit un droit nouveau, il
n’a fait que confirmer un usage dont le maintien était
réclamé dans l’intérêt même du commerce..
En effet, la commission, en présentant le projet du
Code, loin de permettre la vente en cas d’innavigabilité,
proposait de l’interdire dans tous les cas. Voici les obser
vations que cette proposition souleva :
« Un navire, voyageant dans les colonies ou dans
toute autre contrée éloignée, même sur nos côtes, y fera
naufrage ou recevra des avaries assez considérable pour,
dans le premier cas, ne pas pouvoir être relevé, dans le
second, pour ne pouvoir être réparé sans qu’il en coûte
sa valeur et au-delà.
» S’il y a naufrage, le capitaine doit être autorisé à
vendre le navire dans l’état où il së trouve, afin de ne
pas laisser périr ce qui peut produire un résultat quel
conque soit à l’armement, soit aux assureurs qui le
représentent.
» Lors d’avaries majeures, soit par leur nature, soit
par le haut prix des ouvrages et fournitures à employer
pour mettre le navire en état de reprendre la mer, et que
%
il
l!
�126
DROIT MARITIME.
ces faits seront constatés par les autorités du lieu d’après
estimation faite par les ouvriers dans le genre des répa
rations à faire, il paraît convenable aux intérêts du
commerce maritime que le capitaine puisse alors faire
vendre publiquement son navire, en déterminant positi
vement que cette vente sera obligatoire, soit pour les
propriétaires, soit pour les assureurs.
» Si l’article reste en l’état qu’il est, les navires nau
fragés ou gravement avariés deviendraient en pure perlej,
pour les propriétaires, parce que les capitaines préfére
raient, dans le premier cas, laisser perdre la chose, et,
dans le second, entreprendre des radoubs ruineux, afin
de ne pas être compromis en s’écartant des dispositions
de la loi. »
Ces considérations firent revenir la commission et la
déterminèrent à autoriser la vente en cas d’innavigabi
lité, ce qui fut consacré par le conseil d’Etat. Dans le
second cas surtout, la vente par le capitaine est nonseulement une faculté, mais encore un devoir. Nous
avons déjà dit que celui qui, au lieu de vendre, entre
prendrait un radoub ruineux, engagerait gravement sa
responsabilité l.
468.
— II y a innavigabilité toutes les fois que le
navire a subi dans ses parties essentielles de telles dégra
dations qu’il est impossible de le réparer, ou qu’on ne
pourrait le faire qu’en dépensant une somme supérieure
1 Suprà, n° 454.
�ART. 2 3 7 ET 2 3 8 .
127
ou à peu près égale à ce que vaudrait le navire réparé ;
cela acquis, le navire peut être valablement vendu par
le capitaine, même en l’absence de tout pouvoir spécial.
Mais la certitude de l’innavigabilité est subordonnée à
des formalités tendant à la constater ; il faut d’abord
que le navire soit visité par des experts, anciens naviga
teurs, nommés par le juge du lieu, conformément au
titre 3 de la loi du 13 août 1791 ; ces experts indiquent
les diverses réparations que le navire exige, et le coût de
chacune d’elles.
Si la dépense indiquée est trop forte, eu égard à la
valeur future du navire, le procès-verbal de visite, signé
par les experts, par le capitaine et les principaux de
l’équipage, est soumis au juge, qui peut ordonner une
nouvelle vérification, ou prononcer la condamnation du
navire.
469.
Cette condamnation ne peut être régulière
ment prononcée en France que par le tribunal de com
merce et à défaut par le juge de paix ; à l’étranger, que
par le consul, vice-consul ou agent français, et, en
l’absence de l’un ou de l’autre, que par l’autorité du
lieu ; la décision émanant de toute autre autorité ne se
rait ni légale, ni obligatoire. Ainsi, la Cour de cassation
a jugé, le 3 août 1821, que c’est au tribunal de com
merce seul qu’il appartient de juger s’il y a lieu ou non
à délaissement d’un navire échoué ; qu’il peut, même
dans le cas où les commissaires de la marine auraient
�128
DROIT MARITIME.
ordonné la vente du navire comme brisé et innavigable,
décider qu’il n’y avait pas innavigabilité l.
Le même arrêt examine et résout négativement la
question de savoir si le capitaine qui n’a pas fait cons
tater régulièrement l’innavigabilité commet la baraterie
de patron à la charge des assureurs qui l’ont assurée, il
juge, en conséquence, que le propriétaire n’a de recours
que contre le capitaine, si tant est que cette omission
puisse lui être imputée à faute. Or, dans l’espèce, la
Cour de Bordeaux avait jugé, en fait, que le capitaine
était irréprochable.
470.
— C’est qu’en matière d’innavigabilité, s’agis
sant d’une fortune de mer, la distance des lieux, les
ressources du pays, la nature des événements doivent
puissamment influer sur le caractère et les effets des
preuves, qu’il serait irrationnel autant qu’injuste de
soumettre à une règle rigoureuse et absolue. On serait
conduit à exiger ainsi l’impossible dans certaines circon
stances.
C’est cette considération que nous voyons dominer
dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Ainsi elle
jugeait :
Le 14 mai 1834, que l’abandon du navire peut être
légalement fait par le capitaine, sans la constatation
préalable d’innavigabilité, selon le mode prescrit par
�ART.
257
et
258.
129
l’article 237, lorsqu’il y a eu impossibilité de recourir à
ce moyen.
Le 3 juillet 4839, qu’en cas de relâche forcée dans
un port étranger où il n’existe pas de consul français, à
la Jamaïque, par exemple, l’innavigabilité par fortune
de mer est légalement constatée, dans le sens de l’arti
cle 237, si elle l’a été par les livres de bord ou par une
expertise, même peu régulière, mais confirmée par trois
officiers de la marine anglaise nommés par le commo
dore commandant de la station ;
Le 34 du même mois, que les formes tracées par le
Code de commerce pour constater l’innavigabilité d’un
navire ne sont pas prescrites à peine de nullité absolue;
qu’une Cour peut, en prenant en considération la dis
tance des lieux, la nature des événements, l’impossibi
lité de remplir les formes légales, appréciation faite des
documents tendant à établir l’innavigabilité, regarder
comme suffisant le mode de constatation qui a été em
ployé.
Enfin, le 5 août suivant, que le consul de France,
dans un port étranger, a qualité pour déclarer l’innavigabilité d’un navire, et pour en ordonner la vente '.
Il résulte de celte jurisprudence que la preuve de
l’innavigabililé et de sa constatation légale est laissée à
l’appréciation souveraine des magistrats, toutes les fois
qu’il s’agit d’un fait réalisé à l’étranger. Accueillie dans
un cas, cette preuve peut être repoussée dans un autre
1 J. du P., 2, 4839, 370 et suiv.
il — 9
�1 30
DROIT MARITIME.
et c’est ce dernier parti que prenait la Cour de Paris
dans un arrêt du 8 avril 1839 K Cet arrêt, loin de con
tredire le principe consacré par la Cour de cassation, ne
fait que l’appliquer à l’espèce spéciale.
Mais en France, l’innavigabilité ne peut être consta
tée que par le tribunal de commerce. Il faudrait donc,
dans ce cas, s’en tenir à la doctrine de l’arrêt de la Cour
de cassation du 3 août 1821.
471.
— Le Code a formellement prononcé la nullité
de la vente consentie par le capitaine hors le cas d’innavigabililé, et sans pouvoir spécial. L’effet de cette nullité
est général et absolu. Il peut être opposé à l’étranger
ayant acheté dans son pays comme au Français luimême. Telle était la doctrine suivie sous l’ordonnance.
Malgré le silence qu’elle gardait sur la nullité, Valin
enseignait que le propriétaire était fondé à revendiquer
le navire ainsi vendu et à le retirer des mains de l’ache
teur, et cela sans être obligé de rembourser, attendu qu’il
n ’avait pu acheter de bonne foi.
La vente tractative du navire par le capitaine sans un
pouvoir spécial des propriétaires n’est pas fort à redou
ter. Il est difficile de concevoir un pareil projet, plus
difficile encore serait de le réaliser. Qui oserait s’y asso
cier en achetant, au risque du préjudice que la nullité
de la vente entraînerait? Valin l’avait compris, et c’est
ce qui lui faisait dire qu’un maître ne s’avise pas de
�ART. 2 3 7 ET 2 3 8 .
131
vendre son navire, mais quand il veut s’en défaire il
trouve aisément le secret de le faire condamner.
Cette condamnation c’est, à l’étranger, le consul fran
çais qui la prononce, et qui, comme conséquence, or
donne la vente aux enchères. Si, en prenant cette me
sure, le consul s’est trompé ou a été trompé, quel sera
l’effet de la vente?
Aucun doute ne nous parait pouvoir exister relative
ment au capitaine. Mandataire de l’armateur, il doit
veiller à ses intérêts, et sa position ne permet pas de
croire qu’il ne connaissait pas le véritable étal des cho
ses. Si donc il a laissé s’accomplir l’erreur du consul, à
plus forte raison s’il l’a fait naître, sa responsabilité se
trouve gravement engagée, et il est tenu d’indemniser
du préjudice occasionné par sa négligence ou son dol.
Vainement tenlerait-il de se mettre à couvert derrière
la décision du consul. Outre qu’il était de son devoir
de l’empêcher, et souvent de ne pas la provoquer, il est
de principe que le consul n’a qu’une autorité, relative,
et que ses décisions ne sont irrévocables que lorsqu’elles
reposent sur des éléments sincères et exacts.
Ainsi la déclaration d’innavigabilité d’un navire qu’il
prononce ne lie ni les intéressés, ni les tribunaux, et
les assureurs ont toujours le droit et la faculté de faire
repousser le délaissement en prouvant, qu’en fait, cette
innavigabilité n’existait pas l.
Cette même preuve ne saurait être interdite à l’arm aInfrà, n° 1424.
�132
DROIT MARITIME,
teur pour justifier la faute du capitaine ; et si elle est
rapportée, sa demande en responsabilité contre lui de
vrait être et serait inévitablement accueillie.
L’annulation de la vente prononcée contre le capi
taine, pourrait-elle rejaillir contre le tiers-acheteur? De
vrait-il être tenu de restituer le navire?
Un arrêt de la Cour de Rouen, dont nous allons par
ler, se prononçait, en thèse, pour l’affirmative; nous
croyons que c’était une erreur.
En effet, aucune des raisons qui militent contre le
capitaine ne pourrait être opposée aux tiers. Le droit du
consul à prononcer l’innavigabilité, et à ordonner la
vente du navire n’est ni douteux ni contestable. Le tiers,
étranger au navire, n’a ni à s’enquérir des circonstances
dans lesquelles ce droit s’exerce, ni à en surveiller ou
en contrôler l’exercice.
S’il se présente aux enchères, c’est qu’il y est appelé
par justice, et il ne fait, en enchérissant, qu’user d’un
droit à l’exercice duquel l’autorité elle-même l’a provo
qué. Pourrait-il se faire que cet appel n’eût été qu’un
piège qui l’exposerait à un préjudice plus ou moins
grave, et le laisserait, pour la répétition du prix, en pré
sence d’un capitaine peut-êfte insolvable.
Aussi, devant la Cour de cassation, M. le conseillerrapporteur d’Oms s’élevait-il contre la doctrine de l’ar
rêt sur ce point. « Le tiers qui, dans ces circonstances,
achète loyalement, disait-il, en devient acquéreur défi
nitif. De même qu’en matière de délaissement, l’innavi
gabilité contestée et reconnue avoir été par erreur ad-
�4RT. 2 5 7 et 5 2 8 .
133
mise par le consul, ouvre aux assureurs le droit de refu
ser le délaissement, sans que pour cela le tiers qui a
acquis le navire soit inquiété dans son titre, de même,
dans l’hypothèse actuelle, le tiers qui voit mettre en vente
publique un navire déclaré innavigable, ne peut pas
s’immiscer dans les actes qui ont déclaré cette innaviga
bilité, pour savoir s’il peut acheter avec sécurité. Nous
ne comprendrions pas pourquoi, dans l’hypothèse du
délaissement aux assureurs, le titre d’acquisition reste
ra intact, bien que le délaissement ne soit pas admis
faute de preuve de Pinnavigabilité, et pourquoi, dans le
cas prévu par l’article 337, le tiers deviendrait en quel
que sorte responsable des erreurs d’appréciation qui au
raient déclaré innavigable un navire qui pouvait encore
être réparé. L’assuré qui voit annuler par la juridiction
française un délaissement qui cependant entraîne sa dé
possession au profit d’un tiers, est-il donc dans une si
tuation moins favorable que le propriétaire dont le capi
taine, sans pouvoir spécial, a vendu son navire sur des
fausses appréciations, et l’a fait accepter comme innavi
gable, alors qu’il pouvait être rétabli à peu de frais ?
Entre le propriétaire trop facilement dépouillé de sa
chose, et le tiers qui acquiert de bonne foi, sous la ga
rantie de la publicité et de l’autorité du consul, il nous
semble que c’est ce dernier qui mérite la préférence. Le
propriétaire peut être victime, sans doute, de la fraude
de son capitaine ; mais ce capitaine était son manda
taire, et il doit s’imputer de ne l’avoir pas mieux choisi.
Mais qu’elle faute reprocher au tiers qui, sollicité par la
�154
DROIT MARITIME.
publicité d’une vente faite sous les auspices du représen
tant de l'autorité française, se rend adjudicataire d’un
navire déclaré innavigable? »
Ces considérations nous paraissent marquées au coin
de la plus haute raison, de la plus équitable justice, et
répondre aux exigences de l’intérêt général de la naviga
tion lui-même. La vente d’un navire réellement inna
vigable est urgente et nécessaire dans l’intérêt des par
ties pour tirer le meilleur parti possible d’un navire que
la fortune de mer a rendu innavigable. Or la doctrine
que nous repoussons aurait pour résultat de rendre cette
mesure impossible ou désastreuse : il est évident que
cette épée de Damoclès suspendue sur la tête des adju
dicataires éloignerait tout enchérisseur, ou ne les déter
minerait à acheter qu’à vil prix.
Concluons donc que la nullité de la vente par applica
tion de l’article 237, n’exercerait aucune influence sur
le titre de l’adjudicataire qui est, en vertu de l’adjudica
tion, propriétaire définitif et incommutable du navire.
Mais cette conclusion suppose chez ce tiers la bonne
foi la plus entière, l’ignorance absolue des causes qui
ont entraîné l’erreur du consul. S’il en était autrement,
il se serait rendu complice de la fraude, et sa déposses
sion ne serait plus que la juste, l’inévitable conséquence
de la responsabilité que cette complicité ferait peser sur
lui.
iinsi, dans l’espèce de l’arrêt de la Cour de Rouen,
on soutenait que l’acheteur avait été de mauvaise foi, et
l’arrêt tirait la justification de ce reproche des faits sui
vants :
�ART. 2 3 7 ET 2 3 8 .
133
« Attendu qu’il est certain que Tisset frères, consigna
taires du navire à Pernambucco et qui s’en sont rendus
adjudicataires, ont eu en mains, même avant de devenir
consignataires, la police d’assurance dans les rapports
qui on précédé entre leur maison et le capitaine avant
l’arrivée du navire de Natal à Pernambucco ; qu’elle en
a connu dès lors parfaitement les dispositions; que c’est
au moins avec son assentiment, sinon d’après ses con
seils, ainsi que le déclare le capitaine tant dans ses let
tres à Tisset frères de Paris, en date des 25 janvier et
2 février dernier, que dans l’interrogatoire par lui subi
devant le commissaire de l’inscription maritime à SaintServan, le 3 février, que celui-ci s’est décidé à adopter
les trois quarts de 65,000 fr., somme assurée, au lieu
de 90,000 fr. valeur de la Caroline, pour base de ses
calculs ; que le capitaine ajoute encore que c’est d’après
l'affirmation qui lui était donnée par elle que c’est ainsi
qu’il devait opérer pour être en règle, et que c’est par
elle que le devis des réparations et l’acte de délaissement
ont été rédigés, et qu’il en a seulement fait la copie avec
l’aide du premier commis ; que ces déclarations nettes,
précises et concordantes ont tous les caractères de la
vérité, eu égard à la position respective des parties alors
en présence, sans qu’il y ait lieu d’ailleurs à en faire
établir l’exactitude par une enquête inutile au procès ;
que dans tous les cas, en effet, ladite maison, consigna
taire à. la fois de la Caroline avant le délaissement, et
se présentant comme acquéreur de la mise en vente, n’a
pu ne pas connaître en leur entier les termes de la re-
�136
DROIT MARITIME.
quête du 10 novembre concluant au délaissement, com
me déjà elle connaissait la police d’assurance; qu’ainsi
nécessairement elle a connu les vices du délaissement, à
savoir la comparaison faite entre le coût des répara
tions (avec addition, à tort, de dépenses étrangères), et
les trois quarts de la somme assurée au lieu des trois
quarts de la valeur du navire; qu’elle n’est donc pas un
tiers étranger aux opérations antérieures à la vente, et
qui puisse prétexter d’ignorance sur le fond des choses x.»
Il est évident que ces faits légitimaient la dépossession
que la Cour consacre et c’est ainsi que le juge la Cour
de cassation, le 3 avril 1865; elle rejette le pourvoi par
les motifs suivants :
« Attendu que si la vente aux enchères publiques, or
donnée par un consul français dans un port étranger,
transfère au tiers-acquéreur de bonne foi la propriété
incommutable du navire, alors même que l’innavigabilité aurait été mal à propos déclarée par le consul, il
doit en être autrement lorsque l’erreur de la décision
consulaire a été non-seulement connue de l’adjudica
taire, mais encore préparée par lui ;
» Attendu que l’arrêt attaqué constate que la maison
de Pernambucco, consignataire du navire la Caroline,
a eu entre les mains la police d’assurance; qu’elle en
a connu parfaitement les dispositions; qu’elle n ’a pu,
par conséquent ignorer que si la police d’assurance ne
comprenait que la somme de 65,000 fr., la valeur du
1 J. du P
,, 1867,
103.
�ART. 2 3 7 et 2 3 8 .
137
navire était appréciée à 90,000 fr. ; qu’elle n’ignorait
pas davantage que, calculée sur cette dernière base, la
détérioration du navire n’atteignait pas les trois quarts
de sa valeur, et que dès lors la Caroline ne pouvait être
déclarée innavigable, manquait de la condition essen
tielle déterminée par l’article 237 du Code de com
merce pour que la vente pût en être autorisée ;
» Attendu que le dit arrêt constate encore que c’est,
sinon d’après les conseils, au moins avec l’assentiment
de cette maison, que le capitaine s’est décidé à adopter
les trois quarts de la somme assurée, au lieu des trois
quarts de la valeur du navire comme base de ses cal
culs; que c’est d’après l’affirmation qui lui était donnée
par cette maison, que c’est ainsi qu’il devait opérer pour
être en règle;
» Attendu qu’il résulte de ces déclarations que la
maison de Pernambucco a elle-même préparé le vice du
titre dont elle entend se prévaloir ; qu’en déclarant dans
ces circonstances que cette maison ne saurait être con
sidérée comme un tiers étranger aux opérations de la
vente, et que, par suite, celte vente devait être déclarée
nulle à son égard, l’arrêt attaqué n’a ni commis un
excès de pouvoir, ni violé les articles invoqués par le
pourvoi ’. »
Il résulte bien de cet arrêt que, par rapport au tiers
acheteur, le sort de la vente faite en contravention de
l’article 237, est subordonnée à la bonne ou à la mau1 Ibidem, 1052.
�138
DROIT MARITIME.
vaise foi de ce tiers ; qu’inattaquable dans un cas, elle
est annulable et doit être annulé dans le second. Or il
résulte de l’article 550 du Code civil que l’acqué
reur n’est de bonne foi que s’il ignore le vice de son
titre; que la connaissance de ce vice exclut cette bonne
foi. Pourquoi n’appliquerait-on pas cette règle à l’ache
teur d’un navire?
472.
— On a voulu exciper du caractère de l’article
237 pour étayer la nullité de l’emprunt contracté sans
les formalités de l’article 234. Pourquoi, a-t-on dit, la
vente consentie au mépris de la disposition du premier
étant nulle, même à l’endroit des tiers, n’en serait-il pas
de même de l’emprunt contracté contrairement aux pres
criptions de ce dernier?
La raison en est simple et péremptoire. D’abord l’ar
ticle 237 prononce la nullité, ce que l’article 234 ne fait
pas. C’est ensuite que cette différence capitale n’est que
la juste conséquence de la nature des choses.
Aux yeux de tout le monde, le capitaine hors du lieu
de la demeure des propriétaires est le souverain admi
nistrateur du navire. L’emprunt qu’il contracte pour les
besoins de celui-ci n’est qu’un acte d’administration.
Donc le tiers qui le consent traite avec un mandataire
capable. Sa bonne foi est présumée et doit faire main
tenir l’acte jusqu’à preuve contraire.
Celui qui achète le navire d’un capitaine sans exiger
la représentation du mandat spécial ou de la condam
nation du navire ne peut, comme le disait Valin, avoir
�ART. 2 3 7 ET 2 3 8 .
139
agi de bonne foi. Nul au monde est censé ignorer que
le capitaine n’a pas mission de vendre, de disposer de
la chose dont l’exploitation et l’administration lui sont
exclusivement confiées. Donc celui qui achète de lui en
cet état contracte sciemment et volontairement avec le
non-propriétaire. Il s’associe à l’abus de confiance du
mandataire. La morale et l’équité commandaient dès
lors qu’on lui arrachât le bénéfice qu’il a voulu s’appro
prier illégitimement. C’est ce que avec juste raison con
sacre l’article 237.
Ainsi le navire vendu contrairement à sa disposition
n’est jamais sorti légalement des mains du propriétaire.
Il peut donc le revendiquer et le saisir entre les mains
de l’acheteur, ou, si celui-ci l’avait revendu, le faire con
damner à lui en rembourser la valeur.
473.
— La vente régulière du navire ne fait cesser la
mission du capitaine que relativement à sa direction.
Ses obligations, relativement aux dépenses exigées par le
sinistre, à l’équipage et à la cargaison restant les mê
mes, ses droits demeurent après la vente ce qu’ils étaient
avant.
Il doit donc payer tous les frais auxquels le sinistre
donnera lieu, solder les salaires de l’équipage et lui te
nir compte de son droit de conduite et, quant à la car
gaison, non seulement veiller à sa conservation, mais
encore l’acheminer vers le lieu de sa destination. Il est
donc tenu d’affréter utï autre navire pour en opérer le
transport.
�140
DROIT MARITIME.
Il peut et doit, dans ce triple objet, disposer du prix
de la vente, en cas d’insuffisance, contracter un em
prunt à la grosse sur la cargaison, emprunt dont les pro
priétaires ne sauraient récuser les conséquences1.
4 7 4 . — L’article 238 est emprunté à l’ordonnance
de 1681. Il n ’est d’ailleurs que l’application des princi
pes généraux en matière de contrats.
Cet article, disait Valin, regarde le maître qui s’est
engagé envers le propriétaire du navire pour un voyage,
comme celui qui a frété le navire à un ou plusieurs char
geurs; dans l’un et l’autre cas, il est obligé de remplir
son engagement et de faire le voyage, à peine de tous
dépens, dommages-intérêts, soit envers le propriétaire,
soit envers les marchands-chargeurs2.
C’est également ce qu’on déciderait aujourd’hui. Le
capitaine qui a frété le navire s’est par cela même en
gagé envers les chargeurs à conduire leurs marchandi
ses au lieu de destination. En matière d’affrètement, on
ne se décide pas seulement par les qualités du navire,
on a les plus grands égards pour l’habileté et la répu
tation du capitaine. Il ne peut donc dépendre de celui-ci
d’enlever aux chargeurs la garantie sans laquelle peutêtre ils n’auraient pas contracté.
4 7 5 . — Mais le droit des chargeurs ne saurait em1 Rouen, 29 décembre 1831.
2 Art. 1, tit. d u C a p ita in e .
�ART. 2 3 7 ET 2 3 8 .
U1
pêcher les propriétaires d’user de la faculté que leur con
fère l’article 218. La dérogation qui ne peut valable
ment être stipulée ne saurait indirectement résulter de la
charte-partie que le capitaine avait mission et qualité
pour consentir.
Ainsi les propriétaires peuvent congédier le capitaine
avant le départ, nonobstant et malgré l’opposition que
ferait l’affréteur.
476. — Excepté le cas de congé, le capitaine ne peut
se démettre. Il est tenu d’accomplir le voyage pour le
quel il s’est engagé.
Le voyage, relativement aux chargeurs qui n’ont pas
stipulé pour le chargement de retour, est accompli par
l’arrivée du navire au port de destination.
A l’endroit des propriétaires, comme au cas où la
charte-partie est consentie pour l’aller et le retour, le
voyage n’est accompli que par la rentrée du navire au
port d’armement. Jusque-là donc le capitaine ne peut
l’abandonner, et moins encore se faire remplacer.
4 77. — Il est évident que, comme dans tous les au
tres cas, l’obligation de l’article 238 reçoit exception par
la force majeure empêchant le capitaine de remplir son
engagement. Nous renvoyons à nous occuper de cette
exception aux articles 276 et 277.
Nous nous bornons à constater ici qu’une maladie qui
empêcherait le capitaine de s’embarquer ou qui force
rait de le mettre à terre ; que son débarquement ordonné
�142
DROIT MARITIME.
par l’autorité ; que l’interdiction de commerce avec le
pays pour lequel le navire est frété seraient tout autant
de justes motifs de considérer comme rompue l’obliga
tion imposée par l’article 238. A plus forte raison, en
serait il ainsi du congé donné au capitaine ou de la sai
sie et de la vente du navire.
478.
— On a agité devant le tribunal de Marseille la
question de savoir si le lieu de destination venant à être
envahi par une épidémie, le capitaine pouvait se dispen
ser de réaliser le voyage.
Le capitaine Scarpa avait frété son navire pour un
chargement de charbon à conduire à Alexandrie. Le
chargement était en partie opéré lorsque le capitaine
apprend que le choléra avait envahi cette ville. Il sou
tient que c’est là une force majeure motivant la résilia
tion de l’affrètement, et il poursuit judiciairement cette
résiliation.
Mais cetie prétention est repoussée par le tribunal,
attendu que le cas dont le capitaine se prévaut ne se
place pas dans la catégorie de ceux prévus par les arti
cles 276 et 277 ; qu’il est même possible qu’avant l’ar
rivée du navire à Alexandrie, l’état sanitaire de cette
place se soit tellement amélioré que son abord et son
débarquement n’éprouvent aucun obstacle ; que, dans
tous les cas, il appartiendrait à la prudence du capitaine
de pourvoir à ce qu’il aurait à faire, dans l’intérêt et
pour la santé de son équipage et de sa cargaison L
1 J o u rn a l de M a rseille, 1 .12.1, 291.
�ART. 2 3 7 et 2 3 8 .
143
4 7 9 . — Le capitaine empêché légalement doit être
remplacé. L’armateur ou les propriétaires ont seuls qua
lité pour pourvoir à ce remplacement, si la force ma
jeure se réalise avant le départ.
Si la nécessité du remplacement a lieu durant le
voyage, c’est le second qui est naturellement appelé à
commander le navire, s’il a les qualités requises.
Dans le cas contraire, le capitaine est remplacé : en
France, par le commissaire des classes, à défaut des
propriétaires ou de leur fondé de pouvoirs ; à l’étranger,
par notre consul, sur la requête à lui présentée par
l’équipage ou par le consignataire du navire.
4 8 0 . — L’article 75 de l’ordonnance de 1784 sou
mettait, dans tous les cas, le capitaine qui s’était sous
trait à son devoir à une peine corporelle, indépendam
ment des dépens et dommages-intérêts. L’ordonnance
de 1681 s’était contentée de déclarer qu’il serait procédé
extraordinairement contre lui, s’il y échoit. Fidèle à la
pensée de ne statuer que sur les intérêts commerciaux,
le Code ne parle que des dépens, dommages-intérêts en
cas de violation de l’article 238. Mais le silence qu’il
garde sur la poursuite extraordinaire et sur la peine cor
porelle n’exclut ni l’une ni l’autre.
Le refus du capitaine peut être une simple inexécu
tion, et c’est cette seule hypothèse dont s’occupe le Code.
Mais ce refus peut constituer un délit, un crime, une
contravention, dont la poursuite par l’administration,
�144
DROIT MARITIME.
par le pouvoir disciplinaire ou par le ministère public
ne saurait rencontrer aucun obstacle.
Article 239.
1
Le capitaine qui navigue à profit commun sur le
chargement ne peut faire aucun trafic ni commerce
pour son compte particulier, s’il n’y a convention con
traire.
Article 240.
En cas de contravention aux dispositions mention
nées dans l’article précédent, les marchandises embar
quées par le capitaine pour son compte particulier sont
confisquées au profit des autres intéressés.
SOMMAI RE
481. Motifs de la prohibition faile au capitaine, naviguant à pro
fit commun, par l ’article 239.
482. Cette prohibition ne s ’applique pas au trafic ou commerce
que le capitaine ferait par d’autres navires que le sien.
483. Reslriclion que Valin apportait à cette règle.
484. Ne nous paraît pas devoir résulter des articles 239 et 240.
485. L’article 239 ne concerne pas le capitaine naviguant pour
une part dans le fret.
�ART. 239i ET 2 4 0 .
148
486. Il peut être dérogé à la prohibition de l'article 239. Forme
de la convention.
487. Effet de la confiscation prononcée par l ’article 240.
488. Quelle peine encourrait l ’armaleur-gérant qui aurait embar
qué dbs marchandises pour son compte personnel?
481. — La copropriété d’un navire ne constitue pas
une société, mais il en est autrement de la communion
d’intérêt dans son chargement. Celle-ci est une véritable
société. Elle met en commun la chose chargée pour s’en
partager les profits. Dès-lors, le capitaine qui navigue
pour une part dans ces profits est un véritable associé,
alors même qp’il n’apporterait que son industrie pour
toute mise de fonds.
Il y a même mieux. Le capitaine est en réalité le gé
rant de l’opération. C’est en ses mains,, en effet, que
l’entreprise est confiée, puisque c’est lui qui, transpor
tant la marchandise sur le lieu de consommation, doit
la réaliser et acheter le chargement de retour,
Or, l’associé et surtout le gérant se doit exclusivement
;i la chose sociale. Lui permettre de cumuler avec celleci un trafic, un commerce pour son compte personnel,
c’était s’exposer et l’exposer lui-même à la tentation de
sacrifier l’intérêt général à son intérêt particulier.
Cet inconvénient grave était surtout à redouter dans la
matière qui nous occupe. Le capitaine naviguant à pro
fit commun, s’il a à bord des marchandises pour son
compte particulier, vendra celle-ci de préférence ou leur
appliquera les ventes les plus avantageuses.
h
— 10
�ue
DROIT MARITIME.
En outre de ce grave préjudice, les cointéressés seront
exposés à en souffrir un autre non moins grave. Le fait
seul d’amener sur le marché éloigné une plus grande
quantité de marchandises peut et doit influer sur le
cours et faire baisser les prix, en créant une concurrence
plus ou moins forte.
La nature du mal indiquait le remède qu’il fallait em
ployer. L’interdiction faite au capitaine par l’article 239
fait disparaître tous ces inconvénients.
4 8 2 . — Toutefois, cette interdiction ne s’applique
qu’au trafic, qu’au commerce particulier que le capitaine
ferait au moyen du navire porteur du chargement so
cial. Cela résulte de l’article 240 lui-même, de la raison.
Il est évident, en effet, que celui qui participe à une
opération commerciale ne s’est pas par là interdit de faire
d’autres affaires personnelles, de s’intéresser dans d'au
tres entreprises. Ce droit appartient au capitaine comme
à chacun de ses coïntéressés. Ceux-ci pourraient sans
contredit envoyer des marchandises par d’autres navires,
le capitaine doit jouir de la même faculté.
485.
— Cependant Valin ne l’admettait qu’avec une
restriction. Il enseignait que le capitaine ne pouvait faire
le commerce, même au moyen d’autres vaisseaux, dans
le lieu de destination de son propre navire, avant ou
après son arrivée, et jusqu’à ce que toute sa cargaison
eût été vendue, par la raison qu’en agissant autrement
il ferait doublement tort à la société, en faisant baisser
�Al\T. 2 5 9 et 2 4 0 .
147
le prix des marchandises en commun pour en avoir aug
menté le nombre, en donnant, comme cela n’est que
trop naturel, plus d’attention à la vente de ses marchan
dises qu’à celles de la cargaison commune. A joindre
encore que pour l’achat des marchandises de retour la
même prédilection serait à craindre avec l’augmentation
du prix d’achatl.
4 8 4 . — C’était là, à notre avis, outrer les consé
quences du principe, et se méprendre sur l’intention du
législateur. Ce qu’il a voulu, en prohibant au capitaine
tout commerce particulier, c’est d’empêcher celui-ci
d'abuser de sa position au détriment de ses cointéressés,
qui ont dû s’en rapporter à lui, mais nullement le pla
cer, à leur endroit, dans un tel état d’inégalité qu’il lui
fût interdit de faire ce qu’il était libre à ceux-ci d’entre
prendre. Or, que chacun d’eux soit libre d’envoyer des
marchandises par d ’autres navires, même sur le marché
de destination de la cargaison commune, c’est ce qui ne
saurait être contesté. Est-ce que la concurrence pour la
revente et l’augmentation du prix d’achat de la mar
chandise de retour ne seront pas les conséquences de
cette expédition ?
Mais le capitaine préférera vendre et acheter pour
son compte particulier! Ce double inconvénient comme
la concurrence elle-même sont inévitables lorsque le
navire porteur de la cargaison commune portera égale—
i Art. 28, tit. d u C apitain e.
�148
DROIT MARITIME.
ment la marchandise particulière, du capitaine, mais ils
ne sont plus qu’une probabilité, lorsque cette dernière
est transportée sur d’autres navires.
Ceux-ci, en effet,, peuvent arriver avant ou après le
navire social. La revente des marchandises du capitaine
pourra donc être achevée ou ne commencer qu’après
celle de la cargaison commune. Dans l’incertitude d’ail
leurs du moment de l’arrivée, le capitaine aura confié
la vente de ses marchandises soit au capitaine à bord
duquel elles se trouvent, soit à un consignataire, de ma
nière qu’il n’aura pas à s’en mêler, et qu’en réalité il
ne s’en sera nullement mêlé. L’on voudrait en présence
de ces éventualités, que la loi eût autorisé la confisca
tion contre le capitaine, mais ce serait une énormité qui
n’a pu entrer dans sa pensée.
Sans doute il peut se faire que le capitaine, à son ar
rivée, trouvant sa marchandise sur le lieu, ou que la re
cevant après, s’en occupe de préférence à la cargaison
commune, mais une pareille conduite serait une viola
tion flagrante de son devoir, et le constituerait en état
de faute. Ce qui en résulterait, c’est qu’il engagerait sa
responsabilité, et que, comme dans tous les autres cas,
la preuve de sa faute l’obligerait à réparer le préjudice
que celle-ci aurait occasionné. La peine de la confisca
tion ne concerne et ne peut concerner que les marchan
dises embarquées pour son compte à bord du navire
qu’il commande.
4 8 5 . — La prohibition d’embarquer des marchan-
�art .
2 3 9 et 24.0.
149
dises pour son compte personnel ne concerne que le
capitaine naviguant à profit commun. On ne saurait
donc l’opposer à celui qui serait engagé pour une part
dans le fret. Celui-ci peut donc faire le trafic ou un
commerce au moyen du navire lui-même, à la seule
condition de se conformer aux prescriptions de l’article
251.
486.
— La disposition de l’article 239 est dans l’in
térêt unique et particulier des cointéressés au charge
ment. De là cette conséquence que chacun étant libre
de renoncer à l’avantage que la loi lui confère, ces co
intéressés peuvent abandonner le bénéfice de cette dis
position, c’est ce que la loi consacre en ne sanction
nant la prohibition que s’il n ’y a convention contraire.
Cette restriction ne figurait pas dans le premier pro
jet du Code. Elle fut réclamée par les tribunaux de com
merce de Marseille et de Bordeaux. Il n’y a aucun in
convénient, observaient-ils à laisser un peu de latitude
et il pourrait y en avoir à limiter. Or, si l’article ne s’en
explique pas, on pourrait en induire que le capitaine ne
serait jamais dans le cas d’être autorisé à trafiquer ou à
commercer pour son compte. Ces observations motivè
rent l’insertion dans l’article 239 de la clause : S’il n’y
a convention contraire.
Le législateur ne s’est pas expliqué sur la forme de
cette convention. A notre avis, elle ne peut être prouvée
que par écrit. La permission donnée au capitaine peut
être considérée comme une condition de son engage-
�150
DROIT MARITIME.
ment, et, dans ce cas, elle résulterait naturellement de
l’acte d’engagement lui-même.
Si elle n’a été consentie que postérieurement, un écrit
seul peut en déterminer le caractère et la portée. On
pourrait en effet soutenir, le fait de la permission ac
cordée étant acquis, que celte permission n’était pas
absolue; qu’elle était limitée à une certaine nature, à
une certaine quotité des marchandises, et qu’il y a lieu
à confiscation soit par la qualité de celles qui ont été
chargées, soit pour ce qui dépasse la quotité. La pru
dence fait donc un impérieux devoir au capitaine de se
procurer un titre écrit et explicite, sans le secours duquel
il pourrait succomber.
4 8 7 . — L’article 240 ne se borne pas à prononcer
la'confiscalion des marchandises embarquées à bord, au
mépris de l’article précédent. Il ajoute que cette confiscation a lieu au profit des autres intéressés.
Ainsi le capitaine perd tout droit non-seulement au
profit que pourrait rapporter ces marchandises, mais
encore à leur valeur. Celle-ci no s’ajoute pas aux pro
duits du voyage, elle forme une masse particulière dont
la répartition s’opérera entre tous les intéressés, le capi
taine seul excepté.
4 8 8 . — Il est évident qu’à l’endroit de l’article 239
il y a une analogie complète entre le copropriétaire, l’armateur-gérant et le capitaine. La prohibition d’embar
quer des marchandises pour son compte particulier doit
l’atteindre.
�ART. 2 o 9 ET 2 4 0 .
151
Il est également certain que le capitaine se trouverait
dans le cas de l’article 240, alors même qu’il aurait
chargé sous un nom supposé. L’armateur-gérant ne se
servira jamais que de ce moyen indirect, car il ne pour
rait embarquer sous son propre nom qu’en s’assurant
de la complicité du capitaine intéressé dans le profit.
Mais la simulation prouvée, quelle en sera la consé
quence pour l’armateur-gérant? Les marchandises pour
ront-elles être confisquées?
Nous ne le pensons pas. La confiscation est une véri
table peine, et, en matière de pénalité, on ne peut agir
d’un cas à un autre, quelle que soit l’analogie existant.
D’ailleurs, la position de l’armateur-gérant n’est jamais
celle du capitaine, relativement à la revente au lieu de
destination.
La peine se réduirait donc, contre l’armateur-gérant,
à l’obligation d’indemniser ses cointéressés de l’acte
illicite qu’il s’est permis. Or, quelle indemnité plus juste,
plus naturelle que celle d’attribuer à ceux-ci le profit
qu’il a voulu illégalement s’appliquer.
Nous pensons donc que le profit que produiraient les
marchandises chargées pour le compte personnel de
l’armateur-gérant devrait s’ajouter à celui de la cargai
son commune, et être comme celui-ci, réparti entre tous
les intéressés, y compris l’armateur lui-même, puisqu’il
ne peut plus s’agir de l’application de l’article 240.
Mais si la spéculation de l’armateur avait manqué, et
si, au lieu d’un bénéfice, la revente de ses marchandises
offrait une perte, cette perle resterait uniquement et ex-
�152
DROIT MARITIME.
clusivement pour son compte personnel. Ce ne serait là
qu’une juste conséquence de la Iraude qu’il a tenlé d’exé
cuter.
Article 241,
Le capitaine ne peut abandonner son navire pendant
le voyage, pour quelque danger que ce soit, sans Lavis
des officiers et principaux de l’équipage; et, en ce cas,
il est tenu de sauver avec lui l’argent et ce qu’il pourra
des marchandises les plus précieuses de son chargement,
sous peine d’en répondre en son propre nom.
Si les objets ainsi tirés ,du navire sont perdus par
quelque cas fortuit, le capitaine en demeurera déchargé.
SOMMAIRE
489. Caractère de la prohibition au capitaine d’abandonner le
navire pour quelque danger que ce soit, sans l’avis de
l’équipage.
490. Devoirs du capitaine en pareille circonstance.
4 9 1 . Comment doit être constaté l’avis de l ’équipage. Conséquen
ces du défaut de constatation.
492. Quid, si en fait le navire a péri ou a été capturé par
l’ennemi?
493. Résumé.
�ART.
241.
153
494. Obligation ducapitaine de sauver les papiers et le livre de
bord, l’argent et les marchandises les plus précieuses.
495. Pour que le capitaine soit déclaré responsable, il faut que le
sauvetage de ces objets ait été possible. Gomment et par
qui cette possibilité est reconnue ?
489.
— Les dangers au milieu desquels les marins
sont appelés à vivre leur font un devoir d’une intrépi
dité calme, d’un courage à toute épreuve. C’est surtout
chez le capitaine que ces qualités doivent se rencontrer.
Chargé de la direction du navire dans la tempête comme
dans le plus beau temps, c’est dans leur réunion qu’il
trouvera souvent le moyen de sauver la cargaison et
d’assurer le salut de l’équipage.
Celui-là donc qui, assailli par le mauvais temps, n’au
ra pas fait tout ce qu’il était humainement possible pour
atteindre ce double résultat, aurait manqué à tous ses
devoirs ; il aurait violé honteusement toutes les lois de
l’honneur si, désertant lâchement son poste, il abandon
nait son navire au moindre péril.
Notre article n’a en réalité que rappelé au capitaine
la loi sacrée du devoir. Mais ce devoir ne doit pas aller
jusqu’à la témérité. Le navire peut et doit être aban
donné si le salut de l’équipage l’exige. La conviction
seule du danger imminent qui menace celui-ci ne per
met pas d’hésiter.
Cette conviction ne doit pas être seulement celle du
capitaine, il faut qu’elle soit partagée par l’équipage luimême. Souvent, en effet, le moyen de salut qui échappe
à l’homme théorique sera indiqué par l’homme pratique.
�iU
DROIT MARITIME.
Voilà pourquoi la loi n’autorise l’abandon du navire
devant quelque danger que ce soit, que sur l’avis des
officiers et des principaux de l’équipage.
4 9 0 . — Au reste, le capitaine ne saurait s’y mé
prendre. Il ne doit pas céder à cet avis, s’il n’était pas
lui-même de cette opinion. L’obéissance aveugle et ab
solue qu’il aurait mise à l’exécuter ne pourrait être un
titre pour l’exonérer de toute responsabilité. Cet avis, dit
avec raison Valin, ne suffirait pas pour sauver le capi
taine du reproche de lâcheté, s’il y défère trop facile
ment. Il doit, en qualité de chef, avoir plus de fermeté
que les autres. Il faut qu’il combatte cet avis, le cas
échéant, qu’il exhorte ses gens à faire tous leurs efforts,
qu’il les presse, qu’il les menace, en un mot, qu’il ne
se rende que lorsque la prudence ne lui permet pas de
faire autrement. Dans ce cas même, son devoir exige
qu’il soit le dernier à abandonner le navire l.
4 9 1 . — La résolution constatant la nécessité de l’a
bandon du navire doit être recueillie sur le livre de bord
et signée par tous ceux dont elle émane. Si l’imminence
du danger n’a pas permis de remplir cette formalité,
elle doit l’être à la première occasion. Enfin, si le livre
de bord n’a pu être sauvé, le capitaine doit en dresser
le procès-verbal devant l’autorité, et ce procès-verbal
être dûment affirmé par l’équipage.
1 Art. 26, tit. d u C a p ita in e.
�ART. 2 4 1 .
IS S
À défaut de toute constatation ou en cas de constata
tion irrégulière, la nécessité de l’abandon ne serait pas
acquise, et le capitaine serait tenu personnellement de
tout le préjudice que cet abandon aurait occasionné.
492.
— Mais une telle conséquence devait paraître,
et serait en effet trop rigoureuse lorsque, en fait, la cer
titude du danger qui a motivé l’abandon ne saurait être
contestée. Par exemple, si le navire avait réellement péri
ou s’il avait été capturé par l’ennemi. Nous comprenons
donc que la Cour suprême ait pu juger le 11 février 1836
que, quand il est constant qu’un navire a été pris par
l’ennemi, le capitaine doit être déchargé de la responsa
bilité de cette perte, bien qu’il n ’ait pas fait constater
par une déclaration écrite des principaux de l’équipage
la nécessité d’abandonner le navire.
En pareille occurence, il faut dire avec le tribunal de
commerce de Marseille qu’un capitaine duit être réputé
de plein droit n’avoir abandonné son navire que par
nécessité, lorsque son consulat atteste qu’il s’est livré
à l’abandon pour cause de péril imminent, et après en
avoir délibéré avec l’équipage ;
Qu’en conséquence, le capitaine contre lequel il ne
s’élève aucun soupçon de baraterie est censé avoir fait
tout ce qu’il lui a été possible, dans la situation où il se
trouvait, et doit être exempt de tout reproche de faute,
bien que des tiers attestent qu’il aurait pu manoeuvrer
de manière à sauver le navire l.
i 27 décembre 1826 ; Journal de Marseille, t. 8, 1, 33.
�156
DROIT MARITIME.
Le tribunal, en présence d’un consulat affirmé par
l’équipage et les passagers, observe avec juste raison que
si le capitaine répond de ses fautes réelles, on ne doit pas
cependant l’accuser légèrement, et préférer des conjec
tures et des raisonnements plus ou moins spécieux, faits
hors du lieu et du moment du péril, à l’assentiment
d’un équipage nombreux et de passagers qui ont pu ap
précier le courage et les craintes du capitaine, et qui ont
été avec lui les témoins et les juges des circonstances.
4 9 3 . — Ainsi donc, le capitaine ne doit abandonner
le navire que lorsqu’il n’y a plus moyen d’assurer autre
ment le salut de l’équipage. Cette résolution doit être
constatée par un procès-verbal dont l’absence pourrait
faire révoquer en doute la nécessité de l’abandon.
Lorsque le navire a réellement péri, cette nécessité
résulte du fait lui-même. Alors la présomption est en
faveur du capitaine. Le procès-verbal est suffisamment
remplacé par le consulat indiquant le fait et les motifs
de l’abandon, alors surtout que le consulat est vérifié par
l’interrogatoire de l’équipage et des passagers.
4 9 4 . — L’abandon du navire régulièrement exécuté
impose des devoirs spéciaux au capitaine, celui notam
ment de sauver tout ce qu’il est possible d’arracher au
naufrage. Mais le législateur a compris qu’un équipage
réduit à se réfugier sur une chaloupe ou sur un canot
n’avait que des moyens de sauvetage très-bornés. Aussi
ses prévisions se sont-elles arrêtées aux objets faciles à
�ART. 2 4 1 .
187
déplacer et à transporter : l’argent d’abord, les mar
chandises les plus précieuses ensuite.
Notre article ne parle pas des papiers et du livre de
bord. Il n’est pas douteux cependant que le capitaine ne
soit tenu de le sauver avant tout. Il est tenu par son in
térêt personnel, puisqu’il aura à rendre compte de son
voyage jusqu’au moment du sinistre, et que ce compte
doit être appuyé sur les énonciations du livre de bord.
495.
— Au reste, le sauvetage n ’est prescrit que dans
le cas où il y a eu possibilité de l’opérer. La question de
possibilité, qui doit être résolue par les faits et circons
tances acquis au procès, est laissée à l’arbitrage souve
rain du juge. Sa solution sera donc nécessairement su
bordonnée à l’espèce.
Ainsi la Cour d’Aix décidait, le 19 août 1840, que
lorsque le capitaine et son équipage sont contraints par
un événement de mer d’abandonner précipitamment le
navire en danger imminent de périr, le capitaine n’est
pas responsable de la perte des sommes appartenant à
son armateur, et qu’il n’a pu sauver K
Mais le tribunal de Marseille jugeait le 18 août 1829,
et avec raison, qu’un capitaine qui, contraint par une
voie d’eau d’abandonner son navire en mer, a été re
cueilli avec son équipage à bord d’un autre bâtiment,
est en faute pour n ’avoir pas sauvé les espèces d’or et
d’argent chargées sur son navire, s’il est constant que le
1 J . du P
, ],
4 841, 622.
�158
DROIT MARITIME.
transbordement de son équipage à bord de l’autre bâti
ment a été fait en plusieurs voyages, et que pendant ce
temps il n’a requis aucune assistance pour le sauvetage
des -espèces 1.
L’exécution des prescriptions de notre article, à l’en
droit du sauvetage de l’argent et des marchandises les
plus précieuses, est donc naturellement subordonnée à
sa possibilité. En conséquence, le capitaine sera ou non
responsable, suivant que les tribunaux auront ou non
déclaré que cette possibilité a existé.
Article 242.
Le capitaine est tenu, dans les vingt-quatre heures de
son arrivée, de faire viser son registre et de faire son
rapport.
Le rapport doit énoncer :
Le lieu et le temps de son départ ;
La route qu’il a tenue ;
Les hasards qu’il a courus ;
Les désordres arrivés dans le navire et toutes les cir
constances remarquables de son voyage.
i
Journal de Marseille,
t.
\ 1,
\ , 19.
�ART.
242
A r tic le
ET
243.
139
243.
Le rapport est fait au greffe, devant le président du
tribunal de commerce.
Dans les lieux où il n’y a pas de tribunal de com
merce, le rapport est fait au juge de paix de l’arrondis
sement.
Le juge de paix qui a reçu le rapport est tenu de
l’énvoyer, sans délai, au président du tribunal de com
merce le plus voisin.
Dans l’un et l’autre cas, le dépôt en est fait au greffe
du tribunal de commerce.
SOMMAI RE
496. L’ordonnance de 1681 avait confondu les rapports avec les
congés. Observations de la Cour de Rouen sur le projet du
Code, imitant l’ordonnance. Leurs effets.
497. Obligation pour le capitaine, vingt-quatre heures après son
arrivée au lieu de destination, de faire viser son registre.
Motifs de cette formalité.
498. El de faire son rapport. Pourquoi celui-ci n'est pas suppléé
par le livre de bord?
499. Caractère des énonciations que le rapport doit contenir.
500. Les articles 242 et 243 sont-ils applicables aux capitaines
étrangers ? Dans quelles limites ?
501. Par qui et devant qui doit être fait le rapport? Où doit-il
être déposé?
�160
DROIT MARITIME.
502. On peut suppléer à son insuffisance quant à l’observation
du délai.
503. Effet de son expiration, sur le rapport ultérieur.
504. Effet de l ’omission absolue de celui-ci.
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•
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'V ’, '
V
496.
— L’ordonnance de 1681, en considération du
caractère des rapports de mer et de leur but relative
ment à l’intérêt de l’Etat), les avait confondus avec les
congés qui sont évidemment une matière purement ad
ministrative.
C’est ainsi que la commission du Code les avait envi
sagés. En conséquence, les considérant comme appelés
à prendre place dans le Code de la police maritime, elle
avait omis dans le projet les dispositions devenues les
articles 242, 243, 244 et 245 du Code.
Dans les observations qu’elle était appelée à fournir
sur le projet, la Cour de Rouen signala avec énergie et
le défaut de fondement de la confusion que faisait l’or
donnance, et l’erreur de la commission.
«: On peut, disait-elle, ne pas s’occuper des congés,
ils furent mal à propos accolés dans l’ordonnance avec
les rapports ; les congés, même vus politiquement, sont
des passeports. Il appartient donc au gouvernement de
régulariser cette partie administrative, de manière que
le pavillon national soit assuré et respecté, de manière
aussi que la fraude ne puisse se cacher sous ce voile.
» Mais il en est autrement des rapports. Ces actes-là
intéressent bien moins le gouvernement que les com
merçants, que tous ceux qui ont quelque relation avec
�ART. 2 4 2
et
243.
161
le commerce maritime. Aussi doivent-ils trouver leur
régime dans la loi projetée.
» En effet, les capitaines de navire sont des voituriers
maritimes; à ce litre, ils sont dépositaires nécessaires
de la fortune publique.
» Le transport qu’ils en font les expose eux, leurs
équipages, leurs navires et leurs cargaisons à des événe
ments plus ou moins considérables qui, par leur cause
ou par leur nature, produisent des effets différents à
l’égard des divers intéressés au navire ou à la cargaison;
c’est une vérité reconnue dans le projet même, puisqu’il
distingue telle, avarie de telle autre, et puisqu’il donne
à chaque espèce une vertu particulière.
» De là on doit pressentir la nécessité que les capi
taines constatent les accidents qui leur surviennent pen
dant le cours de leur voyage, désignent les lieux où ils
les ont éprouvés, indiquent les causes de ces accidents,
rendent compte de la conduite qu’ils ont tenue à cette
occasion, et des dommages visibles qui en sont résultés.
» Il est encore essentiel que les rapports soient dépo
sés et affirmés au lieu de la destination, même au pre
mier port où le capitaine abordera, afin de saisir la vé
rité dans son premier jet ; car, c’est sur les rapports vé
rifiés, selon les besoins, que se règlent les droits et les
risques de tous intéressés. »
Ces observations, qui donnèrent naissance aux articles
242, 243, 244 et 245, en exposent très-clairement les
motifs. Nous n’avons donc plus qu’à rechercher le mode
ii —
\\
�162
DROIT
MARITIME.
de leur exécution et les effets qui naissent de celle-ci ou
de son défaut.
4 9 7 . — Vingt-quatre heures après son heureuse ar
rivée au port ou en rade du lieu de sa destination, le
capitaine doit faire viser son livre de bord. En admet
tant l’obligation, la section n’avait déterminé aucun dé
lai, c’est le conseil d’Etat qui, conformément aux pres
criptions de l’ordonnance de 1681, le fixa à vingt-quatre
heures. Ce délai court du moment où le navire a jeté
l’ancre soit dans le port, soit dans la rade.
L’objet qu’on se proposait de cette formalité exigeait
en effet qu’elle fût remplie dans le plus bref délai. Le
livre de bord est en réalité le seul témoin qui puisse être
utilement consulté sur certaines circonstances de la navi
gation. Il importait donc d’empêcher qu’on ne pût après
coup en dénaturer ou en modifier les énonciations, sui
vant l’intérêt du moment. L’obligation de le faire viser
dans les vingt-quatre heures répondait parfaitement à
ce besoin.
Le visa du registre appartient à l’autorité qui doit le
coter et parapher au départ. C’est donc à l’un des juges
du tribunal de commerce, ou à défaut au maire ou à
l’adjoint qu’il doit être demandé. C’est du consul, viceconsul ou agent français qu’il doit émaner, si le navire
arrive dans un port étranger.
4 9 8 . — Dans le même délai de vingt-quatre heures,
le capitaine doit faire son rapport, la représentation du
�ART.
242
et
243.
163
livre de bord ne dispense pas de faire le rapport par
deux raisons, dit M. Locré : 1° parce que le rapport est
plus étendu que le registre, car, dans celui-ci, le capi
taine n’exprime que ce qui concerne sa comptabilité, le
fait de sa charge et les résolutions prises pendant la tra
versée, au lieu que son rapport doit contenir tout l’his
torique de son voyage ;
2° Parce que le rapport, qui est ensuite vérifié, de
vient le contrôle du registre dans ce que celui-ci énonce.
Ajoutons qu’à son tour le registre peut utilement servir
à contrôler le rapport.
499.
— Les énonciations que le rapport doit contenir
sont empruntées à l’ordonnance. Elles ont un triple
objet : l’intérêt particulier du capitaine, celui de l’Etat,
celui de la navigation.
C’est au premier point de vue, enseigne M. Locré, que
la loi oblige le capitaine à déclarer le temps et le lieu de
son départ, la route qu’il a tenue, les hasards qu’il a
courus. Il importe en effet au capitaine d’établir qu’il a
pris la route la plus directe, et qu’il ne s’en est jamais
écarté ; que les retards que son voyage a subis sont dus
à une fortune de mer. Sa responsabilité serait grave
ment engagée s’il n’avait pas suivi la ligne droite, s’il
était revenu sur ses pas, ou s’il s’était écarté à droite ou
à gauche, enfin si les retards n’étaient imputables qu’à
sa négligence.
C’est dans l’intérêt de l’Etat et dans celui de la navi
gation elle-même qu’on exige du capitaine de déclarer
�464.
DROIT MARITIME.
dans son rapport les désordres arrivés dans le navire et
les circonstances remarquables dé son voyage. La pru
dence peut l’avoir porté à fermer les yeux sur les excès
commis par l’équipage et l’avoir empêché de les repri
mer. Or l’intérêt public en exige la répression pour ne
pas encourager les coupables et ceux qui seraient tentés
de les imiter. L’indication contenue dans le rapport ren
dra cette répression facile, en mettant l’autorité en me
sure de la poursuivre.
500.
— On peut voir dans l’article 40 de l’ordon
nance du 29 octobre 1833 ce que la loi entend par les
circonstances remarquables dont le capitaine doit rendre
compte. La plupart d’entre elles touchent si évidemment
à la police générale et à la sécurité de l’Etat, qu’on s’ex
plique pourquoi l’ordonnance de 1681 et la première
commission avaient considéré la disposition de notre ar
ticle comme une loi de police et de sûreté. De là celte
conclusion que Yalin avait expressément enseignée, que
l’obligation qu’elle créait était imposée aux capitaines
étrangers comme aux capitaines français eux-mêmes.
Ce qui résultait de cette conclusion, c’est que les ca
pitaines étrangers devaient s’adresser au président du
tribunal de commerce, et, à défaut, au juge de paix ;
que les rappports par eux faits devant les consuls de
leur nation étaient insuffisants. On défendait donc par
l’article 242 ce qu’on permettait aux capitaines français
de faire par l’article 244.
Cette anomalie pouvait jeter du trouble dans nos rela-
�ART.
2 4 2 ET 2 4 3 .
163
dons commerciales avec les autres nations Elle avait
d’ailleurs provoqué de justes réclamations. Aussi étaitelle repoussée en 1833 par une circulaire concertée en
tre les ministres de la justice et des affaires étrangères,
prescrivant de considérer comme valables les rapports
faits par les capitaines étrangers devant les consuls de
leur nation.
Mais une circulaire ne peut abroger une loi, elle n’en
est pas même l’interprétation législative ou judiciaire.
Aussi le tribunal de Marseille, convaincu du caractère
de l’article 242 et de son application aux capitaines
étrangers, avait-il, par deux jugements, annulé le rap
port qu’un capitaine américain avait fait devant le con
sul des Etat-Unis à Marseille, et condamné ce capitaine
à supporter personnellement certaines avaries que son
chargement avait éprouvées.
L’un de ces jugements étant appellable fut déféré à la
Cour d’Aix. L’autre étant rendu en dernier ressort, fut
frappé d’un pourvoi devant la Cour de cassation.
Le 21 août 1845, la Cour d’Aix infirma le jugement
du tribunal de Marseille, l’arrêt décide que les articles
242 et 244 ne doivent pas être appliqués aux capitaines
étrangers; en conséquence, que les rapports faits par
ceux-ci devant leur consul sont valables, alors surtout
que dans leurs pays les capitaines français sont admis à
faire le leur devant le consul françaisx.
Cet arrêt fut à son tour déféré à la Cour de cassation,
�166
DROIT MARITIME.
qui fut dès lors eu mesure et en demeure d’opter pour
l’un ou l’autre système.
Par deux arrêts du 23 novembre 1847, la Cour s u
prême se prononce pour la validité des rapports, et l’in
applicabilité des articles 242 et 243 aux capitaines
étrangers. En conséquence, elle casse le jugement du
tribunal de Marseille, et rejette le pourvoi formé contre
l’arrêt d’Aix l.
•
Le système de la Cour de cassation s’écarte de l’avis
de Valin sous l’empire de l’ordonnance, mais comme le
faisait remarquer un arrêt de la Cour d’Aix, du 14 mars
1840, cet avis ne peut être suivi depuis la nouvelle or
ganisation des pouvoirs en France, nos lois actuelles
n ’ayant transporté aux tribunaux de commerce aucune
des attributions de police dont l’ordonnance investissait
les anciennes amirautés.
Dans ce même arrêt de 1840, la Cour d’Aix consacre
une validité relative, elle n’accorde aux rapports faits
par le capitaine étranger devant son consul que la même
foi que celle que l’on reconnaît dans son pays aux rap
ports de nos capitaines devant le consul français. Il est
certain, dit-elle, que s’il était établi que les rapports de
vant le consul français n’étaient pas acceptés dans le pays
à la pleine décharge ne nos capitaines, les tribunaux
français ne dussent déclarer insuffisants ceux faits en
France devant le consul de ce pays ; que si l’intérêt ducommerce et les bonnes relations de peuple à peuple
�ART.
242
et
243.
167
*
•
nous font une loi d’accorder aux étrangers ce qu’ils
nous accordent à nous-mêmes, nous devons craindre
aussi de nous montrer moins jaloux qu’eux de notre
juridiction nationalel.
La question s’est depuis présentée de nouveau : un
capitaine américain d’entrée au Havre avait, malgré
l’opposition des consignataires du chargement, fait son
rapport devant son consul, et obtenu de lui la désigna
tion d’experts qui, après vérification, avaient constaté le
bon état de l’arrimage. La nullité de ces actes ayant été
poursuivie judiciairement, était prononcée par le tribu
nal de commerce de cette ville.
« Aux termes de l’article 14 du Code civil, disait en
tre autres le jugement, il est de principe que l’étranger
qui consent avec un français un contrat qui doit rece
voir son exécution en France, se soumet par cela même,
à l’avance, aux lois et à la juridiction françaises; l’insti
tution des consuls a eu pour but d’assurer aide et pro
tection, en pays étrangers, aux sujets de leur nation ; là
où ils exercent leurs fonctions, toute leur sympathie est
assurée à leurs concitoyens dont ils sont les tuteurs na
turels, tandis que le rôle des tribunaux est une stricte et
sévère impartialité, on comprend donc que notre légis
lateur ait préféré faire intervenir ceux-ci ; au surplus,
l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 1847,
se borne à dire que le consul étranger a le droit de rece •
voir le rapport d’un capitaine de sa nation, mais ne va
i
J . du P ., 2, 1 8 4 0 , 7 9 .
■'j
�J68
DROIT
MARITIME.
pas jusqu’à reconnaître à ce même consul le droit de
nommer des experts; cet arrêt au contraire déclarant que
l’acte du consul étranger qui reçoit un rapport, n’est pas
un acte de juridiction, implique de toute évidence l’in
terdiction à ce même consul d’aller plus loin et de faire
acte de juridiction en empiétant sur les attributions des
tribunaux de commerce, seuls aptes et compétents pour
ordonner et régler les mesures destinées à servir de bases
à une action judiciaire, et à en former le point de dé
part ; le pouvoir donné aux tribunaux de commerce par
l’article 247 de recevoir l’affirmation des gens de l’équi
page et des passagers, constitue un acte de juridiction
qui, en France, ne saurait être exercé que par le juge
institué par le gouvernement. »
Dès l’instant que le jugement admettait que la récep
tion du rapport de mer n’était pas un acte de juridic
tion, il ne pouvait assigner ce caractère à la nomination
d’experts et à l’interrogatoire des gens de l’équipage et
des passagers, sans repousser les conséquences du prin
cipe qu’il reconnaissait. L’une et l’autre de ces mesures
sont en effet le complément nécessaire et forcé du rap
port, à tel point que sans leur accomplissement ce rap
port n’aurait aucune force probante.
Ainsi, aux termes de l’article 247 du Code de com
merce, les rapports non vérifiés ne sont point admis à
la décharge du capitaine, et ne font point foi en justice.
La vérification du rapport est donc d’une nécescité ab
solue; et cette vérification ne pouvant résulter que de
l’interrogatoire des gens de l’équipage et, s’il y a lieu
�ART. 2 4 2
ET 2 4 3 .
169
des passagers, comment.^énier ou contester le droit d’y
procéder à celui qui est valablement appelé à recevoir le
rapport? Qui oserait par exemple soutenir que le consul
français recevant à l’étranger le rapport de mer d’un de
nos capitaines, peut se dispenser d’entendre soit les gens
de l'équipage soit les passagers? mais alors comment
l’interdire au consul étranger recevant en France le rap
port des capitaines de sa nation ?
La nomination d’experts n’est pas moins forcée : l’ar
ticle 244 veut que le capitaine faisant son rapport de
vant le consul, se fasse délivrer un certificat constatant
l’état et la nature de son chargement. Or, comment le
consul procédera-t-il à cette délivrance si ce n’est en
chargeant des hommes du métier de faire cette vérifica
tion et de lui en rendre compte?
Ce qui résulte invinciblement de ces dispositions de
notre loi commerciale, c’est qu’on ne saurait trouver un
acte de juridiction ni dans la désignation d’experts char
gés de vérifier et de constater l’état de l’arrimage, ni
dans l’interrogatoire des gens de l’équipage et des pas
sagers. Il est évident, en effet, que notre législateur n’a
pu avoir l’intention d’empiéter sur les attributions des
tribunaux étrangers ; donc s’il a chargé nos consuls de
procéder à ces mesures au lieu de leur résidence, ce n’a
pu être que par le motif qu’elles ne sont en réalité que
des actes conservatoires qui ,n’attentent à aucun droit,
puisque les parties peuvent toujours les discuter, et les
juges n ’en tenir aucnn compte.
Dans tous les cas, nos consuls étant à l’étranger aptes
�170
DROIT MARITIME.
et compétents pour y procéder, les consuls étrangers
doivent l’être en France : nous ne saurions interdire
aux autres de faire chez nous ce que nous entendons
faire chez les autres.
Sans doute les consuls n’offrent pas les garanties d’im
partialité qu’on attend des tribunaux réguliers, mais ce
qui est vrai en France pour les consuls étrangers, ne
l’est pas moins à l’étranger pour les consuls français, et
les reproches qu’on fait aux premiers s’appliquent in
contestablement à ceux-ci; d’ailleurs le danger qui naî
trait de cette absence d’impartialité ne serait à redouter
que si les mesures prises d’autorité des consuls étaient
définitives et liaient les parties et les juges. Or le prin
cipe contraire est admis sans contestation, et la Cour
de cassation qui le consacrait dans ses arrêts de 1S47,
va le consacrer non moins explicitement dans son nou
vel arrêt du 26 février 1851.
En effet, le jugement du tribunal de commerce du
Havre étant en dernier ressort, était directement déféré
à la Cour suprême qui, après délibération en chambre
du conseil, en prononçait la cassation par les motifs
suivants :
« Vu l’article 243 du Code de commerce ;
» Attendu que si, conformément à cet article, les ca
pitaines des navires français doivent faire leur rapport
de mer devant le président du tribunal de commerce,
les capitaines des navires étrangers abordant dans un
port de France, peuvent, à l’exemple des capitaines fran
çais qui abordent dans un port étranger, faire ce rap
port devant le consul de leur nation ;
�» Que, si ce rapport fait devant le consul étranger
en France, est produit devant les tribunaux français, il
appartient aux juges de l’apprécier pour y avoir tel
égard que de raison, mais qu’il ne saurait par cela seul
qu’il a été fait devant un consul étranger, être déclaré
nul et illégal ;
» Que l’acte du consul étranger qui reçoit ce rapport
n’est pas un acte de juridiction, mais un acte d’inter
vention consulaire, de la nature de ceux qu’autorisent
et que protègent les relations internationales et le droit
des gens ;
» Qu’il ne détermine pas le règlement de l’avarie,
qu’il peut être débattu par tous les éléments contraires,
et qu’en conséquence le tribunaux français conservent
l’indépendance de leur juridiction ;
» Qu’on ne doit pas non plus regarder comme un
acte de juridiction la nomination d’un expert par le con
sul étranger ou l’enquête qu’il ouvre pour entendre des
témoins, ces divers actes n’étant également que des do
cuments extrajudiciaires pour lesquels le consul n’a au
cun droit de coercition légale, et qui, de même, n’ont
pas l’autorité d’un acte de juridiction K »
501.
Le rapport doit être fait par le capitaine en
personne, il doit êtré rédigé avec d’autant plus d’exac
titude et de soin qu’il va devenir la base des actions à
exercer contre le capitaine, et des exceptions qu’il aura
�172
DROIT MARITIME.
à opposer. Cette considération a nécessairement influé
sur le choix de-l’autorité appelée à le recevoir.
C’est au greffe du tribunal et devant le président qu’il
doit être fait; il importe peu que le tribunal siégeant
dans la localité soit un tribunal de commerce propre
ment dit, ou un tribunal civil jugeant commercialement.
Le juge de paix n’est compétemment appelé à recevoir
le rapport qu’en l’absence de l’un et de l’autre.
Dans tous les cas, l’objet du rapport indiquait qu’il
devait être conservé dans un dépôt public, pour être à la
disposition de toutes les parties. C’est pourquoi l’article
243 prescrit qu’il soit déposé au greffe du tribunal par
le président duquel il a été reçu. C’est également à ce
magistrat que le rapport reçu par le juge de paix doit
être transmis. Cette transmission, le juge de paix est tenu
de l’effectuer immédiatement et sans délai au président
du tribunal de commerce le plus voisin, qui en opère le
dépôt au greffe.
502.
— L’observation du délai prescrit par l’article
242 doit résulter des énonciations du rapport luimême, mais il peut être suppléé à l'insuffisance de ces
énonciations. Ainsi, la Cour de cassation décidait, le 3
juillet 1839, que l’observation de l’article 242 pourrait
s'induire des documents et pièces que le capitaine pro
duirait 1.
Nous verrons, en nous occupant de l’article 247,
�ART. 2 4 2
ET 2 4 5 .
175
l’autorité qui s’attache au rapport régulier du capitaine,
il ne nous reste qu’à dire un mot des effets de l’inob
servation des articles 242 et 243.
Cette inobservation peut être totale, comme si le ca
pitaine a complètement omis de faire son consulat ; par
tielle, si cette formalité n’a été remplie qu’après l’expi
ration du délai de vingt-quatre heures.
50 3 .
— Dans cette dernière hypothèse le rapport n’a
pas l’autorité que sa régularité lui confère, mais les tri
bunaux sont libres de l’admettre et de le reconnaître
sincère et obligatoire. Sans doute, il a été dans l’inten
tion de la loi d’obliger le capitaine à agir dans les vingtquatre heures, mais cette intention manque de sanction
pénale, l’article 242 ne prononce pas la peine de nullité.
Dès lors, tout ce qui peut résulter de son inobserva
tion c’est que le rapport ne fera pas, de lui-même et de
plein droit, foi de ce qu’il contient jusqu’à preuve con
traire, on pourra le rejeter même en l’absence de cette
preuve, mais les circonstances pourront amener un ré
sultat contraire et autoriser les juges à l’admettre. C’est
ce que la Cour de Rouen a expressément jugé le 26 dé
cembre 1841 1.
504.
— L'omission absolue de tout rapport enga
gerait la responsabilité du capitaine, tout le dommage
souffert par le navire et la cargaison serait réputé pro1 J.
du P., 2, 4842, 649.
�174
DROIT MARITIME,
venir de sa négligence ou de sa faute. Il en serait donc
personnellement tenu, sauf la preuve de la force majeure
résultant du livre de bord ou de tous autres documents
produits par lui.
Mais cette omission n’engagerait nullement la respon
sabilité des propriétaires ou armateurs. Nous avons déjà
rappelé sur ce point la jurisprudence des cours d’Aix et
de Bordeaux, ainsi que celle de la Cour de cassation l.
Donc le défaut de rapport, imputable au capitaine
seul, n’oblige que lui. Avaries et déficit des marchandi
ses seraient à sa charge personnelle, à moins qu’il ne fût
certain, comme dans l’espèce jugée par la Cour d’Aix,
qu’on ne dût les imputer au vice propre de la chose.
Article 244.
Si le capitaine aborde dans un port étranger, il est
tenu de se présenter au consul de France, de lui faire
un rapport, et de prendre un certificat constatant l’épo
que de son arrivée et de son départ, l’état et la nature
de son chargement.
Article 245.
Si, pendant le cours du voyage, le capitaine est obli
gé de relâcher dans un port français, il est tenu de dé-
�ART. 2 4 4 ,
2 4 8 ET 2 4 6 .
178
clarer au président du tribunal de commerce du lieu les
causes de sa relâche.
Dans le lieu où. il n’y a pas de tribunal de commerce,
la déclaration est faite au juge de paix du canton.
Si la relâche forcée a lieu dans un port étranger, la
déclaration est faite au consul de France, ou, à son dé
faut, au magistrat du lieu.
A r tic le 24 6 .
Le capitaine qui a fait naufrage, et qui s’est sauvé
%
seul, ou avec partie de son équipage, est tenu de se pré
senter au juge du lieu, ou, à défaut de juge, devant
toute autre autorité civile; d’y faire son rapport, de le
faire vérifier par ceux de son équipage qui se seraient
sauvés et qui se trouveraient avec lui, et d’en lever l’ex
pédition.
SOMMAIRE
505. Obligation pour le capitaine qui aborde dans un port étran
ger de se présenter au consul et de faire son rapport.
506. Délai assigné à l ’accomplissement de cette formalité.
507. Enonciations que doit renfermer le rapport.
508. Gonséquences de son omission.
509. Caractère de la relâche forcée. Conséquences. Devoirs qu’elle
impose au capitaine.
510. Autorité appelée â recevoir l ’indication des causes de la re
lâche. Conséquences sur l’innavigabilité et la vente du
navire.
�17 6
DROIT MARITIME.
511. Le rapport fait à l’étranger devant nn notaire serait-il
suffisant.
512. Dans quel délai doit être faite la déclaration des causes de la
relâche ?
513. Présomption qui naît de son omission. Caractère.
514. Devoirs imposés au capitaine, en cas de naufrage.
515. Délai dans lequel il doit être accompli.
516. Nécessité d’interroger l’équipage ou ceux qui sè sont sauvés
avec le capitaine. Pourrait-on le faire plus ou moins long
temps après le rapport ?
517. Objet du devoir fait au capitaine de prendre expédition de
son rapport.
505.
— Les voyages au long cours ont nécessaire
ment pour destination un port étranger; dans lequel
sera déchargée la marchandise prise au port du départ.
Le retour peut indifféremment s’opérer soit pour un port
français, soit pour un port étranger.
Dans tous les cas, et quelle que soit la destination du
navire, il est bon, ainsi que nous venons de le voir, que
le capitaine fasse devant l’autorité le récit de sa naviga
tion et en explique la nature, les articles 242 et 243 rè
glent la forme qu’il doit suivre lorsqu’il arrive dans un
port français.
L’article 244 règle les obligations du capitaine arri
vant dans un port étranger ou en partant.
Il doit à l’arrivée se présenter au consul français, de
mander la constatation de l’époque de son entrée au
port, de l’état et de la nature de son chargement, et lui
faire son rapport.
�ART. 2 4 4 ,
2 4 5 ET 2 4 6 .
177
506.
— Les motifs qui faisaient exiger, en France,
que le rapport fût fait dans les vingt-quatre heures, ne
perdaient rien de leur gravité de ce que ce rapport de
vait se faire à l’étranger. Aussi a-t-on toujours consi
déré le délai de l’article 242 comme obligatoire dans
l’hypothèse de l’article 244. C’est, au reste, ce qui a été
depuis formellement prescrit par l’article 10 de l’ordon
nance du 29 octobre 1833.
Cet article est même beaucoup plus explicite que le
Code sur les énonciations du rapport. On peut se con
vaincre, en le parcourant, que les distances n’affaiblis
sent en rien la surveillance que l’Etat s’est réservée dans
l’intérieur sur tout ce qui peut concerner la sûreté de la
navigation et l’intérêt de l’Etat lui-même.
507.
— Ainsi le capitaine doit déclarer : les nom,
tonnage et cargaison du navire ; les nom et domicile de
l’armateur et de l’assureur, s’il les connaît ; le port de
l’armement ou celui d’où le navire est parti ; la route
qu’il a tenue ; les relâches qu’il aura faites pour quelque
cause que ce soit ; les accidents qui auraient pu arri
ver pendant la traversée; l’état du bâtiment; les avaries,
les ventes de marchandises ou les emprunts qu’il aura
pu faire pour les besoins du navire ; les achats de vivres
et autres objets nécessaires auxquels il aurait été
contraint.
L’ordonnance de 1833 ajoute : le rapport du capi
taine doit énoncer en outre :
Les moyens de défense du bâtiment, l’état des victuii —
12
�178
DROIT MARITIME.
ailles existant à bord, la situation de la caisse des mé
dicaments ;
Les écueils qu’il aurait découverts, ou dont il aurait
découvert le gisement, les vigies, phares, balises, tonnes
qu’il aurait reconnus, ou dont l’établissement ou la sup
pression serait parvenu à sa connaissance ;
Les navires ou barques abandonnés qu’il aurait ren
contrés, et les objets pouvant provenir de jets, bris ou
naufrages qu’il aurait recueillis ou aperçus ;
Les flottes, escadres, croisières françaises et étrangè
res, les navires de tout genre suspects ou outres, les cor
saires ou pirates qu’il aurait rencontrés, les bâtiments
avec lesquels il aurait raisonné, les faits qui lui auraient
été annoncés dans ces communications ;
Les changements apportés aux règlements de santé,
de douane, d’ancrage dans les ports où il a relâché ;
enfin tout ce qu’il aurait appris qui pourrait intéresser
le service public et la prospérité du commerce français.
508.
— L’ordonnance de 1833 exige beaucoup d’au
tres choses dont nous n’avons pas à nous occuper. L’in
observation qu’en ferait le capitaine entraînerait contre
lui une peine disciplinaire, et c’est dans cet objet que
le consul doit la signaler au ministre des affaires étran
gères et de la marine.
Quant aux armateurs ou chargeurs, il est évident que
l’omission du rapport, dans l’hypothèse de l’article 244,
aurait pour le capitaine des effets analogues à ceux que
produirait l'inexécution de l'article 242.
�art.
211, 245
et
246.
179
5 0 9 — Une relâche esl luujaurs un fait grave dans
la navigation d’un navire. En principe, le capitaine est
obligé de suivre la route directe du point de départ à
celui d’arrivée. Il serait présumé faire fausse route si,
sans nécessité aucune, il entrait dans un port quelcon
que, fût-il sur sa route, sans y être autorisé par la chartepartie.
Il serait donc responsable non-seulement du retard
mis au voyage, du préjudice que le navire pourrait
éprouver soit à l’entrée, soit à la sortie du port, des frais
du séjour, mais encore du naufrage si, en déroutant, le
navire rencontrait un écueil que la route directe devait
lui faire éviter.
Il y a même mieux. Ce naufrage peut être occasion
né par le simple retard. Il pourrait se faire, en effet,
qu’il ne soit que le résultat d’une tempête, d’un ouragan
qui a assailli le navire à une époque où, sans le temps
perdu, il aurait pu être en sûreté dans le port de desti
nation.
Cependant, une relâche peut être commandée par une
nécessité invincible, une tempête, une poursuite de l’en
nemi, une voie d’eau subite et imprévue, le manque de
vivre ou d’eau ; en un mot, tout péril imminent, toute
force majeure qui commanderait d’interrompre le cours
de sa navigation légitimerait l’acte du capitaine et l’exo
nérerait de la responsabilité quant aux événements ul
térieurs ou actuels.
On ne pouvait méconnaître ces éventualités ni refuser
au capitaine la faculté de s’y soumettre. Il peut donc
�180
'
DROIT MARITIME.
céder à la nécessité ; seulement cette nécessité doit être
réelle. Il faut que les parties intéressées soient mises à
même de la vérifier, de la discuter. C’est pour arriver à
ce résultat qu’on exige du capitaine la déclaration des
causes de sa relâche.
5 1 0 . — L’autorité appelée à recevoir cette déclara
tion est : en France, le président du tribunal de com
merce d’abord, à défaut, le juge de paix ; à l’étranger,
le consul ou agent français, à défaut, le magistrat de la
localité.
De là cette conséquence que le consul ou le magistrat
de la localité ont, pour les résultats ultérieurs de la
relâche, les pouvoirs que les tribunaux de commerce ou
le juge de paix exercent en France. Or, ces résultats
peuvent n’être rien moins que l’innavigabilité du navire,
soit que les avaries occasionnant la relâche ne puissent
être matériellement réparées, soit que la dépense à faire
dût excéder ou égaler presque la valeur du navire ré
paré Dès-lors, toutes les formalités pour la constatation
de l’innavigabilité et la condamnation du navire doi
vent être remplies devant le consul ou le magistrat de la
localité, et la vente faite sur leur autorisation ne pour
rait être querellée l.
5 1 1 . — L’article 245 autorise-t-il le capitaine à
emprunter à l’étranger le ministère d’un notaire de la
�ART. 2 4 4 , 2 4 5 , ET 2 4 6 .
181
localité, à défaut de consul ou de tout autre agent fran
çais? L’affirmative ne pourrait être admise que si l’au
torité du lieu avait formellement refusé son ministère.
Il est évident que ce refus constituerait un cas de force
majeure dont le capitaine ne pourrait supporter les con
séquences. C’est ainsi que, dans son arrêt du 18 mai
1834, la Cour de cassation a fait résulter dans un cas
semblable l’innavigabilité, et par suite la validité de la
vente du navire, de lettres écrites par le capitaine et par
le lieutenant et de la déclaration des gens de l’équipage.
Mais on comprend que l’allégation par le capitaine
d’un pareil refus ne suffirait pas. C’est là, en effet, un
acte que l’usage invariable de la navigation rend peu
vraisemblable. Il faudrait donc que celte allégation fût
appuyée de documents qui en attesteraient la véracité,
par exemple, des attestations des maisons françaises
établies sur la localité, ou des capitaines européens an
crés dans le port.
En l’absence de documents de ce genre, on devrait
imiter la Cour de Paris et juger, comme elle, que le rap
port sur les causes de la relâche fait devant un notaire
ne pourrait être accepté à la décharge du capitaine L
512.
— La déclaration des causes de la relâche doit
être faite dans le plus bref délai. La nature des choses
ne permettait pas d’en déterminer un, pas même celui
de vingt-quatre heures.
i 8 avril 1839; J. du P., 1,1839, 476.
�182
DROIT MARITIME.
D’une part, en effet, la relâche peut ne pas se prolon
ger jusque-là. Le capitaine est tenu de reprendre la mer
dès que la cause qui a nécessité la relâche a cessé. Ce
pendant, ne fût-il resté que quelques heures dans le
port, il n ’en est pas moins obligé à en déclarer les cau
ses ; c’est ce qui résulte de l’esprit de la loi, c’est ce qui
s’induit formellement de l’article 12 de l’ordonnance du
29 octobre 1833.
D’autre part, le capitaine se devant tout d’abord à son
navire et a sa cargaison, peut être tellement absorbé par
les soins qu’exige leur sûreté, qu’il ne puisse s’acquitter
dans les vingt-quatre heures de l’obligation de faire la
déclaration qui lui est prescrite.
L’injustice d’une peine aussi grave que celle de la res
ponsabilité, dans ce dernier cas, en a lait proscrire l’ap
plication. Il est donc admis, en jurisprudence, que le
délai de l’article 242 ne devait être rigoureusement ob
servé qu’au cas d’entrée spontanée dans un port de des
tination, qu’il n’était pas prescrit pour les cas de relâche
forcée ou de naufragel.
513.
— L’inobservation de la formalité prescrit^ par
l’article 245 entraînerait contre le capitaine, la présomtion que la relâche a été volontaire et le constituerait en
état de faute. Mais cette présomption céderait à la preuve
contraire résultant de documents publics et incontesta
bles, recueillis au moment même de la relâche.
1 Cass., 1*r septembre IS IS ; Rennes, 12 juillet 4816.
�art. 2 4 4 ,
2 4 5 et 2 4 6 .
185
Tels seraient, par exemple, le rapport fait parle capi
taine constatant que le mouillage de son navire a eu
lieu pour compléter ses vivres K
La déclaration par lui faite au bureau de la douane,
et attestée par les employés de cette administration, qu’une
voie d’eau s’était déclarée dans le navire2.
514.
— Les devoirs imposés au capitaine arrivant à
sa destination, ou relâchant devant un imminent dan
ger, étaient plus pressants encore dans l’hypoihèse d’un
naufrage. Plus le sinistre est complet, plus ceux qu’il at
teint devaient être mis à même d’en connaître les cau
ses, de les apprécier, et de juger la conduite du capitaine.
L’article 246, dit M. Locré, complète le système de pré
cautions établi par les articles précédents, depuis et y
compris l’article 242.
Le capitaine qui a fait naufrage et qui s’est sauvé
seul ou avec partie de son équipage est donc tenu de se
présenter devant le juge, ou, à défaut, devant l’autorité
civile du lieu et de faire son rapport. Ce rapport doit
contenir l’historique du voyage, la nature du péril que
le navire a couru, les manœuvres ordonnées, les résul
tats. Ce rapport doit être affirmé par les membres de
l’équipage qui se sont sauvés et qui se trouvent avec le
capitaine.
L’article 246 ne s’occupe pas nommément du nau1 Rennes, 12 juillet 1816.
2 Caen, 5 janvier 1845; J. du P., 1, 1845, 736.
■
�184
DROIT MARITIME,
frage à l’étranger. Mais il n’est pas douteux que dans
son intention les formalités qu’il trace ne dussent être
remplies devant le consul ou devant le magistrat de la
localité. Au reste, ce point se trouve aujourd’hui régle
menté par l’article 17 de l’ordonnance de 1833.
5 1 5 . — Aucun délai n’a été et ne pouvait être assi
gné pour l’accomplissement du devoir imposé au capi
taine. Ce que nous disions tout à l’heure du cas de re
lâche est surtout vrai dans l’hypothèse d’un naufrage.
Le capitaine se doit tout entier à son équipage, à son
navire, à sa cargaison. 11 aurait tort de quitter la plage,
tant qu’il peut raisonnablement espérer sauver quelqu’un
ou quelque chose.
Mais ce devoir rempli, et dès son entrée dans un lieu
habité, le capitaine doit se présenter immédiatement à
l’autorité et faire son rapport. La preuve que telle est
l’intention de la loi, c’est que l’article 246 appelle l’au
torité civile elle-même à substituer le juge de paix du
canton ; ce qui annonce que l’obligation du capitaine
ne comporte ni délai, ni retard.
5 1 6 . — Le capitaine doit être accompagné des mem
bres de l’équipage qui se sont sauvés et qui se trouvent
avec lui. L’autorité qui reçoit son rapport interroge éga
lement ces derniers, dont l’affirmation est essentielle
pour la validité et la régularité du rapport.
Cette affirmation doit être instantanée. Celle qui serait
recueillie plus tard serait insuffisante et nulle, à moins
�ART.
244, 243
et
246.
183
'•
qu’il ait été impossible d’agir autrement. Par exemple,
dans l’hypothèse prévue par Emérigon, un capitaine
s’étant présenté seul après la perte du navire et la dis
persion de son équipage, n’a pu faire vérifier son rap
port par personne. Arrivé plus tard au lieu du reste ou de
l’armement, il dépose l’expédition de son consulat non
vérifié, puis il apprend la présence, dans la localité, de
quelques-uns de ses marins ; il les appelle devant le juge
qui reçoit leur déposition.
La légalité de cette opération, son utilité, quelque in
tervalle qui la séparât du sinistre, seraient d’autant plus
incontestables, que la loi ne l’exige pas. Le capitaine
n’est pas tenu de faire vérifier son rapport lorsqu’il s’est
sauvé seul du naufrage. Elle serait donc un surcroît de
précaution attestant la bonne foi et la loyauté du capi
taine.
f il 7. — Le rapport du capitaine doit être déposé au
greffe du tribunal de commerce du lieu de destination
ou de l’armement. C’est pour opérer ce dépôt que la loi
prescrit au capitaine de prendre expédition du procèsverbal qui a été dressé de sa déclaration, et qui remplace
l’original. Cette expédition peut être requise à toute
époque, car le capitaine peut se trouver actuellement
dans l’impossibilité de faire face à la dépense qu’elle
exige.
Il est vrai qu’il a été jugé que le capitaine peut, dans
cet objet, valablement tirer sur son armateur. Mais la
localité dans laquelle il se trouve peut rendre cette res-r
source illusoire.
�18 6
DROIT MARITIME.
Le capitaine qui n’a pas pris sur-le-champ l’expé
dition prescrite par l’article 246, peut donc se la procu
rer plus tard et la déposer au greffe du tribunal qui est
appelé à statuer sur les conséquences du naufrage.
A r tic le
2 47.
Pour vérifier le rapport du capitaine, le juge reçoit
l’interrogatoire des gens de l’équipage, et, s’il est pos
sible, des passagers, sans préjudice des autres preuves.
Les rapports non vérifiés ne sont point admis à la
décharge du capitaine, et ne font point foi en justice,
excepté dans le cas où le capitaine naufragé s’est sauvé
seul dans le lieu où il a fait son rapport.
La preuve des faits contraires est réservée aux parties.
SOMMAI RE
518. Caractère de l ’article et des motifs de sa disposition.
519. Modification qu’il introduit à l’ordonnance de 1681. Ce n’est
pas une simple déposition que la loi exige. Conséquences.
520. Devoirs du juge quant à l’interrogatoire de l’équipage.
521. Les passagers ne peuvent être interrogés que s’il y a possi
bilité de le faire. Dans quel cas cet interrogatoire est-il
nécessaire ?
522. La vérification est exigée dans tous les cas où un rapport est
fait. Exception unique que cette règle comporte.
�523. Les autres preuves réservées par l’article 247 peuvent-elles
suppléer à l’omission de la vérification ?
524. Effets de cette omission.
525. Le rapport non vérifié fait foi contre le capitaine.
526. Le capitaine contre qui on en exciperait ne pourrait opposer
l ’indivisibilité de l'aveu.
527. Le rapport dûment vérifié est admis à la décharge du capi
taine. A quel litre ?
528. De quoi résulterait la preuve contraire ?
529. Mais il fait pleinement foi en faveur des tiers. Jamais contre
eux. Conséquences.
5 l8 .
— L’exécution des articles précédents avait été
considérée comme tellement essentielle, qu’on avait cru
devoir soumettre le capitaine à une pénalité particulière
en cas d’omission.
En conséquence, la commission avait proposé-d’ins
crire dans le Code, immédiatement après l’article 246,
une disposition portant : Toute contravention aux cinq
articles précédents entraîne la destitution du capitaine et
sa condamnation à une amende, qui ne peut être moin
dre que la moitié de son traitement.
Ce qui fit repousser cette proposition, c’est que les
mesures proposées rentraient évidemment dans celles à
régler par la loi générale de la navigation, qu’il conve
nait donc de les y renvoyer.
Mais cet article supprimé, il restait à régler le carac
tère et les effets que devait produire le rapport du capi
taine. En principe, nul ne peut se créer un titre à luimême, et le rapport est le fait exclusif du capitaine.
Sans doute les nécessités de la navigation exigeaient
�188
DROIT MARITIME.
qu’on dérogeât à ce principe. Mais cette dérogation com
portait toutes les précautions qu’on pouvait prendre en
faveur des tiers.
De là, la disposition de l’article 247 exigeant, d’une
part, l’interrogatoire de l’équipage et des passagers, s’il
y a possibilité, et admettant la preuve contraire contre
le rapport dûment affirmé.
519.
— La vérification du rapport du capitaine était
seulement autorisée par l’ordonnance de 1681. Il résul
tait de là, ainsi que l’atteste Valin, qu’on considérait
comme suffisante la déposition faite par deux des prin
cipaux de l’équipage. Le texte de notre article ne permet
plus de le décider ainsi. L’intention de prendre l’in
terrogatoire de tout l’équipage résulte de la volonté ex
primée de soumettre les passagers eux-mêmes à cette
formalité.
Toutefois, l’omission d’un interrogatoire général n’entrainerait pas la nullité du rapport, si d’ailleurs il est
vérifié par la plus grande partie de l’équipage. C’est ce
qui a été expressément décidé par la Cour d’Àix, le 13
mai 1834.
Ce n’est plus une simple déposition que la loi exige,
l’article 247 veut que l’équipage soit interrogé. La mis
sion du juge est donc d’instruire en quelque sorte sur
les faits déclarés par le capitaine, d’en contrôler l’exac
titude. Il peut dès-lors adresser d’office toutes les ques
tions qu’il croira convenables dans ce but. Il le doit, si
les circonstances, si la tenue des comparaissants lui font
�ART.
2/|.7.
189
craindre un acte de complaisance ou un concert frau
duleux.
52 0 .
—- Le texte de l’article 247 paraît plutôt con
férer au juge une faculté qu’un devoir. Il n ’en est pas
ainsi cependant. Dès qu’il est requis par le capitaine
d’interroger l’équipage et les passagers, il ne saurait re
fuser de le faire. C’est là le complément du rapport aussi
indispensable que le rapport lui-même. Jusque-là le
capitaine, lié à l’égard des tiers, ne pourrait leur oppo
ser le rapport. Or il est juste qu’il le puisse. Il ne peut
donc pas se faire que le juge rende ce résultat impos
sible, en se refusant à interroger les témoins produits.
Ce qui est vrai, c’est que le juge n’est nullement obligé
à rechercher, à réunir les membres de l’équipage ou les
passagers, ce soin et celui de les conduire chez le juge
appartiennent exclusivement au capitaine. Ce soin rem
pli, les témoins produits doivent être entendus.
5 2 ! . — La loi n’admet l’interrogatoire des passa
gers que s’il est possible. On a compris que l’exigence
absolue de cette formalité obligerait le capitaine à l’im
possible dans bien des cas. A peine débarqués, les pas
sagers se dispersent et s’empressent de regagner leur
domicile qui, fût-il sur la localité même, peut être ignoré
du capitaine. Aussi a -t-il été jugé que leur interroga
toire, toujours sauf la possibilité, n’était nécessaire que
dans le cas de naufrage ; que, lorsqu’il s’agit d’avaries
aux marchandises occasionnées par fortune de mer, il
�190
DROIT MARITIME.
suffisait de faire vérifier le rapport par l’interrogatoire
de l’équipage Ê
5 2 2 . — L’obligation imposée par l’article 247 existe
pour toutes les hypothèses dans lesquelles le capitaine
est appelé à faire un rapport. Elle est donc générale et
absolue. Elle ne comporte qu’une seule exception, à sa
voir, lorsque son exécution est impossible, par exemple,
le cas où le capitaine s’est sauvé seul après le naufrage.
' 523. — Quel est le véritable sens des expressions ter
minant le premier paragraphe de l’article 247 : Sans
'préjudice des autres preuves ?
Cette réserve, dit M. Locré, est évidemment en faveur
»
du capitaine. Il pourra donc, si son rapport est contesté,
en justifier l’exactitude par tous documents, par le livre
de bord, par les procès-verbaux signés des principaux
de l’équipage, enfin par d’autres témoins que ceux indi
qués par la lo i2.
La conclusion à tirer de ces prémisses, c’est que, quel
que indispensable.que soit la vérification par l’équipage
et les passagers, elle peut être suppléée par la preuve de
la force majeure. A quoi bon, en effet, s’occuper de cette
preuve, si celte vérification a été obtenue. Le rapport fait
foi jusqu’à preuve contraire. Le capitaine n’a donc plus
qu’à discuter le caractère et les effets de celle sur laquelle
1 Rennes, 9 janvier 1821.
s Esprit du Code de commerce, art. 247.
�ART.
247.
191
on s’appuierait pour détruire le rapport. Ce droit n’avait
pas besoin d’être expressément reconnu, il était la con
séquence forcée de celui de la libre et légitime défense.
L’appel fait par l’article 247 à toutes autres preuves
ne peut donc être interprété que dans ce sens : L’omis
sion de la vérification crée contre le capitaine une pré
somption de faute engageant sa responsabilité. Mais cette
présomption cède devant la preuve contraire résultant
des documents dont parle M. Locré, documents qui
pourraient, au besoin, être confirmés par des témoins.
Mais plus l’omission de l’interrogatoire de l’équipage
est extraordinaire, plus les tribunaux devront se montrer
sévères sur le caractère de la preuve par lequelle on veut
la remplacer et sur ses effets. Ainsi, nous comprenons
qu’on ait jugé que le procès-verbal d’avaries produit
par le capitaine contre les assureurs peut n’être pas con
sidéré comme digne de foi, lorsqu’il n’a pas été vérifié
par les gens de l’équipage à l’interrogatoire desquels il
n’a pas été procédé et qu’il contient seulement la décla
ration de personnes prétendant avoir vu du rivage se
réaliser le sinistre 1.
La Cour de Douai a été plus loin. Elle a décidé, le
28 mai 1845, que le capitaine répond du préjudice ré
sultant de l’échouement volontaire du navire, bien que
cet échouement ait eu lieu après délibération prise pour
le salut commun, lorsque le rapport n’a été fait que plus
d’un mois après l’événement, et qu’au lieu d’avoir été
i Rennes, t2 juin 1817.
�192
DROIT
MARITIME.
vérifié par l’interrogatoire des gens de l’équipage, il a été
fait par le capitaine seul, et signé par le second et un
matelot seulement1.
Mais cet arrêt n’a été rendu que parce que la Cour
constate en fait que l’échouement et la délibération qui
en constatait la nécessité n’étaient dus qu’à l’insuffisance
de la provision de charbon (il s’agissait d’un bateau à
vapeur), et qu’ils étaient dès-lors imputables à la négli
gence du capitaine.
Cet arrêt ne saurait donc être invoqué dans le cas
d’une pure fortune de mer. La preuve du sinistre et de
la force majeure exonérerait le capitaine de toute res
ponsabilité, c’est-à-dire qu’on admettrait dans l’hypo
thèse du défaut de vérification ce que la jurisprudence
a consacré dans celle de l’absence du rapport lui-même,
ou dans celle de l’omission des formalités tendant à con
stater l’innavigabilité2.
524.
— Notre système n’est nullement affaibli de la
disposition de notre article portant que les rapports non
vérifiés ne seront point admis à la décharge du capitaine
et ne feront point foi en justice. Cette prescription n’a
d’autre conséquence que celle que nous venons d’indi—
fiuer, à savoir, l’obligation pour le capitaine de prouver
la fortune de mer, la force majeure qui résulteraient en
1 D . P ., 45, 241.
2 Cass., I er septembre 1813: 11 mars 1834; 3 et 31 juillet 1839 ;
Rennes, 24 août 1834 ; Bordeaux, 22 février 1844 ; Caen, 7 janvier 1845;
�ART.
247.
193
sa faveur d’un rapport régulièrement affirmé, de ma
nière que, s’il est dans l’impossibilité de faire cette
preuve, il demeurera personnellement responsable du
préjudice, nonobstant les dires consignés dans son
rapport.
525.
— Celui-ci est donc, à défaut de vérification,
considéré comme n’existant pas. Mais cette présomption
n’atteint que le capitaine. Pour les tiers, le rapport quel
que irrégulier qu’il soit, ne fait pas moins preuve con
tre le capitaine de tous les faits qui y sont consignés.
L’ordonnance du 6 juin 1748 ne permettait même pas
au capitaine la preuve contre son contenu.
C’est que le rapport, reçu par une autorité publique,
est pour les faits contraires à celui qui les y consigne,
un véritable aveu judiciaire. Or, aux termes du droit
commun, un pareil aveu fait pleinement foi contre celui
de qui il émane. Il ne pourrait être rétracté que dans
les cas spécialement prévus par les lois.
526.
— Mais l’aveu contenu dans le rapport diffère
de l’aveu ordinaire, en ce qu’il est dans tous les cas di
visible. L’indivisibilité en matière ordinaire n’est que la
conséquence de l’inadmissibilité de la preuve testimoniale.
Or, dans notre hypothèse, cette preuve étant de droit
commun permet d’accueillir les présomptions, et quelle
est celle qui pourrait être plus puissante que la déclara
tion du débiteur lui-même.
D’autre part, si le capitaine pouvait se prévaloir de
n — 13
�194
DROIT MARITIME.
l’indivisibilité du rapport, on lui permettrait d’éluder
l’article 247, puisqu’on arriverait à admettre à sa dé
charge le rapport non vérifié. Or, la loi formelle à cet
égard ne l’est pas moins sur le droit des tiers de prendre
dans ce rapport tout ce qui peut leur être favorable. Ils
seraient privés d’user de ce droit, si on pouvait leur op
poser l’indivisibilité. La doctrine qui admettrait celle-ci,
violerait donc doublement le texte et l’esprit de la loi.
527. — Le rapport dûment vérifié est admis à la
décharge du capitaine et fait foi en justice, non pas, di
sait Valin, comme un titre qui ne puisse être attaqué
que par l’inscription de faux, mais comme une preuve
juridique par témoins, qui ne peut être détruite que par
une preuve contraire. C’est cette doctrine que le dernier
paragraphe de l’article 247 a expressément consacrée.
Ainsi, toutes les fois que le capitaine, se fondant sur
un rapport régulier, actionnera les armateurs ou char
geurs, ceux-ci pourront alléguer et prouver que ce rap
port est contraire à la vérité. L’article 384 assure le mê
me droit aux assureurs plaidant contre les assurés.
5 2 8 . — La preuve contraire peut résulter des pro
cès-verbaux du capitaine, rédacteur du rapport, ce qui
indique l’utilité du livre de bord et la nécessité pour le
capitaine de le représenter, ou du rapport et des procèsverbaux d’autres capitaines ayant couru les mêmes ris
ques, ou de la déposition des autres gens de l’équipage,
ou de la combinaison de certaines circonstances avérées
�ART. 2 4 7 .
19Î5
démontrant la fausseté des faits contenus dans le rap
port. L’appréciation de son caractère et de ses effets est
laissée à la prudence du juge.
529.
— La faculté de fournir la preuve contraire au
rapport ne concerne que les chargeurs, armateurs ou as
sureurs agissant directement contre le capitaine et le
soutenant responsable. Si, acceptant les faits consignés
dans ce rapport, ils voulaient en faire peser la respon
sabilité sur un tiers, celui-ci trouverait dans le rapport
constatant implicitement ou explicitement qu’il est resté
étranger au sinistre, un moyen péremptoire pour échap
per à toute poursuite. En ce qui le concerne, la preuve
testimoniale contre le rapport ne saurait être ni deman
dée ni ordonnée.
C’est ainsi que l’avait consacré la Cour d’Aix, par ar
rêt du 9 décembre 1836. Dans l’espèce, un navire s’étant
perdu sur la rade d’Alger, les assureurs soutenaient
que cette perte provenait de ce que le capitaine d’un
navire de l’Etat avait fait couper le cable du navire nau
fragé. Mais le rapport du capitaine, fort circonstancié
d’ailleurs et dûment vérifié, ne parlait pas de cette cir
constance. En conséquence, sur l’exception tirée de ce
silence, les assureurs demandèrent à en faire la preuve.
Cette demande, admise par les premiers juges, ayant
été déférée à la Cour par l’appel du jugement interlocu
toire réalisé avec celui du jugement définitif, fut repous
sée par elle. L’arrêt, après avoir rappelé le silence que
le rapport du capitaine avait gardé à cet égard et admis
�1 96
droit
maritime.
que ce capitaine n’aurait pu ignorer le coupement du
câble, continue :
« Attendu que, dans les circonstances de la cause, le
rapport devait être considéré comme faisant pleine foi
contre les assureurs ; qu’en effet, ceux-ci n’agissant que
comme représentant les assurés, aux droits desquels ils
avaient été subrogés, n’avaient pas d’autres moyens de
preuve que ceux réservés à ceux dont ils exerçaient les
droits; qu’à ce titre, ils étaient non-recevables contre les
tiers à prouver outre et contre le rapport vérifié du ca
pitaine, leur mandataire. »
Le pourvoi dont cet arrêt fut l’objet fut rejeté par la
Cour de cassation, le 2 juillet 1838. Cet arrêt se borne,
il est vrai, à déclarer que la Cour d’Aix, en jugeant en
fait que la preuve contraire n’était pas recevable dans
l’espèce, n’avait violé aucune loi. Mais l’honorable rap
porteur, M. Brière de Valigny, avait été plus explicite.
Voici ses judicieuses observations à l’appui du rejet :
« L’article 247, qui réserve aux parties intéressées la
preuve des faits contraires à ceux consignés dans le rap
port, suppose que c’est entre le capitaine et ceux aux
quels il doit rendre compte que le débat s’élève. Il s’agit,
en effet, dans l’article 247, de savoir si les rapports sont
admis à la décharge du capitaine, et l’article, en disant
que les rapports non vérifiés ne sont pas admis à la dé
charge du capitaine, réserve la preuve contraire aux par
ties intéressées. C’est donc entre le capitaine et ses com
mettants que l’article 247 admet la preuve contraire au
rapport. L’article 384 s’applique au cas où la discus-
�ART. 2 4 7 .
197
sion s’élève entre l’assureur et l’assuré. Il autorise l’as
sureur à faire la preuve contraire des faits consignés
dans les attestations ;
« Ces articles ne peuvent évidemment recevoir aucune
application dans une espèce où il ne s’agit ni d’un dé
bat entre le capitaine et les armateurs, ni d’un débat en
tre un assuré et un assureur, mais bien et uniquement
d’une discussion où les armateurs qui ont éprouvé un
sinistre, et les assureurs qui l’ont garanti, agissent de
concert dans un intérêt commun, contre un tiers que
l’on veut faire déclarer responsable de ce sinistre. Dans
ce cas, les rapports et attestations sont des documents
dont ils excipent et qui, de leur part, ne peuvent être
contredits l. »
Ainsi le rapport du capitaine fait foi pleine et entière
en faveur des tiers non-intéressés au navire ou à la car
gaison. Le silence qu’il garderait sur leur participation
prétendue au sinistre excluerait toute action en respon
sabilité, excepté qu’on ne prouvât que ce silence est le
résultat d’une collusion frauduleuse entre le capitaine et
le tiers.
Par contre, le rapport ne saurait jamais faire foi con
tre les tiers. Ainsi, la déclaration qu’il contiendrait que
le sinistre est le résultat du fait, de la faute ou de l’im
prudence de tel ou de tel, ne serait qu’une pure alléga
tion. Le tiers désigné n’aurait pas besoin de faire la
preuve contraire. C’est à celui qui l’actionnerait en res1 J.
du P., 2, 1838, 333.
�198
DROIT MARITIME.
ponsabilité qu’incomberait la charge de fournir la preuve
directe des actes qu’il lui imputerait, et cette preuve ne
saurait jamais résulter du rapport.
Article 248.
Hors le cas de péril imminent, le capitaine ne peut
décharger aucune marchandise avant d’avoir fait son
rapport, à peine de poursuites extraordinaires contre lui.
Article 249.
Si les victuailles du bâtiment manquent pendant le
voyage, le capitaine, en prenant l’avis des principaux
de l’équipage, pourra contraindre ceux qui auront des
vivres en particulier de les mettre en commun, à la
charge de leur eu payer la valeur.
SOMMAI RE
530. Motifs qui ont fait introduire dans le Gode de commerce
l’article 248.
531. Quel est le rapport à l’intérêt du commerce que peut offrir
la prohibition qu’il consacre ?
532. Exception que cette prohibition comporte. Devoirs du ca
pitaine.
�ART. 248 et 249.
199
533. Obligation de celui-ci de veiller à l ’approvisionnement du
navire. Conséquences de son omission.
534. Tant que le voyage n’est pas terminé, le capitaine ne peut
vendre les victuailles du navire. Exception que cette règle
comporte.
535. Le capitaine peut acheter des victuailles en mer. Formalité
qu’il doit remplir.
536. Il peut contraindre la mise en commun de celles embar
quées parles passagers, à charge d’en payer la valeur.
537. Ce payement ne saurait être préalablement exigé.
550.
— Les motifs qui ont fait consacrer l’article 248
ne sauraient être méconnus. Ils sont puisés dans un in
térêt général de l’ordre le plus élevé.
On sait les exigences et les précautions qu’on a dû
subir et prendre à l’endroit de la santé publique. Un na
vire, à son arrivée, est dans le cas d’être condamné à
un isolement temporaire dont la durée est calculée sur
l’état sanitaire du lieu qu’il a quitté et de ceux qu’il a
pratiqué dans sa navigation. La détermination de cette
durée dépend donc de la connaissance que l’adminis
tration aura de ces diverses pérégrinations, et cette con
naissance, elle la puisera précisément dans le rapport
du capitaine.
Le déchargement avant ce rapport jetterait dans la
circulation des marchandises plus ou moins suspectes,
ou d’une provenance plus ou moins entachée. Il expo
serait le pays à une de ces épidémies qui désolent si pro
fondément les malheurenses contrées qu’elles ravagent.
On comprend dès-lors la poursuite extraordinaire
�200
DROIT MARITIME.
dont parle notre article. On ne saurait être trop sévère
pour celui qui, obéissant à un sordide intérêt, a osé in
fliger à un pays une pareille chance.
5 5 1 . — En présence de ces motifs, il semblerait que
la disposition de l’article 248 aurait pu être omise dans
le Code et renvoyée à la loi générale sur la police de la
navigation. C’est précisément ce que demandait M. Ber
lier. C’est ce qui fut admis pour la seconde partie de
l’article projeté, portant : S’il est prouvé que ce sont les
propriétaires de la marchandise qui l’ont fa it débar
quer, elle sera confisquée.
On considéra donc la première partie, devenue de
puis l’article 248, comme se rapportant à l’intérêt com
mercial. Or, ce rapport ne peut être que celui-ci : si le
déchargement occasionne la confiscation, la perte ou une
avarie quelconque, le dommage qui en résultera sera à
la charge personnelle du capitaine, à moins qu’il ne
prouvât que le déchargement a été demandé ou consenti
par le propriétaire, bien entendu que cette preuve, qui
l’exonérerait de toute responsabilité envers le proprié
taire, ne pourrait jamais être un obstacle à la poursuite
extraordinaire qu’il aurait encourue par la violation de
l’article 248.
5 5 2 . — Le déchargement avant le rapport n’est per
mis qu’en cas de péril imminent ; que si on ne pou
vait sans danger laisser plus longtemps les marchandises
à bord du navire.
�ART.
2 4 8 ET 2 4 9 .
201
Mais, dans ce cas, le capitaine est tenu d’en avertir
l’administration et d’obéir aux mesures de précaution
que celle-ci croirait devoir ordonner, notamment de
faire transporter les marchandises dans les locaux qui
seraient désignés.
533. — L’approvisionnement du navire est un devoir
imposé au capitaine avant le départ. Ce devoir doit être
rempli largement, car, en matière de navigation, la
prudence ne permet pas un trop strict calcul, il faut faire
la part des chances que le navire peut être exposé à
subir.
L’omission de ce devoir engagerait la responsabilité
du capitaine. Sans doute, le besoin de pourvoir aux
victuailles légitimerait une relâche. Mais si ce besoin
n’était que la conséquence de l’insuffisance de l’approvi
sionnement fait par le capitaine avant le départ, les frais
de la relâche et le préjudice dont elle aurait été l’occa
sion resteraient à sa charge personnelle.
534. — Tant que le voyage n’est pas terminé, le ca
pitaine ne peut vendre les victuailles du navire; ce qui,
aujourd’hui, constitue, d’après les probabilités un super
flu, peut devenir demain une indispensable nécessité;
perdre de vue cette possibilité serait une faute grave.
Cependant cette règle doit être conciliée avec les lois
de l’humanité et les obligations morales qui lient les ma
rins les uns envers les autres. En conséquence, si le ca
pitaine rencontrait en mer un navire dépourvu de vivres,
�202
DROIT MARITIME.
il pourrait et devrait venir à son secours, et lui céder au
moins une partie de son superflu. Toutefois, et même
dans ce cas, la prudence lui fait un devoir de consulter
son équipage et de dresser procès-verbal de son avis.
Ce procès-verbal doit être signé par ceux qui ont con
couru à la résolution qu’il constate.
535.
— Le capitaine dont le navire manque de vic
tuailles, et qui trouve l’occasion d’en acheter en mer, ne
doit pas bésiter à utiliser cette occasion. Certainement,
il ne pourra, dans ce cas, demander ni obtenir l’autori
sation prescrite par l’article 234, mais on ne saurait lui
en faire reproche. Cette formalité ne peut être remplie
que dans un port, et on ne pourrait exiger que le capi
taine et son équipage mourussent de faim avant d’at
teindre à ce port.
Tout ce que le capitaine a à faire, en pareille occu
rence, est de faire constater parles principaux de l’équi
page l’urgence de l’achat, qui serait dès lors parfaitement
régulier et obligatoire pour les propriétaires ou arma
teurs. Le prix de cet achat constituerait une créance
privilégiée et prendrait rang au numéro sept de l’ar
ticle 491.
5 3 6 .—Dans tous les cas, le capitaine a le droit d’exi
ger des passagers la mise en commun des victuailles
qu’ils peuvent avoir embarquées pour leur compte par
ticulier, il est évident que cette ressource, en cas de pé
nurie ou de défaut de victuailles, devait être consacrée
�ART.
2 4 8 ET 2 4 9 .
203
dans l’intérêt des passagers mêmes. Que deviendraientils si, exténués par la faim, les hommes de l’équipage ne
pouvaient plus se livrer aux manœuvres que comman
dent la direction et la sûreté du navire?
En pareille matière, la loi ne pouvait prévoir qu’une
seule difficulté, à savoir, celle que ferait naître la ques
tion de l’opportunité de la mesure ; elle confie la solu
tion de cette question au capitaine et aux principaux de
l’équipage.
La décision prise dans les formes prescrites, toute
résistance ultérieure serait irrationnelle, injuste, odieuse
même. Le capitaine devrait en contraindre l’exécution.
537.
— Son unique obligation est de payer la valeur
des victuailles que chaque passager fournirait. Mais,
quoiqu’il s’agisse d’une véritable expropriation, la loi n’a
pu entendre que ce payement fût préalable. Le capitaine
pourrait se trouver hors d’état d’y suffire. Il peut donc
être retardé jusqu’à l’arrivée au lieu de la destination. A
son tour, la créance des passagers serait privilégiée sur
le navire, elle prendrait également place dans le numé
ro sept de l’article 491
�204
DROIT MARITIME.
TITRE
V.
D e l ’E n g a g e m e n t e t d e s L o y e r s d e s m a t e l o t s
e t g e n s d e l ’é q n i p a g e .
A rticle
250.
Les conditions d’engagement du capitaine ët des hom
mes d’équipage d’un navire sont constatées par lê rôle
d’équipage ou par les conventions des parties.
A rticle
251.
Le capitaine et les gens de l’équipage ne peuvent, sous
aucun prétexte, charger dans le navire aucune marchan
dise pour leur compte, sans la permission des proprié
taires et sans en payer le port ; s’ils n’y sont autorisés
par l’engagement.
SOMMAIRE
538. Qualité requise pour pouvoir faire partie de l ’équipage d'un
navire. Objet et caractère de l’inscription maritime.
539. L’engagement des gens de mer est régi, quant à sa durée,
par l’article 1780 du Code Napoléon.
540. Modes d’engagements admis par l’ordonnance de 1681. Ca
ractères de chacun d’eux.
�.
ART. 2150 ET 2151.
2015
544. Ont été maintenus par le Code de commerce. Nature de l ’ac
tion qu’ils créent.
512. Comment ils doivent être établis. Doctrine de l ’ordonnance
sur la foi due au serment des matelots. Pratique contraire.
543. Système du projet primitif du Code, remplacé par la dispo
sition actuelle.
544. Foi due au rôle d’équipage. Les salaires qui y sont mention
nés ne peuvent être diminués hors la présence et sans le
concours du commissaire des classes.
545. En l ’absence du rôle d’équipage, l ’engagement se prouve
par la convention ou par l ’usage.
546. Obligation du capitaine pour les engagements qu’il serait
dans la nécessité de faire en cours de voyage.
547. Conséquences de l’engagement régulier. Devoirs qu’il impose
aux matelots. Exceptions dispensant de son exécution.
548. Y a-t-il changement de voyage dans la substitution de na
vire, du capitaine, ou de l’un et de l’autre ?
549. Le capitaine et les gens de l'équipage ne peuvent rien char
ger sur le navire sans en payer le fret.
550. Législation ancienne sur l 'o rd in a ire ou la p o rté e des mate
lots. Conséquences de l’ordonnance de 1681. Contrat de
pacotille.
551. Système du Code. De qui doit émaner la permission de
charger ?
552. Lejoorf permis peut être racheté par l ’armateur. Consé
quences.
553 Nature et caractère du contrat de pacotille. Ses effets.
554. Peut-on prélever, avant partage, le montant de la prime
d’assurance?
555. Obligations du preneur.
556. Qui doit supporter le fret, en cas d’insuffisance du port per
mis, eu égard à l’importance de la pacotille ?
557. La marchandise chargée au-delà du port permis ou sans
port permis peut-elle être confisquée ?
558. Faculté pour les gens de mer d'embarquer sans payer le fret
des marchandises dans leur coffre.
�206
DROIT MARITIME.
558. — L’équipage d’un navire est composé parle
capitainé préposé à sa direction. Mais son choix est né
cessairement restreint aux personnes inscrites dans un
des quartiers maritimes de la France. Les étrangers ne
peuvent y être admis que dans une proportion déter
minée.
L’idée de l’inscription maritime était naturellement
inspirée par la profession qu’il s’agissait de réglementer.
On ne pouvait pas exiger des matelots les études et les
connaissances imposées aux capitaines et aux autres of
ficiers. Mais l’intérêt général faisait un devoir de sup
pléer aux uns et aux autres par l’expérience pratique.
Il fallait donc que ceux qui s’étaient voués à cette prati
que pussent être facilement distingués, puisque c’est à
leur capacité que devaient être confiées nos marines mi
litaire et marchande.
Aussi l’inscription maritime remonie-t-elle en France
à la naissance de la navigation. C’est elle que Louis XIV
organisa avec le soin le plus minutieux lorsque, mû par
le véritable intérêt du pays, il projeta de tirer notre
marine de l’état d’avilissement dans lequel elle était
tombée.
Notre matière ne comporte pas l’examen de son ins
titution, des conditions qu’elle exige, des effets qu’elle
produit. Nous nous bornons, dès lors, à renvoyer à la
législation qui l’a organisée et réglementée l.
1 Ordonn. de 4 6S9, 1778, 1784; lo i des 31 décembre 1790, 7 janvier
1791 et 3 brumaire an îv ; arrêté du Directoire du %\ ventôse an iv ; des
Consuls, des 7 vendémiaire an ix , 7 floréal an v in , tit. 3 ; 14 fructidor
an v in ; 5 germinal an x iu ; ordonnance du 11 octobre 1836.
�ART.
2 5 0 ET 2 5 1 .
20 7
En principe, il est certain que l’inscription maritime
viole quelque peu les droits des citoyens et la liberté
d’industrie. Mais elle était la condition sans laquelle
toute marine devenait impossible, et dès lors l’intérêt
public ne permettait pas d’hésiter. D’ailleurs celte rigueur
a été l’origine de grands avantages, et l’on peut dire avec
vérité que, depuis l’ordonnance de 1689, l’inscription
maritime est devenue un véritable contrat synallagma
tique entre l’Etat, les matelots et leurs familles même,
par les faveurs qu’elles sont dans le cas de retirer de
l’engagement d’un de leurs membres.
539. — C’est sous l’influence de la pensée dont le Iégisltateurde 1689 s’inspirait, que le Code de Commerce
a basé ses dispositions à l’endroit des loyers des mate
lots, dispositions qui concernent en général le capitaine
lui-même, toutes les fois qu’il n’est pas en opposition
directe avec le reste de l’équipage.
L’engagement des gens de mer est, comme toutes les
prestations personnelles, régi par l’article 1780 du Code
civil. Il ne peut même, dans certaines circonstances,
dépasser certaines limites. C’est ainsi que, dans son titre
huit, l’ordonnance de 1689 prohibait pour les colonies
tout engagement de plus de seize mois ; c’est ainsi que la
loi du 2 octobre 1783 fixe à un an la durée des enga
gements pour la pêche. L’engagement à vie constituant
une servitude personnelle contraire à l’ordre public, ne
pouvait pas plus être tolérée en droit commercial que
dans le droit commun.
�208
DROIT MARITIME.
Cependant, hors les cas exceptionnels que nous ve
nons d’indiquer, la loi n’a rien déterminé quant à la
durée de l’engagement des gens de mer. Elle ne pouvait
à cet égard que s’en référer à la volonté des parties, sous
le bénéfice consacré par l’article 1780 du Code civil. A
défaut de stipulation, l’engagement n’est censé contracté
que pour le voyage que le navire va entreprendre, lequel,
à moins de convention contraire, comprend l’aller et le
retour.
5 4 0 . — Ce qui doit être déterminé, c’est le caractère
de l’engagement. L’ordonnance de 1681 en distinguait ’
quatre sortes :
1° L’engagement au voyage. Cet engagement consiste,
delà part du matelot, à promettre son service à bord,
pendant le voyage que le navire va entreprendre, moyen
nant un salaire fixe et déterminé. Cet engagement con
stitue un contrat aléatoire. Les salaires étant calculés sur
la durée probable et ordinaire du voyage, restent inva
riables, soit que le voyage ait été accompli dans un
temps moindre, soit qu’il se soit prolongé au-delà de
toute prévision.
Ce qui est certain, c’est que la première chance ne se
réalisera guère. Il est permis de croire, en effet, qu’obéis
sant à un intérêt manifeste, l’armateur établira ses pré
visions sur une durée telle qu’il sera impossible d’espé
rer et de réaliser une traversée plus courte. Ce qui ar
rivera donc le plus souvent, c’est que le voyage se pro
longera au grand détriment du matelot. Aussi Valin at-
�tesle-t-il que cet engagement ne se contractait plus de
son temps, ou que, du moins, il était fort rare ;
2° L’engagement au mois. Celui-ci, comme le précé
dent, est contracté pour tout le voyage, il en diffère seu
lement en ce que, au lieu d’une somme déterminée à
forfait, les loyers des matelots sont payés à tant par
mois, quelle que soit d’ailleurs la durée du voyage. Mais
l’échéance du mois n’amène pas la fin de l’engagement
et la possibilité de le faire résilier. Le matelot est obligé
de servir pendant tout le voyage, sauf à être payé du
nombre de mois consommés ;
3° L’engagement au profit. Dans cet engagement, le
matelot n’a d’autres loyers qu’une part déterminée dans
les profits que le navire réalisera. Cet engagement est
moins un contrat de louage, qu’une association en par
ticipation. Aussi n’est-il usité que dans les armements
pour la course ou pour la pêche ;
4° Engagement au fret. Celui-ci a le même caractère
que le précédent, sauf que l’objet à partager est, non
plus le profit de l’expédition, mais le fret que gagnera
le navire. Il est donc de l’essence de ce contrat que la
quotité de ce fret soit incertaine au moment du départ.
Il ne se réalisera donc que dans la navigation au cabo
tage, dans laquelle le navire est destiné à visiter plu
sieurs pays, dans chacun desquels il déchargera des mar
chandises et pourra en charger de nouvelles.
5 4 4 . — Ces divers modes d’engagement sont consa
crés par le Code, ainsi que le prouvent diverses disposiii — 14
�210
DROIT MARITIME.
tions de notre titre. En conservant leurs effets, ils n ’ont
rien perdu de leur caractère. Les deux premiers, cons
tituant le contrat de louage d’œuvre et d’industrie, créent,
en faveur des matelots contre le propriétaire du navire,
l’action ex localo et l’action exercitoire.
Celle qui naît des deux derniers est l’action pro socio.
Il résulte de là celte conséquence importante que la part
dans le profit ou dans le fret attribuée au matelot n’a
jamais appartenu au capitaine ou au propriétaire ; qu’elle
ne saurait donc, sous aucun prétexte, être saisie ni exé
cutée par les créanciers personnels de l’un ou de l’autre.
542.
— L’existence de ces divers modes d’engage
ment imposait le devoir d’exiger une preuve écrite du
traité intervenu entre le capitaine et le matelot. Com
ment déterminer autrement la nature de l’engagement,
la quotité des loyers, ou celle de la part accordée dans
le profit ou sur le fret. Ce devoir, l’ordonnance de 1681
l’avait rempli. Mais elle avait déclaré qu’en l’absence de
toute convention, les matelots en seraient crus à leur
serment.
Les dangereux effets que cette disposition pouvait en
traîner pour les propriétaires ou armateurs avait donné
naissance à une pratique qui l’avait en quelque sorte
annihilée complètement. On appelait à suppléer à la
preuve écrite d’abord l’usage des lieux, usage, dit Valin,
qui avait tellement force de loi, que ni le propriétaire,
n i le m aîtr e , ni les gens de l’équipage, ne so n t pas rece-
�ART.
2 5 0 ET 2 5 1 .
211
vables à proposer aucune convention contraire, si elle
n’est prouvée par écrit *.
C’était ensuite le rôle d’équipage, si le matelot avait
passé la revue. De telle sorte, ajoutait Yalin, que par
ces divers arrangements, on peut dire qu’il n’y a plus,
en quelque sorte, de cas où le matelot doive, suivant
notre article, être cru sur son serment. C’est le rôle d’é
quipage ou l’usage qui sert à décider toutes les contesta
tions qui peuvent s’élever sur les conditions de l’enga
gement tant des matelots à l’égard du maître, que du
maître lui-même avec le propriétaire du navire2.
543. — Autant voulait faire disparaître delà loi une
prescription que les mœurs commerciales avaient si
unanimement repoussée. Tel ne fut pas cependant l’avis
de la commission première du Code. Elle proposait seu
lement, au lieu de : Les ffrâtelots en seront crus à leur
serment ; de dire : L'affirmation des matelots peut ê t r e
admise. Mais, quoique convertissant en une simple fa
culté ce que l’ordonnance prescrivait comme une obli
gation, la proposition n’en fut pas moins rejetée sur les
observations des cours et tribunaux.
*
5 4 4 . — Le Code s’en réfère donc, pour constater
l’engagement des gens de mer, en première ligne, au
rôle d’équipage, et c’était rationnel. Ce rôle est rédigé
1 A rt. 1 er, t it r e
2 Ibidem
.
Des loyers des matelots.
�212
D R O IT M A RITIM E.
1
J
par un fonctionnaire public qui n’y inscrit les conditions
de l’engagement qu’après s’être assuré de l’accord des
parties intéressées par une comparution et un interro
gatoire. Il devait donc avoir les effets d’un acte public,
comme il en a tous les caractères.
La foi qui lui est due est poussée à tel point qu’on ne
saurait exciper contre les matelots des modifications
qu’ils auraient ultérieurement consenties, fussent-elles
constatées par écrit. L’état de dépendance dans lequel se
trouve le matelot vis-à-vis du capitaine ou du proprié
taire a fait craindre un abus d’influence, et on n’a dû
voir dans ces modifications portant sur le taux des loyers,
qu’une violence morale à laquelle le matelot n’a pas
cru devoir et pouvoir résister.
Il importerait peu que la contre-lettre fût antérieure
ou postérieure au rôle d’équipage. Elle serait radicale
ment nulle et sans effet, par cela seul qu’elle n’aurait
pas été consentie devant le commissaire des classes, et
que sa teneur n’aurait pas été inscrite sur le rôle d’équipage.
Mais il n’en serait pas ainsi de l’augmentation des
loyers consentie par le capitaine ou le propriétaire. La
preuve écrite qu’en fournirait le matelot lui en assurerait
le profit dans tous les cas.
5 4 5 . — Il est difficile, en l’état de la législation, de
prévoir l’absence du rôle d’équipage. Toutefois, ce cas
se réalisant, comme si des difficultés sur les conditions
et la nature de l’engagement s’élèvent entre les parties
�ART.
250
ET
251.
215
avant la revue du commissaire
des classes et la confec\
tion du rôle d’équipage, on doit s’en référer aux con
ventions.
Mais, malgré le silence gardé par l’article 250, cette
convention doit être écrite. À défaut, ce ne serait ni sur
la preuve testimoniale, ni sur l’affirmation du proprié
taire, que la difficulté serait résolue. On devrait s’en
référer souverainement à l’usage de la localité, tant pour
la nature de l’engagement que sur le quantum des loyers.
Le commissaire des classes est évidemment en posi
tion d’attester cet usage que la notoriété publique pour
ra certifier au besoin.
Ainsi le rôle d’équipage, la convention ou l’usage,
telles sont les bases auxquelles la loi permet de recou
rir. La protection dont elle a voulu, à juste titre, entou
rer les matelots, ne permet pas d’en adopter d’autres.
54-6. — Le capitaine peut, en cours de voyage, se
trouver dans la nécessité d’engager des matelots soit pour
renforcer son équipage, soit pour remplacer les malades
ou déserteurs. L’ordonnance de 1833 règle la forme et
la constatation de ces nouveaux engagements.
Si le capitaine se trouve dans une localité où il y a
un consul français, il doit se présenter au consul avec
les matelots qu’il veut engager; celui-ci, après s’êlre
enquis des conditions, interpelle les parties de déclarer
si elles sont bien d’accord, et, en cas d’affirmative, il
inscrit la convention sur le rôle d’équipage.
Si l’engagement a eu lieu dans un pays où la France
�214
D R O IT M A RITIM E.
n ’a aucun représentant, le capitaine est tenu de se pré
senter au consul du premier port auquel il touchera, et
d’y remplir les mêmes formalités.
Il peut se faire, dans cette hypothèse, qu’il y ait dés
accord sur le prix convenu. L’article 41 de l’ordonnance
ne permet pas au consul de trancher le différend, il
doit essayer de concilier les parties. S’il ne peut y par
venir, il dressera procès-verbal de leurs dires respectifs,
sauf à chacune d’elles à se pourvoir devant le tribunal
compétent.
517.
— L’engagement régulièrement contracté est
obligatoire pour toutes les parties. Le devoir imposé au
capitaine d’accomplir le voyage pour lequel il s’est en
gagé et commun à tous les gens de l’équipage.
Ceux-ci doivent donc se rendre sur le navire au jour
indiqué pour travailler à son équipement et chargement;
si rien n’a été stipulé à cet égard, ou si le chargement
doit être effectué par l’affréteur, ils sont tenus de se
rendre à bord au premier signal leur annonçant que le
navire est prêt à faire voile.
Ce devoir ne comporte qu’une exception, à savoir, un
empêchement de force majeure, tel qu’une maladie ou
une infirmité survenue depuis l’engagement et de nature
à empêcher le matelot de naviguer. La constatation de
l’une ou de l’autre amènerait la résiliation, et obligerait
le matelot à restituer les avances qu’il aurait pu recevoir.
L’article 63 de l’ordonnance de Wisbuy assimilait à
la force majeure le mariage, l’acquisition d’un navire
�ou la réception de la maîtrise avant le départ. Aucun
doute n’est aujourd’hui permis quant aux effets du pre
mier. Le mariage contracté après l’engagement ne sau
rait en légitimer la résiliation.
M. Boulay-Paly estime que, dans les deux derniers
cas, on devrait encore excuser le matelot et le dispenser
de tenir ses engagements, à condition qu’il présenterait
un remplaçant. M. Dalloz a peut-être raison de trouver
cette doctrine peu conforme à la rigueur de l’article
1134 du Code civil. Mais, d’autre part, la faveur qui
s’attache à la transmission des navires et les convenances
pour le grade de capitaine ; de l’autre, le défaut absolu
d’intérêt de la part du propriétaire nous paraissent de
voir l’emporter et faire consacrer l’opinion de M. Bou
lay-Paly.
Dans tous les cas, les gens de mer ne peuvent être
obligés de faire un voyage autre que celui pour lequel
ils se sont engagés. Dès lors, le changement dans la des
tination du navire serait pour eux le moyen de faire ré
silier leur engagement. Cette doctrine, enseignée par
Emérigon, était sanctionnée par le Parlement d’Aix, le
20 mai 1784.
548.
— Maison ne saurait rencontrer le changement
de voyage dans le fait qu’un autre navire a été substitué
à celui primitivement désigné, ou qu’on aurait remplacé
le capitaine. Quoique directement engagés par le capi
taine, les matelots n’en ont pas moins réellement traité
�216
D R O IT M A RITIM E.
avec les propriétaires. Ils ne pourraient légalement se
prétendre libérés de leur obligation, parce qu’il a plu à
ceux-ci d’user de la faculté que leur accorde l’article
218, ou parce que l’innavigabilité accidentelle du na
vire, ou la nécessité de fortes réparations devant empê
cher ou retarder son départ les forcerait d’en choisir un
autre.
Cette doctrine, que Pothier enseignait, a été unanime
ment admise. Mais on ne peut, selon nous, être de son
avis lorsqu’il soutient que le changement simultané du
navire et du capitaine, constitue le changement de voyage.
Il n’y a, à l’admettre ainsi, aucun motif plausible. Le
changement simultané ne peut en rien influer sur le
caractère du contrat, sur la nature de l’engagement.
Cette simultanéité, d’ailleurs, peut n’être que le résultat
de la faute du capitaine, dont l’incurie ou l’incapacité
aura mis le navire dans l’impossibilité de faire le voyage.
Doit-on, dès lors, forcer l’armateur, sous peine de voir
l’équipage se disperser, de conserver un capitaine qui a
déjà si gravement trompé sa confiance ?
549.
— Les gens de mer-, quel que soit le mode de
leur engagement, n’ont à prétendre que le salaire sti
pulé. Ils ne peuvent notamment charger sur le navire
aucune marchandise pour leur compte sans la permis
sion du propriétaire et sans en payer le fret, s’ils n’y
sont autorisés par l’engagement. Déjà l’article 239 en
a fait la prohibition au capitaine voyageant à profit
�ART.
250
et
251.
217
commun. L’article 251 la rend générale et absolue dans
tous les autres cas l.
550.
— Avant l’ordonnance de 1681, et dans les
premiers temps, les loyers de matelots ne consistaient
que dans la faculté de charger une certaine quantité de
marchandises. Cette faculté constituait ce qu’on appelait
l'ordinaire ou la portée des matelots. Mais il arriva ce
qu’il était facile de prévoir. Chacun ne songeait qu’à
donne? à sa portée le plus de consistance possible, et la
place dans le navire ne manquait que pour le pro
priétaire.
On songea d’abord à réduire ce droit, en payant aux
matelots une certaine partie de leurs salaires. Mais com
me on ne donnait qu’une somme modique, l’abus fut
loin de s’éteindre, il acquit même des proportions telles,
qu’au témoignage de Valin plusieurs armateurs et pro
priétaires avaient renoncé à la navigation pour se sous
traire à ses effets.
On en vint donc à supprimer l'ordinaire pour tous
les matelots, au moyen de gages pleins qui leur furent
accordés, c’est ce dernier usage que l’ordonnance de
1681 consacra.
Ce qui résulte de celle-ci, c’est que cette suppression
devint définitive pour les matelots et officiers inférieurs.
Mais les officiers majors et le capitaine parvinrent à
l’éluder facilement, en stipulant la faculté de charger une
i ln frà, n° 715.
�218
D R O IT M A R ITIM E.
certaine quantité de marchandises. Cette faculté, dési
gnée sous la qualification de port permis, succéda à /’or
dinaire ou portée.
Les conséquences de l’un et de l’autre furent entre
autres la création du contrat de pacotille. Les matelots,
ne pouvant le plus souvent utiliser pour leur compte la
faculté de charger avec exemption de fret, s’adressaient
à des tiers qui leurs fournissaient la marchandise qu’ils
étaient chargés de vendre, et sur le profit de laquelle ils
retiraient une part déterminée et qui s’élevait le plus
souvent à la moitié.
Valin reconnaît que la pacotille est moins dans l’in
térêt du commerce que dans celui des gens de mer. Aussi
et malgré les inconvénients graves qui en résultaient,
l’usage s’en maintint sous l’ordonnance, car c’était l’ob
jet unique du port permis, dont elle consacrait la
faculté.
551.
— La disposition de l’ordonnance a été insérée
dans l’article 251. Ce qui contribua à ce résultat fut le
désir de conserver l’usage des pacotilles qui, disait-on
au conseil d’Etat, tout abusif qu’il puisse être, a préva
lu dans la pratique. Aussi ne fit-on plus une condition
essentielle de la stipulation dans l’engagement. En l’ab
sence de cette stipulation, la faculté de charger peut ré
sulter de la permission des propriétaires.
Les termes de l’article indiquent que si le navire ap
partient à plusieurs, la permission n’est valable et ne
dispense de payer le fret que si elle émane de la majo-
�ART. 2 5 0 ET 2 5 1 .
219
rité ou de celui qui la représente. Malgré le silence gardé
sur la forme, il n’est pas douteux que cette permission
ne peut être prouvée que par écrit. La preuve testimo
niale entraînerait de trop graves abus dans cette ma
tière où, le fait de permis de charge acquis, il resterait
à déterminer à quelle nature, à quelle quotité de mar
chandises on devrait l’appliquer.
552. — Le port permis, alors même qu’il est stipulé
dans l’engagement, peut être racheté par l’armateur au
moyen d’une indemnité en faveur de celui qui se l’est
réservé, par exemple, un droit de commission devant
en tenir lieu.
Le capitaine qui a accepté cette commission, dont il a
été payé, n’a rien pu charger sur le navire, c’est ce qui
a été très-rationnellement décidé par arrêt de Rennes,
du 8 septembre 1815.
553. — Aujourd’hui comme autrefois, le port permis
devient très-souvent l’occasion du contrat de pacotille.
Ce contrat, essentiellement commercial, peut être prouvé
de la même manière que les autres conventions de ce
genre. Il est réglé par les principes de l’association ou
de la commission, suivant le caractère que lui affectent
les parties.
Le contrat de pacotille est une véritable association,
lorsque le preneur a mission de vendre les marchandi
ses sur lesquelles il doit recevoir une part du profit de
la vente, soit que leur valeur doive être distribuée au
�220
DROIT MARITIME.
lieu de leur réalisation, soit qu’elle serve à acheter le
chargement de retour. Dans cette dernière hypothèse,
c’est l’excédant du produit de la revente, eu égard à la
valeur de la marchandise de l’aller, qui constitue le bé
néfice commun.
Dans l’un et l’autre cas, le partage s’opère de la ma
nière que voici ; sur le prix total de la vente, on prélève
le capital représentant les marchandises remises par le
donneur; on prélève ensuite les frais occasionnés pour
la conservation et pour la mise à bord soit à l’aller, soit
au retour. L’excédant se divise dans les proportions
convenues entre le donneur et le preneur.
554.
— La prime d’assurance que le premier au
rait consentie n’entre pas de plein droit dans les frais
devant être prélevés avant le partage, la raison en est
fort simple. L’assurance ne conserve jamais que le capi
tal lui-même, dès lors elle ne profite en rien au preneur,
dont les droits se réduisent à une part dans le profit. Il
ne serait donc pas juste de le faire contribuer à une dé
pense qui ne pouvait jamais avoir pour lui une utilité
quelconque.
L’assurance resterait donc exclusivement à la charge
du donneur, à moins qu’il n’eût été stipulé dans la con
vention qu’elle serait faite à frais communs.
Il n’y a lieu à aucun partage, si le preneur s’est con
tenté d’un droit de commission, La pacotille se résume
alors en un simple contrat de commission qui reçoit
l’exécution convenue entre les parties. Elles peuvent dé-
�ART.
250
ET
251.
221
clarer la commission acquise, quel que soit le résultat
de la vente, ou la subordonner à la condition que cette
vente produira un bénéfice.
555. — Quoi qu’il en soit, l’obligation qui naît pour
le preneur du contrat de pacotille, est de veiller à la con
servation de ce qui en fait l’objet, jusqu’au lieu de des
tination ; de les vendre et d’acheter les retours, s’il en
est chargé, aux conditions les plus avantageuses, en se
conformant, aussi strictement que le permettent les cir
constances, aux instructions du donneur. S’il lui est
impossible de vendre au prix qui lui a été indiqué, il
peut le faire à des prix inférieurs, à moins qu’on lui en
ait formellement interdit la faculté.
A son retour, il doit rendre un compte fidèle de sa
gestion, des sommes qu’il a reçues, des mesures qu’il a
prises pour assurer et hâter les recouvrements qu’il n’a
pu effectuer lui-même. Il n’est responsable des pertes
éprouvées sur les marchandises d’aller ou de retour
qu’autant que ces pertes proviendraient de ses fautes ou
de ses malversations l.
556. — Le bénéfice déterminant le contrat de pa
cotille est l’exemption du fret pour les marchandises qui
en font l’objet. Ce bénéfice, le preneur s’est engagé à le
réaliser au moyen de son port permis. Il semble dès
lors que si ce port permis n’était pas suffisant pour exem1 D allo z,
Nouv, Rép,, V . Droit maritime,
n" 657.
�222
DROIT MARITIME.
pter du fret la totalité de la pacotille, le payement à faire
à l’armateur pour l’excédant devrait être en totalité à sa
charge personnelle.
Cependant Valin admettait une distinction : si le
preneur avait mensongèrement déclaré avoir un port
permis suffisant, comme il aurait trompé le donneur, ce
serait à lui à supporter personnellement le paiement du
fret sur sa part du profit, s’il y en a, sinon sur ses au
tres biens ; si au contraire il n’a point fait, lors du con
trat, de déclaration de port permis, c’est alors la paco
tille qui doit le fret, lequel doit être pris d’abord sur le
profit, et subsidiairement sur le capital. Cette distinction
est admise par M. Boulay-PatyL
557.
La marchandise chargée en contravention à l’ar
ticle 251, ou au-delà de la quotité permise, peut-elle et
doit-elle être confisquée en faveur du propriétaire?
L’affirmative était enseignée par Valin, qui ne voyait
dans la confiscation que le juste châtiment de la fraude
tentée par le capitaine. Cet avis est partagé par M. Bou
lay-Paty, qui s’étaye sur ces expressions de l’article 251 :
Ne peuvent sous aucun prétexte, et par analogie sur la
disposition de l’article 2 4 0 a.
Cette doctrine nous paraît condamnée par deux prin
cipes également certains. La peine de la fraude consiste
dans l’obligation de réparer le préjudice que cette fraude
<*
i Tome 2. page 191.
�ART.
2 5 0 ET 2 5 1 .
225
occasionne. Or, le capitaine, qui charge sans port per
mis ou au-delà de son port permis, usurpe sur le navire
une place que le propriétaire aurait pu utiliser. Donc en
le condamnant à en payer le fret, on accorde à celui-ci
tout ce qu’il peut raisonnablement exiger.
D’autre part, la confiscation est une peine et une peine
fort grave. Or, en matière de pénalité, il n’est pas per
mis de raisonner d’un cas à un autre, quelque décisive
que paraisse l’analogie.
Ptut-on d’ailleurs qualifier ainsi celle que M. BoulayPaty trouve dans la prohibition de l’article 239 et celle
de l’article 251 ? Ce que la loi défend dans le premier,
c’est le chargement lui-même qui mettrait le capitaine
dans le cas de s’enrichir au détriment de ses associés. Ce
qu’elle interdit dans le second, c’est non pas le charge
ment, mais le non payement du fret. Cette différence ca
pitale fait disparaître l’analogie et ne saurait, dans au
cun cas, autoriser l’application de l’article 240.
Sans doute, le propriétaire qui aurait lui-même
chargé le navire pourrait quereller l’opération du capi
taine sous un second point de vue, et prétendre, qu’ab
sorbé par sa cargaison propre, il a négligé celle qui lui
était confiée, qu’il en a mal à propos retardé la vente,
ou qu’il l’a opérée à des conditions moins avantageuses.
Mais l’exactitude de ces reproches constituerait le ca
pitaine en état de faute, et pourrait donner lieu à une
allocation de dommages-intérêts, comme dans tous les
autres cas de responsabilité.
Concluons donc que la violation de l’article 251 ne
�224
DROIT MARITIME.
saurait motiver la confiscation de la marchandise char
gée au-delà du port permis ou sans port permis. Mais
l’auteur de cette violation serait contraint à en payer le
fret comme l’aurait fait tout autre chargeur.
558.
— La prohibition de l’article 251 ne s’applique
pas aux marchandises que chacun des gens de l’équipage
embarquerait dans le coffre destiné à ses linges et har
des. Que ce coffre soit plein ou vide, il n’en tiendra ni
plus ni moins de place sur le navire, et ne prive le pro
priétaire d’aucun fret. Dès lors l’usage a consacré la fa
culté pour chacun d’eux d’en remplir les vides avec des
marchandises. Comme cela ne peut tirer à conséquence,
disait Valin, les propriétaires ne s’en plaignent jamais.
A r tic l e
252.
Si le voyage est rompu par le fait des propriétaires,
capitaine ou affréteurs, avant le départ du navire, les
matelots loués au voyage ou au mois sont payés des
journées par eux employées à l’équipement du navire.
Ils retiennent pour indemnité les avances reçues.
Si les avances ne sont pas encore payées, ils reçoi
vent pour indemnité un mois de leurs gages convenus.
Si la rupture arrive après le voyage commencé, les
�ART. 2 5 2 , 2 5 3 et 2 5 4 .
225
matelots loués au voyage sont payés en entier, aux ter
mes de leur convention.
Les matelots loués au mois reçoivent leurs loyers sti
pulés pour le temps qu’ils ont servi, et en outre, pour
indemnité, la moitié de leurs gages pour le reste de la
durée présumée du voyage pour lequel ils étaient
engagés.
Les matelots loués au voyage ou au mois reçoivent,
en outre, leur conduite de retour jusqu’au lieu du dé
part du navire, à moins que le capitaine, les propriétai
res ou affréteurs ne leur procurent leur embarquement
sur un autre navire venant audit lieu de leur départ.
Article 253.
S’il y a interdiction de commerce avec le lieu de la
destination du navire, ou si le navire est arrêté par or
dre du gouvernement avant le voyage commencé, il
n’est dû aux matelots que les journées employées à équi
per le bâtiment.
Article 254.
Si l’interdiction de commerce ou l’arrêt du navire ar
rive pendant le cours du voyage,
ii — 15
�226
DROIT MARITIME.
Dans le cas d’interdiction, les matelots sont payés à
proportion du temps qu’ils ont servi.
Dans le cas de l’arrêt, le loyer des matelots engagés
au mois court pour moitié pendant le temps de l’arrêt ;
Les loyers des matelots engagés au voyage sont payés
aux termes de leur engagement.
SOMMAI RE
559. Obstacles pouvant s’opposer à l ’exécution du contrat d’enga
gement. Conséquences.
560. Motifs qui ont engagé le législateur à régler celles-ci.
561. Effet de la rupture volontaire avant le départ.
562. Le matelot qu’on aurait fait venir d’un autre quartier de
vrait être indemnisé des ses frais de retour.
563. Quand le voyage est-il censé commencé ?
564. Droit des matelots engagés au voyage, lorsque la rupture
volontaire se réalise pendant son cours.
565. Droit des matelots engagés au mois. Motifs qui ont fait
réduire à moitié les salaires à courir.
566. Les uns et les autres ont droit aux frais de conduite. Com
ment se règlent ces frais ?
567. Le bénéfice de l’article est acquis au capitaine lui-même, si
la rupture provient du fait des propriétaires ou affréteurs.
568. Effet, quant aux matelots, de la rupture occasionnée par
l'interdiction de commerce ou l’arrêt du navire avant le
départ.
569. Effet de l ’interdiction postérieure au voyage commencé.
Caractères qu’elle doit offrir.
570. L’arrêt du navire pendant le voyage en suspend le cours
plutôt qu’il ne le rompt. Conséquences pour les matelots
engagés au mois.
�ART. 2 5 2 , 2 5 3 ET 2 5 4 .
227
574. Reproches adressés à cette disposition. Réponse.
572. Autre reproche pour ce qui concerne les matelots engagés
au voyage. Son peu de fondements.
573. L’arrêt du prince peut faire abandonner le voyage. Caractère
et effet de la rupture dans ce cas.
559.
— Les matelots ne sont pas seuls obligés de
remplir leurs obligations. L’exécution de l’engagement
est due réciproquement et par ceux qui l’ont provoqué
et par ceux qui l’ont souscrit.
Cette exécution suppose l’accomplissement du voyage
projeté. Mais cet accomplissement n’est pas toujours
possible. Il peut être empêché soit par le refus des af
fréteurs de livrer les marchandises promises, soit par
l’impossibilité dans laquelle se trouveront le capitaine et
les propriétaires d’y subvenir, soit enfin par des circon
stances fortuites indépendantes de la volonté des uns
et des autres.
En pareil cas, les principes généraux du droit indi
quaient la solution à laquelle on devrait s’arrêter. Com
me toutes les obligations de faire, celle des armateurs
ou des propriétaires devrait se résoudre en dommagesintérêts suffisant pour réparer le préjudice occasionné
par l’inexécution.
560.
— Fallait-il laisser la détermination des dom
mages-intérêts à l’appréciation des tribunaux ? L’obliga
tion pour les matelots de se pourvoir judiciairement à
l’effet d’être indemnisé pouvait offrir des inconvénients.
Les longueurs q u ’on n’aurait pas manqué de multiplier,
�228
DROIT MARITIME.
les frais frustrés qu’ils auraient été obligés de faire les
livraient en quelque sorte à la discrétion de leurs riches
et puissants adversaires.
La loi a donc voulu prononcer elle-même, elle l’a fait
dans toutes les hypothèses qui peuvent se présenter,.
56 i . — La première de ces hypothèses est la simple
rupture du voyage. La loi distingue avec raison celle
qui est imputable au fait du capitaine, des propriétaires
ou affréteurs, de celle résultant de l’interdiction du com
merce ou de l’arrêt du prince, et voici les effets qu’elle
attache à chacune d’elles.
Si la rupture volontaire a lieu avant le départ du na
vire, chaque matelot est payé des journées qu’il a em
ployées à l’équipement et au chargement du navire, ils
retiennent de plus, à titre d’indemnité, les avances qu’ils
ont reçues.
#
Si ces avances n’ont pas encore été comptées, il leur
est dû un mois de leurs gages convenus. Le législateur
obéit ici à un système dont il ne s’est départi dans au
cune circonstance, parce qu’il s’étaye sur l’intérêt réel
de la navigation. Sans doute, il importait de protéger
efficacement les matelots, mais il ne fallait pas grever les
armateurs au-delà de ce qu’exigeait une stricte justice.
Agir autrement, c’eût été s’exposer à décourager les
commerçants et les éloigner d’entreprises trop onéreuses.
Or, l’indemnité consistant dans les avances reçues ou
dans un mois de loyer n’est certes pas exagérée. Mais
elle est suffisante, car dans l’un ou l’autre cas le matelot
�ART.
2 5 2 , 2 5 3 ET 2 5 4 .
229
trouvera, avant l’expiration du mois, le moyen soit de
contracter un nouvel engagement, soit à s’employer dans
les travaux qu’un port de mer voit toujours entreprendre
et exécuter.
Le taux des avances dépend de la convention des par
ties. La loi n’a réglé et ne pouvait rien régler à cet égard.
Dans l’usage, lorsqu’il s’agit d’un voyage au long cours,
elles comprennent trois mois du loyer. On comprend,
en effet, qu’à la veille du départ dont on ne peut me
surer le terme, les matelots ont des dispositions person
nelles à prendre, et qu’ils désirent laisser quelque argent
à leur famille.
Quoi qu’il en soit, les avances ne sont acquises que
si elles ont été reçues, si elles ne sont encore que pro
mises, les matelots ne peuvent les exiger. Leur droit se
borne à se faire payer un mois de leur loyer.
La loi ne distingue pas ici entre les engagés au mois
et les engagés au voyage ; mais, pour ces derniers, l’in
demnité se règle eu égard à la durée présumée et ordi
naire du voyage. On leur accordera donc le tiers, le
sixième, le douzième de la somme totale, suivant que
cette durée devra être de trois, de six ou de douze mois*
562. — L’article 252, dans cette première disposi
tion, ne parle pas du droit de conduite parce que, ad
mettant la rupture du voyage dans le port d’armement,
il suppose que les matelots y étaient tous domiciliés ;
dès-lors, si quelques-uns de ces matelots appartenaient
à un autre quartier, et qu’on les en eût fait venir pour
�550
DROIT MARITIME.
servir sur le navire, on devrait les payer des frais de
retour, autrement ils ne jouiraient pas même de l’indem
nité, qui doit leur arriver intacte.
565.
— Pour que le voyage soit censé commencé
dans l ’hypothèse de l’article 252, il faut que le navire
soit non-seulement sorti du port, mais encore qu’il na
vigue depuis au moins vingt-quatre heures vers le lieu
de la destination. On ne saurait évidemment considérer
comme en voyage le navire qui sortirait à peine du
port, ou qui, retenu en vue par les vents contraires,
recevrait l’ordre de rentrer et de rompre le voyage.
Quelle qu’ait été la durée de la navigation, la rupture
volontaire se réalisant après le voyage commencé, l’in
demnité déterminée par l’article 252 est due.
564. — Ainsi, les matelots engagés au voyage re
çoivent la totalité de la somme stipulée dans l’engage
ment. C’est ici surtout qu’on devrait appliquer cette
décision du droit romain : Qui opéras suas locavit,
totius temporis mercedem accipere debet, si per eum
non stetit quominus opéras prœ stet1.
L’application de cette règle était ici la conséquence
forcée de la nature du contrat. L’engagement au voyage
est un véritable forfait, le matelot perdra ou gagnera,
suivant que le voyage dépassera ou n’atteindra pas la
durée sur laquelle il a basé ses prévisions. La rupture
l h. 38 Dig. Loeati cond.
�ART. 2 8 2 ,
283,
et
234.
231
du voyage réalise cette seconde chance, il suffit dès lors
que son échéance soit le fait des propriétaires, pour
que le profit en soit assuré au matelot.
565. — Il semble que la même règle aurait dû régir
les matelots engagés au mois, car eux aussi sont prêts à
remplir leurs obligations, et ils ne sont empêchés de le
faire que par le fait de celui avec lequel ils ont traité,
mais cette solution a paru trop rigoureuse. La position des
matelots loués au mois, disait-on au conseil d’Etat, dif
fère de celle des engagés au voyage, en ce que ces der
niers, traitant à forfait, sont devenus créanciers de la
totalité de la somme stipulée, qui ne pouvait être mo
difiée quelle que fût la durée du voyage ; dans les en
gagements au mois, il n’y a de forfait que pour les loyers
d’un mois, et malgré qu’ils aient été contractés pour un
voyage déterminé, il dépend toujours du propriétaire de
le prolonger ou de le raccourcir à son gré. Dès-lors, en
accordant la totalité des loyers pour le reste de la durée
présumée du voyage, on arriverait à ce résultat que
les matelots recevraient plus que ce qu’ils auraient reçu
si le voyage s’était accompli ; il fallait donc s’arrêter à
un terme moyen conciliant ce que prescrivent en faveur
des matelots l’humanité et la justice, avec les justes mé
nagements dus aux intérêts des propriétaires de navire,
qui ne peuvent, en pareil cas, se séparer de l’intérêt de
la navigation. M. Bégouen signalait la disposition de
l’article 25à comme atteignant ce but, et c’est ce qui la
fit consacrer.
�232
DROIT
MARITIME.
La rupture volontaire survenue pendant le voyage
confère donc aux matelots engagés au mois le droit
d’être payés d’abord de l’intégralité de leurs loyers pour
tout le temps qui a précédé la rupture, ensuite, et à ti
tre d’indemnité, de la moitié de leurs gages pour le reste
de la durée présumée du voyage pour lequel ils étaient
engagés.
566. — Quel que soit le mode de leur engagement,
les matelots doivent être ramenés dans leur quartier.
Cette obligation a été imposée aux propriétaires autant
dans l’intérêt de l’Etat que dans celui des matelots euxmêmes. Aussi, est-ce à l’autorité maritime en France,
et à l’étranger, aux consuls que le soin de veiller à son
exécution a été confié.
L’article 232 oblige donc de payer aux matelots leur
droit de conduite jusqu’au lieu du départ du navire, tel
qu’il est réglé par l’arrêté du 5 germinal an x i i , à moins
que les propriétaires ou affréteurs, ou l’officier d’admi
nistration ne leur procurent un embarquement sur un
navire revenant audit lieu. Dans ce cas, les matelots
sont régis par les articles 4 et 5 dudit arrêté.
567. — Le bénéfice de l’article 252 peut-il être in
voqué par le capitaine lui-même? Cette question ne
saurait naître que si la rupture du voyage ne lui était
pas imputable. Dans le cas contraire, en effet, le capi
taine non-seulement ne pourrait réclamer aucune indem
nité, mais il serait personnellement tenu de celles dues
aux matelots et autres membres de l’équipage.
�ART.
2 5 2 , 253
et
254.
233
Si la rupture est le fait exclusif des propriétaires ou
affréteurs, nous pensons que le capitaine peut exiger
l’indemnité fixée par notre article. Il est vrai que l’arti
cle 218 permet de congédier le capitaine à toute époque
et ne lui accorde aucune indemnité, mais, comme l’ob
serve M. Pardessus, plus cette disposition est exorbi
tante et plus elle doit être restreinte à l’hypothèse spé
ciale qu’elle régit. Or, il est impossible d’assimiler à cette
hypothèse celle dans laquelle le capitaine ne cesse les
fonctions que par l’effet d’une mesure qui atteint tout
l’équipage.
568. — La rupture du voyage occasionnée par
l’interdiction de commerce ou l’arrêt du prince est un
cas de force majeure pour les propriétaires ou les affré
teurs. Elle ne peut, dès lors, les soumettre à payer une
indemnité quelconque et à ajouter ainsi au préjudice
qu’ils en éprouvent eux-mêmes.
Aussi, si l’une ou l’autre se réalisent avant le départ
du navire, il n’est dû aux matelots que le prix des jour
nées par eux employées à l’équipement du navire, ils
ne pourraient retenir les avances qu’ils auraient reçues
et qu’ils seraient obligés de restituer, compensation faite
du prix de leurs journées.
569. — Si l’interdiction ou l’arrêt ne survient qu’a près le voyage commencé, la loi distingue entre l’une et
l’autre.
L’interdiction de commerce détermine la rupture du
�254
DROIT
MARITIME.
voyage; l’incertitude qui règne nécessairement sur sa
durée ne permet pas de croire au maintien du navire en
état d’armement. Ce qui se réalisera, c’est que le navire
retournera au lieu d’où il est parti, ou qu’il déchargera
dans celui où l’interdiction de commerce l’aura forcé de
relâcher. Dans l’un et l’autre cas, il n’est dû aux mate
lots, quel que soit d’ailleurs leur engagement, que les
loyers pour le temps qu’ils ont servi. Ces loyers pour les
matelots engagés au voyage, s’établiraient sur le temps
écoulé, eu égard à la durée présumée du voyage.
L’interdiction dont parle notre article est celle qui se
rait prononcée par le gouvernement français ou par ce
lui dans l’empire duquel se trouve le lieu de destina
tion du navire, elle résulte de plein droit de l’état de
guerre déclaré, ou du commencement des hostilités ;
elle serait donc acquise par la notification régulière du
blocus du port dans lequel le navire devait aborder.
De plus, ainsi que l’observe M. Locré, il faut que
l’interdiction porte précisément sur le lieu de destination.
Ce n’est que dans ce cas, en effet, que le voyage est
irréalisable. Celle qui concernerait exclusivement d’au
tres localités ne gênerait même pas le voyage en temps
de paix, elle le rendrait seulement plus difficile en temps
de guerre, elle ne pourrait donc, dans l’un et l’autre
cas, motiver la rupture des engagements b
5 7 0 . — L’arrêt du prince ne rompt pas de plein
i Esprit du Code de commerce, art. 253.
�ART. 2 5 2 ,
253
et
254.
235
droit le v o y a g e , il n e fait q u ’e n in terro m p re le c o u r s,
q u ’en retarder l ’a c h è v e m e n t, le v o y a g e est c e n sé c o n ti
nuer. D ès lo r s, l ’é q u ip a g e n e p eu t a b a n d o n n er le n a v ire,
ni faire r ésilier ses e n g a g e m e n ts.
C ependant il a p a ru ju ste d ’en m o d ifie r le s c o n d itio n s.
Les lo yers d es m a te lo ts e n g a g é s a u m o is n e co u ren t q u e
pour m o itié p e n d a n t le te m p s d e l ’arrêt.
571.
— Cette so lu tio n a été a tta q u ée s o u s u n d o u b le
rapport. S i l ’arrêt d u p r in c e e st c o n sid é r é c o m m e u n e
force m a jeu re, d is a it-o n , p e r so n n e n ’e n d o it r é p o n d r e .
P ourquoi d o n c im p o se r c e tte r e sp o n sa b ilité , m ê m e ré
duite, a u x p ro p riéta ires o u affréteu rs ?
S i,
a u c o n tr a ir e , le tem p s d e l ’arrêt est co n sid é r é
com m e fa isa n t p artie d u v o y a g e , le lo y e r est
dû aux
m atelots, et p o u r q u o i lé réd u ire ?
Mais la su r v e n a n c e d e l ’arrêt n e su ffisa n t p a s p o u r
dégager le s m a te lo ts, le s o b lig e à c o n tin u e r le u r serv ice
dont les p ro p riéta ires ou affréteu rs retiren t le p ro fit. I l
serait d o n c in ju ste d e n e rétrib u er ce serv ice q u ’e n fo u r
nissant se u le m e n t la n o u r r itu r e . I l est é v id e m m e n t d û
autre ch o se.
Mais cette au tre c h o se n e p o u v a it être la to ta lité d es
loyers, p arce q u e le n a v ir e se trou van t d a n s u n p o rt, le
service est m o in s a c tif et m o in s c o n sid é r a b le q u e lo r sq u e
le navire e st à la v o ile . L e r é d u ire à m o itié , c ’éta it d o n c
attribuer à c h a c u n la ju ste p art q u i lu i in c o m b a it n a tu
rellem ent d a n s u n é v é n e m e n t fortu it e t fâ ch eu x p o u r
tous.
�236
DROIT MARITIME.
572.
— On a encore reproché à l’article 254 de n’a
voir fait éprouver aucune réduction aux matelots enga
gés au voyage, qui doivent être payés de la somme sti
pulée dans l’engagement, mais ce reproche n’a évidem
ment aucun fondement.
Le temps de l’arrêt est évidemment à la charge des
matelots engagés au voyage, car quelque prolongé qu’il
soit, ils doivent le subir sans indemnité aucune. Suppo
sez que le voyage dut, dans les prévisions communes»
durer un an. Pendant trois mois le navire a été retenu
par arrêt du prince, de telle sorte qutf le voyage a duré
quinze mois. Que pourra réclamer le matelot engagé au
voyage? Uniquement la somme stipulée, et comme cette
somme n’a été fixée que pour la durée présumée de
douze mois, il en résultera qu’en réalité il a servi trois
mois gratuitement.
N’est-ce pas là un résultat assez onéreux, fallait-il
encore le soumettre à une réduction quelconque ? La rai
son et la justice ne permettaient pas d’hésiter. Les ma
telots engagés au voyage supportent tout le poids de
l’arrêt du prince ; ils sont, en fait, plus maltraités que
les engagés au mois. Ils servent gratuitement, tandis que
ceux-ci reçoivent au moins la moitié de leurs gages.
573.
— L’arrêt du prince, qui n’entraîne pas de
plein droit la rupture du voyage, peut en devenir l’oc
casion. Dans l’incertitude de sa durée, les propriétaires
ou affréteurs pourraient, s’il y avait possibilité, opérer le
déchargement dans le lieu où le navire se trouve.
�ART. 2 5 5
et
256.
237
Dans ce cas, la rupture serait volontaire et l’indem
nité due à l’équipage se réglerait conformément à l’ar
ticle 252.
A r t ic l e 2 5 5 .
Si le voyage est prolongé, le prix des loyers des ma
telots engagés au voyage est augmenté à proportion de
la prolongation.
A r t ic l e 2 5 6 .
Si la décharge du navire se fait volontairement dans
un lieu plus rapproché que celui désigné par l’affrète
ment, il ne leur est fait aucune diminution.
SOMMAIRE
574. Caractère de l’engagement au voyage. Motifs qui ont fait
admettre la faculté de prolonger celui-ci.
575. Indemnité due dans ce cas.
576. Autres cas de prolongation donnant lieu à indemnité.
577. Quels que soient les motifs du capitaine, l’équipage ne peut
ni refuser de servir, ni abandonner le navire. Réfutation
de l’opinion contraire, soutenue par M. Pardessus.
578. La prolongation occasionnée par force majeure n’attribue
aucune indemnité. Conséquences.
579. Effet du raccourcissement du voyage pour les matelots en
gagés au voyage.
�23à
DROIT MARITIME.
580. Position des engagés au mois, relativement à la prolonga
tion du voyage.
581. Leur est-il dû une indemnité en cas de raccourcissement ?
582. L’indemnité des articles 255 et 256 peut-elle être récla
mée par le capitaine ?
574.
— L’engagement au voyage est un contrat
aléatoire ayant pour objet : d’une part, l’obligation de
servir pendant un voyage déterminé ; de l’autre, celle
de payer une somme convenue. Ces obligations ne ces
sent que par l’entrée du navire au port de destination ;
quelle que soit d’ailleurs la durée du voyage, eu égard
à celle sur laquelle les parties avaient compté. Les évé
nements qui ont retardé le trajet sont à la charge des
matelots, de même qu’ils profitent de ceux qui l’ont
abrégé.
Ce caractère essentiel du contrat indique la portée
réelle de la disposition de l’article 255. La prolongation
à laquelle elle attache une indemnité ne peut s’entendre
de celle qui, trompant la prévision des parties, n’aurait
permis d’accomplir le voyage convenu que dans un
temps plus long que celui sur lequel les matelots avaient
compté. L’article n’a en vue que la prolongation occa
sionnée par le changement du lieu de destination.
En principe, le matelot n’ayant traité que pour un
voyage déterminé, se trouvait libre dès que le navire
avait heureusement atteint le point assigné au voyage.
Aller au-delà constituait un nouveau contrat exigeant
le consentement réciproque, et que le matelot ne pou
vait être contraint de donner.
�art. 2 5 5 et 2 5 6 .
239
Mais les exigences réelles de la navigation comman
daient qu’on dérogeât sur ce point au droit commun.
Les spéculations commerciales sont surtout subordon
nées aux circonstances. Il faut donc que ceux qui les
entreprennent aient la certitude qu’une fois en mer leurs
marchandises pourront arriver sur le marché présen
tant les chances les plus favorables. Cette certitude,
comment pourront-ils l’avoir si le navire arrivé dans le
port désigné, son équipage peut se débander et se dis
soudre, alors même que les circonstances survenues pen
dant la navigation rendraient le déchargement éminem
ment funeste pour l’intérêt de l’armateur ?
Cette crainte pouvait arrêter les spéculations et nuire
aux développements du commerce maritime. Cette pré
vision a déterminé la disposition de l’article 255.
575.
— L’engagement au voyage n’expire donc que
si le navire entré au port de destination y opère son
déchargement. Il est de plein droit prorogé si l’ordre de
l’armateur ou les circonstances prescrivent une autre des
tination.
Mais cette circonstance, évidemment ignorée au mo
ment de la souscription du contrat, n ’a pu être prise en
considération ni entrer dans le forfait réciproquement
consenti. En réalité, elle constitue un nouveau et second
voyage, pour lequel des salaires devaient être convenus
et accordés.
Laisser les parties libres de les déterminer, c’était
�240
DROIT MARITIME.
courir uu danger non moins grave que celui qu’on a
voulu éviter en déclarant la prolongation obligatoire.
Plus leur ministère était indispensable, plus les matelots
n’auraient pas manqué d’enfler leurs prétentions que le
capitaine eût dû subir.
C’est pour prévenir ce second danger que la loi, en
créant le contrat de son autorité, a cru devoir en déter
miner le salaire. La règle qu’elle admet est équitable et
juste, car elle exonère les matelots des chances pouvant
retarder ce second voyage. C’est sur la durée effective
de la prolongation, eu égard à celle sur laquelle les par
ties s’étaient basées pour déterminer les loyers du pre
mier voyage, que se règlent les loyers. Si celle-ci avait
été présumée devoir être de six mois et que la prolon
gation ait consommé un, deux ou trois mois, le salaire
primitif est augmenté d’un sixième, d’un tiers ou de la
moitié, quelle qu’ait été d’ailleurs la durée réelle du
premier voyage.
576.
— H y a prolongation donnant lieu à indem
nité toutes les fois que le voyage ne s’est pas exécuté
dans les conditions prévues dans l’engagement. Ainsi le
retard volontairement apporté au départ du navire, pro
vînt-il de la faute des chargeurs, autoriserait la demande
en supplément des loyers.
Il en serait de même de toute relâche volontaire, de
tout séjour non justifié dans un port, du changement
de route ou de destination, en tant cependant qu’il en
serait réellement résulté une prolongation des services.
�ART. 2 5 5
et
256.
241
Le forfait r é su lta n t d u co n tra t s ’e n te n d n o n d es fa its du
cap itain e, m a is u n iq u e m e n t d e la force m a jeu re q u e la
navigation su b it.
!> 7 7 . —
M. P a r d e ssu s va p lu s lo in e n c o r e . A so n
avis, si le c a p ita in e p ro lo n g e a it le v o y a g e sa n s
m o tifs
p la u sib les, le s g e n s d e l ’é q u ip a g e q u i l ’a b a n d o n n er a ie n t
ou qui refu sera ien t d e c o n tin u e r leu r serv ice p o u r r a ie n t,
suivant
les c ir c o n sta n c e s, être e x cu sés d ’avoir a b a n
donné le n a v ire a v a n t la fin d u v o y a g e x.
Cette o p in io n n e m é c o n n a ît-e lle p a s les id é e s d ’o rd re
et de d isc ip lin e si in d isp e n sa b le s en m a tière d e n a v ig a
tion? P ou r ju g e r si le s m o tifs d u c a p ita in e so n t o u n o n
plau sib les, il fa u d r a it d ’ab ord le s c o n n a îtr e . Or, il n ’est
pas d ’u sa g e q u e le ca p ita in e d é d u ise le s r a iso n s d es o r
dres q u ’il d o n n e .
L’é q u ip a g e p o u r r a -t-il d o n c e x ig e r q u ’on les lu i fasse
connaître, d élib érer su r le u r o p p o rtu n ité, le s c o n d a m
ner co m m e in su ffisa n te s, é v id e m m e n t c ’est ce q u e s u p
pose l ’o p in io n d e M . P a r d e ssu s.
Or, cela est n o n m o in s é v id e m m e n t in a d m is s ib le . La
conduite d u n a v ir e , le c h o ix d u lie u d e d éb a r q u e m e n t
a p p a rtien n en t s o u v e r a in e m e n t a u c a p ita in e , s a u f sa res
ponsabilité v is - à - v is d es p ro p riéta ires ou a rm a teu rs. L’é
quipage n ’a q u ’à exécu ter s a n s d is c u s s io n
qu’il reçoit, à c o n d itio n
le s ord res
d ’être in d e m n is é d u p réju d ice
qu’il peut en é p r o u v e r , et su r la r é p a r a tio n d u q u e l il n e
1 N» 686.
n — Î6
�DROIT MARITIME.
242
saurait substituer son appréciation à celle de la justice.
Celui-là donc qui refuserait le service ou abandonne
rait le navire malgré le capitaine, commettrait un véri
table acte de rébellion ou de désertion, que l’intérêt pu
blic fait un devoir de punir sévèrement.
i
578.
— Nous venons de dire que pour que la pro
longation donne lieu à indemnité, il faut qu’elle soit le
fait du capitaine ou des propriétaires. Celle qui serait le
résultat de la force majeure resterait aux risques et pé
rils des matelots engagés au voyage.
En conséquence, si le port de destination se trouvant
en état de blocus au moment de l’arrivée du navire, le
capitaine est obligé de le dépasser ou de rétrograder ; si
pour éviter la tempête ou la poursuite de l’ennemi, il
s’écarte de la route directe; enfin, si des avaries éprou
vées le forcent de relâcher, ou si la relâche est occa
sionnée par le besoin de se procurer de l’eau et des vi
vres, pour débarquer des malades dont la présence à
bord offrirait des dangers, la prolongation du voyage
ne saurait être le prétexte ou la cause d’une indemnité
pour qui que ce soit.
579.
— Les circonstances qui peuvent faire prolon
ger le voyage peuvent également en motiver le raccour
cissement. Cette hypothèse constitue la chance favorable
de l’engagement au voyage. Elle profite donc à ceux qui
l’ont contracté, et qui reçoivent dès lors la totalité des
loyers stipulés.
�ART.
2B3
et
2B 6.
243
ta seule condition exigée par la loi, c’est que le rac
courcissement du voyage soit volontaire. Il est évident
que s’il n’était nécessité que par suite d’une tempête, de
l’innavigabilité du navire, il ne pourrait être imputé
qu’à une force majeure dont la responsabilité ne peut
peser sur personne, et dont les effets portent sur tous
indislictemenl. Déjà la loi s’en est formellement expli
quée dans l’hypothèse d’une interdiction de commerce.
Ce qu’elle décide pour les loyers des matelots dans ce
cas devrait être appliqué dans tous les autres où la force
majeure serait le motif du déchargement dans un port
plus rapproché.
580. — L’article 255, non plus que l’article 256, ne
parle des matelots engagés au mois. Cet engagement,
comme celui au voyage, porte ordinairement sur un
voyage déterminé, mais il est évident que les raisons
autorisant la prolongation de celui ci s'appliqueraient à
celui-là et devraient aboutir à un résultat identique.
On n’avait pas cependant à se préoccuper de l’indem
nité. Elle est ici toute naturelle. Les loyers au mois con
tinuent à courir comme avant.
581.
Du silence gardé par l’article 256 on a con
clu que le déchargement dans un port plus rapproché
que celui indiqué par l’affrètement ne conférait aucun
droit aux matelots engagés au mois. M. Boulay-Paty est
d’un avis contraire. Il enseigne qu’il leur est dù une
indemnité, et que cette indemnité est celle réglée par
�2M
DROIT MARITIME.
l’article 252, à savoir, la moitié de leurs gages pour le
reste de la durée présumée du voyage l.
En fait, raccourcir le voyage, c’est déterminer la rup
ture de celui qui avait été convenu. Mais, en droit, la
loi n’a pas mis le raccourcissement et la rupture sur la
même ligne. Ce qui le prouve, c’est qu’elle les régit par
deux dispositions différentes. Si l’article 252 prévoyait
le raccourcissement, l’article 256 devenait inutile, même
pour les matelots engagés au voyage, auxquels il ne
confère que ce que l’article 2 5 2 leur avait déjà concédé.
Cette différence entre le raccourcissement et la rupture
place les matelots engagés au mois dans une position
plus désavantageuse que celle des engagés au voyage à
l’endroit du premier. Mais ce désavantage était la con
séquence de la nature de l’engagement. Rappelons-nous
la discussion au conseil d’Etat. Le matelot loué au mois,
disait-on, n’a de forfait que pour les loyers d’un mois.
La somme qu’il recevra en définitive devient incertaine
et dépend de la durée du voyage que le propriétaire peut
à son gré, prolonger ou raccourcir, sans que dans cette
dernière circonstance le matelot ait à se plaindre.
D’ailleurs les motifs qui ont fait reconnaître la faculté
de prolonger le voyage devaient créer celle de le rac
courcir. Il ne fallait pas que la crainte d’une indemnité
pût contrarier l’opération. Donc l’engagé au mois doit
suivre le sort de celle-ci. Son engagement finit natu
rellement par sa consommation.
1 T. 2, p. 246.
�257.
245
Mais le raccourcissement du voyage n ’anéantit pas
l’obligation de pourvoir au rapatriement de l’équipage.
Quel que soit le mode de leur engagement, les matelots
peuvent exiger les frais de conduite, de même que dans
le cas prévu par l’article 252.
ART.
582.
— L’indemnité réglée par les articles 255 et
256 est acquise au capitaine lui-même comme à tous
les autres gens de l’équipage, si la prolongation ou le
raccourcissement est le fait exclusif des propriétaires ou
affréteurs.
A r t ic l e
2 57.
Si les matelots sont engagés au profit ou au fret, il
ne leur est dû aucun dédommagement, ni journée pour
la rupture, le retardement ou la prolongation du voyage
occasionnés par force majeure.
Si la rupture, le retardement ou la prolongation arri
vent par le fait des chargeurs, les gens de l’équipage
ont part aux indemnités qui sont adjugées au navire.
Ces indemnités sont partagées entre les propriétaires
du navire et les gens de l’équipage, dans la même pro
portion que l’aurait été le fret.
�246
DROIT
MARITIME.
Si l’empêchement arrive par le fait du capitaine ou
des propriétaires, ils sont tenus des indemnités dues aux
gens de l’équipage.
SOMMAIRE
583. Caractère de l'engagement au profit et au fret. Conséquen
ces, en cas de rupture par force majeure ;
584. De retardement ou de prolongation du voyage.
585. Droits de I équipage lorsque la rupture , le retardement ou
la prolongaiion sont imputables aux chargeurs.
586. Lorsqu'ils proviennent du fait du capitaine ou des proprié
taires.
583.
— Les matelots engagés au proüt ou au fret
sont de véritables associés. Ils ne peuvent donc, dans
aucune circonstance, avoir une position autre et plus
favorable que les autres membres de la société. La dis
position de l’article 257 n’est que la rigoureuse applica
tion de ce principe.
La rupture du voyage dissout la société. Il était dès
lors évident que si elle provient d’une force majeure,
elle demeure à la charge de tous les associés. Egalement
victimes d’un fait qu’ils n’ont pu ni prévoir, ni empê
cher, ils ne peuvent se devoir réciproquement aucune
indemnité.
Le législateur refuse, dans ce cas, aux matelots et au
tres gens de l’équipage même le paiement des journées
qu’ils ont employées à l’équipement du navire. Quelque
sévère qu’elle paraisse, cette décision résultait forcément
�ART.
257.
247
de la nature des choses. Les matelots au profit ou au
fret sont des associés purement industriels. Ils n’ont
d’autre mise de fonds que leur industrie qu’ils doivent à
la société. C’est cette obligation qu’ils ont remplie, lors
qu’ils ont travaillé à l’équipement du navire, ils ne
pouvaient et ne devaient donc en être indemnisé qu’en
recevant leur part sociale. La force majeure faisant dis
paraître la société elle-même, les laissait donc sans re
cours possible contre qui que ce fût.
38!•. — Le retardement ou la prolongation, occa
sionné par force majeure, n’est qu’un des accidents at
tachés à la navigation, leurs effets, d’ailleurs, sont réel
lement supportés par tous les associés, puisque les dé
penses et longueurs qu’ils occasionnent diminueront le
profit, ou exigeront, pour que le fret soit acquis, un
temps plus considérable que celui dans lequel il eût pu
être gagné.
Donc, chaque associé supportant sa part du dommage,
aucun ne devait indemniser l’autre. Le tribunal de com
merce de Marseille jugeait donc, avec raison, le 30 dé
cembre 1829, que les matelots engagés à la part qui,
dans le cours du voyage, ont été obligés de faire de
longs séjours dans des ports, pendant le règlement des
avaries éprouvées par le navire, n’ont droit, au retour
du voyage, à aucune indemnité, à raison du préjudice
que ces longs séjours leur ont causé l.
' Journal de Marseille, t. 11, 1, 245.
�248
DROIT MARITIME.
Quelles que soient donc les chances de la navigation,
l’engagement à la part du profit ou du fret constituant
une association entre le navire et l’équipage, toutes les
chances leur deviennent communes, et chacun en subit
personnellement les effets.
5 8 5 . — Cela est absolument vrai dans toutes les hy
pothèses. Ainsi, si l’équipage ne peut réclamer en cas
d’événements fâcheux, de son côté, l’armement ne sau
rait profiter, à l’exclusion des matelots, du profit dont
ces chances peuvent être l’occasion.
En conséquence, si la rupture, le retardement ou la
prolongation sont imputables aux chargeurs, il est cer
tain que l’armement obtiendra contre eux une alloca
tion de dommages-intérêts en réparation du préjudice
qu’il éprouve. Mais cette allocation appartient à la so
ciété et doit se partager entre tous ses membres. Cha
cun recevra donc en proportion de la part qui lui était
attribuée dans le profit ou le fret.
5 8 6 . — Enfin si la rupture, le retardement ou la
prolongation sont imputables au capitaine ou aux pro
priétaires, le droit de l’équipage à obtenir un dédomma
gement est incontestable et formellement réservé par
notre article.
Ce n’est là au reste que l’application du droit com
mun. Chaque associé, le gérant surtout, est responsable
de son fait et tenu du préjudice qu’il occasionne. Or,
par rapport à l’équipage, le capitaine et les propriétai
res sont les seuls et véritables gérants de l’opération.
�Les propriétaires n’en demeurent pas moins respon
sables, alors que la faute a été commise par le capi
taine. Seulement ils ont, dans ce cas, leur garantie con
tre celui-ci. Si la rupture, le retardement ou la prolon
gation leur sont personnellement imputables, ils répon
dent directement non-seulement envers l’équipage, mais
encore à l’endroit du capitaine.
La loi ne s’est pas expliquée sur le quantum de l’in
demnité due par le capitaine ou par les propriétaires.
Sa détermination est, comme dans tous les cas de ce
genre, laissée à l’appréciation souveraine de la justice.
Aux termes de l’article 1149 du Code Napoléon, les
dommages-intérêts seraient de la perte éprouvée par le
créancier et du gain dont il a été privé.
A r t ic l e
258.
En cas de prise, de bris et naufrage, avec perte en
tière du navire et des marchandises, les matelots ne
peuvent prétendre aucun loyer.
Ils ne sont point tenus de restituer ce qui leur a été
avancé sur leurs loyers.
A r t ic l e
259.
Si quelque partie du navire est sauvée, les matelots
�250
DROIT MARITIME.
engagés au voyage ou au mois sont payés de leurs loyers
échus sur les débris du navire qu’ils ont sauvés.
Si les débris ne suffisent pas, ou s'il n’y a que des
marchandises sauvées, ils sont payés de leurs loyers sub
sidiairement sur le fret.
A rticle
260.
Les matelots engagés au fret sont payés de leurs
loyers seulement sur le fret, à proportion de celui que
reçoit le capitaine.
Article 261.
De quelque manière que les matelots soient loués, ils
sont payés des journées par eux employées à sauver les
débris et les effets naufragés.
SOMMAIRE
587. Effets de la prise ou du naufrage avec perte entière sur les
loyers des matelots. Motifs de la dérogation au droit
commun.
388. Le< loyers d’aller sont-ils perdus lorsque la prise ou le nau
frage so réalise au retour. Doctrine ancienne et moderne.
589. Principes à l ’appui de la négative.
590. Jurisprudence.
591. Quelles sont les avances que les matelots sont autorisés à
retenir? Leur caractère.
�892. Quid, de la perte entière résultant de la confiscation ?
593. Dioits de l’équipage sur les objets sauvetés. Motifs qui les
ont fait adm
ettre.
594. Ces droits peuvent-ils être exercés par les matelots qui se
sont abstenus de concourir au sauvetage ?
595. Position des matelots loués au pruüi ou au fret, à l’endroit
de l ’article 259.
596. fjitel que soit le mode de leur engagement, les matelots sont
payés des journées qu’ils ont em
ployéesansauvetage.
597. Comment s’opè e ce paiement ?
598. Parqui et com
m
ent est payé ledroitdeconduite?
598bis. Est-il dû sur le fret des précédents voyages ?
587.
— L'article 258 renferme une remarquable dé
rogation au droil commun, surloul à l’endroit des ma
telots engagés au mois. La prise ou le naufrage du na
vire avec perle entière rétroagit sur le passé, annule les
droits acquis et prive les matelots non-seulement de
tous loyers à venir, ce qui serait fort naturel, mais en
core de ceux gagnés jusqu’au moment de la prise ou du
naufrage. Si la première disposition de l’article laissait
quelque doute à cet égard, ce doute s’évanouirait devant
sa seconde disposition, limitant les droits de l’équipage à
retenir ce qu’il a reçu à litre d’avance.
L’intérêt de la navigation a fuit consacrer cette dispo
sition. On a craint que si les matelots étaient sûrs de
recevoir leurs loyers, quel que fût le sort du navire et de
la cargaison, ils ne songeassent à leur propre sûreté beau
coup plus qu’à celle de l’un ou de l’autre. On a donc
voulu leur imposer une conduite contraire, en confon-
�252
DROIT MARITIME.;
dant, en identifiant leur intérêt avec celui des proprié
taires ou affréteurs.
L’application de cette disposition n’offre aucune dif
ficulté lorsqu’il s’agit d’un voyage d’un point à un au
tre, ou lorsque le voyage comprenant l’aller et le retour, la prise ou le naufrage se réalise pendant le voyage
d’aller. L’armateur, absolument privé de tout profit,
est exonéré des loyers auxquels il devait faire face avec
ce profit lui-même.
588.
— Mais si la prise ou le naufrage a lieu seule
ment au retour, les matelots perdent-ils et les loyers du
retour et ceux de l’aller?
La doctrine ancienne s’était divisée sur cette question.
Valin soutenait absolument l’affirmative. Emérigon en
seignait la négative et pensait que l’équipage devait
être intégralement payé de ses loyers sur le fret du
'voyage d’aller, acquis avant le sinistre 1.
La doctrine moderne a également varié. M. Delaporte
se range purement à l’opinion de Valin. M. Delvincourt
estime que Valin a trop accordé à des considérations
particulières, et Emérigon à la rigueur des principes.
En conséquence et par argument de l’article 356, il croit
que les matelots ne peuvent réclamer que la moitié de
leurs salaires.
Comme l’observe M. Boulay-Paty, cette opinion, en
i Valin, sur l ’art. 8, tit. des Loyers des matelots ; Emérigon, Assu
rances, chap. 47, sect. u , § 2,
�ART. 2 5 8 , 2 5 9 , 2 6 0 et 2 6 1 .
2bS
tant qu’elle accorde la moitié des loyers pour le voyage
de retour qui a vu accomplir la prise ou le naufrage,
viole expressément l’article 258. Le seul moyen, ajoute
celui-ci, de concilier véritablement les principes d’équité
avec l’intérêt du commerce et de la navigation, est de
décider que les gens de l’équipage peuvent prétendre,
sur le fret acquis du voyage d’aller, les loyers qui leur
sont dus pour ce voyage, mais non pas ceux dus pour le
retourl.
589.
— Cette opinion, professée par Locré, qui la
prête par erreur à Valin, nous paraît devoir être accueil
lie, non pas seulement à titre de tempérament, mais en
core comme résultant de la loi elle-même.
Vainement excipe-t-on de ce que le voyage compre
nant l’aller et le retour, il n’y a jamais qu’un seul et
unique voyage, pour lequel l’article 258 refuse tou'
loyer. Cette détermination de la durée du voyage ne
saurait aller jusqu’à méconnaître un fait certain : c’es'.
que le voyage comprend deux parties absolument diver gentes, c’est qu’il procure deux frets parfaitement dis
tincts, s’appliquant à deux cargaisons essentiellement
différentes, aussi allons-nous voir l’article 265 établir
lui-même une distinction entre l’aller et le retour. Dèslors, puisqu’il y a lieu de diviser ainsi le voyage, lors
qu’il s’agit d’une mesure avantageuse au matelot, pour
quoi le déclarerait-on indivisible en faveur des proprié
taires ?
�284
DROIT MARITIME.
L’application absolue de l’article 238, au cas qui
nous occupe, n’aurait plus aucun fondement rationnel.
Ce qui a motivé sa disposition rigoureuse, c’est que les
propriétaires n’ayant eux-mêmes rien à recevoir, aucun
profit à réaliser, ne peuvent être obligés de payer des
services dont ils n’ont retiré aucun avantage.
Confisquer à leur profit les loyers du voyage d’aller,
ce ne serait donc plus les placer dans la condition que
le législateur suppose. On les enrichirait au détriment
des matelots, en leur accordant le droit de retenir un
profit peut-être plus que suffisant pour payer des loyers
de l’entier voyage..
Or, la preuve que telle n’a pas été l’intention de la
loi, résulté de l’article 259. Les loyers des matelots doi
vent être payés sur le fret des marchandises sauvées. A
plus forte raison doivent-ils l’être lorsque le voyage
d’aller, heureusement terminé, grâce au dévouement et
au zMe de l’équipage, a produit pour l’armateur un pro
fit important dont il est en possession.
Une rigoureuse justice exigerait même que si ce pro
duit dépasse les loyers du voyage entier, ils fussent
payés intégralement. Mais la loi ri’a pu consacrer celle
exigence, par le motif que nous indiquions tout à l’heu
re. Il faut que l’intérêt que l’équipage a à la conserva
tion matérielle du navire soit le garant des soins qu’il
déploiera dans les mesures que celte conservation né
cessitera. Dans notre système, cet intérêt existe, car, si
le navire se perd, l’équipage perdra, à son tour, les
loyers du voyage du retour.
�ART. 2 5 8 , 2 5 9 , 2 6 0 et 2 6 1 .
255
En réalité donc, l’objection de méconnaître l’intention
et l’esprit de la loi n’a aucun fondement réel. Les loyers
du retour sont, pour les matelots, un risque équivalant
à celui des propriétaires qui n’exposent également que
le fret de retour. Il serait contraire à toute notion de
justice que l’équipage pût perdre plus que le proprié
taire.
S90.
— Ainsi l’a pensé la Cour de Rennes, décidant,
par arrêt du 29 décembre 1831, que lorsque le navire
a fait heureusement sa première traversée et qu’il ne
périt que dans le voyage de retour, les loyers sont dus
à l’équipage pour le voyage d’aller, parce qu’ils sont
acquis.
Cet arrêt, examinant l’objection de l’indivisibilité du
voyage d’aller et de retour, oppose l’article 2(55 d ’abord,
l’article 229 ensuite, et conclut de leurs dispositions
que, partout où il a été à même de l’appliquer, le légis
lateur^ considéré comme deux voyages celui d’aller et
celui de retour.
Cette indivisibilité a été encore repoussée par un arrêt
delà Cour de Rennes, du 1eravril 1841. Cet arrêt décide
que dans un voyage ayant pour objet diverses traver
sées, pendant lesquelles des opérations distinctes ont été
heureusement accomplies, un fret est réputé acquis pour
chaque traversée; qu’en conséquence, si le navire vient
à se perdre entièrement dans he voyage de retour, l’équi
page ne perd ses loyers qu’à l’égard de ce dernier
voyage1.
1 D. P. 44, 8, îa». V.
C o n f. ;
Bordeaux, 24 juillet 4834.
�236
DROIT MARITIME.
Ainsi, si la prise ou le naufrage, avec perte entière du
navire et de la cargaison, se réalise à l’aller, les mate
lots perdent leurs loyers, ils ne peuvent retenir que les
avances reçues. Si l’un ou l’autre a lieu seulement au
retour, il n’y a de perdus que les loyers qu’ils auraient
gagnés pendant ce voyage. Ceux de l’aller sont acquis et
doivent être payés, compensation faite des avances
déjà payées au départ du port d’armement.
5 9 1 . — Les avances non sujettes à répétition sont
celles qui ont été faites sur les loyers. Il est évident que
celles réalisées à tout autre titre constitueraient une
créance ordinaire sur laquelle les chances de la naviga
tion n’exerceraient aucune influence. C’est ce que l’or
donnance avait tellement compris, qu’elle n’avait pas
cru devoir exprimer que les avances acquises aux gens
de l’équipage étaient celles reçues sur leurs loyers.
Notre article l’a expressément déclaré pour exclure
toute possibilité de doute. Ce qui l’a déterminé à consa
crer sur ce point la doctrine de l’ordonnance, c’est qu’il
a considéré ces avances comme une prime d’engage
ment définitivement acquise, dès qu’elle s’est réalisée.
L’événement de la force majeure empêchant la com
pensation que ces avances devaient subir, reste donc à
la charge exclusive des propriétaires.
#
’■
.
■
■
5 9 2 . — La perte entière du navire et de la cargai
son peut résulter de leur confiscation. Mais il est diffi
cile d’admettre que celle-ci ne soit pas la conséquence
�art. 2 5 8 ,
2 5 9 , 2 6 0 et 2 6 1 .
257
d’un fait imputable au capitaine ou aux propriétaires.
Dès lors, la perte ne se placerait pas dans l’hypothèse
prévue par l’article 258, et n’entrainerait pas celle des
loyers des matelots. C’est ce que la Cour de cassation
a expressément jugé dans une hypothèse où la confisca
tion avait été prononcée pour contravention aux lois
concernant la traite des noirs h
593. — Le législateur, qui a voulu dans l’article
258 intéresser l’équipage à la conservation matérielle
du navire et de la cargaison, n’omet rien de ce qui peut
l’encourager à procéder au sauvetage de l’un et de l’au
tre. L’article 259 lui rend ce sauvetage en quelque sorte
personnel, en l’autorisant à se payer de ses loyers d’a
bord sur les débris du navire, et subsidiairement sur le
fret des marchandises en provenant.
594. — On s’est demandé si les termes de l’article,
les débris du navire qu'ils auront sauvés, devaient
être entendus en ce sens que les matelots qui auraient
refusé de concourir au sauvetage devraient être exclus
de la répartition des sommes en provenant. L’affirma
tive est enseignée par M. Pardessus, invoquant l’ancien
droit et notamment les articles 3 des Jugements d'Olèron, 44 de la Hanse teutonique, et 15 de l’ordonnance
de Wisbuy, qui l’avaient ainsi formellement consacré.
Mais l’ordonnance de 4681 n’avait pas rappelé cette
�2 58
DROIT MARITIME.
disposition, elle se bornait aux expressions que nous
retrouvons dans notre article. Or, disait Valin, cette
prescription ne suffit pas pour priver de toute participa
tion au produit du sauvetage les matelots qui se seraient
abstenus d’y concourir.
Ce que Pothier faisait résulter des termes de l’ordon
nance, c’est que les gens de l’équipage qui avaient tra
vaillé au sauvetage avaient un privilège et devaient être
payés avant ceux qui s’étaient abstenus, sur les effets
qu’ils avaient sauvetés l.
Cette doctrine apprécie sainement l’esprit de la loi, et
ses conséquences sont aussi rationnelles que juridiques.
Ceux qui ont réalisé le sauvetage ont sans doute travail
lé dans leur propre intérêt, mais, en définitive, ils ont
agi dans l’intérêt commun, ils ont amélioré la condi
tion de tous; or, ainsi que nous l’avons vu sous l’arti
cle 191, c’est cette circonstance à laquelle est attaché
le droit de préférence. Le privilège réclamé par Pothier
se place donc dans les prévisions delà loi.
Sa sanction a de plus l’incontestable mérite de faire
aux matelots un devoir plus pressant de l’obligation que
la loi a entendu leur imposer. C’est donc cette solution
qu’on doit consacrer sans hésitation sous l’empire du
Code.
595.
— Le bénéfice de l’article 259 n’est acquis
qu’aux matelots engagés au mois ou au voyage. Les
i Louage des matelots, n° 187.
�ART.
258, 259, 200
et
261.
259
salaires qui doiveni leur être payés sur la vente des dé
bris et subsidiairement sur le fret des marchandises sau
vées sont ceux gagnés jusqu’au jour de la perte, ils sont
réglés, à l’endroit des derniers, proportionnellement au
temps écoulé, eu égard à la durée présumée de l’entier
voyage.
Les matelots engagés à la part dans le profit ou dans
le fret n’ont rien à réclamer sur les débris du navire.
C’est là la conséquence naturelle de leur engagement.
Dans l’engagement au profit, la cargaison appartient
ordinairement à l’armement lui-même. Dès lors, quel
que importantes que fussent les marchandises sauvées,
leur produit ne saurait être revendiqué par les matelots
que si, compte fait de l’opération en général, ce produit
présentait un profit, ce qui ne pourrait se réaliser que
s’il dépassait le prix de revient de la cargaison entière.
Dans le cas contraire, ces matelots se trouveraient dans
la même position que si, le voyage étant heureusement
accompli, la liquidation de l’opération ne présentait au
cun bénéfice.
Mais les matelots engagés au fret doivent participer à
celui que paieraient les marchandises sauvetées. Dans ce
cas, dit l’article 260, ils ne retirent leur part qu’à pro
portion du fret que reçoit le capitaine. Ainsi, si les mar
chandises sauvées représentent la moitié, le tiers, le
quart du chargement total, les matelots ne reçoivent que
la moitié, le tiers, le quart de la part qui leur avait été
attribuée dans l’engagement.
�260
DROIT MARITIME.
5 9 6 . — Quel que soit le mode de leur engagement,
les matelots doivent être indistinctement payés des jour
nées par eux employées à sauver les débris et les effets
naufragés. C’est là une nouvelle prime d’encouragement
pour engager les matelots à braver les fatigues et les
dangers que peut offrir le sauvetage.
Ce service, d’ailleurs, est en dehors de celui qui a fait
la matière de l’engagement ; si d’autres que les matelots
l’avaient accompli, ils en auraient été certainement
payés, pourquoi donc n’aurait-on pas accordé à ceuxci la récompense qu’on ne refuserait pas à des étragers.
597. — Le payement de ces journées est fait par
privilège, et même de préférence aux loyers des matelots.
Ce caractère est la juste conséquence des résultats que
ces journées ont procurés, sans elles, tout aurait été per
du ; il est donc juste qu’avant de profiter du gage, les
intéressés payent ce qu’il en a coûté pour l’obtenir.
Il suit de là que sur le prix provenant des débris,
coque, agrès ou apparaux, on doit prélever d’abord le
montant des journées et les autres frais dé sauvetage.
L’excédant est consacré au paiement des loyers, dans
l’ordre que nous indiquions tout-à-l’heure, à savoir
d’abord les matelots qui ont travaillé au sauvetage, en
suite ceux qui s’en sont abstenus.
Si cet excédant ne suffit pas, on recourt subsidiaire
ment au fret des marchandises sauvées, comme on le
ferait pour le tout, s’il n’y avait eu que des marchan
dises sauvées.
�ART. 2 6 8 , 2 6 9 , 2 6 0 et 2 6 1 .
261
Ajoutons qu’à l’endroit des journées, ce n’est pas
seulement le fret des marchandises qui répond de leur
paiement, c’est en outre la marchandise elle-même. Les
armateurs, affréteurs ou assureurs, au profit desquels le
sauvetage a été opéré, ne sauraient, sous aucun prétexte,
se soustraire à l’obligation d’en supporter les frais.
598.
— La prise ou le naufrage avec perte entière
dispense les propriétaires non-seulement des loyers,
mais encore de la conduite des matelots ; leur rapatrie
ment est dans ce cas à la charge de l’Etat. Le contraire
a été cependant jugé par la Cour de Rouen, dans l'arrêt
du 29 décembre 1831, que nous citions tout à l’heure.
Celte solution méconnaît le texte et l’esprit de la loi,
elle viole les dispositions de l’arrêté du 5 germinal
an x i i .
L’article 259 ne parle plus du droit de conduite, com
me le faisait naguères l’article 252, il ne pouvait même
s’en occuper : d’abord, parce que ce droit n’est qu’un
supplément de loyers, et qu’en dispensant du principal
il dispensait par cela même de l’accessoire ; ensuite, par
ce qu’il est de principe que, pour tout ce qui concerne
la navigation, les propriétaires ne répondent jamais que
jusqu’à concurrence de la valeur du navire lui-même,
et qu’ici la perte entière a fait disparaître tous les élé
ments de cette responsabilité.
Voilà pourquoi les lois de la matière ont mis le ra
patriement des matelots à la charge de l’Etat. Il est
vrai qu’après l’avoir exécuté, l’Etat a le droit de pour-
�262
DROIT MARITIME.
suivre son remboursement contre les propriétaires ou
affréteurs, mais l’arrêté du 5 germinal an xn, pour le
cas de naufrage, n’autorise ce recours que sur le produit
des débris du navire ou le fret des marchandises sauvées.
Donc, s’il y a insuffisance, la dépense reste à la charge
de l’Etat. Dans tous les cas, les propriétaires ne sont te
nus que sur les débris el sur le fret, lesquels, aux ter
mes mêmes de l’article 7 de l’arrêté, doivent, avant
tout, être employés aux frais du sauvetage et au paie
ment des loyers.
Il est donc évident que, dans l’hypothèse de perte
entière, le droit de conduite ne saurait être exigé , pas
plus que les loyers eux-mêmes.
,
-
i
\
598 bis.— L’administration de la marine n’a pas con
testé que l’abandon du navire et du fret dut libérer l’a r
mateur propriétaire des frais de rapatriement el de con
duite ; mais elle a soutenu que dans ce cas et à l’endroit
de ces frais, l’abandon devait comprendre tous les frets
gagnés depuis que le navire était sorti de son port d’ar
mement. C’est cette prétention qu’elle élevait notamment
contre M. Zizinia, armateur du navire l'Elisabeth, qui
s’était perdu avec toute sa cargaison dans un dernier
voyage de Saigon à Macao.
Le jugement du tribunal de commerce de Marseille
qui rejetait cette prétention avait été confirmé, en appel,
par la Cour d’Aix.
« Attendu, disait l’arrêt, que l’Etat n’a pas d’autre
» action pour obtenir de l’armateur les frais de rapa-
�ART.
258, 259, 260
et
261.
265
» triement des matelots, que celle qui appartient aux
» matelots eux-mêmes auxquels il est subrogé de plein
» droit ; — Attendu que l’action des matelots ne peut
» dériver que du contrat ou de la loi ; que, dans l’es—
» pèce, aucune action ne dérive du contrat ; qu’il n’en
» dérive aussi aucune de la loi ; qu’en effet, d’après les
» articles 258 et 259 du Code de commerce, en cas de
» naufrage, les débris du navire et le fret des marchan» dises sauvées sont seul engagés au profit des matelots
» et qu’il n’y a, dans l’espèce, ni débris, ni fret ; —
» Attendu que les dispositions des articles précités ne
» sont contredits ni par l’arrêté du 5 germinal an xn,
» ni par l’ordonnance du 28 mai 1836, ni même par le
» décret du 7 avril 1860, et qu’elles sont conformes
» aux principes généraux sur la matière, qui' veulent
» qu’en l’absence de toute convention contraire, le pro» priétaire du navire ne soit jamais tenu au-delà de la
» valeur exposée aux risques de la mer
Mais sur le pourvoi de l’administration de la marine,
et par arrêt du 27 novembre 1866, la Cour de cassation
casse l’arrêt de la Cour d’Aix pour fausse application
des articles 258 et 259 du Code de commerce, et viola
tion de l’article 14 du décret du 7 avril 1860. Cette cas
sation est fondée sur les motifs suivants qu’il importe
de transcrire :
« Attendu que tout marin inscrit est tenu de servir
sur les bâtiments ou dans les arsenaux de l’Etat toutes
.
1 J du P
., 1865,
851.
’
�264
DROIT MARITIME.
les fois qu’il en est requis ; qu’en conséquence, s’il lui
est permis de s’engager dans la marine marchande pen
dant le temps que lui laisse libre le service public, c’est
à la condition d’être, après l’expiration de son engage
ment, rendu à l’Etat, par l’armateur, dans le port ou
quartier d’inscription auquel il appartient ; qu’ainsi le
rapatriement des gens de mer, engagés sous cette con
dition au service du commerce maritime, et leur conduite
à leur quartier d’inscription, sont une dette de l’arme
ment, non-seulement envers les hommes de mer qui ne
sauraient être abandonnés sans ressources, loin de leur
pays et de leurs familles, mais aussi envers l’Etat qui,
pour le recrutement de sa marine et de ses arsenaux,
peut avoir à requérir leurs services; que l’action de
l’Etat qui réclame de l’armateur les frais de rapatrie
ment n’a donc pas son principe dans une subrogation
au droit des matelots ; qu’elle dérive directement de
l’obligation de l’armateur envers lui et de la condition
même sous laquelle tout marin inscrit s’engage au ser
vice de la marine marchande ;
» Attendu que, sauf les exceptions expressément ad
mises par des dispositions spéciales, la règle générale
sur le droit des gens de mer naviguant pour le com
merce à une conduite dans leur quartier, persiste dans
tous les cas, quelle que soit la cause de la rupture de
l’engagement, pourvu toutefois qu’elle ne provienne ni
du fait ni de la volonté desdits marins (art. 1°r de l’ar
rêté du 5 germinal an xn) ; qu’à la vérité l’armateur
n’est pas tenu, à cet égard d’une obligation personnelle
*
�Art . 2 5 8 , 2 5 9 , 2 6 0
et 2 6 1 .
265
et sur tous ses biens indistinctement ; que son obligation
est purement réelle et affecte seulement sa fortune de
mer; qu’ainsi, aux termes de l’article 7 de l’arrêté du
5 germinal an xn, elle se limite, en cas de naufrage, à
la valeur des débris du navire et du fret des marchan
dises sauvées; que l’armateur en est affranchi s’il y a
perte entière du navire et de la cargaison ; mais que ces
dispositions de faveur sont sans application lorsque,
comme dans l’espèce, l’armateur a, par le concours des
marins à rapatrier, réalisé, avant le naufrage, des frets
constituant des éléments de sa fortune de mer, et affec
tés, à ce titre, au paiement des frais de subsistance,
d’entretien, de rapatriement et de conduite qui étaient
une des conditions légales et d’ordre public de l’engage
ment au jour même où le navire quittait son port d’ar
mement ;
» Attendu que le décret du 7 avril 1860 se borne, par
application et pour l’exécution des lois sur l’inscription
maritime, à régler le mode et les conditions suivant les
quels les gens de mer momentanément engagés au ser
vice du commerce doivent être ramenés à leur quartier
d’inscription pour y être à la disposition de l’Etat ; qu’il
ne fait que déduire une des conséquences légales des
principes en matière d’inscription maritime lorsque, par
son article 14, il énonce que les frais de subsistance,
d’entretien, de rapatriement et de retour au quartier des
gens provenant de l’équipage d’un navire de commerce
sont à la charge de l’armement ; qu’il n’est fait excep
tion à cette règle que dans les hypothèses prévues par
�266
DROIT MARITIME.
l’article 15 du même décret, au nombre desquelles n’est
pas compris le cas de naufrage 1. »
La doctrine de la Cour de cassation aboutirait à ce
résultat que l’armateur dont le navire aurait quitté son
port d’armement depuis cinq ou dix ans, et, dans l’in
tervalle accompli dix ou vingt voyages, devrait, en cas
de naufrage en cours du dernier, payer les frais de ra
patriement et de conduite sur les frets des voyages pré
cédents. Qu’on nous permette de croire que ce résultat
non-seulement ne saurait invoquer le texte de nos lois,
mais qu’il est encore en contradiction avec leur esprit.
Est-ce là en effet le moyen de multiplier, d’encourager
les armements et de favoriser le développement de notre
marine marchande?
Les efforts que fait l’arrêt pour établir que les frais
de rapatriement et de conduite sont à la charge de l’ar
mement étaient inutiles. Personne ne s’est jamais avisé
de prétendre et de soutenir le contraire. Mais que cette
dette soit due directement à l’Etat c’est ce que l’arrêt
avoue mais ne justifie pas. Le marin inscrit doit vivre
même pendant qu’il n’est pas en service actif; il doit
pourvoir aux besoins de sa famille, et où en trouvera-til le moyen si ce n’est dans un engagement dans la ma
rine marchande? L’Etat n’a donc rien à empêcher, rien
à consentir. Il est et il doit être si absolument étranger à
cet engagement que l’ordonnance du 31 octobre 1784,
le décret du 31 décembre 1790 et la loi du 3 brumaire
i Ibidem, 1867, 54, 246.
�ART. 2 5 8 , 2 5 9 , 2 6 0 ET 2 6 1 .
267
an iv, ne se bornent pas à proclamer la liberté absolue
des marins à ce sujet, ils défendent très-expressément
encore au commissaire des classes d’y intervenir.
Au reste, peu importe à notre avis la personnalité du
créancier; que la dette soit due directement ou indirec
tement à l’Etat, elle n’en est pas moins contractée pour
le navire et à l’occasion du voyage qu’il va entreprendre.
Il ne peut donc s’agir que d’en déterminer les effets con
tre l’armateur.
Or, à ce sujet, on ne saurait hésiter. La Cour de cas
sation elle-même le consacre. Pour toutes les dettes de
cette nature, il n’existe pas d’obligation personnelle,
l’armateur n’est pas tenu indistinctement sur tous ses
biens : sa fortune de mer en répond seule, et l’abandon
de celle-ci la fait absolument disparaître. Il est vrai que
l’arrêt objecte que ces dispositions sont inapplicables
lorsque l’armateur a, par le concours des marins h ra
patrier, réalisé avant le naufrage des frets constituant
des éléments de sa fortune de mer, affectés, à ce litre,
au paiement des frais de rapatriement et de conduite.
Mais cette proposition est purement arbitraire, et nous
cherchons vainement dans la loi la disposition sur la
quelle elle s’appuyerait. Une obligation quelconque ne
peut dériver que d’un texte de loi qui la crée ou l’au
torise. Or, l’exception que la Cour de cassation induit
des voyages antérieurs au naufrage, loin de reposer sur
un texte, est au contraire repoussée par toute notre légis
lation. Comment en effet la loi du 5 germinal an xn et
l’article 259 du Code de comerce, pouvaient-ils procla-
�268
DROIT MARITIME.
mer leur applicabilité aux frets antérieurement, gagnés et
acquis, plus énergiquement qu’en n’affectant aux cré
ances ordinaires et même aux salaires des matelots que
le fret des marchandises arrachées au naufrage ?
Est-il vrai, d’ailleurs que les frets antérieurs soient
des éléments de la fortune de mer de l’armateur ? Mais
nos lois ont en quelque sorte précisé cette fortune et en
ont déterminé les éléments. L’arrêté du 5 germinal an
x i i ne déclare l’armateur tenu que sur les débris du
navire et sur le fret des marchandises sauvées, et l’ar
ticle 259 du Code de commerce n’affecte subsidiairement
aux matelots que ce même fret ; or il n’y a et ne peut
y avoir de marchandises sauvées que celles qui se trou
vant à bord au moment du naufrage ont échappé au si
nistre, lui ont été soustraites.
N’est-ce pas d’ailleurs ce que la Cour de cassation ju
geait formellement le 14 décembre 1825? Des assureurs
prétendirent que le délaissement qui était offert par l’ar
mateur devait comprendre les frets non des voyages pré
cédemment accomplis, mais des marchandises débar
quées dans les diverses escales faites par le navire dans
le voyage qui s’était terminé par le naufrage. Déboutés
de leur prétention par la Cour de Rennes, ils deman
daient la cassation de l’arrêt pour violation de l’article
386 du Code de commerce. Mais l’arrêt reçoit au con
traire la sanction de la Cour suprême qui rejette le pour
voi par les motifs suivants :
« Attendu que les termes précis et formels de l’arti
cle 386 n’accordent aux assureurs sur le corps du na-
�ART. 288, 259, 260 et 261.
269
vire que le fret des marchandises sauvées ; que par ces
mots : marchandises sauvées la loi a entendu, même en
les prenant dans le sens grammatical, les marchandises
qui se sont trouvées exposées au sinistre qui est devenu
la cause du délaissement et qui en ont été sauvées ; que
c’est ainsi dans cette même acception limitative que ces
mots marchandises sauvées, effets sauvés, ont été constamment employés dans les divers articles du même Co
de notamment dans les articles 259, 303, 327, 331,
418, 423 et 425 etc...... »
Comment donc admettre que les frets des voyages an
térieurs constituent des éléments de la fortune de mer
de l’armateur, alors qu’on dénie ce caractère au fret
des marchandises débarquées dans les escales du voyage
qui s’est terminé par le naufrage?
Si la doctrine de la Cour de cassation était vraie pour
les premiers, il s’ensuivrait qu’ils devraient répondre
nécessairement des salaires de l’équipage, des créances
des prêteurs à la grosse, des fournisseurs et autres ou
vriers, être délaissés aux assureurs, car si l’armateur
n’est tenu pour le tout que sur sa fortune de mer, il ne
peut rien garder de ce qui la constitue ; il est obligé de
l’abandonner en son entier en quoi qu’elle consiste ou
puisse consister.
Or pour les salaires de l’équipage, la marine ne les
réclamait même pas dans l’espèce. Elle reconnaissait
donc qu’ils n’affectaient pas les frets antérieurs1. Pour1 Cass., 27 février 4867. Journal de Marseille, 4867, 2, 423.
�270
DROIT-MARITIME.
quoi cette reconnaissance si ces frets constituaient la
fortune de mer?
Les prêteurs à la grosse, les fournisseurs et ouvriers!
est-ce que quelqu’un a jamais prétendu qu’à leur égard
l’abandon qui leur est fait devait comprendre autre
chose que les débris du navire et le fret des marchandi
ses qui étant à bord au moment du naufrage y ont
échappé.
Les assureurs 1 mais nous venons de voir que le Cour
de cassation loin de leur accorder les frets des voyages
antérieurs, leur refuse celui des marchandises débar
quées dans les divers ports auxquels le navire a touché
dans le cours du dernier voyage.
Ce qui esL vrai pour l’équipage par le concours du
quel les frets antérieurs ont été gagnés, pour les cré
anciers ordinaires, pour les assureurs, ne peut pas ne
pas l’être pour l’Etat. En supposant qu’il ait prêté ses
marins, il s’est sciemment et volontairement soumis aux
éventualités de la navigation, il a dû savoir et a su ce qui
l’attendait en cas de naufrage, mieux que personneil con
naissait la loi et savait que l’armateur se libérerait de
toutes les dettes contractées à l’occasion du voyage par
l’abandon du navire et du fret. Si dans ces conditions
le contrat lui paraissait trop onéreux, il n’avait qu’à ne
pas consentir s’il y a été partie, comme le prétend la
Cour de cassation. S’il l’a toléré, il doit subir les con
séquences que la loi lui attachait expressément, à moins
de soutenir que la faculté consacrée par l’artiçle â16 ne
saurait s’exercer à l’égard des frais de rapatriement et
de conduite.
�ART. 258, 259, 260 et 261.
271
Or cette exception, l’administration de la marine ne
s’en est jamais prévalue. Loin de l’invoquer elle a tou
jours accepté l’abandon comme elle le faisait dans l’es
pèce; mais alors comment pouvait-elle en changer le ca
ractère, l’exiger au-delà des limites que l’article 216
détermine ?
La disposition qui autoriserait cette prétention ne se
trouve ni. dans le Code de commerce, ni dans la législa
tion antérieure, et ne pouvait pas s’y trouver. La créance
de l’Etat pour frais de rapatriement et de conduite n’est
pas plus favorable que celle des prêteurs à la grosse, que
celle des fournisseurs et ouvriers, que celle surtout de
l’équipage qui est le prix des fatigues, des travaux et des
dangers des marins, et qui doit subvenir aux besoins de
leurs familles, pourquoi le législateur l’eût-il exceptée de
la règle générale et aurait-il permis qu’elle survécut au
sinistre qui fait périr toutes les autres.
Une pareille exception ne se présume pas ; elle ne
saurait être admise que si elle résultait d’une disposition
de loi expresse, et, nous le répétons, cette disposition
n’existe et n’a jamais existé dans notre législation
maritime.
Reste le décret du 8 avril 1860, qui dans son article
14 affecte le paiement de frais de rapatriement et de
conduite sur l’ensemble des frets gagnés depuis le dé
part du navire de son port d’armement. Ici la disposi
tion est expresse, mais nous ne saurions ni en recon
naître ni en accepter la légalité.
Remarquons d’abord que le décret ne voit dans ces
�272
DROIT MARITIME.
frais qu’un supplément des salaires ; il en déclare en ef
fet l’armateur tenu au même titre que les salaires.
Le caractère de la dette est donc le même et cette iden
tité devait nécessairement entraîner un même sort : ou
elle a survécu ou elle a péri pour le tout.
Cependant l’administration de la marine ne deman
dait pas le paiement des salaires: elle reconnaissait
donc que ceux-ci étaient bien perdus. Mais alors si le
principal avait disparu, tout ce qui procédait du même
titre était également anéanti. Pourquoi les frais de ra
patriement auraient-ils survécu et grèveraient-ils les
frets des voyages précédents? parce que ces frets avaient
été gagnés par le concours des matelots. Mais le paie
ment de leurs salaires de ces voyages les avaient dédom
magés de ce concours, et qu’avaient-ils à exiger de plus?
Le décret du 7 avril n’affecte l’ensemble des frets
aux frais de rapatriement que dans la fausse persuasion
que cet ensemble répondait des salaires. Cette fausse
persuasion se manifeste dans la circulaire ministérielle
qui a suivi ce décret ; elle est la preuve que le décret
n’a ni entendu ni voulu séparer ces frais des salaires ;
dès lors si pour ceux-ci les frets antérieurs ne sont pas
affectés, ils ne sauraient l’être pour ceux-là.
Dans tous les cas, si le décret l’avait entendu autre
ment, il aurait fait ce qu’il ne pouvait pas faire : il au
rait, en effet, abrogé l’article 259 du Code de commerce.
Vainement l’arrêt de la Cour de cassation s’efforcet-il à établir que le décret du 7 avril n’introduit pas un
droit nouveau. La preuve du contraire résulte invinci-
�ART. 25.8, 259, 260. et 261.
275
blement de la pratique de l’administration de la marine
elle-même.
: n o o j a ii ; m am an- &b i u . 0
Jusqu’en 1860, les occasions de demander le rem
boursement des frais de rapatriement et de conduite ne
lui ont pas manqué, or est-ce qu’elle avait jamais pré
tendu affecter à ce remboursement l’ensemble des frets
gagnés depuis le départ du navire de son port d’arme
ment? pourquoi Je fait-elle aujourd’hui? sur quoi appuye-t-elle sa nouvelle prétention^ si ce n’est sur le dé
cret lui-même? N’est-ce pas là reconnaître, et fort ex
plicitement que ce décret a brisé l’obstacle invincible que
l’article 259 du Code de commerce opposait à cette prétenJitMbflfiaieb iimuaq. on ennemi eel
Pouvait-il le faire légalement, obligatoirement pour
les tribunaux? La réponse ne saurait être douteuse. Le
principe de droit public qu’une loi ne peut être modifiée
ou changée que par une loi est inscrit dans toutes nos
constitutions, dans celle de 1852 comme dans les autres,
et gardiens éclairés de nos droits, les tribunaux ne peu
vent et ne doivent, dans aucun cas, violer ce principe.
C'est ce que le tribunal de commerce de Marseille a
pensé. Récemment investi de la question il l’a résolue
dans le sens qu’il avait déjà adopté, par jugement du
10 juillet 1867.
ei) aJeb-uB unâJ 9i)è esq Jiob su îumemiB i ,Ji6q smifi o
Nous croyons devoir transcrire les motifs de ce juge
ment qui complètent et résument la discussion à la
quelle nous venons de nous livrer.
Le tribunal rappelle que sort précédent jugement, con-
n — 18
�274
DROIT MARITIME.
firmé par la Cour d’Aix, a encouru la censure de la
Cour de cassation ; il ajoute :
« Attendu qu’une décision de la Cour de cassation
est sans doute pour le tribunal une autorité fort impo
sante ; que l’arrêt du 27 novembre 1866 lui impose le
devoir d’examiner avec l’attention la plus sévère, et ce
pendant avec une entière indépendance, s’il doit ou non
persister dans la solution qu’il a déjà adoptée ;
» Attendu que les obligations respectives des arma
teurs et des équipages engagés pour la navigation, ont
été réglées de tout temps et dans toutes les législations
des peuples commerçants en ce sens que, en cas de prise,
bris ou naufrage, les marins ne peuvent demander au
cuns loyers (art. 258 C. de comm.), si ce n’est sur les
débris sauvés et sur les marchandises sauvées du nau
frage (art. 259).
» Que c’est là, non une exception au droit commun,
mais une règle spéciale à un contrat particulier ; que
les marins étant engagés dans une entreprise détermi
née et ayant la garde et la responsabilité du navire et
du chargement, devaient être, au moins dans la mesure
de leur intérêt personnel, liés au sort du navire et main
tenus dans leur devoir par la considération de la perte
de leurs avantages si le navire venait à périr ; que,
d’autre part, l’armateur ne doit pas être tenu au-delà de
la perte de son navire et du fret que celui-ci a sauvé du
naufrage;
» Attendu que ce principe est reconnu par la mari
ne, en ce sens qu’elle ne demande pas que les marins
�ART. 258, 259, 260 et 261.
275
du Rochebome soient payés de leurs salaires depuis que
le second voyage a commencé et qu’elle admet que ces
salaires sont perdus ;
» Que cependant, pour les frais de rapatriement, elle
demande que ces frais lui soient alloués sur le fret d’un
précédent voyage ;
» Attendu que l’assimilation que la marine fait des
frais de rapatriement et des salaires, s’oppose manifeste
ment à cette prétention ;
» Qu’en effet les voyages successifs d’un navire ont
toujours été distingués entre eux, spécialement pour les
frets antérieurs à celui qui est brisé par le naufrage;
que ces frets antérieurs sont inscrits dans l’ordonnance
de 1773 sous la dénomination de frets acquis; qu’ils
sont susceptibles d’assurance, qu’ils sont exceptés du
délaissement et demeurent réservés à l’armateur suivant
l’article 386 du Code de commerce; que c’est en ce
sens que la Cour de cassation s’ëst prononcée le 14 dé
cembre 1825, en déclarant de plus dans son arrêt que
le même principe doit s’appliquer à tout le droit mari
time, notamment en cas de naufrage (art. 259 C. de
comm.) ;
» Attendu que celte interprétation donnée par la
Cour de cassation n’ayant jamais été contestée pour les
salaires du voyage dans lequel le navire a péri, ne sau
rait l’être davantage pour le rapatriement ;
» que la conduite du navire est, en effet, réglée par
la loi commerciale en outre du salaire, et comme une
indemnité complémentaire ; qu’elle est matière à con-
�276
DROIT MARITIME,
vention libre par l’article 4 de l’arrêté de germinal an
xii ; qu’elle est accordée ou refusée au marin suivant les
circonstances par le Code de 1807 ; que le rapproche
ment des diverses dispositions du titre v, livre 2 de ce
Code ne peut laisser de doute sur ce point ; qu’en cas de
rupture du voyage par un fait de force majeure, notam
ment de naufrage, aucune conduite ne saurait être due
an marin en dehors du s a u v é ^ o,
...
» Que cette solution est écrite textuellement dans l’ar
ticle de l’ordonnance du 1" août 1743, reproduit litté
ralement par l’article 7 de l’arrêté de germinal an xii ;
» Attendu que la marine a soutenu que l’obligation
quelle prétend imposer à l’armateur dérive de l’ensem
ble des ordonnances et lois sur l’inscription maritime ;
» Mais attendu que l’ordonnance du 31 octobre 1784,
le décret du 31 décembre 1790, la loi du 3 brumaire
an iv, ont au contraire, proclamé la liberté des engage
ments et la liberté des conventions, avec défense au com
missaire des classes d’intervenir et d’exercer aucune au
torité à cet égard ; qu’un décret du 20 novembre 1865
a même autorisé la liberté des conventions sur les vivres
et les rations de l’équipage ;
» Attendu que les contrats qui interviennent entre
l’armateur et l’équipage ne peuvent évidemment donner
à la marine un droit personnel et que les marins n’au
raient pas de leur chef ;
» Attendu que le rapatriement des marins naufragés
a toujours été considéré comme une dette de l’Etat ; que
tel est le texte de toutes les décisions intervenues sur ce
�ART. 258, 259, 200 et 261.
277
point et sous tous les régimes qui se sont succédés en
France; que le rapatriement ayant lieu d’ailleurs dans
l’intérêt de l’Etat, il en résulte que l’Etat doit en sup
porter les frais, et que les retenues qu’il est autorisé à
prélever sur les salaires et autres valeurs forment la pro
vision légale de ces dépenses;
Attendu qu’il est inexact de dire que l’Etat prête ses
marins inscrits au commerce, et que le commerce doit
être tenu de satisfaire aux conditions que l’Etat croit
devoir imposer à ce prêt ;
» Que les marins sont libres de leur personne et de
leurs services sauf l’obligation de servir l’Etat dans des
conditions déterminées par les règlements, et qu’on ne
concevrait pas d’ailleurs un contrat dans lequel l’Etat
stipulerait arbitrairement les conditions en dehors de la
loi qui est le seul contrat légal et obligatoire pour tous;
» Attendu que le décret du 7 avril 1860, dont excipe
la marine, et sur lequel s’appuyent les décisions par
elle invoquées, s’occupant de la révision d’un tarif de
conduite devenu insuffisant, déclare bien, dans son ar
ticle 14, que les frais de rapatriement avancés par l’Etat
doivent être recouvrés sur l’ensemble de tous les frets
gagnés depuis le départ du navire, mais la circulaire,
qui accompagne le décret, explique cette décision en
s’appuyant sur ce que les salaires des marins devraient,
d’après la jurisprudence nouvelle, être payés sur ces
frets antérieurs, ce qui est une erreur manifeste, car la
jurisprudence n’a pas varié depuis l’arrêt précité du 14
décembre 1825, et d’ailleurs les changements de la'ju -
�278
DROIT MARITIME.
risprudence se signalent d’eux-mêmes sans qu’il y ait à
les imposer par un décret, et que nuis salaires ne sont
dus aux marins pour le voyage dans lequel le navire a
péri, les salaires antérieurs seuls étant acquis définitive
ment aux marins, et à payer sur les frets antérieurs qui
ne sont acquis qu’à cette condition;
f> Attendu enfin que ce décret, postérieur à la mise
en vigueur de la constitution du 14 février 1852, aurait
introduit un droit nouveau et modifié les dispositions du
Code de commerce en aggravant, contre l’esprit et le
texte de la loi, les charges des armateurs en cas de si
nistre maritime l. »
Article 262.
Le matelot est payé de ses loyers, traité et pansé aux
dépens du navire, s’il tombe malade pendant le voyage
ou s’il est blessé au service du navire.
Article 263.
Le matelot est traité et pansé aux dépens du navire et
du chargement, s’il est blessé en combattant contre les
ennemis ou les pirates.
i Journal de Marseille, 1867,1, 245. Mais la Cotir de cassation a
persisté dans sa jurisprudence contraire.
�ART. 262, 265, 264
et
265.
279
Article 264.
Si le matelot, sorti du navire sans autorisation, est
blessé à terre, les frais de ses traitement et pansement
sont à sa charge, il pourra même être congédié par le
capitaine.
Ses loyers, en ce cas, ne lui seront payés qu’à propor
tion du temps qu’il aura servi.
Article 265.
En cas de mort d’un matelot pendant le voyage, si le
matelot est engagé au mois, ses loyers sont dus à sa
succession jusqu’au jour de son décès.
Si le matelot est engagé au voyage, la moitié de ses
loyers est due, s’il meurt en allant ou au port d’arrivée.
Le total de ses loyers est dû, s’il meurt en revenant.
Si le matelot est engagé au profit ou au fret, sa part
entière lui est due, s’il meurt le voyage commencé.
Les loyers du matelot tué en défendant le navire sont
dus en entier pour tout le voyage, si le navire arrive à
bon port.
�280
DROIT MARITIME.
SOMMAIRE
599. Motifs qui ont fait mettre à la charge de l ’armement les frais
de la maladie survenue après le départ.
600. Etendue de son obligation.
601. En quoi elle consiste, si le malade est débarqué.
602. Q u id , de la maladie qui survient pendant le rapatriement
des matelots.
602bis. Quel est le voyage pour lequel le matelot malade ou
blessé doit être payé de ses loyers ?
602ter. L ’article 262 s’applique aux matelots engagés à la part ou
au profit, comme à ceux qui sont engagés au mois ou au
voyage.
603. Ou de la maladie imputable au fait personnel de celui qui
e n est atte in t.
60-4. La blessure reçue au service du navire est à la charge de
c e lu i- c i, alors même qu’elle l ’aurait été avant le départ.
Conséquences.
605. Caractère de celle reçue en défendant le navire. Elle cons
titue une avarie commune. Conséquences.
606. Q u id , de celle reçue à terre , si le matelot y est venu sans
autorisation.
607. Si le matelot ainsi blessé n'est pas congédié , doit - il être
payé de ses loyers pendant le temps qu’il ne peut travailler?
608. Dans quels cas la blessure du matelot venu à terre avec
l’autorisation est-elle à la charge du navire ?
609. Comment se règlent les loyers des matelots morts pendant
le voyage?
610. Motifs qui ont présidé à la détermination des droits des en
gagés au voyage.
611. Caractère de cette détermination pour les matelots engagés
au profit ou au fret.
612. Quid, dans le cas de suicide?
�art.
2 6 2 , 2 6 3 , 2 6 4 ET 2 6 3 .
281
613. Effets de la mort reçue en combattant , pour les matelots
au voyage ou au mois. Caractère de l ’indemnité. Consé
quences.
614. Condition exigée pat notre article. Ses e ffe ts, si le navire
est capturé ou s’il périt.
615. La succession du matelot tué en défendant le navire d o it,
indépendamment de l’intégralité des loyers, recevoir tous
autres profits accidentels.
' nîSosj’m! n o eiutoeînoo éhy'üp él Hmes en
599.
— Dans le contrat ordinaire de louage, d’œu
vres et d’industrie, le maitre, observe Pothier, est fondé
à retenir sur le prix du loyer le temps de la maladie
de ceux qu’il a engagés, les frais de traitement ne sau
raient jamais être à sa charge, mais une protection toute
spéciale a été accordée en ce cas aux matelots, afin de
favoriser l’inscription maritime l.
On a donc encore dérogé au droit commun, et c’était
justice. La maladie pouvait n’êlre que le résultat des pé
rils et des fatigues essuyés pour la conservation du na
vire, ou l’effet du climat qu’on est venu affronter. Etaitil dès lors raisonnablement possible d’en laisser les
suites à la charge personnelle du matelot et de le réduire
ainsi non-seulement à ne recevoir aucun loyer, mais
encore à consommer dans son traitement ceux qu’il
avait gagnés jusque-là?
Cette question a été de tous les temps résolue d’une
manière uniforme. Le matelot atteint de maladie pen
dant le voyage est présumé continuer son service, il est
1 Louage des Matelots, n° 189,
�282
DROIT MARITIME.
payé de ses loyers, pansé et traité aux dépens du
navire.
Ce qui résulte d’abord de notre article, c’est que la
maladie déclarée avant le départ du navire devient com
plètement étrangère à l’armement, vainement le matelot
souliendrait-il qu’elle n’est que la conséquence du Ira- _
vail auquel il s’est livré pour l’équipement ; comme ce
ne serait là qu’une conjecture sur laquelle on ne saurait
avoir aucune certitude, l’engagement ne laisserait pas
que d’être résilié, et tout ce qui serait dû au matelot
consisterait dans le prix des journées qu’il aurait pu
employer à l’équipement du navire.
L’application de l’article 262 est donc subordonnée à
la condition que la maladie sera postérieure au départ,
mais cette condition est remplie dès que le navire a pris
la mer. L’avis exigeant qu’il y eût au moins un intervalle
de vingt-quatre heures entre le départ et la déclaration
de la maladie a été unanimement repoussé. A quelque
époque que celle-ci éclate, il suffit que le navire ait
quitté le port pour que le matelot puisse invoquer l’arti
cle 262.
600.
— L’obligation de pourvoir au traitement et au
pansement du matelot malade comprend tout le temps
que dure la maladie, quelque prolongé qu’il soit. Ce
pendant l’usage, dans certaines localités, avait admis
que l’armement en était libéré en consignant une som
me suffisante pour subvenir pendant quarante jours
aux frais de la maladie. Mais le conseil d’Etat, appelé à
�art.
262, 263, 264
et
26b.
285
se prononcer sur la légalité de cet usage, l’a condamné
par ordonnance du 7 août 1829, comme violant l’arrêté
du 5 germinal an x i i et l’article 262 du Code de com
merce l.
601.
— En thèse ordinaire, c’est à bord que doivent
être traités et pansés les matelots malades, mais celte
règle ne pouvait être absolue, son observation est néces
sairement subordonnée à la nature de la maladie et à
ses conséquences probables. Si le séjour du malade dans
le navire offrait un danger pour lui ou pour le reste de
l’équipage, le capitaine pourrait, sur l’avis du chirur
gien du bord, le débarquer s’il se trouve en relâche, et
même se détourner de sa route pour opérer ce débarque
ment dans la localité la plus voisine.
Dans la prévision de cette nécessité, l’article 3 de l’ar
rêté du 5 germinal an x i i prescrit au capitaine de pour
voir aux frais de la maladie et à la dépense nécessaire
pour que le malade puisse se rendre dans ses foyers, s’il
guérit, ou pour fournir à sa sépulture, s’il succombe ; de
déposer en conséquence une somme suffisante ou de
donner une caution solvable. Cette caution doit être
agréée au bureau de l’inscription maritime en France,
ou à la chancellerie du consulat à l’étranger. Cette légis
lation, qui n’a jamais cessé d’être obligatoire, se trouve
formellement consacrée par l’article 50 de l’ordonnance
du 29 octobre 1833, en ce qui concerne les consuls à
l’étranger.
1 Jurisp. adm. du J . du P., tome 7, p. 153.
�284
DROIT MARITIME.
Mais le débarquement n’arrête pas le cours des loyers,
ils ne cessent pas d’être dus au matelot, tout comme s’il
était resté sur le navire; ils ne cesseraient de courir
qu’au moment ou, entièrement rétabli et de retour au
port d’armement, le matelot a pu contracter un autre
engagement.
602.
— L’obligation imposée par l’article 262 existe
en faveur du matelot jusqu’à ce qu’il ait été rendu au
port d’armement. En conséquence, celui qui est rapa
trié aux frais de l’armement, s’il est atteint de maladie
sur le navire qui le ramène, devrait être traité et pansé
aux frais de cet armement, c’est ce que le tribunal de
commerce de Marseille jugeait le 27 juin 1832 1.
Toutefois on devrait ne le décider ainsi que si le ma
telot n’était sur le navire qui le reconduit qu’à titre de
passager; s’il y remplissait les fonctions de matelot, il
est évident que la maladie dont il serait atteint resterait
à la charge exclusive de l’armement de ce navire.
6 0 2 bis. — Des difficultés se sont élevées sur le sens
et la portée de l’article 262. Le voyage dont il y est
question, et pendant la durée duquel le matelot malade
ou blessé doit être payé de ses loyers, ne doit-il s’enten
dre que de celui qui a lieu du port d’armement au port
pour lequel le départ est effectué ? Comprend-il, au con
traire, l’ensemble des traversées effectuées depuis ce dé
part jusqu’au retour dans ce premier port?
1
Journal de Marseille,
t. 1 3 , 4 , 2 63.
�art.
262, 263, 264
et
265.
283
L’article 262 déroge expressément au principe de
droit commun aux termes duquel celui qui loue ses œu
vres n’est payé qu’à proportion du service qu’il rend,
et n’a aucun salaire à prétendre si la maladie le met
dans l’impossibilité de remplir les obligations qu’il a
contractées. Mais cette dérogation en faveur des gens de
mer était en quelque sorte commandée par la position
qui leur est faite. Les matelots courant le risque de
n’êlre pas payés, même des services qu’ils ont rendus,
en cas de perte entière du vaisseau et des marchandises
par suite de naufrage ou autre accident de mer, n’étaitil pas juste qu’en récompense de ce risque, ils fussent
payés de ceux qu’ils n’ont pas rendus par suite de ma
ladie ou de blessure contractée ou reçue au service du
navire?
.siiven uh otijehèlfu nenainib «l i
Cette sorte de compensation, l’intérêt public l’exigeait
lui-même. La profession si périlleuse de marin est d’un
si haut intérêt pour l’Etat, qu’il convenait de la favori
ser afin de l’encourager et de porter ainsi un plus grand
nombre de personnes à l’embrasser. C’est ce que le lé
gislateur a de tout temps reconnu et consacré. Aussi le
principe de notre article 262 se trouve-t-il écrit dans
les articles 18 et 19 de X Ordonnance de Wisbuy ; dans
les articles 39 et 45 de la Hanse Teutonique ; dans les
articles 1, 6 et 7 des Rôles d'Oléron; enfin dans l’arti
cle 11, titre iv, livre ni de l’Ordonnance de 1681.
Ce caractère exceptionnel est le principal argument de
ceux qui soutiennent qu’on doit restreindre le sens de
l’article 262 au voyage du navire du port d’armement
�286
DROIT
MARITIME.
au port de destination vers lequel il se dirigeait. Les Ex
ceptions, disent-ils, sont de droit étroit et doivent ne pas
s’étendre hors du cercle que la loi leur a tracé ; les ju
ges doivent donc en interpréter la portée restrictivement
plutôt que d’une manière exclusive. Or, il est de prin cipe que l’affrètement d’un navire pour se rendre d’un
point à un autre est ce qui détermine ce qu’il faut en
tendre par voyage.
Ce principe, vrai pour l’affréteur, ne saurait l’être
pour le navire lui-même, et cela se comprend : pour la
marchandise mise à bord, le voyage est naturellement
fini dès qu’elle est arrivée au port de destination, et le
contrat d’affrètement, s’il n’a pas eu d’autre objet, a
produit tout son effet, et l’affréteur n’a plus rien à voir
à la direction ultérieure du navire.
Mois est-ce que relativement à celui-ci on peut considé
rer le voyage comme terminé ? Est-ce que arrivé au port
de déchargement le capitaine congédiera son équipage?
Le pourrait-il sans condamner son navire à pourrir dans
ce port faute de moyen d’en constituer un autre? Le
pourrait-il sans violer expressément la prohibition que
lui en fait si formellement l’article 270 du Code de
commerce? Est-ce que les matelots pourraient eux mê
mes quitter le bord sans se rendre coupables de dé
sertion?
Reconnaissons donc que l ’équipage une fois à bord
est en quelque sorte rivé au navire; qu’il ne peut s’en
séparer qu’après l’avoir ramené au port d’où il est
parti, et où il opérera son désarmement. Pour lui, le
�ART.
2 6 2 , 2 6 3 , 264.
et
265.
287
voyage se continue jusqu’à ce moment, et par conséquent
c’est son traitement pendant tout ce temps que l’article
262 accorde à celui de ses membres tombé malade ou
blessé au service du navire.
Le tribunal de commerce de Saint-Malo ayant jugé le
contraire, son jugement, déféré à la Cour suprême, était
cassé par arrêt du 4 août 1857 l.
La Cour de cassation persistait dans la jurisprudence
qu’elle avait inaugurée le 4 juin 1850 2, en déclarant
que le matelot malade doit être payé pour toute la d u
rée du voyage, et non à proportion du temps qu’il a
servi à bord. Expliquant ce qu’on doit entendre par le
mot voyage, elle décide dans son arrêt de 1857 que ce
qui est dû au matelot est son loyer depuis le départ jus
qu’au retour dans le port de désarmement, et non pas
seulement jusqu’à l’arrivée du navire dans le port de
déchargement.
Dans l’espèce de ce dernier arrêt, par une clause ex
presse du rôle d’équipage, les matelots s’engageaient à
suivre le navire dans les escales qu’il pourrait faire soit
dans les colonies françaises, soit en pays étrangers, sans
prétendre à aucune augmentation de salaires ; et dans
le cas où le retour s’effectuerait sur tout autre port de
la métropole, à ramener le navire au havre avec ou sans
chargement. Cette clause, la Cour de cassation la vise
dans son arrêt, et en conclut que les matelots étant te1 J. du P., 1858, 940.
s Ibid. 2, 4850, 445.
�288
.682
DROIT
MARITIMÊ.-
•
'y
nus jusqu’au retour au havre, avaient droit par récipro
cité au salaire stipulé jusqu’à ce retour.
On pourrait vouloir exciper de cette circonstance pour
ne donner à l’arrêt de la Cour de cassation que le ca
ractère d’arrêt d’espèce, mais nous ne croyons pas qu’on
y fut fondé. En effet, l’obligation qui résultait ici for
mellement de la clause du rôle d’équipage s’induit im
plicitement du fait seul de l’engagement lui-même. Les
diverses obligations faites par la loi tant à l’armateur
qu’à l’équipage enlèvent tout équivoque sur la nature
du contrat. Le consentir c’est assumer le devoir de la
part de l’armateur de retourner l’équipage, de la part
de celui-ci de retourner le navire au port d’armement.
Le contraire ne serait admissible que si le rôle d’équi
page le stipulait expressément.
C’est ce que la Cour de cassation décidait de nouveau,
le 13 novembre 1871, en jugeant celte fois encore que
le voyage pour lequel le matelot qui tombe malade doit,
aux termes de l’article 262, être payé de ses loyers, com
prend, à moins de stipulation contraire, l’ensemble des
traversées effectuées par le navire depuis son départ jus
qu’à son retour au port d’armement et non pas seule
ment la traversée jusqu’au port de déchargement dont
il est fait mention dans le rôle d’équipage K
Dans ce nouvel arrêt, la Cour consacre ce principe :
que les gens de mer sont présumés s’être loués pour
l’aller et le retour, et que c’est dans ce sens que l’arti1 J.
du P., <872, 398.
�ART.
262, 263, 264
et
265.
289
cle 262 parle du voyage pendant l’entière durée duquel
le matelot est payé de ses loyers nonobstant la maladie
ou blessure dont il peut se trouver atteint.
A l’objection tirée de ce que le rôle d’équipage décla
rait que le navire était armé pour le voyage de Nantes
à Calcuta touchant à Cardiff, l’arrêt répond que ce même
rôle d’équipage contenait soumission par le capitaine de
représenter l’équipage au bureau de l’inscription ma
ritime où le navire fera son retour, cette clause impli
quait virtuellement que le navire devait retourner au
port d’armement avec le même équipage et que le voyage
ne serait terminé que par le fait de ce retour.
Or, celte soumission existe dans tous les cas; elle
s’induit de ce que le règlement et la liquidation des sa
laires de l’équipage ne peuvent avoir lieu qu’au port
d’armement et en présence du commissaire de la ma
rine, que partout ailleurs il est défendu au capitaine de
payer, aux gens de mer de recevoir les salaires qui peu
vent être dus. Comment concilier de pareilles obligations
avec la faculté de congédier l’équipage dans un lieu au
tre que le port d’armement.
Tenons donc pour certain qu’à moins d’une stipula
tion contraire expresse, le voyage d’un navire n’est ter
miné que par sa rentrée au port d’armement. Mais la
Cour de cassation, en admettant la validité de cette
clause, ne se met pas en contradiction avec le décret du
4 mars 1852, comme parait le croire l’arrêtiste, elle ne
dit pas en effet qu’on pourrait, contrairement à l’arti
cle 262 que ce décret déclare d’ordre public et auquel il
ir — 19
■i f
�290
DROIT MARITIME.
prohibe de déroger, qu’on pourrait convenir que le ma
telot malade ou blessé ne recevrait aucun salaire, ou
qu’une partie quelconque de ce salaire. La seule stipu
lation dont elle reconnaisse la validité est celle qui limi
terait la durée du voyage, par exemple celle qui décla
rerait que l’équipage n’est engagé que depuis la sortie
du port d’armement jusqu’à l’entrée dans tel autre port
exclusivement.
L’article 262 ne s’oppose nullement à une stipulation
de ce genre, elle devrait donc sortir à effet, sauf l’obli
gation de l’armateur de rapatrier l’équipage qui subsiste
dans tous les cas.
6 0 2 ter.— On a prétendu limiter la disposition de l’ar
ticle 262 au cas où l’équipage est engagé au mois ou au
voyage, qu’on ne pouvait dès lors l’appliquer lorsque
l’engagement est à la part ou au profit.
Un engagement de cette nature, a-t-o n dit, consti
tue non un louage de service, mais bien un louage de
choses, et, en réalité, un contrat de bail par lequel plu
sieurs matelots associés entre eux prennent en location
un navire tout équipé moyennant un prix de location
payable par l’abandon d’une part dans les produits de
l’expédition. Il n’y a donc de loyers pour personne et
par conséquent nul ne saurait en réclamer ; si on ad
mettait d’ailleurs que le matelot malade ou blessé a une
réclamation à exercer, il ne pourrait s’adresser qu’à ses
associés et nullement au navire ou à l’armateur.
Ce système ayant été consacré par le tribunal de
�ART.
262, 263, 264
et
265.
291
commerce de La Rochelle, l’administration de la mari
ne, agissant dans l’intérêt du matelot, se pourvut en
cassation contre le jugement.
« Pour refuser aux matelots naviguant au profit le
bénéfice de l’article 262, disait-elle à l’appui de son
pourvoi, le jugement attaqué se fonde sur ce que les
hommes ainsi engagés ne sont pas pris à loyer, condi
tion essentielle pour l’application de cet article ; mais
c’est là une erreur. Les auteurs s’accordent pour recon
naître que l’engagement au profit est, non pas un louage
de choses, mais un mode particulier de louage de ser
vice, et qu’en réalité les hommes ainsi engagés sont bien
des hommes à loyers. C’est au reste ce qui résulte trèsnettement de l’article 261 qui pose en principe que :
De quelque manière que les matelots soient loués, ils
sont payés des journées par eux employées à sauver les
débris et les effets naufragés. Or il est bien évident que
ces mots : De quelque manière qu'ils soient loués, com
prennent aussi bien les matelots engagés au profit que
ceux loués au salaire fixe ; il faut donc conclure de là
que, dans le langage de la loi, les matelots engagés sont
bien des hommes loués, etc......
C’est cette conclusion que la Cour suprême consacre.
En conséquence, elle casse le jugement, « Attendu que
la disposition de l’article 262, reproduite de l’article xi,
titre iv , livre iii , de l’ordonnance de 1681, a pour but
d’encourager à la carrière de la marine ; que ce motif
indique par lui-même qu’il s’applique aussi bien au
matelot naviguant à la part qu’au matelot engagé à sa-
�292
DROIT MARITIME.
laire en argent ; qu’ainsi la loi a posé dans l’article
262 une règle générale et absolue, ne faisant et ne vou
lant faire, dans la faveur qu’elle accorde au marin, au
cune distinction basée sur son mode d’engagementl. »
Pourquoi le législateur aurait-il distingué, disait avec
raison l’administration de la marine ? L’article 262 a
voulu encourager les matelots, et compenser le danger
qu’ils courent de perdre tout salaire en cas de perte en
tière du navire et du chargement. Or les matelots enga
gés au profit ne méritent-ils pas aussi bien d’être encou
ragés que ceux engagés au mois? Ne courent-ils pas,
eux aussi, le risque de n’être pas payés des services
qu’ils ont rendus en cas de perte du navire?
Une même solution était la conséquence de l’identité
de raisons, on ne saurait donc contester le caractère es
sentiellement juridique de l’arrêt de la Cour de cas
sation.
L’applicabilité de l’article 262 reconnue et admise,
aucun doute ne pouvait exister sur la responsabilité de
l’armateur non-seulement à l’égard du matelot, mais
encore envers l’administration de la marine qui, ajoute
la Cour de cassation, ne l’autorise à employer les hom
mes faisant partie de l’inscription maritime que sous
certaines garanties stipulées au rôle d’équipage, et dont
l’armateur ne saurait se dégager en transportant sur de
simples matelots une responsabilité que la loi a voulu
faire peser non pas seulement sur l’armateur mais sur
le navire lui-même.
1 19 février 4872, J . d u P ., 1872, 397.
�art
.
262, 265, 264
et
265.
295
6 0 3 . — l a maladie prévue par l’article 262 est uni
quement celle qui serait due à un événement fortuit et
imprévu. Celle qui serait imputable à celui qui la su
bit, qui proviendrait de débauches, de rixes ou d’une
imprudence resterait à la charge du matelot. Ses loyers
ne lui seraient dus qu’à proportion du temps qu’il a
servi, il serait tenu de pourvoir lui-même à son traite
ment et à son pansement, il pourrait même être congé
dié par le capitaine, dans les formes prévues par l’arti
cle 264.
6 0 4 . — le matelot blessé au service du navire est
assimilé à celui qui tombe malade pendant le voyage.
Ici la loi ne distingue plus entre le matelot blessé avant
ou après le départ, à quelque époque que la blessure
ait été reçue, il suffit qu’elle l’ait été pour le service du
navire pour que le matelot reçoive ses loyers et soit traité
et pansé aux frais de l’armement.
Cette différence entre la blessure et la maladie s’ex
plique par celle qui existe dans leur cause. Quelque pro
bable qu’il puisse être que celle-ci n’a été que la consé
quence des fatigues essuyées pour l’équipement du na
vire, ce n’est là qu’une pure conjecture sur laquelle la
science elle-même ne peut qu’hésiter.
Aucun doute, au contraire, n’est permis sur les cau
ses de la blessure. Il serait impossible de la chercher
ailleurs que dans l’événement qui l’a occasionnée. La
responsabilité de celui qui a directement ou indirecte
ment déterminé cet événement était donc une consé
quence juste et nécessaire.
�294
DROIT MARITIME.
Mais cette responsabilité doit se restreindre dans des
limites équitables. Ainsi, le matelot qui, blessé avant le
départ, n’a pu être embarqué, ne doit recevoir ses loyers
et les autres frais que jusqu’à sa guérison, puisque, à
partir de cet instant, il lui sera loisible de contracter un
autre engagement.
6 0 5 . — L’article 263 ne s’occupe de la blessure re
çue en combattant les ennemis ou les pirates que pour
en déterminer les conséquences. La blessure a été, dans
cette hypothèse, reçue non-seulement au service du na
vire, mais encore à celui de sa cargaison que la résis
tance tendait à sauver, dès lors les frais qu’elle entraîne
étaient une véritable avarie commune à laquelle celle-ci
devait contribuer. La loi ne déclaré tels que les frais de
traitement et de pansement, d’où la conséquence que les
payement des loyers restent à la charge exclusive de l’ar
mateur.
»
Observons de plus que l’article 263 suppose que le
navire et la cargaison ont échappé à la poursuite dont
ils étaient l’objet. La blessure reçue dans un combat qui
se serait terminé par la prise de l’un et de l’autre ne
serait plus qu’un cas de force majeure dont personne
ne peut répondre. Il ne serait plus rien dû à celui qui
l’aurait reçue l.
606. — Le matelot embarqué appartient désormais
i Pothier, du louage des malelols, n° 191 :
�ART.
262, 263, 264
ET
265.
298
au navire. II ne peut, dans aucune circonstance, l’aban
donner, même momentanément, sans en avoir deman
dé et obtenu l’autorisation.
Celui qui sans avoir rempli ce préalable sortirait du
navire et se rendrait à terre contreviendrait à ses de
voirs. Aussi la blessure qu’il recevrait dans son excur
sion, fût-elle le résultat d’un événement de force ma
jeure, resterait-elle exclusivement à sa charge. À plus
forte raison en serait-il ainsi si cette blessure avait été
reçue dans une rixe qu’il aurait occasionnée, ou à la
quelle il se serait intempestivement mêlé.
Il devrait donc personnellement pourvoir aux frais de
pansement et de traitement. Ses loyers cesseraient de
courir pendant tout le temps de l’incapacité de travail,
ils ne lui seraient dus, en cas de résiliation de l’engage
ment, qu’à concurrence du temps qu’il aurait servi.
En effet, le fait seul d’avoir quitté le navire sans au
torisation autoriserait le capitaine à le congédier, alors
même qu’il n’aurait pas été blessé. L’article 264 a été
ainsi unanimement interprété. Mais cette faculté ne
peut être exercée, même dans le cas de blessure, que
sous la réserve que nous trouvons inscrite dans l’article
270, et dans les formes qui y sont tracées.
607.
— Si le matelot ainsi blessé n’a pas été congé
dié, devra-t-il être payé de ses gages pendant tout le
temps que sa blessure l’a empêché de travailler ? M. Delvincourt soutient résolument la négative. C’est par bien
veillance, enseigne-t-il, qu’on l’a conservé, il ne doit
�296
DROIT MARITIME.
donc pas gagner de loyers tant que sa blessure le met
tra dans l’impossibilité de servir.
Mais cette opinion paraît trop sévère à M. BoulayPaty. C’est sans doute par intérêt pour la navigation,
dit-il, que le matelot n’a pas été débarqué ; c’est sous
ce même point de vue qu’on ne doit pas le priver mo
mentanément de ses gages \
MM. Delvincourt et Boulay-Paty ne se préoccupent
pas assez de l’article 270. Souvent, en effet, le capitaine
n’aura pas débarqué le matelot uniquement parce qu’il
ne pouvait le faire sans violer cette disposition. Or, dans
cette hypothèse, il n’aura agi ni par bienveillance, ni
par intérêt pour la navigation.
Il semble donc que la solution de notre question est
toute dans la position du capitaine. S’il lui était loisible
de congédier légalement le matelot et qu’il ne l’ait pas
fait, il sera présumé avoir obéi à l’intérêt de la naviga
tion et ne pourra suspendre, même momentanément, le
cours des salaires.
Si, au contraire, il se trouvait dans un pays où il n’y
avait ni consul, ni agent de l’autorité française, il est
censé n’avoir conservé le matelot à bord que par obéis
sance pour la loi elle-même. Celui-ci ne pourrait donc
profiter de l’acte du capitaine et prétendre être payé de
ses loyers pour le temps où sa blessure l’a mis dans
l’impossibilité de travailler.
i Tome J, page 238.
�ART.
262, 263, 264
et
26b.
297
608.
— Valin enseignait que le matelot descendu à
terre, même avec autorisation, devait, s’il y a été blesssé,
pourvoir lui-même à ses traitement et pansement. Le
motif qu’il donnait à cette solution, c’est que dans cette
hypothèse la blessure n’aurait pas été reçue au service
du navirel.
La doctrine moderne a unanimement repoussé cette
opinion. Le matelot blessé dans une circonstance où il
n’était pas en dehors de son devoir, dit notamment
M. Locré, semble devoir être assimilé au matelot qui
tombe malade. Aussi, l’article 264 ne parle-t-il que du
matelot sorti du navire sans autorisation. La spécialité
de la disposition exclut l’application qu’on voudrait en
faire à d’autres cas, car il est de règle que les disposi
tions sévères ne doivent jamais être étendues au-delà
des hypothèses pour lesquelles elles sont formellement
établies2.
Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut que la blessure
soit le résultat d’un événement fortuit et imprévu. Celle
qui aurait été reçue dans une orgie occasionnée par
l’état d’ivresse ou l’effet d’une rixe resterait, quant à
toutes ses suites, à la charge personnelle du matelot qui
aurait ainsi abusé de l’autorisation de descendre à terre.
609.
— La mort du matelot, arrivée pendant le
voyage, résilie de plein droit l’engagement, quel qu’en
soit d’ailleurs le mode.
1 Art. 13, titre Des loyers des matelots.
2 Esprit du Code de commerce, art. 364.
�DROIT MARITIME.
Or aucune difficulté ne pouvait s’offrir pour les ma
telots engagés au mois. Le salaire dans ce cas est ac
quis jour par jour. Il doit être payé suivant le taux
convenu depuis le moment du départ jusqu’au jour du
décès. Cette expression de la loi est la conséquence de ce
qu’elle a déjà prescrit dans l’article 262, à savoir, que
la maladie survenue pendant le voyage n’empêche pas
les loyers de courir; mais ils seraient arrêtés au jour de
la maladie ou de la blessure ayant occasionné la mort,
si l’une ou l’autre était imputable au matelot.
610.
— A l’endroit des matelots engagés au voyage,
le Code de commerce consacre une nouvelle dérogation
au droit commun. En matière de forfait, il n’est rien dû
tant que le travail n’est pas achevé. Conséquemment,
l ’engagé au voyage, décédant avant l’achèvement de
celui-ci, n’aurait rien à réclamer.
Mais, comme l’enseigne M. Locré, le forfait consenti
par un matelot n’a pas été rangé dans cette catégorie. Il
n’a pour objet que de l’empêcher de réclamer une som
me plus forte, si le voyage se prolonge, ou d’être réduit
à une somme moindre, s’il s’exécute dans un laps de
temps plus court que celui sur lequel on a calculé. Le
prix du travail fait par le matelot jusqu’au jour de son
dècès est donc acquis à sa succession.
La conséquence naturelle à tirer de là était de ne don
ner aux héritiers qu’une portion du salaire proportion
nelle au temps pendant lequel leur auteur avait réelle
ment servi. Ce n’est pas cependant celle que la loi sanc-
�ART.
262, 263, 264
et
265.
299
tionne, puisqu’elle accorde la moitié du salaire total, si
le matelot meurt pendant l’aller; l’intégralité s’il meurt
au retour, alors même que l’un ou l’autre voyage serait
à peine commencé.
Ce qui a fait consacrer cette exception nouvelle, c’est
la nature du contrat que souscrit le matelot. La loi de
proportion serait juste si, en s’engageant, il avait pu
évaluer la durée précise du voyage, car alors le salaire
convenu eût été réglé exactement sur ses services, et le
matelot ne se serait pas trouvé exposé à servir pendant
une prolongation qui peut détruire tout équilibre entre
son loyer et ses travaux. Mais les événements de mer
sont trop incertains, trop multipliés pour qu’une telle
supputation devienne possible; c’est même dans cette
vue et dans le cas où elle peut le moins avoir lieu, que
le propriétaire a préféré de louer le matelot au voyage
plutôt qu’au mois. L’équité ne permettait donc pas de
tenir ici à la rigueur des principes, et puisque le matelot
engagé au voyage court le risque de perdre lorsque le
voyage se prolonge, il convenait de compenser cette
chance par quelques avantages.
On a donc considéré ce voyage comme achevé aussi
tôt qu’il était commencé, c’est-à-dire aussitôt que le
vaisseau aurait mis à la voile, soit pour partir soit pour
revenir.
Néanmoins, pour concilier tous les intérêts et ne pas
trop grever les propriétaires, on a distingué entre l’aller
et le retour, et divisé ainsi le voyage en deux parties. Si
le matelot décède pendant l’aller, il a satisfait à la moi-
�300
DROIT MARITIME.
tié de ses engagements, et il reçoit en conséquence la
moitié de ses loyers ; s’il décède pendant le retour, son
service est effectivement fait pour la première partie du
voyage et réputé fait pour la seconde. En conséquence,
la totalité de ses loyers lui est acquise
611.
— C’est encore par dérogation au droit com
mun que le législateur a déterminé la position des mate
lots engagés pour une part dans le profit ou dans le
fret.
Cet engagement, observait avec raison Valin, consti
tue une société de travaux qui ne peut fructifier que par
les services communs. Dès-lors le matelot qui meurt
avant la fin de l’opération ni ses héritiers ne pourront
contribuer à l’événement final. La part du premier de
vait accroître aux autres intéressés, à la charge desquels
tombe tout le travail.
Mais il fallait encourager les opérations au profit ou
au fret. Ce désir, auquel avait cédé le législateur de
1681, a également déterminé le législateur de 1807.
Ainsi le matelot engagé au profit ou au fret reçoit sa
part entière, quand même il mourrait le jour même du
départ du navire. Mais cette part reste nécessairement
subordonnée aux éventualités du, voyage. Elle ne peut
être déterminée que par un résultat final. Cela est sur
tout important dans l’engagement au profit. Il pourrait
se faire, en effet, qu’au moment du décès du matelot, il
1 Locré, Esprü
du Code d e c o m
art. 265.
�ART.
262, 263, 264
ET
263.
301
en eût été réalisé un plus ou moins considérable. Si des
perles avaient été ultérieurement éprouvées, elles se com
penseraient naturellement avec ce bénéfice et le feraient
disparaître aux risques des héritiers qui ne peuvent ja
mais avoir d’autres et de plus grands droits que ceux
que leur auteur aurait pu exercer lui-même.
612.
— La Cour de Rouen a eu à décider si le capi
taine engagé au profit, qui se suicide pendant le voyage,
ne devait pas être déchu de sa part. L’article 265, disaiton pour l’affirmative, prévoit la mort accidentelle et ne
peut s’appliquer à la mort volontaire. Celle-ci est une
véritable désertion. Elle doit dès lors en produire tous
les effets.
Mais la Cour repousse cette assimilation et déclare les
lois qui règlent les effets de la désertion inapplicables au
suicide; elle admet que la loi n’a pu ranger celui-ci sur
la même ligne que la mort naturelle, ni accorder la mê
me faveur à celui qu’on peut supposer victime de son
zèle, et à la famille de celui qui s’est volontairement tué.
Mais, en l’absence d’une disposition législative con
cernant le suicide, la Cour ne considère celui ci que com
me l’inexécution volontaire du devoir imposé par l’ar
ticle 238 donnant lieu non pas à la perte de la part ré
servée au capitaine, mais à une allocation de dommagesintérêts pour la réparation du préjudice que cette inexétion a pu occasionner aux autres intéressés l .
i 8 décembre 1841 ; D. P., 42, 2, 85.
�502
d r o it
m a r it im e .
Ce que cet arrêt décide pour le capitaine devrait l’être
également pour tout autre membre de l’équipage, car
l’obligation d’accomplir le voyage projeté leur est com
mune à tous. Son inexécution entraînerait donc les mê
mes conséquences.
613.
— La mort reçue en combattant pour le navire
devait produire en faveur de la famille des matelots des
effets plus étendus que ceux résultant de la mort natu
relle. Sans doute le matelot, en contractant, s’engage à
concourir à la défense du navire, mais il n’en était pas
moins juste que celui qui a péri en remplissant son de
voir en fût récompensé d’une manière spéciale.
Aussi la loi ne distingue plus; quel que soit le mode
d’engagement, à quelque époque que la mort ait été re
çue, les loyers sont dus pour tout le voyage.
Il en est du cas de mort reçue en défendant le navire
comme de la blessure faite dans ces circonstances. L’in
demnité à laquelle elle donne lieu constitue une avarie
commune à la charge de la cargaison comme à celle de
l’armement. L’identité parfaite des motifs commande
l’identité dans les résultats.
Mais il n’y a avarie commune que pour les loyers cou
rus depuis la mort jusqu’à la fin du voyage. Tous ceux
acquis précédemment restent à la charge exclusive et
sont la dette propre et personnelle de l’armement. Ainsi,
dans l’engagement au voyage, si la mort a lieu dans le
voyage d’aller, le chargement ne contribue que pour
les loyers du retour ; si elle se réalise pendant ce dernier
�ART. 262, 265, 264 e t 265.
505
voyage, il est dispensé de loute contribution, car elle
n’a pas aggravé la position de l’armement. 11 en serait
de même dans l’engagement au profit ou au fret.
614.
— L’application de la disposition finale de l’ar
ticle 265 est subordonnée à la condition que le navire
arrivera à bon port. En cas de naufrage après le combat,
les loyers seraient payés conformément à l’article 258,
c’est-à-dire sur les débris et le fret pour ceux acquis au
jour du décès. Sur les débris, le fret et la valeur des
marchandises sauvées pour ceux courus depuis et jus
qu’au naufrage, comme avarie commune et dans les
proportions réglées par l’article 401.
Si le navire avait été capturé ou détruit par les enne
mis ou les pirates, les matelots tués en le défendant n’au
raient aucun loyer à prétendre. Si, dans le premier cas,
le navire était parvenu à s’échapper, il n’y aurait que
les loyers acquis au moment de la capture qui pussent
être réclamés. La conservation du navire et de sa car
gaison ne serait plus la conséquence du dévouement des
matelots morts en les défendant ; il faudrait donc en re
venir à l’application des articles précédents, quant au
payement des loyers l.
615.
— Toutes les fois qu’il y a lieu à l’application
de la disposition finale de l’article 265, ce qui est dû à
la succession du matelot, ce n’est pas seulement l’inté1 Pothier,
du L o u a g e des m a lelo ts,
n° 197.
�304
DROIT MARITIME.
gralité des loyers et salaires, mais encore tous les profits
accidentels que le navire peut faire et auxquels le mate
lot eût participé s’il avait vécu. Ainsi, dans l’armement
en course, par exemple, celte succession recevrait sa
part dans les prises faites après comme avant le décès.
Article 266.
Le matelot pris sur le navire et fait esclave ne peut
rien prétendre contre le capitaine, les propriétaires ni
les affréteurs, pour le payement de son rachat.
Il est payé de ses loyers jusqu’au jour où il a été pris
et fait esclave.
Article 267.
Le matelot pris et fait esclave, s’il a été envoyé en
mer ou à terre pour le service du navire, a droit à l’en
tier payement de ses loyers.
Il a droit au paiement d’une indemnité pour le rachat
si le navire arrive à bon port.
Article 268.
L’indemnité est due par les propriétaires du navire, si
le matelot a été envoyé en mer ou à terre pour le ser
vice du navire.
�L’indemnité est due par les propriétaires du navire et
du chargement, si le matelot a été envoyé en mer ou à
terre pour le service du navire ou du chargement.
Article 269.
Le montant de l’indemnité est fixé à six cents francs.
Le recouvrement et l’emploi en seront faits suivant
les formes déterminées par le Gouvernement, dans un
règlement relatif au rachat des captifs.
S O M M A IR E
616. Lem
atelot pris surle navireet fait esclave n’a à réclam
er
queles loyers échus aujourdelaprise. M
otifs.
617. Ses droits lorsqu’il a été pris étant envoyéen m
erouà
terrepourleservicedunavireet dela cargaison. Nature
decesdroits.
618. L’indem
nitédurachat n’estduequesi le navire accom
plit
heureusem
ent sonvoyage. Q u id , desloyers.
619. Parqui sontdus etcom
m
entserèglentlesloyersdansl’hy
pothèsedel’article 268?
620. Silencegardéparlelégislateur surle casoùle m
atelot au
raitétéenvoyéenm
erouàterrepour leservice exclusif
delacargaison. Conséquences.
621. D
éterm
inationdel’indem
nitéjdurachat. Form
esdesonre
couvrem
ent et del’em
ploi.
616.
— La disposition de l’article 266 a été emprun
tée de l’ordonnance de 4681. En fait de prise ou de
n — 20
�306
DROIT MARITIME,
pillage, disait Valin, tout étant alors au pouvoir et à la
discrétion de l’ennemi ou du pirate, ce qui est pris à
chacun ou à quelqu’un en particulier ne forme plus
qu’une avarie simple et particulière. Ainsi, si dans le
désordre de la prise, des matelots sont enlevés et fait es
claves, c’est un malheur pour eux et qui les regarde
uniquement, de manière qu’ils ne peuvent, pour le paie
ment de leur rachat, se pourvoir ni contre le maître et
les autres auxquels le pirate a fait grâce, ni contre le
propriétaire du navire, ni enfin contre les marchands
chargeurs. Le bénéfice de ceux-ci leur est particulier
comme le malheur des autres leur est propre et per
sonnel h
Cette doctrine, quelque sévère qu’elle paraisse, a été
consacrée par le Code; elle n’est qu’une application de
la règle que personne ne peut répondre de la force ma
jeure. Le matelot subit là une des chances auxquelles il
s’expose. Si elle se réalise, il n’a d’autres droits à récla
mer que les loyers acquis jusqu’au jour de la prise.
617 .
— Celle-ci, lorsqu’elle a lieu sur le navire mê
me, n’est donc pas considérée, suivant l’expression de
Pothier, comme s’étant réalisée pour le service du navire.
Conséquemment, si le matelot n’a été pris que dans le
cours d’une mission à lui confiée, il serait injuste de lui
en faire supporter les effets.
De là la disposition de l’article 267, autorisant le mai Art. 46, tit. des Loyers des matelots.
�ART.
266, 267, 268
et
269.
307
telot pris et fait esclave, s’il a été envoyé en mer ou à
terre pour le service du navire, à réclamer l’entier paye
ment de ses loyers et de plus une indemnité pour son
rachat.
Les loyers postérieurs à la prise et l’indemnité pour
le rachat sont à la charge de l’armement ou à celle de
l’armement et du chargement, suivant que le matelot
fait esclave a été envoyé en mer ou à terre pour le ser
vice du navire ou pour celui du navire et de la car
gaison.
Le matelot agit dans l’intérêt exclusif du navire lors
qu’il a été envoyé en mer ou à terre pour acheter des
victuailles, faire de l’eau ou se procurer des agrès ou ap
paraux de rechange, solder un compte de réparations
ou arrêter les dépenses du navire. Il agit dans l’intérêt
commun lorsque, se rendant à terre dans un de ses ob
jets, il est en même temps chargé de s’assurer de l’état
du marché, de proposer des marchandises à la vente,
d’en débarquer ou d’en charger de nouvelles. Il est
juste dans ce dernier cas, que le chargement contribue
aux loyers à échoir et à l’indemnité du rachat.
618.
— L’article 267 subordonne celle-ci à l’arrivée
à bon port du navire au lieu de la destination. Il parait
dès lors affranchir les loyers de cette condition.
Cependant il résulte des précédents articles que le nau
frage avec perte entière libère l’armateur non-seulement
de tout loyer futur, mais encore des loyers passés. Pour
quoi n’en serait-il pas de même dans notre hypothèse ?
�308
DROIT MARITIME.
Le matelot fait esclave dans le cas que nous examinons
est censé présent à bord, et il est payé de tous les loyers.
Il perdrait ses loyers si cette présomption était une réa
lité. Devrait-on attacher à la fiction une plus grande
autorité qu’à la vérité elle-même. L’armateur ne ré
pond jamais que sur le navire et le fret. On ne saurait
do-ic le rechercher lorsqu’il a perdu l’un et l’autre.
Tout ce qui résulte, à notre avis, de l’article 267, se
réduit à ceci : En cas de naufrage, les débris et le fret
des marchandises sauvées sont consacrées au paiement
des loyers. Le matelot fait esclave au service du navire
sera admis à y prendre part pour ceux qui sont dus
jusqu’au jour du naufrage, mais il ne pourra rien pré
tendre pour l’indemnité de rachat, puisque la condition
à laquelle son exigibilité était attachée ne s’est pas réa
lisée.
619.
— L’article 268 ne met textuellement à la
charge de la cargaison que l’indemnité du rachat, lors
que le matelot a été fait esclave au service du navire et
de la cargaison, mais le silence gardé sur les loyers à
échoir depuis le jour de la prise n’a pas paru de nature
à exonérer celle-ci delà charge d’y contribuer. Le paye
ment de ces loyers n’est que la conséquence de l’événe
ment dont le matelot se trouve victime, il doit donc
être réalisé par l’auteur de cet événement. Or, cet au
teur c’est le chargement lui-même comme le navire,
lorsque la matelot a été envoyé en mer ou à terre pour
le service commun.
�ART.
266, 267, 268
et
269.
309
Ainsi, si le navire arrive à bon port, les loyers du
matelot fait esclave, acquis jusqu’au jour de la capture,
sont à la charge exclusive de l’armement, même dans
l’hypothèse de l’article 268.
Ceux acquis depuis jusqu’à la fin du voyage et l’in
demnité du rachat constituent dans cette hypothèse une
avarie commune à laquelle le navire et la cargaison con
tribuent également.
Si le navire a fait naufrage, il n’y a en avarie com
mune que les loyers dus depuis le jour de la prise jus
qu’au naufrage. Le matelot se payerait de la part à la
charge de l’armement, sur les débris et le fret des mar
chandises sauvées ; de la portion afférant à la cargaison,
sur la valeur de ces mêmes marchandises.
620.
— Le législateur n’a pas prévu le cas où le ma
telot aurait été envoyé en mer ou à terre dans l’intérêt
unique de la cargaison. C’est dit Valin, qu’on ne peut
concevoir un cas où le service de la cargaison soit indé
pendant de celui du navire, l’équipage n’étant préposé
à la conservation de l’une, qu’autant qu’il est chargé
de la conduite de l’autre.
Cependant si, malgré les probabilités, un cas se pré
sentait dans lequel la mission donnée au matelot con
cernerait exclusivement la cargaison, toutes les consé
quences fâcheuses retomberaient sur ses propriétaires ;
à défaut d’un texte formel, l’esprit général de la loi con
duit infailliblement à ce résultat.
�510
DROIT MARITIME.
. 6 2 1 . — L’indemnité du rachat, que l’ordonnance
de 1681 fixait à 300 livres, a été porté à 600 fr. par le
Code. Le taux est uniforme pour tous les marins, quels
que soient leur position et leur grade.
L’article 269 avait promis un règlement pour le ra
chat des captifs, devant indiquer les formes du recou
vrement et de l’emploi de cette indemnité. Ce règlement
n’ayant jamais paru, ces formes restent ce qu’elles
étaient sous l’empire de l’ordonnance de 1681. Le ca
pitaine doit provoquer le règlement de l’indemnité, et
en déposer le montant entre les mains du principal in
téressé au navire ; celui-ci est tenu de procéder immé
diatement au rachat, à peine du quadruple au profit du
matelot détenu.»
Article 2 7 0 .
Tout matelot qui justifie qu’il est congédié sans cause
valable, a droit à une indemnité contre le capitaine.
L’indemnité est fixée au tiers des loyers, si le congé
a lieu avant le voyage commencé.
L’indemnité est fixée à la totalité des loyers et aux
frais de retour, si le congé a lieu pendant le cours du
voyage.
Le capitaine ne peut, dans aucun des cas ci-dessus,
répéter le montant de l’indemnité contre le propriétaire
du navire.
�ART.
270.
311
Il n’y a pas lieu à indemnité, si le matelot est con
gédié avant la clôture du rôle d’équipage.
Dans aucun cas, le capitaine ne peut congédier un
matelot dans les pays étrangers.
. ' f . J ' . r Y i V-f
'î ' i
••ijî'.Vh h
’•
S O M M A IR E
622. Facultépour lecapitainedecongédieràsongréles gensde
l’équipage.
623. Indem
nitéàlaquelleil est tenu, si lecongé est donnésans
causevalableavant le départ.
624. S’il est donnépendant levoyage.
625. C
aractère de la faculté de congédier les m
atelots pour
causevalable. C
auses qui sont indiquées com
m
e telles
par Valin.
626. Q
uefaut-il statuerdepuisleCode?
627. L
acause valableest présum
ée. Conséquences. Adm
issibi
litédelapreuvecontraire, m
êm
edansle cas de congé à
l’étrangerdûm
ent autorisé.
628. Effets delacausevalablesur cequi peut être dûaum
ate
lot. Com
m
ent se règleledroit de conduite?
629. Lecongé donnédans lelieudeladem
euredespropriétaires
doit-il recevoirleuraveu?
630. L’indem
nitérésultant dudéfaut decausevalable est à la
chargepersonnelleducapitaine.
631. Est-il dûuneindem
nité, si lecapitaineaforcélem
atelotde
dem
andersondébarquem
ent.
632. Lem
atelot nepeut, dansaucuncas, êtredébarquédans les
C
olonies ou à l’étranger. Nature de cette prohibition!
Conséquences.
633. L
econgédonnéavant laclôturedu rôle d’équipage n’en
traîneaucuneindem
nité.
�312
DROIT MARITIME.
622 . — L’engagement des gens de mer est un con
trat de louage d’œuvres et d’industrie purement volon
taire dans l’origine ; il devient obligatoire dès qu’il a été
régulièrement convenu et accepté.
Dès lors, et aux termes de l’article 1134, il forme la
loi des parties, chacune d’elles est tenue de l’exécuter
en ce qui la concerne, sous les peines de droit. Nous
avons déjà examiné les conséquences de la rupture du
voyage à l’endroit de cette obligation.
L’article 270 s’occupe du cas où, par un motif quel
conque, le capitaine croirait devoir congédier un mate
lot. Cette faculté, qu’on a contestée, ne saurait l’être
en réalité ; il était impossible de contraindre un capi
taine à conserver à bord un matelot qu’il reconnaîtrait
impropre au service pour lequel il l’avait engagé, ou
dont le caractère et la conduite lui inspireraient des
craintes plus ou moins fondées.
Le capitaine peut donc, à son gré, congédier un ma
telot, même sans cause valable. Ce cas ne constituerait
qu’une inexécution à l’endroit d’une obligation de faire,
laquelle ne pourrait que se résoudre en une allocation
de dommages-intérêts.
623 . — Il n’y a donc pas dans cette faculté une dé
rogation au droit commun, mais cette dérogation se réa
lise dans la détermination de l’indemnité que le matelot
congédié sans cause valable peut et doit obtenir.
Nous avons déjà rappelé cette règle d’équité suivant
laquelle celui qui est en état de faire le service auquel il
�ART.
270.
313
s’était engagé doit être intégralement payé, s’il en est
empêché par le fait exclusif du maître L Or, ce n’est pas
ce que le législateur commercial a consacré, le matelot
congédié sans cause valable avant le départ n’a droit,
pour toute indemnité, qu’au tiers des loyers qu’il eût
gagné pendant le voyage.
Ce qui l’a déterminé, c’est, d’une part, l’importance
du danger que peut offrir l’incapacité ou l’inconduite du
matelot, importance telle qu’on ne pouvait pas négliger
les craintes que le capitaine aurait plus ou moins légè
rement conçues. Il valait mieux pêcher par un excès de
précaution, que de s’exposer aux irrémédiables mal
heurs d’une sécurité trompeuse.
C’est que, de l’autre, l’indemnité sera suffisante pour
couvrir le matelot du préjudice que le congé lui occa
sionne, elle atteindra ordinairement à un chiffre tel,
qu’il aura et au-delà les moyens de vivre en attendant
qu’il ait contracté un nouvel engagement.
La détermination de cette indemnité est facile pour
l’engagement au mois ou au voyage, elle l’est moins
pour l’engagement au profit ou au fret. C’est à la jus
tice qu’il appartient d’attribuer la quotité de ce qui se
rait dû au matelot.
Dans cette première disposition, la loi ne s’occupe
pas du droit de conduite ; elle suppose que le congé se
réalisant au lieu de l’armement, s’effectue au domicile
du matelot. Il est donc certain que si le capitaine avait
1 L. 38 Dig. Loeati coud.
�3U
DROIT MARITIME.
appelé des matelots appartenant à un autre quartier, il
devrait leur payer, indépendamment du tiers de leurs
loyers, les frais de conduite pour retourner chez eux.
Dans tous les cas, l’indemnité du tiers des loyers dés
intéresse totalement les matelots, ils ne pourraient donc
réclamer en outre le prix des journées qu’ils auraient
employées à l’équipement du navire.
6 2 4 . — Si le congé sans cause valable est donné
pendant le voyage, la loi en revient au droit commun.
L’indemnité due dans ce cas, est de la totalité des
loyers et du droit de conduite pour le retour des mate
lots. Tout autre indemnité aurait pu ne pas couvrir le
préjudice que la durée incertaine de ce retour peut oc
casionner au matelot injustement congédié.
6 2 5 . — La faculté de congédier les matelots pour
cause valable n’est pas seulement un droit pour le ca
pitaine, elle est un véritable devoir qui lui est imposé
non-seulement par la responsabilité qu’il encourt, mais
encore dans l’intérêt du navire et de la cargaison, pou
vant se trouver gravement compromis par les fautes que
le congé a pour objet de prévenir.
Valin considérait comme cause valable de congé :
pour les matelots et pour tout officier marinier, s’ils ne
savaient pas leur métier, s’ils étaient blasphémateurs,
voleurs, mutins, violents ou querelleurs de manière à
causer du désordre dans le navire, enfin s’il se mon
traient indociles ou rebelles aux ordres qu’ils recevaient.
�Pour les officiers majors ou le chirurgien, il suffisait
outre l’incapacité, de causes moins graves, parce qu’on
devait exiger d’eux une certaine politesse ; comme s’ils
manquaient considérablement au maître ou s’ils fai
saient naître par leur faute une inimitié entre eux et lui,
ou si, appelés en son absence à commander, ils mal
traitaient l’équipage.
Cependant, ajoutait Valin, quant au pilote et au ca
pitaine en second, quelque cause qu’il y ait de les con
gédier, le maître aurait tort de l’entreprendre de son
chef, il devrait se pourvoir en justice, sans quoi il s’expo
serait à répondre des événements qui en pourraient ré
sulter envers les propriétaires, car, enfin, les officiers
de ce rang sont trop nécessaires pour la conduite du
navire pour qu’on puisse s’en passer; et, d’un autre
côté, il n’est pas facile de les remplacer exactement,
au moins pendant le voyage l.
626.
— Les causes de congé sont aujourd’hui lais
sées par la loi à la prudence du capitaine d’abord, à
l’appréciation de la justice ensuite. Agissant sous sa
responsabilité personnelle et à ses risques et périls, le
capitaine a la plus entière latitude non-seulement à
l’endroit des matelots, mais encore des officiers du bord
et du capitaine en second lui-même ; la résistance et
l’opposition devraient être d’autant plus promptement
réprimées qu’elles partiraient de plus haut. Quant au
1 Article 10, titre Des loyers des matelots.
�516
DROIT MARITIME.
pilote, l’usage d’en embarquer un pour tout le voyage
étant abandonné, il n’y a plus à s’en occuper.
6 2 7 . — La loi s’en rapporte à cet égard tellement à
la prudence du capitaine, que le congé donné par lui
est présumé avoir une cause valable; c’est ainsi que
notre article l’admet en obligeant les matelots à justifier
qu’ils sont congédiés sans cause valable. Cette justifica
tion, ayant pour objet un fait négatif, sera souvent trèsdifficile à fournir. C’est à la sagesse des tribunaux à
concilier les intérêts réciproques, et à empêcher surtout
que la juste protection que l’article 270 a entendu as
surer aux matelots ne devienne stérile et vaine. Ils pour
ront donc trouver, dans les explications réciproques des
parties, cette preuve que la loi oblige les matelots à
fournir.
La preuve contraire contre les reproches articulés par
le capitaine est admissible en justice, alors même que
le congé donné à l’étranger aurait été autorisé par le
consul. Cette autorisation, en effet, peut n’être que la
conséquence du désir de ramener la concorde à bord,
ou n’avoir été donnée que dans l’intérêt du matelot luimême pour le soustraire aux persécutions que l’irrita
tion du capitaine peut faire craindre. Son existence n’est
donc pas un obstacle à ce que, revenu en France, le
matelot demande et obtienne la faculté de prouver qu’il
a été congédié sans cause valable.
6 2 8 . — Si le congé a une cause valable, il n’est dû
�ART. 2 7 0 .
317
aucune indemnité, le matelot ne reçoit que les loyers dus
proportionnellement au temps qu’il a servi, s’il est
congédié pendant le voyage ; que le prix des journées
par lui employées à l’équipement du navire, si le congé
a précédé le départ.
Si le congé pour cause valable est donné dans les co
lonies ou à l’étranger, le matelot doit-il obtenir les frais
de conduite ? La raison de douter se tire de la faute
personnelle qui motive la résiliation de l’engagement,
mais il est évident d’autre part qu’un refus absolu pour
rait, dans certain cas, aboutir à une injustice.
Aussi l’arrêté du 5 germinal an xn laissait au com
missaire des classes ou au consul à décider si la con
duite doit être payée ou non, suivant les motifs qui
ont déterminé le congé et dont mention doit être faite sur
le rôle d’équipage. Cette faculté, en ce qui concerne les
consuls, à l’étranger, a été expressément confirmée par
l’article 24 de l’ordonnance du 29 octobre 1833.
Des difficultés s’étant élevées sur le caractère de la
décision rendue par l’officier des classes ou par le con
sul, la Cour de cassation a jugé, le 8 mars 1832, qu’elle
était définitive et obligatoire ; qu’elle ne pouvait être ni
déférée aux tribunaux, ni être réformée par eux.
629.
— Valin appliquait aux congés des matelots
la règle consacrée pour la composition de l’équipage, il
enseignait en conséquence que dans le lieu de la de
meure des propriétaires, le capitaine ne pouvait con
gédier les matelots sans l’aveu de ces propriétaires.
�518
DROIT MARITIME.
Cette doctrine nous paraît repoussée par la raison et
par la loi. Comme l’observe M. Locré, le propriétaire
n ’a aucune espèce d’intérêt à ce que le capitaine con
serve un matelot ; point d’intérêt sous le rapport de la
présence du matelot, car un matelot n’est pas un hom
me assez important pour que le salut du navire dépende
de sa présence; point d’intérêt sous le rapport des sui
tes du renvoi, puisque le capitaine supporte seul l’in
demnité, lorsque le matelot a été congédié sans cause
valable.
Le capitaine, au contraire, répond des matelots, et
cette responsabilité, déjà fort lourde, deviendrait injuste
et accablante, s’il lui fallait se servir malgré lui d’un
sujet dont il n’a reconnu les vices qu’après l’avoir arrêté.
C’est ce qui arriverait pourtant, si le propriétaire s’obs
tinait à ne pas consentir à son renvoi.
Le capitaine a donc un intérêt majeur à pouvoir, dans
tous les lieux, congédier à son gré celui qu’il ne croirait
pouvoir conserver sans dangers. Ce qui prouve que la
loi ne l’a pas entendu autrement, c’est que l’article
270 ne renouvelle plus la disposition écrite dans l’arti
cle 223 L
6 5 0 . Tout ce qu’on exige de lui c’est qu’il indemnise
celui qu’il congédierait sans cause valable, et cette in
demnité lui est imposée personnellement. On lui interdit
en effet tout recours contre l’armement, à raison de ce
qu’il aura payé à ce titre.
1 Locré, Esprit du Code de com., art. 270.
�ART. 2 7 0 .
319
Ce défaut de recours n’est relatif qu’à l’indemnité
elle-même et ne saurait, dans aucune circonstance, enri
chir le propriétaire. Ainsi, si le congé était donné pen
dant le voyage, le capitaine pourrait se faire rembourser
de tous les loyers gagnés depuis le départ jusqu’au jour
du congé. Il est évident que l’armement ayant profité
des services en devrait la récompense. Il en serait de
même du prix des journées employées à l’équipement du
navire, dans le cas où le congé serait donné avant le
départ. Bien que compris dans l’indemnité du tiers, le
prix n’en serait pas moins dû par l’armement et devrait
être restitué au capitaine.
631. — Ce qui pouvait résulter de l’obligation pour
le capitaine de payer personnellement l’indemnité, c’était
d’arriver au but qu’il se propose d’une manière indi
recte en amenant le matelot à provoquer lui-même son
débarquement, parce qu’il lui rendrait son séjour sur le
navire insupportable.
Il est certain que dans cette hypothèse le matelot ob
tiendrait d’être débarqué. Mais la preuve des mauvais
traitements devant lesquels il a cédé lui ferait allouer
l’indemnité de l’article 270. Il ne saurait y avoir aucune
différence entre le capitaine qui donne congé sans cause
valable et celui qui se met en position d’être contraint
à le recevoir.
632. — La faculté de congédier les matelots avec ou
sans cause valable ne reçoit qu’une seule exception, à
�520
DROIT
MARITIME.
savoir si le navire se trouve dans les colonies ou à
l’étranger. Dans le premier cas, le débarquement doit
être autorisé par le commissaire des classes; dans le se
cond, par le consul, ce qui rend le débarquement im
possible dans les lieux où il ne s’en trouve aucun. L’in
observation de ces formalités donnerait lieu contre le
capitaine à une amende de 300 francs pour chaque
homme débarqué sans autorisation l.
Cette disposition n’est pas seulement dans l’iniêrêt
des matelots et n’a pas pour objet unique d’empêcher
qu’on ne les jette sur la première plage venue, éloignés
de tous secours, de tous moyens de rapatriement ; elle
est en outre d’ordre public. L’Etat n’a pas voulu perdre
un instant de vue les matelots. Or le débarquement
tromperait cette surveillance et deviendrait un moyen
facile de désertion. Aussi est-il absolument prohibé,
alors même qu’il serait demandé ou expressément con
senti par le matelot lui-même.
Le capitaine qui aurait contrevenu à cette prohibi
tion aurait donc manqué à ses devooirs envers l’Etat
lui-même. Il serait non-seulement exposé à l’amende
et aux dommages-intérêts envers les matelots, mais en
core atteint d’une peine disciplinaire pouvant aller jus
qu’à la privation du droit de commander. Le débarque
ment en France n’a pas besoin d’être autorisé par le
commissaire des classes, mais il doit lui être déclaré,
pour qu’il en fasse la mention sur le rôle d’équipage, à
i Art. 15,tit. 14 de l’ordonance du 31 octobre 1784.
�ART. 2 7 0 .
3 21
peine d’une amende contre le capitaine de soixante francs
par personne débarquée.
655.
— L’engagement des matelots n’est définitif
que par l’assentiment du commissaire des classes, qui
pourrait avoir de justes motifs d’empêcher leur embar
quement. Les matelots ne peuvent servir sur la marine
marchande que s’ils sont, momentanément du moins,
libres de tout engagement envers l'Etat. L’exécution de
cette règle a donné naissance à la revue du commissaire
des classes et à l’obligation de se pourvoir du rôle d’é
quipage que ce fonctionnaire est chargé de délivrer.
La clôture de ce rôle ratifie en quelque sorte l’engage
ment des matelots et le rend obligatoire. Jusque-là donc
cet engagement n ’est qu’un projet pouvant ou non sor
tir à effet.
Cette incertitude parut devoir être prise en considé
ration au tribunal et au conseil de commerce de Rouen.
Ils proposèrent donc de déclarer que le congé donné
avant la clôture du rôle d’équipage ne donnât lieu à
aucune indemnité. C’est ce que l’article 270 consacra.
Il suit de là que le matelot ainsi congédié n’a droit
qu’au prix des journées employées à l’équipement du
navire.
�322
DROIT MARITIME.
Article
271.
Le navire et le fret sont spécialement affectés aux
loyers des matelots.
Article
272.
Toutes les dispositions concernant les loyers, panse
ment et rachat des matelots sont communes aux officiers
et à tous autres gens de l’équipage.
SOMMAIRE
634. La créance des matelots pour loyers est privilégiée sur le
navire et sur le fret. Motifs.
635. Conséquences de ce privilège quant aux chargeurs.
636. Comment doivent être payés les loyers. Dérogation aux ré
gies ordinaires. Motifs.
637. Nullité du paiement fait contrairement aux prescriptions de
la loi.
638. Comment s ’opère le paiement en cas de désarmement au
port du départ. Genre de preuve admissible.
639. L’indemnité en cas de maladie, de blessure, de mort ou de
captivité, est accordée au capitaine et aux autres officiers.
634.
— Le paiement des loyers des matelots et au
tres gens de l’équipage, soit dans une des hypothèses
que nous venons de parcourir, soit dans celle de l’exé
cution entière de l’engagement, est la rigoureuse consé-
�ART. 2 7 1
ET 2 7 2 .
523
quence des services qu’ils ont rendus, et leur juste, leur
indispensable récompense. Cette nécessité d’ailleurs ré
sulterait du contrat lui-même.
Mais les matelots étaient plus que des créanciers or
dinaires, bien mieux placés que ceux qui avaient fait
des fournitures ou avancés des fonds pour le voyage.
Non-seulement la loi les distingue de ceux-ci, en leur
accordant un rang plus avantageux pour leur privilège
sur le navire, mais encore elle consacre en leur faveur
un droit que nul ne saurait réclamer, à savoir un pri
vilège sur le fret. Le fret est le produit du navire, et il
n’est acquis que par le zèle et le dévouement de l’équi
page. Il était donc équitable de déclarer qu’il ne devrait
être retiré par le propriétaire qu’après paiement des sa
laires.
635.
— La disposition de l’article 271 affecte exclu
sivement les propriétaires ou armateurs du navire. Elle
reste étrangère aux chargeurs, en ce sens que, s’ils ont
payé régulièrement le fret qu’ils doivent, ils ne sauraient
être recherchés par l’équipage ; ils ont pu supposer que
celui-ci était désintéressé ; ils ont dû l’admettre ainsi
lorsque le contraire ne leur a jamais été dénoncé; ils
ont dû payer lorsque, le voyage accompli, le proprié
taire les a sommés de le faire ; ce paiement les libère en
tièrement envers tous les intéressés.
Le fondement juridique de cette règle se puise dans
la négligence imputable à l’équipage. Il devait faire
opposition au paiement du fret, en saisir-arrêter le mon-
�324
DROIT MARITIME.
tant entre les mains du débiteur qui n’aurait payé ni
pu payer, au mépris de l’une ou de l’autre.
De là on a conclu, avec raison qu’il n’y a faute de
l’équipage que s’il a été en position de remplir utilement
le devoir qui lui est imposé. Or cette possibilité n’aurait
réellement pas existé si les chargeurs avaient payé
d’avance le montant du fret. Aussi a-t-on admis que ce
payement reste à leurs périls et risques, et qu’ils seraient
obligés envers l’équipage, si à la fin du voyage celui-ci
s’était opposé au paiement ou avait saisi-arrêté le fret
en temps opportun.
Le privilège sur le navire et sur le fret existe nonseulement pour les loyers proprement dits, mais encore
pour toute indemnité en tenant lieu, et pour le droit de
conduite. Tout ce que reçoivent les matelots, dans les hy
pothèses des articles précédents, leur est accordé à litre
de salaires, il participe donc au caractère de ceux-ci et
doit être recouvré comme ils le seraient eux-mêmes.
636.
— Le paiement des matelots ne peut être fait
dans les formes ordinaires. Les retenues auxquelles ils
sont soumis dans l’intérêt delà caisse des invalides d’une
part, de l’autre, le désir de les empêcher de consommer
dans la débauche ce qu’ils auraient reçu, au grand dé
triment de leur famille, dictaient des précautions aux
quelles la législation n’a jamais hésité à pourvoir.
En première ligne, les salaires des matelots ne peuvent
être payés qu’au port d’armement, alors même que,
n ’étant engagés que pour le voyage d’aller, ils seraient
�ART. 2 7 1 ET 2 7 2 .
525
débarqués au port de destination. L’article 5 de la dé
claration du 18 décembre 1728 défend aux maîtres de
payer dans les pays étrangers, aux matelots de leur équi
page, ce qui pourra leur être dû pour les loyers, à peine
de cent livres d’amende.
L’arrêté du conseil du 9 juillet 1734 ajoute que dans
le cas où le vaisseau désarmera dans un autre port que
celui d’où il est parti, les loyers des matelots leur seront
payés entre les mains des officiers des classes, et ne se
ront remis aux matelots qu’au lieu de leur département,
lorsqu’ils y seront arrivés.
Enfin, dans le cas de désarmement dans les colonies
d’Amérique, l’ordonnance du 19 juillet 1742 veut que
le décompte des matelots leur soit fait en présence de
l’officier de marine de la colonie, auquel le maître re
mettra une lettre de change du montant, tirée en France
sur l’armateur, pour, lesdits décompte et lettre de
change être par ces officiers envoyés au commissaire de
marine du lieu où le vaisseau a été armé, lequel, après
qu’il aura été payé de la lettre de change, payera les
matelots ou leurs familles.
Ces prescriptions qui, indépendamment du double
but déjà signalé, avaient encore celui d’empêcher les
désertions par la crainte de perdre les loyers acquis,
étaient facilement éludées. Avanade partir, les matelots
contractaient des dettes ; pendant le voyage, ils obte
naient des membres de l’équipage des avances, ce qui
amenait soit la saisie soit une compensation, et absor
bait ainsi les loyers, contrairement au désir de la loi, et
�526
DROIT
MARITIME.
annihilait les précautions qu’elle avait sanctionnées.
Mais l’ordonnance du 1" novembre 1745 vint mettre
un terme à cet état de choses. Elle déclare le salaire des
matelots insaisissable, à moins que les sommes préten
dues par les créanciers ne soient dues par les matelots
ou leurs familles pour loyer de maison, subsistances ou
hardes qui leur auront été fournies du consentement du
commissaire ou autres officiers des classes, et qu’elles
n’aient été apostillées par lesdits officiers sur les regis
tres et matricules des gens de mer.
Elle défend à tous officiers mariniers ou non mari
niers de rien prêter ou avancer aux matelots pendant le
voyage, sous quelque prétexte que ce soit, à peine de
perte et de privation des sommes avancées, et, en outre,
d’une amende de 50 livres ;
Elle déclare nuis et de nuis effets tous billets ou obli
gations souscrits par les matelots en faveur des membres
de l’équipage du navire sur lequel ils auront servis, et
défend aux juges d’y avoir égard, quand même ces
billets ou obligations seraient d’une date antérieure ou
postérieure au temps que le voyage aurait duré.
657. — Ce que ces ordonnances voulaient, notre
législateur ne pouvait pas ne pas le vouloir. Aussi, de
vrait-on décider aujourd’hui ce qu’on aurait décidé à
l’époque ou elles furent rendues. Leurs dispositions sont
encore absolument obligatoires.
Cependant la doctrine moderne a émis quelque dou-
�ART. 2 7 1
et
272.
527
te sur l’effet du payement fait aux matelots, contraire
ment aux prescriptions des ordonnances de 1728,
1734 et 1742. On a fait remarquer que, contrairement
à celle de 1745, les premières ne déclarent pas la nullité
de ces paiements. Mais cette nullité nous parait la con
séquence rigoureuse de leur texte même, c’est ce que
Valin avait admis, et c’est ce qui nous semble résulter
de l’article 30 de l’ordonnance du 29 octobre 1833.
638. — Lorsque, le voyage accompli, le désarme
ment s’opère au port du départ, le décompte des mate
lots est fait par le commissaire des classes, il est d’usa
ge que le paiement s’effectue au même moment et en
présence de ce fonctionnaire, dont l’attestation consti
tuerait une preuve régulière.
Toutefois, la part acquise au matelot peut n'être
payée que plus tard et hors la présence du commissaire,
qui n’est pas prescrite à peine de nullité. La preuve de
ce payement devrait alors être fournie; cependant, et en
cas de dénégation, l’affirmation du propriétaire suffirait.
639. — Les dispositions des articles précédents sur
les loyers en cas de maladie, blessure ou mort, et sur le
rachat en cas de captivité profitent à tous les officiers
du bord et au capitaine lui-même comme aux simples
matelots. On ne pouvait, en effet, faire une différence
quelconque entre les uns et les autres. Les effets étant
les mêmes, les résultats devaient être identiques.
�328
DROIT MARITIME.
TITRE
D e»
C h a r te »
p a r tie » ,
VI.
I V o lt a s e m e n t »
on
A ffr è te m e n ts.
a»
Article 27 3 .
Toute convention pour louage d’un vaisseau, appelée
charte partie, affrètement ou nolissement, doit être rédi
gée par écrit.
Elle énonce :
Le nom et le tonnage du navire,
Le nom du capitaine,
Les noms du fréteur et de l’affréteur,
Le lieu et le temps convenus pour la charge et pour
la décharge,
Le prix du fret ou nolis,
Si l’affrètement est total ou partiel,
L’indemnité convenue pour le cas de retard.
A r t ic l e 27 4 .
Si le temps de la charge et de la décharge du navire
n’est point fixé par les conventions des parties, il est
réglé suivant l’usage des lieux.
�Article 27 5 .
Si le navire est frété au mois, et s’il n’y a convention
contraire, le fret court du jour où le navire a fait voile.
SOMMAIRE
640. Objet que se propo-e la location d’un navire.
641. Ce qui a fait donner à ce contrat le nom de charte partie.
Edit de 1657 quant à sa forme.
642. L’ordonnance de 1681 prescrivit seulement delà rédiger par
écrit. Conséquences. Caractère de cette disposition.
643. Sa forme sous le Code. Doit être faite à double original et
signée des parties.
644. Celte signature peut - elle être supplée par celle du courtier
qui s’est entremis ?
645. Conséquences du défaut d’acte écrit. Preuves admissibles.
646. N ’est pas indispensable pour le petit cabotage ?
647. En résulte - 1 - il qu’on pourrait en prouver l’existence par
témoins ? Examen d’un arrêt de la Cour d’A ix qui paraît
admettre l’affirmative.
648. Enonciations que la charte partie doit contenir. Nom et
tonnage du navire. Objet de cette indication. Effets de son
omission.
649. Le nom du capitaine. Conséquences quant à la faculté laissée
par l ’article 218 au propriétaire.
630. Les noms du fréteur et de l ’affréteur. Discussion au conseil
d’Etat.
65t. Le lieu et le temps de la charge et de la décharge. Ce que
comprend cette prescription.
652. La détermination des jours de planches est surtout dans
l’intérêt du chargeur. Conséquences, si le pacte est obscur
ou ambigu.
�530
DROIT MARITIME.
653. Comment il est suppléé à l'omission dans la charte partie
de la détermination des staries. Délai accordé par l'usage.
Caractère de ce délai dans tous les cas.
6 5 i. Effet de l’obligation de charger le plus tôt possible.
655. La charte partie doit, en outre, indiquer le fret. Effet de
l’omission.
656. Le caractère et l’étendue de la location.
657. Enfin, l ’indemnité due pour le retard. Caractère de cette
indemnité. Effet du silence gardé par les parties.
658. La charte partie peut renfermer toutes autres conditions
qui n’ont rien de contraire à l’équité naturelle , à la police
de l’Etat et aux bonnes mœurs.
659. Comment peut être stipulé le droit de chapeau ?
660. Ce droit appartient-il au capitaine ou à l ’armateur ?
661. Dans les affrètements au mois , le fret ne court que du jour
où le navire a fait voile. Motifs de celte disposition.
640.
— Un navire est essentiellement susceptible
de location. Il est fort rare, en effet, qu’il soit exclusive
ment destiné aux opérations personnelles de son pro
priétaire, qui, étranger bien souvent au commerce, n’a
acquis le navire que pour l’affréter à des tiers.
L’affrètement peut avoir un double objet : ou la ces
sion de l’exploitation et de la jouissance du navire pen
dant un temps déterminé, avec obligation pour le pre
neur de l’armer lui-même et de l’équiper, ou l’accepta
tion d’une certaine quantité de marchandises à trans
porter dans une localité convenue. C’est ce dernier con
trat dont le législateur s’occupe exclusivement dans le
titre dans l’examen duquel nous entrons, et dans les
deux titres suivants.
�ART. 273, 274 e t 273.
351
641.
— Le contrat destiné à constater la convention
est appelé charte partie. Cette qualification provient de ce
que, dans l’origine, il était rédigé sur une charte qu’on
coupait, de haut en bas, en deux parts, dont une pour
chacune des parties contractantes, qui les représentaient
et les rassemblaient, lorsqu’il était question entre elles
de reconnaître et de constater ce dont on était convenu.
En s’assurant, dit Pothier, par le rapport que chacune
des parts devait avoir avec l’autre, quelles étaient le vé
ritable original sur lequel la convention avait été écrite,
on prévenait les artifices des faussairesl.
Cet usage n’était pas sans inconvénients. Comment,
en effet, rétablir le contrat lorsque l’intérêt personnel
poussait l’un des contractants à dissimuler la partie
dont il était en possession, ou à profiter de ce qu’elle
était adirée ou perdue pour contester les prétentions
de l’autre? Aussi finit-on, tout en conservant le nom,
par adopter un autre mode de rédaction.
Il parait même que le législateur eût d’abord la pen
sée de recourir à la forme authentique. Un édit de dé
cembre 1657 créait dans chaque siège d’amirauté deux
offices de notaires-greffiers pour y recevoir les chartes
parties et autres contrats maritimes, à l’exclusion des
autres notaires.
Mais cet édit était tellement peu en rapport avec les
besoins du commerce, qu’il ne fut jamais exécuté. Re
poussé en fait par la pratique, il fut formellement abro
gé par l’ordonnance de 1681.
i Des Chartes parties, n®4.
�352
DROIT MARITIME.
6 4 2 . — Celle-ci se borna à prescrire que la charte
partie ou le contrat, dit d’affrètement dans l’Océan, de
nolissement dans la Méditerranée, fût contracté par écrit,
ce qui permettait la forme sous seing privé comme la
forme authentique. Cette prescription, au reste ne se
référait qu’à l’exécution de l’acte et qu’à sa constatation
légale, car, ainsi que l’observe Valin, la convention
verbalement convenue n’en était pas moins valable si
les parties la reconnaissaient.
Mais, en cas de dénégation, la preuve par témoins
ne pouvait être reçue que jusqu’à la somme de cent li
vres, conformément à l’ordonnance de Moulins. S’il
s’agissait d’une somme supérieure et s’il n’existait au
cun écrit, on devait s’en référer au serment de la partie
déniant le contrat.
\
6 4 3 . — Le Code de commerce a suivi les errements
de l’ordonnance. La charte-partie doit être constatée par
écrit, elle peut être faite sous seing privé ou par acte
authentique. Dans le premier cas, elle doit, comme tous
les actes synallagmatiques renfermant des obligations
réciproques, être rédigée à double original.
La loi n’avait pas besoin d’exprimer la nécessité de la
signature des parties. Les actes sous seing privé notam
ment n’existent réellement que lorsqu’ils en sont revêtus.
La déclaration du notaire, que la partie n’a pu ou su
signer, équivaut à la signature elle-même et assure la
validité de l’acte authentique.
�ART. 273, 274 et 275.
335
644.
— Cette déclaration, émanée du courtier qui a
rédigé la charte partie, produirait-elle le même effet?
L’affirmative était enseignée par Valin ; lorsque le maî
tre ne sait pas signer, disait-il, le courtier signe pour
lui, et le maître est engagé comme s’il eût signé. La foi
publique l’exige de la sorte, quoique ces courtiers ne
soient pas établis à titre d’office mais seulement par
commission de M. l’amiral, parce qu’ils ont serment en
justice, ce qui les rend officiers publics en cette partie.
Ainsi la charte partie qu’ils ont faite est le titre commun
du maître et de l’affréteur, contre lequel on n’est pas
plus recevable à proposer aucune autre convention sup
posée faite avant ou après, que contre tout autre acte
par écritï.
A plus forte raison devrait-il en être ainsi depuis que
les courtiers existent à titre d’office, qu’ils sont commis
sionnés par le gouvernement. Cependant il serait diffi
cile de l’admettre en présence de l’article 109 du Code
de commerce, et surtout en présence des articles 79 et
80 du même Code.
Ainsi, pour les assurances, les courtiers sont formel
lement appelés à suppléer les notaires, ils en attestent la
vérité par leur signature. Pour les affrètements au con
traire, ils sont seulement appelés à en faire le courtage,
tout au plus donc peuvent-ils en attester la réalité, et
dès-lors le bordereau ou arrêté qu’ils en délivreraient ne
ferait preuve que s’il était signé par les parties, aux ter
mes de l’article 409.
i Art. 1er, titre des Chartes partiel.
�534
DROIT MARITIME.
645.
— L’omission d’un acte écrit ne produirait
d’autres conséquences, sous l’empire du Code, que cel
les que Yalin en déduisait sous l’ordonnance. La dis
cussion au conseil d’Etat le prouve d’une manière évi
dente. Si l’on veut que la convention soit rédigée par
écrit à peine de nullité, disait l’archichancelier, il faut
le dire ; si l’on ne veut pas établir cette peine, il faut le
dire encore. Sur cette observation, l’article fut renvoyé à
la section pour qu’elle avisât.
Celle-ci ne crut pas devoir suivre le conseil de l’ar
chichancelier, elle continua le silence que gardait le pro
jet, et ce silence suffit pour qu’on ne puisse admettre la
nullité. L’exigence d’un acte écrit dans l’article 273 n’a
donc qu’un seul objet, à savoir, l’intention de placer la
charte partie sous l’empire de la règle générale de
l’article 1341 du Code civil, en la faisant sortir de
l’exception que cet article admet pour les matières com
merciales, Ainsi, on ne pourra prouver par témoins
l’existence de la charte partie; mais n’eût-elle été con
venue que verbalement, elle sera obligatoire si cette
existence est acquise indépendamment de toute conven
tion directe, par des documents écrits émanant des
parties.
Ainsi la déclaration sur le livre de bord, la correspon
dance ou les livres des parties, les factures au bas des
quelles serait écrit l’engagement du capitaine, l’aveu
judiciaire du défendeur ou le refus du serment litisdécisoire remplaceraient utilement la convention. C’est
ce qui explique qu’on ait refusé d’appliquer la peine de
nullité à l’absence de celle-ci.
�ART. 273, 274 ET 273.
333
Il est une autre preuve plus énergique encore que
celle que nous venons d’indiquer, et qui justifie toute la
sagesse de ce refus, celle qui résulterait de l’exécution
de la convention verbale, par exemple le chargement à
bord réalisé ou commencé par l’affréteur. L’impossibi
lité de l’expliquer autrement que par l’existence d’une
charte partie devait nécessairement la faire admettre.
Dès lors le connaissement, justifiant le chargé, sup
pléerait utilement la charte partie, ou plutôt deviendrait,
s’il est régulier, la charte partie elle-même ; mais, à
défaut du connaissement, le fait matériel du chargement
suffirait pour contraindre celui qui l’a fait, comme celui
qui l’a reçu, à l’exécution ultérieure telle que la com
porte l’opération. L’article 292 prouve que le législateur
lui-même a accepté cette charte partie tacite.
646.
— Dans l’ancienne pratique, on ne recourait à
la charte partie proprement dite que dans le cas d’af
frètements considérables. Valin nous apprend que pour
le chargement des petits bâtiments qui n’allaient que
d’un endroit à un autre peu éloigné, qui ne quittaient
pas le ressort de l’amirauté, on se contentait de donner
au patron une facture des choses qu’il était convenu de
transporter, ou une lettre de voiture, si le chargement
était pour le compte d’un tiers.
Cet usage est encore pratiqué de nos jours nonseulement dans le petit cabotage, mais encore dans le
grand cabotage et même dans la navigation au long
cours. Ainsi, celui qui n’a à expédier que quelques co-
�356
DROIT MARITIME.
lis de peu d’importance, quelle que soit d’ailleurs la
destination, ne contracte pas de charte partie, il se con
tente de traiter verbalement avec le capitaine et d’envoyer
à bord la marchandise dont il a d’abord donné l’état et
dont il lui est délivré un connaissement.
Tout cela est parfaitement régulier au point de vue
que nous indiquions tout à l’heure : l’état de la mar
chandise, la lettre de voiture, et surtout le connaisse
ment suppléent à la charte-partie et la remplacent
suffisamment, aucune difficulté sérieuse ne saurait donc
s’élever lorsque ces titres ou l’un d’eux existent.
647.
— Mais si tout se réduit à une promesse réci
proque, la dénégation qu’en ferait une des parties pour
rait-elle être détruite par la preuve testimoniale? Evidem
ment non, quand même il s’agirait d’une opération au
petit cabotage. Il ne s’agit pas moins, en effet, delà lo
cation du navire, et cette location, qui n’exige pas dans
tous les cas une charte partie, n’en doit pas moins être
établie par écrit. Le capitaine qui n’a pas exigé une fac
ture ou lettre de voiture, le chargeur qui a négligé de
recueillir sur les pièces l’assentiment du capitaine, a
aveuglement suivi la foi de l’autre partie, l’engagement
ne sera pas nul, mais l’absence d’une preuve quelcon
que le rendra sans effets.
Or celte preuve ne pourrait résulter que d’un écrit,
quel qu’il fût ; à défaut, notre article place les parties
sous l’empire de la règle édictée par l’article 4341 du
Code civil.
�art.
2 7 5 , 274-
et
275.
357
La preuve testimoniale ne serait donc admissible que
si l’intérêt du litige n’excédait pas cent cinquante francs.
On comprend dès lors qu’elle ait été admise par deux
arrêts successifs de la Cour de Bruxelles, des 16 octobre
et 15 novembre 1816. Dans chacune de ces espèces, la
somme réclamée ne dépassait pas ce chiffre.
Il n’en est pas de même d’un arrêt de la Cour d’Aix
du 28 avril 1846. Celui-ci juge in terminis que l’arti
cle 273 est inapplicable aux affrètements au petit cabo
tage. En pareille matière, dit l’arrêt, ce ne sont point les
bâtiments servant au transport, mais uniquement les
marchandises à transporter qui sont l’objet de la con
vention, et qui en déterminent la nature et le caractère l.
Cette proposition est aussi subtile qu’ingénieuse, mais
ce qui est remarquable, c’est que la Cour, tout en dé
clarant l’article 273 inapplicable, va en faire une sage
application. En effet, elle n’arrive pas à déclarer la
preuve testimoniale admissible, ce qui serait la consé
quence de l’inapplicabilité de l’article 273, elle se borne
à conclure que la preuve de l’affrètement peut résulter
de la correspondance, des livres, de l’interrogatoire des
parties. Or, nous venons de le dire, l’article 273, loin
de proscrire ces moyens, les admet tous, même pour
l’affrètement au long cours. En définitive donc, l’arrêt,
comme nous le disons, ne fait qu’appliquer au petit ca
botage ce que l’article autorise dans tous les cas.
648. —■La charte partie, lorsqu’elle est rédigée par
�358
droit
Maritime.
écrit, doit énoncer le nom et le tonnage du navire. Cette
indication, quant au nom, est d’autant plus essentielle
qu’elle spécialise la chose qui fait la matière de la loca
tion. Aussi, est-elle exigée à peine de nullité ; son ab
sence enlèverait au contrat son aliment le plus subs
tantiel.
La déclaration du tonnage du navire a un double ob
jet, elle concourt à établir l’identité du navire, car l’iden
tité de portée se rencontrera plus difficilement que celle
de nom. Le tonnage servira donc, ce dernier se réali
sant, à préciser quel est le navire qui a été réellement
affecté.
Le second objet de l’indication du tonnage est de
mettre l’affréteur à même de faire ses préparatifs pour
le chargement ; il est évident que plus ce tonnage est
important, et plus il achètera des marchandises. Or
comme il lui importe de n’en acheter que la quantité
qu’il pourra expédier, il est naturel qu’il soit fixé sur
cette quantité. Nous verrons, sous l’article 289, les con
séquences qu’aurait pour l’armement l’erreur commise
dans cette indication ou la fausse déclaration.
Toutefois l’omission absolue de l’indication du tonnage
n’annullerait pas la charte partie, il y serait suppléé
par la jauge officielle, et l’affréteur ne pourrait jamais
être tenu au-delà de ce qu’il a chargé ou pu charger.
649.
— L’identité du navire peut encore résulter de
la connaissance de celui qui le commande, la charte
partie doit donc énoncer le nom du capitaine ; ce nom
�a rt
.
273, 274
ET
275.
35 9
d’ailleurs, peut devenir un motif déterminant du con
trat par la réputation d’habileté, de loyauté et d’expé
rience acquise à celui qui le porte.
Toutefois, ainsi que nous l’avons déjà dit, l’énoncia
tion du nom du capitaine dans la charte partie ne con
fère pas aux affréteurs le droit d’exiger que ce capitaine
préside effectivement au voyage convenu. La faculté que
l’article 218 confère au propriétaire étant d’ordre public,
son exercice ne saurait recevoir aucun obstacle et la
charte partie n’en serait pas moins obligatoire. Aussi,
n’est-ce que pour répondre à toutes prévisions qu’après
avoir indiqué le nom du capitaine on ajoute : ou tout
autre pour lui, clause qui est de plein droit sousentendue, si elle n’est pas expressément écrite.
650.
— Les contractants en la charte partie sont :
d’une part, le fréteur, c’est-à-dire le propriétaire qui
donne, et l’affréteur, c’est-à-dire le commerçant qui
prend le navire en location ; il était dès lors indispen
sable que le nom de l’un et de l’autre figurât dans la
charte partie.
Cependant le premier projet du Code ne prescrivait
d’énoncer qur le nom du capitaine et celui de l’affré
teur, mais sa rédaction fut attaquée sous un double
rapport.
Par le mot affréteur, disait-on, la loi entend désigner
le marchand qui prend le navire à fret. Or cette inten
tion n’est pas clairemeni établie par l’article. Le mot af
fréteur est amphibologique, on pourrait l’appliquer au
�340
DROIT MARITIME.
propriétaire du navire lui-même; c’est à lui, en effet,
qu’appartient spécialement le droit de l’affréter, c’est-àdire de le donner à fret, il importe donc de l’expliquer
de manière à rendre celte équivoque impossible.
D’autre part, n’exiger que le nom du capitaine et
celui de l’affréteur, c’est faire supposer qu’au premier
seul appartient le droit de souscrire l’affrètement dans
tous les cas. Or, les propriétaires, sans l’assentiment
desquels le contrat ne peut être souscrit au lieu de leur
demeure, peuvent toujours agir directement. Lors même
qu'ils ne traitent que par l’intermédiaire du capitaine,
ils n’en sont pas moins les seules parties, puisque celuici ne traite et ne peut traiter que comme leur représen
tant et mandataire.
En conséquence et pour revenir à la vérité des cho
ses, la Cour de Rennes proposait de dire : la charte
partie est passée entre les propriétaires du navire ou le
capitaine en leur nom, en leur absence, hors du lieu de
leur résidence, d’une part, et les chargeurs de l’autre ;
elle énonce le nom et le port du navire, les noms du
propriétaire ou armateur, du capitaine et des marchands
affréteurs, etc.
C’est là, et sauf rédaction ce que le conseil d’Etat a
entendu consacrer. Ce qu’il faut en conclure, c’est que
la charte partie, alors même qu’elle serait contractée par
le capitaine seul, en l’absence du fréteur, doit renfer
mer le nom de l’un et de l’autre, ainsi que celui de
l’affréteur; Il est de plus évident que l’omission d’indi
cation du fréteur et de l’affréteur, laissant la charte par-
�art.
275, 274
et
341
273.
lie dépourvue de toute partie, personne ne pourrait en
demander l’exécution ; qu’elle resterait donc sans aucun
effetv.
7
■
'
!
• .
■ ''in
651.
— Il est naturel d’insérer dans la charte par- .
lie le lieu et le temps de la charge et de la décharge ;
le lieu de la décharge est suffisamment indiqué par la
désignation du port de destination. La charge s’opère
ordinairement dans le port où le navire est amarré. Ce
pendant le contraire peut arriver, la marchandise desti
née à composer ou à compléter le chargement se trou
vant dans un autre lieu où le navire doit aller la prendre.
Il arrive même que les parties conviennent que si ces
marchandises ne se trouvaient pas en quantité suffi
sante au lieu indiqué, le capitaine se rendra dans un
autre, à l’effet d’y compléter son chargement. La déter
mination du temps de la charge est surtout utile dans
celte hypothèse. En effet, le capitaine ne peut réclamer
à raison des séjours que l’exécution de son engagement
l’oblige de faire dans les ports désignés, d’autre indem
nité que le paiement des jours de surestaries excédant le
délai accordé pour le chargement.
Dans tous les cas, les marchandises que le navire doit
transporter doivent être livrées par l’affréteur soit à quai,
soit à bord du navire ou sous palan ; il importe donc
que la charte partie le détermine.
.
1
552. — L’armement a le plus haut intérêt à ce que
’• Goujat cl Merger, v. Charte parue, n® 20,
�542
DROIT MARITIME.
le chargement et le déchargement du navire s’opèrent
dans le plus bref délai. Cependant l’un et l’autre exi
gent un temps moral qu’il était impossible de refuser à
l’affréteur.
Dans l’usage donc, on accorde à celui-ci un délai
déterminé, ce délai constitue les staries ou jours de plan
ches. On appelle surestaries les jours excédant le nomrbre stipulé au contrat.
Ce délai étant dans l’intérêt de l’affréteur, c’est lui
qui est à cet égard le stipulant. C’est contre lui dès-lors
que s’inteprèterait le pacte obscur ou ambigu. Ainsi, la
Cour de Rouen jugeait, le 24 février 1844, que lorsque,
dans un contrat d’affrètement, il a été convenu que les
jours de staries courraient du lendemain du jour de
l’arrivée du navire, ce délai ne peut être prorogé tacite
ment pendant tout le temps que les règlements locaux ne
permettent pas au navire de s’approcher du quai, et que
le capitaine a droit à une indemnité de séjour; qu’en
vain l’affréteur dirait-il que l’arrivée du navire ne doit
s’entendre que du moment où il occupe une position
propre à permettre d’opérer le chargement, et que les
jours de retard apportés à l’embarquement de la mar
chandise doivent venir en déduction du temps du séjour
convenu ; qu’il ne pourrait non plus exciper de la clause
du contrat portant que le chargement s’opérera suivant
l ’usage des lieux 1.
6 5 3 . — Faute par les parties d’être convenues des.
1 D. P. 44, 2, 4 20.
�ART.
275, 274
et
275.
543
staries, elles seraient présumées s’en être référées à
l’usage. Celui qui est le plus généralement suivi est d’ac
corder quinze jours au départ et quinze jours à l’arri
vée dans les voyages au long cours et au grand cabo
tage, trois jours pour les voyages au petit cabotage. Les
chargeurs qui auraient laissé écouler ce délai sans l’avoir
utilisé, seraient tenus du paiement des surestaries.
Quel que soit le délai convenu ou accordé par l’usage,
ce délai est absolu et de rigueur, il se compte jour par
jour, sans déduction des jours fériés, ni de ceux pen
dant lesquels il a été impossible de travailler. L’opinion
contraire de Yalin, à l’endroit des premiers, n’a pas
été suiviel.
654.
— Il arrive quelquefois que la marchandise que
l’affréteur promet de charger n’est pas encore en sa
possession ; comme l’arrivée de celte marchandise est
incertaine, il se contente de s’engager à en faire le char
gement le plus tôt possible.
L’effet de celte clause est de laisser à l’affréteur le temps
moralement nécessaire pour laisser arriver la marchan
dise qu’il doit charger. Il n’est donc pas en retard si le
temps écoulé depuis la convention n’a rien d’extraordi
naire ni de trop prolongé. Mais le fréteur ne pourrait
être tequ. d’attendre indéfiniment l’exécution de la charte
partie, il serait donc recevable et fondé, après une cer
taine attente, à demander à la justice la détermination
i Rouen, 6 germinal an x n .
�DROIT MARITIME.
544
d’un délai de rigueur, dont l’expiration ferait courir les
surestaries *.
655.
— Le fret est le loyer du navire, on doit donc
le déterminer dans la convention. Comme l’observe Po
thier, point de contrat de louage sans loyer.
Cependant le silence que la charte-partie garderait à
son endroit ne saurait en motiver l’annulation. Il est
facile, en effet, de suppléer à cette omission, puisqu’on
trouvera le prix du fret dans le connaissement qui, éma
nant des parties elles-mêmes, complétera sur ce point
leur convention première.
Si la marchandise n’ayant pas encore été chargée, il
n ’existe pas de connaissement, ou si le connaissement
se tait comme la charte partie sur le prix du fret, la con
vention n ’en doit pas moins sortir à effet, le fret serait
alors réglé par le cours de la place auquel les parties
seraient alors présumées s’en être référées2.
656.
— Une indication essentielle, en matière d’af
frètement est celle qui détermine la nature du contrat.
La location d’un navire peut avoir pour objet la tota
lité ou seulement une partie da navire, elle peut être
faite pour un voyage entier ou pour un temps limité,
au tonneau, au quintal, à forfait ou à cueillette. Nous
verrons, sous l’article 286, le caractère et les effets de
ces divers modes.
1 M a rse ille , 24 a o û t 1831
; Journal de Marseille,
2 C ass., 8 n o v e m b re 1 8 3 2 .
t . 12, 1. 268.
�ART.
2 7 3 , 2 7 4 ET 2 7 3 .
345
Le défaut de détermination de celui convenu laisse
rait présumer que la location porte sur le navire entier;
il est donc du devoir et de l’intérêt de l’affréteur de veil
ler à ce qu’aucun doute ne puisse naître à cet égard.
657. — Il est de l’intérêt mutuel des parties de pré
voir et de régler le retard que le chargement peut éprou
ver, notre article leur en fait un devoir. L’indemnité est
ordinairement fixée à une somme déterminée pour cha
que jour de surestaries. Cette détermination ne pourrait
être modifiée par les tribunaux, elle est obligatoire par
cela seul qu’elle a été convenue et arrêtée.
Son omission ne pourrait ni annuler la charte partie,
ni faire refuser au capitaine le droit d’être payé des sur
estaries ; ce qui en résulterait serait uniquement d’ap
peler les tribunaux à arrêter eux-mêmes le chiffre de
l’indemnité.
658. — L’intention du législateur, dans le titre que
nous examinons, a été, non de gêner la liberté des tran
sactions, mais de créer un droit commun auquel les
parties sont censées s’être référées à défaut de conven
tion contraire. L’ordonnance de 1681 avait cru devoir
exprimer cette pensée en déclarant que la charte partie
pouvait renfermer toutes autres conditions.
Ces conditions, disait Valin, fussent-elles contraires aux
us et coutumes de la mer, n’en seraient pas moins va
lables si elles n’avaient rien de contraire à l’équité na
turelle, à la police de l’Etat et aux bonnes mœurs.
�54G
DROIT MARITIME.
Le silence gardé par le Code de commerce ne saurait
être considéré comme dérogeant à l’ordonnance. L’es
prit de notre législation conduit à une conclusion toute
opposée.
La charte partie peut donc encore aujourd’hui renfer
mer toutes les stipulations dont il plaira aux parties de
convenir, sous la seule restriction déjà rappelée par
Valin.
659 . — Une des stipulations non prévue par l’artile 273, et qui se trouve ordinairement dans la chartepartie, est celle relative au droit de chapeau en faveur
du capitaine. Ce droit peut être convenu à part, ou se
trouver confondu dans la stipulation relative au fret.
Ainsi le tribunal de commerce de Marseille jugeait, le
S janvier 1830, que lorsque dans une charte partie le
fret a été stipulé à tant par tonneau tout compris, le
dix pour cent d’avaries et chapeau que l’usage accorde
au capitaine se trouvait englobé dans cette fixation, de
telle manière que le capitaine, quoique en même temps
copropriétaire, est fondé à les retenir sur le fret
*\ ■6 6 0 . — L’attribution au capitaine d’un droit de cha
peau est devenu la matière d’une difficulté. De lui à
l’affréteur aucun doute ne saurait s’élever, ce dernier ne
saurait jamais payer au-delà de ce qui est expressément
stipulé dans la charte partie.
1 Journal
de Marseille, t. 11, I, 222.
�'
ART. 2 7 5 , 2 7 4 e t 2 7 5 .
547
Mais suffît-il que ce droit ait été formellement ou ta
citement compris dans celle-ci, pour que le capitaine
doive le recevoir, ou bien n’est-il fondé à le faire que
si ce droit lui a été expressément conféré dans son enga
gement avec le propriétaire du navire?
Valin parait se prononcer en faveur du capitaine. Sa
doctrine aboutit à cette conclusion que toutes les fois
qu’un droit de chapeau a été promis par l’affréteur, ce
droit est distinct du fret et appartient exclusivement au
capitaine ï.
Emérigon enseigne au contraire que le chapeau et le
primage sont des profits qui procèdent de l’affrètement
du navire, qu’ils font partie du nolis, lequel serait sti
pulé à un plus haut prix si on ne promettait ni primage,
ni chapeau. Toutefois cet illustre jurisconsulte paraît
reculer devant les conséquences de sa doctrine, puisqu’il
ne refuse le chapeau, à défaut de convention avec le
propriétaire du navire, qu’au capitaine naviguant à la
part du profit.
M. Emile vincent ne considère le chapeau que com
me un accessoire du fret, il constitue, dit-il, une rétri
bution censée due au capitaine pour ses soins. La jouis
sance totale ou partielle attribuée au capitaine fait par
tie des conventions qui se font entre lui et le propriétaire
du navire2.
Donc, à défaut de concession dans l’engagement dm
i Art. 3, tit.
1
des Chartes parties.
T. 3:, p. <45.
�548
DROIT MARITIME,
capilaine, le chapeau est acquis à l’armement qui en
profile seul. C’est dans ce sens que le tribunal de com
merce de Marseille s’est prononcé les 30 juin 1830 et
2 septembre 1842 1.
Que le droit de chapeau procède de l’affrètement, c’est
ce qui ne saurail être contesté. Mais il n’en est pas
moins vrai que la pratique la plus constante l’a toujours
distingué du prix de celui-ci. Ce prix a toujours été
qualifié de fret ou nolis, tandis que l’autre a toujours
été désigné comme le chapeau, le pot de vin, la cape
ou l e s c h a u s s e s du capitaine.
L'attribution semble donc commandée par la nature
même des choses, par cette manière unanime de les
considérer ; elle ne nous paraît pas moins résulter de
leur objet. M. Vincent nous le dit lui même, le chapeau
n’est que la rétribution des peines et soins que le capi
taine prend et donne à la cargaison. Dès-lors, puisque
c’est une prestation personnelle qu’on a entendu recon
naître, comment le profit pourrait-il en être perçu par
ceux qui ne peuvent jamais fournir celte prestation?
11 est vrai, ainsi que l’observe Emérigon, que, sans le
chapeau, le prix du fret aurait pu être plus élevé. Mais
si le fréteur éprouve à cet égard un préjudice d’ailleurs
assez minime, n’en est-il pas récompensé d’un autre
côté. N’est-ce pas parce qu’il a compté sur l’usage qu’il
connaissait parfaitement, que le capitaine s’est contenté
des honoraires qui lui sont alloués? Donc le fréteur
1 Journal de Marseille, t. 'I % i , 1 ; fit 21, 1,283.
�Alix. 2 7 5 , 2 7 4
et
275.
549
gagne d’un côté ce qu’il perd de l’autre, et l’argument
s’efface et disparaît.
Nous croyons donc que le chapeau est exclusivement
attribué au capitaine, à moins que le contraire n’ait été
convenu entre lui et le propriétaire. Cette convention
n’a pas besoin d’être expresse, elle peut résulter des faits
et surtout de la conduite du capitaine, notamment de ce
qu’il aurait réglé et accepté ses salaires sans y compren
dre le droit de chapeau et sans protestations ni réserves
à son endroit.
Or, c’est précisément ce qui se réalisait dans les deux
espèces jugées par le tribunal de commerce de Marseille,
qui a soin de déclarer que dans tous les cas la demande
du capitaine serait non-recevable. Si le capitaine a omis
de réclamer en temps utile, c’est que le chapeau ne de
vait pas lui appartenir, et l’on s’explique alors que le
tribunal l’ait attribué à l’armement. Ce point de vue seul
justifie la solution à laquelle il s’est arrêté.
L’attribution du chapeau au capitaine à l’exclusion de
l’armement admise, reste à savoir si cette attribution
s’adresse à la personne ou à la fonction.
L’intérêt que soulève la solution de cette question se
manifeste surtout dans l’hypothèse où le capitaine décé
dant en cours de voyage, le second est appelé à prendre
le commandement du navire et le conduit heureusement
à sa destination. Est-ce à celui-ci, est-ce aux héritiers
de celui-là que doit être attribué le chapeau depuis le
jour du décès jusqu’à l’arrivée au port de destination?
Il semble que cette question ne devrait soulever au-
�35G
DROIT MARITIME.
cun doute, le chapeau* nous venons de le dire, n’est
que la rémunération des peines et soins que le capitaine
doit donner au navire et à la cargaison, qu’un dédom
magement de la responsabilité qui pèse sur lui, enfin
que la récompense des services qu’on attend de son con
cours, soit comme marin, soit comme homme d’affaires.
Or, après son décès, il n’a plus de peines à prendre,
de soins à donner, de responsabilité à encourir, de ser
vices à rendre. Toute récompense serait donc désormais
un effet sans cause, et ses héritiers venant la réclamer,
ne prétendraient-ils pas en réalité s’attribuer le profit
des labeurs, des services, de la responsabilité du second,
devenu capitaine en premier?
C’est cependant en leur faveur que se prononçait le
tribunal de commerce de Bordeaux pat jugement du 15
janvier 1867. Ce qui détermine le tribunal c’est que,
d’après les termes de l’article 250, les conditions d’en
gagement du capitaine et des hommes de l’équipage sont
constatées par le rôle d’équipage ou par les conventions
des parties ; que, dans l’espèce, le rôle de VAntonio
précise à quelles conditions et pour quel emploi le ré
clamant s’est engagé ; que sa qualification de second
capitaine indique qu’il pouvait, dans certaines éventua
lités, se trouver chargé delà conduite du navire; que
cependant ni le rôle ni aucune convention particulière,
ne lui accorde de commission sur le fret, et ne prévoit
en sa faveur aucun avantage spécial pour le cas où il
viendrait à prendre le commandement ; qu’on ne peut
donc lui accorder rien au-delà des salaires convenus.
�a iit
. 273, 274
ét
273.
531
La stipulation éventuelle d’une commission sur le fret
en faveur du capitaine en second n’a jamais lieu dans
la pratique, parce qu’elle serait inutile. En effet, si par
un événement quelconque, le second remplace le capi
taine en premier, il se trouve naturellement appelé à
profiter de tous les avantages promis à celui-ci. On ne
comprendrait pas que succédant aux obligations, à la
responsabilité de celui-ci, il fut privé des avantages stipu
lés en compensation de ces obligations et de cette res
ponsabilité.
D’ailleurs, le langage que tient le trilbunal se conce
vrait dans la bouche de l’armateur, qui pour se dispen
ser de payer le chapeau dirait : au second, je ne vous
dois que les salaires stipulés dans notre convention ; aux
héritiers du capitaine en premier, la mort de votre au
teur a résilié mon obligation dont les conditions n’ont
pu être remplies et ne l’ont pas été par lui.
Mais, répondrait le second, l’article 250 ne saurait
m’être opposé que si j ’agissais en la qualité que me
donnait mon engagement. Or si je réclame aujourd’hui
c’est non comme second mais comme capitaine en pre
mier, aux droits duquel j’ai été substitué ; et cette ré
ponse est si péremptoire que, dans l’espèce, l’armateur
se reconnaissait débiteur du chapeau et offrait de le
payer à qui serait dit par justice.
Comment ces raisons qui écarteraient l’armateur, n’é
carteraient-elles pas les héritiers du capitaine? Mais, en
ce qui les concerne, il y a de plus cet argument décisif
que l’action qu’ils intentent ne se trouvait pas dans la
succession.
�552
DROIT MARITIME.
En effet, comme le fret sur lequel il doit être prélevé,
le chapeau n’est dû et acquis que pour l’heureuse arri
vée. Or, le capitaine, décédant en cours de voyage, c’està-dire à une époque où le navire pouvait encore périr,
il n’avait ni droit ni créance à exercer et à faire valoir.
Objectera-t-on que l’obligation étant conditionnelle,
et la condition s’étant réalisée son effet rétroagissait au
jour du contrat? Oui, mais dans les obligations de la
nature de celles dont nous nous occupons, la condition
est complexe : il faut non-seulement l’heureuse arrivée,
mais encore que l’événement soit dû à l’habilité à la vi
gilance du capitaine, et si celui-ci décédant sans avoir
accompli sa mission, l’événement est le fait de son suc
cesseur, serait-il possible que celui-ci qui a eu la charge
n’en retirât pas le profit?
La raison juridique proteste contre un pareil résultat,
ubi om s, ibi emolumentum, et pas plus que leur au
teur, les héritiers ne sauraient se soustraire à cette rè
gle d’équité et de justice.
Ainsi le décide la Cour de Bordeaux, qui, par arrêt
du 19 juin 1867, réforme le jugement, et attribue au
capitaine en second qui a pris le commandement et la
direction du navire, le prorata du chapeau à partir du
jour du décès du capitaine en premier jusqu’à celui de
l’heureuse arrivée \
6 6 1 . — Nous avons dit que l’intérêt du fréteur est
i Journal du Marseille, 1SOS, 2, 98.
�■
■
ART. 2 7 3 , 2 7 4 et 2 7 5 .
353
que le voyage s’exécute le plus tôt et le plus prompte
ment possible. Cet intérêt fait place à l’intérêt contraire,
lorsque l’affrètement est au mois. Plus le voyage se pro
longera, plus le nombre de mois augmentera, et plus le
fret à recevoir sera important. Il pourrait donc arriver
que, sous divers prétextes, le capitaine voulut chercher
à atteindre ce résultat.
Or, cette manœuvre pourrait être tentée soit au départ
soit pendant le voyage, c’est pour la prévenir que le lé
gislateur a sanctionné les articles 275 et 295.
Ainsi, si le navire est frété au mois, le fret ne court
que du jour où le navire a fait voile. Le capitaine n’a
donc plus d’intérêt à retarder un départ qu’il s’empres
sera d’autant plus d’exécuter, que le séjour dans le port
est plus préjudiciable à l’armement.
Toutefois, cette disposition étant dans l’intérêt unique
de l’affréteur, il est évident que la faculté d’en répudier
le bénéfice ne pouvait lui être refusée. C’est ce que
consacre l’article 275, qui ne reçoit son application que
s’il n’y a convention contraire.
A r t ic l e
276.
Si, avant le départ du navire, il y a interdiction de
commerce avec le pays pour lequel il est destiné, les
conventions sont résolues sans dommages-intérêts de
part ni d’autre.
n — 23
�3S4
DROIT MARITIME.
Le chargeur est tenu des frais de la charge et de la
décharge de ses marchandises.
A r t ic l e
277.
S’il exite une force majeure qui n’empêche que pour
un temps la sortie du navire, les conventions subsistent,
et il n’y a pas lieu à dommages-intérêts pour le retard.
Elles subsistent également, et il n’y a pas lieu à une
augmentation de fret, si la force majeure arrive avant
le voyage.
A r t ic l e
278.
Le chargeur peut, pendant l’arrêt du navire, faire dé
charger ses marchandises à ses frais, à condition de les
recharger ou d’indemniser le capitaine.
A r t ic l e
279.
Dans le cas de blocus du port pour lequel le navire
est destiné, le capitaine est tenu, s’il n’a des ordres con
traires, de se rendre dans un des ports voisins de la
même puissance, où il lui sera permis d’aborder.
SOMMAIRE
662. Effets de l’interdiction de commerce sur la charte - partie ,
si elle a lieu avant le départ.
663. Caractère que cette interdiction doit offrir.
�7T
;
^
ART.
7 - :
2 7 6 , 2 7 7 , 2 7 8 et 2 7 9 .
335
665. Quel doit être l’effet de l’interdiction conditionnelle ?
665. Hypothèses qui doivent être assimilées à l ’interdiction ab
solue.
666. Les frais de charge et de décharge doivent être supportés
par l ’affréteur.
667. Caractère de la force majeure qui n’empêche que pour un
temps la sortie du navire.
668. Ses effets sur la charte partie, quelle que soit l ’époque à
laquelle elle se réalise.
669. Effets qui en découlent pour chacune des parties.
670. L’affréteur peut décharger sa marchandise pendant l'arrêt.
A quelles conditions ?
671. Peine qu’il encourrait s’il refusait de recharger ou s ’il ne le
faisait pas en temps utile.
672. Devoirs du capitaine en cas de blocus du port de destina
tion, ou de blocus général du pays.
673. Conséquence de l ’abordage dans un port appartenant à une
autre nation.
662.
— L’interdiction de commerce avec le pays pour
lequel le navire est destiné crée un obstacle absolu au
voyage projeté, elle devait donc exercer contre le fréteur
l’influence que la loi lui a déjà donnée sur les engage
ments de l’équipage. Le contrat nepouvait être exécuté, et
l’obstacle ne pouvant être imputé qu’à une force majeure
dont aucune des parties n’est responsable, la charte
partie devait être résiliée sans aucuns dommages-intérêts
de part ni d’autre.
Mais pour que ce résultat soit acquis, il faut que
l’interdiction de commerce porte sur le lieu pour lequel
le navire est destiné. Nous avons vu, sous l’article 253,
le véritable sens de ces expressions, et les conséquences
�386
DROIT MARITIME.
qui s’eu déduisent. Nous n’avons donc qu’à nous en ré
férer à nos précédentes observations \
Ainsi, tant que le navire est encore au port d’arme
ment, le contrat n’a en réalité reçu aucune exécution
réelle. Le chargement lui-même n’est qu’un moyen d’ar
river à cette exécution. Les choses sont donc entières, et
puisque l’interdiction de commerce ne permet plus de
passer outre, les parties se trouvent de plein droit déga
gées des engagements qu’elles avaient contractés en vue
d’un événement désormais impossible. Nous verrons,
sous l’article 299, les effets de l’interdiction survenue
pendant le voyage.
663.
— Mais, nous le répétons, la loi n’admet la
force majeure que si l’interdiction porte sur le lieu de la
destination. En conséquence, si elle ne s’applique qu’à
une localité voisine, les accords subsistent et la charte
partie doit recevoir son entière exécution, quelques ris
ques d’ailleurs que le navire ait à courir dans son voyage,
par suite de la déclaration de guerre survenue entre
princes devant les ports desquels il faut passer, et sans
que le maître puisse prétendre à une augmentation de
fret, à raison de ces nouveaux risques2.
Il faut de plus que l’interdiction soit absolue ; celle
qui se bornerait à une certaine nature de marchandises
dont les circonstances auraient fait prohiber l’importa1 Suprà, n ° 5 6 9 .
2 V a lin , art. 7 , titre des Chartes partiel.
�ART. 2 7 6 , 2 7 7 , 2 7 8
et
279.
557
tion ne tomberait pas sous l’application de l’article 276.
L’affréteur, alors même qu’il aurait déjà chargé en tout
ou en partie les marchandises prohibées, n’aurait que
le choix ou de les remplacer par d’autres marchandises
non prohibées, ou de résilier la charte-partie, en payant
le demi-fretl.
664.
— De son côté, la Cour de Paris a jugé, le 27
novembre 1847, que l’article 276 est inapplicable au
cas d’interdiction conditionnelle, en ce qu’elle n’atteint,
par exemple, que les navires qui auraient touché les
ports d’une nation en guerre avec la puissance qui a
prononcé l’interdiction; que, par suite, l'affréteur ne
peut s’opposer au départ du navire pour se mettre à
couvert des dangers résultant d’une telle prohibition3.
Ici, l’hypothèse diffère de celle jugée par la Cour
d’Aix, en ce que dans celle-ci la substitution d’une
marchandise licite à celle qui fait l’objet de la prohibi
tion, fait disparaître l’obstacle, et, celte substitution,
l’affréteur peut toujours la réaliser.
Aussi n’admettrions-nous la doctrine de la Cour de
Paris, que dans le cas d’un affréteur pour l’entier na
vire qui, ayant chargé pour une double destination, peut,
l’interdiction se réalisant, opter pour celle à laquelle il
a le plus d’intérêt, et empêcher le navire d’aborder
ailleurs.
1 Aix, 24 février <834.
�3S 8
DROIT MARITIME.
Mais si l’affréteur n’a chargé que partiellement le na
vire, si d’autres chargeurs ont traité avec le capitaine
précisément pour la destination qui doit rendre celle
choisie par le premier inabordable, que peut faire celuici? Imposer aux autres l’abandon de leur entreprise?
Evidemment non. Cependant la réalisation de celle-ci
rend la sienne impossible. Est-il juste dès lors de le
punir de cette impossibilité, ne serait-ce pas le rendre
victime d’une force majeure qu’il n ’a pu ni prévoir ni
empêcher?
C’est précisément ce qui se réalisait dans l’espèce
jugée parla Cour de Paris. Le gouvernement de BuenosAyres avait interdit ce port aux navires qui auraient
touché à Montevideo. Des que cette interdiction fut con
nue, un affréteur qui avait chargé à destination pour
Buenos-Àyres la dénonça au capitaine, avec défense de
s’arrêter à Montevideo.
Mais le capitaine répondit que cela lui était impossi
ble, puisqu’il avait à bord des marchandises pour cette
dernière destination, qu’il devait donc y aborder sans
pouvoir même se rendre d’abord à Buenos-Ayres, sans
s’exposer aux justes réclamations des chargeurs de
celles-ci.
En cet état, que pouvait faire le chargeur pour BuenosAyres ? Evidemment demander le déchargement de ses
marchandises et l’annulation de la charte partie. Refu
ser l’un et l’autre, comme le fait la Cour de Paris, c’est,
à notre avis, s’écarter de l’esprit de la loi et contraindre
l’exécution d’un contrat devenu inexécutable par suite
d’une force majeure.
�ART. 2 7 6 , 2 7 7 , 2 7 8
et 2 7 9 .
359
665 . — Il y a interdiction de commerce, dans le
sens de l’article 276, toutes les fois que le navire est
empêché de se rendre à sa destination par un acte éma
nant de l’autorité ou de ses représentants.
Ainsi, il a été jugé que le refus fait par l’ambassadeur
d’une puissance neutre d’autoriser le navire affrété à ar
borer le pavillon de cette puissance, peut, lorsque cette
autorisation avait été considérée comme indispensable
par le capitaine, le subrecargue et par le fréteur luimême, être assimilé à un cas de force majeure motivant
la résolution du contrat, sans donner ouverture à au
cune action de dommages-intérêts de la part du fréteur
contre l’affréteur ;
Qu’il y a lieu d’assimiler également à l’interdiction de
commerce ;
1° La défense que l’agent diplomatique d’une nation
étrangère a faite à un capitaine de sa nation, ayant no
lisé son bâtiment dans un port de France pour un autre
pays, de se rendre au lieu de destination ;
2° L’arrestation et la détention d’un navire étranger
dans un port français, en vertu d’un ordre du gouver
nement, par mesure de haute police et sans limitation
de durée l.
666. — La résiliation de la charte partie par suite
de l’interdiction de commerce, peut ne se réaliser qu’après chargement intégral, et même au moment du déi Dalloz, Nouv Rép., V. Droit maritime, n°» 943et 943
�360
DROIT MARITIME.
part du navire. Or, la part incombant au navire dans
cette force majeure se réduit à la perte du fret et à l’im
possibilité d’obtenir une réparation quelconque pour les
dépenses occasionnées pour les préparatifs du voyage,
que la rupture rend inutiles et sans objets.
Les frais de charge et ceux de la décharge constituent
la part afférente aux affréteurs. Ils doivent donc les
supporter exclusivement ; les uns et les autres seraient
restés à leur charge, si la charte partie avait reçu son
exécution. Dès lors ils ne pourraient être exigés de l’ar
mement qu’à titre de dommages-intérêts. Or, la loi vient
de refuser expressément toute action à cet effet.
667.
— L’interdiction de commerce n’était pas seule
à prévoir. Le voyage pouvait être empêché ou retardé
par un événement dont les parties ne pouvaient assu
mer la responsabilité, précisément parce que, étrangères
à sa réalisation, elles devaient en subir les conséquences.
C’est à cet événement que l’article 277 fait allusion, à
condition pourtant que la force majeure qu’il crée n’em
pêche que pour un temps la sortie du navire. Il est évi
dent que si l’obstacle, quel qu’il fût, était absolu et em
pêchait indéfiniment d’exécuter la convention, on ren
trerait dans le cas prévu de l’article 276. Nous venons
d’en citer des exemples.
Mais si la force majeure n ’est que temporaire, la con
vention n’est que suspendue. Elle devra donc être exé
cutée dès que l’obstacle aura disparu. La charte partie
existera tout de même dans son entier, si, sans inter-
�ART.
276, 277, 278
et
279.
361
diction de commerce avec le port de la destination du
navire, ce port est fermé par ordre du prince, ou par
une flotte ennemie qui le tient bloqué, ou si le navire
n’est arrêté que pour un temps par force majeure, à
cause que l’obstacle n’est que passager1.
Par application de cette règle, on a dû décider que
l’interdiction pour un temps, par ordre du gouvernement,
de toute communication avec le lieu de destination, par
ce qu’il y règne une maladie contagieuse, n’est pas une
cause de résolution de l’affrètement.
668.
— Le caractère de l’obstacle ne permettait pas
de distinguer, quant à ses effets, l’époque qui le verrait
s’accomplir. Que ce fût avant ou pendant le voyage, le
résultat devait être le même, et c’est ce que Valin n’hé
sitait pas à admettre, malgré que l’ordonnance n’eût
rien statué à cet égard.
Dans l’un et l’autre cas, disait-il, il faut que le maître
et l’affréteur attendent l’ouverture du port et la liberté
du navire, sans dommages-intérêts de part et d’autre,
sans que le fret ou nolis au mois puisse courir durant
tout le temps de sa détention, ni que le fret soit augmen
té, si le navire est loué au voyage3.
C’est cette opinion de Valin que l’article 277 consa
cre dans sa seconde disposition, dont la Cour de Ren
nes demande la consécration. C’est encore la même opii Valin, art. 8, tit. des Charles parties.
�362
DROIT MARITIME.
nion que nous retrouverons complétée par l’article 300.
Ainsi, la force majeure momentanée n’a pas pour
effet de rompre la charte partie. Elle demeure à la charge
respective des parties, dans la proportion afférant à
chacune d’elles.
6 6 9 . — L'affréteur, quel que soit le préjudice que le
retard peut et doit lui occasionner, ne peut retirer défi
nitivement sa marchandise ou refuser de la charger,
sans être obligé de payer le demi-fret, si l’obstacle se
réalise avant le départ et avant chargement, ou l’entier
fret, s’il survient après le chargement ou pendant le
voyage.
Le fréteur ne peut réclamer le fret pendant la durée
de l’obstacle, si le navire est loué au mois. Il ne peut
en demander l’augmentation, si la location est faite pour
le voyage.
Enfin, si l’affrètement est au mois, le demi-salaire de
l’équipage et sa nourriture sont avaries communes. El
les restent à la charge exclusive de l’armement, si le
navire est affrété au voyage b
6 7 0 . — Les obligations que la force majeure tem
poraire impose à l’affréteur ne pouvaient aller jusqu’à
l’empêcher de prendre, à l’égard- de ses marchandises,
toutes les mesures conservatoires que leur état lui parait
exiger. Ces mesures devaient-elles s’étendre jusqu’au
i Ibid. art. 300.
�ART.
276, 277, 278
et
279.
363
déchargement total ou partiel. C’est sur quoi le législa
teur a cru devoir se prononcer formellement.
L’affréteur peut donc, pendant l’arrêt du navire, dé
charger ses marchandises. Mais il ne peut le faire qu’en
supportant les frais auxquels ce déchargement peut
donner lieu, tant à l’endroit de ses marchandises ellesmêmes, que pour le déplacement des autres.
Il ne peut non plus l’opérer qu’à ses risques et pé
rils. Ainsi, si l’obstacle venant à cesser, le navire est re
tardé par l’obligation d’attendre le complet recharge
ment, les jours consacrés à celui-ci constituent des jours
de surestaries dont le eapitaine doit être indemnisé, les
parties se trouveraient dans ce cas sous l’application de
l’article 2194.
671.
— L’affréteur qui, ayant déchargé ses marchan
dises, refuserait de les recharger sur la sommation que
lui en ferait le capitaine, serait tenu d’indemniser l’ar
mement. Cette indemnité consisterait dans le paiement
du fret entier pour tout le voyage, si l’arrêt a eu lieu
avant le départ, à plus forte raison, s’il s’est réalisé pen
dant le cours du voyage. C’est ce qui nous parait résul
ter des articles 288 et 293.
Il est vrai que le premier permet à l’affréteur de rom
pre le contrat avant le départ, moyennant le demi-fret.
Mais cette faculté n’existe qu’à la condition que ce con
trat n’ait encore reçu aucune exécution, que le charge
ment n’ait pas même été commencé. Or, telle n'est pas
la position des choses dans notre espèce. La charte par-
�364
DROIT MARITIME.
tie a été au contraire complètement exécutée, puisque
l’affréteur avait réellement chargé. L’arrêt du navire sur
venu avant le départ a bien pu amener le décharge
ment provisoire, mais il n’a pu effacer cette exécution
ni enlever au capitaine un droit irrévocablement acquis.
Le fret entier est donc dû que la marchandise ait été
déchargée et non rechargée au lieu de l’armement ou
pendant le voyage. Il le serait dans cette dernière hypo
thèse, alors même que la marchandise aurait éprouvé
de telles avaries, que son rechargement et son transport
feraient craindre sa destruction totale. C’est ce que nous
aurons plus tard à établir et à justifier l.
672.
— L’ordonnance de 1681 n’avait rien statué
sur les devoirs du capitaine qui, arrivant à destination,
trouvait le port dans lequel il devait aborder en état de
blocus. Ce qui résultait de là, c’est que le capitaine ne
pouvait rien faire autre que de rétrograder, et de rame
ner son chargement au lieu du départ.
Ce retour forcé pouvait être très-onéreux pour les
chargeurs eux-mêmes, puisque la marchandise se re
trouvait en leurs mains grevée du prix du fret de l’aller
au moins, qui venait s’ajouter au prix du revient et
créait la nécessité de la vendre à un prix plus élevé.
Le Code a pourvu à cet inconvénient. Sous son em
pire, le capitaine qui trouve le port de destination blo
qué doit, avant tout se conformer aux ordres qu’il peut
i
lnfrà,
a r t. 293.
�ART.
276, 277, 278
et
279.
56 5
avoir reçu en prévision de cet événement. A. défaut
d’instructions spéciales, il est obligé d’aborder dans un
des ports voisins de la même puissance dans lequel il
lui sera permis d’entrer.
Il suffit que le capitaine ait eu juste raison de croire
qu’il lui serait facultatif d’entrer dans le port voisin vers
lequel il s’est dirigé, pour qu’on ne puisse contester
l’utilité de son opération, alors même qu’en définitive
ce port lui aurait été interdit. Nous trouvons une juste
et remarquable application de cette règle dans un juge
ment rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux,
le 4 juin 1847.
Un navire frété pour Tampico, dans le Mexique, trouve
à son arrivée ce port bloqué par les forces américaines.
Le commandant signifie au capitaine que le blocus s’é
tend à tous les ports et côtes du Mexique. Mais, avant
même la déclaration du blocus, le gouvernement améri
cain s’élait emparé du port de Matamoras, dont il avait
conservé la possession.
Ce port pouvait-il être considéré comme soumis au
blocus général ? Le capitaine pouvait et devait d’autant
moins le croire, qu’il n’est pas d’usage qu’une puissance
bloque ses propres possessions. Il crut donc devoir y di
riger son navire pour se conformer à l’article 279.
Mais assailli en route par la tempête, il fut obligé de
relâcher à la Nouvelle-Orléans, où le navire ayant été
déclaré innavigable, fut vendu ainsi que la cargaison.
Un délaissement étant signifié par les ayants-droit,
les assureurs contestèrent sa recevabilité. Le blocus des
�3 66
DROIT MARITIME.
ports du Mexique, disaient-ils, étant général, le capitaine
n ’avait pas le droit de se diriger vers Malamoras, il de
vait purement et simplement retourner au port d’arme
ment ; dès-lors, le sinistre s’étant réalisé pendant que
le navire faisait fausse route, l’assurance ne pouvait sor
tir à effet.
Mais ce système fut repoussé par le tribunal de Bor
deaux. Le capitaine, dit le jugement, ayant pu et dû
croire qu’il serait admis dans le port vers lequel il se
dirigeait, n’a fait que remplir le devoir que lui imposait
l’article 279 ».
673.
— Le législateur, en indiquant comme refuge,
en cas de blocus du port de destination, un des ports
voisins appartenant à la même puissance, semble exclure
la faculté de conduire le navire dans un port apparte
nant à une autre nation. L’exercice de cette faculté con
stituerait donc la fausse route pour ce qui concerne les
assureurs. Ils seraient, dès lors, fondés à faire pronon
cer la nullité des assurances.
Mais il peut en être autrement du capitaine aux ar
mateurs et chargeurs. Mandataire des uns et des autres,
le capitaine est chargé de veiller à leurs intérêts récipro
ques, d’interpréter les instructions qu’il en a reçues. Il
pourrait donc de bonne foi aborder dans un port voisin
appartenant à une autre puissance, y décharger sa car
gaison, s’il a dû croire servir les intérêts qui 1 ui étaient
�art .
280.
367
confiés, pour lesquels il est autorisé à agir dans le sens
qu’il juge de bonne foi être le meilleur. C’est ce que la
Cour de Rennes a formellement consacré le 27 février
1847 ^
Mais cette faculté est toujours subordonnée à celte cir
constance que tous les ports de la nation à laquelle ap
partient celui de la destination seront également fermés.
Dans le cas contraire, il doit exclusivement se rendre
dans celui où il lui serait permis d’entrer. La préférence
qu’il donnerait au port d’une autre nation serait la vio
lation de l’article 279, et engagerait sa. responsabilité.
Article 280.
Le navire, les agrès et apparaux, le fret et les mar
chandises chargées sont respectivement affectés à l’exé
cution des conventions des parties.
SOMMAIRE
674. Caractère de l ’article. Ne confère aucun privilège ni au fré
teur, ni à l ’affréteur.
674.
— L’article 280 pourrait se passer de com
mentaire. Il ne comporte, en effet, qu’une observation
sur son véritable caractère.
�368
DROIT MARITIME.
On a voulu en effet induire de sa disposition un pri
vilège soit en faveur du chargement sur la cargaison,
soit pour la cargaison sur le navire, les agrès, apparaux
et le fret. Mais ce point de vue est évidemment erroné.
Pour les chargeurs, par exemple, le privilège n’existe
que pour les dommages-intérêts ayant pour origine et
pour cause le défaut de délivrance des marchandises
qu’ils ont chargées, ou le remboursment des avaries souf
fertes par la faute du capitaine ou de l’équipage. Sur ce
point, nous l’avons déjà établi, l’article 191 est essentiel
lement limitatif et restrictif.
Le privilège ainsi restreint ne saurait donc être récla
mé pour les dommages-intérêts auxquels peut donner
lieu le refus d’exécuter la charte partie, et de recevoir
à bord la marchandise qu’on avait promis d’y em
barquer.
On pourrait cependant objecter que l’article 280, ve
nant après l’article 191, a pu le modifier et y déroger.
Mais cet article place sur une même ligne l’affréteur et
le fréteur. Il n’aura donc accordé le privilège au pre
mier que s’il l’attribue au second. Or, à cet égard, l’éco
nomie de notre législation ne permet pas même le doute.
Sur quoi, en effet, reposerait le privilège, dans le cas
où le refus d’exécution émanerait de l’affréteur. Ce re
fus lui-même peut ne provenir que de ce qu’il lui a été
impossible de se procurer la marchandise promise. Aussi
la loi n’affecte que la marchandise chargée. L’article
280 suppose donc pour le fréteur l’exécution du contrat,
et, s’il en est ainsi pour lui, il ne saurait en être autre
ment pour l’affréteur.
�ART.
280.
36 9
Relativement aux marchandises chargées, le législa
teur a si peu entendu conférer un privilège dans l’arti
cle 280, qu’il le crée expressément dans les articles 307
et 308. Est-ce que ces deux derniers n ’étaient pas abso
lument inutiles, si la préférence qu’ils accordent résul
tait déjà de l’article 280?
Il y a mieux encore, dans l’application de ces arti—
c'es, il est admis, comme nous le verrons bientôt, que
le fret n’étant acquis que par la réalisation du voyage,
le capitaine ne saurait réclamer un privilège pour le
montant de l’indemnité que lui accordent les articles
291 et 293. Cependant cette indemnité est appelée par
la loi elle-même, suivant le cas, le demi ou l’entier fret.
Comment donc concilier ce résultat avec la doctrine fai
sant résulter le privilège de l’article 280.
Reconnaissons donc que celte doctrine n’est pas ad
missible. L’affectation consacrée par l’article 280 n’est
pas d’une autre nature que celle édictée par l’article
190 en faveur des créanciers du vendeur du navire, elle
ne sera donc privilégiée pour l’affréteur que dans les
cas de l’article 191 ; pour le propriétaire du navire, que
dans ceux prévus par les articles 307 et 308.
�DROIT
370
MARITIME.
TITRE
DU
VII.
C O N N A IS S E M E N T
A r t ic l e
281.
Le connaissement doit exprimer la nature et la quan
tité ainsi que les espèces ou qualité des objets à trans
porter.
Il indique :
Le nom du chargeur,
Le nom et l’adresse de celui à qui l’expédition est
faite,
Le nom et le domicile du capitaine,
Le nom et le tonnage du navire,
Le lieu du départ et celui de la destination.
Il énonce le prix du fret,
Il présente en marge les marques et numéros des ob
jets à transporter.
Le connaissement peut être à ordre, ou au porteur,
ou à personne dénommée.
Article 282.
J
'
'y
■
■
( '
•
'
’ -.
Chaque connaissement est fait en quatre originaux
au moins :
�ART. 2 8 1 , 2 8 2 ET 2 8 3 .
371
Un pour le chargeur,
Un pour celui à qui les marchandises sont adressées,
Un pour le capitaine,
Un pour l’armateur du bâtiment,
Les quatre originaux sont signés par le chargeur et
par le capitaine, dans les vingt-quatre heures après le
chargement.
Le chargeur est tenu de fournir au capitaine, dans
le même délai les acquits des marchandises chargées.
Article 283.
Le connaissement, rédigé dans la forme ci-dessus
prescrite, fait foi entre toutes les parties intéressées au
chargement, et entre elles et les assureurs.
SOMMAI RE
675. C
aractèreduconnaissem
ent. O
bjets qu’il sepropose.
676. D
oit indiquerle nomduchargeur. M
otifset utilitédecelte
indication.
677. D
oit exprim
erlanatureet laquantité, ainsi quel’espèceet
laqualitédes m
archandises;portéeréelledecelte dispo
sition.
678. Il énoncele nomdudestinataire. M
otifs qui ontfaitom
ettre
l’énonciationdunomdupropriétaire.
679. Lenomducapitaine, le nomet letonnagedunavire.
680. Enfinle prixdufret.
681. Utilitédeladate.
�372
DROIT MARITIME.
682. Effets de l’inobservationdes prescriptionsdel’article281.
683. Avantagesdes connaissem
ents à ordre ou au porteur. G
e
qui les fitautoriserexpressém
ent.
684. C
aractèredes uns et des autres. M
odes et effets de leur
transm
ission.
685. D
evoirsqueleurcréationim
poseaucapitaine. Conséquen
ces encasdetransbordem
ent parlechargeur.
686. Encas queleconnaissem
ent àordreouauporteurrenferm
e
ladésignationd’undestinataire.
687. L’obligationderem
ettrelacargaisonauporteurduconnais
sem
ent est absolue. Application de l’article 149duC
ode
decom
m
erce.
688. Exceptionencas dem
auvaise foi du bénéficiaire de l’en
dossem
ent.
689. D’oùrésulterait lam
auvaisefoi?
690. Nécessitéderédigerleconnaissem
ent àquadruple original
aum
oins.
691. Quid, delam
entiondel’accom
plissem
ent decetteform
ali
té; sonutilité.
692. Parqui doivent êtresignésles exem
plaires ?
693. Natureet objetsdudélai que prescrit l’article282? D
equel
m
om
ent il court?Conséquences.
694. M
otifsde l’obligationfaiteauchargeurde rem
ettredans le
m
êm
edélai les acquitsdesm
archandises chargées.
695. Effetsdudéfaut designature àl’endroit des partieset àl’é
garddes tiers.
696. Foi dueauconnaissem
ent régulier ; soncaractèrevis-à-vis
des parties.
697. Effetsdelaclause: sans approuver, que dit être , ou me
sure à moi inconnue. Droits du capitaine de l’insérer.
698. Naturedelaprésom
ptionque l’endossem
ent régulier crée
contrelesintéressésauchargem
ent.
699. Effetsduconnaissem
ent irrégulier.
699bis. Effet dudéfaut deconnaissem
ent.
�ART.
2 8 1 , 282
et
283.
373
675. — Le charte partie ne renferme encore que la
promesse réciproque : d’une part de mettre l’affréteur
on possession de la jouissance du navire; de l’autre, de
procéder à son chargement. La livraison des marchan
dises est l’exécution de la promesse de l’affréteur. La dé
livrance du connnaissement constate que, de son côté, le
fréteur a tenu la sienne.
Celte délivrance est imposée au capitaine par l'article
222, dans son intérêt comme dans celui du chargeur.
Responsable des marchandises qui lui sont confiées, il
doit veiller à ce qu’on ne puisse jamais lui en réclamer
plus que ce qu'il en a reçu ou d’une nature autre. De
son côté, il n’importe pas moins au chargeur de rece
voir tout ce qu’il a livré en même quotité et qualité. Ce
double but est atteint par la rédaction, la délivrance et
l’acceptation du connaissement.
Enfin, le connaissement peut avoir un autre effet. Il
peut être appelé à suppléer au défaut de charte partie.
En établissant le chargé, c’est-à-dire l’exécution du
contrat, il prouverait l’existence du contrat même.
Ce triple point de vue explique les exigences de la loi
à l’endroit de la forme que le connaissement doit revê
tir et des énonciations qu’il doit renfermer.
676. — La constatation de la personnalité du chargeur est indispensable, puisque c’est à lui, ou, sur son
ordre, à son mandataire, que doivent être restitués les
effets chargés.
Sans doute l’indication du chargeur, dans le cas d’un
.
�574
DROIT MARITIME.
connaissement à personne dénommée, est inutile pour
ce qui concerne cette restitution. Il est vrai encore que,
dans le connaissement au porteur, le nom du chargeur
devient fort indifférent à cet endroit.
Mais, dans tous les cas, ce destinataire peut refuser
la marchandise. Dans tous les cas, si les avaries qui
l’ont déterminée empêchent la vente de produire de
quoi couvrir le fret, le fréteur a son recours, pour l’ex
cédant, contre le chargeur. L’exercice éventuel de ce re
cours exigeait doue que son nom se trouvât indiqué dans
le connaissement.
677.
— Le but principal du connaissement est de
personnifier en quelque sorte la marchandise dont il
constate la réception. C’est dans ce but que la loi exige
d’abord qu’il exprime la nature et la quantité, ainsi que
l’espèce et la qualité, et qu’il présente en marge les mar
ques et numéros des objets à transporter.
C’est ce que prescrivait également l’ordonnance de
1681, quant aux qualité, quantité et marques. La com
mission proposait de réduire l’indication à celle de la
nature et de la quantité.
Celle de la qualité, disait-elle, imposerait au capitaine
une responsabilité dont la pratique l’a affranchi, et qu’il
ne serait pas juste de lui faire encourir. Dans l’usage
reçu, on s’en rapporte à cet égard à la déclaration du
chargeur, sans la vérifier, et cet usage est raisonnable;
car le capitaine, s’il était obligé de vérifier, pourrait
être surpris. Par exemple, il ne saurait pas toujours dis-
�art.
281, 282
et
283.
375
tinguer, au goût, la qualité des vins ; il pourrait être
encore plus embarrassé de discerner chaque espèce d’in
digo. La qualité de la marchandise est donc étrangère
au capitaine, il lui est impossible de la garantir. Elle
croyait dès-lors devoir persister dans sa proposition, en
ajoutant cependant que le connaissement devrait indi
quer l’espèce.
Le conseil d’Etat ne s’arrêta pas et ne devait pas s’ar
rêter à cette objection, car il est toujours libre au char
geur de faire vérifier la qualité de sa marchandise. Il
est évident que le capitaine, s’il n’était pas capable de
procéder par lui-même à cette vérificàtion, doit se faire
assister par une personne capable.
Mais la nécessité de l’indication de la qualité ne de
vait pas avoir pour résultat, dans la pensée de ceux qui la
soutenaient, une responsabilité qu’on reconnaissait ne
devoir résulter que d'une vérification réelle et contradic
toire. Elle ne devait être admise qu’afin d’avertir le ca
pitaine qu’il est chargé de transporter des marchandi
ses précieuses, et de l’empêcher de s’excuser de ne pas
avoir pris tout le soin qu’elles exigeaient, par l’ignorance
dans laquelle on l’aurait laissé.
Le mot espèce, ajoutait-on, n’atteint pas ce but, par
ce qu’il ne présente pas le même sens que le mot qua
lité. Par exemple, si. on se contente de déclarer que le
chargement est composé de vins, on ne le fait pas con
naître assez, car il existe une différence énorme entre le
vin d’un mauvais cru et le vin d’un cru supérieur.
Cette discussion, qui se termina par l’adoption cumu-
�376
DROIT MARITIME.
lative des mots espèce et qualité, était esentielle à rap
peler. Elle prouve que le Code n’a voulu attacher à sa
disposition que le sens que la pratique avait affecté à
l’ordonnance de 1681. Or, disait Valin, le connaisse
ment ne fait preuve que de la qualité générique, exté
rieure et apparente ; comme s’il est dit dans le connais
sement que c’est de l’indigo, du sucre terré ou brut, du
colon, de la toile, il faut remettre des marchandises du
même genre, en même nombre de futailles ou ballots,
sous la même marque qu’elles ont été chargées. Mais en
ce qui concerne la qualité spécifique, intérieure et non
apparente, comme s’il est dit que l’indigo est cuivré ou
bleu, sec et bien conditionné; que les toiles sont de tel
les ou de telles espèces ; que dans telles caisses sont des
marchandises de telle qualité, etc......, le connaissement
n’engage point en cette partie, à moins qu’il n’y eût
preuve que les barriques eussent été défoncées, les bal
lots ouverts, ou de quelque autre prévarication du maî
tre ou de l’équipage l.
678.
— La loi veut que le connaissement indique le
nom de celui à qui l’expédition est faite, ce qui sup
pose que le connaissement ne sera ni à ordre ni au por
teur. Dans l’un et l’autre cas, cette indication serait
impossible, puisque le destinataire peut être inconnu du
chargeur lui-même, au moment de la rédaction du
connaissement.
i Art. 2, tit. des connaiss; conf. Pothier, Ch. parties, n« 47.
�Comme on le voit, le Code ne se préoccupe nullement
du propriétaire réel des marchandises qui peut être au
tre que le chargeur. Cette prétérilion n’a pas été le fait
du hasard, puisqu’on proposa formellement au conseil
d’Etat d’en prescrire la désignation. Cela peut être utile,
disait-on, surtout en cas de guerre, puisque, en l’ab
sence du pour compte, la marchandise arrêtée en mer,
même sur un navire neutre, est confiscable.
On répondit que le Code de commerce scindant la ma
tière que l’ordonnance de 1681 embrassait dans sa gé
néralité, on devait renvoyer au Code spécial de la
course tout ce qui se référait à la validité des prises ; que
d’ailleurs c’est pour le cas de guerre qu’il serait irnpolilique d’exiger que le connaissement fasse connaître le
véritable propriétaire, attendu que c’est alors qu’il peut
le plus importer d’en dérober la connaissance à l’enne
mi qui visite les papiers du navire.
On ajoutait que la disposition était inutile; que Je
Code ne pouvait régir que nos nationaux, et que la va
lidité de la prise d’un navire français serait jugée, non
d’après nos lois, mais conformément à celle des capteurs.
On admit donc que le chargeur devait être libre de
déclarer ou de masquer la propriété dans le connaisse
ment à ses risques et périls. Ce qui n’empêche pas
qu’en temps de guerre les tribunaux compétents ne ju
gent la question de propriété, d’après les lois et règle
ments spéciaux auxquels, comme le constate le procèsverbal, il n’a été en rien dérogé.
�378
DROIT MARITIME.
679.
— Le connaissement doit indiquer le nom et le
domicile du capitaine, et le nom et le tonnage du na
vire. La première indication fut réclamée parle tribunal
de commerce de Bayonne ; usitée dans la localité, disaitil, elle pouvait être très-utile dans les assurances, la
bonne réputation d’un capitaine connu inspirant de la
confiance. N’oublions pas d’ailleurs que la désignation
du capitaine constate l’identité du navire.
Le nom et le tonnage de celui-ci fixent l’objet qui a
fait la matière du contrat, et qui doit exécuter le trans
port. Il ne pouvait pas être, en effet, que le fréteur pût
à son choix substituer un navire à un autre. Chaque
navire a sa généalogie écrite dans le veritas, chacun
peut y consulter ses qualités et juger de la confiance
qu’il doit inspirer.
Il est une autre considération plus décisive encore ;
l’assurance se fait ordinairement sur connaissement, et
elle exige la détermination du navire qui doit être por
teur du risque. Il fallait donc trouver cette détermina
tion dans le connaissement. La substitution d’un autre
navire à celui nommé rendrait donc l’assurance nulle et
l’auteur de cette substitution passible de tout le préjudice
que cette annulation entraînerait.
Quant à l’indication du tonnage, elle sert à préciser
le navire lui-même ; elle est d’ailleurs indispensable, au
point de vue de l’application de l’article 289.
rjt.Ces dernières indications semblent faire un double
emploi avec la charte-partie qui doit également les ren
fermer ; mais le connaissement peut être appelé à la
�ART.
281, 282
et
283.
379
remplacer, il fallait donc qu’il pût comme elle détermi
ner la nature du contrat, son objet et ses conditions,
c’est dans le même but que notre article exige qu’il in
dique le lieu du départ et celui de la destination.
680. — Enfin, le prix du fret, quoiqu’il doive être
indiqué dans la charte partie, doit également l’être dans
le connaissement. Cette prescription a ici le même carac
tère et ne produirait que les effets que nous avons indi
qués sous l’article 273.
681. — L’article 281 se tait sur la date du connais
sement, mais l’intention de la prescrire résulte explici
tement de l’article 282, exigeant qu’il soit signé dans les
vingt-quatre heures du chargement. Il est évident que
ce n’est que par celte date que se résoudront les diffi
cultés que l’application de cette disposition peut faire
naître.
La date est donc utile entre les parties, elle est indis
pensable à l’endroit des tiers, ne fût-ce que pour cons
tater la sincérité et le moment précis du chargement.
Ainsi le tribunal de Marseille a jugé, le 31 janvier 1823,
que le connaissement sans date, ou dont la date est re
connue fausse, ne fait pas foi à l’égard des tiers; qu’ainsi
l’assuré ne peut s’en prévaloir contre l’assureur, et qu’il
est obligé de prouver le chargé l.
682. — Quels seraient les effets de l’inobservation
i Journal de Marseille, t. 4 , 1 , 106.
�380
DROIT MARITIME.
des prescriptions de l’article 281 ? La nullité du con
naissement ne saurait être admise dans aucun cas. Le
connaissement n’est pas, comme la charte partie, une
convention projetée, il constitue l’exécution de celte con
vention. Or, devant cette exécution tombent et s’effacent
toutes les nullités de forme.
Mais si le connaissement n’est pas nul, il devient es
sentiellement irrégulier dès qu’il n’est pas conforme à
ce qui est prescrit. Nous allons bientôt dire quelles se
raient les conséquences de cette irrégularité.
Mais cette irrégularité elle-même ne résulterait pas
de l’omission du prix du fret. L’intérêt de cette condition
se concentre entre les parties, et reste absolument étran
ger aux tiers. Or, en ce qui concerne les premières, un
fret est incontestablement dû, dès qu’il y a eu charge
ment et transport. L’omission de sa détermination ne
produirait donc d’autres conséquences que l’obligation
de s’en référer à la charte partie, s’il en existe une; et,
à défaut, d’investir les tribunaux, qui la fixeraient sui
vant le taux de la place, sauf aux parties à ia faire ré
gler par arbitres1.
683.
— Les nécessités commerciales avaient depuis
longtemps introduit l’usage des connaissements à ordre
ou au porteur. Cet usage était fondé sur la nécessité dans
laquelle se trouvait le propriétaire de vendre avant l’ar
rivée du navire, ou les avantages qu’il trouvait à en agir
i Cass., 8 novembre \ 832.
�ART. 2 8 1 , 2 8 2
ET
283.
381
ainsi. Or, la transmission du connaissement réalisant
celte vente, devenait une utile ressource.
Aussi et malgré le silence gardé par l’ordonnance de
1681, les connaissements à ordre ou au porteur étaient
devenus d’un usage général. Vainement avaient-on pré
tendu en trouver la prohibition dans la disposition pres
crivant l’indication dans le connaissement du nom de
celui qui devait recevoir la marchandise, ce qu’on sou
tenait être incompatible avec un connaissement à ordre
ou au porteur. La Cour de cassation, conslatanl l’exis
tence de l’usage contraire, repoussait ces prétentions et
validait l’existence et la négociation de ces connaisse
ments l.
La commission qui rédigea le projet du Code de com
merce, s’en référant à cet usage, ne s’en était pas au
trement expliquée. Le projet se bornait à reproduire les
dispositions de l’ordonnance, et gardait le même silence
sur les connaissements à ordre ou au porteur; mais le
tribunal et le conseil de commerce de Marseille deman
dèrent que ce silence fût rompu.
Le projet, disaient-ils, exige l’indication du nom et
de l’adresse de celui à qui l’expédition est faite. Si cette
obligation est absolue, on pourrait présumer que la loi
prohibe les connaissements à ordre ou au porteur ; ils
sont cependant usités dans le commerce, ils présentent
de grandes facilités sans aucun inconvénient, il faut
donc les conserver. Nous pensons bien que telle est l’in-
�382
DROIT MARITIME.
tenlion des auteurs du projet, mais cela ne suffit pas, il
faut encore que cette intention soit littéralement exprimée.
La commission se rendit à cet avis et introduisit dans
le projet corrigé la disposition qui termine l’article 281 ;
après avoir rappelé l’usage, elle ajoutait : L’expéditeur
est maître de disposer de la marchandise qu’il embarque
sur le navire. Cependant il n’a pas de correspondant
dans le lieu où il fait expédition, ou bien il veut se ré
server l’initiative de la consignation jusqu’à ce qu’il ait
des renseignements certains sur la solvabilité et la mo
ralité de ceux à qui il doit adresser son expédition ; il
fait des connaissements à ordre ou au porteur, et, sans
perdre l’avantage de l’époque favorable de l’expédition
qu’il a faite, il retient le droit de confier ses intérêts à
celui qui lui fera les meilleures conditionsl.
Ces considérations, qui avaient été acceptées comme
déterminantes par la commission, le parurent également
aux yeux du conseil d’Etat. L’existence des connaisse
ments à ordre ou au porteur fut légalement consacrée
dans la loi.
684.
— Les premiers constituent des lettres de chan
ge transmissibles par endossement, les seconds sont une
véritable monnaie dont la détention justifie la pro
priété.
La cession des uns et des autres ne confère pas seu
lement le droit de retirer exclusivement la marchandise
l Locré, Esprit du Code d com., art. 281.
�. ■-
■
v
ART. 2 8 1 , 2 8 2 et 2 8 3 .
>:
385
des mains du capitaine, elle transmet en outre la pro
priété de celle-ci même à l’endroit des tiers; mais,
pour qu’il en soit ainsi à l’égard de ceux-ci, il faut no
tamment que l’endossement du connaissement à ordre
réunisse toutes les conditions prescrites par l’article \ 38
du Code de commerce, qu’il exprime surtout la valeur
fournie, à défaut, il n’aurait pas transféré la propriété l.
685.
— Mais, à l’endroit du capitaine, le mode de
transfert ne saurait jamais exercer la moindre influence;
propriétaire ou simple mandataire, le porteur n’en a pas
moins le droit exclusif de retirer les effets portés au connaissememt, c’est donc à lui, et seulement à lui, que le
capitaine doit en opérer la délivrance.
Ce devoir, le capitaine ne le remplit régulièrement
qu’en exigeant la remise en ses mains du connaissement
acquitté en échange de la restitution de la marchandise.
Il doit même, suivant le cas, exiger la remise de tous
les exemplaires du connaissement, sous peine de répon
dre de l’abus que le chargeur pourrait faire de l’un de
ceux qui lui ont été confiés.
Ainsi, la Cour d’Àix décidait avec raison, le 24 juillet
1838, qu’un capitaine de navire qui, après avoir signé
à plusieurs exemplaires le connaissement d’une mar
chandise chargée à son bord, laisse effectuer par les
chargeurs le transbordement sur un autre navire et la
remise de cette marchandise à un autre capitaine, est
1 Cass., 'Ier mars 1843 ; Amiens, 29 juillet 1843; J. du P. 1843, 1367; 1844, 2, 279.
�584
DROIT MARITIME.
responsable, et avec lui son armateur, envers le porteur
du double de son connaissement, du défaut de consigna
tion au lieu du reste ; qu’en conséquence il est tenu de
payer au consignataire ainsi lésé la valeur de la mar
chandise remise à un autre l.
Le même arrêt décide avec non moins de raison que
le capitaine n’a aucune garantie à exercer contre celui
qui a reçu le transbordement. Celui-ci, en effet, en re
mettant la marchandise au consignataire qui lui a été
désigné, n’a fait que se conformer aux ordres qu’il a
reçus et auxquels il s’était formellement soumis dans
son propre connaissement.
686.
— Le capitaine, après signature du connaisse
ment, ne peut donc restituer celle-ci, soit au chargeur
lui-même, soit au porteur de ce connaissement, sans se
faire restituer tous les exemplaires dans le premier cas ;
l’exemplaire négocié, dans le second. Celle dernière obli
gation n’est pas moins étroite que la première, et son
inobservation produirait les mêmes conséquences.
Or, le connaissement peut être à ordre, malgré que le
nom du destinataire de la marchandise y soit formelle
ment désigné. Souvent, en effet, la remise de celle mar
chandise n’est que conditionnelle, par exemple si elle ne
doit être faite que contre paiement ; c’est à quoi le con
naissement à ordre pourvoit, puisque, nanti légalement
des effets, le porteur choisi par le chargeur ne s’en desJ. du P., <838,
2 , 20<.
�ART.
281, 282
et
285.
385
saisira que lorsque la condition convenue sera accomplie.
Le capitaine qui en l’absence du connaissement livre
rait la marchandise au destinataire, ferait donc échouer
les précautions prises par le chargeur pour assurer son
payement.
La conséquence nous est indiquée par un arrêt de la
Cour de Bruxelles du 1er mai 1832, jugeant que lorsque
l’affréteur a adressé le connaissement à ordre, non au
destinataire de la marchandise, mars à un correspon
dant, chargé de ne le remettre à celui-ci que moyen
nant payement des sommes par lui dues à l’affréteur,
s’il arrive que le capitaine, après avoir débarqué la mar
chandise sur le vu du permis de débarquement obtenu
de la douane par le destinataire lui-même, la remette
audit destinataire, bien que celui-ci ne soit pas porteur
du connaissement, il commet en cela une faute grave
envers l’affréteur, et peut être en conséquence pour
suivi et condamné au paiement, à titre de dommagesintérêts, des sommes dues à ce dernier par le destina
taire.
687.
— L’obligation du capitaine de remettre la mar
chandise au porteur du connaissement à ordre, et de ne
le remettre qu’à lui, est absolue et ne comporte aucune
exception, elle doit être exécutée malgré les oppositions
que des tiers feraient à sa délivrance; il en est des con
naissements à ordre ou au porteur comme de la lettre de
change quant à l’application de l’article 149 du Code
de commerce.
a — 25
�386
DROIT MARITIME.
Cela est vrai, même à l’encontre du véritable proprié
taire de la marchandise. L’abus de confiance que com
mettrait celui à qui il n’aurait remis le connaissement
qu’à titre précaire, en le négociant régulièrement à un
tiers, ne saurait être opposé à celui-ci, alors même que,
par une convention formelle, le premier ne se serait en
gagé à ne faire aucune négociation sans le consentement
du proprietaire \
6 8 8 . — Cette doctrine et ses conséquences ne sont
cependant juridiques que si le tiers a été de bonne foi et
a pu sérieusement croire à celle de son cédant. Ainsi la
Cour de cassation a expressément décidé, le 13 août
1822, que celui en faveur de qui un connaissement à
ordre a été régulièrement endossé ne peut se prétendre
investi de la propriété, s’il était à sa connaissance que
l’endosseur n’était lui-même que simple consignataire ;
que n’ayant pu acquérir que les droits qu’avait celui-ci,
il n’est devenu lui-même qu’un consignataire substitué.
689.
— L’endossement régulier, anéantissant les droits
du véritable propriétaire, ferait également disparaître
ceux du vendeur non payé de la marchandise comme
de tous autres créanciers du chargeur, sauf la question
de bonne foi du bénéficiaire de l’endossement, pouvant
être dans tous les cas discutée.
Celte bonne foi ne disparaîtrait que sur et par la
1 A ix, 4 décembre 4820.
�—
ART.
281, 282
et
283.
387
preuve du contraire; ainsi, l'endossement postérieur à la
cessation de paiement ne pourrait être annulé à l’en
contre du bénéficiaire que s’il était justifié qu’il connais
sait la cessation au moment où il acceptait l’endossement.
Dans tous les cas, le capitaine qui a délivré les effets
chargés au possesseur du connaissement, soit à ordre,
soit au porteur, n’a fait que remplir un devoir, il se
rait donc valablement et régulièrement libéré, même s’il
était ultérieurement établi que ce possesseur n’avait au
cun droit à la marchandise ; il en serait de même si le
connaissement étant à personne dénommée avait été cédé
par elle à un tiers, et que la cession eût été signifiée
au capitaine. Le bénéfice de cette cession ne serait ac
quis contre les tiers que du jour de la signification \
690.
— L’objet et la nature du connaissement ex
cluaient en quelque sorte la forme authentique. Aussf,
la pensée un instant manifestée par l’édit de 1657 de le
soumettre à celte forme resta-t-elle sans exécution. Mais
de ce qu’il était essentiellement destiné à être constaté
par acte sous seing privé, naissait l’obligation de veiller
à ce que chaque intéressé fût en position de le produire
lorsqu’il serait obligé d’en invoquer l’autorité.
L’ordonnance ne considérait comme réellement inté
ressés que le chargeur, le capitaine et le destinataire,
elle ne prescrivait donc que trois exemplaires. L’arm a1 Roulay-Paty, t. 2, p. 3 1 4 ; D alloz, Nouv. Rép., V. Droit mariti
me, n° 880.
�388
DROIT MARITIME.
leur se trouvait ainsi réduit à l’exemplaire que recevait
le capitaine, son mandataire.
Cela couvrait sans doute ses intérêts à l’égard des
chargeurs, mais ne le protégeait pas assez contre la
fraude que le capitaine pouvait tenter. Les connaisse
ments sont les pièces justificatives du compte du capi
taine relativement au fret et à sa quotité. Des connais
sements fabriqués après coup, par collusion entre le ca
pitaine et les chargeurs, pouvaient donc devenir l’ori
gine d’un grave préjudice pour l’armateur.
Quelque éloigné que parût ce danger, le moyen de le
prévenir était si simple, si facile à saisir que notre légis
lateur n’a pas hésité à le consacrer. Ce moyen, en effet,
consistait à prescrire un quatrième original devant être
délivré à l’armateur. De façon que toutes modifications
que pourraient ultérieurement subir les trois autres,
ressortiraient de la production de ce quatrième. Cette
certitude empêchera toute tentative de la fraude que nous
indiquons.
691.
— Le Code de commerce, en prescrivant qua
tre originaux, n’a pas exigé la mention dans chacun
d’eux de l’accomplissement de cette formalité. Cepen
dant cette mention est utile, car son existence doit en
traîner la preuve que chaque intéressé a réellement reçu
l’exemplaire qui lui est destiné, ûinsi la Cour de cassa
tion jugeait, le 8 novembre 1832, que l’énonciation
dans un connaissement qu’il a été fait à quadruple ori
ginal fait pleine foi contre l’armateur qui alléguerait en
�art.
vain n ’a v o ir p a s
2 8 1 , 2 8 2 ET 2 8 3 .
reçu l ’e x e m p la ir e
389
q u ’il d o it recev o ir.
Le c o n n a isse m e n t d o it d o n c être réd ig é à q u a tre o ri
g in a u x . On n e d o it p a s rester en d eçà d e ce n o m b r e ,
m ais on p eu t le d é p a sse r , c ’est ce q u i résu lte d es term es
de notre a r tic le . L’e x e m p la ir e d e stin é a u r é c e p tio n n a ir e
de la m a r c h a n d ise d oit être e n v o y é a u lieu d u re ste . Or
le ch argeu r p eu t c r a in d r e q u e ce lu i q u ’il tran sm et p ar
u n seu l n a v ire n 'arrive p a s à sa d e stin a tio n . Cette c r a in
te, fort c o n c e v a b le en
tem p s d e gu erre su r to u t, a fait
m u ltip lier les e x e m p la ir e s d ’un c o n n a isse m e n t q u ’o n c o n
fie à d ivers
n a v ir e s p o u r q u ’en l ’a b se n c e d ’a rriv ée d e
l ’u n , l ’au tre ab o rd e et le rem ette a u d e stin a ta ir e . Les
exem p laires d é p a ssa n t le n o m b r e d e q u a tre n e so n t q u e
des co p ies e t d o iv e n t l ’e x p r im e r . La d éliv r a n c e d es m a r
c h a n d ises fa ite su r u n e d e ces c o p ie s lib ère le c a p ita in e .
692.
— Les e x e m p la ir e s d u c o n n a is s e m e n t, c o m m e
les cop ies e lle s - m ê m e s , d o iv e n t être sig n é e s p a r le ca p i
taine et le c h a r g e u r . Le c o n n a is s e m e n t, e n effet, est a p
pelé à faire foi n o n - s e u le m e n t e n tr e le s p a r tie s, m a is
encore en v ers les tiers in té r e ssé s au
c h a r g e m e n t. I l est
une pièce e sse n tie lle p o u r la ju stific a tio n d es a ssu r é s et
pour le r èg lem en t d es a v a r ie s. C’est p o u r q u o i, d isa it la
c o m m issio n , n o u s a v o n s cru d ev o ir lu i d o n n e r to u s les
caractères d ’a u th e n tic ité q u ’il p o u v a it a v o ir , e n a s s u j é lissan t l ’ex p é d ite u r et le c a p ita in e à le rev êtir d e leu r
sign atu re.
6 9 5 . — L’o b lig a tio n d e r e m p lir cette fo r m a lité d a n s
�590
DROIT MARITIME.
les vingt-quatre heures après le chargement est toute
dans l’intérêt réciproque des parties. Ainsi, il importe
au capitaine de n’être pas obligé de retarder son départ
pour attendre une pièce que la loi lui commande d’avoir
à bord.
Il importe au chargeur d’avoir le plus tôt possible le
connaissement, soit pour stipuler des assurances, soit
pour l’envoyer à celui à qui il est destiné, et d’être ain
si autorisé à fournir sur lui pour les sommes conve
nues.
C’est à ce double intérêt que pourvoit l’article 282,
ajoutons que le chargement, dont il est question, n’est
pas le chargement complet du navire, lorsqu’il y a plu
sieurs affréteurs ou des destinataires différents.
Il y a chargement, dans le sens de la loi, toutes les
fois que chaque chargeur a mis à la disposition du ca
pitaine les effets qu’il devait charger, ou que l’affréteur
unique a livré les parties de marchandises devant être
l’objet d’un connaissement spécial. En conséquence, le
capitaine qui refuserait de signer, sous prétexte que son
navire n’est pas entièrement chargé, pourrait et devrait
y être contraint par justice.
Le chargeur, qui refuserait de signer pourrait égale
ment être forcé de le faire. De plus, si son refus avait
retardé le départ du navire, il serait tenu d’indemniser
l’armement.
6 9 4 . — L’article 226 exige que le capitaine ait à bord
indépendamment des connaissements, les acquits de paie-
�art.
2 8 1 , 2 8 2 ET 2 8 5 .
391
ment ou à caution de la douane. Il faut donc de toute
nécessité qu’il les ait reçus du chargeur. C’est donc à
bon droit que l’article 282 place sur la même ligne la
remise de ces acquits et celle du connaissement et qu’il
l’exige dans le même délai. Le retard, que le défaut de
cette remise occasionnerait au départ du navire, pro
duirait donc un résultat identique à celui du refus de la
signature du connaissement.
695. — Le défaut de signature produirait entre par
ties des effets différents, selon qu’il s’agit de la signature
du capitaine, ou de celle du chargeur.
Le connaissement non signé par le capitaine n’est pas
un connaissement. Aucune de ces indications ne pour
rait être utilement invoquée à la charge soit du capitaine
soit de l’armement. L’affréteur serait donc obligé de
prouver le fait du chargement, sa consistance en quan
tité, nature, qualité et espèce, soit par les attestations
de l’équipage, soit par les manifestes de sortie et d’en
trée, soit par les expéditions de la douane, etc.
Le connaissement signé par le capitaine seul vaut
contre lui et contre l’armateur, surtout si le fait du char
gement n’est pas contesté par lui. Ainsi, dans son arrêt
du 8 novembre 1832, la Cour suprême déclare que
l’armateur d’un navire, dont le capitaine s’est obligé
corps et biens, par connaissement qu’il a signé et qui
n’est pas contesté, à remettre à des tiers une somme
d’argent reçue dans le cours du voyage, est responsable
du fait de son capitaine envers le chargeur ou le desti-
�392
DROIT MARITIME.
nataire, encore bien que le connaissement n’ait pas été
signé par le chargeur.
Mais si l’armateur poursuivi comme civilement res
ponsable contestait le fait du chargement et soutenait
que le connaissement n’est qu’une fraude concertée, le
chargeur serait obligé de prouver le chargement. L’irré
gularité du connaissement l’empêchant de faire foi con
tre tout autre que le capitaine lui-même.
A plus forte raison en serait—il ainsi pour les tiers in
téressés au chargement, contre les assureurs notam
ment. C’est là la conséquence forcée de l’article 283.
696.
— Celui-ci, en effet, n’accepte comme faisant
foi entière du chargement, envers et contre tous, que le
connaissement rédigé suivant les prescriptions des arti
cles précédents. Le même effet ne saurait donc être at
taché à celui qui ne réunirait pas l’ensemble des con
ditions que ces prescriptions exigent.
La foi due au connaissement régulier n’est pas, pour
les tiers intéressés au chargement, de la même nature
qu’entre les parties.
A l’endroit du chargeur, du capitaine et de l’arma
teur, le connaissement régulier fait foi pleine, entière,
absolue. Nulle preuve n’est admissible contre ses énon
ciations, qui ne peuvent être modifiées ni altérées que
par un acte écrit émanant de celui à qui on l’oppose.
Néanmoins, cette règle ne s’applique pas indistincte
ment à toutes les énonciations du connaissement. Nous
avons déjà dit que pour ce qui concerne la qualité, le
�ART.
2 8 1 , 282
et
283.
39 3
capitaine, et par suite l’armateur, n’est lié par la décla
ration du chargeur que s’il est constaté qu’il a été pro
cédé à une vérification contradictoire.
En réalité donc, la foi due au connaissement même
régulier ne s’attache entre partie qu’aux qualités appa
rentes et extérieures de la marchandise, au poids, à la
mesure, au nombre des barriques, caisses et ballots.
697.
— Ce qui devait le faire décider ainsi, c’est que
le capitaine a pu et dû vérifier les déclarations qui lui
sont faites à cet endroit; qu’il est présumé l’avoir fait
toutes les fois que le contraire n’est pas établi.
Cette preuve contraire résulterait de l’insertion dans
le connaissement de la clause sans approuver ou que
dit être. Il résulte évidemment de l’une ou de l’autre
que le capitaine s’en est exclusivement référé à la dé
claration du chargeur et n’a pas entendu répondre de sa
véracité. L’acceptation du connaissement par le char
geur établirait qu’il a formellement consenti à ce qu’il
en fût ainsi.
L’intérêt du capitaine à stipuler cette clause est donc
évident, et cet intérêt détermine le droit de l’insérer dans
le connaissement. Les chargeurs ne pourraient empê
cher cette insertion qu’en offrant de vérifier avec lui, et
à leurs frais, l’exactitude de leur déclaration l.
Mais ce droit reçoit une exception, par exemple, si le
capitaine a reçu et exécuté la mission d’acheter et de
1 Pothier, C hartes p a r tie s n° 17.
�394
DROIT MARITIME.
charger lui-même la marchandise. Il ne saurait alors
prétendre avoir ignoré la nature, le poids, la qualité
même de cette marchandise. Il n’aurait, à cet égard,
constaté que sa propre déclaration, il en répondrait
donc, nonobstant la clause que dit être, qu’il n’avait
pas même le droit d’insérer l.
L’effet de cette clause, régulièrement inscrite au con
naissement, est d’exonérer le capitaine de la responsa
bilité qu’il serait dans le cas d’encourir.
Ainsi, il ne répond ni du poids, ni de la mesure énon
cée au connaissement, s’il n’est justifié que les mar
chandises ont été pesées ou mesurées en sa présence ;
Ni du déficit survenu dans la quantité, alors surtout
que la marchandise est sujette à déchet ; ni du déficit
provenant du coulage, alors surtout qu’il justifie d’évé
nements de mer qui ont pu le causer ou l’augmenter2.
Mais la clause que dit être n’a et ne peut jamais
avoir pour effet d’autoriser le relâchement de la surveil
lance et des soins que le capitaine doit à la cargaison.
Donc, nonobstant son existence, la responsabilité du
capitaine, à l’égard de ce qui n’est que le produit d’un
défaut de soin ou de surveillance, ne saurait être con
testée.
Elle ne saurait non plus délier le capitaine de l’obli
gation de rendre le nombre des barriques, caisses ou bal
lots mentionnés au connaissement. On peut bien admet1 Sentence de l’amirauté de Marseille, d’avril 1754.
2 Rép. du J. du P. V° Connaiss., nos 86 et suiv.
�ART.
2 8 1 , 2 8 2 ET 2 8 3 .
39 5
Ire que le capitaine puisse ne pas répondre du poids et
de la mesure qu’il n’a pas vérifiés, mais on ne com
prendrait pas qu’il écrivit avoir reçu cinquante colis,
lorsqu’il n’en aurait reçu que trente.
Il serait donc responsable de tous ceux qu’il restitue
rait en m oins, ainsi que de leur contenu présumé
si, au lieu de rendre les barriques et caisses saines et
bien conditionnées extérieurement, il les restitue dans
un état pouvant faire présumer qu’elles ont été ouvertes,
sauf l’exception de force majeure.
La clause mesure à moi inconnue équivaut à celle
que dit être, et produirait en conséquence les mêmes
effetsl.
L’absence d’une de ces clauses rendrait le capitaine
responsable, non de la qualité comme nous l’avons dit,
mais des quantités déclarées. Le déficit reconnu à l’ar
rivée resterait donc à sa charge, faute par lui de justifier
qu’il est exclusivement dû au vice propre de la chose,
ou à une fortune de mer. Dans tous les cas on devrait
lui tenir compte du déficit admis par l’usage, il n’aurait
donc à payer que celui excédant le coulage ou le déchet
qui doit se produire naturellement.
698.
— Relativement aux tiers intéressés au charge
ment, le connaissement régulier ne fait foi que jusqu’à
preuve contraire, Ainsi les assureurs sont toujours rece
vables à prouver, même par témoins, qu’il n’a rien été
i Douai, 30 mai 1829.
�396
DROIT MARITIME
chargé, ou que le chargement n’a pas atteint les pro
portions indiquées. Un connaissement non suivi ou non
précédé d’un chargement réel et effectif est une fraude
évidente ayant pour objet de faire payer aux assureurs
ce qu’ils ne doivent pas. L’allégation d’une pareille frau
de, alors surtout que son caractère n’est pas déjà fixé
par les faits et documents qui en prouveraient l’inanité
mérite d’être éclaircie, et ne pourrait l’être que par la
preuve testimoniale. Comment reprocher à celui qui se
plaint de la fraude, de ne pas s’en être procuré la preuve
écrite1 .
699.
— Cette doctrine caractérise le véritable sens et
la portée réelle de l’article 283. En disant que le con
naissement régulier fait foi contre toutes les parties, cet
article, observe M. Locré, ne fait que refuser au con
naissement irrégu’ier le bénéfice de la présomption
qu’elle admet dans lg premier cas.
Tout ce qui résulte donc de sa disposition se résume
de la manière que voici :
Si connaissement régulier, présomption en faveur du
chargé, présomption ju ris et de jure entre parties; juris seulement à l’égard des tiers intéressés au chargement.
Si connaissement irrégulier, aucune présomption, le
chargement n’est ni admis ni repoussé. On peut le prou
ver autrement, et celte preuve est toujours à la charge
de celui qui l’allègue; nous avons déjà dit qu’elle pour1 Cass., <15 février 48 2 6 ; Aix, 30 août 1833.
�art.
28 1 , 282
et
283.
597
rait résulter des manifestes de sortie et d’entrée, des
expéditions de la douane, enfin des attestations de l’é
quipage.
699 bis. — Les assureurs qui ont, fort justement
d’ailleurs, décliné, en ce qui les concerne, l’autorité des
indications du connaissement, et réclamé le droit de
prouver la fausseté de ces indications et le défaut de
tout chargement, ont prétendu qu’à l’égard des assurés
le connaissement établissait seul le chargé, et qu’à son
défaut ils ne pouvaient être admis à l’établir par toute
autre preuve.
Cette prétention, repoussée par la doctrine l, a été
expressément condamnée par la jurisprudence. Ce ré
sultat était inévitable ; on chercherait vainement dans
notre Code une disposition sur laquelle cette prétention
pût s’étayer. Si l’article 283 considère le connaissement
régulier comme prouvant le chargé, il ne fait pas de
son existence la condition sine quâ non de celte preuve,
et ne prohibe nullement d’y suppléer par d’autres actes
et documents de nature à l’établir, par tous les modes de
preuve admissibles en matière commerciale. Cette pro
hibition a été si peu dans l’intention du législateur, que
l’article 383 la repousse implicitement. En exigeant que
les actes justificatifs du chargement et de la perte soient
signifiés aux assureurs avant qu’ils puissent être pour
suivis en paiement des sommes assurées, cet article rel Pardessus, n° 832; Alauzet, t. 2, p. 284; Boulay-Paty, t. 4 . p, 348.
�398
DROIT MARITIME.
connaît admissible tout ce qui tend à fournir cette preuve
outre et indépendamment du connaissement.
C’est ce que la Cour de Bordeaux n’a cessé de pro
clamer. Ainsi elle jugeait :
Le 27 janvier 1829, que le chargement assuré peut
être constaté autrement que par un connaissement, no
tamment par une facture, et par la correspondance de
l’assuré avec l’expéditeur;
Le 11 juillet 1832, que quoique le connaissement
soit la preuve légale du chargé, l’assuré peut néanmoins
suppléer à son défaut par d’autres preuves, pourvu
qu’elles constatent le chargement.
C’est, ainsi que nous allons le voir, ce qu’elle jugeait
encore le 26 août 1861.
La Cour d’Aix jugeait de son côté, le 9 août 1836,
que dans une assurance sur facultés chargées ou à char
ger, la preuve du chargement peut, lorsqu’elle ne ré
sulte pas du connaissement, être faite par toute autre
pièce; spécialement que lorsque le connaissement pro
duit par l’assuré est daté d’une époque à laquelle rien
n’avait encore été chargé sur le navire désigné dans la
police d’assurance, l’assuré peut être admis à justifier,
par facture et autres pièces, que les marchandises assu
rées ont été réellement chargées postérieurement aux
dates énoncées.
L’opinion contraire est dans l’impossibilité d’invo
quer aucun précédent en sa faveur, à moins qu’on ne
prétendit l’induire d’un arrêt de la Cour de cassation du
7 juillet 1829, jugeant que le connaissement, pour faire
�ART. 2 8 1 ,
2 8 2 ET 2 8 3 .
399
preuve du chargement des marchandises assurées, doit
être signé non-seulement par le capitaine, mais encore
par le chargeur, en telle sorte que le défaut de signature
de l’un ou de l’autre peut autoriser les assureurs à re
fuser le paiement des assurances, en cas de naufrage du
navire et de perte des marchandises.
Mais pour se rendre raison de la valeur doctrinale de
cet arrêt, il faut se référer à l’arrêt contre lequel le pour
voi était dirigé. Or cet arrêt loin de décider que les as
surés ne pouvaient pas suppléer à l’irrégularité du con
naissement, et justifier le chargé par d’autres preuves,
consacre bien positivement le contraire, et ne fait droit
aux exceptions des assureurs que parce que cette autre
preuve n’est ni rapportée ni même offerte.
« Attendu, y est-il dit en effet, que l’assuré ne pro
duit nul acte justificatif de l’acquisition des objets qu’il
prétend avoir été embarqués ; que les factures dont il
excipe prouvent uniquement qu’il aurait confié au ca
pitaine Mazino, des marchandises pour être transpor
tées de Saint-Thomas à Chagues ; mais que rien ne con
state que le capitaine ait réellement transporté ces m ar
chandises à leur destination, ni qu’il les ait vendues,
ni que le produit en ait été converti en piastres ou en
poudre d’or ; que l’assuré ne présente même pas les
écritures que le capitaine a dû tenir pour lui rendre
compte de sa gestion ; que dans cet état des choses
l’assuré est réduit a ne chercher que dans le seul con
naissement la preuve du chargement qu’il dit avoir
opéré. »
�400
DROIT MARITIME.
Examinant dès lors la valeur légale de ce connaisse
ment, et en constatant l’irrégularité, l’arrêt, par ap
plication de l’article 283, déclare qu’il ne peut faire
foi du chargement, et c’est cette conséquence que la Cour
de cassation consacre.
« Attendu, dit l’arrêt de rejet, que le connaissement
étant signé par le capitaine seul, il résulte des articles
282 et suivants qu’on ne pouvait s’en prévaloir sous au
cun rapport ; Attendu, en outre, que la Cour de Bor
deaux a fondé sa décision sur une appréciation1d’actes,
de faits et de circonstances qui appartenait exclusivement
à ses attributions. »
Or déclarer l’assurance caduque et sans effet parce
qu’on est réduit à ne prouver le chargement que par un
connaissement irrégulier, ce n’est pas exclure la receva
bilité d’une preuve en dehors de ce document ; et s’é
tayer du défaut de cette preuve, c’est assez dire qu’on
l’eût admise si elle avait été offerte, et qu’on lui eût fait
produire tous ses effets si elle avait été rapportée.
Au reste, ce que la Cour de cassation consacrait impli
citement le 7 juillet 1829, elle le décidait expressément
par arrêt du 1S février 1863, dans les circonstances
suivantes :
Un sieur Borchard avait fait assurer la somme de
93,994 fr. sur facultés chargées ou à charger à bord du
navire la Sidonie ; ce navire ayant naufragé avec perte
de son chargement, Borchard avait signifié délaissement
à ses assureurs, et leur demandait le paiement du mon-
�ART.
2 8 1 , 2 8 2 ET 2 8 3 .
4.01
tant de l’assurance. Sur leur refus, il les avait ajournés
devant le tribunal de commerce de Bordeaux.
Les assureurs soutenaient que la demande était non
recevable, parce que l’assuré ne produisait pas le con
naissement des marchandises assurées, et ainsi ne fai
sait pas preuve du chargement.
22 février 1861, jugement qui rejette la fin de nonrecevoir : « Attendu que la loi n’impose point à l’assuré
de justifier le chargement par la production d’un con
naissement, et que l’article 383 du Code de commerce
dit en termes généraux que les actes justificatifs du char
gement et de la perte seront signifiés à l’assureur avant
qu’il puisse être poursuivi pour le paiement des sommes
assurées; que le juge est donc libre appréciateur des
justifications fournies ; Attendu que Borchard produit à
l'appui de sa demande les factures des marchandises
chargées, ainsi que les lettres de ses correspondants an
nonçant le chargement ; que les pièces de la procédure
suivie à Bombay, notamment la requête présentée par
le capitaine Vuatelet à l’effet de faire vendre la cargai
son, énoncent d’une manière précise la nature et la qua
lité des marchandises à bord du navire la Sidonie ; que
ces énonciations sont parfaitement conformes à celles de
la police d’assurance ; que le tribunal, par suite, doit
admettre comme suffisante la preuve faite par Borchard
relativement au chargement.
Appel, et, 26 août 1861, arrêt de la Cour de Bor
deaux qui confirme purement et simplement.
Les assureurs se pourvoient en cassation ; ils soutien*
ii — 26
�402
DROIT MARITIME.
nent que l’arrêt a violé les articles 383 et 283 du Code
de commerce, en ce que, nonobstant la disposition de
ce dernier article, il a décidé que la preuve du charge
ment pouvait être faite autrement qu’à l’aide d’un con
naissement.
Mais la Cour rejette le pourvoi : « Attendu que si, aux
termes de l’article 283 du Code de commerce, le con
naissement fait preuve du chargement, aucune disposi
tion de loi n’interdit les autres moyens de preuve en
matière commerciale ; que l’arrêt attaqué a donc pu le
faire résulter d’autres actes justificatifs qu’il appartenait
aux juges du fond d’apprécier souverainement K »
En l’état de cette jurisprudence et du principe qu’elle
consacre, l’article 283 se résume, en ce qui concerne les
tiers, dans les propositions suivantes :
S’il existe un connaissement régulier, le chargement
est présumé, et c’est à celui qui en dénié l’existence à
fournir la preuve de son allégation.
Si le connaissement est irrégulier, ou s’il n’en est pro
duit aucun, l’obligation de prouver le chargement, si le
tiers le conteste, incombe au chargeur.
Dans l’un et l’autre cas, le mérite et la valeur de la
preuve fournie, sont souverainement appréciés par les
deux degrés de juridiction.
�A r tic le
284.
En cas de diversité entre les connaissements d’un
même chargement, celui qui sera entre les mains du
capitaine fera foi, s’il est rempli de la main du char
geur ou de celle de son commissionnaire ; et celui qui
sera présenté par le chargeur sera suivi, s'il est rempli
de la main du capitaine.
A r t ic l e
285.
Tout commissionnaire ou consignataire qui aura reçu
les marchandises mentionnées dans les connaissements
ou chartes parties, sera tenu d’en donner reçu au capi
taine qui le demandera, à peine de tous dépens, dom
mages-intérêts, même ceux du retardement.
SOMMAI RE
700. Comment se règle la divergence entre les connaissements
d’un même chargement V
701. Quid, de celle qui existerait sur le prix du fret entre les
connaissements et la charte-partie.
702. Devoirs du capitaine à l’arrivée pour la consignation du
navire.
703. Pour la restitution des marchandises. A qui et comment
elle doit être opérée ?
704. Quid, dans le cas d ’un connaissement h ordre'ou au porteur.
�404
DROIT MARITIME.
705. Obligations dn consignataire de recevoir. Conséquences de
la violation.
706. Peine du retard. Comment s’évaluent les sur-surestaries ?
707. Obligation du consignataire de donner un reçu. Utilité de
celui-ci.
708. Ne peut être exigé avant vérification. Conséquences.
709. Peine du refus non justifié.
710. Formes du refus.
711. Comment se règlent les difficultés auxquelles peut donner
lieu la réception de la marchandise ?
712. Le capitaine est toujours directement et personnellement
responsable des objets portés au connaissement.
700.
— Les connaissements d’un même chargement
peuvent varier, soit sur les indications des qualité, quo
tité, nature et espèce des effets embarqués, soit sur le
taux du fret. Il convenait donc, en prévoyance de cette
hypothèse, de régler quelle devait être la conduite du
juge.
Préférer, contre chacune des parties, l’exemplaire
qu’elle avait rédigé elle-même, était le moyen le plus
rationnel, le plus équitable, c’est celui que l’ordonnance
de 1681 avait expressément consacré.
Cependant la commission n’avait pas cru devoir l’in
troduire dans le Code. Elle pensait qu’en exigeant que
les connaissements fussent signés par le capitaine et le
chargeur, on rendait difficile une divergence entre les
doubles. Elle ajoutait que s’il en existait une, on devait
s’en tenir à l’exemplaire dn capitaine, puisqu’il réunis
sait toutes les énonciations prescrites.
Ces motifs n’avaient évidemment rien de sérieux. Il
�ABT. 2 8 4 ET 2 8 5 .
405
est évident, en effet, que l’exemplaire du chargeur offrait,
comme celui du capitaine, toutes les conditions exigées
qu’on ne pouvait non plus se flatter qu’on ne rencon
trerait jamais dans les connaissements une divergence
qui se réalise si souvent dans les actes sous seing privé,
quoique signé par les deux parties.
On en revint donc au doute manifesté par l’ordon
nance, et l’on consacra le tempérament qu’elle avait ad
mis et que Valin déclarait d ’une sagesse à laquelle on
ne pouvait se refuser de rendre hommage.
Dans l’usage, en effet, les connaissements sont im
primés et on ne laisse en blanc que les indications q u ’on
ne peut remplir d’avance, comme le nom du chargeur,
celui du capitaine, celui du navire et son tonnage, la
nature la quantité, l’espèce et la qualité des marchan
dises, le prix du fret, etc..., ces blancs ne peuvent être
remplis qu’au moment du chargement.
La divergence ne peut naître qu’à l’occasion d’une
de ces indications. Celui qui la signalera et qui deman
dera qu’on ajoute foi à l’exemplaire qu’il produit, sera
réduit à prétendre que sur l’autre les blancs ont été rem
plis après coup et hors sa présence. Mais comment pour
rait-il articuler ce reproche, si ces blancs ont été rem
plis par lui-même?
C’est ce résultat que la loi a voulu atteindre et qu’elle
a atteint par la disposition de l’article 284. Valin avait
raison, il n’y avait rien de plus rationnel et de plus
juste que d’imposer à la partie le titre qu’elle avait ellemême rédigé et écrit.
�406
DROIT MARITIME.
Ainsi, en cas de divergence, l’exemplaire du capitaine
est préféré, s’il est écrit par le chargeur, son commis
sionnaire ou son commis. La loi, qui s’est expliquée à
l’égard du premier, n’avait pas à le faire à l’endroit du
second, le commis, agissant sous les ordres et dans les
bureaux de son patron, n’est jamais que ce patron luimême.
Foi est due à l’exemplaire représenté par le chargeur,
si cet exemplaire est écrit de la main du capitaine ou
de celui qui était régulièrement appelé à le suppléer, s’il
était absent au moment du chargement. Ce qui est vrai
pour le chargeur ne pouvait pas ne pas l’être pour le
capitaine. Celui qui en son absence commande le navire
est son représentant légal au même titre que le commis
sionnaire ou le commis vis-à-vis du chargeur. Il est donc
lié par ses actes.
701.
— La loi qui règle la divergence entre les con
naissements ne s’est pas occupée de celle qui peut exis
ter sur le prix du fret entre ces connaissements et la
charte partie, faudrat-il préférer l’indication qui se con
forme à celle-ci ou celle qui s’en éloigne?
La raison de douter résulte de la postériorité néces
saire du connaissement. Elle permet en effet de soutenir
que les parties ont voulu déroger au prix qu’elles avaient
primitivement fixé.
Mais cette dérogation est peu vraisemblable, on ne
renonce pas à un bénéfice acquis. Il n’est donc pas pré
sumable que le capitaine ait voulu subir une dirninu-
�',
art.
284
et
J
■
285.
/
407
tion ou le chargeur consentir une augmentation que rien
ne lui imposait.
Il faudrait donc que des modifications dans certaines
autres obligations renfermées dans la charte partie, ou la
stipulation de conditions nouvelles dans le connaisse
ment vinsent expliquer et rendre vraisemblable la dimi
nution ou l’augmentation du prix du fret.
On comprend d’ailleurs qu’en pareille matière la loi
ne pouvait que s’en référer à l’appréciation souveraine
des tribunaux. Ce qu’ils sont appelés à décider, c’est
l’existence de l’erreur et si elle se trouve dans le con
naissement ou dans la charte partie.
Or, à cet égard, il est un élément qui doit peser gra
vement sur la solution, à savoir, le cours de la place.
On pourrait donc se prononcer pour l’indication qui se
conformerait à ce cours ou qui s’en rapprocherait le
plus.
702.
— L’arrivée du navire au lieu de destination
impose au capitaine des devoirs et lui confère des droits.
Le premier de ces devoirs est de se conformer, pour
la consignation du navire lui-même, aux obligations
qu’il a pu contracter dans la charte partie. Ainsi le con
signataire de la marchandise n’a ordinairement aucun
droit à la consignation du navire. Mais le capitaine, qui
s’est engagé dans la charte partie à recommander son
navire, au lieu de la destination, au négociant pour le
compte duquel l’affrètement a eu lieu, doit tenir cet en
gagement de telle sorte qu’il doit être condamné à des
�408
DROIT MARITIME.
dommages-intérêts par cela seul qu’il aurait consigné
son navire à un autre recommanda taire, quoiqu’il n’y
eût de sa part que simple erreur et qu’aucun dol ne
pût lui être imputé.
Ces dommages-intérêts consisteraient dans le bénéfice
que la consignation faisait espérer ou dans la somme
stipulée à titre de dédit dans la charte partie elle-même.
703.
— Le capitaine arrivé à destination doit resti
tuer toutes les marchandises qui ont été embarquées.
S’il ne peut représenter quelques-uns des objets portés
au connaissement, il doit en payer le prix, suivant la
valeur au lieu de la décharge.
Si la marchandise restituée est avariée, il répond du
préjudice occasionné par l’avarie. Il ne peut échapper à
cette double responsabilité que par la preuve que la perte
ou l'avarie est exclusivement due au vice propre de la
chose ou à la force majeure.
La restitution des marchandises ne peut être faite qu’à
la personne déterminée par le connaissement et, comme
nous le disions tout-à l’heure, en échange de ce con
naissement lui-même. Le retard que cette restitution
éprouverait exposerait le capitaine à l’obligation d’en in
demniser le consignataire, si ce retard lui était imputable
C’est ce qui se réaliserait notamment si le capitaine,
ayant omis d’emporter avec lui les connaissements, avait
oublié le nom de celui à qui la marchandise devait être
remise. Si par suite de cet oubli, ou trompé par une si
militude de nom, le capitaine avait remis la marchan-
�ART.
284
ET
285.
409
dise à un autre, il en devrait la valeur au véritable con
signataire.
Le tribunal de commerce de Marseille a même décidé
que le capitaine est responsable du retard éprouvé dans
le déchargement, lorsque dans son manifeste d’entrée il
n’a pas désigné le consignataire sous un nom exacte
ment conforme à celui porté dans le connaissement. La
publication de ce manifeste est une sorte de mise en
demeure pour tous ceux qui ont des marchandises à
bord, et une invitation à prendre les mesures nécessai
res pour en opérer le débarquement. Celui qui, trompé
par l’indication inexacte du manifeste, a omis de pren
dre ces mesures, est donc victime de la faute ou de l’er
reur du capitaine; on ne saurait donc lui contester nonseulement le droit de ne payer aucune surestaries, mais
encore celui de se faire indemniser du préjudice que le
retard a pu lui occasionner.
704. — Nous venons de raisonner dans l’hypothèse
d’un connaissement à personne dénommée. Si le con
naissement est à ordre ou au porteur, le capitaine ignore
à qui il doit restituer la marchandise. Il n’a pas même
à s’en enquérir, il n’a qu’à attendre qu’on vienne la ré
clamer.
Ici la publication du manifeste indiquant un char
gement à ordre est la seule mise en demeure possible.
C’est au porteur à faire les diligences requises.
Dans l’usage cependant, on ajoute une seconde mise
en demeure. Le capitaine invite par la voie de la presse
�410
DROIT MARITIME.
les porteurs des connaissements à se présenter dans le
plus bref délai, et déclare qu’à défaut les marchandises
seront embarquées et placées sous le hangar de la
douane.
Faute de réclamations, le capitaine a le choix d’opé
rer ce débarquement ou de faire nommer un tiersconsignataire. Il peut être autorisé à vendre la mar
chandise jusqu’à concurrence de ce qui lui est dû pour
le fret, les frais de débarquement et pour surestaries, si
le retard a excédé les jours de planche.
Tant que la marchandise est à bord, elle se trouve
sous la garde et la responsabilité du capitaine, quel que
soit le retard mis dans la réception de la livraison. La
mise à quai fait cesser cette responsabilité. Ainsi débar
quée, la marchandise est censée livrée au destinataire.
La détérioration ou la perte survenue depuis reste donc
pour son compte l.
705.
— Du devoir imposé au capitaine à l’endroit de
la délivrance de la marchandise au porteur du connais
sement, résulte pour celui-ci l’obligation de la recevoir.
Cette obligation comprend forcément celle de remplir,
en douane surtout, toutes les formalités indispensables
pour le débarquement. Il ne suffirait même pas au des
tinataire de justifier de ses diligences, il répondrait per
sonnellement des obstacles que celles-ci éprouveraient
ou auraient éprouvés.
1 Rouen, 3 ju in 1845;
J. du P.,
2 1845, 242.
�ART. 284, ET 285.
411
Ainsi, lorsque dans une charte partie un nombre dé
terminé de jours de planche a été stipulé en faveur du
chargeur pour le débarquement, le capitaine n ’est pas
passible des obstacles opposés par la douane à ce débar
quement. En conséquence, il a droit à des surestaries à
l’expiration des jours de planche fixés par le contrat et
comptés du moment où le capitaine a placé son navire
à quai et a été à même d’opérer le débarquement.
706.
— La peine du retard pour le consignataire con
siste dans le paiement des surestaries, tel que la charte
partie a pu le stipuler, si celte charte partie n’accorde .
que des jours de planche et déclare que l’excédant sera
payé tant par jour.
Mais il arrive souvent que, dans la prévision d’une
insuffisance des premiers, les parties stipulent un certain
nombre de jours de surestaries dont le taux est fixé. Ce
taux se ressent alors du caractère de la stipulation. On
comprend que, puisqu’elle était une des conditions du
contrat, le fréteur ait modéré le prix pour éviter la rup
ture du contrat. La perte résultant de cette modération
devant être compensée par les avantages que celui-ci
réalise.
Dès lors, il ne saurait être forcé d’ajouter à cette perte
celle qui pourrait résulter pour lui de la prolongation
du retard. Aussi est-il admis que l’indemnité pour les
surestaries rte peut être calculée au même prix que ce
lui des surestaries convenues; qu’elle doit être arbitrée
par les juges.
�412
DROIT
MARITIME.
707. — Le consignataire est obligé, en recevant la
marchandise, d’en donner un reçu si le capitaine l’exige.
Il est en effet rationnel et juste que le capitaine ob
tienne une preuve écrite de l’accomplissement de la mis
sion qu’une convention écrite lui imposait.
Ce n’est pas que ce reçu soit indispensable pour prou
ver le débarquement, il existe un autre moyen aussi
péremptoire d’arriver à ce résultat. On sait que le ma
nifeste d’entrée doit contenir la nature exacte de toute
la cargaison et indiquer les divers consignataires. Or, la
douane ne manque pas de contrôler la sincérité du ma
nifeste. Ses commis assistent au déchargement, indiquent
sur les registres toutes les marchandises qui sortent du
navire. Ces registres feraient donc, au besoin, foi entière
du déchargement.
Mais l’utilité du reçu doit être surtout appréciée au
point de vue de l’article 435. La réception pure et sim
ple de la marchandise crée une fin de non-recevoir con
tre toute recherche ultérieure à raison de ces mêmes
marchandises. C’est cette fin de non-recevoir qui ex
plique l’intérêt du capitaine et le devoir que l’article
285 fait au réceptionnaire de lui délivrer le reçu qu’il
réclame.
7 0 8 . — L’effet que ce reçu doit produire indique
suffisament qu’il ne peut être délivré qu’après que le
réceptionnaire aura vérifié les marchandises et s’est as
suré de leur bon état. En conséquence, si son refus n’é
tait motivé que parce qu’il entend faire cette vérification,
�ART. 2 8 4
ET 2 8 b .
413
il ne saurait être prononcé aucune condamnation con
tre lui.
Toutefois celle allégation ne pourrait jamais avoir pour
effet de retarder indéfiniment la réception de la m ar
chandise. Le capitaine peut donc, dans tous les cas, faire
fixer pour la vérification un délai déterminé, passé le
quel elle sera censée faite et sa responsabilité mise à
couvert.
709. — La peine du refus non justifié ou déclaré tel
consiste dans l’obligation pour le réceptionnaire de
payer au capitaine des dommages-intérêts, les dépens
dont ce refus a été l’occasion, et même l’indemnité du
retardement. Ces derniers mots de notre article indiquent
que si le capitaine n’avait été retenu sur la localité que
par les difficultés soulevées par le réceptionnaire, il au
rait le droit d’exiger le remboursement de ses frais de
séjour et la réparation du préjudice que ce séjour peut
lui occasionner.
710. — La loi ne s’explique pas sur la forme du re
çu. Ordinairement il est écrit au dos du connaissement
en possession du consignataire, qui échange son exem
plaire contre celui du capitaine, au dos duquel celui-ci
écrit la quittance du fret. Si le refus a donné lieu à une
instance, le jugement qui l’a repoussé tient lieu de reçu
et en produit tous les effets.
711. — Toutes les difficultés auxquelles peut don-
�Mi
DROIT MARITIME.
ner lieu la réception de la marchandise et la constata
tion de leur état obéissent aux règles tracées par l’article
106 du Code de commerce.
712.
— Nous terminons la matière des connaisse
ments par cette observation importante. Quoique le ca
pitaine n’agisse qu’en sa qualité, il n’en reçoit pas
moins directement et personnellement les effets portés
au connaissement. Il ne saurait donc s’abriter derrière
cette qualité pour échapper à la responsabilité directe et
personnelle résultant de la réception. Cette responsabilité
est acquise en faveur du chargeur, qu’elle soit ou non
stipulée dans le connaissement, elle pourrait également
être invoquée par l’armateur qui, poursuivi comme civi
lement responsable, aurait été obligé de désintéresser les
chargeurs.
TITRE
DU
FRET
VIII.
OU
A r tic le
N O L IS
286.
Le prix du loyer d’un navire ou autre bâtiment de
mer est appelé fret ou nolis.
Il est réglé par la convention des parties ;
�286.
ART.
415
Il est constaté par la charte partie ou par le connais
sement ;
Il a lieu pour la totalité ou pour partie du bâtiment,
pour un voyage entier ou pour un temps limité, au ton
neau, au quintal, à forfait ou à cueillette, avec désigna
tion du tonnage du vaisseau.
SOMMAIRE
713. Nature du fret ou nolis. Comment iï est réglé et déterminé.
714. Caractère de l’affrètement total ou partiel.
715. Ce qu’il comprend dans l ’un et Taure cas. Conséquences à
l ’endroit de l ’article 251.
716. Nature et effets de l ’affrètement au voyage ou pour un temps
limité.
717. Comment se règle le fret dans ces affrètements? Consé
quences.
718. Affrètement au tonneau. En quoi il se rapproche et en quoi
il diffère de celui au quintal.
719. Caractères de celui-ci.
720. Le fret au tonneau ou au quintal se règle sur le poids brut.
Exception.
721. Caractère de l ’affrètement à forfait. Devoirs du capitaine.
722. De l’affrètement à cueillette. Droit des affréteurs de faire
déterminer le délai dans lequel le capitaine devra complé
ter le chargement.
723. Quand le chargement est-il considéré comme complet ? De
voir du capitaine de prévenir les affréteurs. Obligation
de celui-ci.
724. Obligation d’indiquer le tonnage du navire ; effets de l ’o
mission .
/f .
�416
DROIT MARITIME.
713.
— Le louage d’un navire, qu’on appelle affrè
tement dans l’Océan, est qualifié de nolissement dans
la Méditerranée. Le prix pour lequel ce louage est con
senti s’entend donc, suivant la localité, de l’expression
fret ou nolis.
Sa détermination est une des conditions essentielles
du contrat. Elle doit dès lors se trouver dans la charte
partie ou le connaissement. Son omission, cependant,
n’annule ni l’un ni l’autre. Nous avons déjà dit de
quelle manière il y serait suppléé.
Le fret ou nolis se règle sur le caractère de la loca
tion. Neus avons déjà dit que l’affrètement est total ou
partiel, pour un voyage ou pour un temps limité; au
tonneau, au quintal, à forfait ou à cueillette. Disons
maintenant quelle est la nature de chacun de ces modes.
714 — L’affrètement est total lorsque les parties ont
traité du navire entier, dont la disposition appartiendra
exclusivement au preneur pendant toute la durée du
bail. 11 peut donc le charger lui-même ou le sous-affréter à d’autres.
La crainte que ces sous-affrétements ne devinsent
bientôt une industrie qui monopoliserait les navires dis
ponibles et élèverait ainsi le prix du fret, avait porté le
législateur de 1681 à prohiber les sous-affrétements à
un prix supérieur, sous peine d’une amende de cent li
vres. Mais celte prohibition n’a pas été renouvelée par
le Code, et son silence à cet égard a toujours été consi
déré comme une abrogation ; ce qui prouve que la
�ART.
286.
4*7
crainte du monopole était chimérique, c’est que depuis
cinquante ans de liberté absolue aucune plainte ne s’est
élevée nulle part, qu’aucun fait de ce genre n’a été,
nous ne dirons pas poursuivi, mais même signalé ni dé
noncé. On s’exposait donc à nuire à des opérations légi
times sans que rien ne le rendit nécessaire.
Aujourd’hui donc les sous-affrètements sont licites,
quelles qu’en soient d’ailleurs les conditions. Le prix du
fret est variable comme celui des marchandises. Pour
quoi ferait-on un crime à celui qui, ayant affrété dans
un moment de baisse, profiterait de la hausse pour louer
à autrui un navire qui ne lui serait plus nécessaire?
L’affrètement est partiel lorsqu’il ne porte que sur
une partie du navire, soit que le fréteur ait entendu se
réserver l’autre, soit que l’affréteur n’ait entendu pren
dre que celle pour laquelle il a traité, par exemple, la
cale, l’entrepont, etc. ; dans cette catégorie se placent
les affrètements pour un certain nombre de tonneaux, de
quintaux de marchandises, et ceux à cueillette.
715.
— Dans l’affrètement partiel, la jouissance du
navire n’est déférée à l’affréteur que jusqu’à concurrence
de l’espace qui a fait l’objet de la location. Dans l’affrè
tement total, c’est la jouissance de l’entier navire. Mais
cela ne doit s’entendre que des parties spécialement af
fectées au transport des marchandises. Ainsi et sans
qu’il soit besoin de le stipuler, la chambre du capitaine,
l’emplacement nécessaire pour loger l’équipage, celui
destiné à recevoir les agrès, apparaux et victuailles resn — 27
�418
DROIT MARITIME.
tent en dehors de l’affrètement, excepté, cependant, dans
le cas ou il s’agit d’un navire que l’affréteur doit armer
et équiper lui-même.
Hors ce cas, la prohibition de charger, que l’article
231 fait au capitaine en faveur des propriétaires du na
vire, ne saurait être invoquée par l’affréteur. Ainsi le
capitaine peut, même sans l’autorisation de celui-ci,
embarquer dans sa chambre des effets et marchandises
pour son propre compte. Il est évident que puisque cette
chambre est de plein droit exclue de la location, l’affré
teur n’a rien à voir dans ce qui s’y passe, aucun compte
à demander d’une jouissance à laquelle il est essentielle
ment demeuré étranger.
716.
— La location du navire peut être consentie et
acceptée pour un voyage ou pour un temps limité, pour
trois mois, six mois un an. Dans le premier cas, il im
porte de déterminer la nature du voyage, s’il se borne
à l’aller ou s’il comprend l’aller et le retour. Dans ce
dernier cas, la location du navire n’expire que par la
mise à quai de sa cargaison au port de retour.
■L’expiration du délai convenu entraînerait de plein
droit celle de l’affrètement pour un temps limité. Ce qui
peut cependant se réaliser, c’est qu’au moment de cette
expiration le navire, contrarié par les accidents de mer,
soit en cours de navigation, et que l’affréteur ne puisse
en opérer la libre restitution.
La prorogation du bail deviendrait alors une nécessité
contre laquelle l’intérêt de la navigation ne pouvait ad-
�ART. 2 8 6 .
419
mettre une résistance quelconque. Le fréteur doit donc
la subir, mais il doit être indemnisé*du préjudice que
cette prorogation pourrait lui occasionner. On devrait
donc lui tenir compte du bénéfice qu’il aurait réalisé, si
le taux du fret ayant éprouvé une hausse, il aurait pu
retirer de son navire un fret plus fort que celui pour
lequel il l’a loué.
Dans le cas de baisse, au contraire, on ne pourrait
obtenir de lui aucune réduction. Complètement étranger
au fait qui motive la prorogation, il ne saurait jamais
en supporter les conséquences.
717.
— Dans l’affrètement total ou partiel, comme
dans celui au voyage ou pour un temps limité, le fret
sera stipulé payable tant par mois, ou en une somme
déterminée pour la durée du bail ou pour celle du voya
ge. Dans la première hypothèse, le loyer se calcule sur
le nombre des mois depuis que le navire a fait voile
jusqu’à l’expiration, soit du terme, soit du voyage.
Dans la seconde, la somme est invariable, quelle que
soit la durée réelle du voyage, mais en revanche elle est
acquise, alors même que l’opération se consommant
dans un délai plus court que celui porté au contrat, le
navire pourrait être remis avant l’expiration du terme
convenu. La reprise ne peut être forcée pour le proprié
taire. S’il la refuse, il a droit à exiger le prix intégral
du fret, alors même que l’affréteur laisserait le navire
sans l’utiliser bien avant l’expiration du terme convenu.
�420
DROIT MARITIME.
718.
— L’affrètement au tonneau a un point intime
de contact avec l’affrètement au quintal, en ce que l’un
et l’autre se font au poids. Il en diffère en ce sens que
ce dernier a pour base le poids réel de la marchandise,
tandis que l’affrètement au tonneau se règle sur un poids
qu’on peut appeler conventionnel.
En effet, en langage maritime, le mot tonneau sert
également à régler le port et la capacité du navire, c’està-dire qu’il désigne tantôt une mesure de capacité et de
contenance cubique, tantôt une mesure de port et par
poids.
Donc, affréter au tonneau, c’est s’engager à tenir
compte non-seulement du poids réel, mais encore de la
nature de la marchandise. En effet, il est des marchan
dises qui, quoique moins pesantes que d’autres, sont
d’un bien plus grand encombrement. Or le capitaine qui
ne percevrait le fret de celles-ci que sur leur poids réel,
éprouverait une perte évidente, puisque son navire n’au
rait pas tout le poids qu’il pourrait porter.
Ce que pouvait déterminer cette certitude, c’est que
lés marchandises légères et encombrantes auraient fort
difficilement trouvé place sur le navire ou n’y auraient
été admises qu’à un prix fort élevé. Comment, en effet,
accepter pour le poids réel et au même prix un charge
ment de liège et un chargement de fer, de cuivre ou de
plomb?
On a remédié à cet inconvénient par une échelle de
proportion dans laquelle le poids du tonneau est calculé
sur la nature même de la marchandise. Ainsi le tonneau,
�ART. 2 8 6 .
4 21
qui représente pour telle marchandise 1000 kilogram
mes, sera pour celle-ci de neuf, de huit de six cents.
Donc, affréter au tonneau, ce sera acquérir le droit de
placer à bord autant de fois 1000, 900, etc. kilogram
mes de telle marchandise qu’il y aura de tonneau con
venu. On suit les mêmes proportions lorsque le fret est
stipulé payable au tonneau.
719. — L’affrètement au quintal porte exclusivement
sur le poids réel. L’un s’oblige à recevoir sur le navire,
l’autre à charger une certaine quantité de quintaux
d’une marchandise désignée. Ce mode n’est guère pra
tiqué lorsqu’il s’agit d’une marchandise encombrante,
nous venons d’en donner le motif. Dans tous les cas, le
capitaine saurait bien retrouver dans la stipulation du
prix le moyen de compenser le préjudice que pourrait
lui occasionner la nature de la marchandise. Le quin
tal, dont parle notre article, n’est en France, depuis
l’arrêté du 13 brumaire an ix, que le quintal métrique.
C’est ce que le conseil d’Etat a formellement décidé.
Cependant, comme la stipulation des chartes parties
se règle sur l’usage suivi au port d’armement, il est évi
dent que l’affrètement au quintal contracté dans un
pays où il n’est que de cent livres poids de table, devrait
être exécuté à ce taux seulement.
720. — Dans l’usage général, le fret stipulé au ton
neau ou au quintal se règle sur le poids brut, et porte
conséquemment sur les futailles, enveloppes et cordages
�422
DROIT MARITIME.
de la marchandise. Mais on peut convenir du contraire.
Cette convention ne résulterait pas suffisamment de
ce que le connaissement n’énonce que le poids net, mais
elle serait acquise par la clause, à tant'par livre de mar
chandise.
Sur la place de Marseille, il est d’usage immémorial
que le fret des marchandises venant des colonies fran
çaises d’Amérique se paye sur le poids net, toutes les
fois qu’il n’a pas été stipulé au tonneau. Conformément
à cet usage, le tribunal de commerce de cette si impor
tante cité jugeait, le 13 septembre 1822, que dans les
affrètements contractés dans ces colonies, à tant par
livre, le fret ne devait être payé que sur le poids net
de chaque livre, sans avoir égard à celui des futailles ou
de l’emballage 1.
721 .
— L’affrètement est à forfait lorsqu’il a pour
objet le transport d’une partie de marchandise moyen
nant un prix fixe et convenu. Dans ce contrat, il ne
s’agit ni du poids, ni de la nature des marchandises,
c’est la partie entière, telle qu’elle se trouve, qui doit
être embarquée, le capitaine est présumé avoir tenu
compte de l’un et de l’autre avant de se décider à con
clure. Il ne pourrait donc, sous aucun prétexte, revenir
contre le marché.
Ce qui importe dans ce cas au fréteur, c’est d’empê
cher toute substitution d’une marchandise à une autre,
! Journal de Marseille, t. 3,1, 326,
�I
ART. 2 8 6 .
4-23
et toute addition à la partie convenue. Il doit donc en
fixer la consistance et la nature, constater le nombre des
barriques, caisses ou ballots dont elle se compose, pren
dre en un mot toutes les précautions nécessaires pour
assurer la franche, la loyale exécution du contrat.
On ne saurait confondre avec le fret à forfait, le fret
nul que stipulerait soit la charte partie, soit le connais
sement, par exemple, celui d’un franc pour tout fret. On
ne peut, en effet, supposer qu’un capitaine consente à
transporter gratuitement un chargement plus ou moins
considérable.
Aussi une clause de cette nature n’a-t-elle été consi
dérée que comme une facilité donnée au chargeur de se
procurer immédiatement les ressources qui peuvent lui
être indispensables. Il arrivé souvent que l’expéditeur
n’attend pour se rembourser de la valeur de ce qu’il
charge, ni la vente, ni même l’arrivée au lieu de desti
nation, il tire donc des traites par anticipation et leur
négociation sur connaissement le fait rentrer immédiate
ment dans les fonds qu’il a consacrés ou à l’aide desj
quels il pourvoira à ses achats.
Mais le capitaine est privilégié pour le montant du
fret, et ce privilège pourrait être un obstacle à cette né
gociation : l’importance du fret, relativement à la na
ture du chargement, peut être telle, que nul ne consen
tirait à courir la chance de n’être pas intégralement
remboursé de ses avances.
La stipulation d’un fret nul fait disparaître toute
crainte, tout danger à ce sujet, elle constitue la renon-
m
fil,1
Æ
1
imSU.
II
,
lllijîi! .
itilfil®
�m
DROIT MARITIME.
dation de Ja part du capitaine au privilège qu’il pour
rait avoir à exercer sur le chargement, et non l’engage
ment de ne réclamer pour le transport que le chiffre il
lusoire qu’il a consenti à indiquer.
De là cette conséquence que si la chose est libérée, la
personne ne l’est pas. Le chargeur reste donc tenu du
fret que le capitaine aurait exigé et qui est calculé sur
le cours au moment et au lieu du chargement.
Mais la clause produit tout son effet en faveur des
tiers qui auraient intérêt à s’en prévaloir, et spéciale
ment des tiers porteurs qui, sur la foi des connaisse
ments, ont accepté ou payé les anticipations tirées par
le chargeur.
Comment en effet concevoir et admettre que le capi
taine prélevât le fret qui peut lui être dû par privilège
sur le chargement de préférence à celui qui n’en a fait
les fonds que dans la certitude qu’il n’aurait à subir ni
privilège ni préférence, certitude puisée dans un acte
émanant du capitaine lui-même? C’est donc un piège
que celui-ci aurait tendu à la confiance publique, et l’on
ne pourrait le faire profiter de l’erreur dans laquelle il
aurait jeté les tiers, sans fouler aux pieds la loi, la rai
son et la justice.
On a prétendu distinguer entre le tiers-porteur ordi
naire et le consignataire; celui-ci, a-t-on objecté, n’est
que le représentant, le mandataire du propriétaire char
geur ; en se substituant à ses droits, il s’est substitué à ses
obligations ; qu’importe qu’il ait accepté ou payé les
anticipations fournies sur lui ? est-ce qu’il a pu ignorer
�ART. 2 8 6 .
42S
que le chargement n’arriverait en ses mains que grevé
des frais de transport? D’ailleurs, s’il a fait les fonds du
chargement, il en a acquis la propriété ; il est donc tenu
du fret comme propriétaire.
Cette différence ne saurait se justifier, il n’est pas de
l’essençe de la consignation que celui qui la reçoit rende
compte de la valeur des marchandises avant de les avoir
reçues et liquidées, sans doute il n’ignore pas que ces
marchandises sont soumises à un droit de transport,
mais c’est sur l’importance de ce droit qu’il calculera
s’il doit ou non faire les avances qui lui sont deman
dées : et s’il les consent parce que ce droit se réduisait
à rien, on ne saurait changer la nature de son engage
ment, et lui imposer après coup une charge qu’il n’a
pas, qu’il n’eût pas accepté'.
D’ailleurs, en payant les traites, il a été subrogé à
tous les droits des porteurs, on ne saurait dès lors lui
refuser de les exercer dans toutes leurs conséquences.
Aussi la Cour d’Aix n’hésitait-elle pas. Par arrêt du
14 décembre 1867, elle jugeait : que la fixation d’un
fret illusoire dans le connaissement a pour but de faci
liter la négociation des traites représentant le prix de la
marchandise, en ce qu’elle contient la renonciation du
capitaine au privilège que lui accorde la loi; en d’autres
termes, en ce qu’elle assure à celui qui a accepté et
payé les traites, le remboursement de ses avances non
obstant les réclamations du capitaine en paiement du
fret ; qu’il n’y a pas de motifs pour refuser au consigna
taire de la marchandise la faculté de se prévaloir du
�426
DROIT MARITIME.
même avantage quand il a lui même fait les fonds des
tinés au paiement des traites, ou lorsque, un tiers les
ayant faits, il le rembourse et se trouve par là subrogé
à ses droitsl.
722.
— L’affrètement est à cueillette lorsque le capi
taine, à qui on propose une certaine quantité de mar
chandises à charger, ne l’accepte qu’à la condition qu’il
parviendra à compléter son chargement en contractant
d’autres chartes parties ; l’engagement se trouve alors
suspendu, son exécution ne devient forcée, pour l’une
et l’autre des parties, que par l’accomplissement de la
condition, à défaut, chacune d’elles se trouve définitive
ment dégagée.
Il est du plus grave intérêt pour les affréteurs à cueil
lette de convenir d’un délai dans lequel le capitaine sera
tenu de leur faire connaître s’il a ou non trouvé le com
plément du chargement. Ils ont déjà beaucoup fait en
acceptant une condition en quelque sorte potestative, car, ,
libre de refuser les propositions qui lui seront ultérieu
rement faites, le capitaine n’hésitera peut-être pas à le
faire, s’il.trouve à traiter pour l’entier navire à des con
ditions plus avantageuses. C’est bien le moins que l’in
certitude sur le sort du contrat ne soit pas indéfiniment
prolongée.
i
Aussi estimons-nous qu’à défaut de stipulation à cet
égard les affréteurs seraient recevables et fondés à faire
’ ,
i Brémond, Bulletin (les a rrêts d À ix 1868, 35.
�ART- 2 8 6 .
42 7
déterminer par la justice un délai, passé lequel le con
trat serait déGnilivement rompu, faute par le capitaine
d’avoir complété son chargement.
725.
— Dans l’usage, on considère comme complet
le chargement qui atteint les trois quarts de la capacité
du navire. En conséquence, si les traités consentis par
le capitaine avec divers atteignaient cette proportion, la
condition stipulée se trouverait accomplie. Chaque affré
teur serait contraint de réaliser l’engagement qu’il au
rait contracté. De même, il serait fondé à contraindre le
capitaine à tenir le sien.
Il est du devoir du capitaine de prévenir les affréteurs
de la réalisation de la condition, et de leur indiquer le
moment où ils doivent envoyer leurs marchandises à
bord. Le jour indiqué serait pour chacun d’eux le point
de départ des jours'de planche convenus pour le char
gement, et dont l’expiration les obligerait au paiement
des sureslaries, faute par eux de les avoir utilisés.
Nous allons voir les articles suivants tracer les devoirs
et les droits que ces divers modes d’affrètement confè
rent aux parties. Blais il est une dernière observation
que nous ne devons pas omettre.
724. — L’article 286 exige à son tour que le contrat
d’affrètement, quel qu’il soit, indique le tonnage du navirer C’est là une innovation à l’ordonnance de 1681,
qui ne faisait qu’une pure faculté de cette indication.
�428
DROIT MARITIME.
L’affrètement, disait-elle, aura lieu avec ou sans dési
gnation de la portée l.
La commission consacrait l’alternative, mais, sur les
observations de la Cour de cassation, de la Cour de
Rennes, du tribunal et du conseil de commerce de Bor
deaux, elle fut supprimée, non-seulement pour mettre
l’article 286 en harmonie avec les articles 273 et 281,
mais encore pour obéir à l’usage que l’intérêt du com
merce avait depuis longtemps consacré.
L’indication du tonnage est donc forcée, mais son
omission n’annulerait ni la charte partie, ni le connais
sement, ni l’affrètement. Son effet se réduirait à laisser
sans application possible les prescriptions de l’article 289.
Article 2 87.
Si le navire est loué en totalité et que l’affréteur ne
lui donne pas toute sa charge, le capitaine ne peut pren
dre d’autres marchandises sans le consentement de l’af
fréteur.
L’affréteur profite du fret des marchandises qui com
plètent le chargement du navire qu’il a entièrement
affrété.
i Art. Ier, titre du Fret.
�ART. 2 8 7 ET 2 8 8 .
429
Article 288.
■L’affréteur qui n ’a pas chargé la quantité de m ar
chandises portée par la charte partie est tenu de payer
le fret en entier et pour le chargement complet auquel
il s’est engagé.
S’il en charge davantage, il paye le fret de l’excédant
sur le prix réglé par la charte partie.
Si cependant l’affréteur, sans avoir rien chargé, rompt
le voyage avant le départ, il payera, en indemnité au
capitaine, la moitié du fret convenu par la charte partie
pour la totalité du chargement qu’il devait faire.
Si le navire a reçu une partie de son chargement, et
qu’il parte à non-charge, le fret entier sera dû au capi
taine.
SOMMAIRE
725. O
bligationdufréteurdem
ettreet de m
aintenir l’affréteur
enjouissancedelachoselouée. Conséquences.
726. Effet, en ce qui le concerne, delaventedunavire après
l’affrètem
ent.
728. D
roit del’affréteur àlajouissancedunavire qu'il alouéen
totalité. Défenseaucapitainederecevoird’autresm
archan
dises sans sonconsentem
ent.
729. Il peut ratiflerle sous-affrétem
ent consenti. Com
m
ent se
règleladifférencedufret enplus ouenm
oins?
�450
DROIT MARITIME.
730. L’autorisationdesous-affréterpeut être tacite.
731. Q
uandl’affréteurpeut - il s’opposer à ce quele capitaine
chargedes m
archandises dans sa cham
breet autres par
ties dunavirenoncom
prises dansl’affrètem
ent total ?
732. O
bligationdel’affréteurdel’entiernavire] de payer le fret
dans tous les cas.
733. D
roitdufréteurpartiel dedem
anderlarésiliation à défaut
d’exploitationdunavire.
734. Droit del’affréteursurlapartiedunavirequi a fait lam
a
tièreducontrat.
735. Sesobligationslorsqu’il s’est engagéàchargerunequantité
déterm
inéedem
archandises.
736. C
om
m
entserèglelefret pourcequiexcèdecettequantité?
737. M
otifs qui ont fait adm
ettelafacultéderésilier le contrat.
C
onditionet effetsdecetterésiliation.
738. Le com
m
encem
ent d’exécutionenlèvetoutefacultéde rési
liation. Conséquences quant aupaiem
ent dufret.
72 5 — L’obligation principale qui nait, pour le pro
priétaire, de la location du navire, est celle de mettre et
de maintenir l’affréteur en possession de la jouissance
de ce navire pendant le temps et dans les proportions
convenues dans la charte partie.
Nous avons vu toutes les précautions que la loi a pres
crites pour s’assurer que le navire livré est bien celui
qui a fait l’objet de la charte partie, ou qui devait porter les effets indiqués au connaissement. Nous avons dit
également que le propriétaire ou l’armateur n’a pas le
droit de substituer à celui-ci tout autre navire dont il
aurait la disposition.
Les conséquences de cette substitution seraient pour
le fréteur l’obligation absolue d’indemniser l’affréteur de
�V
art.
287
et
288.
4 51
tout le préjudice que cette substitution lui aurait occa
sionné ; le droit pour l’affréteur, de se refuser à char
ger, si la substitution lui était connue. Dans ce dernier
cas, il pourrait demander la résiliation de la charte par
tie, et obtenir des dommages-intérêts.
Si, dans le cas d’une substitution à l’insu de l’affré
teur, le navire substitué a péri ou souffert des avaries
dans le chargement, et si le navire promis est arrivé à
bon port, le fréteur doit ou payer la valeur des effets
perdus, ou indemniser de tout le préjudice causé par
l’avarie. Si le second navire a péri comme le premier,
la valeur des marchandises n’en sera pas moins à la
charge du fréteur, si les assurances contractées par la
charte partie ou le connaissement sont annulés, faute
de chargement sur le navire y désigné.
La nationalité d’un navire est toujours à considérer
dans le contrat d’affrètement, à ce point de vue que les
marchandises importées par tel pavillon peuvent être
soumises à des droits moindres. L’affréteur qui, ayant
traité en vue de ce bénéfice, s’en verrait frustré par l’ef
fet d’une substitution, serait fondé à se faire indemniser
de ce préjudice.
726.
— Le fréteur, qui ne peut directement se sous
traire ù l’exécution de la charte partie, ne saurait être
autorisé à le faire indirectement, par exemple, en ven
dant le navire après l’avoir affrété.
Aussi, et par rapport à lui, aucun doute ne saurait
s’élever. L’impossibilité dans laquelle il se serait mis
�452
D R O IT M A RITIM E.
d’exécuter le contrat le ferait infailliblement condamner
à indemniser l’affréteur de tout le préjudice qu’il pour
rait souffrir de l’inexécution. Le même résultat naîtrait
de la vente sur saisie ; celle-ci n’étant que la conséquence
de son fait personnel, ne saurait modifier, et moins en
core anéantir sa responsabilité.
727.
— Ce qui peut faire quelque difficulté est la
question de savoir si l’acheteur, auquel l'affrètement
aurait été dissimulé, pourrait être tenu de son exécution.
Or, à cet égard, il paraît difficile d’admettre une solu
tion autre que celle donnée par le judicieux Pothier.
En principe, l’acquéreur à litre singulier n’est obligé
d’entretenir les baux consentis par le vendeur, que si le
contrat le stipule formellement. En conséquence, si l’exis
tence de la charte partie, non encore exécutée, ne lui a
pas été déclaré, l’acheteur ne peut être obligé de la res
pecter et de l’entretenir.
Mais, si au moment de la vente le navire est déjà
chargé, la connaissance nécessaire que l’acheteur a de
cette circonstance équivaut à celle de la charte partie, et
lui imposerait le devoir de l’exécuter.
A plus forte raison en serait-il ainsi si le chargement
s’était opéré ou continué depuis la vente, sans opposi
tion de la part de l’acheteur. Ainsi, ajoute Pothier, quel
le que soit l’époque de la vente, l’acheteur, qui ne ma
nifesterait sa qualité aux affréteurs qu’au moment ou
qu’à la veille du moment auquel le navire devait mettre
�ART.
287
et
288.
453
à la veille, devrait exécuter la charte partie, quel que
fût le silence gardé par l’acte à son endroit K
728.
— Le fréteur qui a loyalement exécuté l’obliga
tion de mettre l’affréteur en jouissance de la chose louée,
lui a, par cela même transféré un droit exclusif à cette
jouissance, elle lui appartient désormais. En conséquence,
si la charte partie porte sur le navire entier, sa disposi
tion est laissée à sa discrétion, il peut le charger en
tout ou en partie. Le vide laissé par le chargement par
tiel n’en supportant pas moins le fret en faveur du pro
priétaire, l’affréteur a évidemment seul intérêt et droit
de l’utiliser en le sous-affrétant à des tiers.
De là, la défense faite au capitaine de prendre d’au
tres marchandises sans le consentement de l’affréteur.
Cette défense est rationnelle, car c’est peut-être par cal
cul et pour ne pas jeter sur le marché de consommation
une trop grande quantité de marchandises, que celui-ci
n’a pas entièrement chargé le navire. On ne pouvait donc
permettre au capitaine, en contrariant ce calcul, de faire
échouer la spéculation.
La défense est, de plus, fondée en droit. Sans doute
le capitaine peut, en l’absence des propriétaires, affréter
le navire sans leur consentement. Mais ce pouvoir ne
lui est accordé qu’en sa qualité de mandataire et de re
présentant de ces mêmes propriétaires.
Or, le capitaine n ’est le mandataire présumé de l’afi
Ch. P a r tie s ,
n° 58.
�434
DROIT MARITIME.
fréteur que relativement à la cargaison, et lorsque cette
cargaison lui a été remise. Donc, pour tout ce qui n’a
aucun rapport avec celle-ci, notamment pour la souslocation du navire, il est essentiellement sans qualité, et
partant sans droit.
De là cette conséquence que le traité qu’il aurait con
senti sans l’autorisation formelle de l’affréteur, émanant
à non domino, serait radicalement nul. Celui-ci pourrait
non seulement empêcher le sous-affréteur de charger,
mais exiger qu’il débarquât la marchandise qui l’aurait
été déjà.
729.
— Mais il lui est toujours loisible de ratifier
l’acte du capitaine, et de contraindre le sous-affréteur à
exécuter la convention. Dans ce cas, quel que fût le prix
du sous-affrétement, et alors même qu’il serait plus
élevé que celui qu’il paye lui-même, lui seul aurait le
droit de le percevoir.
Devrait-il supporter la différence en moins si le fret
du sous-affrétement consenti par le capitaine sans son
autorisation n’égale pas celui convenu au contrat d’af
frètement? La négative est généralement admise. L’af
fréteur serait censé, dans ce cas, ne consentir que pour
soustraire le capitaine à l’action en dommages-intérêts
du sous-affréteur, et qu’à condition d’être lui-même in
demnisé de la différence.
Mais la solution serait différente si le sous-affréteur
refusant d’exécuter la charte partie, l’affréteur le pour
suivait pour l'y contraindre. Alors, en effet, il agirait
�ART. 2 8 7 ET 2 8 8 .
455
exclusivement dans son intérêt personnel. Prétendant au
bénéfice du sous-affrétement, il devrait l’accepter tel qu’il
a été souscrit.
750. — L’autorisation dont parle noire article n’a
pas besoin d’être spéciale ni expresse. Elle résulterait
notamment de ce que l’affréteur aurait chargé le capi
taine de disposer du navire au mieux de son intérêt, s’en
rapportant à sa loyauté et en sa prudence.
751. — Nous avons déjà dit que la chambre du ca
pitaine, que l’emplacement destiné au logement de l’é
quipage ou à recevoir les victuailles, agrès ou apparaux
étant de plein droix exclus de l’affrètement, l’affréteur
n’a rien à prétendre sur les marchandises que le capi
taine y embarquerait, et, par conséquent, qu’il ne pour
rait s’opposer à leur chargement h
Mais son opposition serait fondée et devrait être ac
cueillie :
1° S’il en résultait pour le navire une surcharge dan
gereuse ou de nature à retarder le voyage. Sans doute la
surcharge est une faute obligeant le capitaine à en répa
rer les conséquences préjudiciables. Mais celui qui est
fondé à se plaindre de la faute, doit avoir le droit de la
prévenir et de l’empêcher toutes les fois qu’il est en po
sition de le faire. Serait-il juste de le contraindre à cou
rir les chances d’un sinistre pour la réparation duquel
i
Suprà,
n» 715,
�456
DROIT MARITIME.
il se trouvera peut-être en présence d’une insolvabilité
qui en détruit toute possibilité ;
2° Si la marchandise chargée par le capitaine est de
même nature et qualité que celle que l’affréteur expédie
lui-même. L’arrivée sur un même marché d’une plus
grande quantité, favorisant la concurrence, est dans le
cas de déterminer une baisse dans leur cours.
Nous verrons tout-à-l’heure les devoirs imposés au
capitaine dans l’hypothèse de l’article 292, eu égard à
cette concurrence. Disons tout de suite que, suivant la
doctrine de Pothier, si le chargement clandestin n’est
découvert qu’en pleine mer, et si le chargement est de
nature à faire concurrence à l’affréteur, le capitaine peut
et doit le décharger au port le plus voisin. Comment
donc le capitaine, qui ne peut se prêter à la concurrence
d’un tiers, pourrait-il la faire pour son propre compte?
Le capitaine qui faciliterait l’acte du tiers commettrait
une faute, à plus forte raion s’il se permettait de faire
lui-même ce qu’il doit prohiber de la part de celui-ci. Il
en est donc de la concurrence comme de la surcharge.
Celui qui est fondé à la faire réprimer, lorsqu’elle a été
réalisée à son insu, est essetiellement recevable à l’em
pêcher.
732.
— Si l’affréteur du navire entier a la libre et
exclusive disposition de la totalité du navire, il en doit
en échange le fret dans tous les cas, quel que soit le
mode de jouissance qu’il lui a plu d’adopter, alors même
que, renonçant à la spéculation en vue de laquelle il
�ART.
2 8 7 ET 2 8 8 .
457
l’avait affrété, il le laisserait inactif dans le port d’ar
mement.
733. — Ce défaut d’exploitation pourrait toutefois au
toriser le fréteur à poursuivre la résiliation de la charte
partie avec dommages-intérêts. D’abord, parce que le
chargement affectant les marchandises qui en font l’ob
jet au paiement du fret, la réalisation intéresse au plus
haut point le fréteur. Aussi Pothier, après avoir enseigné
que l’affréteur a le droit incontestable de ne charger le
navire que partiellement, quoiqu’il l’ait loué en tota
lité, ajoute-t-il : mais le capitaine est en droit d’exiger
qu’il y ait à bord des marchandises suffisantes pour ré
pondre du fret h
Ensuite, parce que ne pas faire naviguer le navire,
c’est en quelque sorte changer la destination de la chose
louée, c’est violer la commune intention des parties et
méconnaître l’esprit et la lettre de la convention. Cette
inaction peut avoir les plus graves inconvénients pour
le navire lui-même. Elle ne saurait donc être imposée
au fréteur contre sa volonté.
Sous l’un et sous l’autre point de vue, il y aurait in
exécution de la part de l’affréteur, et, en conséquence,
motif pour le fréteur de poursuivre la résiliation de la
charte partie et obtenir des dommages-intérêts.
734. — L’affrètement partiel se réfère soit à une
1 C h.
P a r tie s ,
n° 20.
�458
DROIT MARITIME.
partie déterminée du navire, soit au chargement d’une
quantité de marchandise convenue.
Dans la première hypothèse, l’affréteur est, quant à
la partie louée, dans la position que l’affréteur total oc
cupe à l’endroit de l’entier navire, c’est-à-dire que la
jouissance lui en appartient exclusivement, et qu’au
cune autre marchandise que la sienne ne peut y être
chargée sans son consentement. Il en doit donc le fret,
quel que soit l’usage qu’il en ait fait, et alors même
qu’il n’aurait rien chargé, à la condition cependant que
la partie louée sera restée vide. Si le capitaine y avait
chargé d’autres marchandises et l’avait ainsi utilisée au
profit de l’armement, il ne pourrait exiger le fret qu’en
tenant compte de celui perçu sur ces marchandises.
735.
— L’affrètement portant sur une certaine quan
tité de marchandises oblige celui qui en a contracté la
promesse de charger toute la quantité convenue. S’il
n’exécute pas son engagement, il doit le fret jusqu’à con
currence de cette quantité. A ce prix, il est libre de ne
charger que ce qu’il pourra ou voudra réellement
charger.
Mais il ne peut jamais charger plus. Il est évident que
le capitaine pourrait refuser l’excédant qui peut dépas
ser les prévisions qui l’ont dirigé dans les traités posté
rieurs, et l’exposer aux peines que l’inexécution de ces
traités entraînerait.
736. — S’il l’accepté, il contracte une seconde charte
�art .
2 8 7 et 2 8 8 .
439
partie. Il était dès-lors rationnel d'obliger le chargeur de
payer un second fret. L’article 288 dispose que ce fret
sera réglé sur celui porté par la charte partie. Mais cette
disposition ne peut s’entendre que du cas où il n’a rien
été statué à cet égard.
En effet, de ce que le chargement de l’excédant n’est
pas l’exécution de la charte partie originaire, de ce que
le capitaine est libre de le refuser, il résulte nécessaire
ment qu’il peut apposer à son acceptation telles condi
tions qu’il juge convenables. En fait, au moment où
l’excédant est offert, le fret peut avoir augmenté, et il ne
serait pas juste que le capitaine dût accepter un prix
moindre que celui qu’il retirerait en traitant avec un
autre.
Il lui est donc facultatif d’imposer au nouveau con
trat des conditions nouvelles. Le droit commun tracé par
l’article 288 ne peut et ne doit être suivi qu’à défaut et
en l’absence de toute convention contraire.
737.
— Dans l’affrètement total ou partiel, l’affré
teur ne peut jamais se soustraire à l’exécution du con
trat ; qu’il charge ou non, nous venons de le dire, il
doit le fret stipulé dans la charte partie. Cet affrètement,
en effet, est consenti abstraclivement de la nature et de
la qualité de la marchandise, il importe peu qu’elle soit
plus ou moins encombrante, l’affréteur ne pourra ja
mais que remplir soit la totalité, soit la partie louée, il
peut donc, si celle qu’il avait d’abord en vue vient à lui
manquer, la remplacer par une autre.
�MO
DROIT MARITIME.
Dans l’affrètement au tonneau, au quintal, à forfait
ou à cueillette, le contraire se réalise; ce qui est stipulé
alors c’est la nature de la marchandise. C’est donc celleci qui a fait la matière du contrat, qui ne pourrait sou
vent être modifié sans graves inconvénients pour l’en
semble du chargement.
Il peut se faire cependant que l'affréteur qui pouvait
et devait, au moment du contrat, croire qu’il recevrait
en temps opportun la marchandise promise, ne l’ait pas
reçue, et qu’il se trouve dès lors dans l’impossibilité de
remplir son engagement.
Dans un intérêt d’équité et de justice, la loi vient
alors à son secours, elle permet la résiliation de la charte
partie, en déterminant l’indemnité que le capitaine doit
recevoir. Ces dommages-intérêts se composent de la moi
tié du fret convenu dans la charte partie pour la totalité
du chargement; il résulte de ces termes que si la charte
partie était relative à un voyage d’aller et de retour, le
capitaine devrait recevoir la moitié du fret, tant pour
l’un que pour l’autre.
La pensée que nous prêtons au législateur résulte in
vinciblement d’abord de ces expressions de l’article :
Sans avoir rien chargé. Il faut donc, pour qu’il y ait
rupture en payant le demi-fret, que les choses soient
encore entières, et que le contrat n’ait reçu aucun com
mencement d’exécution.
Cette induction est expressément confirmée par le der
nier paragraphe de notre article, le navire qui a reçu
une partie de son chargement peut partir au temps con-
�ART.
287
ET
288.
441
venu. Le refus de compléter le chargement neserait donc
pas un motif de rupture de voyage, seulement, il déter
minerait la condition exigée par la loi, le navire parti
rait à non-charge, ce qui rendrait la totalité du fret exi
gible.
Enfin, ce qui ressort de l’article 28S est encore ex
pressément indiqué par l’article 291. En ne permettant
le retirement des marchandises déjà chargées que dans
l’hypothèse d’un affrètement à cueillette, cet article l’ex
clut dans tous les autres cas.
758. — Le commencement d’exécution de la chartepartie équivaut donc à l’exécution entière et complète ;
le fret est dû non-seulement pour la partie chargée,
mais encore pour tout ce qui devait être chargé; le lo
cataire qui renonce spontanément et volontairement à
la chose louée n’en doit pas moins le loyer convenu.
Mais pour que cette règle puisse être équitablement
appliquée, il faut que la chose louée ait été laissée à la
disposition du preneur. Aussi l’article 288 ne déclaret-il le fret entier exigible que ci le navire est parti à non
charge, le capitaine qui aurait remplacé la marchan
dise qu’on lui refuse et complété son chargement aurait
tiré de sa chose tout le profit qu’il pouvait légitimement
se promettre, il ne pourrait donc exiger de l’affréteur
que le fret de la partie réellement chargée ; la loi a en
tendu l’indemniser du préjudice que l’inexécution peut
lui occasionner, mais non l’autoriser à percevoir deux
fois le loyer d’une même chose.
�442
DROIT MARITIME.
A r ticle
289.
Le capitaine qui a déclaré le navire d’un plus grand
port qu’il n’est, est tenu des dommages-intérêts envers
l’affréteur.
A r t ic l e
290.
N’est réputé y avoir erreur en la déclaration du ton
nage du navire, si l’erreur n’excède un quarantième, ou
si la déclaration est conforme au certificat de jauge.
■f
S OMMAI RE
739. Utilité de l ’indication du tonnage du navire. Nécessité d ’une
sanction pénale. Son caractère.
740. Effet de l ’inexactitude dans l'affrètement au tonneau , au
quintal, à forfait ou à cueillette.
741. L’existence de la fausse déclaration suffit, quel qu’ait été le
mobile du capitaine, si d’ailleurs elle occasionne un pré
judice.
>
742. Ce que doivent comprendre les dommages-intérêts. Par qui
ils sont prononcés.
743. Indépendamment de ces dommages, la somme stipulée en
bloc pour l ’affrètement d’une partie déterminée ou de l’en
tier navire, doit subir une diminuiion.
*
744. Exception , lorsque la différence n’excède pas le quarantiè
me. Quand y a-t-il lieu de l ’appliquer ?
745. Autre exception, si la déclaration est conforme au certificat
de jauge.
�AKT.
2 8 9 et 2 9 0 .
U3
746. L'erreur du cerliflcat n ’en influe pas moins sur le règlement
du fret.
747. Comment s'opère le chargement en cas d ’insulflsance entre
les divers chargeurs ?
748. Effet de l’erreur en moins. Obligations et droits des parties.
749. Le capitaine peut-il, dans ce cas, contraindre de compléter
le chargement et exiger le fret pour le vide excédant le
tonnage déclaré?
759. — L’article 273 veut que la charte partie indi
que le nom et le tonnage du navire, la même exigence
se retrouve dans l’article 281, à l’endroit du connais
sement. Enfin, l’article 286 la rend commune à l’affrè
tement, quel qu’en soit le mode.
C’est qu’en effet cette indication intéresse à un trèshaut point le chargeur, surtout dans l’hypothèse d’un
affrètement portant sur la totalité ou sur une partie dé
terminée du navire. C’est évidemment sur la capacité
déclarée que se mesureront les préparatifs du charge
ment. Si cette capacité est moindre cependant, l’affréteur
ne pouvant charger tout ce qu’il est parvenu à se pro
curer sera dans le cas d’éprouver un préjudice plus ou
moins considérable.
S’efforcer de prévenir un pareil résultat était donc un
devoir pour le législateur ; l’unique moyen d’atteindre ce
but était de faire un devoir au capitaine de ne faire que
des déclarations exactes à l’endroit de la portée du na
vire, mais ce devoir avait besoin d’une sanction pénale,
et c’est cette sanction que consacre l’article 289,
�444
DROIT MARITIME.
740.
— La déclaration du tonnage n’a pas, dans
l’affrètement pour une certaine quantité de marchandi
ses, soit au tonneau, soit au quintal, soit à forfait ou à
cueillette, le même effet que dans l’affrètement total ou
partiel; ici la marchandise existe avant la charte partie,
puisque c’est son transport qui en fait l’objet. Aussi l’in
dication du tonnage est non dans l’intérêt du chargeur,
qui peut ignorer l’importance des précédents affrètements,
mais bien plutôt dans celui du capitaine lui-même. Son
rappel, dans chaque charte partie, le mettra à même de
ne pas contracter des engagements au-delà de la portée
réelle. La faute est la même, disait Valin, de déclarer
le navire d’un plus grand port qu’il n’est réellement, et
de s’engager par une fausse opération à recevoir des
marchandises au-delà de ce même p o rtl.
Il est même certain que dans cette dernière hypothèse
il y a plus que fausse déclaration, le capitaine contracte
un engagement qu’il lui sera impossible de remplir.
Aussi, l’omission de l’indication du tonnage qui, dans
l’affrètement total ou partiel, ne donnerait lieu a aucuns
dommages-intérêts en faveur de l’affréteur, ne pourrait
soustraire le capitaine à l’action de l’affréteur partiel,
dont les marchandises ne pourraient trouver place sur
le navire.
741.
— L’article 289 n’exige qu’une seule chose, à
savoir, l’inexactitude de l’indication ; il ne se préoccupe
�ART.
289
et
290.
445
nullement de l'intention. Que l’erreur du capitaine suit
volontaire ou non, le résultat est le môme. La négligence
équivaut à la faute, et puisqu’il n’y a aucune diffé
rence dans les résultats, il ne saurait en exister aucune
dans les effets.
Mais ces effets ne sont acquis à l’affréteur qu’autant
qu’il a réellement éprouvé un dommage de la déclara
tion inexacte; ce sont des dommages-intérêts que la loi
prononce contre son auteur, et cela seul entraîne l’idée
d’un préjudice à réparer. En quoi, en effet, la déclara
tion erronée ou inexacte intéresserait-elle l’affréteur si,
nonobstant son existence, la charte partie avait reçu, en
ce qui le concerne, sa pleine et entière exécution ?
742.
— Donc, celui qui invoque la disposition de
l’article 289 doit prouver qu’il éprouve un préjudice, il
ne peut prétendre à des dommages-intérêts qu’à cette
condition.
Les législations anciennes avaient cru devoir détermi
ner la nature de ces dommages-intérêts. Les lois Rhodiennes les faisaient consister en la moitié du fret qu’el
les faisaient perdre au capitaine. Le Consulat de la mer
se bornait à exonérer l’affréteur du paiement du fret
d’un nombre de tonneaux égal à celui qu’il n ’avait pu
charger.
L’ordonnance de 1681 n’admet ni l’une ni l’autre de
ces bases, elles pouvaient être exagérées dans un cas, in
suffisantes dans l’autre, elle se contenta donc d’admet
tre le principe que la fausse déclaration obligeait le ca-
�\
446
DROIT MARITIME.
pitaine à payer des dommages-intérêts, dont elle aban
donnait dès lors la détermination à la prudence du juge.
C’est là ce que le Code a également consacré.
Sous son empire, ces dommages-intérêts obéissent à
la règle générale des articles 1149 et suivants du Code
civil, ils doivent donc comprendre la perte que l’affré
teur a éprouvée et le gain dont il a été privé.
745.
— Indépendamment de ce double élément, l’af
fréteur total ou partiel devrait, en outre, obtenir une
diminution proportionnelle du fret, s’il avait été abonné
à une somme déterminée et fixe. Àin'si, celui qui aurait
promis une somme de 12,000 fr. pour un navire déclaré
être de 250 tonneaux et qui n’en jaugerait que 200, au
rait le droit de réduire d’un cinquième la somme pro
mise, il en serait de même pour le fret stipulé à tant
par mois. L’affréteur au tonneau, n’étant tenu de payer
que le nombre de tonneaux qu’il aurait réellement em
barqué ou pu embarquer, n’aurait aucune réduction à
prétendre sur le fret.
7 4 4 . — Il n’eût pas été juste d’exiger les dommagesintérêts du capitaine, quelle que fût d’ailleurs la nature
de l’inexactitude commise dans la déclaration du ton
nage, une certaine latitude devait être laissée. Dans une
déclaration de ce genre, disait Valin, la restriction, ou
environ, se supplée de droit, une erreur peu considé
rable ne tire pas à conséquence : Parum et nihil œquiparantur.
�ART.
2 8 9 ET 2 9 0 .
U 7
Celte latitude, que l’ordonnance de 1681 avait fixée à
un quarantième, se trouve consacrée par le Code. Si le
navire déclaré à deux cents tonneaux n’en jauge réelle
ment fyue cent quatre-vingt quinze, le capitaine est ex
cusable et n ’a aucuns dommages-intérêts à payer.
Mais il en serait tenu si le port n’était que de cent
quatre-vingt-quatorze tonneaux, l’erreur excéderait le
quarantième, et l’article 290 exclut précisément ce cas
du bénéfice de l’exception qu’il autorise.
Ce dont l’affréteur devrait être indemnisé, c’est des
six tonneaux manquant, et non pas d’un seul, comme
pourrait le prétendre le capitaine. Le législateur qui to
lère l’erreur qui n’excède pas le quarantième, n’a pas
entendu autoriser le capitaine à bonifier, dans tous les
cas, de cette quotité. Toutes les fois qu’il y a lieu à dom
mages-intérêts, il répond du manquant réel. L’article
290 pardonne à l’erreur, mais n’autorise pas un prélè
vement K
745. — Le capitaine n’encourt aucun reproche, et
partant aucune responsabilité, s’il a déclaré le tonnage
tel qu’il est indiqué dans le certificat de jauge. Sans
doute, ce certificat peut être erroné et il l’est ordinaire
ment, puisque l’administration n’opére que eu égard à
la contenance cubique et abstraction faite des réductions
qui naissent de la nature du chargement. Mais ce carac
tère de la jauge officielle n’étant un secret pour per1 Valin, art. S, tit. du Fret, et art. 47, tit. des Assureurs.
�448
DROIT MARITIME.
sonne, chacun peut et doit le prendre en considération
et calculer sur cette donnée. D’ailleurs, si le capitaine
n’était pas autorisé à s’y référer, quelle est la règle qu’il
devrait suivre pour échapper à la responsabilité que
l’erreur lui impose ?
On devait donc lui permettre de conformer sa décla
ration au document officiel qu’il a en mains et auquel
il est fort excusable d’ajouter foi.
746.
— Mais si l’erreur en plus du certificat n’exerce
aucune influence sur le chargement, elle est appelée à
produire un effet contraire quant au règlement du fret.
Ainsi, dans une espèce jugée par le tribunal de com
merce de Marseille, le 5 janvier 1830, un capitaine ne
tenant compte que d’un fret de 152 tonneaux, tandis
que le certificat de jauge du navire lui en donnait 220,
était poursuivi en paiement de la différence, mais celte
demande fut repoussée par le tribunal, sur les motifs
qu’il est reconnu par l’expérience que les jauges faites
par l’administration dé la douane ne sont jamais exactes,
et que les navires, suivant leur construction et la nature
de leur chargement, sont d’un port réel bien au-dessous
de celui énoncé dans l’acte de francisation 1.
Il est vrai que dans cette espèce le litige existait entre
copropriétaires, coarmateurs du navire, mais on ne sau
rait rationnellement décider autrement à l’endroit de
l’affréteur.
i .Journal de Marseille , t. 41, 1, 223.
�ART. 2 8 9
ET 2 9 0 .
449
Sans doute, ce dernier ne saurait exciper de la différence
de portée pouvant et devant résulter de la nature en
combrante du chargement. Celui-ci est son fait exclusif
et personnel, de quelque manière qu’il occupe l’entier
navire ou la partie qui lui on a été louée, en poids ou
en étendue, il n’en a pas moins joui de l’intégralité de
la chose louée, il en doit donc le fret.
Mais cette obligation peut-elle raisonnablement s’é
tendre jusqu’à le contraindre de payer un espace dont
il n’a pu jouir, par l’excellente raison qu’il n’existait
pas? Qu’on lui refuse donc les dommages-intérêts aux
quels l’inexactitude de la déclaration donnerait lieu si
elle était le fait exclusif du capitaine, c’est ce que pres
crit l’article 291, mais qu’il soit tenu, dans tous les cas
de payer le fret sur la portée officielle, c’est ce que rien
n’autorise. C’est bien le moins qu’on l’affranchisse du
loyer jusqu’à concurrence de ce dont l’erreur l’a em
pêché de jouir.
L’affréteur total ou partiel peut donc toujours se re
fuser à payer au-delà de la portée réelle du navire. La
constatation qu’il en provoquerait contrairement au
certificat de jauge ne saurait lui être refusée.
747.
— Quelle que soit la déclaration du capitaine
dans l’affrètement au tonneau, au quintal, à forfait ou à
cueillette, toute la marchandise traitée par lui doit être
réellement embarquée, sous peine de dommages-intérêts.
L’insuffisance du navire a dû nécessairement amener à
examiner l’ordre à suivre pour le chargement entre les
�450
DROIT MARITIME.
divers affréteurs pouvant être tous également intéressés
à la réalisation du voyage, plutôt qu’à obtenir une in
demnité.
À cet égard, il a été admis que ceux qui auraient réel
lement chargé avant la découverte de l’insuffisance de
vaient être préférés, quelle que fût la date du contrat.
Que si rien n’a été chargé, c’est cette date qui détermi
nerait la préférence, on remonterait à la plus ancienne,
et l’on suivrait cet ordre jusqu’à chargement complet.
748.
— L’erreur en moins que le capitaine aurait
commise dans l’indication du tonnage ne saurait tirer à
conséquence dans les affrètements au tonneau, au quin
tal, à forfait ou à cueillette. Quelle en serait la consé
quence dans la charte partie relative à la totalité ou à
une partie déterminée du navire ?
Pothier enseigne que si le fret avait été stipulé en une
somme fixe pour le tout ou pour la partie, le capitaine
n’est pas fondé à exiger une augmentation pour raison
du plus de contenance, car il a loué son navire en en
tier, sans en rien réserver, pour le prix porté au contrat.
Mais que si le fret était réglé à tant du tonneau, l’affré
teur devrait le fret pour autant de tonneaux qu’il aurait
occupé par ses marchandisesx.
Nous n’admettrions cette doctrine, dans le premier
cas, que si l’affréteur n’a réellement chargé que jusqu’à
concurrence de la partie déclarée. S’il a embarqué aui Des
C h a r te s p a r tie s ,
n° 44.
�ART.
289
ET
290.
451
delà, il a profité de l’erreur, il est juste qu’il paye le
loyer.
Le contraire violerait le principe que l’erreur maté
rielle ne doit nuire, ni profiter à personne. On ne sau
rait l’admettre que dans une seule hypothèse, à savoir,
celle d’un forfait dans lequel chaque partie étant appe
lée à supporter les chances de perte est par cela même
fondée à profiter de celle de gain.
Or, nous venons de voir que l’affréteur ne subit ja
mais la première. Il doit être indemnisé, lorsque la con
tenance réelle est moindre que celle qui lui a été décla
rée. Il n’y a donc jamais, dans l’affrètement consenti
pour une somme unique et déterminée, un forfait dans
l’acception ordinaire du mot ; ce qui est relatif à la
portée du navire n’est jamais obligatoire que sauf véri
fication, et puisque l’affréteur est à l’abri de la pere,
il serait injuste de lui permettre de retirer un bénéfice
de l’erreur commise par le capitaine au préjudice de
l’armement.
Tout ce qu’il pourra raisonnablement prétendre est
donc de n’être pas tenu d’une augmentation de fret, si,
par suite de l’erreur, il n’a réellement chargé que jus
qu’à concurrence du tonnage déclaré ; en cas de charge
ment incomplet, de n ’être tenu du vide que dans la
même proportion.
749.
— Si l’erreur est reconnue avant le chargement,
le capitaine pourra-t-il contraindre l’affréteur à charger
�4S2
DROIT MARITIME.
pour toute la partie réelle, sous peine de payer le vide
au-delà de la contenance déclarée?
La négative avait été deux fois consacrée par le tribu
nal de commerce de Marseille Un premier jugement,
du 3 octobre 1825, décidait que l’affréteur d’un navire,
qui s'est obligé de paj^er le vide pour le plein, ne peut
être tenu du vide excédant la contenance ou portée du
navire déclarée dans la charte partie. Un second juge
ment, rendu le 23 septembre 1836, déclarait de son
côté que le capitaine qui, en frétant son navire pour son
plein et entier chargement, a indiqué dans la charte
partie un tonnage moindre que la portée réelle, ne peut
exiger de l’affréteur qu’il lui fournisse un chargement
au-delà de la capacité déclarée.
Mais, bientôt après, ce même tribunal prononçait le
contraire en jugeant, le 23 novembre 1836, que l’affré
teur est tenu de compléter le chargement pour l’excé
dant de la portée déclarée 1.
Ce dernier système conduit à cette conséquence énor
me de punir l’affréteur de la faute exclusivement impu
table au capitaine.
En effet, c’est sur le tonnage déclaré que l’affréteur
établit ses prévisions ; c’est en vue du chargement qu’il
s’est ainsi ménagé qu’il fait lui-même ses achats et se
procure les marchandises. Cependant, le chargement
ainsi réalisé, le capitaine s’aperçoit que le navire n’est
pas rempli et découvre l’erreur qu’il a commise dans
i Journal de Marseille, t. 6, 1, 294; 1 .16, 1, 99 et 230
�ART.
289
ET
290.
453
l’indication du tonnage, c’est sa faute évidemment, et
cependant il pourrait contraindre l’affréteur à se procu
rer sans retard une quantité plus ou moins considéra
ble de marchandises, à changer la nature et le caractère
de sa spéculation, sous peine de payer des surestaries
ou de supporter un fret pour une contenance que lui,
du moins, pouvait et devait ignorer, et alors même que
ses moyens ne lui permettraient pas de remplir ce vide
imprévu.
Il n’est pas possible que le législateur ait autorisé un
pareil résultat. Que répondre, en effet, à l’affréteur dé
clarant : je n’ai jamais entendu expédier que la quan
tité de marchandises que je savais pouvoir et devoir être
à ma disposition, et je n’ai affrété le navire que parce
qu’on m’annonçait que son tonnage était en rapport avec
ces marchandises. Je n’eusse pas consenti à traiter, si
on m’avait fait connaître la vérité, tout au moins me
serais-je réduit à l’espace suffisant. Faudra-t-ildoncque
je sois victime de l’erreur d’autrui et obligé de donner
à mon contrat une extension que je n’aurais jamais
acceptée.
Il n’y a pas moyen de méconnaître la justesse de ces
considérations et de se soustraire à leur conséquence.
L’erreur en moins ne peut donc aboutir qu’à laisser
l’affréteur entièrement libre ou de compléter lui-même
le chargement, ou de s’en tenir à celui que lui imposait
le tonnage déclaré. S’il opte pour le premier mode, il
doit un supplément de fret proportionnel.
Dans le second cas, le capitaine pourra utiliser l’ex-
�454
DROIT MARITIME.
cédant de contenance en l’affrétant à d’autres, sans mê
me avoir besoin de l’autorisation de l’affréteur princi
pal, ni à lui tenir compte du fret de ce nouvel affrète
ment. Cette solution fait à l’intérêt de tous cette part que
le législateur s’est partout efforcé de lui accorder.
A r tic le
291.
Si le navire est chargé à cueillette, soit au quintal, au
tonneau ou à forfait, le chargeur peut retirer ses mar
chandises, avant le départ du navire, en payant le demifret.
Il supporte les frais de charge ainsi que ceux de dé
charge et de rechargement des autres marchandises
qu’il faudrait déplacer et ceux du retardement.
A r tic le
292.
Le capitaine peut faire mettre à terre, dans le lieu du
chargement, les marchandises trouvées dans son navire,
si elles ne lui ont point été déclarées, ou en prendre le
fret au plus haut prix qui sera payé dans le même lieu,
pour les marchandises de même nature.
�ART.
291, 292
et
295.
455
Article 293.
Le chargeur qui retire ses marchandises pendant le
voyage, est tenu de payer le fret en entier, et tous les
frais de déplacement occasionnés par le déchargement ;
si les marchandises sont retirées pour cause des faits ou
des fautes du capitaine, celui-ci est responsable de tous
les frais.
SOMMAIRE
7 5 0 . E x c e p t i o n à la p r o h i b i t i o n d e r e t i r e r les e f f e t s c h a r g é s e n
f a v e u r d e l ’a f f r é t e u r à c u e i l l e t t e . S e s m o t i f s .
7 5 1 . M o d i f i c a t i o n d e l ’o r d o n n a n c e d e 1 6 8 1
p a r l ’a r t i c l e 2 9 1 . S i
g n ificatio n d e c elu i-c i.
7 5 2 . C o n s é q u e n c e s d e l ’e x c e p t i o n . D i s p e n s e - t - e l l e d e c o m p l é t e r l e
c h a r g e m e n t , si les m a r c h a n d is e s n e so n t p as r e tiré e s ?
753.
Aq u e l l e
é p o q u e d o i t s ’o p é r e r l e r e t i r e m e n t ?
7 5 4 . C o n s é q u e n c e s p o u r l e c h a r g e u r q u i l ’e x e r c e . C e q u e c o m
p r e n d l e d e m i - f r e t q u ’il d o i t .
755. O bligations des c h a r g e u r s q u i re tir e n t le u rs m a rc h a n d is e s
p e n d a n t le v o y a g e.
7 5 6 . Quid, si l e r e t i r e m e n t e s t m o t i v é s u r
les fa its
o u la f a u t e
du capitaine.
757. C a rac tè re d u c h a r g e m e n t n o n d é c la r é . D ro its d u c ap itain e.
7 5 8 . L ’o p t i o n q u i l u i e s t l a i s s é e n e p e u t
s ’e x e r c e r
q u 'a v a n t
le
d é p a r t d u n a v ire .
759. I” e x ce p tio n . S u rc h a rg e du n a v ire .
7 6 0 . I l ” ” e x c e p t i o n . C r a i n t e d ’u n e
prin cip al.
c o n c u r r e n c e p o u r l ’a f f r é t e u r
�4S6
DROIT MARITIME.
750. — Nous venons de voir que l’affrètement par
tiellement exécuté ne peut être résilié que d’un consen
tement réciproque, et que l’affréteur qui voudrait reti
rer ses marchandises avant le départ, ou qui, ne com
plétant pas le chargement, laisserait le navire partir à
non-charge n’en serait pas moins tenu du fret entier et
pour tout le chargement.
L’ordonnance avait introduit une exception à la pro
hibition de retirer les marchandises en faveur du char
geur à cueillette ou au quintal ou au tonneau. Valin
s’étonnait de cette exception, qu’il n’admettait que par
ce que, la loi existant, il fallait bien s’y conformer. Po
thier la considérait comme une grâce faite à l’affréteur,
fondée sur ce qu’on présume qu’il sera facile au maître
de trouver à louer à d’autres 1.
Il est un autre motif tiré de la nature même de l’af
frètement, qui peut bien mieux justifier l’exception. L’af
frètement à cueillette ne devient définitif que lorsque le
capitaine a trouvé à compléter le chargement. Or nous
avons déjà dit que cette condition peut être considérée
comme potestative, car son accomplissement est laissé
à la libre discrétion et volonté du capitaine. Le refus
qu’il ferait d’accepter le autres propositions qui lui se
raient faites, refus dont il ne doit compte à personne,
amènerait donc la rupture du voyage, sans qu’il fût
tenu d’aucuns dommages-intérêts.
L’affréteur à cueillette ne contracte donc, dans l’ori1 Chartes Parties, n° 77.
�gtne, qu’un projet sur l’exécution duquel il ne peut avoir
aucune certitude. Ce caractère spécial rend en quelque
sorte raison de l’exception qu’on fait en sa faveur. En
échange de la faculté concédée au capitaine, il a, lui,
celle de retirer les marchandises. Cette espèce de récipro
cité est d’ailleurs assez corrigée par l’obligation de payer
le demi-fret et de supporter tous les frais.
7511. — Ce qui prouve jusqu’à l’évidence que notre
Code a exclusivement cédé à cette considération, c’est la
modification qu’il a fait subir à l’ordonnance. Celle-ci
accordait au chargeur à quintal ou au tonneau la même
faveur qu’à celui qui avait traité à cueillette. L’article
291, au contraire, réduit l’exception à ce dernier exclu
sivement. L’affrètement à cueillette sera nécessairement
au quintal, au tonneau ou à forfait, et comme, quel
que fût le mode convenu, la loi voulait lui conférer le
bénéfice de l’exception, elle a cru devoir s’en expliquer.
Tel est en effet le véritable sens de l’article 291. Si le
chargement est à cueillette, soit qu’il ait été convenu au
quintal ou au tonneau ou à forfait, cette spécification,
dit Locré, rend évidemment l’article restrictif et ne per
met pas de l’appliquer, même à l’affrètement au quin
tal, au tonneau ou à forfait, lorsque le chargement n’est
pas fait à cueillette1. C’est qu’alors l’engagement perd
le caractère que nous indiquions tout-à-l’heure ; que,
devenu définitif au moment même où il est contracté, on
i Esprit du Code de commerce, art, 191.
�488
DROIT MARITIME.
voulait et on devait le laisser sous l’empire de la règle
générale.
752.
— L’affréteur à cueillette a donc seul la faculté
de retirer ses marchandises déjà chargées. Cette faculté
entraînerait à elle seule celle de ne pas charger, alors
que l’article 288 ne l’aurait pas déjà formellement con
sacrée.
Mais peut-il, après avoir chargé une partie et sans la
retirer, refuser de compléter le chargement en payant le
demi-fret pour ce qui manque encore? Oui, disait Yalin,
si l’affréteur peut, après avoir chargé, retirer les mar
chandises, en payant seulement la moitié du fret, il est
évident, par identité de raison, qu’il peut refuser, à la
même condition, de compléter le chargement \
Nous ne saurions rencontrer ici cette identité de rai
son sur laquelle s’appuye Yalin. La faculté de faire rési
lier le contrat ne renfermait pas celle de le modifier. La
modification, en effet, substitue un nouveau contrat à
l’ancien, et comment admettre une pareille substitution
malgré et contre la volonté d’une des parties?
Le contrat originaire doit être exécuté ou rompu. L’af
fréteur à cueillette a le choix, mais il ne saurait cumuler
le bénéfice de la résiliation et celui de l’exécution. S’il
opte pour le premier, le contrat disparaît et s’efface en
entier. Il n’existe donc plus rien entre lui et le fréteur
qui peut dès lors le contraindre à retirer les effets qu’il
�ART.
291, 292
ET
293.
439
n’a reçus que dans la supposition que le contrat serait
exécuté.
En conséquence, si, sommé de faire ce retirement, l’af
fréteur s’y est refusé, il a par cela même répudié le bé
néfice de l’article 291, et s’il ne complète pas le charge
ment et si le navire est parti à non charge, il se trouve
régi par l’article 288, et il est tenu du fret entier pour
tout le chargement.
753.
— La faculté conférée par l’article 291 ne peut
être exercée que si le navire n’est pas encore parti, d’où
l’on a conclu que le navire qui a pris ses dernières dis
positions, et qui, expédié en douane, n’attend que la
marée pour mettre à la voile, devant être considéré com
me parti, la prétention de l’affréteur, demandant en cet
état le retirement de ses marchandises, devrait être repousséei.
1 La raison de douter de la rectitude de cette interpré
tation se puise dans la disposition de notre article met
tant les frais de retardement à la charge de l’affréteur.
Quels peuvent être, en effet, ces frais de retardement?
La loi n’a pu avoir en vue le temps que le capitaine, pré
parant seulement son départ, perdrait à trouver à rem
placer la marchandise retirée. Il est indemnisé de ce
temps par le demi-fret qu’il reçoit et qui ne lui est al
loué qu’à cette occasion. Donc lui accorder en outre les
frais de ce retard, ce serait lui concéder une double in
demnité.
1 Paris, 27 novembre 4847 ; D . P. 48, 2, 90.
�4G
0
DROIT MARITIME.
D’ailleurs tant que le navire n’est pas prêt à mettre à
la voile, tant que son départ est incertain, il n’existe et
ne saurait en réalité exister un retard proprement dit.
Pour que ce retard puisse être admis, il faut de toute
nécessité que le navire ne soit arrêté que par le retirement des marchandises. Or cela ne se réalisera précisé
ment que lorsque le retirement ne sera demandé qu’au
moment où le navire est prêt à mettre à la voile.
Ce qui s’induit du texte de la loi peut également s’in
duire de son esprit. Evidemment le législateur n-ta pas
supposé que l’affréteur n ’obéira qu’à un pur caprice
qui, dans tous les cas, lui coûterait assez cher. Il admet
donc qu’il ne reviendra de son traité que lorsque les
circonstances lui feront justement considérer son opéra
tion comme dangereuse ou inutile.
Or, ces circonstances peuvent n’éclater ou n’être con
nues qu’au moment même où le navire est prêt à par
tir. Pourquoi donc, puisque le navire et les marchandi
ses sont encore là, priver l’affréteur du moyen d’échap
per à la perte considérable qui l’attend? Ne suffit-il pas
de l’indemnité qu’il doit subir, et qu’importe que ce
navire soit arrêté, puisque les frais du séjour seraient à
la charge de celui qui le nécessite.
La doctrine de l’arrêt de la Cour de Paris, que nous
annotons, s’éloignerait donc du texte et de l’esprit de la
loi. Elle refuserait l’exercice de la faculté concédée par
l’article 291, au moment même où cet exercice serait le
plus utile à l’affréteur.
1
�ART.
291, 292
ET
293.
m
754.
— L’affréleur à cueillette, qui refuse de charger
ou qui retire ses marchandises, est obligé de payer, à
titre de dommages-intérêts résultant de l’inexécution du
contrat :
1° Le demi-fret pour le chargement entier et pour
tout le voyage. Ainsi si le navire était affrété pour l’al
ler et le retour, c’est le demi-fret de l’un et de l’autre
qui devrait être compté au capitaine. En effet, l’arme
ment éprouve pour le retour le même préjudice que pour
l’aller. Le navire, assuré de trouver son chargement,
n’aurait fait qu’un court séjour dans le port où il devait
le recevoir. L’obligation de s’en procurer un en échange
de celui qui est refusé prolongera ce séjour pour un
temps plus ou moins long. De là un préjudice certain,
et par conséquent nécessité pour le capitaine d’en être
indemnisé.
2* Les frais de décharge de la marchandise retirée,
et ceux que ce retirement occasionnera. Ainsi l’arrimage
du navire étant achevé, il est possible qu’on soit obligé
de le défaire pour arriver aux marchandises réclamées.
Il est donc naturel de mettre à la charge de l’auteur de
cette réclamation les frais de déchargement et de rechar
gement des marchandises qui devront être déplacées et
replacées. Ces frais comprennent ceux du nouvel arri
mage.
3° Enfin les frais du retardement. Ces frais compren
nent les dépenses faites par le navire pendant le temps
du déchargement et du rechargement de toutes les mar-
�4-62
DROIT
MARITIME.
chandises. Ces frais sont de véritables surestaries. Ils
comprennent donc tout ce que comprennent celles-cil.
¥
755.
— Aucune différence n’existe plus entre l’af
fréteur à cueillette et les autres, relativement à la fa
culté de retirer les marchandises pendant le cours du
voyage. Ils se trouvent tous sous l’empire de l’article
293, aux termes duquel l’exercice de cette faculté donne
lieu au paiement du fret entier, quelle que soit la dis
tance restant à parcourir.
On eût pu peut-être introduire ici le tempérament
que la loi du 15 juin 1841 consacre dans l’hypothèse de
l’article 234. On pourrait dire, en effet, que le capitaine
qui a chargé pour divers à la même destination, est obligé
de s’y rendre tant qu’un seul des chargeurs persiste à y
diriger ses marchandises ; qu’il est juste dès lors que
tous les autres payent le fret entier, quel que soit le
lieu où ils voudront le décharger; le payement d’un fret
proportionnel diminuant la recette sans diminuer la dé
pense, laisserait l’armement exposé à une perte cer
taine.
Mais lorsque tous les chargeurs étant d’accord, ou
que n’en existant qu’un seul, le déchargement est com
plet, le capitaine n’a plus à se rendre à la destination
primitive, plus de dépense à faire. Pourquoi donc ne se
contenterait-il pas d’un fret proportionnel?
La raison, à notre avis, se puise d’abord dans le res-
�ART.
291, 292
ET
295.
4G5
pect dû au contrat. L’indication du terme du voyage
n’est pas sans influence sur les préparatifs que doit faire
l’armement. C’est sur son éloignement, sur les difficul
tés de son abord qu’on s’est basé pour les réparations
du navire, pour son approvisionnement tant en vic
tuailles qu’en agrès et apparaux. Changer tout-à-coup
la destination, ce serait faire tourner contre l’armement
les précautions qu’il ne pouvait pas ne pas prendre, et
l’exposer à la perte qu’entraînerait une dépense devenue
sans objet.
Il est une autre raison qui se rencontrera surtout
lorsque l’affrètement n’aura pour objet que le voyage
d’aller. Dans ce cas, en effet, le fréteur aura songé à se
ménager un retour, et peut-être que, par ses ordres,
son correspondant aura pris des engagements qui exi
geront l’arrivée effective du navire au lieu de la destina
tion prévue.
Tout cela devait empêcher que cette destination pût
être changée au gré des chargeurs seulement. Sans
doute, ils ne peuvent être privés du droit de retirer leur
marchandise pendant le voyage. Mais ce retirement, que
leur intérêt leur commandera, ne pouvait nuire au na
vire. Celui-ci doit être payé comme s’il avait réellement
accompli le voyage, le capitaine est fondé à exiger le
fret entier et les frais qu’occasionne le débarquement.
L’article 293 est général et absolu. Il recevrait son ap
plication, alors même que les marchandises, naturelle
ment sujettes à détérioration, n’auraient été retirées que
pour prévenir leur complète et entière détérioration.
�464
DROIT MARITIME.
756.
— Au reste, il en est en cette circonstance com
me dans toutes celles où il y a lieu à indemnité. Celleci n’est due que si le fait y donnant lieu est imputable
à celui à qui on la réclame.
Est-ce là ce que consacre l’article 293? En vérité, il
serait permis d’en douter, puisqu’il borne la responsa
bilité du capitaine, occasionnant par sa faute le débar
quement, au payement des frais. Le silence gardé sur la
proportion dans laquelle le fret doit être payé, dans ce
cas, pourrait donc permettre à la prétention de l’exiger
en entier de se produire.
Mais on ne pourrait l’accueillir sans dénaturer le ca
ractère de la loi, sans faire violence à son véritable es
prit. Une prétention de ce genre, comme l’observe
M. Locré, n’irait à rien moins qu’à accorder au cou
pable des dommages - intérêts que payerait la partie
lésée.
Ce résultat, condamné par la raison, l’a été expressé
ment déjà par l’article 216, qui déclare le capitaine res
ponsable de ces fautes ; par l’article 221, faisant réflé
chir cette responsabilité jusqu'au propriétaire du navire.
Il va l’être aussi explicitement par l’article 295; comprendrait-on, en effet, que le capitaine qui doit des dom
mages-intérêts si, par son fait, il retarde ou arrête le
voyage, pût en réclamer si, par son fait ou sa faute, il
en rendait la rupture inévitable?
Le capitaine, auteur de l’inexécution, non-seulement
ne pourrait réclamer l’entier fret qui n’est que l’indem
nité de cette inexécution, mais encore il devrait lui-
�art.
291, 292
et
293.
4G5
même dédommager l’affréteur des perles que la dé
charge prématurée lui occasionnerait. Ce qui lui est dû
ne peut donc consister dans notre hypothèse qu’au fret
acquis suivant la durée du voyage, et sauf l’indemnité
à laquelle il serait condamné en faveur de l’affréteur, et
le paiement de tous les frais que le déchargement en
traînerait.
757. — Le contrat d’affrètement est essentiellement
consensuel. Il ne peut donc se former que par le con
cours des volontés sur la chose et sur le prix. Donc, le
chargement qu’on ferait sur un navire, sans même l’a
voir déclaré au capitaine, ne créerait aucun lien obliga
toire pour celui-ci. Il peut donc ou refuser le charge
ment en sommant le chargeur de le reprendre, et, à dé
faut, en le débarquant lui-même, ou exiger le fret au
plus haut prix de la place pour les marchandises de
même nature.
758. — Cette option, la loi ne l’accorde que dans le
lieu du chargement. Le départ du navire équivaut à l’ac
ceptation. Le défaut de découverte avant ce départ est si
improbable, si invraisemblable, que la loi ne pouvait le
faire entrer dans ses prévisions.
Cependant le vrai peut quelquefois n’être pas vrai
semblable. Qu’arriverait-il donc si, en réalité, le char
gement clandestin n’était découvert qu’après que le na
vire a fait voile?
Le projet du Code laissait au capitaine l’option que
n — 30
�466
DROIT MARITIME.
lui accorde l’article 292. Mais cette décision fut contes
tée. L’alternative disait la Cour de Rennes, n’est ration
nelle est juste, et ne doit s’exercer qu’avant le départ.
Dès que le navire a mis à la voile, on ne doit accorder
que le droit de percevoir le fret au plus haut prix, ex
cepté que le navire se trouvât surchargé.
Cette réclamation, repoussée par la commission fut
accueillie par le conseil d’Etat et consacrée par l’article
292. Il en résulte qu’à quelque époque qu’il ait été dé
couvert, le chargement clandestin ne peut être mis à
terre qu’avant le départ du navire.
759. — Mais cette règle est susceptible d’exception :
en premier lieu celle signalée par la Cour de Rennes
elle-même, à savoir si le navire était surchargé. L’ef
fet de la surcharge se réduisit-il à retarder le voyage, en
rendant la manœuvre plus difficile ou la marche du na
vire plus lente, qu’il y aurait injustice à obliger le ca
pitaine à l’accepter.
D’autant plus que la surcharge étant une faute, ren
drait, aux termes de l’article 295, le capitaine respon
sable du retard qu’elle occasionnerait. Or il répugnerait
à la raison que, pour complaire à un chargeur qui s’est
illégalement imposé, le capitaine fût contraint de com
mettre une faute pouvant avoir pour lui de telles con
séquences.
760. — Cette considération détermine une seconde
exception à la règle de l’article 292. Le capitaine doit
�ART.
291, 292
et
293.
467
être autorisé à déposer à terre, même pendant le voyage,
le chargement clandestin qu’il n’a découvert qu’après le
départ, si, par sa nature, il doit en résulter une concur
rence au lieu de destination pour les marchandises ex
pédiées par le principal affréteur.
Faciliter cette concurrence est, de la part du capitaine
une faute engageant sa responsabilité ; on ne peut donc
pas plus imposer celle-ci que celle qui résulterait de
la surcharge.
M. Boulay-Paty n’admet cette exception que s’il était
bien démontré que l’apport du chargement clandestin au
lieu de destination causerait un grand préjudice au vé
ritable affréteur. Nous ne pouvons admettre cette res
triction.
Imposer cette appréciation au capitaine, c’est le ren
dre juge d’un résultat que l’événement seul est dans le
cas de fixer. Comment, en effet, savoir les conséquences
qu’entraînera la concurrence. Le plus petit excédant peut
avoir les effets les plus fâcheux, et il est du devoir du
capitaine de prévenir non-seulement la perte, mais en
core la simple réduction du gain espéré.
Ce serait ensuite favoriser une fraude, que son inté
rêt conseille au capitaine, en lui permettant de toucher
un fret qu’il n’aurait pas dû gagner, et en lui fournis
sant une excuse déjà beaucoup trop facile.
C’est d’ailleurs ce même intérêt qui doit porter à s’en
remettre entièrement et sans condition à la prudence du
capitaine; on peut être sûr d’avance qu’il n’agira que
sur de graves motifs, puisque la mise à terre du char-
�468
DROIT MARITIME.
gement lui fera perdre le bénéfice qu’il aurait réalisé en
en touchant le fret au plus haut prix.
D’ailleurs, que le préjudice à éprouver par l’affréteur
véritable soit plus ou moins considérable, le capitaine
n’en sera pas moins obligé de le réparer. Il n’y a donc
pas à hésiter entre lui et le chargeur clandestin. De quoi
se plaindrait celui-ci? Doit-on favoriser l’acte inqualifia
ble qu’il s’est permis, et trouver trop rigoureuses les
conséquences du refus d’un mandat qu’il a cherché à
imposer par la ruse ?
Le capitaine ne peut donc être tenu que de veiller à
la conservation de la marchandise qu’il met à terre. Or
il a rempli ce devoir, lorsqu’il l’a confiée à un commer
cant de la localité notoirement solvable, ou entre les
mains d’un tiers consignataire nommé par la justice, et
qu’il a dûment avisé le chargeur.
Article 2 9 4 .
Si le navire est arrêté au départ, pendant sa route, au
lieu de sa décharge par le fait de l’affréteur, les frais
du retardement sont dus par l’affréteur.
Si, ayant été frété pour l’aller et le retour, le navire
fait son retour sans chargement, ou avec un chargement
incomplet le fret entier est dû au capitaine, ainsi que
l’intérêt du retardement.
�A r t ic l e
295.
Le capitaine est tenu des dommages-intérêts envers
l’affréteur, si, par son fait, le voyage a été arrêté ou re
tardé au départ, pendant sa route, ou au lieu de sa
décharge.
Ces dommages-intérêts sont réglés par des experts.
SOMMAI RE
761. L’affréteur ne peut, par son fait, arrêter ou retarder le voyage.
762. Peine qu’il encourt dans le cas contraire.
763. Obligations de l ’affréteur qui a traité pour l ’aller et le re
tour. Inapplicabilité des articles 288 et 291.
764. Peine qu’il encourt s ’il nefournit pas le chargement de retour.
765. Droits de l’affréteur si l’arrêt du navire ou le retard provient
du fait du capitaine.
766. Comment se déterminent les dommages-intérêts dus à l ’af
fréteur ?
767. Nature et caractère de l ’obligation que l’affrètement crée
pour le propriétaire du navire. Effet de l ’inexécution.
7 6 ï . — Les parties contractantes en la charte partie
ont réciproquement un intérêt incontestable à ce que le
voyage projeté s’exécute immédiatement et s’accomplisse
dans le plus bref délai possible. Chacune d’elles s’oblige
à s’interdire tout acte de nature à amener un résultat
contraire. Les articles 294 et 295 ne font que tirer la
juste conséquence de cette obligation, en faisant de son
�470
DROIT MARITIME.
inexécution la cause d’une allocation de dommagesintérêts contre son auteur, et en faveur de la partie qui
en souffre.
L’inexécution est évidente, lorsque le navire est arrêté
au départ, pendant le voyage ou à l’arrivée. Les causes
déterminant l’arrêt indiquent par elles-mêmes à qui cette
inexécution doit être imputée.
Elle provient du fait de l’affréteur, si ce navire est ar
rêté au départ ou à l’arrivée, parce que les marchandi
ses chargées sont prohibées à l’exportation ou à l’impor
tation ; s’il est arrêté pendant le voyage en temps de
guerre, par exemple, comme portant des objets consi
dérés comme contrebande de guerre, à la destination
d’un lieu appartenant à l’une des puissances belligé
rantes.
Dans ces divers cas, la faute est tout entière du côté
de celui qui a fait le chargement. Aussi est-il exclusive
ment responsable des conséquences que la prolongation
forcée du voyage ou le retard dans le débarquement peut
entraîner.
Le tribunal de Marseille et la Cour d’Aix l’ont admis
autrement dans l’espèce suivante.
Une loi douanière fort ancienne des Etats-Unis, pro
hibe l’introduction des spiritueux en quantités moindres
de quatre-vingt-dix gallons. Le navire YEtoile de la
Mer, partant pour la Nouvelle-Orléans, reçut à son
bord de MM. Paul Sue et Cie, quatre barils absinthe
contenant moins de quatre-vingt-dix gallons, qui furent
saisis lors de leur débarquement, ainsi que le navire
�ART.
294
et
295.
471
qui les avait importés. Le soulèvement de cette saisie
coûta à l’armateur une somme de 4,203 fr. 1 9 c ., que
celui-ci réclamait des chargeurs.
Le tribunal de Marseille n’accorde que la moitié de
cette somme, parce qu’il déclare que la faute ayant été
commune à l’armateur et aux chargeurs, chacun d’eux
devait encourir la responsabilité du préjudice.
« Attendu, dit le jugement, que le sieur Louis Levesque, armateur du navire YEtoile de la Mer, a formé
contre les sieurs Paul Sue et Cie, expéditeurs des quatre
barils d’absinthe apportés par ce navire dans son der
nier voyage pour la Nouvelle-Orléans, une demande en
paiement de la somme de 4,203 fr. 19 c. montant des
frais et honoraires de justice que le capitaine a été obligé
de payer à la Nouvelle-Orléans pour faire soulever une
saisie pratiquée contre son navire, en raison de ce que
les quatre barils contenaient moins de quatre-vingt-dix
gallons, ce qui constituait une contravention à des rè
glements de douane dans les Etats-Unis d’Amérique ;
» Attendu que la saisie a été la conséquence de l’igno
rance par le capitaine et l’expéditeur de la législation
américaine, ignorance imputable au premier comme
au dernier, en ce que le capitaine et les chargeurs ont
des raisons égales de connaître la législation d’un pays
où l’un conduit son navire, où les autres envoient leurs
marchandises, pour ce qui concerne les conditions aux
quelles sont soumises les importations, et que si les
chargeurs ont le tort d’expédier des marchandises qui
�472
DROIT MARITIME.
ne sont pas conformes à ces conditions, le capitaine a le
tori de les prendre à son bord ;
» Attendu que la saisie a donc eu pour cause une
faute commune ou un fait commun dont les parties doi
vent supporter également les suites sans préjudice d’ail
leurs de leur recours contre qui de droit. »
Un double appel investit la Cour du droit de statuer
souverainement sur la question. L’arrêt intervenu le 22
novembre 4867, appréciant le fait comme le tribunal de
Marseille, confirme le jugement par les motifs suivants :
» Attendu qu’il ne s’agitici ni d’accident de navigation,
ni de fortune de mer, ni des règlements ordinaires de la
marine que le Code de commerce a prévus, mais d’une
véritable contravention aux lois de douane des EtatsUnis ; que rien n’indique être tombées en désuétude, la
cause actuelle justifiant suffisamment le contraire;
» Attendu qu’on ne saurait admettre que l’expédi
teur et le capitaine aient ignoré les conditions imposées
pour l’importation de certaines marchandises aux EtatsUnis, l’un et l’autre ayant avec ces Etats des relations
plus ou moins fréquentes ; le capitaine, puisque sa pro
fession consiste à transporter des marchandises dans les
divers pays auxquels elles sont expédiées, l’expéditeur
ayant eu le tort particulier de charger des spiritueux qui
ne sont pas en eux-mêmes prohibés, mais qui le de
viennent par cela seul que les conditions imposées à leur
importations aux Etats-Unis n’ont pas été remplies, et il
est de doctrine et de jurisprudence qu’en cas d’envoi de
�ART.
2 9 4 ET 2 9 8 .
473
marchandises prohibées, c’est à l’expéditeur qu’incombe
la responsabilité de la contravention ;
)> Attendu que la faute ayant été commune à l’une et
à l’autre des parties, il est de toute justice que la res
ponsabilité en soit commune, ce que les juges de com
merce ont pu, mieux que personne, apprécier, ce qu’ils
ont fait dans le procès actuell. »
Si le jugement et l’arrêt arrivent au même résultat,
ils diffèrent sur un point essentiel. Le premier, en effet,
prend pour point de départ l’ignorance, par le capitaine
et l’expéditeur, de la législation à laquelle il a été con
trevenu, le second déclare que cette ignorance n’est pas
même admissible. Cette dernière opinion ne nous parait
pas devoir être préférée en l’état des faits. Quelle vrai
semblance, en effet, que l’un expédie des marchandises
pour le plaisir de les faire saisir, que l’autre les reçoive
uniquement pour que son navire soit également saisi,
qu’enfin voulant se liver à la contrebande, l’un et l’au
tre aient agi au grand jour, et sans aucune des précau
tions dont ne manquent pas de s’entourer ceux qui se
livrent à ce commerce interlope ;
Quoi qu’il en soit et à quelque point de vue qu’on se
place, la solution du jugement et de l’arrêt, si elle était
admise, effacerait l’article 294 du Code de commerce, et
en rendrait la disposition une lettre morte et sans ap
plication possible. Cet article veut en effet que le char1 G a zelle des T r ib u n a u x du 9 janvier
des a rrê ts d e la C o u r d ’A ix , 1868, 12.
1868. — Brémond,
B u lle tin
�474
DROIT MARITIME.
geur réponde des conséquences de l’arrêt ou du retard
du navire, si cet arrêt ou le retard est causé non par sa
faute mais par son fait. Or, quel peut être le fait du
chargeur sinon le chargement lui-même? Mais pour que
ce chargement motive l’arrêt ou le retard du navire,
faut-il bien qu’il ait été reçu à bord, et si par le fait de
la réception le capitaine s’est associé au fait du chargeur
et en encourt la responsabilité, qu’on nous dise où,
comment et dans quel cas la prescription de l’article
294 recevra-t-elle son application?
Un système qui a pour conséquence forcée l’inappli
cabilité d’une disposition légale explicite, formelle, ne
saurait être juridique; aussi le considérons-nous comme
inadmissible dans l’hypothèse de l’arrêt comme dans
celle du jugement.
S’il y a eu ignorance réciproque de la législation à
laquelle il a été contrevenu, la responsabilité doit peser
tout entière sur le chargeur. Celui-ci, en effet, qui ex
pédie une marchandise à l’étranger doit connaître, et s’il
ne connaît pas doit s’informer et se mettre au courant
des lois douanières du pays avec lequel il veut entrèrent
relations; le capitaine, lui, ne connaît et n’a à connaître
que les obligations auxquelles est astreint le navire,
comment veut-on que toutes les fois qu’on lui propose
une marchandise à charger, il soit tenu de vérifier la
nature de cette marchandise, et de s’informer à quelles
conditions elle pourra être importée?
La loi, non-seulement ne lui impose pas ce devoir,
mais encore l’en dispense formellement. En effet les con-
�art.
294-
et
295.
475
séquences d’un chargement illicite peuvent être la saisie
du navire soit en cours de voyage, soit au lieu de sa dé
charge; or, l’article 294 mettant ces conséquences à la
charge de l’expéditeur, de quoi donc aura t à se préoc
cuper ou à s’inquiéter le capitaine?
On ne peut raisonnablement admettre chez l’expé
diteur et chez le capitaine la connaissance de la prohibi
tion qui pèserait sur le chargement fait par l’un, reçu
par l’autre : il répugne au bon sens de croire qu’on va
ainsi bénévolément au-devant d’une saisie et d’une perte
inévitable et souvent importante.
Mais même dans cette hypothèse, nous n’hésitons pas
à faire peser la responsabilité exclusive sur la tête de
l’expéditeur, car l’article 294 ne distingue pas et n’exige
pas que son fait soit le résultat de l’ignorance. S’il
connaît la loi étrangère, il a voulu sciemment la violer
compensant la chance du préjudice avec le profit éven
tuel que sa spéculation lui permet d’espérer.
Le capitaine ne serait punissable que dans un seul
cas, à savoir si s’agissant d’une opération de contre
bande aux profits de laquelle il a été associé, il a prêté
son navire et a pris toutes les précautions qui devaient
faire réussir l’opération.
Que si, au contraire, il n’a stipulé que le fret ordi
naire, s’il n’a rien dissimulé dans le voyage, si arrivé à
destination il a fidèlement déclaré son chargement, s’il
l’a publiquement et ostensiblement déchargé, il serait in
juste de le punir, ce qu’il a pu et dû croire en se char
geant de la marchandise, alors surtout qu’il s’agissait,
�476
DROIT MARITIME.
comme dans l’espèce, non d’une prohibition absolue,
mais d’une condition à remplir, c’est que l’expéditeur
s’était mis en règle, ou que le consignataire s’entendrait
avec l’administration. Pouvait-il penser qu’on charge
rait dans l’intention de faire saisir la cargaison et le
navire? Se serait-il associé à cette intention, alors qu’au
cun avantage particulier ne venait compenser la chance
du préjudice?
Loin d’êlre juste, le partage de la responsabilité est
une énorme injustice pour l’armement, il crée d’ailleurs
en faveur de l’expéditeur une exception que l’article 294
repousse expressément. C’est pourquoi, ainsi que le
constate la Cour d’Aix elle-même, la doctrine et la ju
risprudence ont admis qu’en cas d’envoi de marchandi
ses prohibées, c’est à l’expéditeur qu’incombe la respon
sabilité de la contravention.
En mettant une partie de cette responsabilité à la
charge du capitaine, le tribunal de commerce de Mar
seille et la Cour d’Aix ont donc méconnu la doctrine et
la jurisprudence, et violé l’article 294.
A la règle précise invariable que trace cet article, ils
substituent l’arbitrage du juge qui devra apprécier si
les parties ont connu ou ignoré la prohibition, et qui,
quelle que soit sa bonne volonté, pourra admettre le con
tre-pied de la vérité. C’est précisément pour prévenir
cet arbitraire que le législateur a édicté les articles 294
et 295.
Il n’y a donc pas à hésiter, toutes les fois que le re
tard ou l’arrêt du navire aura pour cause la violation des
�ART.
2 9 4 ET 2 9 5 .
47 7
obligations imposées au navire, la responsabilité appar
tient exclusivement à l’armement ; elle pèsera sur l’ex
péditeur seul, si cette cause réside uniquement dans le
caractère et la nature du chargement.
762. — Le projet du Code disposait que l’affréteur
qui aurait retardé le voyage par son fait serait tenu de
l'intérêt du retardement. La Cour de Rennes fit obser
ver que ces mots pourraient être interprétés diversement.
Que les uns n’y verraient, pour le capitaine, d’autres
droits que celui d’exiger l’intérêt du fret pendant le re
tard que le navire a essuyé en attendant la levée de
l’obstacle ; que les autres les interpréteraient en ce sens
qu’outre le fret entier, le capitaine doit être indemnisé
du retard.
Pour faire disparaître tout équivoque, le conseil d’E
tat mit à la charge de l’affréteur qui a suscité l’obstacle
les frais du retardement, ce qui ne permet pas de dou
ter de l’intention de la loi. Ce qu’elle veut, c’est que le
capitaine soit remboursé de tous les frais faits pendant le
séjour forcé du navire, tels que la nourriture et les loyers
de l’équipage.
763. — L’affréteur qui a traité pour l’aller et le re
tour, s’est, par cela même, obligé à opérer le charge
ment de l’un et de l’autre. Dès lors, les dispositions pré
cédentes indiquaient assez quelles seraient pour lui les
conséquences de l’inexécution de cette obligation.
Mais ce qui rendait une disposition spéciale, pour le
�4.78
DROIT MARITIME.
retour, nécessaire, c’est précisément la faculté que con
fère l’article 2188 de résilier le traité avant tout charge
ment, en payant le demi-fret. Cette faculté pouvait-elle
. s’appliquer au retour comme à l’aller?
L’affirmative était fort difficile à admettre, car la con
dition que la loi met à cet exercice est irréalisable. L’al
ler et le retour ne constituent pour l’affréteur qu’un seul
et unique voyage, malgré qu’à l’endroit des gens de
l’équipage et du capfiaine lui-même, la loi les ait quel
quefois distingués. Or, ce voyage commence dès que le
navire a quitté le port d’armement, et ce commencement
de voyage, en exécution de la charte partie, ne permet
tait plus de la résilier, et laissait, dès lors, l’article 288
sans application possible. Cependant, le contraire aurait
pu être soutenu, et le désir de prévenir cette difficulté
fit consacrer la disposition de l’article 294.
Cet article, écartant l’application de l’article 288, re
pousse par cela même celle de l’article 291. L’affréteur
à cueillette peut bien refuser ses marchandises ou reti
rer celles qu’il a chargées en payant le demi-fret, mais
cette faculté ne lui est ouverte qu’avant le départ du
navire et le commencement du voyage. Sa prétention de
l’exercer pour le chargement de retour, alors que le
voyage est depuis longtemps commencé, ne saurait s’é
tayer sur aucune base légale.
764.
— Ainsi l’affréteur qui a traité pour l’aller et le
retour, quel que soit le caractère du contrat, ne peut,
sous aucun prétexte, refuser de charger pour opérer ce-
�art .
2 9 4 ET 2 9 b .
479
lui-ci. A quelque époque que se réalisât son refus, le
résultat est le même ; s’il laisse partir le navire sans
chargement, ou avec un chargement incomplet, il est
tenu de payer le fret entier.
Les termes de la loi sont clairs et précis. Le fret en
tier n’est dû que si le navire part à non-charge, ou, com
me le disait l’ordonnance, s’il opère son retour lége. Il
est évident que le fréteur ne saurait jamais percevoir
deux fois le fret. En conséquence, si, à défaut de l’affré
teur, le capitaine trouvait un autre chargeur, le fret payé
par celui-ci, serait nécessairement imputé sur la dete
de l’affréteur primitif. Tout ce qu’il devrait, dans ce cas,
c’est la différence en moins qui pourrait exister entre
l’ancien et le nouveau fret. Mais il ne pourrait préten
dre se faire attribuer la différence en plus. L’inexécution
dont il s’est rendu coupable a entièrement détruit le con
trat en ce qui le concerne, elle ne pourrait surtout lui
procurer un bénéfice.
Dans tous les cas, l’affréteur doit, outre le fret, l’in
térêt du retardement. Ainsi, le retard qu’il aurait mis au
départ du navire, dans l’espérance de réaliser le char
gement qu’il n’a pu en définitive se procurer, constitue
rait de véritables surestaries dont le capitaine devrait
être payé. La discussion législative que ces mots, intérêt
du retardement, suscitèrent sur cette seconde disposi
tion de l’article, ne permet pas de leur attribuer un au
tre sens.
765. — L’article 295 fait pour le capitaine ce que
�■480
DROIT MARITIME.
l’article 294 fait pour l’affréteur. Aux termes de sa dis
position, le capitaine est responsable et tenu des dom
mages-intérêts envers l’affréteur, si, par son fait, le na
vire a été arrêté ou retardé au départ, pendant sa
route ou au lieu de sa décharge.
Le capitaine arrête par son fait le navire, s’il en amène
la saisie en se livrant à des actes de contrebande, ou
pour défaut de pièces que la loi lui prescrit d’avoir en
sa possession et qui doivent établir la légitimité de sa
navigation. Il le retarde au départ, s’il néglige de se
faire expédier en douane, ou s’il prolonge son séjour
au-delà du terme assigné à son départ ; pendant le
voyage, s’il relâche ou s’il fait escale sans nécessité, s’il
se détourne de la route directe ; à l’arrivée, s’il manque
de remplir les formalités nécessaires pour que le déchar
gement puisse être opéré.
On devait d’autant moins hésiter à se montrer sévère
pour le capitaine, que chacun de ces faits est la viola
tion d’un devoir positif La responsabilité qui lui est im
posée n’est donc que la conséquence de la faute qu’il
commet. Cette responsabilité naît du fait du retard, et
le capitaine ne peut en être exonéré que si ce retard
provient d’un cas fortuit. L’existence de celui-ci est donc
l’exception contre la demande en dommages-intérêts.
C’est donc au capitaine qui l’invoque à l’établir et à la
prouver.
L’affréteur, victime du retard ou de l’arrêt du navire,
ne peut obtenir une diminution du fret. Ce fret est dû
par cela seul que ses marchandises sont arrivées à leur
�ART.
2 9 4 ET 2 9 5 .
481
destination. Mais il doit être indemnisé non-seulement
des avaries que le retard a pu occasioner, mais encore
de la perte que la vente tardive pourra entraîner. C’est
dans ce sens que notre article condamne le capitaine à
des dommages-intérêts, comprenant, aux termes de la
loi, le gain dont l’affréteur a été privé et la perte qu’il
éprouve.
766. — L’intention de la loi à cet égard se décèle
par l’appel qu’elle fait à une expertise. La proposition
de laisser la détermination de l’indemnité à l’arbitrage
des tribunaux fut écartée par le motif que les recherches
auxquelles il faut se livrer, que les détails dans lesquels
il faut descendre, et les documents qu’il faut consulter
pour arriver à une juste et exacte détermination, ren
daient très-difficile, pour ne pas dire impossible, la mis
sion qu’on sollicitait pour les magistrats.
L’expertise est donc obligatoire. Mais ici, comme
dans toutes les autres hypothèses, les juges ne sont pas
liés par l’avis des experts. Leur rapport est soumis à
leur appréciation. Ils peuvent en repousser les bases,
en changer ou en modifier le résultat. Leur indépen
dance à cet égard est absolue. Leur décision pourrait
bien constituer un mal jugé, mais jamais une violation
de la loi.
767. — Il est dans l’affrètement une troisième partie
dont le concours dans l’exécution est indispensable, soit
n — 31
�482
DROIT MARITIME.
qu’elle ait directement pris part au contrat, soit qu’elle
y ait été seulement représentée ; nous voulons parler du
propriétaire du navire. Dans l’un comme dans l’autre
cas, il est personnellement tenu de fournir le navire en
état d’accomplir le voyage, et de l’entreprendre au temps
voulu.
Le défaut de cette délivrance lui rendrait donc direc
tement imputable le retard que le voyage pourrait subir,
et le constituerait dès lors passible des conséquences
fâcheuses qui pourraient en naître pour l’affréteur.
Aussi la Cour de Rennes proposait-elle de dire dans
l’article 295 : le capitaine ou le propriétaire du navi
re......Cette proposition ne fut pas accueillie, non pas
qu’on entendît dégager ce dernier de toute responsabi
lité, mais uniquement parce qu’on ne voulait s’occuper
dans l’article 296 que du fait du capitaine, sans enten
dre déroger aux autres dispositions légales qui régissaient
le propriétaire.
Or, ces autres dispositions sont d’abord le droit com
mun, aux termes duquel l’inexécution de la convention
donne lieu à des dommages-intérêts ; ce sont ensuite les
articles 252 et 257 du Code commercial, qui règle la
position du propriétaire à l’endroit des gens de l’équipage.
Il n’est donc pas douteux que le défaut de délivrance
du navire promis, ou que le retard apporté à cette déli
vrance exposerait le propriétaire à des dommages-inté
rêts soit directement envers l’affréteur, soit par voie de
�296
ART.
et
297.
48 5
garantie en faveur du capitaine. De plus, ce propriétaire
serait tenu d’indemniser l’équipage, si le défaut ou le
retard lui occasionnait un préjudice quelconque.
Article 296.
Si le capitaine est contraint de faire radouber le na
vire pendant le voyage, l’affréteur est tenu d’attendre
ou de payer le fret entier.
Dans le cas où le navire ne pourrait être radoubé,
le capitaine est tenu d’en louer un autre.
Si le capitaine n’a pu louer un autre navire, le fret
n’est dû qu’à proportion de ce que le voyage est avancé.
" 1
!
j
Article 297.
Le capitaine perd son fret et répond des dommagesintérêts de l’affréteur, si celui-ci prouve que, lorsque le
navire a fait voile, il était hors d’état de naviguer.
La preuve est admissible nonobstant et contre les cer
tificats de visite au départ.
SOMMAIRE
768. Obligation pour l’affréteur d’attendre le radoub du navire,
Caractère de cette obligation.
769. Comment il peut s’en racheter.
�484
DROIT
MARITIME.
770. Arrêt de la Cour de Rennes, admettant le fret proportionnel
dans le cas où le radoub doit durer longtemps. Critique.
771. Obligation pour le capitaine de louer un autre navire , si le
sien est devenu innavigable.
772. Nature et caractère de cette obligation.
773. Comment se règle la différence entre les deux frets.
774. Exceptions à l'obligation de louer un autre navire. Leur
caractère.
775. Effets de l’une et de l ’autre.
776. Comment se règle le fret lorsqu'il s’agit de passagers?
777. Faculté pour l’affréteur de prouver que le navire était hors
d’état de naviguer avant son départ. Caractère de l’arti
cle 296.
778. Recevabilité de la preuve outre et contre le certificat de
visite.
779. Effets de la preuve.
768.
— L’article 296 est une nouvelle application de
la règle d’équité que nous avons déjà eu à rappeler bien
des fois. La responsabilité du cas fortuit, de la force ma
jeure n’incombe à aucune des parties. Chacune d’elles
y concourt de la manière et dans l’étendue dont elle en
est atteinte.
La force majeure rendant le radoub du navire indis
pensable, interrompt et prolonge le voyage d’une part ;
elle occasionne de l’aulre une dépense plus ou moins
considérable. Celle-ci ne concerne et ne peut concerner
que l’armement, mais le retard est commun. Le navire
et la cargaison en supportent et devaient en supporter
les conséquences chacun en droit soi.
Telle est l’économie de l’article 296. Dès-lors, son
�ART.
296
et
297.
485
application est surtout subordonnée au caractère et à la
nature de l’événement déterminant la nécessité du ra
doub. Si cet événement provient d’un défaut de soins, de
négligence, de fausse manœuvre; s’il est le résultat de
l’ignorance ou de l’impéritie du capitaine, ses consé
quences ne pourraient tomber sous le coup de notre
disposition. La responsabilité reposerait tout entière sur
sa tète, et on lui appliquerait la peine édictée par l’arti
cle 295.
Mais si le navire assailli par la tempête, ou évitant la
poursuite de l’ennemi, éprouve le besoin d’être réparé,
l’affréteur ne saurait se dispenser de contribuer au mal
heur commun. La part qui lui en advient est l’obliga
tion de subir les conséquences du retard que cette ré
paration occasionnera forcément.
769.
— Il pouvait se faire cependant que ce retard
dût être tel que, l’imposer à l’affréteur, c’eût été l’expo
ser à un préjudice énorme. Par exemple, si ses mar
chandises, naturellement sujettes à se*déprécier, étaient
menacées d’une perte totale ou presque totale, ou si
l’époque de leur vente était tellement reculée, qu’elle ne
pourrait plus être réalisée qu’à des prix ruineux.
Ce point de vue n’a pas échappé au législateur. Il n’a
pas cru cependant, et avec juste raison, qu’il pût auto
riser à exonérer l’affréteur de la part qu’il doit prendre
dans la force majeure. Pour être juste à son endroit, on
ne pouvait fouler aux pieds l’intérêt non moins sacré
de l’armement. Or, c’est ce qui serait infailliblement ar-
�486
DROIT MARITIME.
rivé si, outre et indépendamment de la dépense que
coûtera le radoub, on lui eût imposé un sacrifice sur le
prix du fret.
Le seul moyen de concilier tous les droits, de satis
faire à tous les intérêts, était de s’en référer, quant aux
conséquences du retard, à l’appréciation de l’affréteur
lui-même. Il pourra s’y soustraire, s’il juge nécessaire
de le faire, mais en payant le fret entier ; ce qui n’est
qu’une application de l’article 293.
L’intention du législateur, à cet égard, résulte nonseulement du premier paragraphe de l’article 296, mais
encore et aussi expressément de sa seconde disposition.
Celle-ci n’admettant le fret proportionné à ce que le
voyage a duré comme libératoire qu’à la double condi
tion : 1® que le navire sera innavigable; 2“ que le ca
pitaine n’aura pu en louer un autre, l’exclut formelle
ment dans tous les autres cas.
770.
— La Cour de Rennes a donc méconnu le véri
table caractère de,notre article en jugeant, le 19 août
1831, que les affréteurs ne sont tenus dîattendre le
radoub du navire qu’autant qu’il peut être achevé dans
un court délai ; qu’ils peuvent donc, dans le cas con
traire, réclamer leurs marchandises, en payant le fret à
proportion du trajet parcouru.
Cette décision, à notre avis, ne blesse pas seulement
le texte de la loi, elle en méconnaît, en outre, formelle
ment l’esprit. Elle arriverait, en effet, à ce singulier ré
sultat de mettre la force majeure à la charge exclusive
�ART.
2 9 6 ET 2 9 7 .
487
de l’armement, dans l’hypothèse précisément où la jus
tice proteste plus énergiquement contre ce résultat. Si
le dommage est peu considérable, les chargeurs ne pour
ront reprendre leurs marchandises qu’en payant le fret
entier. S’il est, au contraire, assez grave pour exiger
une longue et coûteuse réparation, l’armement devra
être privé d’une partie du fret. Quelle est donc la part
des chargeurs dans le malheur commun, si on n’exige
d’eux que ce qui est incontestablement acquis à l’arme
ment?
Sans doute le retard occasionné par le radoub ne doit
pas entraîner la ruine des marchandises. Mais cette ruine,
l’affréteur peut toujours la prévenir en les retirant. Cette
faculté, même achetée au prix de l’entier fret, est assez
avantageuse, puisqu’elle permet d’éviter une perte beau
coup plus considérable.
A notre avis donc, la distinction faite par la Cour de
Rennes n’est pas, ne pouvait pas être dans la loi. Quelle
que soit la durée présumée du radoub, l’affréteur n’a
que le choix d’attendre ou de payer le fret entier.
Les éléments de cette option n’ont rien d’incertain ni
de douteux, et peuvent tout d’abord être appréciés. En
effet, avant de se livrer au radoub, le capitaine est obligé
de faire visiter le navire, pour savoir s’il peut ou non
être réparé. Dans le premier cas, les experts indiqueront
la nature et l’importance des réparations. Cette exper
tise, en fixant ainsi la durée probable des travaux, met
tra les affréteurs à même de décider s’ils doivent atten-
�488
DROIT MARITIME.
dre ou user de la faculté qui leur est concédée, de reti
rer leurs marchandises en payant l’entier fret.
C’est donc très-juridiquement que, par arrêt du 22
février 1823, la Cour d’Aix jugeait que lorsque un évé
nement de force majeure, tel qu’une relâche forcée, re
tarde le navire pendant sa route, l’affréteur qui n’a pas
attendu, et qui d’ailleurs a manifesté l’intention de rom
pre le voyage, ne peut se dispenser de payer le fret en
tier; c’est ce qui s’induit, en effet, de l’esprit et du texte
de l’article 296.
Quelle que soit donc la durée probable du retard que
subit le navire, l’affréteur ne peut faire qu’une de ces
choses : ou attendre, ou retirer la marchandise en payant
le fret de l’entier voyage. Le choix lui appartient souve
rainement ; il n’a qu’à consulter ses convenances ou
son intérêt.
Mais le choix fait, rien ne saurait en modifier les
conséquences. S’il rompt le voyage dans la croyance que
le navire pourra être réparé, la déclaration ultérieure
de l’innavigabilité du navire et sa vente ne sauraient
motiver de sa part ni la réduction du fret, ni le rem
boursement de la part afférente au trajet entre le port
de relâche et celui de destination.
C’est ce remboursement qui était demandé dans une
espèce où, postérieurement au retirement des marchan
dises et après paiement du fret entier, le navire avait
été condamné et vendu. On disait à l’appui : l’innavigabilité du navire ne rendait le fret exigible qu’au prorata
de ce que le voyage était avancé. Le paiement de l’en-
�ART.
2 96 ET 2 9 7 .
489
lier fret avant la déclaration d’innavigabilité est donc le
résultat d’une erreur qui ne saurait nuire ni profiter à
personne.
'
On répondait avec raison que l’erreur dont on peut se
faire relever est celle qu’on n’a pu ni prévoir ni préve
nir. Dans l’espèce, l’erreur est le fait personnel de celui
qui l’invoque. Avant de se prononcer, l’affréteur devait
se renseigner sur la nature et l’importance des avaries,
se fixer sur les conséquences qu’elles devaient entraîner.
En négligeant ce devoir, en précipitant sa décision il
avait commis une faute dont il devait subir les effets.
Est-il vrai d’ailleurs que l’innavigabilité du navire a
pour conséquence nécessaire la résolution de la charte
partie, et ne permet au capitaine de ne réclamer qu’un
prorata de fret? L’article 296 résout négativement cette
question, puisque, ainsi que nous allons le voir, le ca
pitaine du navire condamné a le droit et le devoir de
louer un autre navire pour continuer et accomplir le
voyage ; que s’il réussit il a droit à l’entier fret quel que
soit celui qu’il obtient du nouveau navire; qu’il n’a
droit qu’à un prorata du fret que s’il lui a été impossi
ble d’exercer ce droit, de remplir ce devoir.
Or, si avant la déclaration d’innavigabilité l’affréteur
a repris ses marchandises, cette impossibilité n’est plus
comme le suppose l’article 296, l ’effet du hasard, le
résultat d’une force majeure, elle est le fait personnel de
l’affréteur. Le capitaine s’est trouvé dispensé de se livrer
aux démarches que la loi lui impose, et l’exigence du
�490
DROIT
MARITIME.
fret entier dans ce cas, n’est que la conséquence de la
rupture volontaire du voyage.
Aussi, et par jugement du 13 février 1868, le tribu
nal de commerce de Marseille déclare-t-il la demande
en remboursement irrecevable et mal fondée1 .
Nous ignorons si ce jugement a été ou sera frappé
d’appel, mais son caractère si essentiellement juridique
ne laisse entrevoir aucune chance de réformation.
771. — Si le navire est trop gravement blessé pour
être réparé, ou si, matériellement réparable, la somme
à dépenser dépasse ou égale la valeur que le navire ac
querrait par la mise en état, le radoub ne doit pas être
entrepris, le navire, désormais innavigable, doit être
vendu au profit de qui de droit.
Cependant la charte partie peut encore être exécutée.
La loi exige même qu’il en soit ainsi, en obligeant le ca
pitaine à louer un autre navire, à bord duquel les mar
chandises seront transportées au lieu de destination.
772. — Les termes de l’article 296 ont tranché le
doute que l’opinion de Valin, adoptée par Pothier, avait
fait naître sur le caractère de cette obligation. Aux yeux
de ces éminents jurisconsultes, le devoir du capitaine
n’était pas absolu, il n’était tenu de le remplir que s’il
veut gagner le fret entier. Car, observait Pothier, par le
contrat de louage qu’il a fait de son vaisseau, le capii
Journal de Marseille,
186 8, 1. 129.
�ART.
2 9 6 ET 2 9 7 .
491
laine ne s’est pas obligé d’en fournir un autre ; et lors
que, par une force majeure dont il n’est pas responsa
ble, il ne peut plus fournir le premier, il n’est, selon les
principes du contrat de louage, obligé à autre chose qu’à
décharger l’affréteur ou le locataire du fret pour ce qui
reste à faire du voyagex.
Au point de vue exclusif ou se plaçaient Valin et Po
thier, ils avaient parfaitement raison, la perte de la
chose louée devant nécessairement amener la résiliation
du bail.
Mais, à côté de sa qualité de mandataire et représen
tant de l’armement, le capitaine en réunit une seconde,
celle de mandataire de l’affréteur à l’endroit de la car
gaison qui lui a été confiée. Or, cette seconde qualité,
dont Valin et Pothier font complètement abstraction, ex
plique et justifie le devoir que le Code a impérativement
imposé au capitaine. Cette qualité, en effet, qui l’oblige
de veiller à la conservation de la marchandise, lui com
mande également de la faire arriver à sa destination.
De là cette observation judicieuse d’Emérigon : la
doctrine de Valin et de Pothier serait bonne, si le char
geur était présent ou qu’il fût à portée de chercher luimême un autre navire; tel est le cas de l’article 7 de la
déclaration de 1779. Mais si l’accident est arrivé en
pays lointain, sans que les chargeurs puissent donner
leurs ordres, ni par eux-mêmes, ni par leur commis
sionnaire, il n’est pas douteux que le capitaine, qui n’est
i Chartes parties, n° 6 8 ; Valin, art. 11, titre des Ch. parties.
�492
DROIT MARITIME.
pas moins le préposé des chargeurs que celui des arma*
leurs, ne doive veiller à la conservation de la marchan
dise, faire tout ce que les circonstances exigent pour le
mieux, et agir comme il est à présumer que les char
geurs agiraient s’ils étaient présents h
775.
— Cette opinion, partagée par les auteurs du
Code, a le mérite de fixer d’une manière bien précise le
caractère de l’obligation que l’article 296 fait au capi
taine de louer un autre navire, elle est dans l’intérêt ex
clusif des affréteurs, et dès lors on arrivait à cette con
séquence que, si cette location est à un prix plus élevé
que celui convenu d’abord, la différence est à la charge
de ceux-ci.
Une sentence de l’amirauté de Marseille, du 30 juillet
1748, mettait cette différence au compte du capitaine.
Cette doctrine était un des arguments que Valin invo
quait à l’appui de son avis ; il était naturel qu’Emérigon
critiquât cette sentence, et il se fondait, pour démontrer
qu’elle était erronée, sur l’article 9 de la déclaration de
1779.
Le doute que dissiperait à lui seul le caractère de
l’obligation se trouve plus expressément encore écarté
par l’article 393 du Code de commerce. En mettant
l’excédant du fret à la charge des assureurs de la mar
chandise, cette disposition indique par cela seul que cet
1 Des Assurances,
chap. 12, section 16, § 6.
�ART.
2 9 6 ET 2 9 7 .
495
excédant doit être supporté par les propriétaires de
celle-ci.
De ce que le capitaine louant un autre navire agit
surtout dans l’intérêt des affréteurs, de ce que surtout
ces derniers sont passibles de l’excédant du fret, il sem
blerait résulter qu’ils doivent profiter de la différence en
moins; il en est autrement cependant, on admet géné
ralement au contraire que cette différence est exclusive
ment acquise à l’armement.
L’arrivée des marchandises à leur destination rend le
fret convenu exigible. La preuve que le législateur a en
tendu que le capitaine rie rendit aucun compte des
moyens qu’il a employés pour atteindre à ce résultat
résulte de la prohibition absolue de toute diminution du
fret. Attribuer cette différence aux affréteurs, se serait
leur accorder cette diminution et violer l’article 309.
Le Tribunal de Marseille avait cru devoir juger le
contraire dans l’espèce suivante :
Le navire le Lafayelte avait chargé à Saint-Denis
(ile de la Réunion) à la consignation de divers à Mar
seille, 8133 balles de sucre au fret convenu de 100 fr.
et 10 0[0 de chapeau par tonneau de 1000 kilog. poids
brut.
Ce navire, parti de Saint-Denis, avait été obligé, par
fortune de mer, de rétrograder, et de relâcher à PortLouis (île Maurice). Là, à la suite des avaries qu’il avait
éprouvées, il fut déclaré innavigable. Conformément à
ses obligations, le capitaine avait affrété le navire le
Haumet à un prix inférieur à celui du fret du Lafayette.
�494
DROIT MARITIME.
Le Haumet étant heureusement arrivé à Marseille, et
les sucres dont il était porteur ayant été livrés aux di
vers consignataires, le capitaine du Lafayette les a fait
assigner en paiement du prix convenu à Saint-Denis.
Ceux-ci prétendaient ne devoir pour le voyage de Mau
rice à Marseille que le fret inférieur exigé par le capi
taine du Haumet, et leur prétention fut accueillie par le
tribunal de commerce.
Mais sur l’appel, la Cour d’Aix infirme et condamne
les consignataires à payer le fret sur le pied de 100 fr.
et 10 0[0 de chapeau par tonneau, comme il avait été
convenu à Saint-Denis.
L’arrêt, du 11 août 1859, décide que la fin ou l’objet
de l’obligation contractée par un capitaine est le trans
port de la marchandise, tandis que le navire n’est qu’un
moyen ; qu’il ne faut donc pas confondre le transport ou
soit le voyage de la marchandise avec le voyage du nanavire qui n’en est que l’instrument; que la distinction
entre le voyage de celle-ci et le voyage de celui-là s’in
duit de l’économie du droit maritime et notamment des
articles 233 et 296 du Code de commerce ; que le
voyage du navire finissant au lieu où il est déclaré inna
vigable, celui de la marchandise continue sur le second
navire loué à cet effet, et que s’il s’achève heureusement
le fret à payer par les réceptionnaires ne peut être que
celui convenu et arrêté au départ du premier navire.
A l’objection tirée de ce que si le fret du second na
vire est supérieur, les chargeurs sont tenus de la diffé-
�ART.
296
ET
297.
49S
rence en plus, l’arrêt répond que la réciprocité qu’on
voudrait en induire en faveur des chargeurs, en cas de
différence en moins, n’est ni juste ni légale; que le sur
croît du fret se produisant à la suite d’une fortune de
mer, n’est qu’une avarie dont le capitaine n’est pas res
ponsable ; que sans cette fortune de mer il n’aurait pas
eu besoin d’un second navire ; que si, dans la location
de celui-ci le capitaine a agi plus particulièrement dans
l’intérêt et comme mandataire des chargeurs, il n’en est
pas moins resté le mandataire de l’armement; qu’en
conséquence, en remplissant le devoir qui lui est imposé
au premier point de vue, il n’a pu mettre à la charge
de ses armateurs, une avarie particulière à la marchan
dise ; que d’ailleurs le fret inférieur du second navire
n’est ni un avantage légal pour le capitaine puisqu’il
reçoit seulement le fret convenu au moment du contrat,
ni un désavantage légal pour les chargeurs qui, eux
aussi, ne paient que le fret qu’ils avaient promis; que le
fret inférieur laisse intacte la convention, sur ce point,
à laquelle il s’ajoute comme une double prime aléatoire
soit pour les dangers courus par le capitaine dans la
fortune de mer en vue de sauver la marchandise, soit
pour l’encourager à achever le voyage de la marchandise
ce qui est l’intérêt vital du commerce.
De ces considérations l’arrêt induit que le fret primi
tif, des que la marchandise est, de quelque manière que
ce soit, rendue à destination, est invariablemeni dû au
capitaine, et constitue pour lui une créance stable, fixée
�496
DROIT MARITIME.
par ses accords avec les chargeurs et qu’aucune fortune
de mer ne saurait modifier h
En annotant cette décision, l’arrêtiste nous range au
nombe des partisans de l’opinion contraire. Mais c’est
là une erreur. Nous disons, il est vrai, que de ce que le
capitaine louant un nouveau navire agit principalement
dans l’intérêt des chargeurs ; de ce que surtout ceux-ci
sont tenus du surcroit du fret, il semblerait résulter
qu’ils doivent profiter de la différence en moins, nous
ne disons pas que cela soit ou devrait être ; nous indi
quons au contraire qu’il est généralement admis qu’il
n ’existe pas de réciprocité ; et nous ajoutons : l’arrivée
des marchandises à leur destination rend le fret conve
nu exigibte. La preuve que le législateur a entendu que
le capitaine ne rendît aucun compte des moyens qu’il a
employés pour atteindre à ce résultat, c’est la prohibi
tion absolue de toute diminution du fret. Attribuer la
différence en moins aux chargeurs ce serait leur accor
der une diminution hors des cas prévus et violer l’arti
cle 309.
Notre opinion n’a donc rien d’équivoque, elle est en
faveur du capitaine et contre les chargeurs; elle se jus
tifie, outre les considérations relevées par la Cour d’Àix,
par le résultat étrange auquel aboutit l’opinion contraire.
Un sinistre de mer est une cause de perte pour les inté
ressés au navire ou à la cargaison, on ne comprendrait
pas qu’il pût être pour ces derniers l’occasion d’un béi Journal de Marseille, 1859, 1 ,2 4 3 .
�ART.
296
ET
297.
497
néfice. N’est-ce pas pourtant ce qui se réaliserait en fa
veur des chargeurs si, recevant leurs marchandises, ils
étaient autorisés à payer un fret moindre que celui
qu’ils avaient promis, et cela uniquement parce que le
navire était devenu innavigable par fortune de mer?
Qu’on ne dise pas que l’armement, en recevant le fret
primitif, est exonéré des effets du sinistre. En effet, en
recevant ce fret, qui lui aurait été intégralement acquis
si le navire avait fait heureusement le voyage, le capi
taine est obligé de payer le fret dû au navire loué, il
perd donc jusqu’à concurrence et supporte ainsi sa part
du sinistre.
Nous estimons donc que la décision de la Cour d’Aix
est essentiellement juridique; qu’elle est seule conforme
aux principes de notre droit maritime.
Que doit-il en être des frais de déchargement et de
rechargement de la marchandise au lieu où le navire a
été déclaré innavigable? doivent-ils rester au compte des
chargeurs même dans le cas où le fret du nouveau na
vire est inférieur ou se compense avec la différence en
moins?
Celte question n’était pas soumise à la Cour d’Aix, il
parait, que dans cette espèce les chargeurs acceptaient
l’obligation de supporter ces frais.
Mais il n’en était pas de même dans l’espèce que le
tribunal de commerce de Nantes avait à juger dans les
circonstances suivantes :
Le navire Georges avait été affrété à Nantes pour un
voyage de la côte de Coromandel à Marseille, à raison
h — 32
�498
DROIT MARITIME,
de 117 fr.SOc. le tonneau. Parti de Cocanadah, il avait
essuyé une série de mauvais temps qui l’avaient con
traint de relâcher à Port-Maurice, où il avait été déclaré
innavigable et vendu.
La cargaison mise à terre avait été chargée sur la
Ville de Lima, que le capitaine avait loué, et qui l’avait
transportée à sa destination, au fret de 60 fr. le tonneau.
Actionnés en payement du fret de 117 fr. 50 et des
frais de déchargement et de rechargement, les consigna
taires de la marchandise reconnaissaient devoir le fret
sur ce pied, mais ils soutenaient que les frais de déchar
gement et de rechargement devaient rester au compte
de l’armateur en compensation de la différence en moins
dont il proûtait. Si le Georges était arrivé à bon port,
disaient-ils, nous n’aurions eu à payer que le fret de
117 fr. 50 c. ; or, puisque à l’égard de ce fret nous
sommes obligés comme nous l’aurions été dans celle
hypothèse, il est évident que le Georges censé arrivé pour
nous doit l’être pour le capitaine, et que nous n’avons
à lui payer que ce que nous aurions dù dans ce cas.
Mais l’article 393 met les frais de déchargement et
rechargement sur la même ligne que l’excédant du fret,
et si celui-ci est à la charge des réceptionnaires de la
cargaison comme avarie particulière à la marchandise,
comment pourrait-il en être autrement pour ceux-là,
qui ne sont également qu’une avarie de même nature?
Il est évident que la loi ne l’entend pas ainsi. L’ar
ticle 393 ouvrant au chargeur un recours contre l’as
sureur, exclut tout recours contre le capitaine. Or, com-
�ART.
296
et
297.
499
penser ces frais avec la différence en moins dont profite
celui-ci, serait accorder ce recours et méconnaître ex
pressément l’article 393 en mettant au compte du na
vire une avarie fortuite à laquelle il doit rester étranger.
C’est ce que juge le tribunal de commerce de Nantes,
en conséquence il déboute les chargeurs de leur préten
tion.
« Attendu, dit le jugement, que le capitaine d’un
navire déclaré innavigable peut demander un prorata
du fret, lorsqu’il ne trouve pas à louer un second na
vire ; qu’il peut demander un excédant de fret, dans le
cas où le fret du second affrètement, joint au prorata
du premier, excède le premier fret total ; que ce sont là
des droits établis en sa faveur; mais qu’il ne s’en suit
pas que lorsque le capitaine ne réclame ni prorata ni
excédant de fret, les consignataires de la cargaison puis
sent exiger que le capitaine leur rende compte du fret
qu’il paie en compensation de celui qu’il reçoit ;
« Que le capitaine reçoit, dans ce cas, tout le fret
convenu en vertu de la charte partie ; que s’il a été
obligé de décharger la cargaison et de remplacer un
navire innavigable par un autre bâtiment, il établit, en
en justifiant, qu’il a fait des frais pour le salut de la
marchandise, et il trouve, dans cette justification, le
titre d’une nouvelle créance ;
« Que s’il fait un bénéfice sur la différence des frets,
bénéfice atténué par les frais de nourriture et de salaires
pendant la relâche, et par ceux de rapatriement de l’é
quipage, l’arrêt de la Cour d’Aix admet que ce bénéfice
�800
DROIT MARITIME.
lui reste acquis comme une rémunération et une prime,
ce qui explique et légitime un bénéfice variable suivant
les éventualités et indépendant des charges qui seraient
exceptionnelles, parce qu’elles ne concernent que la
marchandise d’après leur nature et d’après la lo il. »
Nous estimons celte décision fort juridique. Comme
nous venons de le dire, l’article 393, met les frais de
déchargement et de rechargement sur la même ligne que
le surcroît de fret, et si celui ci reste à la charge des
réceptionnaires comme avarie particulière à la mar
chandise, comment pourrait-on mettre, même indirecte
ment, à la charge de l’armement, ceux-là qui ne consti
tuent également qu’une avarie de même nature?
Loin de l’autoriser, la loi le défend : l’article 393
n’ouvre de recours, en ce cas, que contre les assureurs.
Il exclut donc toute recherche à raison de ces frais con
tre le capitaine ou l’armement; dès lors, compenser ces
frais avec la différence en moins qui peut se présenter
sur le fret, ce serait méconnaître et violer cet article.
Le capitaine ne peut pas être tenu de placer les con
signataires dans la même situation que si le navire qui
a péri était heureusement arrivé à destination par l’ex
cellente raison qu’il* n’est pas lui-même dans cette situa
tion. S’il reçoit en entier le fret convenu pour le pre
mier navire, il doit payer celui dû au second, ce qu’il
n’aurait évidemment pas eu à faire s’il n’avait pas été
dans la nécessité de louer celui-ci, la différence en moins
�I
ART.
296
et
297.
SOI
qu’il retient peut bien atténuer la perte qu’il éprouve,
mais ne la fait pas disparaître entièrement.
774. — L’obligation de louer un autre navire ne
cède que devant l’impossibilité de s’en procurer'un. Celte
supposition n’est pas évidemment trop hasardée, le na
vire pouvant, après le sinistre, être poussé dans un lieu
peu fréquenté ou manquant de navires disponibles pour
la destination exigée.
La règle souffre une autre exception, par exemple, si
l’affréteur, par lui ou par son commissionnaire, refusait
d’accepter le navire offert par le capitaine en remplace
ment.
De même que le capitaine n’échapperait à l’action en
indemnité delà part des affréteurs qu’en prouvant que
l’impossibilité qu’il assigne a été réelle et positive, de
même l’affréteur ne pourrait se soustraire au payement
de l’entier fret qu’en justifiant que'son refus est fondé.
Il ne peut, en effet, dépendre de l’affréteur d’empêcher
capricieusement la continuation et l’exécution du voyage.
775. — Dans le cas d’impossibilité réelle ou de refus
fondé, le voyage est rompu définitivement au lieu où se
trouvent les marchandises. Aussi le capitaine n’a à rece
voir et l’affréteur à payer que le fret proportionné à la
durée du voyage; ce qui rend ce fret exigible, c’est que
l’affréteur a réellement profité du trajet parcouru, soit
qu’il vende les marchandises sur les lieux où elles se
trouvent, soit qu’il les dirige ailleurs.
�h02
DROIT MARITIME.
776.
— Cet effet peut ne pas se produire lorsque l’af
frètement est relatif à des passagers; pour eux le trajet
parcouru peut n’être d’aucune utilité. Aussi, ne sont-ils
tenus du fret, même proportionnel, que s’il est justifié
que ce parcours leur a profité.
Ainsi, la Cour de Paris a jugé, le 10 février 1830,
que lorsque le navire affrété a fait naufrage à une hau
teur encore éloignée du lieu de destination, et que les
passagers, pour le transport desquels il avait été affrété,
ont été obligés, par suite de l’impossibilité de radoub,
de revenir au lieu du départ, le fret ne doit pas être ré
puté dû jusqu’au lieu du naufrage.
De son côté, le tribunal de commerce de Marseille a
appliqué le même principe en jugeant, le 4 juillet 1831,
que l’obligation souscrite pour prix de passage à bord
d’un navire est conditionnelle, c’est-à-dire subordonnée
à l’arrivée du navire au lieu de la destination.
Qu’en conséquence, le prix total du passage cesse
d’être dû si le navire naufrage dans la traversée et si le
trajet parcouru avant le naufrage n’est d’aucun avan
tage pour le passagerx.
Or, l’absence de tout avantage résulterait évidemment
de ce que le passager a été obligé de payer son passage
à bord d’un autre navire. Cependant, s’il existait entre
le prix payé à celui-ci et le fret convenu avec le navire
naufragé une différence en moins, cette différence pour
rait être acquise à ce dernier, le passager a réellement
*
i Journal de Marseille , t. 1 2 .4 , 165.
�ART.
296
ET
297.
803
profité du voyage jusqu’à concurrence au moins de cette
différence.
777.
— L’article 296 dispose dans l’hypothèse d’un
radoub nécessité par une force majeure survenue pen
dant le voyage, lin conséquence, l’affréteur contre qui
on en demande l’application ne peut s’y soustraire qu’en
prouvant l’absence de celte force majeure, ou tout au
moins en établissant qu’elle n’a pas été la cause exclu
sive du sinistre. Celle dernière preuve résulterait com
plètement de celle que le navire était hors d’étal de na
viguer avant son départ ; ce fait acquis, non-seulement
l’affréteur ne serait pas obligé d’attendre, mais il pour
rait et devrait en outre obtenir la réparation du préju
dice que pourrait lui occasionner l’innavigabilité du na
vire.
Le caractère exceptionnel de l’article 297 ne permet
pas de l’appliquer autrement que dans la limite qu’il
trace. Ce que l’affréteur devra prouver, c’est que le na
vire était hors d’état de naviguer au moment où il a mis
à la voile.
Il ne suffirait donc pas d’établir qu’il n’aurait pas
reçu toutes les réparations dout il pouvait être suscepti
ble. Il est telles réparations qui peuvent se remettre sans
dangers; d’autres peuvent échapper de bonne foi à l’at
tention du capitaine. Or, si l’article 297 ne se préoccupe
pas de la bonne foi, c’est que le fait qu’il prévoit l’ex
clut d’une manière absolue ; le capitaine peut se trom
per sur l’importance d’une réparation, il ne pourrait
�504
DROIT MARITIME.
même alléguer avoir ignoré que son navire était hors
d’état de naviguer. On ne saurait donc assimiler les
deux hypothèses et attribuer à l’une les effets qu’on fait
produire à l’autre.
778.
— La faculté de prouver l’innavigabilité du na
vire avant le départ soulevait forcément la question de
savoir si son exercice devait être reçu outre et contre le
certificat de visite; ce n’est pas sans opposition que l’af
firmative a été consacrée par le Code.
On soutenait, en effet, qu’il était impossible d’ad
mettre une preuve orale contre une pièce émanée de dé
légués de l’autorité publique; que, dans tous les cas,
on devait en réduire la recevabilité à l’hypothèse où elle
tendrait à constater l’existence de vices cachés ayant pu
échapper à l’attention des visiteurs ; on faisait remarquer
que cette restriction était enseignée par Valin.
Mais on répondait que puisque la visite ne pouvait
être qu’extérieure, on ne devait lui accorder qu’une foi
relative ; qu’il fallait surtout se garder contre des répa
rations combinées pour donner au navire une apparence
trompeuse, et de nature à faire illusion aux visiteurs;
que dans tous les cas, et de quelque manière que ceuxci se fussent trompés, l’erreur ne doit jamais prévaloir
sur l’évidence.
La recevabilité de la preuve outre et contre les certi- .
ficats de visite fut donc admise. Reste son admissibilité,
pour laquelle la loi s’en réfère à la prudence des tribu-
�ART. 2 9 6 ET 2 9 7 .
SOS
naux; elle est entièrement subordonnée à la gravité et à
la pertinence des faits allégués.
779.
— L’article 297 oblige le capitaine à indem
niser l’affréteur du retard occasionné par le radoub ré
sultant de ce que le navire était hors d’état de naviguer
avant le départ, il le condamne, en outre, à perdre le
fret. Cette condamnation est encourue par le fait seul du
retard, le bénéfice en est acquis à l’affréteur, alors même
que le navire et le chargement arriveraient à la destina
tion.
La Cour de Bourbon l’ayant ainsi décidé, son arrêt
fut déféré à la Cour suprême; on en sollicitait la cassa
tion, comme appliquant faussement l’article 297.
Cet article, disait-on, combiné avec l’article 296, ne
veut pas que le capitaine perde son fret par cela seul
que, lorsque le navire a fait voile, il était hors d'état de
naviguer. L’affréteur ne peut se dispenser de payer le
fret qu’autant que l’état du navire a fait éclater un si
nistre ou n’a pas permis d’achever le voyage. Dans ce
dernier cas, le fret est dû à proportion de ce que le
voyage est avancé. Or, en fait, il y a eu relâche forcée
pour le radoub du navire, l’affréteur doit, aux termes de
l’article 296‘; supporter le retard qui en résulte. Il aura
sans doute une action en dommages-intérêts contre le
capitaine, si c’est par son fait personnel que le navire
est endommagé, mais il ne peut se sonstraire au paye
ment du fret, soit proportionnel soit intégral, si le voyage
s’est achevé.
�806
DROIT MARITIME.
Ce système aboutissait à ne considérer l’article 297
que comme une superfluité; à quoi bon, en effet, sa
disposition, si le fait qu’elle prévoit doit être réglé par
les articles 295 et 296? Aussi fut-il écarté par la Cour
régulatrice. La loi, dit l’arrêt de rejet, distingue trois
sortes de dommages : 1° celui qui provient de la faute
du capitaine ; 2° celui qui provient de la force majeure ;
3" celui qui provient du mauvais état du navire avant le
départ. Les deux premiers seuls sont réglés par les arti
cles 295 et 296. Le troisième est taxativement soumis à
l’article 298. En conséquence, quel que soit l’événement
du voyage, le fret est perdu dès qu’il y a eu retard pro
venant du vice du navire l.
Cet arrêt fait une judicieuse application du texte et
de l’esprit de la loi. Le capitaine qui part avec un na
vire hors d’état de naviguer, qui est parvenu à dissimu
ler cet état aux visiteurs, commet non-seulement une
faute, mais un crime en quelque sorte; il expose nonseulement sa cargaison, mais encore la vie de l’équipage
et des passagers, il doit donc être sévèrement puni, et il
est juste que la peine atteigne l’armement qui s’est ainsi
exonéré de la dépense que la mise en état aurait occa
sionnée. La perte du fret, dès qu’il y a eu seulement
retard dans le voyage atteignant ce double résultat, les
tribunaux ne doivent pas hésiter à la consacrer.
�ART.
298, 299
ET
A r tic le
298.
300.
507
Le fret est dû pour les marchandises que le capitaine
a été contraint de vendre pour subvenir aux victuailles,
radoub et autres nécessités pressantes du navire, en te
nant par lui compte de leur valeur, au prix que le
reste ou autre pareille marchandise de même qualité
sera vendu au lieu de la décharge, si le navire arrive à
bon port.
Si le navire a péri, le capitaine tiendra compte des
marchandises sur le pied qu’il les aura vendues, en re
tenant également le fret porté aux connaissements, sauf,
dans ces deux cas, le droit réservé aux propriétaires de
navire par le paragraphe 2 de l’article 216.
Lorsque, de l’exercice de ce droit, résultera une perte
pour ceux dont les marchandises auront été vendues ou
mises en gage, elle sera répartie au marc le franc sur
la valeur de ces marchandises et de toutes celles qui
sont arrivées à leur destination, ou qui ont été sauvées
du naufrage, postérieurement aux événements de mer
qui ont nécessité la vente ou la mise en gage.
A r tic le
299.
%
S’il arrive interdiction de commerce avec le pays pour
lequel le navire est en route, et qu’il soit obligé de reve-
�5 08
DROIT
MARITIME.
nir avec son chargement, il n’est dû au capitaine que le
fret de l’aller, quoique le vaisseau ait été affrété pour
l’aller et le retour.
A r t ic l e
300.
Si le vaisseau est arrêté dans le cours de sou voyage
par l’ordre d’une puissance, il n’est dû aucun fret pour
le temps de sa détention, si le navire est affrété au mois;
ni augmentation de fret, s’il est loué au voyage.
La nourriture et les loyers de l’équipage pendant la
détention du navire, sont réputés avaries.
S OMMA I R E
780. Le fret est dû pour les marchandises vendues ou engagées
pour subvenir aux nécessités du navire.
781. Comment le capitaine doit en payer la valeur. Controverse
que le silence de l ’ordonnance sur l’hypothèse d’un nau
frage postérieur avait fait naître.
782. Comment elle a été tranchée par le Code.
783. Dans tous les cas, c’est le fret entier qui doit être payé.
784. Quid, si la marchandise a été vendue pour cause d’avarie.
785. Addition que la loi du 15 juin 1841 a faite à l’article 298.
Comment se règle la perte, en cas d’abandon.
786. Exception à l’obligation de payer le fret de retour, dans le
cas d'interdiction de commerce. Conséquences.
787. Proposition de la Cour d’Ajaccio, de réduire à moitié le fret
d’aller, lorsque le navire n’est frété que pour ce voyage.
788. Le fret de retour serait dû si, de concert avec le mandataire
de l’affréteur , le capitaine avait débarqué dans un pays
voisin et était revenu avec un autre chargement.
�art.
298, 299
et
300.
509
789. Effets de l ’arrêt du prince sur le paiement dn fret.
790. Comment se règlent la nourriture et les loyers de l’équipage.
791. Quid, dans le cas où le navire s’est volontairement arrêté
dans la crainte de l’ennemi.
780.
— L’arrivée des marchandises au lieu de leur
destination rend le fret exigible, sauf le droit de l’affré
teur dans les cas prévus par les articles 295 et 297. Le
transport ayant été opéré et le voyage accompli, l’affré
teur recevant ses marchandises doit payer le prix de l’un
et de l’autre.
Toutefois, le capitaine a pu être contraint, par les né
cessités du voyage, à user de la faculté qu’il a de ven
dre ou engager une certaine quantité de marchandises.
En fait, débarquées au lieu de la vente ou de la mise
en gage, ces marchandises n’ont pas accompli le voyage.
Fallait-il les soumettre à payer l’entier fret, ou n’exiger
à leur endroit qu’un fret proportionnel ?
Le législateur s’est prononcé dans le premier sens,
dont l’admission était d’ailleurs la conséquence de l’obli
gation imposée au capitaine. L’affréteur est payé de la
marchandise engagée ou vendue suivant sa valeur au
lieu de la destination, au jour de l’arrivée du navire.
Donc, le législateur considère celte marchandise comme
réellement arrivée, malgré que le capitaine en ait disposé
pendant le voyage.
781.
— Ainsi, si après événements de mer qui ont
nécessité la vente ou la mise en gage, le navire arrive à
bon port à sa destination, le fret est dû en entier pour
�510
DROIT
MARITIME.
les marchandises vendues ou engagées. En échange,
l’affréteur en reçoit la valeur, tout comme si elles avaient
achevé le voyage, il retire donc tout le profit de son opé
ration, il est juste qu’il en supporte les charges.
L’hypothèse d’un naufrage postérieur à la vente ou
mise en gage des marchandises n’avait été ni prévue, ni
réglée par l’ordonnance de 1681. De là avait surgi une
controverse sur la question de savoir si l’affréteur devait
en être payé, et si le fret était ou non perdu.
Valin et Pothier estimaient que l’affréteur avait le
droit d’exiger le payement de la partie vendue ou enga
gée, en en supportant le fret. Ils considéraient celte
partie comme désormais soustraite aux risques de la na
vigation, et ne voyaient pas dans le naufrage arrivé pos
térieurement un fait de nature à dispenser l’armement
de payer une dette certaine, pas plus que si le capitaine
au lieu de vendre les marchandises avait emprunté par
les voies ordinaires.
Emérigon ne contestait pas l’existence de la dette, mais
assimilant l’emprunt fait aux marchandises à un em
prunt fait à la grosse, il déclarait l’affréteur responsable
du sinistre.
782.
— C’est l’avis d’Emérigon que la commission
avait cru devoir adopter. Si la vente n’avait pas eu lieu,
disait-elle, la marchandise serait perdue, et le chargeur
n’aurait aucun recours contre l’armement. Ce serait
donc injustement faire tourner contre celui-ci une cir
constance qui n’a pu influer sur le sort de la marchan-
�ART. 2 9 8 , 2 9 9 ET 3 0 0 .
511
dise, et augmenter sa perte, parce que le hasard a fait
que cette marchandise, qui eût été perdue, a été vendue
pour servir aux réparations d’un navire qui est égale
ment perdu.
Mais le conseil d’Etat, sur la proposilion de la section
de l’intérieur, se prononça pour l’opinion contraire, ses
motifs furent qu’il paraissait équitable d’admettre que
les marchandises vendues pour subvenir aux besoins du
navire constituaient un titre de créance en faveur de
leur propriétaire; que, dès-lors, elles avaient cessé d’être
en risque; que le capitaine et le propriétaire du navire,
qui étaient chargés de pourvoir à ses besoins, avaient
contracté une dette individuelle, en appliquant les mar
chandises à l'accomplissement de leur devoir personnel ;
qu’en pareille circonstance, un contrat à la grosse ne
saurait, par sa spécialité, être présumé ni supposé ; qu’il
serait étrange de vouloir considérer comme perdues les
marchandises vendues avant le sinistre, tandis qu’elles
auraient pu être sauvées dans la circonstance même du
naufrage; qu’enün le propriétaire de ces marchandises,
si elles ne lui étaient pas payées par le capitaine, se trou
verait dépouillé sans pouvoir exercer aucun recours con
tre les assureurs, qui ne seraient pas tenus au rembour
sement, puisqu’il n’y aurait pas eu d’objets de risques
à bord du bâtiment naufragé.
783.
— Puisque les marchandises n’étaient plus en
risque, à partir de la vente, il est évident que leur va
leur ne pouvait être réglée qu’à ce moment même. C’est
�512
DROIT MARITIME.
ce que consacre le Code, en ne soumettant le capitaine
qu’à rendre compte des marchandises sur le pied qu’il
les a vendues. Mais notre législateur n’a pas cru devoir
tirer de ce principe la conséquence qu’en déduisaient
Valin et Pothier, à savoir, que l’affréteur ne devait le
fret que jusqu’au lieu de la vente ou de la mise en gage.
L’article 298 le soumet à payer le fret tel qu’il est
porté aux connaissements. Le chargeur qui réclame le
prix de la marchandise vendue, et qui échappe ainsi aux
effets du naufrage, se place dans l’hypothèse de celui
qui aurait retiré sa marchandise pendant le cours du
voyage. On devrait donc lui appliquer la règle que trace
l’article 293.
784.
— Ainsi tout ce qui résulte de la perte ulté
rieure du navire est une différence dans la valeur des
marchandises à restituer par l’armement. Dans tous les
cas, le fret entier est dû. Qu’en serait-il dans l’hypothèse
où les marchandises n’auraient été vendues que parce
que les avaries par elles souffertes en faisaient craindre
la déperdition totale?
L’article 293 semble résoudre cette question. En effet,
la vente étant alors dans l’intérêt exclusif du chargeur,
il y a eu de sa part retirement volontaire, et comme il
s’opère pendant le voyage, le fret entier est devenu exi
gible.
Mais on a contesté ce caractère lorsque l’avarie étant
la suite de l’événement qui impose la nécessité de radou
ber le navire, la vente des marchandises n’est pas moins
�ART.
298, 299 ET 300.
515
forcée que le radoub. Or, comme cet événement consti
tue une force majeure, on a conclu que le fret ne devait
être payé qu’à proportion de ce que le voyage a duré.
Il n’y a pas là, a-t-on dit, le retirement volontaire dont
s’occupe l’article 293.
Ce système est plus spécieux que juste. Sans doute,
dans l’hypothèse, le retirement et la vente des marchan
dises ont pour cause la dégradation qu’elles ont subies,
mais elles n’ont pour but que de sauvegarder les inté
rêts du chargeur et pour lui sauver la perte à laquelle
il serait exposé si on prolongeait leur transport.
Le capitaine n’a donc agi, dans l’un et dans l’autre,
qu’en qualité de mandataire du chargeur et non dans
l’intérêt de l’armement. On doit dès lors décider comme
on le ferait si l’affréteur avait réellement retiré et vendu
sa marchandise. L’intérêt évident qu’il trouve dans cette
mesure ne peut autoriser un dommage à au tru il.
Le système contraire, consacré par la Cour de Ren
nes, le 19 août 18392, violerait donc cette règle d’équité
et de justice. Il aboutirait à ce singulier résulat : si les
marchandises, quoique avariées, ont été transportées
à destination, le fret entier est dû, alors même qu’elles
n’auraient plus aucune valeur; si, pour éviter cette dé
plorable conséquence, la marchandise a été vendue au
lieu de la relâche, le capitaine ne pourrait exiger que le
fret proportionnel. Qu’on nous permette de le dire, ce
1 Bordeaux, 30 novembre 4848 ; D. P. 49, 2, 238.
a J. du P ., 4839, 2, 634.
n — 33
�514
DROIT MARITIME.
serait là placer le capitaine dans une alternative bien
perplexe. Comme mandataire du chargeur, il devrait
vendre, comme mandataire de l’armement, il devrait
bien s’en garder, sous peine de lui faire perdre une par
tie du fret, alors que le navire, devant se diriger vers le
port du reste, aurait à faire, après la vente, les mêmes
dépenses que si elles n’avaient pas eu lieu.
Auquel de ces deux devoirs aura-t-il à obéir? Une
aussi étrange complication n’a pu être dans l’intention
de la loi. Le système que nous soutenons, et qui la pré
vient d’une manière absolue par l’application de l’article
293, semble donc plus juridique.
. .
Un second arrêt delà même Cour a de nouveau jugé
comme l'avait fait celui de 1839, et ce second arrêt a
été confirmé par la Cour de cassation, le 2 mai 1843 1.
Mais deux circonstances de fait enlèvent tout carac
tère doctrinal à cette double décision.
La Cour de Rennes constatait 1° que le capitaine
ayant consacré le produit de la vente aux réparations
du navire, celte vente avait tourné au bénéfice de l’ar
mement, ainsi dispensé d’emprunter à la grosse pour
satisfaire à ces réparations et de supporter les intérêts ;
2° Que le capitaine avait embarqué d’autres marchan
dises remplaçant en partie celles qui avaient été vendues,
et qu’il en avait retiré le fret; elle concluait donc que
la demande en payement du fret entier ne pouvait être
admise.
�ART.
298, 299
et
300.
S I5
Or, ces circonslances de fait, que la Cour de Rennes
n’admettait qu’à fortiori, parurent décisives à la Cour
de cassation. Aussi est-ce sur leur existence et sur leur
appréciation que se fonde exclusivement l’arrêt de rejet.
785.
— La loi du 15 juin 1841 a ajouté à l’article
298 la troisième disposition autorisant le propriétaire du
navire à se libérer de l’obligation de restituer la valeur
des marchandises vendues ou engagées par l’abandon
du navire et du fret, et réglant les effets de cet abandon
entre les divers affréteurs.
Ces effets, lorsqu’ils entraînent une perte pour le
propriétaire des marchandises vendues, constituent une
avarie commune pour le chargement. Celte avarie doit
être proportionnellement répartie au marc le franc de la
valeur des objets vendus et de ceux arrivés à destina
tion, ou sauvés du naufrage survenu après la réparation
du navire. Cette disposition se fonde sur ce que le char
gement entier a réellement profité de la vente qui, par
l’affectation du prix à la mise en état du navire, a per
mis d’achever ou d’avancer le voyage.
De là cette conséquence que les chargeurs, dont les
marchandises ont été débarquées avant la relâche ou
qui sont à destination du lieu où les événements de mer
ont amené ce navire, ne sauraient être tenus de con
tribuer à la perte. Pour eux, le voyage étant accompli,
le radoub n’était d’aucun intérêt. N’étant pas appelé à
en profiter, ils ne sauraient en subir les charges.
Lorsqu’il y a lieu à répartition, la valeur des m ar-
�816
DROIT
MARITIME.
chandises vendues et de celles qui restent se calcule sur
leur prix au moment et au lieu de la décharge, si le
navire arrive à bon port.
Dans le cas de naufrage, les marchandises vendues
contribuent pour le prix auquel elles l’ont été. Les effets
sauvés pour leur valeur, au moment et au lieu du nau
frage et eu égard aux avaries qu’ils peuvent avoir éprouvé.
Les faire contribuer d’après le prix qu’ils pourraient
valoir au lieu du reste, ou abstraction faite des avaries,
ce serait s’exposer à en faire absorber le produit entier
par la portion que prendrait le propriétaire des mar
chandises vendues.
L’article 298 ne met aucune différence entre la vente
et la mise en gage des marchandises. Mais il est évident,
dans ce dernier cas, que si le navire a fait naufrage, le
capitaine, en tenant compte de la valeur reçue, doit en
même temps restituer le billet de gage.
À plus forte raison cette restitution devrait-elle être
opérée dans l’hypothèse d’abandon du navire et du fret.
Elle est alors non-seulement dans l’intérêt du proprié
taire, mais encore dans celui des chargeurs tenus de
contribuer à la perte. Le chiffre de celle-ci se réduirait
à ce qu’il en coûterait pour racheter la marchandise,
et qui se répartirait dans les proportions réglées par l’ar
ticle 298.
786.
— Le capitaine frété pour l’aller et le retour
est payé de l’un et de l’autre, alors même qu’il rappor
terait le même chargement, s’il n’a pu le vendre au lieu
�a rt
.
298, 299
et
300.
517
de destination, ou si la marchandise n’est pas admise
par suite d’une prohibition K
Dans ces hypothèses, les résultats du voyage sont plu
tôt imputables à l’affréteur qu’à une force majeure. Nul
autre que lui n’est tenu de la mévente; et quant à la
prohibition de tel ou tel article, elle doit entrer dans
les prévisions de l’affréteur et constitue une de ces chan
ces qu’il a pu éviter.
Il n’en est plus de même si l’obstacle qui a contraint
le retour du chargement est général et absolu. Tel est le
caractère de l’interdiction de commerce s’appliquant à
tous les navires et à toutes les marchandises. Il y a alors
force majeure à laquelle chaque partie doit contribuer.
La part afférente à l’armement se compose du fret que
le navire aurait gagné au retour, et que l’article 899
lui interdit de réclamer.
Mais le fret d’aller est acquis, quel que soit le point
d’où le capitaine aura effectué le retour. On comprend
en effet que le capitaine rétrogradera à la première nou
velle de l’interdiction de commerce. On ne pouvait en
effet exiger de lui qu’il continuât un voyage dont l’ac
complissement est désormais impossible.
787.
— L’article 299 est à fortiori, applicable au
cas où le navire n’est frété que pour le voyage d’aller.
La Cour d’Ajaccio demandait que dans cette hypothèse
on réduisit les droits du capitaine au demi-fret ; puis-
�0
18
DROIT MARITIME.
qu’on ne lui donne que la moitié du fret convenu, di
sait-elle, dans le cas où le navire a été affrété pour l’al
ler et le retour, il faut établir la même proportion lors
que l’affrètement n’a été fait que pour l’aller.
Mais la Cour d’Ajaccio perdait de vue que, dans cette
dernière hypothèse, le navire n’en faisait pas moins son
retour avec le chargement, et que, comme dans la pre
mière, ce retour s’opérait à ses frais. La convention ellemême ne permettait aucun doute. Réduire en cet état le
fret d’aller, c’était par trop aggraver la part de l’armemeîit dans la force majeure.
Aussi la proposition fut-elle écartée. Dans tous les
cas, le capitaine qui revient avec le même chargement,
par suite d’une interdiction de commerce, ne peut ré
clamer que le fret d’aller. Si l’article ne s’explique que
dans i’hypothèse d’un affrètement pour l’aller et le re
tour, c’est parce que le doute ne pouvait naître qu’alors,
l’affréteur qui n’a traité que pour l’aller n’étant et ne
pouvant être tenu à autre chose.
Nous avons déjà eu occasion de nous expliquer sur le
caractère que doit offrir l’interdiction de commerce.
Nous renvoyons donc à nos observations sur l’article
276, qui reçoivent ici leur entière application.
788.
— L’article 299 ne permet pas au capitaine,
dans le cas d’interdiction de commerce avec le pays
pour lequel le navire est expédié, de se rendre dans un
pays voisin et d’y opérer le déchargement. L’affréteur
pourrait même se refuser de payer le fret de retour de
�ART. 298, 299 et 500.
la cargaison qu’il y aurait prise pour son compte. Mais
il est évident que ce refus ne saurait être consacré, si
l’acte du capitaine avait été autorisé ou ordonné par
l’affréteur ou par son mandataire.
Ainsi la Cour de cassation a jugé, le 10 décembre
1818, que l’article 299 est inapplicable et que le fret de
retour doit être payé par l’affréteur dans le cas où le ca
pitaine, de concert avec le correspondant chargé de re
cevoir la marchandise en consignation, a, par suite de
l’interdiction de commerce, conduit et vendu le charge
ment dans un pays voisin et est revenu avec un autre
chargement.
789.
— Nous avons déjà examiné la différence qui
sépare l’interdiction de commerce et l’arrêt du prince.
Le caractère temporaire de celui-ci n’a pas permis de le
considérer comme un motif de résiliation de la chartepartie l.
Le législateur qui en a réglé les effets à l’endroit des
loyers de l’équipage et relativement à la charte partie,
détermine dans l’article 300 l’influence qu’il doit exer
cer sur le payement du fret.
L’arrêt du prince constituant une force majeure ne
saurait nuire ni profiter à aucune des parties, chacune
d’elles doit en supporter les conséquences. Dès-lors, le
temps de la détention ne compte pas dans le calcul du
fret, si celui-ci est stipulé au mois. S’il est stipulé au
i Art. 377,
Code de commerce
.
�820
DROIT MARITIME.
voyage, il ne reçoit aucune augmentation, quelle que
soit la prolongation que cette détention fait subir au
voyage.
790.
— Mais, pendant ce temps, il faut pourvoir à
la nourriture et aux loyers de l’équipage, et cette dé
pense ne laisse pas que d’avoir son importance. Consi
dérée seulement comme avarie par l’ordonnance, Valin
n’hésitait pas à la déclarer avarie commune, et à ensei
gner que la part pour laquelle le chargement devait
contribuer était pour l'armement le juste équivalent de
la prohibition de toute augmentation du fret.
Cette interprétation trouvait une énergique contradic
tion dans l’article 7, titre des avaries, qui ne considé
rait la nourriture, et les loyers des matelots comme avarie
grosse, que si le navire était affrété au mois.
Le projet du Code, en s’appropriant les deux dispo
sitions de l’ordonnance, laissait donc subsister cette
espèce de contradiction, née de l’opinion de Valin. Les
tribunaux de commerce de Bordeaux et de Paimpol de
mandèrent, pour y échapper, que l’article 300 fixât le
caractère de l’avarie et la déclarât commune. L’arrêt du
prince, disaient-ils, étant un cas fortuit, qui est hors du
contrat d’affrètement, doit nécessairement être supporté
par la cargaison et par le navire.
La commission partageait cet avis, car, dans l’article
318 du projet, elle avait classé dans les avaries commu
nes la nourriture et les loyers de l’équipage sans distinc
tion du mode de l’affrètement, mais de la combinaison
�ART.
298, 299
et
300.
521
des articles 300 et 400, on voit que cet avis fut repoussé
par le conseil d’Etat.
L’affrètement au voyage est à vrai dire un contrat
aléatoire, le fréteur profitera de la chance heureuse,
abrégeant plus ou moins la durée du voyage. Il doit
donc subir la chance contraire, même lorsqu’elle résul
tera de l’arrêt du prince. Cette circonstance n’est pas
tellement extraordinaire, qu’on ne puisse, qu’on ne doive
la faire enlrer dans les prévisions du contrat. La dé
pense qu’elle occasionne est donc une avarie particulière
à l’armement.
Le même motif n’existant plus dans l’affrètement au
mois, la nourriture et les loyers de l’équipage pendant
la durée de la détention deviennent avaries communes.
791.
— Emérigon assimilait à l’arrêt du prince la
résolution prise de s’arrêter volontairement par la crainte
qu’inspire le voisinage de l’ennemi. Il raconte qu’ayant
été arbitre avec M. Bret, dans une difficulté de ce genre,
ils avaient rendu line sentence, confirmée par arrêt du
30 juin 1760, par laquelle ils avaient décidé : 1° que
les salaires de l’équipage engagé au mois devaient être
réduits à la demie pendant le séjour forcé; 2° que cette
demie des salaires et l’entière nourriture pendant tout ce
temps devaient enlrer en avaries grosses L
Cette solution devrait être suivie sous l’empire du Co1 Des Assurances, chap. 12, section 34, § 1.
�322
DROIT MARITIME.
de. Elle rentre expressément dans les cas prévus par le
dernier paragraphe de l’article 400. L’avarie est donc
commune.
A r t ic l e
304.
Le capitaine est payé du fret des marchandises jetées
à la mer pour le salut commun, à la charge de contri
bution.
A r t ic l e
302.
Il n’est dû aucun fret pour les marchandises perdues
par naufrage ou échouement, pillées par des pirates ou
prises par des ennemis. Le capitaine est tenu de resti
tuer ce qui lui aura été avancé, s’il n’y a convefltion
contraire.
A r t ic l e
303.
Si le navire et les marchandises sont rachetés, ou si
les marchandises sont sauvées du naufrage, le capitaine
est payé du fret jusqu’au lieu de la prise ou du nau
frage.
Il est payé du fret entier, en contribuant au rachat,
s’il conduit les marchandises au lieu de leur destination,
�art .
301, 302, 305
A r t ic l e
et
304.
325
304.
La contribution pour le rachat se fait sur le prixcourant des marchandises au lieu de leur décharge, dé
duction faite des frais, et sur la moitié du navire et du
fret.
Les loyers des matelots n’entrent point en contribution.
SOMMAIRE
792. Le fret est dû pour les marchandises jetées à la mer pour le
salut ommun. Comment il est réglé.
793. QuicL, si après la perte du navire , les marchandises jetées
sont retrouvées.
794. Il n’est dû aucun fret pour les marchandises perdues par
naufrage, pillées par des pirates , ou prises par l ’ennemi.
Caractère de cette disposition.
795. Caractère quant à la restitution du fret déjà payé.
795bis. Peut-on cumuler l’avance avec le fret proportionnel?
795ter. Position que l’imputation des avaries sur le fret propor
tionnel fait aux assureurs.
795quatuor. L’avance sujette à restitution peut - elle être l’objet
d’une assurance. En faveur de qui ?
795quint°. Doit-elle être comprise dans le délaissement?
795sexto. Effet du sinistre sur le fret des voyages d’aller et de
retour. Faculté de stipuler qu’il n’en sera dû aucun pour
l ’aller. Conséquences.
7 9 5 soptimo. Peut-on contraindre l ’affréteur de compléter le chiffre
des avances stipulé après la réalisation du sinistre?
796. — Quant aux marchandises sauvées. Droit du capitaine de
les conduire à leur destination,
�824
DROIT MARITIME.
797. A quelle époque l ’affréteur e s t - il libéré du fret, en cas de
pillage ou de prise ?
798. Conséquence de l’invalidité de la prise déclarée par l’auto
rité compétente.
799. Effet du rachat. Obligation qui en résulte pour le capitaine
d’accomplir le voyage.
800. Devoirs du capitaine dans le traité. Forme de celui-ci.
801. Droit de celui qui reprend le navire capturé.
802. Celui qui, après le rachat, a pris le capteur, peut-il se faire
payer le billet de rançon ?
803. Effets de la perte ultérieure du navire rançonné sur le billet
de rançon.
804. Sur quoi et comment se répartit le paiement du rachat ?
792.
— En règle générale, le fret n’est que le prix
du transport de la marchandise d’un lieu dans un autre.
Aucun doute ne pouvait donc naître sur son exigibilité,
lorsque ce transport a été exécuté et que les marchandi
ses sont arrivées à destination.
Il était néanmoins prudent, dans une matière aussi
chanceuse, d’établir des règles pour la double éventua
lité qu’il était facile de prévoir, à savoir, une arrivée
tardive, le défaut d’arrivée. Nous avons vu comment les
articles précédents règlent les effets du retard suivant les
causes qui en ont été l’origine.
Quant au défaut d’arrivée, les articles 291 ,2 9 2 , 293
en déterminent les conséquences lorsqu’il est imputable
à l’affréteur personnellement, soit qu’il n’ait pas chargé
contrairement à ses obligations, soit qu’il ait retiré ses
marchandises avant le départ ou pendant le voyage.
�art .
301, 302, 305
et
304.
525
Voici maintenant ses effets, lorsqu’il n’est que la consé
quence d’une force majeure.
La nécessité d’alléger le navire pour le soustraire au
danger qui le menace peut déterminer le jet à la mer
d’une partie quelconque de la cargaison. Evidemment,
la partie ainsi sacrifiée n’arrive pas au lieu de la desti
nation, elle est réellement victime d’un véritable nau
frage.
Mais comme le jet s’est fait dans un intérêt général,
qu’il a contribué à conserver le navire et le reste de la
cargaison, le propriétaire des effets perdus doit être in
demnisé ; s’il ne reçoit pas la marchandise, il est payé
de sa valeur. Il en est donc de cette hypothèse comme
de celle de la vente des marchandises pour les nécessi
tés du navire. "Le fret entier est donc dû et il devait d’au
tant plus être payé que le navire, contribuant aux ter
mes de l’article 417 à l’indemnité, supporte réellement
une part du malheur commun, et que dès lors toute
réduction sur le fret serait une aggravation que rien ne
commande, ni ne justifie.
Le capitaine est donc payé du fret convenu, sauf
contribution,'et à la condition que le jet aura produit le
résultat en vue duquel il a été opéré, c’est-à-dire que
le navire échappé au danger aura heureusement atteint
le] port de destination. Si, malgré le jet, le navire a
échoué ou péri ; si, plus tard, assailli par une nouvelle
tetapête, il n’a pu résister à ses effets, il n’y a plus à
distinguer, la seule disposition applicable, même aux
marchandises jetées, est celle de l’article 302.
�526
DROIT MARITIME.
793. — Si, même après la perle totale du navire,
les objets jetés ont été recouvrés, c’est encore par l’appli
cation de l’article 302 que se règle le fret. Ainsi, il est
dû en totalité si le capitaine, après le recouvrement, a
fait arriver les effets à leur destination. Dans le cas
contraire, il ne peut être exigé que proportionnellement
à ce que le voyage était avancé lors du jet, c’est ce que
Valin enseignait sous l’empire de l’ordonnance.
Mais, dans l’un et l’autre cas, il devrait être tenu
compte de l’avarie occasionnée par le jet, le capitaine
devrait y contribuer, non plus proportionnellement avec
la valeur du navire si celui-ci avait péri, mais à con
currence de la part imposée au fret par l’article 417.
7 9 4 . — Il n’est dû aucun fret pour les marchandi
ses perdues par naufrage ou échouement, pillées par des
pirates ou prises par les ennemis.
Cette disposition, donnant à la force majeure l’effet de
rétroagir sur le passé et de l’annuler en quelque sorte,
est une dérogation aux règles du droit commun en ma
tière de location. Ce qui la justifie, c’est le caractère
exceptionnel du contrat d’affrètement.
Dans les locations ordinaires, la chose est louée jour
par jour, de telle sorte que le preneur a réellement per
çu tout le profit du bail. Donc quel que soit l’événe
ment qui en rend la résiliation nécessaire, le loyer couru
avant cet événement ne cesse pas d’être dû. La résilia
tion ne peut s’appliquer qu’à la jouissance future.
Dans l’affrètement, au contraire, l’affréteur tant que
�ART.
301, 302, 303
et
304.
527
le navire n’est pas arrivé à sa destination n’a retiré au
cun profit de la jouissance qui en a fait la matière,
était-il dès-lors possible, lorsqu’un sinistre anéantit nonseulement la chose louée mais encore sa propre chose,
d’aggraver la perte par le paiement d’un loyer qui n’a
plus de contre-valeur.
La négative consacrée par l’article 302 est donc la
juste conséquence de ce principe que le fret n’est dû que
par l’accomplissement du voyage, Le capitaine, empêché
par force majeure de se livrer à cet accomplissement,
sera exempt de tous dommages-intérêts. Mais il ne poura réclamer un fret qu’il n’a pas encore gagné.
795.
— Puisque le législateur considère le fret com
me non gagné en cas de perte par naufrage, échouement
prise ou pillage, il devait ordonner la restitution du fret
qui aurait été avancé. Ce qui a été payé sans être dû
est sujet à répétition.
Toutefois le bénéfice de cette restitution étant dans
l’intérêt exclusif de l’affréteur, celui-ci peut valablement
y renoncer. De là la restriction, s’il n’y a convention
contraire, qui avait été admise par l’ordonnance, et que
le Code a reproduite.
Valin blâmait très-fort celte faculté laissée à l’affré
teur, il la considérait comme détruisant le principe et
favorisant les malversations du maître. C’est à ce point
de vue que le considéraient également d’autres graves
jurisconsultesl .
�528
droit maritime .
Celte opinion se fit jour dans la discussion du Code
de commerce. On convint facilement que l’exception
anéantissait la règle, puisque touies les fois que le capi
taine reçoit une avance sur le fret, on ne manque pas
de stipuler que cette avance lui sera acquise, quoiqu’il
arrive. Mais le principe de la liberté des conventions
l’emporta. On faisait d’ailleurs remarquer que les char
geurs ne sont pas moins jaloux de leurs intérêts que le
capitaine des siens; qu’ils ne souscriront donc à une
pareille convention qu’autant que les avantages qu’ils
font se trouveront balancés par les avantages qu’ils se
procurent.
795 bis. — On peut donc stipuler que les avances sur
le fret ne seront pas restituables, qu’elles resteront ac
quises à tout événement au fréteur. Mais quel sera l’effet
de cetie convention dans le cas où, aux termes de l’ar
ticle 303, il est dû à l’armement un fret proportionnel?
Pourra-t-on cumuler ce fret avec les avances, et en cas
de délaissement les assureurs sur corps à qui on tiendra
compte des avances, pourront-ils exiger l’intégralité du
fret proportionnel?
L’affréteur qui consent à ce que la partie du fret qu’il
avance ne soit pas restituable, ne manque pas de stipu
ler que cette avance fera l’objet d’une assurance, et que
la prime restera à la charge du capitaine, cette circon
stance avait paru au tribunal de commerce de Marseille
de nature à faire attribuer au capitaine et le fret propor
tionnel et les avances, à moins que ce cumul n’excédât
�■
ART. 3 0 1 , 3 0 2 , 3 0 3 et 3 0 4 .
529
le montant total du fret convenu ; c’est ce qu’il jugeait
encore le 15 décembre 1868 *.
La Cour d’Aix était elle-même entrée dans cette voie.
Ainsi elle avait, le 7 juin 1858 notamment, jugé que les
avances non restituables pouvant être assurées et l’ayant
été, se trouvaient définitivement acquises au capitaine,
abstraction faite de tout fret acquis ; que c’était aux as
sureurs, le cas de restitution se présentant, à les rem
bourser, et à relever et garantir le capitaine de toute
perte quant à ce, puisque moyennant la prime, le capi
taine est exonéré de tout risque à se sujet, et s’est as
suré, quels que soient les événements de la navigation,
la conservation de cette partie du fret ; que la compen
ser avec le fret acquis ce serait la faire rembourser par le
capitaine, et qu’il est impossible de soutenir qu’il doit
ce remboursement, car ce serait prétendre que l’assuré,
après avoir payé la prime, continuerait à courir les ris
ques, en d’autres termes que la position de l’assuré se
rait la même après comme avant l’assurance; qu’on ne
saurait non plus soutenir que l’assurance est faite pour
le compte de l’affréteur, et que par suite le capitaine ne
peut en bénéficier, car si l’assurance garantissait d’un
côté à l’affréteur le paiement du fret avancé, elle porte
rait d’un autre côté sur le fret acquis au capitaine
moyennant la prime par lui payée contre le rembourse
ment du fret si les risques de la navigation donnaient
ouverture à ce remboursement2.
1 Journal de Marseille, 1869, 1. 62.
2 Journal de Marseille, 4868,4, 224.
n — 34
�350
DROIT MARITIME.
Ces considérations n’ont ni fondement rationnel ni
caractère juridique, il est absolument inexact de pré
tendre que le capitaine n’acquiert les avances qu’en force
et en vertu de l’assurance dont elles ont été l’objet, et
moyennant le paiement de la prime. Si l’avance a été
faite avec dispense de remboursement, elle est acquise
en vertu de la convention, quels que soient les résultats
du voyage, et alors même qu’elle 'n’eût pas fait l’objet
d’une assurance.
Dès lors le capitaine n’étant jamais exposé à la resti
tuer ne court aucun risque à son sujet, comment donc
pourrait-il contracter une assurance valable? L’effet de
cette assurance, s’il pouvait en bénéficier, serait pour
lui un profit certain, puisque les assureurs devraient lui
compter une seconde fois ce qu’il a déjà reçu de l’affré
teur. Conséquemment en lui accordant ce bénéfice, l’a r
rêt méconnaît le caractère le plus essentiel de l’assu
rance, et en viole le principe le plus élémentaire.
Vainement objecte-t-il que compenser l’avance avec
le fret proportionnel acquis c’est contraindre le capitaine
à restituer ce qu’il a reçu. En réalité cette compensation
ne fait que donner à l’avance la destination que la rai
son et le droit lui affectent naturellement.
Que recevrait le capitaine si, à défaut d’une avance
quelconque, il n’avait pu accomplir le voyage que par
tiellement? uniquement le fret proportionnel. Or com
ment la concession d’une avance non restituable pour
rait-elle avoir pour résultat de lui attribuer au-delà de
ce fret ?
�ART. 5 0 1 ,
502,
505
et
304.
534
Car, dans le système que nous repoussons, le capi
taine recevra et l’avance et le fret proportionnel. Sup
posez que l’avance étant de 4,000 fr., le fret propor
tionnel s’élève à ce même chiffre, créancier réel de
4,000 fr., le capitaine en embeursera 8,000, et un ré
sultat aussi anormal, aussi inique, se produira unique
ment parce qu’il y aura eu une avance non restituable.
Mais l’avance n’est et ne peut être qu’un paiement
anticipé de ce qui pourra être dû en définitive. L’affré
teur, dans notre hypothèse, en renonçant au droit de la
répéter consent à la perdre alors même qu’en fait il n’a
jamais rien dû. Mais conclure de là qu’il s’est interdit
de la compenser avec ce qu’il devra, c’est donner à son
engagement une extension inadmissible, et supposer
qu’il a consenti à payer deux fois.
Mais, ajoute l’arrêt, c’est aux assureurs à rembourser
s’il y a lieu, à relever et à garantir le capitaine. Cela
suppose que le capitaine a pu valablement contracter
à son profit une assurance ayant pour objet les avances
qu’il a reçues, or celle assurance serait radicalement
nulle. Une assurance, en effet, suppose et exige un risque,
or quel risque court le capitaine relativement aux avan
ces non restituables? À quelle perte est-il exposé puisque,
le sinistre se réalisant au début même du voyage, il n’en
retiendra et n ’en conservera pas moins tout ce qu’il a
reçu ?
Ainsi que nous le verrons, l’assurance des avances
déclarées acquises à tout événement ne peut se concevoir
�532
DROIT MARITIME.
qu’enfaveur et au profit de l’affréteur '. Lui seul, en effet,
est exposé à perdre le montant de l’avance si le charge
ment n’ayant pas été porté au lieu de sa destination, on
ne pouvait exiger de lui aucun fret, et c’est cette chance
de perte qui constitue le risque que l’assurance a pour
objet de couvrir. La circonstance que la prime a été
laissée à la charge du capitaine, ne saurait en rien mo
difier cet état des choses. Celui qui fait l’avance est
maître absolu d’en déterminer le chiffre, d’imposer les
conditions auxquelles il entend traiter. Or le paiement
de la prime par le capitaine n’est qu’une des conditions
auxquelles le contrat était subordonné, qu’un prélève
ment sur le chiffre de l’avance.
Il n’y a donc que l’affréteur qui puisse revendiquer le
profit de l’assurance, c’est ce que la Cour d’Aix, mieux
inspirée, vient de consacrer par arrêt du
mai 1869.
Le jugement du tribunal de commerce de Marseille
du 15 décembre 186S ayant été frappé d’appel, était in
firmé par les motifs suivants qui indiquent et résument
fort juridiquement les principes applicables en cette
matière :
« Attendu que le capitaine Paicurich demande à cu
muler les avances qu’il a reçues avec le fret proportion
nel qui lui est dû, en se fondant sur l’article de la charte
partie qui met à sa charge la prime d’assurance par la
quelle ces avances sont protégées ;
« Attendu que cette prétention est repoussée par deux
�AliT. 501, 502, 305 et 304.
*>55
arguments principaux puisés, l’un dans les principes de
la matière, l’autre dans les résultats du système adverse ;
» Attendu que le capitaine ne peut être placé, relati
vement aux avances, que dans deux hypothèses diffé
rentes; ces avances sont ou non remboursables;
» Que, dans le premier cas, cette portion du fret n’est
pas acquise, et l’assurance est nulle ;
» Que dans le second il n’y a pas matière à risque,
pas d’élément à l’assurance ; elle est également impos
sible ;
» Qu’ainsi, au point de vue des principes, l’assurance
sur avances ne saurait être contractée dans l’intérêt du
capitaine et dès lors lui porter profit ;
» Attendu, d’autre part, qu’en posant les chiffres et
en étudiant dans chaque hypothèse les résultats du sys
tème adverse, placés en regard de ceux obtenus par le
système adopté, on reconnaît toutes les fois qu’il est dû
un fret proportionnel, que le capitaine bénéficie par
suite de l’assurance, ce qui est contraire soit au principe
général, que l'assurance ne doit pas être un principe
de gain, soit à la solution doctrinale posée ci-dessus;
» Qu’on constate de plus que ce profit est acquis au ca
pitaine au détriment de l’affréteur, qui est cependant
tout au moins le principal intéressé dans l’assurance sur
avances ; qu’enfin si le total du fret proportionnel et
des avances dépasse le chiffre du fret stipulé, le système
adverse est forcé de reculer devant sa conséquence logi
que et de s’arrêter à ce chiffre pour ne pas proposer
une solution inadmissible ;
�354
DROIT MARITIME.
» Attendu que l’objection tirée du paiement de la prime
par le capitaine formule une interprétation des accords
basée sur l’équité ; elle est juste dans son' principe mais
non dans ses conséquences; il faut sans doute une
compensation au capitaine, mais il la trouve dans le fait
des avances, et il est équitable aussi que l’affréteur sorte
indemne en imposant la prime au capitaine 1. »
7 9 5 ter. L’imputation des avances sur le fret propor
tionnel profite aux assureurs. Pour l’affréteur comme
pour le capitaine l’assurance ne peut devenir l’occasion
d’un profit, elle ne peut avoir d’autres effets que de l’in
demniser de la perte qu’il serait exposé à subir. Pour
lui, il n’y a de perte possible que le solde des avances
excédant le montant du fret proportionnel.
L’assurance ne doit rien au-delà, on ne saurait donc
lui demander davantage. Supposez une avance de dix
mille francs et un fret proportionnel de cinq mille. L’as
suré ne pourra exiger que cinq mille, puisque les autres
cinq mille sont consacrés à éteindre sa dette.
Les assureurs ne doivent rien si le fret proportionnel
égale ou dépasse le chiffre des avances, par exemple si
dans notre hypothèse il est de 10,000 ou de 15,000 fr.
11 est vrai que,, dans ce dernier cas, l’affréteur assuré
aura à ajouter aux avances une somme de 5,000 fr.,
mais l’assurance n’a pas été contractée pour l’indemni
ser du fret qu’il peut avoir à payer. Le seul risque
i
Journal de Marseille,
1 8 6 9 , 1, 2 9 6 .
J. du P.
1869, 1158.
�ART. 3 0 1 ,
302, 305
et
304.
533
qu’elle a couvert est la perte des avances, alors que par
le résultat du sinistre l’affréteur n’aurait dû aucun fret.
Dès l’instant que ces avances ont servi à acquitter le
fret proportionnel, elles ont réellement profité à ce der
nier, et le risque qui faisait l’aliment de l’assurance ne
s’étant pas réalisé, celle-ci est devenue caduque et sans
effet.
795 quatuor. L’avance non déclarée acquise à tout
événement, et par conséquent restituable en cas de si
nistre, peut-elle faire l’objet d’une assurance valable ?
Evidemment non pour ce qui concerne le fréteur.
En effet, si le sinistre se réalisant il est tenu de restituer
ce qu’il a reçu, c’est que n’ayant pas opéré le transport
du chargement il ne saurait ni en réclamer le prix, ni
retenir la partie qui lui en a été payée par anticipation.
Il ne perd donc en réalité que ce qu’il aurait gagné si
le voyage s’était heureusement accompli, et l’assurance
contre cette chance de perte est expressément interdite
par l’article 347 du Code de commerce.
De son côté l’affréteur devant être remboursé de ses
avances, le sinistre ne lui occasionne aucun préjudice à
ce sujet, pourquoi donc demanderait-il à l’assurance un
paiement que sa charte partie lui assure ?
Mais cette assurance deviendra-t-elle une réalité?
Ne peut-il pas se faire qu’au moment où. elle devra
se réaliser, le fréteur devenu insolvable soit dans l’im
possibilité de satisfaire à son obligation? Il y a là une
chance de perle, un risque à courir, et quelque éloigné
�556
DROIT MARITIME.
qu’il puisse paraître d’ailleurs, ce risque a été considéré
avec raison comme l’aliment sérieux d’une assurance.
Vainement objecterait-on que l’insolvabilité du fréteur
ne dépendant pas nécessairement du résultat de la na
vigation du navire ne constitue pas un risque maritime,
le contraire résulte forcément de la nature de la créance
qui ayant pour objet une avance sur le fret, et ne deve
nant exigible qu’en cas de sinistre et par le fait du si
nistre est évidemment une créance maritime : on ne sau
rait donc lui refuser le droit et lejnoyen de chercher
dans l’assurance une garantie de remboursement.
L’assurance, dans ce cas, n’ayant pas d’autre objet
que ce remboursement, il s’en suit que si au moment
où il est devenu exigible l’armateur a été en position de
l’effectuer et l’a en effet effectué, la chance de perte à
laquelle l’assuré devait pourvoir a disparu, la police
devient par conséquent caduque et l’assureur, tout en
percevant la prime, n’est de rien tenu. L’affréteur qui
est rentré dans ses avances ne perd absolument rien, et
ce qu’il retirerait de l’assurance serait un profit qui ne
peut résulter dans aucun cas de l’assurance.
Quant au fréteur, il est évident que l’assurance con
tre son insolvabilité ne peut le concerner, et qu’il ne
saurait être ni recevable ni fondé à prétendre s’en appli
quer le bénéfice. D’ailleurs, en restituant ce qu’il a
reçu il ne perd autre chose que le fret qu’il se promet
tait de l’heureux voyage du navire; or, aux termes de
l’article 347 du Code de commerce, ce fret ne peut de
venir l’objet d’une assurance valable.
�art . 501-,
502, 505
et
504.
557
Tout cela est d’une évidence telle, qu’on se persuade
avec peine que la prétention contraire ait pu se pro
duire. Or non-seulement elle a été soutenue, mais elle
avait été de plus consacrée par le tribunal de commerce
de la Seine.
La maison Gay-Bazin et Cie avait affrété à l’Etat un
de ses navires pour un voyage en Chine. La charte partie
portait : « La moitié du fret sera payée d’avance, et, en
échange de la somme qui leur sera comptée, les fréteurs
devront remettre une police d’assurance de cette somme,
obtenue par leurs soins et pour compte de qui il appar
tiendra. »,
Conformément à cette clause, MM. Gay-Bazin et Cie
faisaient assurer à la Compagnie centrale une somme
de 21,400 fr. qu’ils recevaient comme moitié du fret.
* Le navire s’étant perdu dans le voyage, MM. GayBazin restituèrent à l’Etat cette somme de 21,400 fr.
Ensuite, armés de la police d’assurance au profit de la
quelle ils prétendaient avoir été subrogés, ils répétèrent
ce qu’ils avaient payé à la Compagnie Centrale, et sur le
refus de celle-ci, ils l’ajournèrent en condamnation de
vant le tribunal de commerce de la Seine.
Le jugement qui intervint consacra leur prétention.
Le tribunal refuse d’appliquer l’article 347 parce que
la somme assurée ne constitue pas pour l’administration
de la marine au profit de qui était faite l’assurance, le
montant d’un fret à acquérir, mais une avance pouvant
être valablement assurée ; il déclare que les demandeurs
ayant été obligés de rembourser à ladite administration
�538
DROIT MARITIME.
la somme dont s’agit, ils se trouvent subroges aux droits
de cette dernière à laquelle la fin de non-recevoir dont
excipe la compagnie défenderesse ne saurait être opposée.
Ce jugement fut frappé d’appel. Devant la Cour, la
Compagnie Centrale soutenait que l’assurance ne pouvait
avoir et n’avait eu pour objet que de garantir l’Etat
contre les risques d’insolvabilité des armateurs, et que
cette insolvabilité n’ayant pas existé, la condition à la
quelle était subordonné l’effet de l’assurance venant à
manquer, celle-ci était devenue caduque.
« Au surplus, ajoutait-elle, de deux choses l’une :
ou l’assurance a été faite pour le gouvernement affré
teur, et dans ce cas il n’est rien dû à Gay-Bazin et Cie ;
il n’est rien dû au gouvernement qui a été remboursé ;
ou elle a été faite par Gay-Bazin et Cie, et dès-lors c’est
une assurance de fret, garantissant à l’armateur le fret
des marchandises à transporter ; dans ces termes, il y
aurait contravention par Gay-Bazin et Cie à la charte
partie qui les obligeait de contracter l’assurance dans
l’intérêt du gouvernement, et l’assurance serait d’ail
leurs radicalement nulle d’après l’article 347 du Code
de commerce. »
Cette défense eût un plein succès. Par arrêt du 16 mai
1863, la Cour de Paris infirme le jugement; elle décide
que l’assurance n’a été contractée qu’au profit de l’Etat
et pour le garantir contre l’éventualité du non rembour
sement des avances à raison de l’insolvabilitué possible
de l’armateur, et que cette insolvabilité ne s’étant pas
�ART.
301, 502, 505
et
304.
559
réalisée, le seul risque prévu n’avait pas existé, et que
l’assureur n’avait pu dès lors être recherché.
L’arrêt ajoute : « En ce qui touche la demande de
Gay-Bazin, comme cesssionnaire ou subrogé de la ma
rine, considérant que Gay-Bazin n’auraient pu être
cessionnaires ou subrogés de la marine contre la com
pagnie La Centrale, que s’ils avaient payé pour ladite
Compagnie; mais considérant que celle-ci ne devait
rien à la marine, le payement fait par Gay-Bazin ayant
mis fin au risque et conséquemment à toute action con
tre l’assureur; que ce paiement fait par Gay-Bazin ayant
éteint la créance de la marine, cette créance désormais
éteinte, ne peut pas revivre sous forme de cession ou de
subrogation, ni autrement;
« Considérant enfin, à un autre point de vue, que la
somme litigieuse est, à vrai dire, un fret, et que le na
vire frété a fait naufrage; qu’en l’état de ces faits il faut
reconnaître que sous les apparences d’une demande en
restitution, l’action des armateurs ne tend, en réalité,
si l’on va au fond des choses, qu’au paiement d’un fret
non gagné, que dès lors, et si, par hypothèse, on sup
pose, contrairement à l’esprit des conventions et aux
intentions des parties, que Gay-Bazin aient fait une
stipulation de cette nature, elle serait frappée d’une
nullité absolue aux termes de l’article 347 l. »
795 quinto. Une prétention non moins insoutenable
�540
DROIT MARITIME.
et que la Cour de Paris a, avec raison, également con
damnée, est celle des assureurs exigeant que le délaisse
ment comprît les avances sur fret sujettes à restitution,
en cas de naufrage et de perte des marchandises.
On comprend que la question de savoir si les avances
sur fret devaient ou non être délaissées, ait pu s’agiter
lorsque les avances étaient déclarées acquises à tout évé
nement, et par conséquent non restituables. On pouvait
alors jusqu’à un certain point soutenir que ces avances
étaient l’accessoire du navire et devaient en partager le
sort. Nous verrons plus tard jusqu’à quel point celte
prétention était fondée l.
Mais à quel titre et en vertu de quelle loi les assureurs
pourraient-ils exiger le délaissement des avances sujet
tes à restitution? Sans doute l’armateur qui délaisse le
navire doit également abandonner tout ce que le navire
a pu produire pendant le voyage que le sinistre a ter
miné : il ne serait ni recevable ni fondé à délaisser l’un
et à retenir l’autre.
Mais est-ce que l’avance sujette à restitution est un
produit ? Est-ce qu’elle profite à l’armateur qui n’a re
çu d’une main que pour rendre de l’autre?
Or l’obligation de rendre est tellement absolue que si
les assureurs avaient reçu l’avance comprise dans le
délaissement, ils devraient eux-mêmes en opérer la res
titution ; substitués aux droits de l'armateur.pour ce qui
concerne le navire délaissé, ils le sont à toutes ses obli1 S u p r à , n» 1578.
�ART. 3 0 1 , 3 0 2 , 5 0 a et 3 0 4 .
541
gâtions, où donc est l’intérêt qu’ils peuvent avoir à faire
comprendre dans le délaissement l’avance sujette à res
titution.
D’autre part, l’article 386 n’oblige à délaisser que le
fret des marchandises sauvées, or si l’avance est resti
tuable, c’est que les marchandises auxquelles elle s’ap
pliquait ont entièrement péri. Donc les assureurs ne
pourraient s’étayer de cette disposition, et leur préten
tion, outre un défaut absolu d’intérêt, se trouve sans
aucun fondement légal. On comprend donc que mise
en demeure de se prononcer, la Cour de Paris n ’ait pas
hésité à la condamner x.
La perte du fret n’étant que la conséquence
de la perte des marchandises, il suit que si le sinistre ne
se réalise qu’au retour, le fret de l’aller est dû et doit
être payé, le chargement arrivé à sa destination profite
à l’expéditeur; il a quant à ce retiré tout le bénéfice de
la location, il est juste qu’il en paie le prix. La force
majeure ne saurait jamais avoir pour résultat de l’en
richir au détriment de l’armement ; à défaut de déter
mination d’un fret spécial pour l’aller et pour le retour,
celui dû dans notre hypothèse est réglé par la ventila
tion sur le prix total. .
Les parties peuvent convenir du contraire et stipuler
que le chargement d’aller sera délivré gratis de fret, et
que le prix de l’affrètement déterminé à raison du ton7 9 5 sexto.
1 7 décembre 1863, J. du P. 1864,
�ri 42
DROIT MARITIME.
nage des marchandises de retour ne sera dû et payé
qu’à la réception en l’état sain de ces marchandi
ses. L’article 303 ne s’applique qu’au cas où il n’a rien
été stipulé à cet égard; dans le cas contraire peu importe
rait que le voyage d’aller se fût heureusement accompli,
le fréteur n’aurait rien à réclamer si le retour ne s’élait
pas réalisé. La seule loi applicable serait la convention
des parties, el comme la dérogation au droit commun
que cette convention consacre n’a rien de contraire à la
loi, aux bonnes mœurs, à l’ordre public, les tribunaux
seraient tenus de la respecter et de la consacrer.
La clause qu’il ne sera payé aucun fret pour le voyage
d ’aller n ’est pas moins légale que celle qui déclare non
restituables les avances sur fret ; on ne peut même lui
adresser le reproche que Yalin faisait à celle-ci. Il est
évident, en effet, que loin d’encourager la malversation
du maître, elle lui inspirera une circonspection plus
vive, et tous les soins nécessaires pour que le retour
s’accomplissant heureusement il puisse réclamer le prix
de la location du navire.
Il est possible, il est même probable que la clause af
franchissant le voyage d’aller de tout fret, profitera à
l’affréteur, soit en transportant gratuitement ses mar
chandises au lieu de destination, soit en lui permettant
de percevoir lui-même un fret de ses commettants. Mais
il est évident que le fréteur ne manquera pas de prendre
tout cela en considération dans la détermination du fret
de retour dont le prix sera d’autant plus élevé qu’il n’en
aura été perçu aucun pour le voyage d’aller.
�D’ailleurs c’est au fréteur à peser les prétentions de
l’affreteur, et à refuser le marché s’il ne le juge pas con
venable dans ses intérêts. S’il accepte, il n’a pas à s’en
quérir du plus ou moins d’avantages dont il peut être
l’occasion pour celui avec qui il traite, et rien ne saurait
le dispenser de tenir les engagements qu’il a contractés.
C’est donc avec infiniment de raison que le tribunal
de commerce du Hâvre jugeait, le 3 novembre 1853,
que les dispositions de l’article 303, d’après lesquelles
les marchandises sauvées doivent payer le fret jusqu’au
lieu du naufrage, ne sont pas applicables au cas où un
navire affrété pour un voyage d’aller et retour a été con
damné pour innavigabilité après avoir débarqué son
chargement d’aller, mais avant d’avoir embarqué son
�544
DROIT
MARITIME.
qu’on doit exiger l’ensemble des clauses que, dans l’es
pèce, renfermait la chate partie; n’existât-il que celle
qui stipule que le chargement d’aller sera délivré gratis
de fret, que la dérogation à l’article 303 n’en serait pas
moins certaine, et n’en devrait pas moins produire tous
ses effets.
Dans l’espèce de ces monuments de jurisprudence, le
navire avait été déclaré innavigable dans le port du reste
du voyage d’aller, après déchargement des marchandi
ses d’entrée et avant tout chargement de celles de retour.
Supposez au contraire que l’innavigabilité se fût pro
duite après chargement de celles-ci, soit au port même,
soit après la sortie du navire et pendant le voyage de
retour, certes cela n’aurait pu faire qu’il fût dû un fret
pour le voyage d’aller, mais si ayant sauvé les marchan
dises, le capitaine, usant du droit que nous allons voir
lui appartenir, les avait fait parvenir à leur destination
en les transbordant sur un autre navire affrété dans cet
objet, le fret stipulé dans la charte partie d’origine serait
dû et devrait être intégralement payé, à quelque taux
qu’eût été consenti celui exigé par le navire qui a opéré
le retour.
7 9 5 Septimo• Devant le tribunal de commerce du Ha
vre, le fréteur s’était borné à soutenir que, dans les cir
constances on devait lui allouer un fret pour le voyage
d’aller. Devant la Cour de Rouen, il concluait subsidiai
rement à ce que l’affréteur fut tenu, le chiffre auquel les
avances avaient été fixées par la charte partie n’ayant
pas été atteint, de compléter ce chiffre.
�ART.
3 0 1 , 3 0 2 , 3 0 3 ET 3 0 4 .
34b
%
Cette demande est accueillie : « Attendu, dit l’arrêt,
que s’il résulte de l’ensemble des clauses de la charte
partie que le fréteur a renoncé au droit proportionnel
que la loi commerciale lui assurait-, en cas de naufrage
au retour sur le fret d’aller, il n’a consenti cet abandon
qu’en stipulant à forfait et en compensation du fret
d’aller, le droit de recevoir sans répétition des remises
s’élevant jusqu’à 1,500 piastres pour tenir lieu de ce
fret;
» Qu’il ne ressort pas de l’ensemble de ces clauses
que celte somme ne fût due que pour payer les frais et
droits du navire et en proportion de ses besoins; mais
qu’il en résulte au contraire une obligation aléatoire qui
ne doit être soumise à aucune réduction, et dont le fré
teur ale droit d ’exiger l’entier accomplissement; qu’ainsi
le capitaine n’ayant touché qu’une partie des 1,500 pias
tres, il a le droit de toucher le reste pour compléter les
1,500 piastres objet de la stipulation. »
Ce droit ne nous parait pas admissible ; la nature mê
me des avances le condamne et le repousse. En effet,
leur objet n’est et ne peut être que de subvenir dans une
certaine mesure aux frais et aux besoins de la naviga
tion ; elles sont si peu la compensation du défaut de
fret à l’aller, qu’on les stipule souvent et qu’on les dé
clare acquises à tout événement malgré que le fret doive
être payé à l’aller comme au retour.
Celte affectation générale des avances était incontesta
ble dans l’espèce. En effet, l’article 6 de la charte partie
portait ; M. Nestor Albert s’oblige à faire compter au
n — 35
#
�346
DROIT MARITIME.
#
fréteur tant à Tampico qu'à Tulpan et Cuzones, ou
Tulpan et Tecohita, ou à Carmen, jusqu’à concurrence
de 1 , 5 0 0 piastres fortes, laquelle avance aura lieu
sans intérêt ni commission, et sans répétition en cas
de sinistre au retour.
Ainsi, les avances avaient si bien pour objet de pour
voir aux nécessités du voyage qu’elles devaient se réali
ser au fur et à mesure de la durée de ce voyage ; qu’on
en échelonnait le paiement dans les diverses escales que
le navire devait faire pour opérer son chargement de
retour.
Dès lors le voyage s’étant terminé à Tampico, la cause
qui motivait les avances n’existait plus et l’obligation de
les réaliser était de plein droit anéantie, le capitaine
l’avait si bien compris ainsi que, recevant de quoi pour
voir à ses frais d’enlrée à Tampico, il n’avait rien exigé
au-delà. Sans doute si à Tampico même le capitaine
avait exigé et reçu les 1,500 piastres, l’affréteur n’aurait
eu rien à réclamer, aucune réduction à exiger; mais le
condamner à compléter les avances alors que le navire
n ’avait pu même toucher aux diverses escales qu’il de
vait successivement visiter, c’était lui imposer une obli
gation qu’il n’avait ni prise ni entendu prendre, et dé
cider que la nécessité de faire des avances survivait à la
cause qui pouvait seule les légitimer.
En dernière analyse, quelle que soit l’affectation qu’on
voudra donner aux avances, elles ne sont dues qu’à
l’occasion de la location du navire et comme prix de
cette location. Or du moment que le navire est déclaré
�ART. 5 0 1 ,
302, 303
et
304.
547
innavigable, toute location étant désormais impossible,
il n’est plus rien dù, et si l’armateur qui, sous le litre
d’avances, a reçu une partie du prix de cette location,
est autorisé à la retenir, il n ’est évidemment ni recevable
ni fondé à se faire allouer un supplément quelconque,
sous quelque dénomination et sous quelque prétexte que
ce soit.
796. — Il suit de la même règle, que les marchan
dises sauvées du naufrage doivent payer le fret dû jus
qu’au jour de la réalisation, si elles sont vendues sur la
localité ; le fret entier, si elles sont conduites par le ca
pitaine à leur destination.
A cet égard, il est bon de faire observer que le droit
d’accomplir le voyage, soit dans le cas de sauvetage
après naufrage ou échouement, soit dans celui de ra
chat, ne saurait être contesté au capitaine. En consé
quence, si le navire se trouve ou peut être mis en état
de continuer sa route, ou si le capitaine s’en procure
un autre, les parties retombent sous l’application de
l’article 296. L’article 302 ne prévoit que l’hypothèse
d’une perte totale.
797. — Cette perte résulte invinciblement du pillage.
L’affréteur est donc libéré de tout engagement à l’en
droit du fret, par le fait seul qu’il a eu lieu.
Il n’en est pas de même après la prise, on sait, en
effet, qu’elle ne devient définitive que par sa validité.
L’affréteur n’est donc libéré du fret que du jour où la
�848
DROIT MARITIME.
déclaration en a été régulièrement prononcée. Il doit
même se livrer à toutes les démarches et produire tou
tes les justifications de nature à l’empêcher.
Si la prise est annulée, l’affréteur rentre en possession
de ses marchandises ou est restitué de leur produit.
Dans l’un et l’autre cas, il redevient obligé au paye
ment du fret. Il n’y a jamais eu de prise, puisque le
capteur doit rendre ce dont il s’était emparé : Non v idetur quis capere, quod ei restilurus est.
798.
— Mais la voie de fait subie par l’affréteur est
dans le cas de lui occasionner une perte à laquelle l’ar
mement doit contribuer. Néanmoins le fret ne peut ja
mais être absolument refusé.
C’est ce que la Cour d’Àix avait décidé le 17 juin
1817. Son arrêt fut déféré à la Cour suprême comme
violant l’article 302, en accordant le fret en cas de prise
et en imposant seulement au fréteur une diminution sur
le fret convenu.
Mais la décision, intervenue le 11 août 1818, rejette
le pourvoi, attendu que loin de violer la loi la Cour d’Àix
l’avait interprétée avec sagesse, puisque l’arrêt de la Cour
d’amirauté avait anéanti la confiscation ; que la restitu
tion du prix équivaut à celle de la marchandise, et que
le fréteur supportait une juste part de la perte commune,
par la diminution du prix du fret.
799.
— Le rachat du navire et des marchandises
équivaut au sauvetage après naufrage, les effets en sont
�ART. 5 0 1 , 3 0 2 , 5 0 3
et 3 0 4 .
349
donc identiques. Ainsi, le capitaine reçoit le fret des
marchandises sauvées ou rachetées jusqu’au lieu de la
prise ou du naufrage ; et il le perçoit en entier s’il a
continué et accompli le voyage, en contribuant au ra
chat dans le cas de prise.
L’article 303, malgré ses termes, ne doit pas être
entendu en ce sens que le capitaine est libre de se con
tenter du fret proportionnel et de se refuser à l’accom
plissement du voyage. La loi ne prévoit ce fret que dans
l’hypothèse où, par suite du naufrage ou de la prise, le
navire a été placé dans l’impossibilité de naviguer. Dans
le cas contraire, dit M. Locré, les parties se trouvent
dans la même position que s’il n’y avait pas eu de prise
ou de naufrage, et rien ne s’opposant plus à l’exécu
tion de leurs conventions, on retombe dans le cas de
l’article 238, qui oblige le capitaine à achever le voyage
pour lequel il s’est engagé, sous peine de dépens, dom
mages-intérêts envers les propriétaires et les affréteurs L
Ainsi, le capitaine doit, s’il le peut, continuer le
voyage et l’accomplir. Il pourrait d’autant plus y être
contraint, qu’ainsi que nous venons de le dire, il est
fondé à exiger le rechargement des marchandises, sous
peine pour les affréteurs de payer le fret entier. Le sau
vetage ou le rachat faisant tomber les affréteurs sous le
coup de l’article 296, devait, par une juste réciprocité,
imposer au capitaine l'exécution de l’obligation que lui
fait l’article 238, c’est dans ce sens que Yalin interpré
tait les termes de l’ordonnance.
1 Esprit du Code de commerce, art. 303.
�S50
DROIT MARITIME
8 0 0 . — Le capitaine ne peut traiter du rachat qu’avec
la participation des armateurs et chargeurs, s’ils sont à
bord ou à portée de donner leurs ordres. Dans le cas
contraire, il ne doit agir qu’après en avoir conféré avec
les principaux de l’équipage et sur leur avis dûment
constaté. Ce dont il doit surtout se garder, c’est d’accep
ter des conditions évidemment trop rigoureuses, par
exemple, un prix égal ou supérieur à la valeur réelle
des objets rachetés.
Les conditions du rachat sont ordinairement consta
tées par écrit. Le titre qui intervient s’appelle billet de
rançon. Un original reste entre les mains du capitaine,
l’autre appartient au capteur.
Le prix est réglé en lettres de change tirées par le ca
pitaine sur les armateurs. Un officier du navire rançonné
reste à bord du capteur, comme otage, jusqu’à l’exécu
tion du payement.
8 0 1 . — La reprise du navire sur le capteur est ré
glée par les lois de la matière, elle confère la propriété
du navire repris en faveur de celui qui l’a recouvré, fûtil de la même nation que celle à laquelle appartient ce
navire ; ce transport de propriété n’a lieu que si la re
prise s’opère après vingt-quatre heures delà prise. Celle
qui serait effectuée avant l’expiration de ce délai ne
donne droit qu’à un tiers dans la propriété du navire et
de la cargaison.
8 0 2 . — Si le navire capteur est pris lui-même avec le
�art. 5 0 1 ,
5 0 2 , 5 0 3 et 3 0 4 .
S51
navire dont il s’était emparé, l’un et l’autre appartien
nent au second capteur, sauf pour le navire repris la
condition du délai. Aucune difficulté ne saurait donc
naître dans ce cas, à l’endroit des propriétaires de ce
dernier.
Mais le navire capteur peut n’être pris à son tour
qu’après le rachat, l’auteur de cette capture, qui trouve
rait à bord l’otage et le billet de rançon, aurait-il le
droit d’exiger le payement de celui-ci ?
Yalin enseignait l’affirmative parce que la rançon re
présente le navire rançonné, au moyen de quoi le cor
saire qui a pris l’ennemis qui avait rançonné un Fran
çais profite de la rançon, en même temps que du na
vire ennemix.
.
v‘
L'opinion contraire était, avec beaucoup plus de rai
son, à notre avis, professée par Emérigon. Si le capteur
est lui-même pris, disait-il, le billet de rançon reste
sans valeur, attendu que la prise n’est un moyen d’ac
quérir que parce que l’on prend réellement. Un billet
n’est que la preuve d’une obligation et non l’obligation
même ; le billet de rançon n’est qu’un morceau de pa
pier qui n’est ni le navire racheté ni la rançon convenue.
Les droits du navire ennemi se sont évanouis par la
prise de son bâtiment, et ceux du corsaire ami se bor
nent aux choses qu’il prend et qu’il détient réellement.
A la vérité, au nombre des choses prises, se trouve
l’otage donné par le bâtiment rançonné. Mais cet otage
1 Art. 8, tit. des Prises.
�352
DROIT MARITIME.
ne saurait devenir prisonnier de guerre de ses propres
compatriotes1.
En d’autres termes, le droit qu’on a de prendre à
l’ennemi ne peut s’exercer que sur ce qui a matérielle
ment et par lui-même une valeur certaine et détermi
née, sur tout ce dont la propriété s’acquiert par simple
détention. Or, les droits incorporels ne sont transmis que
par une cession conventionnelle ou légale, et aucune
d’elles ne résulte de la prise du navire. Le capteur n’est
ni le cessionnaire, ni le représentant, ni l’hétitier du
capturé. Il ne peut'donc exercer ses actions et jouir de
ses droits personnels.
Celui-là donc qui n’a repris qu’un billet de rançon
n’a acquis qu’un titre inutile en ses mains. On doit d’au
tant plus le décider ainsi que, suivant les circonstances,
et malgré la reprise, la rançon n’en devra pas moins
être payée à celui qui l’avait imposée. Par exemple, dans
le cas où, avant la reprise l’otage avait été mis à terre,
et qu’il fallût lui procurer la liberté, ou bien encore si
les lettres de change ayant été régulièrement négociées,
les tiers-porteurs de bonne foi en poursuivaient le paye
ment.
Ainsi, à quelque époque que s’opère la prise du cor
saire qui a rançonné un navire, cette prise ne saurait
constituer ce qui est qualifié de rescousse, c’est-à-dire
la reprise du navire capturé. En conséquence, l’auteur
de la prise n’acquiert aucun des droits que la loi n’at
tache qu’à la rescousse elle-même.
i Des Assurances, chap. 12, section 23, § 8.
�ART. 5 0 1 ,
302,
3 0 3 ET 3 0 4 .
353
805.
— Si le navire racheté vient à se perdre dans
la traversée, le billet de rançon est-il annulé, et les ar
mateurs seraient-ils recevables à refuser le payement
des lettres de change?
On a dit pour l’affirmative que la rançon représente
le navire, qu’elle doit dès lors partager son sort; que la
coudilion que le navire arriverait à bon port à sa des
tination était naturellement sous entendue, car ce n’était
que dans cette espérance que le capitaine a pu consen
tir à payer la rançon.
Valin, qui soutenait la négative, l’étayait sur le carac
tère du contrat. La rançon, toujours fort au-dessous de
la valeur de la prise, est un traité à forfait qui, par con
séquent, la rend pleinement acquise au corsaire preneur,
quel que puisse être, dans la suite le sort du navire ran
çonné. Décider le contraire, ajoutait Yalin, ce serait
donner à l’ennemi le moyen d’éluder le payement de la
rançon 1.
D’ailleurs, la perte du navire ne dégage pas l’otage
qu’on retiendra jusqu’à payement de la rançon. On ne
saurait donc concevoir un tel état des choses qui aurait
pour résultat de prolonger indéfiniment la captivité de
celui qui a compromis sa liberté dans l’intérêt de tous.
8 0 4 . — La rançon amenant la restitution du navire
et de la cargaison est naturellement à la charge de l’un
et de l’autre. L’article 304 règle les proportions dans
lesquelles elle doit être supportée.
1 Art. 19, tit. des Prises.
�5S4
DROIT MARITIME.
La valeur des marchandises se détermine sur leur
prix au lieu de la décharge. On extrait du total les frais
comprenant ceux de charge et de décharge, et la somme
que coûtera le fret. L’excédant contribuera au marc le
franc.
La marchandise ne contribue donc que pour sa va
leur nette. Ce qu’on fait pour elle, on devrait le faire
pour le navire et pour le fret. Or, le premier a dû né
cessairement subvenir aux dépenses de la mise en état,
le second sert à payer l’équipage et ne constitue un pro
fit réel que pour l’excédant. On ne pouvait donc attein
dre à la valeur nette que par une ventilation, eu égard
à ces divers frais.
Cette ventilation pouvait donner lieu à des fraudes,
devenir la matière de nombreuses difficultés. Le désir
de prévénir les unes et les autres a porté le législateur
à déterminer d’office la valeur contribuable qui est, dans
tous les cas, la moitié du navire et du fret.
Les motifs qui faisaient contribuer le navire et le fret
semblaient commander de soumettre à la même règle
les loyers des matelots. Sans le rachat, en effet, ces
loyers sont perdus non-seulement pour l’avenir, mais
encore pour le passé.
Le rachat est donc d’une immense utilité pour les ma
telots eux-mêmes. Aussi, l’ordonnance de 1681 n’avait
pas hésité à les soumettre à la contribution, à propor
tion des loyers qui leur étaient dus.
Notre législateur s’est montré moins sévère. Il a pensé
que les matelots, qui vivent au milieu de dangers, de
�ART.
308, 30 6 , 307
et
308.
858
travaux pénibles, de toutes les privations, ne devaient
pas être soumis à une contribution qui porterait à leur
endroit sur les sommes indispensables à leur subsistance
et à celle de leur famille. Il les a donc formellement
dispensés en cas de rachat, comme l’ordonnance l’avait
fait elle-même dans le cas de jet à la mer.
A r t ic l e 305.
Si le consignataire refuse de recevoir les marchandi
ses, le capitaine peut, par autorité de justice, en faire
vendre pour le payement de son fret, et faire ordonner
le dépôt du surplus.
S’il y a insuffisance, il conserve son recours contre le
chargeur.
A r t ic l e 306.
♦
Le capitaine ne peut retenir les marchandises dans
son navire, faute de payement de son fret.
Il peut, dans le temps de la décharge, demander le
dépôt en mains tierces, jusqu’au payement de son fret.
A r t ic l e 307.
Le capitaine est préféré, pour son fret, sur les mar
chandises de son chargement pendant quinzaine après
leur délivrance, si elles n ’ont passé en mains tierces.
�556
DROIT MARITIME.
A r t ic l e
308.
En cas de faillite des chargeurs ou réclamateurs avant
l’expiration de la quinzaine, le capitaine est privilégié
sur tous les créanciers pour le payement de son fret et
les avaries qui lui sont dues.
SOMMAI RE
805. Position que fait au 'capitaine le refus du consignataire d’ac
cepter les marchandises. Ses droits.
806. Comment est constaté le refus.
807. Procédure à suivre si le refus est motivé sur le mauvais état
de la marchandise.
808. Recours du capitaine contre le chargeur, en cas d’insuffi
sance pour le payement du fret.
809. Motifs de la prohibition de retenir les marchandises à bord
jusqu'à paiement du fret.
810. A quelle époque peut être demandé le dépôt en mains tierces?
811. Ce dépôt pourrait-il être exigé si la charte-partie accordait
un délai pour le paiement du fret ? ■
812. Le capitaine conserve son privilège pendant quinze jours, à
dater de la délivrance de la cargaison.
813. Caractère de la condition exigée par l’article 307. Con
séquences.
814. Ordre dans lequel s’exerce ce privilège. Comment il doit
sortir à effet.
815. N'est pas éteint par la faillite des chargeurs ou réclamateurs,
survenue dans la quinzaine.
816. Existe - t - il pour les indemnités accordées par les articles
288 et suivants ?
�ART. 3 0 5 ,
306, 307
et
308.
537
805. — Le capitaine arrivé à destination doit y opé
rer la décharge des marchandises et la livrer aux des tinataires. Ceux-ci sont naturellement ou les consigna
taires désignés aux connaissements, ou les détenteurs
de ces connaissements, s’ils sont à ordre ou au porteur.
L’intérêt du capitaine à ce que le déchargement se réa
lise dans le plus bref délai est incontestable, plutôt la
cargaison d’entrée sera débarquée, plus tôt le navire sera
en mesure de recevoir la cargaison de sortie, et plus il
abrégera son séjour dans le port, qui ne laisse pas que
de l’exposer à des dépenses considérables.
Déjà pour satisfaire à cet intérêt la charte partie a
rendu le concours du destinataire obligatoire, en déter
minant les jours de planche dans lesquels il devra avoir
opéré le déchargement et fixé l’indemnité que le retard
lui ferait encourir.
Mais il fallait prévoir autre chose. Le destinataire
pouvait refuser, sous un prétexte quelconque, de rece
voir la marchandise, ou ne pas accepter la qualité de
consignataire. C’est dans cette prévision que se place
l’article 305.
Le capitaine, en présence de ce refus, se trouve dans
la nécessité de pourvoir au débarquement dans l’intérêt
même de l’affréteur. S’il était réduit à attendre de nou
veaux ordres, la cargaison se trouverait souvent absor
bée par la nécessité du paiement des surestaries. Or, il
est juste qu’en l’opérant, il soit payé du fret qu’il a
gagné.
Il peut donc faire vendre, mais par autorité de jus-
».
�558
DROIT MARITIME.
tice seulement, une partie de la cargaison, pour le
payement du fret, et faire ordonner le dépôt du surplus
entre les mains d’un tiers consignataire.
8 0 6 . — Ce double droit est la conséquence de la po
sition du capitaine à l’endroit de la cargaison. Celle-ci
doit être reçue dès que le navire est en position de la
délivrer. Le capitaine n’a pas à se préoccuper des récla
mations que la propriété peut faire naître, ou des cau
ses sur lesquelles est fondé le refus des marchandises.
Le fait matériel de ce refus enlevant au contrat toute pos
sibilité d’exécution naturelle, donnait nécessairement
lieu à l’exécution légale que l’article 305 consacre.
Il est donc important que ce refus soit constaté. Il ne
saurait l’être régulièrement que par une sommation par
le capitaine au consignataire. La réponse par celui-ci, à
défaut, l’inaction dans laquelle il se tiendrait, autorise
rait l’application de notre article.
Cette sommation n’est exigée que dans l’hypothèse de
connaissements à personne dénommée. Elle est impos
sible, si le connaissement est à ordre ou au porteur. Elle
résulterait suffisamment alors de la publication du ma
nifeste d’entrée, et de l’insertion dans les journaux de
la localité, de l’avis dont nous avons déjà parlé.
8 0 7 . — Le refus du destinataire peut être fondé sur
le mauvais état de la marchandise qu’on soutiendra
provenir de la faute du capitaine. Une prétention de
cette nature implique la nécessité d’une vérification que
�ART. 3 0 5 ,
506, 307
et
308.
559
le tribunal saisi de la demande en délégation d’un tiers
consignataire n’hésiterait pas à ordonner. Mais cette véri
fication ne pourrait devenir un prétexte pour retarder
le payement du fret. Provision est due au titre, et, dèslors, le consignataire qui poursuit la vérification devrait
être tenu de payer le fret en en attendant les résultats,
sauf au capitaine de le rapporter s’il y a lieu. Ce paye
ment ne saurait être suspendu, même par l’offre que le
consignataire ferait de fournir caution pour en garantir
la réalisation en temps et lieu 1. Mais si le payement pro
visoire offrait un péril réel, si le rapport éventuel au
quel le capitaine est tenu paraissait chanceux, les juges
pourraient n ’autoriser le payement qu’à la charge par le
capitaine de donner caution pour les restitutions aux
quelles il peut être tenu.
L’autorité compétente pour nommer le tiers consi
gnataire et la vente des marchandises est, en France, le
tribunal de commerce; à l’étranger, le consul, et, à dé
faut les magistrats de la localité. La vente est faite aux
enchères publiques. . Le prix est versé entre les mains du
capitaine, jusqu’à concurrence de ce qui lui est dû pour
le fret et les frais.
808.
— Le véritable débiteur du capitaine est, non
le destinataire qui est resté étranger à la charte partie
et au connaissement, mais le chargeur qui a signé l’un
et l’autre. En conséquence, si le produit des effets char1 Bruxelles, 6 mars 1825 ; J . de Bruxelles, 1825, 2, ,274.
�560
DROIT MARITIME.
gés ne suffisait pas à éteindre la créance, le capitaine
conserverait son recours contre le chargeur, pour le solde
dont il demeurerait créancier. Nous verrons, en effet,
sur l’article 310, qu’il n’en est pas du chargeur comme
des propriétaires de navire, qui ne sont jamais tenus
au-delà de 18 valeur du navire et du fret ; le chargeur
est obligé au payement du fret, tant sur ses autres biens
que sur la marchandise embarquée.
Le recours contre le chargeur n’existe d’ailleurs que
dans le cas prévu par l’article 305, c’est-à-dire que si
la vente a été judiciairement poursuivie et autorisée : il
serait donc perdu si le capitaine avait amiablement ven
du les marchandises.
Cette rigueur de l’article 305 se comprend. Le droit
de disposer de la chose d’autrui est trop exorbitant pour
que son exercice fut abandonné au caprice ou à la libre
volonté. Il était indispensable de le subordonner à des
formalités de nature à garantir contre l’abus qu’on se
rait tenté d’en faire, soit par négligence soit par fraude ;
or ces garanties l’intervention de la justice pouvait et
devait seule les offrir. Outre le contrôle que le juge
exercera sur la vente en principe, la publicité que rece
vra sa réalisation permet d’espérer une concurrence ex
cluant toute possibilité d’une vente à vil prix.
On a voulu équivoquer sur le sens réel de l’article
305, et contester que son inobservation put avoir pour
conséquence d’enlever au capitaine tout recours contre
le chargeur pour le solde qui peut encore lui être dû.
On a prétendu qu’en disposant : le capitaine peut, par
�ART. 5 0 5 ,
30 6 , 307
et
308.
autorité de justice, en faire vendre, etc.., cet article
ne rend l’intervention de la justice que purement facul
tative pour le capitaine ; que dès lors il n’encourt ni
peine ni reproche s’il n’a pas cru devoir user de cette
faculté.
Celte interprétation de la loi en méconnaît ouverte
ment le sens et la portée. Oui l’article 305 ne confère
qu’une faculté, mais cette faculté se rapporte non au
mode de vente, mais à la vente elle-même. Ainsi le ca
pitaine est libre de choisir ou de demander au chargeur
le paiement du fret entier, ou de provoquer la vente
des marchandises jusqu’à concurrence de ce qui lui est
dû; mais s’il opte pour ce dernier parti, rien ne saurait
le dispenser de s’adresser au juge et de faire procéder à
la vente dans les formes prescrites pour celles qui ont
lieu par autorité de justice.
On a dit encore la vente en justice peut avoir des in
convénients qu’il est bon d’éviter par une vente amiable.
Dans ce cas, le capitaine agissant comme negotiorum
gestor du chargeur, est autorisé à réaliser, au mieux des
intérêts communs, les valeurs qui forment son gage.
Tout ce qui peut en résulter pour lui, c’est, conformé
ment à l’article 1372 du Code civil, la responsabilité qui
incombe au mandataire, c’est-à-dire l’obligation de prou
ver qu’il a géré utilement, ce qui s’induit de l’absence
de tout préjudice pour le chargeur, et si un préjudice
existe, l’obligation de le réparer.
Il est difficile d’admettre qu’entre créancier et débiteur
il puisse y avoir lieu au quasi contrat de gestion d’afii — 36
�562
DROIT
MARITIME.
faires, car le créancier ne serait que trop porté à agir
dans son intérêt à l’exclusion de celui du débiteur.
Dans tous les cas, son admissibilité est impossible
lorsqu’il s’agit de disposer de la chose même du débi
teur; il s’opère alors contre celui-ci une véritable ex
propriation, et comprendrait-on que cette expropriation
pût se réaliser sans l’intervention de la justice, et en
dehors de ces formalités que la loi n’a édictées que pour
protéger et garantir tous les intérêts?
C’est à ce point de vue que s’est placé le législateur
lorsque, dans l’article 305, il a permis au capitaine de
se payer du fret qui lui est dû sur la marchandise qui le
doit, et lui a conservé son recours contre le chargeur en
cas d’insuffisance. Or cette insuffisance n’est légalement
acquise qu’autani que la vente a eu lieu par autorité
de justice. Si le capitaine a vendu amiablement, il est
présumé avoir accepté les marchandises en paiement du
fret, en avoir fait sa chose propre à ses risques, périls
et fortune, et avoir par conséquent libéré le chargeur.
La Cour de Rouen ne l’avait pas ainsi compris. Elle
jugeait, le 10 mai 1852, que l’inobservation, dans la
vente des formalités prescrites par l’article 305 du Code
de commerce, avait seulement pour effet de laisser à la
charge du capitaine la preuve qu’il a bien géré les affai
res qui lui étaient confiées ; et qu’en supposant qu’elle
constitue une faute, elle entraînerait non point la priva
tion arbitraire du fret restant dû, mais uniquement la
réparation du préjudice qui en serait résulté l.
�ART.
308, 306, 307
et
308.
863
Mais cette décision encourut la censure de la Cour ré
gulatrice, qui en prononçait la cassation le 29 mars
1854, et décidait, en conséquence, que lorsque le capi
taine, dans le cas prévu par l’article 305, a effectué la
vente des marchandises à l’amiable, et sans recourir à
l’autorité du juge, en l’absence du chargeur et de tout
consentement de sa part, il ne peut invoquer sa bonne
foi ni les circonstances de fait pour justifier l’omission
des formalités qui lui étaient prescrites, et pour réclamer
du chargeur ce qui lui reste dû sur le fret, voici les
motifs sur lesquels s’étaye cette solution :
« Vu l’article 305 du Code de commerce ;
» Attendu que si cette disposition du Code de com
merce autorise le capitaine d’un navire, en cas de refus
d’un consignataire, à se payer de son fret par la vente
des marchandises dont il est chargé, elle y met pour
condition expresse que ladite vente aura lieu par auto
rité de justice, et que ce n’est qu’alors qu’elle lui con
serve, en cas d’insuffisance, son recours contre le char
geur pour l’excédant du prix du fret sur le prix obtenu
par la vente ansi requise et faite ;
» attendu que cette condition de l’intervention de la
justice a eu pour but de sauvegarder les intérêts du
chargeur contre les abus auxquels pourraient donner
lieu des ventes qui seraient faites sans contrôle, et en
l’absence du chargeur et de tout consentement de sa
part;
» Attendu qu’il suit de là que toutes les fois qu’un
capitaine juge à propos de recourir au mode spécial ci-
�364
DROIT MARITIME.
dessus de recouvrement de son fret, il est tenu de se
conformer à ladite condition, laquelle ne saurait être
facultative de sa part sans rendre illusoires les précau
tions de la loi, et que par conséquent il ne peut invo
quer ni sa bonne foi, ni les circonstances de fait pour
justifier l’omission de ce qui lui était prescrit à cet
égard l.
809.
— La disposition de l’article 306, que l’article
280 rendait nécessaire, est la conséquence de la règle
que le fret n’est exigible est dû que par l’accomplisse ment du voyage. Or, le voyage n’est réellement accom
pli que par la mise à quai de la cargaison. Autoriser le
capitaine à retenir les marchandises dans le navire jus
qu’à payement du fret, c’était donc lui conférer la fa
culté d’exiger ce qu’il n’a pas encore gagné.
Le législateur obéissait d’ailleurs à une autre inspira
tion non moins équitable. Le destinataire des mar
chandises ne peut être tenu de les recevoir sans avoir
été mis à même d’en vérifier l’état. Or cette vérification
ne pouvait utilement se faire à bord. Il fallait donc de
toute nécessité que le débarquement réel et effectif pré
cédât le payement du fret.
Mais la marchandise mise à quai est désormais aux
risques du destinataire, et, par conséquent à sa dispo
sition. On pouvait donc craindre qu’il n’abusât de celte
faculté pour faire disparaître le gage plus spécialement
i J. du P , 1864, S, 61.
�ART. 5 0 5 , 5 0 6 , 3 0 7 ET 3 0 8 .
565
affecté à la créance du capitaine. Sans doute il conve
nait de protéger les intérêts du destinataire, mais celte
protection ne devait jamais aller jusqu’à sacrifier ceux
du capitaine. Il fallait donc trouver un moyen qui satis
fit aux uns et aux autres.
Les précédentes législations avaient cru le rencontrer
dans la faculté laissée au capitaine de s’opposer au tran
sport de la marchandise et de la saisir dans les allèges
et gabarres qui la conduisaient à quai. Mais, outre sa
sévérité, cette mesure avait l’inconvénient d’empêcher
une vérification complète et de ne pas accorder à cet
effet toute la latitude que le destinataire est en droit
d’exiger.
810.
— Cet inconvénient la fit écarter par les au
teurs du Code, qui lui substituèrent le droit de faire or
donner le dépôt en mains tierces. Ce droit, disait l’exposé
des motifs, parait mieux assorti aux formes conciliatri
ces du commerce. Il conserve les intérêts du capitaine,
qui doit être payé de son fret avant de liver irrévocable
ment son gage, en même temps qu’il pourvoit à la sû
reté du consignataire qui, avant de payer le fret, doit,
à son tour, pouvoir connaître l’état des marchandises
qu’on offre de lui délivrer.
En admettant' pour le capitaine la faculté d’exiger le
dépôt eu mains tierces, le législateur devait prévoir et a
effectivement prévu une difficulté qu’il importait de ré
gler. Le fret, pouvait-on dire, n’est exigible qu’après le
déchargement. Jusque-là le capitaine ne peut élever au-
�SG
6
DROIT MARITIME.
cune prétention. Donc, le dépôt ne peut être demandé
qu’après le déchargement entier, puisque le refus ou le
retard du payement ne peut s’effectuer qu’alors.
Ce qui pouvait résulter d’une pareille prétention était
de réduire la faculté laissée au capitaine à ne s’exercer
que sur une partie quelquefois insignifiante de la car
gaison, la dernière débarquée. La raison indique, en
effet, que le consignataire fera procéder à la mise en
magasin au fur et à mesure du déchargement qui exi
gera toujours un certain temps. Or, celte mise en ma
gasin rendrait irrecevable toute demande ultérieure en
dépôt de la marchandise.
Il fallait donc pour assurer au capitaine l’utile exer
cice qu’on lui réservait, que cet exercice pût précéder
même l’exigibilité du fret. C’est ce qui ressort des termes
de l’article 306 : Le capitaine peut d a n s l e t e m p s d e
l a d é c h a r g e . En d’autres termes, le dépôt est une me
sure essentiellement conservatoire qui peut être prise en
tout état de cause, et avant même que la dette dont il
devient la garantie puisse être exigée.
Le capitaine est donc fondé à exiger que les mar
chandises affectées au fret ne quittent le bord que pour
passer entre les mains d’un tiers consignataire, vérifica
tion préalablement faite au moment de leur mise à quai.
La désignation de ce tiers est laissée aux parties, si
elles peuvent s’entendre. A défaut, elle appartient au
tribunal de commerce.
8 1 1 . — Le capitaine serait-il fondé à exiger le dépôt
�ART.
308, 306, 507 et 308.
867
en mains tierces, lorsque la charte partie accorde un
délai pour le payement du fret, et que ce délai dépasse
évidemment celui que le déchargement doit exiger?
On a dit, pour l’affirmative, que l’exigibilité du fret
n’est à considérer que lorsque le payement en est réel
lement demandé ; qu’il faut distinguer entre la poursuite
en payement et l’exercice de la mesure conservatoire au
torisée par la loi; que l’utilité de celle-ci se décèle sur
tout lorsque le payement ne peut encore être exigé ; de
telle sorte que plus l’exigibilité est éloignée, et plus
on doit donner au capitaine le moyen de conserver
un privilège inhérent au fret, et auquel il est censé
n’avoir jamais renoncé, à moins de convention con
traire.
Le Tribunal de commerce de Marseille, en jugeant
dans ce sens, le 15 décembre 1826, ajoute : Que s’il en
était autrement, le privilège deviendrait illusoire, par la
facilité qu’aurait le chargeur de soustraire la marchan
dise à son exercice l.
A. cet argument, la réponse est facile : Volenti non fit
injuria. Si cette crainte était sérieuse, c’était au moment
du contrat qu’il fallait s’en préoccuper, et il était alors
facile d’en prévenir les conséquences. 11 n’y avait qu’à
refuser le délai sollicité par l’affréteur. Une fois la con
vention librement consentie, il n’y a plus qu’à l’exécu
ter. Il est trop tard pour en discuter les conditions que
i
J o u r n a l d e M a r s e ille ,
t. 8,
46.
�568
DROIT MARITIME.
la justice elle-même ne saurait modifier contre le gré de
la partie.
Nous convenons que le capitaine ne doit jamais être
censé avoir renoncé à son privilège, à moins de-conven
tion contraire. Mais cette convention contraire, nous la
trouvons précisémènt dans la stipulation d’un terme
dépassant nécessairement le délai du déchargement pour
le payement du fret. En droit commun, le consignataire
doit payer le fret en échange de la marchandise. Il reçoit
d ’une main et paye de l’autre. C’est pour contraindre
l’exécution du contrat dans ces termes, que le législateur
a sanctionné toutes les précautions que nous venons
d’indiquer.
Donc, déroger au droit commun quant à l’exigibilité,
c’est par cela même avoir renoncé aux mesures ayant
uniquement trait à cette exigibilité elle-même. Pourraiton, en effet, comprendre et admettre que celui qui sti
pule qu’il ne payera le fret que trois ou six mois après
la réception de la marchandise a pu entendre que, pen
dant tout ce temps, cette marchandise resterait en dépôt
en mains tierces, c’est à-dire qu’il aurait à ajouter au
fret les dépenses qu’occasionneront le magasinage et la
garde des marchandises, et la perte qui peut résulter
pour lui de leur indisponibilité?
L’absence d’une telle intention chez l’affréteur est tel
lement évidente que le capitaine ne serait pas même
admis à prétendre l'avoir ignorée. Or, s’il n ’a pu se
tromper sur la véritable pensée que renfermait la stipu
lation d’un terme pour le payement, il s’y est associé en
�ART. SOS, 3 0 6 , 3 0 7
et
308.
S69
signant la charte partie. Il a fait lacté de confiance à
l’affreteur, il s’en est reposé sur sa seule solvabilité. Il
est donc naturel de lui faire subir la loi qu’il s’est vo
lontairement imposée.
Pour échapper à ces considérations décisives, le tribu
nal de Marseille invoque la charte partie stipulant : -pour
/’exécution de ce que dessus, les affréteurs obligent
leur cargaison-, d’où il conclut que l’intention des par
ties a été de maintenir le privilège. Pour nous, cette
clause, tellement de style qu’on la trouve imprimée dans
tous les projets de charte partie, ne saurait être appli
quée que dans les cas ordinaires. La stipulation d’un
terme pour le payement en détruit l’effet, par la raison
qu’il y a incompatibilité entre les deux dispositions,
comme nous venons de le démontrer.
Nous arrivons donc à cette conclusion : Le fréteur
qui proroge le payement du fret renonce au bénéfice de
l’article 306. Il ne pourrait donc demander le dépôt en
mains tierces, que si la convention l’y autorisait formel
lement.
812.
— Le capitaine qui, dans l’hypothèse de l’ar
ticle 306, a omis d’exiger le dépôt, n’a pas perdu le
droit de se faire payer par privilège de son fret. La loi
lui accorde encore quinze jours, depuis la délivrance
des marchandises pour l’exercice de ce privilège.
Ainsi la délivrance réelle de la marchandise aux mains
du destinataire laisse subsister l’affectation dont elle est
frappée en faveur du fret. Mais si elle conserve le privi-
�570
DROIT MARITIME.
lége, elle anéantit le droit d’exiger le dépôt en mains
tierces. Le capitaine doit opter entre celui-ci et la livrai
son. Son option faite, il ne saurait y revenir.
Tout ce qu’il pourrait, ce serait une saisie-exécution
de la marchandise, puisque ce n’est qu’en empêchant la
vente, dans le délai de quinze jours, qu’il lui serait donné
d’utiliser le privilège que la loi lui confère pendant ce
délai. Bien entendu qu’il suffirait que la saisie fût pra
tiquée dans la quinzaine, pour que le privilège fût con
servé.
813.
— La seule condition que la loi mette à cette
conservation, est que la marchandise n ’ait point passé
en mains tierces. Ainsi la vente consentie par le consi
gnataire ne ferait nul obstacle au privilège, si elle n’avait
pas été suivie de la tradition réelle. C’est ce qui résulte
invinciblement de l’article 307. A notre avis encore, les
termes de cet article ne peuvent et ne doivent s’entendre
que d’un dépouillement réel, ostensible de la propriété.
Ainsi la marchandise confiée à un commissionnaire ne
serait pas passée en des mains tierces dans le sens de la
loi. Elles seraient donc affectées au privilège.
De plus, il ne suffirait pas d’une tradition feinte pour
rendre l’article 307 applicable quant à la condition. Dès
lors, la remise des clefs des magasins dans lesquelles
les marchandises ont été déposées d’ordre et pour com
pte du consignataire n’entraînerait point la perte du pri
vilège. Cette remise ne saurait équivaloir à ce dépouille
ment ostensible, fixant par lui-même l’époque précise et
certaine de la vente.
�a r t
.
505, 306, 507
et
308.
571
Mais la condition de l’article 307 serait acquise con
tre le capitaine, si, livrant la marchandise au porteur
du connaissement, il la laissait transborder sur un autre
navire, au nom et à l’adresse d’un tiers. Vainement ob
jecterait-il que le premier n’était qu’un commission
naire, et que la marchandise n’a jamais changé de
maître, les principes de la matière le repousseraient.
Pour lui, il n’y a jamais d’autre propriétaire que le por
teur du connaissement. Donc, et à quelque titre que
s’opère la mutation, il n’y a pas moins mutation, re
mise de la marchandise en mains tierces. L’une et l’au
tre résultent évidemment du chargement à bord du
navire, pour le compte, au nom et aux risques du tiers.
Le privilège est donc perdu et le capitaine pourrait
d’autant moins se plaindre, qu’au lieu d’aider au tran
sbordement, il aurait dû l’empêcher en demandant le
dépôt jusqu’à payement du fret. C’est ce que la Cour de
cassation a formellement jugé le 9 juin 1S45 L
814.
— Le privilège du fréteur prime tous les au
tres, même celui du vendeur non payé de la marchan
dise ; mais il est primé par celui du dépositaire pour les
frais de garde de magasinage et de conservation. Provo
qués par lui, ou exécutés dans son intérêt exclusif, il ne
saurait en récuser les conséquences.
Il s'exerce connaissement par connaissement, c’est-àdire que le privilège pour le fret des objets désignés dans
�572
DROIT MARITIME.
le même connaissement affecte la totalité de ces objets
et s’exerce indivisiblement et pour le tout sur un ou plu
sieurs objets composant le chargement, alors même que
chacun de ces objets payât le fret à un taux particulier.
S’il y a plusieurs connaissements, le privilège ne grève
pour chacun d’eux que les objets qui y sont portés,
alors même que tous stipuleraient le même fret.
Ainsi, un capitaine a remis au consignataire, sans
exiger le fret, un chargement de sucre et d’indigos ap
partenant au même affréteur. Le consignataire a vendu
et livré les indigos dans la quinzaine. Si les sucres et
les indigos ont été compris dans un seul et même con
naissement, le capitaine exercera son privilège sur les
sucres pour tout ce qui lui est dû, tant pour le fret de
ceux-ci que pour celui des indigos. Mais si les uns et
les autres ont fait l’objet d’un connaissement spécial, le
capitaine n’a de privilège sur les sucres que pour leur
fret. Il ne lui reste, pour celui des indigos, qu’une ac
tion personnelle contre le consignataire ou le chargeur *.
815.
— La faillite des chargeurs ou réclamateurs,
avant l’expiration de la quinzaine, n’exerce aucune in
fluence sur le privilège du fréteur. Tant que cette quin
zaine n’est pas expirée, le droit est acquis. Or, la faillite
peut bien modifier, quant aux effets, les droits de créan
cier, mais elle ne leur enlève aucun de leurs caractères.
Chacun d’eux reste après ce qu’il était avant.
i Valin, art. 24, tit. du Fret.
�ART. 3 0 8 , '80i5, 3 0 7
ET
308.
373
Celle des chargeurs ou réclamateurs, avant l’expi
ration de la quinzaine, a, au contraire, pour effet d’em
pêcher toute déchéance ultérieure du privilège. Elle place
en effet les marchandises dans les mains d’un déposi
taire légal, qui ne peut les vendre qu’au profit des cré
anciers, et que pour éteindre les charges qui les grèvent.
Quelle que soit donc l’époque à laquelle cette vente se
réalisera, il suffit que le capitaine soit privé du droit de.
la provoquer par une saisie que l’état de faillite interdit,
pour qu’il soit payé sur le prix, de préférence à tous
les créanciers.
Mais le privilège du fréteur, qui ne s’exerce que sur
les objets transportés, ne saurait grever les autres biens
du débiteur. Ainsi, dans le cas d’insuffisance du prix de
la vente, l’excédant de la créance du fréteur ne constitue
plus qu’une créance ordinaire pour laquelle il n’a qu’une
action purement personnelle. La condamnation dont
cette action aurait été suivie ne conférerait, en cas de
faillite, que le droit de concourir à la répartition de
l’actif au marc le franc avec tous les autres chirogra
phaires.
816.
— Le fret n’étant et ne pouvant être que le
prix du transport réel et effectif de la marchandise, les
indemnités accordées à ce titre par les articles précé
dents ne pourraient être l’objet d’un privilège quelcon
que. Simple réparation de l’inexécution du contrat, el
les ne constituent qu’une créance ordinaire.
Mais il importe, dans ce cas, de distinguer entre l’in-
�S74
DROIT MARITIME.
exécution absolue, intégrale, et l’inexécution partielle.
Celui qui a rompu le voyage avant le départ ou qui, soit
à l’aller soit au retour, a laissé partir le navire à noncharge, ne doit, en réalité aucun fret, puisque aucun
transport n’a été réalisé. Les expressions de la loi demi
ou entier fret n’ont d’autre objet que de déterminer la
quotité des dommages-intérêts auxquels il est tenu. Sur
quoi d’ailleurs ferait-on porter le privilège dans cette
hypothèse ?
Lorsque le chargement est seulement incomplet, ou
que la marchandise est retirée en cours de voyage, le
fret est dû, parce qu’il y a eu, en réalité transport ef
fectué. Le privilège existerait donc mais jusqu’à con
currence de la quantité des marchandises chargées dans
le premier cas ; de ce que le voyage était avancé, dans le
second. Le fret entier pour les objets non embarqués
ou retirés n’est dû qu’à titre d’indemnité, et ne don
nant droit qu’à l’action personnelle, se place dans la
catégorie de celui des marchandises non chargées.
Notons bien, en effet, que la question de privilège ne
s’agitera jamais que de créancier à créancier. Que l’af
fréteur doive à titre de fret ou à titre d’indemnité, la
chose est indifférente, car il n’en sera pas moins tenu
sur tous ses biens. Mais l’insuffisance de ces biens
mettant en présence les créanciers divers, il est juste que
chacun d’eux ait le droit de s’opposer à un prélèvement
de nature à diminuer sa part dans la distribution.
Or, pour les créanciers, le fret n’est dû que par l’ac
complissement du voyage. Il cesse donc de l’être si la
�ART. 5 0 9
ET 3 1 0 .
375
marchandise n’a pas été chargée, ou si elle a été reti
rée avant cet accomplissement.
Ainsi, disait Valin, le vendeur non payé, réclamant
et retirant sa marchandise pendant le voyage, ne payera
le fret qu’à raison de ce que le voyage est avancé. Pour
le surplus, le maitre n’aura qu’une action personnelle
contre l’affréteur 1.
En résumé donc, tout ce qui n’est accordé qu’à titre
de dédommagement, ne constitue qu’un droit person
nel qui ne saurait s’étendre à la chose. Il rie peut donc,
dans aucun cas, devenir l’origine d’un privilège.
Article 309.
En aucun cas, le chargeur ne peut demander de di
minution sur le prix du fret.
Article 310.
Le chargeur ne peut abandonner, pour le fret, les
marchandises diminuées de prix ou détériorées par leur
vice propre, ou par cas fortuit.
Si toutefois les futailles contenant vin, huile, miel et
autres liquides, ont tellement coulé qu’elles sont vides
i Art. 24, titre du Fret.
�576
DROIT MARITIME.
ou presque vides, lesdites futailles pourront être aban
données pour le fret.
817. Caractère de l ’article 309. L’affréteur ne peut jamais obte
nir une diminution du prix convenu.
818. Il ne peut abandonner la marchandise pour le paiement du
fre t.
819. Discussion soulevée par le projet du Code. Conséquences
de sa solution par le conseil d’Etat.
820. L’abandon est. prohibé, même lorsque la marchandise
n ’est pas détériorée.
821. Exception pour les futailles vides ou presque vides. Son
caractère.
822. Comment elle doit être appliquée.
823. Quid, si le coulage provenait du vice propre de la chose.
824. L’affréteur peut-il n ’abandonner que les futailles vides ou
presque vides, ou bien est-il tenu d’abandonner toute la
partie , lorsque le fret est convenu pour une somme déter
minée ?
f
J'
-
' *•
■
'
817.
— Aux termes de l’article 1134 du Code civil,
les conventions légalement formées tiennent lieu de loi
aux parties. L’exécution qu’elles ont reçue confère à
chacune d’elles le droit d’en poursuivre les effets que
cette exécution devait entraîner.
Dans la charte partie, la principale obligation du fré
teur est d’opérer le transport des marchandises au lieu
de leur destination. Cette obligation remplie, l’affréteur
doit, de son côté, exécuter celle qui lui est aussi prin
cipalement imposée, payer le prix convenu pour ce
transport.
�art. 3 0 9 et 5 1 0 .
577
Sans doute l’affréteur peut avoir à demander compte
de la manière dont le voyage s’est accompli, des retards
qu’il a subis, de la négligence, du défaut de soins im
putables au capitaine. Mais tout cela peut bien avoir
pour résultat de lui faire obtenir la réparation du pré
judice qui en est résulté pour lui, mais ne saurait le dé
lier de l’obligation de payer le fret, tel qu’il a été con
venu et fixé.
Telle était si évidemment la conséquence qui se dé
duisait des principes ordinaires du droit, que le législa
teur commercial n’avait aucune disposition spéciale à
consacrer. Aussi ne doit-on pas entendre l’article 309
comme prévoyant et prohibant l’hypothèse contraire. Ce
qui l’a motivé, c’est la nature particulière du contrat,
dont les circonstances imprévues et extraordinaires pou
vaient tout-à-coup changer le caractère et paraître de
nature à en modifier les conditions.
Par exemple, l’affrètement consenti en temps de
guerre coûte ordinairement le double du prix dont on
se contente en temps de paix. Cet état se substituant
tout-à-coup, et pendant le voyage, au premier, occa
sionnera à l’affréteur un double préjudice. D’abord
parcejque le prix qu’il a promis n’est plus en rapport
avec celui auquel il lui serait permis de traiter, ensuite
parce que la paix entraînera pour la marchandise une
baisse plus ou moins considérable. Ainsi, il payera un
fret exhorbitant, et à cette perte s’ajoutera celle qu’il se
ra obligé de supporter dans la revente des marchan
dises.
n — 37
�ï>78
DROIT MARITIME.
Ce concours de chances fâcheuses, qui peut égale
ment naître de la dépréciation notable que le charge
ment aura subi par fortune de mer, devait-il, pouvait-il
autoriser l’affréteur à demander et à obtenir une dimi
nution dans le prix du fret?
L’ordonnance de 1681 n’avait rien prévu à cet égard,
mais la doctrine, suppléant à son silence, enseignait la
solution depuis consacrée par le Code de commerce. Elle
trouvait le fondement de cette solution dans la prohi
bition faite à l’affréteur d’abandonner les marchandises
en payement du fret. Puisque celui-ci devait être inté
gralement payé, alors même que la marchandise n’avait
plus aucune valeur, on en concluait qu’il devait a for
tiori l’être lorsqu’il ne s’agissait que d’exonérer l’affré
teur d’une perte plus ou moins forte.
Cette opinion a été celle des auteurs du Code, qui
ont cru devoir la manifester. L’article 309 est général
et absolu. Le fret ne doit être diminué dans aucun cas et
pour quelque cause que ce soit, pas même lorsque s’a
gissant d’un passager, celui-ci meurt pendant la tra
versée.
818.
— Cette décision du Code sur la conséquence
que la doctrine ancienne tirait de la prohibition de la
faculté d’abandonner la marchandise faisait présager
celle qui serait admise à l’endroit de cette faculté. Elle
est, aujourd’hui comme autrefois, prohibée à l’affré
teur et d’une manière absolue, lorsque la détérioration
de la marchandise provient de son vice propre.
�ART. 3 0 9
819.
ET 3 1 0 .
579
— Le projet du Code sur ce point souleva plu
sieurs observations en sens contraire. Le tribunal de
commerce de Paimpol, croyant qu’il autorisait l’aban
don des marchandises non détériorées, demandait que
le fret fût déclaré payable en argent, à moins de con
vention contraire.
La Cour de Caen, le conseil et le tribunal de com
merce de Rouen voulaient qu’il fût clairement expliqué
que la prohibition concernait exclusivement le cas de
détérioration par vice propre. En cas de naufrage et
d’échouement, disaient-ils, la condition du chargeur,
qui n’a pas assez de marchandise ou qui les a retirées
en trop mauvais état pour faire face au payement du
fret, ne doit pas être plus aggravante que si ces mêmes
marchandises avaient péri. Il serait donc juste de l’ad
mettre à faire l’abandon, et, à ce moyen, de le tenir
quitte du fret pour lui épargner un double préjudice.
Cette observation avait déterminé la commission. Elle
avait donc, dans le projet corrigé du Code, rédigé ainsi
l’article : Les marchandises chargées peuvent être
abandonnées pour le fret dans tous les cas où leur
détérioration ne provient ni de leur vice propre, ni
de la faute du chargeur.
Cette disposition exonérait bien les chargeurs du dou
ble préjudice, mais en l’imposant à l’armement. Celuici, en effet, tenu des avaries éprouvées par le navire,
devenait seul responsable de celles souffertes par le char
gement.
La section, et plus tard le conseil d’état, ne crut pas
�580
DROIT MARITIME.
devoir favoriser l’un au détriment de l’autre. Laissant
les conséquences de la force majeure aux règles tracées
par les articles précédents, on en revint à ne prévoir ici
que l’hypothèse d’une détérioration par le vice propre,
et à adopter purement l’article tel qu’il figurait dans le
premier projet.
820.
— Faut-il admettre avec le tribunal de Paim pol que l’article 309 permet l’abandon des marchandi
ses non détériorées? Oui, répond M. Locré. La loi en
indiquant taxativement les marchandises pour lesquel
les l’abandon n’a pas lieu, l’admet pour toutes celles
qui sont en dehors de cette catégorie.
M. Locré se trompe sur le caractère de l’article 340
et sur les motifs qui l’ont fait consacrer.
11 est évident que cet article n’a pas entendu faire
une exception au droit commun. Dans la matière même
qui nous occupe, ce droit n ’autorise le payement du
fret qu’en argent. Le payement en nature d’une obli
gation relative à un prix stipulé en une somme déter
minée n’existe nulle part : aliud pro alio non datnr
invito creditore. Donc, pour que le contraire pût se réa
liser, il faudrait que la loi s’en fût formellement expli
quée, et, cette disposition expresse, nous défions qu’on
puisse la rencontrer dans l’article 340.
Ce qui a déterminé la prohibition que nous y rencon
trons, c’est que la nécessité de l’abandon ne pouvait
être prévue que dans le cas que cet article suppose. Quel
intérêt, en effet, peut avoir le chargeur à abandonner
�ART. 3 0 9 ET 3 1 0 .
8 81
une marchandise non détériorée et dont ia revente à sa
destination a formé précisément l’objet de sa spécula
tion. Si le voyage n’avait été entrepris que dans cette
intention, autant valait ne pas l’opérer.
Sans doute cet abandon pourrait, même dans l’hypo
thèse d’une conservation entière de la marchandise, of
frir un grave intérêt pour le chargeur, lorsqu’à l’arri
vée le cours de la place est tellement en baisse qu’au
lieu du bénéfice espéré, la revente ne produira qu’une
perte considérable et un prix insuffisant pour payer le
fret.
Mais le consacrer dans ces termes serait autoriser le
chargeur à spéculer aux dépens du navire ; ce serait lui
permettre de se réserver toutes les chances de profit, et
de laisser pour le compte de l’armement une bonne part
de celle de perte. Un pareil résultat serait d’une telle
énormité qu’on est dispensé même de défendre le légis
lateur de la pensée d’avoir voulu l’autoriser. Quel est le
propriétaire du navire qui voulût traiter à une pareille
condition?
En résumé donc, l’abandon des marchandises en
payement du fret n’est admissible dans aucun cas. Cette
conclusion que nous tirons de l’article 310 lui-même,
est, à notre avis, bien loin de mériter les reproches que
Valin lui adressait. Sans doute elle peut, dans une cir
constance donnée, blesser les intérêts du chargeur, mais
la solution contraire portait une atteinte bien autrement
grave à l'intérêt général. Subordonner le payement du
fret aux chances de la navigation, le faire dépendre de
�582
DROIT MARITIME.
l’état de la marchandise à l’arrivée, du cours même du
moment, c’était rendre tout armement impossible, c’était
méconnaître d’ailleurs la position respective des parties.
Le chargeur pouvant assurer le chargement se trouvera
ainsi indemnisé au moins en très-grande partie. Le fré
teur, au contraire, supporterait exclusivement toute la
perte, puisqu’il lui est interdit de faire assurer le fret.
821.
— Ce que nous croyons avec Valin, c’est que
rien ne justifie l’exception consacrée par l’article 310,
dans l’hypothèse des futailles vides ou presque vides.
Comment a-t on pu mettre le coulage à la charge de
l’armement.
Parce que, dit M. Locré, elles ne sont plus d’aucun
profit pour l’affréteur ? Mais n’est-ce pas exactement ce
qui se réalise pour les marchandises sèches, lorsque leur
détérioration leur a fait perdre toute valeur? On ne com
prend donc pas qu’un effet identique puisse, en même
temps, autoriser deux décisions si diamétralement con
traires.
Il est vrai que M. Locré estime que le coulage des
liquides n’a lieu ordinairement que par la faute du ca
pitaine, qui n’a pas fait donner aux futailles les soins
particuliers qu’elles exigent. Mais Valin a depuis long
temps répondu à celte objection. Si l’abandon des fu
tailles, disait-il, n’était admis que parce que le coulage
provient de la faute du capitaine, il ne suffirait pas de
lui refuser son fret, il faudrait encore le soumettre à des
dommages-intérêts.
�ART. 5 0 9
ET 3 1 0 .
Quoi qu’il en soit, l’article 310 existe pour la règle
comme pour l’exception, et doit dès-lors être exécuté
dans l’un et dans l’autre cas ; ce qui résulte de celle-ci,
c’est que, quelle que soit la cause du coulage, il reste
pour le compte de l’armement dès qu’il a atteint les pro
portions indiquées, il suffit que la futaille soit vide ou
presque vide, pour que l’affréteur soit dispensé d’en
payer le fret. Cela pourrait paraître étrange que le ca
pitaine soit ainsi appelé à souffrir de la force majeure,
par exemple, si, précipitée par la tempête une futaille
est défoncée du choc. Mais, dans ce cas, la marchandise
a évidemment péri par naufrage, et aucun fret ne serait
dû, aux termes de l’article 302.
822.
— Au reste, le caractère exceptionnel de la dis
position de l’article 310 indique dans quelles limites son
application doit se restreindre. L’abandon n’est receva
ble que si les futailles sont vides ou presque vides. Ce
que la loi exige donc, c’est la quantité perdue. Elle ne
se préoccupe nullement de la qualité et des détériora
tions qu’elle peut subir. Dès lors, si les futailles n’a
vaient pas notablement coulé, mais si leur contenu avait
subi une dépréciation, si le vin avait tourné, si l’huile
était devenue rance, l’abandon ne pourrait être offert et
libérer l’affréteur du payement du fret.
Ajoutons que l’énumération des marchandises conte
nue par l’article 310 n’a pas été considérée comme li
mitative. Tout ce qui est susceptible de coulage est ré
glé par sa disposition. C’est ainsi qu’on l’a déclaré ap
plicable aux sucres inférieurs, aux mélasses, etc.
�584
DROIT MARITIME.
823.
— L'abandon serait-il recevable si le coulage
provenait du vice propre de la chose? Valin soutenait
l’affirmative. La prohibition, disait-il, comprenant le vice
propre comme la force majeure, il est évident que l’ex
ception que cette prohibition reçoit les comprend l’une
et l’autre.
Mais, répondait avec raison Pothier, le locateur qui,
par son fait, n’a pas joui de la chose louée, n’en doit
pas moins le loyer. Or, telle serait la position de l’affré
teur qui aurait mis ses marchandises dans des futailles
hors d’état de les contenir et de les conserver. Le capi
taine ne répond que de l’arrimage et n’est pas obligé de
contrôler le conditionnement des effets qui lui sont con
fiés. On devrait donc lui appliquer les règles édictées
pour les voituriers par terre. Cette opinion, partagée par
M. Boulay-Paly *, nous paraît plus équitable et, par
conséquent, plus juridique. Le coulage, dans ce cas,
n’est dû qu’à la faute de l’affréteur, et nul autre que lui
ne saurait en être puni.
824.
Pothier examine en outre l’hypothèse sui-vante : Lorsque, dans une partie de marchandises pour
le fret de laquelle on est convenu d’une certaine somme,
il y a quelques barriques qui sont vides et d ’autres qui
ne le sont pas, suffit-il à l’affréteur pour être déchargé
du fret, pour raison des barriques vides, de les aban
donner, ou doit-il abandonner toute la partie ?
1 Tome 2, p. 498.
�ART. 3 0 9
et
310.
385
Pothier nous apprend qu’ayant fait consulter sur cette
question dans un port de l’Océan, il lui fut répondu que
l’ancienne jurisprudence de l’amirauté était qu’il fallait
abandonner toute la marchandise, mais qu’elle avait
changé depuis quelque temps, et qu’il suffisait d’aban
donner les barriques vides pour être déchargé du fret
dû par ces barriques.
Cette dernière jurisprudence, ajoute notre grand ju
risconsulte, me parait plus régulière ; quoiqu'on soit
convenu d’une somme unique pour le fret de toute la
partie, néanmoins ce fret, étant quelque chose de divi
sible, se répartit sur chacune des barriques qui compo
sent la partie. Chacune doit donc sa part du fret, et lors
qu’elle est périe, l’affréteur doit être déchargé de la part
qu’elle doit. Or, la barrique est réputée périe lorsqu’elle
est vide ou presque entièrement vide. L’affréteur en
l’abandonnant, ainsi que le peu qui reste, doit donc être
quitte du fret pour la part qu’elle en devait, sans être
obligé d’abandonner le surplus de la partie de marchan
dises l.
M. Dalloz se prononce pour l’opinion contraire; à son
avis, le fret n’est pas divisible; une somme unique
ayant été convenue pour le fret, elle est payable en en
tier ou ne l’est pas du tout, cela est conforme d’ailleurs
à l’esprit de l’article 309, suivant lequel, en aucun cas,
le chargeur ne peut demander une diminution du fret2.
*'
i
1
2
Chartes Parties, n° 60.
Nouveau Répertoire, V» Droit maritime, n° 947.
�S86
DROIT MARITIME.
II ne saurait s’agir dans notre hypothèse de la dispo
sition que M. Dalloz invoque. Pour qu’il y eût lieu à
diminution du fret, il faudrait d’abord que le droit de
l’exiger fût acquis et pour cela que la marchandise fût
arrivée à sa destination. Or l’article 310 raisonne dans
l’hypothèse contraire, car M. Dalloz l’enseigne lui-même.
L’abandon n’est autorisé que parce que la marchandise
perdue pendant le voyage n’arrive pas et ne se trouve
pas à bord. Donc celui qui, en position de revendiquer
le bénéfice de l’article 310, prétend en user, ne deman
de pas une diminution de fret ; il ne fait que refuser de
payer la partie de ce fret qu’il ne doit pas, qu’il n’a
jamais due.
Quant à la divisibilité du fret, elle est trop praticable
en fait pour que le législateur ait entendu la proscrire
en droit, ce qui le prouve, c’est le laconisme de l’article
310.
Si le législateur fût entré dans la voie indiquée par
M. Dalloz, il n’eût pas manqué de déterminer la pro
portion dans laquelle l’abandon devrait s’exercer. Suf
fira-t-il d’une barrique vide ou presque vide pour que
le capitaine soit obligé de se charger des quatre-vingtdix-neuf autres, si le chargement se compose de cent?
Faudrait-il, au contraire, que les barriques vides re
présentassent le quart, le tiers, la moitié du nombre
total ?
Or, tout ce qui pouvait résulter d’une proportion
quelconque, c’était, dans certains cas, de retirer à l’af
fréteur le bénéfice que l’article 310 a entendu lui con-
�mm%'•
ART. 3 0 9
ET 3 1 0 .
587
férer, et le soumettre à payer le fret pour une marchan
dise qu’il ne reçoit pas. Supposons que la loi eût exigé
le quart, si vingt-cinq barriques sur cent étaient vides
ou presque vides, l’abandon serait recevable, mais il ne
le serait pas s’il y en avait seulement vingt-trois ou
vingt-quatre, et le payement de l’entier fret devenant
une nécessité, on arrive au résultat que nous signalons.
Veut-on admettre qu’une seule barrique vide devait
autoriser l’abandon, au choix de l’affréteur, le péril
était déplacé et restait tout entier du côté de l’arme
ment. En effet, si à l’arrivée le cours de la marchan
dise promet un bénéfice, l’affréteur se gardera bien de
faire abandon, car ce bénéfice l’indemnisera bien audelà du fret qu’il a à payer. Le capitaine n’aura aucun
droit de l’y contraindre.
Que si, au contraire, la marchandise est en baisse et
qu’une perte soit imminente en ce sens que la revente
ne produira pas de quoi payer le fret entier, l'abandon
ne manquera pas delà mettre à la charge de l’armateur
qui sera ainsi tout-à coup transformé en spéculateur et
en spéculateur malheureux, par un événement indépen
dant de sa volonté. Aux dépenses ordinaires du navire,
aux avaries qu’il pourrait avoir éprouvées, il aurait à
joindre les frais de déchargement, la perte pour le temps
que consommerait la vente et la différence entre le prix
qu’elle produirait et le fret convenu.
Ainsi, préjudice pour l’affréteur ou pour l’armement,
telle serait l’inévitable conséquence de l’indivisibilité du
fret.
m
m
�888
DROIT MARITIME.
Ce n’est pas tout encore. Supposez que, sur cent bar
riques, cinquante ont entièrement ou presque entièremenl coulé, tandis que le contenu des cinquante autres
s’est tellement détérioré par son vice propre qu’il en a
perdu toute valeur. En faveur de qui devra t-on se pro
noncer? Autorisera-t-on l’abandon total, malgré les
termes formels du premier paragraphe de l’article 310,
ou bien le repoussera-t-on d’une manière absolue ?
Voilà pourtant les inextricables difficultés auxquelles
aboutit le système adopté par M. Dalloz et que la doc
trine de Pothier résout d’une manière si équitable et si
naturelle. Il n’y a donc pas à hésiter entre l’une et
l’autre, et c’est ce que le commerce n’a pas manqué de
faire, en s’arrêtant à celle-ci dans tous les cas.
FIN DU DEUXIÈME VOLUME
�TABLE ALPHABÉTIQUE
DES MATIÈRES
L e s c h i f f r e s i n d i q u e n t l e s n u m é r o s d ’o r d r e
A
l.
— Dans quel cas le capitaine peut-il abandonner son navire?
Ses devoirs envers l ’équipage, 489 et suiv. — Constatation de l ’avis
de l’équipage. Conséquences du défaut du procès-verbal, 491. —
Q u id , si le navire a réellement péri ou s’il a été capturé par l’en
nemi, 492.
Abandon des marchandises. — L ’affréteur ne peut abandonner les mar
chandises en payement du fret. Caractère et étendue de cette prohibi
tion, 818 et suiv. — Exception pour les futailles vides ou presque
vides. Comment doit-on l’appliquer? 821 et suiv. — Q u id si le cou
lage provient du vice propre de la chose, 823. — Comment se fait
l’abandon lorsque les futailles sont une partie vide et l’autre pleine ?
824.
Abandon dd navire et du f r e t . — Ses effets pour le propriétaire des
marchandises vendues ou engagées pour les nécessités du voyage,
785.
Acquits a caution ou de payement . — Le capitaine doit les avoir à
bord pendant le voyage 390. — Conséquences de l’inobservation de
cette obligation 403. — Doivent lu i être remis par l ’affréteur ving tquatre heures après le chargement, 694.
Acte de francisation . — Le capitaine doit en être porteur. Motifs,
390. _ Effet de son omission, 403.
Acte de pro priété . — Obligation pour le capitaine d’avoir à bord l’acte
Abandon.
�590
TABLE ALPHABÉTIQUE
de propriété du navire, 390. — Conséquences de l’inobservation de
cette prescription, 403.
Affrètement . — Le capitaine peut le consentir sans autorisation hors
la demeure des propriétaires. Toute dérogation serait nulle à i’égard
des tiers, 443 et suiv. — Caractère de l’affrètement total ou partiel.
Ce qu’il comprend, 713 et suiv. — Effets de l’affrètement au voya
ge ou pour un temps lim ité, 716. — Comment se règle le fret? 717.
— affrètement au tonneau ou au quintal. Son caractère, 718 et suiv.
— Le fret se calcule sur le poids brut. Exception, 720. — Affrète
ment à forfait. Devoirs q u'il impose au capitaine, 721. — A cueillette.
Son caractère, 722. — Quel que soit le mode convenu, l ’affrètement
doit énoncer le tonnage du navire. Effet de l ’omission, 724. — L’a
cheteur du navire affrété est-il tenu de l’exécution du contrat, 727.
— Voy. A ffré te u r, A u to r is a tio n d u p r o p r i é t a i r e , C h a r te p a rtie ,
F r e t.
— Peut décharger ses marchandises pendant le temps de
l’arrêt du navire. Conditions, 670. — Peine qu’il encourt s’il refuse
de recharger ou s’il ne le fait pas en temps utile, 671. — Droits de
l ’affréteur du navire entier. Conséquence pour les sous-affrétements
consentis par le capitaine, 728 et suiv. — Quand peut-il s’opposer
à ce que le capitaine charge sur les parties du navire exclues de
l’affrètement? 731. — Son obligation à l ’endroit du fret, 7 32 .—
Droits et obligations de l ’affréteur partiel, 634 et suiv. — L ’affréteur
ne peut rompre le contrat qui a reçu un commencement d’exécution,
737. — Exception pour l ’affréteur à cueillette. Motifs et caractère de
cette exception, 750 et suiv. — A quelle époque celui-ci peut-il reti
rer ses marchandises ? Indemnité et frais qu’il doit payer, 753 et suiv.
— A quelles conditions l ’affreteur peut-il retirer ses marchandises
pendant le voyage? 755 et suiv. — Sa responsabilité s’il arrête ou
retarde par son fait le départ du navire, 761 et suiv. — Ses obliga
tions lorsqu’il a affrété pour l ’aller et le retour, 763 et suiv. — Ses
droits lorsque le navire a été arrêté ou retardé par le fait du capi
taine, 765 et suiv. — Q u id , si le retard provient du propriétaire du
navire, 767. — Voy. A ffrètem en t, C h a r te - p a r tie , C o n n a issem en t,
Affr éteu r .
F r e t,
ee prince . — Son caractère. Ses effets sur l ’exécution de la
charte partie, 568 et suiv.; 667 et suiv. — Sur le fret, la nourri
ture et les loyers de l ’équipage, 189 et 9uiv.
A rrêt
�DES MATIERES.
Arrimage
— Voy.
C h a r g e m e n t.
du juge — Quel est le juge appelé à autoriser l’emprunt
pour les nécessités du navire. Caractère de l’autorisation, 447.
Autorisation
AuTORisATiON
du
PROPRIÉTAIRE. — Quand est-elle requise p our l’affrè
tem ent ou au tres nécessités du navire?
céder lo rsq u ’il
y
428 — Comment doit-on pro
429 _ Conséquences e t
a plusieurs propriétaires ?
430 et suiv.
Avarie . — Position du capitaine qui a passé dans ses comptes des ava
ries supposées, 461. — V oy. Q u e d i t être.
Aveu . — L ’aveu du capitaine dans le rapport non vérifié n’est pas indi
visible, 526. — Voy. R a p p o r t.
effets du défaut d’autorisation,
de patron . — Distinction entre la baratterie criminelle et
la baratterie civile. Caractère et effets de l ’une et de l’autre, 361 et
suiv.
Blessure . — Effets des blessures reçues au service du navire, 604. —
De celle reçue en le défendant, 605. __ De celle reçue à terre, sui
vant que le blessé y est venu avec ou sans autorisation, 606 et suiv.
Blocus. — Devoirs que le blocus du port de destination impose au ca
pitaine Q u id , de celui qui s’étend à tout le pays, 662 et suiv. —
Voy. I n te r d ic tio n de com m erce.
Baratterie
— Qualités requises pour être capitaine. Par qui il est choi
si, 355. — Peut-on traiter avec un capitaine employé par un autre?
356. — Caractère de sa mission. Conséquences quant à la faute trèslégère, 357 et suiv — Nature de sa responsabilité. Il ne peut y être
valablement dérogé, 359 .— Répond des faits de contrebande, de
l’infraction aux lois de discipline et de police, 360. — L’article 221
s’applique au capitaine engagé à la part, 362. — Pouvoir des trib u
naux dans les questions de responsabilité du capitaine, 363. — A le
Ca pitaine .
�592
TABLE ALPHABÉTIQUE
droit de choisir l’équipage, 364 et suiv. — Ses devoirs à l’embarque
ment. Formalités qu’il doit remplir, 370. — Sa responsabilité s’il
constitue un équipage inexpérimenté ou insuffisant, 374 . — Etendue
de celle qu’il encourt pour les faits de l’équipage, 372. — D oit tenir
un registre, 373 et suiv. Voy. Livre de bord. — Veiller à la mise
en état matérielle du navire, 377 et suiv. — Pièces qu’il est obligé
d’avoir à bord, 388 et suiv. — D oit partir sur l’ordre que lu i en
donne l ’armateur, 392. — Se trouver sur le navire à l’entrée et à la
sortie des ports, havres ou rivières, 393. — Appeler un pilote. Effets
de la présence de celui-ci sur sa responsabilité, 394 et suiv— Effets
de la violation de ces divers devoirs, 398. — de son absênce à l ’en
trée et à la sortie des ports, havres ou rivières, 404. — Ses salaires
sont saisissables, 426. — Ne peut, dans le lieu de la demeure des
propriétaires, agir sans leur autorisation, 428 et suiv. — A le droit,
en cas d’affrètement régulier, de contraindre les copropriétaires à con
tribuer à la dépense occasionnée par la mise en état du navire. Na
ture de ce droit. Procédure, 439 et s u iv .__Effets de la condamna
tion ou de l ’emprunt réalisé, 442. — Il doit, avant son départ d’un
port étranger, envoyer aux propriétaires l’état prescrit par l ’art. 23S.
Exception, 463 et suiv. — Le capitaine naviguant à profit commun
ne peut faire aucun trafic ou commerce pour son compte particulier,
481. — Secus, de celui qui est à part dans le fret, 487. — A quelles
conditions il lu i est permis d’abandonner le navire ? 489 et suiv.
Obligations que lu i impose l ’abandon, 494. — Ses devoirs à l’arrivée,
voy. Livre de bord, Rapport. En cas de relâche forcée, voy. Relâ
che. En cas de naufrage, voy. Naufrage. Ne peut décharger avant
d’avoir fait son rapport, S30. — Ses devoirs et ses droits quant à
l’approvisionnement du navire, voy. Victuailles. — A droit à l ’in
demnité accordée par l’article 252 en cas de rupture de voyage, 566.
— Q u id , de celle accordée en cas de prolongation ou de raccourcis
sement, 582. — Ses devoirs à l’arrivée pour la consignation du na
vire et la délivrance des marchandises, 702 et suiv. — Comment se
règlent les difficultés que cette délivrance peut faire naitre ? 7 1 1 .—
Ses droits en cas de refus d’accepter les marchandises, 806 et suiv.
— Ne peut retenir les marchandises à bord, jusqu’à payement du
fret. Quand peut-il demander le dépôt en mains tierces, 809 et suiv.
— V oy. A ffrè te m e n t , A ffré te u r,
C h a r te p a r tie ,
E m p r u n t, F r e t, R a d o u b , V isite, V o y a g e .
C o n n a isse m e n t,
�DES MATIÈRES.
595
Cautionnement . — Ses effets quant à l’exercice de la contrainte par
corps contre le capitaine ou autres gens de l ’équipage, 422. — Sa
forme et son étendue, 423.
Chapeau [Droit de). — Comment on peut le stipuler, 659. — Est-ce au
capitaine ou à l ’armement qu’il est dû? 660.
Chargement . — Le capitaine doit veiller au chargement du navire. Na
ture de ce devoir. Obligation de ne pas surcharger, 405. Est respon
sable des accidents survenus et des retards apportés au chargement
des marchandises à sa disposition, 406. — Règles qu'il doit suivre
pour l’arrimage, 407. — Motifs de la prohibition de charger sur tillac, 409. — Exemption pour le petit cabotage, 410. — Forme du
consentement exigé, 411. — Le chargement fait dans la dunette est
assimilé à celui fait sur tillac, 412. — Prohibition au capitaine et à
l ’équipage de rien charger sur le navire sans en payer le fret, s’ils
n’y sont autorisés, 5 4 9 . — Législation ancienne sur la portée ou
l’ordinaire des m atelots, sur le port permis, systèm e du Code, 550
et suiv. — Le port permis peut être racheté par l ’armateur. Consé
quences, 552. — Comment il est procédé au chargement entre les
divers affréteurs, en cas d’insuffisance du navire, 747. — Droit de
l ’affréteur d’empêcher que le capitaine charge des marchandises pour
son propre compte dans les parties du navire non comprises dans
l ’affrètement, voy. Affréteur.
Charte
p a r t ie .
— Le capitaine doit les avoir à bord. Exception, 390.
— Effets de l ’inobservation de cette prescription, 403. — Objets
qu’elle se propose, 640. — Son origine, 641 — Doit être rédigée par
écrit. Conséquences, 642 et s u i v . __La signature du courtier peutelle remplacer celle de la partie, 644. — Effet du défaut d’acte écrit,
645. — La charte partie n’est pas nécessaire dans le petit cabotage.
Comment on peut prouver l ’existence du contrat ? 646 et suiv. —
Enonciations qu’elle doit renfermer, 648 et suiv. — Toutes autres
conventions sont permises, si elles n’ont rien d’illicite, 668. — Effets
de l’interdiction de commerce et de l ’arrêt de Prince sur la charte
partie, 662 et suiv.
Coffre . — Les marchandises que les gens de mer portent dans leur
coffre, sont exemptes de fret, 558.
C onduite [Droit de). — Est dû en cas de rupture volontaire du voyage.
ii — 38
�594
TABLE ALPHABÉTIQUE
Nature de ce droit. Comment il se règle, 566. — Quid, en cas de
naufrage, 598,
Confiscation . — V oy. Loyers, Marchandises, Pacotille.
Congé . — Faculté pour le capitaine de congédier les gens de l ’équipage.
Effets de son exercice suivant qu’il y a ou non une cause valable,
622 e ts u iv .—La cause valable est toujours présumée. Conséquences,
627. — Effet de l ’existence d’une cause valable, 628. — Le congé
peut être donné par le capitaine, même dans le lieu de la demeure
du propriétaire, 629. — A la charge de qui est l ’indemnité si elle est
due? 6 3 0 .— Quid, si le capitaine a contraint le matelot à le deman
der, 631
— Formes à suivre pour le congé à l’étranger ou dans les
colonies, 6 3 2 .__Le congé donné avant la clôture du rôle d’équipage
ne donne lieu, en aucun cas, à indemnité, 633.
Congé
de navigation .
— Son objet. Le capitaine doit l ’avoir à bord,
391. — Ce qui résulterait de son absence, 403.
Connaissement . — Son objet. Pourquoi est-il prescrit au capitaine de
l’avoir à bord? 391, 403. — Buts divers qu’il est appelé à remplir,
675. Indications qu’il doit renfermer, 676 et suiv. — Doit être daté,
681.— Peut être à ordre, au porteur. Mode et effets de sa transm is
sion, 683 et su iv ___D oit être fait à quatre originaux au moins, 690.
— D oit-il mentionner l ’accomplissement de cette formalité? 691. —
Par qui et dans quel délai doit-il être signé? Caractère du Délai,
692 et suiv. — Effets du défaut de signature, 695. — Effets du con
naissement régulier entre partie, 696. — Effets de la clause : Sans
approuver, que dit être, ou mesure à moi inconnue. Droit du capi
taine à la faire insérer, 697. — Présomption que le connaissement
régulier crée cortre les tiers intéressés au chargement, 698. — Effet
du connaissement irrégulier, 699. — Comment se règle la divergence
entre les exemplaires d’un même connaissement, et celle entre le
connaissement et la charte partie sur le prix du fret, 700 et suiv. —
Le capitaine est toujours directement et personnellement responsable
des objets portés au connaissement, 712.
Consignâtaibe — Obligation pour le consignataire de donner un regu
de la marchandise qui lui est livrée, et de recevoir la marchandise,
705 et suiv. _
Effets du refus, 707 et suiv. — V oy,
C o n su la t . — V oy. R a p p o r t.
»
Capitaine.
�DES MATIÈRES.
Contrainte
par corps .
595
— A quelles conditions peut-elle être exercée à
bord du navire contre les gens de l ’équipage ? 619. — Voy Gens de
mer. — Dans quel cas est-elle suspendue, et comment on peut en
empêcher l ’exécution, 422. — V oy. Cautionnement.
D échargement . — Intérêt du capitaine à faire constater, avant le dé
chargement, le bon état de son arrimage, 408. — Il lui est interdit
de le commencer avant d’avoir fait son rapport, 530 et suiv. — Ex
ception. Devoirs du capitaine, 532.
D unette . — V oy. C h a rg e m e n t.
J
E
Emprunt . — Dans quels cas le capitaine peut emprunter pour les né
cessités du navire? A quelles conditions? 446. — L e capitaine dû
ment autorisé peut-il contracter un emprunt à la grosse ou par les
voies ordinaires? 449 et suiv. — Peut-il affecter le chargement s’il
emprunte à la grosse? 453 et suiv. — Effets de l’inobservation des
formalités prescrites par l ’article 234. Peut-elle être opposée aux
prêteurs par les propriétaires du navire ? 455 et suiv. — Le capitaine
est tenu de, justifier de l’emploi des sommes empruntées, 460. — Ef
fets de l’emprunt contracté sans nécessité, 461 et suiv.
Engagement. — L ’engagement des gens de mer est réglé, quant à sa
durée, par l ’article 1780 du Code civil, 539. — Modes divers admis
par la loi. Actions qui en naissent, 540 et suiv. — Comment il est
établi.
Foi due au rôle d’équipage, 542 et suiv. —
A défaut,
le
mode est déterminé par la convention ou l ’usage, 545. — Comment
il est procédé pour les engagements contractés à l’étranger ou en
cours de voyage, 546, — Devoirs du m atelot régulièrement engagé,
547. — La substitution du navire, ou du capitaine, ou de l’un et de
l’autre, ne rompt pas l ’engagement, 548. — Obstacles pouvant s’op
poser à l ’exécution de l ’engagement, 559. — Effets de l ’inexécution^
voy. R u p tu r e d u v o y a g e . Caractère de l ’engagement au profit ou au
fret. Conséquences dans le cas de rupture, 583 et suiv.
�896
TABLE ALPHABÉTIQUE
E quipage . — Comment il doit être formé, 394 et suiv. — Qui doit dé
terminer les salaires, 369. — Qualités requises pour pouvoir en faire
partie, 538. — V oy. Capitaine, Engagement, Gens de mer, Mate
lots, Officiers.
E sclavage. — Droits du matelot pris et fait esclave, 616 et su iv,. —
Comment se règle l’indemnité du rachat ou par qui elle est due ? 618
et suiv. — Détermination de l’indemnité. Formes de son recouvre
ment et de son emploi, 621.
E tranger . — Les capitaines étrangers sont-ils liés par l ’article 225 du
Code de Commerce? 385. — Devant qui sont-ils obligés de faire leur
rapport? 500.
F a ute . — V oy. C a p ita in e .
F orce
m ajeure .
_
Ses effets sur sur la responsabilité du capitaine. Na
ture de la preuve exigée, 413 et suiv. — Elle n’existe que si les cau
ses de l’événement ne peuvent être imputées ni au fait du capitaine,
ni à celui de l’équipage, 416. _
V oy. A r r ê t du P r i n c e , B lo cu s,
In c e n d ie , I n te r d ic tio n de co m m erce.
F r e t . — Ne commence à courir que du jour où le navire a fait voile,
lorsque l’affrètement est au mois, 661. — Comment il est réglé pour
les marchandises non chargées ou retirées avant le départ, ou pen
dant le voyage? 754 et suiv. — Celui du chargement non déclaré,
757. — Comment se règle le fret des marchandises vendues ou mises
en gage pour les nécessités du voyage? 780 et suiv. — Celui des mar
chandises vendues pour cause d’avaries, 785. — Dans quels cas
l ’affréteur est libéré du fret de retour ? 786 et suiv. — Effets de l ’ar
rêt du Prince, 789, — Le fret est dû pour les marchandises jetées à
la mer pour le salut commun. Comment il se règle? 792 et suiv. —
Il n’en est dû aucun en cas de naufrage, de pillage ou de prise, 794.
— Conséquence quant au fret payé d'avance, et quant à celui des
marchandises sauvées, 795 et suiv. — A quelle époque le fret cesset-il d’être dû en cas de pillage ou de prise? 797. — Ne peut être di
minué dans aucun cas, 817. — V oy. A ffré te u r , C a p ita in e ,
g n a ta ir e , R a c h a t.
C on si
�597
DES MATIÈRES.
"
1f
F réteur . — Il est obligé de mettre et de maintenir l’affréteur en jouis
sance du navire promis. Conséquences, 726. — Effet, en ce qui le
concerne, de la vente du navire postérieurement à l’affrètement, 786.
— Peut demander la résiliation de la charte partie, en cas de nonexploitation du navire, 733. — V oy. Affrètement, Affréteur, Char
te partie, Connaissement.
„
O
Gens
de m eb .
— Ne peuvent être arrêtés pour dettes civiles lorsqu’ils
sont ou qu’ils se rendent à bord pour faire voile, 417. — Caractère
et effets de ce privilège, 418. — Quelles sont les dettes pour lesquel
les il est accordé ? 424 et suiv. — V oy. Chargement, Coffre, Enga
gement, Equipage, Loyers, Matelots, Pacotille.
Gérant . — Le copropriétaire-armateur qui gère est soumis à la prohi
bition de l ’article 239. Peine qu’il encourt en cas de violation, 488.
tl
H uissiers -v isiteurs . — Leurs fonctions sous l’ordonnance de 1681,
378. — Conséquences de leur suppression, 379.
I
I ncendie —
L’incendie du navire constitue-t-il une force majeure? 416.
I n div isibilité . — V oy. Aveu, Rapport.
I nnavigabilité . — Effets de l ’innavigabilité sur la Vente du navire. A
quelles conditions est-elle acquise? 467 et suiv. — Qui est appelé à
la déclarer. Nature de la preuve, 469 et suiv. — Conséquences de son
existence pour le payement du fret, 771 et suiv. — Quid si elle e x is
tait avant le départ du navire, 777. — La preuve en est recevable,
malgré le certificat de visite, 778 — Effets de cette preuve, 779.
I nscription
m aritim e .
— Nature et objet de l’inscription maritime, lé .
gislation qui la régit, 538.
�598
table
I nterdiction
de commerce.
a l p h a b é t iq u e
— Ses effets sur l ’engagement des gens de
mer, voy. Rupture du voyage. _
Sur la charte partie, 662 et suiv.
— Cas divers qui lui sont assim ilés, 665, — Ses effets sur le paie
ment du fret, voy. Fret.
J
J et
a la mer
— Comment se règle le fret des marchandises jetées à la
mer pour le salut commun? V oy. Fret.
L
L ivre
de bord .
— Obligation du capitaine de le tenir. Motifs, 373. —
Sa forme 374. — Enonciations qu’il doit renfermer, 375. — Foi due
à ses énonciations, 376. — Conséquences du défaut de production,
399. — Exception en cas de perte. Comment peut-elle être établie
et dans quel cas le capitaine est-il recevable à l’alléguer ? 400 et suiv.
— D oit être visé à l ’arrivée au port de destination. Par qui ? 497. —
Sa production ne peut suppléer le rapport, 498.
L oyers . — Effets du naufrage avec perte entière sur les loyers des ma
telots, 587. — Quels sont les loyers perdus, si le naufrage ne se réa
lise qu’au retour? 588 et suiv. — Quid, de la perte entière résultant
de la confiscation, 592. — Comment ils affectent les objets sauvetés,
5 9 3 . __Comment ils sont payés en cas de maladie, blessure, mort
ou captivité, 599 et suiv. — Privilège qui leur est accordé sur le na
vire et le fret. Caractère et étendue de ce privilège, 634 et suiv.
—
Où et comment ils doivent être payés? 636 et suiv. — Sont considé
rés comme avaries, en cas d’arrêt du prince. Qui les supporte? 790.
— Ne contribuent pas au rachat, 804. — V oy. Sauvetage.
M
Ma ît r e . — V oy. Capitaine.
Maladie . — Les frais du traitement de la maladie survenue pendant le
voyage sont à la charge du navire. Nature et étendue de cette obli-
�DES MATIÈRES.
899
gation, 899 et saiv. — Quid, de celle qui survient pendant le rapa
triement des matelots, 802. — De celle qui est imputable à celui qui
en est atteint, 603.
Manifeste . — Sa nature, ses effets, devoirs du capitaine, 391. — Con
séquence de son omission, 403.
Marchandises. — Faculté pour le capitaine de les vendre ou engager
pendant le voyage pour les nécessités du navire. Conséquences, 481.
— Les chargeurs peuvent empêcher l ’un et l’autre en déchargeant.
Comment se règle le fret ? 482 — Le capitaine peut les affecter à
l’emprunt à la grosse contracté pour les mêmes nécessités, 483. —
Celles embarquées pour son compte par le capitaine à profit commun
seraient confisquées au profit des coïntéressés. s’il n’y a convention
contraire, 481. — Quid, de celles qu’il expédierait par d’autres na
vires, 482 et s u i v . __Effets d e là confiscation, 487. — V oy. Affrète
ment, Affréteur, Capitaine, Fret.
Matelot . — Leurs salaires sont insaisissables, 424. — V oy. Engage
ment, Equipage, Gens de mer, Loyers, Pacotille, Rupture du
voyage.
Mise a terre . — Droit du capitaine de mettre à terre les marchandises
chargées à son insu. Quand peut-il et doit-il l ’exercer? 787 et suiv.
— Dans quelles occasions doit-il le faire ? 759 et suiv.
Mort . — Effets de la mort des matelots sur les loyers, voy. Loyers. La
mort du passager n’est pas une cause de diminution du fret dû pour
son passage, 817.
IV
Naufrage . — Obligation pour le capitaine qui s’est sauvé seul ou avec
une partie de son équipage, 814. — Délai qui lui est accordé pour la
remplir, 5 1 8 . — Comment doit être affirmé le rapport, 516. — Où
doit-il être déposé? — Effets du naufrage sur les loyers des matelots,
voy. Loyers. Sur le fret, voy. Fret.
I
N ous. — Voy. Fret.
Nolissement . —
Voy. Affrètement.
�600
TABLE ALPHABÉTIQUE
O
Officiers . — Les salaires de tous les officiers du bord sont saisissables,
426. — Peuvent être congédiés par le capitaine, 625. — V oy. Capi
taine, Chargement, Congé, Engagement, Loyers, Pacotille, Port
permis, Prescription.
Ordinaire
des matelots .
— V oy. Chargement.
F
P acotille . — Nature, objet et effets de ce contrat, 553. — La prime
d’assurance peut-elle être prélevée avant le partage du bénéfice, 554.
— Obligation du preneur, 555. _ ; Comment se paye le fret des mar
chandises excédant le port permis, 556 — Cet excédant et les mar
chandises chargées sans port permis sont-ils soumis à la confiscation ?
557.
P atente
de santé .
— Obligation pour le capitaine d’en obtenir la déli
vrance et de l ’avoir à bord, 391, 403.
P atron . — V oy. Capitaine.
P illage . — Effets du pillage de la cargaison sur le fret, 797. V oy. Fret
P ilo te . — Sa responsabilité, 395. — Indemnité qu’il peut exiger, na
ture de son action, 396 et suiv. — Ses salaires sont saisissables, 426.
P ort P erm is . — V oy. Chargement, Pacotille.
P ortée
des matelots
— V oy. Chargement, Coffre.
P reu v e . — La preuve que les nécessités alléguées n’existaient pas est
admissible nonobstant l ’accomplissement des formalités prescrites
par l ’article 234, 459. — Celle du mauvais état du navire avant lq
départ l ’est également malgré le certificat de visite, voy . In nm igabi-
lilé, Visite. — Comment se prouve la force majeure, voy. Force
mjeure. — La preuve orale est-elle admissible pour établir l ’affrète
ment et le connaissement, voy. Affrètement, Charte partie, Con
naissement. — Nature de la preuve résultant du rapport, voyez
Rapport.
�DES MATIERES.
P r ise . — Effets de la prise sur le fret, 737. — Quid, si elle est annulée,
798. — Droit de celui qui reprend le navire capturé, v oy. Rachat.
P riv ilèg e . — L’article 280 ne crée aucun privilège, 674. — Durée du
privilège du fréteur après la livraison des marchandises. Conditions,
812 et suiv. — Ordre dans lequel il est classé. Comment il s’exerce,
814. — N’e st pas éteint par la faillite des chargeurs ou réclamateurs
survenue dans la quinzaine, 815. — Ne s’étend pas aux indemnités
accordées par les articles 288 et suiv. — Conséquences, 816,
P rolongation
du voyage . —
Caractère de celle prévue par l ’article 255.
Ses effets, 754 et suiv. — Quid, de celle occasionnée par force ma
jeure, 578.
P ro priéta ire . — D oit être consulté sur le choix de l ’équipage. Nature
de ce droit, 364 et suiv. — Quid, s’il ne demeure pas sur la loca
lité, mais s’il y a un fondé de pouvoirs, 367. — V oy. Affrètement,
Capitaine, Emprunt , Radoub.
Q ue
lit ê t r e .
— Effet de cette clause, v oy. Connaissement.
R accourcissement du voyage. Ses effets pour les matelots engagés au
voyage ou au mois, 579 et suiv. — V oy. Fret,
R achat
d’esclave .
— V oy. Esclavage.
R achat
du n a v ire .
— Effets et forme du rachat après J a prise du na
vire, 799 et suiv. — Celui qui a pris le navire capteur, porteur seu
lement du billet de rançon, peut-il exiger le payement de ce billet?
802 et suiv. — Ce payement est-il dû si le navire rançonné périt
après le rachat ? 803. — Entre qui et dans quelle proportion se paye
la rançon? 804.
R adoub. — Obligation du capitaine dans le lieu de la demeure des pro
priétaires et ses droits hors ce lieu. Etendue de ceux-ci, 428, 443 et
suiv. — Précautions imposées â son exercice, 447. — Devoir du ca-
ii — 39
�602
TABLE ALPHABÉTIQUE
pitaine lorsqu’il exigerait une dépense surpassant ou égalisant pres
que la valeur du navire réparé, 454 — Devoir de l ’affréteur d’atten
dre la fin du radoub, si le navire a besoin d’être réparé pendant le
voyage. Comment il peut s’en dispenser, 768 et suiv. — Devoir du
capitaine de louer un autre navire si le radoub est impraticable. Ca
ractère, 771 et suiv. — Effets de l’im possibilité de l’accomplir par
rapport à la cargaison et 4 l’égard des passagers, 776 et suiv. — Peine
que le capitaine encourt, si la nécessité du radoub provient du mau
vais état du navire avant le départ. Recevabilité de la preuve, 777 et
suiv.
R ançon . — V oy. Rachat.
R a pport . — Motifs qui ont porté le législateur à l’exiger, 496. — Dans
quel délai il doit être fait. Enonciations qu’il doit contenir, 498 et
suiv. Les rapports des capitaines étrangers peuvent être faits devant
le consul de leur nation, 500. — Par qui et devant qui doit être fait
le rapport? 501. — Comment se justifie l’observation du délai. Effets
de l’inobservation, 404. — Nature et énonciations de celui que le ca
pitaine français est appelé à faire à l ’étranger. Délai, 505 et suiv. —
Conséquences de l ’om ission, 508. — Quid, en cas de naufrage. voy_
ce mot. — Le rapport doit être vérifié par l’interrogatoire de l’équi
page et des passagers, si c’est possible, 512 et suiv. Forme de cette
vérification. Mission du juge, 520 et suiv. — Unique exception à
cette règle, 522.
La vérification du rapport peut-elle être suppléée
par d’autres preuves? 523. — Caractère du rapport dûment vérifié,
à quel titre il est admis en faveur du capitaine, 527. — Nature de la
preuve contraire, 528. — Le rapport fait foi en faveur des tiers, ja
mais contre eux. Conséquences, 529.
R e i .ache . — Carcatère de la relâche forcée. Devoir du capitaine d’en dé
clarer les causes, 5 0 9 .— Autorité qui doit recevoir cette déclaration.
Conséquences à l’endroit de l ’innavigabilité et de la vente du navire,
510. — Peut-elle être faite à l’étranger devant un notaire? 511. —
Délai donné au capitaine, 512. Présomption que crée l ’om ission, 513.
R esponsabilité . — V oy. Affréteur, Capitaine.
R ôle d’éq uipage . — Son caractère, son objet, le capitaine doit l’avoir
à bord, 390, 403.
R upture de
voyage .
— Effet de la rupture volontaire avant le départ,
�DES MATIERES.
561 et suiv. — Indemnité attribuée aux matelots engagés au voyage,
si elle provient du fait du capitaine ou du. propriétaire du navire, ou
des affréteurs, 563 et suiv. — Quid, dans le cas d’engagement au
mois, 565. — Dans tous les cas, la conduite est due, 566. — Effets
de la rupture amenée par la force majeure. 568 et suiv.
S a isie . — Le créancier est toujours recevable à saisir les effets de son
débiteur. Exception, 424. — Effets de la saisie des marchandises dé
jà chargées, 425. — Les salaires des simples matelots sont seuls in
saisissables. Conséquences, 426 et suiv.
Salaires . — V oy. Capitaine, Matelots, Officiers, Pilote, Rupture du
voyage, Saisie.
S auvetage . — Objets que le capitaine, abandonnant le navire, doit sau
ver, 494. — Sa responsabilité n’est engagée que si le sauvetage était
possible 495. — Pour compte de qui s’opère le sauvetage en cas de
naufrage? Conséquences, 593 et suiv. — Les matelots qui se sont ab
stenus de s’y livrer peuvent-ils concourir sur ses produits pour le
payement de ce qui leur est dû? 594. — Quid, des matelots loués au
profit ou au fret, 595. — Tous doivent être payés de leurs journées.
Comment s’opère le payement, 596 et suiv.
S ta bies . — Jours accordés pour le chargement et le déchargement du
navire, 651 et suiv.
S ubrecargue . — Ses fonctions, par qui il est nommé, 368.
S urestaries . — Jours excédant ceux accordés pour la charge et la dé
charge du navire, 651 et suiv.
T illac . — V oy. Chargement.
T onnage . — Effet de l’erreur en plus commise dans l’indication du ton
nage, 739 et suiv. — Quand cette erreur existe-t-elle? 744. — Il n’y
a pas erreur si l ’indication est conforme au certificat de jauge. Droit
du fréteur et de l’affréteur, 745 et suiv. — Effets de l’erreur en moins
748 et suiv. V oy. Affrètement; Charte partie, Connaissement.
�604
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.
V e n t e . — Le pouvoir conféré au capitaine ne comprend pas celui de
vendre le navire. Exception, 466 et suiv. — La vente faite hors le
cas d’innavigabilité ou sans pouvoir spécial est nulle, même à l ’égard
des tiers. Conséquences, 471. — Motifs de cette différence entre la
vente et l ’emprunt, 472. — Effets de la vente régulière sur la m ission
du capitaine, 473.
V érification . — V oy. Rapport.
V ictdaim .e s . — Caractère de l’achat des victuailles. Conséquences, 448.
— Devoir du capitaine pour l’approvisionnement du navire, 833. —
Les victuailles ne peuvent être vendues pendant le voyage. Exception,
534. — Le capitaine peut en acheter en mer ou contraindre la mise
en commun de celle des passagers, 535 et suiv.
Vis it e . __Obligation du capitaine de faire opérer la visite du navire.
Formes, 379 et su iv.— A quelle époque doit-elle se réaliser? 384. —
Quels navires y sont soumis ? 382 et suiv. — Exception dans le cas
de relâche pour avaries, 384. — Qnid des capitaines étrangers, 385.
Où doit être fait le dépôt du procès-verbal? Qui doit en délivrer l ’ex
trait? 387. — Celui-ci doit être entre les mains du capitaine, 390.
Conséquences du défaut de visite. Présomption en résultant, 402. —
La preuve du mauvais état est recevable outre et contre le certificat
de visite, 778.
V oyage . — Caractère de l ’obligation du capitaine d’accomplir le voyage
pour lequel il s’est engagé, 474 et suiv. — A quelle époque le voyage
est-il censé term iné? 476 — Effets de la force majeure, 477. — L ’in
vasion du lieu de destination par une maladie contagieuse rompt-elle
le voyage ? 478. — Comment il est pourvu pendant le voyage au
remplacement du capitaine, 479. — Peine que celui-ci encourt, s’il
n’accomplit pas le voyage, 480.
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DE
LA
TABLE
A L P H A B É T IQ U E
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https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/335/RES-22986_Bedarride_Commerce-maritime-3.pdf
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DROIT COMMERCIAL
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE DEUXIÈME
PAR J. BÉDARRIDE
Tome 3
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier)
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
DEU XIÈM E ÉD ITIO N
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DROIT COMMERCIAL
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE DEUXIÈME
PAR J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier)
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
DEU XIÈM E ÉD ITIO N
��DROIT COMMERCIAL
ou
COMMENTAIRE Dü CODE DE COMMERCE
L IV R E II
DU COMMERCE MARITIME
TITRE IX
Des C o n trats à la G rosse
A rticle 3 11 .
Le conlrat à la grosse est fait devant notaire ou sous
signature privée.
Il énonce :
Le capital prêté et la somme convenue pour le profit
maritime,
Les objets sur lesquels le prix est affecté,
Les noms du navire et du capitaine,
IU — 1
�2
DROIT MARITIME.
Ceux du prêteur et de l’emprunteur,
Si le prêt a lieu pour un voyage,
Pour quel voyage et pour quel temps,
L’époque du remboursement.
Article
312.
Tout prêteur à la grosse, en France, est tenu de fai
re enregistrer son contrat au greffe du tribunal de com
merce, dans les dix jours de la date, sous peine de per
dre son privilège ;
Et si le contrat est fait à l’étranger, il est soumis aux
formalités prescrites par l’article Ü534.
SOMMAIRE
825. Définition du contrat à la grosse. Ses caractères.
826. Légitimité du profit maritime. Liberté de le stipuler à quel
que taux que ce soit.
827. Nécessité d’un risque sérieux et réel. Droit ancien à cet
égard.
828. Doctrine et jurisprudence depuis le Code.
829. La nécessité du risque est d'ordre public. Conséquences.
830. Affinités et différences entre le prêt à la grosse et la vente,
le prêt ordinaire et certaines sociétés nautiques.
834. — Entre le prêt à la grosse et l’assurance.
832. Autres différences dans l’exécution de l’un et de l’autre.
Conséquences.
833. Le contrat à la grosse doit être fait devant notaire ou par
�834.
835.
836.
837.
838.
839.
840.
841.
842.
843.
844.
845.
846.
847.
848.
849.
850.
851.
852.
853.
acte sous seing-privé. Dans ce dernier cas. il suffit d'un
seul original.
Effets quant à la preuve testimoniale de la disposition
prescrivant la preuve écrite entre parties.
— A l’endroit des tiers.
Nature des énonciations que le contrat doit renfermer. Ef
fets de l'omission de la somme prêtée.
Effets de l’omission du profit convenu. Opinion de Pothier.
Appréciation.
Réfutation de l’opinion de MM. Pardessus et Boulay-Paly.
En quoi peut consister le capital prêté, et à quel titre peutil l’être ?
Nécessité d’indiquer les objets sur lesquels le prêt est af
fecté. Effets de son omission.
Nature de l’indication. Peut être générale.
But que se propose l’indication du nom du navire. Sa na
ture, suivant que le prêt s’applique au navire lui-même
ou au chargement.
Effet de l’erreur dans la désignation ou de l'omission de
toute indication.
La clause de chargement in quo vis est-elle admissible
dans le contrat de prêt à la grosse. Opinion de M. Boulay-Paty pour l’affirmative. Réfutation.
Caractère de l’énonciation du nom du capitaine.
Nécessité d’indiquer les noms du prêteur et de l’emprun
teur. Effet de l’omission du nom de celui-ci.
Quid, de celle du nom du prêteur. Droits des créanciers
antérieurs ou postérieurs.
Le contrat doit énoncer le temps du risque. Conséquences.
Comment on suppléerait à l’omission.
Quid, de celle qui porterait sur le lieu du reste.
Caractère de l’énonciation de l’époque du remboursement.
Effet de son omission.
Motifs qui ont fait prescrire l’enregistrement. Comment
cette formalité a été introduite dans le Code.
�ï
'
DROIT MARITIME.
854. Délai dans lequel il doit être effectué.
855. Silence que l’article garde sur le lieu où doit se faire l’en
registrement. Conséquences qu’en a tiré la Cour de cas
sation.
856. Lacune que cette jurisprudence signale. Ses conséquences.
857. Effet du défaut d’enregistrement.
858. — De l’enregistrement tardif.
859. Renvoi à l’article 234 pour les prêts à la grosse contractés
à l’étranger.
835 — Le contrat à la grosse aventure, qu’on nom
me simplement contrat à la grosse ou contrat à retour
du voyage, est une convention par laquelle l’une des
parties, qu’on appelle prêteur ou donneur, délivre à
l’autre, qu’on appelle emprunteur ou preneur , une
somme qui doit être employée par ce dernier à une ex
pédition maritime avec affeciation sur les effets auxquels
elle les destine, et qui en répondent.
Si ces effets viennent à périr par fortune de mer, lë
preneur sera libéré envers le donneur.
S’ils arrivent heureusement, le donneur recevra son
capital et en outre une somme convenue, qu’on appelle
profit maritime ou intérêt nautique, et qui constitue
le bénéfice du prêteur dans l’expédition.
Enfin, s’ils périssent en partie, le prêteur n’aura plus
de droits que sur ce qui reste \
Cette définition signale avec précision le caractère spé
cial du contrat à la grosse. Quoique se référant à des
effets purement mobiliers, il est plutôt réel que person-
�ART. 3 1 1 , 3 1 2 .
5
nel. C’est la chose qui est directement et en quelque
sorte exclusivement obligée. La personne n’est tenue, en
cas de perte ou de détérioration, que si l’une ou l’autre
provient de son fait ou du vice propre de la chose. Dans
le cas contraire, la détérioration ou perte reste pour le
compte du prêteur, et le preneur est complètement libé
ré par l’abandon des effets affectés dans l’état où ils se
trouvent.
830. — En réalité donc, le prêteur assume sur lui
la responsabilité des chances de l’expédition. Il aventure
son argent qu’il peut perdre en tout ou en partie. Ce
danger exigeait une compensation et devait devenir pour
lui l’occasion d’un bénéfice plus considérable, si l’on te
nait à assurer au commerce et à la navigation le secours
puissant et décisif qu’ils rencontraient dans ce prêt.
Dans l’origine, en effet, et surtout avant le dévelop
pement des assurances, rien ne pouvait servir plus ef
ficacement le commerce maritime que le prêt à la gros
se. La certitude d’être absolument libéré en cas de si
nistre devait singulièrement en encourager les opéra
tions. Il est vrai qu’une partie des bénéfices devait être
abandonnée au prêteur, mais le preneur qui recevait
avant le départ la valeur des marchandises embarquées
pouvait, à l’aide de ces fonds, tenter des opérations nou
velles, multiplier ses spéculations, et trouvait dans les
bénéfices de celles-ci, qui lui appartenaient exclusive
ment, une large compensation de ce que lui coûtait le
contrat à la grosse.
I
i jW f t a k
if
�••
DROIT MARITIME.
Il n’y avait donc pas à hésiter. Il fallait encourager
cet élément énergique du développement du commerce
maritime, et quel moyen plus sûr pour arriver à ce ré
sultat que celui d’offrir, par l’importance du profit à
espérer, un appât de nature à compenser les chances de
perte.
C’était là une conséquence tellement en rapport avec
les besoins réels, que la liberté la plus illimitée dans la
stipulation de l’intérêt maritime n’excita aucune récla
mation ; que sauf le cardinal de Luca, qui ne la con
sidérait comme obligatoire que dans le for externe l, les
autres canonistes l’admettaient, comme les jurisconsul
tes, dans un temps où ils proscrivaient le prêt à intérêt
sans aliénation du capital : enfin, que le commerce l’a
vait si pleinement adoptée, que le cours ordinaire de l’in
térêt nautique, que sanctionnaient les usages, attei
gnaient, en temps de paix, le quinze ou vingt pour cent
pour les voyages à long cours en destination des îles de
l’Amérique, le vingt-cinq, trente et même trente-cinq
pour cent pour les voyages à la côte de Guinée, le dou
ble en temps de guerre2.
Cet usage lui-même n’avait rien de restrictif et d’obli
gatoire, on pouvait donc stipuler au-delà. Alors comme
aujourd’hui, quel que fût le taux convenu, soit en temps
de paix, soit en temps de guerre, le contrat devait rece
voir son plein et entier effet. Le caractère essentiellement
1 De mûris, titre 3, nos 7 et suiv.
2 Valin, art. 1er, titre du Prêl à la. Grosse.
�311, 312.
7
aléatoire du contrat le mettait forcément à l’abri de tout
reproche d’usure. L’usure que les lois défendent, disait
Pothier, consiste à exiger quelque chose au-delà de la
somme prêtée pour la récompense du prêt ; dans le
contrat à la grosse, ce que l’emprunteur doit pour la
somme prêtée n’est point la récompense du prêt, c’est
le prix des risques dont le prêteur s’est chargé L
839. — Cette considération, qui a le mérite d’être
infiniment juste, a également celui de déterminer avec
précision la condition sans laquelle le profit maritime
dépassant le taux légal de l’intérêt ne serait plus qu’une
condamnable usure. Ce qui a déterminé la loi à s’en ré
férer, sur ce point, à la libre stipulation des parties,
c’est l’incertitude qui plane jusqu’à l’événement, sur le
sort du capital prêté ; c’est la chance que court le prê
teur de le perdre en totalité ou en partie ; c’est, en un
mot, le risque dont il se charge. Il faut donc de toute
nécessité que cette incertitude, que cette chance, que ce
risque soient sérieux et réels. Si le contrat est de telle
nature que le remboursement du capital est assuré quoi
qu’il arrive, il y a, sous la fausse qualification de con
trat de grosse, un simple prêt ordinaire qu’il importe
de ramener, quant à l’intérêt, dans les limites tracées
par la loi. L’usure saurait bien emprunter celte appa
rence, qui lui permettrait de dépouiller impunément ses
malheureuses victimes2.
ART.
1 Prêt à la Grosse, n° 2.
2 Voir notre Traité du Bol et de la Fraude , n° <453. Rennes, 24
novembre 4860. J. du P., 4862, 648.
�/■ ■
DROIT MARITIME.
Le profit maritime ne comporte d’excuse que dans la
certitude du risque dont se charge le prêteur. C’est ce
qui explique que le prêt à la grosse n’ait jamais été ad
mis que dans les opérations maritimes. Dans l’origine
même, on ne l’autorisait que pour les navires exclusi
vement. De là cette qualification de grosse bomerie que
lui affecte l’ancienne législation, du mot flamand bome
rie, quille équipée, vaisseau garni.
En permettant plus tard de porter son effet sur le
chargement, on n’a nullement entendu se rétracter de
la condition d’où dépend la légalité du profit maritime.
Le droit français y a, au contraire, apporté sans cesse la
plus grande sévérité jusqu’à n’accorder le profit que si
la somme empruntée avait été réellement employée à
l’achat des effets ou marchandises, et que si les uns ou
les autres avaient été réellement embarqués ; jusqu’à
proscrire l’usage admis en Dalie de donner des deniers
à la grosse par forme de gageure l.
838. — Héritier de ce droit, le Code de commercé
en a fidèlement consacré les traditions. L’existence d’un
risque sérieux et certain est aujourd’hui la condition
sine qua non du profit maritime. A défaut, ce profit
n’a plus de cause et doit dès lors être refusé. Si un in
térêt quelconque est dû, ce ne peut être que l’intérêt or
dinaire.
Cette doctrine, enseignée par tous nos jurisconsultes,
■ Emérigon, Prêt à la Grosse, chap. I er, sect. 3, S 1.
7
�n’a jamais rencontré aucune contradiction dans la juris
prudence. Dans toutes les occasions, au contraire, nos
tribunaux ont déployé une juste sévérité. C’est ainsi no
tamment que la cour de Bordeaux jugeait, le 5 février
1839, que le profit maritime n’est pas dû au prêteur
qui s’est fait consentir une lettre de change pour le paie
ment de la somme portée au billet de grosse1.
839. — Ajoutons que l’existence d’un risque sérieux
est non seulement une condition substantielle du con
trat, mais encore une exigence d’ordre public et d’inté
rêt général. En conséquence, toute stipulation ayant pour
objet de dénaturer le risque, de l’amoindrir en faveur
du prêteur et surtout de le faire disparaître, serait frap
pé d’une nullité radicale et absolue que la partie inté
ressée sérail fondée à invoquer, nonobstant toute pré
cédente renonciation. Les articles suivants nous fourni
ront plusieurs exemples d’application de cette règle.
Ce qui caractérise donc principalement le contrat de
grosse, c’est : d’une part, le risque à la charge du prê
teur ; de l’autre, le profil maritime. Cette spécialité ainsi
relevée, le contrat offre les caractères qui se rencontrent
dans une infinité d’autres. Il est consensuel, de droit
strict, à titre onéreux, du droit des gens.
830. — Le contrat à la grosse affecte des rapports
avec la vente, avec le prêt ordinaire de consommation,
�10
DROIT MARITIME.
le prêt à intérêt, enfin avec certaines sociétés nautiques
ayant pour objet l’armement d’un navire, la navigation
à profit commun ou le partage des bénéfices de la vente
d’une pacotille.
Mais il diffère des uns et des autres en des points es
sentiels. Ainsi il n’entraîne pas le désaisissement du pre
neur, malgré que les effets voyagent aux risques du prê
teur et périssent poür son compte , le preneur est dis
pensé, en cas de perte par fortune de mer, de restituer
la somme qu’il a reçue ; l’intérêt n’y est pas limité com
me dans le prêt à intérêt; enfin, les sociétés nautiques
comportent une certaine inégalité entre associés, soit
dans l’apport, soit dans la répartition des bénéfices ou
la contribution aux pertes. Dans le prêt à la grosse, la
loi exige une proportion au moins égale entre la somme
fournie et les objets affectés, et n’admet aucune transac
tion sur les effets de la perte, résultant de la force ma
jeure.
881. — Le contrat avec lequel le contrat à la gros
se présente la plus notable affinité est sans contredit le
contrat d’assurance. L’un et l’autre ne peuvent devenir
pour l’emprunteur, comme pour l’assuré, un moyen de
s’enrichir, ils ne peuvent être que l’occasion de ne rien
perdre. L’un et l’autre exigent à la charge du prêteur et
de l’assureur un risque dont le prix est pour l’un le pro
fit, pour l’autre la prime dont le taux est plus ou moins
élevé, suivant la durée et la nature des risques ou la
convention. Enfin, dans l’un et dans l’autre, c’est au
�H
demandeur à prouver que la condition a été remplie.
Aussi la cour de Rennes avait-elle cru devoir propo
ser de les réunir dans un seul et même titre, qu’elle di
visait ainsi : 1° dispositions communes aux deux con
trats ; H° du contrat à la grosse ; 3° du contrat d’as
surance. Mais cette proposition fut repoussée par la
commission, car si le prêt à la grosse a plusieurs points
de contact avec l’assurance, il en est séparé par des dif
férences non moins nombreuses, non moins notables.
Ainsi l’assurance n’étant en réalité qu’un cautionne
ment, l’assureur est libre de limiter les risques dont il
entend se charger, d’accepter les uns et de s’affranchir
des autres, ce qui n’est pas permis au prêteur répon
dant de plein droit des risques entiers ; le prêteur four
nit réellement une somme déterminée au moment du
contrat, l’assureur ne fournit rien jusqu’après l’événe
ment du voyage ; la prime d’assurance est payée d’avan
ce et constitue dans tous les cas une créance certaine et
définitive dont l’assureur doit toujours être payé ; le pro
fit n’est acquis que par l’heureux accomplissement du
voyage ; dans l’assurance, il suffit de la possibilité d’une
perte pour que le contrat puisse loyalement se former,
tandis que le prêt à la grosse ne peut affecter que les
choses dont la valeur vénale puisse facilement se con
vertir en argent ; le donneur ne contracte aucune obli
gation envers l’emprunteur, l’assureur s’oblige envers
l’assuré à l’indemniser des pertes qu’il pourra essuyer
jusqu’à concurrence de la somme assurée.
ART. 3 1 1 , 3 1 2 .
�12
DROIT MARITIME.
83*. — D’autres différences essentielles se rencon
trent en outre dans l’exécution. Ainsi, en cas de sinis
tre, le prêteur a un privilège sur tous les effets sauvés,
à l’exclusion de l'emprunteur ; dans l’assurance, l’as
suré vient en concours pour son découvert avec son pro
pre assureur. Enfin le prêteur qui s’est dessaisi de ses
fonds, ne pouvant se les faire rembourser avec le profit
maritime qu’en cas d’heureuse arrivée, est tenu de prou
ver cet événement ou toute autre cause légitime d’exigi
bilité. L’emprunteur n’ayant rien à demander n’est as
sujetti à aucune diligence pour faire connaître les si
nistres ou autres accidents qui pourront lui servir d’ex
ception, il suffit qu’il en justifie lorsqu’il est attaqué, et
s’il est tenu de s’en procurer la preuve, c’est unique
ment dans l’intérêt de ses exceptions. Le contraire se
réalise précisément dans l’assurance. L’assureur ne s’est
engagé qu’à indemniser l’assuré de ses pertes. Ce der
nier est nécessairement demandeur ; c’est donc à lui à
intenter l’action et à le faire dans un délai déterminé.
L’assureur n’a point à agir. Il attend et il peut fonder
ses exceptions tant sur l’insuffisance et l’irrégularité
des preuves rapportées par l’assuré que sur leur tardiveté.
En l’état donc, on ne pouvait que dire avec Pothier :
Le contrat à la grosse n’est ni un prêt proprement dit,
ni une sociéié, ni une assurance, ni un composé de ces
divers contrats, il constitue un contrat spécial qui a ses
caractères propres l. Il convenait dès lors de le régir à
i Contrat à la grosse, n° 6.
�ART. 3 1 1 , 3 1 2 .
13
part, d’en régler les conditions et de déterminer les ef
fets qu’il doit produire.
833. — En la forme, le contrat à la grosse doit être
fait devant notaire ou par acte sous seing-privé. Dans
ce dernier cas, un seul original suffit.. L’acte, en effet,
est essentiellement unilatéral. Le prêteur fournissant
réellement la somme au moment même de sa passation,
n’a plus aucun engagement à remplir envers l’emprun
teur, qui seul s’oblige à restituer le cas échéant.
834. — Les termes de l’article 311 ont mis un ter
me à la controverse que les dispositions de l’ordonnance
de 1681 avaient fait surgir. Les contrats à la grosse, di
sait celle-ci, pourront être faits pardevant notaire ou
sous signature privée. Quel était le sens de cette faculté
se réduisait-elle à l’alternative d’un acte authentique ou
sous seing-privé, s’appliquait-elle à l’acte lui-même, de
telle sorte que le contrat, verbalement consenti, ne de
vait pas moins être considéré comme valable et dès lors
susceptible d’être établi par la preuve testimoniale ?
Valin nous apprend que le commentateur anonyme
qui l’avait précédé tenait pour le premier sens, c’est-àdire pour la nécessité d’un écrit quelconque, et repous
sait la preuve orale, même dans le cas d’une valeur in
férieure à cent francs. Valin convenait que l’ordonnan
ce n’avait eu pour objet que de déroger à l’édit de 1657,
soumettant tous les contrats maritimes à la forme au
thentique, en permettant de rédiger le contrat à la gros
se sous seing-privé.
�DROIT MARITIME.
Il reconnaissait donc que ce prêt devait être rédigé
par écrit, ce qui lui paraissait exclure la preuve testimo
niale. Mais il réduisait cette exclusion dans les limites
que lui traçait l’ordonnance de Moulins, en conséquen
ce, il la repoussait lorsque l’intérêt du prêt était infé
rieur à cent francs.
Yalin avait raison, la prohibition de la preuve testi
moniale en matière commerciale n’a et ne peut avoir d’au
tre résultat que de placer cette même matière sous l’em
pire du droit commun ordinaire, de la faire sortir de
l’exception dans laquelle elle est placée relativement à ce
droit. C’est donc celui-ci qui devient applicable. Or, loin
de proscrire la preuve testimoniale, il l’autorise au con
traire jusqu’à concurrence d’une certaine somme.
Cette somme, fixée à cent francs par l’ordonnance de
Moulins, a été portée à cent cinquante par l’article 1341
du Code civil. Or l’article 311, en exigeant que l’acte de
grosse soit rédigé par écrit, ne fait que ce que cet arti
cle prescrit pour tous les contrats, il s’en réfère donc à
toutes les conditions qui y sont tracées.
La doctrine de Valin devrait dès lors être suivie de
puis comme avant le Code. Le prêt à la grosse, verbale
ment convenu, n’en est pas moins valable, mais son
existence ne peut être établie par témoins que s’il s’agit
d’une somme inférieure à cent cinquante francs ou que
s’il existait un commencement de preuve par écrit.
835. — Mais l’opinion du commentateur anonyme
a été consacrée par le Code de commerce en ce qui con-
�a rt .
311, 512.
1K
cerne les tiers, cela résulte invinciblement de l’article
31 2. Le contrat à la grosse n’intéresse les tiers que par
le privilège qu’il confère au prêteur sur les objets qui
lui ont été affectés ; or, ce privilège n’est acquis que par
l’enregistrement du contrat au greffe du tribunal de com
merce, dans les dix jours de la date. Evidemment cette
formalité n’aura pas été remplie si le prêt n’est pas mê
me constaté par écrit, dès lors toute preuve de son exis
tence est fort indifférente. Celle-ci acquise, le privilège
contre les tiers n’en serait pas moins perdu, quelque
minime que fût d’ailleurs la somme prêtée. Cette preuve
ne saurait jamais suppléer au défaut d’enregistrement,
elle serait donc inutile à l’égard des tiers, purement
frustratoire ; on ne devrait pas même l’ordonner.
830. — Les énonciations que la loi exige dans le
contrat à la grosse étaient indiquées par la nature des
choses et par les caractères du contrat. Ce qui en forme
la matière, c’est la somme prêtée. Ce qui en constitue
le prix, c’est le profit convenu. Le silence gardé sur
l’un et l’autre ou sur l’une ou l’autre seulement, prive
rait donc le contrat des éléments essentiels à sa validité.
Toutefois l’effet de l’omission partielle varierait sui
vant qu’elle porterait sur la somme prêtée ou sur le pro
fit maritime. Dans le premier cas, le contrat est sans
cause et, par conséquent, complètement nul aux termes
du droit commun lui-même, pour ce qui concerne les
tiers. L’enregistrement d’un pareil contrat ne saurait ré
pondre à l’objet qui a fait prescrire cette formalité, les
�DROIT MARITIME.
tiers n’auraient pu y rencontrer les éléments qui devaient
les éclairer sur la confiance que méritait l’emprunteur,
et il serait injuste <fu’on vint après coup leur démontrer
que celle qu’ils ont accordée était imméritée. La faute
étant toute personnelle au prêteur, les conséquences doi
vent être laissées pour son compte.
Du prêteur à l’emprunteur la nullité ne serait admise
que si le premier était dans l’impossibilité de prouver
et le versement, et sa consistance. Or, cette preuve, il
pourrait la faire par témoins, puisque dans tous les cas
l’acte imparfait signé ou émané du débiteur constitue
rait le commencement de preuve par écrit.
83®. — Si le contrat doit avoir une cause, il doit
également avoir un prix, le défaut d’indication du pro
fit maritime serait la négation de cette condition. Quel
serait donc le sort du contrat ?
Si quelqu’un, disait Pothier, prêtait une somme d’ar
gent à un armateur, pour un certain voyage, avec la
clause que celui-ci ne serait pas tenu de rendre, en cas
de perte ou de prise de son vaisseau, par quelque acci
dent de force majeure, sans exiger de lui un profit ma
ritime, ce contrat ne serait pas un contrat de grosse
aventure, ce serait un contrat de prêt mêlé de donation
de la somme prêtée en cas de perte ou de prise du vais
seau, laquelle donation serait valable par la tradition
qui lui a été faite des deniers , pourvu qu’elle fût faite
entre personnes capablesl.
i Contrat à la grosse, n° \ 9
�838. — Les habitudes commerciales répugnent tel
lement à une opération de ce genre, qu’à notre avis
l’opinion de Pothier ne pourrait être admise que si l’in
tention de donner résultait explicitement des autres sti
pulations de l’acte et de la qualité des parties. Prêter
n’est pas donner, et probablement si une donation pou
vait naître de l’opération, il est permis de croire qu’on
aurait recouru à une autre forme que celle du prêt. On
ne devrait, on ne pourrait donc pas légèrement la pré
sumer, avec d’autant plus de raison que c’est peut-être
pour la première fois que les parties traitent ensemble,
et qu’aucune relation même d’affaires n’avait jamais
existé entre elles.
A plus forte raison ne le serait-elle pas si, de l’en
semble de la convention, il résultait que c’est un prêt et
non autre chose que les parties ont entendu contracter,
et que le défaut d’indication du profit n’est évidemment
que la conséquence de leur inadvertance. Les tribunaux
pourraient-ils, dans celte hypothèse, suppléer, comme
l’enseignent quelques auteurs, au silence du contrat, et
fixer le profit maritime au cours de la place b
839. — Ce serait là, à notre avis, faire produire
tout son effet à un acte essentiellement imparfait, et ap
peler la justice à compléter une convention qui doit se
suffire à elle-même, sous peine de ne pouvoir exister.
Il serait bien temps, par exemple, de fixer le profit, si
i Pardessus, n° 902. Boulay-Paty, t. 3, p. 88.
�18
DROIT MARITIME.
les réclamations du prêteur ne se réalisaient qu’après le
sinistre.
Tout le monde reconnaît que la stipulation du profit
maritime est de l’essence du contrat à la grosse. L’ab
sence de cette stipulation enlève au contrat tout carac
tère spécial et le convertit en un prêt ordinaire. Dès lors,
il sera régi par les principes de celui-ci. Si le voyage
s’est terminé heureusement, l’emprunteur n’aura pas à
payer le profit maritime, et ne supportera l’intérêt or
dinaire que conformément aux prescriptions de l’article
1902 du Code civil ; s’il y a eu perte ou prise du navi
re, le prêteur aura le droit de redemander son capital.
Ainsi, chaque partie perdra le bénéfice qu’elle eût reti
ré de la perfection du contrat, ce qui n’est que la juste
conséquence de la part que chacune d’elles a prise à la
faute qui s’oppose à cette perfection.
840. — Le plus ordinairement le prêt à la grosse
aura pour objet une somme d’argent, et c’est sur celte
prévision que l’article 311 a basé sa disposition. Mais
cette disposition n’a rien de restrictif. De tout temps, au
contraire, il a été reconnu et admis que le prêt à la gros
se pouvait avoir une cause autre qu’une somme d’ar
gent. C’est ce que Pothier enseignait très expressémentl.
Ainsi le capital prêté peut consister en marchandises
ou autres effets mobiliers, mais ce qui fait alors la ma
tière réelle du contrat, c’est moins l’objet prêté que sa
i Prêt à la grosse, no 8
�ART. 5 1 1 , 3 1 2 .
19
valeur. Ce qui doit être restitué, à moins de convention
contraire, c’est celte valeur exclusivement, dès lors sa
détermination est une des conditions essentielles du con
trat, et son absence produirait le même effet que le dé
faut d’indication de la somme prêtée.
Nous disons sauf convention contraire ; en effet, il est
libre aux parties de déroger à certains points qui, tout
en modifiant le contrat, n’en altèrent nullement l’es
sence. Non seulement le prêt à la grosse comporte ces
modifications, mais il peut en outre se réunir à d’au
tres contrats, tels que celui de société, de louage notam
ment K
Ainsi, un armateur loue, avant de partir, une cha
loupe, un canot, des agrès et apparaux, un mobilier pour
garnir les chambres des passagers, à la condition qu’il
ne sera pas tenu de les restituer s’ils sont perdus par
force majeure. Cette clause permet de stipuler un profit
maritime qui sera acquis en cas d’heureux voyage.
Il est évident que celui-ci se réalisant, ce sont les ob
jets loués qui seront restitués en nature, tels qu’ils se
trouveront ou après réparation, suivant les accords con
venus. Dès lors leur valeur n’est d’aucun intérêt réel,
elle ne doit pas être énoncée dans l’acte , il suffit d’un
état descriptif indiquant leur nature et leur quantité.
M. Pardessus estime qu’il faut que les choses don
nées, au lieu d’une somme d’argent, soient de nature à
se consommer, ou, si elles n’en étaient pas susceptibles,
i Emérigon, Contrats ci la Grosse, chap. 5, sect. 4.
�DROIT MARITIME.
que la convention donne à l’emprunteur le droit d’en
disposer sans être tenu de les rendre en nature. Ce n’est
pas, ajoute-t-il, qu’on dût n’accorder aucun effet à la
convention par laquelle des objets seraient livrés à une
personne pour n’en avoir que l’usage, les rendre s’ils ne
périssaient pas par accidents maritimes, et payer, pour
cet usage, un certain prix ; mais ce serait plutôt un loua
ge à la grosse qu’un prêt, puisque l’emprunteur ne de
viendrait pas propriétaire de la chose prêtée l.
Que le prêt à la grosse ait, dans certains cas, des af
finités avec le louage, c’était là la conséquence forcée de
ce fait qu’il n’est pas nécessaire qu’il consiste dans une
somme d’argent ; qu’il peut avoir pour objet toutes cho
ses quœ pondéré, usu, numéro et mensura constant et
quœ non consumuntur, mais quelque étroites que soient
ces affinités, elles ne sauraient faire dégénérer le contrat
de prêt en un contrat de louage.
Dans le louage la chose périssant aux mains du lo
cataire, l’obligation de la restituer n’est pas éteinte. On
devra, ou en rendre la valeur, ou donner une chose de
même nature, nombre ou quantité.
Donc, lorsqu’un propriétaire consent à prendre à son
compte le risque de la porte de la chose et s’interdit
toute action en restitution, lorsque en compensation de
ce risque il stipule un profil maritime qui est souvent
d’une valeur égale et quelquefois supérieure à celle de
ce qu’il donne, il ne loue pas, il prête à la grosse.
1 4“« édit., t. 3, n« 894.
�Qu’importe que dans l’hypothèse d’un heureux voya
ge il reçoive en nature la chose qu’il avait donnée ? Il
reçoit en même temps le profit stipulé, et si l’emprun
teur n’est pas devenu propriétaire, en a-t-il moins tiré
tout l’avantage en vue duquel il se l’était procurée?
Puis, si le prêteur court la chance de perte, ne s’en
garantira-t-il pas en faisant assurer le billet de grosse?
Or cette assurance serait-elle valable s’il s’agissait d’un
louage? La négative ne nous paraît pas douteuse et M.
Pardessus le pense comme nous.
Aussi, en ne voyant dans le contrat qu’un louage, le
qualifie-t-il de louage à la grosse. Mais c’est là jouer
sur les mots. La loi, en notre matière, ne reconnaît et
n’admet que le prêt à la grosse ; et si en doctrine et en
jurisprudence, ce prêt peut avoir pour objet de choses
autres qu'une somme d’argent ; si en donnant ces cho
ses leur propriétaire assume le risque de la perte et sti
pule un profit maritime, ce contrat n’est et ne peut être
qu’un prêt à la grosse.
Faut-il du moins que les choses qui en font l’objet
aient été employées aux besoins du navire ? Dans une
espèce où le billet de grosse était motivé par l’achat
d’une balle de soie, les assureurs du billet fondaient la
nullité de l’assurance sur ce que ce billet était simulé et
n’avait été créé que pour garantir le paiement de la
marchandise vendue ; ils induisaient cette simulation
de ce que la balle de soie n’avait été ni pu être consa
crée aux besoins du navire.
Mais, par jugement du 30 août 1827, le tribunal de
�DROIT MARITIME.
commerce repousse cetle prétention ; et considérant, en
droit, que le billet de grosse est valable, bien qu’il n’ait
pas pour objet une somme d’argent, pourvu qu’une va
leur réelle ait été fournie lors de sa souscription, il
maintient l’assuranceL
Il est évident, en effet, que de ce que l’article 234
s’occupe du prêt à la grosse contracté pour les besoins
du navire, on ne saurait en conclure qu’il ne saurait
exister de contrat à la grosse en dehors de cette desti
nation. L’article 311 est général et sans restriction. Il
exige qu’on énonce le capital prêté et ne se préoccupe
en aucune manière de l’affectation qu’il doit recevoir,
il ne pouvait même s’en préoccuper, car si ce contrat
est utile pour la navigation, il n’est pas moins indis
pensable au développement des spéculations maritimes.
L’armateur peut vouloir charger lui-même son navire,
tenter les chances du commerce. Ce chargement, que
ses ressources ne lui permettraient pas de réaliser, l’em
prunt à la grosse lui en fournit le facile et fort avanta
geux moyen ; et il était impossible que le législateur
conçût même la pensée de lui interdire cette précieuse
ressource.
Disons donc que la validité du prêt à la grosse est
indépendante de la destination que reçoivent soit l’ar
gent, soit les choses qui en font l’objet. Répétons avec
le tribunal de Marseille que cette validité ne saurait être
mise en question toutes les fois que lors de la souscripi Journal de Marseille, 4829, 4, 28*.
�tion du contrat le prêteur a fourni une valeur réelle et
certaine.
<*
841. — Une indication non moins nécessaire que
celle de la somme empruntée et du profit maritime, est
celle des objets affectés au prêt. Ainsi que nous le ver
rons, le prêteur a sur ces objets un privilège qui lui con
fère le droit d’être payé sur leur valeur, de préférence à
tous autres créanciers. Or , ce qui peut être affecté au
prêt, c’est, aux termes de l’article 316, la totalité ou une
partie seulement soit du navire, soit de la cargaison.
L’énonciation requise par l’article 311 est donc in
dispensable en regard des tiers principalement. Son
omission laisserait le privilège sans objet et sans résul
tat possible en ce qui les concerne.
Au point de vue des parties, le défaut d’indication dé
terminerait la nullité du contrat, par application de l’ar
ticle 317. Ainsi le prêt à la grosse excédant la valeur des
effets affectés peut être annulé ou réduit. Or, comment
ne pas admettre l’excès, comment réduire si on n’a rien
affecté ?
L’indication des objets affectés au prêt est donc subs
tantielle au contrat ; son omission en entraînerait la nul
lité, non pas en ce sens qu’elle ferait disparaître toute
obligation de la part du débiteur, mais seulement au
point de vue des effets du contrat à la grosse. L’opéra
tion ne constituerait plus qu’un prêt ordinaire dont les
conséquences seraient régies par le droit commun.
�DROIT MARITIME.
848. — Ce qu’il importe toutefois de relever, c’est
que l’article 311 n’exige pas que l’indication des objets
comprenne tout ce que le prêteur a réellement intérêt à
connailre. Ainsi il est évident que plus la marchandise
est sujette à dépérissement et plus les risques s’aggra
vent au détriment du prêteur, il pourrait donc préten
dre que pour le mettre à même de calculer exactement
ces risques on aurait dû lui indiquer l’espèce et la qua
lité des effets qu’on lui affectait ; il pourrait notamment
prétendre qu’il y a insuffisance d’indication dans l’af
fectation grevant en termes généraux les marchandises
chargées à bord de tel navire.
Cette double prétention serait mal fondée. Sans doute
la connaissance de la qualité et de l’espèce de la mar
chandise peut être d’un grand intérêt pour le prêteur,
mais la loi a dû d’autant moins s’en préoccuper, que
le prêteur est parfaitement libre de l’exiger, puisque nul
n’est mieux en position que lui-même de veiller à ses
intérêts. Si donc il se contente d’une indication généra
le, c’est qu’il était parfaitement instruit de tout ce qu’il
lui importait de connaître ; qu’il est présumé avoir vu
et agréé le gage qui lui était offert. Il ne pourrait donc
attaquer ultérieurement le contrat qu’au point de vue de
l’article 316.
D’autre part, l’indication ainsi généralisée ne pourrait
être querellée par l’emprunteur. Sa signification, en ce
qui le concerne, ne saurait être douteuse. Il a entendu
grever tout l’intérêt qu’il a à bord sans en rien excep
ter. Ainsi, emprunter sur tel navire, c’est l’affecter en
�ART. 3 1 1 , 3 1 2 .
25
entier, corps, quille, agrès, apparaux, armement et vic
tuailles. Emprunter sur facultés d’un navire désigné,
c’est engager toutes les marchandises que l’emprunteur
y embarquera, quelle que soit leur valeur relative. C’est
ce que le parlement d’Aix jugeait, le 24 janvier 1748,
et cette solution, accueillie par la doctrine ancienne, est
également enseignée par la docirine moderne l.
843. — L’indication du nom du navire est indis
pensable pour déterminer le lieu du risque, lorsque le
prêt est fait sur facultés ; pour en désigner l’objet, si le
prêt affecte le navire lui-même. Dans le premier cas, le
défaut absolu de chargement sur le navire désigné avant
le commencement du risque annullerait de plein droit
le contrat. Le transbordement sur un autre navire, après
le risque commencé, donnerait lieu à l’application de
l’article 324.
Dans le second, l’indication du nom pourrait ne pas
paraître suffisante. Elle devrait, ce semble, être accom
pagnée de celle de la capacité du navire, de son espèce,
si c’est un brick, une corvette, etc. Celte qualité, en ef
fet, détermine le plus souvent non seulement la valeur
du navire, mais encore le degré de résistance qu’il est
dans le cas d’opposer aux accidents de la navigation, et
met le prêteur à même de calculer la somme qu’il peut
avancer, et d’apprécier à leur valeur les risques dont il
se charge.
i Valin, art. 2, tit. du Prêt à la Grosse-, Pothier, n° 3 ; Locré, art.
311 ; Boulay-Paty, t. 3, p. 52.
�DROIT MARITIME.
Cependant la loi n’exige pas cette indication, qu’il est
toujours libre au prêteur de réclamer. S’il s’abstient de
le faire, il est, comme dans le cas d’indication générale
du chargement, présumé avoir connu parfaitement le
navire et l’avoir agréé tel qu’il se trouvait.
Il ne pourrait donc faire de l’omission un motif de
nullité du contrat. Mais il en serait autrement de la dis
simulation des circonstances extraordinaires de nature à
aggraver le risque. Ainsi le prêteur serait fondé à de
mander la nullité du prêt, même après le sinistres' si ,
en temps de guerre, par exemple, on lui avait laissé
ignorer que le navire partait sans escorte, ou qu’il était
lui-même armé en course.
8441. — L’erreur commise dans la désignation du
nom n’annulerait pas le contrat, si d’ailleurs l’identité
du navire, objet ou siège du risque, résultait clairement
de la convention. Qu’en serait-il du défaut absolu d’in
dication ?
Une question de ce genre ne parait devoir soulever
ni difficultés, ni doutes. Il n’y aurait évidemment pas
de risque, si on omettait d’en indiquer soit le siège,
soit l’objet ; donc il ne pourrait exister un contrat de
grosse.
845. — M. Boulay-Paty, qui admet cette conclu
sion dans l’hypothèse d’un prêt affectant le navire, la
repousse dans le prêt qui aurait pour objet le charge
ment. Dans ce cas, dit-il, le prêteur qui n’a exigé le
�ART. 3 1 1 , 3 1 2 .
27
nom d’aucun navire est censé s’en être rapporté à la foi
de l’emprunteur sur le choix de celui-ci, et l’avoir au
torisé à charger ses marchandises sur tel ou tel navire à
sa volontél.
C’est-à-dire que M. Boulay-Paty applique d’une ma
nière générale et absolue au prêt à la grosse l’exception
que l’article 337 admet dans certains cas pour le con
trat d’assurance, avec cette autre différence en outre que
ce qui doit être formellement exprimé dans celui ci, se
rait légalement présumé dans le prêt à la grosse.
Cette doctrine n’applique pas l’article 337, elle le mé
connaît ouvertement tant au fond qu’en la forme, ce
qui suffirait pour la faire repousser.
Voulût-on réduire l’application dans les limites que
cet article trace , nous n’hésitons pas à la repousser.
Sans doute, comme nous le disions tout à l’heure, il y
a de notables affinités entre le prêt à la grosse et l’as
surance. Chacun de ces contrats cependant ne cesse pas
d’être un contrat particulier, ayant ses règles et ses ca
ractères spéciaux. On ne peut donc rationnellement con
clure de l’un à l’autre, alors surtout que l’hypothèse ex
clut toute assimilation.
Ainsi, de ce que l’assurance in quo vis est admise
dans certains cas, on ne saurait en induire que le prêt
à la grosse jouit de la même faculté. On le peut d’autant
moins que les choses sont loin d’être égales. Ainsi l’as
surance est consentie à de telles distances qu’il était ma1 T. 3, p. 5t.
�DROIT MARITIME.
tériellement impossible de connaitre le navire qui por
tera la marchandise assurée. Elle peut également être
faite pour un chargement qui n’est encore qu’un projet
qu’il sera impossible même de réaliser plus tard.
Dans le contrat à la grosse, au contraire, le prêt
n’ayant lieu que pour procurer les moyens de réaliser
le chargement, sera le plus ordinairement contracté en
vue d’un voyage déterminé et au lieu du départ. L’em
prunteur connaîtra donc d’autant plus le navire qui doit
porter le risque qu’il aura dû nécessairement se procu
rer les moyens de transport avant de s’occuper du char
gement, il ne se trouvera donc jamais dans la position
à laquelle l’article 337 a entendu pourvoir.
L’assureur n’a aucune initiative à prendre dans l’exé
cution du contrat. Son rôle se borne à attendre la ré
clamation de l’assuré, ce qui entraîne pour celui-ci la
nécessité d’indiquer dans un délai déterminé le navire
porteur du risque et de prouver le chargé.
Le prêteur, au contraire, est toujours demandeur et
il ne peut agir qu’en justifiant l’heureuse arrivée du na
vire. Comment remplira-t-il cette condition, s’il ignore
le nom de celui à bord duquel le risque a été placé ? La
doctrine de M. Boulay-Paly arriverait donc à placer le
prêteur dans l’impossibilité de réaliser l’initiative que lui
impose la loi et à subordonner le remboursement qui
lui est dû à la volonté discrétionnaire du preneur, tou
jours si intéressé à en retarder l’époque.
Elle tendrait encore à exposer le prêteur à une frau
de qu’il lui serait difficile d’éviter. Supposez deux char-
�ART. 3 1 1 , 3 1 2 .
29
gements de marchandises de même nature ayant fait
l’objet de deux prêts distincts et embarqués sur deux na
vires différents, qui empêchera le premier de changer
la destination primitivement donnée et d’appliquer au
prêteur qu’il voudra favoriser le chargement heureuse
ment arrivé, et d’imposer la perte à l’autre, contraire
ment à la vérité?
On objectera sans doute que le prêteur avait le moyen
d’éviter tous ces inconvénients, en exigeant la désigna
tion du navire. Soit, il est en faute pour ne pas l’avoir
fait. Mais celle faute, qui peut provenir d’une pure inad
vertance, doit-elle avoir pour résultat de le livrer à la
discrétion du preneur? Celui-ci ne devait il pas veiller
de son côté h la régularité du contrat, et n’est-il pas éga
lement en faute pour avoir omis ce devoir?
La faute est donc commune, et dès lors la peine doit
l’êire également. Ce résultat si équitable, la nullité du
contrat comme prêt à la grosse l’atteint seule. Ainsi le
prêteur se verra refuser le profil maritime en cas d’heu
reuse arrivée. Mais, en cas de sinistre, le preneur sera
tenu de restituer le capital. Chacun supportera ainsi les
conséquences de sa négligence à se conformer aux pres
criptions de la loi. Si, de l’aveu de M. Boulay-Paty, on
ne saurait faire autrement dans l’hypothèse d’un prêt af
fectant le navire lui-même, les mêmes motifs doivent,
dans celle d’un prêt sur le chargement, faire aboutir à
un résultat identique.
840.
—
L’indication du nom du capitaine n’est exi-
�30
DROIT MARITIME.
gée que pour mieux fixer l’identité du navire. Son omis
sion ne peut donc tirer à conséquence, si d’ailleurs cette
identité n’est pas douteuse. Celte indication est d’autant
plus secondaire que le remplacement du capitaine ne
cesse pas d’être facultatif après comme avant le prêt, de
telle sorte qu’au moment du sinistre le navire pourrait
être sous la direction d’un capitaine autre que celui qui
a été désigné au contrat, sans que le prêteur fût fondé
à s’en plaindre.
Au reste, dans l’usage, on fait suivre l’indication du
nom du capitaine, lorsque c’est l’armateur qui traite, de
cette clause : ou tout autre pour lui, ce qui prévient
absolument toute difficulté.
SA?. — Il n’est point d’acte qui puisse avoir son
effet s’il ne mentionne les parties entre lesquelles il est
intervenu, le silence gardé à cet effet exclurait toute
obligation d’une part, tout droit de l’autre. Le prêt à la
grosse qui n’indiquerait ni le nom du prêteur ni le nom
de l’emprunteur serait incontestablement nul et sans
valeur.
Une pareille ommission est peu présumable, on peut
dire, avec certitude, qu’on ne la rencontrera jamais dans
l’acte notarié ; quant au sous seing-privé, le silence gar- ,
dé dans le corps de l’acte se trouverait en quelque sorte
suppléé par la signature.
L’omission peut n’être que partielle, dans ce cas il y
a une distinction importante à faire : si l’omission porte
sur le nom de l’emprunteur, l’acte est absolument nul,
�ART. 3 1 1 , 3 1 2 .
31
il ne crée aucune obligation, il n’a pas même les carac
tères d’un contrat.
848. — Il n’en est pas de même de l’omission du
nom du prêteur. Le nom du créancier d’une obligation
n’ajoute rien à la force de celte obligation. L’omettre ce
n’est donc pas l’altérer , c’est uniquement en rendre
l’exécution plus diflicultueuse.
Cela est surtout vrai en matière commerciale. Le prêt
à la grosse, comme la lettre de change, comme le billet,
comme le connaissement pouvant être à ordre et négo
ciable, peut également être payable au porteur. L’exis
tence de celte clause ne constituerait pas l’omission du
nom du créancier. Quel que fût le prêteur, le paiement
ne pouvant être réclamé que par le porteur, le nom du
premier devient dès lors indifférent.
L’indication du nom du prêteur n’est donc pas subs
tantielle. Dès lors son omission, même en l’absence de
la clause payable au porteur, ne saurait motiver l’an
nulation de l’acte. Le détenteur du titre pourrait en de
mander l’exécution en sa faveur et l’obtenir en prouvant
qu’il en a réellement fait les fonds, celte preuve résul
terait évidemment de l’aveu du débiteur, à défaut elle
pourrait être établie tant par titres que par témoins et
par présomptions. L’obligation émanée de celui à qui on
l’oppose constituerait un commencement de preuve con
tre lui et en faveur de celui qui l’a en sa possession, ce
qui, comme nous l’avons dit, rend la preuve testimo
niale admissible même pour le contrat à la grosse,
�32
DROIT MARITIME,
Ce qui est vrai entre parties le serait également dans
notre hypothèse à l’endroit des tiers, à condition cepen
dant que la formalité prescrite par l’article 312 eût été
régulièrement accomplie. Ce qu’il importe aux créan
ciers de connaître, c’est non le nom du créancier, mais
la consistance de la dette. L’enregistrement ayant suffi
samment annoncé celle ci, le privilège est acquis jusqu’à
concurrence au créancier, quel qu’il soit. Les droits ac
quis par les tiers après cet enregistrement l’auraient donc
été en pleine connaissance de cause, ce qui ne permet
trait pas aux créanciers d’invoquer l’article 1167 ; ils ne
pourraient donc agir qu’au nom du débiteur commun,
et toutes les exceptions opposables à celui-ci devraient
les atteindre.
Quant aux créanciers antérieurs à l’enregistrement, ils
pourraient soutenir que le prêt à la grosse n’a été fait
qu’en fraude de leurs droits, mais cette exception leur
appartient dans tous les cas, et en l’élevant ils pren
nent l’obligation de la prouver. Or, en matière de frau
de, la preuve directe appelle toujours la preuve con
traire , et les dispositions orales , admissibles pour éta
blir l’une, pourraient valablement être invoquées au sou
tien de l’autre.
849. — La détermination du temps du risque est
laissée par la loi à la libre stipulation des parties. Ce
qu’elle exige, c’est que le résultat de leur volonté soit
exprimé au contrat.
Celui-ci doit donc énoncer si le prêt est fait pour un
�I
ART. 3 1 1 , 3 1 2 .
33
temps limité, ou pour un voyage et pour quel voyage,
c’est-à-dire pour l’aller ou le retour seulement ou pour
l’aller et le retour cumulativement.
La faculté de prêter et de prendre à la grosse pour
un temps déterminé était formellement reconnue par le
droit romain. Dans ce cas l’exigibilité était acquise de
droit par l’expiration du terme malgré que le voyage dût
se prolonger et pourvu que le navire fût en étal de le
continuer.
A cet effet, il était d’usage d’embarquer un esclave
qui, à l’époque convenue, percevait la somme prêtée
augmentée du profit maritime qui avait été stipulé Mais
l’absence à bord de cet esclave ne modifiait en rien la
condition de l’exigibilité. Le terme arrivé, le débiteur
n’en était pas moins tenu du remboursement, et la perte
du navire arrivée postérieurement n’altérait ni n’alleigriait le droit du créancier.
On tenait même qu’on pouvait stipuler une peine
pécuniaire pour le retard dans le remboursement, et
celle peine, telle qu’elle avait été convenue, était encou
rue par l'événement de la condition. Mais le retard ne
pouvait exister que si le débiteur mis à même de rem
bourser ne s’était pas exécuté. Aussi, si, à l’époque fixée,
personne ne s’était présenté pour recevoir, la clause pé
nale restait sans effet. Le retard, quelque prolongé qu’il
eût été, ne donnait lieu qu’à l’intérêt de terre qui por
tait sur l’intégralité de la dette, c’est-à-dire tant sur le
principal prêté que sur le profit maritime acquis dès
l’expiration du terme convenu.
m — 3
�DROIT MARITIME.
Tout cela pourrait se réaliser aujourd’hui. La liberté
des parties dans la stipulation des conditions du prêt à
la grosse, ne reconnaît d’autres limites que celles que
les articles 4131 et 1133 du Code civil imposent aux
conventions en général. O r, on ne saurait trouver
rien d’illégal ou d’illicite dans la détermination du
temps du risque, ni dans les conséquences pénales qui
auraient été imposées et acceptée^ pour le cas d’inexé
cution de l’obligation de rembourser.
850. — L’omission de toute indication n’entraîne
rait pas la nullité de l’acte, l’application du droit com
mun suppléerait au silence des parties. En général, le
prêt est présumé fait pour un voyage, les parties peu
vent cependant lui fixer un temps limité ; si elles n’ont
pas usé de cette faculté, elles seront présumées avoir
traité pour le voyage.
A son tour le voyage, sauf convention contraire, com
prend l’aller et le retour. L’usage à cet égard était tel
lement établi pour le prêt à la grosse, qu’ainsi que nous
l’avons vu dans sa définition, ce prêt avait reçu le nom
de contrat à retour du voyage.
Mais l’usage commercial varie avec la pratique et les
besoins de la localité. C’est donc par celui suivi au lieu
du départ qu’on déciderait si le voyage comprend ou
non l’aller et le retour. Cette règle d’interprétation, don
née par l’article 1159 du Code civil, est applicable aux
contrats commerciaux comme aux contrats ordinaires l.
i Pothier, Pr£t à la groae, n» 32.
�a rt .
311, 312.
35
S’il n’y a pas d’usage, ajoute M. Locré, le prêt sera
censé fait pour l’aller et le retour, par application de
cette autre règle de droit que, dans le doute, la conven
tion s’interprête contre celui qui a stipulé, et en faveur
de celui qui a contracté l’obligation K
851. — Ce qui caractérise plus particulièrement le
voyage, c’est la détermination du lieu pour lequel il est
destiné. Chaque localité a ses périls et ses dangers, il
importe donc au prêteur d’être fixé sur celle qui est le
but du voyage. D’ailleurs, cette indication est encore es
sentielle au point de vue du lieu du risque, puisque le
capitaine sera tenu de suivre la roule directe et ne pour
ra s’en écarter sans rendre le prêt immédiatement exi
gible. Il n’est donc pas douteux que la disposition de
l’article 311, prescrivant d’énoncer quel voyage, n’ait
eu en vue la désignation du port du reste.
Toutefois son omission ne devrait pas annuler le con
trat. On supposerait que le prêt a eu lieu pour la desti
nation publiquement annoncée. Ainsi, celui qui prête
rait à Marseille sur corps ou sur faculté d’un navire pu
bliquement déclaré en charge pour la Martinique, serait
présumé avoir prêté pour le voyage du point de départ
à la Martinique, sauf le retour, qui serait réglé confor
mément à ce que nous venons de dire.
853. — L’échéance et l’exigibilité immédiate du
1 V. infra, art, 328.
�56
DROIT MARITIME.
prêt à la grosse sont les conséquences directes et immé
diates de la cessation des risques, déterminée soit par
l’expiration du délai convenu, soit par l’heureux accom
plissement du vovage, soit par la rupture volontaire
après le risque commencé. Dès cet instant le prêteur est
recevable à demander la restitution de son capital et le
paiement du profit maritime.
Mais ce droit est susceptible de toutes les modifica
tions qu’il plaira aux parties de lui faire subir. Cellesci peuvent notamment renvoyer l’exigibilité à une épo
que plus éloignée et prolonger le terme du paiement
effectif. Ce dont elles ne pourraient convenir, c’est la
prolongation de l’intérêt maritime qui cesse de plein
droit avec le risque lui-même. Le seul intérêt que puisse
stipuler le prêteur à partir de ce moment jusqu’au paie
ment est l’intérêt de terre.
Au reste, dès qu’il s’agit de modification et de déro
gation, il est évident quelles ne sauraient exister que si
elles ont été formulées dans le contrat, c’est dans ce sens
que l’article 311 prescrit l’énonciation de l’époque du
remboursement.
Son omission ne saurait produire d’autre effet que de
placer les parties sous l’empire du droit commun, et
de rendre le paiement de tout ce qui est dû au prêteur
obligatoire dès que le risque a cessé.
853. — Tel est l’ensemble des prescriptions à l’exé
cution desquelles le législateur a subordonné la régula
rité de l’acte et sa validité entre parties. Ce n’est qu’à
�ART.
511, 312.
57
cette condition qu’il produira tous ses effets, à savoir,
l’acquisition du profit dans un cas, la perle du capital
lui-même dans l’autre.
Mais il y avait autre chose à faire pour les tiers aux
quels le prêt à la grosse est dans le cas d’occasionner un
grave et notable préjudice. Le privilège que ce prêt con
fère sur les objets y affectés donne au prêteur le droit
d’êlre payé intégralement et de préférence à tous autres
créanciers, même lorsqu’il s’agit de créances antérieures
au prêt lui-même.
Celte préférence, la fraude pouvait d’autant plus l’ex
ploiter que le prêt à la grosse pouvant être sous seingprivé, il était facile de le créer après coup, de dénaturer
un prêt qui, dans l’origine, n’était qu’un prêt ordinai
re, de le convertir en prêt à la grosse, ce qui enlevait
aux autres créanciers une partie notable de l’actif du
débiteur par la préférence qu’ils devaient subir non seu
lement pour le capital, mais encore pour le profit ma
ritime.
En cas de sinistre, une fraude d’un autre genre était
à craindre, on pouvait détruire le titre sous seing-privé,
le remplacer par une obligation ordinaire et faire revi
vre ainsi, toujours au détriment des créanciers sérieux,
un droit complètement éteint.
Ce double inconvénient, inévitable sous l’empire de
l’ordonnance de 1681, avait été tant et si souvent ex
ploité, que Valin s’écriait qu’il était extrêmement à dé
sirer, que, pour garantir la foi publique contre ces sor
tes de surprises, il intervint un règlement, non pour sup-
�DROIT MARITIME.
primer l’usage des contrats à la grosse sous signature
privée, à cause de l’intérêt du commerce, mais pour les
assujettir à la formalité de l’enregistrement au greffe de
l’amirauté, aussitôt que les risques commenceraient de
courir, faute de quoi, ils ne pourraient nuire à des tier
ces personnes ni pour l’exercice du privilège, ni pour
le paiement maritime ; le contrat demeurant alors ré
duit aux termes d’un billet de prêt pur et simple L
Ce vœu si équitable avait été cependant négligé par la
commission. Le projet du Code était, comme l’ordon
nance, complètement muet sur l’enregistrement. C’est le
tribunal de commerce de Bordeaux qui réclama cette
formalité. Indépendamment des considérations exposées
par Yalin, il faisait remarquer que tout contrat pouvant
être exécuté au préjudice de tiers, devait nécessairement
avoir une date certaine et un caractère authentique.
854t. — Le conseil d’Etat adopta le principe, et fut,
dès lors, appelé à déterminer le délai dans lequel il con
venait d’en renfermer l’exécution. N’en déterminer au
cun, c’était rendre l’enregistrement évidemment illusoi
re, et ne remédier à aucun des inconvénients qu’on
voulait prévenir.
Celui indiqué par Valin parut trop indéfini. Il ne ré
pondait pas d’ailleurs à un but important que se propo
sait la publicité, à savoir, de mettre les tiers à même
d’apprécier la solvabilité réelle de l’emprunteur.
1 Art. 1«r, titre -du Contrai à la Grosse.
�ART.
311, 312.
39
La cour de Rennes proposait de se borner à exiger
l’enregistrement avant le départ. Mais ce moyen avait
exactement le même inconvénient. L’on fit de plus re
marquer qu’entre la date de l’acte et le départ, il pou
vait s’écouler un intervalle assez long dont la fraude au
rait pu profiter et tenterait de profiter.
Le conseil d’Etat pensa donc que l’acte lui-même de
vait être le point de départ du délai, et qu’il convenait
de fixer celui-ci à dix jours de la date. Ce qui est cer
tain, c’est qu’on ne sera matériellement sûr de la stricte
exécution de cette prescription que dans l’hypothèse d’un
acte authentique. Mais on ne pouvait aller au-delà, à
moins de prohiber le prêt à la grosse sous signature pri
vée, ce que les usages et les besoins du commerce ne
permettaient pas de faire.
8 5 5 . — Une lacune très regrettable, dans notre ar
ticle, est le défaut d’indication du tribunal de commerce
au greffe duquel doit se réaliser l’enregistrement. Le but
qu’il se propose indiquait que ce tribunal devrait être
celui du domicile de l’emprunteur, ou tout au moins
celui du lieu où se trouve ancré et amarré le navire su
jet ou siège du risque.
En effet, puisque cette formalité a pour but d’éclairer
le public sur la solvabilité réelle de l’emprunteur, en lui
faisant connaître les charges existant sur les objets qu’on
veut lui affecter, en un mot, un but analogue à celui de
l’inscription hypothécaire, il convenait de préciser le
lieu où cette connaissance pourrait être facilement ac-
�DROIT MARITIME.
quise. Or, ce lieu était naturellement indiqué par le do
micile de l’emprunteur, car c’est là, au siège de ses af
faires, qu’il cherchera à contracter de nouveaux engage
ments. Celte localité, et à défaut celle où se trouve le
navire, s’offrait si rationnellement à l’esprit pour l’exé
cution de l’article 312, que plusieurs auteurs n’ont con
sidéré l’enregistrement comme régulier, que s’il avait
lieu au greffe du tribunal de l’une ou de l’autrel.
Mais la Cour de cassation a pensé autrement, puisque,
par arrêt du 20 février 1S44, elle décide que î’cnregistrement fait au tribunal du domicile du prêteur lui-mê
me ou à celui du lieu dans lequel le contrat a été passé
ne pourrait être déclaré insuffisant, sans ajouter à la loi,
ce qui est d’autant moins permis qu’il s’agirait de créer
une déchéance2.
85B. — Celte jurisprudence, qu’on ne saurait blâ
mer en droit, justifie la lacune dont nous nous plai
gnons, lacune qui fait perdre à l'enregistrement une no
table partie de son efficacité, et laisse les tiers sans dé
fense contre le mal qu’on voulait prévenir. Comment,
en effet, pourraient-ils connaître un emprunt contracté
à cinquante ou à cent lieues du domicile de l’emprun
teur ? Les obügera-t-on de fouiller le greffe de tous les
tribunaux de France? En réalité donc, la protection
qu’on a voulu leur assurer est plutôt apparente que réel1 Boulay-Paty, t. 3, p. 24.
2 J. du P., M S 44, 547.
�ART. 5 1 1 , 3 1 2 .
41
le. Elle ne sera efficace que du jour où, par la détermi
nation du lieu de l’enregistrement, on aura donné à
leurs recherches un moyen facile d’aboutir.
8 5 1? . — En l’état donc, l’enregistrement, indispen
sable pour que le billet à la grosse produise son effet
contre les tiers, peut être fait au domicile de l’emprun
teur ou du prêteur, au greffe du tribunal du lieu où le
navire est amarré, ou à celui du lieu où le prêt a été
contracté. Le but de cet enregistrement n’étant pas seu
lement de donner une date certaine à l’acte, il est obli
gatoire pour l’acte authentique lui-même. La perte du
privilège serait, dans tous les cas, la conséquence forcée
de son omission.
Cette déchéance ne saurait être indirectement éludée.
Ainsi la cour d’Aix a jugé, le 10 août 1838, que le prê
teur à la grosse, porteur d’un billet régulièrement enre
gistré, et d’un autre qui ne l’était pas, ne pourrait im
puter sur celui-ci les sommes par lui reçues en cours de
voyage, et payées en exécution des clauses de ce der
nier billet.
Cet arrêt se fonde sur ce que, pour les tiers créan
ciers, il ne saurait exister qu’un seul billet de grosse,
celui qui avait reçu la publicité voulue par la loi ; que,
conséquemment, les sommes payées devaient naturel
lement s’imputer sur le montant de celui-ci ; qu’agir
autrement, ce serait accorder un privilège à un acte
irrégulier ne pouvant être opposé aux tiers, et n’ayant
�42
DROIT MARITIME,
à leur encontre ni force, ni valeur, ni existence même
858- — Le défaut d’enregistrement enlève donc au
prêt à la grosse toute efficacité à l’encontre des tiers. Or,
pour que cet enregistrement soit régulier , il faut qu’il
ait été requis et exécuté dans les dix jours de la date de
l’acte. Celui qui n’aurait été accompli qu’après l’expira
tion de ce délai produirait-il un effet quelconque?
L’interprétation exacte de la pensée du législateur de
vait conduire à distinguer, dans la solution de celle ques
tion, entre les créanciers antérieurs et ceux postérieurs
à l’enregistrement tardif. Ce qu’on a voulu par l’enre
gistrement, c’est empêcher la fraude de rétroagir sur des
droits acquis, en les grevant d’un privilège. Or, celte
fraude est possible à l’égard des créanciers antérieurs à
l’enregistrement tardif. Dès lors, et par rapport à eux,
cet enregistrement ne pourrait produire aucun effet.
Toute idée de fraude de ce genre est impossible à l’é
gard de ceux qui n’ont traité avec le débiteur qu’après
l’enregistrement. On a dès lors admis pour ce qui les
concerne que, quelle que fût sa date, l’enregistrement
conférait au prêteur un privilège assuré. Cela était juste,
car la préexistence et la publicité des droits du prêteur
mettaient les tiers à même d’échapper aux effets de ce
privilège3.
1 J. du P., 4, 4839, 454
3 Locré, Esprit du Code de cotnm., art. 34 2 ; Boulay-Paty, t. 2,
p. 23.
�ART.
311, 312.
43
8SO. — L’enregistrement ne pouvant avoir lieu
qu’en France, ne pouvait être obligatoire pour les prêts
contractés à l’étranger. Il importait cependant de pré
venir les fraudes nombreuses dont ces prêts pouvaient
devenir l’occasion. Aussi l’article 312 ne les déclare ré
guliers que si les formalités de l’article 234 les ont pré
cédé. C’est, au reste, ce qui était déjà formellement exi •
gé par l’article 192, à l’endroit du privilège, qui ne peut
être exercé que par la production des procès-verbaux
constatant la nécessité des emprunts.
La dernière disposition de l’article 312 doit être prise
dans un sens limitatif et restrictif. Elle n’a en vue que
le prêt réellement fait en pays étranger, et ne saurait
être appliquée au prêt fait en France à un capitaine
étranger, eût-il été contracté devant le consul de sa na
tion.
Dans ce cas, et à plus forte raison, si le prêt est rem
boursable également en France, le prêteur ne saurait
être affranchi de l’obligation de faire enregistrer son ti
tre au greffe du tribunal de commerce. A défaut le pri
vilège est perdu, et cette perte, provenant du fait per
sonnel du prêteur , le mettant dans l’impossibilité de
subroger les assureurs aux garanties inhérentes à la cré
ance, lui enlève tout recours utile contre ces derniers.
Le tribunal de commerce de Marseille avait cru de
voir juger le contraire le 30 avril 1858. Dans l’espèce,
des négociants de Marseille, les sieurs Pechier et Cie
avaient prêté à la grosse une somme de 21,000 fr. au
capitaine Juan, commandant la frégate espagnole Fer-
�44
DROIT MARITIME.
nand-Cortez, ancrée dans le port de Marseille. Ce prêt,
consenti pour un voyage déterminé, contracté à Mar
seille par acte reçu par le consul d’Espagne, était stipulé
remboursable à Marseille. Le lendemain même de cet
acte, Pechier et Cie faisaient assurer les 21,000 fr.
prêtés.
Le navire ayant rompu le voyage au Brésil, y fut saisi
et vendu sur la poursuite des prêteurs à la grosse, et un
ordre fut ouvert pour la distribution du prix.
Pechier et Cie n’ayant pu obtenir une collocation pri
vilégiée firent alors délaissement à leurs assureurs. Mais
ceux-ci soutinrent que ce délaissement était non-rece
vable, et que par leur faute Pechier et Cie ne pouvant
les subroger au privilège attaché au prêt, ils n’avaient
aucun recours à diriger contre eux.
Cette prétention est repoussée et le tribunal valide le
délaissement par application de la dernière disposition
de 1 article 312. Voici en effet les motifs sur lesquels se
fonde le jugement :
« Attendu que l’emprunt n’a pas été contracté sous
l’empire de la loi française, qu’il l’a été par un capi
taine espagnol et conformément aux prescriptions de la
loi espagnole, relativement aux navires d’Espagne qui
se trouvent en pays étranger ; que, d’après les législa
tions des peuples commerçants, un capitaine, hors de
son pays, doit emprunter à la grosse dans les formes
spéciales qui lui sont prescrites par la loi de sa nation ;
que le prêteur qui a acquis, par le prêt à la grosse, un
droit plus réel que personnel, fait un acte régulier en
�ART.
511, 312.
45
contractant devant le magistrat et dans les formes qui
doivent lui assurer le privilège qu’il a en vue d’exercer
sur le navire qui devient son gage, et qui est censé de
voir retourner dans les ports de la nation à laquelle il
appartient ; que le billet de grosse souscrit dans l’espè
ce l’ayant été dans les formes de la loi espagnole, il n’y
avait pas lieu de suivre ensuite les formes d’une légis
lation différente, et de déposer par suite le titre au greffe
du tribunal de commerce de marseille ; que les assu
reurs l’ont su ; qu’il a, en effet, été énoncé dans la po
lice, que le contrat avait été passé devant le consul
d’Espagne ; attendu que si les tribunaux Brésiliens ont
vu une irrégularité dans ce contrat, la perte résultant de
leur jugement doit encore être réputée une suite de la
rupture du voyage...... »
On ne voit pas l’influence que pouvait exercer la cir
constance que les assureurs avaient su que le contrat
avait été passé devant le consul d’Espagne. Ce contrat
était du 29 novembre, l’assurance du 30. Les assureurs
pouvaient donc supposer qu’il n’avait pas encore été en
registré au greffe du tribunal de commerce. Mais ils ne
pouvaient ni croire que cet enregistrement était impos
sible, ni prévoir qu’il ne serait pas réalisé.
Au fond, la théorie du jugement n’aurait été juridi
que qu’à une condition, à savoir que la présomption que
le navire retournera dans les ports de sa nation se fût
réalisée ou dût se réaliser. Dans ce cas, en effet, ce sont
les tribunaux de celte nation qui auraient été chargés
de déterminer les droits divers affectant le navire, et
�4-6
DROIT MARITIME.
cette détermination obéirait évidemment aux prescrip
tions de leur loi nationale, quelle que fût d’ailleurs la
nationalité des prétendants.
Le principe que c’est la loi du pays dans lequel le pri
vilège est réclamé qui en règle le sort ne saurait être
contesté. Ainsi, dans l’espèce, les tribunaux Brésiliens
n’avaient réduit les prêteurs à la grosse au rang des sim
ples chirographaires que parce que le titre n’avait pas
été transcrit comme l’exigeait la loi Brésilienne.
Donc, si, soit par suite de la convention qui décla
rait le prêt remboursable à Marseille, soit par une cir
constance quelconque, c’est devant un tribunal Français
que la question de privilège se fût agitée, c’est par les
inspirations de notre loi qu’elle aurait dû se résoudre.
Comprendrait-on, par exemple, que des juges Français
imposassent à des Français un privilège puisé unique
ment dans des dispositions d’une loi étrangère?
En conséquence, toutes les fois qu’un prêteur à la
grosse excipera de son privilège devant un tribunal Fran
çais, il devra nécessairement établir qu’il remplit les con
ditions prescrites par l’article 192. A défaut et vis-à-vis
les tiers qui n’ont ni concouru, ni participé au contrat,
le privilège est perdu, et perdu par la faute du prêteur
lui-même, sur qui pèsent exclusivement les conséquen
ces de cette faute. En jugeant le contraire, le tribunal de
commerce avait ouvertement méconnu les vrais princi
pes et violé la loi.
Aussi son jugement était-il cassé par arrêt du 26 mars
1860. Après avoir constaté que le prêt, ayant été fait à
�art.
3 H , 312.
47
Marseille et devant y êlre remboursé, tombait sous l’em
pire de la première disposition de l’article 312, la Cour
suprême ajoute :
« Attendu que la circonstance que l’acte a été passé
devant le consul d’Espagne à Marseille, ne peut le faire
considérer comme un contrat fait à l’étranger dans le
sens de la seconde disposition de cet article ; que si visà-vis de l’emprunteur, il a suffi de l’accomplissement
des formalités exigées par la loi espagnole, les prêteurs
à la grosse en France n’ont pu se dispenser, pour con
server leur privilège à l’égard des tiers, de remplir la
formalité spéciale prescrite par la loi française ; que,
néanmoins, Pechier et Cie n’ont pas fait enregistrer
leur contrat de prêt au greffe du tribunal de commerce
de Marseille ; que les diverses personnes qui ont assuré
le lendemain à Marseille une partie des sommes ainsi
prêtées à la grosse, étaient fondées pour repousser l’ac
tion en délaissement, à se prévaloir de l’inaccomplissement de la formalité dont il s’agit, puisque c’est par la
faute de Pechier et Cie que le billet de grosse a dégénéré
en préance, ordinaire, et qu’ils n’ont été colloqués qu’au
marc le franc avec les autres créanciers, sur le prix du
navire saisi et vendu à leur requête à Rio-Janeiro par
suite de la rupture du voyage ; qu’en décidant le con
traire, en validant par voie de conséquence le délaisse
ment et en condamnant les assureurs au paiement des
sommes assurées, quand le privilège en vue duquel ils
avaient traité avait été perdu par le fait même des as-
�DROIT MARITIME.
surés, le jugement attaqué a expressément violé l’article
312 du Code de commerce ï. »
Le même jour et par les mêmes motifs, la Cour régu
latrice cassait également un arrêt de la Cour du 27 jan
vier 1839 qui s’était prononcé dans le même sens que
le tribunal de Marseille.
De cette jurisprudence il résulte que toutes les fois
qu’un prêt à la grosse est fait en France, le prêteur doit
remplir la formalité de l’enregistrement du contrat au
greffe du tribunal de commerce dans les dix jours de sa
date ; que prêter à un capitaine étranger devant le con
sul de sa nation, ce n’est pas prêter en pays étranger.
Sans doute il importe dans ce cas que les formes pres
crites par la loi de l’emprunteur pour acquérir le privi
lège soient observées, si le prêt est remboursable à l’é
tranger; mais si, par le fait des prêteurs, le privilège est
perdu, si notamment dans l’hypothèse d’un prêt rem
boursable en France, le prêteur n’a pas fait enregistrer
son contrat comme le prescrit l’article 312, non seule
ment le privilège est éteint, mais encore comme cette ex
tinction est la conséquence d’une faute personnelle, la
police d’assurance devient caduque et les assureurs sont
libérés par application du principe édicté par l’article
2037 du Code civil.
1 J . du P ., 4860, 743 .
�Article 314.
La garantie de paiement ne s’étend pas au profit ma
ritime, à moins que le contraire n’ait été expressément
stipulé.
SOM MAIRE
860. Avantages de la négociabilité par endossement des billets
à la grosse.
861. Conditions pour qu’il en soit ainsi. Portée des termes s’il
est à ordre.
862. Caractères de l’endossement. Ses effets suivant qu’il est
ou non régulier.
863. Envers qui le porteur d’un endossement irrégulier est-il
recevable à prouver qu’il en a fait les fonds ?
864. Effets de l’irrégularité du second endossement â l'endroit
du premier endosseur. Celui-ci peut-il être considéré
comme tiers ?
865. Arrêt de la cour d’Aix pour la négative.
866. Effet de la négociation du billet.
4
. i.
Tout acte de prêt à la grosse peut être négocié par la
voie do l’endossement s’il est à ordre.
En ce cas, la négociation de cet acte a les mêmes ef
fets et produit les mêmes actions en garantie que celle
des autres effets de commerce.
’
■
Article 313
�50
DROIT MARITIME.
867. Etendue de la responsabilité de l’endosseur. Motifs qui
l’ont faite restreindre an capital.
868. Faculté laissée aux parties de convenir du contraire. Ce que
doit être la convention.
869. L’endossement peut être à forfait. Conséquences.
870. La garantie stipulée en cas de sinistre serait nulle et de nul
effet.
871. Le billet de grosse doit être protesté dans les vingt-quatre
heures de l’échéance. Quel est le point de départ de ce
délai ? Effets de son inobservation.
871 bis. La nullité pour défaut des formes est-elle opposable au
tiers porteur?
860. — L’intérêt réel du commerce, ses dévelop
pements, les exigences du crédit prescrivaient de favori
ser tout ce qui tendait à augmenter la masse des fonds
en circulation, et à créer ainsi des valeurs et des res
sources. Il fallait donc que le commerçant pût promp
tement convertir en espèces ses effets de portefeuille. Les
lenteurs de la cession ordinaire, les formalités et les
frais qu’elle occasionne, la nature des droits qu’elle con
fère et qui laissent le cessionnaire passible de toutes les
exceptions opposables au cédant la rendaient incompati
ble avec cet intérêt et ces exigences ; de là, l’introduc
tion dans les valeurs commerciales de la faculté d’en
transférer irrévocablement la propriété par un simple
endossement.
Ce qui était admis pour les lettres de change, les bil
lets à ordre, les connaissements, devait être appliqué
aux billets de grosse. Les accidents qui peuvent si long
temps retarder leur exigibilité les condamnaient à de-
�ART. 3 1 3 , 3 1 4 .
81
meurer jusque-là des valeurs mortes et improductives
entre les mains de leurs détenteurs. Cependant, le com
merçant qui, la veille, a été en position de prêter, peut
se trouver le lendemain dans la nécessité d’emprunter.
N’était-il pas naturel qu’au lieu de le réduire à un em
prunt direct auquel les négociants ne recourent jamais
sans une grave nécessité, que les circonstances d’ailleurs
peuvent rendre difficile ou onéreux, on lui permit, dans
l’intérêt même de son crédit, de négocier la créance
qu’il avait acquise.
Aussi et malgré le silence gardé à cet égard par l’or
donnance de 1681, la pratique commerciale avait-elle
universellement admis la faculté depuis inscrite dans le
Code de commerce, et dont la continuation fut deman
dée par la cour de Rennes et accueillie par le conseil
d’Etat, au nom et dans l’intérêt du commerce.
861. — Le billet de grosse est donc transmissible
par endossement, à condition , néanmoins, qu’il sera
payable à ordre. Celui qui le serait à une personne dé
nommée ne serait plus qu’un titre ordinaire, dont la
transmission obéirait aux conditions et aux règles du
droit commun.
Toutefois, on ne doit pas prendre les termes de notre
article dans un sens trop restrictif. En pareille matière,
rien n’est sacramentel, pas même l’expression à ordre.
Il suffit que l’intention des parties ait été d’autoriser la
négociation, et cette intention peut être indiquée parles
termes dont elles se sont servies. Ainsi, dans un arrêt
�Ï5“2
DROIT MARITIME.
du 27 février 1810, la Cour de cassation fait résulter
cette intention de ce que le billet avait été déclaré paya
ble au porteur légitime.
8 68 . — La négociation du billet de grosse se réali
sant comme celle de la lettre de change et du billet à or
dre, il en résulte qu’elle est soumise à la même forme,
et que ses effets diffèrent, suivant que l’endossement est
ou non régulier.
L’endossement régulier transfère la propriété envers
et contre tous. Le cédant est définitivement dépouillé en
faveur du cessionnaire, à l’abri désormais de toute ex
ception personnelle au premier. Mais l’endossement ne
sera régulier que s’il réunit les conditions exigées par
l’article 137 du Code de commerce.
L’endossement irrégulier, et surtout en blanc, ne va
lant que comme procuration, laisserait la propriété du
billet reposer sur la tête du cédant, et rend le cession
naire passible de toutes les exceptions opposables au cé
dant lui-même L
863. — Le cessionnaire pourrait-il cependant, pour
se soustraire à ce résultat, prétendre qu’ayant réellement
fait les fonds du billet, il en est devenu propriétaire? La
preuve qu’il demanderait à en faire serait-elle receva
ble et admissible ?
Nous avons examiné et résolu ailleurs cette question,
1 Bordeaux, b février 1839 ; J. du P., 2, 1839, 156.
�et nous persistons dans le système auquel nous nous
sommes arrêtés. Du cessionnaire au cédant, la preuve,
même testimoniale, peut et doit être accueillie. En ce
qui les concerne, en effet, la vérité doit toujours préva
loir sur la fiction. Ici, d’ailleurs, la vérité ne constitue
qu’un fait commercial pour lequel la preuve orale est
toujours recevable.
Ce qui doit le faire décider autrement du cessionnaire
aux tiers, c’est qu’à leur endroit, comme l’observe la
Cour de cassation , il faut non seulement que la valeur
ait été fournie, mais encore que le fait soit énoncé dans
l’acte. Donc la preuve, ne pouvant jamais porter que
sur l’existence du fait, ne saurait jamais faire dispa
raître l’irrégularité de la forme. A. quoi bon dès lors
s’en préoccuper l.
86JL. — L’endossement irrégulier, ne valant que
comme procuration, renferme le pouvoir de négocier.
En conséquence, si le porteur de cet endossement à
transmis le billet à un tiers par un endossement régu
lier, le cessionnaire en acquerra la propriété libre et
entière, même à l’encontre de l’auteur de l’endossement
irrégulier, qui n’aurait d’action que contre son man
dataire.
Si le second endossement est irrégulier comme le pre
mier, il n’est légalement que la substitution du mandat.
Mais nous venons de voir que la preuve que les fonds
' V. notre Comment, sur les Lettres de change, n°* 945 et suiv.
�84
DROIT MARITIME.
ont été fournis était toujours recevable du cessionnaire
au cédant. Le bénéficiaire de ce second endossement se
rait donc recevable à l’établir contre celui qui le lui a
consenti.
Pourrait-il également l’invoquer contre l’auteur du
premier endossement ? L’affirmative ne paraît pas dou
teuse. En admettant que cet endossement ne fût réelle
ment qu’une procuration, son bénéficiaire, ayant pou
voir de négocier le billet, aurait agi dans cette négocia
tion au nom et dans l’intérêt de son mandant. Celui-ci
serait donc le véritable, le seul cessionnaire, en vertu de
la règle qui mandat, ipse fecisse videtur. On ne pour
rait donc le considérer comme tiers autorisé en cette
qualité à repousser la preuve qui ne résulterait pas du
titre lui-même.
8 65 . — Ces principes ont été formellement appli
qués par la cour d’Aix, dans l’espèce suivante :
Le capitaine Tollet souscrit, le 12 février 1838, un
billet de grosse de 9,990 fr., ordre Giraud père et fils,
de Toulon, payable à l’heureuse arrivée de son navire
au Havre.
Giraud endosse ce billet à Suchet, qui l’endosse à son
tour à Richard, de Paris. Celui-ci l’envoie à Quevremont, de Rouen, après y avoir apposé sa signature.
Quevremont le négocie à Levavasseur, sans le signer ni
l’endosser. Richard tombe plus tard en faillite et prend
la fuite.
A l’arrivée du navire au Havre, opposition de Suchet,
�ART. 3 1 5 , 3 1 4 .
SS
dans les mains du capilaine, au paiement du billet de
grosse. Levavasseur fait protester faute de paiement.
Plus tard, il assigne Suchet, Giraud père et fils et Quevremont devant le tribunal de commerce de Toulon. Il
demande que les deux premiers soient condamnés à lui
payer le montant du billet de grosse ; e t, dans le cas
où ces fins seraient repoussées, que le dernier soit tenu
de lui restituer les sommes qu’il lui a comptées. Suchet
et Giraud sont condamnés par le tribunal, qui met Quevremont hors d’instance. Le jugement est frappé d’ap
pel par Suchet et Giraud. Voici leur système devant la
Cour :
Le billet de grosse n’a été transmis à Richard par Su
chet qu’à titre de mandat et pour qu’il en procurât le
remboursement, mandat qui n’avait jamais été exécuté ;
dès lors, de Richard à Suchet, celui-ci n’avait jamais
cessé d’être propriétaire du billet ;
Que Levavasseur, porteur dudit billet avec un simple
endossement en blanc, qui se réduit à la signature de
Richard, ne pouvait ni aux yeux de la loi, ni à l’égard
de Suchet, tiers intéressé, être,considéré comme légiti
me propriétaire du billet ; que, n’ayant d’autre qualité
que celle de mandataire de Richard, il est passible des
mêmes exceptions ; qu’ainsi, non seulement il ne peut
en demander le paiement, mais qu’il doit, en outre, être
tenu de restituer l’effet à Suchet ; que vainement Levavssseur et Quevremont soutiennent en avoir payé le
montant à Richard; en droit et à l’égard de Suchet, tiers
intéressé, rien, quant à la propriété du billet, ne sau-
�36
DliOIT
MARITIME.
rait suppléer l'absence d’une transmission par endosse
ment régulier.
Par arrêt du 28 février 1839, la Cour repousse ce
système. Elle reconnaît que Richard n’avait été effecti
vement que le mandataire de Suchet ; mais elle déclare
qu’il pouvait, en celte qualité, négocier le billet, et que,
dès lors, Levavasseur peut prouver contre Suchet luimême qu’il avait fait les fonds au moment de la négo
ciation.
L’arrêt ajoute : Que, loin que Suchet puisse préten
dre que Levavasseur est un simple mandataire de Ri
chard, passible, à ce titre, de toutes les exceptions op
posables à celui-ci, c’est Levavasseur qui est fondé à
dire que Suchet, mandant de Richard, est tenu des’fails
de ce dernier envers lui ; que Richard ayant vendu le
billet et reçu le prix, c’est à l’égard de Levavasseur com
me si Suchet lui-même avait vendu et reçu le prix de
la vente '.
86<ê. — La négociation du billet de grosse en trans
fère la propriété telle que la possédait le cédant, et, par
conséquent, avec toutes les charges dont elle se trouve
grevée. Si les objets affectés viennent à périr par fortune
de mer, la perte est pour le compte du cessionnaire qui
n’a plus rien à exiger ni de l’emprunteur, ni du cédant.
La réalisation du sinistre les libère l’un et l’autre, alors
même qu’elle fût déjà arrivée au moment de la négo-
�ART. 513, 314.
57
cialion. L’antériorité du naufrage ne serait une cause de
nullité de celte négociation que si le cédant, connais
sant l’événement, l’avait dissimulé au cessionnaire qu’il
aurait ainsi frauduleusement abusé.
En cas d’heureuse arrivée, le cessionnaire doit être
remboursé du capital payé du profit maritime. Il a mê
me deux débiteurs au lieu d’un : l’emprunteur d’abord,
ensuite l’endosseur, qui est devenu garant solidaire.
80®. — La responsabilité de ce dernier ne pouvait
être contestée en principe. Elle était la conséquence im
médiate et directe de l’endossement par lui souscrit. Il
en était autrement de son étendue. Fallait-il la borner
au remboursement du capital, ou bien l’étendre au
paiement du profit maritime lui-même?
Depuis longtemps cette question avait été résolue dans
le premier sens. Le porteur, disait Casarégis, n’a action
contre son cédant que pour la restitution de ce qu’il lui
a payé : Giralarius cambii marilimi, habetur regressus contra girenlem ut valulam per eum receptam res
tituât 1. La garantie, ajoutait Emérigon, existera égale
ment pour les frais du protêt et pour l’intérêt de terre
du principal depuis le prulêt, mais nullement pour le
change maritime, car l’endossement n’est pas un cau
tionnement du contrat2.
Celle proposition, trop absolue, manque d’exactitude.
1 Disc. 55, n» 2.
2 Contrats à la grosse, chap. ix, sect. 4, S "2-
�38
DROIT MARITIME.
Ainsi le projet du Code n'ayant rien prévu à cet égard,
la cour de Rennes demanda que ce silence fût rompu,
et proposa d’étendre au profit maritime la garantie du
cédant, contrairement à l’avis d’Emérigon. Ce motif sur
lequel repose cette opinion, disait la Cour, n’a rien de
décisif. Si l’endossement n’est pas un cautionnement, il
ne peut pas plus donner lieu à la garantie du principal
qu’à celle du profit maritime, qui n’en est que l’acces
soire; et si l’endosseur est garant du principal, pourquoi
ne le serait-il pas de l’accessoire?
La commission se rendit à cet avis. Elle inséra donc
au projet corrigé la disposition sollicitée par la cour de
Rennes. Mais, comme l’observe judicieusement M. Lo
cré, si les observations que nous venons de transcrire
détruisaient le raisonnement d’Emérigon, elles étaient
loin d’établir le système contraire, que le conseil d’Etat
repoussa en définitive, en appréciant la question à un
point de vue tout différent.
La garantie, dit-on, doit avoir pour limite la somme
qu’on reçoit. Le prêteur à la grosse a endossé son billet,
c’est-à-dire il en a fait le transport pour une somme
égale à celle qu’il a donnée lui-même, et qui se trouve
exprimée par le texte du billet. Il est juste, il est dans
l’ordre et dans la nature des choses qu’il cautionne jus
qu’à cette somme, mais pourquoi cautionnerait-il pour
une somme plus forte ? Quel dédommagement rece
vrait-il pour cette nouvelle garantie ? Garant pour la
somme qu’il reçoit, il le serait encore sans motif de vingtcinq ou de trente pour cent du profit maritime qu’il ne
�art.
313, 314.
89
reçoit pas. L’équité et la justice semblent repousser cette
idée '.
868. — Donc , de droit commun , la garantie de
l’endossement ne comprend pas le profit maritime, mais,
comme en définitive celte garantie ne constitue qu’un
cautionnement de pur intérêt privé , la loi a laissé les
parties libres de déroger à sa disposition. Mais celte dé
rogation, ne pouvant être présumée, ne serait accueillie
que si elle était expressément formulée dans la conven
tion. Ce qui fit admettre cette faculté, c’est la certitude
qu’en prenant une obligation plus étendue, le cédant ne
manquera pas de stipuler en sa faveur une idemnité pro
portionnée à l’extension conventionnelle de la garantie.
8 6 » . — Peut-on déroger également au droit com
mun à l’endroit de la garantie du principal? Aucun
doute ne saurait naître si la dérogation est en faveur
du cédant. Ainsi les parties peuvent traiter à forfait, et
l’acceptation par le cessionnaire d’un endossement sti
pulant ce forfait lui interdirait toute recherche ultérieure
contre le cédant. Ici encore il serait certain qu’il aurait
trouvé dans les conditions de la négociation la compen
sation de cette diminution de garantie.
8®0. — Mais ce qui ne saurait être licite aux par
ties, ce serait d’aggraver cette garantie. Aussi le cédant
1 Locré, Esprit dn Code de commerce, art. 314,
�mmf
■
DROIT MARITIME.
ne pourrait valablement s’obliger à rembourser le capi
tal, et moins encore à payer le profil maritime en cas
de perte ou de prise du navire. Celui qui accepte le
transport d’un billet de grosse devient le véritable prê
teur. Il doit donc courir le risque imposé à celui-ci. Sti
puler dans tous les cas le remboursement du capital, ou
mieux encore le profit maritime, ne serait donc qu’une
opération usuraire qu’il faudrait ramener dans de jus
tes limites. En conséquence et malgré l’engagement for
mel qu’en aurait pris le cédant, il ne serait tenu de rien
en cas de sinistre. Dans le cas contraire, il ne devrait
que le capital avec les intérêts au taux légal ordinaire.
8*1. — La négociation du billet de grosse ayant les
mêmes effets et produisant les mêmes actions en garantie
que celle des autres effets de commerce, il en résulte que
l’efficacité des uns et des autres se trouve régie par des
principes identiques et soumise aux mêmes conditions.
Ainsi les endosseurs ne peuvent être recherchés qu’après le refus de paiement du débiteur principal, consta
té par un protêt qui doit être requis dans les vingt-qua
tre heures de l’échéance et suivi dans la quinzaine de la
notification, avec ajournement en condamnation.
Dans son application au billet de grosse, cette règle
ne comporte d’autre modification que celle qu’impose
rait la nature de l’acte dont l’exigibilité peut être fort
incertaine. Si le prêt a été consenti pour un nombre de
mois déterminé, pour un temps limité ; s’il est payable
• à telle époque, à l’arrivée dans un tel port, la nécessité
�art.
313, 314.
61
du protêt dans les vingt-quatre heures est de rigueur.
L’échéance étant d’avance connue, le porteur doit se
mettre en position d’agir dès qu’elle sera acquise.
Mais le prêt peut être exigible dès que le navire aura
atteint une certaine hauteur en mer; elle peut être la
conséquence de la rupture volontaire du voyage, de son
abandon, d’un simple déroutement. Dès lors faire cou
rir le délai du jour de l’événement, c’était exiger l’im
possible et condamner le porteur avant même qu’il con
nût qu’il eût h agir, ce qui serait contraire à toute idée
de moralité et de justice.
Donc, dans un cas semblable, le porteur n’est tenu
de faire protester que du jour où, parfaitement instruit
de l’événement, il a été en demeure de le faire. Il est
vrai que la détermination de ce jour peut offrir quelques
difficultés, mais à cet égard on ne pouvait que s’en ré
férer à la prudence des tribunaux, qui décideront sui
vant les circonstances relevées dans chaque espèce.
Celle connaissance de l’événement acquise, le délai
du protêt court de plein droit. Celui qui aurait été re
quis en dehors des vingt-quatre heures accordées par
la loi, laisserait le porteur sans recours contre les en
dosseurs.
C’est ce que le tribunal de commerce de Marseille a
expressément consacré en jugeant, le 19 avril 1820,
que dans le cas d’exigibilité du contrat à la grosse,
par suite de déroutement, le porteur est tenu , sous
peine de déchéance, de faire protester le lendemain du
�I
62
DROIT MARITIME.
jour où il a notifié le déroutement aux endosseurs1.
8 * 1 bis. — Nous venons de diré que l’endossement
régulier du billet de grosse en transporte au bénéficiaire
la propriété envers et contre tous, et le met à l’abri des
exceptions qu’on pourrait avoir à opposer, soit à son
cédant immédiat, soit au premier porteur. En tête de
ces exceptions se place la nullité du contrat pour inexé
cution des formalités prescrites par l’article 234.
Si, comme nous l’avons soutenu2, celte inexécution
n’est pas opposable au prêteur lui-même, à bien plus
forte raison ne pourrait-on en exciper contre le tiers
porteur. Mais si l’on admettait le contraire à l’égard du
premier, si par exemple il avait frauduleusement colludé avec le capitaine, la nullité qui atteindrait son droit
affecterait-elle celui du tiers porteur ?
La négative s’induit forcément des termes de l’article
313, puisque le billet de grosse peut être à ordre, puis
que sa négociation entraîne tous les effets de celle des ef
fets de commerce, il faut s’en référer aux principes en
matière d’endossement de lettres de change et des billets
à ordre. Or la doctrine et la jurisprudence sont unani
mes sur ce point. L’exception tirée des simulations qui
vicieraient la lettre de change ou le billet à ordre ne
saurait être opposée au tiers porteur.
Il est vrai que cette règle suppose un tiers porteur séi Journal de Marseille, t. 191, 138.
3 Voy. supra n° 438.
�art.
313, 314.
63
rieux et de bonne foi, et en appliquant la règle au ces
sionnaire du billet de grosse, on ne saurait la dégager
de la condition à laquelle son bénéfice est subordonné.
Il faut donc que le tiers porteur du billet de grosse
soit sérieux et de bonne foi. L’appréciation de ce carac
tère est souverainement laissée à l’arbitrage du juge.
Mais pourrait-on induire la mauvaise foi de cette
seule circonstance que ce tiers n’aurait exigé ni la remi
se, ni la représentation des pièces justifiant que les
prescriptions de l’article 234 ont été obéies ?
Pour résoudre affirmativement cette question, il fau
drait établir que la loi a prescrit celte exigence. Or, non
seulement elle n’en fait pas, mais encore elle n’a pas à
en faire le devoir. On ne saurait en douter s’il est vrai,
comme la Cour de cassation l’a si souvent jugé, que les
formalités de l’article 234 ont pour but unique de dé
gager la responsabilité du capitaine et de le mettre à
couvert de toute action récursoire de la part de l’arme
ment.
N’est-il pas évident, d’ailleurs, que si ces formalités
étaient de l’essence du contrat, le législateur eût exigé
au moins que ce contrat en mentionnât l’accomplisse
ment. Or, au nombre des énonciations que l’article 313
prescrit, on cherche vainement cette mention.
Donc le tiers à qui l’on offre un billet de grosse énon
çant le capital prêté et la somme convenue pour le pro
fit maritime, les objets sur lesquels le prêt est affecté,
les noms du navire et du capitaine, ceux du prêteur et
de l’emprunteur, si le prêt a lieu pour un voyage, pour
�DROIT MARITIME.
64
quel voyage et pour quel temps, l’époque du rembour
sement, n’a ni à s’enquérir, ni à s’inquiéter de rien au
tre. Le litre est régulier complet, se suffisant a lui-mê
me, et cette régularité au moins apparente qui rend effi
cace la négociation des lettres de change et des billets à
ordre, ne peut que produire un^effet identique pour la
négociation du billet de grosse sous peine de méconnaî
tre ou de violer l’article 313.
Concluons donc que l’omission d’avoir exigé la re
mise ou la représentation des pièces justifiant l’observa
tion de l’article 234 ne constitue pas le cessionnaire du
billet de grosse en mauvaise foi , et que si Ton a à lui
adresser que ce seul reproche, la nullité du contrat tirée
de l’inobservation de cet article ne pourrait lui être op
posée en supposant qu’elle pût l’être au prêteur K
A rticle 315.
Les emprunts à la grosse peuvent être affectés :
Sur les corps et quille du navire,
Sur les agrès et apparaux,
Sur l’armement et les victuailles,
Sur le chargement,
Cass., b janvier 1841. Aix. 2 mars 1865. J. du P., 1, 1841, 159
1866, 354 .
�art . 3 1 8 , 3 1 6 , 3 1 7 , 3 1 8 , 3 1 9 .
65
Sur la totalité de ces objets conjointement, ou sur
une partie déterminée de chacun d’eux.
Article 31 6 .
Tout emprunt à la grosse fait pour une somme excé
dant la valeur des objets sur lesquels il est affecté, peut
être déclaré nul, à la demande du prêteur, s’il est prou
vé qu’il y a fraude de la part de l’emprunteur.
Article 317 .
S’il n’y a fraude, le contrat est valable jusqu’à con
currence de la valeur des effets affectés à l’emprunt,
d’après l’estimation qui en est faite ou convenue.
Le surplus de la somme empruntée est remboursé
avec intérêts au cours de la place.
Article 318 .
Tous emprunts sur le fret à faire du navire et sur le
profit espéré des marchandises sont prohibés.
Le prêteur, dans ce cas, n’a droit qu’au rembourse
ment du capital, sans aucun intérêt.
Article 31 9 .
*
Nul prêt à la grosse ne peut être fait aux matelots ou
gens de mer, sur leur loyer ou voyage.
m — e
�872. Objets qui peuvent être affectés au contrat de grosse.
873. Doutes dans l'origine, si les diverses parties du navire pou
vaient être séparément affectées. Disposition du Guidon
de la mer. Conséquences qu’on en avait déduit.
874. Ces doutes, tranchés par l’ordonnance de 1681, et, depuis,
par le Cf de.
875. L’énonciation de l’objet du prêt en fixera la destination et
les caractères. Utilité de la disposition de la loi, à l’en
droit des victuailles.
876. Nature du privilège qui peut résulter de l’affectation sur
un des effets énumérés dans l’article 314.
877. Peut-on emprunter à la grosse sur les bateaux et barques
faisant le service des ports et rades ?
878. Quid, pour les bateaux de pêche ?
879. On peut n’affecter qu’une portion déterminée du navire ou
des objets divers qui le composent.
880. De quelle manière peut être affecté le chargement ? Quand
devra-t-on le considérer comme affecté cumulativement
ou séparément du navire ?
881. La rupture du voyage, faisant disparaître le risque, amène
l’annulation du prêt. Quand peut-elle être opérée ?
882. Effets du chargement incomplet sous l’ordonnance de
1681.
883. Sous l’empire du Code, le chargement incomplet serait as
similé au chargement insuffisant, et régi par l’article
316.
884. Véritable sens des expressions pourra être annulé.
885. Caractère de la nullité, qui peut la poursuivre.
886. Effets de l'exagération frauduleuse des marchandises affec
tées. Dans quel cas devrait-on la présumer? Caractère
de la présomption.
i
�a rt .
315, 316, 317, 318, 319.
67
/
887. Quid, du cas où cos marchandises auraient été précédem
ment assurées.
888. Effet de la nullité.
*
889. Effet de l’exagération non frauduleuse.
890. Comment il est procédé à l’estimation.
891. La rupture totale ou partielle pour l’exagération de la va
leur donne-t-elle le droit au prêteur d’exiger le demi
pour cent que l’article 349 concède aux assureurs ?
892. Motifs qui ont fait prohiber d’emprunter sur le fret à faire
et sur le bénéfice espéré.
893. Quid, du fret acquis et du bénéfice réalisé ? Distinction en
tre l’un et l’autre.
894. Circonstances rares dans lesquelles pourra naître la ques
tion de savoir si le fret est ou non acquis.
895. Difficulté qui peut naître de la clause de l’affrètement por
tant que le fret sera acquis à tout événement, en con
cours avec un prêt à la grosse.
896. Solution donnée par Emérigon. Opinion de MM. BoulayPaty et Delvincourt.
897. Avis qu’il convient d'adopter.
898. Emérigon confond le prêt à la grosse avec les effets que,
dans la même circonstance, produisait l’assurance. Dif
férence entre ces deux contrats, ses effets sur notre ques
tion.
899. Effet de la violation de l’article 318.
900. Caractère et destination des loyers des matelots. Nécessité
de la prohibition de les affecter à un contrat de grosse.
901. Système de l’ordonnance de 1681. Son caractère.
902. Abrogé par l'édit de 1745, et enfin par le Code.
903. Effet de la violation de l’article 319.
904. Cet article s’applique aux loyers du capitaine lui-même.
Conséquence de leur saisissabilité.
905. Arrêt d’Aix déclarant les loyers acquis par l’heureuse ar
rivée, affectés à l’emprunt, consentis par le capitaine sur
�DROIT MARITIME.
le corps du navire, et pour lequel il s’est personnelle
ment engagé.
906. Caractère de cette décision.
907. L'emprunt à la grosse, par les matelots, sur pacotille em
barquée pour leur compte est valable. Conséquences à
l’endroit de leurs loyers.
853. — En règle générale, tout ce qui peut former
l’objet de l’assurance peut faire celui du contrat de gros
se, mais ce dernier est plutôt réel que personnel , la
chose qui lui est affectée répond directement, et souvent
exclusivement du paiement. L’existence d’un risque ne
pouvait donc suffire, il fallait, en outre, que cette chose
eût par elle-même une valeur facilement réalisable.
De là, cette conséquence que la liberté des personnes,
qui peut devenir la matière d’une assurance, ne saurait
jamais constituer celle d’un contrat de grosse.
Il faut donc, pour la régularité d’un contrat de gros
se, que les objets qui doivent lui être affectés aient une
valeur vénale, qu’ils soient dans le commerce, et que,
sous le rapport de leur nature, ils soient susceptibles
d’un risque sérieux et réel.
853. — Dans l’origine, on avait mis en doute si
les diverses parties du navire pouvaient être séparément
engagées; ce qui est certain, c’est que l’ancienne légis
lation distinguait les victuailles et radoub, du corps de
la nef. Ainsi, nous lisons dans le Guidon de la mer que
les maîtres, bourgeois ou victuailleurs peuvent prendre
autant d’argent à profit comme il en faudra à leur quote-
�I
ART.
315, 316, 317, 318, 519.
69
part de victuailles et radoub, en quoi ne sera compris
la valeur du corps de la nef, parce que, s’ils doutent le
hasarder, ils ont moyen de le prévoir, faire assurer à
moindre prix que le profit de l’argent qu’ils prennent.
Ce qu’on induisait de cette disposition, c’est qu’on se
bornait à distinguer l’armement et les victuailles des au
tres parties du navire comprenant, outre la coque, les
agrès et apparaux, accessoires indispensables à la navi
gation, et sans lesquels la coque n’avait qu’une valeur
de peu d’importance. On induisait donc qu’on ne pou
vait affecter séparément les agrès et apparaux, et mieux
encore, qu’on ne pouvait emprunter sur la coque ellemême , le Consulat n’autorisant l’emprunt que sur la
quote-part des victuailles et radoub. Aussi l’usage, at
testé par Emérigon, n’était-il que d’emprunter dans ces
limites.
— L’ordonnance de 1681 mit un terme à cette
pratique, elle permit de prendre à la grosse sur les corps,
quille, agrès, apparaux, armement et victuailles, conjoin
tement ou séparément, et c’est ce que le Code de com
merce a à son tour consacré.
Comme exposé aux risques de la navigation, comme
valeur vénale et effective, chacun de ces divers objets
remplit les conditions que les effets affectés au prêt doi
vent réunir. On ne voit pas, dès lors, le motif qui pour
rait le faire exclure de l’affectation que ce prêt exige.
8Ï4.
�70
DROIT MARITIME.
tera de la nature du prêt, et cette nature ressortira des
termes du contrat. L’argent donné restrictivement sur
les corps et quille s’entend d’un prêt dont le produit doit
être employé aux frais du radoub , ce qui comprend les
bois et autres fournitures, les journées de charpentiers,
calfats et autres ouvriers.
Le prêt fait sur agrès et apparaux regarde les voiles,
cordages, vergues, poulies, mâts et autres accessoires du
navire.
Le prêt fait sur l’armement et les victuailles est bor
né aux canons et autres armes, aux vivres destinés à la
nourriture des gens de l’équipage et des passagers, en un
mot, aux munitions de guerre et de bouchel.
On comprend,en ce qui concerne les victuailles, pour
quoi on a cru de tous les temps devoir s’expliquer po
sitivement. On pouvait d’autant plus révoquer en doute
la faculté de les affecter au prêt de grosse, que leur ab
sence du bord , même dans le cas d’heureuse arrivée ,
est une certitude, et que cette absence ne sera jamais le
résultat d’une fortune de mer. Destinées à la consom
mation journalière de l’équipage, il ne restera évidem
ment, le voyage accompli, que l’excédant de ce qui était
nécessaire à cette consommation.
Or, ce résultat pouvant paraître incompatible avec le
caractère réel du prêt à la grosse , rendait sans effet pos
sible le privilège qui en naît pour le donneur. On aurait
donc pu soutenir que les victuailles ne pouvaient deve
nir la matière d’un contrat de grosse régulier.
i Valin, art. J, tit. Contrats à la grosse.
�ART.
318, 316, 317, 318, 319.
71
La loi, voulant admettre le contraire, devait donc ma
nifester formellement son intention sans trop grand es
poir cependant de voir sa disposition fréquemment exé
cuté^. Car, en réalité, le prêt sur victuailles, qui a tous
les périls du prêt à la grosse, ne saurait offrir cette ga
rantie spéciale qu’il offre dans les autres cas, le privi
lège sur la chose affectée.
§®G. — Quoi qu’il en soit, rien ne s’oppose à ce
que le prêt porte sur un ou sur plusieurs des effets énu
mérés dans l’article 315. Ce qui est non moins certain,
c’est que le donneur n’aurait privilège que sur l’objet
spécialement affectél.
Cette règle reçoit pourtant exception dans le cas où
l’affectation porte généralement sur le corps de tel na
vire, sans autre restriction. Dans ce cas, l’affectation
comprend de plein droit, non seulement la coque, mais
encore les agrès et apparaux, l’armement et les victuail
les. C’est dans ce sens que l’usage d’affecter purement
tel ou tel navire n’a jamais été considéré que comme la
distinction entre le navire et le chargement, et comme
grevant l’un à l’exception de l’autre.
L’usage attesté par la doctrine universelle a été plus
loin encore. Ainsi, de tout temps, le prêt déclaré fait sur
tel navire a pu, d’après l’intention des parties, être con
sidéré comme affectant non seulement la part de l’em
prunteur à la propriété du navire, mais encore l’inté
rêt qu’il pouvait avoir dans le chargement.
1 V.
in fra , art.
320.
�72
DROIT MARITIME.
L’article 315 ne se préoccupe en aucune façon de la
force et de la portée des navires. Sa disposition s’appli
que aux bâtiments de mer en général. Or, nous avons
va que cette expression comprend même les barques et
bateaux, quelle que soit leur destination réelle.
8 ? ? . — Tout ce qui fait le service de la mer est ex
posé à un danger spécial, même les barques et bateaux
desservant les ports et rades, mais ce danger est-il de
nature à autoriser un profit maritime, peut-il être assi
milé au risque exigé par la loi pour la validité du prêt
à la grosse ? L’affirmative atteindrait ce déplorable ré
sultat d’exposer à l’usure la plus effrénée des malheu
reux n’ayant pour toutes ressources que leur bateau,
dont ils se verraient inévitablement dépouillés dans un
temps plus ou moins long.
La raison, d’ailleurs, indique que la chance de cha
virer dans la rade, celle d’être brisé dans le port par un
choc ou tout autre événement n’est ni assez grave, ni
assez fréquente pour légitimer un intérêt maritime qui
ne peut être autorisé que par les dangers si multiples
de la navigation ordinaire.
8 Ï8 . — Mais on ne devrait pas conclure de là que
le prêt à la grosse n’est licite que pour les opérations de
celle-ci. On a voulu tirer cette conséquence de ce que
l’article 311 exige l’énonciation du voyage. Dès lors, at-on dit, toute opération qui n’a pas pour objet un voyage
réel, ne peut devenir la matière du contrat à la grosse.
�On invoquait cette considération dans une espèce où il
s’agissait de la validité d’un prêt à la grosse fait sur des
sloops de pêche et on en demandait la nullité.
S’il est vrai que l’article 311 parle de voyage, ce n’est
certes pas à titre restrictif, puisqu’il admet le prêt pour
un temps limité. Donc, si la première condition est ir
réalisable par la destination du bâtiment, la seconde est
toujours possible. On se trouvera donc réduit à y re
connaître ce qui évidemment rentre dans la disposition
de la loi.
Le prêt serait donc valable si, d’ailleurs, il existe un
risque sérieux et réel. Or ce risque est incontestable, a
dit la chambre civile de la Cour de cassation, toutes les
fois qu’il s’agit de bâtiments de mer qui, avec un ar
mement et un équipage qui leur sont propres, remplis
sent un service spécial et suffisant à une industrie par
ticulière.
La Cour suprême maintient donc le prêt à la grosse
fait sur des bateaux de pêche, comme l’avait jugé déjà
la Cour de Rennes ; son arrêt, du 20 février 1844, con
sidère au surplus que les barques de pêche sont expo
sées aussi à des risques de mer ; que si elles ne sont pas
employées à des voyages proprement dits, elles le sont à
des courses plus ou moins aventureuses, réitérées dans
toutes les saisons, et qu’enfin pour la validité du contrat
à la grosse il suffit qu’il ait eu lieu pour un temps déter
miné, quel qu’il soit L
�74
DROIT MARITIME.
8 ? » . — L’affectation spéciale aux diverses parties
du bâtiment peut ne pas les comprendre en entier. On
peut emprunter sur une moitié, un quart des corps et
quille, des agrès et apparaux, de l’armement et victuail
les, sur la moitié ou le quart des uns et des autres con
jointement. La loi s’en réfère entièrement à la volonté et
à l’intérêt des parties. Elle en accepte la convention, dont
nous verrons les effets dans l’hypothèse d’un sauvetage
en cas de sinistre.
— La nature du chargement, les périls aux
quels l’expose la navigation le rendaient éminemment
propre à devenir la matière d’un contrat à la grosse.
Cette vérité, un moment méconnue, ne tarda pas à pren
dre place dans les usages et les codes commerciaux.
Le chargement peut donc être affecté. Il peut l’être
conjointement avec le navire lorsque, propriétaire de l’un
et de l’autre, l’emprunteur déclare faire l’emprunt sur
corps et facultés. Nous avons même vu que, dans l’hy
pothèse d’un propriétaire-armateur, cette affectation con
jointe peut résulter de l’expression sur tel navire.
L’emprunt contracté sur facultés ne comprend que
le chargement, mais il le comprend en entier et affecte
par conséquent tout ce que l’emprunteur a à bord,quelle
qu’en soit la valeur réelle et quelque supérieure qu’elle
puisse être à la somme empruntée.
Comme le navire lui-même, et à plus forte raison en
core, le chargement est susceptible d’une affectation par
tielle. On peut donc emprunter sur la moitié, le tiers,
880.
�le quart ; sur telle nature de marchandises. Le privilè
ge du prêteur se réduirait dans ce cas dans les propor
tions convenues et aux choses expressément désignées.
881. — Le risque étant de l’essence du prêt à la
grosse, il importe pour sa validité que la chose affectée,
quelle qu’elle soit, ait été réellement soumise aux chan
ces de la navigation. A défaut, le prêt dégénérerait en
un prêt ordinaire, ne pouvant donner lieu qu’à l’intérêt
de terre.
Ce principe, qui est d’ordre public et auquel on ne
peut directement ni indirectement déroger, aboutit à cette
conséquence que l’emprunteur est toujours libre en re
fusant d’embarquer la chose affectée, en la retirant si
elle est déjà chargée, ou en rompant le voyage, de dé
terminer la caducité du prêt à la grosse, mais il ne peut
user de cette faculté que si le risque n’a pas encore com
mencé. Son exercice fait disparaître la cause du contrat
et l’annule à tout jamais. Telle était la doctrine de nos
anciens jurisconsultes.
L’école italienne n'admettait cette annulation, qui a
été de tout temps qualifiée ristourne, en cas de rupture
du voyage, que si cette rupture était le résultat d’une
force majeure, il en était autrement en droit français.
Sauf le cas de fraude, disait Emérigon, il est certain
qu’à l’exemple de l’assuré, le preneur peut se dédire et
se dégager de son obligation malgré le donneur, soit en
rompant le voyage avant le départ du navire, soit en n’y
chargeant rien l.
i Contrats à la Grosse, chap. 6, sect. 4.
�76
DROIT MARITIME.
On ne doit, disait Valin, faire aucune différence entre
le preneur à la grosse qui aura eu le pouvoir de char
ger et celui qui ne l’aura pas eu. Qu’on suppose le prê
teur de bonne foi tant qu’on voudra, il faut toujours,
pour la solution de la question, recourir au principe de
la décision. Or la nature du contrat de grosse est telle
que le prêteur ne peut gagner le profit maritime qu’autant qu’il a couru les risques auxquels le contrat est su
jet. Dans l’espèce, à défaut de chargement, il n’a couru
aucun risque , le profit maritime ne peut donc lui être
acquis, que l’emprunteur ait pu charger ou non, il n’im
porte l.
Le Code de commerce, en s’appropriant le principe,
en a par cela même consacré toutes les conséquences.
Sous son empire donc, l’exécution ultérieure du contrat
de grosse est abandonnée à la volonté exclusive de l’em
prunteur. Il y a lieu à ristourne par cela seul qu’il n’a
pas expédié le navire ou chargé les marchandises qu’il
avait affectées. Il n’est plus tenu que d’une seule chose,
à savoir, le remboursement immédiat de la somme em
pruntée avec l’intérêt ordinaire. Le paiement de cet in
térêt est la seule peine qui puisse résulter de l’inexécu
tion du contrat.
Mais le droit de rompre volontairement le voyage
n’existe et ne peut être exercé que tout autant que le ris
que n’a pas commencé. Dans le cas contraire, le contrat
ne peut plus être détruit, même par un cas de force mai Art. 15, titre du Contrat à la Grosse.
�77
jeure. Il doit produire tout son effet, comme si le voyage
s’était heureusement accompli. Ainsi le profit maritime
serait acquis alors même que le navire, sorti du port, se
rait obligé d’y rentrer pour se soustraire à la tempête,
ou à la poursuite de l’ennemi, et ne pourrait plus en
sortirl.
ART.
318, 516, 517, 318, 319.
883. — Le chargement incomplet est une rupture
partielle du voyage. L’article 15 de l’ordonnance de
1681, titre des Contrats à la Grosse, disposait : Que si
l’emprunteur justifie n'avoir pu charger des effets pour
la valeur des sommes prises à la grosse, le contrat,
en cas de perte, doit être diminué à proportion de la va
leur des effets chargés, et ne subsiste que pour l’excé
dant dont le preneur doit le change au cours de la place
où le contrat a été passé, jusqu’à l’actuel paiement, et
que si le navire arrive à bon port, il ne sera aussi dû que
le change et non le profit maritime de ce qui excédera
la nature des etfets chargés. Malgré la restriction de ces
termes, on appliquait cette disposition au cas où le fait
du chargement incomplet était purement volontaire. Valin considérait cet article 15 comme s’il disait : Si, tou
tefois, celui qui a pris à la grosse n’a pas chargé les
effets. Il n’admettait aucune différence entre le preneur
qui n’avait pu charger et celui qui n’avait pas voulu.
Il en existait une pourtant. L’impossibilité de charger
exclut toute idée de fraude, tandis que le chargement ini Boulay-Paty, t. 3, p. 468.
�78
DROIT MARITIME.
complet par le fait seul de la volonté du preneur pou
vait n’être que le résultat de cette fraude. Sans doute rien
ne pouvait suppléer le risque qui n’avait pas existé.
Aussi la privation du profit maritime en cas d’heureuse
arrivée, jusqu’à concurrence de ce qui n’avait pas été
chargé, n’était-elle que la juste, que l’inévitable consé
quence de la nature du contrat.
Mais la perte, en cas de sinistre, d’une partie du ca
pital, proportionnée aux effets chargés, était-elle égale
ment juste ? Le donneur n’était-il pas fondé à objecter
que l’inexécution partielle du contrat devait en motiver
l’annulation entière ? Ne lui imposait-on pas un nou
veau contrat, en le contraignant de subir une divisibilité
qui n’avait jamais été dans ses intentions, qui pouvait
même contrarier son intérêt.
883. — Le Code de commerce nous paraît avoir ré
solu très heureusement et très judicieusement toutes ces
difficultés. Le chargement incomplet soumettra le prêt
à l’application de l’article 316, qui permet de faire leur
juste part à la bonne foi et à la fraude.
En effet, le chargement incomplet ne saurait offrir au
cune gravité si, en fait, les effets chargés sont d’une va
leur suffisante pour garantir la somme empruntée.
Dans le cas contraire, leur insuffisance, si elle est le
résultat de la mauvaise foi, déterminera la nullité to
tale de l’acte. L’effet de cette nullité autorisera le prê
teur à exiger le remboursement de son capital, même
après le sinistre arrivé par fortune de mer. Ce sinistre
�ART. 3 1 5 , 3 1 6 , 3 1 7 , 3 1 8 , 3 1 9 .
79
restera donc pour le compte et à la charge exclusive du
preneur.
884. — Il importe de ne pas se méprendre sur le
vrai caractère de la disposition de l’article 316 et de ne
pas interpréter autrement qu’elles ne doivent l’être les
expressions : le prêt pourra être annulé sur la demande
du prêteur.
Ce qui en résulte, c’est non pas que l’acte puisse être
maintenu malgré les prétentions de celui-ci, mais uni
quement que sa nullité peut n’être pas poursuivie par
lui. Aussi cette nullité est un devoir pour le juge, dès
qu’elle est réclamée. Seulement, comme dans toutes les
causes de ce genre, l’appréciation de la fraude est aban
donnée à son arbitrage, mais, sa constatation acquise,
l’acte doit être résilié. La fraude ne saurait profiter, ni
moins encore nuire à personne.
Ce qui est donc seulement facultatif, ce qui seul pou
vait et devait l’être, c’est le droit du prêteur de faire pro
noncer la nullité du prêt en cas d’insuffisance du gage,
soit par exagération de la valeur, soit par suite d’un
chargement incomplet. Rendre cette poursuite obliga
toire dans tous les cas, c’était le contraindre à agir sou
vent contre son propre intérêt. Supposez le navire heu
reusement arrivé, le profit maritime est acquis. Or le ré
sultat de la nullité était la perte du droit de l’exiger.
Il est donc évident que la faculté concédée au prê
teur ne pouvait être utilement exercée que dans une hy
pothèse, à savoir, si le sinistre s’étant réalisé, le prê-
�80
DROIT MARITIME.
teur était exposé à perdre son capital, perte dont il sera
exonéré par la nullité du prêt.
885.
— Ce qui résulte encore de l’article 316, c’est
que la faculté qu’il sanctionne est absolument relative.
Ainsi l’emprunteur ne pourra jamais, en cas d’heureuse
arrivée, exciper de l’exagération donnée par lui à la va
leur du chargement. Sans doute la nullité de l’acte lui
conférerait un avantage certain, puisqu’elle le décharge
rait de l’obligation de payer le profit maritime. Mais
comment l’admettre à se faire un titre de son propre
fait ou de sa fraude?
On a été plus loin encore. On a prétendu que les ex
pressions de la loi, sur la demande du prêteur, étaient
tellement limitatives qu’on devait refuser la faculté de
poursuivre la nullité du prêt au cessionnaire légitime du
billet de grosse. Mais la raison et le droit protestaient
trop énergiquement contre une telle interprétation pour
qu’elle ne fût pas repoussée. Le cessionnaire est évi
demment l’ayant cause du cédant, et, en acceptant le
billet de ses mains, il lui a été substitué à toutes les obli
gations comme à tous les droits, à toutes les actions dont
ce billet peut devenir l’origine.
8 8 0 . — Donc, le cessionnaire peut, comme le cé
dant, exciper de l’exagération de valeur et faire pronon
cer la nullité, s’il prouve qu’elle est le résultat de la frau
de. Or, en règle générale, la fraude ne se présume pas,
mais cette règle, susceptible d’exceptions en matière or-
�315, 310, 317, 318, 319.
SI
dinaire, n’en est pas exempte en matière commerciale et
maritime.
L’exception pour le prêt à la grosse pourrait naître du
caractère et de la nature de l’exagération ; elle peut être
telle, en effet, qu’on ne saurait lui assigner aucun mo
tif plausible.
« Le trop d’argent pris à profit, disait le Guidon de
la mer, fait une véhémente présomption contre le maî
tre du navire qu’il est consentant ou participant de la
perte ou prise de son navire; car, comme en tout traité,
soit maritime, soit terrestre, le but et fin des trafiquements est de gagner et profiter, celui-ci ne peut avoir
entrepris son voyage en intention de gagner, qui, au
paravant que de commencer, est déjà au restor. Partant
il est à inférer de la nécessité qu’il se soit imaginé quel
que malheureuse fin en la navigation, pour, par sinis
tre moyen, s’acquitter de ses dettes, lequelles loyalement
il ne peut payer, sa navigation étant accomplie l. »
La même présomption était enseignée par l’école ita
lienne : Cum capitaneus ad cambium receperit longe
majorem pecuniœ summam quam fuerit risicum super
navi existens, prœsumi debet sinistrum fuisse dolosum 2.
Celui, en effet, qui emprunte sciemment beaucoup
plus que la chose ne vaut, se livre à une opération trop
i Chap. t9, art. tO.
3 Casaregis, Disc. 62, n° 7.
III
�82
DROIT MARITIME.
singulière pour ne pas éveiller le soupçon. L’heureux
accomplissement du voyage l’obligera à restituer non
seulement un capital dépassant la valeur du gage, mais
encore le profit maritime qui aggravera outre mesure sa
position, et absorbera plus que le bénéfice que la vente
des effets affectés pourra produire.
Il a donc un intérêt incontestable à ce que cet heu
reux voyage ne s’accomplisse pas. Dès lors, si ce défaut
d’accomplissement se réalise, comment admettre qu’il
y a été absolument étranger ? Mais cette présomption est
loin d’exclure la preuve contraire que l’emprunteur sera
toujours fondé à établir, et qui pourra résulter des cir
constances du sinistre et de la position de l’emprunteur
lui-même relativement au voyage.
8 8 ?. — Les mêmes considérations amènent à cette
autre conséquence que le prêt à la grosse, même sans
exagération de valeur, devrait être annulé si les objets
qui lui ont été affectés ont déjà fait la matière d’une as
surance. La validité simultanée de l’assurance et du prêt
postérieur aurait pour résultat : en cas de sinistre, de
faire toucher deux fois la valeur des effets perdus ; en
cas d’heureuse arrivée, d’ajouter au paiement de la pri
me celui du profit maritime.
En cet état, l’intérêt de l’assuré emprunteur n’est pas
douteux. Tous ses désirs, tous ses vœux doivent être
pour qu’un sinistre lui assure le bénéfice de son opéra
tion. On pouvait dès lors raisonnablement admettre, ce
�ART. 5 1 8 , 5 1 6 , 5 1 7 , 5 1 8 , 5 1 9 .
85
sinistre se réalisant, qu’il a fait tout ce qu’il lui était
possible de faire pour le déterminer.
Dans cette seconde hypothèse, d’ailleurs, la nullité du
prêt à la grosse serait inévitable à un autre point de vue.
Ce contrat ne peut jamais devenir pour l’emprunteur un
moyen de s’enrichir. Il doit uniquement y puiser celui
de ne rien perdre. Or, ce dernier but étant déjà atteint
par l’assurance, le prêt à la grosse ne serait plus qu’une
véritable gageure sur le voyage. L’emprunteur jouerait
le profit maritime contre la chance d’être payé deux fois,
ce qui ne pouvait être toléré, et moins encore autorisé
par la loi.
888. — L’effet de la nullité que la fraude détermine
est de convertir le prêt à la grosse en un simple prêt or
dinaire. Donc, à quelque époque que cette nullité soit
demandée et déclarée, fût-ce après le sinistre réalisé, le
prêteur est autorisé à se faire rembourser de son capi
tal. Mais il ne saurait, sous aucun prétexte, exiger l’in
térêt maritime. Tout ce qui lui est dû, c’est le simple in
térêt de terre depuis la délivrance des fonds jusqu’au jour
du remboursement. La loi ne s’explique même pas sur
cet intérêt, mais l’article 317 ne permet aucun doute à
cet égard. Puisque cet intérêt est dû dans le cas d’erreur
et de bonne foi, comment ne le serait-il pas dans l’hy
pothèse de la fraude ?
88». — L’absence de toute intention frauduleuse
dans l’exagération de la valeur laisse subsister le con-
�DROIT MARITIME.
84
trat. L’erreur faite et acceptée de bonne foi n’exigeait
qu’une seule chose, à savoir, de ramener le contrat à
des proportions équitables et justes. Le prêt se trouve
donc valable jusqu’à concurrence de la valeur réelle des
effets qui lui ont été affectés. L’excédant doit être resti
tué au prêteur, et comme, d’une part, il n’a été remis
que par erreur ; que, de l’autre, l’emprunteur en jouit
effectivement jusqu’à remboursement, il était juste de
lui faire produire l’intérêt ordinaire.
La réductibilité du prêt amène la nécessité de procé
der à l’estimation des effets et marchandises ; cette esti
mation peut être amiablement convenue ou confiée à des
experts choisis par les parties ou nommés par la justice.
— Dans l’un et l’autre cas, elle ne saurait
avoir d'autre base que la valeur des effets, des marchan
dises au jour et au moment du contrat. Or, pour fixer
cette base, on pourrait tout d’abord s’en référer aux fac
tures et livres de l’emprunteur. C’est ce que l’article 339
enseigne en matière d’assurance, et M. Pardessus esti
me que ce n’est qu’à défaut des uns et des autres qu’on
peut recourir à une expertise.
M. Pardessus a incontestablement raison. Si le prê
teur n’élève aucune difficulté, s’il accepte l’indication
des factures et des livres, toute expertise serait dès lors
évidemment frustratoire, et par conséquent inutile.
Mais sa doctrine conduisant à ce résultat que le prê
teur devrait accepter ces indications et ne pourrait, lors
que les factures sont représentées, solliciter une exper890.
�ART.
315, 316, 317, 318, 319.
85
tise, est inadmissible. Elle deviendrait une injustice dans
un cas, une occasion de fraude dans l’autre.
Supposez des marchandises achetées en temps de
guerre ou de renchérissement, quelle en sera la valeur
réelle si le prêt à la grosse ne se réalise qu’après que l’é
vénement de la paix ou la cessation de la crise a déter
miné une baisse de prix considérable ? Evidemment la
différence entre le cours actuel et le prix d’achat est une
perte consommée pour l’emprunteur. On ne pourrait
donc, sans méconnaître la nature du prêt à la grosse,
l’admettre comme un des éléments qui doivent le garan
tir et en répondre.
Supposez, d’autre part, que l’acheteur, ayant intérêt
à paraître acheter plus cher qu’il n’achète en effet, la
facture a été établie dans cette unique prévision ? Faudra-t -il encore obliger le prêteur à se contenter du prix
fictif et lui interdire de ramener les choses à la vérité
réelle ?
Nous avons donc raison de le dire, les factures et les
livres de l’emprunteur, qui n’en sont tout au plus que
la reproduction, n’ont et ne peuvent avoir qu’une in
fluence purement relative. Le prêteur peut les accepter,
mais il peut les contredire, et exiger que la valeur soit
établie conformément au cours réel du jour du contrat,
tel qu’il résulte des mercuriales, des certificats, des cour
tiers, et, dans tous les cas, demander une expertise.
A. la valeur vénale des marchandises doivent s’ajou
ter les frais de conduite à bord, de charriage et d’em
ballage, les droits de douane et la commission payée aux
�86
DROIT MARITIME.
expéditeurs. S’il s’agit d’un navire, on doit, dans sa va
leur réelle, tenir compte des frais d’armement, équipe
ment, et avictuaillement, dont l’armateur justifierait.
Dans l’un et l’autre cas, ces divers frais contribuent à
déterminer le véritable prix de revient.
§91. — Les difficultés réglées par les articles 316
et 317 peuvent naître avant le risque commencé. Dans
ce cas la nullité du prêt ou sa réduction constituerait la
rupture totale ou partielle du voyage. Or, l’article 349
dispose qu’en cas de rupture du voyage avant le départ
du navire et d’annulation de l’assurance, il est dû aux
assureurs demi pour cent de la somme assurée. Cette
indemnité pourra-t-elle être réclamée par le prêteur à la
grosse, dans l’hypothèse que nous supposons ?
Yalin et Emérigon enseignaient l’affirmative. Dans la
doctrine moderne , M. Pardessus , se rangeant à l’opi
nion des premiers, soutient que l’indemnité est due au
prêteur dans tous les cas de ristourne pour rupture de
voyage. M. Delvincourt réduit ses droits à l’intérêt de
terre.
Nous optons pour l’opinion de M. Delvincourt ; nous
pensons, comme lui, que le prêteur trouve dans l’inté
rêt de terre l’indemnité que l’assureur reçoit par le demi
pour cent ; que, lui accorder l’un et l’autre , ce serait
non pas l’assimiler à celui-ci, mais lui assurer une po
sition bien plus favorable , puisqu’il recevrait deux fois
ce que l’assureur ne peut jamais recevoir qu’une.
Il est une seule hypothèse dans laquelle nous admet-
�trions le paiement simultané de l’intérêt et de l’indem
nité du demi pour cent, à savoir, si le prêteur, ayant
fait assurer la somme prêtée, était obligé d’indemniser
ses assureurs, le paiement qu’il en ferait constituerait
pour lui un véritable préjudice que lui imposerait le fait
volontaire et exclusif de l’emprunteur, il serait donc jus
te que l’auteur du préjudice fût tenu de le réparer.
— Les motifs qui faisaient consacrer les arti
cles 316 et 317 militaient avec bien plus de force en
core pour faire prohiber tout emprunt à la grosse sur le
fret à faire et sur le bénéfice espéré. Un emprunt de ce
genre n’était plus le moyen de ne rien perdre, il deve
nait l’occasion de s’enrichir, en assurant dans tous les
cas les avantages qui ne devaient être acquis que par
l’heureuse arrivée du navire ou de la cargaison, et su
bordonnés en outre, à l’endroit du profit espéré, à l’état
de la place au moment de l’arrivée.
Le fret à faire et le profit espéré n’ont donc aucune
valeur réelle au moment du contrat, ils ne constituent
tout au plus qu’une espérance plus ou moins fondée.
Comment donc admettre qu’une chose qui n’existe pas
pût devenir la matière d’un contrat, tel que le prêt à la
grosse ?
Si l’insuffisance du gage était un motif d’annulation,
comment refuser cette annulation, lorsqu’il n’existait
pas même un gage quelconque? Or la réalisation du prêt
à la grosse, loin d’assurer l’acquisition du fret à faire et
du bénéfice espéré, la rendait plus chanceuse encore.
898.
�88
DROIT MARITIME.
Ainsi que l’observait judicieusement Yalin, l’armateur
ou le chargeur, déjà payés : le premier, du fret ; le se
cond, du bénéfice qu’il se promettait, se mettrait fort
peu en peine d’un événement auquel le prêteur seul était
désormais intéressé.
La prohibition de l’article 318 ne s’appli
quant qu’au fret à faire et au bénéfice espéré, la consé
quence rigoureuse était que le fret acquis et le bénéfice
réalisé ne pouvaient être régis par sa disposition, qu’ils
peuvent, l’un et l’autre, devenir la matière d’un con
trat de grosse.
Mais si le prêt à la grosse exige un gage certain, il
n’exige pas moins expressément que ce gage soit exposé
à un risque maritime. Cette seconde exigence signale im
médiatement une différence essentielle entre le profit réa
lisé et le fret acquis.
Dans l’emprunt fait par le chargeur pour l’aller et le
retour, le risque passe de plein droit sur les marchan
dises chargées pour opérer ce dernier. En supposant que
le produit entier de la cargaison d’aller ait été employé
à l’achat de ces marchandises, le bénéfice de la revente
sera acquis et réellement mis en risque. Le prêt à la
grosse dont il sera l’objet sera licite et valable.
Par exemple, j’ai emprunté 20,000 francs sur un
chargement, aller et retour de Marseille à la Martini
que ; arrivé dans cette localité, ce chargement a été ven
du 30,000 francs et ces 30,000 francs ont été employés
à acheter la cargaison de retour. Le second emprunt,
893.
—
�fait pour 10,000 francs, ne saurait être querellé, cette
valeur existe réellement à bord, et si au départ de Mar
seille elle n’était qu’un profit espéré, elle est devenue,
au retour, une incontestable réalité, effectivement sou
mise aux chances de la navigation, et qu’un sinistre en
gloutirait.
— Il n’en est pas de même du fret; dès qu’il est
acquis, il ne court plus de risque. Le droit de s’en faire
payer par le débiteur constitue une créance ordinaire
sur laquelle la perte ou la prise ultérieure du navire ne
saurait exercer aucune influence.
Il ne pourrait donc devenir la matière d’un emprunt
à la grosse que si le capitaine, l’ayant perçu, l’avait em
barqué , soit en nature, soit après l’avoir converti en
marchandises. Dans l’un et l’autre cas, il serait fort inu
tile de se préoccuper de l’origine des deniers ou de la
marchandise. L’emprunt contracté serait un emprunt
ordinaire dont la validité serait incontestable dès qu’il
s’agirait de deniers ou d’effets déterminés, placés à bord
et exposés à périr avec le navire.
La question de validité de l’emprunt sur fret acquis
ne peut donc naître que dans des circonstances rares,
dans la suivante, par exemple :
Un vaisseau a été frété pour une destination conve
nue, moyennant un fret déterminé, avec faculté ou de
décharger à cette destination ou de prolonger le voyage
jusqu’à un port plus éloigné, un fret plus élevé est sti
pulé dans cette prévision.
894.
�90
DROIT MARITIME.
Le navire parvenu à la première destination , le fret
est acquis, en ce sens que le capitaine peut l’exiger en
opérant le déchargement. Mais si, désireux de gagner
le fret le plus fort, il continue sa route, tout est remis
en question, de telle sorte que le navire venant à périr
dans ce nouveau trajet, il n’est dû absolument aucun
fret.
Le capitaine pourra-t-il au moins faire emprunt sur
la partie du fret dont il pourrait exiger le paiement, en
déchargeant avant de quitter le port où ce déchargement
pourrait s’opérer?
On a soutenu la négative sur le motif que la continua
tion du voyage remettant en question le fret entier, il
n’y a en réalité rien d’acquis ; que le fret, dans toutes
ses parties, est encore à faire, puisque tout dépend de
l’issue du voyage, et que le chargeur sera libéré du tout,
si celui-ci ne réussit pas.
Il faut avouer que cette objection ne manque ni de
vérité, ni de gravité ; cependant on a généralement ad
mis la solution contraire, on a considéré le fret comme
acquis par cela seul qu’il pouvait être exigé, et décidé
que le capitaine qui l’expose à un nouveau risque pou
vait céder ce risque et le rendre la matière d’un emprunt
à la grosse h
— Le fret est incontestablement acquis lors
que la convention stipule que le capitaine qui le reçoit
895.
i Boulay-Paty, t. 3, p. 135.
�d’avance ne sera pas tenu à le restituer quoi qu’il arri
ve. Il est évident dans cette hypothèse que ce fret ne
pourrait être affecté à un contrat de grosse, d'abord par
ce que le capitaine ou l’armateur en aurait été réelle
ment payé, ensuite parce que si le paiement avait été
renvoyé à une époque ultérieure , le droit de l’exiger,
conféré par la convention, constituerait une créance cer
taine, à l’abri de tout risque, et par cela même privée
de l’élément le plus essentiel à ce contrat.
Mais, dans l’hypothèse, il peut s’offrir la difficulté
suivante, que nous trouvons dans Emérigon :
Mon vaisseau vaut, prêt à mettre à la voile, 50,000
francs., je vous le frète, pour un voyage pour les Indes
orientales, moyennant le nolis de 50,000 francs , qui
me sera acquis à tout événement ; je prends, d’une au
tre personne, 50,000 francs à la grosse sur le corps.
Le navire périt sans avoir fait aucune dépense intermé
diaire.
— Puis-je, se demande Emérigon, profiter des
50,000 francs du fret acquis, et des 50,000 francs em
pruntés à la grosse ? Ce bénéfice, que je fais dans mon
opération, est-il légitime ? Non, répond-il, et, malgré le
naufrage, la somme prise à la grosse doit être resti
tuée *.
Cette solution, contestée par M. Delvincourt, est au
contraire admise par M. Boulay-Paty. Mais l’opinion de
896.
i Contrats à la grosse, chap. 5, sect. 2.
�92
DROIT MARITIME.
celui-ci semble n’être que le résultat d’une confusion
involontaire sur ce qui a fait l’objet du contrat. M. Delvincourt vient de dire : il est certain que si mon navire
vient à périr, je gagnerai les 50,000 fr. du fret, mais
je n’en aurai pas moins perdu mon navire, j’ai donc
couru un risque, et cela suffit pour que le prêt à la gros
se soit valable.
Il importe peu que le navire se perde ou ne se perde
pas, répond M. Boulay-Paty, vous avez toujours les
50,000 francs du fret qui vous est acquis à tout événe
ment qui, par conséquent, n’a jamais été en risque et
n’a pas dû, dès lors, devenir l’objet d’un emprunt à la
grosse b
8 9* . — M. Boulay-Paty aurait raison si l’emprunt
avait été contracté sur le fret acquis. Mais, dans notre
hypothèse, il l’a été sur le corps du navire, ce qui laisse
l’objection de M. Delvincourt sans réponse; ce qui lui
donne raison au fond. Le navire était si bien en risque,
qu’il a péri. Par conséquent, l’élément essentiel du con
trat a bien réellement existé.
Qu’importe dès lors que, par l’avantage exceptionnel
qu’il s’est ménagé avec son affréteur, l’armateur se soit
assuré le paiement d’un fret qu’il n’aurait pu réclamer
qu’après l’accomplissement du voyage. Comment admet
tre que le bénéfice de cette convention puisse être acquis
au prêteur, auquel la convention n’a jamais cessé d’être
�ART.
315, 316, 317, 318, 319.
95
étrangère ? C’est ce qui résulte pourtant directement de
l’opinion d’Emérigon et de M. Boulay-Paty.
Il ne faut pas, a-t-on dit, que le preneur trouve un
moyen de s’enrichir dans l’emprunt à la grosse. C’està-dire qu’il doit se trouver, après le sinistre, dans une
position identique à celle que lui ferait l’heureuse arri
vée. Mais, loin de méconnaître cette règle, notre solu
tion en fait au contraire une juste application.
Qu’aurait eu dans l’hypothèse le preneur, si le voyage
s’était heureusement accompli ? Le fret de 50,000 fr.;
son navire valant 50,000 fr., qu’a-t-il après le sinistre?
50,000 fr. du fret acquis 50,000 fr. empruntés, repré
sentant la valeur du navire. Il est vrai, qu’en thèse or
dinaire, le fret aurait été perdu avec le sinistre qui a
fait périr le navire et la cargaison, mais le contraire n’est
pas ici la conséquence de l’emprunt à la grosse. Il ne
se réalise qu’en vertu de la convention souscrite par l’af
fréteur. Il est donc vrai que l’emprunt n’aura produit
que son effet ordinaire, à savoir, empêcher le preneur
de ne rien perdre de ce qui lui était légitimement ac
quis.
8 » 8 . — Nous nous demandons comment ces véri
tés ont pu échapper à un esprit tel qu’Emérigon, et nous
ne l’expliquons que par une préoccupation pour les
principes de l’assurance, qu’il vient de traiter avec tant
d’éclat.
Il est certain, en effet, que si, au lieu d’emprunter sur
le corps de son navire, l’armateur l’avait fait assurer, il
�94
DROIT MARITIME.
ne pourrait, en cas de sinistré, cumuler le bénéfice de
l’assurance et le produit du fret. C’est là la conséquence
forcée du délaissement qu’il serait obligé de faire à ses
assureurs.
Ce délaissement ne comprend pas seulement le na
vire tel qu’il se trouve après le sinistre, il s’étend na
turellement à tous ses accessoires, et notamment au fret
qu’il a produit. Ce fret n’est que le produit civil du na
vire, il ne peut donc profiter qu’au propriétaire de ce
navire, qui n’est, qui n’a jamais été que l’assureur luimême.
En effet, le délaissement remonte de plein droit au
moment où le risque a commencé. Il met , quant au
voyage entier, l’assureur au lieu et place de l’assuré,
comme si assuré ne fût, c’est-à-dire que l’entreprise
nautique est considérée comme étrangère à ce dernier,
et exclusivement entreprise pour le compte de l’assureur.
Donc, propriétaire du navire ab initio, celui-ci doit
s’appliquer tout ce que le navire a produit. Il en perçoit
le fret non jure pignoris, mais jure âomini.
Il importe dès lors fort peu que le fret ait été déclaré
acquis à tout événement. Cette clause ne peut profiter
qu’au propriétaire du navire, et ce propriétaire, après
le délaissement, est, nous venons de le dire , l’assureur
exclusivement.
Ces considérations, développées avec la haute raison
qui le caractérise, amènent Emérigon à conclure que
non seulement l’armateur ne peut retirer le fret des mar
chandises existant à bord au moment du sinistre, mais
�ART. 3 1 b , 31G , 3 1 7 , 3 1 8 , 3 1 9 .
9b
encore qu’il est tenu de restituer celui qu’il a perçu pour
les effets mis à terre pendant la durée du voyage L
Le délaissement n’est pas nécessaire dans le prêt à la
grosse. L’abandon suffit. Ce qui résulte de celui-ci est
bien plutôt un droit de gage qu’un droit de propriété.
Dès lors il n’existe et ne peut exister que sur les débris
du navire ou sur les marchandises échappées au nau
frage.
Le sauvetage des marchandises donne à l’armateur le
droit de percevoir un fret, et ce fret est lui-même affecté
au prêteur sur corps. Dès lors nous arrivons à résoudre
notre hypothèse de la manière suivante.
Si le navire et la cargaison ont totalement péri, le fret
acquis à tout événement est légalement perçu par l’ar
mateur, qui n’a aucun compte à rendre au prêteur, les
droits de celui-ci étant radicalement éteints.
Si des marchandises ont été sauvées, le fret jusqu’à
concurrence est affecté au préteur. Il peut donc, dans
toutes les hypothèses , contraindre l’armateur à le lui
restituer. La convention intervenue entre ce dernier et
l’affréteur ne pouvant profiter au prêteur, ne saurait ja
mais lui nuire.
— Le contrat de grosse consenti contre la pro
hibition de l’article 318 est radicalement nul. Cette nul
lité peut être poursuivie par le prêteur en cas de sinis
tre ; par le preneur, après l’heureuse arrivée. Il n’y a
89».
1 Des Assurances , chap. I7sect. 9.
�DROIT MARITIME.
96
donc lieu, d’une^part, à un profit maritime, de l’autre,
à la perte du capital, dont le remboursement devrait s’o
pérer dans tous les cas. Un autre effet de la nullité est
de ne faire produire aucun intérêt au capital. Ainsi, con
trairement à ce qui se réalise dans l’hypothèse des deux
articles précédents, le prêteur ne pourrait exiger l’inté
rêt de terre que du jour de la demande.
Celui qui s’associe à la violation de la loi ne pouvait
être assimilé à celui qui a traité par erreur, ou qui a été
victime d’une fraude. On ne pouvait donc faire pour lui
ce qu’on a cru devoir à celui-là.
Cette différence parut toutefois trop sévère. On objecta
que de cette manière on faisait retomber sur le prêteur
seul les conséquences d’un tort commun, puisqu’il ne
retire aucun intérêt de la somme prêtée, dont cependant
l’emprunteur a joui en attendant. Mais on répondit que
le plus sûr moyen de prévenir le prêt prohibé était pré
cisément de punir le donneur. On ne trouvera pas à em
prunter, dès qu’il n’y aura qu’à perdre en prêtant.
9 00 . — L’espérance de toucher leurs salaires est,
pour les matelots, un lien puissant qui les attache au
navire, et les fait se soumettre à la discipline du bord.
Affaiblir ce lien, le rompre surtout, en permettant de
précompter ces salaires, et en donnant le moyen de les
dissiper d’avance, en les affectant à un emprunt à la
grosse, c’était appeler et encourager le désordre et la dé
sertion , et risquer de substituer une coupable indiffé-
�ART. 5 1 5 , 516, 3 1 7 , 518, 3 1 9 .
97
rence à celte inquiète et incessante vigilance qui doit ca
ractériser la mission des matelots.
On conçoit, disait Valin, de quelle dangereuse influen
ce il serait de permettre aux matelots d’emprunter sur
leurs loyers , puisque le gain de ces loyers les attache,
autant que la crainte de la m ort, à la conservation du
navire.
Il était donc de l’intérêt général de refuser cette per
mission, et ce refus était suffisamment autorisé par les
motifs qui faisaient prohiber l’emprunt sur le fret à faire
et sur les bénéfices espérés. Comme ceux-ci, les loyers
• ne sont, au moment du départ, qu’une espérance dont
la réalisation dépend de l’issue du voyage, de la durée
du service. Ils ne sont qu’espérés tant que le voyage
n’est pas heureusement achevé, leur quotité même ne
sera le plus souvent déterminée que par cet événement.
Ils ne pouvaient donc, sans aucun doute, faire la ma
tière d’un contrat à la grosse.
— Ce qui a lieu d’étonner, c’est que l’ordon
nance de 1681, qui prohibait l’emprunt sur le fret à fai
re et sur le bénéfice espéré, l’eût autorisé sur les loyers
des matelots. Il est vrai qu’elle ne permettait de les af
fecter que jusqu’à concurrence de la moitié. Vaine atté
nuation des inconvénients graves que nous venons de
signaler, puisque la moitié qu’on voulait sauvegarder
était nécessairement et en grande partie absorbée par
l’énormité du taux du change maritime.
Cette disposition n’avait pas seulement le tort d’apiii — 7
901.
�98
DROIT MARITIME.
porter une exception non justifiée au principe prohibitif
de l’emprunt sur chose non existante au moment du
contrat. On pouvait en outre lui reprocher de mécon
naître et d’annuler l’affectation spéciale dont ces loyers
étaient frappés. Ce que la loi a toujours voulu, c’est
qu’ils fussent destinés à nourrir les familles des mate
lots , à devenir le gage du pain fourni à leurs femmes,
à leurs enfants. Il fallait donc les protéger efficacement
contre les matelots eux-mêmes , et surtout contre ceux
qui, pour s’enrichir de leurs dépouilles, iraient jusqu’à
provoquer, à encourager, à favoriser leurs débauches.
008. — C’est pour satisfaire à ce devoir d’une si
haute moralité, que l’édit de novembre 1745 déclare les
salaires des matelots insaisissables, et refuse toute action
aux créanciers, dont il annule les titres. Il est évident
qu’en limitant les objets pour lesquels les matelots pour
raient valablement emprunter, en exigeant, dans tous
les cas, le concours du commissaire de la marine ou de
l’officier des classes , cet édit avait, par cela même ,
abrogé la disposition de l’ordonnance de 1681.
C’est ce dernier état des choses qui se trouve très ex
pressément consacré par l’article 319, prohibant d’une
manière absolue tout emprunt à la grosse sur les loyers
des matelots, quel qu’en soit le motif, alors même qu’il
aurait eu pour objet l’achat d’une pacotille et le mettre
ainsi à même de réaliser éventuellement des bénéfices.
Le rejet d’une proposition tendant à faire de cette hy-
�polhèse une exception à la prohibition, ne peut laisser
aucun doute à cet égard.
— L’article 319 ne s’explique pas sur les con
séquences de son infraction. Mais il est facile de les dé
terminer. Nous avons déjà dit que l’édit de 1745, sur
l’insaisissabilité des loyers des matelots, n’a jamais été
abrogé ; qu’il est aujourd’hui encore le droit commun
de la matière. Dès lors le prêteur ne saurait avoir d’au
tres droits sur les loyers que ceux que pourrait réclamer
un prêteur ordinaire. Il ne pourrait donc ni les saisir,
ni les exécuter, même pour le remboursement du capi
tal. Il ne pourrait, à raison de ce remboursement, agir
que sur les autres biens, sans prétendre ni au profit
maritime, ni à l’intérêt ordinaire de terre. On les lui re
fuserait , le premier , en force de la nullité du contrat
de grosse ; le second, en vertu de la loi qui ne le fait
courir de plein droit que dans certains cas déterminés ;
dans tous les cas, par application de la règle consacrée
par l’article 318.
903.
— La prohibition d’emprunter sur les loyers
concerne le capitaine comme les simples matelots. Pour
lui, en effet, comme pour ces derniers, l’incertitude sur
leur événement est la même, d’où la nécessité d’arriver
à une conclusion identique.
Mais les loyers du capitaine ne sont pas insaisissables.
Ils pourraient donc être affectés à la restitution du ca
pital, lorsque le voyage s’étant heureusement accompli,
904,
�100
DROIT MARITIME.
et les salaires gagnés, le capitaine ferait annuler le prêt,
ce qui ne peut jamais s’entendre que de la dispense de
payer un profit maritime.
Ils le seraient également si le capitaine, empruntant
sur le navire ou le chargement pour les besoins du vo
yage ou avant ce départ, s’était personnellement et di
rectement engagé ; la conséquence de son cautionne
ment est l’obligation de payer sur tous ses biens, et, dans
la catégorie de ceux-ci, se placent naturellement les sa
laires gagnés par l’heureux accomplissement du voyage.
Us pourraient donc, comme tous les autres biens dont
la loi ne les distingue plus, être saisis et exécutés par le
prêteur, jusqu’à paiement intégral de ce qui lui est dû,
sauf le recours du capitaine contre qui de droit.
9 0 5 . — C’est donc avec raison que la cour d’Âix a
jugé, le 24 janvier 1834, que les salaires acquis, c’està-dire gagnés et réalisés par le capitaine, par le fait de
l’heureuse arrivée du navire, sont nécessairement affec
tés, avec les autres biens, au remboursement des billets
de grosse qu’il a souscrits en cours de voyage pour les
besoins de son navire, avec engagement personnel de
sa part, alors surtout que ce remboursement est pour
suivi sur les salaires et le droit de conduite du capitai
ne, en exécution de condamnations judiciaires pronon
cées contre lui pour cette cause et auxquelles il a ac
quiescé.
9 0 0 . — Le seul reproche adressé à cet arrêt, c’est
�a rt .
318, 316, 317, 318, 319.
101
de paraître consacrer l’inapplicabilité de l’article 319 au
capitaine. Cette inapplicabilité n’a aucun fondement. Le
capitaine qui, avant le départ, emprunterait à la grosse
sur les salaires du voyage, ferait un acte essentiellement
nul, comme le serait celui que le simple matelot sous
crirait dans le même objet.
Ce qui est vrai, c’est que, dans l’espèce, il ne pouvait
s’agir de recourir à l’article 319. Le capitaine n’avait
pas emprunté sur les loyers, seulement il avait person
nellement garanti des emprunts légalement faits en cours
de voyage et pour les besoins du navire. Or, disait avec
raison le jugement, il ne faut pas confondre l’emprunt
fait par le capitaine spécialement sur ses salaires et son
droit de conduite, pendant que le navire est en cours de
voyage, et l’exécution d’un contrat régulier et valable
sur ces mêmes salaires et droit de conduite, alors qu’ils
sont gagnés et réalisés par une heureuse arrivée. Refu
ser cette exécution, ce serait non pas appliquer l’arti
cle 319, qui ne saurait la régir, mais bien déclarer les
salaires du capitaine insaisissables, contrairement à la
loi.
En^résultat donc, l’article 319 s’applique au capitaine
comme aux matelots. Le premier ne peut, pas plus que
les seconds, emprunter sur les loyers du voyage, sous
peine de la nullité de l’emprunt
Mais les loyers acquis par l’heureuse arrivée se trou
vent, comme tous les autres biens du capitaine , acces
soirement affectés au paiement des emprunts par lui ré
gulièrement contractés sur le corps du navire, et dont il
flf
s
É il
�DROIT MARITIME.
102
est devenu la caution personnellement, en s’engageant
directement. L’article 319 ne pourrait faire que ces sa
laires, qui ne sont pas insaisissables, ne soient exécu
tés par les créanciers.
— Le caractère exceptionnel de l’article 319
ne permettrait de l’appliquer à d’autres cas que celui
qu’il prévoit. Ainsi le matelot, qui embarquerait une pa
cotille pour son compte, pourrait valablement emprun
ter à la grosse sur les marchandises composant cette pa
cotille.
Mais, dans cette hypothèse, le créancier, en cas d’in
suffisance après heureuse arrivée, ne pourrait poursui
vre son paiement sur les salaires, qui demeurent insai
sissables dans ce cas comme dans tous les autres.
909.
1 A rticle
320.
Le navire, les agrès et les apparaux, l’armement et
les victuailles, même le fret acquis, sont affectés par pri
vilège au capital et intérêt de l’argent donné à la grosse
sur les corps et quille du navire.
Le chargement est également affecté au capital et
intérêt de l’argent donné à la grosse sur le chargement.
Si l’emprunt a été fait sur un objet particulier du
du navire ou du chargement, le privilège n’a lieu que
�ART. 3 2 0 , 5 2 1 , 3 2 2 , 3 2 3 .
103
sur l’objet, et dans la proportion de la quotité affectée
à l’emprunt.
Article 32 1 .
Un emprunt à la grosse fait par le capitaine dans le
lieu de la demeure des propriétaires du navire , sans
leur autorisation authentique ou leur intervention dans
l’acte, ne donne action et privilège que sur la portion
que le capitaine peut avoir au navire et au fret.
Article 32 2 .
Sont affectées aux sommes empruntées , même dans
le lieu de la demeure des intéressés pour radoub et vic
tuailles, les parts et portions des propriétaires qui n’au
raient pas fourni leur contingent pour mettre le bâtiment
en état, dans les vingt-quatre heures de la sommation
qui leur en sera faite.
Article 32 3 .
Les emprunts faits pour le dernier voyage du navire
sont remboursés par préférence aux sommes prêtées
pour un précédent voyage, quand même il serait décla
ré qu’elles sont laissées par continuation ou renouvelle
ment.
�104
DROIT MARITIME.
Les sommes empruntées pendant le voyage sont pré
férées à celles qui auraient été empruntées avant le dé
part du navire ; et, s’il y a plusieurs emprunts faits pen
dant le même voyage, le dernier sera toujours préféré à
celui qui l’aura précédé.
SOMMAIRE
908. Effets de l’heureuse arrivée et de l’abandon du voyage pro
jeté sur l’emprunt à la grosse.
909. Effet de déroutement volontaire.
910. Ou de la substitution d’un voyage autre que celui convenu.
Arrêt d'Aix sur la matière. Dissentiment à son sujet
avec M. Dalloz.
911. Conséquences de l’exigibilité du prêt à la grosse quant au
droit du prêteur et quant au profit maritime.
912. Fait-elle produire l’intérêt de terre au capital et au profit
maritime. Divergence dans la doctrine ancienne et mo
derne, et dans la jurisprudence?
913. Solution quant au capital. Les intérêts ne sauraient courir
de plein droit.
91 h — Relativement au profit maritime, l'intérêt de terre court
du jour de la demande.
915. L’exigibilité oblige l’emprunteur au paiement immédiat.
Délai qui peut lui êlre accordé.
Où et comment doit se faire le paiement?
Sur quoi porte le privilège accordé au prêteur sur corps ?
Motifs qui devaient y faire srumettre le fret acquis.
918. Conséquence de cette affectation, en cas de naufrage, que
le fret ait été ou non déclaré acquis à tout événement.
919. Il peut être dérogé, quant au fret, à l’affectation dont il
est frappé. Réfutation de l’opinion qui voit là une at-
�teinte à l’essence du contrat. Caractère de la déroga
tion.
920. Comment se répartit le fret dans le cas d’emprunt sur les
diverses parties du navire ?
921. Nature et effet du privilège dans le prêt sur facultés. Son
étendue.
922. Motifs qui ont fait consacrer le troisième paragraphe de
l’article 320, relatif au privilège pour le prêt partiel sur
facultés.
923. Etendue du privilège, comment il est éteint, ordre dans
lequel il s’exerce.
924. Le prêteur a-t-il privilège pour le remboursement de son
capital, en cas de rupture de voyage avant le risque
commencé ?
925. Qui peut emprunter à la grosse ? Distinction entre le navi
re et la cargaison. La possession de celle-ci suffit.
926. Quid, si l’emprunteur agit comme syndic ou comme as
socié.
927. Pour emprunter sur le navire, il faut en être propriétaire.
Précautions que doit prendre le prêteur. Nullité du prêt,
s’il est fait a non domino.
928. Exception en faveur du capitaine. Son obligation dans le
lieu de la demeure des propriétaires.
929. Quid, dans celui de la demeure du fondé de pouvoirs.
930. Exception à la nullité du prêt fait dans le lieu de la mino
rité, sans sa participation ou son autorisation. Droits du
capitaine autorisé par la majorité.
931. Effet du prêt contracté par le capitaine ailleurs que dans
le lieu de la demeure du propriétaire ou du fondé de
pouvoirs quant à sa responsabilité.
932. La faute du capitaine ne saurait être opposée par l’arma
teur au prêteur. Quid, pour le capitaine?
933. Mais le prêteur ne pourrait réclamer son privilège contre le
tiers que si l’emprunt est régulier.
�106
DROIT MARITIME.
934. A-t-il action contre le capitaine pour se faire indemniser
de cette perte ?
935. Le capitaine peut, en empruntant, s’obliger personnelle
ment. Conséquences de celte obligation.
936. Comment se régleraient les emprunts faits sur facultés par
le capitaine en cours de voyage ?
937. Classement de divers emprunts. Motifs de l'article 323.
938. Ceux antérieurs au départ concourent tous au marc le
franc. Préférence sur les prêts en renouvellement.
939. Préférence due à ceux contractés pendant le voyage, et au
dernier sur les premiers. Condition.
908. — L’événement prévu au contrat, c’est-à-dire
l’heureuse arrivée à destination des objets affectés à l’em
prunt, amène l’exigibilité du prêt et oblige le preneur à
rembourser le capital par lui reçu, et à payer, en outre,
le profit maritime au taux stipulé. Le même résultat est
acquis, si les choses affectées existent au lieu et au temps
déterminés pour la cessation des risques, ou lorsque les
risques ont cessé par le fait de l’emprunteur.
Ainsi, à côté de l’exigibilité conventionnelle existe une
exigibilité qu’on pourrait appeler légale, et qui prend
son origine dans la renonciation présumée du débiteur
au bénéfice du terme, à quoi bon, en effet, retarder ou
suspendre l’exécution d’un acte qui a produit tout son
effet. Ne suffit-il pas que le créancier n’ait plus aucun
risque à courir, pour qu’il doive être autorisé à exiger
ce qui lui est désormais irrévocablement acquis.
Or, cet effet est la conséquence inévitable de l’aban
don du voyage commencé. Le risque est par cela même
terminé au lieu où se réalise cet abandon, et l’événe-
�ART. 3 2 0 , 5 2 1 , 3 2 2 , 3 2 3 .
107
ment du contrat est consommé. C’est ainsi que la Cour
de cassation jugeait, le 31 mai 1843, que les prêts à la
grosse deviennent exigibles, même avant que le navire
soit arrivé au lieu de la destination primitive, s’il résulte
des circonstances, telles que le congédiement de l’équi
page et le désarmement du navire, que le voyage a été
rompu au port de relâche h
— D’autre part, le prêteur ne saurait jamais
subir d’autres risques que ceux résultant du contrat. Ce
lui qui emprunte pour un voyage d’un lieu à un autre,
contracte par cela même l’obligation impérieuse de sui
vre la roule directe du point de départ à celui d’arrivée.
S’écarter de cette route, c’est donc contrevenir à un en
gagement formel, c’est substituer un nouveau risque à
celui qui avait été convenu et accepté.
La conséquence qui en naissait naturellement était
que ce nouveau risque ne pouvait être à la charge du
prêteur. Aussi, est-il de doctrine et de jurisprudence
que le sinistre qui a suivi le déroutement ne fait nul
obstacle à ce que le prêteur exige le remboursement non
seulement du capital, mais encore du profit maritime
qui lui ont été définitivement acquis au jour et au lieu
du déroutement. Il importerait même peu que le si
nistre ne fût arrivé qu’après que le navire aurait repris
sa véritable route. Le temps perdu par le déroutement,
ayant tout au moins retardé la marche du navire, se90».
1 J. du P., 2,- 1843, 706.
�108
DROIT MARITIME.
rait considéré comme la cause déterminante du sinistre.
Il n’est pas nécessaire d’observer que le déroutement
ne produit cet effet que s’il est purement volontaire. Ain
si le capitaine qui, chassé par la tempête ou par l’en
nemi, se serait écarté de la route directe, n’aurait fait
que subir une fortune de mer, que le contrat laisse de
plein droit à la charge du prêteur. La responsabilité de
celui-ci ne saurait donc en être ni modifiée, ni altérée.
9 1 0 . — La substitution d’un voyage à celui qui
avait été convenu, impliquant l’abandon de celui-ci,
rendrait le prêt à la grosse exigible en faveur du prêteur.
Ainsi la cour d’Aix décidait, le 19 novembre 1830, que
le capitaine-armateur et propriétaire d’un navire, sous
cripteur d’un billet de grosse pour un voyage désigné,
qui, arrivé dans un port de relâche, y a fait annoncer
par les feuilles publiques que son navire est en charge
pour une destination différente de celle indiquée par le
contrat de grosse, est censé par cela même avoir rompu
le premier voyage, et déchargé complètement le prêteur
de la responsabilité des risques ultérieurs , encore bien
que, n’ayant pas trouvé à charger pour le nouveau vo
yage, il se soit décidé à reprendre le premier, pendant
la continuation duquel le navire a péri.
Cette solution nous parait sujette à contestation, dit
M. Dalloz K Mais comment pourrait-il en être ainsi ? Se
mettre en charge pour un voyage autre que celui con1 Nouveau Répertoire, v. Droit maritime, n° 1341.
�y
ART. 3 2 0 , 3 2 1 , 3 2 2 , 3 2 3 .
109
venu, n’est-ce pas renoncer à celui-ci, n’est-ce pas l’a
bandonner de fait ?
Dès lors l’exigibilité du prêt est acquise. Peu importe
que, n’ayant pu réaliser le voyage nouveau, le capitaine
ait repris l’ancien. Il ne lui appartenait plus, il ne pou
vait plus lui appartenir de faire revivre un risque com
plètement éteint, de renouer une chance épuisée contre
et malgré la volonté du prêteur.
Le capitaine qui s’écarte de sa route a beau y rentrer,
le sinistre réalisé après le déroutement est à sa charge
exclusive. M. Dalloz le reconnaît et l’enseigne ainsi luimême. Or, pourquoi le temps perdu à attendre un nou
vel affrètement ne produirait-il pas le même effet que
celui consommé par l’abandon et la reprise de la route
directe ?
Ce qui, dans l’espèce jugée par la cour d’Aix, était
résulté de la résolution du capitaine, c’est qu’il était res
té dans le port du Havre, pendant deux mois, à atten
dre l’effet de ses annonces. Dès lors l’arrêt avait toute
raison de dire que si, au lieu de perdre inutilement ses
deux mois dans le port de relâche, le capitaine avait im
médiatement poursuivi sa route pour Marseille, il n’au
rait point rencontré les mauvais temps qui avaient ame
né plus tard la perte de son navire.
On ne saurait donc méconnaître le caractère ration
nel et juridique de l’arrêt d’Aix. C’est la doctrine con
traire qu’il faudrait déclarer non seulement fort contes
table, mais encore essentiellement injuste.
�110
DROIT MARITIME.
» 1 1 . — Qu’elle qu’en soit la cause déterminante ,
l’exigibilité du prêt confère au prêteur le droit de se fai
re rembourser du capital accru du profit maritime. Son
action à cet égard, qu’elle soit dirigée contre le capitai
ne souscripteur ou contre l’armateur civilement res
ponsable, peut être régulièrement portée devant le tri
bunal du lieu où le billet de grosse est payable x.
L’exigibilité produit, ipso jure, cet autre effet d’arrê
ter pour l’avenir le cours de l’intérêt maritime. Cet in
térêt n’est que le prix du risque, il ne saurait dès lors et
dans aucun cas lui survivre. Donc, quel que soit le dé
lai qui sépare l’exigibilité du paiement effectif, l’intérêt
du retard ne peut jamais être calculé au taux convenu
dans le contrat.
Le prêteur pourra-t-il du moins exiger l’in
térêt de terre? Cet intérêt court-il de plein droit ? Portet-il sur le capital à l’exclusion du profit maritime ou
les comprend-il cumulativement l’un et l’autre ?
La divergence que ces questions avaient fait naître
entre Pothier et Emérigon s’est continuée dans la doc
trine moderne. MM. Locré et Boulay-Paty pensent avec
ce dernier que le capital produit de plein droit l’intérêt
de terre du jour de son exigibilité. Conformément à l’a
vis de Pothier, MM. Pardessus et Delvincourt ne font
courir cet intérêt que du jour de la demande, sauf con
vention contraire.
»13. —
1 A ix, 26 m ars 1825.
�ART.
320, 321, 322, 323.
111
Avec Pothier encore, MM. Pardessus et Delvincourt
déclarent le profit maritime absolument improductif de
tout intérêt, nonobstant même la demande. MM. Boulay-Paty et Dalloz accordent l’intérêt, mais du jour de
cette demande, différant en ce point avec Emérigon, qui
le faisait courir de plein droit comme celui du capitall.
La même divergence se retrouve dans la jurispruden
ce. Ainsi le tribunal de commerce de Marseille décidait,
le 16 mai 1832 que les intérêts de terre n’étaient dus
par le capital que du jour de la demande, et que le
profit maritime ne pouvait en produire aucun. Le con
traire avait été depuis longtemps consacré par la cour
de Rennes, ainsi que le prouve l’arrêt rendu par elle, le
7 mars 1820.
913. — Cette dernière jurisprudence, que M. Lo
cré déclare obligatoire dans les pays où elle s’est établie,
se fonde principalement sur ce que les principes ordi
naires à l’endroit de l’intérêt ne s’appliquent pas aux
matières commerciales ; sur ce que, dans le commerce,
l’intérêt est l’inévitable conséquence de tout débours de
caisse, et la cour de Rennes s’appuie sur l’usage suivi
pour les comptes courants, dans lesquels, même sans sti
pulation spéciale, les parties se font respectivement rai
son de l’intérêt.
i Pothier, Contrat à la grosse, n» 45 , Emérigon, ibid., ch. 3 sect. 4;
Pardessus, n° 917 ; Delvincourt, t. 2, p. 323; Locré, art. 338; BoulayPaty, t. 3, pag. 84 et suiv.; Dalloz, Nom Rép., v. Droit maritime,
n» 4279.
�112
DROIT MARITIME.
Mais n’est-ce pas cette réciprocité même qui a donné
naissance à l’usage, si l’intérêt est admis n’est^ce pas
parce que chaque partie qui le subit en profite à son
tour et qu’aucune d’elles n’a dès lors aucune raison pour
le contester.
Au fond, l’intérêt ici n’est que la conséquence de la
nature du contrat, ce qui, à notre avis, est loin de per
mettre de conclure de la spécialité à la généralité.
On le devrait d’autant moins qu’on pourrait trouver
dans la loi elle-même de nombreux exemples qui pro
testeraient contre la doctrine de la cour de Rennes. Qu’y
a-t-il, par exemple, en la forme et au fond, de plus
commercial que la lettre de change souscrite par un né
gociant ? Cependant l’intérêt n’est dû par celui-ci que
du jour du protêt.
On ne peut donc pas trouver dans l’usage spécial au
contrat de compte courant l’exclusion, en droit com
mercial, d’une règle dont les fondements n’ont rien d’in
compatible avec les exigences de ce droit. En toute ma
tière, l’intérêt ne peut pas être la conséquence de l’exi
gibilité. Je puis être en mesure de payer à la première
demande qui m’en sera faite, et je suis présumé l’être
tant que le contraire ne sera pas établi par le refus que
j’aurai fait de satisfaire à cette demande. Pourquoi donc
admettre le contraire pour le paiement du billet de gros
se? Quel motif surtout de le distinguer en ce point de
la lettre de change? Il est quérable comme elle, comme
elle encore il est susceptible de protêt, c’est-à-dire que
le refus de paiement doit être constaté. Ce n’est donc
�partir de cette constatation que le porteur peut requérir,
le lendemain de l’échéance, que l’intérét peut et doit
courir. Le retard dans la demande constitue le créan
cier en état de négligence, dont les conséquences ne sau
raient grever le débiteur auquel on n’a jusque-là rien à
reprocher.
014. — Ce que nous admettons pour le capital, nous
paraît devoir être consacré pour le profit maritime. Dé
clarer celui-ci productif d’intérêts, ce ne peut pas être,
à notre avis, autoriser l'anatocisme prohibé par la loi.
Le profit maritime n’est pas un intérêt proprement dit,
il est, comme le disait Pothier, le prix du risque et non
la récompense du prêt ; dès lors, le risque épuisé, le
profit devient un véritable principal s’unissant à celui
qui a fait la matière du prêt. Il doit donc, en tout et
pour tout, suivre le sort de celui-ci.
Fallût-il considérer le profit maritime comme un in
térêt seulement que notre solution n’en serait pas moins
juridique. Certes, dès qu’il y a lieu à remboursement du
prêt, non seulement le profit maritime est échu, mais il
a cessé de courir. Donc la demande qui en serait faite
lui ferait produire l’intérêt légal, aux termes de l’article
1154 du Code civil.
Ainsi, capital ou intérêt, le profit maritime acquis pro
duit intérêt comme le principal lui-même, c’est-à-dire
non pas ipso jure comme l’enseignait Emérigon, mais
du jour du protêt ou de la demande en justice.
m — 8
�11 i
DROIT MARITIME.
915. — L’exigibilité donnant au prêteur le droit de
poursuivre le remboursement de ce qui lui est dû, crée
pour le preneur l’obligation de réaliser le paiement.
Cette obligation, sauf convention contraire, doit être im
médiatement exécutée alors même que, résultant d’un
des faits que nous avons rappelés,l’exigibilité eût devan
cé l’époque prévue au moment du contrat. Ainsi dans
l’arrêt du 31 mai 1843, que nous citions tout à l’heure,
la Cour de cassation^décide que dans le cas de rupture
du voyage dans un port intermédiaire, le preneur ne
saurait exiger pour le paiement un délai égal au temps
qu’aurait consommé le voyage rompu.
L’usage cependant a été de tout temps de laisser au
juge la faculté d’accorder un délai moral pour effectuer
le paiement, alors même que la convention fixe ce paie
ment au jour de la cessation des risques. Ce délai peut
être indispensable au débiteur pour qu’il soit en mesure
de payer, soit qu’il ait lui-même le fret à recouvrer, soit
qu’il ait besoin de réaliser une partie de ses marchan
dises, il serait d’autant plus rigoureux de refuser ce
délai, que l’intérêt de terre, courant du jour de l’in
terpellation, sauvegarde le créancier contre tout préju
dice.
9 1 0 . — C’est au lieu où se trouve le navire, lors
que le risque finit, que doit se faire le paiement, sauf
convention contraire. Le prêteur est donc obligé d’y fai
re parvenir le billet de grosse et de s’y faire représenter,
si ce billet n’est pas négociable. L’absence du titre ou
�ART. 3 2 0 , 3 2 1 , 3 2 2 , 3 2 3 .
115
d’un mandataire chargé d’en recevoir le montant met
trait le débiteur dans l’impossibilité de payer. Le créan
cier n’aurait donc à prétendre à aucun intérêt. De plus,
le débiteur en mesure de s’exécuter pourrait déposer la
somme aux risques et périls de qui de droit.
En France, le paiement du billet de grosse, sauf le
cas d’abandon, ne peut être fait qu’en espèces, et en
monnaie française. Le paiement en nature ne pourrait
être autorisé que s’il avait été formellement stipulé dans
la convention.
— Mais si les effets affectés au prêt ne peuvent
être donnés en paiement contre le gré du preneur, ils
ne laissent pas que d’en répondre d’une manière directe.
Ils deviennent le gage spécial de la créance, et sont frap
pés de privilège en faveur du prêteur.
Ce privilège, lorsqu’il s’agit d’un prêt sur corps et
quille du navire, porte indistinctement sur tout ce qui
constitue celui-ci, il affecte la coque, les agrès, appa
raux, armement et victuailles, et le fret lui-même. Ainsi
ce fret, qui au départ ne pouvait faire la matière du
contrat, se trouve, à l’arrivée, au nombre des objets sur
lesquels ce contrat peut être exécuté. Cette différence s’ex
plique par l’événement de l’heureux voyage qui a trans
formé en un droit certain et acquis ce qui n’était avant
qu’une simple espérance.
Dès lors, le fret pouvait et devait être grevé en faveur
du créancier, et cela par deux motifs décisifs. Le fret
913L
�H6
DROIT MARITIME.
est le produit, le fruit civil du navire, auquel il vient ac
cessoirement se réunir. Il devenait donc, comme le prin
cipal lui-même, la garantie de la dette dont le principal
répondait : Quod accedit pignori, pignus est.
En réalité, le fret s’acquiert aux dépens du navire luimême, dont la valeur est toujours diminuée par la na
vigation à laquelle il vient de se livrer. Les agrès se dé
tériorent pendant le voyage, les provisions se consom
ment, les avances faites aux matelots sont absorbées ; de
telle sorte que le bâtiment qui valait au départ 50,000
fr., eu égard à l’état de ses agrès et apparaux, de son
approvisionnement et des avances faites à l’équipage,
n’en vaudra plus que 30,000 après son arrivée à desti
nation. Conséquemment, affecter le fret en faveur du
prêteur, ce n’était que replacer les parties dans la posi
tion qu’elles avaient au moment du contrat. On n’ac
corde au prêteur qu’une juste compensation de la di
minution de valeur que le gage principal a subi.
— L’obligation pour l’emprunteur de tenir
compte du fret est générale et absolue. Elle doit, en cas
de naufrage, recevoir son exécution relativement aux
marchandises sauvées. Quant au fret des marchandises
perdues, déclaré acquis à tout événement, l’armateur
n’aurait pas à le rapporter. Nous avons déjà dit, et nous
persistons à croire que la perte épuisant les droits du
prêteur, il n’a rien à réclamer dès qu’elle se réalise.
Le bénéfice concédé par l’affréteur lui est complètement
018.
�étranger. Il ne saurait donc être fondé à s’en faire attri
buer le profit L
Mais son droit, en cas d’heureuse arrivée, sur le fret
postérieur au prêt, ne saurait être ni méconnu, ni con
testé. Il est donc recevable et fondé à le saisir entre les
mains de l’affréteur et il devrait lui être attribué, alors
même que celui-ci eût, au moment de l’affrètement, payé
par avance le fret d’aller et de retour.
La question s’est présentée dans les circonstances sui
vantes : le sieur Doublet avait affrété le navire Malherbe
pour un voyage du Havre à la Havane, puis à Manzanillo (lie de Cuba) et retour au Havre. Le fret stipulé
pour ce voyage, aller et retour, fut payé en entier aux
armateurs propriétaires du navire. Par suite d’avaries,
le capitaine fut, à son arrivée à la Havane, obligé de
contracter envers le sieur Hemely ou à son ordre un
emprunt à la grosse pour mettre le navire en état de
continuer sa roule. A Manzanillo, le sieur Doublet sousaffréla le navire aux sieurs Postel et Cie pour le retour
au Havre, et par suite de ce sous-affrétement les sieurs
Postel restèrent débiteurs envers le sieur Doublet d’un
solde de fret. Après l'arrivée du navire au Havre, les
sieurs Morin fils, porteurs de la lettre de grosse, firent
saisir arrêter entre les mains des sieurs Postel, la som
me qu’ils devaient pour fret au sieur Doublet.
Celui-ci, excipanl de ce qu’il avait payé lui même le
fret d’aller et de retour , soutient que ce que les sous-
�■— “
H8
DROIT MARITIME.
affréteurs lui doivent ne saurait être affecté aux don
neurs de grosse qui ne pouvaient réclamer un fret payé
aux armateurs. En conséquence, il assigne les sieurs Mo
rin en main-levée de la saisie.
Cette prétention est repoussée par le tribunal de com
merce du Havre, et, sur appel par la cour de Rouen
qui, le 22 janvier 1869, rend l’arrêt suivant :
« Considérant qu’aux termes de l’article 320 du Code
de commerce le navire est affecté par privilège au capi
tal et aux intérêts de l’argent donné à la grosse sur le
corps et la quille du vaisseau ; qu’il suit de là que la
confiance du prêteur est principalement déterminée par
l’affectation du navire qui devient ainsi le gage spécial
de la créance ; que, d’après le susdit article , le même
privilège existe notamment sur le fret acquis depuis l’é
poque de la formation du contrat de grosse jusqu’au
jour de l’arrivée du navire au port de destination ; qu’il
n’en devait pas être autrement puisque, en principe ,
l’accessoire suit le principal et que le fret constitue des
fruit civils, produits par le navire et représentant la di
minution de valeur que lui fait subir l’acte de naviga
tion ;
» Considérant que le fret dû par le dernier affréteur,
autrement parle chargeur, est évidemment grevé du pri
vilège dont il s’agit ; qu’en effet, c’est ce fret qui est spé
cialement entré dans les prévisions du donneur do gros
se, et dont le prêt a procuré le gain en permettant au
navire de réparer ses avaries et de reprendre la mer ;
que c’est le njême fret pour lequel les articles 306 et 307
�art.
320, 321, 322, 323.
H9
accordent au capitaine à l’arrivée un droit de préféren
ce sur le chargement ;
» Considérant, en fait, que Postel et fils étaient des
chargeurs du navire Malherbe, et que, dès lors, Morin
et Cie, porteurs par voie d’endossement de la lettre de
grosse, ont le droit de faire saisir-arrêter le solde de fret
encore dû par ces chargeurs, et sont fondés à exercer
sur ce solde le privilège attaché à leur créance ;
» Considérant que Doublet objecte qu’il est le premier
affréteur, et qu’il s’est libéré envers l’armateur du fret
stipulé par eux, que dès lors la créance née du fret est
aujourd’hui éteinte per le paiement, et que, par suile,
il n’y a plus d’objet sur lequel le privilège du prêteur à
la grosse puisse être exercé ;
» Mais considérant que cette objection repose sur une
confusion ; qu’en effet, le fret dû par les chargeurs, au
trement par Postel et ses fils, était grevé du privilège du
donneur de grosse et que ce fret n’est pas éteint par le
paiement puisque un solde est encore dû ; que Doublet,
en supposant qu’il ait payé intégralement le propriétai
re du navire, a pu obtenir subrogation dans ses droits ;
mais que la subrogation n’éteint pas la créance et n’a
pour effet que de la faire passer en d’autres mains ;
que dès lors à ce titre Doublet serait encore tenu, com
me l’armateur lui-même, de subir sur le solde en litige
l’exercice du privilège du porteur de la lettre de grosse. »
Le pourvoi dirigé contre cet arrêt avait été d’abord
admis. Mais, par arrêt du 1er août 1870, la chambre
�— ‘---------- ----120
DROIT MARITIME,
civile le rejetait après un délibéré en chambre du con
seil. Voici les motifs qui déterminaient ce rejet :
« Attendu que l’article 320 du Code de commerce af
fecte, par privilège, au capital et aux intérêts de l’ar
gent donné à la grosse sur le corps et quille du navire,
le navire, les agrès, les apparaux, même le fret acquis;
» Attendu que les termes de cette disposition sont gé
néraux et absolus ; qu’ils sont exclusifs ainsi de toute
distinction entre le fret dû par l’affréteur principal et le
fret qui aurait été consenti à celui-ci par le sous-affré
teur ; que ni l’un ni l’autre ne saurait être soustrait au
privilège conféré au prêt à la grosse à moins d’une ex
ception qui n’existe pas dans la loi, et que repoussent
d’ailleurs la nature comme le but de ce contrat ; qu’in
troduit dans la législation commerciale pour favoriser
la navigation, en vue des risques qui en sont insépara
bles, le contrat à la grosse doit conserver toutes les ga
ranties sous lesquelles il a été stipulé, soit que l’affré
teur principal ait acquitté le fret par lui dû , soit qu’il
s’agisse du fret dû par le sous-affréteur ; que, dans le
premier cas, en effet, le fret continue de représenter les
fruits civils du navire, d’en être l’accessoire et de rester,
comme lui, soumis au privilège du prêteur à la grosse ;
que l’affréteur, s’il a payé à l’armateur le fret de l’aller
et du retour, doit s’imputer de n’avoir pas exigé de ce
lui-ci toutes les garanties voulues à l’effet de rester in
demne dans le cas où le porteur de la lettre de grosse
exercerait son recours contre lui ;
» Que dans le second cas, le fret dû par le sous-af-
�121
fréteur doit, avec d’autant plus de raison, être grevé du
privilège de l’article 320, que c’est en présence et par
suite des sûretés qu’il offrait qu’a pu se faire l’emprunt
qui a permis au navire de reprendre la mer et d’effec
tuer son retour ;
» Que vainement on opposerait le principe qu’on ne
peut emprunter que sur sa chose ; que ce principe de
droit civil reçoit des exceptions en droit commercial ;
que notamment l’article 315 du Code de commerce per
met au capitaine d’emprunter à la grosse sur le char
gement, lors même qu’il ne lui appartient pas ; qu’il
faut même reconnaître, en droit commercial et surtout
en droit maritime, qu’on peut affecter à un emprunt la
chose à la conservation de laquelle l’emprunt est indis
pensable, quel que soit le propriétaire de la chose l. »
Il résulte de ces arrêts que le privilège du prêteur à la
grosse, affecte aussi bien le fret dû par un sous affré
teur que le fret dû par l’affréteur principal, et qu’il peut
être valablement et utilement exercé alors même que ce
dernier aurait acquité par avance le fret d’aller et de re
tour. On refuse donc à l’affréteur principal le droit et
le pouvoir d’anéantir par un paiement anticipé le pri
vilège sur lequel le prêteur à la grosse a dû compter et
a compté en effet.
À plus forte raison ce refus se trouve-t-il justifié lors
que un sous-affréiement ayant été consenti, le bénéfi
ciaire ne s’est pas encore entièrement libéré du fret que
ART. 3 2 0 , 3 2 1 , 3 2 2 , 3 2 3 .
l J. du P 1870 1022
,
,
.
�DROIT MARITIME.
122
le sous affrètement met à sa charge, ce qui était l’espèce
des arrêts que nous venons de transcrire.
Qu’en serait-il si l’affréteur principal n’avait cédé son
droit à personne et était le seul chargeur au retour com
me à l’aller ?
Nous croyons qu’on devrait encore appliquer le prin
cipe qu’il ne peut d’avance et par son fait annihiler le
privilège du donneur de grosse. La Cour de cassation
nous parait l’admettre ainsi lorsqu’elle fait un grief à
l’affréteur se libérant par avance de son fret entier, de
n’avoir pas exigé de l’armateur des garanties à l’effet de
rester indemne dans le cas où il viendrait à être recher
ché par un porteur d’une lettre de grosse.
Au moment de ce paiement, en effet, on n’a guère à
se préoccuper d’un sous-affrétement auquel nul ne son
ge et ne peut songer. A quoi bon, dès lors, des garan
ties, si personnellement l’affréteur se libérait valable
ment par ce paiement anticipé ?
Donc, qu’il y ail ou non un sous-affréteur, l’affréteur
principal n’en est pas moins soumis à l’action du don
neur de grosse ou de ses représentants. Mais le sera t-il
d’une manière absolue, de telle sorte qu’il doive en su
bir les effets à quelque époque que celte action s’exerce?
Nous ne saurions l’admettre, si l’affréteur ne peut
payer d’avance le fret, il le peut et il le doit lorsque par
le déchargement du navire il rentre en possession de la
marchandise pour le transport de laquelle il avait trai
té. Il n’est tenu envers le prêteur à la grosse qu’à raison
du fret dont il est détenteur, et qui peut être saisi-ar-
�ART. 3 2 0 , 3 2 1 , 3 2 2 , 3 2 3 .
123
rété en ses mains tant qu’il n’en est pas légalement sorti.
Or, cette saisie-arrêt, il n’a ni à la prévoir, ni à la pro
voquer, ni même à l’attendre. Dès que l’exécution en
tière complète du contrat d’affrètement a rendu le fret
exigible, le paiement qu’il en fait aux mains de l’arma
teur le libère définitivement envers et contre tous.
Donc, si le donneur de grosse ou son représentant
n’intervient qu’après cette exécution et ce paiement, son
action ne saurait produire le moindre effet. Elle ne se
rait ni recevable, ni fondée.
Vainement, se prévalant du paiement anticipé du fret,
objecterait-il qu’à quelque époque qu’il se fut adressé à
l’affréteur, il l'eût trouvé les mains vides. On lui ré
pondrait avec raison que l’affréteur, ne pouvant par son
fait annihiler le privilège attaché au prêt à la grosse, le
paiement du fret par avance ne le libère pas et qu’il en
demeure responsable, ainsi que le décide la Cour de cas
sation.
Mais qu’importe le paiement anticipé s i, en fait, le
donneur de grosse n’agit qu’après, non seulement l’ar
rivée du navire au port de destination, mais encore
après déchargement et remise de ce qui en faisait l’ob
jet aux mains de l’affréteur. Si je n’avais pas payé le
fret d’avance, dirait celui-ci, j’aurais bien été obligé de
le payer après celte remise. C’est ce que je suis censé
avoir fait, et si par votre négligence vous êtes sans re
cours contre moi, c’est une faute qui vous est toute per
sonnelle et dont vous devez seul subir la responsabilité.
En résumé, le donneur de grosse ne peut s’adresser à
�DROIT MARITIME.
124
l’affréteur que tant que celui-ci est nanti du fret ou
doit l’être. Toute diligence après déchargement et remi
se de la marchandise serait inutile et vaine, l’affréteur
ayant non seulement pu, mais encore dû payer ce fret.
C’est donc par l’époque de son exercice que sera appré
cié le droit du prêteur à la grosse.
019. — Faut-il dire avec Emérigon que la clause
par laquelle l’emprunteur serait dispensé de tenir comp
te du fret acquis, contrairement à ce que prescrit l’arti
cle 320, serait nulle et sans effet, comme contraire à
l’essence du contrat à la grosse ? L’affirmative, à la
quelle s’est rangé M. Boulay-Paty, nous parait difficile
à justifier.
Ce qui est de l’essence du contrat, c’est qu’il ne puis
se dégénérer en un prêt usuraire. Le risque à la charge
du prêteur doit être sérieux. On doit, dès lors, se mon
trer sévère pour toutes les dérogations qui le mettraient
dans Une proportion quelconque à la charge de l’em
prunteur.
L’aggravation du risque contre le prêteur n’offrira
jamais le caractère contre lequel la loi s’est prudemment
précautionnée. Elle ne produira jamais d’autre effet que
de légitimer le taux élevé du profit maritime, dont le
recouvrement sera plus périlleux et plus incertain. Loin
donc d’être contraire à l’essence du contrat, celte aggra
vation se place dans les véritables prévisions de la loi,
et n’est que le complément de sa pensée réelle
Or, la clause par laquelle le prêteur renoncerait à
�320, 321, 322, 323.
m
tout privilège sur le fret acquis et l’abandonnerait exclu
sivement à l’armateur n’est pas au ire chose qu’une ag
gravation du risque. Ce qui peut en résulter, c’est, en
cas de naufrage, par exemple, la perte de la seule ga
rantie que la destruction du navire laissait au prêteur,
à savoir, le fret des marchandises sauvées. Or, celui qui
pouvait donner a pu, à plus forte raison, se soumettre
à toutes les chances qu’il lui a plu d’accepter. Renon
cer à une garantie, c’est abandonner un bénéfice pure
ment personnel, c’est faire un acte qui n’a rien de con
traire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, et contre
lequel par conséquent la loi n’a jamais pu protester.
Annuler une pareille clause, ce serait grever injuste
ment l’emprunteur , à qui bien certainement on a fait
payer la faveur qu’on lui concédait. On peut, en effet,
supposer sans témérité que cette aggravation de risque
n’a pas été sans influence sur le taux du profit mariti
me. Ce taux aura été calculé de manière à compenser
la chance de perle que le prêteur consentait à courir.
Donc, maintenir le contrat et annuler la clause, ce se
rait briser la juste proportion arrêtée par les parties, et
altérer essentiellement le contrat, sous prétexte d’en res
pecter l’essence.
Le prêteur peut donc valablement renoncer à toute
action sur le fret acquis. Mais cette renonciation ne sau
rait s’induire de circonstances plus ou moins significa
tives. Elle doit être expressément convenue dans l’acte.
 défaut, les parties se trouveraient de plein droit régies
par la disposition de l’article 320.
art .
�126
DROIT MARITIME.
— Tout créancier du navire a droit au fret
dans la proporlion résuliant de son titre. En conséquen
ce, s’il existe des prêteurs sur corps et quille seulement,
sur agrès et apparaux, sur armement et victuailles, ils
viennent tous en concours sur le fret. Chacune de ces
diverses parties du navire a , en effet, contribué à l’ac
quisition du fret, elles y ont donc un droit égal. La por
tion afférente à chacune d’elles serait calculée sur leur
valeur relative, eu égard à la valeur totale du navire.
930.
— S’il s’agit d’un prêt à la grosse sur facul
tés, le privilège passe du navire sur son chargement. Il
affecte alors tout l’effet que l’emprunteur a dans ce char
gement. Par rapport aux autres créanciers de l’emprun
teur, le prêteur est considéré comme un créancier ga
giste. Il serait donc payé sur le produit du gage de pré
férence à eux tous, et même avant le vendeur non payé
de la marchandise ou autres effets.
Mais le privilège du prêteur ne viendrait qu’après ce
lui acquis au navire pour le fret. La priorité due à ce
lui-ci s’explique par les inspirations qui ont présidé à
l’ordre des privilèges. Lé preneur qui a heureusement
transporté les marchandises, et qui les livre en bon état
dans le port de destination, a fait une chose essentiel
lement utile au préteur lui-même. Il est donc juste que
le prix du transport soit prélevé avant tout.
Le privilège du prêteur grève l’intérêt de l’emprun
teur, tel qu’il se comporte au moment de l’expiration du
risque, il importerait peu que dans l’intervalle les mar931.
�chandises primitivement affectées eussent été retirées et
vendues. Ce privilège passe de plein droit de celles-ci à
celles qui les ont remplacées. Ainsi, dans le prêt à la
grosse fait pour l’aller et le retour, les retraits pour opé
rer celui-ci, quelle qu’en soit la nature, sont soumis au
privilège du prêteur au même titre que l’était le char
gement d’aller.
9**. — Il était évident que si le prêt n’était affecté
que sur une partie ou une quotité déterminée du navire
et du chargement, le privilège du prêteur ne pourrait
porter que sur la partie ou la quotité désignée. Aussi, la
commission n’avait-elle pas cru devoir s’en expliquer.
L’article 320, proposé par elle , ne contenait donc que
les deux premiers paragraphes.
L’insertion du troisième fut réclamée et ordonnée
pour prévenir toute difficulté. On pouvait prétendre que,
malgré que l’article 315 autorisât le prêt partiel, le pri
vilège n’était attaché qu’aû prêt ayant pour objet la to
talité du navire ou de la cargaison, ce qu’on pouvait in
duire de la rédaction proposée par la commission. Cette
difficulté, signalée dans les observations de la Cour de
cassation, motiva l’adoption de l’article tel qu’elle le de
mandait, et tel qu’il figure aujourd’hui dans le Code.
9*3. — Le privilège conféré par l’article 320 pro
tège le profit maritime comme le capital lui-même, il
assure également l’intérêt ordinaire que le protêt ou la
demande en justice fait produire à l’un ou à l’autre, cet
�•VA
128
DROIT MARITIME.
intérêt suit naturellement et nécessairement le sort des
capitaux auxquels il vient se réunir.
Il n’est éteint que par le paiement effectif, ou par la
novation. Mais, comme en toute matière celle-ci ne se
présume pas, elle doit être expresse ou résulter d'un acte
ne permettant aucun doute sur son existence.
Ainsi, il n’y a pas novation lorsque, en vertu d’une
stipulation du contrat, le capitaine du navire remet au
prêteur, après l’arrivée du navire, des lettres de change
pour le montant du profit maritime. Cette remise n’est
que le mode convenu pour la restitution du prêt, et ne
constitue que le droit pour le prêteur de se faire payer
par un tiers, de telle sorte qu’en cas de non paiement
des traites, l’action en remboursement du prêt à la gros
se reste en son entier ; il en serait de même si, par un
acte postérieur au contrat, les propriétaires du navire
ont donné au prêteur une hypothèque pour la garantie
de son remboursementv.
Le privilège du prêteur sur le navire s’exerce dans
l’ordre réglé par l’article 191. Nous venons de dire que
celui du prêteur sur facultés, primé par celui du fré
teur, primerait les autres créanciers, y compris le ven
deur non payé.
Ce qui est vrai pour celui-ci ne le serait pas moins
pour l’acheteur de la marchandise affectée ; on sait que
la vente faite sur connaissement transfère la propriété
contre tous les créanciers du vendeur, mais elle ne trans1 B ru xelles 8 janvier 4832.
�fère cette propriété que telle qu’elle se trouvait dans les
mains et sur la têle du vendeur, les charges réelles qui
la grèvent continuent de peser sur elle. Or, l’affectation
a un contrat de grosse revêt essentiellement ce caractère.
Le prêteur pourrait donc, nonobstant la vente , faire
saisir la marchandise, soit à bord, soit sur les gabarres
et allèges qui la débarquent, soit sur quai ; son droit,
et par conséquent son privilège,, ne serait éteint que si
la vente ayant éié suivie de tradition réelle , les objets
qui en ont fait la matière sont arrivés en la possession
effective de l’acheteur et déposés dans ses magasins. Le
privilège de l’article 320 ne confère pas le droit de re
vendication et de suite, qui ne saurait exister, en matiè
re mobilière, que dans les cas expressément prévus.
Peut-on, doit-on assimiler à l’acheteur qui a reçu
l’objet acheté, le consignataire A qui la marchandise a
été remise après débarquement sans que le prêteur ait
protesté et réclamé l’effet de son privilège? Ce privilège
est-il éteint ou continue-t-il à grever la chose aux mains
du consignataire ?
La faculté pour le capitaine empruntant pour la mise
en état du navire, d’affecter au prêt la cargaison ellemême, est un droit exorbitant et exceptionnel. Le voitu
rier, en effet, n’a ni mission ni pouvoir d’aliéner la
chose qu’il est chargé de transporter, de la grever sans
le concours et hors la présence du propriétaire.
L’intérêt de la navigation a bien pu autoriser, en fa
veur du capitaine, une dérogation à cette règle. Mais
l’unique raison d’être de cette dérogation réside dans la
ni — 9
�130
DROIT MARITIME.
possession réelle et effective de la cargaison, et si cette
possession a été indispensable au moment du contrat,
elle ne l’est pas moins au moment de l’exécution, la
cause du privilège cessant d’exister, le privilège est na
turellement éteint.
Pourquoi ce qui est vrai pour l’acheteur après livrai
son ne le serait-il plus pour le consignataire? Celui-ci,
s’il est propriétaire delà chose, n’a pas plus que l’ache
teur contracté d’engagement direct et personnel, il n’est
tenu qu'en raison de la chose elle-même et que parce
qu’elle se trouvait à bord du navire au moment et au
lieu de l’emprunt, qu’il ne puisse donc l’en retirer qu’en
subissant l’etfet de cet emprunt, on le comprend ; c’est
là une nécessité rigoureuse, sans doute, mais imposée
par l’article 320.
Mais si, arrivée à sa destination, il reçoit la marchant
dise sans empêchement, sans réclamation de la part du
prêteur, il faudrait, pour que celui-ci pût ultérieurement
le rechercher, que la loi lui eût reconnu un droit de
suite sur la marchandise. Or il est universellement ad
mis en doctrine et en jurisprudence, qu’en matière mo
bilière, ce droit n’a jamais existé.
La cour d’Aix, saisie de la question, se prononçait
pour l’extinction du privilège, par arrêt du 18 juillet
1862, conBrmant purement et simplement un jugement
du tribunal de Marseille qui avait jugé en ce sens en
s’étayant des considérations suivantes :
« Attendu que le billet de grosse, d’après ses causes,
était dû par l’armateur seul ; que la cargaison en ré-
�A RT.
320, 521, 322, 323.
131
pondait seulement par l’effet du droit réel et privilégié
dont l’avait grevé le capitaine, ou le vice-consul à sa
place, pour dettes ne concernant que le navire ; que
l’action du porteur du billet de grosse contre le récep
tionnaire s’est trouvée, par suite, attachée à ce droit réel
pour s’éteindre avec lui ;
« Attendu que les droits réels o nt, comme consé
quence et comme condition, un droit de suite sur les
choses affectées ; qu’il n’y a pas de droit de suite sur
les marchandises que ne détient pas le créancier par
lui-même ou par un représentant ; qu’ainsi le droit réel
du gagiste ou du commissionnaire s’éteint par la dé
possession ; qu’un article du Code de commerce a éten
du le droit réel du fret à une quinzaine après la déli
vrance des marchandises, pourvu qu’elles n’aient pas
passé en mains tierces ; que lorsqu’une marchandise
chargée sur un navire a été grevée d’un contrat à la
grosse, le capitaine la délient pour le compte de tous
les intéressés ; mais que lorsqu’elle vient à être débar
quée, le créancier du billet, par application des princi
pes qui régissent les droits réels sur les marchandises
affectées, perd son droit par la délivrance de la mar
chandise dans les mains du propriétaire ou du commis
sionnaire qui la reçoit pour en disposer ;
« Attendu, que, dans l’espèce, le sieur Coefïier a re
çu sans opposition la cargaison arrivée à sa consigna
tion, et que le droit réel qui seul existait à son égard a
été par là éteint pour le porteur du billet. »
Devant la Cour de cassation, à laquelle le litige avait
�132
DROIT
MARITIME.
été déféré, on reprochait à la cour d’Aix d’avoir assimilé
au privilège du créancier gagiste celui du prêteur à la
grosse, et d’avoir ainsi admis que ce dernier s’évanouit
du moment où les objets ne sont plus en la possession,
soit du créancier, soit du capitaine ; le privilège du prê
teur, disait-on, a évidemment un tout autre caractère, il
trouve sa raison d’être dans le n° 3 de l’article 2102 du
Code civil ; ce sont en effet des frais faits pour la con
servation de la chose, et nul ne conteste qu’en pa
reille circonstance, le privilège du créancier ne porte sur
les objets conservés tant qu’ils se trouvent entre les
mains du débiteur ; telle doit être la solution dans la
cause ; le prêt à la grosse a garanti la conservation des
objets affectés au privilège ; ils ont été débarqués, remis
au destinataire qui est le véritable débiteur, et, par con
séquent, le prêteur ou ceux qui lui sont subrogés sont
fondés à exercer leur privilège, non seulement alors que
les marchandises se trouvent à bord en la possession du
capitaine, mais encore en tant que ces marchandises
sont dans les magasins du destinataire.
Mais outre sa décision sur ce point, l’arrêt attaqué
constatait en fait que par l’emploi qu’avaient reçu les
fonds prêtés, le bénéficiaire du billet de grosse répon
dait des avaries du navire qui avait été déclaré plus tard
innavigable ; qu’il en répondait à raison de tout le ca
pital prêté par la justification que ce capital n’avait servi
qu’à des frais d’armement ; que sa contribution à une
perte totale était égale à son prêt, sauf ses droits comme
porteur en cours de voyage sur le sauvetage consistant
�ART.
320, 321, 322, 323.
133
presque uniquement dans le fret ; que dès lors les de
mandeurs au procès pouvaient donc seulement exiger
qu’il fût procédé à une liquidation du sauvetage, à la
vérification de savoir si ce sauvetage n’avait pas été lé
galement distribué ou n’était pas absorbé par des cré
ances plus favorables que la leur.
La Cour de cassation, s’arrêtant à ces dispositions, et
sans examiner quelle pouvait être, d’après la nature du
privilège, l’étendue des droits du porteur du billet de
grosse contre le destinataire de la marchandise affectée,
elle rejette le pourvoi par arrêt du 8 janvier 1866 '.
Nous ne croyons pas que, si la Cour suprême eût cru
devoir examiner notre question, elle eût dû et pu cen
surer la solution de la cour d’Aix. Les motifs qui dic
tent cette solution ne faisant en effet qu’une exacte ap
préciation des principes de la matière. L’assimilation du
prêteur à la grosse au créancier gagiste n’est pas aussi
irrationnelle, aussi reprochable que le soutenaient les
demandeurs en cassation.
Sans doute, le premier ne reçoit pas manuellement la
chose sur laquelle il prête. Mais quant au navire, s’il
lui demeure affecté en tout lieu, c’est en force de l’en
gagement personnel de l’armateur responsable du capi
taine son mandataire. L’absence de tout engagement
personnel de la part des affréteurs qui ne répondent ja
mais du fait du capitaine est un fait capital et décisif. Si
leurs marchandises sont affectées hors leur présence et
1 J. du P.. 4866. 4î0.
�134
DROIT MARITIME.
sans leur concours. C’est uniquement par ce fait qu’au
moment du contrat ces marchandises sont à bord et en
la possession du capitaine.
De là nous concluons que pour que cette affectation
sorte à effet, il faut que l’état se soit continué et existe
au jour où le contrat doit recevoir son exécution, si, sans
réclamation, et conséquemment du consentement tacite
du prêteur , cet état a cessé, si le capitaine s’est désinvesti et a remis les marchandises à leur propriéiaire, la
cause efficiente du privilège a disparu , et le maintien
de ce privilège ne serait plus qu’un effet sans cause.
L’article 315 concède bien au capitaine le droit d’em
prunter même sur le chargement. Mais ni cet article ni
aucun autre ne l’autorise à concéder un droit de suite
auquel il répugne par sa nature mobilière. Si le légis
lateur l’eût entendu autrement, il s’en fût expliqué com
me il l’a fait par exemple pour le fret pour le paiement
duquel il accorde un recours de quinzaine.
Certes le fret grève plus directement la marchandise
que le prêt à la grosse. Il crée pour les chargeurs cet
engagement personnel que celui-ci n’a jamais pu pro
duire. Si donc la remise de celle-ci aux mains du pro
priétaire la purge de l’obligation du fret, comment n’en
serait-il pas de même pour le prêt à la grosse.
Il est vrai que le paiement du fret peut être poursuivi
pendant une quinzaine après la délivrance. Mais pour
qu’il en fût ainsi il a fallu une disposition expresse de
la loi. Sans cette disposition l’armateur ne jouirait d’au
cun délai. Où donc est celle qui en accorde un quel
�conque au prêteur à la grosse, et ne doit-on pas atta
cher au silence de la loi à ce sujet l’effet qu'on induirait
de celui qu’elle aurait gardé vis-à-vis de l’armateur?
Comprendrait-on d’ailleurs que la loi, réduisant à
une durée de quinze juùrs le droit de suite du créan
cier du fret, l’eût accordé d’une manière générale, ab
solue, sans limite au prêteur à la grosse? Mais le droit
de suite est un privilège, et un privilège n’existe que
lorsque la loi l’a expressément autorisé. Aussi ce que
nous concluons de l’article 307, c’est non que le prê
teur à la grosse a quinze jours pour réclamer son privi
lège, mais qu’il ne jouit d’aucun délai et que ce privi
lège est irrévocablement perdu du jour où la chose qui
en était affectée est passée des mains du capitaine dans
celles du destinataire.
La prétention de régir le prêteur à la grosse par la
disposition du n° 3 de l’article 2102 ne nous paraît pas
admissible toutes les fois que l’emprunt a m pour cause
unique le radoub du navire , comme dans l’espèce de
l’arrêt.
Dans ce cas, en effet, la cargaison est intacte et mise
à terre dans le lieu du radoub, n’éprouve qu’un retard
dans le voyage dont le prêt à la grosse ne la sauvera
certainement pas. La loi n’impose aux chargeurs d’au
tre obligation que celle d’attendre ou de payer le fret en
entier (art 296).
Est-ce que, si l’emprunt n’ayant pu avoir lieu, le ra
doub du navire ne s’était pas opéré, la marchandise au
rait été perdue? Evidemment non, puisque le capitaine
�136
DROIT MARITIME.
avait le devoir de louer un autre navire pour la trans
porter à sa destination, et que s’il n’avait pu remplir ce
devoir les chargeurs l’auraient retirée en ne payant le
fret qu’à proportion de ce que le voyage avait été avancé.
Il est donc inexact de prétendre que le prêt à la gros
se avait conservé la marchandise. Il n’avait fait que
mettre le navire en état de continuer sa route, et fourni
ainsi à l’armateur le moyen d’abord d’accomplir le trans
port qu’il s’était engagé d’opérer,ensuite de gagner le fret
promis,dès lors il est incontestable que la légalité de l’af
fectation des marchandises ne pouvaient avoir pour ef
fet que d’empêcher les chargeurs de la retirer des mains
du capitaine sans subir les effets de cette affectation.
Que si la partie intéressée a négligé de faire valoir
son droit, si la restitution de la cargaison s’est opérée
sans protestation de sa part, la prétention de considérer
le destinataire comme le propriétaire de la chose con
servée que Varticle 2102 , n° 3 , soumet au privilège,
n’est ni exacte, ni vraie, ni juridique.
De quelque manière donc qu’on considère le prêteur
à la grosse ; qu’on veuille ou qu’on ne veuille pas le
considérer comme un simple créancier gagiste, il n’en
reste pas moins pour certain qu’il n’a fait confiance qu’à
la chose ; que celte chose ne pouvait lui être affectée que
parce que le capitaine l’avait en sa possession qu’il pou
vait empêcher qu’il s’en dessaisît avant qu’il eût été dé
sintéressé.
Renoncer volontairement ou involontairement à exer
cer ce droit c’était renoncer à son privilège qui ne pour-
�V ■
ART. 320, 321, 322, 823.
137
rait plus se justifier que par un droit de suite que la loi
refuse en matière mobilière, et qu’aucune disposition
du livre 2 du Code de commerce n’a autorisé.
Est-ce là se montrer trop rigoureux et trop sévère ?
mais le prêteur est toujours à même de prévenir ce ré
sultat en faisant les diligences que son intérêt lui con
seille et lui prescrit. Le billet de grosse n’étant exigible
et payable qu’au lieu du reste, le bénéficiaire, quelque
éloigné que soit son domicile, y aura nécessairement un
représentant, et la publicité que reçoit l’arrivée des na
vires mettra toujours celui ci-à même de veiller utile
ment aux intérêts qui lui sont confiés.
On objectait vainement devant la Cour de cassation
de l’impossibilité de prévenir le débarquement alors sur
tout que, comme dans l'espèce, le navire ayant repris
son voyage après l’emprunt, avait été déclaré innaviga
ble avant de l’accomplir et que la marchandise avait été
transbordée sur un autre navire loué en remplacement.
Le transbordement sur un autre navire n’est pas la
remise de la cargaison au destinataire, et nul n’a ja
mais songé à en faire résulter la perte du privilège. Le
voyage de celui-ci n’est que la continuation du voyage
commencé par le premier navire, si bien, qu’ainsi que
nous l’avons dit, les chargeurs sont tenus de payer, non
le fret convenu avec le second navire, mais le fret entier
stipulé avec le premier K
Dans celte hypothèse donc, il n’y a pas dépossession
' V. su p ra n" 773.
�138
DROIT
MARITIME.
du capitaine, s’il ne détient plus personnellement la car
gaison. Il la détient par le capitaine qu’une force majeuie l’a contraint à se substituer , et les diligences au
lieu d’arrivée de ce capitaine conservent évidemment le
privilège. Ces diligences sont possibles, nécessaires, in
dispensables, et à leur défaut le privilège est éteint.
Cette doctrine de la cour d’Aix a été admise et consa
crée par la cour de Caen. Elle aussi jugeait, par arrêt du
15 janvier 1867, que le privilège du prêteur à la gros
se de deniers empruntés pour les besoins de l’armement,
cesse d’avoir effet sur le chargement qui a été affecté en
même temps que le navire au prêt à la grosse, si les
marchandises ont été remises au chargeur.
Voici les motifs qui justifient et dictent cette solution:
« Attendu qu’aux termes de l’article 1165 du Code
civil , les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties
contractantes, et que, si les nécessités de la navigation
autorisent dans certains cas déterminés par l’article 234
du Code de commerce, le capitaine à contracter un em
prunt à la grosse et à affecter le chargement à la garan
tie de cet emprunt conformément à l’article 234 précité
et à l’article 315 du même Code, cette affectation toute
réelle ne fait peser sur le propriétaire des marchandises
aucune obligation personnelle; que sa situation est la
même que celle du propriétaire d’effets mobiliers, contre
lequel un tiers invoque le principe écrit dans l’article
2279 du Code civil, qu’en fait de meubles la possession
vaut titre;
« Que les articles 234 et 315 précités ne sont que
�art.
320, 321, 322, 323.
139
l’application de cette maxime au droit maritime ; que
dès lors le capitaine ayant en sa possession le charge
ment, est présumé, au respect du prêteur à la grosse, en
être propriétaire, et qu’à ce titre il peut le mettre en
gage ; mais que, lorsqu’il a perdu celte possession par
la remise des marchandises au propriétaire, celui-ci,
rentré en possession de sa chose, n’est pas tenu au rem
boursement d’un emprunt auquel il n’a été ni partie, ni
représenté ;
« Attendu, en effet, que le capitaine n’est pas le man
dataire des chargeurs ou affréteurs; qu’il n’est pas choisi
par eux ; qu’ils n’ont sur lui aucune autorité et qu’ils ne
peuvent le congédier ; qu’on ne saurait donc les assimi
ler sous aucun rapport à l’armateur, lequel choisit le
capitaine et le renvoie même sans indemnité, ainsi que
l’article 218 du Code de commerce lui en confère le
droit ;
« Qu’aussi l’article 234 énonce-t-il-que le capitaine
représente le propriétaire du navire ; que, de plus, l’ar
ticle 216 décide que tout propriétaire de navire est civi
lement responsable des faits du capitaine et tenu des
engagements contractés par ce dernier pour ce qui est
relatif au navire et à l’expédition ; mais qu’il n’existe
dans le livre 2 du Code de commerce aucune disposi
tion analogue concernant, les chargeurs ou affréteurs ;
que cependant une semblable disposition eût été plus
nécessaire pour eux que pour le propriétaire du navire,
si, comme lui, ils devaient être responsables personnel
lement des faits du capitaine , puisque ce dernier est
�140
DROIT MARITIME.
évidemment le mandataire de l’armateur et qu’en cette
qualité l’article 1998 du Code civil, qui veut que le man
dant soit tenu d’exécuter les engagements contractés par
le mandataire semblait suffire ;
« Que cependant le législateur en a pensé autrement
et qu’il a jugé nécessaire d’édicter une disposition spé
ciale pour déterminer la responsabilité de l’armateur ;
mais que, puisqu’il a gardé un silence absolu relative
ment aux rapports respectifs du capitaine et du proprié
taire de la marchandise, que nulle part il n’a dit que le
capitaine représentât les chargeurs et affréteurs , il faut
en conclure qu’il n’a pas mis sur la même ligne l’arma
teur et l’affréteur, et qu’il a voulu affranchir ce dernier
de toute responsabilité personnelle relativement aux en
gagements contractés par le capitaine ;
« Attendu que cette conséquence doit être admise
avec d’autant plus de facilité que le Code de commerce
n’a pas omis ce qui concerne les propriétaires du char
gement; que leur sort est réglé d’une manière spéciale
dans les litres 11 et 12 du livre 2 de ce Code, desquels
il résulte qu’en cas d’avaries et de jet à la mer, ils con
tribuent aux pertes dans des proposons équitablement
déterminées ; mais qu’aucuns des textes dont se compo
sent ces deux titres ne les soumet à une obligation per
sonnelle vis-à-vis du prêteur à la grosse ; d’où suit qu’il
n’a pas d’action directe contre eux \ »
1
du P.. 1867, 696.
�«
ART.
320, 321, 322. 323.
141
— Nous avons examiné et résolu la question
de savoir si le privilège du préteur existe pour le rem
boursement de ce qu’il a avancé, dans l’hypothèse où
ce remboursement est le résultat de la rupture volon
taire ou forcée du voyage K
Les raisons qui font décider l’affirmative pour le prê
teur sur corps, devraient également la faire admettre
pour le prêt sur faculté, mais ici la position est toute
différente.
Dans le cas d’affectation d’un navire , le privilège a
une matière certaine que la rupture du voyage ne peut
faire disparaître. C’est le navire désigné qui est devenu
l’objet du prêt, c’est lui qui doit rembourser , c’est lui
qui formait le gage de la créance et à qui le préteur a
fait confiance.
Dans le cas d’un emprunt sur facultés, le preneur af
fecte bien telles ou telles marchandises, mais à la con
dition qu’elles seront embarquées. C’est à ce moment
seulement qu’elles sortiront du patrimoine général de
l’emprunteur, pour devenir le gage spécial du prêteur.
En conséquence, si le premier rompt le voyage en re
fusant d’embarquer la marchandise promise, il n’y a ja
mais eu de gage sur lequel le créancier puisse avoir un
privilège utile, celui-ci peut même manquer absolument
de tout aliment, car le refus d’embarquer peut provenir
de l’impossibilité dans laquelle s’est irouvé l’emprun
teur de se procurer les effets pour l’achat desquels il
avait pris l’argent à la grosse.
934.
�DROIT MARITIME.
142
Dans une telle circonstance, le privilège porterait, non
plus sur un gage déterminé, mais sur l’universalité des
facultés de l’emprunteur, ce qui est inadmissible au
point de vue de ses autres créanciers.
Il pourrait en être autrement si la rupture du voyage
avait lieu par le déchargement des marchandises précé
demment embarquées. Alors, en effet, le privilège aurait
un aliment certain, puisqu’il y aurait là un gage spécial,
mais la rupture du voyage est impossible après le risque
commencé. Or, aux termes de l’article 328, ce risque
court pour les marchandises du jour qu’elles ont été
chargées dans le navire ou dans les gabarres pour les
y porter. L’emprunteur qui retirerait ses marchandises
rendrait donc le contrat exigible, il devrait le capital et
le profil maritime, et ses marchandises seront affectées
au même titre qu’elles l’eussent été si le voyage s’était
heureusement accompli.
Il est vrai que l’article 328 permet de déroger à sa
disposition. Ainsi les parties peuvent convenir que le ris
que ne commencera que le jour de la mise à la voile,
et, dans ce cas, l’emprunteur pourrait retirer ses mar
chandises et rompre le voyage tant que le navire n’est
pas parti, il en serait quitte pour le remboursement du
capital.
Alors aussi nous accorderions au prêteur un privilège
pour ce remboursement, mais en tant que la marchan
dise, d’abord embarquée, serait distincte des autres res
sources de l’emprunteur ; il pourrait donc la faire sai
sir, soit à bord, soit sur les gabarres, soit à quai; mais
�ART.
320, 321, 322, 323.
U3
s’il l’a laissée réintégrer dans les magasins du preneur
et se confondre dans son actif général, il n’y a plus de
gage spécial, plus de privilège, ses droits se bornent à
une action purement personnelle.
Si l’emprunteur n’avait retiré la marchandise du na
vire désigné que pour la transborder sur un autre, la
séparation de cette marchandise d’avec son actif n’au
rait pas cessé. Le prêteur pourrait donc la saisir à bord
du second navire, et la faire vendre pour se rembour
ser par privilège de son capital.
— Le droit réel que le prêt à la grosse confère
sur les choses qui en font l’objet amenait à cette consé
quence que pour être capable de le consentir il fallait
posséder le droit de disposer de ces choses et de les alié
ner. En principe donc celui qui. traiterait avec le non
propriétaire, ou avec un mandataire non autorisé, n’ac
querrait aucun droit sur les objets mal à propos affec
tés au prêt.
Ce principe, toutefois, comporte dans son application
une distinction importante entre le navire lui-même et
la cargaison.
La propriété de celle-ci est l’inévitable conséquence
de la présomption résultant de la possession. Ordinaire
ment transmise de la main à la main, celle propriété ne
pouvait être soumise à aucun genre de preuve, la pos
session suffit. Dès lors celui qui a donné de l’argent à
la grosse sur des effets en mains de l’emprunteur ac905.
�144
DROIT MARITIME.
quiertun privilège incontestable sur ces effets, quel qu’en
soit le propriétaire réel.
'
iiK.
0* 0. — Il ne pourrait en être autrement que si les
qualités prises dans l’acte indiquaient le caractère parti
culier et la précarité de la possession. Celui, par exem
ple, qui prêterait à la grosse au syndic d’une faillite
sans exiger une autorisation du juge-commissaire, n’ac
querrait aucun droit contre la masse. Sans doute, celleci serait obligée de lui rembourser le capital, si elle en
avait réellement profilé, mais elle ne devrait aucun pro
fit maritime, alors même que le voyage serait heureuse
ment accomplil.
Le prêt à la grosse, contracté par le gérant d’une so
ciété quelconque, confère au prêteur un privilège sur
les effets affectés à ce prêt. 11 lui donne en outre le droit
d’être payé sur tout l’actif social, de préférence aux as
sociés eux-mêmes. Mais l’associé non gérant, qui em
prunterait sur ies effets sociaux, n’engagerait valable
ment que la part qu’il pourrait y avoir lui-même, et
sur laquelle le privilège du prêteur porterait exclusive
ment.
Ainsi l’avait pensé la cour d’Aix en jugeant, le 14
juillet 1823, que les associés en participation ont collec
tivement sur les fonds ou marchandises mis en commun
un droit de copropriété qui doit être préféré au privilège
accordé par l’un d’eux en son nom personnel sur ces
1 Rouen, 12 ju in 4 821 ; C ass., 47 février 4824.
�marchandises ; que, dès lors, les droits du prêteur à la
grosse ne pouvaient être exercés que suivant le résultat
de la liquidation, et sur la portion revenant à l’emprun
teur.
Cet arrêt ayant été attaqué, la Cour suprême rejeta le
pourvoi, par décision du 19 juin 1826.
0 8 Ï . — Les navires sont en réalité des meubles,
mais la loi les place dans une catégorie spéciale. Nous
l’avons déjà vue ordonner que leur vente eût lieu par
écrit. Leur propriété peut donc être parfaitement établie
soit par le titre d’acquisition, soit par l’acte de franci
sation. Enfin, ils ne sont pas susceptibles de cette pos
session réelle, effective, apparente, qui résulte de la dé
tention d’un meuble ordinaire.
Dès lors, celui qui est sollicité de prêter sur un navi
re doit exiger de l’emprunteur la preuve de la propriété
que celui-ci allègue; se faire représenter l’acte de pro
priété ou de francisation, et, à défaut, consulter les re
gistres de l’administration. S’il traite sans aucune de ces
précautions, et si le navire n’appartient pas à l’emprun
teur ou ne lui appartient qu’en partie, il n’a et ne peut
jamais avoir d’autres droits que ceux qui compétent à
son emprunteur.
0 88 . — Le capitaine est, à l’endroit du navire, le
représentant légal des propriétaires. Chargé de préparer
et d’accomplir le voyage, il est, par cela même, appelé
à prendre tous les moyens nécessaires pour arriver à ce
ni — 40
�146
DROIT
MARITIME.
double but, dussent-ils grever le navire d’une charge
réelle pouvant en déterminer l’aliénation. Il peut donc,
sans autorisation spéciale, emprunter à la grosse, avant
le départ comme pendant le voyage. Le correctif de ce
pouvoir énorme se rencontre dans les précautions que
la loi a prescrites pour la régularité des emprunts, et
dans la faculté qu’elle concède aux propriétaires de s’en
exonérer par l’abandon du navire et du fret L
Toutefois, la mission du capitaine est surtout d’agir
en l’absence des propriétaires que l’urgence d’un côté,
l’éloignement de l’autre ne permettaient pas de consul
ter. On ne pouvait dès lors lui reconnaître le droit de
procéder seul à l’emprunt dans le lieu de la demeure
du propriétaire. La présence du mandant le faisait na
turellement préférer au mandataire.
Aussi la loi exige-t-elle ou son concours à l’acte , ou
son autorisation authentique ; à défaut de l’un ou de
l’autre, le prêt est irrégulier et nul en ce qui le concer
ne. Le préteur n’aurait action et privilège que sur la
part d’intérêt que le capitaine pourrait avoir dans le
navire.
Mais il arriverait dans ce cas ce que nous disions tout
à l’heure de celui d’un emprunt contracté par un syndic
de faillite non autorisé. Le propriétaire ne saurait pro
fiter et s’enrichir d’une irrégularité qu’il ne manquerait
peut-être pas d’encourager s'il en était autrement. En
conséquence, il serait tenu au remboursement du capi-
�tal, s’il avait été réellement employé aux besoins du
navire. La nullité du prêt n’aurait alors d’autre effet que
de l’exonérer du paiement du profit maritime, auquel
il ne saurait, dans aucun cas, être obligé.
9 8 9 . — L’article 321, après avoir parlé du lieu de
la demeure des propriétaires, n’ajoute pas, comme l’ar
ticle 232, ou de leurs fondés de pouvoirs. Cependant,
Valin, sous l’ordonnance, enseignait que ce qui est dé
cidé pour la première hypothèse devrait être également
admis dans la seconde. C’est ce que M. Locré enseigne
sous l’empire du Code. En effet, dit-il, on agit et l’on
est présent aussi bien par un fondé de pouvoir que par
soi-même. C’est aussi ce que suppose l’article 323. Il est
entendu néanmoins que ceci ne s’applique qu’au cas où
le capitaine sait qu’il y a un fondé de pouvoir sur les
lieux, et où le mandat de ce commissionnaire va jus
que-là l.
On pourrait objecter que, s’il devait en être ainsi, le
législateur eût rédigé l’article 321 dans les termes qu’il
a employés dans l’article 232. Le silence que garde le
premier semble donc exclure l’identité qu’on veut créer
entre ces deux dispositions. Cependant il serait difficile
de se soustraire à celte identité. Comment, en effet, va
lider, au point de vue de l’article 321, un prêt contrac
té par un capitaine à qui l’article 232 refuse tout pou
voir.
1
Esprit du Code de commerce,
ar t. 3 2 t .
�DROIT MARITIME.
U8
L’emprunt contracté dans le lieu de la demeure du
fondé de pouvoir du propriétaire, sans son concours ou
son autorisation, serait nul à l’endroit du propriétaire.
Nous ajouterons seulement aux conditions indiquées par
M. Locré celle de la publicité acquise à l’existence du
fondé de pouvoir. Comme la nullité du contrat est pré
judiciable aux tiers, on ne pourrait la prononcer contre
eux que s’ils sont en demeure de se conformer à ce que
la loi prescrivait pour la validité de l’acte. Or, dans no
tre hypothèse, cette mise en demeure ne saurait résulter
que de la notoriété acquise de l’existence sur la localité
d’un commissionnaire chargé d’agir au nom et pour le
compte du propriétaire 1.
930. — Ainsi le propriétaire ne peut, dans le lieu
de sa demeure, ou dans celui où il est spécialement re
présenté, être obligé à l’emprunt à la grosse, sans qu’il
l’ait ou formellement autorisé ou personnellement sous
crit en concourant à l’acte. Cette règle est cependant dans
le cas de subir une exception dans l’hypothèse d’un na
vire appartenant à plusieurs. L’emprunt autorisé par
la majorité obligerait la minorité elle-même, alors mê
me qu’habitant sur la localité elle eût refusé son auto
risation .
M. Locré enseigne que, dans ce cas, l’emprunt ne
serait obligatoire pour la minorité que si, aux termes
de l’article 233, le capitaine avait poursuivi et obtenu
X Voy. »upra , art. 232, n#* 433 et euiv.
�ART.
320, 321, 322, 323.
149
l’autorisation du juge. Cette opinion ne nous paraît pas
devoir être suivie. La différence d’hypothèse dans les
articles 233 et 322 en amène une nécessaire dans leur
application.
Le premier, en effet, dispose pour le cas où la majo
rité ayant voté l’affrètement, a également versé entre les
mains du capitaine le montant de sa contribution à la
dépense de la mise en état. Dès lors, il n’y a plus à em
prunter que pour le compte et sur l’intérêt de ceux qui
refusent de contribuer pour leur part. En l’état de ce
refus, il convenait d’exiger que l’emprunt spécial fût au
torisé par le juge.
L’hypothèse de l’article 322 est toute différente. Ici
la majorité a autorisé l’emprunt. Sa délibération liant la
minorité, le capitaine n’a plus aucune formalité à rem
plir. Il pourrait donc régulièrement et valablement em
prunter pour tous. Comprendrait-on que le juge fût ap
pelé à annuler le vote de la majorité, et à le révoquer
en ne délivrant pas l’autorisation demandée.
L’article 322 n’a pu se préoccuper d’une pareille éven
tualité. Ce qu’il a prévu, c’est que l’emprunt à la grosse
pouvant devenir très onéreux pour le preneur, il était
équitable de ne pas contraindre la minorité à le subir
malgré elle, alors même qu’il était délibéré par la ma
jorité. La minorité pourra donc s’y soustraire en payant
la part à sa charge, et en le rendant ainsi inutile en ce
qui la concerne.
L’article 322 confère donc non pas un droit, mais
une faculté. Il laisse à la minorité l’option de laisser
�ISO
DROIT MARITIME.
l’emprunt s’accomplir, ou de l’empêcher en fournissant
son contingent. Pour que cette option fût utilement exer
cée, il fallait une mise en demeure. C’est à ce titre que
le capitaine est obligé de lui faire tenir une sommation
d’avoir à se prononcer dans les vingt-quatre heures.
Si ce délai expire sans que le contingent soit versé,
l’option est épuisée. La délibération de la majorité est
présumée acquiescée , il n’y a plus qu’à l’exécuter. Le
capitaine n’a pas d’autre autorisation à requérir que
celle qui résulte de cette délibération elle-même.
Ce qui prouve que telle est la pensée du législateur,
c’est que la Cour de cassation ayant demandé qu’on ex
primât dans l’article 322 la nécessité de l’autorisation
du juge, sa proposition fut repoussée par la commission,
et, en définitive, par le conseil d’Etat.
Ainsi, il n’y a nullement lieu, comme le pense
M. Locré, et avec lui M. Boulay-Paty, à concilier l’arti
cle 321 avec l’article 233, il n’y a qu’à les appliquer
chacun dans sa spécialité. Si, aux termes de celui-ci,
l’emprunt n’est valable que par l’autorisation du juge,
c’est que cet emprunt doit être spécial, réduit à l’intérêt
des refusants, non encore autorisé par personne, et que
la disposition de cet intérêt ne pouvait être laissée à la
discrétion absolue du capitaine.
Dans l’article 321, l’emprunt doit être général pour
tout le navire ; il est régulièrement voté par la majo
rité. La faveur faite à la minorité ne pouvait aller jus
qu’à méconnaître les prérogatives de la première, c’eût
été violer l’article 220; et donner au juge la faculté de
�condamner à l’impuissance une décision que la loi a en
tendu formellement faire exécuter. Cette décision est ici
la garantie résultant de l’autorisation du juge dans l’hy
pothèse de l’article 233.
9 3 t. — Partout ailleurs que dans le lieu de la de
meure des propriétaires ou de leur fondé de pouvoir spé
cial ,1e capitaine a la capacité d’emprunter à la grosse pour
les besoins de son navire. Telle était la conséquence for
cée du texte de l’article 321, limitant la prohibition
d’emprunter à la circonstance qu’il indique.
En l’absence de cette circonstance, le capitaine rentre
donc dans la plénitude des droits qu’il puise dans sa
qualité même, et dans le devoir qui lui est imposé de
maintenir le navire en bon état de navigation.
Tous les emprunts qu’il souscrit en cette qualité et
dans ce but lient donc l’armateur sans le lier lui-même.
Il ne pourrait donc être personnellement actionné pour
leur exécution. Sa qualité de mandataire serait, contre
toute demande de celte nature , une exception péremp
toire qu’il peut invoquer en tout état de cause, et, pour la
première fois, en cause d’appell.
Cette qualité exclusive de toute responsabilité du capi
taine au prêteur l’exclut également du capitaine à l’ar
mateur. Le premier ne saurait être tenu du recours du
second que s’il avait commis une faute soit dans le fait
de l’emprunt, soit dans l’exécution qu’il lui aurait donnée.
i B ru xelles, 5 janv ier 1822,
�132
DROIT MARITIME.
Il y a faute dans l’emprunt s’il a été contracté sans
les formalités prescrites par l’article 234, c’est-à-dire
sans délibération préalable de l’équipage, ou sans l’au
torisation, en France, du tribunal de commerce ou du
juge de paix ; à l’étranger, du consul Français ou, à
défaut, du magistrat du lieu. Si dans ce lieu il y avait,
non un consul, mais un vice-consul Français, l’autori
sation qui lui aurait été demandée et qu’il aurait accor
dée serait-elle valable ?
La question ne pouvait offrir le moindre doute avant
1833. Jusque-là, en effet, les vice-consuls appartenaient
au corps consulaire au même titre que les consuls gé
néraux et que les consuls élus comme ceux-ci par le sou
verain. Ils pouvaient bien hiérarchiquement leur être
soumis, mais ils en étaient indépendants ; ils ne rele
vaient, dans l’exercice de leurs fonctions , que du mi
nistre avec lequel ils correspondaient directement ; ils
étaient en réalité des véritables consuls, sauf qu’ils agis
saient dans une circonscription moins importante et re
cevaient des appointements moindres, ils pouvaient donc
faire, dans cette circonscription, tous les actes que les
consuls étaient appelés à faire dans la leur, et notam
ment autoriser les emprunts à la grosse.
Les ordonnances des 20 août et 26 octobre 1833,
ont profondément modifié cette organisation. Aux ter
mes de la première, le corps consulaire se compose ex
clusivement de consuls généraux, de consuls de pre
mière et seconde classe, d’élèves consuls qui sont à la
nomination du souverain.Les vice-consuls ne sont que des
�agents, que les consuls sont autorisés à déléguer et qui
pourront recevoir la qualification de vice-consuls lors
que l’importance du lieu, leur position sociale ou quel
que autre motif pris dans l’intérêt du service paraîtra
l’exiger. L’article 44 ajoute : « Les fonctions des agents
et vice-consuls ne donnent lieu à aucun traitement et
ne confèrent aucun droit à concourir aux emplois de la
carrière des consulats. »
L’ordonnance du 26 octobre confirme l’infériorité de
position des vice-consuls et agents consulaires. Elle les
soumet à se conformer entièrement aux directions du
consul dont ils sont les délégués et à l’informer de tout
ce qui pourra intéresser le service de l’Etat ou le bien
des nationaux ; elle ne leur accorde la faculté de corres
pondre avec le ministre des affaires étrangères que lors
que il les y aura spécialement autorisés, l’article 2
ajoute : « Ils n’auront point de chancelier, et n’exerce
ront aucune juridiction. »
Il est vrai que les articles 4 et 5 déclarent que les
vice-consuls et agents consulaires pourront, s’ils y ont
été préalablement autorisés par le ministre de la marine
et des colonies, remplir en tout ou en partie les fonc
tions déférées aux consuls. Mais cette extension est limi
tée à celles de ces fonctions que les consuls exercent
comme administrateurs de la marine, et à celles qui se
réfèrent à l’exécution des lois, règlements et ordonnan
ces sur la police de la navigation. Donc, pour tout ce
qui est en dehors de l’une et de l’autre catégorie, les
vice-consuls sont frappés d’une incompétence telle qu’ils
ne peuvent en être relevés.
�184
DROIT MARITIME.
La ligne de démarcation que les ordonnances de
1833 tracent entre les consuls et les vice-consuls est
donc profonde. Simples agents délégués par les pre
miers, ces derniers n’ont et ne peuvent avoir que des
pouvoirs spéciaux restreints dans les limites de l’ordon
nance du 26 octobre, et comme cette ordonnance se tait
sur le droit d’accorder l’autorisation d’emprunter à la
grosse, on en a conclu qu’ils étaient radicalement inca
pables de la donner valablement.
Ce qui, dans celte opinion, doit surtout le faire déci
der ainsi, c’est que l’autorisation d’emprunter serait un
acte de juridiction, ce qu’on induit de ce fait qu’en
France elle est déférée au tribunal de commerce ou au
juge de paix ; à l’étranger, au magistrat du lieu à défaut
de consul.
Il est évident que si l’autorisation d’emprunter est un
acte de juridiction , le sort de celle que le vice-consul
aurait accordée ne saurait être douteux en présence des
termes de l’article 2 de l’ordonnance du 26 octobre,
elle serait nulle et de nul effet, alors même que le viceconsul établirait que le consul lui en a formellement
conféré le pouvoir. La juridiction, en effet, est l’attribut
de la souveraineté, et celui qui a reçu la mission de
l’exercer ne saurait la déléguer à autrui.
Mais peut-on réellement voir un acte de juridiction
dans l’autorisation d’emprunter à la grosse ? Ce qui ne
permet pas de l’admettre, c’est d’abord que le droit de
l’accorder à l’étranger a été déféré aux consuls. Le sou
verain peut bien instituer des juges en France, mais à
�.
ART.
320, 321, 522, 323.
135
quel titre en instituerait-il à l’étranger, surtout en pays
de chrétienté, où nos nationaux sont soumis aux lois du
pays oii ils se trouvent, comme les étrangers le sont, en
France, à la loi française ? Pourquoi nos consuls au
raient-ils dans leur résidence le pouvoir judiciaire alors
qu’on ne tolère pas chez nous que les consuls étrangers
osent y prétendre ?
Sans doute l’autorisation d'emprunter a pour effet
d’accorder au capitaine le droit de disposer de biens
qui ne lui appartiennent pas , d’engager et de grever la
chose d’autrui sans le concours ou le consentement du
véritable propriétaire. Mais quelque énorme que parais
se ce résultat, il s’explique par la nature spéciale des
choses, par les exigences du commerce maritime.
Il fallait, en effet, et de toute nécessité, qu’en cas de
relâche forcée, le capitaine trouvât le moyen de réparer
son navire, de le mettre en état de poursuivre et d’a
chever son voyage dont l’interruption ou la rupture
pouvait occasionner un dommage souvent énorme tant
aux armateurs qu’aux chargeurs. C’est à cette nécessité
que répond l’emprunt à la grosse.
Mais le législateur n’a pas voulu s’en référer exclusi
vement au capitaine quant à l’opportunité et à l’urgence
de l’emprunt. Il exige une délibération de l’équipage et,
pour surcroit de garantie, l’intervention du représentant
de l’autorité française ou du magistrat de la localité.
Est-ce que la décision rendue par celui-ci aurait le
caractère et les effets d’un jugement ? Est-ce que l’inten
tion du législateur a été de lui attribuer juridiction sur
�136
DROIT MARITIME.
nos nationaux ? Mais alors pourquoi en serait-il autre
ment de la décision du consul qui ne fait que ce que
en son absence ferait le magistrat étranger ?
Si la décision du consul était un jugement, elle s’im
poserait à tous, elle acquerrait l’autorité de la chose ju
gée. Or, qui oserait le soutenir ? N’est-il pas de doctrine
certaine que l’autorisation donnée en France par le tri
bunal de commerce ou le juge de paix et à l’étranger
par le magistrat du lieu, ne lie pas les tribunaux Fran
çais et ne justifie pour eux ni l’opportunité ni l’urgence
de l’emprunt ?
Il n’est pas possible d’admettre qu’il en fût autrement
de la décision du consul. Cette décision n’est, comme
celle du tribunal de commerce ou du juge de paix,
qu’une opinion s’ajoutant à celle de l’équipage et qui
crée une présomption en faveur de l’emprunt sans en
établir à l’égard des intéressés ni l’opportunité ni l’ur
gence.
En réalité donc, l’autorisation d’emprunter est, non
un acte de juridiction, mais un contrôle des nécessités
de se procurer des fonds dans lesquelles une fortune de
mer a placé le capitaine ; une garantie contre les légè
retés ou les malversations de celui-ci, contre les entraî
nements complaisants de l’équipage. A ce titre on ne
saurait raisonnablement contester la compétence du
vice-consul. Cette autorisation il peut et il doit la don
ner s’il y a lieu.
Il le peut ! car, en l’investissant de ses fonctions, le
consul lui a nécessairement et de plein droit délégué tous
�art. 3 2 0 , 3 2 1 , 3 2 2 , 8 2 3 .
187
les actes tendant à surveiller, à assister, à protéger nos
nationaux.
Il le doit ! car l’article 3 de l’ordonnance du 26 oc
tobre le charge spécialement de rendre aux Français
tous les bons offices qui dépendront de lui. Or, est il un
office meilleur et plus indispensable que celui de facili
ter à nos capitaines le moyen de se procurer les res
sources sans lesquelles le voyage serait arrêté, rompu,
et le navire condamné ?
Le tribunal civil du Havre et la cour de Rouen avaient
jugé en sens contraire. Considérant l’autorisation d’em
prunter comme un acte de juridiction, ils déclaraient le
vice-consul sans qualité et refusaient tout effet à celle
qu’il avait cru devoir donner 1.
Mais sur le pourvoi des prêteurs évincés, la Cour ré
gulatrice cassait, le 24 août 1847, l’arrêt de la cour de
Rouen pour fausse application de l’article 2 de l’or
donnance du 26 octobre 1833 et violation de l’article
234 du Code de commerce.
Cette cassation s’étaye des motifs suivants :
« Attendu que, régulièrement investi des fonctions
de vice-consul au cap de Bonne-Espérance et autorisé à
suppléer les administrations de la marine, le sieur Delettre était le délégué du consul Français à Londres et le
représentait, non seulement pour la police de la navi
gation, mais encore pour tous les cas où les marins
Français avaient besoin, à raison des événements mari1 J . d u P . , 1, 4844, 143.
�158
DROIT MARITIME.
times, d'assistance, de protection, et de surveillance et
d’autorisation ;
« Attendu que l’autorisation de faire un emprunt à
la grosse, énoncée dans l’article 234 du Code de com
merce, auquel se réfère l’article 312 même Code, n’a
pas le caractère d’un jugement et ne constitue pas un
acte de juridiction ; que cette autorisation, en effet, n’est
exigée que comme mesure de protection et de contrôle,
dans l’intérêt des tiers absents ; que, lors même qu’elle
est donnée en France par le tribunal de commerce ou
un juge de paix, et à l’étranger par le juge des lieux,
elle n’exclut pas l’examen et la discussion ultérieure de
vant l’autorité judiciaire, entre le capitaine et les pro
priétaires du navire, des causes et de la nécessité de
l’emprunt ; qu’ainsi l’article 2 de l’ordonnance du 26
octobre 1833, qui déclare que les agents consulaires et
les vice-consuls n’ont point de chancelier ni de juridic
tion, ne peut recevoir aucune application dans le sim
ple cas d’autorisation spécifié par les articles du Code de
commerce l. »
Le système contraire tendrait à substituer l’apprécia
tion du juge des lieux à celle des vice-consuls. Qu’y ga
gneraient les armateurs et les chargeurs ? Ne serait-ce
pas là, au contraire, un danger de plus pour eux? Nous
laissons aux précédents commerciaux le soin de résou
dre ces questions.
Au reste la controverse a été tranchée législativement
�par le décret des 22 septembre et 1er octobre 1834 qui
charge les agents vice-consuls d’autoriser les emprunts à
la grosse.
93*. — Mais cette faute ne saurait être, dans aucun
cas, opposée au prêteur. Ainsi, l’emprunt fait sans les
formalités exigées par l’article 234, ne serait pas moins
valable contre l’armateur. Celui-ci serait donc obligé de
désintéresser le prêteur, mais il aurait incontestable
ment son recours contre le capitaine, si l’omission des
formalités a réellement causé un préjudice 1.
Si l’emprunt pour lequel les formalités ont été omi
ses avait été fait sans nécessité, la position du capitaine
serait celle que lui a déjà fait l’article 236.
Enfin, sa responsabilité envers son armateur serait
hors de toute contestation, si les fonds provenant de
l’emprunt régulier avaient été par lui distraits de leur
destination et employés à autres choses qu’aux nécessi
tés auxquelles ils devaient pourvoir. Nous avons déjà vu
que cette conduite du capitaine ne saurait être invoquée
contre le prêteur, qui n’est obligé ni à suivre ses fonds,
ni à en justifier l’emploi2.
L’abus dont le capitaine se rendrait coupable dans
leur application ne constituerait qu’une violation de ses
devoirs de mandataire, dont les conséquences ne pour
raient peser que sur le mandant lui-même. Mais l’infi28
1 C ass., novem bre '1821, 5 janv ier
2 V. supra n« 86.
4844. J. du P ., 4, 4844, 459.
�DROIT MARITIME.
160
délité du capitaine l’obligerait infailliblement à tenir
compte à l’armateur de tout le préjudice qui en serait
résulté.
*
933. — Le fait du capitaine , quel qu’il soit, ne
saurait donc nuire au prêteur. Cette proposition, abso
lument vraie à l’endroit de l’armateur responsable du
mandataire qu’il s’est choisi, ne pouvait conserver ce ca
ractère à l’égard dos tiers étrangers à ce choix. Ceux-ci
ne peuvent subir les effets du privilège résultant du prêt
à la grosse, que si ce privilège est justifié dans les for
mes indiquées par l’article 192. Or, cette justification
serait impossible, si les formalités prescrites par l’arti
cle 234 n’avaient pas été remplies.
Cette omission est donc dans le cas de nuire grave
ment au prêteur , puisqu’elle le priverait de la faculté
d’exercer son privilège et le contraindrait, en cas d’aban
don du navire ou de faillite, soit de subir les autres pri
vilèges régulièrement acquis, soit à venir en concours et
au marc le franc avec tous les autres créanciers.
934. — Ce préjudice se réalisant, le prêteur aurat-il un recours contre le capitaine personnellement pour
le faire condamner à l’indemniser ?
La cour d’Aix a répondu négativement dans une es
pèce où la faute du capitaine ayant précédé l’emprunt
n’avait pas été ignorée de l’emprunteurl. Cet arrêt est
i 8 février 1831 ; Dalloz, Nouv. Ripert. V. Dr. marit., n° 1372,
�juridique, mais il a une portée bien plu3 importante que
celle qu’il paraît tirer de sa spécialité particulière.
Ainsi, dans notre hypothèse, la difficulté à résoudre
sera celle de savoir si le prêteur a connu la faute du ca
pitaine. Dans quels cas, dès lors, pourra-t-il raisonna
blement prétendre l’avoir ignorée ? Les formalités exi
gées par l’article 234, en vue de l’emprunt, doivent né
cessairement, et dans tous les cas, en précéder la con
clusion. Le devoir du prêteur est donc tout tracé. Il sait
que l’effet du privilège est, quant aux tiers, subordonné
à l’accomplissement des formalités, qu’il doit en justi
fier. Son intérêt l’oblige donc, avant de conclure, d’exi
ger qu’on lui justifie de cet accomplissement, et qu’on
lui remette les pièces qu’il sera tenu lui-même de pro
duire.
S’il néglige cette précaution, il peut avoir été trompé,
mais évidemment il a beaucoup contribué à se tromper
lui-même. Il est possible qu’il n’ait pas su, mais il était
à même de savoir, et cela doit suffire pour lui faire re
fuser une action qui aurait pour objet de le relever de
sa propre imprudence.
Nous croyons donc que, sauf le cas de dol et de frau
de, on devrait appliquer la doctrine de l’arrêt d’Àix, et,
comme lui, résoudre la question par la négative.
935. — En principe donc, le capitaine, emprun
tant en sa qualité, ne contracte aucune obligation per
sonnelle ni contre l’armateur, ni à l’égard du prêteur.
Mais ce principe souffre des dérogations. Il est toujours
ni —
W
�DROIT MARITIME.
162
loisible au capitaine de s’engager directement et per
sonnellement. Le caractère licite de cet engagement de
vrait en assurer l’effet en faveur du prêteur. Le droit de
recourir contre le capitaine, de le poursuivre collective
ment et solidairement avec l’armateur, ou même sépa
rément de celui-ci, ne saurait lui être contesté dans au
cun cas. La cour de Rennes a appliqué celte règle dans
une hypothèse où le capitaine qui avait emprunté en af
fectant ses propres biens ayant été remplacé, son suc
cesseur avait déclaré au pied du billet de grosse, qu’ayant
pris connaissance du contrat, il s’obligeait solidairement
à en remplir toutes les conditions. La Cour a vu là une
obligation personnelle, rendant le successeur personnel
lement tenu au paiement de l’emprunt1.
Au reste, l’engagement personnel du capitaine n’est
jamais, à l’endroit de l’armateur, qu’un véritable cau
tionnement. En conséquence, le capitaine qui aurait été
contraint, en vertu de son engagement, de désintéresser
le prêteur, serait fondé à se faire intégralement rem
bourser par l’armateur.
036. — Le capitaine en cours de voyage n’est pas
seulement le mandataire de l’armement, il est aussi le
gérant de la cargaison, s’il n’existe à bord aucun subrecargue. Il peut donc, en cette qualité, emprunter à la
grosse sur le chargement, pour subvenir aux dépenses
exigées pour sa conservation.
�ART. 3 2 0 , 3 2 1 , 3 2 2 , 3 2 3 .
165
Nous avons vu, de plus, sous l’article 834, que la fa
culté de vendre ou d’engager la marchandise à bord
comporte celle de l’affecter à un emprunt à la grosse.
Dans l’un et l’autre cas, les droits et obligations respec
tifs du capitaine, du prêteur, du chargeur et de l’arma
teur obéiraient aux principes que nous venons d’ex
poser.
ê
9 3 ? . — Tant que le débiteur est integri status, il
n’y a aucune différence à faire entre les divers emprunts
à la grosse contractés dans son intérêt. Tous doivent
être intégralement soldés en capital et profit maritime.
L’abandon du navire et du fret ', ou la faillite de l’ar
mateur, ne permet plus d’espérer ce résultat. Les prê
teurs se trouvent alors en présence les uns des autres,
en présence d’une masse de créanciers n’ayant qu’un
gage insuffisant pour les couvrir tous.
Entre les prêteurs à la grosse et les créanciers ordi
naires, la question de préférence et le mode de paiement
sont tranchés par l’article 191. On pouvait même, rela
tivement aux prêteurs entre eux, s’en référer à cette dis
position qui assigne le septième rang aux sommes prê
tées pendant le voyage, et le neuvième seulement à cel
les prêtées avant le départ.
La préférence était donc acquise aux premières sur les
secondes. Mais rien ne réglait le rang que devait occu
per entre eux les divers emprunts faits soit avant le dé
part, soit pendant le premier voyage. C’est cette lacune
que l’article 383 a pour objet de combler.
�164
DROIT MARITIME.
Les emprunts contractés ayant le départ
n’ont, quel qu’en soit le nombre, qu’un but unique, à
savoir, mettre le navire à même d’entreprendre le voya
ge projeté. Tant que la navigation n’a pas commencé,
les sommes prêtées n’ont couru et ne courent aucun dan
ger. L’emprunt contracté plus tard n’a donc pas eu pour
objet leur préservation ; il ne fait qu’achever ce qu’elles
avaient préparé, la mise en état du navire.
Dès lors, il ne pouvait exister aucune légitime préfé
rence entre les premiers et les derniers emprunts. Quelle
que soit leur date, ils viennent tous en concours et au
même rang.
La loi les préfère cependant aux emprunts contractés
pour un précédent voyage et laissé en continuation ou en
renouvellement. Cette décision peut paraître sévère ; il
est évident que, même relativement au voyage nouveau,
la facilité de l’accomplir résulte tout aussi bien de l’ar
gent actuellement reçu que de la faculté d’appliquer aux
besoins du navire les sommes précédemment prises et
dont le remboursement pourrait être exigé ; on devait,
ce semble, d’autant plus le décider ainsi, que l’arma
teur, contraint de payer ces sommes, aurait été peutêtre obligé d’en emprunter d’autres, pour préparer et
exécuter le voyage.
Mais le renouvellement du prêt peut tenir à l’insuffi
sance dans laquelle se trouve le débiteur de le rembour
ser ; dans cette hypothèse, il est évident que l’armateur
n’a pu employer pour le voyage nouveau une somme
qu’il n’avait pas en sa possession. Dès lors ce nouveau
93§. —
�voyage devant avoir pour résultat de déterminer le paie
ment et le profit maritime de l’ancien prêt, et le nou
veau profit de la prolongation , a réellement profité au
prêteur, et le législateur, se plaçant dans cette hypothè
se, a cru qu’il était dû une préférence à ceux qui, ayant
facilité le nouveau* voyage, ont en réalité déterminé ce
profit.
Au reste, ainsi que nous l’avons remarqué déjà, cette
préférence est plutôt apparente que réelle, il est trop fa
cile de l’éluder pour qu’il soit permis de croire qu’elle
se produira jamais ; il suffira, en effet, de simuler un
remboursement et de rédiger un nouveau prêt à une
date postérieure et avec quelque modification dans les
sommes pour éviter les conséquences qu’un rapport
trop exact pourrait faire naître.
Cette simulation est fort difficile à prévenir et surtout
à prouver. Cependant il faut dire avec Valin que si la
preuve en était acquise, les parties devraient être repla
cées sous l’empire de la règle assurant au prêt nou
veau la préférence sur l’ancien l.
— Les motifs qui déterminaient la préférence
de l’emprunt fait en cours de voyage à ceux contractés
avant le départ déterminaient le rang assigné à tous ceux
que les besoins du même voyage ont nécessité.
En effet, les raisons qui justifient celte préférence se
tirent du danger dans lequel se trouvait le gage des
039.
1 Art. 10, titre du Contrai à la Grotte.
�166
DROIT MARITIME.
prêteurs avant le départ, et du secours qu’il a reçu de
l’emprunt ayant fourni le moyen de poursuivre le voya
ge. Le prêteur a donc conservé le gage, et dès lors il doi t
être préféré à ceux dont il a amélioré la condition.
Or, ce résultat est produit par le second prêt à l’égard
du premier lui-même, par le troisième, à l’égard du se
cond et du premier. Nous avons donc raison de dire
que ce qui motivait la préférence de celui-ci sur les prêts
avant le départ, la déterminait également en faveur du
second et ensuite du troisième sur tous ceux qui les
avaient précédé.
L’article 323 n’a donc fait qu’obéir à la pensée qui
avait déjà dicté l’ordre des privilèges en réglant leur
priorité sur l’utilité que chacun d’eux avait procuré aux
autres.
Voici donc le rangement qui résultera de l’article
323.
Un navire part de Marseille pour la Martinique en
l’état d’emprunts à la grosse contractés dans cette pre
mière localité. Assailli par la tempête et obligé de relâ
cher, il emprunte à la grosse et exécute les réparations
nécessaires. Ayant repris la mer, il éprouve de nouvel
les avaries à la suite desquelles il est forcé d’opérer une
seconde relâche et de contracter de nouveaux emprunts.
Il arrive enfin à sa destination.
Les emprunts contractés lors de la seconde relâche
sont colloqués au premier rang et sont préférés à tous
les autres dans l’ordre déterminé par l’article 191, eu
égard aux autre? privilèges appelés avant l’emprunt.
�Viennent ensuite les emprunts contractés pendant la
première relâche, et enfin au troisième rang et au nu
méro neuf de l’article 191, les emprunts faits avant le
départ.
Les motifs qui assignent aux prêts faits pendant le
voyage la priorité aux prêts récents affectent à cette prio
rité un caractère tel, qu’elle n’est acquise que si les di
vers emprunts ont eu pour effet de pourvoir à un be
soin spécial et nouveau.
Ainsi, si dans la supposition que nous faisions tout à
l’heure, chaque relâche avait été l’occasion de plusieurs
emprunts, tous ceux qui se référeraient à la même répa
ration viendraient en concours, quelle que fût leur date,
et quand bien même ils auraient été contractés dans
des localités différentes \
Article 324.
Le prêteur à la grosse sur marchandises chargées
dans un navire désigné au contrat ne supporte pas la
perte des marchandises par fortune de mer, si elles ont
été chargées sur un autre navire ; à moins qu’il ne soit
légalement constaté que ce chargement a eu lieu par
force majeure.
i Voy. tupra n® 86.
�168
DROIT MARITIME.
A rticle 325.
Si les effets sur lesquels le prêt à la grosse a eu lieu
sont entièrement perdus, et que la perte soit arrivée par
cas fortuit dans le temps et dans le lieu des risques, la
somme prêtée ne peut être réclamée.
A r t ic l e 326.
Les déchets, diminution et pertes qui arrivent par
le vice propre de la chose, et les dommages causés par
le fait de l’emprunteur ne sont point à la charge du
préteur.
A rticle 327.
En cas de naufrage , le paiement des sommes em
pruntées à la grosse est réduit à la valeur des effets sau
vés et affectés au contrat, déduction faite des frais de
sauvetage.
SOMMAIRE
940. Effets du prêt à la grosse en cas de sinistre dans le temps
et le lieu des risques. Ce qu’il faut entendre par l’un et
par l’autre.
941. Caractère et objet de l’article 324.
�ART. 3 2 4 , 3 2 5 , 3 2 6 , 3 2 7 .
169
942. Effets de sa violation. Elle n'annule pas le contrat. Elle
fait cesser les risques du prêteur. Motifs.
943. Hypothèse que prévoit l’article 324.
944. Reçoit exception en cas de force majeure. Exemples de ce
que peut être celle-ci.
945. Différence entre l’ordre de débarquement et l’ordre de pas
ser sur un autre navire. Espèce empruntée à Pothier.
946. La preuve de la force majeure est à la charge de celui qui
l’allègue. Effet du défaut de preuve.
947. L’emprunteur n’est libéré par le sinistre que s’il en résul
te la perte entière du gage. Conséquences en cas de pri
se du navire.
948. Doit-on assimiler à la perle entière la détérioration excé
dant les trois quarts ?
949. Eléments qui doivent servir à déterminer la quotité de la
détérioration.
950. Application de l'article 350, énumérant les cas de force
majeure au prêt à la grosse.
951. Le prêteur ne répond ni des faits personnels de l’emprun
teur, ni du vice propre de la chose. D’où naît celui-ci.
952. Les faits de l’équipage se placent dans la catégorie des faits
personnels de l’emprunteur. Causes diverses de ceux-ci.
953. Peut-on déroger à l’article 325 ? Termes de l’ordonnance
de 1681. Motifs du silence gardé par le Code. Consé
quences.
954. La convention qui mettrait à la charge du prêteur les con
séquences des faits personnels de l’emprunteur serait
nulle. Pourquoi ?
955. Quid, de la contrebande soit en France, soit en pays étran
gers?
956. Le prêteur peut-il valablement répondre du vice propre de
la chose ?
957. Droits du prêteur sur les marchandises sauvées.
958. Quid, si ces marchandises ont pu être transbordées, et si
le preneur a préféré les vendre sur la localité.
�170
DROIT MARITIME.
959. Motifs et conséquences de la différence de la rédaction de
l’article 327 de celle de l'ordonnance de 1681 réduisant
non le paiement, mais le contrat.
960. Le prêteur a-t-il action sur le produit intégral du sauve
tage, dans le cas où le chargement est supérieur à la
somme empruntée.
961. Opinion de Valin pour la négative. Le contraire enseigné
par Pothier et Emérigon.
962. Caractère juridique de ce dernier avis.
963. Arrêt d’Aix refusant le concours au preneur ayant payé
un prêt à la grosse sur le même chargement et pour le
même voyage.
964. Exception dans l’hypothèse d'un prêt sur une partie du na
vire ou sur une quotité du chargement.
965. Dans le cas de concours, le preneur est-il obligé de tenir
compte des marchandises qu’il aurait déchargées avant
le sinistre:
966. Solution de Pothier et Valin dans le cas d’une assurance.
967. Admise par Emérigon, pour le prêt à la grosse.
968. Réfutation.
040. — La chance q u i, dans le prêt à la grosse ,
menace le donneur, et en échange de laquelle il lui est
permis de stipuler un profit maritime au-delà de l'inté
rêt légal ordinaire, est celle de perdre non seulement
cet intérêt, mais encore le capital. Cette chance se réa
lise lorsque les objets affectés au prêt ont péri en en
tier, pourvu que cette perte ait eu lieu dans le temps et
dans le lieu des risques, et qu’elle soit le résultat d’une
force majeure.
Le temps des risques est l’intervalle qui sépare l’épo
que conventionnelle ou légale à laquelle le risque com-
�m
mence de courir, jusqu’à l’arrivée du navire au port de
destination. Le sinistre arrivé dans cet intervalle rem
plirait donc celte première condition de la loi ; il serait
dès lors à la charge du prêteur en tant que, résultat de
la force majeure, ce sinistre se serait réalisé dans le lieu
du risque l.
Ce dernier s’entend non seulement de la route que le
navire doit naturellement suivre dans le trajet du lieu
du départ à celui de la destination, mais encore du na
vire lui-même, toutes les fois qu’il s’agit d’un emprunt
sur facultés.
Ainsi, changer le voyage commencé et lui en substi
tuer un autre, abandonner la route directe, c’est sortir
du lieu du risque. En conséquence le sinistre qui au
rait suivi cette infraction au contrat resterait pour le
compte de l’emprunteur. Loin de porter atteinte aux
droit du prêteur, l’un ou l’autre de ces actes rendrait le
prêt immédiatement exigible en capital et profil mariti
me, ainsi que nous venons de l’établir.
La prohibition de dérouter comprend celle de rétro
grader et celle d’entrer dans un port intermédiaire, à
moins que l’acte de prêt ne stipule la faculté de faire es
cale. Mais cette clause ne concède ni le droit de faire
dans le port de relâche un séjour prolongé au-delà de
ce qu’exige l’opération qui doit s’y accomplir, ni celui
de rétrograder si le port dans lequel il était licite d’en
trer avait été dépassé.
ART. 3 2 4 , 3 2 5 , 3 2 6 , 3 2 7 .
l V.
in fra ,
art. 388.
�172
DROIT MARITIME.
Dans tous ces cas le prêt deviendrait exigible en capi
tal et profit maritime. La perte postérieurement surve
nue ne pourrait être opposée au prêteur, alors même
qu’elle serait arrivée dans la route directe reprise par le
capitaine. Sans le retard mis à la suivre, sans le temps
perdu à s’en écarter, le navire n’aurait pas rencontré le
mauvais temps qui est venu l’assaillir et dont il a été
victime.
L’entrée et le séjour dans un port d’escale, lorsqu’ils
ont été autorisés, n’entralnent pas la rupture du voya
ge et par conséquent l’exigibilité du prêt, à la condition
cependant qu’on ne puisse induire cette rupture des faits
et circonstances.
Or, l’intention de rompre le voyage pourrait résulter
d’un séjour trop prolongé dans le port d’escale , elle ré
sulterait infailliblement de l’annonce que le navire est
sous charge pour une destination autre que celle que lui
affectait le billet de grosse.
Nous trouvons un remarquable exemple d’application
de cette règle dans un arrêt de la cour d’Aix du 19 no
vembre 1830.
Le sieur Cannac, capitaine, propriétaire et armateur
du navire le s T r o is - F r è r e s , contracte un emprunt à la
grosse de 1,000 fr. pour un voyage de Marseille à Ca
yenne, et pour toute autre destination jusqu’à son re
tour à Marseille.
Le navire part de Marseille et se rend d’abord à Ca
yenne, de là il fait voile pour le Havre où il arrive
après une traversée orageuse qui nécessite des répara
�fions. Après ies avoir opérées, le capitaine faii annoncer
et publier que le navire est sous charge pour un nou
veau voyage à Cayenne.
Ne trouvant aucun fret, le navire prend, sur l’est, la
route de Marseille. Mais après une double relâche for
cée au port de La Houge, il y est déclaré innavigable et
vendu.
Actionné en paiement du billet de grosse et du profit
maritime, le sieur Cannac prétend n’être tenu que sur
le produit du sauvetage, et comme, d’après le compte
qu’il présente, les dépenses dépassent la recette, il con
clut au rejet de la demande.
Appelé à prononcer uniquement sur cette prétention,
le tribunal de commerce de Marseille déclare que le dé
biteur a en mains un excédant de recette plus que suf
fisant pour le paiement de la dette réclamée, et con
damna le sieur Cannac à ce paiement.
Celui-ci émet appel, mais, devant la Cour, l’intimé
soutient qu’il n’y a pas même lieu à examiner le comp
te ; qu’en effet, en annonçant au Havre que son navire
était sous charge pour Cayenne, le*sieur Cannac avait
rompu le voyage pour lequel le prêt à la grosse avait
été consenti ; que dès lors ce prêt était devenu exigible
et irrévocablement acquis tant pour le principal que
pour le profit maritime.
Cette prétention est consacrée par la Cour: « Attendu
que le capitaine Cannac, après être arrivé de Cayenne
au Havre, s’y est arrêté plus de deux mois et s’y est mis
sous charge pour un nouveau voyage à Cayenne ; que
�174
DROIT MARITIME.
c’est parce qu’il n’a point trouvé de chargement pour
cette nouvelle destination qu’il s’est décidé à revenir sur
lest à Marseille ; qu’il a ainsi rompu le premier voyage
et terminé le risque du billet de grosse dont il s’agit ;
que dès lors la perte du navire postérieurement au dé
part du Havre, reste étrangère au billet de grosse ;
qu’en effet, si le capitaine, au lieu de se mettre sous
charge pour un autre voyage étranger à ce billet, avait
de suite continué sa route pour Marseille /il n’aurait
point rencontré les mauvais temps qui plus tard ont fait
périr son navire ; qu’il résulte de tout ce que dessus
que le capitaine Cannac est resté débiteur personnel du
billet de grosse Z »
Ce qui était vrai pour le changement de route, ou l’a
bandon du voyage, ne pouvait pas ne pas l’être pour
la substitution du navire désigné comme porteur du ris
que. Cette désignation précise la responsabilité du prê
teur et les risques qu’il a entendu courir. Donc, trans
porter dans un autre navire les marchandises d’abord
chargées sur celui-ci, c’est altérer le contrat dans son
essence, substituer un risque au risque convenu, c’est
en un mot sortir des lieux du risque tout aussi formel
lement que par le changement de roule, ou l’abandon
du voyage.
941. — La prohibition édictée par l’article 324 ré
sultait donc virtuellement des conditions exigées par l’arI J. du P ., à sa date.
�.
T* ;, .
.
ART. 3 2 4 . 3 2 8 , 3 2 6 , 3 2 7 .
178
ticle 325 pour que la perle de la chose soit à la charge
du prêteur. Aussi le législateur de 1681, se référant à
ces conditions, ne s’était pas expliqué sur le changement
de navire. Ce silence n’avait pas eu pour résultat de
faire considérer ce changement comme licite, au con
traire, la doctrine n’admettait la continuation du risque
sur le navire substitué que lorsque cette substitution
était elle-même le résultat de la force majeure.
Cette exception pouvait elle-même être contestée, et
c’est en quelque sorte pour la consacrer que, sur la de
mande de la cour de Rennes, l’article 324 fut inséré
dans le Code.
Le projet, disait la cour de Rennes, est muet sur une
question sur laquelle on s’était déjà plaint, assez sou
vent, du silence de l’ordonnance. Dans les contrats à la
grosse sur la cargaison, le prêteur est-il responsable
lorsque cette cargaison a été reportée sur un autre na
vire? Les auteurs distinguent le chargement fait sans
nécessité de celui opéré par force majeure ; dans le pre
mier cas, le prêteur ne garantit pas l’événement ; le con
trat doit avoir son exécution, comme si les marchandi
ses avaient été sauvées ; dans le second, c’est une for
tune de mer ; la perte est au compte du prêteur et il se
rait utile de l’exprimer.
Cette utilité, reconnue par la commission, fit intro
duire dans le projet du Code corrigé la disposition de
l’article 324, que le conseil d’Etat n’hésita pas à sanc
tionner.
�176
DROIT MARITIME.
9 4 2 . — Ce qui résulte de cette disposition , c’est
que le changement volontaire du navire n’annule pas
le contrat, il en détermine au contraire l’exigibilité en
faveur du prêteur. Ce changement n’a d’autre effet que
de faire cesser le risque et de mettre les événéments ul
térieurs à la charge de l'emprunteur. L’article 324 se
borne à décharger le prêteur de toute responsabilité à
l’endroit de la perte des marchandises, fût-elle le résul
tat d’une fortune de mer. En limitant ainsi la partie du
contrat à laquelle il est dérogé, le législateur l’a par cela
même maintenu dans toutes les autres.
On pourrait dès lors trouver étrange que le prêteur
gagnât le profit maritime sans avoir de fait couru les
risques dont ce profit était le corollaire ; mais ce résul
tat n’est pas plus injuste dans notre hypothèse que dans
celle de l’abandon du voyage ou du déroutement ; dans
tous les cas, en effet, il v a eu de la part de l’emprun
teur une infraction formelle au contrat. Punir le prê
teur de cette infraction, c’était reconnaître à l’emprun
teur la faculté d’anéantir à son gré le contrat, car il au
rait pu changer de navire à quelques lieues du port de
destination et priver ainsi le prêteur d’un bénéfice en
quelque sorte acquis.
La peine de l’inexécution devait donc tomber exclusi
vement sur son auteur. Or, dit M. Locré, le profit mari
time dans cette circonstance est moins la récompense du
contrat que la peine de l’inexécution, il ne pouvait d’ail
leurs pas être que l’emprunteur imposât au prêteur, et
malgré lui, des risques dont il aurait peut-être refusé de
�se charger, s’il avait été mis à même d’exprimer une
volonté*1.
943. — L’article 324 suppose que les marchandi
ses transportées sur un navire autre que celui désigné
avaient d’abord été chargées sur celui-ci, et qu’elles
n’en ont été retirées qu’après le commencement du ris
que. Si le preneur n’avait encore rien chargé sur ce
navire, l’article 324 deviendrait inapplicable, alors mê
me que les effets affectés au fret auraient été confiés à
un autre navire, et par celui-ci transportés à la desti
nation convenue. L’absence de chargement ne serait
dans cette hypothèse que la rupture volontaire du voya
ge avant le risque commencé, et nous verrons que cette
rupture, purement facultative pour le preneur, rendrait
sans indemnité le prêt nul et de nul effet pour défaut
d’exécution, causa non secufa.
Toute rupture volontaire étant impossible après le
risque commencé, le transbordement des marchandises
sur un navire autre que celui à bord duquel elles avaient
été placées en vertu du contrat n’aurait donc d’autre ré
sultat que celui indiqué par l’article 324, à savoir,
d’exonérer le prêteur de tout risque ultérieur. Peu im
porterait que le nouveau navire fût aussi bon, meilleur
même que l’ancien. Ce résultat serait acquis alors mê
me qu’on prouverait que les marchandises qui ont péri
avec l’un auraient également péri avec l’autre.
1 Esprit
du Code de
comm., art. 324.
ni — 12
�178
il
DROIT MARITIME.
944. — Le remboursement du capital prêté et le
paiement du profit maritime seraient donc les consé
quences infaillibles du transbordement, mais ces consé
quences ne pouvaient équitablement se justifier que dans
l’hypothèse d’un fait purement volontaire de la part
de l’emprunteur. Or, tel ne serait pas le caractère de
celui qui n’aurait été que le résultat d’une force ma
jeure. Celle-ci n’est imputable à personne, chacun doit
la supporter dans la mesure de son intérêt. Donc, dans
l’hypothèse d’un transbordement par fortune de mer,
les risques continuent à courir à la charge du prêteur
et suivent les marchandises à bord du bâtiment subs
titué.
C’est ce qui se réaliserait notamment si, le navire
porteur du risque étant devenu innavigable par suite
d’échouement ou de tempête, le capitaine en avait af
frété un autre pour transporter les marchandises à leur
destination. Dans cette hypothèse, le prêteur non seu
lement continuerait à répondre des risques, mais il se
rait de plus tenu des conséquences de l’événement. Il
supporterait donc la diminution de valeur que la mar
chandise aurait éprouvée, les frais de débarquement
et de rechargement, et le surcroît du fret qu’occasion
nerait la location du second navire. Il ne pourrait se
soustraire à ces obligations qu’en établissant que l’échouement ou le naufrage est exclusivement imputable à la
faute du capitaine.
Il y aurait force majeure dans le sens de l’article 324,
si le navire porteur des risques était pris pour les be-
�ART. 5 2 4 , 3 2 5 , 3 2 6 , 3 2 7 .
179
soins de l’Etat, si le débarquement de la cargaison était
contraint et ordonné par l’autorité.
045. — Mais on devrait se garder d’assimiler à cet
ordre l’autorisation que l’autorité donnerait de passer
d’un navire sur un autre. Nous allons emprunter à Po
thier une hypothèse qui précise en même temps qu’elle
applique cette règle.
Pierre avait donné à la grosse à Jacques une certaine
somme, dans les Indes-Orientales, sur un chargement
de marchandises à bord du D u c - d e - P e n th iè v r e . Jac
ques, arrivé à l’Ile-de-France sur ce navire, passe avec
ses marchandises sur un autre vaisseau nommé le P o n
d ic h é r y , en vertu d’un ordre du gouverneur de l’Ile-deFrance, qui ordonne au capitaine de l’y recevoir, et il
fait pardevant notaire un acte de protestation , par le
quel il déclare qu’ayant été obligé, par des ordres su
périeurs, de passer avec ses marchandises sur le P o n
d ic h é r y , les risques dont le donneur Pierre était chargé
sur le D u c -d e -P e n th iè v r e devaient, à l’avenir, être
transférés sur le P o n d ic h é r y . Depuis , celui-ci fut pris
par les Anglais et le D u c - d e - P e n th iè v r e arriva à bon
port.
Pierre demanda paiement de la somme prêtée et du
profit maritime. Jacques, pour s’en défendre, soutenait
que les risques avaient été transmis sur le P o n d ic h é r y ,
et produisait un certificat de la Compagnie des Indes,
qui attestait que le gouverneur de l’Ile-de-France avait
donné ordre au capitaine du P o n d ic h é r y de le prendre
sur son bord.
�j 80
DROIT MARITIME.
Pierre répliquait que ce certificat prouvait seulement
que Jacques, qui ne pouvait passer sur le P o n d ic h é r y
sans un ordre donné par le gouverneur, avait obtenu
cet ordre ; mais qu’il ne prouvait pas qu’il y eût eu pour
lui nécessité d’y passer ; que, sans un cas de nécessité,
Jacques n’avait pas pu, sans le consentement de lui,
Pierre, changer sa condition et le soumetire aux risques
du P o n d ic h é r y au lieu du D u c -d e -F c n lh iè v r e , dont il
s’était chargé.
Par sentence de l’amirauté, du 23 juin 1758, dont
il ne fut pas même relevé appel. Jacques fut condamné
à payer capital et profitl.
9416. — La preuve de la force majeure légitimant
le changement de navire est toujours à la charge de ce
lui qui en excipe pour se libérer. Cette preuve résulte
rait de rapports réguliers du capitaine, constatant l’é—
chouement ou le naufrage ; des pièces établissant l’in—
navigabilité; delà représentation de l’ordre de l’autorité
retenant le navire pour le service de l’Etat ou prescrivant
le déchargement.
A défaut de cette preuve, le changement de navire est
réputé volontaire. En conséquence, le sinistre qui a suivi
n’est plus dans les conditions de l’article 325. Il n’a pas
éclaté dans le lieu du risque, et le prêteur doit, nonobs
tant sa réalisation, être remboursé de son capital et payé
du profit maritime convenu 2.
1 Contrat à la grosse, tv> 19
2 Pour tout ce qui concerne le changement de route, de voyage ou de
vaisseau, v. Infra, art. 351.
�»4fl(. — Il ne suffît pas que le sinistre se soit réa
lisé dans le temps et le lieu du risque, il faut encore, pour
que le preneur soit absolument libéré, que ce sinistre,
résultat d’une fortune de mer et de la force majeure,
ait entraîné la perte entière des objets affectés.
Cette perte peut provenir de la prise du navire com
me de l’échouement ou du naufrage. Mais il y a entre
ces hypothèses cette différence que la prise par un cor
saire n’est définitivement acquise à celui-ci que par la
décision qui en déclare la validité. Les droits respectifs
du prêteur et du preneur se trouvent dès lors subordon
nés à l’issue du litige.
Si le jugement déclare la prise bonne et valable, tout
est consommé, le preneur ne doit plus rien. Si, au con
traire, la prise est annulée, soit cumulativement pour
le navire et la cargaison, soit pour l’un ou pour l’autre
seulement, les prêts sur l’objet à restituer par le capteur
reprennent leur .empire, ou plutôt ils ne l’ont jamais
perdu. Leur débiteur, appelé à profiter de cette restitu
tion, ne saurait se soustraire aux justes réclamations du
prêteur l.
Dans la même hypothèse, les prêteurs prendraient les
effets restitués tels qu’ils seraient, s’ils étaient rendus en
nature. Ils ne pourraient rien prétendre, dans le cas
contraire, au-delà de la valeur que l’emprunteur rece
vrait lui-même.
i Cass., 29 juillet 1819 ; Dalloz, Nouveau Répertoire, v. Droit ma
ritime, n° 1319.
�182
DROIT MARITIME.
948. — Aux termes de l’article 369 du Code de
commerce, le délaissement en matière d’assurance est
recevable lorsque la perte ou la détérioration des effets
assurés va au moins aux trois quarts de leur valeur.
Cette règle est-elle applicable aux prêts à la grosse, et
doit-on considérer comme acquise la libération de l’em
prunteur, lorsque la détérioration ou la perte, obvenue
par fortune de mer, a atteint les mêmes proportions ?
Doit-on l’appliquer alors même que le prêteur a stipulé
la clause de franc d'avaries ?
La solution de cette question est de peu d’intérêt pour
l’emprunteur. Les droits du prêteur ne pouvant s’exer
cer que sur les effets tels qu’ils se trouvent à l’arrivée,
leur abandon libérera complètement le premier. Mais
elle a une importance réelle entre le prêteur et l’assu
reur avec lequel il aura traité pour le prêt à la grosse.
Celui-ci, en effet, ne manquera pas de contester le dé
laissement et de prétendre que l’action du prêteur con
tre l’emprunteur n’étant pas éteinte, il ne saurait être
recherché directement. C’est ce qui se réalisait dans
une espèce sur laquelle le tribunal de commerce de Mar
seille et la cour d’appel d’Aix furent appelés à appré
cier.
Il est constant, disait l’assureur , que le navire n’a
éprouvé, pendant le cours de sa navigation, que des
avaries particulières. Or, le prêteur étant franc d'ava
ries , d’après la convention , est étranger aux événe
ments ;
En second lieu , suivant l’article 325 , l’emprunteur
�n’est libéré envers le prêteur à la grosse qu’autant que
les effets sur lesquels le prêt a eu lieu sont entièrement
perdus. Or, le navire n’a point péri ; donc, le prêteur,
conservant ses droits contre l’emprunteur, n’a point
d’action contre l’assureur, puisque la condition devant
créer l’obligation de celui-ci n’est point réalisée ;
Dira-t-on que, dans l’espèce, les avaries excédant les
trois quarts, l’événement se convertit en sinistre majeur,
aux termes des articles 369 et 409 ? Mais ces articles
n’ont trait qu’au contrat d’assurance, car, outre qu’ils
sont placés au titre des assurances, l’article 325, au ti
tre des contrats à la grosse, renferme une disposition
absolument divergente, et qui exclut toute idée de sinis
tre à l’égard du prêteur, dès que la perte n’est pas en
tière et matérielle comme dans l’espèce.
Cette interprétation de l’article 325 est au moins sin
gulière. En réalité, cet article ne dit pas autre chose, si
non que, dans le cas de perte entière, l’emprunteur sera,
par cela même, absolument libéré. Cela peut-il signifier
qu’en cas de perte partielle l’emprunteur sera intégra
lement tenu jusqu’à concurrence du capital prêté ? Non
évidemment, puisqu’il est de l’essence du prêt à la
grosse que, si les effets affectés au contrat périssent en
partie, le prêteur n’aura plus de droits que sur ce qui
en reste.
Dans cette hypothèse donc, l’emprunteur ne sera li
béré que proportionnellement au déficit résultant de la
valeur des effets restant, c’est-à-dire qu’il restera débi
teur jusqu’à concurrence de cette valeur. Il ne pourra
�184
DROIT MARITIME.
donc être libéré qu’en abandonnant cette valeur, tandis
que, dans l’hypothèse de l’article 325, il n’a aucun
abandon à faire. La perle totale est sa décharge pleine
et entière.
Donc le prêteur, qui a fait assurer le prêt et qui pré
tend opérer le délaissement en cas de perte excédant les
trois quarts, ne saurait être empêché de le faire. De lui
à l’assureur, l’application de l’article 369 est incontes
table. Tout ce que peut réclamer celui-ci, c’est d’être
substitué aux droits du prêteur contre l’emprunteur,
et cette substitution résulte de plein droit du délaisse
ment.
Il est vrai que le prêteur peut s’exonérer de la charge
des avaries particulières, et que cette exonération résul
terait de la clause franc d'avaries. Mais l’article 409 ne
considère pas comme telle celle qui absorbe les trois
quarts de la valeur. Celle-ci est un sinistre majeur
donnant lieu au délaissement, et partant laissant sans
effet la clause franc d’avaries. Or, ne pas appliquer cet
article aux prêts à la grosse, ce serait méconnaître l’es
prit de la loi et autoriser le prêteur à s’affranchir indi
rectement du risque que la loi lui impose impérieuse
ment.
Aussi le système de l’assureur , dans l’espèce que
nous citons, condamné d’abord par le tribunal de com
merce de Marseille, le fût définitivement par la cour
d’Aix. L’arrêt du 5 décembre 1827 repousse l’effet de la
clause franc d’avaries par l’application de l’article 409,
et déclare, conformément à la doctrine ancienne, que
�l’article 369 régit l’assurance d’un prêt à la grosse.
On pourrait vouloir induire la doctrine contraire d’un
arrêt que la Cour de cassation rendait le 9 mars 1869.
mai» en consultant cet arrêt on arrive facilement à re
connaître qu’il n’autorise et ne justifie en rien cette con
clusion.
Il est vrai qu’en reproduisant cet arrêt, le Journal
du Palais le fait précéder du sommaire suivant :
« Le prêteur à la grosse sur corps de navire qui a
fait assurer sa créance n’a aucun recours à exercer con
tre ses assureurs, lorsque le navire est arrivé à destina
tion, encore bien que ce navire soit devenu innaviga
ble, et, qu’abandonné par le capitaine et mis en vente,
il ait produit un prix inférieur de plus de trois quarts
de la somme assurée, ces faits étant exclusifs de la perte
entière qui, seule, d’après l’article 325 du Code de com
merce, entraîne, au préjudice du prêteur, la perte de la
créance.
« Il en est ainsi surtout lorsqu’il résulte de la police
que l’assurance n’a eu pour objet que l’éventualité de la
perte de la créance, comme conséquence de la perte
entière, par cas fortuit, des objets sur lesquels le prêt a
été fait. »
Mais ce sommaire rend inexactement la pensée de
l’arrêt et tend à lui donner le caractère d’arrêt de doc
trine, alors qu’en réalité il n’est qu’un arrêt d’espèce.
En effet, le jugement du tribunal de commerce du Ha
vre, que la cour de Rouen confirme par adoption des
motifs, est absolument muet au point de vue de l’article
�186
DROIT MARITIME.
369. Ce qui détermine le rejet de l’action du prêteur,
ce sont d’une part les termes de la police indiquant que
les parties n’ont prévu et entendu prévoir que l’éven
tualité de la perte de la créance comme conséquence de
la perte entière, par cas fortuit, des objets sur lesquels
le prêt était affecté ; d’autre part, que les assureurs n’a
vaient pas garanti les avaries particulières : qu’enfin,
quelque considérables que pussent être celles que le na
vire avait souffertes, elles ne l’avaient pas empêché d'ar
river à destination plus ou moins diminué de valeur,
mais encore entier, l’innavigabilité n’ayant été que la
conséquence de l’impossibilité de se procurer les fonds
exigés par la réparation des avaries.
Ce sont ces constatations de fait qui seules détermi
nent le rejet du pourvoi. Voici en effet comment la Cour
de cassation motive ce rejet :
« Attendu, en droit, qu’aux termes de l’article 325
du Code de commerce la somme prêtée à la grosse ne
peut être réclamée que si les effets sur lesquels le prêt
était fait sont entièrement perdus, et que si la perte est
arrivée par cas fortuit dans le temps et le lieu des ris
ques ;
« Attendu que l’article 334 du même Code autorise
l’assurance des deniers prêtés à la grosse, et que c’est
une assurance de cette nature qui a été contractée en
faveur des frères Quesnel, tiers porteur de la lettre de
grosse consentie par le capitaine du navire la Gironde;
qu’il résulte des stipulations de la police r appelées et
a ppr éc ié es souverainem ent par l’arrêt attaqué , que
�a rt . 324, 32b, 326, 327.
187
c’est contre l’éventualité de la perte de la créance com
me conséquence de la perte entière, par cas fortuit, des
objets sur lesquels le prêt était affecté, que les deman
deurs ont voulu se prémunir au moyen de l’assu
rance ;
« Attendu que ce risque ne s’est pas réalisé ; que
l’arrêt constate que les effets sur lesquels le prêt était
fait, c’est-à-dire le navire et ses accessoires, sont arri
vés à Maurice, terme du risque, que par ce fait la cré
ance est demeurée intacte et devenue exigible, et les as
sureurs ont été libérés des obligations qu’ils avaient con
tractées envers Quesnel frères ;
« Attendu qu’il est objecté par les demandeurs que,
si la police d’assurance a été contractée franche d’ava
ries particulières, cette clause reste sans effet aux ter
mes de l’article 369 du Code de commerce. Dans les
cas qui donnent ouverture au délaissement, c’est-à-dire
lorsque la détérioration résultant de l’avarie particulière
excède les trois quarts de la valeur assurée, et que dans
l’espèce le navire la G iro n d e , vendu à Maurice, n’a pro
duit qu’une somme inférieure aux trois quarts de la va
leur assurée ;
« Mais attendu, sa n s q u 'il s o it b e s o in d 'e x a m in e r en
d r o it s i l ’a r ti c l e 369 e s t a p p lic a b le à l'a s s u r a n c e des
d en iers p r ê té s à la g ro sse , qu’il suffit de rappeler que
l’affirmation des demandeurs n’est nullement justifiée,
et qu’il ne résulte ni des documents produits devant la
Cour, ni des constatations de l’arrêt attaqué, que la
�188
DROIT MARITIME.
perte résultant de la fortune de mer excédât les trois
quarts de la valeur assurée K »
Ainsi la Cour ne croit pas devoir examiner si, en ma
tière d’assurance d’un prêt à la grosse, l’article 369 est
applicable. Dès lors, inférer la négative de son arrêt,
c’est se tromper étrangement sur le caractère de cet ar
rêt, et lui supposer une portée qu’il ne comporte nulle
ment.
Qu’aurait décidé la Cour si elle fût entrée dans l’exa
men de la question ? Nous sommes d’autant plus portés
à croire qu’elle se fût prononcée pour l'affirmative, que
celle-ci, enseignée sous l’ancien droit par Emérigon, est
unanimement adoptée par la doctrine modernes.
— Le même arrêt décide que les frais de dé
chargement et de séjour pour mettre le bâtiment en état
de continuer sa route, que l’achat de nouvelles victuail
les, lorsqu’un événement de mer a fait corrompre les
anciennes, en un mot, que toutes les dépenses qui sont
la suite directe et immédiate de fortunes de mer doivent
entrer dans l’appréciation ayant pour objet de déter
miner si la détérioration excède ou non les trois quarts.
949.
— Enfin , la deuxième condition exigée par
l’article 325, est que l’événement qui a occasionné la
perte ait été déterminé par la force majeure. En appli950.
1 J. du P., 1869, 620.
2 V. en note de l'arrêt l'indication des autorités dans ce sens.
�quant la même règle au contrat d’assurance, l’article
350 énumère les cas constitutifs de la force majeure.
Malgré le silence gardé à cet égard par l’article 325, il
n’est pas douteux que la force majeure dont il est ques
tion ne soit identiquement la même que celle énoncée
dans l’article 350. L’intention du législateur résulte sur
tout de cette circonstance que c’est pour éviter qu’on s’y
méprenne, que la commission proposa et fit adopter
l’article 326.
L’article 350 est donc le développement naturel de
l’article 325. Les événements qui exonéreraient la res
ponsabilité de l’assureur feraient également disparaître
celle du prêteur. Ainsi le sinistre qui ne serait imputable
qu’à la faute, à la prévarication, à l’impéritie du capi
taine resterait à la charge de l’emprunteur. Le prêteur
sera| donc fondé à exiger son capital et le profit mari
time, sauf à l’emprunteur son recours contre le capi
taine et les armateurs ou propriétaires du navire, civi
lement responsables des faits de ce dernier.
951. — A plus forte raison le prêteur ne pouvait-il
répondre du fait personnel de l’emprunteur et du vice
propre de la chose ; cela n’avàit pas besoin d’être ex
pressément prévu par la loi ; il découlait naturellement
et nécessairement du privilège consacré par l’article 325.
Le fait personnel du preneur, le vice propre de la chose
ne pouvaient être confondus avec la force majeure. Ré
duire à celle-ci la responsabilité du prêteur, c’était donc
l’exclure pour les autres. Aussi, nous venons de le dire,
�190
DROIT MARITIME.
le principal objet de l’article 326 a-t-il été de dissiper
tout doute sur l’application de l’article 350 aux prêts à
la grosse l.
Il y aura vice propre pour le navire, si la perte ne
provient que de sa caducité, parce que ses principaux
membres étaient viciés et hors de service, soit par l’ef
fet de leur vieillesse, soit que, gravement atteints par de
précédentes fortunes de mer, ils n’aient pas reçu les ré
parations nécessaires suffisantes. Dans tous les cas, le
sinistre est à la charge exclusive du preneur, alors mê
me qu’il prouverait que le navire a essuyé des coups de
vent ou de mer capables d’incommoder un meileur na
vire 3.
La chose est atteinte d’un vice propre, toutes les fois
que par sa qualité ou sa nature elle porte en elle-mê
me un germe de destruction. Mais l’article 326 ne se
restreint pas à cette hypothèse. Il admet comme consé
quence d’un vice propre, toute détérioration qui ne pui
se pas son origine et sa cause dans un événement de
mer. Ainsi, comme l’observait Valin, que des soieries se
piquent que des vins s’aigrissent, que des barriques
d’eau-de-vie, d’huile ou de tout autre liquide coulent,
pourvu que ce dommage ne soit pas arrivé par une
suite de tempête ou de toute autre fortune de mer, il ne
retombe pas sur le prêteur, et ne l’empêche pas de tou
cher son capital et le profit maritime.
1 Locré, Esprit du Code de commerce, art. 336.
2 V alin, art. 4 î, lit. C o n tra ts à la g ro sse.
�058 . — On doit ranger dans la catégorie des actes
personnels à l’emprunteur le fait du capitaine et celui
des gens de l’équipage. Ainsi le prêteur est à l’abri de
toute responsabilité pour le dommage provenant de ce
que le capitaine a négligé de prendre un pilote, de ce
qu’il n’a pas évité l’ennemi quand il le pouvait ; de ce
qu’il n’a pas pris les précautions prescrites par les ré
glements pour éviter les incendies ; de ce que, au lieu
de se borner à relever son navire échoué en cours de
voyage et d’en faire l’abandon au prêteur, il y a fait
faire mal à propos des réparations au moyen de nou
veaux emprunts à la grosse qui ont plus qu’absorbé la
valeur du navire K II en serait de même pour toutes
les soustractions ou malversations des membres de l’é
quipage.
Le fait direct de l’emprunteur peut être le résultat
d’une fraude, d’une négligence, d’une contravention aux
lois.
Il y a fraude si l’emprunteur, connaissant le vice de
la chose qu’il affecte à l’emprunt, l’a dissimulé, en pré
sentant la chose comme bonne et exempte de défauts.
Celui qui emprunte sur un navire qu’il sait être hors
d’état de naviguer, sur des marchandises avariées ou
détériorées, ce qu’il n’ignorait pas, ne saurait dans au
cun cas profiter de sa coupable dissimulation et s’en
faire un titre.
Il y a négligence lorsque, sans être instruit de l’état
i Aix, 25 janvier 4 832.
�192
DROIT MARITIME.
du gage qu’il affecte à l’emprunt, le preneur n’a pas
cherché à le vérifier, ou n’a pas pris les mesures indis
pensables pour en assurer la conservation et les précau
tions nécessaires pour le garantir des accidents ordinai
res pendant le cours du voyage.
Enfin, il y a contravention à la loi toutes les fois que
l’emprunteur aura enfreint les règles prohibitives sur
l’importation ou l’exportation.
Quel qu’en ait été le mobile, le fait personnel de
l’emprunteur reste à sa charge exclusive. Le sinistre qui
en a été la conséquence ne peut être opposé au prê
teur. Après comme avant, il n’en doit pas moins être
intégralement remboursé en principal et profit mari
time.
953. — Peut-on valablement déroger à la disposi
tion de l’article 326 ? L’affirmative semblait résulter de
l’ordonnance de 1681. Elle ne déchargeait, en effet, le
prêteur des conséquences du vice propre de la chose et
des faits personnels de l’emprunteur, que s'il n'était
autrement parlé par la convention l.
La commission du Code avait adopté la même restric
tion. Mais le conseil d’Etat la fit disparaître. Ce qui res
sort néanmoins delà discussion, c’est que la suppres
sion en fut consacrée moins sous le rapport de l’illéga
lité de la clause, que sous celui de l’inutilité de s’en pré
occuper. En cette matière, comme dans toutes celles qui
i Ait. 12, titre des Contrati à la Grotte,
�ART.
324, 32b, 326, 327.
193
n’intéressent en rien l’ordre public et les bonnes mœurs,
le droit commun permet aux parties de faire telles sti
pulations qu’elles jugent convenables ou utiles.
Or, le contrat à la grosse n’a qu’un seul point de con
tact avec l’ordre public, à savoir, son caractère essen
tiellement aléatoire. Ce qu’il faut prévenir et empêcher,
c’est qu’il ne dégénère en contrat usuraire. Or, loin d’of
frir ce danger, la stipulation aggravant le risque à la
charge du prêteur rentre dans l’esprit de la loi ; elle ne
pouvait donc être prohibée.
Aussi est-il généralement admis en doctrine et en ju
risprudence que le prêteur peut prendre à sa charge la
baratterie du patron, et répudier ainsi la faveur que lui
concède l’article 326, en l’en affranchissant. Mais la ga
rantie résultant de la convention n’est licite pour le prê
teur, et ne produit d’autres effets que dans les cas et
aux conditions prévues pour ce qui concerne l’assureur.
0 5 4 . — En même temps qu’on reconnaît au prê
teur la faculté de prendre à ses risques la baraterie du
patron, on considère comme illégale et nulle la conven
tion qui mettrait à sa charge les faits personnels de
l’emprunteur. Une convention de ce genre, a-t-on dit,
serait contraire à l’essence du contrat à la grosse.
Nous adhérons à la conclusion, sans en admettre le
motif, nous l’avons déjà dit, tout ce qui tend à aggra
ver le risque reste parfaitement dans l’essence du con
trat, loin de le violer. Or la convention que nous sup
in — 13
�194
DROIT MARITIME.
posons ne serait en réalité qu’une grave, qu’une énor
me aggravation.
Sa nullité est donc ailleurs que dans les principes
spéciaux du contrat à la grosse ; ce qui la justifie c’est
l’application des règles générales en matière de contrat.
La loi a sagement proscrit en toute matière la condi
tion potestative qui rend l’une des parties l’arbitre sou
verain de l’événement. Or, tel serait évidemment le ca
ractère de la convention qui imposerait au prêteur la
responsabilité des faits personnels de l’emprunteur. Ce
dernier pourrait, à son gré, déterminer le sinistre et se
libérer ainsi de toute obligation.
Oôô. — La convention serait donc nulle comme
faite sous condition potestative Ce motif nous conduit à
signaler une différence entre le fait entaché de fraude ou
produit par la négligence, et celui constituant une con
travention à la loi.
Cette contravention ne peut s’entendre que de celle
qui aurait pour objet d’éluder ou de violer la loi fran
çaise. Ainsi, la contrebande à l’étranger pourrait faire
l’objet d’un emprunt à la grosse valable. De tout temps,
en effet, on a pu la faire assurer. L’usage de faire le
commerce de contrebande chez ses voisins, disait Emérigon, est devenu pour ainsi dire le droit commun des
nations, les étrangers le pratiquent à notre égard. En
déclarant valables les assurances faites en pareil cas,
nous ne faisons donc qu’user de justes représailles.
La chance de confiscation pouvant être laissée à la
�v |r£ v .‘ ’ ■
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ART.
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324, 325, 326, 327.
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195
charge de l’assureur, il est évident que la clause par la
quelle le prêteur en assumerait le risque devrait sortir
son plein et entier effet, il n’aurait donc aucune récla
mation à adresser à l’emprunteur, si la marchandise
dont la nature lui aurait été déclarée était saisie et con
fisquée à son arrivée dans un pays étranger, et en vertu
des lois qui le régissent.
Il en serait autrement de la stipulation mettant à la
charge du prêteur la confiscation pour contrebande en
France, et au mépris de la loi française ; une pareille
clause serait nulle, non comme contraire à l’essence du
prêt à la grosse, puisque la chance d’être découvert et
saisi n’est qu’un risque nouveau réuni aux risques or
dinaires de la navigation.
Le fondement de cette nullité repose tout entier sur
l’illégalité de la cause de l’obligation. La loi ne pouvait
permettre qu’on transigeât sur sa violation, et recon
naître un lien quelconque à une stipulation reposant sur
son inexécution ; elle s’en est formellement expliquée
dans l’article 1131 du Code civil.
Ainsi, toutes les fois que le contrat offrira une condi
tion potestative ou aura une cause illicite, il ne peut
sortir à effet, en vertu des principes généraux du droit,
et non pas seulement comme contraire à l’essence du
prêt à la grosse.
« 5 6 . — La responsabilité du vice propre de la cho
se ne présente ni l’un ni l’autre de ces caractères, il
semblerait, dès lors, qu’elle ne pourrait offrir de diffi-
�196
DROIT MARITIME.
cultés ; et que le prêteur qui l’a sciemment et volontai
rement acceptée devrait subir les conséquences de sa vo
lonté.
On a cependant distingué. Le contrat, a-t-on d it,
devrait être annulé s’il portait sur le vice existant avant
le départ du navire. On devrait, au contraire, le main
tenir si le prêteur n’avait garanti que le vice que les
marchandises chargées peuvent contracter pendant le
voyage. Cette distinction invoque en sa faveur l’opinion
d’Emérigon 1.
Malgré l’autorité si justement acquise à ce célèbre ju
risconsulte, nous oserons n’être pas de son avis, nous
n’admettons dans aucun cas que la loi ait pu ou voulu
se montrer plus jalouse de l’intérêt du prêteur que le
prêteur lui-même.
Nous l’avons déjà dit, l’aggravation du risque à la
charge du prêteur rentre dans les prévisions légales du
contrat, loin d’en altérer ou d’en méconnaître l’essence,
il importe peu, dès lors, que celte aggravation résulte
des circonstances et des périls de telle ou telle naviga
tion, ou de la nature des objets mis en risques.
Ce qui n’aurait été ni juste, ni raisonnable, c’est que
le prêteur répondît des pertes occasionnées par le vice
propre de la chose, lorsque l’existence de ce vice lui a été
dissimulée, c’est à cette seule et unique hypothèse que ce
réfère l’article 326.
Si le vice a été indiqué, s’il a fait la matière d’une
I Des Contrats à la grosse, ehap. 7, sect, 2, %2.
�ART.
324, 325, 526. 327.
197
clause spéciale du contrat, en vertu de quel principe re
lèverait-on le prêteur de son engagement. L’intérêt pu
blic, les bonnes mœurs n’ont rien à demêler avec cet
engagement. Le prêteur pouvait le refuser ; s’il l’accep
te, c’est qu’il a cru pouvoir en tirer un profit quelcon
que, il n’y a vu qu’une spéculation plus ou moins chan
ceuse, dont il aura le soin de se faire escompter les dan
gers.
Il est évident, en effet, que s’il s’agit d’un vice tel
que le voyage doive amener fatalement, inévitablement
la perte des objets qui en sont atteints, le prêteur se gar
dera bien d’en assumer les risques ; il n’acceptera donc
cette responsabilité que lorsque le vice existant en prin
cipe permettra de croire et d’espérer qu’un prompt et
heureux voyage, que des soins spéciaux pourront en at
ténuer les effets, en prévenir les développements.
C’est là, il faut en convenir, une chance aléatoire es
sentiellement propre à devenir la matière d’un contrat
de grosse. Sans doute, elle offre un danger de plus, mais
celle éventualité pèsera d’un grand poids dans la déter
mination du taux du profit maritime.
En réalité donc, la responsabilité du vice propre ex
posera le prêteur à une perte plus imminente, plus pro
bable, mais elle lui offrira la chance de gagner beaucoup,
non seulement il exigera un taux très élevé, mais il aura
soin de n’avancer qu’une somme qui, eu égard à la va
leur des objets affectés, laissera une large marge à la
perte pouvant être occasionnée par le vice propre. On
ne saurait donc voir, dans une opération de ce genre ,
�198
DROIT MARITIME.
que le prêt à la grosse avec tous ses caractères essentiels.
On ne pouvrait dès lors l’annuler.
— Dans tous les cas, la perte entière du gage
affecté libère absolument l’emprunteur, il n’est plus tenu
même de rembourser le capital. C’est que le prêt à la
grosse est fait bien plutôt à la chose qu’à la personne,
et que celle-ci n’est tenue qu’à raison et à l’occasion de
la première.
De là, cette conséquence consacrée par l’article 327,
que dans le cas de naufrage les droits du préteur grè
vent les choses sauvées, mais jusqu’à concurrence de
leur valeur seulement, l’emprunteur n’est jamais tenu
au-delà.
Ce que cet article prescrit pour le cas de naufrage,
doit être suivi dans tous les cas de sauvetage après for
tune de mer, et alors même que l’accomplissement du
voyage serait impossible.
Ainsi, dans l’hypothèse d’un prêt sur chargement, à
quelque époque et dans quelque lieu que le navire soit
devenu innavigable, les marchandises mises à terre sont
en réalité sauvées. Le prêteur est réduit à se payer sur
la valeur qu’elles produiront, si elles sont vendues sur
la localité.
95*.
— Mais nous avons vu que l’innavigabilité du
navire autorise le transbordement, et que le risque con
tinue d’être à la charge du préteur sur le navire substi
tué. Or5 ce transbordement n’est pas seulement faculta958.
�ART.
324, 328, 326, 327.
199
tif.il est obligatoire. L’emprunteur qui, pouvant embar
quer ses marchandises sur un autre navire et accomplir
le voyage, préférerait les vendre sur la localité, rom
prait volontairement le voyage , il serait dès lors tenu
non seulement au remboursement du capital intégral,
mais encore au paiement du profit maritime tel qu’il a
été convenu.
— Du principe qu’en cas de naufrage, ou de
tout autre accident de mer, les droits du prêteur se ré
duisent à la valeur des effets sauvés, il résulte que l’em
prunteur est totalement libéré en abandonnant cette va
leur. Il y a, entre l’article 327 du Code, et l’article 17,
titre S, livre 3, de l’ordonnance, une nuance qu’il im
porte de saisir, le premier dispose : En un cas de nau
frage, le paiem ent des sommes empruntées à la grosse
est réd u it , etc... L’ordonnance déclarait que dans le
même cas, les contrats à la grosse seraient r éd u it s .
Réduire les contrats, disait Pothier, c’est comprendre
toutes les obligations qu’ils renferment, l’obligation de
rendre la somme prêtée et celle de payer le profit mari
time. Toutes ces obligations sont réduites à la valeur des
effets sauvés, le prêteur ne peut donc demander pour
tout ce qui lui est dù par le contrat que la valeur des
effets sauvés, et rien de plus, il ne peut donc pas de
mander un profit maritime outre la valeur des effets
sauvésl.
959.
i Prit à la grotte, n®4»
�200
DROIT MARITIME.
La conclusion de Pothier est éminemment juridique
et juste dans l’hypothèse où la valeur des effets sauvés
est inférieure ou à peine égale au capital prêté, non seu
lement le prêteur ne peut exiger un profit maritime,
mais il doit, en outre, en cas d’insuffisance, supporter
jusqu’à concurrence la perte de la partie du capital res
tant en découvert. C’est là la conséquence du caractère
de réalité que sa nature affecte au prêt à la grosse.
Mais si la valeur des effets sauvés excédait le capital,
et pouvait solder le profit maritime en tout ou en partie,
quelle raison pourrait-on imaginer pour interdire au
prêteur le droit de s’appliquer à ce titre tout ce qui ex
céderait le capital jusqu’à entier paiement du profit ma
ritime qui lui est dû ? L'exercice de ce droit restait
évidemment dans les limites de la loi, qui n’a jamais
voulu autre chose, si ce n’est soustraire aux exécutions
du préteur les biens de l’emprunteur, autres que ceux
qu’il a affectés au prêt.
C’est pourtant ce qui pouvait s’induire des termes de
l’ordonnance qui, en réduisant les contrats, semblaient
anéantir la partie pouvant s’appliquer aux effets perdus
et n’accorder le profit maritime qu’à proportion du sau
vetage.
C’est précisément ce que les rédacteurs du Code n’ad
mettaient pas. Voilà pourquoi l’article 327 réduit non
le contrat, mais le paiement, c’est-à-dire que la créance
du prêteur en capital et profit maritime existe par le
seul fait du départ, elle doit donc être payée, seulement
le paiement ne pouvant être exigé que sur la valeur des
�ART.
324, 325, 326, 327.
201
effets sauvés, l’étendue de cette valeur détermine celle
du paiement lui-même.
Ainsi, depuis le Code, le doute n’est pas permis ; si
la valeur des effets sauvés dépasse le capital, elle est
d’abord imputée sur ce capital. L’excédant est destiné
à couvrir en tout ou en partie le profit maritime con
venu ;
Si cette valeur est égale ou inférieure au capital, le
prêteur supporte la perte du profit maritime et celle de
la partie du capital restée à découvert, il n’a , à raison
de ce, aucune action ni contre la personne, ni sur les
autres biens de l’emprunteur.
900. — Cette solution donne un grave intérêt à la
question de savoir sur quelles proportions doit s’établir
la valeur à laquelle le prêteur peut prétendre, dans l’hy
pothèse d’un chargement de beaucoup supérieur à la
somme empruntée.
J’ai prêté 3,000 fr. sur un chargement de 10,000 fr.
A la suite d’un naufrage, on a sauvé pour 5,000 fr. de
marchandises. Puis-je réclamer mon paiement sur l’in
tégralité de ces 5,000 fr., ou bien, y a-t-il entre l’em
prunteur et moi un concours sur la valeur sauvée à rai
son de 3(10 pour moi et de 7{10 pour lui?
— Valin se prononce pour le concours, e t,
ce qui le décide, c’est que ce concours est de rigueur
en matière d’assurance, qu’il y a donc juste motif de
961.
�202
DROIT MARITIME.
décider pour l’emprunteur ce qu’on décide pour l’as
suré
Pothier a victorieusement répondu à Valin, et détruit
ses arguments. Il enseigne, en conséquence, qu’il ne
saurait exister de concours entre le donneur et le pre
neur, telle est également l’opinion d’Emérigon 2.
L’un et l’autre se fondent sur ce que la loi n’a nul
lement interdit de prêter à la grosse sur une valeur plus
considérable que la somme empruntée. On peut donc
très légalement affecter un chargement de 12 de 20,000
fr. à un prêt de 4 ou 5,000 fr., et même moins.
Cette affectation pèse sur la totalité du gage atteint indivisiblement, il est dès lors évident que le débiteur
n’a rien à y prétendre tant que le créancier n’est pas
intégralement payé, le contraire leur parait blesser tous
les principes : Conlenlio super prœlatione non agitur
inter creditorem et debitorem, sed inter creditores
ipsos.
0 6 8 . — La doctrine moderne s’est ralliée à l’avis
de Pothier et d’Emérigon, qui avait prévalu en jurispru
dence, même sous l’empire de l’ordonnance. Or, ce qui
était licite alors n’a pas cessé de l’être aujourd’hui.
Loin de prohiber de prêter sur objets excédant la som
me prêtée, le Code le suppose notamment dans l’article
i Art. 17 et 18, titre des Contrats à la grosse.
s Pothier, Prêt à la grosse, n° 49, Emérigon, ibid., ch. xi, sect. 2 ;
�203
331. Eu effet, si le gage ne pouvait jamais être plus con
sidérable que la somme empruntée, il serait impossible
de prévoir un concours entre prêteurs et assureurs, l’as
surance contractée par l’emprunteur sur des objets déjà
affectés à un prêt étant illégale et nulle.
Sans doute, la chance du sauvetage s’exerçant sur une
plus vaste échelle est avantageuse au prêteur, dont il
amoindrit les risques, mais le produit du sauvetage n’est
pas toujours en rapport avec la quantité de marchandi
ses embarquées, et ne cesse pas d’être aléatoire dans tous
les cas ; d’ailleurs, comme l’observe Polhier, il est per
mis de croire que celte chance de profit a dû être prise
en considération dans la détermination du taux du pro
fit maritime.
ART.
324, 523, 326, 327.
— La règle de l’impossibilité du concours en
tre le donneur et le preneur doit recevoir son applica
tion, alors même que ce dernier prétendrait agir du chef
d’un créancier auquel le droit de concourir n’aurait pu
être contesté. Exemple, un armateur a contracté deux
emprunts sur les mêmes effets et pour un même voya
ge, l’un de ces emprunts, payable pendant le voyage, a
été payé par l’armateur. Le sinistre se réalisant après,
cet armateur excipe de ce paiement et demande à venir
en concours sur le produit du sauvetage, comme subro
gé aux droits du prêteur qu’il a désintéressé.
Cette difficulté, soulevée devant le tribunal de com
merce de Marseille, y a été résolue contre l’emprunteur.
Le jugement observe , avec raison , qu'on ne peut être
963.
�304
DROIT MARITIME.
subrogé à des droits contre soi-même ; que, dès lors,
le paiement fait par le débiteur ayant entièrement et dé
finitivement éteint la dette, il ne peut appartenir à ce
débiteur de la faire revivre dans son intérêt. Ce juge
ment, déféré à la cour d’Aix, fut confirmé par arrêt du
19 novembre 1830.
Quelle que soit donc la valeur des effets chargés dans
le cas d’un prêt affecté sur facultés en général, les mar
chandises sauvées répondent tout d’abord de la dette. Le
prêteur ne peut être tenu de concourir qu’avec les au
tres prêteurs, s’il en existe, ou qu’avec les assureurs,
aux termes de l’article 331.
964. — Mais il en serait autrement dans l’hypo
thèse d’un prêt affectant seulement une quotité du char
gement. L’emprunteur n’ayant engagé que la moitié, le
tiers ou le quart, le prêteur n’a jamais eu de droits sur
la partie réservée. En conséquence, il ne saurait, sous
aucun prétexte, se la faire attribuer. Ce qui lui appar
tiendra , c’est exclusivement la moitié, le tiers ou le
quart des effets sauvés, selon la proportion affectée à
l’emprunt.
Ainsi encore, celui qui n’aurait prêté que sur les corps
et quille, ou sur agrès et apparaux, ou sur agrès et vic
tuailles, ne pourrait revendiquer que la valeur des dé
bris de la partie affectée. Le reste appartiendra au pre
neur exclusivement.
965.
— Le chargement au-delà des effets affectés
�peut donner naissance à une difficulté d’un autre genre.
Celui qui emprunte sur l’intérêt qu’il a dans le charge
ment d’un navire désigné n’est obligé de mettre en ris
que que jusqu’à concurrence de cet intérêt même. S’il
en a chargé d’avantage, le double par exemple, pourrat-il, lorsque surtout le contrat l’autorise à faire échelle,
débarquer en route l’excédant, sans que, en cas de perte
ultérieure du navire, il soit obligé de rembourser au prê
teur une partie proportionnelle à la portion du charge
ment débarquée et dès lors sauvée ?
Il est évident que si le sinistre se réalisait avant tout
déchargement, et qu’il occasionnât la perte de la moitié
du chargement total, le prêteur ne perdrait que la demi
du prêt, puisque la partie sauvée devrait se répartir par
égale part entre le preneur et lui.
Or, lorsque le sinistre a lieu après que l’emprunteur
a déchargé sa moitié, la perte entière du restant ne
comprendra, en réalité, que la perte de la moitié du
chargement total. Cependant, c’est le prêt intégral qui
serait anéanti, si le prêteur ne pouvait exiger du pre
neur qu’il lui tint compte à proportion des marchandi
ses par lui débarquées. On voit facilement par là l’inté
rêt qui s’attache à la solution de notre question.
— Valin et avec lui Pothier , l’examinant au
point de vue du contrat d’assurance, n’hésitent pas à la
résoudre contre l’assureur et en faveur de l’assuré. L’as
sureur, disent-ils, n’a jamais couru que le risque de la
somme assurée. En chargeant davantage, l’assuré a don*
966.
�206
DROIT MARITIME.
né naissance à une communauté de risques. Tant que
celte communauté dure, l’un et l’autre courent le risque
dans la même proportion que l’intérêt qu’ils ont. Le ris
que se réalisant, chacun ne peut supporter que sa part.
Ainsi, s’il s’agit d’une assurance de 1,000 fr. sur un
chargement de 3,000, l’assureur ne sera jamais tenu
que du tiers.
Quoi, s’écrie Valin, parce que le chargement était de
3.000 liv., et qu’ainsi les parties sans le savoir peut-être,
ou du moins sans intention de contracter une société,
ont couru les risques de ce chargement l’un pour deux
tiers, l’autre pour un tiers, il faudra nécessairement
que cet ordre soit gardé jusqu’à l’arrivée du navire à sa
destination ? Eh ! où est la loi qui l’ordonne ?
Supposons que l’assuré , après avoir fait assurer
1.000 liv. sur son chargement de 3,000 liv., eût fait
assurer le reste par deux autres personnes, dans la mê
me hypothèse de l’arrivée dans un port intermédiaire,
ne lui aurait-il pas été libre, de concert avec les autres
assureurs, d’y faire finir leur assurance et d’y déchar
ger les deux tiers du chargement, sans que le premier
assureur y trouvât lieu à redire ? Si cela est, comment
ne le pourrait-il pas lorsqu’il est lui-même son propre
assureur1?
— Emérigon, qui est de l’avis de Yalin et de
Pothier à l’endroit de l’assurance, applique la même
069.
l Art 36, tit. des Assur.- Pothier, Assur., n° 80.
�ART.
324, 32», 326, 327.
207
doctrine au contrat à la grosse. Le preneur, dit-il, n’est
obligé de mettre des effets en risque que jusqu’à concurence de la somme empruntée à la grosse. S’il en met
davantage, il accroît volontairement le gage du donneur,
mais cet accroissement volontaire de sa part n’est pas
irrévocable. Il dépend de lui, dans le cours du voyage,
de décharger ce surcroit de marchandises, sans que le
donneur puisse s’en plaindre.
« L’article 14, titre des contrats à la grosse, dit que
le chargeur qui aura pris de l’argent à la grosse ne sera
point libéré par la perte du navire et du chargement,
s’il ne justifie qu’il y avait pour son compte des effets
jusqu’à concurrence de pareille somme ; d’où il suit que
si le preneur justifie que lors du sinistre il y avait pour
son compte des effets jusqu’à concurrence de la somme
reçue à la grosse, il est libéré de toute obligation, et le
contrat sera réduit, vis-à-vis du donneur, à la valeur
des effets sauvés du naufrage lui-même l. »
968. — M. Delvincourt adopte cet avis. Nous ferions
comme lui, mais, à une condition, à savoir, que l’excé
dant fût resté distinct et séparé de la quotité affectée au
prêt, comme si celui-ci avait été fait sur une partie de
marchandises déterminées, sur cent barriques de vin, par
exemple, ou sur une partie nouveautés. Rien ne saurait,
dans ce cas, empêcher l’emprunteur de disposer à son
gré de tout ce qui serait en dehors de cette partie.
1 Contrat à la grotte, ch. 1%, sect. 2, S 3.
�208
DROIT MARITIME.
Mais, emprunter sur l’intérêt qu’on a au chargement
d’un navire, ou sur la moitié, le tiers, le quart du char
gement, c’est, dans le premier cas, affecter à la garantie
du prêt tout ce qu’on a à bord ; c’est, dans le second,
créer une communauté de risques donnant au prêteur
la certitude qu’il ne supportera la perte que pour moi
tié, un tiers ou un quart.
Cette communauté est, par cela même, obligatoire
jusqu’au lieu de la destination. Sans quoi, il dépendrait
de l’emprunteur de changer la nature du contrat, d’ar•racher dans le premier cas la garantie que le donneur
recevait de l’importance du chargement ; de mettre dans
le second, à la charge de celui-ci, la totalité d’une perte
qu’il ne devait supporter que dans une proportion dé
terminée, ce qui serait d’autant plus injuste que celte
considération, comme celle du surcroît de garantie dans
la première hypothèse, a dû nécessairement être d’une
grande influence sur la détermination du taux du profil
maritime.
Valin, Pothier, Emérigon ont raison à l’endroit de
l’assureur, par la raison décisive qu’ils donnent euxmêmes. Celui qui assure 1,000 liv. sur 3,000, n’a ja
mais rien eu à démêler avec les autres 2,000. A quelque
chiffre que s’élève le chargement, il n’a jamais couru et
pu courir le risque que de 1,000 liv. Sa condition n’est
donc nullement changée, tant qu’une somme égale se
trouve réellement sur le navire.
Il n’en est pas de même du prêteur à la grosse. L’af
fectation générale et sans restriction grève le chargement
�209
324. 32b, 32G, 327.
entier à titre de garantie pour le cas de sinistre préci
sément. Celle de la moitié, du tiers, du quart de ce char
gement pèse indivisiblement sur tout le chargement. De
telle sorte qu’en déchargeant une partie quelconque, le
preneur ne saurait opérer un partage légal et obliga
toire. Les marchandises ainsi sauvées, l’ont été en faveur
du preneur pour la proportion de la moitié, du tiers ou
du quart, dont il doit dès lors lui être tenu compte.
Quant à l’argument qu’Emérigon puisait dans l’arti
cle 14 de l’ordonnance, et que M. Delvincourt emprun
te à l’article 329 du Code , il nous parait d’une faible
valeur, dit avec raison M. Dalloz. Cet article oblige le
preneur, pour empêcher toute fraude de sa part, à prou
ver , en cas de sinistre , la réalité d’un chargement au
moins égal en nature à la somme empruntée. Mais on
ne saurait induire de sa disposition que le preneur ne
puisse pas valablement affecter au prêt des valeurs supé
rieures à ce prêt, ni par conséquent que, lorsqu’une pa
reille affectation a été consentie, il puisse en éluder les
effets. Certainement lorsqu’un individu a emprunté à la
grossse sur l’intérêt qu’il a dans la cargaison d’un tel
navire, sans autre explication, il suffît, pour la validité
du contrat, qu'il mette en risque des effets jusqu’à con
currence de la somme prêtée. Mais s’il veut faire un
chargement plus considérable et se soustraire par rap
port à l’excédant à toute action éventuelle de la part du
prêteur, il faut que sa volonté, à cet égard, soit claire
ment manifestée; sinon, l’on ne pourrait sans tomber
dans l’arbitraire, restreindre à une portion seulement
ART.
m — 14
�210
DROIT MARITIME.
de son intérêt dans le chargement les droits que les ter
mes exprès du contrat attribuent au prêteur sur un in
térêt entier *.
Concluons donc, contrairement à l’avis d'Emérigon,
que, sauf convention contraire, les marchandises débar
quées avant le sinistre répondent du prêt soit en entier,
soit proportionnellement, suivant que l’emprunt a été
contracté sur la totalité ou sur une quotité du charge
ment.
A rticle 328 .
Si le temps des risques n’est point déterminé par le
contrat, il court, à l’égard du navire, des agrès, appa
raux, armement et victuailles, du jour que le navire a
fait voile, jusqu’au jour où il est ancré ou amarré au
port ou lieu de sa destination.
A l’égard des marchandises, le temps des risques
court du jour qu’elles ont été chargées dans le navire ou
dans les gabarres pour les y porter, jusqu’au jour où el
les sont délivrées à terre.
SOMMAIRE
969. Commencement des risques du prêteur.
970. Caractère de l’article 328. Nature des risques.
i Nouveau rép., v. Dr. marü , n° 4402.
�971. Caractère de celui pour le voyage d’aller et de retour. Con
séquences pour le séjour dans le port intermédiaire.
972. Le prêt consenti en termes généraux pour un voyage, com
prend-il l’aller et le retour ?
973. Caractère de la présomption.
974. Droits du prêteur pour l’aller et le retour, si ce dernier ne
se réalise pas.
975. Conséquences de la nécessité du risque pour la stipulation
du mode de paiement du profit.. Comment peut être con
venu ce paiement ?
976. Peut-on stipuler que le profit sera en partie acquis, par
exemple, pour les premiers six mois. Solution d’Emérigon.
977. Opinion contraire de M. Boulay-Paty. Réfutation.
978. Stipulation permise en cas de survenance de la guerre.
Conséquences.
979. Nature du prêt pour un temps limité. Objet qu'il peut
avoir.
980. Effets de l'expiration du temps convenu.
981. Hypothèses dans lesquelles l’expression d’un délai n’em
pêche pas le prêt d’être pour le voyage. Conséquences.,
982. A défaut de stipulation, le risque commence à courir pour
le navire du jour du départ. Dérogations licites à cette
règle.
983. Epoque fixée pour le commencement du risque sur char
gement. Comment il peut y être dérogé.
984. A quelle époque finit le risque pour le navire et le charge
ment?
0 6 0 . — La détermination de la durée du risque est
évidemment une des clauses les plus essentielles du prêt
à la grosse. Il est, en effet, de toute nécessité de savoir
à quel moment commence la responsabilité du prêteur,
�DROIT MARITIME.
215
et de fixer l’époque à laquelle , cette responsabilité ces
sant, celui-ci pourra exiger le remboursement de ce qui
lui est dû, et le paiement du profit maritime. Voilà
pourquoi l’article 311 a déjà prescrit de mentionner au
contrat si le prêt est fait pour un voyage, pour quel vo
yage et pour quel temps, d’y énoncer l’époque du rem
boursement.
Les parties ont, à cet égard, la plus entière , la plus
large liberté , elles n’ont à consulter que leurs con
venances. Mais le contrat peut avoir omis ces énon
ciations. Fallait-il dans cette hypothèse l’annuler ? Ne
convenait-il pas mieux de suppléer à la négligence des
parties? L’article 328 indique ce qu’en a pensé le lé
gislateur.
9ÏO . — Cet article, malgré qu’il ne s’occupe que du
point du départ et de l’échéance du risque , n’en doit
pas moins régir toutes les difficultés que l’absence de la
détermination de ce risque peut créer, même en ce qui
concerne sa nature et son caractère. Ainsi le prêt peut
être fait pour un voyage ou pour un temps limité, mais
cette dernière hypothèse est toute exceptionnelle. Elle ne
pourrait être accueillie que si elle résultait explicitement
ou implicitement du contrat. Dans le doute, il est pré
sumé consenti pour le voyage, c’est ce qui s’induit des
termes de l’article 328, ne faisant cesser le risque pour
le navire que lorsqu’il est ancré ou amarré au port de
destination ; pour les marchandises, que du jour où el
les sont mises à terre.
�fW l. — Le risque pour le voyage peut avoir pour
objet ou uu voyage d’aller seulement, e’est-à-dire du
port du départ à celui de la destination, ou un voyage
d’aller et de retour cumulativement, c’est-à-dire du port
du départ jusqu’au retour dans ce même port.
Dans le premier cas, l’entiée au port de destination
libère le prêteur de toute responsabilité, et rend exigi
bles le capital et le profit maritime stipulé. Tout dom
mage éprouvé après cette arrivée soit au navire, soit aux
marchandises, reste pour le compte et à la charge ex
clusive de l’emprunteur.
Dans le second, le séjour dans le port de destination
est aux risques du prêteur. Le risque commencé au dé
part, ne devant être fini que par la rentrée du navire
au lieu d’où ce départ s’est effectué, ne subit aucune in
terruption. Toute fortune de mer, survenue dans l’in
tervalle, est donc à la charge du prêteur.
Ce qui est vrai pour le navire ne saurait pas ne pas
l’être pour les marchandises. À leur égard, cependant,
la responsabilité du prêteur se divise et subit un temps
d’arrêt inévitable. Ainsi, la marchandise d’entrée, mise
à terre, est désormais aux risques de l’emprunteur qui
en supporterait seul la perte ou la détérioration posté
rieure. Il en serait de même pour la marchandise de
sortie, jusqu’au moment où elle se trouverait sur le na
vire qui doit la transporter, ou sur les allèges ou gabârres qui l’y porteraient.
O1*®. — La détermination de la nature du voyage
�214
DROIT MARITIME.
est donc d’une haute importance pour le prêteur sur
tout, qui peut ainsi voir ses risques doublés, contraire
ment peut-être à son intention. En effet, dans la prati
que de toutes les époques, le prêt consenti pour un vo
yage, sans autre explication, est considéré comme com
prenant l’aller et le retour. L’article 356 , dont on s’est
prévalu pour contester celte règle, la confirme au con
traire aussi expressément que possible.
Il est évident, en effet, que puisque, lorsqu’il a vou
lu qu’il en fût autrement, le législateur a cru devoir s’en
expliquer, c’est qu’il a lui-même compris la nécessité
de l’exception. Or que fait l’exception, sinon prouver et
confirmer la règle à laquelle elle déroge? L’argument
tiré de l’article 356 manque donc de fondement. On
pouvait d’autant moins l’invoquer d’ailleurs à l’endroit
de la présomption que nous examinons, que cet article
dispose précisément dans l’hypothèse d’une assurance
expressément consentie pour l’aller et le retour.
— Ainsi donc, le prêt, fait en termes généraux
pour un voyage, comprend l’aller et le retour. Toute
fois, celte présomption n’est pas juris et de jure, et
n’exclut pas la preuve contraire. Or, celte dernière pui
serait nun élément décisif dans la détermination du taux
du profit. Plus, en effet, le risque est étendu, plus le
profit doit être élevé. Aussi, sur les places maritimes
distingue-t-on ordinairement le taux du profit pour la
sortie, de celui comprenant la sortie et l’entrée.
On pourrait donc, si le prêteur s’était contenté du
9 ÏS .
�premier, admettre que, dans l’intention commune des
parties, ce prêt n’était relatif qu’au voyage d’aller ; il
est peu probable que l’emprunteur ait entendu traiter
pour un risque en échange duquel il ne payait rien, ni
surtout que le prêteur se soit contenté du profit d’aller,
s’il se chargeait du risque de l’aller et du retour.
— Si le prêt a été réellement consenti pour
l’aller et le retour , le preneur a droit à l’entier profit,
alors même que soit par la rupture ou la substitution
du voyage, soit par le défaut de chargement, le retour
ne s’est pas réalisé.
Valin et Pothier, appliquant à cette hypothèse les dis
positions de l’ordonnance à l’endroit des assureurs, sou
tenaient que le prêteur ne devait recevoir que les deux
tiers du profit. Mais Emérigon combattait cette opinion
en s’étayant sur la jurisprudence qui l’avait condamnée
tant et si souvent. Il a plu au législateur, disait-il, d’ac
corder en pareil cas aux assurés la bonification du tiers
do la prime ; mais cette grâce est de droit étroit. Jus
qu’à ce qu’il y ait un nouveau règlement qui réduise
aux deux tiers le change maritime; par le défaut de re
tour du navire, les preneurs doivent être soumis à la
règle générale 1.
Cette réponse repousse péremptoirement l’assimilation
entre le prêteur et l’assureur, que quelques auteurs mo
dernes font résulter de l’article 356 du Code de com954.
i
Contrat à la grotte,
c h . 3, se c t. 3 , et c h . 8, se ct.
S 2.
�216
DROIT MARITIME.
merce. La réduction du tiers, accordée par celte dispo
sition aux assurés, n’est également qu’une faveur spé
ciale que l’emprunteur ne saurait invoquer, puisque le
Code de commerce ne l’appelle pas à en profiter.
Celte omission est d’autant plus remarquable, que le
législateur était en quelque sorte mis en demeure de
l’éviter par Emérigon lui-même. Ce règlement nouveau,
dont l’absence lui paraissait décisive contre le preneur,
Emérigon l’appelait de tous ses vœux. La jurisprudence
à laquelle il se range lui paraissait ruineuse pour les
pauvres pacotilleurs ; enfin il ajoutait que si l’ordon
nance avait pu prévoir l’usage actuel où l’on est de
prendre des deniers à la grosse pour l’aller et le retour,
elle aurait, dans le cas de défaut de retour, établi pour
le change maritime la même réduction que pour la
prime;
Cette prévision n’est plus possible depuis le Code. Le
législateur de 1807 connaissait évidemment ce qui pou
vait être ignoré en 1681. Il savait en outre les regrets
d’Emérigon. On ne peut donc considérer son silence
que comme le refus formel de s’associer à ces regrets,
et d’assimiler l’emprunteur à l’assuré ; que comme
la volonté absolue de lui refuser la faveur faite à ce der
nier.
Donc, en matière de prêt à la grosse pour l’aller elle
retour, le profit stipulé est dû en entier, malgré le dé
faut ou l’absence de retour. L’un et l’autre constituent
la rupture volontaire après le risque commencé, il doit
donc en résulter l’application de la règle que nous avons
�ART.
328.
217
déjà dit régir la matière , à savoir , que la rupture vo
lontaire, ou l’abandon du voyage après le risque com
mencé, n’avait d’autre effet que de rendre le prêt exigi
ble en capital et profit maritime.
9 ? 5 . — Ce n’est pas seulement le quantum du pro
fit que les parties sont entièrement libres de fixer, c’est
en outre le mode de paiement. La latitude qui leur est
laissée à cet égard ne s’arrête que si ce mode avait pour
résultat d’exonérer le prêteur des risques dont la loi lui
impose la charge.
Ainsi, quelle que soit la nature du prêt, qu’il soit fait
pour un temps limité ou pour un voyage, pour un vo
yage de sortie et d’entrée ou d’entrée seulement, on peut
convenir d’un profit à tant par mois. Ce qui résultera
de cette stipulation, c’est que, le temps du risque expiré,
on réglera le profil sur le nombre des mois consommés
dans l’opération. Mais, quel que soit le nombre de mois
déjà écoulés, le sinistre se réalisant avant la fin du vo
yage ou du temps convenu, il n’est rien dû au prêteur.
L’emprunteur est entièrement libéré des mois courus
comme de ceux à courir.
9 ï©. — La stipulation contraire serait-elle valable,
par exemple, dans l’espèce suivante supposée par Emérigon :
Je donne une somme pour l’entier voyage , et je sti
pule douze pour cent pour les premiers six mois, j’a
joute que ces premiers six mois me seront acquis, mal-
�DROIT MARITIME.
218
gré la perte survenue après. Cette perte venant à se réa
liser après cette période, suis-je fondé à demander les
premiers six mois ?
Il semble, dit Emérigon, que cette demande n’est pas
fondée, car, s’il est vrai que le change soit un accessoi
re inséparable du capital, il s’en suit que la perle du
tout me concerne, et que le pacte contraire est illicite.
Cependant le contraire est admis parmi nous.
Mais, ajoute Emérigon, cet usage ne peut se justifier
que par la distinction suivante : le navire, pendant les
premiers six mois, a touché dans un ou plusieurs ports.
Le preneur y a fait des profits qu’il a pu mettre à ter
re, ou consacrer à payer le change de ces six mois.
L’emprunteur doit être contraint de remplir son obli
gation.
Au contraire, si le navire périt après les premiers six
mois, mais avant d’avoir touché en un lieu où le navire
a pu faire la traite, le preneur doit être délié de toute
obligation '.
— M. Boulay-Paty n’admet aucune distinc
tion. A son avis, un pacte de cette nature est absolument
illicite et contraire à la nature du contrat. La doctrine
d’Emérigon, ajoute-t-il, est beaucoup plus subtile que
solide2.
Ce reproche nous paraît d’autant moins mérité que ,
977.
i
Contrats à la grosso,
c h . 8, se ct
3, S 4 ■
�»
ART. 3 2 8 .
219
réduite dans les limites qu’il lui assigne, la doctrine
d’Emérigon se borne à permettre aux parties de faire in
directement ce qu’elles pourraient très licitement faire
d’une manière directe.
Nous disons avec Emérigon que la clause donne lieu
de discerner deux voyages en quelque sorte : le premier,
depuis le moment du départ jusqu’au lieu où il a été
loisible au preneur de réaliser une partie de son opéra
tion, et d’employer le produit au paiement du change
des premiers six mois ; le second, depuis la sortie de cet
endroit jusqu’au véritable lieu du reste.
Or les parties pouvaient incontestablement faire cette
distinction et déclarer le prêt exigible au port dans le
quel le navire est d’abord entré. Dans le même cas, le
prêteur pouvait très légalement s’engager d’avance à lais
ser le capital en renouvellement et en continuation jus
qu’à telle autre destination convenue, en se réservant le
profit acquis.
C’est cette convention qui résultera implicitement du
pacte que nous examinons ; comment donc l’annuler
comme illicite, alors qu’on n’hésiterait pas à le consa
crer s’il avait été explicitement écrit dans les termes que
nous venons de rappeler.
La doctrine d’Emérigon est donc fort juridique. L’u
sage qu’elle rappelle et consacre est la meilleure preuve
qu’elle n’a rien de contraire à l’essence du Contrat à
la grosse.
9*8. — L’éventualité d’une guerre peut être le mo-
�DROIT MARITIME.
220
tif d'une modification à l’exécution que le contrat de
vait naturellement recevoir. Ainsi on peut convenir d’un
change maritime à tant par mois, avec pacte qu’en cas
de guerre le capital et le change échus seront envoyés
des îles en lettres de change.
L’effet de ce pacte est d’exonérer le prêteur des ris
ques du retour, malgré qu’il les eût formellement pris à
sa charge. La condition se réalisant, la somme n’est
présumée prêtée que pour la traversée d’aller. Elle de
vient exigible ainsi que le profit pour les mois écoulés,
si cette traversée s’est heureusement accomplie. Ce n’est,
en effet, que par cet événement que le remboursement
du prêt sera acquis, et que le preneur sera mis à même
de l’effectuer. Le prêteur n’aurait aucun droit si, la
guerre éclatant pendant le voyage d’aller, le navire élait
pris ou périssait avant de l’avoir accompli.
Le pacte que nous examinons ne rompt donc le voya
ge que pour ce qui concerne le retour, le prêt devient
exigible au port d’entrée, malgré la convention qui l’af
fectait au retour comme à l’aller. Le preneur n’a plus
qu’à transmettre les lettres de change promises.
Emérigon pense que ces lettres de change doivent
être aux risque et péril du prêteur , vis-à-vis duquel le
preneur n’exerce, en les envoyant, que le ministère d’un
simple préposé. Cela est juste, s’il s’agit d’une lettre de
change achetée et payée par celui-ci. Il est impossible
que l’exécution littérale du contrat pût être pour l’em
prunteur une occasion de perdre personnellement le
montant de l’envoi, et de payer une seconde fois.
�ART. 328.
221
Mais si le preneur a envoyé des lettres de change
souscrites par lui personnellement ou par son manda
taire, il ne saurait en être de même. En réalité, un en
voi de ce genre constitue non un paiement, mais un rè
glement qui n’est définitif que sauf encaissement. Donc,
si le tiré refuse de faire honneur aux traites, le preneur
ne s’est jamais libéré, les droits du prêteur de le con
traindre seraient d’autant moins contestables que, par la
réception des lettres de change, il n’aurait pas même
innové à sa créance.
Le prêt à la grosse peut être fait pour un temps li
mité. Il est tel, chaque fois qu’il résulte clairement delà
convention qu’à un jour déterminé, ou au bout de tant
de jours, de mois, ou qu’à telle hauteur en m er, les
risques cesseront d’être à la charge du prêteur. Dans
tous les cas où la fin du risque a été précisée, ou qu’il
n’a été accordé qu’un nombre de jours ou de mois, le
délai court à partir du moment où le risque a commen
cé sans interruption possible. Ainsi les jours perdus
dans une relâche volontaire ou forcée ne pourraient être
ajoutés à ceux déterminés par le contrat.
9®9. — L’effet du prêt pour un temps limité est
de rendre la somme exigible en capital et intérêt mari
time par la seule expiration du terme, ou dès que le na
vire a atteint en mer la hauteur convenue. A dater de
ce moment, l’un et l’autre sont définitivement et irrévo
cablement acquis au prêteur. Le sinistre arrrivé après,
lui resterait complètement étranger.
�DROIT MARITIME.
222
Ce prêt à temps limité peut se référer à un ou plu
sieurs voyages. Ainsi il peut être fait pour trois mois
pour un voyage à Saint-Domingue, ou pour le voyage
de Saint-Domingue qui sera de trois mois. Il peut l’ê
tre pour trois ou six mois, et pour un voyage qu’il plai
ra au preneur d’entreprendre. La différence qui distin
gue ces deux hypothèses, c’est que dans la première le
prêt ne sortira à effet que si le voyage indiqué a été en
trepris, et qu’après qu’il aura commencé le navire de
vra suivre la route directe , tandis que dans la seconde
le risque sera à la charge du prêteur, quels que soient
le voyage entrepris et la direction suivie.
— Dans tous les cas, l’expiration du délai con
venu amènerait de plein droit l’exigibilité du capital et
rendrait le profit acquis, alors même que le navire ne
serait pas encore arrivé au lieu de destination et qu’il
viendrait à périr avant d’y aborder. Ici l’indication du
voyage est étrangère au temps du risque. Elle n’a pour
objet que d’en fixer le lieu en indiquant le but vers le
quel le navire doit être dirigé, et la route qu’il doit sui
vre et garder. La durée du risque ne peut, dans aucun
cas, excéder le délai convenu. Il a pu paraître suffisant
pour terminer le voyage, mais cette éventualité, qui peut
diminuer le temps du risque si ce voyage s’est terminé
avant son expiration, ne saurait, dans aucun cas, le
prolonger.
980.
981.
— Néanmoins, les parties peuvent convenir
�ART. 328.
223
du contraire ; et cette convention devrait être admise
toutes les fois qu’il ressortirait du contrat que l’indica
tion d’un délai n’a pas eu pour objet de déterminer la
durée du voyage, mais seulement d'introduire une mo
dification dans le contrat, si ce délai venait à être dé
passé.
C’est évidemment ce qui résulterait de la clause sui
vante : le prêt est fait à tant pour cent pour l’espace de
six mois, à partir du 1er mai 4854 ; et à demi pour cent
par mois, tant sur le capital que sur le change mariti
me, du temps qui excédera lesdils six mois.
C’est ce qui résulterait encore de cette autre stipula
tion : pour le change de..., pour le voyage non excédant
six mois, et au prorata pour le surplus.
Dans l’une et l’autre hypothèse, le prêt se réfère au
voyage dont la durée a été approximativement détermi
née, il n’est donc exigible qu’après son accomplisse
ment. Jusque-là, les risques courent pour le compte du
prêteur, après comme avant l’expiration du délai, dont
la prolongation, d’ailleurs prévue, n’a pas d’autre effet
possible que celui indiqué au contrat.
Il suffit donc que le sinistre se réalise avant l’accom
plissement du voyage, pour que son événement libère
l’emprunteur, le prêteur n’aurait rien à réclamer s’il y
a perte entière ; dans le cas contraire, il n’a d’action à
exercer, même pour le capital, que sur la valeur des ef
fets soustraits au naufrage.
088. — 1,’article 328 fixe le point du départ du ris-
�224
DROIT MARITIME.
que, il commence de courir à la charge du prêteur , à
l’égard du navire, des agrès et apparaux, armements et
victuailles, du jour que le navire a fait voile.
Les termes de notre article, si le temps des risques
n’est point déterminé par le contrat, indiquent suffisam
ment que les parties ont la faculté de déroger à sa dis
position, mais cette faculté cesse pour toutes les modi
fications qui altéreraient le contrat dans son essence.
Telle serait la convention qui exonérerait le prêteur
des risques que la loi a entendu lui imposer. Or, ces
risques s’ouvrent forcément avec la navigation elle-mê
me, d’où la conséquence que la clause qui laisserait les
risques à la charge du preneur pendant un temps dé
terminé, après le départ du navire, ne saurait sortir à
effet.
On doit d’autant plus le décider ainsi, que bientôt
celte clause deviendrait en quelque sorte de style ; le
prêteur ne manquerait pas de stipuler qu’il n’est char
gé du risque que lorsque le navire serait parvenu à un
tel point, et l’effet de cette clause, on peut en être cer
tain, ne serait pas autre que de laisser au preneur la
responsabilité des risques dans les parages les plus dan
gereux.
Ainsi, le droit commun résultant de l’article 328, et
fixant au départ du navire l’ouverture du risque à la
charge du prêteur, peut bien être modifié, mais les seu
les dérogations qu’il comporte sont celles qui auraient
pour objet d’aggraver ce risque.
On peut donc convenir qu’il courra du jour du con-
�trat, ou de telle autre époque précédant le départ, mais
celui-ci réalisé, et la navigation commencée, le risque
court de plein droit. Toute convention qui le mettrait
pour un temps plus ou moins long au compte du pre
neur, diminuerait le risque que la loi impose au prê
teur, altérerait dès lors le contrat dans son essence et se
rait illégale et nulle.
083. — Lorsque le prêt est fait sur chargement, le
risque court pour le prêteur du jour que les marchan
dises sont exposées à la mer, soit qu’elles aient été char
gées à bord, soit qu’elles se trouvent sur les gabarres et
allèges qui les y portent. Les risques du prêteur com
mencent donc dès que la marchandise a quitté le quai
oû elle a été déposée en attendant l’embarquement.
Mais cette règle, comme l’observe Emérigon, ne doit
être rigoureusement, suivie que lorsque le transport par
gabarres ou allèges se fait dans le port ou dans la rade
dans lequel se trouve le navire , s’il s’agissait, pour ar
river à celui-ci, de descendre ou de remonter une riviè
re, le prêteur n’en courrait les risques que s’il s’en était
chargé, ce qu’il peut faire expressément ou tacitement.
C’est ce qui se réaliserait dans l’hypothèse supposée par
Emérigon, à savoir, si le prêteur a pris tous les risques
de la mer depuis l’embarquement, y compris les ris
ques en gabarres et autres allèges pour aller de terre à
bord.
Il n’est pas douteux que pour ce qui concerne le char
gement, le droit commun créé par l’article 328 ne puisiii — 15
�DROIT MARITIME.
226
se être modifié. Ici comme pour le navire, tout ce qai
tend à aggraver le risque du prêteur rentre parfaitement
dans les prévisions de la loi.
De plus, et en pareilles circonstances, il est facultatif
aux parties de déroger, en faveur du prêteur lui-même,
au droit commun de l’article 328. Ainsi la stipulation
que le risque ne serait à sa charge que du jour où le
navire quitterait le port, devrait recevoir son plein et
entier effet ; ce qui serait illicite et nul, ce serait de re
culer cette responsabilité à une époque postérieure à ce
départ, et cela par les motifs que nous indiquions tout
à l’heure.
Le risque commencé au plus tard au dé
part du navire se continue sans interruption jusqu’au
moment où il se trouve naturellement épuisé. Ce mo
ment est fixé par la convention ou par la loi.
Ainsi le prêt consenti pour un temps limité, ou jus
qu’à telle hauteur en mer, est de plein droit exigible par
l’expiration du délai, ou par l’arrivée à la hauteur con
venue ; à partir de ce moment, le risque a complète
ment et absolument cessé d’être à la charge du prêteur
autorisé à exiger, quoi qu’il arrive plus tard, à se fai
re restituer de son capital, et payer du profit maritime.
Si le prêt est fait pour le voyage, le risque ne finit
qu’avec le voyage lui-même ; il convenait dès lors de
préciser l’époque à laquelle le voyage doit être considéré
comme accompli.
Cette époque est, pour le navire, le jour où il se trou084. —
�ART.
328.
227
ve ancré ou amarré au port de destination pour le voya
ge d’aller, au port d’armement dans l’hypothèse d’un
prêt comprenant l’aller et le retour.
A l’endroit des facultés, le voyage n’est accompli que
par la mise à terre des marchandises et leur délivrance
à quai, la perte ou toute autre détérioration éprouvée
dans l’opération du débarquement, ou dans le trajet du
navire au quai, reste donc à la charge du prêteur.
Celte règle souffre pourtant exception, si les marchan
dises ne sont déposées sur les gabarres et allèges que
pour être dirigées à leur destination définitive; par exem
ple, si le destinataire, domicilié dans un autre lieu que
le port où arrive le navire, ne peut les recevoir à quai,
loue les gabarres qui devront remonter ou descendre la
rivière qu’elles ont à parcourir. Dans ce cas, la déli
vrance à bord des gabarres est une délivrance réelle,
qui fait entrer les effets dans la possession effective, et
par conséquent sous la responsabilité exclusive de leur
propriétaire.
Article
329.
Celui qui emprunte à la grosse sur des marchandises,
n’est point libéré par la perte du navire et du charge
ment, s’il ne justifie qu’il y avait pour son compte des
effets jusqu’à la concurrence de la somme empruntée.
�228
DROIT MARITIME.
A rticle
330.
Les prêteurs à la grosse contribuent à la décharge des
emprunteurs aux avaries communes.
Les avaries simples sont aussi à la charge des prêteurs,
s’il n’y a convention contraire.
SOMMAIRE
985. Nécessité de l’existence d'un gage certain pour la validité
du prêt à la grosse. Obligation pour le preneur de l’éta
blir.
986. Dans quels cas l’article 329 peut-il s’appliquer au prêt à
la grosse sur navires?
987. Caractère de la preuve du chargé que doit faire l’emprun
teur.
988. La preuve contraire est réservée au prêteur Son objet, sa
nature.
989. Ses effets, suivant qu'il s’agit d’un défaut de chargement,
ou d’un chargement insuffisant.
990. Le défaut de chargement peut être allégué par l’emprun
teur. Ses effets.
991. Le prêteur répond des avaries communes. Conséquences.
992. Il ne peut être dérogé à cette règle.
993. Droits et obligations qui en résultent pour le prêteur.
994. Quand peut-on imputer la contribution sur le capital ?
995. Discussion au conseil d ’Etat sur l’avarie simple. Système
du Code.
996. Il peut y être dérogé. Caractère de cette faculté.
98S. — Le prêt à la grosse, tel qu’il résulte des dis-
�ART.
529, 330.
229
positions précédentes, n’est parfait que par l’existence
d’un gage réel et certain, ce gage représente la somme
empruntée, le profit maritime est l’équivalent des chan
ces que court le prêteur de perdre le capital par lui
avancé.
Le sinistre se réalisant, l’emprunteur ne perd rien,
puisqu’il est dispensé de restituer la somme empruntée,
mais il ne gagne rien non plus, puisque, s’il est en pos
session du prix, il perd en réalité la chose que ce prix
représente,
Toute l’économie de la loi serait donc renversée si,
dans une hypothèse quelconque, l’emprunteur pouvait
conserver la chose et le prix. C’est ce qui se réaliserait
infailliblement si, n’ayant rien chargé sur le navire con
venu pour porter le risque , la perte de ce navire le li
bérait complètement et absolument envers le prêteur.
Il était donc de raison et de justice que lorsque, à la
réclamation de ce dernier , le preneur oppose la perle
du navire, il fût obligé de prouver non seulement cette
perte, mais encore qu’au moment où elle s’est effec
tuée, il avait à bord un intérêt équivalent à la somme
empruntée.
L’article 329, qui le veut ainsi , n’était d’ailleurs
qu’une conséquence forcée de la règle déjà consacrée
par l’article 316. Le prêteur pouvant, même après le
sinistre, faire résilier le bail pour insuffisance du gage,
devrait à plus forte raison être autorisé à en poursuivre
la nullité dans le cas d’absence de tout gage, absence
�230
DROIT MARITIME.
qu’il n’aura pu souvent connaître et apprécier qu’après
le sinistre lui-même.
Il lui suffit donc d’alléguer le défaut de chargement
pour que l’emprunteur soit obligé d’en établir l’existen
ce ; à défaut de cette justification, il n’y a jamais eu
qu’un prêt ordinaire, dont le remboursement ne pouvait
être refusé sous aucun prétexte,
0 8 6 . — L’article 329 dispose spécialement pour
les prêts sur marchandises. On ne pouvait en effet sup
poser que la difficulté qu’il prévoit pût s’élever à l’en
droit des navire, agrès, apparaux, armements et vic
tuailles. La réalité de leur mise en risque résulte infail
liblement du voyage et du sinistre lui-même, elle ne
saurait donc être sérieusement contestée.
Il est pourtant une hypothèse où le prêt, quoique fait
au navire lui-même, tomberait sous le coup de l’article
329, à savoir, si la somme empruntée avait été destinée
à pourvoir aux nécessités du navire pendant le voyage.
Le preneur, en cas de perte, ne serait libéré que par la
preuve ou que la somme avait réellement été employée
avant le sinistre, ou qu’ayant été embarquée, elle se
trouvait réellement à bord au moment où ce sinistre a
éclaté.
0 8 9 . — Dans tous les cas où l’on recourra à l’ar
ticle 329, la preuve du chargement est à la charge de
l’emprunteur, c’est là la conséquence de la règle consa
crée par l’article 1315 du Code civil, à savoir, que celui
�qui se prétend libéré doit justifier le paiement, ou le fait
qui a produit la libération , ce qui, dans notre hypo
thèse, éteint réellement l’obligation, c’est le chargement,
il est donc évident que la preuve de sa réalisation con
cerne exclusivement celui qui veut en faire la base de
sa libération.
Cette preuve résulterait des connaissements réguliers
que la loi permet d’opposer à tous les intéressés au char
gement, à défaut, ou en cas d’irrégularité, on pourrait
s’étayer des expéditions en douane, du manifeste de
sortie, des déclarations du capitaine et de l’équipage, en
fin de toute autre preuve écrite ou orale de nature à con
vaincre la religion des juges.
988. — La preuve contraire est de droit réservée
au prêteur , elle peut avoir pour objet d’établir ou qu’il
n’y a pas eu chargement, ou que les effets chargés d’a
bord n’étaient plus à bord au moment du sinistre.
S’il n’y a jamais eu de chargement, le prêt à la gros
se est nul par la rupture du voyage, qui est toujours
facultative pour l’emprunteur tant que le risque n’a pas
commencé à courirl.
S’il y a eu déchargement en cours de voyage, les
marchandises qui en ont fait l’objet sont considérées
comme sauvées, leur valeur répondrait donc non seule
ment du capital prêté, mais encore du profit maritime.
Par cette conduite, le preneur, renonçant au voyage
i Voy.
tupra
n°
881.
�232
DROIT MARITIME.
projeté après le risque commencé, a rendu le prêt exi
gible, il ne pourrait donc être libéré par un sinistre au
quel d’ailleurs il est demeuré complètement étranger.
Le déchargement r.’aurait aucune influence sur le
prêt, si le preneur était autorisé à faire échelle. Le ris
que passerait dans ce cas, des effets primitivement char
gés, sur leur valeur ou sur les retraits acquis au moyen
de cette valeur, mais le preneur ne serait libéré qu’en
prouvant que cette valeur ou que ces retraits ont été réel
lement embarqués. Le défaut de chargement ayant sau
vé les marchandises affectées, le prêteur devrait être
remboursé jusqu’à due concurrence de son capital et
subsidiairement du profit.
La preuve du chargé acquise, le prêteur peut soutenir
que la valeur réelle des effets mis à bord, ou y existant
au moment de la perte, était inférieure à la somme prê
tée, les parties se trouveraient dans ce cas sous l’empire
de la règle de l’article 316, et il serait procédé ainsi que
nous l’avons vu en traitant de cet article ; la preuve de
l’insuffisance serait à la charge du prêteur qui l’allégue
rait et qui serait dès lors obligé de l’établir. Nous avons
dit de quelle manière il pourrait remplir ce devoir.
Si le contrat, en déterminant les objets affectés au
prêt, en fixait la valeur, la preuve du chargé établirait
cette valeur contre le prêteur. Par exemple, si j’em
prunte 1,000 francs sur dix tonneaux de vin de 100
francs chaque , je n’ai à prouver que le chargement
des dix tonneaux. Le prêteur, en acceptant leur évalua
tion , se l’est rendue propre et personnelle , il est pré
�sumé les avoir vérifiés et en avoir reconnu la valeur.
Il ne pourrait revenir contre le contrat qu’en préten
dant qu’on a substitué d’autres tonneaux à ceux qui
avaient été promis , ou qu’on a changé après coup la
qualité de ce qu’ils renfermaient, allégation qui, le
constituant demandeur en son exception , l’obligerait à
en fournir la preuve.
98». — Les effets de la preuve contraire, réservée
au prêteur, diffèrent suivant qu’il en résulte ou un dé
faut de chargement, ou un chargement insuffisant. Dans
le premier, le prêt à la grosse n’a jamais existé, et le
capital doit être remboursé ; dans le second, le sort des
pariies est réglé par les dispositions des articles 316 et
317.
— Nous avons fait remarquer, en temps et
lieu, que le bénéfice de l’article 316 ne pouvait être ré
clamé que par le prêteur ou ses ayants cause. Il n’en est
pas de même de l’article 329. Le défaut absolu de char
gement faisant disparaître tout risque, le juste équiva
lent du profit maritime n’a jamais existé. Ce profit dès
lors ne saurait être acquis. En d’autres termgg, le prê
teur, ne pouvant rien perdre, doit également ne pouvoir
gagner l'intérêt maritime uniquement attaché au risque
auquel il est exposé, lorsque le contrat a reçu sa pleine
et franche exécution.
11 est vrai que le défaut de chargement est le fait uni
que du preneur. Mais tout ce qu’on peut lui reprocher,
090.
�234
DROIT MARITIME.
c’est d'avoir rompu volontairement le voyage. Or, nous
avons déjà dit qu’on ne pouvait lui en contester le droit,
tant que le risque n’a pas commencé.
C’était là d’ailleurs la conséquence du caractère et de
la nature du prêt à la grosse. L’intérêt maritime ne se
rait plus qu’une effroyable usure, s’il pouvait être ac
quis sans aucun risque pour le prêteur. Ce grave in
convénient était cependant la conséquence du refus
qu'on ferait à l’emprunteur du droit d’exciper du défaut
de chargement.
Bientôt, en effet, on n’aurait prêté qu’à la condition
de ne rien charger, car on se ménageait ainsi pour tout
risque la chance de perdre le profit maritime en cas de
perte, puisqu’en prouvant que rien n’avait été chargé,
le prêteur, aux termes de l’article 329, devait être rem
boursé de son capital.
Que si le navire désigné arrivait à bon port, le prê
teur se serait bien gardé d’exciper du défaut de charge
ment. Il se serait borné à exiger son paiement intégral
en capital et profit, malgré qu’en réalité celui-ci ne lui
fût pas dû.
L’intérêt public, les exigences de la morale protestaient
contre un pareil résultat. Le seul moyen de prévenir
l’usure et la fraude consistait donc à établir entre le prê
teur et l’emprunteur une égalité que conseillaient l’équité
et la justice.
En conséquence, ce que le premier peut faire après
le sinistre, le second le peut après l’heureuse arrivée.
Dans l’un et l’autre cas, la preuve qu’il n’a rien été
�ART. 529 , 530 .
255
chargé annulle le contrat ; il ne peut donc être question
ni de la perte du capital, ni de l’acquisition du profit
maritime.
9 9 1 . — Du principe que les risques de la naviga
tion sont à la charge du prêteur, résultait la conséquen
ce que les avaries subies par fortune de mer, par les ef
fets affectés au prêt devaient être supportées par le prê
teur. En cas d’heureuse arrivée , l’emprunteur ne doit
rien perdre au-delà du taux du profit maritime. Le con
traire se fût réalisé si, à ce profit, venait se joindre la
moins-value de la marchandise occasionnée par la na
vigation du navire.
Il devait en être surtout ainsi pour les avaries com
munes. Celles-ci, en effet, ont été subies pour le salut
de tous, elles ont assuré la conservation du gage, elles
sont devenues dès lors une charge inhérente à celui-ci,
et le prêteur doit d’autant plus les supporter, qu’il leur
doit la faculté de retirer, au moins en partie, son capi
tal et même le profit maritime.
998. — L’article 330, conforme sur ce point à l’or
donnance de 1681, oblige le prêteur à contribuer aux
avaries communes. Cette obligation est absolue et ne peut
recevoir aucune modification. Ces avaries constituent un
sinistre majeur que le prêteur ne pourrait laisser à la
charge de l’emprunteur sans méconnaître l’essence du
prêt à la grose. Toute convention de ce genre, même
acceptée par ce dernier, serait donc nulle et sans effets.
�236
DROiT MARITIME.
On avait prétendu induire le contraire de la faculté
que les assureurs ont de s’exonérer de tels ou tels sinis
tres. Mais, observait fort judicieusement Emérigon, l’as
surance est une espèce de fidéjussion ; il est donc libre
à l’assureur de la restreindre à certains cas fortuits. De
plein droit, tous les risques du voyage sont à la charge
du prêteur, qui ne saurait réclamer son capital accru
du profit maritime que dans le cas d’heureuse naviga
tion jusqu’au lieu ou au temps déterminé.
0 9 3 . — Le prêteur est donc, malgré toute conven
tion contraire, tenu de la contribution aux avaries com
munes. Il suit de là que si l’avarie tombe sur les objets
affectés au prêt, si, par exemple, ils sont jetés à la mer
pour le salut commun, la perte est pour son compte.
Mais il est subrogé aux droits de l’emprunteur, relative
ment à la contribution due par le navire et le reste du
chargement. Cette contribution doit lui être payée pour
ce qui lui est dû. Si l’avarie est subie par d’autres effets que ceux affec
tés au prêt, le prêteur est obligé de payer à la décharge
de l’emprunteur la somme pour laquelle ces derniers
effets doivent contribuer. Ce paiement comprend la con
tribution entière, si la somme prêtée est égale à l’inté
rêt de l’emprunteur.
Si cet intérêt est plus considérable que le prêt, ou si
celui-ci ne porte que sur une quotité déterminée, le prê
teur et l’emprunteur supportent la contribution propor
tionnellement et chacun eu droit soi.
�ART.
329, 330.
237
094. — Valin enseignait que la contribution à la
charge du prêteur ne s’imputait pas ipso jure sur le ca
pital qui lui est dû. Celte imputation, diminuant le ca
pital, diminuerait par cela même le profit maritime, ce
qui ajouterait une perle à celle résultant de la contribu
tion. C’est ainsi que l’avait consacré la jurisprudence,
en décidant que l’imputation ne pouvait se faire que du
jour que le donneur mis en demeure de payer avait re
fusé de le faire. Cette doctrine, adoptée par les juriscon
sultes modernes, devrait être appliquée sous l’empire du
Code 1.
— Les motifs qui faisaient mettre les avaries
communes à la charge du prêteur semblaient comman
der qu’il en fût ainsi pour les avaries particulières. Ce
n’est pas cependant ce que les auteurs de l’ordonnance
avaient pensé, car ils avaient formellement consacré le
contraire.
Mais cette disposition, sévèrement appréciée parles
jurisconsultes , était universellement délaissée dans la
pratique. « Heureusement, disait Valin, notre article
ajoute: S’il n’y a convention contraire, sans quoi l’usage
des contrats à la grosse aurait été aboli. Aussi n’en voiton point qui ne dérogent à cet article, c’est-à-dire sans
une clause précise par laquelle le prêteur prend sur lui
tous les risques de fortunes de mer comme l’assureur2.
995,
1 Pardessus, n° 926. B oulay-P aty, t. 3, p. 225.
5 Art. 16, titre des Contrats à la Grosse.
�238
DROIT MARITIME,
L’appréciation de Valin n’avait rien d’exagéré. Lais
ser les avaries particulières à la charge de l’emprun
teur, c’était, dans bien de cas, le condamner à perdre
une partie plus ou moins considérale de sa marchandi
se, et nonobstant à payer en entier le capital et le profit
stipulé, tandis que le but esssentiel de l’emprunt à la
grosse est précisément de ne jamais rien perdre au-delà
du profit.
■*
Quoi qu’il en soit, la pratique commerciale dictait au
législateur nouveau la conduite qu’il devait tenir, il fal
lait consacrer un système diamétralement contraire à ce
lui de l’ordonnance. Le simple correctif admis par celleci n’élait pas suffisant, par cette raison que la Cour de
cassation relevait dans ses observations, à savoir, que
les emprunteurs méritaient d’autant plus la prévoyance
et la protection de la loi, qu’ils sont presque toujours
réduits à recevoir les conditions que veulent leur impo
ser les prêteurs. Or, ce que la Cour de cassation disait
de l'avarie commune était parfaitement applicable à l’a
varie particulière. L’intérêt du prêteur à s’exonérer de
celle-ci comme de celle-là est incontestable et certain.
On devait donc craindre que ses exigences ne détermi
nassent l’absence de la convention contraire que la loi
autorisait.
Cependant le projet primitif du Code ne se bornait
pas seulement à reproduire le texte de l’ordonnance, la
commission avait même supprimé les expressions, sauf
convention contraire ; la crainte qu’on appliquât cette
�ART.
329, 330.
239
restriction à l’avarie commune l’avait engagée à ne pas
l’introduire dans l’article.
La Cour de cassation , et avec elle la cour de Rennes
et le tribunal de Marseille demandaient qu’on en revînt
purement et simplement au système de l’ordonnance,
mais la cour de Caen et le tribunal de commerce de
Saint-Malo se prononçaient pour le système depuis con
sacré par notre article. Que le prêteur à la grosse , di
sait ce dernier, ne soit pas assujetti aux avaries simples
sur les marchandises qui lui servent de gage, cela pa
raît résister aux idées communes d’équité et de justice.
En effet, le donneur à la grosse qui a fait assurer son
capital recevra de l’assureur la somme à laquelle s’élè
vera l’avarie simple. Recevra-t-il en outre de l’em
prunteur l’intérêt maritime de son capital ? Tout, dans
ce contrat, serait alors au bénéfice de l’un et à la perte
de l’autre.
La section de l’intérieur adopta l’opinion de la cour
de Caen et du tribunal de commerce de Saint-Malo, elle
proposa, en conséquence, de laisser les avaries simples
à la charge du donneur, mais avec faculté de stipuler le
contraire.
— On peut donc déroger, quant aux avaries
particulières, à l’article 330, et nous avouons que nous
ne nous expliquons pas cette faculté. L’avarie simple est
une des chances de la navigation, elle ne se convertit en
sinistre majeur que lorsqu’elle atteint les proportions des
trois quarts de la valeur, elle peut être cependant au996.
�240
DROIT MARITIME.
dessous de cette proportion et atteindre une importance
assez majeure.
Or, comment concilier la stipulation la faisant sup
porter au preneur, avec la volonté bien formelle de la
loi, de laisser tous les risques à la charge du prêteur.
N’est-ce pas là précisément aller contre l’essence même
du contrat.
Ce qui conduirait à l’admettre ainsi, c’est la réproba
tion générale que l’ordonnance, faisant de cette stipu
lation le droit commun, avait rencontrée. On se fait
difficilement à l’idée qu’un emprunteur, qui n’a ac
cordé le profit maritime que dans la certitude de ne rien
perdre au-delà , puisse être réduit à le payer, alors
qu’il perd la moitié ou les trois cinquièmes de sa mar
chandise.
Vainement dirait-on que l’emprunteur était libre de
ne pas consentir un pareil traité. Cette excuse est par
faitement proposable dans tous les cas d’usure, ce qui
n’empêche pas la loi de la repousser. Pourquoi en se
rait - il autrement lorsqu’en définitive on se trouve
en présence d’un même résultat né d’une identité de
causes.
Sans doute, la stipulation autorisée par l’article 330
n’est pas d’usage entre commerçants loyaux , mais elle
peut être exploitée par l’avidité des usuriers, ce qui en
rend la possibilité légale plus regrettable encore.
On ne rentrera donc dans les vrais principes, dans
les caractères réels du prêt à la grosse, que du jour où
�art.
331.
241
l’expression, s’il n’y a convention contraire, aura dis
paru de la seconde disposition de notre article.
A rticle 3 3 1 .
S’il y a contrat à la grosse et assurance sur le même
navire ou sur le même chargement, le produit des ef
fets sauvés du naufrage est partagé entre le prêteur à la
grosse, pour son capital seulement, et l’assureur, pour
les sommes assurées, au marc le franc de leur intérêt
respectif, sans préjudice des privilèges établis par l’ar
ticle 191.
SOMMAIRE
997. Possibilité de l’existence simultanée d’un prêt à la grosse
et d’une assurance sur le même objet.
998. Système de l'ordonnance de 1681. Opinion de Valin et d’Emèrigon.
999. Système du Code. A quel titre il a prescrit le concours en
tre l’assureur et le prêteur. Dans quel cas il se réalise.
1000. Pour quelles sommes il est admis.
1001. L’article 331; est applicable aux prêteurs à la grosse, pour
les besoins et pendant le cours du voyage.
9 9 ? . — Le prêt à la grosse peut n’être affecté que
sur une partie du navire ou de ses accessoires, que sur
une quotité du chargement. Dans l’une ou l’autre de ces
ni — 46
�DROIT MARITIME.
242
hypothèses, comme dans celle où la valeur de l’objet
affecté excède la somme empruntée, l’excédant n’a pas
cessé d’être la propriété exclusive du preneur. Il peut
dès lors le faire assurer, la prohibition de l’article 347
ne couvrant que les effets dont la valeur intégrale a fait
l’objet et la matière du prêt.
L’armateur dont le navire vaut 50,000 fr., le négo
ciant qui a fait un chargement de la même somme peut
donc, après avoir emprunté à la grosse une somme de
20,000 fr., faire assurer les 30,000 fr. restés en de
hors de l’emprunt, alors même que la totalité du navire
ou de la cargaison garantirait le prêt.
Il était donc facile de prévoir l’existence simultanée
d’un emprunt à la grosse et d’un contrat d’assurance
sur le même navire, sur la même cargaison. Il deve
nait dès lors utile de déterminer les droits réciproques
du prêteur et de l’assureur sur les produits du sauvetage
en cas de sinistre,
0 9 8 . — Celte détermination était facile en droit
commun, l’assureur devient par le délaissement l’ayant
cause de l’assuré, il ne saurait avoir d’autres droits sur
les effets délaissés que ceux que l’asuré aurait pu exer
cer lui-même. Or, celui-ci ne pouvant, ainsi que nous
l’avons établi, venir en concours avec son créancier sur
le gage affecté à celui-ci, il en résultait que l’assureur
ne pouvait être apte à réclamer ce concoursl.
i V, supra, n»* 960 et suiv.
�C’est ainsi que l’avait consacré le législateur de 1681,
en attribuant la préférence au prêteur sur l’assureur,
mais cette disposition était énergiquement attaquée par
Valin. Celte préférence, disait-il, ne peut se justifier;
tout ce qu’on peut alléguer en sa faveur, c’est que la
chose affectée au contrat à la grosse est censée appartetenir au prêteur jusqu’à la concurrence de la somme
prêtée, et que l’assureur n’est que caution ; c’est encore
que les deniers prêtés sur le navire l’ont mis à même de
faire le voyage, ou que ceux prêtés sur chargement ont
contribué à former la cargaison, avantage que ne donne
jamais la police d’assurance
Valin répond que ces deux arguments ne sont qu’à
moitié vrais, qu’en effet le concours d’une assurance
avec un prêt de grosse donne aussitôt la certitude d’un
gage nécessairement supérieur à la somme empruntée;
qu’il est dès lors certain que , pour tout l’excédant,
celle-ci n’a pu exercer aucune influence, ni sur la mise
en état du navire, ni sur le chargement ; qu’il serait
donc injuste si, par exemple, la somme prêtée ne re
présentait que la moitié de la valeur de l’une ou de
l’autre, d’attribuer au prêteur tout ce qui sera échappé
au naufrage.
Valin nous enseigne de plus qu’ayant consulté Emérigon, celui-ci, après avoir consulté les autres mem
bres de l’amirauté de Marseille , fut de l’avis contraire.
En principe, disait Emérigon, l’assureur, au moyen du
1 Art. 48, titre des C o n tr a tî â la g ro ise .
�244
DROIT MARITIME.
délaissement, est mis à la place de l’assuré, il le re
présente , et n’a pas plus de droits que lui sur les effets
sauvés.
Or, l’assuré, qui est en même temps preneur, ne pour
rait pas venir en concours avec le donneur , suivant la
règle de droit que le créancier et le débiteur ne viennent
jamais en concours, et que le créancier est préféré mê
me à celui qui a été subrogé à son hypothèque pour la
partie du prix déjà payé.
On ne pouvait répondre à ces raisons qu’en contes
tant les qualités de créancier et de débiteur. C’est ce que
Yalin fait en soutenant que le prêteur n’a acquis, et
l’empruteur conféré aucuns droits sur la partie du navi
re ou du chargement excédant la somme empruntée.
Mais celte objection, que Yalin croit sans réplique,
n’est fondée que sur une évidente confusion. Ainsi, si le
prêt a été fait sur une partie seulement du navire , ou
sur une quantité déterminée de la cargaison, le prêteur
n’a d’action possible que sur cette partie ou sur cette
quotité, l’emprunteur lui-même viendrait en concours
avec le donneur sur le produit du sauvetage, et rien ne
pourrait empêcher ses ayants cause d’exercer la même
faculté, de jouir du même droit.
Mais si le navire ou le chargement de 50,000 francs
a été intégralement affecté au prêt de 20,000 francs, le
prêteur a action sur le tout. Sans doute, il ne pourra ja
mais retirer plus de 20,000 francs et le profit maritime,
mais sa garantie est de droit jusqu’à remboursement in
tégral. On ne pourrait admettre que le preneur pût re-
�ART. 331.
245
tirer personnellement une partie du chargement avant
ce paiement intégral, qu’en établissant que la loi pro
hibe le prêt à la grosse sur valeur supérieure à la som
me empruntée.
La préférence accordée dans ce cas au prêteur sur
l’assureur, par l’ordonnance de 1681, se justifie donc,
elle était dictée par le droit commun et les principes gé
néraux de la législation.
999. — Le Code de commerce a introduit un droit
nouveau, mais il ne l’a fait qu’à titre d’exception et par
faveur spéciale pour les assureurs, les observations des
cours et tribunaux, l’exposé des motifs de la loi ne lais
sent aucun doute à cet égard.
Le système des assurances, disait l’orateur du gou
vernement, s’est consolidé depuis l’ordonnance, le rap
port est entièrement changé, il est reconnu aujourd’hui
que le contrat de grosse, quelquefois utile, est le plus
souvent ruineux et funeste au commerce , tandis que
le contrat d’as-urance est, de tous les contrats mariti
mes, le plus utile, le plus nécessaire même à sa pros
périté, à l’extension de la navigation, qui, sans ce con
trat, serait nécessairement restreinte dans les bornes les
plus étroites.
La conclusion qui résultait de ce prémisse était qu’il
n’y avait pas à hésiter ; qu’il fallait encourager l’assu
rance, et dès lors appeler l’assureur à concourir sur le
produit du sauvetage avec le prêteur en cas d’existence
�DROIT MARITIME.
246
simultanée d'une assurance et d’un prêt sur le même
chargement.
À quoi bon toutes ces considérations si, comme l'en
seignait Valin , ce concours était de droit commun ? A
quoi bon réclamer et concéder comme une faveur ce qui
résultait du droit ?
Il est dès lors évident que tout en consacrant l’avis
de Valin, le Code de commerce a donné raison à Emérigon, la preuve que le droit refusé par celui-ci n’exis
tait pas, c’est qu’on a cru devoir le créer expressément.
Nous sommes loin de blâmer la faveur qu’on a cru
devoir témoigner à l’assurance, elle était réellement mé
ritée par les services signalés que ce contrat est appelé
à rendre, qu’il rend en effet à la navigation. Nous cro
yons seulement qu’à l’endroit du prêt à la grosse il y
avait exagération et injustice dans les reproches qu’on
lui adressait.
Ce prêt est aujourd’hui encore d’une utilité incontes
table, non moins réelle que celle du contrat d’assuran
ce. Sans doute il n’y a aucune proportion entre le taux
de la prime et celui du profit maritime, mais c’est que
le prêt à la grosse, qui empêche l’emprunteur de per
dre comme l’assurance le fait pour l’assuré, produit un
autre avantage qu’on ne trouvera jamais dans celle-ci.
Grâce à lui, en effet, l’emprunteur trouve le moyen
de réaliser en tout ou en partie le chargement que ses
ressources pécuniaires ne lui permettraient pas.de se pro
curer un bénéfice plus ou moins considérable.
Pans tous les pas, le preneur reçoit actuellement la
�ART.
331.
247
valeur des marchandises qu’il expédie. De telle sorte
que tout en accomplissant la spéculation projetée, il peut,
à l’aide de cet argent, en entreprendre de nouvelles,
joindre les bénéfices de celles-ci à ceux de la première
et multiplier les opérations de son commerce, ce qui
allège d’autant le taux du profit maritime qu’il est obli
gé de payer.
Quoi qu’il en soit, notre Code permet à l’assureur de
faire ce que l’assuré ne pourrait réclamer pour lui.
Lorsqu’il existe sur le même chargement un prêt à la
grosse et une assurance, le produit'du sauvetage appar
tient à l’assureur comme au prêteur, soit que le prêt af
fecte une partie ou une quotité déterminée , soit qu’il
grève, à titre de garantie, l’excédant de ce qui a été em
prunté. Si le chargement entier ne faisait qu’égaler le
prêt, l’assureur n’aurait aucun concours à réclamer, par
l’excellente raison que l’assurance serait nulle, aux ter
mes de l’article 347.
Le concours établi par l’article 331 suppose donc que
la somme empruntée est inférieure à la valeur réelle du
navire ou de la cargaison. De telle sorte qu’en tenant
compte du prêt, il restait encore une somme libre aux
risques de l’emprunteur. Ce concours n'a lieu qu’en cas
de sinistre. Si le voyage est heureusement accompli, l’as
sureur n’ayant rien à payer n’a à réclamer que la pri
me. Le paiement de celle-ci, en cas d’insuffisance ou de
déconfiture de l’armateur ou du chargeur, se ferait dans
l’ordre réglé par l’article 191, c’est-à-dire après le paie
ment du privilège du prêteur à la grosse.
�248
DROIT MARITIME.
— Dans tous les cas de concours, la répar
tition a lieu au marc le franc entre les prêteurs et assu
reurs. La double base de cette répartition est d’une part
la somme assurée que l’assureur doit rembourser inté
gralement, de l’autre, le capital emprunté seulement.
Admettre le profit maritime dans le calcul des som
mes à comprendre dans la répartition, c’était rompre
l’égalité entre l’assureur et le prêteur. Le premier, en
effet, n’eût jamais concouru que pour la perle qu’il
éprouve, tandis que le second eût reçu une part quel
conque de son bénéfiïe.
D’ailleurs, le naufrage fait évanouir toute possibilité
d’en réclamer un. Il n’est rien dû à ce titre, et l’absence
de tout droit devait faire proscrire toute réclamation.
ÎOOO.
— L’article 331 se termine par ces expres
sions, sans préjudice des privilèges établis à l’article 191.
Or, cet article place le privilège du prêteur à la grosse
avant le départ au neuvième rang, et celui des assu
reurs pour la prime au dixième seulement. Evidemment
cet ordre ne pourrait être suivi dans l’hypothèse de l’ar
ticle 331, qui y aurait expressément dérogé dans le cas
où l’on voudrait assimiler à la prime le droit de l’assu
reur sur le produit du sauvetage.
La cause de la disposition que nous examinons est
donc ailleurs. Elle nous est indiquée par la discussion
législative de notre article. Le prêteur qui donne des
deniers pour les besoins du navire pendant le dernier
voyage prête en réalité aux assureurs eux-mêmes, dans
ÎO O I.
�l’intérêt desquels le voyage a pu se continuer. Il doit
donc être préféré à ces mêmes assureurs.
Cette observation, que la Cour de cassation avait pré
sentée sur l’ordre général des privilèges, fut rappelée
par M. Siméon, à l’occasion de l’article 331, pour jus
tifier une exception au concours qu’il établit. Le pro
cès-verbal du 25 juillet 1807 prouve que le princi
pe et ses conséquences furent adoptées par le conseil
d’Etat.
La réserve de l’article 331 n’a pas d’autre objet que
de constater cette adoption. En réalité, le concours pres
crit n’a lieu qu’entre les assureurs et ceux qui ont prêté
à la grosse avant le départ du navire. Quant aux prêts
faits pendant la durée du voyage, ils sont censés faits
pour le compte des assureurs eux-mêmes, et doivent
par conséquent être payés de préférence sur le produit
du sauvetage L
1 Locré, Esprit du Code de commerce, art. 331.
�250
DROIT MARITIME.
TITRE X
DES ASSURANCES
SECTION
Ou C ontrat d’A ssurance, de sa F orm e, de son Objet
Article
332.
Le contrat d’assurance est rédigé par écrit,
Il est daté du jour auquel il est souscrit,
Il y est énoncé si c’est avant ou après midi,
Il peut être fait sous signature privée,
Il ne peut contenir aucun blanc,
Il exprime :
Le nom et le domicile de celui qui fait assurer , sa
qualité de propriétaire ou de commissionnaire,
Le nom et la désignation du navire,
Le nom du capitaine,
Le lieu où les marchandises ont été ou peuvent être
chargées,
Le port d’où ce navire a dû ou doit partir,
�Les ports ou rades dans lesquels il doit charger ou
décharger,
Ceux dans lesquels il doit entrer,
La nature et la valeur ou l’estimation des marchan
dises ou objets que l’on fait assurer,
Les temps auxquels les risques doivent commencer et
finir,
La somme assurée,
La prime ou le coût de l’assurance,
La soumission des parties à des arbitres en cas de
contestation, si elle a été convenue,
Et généralement toutes les autres conditions dont les
parties sont convenues.
Article
333.
La même police peut contenir plusieurs assurances,
soit à raison des marchandises, soit à raison du taux de
la prime, soit à raison des différents assureurs.
SOMMAIRE
1002.
1003.
1004.
1005.
Importance et utilité de l’assurance.
Son origine.
Ce qu’elle était dans le droit romain.
Causes du silence gardé à son sujet par les législations
antérieures au quatorzième siècle.
�252
DROIT MARITIME.
1006. Appréciations diverses de son caractère. Opinion de Valin.
1007. Le contrat d’assurance est essentiellement consensuel.
Conséquences quant à la capacité des parties pour l’as
surance passive.
1008 Qui peut se livrer à l’assurance active. Effets du contrat,
suivant qu’il s’agit d’une incapacité, d’une incompati
bilité, ou de la violation d’une prohibition formelle.
1009. Le contrat est synallagmatique.
1010. Aléatoire. Nécessité du risque.
1011. Caractère du risque à l’égard de l’assuré. Droit ancien
pour l’assurance sur gageure. Droit nouveau.
1012. Le contrat est du droit des gens. Conséquences.
1013. Faculté pour les étrangers de se faire assurer en France.
Conditions.
1014. Cette faculté peut-elle être exercée par le sujet d’une na
tion en guerre avec la France?
1015. Forme extrinsèque de la police. L'écriture est-elle de l’es
sence du contrat ? Controverse entre Valin et Pothier
sur la police, pour une somme de moins de cent francs,
ou dans le cas d’un commencement de preuve.
1016. La preuve testimoniale serait-elle aujourd’hui admissible
dans ces cas ? '
1017. Exception en faveur des tiers.
1018. La preuve testimoniale est toujours admissible lorsque le
tiers qui réclame n’a pas contracté lui-même.
1019. La police doit être datée. De quelle manière?
1020. Comment doit être datée la police successivement sous
crite par plusieurs assureurs ? Opinion de M. Pardes
sus, usage contraire sur la place de Marseille.
1021. Effets de l’omission totale ou partielle de la date.
1021 bis. De qui doit émaner la déclaration d’avant ou d’après
midi.
1021 ter. Effet de l’indication irrégulièrement faite par le cour
tier en clôturant la police.
�1021 quatuor. Les signataires d’une police irrégulière ne pour
raient en récuser les indications.
1022. La police peut être faite sous seing-privé, ou reçue par
un notaire ou un courtier.
1023. Difficultés élevées sur la nature de la mission confiée à un
notaire. Solution par la Cour de cassation.
1024. Effets de la signature du notaire ou du courtier. Son
omission n’est pas une cause de nullité. Dès que la po
lice est signée par l’assureur, elle est irrévocablement
acquise.
1025. L’assureur peut-il biffer sa signature ou modifier sa
souscription, tant qu'il a encore la police et la plume en
mains ?
1026. La signature de l’assuré n'est pas nécessaire. Motifs.
1027. Doit-il au moins signer sur le livre du courtier ?
1028. Quid, des ratures, surcharges ou modifications que con
tiendrait la police.
1029. La police sous seing-privé doit-elle être faite à double
original ?
1030. Opinion de M. Pardessus pour la négative. Examen et ré
futation.
1031. L’acte nul pour défaut de forme constituerait le commen
cement de preuve par écrit.
1032. La police sous seing-privé fait foi de sa date. L’exécution
provisoire lui est due.
1033. La police ne doit contenir aucuns blancs. Conséquences
de l’inobservation pour le notaire ou courtier.
1034. L’existence de blancs ferait-elle annuler la police ?
1035. Forme intrinsèque de la police. Proposition de la Cour de
cassation. Motifs qui la firent rejeter.
1036. La police doit énoncer : 1° le nom et le domicile de celui
qui fait assurer.
1037. Effets de l’omission.
1038. Dans quels cas l’omission de l’indication du domicile pour
rait motiver l’annulation ?
�254
1039.
1040.
1041.
1042.
1043.
1044.
1045.
1046.
1047.
1048.
1049.
1050.
1051.
1052.
1053.
1054.
1055.
1056.
DROIT MARITIME.
2* La qualité de propriétaire ou de commissionnaire. Uti
lité de cette prescription.
Droit des assureurs d’agiter dans tous les cas la question
de propriété.
D’où résulterait la qualité de commissionnaire ? Obliga
tions de celui-ci.
Nature de sa responsabilité pour la restitution du mon
tant de l'assurance. Conséquence quant à la prescription
de cinq ans.
Droit du commissionnaire de poursuivre en son nom le
paiement de la perle. Comment élablirait-il le chargé ?
Effet de la clause p o u r c o m p te d e q u i i l a p p a r ti e n d r a ?
Droit des assureurs de lui opposer non seulement sa pro
pre fraude, mais encore celle de son commettant. Con
séquences pour la production de la lettre d’ordre.
Le créancier même privilégié ne peut faire assurer la cho
se du débiteur. Opinion contraire de M. Pardessus. Ré
futation.
3° Le nom et la désignation du navire. Ce que comprend
l’un et l’autre.
Obligation de déclarer le pavillon. Effet du silence gardé
sur le caractère provisoire de la nationalité.
Effets de l’omission du nom du navire. Opinion de M. Lo
cré. Réfutation.
Exception A l’obligation d’indiquer le nom dans l’assu
rance in q u o v is ou en cas de transbordement dans un
port intermédiaire.
Usage pratiqué dans ce dernier cas. Conséquences.
Effet de l’omission de la désignation du navire.
— De la fausse déclaration sur le nom et la désignation.
— De l’erreur sur le nom.
— De l’erreur sur la désignation.
Effets de la nullité.
4* Le nom du capitaine. Motifs. Conséquences de l'omis-
�<057. Effet du changement du capitaine postérieur à l’assu
rance.
1058. Origine et ancienneté de la clause o u t o u t a u t r e p o u r
lu i.
1059. Peut être stipulée par l ’armateur, dés lors autorisé à
remplacer le capitaine. Conditions de ce remplacement.
1060. L’existence de cette cause n'excuserait pas la fausse indi
cation du capitaine faite dans la police. Conséquences.
1061. 5* Le lieu où les marchandises ont été ou doivent être
chargées. Le port d’où le navire a dû eu doit partir. Les
ports ou rades dans lesquels il doit entrer. Effets de
l’omission.
1062. Que devrait-on décider, lorsqu’à défaut d’indication, la
marchandise a été chargée dans un port plus éloigné
que celui du départ ?
1063. Dans quel cas faut-il déclarer l’époque du départ ?
1064. 6° La nature et la valeur ou l'estimation des effets assu
rés. Conséquences de l’omission.
1065. Conséquences de l’indication de la nature des marchan
dises.
1066. 7* Le temps auxquels les risques doivent commencer et
finir. Effets de l’omission.
1067. 8* La somme assurée. Son utilité comme maximum de
de ce que l’assureur aura à payer.
1068. 9* La prime convenue. Conséquence de l'omission.
1069. Liberté absolue des parties dans sa détermination. Com
ment elle peut être établie ?
1070. Comment elle peut être payée ?
107t. 10* La soumission des parties à l'arbitrage, si elle a été
convenue. Caractère et effets de celte indication.
1072. Faculté pour les parties de stipuler toutes autres conven
tions, à la condition de les exprimer. Exception que
cette faculté comporte.
1073. Effets de la police. Règles à suivre pour l’interprétation,
en cas d’obscurité ou de doute.
�2ÎS6
DROIT MARITIME.
1074. C’est par l’usage local qu’on doit décider si tel ou tel ar
ticle est compris dans la crtégorie des marchandises as
surées.
1875. A quel voyage s’applique l’assurance contractée avant ou
après le départ du navire ?
1076. Caractère de la faculté réservée à l’assuré de toucher à
un autre port, si celui de destination se trouve en état
de blocus.
1077. Pouvoir des tribunaux en matière d’interprétation des
clauses de la police.
1078. La police d'assurance peut être à ordre ou au porteur.
Doctrine de l’ordonnance sur les conditions de l'endos
sement, abrogée par le Code.
1079. Effets de l’endossement régulier.
1080. Une même police peut renfermer plusieurs assurances.
Mode d’appréciation.
1081. Le jugement qui prononce sur une demande contre plu
sieurs assureurs collectivement est en dernier ressort
pour ceux dont l’intérêt est de quinze cents francs ou
au-dessous.
1 0 0 3 . — Nous abordons le contrat qui a le plus
contribué aux développements et aux succès du com
merce maritime. C’est le témoignage qu’on n’a pas cessé
de donner à l’assurance depuis son origine jusqu’à ce
jour.
« Le danger de la navigation, dit l’exposé des motifs
du Code de commerce, entravait le commerce mariti
me. Le système des assurances a paru, il a consulté les
saisons ; il a porté ses regards sur la mer ; il a interrogé
ce terrible élément ; il en a pressenti les orages ; il a
épié la politique ; il a reconnu les ports et les côtes des
�-
art. 332, 333.
257
deux mondes ; il a tout soumis à des calculs savants , à
des théories approximatives, et il a dit au commerçant
habile, au navigateur intrépide : Certes, il y a des dé
sastres sur lesquels l’humanité ne peut que gémir ; mais
quant à votre fortune, allez, franchissez les mers, dé
ployez votre activité et votre industrie, je me charge de
vos risques. Alors, il est permis de le dire, les quatre
parties du monde se sont trouvées rapprochées. »
L’importance d’un pareil contrat explique l’intérêt
que lui ont successivement témoigné les législations qui
ont eu à le régir, et les savantes recherches dont son
origine, ses caractères, sa forme et ses effets sont deve
nus l’objet.
— Comme pour le contrat de change, l’in
vention de l’assurance a été attribuée tantôt aux Juifs,
tantôt aux Florentins exilés de leur patrie. Quoi qu’il
en soit, et sans vouloir diminuer le mérite de l’inven
teur, reconnaissons qu’on ne saurait le placer sur la mê
me ligne que celui à qui on doit la lettre de change.
Celle-ci, en effet, était sans précédents, sans point d’ap
pui dans la législation. L’assurance y puisait les uns et
les autres.
,
Le principe de celle-ci résidait essentiellement dans
la nature des choses, et dans le désir que les hommes
ont toujours eu de se mettre à couvert des caprices de
la fortune. Or, nous rencontrons dans le droit romain
une foule de textes permettant de se décharger sur au
trui de l’incertitude des événements.
1003.
m — 47
�558
DROIT MARITIME.
— Il est vrai que ce droit est muet sur l’as
surance maritime proprement dite ; ce qui explique ce
silence, c’est que la forme de ce contrat et la manière
d’entendre les pactes qu’il renferme tiennent plus à l’u
sage des places mercantiles qu’aux règles du droit. Or,
on sait que les Romains abandonnaient le commerce de
terre et de mer aux esclaves et aux affranchis. Il n’est
donc pas étonnant qu’étranger à la pratique, le législa
teur ait omis de statuer sur une matière qu’il ignorait.
Cependant, il paraît que l’assurance maritime était
non-seulement connue, mais encore pratiquée chez les
Romains. Ce qui le prouve, ce sont les faits qu’Emérigon rappelle dans sa préface et dont le premier remon
te à la seconde guerre punique, c’est ce qui fait dire à
notre illustre compatriote : L’assurance, en droit romain,
était un sauvageon non encore cultivé, auquel l’esprit
du commerce a donné le développement et la consistan
ce dont elle jouit aujourd’hui h
1004,
— La pratique des assurances ne constituait
donc pas la découverte d’une idée nouvelle, elle ne fut
qu’une intelligente application à la matière maritime
des règles du droit ordinaire pour les transactions sur
événements futurs et incertains. Bien souvent les arma
teurs et chargeurs durent l’appeler de leurs vœux, car
la multiplicité et la gravité des dangers étaient un puis
sant obstacle à l’essor de leurs spéculations. Mais ce qui
1005.
i
Det Assur., c h . Ier.
�.
art.
332, 333.
289
faisait la difficulté réelle, c’était de trouver des industriels
assez hardis pour se charger de ces périls. La certitude
que malgré ces dangers, que malgré toutes les fraudes
qui les aggravent singulièrement, l’assurance pouvait
devenir une profession avantageuse et lucrative, ne pou
vait être inspirée que par de longues et laborieuses in
vestigations.
L’assurance n’est donc pas même mentionnée dans le
C o n su la t d e la m e r , dans les R ô le s d 'O lé r o n , dans
l’O rd o n n a n c e d e W isb u y . Elle ne prend place dans la
législation qu’au quatorzième siècle, le G u id o n d e la
m e r notamment s’en occupe d’une manière spéciale.
L’ordonnance de 1681 vient, sur cette matière comme
sur toutes les parties du droit nautique, consacrer les
principes qu’inspiraient naturellement une longue pra
tique et l’expérience de plusieurs siècles.
ÎOOG. — On a beaucoup écrit sur le caractère du
C o n tr a t d 'a s s u r a n c e , on s’est tour à tour demandé : A n
s it s p o n s io , a n c o n tr a c tu s q u i r e c o n s t a t , a n s tip u la
i t , a n fid e ju s sio , a n litte r a r u m o b lig a tio , a n v e n d itio , a n lo c a tio , a n s o c ie ta s , a n m a n d a tu m , a n con
tr a c ta s in n o m in a lu s v e l n o m in a tu s , enfin s’il n’était
pas un composé de ces divers contrats.
Mais, disait Valin, tout cela est inutile et de pure sub
tilité, il suffit de savoir que le contrat d’assurance ma
ritime est un contrat par lequel un particulier ou une
compagnie promet à celui qui a un intérêt dans un
vaisseau ou dans son chargement de le garantir de tou-
1
�*260
DROIT MARITIME
tes les pertes et détériorations qui arriveraient, par cas
fortuits ou par fortune de mer, au navire ou au charge
ment pendant le voyage et durant le temps du risque,
moyennant une somme qui doit lui être payée par l’as
suré *.
1009. — Cette définition, tirée du Guidon de la
mer, affecte au contrat une incontestable spécialité, et
en détermine les caractères essentiels dont il importe de
relever les principaux.
Le contrat d’assurance est essentiellement consensuel,
il ne peut donc intervenir qu’entre parties majeures et
capables de contracter.
Une distinction est cependant nécessaire entre l’assuré
et l’assureur. Faire assurer un objet soumis aux chan
ces de la navigation est un acte d’administration que la
prudence conseille et non un acte de commerce d’où la
conséquence que la capacité requise se borne à celle
d’administrer. Dès lors, le mineur émancipé, la femme
mariée, séparée de biens, sont parfaitement aptes à la
consentir.
De là cette autre conséquence que l’assurance n’est
interdite à aucun de ceux exerçant des fonctions incom
patibles avec le commerce. Ainsi, les membres de la
magistrature et du clergé, les avocats, avoués, notaires,
huissiers, etc., peuvent l’accomplir sans violer la pro
hibition qui les concerne, il en est de même des agents
de change et courtiers.
1 Tit. des irnir.
�ART.
332, 333.
261
1008. — L’assurance active est au contraire une
industrie essentiellement commerciale. Ne peuvent donc
être assureurs que ceux qui peuvent exercer le commer
ce. Vainement donc le mineur serait-il émancipé, vai
nement la femme mariée aurait-elle obtenu sa sépara
tion de biens, ils ne peuvent devenir assureurs, s’ils ne
sont régulièrement autorisés à faire le commerce. Les
agents de change et courtiers, et en général tous ceux
qui gnt des professions incompatibles ne sauraient, sous
aucun prétexte, le devenir.
Cependant les polices souscrites par les uns et les au
tres se trouveraient dans une position fort différente.
On doit, en effet, ne pas confondre l’incapacité et l’in
compatibilité. Les effets de la première amèneraient la
nullité de l’acte fait contrairement à la loi.
Mais celui qui se livre à une opération que son ca
ractère ou ses fonctions lui prohibent manque à un de
voir purement moral, et ne viole qu’une loi disciplinai
re. L’acte est donc valable, s’il réunit toutes les condi
tions essentielles, il ne pourrait être annulé contre les
tiers ou à leur requête. Il doit sortir à effet, sauf la pour
suite disciplinaire qui pourra atteindre celui qui l’a sous
crit au mépris de ses devoirs.
Il en serait autrement si, au lieu d’une simple in
compatibilité, il s’agissait de la violation d’une prohi
bition légale formelle. Ainsi, l’agent de change devenu
assureur, le courtier, qui aurait pris un intérêt dans une
police rédigée par lui ou par tout autre, n’aurait aucu
ne action en justice contre l’assuré, le contrat serait, en
�DROIT MARITIME.
262
ce qui le concerne, frappé d’une nullité radicale et ab
solue.
Nous disons, en ce qui le concerne, car, ceux avec
lesquels il aurait contracté seraient fondés à poursuivre
l’exécution de l’acte. La violation de la loi ne saurait de
venir un titre en faveur de celui qui se l’est permise.
Ce serait cependant admettre le contraire que de le re
lever des engagements constituant cette violation. Il trou
verait une récompense dans son propre délit. #
Ainsi l’agent de change ou le courtier qui a assuré un
risque ne pourra réclamer la prime en cas d’heureuse
arrivée ; en cas de sinistre, il sera obligé de tenir compte
de la perte, mais il est évident que si celle-ci est exigée,
l’assuré sera tenu de la compenser avec la prime jus
qu’à due concurrence.
— Le contrat d’assurance est synallagmati
que. En effet, il renferme d’une part l’obligation de payer
la prime; de l’autre, celle de rembourser la perte. Nous
examinerons tout à l’heure les conséquences de ce ca
ractère *.
1009.
•
^
.
. ,
*
l o t o . — Le contrat est aléatoire, car la principale
obligation de l’assureur est essentiellement subordonnée
aux éventualités de la navigation.
C’est là ce qui caractérise surtout l’assurance : P r in
c ip a le fu n d a m e n tu in a s s e c u r a tio n is est r is ic u m , seu
�ART. 5 5 2 , 5 5 5 .
263
interesse assecuratorum, sine quo non potest subsis
tere assecuratio
Faites disparaître le risque, l’assuré ne sera exposé à
aucune perte, mais il pourra , au moyen de la prime,
réaliser un bénéfice plus ou moins considérable. Le
contrat ne serait plus dès lors qu’une loterie, qu’une
gageure qu’il importait de prévenir et d’empêcher dans
l’intérêt de l’institution elle-même.
— L’aléa que court l’assuré est d’être in
demnisé de la perte qu’occasionnerait le cas fortuit ou
la fortune de mer. Celui de l’assureur est de gagner la
prime.
Donc, et par rapport à l’assuré, le contrat ne peut
jamais avoir pour effet de lui procurer un bénéfice. Il
faut donc, pour que ce contrat soit valable, qu’il soit ex
posé à une perte, c’est-à-dire qu’il ait à la navigation
un intérêt sérieux et réel, équivalant au montant de l’as
surance.
Sans doute, la convention par laquelle je m’engage,
moyennant une somme fixe, à vous en payer une autre
si tel navire vient à périr dans la traversée, est un con
trat aléatoire, puisque l’obligation est subordonnée à un
événement futur et incertain. Ce caractère avait même
paru suffisant dans beaucoup de pays, et en Italie sur
tout, pour faire valider l’opération. On la qualifiait d’assurance sur gageure.
ÎO JLI.
i Casaregis, Disc. 4, n° 7 ; Disc., 13, n» 3.
�264
DROIT MARITIME.
Mais les dangereuses conséquences que des gagejres
de ce genre pouvaient entraîner n’ont pas tardé à en dé
terminer la suppression. Il serait odieux, disait Emérigon, qu’on se mit dans le cas de désirer la perte d’un
vaisseau. L’avidité du gain est capable de produire des
perfidies qu’il importe de prévenir. Voilà pourquoi,
dans la plupart des places maritimes, les assurances sur
gageure ont été prohibées. Elles l’ont été à Gênes , à
Amsterdam. Blakstone parle d’un statut de Georges II
qui les défendit en Angleterre. Enfin, elles ont été pro
hibées par l'ordonnance de 1681 l.
Le législateur de 1807 pouvait d’autant moins hési
ter, qu’il avait déjà en quelque sorte résolu la question
dans l’article 1965 du Code civil. Pouvait-il autoriser,
en droit commercial, ce qu’il venait de proscrire si ex
pressément dans le droit ordinaire?’
Aujourd’hui donc, comme sous l’empire de l’ordon
nance, l’assurance sur gageure est prohibée, et ne don
nerait aucune action en justice. Nous arrivons dès lors
à celte conclusion, que le risque exigé pour la validité
de l’assurance n’est pas seulement celui qui peut naître
de la chance plus ou moins heureuse de la navigation,
il faut, en outre, que des effets d’une valeur égale au
montant de la somme assurée aient été mis à bord et
aient couru la même chance que le navire. Le droit fran
çais n’admet d’autre assurance que celle ubi agitur de
assecuratione mercium, quæ navigationn periculo ex-
�ponuntur, et comequenter necessaria est probatio operationis et exislcntiœ merciwm in navi de tempore
n'aufragii vel periculi
Le défaut de chargement ou le déchargement avant
le sinistre enlève donc à l’assurance son aliment le plus
indispensable, le plus essentiel, en faisant disparaître
tout risque. En réalité donc l’avenir du contrat est aban
donné au gré de l’assuré. Il dépend de lui de lui don
ner ou de lui refuser l’exécution.
Mais une distance immense sépare le défaut de char
gement du déchargement. Tant que le risque n’a pas
commencé de courir, la rupture du voyage est possible.
Or, cette rupture résulte du refus de charger. L’auteur
de ce refus ri’aurait à payer que l’indemnité prescrite
par l’article 349.
Mais, le risque s’étant ouvert, il n’appartient plus à
personne d’en interrompre le cours. L’assuré qui, après
chargement réel, débarquerait ses marchandises, fût-ce
dans le lieu du chargement lui même, mettrait fin à
l’assurance , en ce sens que les assureurs seraient dé
chargés de tout risque ultérieur. Mais la prime leur se
rait en entier acquise, et rien ne dispenserait l’assuré dé
l’obligation de la payer2.
— L’assurance est un contrat du droit des
gens. Aucun législateur n’a entendu le régir au point de
1013.
1 Deluca , de credito, D isc. 414, n° 4.
2 V» infra, art. 364.
�266
DROIT MARITIME.
vue exclusif à une nation. Spécial à la navigation, il
doit s’accommoder aux besoins et à l’utilité de tous les
peuples. C’est ce qui faisait dire à l’empereur Antonin,
consulté sur un cas relatif à la navigation : Je suis maî
tre de la terre, mais la loi Rhodienne, qui tient lieu de
droit des gens, est maîtresse de la mer. On se confor
mera donc aux dispositions de cette loi pour tous les
points auxquels la loi romaine n’a pas dérogé. C’est ain
si, qu’avant nous, l’empereur Auguste l’avait ordonné 1.
Cette loi, réservant les cas où le droit national spécial
avait dérogé, rend hommage à un principe aussi incon
testable qu’incontesté. Quelque respect que mérite le
droit des gens, chaque législateur a la faculté et le droit
de lui faire subir les modifications commandées par les
besoins et les mœurs du peuple qu’il dirige. Telle est la
mission que remplit l’ordonnance de 1681. L’assurance,
enseignait Pothier, est évidemment du droit des gens
dans son origine. L’ordonnance de la marine, en l’au
torisant spécialement, a développé les règles par les
quelles elle est régie, qui sont tirées du droit des gens.
Il est vrai qu’elle a ajouté quelques dispositions arbi
traires, au moyen desquelles on peut dire que ce con
trat , quoique principalement du droit des gens , tient
aussi parmi nous au droit civil9.
1 0 1 3 . — Peut-être est-ce à cette circonstance qu’éi L . 9, D ig., de lege Rhodia,
�art .
332 , 333 .
267
tait due la disposition autorisant formellement les étran
gers à se faire assurer en France. Le Code de commer
ce, sans aliéner le droit du législateur, n’a pas cru de
voir reproduire cette disposition. Il l’a, avec raison, ju
gée inutile, puisque la faculté qu’elle conférait ne pouvait
faire l’objet d’un doute.
L’étranger peut donc exercer en France l’assurance
soit passivement, soit activement. Seulement, il est tenu
de se conformer à la loi française, pour toutes les déro
gations qu’elle consacre soit au droit des gens en géné
ral, soit spécialement à la législation du pays auquel il
appartient. Cette règle, Puffendorf l’enseigne en ces ter
mes : Quiconque passe un contrat dans les terres d’un
souverain se soumet aux lois du pays, et en devient en
quelque sorte le sujet passager. Elle a donné naissance
au brocard locus régit actum.
Vainement a-t-on voulu en contester l’application eu
matière d’assurance. La jurisprudence n’a pas cessé de
proclamer le contraire. Dès 1806 et le 15 mars, la Cour
de cassation jugeait que les bâtiments étrangers armés
et chargés dans un port de France étaient soumis aux
lois et réglements français, et cette doctrine n’a pas cessé
d’être suivie.
Par réciprocité, l’assurance faite en pays étranger par
un Français obéit aux lois de ce pays, alors même que
son exécution serait demandée aux tribunaux français.
C’est ce que le tribunal de commerce du Havre consa
crait en jugeant, le 15 mai 1843, que le Français qui,
en s’engageant en pays étranger soit comme assuré, soit
�268
DROIT MARITIME.
comme assureur, s’est soumis dans la convention aux
lois de ce pays, ne peut, bien qu’il soit actionné en
France et par un Français, invoquer la loi française
comme règle de ses obligations '.
La circonstance de la soumission conventionnelle aux
lois du pays n’est pas essentielle. A défaut de déroga
tion formelle, cette soumission s’induirait de la règle lo
cus régit aclum.
— La faculté pour l’étranger de faire assu
rer en France ne devrait-elle pas recevoir exception lors
qu’il s’agit du sujet d’une nation en guerre avec la Fran
ce ? L’état de guerre amène naturellement l’interdiction
de commerce entre les parties belligérantes, or, assurer
les propriétés de l’ennemi, c’est mieux que de continuer
le commerce ; c’est prendre sur soi les conséquences de
la guerre et indemniser l’ennemi du préjudice que l’in
térêt public commande de multiplier.
Ce qui peut résulter de là , c’est la prolongation de
l’état de guerre. Les blessures que reçoit l’intérêt parti
culier ne pèsent pas peu dans la balance des considéra
tions qui décident souvent de la paix. Garantir l’enne
mi contre ces blessures, c’est donc éloigner celte paix,
la rendre moins nécessaire et moins urgente, et se pla
cer ainsi en opposition directe avec l’intérêt général.
Il semble donc que notre question devrait se résoudre
par l’affirmative, et qu’on devrait annuler l’assurance
1014.
i Dalloz, Nouveau rép., v. Dr. maril , n» 1431.
�des propriétés de l’ennemi. Cependant Valin et Emérigon observent que, dans les guerres entre la France et
l’Angleterre, les assureurs anglais n’ont jamais refusé
d’assurer les Français et de payer exactement les pertes
résultant des prises faites par leurs compatriotes. Mais
ces actes spontanés et personnels auraient-ils été sanc
tionnés par la justice anglaise, si elle avait eu à les exa
miner? Il est permis d’en douter. Ces exemples ne si
gnifient donc pas grand chose. Que l’état de guerre ne
mette pas fin aux spéculations commerciales, c’est ce
qui se réalise trop souvent, c’est même ce qui a été pous
sé jusqu’aux plus monstrueux excès. N’a-t-on pas vu
des commerçants avides aller jusqu’à faire la conirebande des armes et des munitions de guerre en faveur des
ennemis de leur propre patrie ?
On ne saurait donc rien conclure de ces précédents,
et nous croyons que l’exception que nous adoptons doit
être la conséquence de la raison d’Etat et de l’intérêt
public.
1015. — Du droit que chaque législateur a de dé
roger au droit des gens dans la mesure des mœurs et
des besoins du pays, naissait celui de régler la forme ex
trinsèque et intrinsèque de l’assurance. En France , et
depuis l’ordonnance de 1681 notamment, la convention
qui le constate, et qu’on appelle police d’assurance , a
dû être rédigée par écrit. v
Valin et Pothier enseignaient que cette exigence de
l’ordonnance se référait non à la validité du contrat.
�270
DROIT MARITIME.
mais uniquement à la preuve de son existence. Les rai
sons qui me portent à le penser ainsi, dit ce dernier,
sont : 1° que l’écriture est absolument étrangère à ce
contrat ; 2° que l’ordonnance ne la prescrit point à pei
ne de nullité L
D’accord sur le principe, Valin et Pothier différaient
sur ses conséquences. Le premier en concluait que les
parties se trouvant replacées sous l’empire du droit com
mun, la preuve testimoniale était admissible lorsqu’il
s’agissait d’une somme inférieure à cent francs, ou qu’il
existait un commencement de preuve par écrit. Pothier
repoussait la preuve testimoniale , même dans cette
double hypothèse, l’ordonnance de la marine ne repro
duisant pas ces deux exceptions consacrées par celle de
1667.
1 0 1 6 . — La même divergence s’est naturellement
produite sous l’empire du Code, nous la rencontrons
dans la jurisprudence elle-même. L’inadmissibilité ab
solue de la preuve testimoniale, enseignée par Pothier,
admise par Emérigon, était consacrée parla cour d’Aix,
le 23 novembre 1813, la cour de Rennes, dans un ar
rêt du 25 décembre 1832, adoptait au contraire la doc
trine de Valin.
Entre de telles autorités le choix est difficile, nous
avouons cependant que l’opinion de Valin nous paraît
i Assur., n« 96.
�ART.
332, 333.
271
plus juridique, plus conforme au principe que celle de
Pothier.
L’argument tiré de ce que l'ordonnance de 1681 ne
consacre plus les deux exceptions que crée celle de
1667 nous touche peu. Cette consécration était complè
tement inutile, elle résultait de la nature même des
choses.
L’ordonnance de 1667, qui prohibait la preuve testi
moniale, excluait de cette prohibition la matière com
merciale. Pour celle-ci donc la preuve testimoniale est
de droit commun. Le caractère de l’assurance amenait
donc à ce résultat que, quel que fût l’intérêt engagé, la
police pouvait être verbalement convenue et qu’en cas
de dénégation son existence pouvait être établie par la
preuve orale et par présomptions.
Or, cet usage introduisait des abus tels que le législa
teur crut devoir l’abroger. Il prescrivit donc la preuve
écrite, c’est-à-dire que , plaçant l’assurance en dehors
de l’exception que l’ordonnance de 1667 consacrait pour
le commerce , il assimila ce contrat aux contrats ordi
naires et le rangea sous l’empire du droit commun à
l’endroit de la preuve de son existence.
Dès lors, ce droit commun devint seul applicable,
mais applicable dans toute son étendue. Une obligation
doit être prouvée par un titre écrit, mais ce titre n’est
plus indispensable s’il s’agit de cent francs ou s’il existe
un commencement de preuve. Pourquoi donc en seraitil autrement de l’assurance ? Serait-ce que l’écriture lui
serait essentielle ? Non, car Pothier reconnaît lui-même
�272
DROIT
M A RITIM E.
qu’à son endroit l’exigence d’un écrit est relative non à
sa validité, mais à la preuve de son existence.
Or, ce qui est vrai sous l’empire des ordonnances de
1667 et 1681, n’a pas cessé de l’être depuis notre nou
velle législation ; les articles 1341 et suivants du Code
civil consacrent la règle générale et l’exception qu’édic
tait la première ; l’article 332 du Code de commerce ne
fait que reproduire la disposition de la seconde, il se tait
sur la nullité de la police en cas de défaut d’écrit. Dès
lors, il se borne à tirer l’assurance de l’exception et à la
ranger sous la règle générale du droit commun, avec
toutes les modifications que cette règle comporte.
La preuve testimoniale est donc admissible lorsque la
valeur de l’assurance est inférieure à 150 francs de
puis nos Codes, ou lorsqu’il existe un commencement
de preuve par écrit. Toutefois cette règle ne concerne et
ne peut concerner que les parties entre elles. Lorsqu’il
s’agit de revendiquer la prime contre les tiers, et d’ob
tenir le privilège qu’elle entraîne, rien ne saurait rem
placer la production de la police exigée par l’article 192.
1019. — Cependant l’inadmissibilité de la preuve
testimoniale contre les tiers recevrait exception si l’im
possibilité de produire la police n’était que la consé
quence d’une force majeure, par exemple, si la police
rédigée sous seing-privé avait péri dans un incendie.
Cette exception est enseignée par Pothier, mais sous
condition que le réclamant justifiera d’abord de la force
�ART.
332, 333.
273
majeure 1; s’il suffisait, en effet, d’en alléguer l’existen
ce, le droit des tiers à s’opposer à la preuve testimoniale
serait trop facilement éludé.
1018. — Enfin, l’existence d’un contrat d’assuran
ce peut être prouvée par témoins, ou être induite par le
juge de présomptions graves et précises, lorsque ce n’est
pas entre l’assureur et l’assuré qu’il s’agit de prouver
si ce contrat existe, mais entre l’un des souscripteurs et
un tiers intéressé, par exemple, entre l’individu qui a
été chargé de faire l’assurance au nom d’un autre, et
celui pour qui elle a dû être faite3.
1019. — La police d’assurance doit être datée du
jour où elle est souscrite, et énoncer si c’est avant ou
après midi.
Le premier projet du Code ne mentionnait aucune de
ces formalités, sur lesquelles l’ordonnance avait gardé
le plus absolu silence, c’est la Cour de cassation qui,
signalant l’utilité de la date et de l’indication de l’heure
précise de la signature, demandait de les rendre obli
gatoires.
Cette proposition, adoptée d’abord par la commission,
le fut ensuite par le conseil d’Etat, avec la modification
qu’au lieu de l’indication de l’heure précise, on expri
merait généralement si c’était avant ou après midi. Voici
1 N° 9 9 .
3 Cass., B août 1823.
m — 48
�274
DROIT
MARITIME.
en quel termes l’orateur du gouvernement justifiait cette
résolution :
« Ces dispositions sont nouvelles, mais elles n’en sont
pas moins nécessaires, il est généralement senti com
bien il est utile de dater ce contrat. Les assurances qui,
en couvrant tout le risque, sont antérieures à d’autres
qu’on aurait fait sur le même risque dans la suite, an
nulent ces dernières. L’époque du contrat, le point fixe,
l’heure même de celte époque serait d’ailleurs nécessai
res à établir pour régler le cas où il pourrait y avoir
présomption de la nouvelle de l’arrivée ou de la perte
du navire au temps de l’assurance ; et, en général, pour
régler les droits de tous les créanciers qui pourraient
avoir intérêt dans le bâtiment ou dans l’objet assuré.
« Il faut convenir que ce raisonnement conduisait à
imposer le devoir de l’indication de l’heure précise où
le contrat serait souscrit, mais ici la stricte sévérité des
principes a dû succomber aux formes larges et faciles
du commerce, on ne saurait, dans la pratique, exiger,
sans beaucoup d’inconvénients, une précision plus gran
de que celle que le Code établitl. »
L’indication de l’heure précise ne pouvait, à notre
avis, entraîner plus d’inconvénients que celle d’avant
ou d’après midi, mais elle avait, sur celle-ci, l’incon
testable avantage de résoudre toutes difficultés qu’offrira
aujourd’hui l’application des articles 365 et 366. A ce
�ART.
332, 333.
27b
point de vue, on peut et on doit regretter qu’elle n’ait
pas été préférée.
1030. — La date de la police est celle du jour in
diqué par l’assureur signataire ; cela est sans difficultés
lorsqu’on ne traite qu’avec un seul assureur, mais, dans
l’usage, ces traités sont rares ; pour peu que le risque
soit important, il se divise entre plusieurs assureurs qui
adhèrent chacun pour une somme déterminée, soit dans
le même moment, soit successivement et à des époques
différentes, à la police ouverte par le courtier ou par le
notaire. Chaque assureur est il tenu de dater son adhé
sion ?
Chaque assureur, dit M. Pardessus, doit dater son en
gagement autrement les engagements non datés seraient
présumés faits le même jour que celui dont la date suit
immédiatement, par exemple, un courtier ou un notaire
propose à Pierre d’assurer un chargement et lui offre
d’en signer la police. Pierre assure pour 2,000 francs,
signe et date du 1er avril. Paul assure ensuite pour telle
somme, signe et ne date pas. Jean, après lui, assure
pour une nouvelle somme, signe et date du 4 avril. La
présomption sera que Paul n’a signé que le dernier jour.
Plusieurs ensuite signent sans dater, le notaire ouïe cour
tier qui ne doit pas, sous peine de faux, donner à la clô
ture une date autre que celle du jour où il l’a faite réel
lement, clôt la police le 15 avril, les dernières signatures
n’auront que cette date K
l N» 798.
�276
DROIT MARITIM E.
Cette doctrine est erronée tant sous le rapport du
rang donné aux signataires qu’en ce qui concerne la
date de la clôture. Il y a autant de polices distinctes
qu’il y a de dates différentes. Or, les signatures non da
tées qui en précèdent une autre, portant une date dif
férente de celle apposée par le premier assureur, ap
partiennent de droit à la première et non à la seconde
police. Ainsi, dans l’hypothèse de M. Pardessus, Paul
sera censé avoir signé le 1er avril, et les signatures sui
vant celles de Jean, jusqu’au 15, jour de la clôture, se
ront considérées comme données le 4 avril.
Quant à la clôture, elle est toujours faite à la date
mise par le premier assureur, c’est ce qui empêche que,
dans l’usage, les assureurs successifs datent leurs enga
gements ; adhérant à la police, leur engagement remon
te à la date donnée par le premier assureur, et est censé
contracté le même jour.
Telle est la pratique attestée par Emérigon. Celui qui
signe sans date, enseigne-t-il, est toujours présumé
avoir contracté à la date donnée à l’engagement précé
dent, C’est toujours à la première que le notaire ou le
courtier clôture l’assurance. On sent, ajoute Emérigon,
combien une pareille manière de procéder est irréguliè
re. La date mise par le courtier ou le notaire dans la
conclusion de la police n’est pas véritable. Voilà donc
un acte dressé par un ministre chargé par état de la foi
publique qui se trouve infecté du vice de fausseté, au
grand préjudice des tiers et des assureurs eux-mêmes K
1 Chap. S, sect. 4, $ 4.
�Il faut même convenir que le courtier ou le notaire
serait peu jaloux de sauver les apparences. Comment,
en effet, douter de la fausseté de la date de la clôture,
si cette date indiquant le 1er avril, la police portait des
engagements datés des 8, 10 ou 15 du même mois.
Tout cela prouve qu’une pareille hypothèse ne se pré
sentera jamais. Dans l’usage, en effet, les assureurs
successifs ne datent pas leurs souscriptions, ils se bor
nent à indiquer le chiffre qu’ils assurent, et cet engage
ment remonte à la date de celui du premier assureur.
Sans doute, il peut se faire qu’un assureur veuille agir
autrement et ne s’engager que du jour où il souscrit.
Mais celte volonté détermine alors non pas une adhé
sion à la police ouverte, mais l’ouverture d’une nouvelle
police à la date exigée.
L’existence de l’usage que nous indiquons nous avait
été apprise par de nombreux procès que nous avons eu
à plaider devant la Cour. Nous n’avons pas avoulu ce
pendant nous en référer à nos seuls souvenirs. Nous
nous sommes donc adressé à MM. les courtiers de Mar
seille, et voici les indications que M. Dupasquier, leur
honorable syndic, nous adressait avec un empressement
dont nous ne saurions assez lui exprimer notre recon
naissance :
» Le premier assureur d’une police date son engage
ment du jour où il le souscrit.
« Les autres assureurs, adhérant quoique postérieu
rement à cette police, sont, censés l’avoir souscrite le jour
même du premier engagement, et, par conséquent, la
�278
DROIT
MARITIME.
date indiquée par le premier assureur est la seule que
porte cet acte.
« Si, pour des motifs particuliers, un assureur vou
lait, après une date déjà indiquée , signer son engage
ment du jour où il le souscrit réellement, on est dans
l’habitude, le cas échéant, de faire une police nouvelle.
« Le courtier clôture toujours la police à la date in
diquée par le premier assureur, bien que souvent, par
suite d’une somme importante à faire couvrir, cette po
lice soit restée trois ou quatre jours ouverte.
« Une police qui pourrait ainsi traîner longtemps se
clôt ; et on la renouvelle même plusieurs fois, ce qui
fait que, pour le même risque, il existe assez souvent
plusieurs polices portant des dates différentes. »
Dans ces limites, l’usage arrive en droit commercial
à une de ses fictions si nombreuses en droit commun.
Les assureurs sont libres de traiter à la date du jour où
ils souscriyent. Mais ils peuvent renoncer au bénéfice
éventuel que cette date serait dans le cas de leur procu
rer. Or, cette renonciation s’induit de leur adhésion pu
re et simple à la police datée par un premier assureur.
Leur engagement est, par cela même, présumé donné à
cette date, qui devient ainsi naturellement celle de la
clôture.
— L’omission de la date ne pourrait dé
terminer la nullité que la loi n’a pas prononcée pour
défaut d’acte écrit. Cette peine était néanmoins solli
citée par la Cour de cassation. Le silence gardé par no1031.
�ART.
352, 553.
279
tre article prouve que cette proposition ne fut pas ac
cueillie.
Mais si cela est vrai entre parties, le contraire se réa
lise en quelque sorte à l’égard des tiers'. L’omission de
la date rendrait la police irrégulière et lui ferait refuser
tout privilège pour la prime. De plus, dans l’hypothèse
de la nécessité d’un ristourne, la police non datée serait
présumée antérieure à toutes les autres. Elle sortirait
donc nécessairement tout son effet pour la totalité ou
pour la partie du risque qu’elle couvrirait, de préfé
rence à toutes les autres.
Mais l’omission de la date peut être réparée sinon
pour le passé, au moins pour l’avenir. Ainsi, si une cir
constance venait donner une date certaine à la police
qui n’en avait aucune, elle serait, à partir de ce jour,
opposable à tous ceux qui n’auraient traité avec l’assuré
que postérieurement.
L’omission de l’indication si c’est avant ou après midi
que la police a été souscrite, la ferait considérer comme
faite dans cette dernière partie du jour, c’est-à-dire,
ainsi que nous le verrons plus tard, au coucher du so
leil K C’est ce que la doctrine a généralement admis.
Cette décision est-elle juridique ? Nous en doutons,
car, dans une circonstance donnée, la violation de la
loi pourrait créer un avantage en faveur du violateur.
Supposez, en effet, qu’elle ait été réellement faite avant
midi, elle serait préférée, en cas de ristourne, à celles
1 V. infra, art. 366.
�280
DROIT MARITIME.
qui seraient déclarées souscrites après. Il suffira donc
de ne pas se conformer à l’article 3321 pour participer
au ristourne proportionnellement avec ces dernières.
L’inexécution de la loi devrait nuire non au tiers,
mais à celui qui se l’est permise. Il nous semble donc,
lorsqu’il s’agit de ristourne notamment, que la police
devrait être présumée faite avant midi, et dès lors pro
duire tout son effet, de préférence à celles datées de l’a
près-midi.
1031 bis. — De qui doit émaner l’indication de la
date et du moment avant ou après-midi? La déclaration
à ce sujet émanant du courtier seul ferait et devrait-elle
faire foi en justice ?
Le tribunal de commerce de Marseille et la cour d’Aix
ont résolu négativement cette question : « Attendu, di
sait le jugement confirmé purement par l’arrêt, que la
loi exige la date de la souscription et non de la clôture ;
qu’une date de clôture apposée par le courtier seul
après que les assureurs ont signé et hors de leur pré
sence, n’a pas un caractère légal ; que, du reste, elle ne
précise pas ce que la loi veut qu’on détermine, à savoir
l’époque de la souscription ;
« Attendu que la loi a voulu que cette époque fût
précisée non seulement par la date du jour , mais en
core par l’énonciation si c’était avant ou après midi ;
que cette énonciation dans le sens de la loi fait partie
de la date et en est le complément. »
Dans l’espèce, il s’agissait de deux polices souscrites
�...■nu
ART.
332, 333.
281
l’une à Paris, l’autre à Marseille, datées l’une et l’autre
du 30 mai avant midi, disait celle de Paris, tandis que
celle de Marseille ne portait que ces mots : clôturée
après midi, émanant du courtier seul.
C’est cette indication que le jugement et l’arrêt décla
rent insuffisante et à laquelle ils refusent tout caractère
légal 1
Cette doctrine et ses conséquences nous paraissent re
grettables. Il semble en effet qu’en l’état de l'usage at
testé par le syndic des courtiers de Marseille, et qui ne
peut être autre sur les diverses places de commerce ,
c’est par la date de la clôture que devrait être déterminé
le moment de la formation du contrat. Qu’importe la
date précédant la signature du premier souscripteur ?
Quel compte tenir de la déclaration que cette signature
a été apposée avant ou après midi? N’est-il pas évident
que les plus nombreuses adhésions auront été données
un ou plusieurs jours après, avant midi, lorsque la po
lice portera après, après lorsqu’elle dira avant.
Ne tenir aucun compte de cette manière de procéder
qui était d’ailleurs inévitable ; s’en référer uniquement
à la déclaration du premier souscripteur, quant à la
date et au moment précis de la signature, c’est sciem
ment et volontairement substituer la fiction et le men
songe à la vérité. Pour rester dans celle-ci il faudrait ne
considérer la police comme, souscrite que lorsque le ris
que entier a été couvert et ne lui donner d’autre date
que celle du jour de la clôture que le courtier seul est
^
�282
DROIT MARITIM E.
dans le cas de donner en indiquant à quel moment de
la journée il a procédé à cette clôture.
L’article 332 n’a rien qui répugne à l’interprétation
que nous en faisons et qui trouve un fondement juridi
que dans l’article 79 du Code de commerce. Le droit
que nous réclamons pour le courtier découle des attri
butions que lui reconnaît cette disposition et qui lui don
nent le caractère d’officier public. Qu’importe dès lors
que la clôture ait lieu hors la présence et sans le con
cours matériel des signataires ? En adhérant à la police
chacun d’eux a suivi la foi du courtier qui sollicitait
cette adhésion et lui a donné mandat exprès de faire
tout ce qu’exigent la validité et la perfection du contrat.
Notre doctrine, si elle était généralement admise n’of
frirait aucun inconvénient puisque elle déterminerait dans
tous les cas la priorité à donner aux polices en con
cours. Le grand avantage qu’elle offrirait serait de subs
tituer la vérité au mensonge en ne donnant pas à la
police une date qui, juste et vraie pour le premier si
gnataire, ne l’est évidemment pas pour ceux qui n’ont
signé que plusieurs jours après lui, en n’obligeant pas
le courtier à clôturer à la date du 20 du mois , par
exemple, lorsque cette clôture n’a pu avoir et n’a eu ef
fectivement lieu que le 24 ou le 25.
Quoiqu’il en soit du droit d’énoncer si la police a été
souscrite avant ou après midi, cette indication est essen
tielle, et si ce droit est dénié au courtier, le silence que
le premier souscripteur aurait gardé à ce sujet, rend la
date incomplète et entache la police d’irrégularité.
�ART. 5 5 2 , 3 5 5 .
285
1 0 3 1 ter. — Quel effet produira cette irrégularité ?
Elle ne saurait évidemment entraîner la nullité de la
police. Cetle nullité n’aurait aucune raison d’être entre
les parties, à l’égard desquelles le contrat est parfait à
quelque moment de la journée qu’il se soit accompli.
Pour les tiers ils n’ont intérêt à la question que dans
l’hypothèse de deux polices portant la même date. Or,
cet intérêt reste étranger à la question de validité ou de
nullité de la police imparfaite, il se réduit h savoir la
quelle des deux sera ristournée.
Cette question elle-même ne saurait s’agiter si la po
lice conforme à la loi était déclarée souscrite avant midi.
En effet, tout ce qu’on pourrait faire, c’est d’admettre
que la police, muette sur le moment de sa souscription
ou sur laquelle ce moment est irrégulièrement indiqué,
a été réellement faite avant midi, et dans ce cas les as
sureurs de l’une et de l’autre devraient concourir à la
réparation du dommage.
Si la police conforme à la loi est datée de l’aprèsmidi, devra-t-on considérer la police irrégulière comme
souscrite avant midi et laisser l’entier dommage à la
charge de ses signataires ?
La peine pourrait trouver sa justification dans cette
considération que l’omission constitue une faute dont
les conséquences doivent peser sur son auteur Mais
n’oublions pas que dans notre matière l’auteur est le
premier signataire et qu’en le punissant on punirait en
même temps tous ceux qui ont ultérieurement adhéré à
la police.
�284
DROIT MARITIME.
Aussi, dans l’espèce qu’il avait à juger, le tribunal de
Marseille, tout en refusant de tenir compte de la men
tion d’après midi émanée du courtier seul, n’admet pas
que la police doive de plein droit être considérée com
me souscrite avant midi. Ce qu’il induit de l’irrégularité
c’est la faculté pour le juge de se décider d’après les
circonstances et suivant les inspirations de sa cons
cience.
« Attendu, porte le jugement, qu’on ne saurait ad
mettre que la date seule du jour soit une présomption
que l’acte n’a été souscrit que l’après-midi de ce jour,
parce ce que ce serait annuler la prescription de la loi
qui veut qu’on énonce si les souscriptions ont eu lieu
avant ou après-midi ;
« Attendu que l’inobservation des prescriptions léga
les dans les conventions, quand elle n’entraîne pas une
nullité, n’engendre pas moins une situation irrégulière,
et que c’est au juge à apprécier les conséquences de l’ir
régularité suivant les cas et les circonstances. »
Examinant aussitôt l’espèce qui lui était soumise, et
appliquant le principe qu’il vient de proclamer, le tri
bunal ajoute :
« Attendu que l’omission constatée dans la date réelle
de la police de Marseille, laisse subsister un doute sur
le point de savoir si cette police a été souscrite avant ou
après-midi, et que le doute doit s’interprêter contre ceux
qui pouvaient et devaient le prévenir ;
« Que si les lettres des courtiers n’autorisent pas les
assureurs de Paris à substituer à la date de leur police
�plusieurs dates différentes, elles leur donnent droit, en
discutant la police de Marseille, d’établir que les cour
tiers ont agi de concert à Marseille et à Paris, qu’ils ont
fait souscrire simultanément les polices, et que l’entière
souscription de la police à Marseille n’a pas été posté
rieure à l’entière souscription da la police à Paris ; que
dès lors le concours des assurés des polices est la solu
tion qui seule concilie les principes de droit et de l’é
quité. »
Les assureurs de Marseille qui avaient échoué devant
la cour d’Aix, se pourvurent en cassation. Leur systè
me était fort simple : « La date certifiée par un officier
public , disaient-ils , doit être considérée comme cons
tante. Pour la combattre, l’inscription de faux est né
cessaire. Les courtiers sont des officiers publics qui, aux
termes de l’article 79 du Code de commerce, sont char
gés des rédiger les contrats ou polices d’assurance, d’en
attester la vérité et par conséquent l’exactitude de la
date. Donc, on devait décider que la police de Marseil
le était de l’après-midi. »
Mais, par arrêt du 24 décembre 1873, la chambre
civile rejette le pourvoi. Ce rejet, arrêté après délibéra
tion en chambre de conseil, est motivé sur les considé
rations suivantes :
« Attendu que, suivant l’article 332 du Code de com
merce, le contrat d’assurance maritime est daté du jour
auquel il est souscrit ; il y est énoncé si c’est avant ou
après midi ;
« Attendu qu’en parlant du jour auquel le contrat
�286
DROIT MARITIME.
est souscrit, la loi désigne manifestement le jour où le
contrat a été formé par l’engagement réciproque des
parties et non pas celui où la police a été close et signée
par le notaire ou le courtier ;
« Que le courtier, ayant mandat de l’assuré de re
chercher des assureurs et de recevoir leurs souscrip
tions, le contrat devient parfait du moment que l’assu
reur a donné son consentement ; que la date où ce con
sentement intervient est donc bien celle du contrat et
ne saurait être modifiée par la clôture de la police, opé
ration que le courtier fait seul, qui peut avoir lieu en
dehors des parties intéressées et ne pas suivre immédia
tement les souscriptions consenties par les assureurs ;
« Attendu qu’il est constant, en fait, que la police
litigieuse a été close, il est vrai, par le courtier, sous la
date du 30 mai 4870 , après midi ; mais que la date
continue au corps de l’acte, et à laquelle se réfèrent les
souscriptions des assureurs est seulement celle du 30 mai
1870 ; qu’en jugeant que cette dernière date était la date
légale du contrat ; que, dès lors, il n’était pas régulière
ment prouvé que ce contrat eût été passé dans l’aprèsmidi du 30 mai 1870, et en puisant, par suite, dans la
correspondance versée au procès, les éléments nécessai
res pour reconstituer l’heure véritable de la formation
des engagements, l’arrêt dénoncé n’a donc violé aucun
des articles de loi qui sont invoqués par le pourvoi, et a
au contraire sainement appliqué les articles 332 et 109
du Code de commerce l.
�ART.
332, 335.
287
Les observations critiques que nous avait inspiré le
système consacré par le tribunal de commerce de Mar
seille, loin d’être infirmées par la Cour de cassation,
nous paraissent en recevoir une force nouvelle.
« Le jour désigné par l’article 332, dit la Cour su
prême, est manifestement celui oit le contrat a été for
mé par l’engagement réciproqne des parties, et non pas
celui où la police a été close.
Mais n’est-ce pas seulement à ce dernier jour que se
trouvera acquis l’engagement réciproque des parties ?
Dans une police d’assurance, les parties sont d’une part
les bénéficiaires de l’assurance, les assureurs de l’autre.
Or, tant que la police reste ouverte, il peut bien y avoir
engagement plus ou moins conditionnel de la part de
certains assureurs. Mais évidemment on ne saurait ni
admettre ni considérer comme obligés ceux qui n’ont
adhéré que le jour même de la clôture, c’est-à-dire
plus ou moins longtemps après le premier signataire.
Il y a plus, en acceptant la date qui précède la si
gnature de celui-ci, on risque d’accepter comme exis
tant un contrat qui n’existe même pas encore. En ef
fet un courtier qui a reçu un ordre d’assurance et qui
s’est enquis des conditions auxquelles elle pourra être
souscrite, rédige la police et lui donne la date du jour
de cette rédaction. Ce n’est cependant que le lendemain
qu’il recueillera des adhésions, soit qu’il n’ait pu plutôt
présenter la police, soit que les assureurs aient voulu se
ménager le temps de réflexion et de s’éclairer. En ac
ceptant le jour de la clôture comme celui où s’est trouvé
Vt»
�288
DROIT MARITIME.
définitivement formé l’engagement réciproque des par
ties, on rend impossible toute éventualité de ce genre.
. Dans tous les cas, pour rester dans la vérité il fau
drait que chaque assureur ne fût engagé que du jour et
du moment de sa souscription, mais on comprend les
inconvénients et les embarras que créerait cette multi
tude de dates lorsqu’il s’agirait de décider une question
de ristourne. Il fallait donc n’accepter qu’une date uni
que. Mais, nous l’avons d it, et nous ne craignons pas
de le répéter, en raison, en logique et surtout en vérité,
celte date ne pouvait être que celle de la clôture , alors
que le risque entier étant souscrit, l’engagement res
pectif des parties est définitif et acquis.
1021. q u a tu o r. _ Nous ajoutons qu’étant donné, le
système consacré par la Cour de cassation, ses consé
quences ne pouvaient être autres que celles que l’arrêt
consacre. Ainsi, lorsque une police régulière portant
qu’elle a été souscrite se trouvera en concours avec une
police où la mention d’après midi sera irrégulière ou
omise, les juges pourront décider en faveur des assu
reurs de la première, que loin d’être ristournée la se
conde concourra à la réparation du dommage. Les si
gnataires de celle-ci sont en faute et ne sauraient impu
ter qu’à eux-mêmes la peine que cette faute provoque.
Mais cette faute ses auteurs ne sauraient en exciper
contre les tiers ni en récuser les conséquences. Ainsi,
supposez que la police irrégulière porte la date d’avant
midi, et l’autre celle d’après midi, celle-ci devra être
�ristournée. L’offre de prouver que quoique déclarée faite
avant midi, la police irrégulière ne l’a été qu’après ne
serait ni recevable ni fondée ; ses signataires ne pou
vant se placer dans l’hypothèse de l’article 1348 du Co
de civil, seraient inévitablement repoussés par l’article
1341.
1033. — Avant l’ordonnance de 1681 , la police
d’assurance ne pouvait être rédigée sous seing-privé.
Nous avons déjà rappelé qu’un édit de 1657 créait des
notaires spécialement chargés de recevoir les contrats
maritimes, ce qui comprenait forcément les assurances.
Cet édit blessait les habitudes et les besoins réels du
commerce , il devenait un obstacle à la rapidité et con
séquemment au développement de ses opérations. Aussi,
au témoignage unanime des commentateurs, était-il
resté sans exécution. Son abrogation de fait avait pré
cédé son abrogation légale que l’ordonnance de 1681
consacra en permettant de faire la police d’assurance
par sous seing-privé L
La reproduction de cette disposition dans le Code de
commerce était surtout commandée pour trancher une
difficulté pouvant naître de l’article 79 du Code de com
merce. Celui-ci déclarant que les polices d’assurance se
raient reçues par les notaires et les courtiers, on aurait
pu en induire la prohibition de la forme sous seingprivé. C’est cet équivoque que l’article 332 a voulu ren
dre impossible.
i Art 3, tit. des Assur.
ni — 19
�290
DROIT MARITIME.
Aujourd’hui, comme sous l’empire de l’ordonnance,
le ministère du notaire et du courtier n’est que facul
tatif. Les parties elles-mêmes peuvent, sans aucun in
termédiaire, dresser la convention et constater leurs ac
cords.
— Des difficultés se sont élevées sur la na
ture de la mission confiée aux notaires. On a prétendu
la réduire à la rédaction des accords des parties, sans
qu’ils pussent s’immiscer dans les négociations qui les
précèdent et les préparent. Ces négociations, disait-on,
constituent l’entremise proprement dite' exclusivement
dévolue aux courtiers, et qui est d’ailleurs incompatible
avec la dignité du notariat.
Cette prétention, repoussée par le tribunal correction
nel de Marseille et par la cour d’Àix, fut définitivement
condamnée par arrêt de la Cour de cassation, du 7 fé
vrier 1833. La Cour suprême déclare que la mission du
notaire, à l’endroit des polices d’assurance, est exacte
ment la même que celle des courtiers ; que la faculté
de rédiger et de certifier les contrats d’assurance em
porte avec elle le pouvoir de les négocier ; que les no
taires peuvent rédiger et certifier les polices dans la mê
me forme que les courtiers ; qu’ils sont dispensés, pour
ces sortes d’actes, de suivre les formalités prescrites par
la loi du 25 ventôse an xi ; qu’ils peuvent enfin, de la
même manière que les courtiers, attester la vérité d’un
contrat d’assurance par leur seule signature.
En réalité donc, les notaires recevant une police d’as1033.
�surance, font plutôt acte de courtier que de notaire, ils
sont donc dispensés d’en retenir minute, mais, par ré
ciprocité , ils sont tenus d’avoir un registre de la nature
de celui prescrit aux courtiers par l’article 83 , sur le
quel ils doivent consigner dans la forme requise toutes
les polices qu’ils reçoivent.
— La signature du notaire ou du courtier
est plutôt requise pour la constatation des accords que
pour leur validité. Celle-ci existe dès que les parties ont
mutuellement consenti, dès que l’assureur a apposé son
seing. Le notaire, ou courtier, dit Emérigon, est un vé
ritable greffier des assurances, et l’instrument qu’il ré
dige est un procès-verbal.
L’importance de celte observation est facile à saisir,
l’acte notarié notamment, tant qu’il n’est pas signé par
le notaire, n’est qu’un projet dont les parties sont libres
de se départir. Si on le décidait ainsi pour l’assurance,
on arriverait à ce résultat. Le notaire ou courtier n’ap
posant sa signature qu’au moment de la clôture , et la
police pouvant rester ouverte trois ou quatre jours, les
assureurs qui l’ont signée successivement pourraient,
jusqu’au moment de la clôture, revenir de leur résolu
tion et biffer leur signature.
Or, cette faculté leur a été de tout temps refusée, l’as
sureur qui a signé la police ouverte est valablement et
définitivement engagé. Peu importe que cette police ne
porte pas encore la signature du notaire et du courtier,
elle doit sortir son plein et entier effet en faveur et con1.034.
�DROIT MARITIME.
292
tre chacune des parties. Tout comme il ne dépend pas
de l’assuré de rejeter sans raison la signature de l’as
sureur, il n’est pas en la liberté de l’assureur de rayer
sa signature sans le consentement de l’assuré l.
— Un seul doute s’est élevé à cet égard, on
a voulu soutenir que tant qu’il a la police et la plume
à la main, l’assureur avait le droit, soit de biffer sa si
gnature, soit d’amoindrir la somme pour laquelle il vient
de souscrire.
Emérigon s’élève avec raison contre cette doctrine, il
en signale les inconvénients et les dangers. Les polices
d’assurance, observe-t-il, restent plusieurs jours entre
les mains du notaire ou courtier , qui, de concert avec
plusieurs assureurs, pourraient très fort disposer les
choses suivant l’événement, et l’on sent combien il est
difficile en pareille occurence de prouver la perfidie.
Il conclut donc, et celte conclusion nous paraît irré
fragable, qu’en bonne jurisprudence on ne doit autori
ser ni rature, ni changement dans les souscriptions des
police. Celui qui l’a signée s’est lié envers l’assuré. Le
courtier n’est qu’un simple ministre qui, sans le con
cours de la partie intéressée, n’a pas le pouvoir de rom
pre un engagement parfait. Si le signataire s’est trom
pé, s’il change d’avis, on peut y remédier, soit par un
advenant, soit par une réassurance , mais rien de si
1035.
1 E m é r ig o n , c h . 2. se ct. 4, § 3.
�dangereux que les renvois, additions et ratures faits hors
la présence et à l’insu de l’assuré K
— La signature de l’assureur est donc né
cessaire, puisqu’elle suffit, même en l’absence de celle
du notaire ou du courtier, pour rendre l’assurance par
faite ; il n’en est pas de même de celle de l’assuré, il est
même d’usage de ne pas l’exiger. A quoi bon, en effet,
cette signature, l’original de la police lui est remis, et
celte acceptation équivaut certes au consentement qui
s’induirait de la signature.
D’ailleurs, l’assureur ne reçoit ordinairement qu’une
note dans laquelle le notaire ou le courtier relaie les
conditions et le prix d’assurance. Cette note, constituant
un extrait du livre du courtier, reste absolument étran
gère à l’assuré, qui n’est pas appelé à le revêtir de sa
signature.
Cette signature, ne devant donc jamais arriver entre
les mains de l’assureur, n’est plus qu’une vaine, qu’u
ne inutile formalité. Ôn fait donc bien de ne pas l’exi
ger.
L’usage de remettre l’original à l’assuré , lorsque la
police est reçue par un notaire ou un courtier, livre donc
l’assureur à la discrétion de cet assuré, quant à la pro
duction de la police. Il était donc juste de pourvoir aux
inconvénients que cet état de choses pouvait créer, et la
loi y a pourvu, le défaut de production ne pouvait être
1036.
�294
DROIT MARITIME.
supposé que dans le cas où, après l’heureuse arrivée’
les assureurs demandent le paiement de la prime, mais,
dans ce cas, la prétention des assureurs serait pleine
ment justifiée par l’extrait du livre du notaire ou du
courtier ; nous avons vu que l’article 192 attache le pri
vilège contre les tiers à celte production.
— C’est probablement cet effet qui fait dire
à M. Pardessus que ce livre doit être signé par l’assuré
et par l’assureur. En fait, on ne le pratique pas ainsi ;
en droit, rien ne commande de le faire, si ce n’est l’in
térêt du courtier lui-même et sa garantie, lorsqu’il ou
vre la police sans un ordre écrit de la part de l’assuré.
A défaut, en effet, de cet ordre, ce dernier ou celui qui
a commis l’assurance pour son compte pourrait dénier
qu’il en eût chargé le courtier pour s’exonérer de l’obli
gation de payer la prime. C’est ce qui se réalisait dans
une espèce rapportée par Emérigon 1.
Toute dénégation de ce genre serait impossible si ce
lui qui s’est adressé au courtier avait signé sur son livre.
Cette signature constituerait l’ordre écrit, et mettrait
complètement à couvert la responsabilité de ce cour
tier.
La signature n’intéresse donc que le courtier, il est
dès lors libre de l’exiger, mais qu’elle soit nécessaire
pour la régularité de l’opération, pour sa perfection en
tre parties, c’est ce qui n’est pas admissible.
1039.
�293
1038. — La police reçue par un notaire ou par un
courtier est donc parfaite par l’adhésion de l’assureur,
la signature de l’assuré n’ajoute rien à sa perfection,
elle est donc inutile ; mais il ne saurait en être de mê
me pour les ratures, renvois ou modifications qui pour
raient y être faits, on ne serait pas recevable à les in
voquer contre lui, s’il ne les avait formellement approu
vés et signés.
Pothier rappelle cette disposition du règlement de l’a
mirauté de Paris, du 18 juillet 1759 : défendons à tous
courtiers et agents d’assurance de mettre aucun renvoi
sur les polices qu’en présence et du consentement des
parties, par lesquelles ils seront tenus de les faire para
pher lors et à l’instant de la passation de la police,
comme aussi de faire aucun advenant auxdites polices
qu’à la suite d’icelle, ou par acte séparé du consente
ment et en présence des parties ; lesquels advenants se- •
ront signés sur le champ par les parties, le tout à peine
de nullité des renvois non paraphés et advenants non
signésl.
Il en serait exactement de même aujourd’hui. Ainsi
que nous venons de le dire, les renvois et advenants
constituent des conventions qui ne peuvent lier que ceux
qui les ont formellement acceptés et signés.
Il est toutefois des modifications qui obligent l’assuré,
sans qu’il ait signé. On sait que l’usage des polices im
primées a prévalu, ces imprimés renferment les condiART. 3 3 2 , 3 3 3 .
1 Â ssu r., n» 103.
�296
DROIT MARITIME.
tions générales de la place et rappellent les obligations
et les droits des parties.
Or, dans telle ou telle hypothèse, ces parties, ou l’une
d’elles peuvent vouloir déroger à certaines dispositions,
cette dérogation, de la part de l’assureur, s’exprime or
dinairement par l’exception aux articles qu’il repousse,
dont il fait précéder la signature.
Cette exception, quoique non signée par l’assuré, ne
cesse pas d’être obligatoire pour lui. L’acceptation qu’il
fait de l’original qui la contient équivaut à un consen
tement formel et le lie définitivement ; il y a même
plus, les modifications stipulées par le premier assureur
profitent à tous les assureurs subséquents qui n’ont pas
déclaré les répudier ; et cela tant au profit que contre
l’assuré.
1 0 2 9 . — Les polices pouvant être faites sous seingprivé , on s’est naturellement demandé si, dans ce cas,
elles tombent sous l’application de la règle tracée par
l’article 13215, pour les contrats synallagmatiques.
Les tribunaux et conseils de commerce de Bordeaux
et de Nantes demandaient qu’après ces mots : le contrat
peut être fait sous seing-privé, on ajoutât : et dans ce
cas il sera fait double. Le conseil d’Etat ne crut pas de
voir accéder à cette proposition. Nous ajoutons qu’il ne
devait pas le faire.
Elle était inutile, observe fort bien M. Locré. Il est
évident en effet qu'en permettant le sous sein-privé, la
loi commerciale n’avait pas à en régler les formes ; elle
�ne pouvait que s’en référer sur ce point aux principes
de la matière.
Elle était inutile, car, quoique en général synallagma
tique, le caractère du contrat se trouve bien souvent
modifié par la nature de la convention. L’assureur peut
exiger et recevoir la prime au moment de l’acte, la faire
régler en effet de commerce. Or', dans l’un et l’autre
cas, à quoi bon le double original ?
Il était donc sage de ne pas trop multiplier les for
malités eu matière commerciale, de s’en référer à l’in
térêt des parties, de s’en remettre aux règles ordinaires.
La forme de la police dépendra de son caractère. Si elle
n’est qu’un contrat unilatéral, un seul original suffit, il
en faudra deux, si ce contrat est réellement synallag
matique l.
1030. — Telle n’est pas la doctrine de MM. Par
dessus et Delvincourt. A leur avis, un seul original suf
fit dans tous les cas; M. Delvincourt s’étaye du silence
gardé par la loi, qui prouve qu’on s’en est référé à l’u
sage , o r, ajoute-t-il , cet usage n’a jamais été dou
teux ; même depuis la promulgation du Code civil, les
polices d’assurance n’ont jamais cessé d’être faites à un
seul original.
Ce silence de la loi, nous venons d’en exposer les mo
tifs. D’ailleurs, ce silence serait insuffisant pour déroger
au droit commun, obligatoire en matière commerciale
1 A ix , 23 n o ve m b re
1813 ; Cass.,
1 9 d é c e m b re
1816.
�298
DROIT MARITIME.
toutes les fois que la loi n’a pas formellement décidé le
contraire. Or, se taire, ce n’est pas abroger.
L’usage dont parle M. Delvincourt ne saurait devenir
un argument, par la raison que nous indiquions tout à
l’heure. Si on ne rédige qu’un seul original , c’est que
l’assureur a exigé et obtenu, sinon le paiement de la
prime, au moins son règlement en effets, qu’on appelle
billets de prime. On conçoit donc qu’il se préoccupe
peu d’un second original qui ne serait en ses mains
qu’un titre illusoire, car son véritable titre, c’est le billet
de prime, en vertu duquel il contraindra le paiement
de ce qui lui est dû.
Ajoutons que la délivrance de ces billets, constituant
l’exécution des engagements de l’assuré, placerait les
parties dans l’exception écrite dans l’article 1325 luimême.
Nous croyons donc que l’opinion de MM. Pardessus
et Delvincourt est inadmissible, et qu’on doit lui préfé
rer la conclusion que nous avons étayée sur les arrêts
de la cour d’Aix et de la Cour de cassation.
1031. — Ce que nous n’admettons pas avec la pre
mière, c’est que l’acte, nul par application de l’article
1325, ne puisse pas constituer le commencement de
preuve par écrit. S’il est vrai, comme nous l’avons dit,
que l’écriture n’est pas de l’essence du contrat, et que
les parties entre elles peuvent invoquer le bénéfice de
l’article 1347, il faut reconnaître qu’il ne saurait exis
ter un commencement de preuve plus énergique que
�*
332, 335.
299
l’acte signé par la partie à laquelle on l’oppose.
Que cet acte n’ait pas la force probante qu’il aurait
s’il était régulier, on le comprend. Mais cet acte, que la
partie s’est approprié en le signant, émane donc d’elle ;
il rend très vraisemblable le fait allégué, or, la loi n’exi
ge pas autre chose, lorsqu’elle définit le commencement
de preuve. Refuser de le reconnaître dans notre hypo
thèse, c’est donc méconnaître la loi elle-même et reculer
devant son application h
ART.
1033. — Puisque la loi a permis la police sous
seing-privé, elle a, par cela même, admis qu’il ne sau
rait exister aucune différence entre elle et celle reçue par
un notaire ou un courtier. En conséquence, elle fait foi
de la date, comme cette dernière, non seulement entre
parties, mais encore vis-à-vis des tiers, soit pour le
privilège, soit pour l’ordre du. ristourne, soit pour l’ap
plication de la présomption de l’article 366.
Enfin, l’exécution provisoire pendant procès est éga
lement acquise à l’une comme à l’autre.
1033. — Une deuxième condition est imposée à
la forme intrinsèque de la police. Elle ne doit contenir
aucun blanc. C’est, en effet, au moyen des blancs que
s’introduisent la plupart des fraudes et des erreurs dont
le commerce est si souvent victime.
L’ordonnance de 1681 soumettait aux dommages-in
térêts de la partie le notaire ou courtier qui faisait si1 V. n otre Traité du Dol et de la Fraude, ne* 749 e t suiv.
v
$
:ÿSl
�300
DROIT MARITIME.
gner une police renfermant des blancs. Le règlement de
1778 ajoutait une amende contre tout négociant, no
taire, courtier ou autre personne qui aura part à la
contravention.
Le Code ne renouvelle plus ces dispositions. On n’a
pas cru devoir préciser, en les déterminant, les effets
que pouvait produire la violation de la disposition de
l’article 33â à cet endroit, soit quant à la validité de la
police, soit contre l’officier public qui l’a reçue.
M. Locré pense que si cet officier public est notaire,
l’amende résulterait contre lui de l’article 13 de la loi
du Ü55 ventôse an xi. Il estime que la même amende
devrait être prononcée contre le courtier, puisque la loi
l’assimile au notaire.
Cette dernière proposition ne nous paraît pas accep
table. On ne peut ranger les courtiers sous l’empire
d’une loi spéciale au notariat. Le courtier doit exclusi
vement se préoccuper des règlements généraux relatifs à
sa profession. Est-ce bien vrai d’ailleurs que la loi assi
mile le courtier au notaire? N’est-ce pas plutôt le no
taire qui est assimilé au courtier ? La Cour de cassation
ne vient-elle pas de se prononcer en ce sens, ne déclaret-elle pas que, pour ce qui a trait aux polices d’assu
rance, le notaire n’est pas soumis aux formalités de la
loi de l’an xi ?
Dès lors, non seulement le courtier, mais encore le
notaire lui-même échapperait à l’application de l’arti
cle 13. Aucune amende ne saurait les atteindre ni l’un
ni l’autre.
�ART.
332, 333.
301
Mais l’un et l’autre resteraient soumis à l’action des
parties et tenus de réparer le préjudice qui serait résulté
de la violation de l’article 332. La loi spéciale n’avait
pas à se prononcer sur les dommages-intérêts qui peu
vent être réclamés. Elle ne pouvait que s’en référer au
droit commun. Dans notre espèce, leur allocation serait
motivée sur l’application de la règle consacrée par
l’article 1382 du Code civil, et sur le principe de la
responsabilité des officiers public qui, par négligence
ou impéritie, manquent aux devoirs qui leur sont im
posés.
1034.
— La police qui renferme des blancs doitelle être annulée ? La loi se tait sur cette question, mais
son intention ne saurait être douteuse. On n’a pas vou
lu édicter une peine qui devait ici être la conséquence
non du fait lui-même, mais de sa nature. Les blancs,
en effet, peuvent porter sur les clauses indifférentes,
sans importance aucune. La nullité n’aurait là aucun
fondement rationnel. Il en est autrement s’il s’agit d’une
elause affectant le contrat dans son essence.
En d’autres termes, et ainsi que l’ont jugé le tribunal
de commerce de Marseille et la cour d’Aix, la police ne
doit être annulée que lorsque les blancs portent sur des
points essentiels au contrat, qu’on n’a pu omettre sans
ruiner la convention ou la preuve que l’acte doit four-
�302
DROIT MARITIME.
1035.
— Telles sont les conditions exigées pour la
régularité de la forme extrinsèque de la police. Pas
sant immédiatement à la forme intrinsèque , le législa
teur énumère les énonciations diverses qui la consti
tuent.
Comme il s’agissait ici, en quelque sorte, de l’essence
du contrat, la Cour de cassation demandait, qu’en re
gard de chaque énonciation, on plaçât la peine applica
ble à son omission. Elle présentait à ce sujet une lon
gue série de dispositions indiquant la règle , les excep
tions et leurs effets.
La commission ne crut pas devoir accueillir ce vœu.
La loi, observait-elle, ne doit énoncer que des principes
absolus et des exceptions générales. Il serait peut-être
dangereux d’entrer dans les détails de chaque exception
particulière, parce qu’alors il ne faut rien omettre, si
non, inclmio tmius étant exclusio alterius, on pourrait
en conclure que tout ce qui n’est pas expressément dé
fendu est permis.
On se contenta donc d’énoncer les mentions que la
police doit contenir. C’est aux tribunaux à prononcer
sur les cas exceptionnels et sur les effets que doit avoir
la violation de la loi. La base de cette appréciation rési
de essentiellement dans l’influence que la formalité omi
se est appelée à exercer sur l’essence du contrat.
— La police doit exprimer le nom et le do
micile de celui qui fait assurer. Au point de vue spécial
de l’assurance, cette énonciation est indispensable pour
1036.
�ART.
332, 535.
303
reconnaître si le risque qu’elle exige a réellement existé.
Le bénéfice de l’assurance pourrait trop facilement être
transféré par celui qui n’a rien chargé à un tiers qui
aurait fait un chargement sans l’assurer.
Au point de vue du droit commun, la formalité n’est
pas moins indispensable, il n’est pas de contrats dans
lesquels l’indication des parties ne soit essentielle. Com
ment, sans cette indication, reconnaître le créancier et
le débiteur ? Par qui, et contre qui pourrait être exécuté
l’acte ?
Il est vrai que l’article 332 semble déroger à cette rè
gle, en n’exigeant pas la mention du nom de l’assureur.
Mais était-il possible-d’agir autrement. Lorsque la po
lice s’ouvre, le nom des assureurs est nécessairement
inconnu. Les adhésions successives ne deviennent cer
taines qu’au moment de la clôture, e t, à ce moment,
la signature existant sur la police indique suffisamment
la personnalité des assureurs.
— L’omission du nom de l’assuré annulet-elle la police ? L’affirmative est généralement admise,
elle est la conséquence des motifs qui l’ont fait prescrire.
Néanmoins, M. Pardessus enseigne qu’il devrait en être
autrement, si d’autres énonciations de la police pou
vaient y suppléer.
Nous avons examiné ailleurs cette difficulté , et nous
avons admis l’avis de M. Pardessus '.
1039.
1 V. notre Traité du Dol et de la Fraude, n°» 197 et t 98,
�304
DROIT MARITIME.
Nous persistons à le considérer comme parfaitement
juridique. Cette omission ne peut guère être prévue que
dans la police sous seing-privé. La responsabilité des
notaires et courtiers est un sûr garant qu’en ouvrant la
police , ils ne manqueront pas de désigner celui pour
le compte de qui ils agissent. Mais la police sous seingprivé sera signée par les deux parties. Elle indiquera
donc l’assuré, et alors comment et pourquoi l’annuler ?
Le silence gardé dans les qualités n’est-il pas suppléé
par la signature ?
Le but de la loi et son esprit dictent la réponse qu’on
doit faire. L’opinion de M. Pardessus doit donc être
suivie.
— L’indication du domicile de l’assuré con
tribue à préciser son individualité. En général donc,
elle est purement accessoire, et son absence ne saurait
motiver l’annulation de la police.
Cette règle souffre exception dans le cas où le domi
cile de l’assuré aggrave le risque, comme si, sujet d’une
nation belligérante, ses marchandises étaient exposées à
être saisies et confisquées par les croiseurs ou les cor
saires de l’autre nation. L’omission de l’indication du
domicile serait, dans ce cas, une véritable réticence frau
duleuse, elle motiverait la nullité de l’assurance.
1038.
1039. — En principe, l’assurance ne peut être con
tractée que par le propriétaire des effets assurés. Mais il
n’est pas de rigueur que ce propriétaire agisse person-
�art.
332 , 333 .
303
nellement, il peut en donner l’ordre à un tiers, son
mandataire ou commissionnaire. C’est dans cette prévi
sion que l’article 332 prescrit à celui qui fait assurer
de déclarer s’il est propriétaire ou commissionnaire.
Comme nous le verrons bientôt, cette prescription
n’a aucun intérêt réel pour les assureurs, elle tend uni
quement à prévenir une fraude dont le commettant
pourrait être victime, et dont M. Locré cite l’exemple
suivant :
Deux négociants ont chargé chacun pour 60,000 fr.;
de marchandises sur le même navire, sans qu’il y ait
société entre eux. L’un des deux, voulant faire assurer
son chargement, donne à l’autre l’ordre de réaliser l’as
surance, et ce dernier assure en effet une somme de
60,000 fr., mais en son nom seulement. En cas d’heu
reuse arrivée, il ne manquera pas de se faire rembour
ser la prime, en excipant de l’ordre qu’il a reçu. Si le
navire naufrage avec perte entière du chargement, il
pourra s’appliquer le bénéfice de l’assurance, qu’il sou
tiendra n’avoir été faite que pour son chargement per
sonnel, puisque la police n’énonce pas qu’il ait agi com
me commissionnaire.
Il est vrai, ajoute M. Locré, que, dans cette hypothè
se, le donneur d’ordre pourra demander compte de
l’inexécution de son mandat et obtenir, à titre de dom
mages-intérêts, l’indemnité entière de la perte qu’il en
éprouve. Mais combien de subterfuges le commission
naire n’a-t-il pas pour échapper à cette perte ? Si, par
exemple, il a l’art de ménager tellement la corresponui — 20
�506
DROIT MARITIME.
dance, qu’il n’en résulte pas ne sa part une acceptation
du mandat, il n’est plus chargé de rien l.
Une fraude de ce genre est impossible par l’exécution
littérale de la prescription que nous examinons. La qua
lité fixée dans la police ne permet plus d’en changer ou
d’en revêtir une nouvelle, suivant l’événement.
1040.
— La question de propriété reste en quel
que sorte réservée pour les assureurs. Ils ne payeront
jamais la perte que sur la preuve du chargé, et que si la
police est conforme au connaissement. Quelle que soit
la déclaration de l’assuré sur cette propriété, ils sont re
cevables à la quereller, s’ils soutiennent qu’elle n’est
pas sincère et que la simulation a pour objet de cacher
une fraude.
Supposez, par exemple, qu’on ait fait assurer comme
appartenant à un régnicole, à un allié ou à un neutre,
des effets appartenant à un ennemi ou au sujet d’une
nation belligérante. Si ces effets viennent à être saisis et
confisqués sur ce motif, les assureurs ont un intérêt
évident à établir la simulation. On ne saurait dès lors
les empêcher de la prouver. Quelles que soient les énon
ciations de la police, ils seront recevables et fondés à
agiter la question de propriété, et à faire constater la
vérité des choses.
Supposez encore que le propriétaire réel n’ait em
ployé le ministère d’un commissionnaire que pour dis1 E s p r it d u C ode de co m m ., a r t. 3 3 2 .
�ART.
332 , 333 .
307
simuler les fraudes qu’il a commises, et qui seraient, en
ce qui le Concerne, de nature à faire annuler la police.
Les assureurs ayant incontestablement intérêt seraient
fondés à exciper des actes de ce propriétaire, et dès lors
admis à justifier sa qualité. A plus forte raison en se
rait-il ainsi si, dans le but que nous indiquons, les ef
fets avaient été faussement déclarés la propriété de celui
qui a fait assurer. Rien ne ferait donc obstacle à ce que
les assureurs opposassent au propriétaire apparent tou
tes les exceptions qu’il pourraient faire valoir contre le
propriétaire réell.
— La qualité de commissionnaire n’a pas
besoin d’être expressément déclarée. Elle serait de plein
droit acquise, si on avait fait assurer pour compte d'a
mi ; pour compte d'une personne à nommer ; pour
compte de l'assuré et de ses intéressés ; pour compte
de la personne désignée dans le connaissement ; pour
compte d'autrui ; enfin, pour compte de qui il appar
tiendra.
Chacune de ces clauses est indicative de l’existence
d’un mandat, et exclut toute idée de propriété chez ce
lui qui fait assurer. En principe général, il s’ensuivrait
que la partie, ayant déclaré sa qualité de mandataire,
n’aurait contracté aucune obligation personnelle, et ne
serait de rien tenu, à moins de stipulation contraire2.
1041.
1 Aix, 7 janvier 4823.
3 Art. 1997 du Coda civil.
�308
DROIT MARITIME.
Mais cette règle de droit commun reçoit aujourd’hui,
comme elle a reçu de tous les temps, une exception for
melle en matière d’assurance. Pour l’assureur, le com
missionnaire et le commettant ne sont qu’une seule et
même personne, ayant par conséquent les mêmes de
voirs, les mêmes obligations et les mêmes droits. De là
les conséquences suivantes :
1° Le commissionnaire est personnellement tenu du
paiement de la prime et de la restitution du montant
de l’assurance, le cas échéant. Sa responsabilité à cet
égard est directe et positive. Elle n’est pas éteinte par la
désignation de celui pour compte de qui il a assuré ;
pas même alors que cette désignation aurait été faite
dans la police l.
104 3. — Cette responsabilité, ne puisant sa raison
d’être que dans les principes exceptionnels de l’assu
rance, est uniquement régie par ces principes et se
trouve, par conséquent, quant à son extinction, soumi
se à la prescription de cinq ans, édictée par l’article
432. Par application, la Cour de cassation jugeait, le 8
mai 1844, que, lorsque trompé par son commettant,
un commissionnaire a fait une assurance pour compte
sur des objets qui n’existaient pas, et que, lorsqu’ayant
fait connaître son commettant, il a, sur la nouvelle d’une
perte supposée, touché de bonne foi, pour celui-ci, le
montant de l’assurance et le lui a remis , il peut, si la
i Aix, 7 juillet 1829 ; Bordeaux, 6 avril 1830, et 7 juin 1836.
�ART.
532, 333.
309
fraude du commettant vient à se découvrir, et s’il est
assigné en remboursement des sommes assurées, oppo
ser la prescription de cinq ans, établie par l’article 432
contre toute action dérivant d’une police d’assurance,
bien que la même demande en remboursement ne puis
se être éteinte, à l’égard du commettant, que par un
laps de trente ansL
En effet, dit la Cour régulatrice, l’action de l’assureur
contre le commissionnaire ne peut être fondée, dans ce
cas, que sur la police elle-même, puisqu’elle a pour ob
jet la répétition des sommes payées en exécution de cette
police, et pour les risques auxquels s’étaient soumis les
assureurs. Si la simulation et la fraude ne peuvent em
pêcher la prescription quinquennale, ce n’est qu’à l’é
gard du commettant qui, s’en étant rendu coupable,
doit répondre de ses faits personnels. Dans ce cas parti
culier, et après l’expiration des cinq ans, à partir du
contrat d’assurance, le commissionnaire n’est plus iden
tifié avec son commettant, et ne reste pas soumis à une
action en répétition qui , d’après le droit civil , n’est
prescriptible que par trente ans.
Le soin que l’arrêt met à faire ressortir la bonne foi
du commissionnaire, et l’absence de participation de sa
part à la fraude du commettant indique suffisamment
ce qui arriverait dans l’hypothèse contraire. Les assu
reurs repousseraient donc péremptoirement l’exception
de prescription, en prouvant la mauvaise foi du com1 D. P., 44, 1. 238.
�310
DROIT MARITIME.
missionnaire, à plus forte raison en justifiant qu’il est
lui-même auteur de la fraude , ou qu’il a sciemment
participé à celle du commettant.
A défaut de cette preuve, la bonne foi du commis
sionnaire est acquise, et cette bonne foi peut aller, dans
certaines circonstances, jusqu’à le faire considérer com
me simple mandataire, qui est libéré même avant toute
prescription. Ainsi l’avait consacré la cour d’Aix, en ju
geant que celui qui a fait assurer un navire pour compte
en qualité de commissionnaire, et qui, après naufrage,
a reçu le montant de l’assurance, en faisant connaître
aux assureurs qu’il touchait pour l’assuré, peut être ré
puté avoir agi, en recevant ces sommes, non plus com
me commissionnaire, mais en qualité de simple man
dataire; que, par conséquent, s’il est postérieurement
établi que le navire a péri par baraterie du patron, à
laquelle a pris part l’assuré, c’est contre celui-ci, et non
contre le mandataire, que doit être exercée l’action en
répétition des sommes versées par l’assureur, si elles ne
sont plus dans les mains du mandataire. Les assureurs
ayant dénoncé cet arrêt à la Cour suprême, leur pour
voi fut rejeté le 12 mai 1844 ï.
Ce qu’il importe de relever dans ces décisions, c’est
cette circonstance, à savoir, que le mandataire s’est réel
lement désinvesti des fonds reçus des assureurs, dès
qu’il les a passés en compte courant au crédit du com
mettant. Les assureurs voulaient qu’on subordonnât le
�ART. 5 3 2 , 3 3 3 .
311
désinvestissement à la remise matérielle des fonds en
tre les mains de l’assuré. Mais cette prétention ne fut
pas accueillie.
I
1043. — 2® Le commissionnaire a qualité, en cas
de sinistre, pour poursuivre en son nom le paiement du
montant de l’assurance, s’il n’a pas nommé celui pour
compte duquel il agit. Mais il est, comme le serait ce
lui-ci, tenu de justifier du chargé et de l’existence à
bord, au moment du sinistre, de l’intérêt assuré. Cette
dernière preuve est la conséquence de la première, sauf
aux assureurs à justifier le déchargement.
La preuve du chargé résulterait de la production de
connaissements réguliers, dont les énonciations se réfé
reraient à celles de la police.
Dans l’assurance pour compte de qui il appartiendra,
le commissionnaire peut se prévaloir de tout connaisse
ment relatif à des marchandises à sa consignation. Peu
importe celui pour le compte de qui le chargement a été
opéré. Tout ce qui doit arriver aux mains du commis
sionnaire est nécessairement, et jusqu’à concurrence de
la somme convenue, couvert par l’assureur.
En effet, l’assurance pour compte de qui il appartiendra s’applique à toute personne dénommée dans le
connaissement. Vous avez fait assurer sur les facultés
d’un navire une somme pour compte de qui il appar
tient, vous remettez cette police à Jacques, qui a char
gé sous son propre nom, dans le même navire, des mar
chandises de valeur égale à la somme assurée. Le vais-
�DROIT MARITIME.
312
seau périt, Jacques, porteur de la police dans laquelle il
n’est pas nommé, sera recevable à demander aux assu
reurs la perte, et à leur dire : C’est à moi qu’il appar
tient d’exiger l’assurance. C’est pour mon compte qu’elle
avait été faite
Le commissionnaire, tenu de justifier le chargé, peut
donc exciper de tout connaissement. Quel qu’en soit le
bénéficiaire, c’est à celui-ci que s’appliquerait forcément
l’assurance pour compte de qui il appartiendra.
Il en serait autrement de l’assurance faite pour comp
te de l’assuré et de ses intéressés. On ne pourrait exci
per contre les assureurs que du chargement fait par le
porteur de la police. On n’admettrait les connaissements
à l’aide desquels on voudrait compléter la somme assu
rée, que sur la preuve préalable que leurs bénéficiaires
sont les intéressés de l’assuré.
Faut-il que, sous peine de nullité, la police d’assu
rance indique le nom de celui qui fait assurer pour
compte de qui il appartiendra ?
* On sait que les nullités sont de droit étroit et ne peu
vent se suppléer. Donc, en l’absence d’une prescription
de la loi, il serait difficile de résoudre affirmativement
cette question.
Où serait d’ailleurs le motif sérieux qui, dans notre
hypothèse, ferait consacrer la nullité ? Celui qui fait as
surer pour compte de qui il appartiendra sera néces
sairement nommé dans la police. Sa qualité de comt
'
■.
i Emérigon, ch. n, sect. 4, s 3.
,
-
*
�352, 333.
313
missionnaire ressortira suffisamment de la nature même
de l’assurance. Qu’importe dès lors qu’il soit le manda
taire direct de l’assuré ou que, chargé par ce manda
taire, il ait agi au nom de celui-ci ? De quoi se plain
draient les assureurs et à quel préjudice se trouveraientils exposés par suite de cet agissement ?
La question s’étant présentée à la cour de Paris, y
a été résolue dans le séns que nous indiquons.
Morel, directeur du bureau d’assurance Ylntegritas,
avait fait assurer sous le nom de Pamard, son agent à
Boulogne-sur-Mer, un chargement de Colza pour compte
de qui il appartiendra.
Le navire la Catherine-Maria , à bord duquel ces
colza avaient été chargés, s’étant perdu, les sieurs Adam
et Cie, porteurs de la police, font délaissement aux as
sureurs et les actionnent en paiement du montant de
l’assurance.
Ceux-ci soutiennent que la police est nulle parce que
le véritable assuré pour compte était, non le sieur Pa
mard, mais le sieur Morel lui-même ; qu’il y avait donc
une fausse désignation.
Mais le tribunal de commerce de la Seine et, sur l’ap
pel, la cour de Paris, condamnent et repoussent cette
prétention.
« Considérant, dit cette dernière, que Morel, direc
teur du bureau d’assurance Ylntegritas, était dans
l’usage de stipuler ses polices avec les autres compa
gnies au nom de ses agents dans les divers ports de
mer ; que cette manière d’opérer était connue des comART.
�314
DROIT MARITIME.
pagnies; qu’elle ne pouvait leur causer aucun préjudice;
qu’elle avait pour but de placer le titulaire de la police
près des propriétaires des navires assurés ;
« Considérant qu’en réclamant la prime à Pamard à
une époque où la perte du navire la Catherine-Maria
était notoire , la compagnie la Garantie-Maritime n’a
fait que chercher à se créer un moyen de contester plus
tard l’assurance par elle contractée, mais que la circons
tance que Pamard ignorait ou avait oublié que l’assu
rance de la Catherine-Maria était placée sous son nom
était sans importance ; que le contrat était passé au pro
fit de qui il appartiendrait, c’est-à-dire au profit du
propriétaire soit du navire, soit des marchandises et que
le nom porté sur la police était sans intérêt pour la
Compagnie. »
Cette dernière considération était décisive. Le nom de
celui qui prenait l’assurance pour compte, quel qu’il
fût, ne pouvait rien ajouter, rien retrancher au droit des
assureurs contre le propriétaire de l’objet assuré. Dès
que celui-ci, porteur de la police, justifiait du chargé et
de la perte ; dès qu’on n’avait à lui reprocher ni réti
cence, ni fausse déclaration, ni exagération, qu’impor
tait que la police eût été souscrite directement par celui
qui en avait reçu l’ordre, ou au nom de celui-ci par un
tiers qu’il en aurait chargé ? En quoi l’intervention de
ce tiers avait-elle modifié ou aggravé le risque? Dès
lors l’absence et le défaut d’intérêt chez les assureurs
opposait un obstacle invincible à toute réclamation de
leur-part.
�532, 333.
31K
Aussi le pourvoi en cassation contre l’arrêt de Paris,
fondé sur ce qu’il aurait violé l’article 332 du Code de
commerce, en ce qu’il avait déclaré valable un contrat
d’assurance dont la police mentionnait non pas le nom
de l’assuré pour compte, mais bien celui d’un tiers tout
à fait étranger à l’opération, était-il rejeté le 18 février
1868 x.
La Cour régulatrice se conformait ainsi à une juris
prudence qu’elle avait depuis longtemps inaugurée.
Ainsi elle jugeait, le 11 avril 1860, que l’assurance
pour compte de qui il appartiendra, faite par celui qui
est tout à la fois le mandataire de l’assuré, était valable
lorsqu’elle avait été faite de bonne foi. La cour d’Aix
avait refusé d’en prononcer la nullité par le motif que
si la double qualité, reposant sur la même tête, pouvait
amener quelquefois des conséquences regrettables. La
loi n’en avait cependant pas fait une cause nécessaire et
spéciale de nullité de l’assurance, qu’il faudrait qu’il y
eût preuve de dol, de fraude ou de collusion pour que
cette nullité pût être prononcée.
On faisait valoir, à l’appui du pourvoi, des argu
ments autrement graves, autrement sérieux que dans
l’espèce précédente. « Deux raisons également décisi
ves, disait-on, s’opposent à ce que les deux parties ad
verses soient représentées dans le même contrat par la
même personne ; une raison de droit tirée de l’incom
patibilité des deux qualités de stipulant et de prometART.
1 J. du P., 4869, 163.
�516
DROIT MARITIME.
tant, et une raison d’équité tirée de la nature des soins
que le mandataire doit à l’affaire dont il est chargé.
L’arrêt dénoncé, tout en reconnaissant que son système
peut amener des conséquences regrettables, a fondé la
décision contraire sur ce que la loi n’a pas fait de la
circonstance dont il s’agit une cause nécessaire et spé
ciale de nullité du contrat d’assurance qui, en ce’qui con
cerne sa formation, ne diffère pas des autres contrats ;
il exige comme eux le concours d’un double consente
ment et ne saurait être le résultat d’une volonté unique.
D’un autre côté, le mandat, en cette matière, n’impose
pas des devoirs moins rigoureux, des soins moins ex
clusifs, et la gestion de deux intérêts contraires, n’y est
pas moins incompatible avec ces soins et ces devoirs.
Est-ce qu’il serait possible au mandataire de l’assuré de
stipuler avantageusement le taux de la prime lorsqu’il
devrait en même temps la marchander pour un autre ?
Au profit de qui résoudrait-il les difficultés résultant du
cas de perte ou d’avarie , et en quel nom intenterait-il
les poursuites ? Quelle confiance l’assureur pourrait-il
avoir en celui qui, ayant accepté une autre qualité, se
serait fait sa partie adverse ? Peu importe après cela que
le dol et la fraude ne soient pas démontrés contre le
mandataire, la nullité des contrats ne tient pas seule
ment à ce qu’ils auraient été frauduleusement exécutés;
elle résulte encore de l’inaccomplissement de certaines
conditions sans lesquelles ils ne peuvent se former et les
conditions rappelées plus haut sont de ce nombre. Sous
aucun rapport, donc, la décision par laquelle l’arrêt at-
�taqué a déclaré valable une assurance faite par la même
personne agissant au nom de l’assureur et de l’assuré,
ne saurait se justifier. »
Ces considérations qui avaient motivé l’admission du
pourvoi, ne purent le faire triompher. La chambre ci
vile en prononce le rejet en ces termes :
« Attendu que Dupré et Cie, qui représentaient alors
à Marseille la société d’assurances maritimes et fluviales
dont le siège est à Rome, n’ont pas souscrit la police du
11 avril 1855 dans leur intérêt personnel, mais pour le
compte de qui il appartiendrait, et qu’il est reconnu que
le véritable assuré était Lequier de Pierre dont ils étaient
les commissionnaires ; que la loi ne prononce pas la
nullité de plein droit de l’assurance faite par celui qui
est à la fois le mandataire de l’assureur et le commis
sionnaire de l’assuré ; que l’usage du commerce l’auto
rise quand elle a lieu de bonne foi, et qu’en la mainte
nant par le motif qu’il n’y avait ni dol, ni fraude, l’ar
rêt attaqué n’a contrevenu ni aux articles 1101 et 1984
du Code civil, ni à l’article 92 du Code de commercex. »
En résultat, cet arrêt n’est qu’une application du
principe que les nullités ne se suppléent pas et doivent
être prononcées par un texte de loi. Sans doute, celui
qui représente en même temps l’assureur et l’assuré se
place volontairement dans une position délicate qui exi
ge une grande impartialité, une extrême prudence; que
s’il ne stipule pas le taux de la prime au cours d’usage,
�318
DROIT MARITIME.
s’il la fixe au-dessous ou au-dessus de ce cours, si dans
les stipulations relatives aux pertes ou aux avaries il ne
s’est pas conformé à la pratique générale, si en un mot
il avait sacrifié l’une des parties à l’autre, le dol, la
fraude dont parle la cour d’Aix serait incontestable et
amènerait infailliblement la nullité du contrat en faveur
de la partie lésée.
Mais où serait la raison d’être de cette nullité si l’a
gissement accompli de bonne foi était au-dessus de tout
reproche. Dans cette limite on ne peut que rendre hom
mage au caractère juridique des monuments de juris
prudence que nous venons de citer.
1044. — 3° Les assureurs peuvent exciper non
seulement de la fraude, des réticences ou fausses décla
rations du commissionnaire, mais encore de celles im
putables à celui pour compte de qui l’assurance a été
contractée. L’exercice de ce dernier droit exige la con
naissance de la lettre d’ordre, en vertu de laquelle l’as
surance a été faite, cette connaissance pouvant mettre
sur la voie des fraudes imputables soit au commission
naire, soit à celui pour compte de qui ce dernier a con
tracté.
La communication de l’ordre ne saurait donc être
refusée, s’il en existe un. Cette restriction est comman
dée par la raison que dans certains cas le commission
naire fait assurer sans ordre spécial et uniquement pour
remplir les précautions que sa qualité lui impose. Mais,
dans cette hypothèse, il aura au moins reçu l’
annonce
�ART.
332, 333.
319
de l’envoi des effets qu’il a fait assurer. Cette lettre d’en
voi devrait être communiquée, surtout si l’assureur l’exi
geait.
Le commissionnaire, le simple manlataire lui-même,
peut être dispensé de produire l’ordre, par l’insertion
dans la police que la clause que l’assurance est faite avec
ou sans ordre. L’effet de cette clause est de faire consi
dérer les assureurs comme ayant formellement renoncé
à une communication qu’ils seraient dès lors non rece
vables à exiger.
Toutefois, et dans cette hypothèse, si l’assuré se pré
valait lui-même de la lettre d’ordre, il serait obligé de
la communiquer au moins dans les passages relatifs
à l’assurance, sauf au tribunal à se faire remettre l’o
riginal pour en prendre connaissance dans sa délibé
ration l.
— Il résulte explicitement de l’article 332
que l’assurance ne peut être contractée que par le pro
priétaire ou le commissionnaire. Ce que la cour d’Aix
en concluait dans son arrêt du 5 janvier 1828,c’est que
les créanciers, même privilégiés, ne peuvent, en leur
nom, faire assurer les facultés de leur débiteur, ni les
faire assurer au nom de celui-ci, sans un mandat for
mel de sa part.
M. Pardessus est d’un avis contraire. Appliquant aux
assurances maritimes les règles qu’il affecte à l’assuran1045.
1 Aix, 46 avril 1839 ; D. P., 30, 2, 243.
�320
DROIT MARITIME.
ce de terre, il enseigne qu’il suffit d’avoir intérêt à la
conservation de la chose pour avoir le droit de la faire
assurer ; que le créancier, usant de ce droit, est présu
mé agir en vertu d’un mandat tacite, ou comme negotiorum gestor h
La doctrine de l’arrêt d’Àix nous parait beaucoup plus
juridique et partant préférable. Sans doute, les créan
ciers peuvent exercer les actions et les droits de leur dé
biteur, mais cette faculté ne peut jamais aller jusqu’à
les autoriser à s’immiscer dans l’administration de ses
biens.
Or, l’assurance est un acte de pure administration,
quelque avantageuse qu’elle soit, nul n’est contraint de
la réaliser, chacun peut, à son gré, se rendre son propre
assureur. C’est là une chance aléatoire pouvant en défi
nitive améliorer la position du débiteur, et par consé
quent celle des créanciers, en dispensant le premier de
payer une prime.
Quant à la gestion d’affaires , les principes de l’as
surance nous paraissent l’exclure absolument. Il est en
effet admis en doctrine et en jurisprudence que l’assu
rance faite par un tiers sans ordre est nulle ; comment
concilier ce principe avec l’idée de mandat tacite ou de
gestion d’affaires, adoptée parM. Pardessus.
On comprend d’ailleurs cette dernière lorsque celui
dont on prend les intérêts est dans l’impossibilité de
veiller lui-même ou dans l’incapacité d’agir. On ne sau-
�ART.
552 , 555 .
521
rait jamais la concevoir contre la volonté de celui-ci.
Or, celui qui réalise une opération maritime, s’il s’abs
tient de faire assurer personnellement, et s’il ne donne
aucun ordre de le faire, prouve suffisamment qu’il en
tend demeurer son propre assureur et courir la chance
de perte pour n’avoir pas de prime à payer. En l’état,
cette abstention n’étant que l’exercice d’un droit, le cré
ancier ne saurait y trouver un prétexte pour intervenir
personnellement.
L’assurance contractée par le créancier au nom de son
débiteur, mais sans mandat formel de sa part, serait
donc nulle comme celle que le tiers contracterait sans
pouvoirs. L’assurance affectant par privilège les objets
assurés, pouvant en déterminer le délaissement, ne peut
être faite que par celui qui en a la disposition ; or, le
créancier n’a sur les biens de son débiteur qu’un droit
de gage qui lui donne la faculté d’en provoquer, d’en
poursuivre l’aliénation, mais jamais celle de les aliéner
lui-même.
L’assurance faite par le créancier en son nom man
querait de l’élément le plus essentiel, à savoir , l’exis
tence d’un risque. En effet, le sinistre n’influera en rien
sur la créance qui continuera d’exister après comme
avant. Le droit des créanciers contre la personne et les
biens du débiteur n’en sera nullement altéré.
Il est vrai que le sinistre peut rendre ce dernier plus
ou moins insolvable, et c’est contre cette insolvabilité
que l’assurance aurait pour effet de garantir le créan
cier, c’est-à-dire que le créancier chercherait un cautionni — 21
�322
DROIT MARITIME,
nement. Or, ce cautionnement, rien ne l’empêche de
l’acquérir, même à titre onéreux ; il existe des compa
gnies qui assurent la solvabilité du débiteur. Le créan
cier peut s’adresser à l’une d’elles, mais l’assurance
maritime ne peut se prêter à une pareille opération h
1046.
— La police doit exprimer le nom et la dé
signation du navire, le nom s’entend de l’appellation
donnée au navire par les pièces émanées de l’autorité
publique, c’est-à-dire que le navire doit être dénommé
comme dans l’acte de francisation.
L’ordonnance de 1681 n’exigeait pas autre chose, ce
pendant plusieurs navires de nature et de force diffé
rentes peuvent porter le même nom ; se borner à indi
quer le nom, ce n’était pas mettre l’assureur en position
de calculer exactement le risque dont il se chargeait, et
l'exposer à de dangereuses méprises.
La législation offrait donc une lacune trop importante
pour que le commerce ne s’en préoccupât point. Aussi,
l’usage constant était-il de faire suivre le nom de la dé
signation du navire. C’est cet usage que l’article 332 a
converti en loi.
La désignation du navire s’entend de l’indication de
toutes les circonstances propres à fixer l’assureur sur la
force ou sur le plus ou moins de résistance qu’il oppo
sera aux vents et aux vagues, à ce titre, l’espèce du na
vire devient un élément essentiel, on doit donc déclarer
1 V. notre Traité du Dol et de la Fraude, n° 201,
�si celui qui est assuré est une barque, une corvette, un
brick, un trois mâts.
En temps de guerre, la désignation du navire n’est
complète que par la relation de tout ce qui se réfère à la
navigation, au plus ou moins de dangers auxquels il est
exposé. On est donc obligé d’indiquer si le navire est
armé ou non, s’il sort seul ou accompagné ; s’il esl ar
mé en guerre ou en- marchandises, s’il voyage avec ou
sans escorte.
— L’indication du pavillon du navire est
obligatoire à toutes les époques. La nationalité est sou
vent une garantie contre certaines avanies, et cette ga
rantie entre dans les prévisions des assureurs. Les trom
per cet égard, c’est leur donner le droit de faire pro
noncer la nullité de la police.
Par application, M. Dageville estime que si un na
vire étranger, acheté par un Français, n’avait encore
obtenu qu’une francisation provisoire de la part du con
sul français du lieu où l’achat a été fait, celte cir
constance devrait être déclarée, ce navire pouvant éprou
ver des avanies dont un navire français serait à l’abri ;
de sorte que l’assureur serait fondé à s’affranchir des
suites de pareils accidents si le navire avait été purement
et simplement désigné comme français.
On invoque, comme contraire , un arrêt d’Àix , du
28 janvier 1822, décidant que lorsque un navire fait
voile sous le pavillon d’une puissance, qu’il a pris seu
lement en vertu d’une patente ou permis du consul de
1049.
à
�324
DROIT MARITIME.
celte puissance, l’assuré ne commet pas une réticence de
nature à faire annuler l’assurance, s’il dit le navire d’une
telle nation, sans déclarer qu’il n’est muni que d’expé
ditions provisoires.
Mais, dans l’espèce, le navire avait péri dans le tra
jet du lieu de la délivrance du permis à Constantinople,
où la nationalité devait être définitivement concédée.
Dès lors, le caractère provisoire de la nationalité avait
été évidemment sans influence sur le sinistre.
Qu’aurait fait la Cour dans le cas contraire , s i, par
exemple, le sinistre n’avait été que la conséquence du
caractère provisoire de la nationalité, s’il ne s’était pro
duit qu’à la suite d’avanies que ce caractère aurait mo
tivées? Or, remarquons bien que M. Dageville ne dit
pas que le silence à cet égard constitue une réticence
frauduleuse ; il se borne à rendre l’assuré responsable
du dommage directement occasionné par le sinistre. Il
n’y a donc pas en réalité contradiction entre son opi
nion et l’arrêt d’Aix. Non, le défaut d’indication d’une
nationalité provisoire ne constitue pas la réticence pré
vue par l’article 348, mais, s’il a été l’unique cause du
dommage, les assureurs non instruits ne peuvent être
tenus de le supporter.
1048. — L’omission du nom et de la désignation
du navire entraîne-t-elle la nullité de la police ?
Nous distinguons, quant à l’omission du nom, l’as
surance affectant le navire lui-même, et celle qui a la
cargaison pour objet. L’omission du nom annulle la pre-
�ART. 332) 333.
32b
mière, elle fait disparaître le sujet du risque, et prive
par conséquent le contrat de son élément esssentiel ; la
doctrine est unanime à cet égard.
Mais cette unanimité n’existe plus à l’égard de la se
conde, plusieurs auteurs se prononcent contre la nullité,
mais sous certaines modifications.
M. Locré n’en admet aucune, il estime que la nullité
doit être absolument repoussée. Cette nullité, enseignet-il, ne serait que dans l’intérêt de l’assureur, et il y a
renoncé par cela seul qu’il a signé la police sans exiger
que le navire fût désigné, il s’en est rapporté à l’assuré
sur le choix du bâtiment.
Cette doctrine nous paraît s’écarter des principes sous
la sauvegarde desquels on a placé l’assureur. Le lieu du
risque n’est pas moins essentiel que l’existence du ris
que ; l’assureur n’est tenu que si le sinistre se réalise
dans le lieu du risque. Or, comment juger et justifier de
cette condition, si ce lieu n’a pas été déterminé.
Vainement M. Locré fait-il remarquer que ce qu’il
enseigne est précisément ce que la Cour de cassation
proposait d’insérer dans la loi, il suffirait de répondre
que cette proposition n’a pas été accueillie ; il est vrai
que M. Locré prétend qu’on l’a considérée comme inu
tile à rappeler, à raison de son évidence même, mais,
loin qu’il en ait été ainsi, le contraire résulterait notam
ment de l’article 337.
Le législateur a prévu l’hypothèse où il serait impos
sible à l’assuré de connaître le navire à bord duquel
sera placé le risque, il a donc permis de stipuler l’as-
�326
DROIT MARITIME.
surance in quovis. L'effet de cette stipulation sera de
faire considérer l’assureur comme s’en étant entièrement
remis au choix que l’assuré fera. Mais peut-on concevoir
qu’ayant exigé que cette stipulation fût expresse dans le
cas de l’article 337, la loi l’ait de plein droit admise
implicitement dans l’article 332 ?
Reste l’argument tiré de la-signature de la police. Que
l’assureur ait fait un acte peu délicat en signant une
police insuffisante, on peut en convenir, malgré que
dans l’usage cette signature est donnée le plus souvent
sans lire ; mais qu’il se soit interdit d’exciper d’une ir
régularité viciant le contrat dans son essence, c’est ce
qui est inadmissible. La nullité étant d’ordre public, on
ne saurait valablement renoncer à s’en prévaloir. La re
nonciation directe serait sans effet, à plus forte raison
doit-il en être ainsi de celle qu’on vondrait implicite
ment créer.
Supposez qu’au lieu d’une assurance sérieuse, il se
soit agi d’une gageure. Est-ce que la connaissance du
véritable caractère du contrat empêcherait l’assureur
d’en faire prononcer la nullité ? Cependant il a signé la
police, cet argument, sans portée aucune dans l’hypo
thèse que nous supposons, ne saurait en avoir aucune
dans celle que nous examinons.
1049. — Il est donc certain que l’indication du
navire est essentielle dans l’assurance sur facultés. Son
omission ferait prononcer la nullité de la police, à moins
�327
qu’il fût expressément convenu que le chargement se
ferait in quovis.
Une autre exception à la règle que nous indiquons se
réaliserait dans le cas où le navire primitivement chargé
et désigné ne devait pas conduire les effets asssurés jus
qu’à leur destination définitive, par exemple, un com
merçant a des marchandises à expédier à Madère, il les
charge sur un navire partant pour Cadix, avec ordre à
son correspondant de cette localité de les diriger à leur
destination. Le navire qui effectuera cette opération est
nécessairement incertain et inconnu, on ne pouvait dès
lors faire à l’assuré le devoir de l’indiquer.
Dans cette circonstance, on peut valablement stipu
ler que le navire dénommé ne transportera les effets as
surés que jusqu’à Cadix ; qu’arrivés là, ces effets se
ront transbordés sur un autre qui, quoique non nom
mé ni désigné, deviendra légalement le lieu du risque L
ART.
332, 333.
— Mais, dans cette hypothèse, il est d’usage
de déterminer un délai dans lequel l’assuré fera con
naître le navire substitué au premier. Le défaut de dé
signation avant l’expiration de ce délai motiverait la
nullité de l’assurance et laisserait la perte à la charge
exclusive de l’assuré.
La Cour de Paris a même jugé que celui-ci répond
de l’erreur qu’il commettrait dans cette désignation,
alors même qu’il était libre de n’en faire aucune, si cette
1050.
i Pardessus, n° 806.
�328
DROIT MARITIME.
erreur, même commise de bonne foi, a dû diminuer
l’opinion des risques courus par l’assureur *.
Un effet pareil paraît difficile à admettre dans une
hypothèse où l’assureur s’est, quant au navire, entière
ment référé aux choix de l’assuré, mais si l’assureur est
tenu d’accepter le résultat de ce choix, il lui reste la fa
culté de réassurer, ce qu’il-fera sans doute si, par son
âge et par ses qualités, le navire employé ne lui offre
pas toutes les garanties désirables. En conséquence, l’er
reur ayant pour effet de faire considérer le navire com
me meilleur qu’il ne l’est réellement, le détournera de
la pensée de faire la réassurance, elle aura donc réelle
ment diminué l’opinion du risque et dès lors la condi
tion exigée par la Cour de Paris se trouvera réalisée.
1 0 5 1 . — Les conséquences qui se déduisent de
l’omission du nom du navire s’induiraient également de
l’absence de désignation C’est, en effet, par celle-ci que
se trouvera déterminée la véritable identité du navire
pouvant avoir un nom commun à beaucoup d’autres ;
cependant, s’il paraissait de la police que l’assureur a
parfaitement connu le navire, ou qu’il n’a pu se trom
per sur son identité, la nullité de l’assurance serait bien
sévère et pourrait consacrer la mauvaise foi et l’injus
tice. C’est donc aux tribunaux à aviser lorsque le navire
a été le sujet du risque. C’est ce qui arriverait infailli
blement si l’assurance était faite sur facultés ; on devrait
�ART. 3 3 2 , 3 3 3 .
329
même la maintenir si les énonciations de la police ne
permettaient pas d’équivoquer sur le navire qui doit re
cevoir le risque ; à plus forte raison si l’assureur le con
naissait parfaitement.
1053. — Doit-on assimiler à l’omission la fausse
déclaration ou l’erreur ? Quels sont les effets de l’une et
de l’autre ?
La fausse déclaration, faite sciemment, entraînerait
infailliblement la nullité de l’assurance. On ne peut ex
pliquer un acte de cette nature que par l’intention de
tromper les assureurs, et de leur arracher un consente
ment qu’ils auraient refusé si on leur avait fait connaî
tre la vérité. La nullité de la police n’est donc que la
peine que l’assuré a justement encourue. Elle serait dès
lors acquise et consacrée, à moins que la fausse décla
ration ne fût que le résultat de l’erreur.
— Les effets de celle-ci diffèrent selon qu’elle
a porté sur le nom du navire ou sur sa désignation.
L’indication du nom du navire n’est exigée que pour
déterminer exactement le sujet ou le lieu du risque ; il y
aurait dès lors sévérité Outrée à annuler la police lors
que malgré l’erreur, l’identité du navire résulte claire
ment des énonciations du contrat ou des circonstances :
Error nominis alicujus navis non attenditur, quando
de aliis circumstantiis constat de navis identitate '.
1053.
i Casaregis, Disc. \ , n° 159.
�DROIT MARITIME,
530
Valin , Pothier , Emérigon professaient cette doctrine
que la jurisprudence avait de son côté consacrée. Ainsi,
le navire, dont le nom aura été changé à l’insu du con
tractant, aura été désigné sous son ancien nom : en cas
de guerre, on aura été forcé de donner un autre nom
au navire pour dérouter l’ennemi ; les deux parties,
quoique connaissant parfaitement le navire assuré , lui
auront néanmoins, par erreur , donné dans la police
une autre qualification que celle qu’il porte actuellement,
dans toutes ces hypothèses l’erreur n’a pu faire douter
de l’identité du navire, et par conséquent la nullité de
la police n’aurait aucun fondement réel.
Il en serait de même si l’erreur consistait ou à ne pas
avoir donné tous les noms du navire, ou à avoir chan
gé un de ces noms , enfin dans une mauvaise ortho
graphe
Dans une espèce jugée par la cour d’Aix, un navire
appelé le Hanau avait été indiqué sous le nom de Anna,
ou Hanna, ou Anais. La police ajoutait : ou tel autre
nom qui plus exact serait. La nullité de l’assurance, sol
licitée par l’assureur pour fausse désignation, repous
sée par le tribunal de commerce de Marseille , le fut
également par arrêt de la cour d’Aix, du 16 avril
1839. Les lettres d’ordre pouvant laisser le commis
sionnaire dans le doute sur le véritable nom, celui-ci,
dit la Cour, a rempli tous ses devoirs en communi
quant l’incertitude dans laquelle il se trouvait. Le con
trat, accepté en cet état par l’assureur, ne saurait être
�331
ultérieurement annulé sur l’unique motif de cette incer
titude l.
— L’erreur portant sur la qualité du navire
annulle le contrat, lorsque cette erreur a pu et dû in
fluer sur l’opinion du risque. Ainsi, si on a déclaré le
navire un trois mâts lorsqu’en réalité il n’est qu’un
brick, ou un brick lorsqu’il s’agit d’une tartane, la po
lice doit être résiliée ; si l’erreur était en sens contraire,
si l’assuré , par exemple , avait indiqué que le navire
était un brick, tandis qu’il serait un trois mâts, l’assu
reur ne serait ni recevable, ni fondé à poursuivre cette
nullité.
1054.
— Toutes les fois qu’il y a lieu à nullité de
la police pour omission du nom ou de la désignation du
navire, la nullité ne porte que sur l’obligation de l’as
sureur, celle de l’assuré continue de subsister. La Cour
de cassation proposait de l’exprimer formellement, mais
on crut inutile de le faire. La nullité résultant du fait
personnel de l’assuré, et ce fait préjudiciant à l’assu
reur, celui-ci doit obtenir des dommages-intérêts. Or,
quels pouvaient être ces dommages, sinon la prime con
venue.
1055.
— La police doit encore exprimer le nom
du capitaine commandant le navire. Nous avons déjà
1056.
�DROIT MARITIME.
532
fait observer que .cette mention complétait en quelque
sorte la désignation du navire ; sous ce rapport, elle
peut être d’une incontestable utilité.
Dans l’assurance, l’indication du capitaine a encore
un autre objet ; ce qui décide l’assureur soit à accepter
le risque, soit à établir le taux de la prime, c’est l’éten
due des périls que présente l’opération. Or, ces périls
peuvent être plus ou moins graves en raison du plus ou
moins d’habileté du capitaine, de son plus ou moins
d’expérience. La connaissance de celui qui est à la tête
du navire est donc d’un intérêt évident pour l’assureur,
et influe sur l’opinion du risque.
Cependant la doctrine n’a pas admis que l’omission
du nom du capitaine dût motiver la nullité de l’assu
rance ; on a pensé, d’une part, que l’identité du navire
pouvait être parfaitement acquise sans cette désignation;
d’autre part, que l’omission était ici imputable autant à
l’assureur qu’à l’assuré. L’existence d’un capitaine ne
peut être ignorée. En conséquence, si l’assureur avait eu
l’intention de ne traiter qu’en vue de la personne et des
qualités de ce capitaiue, il pouvait et il devait le faire
désigner ; s’il ne l’a pas fait, c’est qu’il a lui-même jugé
cette désignation inutile, qu’il s’en est volontairement
référé au choix de l’assuré.
Celui-ci n’a aucun motif pour confier son navire à des
mains malhabiles ou inexpérimentées. D’ailleurs, même
dans ce cas, il serait responsable du choix évidemment
mauvais ou imprudent qu’il aurait fait, surtout si l’as
sureur avait garanti la baratterie du patron. Le principe
�I
ART.
332, 333.
333
de cette responsabilité, enseigné par Pothier, a été ad
mis par la doctrine moderne.
105 9. — Il n’y a donc pas nullité, lorsque la po
lice omet d’indiquer le capitaine. Mais cette nullité pour
rait être la conséquence du remplacement ultérieur du
capitaine indiqué dans le contrat. Cette indication, in
sérée dans la police, prouve que la personne a été prise
en considération par l’assureur ; dès lors, la présomp
tion est qu’il n’a traité qu’en vue des garanties qu’elle
lui offrait. En cet état, la révocation du capitaine dé
truirait les conditions du contrat et en motiverait l’an
nulation x.
Il en serait autrement si le changement de capitaine
n’était que le résultat de la force majeure. Nul ne peut
répondre d’un événement qu’il n’a pu ni prévoir, ni
empêcher. La désertion du capitaine, sa maladie, sa
mort, laisserait son remplacement s’accomplir , sans
occasionner la moindre atteinte à la police. A plus for
te raison en serait-il ainsi si ce remplacement, dans
quelque cas que ce fût, avait été fait de l’aveu de l’as
sureur.
Relativement à la force majeure, il y a une distinc
tion à faire. Si elle est survenue en cours de voyage,
l’armateur ou ceux qui le représentent ont pu et dû pro
céder au remplacement, sans être tenus de consulter les
assureurs ou de les en aviser.
i Pothier, n° 106 ; Emérigon, ch 7, sect. 3.
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DROIT MARITIME.
Si la force majeure arrive avant le départ, il doit en
être référé aux assureurs, pour qu’ils aient à consentir
le remplacement. Ce consentement n’a pas besoin d’être
exprès. Il résulterait suffisamment de ce que , instruits
de son existence, les assureurs n’auraient élevé ni ob
jections, ni réclamations. Mais, avec M. Locré, nous ne
pensons pas que la présomption que les assureurs ont
connu le remplacement dût s’induire de ce qu’ils se
trouvent sur la localité où il s’est opéré. Cette circons
tance, tout en les mettant à même d’acquérir cette con
naissance, ne saurait empêcher qu’en fait, elle leur eût
échappé. Ils doivent donc en être avertis officieusement
ou officiellement par l’assuré.
— La nullité de la police, pour remplace
ment du capitaine qui y est désigné à l’insu ou contre le
gré des assureurs, n’a rien de trop sévère à l’endroit
des propriétaires ou armateurs. Les uns et les autres
ont pu la prévenir et l’empêcher, en s’abstenant d’user
de la faculté illimitée de révocation que la loi leur con
fère, ou tout au moins en mettant les assureurs à même
de s’expliquer et de consentir.
Les chargeurs, au contraire, ne peuvent ni prévoir ni
empêcher ce remplacement. Il peut en outre se faire
qu’ils l’aient complètement ignoré. Donc, en ce qui les
concerne, la nullité de l’assurance devenait une vérita
ble énormité.
On ne pouvait, dans aucun temps, se créer une au
tre opinion. C’est ce qui explique l’ancienneté de la
1058.
�clause, ou to u t a u tre p o u r lu i, par laquelle la pratique
a voulu concilier ce qui était dû à l'intérêt des assu
reurs et à celui des chargeurs. Emérigon observe que
cette clause se trouve dans la formule d’Anvers, rap
portée par Cleirac ; dans celle d’Ancône, citée par Straccha ; dans celle de Gênes, rappelée par Targa ; dans
celle de Londres et dans la formule privée dont on se
servait en France l.
Cependant la chambre de commerce de Marseille,
trouvant de graves inconvénients dans les conséquences
de cette clause, proposait, par délibération du 26 no
vembre 1692, d’en réduire les effets en cas de force
majeure et pendant le voyage. Cette proposition fut tour
à tour rejetée par le Prince et par le Parlement d’Àix.
Ce qui, aux yeux d’Emérigon, justifie ce rejet, c’est sur
tout le motif que nous indiquions tout à l’heure : Les
chargeurs ou les q u ir a ta ir e s p a r tic u lie r s fo rm en t le
plus g ra n d n om bre des p erso n n es q u i se fo n t a ssu rer ;
ils n ’on t d 'a u to r ité n i d 'é ta b lir , n i de d e s titu e r le ca
p ita in e du n a v ir e ..I l s e r a it donc odieu x de leu r ■i m p u
ter un ch an gem en t q u 'il n ’est p a s en leu r p o u v o ir d 'e m
pêcher et q u 'ils ig n o re n t le p lu s s o u v e n t 2.
— La clause, ou to u t a u tre p o u r lu i, était
donc, en ce qui les concerne, un acte de véritable jus
tice. Cependant elle ne leur a jamais été spéciale. Elle
1059.
�336
DROIT MARITIME.
peut être stipulée par le propriétaire , par l’armateur ;
elle produit pour eux les mêmes effets que pour les
chargeurs. Cet effet est de pouvoir changer le capitaine
indiqué dans la police, soit pendant le voyage, soit avant
le départ, sans être obligé d’en aviser les assureurs ni
de requérir leur consentement, et sans que ce rempla
cement puisse exercer la moindre influence sur la vali
dité de la police.
Toutefois, même dans cette hypothèse, le remplace
ment est soumis à de certaines conditions. Il faut no
tamment que la personne substituée ait la qualité de ca
pitaine. Il est évident, en effet, que, quelle que soit la
latitude concédée par les assureurs, elle ne saurait ja
mais faire supposer qu’ils aient entendu consentir à ce
que la direction fût confiée au premier venu, et qu’ils
aient ainsi renoncé aux garanties d’aptitude et de savoir
attachées à la qualité de capitaine. Ce qu’ils ont pré
vu et autorisé, c’est la substitution d’un capitaine à un
autre. On ne se conformera donc à l’esprit et à la lettre
du contrat que lorsque le remplacement s’opère dans ce
sens.
Il faut encore que le capitaine substitué soit de la mê
me nationalité que celui qu’il remplace. On ne saurait
notamment placer un capitaine étranger au lieu d’un
français ; un allié ou neutre ne pourrait être remplacé
par le membre d’une nation belligérante l.
Ces conditions serviraient à résoudre une hypothèse
1 Casarégis, Disc., 68, n°* 8 et 6, Emérigon, oh. 7, aeet. 1, S <.
�ART.
352, 333.
337
qui peut s’offrir plus ou moins fréquemment. Le capi
taine, arrivé au lieu de destination, a souvent pour ins
truction de demeurer sur la localité,pour y gérer et vendre
la cargaison d’entrée. En conséquence, pour ne pas re
tarder indéfiniment le retour du navire, il le fait partir
sous le commandement de son second. Celle opération
rentre évidemment dans les prévisions de la clause, ou
tout autre pour lui. Mais elle ne peut être valablement
et régulièrement accomplie que si le second a la qualité
de capitaine, et s’il est de la même nationalité que le
capitaine en premier. À défaut de l’une ou de l’autre
de ces qualités, le sinistre arrivé pendant le retour et le
commandement du second ne pourrait être mis à la
charge des assureurs.
Les effets attachés à la clause dont nous nous occu
pons prouvent suffisamment que son existence ne pour
rait implicitement résulter de la police. Son bénéfice
n’est acquis que si elle se trouve expressément et formel
lement stipulée.
1 0 6 0 . — On s’est demandé si la fausse désignation
faite dans la police du capitaine commandant le navire
était corrigée et excusée par la clause , ou tout au
tre pour lui ? L’affirmative s’appuie sur ces considéra
tions que la désignation du capitaine n’est pas substan
tielle; qu’en accordant la faculté de le changer à volonté,
l’assureur n’a pas fait de la personnalité du capitaine
une condition de son engagement.
Mais, nous l’avons déjà vu, il existe une énorme difui — 22
�338
DROIT MARITIME.
férence entre l’omission et la fausse déclaration. L’omis
sion peut s’expliquer par une négligence qui n’exclut
pas la bonne foi, tandis que la fausse déclaration sup
pose chez son auteur , à moins qu’elle ne soit le résul
tat de l’erreur, l’intention d’inspirer frauduleusement une
confiance que la vérité ferait évanouir ou modifierait.
A. ce litre, elle tombe forcément sous l’empire de l’arti
cle 348. L’assurance serait donc nulle. Si cette peine
n’est pas écrite dans l’article 332, elle eit expressément
édictée par l’article 348.
Il est vrai qu’en acceptant la clause, ou tout autre
pour lui, l’assureur semble avoir fait du commande
ment du navire une question secondaire. Mais, dans
l’usage et à l’endroit des assureurs, cette clause est con
sidérée bien plutôt comme le moyen d’échapper aux for
malités auxquelles le remplacement donnerait lieu, que
comme un fait résolu et devant s’accomplir. Ils peuvent
donc raisonnablement croire qu’à moins d’une circons
tance extraordinaire , le navire sera réellement com
mandé par le capitaine qu’on leur désigne comme le
commandant actuellement. C’est évidemment sur cette
croyance qu’a spéculé l’auteur de la fausse déclaration.
S’il en était autrement, à quoi bon mentir ?
Il suffit donc qu’il y ait mensonge sur le fait déclaré,
pour que la police doive être annulée. C’est ce que la
cour de Bordeaux consacrait formellement dans notre
hypothèse, en jugeant, le 29 mars 1848, que la dési
gnation d’un capitaine qui n’a jamais commandé en
�réalité le navire annulait l’assurance, nonobstant la
clause, ou tout autre pour lu il.
1 0 6 1 . — La volonté absolue de la loi, en matière
d’assurances, est que l’assureur n’ignore rien de ce qui
peut le fixer sur la nature et l’état du risque qu’on lui
propose, et le mettre à même de décider s’il doit l’ac
cepter et à quelles conditions. Or, le lieu où les mar
chandises ont été et doivent être chargées, le port d’où
le navire a dû ou doit partir, les ports ou rades dans
lesquels il doit charger ou décharger sont des circons
tances sans lesquelles l’appréciation que nous venons
d’indiquer serait impossible.
On devait en prescrire la mention dans la police, et
c’est ce que l’article 332 consacre en effet. La sanction
pénale de cette prescription se trouve dans les articles
348 et 351. L’omission constituerait la réticence prévue
par le premier ; et l’entrée non autorisée dans un port
ou dans une rade intermédiaire, la rupture du voyage
sur laquelle statue le second. Dès lors, les assureurs se
raient de plein droit exonérés de toute responsabilité à
l’endroit du sinistre qui pourrait survenir.
Toutefois, il y a une distinction à faire. L’omission de
l’indication du lieu du chargement n’aurait pas d’autre
résultat que de faire admettre que ce lieu a été le port
du départ. Dès lors, l’assurance ne serait nulle qu’à
l’endroit des effets chargés postérieurement au départ
�340
DROIT MARITIME.
et dans une autre localité. Cette nullité elle-même ne
saurait être réclamée , si la police renfermait la clause
de faire échelle. Nous verrons plus tard que l’effet de
cette clause est de donner au capitaine la faculté et le
droit de charger et de décharger dans chacun des ports
permisl.
106%. — Qu’en serait-il si, dans la même hypo
thèse, la marchandise assurée avait été chargée avant le
départ et dans un port plus éloigné ?
Sous l’empire de l’ordonnance de 1681, le Parlement
d’Aix eut à résoudre celte question dans l’espèce sui
vante :
Une assurance est faite de sortie de Curaçao jusqu’à
Amsterdam sur les marchandises qui se trouveront char
gées sur le navire la Dame-Ursule, prenant, les assu
reurs, le risque des jour et heure que ces marchandises
ont été ou seront chargées dans ledit navire. Le bâti
ment reçut son chargement à la Martinique. De là, il
alla à Curaçao, d’où, étant parti pour Amsterdam, il fut
pris et confisqué par les Anglais.
Les assureurs refusaient de payer la perle, sous pré
texte que le chargement ayant été fait à la Martinique,
lieu qui n’était ni désigné dans la police, ni compris
dans les limites du voyage, l’assurance ne pouvait le
couvrir. On répondait que le sinistre était arrivé dans
la roule désignée et dans le voyage assuré ; qu’ainsi,
�341
352, SS3.
peu importait que les marchandises eussent été char
gées en un lieu ou en un autre. Ce système, accueilli
d’abord par l’amirauté de Marseille, fut ensuite défini
tivement consacré par arrêt du Parlement d’Âix, du 1,r
juin 1761.
Emérigon, en rappelant cet arrêt, ajoute : En effet, on
entend par voyage assuré celui qui est à la charge des
assureurs. Peu importe que le navire vienne de plus
loin. Le voyage assuré n’est tel que depuis le lieu d’où
le risque déterminé par la police a commencé. Il finit
dans le lieu où le risque cesse de courir pour le compte
des assureurs : Ab extremis destinatis qualijicatur.
Dans l’espèce, Curaçao était le lieu a quo et Amstetdam
celui ad quem. La Martinique, où le chargement avait
été pris, était un lieu étranger à l’assurance. Le sinistre
étant arrivé dans les deux termes du voyage assuré, les
assureurs en étaient responsables l.
Que le sinistre fût arrivé dans la ligne des risques et
pendant le voyage assuré, c’était incontestable. Mais
l’assurance, relative à des effets chargés ou à charger à
Curaçao, pouvait-elle couvrir ceux chargés à la Martini
que? Or l’intention de charger à Curaçao ne résultaitelle pas de ces termes de la police : Prenant, les assu
reurs, le risque des jour et heure que lesdites mar
chandises ont été ou seront chargées dans le navire ?
En présence de l’opipion conforme de l’amirauté de
Marseille, du Parlement d’Àixet d’Emérigon, il est perart .
i Chap. 43, seet. 7.
�542
DROIT MARITIME.
mis de croire que la solution n’avait rien de contraire à
l’ordonnance. Mais , bien certainement, elle n’est plus
autorisée sous l’empire du Code. Cela s’induit d’abord
de ce que, lorsque le lieu du chargement a été indiqué
dans l’assurance, celle-ci ne comprend que les mar
chandises réellement chargées dans ce lieu même. On
l’a dit avec raison, on ne peut plus appliquer à des ef
fets chargés dans un lieu l’assurance faite sur des effets
à charger dans un autre , qu’on ne saurait appliquer à
des balles marquées A B, l’assurance ayant pour objet
des balles indiquées sous la marque CD. Or, nous ve
nons de le voir, lorsque la police omet de désigner le
lieu précis du chargement, ce lieu est présumé de plein
droit le port du départ. Donc, si les effets ont été char
gés ailleurs, il n’y a aucune identité entre le chargement
et l’assurance.
Cela s’induit encore du silence gardé dans la police
sur le chargement antérieur et dans un port plus éloi
gné. Ce silence constituerait la réticence diminuant l’o
pinion du risque. En effet, la circonstance que la mar
chandise était depuis longtemps à bord, qu’elle a déjà
subi les chances d’une navigation plus ou moins lon
gue, plus ou moins difficile, est de nature à inspirer des
craintes sur son état actuel et influe nécessairement sur
l’opinion du risque. L’assurance serait donc nulle par
application de l’article 348.
Or, remarquons que si cette disposition était dans
l’esprit de la législation de 1681, elle ne se trouvait
nulle part dans le texte. On pouvait donc, sous son em-
�343
. 332, 333*
pire, refuser de prononcer une nullité non écrite, mais
ce refus violerait aujourd’hui l’article 348, à moins
qu’on ne déclarât que la réticence n'a pas influé sur le
risque, ce qu’il serait difficile d’admettre dans notre hy
pothèse.
C’est ce que la cour d’Àix a pensé ; aussi a-telle jugé, par arrêt du 22 mai 1836, que l’expres
sion de facultés chargées ou à charger à bord d’un na
vire de sortie d'un port, employée dans la police, ne
pouvait s’entendre que d’un chargement opéré dans ce
port même ; qu’en conséquence, si le chargement avait
été embarqué antérieurement dans un port plus éloi
gné , l’assurance était nulle à l’égard des assureurs,
soit pour défaut d’identité dans le chargement, soit
pour fausse déclaration ou réticence de la part de l’as
suré h
Faut-il conclure de ce qui précède qu’on ne pourrait,
par exemple, faire assurer seulement de Curaçao à Ams
terdam une marchandise chargée à la Martinique ? Non
évidemment, quel que soit le lieu du chargement, le ris
que ne commencera de courir que de l’époque conve
nue, et cette époque, les parties sont entièrement libres
de la fixer à leur gré.
Seulement, celui qui fait assurer à la sortie de tel port
des marchandises chargées ailleurs doit déclarer cette
circonstance. S’il omet de s’en expliquer, l’assurance ne
art
i J o u r n a l d e M a n tille , t. 16, 1 , 4 0 2.
�344
DROIT MARITIME.
couvre et ne peut couvrir que les effets chargés dans le
port de sortie.
1 0 6 3 . — L’époque du départ du navire n’est pas
sans intérêt pour l’assureur, mais la loi n’en prescrit
pas l’indication, parce que, dans bien de cas, l’sssuré
serait dans l’impossibilité de remplir cette obligation.
En effet, en peut faire assurer la marchandise avant
qu’elle soit chargée, .et, par conséquent, avant le départ
du navire. Relativement au navire lui-même, l’assuran
ce peut être requise et acceptée dans les mêmes circons
tances. Comment dès lors préciser l’époque de ce dé
part, sans s’exposer à voir toute prévision trompée soit
par les lenteurs' du chargement, soit par les vents con
traires ou l’état de la mer, soit par un de ces mille et
un accidents auxquels le navire est exposé dans le port.
Tout cela , il est vrai , n’existe plus lorsque le navire
est réellement parti au moment où l’assurance est con
tractée, mais l’assuré, tout en connaissant le fait du dé
part, peut en ignorer l’époque ; donc, en déclarant le
premier, il remplit toutes ses obligations.
Il est une seule hypothèse où le silence gardé sur l’é
poque du départ constituerait une réticence frauduleuse
et ferait annuler l’assurance, à savoir, si au moment du
contrat le navire était en route depuis assez longtemps
pour inspirer des craintes sur son sort. L’assuré qui
connaîtrait cette circonstance et qui ne la déclarerait pas
s’exposerait à perdre le bénéfice de l’assurance l.
�1004. — L’article 332 veut que la police exprime
la nature et la valeur ou l’estimation des effets ou mar
chandises qu’on fait assurer. Le risque se calcule sur
les dangers que les objets assurés courent pendant le
voyage; ces dangers sont plus ou moins grands, suivant
qu’il s’agit de telle ou de telle marchandise. La déclara
tion de la nature permet donc à l’assureur d’agir avec
toute connaissance.
Il semblerait dès lors que, puisque cette indication
influe sur le risque, son omission devrait entraîner la
nullité de la police, il n’en est rien cependant, la loi ne
la considère comme substantielle que dans le cas prévu
par l’article 355.
L’indication de la valeur des effets assurés est utile
pour déterminer la quotité du montant de l’assurance,
et pour l’application des articles 336 et 357, mais son
omission n’entraînerait d’autres conséquences que celles
édictées par l’article 339.
Elle n'est donc substantielle ni dans l’assurance sur
facultés, ni dans celle sur corps. Ainsi, la cour d’Àix
décidait, le 29 avril 1823, que l’omission de l’énon
ciation de valeur du navire assuré ne pouvait, sous
l’ordonnance de 1681, comme depuis le Code, motiver
l’annulation de l’assurance ; que ce qui devait en résul
ter, c’est que l’assuré court les risques de l’estimation
à laquelle l’assureur a le droit de faire procéder, et qui
peut amener la diminution de son capital.
La cour de Bordeaux, de son côté, déclarait que l’o
mission de l’énonciation de la valeur ne constituerait la
�346
DROIT MARITIME,
réticence prévue par l’article 348 que si elle était le ré
sultat de la fraude \
On pouvait d’autant moins le décider autrement qu’on
se serait ainsi placé en opposition directe avec l’usage du
commerce. C’est ainsi que souvent on convient que la
valeur des objets mis en risque sera déterminée à une
époque postérieure à la police.
Souvent aussi on se borne à faire assurer une somme
déterminée, soit sur corps, soit sur facultés, chargées ou
à charger, soit sur corps et facultés, soit enfin sur l’in
térêt que l’assuré a au navire, et à la cargaison, ou à
l’un ou à l’autre.
Dans tous ces cas, il est évident que la valeur assu
rée ne sera que celle des effets réellement mis en risque
et existant à bord au moment du sinistre, il faudra donc
pour déterminer, soit la somme due par l’assureur, soit
la prime qu’il peut exiger, procéder à l’évaluation du
navire ou du chargement, amiablement ou dans les for
mes prescrites. Les difficultés qui pourraient naître à cet
égard seraient réglées dans la forme que nous indique
rons en examinant l’article
339.
%
/
.'
1
— On peut donc omettre l’indication de la
valeur des marchandises et de leur nature, sauf, pour
celles-ci, l’hypothèse de l’article 355. Mais si les mar
chandises ont été désignées, l’assurance ne couvre que
celles de la nature indiquée, le défaut de conformité an
1065.
�ART. 3 5 2 , 3 3 3 .
nulerait le contrat, alors même que les choses chargées
seraient ou des matières servant à la fabrication des ob
jets désignés ou composées avec ces objets, comme si
l’assurance portant sur des farines ou des laines, on
avait embarqué du blé ou des draps.
Mais il n’y aurait pas substitution d’une chose à une
autre si, l’assurance ayant été faite sur du blé en sacs,
ce blé avait été embarqué en grenier, ou si, assurant
des lingots, ceux-ci avaient été convertis en vaisselle, en
piastres, en quadruplesl.
1 0 6 6 . — La police doit contenir l’indication du
temps auquel les risques doivent commencer et finir. La
fixation du jour a quo et de celui ad quem est impor
tante surtout pour déterminer la responsabilité de l’as
sureur. L’assurance, en effet, peut être ou pour le voya
ge entier, ou pour un voyage limité , ou jusqu’à une
certaine hauteur en mer. L’assureur qui a traité pour
l’une de ces dernières hypothèses doit donc l’énoncer
clairement dans la police.
À défaut d’énonciation, l’article 341, se référant à
l’article 328, considère l’assurance comme s’appliquant
au voyage entier, la violation sur ce point de l’article 332
ne produirait donc pas d’autre effet. En réalité, cet ef
fet peut être une faveur pour l’assuré, mais la faute ici
est toute entière du côté de l’assureur ayant intérêt de
i Pardessus, n» 875.
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M .
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�DROIT MARITIME.
5
s’y soustraire, et qui a négligé le moyen bien simple
que lui en donnait la loi.
1.009. — L’indication de la somme assurée, c’està-dire de ce que l’assureur s’oblige de rembourser le
cas échéant, est exigée par l’article 332, mais cette in
dication n’est et ne pouvait pas être substantielle au con
trat ; tout ce qui résulte de son omission, c’est que l’as
sureur, en cas de sinistre, sera tenu de payer la valeur
des choses assurées d’après l’estimation qui en sera faite
et qu’il a toujours le droit de provoquer 1.
Remarquons, en effet, que relativement à la somme,
assurée, la mention de la police n’est jamais qu’énonciative, en ce sens que , quel qu’en soit le chiffre , l’as
sureur ne doit que jusqu’à concurrence de la valeur des
effets chargés, c’est donc cette valeur qui fixe la somme
assurée, bien plutôt que la convention elle-même.
Or, cette valeur peut être incertaine au moment de la
police, telle est l’hypothèse d’une assurance générale sur
marchandises chargées ou à charger ; celle d’une assu
rance sur la liberté d’une personne imposant l’obligation
à l’assureur de payer la somme qui sera exigée pour le
rachat.
Mais l’utilité de l’énonciation de la somme assurée
est manifeste au point de vue de la détermination de
ce que l’assureur aura à payer au maximum. 11 n’est
pas douteux, en effet, que, quelle que fût la valeur des
1 P o t h ie r , n » 7 5 .
�marchandises chargées, l’assureur ne sérail jamais tenu
au-delà de la somme déterminée. L’excédant serait le
découvert de l’assuré qui, jusqu’à concurrence, serait
son propre assureur. De là celte conséquence que l’as
sureur doit tenir la main à ce que la prescription de
l’article 332 s’accomplisse.
106 8. — La prime constituant le prix que l’assu
reur reçoit ou recevra en échange du risque dont il se
charge, son indication dans la police est de l’essence du
contrat, au même titre que le prix dans la vente, que le
loyer dans le louage; cependant son omission n’aurait
pas pour effet d’annuler nécessairement la police.
En effet, quelle pourrait être l’importance de cette
omission, si la prime avait été perçue et payée au mo
ment du contrat ? Il est vrai que le Code de commerce
n’a pas renouvelé la disposition de l’ordonnance exi
geant le paiement de la prime d’avance,mais il ne le pro
hibe pas, et, partant, les parties soni libres de l’exiger
et de l’effectuer.
Quelle serait encore l’importance de l’omission, si la
prime avait été réglée en effets de commerce? L’obliga
tion de payer n’en serait pas moins certaine pour l’as
suré. Peu importerait donc le silence gardé par la po
lice, ou plutôt ce silence n’existerait plus. Le billet de
prime se lie étroitement à la police et la compléterait au
besoin.
Enfin, dans tous les cas, l’omission pourrait bien faire
dégénérer le contrat, mais non l’annuler. Il vaudrait
�350
DROIT MARITIME.
comme contrat de bienfaisance, et constituerait une do
nation conditionnelle.
Au reste, cette omission est peu présumable. La pri
me, observe avec raison M. Pardessus, est presque la
seule chose qui soit débattue entre les parties au moment
du contrat. Leur attention est donc suffisamment exci
tée, et l’intérêt qu’elles ont, l’une de ne payer que ce
qui a été convenu, l’autre de ne pas recevoir moins, est
un sûr garant du soin qu’elles mettront à constater leurs
accords.
1009. — La prime, disait Pothier, pour être équi
table, doit être le juste prix des risques dont l’assureur
se charge; mais, ajoutait-il, comme il est difficile de
déterminer quel est ce juste prix, on doit lui donner une
très grande étendue, et réputer tel celui dont les parties
sont convenues entre elles, sans que l’une d’elles puisse
être écoutée à alléguer à cet égard la lésion L
La détermination de la prime est donc laissée entiè
rement à la discrétion des parties. Cette faculté illimitée
s’entend non seulement de la constitution de la prime,
mais encore du mode du paiement.
Ainsi la prime peut être d’une somme déterminée ou
à déterminer d’après les bases de la police, par exem
ple,d’une somme de tant pour cent de la valeur des cho
ses assurées ; elle peut être fixe ou susceptible d’augmen
tation soit par sa nature, soit par une clause de la po
lice ; elle peut être réglée à tant par mois, par jour, ou
�pour le voyage pour l’aller et le retour, ou pour l’un ou
l’autre séparément ; pour un temps limité précis, ou à
prorata, suivant que le temps sera plus ou moins dé
passé ; enfin, et dans tous les cas, au taux dont on con
viendra.
On comprend que l’état de guerre amenant une ag
gravation des risques, le taux sera bien plus élevé que
celui qu’on exige en temps de paix. Aussi, la seule pré
vision de la survenance du premier amène ordinaire
ment l’assureur à stipuler une augmentation éventuelle
de la prime convenue en l’état de paix l.
109 0. — En général, la prime est payable en ar
gent. Mais les parties ont, à cet égard, 4a même liberté
que pour le taux à établir. Elles peuvent donc convenir
qu’elle sera payée en marchandises ou en prestations
appréciables, en une chose à donner à un tiers ou à faire
pour lui.
Emérigon enseigne que rien n’empêche de stipuler
qu’on sera assureur, à condition qu’on aura une por
tion du net produit de la chose assurée, si elle arrive à
bon port, et qu’on payera la valeur primitive du total,
si elle se perd. Ce pacte, dit-il, renferme un double con
trat : celui d’assurance et celui de société. La chose char
gée dans le navire forme la part de l’un des associés, et
le péril forme la part et la mise de fonds de l’autre3.
�352
DK0,T maritime .
Ce sont là, au reste, tout autant de dérogations qui
ne peuvent résulter que des dispositions expresses de la
police. A défaut de convention spéciale, la prime ne
peut être payée qu’en argent, réellement, si les effets as
surés arrivent à bon port, par compensation avec ce que
l’assureur doit payer en cas de sinistre.
— Ce premier projet du Code, assimilant
quant à la juridiction l’assurance à la société, rendait
l’arbitrage forcé dans l’une comme dans l’autre. Cette
opinion, partagée par la section, trouva des partisans
dans le sein du conseil d’Etat. Mais elle fut, en défini
tive, repoussée.
L’arbitrage n’est donc que facultatif pour l’assurance.
Les parties peuvent en convenir, à la condition de l’ex
primer dans la police. Le silence gardé par celle-ci dé
férerait, de plein droit, la connaissance des difficultés à
la juridiction consulaire.
Celte faculté n’est pas spéciale à l’assurance. Elle
existe en toute matière. Mais sa consécration dans l’ar
ticle 332 a une utilité incontestable. La clause compro
missoire, que la jurisprudence condamne en toute ma
tière autre que les sociétés, échappe à cette nullité pour
ce qui concerne l'assurance. Elle est absolument obliga
toire, en vertu de cet article L
En conséquence , la cour de Bruxelles jugeait, le 16
avril 1831, qu’en matière d’assurance, lorsque le con1091.
i Rennes, 24 juin 4 810.
�art .
352, 333.
353
trat contenait soumission à des arbitres, leur nomina
tion, à défaut par les parties de les désigner, doit être
faite par le tribunal de commerce.
Un autre arrêt rendu par la cour de Rennes, le 22
août 1810, décide que la clause compromissoire conte
nue dans une police d’assurance est obligatoire, à défaut
de renonciation des pariies à son exécution, que cette
renonciation doit être expresse, et ne peut s’induire du
seul fait que les assurés traduits devant le tribunal de
commerce, qui s’est récusé en entier, ont consenti au
renvoi de l’affaire devant un autre tribunal, lorsque de
vant celui-ci , et avant toute contestation en cause , ils
ont demandé à être jugé par des arbitres, aux termes
de la police
En est-il encore ainsi depuis la promulgation de la
loi de 1856 qui a effacé de nos codes l’arbitrage forcé?
L’affirmative nous parait impossible à admettre.
Sans doute il n’en est pas en matière d’assurances
maritimes comme en matière de société. La juridiction
arbitrale de droit commun dans celle-ci ne l’a jamais
été dans celle-là; les dispositions du projet qui les ran
geait sur une même ligne à cet égard n’ayant pas été
reproduites dans le Code.
Mais si, entre assureurs et assurés, la justice ordi
naire était seule appelée à prononcer lorsque la police
ne contenait rien de contraire, il en était autrement
lorsque par une clause expresse on était convenu de
s’en référer à arbitres, dans ce cas l’arbitrage devenait
forcé. De foute certitude cette convention constituait la
m — 23
/
�384
DROIT MARITIME.
clause compromissoire. Mais comment, en présence de
l’article 332 , étendre jusqu’à elle la nullité dont cette
clause est frappée en matière ordinaire ?
Cet article en effet, dérogeait aux dispositions des ar
ticles 1006 et suivants du Code de procédure civile. À
quoi aurait servi la faculté qu’il conférait de s’en rap
porter à arbitres ? Dans quels cas aurait-on pu en user
si on était régi par ces dispositions, puisque l’option
étant autorisée dans la police même, c’est-à-dire avant
qu’aucune contestation ne se fût élevée, il était maté
riellement impossible d’énoncer si non le nom des ar
bitres, du moins l’objet du litige ?
En réalité donc, l’arbitrage, en matière d’assurances
maritimes, était volontaire en ce sens qu’il était faculta
tif aux parties d’y recourir ou non, mais l’option, une
fois faite et consignée dans la police, il devenait obliga
toire et forcé. « Considérant, disait un arrêt de la cour
de Paris, du 7 août 1852 , que lorsque, en matière
d’assurances marilimes, on s’est soumis dans la police à
la juridiction arbitrale, ce choix, autorisé par la loi,
imprime à cette forme de procéder le caractère d’arbi
trage forcé qui échappe ainsi aux prescriptions des ar
ticles 1005 et suivants du Code de procédure civile ;
qu’autrement on ne pourrait user de la faculté donnée
par l’article 332 du Code de commerce l. »
Or il n’est pas douteux que la loi de 1856 atteint
l’arbitrage forcé de quelque nature qu’il puisse être. Son
�but, ainsi que le constate le rapport, a été de ne lais
ser subsister que l’arbitrage volontaire soumis aux con
ditions édictées par l’article 1006 du Code de procé
dure civile, et d’interdire aux parties de s’engager, par
avance, à faire juger par des juges inconnus des contes
tations ignorées, elle a dès lors virtuellement abrogé tou
tes lois antérieures autorisant le contraire, et notamment
l’article 332 du Code de commerce. Dans quelques cas
qu’elle se produise ; quelle que soit la nature de l’acte
qui la renferme, la convention de s’en référer à arbi
tres n’est plus qu’une simple clause compromissoire et
ne saurait échapper à la nullité qui frappe celle-ci.
Le tribunal de commerce d’Agde l’ayant ainsi jugé,
son jugement fut frappé d’appel. Mais la cour de Mont
pellier le confirmait après partage, par les motifs sui
vants, la 13 août 1858 :
« Attendu que si l’article 332 du Code de commerce
renvoie, pour le mode de la constitution du tribunal ar
bitral, aux règles de l’arbitrage forcé, la faculté qu’il
édicte a pris fin avec l’arbitrage forcé qui n’existe plus
dans nos codes ;
« Que si l’article 332 se réfère aux règles de l’arbi
trage volontaire, on ne saurait l’invoquer dans la cause
où aucune des conditions relatives à la constitution de
l’arbitrage volontaire n’ont été remplies,
« Qu’il est d’ailleurs évident que l’article 332 n’a
créé au profit des assureurs maritimes que la faculté de
rendre applicables à ces conventions les règles de l’ar-
�386
DROIT MARITIME.
bitrage forcé qui n’étaient édictées que pour le contrat
de société l.
— Telles sont les énonciations principales
que le législateur prescrit. Mais les parties peuvent à leur
gré stipuler les conventions qu’elles jugent utiles ou con
venables à leurs intérêts. Dans cette hypothèse, la loi
n’avait à exiger qu’une seule chose , à savoir , que les
conventions fussent exprimées dans la police. C’est ce
que fait l’article 332.
Cette liberté absolue n’a d’autres limites que la volon
té expresse de la loi, que l’intérêt général et l’ordre pu
blic. La convention qui aurait pour objet de faire per
dre au contrat un de ses caractères essentiels, ou d’au
toriser ce que la loi prohibe, ne produirait aucun effet,
quoiqu’elle eût été formellement exprimée. Telle serait
l’assurance couvrant les choses que l’article 347 interdit
de faire assurer, ou la convention qui anéantirait tout
risque à la charge de l’assureur.
Mais si le risque ne peut être anéanti, il peut être ag
gravé ou amoindri, en le réduisant à tel ou tel événe
ment seulement. Cette dernière faculté, prohibée dans le
prêt à la grosse, s’explique dans l’assurance par la na
ture même du contrat. Nous avons déjà dit qu’elle
constitue en quelque sorte une fidéjussion. Dès lors, l’as
sureur, maître d’imposer des limites, peut très bien ne
garantir que tels accidents, à l’exclusion de tels autres.
1092.
�ART. 3 5 2 , 5 5 3 .
587
Ce sont ces modifications diverses que la loi prescrit
d’exprimer dans la police. Aucune preuve ne saurait
prévaloir contre le silence que celle-ci garderait. Les
parties se trouveraient de plein droit sous l’empire du
droit commun quant à l’étendue de l’assurance et à ses
effets.
1093. — La police régulièrement souscrite fait foi
entière de ce qu’elle contient. Toute preuve outre ou
contre son contenu serait irrecevable. Mais, quelque
parfaite qu’on la suppose, les termes généraux dont on
s’est servi, leur véritable portée peuvent faire naître des
difficultés dans l’exécution. La solution de ces difficultés,
si elle ne résultait pas suffisamment de l’usage, devrait
être puisée dans les principes généraux en matière d’in
terprétation des contrats.
Ainsi, aux termes de l’article 1162 du Code civil, dans
le doute, la convention s’interprète contre celui qui a
stipulé, et en faveur de celui qui contracte l’obligation.
Or, dans les polices d’assurance, le rôle de stipulant est
tour à tour rempli par chacune des parties. Le doute
devra donc se résoudre contre l’assuré, s’il s’agit de la
nature et de l’étendue du risque; contre l’assureur, si la
difficulté s’élève sur le paiement de la prime, ou sur
une autre circonstance s’y rattachant.
La cour de Paris s’est prononcée contre l’assuré dans
l’espèce suivante : des assureurs d’aller avaient pris les
risques d’un voyage à l’île Bourbon, avec clause que ce
risque devait finir cinq jours après l’arrivée du navire
�DROIT MARITIME.
558
dans cette île. L’ile Bourbon n’a pas de port, mais elle
offre plusieurs rades. Le navire étant entré dans l’une
d’elles, les assureurs soutenaient que leur responsabilité
avait cessé cinq jours après.
L’assuré soutenait au contraire qu’il avait le droit
d’aborder successivement chaque rade, et que les
obligations des assureurs d’aller ne pouvaient cesser que
cinq jours après l’entrée du navire dans celle où il
devait compléter son déchargement, et préparer son re
tour.
Soumis à des arbitres, le litige fut résolu en faveur
des assureurs. Entre autres motifs, la sentence, exami
nant les termes de la police, déclare que l’intention des
parties a été que le voyage assuré finirait et les risques
cesseraient lorsque, après avoir jeté l’ancre sur une ra
de, le navire y serait resté cinq jours ; qu’autrement, on
n’aurait pas manqué de stipuler la faculté de relèvement
autour de l’île ; que, dans tous les cas, si le doute pou
vait exister, c’est contre l'assuré stipulant qu'il de
vrait s'interpréter.
Sur l'appel, la cour de Paris, adoptant les motifs,
confirme la sentence par arrêt du 12 décembre 1840 l.
D’autre part, la cour d’Aix jugeait, le 23 avril 1825,
que la clause par laquelle des assureurs stipulent qu’ils
assurent à la prime de six pour cent, réduite à deux
pour cent, le risque finissant à Constantinople pour
quelque motif que ce soit, n’a pas pour effet d’exempter
�les assureurs des risques de l’arrêt du prince, dans le
cas oùl le vaisseau est arrêté par le gouvernement dans
le port désigné. Si la généralité de l’expression, pour
quelque motif que ce puisse être, pouvait faire douter de
l’intention des parties à l’endroit de la force majeure, ce
doute, dit l’arrêt, devrait s’interpréter contre les assu
reurs qui, étant danscette partie les stipulants, devaient
exprimer plus clairement leurs intentions.
— La question de savoir si tel ou tel objet
est compris dans une catégorie de marchandises génériquemment assurées doit être résolue par l’usage de la
localité où l’assurance a été contractée. Le tribunal de
Marseille décidait en conséquence, le 11 avril 1831,
que, par l’expression de drogueries imprimée dans les
formules d’assurance sur la place de Marseille, on doit
entendre toutes les marchandises quelconques composant
le commerce de la droguerie sur cette même place ; et,
par conséquent, les safranums qui, quoique servant à
la teinture, n’en font pas moins partie de ce commerce;
que, tel est d’ailleurs l’acception que l’usage donne à
cette expression en matière d’assurance.
1© *84L.
— Il est de principe que l’assurance con
tractée avant le départ du navire s’applique au premier
voyage qu’il fera, ou qu’il est sur le point de faire ; que
celle prise le navire étant en cours de voyage n’a en vue
que le voyage encore flottant. Il ne saurait en être au
trement que si la police s’expliquait nettement à ce sujet.
1075.
�360
DROIT MARITIME.
Il importerait peu que le voyage se trouvât terminé au
moment de l’assurance, si, d’ailleurs, cette circonstance
était encore ignorée de l’assuré et de l’assureur l.
C’est sur le fondement de cette règle que le tribunal
de commerce de Bordeaux jugeait, le 19 juillet 1847,
que lorsqu’un navire, après son arrivée au port de des
tination, et avant son retour au port du départ, a effec
tué plusieurs voyages intermédiaires, et que plusieurs
assurances successives ont été prises pour couvrir les ris
ques de ces voyages, chaque assurance est présumée
s’appliquer, à moins de convention contraire, au voya
ge dont le risque était flottant au moment où elle a été
souscrite et auquel toutes les énonciations de la police
conviennent2.
Vainement l’assuré se prévaudrait-il de ce que l’en
semble des assurances dépasse la valeur du, risque ex
posé dans le voyage, et prétendrait-il appliquer l’excé
dant au voyage subséquent. Tout ce qui résulterait, dans
ce cas, de l’excès, serait l’application de l’article 359 et
le ristourne des assurances les plus récentes.
1 0 9 0 . — Dans plusieurs circonstances, la police ré
serve à l’assuré, dans le cas où le port de destination
serait bloqué, la faculté de relever dans un des ports
libres les plus voisins. Nul doute que le sinistre arrivé
pendant que le navire usait de cette faculté ne fût à la
charge de l’assureur.
�Mais ce n’est là qu’une faculté dont le capitaine est
libre de s’abstenir. Il peut donc, obéissant soit à la né
cessité , soit à une appréciation spontanée , revenir au
port du départ, aux risques et périls des assureurs. A la
prétention contraire de ceux-ci, on a répondu que, don
ner à quelqu’un une faculté, ce n’est pas lui imposer
une obligation, c’est s’en référer entièrement au parti
qu’il croira devoir prendre, que si les assureurs enten
daient prohiber le retour, ils auraient dû s’en expliquer
formellement dans la police l.
1 0 9 9 . — Au reste, toutes les fois qu’il s’agit du sens
et de l’interprétation des clauses d’une police , le pou
voir des deux degrés de juridiction est souverain et ab
solu. Quelle qu’elle soit, leur décision échappe à la cen
sure de la Cour de cassation.
Une assurance ayant été prise sur un navire destiné à
la pêche de la baleine à la côte du Brésil et dans les
baies, la cour de Douai, par arrêts des 18 et 20 août
1823, avait décidé que cette clause s’appliquait à toutes
les baies de la mer du sud que fréquentent ordinaire
ment les pêcheurs quand la saison avancée force la ba
leine à abandonner la côte du Brésil. Le pourvoi en
cassation contre ces arrêts fut rejeté, sur le motif qu’en
interprétant la clause comme elle l’avait fait, la cour de
Douai n’avait fait qu’user du droit que la loi lui défé
rait2.
�362
DROIT MARITIME.
1 0 9 § . — Comme tous les titres commerciaux, la
police d’assurance peut être faite à ordre ou au porteur.
Le silence gardé à cet égard par le Code ne saurait pro
duire d’autres conséquences que celles qu’on avait in
duit de celle-ci, la transmissibilité de la police ne fai
sait ni difficulté, ni doute.
La Cour de cassation a même jugé, le 9 août 1808,
que l’endossement d’une police, sous l’ordonnance de
1673, ne devait pas réunir les conditions prescrites par
l’article 23 du titre 5, pour la validité de celui des let
tres de change ; qu’il pouvait ne pas exprimer le paie
ment.
Nous dirons avec M. Dalloz que cette doctrine ne sau
rait être suivie aujourd’hui, sous l’empire du Code ; la
propriété d’une valeur commerciale quelconque n’est
légalement transférée que par un endossement régulier,
et l’endossement n’est tel que s’il réunit les conditions
prescrites par l’article 137. L’application de cet article à
la police d’assurance a été formellement consacrée par
la Cour de cassation h
La police d’assurance peut donc être à ordre ou au
porteur. Elle a même de plein droit ce dernier caractère,
si l’assurance a été faite pour compte de qui il appar
tiendra. Celte clause, en effet, donne à tout porteur de
la police le droit d’exiger la perte, s’il résulte des con
naissements passés en son nom que des marchandises
de la nature indiquée ont été chargées pour son comp1 I er mars 1843 ; D. P., 43, 1, 183.
�ART.
332, 333.
563
te sur le navire désigné. Cette règle, admise par la doc
trine et la jurisprudence ancienne, est également ensei
gnée par la doctrine et la jurisprudence moderne.
Le tribunal de commerce de Marseille a même cru
devoir l’appliquer dans une hypothèse où le porteur de
la police pour compte avait, en son nom personnel, et
à une date postérieure, contracté une assurance sur fa
cultés par lui chargées sur le même navire, n’étant de
venu possesseur de la première qu’après la réalisation
de la seconde. Ce qui décide les juges, c’est que cette
possession est antérieure à la connaissance du sinistre,
d’où la conséquence que, si elle avait suivi celte con
naissance, le porteur ne pourrait s’en prévaloir '.
1 0 9 9 . — L’endossement régulier de la police en
transfère donc la propriété tant à l’encontre des assu
reurs qu’à l’égard des créanciers de l’assuré, le porteur
a seul désormais le droit de recevoir et d’exiger le paie
ment de la perte, il est à l’abri des exceptions qui pour
raient être élevées, soit du chef des porteurs intermé
diaires, soit du chef de l’assuré primitif.
Cela, toutefois , et vis-à-vis des assureurs, ne peut
s’entendre des exceptions puisées dans les clauses de la
police, ou naissant du caractère du contrat. Ainsi, le
tiers porteur est non seulement tenu de se conformer
aux conditions de la police, mais encore de prouver le
chargé, d’établir la valeur des efiets et d’en justifier la
11er mars 4 831 ; Journal de Marseille, t. 13, 4, 94.
r
�364
DROIT MARITIME.
perte, il serait de plus responsable des réticences, faus
ses déclarations et fraudes imputables à l’assuré pri
mitif.
Ce dont les assureurs eux-mêmes ne pourraient exciper contre lui, ce sont les exceptions dérivant de circons
tances étrangères à la constitution du contrat, par exem
ple, la compensation que l’assureur prétendrait établir
entre la perte et les sommes dont il est créancier de
l’assuré primitif à un titre quelconque, et autres que la,
prime du voyage assuré ; la compensation de plein droit
pour celle-ci serait absolument repoussée, alors même
que l’assuré aurait d’abord poursuivi en'son nom le
paiement de la perte 1.
La police d’assurance pour compte de qui il appar
tient est un véritable titre au porteur, qui se transmet
par la simple tradition. Il n’y a donc de réellement as
suré que celui qui l’a en sa possession au moment où
l’effet en est poursuivi.
Sans doute, tout comme l’assuré primitif, ce posses
seur est obligé de prouver le chargé, mais il n’est pas
tenu de justifier qu’il a personnellement fourni les ob
jets faisant l’aliment de l’assurance, l’endossement ré
gulier des connaissements en sa faveur par le chargeur
lui en a transféré la propriété. Dès ce moment ces ob
jets voyagent pour son compte et à ses risques. La pro
duction simultanée et des connaissements et de la police
1 T rib u n al de M arseille, 11 octobre 1823 ; Journal de Marseille, t.
�ART. 3 3 2 , 3 3 3 .
363
d’assurance est donc toute la justification qu’on puisse
exiger de lui.
On comprend l’intérêt de cette doctrine lorsqu’on se
réfère à la pratique ordinaire du commerce. Le négo
ciant qui fait un chargement et l’expédie à un corres
pondant ou à un commissionnaire, fournit le plus sou
vent sur celui-ci des traites pour la valeur totale ou
partielle du chargement. C'est là une ressource précieu
se, un moyen de crédit qui permet de multiplier les opé
rations et contribue puissamment au développement et
à l’essor du commerce.
Mais le correspondant, le commissionnaire, le tiers
escompteur n’accepte ou ne paye ces anticipations qu’en
vue de la marchandise et sous la garantie de rembour
sement qu’elle assure. Il exige donc avant tout la remise
des connaissements qui lui en donne la propriété et la
disposition ; celle de la police d’assurance qui la place
en dehors des chances et des dangers de la navigation,
comprendrait-on dès lors que sans son concours le
chargeur qui a fait souscrire cette police pût l’anéan
tir en en consentant la résiliation en faveur des assu reurs ?
Dirait-on que ce chargeur répondrait envers le tiers
des conséquences de cette résiliation? Mais cette respon
sabilité à quoi aboutirait-elle si le chargeur était devenu
insolvable? D’ailleurs l’accepteur ou l’escompteur des
anticipations a suffisamment prouvé qu’il a fait con
fiance, non à la personne, mais à la chose, et en rai
son, en équité et en droit, nul ne saurait changer les
�366
DROIT MARITIME.
conditions de son engagement. La justice elle-même ne
pourrait le faire sans méconnaître et violer la loi.
Cela est si évident qu’on serait tenté de considérer
comme une hypothèse irréalisable le cas d’une résilia
tion d’une police pour compte de qui il appartient, en
tre les assureurs et l’assuré primitif. Mais on se trom
perait, car dans une espèce jugée par le tribunal de
commerce du Havre on excipait d’une résiliation de ce
genre dont on soutenait la régularité et la validité.
Mais, par jugement du 18 juin 1866, cette préten
tion est justement repoussée.
Le tribunal considère avec raison que l’assuré en fa
veur de qui la police avait été souscrite ne pouvait être
propriétaire dés titres dont il s’était dessaisi qu’après
avoir accompli ses obligations , c’est-à-dire qu’après
avoir payé et remboursé les traites dont les choses as
surées étaient la garantie ; que le tiers porteur qui avait
escompté ces traites était propriétaire légal de la cargai
son qui en formait la provision, et se trouvait ainsi, par
la tradition qui lui avait été faite des polices , le vérita
ble assuré ; que par conséquent lui seul pouvait en pour
suivre l’exécution ou en consentir la modification ; que
c’était donc à lui seul que les assureurs devaient s’a
dresser et non à celui qui avait fait souscrire l’assuran
ce qui, après s’être dessaisi des titres, n’avait ni droit
ni qualité pour intervenir à un contrat qui lui était de
venu étranger ;
« Que vainement, pour justifier la marche qu’ils ont
suivie, les assureurs prétendent qu’ils ne pouvaient s’a-
�ART. 3 3 2 , 3 3 3 .
367
dresser qu’à ceux avec lesquels ils avaient traité, ou
bliant ainsi que, d’après la législation, la jurisprudence
et la pratique, les contrats d’assurance maritime peuvent
être nominatifs , à ordre , au porteur, ou enfin pour
compte de qui il appartient, et que, dans ces derniers
cas, le transport s’opère régulièrement entre l’assuré pri
mitif et le cessionnaire sans l’intervention de l’assureur,
et que c’est alors le porteur du titre qui est l’assuré réel
et véritable aux charges de droit ; que si ce mode ne
permet pas aux assureurs de connaître le subrogé, ils ne
peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes d’avoir établi des
conditions qui offrent ces inconvénients qui seraient fa
cilement évités en exigeant îe paiement des primes sur
la remise des avenants d’application 1. »
Il est évident au surplus qu’en souscrivant une police
à ordre, au porteur, et surtout pour compte de qui il
appartient, l’assureur n’a pu ignorer les conséquences
de la nature du contrat, et à quelque inconvénient que
ces conséqueuces vinssent aboutir pour lui, il ne sau
rait s’en plaindre puisqu’il a été parfaitement libre de
ne pas traiter dans ces conditions. Dès qu’il les a accep
tées rien ne saurait le soustraire à la loi qu’il s’est sciem
ment et volontairement faite.
Que si des circonstances lui paraissent devoir motiver
la résiliation du contrat, il peut en traiter avec l’assuré
primitif, mais à la condition que celui-ci sera encore
porteur de la police, qu’il la représentera, et que la réi J o u rn a l de M a rseille , 1 8 6 7 , 2 , 4 6 .
�5C8
DROIT
MARITIM E.
siliation sera constatée soit par un avenant à la suite de
la police, soit par le biffement de la signature. A défaut
de cette constatation, la négociation ultérieure de la po
lice obligerait l’assureur. A plus forte raison serait-il te
nu si, au moment de la résiliation la police était déjà
aux mains d’un tiers.
1 0 8 0 . — La même police peut renfermer plusieurs
assurances, soit à raison de la marchandise, soit à rai
son de la prime, soit à raison des différents assureurs.
La question de savoir s’il y a une police unique ou plu
sieurs contrats distincts ne manque pas d’intérêt, dans
l’hypothèse surtout où il y a lieu à ristourne, et dans
celle oti s’agite la question de délaissement.
En principe, la réunion de plusieurs assurances dans
une même police n’est pas une circonstance dont on
doive nécessairement conclure que l’intention des par
ties a été de ne faire qu’un seul contrat, et réciproque
ment la diversité des marchandises ou du taux de la
prime ne prouve pas qu’on ait entendu en faire plu
sieurs. La détermination du véritable caractère de l’acte
est une pure appréciation de faits, abandonnée à la
prudence du juge, et qui doit résulter des circonstances
et des termes de la police L
Cependant chaque changement de date établit un con
trat distinct entre chaque série d’assureurs de la même
date. Nous avons déjà vu que l’usage sur la place de
i Pardessus, n° 798,
�Marseille est de clôturer la police ouverte, et d’en ouvrir
une nouvelle toutes les fois qu’un assureur , en prenant
part à la première, veut dater son engagement du jour
qu’il le prend. Il y a là en effet deux polices distinctes,
alors même qu’elles figureraient sur la même feuille; il
serait surtout impossible de les confondre, au point de
vue de l’article 359.
Il en serait de même si l’un des assureurs successifs
établissait une prime plus forte ou plus faible que celle
acceptée par les signataires précédents, ou si, sans chan
ger le taux de la prime, il modifiait les conditions ac
ceptées par eux ; ici, il n’y aurait évidemment qu’une
seule police, mais elle renfermerait deux assurances dis
tinctes.
L’assurance, par une même police, de deux navires
partant pour une destination différente, constitue une
double assurance. Enfin la réassurance par un assureur
de tous les risques dont il s’est lui-même chargé, quoi
que faite par une seule police, constitue autant de réas
surances distinctes qu’il y a de risques différents et pour
des voyages indépendants les uns des autres.
L’assurance successivement souscrite à une même
date, par plusieurs assureurs, constitue une assurance
unique, mais il y a autant de contrats séparés qu’il y a
d’assureurs différents. En effet, l’assurance se divise en
tre eux, et chacun n’est tenu que de la somme par lui
souscrite. Les conséquences de cette divisibilité sont qu’il
n’existe et ne saurait exister aucune solidarité entre les
signataires.
m — 24
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II
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lit 1
jii'i'ï.É
ifcw*
!
11
1 0 8 1 . — Ce caractère devait faire résoudre une
question fort controversée d’abord, mais sur laquelle la
jurisprudence semble s'être fixée depuis. Le jugement
qui a statué sur une demande formée contre plusieurs
assureurs collectivement, est-il en premier ou en der
nier ressort pour ceux qui ne sont pas engagés au-delà
de 4 500 francs ?
Une distinction a été proposée, si ces assureurs, a-ton dit, ont opposé des exceptions personnelles, telle
qu’une compensation, l’état de minorité, etc., le juge
ment est sans contredit en dernier ressort.
Si, au contraire, le litige a porté sur la nullité du con
trat en général, demandée soit par l’assuré, soit par les
assureurs eux-mêmes, le jugement n’est indistinctement
pour tous qu’en premier ressort, alors la faculté d’ap
peler doit être déterminée par le montant total de la po
lice. Ainsi, si on demande contre les assureurs un rè
glement d’avaries qui soit contesté par eux, si le délais
sement est attaqué de nullité, si on le prétend inadmis
sible, si on oppose qu’il n’y a pas eu prise, naufrage ou
autre sinistre majeur, si on allègue que l’événement a
eu lieu hors du temps et du lieu des risques, toutes ces
exceptions sont indivisibles, elles ne peuvent être bonnes
et légitimes pour les uns, illégales et mauvaises pour les
autres, elles affectent également tous les engagements
pris dans le contratl.
Ces arguments pourraient prévaloir si la loi n’avait
1 Estrangin sur Pothier; p. 195 et 488.
�art.
332, 333.
371
calculé le degré de juridiction uniquement sur la quo
tité de l’intérêt en litige. Or, quelle que soit l’exception
proposée, pourra-t-elle jamais changer la position des
parties, faire que l’assureur pour moins de 1S00 francs
ait jamais un intérêt supérieur à cette somme. S’il était
attaqué seul, pourrait-on équivoquer sur le caractère du
jugemenl qui interviendrait ? Pourquoi donc ce caractè
re changerait-il parce que, à côté de lui, figuraient d’au
tres engagements auxquels il est d’ailleurs absolument
étranger ?
Il suffit donc qu’il n’existe aucune indivisibilité, au
cune solidarité entre les divers assureurs, pour que cha
cun d’eux se trouve, quoique appelé collectivement avec
d’autres, dans la position qu’il aurait s’il avait été atta
qué seul ; si son intérêt est moindre de 1500 francs ou
ne dépasse pas ce chiffre, le jugement, quelle qu’ait été
la nature du litige, sera en dernier ressort et insuscepti
ble d’appel en ce qui le concernel.
A rticle 33 4 .
L’assurance peut avoir pour objet :
Le corps et quille du vaisseau vide ou chargé, armé
ou non armé, seul ou accompagné ;
i Bordeaux, 44 février et 8 mars 4841 ; Cass., 29 m ai 4850, 3 mars
185* ; Grenoble, 47 février 4853 ; D . P ., 42, 2, 418, 50, 4, 237 ; 52,
4, 94, 64, 2 ,2 5 3 ,
�DROIT MARITIME.
372
Les agrès et apparaux ;
Les armements ;
Les victuailles ;
Les sommes prêtées à la grosse ;
Les marchandises du chargement et toutes autres cho
ses ou valeurs estimables à prix d’argent sujettes aux
risques de la navigation
Article 335.
L’assurance peut être faite sur le tout ou sur une par
tie desdits objets, conjointement ou séparément.
Elle peut être faite en temps de paix ou en temps de
guerre, avant ou pendant le voyage du vaisseau.
Elle peut être faite pour l’aller et le retour , ou seu
lement pour l’un des deux, pour le voyage entier ou
pour un temps limité.
Pour tous voyages ou transports par mer, rivières et
canaux navigables.
SOMMAIRE
1082. Caractère de l'article 334. Reproche d’inutilité qu’on
pourrait faire à l’énumération détaillée qu’il renferme.
4083. Objet de la déclaration si le navire est vide ou plein. Con
séquence de l’omission.
�1084. —Decelle quelenavireest ounonarmé, qu’il part seul
ouaccompagné. Effetsdel'omission.
1085. Caractèredel’assurancesurcorps et quilledunavire. De
cellesuragrèset apparaux, armements et victuailles.
1086. L’assurance sur chargement peut être totale ou par
tielle.
1087. Naturedecelle-ci. Cequ’ellecomprend.
1088. —Cequecomprendl’assurance sur facultés, surchar
gement, surcargaison ousurpacotille.
1089. Caractère de l’assurance sur facultés totale ou partielle
faite pourl’alleret leretour.
1090. Quid, del’assurancefaitesurcorpset facultés?
1091. Etendueet naturedelafacultédefaire assurerles som
mes prêtées àlagrosse. Conséquences si l’assuranceest
faiteavantle prêt oudepuis sonexigibilité.
1091. Dequellenaturedoivent êtreles différencesentre lebil
let degrosseet lapolicepourqu’onpuisseannuler cel
le-ci.
1093. Quid, decellesqui n’altèrent pas l’identité.
1094. NaturedesdispositionsduCodesur l’assurancede la vie
oudelalibertédes personnes.
1095. L’assurancesurcontrebandeàl’étrangerest-elleillicite?
1096. Naturedusilence gardéàce sujet. Ses effets surla po
lice.
1097. Abrogation de l’ordonnance surl’assurancene pouvant
comprendrequeles9|10.
1098. L’assurancepeut êtrefaite entemps deguerrecommeen
temps depaix. Responsabilitédel’assureur.
1099. Peut précéderousuivreledépartdunavire.
1100. Pourquoi temps l’assurancepeut être consentie"? Pré
somptionencasdesilencedesparties.
1101. Effets de l’assurance pour l’aller et le retour, suivant
qu’elleestounonàprime liée.
1102. Responsabilitédel’assureur dansl’assuranceé temps li
mité.
�374
DROIT MARITIME.
H03. Applicationdesrègles de l’assurance àlanavigationflu
viale.
1089. — Le détail contenu dans l’article 334 était
en quelque sorte rendu inutile par le principe général
qui clôture sa disposition. Sont susceptibles de faire la
matière d’une assurance toutes les choses appréciables à
prix d’argent et sujettes aux chances de la navigation,
c’est-à-dire de nature à périr ou à se détériorer par les
accidents de mer. Or, pouvait-on hésiter un moment.
Le navire vide ou plein, armé ou non armé, accompa
gné ou seul, ses agrès et apparaux, ses armements et
victuailles, les sommes prêtées à la grosse, les marchan
dises du chargement réunissaient également et essen
tiellement cette double condition.
Ce qui est certain, c’est que le Code a reproduit la
disposition de l’ordonnance. Celle-ci avait un motif
plausible pour renfermer les diverses énonciations qui
la composent. Avant sa promulgation! on suivait en
France le droit établi par les meilleures lois étrangères ;
or, le règlement d’Anvers défendait d’assurer le navire
vide, et celui d'Amsterdam les armements et victuailles.
La volonté de créer un droit contraire mettait le légis
lateur dans la nécessité de s’en expliquer, et c’est cette
nécessité qui dicte l’article 7 du titre des assurances,
que notre article 334 reproduit.
— Valin faisait observer que , lorsque l’as
surance portait sur le navire isolément, il importait peu
1083.
�37b
334, 33ô,
qu’il fût plein ou vide, il n’attachait donc aucun prix
réel à cette indication ; sans doute un navire sur lest est
plus facile à gouverner qu’un navire chargé, sa marche
sera plus rapide et plus prompte , et cette double cir
constance peut influer sur la détermination du taux de
la prime, mais le défaut de déclaration à cet égard ne
saurait nuire aux assureurs ; dans le doute, en effet, ils
doivent supposer que le navire est plein, et baser leurs
prévisions sur cet état de choses.
Il n’y aurait donc que la fausse déclaration qui pût
influer sur le sort de l’assurance.
art,
— En temps de guerre, la circonstance que
le navire est ou non armé, celle qu’il sort seul ou ac
compagné sont d’une haute importance pour l’assureur.
Une escorte est une garantie contre l’ennemi et diminue
les périls que la guerre crée pour la navigation ; d’au
tre part, le navire qui est lui-même armé en course, loin
d’éviter les rencontres avec l’ennemi, les recherchera.
Or, tout cela influant sur le risque, l’assureur doit être
instruit,
Mais il y a une différence essentielle dans les effets de
l’omission, suivant qu’il s’agit de l’un ou de l’autre. Le
défaut de déclaration, relativement à l’escorte, doit faire
supposer que le navire sortira seul ; de quoi donc se
plaindrait l’assureur si, en réalité, le navire était sorti
accompagné, pourrait-il être recevable à trouver mau
vais qu’on eût amélioré sa position par le surcroit de
garanties qui ne lui avait pas été annoncé ?
1084.
�376
droit maritime .
La plainte ne serait donc recevable que si la police
mentionnant que le navire sortira accompagné, il était
en réalité sorti seul ; cette circonstance, aggravant le ris
que, changerait les conditions du contrat et en motive
rait l’annulation.
Le défaut de déclaration que le navire est armé pro
duirait un effet analogue, et aboutirait dès lors à un
même résultat, mais à la condition qu’en réalité le na
vire était armé ; s’il ne l’était pas, l’omission serait sans
importance, on peut même dire qu’il n’existerait pas
d’omission, car ne pas déclarer que le navire est armé,
c’est dire qu’il ne l’est pas, et, s’il en est ainsi en réa
lité, de quoi se plaindrait l’assureur? Il n’a pas été, il
n’a pu être trompé.
L’article 334 est une nouvelle preuve des efforts du
législateur pour maintenir le contrat d’assurance dans
les conditions de loyauté , sans lesquelles il ne pourrait
exister. Dans quelques conditions que se trouve le na
vire, ses corps et quille peuvent devenir l’objet d’une
assurance obligatoire pour tous, si l’asureur a été ins
truit de tout ce qu’il lui importait de connaître.
1085.
— Contracter une assurance sur les corps et
quille d’un navire, c’est en général affecter un navire
avec toutes ses dépendances, c’est-à-dire ses agrès et
apparaux, canots, chaloupes, etc., même l’armement et
les victuailles qui ne sont pas compris ordinairement
dans la désignation du navire ; cependant chacun de
ces objets, étant appréciable à prix d’argent et sujet
�aux chances de la navigation, peut devenir l’objet d’une
assurance spéciale et distincte, soit en totalité, soit en
partie.
Mais cette faculté écrite dans la loi n’est guère admise
en pratique. Des assurances de ce genre sont fort rares.
On ne saurait les admettre que si elles résultaient expli
citement de la police.
— Aucun doute ne pouvait exister sur la fa
culté de faire assurer les effets chargés sur le navire.
C’est là même le principal objet que ce contrat s’est de
tout temps proposé. Si cette faculté se trouve inscrite
dans le Code, c’est que, dès qu’il était admis qu’on don
nerait la nomenclature des choses pouvant être assurées,
il n’était pas possible d’omettre les marchandises de
toute nature.
Il en est du chargement comme du navire des agrès,
apparaux , armement et victuailles. On peut le faire
assurer en tout ou en partie, conjointement ou séparé
ment.
1080.
1 0 8 9 . — L’assurance partielle peut avoir pour ob
jet une part aliquote du chargement, la moitié, le tiers,
le quart, etc., ou une certaine nature de marchandises
embarquées, les soies, les cotons, les laines, le vin, etc...
Dans le premier cas, l’assureur ne court les risques qu’à
proportion le la quotité convenue; dans le second,il ne
garantit que les dommages ou pertes subis par la mar
chandise dont il répond spécialement. De telle sorte que,
�378
DROIT MARITIME.
si on en avait embarqué aucune de la nature désignée,
l’assurance deviendrait nulle, sauf l’indemnité que l’ar
ticle 349 adjuge en pareil cas.
1 0 8 8 . — L’assurance prise sur facultés, sur char
gement, sur cargaison comprend toutes les marchandi
ses chargées sur le navire pour compte de l’assuré, sans
en rien excepter, pas même la pacotille qui pourrait lui
appartenir, indépendamment de son intérêt dans la car
gaison ; peu importe que la nature des marchandises
n’ait pas été spécifiée. Les effets, quels qu’ils soient,
dont il y a connaissement, ont été de plein droit aux
risques de l’assureur du moment qu’il ont été chargés,
conformément à l’article 328.
L’assurance sur pacotille n’embrasse que ce qui est
embarqué à ce titre. Elle est étrangère, et n’affecte en
rien la part d’intérêt que l’assuré peut avoir dans le
chargement principal.
— L’assurance générale ou spéciale, prise
sur facultés pour l’aller et le retour, couvre les marchan
dises qui seront chargées au lieu d’où le retour doit s’o- •
pérer et qui remplacent celles que le navire y a appor
tées, il en serait de même dans l’assurance avec faculté
de faire échelle. Cette clause, ainsi que nous le verrons,
permettant de décharger et de recharger dans chaque
port permis, la marchandise prise en remplacement de
celle mise à terre deviendrait l’aliment régulier de l’as
surance prise au port d’armement et avant le départ du
navire.
1089.
�Enfin, l’assurance sur facultés couvre les droits que
l’assuré aurait sur une chose commune entre lui et diversKutres intéressés. Les assureurs, dit Valin, seraient
non recevables à souteuir le contraire, quia et quod
commune nostrum esse dicitur.
— L’assurance, devant avoir un objet spé
cial et certain, ne s’étend jamais d’une chose à une au
tre. Celle prise sur le corps du navire ne saurait s’ap
pliquer à la cargaison, et réciproquement.
En conséquence, celui qui a simultanément intérêt au
navire et à la cargaison, et qui veut assurer son droit
entier, doit le déclarer expressément. Celte déclaration
résulterait de la clause que l’assurance est prise sur
corps et facultés. Dans ce cas, l’assurance est faite sé
parément ou conjointement; séparément, si la police
stipule une somme sur le corps et une autre sur facul
tés ; conjointement, s’il est conveuu d’une somme uni
que pour le tout. Dans ce cas, cette somme est impu
table moitié au navire, moitié à la cargaison.
Ainsi, quoique faite conjointement, l’assurance n’en
est pas moins divisible ; on peut donc, le cas échéant,
l’annuler en ce qui concerne le vaisseau, et la mainte
nir pour la cargaison ou réciproquement K
1090.
1 0 9 1 . — La perte entière du navire enlève au prê
teur à la grosse tous moyens de recouvrer le capital
i Bordeaux, 23 janvier 1826.
�380
DROIT MARITIME.
qu’il a prêté. La rentrée dépend donc uniquement des
chances de la navigation, et ce capital étant lui-même
une somme en argent ou en valeur appréciable, rien ne
pouvait s’opposer à ce qu’il fît la matière d’une assu
rance. L’existence de ce risque explique la prohibition
d’assurer la somme empruntée que fait l’article 347.
L’emprunteur, en effet, trouvera dans la perte du na
vire la dispense de restituer la somme reçûè. Dès lors,
lui permettre de la faire assurer, c’était lui fournir le
moyen de faire de cette perte l’occasion d’un bénéfice
évident.
Or, l’assurance ne peut jamais aboutir à ce résultat.
Ainsi, ce que le prêteur lui-même peut faire assurer,
c’est uniquement son capital. L’intérêt maritime n’est
qu’un profit espéré, il n’est dû que dans le cas d’heu
reuse arrivée. À ce double titre, l’assurance, dont il fe
rait la matière, serait infailliblement annulée.
Du principe que le prêteur ne peut faire assurer que
le risque réel et certain qu’il court, on a conclu que
l’assurance qui précéderait le prêt à la grosse serait
nulle. En effet, au moment du contrat, l’assurance n’a
vait aucun aliment, elle était donc nulle, et cette nullité
ne pouvait s’effacer devant l’acte purement personnel
de l’assuré '.
L’assurance serait également sans aliment si, au mo
ment du contrat, le prêt à la grosse était devenu exigi
ble par le déroutement du navire. Cette exigibilité fait
I Aix, 2 février 1835 ; Journal de Marseille,
t. 7 ,1 , 81.
�cesser tout risque, le prêteur ne court plus que celui
d’insolvabilité du débiteur, et celui-là ne saurait faire la
matière d’une assurance maritime.
Dans l’assurance du prêt à la grosse, ce
qui justifie de l’existence du risque, c’est le billet de
grosse. Aussi est-il indispensable que ses énonciations
concordent avec celle de la police. Nous ne compren
drions pas toutefois que la plus légère différence dût en
traîner la nullité de celle-ci. Qu’on admette, par exem
ple, que celle-ci est encourue, lorsque le billet portant
affectation sur marchandises et victuailles, la police l’in
dique comme affectant les victuailles et autres \ ce ré
sultat s’explique, car cette différence établit un simple
rapprochement, plutôt que l’identité requise en pareil
cas.
1092. —
— Mais, lorsque cette identité ne saurait être
ni douteuse, ni méconnue, lorsque la police ajoute aux
indications du billet de grosse, ou détaille les risques
que celui-ci généralise, la nullité ne serait plus qu’une
sévérité outrée, condamnée par la bonne foi qui doit
distinguer le commerce.
Nous pensons donc avec l’arrêt de la cour d’Aix, du
8 décembre 1820, qu’il n’y a pas fausse déclaration et
différence, dans le sens de l’article 348, entre le billet
1093.
1 Tribunal de Marseille, 9 octobre 1829, Journal de Marseille, 1 .11,
�382
DROIT MARITIME.
de grosse et la police d’assurance, en ce que celle-ci
porte que l’argent emprunté a été employé aux corps,
agrès, armement, avictuaillement, salaires et dernières
expéditions, tandis que le billet énonce de plus que l’ar
gent a eu en outre pour objet d’acquitter les droits et
engagements du navire.
Nous pensons encore, avec l’arrêt de la même Cour,
du 18 février 1829, que lorsqu’une police d’assurance
ne fait qu’exprimer d’une manière plus précise, plus
spéciale les risques que le billet de grosse généralisait
en ces termes, tous les risques quelconques, il y a con
cordance entre ces deux actes, et que la garantie des
assureurs doit être déterminée d’après les termes de la
police.
Dans le premier de ces deux arrêts, les assureurs de
mandaient subsidiairement la nullité de l’assurance sur
le motif que le billet de grosse avait été contracté par le
capitaine, non propriétaire du navire, sans avoir rem
pli les formalités prescrites par l’article 234. Mais cette
prétention fut déclarée non recevable et mal fondée au
besoin.
— L’ordonnance de 1681 permettait défai
re assurer la liberté, mais prohibait toute assurance sur
la vie des personnes. Toutefois, cette prohibition ne s’é
tendait pas à la vie des nègres, qui pouvait faire la ma
tière d’une assurance.
Les législateurs de 1807 , qui voulaient ce que l’or
donnance de 1681 avait voulu , songèrent à effacer la
1094.
�ART.
334, 338.
383
contradiction existant entre la loi écrite et la pratique.
Au lieu de parler de liberté et de vie, ils se contentèrent
des expressions de l’article 334 : El toutes autres cho
ses estimables à prix d'argent.
Le sens de ces expressions était nettement exprimé
par l’orateur du gouvernement. Quelque généraux qu’en
soient les termes, la prohibition d’assurer la vie des
personnes, dit l’exposé des motifs, comporte une excep
tion. La vie des esclaves de la Guinée est estimable à
prix d’argent, quoique ce soient des hommes, car, l’ap
plication qu’on leur a faite de la jurisprudence romaine
n’est pas allée jusqu’à leur refuser cette qualité. L’or
donnance prohibant en général l’assurance sur la vie
des hommes, paraissait ou supposer que les nègres ne
l’étaient pas, ou proscrire l’assurance sur leur vie. La
rédaction adoptée écarte toute équivoque. »
La prétérition de la disposition de l’ordonnance, à
l’endroit de l’assurance sur la vie, n’est donc pas fon
dée sur son abrogation. La vie des hommes n’est pas
une chose estimable à prix d’argent, et, comme l’escla
vage a heureusement fait son temps, comme la traite est
aujourd’hui sévèrement prohibée, il en résulte que la
vie des hommes, quelle que soit d’ailleurs leur couleur,
peut bien devenir la matière d’une assurance terrestre,
mais jamais l’objet d’une assurance maritime.
Pas plus que la vie elle-même, la liberté ne saurait
s’estimer à prix d’argent. Aussi, de tout temps, l’assu
rance dont elle a pu, dont elle peut devenir encore la
�384
DROIT MARITIME.
matière, a-t-elle eu pour objet, moins d’indemniser du
préjudice de sa privation , que de fournir le moyen de
la reconquérir.
Sous l’ancien droit, et même depuis l’ordonnance de
1681, cette assurance pouvait être pratiquée sur une
échelle assez vaste. La piraterie, si audacieusement exer
cée par les régences barbaresques, devait inspirer des
craintes telles qu’elles donnaient naissance à de nom
breux contrats.
Aujourd’hui, la suppression de la piraterie a fait per
dre tout intérêt aux questions relatives au mode et aux
effets de l’assurance pour la liberté des personnes. Com
me l’observe M. Dalloz , elle les a fait tomber dans le
domaine de la théorie pure. Nous nous en référons
donc, à cet égard, aux doctrines exposées par nos an
ciens auteurs.
— Ce qui n’a pas cessé d’être un intérêt
réel, est la question de savoir si on peut faire assurer
valablement les marchandises destinées à la contreban
de. La négative est admise sans difficulté, lorsque l’opé
ration est dirigée contre la loi française elle-même. Le
contrat aurait une cause illicite, et ne saurait dès lors
produire le moindre effet. L’assureur qui l’aurait sciem
ment souscrit, comme l’assuré lui-même, pourrait en
poursuivre la nullité, que les tribunaux devraient con
sacrer.
Mais il en est autrement de la contrebande à l’étranger.
1095.
�art .
354, 533.
385
Déjà nous avons rappelé de quelle manière l’envisa
geaient Valin et Emérigon l.
Mais l’opinion contraire, soutenue par Pothier , a
trouvé des défenseurs dans la doctrine moderne. Toute
contrebande, a-t-on dit, soit dans sa propre patrie, soit
en pays étranger, est immorale et illicite. M. Bernard
va plus loin encore, il ne l’admet pas même en pays
ennemis. Elle n’est pas , à son avis , autorisée par le
droit des gens. Du moment, dit-il, qu’on est accueilli
sous le pavillon national ou sous pavillon neutre, dans
un pays ennemi, on viole l’hospitalité, on commet une
perfidie en 'fraudant les droits de la nation chez laquelle
on est reçu.
Cette opinion, sur la contrebande à l’étranger, invo
que deux arrêts de la cour de Rennes, des 23 décem
bre 1825 et 1er décembre 1826. Ce dernier , annulant
comme illicite un affrètement ayant pour objet un com
merce frauduleux dans les états d’une puissance étran
gère.
Cette doctrine peut être adoptée par le moraliste, en
seignée par le publiciste, mais elle ne saurait être ac
cueillie par le jurisconsulte, qui ne peut reconnaître
d’autre autorité que celle de la loi. Pour lui, il n’y a
d’illicite que l’acte interdit par une disposition législa
tive à laquelle les parties devaient obéissance et respect.
Un Français ne doit ni l’un ni l’autre à la législation
i Voy.
su p ra
n°
9E>5.
m — 25
�386
DROIT MARITIME.
étrangère, en conséquence, s’il la méconnaît et la viole,
il ne manque en rien à ses devoirs envers sa propre loi.
Comment concevoir, dès lors, que les tribunaux, char
gés exclusivement d’appliquer celle-ci, puissent lui in
fliger une peine, et condamner des faits qu’elle permet
peut-être, de son côté, dans le territoire soumis à son
empire.
Il n’est pas exact d’ailleurs de prétendre que la con
trebande blesse la morale ou le droit naturel. Il n’y a
rien d’immoral dans le fait en lui-même. L’immoralité
ne pourrait consister que dans la violation d’une loi
obligatoire. Or, la législation étrangère n’a jamais pu
avoir ce caractère pour d’autres que ses nationaux.
Il n’y a donc pas fait illicite dans la contrebande à
l’étranger. Dès lors, l’assurance dont elle serait la ma
tière ne saurait être annulée. C’est ce que la cour d’Aix
jugeait expressément le 30 août 1823.
Ce qui est très remarquable, c’est que son arrêt ayant
été déféré à la Cour de cassation, on ne crût pas même
devoir articuler le moyen tire de l’illégalité de la contre
bande. L’arrêt de rejet, rendu le 25 mars 1835, prou
ve notre proposition.
Qu’aurait fait la Cour suprême, si on l’eût appelée à
l’apprécier ? Un arrêt rendu par elle, le 25 août de la
même année 1835, va nous l’apprendre. La cour de
Pau, saisie de la question de savoir si une société ayant
pour objet la contrebande à l’étranger était licite ou
non, s’était prononcée pour l’affirmative et l’avait main
tenue.
�On se pourvut en cassation. Mais le pourvoi fut rejeté
sur le motif que la contrebande en pays étranger, à l’ai
de de ruses pour tromper les préposés chargés de l’em
pêcher , n’est prévue ni réprimée par aucune loi fran
çaise ; que dès lors la cour de Pau et maintenant la
convention, n’avait violé ni les lois françaises, ni la
Charte constitutionnelle.
Donc, aux yeux de la loi française, il n’y a d’illicites
que les contrats dont l’objet est de la violer ou de la
méconnaître. La contrebande à l’étranger n’offrant nul
lement ce caractère, la convention dont elle serait l’ori
gine en France devrait être maintenue.
— L’assureur peut donc garantir la contre
bande à l’étranger. Mais cette garantie doit être formelle
et explicite. A défaut qu’il ait ou non connu la destina
tion des effets assurés, il ne répondrait pas de leur con
fiscation. Celle-ci n’est pas un risque de mer, d’oii la
cour d’Àix, dans son arrêt du 30 août 4833, concluait
que le silence gardé sur cette destination ne pouvait
constituer la réticence prévue par l’article 348. Se taire
sur la contrebande n’est pas aggraver le risque, dit l’ar
rêt, puisque si la marchandise est saisie, elle sera con
sidérée comme ayant péri par son vice propre, ce qui
en rendra la perte étrangère à l’assureur. Celui-ci n’a
donc aucun intérêt à connaître la vérité, cette vérité ne
pouvant jamais lui nuire.
f 096.
1099.
— Sous l’empire de l’ordonnance, l’assu-
�388
DROIT MARITIME.
rance, quelque généraux, quelque absolus qu’en fussent
les termes, ne comprenait que les neuf dixièmes des
choses assurées, le dixième restant demeurait pour le
compte et à la charge de l’assuré, à moins que la police
n’exprimât formellement que l’assuré entendait prendre
l’assurance sur la totalité du chargement. Nonobstant
cette déclaration, l’assuré, s’il était sur le vaisseau, ou
s’il était le propriétaire, ne laissait pas de courir les
chances d’un dixième. On avait ainsi voulu l’intéresser
à veiller à la conservation du navire.
Le projet du Code renfermait des dispositions analo
gues. Mais, sur les observations de la cour de Rennes et
des tribunaux de commerce de Nantes et du Havre, la
commission les supprima : la première, comme oiseuse,
puisque, n’étant que conditionnelle, elle se résumait à
dire l’assuré gardera pour son compte un dixième des
risques, si telle est sa volonté ; la seconde, comme tom
bée depuis longtemps eu désuétude.
Aujourd’hui donc , l’assuré n’est personnellement
chargé d’un dixième dans le risque que si la police le
déclare ainsi. En l’absence de toute stipulation de ce
genre, l’assurance, en termes généraux, comprend dans
tous les cas l’intégralité du chargementl.
1 0 9 8 . — L’assurance est facultative à toutes les
époques. Sans doute l’état de guerre ajoute aux périls
de la navigation dans une proportion sensible. Mais ce
l C ass., 19 mai 4824.
�ART. 3 3 4 , 3 3 5 .
389
motif ne pouvait la faire interdire pendant que cet état
existait.
C’est à l’assureur de voir et de décider ce qu’il a à
faire ; s’il accepte, c’est qu’il se sera ménagé une chance
de nature à balancer le surcroît des périls qu’il consent
à courir. Cette chance consistera dans le taux de la pri
me, qui sera, on le comprend, beaucoup plus considé
rable en temps de guerre qu’en temps de paix.
L’assureur est donc libre de garantir tous les risques
de guerre. Cette stipulation met à sa charge non seule
ment les dommages et pertes résultant de la destruction
ou de la prise, mais encore du retour forcé du navire
au port d’armement, pour cause de blocus du port de
destination. Ses obligations, dans ce cas, ne se borne
raient pas au paiement des avaries matérielles souffer
tes par les choses assurées, il devrait encore indemni
ser l’assuré de la dépréciation des marchandises par
suite de la différence de leur prix, et lui rembourser le
fret payé l.
— L’assurance peut précéder ou suivre le
départ du navire. Un chargement même projeté est la
juste matière d’une assurance qui ne sortira d’ailleurs
son effet que si le projet reçoit son entière exécution.
Son abandon constituerait la rupture volontaire du voya
ge, toujours permise tant que le risque n’a pas com1099.
1 Paris , 7 m a i 4839 ; D. P., 39, 2,
art 343.
221
;
V.
sup., n« 1076,
et
inf.,
�590
DROIT
MARITIME,
mencé de courir, sauf, dans ce cas, l’indemnité attri
buée à l’assureur par l’article 349. Si l’assurance avant
le départ était postérieure au chargement, le risque étant
commencé, sauf convention contraire, la rupture du
voyage, la mise à terre du chargement, rendrait la pri
me entière acquise aux assureurs.
La faculté de faire assurer après le départ du navire
était d’une impérieuse nécessité. Souvent, en effet, l’as
surance doit être contractée à une distance considérable
du lieu du chargement ; l’annonce de ce chargement,
l’ordre d’assurer devant être expédiés par la voie de mer
peuvent subir des retards nombreux et n’arriver à leur
destination qu’après que le voyage est commencé, ou
même que lorsqu’il est déjà consommé.
L’assurance faite dans l’un et l’autre cas devrait sor
tir à effet, sauf, dans le dernier, l’application des arti
cles 363 et 366.
— L’assurance peut être faite pour l’aller et
le retour, ou pour l’un des deux seulement ; pour le
voyage entier, ou pour un temps limité.
A. défaut de détermination à cet égard, elle est censée
faite pour le voyage à entreprendre ou déjà commencé ;
mais ce voyage ne comprend plus l’aller et le retour,
comme dans le prêt à la grosse. En matière d’assurance
l’aller et le retour sont toujours considérés comme deux
voyages parfaitement distincts, dont l’assureur ne répond
que s’il l’a formellement stipulé.
ftlOO.
�ART. 334, 335.
391
1101. — Dans cette dernière hypothèse, la respon
sabilité des assureurs varie suivant qu’il garantit con
jointement et par une seule et même police l’aller et le
retour, ou qu’après avoir traité pour l’un , il traite sé
parément pour l’autre.
Dans le premier cas, l’assurance, qui est dite alors à
prime liée, a pour effet d’engager la responsabilité de
l’assureur d’une manière continue et sans interruption,
depuis le départ du port d’armement jusqu’à la rentrée
dans ce port ou dans celui où doit s’effectuer le retour.
Ainsi, l’intervalle qui sépare l’entrée au port de desti
nation d’aller, de la sortie, et aux risques de cet assu
reur ; il est tenu de tous les dommages qui pourraient
se réaliser.
Dans le second cas, au contraire, le risque d’aller
cesse à l’arrivée, et celui de retour ne commence, à dé
faut de convention spéciale, qu’aux époques détermi
nées par l’article 328. En conséquence, l’intervalle qui
s’écoule entre le déchargement de la cargaison d’entrée
et le chargement de celle de sortie laisse le navire aux
risques et périls de l’assuré personnellement.
1102. -- La faculté d’assurer pour un temps li
mité faisait quelques doutes dans le droit ancien. L’or
donnance de 1681 les trancha en l’autorisant formelle
ment. C’est cette dernière autorisation que le Code con
sacre.
On peut donc assurer un navire pour un temps limité.
Si l’assurance est faite sans désignation d’une destina-
�392
DROIT MARITIME,
lion quelconque, l’assureur garantit tous les accidents
qui arriveront au navire dans tous les voyages jails pen
dant la durée du temps déterminé. Le cours du risque
n’est pas interrompu par le retour du navire au port
du départ. Si le temps fixé par la police n’est pas ex
piré, le navire peut remettre à la voile sous la même
assurante. L’assureur, dans ce cas, serait même tenu
des accidents survenus pendant les différents séjours du
navire soit au port du départ, soit dans les ports in
termédiaires dans lesquels sa navigation l’aurait con
duit l.
— La navigation fluviale n’offre pas moins
de dangers que la navigation maritime. Quoique moins
éclatants, les services qu’elle rend au commerce n’en
sont pas moins réels. On devait donc la protéger. C’est
dans ce but que la loi permet pour elle l’assurance avec
toutes ses règles et ses effets ordinaires.
1103.
A rticle 336.
En cas de fraude dans l’estimation des effets assurés,
en cas de supposition ou de falsification, l’assureur peut
faire procéder à la vérification et à l’estimation des ob
i Eraérigon, ch. 13, sect. 1.
�ART.
336.
593
jets, sans préjudice de toutes autres poursuites, soit ci
viles, soit criminelles.
SOMMAIRE
1104. Caractèredel’article.
110a. La nouvelle estimation ne peut-elle être demandéeque
danslecasdefraude?OpiniondeM.Locrépourl’affir
mative.
1106. Réfutation.
1107. Jurisprudence.
1108. Effetdelaclause, évaluée de gré à gré.
1109. —Decelte, vaille ou non vaille, pour tenir lieu de ca
pital en tout temps et en tous lieux.
1110. Quelleest ladifférenceàlaquelleondoitavoirégard?Ef
fet delapreuve.
1111. L’assurépeut-il revenir de l’erreur qu’il aurait commise
soit enmoins, soit enplus?
1112. Caractère delà suppositionet de la falsification. Consé
quences.
— La disposition de l’article 336 était la
conséquence forcée de la nature et du caractère spécial
de l’assurance. Puisque ce contrat ne peut exister sans
un risque sérieux et réel ; puisqu’il ne peut jamais être
pour l’assuré un moyen de se procurer un bénéfice, il
est évident qu’on ne saurait le concevoir qu’en tant que
les effets sont exactement d’une valeur égale au mon
tant de la somme assurée. Or, ce résultat ne pouvait
êlre atieint qu’en permettant à l’assureur de provoquer
1 1 .0 4 ,
�394
DROÏT
MARITIME.
la vérification et l’estimation des choses qui font la ma
tière de l’assurance.
— Mais l’article 336 dit : En cas de fraude.
Faut-il conclure de cette expression que l’assureur de
vra prouver cette fraude, et qu’à défajt de justification,
l’estimation faite dans la police sera obligatoire ?
L’affirmative est soutenue notamment par M. Locré.
Que l’assureur, dit-il, puisse revenir contre une estima
tion qui est le fait unique de l’assuré, cela est incon
testable. Mais, tel n’est pas le caractère de celle qui a
été inscrite dans la police, qui pouvait être contestée,
et que l’assureur a accepté en signant celle-ci. Cette ac
ceptation suppose ou que l'assureur aura vérifié avant
de signer, ou qu’il s’en est entièrement rapporté à l’as
suré. Dans l’un et l’autre cas, l’estimation ayant été
faite avec lui, il ne doit plus être admis à demander une
estimation nouvelle, lorsqu’il n’a rien d’extraordinaire
à alléguer. Voilà pourquoi le législateur n’a autorisé l’es
timation nouvelle que dans l’hypothèse de fraude , de
supposition ou de falsification l.
1105.
1 1 0 6 . — Telle était, ajoute M. Locré, la théorie de
l’ordonnance de 1681. Mais, s’il faut en croire Valin,
Pothier, Emérigon, telle n’était pas la pratique, telle
n’était pas l’interprétation qu’on avait fait de son texte.
De ce que l’estimation a été insérée dans la police, di1 E$prit du Code de commerce, art. 336.
�ART.
336.
393
sait le premier, il suit que l’assuré n’est tenu de four
nir aucune justification, non que l’assureur soit non
recevable à contester cette estimation ; c’est à lui à prou
ver qu’elle a été enflée, et la surprise qui lui a été faite
par là l.
Or, reconnaître cette obligation, c’était accorder à
l’assureur la faculté de demander et de provoquer une
nouvelle estimation. Celle-ci devenait l’élément le plus
décisif de la preuve qu’on lui imposait. Comment, en
effet, justifier plus péremptoirement que la précédente
avait été enflée qu’en faisant établir la nature, la qua
lité réelle et la valeur vraie de la chose assurée.
Ce que l’ancienne doctrine avait compris, c’est que,
dans l’hypothèse, la fraude ne devait pas être prise dans
son acception usuelle ; qu’indépendante du fait person
nel de l’assuré, elle résidait moins dans les manœuvres
employées que dans l’exagération de valeur elle-même.
Comment pouvait-il en être autrement ? N’est-ce pas
cette exagération qui enlève à l’assurance son caractère
le plus essentiel, l’existence d’un risque ? N’est-ce pas
elle qui fera de l’assurance l’occasion d’un bénéfice pour
l’assuré ? Dès lors, la prohibition de la loi a été mécon
nue et violée. Cette prohibition étant d’ordre public,
l’assureur lui-même ne pouvait y déroger. Qu’importe
donc qu’il ait signé la police ? A-t-il pu faire implicite
ment ce qu’il ne pouvait faire directement ?
Ce caractère spécial de la fraude, en cette circonstanl Art 64, tit.
des Assur.
�396
DROIT MARITIME.
ce, fixe la véritable portée du texte de la loi. L’ordon
nance, en parlant delà fraude, observait judicieusement
Emérigon, a en vue non seulement la fraude consistant
dans les manœuvres personnelles de son auteur, mais
encore celle qui se trouve dans la chose elle-même, sans
que la personne soit coupable de malice. En conséquen
ce, les mots, en cas de fraude, doivent s’appliquer à
tous les cas où il y a dol personnel ou dol réel, et s’in
terprètent par le droit commun qui, considérant l’esti
mation contenue dans la police comme le titre et l’in
tention prouvés de l’assuré, laisse à l’assureur la liberté
de débattre ce titre par la preuve du contraire. Telle est
la doctrine générale l.
Cette doctrine, conséquence forcée du contrat d’assu rance, n’a pu être désertée parles auteurs du Code. L’o
pinion de M. Locré se trouve dès lors en opposition avec
l’esprit de la loi ; elle est d’ailleurs condamnée par le
texte même. Ainsi l'article 458 veut que, dans le cas
d’exagération pure de dol et de fraude, la police soit ris
tournée et réduite à la véritable valeur des effets assu
rés. Donc l’intérêt de l’assureur à prouver cette exagé
ration, hors le cas de fraude, est évident ; admettre la
fin de non recevoir proposée par M. Locré, condamne
rait cet intérêt à demeurer éternellement stérile.
En résumé donc, pour tout ce qui concerne le ris
que, l’assureur n’a pas même la faculté de s’en rappor
ter valablement à l’assuré. L’exagération de valeur , de
�ART.
536.
397
quelque manière qu’elle se soit produite, fait disparaî
tre ce risque au moins en partie et dénature dès lors
l’assurance, celle-ci n’est plus qu’une gageure jusqu’à
concurrence de la somme portée en plus. C’est là une
fraude évidente à la loi, qui doit être réprimée, quelle
que soit d’ailleurs la bonne foi des parties. Or, celui qui
veut la fin doit autoriser les moyens ; et puisque la
constatation de la fraude réelle ne peut résulter que de
la vérification et de l’estimation nouvelle, ces mesures
ne pourraient être refusées à celui qui articule l’exagé
ration.
— C’est dans ce sens que s’est prononcée la
jurisprudence. Ainsi il a été jugé que les juges peuvent,
lorsque l’énonciation de la valeur des marchandises as
surées contenue dans une police d’assurance leur parait
évidemment erronée, ordonner que la valeur de ces
marchandises sera fixée d’après les factures 1 ;
Que l’assureur qui stipule l’assurance d’une somme
déterminée sur marchandises, est toujours en droit de
réclamer la justification de la valeur servant d’aliment
à l’assurance s ;
Enfin, que dans le cas d’une police d’assurance faite
sans dol ni fraude et contenant une estimation des ob
jets assurés, l’assureur n’est pas fondé à refuser le paie
ment de la somme assurée , à moins qu’il ne prouve
1109.
1 Cass., 3 août 1825.
* Bordeaux, 12 juillet 1830.
�398
DROIT MARITIME.
qu’il n’y a pas eu aliment au risque , ou que la valeur
des objets assurés a été exagérée l.
Ainsi, tout ce que la jurisprudence a fait résulter de
l’article 336 , c’est la règle tracée par Valin, à savoir,
que l’évaluation contenue dans la police peut bien dis
penser l’assuré de toute justification, mais qu’elle ne
peut l’affranchir de la preuve contraire que l’assureur
est obligé de faire, obligation qui rend recevables tous
les modes au moyen desquels ce dernier pourra la rem
plir.
1108. — Notre solution devient plus évidente en
core si on s’en réfère à la doctrine et à la jurispruden
ce sur d’autres difficultés que les termes de la police, à
l’endroit de l’estimation, ont soulevées. Dans plusieurs
circonstances, cette estimation est suivie de ces expres
sions : Valeur convenue de gré à gré. Cette clause at-elle pour effet d’empêcher l’assureur de prouver l’exa
gération dont il se plaint ?
Deux jurisconsultes recommandables, MM. Delaborde
et Lemonnier, soutiennent la négative; ils ne voient
dans cette clause que le consentement donné par l’assu
reur à tenir pour justifiée, au moment de la signature
du contrat, la valeur des objets assurés, mais, ajoutentils, ce n’est là qu’une présomption pouvant être dé
truite par la preuve contraire.
C’est ce qui a été plusieurs fois jugé par le tribunal
i Bordeaux, 12 janvier 4824.
�ART.
336.
399
de commerce de Marseille ; c’est ce que la cour d’Aix
décidait le 24 mars 1830. Cet arrêt se fonde sur ce qu’il
est de principe conforme à la loi et à la morale que le
contrat d’assurance n’est qu’un moyen de conservation
et non d’accroissement arbitraire et injuste, quoique
éventuel, du capital ; que dès lors l’évaluation de gré à
gré ne doit être maintenue qu’autant qu’elle n’excède
pas des bornes raisonnables.
— D’autres polices sont encore plus signifi
catives, elles ajoutent à l’estimation : Pour tenir lieu de
capital en tout temps et en tout lieu, vaille ou non
vaille. Mais comme le principe est inflexible, général
et absolu, il devait en être de cette clause comme de la
précédente. Aussi, le 6 janvier 4841, la même cour dé
clarait qu’elle a pour effet, non de repousser par elle
seule la preuve de l’exagération de l’estimation, mais
seulement de mettre cette preuve à la charge des assu
reurs et de dispenser l’assuré de toute justificationl.
En définitive, ce qui domine la matière, c’est le prin
cipe que ce qui constitue le validité de l’assurance c’est
le risque équivalent. Toucher à celui-ci, c’est anéantir
celle-là. Quelque formelle que soit la convention, elle
ne saurait consacrer ce résultat, et les assureurs qui
l’ont arrêtée sont toujours recevables à la faire rétracter
comme illicite et contraire à la loi.
Cela est si conforme au principe essentiel de l’assu1109.
1J. du P., 2,4844, g4.
�400
DROIT MARITIME.
rance, au but qu’elle se propose, qu’il semble qu’on ne
saurait concevoir le moindre doute. Il n’en est rien ce
pendant, et la question controversée entre les juriscon
sultes anciens divise encore les auteurs modernes.
Pothier n’avait pas hésité à se prononcer pour le sys
tème de la cour d’Aix consacre : « Les assureurs, di« sait-il, doivent être admis à la preuve, quand même,
« par une clause expresse de la police, ils auraient re« noncé à demander une autre estimation que celle
« portée par la police. Cette clause a été prohibée avec
« raison par plusieurs sentences de l’amirauté du Pa« lais comme tendant à éluder la disposition de l’arti« cle 22, et à permettre les fraudes qui se commettent
« par les fausses estimations. Or convenlio ne dolus
« prœsletur, rata non estl. »
Emérigon se prononçait en sens contraire. « La bar« que la Victoire, ayant pris un vaisseau anglais, rap« porte-t-il, son armateur le sieur Bourguignon aîné,
« fit faire des assurances sur les facultés de ladite prise
« anglaise. Ces facultés furent estimées à une somme
« déterminée pour tenir lieu de capital, en tout temps
« et en tout lieu, du consentement des parties.
« Sentence rendue en notre amirauté en 1764 , qui
« déclare ce pacte irréfragable. En effet, les assureurs
« qui acquiescent à pareils pactes doivent s’imputer de
« s’être rapportés à la bonne foi de l’assuré. On ne
« doit les écouter qu’autant qu’ils prouveraient par
i Assur., n« 456.
�ART.
401
356.
« preuve littérale, le dol et la fraude dont ils se plai« gnent. Ce serait ouvrir la porte à mille litiges que de
« les admettre à des preuves testimoniales, ou à des
« rapports d’expertsl. »
Les faux systèmes ne peuvent conduire qu’à des con
séquences erronées. Kmérigon méconnaissait évidem
ment la vérité légale lorsqu’il subordonnait l’admissibi
lité de l’action en dol, à la production d’une preuve lit
térale. Autant dire que cette action ne pourra jamais.
être exercée avec quelque chance de succès, le dol n’ayant
pas l’habitude de laisser des preuves écrites de son pas
sage.
Ce que la doctrine et la jurisprudence ont, au con
traire, de tout temps admis, c’est que le dol et la fraude
faisant exception à toutes les règles, la prohibition de
la preuve testimoniale ne pourrait être opposée à la de
mande en restitution contre un contrat qui en était vi
cié ; que celui qui s’en plaignait était recevable et fondé
à invoquer ce genre de preuve comme l’unique moyen
de justifier ses prétentions, à la seule condition de s’é
tayer de faits graves, précis et concordants.
Aussi M, Boulay-Paty , qui penche pour l’opinion
d’Emérigon , n’ose l’admettre dans toute sa pureté :
« Nous estimons, enseigne-t-il, que, dans cette hypo« thèse, il faut distinguer : si l’assureur demande à
« prouver qu’il y a eu fraude personnelle, dolus malus
« dans l’estimation de la police, la clause dont s’agit ne
i Chap. 9, sect. S, t. 4, p, 280.
m — 26
�402
DROIT
MARITIME.
« saurait être un empêchement à une nouvelle estima« tion, parce que, dans ce cas, l’assurance est nulle à
« l’égard de l’assuré.
« Si au contraire l’assureur n’allègue qu’un excès
« dans l’estimation, le dolus in re ipsa, le pacte de la
« police formant une convention synallagmatique entre
« les parties suffit pour repousser cette simple alléga« tion. C’est alors qu’il faut dire que l’assureur doit
« s’imputer de s’être rapporté à la bonne foi de l’as—
« surél. »
Nous n’appercevons pas où est le fondement sérieux
de celte distinction. Il est évident que si, dans ce second
cas, l’assureur se borne à alléguer une exagération dans
l’estimation sans la justifier autrement, sa simple affir
mation ne saurait prévaloir sur le titre. Mais si cette af
firmation s’étaye de faits graves, précis et concordants,
de pièces plus ou moins probantes, pourquoi en seraitil dans ce cas autrement que dans le premier ? Est-ce
qu’il ne s’agira pas toujours d’un dol personnel impu
table et imputé à l’assuré ?
Le dol in re ipsa, c’est-à-dire produit uniquement et
exclusivement de la chose, est un myte qui n’a jamais
existé ni pu exister. Les choses en effet ne sont que ce
que les hommes les ont faites et si elles trompent, c’est
qu’elles ont été combinées de manière à tromper. « Le
« dol, dit excellemment Merlin, vient toujours de la
1
Droit maritime, t. %, p. 400 ; V.
Dageville,
Âssur., t. 3,
295 ; Estrangin, sur le n° 156 de Pothier, p. 243.
p. 75 et
�ART.
336.
403
« mauvaise foi, et conséquemment toujours de la per» sonne. A la vérité, les choses elles-mêmes peuvent
« tromper, ou, pour mieux dire, on peut être trompé à
« l’occasion des choses. Mais cette erreur est seulement
« l’effet de l’ignorance, ou si c’est l’effet du dol, ce dol
« ne se trouve pas dans les choses mais dans la mau« vaise foi de celui qui les présente à l’effet de trom« per l. »
La matière ne comporte donc d’autre distinction que
celle que la loi fait elle-même dans les articles 357 et
358 du Code de commerce. L’exagération de l’estima
tion sera le résultat du dol ou proviendra de l’erreur,
mais elle ne saurait dans aucun cas nuire à l’un, profi
ter à l’autre. Seulement l’assurance sera radicalement
nulle dans le premier cas, simplement réductible dans
le second. Cette disposition des articles 357 et 358 est
d’ordre public, il ne peut y être légalement dérogé par
les clauses de la police.
Cependant celle de vaille ou non vaille ne sera pas
sans produire un effet utile en faveur de l’assuré. Elle
fait présumer la sincérité de l’estimation, elle dispense
l’assuré de toute justification et met à la charge de l’as
sureur l’obligation de prouver l’exagération.
« Il est bien entendu, dit M. Alauzet, que les droits
« de l’assureur sont toujours réservés ; les rôles sont
« changés seulement ; l’assuré n’a aucune justification
« à faire ; c’est à l’assureur, s’il a des réclamations lél V. notre Traité du Dol et de la Fraude, t. <1, n» 47,
�404
DROIT MARITIME.
« gitimes à faire valoir, à les appuyer de preuves ; jus« que là les énonciations de la police sont présumées
« exactes1. »
Voilà la vérité légale et vraie, non seulement au point
de vue des principes spéciaux de la matière, mais en
core en droit commun. Attacher à la clause le sens et
l’effet que nous repoussons serait permettre cette con
vention ne dolus præstetur dont parle Pothier et contre
laquelle protestent la raison et la morale.
Le reproche fait à l’assureur de s’être rapporté à la
bonne foi de l’assuré, étonne dans la bouche d’Emérigon. Est-ce que l’assureur a les moyens et le temps de
contrôler les déclarations qui lui sont faites ? Dp s’as
surer de leur exactitude ? N’est-il pas au contraire forcé
de les accepter par la nature même de l’opération, par
les circonstances dans lesquelles le contrat intervient ?
Devrait-il payer cette nécessité d’une partie plus ou
moins considérable de sa fortune ? Car la valeur de la
clause déclarée irréfragable, où s’arrêtera l’exagération ?
Voyez par exemple ce qui se réalisait dans l’espèce de
l’arrêt d’Aix du 6 janvier 1841. L’assuré faisant assurer
des blés en charge à Galatz, les avait évalués à 68 fr.
75 c. le kilo de Moldavie.
Or, sur le délaissement dont ils avaient été l’objet, il
était prouvé et acquis que ces blés ne valaient à Galatz
que 40 le kilo, y compris tous les frais de mise à bord,
la prime d’assurance et la prime de la prime.
�ART.
336.
405
En réalité donc, au lieu de 3,500 fr. qui restaient à
assurer par suite d’une première assurance, l’assuré
avait fait souscrire une police de 16,000 fr., d’où pour
lui un bénéfice de 12,500 fr., soit environ quatre fois
le capital.
Un si monstrueux résultat était-il entré dans les prévi
sions de l’assureur et comment prétendre qu’il s’en était
rapporté à la bonne foi de l’assuré ? Pouvait-il écrire à
Galatz et suspendre la signature de la police jusqu’à
l’arrivée des renseignements ? Qui oserait le soutenir ?
et cependant pour ne pas l’avoir fait, il lui en aurait
coûté 12,500 fr. I
Sans doute rien n’oblige l’assureur à accepter la clau
se vaille ou non vaille, mais quels qu’en aient été les
motifs, cette acceptation ne saurait avoir pour résultat
de dénaturer le contrat, en en faisant pour l’assuré non
plus un moyen d’être indemnisé de la perte, mais l’oc
casion de réaliser un bénéfice plus ou moins considé
rable.
Car celui-ci enfle quatre fois son capital, celui-là l’en
flera cinq fois, cet autre six fois, et l’industrie des assu
rances si indispensable au commerce maritime se verra
sérieusement compromise non seulement parce qu’elle
dégénérera en pari, mais encore parce que étant inté
ressé à ce que l’objet assuré périsse, l’assuré n’oubliera
rien de ce qui pourra déterminer le sinistre.
On ne saurait donc hésiter à repousser le système qui
aboutirait à une pareille conséquence, et à rendre hom
mage au caractère éminemment juridique de la doctrine
�406
DROIT
MARITIME.
de la cour d’Àix, doctrine que la jurisprudence adopte
et consacre. Les tribunaux de commerce de Marseille et
de Bordeaux se sont plusieurs fois prononces en ce
sens. Le 2 mai 1870, la cour de Rennes décidait que
l’évaluation de la chose assurée faite de gré à gré dans
la police avec la clause vaille plus, vaille moins, ou
toute autre mention équivalente, n’enlève pas à l’assu
reur le droit d’établir la fausseté et l’exagération de l’é
valuation, et de la faire réduire à son véritable chiffre ;
qu’elle a seulement pour effet de dispenser l’assuré de
toute justification ultérieure en mettant à la charge de
l’assureur la preuve de l’exagération. De son côté la cour
de Rouen jugeait, le 2 juin 1870 que la clause valeur
agréée n’avait d’autre effet que d’obliger les assureurs à
faire la preuve de l’exagération dont ils se plaignent L
Le Journal du Palais cite comme ayant consacré le
contraire trois arrêts ; l’un de la cour de Paris, du 15
février 1834 ; le second de la Cour de cassation, du 12
juillet 1837 ; le troisième de la cour de Douai du 16
mars 1850.
D’abord ces trois arrêts sont intervenus en matière
d’assurances terrestres contre l’incendie. Or, si ces as
surances sont en contact avec l’assurance maritime, par
l’identité du but, elles en diffèrent en ce point capital
notamment que le plus fréquemment les assurances ma
ritimes se font hors la vue des objets assurés qui sont
enfermés dans des caisses ou des ballots, ou se trouvent
1J.
du P .,
4870, 4868; 4874, 402.
�ART.
336.
407
dans des pays fort éloignés du lieu où le contrat d’as
surance est passé ; que leur valeur ne peut être déter
minée que d’après les déclarations de l’assuré sans qu’il
soit possible à l’assureur de se ménager et d’exercer un
contrôle quelconque.
Dans l’assurance terrestre, au contraire, les objets
assurés sont sous les yeux de l’assureur, ils sont évalués
contradictoirement avec lui et leur valeur peut toujours
être vérifiée et contrôlée, et si une erreur a été commi
se elle est imputable autant à l’assureur qu’à l’assuré.
De cette différence le tiers arbitre, chargé de statuer
en premier ressort dans l’espèce de l’arrêt de Paris de
1834, avait conclu qu’on ne pouvait assimiler l’assu
rance terrestre à l’assurance maritime et que l’action en
exagération ouverte dans la première était absolument
interdite dans la secoude. En conséquence il avait dé
bouté l’assureur de ses prétentions.
Mais sur l’appel la cour de Paris infirme la sentence
et réduit la somme à payer par l’assureur à la juste va
leur des objets incendiés.
« Considérant, porte l’arrêt, que le contrat d’assu« rance a pour objet de garantir à l’assuré la répara« tion du préjudice qu’il pourrait éprouver par suite
« des risques prévus lors du contrat ; qu’il suit de là
« qu’on ne peut faire assurer que ce qu’on court risque
« de perdre, et qu’on ne peut réclamer de l’assureur
« que ce qu’on a réellement perdu ; que ce principe
« admis par l’ancienne jurisprudence a été consacré de
« nouveau par le Code de commerce en matière d’as-
�408
«
«
«
«
«
«
«
«
DROIT MARITIME.
surance maritittie, et qu’il n’existe aucun motif pour
ne pas l’admettre en matière d’assurance contre l’incendie, puisque, dans l’un comme dans l’autre cas,
l’objet du contrat ne peut être que de garantir une
perte et non d’assurer un bénéfice ; qu’il importe,
dans l’intérêt de la sûreté publique, que nul ne puisse espérer un bénéfice dans l’incendie de ses propriétés. »
L’erreur de l’indication du Journal du Palais est
évidente. Loin de se prononcer pour le système que
nous repoussons, l’arrêt de Paris du 15 février 1834 le
condamtie et consacre expressément le système con
traire.
L’espèce de l’arrêt de la Cour de cassation, du 12
janvier 1837, est toute spéciale. L’assurance portait non
seulement sur les meubles et linges, mais encore sur bi
bliothèque de livres et de musique, instruments, ta
bleaux, bijoux, argenterie et objets rares et précieux.
Il était acquis au procès que les négociations de l’as
surance avaient duré une année entière, que l’estima
tion des objets avait été confiée contradictoirement à des
experts éclairés, sôus les inspirations desquels avaient
été dressés des inventaires ; enfin une des clauses de la
police portait : « II est d’aillaurs convenu qu’en cas
« d’incendie, le dommage sera réglé pour les objets
« distincts d’après les prix portés aux divers inventai « res y annexés et non autrement. »
Pouvait-il être qu’après de pareils antécédents les as
sureurs pussent contester la valeur qu’ils avaient for-
�mollement acceptée dans les inventaires ? Les arbitres
leur en avaient refusé le droit en se fondant précisément
sur cette clause qu’ils avaient considérée comme faisant
la loi des parties, et cela, disaient-ils, avec d’autant
plus de raison que les prix portés dans la police ne l’ont
été qu’après estimation et vérification contradictoires, et
même, pour plusieurs parties, après estimations dé
taillées.
Devant la cour de Paris, les assureurs, sans aban
donner les autres moyens, voyaient l’exagération dans
ce que l’estimation tenait compte non pas seulement de
la valeur vénale, mais encore de la valeur d’opinion. A
cela la Cour répond : « Qu’au moment de l’assurance,
« l’assureur avait le droit de débattre avec l’assuré le
« prix qu’il donnait arbitrairement à ses collections ;
« mais qu’en acceptant son évaluation et en consentant
« à ce que cette appréciation servit de base au paie—
« ment du sinistre, l’assureur avait fait lui-même la
« loi qui devait régir le contrat.
Vainement les assureurs se pourvurent-ils en cassa
tion ; vainement prétendaient-ils qu’ils avaient été à tort
condamnés à payer la valeur d’opinion, les faits qui
avaient déterminé les arbitres et la Cour à les condam
ner faisaient également rejeter leur pourvoi K
L’arrêt de Douai du 16 mars 1850 offre de plus
que les précédents cette circonstance, qu’il s’agissait
d’une assurance mutuelle, et c’est en se fondant sur ce
�DROIT MARITIME.
MO
caractère et sur les dispositions de la police que la Cour
rejette les prétentions de l’assureur.
« Attendu, dit en effet l’arrêt, qu’à la différence de
« l’assurance à prime dans laquelle l’assuré assigne lui« même une valeur à la chose assurée, cette chose,
« dans les assurances mutuelles, doit être l’objet d’une
« estimation préalable, contradictoire entre les contrac« tants ; que cette opération est impérieusement exigée
« par l’article 13 des statuts qui régissent les parties ;
« qu’elle est d’ailleurs commandée par la nature même
« du contrat, qui, en conférant à chaque sociétaire la
« double qualité d’assureur et d’assuré, n’a pas seule« ment pour but de la garantir des dommages, que
« peut lui causer l’incendie, mais qui le soumet, com« me assureur, à l’obligation de contribuer au prorata
« de la valeur réelle de ses immeubles, à la réparation
« des pertes éprouvées par ses cosociétaires ; que la
« constatation de celte valeur est dès lors un des élé« ments essentiels du contrat, et la condition nécessaire
« de l’admission de tout immeuble dans l’association ;
« qu’une fois remplie, cette opération est la loi des par« ties, et que, hors le cas de fraude et de dol pratiqué
« lors de l’estimation, elle est, aux termes exprès de
« l’article 13, la base des droits des sociétaires comme
« assurés, et celle de leurs obligations comme assu« reursl. »
Un arrêt ainsi motivé ne saurait fournir aucun argu-
1 J. du P., Z, 1850, 397.
’ê i
�ment en faveur du système que le grand nom d’Emérigon est impuissant à recommander et qui se trouve mê
me implicitement condamné. La cour de Douai recon
naissant que dans l’assurance à prime l’assureur n’est
pas lié par l’estimation qui est le fait unique de l’assuré,
le consacrait à plus forte raison ainsi dans l’assurance
maritime, dans laquelle, outre cette circonstance, l’as
sureur n’a pas même vu les objets qu’il assure.
En résumé, dans quelque condition que se réalise
l’assurance maritime, elle ne saurait aboutir à ce ré
sultat de devenir pour l’assuré non plus le moyen d’être
indemnisé de la perte, mais l’occasion de réaliser un
bénéfice. La loi le prohibe sévèrement et dans un inté
rêt public pour sauver de sa ruine une institution aussi
utile, aussi indispensable pour la prospérité de l’Etat.
L’assuré est donc toujours obligé de justifier de la
valeur qu’il a donnée aux choses assurées, mais la né
cessité de cette obligation peut faire la matière d’une
convention licite entre les parties.
C’est cette convention qui résulte des clauses valeur
agréée, vaille ou non vaille. Mais son effet n’est autre
que d’intervertir les rôles. Si l’assureur allègue une exa
gération, il devra la prouver, et, suivant le caractère de
cette preuve, les tribunaux admettront ou repousseront
ses prétentions.
Ce qu’ils ne doivent jamais perdre de vue, c’est qu’on
ne saurait atteindre par voie indirecte un but que la loi
interdit de poursuivre directement ; qu’ils ne sauraient
�A12
DROIT MARITIME.
donc permettre que par une clause quelconque l’assu
rance devînt un moyen de s’enrichir.
— Mais la raison indique que pour être ad
mis à poursuivre cette rétractation, il faut qu’il s’agisse
d’une exagération de certaine importance, il faut dire,
avec Emérigon, qu’en s’arrêtant à l’excès le plus mini
me, on s’exposerait à faire surgir des procès nombreux
que faciliterait l’incertitude de la valeur des choses. C’est
à la prudence du juge à concilier ce qu’exige la bonne
foi avec le respect dû à la loi.
La preuve de l’exagération place les parties sous le
coup des articles 357 et 358, la police est annulée sui
vant que l’assuré a agi avec fraude, elle est seulement
ristournée pour ce qui excède la juste valeur, s’il est de
bonne foi. Or, la fraude peut résulter du caractère mê
me de l’exagération. C’est ce que la cour d’Aix consa
crait dans son arrêt du 6 janvier 1841,
l i t O.
1111. — Il n’en est pas de l’assuré comme de l’as
sureur; pour lui, l’estimation donnée par la police le lie
d’une manière absolue, il n’est pas recevable à revenir
contre son propre fait. C’est ce qu'enseignent Emérigon
et Valin.
Conformément à cette doctrine, la cour de Rennes a
jugé, le 17 août 1825, que bien qu’il paraisse que l’as
suré a donné dans la police une valeur moindre que
celle qu’il avait dessein de déclarer, néanmoins, si rien
ne prouve que l’assureur ait partagé ou même connu
�ART.
336.
413
l’erreur, l’assuré ne peut, sous prétexte d’une erreur de
son fait, être admis à changer l’estimation des choses
assurées, après que tout est consommé par l’arrivée ou
la perte du navire.
Ce que la cour de Rennes admet dans cette hypothè
se, nous l’admettons sans hésiter dans tous les cas.
L’assuré n’est pas obligé de faire assurer l’intégralité de
son capital. La présomption est donc, toutes les fois qu’il
s’est tenu en deçà, qu’il a voulu être son propre assu
reur pour le découvert._La demande qu’il ferait, avant
l’événement, de comprendre ce découvert dans l’assu
rance, serait une proposition nouvelle que l’assureur
est libre d’accueillir ou de repousser, sauf dans ce der
nier cas, à l’assuré la faculté de s’adresser à un autre.
Lorsque l’erreur alléguée par l’assuré signale dans la
déclaration un excédant de valeur, nous croyons que
l’assuré devrait être admis à s’en prévaloir. Le défaut de
risque altère le contrat dans son essence, et la nullité
en résultant étant radicale et absolue, peut être invo
quée par toutes les parties.
Toutefois, nous subordonnerions cette admission à la
preuve évidente et certaine que l’erreur alléguée, non
seulement n’a pas été, mais encore ne peut pas être en
tachée d’une pensée de spéculation et de fraude. Or, il
en serait évidemment ainsi si l’assuré avait réclamé
pendant que le risque est encore en suspend et avant
toute nouvelle sur les résultats du voyage.
Nous n’admettons donc pas la doctrine de Valin et
d’Emérigon d’une manière absolue. La modification que
�414
DROIT MARITIME.
nous indiquons nous paraît conforme à la loi, à l’équité
et à la raison.
1112. — La supposition ou la falsification d’un
chargement ne sont pas de simples fraudes, elles cons
titueraient la baraterie criminelle. On conçoit dès lors la
réserve de l’action au criminel que renferme l’article
336. Cette action pourrait être intentée d’office par le
ministère public comme par les assureurs eux-mêmes.
Article 3 3 7.
Les chargements faits aux Echelles du Levant, aux
côtes d’Afrique et aux autres parties du monde, pour
l’Europe, peuvent être assurés sur quelque navire qu’ils
aient lieu, sans désignation du navire et du capitaine.
Les marchandises peuvent elles-mêmes, en ce cas,
être assurées sans désignation de leur nature et espèces.
Mais la police doit indiquer celui à qui l’expédition
est faite ou doit être consignée, s’il n’y a convention con
traire dans la police d’assurance.
SOM M AIRE
1113. Motifs et caractères de l'article.
1114. Nécessité d’indiquer le lieu dans lequel seront chargés les
effets assures in quovis.
�ART. 3 3 7 .
413
1115. Dans le cas de concours entre des polices in quovis et de
polices sur navire désigné, le chargement est affecté
dans l’ordre des dates.
1116. Conséquences de la détermination d'un délai dans lequel
le chargement devra être opéré.
1117. De quelle manière se fait la répartition entre les sommes
assurées et le découvert de l’assuré?
1118. Clauses diverses dont l’assurance in quovis est suscep
tible.
1119. On peut la stipuler pour les chargements à faire en Europ e
pour l'Europe.
1120. Elle doit être expressément indiquée dans la police.
1121. La clause du chargement in quovis n’autorise pas le
transbordement d’un navire sur un autre.
— Les exigences que la loi vient de mani
fester dans l’article 332 devaient s’arrêter devant la cer
titude de l’impossibilité de les remplir. Cette impossibi
lité existe pour l’indication du nom et la désignation du
navire porteur du risque, lorsque le chargement devant
s’opérer aux Echelles du Levant, aux côtes d’Afrique ou
autres parties du monde, l’affrètement est subordonné
à l’existence en rade d’un navire sur lest ; elle existe
pour l’indication de la nature et de l’espèce de la mar
chandise , lorsqu’au moment de l’assurance l’assuré
ignore réellement en quoi pourra consister le charge
ment.
Une dérogation de l’article 332 était donc inévitable,
sous peine de rendre l’assurance impraticable dans un
grand nombre de cas, ce qui eût porté un coup funeste
au commerce. Aussi, fut-elle vivement réclamée par les
1113.
cours et tribunaux, et consacrée par la loi.
�416
DROIT MARITIME.
On peut donc, dans l’hypothèse de l’article 337, faire
assurer des effets d’une valeur désignée à charger sur
quelque navire que ce soit ; cette assurance est dite in
quovis.
On peut même ne pas désigner la nature et l’espèce
de ces effets, et se contenter d’en désigner la valeur.
Dans cette hypothèse, comme dans la précédente, le si
nistre venant à se réaliser, l’assuré devra prouver que
le navire qui a péri était réellement porteur du risque,
et que ce risque équivalait en valeur à la somme as
surée.
— L’assurance in quovis doit déterminer le
lieu où les marchandises seront chargées. L’assuré peut
bien ignorer quelle nature de marchandises on embar
quera, et le nom du navire qui les recevra, mais il sait
inévitablement de quel lieu elles seront expédiées. Cette
indication devient alors d’autant plus nécessaire, qu’elle
constitue en quelque sorte le seul, l’unique moyen de
préciser le risque ; il n’est pas douteux, en effet, que
tous effets chargés ailleurs que dans la localité désignée
ne seraient pas à la charge des assureurs. À défaut d’in
dication précise, le lieu du chargement, ainsi que nous
le disions tout à l’heure, serait le port d’où le navire doit
sortir.
Ce qui résultera encore de cette indication , c’est que
dans le cas de concours entre une assurance in quovis
et une assurance spéciale sur un navire désigné, on sui
vra pour l’application du risque, à l’une ou à l’autre,
1114.
�l’ordre des dates. La marchandise première chargée au
lieu de sortie du navire ou dans le port désigné, devien
dra l’aliment de la police la plus ancienne. En consé
quence, si l’assurance in quovis est antérieure, l’heureuse
arrivée du navire porteur de cette marchandise épuisera
le risque et rendra la prime exigible, alors même que
ces navires eussent fait la matière spéciale d’une assu
rance sur facultés.
— Il est impossible que l’assuré in quovis
puisse prolonger à son gré le terme de l’assurance et
choisir le risque qu’il lui plairait de laisser à la charge
des assureurs. Ce choix lui appartient tant qu’il n’a rien
chargé. Mais le chargement opéré, l’affectation, suivant
la date des polices, est un droit acquis à leurs divers
souscripteurs. C’est ce que la cour d’Àix a jugé par ar
rêt du $5 août 1855, encore inédit.
1115.
— La police in quovis détermine quelque
fois un délai dans lequel devra être opéré le charge
ment. L’effet naturel de cette clause est de rendre étran
gers à l’assurance les effets chargés avant ou après le
délai convenu. Celle-ci ne comprend que ceux chargés
pendant le cours du délai. Sa détermination spécialise
l’aliment du risque et en fait sortir tout ce qui n’a pas
été chargé dans les limites indiquées K
1116.
1 Journal de Marseille, t. 4, \, 353.
in — 27
�DROIT MARITIME.
418
— Dans l’assurance in quoms, l’application
de la police se fait à la totalité de l’intérêt que l’assuré
aura dans les choses qui lui seront expédiées. C’est
donc sur cet intérêt intégral que se détermine la posi
tion des parties. Quel que soit le sort du voyage, le ris
tourne ou le découvert de l’assuré se calcule sur la va
leur de tous les objets, proportionnellement à la somme
assurée.
Cette solution a surtout de l’intérêt lorsque, la valeur
des effets excédant la somme assurée, ces effets ont été,
en vertu de la police, chargés sur plusieurs navires.
Dans une espèce citée par Emérigon, et où les re
traits avaient été chargés sur cinq navires, les assureurs
soutenaient que les trois heureusement arrivés avaient
apportés à l’assuré des retraits excédant la somme as
surée, et* qu’ainsi l’objet de l’assurance était rempli.
L’assuré répondait que les retraits chargés sur les cinq
vaisseaux faisaient une masse commune respectivement :
et aux assureurs pour les sommes par eux souscrites, et
au chargeur pour son découvert ; que, par conséquent,
les assureurs devaient répondre du sinistre par règle de
proportion. L’amirauté de Marseille s’étant pronon
cée dans ce sens, les assureurs acquiescèrent à la sen
tence l.
1111.
1118.
— La police in quovis stipule souvent un
i Chap. 5, sect. St
B,
.
�art .
337.
419
délai dans le cours duquel l’assuré devra indiquer le ou
les navires porteurs du risque, ou la désignation des
marchandises en formant l’aliment, ou l’obligation de
transmettre à l’assureur tous les avis qu’il recevra luimême sur l’opération en cours d’exécution.
Ces diverses clauses doivent être rigoureusement ob
servées. Leur inexécution serait de nature à autoriser et
à faire prononcer la nullité de la police.
Un arrêt de la cour d’Aix, du 12 juin 1867, confir
matif d’un jugement du tribunal de commerce de Mar
seille, se prononce contre le principe de la nullité. Il
juge que la clause de la police qui prescrit à l’assuré in
quovis de communiquer à l’assureur, dans un délai dé
terminé, tout avis de chargement, sans prononcer de
sanction pour le cas où cette obligation ne serait pas
remplie, n’est pas imposée à peine de nullité de l’as
surance ; qu’elle n’a pour effet que de rendre l’assuré
qui ne l’a pas accomplie responsable du dommage, s’il
en existe, qui a pu résulter de ce défaut d'avertisse
ment.
« Attendu, disent le jugement et l’arrêt, que quelque
impératif que soit dans ses termes l’article 7 de la police,
il ne prononce aucune nullité, aucune déchéance ; que
dès lors la nullité de la police ne peut pas résulter du
défaut seul d’exécution de ses prescriptions dont l’ac
complissement n’est pas un complément nécessaire du
contrat et n’est pas essentiel à son existence ; qu’il y a
lieu seulement d’apprécier les conséquences domma-
�420
DROIT MARITIME.
geables qu’a produit cette inexécution ; qu’il n’en a été
signalé aucune dans l’espècel. »
A notre avis le tribunal et la cour apprécient inexac
tement, et méconnaissent même le caractère de la po
lice d’assurance. Les diverses clauses qui y sont stipu
lées ne sont que les conditions auxquelles les assureurs
subordonnent leurs engagements et sans lesquelles ils
n’eussent pas contracté. Dès lors chacune de ces clau
ses doit recevoir sa pleine et entière exécution , et cette
exécution n’a pas besoin d’être garantie par une sanc
tion pénale ; elle l’est suffisamment par le respect que
l’article H34 prescrit pour la loi conventionnelle et par
les principes généraux en matière d’obligations condi
tionnelles.
Sans doute la communication des avis de chargement
dans un délai quelconque n’est pas de l’essence de l’as
surance in quovis. Aussi les assureurs ne seraient ni
recevables ni fondés à prétendre induire de son omis
sion la nullité de l’assurance lorsque la police n’a rien
prescrit à cet égard.
Mais il en est nécessairement autrement lorsque par
une clause expresse la police prescrit cette communica
tion. Il est évident que cette exigence a un motif ; que
si elle n’est pas satisfaite le contrat est inexécuté, et l’on
ne comprendrait pas que l’auteur de cette inexécution
en revendiquât les bénéfices après en avoir répudié les
charges.
i
Journal de Marseille, 1867,1,110,1868,1, 32.
�ART.
337•
421
Vainement objecte-t-on que l’assureur n’a aucun in
térêt réel à l’accomplissement de cette condition, la
preuve du contraire résulte de la stipulation même de
la police. Si l’assureur l’a exigée, c’est qu’il y avait in
térêt. On ne saurait admettre qu’il eût prescrit une for
malité sans aucune utilité pour lui, ni que l’ayant pres
crite il eût entendu la considérer comme exclusivement
facultative pour celui à qui elle est imposée.
En fait l’intérêt de l’assureur est incontestable. La
communication du chargé précise la nature et le lieu du
risque, met fin à l’indétermination et au vague qui sont
de l’essence de l’assurance in quovis. Nier cet intérêt
c’est nier l’évidence.
Dès lors si, malgré l’obligation qu’il en a contractée,
l’assuré ne fait pas cette communication, ou ne la fait
qu’après le délai qui lui a été imparti, la condition à
laquelle était subordonné l’engagement de l’assureur est
défaillie, et le contrat se trouve par cela même anéanti.
On ne pourrait lui faire produire son effet et en ad
mettre la validité sans substituer une convention nou
velle à celle qui liait primitivement les parties.
C’est dans ce sens que se prononçaient le tribunal de
commerce et la cour de Bordeaux. Dans cette espèce le
même chargement avait fait l’objet de deux assurances
et les souscripteurs de la seconde , invoquant l’article
359 du Code de commerce, soutenaient que la première
pouvait et devait seule sortir à effet.
Mais cette première police renfermait une clause por
tant : Les déclarations d'aliment devront être faites
�422
DROIT MARITIME.
par les assurés dans les quarante-huit heures de la
réception des factures et connaissements. Or aucune
déclaration n’ayant été réalisée en aucun temps, on en
concluait que la police avait été par cela même annu
lée, et qu’en conséquence la seconde avait été seule en
risque.
C’est en effet ce que décide le tribunal de commerce.
Le jugement déclare que la clause prescrivant les déclara
tions était substantielle et non facultative, puisque le
devoir des assurés est de faire la déclaration prescrite
pour que le contrat prenne vie, pour que l’assureur sa
che quel est le risque qu’il court ;
« Qu’aucune déclaration n’a été dénoncée aux assu
reurs de la première police relativement à la marchan
dise que Couturier et Cie s’étaient réservés le soin de
faire assurer eux-mêmes, ni dans le délai de quarantehuit heures de la réception des factures et connaisse
ments, ni depuis ; que par cette abstention les assurés
se sont privés du bénéfice de cette police et se sont en
levés le droit de rien réclamer à leurs assureurs ; qu’il
est bien évident qu’ils n’auraient aujourd’hui aucune
raison de se {lire assurés par cette police qui n’a pas
couvert la marchandise perdue ;
« Que l’article 359 du Code de commerce prévoit et
suppose le cas où il existerait plusieurs contrats faits
sans fraude sur le même chargement ; mais qu’il cesse
d’être applicable si, comme dans l’espèce, le risque
échappe à la première police qui, pour être parfaite,
aurait eu besoin d’une condition qui lui a manqué ;
�ART. 3 3 7 .
425
qu’on ne peut donc pas dire qu’il y avait dans la cau
se plusieurs contrats existants au moment du sinistre,
conformément aux prescriptions de l’article 359 ;
« Que s’il est vrai qu’en cas de sinistre avant la dé
claration de l’aliment, les assureurs pouvaient être te
nus de le réparer, cette condition de la police n’infir
me pas l’autre ; qu’il ne suit pas de là que la première
assurance fût bonne et valable, par cela seul que la mar
chandise aurait pu périr dans tel temps plutôt que dans
tel autre ; qu’il en résulterait tout au plus cette consé
quence, à laquelle d’ailleurs ou s’était soumis, qu’il au
rait été possible par hypothèse qu’elle se trouvât mo
mentanément aux risques des premiers sans l’avoir ja
mais été définitivement ; qu’il s’agit donc de fixer non
ce qui aurait pu être, mais ce qui est, puisqu'il faut
décider qu’elle est la seule police qui couvrait la mar
chandise au moment de sa perte. »
Il est évident que cette seconde clause ne prévoyait et
ne pouvait prévoir que l’hypothèse du sinistre se réali
sant avant la réception des factures et connaissement,
elle ne dérogeait donc ni de près ni de loin à l’obliga
tion de déclarer l’aliment du risque si les assurés avaient
été en mesure de la remplir avant le sinistre. C’est ce
que la cour de’Bordeaux consacre par la confirmation
pure et simple du jugement avec adoption des motifs.
On se pourvut en cassation et à l’appui du pourvoi
on disait : il est de doctrine et de jurisprudence que
tout chargement opéré dans les conditions d’une police
flottante ou assurance in quovis, c’est-à-dire tous les
�424
DROIT MARITIME.
chargements d’objets auxquels s’appliquent les dési
gnations du contrat, et expédiés pour le voyage en vue
duquel il a été souscrit, fait impression sur cette police,
même à l’insu de l’assureur et de l’assuré. Lorsque au
lieu d’une seule assurance il en a été souscrit deux ou
plusieurs, l’assuré ne peut demander à chacun des as
sureurs le montant de l’assurance et recevoir ainsi dou
ble indemnité, ni avoir le droit de s’adresser pour le
paiement de l’indemnité à tels des assureurs qu’il vou
dra choisir. Aux termes de l’article 359 du Code de
commerce, le premier contrat assure l’entière valeur des
objets chargés ; il subsiste seul, et les assureurs des con
trats subséquents sont libérés.
« L’arrêt attaqué objecte que d’après une condition
substantielle de la première police les assurés auraient
dû faire aux assureurs la déclaration d’aliment dans les
quarante-huit heures de la réception des factures et
connaissements. Mais il n’est pas permis de conclure de
là qu’à défaut de cette déclaration la première police
fût comme non avenue et que la deuxième dût être seu
le existante. Si les premiers assureurs pouvaient, à rai
son de ce qu’il n’avait pas été satisfait par les assurés à
la condition dont il s’agit, leur opposer la déchéance de
la police, c’était à cause de la négligence de ces der
niers, qui ne pouvaient puiser dans cette négligence une
action contre les compagnies par lesquelles avait été
souscrite l’assurance nulle et inefficace qui avait suivi
la première. Cette assurance avait fait double emploi
avec celle-ci, malgré la qualité de créanciers des char-
�ART. 3 3 7 .
423
geurs appartenant aux assurés, parce que, d’après les
termes de la police, ils avaient agi comme negotiorum
gestor employant la formule pour compte de gui il ap
partiendra, et que l’objet de l’assurance n’était pas et
ne pouvait pas être leur créance évidemment non sus
ceptible d’une assurance maritime, mais les marchan
dises elles-mêmes déjà assurées par les chargeurs. »
Dans l’intérêt des défendeurs au pourvoi on répon
dait : « Les clauses de la police in quovis peuvent va
rier à l’infini, et c’est la volonté des contractants qui
doit ici, comme dans toute espèce de contrat, faire la
loi. D’après la clause de la première police, les déclara
tions d’aliment devaient être faites dans les quarantehuit heures de la réception des factures et des connais
sements. L’arrêt a jugé, par interprétation souveraine,
que cette clause était substantielle, ce qui revient à dire,
qu’il était entendu entre les assureurs et les assurés que
l’assurance n’aurait d’effets que quant aux marchandi
ses déclarées dans le délai fixé. Cette clause aboutissait
donc à ce résultat de laisser, d’une manière absolue, en
dehors de l’assurance les marchandises non déclarées
en temps utile, et par conséquent le risque de ces mar
chandises n’a pas été couvert par lé contrat. Il importe
peu que la clause ait opéré à titre de condition suspen
sive ou de condition résolutoire. Dans le premier cas,
l’obligation n’aura jamais existé ; dans le second, après
avoir existé à partir du chargement jusqu’à l’expiration
des quarante-huit heures, elle aura été rétroactivement
effacée. Pourvu que l’annulation d’une première police
�426
DROIT
MARITIME.
se produise avant la réalisation du sinistre ou de l’heu
reuse arrivée, cette police cesse d’être un obstacle à l’exé
cution de la seconde, et il n’y a pas à distinguer entre
la résiliation amiable ou l’annulation de plein droit ou
prononcée en justice avant l’événement ou l’annulabilité
sur la demande d’un assureur qui tiendrait en suspens
l’exécution du contrat et s’y refuserait même après le
sinistre. C’est qu’en effet l’article 359 n’ordonne pas
que, dans le concours de plusieurs assurances, la pre
mière seule soit valable ; le but de sa disposition est
d’empêcher que l’assurance ne devienne pour l’assuré
un moyen de s’enrichir, et qu’en cas de sinistre il re
çoive deux ou plusieurs indemnités au lieu d’une. Une
seconde assurance est permise par le texte même de l’ar
ticle quand la première ne couvre pas le risque total.
Les assureurs subséquents répondent alors de l’excédant
d’après l'ordre des dates. Pourquoi ce qui est permis
dans le cas où la première police ne couvre qu’insuffisamment le risque, serait-il défendu lorsqu’il est cer
tain que si un sinistre survient l’assuré ne pourra tirer
aucun parti de son assurance ? Une première assurance
est contractée sous condition, la condition vient à dé
faillir, l’assurance est comme n’ayant jamais existé. Si
même avant l’événement de la condition l’assuré en a
contracté une seconde, n’aura-t-il pas agi sagement et
légalement à fois ? Il lui est interdit de faire de l’assu
rance une spéculation, non de prendre les précautions
nécessaires pour être indemnisé après le sinistre jusqu’à
concurrence de la perte ; ceci est vrai non seulement
�ART.
357.
427
dans l’hypothèse d’une assurance conditionnelle , mais
encore, par identité de raisons, dans l’hypothèse d’une
première assurance susceptible d’être annulée et que
l’assureur peut se refuser à exécuter, autrement un as
suré qui s’appercevrait du vice ou de l’inefficacité d’une
police, serait dans l’impossibilité de contracter une se
conde assurance valable, et il arriverait que la première
serait déclarée nulle à raison du vice qui l’affecte, en
même temps que l’assurance postérieure serait invali
dée à cause de celle qui l’a précédée. »
Ces considérations devaient prévaloir. On tenterait
vainement en effet d’en méconnaître et d’en contester
la valeur. L’article 359 du Code de commerce n’a voulu
qu’une chose, prévenir et empêcher que l’assuré ne pût
s’enrichir par l’effet de l’assurance en faisant assurer
plusieurs fois la même chose et en percevant, en cas de
sinistre, le montant de ces diverses assurances, mais il
n’a ni entendu, ni pu entendre prohiber les précautions
que la prudence est dans le cas de suggérer, et qui
n’ont d’autre conséquence possible que de ne faire arriver
aux mains de l’assuré que la juste indemnité de la perte
que lui occasionne le sinistre. Si deux assurances exis
tent sur le même chargement, toutes les deux valables
et de nature à sortir à effet, la première en date annule
de plein droit la seconde. Mais où serait la raison d’ê
tre de cett eannulation si, par un motif quelconque,cette
première assurance était caduque et ne pouvait profiter
à son bénéficiaire ?
La Cour de cassation ne pouvait donc hésiter et n’hé-
�428
DROIT
MARITIME.
site pas. Par arrêt du 26 avril 1865, elle motive ainsi
le rejet du pourvoi :
« Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que deux
assurances in quovis sur des marchandises dont la na
ture et l’espèce étaient indéterminées, ont été stipulées
sans fraude conformément à l’article 337 du Code de
commerce, chacune dans un intérêt distinct ; que la
première a été souscrite à Bordeaux le 24 août 1858,
par les compagnies la Gironde et la Vigie, au profit de
Montagut et Cie, agissant pour compte de qui que ce
soit ; que la seconde a été obtenue le 20 septembre
1858, à Paris, par Couturier et Cie qui, ayant accordé
un crédit important sur des marchandises à expédier
de France en Amérique, s’étaient réservés de les faire
assurer eux-mêmes et en leur nom et se sont fait nantir
à cet effet des connaissements qu’ils ont notifiés à leurs
assureurs dans le délai fixé par leur police.
« Attendu que si la loi ne permet pas que, par des
assurances multiples, on puisse obtenir au-delà de la
valeur de la chose assurée, elle n’interdit pas à celui
qui, comme créancier gagiste, a un intérêt personnel à
la conservation de son gage, de stipuler, même après
une première assurance faite dans un autre intérêt que
le sien, une seconde assurance dans laquelle il trouve
une garantie éventuelle pour le cas où il y a , non pas
cumul des assurances, mais substitution de l’une et l’au
tre ; que dans le système contraire le principal intéressé
dans un chargement serait exposé à devenir victime de
�ART. 3 3 7 .
429
la négligence oh de la fraude d’un autre intéressé, quel
que précaution qu’il eût prise pour s’en garantir ;
« Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que la pré
vision dans laquelle Couturier et Cie avaient stipulé la
seconde assurance s’est réalisée dans l’espèce ; que la
première assurance avait été consentie sous la condition
formelle que la déclaration d’aliment serait faite aux
assureurs dans les vingt-quatre heures de la réception
des factures et des connaissements ; que cette condition
a été considérée par les juges du fait, auxquels appar
tenait l’appréciation des conventions des parties, comme
étant de la substance du contrat qui devait trouver son
complément dans la délaration du chargement néces
saire pour faire cesser l’indétermination du sujet de
l’assurance ; que Montagut et Cie n’ayant fait à aucune
époque cette déclaration à leurs assureurs, la première
assurance est, par l’inaccomplissement de la condition
sous laquelle elle avait été consentie, devenue entière
ment caduquel. »
C’est en vain qu’on voudrait exciper de ce fait relevé
par la Cour de cassation, que les deux assurances avaient
été prises par des individus différents et chacune dans
un intérêt distinct. En effet la première ayant été faite
pour compte de qui que ce soit, Montagut et Cie avaient
agi non comme propriétaires, mais comme mandataires
du véritable intéressé, et si cet intéressé était Couturier
et Cie, c’étaient ceux-ci qui avaient en réalité contracté
1 J. du P., 4865, 778.
�430
DROIT MARITIME.
l’assurance en vertu de la règle quis mandat ipse fecisse
videtur.
Aussi ne saurait-il exister un doute. Si la première
police avait été valable et dû produire son effet, le pro
fit en eût appartenu à Couturier et Cie, et le ristourne
de la seconde n’aurait pu faire question.
Il importe donc peu que les deux polices aient été
souscrites directement et personnellement par le char
geur. Dès que la seconde n’est qu’une mesure purement
précautionnelle, qu’elle ne peut sortir à effet que si la
première est déclarée caduque et nulle, il est évident
qu’il n’existe aucune raison pour l’interdire au char
geur.
Vainement objecterait-on que lorsque la nullité de la
première police provient du fait personnel de l’assuré,
celui-ci ne saurait se faire un titre de sa négligence qui
pourrait bien n’être qu’une fraude contre le second as
sureur.
Il ne saurait être défendu à l’assuré sous condition de
prévoir soit une omission involontaire, soit une impos
sibilité de remplir la condition de la police et par con
séquent de se précautionner contre l’une ou l’autre
quant à la crainte de fraude il est difficile de s’en pré
occuper. En pareille matière le litige même, réduit aux
seconds assureurs, portera sur la nullité de la première
police, sur ses causes, sur la conduite de l’assuré , et si
une connivence quelconque entre lui et les premiers as
sureurs était établie, la première assurance serait infail-
�ART.
337.
431
liblement maintenue et les assureurs de la seconde se
trouveraient de plein droit dégagés.
Or la nullité de l’assurance pour inexécution des con
ditions de la police ne saurait être contestée. Cetie doc
trine, qui résulte implicitement des deux arrêts que nous
venons de rapporter, a été très explicitement consa
crée par un arrêt de la cour de Bordeaux du 26 février
1873.
Une assurance de 82,000 fr. avait été contractée sur
marchandise à charger sur le vapeur Ingebord de Bor
deaux à Saint-Pétersbourg. Les marchandises faisant
l’objet du risque devaient être détaillées dans un ave
nant visé des assureurs et qui devait être annexé à la
police.
La nouvelle du sinistre étant arrivée à Bordeaux, les
assurés qui jusqu’alors étaient restés dans l’inaction la
plus complète, rédigent un avenant et le présentent aux
assureurs. Au lieu de le viser et de l’accepter ceux-ci
soutiennent que l’assurance est nulle; le défaut d’ave
nant avant le sinistre lui ayant enlevé tout aliment.
A cette prétention on répond que la police, en exi
geant un détail des marchandises assurées, ne fixe au
cun délai qu’on ne saurait donc repousser comme tardif
l’avenant présenté dans cet objet ; que d’ailleurs aucune
mise en demeure n’avait été signifiée, enfin qu’une
clause de la police portait expressément qu’en cas de si
nistre avant la déclaration d’aliment les assureurs rem
bourseraient dix pour cent en sus des factures ; qu’ils
�432
DROIT MARITIME.
ne pouvaient donc se soustraire à l’exécution de cette
clause.
Ces exceptions, repoussées par le tribunal de com
merce, le sont également par la Cour qui motive ainsi
son arrêt :
« Attendu que suivant une police en date de Bor
deaux du 210 septembre 1871, les compagnies la Bor
delaise, le Pilote, l'Indemnité, la Méridionale et le
Phare, ont assuré à Chaperon et Lagrèze, agissant pour
compte de qui que ce soit, la somme de 821,000 fr.
portant sur diverses marchandises détaillées dans un
avenant visé des assureurs et qui devait être annexé à
ladite police, le tout chargé ou à charger à bord du va
peur lngebord, pour de Bordeaux aller à Saint-Péters
bourg.
« Attendu que l’assurance consentie en ces termes ne
couvrait pas d’une manière générale les marchandises
quelconques chargées ou à charger à bord de Ylngebord, et que Chaperon et Lagrèze pouvaient être auto
risés ou intéressés à faire assurer, mais spécialement les
marchandises détaillées dans un avenant visé par les
assureurs et qui devait être annexé à la police ;
« Que les appelants étaient donc tenus de faire con
naître en détail, et dans la forme prescrite, les mar
chandises auxquelles ils entendaient appliquer le béné
fice de l’assurance, faute de quoi la police resterait sans
aliment et se trouverait ristournée ;
« Qu’à la vérité cette police ne fixait pas expressé
ment le délai dans lequel l’avenant qu’elle exigeait de-
�ART.
337.
4.33
vait être visé par les assureurs ; mais que cet avenant
devait évidemment être soumis aussitôt que les assurés
connaîtraient le détail des marchandises chargées, l’in—
téréi même de ces derniers ne pouvant laisser aucun
doute à cet égard ;
« Que néanmoins Chaperon et Lagrèze, bien que nan
tis des connaissements soit au moment même de la si
gnature de la police, soit aussitôt après, n’ont fait con
naître aux intéressés le détail des marchandises chargées
que postérieurement au 7 octobre , époque à laquelle
la nouvelle du sinistre éprouvé par Vlngebord était con
nue à Bordeaux, et qu’ainsi leur déclaration était tar
dive ;
« Attendu que les appelants se prévalent vainement
d’une clause de la police portant qu’en cas de sinistre
avant la déclaration d’aliment les assureurs rembourse
raient 10 0[0 en sus des factures; mais que cette clause
avait pour but unique de couvrir les assurés jusqu’au
moment où il leur serait possible de faire leur déclara
tion d’aliment et non de les autoriser soit à ne point en
fournir, soit a ne la fournir qu’après la perte d j navire;
» Qu’ils ne sont pas mieux fondés à prétendre que
les assureurs devaient les mettre en demeure de sous
crire l’avenant stipulé par la police du Ü50 septembre,
puisque les assureurs ne pouvaient qu’attendre l’exécu
tion que Chaperon et Lagrèze jugeraient à propos de lui
donner b »
�434
DROIT
MARITIME.
Il est évident qu’on ne saurait concevoir une assu
rance sans un risque qui en fait l’aliment. Or, dans l’es
pèce, cet aliment n’était et ne devait être que les mar
chandises dont le détail serait donné par l’avenant.
Conséquemment ce détail n’ayant jamais été donné, il
n’y avait eu ni risque, ni aliment à l’assurance.
Ce qui était vrai dans l’espèce ne le sera pas moins
dans tous les cas où la perfectibilité de la police sera
subordonnée à une condition quelconque. Celle-ci ve
nant à défaillir, le contrat n’aura jamais existé et ne
saurait produire un effet quelconque.
Quant à la prétention de régulariser la police après
la connaissance du sinistre, elle est tout bonnement in
soutenable. L’article 365 du Code de commerce la pros
crit expressément. Accomplir la condition qui doit faire
sortir le contrat à effet, c’est en réalité souscrire ce con
trat. L’assurance prise après la connaissance de l’évé
nement du voyage'étant nulle, personne ne saurait dans
les mêmes circonstances valider un contrat resté jusquelà imparfait.
Aussi, et par arrêt du 26 novembre 1873, la Cour
de cassation rejetait-elle le pourvoi dont l’arrêt de Bor
deaux avait été l’objetl.
111 ». — L'article 337 exige, dans l’assurance sur
marchandises non désignées, que la police indique ce
lui à qui l’expédition est faite , ou à qui elle est consi1 I b id , 4 8 7 4 , 4 0 9 .
�art.
337.
45S
gnée. Or, il en est de cette désignation comme de celle
du navire et de celle de la nature et de l’espèce des
marchandises L’assuré peut être dans l’impossibilité de
la fournir, parce qu’on lui aura laissé ignorer le nom
du destinataire ou du consignataire.
Aussi, et quoique l’ordonnance de 1681 eût fait de
cette indication une obligation absolue, l’usage de s’en
dispenser avait prévalu. C’est ce que Valin atteste ex
pressément. Les auteurs du Code ont conservé cet usage,
car la restriction résultant de la dernière disposition de
l’article 337 rend purement facultative l’indication du
destinataire ou, consignataire. Le silence gardé à cet
égard dans la police ferait de plein droit admettre l’exis
tence de la convention contraire.
Dans la rédaction de l’article 337, le législateur a
dû, consultant les probabilités, s’arrêter à celles qui lui
paraissent les plus graves. Or, l’ignorance sur laquelle
est fondée la faculté d’assurer in quovis, facile à présu
mer dans les chargements à faire aux Echelles du Le
vant, aux côtes d’Afrique , dans les autres pays loin
tains, devenait moins vraisemblable lorsque ce charge
ment était fait en Europe pour l’Europe. La loi ne parle
donc que des premiers. Faut-il en conclure que l’assu
rance in quovis est interdite dans les seconds ?
La négative a été unanimement admise par la doctri
ne. L’article 337 n’a aucun caractère limitatif, et ce se
rait en forcer la signification que de conclure, de ce
qu’il autorise l’assurance in quovis dans tel cas, qu’il
la prohibe dans tel autre. Les mêmes causes doivent
�436
DROIT MARITIME.
produire des effets identiques. Or, celui qui attend en
Europe des marchandises qui doivent lui être expédiées
d’un port d’Europe, peut parfaitement ignorer par quel
navire elles lui seront expédiées. Dans ce cas , comme
dans celui expressément prévu, tout dépendra de la pos
sibilité de se procurer un navire quelconque, qui ne
sera connu qu’au moment où il se présentera.
On ne pourrait donc résoudre affirmativement notre
question, sans rendre l’assurance impossible dans plu
sieurs cas. Or, les services que celte institution est ap
pelée à rendre étant un juste motif d’en développer l’ap
plication, tout ce qui s’écarte de ce but est condamné
par l’esprit de la loi.
1 1 8 0 . — L’assurance in quovis ne se présume ja
mais. Dans l’hypothèse même de l’artiele 337, elle doit
être expressément convenue, à plus forte raison doit-il
en être de même dans les autres hypothèses ; elle ne
pourrait donc résulter du fait seul de l’omission du nom
et de la désignation du navire, ainsi que nous le disions
tout à l’heurex.
118 1. — La stipulation du chargement in quovis
laisse à l’assuré la plus entière liberté sur le choix du
navire. Mais ce choix est épuisé dès qu’il a commencé
et exécuté le chargement. Le transbordement qu’il opé
rerait sur un autre navire constituerait le changement
i V oy. s u p ra n» 1048.
�prohibé par l’article 351, et annulerait l’assurance au
profit des assureurs.
A rticle 3 3 8.
Tout effet dont le prix est stipulé dans le contrat en
monnaie étrangère, est évalué au prix que la monnaie
stipulée vaut en monnaie de France, suivant le cours à
l’époque de la signature de la police.
A rticle 339.
Si la valeur des marchandises n’est point fixée par
le contrat, elle peut être justifiée par les factures ou
par les livres ; à défaut, l’estimation en est faite sui
vant le prix courant au temps et au lieu du chargement,
y compris tous les droits payés et les frais faits jusqu’à
bord.
A rticle 3 4 0 .
Si l’assurance est faite sur le retour d’un pays où le
commerce ne se fait que par troc, et que l’estimation
des marchandises ne soit pas faite par la police, elle
sera réglée sur le pied do la nature de celles qui ont été
�438
DROIT
MARITIME.
données en échange, en y joignant les frais de trans
port.
SO MM A IR E
1122. Abus que le silence gardé par l’ordonnance sur la conver
sion en monnaie française de la valeur stipulée en mon
naie étrangère avait créé.
1123. Déclaration du 17 août 1779, consacrée par le Code. Com
ment doit se calculer la conversion ?
1124. Silence gardé par le Code sur la peine de nullité édictée
par la déclaration de 1779. Conséquences.
1123. Comment il est procédé à l’estimation des choses assu
rées, en cas d’omission de leur valeur dans la police
d'assurance ?
1126. Avantages et inconvénients des factures et livres.
1127. Hypothèse dans laquelle on doit se référer au prix cou
rant, de préférence aux factures.
1128. Frais et droits devant s’ajouter à la valeur vénale.
1129. Doit-on prendre en considération le fret déclaré acquis à
tout événement ?
1130. Forme de l’estimation. Qui en doit les frais ?
1131. Nature de l’indication de la valeur dans l’assurance, en
cas de commerce par troc.
1132. A quelles conditions doit-on recourir é l’application de
l’article 340 ?
1133. Bases de l’estimation dans ce cas.
1134. Ce que comprend, dans tous les cas, l’estimation du na
vire.
112 3. — Le silence, que l’ordonnance de 1681
avait gardé sur les assurances dont le prix était stipulé
�ART,
338, 339, 540.
459
en monnaie étrangère, avait introduit un grave abus
contre lequel des réclamations nombreuses n’avaient pas
cessé de protester. Voici en quels termes le signale Emérigon :
On chargeait pour 6,000 livres argent des îles, je les
faisais assurer à Marseille, et, en cas de perte, les as
sureurs étaient obligés de me compter la somme de
6.000 livres argent de France, c’est-à-dire un tiers en
sus de mon vrai capital, affranchis de nolis et de tous
droits.
« Cet abus avait été adopté à l’égard des navires.
Mon vaisseau estimé 40,000 fr., sortant de Marseille,
arrivait aux îles. Dès lors, il valait argent des îles
60.000 fr., quel que fût d’ailleurs son état. Je le faisais
assurer pour le retour sur le pied de cette nouvelle es
timation, sans que je fusse obligé de produire d’autre
preuve que celle justifiant la propriété , attendu l’éva
luation qui, d’un commun accord et de gré à gré,
avait été faite du navire à cette somme de 60,000 livres
pour tenir lieu de capital en tout temps et en tous
lieux, ayant établi, du consentement des parties, la
livre monnaie des îles à l'instar de la livre tour
nois l.
J’ai vu, ajoute Emérigon, diverses polices dressées
dans ce goût. Inutilement, on se récriait contre un pa
reil renversement d’ordre qui occasionnait mille fraudes;
en cas de sinistre, enrichissait l’assuré aux dépens des
1 Chap. 9, sect. 8, S 4.
�440
DROIT MARITIME.
assureurs. On s’en tenait à l’usage, sans s’apercevoir de
l’iniquité révoltante qu’il autorisait.
— L’honneur d’avoir fait disparaître cet
abus n’appartient pas aux auteurs du Code. L’initiative
avait été prise par le législateur de 1779. L’article 11 de
la déclaration du 17 août ordonna que tout effet dont
le prix sera porté dans la police en monnaie étrangère
ou autre que celles ayant cours dans l’intérieur du royau
me, et dont la valeur numéraire est fixée par nos édits,
sera évalué au prix que la monnaie stipulée pourrait va
loir en livres tournois, faisant très expresses inhibitions
et défenses de faire aucune stipulation à ce contraire, à
peine de nullité.
C’est cette disposition que le Code s’est appropriée en
la complétant. C’est au cours du moment de la signa
ture de la police que doit se faire la conversion de la
monnaie étrangère en monnaie française. Cela est très
rationnel, l’assuré ne doit recevoir que son capital, mais
il doit le retrouver entier. Or, si au moment du sinis
tre le cours avait haussé, il recevrait plus, il recevrait
moins s’il avait baissé. Or l’essence du contrat d’assu
rance ne permet ni l’un ni l’autre.
1133.
113JL. — L’article 338 ne renouvelle plus la peine
de nullité édictée par la déclaration de 1779. Faut-il en
conclure que les parties ont la faculté de stipuler la
clause que rappelle Emérigon, et établir d’un commun
�ART.
338, 339, 340.
441
accord la monnaie étrangère à l'instar de celle de
France ?
Nous ne le pensons pas, une pareille clause n’aurait
pas d’autre but que d’exagérer la valeur réelle des cho
ses assurées. Elle ferait donc disparaître partiellement le
risque et tomberait dès lors sous l’application des arti
cles 357 et 358. La nullité étant ici d’ordre public, l’as
sentiment des parties ne saurait les en affranchir.
Le doute pourrait naître de cette circonstance que la
commission, après avoir dit que le prix en monnaie
étrangère serait converti en monnaie française, ajoutait
nonobstant toutes conventions contraires. Le rejet de
cette proposition pourrait faire supposer que ces con
ventions n’ont pas été prohibées.
Mais le conseil d’Etat repoussa également la proposi
tion du tribunal et du conseil de commerce de Rouen,
tendant à ajouter à l’article à moins de conventions
contraires. Donc, s’il n’a pas proscrit formellement ces
conventions, il ne les a pas non plus autorisées. Il faut
dès lors, en cet état, s’en référer au principe général, à
savoir, que l’assurance ne comporte aucune convention
dont le résultat serait d’enrichir l’assuré en lui permet
tant de recevoir au-delà de son capital réel.
1135. — Lorsque les parties n’ont rien dit dans la
police sur la valeur des marchandises, on est obligé de
suppléer à leur silence, et de déterminer cette valeur.
L’article 339 indique le mode de cette détermination, il
y est procédé par les factures et les livres, à défaut, la
�U2
DROIT MARITIME.
marchandise est évaluée suivant le prix courant au
temps et au lieu du chargement.
1 1 2 6 . — Les factures et les livres devaient natu
rellement s’offrir d’abord à la pensée du législateur.
C’est là, en effet, qu’on trouvera l’indication du prix
d’achat. Mais la mauvaise foi a su altérer ces sources.
Quelquefois il existe deux factures, une, la vraie, qu’on
ne montre pas ; l’autre, destinée à être produite et co
tant le prix au-dessus de ce qu’il a été réellement. Sup
posez qu’un chargeur ait la pensée de faire de l’assu
rance une spéculation éventuelle, il ne manquera pas
d’obtenir ces doubles factures et, le sinistre se réalisant,
il se gardera bien d’exciper de celle qui renferme le prix
réel.
Dans la même supposition, ses livres ne seront ja
mais dans le cas de témoigner contre lui. Ce qu’il y
aura transcrit, c’est la facture simulée dont il a l’inten
tion de se servir. Le livre ne fera donc que répéter les
énonciations de la facture.
Les assureurs seront donc recevables et fondés à con
tester la sincérité des uns et des autres, et à demander
le dernier mode indiqué par la loi, c’est-à-dire l'éva
luation par le prix courant au temps et au lieu du char
gement.
On doit d’autant plus le décider ainsi, qu’en l’absence
même de toutes fraudes, la facture peut être enflée,
ainsi on sait très bien que la marchandise vendue à ter
me est cotée plus haut que celle vendue au comptant.
�a rt .
338, 339, 340.
443
C’est là une indemnité du péril que le terme fait courir
au vendeur. Mais si cette indemnité est juste de celui-ci
à l’acheteur, elle ne saurait avoir ce caractère de ce der
nier aux assureurs. Dès lors, si cette différence était
telle qu’elle mit la marchandise au-dessus du prix cou
rant, les assureurs devraient être admis à s’en référer
uniquement à celui-ci.
1189. — Il est même une hypothèse dans laquelle
ce prix courant doit prévaloir sur les factures. Supposez
que la marchandise ne soit expédiée eri mer que long
temps après avoir été achetée. Nous ne parlerons pas
des détériorations qu’elle peut avoir subies, et que l’as
sureur est toujours en droit de prouver. Ce qui se réali
sera, c’est que, par les variations du marché et par la
baisse survenue, la marchandise vaudra beaucoup moins
qu’elle n’a coûté, que devront les assureurs ? Est-ce le
prix de facture, est-ce la valeur suivant le prix courant
au jour du chargement ?
Il serait difficile de contester la justice et la rationnalité de la solution que donne à cette question M. Ëeneck dans son Traité des principes d’indemnité en ma
tière d'assurance. « La valeur d’une marchandise au
lieu du départ, dit cet auteur, est le prix auquel elle
peut y être vendue. Telle est au moins la définition ap
plicable à tout article courant. Pour établir cette valeur,
c’est donc au prix courant et non au prix primitif de
l’article qu’il faut avoir égard. Si le prix courant excède
le tout, c’est la valeur de ce prix courant qui doit être
�iU
DROIT MARITIME.
assurée, car le propriétaire qui peut en retirer ce prix
sur le marché même perdrait le profit qu’il peut déjà
faire si, en cas de perte, il n’était remboursé que du
coût primitif.
« Si, au contraire, l’article est tombé à un prix infé
rieur à celui auquel il a été acheté , c’est ce prix actuel
que l’assurance doit couvrir, car le propriétaire, si la
marchandise périt, ne perd réellement que cette valeur
réduite. Dire que les marchandises doivent être assurées
à leur coût primitif, parce que le propriétaire est libre
de les garder jusqu’à ce qu’elles vaillent encore ce prix,
serait un faux raisonnement, car elles ne peuvent plus
être un objet de spéculation au lieu du départ, du mo ment qu’elles sont envoyées sur un autre marché. Si el
les promettent un accroissement de valeur à ce lieu de
destination, la somme qu’elles peuvent produire en des
sus du prix courant et des frais est un profit espéré que
le propriétaire peut faire assurer en plus, mais sous celte
dénomination \ Si au contraire il n’en attend aucun
bénéfice, il est clair qu’en assurant plus que la valeur
courante, une portion de la prime qu’il paye est sans
objet3.
On ne saurait évidemment raisonner autrement en
droit français, sauf ce qui est relatif à l’assurance du
profit espéré que noire loi prohibe. Nous avons donc
i C’est un Anglais qui parle, et l’assurance du profit espéré est permi
se par la législation anglaise.
3 Traduction deM. Dubernard, tit. I , chap. 4, p. 35t.
�raison de dire que dans certains cas le prix courant doit
être préféré aux factures, et cette préférence, si elle peut
nuire à l’assuré en cas de baisse, lui sera avantageuse
dans l’hypothèse d’une hausse.
— Quel que soit le mode suivi dans l’évalua
tion, on doit, à la valeur vénale des effets, ajouter les
droits payés et tous les frais de mise à bord. Ces droits
et frais comprennent tout ce qui a été déboursé pour
commission, transport, magasinage, entrepôt, embar
quement, douane, etc., ils constituent des avances de
fonds qui s’unissent et s’incorporent au capital et con
courent à établir le prix de revient de la marchandise ;
leur remboursement, en cas de perte, n’enrichit pas
l’assuré, il n’est qu’une restitution au moyen de laquelle
il est indemnisé de la perte que lui occasionnerait le si
nistre. Or, l’assurance a essentiellement ce résultat pour
objet.
Les frais de transport à comprendre dans la constitu
tion du capilal assuré ne doivent et ne peuvent s’enten
dre que de ceux exposés pour amener la marchandise
du lieu de l’achat à bord. Quant à ceux du voyage sur
le navire, c’est-à-dire quant au fret, il ne peut être
compris dans l’assurance. Le chargeur pourrait d’au
tant moins en demander la restitution, que, le sinistre
se réalisant, il n’a lui-même rien à payer à ce titre.
1128.
1129. — M. Pardessus enseigne qu’il doit en être
autrement dans le cas où le fret est déclaré acquis à tout
�U6
DROIT MARITIME.
événement. II est certain, dans ce cas, que ce fret cons
titue un déboursé réel dont la perte du navire fait per
dre irrévocablement le profit, mais nous résistons à par
tager cette opinion à cause des fraudes nombreuses dont
elle pourrait devenir l’occasion et auxquelles les assu
reurs n’auraient aucun moyen d’échapper. Comment,
en effet, pourront-ils prouver que la clause : acquis à
tout événement, n’a rien de sérieux, qu’elle n’est ima
ginée que pour grossir la somme assurée ? Ne pourraitil pas se faire aussi que cette clause n’eût été que le
moyen pour le fréteur de faire assurer, sous le nom de
l’affréteur, le fret que la loi lui prohibe de faire direc
tement assurer ?
Assez de dangers menacent les assureurs pour qu’on
n’aille pas en grossir le nombre. Cette considération
nous paraît devoir faire repousser l’opinion de M. Par
dessus .
Dans tous les cas, il est évident que la faculté d’as
surer ne peut profiter qu’à l’affréteur qui consent l’a
vance et s’interdit d’en demander la restitution quoi
qu’il arrive.
En effet une assurance suppose et exige un risque.
Or, où est le risque pour le fréteur lorsque ce qui lui
est avancé sur le fret à faire lui est déclaré acquis à tout
événement ? Vienne le naufrage, la perte entière du na
vire et de la cargaison, il n’en retiendra pas moins les
avances qu’il a reçues, et si, les ayant fait assurer, il
pouvait les exiger des assureurs, il percevrait une se
conde fois ce qu’il a déjà en mains, c’est-à-dire qu’il
�ART.
338, 339, 340.
447
réaliserait un bénéfice, ce qui ne saurait légalement ré
sulter de l’assurance.
Seul l’affréteur court la chance de perte. En effet, le
sinistre se réalisant en cours de voyage et occasionnant
la perte des marchandises, il n’aurait à payer aucun
fret. Il perd donc en réalité ce qu’il a donné à titre d’a
vance avec interdiction de remboursement, et cette chan
ce constitue un risque pouvant régulièrement faire la
matière d’une assurance L
Si le fréteur n’a pas été dispensé du remboursement
des avances, il court le risque d’être obligé de les resti
tuer le cas échéant. Pourra-t-il faire assurer valable
ment ce risque.
L’article 347 résout négativement cette question. Dans
ce cas, en effet, l’assurance porterait sur un fret à faire
et tomberait par conséquent sous le coup de la nullité
édictée par cette disposition.
— Dans tous les cas où il y a lieu de pro
céder à l’estimation, elle peut-être amiablement conve
nue entre les parties, à défaut, elle s’opère judiciaire
ment dans les formes ordinaires.
Les frais restent pour le compte de l’assuré. La néces
sité de l’estimation n’est que la conséquence du silence
gardé à cet égard dans la police. Son droit d’être rem
boursé est nécessairement subordonné à la justification
de la valeur des objets mis en risque. Cette justification
est donc à sa charge.
1130.
i V.
»upra n »
898.
�DROIT MARITIME.
448
Si la police détermine la valeur et si l’assureur ré
clame une estimation nouvelle, les frais suivent le sort
du litige ; ils sont à la charge de l’assureur, si l’exagé
ration dont il se plaint n’est pas prouvée ; à celle de
l’assuré, dans le cas contraire.
— On peut dans la police évaluer les mar
chandises de retour, même lorsque ce retour doit s’ef
fectuer d’un pays où le commerce ne se fait que par
troc. Ici on sent combien l’exagération est facile de la
part de l’assuré, combien, au contraire, est difficile la
preuve de son existence. Comment, en effet, l’établir
lorsque la marchandise au lieu du chargement n’a au
cune valeur déterminée, lorsque l’échange peut être dé
cidé par des considérations indépendantes de la valeur
des choses respectivement livrées. Les assureurs ne pour
raient que très difficilement se soustraire à l’estimation
de la police.
f 131.
— Si les parties n’ont rien statué à cet égard,
une estimation est indispensable. Le Code a adopté les
bases que l’ordonnance de 1681 avait consacrées.
Mais pour que l’article 340 soit applicable, il ne suf
fit pas que, en fait, des marchandises aient été échan
gées, il faut encore qu’aucune d’elles n’ait une valeur
nominale dans le pays. Ainsi, disait Yalin, on ne peut
pas considérer la traite des noirs ou de la poudre d’or à
la côte de Guinée comme un commerce par troc, sous
prétexte que les marchandises y sont négociées en nègres
1133.
�'
art.
3 3 8 , 3 3 9 , .440.
449
ou en poudre d’or. La raison en est qu’il n’y a point
de marchandises d’Europe qui n’y soient évaluées par
les habitants en écus, ou en onces d’or, qui ont une
valeur fixe et certaine, et que lorsqu’ils donnent des nè
gres en paiement des marchandises qu’ils reçoivent, ces
nègres sont pareillement évalués à tant d’écus ou d’on
ces d’or, en quoi consiste la vente réciproque, et qui
exclut par conséquent l’idée d’un échange simple, où
de part et d’autre la valeur n’est pas donnée à chaque
chose L
Le commerce par troc, prévu par la loi, est donc ex
clusivement celui qui se fait dans le pays où il n’existe
ni monnaies, ni signes représentatifs de la valeur des
choses. Ces pays, rares au moment de la promulgation
de l’ordonnance, le 3ont devenus, depuis, bien d’avantage.
Aujourd’hui, en Afrique et en Asie, il existe un signe
représentatif pour toutes les valeurs importées ou expor
tées. Ce signe, c’est tantôt la barre, tantôt le corès, tan
tôt la pièce, tantôt enfin la macoute. En conséquence,
si vous avez livré une marchandise prise à une certaine
quantité de bâfres, de corès, de pièces ou de macou
tes, et reçu une autre, représentant une quantité égale,
vous avez fait non tfn troc, mais une véritable vente, et
la valeur de la marchandise qui en a été le prix sera
établie conformément à l’article 3 3 8 .
1133.
— S’il s’agit d’un simple troc, l’estimation
1 Art 55, tit. des Assur.
m — 29
�430
DROIT MARITIME.
aura pour base: 4° la valeur des marchandises char
gées en France et données en échange, augmentée des
droits et frais jusqu’à la mise à bord ; 2° les droits et
frais de la mise à bord de la marchandises reçue ; 3° les
frais de transport.
Ces expressions n’ont plus ici le sens restreint que
nous leur donnions tout à l’heure. Les frais de transport
signifient, dans l’article 340 , le coût du fret du voyage
d’aller. En effet, ce voyage s’étant accompli heureuse- ►
ment, l’assuré a payé ce fret, et il doit le retrouver dans
le prix de revente de son chargement, on ne peut pas
supposer qu’il l’eût consentie à une autre condition.
La probabilité est même que cette revente aura pro
curé en outre un bénéfice, lequel étant ainsi réalisé pou
vait faire la matière d’une assurance. Le contraire ne
résulterait pas de ce que la liquidation de la cargaison
de retour aurait offert une perte, cela pouvant unique
ment provenir de l’état du marché au moment de la
rentrée du navire et de la baisse qui y aurait accueilli
les marchandises qu’il transportait.
Cette considération avait paru déterminante à Valin,
aussi pensait-il qu’indépendamment de la valeur de la
cargaison primitive, de tous les droits et frais d’aller et
de retour, du fret d’aller, on devait dans l’estimation
tenir compte à l’assuré du dix pour cent représentant
son bénéfice. Le Code n’a pas autorisé cette manière
d’agir.
1134.
— Si l’objet assuré , dont l’estimation est à
�ART.
341.
4SI
faire par suite du défaut d’indication dans la police, est
un navire, il doit être procédé à cette estimation par les
actes d’achat, par les procès-verbaux d’expertise ou de
visite, enfin, par tous les documents et pièces justifiant
le coût des réparations, l’achat d’agrès ou apparaux,
les frais de l’armement, en un mot, toutes les dépenses
faites pour la mise hors.
A rticle 3 41 .
Si le contrat d’assurance ne règle point le temps des
risques , les risques commencent et finissent dans le
temps réglé par l’article 328 pour les contrats à la
grosse.
SOMMAIRE
1135. Utilité de la détermination du risque. Liberté absolue
laissée aux parties à cet égard.
1136. Clause que le risque ne sera à la charge de l'assureur
qu’après un délai déterminé du jour du départ. Difficul
té qui peut en naître à l’endroit des accidents survenus
avant son expiration.
1137. Arrêt-de Paris, tendant à mettre ces accidents à la charge
des assureurs.
1138. Solution conforme à l'opinion de M. Pardessus.
1139. Quid, du prêt d la grosse contracté, et du radoub opéré
après l’arrivée du navire à sa destination.
�452
DROIT MARITIME.
1140. Comment se détermine l’ouverture du risque, si la police
ne s'en explique pas ? Conséquences.
1141. A quelle époque il finit pour l'assurance sur corps ? Arrêt
de Paris.
1142. Importance de la solution pour les assureurs et pour l'as
suré, dans le cas de deux polices distinctes, l'une pour
l’aller, l’autre pour le retour.
1143. Modification que les accidents du voyage peuvent faire su
bir à la règle de l’article 328. Arrêt de la cour de Bor
deaux .
1144. Epoque légale de la fin du risque pour l’assurance sur fa
cultés. Conséquences de l’article 328.
1145. Exceptions que cet article peut comporter.
1146. Peut-on, dans l’assurance illimitée, faire fixer un terme,
passé lequel la police sera résiliée ?
fil
— Le voyage assuré est aux risques des as
sureurs, il était dès lors indispensable de déterminer
le moment où ce risque commencera, et celui où il ces
sera.
Cette détermination est laissée à la volonté libre et ab
solue des parties, plus directement encore dans l’assu
rance que dans le contrat à la grosse. Nous avons dit
que pour celui-ci le risque du prêteur commence, au
plus tard, au départ du navire, sans qu’il puisse stipu
ler le contraire. L’assureur , au contraire , trouve dans
son caractère même le moyen de s’affranchir de cette
nécessité ; celui qui, en sa qualité d’assureur, garantit
un navire ou des marchandises, est seul arbitre de l’é
tendue que cette garantie doit recevoir, il peut donc en
déterminer l’ouverture à une époque postérieure au dé1135.
Il
iis mfois
�art . 541.
433
part, tout comme en fixer la cessation avant l’achève
ment du voyage entrepris.
Il peut même, lorsque l’assurance est à terme, stipu
ler que le jour du risque sera ultérieurement fixé. Dans
ce cas, le sinistre arrivé avant qu’il ait été procédé à
la fixation resterait pour le compte de l’assuré. La mise
en mer du navire ne saurait équivaloir à la convention
à laquelle les parties se sont soumises L
1 1 3 6 . — On peut également stipuler que le risque
ne commencera à courir pour l’assureur que dans un
délai déterminé du jour du départ du navire. L’i lïei do
cette clause serait d’affranchir l’assureur de toutes pertes
ou dommages survenus avant l'expiration du délai. Il
ne répondrait que de ceux essuyés ou réalisés postérieu
rement à cette expiration.
Mais ici se présente une difficulté. La perte éprouvée
après l’épuisement du délai peut n’être qu’une consé
quence inévitable d’accidents antérieurs. Les objets as
surés peuvent en avoir éprouvé de telles avaries, que
‘ leur perte ne pouvait pas être évitée ; quel sera dans
cette hypothèse le sort de l’assurance, et pour compte de
qui devra rester cette perte ?
M. Pardessus décide qu’elle ne peut concerner que
l’assuré. Celui-ci, dit-il, est censé avoir promis que les
effets assurés ne seraient point en état imminent de perte
par suite d’accidents antérieurs au jour où les risques de
i Paris, 16 février 1841 ; D. P., 41, 2, 173.
�454
DROIT MARITIME.
l’assureur ont commencé, le contraire se réalisant, l’as
surance doit être annulée i.
Ainsi que l’observe M. Dalloz, cette opinion parait
juste, mais comment la concilier avec l’article 365 ?
Dans l’hypothèse de celui-ci, on pourrait raisonner com
me le fait M. Pardessus dans celle dont nous nous oc
cupons. Cependant le législateur n’a pas hésité à laisser
pour le compte de l’assureur la perte totale consommée
avant la souscription du contrat. Or, comment repous
ser pour l’avarie ce qu’on admet pour la perte.
— L’opinion contraire à celle de M. Pardes
sus trouverait un point d’appui dans un arrêt rendu par
la cour de Paris, le 42 décembre 1840. Cet arrêt décide
que lorsque des assureurs séparés ont assuré un navire,
les uns pour l’aller, les autres pour le retour, avec sti
pulation que les risques de ces derniers commenceraient
à courir du jour où ceux des premiers prendraient fin,
les assureurs de retour doivent prendre le navire dans
l’état où il se trouve à l’expiration du voyage d’aller, et
ne peuvent prétendre, comme en cas d’assurance d’un
voyage ordinaire, que, avant que les risques courussent
contre eux, le navire devait être réparé et mis en bon
état de navigation ; qu’en conséquence l’innavigabilité
du navire, faute de fonds pour le réparer, déclarée après
l’achèvement du voyage d’aller, et avant le commence
ment de celui de retour, ouvre, en faveur de l’assuré, un
1139.
�ART. 5 4 1 .
455
droit au délaissement contre les assureurs de retour,
qui ne sont pas fondés à prétendre que le navire a péri
par son vice propre 1.
— Mais cet arrêt réserve aux assureurs de
retour l’aclion en règlement d’avaries contre ceux d’al
ler. De telle sorte, qu’en réalité ils seront indemnisés
des dommages réellement soufferts avant l’époque où le
risque était à leur charge. Or, ce résultat ne pourrait
être obtenu dans l’hypothèse que nous supposons. Les
assureurs, s’ils étaient obligés d’indemniser l’assuré ,
n’auraient évidemment aucun recours à exercer contre
lui. On ne saurait admettre que celui-ci les eût subro
gées contre lui-même.
Nous croyons donc qu’on doit s’arrêter à l’opinion de
M. Pardessus. Nous repoussons l’argument puisé dans
l’article 365 par cette considération que, dans le cas
prévu par cet article, l’assurance remonte au jour du
départ du navire, ce qui met à la charge de l’assureur
tous les risques du voyage. Dans notre hypothèse, au
contraire, en stipulant que le risque ne courra qu’après
un délai, l’assureur a formellement répudié toute res
ponsabilité à l’endroit des événements survenus avant
son expiration. On violerait donc toute idée de justice,
si on pouvait lui en imposer la charge. L’assurance de
vrait donc être annulée par la raison donnée par M.
Pardessus, et, en outre, par le motif que, si à l’expira1138.
�DROIT MARITIME.
456
lion du délai les effets assurés étaient exposés par des
accidents antérieurs à périr inévitablement, la perte ul
térieure arriverait réellement par le vice propre dont ils
se trouveraient atteints au moment où l’assurance les a
couverts.
1139. — Si, dans l’hypothèse de l’arrêt de la cour
de Paris, le capitaine, au lieu de faire condamner le
navire, avait emprunté à la grosse pour réparer les ava
ries souffertes dans le voyage d’aller, ce sont les assu
reurs de celui-ci qui devraient rembourser le profit ma
ritime du prêt et les frais du radoub. On avait étayé le
système contraire sur ce que l’emprunt, ayant été con
tracté après l’achèvement du voyage, ne pouvait rentrer
dans la catégorie de l’article 234.
Mais ce système, repoussé par la cour de Bordeaux,
le 30 mars 4830, l’a été depuis par la Cour de cassa
tion. Il est évident, en effet, que, puisque les assureurs
d’aller sont responsables des avaries éprouvées pendant
le voyage, tout ce qu’il en coûte pour se procurer les
moyens de les réparer et pour effectuer cette réparation
doit être à leur charge 1.
— Si les parties ont omis ou n’ont pas voulu
user de la latitude qui leur est laissée pour la détermi
nation du commencement et de la fin des risques, la
loi fait elle-même cette détermination. Aux termes de
1140.
i Cass., 4 novembre 1845 ; D. P., 45, 1, 424.
�ART.
341.
487
l’article 328, auquel l’article 341 renvoie, le risque des
assureurs court, pour les navires, agrès, apparaux , ar
mement et victuailles, du jour que le navire a fait voi
le ; pour les marchandises, du jour qu’elles ont été
chargées dans le navire ou dans les gabarres pour les y
porter.
De là cette conséquence que , si les effets assurés et
chargés étaient remis à terre dans le lieu du charge
ment, autrement que par le résultat d’un cas fortuit ou
d’une force majeure, ou si, dans une assurance sur
corps, le navire, après avoir mis à la voile, revenait vo
lontairement dans le port du départ, le risque serait
épuisé et la prime totalement acquise. On ne saurait
recharger ou repartir sous la même assurance. Il ne
pourrait en être autrement que si le déchargement avait
été contraint par la nécessité, ou que si la rentrée du
navire était le résultat de la tempête ou de la crainte des
ennemis *.
— Conformément à ce même article, en cas
de silence gardé sur ce point par la convention, le ris
que finit, dans l’assurance sur corps, du jour où le na
vire est ancré ou amarré au port du reste. Nous avons
déjà remarqué, en nous fondant sur un arrêt de la cour
de Paris, qu’un navire en destination pour une île qui
n’offre que plusieurs rades était réputé arrivé au terme
de son voyage dès qu’il a été ancré ou amarré dans une
1141.
i Emérigon, ch. 43, sect. 42, § 4.
�488
DROIT MARITIME.
de ces rades, au choix du capitaine, si la police ne con
fère pas la faculté de relèvement autour de l’îlel.
— L’intérêt de cette décision se manifeste
dans l’hypothèse de deux polices distinctes, l’une pour
le voyage d’aller, l’autre pour le retour avec clause que
le risque des souscripteurs de celle-ci commencera du
moment où finira celui des assureurs de la première.
La détermination précise de ce moment est donc d’une
haute gravité pour les divers assureurs ; à ce titre, l’ar
rêt de Paris acquiert une véritable importance.
L’intérêt peut ne pas être moindre pour l’assuré luimême. Si les deux polices d’aller et de retour sont éga
lement muettes sur le commencement du risque, il en
résultera que celui de retour ne sera à la charge des as
sureurs que du jour de la mise à la voile du port d’où
ce retour doit s’effectuer. Dans l’hypothèse de l’arrêt, le
risque d’aller étant épuisé par l’entrée du navire dans
une des rades de l’île, le sinistre arrivé dans le parcours
de l’une à l’autre pour y opérer le déchargement com
plet ne serait couvert par aucune des deux polices, le
risque d’aller est fini, celui de retour n’a pas encore
commencé, l’assuré serait donc sans recours possible.
1143.
il
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I te l
"..fiîiv;
*«p
!
m
— L’application absolue de l’article 328, à
l’endroit de la fin du risque dans l’assurance sur corps
peut être modifiée par les accidents survenus pendant le
4143.
iV «wpra, n° 1073.
�ART. 3 4 1 .
459
voyage. Ainsi, la cour de Bordeaux a fort sainement
jugé que, si par suite des avaries survenues pendant le
voyage assuré, le navire, après avoir mouillé au port de
sa destination, est obligé, d’après avis des experts, de
s’en éloigner et de se rendre en un autre lieu pour y
être réparé, les assureurs sur corps sont tenus des ava
ries souffertes pendant le voyage assuré, et de celles sur
venues pendant ce second voyage, celles-ci n’étant que
la conséquence de celles-là.
Le même arrêt décide donc :
1° Que si d’après la police le temps des risques a été
prolongé un certain nombre de jours après l’arrivée
du navire au lieu de sa destination, le temps du risque
est suspendu pendant le voyage intermédiaire, et ne re
prend son cours qu’après le retour du navire au lieu de
destination ;
2° Que comme le voyage intermédiaire est pour le
compte des assureurs, il en résulte que si le capitaine
a pris, dans le port où se sont effectuées les répara
tions, des marchandises à fret pour les transporter au
lieu de destination, les assureurs, dans l’intérêt et com
me mandataire desquels il a agi, sont responsables des
avaries survenues à la marchandise, même après l’ar
rivée au port de destination, mais avant le débarque
ment ;
3° Enfin, que les loyers et vivres de l’équipage pen
dant le voyage forcé sont également à la charge des as
sureurs sur corps l.
i 6 décembre 1830.
�460
DROIT MARITIME.
j— Dans l’assurance sur facultés, le risque,
si la police est muette, ne cesse d’être à la charge des
assureurs que lorsque les marchandises sont délivrées
à terre, de là cette conséquence que le sinistre arrivé
pendant que les marchandises sont encore sur les gabarres ou allèges destinés à les transporter à quai,
reste pour le compte et à la charge des assureurs. Ce
sinistre est une de ces fortunes de mer dont ils répon
dent l.
Cette responsabilité n’est toutefois encourue que si les
gabarres ou allèges n’ont reçu la marchandise que pour
la conduire à terre ; si les effets assurés n’étaient pas
arrivés à leur destination, si les gabarres chargées de
vaient descendre ou remonter une rivière, l’assureur ne
répondrait du sinistre ultérieur que s’il l’avait formelle
ment pris à sa charge3.
Il résulte des termes formels de l’article 328 que les
assureurs sont libérés par la délivrance à terre des ef
fets assurés, c’est-à-dire qu’une fois débarqués sur les
quais, le risque leur devient complètement étranger, que
ces effets soient ou non parvenus dans les magasins du
destinataire. Ils ne répondraient donc pas de la perte
des colis qui, après avoir été placés à terre, seraient par
accidents tombés à la mer.
1144.
1445.
— La règle de l’article 328, sur l’époque de
i Bordeaux, 23 novem bre 1830.
* Im érigon , ch. 1 3 , se*t. 2.
�341.
461
cessation du risque, reçoit exception dans le cas de dé
routement, d’abandon ou de changement de voyage, de
changement de vaisseau ; chacun de ces faits fait cesser
de plein droit le risque au moment même où il s’accom
plit sans être commandé par un accident fortuit ou de
force majeure, et rend la prime en totalité acquise aux
assureursL
ART.
— Les termes des articles 328 et 341 tran
chent à notre avis une controverse qui s’était élevée en
doctrine et en jurisprudence anciennes. L’assurance pour
le retour, sans limitation de terme, n’a produit son ef
fet que par l’entrée du navire dans le port où doit se
faire le retour, mais ce retour pourra-t-il se faire dans
un an, dans cinq, dans dix, ou bien devra-t-on, sur la
poursuite des assureurs, fixer un délai passé lequel l’as' surance cessera d’avoir son effet.
Pothier cite un arrêt qui avait jugé dans ce dernier
sens, et dont il approuve la doctrine. La rentrée du re
tour, dit-il, étant le plus souvent inconnue des assureurs,
un négociant de mauvaise foi, après avoir reçu en en
tier les retours qu’il a fait assurer, pourrait longtemps
après faire valoir l’assurance sur des marchandises qu’il
aurait perdues, en disant faussement qu’elles faisaient
partie des retours assurés2.
Mais l’opinion contraire d’Emérigon s’étaye de deux
1146.
i V oy. su p ra , art. 328, et in f r a , art. 381.
�462
DROIT MARITIME.
arrêts du parlement d’Aix, des 26 juin 1765 et 15 no
vembre 1766. Sans doute, dit Emérigon, il est dur qu’un
navire devenu innavigable dans un port lointain, où on
l’a laissé oisif pendant plusieurs années, soit à la charge
des assureurs. Cependant, s’il n’y a aucune fraude de
la part des assurés, la règle générale est pour ceux-ci.
La loi n’a établi sur ce point aucun délai fatal, et les
assureurs doivent s’imputer de n’avoir pas limité le
temps de l’assurance l.
C’est cette opinion qui nous paraît résulter de l’arti
cle 328, auquel l’article 341 se réfère. Le risque illimité
ne cessant que dans les conditions édictées par le pre
mier, il dure nécessairement tant qu’aucune d’elles ne
s’est pas accomplie. Les assureurs ne pourraient ni
faire déclarer le risque résilié, ni demander la détermi
nation d’un délai passé lequel ils seraient déchargés.
Nos assureurs modernes paraissent l’avoir ainsi pen
sé, et ils se sont sagement précautionnés contre les dan
gers que cet état des choses peut offrir. Voici, en effet,
ce que dispose l’article 8 de la formule des polices usi
tées à Marseille :
« Si l’assurance est faite à prime liée ou avec clause
de faire échelle, quel que soit l’aliment du risque, il est
accordé au capitaine quatre mois de séjour à compter
du jour où il aura abordé le premier port d’échelle, ou
celui de destination ; à l’expiration de ce terme, chaque
mois en sus donne lieu à une augmentation de prime
�ART.
342.
403
de 3|4 °|0 par mois jusqu’à la fin du douzième mois de
séjour, dès lors, les assureurs sont déchargés de tout
risque et ils ont droit aux deux tiers de la prime fixée
par la police et à l’augmentation résultant de la pro
longation de séjour.
'S i
Article
342.
L’assureur peut faire réassurer par d’autres les effets
qu’il a assurés.
L’assuré peut faire assurer le coût de l’assurance.
La prime de réassurance peut être moindre ou plus
forte que celle de l’assurance.
SOMMAIRE
1147. Caractère delà réassurance. Son objet.
1148. Conséquences.
1149. Doit-on défalquer du capital réassuré le montant de la
prime acquise à l’assureur ?
1150. Mais on ne pourrait faire réassurer la prime des primes
que si elle l’avait été dans la police d’assurance.
1151. La prime de réassurance pourrait être plus forte ou moin
dre que celle de l’assurance.
1152. Effets de la réassurance à l’endroit des parties contractan
tes. Obligations du réassuré.
1153. Effets vis-à-vis de l’assuré primitif. Conséquences.
1154. Modifications que ces effets peuvent subir.
1155. Les remises que le réassuré serait dans le cas de faire ou
�464
1156.
4157.
1158.
1159.
1160.
4161.
4162.
1163.
DROIT MARITIME.
d’obtenir ne pourraient nuire ni profiter au réassureur.
Faculté pour l'assuré de faire assurer la prime et la prime
des primes. Effets de cette assurance.
Comment s’établit la prime générale ?
Doute sur la question de savoir si l’assureur du capital
pouvait lui-même assurer les primes. Affirmative gé
néralement admise.
L’assurance de cette nature doit résulter explicitement
ou implicitement de la police. Clauses qui l’établiraient.
L’assurance de la solvabilité de l'assureur est licite sous
l’empire du Code.
Celui qui l'a garantie peut-il réclamer le bénéfice de dis
cussion ?
Quid, si l’assureur était en état de faillite.
On peut faire assurer les dépenses extraordinaires faites
en cours de voyage.
1 1 4 9 . — La réassurance, c’est-à-dire le contrat
par lequel un assureur transmet à un autre, moyennant
une prime convenue, le risque dont il s’était chargé, n’a
jamais soulevé ni pu soulever la moindre difficulté. Elle
a pour but, de la part du réassuré, d’arriver en quelque
sorte à la résiliation de la police qu’il avait souscrite
avec l’assuré primitif, et de se délivrer ainsi des consé
quences d’engagements que des circonstances nouvelles
lui rendent très onéreux, ou aux effets desquels il juge
convenable de se soustraire.
La légalité de la réassurance, au point de vue des
principes spéciaux de la matière, ne saurait être contes
table. Celui qui est devenu assureur d’un objet quel
conque, a pris pour son compte tous les périls auxquels
�ART.
342.
463
cet objet est exposé. 11 répond des dommages qui pour
raient être éprouvés, de la perte qui surviendrait. Il est
donc, à l’égard du réassureur, dans la position que l’as
suré a vis-à-vis de lui. Dans celte circonstance donc, le
contrat a un risque certain qui en fait l’élément et la
matière légitimes.
— De là il suit que le réassuré est tenu en
vers le réassureur de toutes les obligations que l’assuré
est obligé de remplir. En conséquence, toutes réticences,
toute fausse déclaration qui seraient dans le cas d’an
nuler l’assurance, produirait un effet identique.
Il suit encore que la réassurance ne peut jamais pro
curer un bénéfice au réassuré. Il ne doit y trouver qu’un
moyen de s’exonérer de la perte à laquelle il est luimême exposé.
1148.
— Cette considération a fait naître la ques
tion de savoir si la réassurance pouvait embrasser le ca
pital intégral porté dans la police primitive. L’assureur,
a-t-on dit, n’est jamais exposé à perdre ce capital. En cas
de sinistre, il compensera la prime qu’il a stipulée et
qui lui est acquise à tout événement. Donc, s’il a été
réassuré sans déduction de cette prime, il a réellement
compris dans le contrat une somme qui n’a jamais été
ni pu être en risque.
Cette objection nous parait repoussée par les termes
généraux de l’article 342, En permettant de réassurer
les effets assurés sans limitation aucune, le législateur n’a
1119.
ni — 30
�466
DROIT MARITIME.
pas entendu exclure du contrat le montant de la prime.
On doit d’autant plus l’admettre ainsi, que le système
contraire condamnerait le réassuré à subir, dans tous les
cas, une perte plus ou moins forte.
Supposer que le capital assuré soit de 10,000 fr., à
la prime de 10 pour cent. En cas de sinistre, l’assureur
aura à payer 9,000 fr., compensation faite de la prime
convenue. Si la réassurance ne peut être faite que pour
9,000 fr., le sinistre se réalisant, le réassureur retien
dra d’abord la prime soit, au 10 pour cent, 900 fr. Le
réassuré ne recevra donc que 8,100 fr., et, comme il
en payera 9,000, il subirait personnellement la perte de
900 fr., ce qui serait injuste.
Nous croyons donc, avec Emérigon, et contrairement
à l’opinion de Valin, que la réassurance peut porter
sur le capital intégral de la police d’assurance, sans ré
duction aucune du montant de la prime.
— Ce que le réassuré ne pourrait faire, c’est
de faire assurer la prime et la prime des primes, si luimême ne les avait pas assurées. L’effet de cette clause
étant d’obliger l’assureur à restituer le capital en en
tier, il en résulterait que, dans l’hypothèse que nous
venons de poser, le réassuré recevrait 10,000 fr. et n’en
payerait que 9,000. La réassurance lui procurerait donc
un bénéfice de 1,000 fr., ce qu’elle ne saurait, dans
aucun cas, autoriser.
Mais, dit-on, si le navire était heureusement arrivé,
l’assureur payerait plus qu’il n’aurait reçu , puisqu’il
1150.
�ART.
342.
467
aurait dû solder la prime des primes qu’il n’aurait pas
reçue. Donc, le bénéfice qu’il fait, en cas de sinistre,
est légitimé par le risque qu’il court dans la première
hypothèse.
Cet argument aurait quelque valeur si la chance de
perdre une prime pouvait autoriser une assurance, à dé
faut de tout autre risque. Mais une pareille chance cons
tituerait précisément l’assurance sur gageure que la loi,
et avec juste raison, s’est bien gardée d’autoriser.
On ajoute, il y a alors deux contrats : réassurance
quant au capital ; assurance simple pour la prime des
primes. Nous en convenons, et c’est précisément ce qui
nous fait conclure à la nullité absolue de cette dernière.
Nulle assurance ne saurait exister sans un risque cer
tain, et nous avons vu que ce risque ne peut consister
que dans l’incertitude sur l’issue du voyage.Or,l’assureur
qui n’a pas garanti lui-même la prime des primes n’est
obligé à rien, il n’aura jamais rien à payer ; en un
mot, il ne court aucun risque. La conséquence forcée
n’est-elle pas qu’il n’a jamais pu contracter valablement
une assurance? Que celle qu’il aurait fait souscrire man
querait de l’élément le plus substantiel.
Il y aurait donc, dans l’opération que nous exami
nons, deux contrats en réalité : une réassurance et une
gageure. La conclusion légale est dès lors fort sim
ple, on maintiendrait le premier, on annulerait le se
cond.
La réassurance ne peut donc porter sur la prime des
primes que si le réassuré l’a lui-même garantie. Hors
�468
DROIT MARITIME.
là, une clause de cette nature ferait perdre au contrat
son véritable caractère , qui est, comme l’observe M.
Alauzet, de décharger le réassuré de toute espèce de ris
que, en même temps qu’il lui prohibe toute espèce de
bénéfice h
— La seule différence que la loi autorise en
tre les deux polices, est celle qui pourrait exister sur
le taux de la prime. Celle de la réassurance peut être
moindre ou plus élevée que celle stipulée pour l’assu
rance. Le cours de la prime est essentiellement varia
ble , suivant l’époque à laquelle le contrat est consenti.
On comprend facilement que le taux de la réassurance
faite en temps de guerre ne serait pas le même que ce
lui de l’assurance faite en temps de paix.
Quoi qu’il en soit, si la prime de la réassurance, est
moindre que celle de l’assurance, la double opération
de l’assureur lui aura procuré un bénéfice, mais c’é
tait là une des conséquences de l’opération qu’il était
impossible de prohiber. D’ailleurs , il est permis de
croire que cette hyhothèse ne se réalisera que fort ra
rement.
Ce qui arrivera plus fréquemment, c’est que la prime
de la réassurance sera plus forte que celle de l’assuran
ce, ce qui occasionnera à l’assureur une perle certaine.
Il ne pourrait être admis à s’en plaindre, car il lui était
1151.
1 Valin, art. 20, tit. des Assur.; Pothier, n° 35; Emérigon, chap. 8,
sect. 14, S 4; Boulay-Paty, t. 3, pag. 431 ; Alauzet, t. 1, pag. 278 ;
Dalloz, Nouv R é p v. Droit maritime, u« 160b.
�art.
542.
469
parfaitement loisible de l’éviter, en s’abstenant de faire
réassurer.
Mais ce que nous décidions tout à l’heure pour la
prime des primes, ne serait plus applicable à la diffé
rence, à la charge de l’assureur. Il pourrait donc cher
cher à s’en affranchir, en la rendant l’objet d’une assu
rance spéciale que le réassureur pourrait prendre pour
son compte.
1152. — L’effet de la réassurance entre les par
ties contractantes est identique à celui que la police pri
mitive produit entre l’assureur et l’assuré. Donc, en cas
d’heureuse arrivé, la prime est acquise au réassureur,
et doit être payée par le réassuré. En cas de sinistre, la
perte doit être supportée par le premier, compensation
faite de la prime.
Mais il est libre aux parties de modifier dans la ré
assurance les pactes convenus dans la police d’assuran
ce. Ainsi le réassureur peut stipuler qu’il sera affranchi
de tels ou tels risques, des avaries, de la baraterie de
patron que le réassuré aurait garanti.
Le réassuré est tenu envers le réassureur de toutes les
obligations dont l’assuré est passible à son égard, rela
tivement à l’existence du risque, à la justification du
chargé. Il ne pourrait donc exiger la perte qu’après cette
justification.
On peut toutefois convenir du contraire. La clause
par laquelle le réassureur s’obligerait de rembourser sur
le vu des quittances délivrées au réassuré par l’assuré
�470
DROIT MARITIME.
primitif, devrait recevoir sa pleine et entière exécution.
Le réassureur ne pourrait se soustraire à ses effets que
par la preuve du dol, de la collusion ou de la fraude.
— Le contrat de réassurance reste étranger
à l’assuré primitif. Il est pour lui res inter alios acta.
Il ne pourrait devenir, en sa faveur ou contre lui, l’oc
casion d’une action directe. La prime que doit l’assuré,
le remboursement de la perte auquel est tenu le réassu
reur ne peuvent être poursuivis que du chef du réassu
ré, et en vertu de l’article 1166 du Code civil.
De là cette conséquence que l’assuré ne pourrait ré
clamer sur le montant de la réassurance le privilège
que l’article 191 lui accorde ; qu’il ne pourrait l’appli
quer exclusivement à la perte qui lui serait due. Il en
serait de même de la prime due à l’assureur, en cas
qu’il n’eût pas acquitté celle de la réassurance.
1153.
— Ces règles peuvent être modifiées par
l’application des principes généraux. Le réassuré peut
céder au réassureur tous ses droits à la prime qui lui
est due. Cette cession, régulièrement acceptée ou notifiée
à l’assuré, saisirait le réassureur tant à l’égard du dé
biteur cédé, qu’à l’endroit des tiers.
Le réassuré peut également déléguer au réassureur
le paiement de la perte à faire directement à l’assuré,
s’il y a lieu. Cette délégation ne pourrait sortir à effet,
au préjudice des tiers, que si elle avait été formellement
acceptée en temps utile par l’assuré.
1154.
�art.
342.
471
Ces cessions et délégations opéreraient une véritable
novation par substitution d’un créancier ou d’un débi
teur au créancier ou débiteur primitif. Mais toute no
vation devant être expresse, cet effet exigerait le concours
de toutes les parties. Elle serait acquise : dans le pre
mier cas, si la prime ayant été cédée du consentement
de l’assuré, le réassuré s’était interdit toute recherche à
raison de ce ; dans le second, s’il avait été définitive
ment libéré par l’assuré de toute obligation, en.cas de
perte venant à se réaliser. A défaut de novation, le ré
assureur ou l’assuré primitif a deux obligés: l’un direc
tement l’autre obliquement et dans les termes de l’arti
cle 1166 du Code civil.
A155. — Enfin, les remises que le réassuré serait
dans le cas de faire ou d’obtenir ne sauraient profiter ou
nuire au réassureur. Si, en cas de faillite de l’assuré, le
réassuré n’a touché qu’une partie de la prime, il n’en
devra pas moins la prime entière de la réassurance, tout
comme il aura le droit d’exiger du réassureur le rem
boursement intégral de la perte, quand bien même, par
suite de son état de faillite, il n’eût, lui, payé qu’un di
vidende plus ou moins fort.
— La faculté de faire assurer la prime et la
prime des primes n’a jamais été contestée au chargeur
ou à l’armateur. Il est vrai que dans le cas d’heureuse
arrivée la revente des marchandises permettra au char
geur de s’indemniser de la prime qu’il est obligé de
1156.
�472
DROIT MARITIME.
payer. Mais, en cas de sinistre, cette prime devant être
retenue par l’assureur et se compensant avec l’indem
nité due par lui, l’assuré éprouve, par la diminution de
son capital, une perte incontestable. Comme cette perte
est évidemment subordonnée aux chances de la naviga
tion, rien ne pouvait s’opposer à ce qu’elle fit la ma
tière d’une assurance régulière.
Le Code a donc suivi les errements du droit ancien et
notamment de l’ordonnance de 1681 ; il permet de
faire assurer le coût de l’assurance, c’est-à-dire la pri
me du capital, et, par une identité incontestable de rai
son, la prime de la prime à l’infini. Ce résultat d’une
assurance de cette nature est, en cas de sinistre, le rem
boursement du capital entier et sans aucune retenue.
— Pour fixer la prime de cette assurance
qui sera due à l’assureur en cas d’heureuse arrivée, on
multiplie le capital par le taux de la prime ; on divise
ensuite le produit par la différence de ce taux à cent.
Supposez un capital de 50,000 fr. assuré à la prime
de dix pour cent. Le capital multiplié par dix donne
500,000 ; divisez ce chiffre par quatre-vingt-dix, vous
obtenez 5,555 fr. 50 c., ce qui représentera la prime
du capital et de toutes les primes l.
1159 .
i L’exactitude de cette opération résulte du calcul suivant :
Prime du capital, 10 °[0 sur 50,000 fr........................ 5,000 fr.
Prime de 5,000 fr., à 10 °[0............................................ 500
Prime de 600 fr.. à 10 »[0 ..............................................
50
Prime de 50 fr., à 10 » [ o ..............................................
5
Prime de 5 fr., à 10 »|o....................................................
»
T otal....................... 5,555 fr.
» c.
«
»
«
50
50 c.
�— On a d’abord hésité sor la queslion de
savoir si l’assureur du capital pouvait en même temps
assurer les primes. Il semblait contraire au principe que
celui à qui la prime est due en devînt lui-même l’assu
reur, puisque par là il s’oblige à restituer ou à ne pas
recevoir ce qui lui a été payé ou promis pour équiva
lent des risques dont il se charge. La prime étant un
corrélatif des risques, sa non-existence éventuelle sem
blerait faire un contrat de bienfaisance d’un contrat es
sentiellement intéressé.
Mais on n’a pas lardé à tomber d’accord pour l’affir
mative. La raison qui a dicté cette doctrine est que cette
espèce d’assurance renferme plusieurs contrats. Dès que
l’assuré pouvait légalement les consentir avec des tiers,
rien ne s'opposait à ce qu’il les fit avec la même per
sonne. Cette réduplicalion n’est prohibée que lorsqu’elle
tend à déguiser le contrat pour éluder quelques disposi
tions des lois. Or, dans l’espèce, le contrat n’est nulle
ment atteint dans ses caractères légaux. Le risque existe
et il est uniquement subordonné aux chances de la na
vigation. Il est vrai qu’en cas de sinistre, l’assuré re
çoit la valeur intégrale des choses mises en risque, sans
payer aucune prime ; mais aussi, en cas d’heureuse ar
rivée, il débourse une prime plus- forte. L’aléa du con
trat est bien modifié dans ses effets, mais cette modifi
cation, lui laissant tous ses caractères essentiels, ne
pouvait baser une interdiction quelconque contre qui
que ce fût.
1158.
�474
DROIT MARITIME.
— L’assurance des primes ne se présume
jamais ; elle doit ressortir sinon explicitement, au moins
implicitement de la police. Dans ce dernier cas, on ne
devrait l’admettre que si la clause dont on veut la faire
résulter ne laissait aucun doute raisonnable. Telle serait
évidemment celle qu’il ne sera payé de prime qu’en
cas d’heureuse arrivée. Comment, en effet, expliquer
une pareille stipulation autrement que par une assu
rance de la prime des primes ?
La clause suivante : nous vous permettons de vous
faire assurer en entier la prime et la prime des primes,
équivaut à l’obligation personnelle des assureurs à l’en
droit de cette assurance. Ils sont censés l’avoir consen
tie eux-mêmes ; tel est le sens que l’usage et la juris
prudence ont toujours donné à cette clausel.
1159.
— L’ordonnance de 1681 permettait expres
sément à l’assuré de faire assurer la solvabilité de ses
assureurs. Le silence gardé par le Code à ce sujet n’est
pas le refus du droit. Ce que le Code prohibe, c’est de
faire assurer deux fois la même chose. Or, faire assu
rer la solvabilité d’un assureur, ce n’est pas faire une
double assurance ; l’assuré ne se procure pas le moyen
d’être payé deux fois, il veille à l’être au moins une,
l’obligation du dernier assureur n’étant en quelque sorte
qu’un cautionnement intéressé, puisqu’elle ne sortira à
1160.
i Valin, art. 20, tit. de» Assur.; Pardessus, n° 790.
�342.
475
effet que si l’assureur ne fait pas lui-même honneur à
ses engagements.
ART.
116t . — Valin et Pothier, enseignant que l’assu
rance de la solvabilité d’un assureur était un cautionne
ment, étaient d’avis que celui qui l’a consentie est en
droit de ne payer qu’après discussion du premier, qu’il
peut donc l’exiger. Emérigon refuse ce droit, d’abord
parce que celui qui a garanti la solvabilité de l’assureur
n’est pas caution, ensuite parce que le bénéfice de dis
cussion n’est pas admis en matière de cautionnement
commercialL
On pourrait facilement admettre avec Emérigon que
l’engagement du second assureur n’a pas le caractère
d’un véritable cautionnement, et c’est précisément à cau
se de cela qu’on ne saurait lui appliquer la régie du
droit commercial sur celui-ci.
Mais dans l’espèce, et quelle que soit la nature du
contrat, ne doit-on pas reconnaître que le bénéfice de
discussion est la conséquence de ce contrat lui-même ?
L’obligation qu’il consacre n’est absolument que celle
de garantir la solvabilité de l’assureur, c’est-à-dire que
celui-ci sera en état de payer au temps voulu, à dé
faut d’exécuter soi-même ce paiement. Il semble donc
que pour exiger que ce dernier terme de l’obligation
soit exécuté, il faut avoir prouvé que la condition à lai Chap. 8, sect 15 , § %\ Valin, art, 20, tit. des Assur.; Pothier,
n° 33,
�476
DROIT MARITIME.
quelle il a été subordonné s’est réalisée, c’est-à-dire
que le premier assureur est réellement insolvable. Or,
d’où ressortira cette preuve, si ce n’est de la discussion
préalable ?
Emérigon semble avoir été préoccupé de cette consi
dération, aussi n’accorde-t-il pas à l’assuré le droit de
recourir de piano contre celui qui a garanti la solvabi
lité de l’assureur ; il veut qu’il ne le puisse qu’après un
commandement fait à ce dernier, en vertu de la sen
tence du juge. Donc, l’assureur devra être poursuivi,
condamné, commandé. On le voit, nous ne sommes pas
loin de la discussion. Or, tout cela n’est évidemment
requis que parce que l’engagement du second assureur
est subordonné à l’insolvabilité du premier.
On peut dès lors se demander si l’existence de cette
insolvabilité résulte suffisamment du refus d’obtempérer
au commandement. Ce refus, dit M. Locré est un indice
d’insolvabilité ; mais un indice ne remplace jamais la
preuve. On doit d’autant moins l’admettre dans cette
circonstance, que ce refus peut tenir à de toutes autres
causes, à la prétention, par exemple, de faire valoir
contre l’assuré un droit, une créance et dès lors une
compensation.
Nous croyons donc que le bénéfice de discussion ré
clamé ne pourrait être refusé ; il a été dans l’intention
de celui qui a garanti la solvabilité. Si l’assuré a voulu
autre chose, il devait s’en expliquer dans la police ; sa
négligence , à cet égard , légitimerait l’application du
principe général en matière d’interprétation de contrats.
�ART.
342.
477
Le doute se résoudrait contre lui et en faveur de celui
qui s’est obligé.
— Mais l’exception de discussion ne serait
pas recevable si l’assureur dont on a garanti la solvabi
lité était en état de faillite. La faillite, en effet, est une
preuve explicite d’insolvabilité ; dès qu’elle éclate, il y a
certitude que les engagements du failli ne seront pas
remplis. Dès lors, la condition du contrat serait réali
sée, et celui qui l’a souscrit n’aurait plus aucun pré
texte plausible pour en retarder l’exécution.
1 163.
— La faculté d’assurer la prime des primes
entraînait celle de faire couvrir par une assurance les
dépenses extraordinaires faites en cours de voyage, soit
qu’elles aient augmenté la valeur du navire, soit qu’el
les aient eu pour cause les nécessités de la naviga
tion. Les mêmes motifs devaient amener à un résultat
identique.
Ainsi, un navire est assuré pour une somme de
40,000 fr., il éprouve des avaries dont la réparation
coûte 5,000 fr. L’assuré pourra faire une nouvelle
assurance jusqu’à concurrence de cette dernière somme.
Sans doute, si après la réparation le navire achève
heureusement son voyage, l’assuré sera indemnisé de
ces 5,000 fr. par les assureurs sur corps , à la charge
de qui étaient les avaries, mais si le navire périt ces as
sureurs ne devront et ne paieront jamais au-delà de sa
valeur intégrale, soit 40,000 fr. L’assuré perdrait donc
dans cette hypothèse les 5,000 tr. qu’il a dépensés. Celte
1163.
�478
DROIT MARITIME.
chance de perte devient donc la légitime matière d’une
assurance.
Article 34 3 .
L’augmentation de prime qui aura été stipulée en
temps de paix pour le temps de guerre qui pourrait
survenir, et dont la quotité n’aura pas été déterminée
par les contrats d’assurance, est réglée par les tribu
naux, en ayant égard aux risques, aux circonstances et
aux stipulations de chaque police d’assurance.
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s-
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SOMMAIRE
4464. Modification profonde que la survenance de la guerre ap
porte à l’assurance. Question qu’elle faisait naître.
1165. Pratique sous l’empire de l’ordonnance de 1681. Arrêts
du conseil d’Etat de 1748 et 1749.
1166. Jurisprudence de l’Amirauté et du Parlement de Paris.
Son appréciation par Valin, Pothier, Emérigon.
1167. Doctrine du Code. L’augmentation de prix n’est due que
si elle a été stipulée dans la police.
1168. L'augmentation est acquise par le fait seul de l’ouverture
des hostilités. De quel jour comptera cette ouverture ?
1169. Caractère que les hostilités doivent réunir.
1170. Quid, si les effets assurés naviguent sous pavillon neu
tre ?
1171. L’augmentation de prime est due par le fait seul de la dé
claration de guerre. Conséquences.
�ART.
34.3.
4,79
1172. Comment peut être déterminée la quotité de l’augmenta
tion ?
1173. Eléments de cette détermination. Véritable portée de
l'article 343.
1174. Opinion de M. Dalloz sur la manière d’apprécier la durée
du risque. Réfutation.
1175. Quid, de l’assurance souscrite en temps “de guerre, si la
paix survient ?
1 1 6 4 . — L’élément essentiel de la détermination
de la prime est, sans contredit, le risque que courent
les effets qu’il s’agit d’assurer. En temps de guerre, ces
risques se trouvent considérablement aggravés. Aux
dangers ordinaires de la mer, viennent se joindre ceux
non moins redoutables des croisières et des corsaires
ennemis. La survenance d’une guerre modifie donc pro
fondément la position des assureurs. La prime stipulée
en temps de paix n’est plus en proportion des risques,
si, par une prévoyance fort légitime et à laquelle les as
sureurs ont tant d’intérêt à recourir, la police n’a rien
statué à cet égard.
La substitution de l’état de guerre à l’état de paix est
un fait si considérable en matière d’assurance, qu’on a
été amené à se demander si sa réalisation ne devait pas
modifier le contrat en l’absence même de toute stipula
tion dans la police.
1 1 6 5 . — La solution de cette question ne trouvait
aucun point d’appui dans la législation. L’ordonnance
de 1681 elle-même avait gardé à ce sujet le plus corn-
�480
DROIT MARITIME.
plet silence. On se trouvait donc en l’état en présence et
sous le coup du principe général que les assureurs ré
pondent de tous les dommages et pertes arrivés par et
sur la mer.
Aussi, lorsqu’éclata la guerre de 1744 , la prétention
des assureurs de n’être pas tenus de la prise opérée par
les Anglais fut repoussée. Vainement faisaient-il remar
quer que c’était là un risque insolite, qui n’avait pas
été prévu par le contrat. On leur répondit par l'applica
tion du principe général auquel il n’avait pas été déro
gé. Ils durent donc supporter la perte, tout en ne tou
chant que la prime de paix.
Bientôt ce fut aux assurés à réclamer.La paix de 1748
trouva plusieurs assurances soit en cours d’exécution,
soit au moment d’y entrer, les unes et les autres à la
prime de guerre. Les assurés demandèrent une dimi
nution de la prime pour les premières , la nullité des
polices pour les secondes.
La puissance législative eut égard à ces réclamations.
Un arrêt du conseil d’Etat, du 12 juillet 1748, déclara
nulle et de nul effet toutes les polices d’assurances pas
sées avant la signature des préliminaires de la paix,
pour raison des navires qui ne s’étaient pas encore mis
en risque. Il fut simplement accordé aux assureurs, à li
tre d’indemnité,, une prime variant de huit ou quinze
pour cent, suivant la distance du lieu de destination.
Un second arrêt, du 18 janvier 1749, rendit les dis
positions du précédent communes aux navires partis,
depuis la paix, des Echelles du Levant, pour lesquels la
�ART.
3.
prime fut réduite à proportion dés risques ordinaires
seulement,mais du jour de la publication de l’arrêt, sans
rétroactivité et sans dérogation aux accords particuliers
intervenus entre parties.
1 1 6 6 . — Enfin la guerre ayant repris en 1735,
les assureurs demandèrent cette fois que la prime con
venue en temps de paix fut, depuis la guerre, portée à
un taux supérieur. Leur prétention, accueillie par l’a
mirauté, fui également consacrée par le Parlement de
Paris.
Cette jurisprudence n’était évidemment que l’applica
tion de la pensée à laquelle le conseil d’Etat avait cédé'
en 1748 et 1749. Les motifs qui avaient motivé là di
minution dans un cas semblaient conduire à l’augmen
tation dans l’autre. Mais l’autorité judiciaire pouvait-elle
faire dans celle ci ce que l’autorité législative avait fait
pour celle-là ? la négative ne paraît pas douteuse. Aussi
Valin et Pothier , qui approuvent la doctrine des arrêts
de 1748 et 1749, blâment-ils la jurisprudence de l’a
mirauté et du Parlement de Paris.
Emérigon faisait remonter ce blâme jusqu’aux arrêts
du conseil d’Etat. Dans tous les cas, disait-il, le con
trat intervenu était et devait être inviolable. On devait
d’autant moins hésiter à le respecter que les parties, li
bres de prévoir l’éventualité de la paix ou de la guerre,
devaient en régler les effets dans le contrat.
1169.
— Cette opinion avait prévalu, et c’est elle
n i — 31
�482
DROIT MARITIME.
que le Code de commerce consacre formellement. Les
parties sont libres de stipuler soit une augmentation en
cas de guerre, soit une diminution en cas de paix. Mais
si elles ont manqué de le faire, la police doit être exé
cutée dans son entier, sans qu’on puisse lui faire subir
la moindre modification. Remarquons, en effet, que ce
que l’article 343 défère aux tribunaux, c’est exclusive
ment la détermination de la quotité de l’augmentation.
Ils ne sont donc, en réalité, appelés qu’à tirer les con
séquences d’un principe convenu. Dès lors, si ce prin
cipe a été omis, leur intervention est complètement inu
tile. Il n’y a plus, en effet, aucune conséquence à en
déduire.
Au reste, cette dernière hypothèse ne peut guère se
présenter. Aujourd’hui la clause d’augmentation, en cas
de guerre, figure dans toutes les formules imprimées,
et l’on ne peut supposer que l’assureur accepte jamais
qu’il y soit dérogé.
— Aujourd’hui donc, la principale difficulté
de nature à surgir est relative à l’effet de la clause. Pour
que le bénéfice en soit acquis, faut-il que la guerre ait
été officiellement déclarée, suffit-il que des hostilités aient
éclaté, doivent elle s’être réalisées dans les parages dans
lesquels se trouve le navire ?
La première question ainsi que la seconde se trou
vent ordinairement tranchées par la police. L’augmen
tation s’y trouve ordinairement stipulée pour le cas de
guerre ou d’hostilité. L’absence de cette stipulation ne
1168.
�ART. 3 4 3 .
483
laisserait pas de faire assimiler un cas à l’autre. Ainsi
on doit décider que les clauses : en cas d'hostilités ou
de représailles, en cas de guerre, en cas de déclara
tion de guerre, en cas de guerre déclarée, expriment
une seule et même pensée, et doivent être entendues de
la même manière.
L’ouverture des hostilités sufit donc pour vivifier la
clause d’augmentation de la prime. Cette ouverture ré
sulte des actes d’aggression par une puissance soit con
tre les vaisseaux ou autres propriétés de l’Etat, soit con
tre les navires ou autres propriétés particulières.
C’est ce qu’exprimait formellement la lettre du roi de
France à l’amiral, du S avril 1779. « Je vous charge
de transmettre à tous ceux qui sont sous vos ordres, que
c’est l’insulte faite à mon pavillon par l’escadre anglai
se, en s’emparant, le 17 juin 1778, de mes frégates la
Licorne et la Pallas, qui m’a mis dans la nécessité d’u
ser de représailles, et que c’est de ce jour que l’on doit
fixer le commencement des hostilités commises contre
mes sujets par ceux du roi d'Angleterre. »
Ainsi les hostilités constituent l'état de guerre comme
la déclaration elle-même. C’est ce que la cour de Ren
nes consacrait en décidant, le 21 mars 1821 , que les
actes d’hostilités, alors qu’ils ont lieu avant la déclara
tion de guerrre, produisent le même effet que celui que
produirait cette déclaration ; en jugeant, le 27 janvier
de la même année, que la surprime d’assurance stipu
lée pour le cas de guerre entre la France et l’Angleterre
avait été acquise aux assureurs pendant les Cent Jours,
�484
DROIT MARITIME.
puisque, en fait, la guerre maritime s’était réalisée,
quoiqu’elle n’eût pas été déclarée.
Tout cela est d’ailleurs fort logique. La guerre con
siste moins dans la déclaration qui en est faite, que dans
les actes que cette déclaration fait prévoir et autorise. Il
importe donc peu que ces actes l’aient précédée ou sui
vie. En fait, il y a guerre dès qu’une nation s’empare
violemment des propriétés privées ou publiques d’une
autre, et que ces actes faits, non furtivis expeditionibus, mais avec tout l’appareil de la guerre, more belli,
ne peuvent laisser aucun doute sur leur caractère. Ce
n’est plus là la paix, c’est donc la guerre. Car, comme
le disait Cicéron, inter bellum et pacem medium nihil
est.
— Les hostilités donnent lieu dès lors à l’aug
mentation de la prime convenue pour le cas de guerre,
à la condition toutefois que ces hostilités avant toute
déclaration de guerre auront éclaté sur mer. Une hos
tilité purement continentale, si elle n’avait pas été pré
cédée de la déclaration de guerre, ne donnerait pas lieu
à l’augmentation de primel.
A. la condition encore que ces hostilités constitueront
une série d’actes aggressifs et continus. Il est évident
qu’on ne saurait raisonnablement faire résulter l’état de
guerre d’une hostilité isolée, bientôt désavouée2 ;
1169.
1 Journal de Marseille, t. 4, I, 243.
s Pardessus, n° 787.
�ART.
343.
483
A la condition, enfin, que les assureurs auront couru
le risque de guerre. Ce risque n’aurait pas existé si,
avant toute hostilité, le navire raccourcissant son voya
ge, ce qui est toujours permis, était entré et avait dé
sarmé dans un port plus rapproché que celui de sa des
tination, l’augmentation de la prime ne saurait être ré
clamée dans ce cas.
1 1 9 0 . — Pourrait-elle l’être si les effets assurés
étaient à bord d’un navire neutre ? On a pu jusqu’ici
décider l’affirmative, puisque le principe que la France
a toujours proclamé, à savoir, que le pavillon couvre la
marchandise, n’était pas admis par l’Angleterre notam
ment.
Aujourd’hui les choses sont changées, non seulement
l'Angleterre a reconnu le principe à l’occasion de la
guerre de Russie, mais encore ses ministres repoussaient
naguère avec énergie et devant le parlement l’accusation
dç vouloir revenir au principe contraire ; donc la mar
chandise transportée sous pavillon neutre n’a plus rien
à craindre de l’état de guerre. La conséquence, c’est
que l’augmentation de prime ne saurait être acquise aux
assureurs.
Cette conséquence comporterait une exception, à sa
voir, si la marchandise expédiée en temps de paix était
placée dans la catégorie des effets déclarés contrebande
de guerre. La neutralité du pavillon n’est plus, dans ce
cas, une protection ; d’autre part, le risque que cou
rent les marchandises est uniquement un risque de
�486
DROIT MARITIME.
guerre à la charge des assureurs. Donc, les effets assu
rés qui l’auraient couru devraient l’augmentation dq
prime
1 1 9 1 . — On a soutenu qu’en cas de guerre décla
rée l’augmentation de prime n’était due que si la décla
ration avait été suivie d’hostilités effectives dans les pa
rages où se trouvait le navire.
Ce n’est pas, a-t-on dit, le fait de la guerre déclarée
dans tels ou tels parages qui est susceptible d’augmen
ter la prime ; c’est uniquement celui des hostilités ; la
possibilité d’être attaqué , avarié par un ou plusieurs
combats, même capturé ; d’où il suit que, malgré la dé
claration de guerre en Europe, tant que la nouvelle n’en
est pas parvenue aux Indes, les vaisseaux des parties
belligérantes ont pu y naviguer, y trafiquer avec la mê
me sécurité qu’en temps de paix, et n’y ont couru que
les dangers ordinaires de la navigation. Dès lors il im
porte peu qu’un navire ait navigué depuis le jour où
la guerre a été déclarée ; s’il a fini le voyage avant que
la connaissance de cet état fût acquise, les assureurs
n’ont à réclamer aucune augmentation de prime.
Ce système fut repoussé par la cour de Bordeaux, qui
déclare que la clause d’augmentation en cas de guerre
devait être prise à la lettre et sans extension ; et qu’il
est de principe que le seul fait de guerre avant l’arrivée
du bâtiment à sa destination décide du droit de faire va
loir la stipulation de l’augmentation de prime.
Les assurés s’étant p o u r v u s en cassation, leur pour-
�ART.
345.
487
voi fut rejeté par arrêt du H8 janvier 1807. Considérant,
dit la Cour suprême, qu’il est établi en fait que le na
vire a navigué trois mois et six jours depuis la déclara
tion de guerre ; que la cour de Bordeaux, en appliquant
la clause de la police d’assurance, n’a violé ni les lois
maritimes, ni le contrat d’assurance.
Ainsi, quelle que soit la position du navire, dans
quelque lieu qu’il se trouve, le risque de guerre com
mence au jour de la déclaration officielle. Le navire
échappera ou non à ce risque, peu importe. Ce n’est
pas, en effet, par l’événement que se décide la question
d’augmentation, il suffit qu’il aifcnavigué depuis que la
déclaration existe pour que l’augmentation de prime
soit acquise.
JL193. — La quotité de l’augmentation peut être
déterminée par la police. Dans ce cas, lés tribunaux ne
peuvent modifier les accords des parties. Dès qu’ils re
connaissent que la guerre est survenue, ils ne peuvent
que sanctionner purement et simplement la convention
et ordonner son exécution.
Les parties ont la faculté, au lieu de déterminer el
les-mêmes la quotité de la prime, d’en déférer le soin à
des arbitres. Dans ce cas, la mission de ceux-ci consiste
exclusivement à fixer la somme due à titre d’augmenta
tion ; ils n’ont ni qualité ni pouvoir pour décider si le
fait de guerre s’est ou non réalisé et, par conséquent,
s’il y a ou non lieu à augmentation, la décision de cette
question n’est de leur domaine que lorsque la clause
�488
DROIT MARITIME.
compromissoire étant générale et absolue, les arbitres
sont appelés à statuer sur toutes les difficultés que la
police pourra faire surgir.
A défaut de convention sur la quotité de l’augmenta
tion et de clause compromissoire,générale ou spéciale, le
règlement et déféré aux tribunaux. On avait d’abord cru
qu’il convenait d’investir le conseil d’Etat de ce soin, et
un projet de loi dans ce sens lui avait été présenté, mais
un avis du 4 germinal an xm déclara qu’il n’y avait
pas lieu à statuer. Les engagements entre assureurs et
assurés, dit le conseil d’Etat, sont des engagements pri
vés, sur lesquels, en cas de contestation, la décision ap
partient aux tribunaux.'’ Le règlement proposé est, sous
l’aspect d’une décision générale, un véritable jugement
sur des affaires contentieuses, et il est contraire au prin
cipe de faire décider par des décrets généraux sur des
contrats privés.
En conformité de cet avis, l’article 343 appelle les tri
bunaux à déterminer le taux de l’augmentation. La
commercialité de la matière indique que ces tribunaux
ne peuvent être que les tribunaux consulaires. Ici, la
plénitude de juridiction dont le juge est investi ne p*rmet plus de distinguer entre la quotité de l'augmenta
tion et la déclaration de l’existence du fait de guerre,
les tribunaux consulaires sont compétents pour statuer
sur l’une et sur l’autre.
1193. — L’article 343 détermine les éléments qui
doivent diriger le juge dans la solution de la difficulté
�ART. 343.
489
qui leur est soumise, il doit avoir égard aux risques,
aux circonstances et aux stipulations de chaque police
d’assurance.
Ici se décèlent la prévoyance et l’équité du législa
teur. Nous venons de dire, avec la Cour de cassation,
que l’augmentation de prime est acquise par le fait seul
de la déclaration de guerre , quels que soient d’ailleurs
les parages parcourus par le navire. Mais pouvait-on
raisonnablement placer sur la même ligne le navire
voyageant sur une mer où par suite de la déclaration
de guerre les hostilités ont effectivement éclaté, et celui
qui navigue dans des mers où la nouvelle de la décla
ration n’est pas même arrivée ?
Que cette différence ne dût pas faire fléchir le prin
cipe, soit ; mais , dans l’application, on ne pouvait la
méconnaître sans blesser la raison et la justice. On de
vait donc y avoir égard.
C’est ce que l’article 343 prescrit expressément, l’aug
mentation se-déterminera eu égard aux risques et cir
constances, c’est-à-dire que l’indemnité accordée aux
assureurs à ce titre sera plus ou moins forte, selon que
les dangers courus par le navire auront été plus im
minents et plus réels. Ainsi se trouvent conciliés le res
pect dû aux principes et les exigences d’une saine jus
tice.
— Ce dont on doit tenir compte, ce n’est pas
seulement de la nature du risque, c’est encore de sa du
rée. Quelle que soit l’époque de la mise en mer, l’as1194.
�490
DROIT MARITIME.
suré ne doit l'augmentation de prime que du jour où la
guerre est survenue jusqu’à la fin du voyage, si le na
vire est heureusement arrivé ; qu’à proportion de ce qu’il
devait encore durer, si le navire est pris avant de l’a
voir achevé.
M. Dalloz emprunte à M. Dageville, sur la manière
d’apprécier la durée du risque, la singulière doctrine
que voici : le devoir des juges ou arbitres, dans la fixa
tion de l’augmentation de la prime, est d’avoir égard,
non au plus ou moins d’avancement réel du voyage,
mais bien au plus ou moins d’avancement présumé de
ce voyage à la même époque. Ainsi, par exemple, on sa
vait à l’ouverture des hostilités que le navire le T r ito n
avait dû partir d’Amérique deux mois auparavant, et le
navire la T h é tis un mois plus tard. Le T r it o n , réelle
ment parti à l’époque présumée , a été forcé , par suite
de fortune de mer, de relâcher en route, tandis que la
T h é tis , partie plutôt qu’on ne pensait, a fait une prompte
traversée, et s’est trouvée presque hors de danger, lors
des premières hostilités. Les arbitres, pour conserver au
contrat son caractère aléatoire, doivent, sans avoir égard
aux événements à eux bien connus de la navigation des
deux navires, accorder aux assureurs du T r i t o n une
prime modérée et telle qu’on aurait pu l’obtenir à l’ou
verture de la guerre sur un navire qu’on présumait
prêt d’arriver ; ils doivent, au contraire, accorder une
prime plus forte aux assureurs de la T h é tis , l’époque
présumée du départ de ce navire ayant dû faire crain-
�ART.
345.
491
dre que son abord aux atterages d’Europe n’eût lieu
dans le moment du plus grand danger l.
Cette doctrine ne tient aucun compte de cette cir
constance, décisive cependant, à savoir, qu’il ne sera
jamais question de l’augmentation de la prime qu’après
la fin du voyage. Or, à cette époque, tout est connu, le
temps pendant lequel le navire a navigué sous le risque
de guerre, les périls qu’il a réellement courus.
A quoi bon dès lors recourir à une fiction. Qu’on
l’admette, lorsqu’il est impossible de savoir la vérité, la
loi devait l’autoriser; mais lorsque celle-ci est évidente
et certaine, lui préférer les probabilités, ce serait mé
connaître les plus simples notions de la raison ellemême.
Ce serait dans notre hypothèse méconnaître la loi.
L’article 343 veut que l’augmentation de prime soit cal
culée sur le risque, ce qui, dans l’esprit de la loi, ne
peut signifier que le danger réellement couru. Puisqu’il
s’agit d’indemniser les assureurs du surcroît des risques
qu’ils ont couru, encore faut-il bien qu’ils en aient réel
lement couru quelques-uns,
Or, la doctrine que nous repoussons arrive à ces ré
sultats, non seulement d’indemniser les assureurs audelà du risque auquel ils ont été exposés, mais encore
de celui qu’ils n’ont jamais eu à leur charge. Supposez,
en effet, que le navire dernier parti soit arrivé à sa des
tination la veille de la déclaration de guerre ou de l’oui Nouveau rép., v. Dr. maril, n° 1713,
�492
DROIT MARITIME.
verture des hostilités, il ne devra aucune augmentation
de prime, sa navigation s’étant intégralement effectuée
en temps de paix. Cependant dans le système de M.
Dalloz, on lui imposera cette augmentation. Vous avez
eu tort, lui dira-t-on, d’arriver plus tôt que ne le fai
saient prévoir les probabilités. La fin du voyage im
porte peu, et puisqu’on ne devait pas présumer qu’il
s’accomplit si tôt, payez comme si cette fin ne s’était
pas réalisée.
Ce raisonnement serait absurde. Cependant il découle
logiquement de la prétention de régler l’augmentation
de prime, non sur l’avancement réel, mais sur l’avan
cement présumé du voyage.
Cette doctrine, qui serait, au point de vue que nous
venons d’examiner, avantageuse aux assureurs et préju
diciable à l’assuré, produirait à un autre point de vue
l’effet diamétralement contraire. Ainsi, dans l’exemple
cité, on accorde trop pour la Thétis, mais pas assez
pour le Triton. L’assureur, avantagé dans le premier
cas, est lésé dans le second.
Concluons donc que de tels résultats n’ont pas été,
n’ont pu être dans l’intention du législateur. L’aug
mentation de prime ne peut jamais être que la juste in
demnité du risque que les assureurs ont réellement sup
porté, elle ne peut donc être déterminée que sur le nom
bre exact de jours pendant lesquels le navire aura navi
gué depuis la déclaration de guerre ou l’ouverture des
hostilités.
�ART. 3 4 4 , 3 4 5 .
4.95
tfl9 S . — L’assurance faite en temps de guerre sti
pule une prime que la survenance de la paix rend évi
demment disproportionnée. Il est donc de l’intérêt des
assurés de prévoir cette survenance et de stipuler une
diminution le cas échéant. A défaut de clause de ce gen
re dans la police, la prime serait due en entier.
Si le cas de diminution a été prévu, sa détermination,
si elle n’a pas été faite par les parties, obéirait aux rè
gles régissant celle de l’augmentation.
A r t ic l e
344.
En cas de perte des marchandises assurées et char
gées pour compte du capitaine sur le vaisseau qu’il
commande, le capitaine est tenu de justifier aux assu
reurs l’achat des marchandises, et d’en fournir un
connaissement signé par deux des principaux de l’é
quipage.
Article 345.
Tout homme de l’équipage et tout passager qui ap
portent des pays étrangers des marchandises assurées
en France, sont tenus d’en laisser un connaissement
dans le lieu où le chargement s’effectue , entre les
�494
DROIT MARITIME,
mains du consul de France, et, à défaut, entre les
mains d’un Français notable négociant, ou du magistrat
du lieu.
SOMMAI R E
1176. Motifs qui ont fait consacrer les précautions prises dans
lecasdechargement par le capitaine.
1177. Leconnaissement doit êtresigné pardeuxdes principaux
del'équipage.
1178. Obligationdeprouverl’achat.
1179. Sanctionpénaledeces obligations.
1180. Leurcaractère. Jurisprudence.
1181. Motifs des précautions ordonnéespourlesgens del’équi
pageet les passagers.
1182. Ledépôt duconnaissementn’est exigé qu’encas dechar
gement àl’étranger.
1183. Aqui doit êtrefait le dépôt.
1184. Saconstatation. Ses effets.
1 1 9 6 . — Tout assuré, réclamant le paiement du
montant de l’assurance, est obligé de justifier que le ris
que a eu un aliment réel, c’est-à-dire que les effets as
surés ont été effectivement embarqués sur le navire, à
bord duquel a éclaté le sinistre.
La preuve du chargement résulte ordinairement du
connaissement dont la teneur est opposable aux assu
reurs. Nous avons vu qu’il faisait foi contre tous les in
téressés au chargement.
C’était là la conséquence de son caractère et des for-
�ART. 344, 343.
495
malités auxquelles il est soumis. D’abord le capitaine
répond personnellement de tout ce qui y est porté. Son
intérêt à s’abstenir de toute exagération est dès lors évi
dent.
Puis le connaissement est signé par le chargeur et le
capitaine. Le premier se trouve ordinairement à une
distance considérable du lieu où la marchandise est
transportée, ainsi est rendue difficile, pour ne pas dire
impossible, la substitution d’un connaissement qu’on
voudrait calquer sur les événements de la navigation.
Aucune de ces garanties n’existe lorsque le chargeur
est le capitaine lui-même. Le connaissement, s’il n’avait
pas été soumis à des conditions exceptionnelles, n’aurait
porté et ne pouvait porter que sa seule signature. Il lui
eût été facile d’en préparer deux, l’un exact pour l’in
voquer en cas d’heureuse arrivée, l’autre exagéré pour
faire valoir, en cas de sinistre, ce qui pouvait d’autant
plus se réaliser impunément, que le capitaine qui suit
sa marchandise n’a pas de consignataire, que dès lors il
n’y a qu’un exemplaire du connaissement, et que celui
destiné à l’armateur ne manquerait pas d’être retenu
par le capitaine.
1199. — La facilité de cette fraude a dicté des pré
cautions contre toute pensée de l’accomplir. La signa
ture du capitaine sur le connaissement ne peut valoir que
comme celle du chargeur,lorsqu’il s’agit de ses propres
effets. Il n’est donc régulier que par le concours de deux
des principaux de l’équipage, dont la signature donne à
�4§ 6
DROIT MARITIME.
cette pièce le caractère légal qu’elle a dans les autres
circonstances dès qu’elle est signée par le capitaine.
— Cette disposition, que l’ordonnance avait
consacrée, était utile, mais elle iie suffisait pas pour em
pêcher la fraude. Dans tous les cas, comme l’observait
Valin, le signature de deux des principaux de l’équipage
potivait n’être que le résultat de la timidité, de la sur
prise, d’un abus d’influence, peut-être même de la col
lusion. C’est ce qui détermina le législateur à exiger du
capitaine la preuve de l’achat des marchandises qu’il
charge et fait assurer pour son compte.
Le Code de commérce s’est approprié la disposition
de l’ordonnance tant sur la signature du connaissement
que sur l’obligation de prouver l’achat. Il faudrait, dit
M. Locré, pour que cette disposition, en ce dernier point,
devînt illusoire, une connivence qu’on doit d’autant
moins supposer entre l’acheteur et le vendeur, que ce
dernier est ordinairement un négociant, et que dès lors
ses factures et ses certificats peuvent être vérifiés par ses
livres.
14*8.
— L’article 344 semble ne consacrer aucune
sanction pénale pour les formalités qu’il prescrit. Mais
cette sanction pénale résulte énergiquement de la nature
des choses. Les assureurs ne doivent payer les domma
ges ou la perte que sur la preuve du chargé. Or, notre
article, spécifiant quant au capitaine le mode dans le
quel il doit faire cette preuve, il en résulte qu’il ne pourra
11*9.
�ART.
344, 345.
497
se faire rembourser qu’en remplissant les conditions qui
lui sont imposées. En réalité donc, l’inobservation de
l’article 344 créerait une fin de non recevoir contre
toute action contre les assureurs.
11§ 0. — Les obligations imposées au capitaine fai
sant assurer des effets pour son compte personnel, sont
impérieuses et absolues. Elles ne sauraient être suppléées
par aucun acte, par aucun fait, quelque important qu’il
fût d’ailleurs. Celte règle est de jurisprudence comme
de doctrine. Ainsi, la cour de Bordeaux jugeait, le 8
août 1828, qu’en cas de perte de marchandises assu
rées, appartenant en totalité ou même en partie au ca
pitaine, les assureurs peuvent refuser le paiement des
assurances, si le chargement n’est pas justifié par un
connaissement signé par deux des principaux de l’équi
page ; que cette signature ne peut être suppléée par un
connaissement signé seulement du capitaine, ni par le
rapport de mer racontant le sinistre et la perle, ni par
la déclaration des gens de l’équipage ; qu’en vain aussi
allèguerait-on l’usage contraire.
Le 2 juin 184^, la cour d’Aix jugeait de son côté que
l’énonciation faite par le capitaine, dans son consulat,
d’une pacotille lui appartenant comme ayant été jetée à
la mer, ne suffit pas pour fournir la preuve de l’exis
tence de cette pacotille à bord du navire, et par suite à
la faire admettre en avaries communes ; que celte preu
ve ne peut non plus résulter d’une facture sans authen-
m — 32
■
�498
DROIT MARITIME.
ticité, qui n’indique pas môme le port où la pacotille
aurait été achetée1.
Il ne faudrait pas conclure de cet arrêt que les factu
res à produire par le capitaine, pour justification de l’a
chat, doivent être authentiques ou avoir acquis date
certaine. Il suffit qu’elles soient conformes à l’usage du
commerce, mais elles ne doivent rien omettre de ce qui
peut éclairer les assureurs, les mettre à même de dis
cuter la sincérité et le mérite des factures elles-mêmes.
Ce défaut d’indications enlèverait toute authenticité à la
pièce produite, et c’est uniquement ce que la cour d’Aix
décidait.
118 1. — Si les gens de l’équipage peuvent vouloir
complaire au capitaine, celui-ci à son tour pourrait
bien avoir pour son équipage des sentiments analogues,
sans compter que le connaissement, exagérant le char
gement des gens de l’équipage, pourrait n’être que le
résultat d’une collusion intéressée et d’un profit à faire
par le capitaine au moyen de cette exagération.
Nous disions tout à l’heure que la signature du char
geur et son éloignement étaient autant d’obstacles à la
substitution après coup d’un connaissement exagéré.
Mais il est évident que ces obstacles disparaissent, si le
chargeur a suivi sa marchandise sur le navire. Sa pré
sence lui permettant de signer à toute époque, il lui se-
�a rt .
344, 345.
499
rait facile de s’entendre avec le capitaine et de tromper
les assureurs 1.
— L’article 345 indique les précautions
qu’on a cru devoir prendre pour échapper à cette éven
tualité. En cas de chargement à l’étranger par un mem
bre de l’équipage ou par un passager, un exemplaire
du connaissement doit être déposé, au lieu où le char
gement s’effectue, entre les mains du consul français.
On remarquera avec quel soin le législateur a cher
ché à prévenir les fraudes dont les assureurs pourraient
être victimes. Plus cette fraude devenait facile, plus on
a redoublé de précautions pour en écarter la possibilité.
Les articles 344 et 345 n’ont pas d’autre fondement. Le
dépôt du connaissement dans le lieu du chargement,
avant le départ du navire, prescrit par ce dernier, rend
impossible toute substitution frauduleuse.
La collusion et la fraude, disait Valin, étant tout de
même à craindre au retour des navires de nos colonies,
il aurait été bon de pousser la prévoyance jusque-là, et
d’exiger qu’un double des connaissements fût déposé au
greffe de l’amirauté du lieu.
Le Code de commerce n’a pas cru devoir consacrer le
vœu de Valin, le chargement fait dans une de nos co
lonies aura laissé des traces dans les registres de la doua
ne. Les acquits des droits que le chargeur a dû payer
deviennent des moyens de contrôler les énonciations du
1183.
1 A r t 6 3 , tit.
des Assur.
�300
DROIT MARITIME.
connaissement. On n’avait donc pas besoin d’en ordon
ner le dépôt, Cette formalité n’est indispensable que
pour les marchandises chargées à l’étranger et assurées
en France.
1 1 8 3 . — Le dépôt du double connaissement doit
être fait au consulat. S’il n’y a point de consul dans la
localité, il doit être fait entre les mains d’un Français,
notable négociant. Le caractère honorable du déposi
taire est une garantie contre toute fraude. Aussi la loi
a-t-elle exigé que le Français qu’on investit de cette
qualité soit un notable commerçant. D’où M. BoulayPaty conclut que si la personne choisie ne jouissait pas
de ses droits civils ou avait perdu la qualité de Fran
çais, le dépôt serait irrégulier.
S’il n’existe pas de Français dans la localité, le dé
pôt doit être fait au magistrat du pays.
— Quel que soit le dépositaire, le dépôt doit
être constaté par un procès-verbal destiné à fournir la
preuve de l’exécution que l’article 345 a reçue.
Le connaissement régulièrement déposé se place dans
la catégorie de ceux auxquels l’article 283 accorde foi
contre les assureurs. Mais nous aurons à examiner la
conséquence qu’on doit donner à cette disposition, quant
aux droits des assureurs de contester le chargé et de
faire la preuve contrairel.
1184.
�ART. 5 4 6 .
A r t ic l e 346.
Si l’assureur tom be en faillite lorsque le risque n ’est
pas encore fini, l’assuré peut dem ander caution ou la
résiliation du contrat.
L’assureur a le m êm e droit en cas de faillite de l’as
suré.
SOMMAIRE
1185. Profonde modification que la faillite de l'assureur apporte
à la convention.
1186. Silence gardé à cet égard par l’ordonnance. Comment il
avait été interprété par la doctrine.
1187. Caractère de l’article 346. Conditions qu’il exige.
1188. Quid, si, en fait, le risque était épuisé au moment où la
résiliation est demandée.
1189. Doit-on appliquer ici la présomption de l’article 366 ?
1190. Le droit de l’assureur, en cas de failite de l’assuré, est ab
solu et sans restriction.
1191. La résiliation peut-elle être demandée en cas de non paie
ment de la prime ?
1192. Effet de la dation de caution.
1193. Etendue du cautionnement. Principes qui régissent la
solvabilité de la caution et sa réception.
1185.
— La loi n ’a voulu ni pu perm ettre que la
m êm e chose fût la m atière de deux assurances. Nous
verrons que lorsqu’il existe plusieurs polices sur le m ê
m e chargem ent, les prem ières en date sont seules m ain-
�DROIT MARITIM E.
302
tenues jusqu’à concurrence de la valeur réelle des effets
assurés, toutes les autres sont ristournées. En consé
quence, celui qui a fait assurer une marchandise n’a
plus la faculté de la faire assurer de nouveau, quelque
doute que lui inspire la solvabilité de son assureur. Tout
ce qu’il peut faire, c’est de faire assurer cette solvabi
lité, s’il en trouve l’occasion et le moyen.
Si la faillite de l’assureur survenue avant la fin du
risque ne devait pas modifier cet état de choses, on au
rait fait une singulière position à l’assuré. Personne
évidemment n’aurait consenti à assurer la solvabilité
d’un failli. D’autre part, la faillite n’entraînant pas de
plein droit la résiliation de l’assurance, l’existence de
celle-ci était un invincible obstacle à ce qu’il en fût con
tracté une nouvelle. De telle sorte que l’assuré se trou
vait en perspective de l’obligation de payer la prime en
tière et de la certitude, le cas échéant, de ne rentrer que
dans une partie de la perte.
1 1 8 6 . — On est dès lors fort surpris du silence ab
solu que l’ordonnance de 1681 gardait à cet égard, elle
s’était exclusivement préoccupée de la crainte de l’in
solvabilité, qui était devenue le fondement de la faculté
de faire assurer la solvabilité de l’assureur, mais de la
faillite pas un mot. Cependant l’intérêt de l’assuré d’en
éviter les conséquences était bien plus évident, bien plus
incontestable.
Ce double caractère avait amené la doctrine à com
bler la lacune de la législation. Suppléant à son silence,
�i
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346.
503
/
l'usage attesté par VaHn autorisait l’assuré, en cas de
faillite de l’assureur, ou celui-ci, si l’assuré venait à
faillir, à demander la résolution de l’assurance si les
choses étaient entières, c’est-à-dire si les risques n’é
taient pas finis, à moins que le failli ou ses créanciers
le représentant n’offrissent bonne et suffisante caution
pour répondre soit du montant de l’assurance, soit de
la prime.
Ce droit d’exiger caution ou de faire résilier l’assu
rance est hors de doute, disait Valin, si la faillite est du
côté de l’assureur. Pourquoi n’en serait-il de même si
c’est l’assuré qui tombe en faillite, puisque le contrat
d’assurance est synallagmatique, et que la loi doit être
égale pour tous les contractants ? Si l’assuré est fondé à
demander la révocation de la police, dès que l’assu
reur n’est plus évidemment en état de lui payer la som
me assurée, l’assureur doit nécessairement être écouté
tout de même lorsque l’assuré est devenu hors d’état de
lui payer la prime, le plus ou moins d’intérêt à la chose
n’y fait rien. Il faut donc des sûretés à l’un comme à
l’autre, sans quoi leur condition serait inégale, ce qui
ne peut être supposé 1.
ART.
118®. — Ces raisons ont paru décisives aux au
teurs du Code, ils ont donc converti en loi l’opinion de
Valifi, tant sur la faculté de poursuivre la résiliation de
la police en cas de faillite de l’assureur, que sur la ré
ciprocité, si la faillite est'du côté de l’assuré.
Art, 20, tit. des Astur.
�804
DROIT MARITIME.
Aujourd’hui donc la résiliation de la police peut être
demandée par l’assureur ou par l’assuré, dès que l’état
de faillite a fait cesser l’espoir de retirer le montant in
tégral de la prime ou de la somme assurée.
L’état de faillite n’a pas besoin d’être judiciairement
^déclaré. L’impossibilité de remplir ses engagements ne
résulte pas de cette déclaration, elle est tout entière dans
le fait lui-même, il suffirait donc qu’il y eût cessation
de paiements, soit de la part de l’assureur, soit de la
part de l’assuré, pour que la demande en résolution de
l’un ou de l’autre fut recevable et admissible.
Mais l’article 346 a lui-même subordonné son appli
cation à cette circonstance qu’au moment de la cessation
de paiements ou de la faillite, le risque serait encore en
suspens, il est évident que le principe de cet article re
pose sur cette considération que la faillite, qui ne paiera
pas intégralement les créanciers, ne saurait depuis sa
réalisation acquérir un droit qui n’est encore à cette
époque qu’une espérance, qu’une éventualité condition
nelle ; elle est donc dans la nécessité, si elle veut profi
ter de la chance favorable, d’accepter purement et sim
plement la chance contraire.
Le risque fini, les choses sont définitivement fixées,
il y a créance acquise en faveur de l’assuré contre l’as
sureur ou réciproquement, dès lors la faillite postérieure
n’a plus qu’un effet possible, celui de placer la créance
dans la catégorie des créances ordinaires, sauf à l’assu
reur le bénéfice du privilège que le paiement de la pri
me comporte.
�ART. 3 4 6 .
603
C’est encore ce que Valin enseignait expressément :
Toujours il faut qu’il y ait des risques à courir lorsque
la résolution de la police d’assurance est demandée, au
trement elle ne serait pas recevable , le contrat ayant
déjà eu son exécution par la cessation des risques, et
par là ce droit étant incontestablement acquis à celui
qu’on voudrait forcer de résilier 1.
1188. — En présence du texte formel de l’article
346, on ne saurait prévoir aucune difficulté sérieuse
sur le principe en lui-même, mais, dans l’application,
un doute peut surgir. Suffit-il qu’en fait le risque soit
terminé au moment où la demande en résiliation est
formée pour la faire absolument repousser ? L’ignorance
dans laquelle se serait trouvé le demandeur, relative
ment à la fin du risque, doit-elle faire sortir à effet la
résiliation ?
En droit, toutes les fois qu’il s’agit d’un contrat aléa
toire, l’événement ignoré peut être la matière d’une con
vention légitime. L’application de ce principe à l’assu
rance ne saurait être l’objet d’un doute, en présence de
l’article 365.
Dès lors, si l’ignorance a bien positivement existé, la
résiliation à défaut de caution, poursuivie et prononcée
à une époque postérieure à la fin du risque , serait ré
gulièrement et obligatoirement intervenue2.
i I b id .
s B o rd e a u x , 5 m a rs 1 8 6 1 . J . d u P ., 1 8 6 2 , 4 4 7 .
�506
DRO IT
MARITIME.
1 1 8 9 . — Mais à quelles condilions devra-t-on re
connaître l’existence de l’ignorance, faudra-t-il s’en ré
férer à la présomption de l’article 366 ?
L’affirmative a été consacrée par la cour d’Aix, le 28
juin 1813.
Dans cette espèce, un navire assuré sur place avait
quitté le port de Marseille le 16 janvier 1809 ; obligé
de relâcher à La Ciotat, il en sort le 24, et le 27 il est
capturé à la hauteur de l’ile Saint-Pierre, c’est-à-dire à
sept lieues de Marseille ; conduit en Sardaigne, il est
déclaré de bonne prise.
Le 14 mars suivant, l’assuré fait faillite , et le 16 du
même mois les assureurs actionnent les syndics en pres
tation de caution pour assurer le paiement des primes,
et à défaut en résiliation des polices. Un jugement du
24 du même mois accorde la résolution.
Le 25 avril, les syndics reçoivent, avec l’avis de la
capture du navire, l’extrait de la décision qui en valide
la prise. Le 13 juin ils signifient le délaissement, et le
lendemain, 14, ils émettent appel du jugement du 24
mars.
Devant la Cour, ils soutiennent que les assureurs n’ont
pu ignorer la prise du navire et par conséquent la fin du
risque, ils se fondent sur la disposition de l’article 366,
qu’ils prétendent devoir régir le litige. C’est ce que la
cour d’Aix consacre dans son arrêt infirmatif du juge
ment.
Les assureurs s’étant pourvus en cassation, leur pour
voi est rejeté le 8 décembre 1814. Attendu, dit le Cour
�art.
346.
507
régulatrice, que le navire ayant été capturé le 217 jan
vier, le risque était fini lors de la demande des assu
reurs ; qu’ainsi, en déchargeant l’assuré de l’obligation
de donner caution, sinon de voir résilier le contrat, l’ar
rêt attaqué n’a pu violer l’article 346 L
Cette solution nous paraît irréprochable. L’applica
tion de l’article 366 est de droit commun en matière
d’assurance. Comment, en effet, apprécier la connais
sance ou l’ignorance d’un fait, autrement que par la
règle spéciale que la loi a tracée. Or, le sinistre s’élant
réalisé à sept lieues de Marseille, la loi en présumait lé
galement la connaissance, dans la localité, dans un délai
de trois jours. La demande des assureurs n’avait été
formée que quarante-huit jours après la prise.
Leur prétention d’ignorance, condamnée par la loi,
ne l’était pas moins par les probabilités. On ne pouvait
donc l’admettre. Dès lors ils ne se trouvaient plus dans
les conditions de l’article 346, ils ne demandaient Iq
cautionnement et la résiliation qu’après la fin du risque.
On devait donc, aux termes mêmes de cet article, leur
refuser l’un et l’autre.
»
1 1 9 0 . — Le droit d’agir, conféré par l’article 346,
dans les conditions y indiquées, est absolu pour l’assu
reur comme pour l’assuré. Notre Code, ne faisant au
cune distinction , a par cela même proscrit le tempéra
ment que Valin admettait, à savoir, une exception au
i Dalloz, Nom. Rép., V. Droit marit., n° 1740, n° 4.
�DROIT MARITIME.
S08
droit de l’assureur, lorsque l’assurance était faite sur
simple retour. L’assureur, disait Valin, serait mal venu
à se plaindre dans ce cas de l’insolvabilité de l’assuré,
puisque la faculté de saisir les marchandises à leur ar
rivée et le privilège que la loi lui accorde lui garantis
sent le paiement de la prime.
Mais, comme l’observait Emérigon, cette faculté et ce
privilège peuvent facilement devenir illusoires ; les au
tres privilèges préférés par la loi étant de nature à ab
sorber et au-delà la valeur des effets assurés, il n’était
donc ni rationnel ni juste de créer une exception pou
vant, dans un cas donné, aboutir à la perte de la pri
me entière au préjudice de l’assureur. On devrait donc
le laisser entièrement libre d’opter entre le privilège et
la résiliation.
— Quoi qu’il en soit, le droit de poursuivre
celle-ci se fonde, à l’endroit de l’assureur, sur la juste
crainte de n’être pas éventuellement payé de la prime
convenue. Cette crainte, l’assureur peut raisonnable
ment la concevoir, lorsque la prime ayant été stipulée
payable à terme, et que le terme étant arrivé, l’assuré
refuse de s’exécuter. Ce refus autorisera-t-il la demande
en résiliation de la police ?
Emérigon rappelle que l’article 355 du Consulat de
la mer disposait : Les assurances n'auront aucune ef
ficacité et valeur jusqu'à ce que le prix en soit entiè
rement payé. Ce texte avait amené Roccus, Kurike et
1191.
�ART. 34-6.
309
Casarégis à décider que le défaut de paiement de la pri
me rendait l’assurance nulle.
Personnellement et sous l’empire de l’ordonnance,
Emérigon distingue. Il n’admet dans aucun cas la ré
siliation de plein droit, seulement, si la prime a été sti
pulée comptant, les assureurs sont fondés à se pourvoir
en justice pour faire condamner l’assuré à remplir son
obligation, cœleriprœstatione, sous peine d’être déchu
de l’assurance.
Si la prime a été atermoyée, si abii in creditum, le
défaut de paiement au temps convenu ne donne pas lieu
au résiliement de l’assurance , on peut seulement se
pourvoir en justice pour obitnir l’adjudication de la
somme due, en conformité de la disposition du droit
commun l.
Nous croyons que sous l’empire du Code on doit en
core admettre que le défaut de paiement de la prime ne
saurait entraîner de plein droit la résiliation de l’assu
rance, à moins de convention expresse que les parties
sont libres de stipuler dans la police3.
Mais nous ne voyons aucune cause légitime à la dif
férence dans les effets entre le cas où la prime est sti
pulée payable comptant et celui où un terme a été con
senti ; le terme échu, l’obligation de payer est aussi
impérieuse, aussi étroite que celle de payer immédiate
ment dans la première hypothèse. On pourrait même
i Chap. 9, seot. 8, SS 4 et 2.
s Casarégis, Dis., 1, n» 479.
�510
DROIT MARITIME.
dire que la prime a été, dans celle d’un terme, stipulée
en réalité payable comptant dès que celui-ci est épuisé.
En droit, dans les contrats synallagmatiques, les obli
gations respectives, les promesses réciproques sont cor
rélatives et indivisibles, l’inexécution par une des par
ties doit nécessairement permettre à l’autre de refuser à
son tour de tenir ses engagements. Que cet effet ne puisse
être acquis de plein droit qu’après une mise en demeu
re, qu’après la constatation de l’inexécution volontaire,
c’est ce que la loi consacre, mais, pour nous, la mise
en demeure gît dans l’ajournement, l’inexécution résulte
du refus d’exécuter le jugement de condamnation. Pour
quoi la résiliation ne sercKl-elle pas la juste conséquence
de l’une ou de l’autre ?
Ainsi, que la prime soit payable comptant ou à ter- •
me, l’assureur, tant que le risque n’est pas épuisé, a le
droit de demander , et les juges doivent ordonner qu’à
défaut de paiement le contrat serait résilié ; on doit
d’autant moins hésiter, qu’à l’obligation convention
nelle se réunit l’autorité de la condamnation judiciaire.
De quoi se plaindrait l’assuré, il dépend de lui d’empê
cher cette résiliation en payant la prime , s’il persiste à
ne pas le faire au mépris du contrat, au mépris du juge
ment qui le condamne, ne faut-il pas attribuer cette
persistance à son insolvabilité. Comment l’assureur pour
ra-t-il être payé plus tard ? lui sera-t-il permis même
de l’espérer, lorsque c’est en vain qu’il aura provoqué
l’intervention de la justice.
Le contraindre en l’état à courir les chances de l’as-
�surance, ce serait l’exposer à une responsabilité sans
équivalent, ce serait donc méconnaître l’esprit de l’arti
cle 346. Le refus de paiement après condamnation,
par un commerçant, constituerait la faillite ; donc, il
n’y a pas seulement analogie entre notre hypothèse et
celle de la loi, il y a parité de raisons, similitude en
quelque sorte complète dans la cause, et dès lors né
cessité d’appliquer dans l’une la doctrine prescrite par
l’autre.
— Dans tout état des choses , la résiliation
du contrat serait refusée si l’assureur ou l’assuré failli,
ou la masse des créanciers offrait une caution pour le
paiement de la somme assurée s’il y a lieu, ou pour la
prime. L’article 346 n’autorise la résiliation que vu l’in
certitude dans laquelle la faillite place ce paiement.
Celte incertitude disparaissant par la garantie résultant
du cautionnement, le contrat reste tel qu’il a toujours
été, et doit, par conséquent, recevoir sa pleine et entière
exécution.
1193.
— Ce que la caution garantit, c’est non pas
le dividende que la faillite pourra produire, mais l’in
tégralité de ce qui sera dû, soit à l’assuré, soit à l’assu
reur. L’un ou l’autre est bien, dans l’hypothèse de l’ar
ticle 346, créancier d’une faillite, mais ils se distinguent
des créanciers ordinaires en ce que, au moment où cette
faillite éclate, on ne sait encore s’ils seront créanciers
ou débiteurs. La masse est donc en demeure de se pro1193.
�812
DROIT MARITIME.
noncer. Si, maintenant le contrat, elle s’applique le bé
néfice de la chance favorable, elle s’approprie ce con
trat et devient dès lors directement tenue de toutes les
conséquences que peut avoir pour elle la chance con
traire.
L’opération étant essentiellement commerciale, les dif
ficultés que pourraient faire naître la solvabilité de la
caution et sa réception seraient exclusivement régies par
le droit commercial.
Article 347.
Le contrat d’assurance est nul s’il a pour objet :
Le fret des marchandises existant à bord du navire,
Le profit espéré des marchandises,
Les loyers des gens de mer,
Les sommes empruntées à la grosse,
Le profit maritime des sommes prêtées à la grosse.
SOMMAIRE
1194. Caractère de la prohibition d’assurer certains objets.
119b. Droit français ancien.
1196. Difficultés soulevées par l’article 347. Décision du conseil
d’Etat.
1197. On ne peut faire assurer le fret à faire ou à payer.
1193 . Ni le bénéfice espéré des marchandises.
�ART. 347.
s is
1199. Ni le profit maritime des sommes prêtées et empruntées
à la grosse.
1200. Ni le capital emprunté à la grosse.
1201. Ni les loyers des matelots.
1202. Caractère de la nullité édictée par l'article 347. Quelles
stipulations en sont affectées ?
— La privation d’un gain licite, qu’il est fa
cile d’entrevoir et de se promettre, est une véritable
perte par ses résultats. Gagner moins, c’est en réalité
perdre. Il semble donc que si la chance de réaliser un
bénéfice quelconque est subordonnée à un événement
futur et incertain, cette chance devrait pouvoir faire la
matière d’une assurance.
Sans doute le bénéfice sur la revente tient essentielle
ment à l’état du marché à l’arrivée des marchandises.
Mais celte arrivée dépend absolument des chances de la
navigation. Un accident de mer, qui a retardé la marche
du navire, sera souvent la cause unique de la déprécia
tion de la marchandise qui, arrivée quelques jours plu
tôt, aurait pu être très favorablement revendue.
Ce qui est vrai pour la marchandise elle-même, l’est
bien plus encore pour le fret et pour les profits mariti
mes des sommes prêtées à la grosse. Acquis par l’issue
heureuse du voyage, ils sont irrévocablement perdus par
le naufrage du navire. On comprend dès lors que leur
assurance ait pu être tolérée et autorisée par certaines
législations.
11941.
1 1 0 5 . — Il n’en a jamais été ainsi en France. Le
ni — 33
�SU
DROIT MARITIME.
principe constamment suivi chez nous a été que l’assu
rance ne pouvait porter que sur les droits acquis et cer
tains au moment où elle était souscrite. Intéresser dans
tous les cas l’assuré à l’heureuse arrivée du navire, a
paru le moyen le plus énergique de prévenir les frau
des qui auraient pour objet la perte de ce même navire.
L’ordonnance de 1681 avait donc prohibé toute as
surance sur le fret à faire , le profit espéré de la mar
chandise, les profits maritimes des sommes prêtées à la
grosse, les sommes empruntées de cette manière.
1196. — Devait-on
persister dans cette voie ? La
commission s’était prononcée pour l’affirmative. En con
séquence, elle avait reproduit dans le projet du Code la
disposition prohibitive de l’ordonnance. Mais cette dis
position, qui semblait d’ailleurs commandée par ce qui
avait été déjà ordonné pour le prêt à la grosse, suscita
de nombreuses et graves réclamations.
On pensait qu’on devait pour les assurances accorder
plus de liberté que pour les prêts à la grosse. « C’est
aux négociants, disait la Cour de cassation, qu’il appar
tient de décider si les exceptions proposées sont aussi
bonnes aujourd’hui qu’elles l’étaient autrefois.
« Pourquoi défendre d’assurer une partie du fret à
faire par le navire, le profit espéré des marchandises et
le profit maritime des sommes empruntées à la grosse ?
« Toutes ces choses s’assurent en Angleterre. Est-il
politique d’obliger les Français à rechercher chez l’é-
�ART. 3 4 7 .
515
tranger des assurances qu’ils ne peuvent obtenir en
France? »
Le tribunal et le conseil de commerce de Nantes de
mandaient qu’il fût. permis de faire assurer les profits
maritimes.
Enfin , le tribunal de commerce de Bordeaux vou
lait la même faculté pour le profit espéré de la mar
chandise.
La commission repoussait toutes ces réclamations, en
invoquant les principes sur lesquels repose le contrat
d’assurance, notamment celui que Valin conseillait de
ne jamais perdre de vue , à savoir, qu’en cette matière
on ne peut gagner ou perdre qu’à raison des risques et
jusqu’à concurrence de leur valeur réelle. Ces principes
prévalurent, et les auteurs du Code confirmèrent la dis
position de l’ordonnance.
L’assurance est donc restée ce qu’elle était. Elle ne
peut couvrir que les choses qu’on risque de perdre et
nullement les gains qu’on manque de faire.
— Or, le fret à faire par le navire est un gain
que l’heureuse issue du voyage attribuera à l’armateur
ou au fréteur. Tant que l’événement ne s’est pas accom
pli, ce gain est incertain, il constitue une espérance plu
tôt qu’une réalité. Il ne peut donc faire la matière d’une
assurance.
Il fut bien convenu, au conseil d’Etat, que la prohi
bition ne concernait que le fret à faire, sans s’appliquer
au fret acquis. Mais, que faut-il entendre par fret ac1199.
�516
DROIT MARITIME.
quis ? Dans quelles circonstances sera-t-il en risque et
pourra-t-il faire la matière d’une assurance ? Nous ne
pourrions que reproduire, sur ces points, les observa
tions que nous avons faites en traitant du contrat à la
grosse, Nous nous en référons donc à leur teneur l.
La prohibition d’assurer le fret concerne les chargeurs
comme l’armateur. Ainsi, les premiers ne peuvent ajou
ter à la valeur matérielle des effets assurés le montant
de ce qu’ils auront à payer à ce titre. Les assureurs ne
sont tenus qu’en cas de perte. Cette perte se réalisant,
ie chargeur ne paye pas de fret. En conséquence, si, en
ayant fait assurer le montant, il en était remboursé par
l’assureur, il réaliserait un bénéfice, ce que l’assurance
ne saurait jamais produire.
Le fret déclaré acquis à tout événement doit être
payé , quelle que soit l’issue du voyage. Il constitue
donc pour le chargeur un déboursé réel ; à ce titre,
M. Pardessus estime qu’il peut être compris dans l’as
surance.
Nous avons déjà indiqué les motifs qui nous parais
sent faire devoir repousser cette opinion. Nous n’avons
donc pas à y revenir3.
1 1 0 8 . — Le profit espéré de la marchandise par
tage le sort du fret à faire, il est anéanti par la perte
survenue par fortune de mer. Il devait donc, par une in*
i V supra , n°» 892 et suiv.
l V . supra n° 1429.
�ART. 3/<7.
317
contestable identité de raisons, être compris dans la mê
me prohibition. Il y avait même, en ce qui le concerne,
un motif plus décisif encore. La quotité du fret résul
tant de contrats pourra être déterminée avec certitude.
Le profit espéré de la marchandise est purement idéal.
Le chargeur le calcule à son gré, et l’on comprend qu’il
n’aurait pas reculé devant une exagération faisant espé
rer, au moyen d’une prime modérée, un bénéfice éven
tuel considérable. C’est là surtout que l’assurance eût
facilement dégénéré en véritable gageure.
— Le profit maritime des sommes emprun
tées à la grosse n’est, pour le préteur, qu’un profit es
péré qui ne lui est acquis que par l’heureuse arrivée du
navire. La logique conseillait donc de le soumettre à la
prohibition dont celui-ci était l’objet.
Relativement à l’emprunteur, il en est du profit ma
ritime comme du fret ; il ne le devra que si le voyage
se termine heureusement. Dès lors, les raisons qui lui
ont fait prohiber d’assurer celui-ci devaient lui faire
prohiber l’assurance de celui-là.
1199.
— Ce qui est vrai à l’égard de l’emprun
teur pour le profit maritime, ne pouvait pas ne pas l’ê
tre pour le capital des sommes empruntées à la grosse.
Ce capital, en effet, n’a jamais été en risque que pour
le prêteur. L’emprunteur est définitivement libéré par la
perte occasionnée par fortune de mer. Si le navire arri1300.
�î>18
DROIT MARITIME.
vê à bon port, il ne restitue que ce qu’il a reçu, sauf lé
profit maritime qui s’ajoute au capital.
L’emprunteur à la grosse n’a d’autre risque que ce
lui de gagner le capital ou de perdre le profit maritime.
Or, puisqu’il ne peut faire assurer celui-ci, à plus forte
raison ne lui était-il pas permis d’assurer ce capital.
Cette prohibition était si naturelle, que sa proposition
ne suscita aucune contradiction.
— Si le principe que l’assurance ne peut de
venir une occasion de bénéfice avait pu recevoir une ex
ception, c’était certes en matière de loyers des gens de
mer. Ici la fraude et l’exagération n’étaient pas à re
douter, la quotité des loyers étant déterminée par la
convention et par le rôle d’équipage. D’autre part, la
privation des loyers par une fortune de mer est pour
les matelots une perte réelle, puisqu’elle leur enlève le
salaire des peines et soins donnés jusqu’à l’événement,
se réalisant quelquefois à l’entrée même du port de des
tination.
L’humanité eût donc applaudi à une mesure qui leur
aurait permis de s’exonérer de cette perte moyennant
un léger sacrifice. Peut-être l’eût-on consacrée si des
considérations de la plus haute importance n’avaient
fait un devoir de s’en abstenir. On a craint et dû crain
dre que la certitude d’être payés de leurs loyers, en fai
sant disparaître l’intérêt personnel des matelots à la
réussite du voyage ne les rendit pas trop indifférents à
son issue, et ne les fit se relâcher du zèle et de l’ardeur
1301.
�ART.
347.
519
qu’ils doivent apporter à l’accomplissement de leurs
devoirs.
On s’en est donc référé au principe général. Les lo
yers n’étant acquis que par l’achèvement heureux du
voyage, n’ont jusque-là rien de certain, ils ne peuvent
donc faire la matière d’une assurance. Celle qui aurait
été consentie soit par les matelots personnellement, soit
par l’armateur qui aurait ajouté le montant de ces loyers
à la valeur du navire, serait atteinte d’une nullité radi
cale et absolue.
1 3 0 3 . — Dans tous les cas où la nullité est encou
rue aux termes de l’article 347, cette nullité ne s’appli
que qu’aux stipulations relatives aux objets prohibés.
La police n’en est pas moins maintenue pour tous les
engagements ayant une cause juste et légitime. Ainsi, si
l’armateur a compris dans la valeur assurée le montant
du fret ou les loyers des gens de mer ; si, de son côté,
le chargeur à tenu compte du profit espéré, ou si le prê
teur à la grosse a cumulativement assuré le capital et le
profit maritime, le contrat n’est pas absolument nul. Il
est seulement réductible à la seule valeur du navire de
la cargaison ou du capital prêté \
i Bordeaux, 20 août 1835.
�520
DROIT MARITIME.
A rticle
348.
Toute réticence, toute fausse déclaration de la part
de l’assuré, toute différence entre le contrat d’assu
rance et le connaissement, qui diminueraient l’opinion
du risque ou en changeraient l’objet, annulent l’assu
rance.
L’assurance est nulle même dans le cas où la réti
cence , la fausse déclaration ou la différence n’au
raient pas influé sur le dommage ou la perte de l’objet
assuré.
s ommai re
4903. Caractère de l’engagement souscrit par l'assureur par
suite de réticence, de fausse déclaration ou de diffé
rences.
1204. La nullité remonte au jour du contrat. Conséquence quant
à l’influence que la réticence ou la fausse déclaration a
pu exercer sur l’événement.
1201. Nature des difficultés que l'article 348 pourra faire sur
gir. Pouvoir des tribunaux.
1206. Caractère de l’obligation que cet article fait à l’assuré. A
quels faits elle s’applique ? Exemple si le navire est en
retard au jour de l’assurance.
1207. Devoir de l’assuré qui sait que deux navires partis après
le sien, du même lieu et pour la même destination, sont
arrivés, de le déclarer.
�ART.
548.
<208. Celui qui se fait réassurer, sans déclarer que le navire
comptait déjà 83 jours de navigation lors de la première
assurance, commet une réticence frauduleuse.
<209. Il y a également réticence dans l'omission de la déclara
tion que le navire est armé en course, ou dans l’omis
sion du nom de l’assuré, s’il est sujet d’une nation bel
ligérante.
121». Quid, si le chargement est transporté par un neutre ?
1211. L’indication du pavillon sous lequel vogue le navire doitelle être accompagnée, sous peine de réticence, de celle
de la nationalité du navire ?
212 L’assuré sur corps est-il obligé de déclarer la nature du
chargement, s’il s’agit de contrebande ?
<213. Caractère essentiel de la réticence. D’où il peut résulter?
<214. C’est à l'assureur à prouver que l’assuré connaissait le
fait non déclaré.
<215. Obligations du mandataire ou commissionnaire. Le man
dant répond de leur rélicence. Leur bonne foi ne saurait
valider l’assurance , si celui-ci a commis une réticence.
<216. Preuve testimoniale peut être invoquée par l’assureur.
Jamais par l'assuré.
1217. Caractère et effets de la fausse déclaration.
1218. Quid, si la fausse déclaration porte sur un fait qu’on n'é
tait pas tenu de déclarer ?
Caractère et effets de la différence entre la police et le
connaissement ou le billet de grosse.
Qui peut invoquer la nullité pour réticence ? Fause décla
ration ou différences. Distinction quant à l’assuré.
<
.
JL303. — L’assurance, nous l’avons souvent rap
pelé, est le levier le plus puissant pour le commerce
maritime. Elle en facilite, elle en multiplie les opéra
tions, en faisant disparaître pour les négociants qui s’y
�B22
DROIT MARITIME.
livrent les périls de nature à épuiser les fortunes parti
culières les plus considérables, et à retenir, par cette
juste crainte, l’élan des spéculations.
Ceux donc qui se livrent à l’assurance active agissent
en réalité dans un’ intérêt éminemment public et géné
ral. Que de fraudes cependant, que de dangers n’ontils pas à supporter et à courir. Les profondeurs de la
mer récèlent les mystères de bien de déloyales et coupa
bles spéculations.
Le devoir du législateur était de remédier, dans les li
mites possibles, à ces fraudes, à ces dangers. L’assuran
ce n’est juste que lorsque l’assureur est à même d’ap
précier et de connaître le vrai caractère du risque qu’on
lui propose. Lui taire des circonstances essentielles qu’on
connaît soi-même, lui faire une fausse déclaration, don
ner dans la police des indications autres que celles que
renferme le connaissement, c’est l’induire dans une er
reur préjudiciable, en le portant à courir des chances
auxquelles il n’eût pas consenti à se soumettre, ou que
du moins il n’aurait acceptées qu’à des conditions diffé
rentes de celles qu’il a stipulées.
Son engagement est le résultat de cette erreur. On
devait donc l’en délier. Sans ce résultat, l’intention de
la loi eût été méconnue, ses précautions insuffisantes.
Vainement aurait-elle fait un devoir à l’assuré de com
muniquer à l’assureur tout ce qu’il sait lui-même. On
n’aurait pas manqué d’éluder ce devoir, si la nullité de
l’acte n’était venue, comme peine de l’inobservation, ar-
�ART. 5 4 8 .
racher au premier le bénéfice qu’il se promettait de la
dissimulation.
De là la disposition de l’article 348, proclamant nulle
et de nul effet la police d’assurance, en cas de réticen
ce, de fausse déclaration ou de différences entre la po
lice et le connaissement, si l’une ou l’autre a eu pour
effet de diminuer l’opinion du risque ou d’en changer
le sujet.
L’ordonnance de 4681 n’avait aucune disposition ana
logue, mais la pratique avait suppléé au silence du lé
gislateur. Aussi l’orateur du gouvernement faisait-il re
marquer que l’article, quoique nouveau, était moins une
addition à l’ordonnance qu’un sommaire des principes
qu’elle avait consacrés. Ainsi la disposition du Code,
avant d’être législativement consacrée, avait été sanc
tionnée par l’usage. C’est là la preuve la plus évidente
qu’elle répond à un besoin réel et effectif.
1 3 0 4 , — La nullité édictée par l’article 348 rétroagit de plein droit à l’origine du contrat, l’efface et le
fait disparaître. C’était là la conséquence de l’erreur
dans laquelle l’assureur a été jeté et qui vicie le consen
tement lui-même. Le contrat, manquant ainsi d’une des
conditions essentielles à sa validité, est censé n’avoir ja
mais existé.
La conséquence est écrite dans le second paragraphe
de notre article. Le contrat n’ayant pas existé, disait
M. Corvetto dans l’exposé des motifs, aucune consé
quence, aucun effet n’en ont pu résulter. Dès lors, il
�524
DROIT MARITIME.
est indifférent, à l’égard de l’assureur, que le navire pé
risse ou ne périsse pas, ou qu’il périsse par une chance
sur laquelle la réticence ou la fausse déclaration n’au
rait pas influé. Quel que soit le résultat, quelle que soit
même la bonne foi de l’assuré, le fait matériel suffit pour
que le consentement de l’assureur ayant été vicié dans
son essence, si ce fait a diminué l’opinion du risque
ou en a changé le sujet, pour qu’il n’y ait jamais eu de
contratl.
1 3 0 5 . — La réticence ou la fausse déclaration ré
sultera ordinairement soit du silence gardé par la police
sur un fait désormais acquis, ou des indications men
songères qu’elle renferme. Leur matérialité ne saurait
donc donner naissance à une sérieuse difficulté.
Le doute ne pourra exister que sur le point de savoir
si l’assuré connaissait lui-même le fait non déclaré au
moment du contrat, et sur le caractère réel soit de la ré
ticence, soit de la fausse déclaration. Ont-elles influé
sur l’opinion du risque, telle est la question que les tri
bunaux seront appelés à résoudre.
Or, cette question tombe dans le domaine de l’appré
ciation et de l’arbitrage que la loi a souverainement
confié aux tribunaux. Quelle que soit la solution ad
mise par les deux degrés de juridiction, elle ne saurait,
dans aucun cas,encourir la censure de la Cour suprême2.
i Bordeaux, 7 avril 1835.
3 Cass., 21 décembre 1826 ; 25 m ars.
�348.
52S
1300. — L’obligation faite à l’assuré de tout dé
clarer est générale et absolue. Elle n’est pas seulement
relative aux indications dont la loi prescrit la mention
dans la police, elle comprend tout ce qui, se rattachant
à la navigation, est dans le cas d’être pris en considé
ration par l’assureur.
Comme nous l’avons déjà dit, l’assuré n’est pas tenu
de faire connaître l’époque du départ du navire , mais
cela n’est absolument vrai que lorsque, au moment du
contrat, le navire n’est pas en retard, c’est-à-dire n’a
pas déjà dépassé d’un certain temps la durée ordinaire
du voyage qu’il exécute l.
Si ce retard existe, l’époque du départ du navire doit
être déclarée. Les inquiétudes, les craintes que ce retard
peut et doit inspirer deviennent un élément essentiel de
l’appréciation du risque. Le silence gardé à cet endroit
constituerait la réticence frauduleuse prévue par l’arti
cle 348 et annulerait l’assurance, alors même qu’elle
eut été contractée sur bonnes ou mauvaises nouvelless.
ART.
— Peu importerait même qu’il n’y eût pas
retard proprement dit, si d’autres circonstances étaient
de nature à inspirer ces inquiétudes et ces craintes.
Ainsi, la cour d’Àix jugeait, le 9 février 1830, qu’il y a
de la part de l’assuré réticence de nature à entraîner la
1309.
1 A ix, 46 avril 4 8 3 9 ; J . d u P ., 4, 4839, 608.
s A ix, 44 avril 184 8, 13 novem bre 1822, 14 janvier 1826, 17 ju illet
1829 ; Rennes, 30 décembre 4824, 24 janvier 1844 : Rouen, 27 décem
bre 4 848 ; J . d u P ., 4, 1844 409 ; D.' P ., 49, 6, 22.
�Î526
DROIT MARITIME.
nullité de l’assurance, lorsque sachant, au moment où
il contracte, que deux navires partis quatre jours, après
le sien, du lieu désigné dans la police et pour la même
destination, étaient arrivés depuis deux jours, il n’a
pas instruit l’assureur de cette circonstance , alors sur
tout qu’un court trajet sépare le port du départ de ce
lui de destination.
1 9 0 8 . — Enfin , l’assureur qui se fait réassurer
sans déclarer qu’au moment de l’assurance le navire
comptait déjà quatre-vingt-trois jours de navigation
commet une réticence devant faire annuler le contrai de
réassurance. C’est ce que la cour d’Aix consacre expres
sément dans son arrêt du 17 juillet 1829.
L’inscription d’un navire au Veritas, si elle ne prou
ve pas de plein droit le bon état de ce navire le fait pré
sumer. Il est dès lors évident que son défaut rendrait
l’assurance du navire plus difficile ou tout au moins
plus onéreuse.
Faut-il en conclure que l’armateur qui fait assurer
un navire non coté au Veritas doit déclarer cette cir
constance, et que le silence qu’il garderait à ce sujet
constituerait la réticence frauduleuse entraînant la nul
lité de l’assurance ?
A notre avis il faut distinguer, ou le navire ne figure
pas au Veritas parce que son propriétaire n’a jamais
demandé à l’y faire inscrire, ou la demande d’inscrip
tion ou du maintien de la cote précédemment accordée
a été repoussée. Dans le premier cas l’armateur n’a rien
à déclarer et l’on ne voit pas sur quel motif plausible
on annulerait l’assurance.
�ART. 3 4 8 .
527
Il n’en est pas de même dans le second. Le refus de
concéder ou de maintenir la cote est un fait grave et
qui peut puissamment influer sur l’assurance. Aussi un
arrêt de la cour de Paris, du 16 février 1860, déclaraitil que le silence gardé à ce sujet par l’assuré, consti
tuait la réticence devant, aux termes de l’article 348,
faire prononcer la nullité de l’assurance L
Mais par jugement du 8 mars 1866, le tribunal de
commerce de Marseille se prononçait en sens contraire.
Dans une espèce où l’assurance était querellée de nullité
parce que l’assuré n’avait pas déclaré que le navire
avait cessé d’être coté au V e r ita s , il juge que la cote
au V e r ita s est un renseignement que peut prendre l’as
sureur à son gré, et que l’assuré n’est pas tenu de lui
fournir ; que, par suite, le silence de l’assuré à cet égard
ne peut pas être considéré comme une réticence. Un
arrêt de la cour d’Aix, du 8 août même année, confirme
ce jugement avec adoption des motifss.
Dans son dictionnaire de droit maritime, M. Caumont approuve cette doctrine, parce que, dit-il, le livre
V e r ita s doit être présumé connu de tous les assureurs,
plus bas cependant il reconnaît que le refus par l’ad
ministration du V e r ita s de coter un navire, constitue
une circonstance grave que l’assuré fera bien de dé
clarer 3.
1 J . d u P ., 4 860, 34 8.
2 I b id , 4 867, 4256
3 V. A ssn r. m a r it., n°' 420, 436.
�528
DROIT MARITIME.
La doctrine de la cour de Paris nous parait seule se
conformer au texte et à l’esprit de la loi.
L’article 348, en effet, conduit à cette conséquence
qu’en ce qui concerne la nature du risque, l’assureur
doit savoir et connaître tout ce que l’assuré sait et con
naît, et cela sans que le premier ait à se livrer à aucune
recherche, à prendre le moindre renseignement.
Donc, ne pas annuler l’assurance lorsque le fait non
déclaré devait puissamment influer sur l’opinion du ris
que, par le motif que l’assureur a pu se renseigner,
c’est évidemment méconnaître l’esprit de l’article 348,
faillir à son texte, c’est imposer à l’assureur une obliga
tion que le législateur ne lui a ni imposés ni entendu
lui imposer.
D’ailleurs ce qui, dans notre hypothèse, importe réel
lement, c’est moins l’absence de cote au V e r ita s que le
fait qui l’a déterminée. Celle cote a pu n’être jamais
sollicitée ; son omission peut être le résultat d’une né
gligence, d’une erreur , de la fausse persualion que le
navire a péri.
Le refus d’accorder la mention sollicitée ou de main
tenir la cote précédemment accordée, ne peut prêter à
aucune équivoque, ce refus, en effet, n’est ni dans les
convenances, ni dans l’intérêt des administrateurs du
V e r ita s . Il ne peut être dicté que par l’opinion que le
navire n’est plus en état de bonne navigation. L’arma
teur ne peut s’y tromper ni ignorer l’influence que cette
opinion bien ou mal fondée exercera sur la détermina
tion de l’assureur. Pourrait-on dès lors admettre qu’il
�a r t
.
34.8.
529
pourra (aire un fait de cette importance? Peut-on léga
lement exiger que l’assureur qui, après tout, ne verra
dans ce livre qu’il est présumé connaître qu’un défaut
matériel de mention, ouvre une enquête et s’entoure de
renseignement pour en découvrir les causes?
Il n’y a donc pas à hésiter, l’armateur qui a sollicité
soit l’admission de son navire au Veritas, soit le main
tien de la cote qui lui avait été précédemment accordée
et qui a vu sa demande repoussée, doit, s’il fait plus
tard assurer ce navire, instruire l’assureur de ses dé
marches et de leur insuccès. S’il garde le silence, il com
met la réticence prévue par l’article 348 et doit en être
puni par l’annulation de l’assurance.
— Il y a réticence annulant l’assurance dans
l'omission de la déclaration que le navire est armé en
course, et dans celle de la désignation du nom de l’as
suré, lorsque cette désignation est de nature à influer
sur le risque, par exemple, s’il s’agit d’un sujet d’une
nation belligérantel.
Autrefois, la clause pour compte de qui il appar
tiendra aurait empêché ce résultat. Elle n’était, en ef
fet, usitée qu’en temps de guerre, et pour déguiser la
nationalité de l’assuré. La stipuler, c’était donc implici
tement déclarer que l’assuré appartenait à une nation
belligérante. Aujourd’hui cette clause a perdu cette si
gnification. On la stipule indifféremment en temps de
1309.
l Aix, 26 juin 1826 ; Orléans, 7 janvier
1845 ; D, P ., 48, 2, 34.
ni — 34
�530
DROIT MARITIME.
paix comme en temps de guerre. Dès lors, son exis
tence dans la police n’aurait pas dispensé l’assuré du
devoir d’indiquer la nationalité de celui pour compte du
quel il a agi, si cette nationalité aggravait le risque en
exposant l’objet assuré à être saisi et confisqué comme
propriété ennemie l.
— Le silence gardé sur la nationalité du
propriétaire des effets assurés n’exercerait aujourd’hui
aucune influence sur l’opinion du risque, si ces effets
se trouvaient à bord d’un neutre. Ainsi, dans l’arrêt que
nous annotons, la cour de Bordeaux lui refusait le ca
ractère de réticence frauduleuse, lorsque, dans l’opinion
que le pavillon couvrait la marchandise, les assureurs
n’exigeaient des sujets des nations belligérantes emplo
yant des navires neutres d’autre prime que celle qu’ils
imposaient aux neutres eux-mêmes. O r, ainsi que
nous l’avons déjà observé, la guerre que la France et
l’Angleterre se sont vues dans la nécessité de faire à la
Russie a fait cesser leur dissentiment à cet égard. Le
principe que le pavillon couvre la marchandise a pris
place dans le droit public des nations. Dès lors, la na
tionalité de l’assuré réel ne saurait être ni devenir une
aggravation du risque, lorsque les effets assurés sont
confiés à un navire neutre. Le silence gardé à cet égard
1310.
i Cass.. 7 décembre 4824 ; Bordeaux, 3 avril 4837 ; D alloz, N o u v .
R ép -, v. Droit, m a ritim e , n° 4692, 4693.
�art.
348.
531
ne constituerait donc pas la réticence prévue par l’arti
cle 348.
— Nous avons vu que l’assuré doit indiquer
le pavillon sous lequel navigue le navire. Cette indica
tion résulterait suffisamment de celle qui déterminerait
la nationalité du navire. A défaut d’indication contraire,
le navire est toujours présumé naviguer sous son pro
pre drapeau.
Mais, désigner le pavillon, ce n’est pas indiquer la
nationalité du navire. Ce qui en résulte, au contraire,
c’est la présomption qu’en fait le navire appartient à une
nation autre que celle sous le pavillon de laquelle il est
déclaré naviguer.
On a dès lors soutenu que l’indication isolée de celuici ne suffisait pas ; que l’omission de la déclaration de
la nationalité réelle du navire devait, dans cette circons
tance, constituer la réticence frauduleuse. En effet, di
sait-on, le privilège du pavillon n’est acquis qu’autant
que l’équipage est composé au moins, à concurrence des
deux tiers, de sujets de la nation à laquelle appartient
le pavillon. Or, si, en fait, l’équipage est autrement
composé, et que cette composition motive la prise du
navire, on n’a pu le laisser ignorer à l’assureur sans
commettre la réticence prévue par l’article 348 ; elle
aggravait le risque dès qu’elle était de nature a motiver
la prise.
Cette doctrine fut repoussée par le tribunal de com
merce de Marseille. Le jugement considère que les as1211 .
�D RO IT M ARITIM E.
532
surés, en déclarant que le navire était sous pavillon an
glais, avaient suffisamment fait connaître qu’il ne s’a
gissait pas d’un navire anglais, et mis à même les assu
reurs de vérifier la composition de l’équipage ; qu’ainsi,
pour juger s’il y a eu de leur part réticence dans le sens
de la loi, il suffit de savoir si le navire avait ou non le
pavillon anglais1.
1313. — En temps ordinaire, l’assureur sur corps
n’est pas tenu de déclarer la nature du chargement,
même lorsque le navire est destiné à une opération de
contrebande à l’étranger. La raison de douter, c’est
que la navigation de contrebande offre , pour le na
vire lai-même, plus de dangers que la navigation or
dinaire. Ainsi, faisait-on remarquer dans une espèce
de ce genre, le contrebandier ne tient point le large,
mais rase les côtes, brave les écueils et affronte les
tempêtes, afin d’épier le moment favorable pour dé
charger sur la plage. Toutes ces circonstances aggravent
le risque et l’opinion du risque. Dès lors, le silence
gardé sur la nature du voyage constitue la réticence
frauduleuse.
Ce qui devait faire repousser ce système, c’est que,
ainsi que l’enseigne l’arrêt de la Cour de cassation du
25 mars 1835, la contrebande n’est pas un risque ma
ritime dont les effets soient à la charge des assureurs, à
moins de convention expresse contraire. Dès lors, puisi J o u r n a l de M arseille, 1, 9 , 4 .
�ART. 348.
533
qu’ils restent étrangers à ses conséquences, comment
admettre que sa dissimulation a influé et pu influer sur
l’opinion du risque? On le pourrait d’autant moins, di
sait la cour d’Aix, que, de plusieurs polices produites,
il résulte que, dans la détermination de la prime, les
assureurs ne font aucune différence entre les marchan
dises de contrebande et les marchandises ordinaires h
Il est au reste évident que si le navire assuré venait
à être endommagé ou perdu, parce que pour débarquer
la contrebande il aurait rasé les côtes, bravé les écueils
ou affronté la tempête, le dommage ou la perte ne se
rait pas à la charge des assureurs. Ce ne serait plus là
le cas fortuit et imprévu qu’ils garantissent, puisque
l’un ou l’autre ne se serait réalisé que parce que le na
vire s’y serait volontairement exposé.
Pour éviter tout doute à cet égard, les assureurs de
Marseille ont pris le soin de s’en expliquer. L’article 2
de la formule imprimée porte en effet qu’ils sont exempts
de tous événements quelconques résultant de la viola
tion de blocus, de contrebande ou de commerce prohibé
ou clandestin, alors même que les pertes et dommages
proviendraient de baraterie.
Ce qui est admis pour la contrebande ordinaire le se
rait également pour celle de guerre. La prohibition d’im
porter celle-ci existe même à l’égard des neutres. Con
séquemment la saisie du navire, alors même qu’elle ne
serait pas définitive, qui prolongerait le voyage et le
i 9 janvier 4887 ; 30 août 4833 ; Cass., 25 mars 4835.
�vu
DRO IT M ARITIM E.
rendrait plus difficile, ne pouvait être à la charge des
assureurs que si, instruits de la nature de la marchan
dise que le navire devait transporter, ils en avaient ex
pressément accepté le risque.
1 3 1 3 . — Nous n’en finirions pas, si nous voulions
passer en revue toutes les espèces sur lesquelles la jus
tice a eu h statuer et les décisions qu’elle a rendues dans
un sens ou dans l’autre. On peut les consulter dans nos
répertoires et nos recueils de jurisprudence. Nous nous
bornons à rappeler qu’il n’y a de réticence susceptible
de faire annuler l’assurance que celle ayant pour objet
un fait qui, de nature à aggraver le risque, devait né
cessairement influer sur l’opinion que les assureurs se
sont formés de ce risque.
Cet effet est de plein droit attaché à l’omission de cer
taines indications prescrites par l’article 332. Ainsi, il y
aurait lieu d’annuler l’assurance faute d’indication du
lieu où les marchandises ont été chargées, si elles l’ont
été ailleurs qu’au port du départ ; du port d’où le na
vire a dû ou doit partir ; des ports ou rades dans les
quels il doit charger ou décharger ; les ports, rades,
havres ou rivières dans lesquels il doit entrer K
— Ainsi que l’indique le mot lui-même, la
réticence ne peut s’entendre que d’un fait connu par
l’assuré et non déclaré par lui. En conséquence , l’ex1314.
l B o rd e a u x , 7 a v ril 4 8 3 5 ; P a ris , 1 " a v ril 4 8 4 5 ; D . P ., 4 5 , 2 , 8 5 .
�348.
533
ception la plus péremptoire à opposer à la poursuite en
application de l’article 348 est celle que fournirait l’i
gnorance dans laquelle aurait été l’assuré, relativement
au fait signalé. Cette ignorance est toujours présumée.
La réticence est un dol ou une fraude qui n’est jamais
présumée, c’est à l’assureur qui l’allègue à la justifier.
Or, la preuve à cet égard doit avoir un double objet ;
l’existence du fait, au moment de la signature de la po
lice, la connaissance qu’en a eue l’assuré à la même
époque.
ART.
— Dans l’assurance faite par le mandataire
ou le commissionnaire, l’application de l’article 348 ne
saurait souffrir la moindre difficulté. L’un et l’autre sont
tenus de déclarer non seulement tout ce qui est contenu
dans la lettre d’ordre, mais encore tous les faits qui sont
à leur connaissance, et que le mandant ou le commet
tant a pu ignorer et ignorait en effet : Quis mandat
ipse fecisse videtur. Quelle que soit la bonne foi du
mandant, il a au moins le tort d'avoir choisi un man
dataire capable d’user de fraude. Il ne saurait jamais
en tirer aucun profit. Tout ce qui pourrait en résulter
pour lui, ce serait une action en dommages-intérêts
contre l’auteur de la fraude, pour la réparation du pré
judice qui en serait résulté.
L’ignorance et la bonne foi du mandataire ou du
commissionnaire ne ferait aucun obstacle à ce que l’as
surance fût annulée, si le fait connu du mandant au
moment de l’ordre avait été dissimulé aux assureurs.
1215 .
�336
D RO IT M ARITIM E.
On ne pouvait décider autrement, sans rendre l’article
348 à tout jamais inefficace. On comprend, en effet,
que celui qui aurait intérêt à commettre une réticence
ne manquerait pas de déléguer à un tiers le soin de
faire l’assurance, en lui laissant ignorer le fait qu’il
veut dissimuler. Il atteindrait donc indirectement le but
que la loi lui prohibait d’atteindre directement. Cet abus
ne pouvait disparaître que par la doctrine établissant
que l’ignorance et la bonne foi du tiers est indifférente.
Elle ne saurait faire maintenir l’assurance s’il y a réel
lement réticence de la part du mandant ou du commet
tant 1.
— Les assureurs sont toujours recevables à
exciper de la réticence, et à la prouver même par té
moins et par présomptions. Ce n’est là d’ailleurs que
l’application du droit commun en matière de dol et de
fraude.
L’assuré, au contraire, n’est jamais admissible à prou
ver* que l’assureur a été instruit du fait qu’il soutient
avoir ignoré, autrement que par écrit. Il est, en effet,
en position de s’assurer la preuve littérale, soit en exi
geant que l’assureur le reconnaisse expressément et par
écrit.
À défaut, il ne saurait invoquer la preuve testimoniale
en force du principe qu’on ne peut prouver outre et hors
le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir
1316.
i A ix , 13 n o v e m b re 1 8 2 2 .
�ART. 3 4 8 .
337
été dit avant lors ou après. Par application de cette rè
gle, la cour d’Aix décidait que l’attestation du notaire
rédacteur de la police, qu’il a lui-même instruit les as
sureurs, ne saurait être prise en considération l.
Une autre conséquence du même principe a fait ad
mettre que l’assuré, défendeur à la nullité pour cause
de réticence, n’est pas recevable à prouver que la lettre
d’ordre contenant la mention du fait a été lors du
contrat, communiquée aux assureurs.
Ainsi l’assuré ne peut repousser le reproche de réti
cence que par la preuve écrite qu’on ne saurait lui en
reprocher aucun. A défaut, l’existence d’un fait de na
ture à influer sur le risque, coïncidant avec le silence
gardé par la police sur son existence, rend la réticence
certaine et entraînerait fatalement la nullité de l’assu
rance.
*. — Il en est de la fausse déclaration comme
de la réticence. Les résultats étant les mêmes, les effets
ne pouvaient être différents.
La fausse déclaration offre même quelque chose de
plus grave que la réticence. On peut se tromper de bon
ne foi sur les caractères et l'importance d’un fait, on
peut se taire parce qu’on le croit indifférent ou inutile,
mais déclarer le contraire de la vérité, affirmer ce qui
n’est pas, ce qui n’a jamais été, c’est commettre un
acte qui ne saurait être excusé que par la preuve qu’il
est dû à une erreur.
1 4 4 a v ril 1 8 1 8 .
�538
DROIT MARITIME.
Au reste, même dans ce cas, il suffit que la fausse dé
claration ait diminué l’opinion du risque, pour que l’as
surance doive être annulée comme pour la réticence.
1 3 1 8 . — Il importe peu que la fausse déclaration
se réfère à un fait que l’assuré n’était pas tenu d’indi
quer, mieux vaut se taire que mentir même sans in
tention. Puisque les parties d’ailleurs s’en sont expli
quées, c’est qu’elles ont cru utile de le faire, dès lors
l’assuré était obligé de dire vrai. La fausseté de sa dé
claration, si elle a influé sur l’opinion du risque, cons
titue donc : d’un côté, l’oubli d’un devoir ; de l’autre,
une erreur préjudiciable. La nullité du contrat résultait
évidemment de ce double caractère.
Il faut donc dire, avec M. Delvincourt.que la mention
du nombre d’hommes et de canons, quoique non exi
gée dans les polices, annulle l’assurance dans l’intérêt
de l'assureur, si elle a été faite d’une manière fausse ;
avec la cour de Bordeaux, que l’assuré, que rien n’o
blige à indiquer le jour et l’époque du départ, qui dé
clare que le navire n’est parti que depuis quatre à cinq
jours, tandis qu’il est parti depuis onze, commet la
fausse déclaration devant faire annuler l’assurance, si
elle a influé sur l’opinion du risque *.
— La différence entre la police et le con
naissement enlève tout aliment à l’assurance. En effet,
1319.
i 4 fru c tid o r a n v m .
�ART. 3 4 8 .
539
indiquer dans l’une de l’huile, tandis que le second men
tionne du vin, déclarer dans la police que la marchan
dise est marquée A. B., tandis que la marque portée
dans le connaissement est C. D., c’est n’avoir pas réa
lisé le chargement assuré, et par conséquent avoir re
noncé au bénéfice de l’assurance.
Dans l’assurance du prêt à la grosse, le billet de
grosse remplace le connaissement. Toute différence en
tre ce billet et la police d’assurance annullerait le con
trat dans les conditions prévues par l’article 348.
Dans cette circonstance on ne rencontrera certaine
ment pas de différence affectant la chose dans sa natu
re. Dans tous les cas, il s’agira d’une somme prêtée,
mais les différences pourront se remarquer dans les af
fectations sur lesquelles porte la somme.
D’abord, et avant tout, les assureurs doivent être ins
truits de tout ce qui se réfère à la validité du prêt, à la
forme qui lui a été donnée, à l’omission des formalités
qui lui sont prescrites. Le tribunal de commerce de Mar
seille jugeait en conséquence, le 28 janvier 1829, que
l’assurance d’un billet de grosse est nulle si le billet n’é
tant signé que par l’écrivain du navire, le capitaine
étant illétré, et si n’ayant pas été transmis au greffe du
tribunal de commerce, ces faits n’ont pas été déclarés
aux assureurs *.
C’est là une réticence qui, laissant ignorer l’imperfec
tion du billet, a nécessairement diminué l’opinion du ris1 J o u r n a l de M a rseille, t. 1 0 , 4 , 4 8 5 .
�MO
DROIT
MARITIME.
que, la nullité était donc commandée par l’article 348.
La différence entre la police et le billet de grosse exis
tera ou sur la somme, si on a fait asssurer 1,000 fr. et
que le billet soit de 1,300 ou de 500 fr. seulement ; ou
dans la cause indiquée, comme si la police énonce que
l’argent prêté a été employé à réparer le navire, lors
que le billet de grosse constate qu’il a servi à acheter
des victuailles.
Dans l’un et dans l’autre cas, la différence fait dis
paraître toute identité entre le prêt et la chose assurée.
La nullité est la conséquence de ce défaut d’identité, tout
comme elle n’a pas d’autre cause dans l’hypothèse d’une
différence entre la police et le connaissement.
De là il suit que si la différence était telle qu’elle lais
sât subsister l’identité entre le billet de grosse et l’assu
rance, la nullité devrait être écartée. Nous avons déjà
rappelé l’arrêt de la cour d’Aix, déclarant qu’il n’y a
pas différence dans le sens de l’article 348, lorsque
dans la police la somme prêtée a été déclarée avoir été
employée aux corps, agrès, armements, avictuaillements, salaires et dernières expéditions, tandis que le
billet énonce de plus que l’argent a eu en outre pour
objet d’acquitter les droits et engagements du navire l.
±220. — La nullité résultant de la réticence et de
la fausse déclaration est toute dans l’intérêt des assu
reurs. Eux seuls peuvent l’invoquer, il serait en effet
1 8 décembre 1820.
�ART. 548.
541
immoral que l’assuré pût se créer un titre à lui-même et
qu’il fût admis à exciper de sa propre fraude pour se
dégager de ses obligations, il n’est donc jamais receva
ble à quereller la police sous le rapport de la réticence
ou de la fausse déclaration.
Il n’en est pas ainsi pour la différence entre la police
et le connaissement, celle-ci, substituant un risque nou
veau au risque assuré, entraîne en réalité, à l’égard de
ce dernier, la rupture du voyage que l’article 349 dé
clare facultative, et cette faculté ne peut jamais être exer
cée que par l’assuré.
On ne saurait donc, dans notre hypothèse, lui repro
cher d’exciper de son propre fait, feci sed jure feci,
répondrait-il, puisque les objets assurés n’ont jamais été
mis en risque, il n’y a jamais eu d’assurance, tant en
faveur que contre les assureurs.
L’assuré pourrait donc invoquer ce moyen pour re
fuser le paiement de la prime ; tout ce qu’il devrait, ce
serait l’indemnité de demi pour cent accordée en cas de
rupture du voyage.
FIN DU TROISIEME VOLUME.
��T A B LE
A LP H A B ÉTIQ U E
DES MATIERES
L e e chiffre» in d iq u e n t le s n u m é ro s d 'o rd re
Affectation. — Le contrat de grosse doit énoncer l’affectation qu’il a
reçue. Effet de l’om ission, 841. — Il suffît d’une énonciation géné
rale. Ses effets, 842. _ V oy. Contrat à la grosse.
Assurance. — Importance et utilité de l’assurance, 1002. — Son ori
gine, 1003___Connue et pratiquée chez les Romains, 1004____Cau
ses qui s’opposèrent à son développement et silence gardé par les lé
gislations antérieures au quatorzième siècle, 1005.— Quelle est sa
véritable nature, 1006. — Le contrat d’assurance est consensuel,
1007. — Conséquence quant à la capacité des parties, 1008.— Il est
synallagmatique et aléatoire, 1009 et suiv. — Du droit des gens,
1012. — La police doit indiquer le montant de l’assurance, 1067.—
A quel voyage s’applique l'assurance contractée avant ou après le dé
part du navire, 1075. — Objets pouvant faire la matière d’une assu
rance, 1082 et suiv. — Caractère de l’assurance sur corps et quille,
1085. — L’assurance sur chargement peut être totale ou partielle,
ses caractères dans les deux cas, 1086 et suiv. — Quid, de celle pour
l’aller et le retour, 1089. — Effets de l’assurance sur facultés, 1090.
— De celle de sommes prêtées à la grosse, 1091 et suiv. — Assu
rance sur la vie et la liberté des personnes, 1094. — Celle pour la
contrebande à l’étranger est valable, 1095. — Ce que comprend l’as
surance, 1097. — Epoque où elle peut être consentie et pour quel
temps, 1 098 et suiv. — Ses eflets lorsqu’elle est pour l’aller et le re
tour, suivant qu’elle est ou non à prime liée, 1101. — Responsabi
lité résultant de celle à temps limité, 1 4 0 2 . — L’assurance peutavoir
pour objet la navigation sur les fleuves et rivières, 4103. — Motifs
�TABLE ALPHABÉTIQUE
qui ont fait admettre l’assurance in quovis. Ses conditions, son ca
ractère, son étendue, 1143 et suiv. — Voy. Police d’Assurance.
Assuré. — N’a pas besoin de signer la police, 1026. — Doit être dési
gné par son nom et son domicile. Conséquence de l’omission, 1036
et suiv. — La qualité en laquelle il agit, 1039. — Yoy. Assurance,
Police d’Assurance, Prime, Rélicence.
Assureur. — L’assureur vient en concours sur le produit du sauvetage
avec le prêteur à la grosse. Dans quel cas. Pour quelle somme, 997
et suiv. — Dès que la police d’assurance est signée par l’assureur,
elle devient parfaite et obligatoire, 1024. — Peut-il biffer sa signa
ture ou modifier son engagement, 1025. — Les assureurs peuvent
toujours agiter la question de propriété, 1040. — Leurs droits con
tre le mandataire ou commissionnaire, 1044. — Profitent exclusive
ment de la nullité résultant de l’inobservation de l’article 332, 1055.
— Voy. Assurance, Police d'Assurance, Prime, Rélicence.
Avarie. — Le prêteur à la grosse est tenu de l’avarie commune. Carac
tère de celle-ci, 991 et suiv. — L’avarie particulière n’est à sa char
ge que s’il n’y a pas de convention contraire, 995 et suiv.
544
B
Bénéfice. — Le bénéfice espéré ne peut faire la matière d’un emprunt
à la grosse, 892. — Secus du bénéfice réalisé, 893. Celui qui n’est
qu’espéré ne peut être assuré, 1498.
B illet de grosse. — Peut être négocié s’il est à ordre, 860. — Quelles
sont les différences entre ce billet et la police qui peuvent faire an
nuler l’assurance, 1094, 1219. — Voy Endossement
Blocus. — Effet du blocus. Nature de la faculté d’entrer dans un autre
port. Empêche-t-elle le retour au port du départ, 1076.
Capitaine. — La police d’assurance doit énoncer le nom du capitaine.
Effet de l’om ission , 1054. - r Effet du changement du capitaine après
�DES MATIÈRES.
l’assurance, 1087. _ Origine et ancienneté de la clause, ou tout au
tre pour lui, ce qui en résulte pour l’armateur, 1058 et suiv. —
L’existence de cette clause excuserait-elle la fausse indication, 1060.
— Obligation du capitaine chargeant des marchandises pour son
compte et les faisant assurer. 1178. — Voy. Emprunt à la grosse,
Loyers.
Caution . — Effet de la dation de caution en cas de faillite de l’assu
reur ou de l’assuré avant la fin du risque, 1192___Caractère et mode
de réception, 1193.
Changement ee navibe. — Le changement volontaire de navire fait
cesser le risque du prêteur et rend la somme prêtée exigible, 641 et
suiv. — Exception en cas de force majeure qui doit la prouver, 944
et suiv.
Chargement. — Comment et dans quelles proportions le chargement
peut-il être affecté au prêt à la grosse, 880. — Effets du chargement
incomplet sous l’ordonnance et d’après le Code, 881 et suiv.--Char
gement insuffisant, nullité qui en résulte. Par qui peut-elle être in
voquée? 883 et suiv. — Effet de l’assurance faite sur le chargement
affecté depuis à un prêt à la grosse, 807 — Efîet de l’exagération de
bonne foi, 889. — Nécessité pour l’emprunteur de prouver le char
gement, 988----- Caractère de cette preuve, 987— La preuve con
traire est réservée au prêteur. Son objet. Sa nature. Ses effets, 988
et suiv. — Le défaut de chargement peut être indiqué par l’emprun
teur lui-même, 990. — La police d’assurance doit indiquer le lieu du
du chargement. Effet de l’omission, 1061. — Quid, si à défaut d’in
dication le chargement n’avait pas été fait au port du départ? 1062.
— La nature, la valeur ou l’estimation des effets composant le char
gement doivent également y être mentionnées. Conséquences, 1064
et suiv.
Clause compromissoire. — Sa validité ne saurait être contestée en ma
tière d’assurance. Conséquence, 1071.
Commissionnaire. — Clauses établissant cette qualité chez celui qui as
sure. Obligations qui en résultent, 1041. — Nature de sa responsa
bilité à l’endroit de la prescription de cinq ans, 1042 — Peut pour
suivre en son nom le paiement de la perte. Comment prouverait-il le
in — 35
�546
TABLE ALPHABÉTIQUE
chargé, 4043, — Effets de sa bonne ou sa mauvaise foi sur le contrat
d’assurance, 1245.
Connaissement. _ Formes du connaissement lorsque le capitaine char
ge pour son propre compte, 4176 et suiv. — Obligations pour les
gens de l’équipage et les passagers, chargeant à l'étranger, de déposer
un double du connaissement. Forme de ce dépôt. Ses effets, 1181 et
suiv. — Effets de la différence entre le connaissement et la police
d’assurance, 4249.
Contrat a la grosse. — Sa définition. Ses caractères, 825. — Légiti
mité du profit maritime dont il est l’occasion, 826. — Nécessité d’un
risque sérieux et réel, 827 et suiv. — Affinités et différences avec
d’autres contrats, 830 et suiv. — Doit être fait pardevant notaire ou
sous seing-privé. Conséquences quant à la preuve testimoniale, 833
et suiv. — Enonciations qu’il doit renfermer. Leur nature. Effets de
l’omission, 836 et suiv. — Doit être enregistré. Dans quel délai et au
greffe de quel tribunal, 853 et suiv. — Quid, de celui fait en pays
étrangers? 859.
Contrebande. — Le prêteur peut-il prendre à sa charge le risque de la
contrebande, 955. — La contrebande à l’étranger peut faire la ma
tière d’une assurance, 4095. — Effet du défaut de déclaration que le
navire est chargé pour la contrebande, 1212.
Courtier — Peut recevoir les polices d’assurances, 4022. — Dans quel
but sa signature est-elle requise, 1024. — Doit-il faire signer les
parties sur son livre, 1027. — Sa responsabilité, 4 033.
Créancier. — Le créancier même privilégié ne peut faire assurer la
chose du débiteur, 4045.
D
Da t e __ Voy. Contrat à la grosse, Police d’Assurance.
Déclaration (faussel. — Caractère et effet de la fausse déclaration,
4217 et suiv. Voy. Ré licence.
Dépenses extraordinaires. — On peut faire assurer les dépenses ex
traordinaires faites en cours de voyage, 1463.
�DES MATIÈRES.
547
D ernier ressort. — Le jugement qui prononce entre plusieurs assu*
reurs collectivement est en dernier ressort pour tous ceux dont l’in
térêt ne dépasse pas 1,500 francs, d081
D ifférence. — Caractère et effet de la différence entre la police et le
connaissement ou le billet de grosse, 1219. — L’assuré peut s’en
prévaloir, 4220.
D omicile — La police d’assurance doit indiquer le domicile de l’assuré.
Effets de l’omission, 4036 etsuiv. — Voy. Rélicence.
E
E mprunt a la grosse. — Objets sur lesquels il peut être affecté, 872
et suiv. — Peut-il être contracté sur les barques et bateaux desser
vant les ports et rades ou consacrés à la pêche, 877 et suiv. — Dans
quelles proportions peut-il affecter le chargement, 880. — L’em
prunt contracté sur des effets assurés est nul, 887. — Ne peut avoir
lieu sur le fret à faire ni sur le bénéfice espéré, 892. — Ni sur les
loyers des matelots, 900. — Peut avoir pour objet les pacotilles que
les gens de l’équipage chargeraient, 907. — Causes rendant l’em
prunt exigible. Effet de l’exigibilité, 908 et suiv. — Qui peut em
prunter à la grosse? 925 et suiv. — Celui fait sur corps par le non
propriétaire ne produit aucun effet. Exception pour le capitaine. Ses
devoirs, 927 et suiv. — Effet de l'emprunt qu’il contracte hors le
lieu de la demeure des propriétaires, 931. — Responsabilité de l’un
et de l’autre, 932. — Effet de la garantie que le capitaine donnerait
personnellement à l’emprunt, 935. — Comment se régleraient les
emprunts sur facultés faits par le capitaine en cours de voyage, 936.
Le capital emprunté ne peut être assuré, 4200.
E mprunteur. — Nécessité d’indiquer son nom dans le contrat de gros
se, Effets de l’omission, 847. — Dans quels cas est-il libéré par le
sinistre? 940 et suiv. — Quid, en cas de détérioration de plus des
trois quarts? 948. — Comment s’apprécie celle-ci? 949. — Le sinis
tre doit être le résultat de la force majeure. Conséquences, 950. —
N’est pas libéré si, pouvant transborder les marchandises affrétées,
il a préféré les vendre sur la localité, 958. — Ses obligations à l’en
droit des marchandises sauvées, 959. — Peut-il venir en concours
�t
548
TA BLE ALPH ABÉTIQ UE
av ec le p rê te u r s u r le p r o d u it d u sa u v e ta g e ? 9 6 0 e t su iv . — D o i t - i l >
en c as d e c o n c o u rs , te n ir c o m p te d e s m a rc h a n d is e s d é b a rq u é e s a v a n t
le s in is tre , 9 6 4 e t s u iv . — N ’e s t lib é ré q u e p a r la p re u v e q u ’il a v a it
à b o rd u n in té r ê t ég al à la so m m e e m p ru n té e . C a ra c tè re de c e tte
p re u v e , 9 8 5 e t s u i v .— P e u t e x c ip e r lu i-m ê m e d u d é fa u t de c h a rg e
m e n t, 9 9 0 ___ V o y , Chargement, Contrat et Emprunt d la grosse.
Endossement. —
C a ra c tè re s d e l ’e n d o sse m e n t d u b ille t d e g ro sse . Ses
effets, 7 6 2 . — E n v e rs q u i le p o r t e u r d 'u n e n d o s s e m e n t irré g u lie r
p o u r r a -t- il p ro u v e r q u ’il e n a f a it les fo n d s ? 8 6 3 . — E ffets de l’i r r é
g u la rité d u se c o n d e n d o s s e m e n t à l ’é g a rd d u s o u s c rip te u r d u p re m ie r,
8 6 4 e t s u iv . — E te n d u e d e la g a ra n tie r é s u lta n t d e l ’e n d o sse m e n t,
8 6 6 e t s u iv . — L ’e n d o sse m e n t p e u t ê tr e à fo rfa it, m a is n e p e u t g a
r a n tir le s in is tr e , 8 69 e t s u iv __ L e p o r te u r e s t d é c h u c o n tre l ’e n
d o s s e u r à d é fa u t d e p r o tê t d a n s le s 2 4 h e u re s P o in t de d é p a rt de ce
d é la i, 8 7 1 . — L a p o lic e d ’a s s u ra n c e p e u t ê tr e à o rd re e t tr a n s m is s i
b le p a r e n d o sse m e n t F o rm e e t c o n d itio n d e c e lu i-c i, 1 0 7 8 e t su iv
E nregistrement. —
P o u rq u o i o n a s o u m is le p r ê t à la g ro ss e à l’e n re
g is tre m e n t. D é la i d a n s le q u e l il d o it ê tre e ffectu é, 8 5 3 e t s u iv . —
Où e t e n q u e ls lie u x il d o it ê tr e fa it, 8 5 5 e t s u iv — E ffet d u d é fa u t
d ’e n re g is tre m e n t, 8 5 7 . — D e l ’e n re g is tre m e n t ta rd if, 8 5 8 .
Equipage.
— L es fa its d e l ’é q u ig a g e r e n tr e n t d a n s la c a té g o rie d e s fa its
p e rs o n n e ls à l ’e m p ru n te u r, 9 5 2 — V o y Chargement, Connaisse
ment, Contrat et emprunt à la grosse, Loyers
E stimation
— P o u r q u o i e lle e s t re q u is e ? q u a n d l’a s s u r e u r p e u to il e n
d e m a n d e r u n e n o u v e lle ? 1 1 0 4 e t s u iv . — E ffet d e s c la u s e s , valeur
évaluée de gré à gré, o u vaille ou non vaille pour tenir lieu de
capital en tout temps et en tout lieu, 1 1 0 8 e t su iv . — L ’a s s u ré p e u ti l re v e n ir s u r l ’e r re u r d a n s l ’e s tim a tio n ? 111 1 — C o m m e n t e lle e st
fa ite en c a s d e s ile n c e d e la p o lic e ? 1 1 2 5 e t s u iv . — F r a is e t d ro its
à a jo u te r à la v a le u r v é n a le , 1 1 2 8 e t s u iv . — F o rm e de l ’e s tim a tio n .
Q u i e n d o it le s f ra is ? 1 1 3 0 . — C o m m e n t d o it- e lle ê tr e fa ite lo r s q u ’il
s ’a g it d ’u n n a v ir e ? 1 1 3 4 .
Etranger. — P e u t se fa ire a s s u re r e n F ra n c e . A q u e lle s c o n d itio n s ?
1 0 1 3 . — Quid, si la F ra n c e é ta it e n g u e rre a v e c la n a tio n à la q u e lle
il a p p a r tie n t? 1 0 1 4 .
�DES M A TIER ES.
F acture. —
A v a n tag e s e t ’ in c o n v é n ie n ts d e s fa c tu re s d a n s l ’e s tim a tio n
d e s m a rc h a n d is e s a ssu ré e s , 1 1 2 6 . — C as d a n s le q u e l o n d o it le u r
p ré fé re r le p r ix c o u r a n t, 1 1 2 7 .
F aillite . —
E ffet de la f a illite d e l ’a s s u re u r o u de l ’a s s u ré a v a n t la fin
d u ris q u e , 1 1 8 5 e t s u i v .
F ait
personnel. — L e p r ê te u r n e ré p o n d p a s d es fa its p e rs o n n e ls d e
l ’e m p r u n te u r. N u llité d e la c o n v e n tio n c o n tra ire , 951 e t su iv .
F alsification. — C a ra c tè re
F ret , — L e f r e t à fa ire n e
d e l a fa ls ific a tio n . C o n sé q u e n c e s, 1 1 1 2 .
p e u t fa ire l ’o b je t d ’u n e m p r u n t à la g ro sse,
8 9 2 . — Q u id , d u f r e t a c q u is ? Q u a n d s e r a -t- il r é p u té te l? 8 9 3 e t
su iv . — L o r s q u e le f r e t d é c la ré a c q u is à to u t é v é n e m e n t ég ale la v a
le u r d u n a v ire , e t q u e l ’a rm a te u r a e m p ru n té s u r c o rp s j u s q u ’à co n
c u rre n c e de c e tte v a le u r, p o u r r a -t- il, e n cas d e s in is tr e , r e te n ir e t le
c a p ita l e m p ru n té e t le f r e t ? 8 9 5 e t s u iv . — L e f r e t a c q u is e n c as
d ’h e u r e u x v o y a g e e s t s o u m is a u p riv ilè g e d u p r ê te u r , 9 1 9 . — Q u id ,
e n c a s d e n a u fra g e ? 9 1 8 . — O u p e u t, q u a n t a u fre t, d é ro g e r a u d r o it
c o m m u n , 9 1 9 . — C o m m e n t se r é p a r tit le f r e t e n tr e le s p r ê te u r s s u r
le s d iv e rs e s p a r tie s d u n a v ire , 9 2 0 . — L e f r e t à fa ire o u à p a y e r n e
p e u t ê tr e a s s u ré , 1 1 9 7 .
Garantie. — Voy. E n d o ssem e n t.
Imputation . —
Q u a n d p e u t-o n im p u te r s u r le c a p ita l le m o n ta n t de la
c o n tr ib u tio n à l ’a v a rie c o m m u n e d u e p a r le p r ê te u r ? 9 9 4 .
Indemnité, —
L ’in d e m n ité de d e m i p o u r c e n t acc o rd ée a u x a s s u re u rs
e s t-e lle a c q u is e a u p r ê te u r e n c a s de r u p tu r e de v o y ag e? 8 9 1 .
�550
table alphabétique
In quovis . — L a c la u se d u c h a rg e m e n t in q u o v is e s t-e lle a d m is s ib le
d a n s le c o n tr a t d e g ro s s e ? 8 4 5 .
L.
L oyers. —
N e p e u v e n t fa ire la m a tiè re d ’u n e m p r u n t à la g ro sse , 900
e t su iv . — Q u id , de c e u x d u c a p ita in e , 9 0 4 e t s u iv . — N e p e u v e n t
ê tre a s s u ré s , 1 2 0 1 .
M
Matelots.
— L es m a te lo ts q u i c h a rg e n t u n e p a c o tille p o u r le u r c o m p te
p e u v e n t l’a ffecter à u n e m p ru n t à la g ro sse , c o n sé q u e n c e d e l ’e m p ru n t
à l ’e n d ro it d e le u rs lo y e rs , 9 0 7 . — V o y . L o y e rs
Monnaie. —
A b u s q u i é ta it r é s u lté d u sile n c e de l'o rd o n n a n c e s u r le s
a s s u ra n c e s fa ite s e n m o n n a ie é tra n g è re , 1 1 2 2 . — D é c la ra tio n d u 17
a v r il 1 7 7 9 . — C o n sa c rée p a r le C ode q u i l ’a c o m p lé té e , 1 1 2 3 . —
P e u t-o n d é ro g e r à sa d is p o s itio n ? 1 1 2 4 .
IV
Navire. —
B u t de la lo i e n e x ig e a n t l ’in d ic a tio n d u n o m d u n a v ire d a n s
le c o n tra t à la g ro sse , 8 4 3 . E ffet de l’e r re u r d a n s l ’é n o n c ia tio n o u de
l’o m issio n , 844. — L a p o lie e d ’a s s u ra n c e d o it c o n te n ir le n o m e t la
d é s ig n a tio n d u n a v ire , 1 0 4 4 — E ffet de l ’o m is s io n d u n o m , 1 0 4 8 .
— E x c e p tio n q u e l ’a rtic le 3 3 2 c o m p o rte s u r ce p o in t, 1 0 4 9 e t s u iv .
— E ffet d e l ’o m is sio n d e la d é sig n a tio n , 1 0 5 1 . — D e la fa u sse d é c la
r a tio n o u d e l ’e rre u r s u r l ’u n e e t s u r l ’a u tre , 1 0 5 2 e t s u iv . — E ffet
d e la n u llité , 1 0 5 5 — A u tre s in d ic a tio n s se r a tta c h a n t a u n a v ire ,
1061 e t s u iv .
Notaire. — P e u t re c e v o ir
le s p o lic e s d ’a s s u ra n c e s e t s ’e n tre m e ttre p o u r
e n d é te rm in e r la c o n fe c tio n , 1 0 2 2 e t s u iv . — A q u e l t it r e sa sig n a -
�I
DES MATIERES.
ture est nécessaire ? 1024. __Doit-il faire signer son registre par
toutes les parties ? 1027 — Sa responsabilité, 1033.
Nullité . — Caractère de la nullité pour chargement incomplet ou
frauduleusement exagéré. Ses effets, 883 et suiv. — Caractère
de celle édictée par l’article 347.— Stipulations qu’elle affecte, 1202.
•— Caractère et effets de la nullité pour réticence frauduleuse, 1204.
— De celle pour fausse déclaration ou différence. Qui peut les invo
quer, 1220.
P aiement. —
A q u e lle é p o q u e d o it se fa ire le p a ie m e n t d e l’e m p r u n t à
la g ro sse ? O ù e t c o m m e n t d o it-il ê tr e e x é c u té ? 9 1 5 e t su iv .
ê tr e c o n s ta té e p a r é c r it. Quid, si e lle e st
d ’u n e so m m e in fé rie u re à 1 5 0 fra n c s o u s’il e x is te u n c o m m e n c e m e n t
d e p re u v e ? 1 0 1 5 e t su iv . — L a p re u v e te s tim o n ia le e s t a d m is s ib le
lo rs q u e c e lu i q u i l ’in v o q u e n ’a p a s c o n tra c té lu i-m ê m e , 1 0 1 8 . __ L a
p o lic e d o it ê tr e d a té e , d e q u e lle m a n iè re ? 1 0 1 9 . — Quid, de celle
so u s c rite su c c e s siv e m e n t p a r p lu s ie u r s a s s u re u rs ? 1 0 2 0 . — E ffet de
l’o m is sio n to ta le o u p a rtie lle de la d a te , 1 0 2 1 . — F o rm e d e la p o li
ce, 1 0 2 2 . _ D a n s to u s le s cas e lle e s t p a rfa ite p a r la s ig n a tu re de
l’a s s u re u r, 1 0 2 4 . — C ette s ig n a tu re p o u rra it-e lle ê tre b iffé e ? 1 0 2 5 .
__ L a p o lic e n ’a p a s b e s o in d ’ê tr e sig n é e p a r l ’a s s u ré . M o tifs, 1 0 2 6 .
— N e p e u t c o n te n ir n i ra tu r e s , n i s u rc h a rg e s , n i re n v o is , à m o in s
d ’ê tre a p p ro u v é s p a r to u te s le s p a rtie s , 1 0 2 8 . — C elle fa ite so u s
se in g -p riv é d o it-e lle ê tre s o u s c rite à d o u b le o r ig in a l? 1 0 2 9 e t su iv .
— F o i q u i lu i e s t d u e , 1 0 3 2 . — D a n s a u c u n c a s e lle n e d o it c o n te
n ir a u c u n b la n c , 1 0 3 3 . — E n o n c ia tio n s q u ’e lle d o it re n fe rm e r. E ffet
d e l ’o m issio n , 1 0 3 5 e t s u iv . — Ce q u e la lo i a e n te n d u p a r le s a u
tr e s c o n v e n tio n s q u ’e lle p e rm e t d ’in s é r e r d a n s la p o lic e , 1 0 7 2 . —
E ffet de la p o lic e . R è g le s d ’in te rp ré ta tio n , 1 0 7 3 e t s u iv . — P o u v o irs
d es tr ib u n a u x à c e t e n d ro it, 1 0 7 7 . — P e u t ê tre à o r d r e o u a u p o r
te u r . C o n sé q u e n ce , 1 0 7 8 e t su iv . — U n e m ê m e p o lic e p e u t c o n
te n ir p lu s ie u rs a s s u ra n c e s . A q u o i p o u r r a - 1 - o n le re c o n n a ître ?
1080,
P olice d’assubance. __D o it
�552
TA BLE
ALPHABÉTIQUE
P rêteur . —
S o n n o m d o it ê tr e in d iq u é d a n s le c o n tr a t d e g ro ss e E ffet
d e l’o m is sio n , 8 4 7 e t su iv . — D ro its q u e lu i c o n fè re l ’e x ig ib ilité d n
p r ê t, 9 1 2 . — N e ré p o n d n i d u f a it p e rs o n n e l de l ’e m p ru n te u r, n i d u
v ice p ro p re d e la c h o se , 9 5 4 e t su iv ------ S es d r o its s u r le s effets s a u
v é s e n c a s d e n a u fra g e , 9 5 7 e t s u iv . — A -t-il a c tio n s u r le p r o d u it
in té g ra l d u s a u v e ta g e d a n s le c a s d ’u n c h a rg e m e n t e x c é d a n t la so m
m e p rê té e ? 9 6 0 e t s u iv . — P e u t- il e x ig e r, e n c a s d e c o n c o u rs a v ec
le p re n e u r, q u e c e lu i-c i tie n n e c o m p te d es m a rc h a n d is e s d é c h a rg é e s
a v a n t le s in is tr e , 9 6 5 e t s u iv . — R é p o n d d es a v a rie s . C o m m e n t e t
d a n s q u e ls c a s ? 991 e t s u iv . — D ro its s u r le sa u v e ta g e , s ’il e x is te
s im u lta n é m e n t u n p r ê t à la g ro sse e t u n e a s s u ra n c e , 9 9 7 e t su iv .
P rime . __E n
q u o i e lle c o n s is te . D o it ê tr e m e n tio n n é e d a n s la p o lic e ,
1 0 6 8 . — C o m m e n t p e u t- e lle ê tr e é ta b lie e t p a y é e ? 1 0 6 9 e t s u iv . —
L a p rim e de la ré a s s u ra n c e p e u t ê tre m o in d re o u p lu s fo rte q u e c elle
d e l ’a s s u ra n c e , 1 1 5 1 . O n p e u t fa ire a s s u re r la p r im e , 1 1 6 6 — D o ite lle ê tr e a u g m e n té e , la g u e rre s u r v e n a n t? 1 1 6 4 e t s u iv . — D a n s
q u e ls c as c e tte a u g m e n ta tio n e s t-e lle a c q u is e ? 1 1 6 8 e t su iv . — C om
m e n t il e s t p ro c é d é à sa d é te rm in a tio n , 1 1 7 2 e t s u iv . — Q u a n d d o ito n la d im in u e r ? 1 1 7 5 .
P rime
des primes. — L ’a s s u r e u r q u i n e l’a p a s a s s u ré e p e u t-il la c o m
p re n d re d a n s la ré a s s u r a n c e ? 1 1 5 0 . — L ’a s s u ré a la fa c u lté d e la
fa ire a s s u re r, 1 1 5 6 . — M a n iè re d o n t s’é ta b lit la p rim e g é n é ra le ,
1 1 5 7 . __P e u t-e lle ê tre a s s u ré e p a r l ’a s s u r e u r d u c a p ita l ? 1 1 5 8 . —
P e u t-o n le p r é s u m e r ? 1 1 5 9 .
P rivilège. —
S u r q u o i p o rte le p riv ilè g e d u p r ê te u r s u r c o rp s, 9 1 7 . —
Q u e c o m p re n d c e lu i d u p r ê te u r s u r la to ta lité o u s u r u n e p a rtie d u
c h a rg e m e n t, 921 e t su iv . — E te n d u e d u p riv ilè g e e n g é n é ra l. C o m
m e n t il s’é te in t. O rd re d a n s le q u e l il s’e x e rc e , 9 2 3 . — E x is te - t- il
p o u r le r e m b o u rs e m e n t d u c a p ita l, e n cas d e r u p tu r e d u v o y a g e
a v a n t le d é p a rt ? 9 2 4 . — D a n s q u e l c a s s o r t- il à effet c o n tre les
tie r s ? 9 3 3 e t s u iv . — C la s se m e n t d u p riv ilè g e e n tr e le s d iv e rs p r ê
te u r s , 9 3 7 e t su iv .
P rofit
maritime — S a lé g itim ilé à q u e lq u e ta u x q u ’il a it é té p o rté ,
8 2 6 . — D o it ê tre d é te rm in é e d a n s le c o n tr a t. E ffet d e l’o m is s io n ,
8 3 7 e t s u iv . — P ro d u it- il in té r ê t d u j o u r de l’e x ig ib ilité ? 9 1 2 e t
s u iv . _ P e u t ê tre s tip u lé à ta n t p a r m o is . C o n sé q u e n c e , 9 7 5 . —
�DES MATIÈRES.
553
Peut-on convenir qu’il sera en partie acquis ? 976 et suiv, — Ne
peut pas être assuré. 4199.
P rotêt. — Voy. Endossement.
Réassurance. —
S es c a ra c tè re s . Ses effets, 4 1 4 7 e t s u iv . — S u r q u o i
p e u t-e lle p o r t e r ? 4 1 4 9 e t su iv . — S o n effet à l ’e n d ro it de l ’a s s u ré
p rim itif, 1 4 8 2 e t su iv .
R emboursement.
— L ’é p o q u e d u re m b o u rs e m e n t d o it ê tre e x p rim é e
d a n s le c o n tr a t de la g ro ss e . — E ffet de l ’o m is sio n , 8 8 2 .
R é s il ia t io n . — D a n s q u e ls cas e t à q u e lle s c o n d itio n s p e u t-o n p o u r
s u iv re la r é s ilia tio n d e la p o lic e d ’a s s u ra n c e s ? 4 1 8 8 e t s u iv .— Quid
si e n fa it le ris q u e é ta it é p u is é a u m o m e n t de la d e m a n d e ? 1 8 8 8 . —
P e u t-e lle ê tre p o u rs u iv ie fa u te de p a ie m e n t de la p rim e ? 1 1 9 1 . —
E ffet d u c a u tio n n e m e n t, 1 1 9 2 .
Réticence. —
E ffet de la ré tic e n c e . C a ra c tè re d e la n u llité q u i en r é s u l
te . C o n sé q u e n ce , 4 2 0 3 e t s u iv . — P o u v o irs d es tr ib u n a u x . A p p lic a
tio n s d iv e rs e s , 1 2 0 8 e t su iv . — D ’o ù p e u t r é s u lte r le c a ra c tè re fr a u
d u le u x d é te rm in a n t la n u llité , 4 2 4 3 . — P e u t ê tre p ro u v é e p a r té
m o in s , 1 2 1 6 .
R is q u e . — L ’e x is te n c e d ’u n r is q u e s é rie u x e t ré e l e s t s u b s ta n tie lle a u
p r ê t h la g ro ss e . C o n sé q u e n ce s, 8 2 7 e t su iv . — S a d u ré e d o it ê tre
e x p rim é e a u c o n tr a t. E ffet de l ’o m is s io n , 8 4 9 e t s u iv . — Ce q u ’il
fa u t e n te n d re p a r le te m p s e t le lie u d u ris q u e , 9 4 0 . — N a tu re d u
ris q u e . C a ra c tè re d e c elu i p o u r l ’a lle r e t le re to u r , 9 6 9 e t s u iv . —
C e lu i q u i e s t p ris e n te rm e s g é n é ra u x p o u r le v o y a g e le s c o m p re n d
l ’u n e t l’a u tre C a ra c tè re d e c e tte p ré s o m p tio n , 9 7 2 e t su iv . — D ro its
d u p r ê te u r si le r e to u r n e s’effectu e p a s, 9 7 4 . —- In flu e n c e d u ris q u e
s u r la s tip u la tio n d u p ro fit. 9 7 8 . — L e ris q u e p e u t ê tre ro m p u en
c a s de su rv e n a n c e d e g u e rre . C o n s é q u e n c e t 9 7 8 . — R isq u e p o u r u n
tem p s lim ité . S o n c a ra c tè re . Ses effets, 9 7 9 e t su iv . — A q u e lle ép o
q u e c o m m e n ce e t f in it le r is q u e ? 981 e t s u iv . — N é c essité d u r i s
q u e d a n s l ’a s s u ra n c e . S o n c a ra c tè re à l ’e n d ro it de l’a ssu ré , 104 0 e t
su iv . — L a p o lic e in d iq u e l ’é p o q u e d u c o m m e n c e m e n t e t de la fin
�5U
TABLE ALPHABÉTIQUE
I
d u ris q u e , 1 0 6 6 . — Im p o rta n c e de c e tte d é te rm in a tio n . L ib e rté a b
so lu e la iss é e a u x p a rtie s , 14 38 — O n p e u t s tip u le r q u ’il n e c o m m e n
c e ra q u ’a p rè s ta n t de jo u r s o u de m o is d e p u is le d é p a rt. Q u i ré p o n d
d es d o m m a g e s e t p e rte s e s su y é s a v a n t l ’e x p ira tio n d u d é la i ? 14 36 e t
s u iv . — A u x r is q u e s de q u i s o n t le p r ê t à la g ro sse c o n tra c té e t le
ra d o u b o p é ré a p rè s l’e n tré e d u n a v ire a u p o r t d e d e s tin a tio n ? 1 1 3 9 .
— E p o q u e ê la q u e lle l ’a rtic le 32 8 fix e l ’o u v e rtu re d u ris q u e C o n s é
q u e n c e s, 1 1 4 0 .— A q u e lle é p o q u e il fin it d a n s l’a ssu ra n c e s u r
c o rp s, 1141 e t s u iv . — M o d ific a tio n d o n t la rè g le e s t s u s c e p tib le ,
1 1 4 3 . — A q u e lle é p o q u e il fin it d a n s l’a s s u ra n c e s u r fa c u lté s, 1 1 4 4 .
— E x c e p tio n s à la rè g le de l ’a rtic le 3 2 8 , 1 1 4 6 — L o rs q u e le ris q u e
e s t illim ité , p e u t-o n fa ire fix e r u n d é la i p a ssé le q u e l la p o lic e se ra
ré s ilié e ? 1 1 4 6 .
R upture du voyage. —
E ffet d e la r u p tu r e v o lo n ta ire d u v o y a g e .Q u a n d
p e u t-o n la r é a lis e r ? 8 8 1 . — L a r u p tu r e to ta le o u p a rtie lle d o n n e -te lle lie u e n fa v e u r d u p rê te u r à l ’in d e m n ité de d e m i p o u r c e n t q u e
l ’a rtic le 34 9 a cc o rd e a u x a s s u re u rs ? 8 9 1 .
S
S olvabilité. —
O n p e u t fa ire a s s u re r la s o lv a b ilité de l ’a s s u re u r. C a
ra c tè r e d u c o n tra t. Ses effets q u a n t a u b é n éfice de d is c u s s io n , 1 1 6 0
e t s u iv .
Somme
prêtée . — D o it ê tr e é n o n c é e d a n s le c o n tr a t. E ffet de s o n o m is
s io n , 8 3 6 . — E n q u o i e lle p e u t c o n s is te r e t à q u e l titr e p e u t-e lle ê tre
p rê té e ? 8 4 0 .
S upposition
de chargement. — S o n c a ra c tè re . C o n sé q u e n c e s, 1 1 1 2 .
T
T roc. — Importance de l’estimation dans la police des marchandises
reçues en troc, 1131. — Dans quel cas peut-on, à défaut de cette
indication, appliquer l’article 340 V 1132. — Bases de l’estimation1133.
�DES MATIÈRES.
555
V
V ice
propbe. — L e p rê te u r n e ré p o n d p a s d u v ic e p ro p re de la
c h o se . C e q u i le c o n s titu e , 9 8 1 . _ _ P e u t-o n d é ro g e r à c e tte règ le
986.
Voyage
intermédiaire . — P o u r c o m p te de q u i e s t le r is q u e d u v o y a g e
in te rm é d ia ire p o u r la ré p a ra tio n d es a v a rie s s u rv e n u e s p e n d a n t le
voyage? 1143.
FIN DE LA TABÉE ALPHABÉTIQUE
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/335/RES-22986_Bedarride_Commerce-maritime-4.pdf
59a37a5934701c1bbc05439656f6af46
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DROIT COMMERCIAL
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE DEUXIÈME
Tome 4
PM
J. BÉBM RR1D E
.-.w:
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier!
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
J l i e o »
�DROIT COMMERCIAL
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE DEUXIÈME
PM
J. BÉBM RR1D E
.-.w:
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier!
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
J l i e o »
�JMArStLX 5
�DROIT COMMERCIAL
ou
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE II
DU COMMERCE MARITIME
TITRE X
DES ASSURANCES
SECTION DEUXIÈME
D e s O b lig a tio n s de l ’A s s u r e u r et de l ’A s s u r é
A r t ic l e
349.
Si le voyage est rompu avant le départ du vaisseau,
même par le fait de l’assuré, l’assurance est annulée ;
l’assureur reçoit, à titre d’indemnité, demi pour cent
de la somme assurée.
SOMMAIRE
1221. Obligation de l’assuré de payer la prime. Quand est-elle
due?
�2
DROIT MARITIME.
1222. Faculté pour l’assuré de résoudre le contrat de sa seule
autorité. Motifs qui l’ont fait admettre.
1223. Légitimité de l’indemnité accordée par l’article 349.
4224. Elle est due dans tous les cas. Quid, dans celui de force
majeure ?
1225. À quelle époque peut-on rompre volontairement le voya
ge, sauf l’indemnité ?
1226. La rupture résulterait du défaut de chargement. Droit de
l’assuré.
4227. Dans quels cas l’abandon du voyage projeté devrait-il
être admis ?
1228. Exception que la faculté de faire échelle introduit à la rè
gle que la prise des expéditions pour un lieu autre que
celui désigné au contrat constitue la rupture du voyage.
1229. Caractère et effet de 1a rupture en cours de voyage. Quand
est-elle acquise dans l’assurance à prime liée ?
1230. Caractère de l’indemnité. Conséquences quant au privi
lège.
1221. — La principale obligation de l’assuré est de
payer la prime convenue. Cette prime est due, quel
que soit le sort du voyage. En cas de sinistre, l’assureur
la compense avec ce qu’il doit lui-même et jusqu’à con
currence.
Cette obligation de l’assuré est absolue. Elle naît au
moment du contrat et de la rédaction de la police. Mais
la prime n’est que le prix du risque que l’assureur prend
à sa charge. Le défaut de celui-ci enlève au contrat d’as
surance son aliment indispensable, et devait dès lors
être un obstacle invincible à toute prime quelconque. Or
ce défaut se réalise lorsque, avant toute exécution, l’as-
�suré a rompu le voyage pour lequel l’assurance avait
été contractée.
±222. — Ce résultat ne pouvait faire l’objet d’un
doute. Ce qui était dans le cas d’offrir quelques difficul
tés, c’était de savoir si l’assuré avait le droit de résilier
le contrat de sa seule et unique volonté. La convention
légalement intervenue devient la loi des parties et ne
peut être détruite que par le concours de volontés qui
l’ont créée, c’est ainsi que l’assureur est définitivement
lié par la signature de la police qu’il ne peut plus bif
fer, et après laquelle il ne peut rétracter ou modifier ses
engagements sans le consentement formel de l’assuré.
Cette règle est évidemment applicable à celui-ci, dans
la supposition de l’exécution du voyage assuré. Dans ce
cas, en effet, il doit la prime, et il la doit aux assureurs
signataires de la police. Toute prétention, tendant à écar
ter un ou plusieurs de ces assureurs, ne serait ni rece
vable, ni fondée.
Mais fallait-il contraindre celte exécution, sous peine
du paiement de la prime. L’Ecole italienne soutenait
l’affirmative; la rupture volontaire, enseigne notamment
Casarégis, loin de contraindre l’assureur à restituer la
prime qu’il a reçue, l’autorise à demander le paiement
de celle qui avait été convenue l.
L’opinion contraire avait été consacrée par l’ordon
nance de \ 684. Valin et Pothier approuvent cette doc-
�^
m
DROIT MARITIME.
trine, que le Code a depuis sanctionnée, elle était d’ail
leurs la conséquence naturelle et logique de la nature
des choses. Le contrat d’assurance ne saurait exister sans
un risque certain, à la charge de l’assureur. Or, la rup
ture du voyage, avant qu’il ait été commencé, a empê
ché toute chance défavorable à l’assureur. On ne pou
vait donc le récompenser d’un péril qu’il n’a pas couru.
Il est vrai qu’il y a de la part de l’assuré inexécution
d’un contrat régulièrement arrêté et convenu. Ne devaiton pas punir cette inexécution, et, dans ce cas, le paie
ment de la prime n’était-il pas la juste indemnité à ac
corder à l’autre partie ?
À cette objection, on répondait que l’intérêt du com
merce exigeait qu’un négociant demeurât libre d’aban
donner les spéculations qu’il a projetées, dût cet aban
don ruiner le contrat d’assurance. Qui oserait faire as
surer une expédition maritime, s’il se trouvait ensuite
dans l’alternative ou de perdre la prime, ou de consom
mer son entreprise, quoique les changements survenus
dans les circonstances dussent la lui rendre désavanta
geuse ; ou même quoique de nouvelles vues lui fissent
apercevoir soit des inconvénients dont il n’avait pas été
frappé d’abord, soit des combinaisons plus utiles l.
1323. — Nemo potesl cogi ad factum. On ne
pouvait donc forcer l’assuré à réaliser le voyage. De
vait-on, comme dans toutes les obligations de faire, aci Locré, Esprit du Code de commerce, art. 349.
�I :
349.
corder des dommages-intérêts contre l’auteur de l’inexé
cution ?
. .
La liberté, dont le commerce a besoin dans ses spé
culations, ses convenances semblaient dicter une répon
se négative. N’est-ce pas, en effet, une espèce de force
majeure que ces revirements subits auxquels le com
merce est exposé; et, puisque l’intérêt réel de l’assuré
lui faisait un devoir de rompre le voyage projeté, conve
nait-il de faire de l’exercice de ce devoir une occasion
de perte pour lui, en le soumettant à des dommages-in
térêts ?
Mais cette doctrine méconnaissait, en faveur de l’as
suré, les droits de l’assureur. Il existait entre l’un et
l’autre un contrat régulier, légalement formé ; que ce
contrat ne dût pas être forcément exécuté, soit I Mais,
dans cette hypothèse, on ne pouvait méconnaître la rè
gle du droit commun, aux termes de laquelle les obli
gations de faire se résolvent en dommages-intérêts.
Ceux-ci devaient donc être accordés, mais dans quel
les proportions. Fallait-il condamner l’assuré à payer
la prime entière? C’était le soumettre à l’alternative que
l’intérêt réel du commerce venait de faire écarter. D’ail
leurs, les dommages-intérêts ne sont et ne doivent être
que l’indemnité du préjudice éprouvé. Or, dans l’espè
ce, loin d’être préjudiciable à l’assureur, l’inexécution a
pu lui être avantageuse. Le voyage pouvait finir par un
désastre qui l’eût forcé à payer une somme considérable.
Il fallait donc, puisqu’on voulait maintenir l’alloca
tion de dommages intérêts en principe, la déterminer
ART.
�6
DROIT MARITIME.
d’une manière raisonnable et juste, et c’est ce qui fit
adopter à ce titre le demi pour cent de la somme assurée.
1324. — Mais cette indemnité est due d’une ma
nière absolue et sans limite. Quelle qu’en soit la cause,
la rupture du voyage donne naissance au droit des as
sureurs à l’exiger, ce qui ne laissa pas que de soulever
quelques contradictions, dans l’hypothèse surtout où l’as
suré n’était lui-même que la victime d’un cas fortuit ou
de la force majeure. Nul, disait-on, n’est tenu de la force
majeure. Il conviendrait donc d’exonérer l’assuré de
payer le demi pour cent lorsque la rupture du voyage
est indépendante de son fait, et peut même être con
traire à ses intérêts. La cour d’Ajaccio demandait que
l’article établit formellement cette distinction.
Le conseil d’Etat n’admit pas cette réclamation, non
pas qu’il méconnût le principe, mais parce que, dans
certains cas, l’assuré sera lui-même indemnisé du fait
qui mettra fin au voyage.
Sans doute, dans l’hypothèse de l’interdiction de com
merce ou d’arrêt du navire par ordre du souverain, la
responsabilité de la rupture n’incombe à personne. No
tre article ne le dit pas expressément, mais le principe
est déjà inscrit dans l’article 276, et son applicabilité
aux assurances ne saurait être raisonnablement contes
tée. Nul ne peut être puni de l’obéissance qu’il donne
aux ordres du prince. Les assureurs seraient d’autant
moins fondés à se plaindre, que si l’événement était
survenu après l’ouverture du risque, loin d’être indem-
�nisé, ils devraient en supporter toutes les conséquences.
Le fait du prince excepté, la rupture du voyage pro
viendra ou du fait unique de l’assuré, ou de celui du
chargeur, ou de celui de l’armateur. Dans le premier
cas, la responsabilité de son propre fait ne saurait être
raisonnablement récusée.
Dans le second, le chargeur qui refuse le chargement
promis est tenu du demi-fret, et l’armateur assuré trou
ve là un moyen de s’indemniser du demi pour cent qu’il
est obligé de payer aux assureurs.
Enfin, si le voyage est rompu parce que le navire est
dans l’impossibilité d’effectuer le chargement et le dé
part, soit parce qu’il est innavigable, soit parce que l’ar
mateur est dans l’impossibilité de livrer celui qu’il avait
promis, l’assuré trouvera dans l’indemnité qu’il devra
obtenir de l’armateur le moyen d’être remboursé de celle
qu’il paie à ses assureurs.
Voilà ce qui explique le silence gardé par l’article 349
sur la force majeure. Celle-ci n’existera réellement que
dans l’hypothèse d’interdiction ou d’arrêt du prince, et,
dans ce cas, personne n’en répond. Dans toutes les au
tres, il y aura bien cas fortuit ou force majeure pour
l’assuré, mais il y aura fait imputable ou faute à repro
cher soit au chargeur, soit à l’armateur. L’un ou l’autre
devra indemniser l’assuré du préjudice qu’il éprouve, et
dans lequel sera nécessairement compris ce que cet as
suré lui-même est obligé de payer à l’assureur.
133 5. — L’assuré a donc toujours la faculté de
�8
DROIT MARITIME.
rompre le voyage projeté, et, quelle que soit la cause de
cette rupture, il ne doit aux assureurs que le demi pour
cent de la somme assurée, mais cette faculté ne peut*
être exercée que lorsque les choses sont encore entières,
c’est-à-dire qu’en tant que le risque ne s’est pas encore
ouvert ; s’il a commencé de courir, soit par le départ du
navire, soit par le chargement des marchandises dans
le vaisseau ou sur les allèges destinées à les y transpor
ter, le voyage ne peut plus être rompu. Le retour du
navire dans le port, la mise à terre des marchandises ne
seraient plus que le raccourcissement du voyage, l’assu
reur serait déchargé de tout risque, mais la prime en
tière lui serait acquise, ainsi que nous le verrons plus
tard l.
Il faut se garder, en effet, d’interpréter autrement les
expressions de l’article 349 : avant le départ du vaisseau ;
elles ne signifient et ne peuvent signifier que celles-ci:
avant l’ouverture du risque. Dans l’assurance sur corps,
le risque, sauf convention contraire, ne court que du
jour où le navire a fait voile. L’article 349 se place dans
cette hypothèse, il devait donc prévoir la mise à la voile
comme ouvrant le risque.
« Ce qui s’oppose à la rupture du voyage, disait Emérigon, c’est moins le départ du navire, que ses consé
quences par rapport aux assureurs. Dès que le risque a
commencé, et dans le cas même où il n’aurait duré
qu’un instant, la prime est due en entier.
1 Inf., art. 364; Valin, art. 37, tit. des Assur.
�Dès lors, si l’assurance sur corps stipule que le ris
que sera à la charge des assureurs dès que le navire sera
sous charge ou aura pris charge ; si l’assureur sur facul
tés répond des risques de gabarres ou allèges, soit par
la convention, soit par application de l’article 328, il
importe peu que le navire soit encore dans le port. Toute
rupture postérieure au chargement commencé ou ache
vé, ou à l’embarquement des effets assurés sur les ga
barres ou allèges obligerait l’assuré à payer la prime en
tière.
1336. — La rupture du voyage résulterait de plein
droit du défaut de chargement sur le navire désigné. À
quelque époque que ce défaut de chargement serait op
posé, l’assuré serait tenu de l’indemnité du demi pour
cent. Ce résultat serait acquis, alors même que le défaut
de chargement ne serait découvert qu’a près la perte du
navire, non seulement l’assuré serait débouté de sa de
mande en paiement de la somme assurée, mais, déplus,
il devrait lui-même payer le demi pour cent.
M. Boulay-Paty enseigne que la règle de l’article 349
est susceptible d’exception ; qu’ainsi-, l’assuré qui n’a
fait connaître le défaut de chargement aux assureurs
qu’après l’heureux voyage du navire est obligé de payer
la prime entière 1.
Cette opinion s’écarte des véritables principes, la pri
me n’étant que le prix du risque ne saurait être acquise
�10
DROIT MARITIME.
si ce dernier n’a jamais existé ; d’autre part, l’assuré
peut, comme les assureurs eux-mêmes, se prévaloir du
défaut de risque. Or, quand pourra-t-il user plus légi
timement de ce droit qu’au moment où le navire dési
gné étant heureusement arrivé, on lui demande le paie
ment de la prime ; rien ne l’oblige même à agir plus
tôt. En conséquence, le punir pour ne pas l’avoir fait,
c’est méconnaître la raison et la justice.
133®. — La nuance qui sépare la rupture du chan
gement de voyage prohibé par l’article 351, est souvent
difficile à déterminer. Cependant on peut s’arrêter à cette
circonstance, il y aura changement de voyage, si le voya
ge primitif n’a été abandonné qu’après avoir été com
mencé ; il y aura rupture volontaire lorsque, avant le
commencement du risque du voyage assuré, le navire
est parti pour une autre destination.
Il y aura donc rupture si, en sortant du port d'ar
mement, le navire a pour destination exclusive un lieu
autre que celui indiqué dans la police d’assurance. En
fait, le voyage assuré n’ayant jamais reçu aucun com
mencement d’exécution n’a pu être ni changé, ni rac
courci, il a été abandonné, il y aurait donc lieu de re
courir à l’article 349.
Cet abandon ne saurait faire difficulté lorsque la des
tination nouvelle est dans une direction opposée à celle
du voyage assuré, mais le doute pouvait et devait naître,
lorsque la nouvelle destination est sur la route de l’an
cienne. On a soutenu que dans cette hypothèse il ne sau-
�rait exister une rupture volontaire ; qu’il y avait pro
longation ou raccourcissement du voyage primitif, sui
vant que le port où entrait le navire était plus éloigné
ou plus rapproché que celui que la police indiquait com
me terme du voyage.
Cette prétention était repoussée par la doctrine an
cienne. Si avant le départ, disait Casarégis, la destina
tion était changée, le voyage serait rompu : Etiamsi intra limites itineris destinati, navis se contineat. La
même règle était admise par Emérigon L
En effet, la nature du voyage se détermine par ses
deux points extrêmes, le lieu a quo, celui ad qttem. An
noncer un voyage de Marseille à la Martinique, lui subs
tituer avant de quitter le port un voyage de Marseille à
la Guadeloupe, c’est évidemment abandonner le pre
mier, et cet abandon se réalisant avant que le premier
ait reçu aucun commencement d’exécution, constituerait
la rupture volontaire prévue par notre article.
La difficulté pourrait consister dans la détermination
de la véritable intention de l’assuré, mais à cet égard il
est des faits qui doivent exercer la plus grande influen
ce, la prise des expéditions notamment.
Ainsi, il importerait peu que le navire eût été affrété
pour un lieu différent que ceiui indiqué par la police.
M. Pardessus observe avec raison que c’est là une cir
constance indifférente, si, malgré l’affrètement, le capi
taine s’est fait expédier pour cette destination, et si en
fait c’est vers elle qu’il s’est dirigé.
�DROIT MARITIME.
Mais la prise des expéditions pour un lieu autre que
celui indiqué dans la police ne permettrait aucun doute.
Le voyage réellement entrepris serait celui indiqué par
ces expéditions, exclusivement au premier qui aurait été
ainsi rompu.
1338. — Cette règle recevrait exception dans le cas
où la police d’assurance stipulant le droit d’échelle, les
expéditions auraient été prises pour un port intermé
diaire entre le lieu du départ et celui de l’arrivée. Ce
droit donne au navire la faculté d’entrer dans les ports
sur son passage, d’y charger ou décharger. En consé
quence, prendre ses expéditions pour un de ces ports, ce
n’est pas rompre le voyage assuré, dont l’accomplisse
ment dans ce cas est laissé à l’entière discrétion de l’ar
mateur, c’est tout au plus user de la faculté que la po
lice réserve elle-même.
Dans une espèce déférée à la cour d’Aix, un navire
avait été assuré pour un voyage de Marseille à Nice et
de Nice à Marseille. La police permettait au capitaine
de toucher et faire échelle forcée et volontaire partout où
bon lui semblerait.
Le capitaine partit pour Marseille en lest pour se ren
dre à Hyères, où il devait prendre un chargement de
sel, et le transporter à Nice, il avait pris ses expéditions
à Marseille pour Hyères ; et lorsqu’il eût effectué son
chargement de sel, il prit à Hyères de nouvelles expédi
tions pour Nice, où il arriva heureusement.
Il repartit de Nice où il s’était nolisé pour aller à
�Saint-Raphaël prendre un chargement de planches et le
porter à Marseille, mais il fit naufrage en route ; le na
vire sombra et se perdit entièrement à la hauteur du cap
Rousse, près l’île Saint-Honnorat.
Sur le délaissement et la demande en paiement de la
somme assurée, les assureurs demandèrent que l’assu
rance fût annulée, sur le fondement que le capitaine
s’étant expédié directement pour Hyères, le voyage qu’il
avait fait n’était pas celui qu’ils avaient assuré.
Us soutenaient qu’il y avait eu rupture ou changement
du voyage assuré avant le départ du navire, en ce que,
au lieu d’aller directement à Nice, le navire avait relâ
ché à Hyères. Or, en droit, disait-on, il y a rupture ou
changement de voyage lorsque le voyage légal ne con
corde pas avec le voyage assuré. Le voyage légal est ce
lui désigné par les expéditions prises par le capitaine en
partant, et le voyage assuré celui qui se trouve indiqué
dans la police d’assurance. L’assurance n’est pas moins
nulle lors même que le voyage serait raccourci, ou que
le lieu de la destination se trouverait dans les limites du
voyage assuré, ou qu’enfin le navire reprendrait sa
route pour ce voyage et pousserait jusqu’au lieu désigné
par la police. Dans l’un et l’autre de ces cas, il y a
fausse désignation et défaut de concordance entre le vo
yage réel et celui désigné dans le contrat, et conséquem
ment nullité de l’assurance.
Ce système n’avait qu’un tort, celui de faire abstrac
tion de la faculté de faire échelle partout où le capitaine
le jugerait convenable. Or, cette faculté enlevait toute
�DROIT MARITIME.
autorité aux arguments qui, sans elle, auraient été dé
cisifs. Le capitaine avait donc pouvoir d’entrer dans les
ports intermédiaires, d’y décharger et recharger. Dès
lors, en prenant ses expéditions pour un de ces ports, il
n’encourait ni le reproche de rupture, ni celui de rac
courcissement, pas plus qu’on aurait pu le lui adres
ser si, expédié pour le lieu convenu, il était entré dans
un port intermédiaire, et y eût chargé ou déchargé tout
ou partie de sa cargaison.
C’est ce que le tribunal de commerce de Marseille ré
pondait aux assureurs. Attendu, dit le jugement, que la
prise d’expéditions pour Hyères, de la part du capitaine,
ne constitue ni en fait, ni en droit la rupture du voyage
avant le départ du vaisseau, puisque Hyères se trouvait
sur la route du voyage assuré, et que la clause de tou
cher et faire échelle, contenue dans la police d’assuran
ce donnait incontestablement la faculté au capitaine de
relâcher en tous les ports et lieux que bon lui semblait.
Ce jugement, ayant été frappé d’appel, la cour d’Àix
le confirmait purement et simplement avec adoption des
motifs, par arrêt du 23 décembre 4819.
1 3 3 9 . — Au reste, il importe de ne pas confondre
la rupture du voyage par changement de destination
avant le départ, et celle qui se réaliserait pendant le cours
du voyage. Celle-ci serait régie non plus par l’article
349, mais par l’article 351, elle ferait cesser tout risque
à la charge des assureurs qui n’en auraient pas moins
acquis la prime.
�Il y a rupture pendant le voyage, lorsque le change
ment de destination a lieu après le risque commencé.
Or, dans l’assurance à prime liée, le risque commence
avec le départ du navire du port d’armement et se con
tinue sans interruption jusqu’à la rentrée du navire dans
ce port, ou son arrivée dans celui où doit s’opérer le
retour. En conséquence, toute modification au voyage
convenu dans la police constituerait le changement pré
vu par l’article 351.
Dans une espèce soumise à la cour de Bordeaux, on
soutenait que le capitaine qui, ayant heureusement ac
compli le voyage d’aller, dirigeait son navire vers un port
autre que celui de retour, se plaçait dans l’hypothèse de
l’article 349 et rompait le voyage avant le départ.
Mais cette prétention fut repoussée, un arrêt du 3 fé
vrier 1829 déclare que le fait par le capitaine d’avoir
pris des expéditions pour un port autre que celui où il
devait opérer le retour, constitue non une rupture du
voyage avant le départ, dans le sens de l’article 349, mais
bien le changement de voyage pendant le voyage luimême, dans le sens de l’article 351.
Le caractère juridique de cette solution est incontesta
ble. Le navire assuré pour l’aller et le retour ne contrac
te pas un nouveau voyage lorsque, arrivé à sa destina
tion première, il doit revenir au port du retour, il ne
fait que continuer, qu’achever le voyage assuré, dont le
risque s’est ouvert avec la sortie du navire du port d’ar
mement. En conséquence, tout fait ultérieur se réalise,
en réalité, après le risque commencé. Si ce fait est un
�DROIT MARITIME.
changement de la destination convenue pour le retour,
c’est l’article 351 qui est applicable.
1330. — L’indemnité du demi pour cent n’étant
que la peine de l’inexécution, ne participe en rien au
privilège attribué à la prime. En conséquence, ainsique
nous l’avons déjà observé sur l’article 191, le droit des
assureurs, quant à ce, se borne à celui de concourir
proportionnellement, et au marc le franc, avec la masse
chirographaire.
A r t ic l e
350.
Sont aux risques des assureurs, toutes pertes et dom
mages qui arrivent aux objets assurés par tempête,
naufrage, écbouement, abordage fortuit, changement
forcé de route, de voyage ou de vaisseau, par jet, feu,
prise, pillage, arrêt par ordre de puissance, déclaration
de guerre, représailles, et généralement par toutes les
autres fortunes de mer.
A r t ic l e
351.
Tout changement de route, de voyage ou de vaisseau,
et toutes pertes et dommages provenant du fait de l’as
suré ne sont point à la charge de l’assureur ; et même
�350, 351, 352, 353, 354.
17
la prime lui est acquise , s’il a commencé à courir les
risques.
ART.
/
A r t ic l e
352.
Les déchets, diminutions et pertes qui arrivent parle
vice propre de la chose, et les dommages causés par le
fait et faute des propriétaires, affréteurs ou chargeurs,
ne sont point à la charge des assureurs.
A r t ic l e
353.
L’assureur n’est point tenu des prévarications et fau
tes du capitaine et de l’équipage, connues sous le nom
de baraterie de patron, s’il n’y a convention contraire.
A r t ic l e
354.
L’assureur n’est point tenu du pilotage, touage et la
manage, ni d’aucune espèce de droits imposés sur le
navire et les marchandises.
SOMMAIRE
1231. Droit commun en matière de responsabilité des assu
reurs. Nature de cette responsabilité.
1232. Est-ce des dommages et perles matériels que répondent
exclusivement les assureurs ?
iv — 2
�.
18
1233.
1234.
1235.
1236.
1237.
1238.
1239.
1240.
1241.
1242.
1243.
1244.
1245.
1246.
1247.
1248.
1249.
DROIT MARITIME.
Arrêts de la cour de Bordeaux, dans le sens de la né
gative.
Solution contraire du tribunal de commerce de Marseille.
Motifs. Réfutation.
Les assureurs ne doivent pas supporter l’augmentation
du profit maritime stipulée en cas de voyage intermé
diaire. Répondent-ils des dommages-intérêts alloués à
des tiers ?
Quid, de la différence dans la valeur des effets assurés
au jour du chargement et à celui de la rupture du
voyage.
Cas légaux de fortune de mer : 1* Tempête. Ses carac
tères.
2° Naufrage. Son appréciation appartient souverainement
aux juges.
3° Echouement. Ses caractères. Ses effets.
4° Abordage fortuit. Différentes espèces.
Les assureurs répondent de celui occasionné par la faute.
Leur recours contre l’auteur de celle-ci.
Quid, lorsque la cause de l’abordage est inconnue ?
5° Changement forcé de route, de voyage ou de vaisseau.
Ses effets.
Différence entre l’abordage et le changement quant à la
présomption de force majeure. Conséquences.
6° Jet à la mer. Ses effets.
7“ Incendie. Dans quels cas il est attribué à la force ma
jeure ?
Quand est-il présumé tel ?
Il est présumé provenir de la faute, si le rapport du capi
taine ou de l’équipage n’en indique pas la cause. Arrêts
en ce sens.
Critique de celte jurisprudence, parM. Dalloz. Réfutation.
8° Prise du navire. Son caractère, ses effets, suivant
qu’elle est faite par un corsaire ou par un pirate.
�â
C'est par le caractère du capteur que la prise est appré
ciée. Différence entre le corsaire et le pirate.
4251. La lettre démarqué, délivrée même par un gouverne-,
ment de fait, rend la prise fait de guerre.
1252. Quid, de celle opérée avant toute déclaration de guerre.
1253. 9° Pillage. Caractère qu’il doit offrir.
1254. 10° L’arrêt par ordre de puissance. Espèces diverses. Ses
effets.
1255. 11“ Déclaration de guerre et représailles.
1256. Caractère de l’article 350. Conséquences.
1257. Modifications qui peuvent être convenues.
1258. Motifs qui ont fait adopter les articles 351 et suivants.
1259. Peut-on déroger à leurs dispositions ?
1260. Négative admise à l’endroit des faits personnels à l’assuré
et de ceux des propriétaires, affréteurs ou chargeurs.
1261. Conséquence de ces derniers.
1262. Il y a fait personnel de l’assuré, si celui-ci donne et fait
exécuter un ordre que le capitaine pouvait seul donner.
1263. Les assureurs ne répondent pas des pertes et dommages
' surveuus par le vice propre. Ce qui constitue celui-ci.
1264. Peu importerait que ce vice eût été développé par le cli
mat ou par la longueur de la navigation. Arrêt de la
cour de Bordeaux.
1265. Il en serait autrement de l’aggravation causée par fortune
de mer, du coulage extraordinaire par exemple.
1266. Les assureurs peuvent se charger du vice propre ou sti
puler qu’ils ne répondent pas de l’aggravation par force
majeure. Effet de la clause franc de coulage.
1267. La mort naturelle des animaux embarqués est présumée
provenir du vice propre. Conséquences.
1268. La même présomption doit être admise toutes les fois
qu’il s’agit de choses de nature à dépérir ou â se cor
rompre. Arrêt de la cour de Rouen.
1269. Lés assureurs ne répondent pas de la baraterie du patron.
mm
IM
1m
�DROIT MARITIME.
1270.
1271.
1272.
1273.
1274.
1275.
1276.
1277.
1278.
1279.
1280.
1281.
1282.
Ce qu’était celle-ci dans l’ancien droit ? Ce qu’elle est
depuis le Code ?
Quand doit-on l’admettre *?
La désertion, la révolte ou l'insubordination de l’équipage
est un cas de baraterie de patron, à quelque époque
qu’elle se réalise.
Il en est autrement des faits et fautes des passagers.Conséquences.
Quid, de ceux du pilote ?
La baraterie de patron n’est jamais présumée. Par qui et
comment elle doit être prouvée. Effet de la preuve.
Ancien droit sur la baraterie de patron. Proposition d’en
revenir à ce qui était admis avant l’ordonnance de 1681.
Ce qui la fit repousser.
Les assureurs peuvent la garantir, excepté lorsque le ca
pitaine est propriétaire des effets assurés. Restriction
de cette exception aux faits personnels du capitaine.
L’assureur sur corps, qui a garanti la baraterie de pa
tron, répond-il du fait du capitaine envers le proprié
taire qui l’a choisi ?
La garantie de la baraterie ne comprend pas les prévari
cations et fautes du capitaine en qualité de subrecargue.
Conséquences.
Garantir la baraterie de patron c’est s’obliger à indemni
ser l’assuré, quelles que soient les causes du sinistre.
Exceptions que cette règle comporte.
L’assureur sur facutés qui a garanti la baraterie répond
de tout le dommage matériel éprouvé par la marchan
dise. Arrêt de Paris sur le ravage causé par les rats.
Responsabilité du capitaine à cet endroit.
L’assureur quia garanti la baraterie du patron répond du
dommage que l’assuré souffre de la rupture du voya
ge occasionnée par cette baraterie. En quoi consistent
ces dommages ?
�ART.
350, 351, 352, 353, 354.
21
1283. L'assuré qui a fait assurer la baraterie de patron n’est pas
dispensé de justifier la perle. Motifs
1284. Le capitaine qui fait le délaissement de la cargaison sans
observer les prescriptions des articles 387, 391, 394,
commet une baraterie.
1285. Droits de l’assureur qui a garanti la baraterie de patron,
d’agir même avant d’avoir payé contre le capitaine et
contre l’assuré.
1286. L’assureur sur corps qui a pris les risques de la baraterie
de patron est tenu du dommage souffert non seulement
par le navire, mais encore par la cargaison.
1287. Jugement contraire du tribunal de Marseille. Réfutation.
1288. La garantie de la baraterie de patron ne se présume pas.
Comment elle peut être établie ?
1289. Dans aucun cas, les assureurs ne répondent du sinistre,
que s’il s’est réalisé dans le temps et dans le lieu du
risque. Qu’entend-on par le temps du risque ?
1290. ■— Par le lieu du risque ?
1291. Quand doit-on admettre le changement de route ? Ses ef
fets.
1292. Qu'est-ce qui constitue le changement de voyage ? Com
ment doit-on l’apprécier ?
1293. Quid, si le sinistre se réalise pendant que le navire est
encore sur la route directe.
1294. Quand existe le changement du navire ? Ses effets.
1295. Caractère de la nullité édictée par l’article 351. Ses ef
fets.
1296. Dérogations que l’article 351 peut subir. Faculté de
transborder le chargement.
1297. Clause défaire échelle. Son caractère. Nature du droit
qu’elle confère.
1298. Les divers ports ne peuvent être visités que dans l’ordre
dans lequel ils se présentent, à moins de convention
contraire.
�22
DROIT MARITIME.
4299. Ne renferme pas le droit de rétrograder. Faculté qu'elle
confère de charger et de décharger dans les divers ports,
de débarquer le découvert de l’assuré. Dans quel cas.
1300. Clause de dérouter. Ses effets
1304 . Les clauses de faire échelle, de rétrograder et de dérou
ler ne sauraient autoriser le changement du voyage, ni
l'entrée du navire en rivière.
4302. Les assureurs ne répondent ni des frais du pilotage, de
touage et de lamanage, ni des droits imposés au navire
ou à la cargaison.
4303. Ces frais et droits ne sont que ceux dus à l’entrée du na
vire à sa destination.
4304. Exception en cas de relâche forcée, ou d’un voyage inter
médiaire pour réparer les avaries du navire.
-r- Le but de l’assurance est d’indemniser
l’assuré de tout le préjudice qui pourrait résulter pour
lui des chances de la navigation. Quel qu’ait été le ré
sultat du voyage, il doit se trouver dans la position que
lui aurait faite l’heureuse arrivée du navire.
D’autre part, les risques de la navigation sont nom
breux et divers. L’assurance n’étant en quelque sorte
qu’une fidéjussion, l’assureur n’encourt évidemment de
responsabilité que pour les risques qu’il a expressément
cautionné et garanti. C’est donc au titre qu’on devra ex
clusivement s’en remettre, lorsqu’il faudra déterminer
les effets et l’étendue de cette responsabilité.
Mais la convention pouvait être muette. Dans cette
prévision, il convenait de créer un droit commun devant
régir souverainement les parties. C’est ce droit commun
que consacrent les articles dans l’examen desquels nous
entrons.
±231.
�550, 351, 352, 353, 354.
25
Or, le principe de ce droit commun se trouve préci
sément consacré par la dernière disposition de l’article
350. L’assureur répond généralement de toutes pertes et
dommages arrivés par fortunes de mer.
On entend par fortunes de mer tous les événements
qui se réalisent sur la mer et par la mer, et sont les ré
sultats du cas fortuit lorsque l’accident a pour cause
principale l’inconstance des éléments. Ainsi la tempête,
le naufrage, l’échouement, l’abordage, etc......Il y a
force majeure lorsque la perte ou le dommage résulte du
fait de l’homme, comme l’arrêt du prince, la prise ou
le pillage, etc...... Les effets de l’un ou de l’autre consti
tuent un sinistre majeur lorsqu’ils ont entraîné la perte
totale ou presque totale ; mineur, lorsqu’il n’y a que
détérioration ou diminution partielle des effets assurés.
ART.
1333. — Donc, en droit commun, l’assureur ré
pond du cas fortuit et de la force majeure. Doit-on ne
reconnaître l’un et l’autre que dans le cas de pertes Ou
détériorations matérielles, l’assureur n’est-il pas égale
ment tenu de la dépréciation subie par la marchandise,
et des dépenses extraordinaires que la fortune de mer
cause ou rend infructueuses ?
La cour de Bordeaux jugeait dans ce dernier sens, en
déclarant, le 6 décembre 1830, que les salaires et nour
ritures de l’équipage pendant le voyage intermédiaire
nécessité par les réparations du navire étaient à la char
ge des assureurs.
Plus tard, et le 3 mai 1841, la même Cour décidait-
�DROIT MARITIME.
que, bien que les avaries survenues pendant le voyage
assuré ne soient réparées qu’après l’arrivée du navire
au lieu de sa destination, et par conséquent à une épo
que postérieure à la cessation du risque , les assureurs
n’en sont pas moins tenus des vivres et gages de l’équi
page pendant le temps reconnu nécessaire pour les ré
parations.
Ce même arrêt condamne les assureurs à rembourser
tant le capital que le profit maritime des sommes em
pruntées à la grosse par le capitaine, même après l’ar
rivée du navire au terme du voyage assuré, pour payer
les réparations des avaries survenues pendant le cours
de ce voyage ; il les déclare tenus de toutes les stipula
tions , même conditionnelles, auxquelles le prêt à la
grosse a été consenti.
Spécialement, la cour de Bordeaux décide que, lors
que lé prêt a été fait avec prime simple pour le cas de
retour direct du navire au lieu du départ, et augmenta
tion pour le cas où il ferait un voyage intermédiaire,
les assureurs sont passibles de l’augmentation , si le
voyage intermédiaire a été exécuté, bien que ce voyage
fût en dehors du contrat d’assurance et postérieur à la
cessation des risques assurés l.
1333. — Une doctrine diamétralement contraire a
été admise par le tribunal de commerce de Marseille. Un
jugement par lui rendu, le 24 décembre 1830, décide
i J. du P., 2,1841,
�25
550, 551, 552, 553, 354.
que l’assuré, réclamant le montant des avaries souffertes
par le navire dans le cours du voyage assuré, ne peut y
comprendre ni les. dépenses faites au lieu du reste, après
le voyage terminé, pour salaires et nourriture de l’équi
page pendant les réparations, ni les frais de l’emprunt
à la grosse fait au lieu du reste pour payer les répara
tions.
L’assureur, dit le tribunal de Marseille, doit rembour
ser à l’assuré les dommages que le navire a éprouvés
pendant le voyage , mais il ne saurait être tenu des dé
penses qu’il a pu faire pendant les réparations, non plus
que de celles qu’il a été obligé de faire pour se procurer
l’argent nécessaire pour en effectuer le paiementT.
Le tribunal de Marseille recule devant les conséquen
ces de son propre principe. L’assureur doit indemniser
l’assuré du préjudice que les avaries souffertes pendant
le voyage assuré lui occasionnent. Comment donc ne pas
ranger dans cette catégorie les dépenses faites pendant
les réparations de ces avaries, les frais faits pour se pro
curer les fonds nécessaires pour couvrir ces réparations.
L’indisponibilité du navire, la nécessité de payer et de
nourrir l’équipage, enfin, celle de recourir à un em
prunt, ne sont-elles pas les conséquences immédiates et
directes des avaries ? Donc, celui qui répond de cellesci doit également répondre de toutes les dépenses acces
soires qu’elles déterminent. Adopter le contraire , c’est
refuser à l’assuré le bénéfice de l’assurance. Le but de
art.
i Journal de Marseille, t. 4 1 , 1 , 34 g.
�26
DROIT MARITIME.
celle-ci est de le placer, quelle que soit l’issue du voyage,
dans la position que lui ferait l’heureuse arrivée du na
vire. Celte position, il ne l’a plus si, obligé de réparer
le navire par suite des avaries qu’il a essuyées, il doit
subvenir lui-même, pendant la durée des réparations,
aux salaires et à la nourriture de l’équipage, et aux frais
qu’il a dû faire pour se procurer l’argent nécessaire à
ces réparations.
Disons donc avec la cour de Bordeaux que les assu
reurs sont tenus des salaires et nourriture de l’équipage
pendant le temps des réparations, alors même qu’elles
sont exécutées au lieu du reste et après l’accomplisse
ment du voyage, parce que celte dépense extraordinaire
est la conséquence forcée des avaries ;
Qu’ils sont tenus des frais de l’emprunt h la grosse,
parce que cet emprunt a permis de faire les réparations
sans lesquelles le navire n’aurait pu reprendre la mer,
ce qui aurait motivé le délaissement.
1234. — Mais , cela posé, nous n’admettons pas,
comme le fuit l’arrêt du 3 mai 1841, que les assureurs
soient tenus de toutes les conditions qu’il plaira au capi
taine d’accepter lors de l’emprunt, notamment de l’aug
mentation du profit maritime en cas de voyage intermé
diaire. La nécessité d’entreprendre ce voyage n’est plus
la conséquence de l’avarie, puisqu’il ne peut et ne doit
être exécuté qu’après l’entière et complète réparation. Le
capitaine qui l’accomplit n’agit que dans l’intérêt de
l’armement. Il est donc rationnel et juste de laisser à sa
�330, 331, 352, 353, 354.
27
charge exclusive tous les frais dont ce voyage est l’occa
sion et le prétexte.
Dans l’espèce de l’arrêt, les assureurs disaient donc
avec raison : ce que nous devions, c’était de mettre le
navire en état de reprendre la mer pour revenir à son
point de départ. Or, cela avait été obtenu moyennant la
prime de 35 0/0.
Mais si, après l’exécution du contrat, il a convenu au
capitaine d’entreprendre un nouveau voyage, un voyage
intermédiaire pour lequel nous n’avions contracté aucu
ne obligation, c’est à lui ou à l’armateur d’en suppor
ter les conséquences. Le capitaine savait que ce voyage
donnait lieu à une augmentation d’intérêt maritime de
15 0/0, il pouvait ne pas’l’entreprendre, et, s’il l’a en
trepris, c’est qu’il l’a jugé utile pour lui ou pour l’ar
mateur de le faire. En s’y déterminant, il a agi dans
l’intérêt de ce dernier, comme son mandataire, et non
plus comme mandataire des assureurs, car il avait cessé
de les représenter dès l’instant que le voyage assuré avait
pris fin ; l’augmentation de 15 0/0 était conditionnelle,
en dehors de la nécessité de réparer les avaries; elle
avait un objet différent, elle ne peut donc concerner que
l’armateur qui a recueilli les bénéfices du voyage inter
médiaire.
Le motif principal qui détermine la cour de Bordeaux
à repousser cette défense est tiré de ce que l’armateur
ne s’était pas engagé à retourner du lieu de destination
au lieu du départ. Les assureurs, dit l’arrêt, ne pour
raient être dégagés de l’obligation de payer l’augmentaart.
�DROIT MARITIME.
tion qu’autant qu’ils seraient fondés à prétendre que les
réparations à faire par eux étaient limitées au cas que le
navire reviendrait directement de Calcutta à Bordeaux,
mais qu’une semblable limitation ne résulte ni de la po
lice, ni de l’esprit du contrat ; l’assurance a été faite pour
aller de Bordeaux à Calcutta sans indication du voyage
de retour qui s’est trouvé placé hors de la convention,
dès lors, l’armateur avait l’entière liberté de faire reve
nir son navire à Bordeaux ou de lui faire faire un voya
ge intermédiaire.
Mais, n’était-ce pas parce que le retour n’avait pas été
prévu, que les assureurs devaient y rester complètement
étrangers. Leur obligation consistait uniquement à livrer
le navire en état de bonne navigation dans le port de
Calcutta. Ce but était parfaitement rempli dès qu’il
était à même de revenir à Bordeaux. Le retour dans ce
pays ne pouvait donc être considéré dans l’espèce que
comme la constatation que les avaries avaient été répa
rées en entier.
Dès lors, que les assureurs fussent tenus de l’emprunt
à la grosse jusqu’à ce moment, on devait l’admettre. Ils
le reconnaissaient eux-mêmes, puisqu’ils se soumettaient
à payer le profit maritime sur le pied du 35 0/0.
Notons bien qu’à ce taux la réparation des avaries
était complète, le navire pouvait reprendre la mer. Le
risque des assureurs était épuisé, ils avaient rempli tou
tes leurs obligations ; la destination ultérieure du navire
leur était dès lors complètement indifférente.
Or, c’est cependant cette destination oui seule motive
�350, 351, 352, 353, 354.
29
l’augmentation. L’arrêt le reconnaît lui-même, en con
sidérant qu’il était naturel que le profit maritime fût
proportionné à la durée des risques jusqu’au retour du
navire au lieu de la destination , et qu’il fût augmenté
dans le cas d’un voyage intermédiaire. En réalité donc,
c’est cette durée du risque qu’on fait supporter aux as
sureurs, oubliant que tout a été fini pour eux dès l’en
trée du vaisseau à Calcutta, et dès que, par les répara
tions à leur charge, le navire a été en état de remettre à
la voile.
Sans doute, si l’emprunt à la grosse n’avait été pos
sible qu’à cette condition, les assureurs auraient dû la
subir, mais la preuve contraire résultait du titre lui-mê
me. Le prêteur avait si peu exigé le voyage intermé
diaire qu’il s’en était entièrement référé à la volonté du
capitaine. Donc, l’exécution de ce voyage n’avait nulle
ment influé sur l’avance des fonds nécessaires aux ré
parations, et puisque cette avance avait été consentie à
l’intérêt du 35 0/0, les assureurs responsables des ava
ries ne pouvaient jamais être tenus au-delà.
Vainement objecterait-on que le voyage intermédiaire
a pu être forcé, parce que, à la fin des réparations, le
navire n’a plus trouvé des retours directs. Une chance de
ce genre n’est jamais aux risques des assureurs d’aller.
L’obligation d’en tenir compte , que bien certainement
on ne songerait pas à leur imposer dans le cas d’heu
reuse arrivée, ne saurait naître de la circonstance que
le navire a éprouvé des avaries. Tout ce qui résultera de
cette circonstance, c’est que les assureurs seront tenus
ART.
1
�30
DROIT MARITIME.
des réparations qui devront en procurer les moyens ; on
ne saurait légalement leur demander davantage.
4334 bis. — L’article 350 est-il limitatif et restric
tif, en ce sens qu’il ne met à la charge des assureurs
que la perle ou détérioration matérielle de la chose as
surée ? Dès lors les assureurs peuvent-ils se refuser à
rembourser à l’armateur les sommes par lui payées au
navire abordé par la faute de son capitaine?
Cette question, on le comprend, ne peut s’agiter que
dans la double hypothèse d’un abordage déterminé par
la faute, l’existence d’une police mettant la baraterie de
patron à la charge des assureurs. Dans ce cas, enseigne
M. Caumont, les assureurs doivent être tenus de rem
bourser au navire assuré les dommages-intérêts aux
quels il a été condamné envers un autre navire par
suite d’abordage, sauf leur recours contre le capitaine;
il faut envisager la police lato sensu, c’est à savoir sous
le côté personnel, comme sous le côté réel et matériel,
sans distinguer si les dommages éprouvés sont l’effet
d’une détérioration physique ou s’ils consistent dans
une dépréciation de valeur indépendante de toute alté
ration matérielle l.
Cette opinion que M. Adauzet professe également2 nous
paraît apprécier sainement l’article 350, et rendre uri
légitime hommage au caractère de l’assurance et aux
1 Dicl. de droit marit., v» Assur., n os <91, <92.
2 Comment, du C. de com , t. 3, n° 4 813.
�■
350, 351, 352, 553, 354.
31
conséquences qu’elle doit entraîner. On l’a dit avec rai
son, l’assurance n’a qu’un but, qu’un objet : mettre à
l’abri des fortunes de mer le patrimoine assuré qui est
destiné à affronter tous les risques d’une navigation
semée de périls ; de le conserver pour son propriétaire
et de le préserver à son égard de toute diminution, de
tous dommages qui pourraient être le résultat d’événe
ments maritimes.
L’armateur qui a fait assurer son navire ne peut être
présumé- n’attacher de l’importance aux sinistres ou aux
événements extraordinaires qui peuvent atteindre ce na
vire qu’autant qu’ils en enlèveront une partie matériel
le ; qu’ils en enlèveront un mât, une voile, et les con
sidérer avec indifférence lorsqu’ils n’auront d’autres
conséquences que de lui ravir la valeur même du navire
matériellement intact. Il a suffisamment prouvé l’in
tention contraire en se faisant assurer contre la barate
rie de patron.
Or quel peut être l’objet d’une pareille assurance si
ce n’est le moyen de se faire relever, le cas échéant,
des conséquences de cette baraterie quelles qu’elles
soient? Comment, en effet, en présence des fermes gé
néraux et absolus de la police, distinguer celles de ces
conséquences qui entraîneront un dommage matériel de
celles qui se traduiront en obligation de payer une som
me d’argent en réparation du préjudice que cette bara
terie a causé à un tiers ? Est-ce que le patrimoine ma
ritime de l’armateur en sera moins atteint ? Est-ce que
l’intérêt à en être indemnisé n’est pas identique ?
ART.
�DROIT MARITIME.
Donc en l’absence de clause spéciale dans la police, la
distinction ne serait admissible que si elle s’étayait du
texte ou de l’esprit de la loi. Or, loin de l’autoriser l’é
conomie générale de notre législation la repousse expli
citement.
D’une part, en effet, les articles 351 et suivants met
tent à la charge des assureurs toutes pertes générale
ment arrivées par fortune de mer, et n’en exceptent que
le dommage imputable au fait ou à la faute des assu
rés ou de ceux qui les représentent, notamment du ca
pitaine.
Niera-t-on qu’un abordage ne soit une fortune de
mer alors même qu’il provient de la faute du capitaine.
Sans doute aux termes de l’article 353, la certitude de
la faute aurait pour conséquence de libérer les assu
reurs de l’obligation de supporter le dommage, mais
dès que par dérogation à cet article ils ont pris à leur
charge la baraterie de patron, ils doivent en subir les
conséquences, ils se sont ainsi engagés à mettre, quoi
qu’il arrive, l’assuré au lieu du reste, dans la position
que lui eût faite l’heureux voyage, et cet engagement ne
serait pas rempli si cet assuré avait à supporter p e r
sonnellement et sans répétition les dommages-intérêts
auxquels la faute du capitaine a donné lieu, il aurait en
effet perdu dans le voyage jusqu’à concurrence de ce
qu’il a payé.
D’autre part, l’article 397 réputé avaries toutes dé
penses extraordinaires pour le navire ou les marchan
dises, et assimile ces dépenses aux dommages matériels
�350, 551, 352, 353, 354.
35
que l’un et les autres peuvent éprouver. Voilà donc une
hypothèse dans laquelle la responsabilité des assureurs
est engagée malgré l’absence de toute perte ou détério
ration matérielle. Pourquoi donc en serait-il autrement
en cas de dommages-intérêts par suite d’un abordage ?
N’est-ce pas là une dépense, et une dépense extraordi
naire pour le navire ?
Nous considérons donc comme éminemment juridi
que l’opinion de MM. Caumont et Alauzet, qui du reste
a reçu la haute sanction de la Cour de cassation.
En effet un arrêt de Paris du 23 juin 1855, infirmatif d’un jugement du tribunal de commerce de la
Seine, jugeait que : l’assurance maritime ne s’appli
quant qu’aux effets mis en risque, les assureurs d’un
navire ne peuvent, en l’absence d’une clause particulière
dérogeant à ce principe, être déclarés responsables du
dommage causé par ce navire à un autre dans un abor
dage, bien que l’assuré ait été condamné à réparer ce
dommage ; que peu importe que l’abordage ait été dé
claré imputable au capitaine et qu’une clause de la po
lice mette à la charge des assureurs la baraterie de pa
tron, cette clause n’ayant d’autre objet que de garantir
aux assurés la réparation du préjudice que pourrait cau
ser, aux effets mis en risque, la fraude ou l’impéritie du
capitaine et ne pouvant être étendue aux dommages
faits aux tiers.
Dans cette espèce c’est le juge de San-Francisco qui,
reconnaissant la faute du navire abordeur, l’avait con
damné à la réparation du dommage. La cour de Paris
iv — 3
ART.
�DROIT MARITIME.
déclarait que ce jugement ne liait pas les tribunaux Fran
çais ni les parties qui pouvaient renouveler le débat ;
que rien n’établissait la baraterie de patron alléguée par
l’assuré qui devait, alors même qu’elle serait établie,
être débouté de ses prétentions qui n’avaient aucun fon
dement dans la clause de la police.
Mais sur le pourvoi dont il avait été l’objet, cet arrêt
était cassé par la Cour régulatrice le 23 décembre 1837.
Cette décision encore sans précédent dans la jurispru
dence consacre, en matière d’assurances maritimes, un
principe trop important pour que nous omettions d’en
indiquer les motifs. Ces motifs les voici :
« Attendu , en droit, que si les assureurs ne répon
dent que des pertes et dommages arrivés aux objets as
surés par un des accidents de mer prévus par la police,
ces dommages doivent s’entendre non seulement des
avaries matérielles, mais encore des dépenses qui, par
suite de l’un de ces accidents, seraient tombées à la
charge du navire assuré, ou lui auraient été imposées
par une force majeure ?
« Attendu que la police comprenait parmi les fortu
nes de mer dont les conséquences dommageables étaient
mises à la charge des assureurs, soit l’abordage fortuit,
soit l’abordage qui serait causé par la faute du capitai
ne, ou baraterie de patron ;
» Attendu qu’en admettant que ce soit par erreur
que le juge de San-Francisco a attribué l’abordage à la
faute du capitaine du Pacifique et a fait ainsi retom
ber à la charge de ce navire le sinistre que le bâtiment
�350, 351, 352, 353, 354.
35
étranger aurait dû supporter sans répétition, les assu
reurs ne peuvent, sous prétexte de l’injustice de cette
sentence, se refuser à répondre des conséquences for
cées qu’elle a eue pour les assurés ;
« Qu’en effet l’exécution de la condamnation pro
noncée par le tribunal de San-Francisco sous le coup de
la saisie du Pacifique, pour éviter la vente de ce navire
et en recouvrer la libre disposition, doit être considérée
comme un dommage imposé par un fait de force ma
jeure, qui avait son principe dans une fortune de mer,
et conséquemment à la charge des assureurs K
art.
133 5. — Il est impossible , dans l’assurance sur
corps, de supposer une détérioration sans une déprécia
tion matérielle. Il en est autrement dans l’assurance sur
facultés. Les effets assurés peuvent offrir une différence
dans leur prix ; indépendamment de toutes avaries, à
la charge de qui sera cette différence, si elle n’est déter
minée que par une fortune de mer ?
La Cour de cassation s’est prononcée contre les assu
reurs, en jugeant, le 44 mai 4844, que lorsque par for
tune de mer le voyage a été rompu et les marchandises
assurées ramenées au port de départ, l’assureur doit te
nir compte à l’assuré, non pas, il est vrai, du profit es
péré des marchandises, mais du dommage résultant de
la rupture du voyage, et consistant soit dans des dépen
ses déterminées, soit dans la différence entre la valeur
1 J. du P., \ 888, 689.
I
}
�DROIT MARITIME.
estimative des marchandises lors du chargement et le
produit de leur vente après le retour forcé l.
C’est ce que la cour de Paris avait également pensé,
lorsque, par arrêt du 7 mai 1839, elle décidait que
l’assurance contre tous risques de guerre et de mer
oblige l’assureur, en cas de retour forcé du navire à rai
son du blocus du port de destination, à indemniser l’as
suré de la dépréciation que les marchandises souffrent
par suite de la différence du cours, quoique aucune ava
rie ne soit survenue, et à lui rembourser le fret d’allers.
Il est vrai que la cour de Paris n’a pas tardé de re
venir sur cette jurisprudence. Elle jugeait, en effet, le
25 novembre suivant, que l’assuré n’a pas d’autre droit
que celui d’être indemnisé des avaries matérielles3.
Mais nous ne pensons pas qu’il y ait à hésiter entre
les deux systèmes. Le doute qui pourrait naître de la
contrariété de ces deux décisions est souverainement
tranché par l’arrêt de la Cour de cassation du 44 mai
1844.
Ainsi, quel que soit le préjudice que l’assuré est me
nacé de subir, il suffît qu’il soit la conséquence immé
diate et directe de la'fortune de mer pour que l’assu
reur doive le prendre à sa charge et en supporter seul
tous les effets.
1 23G .
— Les tribunaux apprécient souverainement
1 J. du P., 2, 1844, 65.
2 D . P ., 39, 2. 221.
3 Ibid., 40, 2, 228t
�si le fait dont on excipe constitue ou non une fortune de
mer. Mais cette faculté d’appréciation cesse lorsque ce
fait rentre dans la catégorie de ceux que l’article 330
énumère. Chacun de ceux-ci est une fortune de mer
dont on ne saurait dès lors contester ni le caractère ni
les effets. Ces cas, que nous appelerons légaux, sont :
\°
La déclaration de 1735 définit la
tempête : l’événement par lequel le navire est surpris
par l’agitation violente des eaux, par l’effort dés vents,
par les effets de l’orage. Le navire qui a résisté portera
souvent des traces des fatigues qu’il vient d’éprouver. Il
sera plus ou moins gravement atteint dans sa coque ,
dans ses voiles, dans sa mâture, dans ses agrès et appa
raux. Le chargement lui-même peut avoir éprouvé des
avaries que l’envahissement des eaux aura occasionnées.
La réparation de ces avaries, comme celle que l’état du
navire exigera, est à la charge des assureurs sur facultés
ou sur corps.
La
tempête.
—
— 2° L e
. — Le naufrage peut
être la conséquence de la tempête, comme si le navire,
ne pouvant lutter contre la violence de l’ouragan, est
brisé ou englouti dans les eaux. Le naufrage, quelle
qu’en soit d’ailleurs la cause fortuite qui a entraîné la
perte du navire, a un caractère qu’on ne saurait mé
connaître ; ses conséquences sont à la charge exclusive
des assureurs.
Mais il peut arriver que le navire survive au naufra1939.
naufrage
�DROIT MARITIME.
38
ge ; dans ce cas, l’existence de celui-ci devient plus pro
blématique. Cependant, la loi ne l’ayant nulle part dé
fini, s’en est par cela même référée à l’arbitrage des tri
bunaux. Ainsi on a pu décider qu’il y a eu naufrage
lorsque le navire démâté, poussé par la tempête, refu
sant d’obéir aux efforts du pilote, envahi par les eaux,
est abandonné par l’équipage au moment où on a pu
sérieusement craindre qu’il sombrât. Peu importerait
dans cette hypothèse que le navire postérieurement re
trouvé flottant fût ramené dans le port l.
Par contre la cour de Rennes jugeait, le 7 janvier
1857, que le sens général du mot naufrage impliquant
la rupture et la perte du navire de manière qu’il n’en
reste plus que des débris, il y a, non pas naufrage, mais
échouement avec bris, lorsque le navire, après être resté
trois jours sous l’eau avait pu être relevé et ramené dans
le port.
En thèse ordinaire et par rapport au délaissement, il
importe assez peu que l’évènement constitue un nau
frage ou un échouement avec bris puisque, aux termes
de l’article 369, l’effet de celui-ci est absolument le mê
me que l’effet de celui-là, mais dans l’espèce une clause
de la police, dérogeant à cet article, portait qu’en cas
d’échouement avec bris le navire ne pourrait être dé
laissé que si la détérioration ou perte atteignait les trois
quarts de sa valeur. Or, celte condition manquant dans
l’espèce, on comprend l’intérêt qui s’attachait à la dél Bordeaux, 31 janvier 1837.
�350, 351, 352, 353, 354.
39
termination du caractère du sinistre, puisque le délais
sement recevable si naufrage, n’était pas admissible si
échouement avec bris.
La cour de Rennes se prononce pour celui-ci parce
que bien qu’à la suite de l’abordage dont il avait été
victime en sortant du port, le navire eût été coulé et fût
resté trois jours sous l’eau, la proximité du port, les se
cours de toute nature qui étaient à sa portée, la nature
même de ses avaries qui n’étaient pas considérables, ne
permettaient pas de considérer l’événement comme dé
finitif et sans remède ; qu’en effet, l’administration de
la marine était facilement parvenue à faire renflouer le
navire.
Mais ce renflouement n’était en définitive qu’un sau
vetage et l’on est à peu près d’accord que le résultat du
sauvetage ne saurait modifier le caractère du sinistre K
Quoique le navire submergé ait été remis à flot, dit no
tamment M. Boulay-Paty, il n’en a pas moins fait nau
frage, et l’événement qui donne naissance à l’action en
délaissement se trouve dès lors accomplis.
C’était là la doctrine de l’école italienne et Emérigon
n’hésitait pas à se l’approprier. Targa (chap. 57, p. 247),
disait notre illustre compatriote, observe que le navire
submergé n’en a pas moins fait naufrage quoiqu’il soit
ensuite remis à flot. La déclaration du 15 juin 1735
parle du navire entièrement submergé qu’on est venu à
art.
1 Pardessus, t. 3, n° 840. Dageville, t. 3, p. 360.
3 T . 4, p. 230, Conf. D elvincourt, t. 2, p. 386.
�DROIT MARITIME.
bout de relever. Il est évident, d’après l'article 46, ti
tre des Assurances, que ce n’est là qu’un sauvetage qui
n’empêche pas les assurés d’intenter ou de poursuivre
l’action d’abandon *.
La cour de Rennes serait donc en contradiction avec
la doctrine tant ancienne que moderne, avec la juris
prudence, car, ainsi que nous aurons à le constater,
plusieurs cours d’appel et la Cour de cassation elle-mê
me ont également admis et consacré le principe, que la
nature du sinistre se détermine par le fait, abstraction
faite du résultat du sauvetage3.
Mais dans l’espèce il était constant que le navire n’a
vait pas été complètement submergé ; qu’à marée basse
on en appercevait le pont, et qu’à marée haute on pou
vait encore voir l’extrémité de sa mâture ; et c’est sans
doute cette circonstance qui déterminait la Cour à se pro
noncer contre le naufrage.
Quoiqu’il en soit le pourvoi dirigé contre son arrêt
était rejeté le â7 juillet 1857. La Cour suprême déclare
que la question de savoir si un navire renfloué après
être resté pendant trois jours sous l’eau, peut être con
sidéré comme naufragé, ou seulement échoué avec bris,
n’engage aucune doctrine de droit, mais dépend d’un
ensemble de circonstances et de faits qu’il appartenait
aux juges du fond d’apprécier , et qu’en décidant qu’en
l’état des faits constatés l’événement constituait un
i T . 1, ch. x ii , sect. x u , p. 401.
S V supra, n° 1858, 557.
�41
350, 351, 552, 353, 354.
échouement avec bris et non un naufrage, l’arrêt atta
qué n’a ni violé, ni faussement appliqué l’article 369 1.
art.
1 9 3 8 . — 3° L ’é c h o u e m e n t . — L’échouement est
une espèce de naufrage, il se réalise lorsque le navire
donnant sur un rocher, sur un banc de sable, ou pé
nétrant dans un bas fond, reste engravé, sans pouvoir
être renfloué.
L’échouement est volontaire ou forcé, il a lieu avec ou
sans bris. Le bris est partiel, si le navire éprouve seule
ment une ou quelques voies d’eau réparables, il est to
tal lorsque, par l’effet du choc contre ou sur l’obstacle,
il se brise entièrement.
De quelque manière que l’échouement se soit réalisé,
l’assureur est tenu d’indemniser l’assuré du préjudice en
résultant, mais l’échouement volontaire constituant une
avarie commune, le droit de l’assureur à faire contri
buer le navire et la cargaison est incontestable, il est,
par le paiement qu’il fait à l’assuré, de plein droit su
brogé à l’action attribuée à celui-ci pour contraindre
cette contribution.
L’existence d’un bris quelconque est indifférente quant
à l’obligation de l’assureur d’indemniser l’assuré. Celte
existence et l’importance dii bris ne sont prises en con
sidération que pour savoir s’il y a ou non lieu à délais
sement. Dans tous les cas, l’assureur ne saurait se re
fuser au règlement d’avaries.
1 J. du P., \ 858, 577.
�42
DROIT MARITIME.
1339. — 4° A b o r d a g e f o r t u it . — L’abordage est
fortuit ou imputable à la faute, dans ce dernier cas, l’au
teur de la faute sera connu, ou bien il y aura doute dans
les causes de l’abordage ; il y a donc trois espèces d’a
bordage, l’abordage fortuit ou de force majeure, l’abor
dage par quasi-délit, dont l’auteur est connu, l’abordage
douteux.
La responsabilité des assureurs à l’endroit du premier
ne saurait faire la matière d’un doute, mais est-ce tout,
et faut-il conclure des termes de l’article 350 que cette
responsabilité ne saurait exister pour les deux autres ?
1340. — Cette prétention a été condamnée et de
vait l’être. Le dommage occasionné par l’abordage est
souffert en mer et par la mer, il se place donc naturel
lement dans la catégorie des risques dont les assureurs
assument la charge, d’ailleurs, l’abordage, qu’il soit ou
non le résultat du fait ou de la faute d’un tiers, n’en est
pas moins un cas fortuit pour le navire abordé, pour
les deux navires lorsqu’il est impossible de déterminer
de quel côté se trouve la faute.
Donc l’assureur est tenu du dommage causé par l’a
bordage résultant de la faute, seulement ce paiement
qu’il fait le subroge aux droits de son assuré contre l’au
teur de cette faute, contre lequel il a aussi une action
en remboursement. Quant aux assureurs du navire abor
dant, on ne pourrait leur réclamer le paiement des ava
ries que ce navire aurait éprouvées, ils ne seraient tenus
de rien, ni à l’égard de l’armateur, ni envers les char-
�-y- ■ .
' ' • ' 4' ; ■ /
r :-
350, 351, 352, 353, 354.
43
geurs, à moins qu’ils n’eussent garanti la baraterie de
patron, dans ce cas, leur responsabilité serait indubita
ble, sauf leur recours contre le capitaine.
art.
194 1. — Enfin, dans la troisième hypothèse, c’està-dire lorsque l’abordage est douteux , le dommage se
règle de la manière prescrite par l'article 407, c’est-àdire qu’on forme une masse commune des dommages
éprouvés par les deux navires, et que chaque navire en
supporte la moitié, mais les assureurs respectifs n’en se
raient pas moins tenus ne désintéresser intégralement
leur assuré, sauf, si le paiement excédait la moitié , le
droit de se faire rembourser de cet excédant par l’autre
navire ou ses assureurs.
Supposez un dommage total se répartissant comme
suit : navire n° 1,1,500 francs, navire n° 2, 500 francs,
les assureurs du n° 1 paieraient a leur assuré 1,500 fr.,
mais, comme subrogé à ses droits, ils auraient action
contre le n° 2 pour le remboursement d’une somme de
500 fr.
1919.
— 5° Changement
forcé
de route
ou
de
— Les assureurs répondent du changement
de route, de voyage ou de vaisseau, lorsqu’il n’est dû
qu’à la force majeure. Comment contester l’existence de
celle-ci, si le changement a été occasionné par le be
soin d’éviter la tempête, d’échapper à l’ennemi, ou par
l’innavigabilité accidentelle du navire porteur du risque*
Les motifs étant les mêmes que dans l’hypothèse d’un
vaisseau.
�44
DROIT MARITIME.
abordage, la décision, quant aux effets, devait être iden
tique.
134 3. — Il y a cependant entre l’abordage et le
changement de route, de voyage ou de vaisseau une dif
férence essentielle. L’abordage est le plus communément
le résultat d’un accident de mer, d’un fait de force ma
jeure. On ne pouvait donc, lorsqu’il s’est agi de savoir
à quoi il devait être attribué, s’écarter de ce qui se réa
lise le plus souvent ; on a dû, au contraire, le prendre
comme base de la présomption qu’il convenait d’admet
tre. L’abordage est toujours présumé fortuit.
Le changement de route, de voyage ou de vaisseau est
au contraire légalement présumé volontaire, de cette dif
férence dans la présomption naissent les conséquences
suivantes.
L’assuré qui établit l’abordage doit être indemnisé du
préjudice. L’assureur poursuivi en paiement n’a qu’à
justifier du changement de route, de voyage ou de vais
seau, pour faire rejeter la demande.
Dans le premier cas, l’exception de l’assureur con
siste à prétendre que l’abordage a été le résultat de la
faute ; celle de l’assuré, dans le second, consiste à allé
guer la force majeure. Or, ainsi que l’observe Emérigon,
aclor replicationem suam probare tenelur, donc l’as
sureur ne pourrait être libéré dans le premier cas qu’en
prouvant la faute, il ne serait tenu dans le second que
si l’assuré justifiait l’existence de la force majeure.
�1344. — J e t . — Le jet à la mer pour le salut com
mun est un sacrifice commandé par la force majeure, il
est donc juste qu’il soit à la charge des assureurs ga
rantissant celle-ci.
Nous aurons plus bas à nous occuper spécialement de
cet accident de la navigation, à rappeler les conditions
que sa régularité exige, les effets qu’il produit. L’arti
cle 350 suppose qu’il a été accompagné de toutes les
formalités prescrites. Cela donné, la responsabilité des
assureurs ne pouvait être douteuse, sauf leur droit à exi
ger la contribution qui accompagne l’avarie commune.
Le jetaccompli sans nécessité, ou en l’absence des for
malités exigées, constituerait la baraterie de patron dont
les assureurs ne seraient tenus que s’ils l’avaient for
mellement garantie.
4345. — 7° LÈ . — Comme tous les autres ac
cidents de mer, l’incendie du navire occasionné par force
majeure est à la charge des assureurs. Or, ce caractère
est acquis lorsque l’incendie est dû au feu du ciel, à ce
lui de l’ennemi, à la faute ou au fait d’un passager.
Il en serait ainsi de l’incendie ordonné par l’autorité,
dans le cas de peste, par exemple ; cela explique pour
quoi la jurisprudence a vu une réticence frauduleuse
dans le silence gardé par l’assuré sur l’existence de la
peste à bord l.
L’incendie volontaire du navire pour le soustraire à
feu
i Journal de Marseille, t. 5, 1, 39.
�DROIT MARITIME.
46
l’ennemi a toujours été considéré comme un cas de force
majeure. Pothier , qui enseigne cette doctrine , estime
que le capitaine ne doit recourir à cette dure extrémité
qu’autant qu’il peut sauver les personnes, et qu’il est
d’ailleurs impossible d’échapper autrement à l’ennemi.
Ces conditions remplies, le capitaine a eu juste sujet
d’agir comme il l’a fait. L’incendie volontaire doit être
d’autant plus à la charge des assureurs, que si le navire
n’avait pas été brûlé, il n’eût pas manqué d’être pris
par l’ennemi. L’effet, en ce qui les concerne, aurait donc
été le même.
1 9 4 0 . — L’incendie ne peut exister sans qu’il y ait
faute, disait le droit romain l. Cette règle, par trop ab
solue, a cependant fait présumer la faute dans le cas
d’incendie, et cette présomption existe en droit maritime
comme en droit commun.
Elle ne reçoit en notre matière qu’une seule excep
tion, à savoir, si aucun des matelots ou passagers n’a
survécu au sinistre. Alors, en effet, l’impossibilité d’en
connaître la cause fait considérer l'événement comme
fatal, ou tout au moins comme n’étant pas imputable à
a faute du maître ou de l’équipage. Il peut avoir été
causé par le feu du ciel ou par la faute d’un passager,
ce qui suffit pour que les assureurs en répondents.
1941. — Si l’équipage s’est sauvé en tout ou en
I L . U , Dig. De Pericul. et commod. reivendilœ.
2 Emérigon, ch. 42, sect. 47, § 4.
�350, 351, 352, 353, 354.
47
partie, la présomption de faute reprend son empire et ne
cède que devant l’indication précise d’une cause de force
majeure, contenue dans le rapport à faire par les sur
vivants. L’absence de cette indication exclurait l’existence
de celle-ci, et s’opposerait à toute recherche contre les
assureurs.
On a en conséquence jugé qu’il ne suffit pas que le
capitaine d’un navire incendié déclare dans son rapport
le fait de l'incendie, pour donner ouverture au délais
sement de la part des assurés, qu’il faut en outre qu’il
en exprime la cause ; sinon, et à défaut de renseigne
ments propres à éclairer les juges à cet égard, c’est aux
assurés à prouver que le feu a été occasionné par un cas
fortuit, et non par la faute ou la négligence du capitaine
ou des gens de l’équipagel.
art.
1348. — Cette jurisprudence, basée sur cette maxi
me de l’école italienne, quando nonconsta dell' origine,
si attribuisse a qualche colpa, n’est pas approuvée par
M. Dalloz. Ce savant jurisconsulte estime qu’en principe
tout sinistre maritime doit, jusqu’à preuve contraire,
être présumé fatal, hors le cas où une présomption con
traire est établie par la loi ; qu’il n’est donc pas néces
saire que l’existence d’une fortune de mer, qui a pu pro
duire l’incendie, ait été préalablement constatée par l’as
suré pour que l’assureur soit tenu du sinistre3.
1 Aix, 46 décem bre 1824, 6 août 4 8 23 ; Cass., 4 janvier 4832 ; Douai,
1er février 4841 ; D. P., 44, 2, 249.
» Nouveau rép., v. Dr. m a rit , n° 4330.
�48
DROIT MARITIME.
Le principe invoqué par M. Dalloz n’est et ne pou
vait être admis que lorsqu'il s’agit d’un événement qu’on
peut le plus ordinairement attribuer plutôt à la faute
des éléments qu’à celle des personnes. La présomption
de fatalité est donc admise dans les cas de naufrage,
d’échouement, d’abordage , mais , nous venons de le
dire, l’incendie n’est réellement dû à la force majeure
que s’il provient du feu du ciel, de celui de l’ennemi,
de la faute des passagers, ou de l’ordre de l’autorité.
Tout cela est assez rare pour qu’on n’ait pas dû légale
ment le présumer.
D’ailleurs, l’un de ces faits se réalisant, il n’est pas
permis au capitaine de l’ignorer. Or, ce qu’on exige de
lui, c’est de l’énoncer dans son rapport, ce n’est pas,
en effet, la constatation préalable de la fortune de mer
qu’on lui impose. Est-ce donc se montrer trop exigeant
que de vouloir qu’en énonçant le fait de l’incendie, il
en déclare la cause ? Cette déclaration suffit, en effet,
pour faire réputer l’événement fatal et en mettre les con
séquences à la charge des assureurs, sauf la faculté, qui
est de droit, de discuter les indications du rapport, et
de faire la preuve contraire.
Que conclure du silence que le capitaine garderait
sur les causes de l’incendie lorsqu’il lui était si facile de
le rompre, si naturel qu’il le fit ? Rien autre évidem
ment que ce que la jurisprudence en a fait résulter, à
savoir, que la cause de l’incendie réside ailleurs, c’està-dire qu’on ne peut l’attribuer qu’à sa faute, qu’à sa
négligence ou à celle des gens de l’équipage. Les assu-
�Çlf
49
550, 551, 352, 355, 354.
reurs ne pourraient donc en être tenus que si les assu
rés, malgré le silence du capitaine, prouvaient la réa
lité de la force majeure, et, à défaut de cette preuve, que
s’ils avaient garanti la baraterie de patron.
Ceux qui partagent l’opinion de M. Dalloz s’étayent
de l’article 350, et font remarquer qu’en énumérant les
accidents dont répondent les assureurs, cet article met
le feu sur la même ligne que le jet, la prise, la tempête,
le naufrage, l’abordage fortuit, etc... Dès lors, si ceuxci sont présumés fatals, pourquoi en serait-il autrement
de l’incendie ?
Le sens de l’article 350 n’est ni équivoque ni dou
teux. Les divers accidents qu’il énumère ne sont à la
charge des assureurs qu’en tant qu’ils sont le résultat
d’une fortune de mer, et ce qui le prouve c’est qu’après
cette énumération l’article ajoute : et autres fortunes» de
mer.
Ainsi il est hors de doute que les assureurs ne répon
dent de la perte du navire que si elle est la conséquence
d’une force majeure à laquelle on n’a pu ni résister ni
se soustraire. Supposez, en effet, que le capitaine a vo
lontairement précipité son navire sur le banc de sable
ou de rochers, sur lequel il est venu s’échouer ou se
briser, rendra-t-on responsables les assureurs qui n’ont
pas garanti la baraterie du patron.
Or, ce qui est vrai pour le naufrage ne saurait pas
ne pas l’être pour l’incendie. Nul ne songera jamais à
mettre à la charge des assureurs celui qui n’aurait lieu
que par le fait ou la faute du capitaine.
ART.
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DROIT MARITIME.
Comment donc décider s’il y a faute ou force majeure,
si le capitaine, en relatant l’incendie, peut se dispenser
d’indiquer la cause à laquelle il l’attribue ? Ceux qui le
soutiennent ainsi ne s’apperçoivent pas que tout en rai
sonnant de l’assimilation du feu avec les autres acci
dents énumérés par l’article 350, ils réclament pour le
premier une faveur qu’ils refuseraient aux autres. Sup
posez, en effet, que, dans son consulat, le capitaine se
borne à déclarer que tel jour, sous telle latitude, le na
vire a été englouti sous les flots, est-ce qu’on accepte
rait l’accident comme résultant d’une force majeure à la
charge des assureurs ? Cependant si en fait le navire
s’est perdu, sa perte sera aussi indéniable que le serait
l’incendie.
Pourquoi donc la simple énonciation du sinistre au
rait-elle dans ce dernier cas l’efficacité qu’on lui refuse
rait bien certainement dans le premier ? Cette différence
que l’article 350 repousse, violerait la disposition for
melle de l’article 242, imposant au capitaine l’obliga
tion de déclarer non pas seulement les désordres arri
vés dans le navire, mais encore les hasards qu’il a cou
rus et toutes les circonstances remarquables de son
voyage.
Comme le relève la cour d’Aix dans son arrêt de
1825, cette prescription a pour but non seulement l’in
térêt de la navigation, mais encore la décharge du capi
taine puisque sa responsabilité qui s’applique même aux
fautes légères ne cesse que par la preuve d’obstacles de
�350, 351, 352, 353, 354.
51
force majeure 1 ; elle a pour conséquence d’exposer les
faits qui, dans son opinion, ont produit cette force ma
jeure, et d’offrir ainsi aux intéressés le moyen de faire la
preuve contraire que leur réserve expressément l’arti
cle 247.
Voici donc le résultat auquel aboutirait la doctrine
que nous repoussons. Dans le cas de tempête, naufrage,
échouement , abordage fortuit , changement de route
forcé, etc., les assureurs ne sont tenus que si le capi
taine a mentionné dans son rapport les circonstances
d’où il induit la force majeure, et son allégation n’est
qu’une présomption comportant la preuve contraire.
Dans le cas d’incendie au contraire le capitaine sera cru
sur parole et toute preuve contraire sera impossible. On
conçoit en effet que si l’incendie est attribué au feu du
ciel, à celui de l’ennemi, à la faute d’un passager, à la
communication du feu par un autre navire, ou pourra
soutenir et prouver la fausseté de l’allégation.
Mais si le capitaine peut se borner à déclarer le fait
de l’incendie, que devient la faculté consacrée par l’ar
ticle 247 ? Les assureurs devront-ils, pourraient-ils prou
ver que le navire n’a pas brûlé alors qu’en fait les flam
mes l’ont réellement consumé ?
Ce résultat crée entre les accidents énumérés par l’ar
ticle 350 une distinction qui n’est ni dans le texte ni
dans l’esprit de la loi ; il méconnaît l’article 224 et sup
prime l’article 242. L’opinion qui l’autoriserait est donc
de tous points inadmissible.
ART.
i A rt.
.
�32
'
DROIT MARITIME.
Concluons donc que dans le cas d’incendie le capi
taine est tenu d’exprimer dans son rapport les causes
auxquelles il l’attribue.
S’il n’en indique aucune, l’incendie est le résultat de
la faute, et les assureurs sont affranchis de toute res
ponsabilité ;
Si la cause déclarée constitue la force majeure, le cas
est présumé fatal mais jusqu’à preuve contraire que les
assureurs sont recevables et fondés à fournir.
1 3 4 9 . — 8° P rise . — Les assureurs répondent de
la prise, s’ils ont garanti le risque de guerre. Cette ga
rantie résulterait du silence gardé à cet égard par la po
lice. L’assurance , même souscrite en temps de paix ,
comprend les risques de guerre, si les assureurs ne les
ont pas formellement exceptés.
Il y a prise toutes les fois que le navire est capturé
par l’ennemi ou par un pirate. La conséquence, quant
aux assureurs, est bien différente, suivant qu’il s’agit de
l’une ou de l’autre.
La prise par un corsaire ou par la marine militaire de
l’ennemi n’est que l’exercice d’un droit jusqu’ici consa
cré en temps de guerre. L’assureur qui a exclu les ris
ques de guerre ne saurait donc en répondre.
La prise par un pirate pouvait d’autant moins cons
tituer un risque de guerre, qu’elle peut être effectuée en
pleine paix ; elle n’est qu’un acte de brigandage mari
time, et dès lors un de ces périls de la navigation dont
l’assurance a pour objet d’exonérer l’assuré.
�55
350, 551, 352, 355, 554.
1 3 5 0 . — La détermination du caractère de la prise
est donc d’un grave, d’un puissant intérêt pour les as
sureurs, puisque, suivant la solution, ils seront tenus ou
non de la perte ; or, à cet égard, le doute ne saurait sé
rieusement exister.
Le corsaire est celui qui, porteur d’une lettre de mar
que délivrée par un gouvernement, est autorisé à cou
rir sur les ennemis de ce gouvernement, à capturer, à
saisir leurs navires, tout en respectant le pavillon des
nations alliées ou neutres.
Le pirate n’a d’autre titre que sa volonté. Il court les
mers tantôt sous un pavillon, tantôt sous un autre, cap
turant et pillant les navires de toutes les nations dont il
peut se rendre maître.
Le corsaire n’agit et ne peut.agir qu’en temps de guer
re, le pirate exerce ses déprédations en tout temps, com
me en tout lieu.
En conséquence, la position réelle du navire capteur
devient le principal élément à consulter, lorsqu’il s’agit
d’examiner la nature de la prise. L’existence d’une let
tre de marque, l’exercice des hostilités contre le pavillon
réellement en guerre avec le gouvernement qui a délivré
cette lettre de marque excluraient toute idée de piraterie,
ferait de la prise un véritable fait de guerre, qui ne se
rait pas à la charge des assureurs affranchis des risques
que cet état entraîne.
art.
1351.. — Cela est vrai d’une manière entière et ab
solue, alors même que la lettre de marque émanerait
�U
DROIT MARITIME.
d’un gouvernement de fait. Ainsi, le tribunal de com
merce de Marseille jugeait, le 19 janvier 1824, que des
colons révoltés et constitués en gouvernement de fait
ne doivent pas être considérés comme pirates, par cela
seul qu’ils attaquent le pavillon et les propriétés de leur
métropole, si, d’ailleurs, ils respectent le pavillon et les
propriétés des autres puissances ; qu’en conséquence, la
prise d’un chargement faite par ces colons, et déclarée
valable sur le fondement qu’il provient de la métropole
ou qu’il appartient à des sujets de la métropole, doit,
relativement aux assureurs, être considérée comme un
événement de guerre, et non comme un événement de
mer K
195 3. — On a prétendu que la prise, même par un
corsaire régulier, devait être considérée comme événe
ment de mer et non de guerre, lorsqu’elle se réalisait
avant toute déclaration de guerre. Mais, nous l’avons
déjà dit, cette déclaration n’est pas indispensable, elle
est suppléée par l’ouverture des hostilités. Or, la prise
d’un navire par un corsaire porteur d’une lettre de mar
que est un acte d’hostilité qui commence la guerre, et
qui, par conséquent, ne saurait de près ni de loin être
assimilé à un fait de piraterie. C’est ce que la Cour de
cassation consacrait par un arrêt du 6 avril 1831.
1353.
—
9° Le
P il l a g e . —
i Journal de Marseille, t. 5,
328.
Le pillage, dont les
�350, 351, 352, 553, 354.
55
assureurs répondent, s’entend de toutes déprédations
commises sur mer par voies de fait et violences soit par
des pirates, soit par des voleurs de toute autre espèce ;
le pillage effectué sur terre après le débarquement des
marchandises resterait à la charge du propriétaire de ces
marchandises.
Cette règle, puisant son fondement légal dans ce fait
que la mise à terre des marchandises assurées fait ces
ser la responsabilité des assureurs, devait recevoir ex
ception lorsque le débarquement ne saurait produire cet
effet ; lorsque, par exemple, les marchandises n’ont été
mises à terre que par suite d’échouement ou de naufra
ge, et en attendant leur rechargement sur le même na
vire ou leur transbordement sur un autre.
Dans ce cas, les assureurs répondraient du pillage,
mais en tant qu’il serait le résultat de la violence et de
la force. La simple soustraction opérée par adresse ou
par ruse serait, comme l’enseignent Emérigon et Pothier*
présumée la conséquence du défaut de vigilance du capi
taine ou de l’équipage. Les assureurs n’en seraient donc
pas tenus, alors même qu’ils auraient garanti la bara
terie de patron. Celle-ci s’entend des négligences, pré
varications et fautes commises sur mer, et non des faits
postérieurs au débarquement volontaire ou forcé de la
cargaison.
ART.
1 * 5 1 . — \ 0° L’arrêt
par ordre de puissance. —
L’arrêt diffère de Ja prise, en ce que l’auteur de celle-ci
n’a agi que dans le but de s’approprier les objets dont
�DROIT MARITIME.
86
il s’empare. L'arrêt, au contraire, n’est jamais qu’un
obstacle temporaire à la navigation du navire, destiné à
recouvrer sa liberté. Quoi qu’il en soit, comme la prise,
l’arrêt donne lieu au délaissement.
Il y a trois espèces d’arrêts • l'arrêt du prince pro
prement dit, c’est l’acte par lequel un souverain ami fait
arrêter pour cause d’utilité publique, et hors la circons
tance de guerre, un ou plusieurs vaisseaux qui se trou
vent dans les ports de son empire; l'augarie, c’est l’obli
gation imposée par un gouvernement aux vaisseaux étran
gers, ancrés dans ses ports, de transporter pour lui, dans
le temps de quelque expédition, des soldats ou de muni
tions de guerre ou de bouche ; l'embargo, c’est la dé
fense de laisser sortir du port les navires soit nationaux,
soit étrangers qui s’y trouvent b
Quel que soit le caractère- de l’arrêt, ses effets quant
aux assureurs sont les mêmes. Ils en répondent si l’arrêt
n’est intervenu qu’après le commencement du risque.
Celui qui en précéderait l’ouverture amènerait la rup
ture du voyage et annulerait l’assurance sans indemnité
pour personne-.
1 3 5 5 . — 11° L a d é c l a r a t io n d e g u e r r e , l e s r e
p r é s a il l e s . — Les conséquences de l’une et des autres
sont à la charge des assureurs, alors même que la po
lice souscrite en temps de paix ne stipulerait aucune aug
mentation pour la survenance de la guerre.
i Dalloz, Nouv. Rép., v. Droit maritime, n° 1845.
�57
350, 351, 352, 353, 354.
Peu importerait, même à l’égard des représailles,
qu’elles fussent justes ou injustes. Le seul moyen pour
les assureurs d’en récuser la responsabilité, serait de
prouver qu’elles ont été déterminées par le fait person
nel de l’assuré.
art.
•
1 3 5 6 . — L’énumération que renferme l’article 350
n’a pas pour objet de limiter la responsabilité des assu
reurs aux cas énoncés. La preuve la plus explicite se
tire des termes mêmes de l’article, déclarant les assu
reurs tenus de toutes les autres fortunes de mer.
L’ensemble de cette disposition, dit M. Locré, établit
deux règles : l’une, que l’assureur répond de tous les
événements qu’on appelle fortune, et dont l’article 350
rappelle les exemples les plus frappants ;
L’autre , qu’il n’est tenu d’aucun autre accident, s’il
ne l’a pas formellement garanti l.
135 9. — Ces deux règles constituent le droit com
mun de la matière, elles doivent être sévèrement appli
quées à défaut de stipulations créant une convention
contraire. En effet, la première est évidemment suscep
tible de modification. Nous l’avons déjà dit, l’assureur,
prenant en quelque sorte le rôle de caution, est libre de
donner à son cautionnement l’étendue qu’il lui convient
d’établir.
En fait, cette règle est modifiée dans la pratique. La
i Esprit du Code de commerce, art. 350.
I
�58
DROIT MARITIME.
•'
formule imprimée de Marseille porte, article 2, les as
sureurs sont exempts de tous risques de guerre, hostili
tés, représailles, arrêts par ordre de puissance, inter
diction de commerce, blocus, capture, confiscations et
contestations quelconques de gouvernemenls amis ou
ennemis, reconnus ou non reconnus, et généralement
de tous accidents et fortunes de guerre.
La légalité de cette stipulation ne saurait être mise en
doute. L’assuré qui aurait accepté purement et simple
ment la police qui la renferme serait irrecevable et mal
fondé à exciper de la disposition contraire de l’arti
cle 350.
135 8. — La seconde règle qui se tire de l’article
350 semblait rendre inutiles les dispositions des articles
suivants. Il est évident, en effet, que puisque l’assureur
ne répond d’aucun autre accident que de ceux arrivés
par fortune de mer, on ne pouvait lui demander aucun
compte des dommages ou pertes survenus par le fait de
l’assuré ou des chargeurs, par la faute du capitaine ou
par le vice propre de la chose.
Cependant le législateur n’a pas cru devoir se con
tenter de cette conséquence implicite. Dans le but d’évi
ter toute difficulté, toute fausse interprétation, il lui a
paru nécessaire de déterminer les événements dont les
assureurs n’étaient pas responsables, et à compléter ainsi
la série de dispositions que commandait la protection
due à l’assurance. C’est ce qui a donné naissance aux
articles 351, 352 et 353.
�350, 351, 352, 355, 354.
59
3159». — Les règles que ces articles convertissent en
droit commun comportent-elles des dérogations conven
tionnelles ? L’affirmative est expressément admise dans
l’hypothèse de l’article 333.
Le silence gardé par les articles 331 et 332 n’est pas
la négation du droit. Ainsi, nous verrons que la faculté
de dérouter peut être stipulée. Rien ne s’oppose non
plus à ce qu’on réserve à l’assuré celle de transborder,
à ce qu’on pactise sur le vice propre de la chose.
-siti
$lii
1360. — Mais la responsabilité du fait personnel
de l’assuré ne saurait être valablement imposée aux as
sureurs, ni même acceptée par eux. Toute convention
dans ce but serait illégale et nulle. Il serait étrange, di
sait Pothier, qu’on pût valablement imposer à autrui les
conséquences de son propre fait. Une pareille conven
tion serait immorale, car elle encouragerait par trop la
fraude ; elle serait contraire à ce grand principe de
droit : Nulla pactione efjîci polest, ne dolus prœstetur 1.
Ainsi les pertes ou dommages provenant du fait per
sonnel de l’assuré restent à sa charge exclusive. Non
seulement les assureurs n’en répondraient pas, mais ils
ne peuvent pas même valablement les prendre à leur
charge. Le fait personnel de l’assuré n’est jamais une
fortune de mer de nature à devenir la matière d’une
juste assurance.
Les mêmes motifs s’appliquant aux faits des proprié-
i,# ;
1 L. 23, Dig., S 3, de Pactis.
! -.'.il
s
ail
■
H
-a -M
�DROIT MARITIME.
60
taires, affréteurs ou chargeurs , on devait leur rendre
commune la prohibition que l’article 351 prononce pour
le fait personnel de l’assuré. Les assureurs sur corps ne
répondraient donc ni du dommage, ni de la perte que
le navire aurait éprouvé, si l’un ou l’autre n’avait d’au
tre origine et d’autre cause que le fait du propriétaire,
du chargeur ou de l’affréteur. Ce fait, comme celui de
l’assuré, peut provenir de la fraude, de la négligence,
d’une contravention à la loi.
— La fraude consistera, par exemple, à n’a
voir fait au navire que des réparations apparentes pour
masquer son état de délabrement, ou dans le charge
ment de marchandises déjà avariées. Il y aura négli
gence, si on a omis de prendre toutes les précautions
nécessaires pour garantir les effets assurés contre les ac
cidents du voyage. Enfin, il y aura contravention à la
loi, si on embarque des marchandises que la loi fran
çaise prohibe à la sortie ou à l’entrée.
Le fait des propriétaires, affréteurs ou chargeurs li
bère non-seulement leurs propres assureurs, mais en
core les assureurs, quels qu’ils soient, sur corps ou sur
facultés. Il est évident que le dommage souffert par le
navire ou la cargaison, par suite de la fraude, de la né
gligence ou de la contravention des propriétaires, af
fréteurs ou chargeurs, ne peut être considéré comme une
fortune de mer. Dès-lors, ceux qui en souffrent n’ont
pas d’autres recours que celui que la loi leur accorde
1301.
�• • * ’•
art.
550, 351, 552, 353, 354.
61
contre l’auteur de la fraude, de la négligence, de la con
travention.
— Il y a fait personnel à l’assuré lorsque
celui-ci, s’immisçant dans les fonctions de capitaine,
donne et fait exécuter un ordre qui était dans les attri
butions de celui-ci. Ainsi la cour de Poitiers jugeait, le
24 juin 1831, que le consignataire de la marchandise
assurée, qui prend sur lui de faire changer le mouillage
du navire dans le lieu de l’arrivée, sans le consentement
du capitaine et pendant son absence du bord, est sans
action tant contre le capitaine que contre l’assureur, à
raison de l’avarie causée à la marchandise par le chavi
rement du navire après son changement de place.
1263.
1 8 6 3 . — Les assureurs ne répondent pas des dé
chets, diminutions et pertes.arrivés par le vice propre de
la chose. Il y a détérioration ou perte par vice propre,
non-seulement lorsque l’objet a souffert ou péri par suite
d’une conformation vicieuse, par l’effet de laquelle il
porte en lui-même un germe de destruction qui ne serait
pas arrivée si sa composition eût été meilleure, mais en
core lorsque la diminution ou la perte arrivée par un
accident auquel cet objet, en le supposant de la plus par
faite qualité en son genre, est sujet par sa nature. Ainsi
le meilleur vin peut s’aigrir, les étoffes les plus précieu
ses se piquer, malgré les soins pris pour les conserver
i Pardessus, n° 773.
i
�62
DROIT MARITIME.
Il y a également vice propre lorsque la diminution ou
la perte provient d’un défaut de soin ou de la vétusté
de la chose. Ainsi un navire qui périt parce que les ré
parations nécessitées par des avaries précédentes n’ont
pas été exécutées, périt par vice propre.
Que, dans un ouragan ou une tempête, un câble soit
rompu, une voile déchirée ou emportée, un mât brisé,
ce sont là des accidents que les assureurs supportent,
et dont ils doivent indemniser l’assuré. Mais, que cet
accident arrive parce que le cable ou les voiles étaient
dans un état de vétusté tel qu’ils ne pouvaient résister,
la détérioration ou la perte sera la conséquence du vice
propre, et aucune indemnité ne pourra être exigée des
assureurs.
• >
1364. — Peu importerait que la température du
pays dans lequel se trouve le navire ou la durée de la
navigation ait contribué ou contribue à développer les
effets du vice propre. Les assureurs ne garantissent ni
le climat, ni la durée de la navigation autrement qu’en
répondant des fortunes de mer qui peuvent éclater jus
qu’à la fin du voyage. La fortune de mer, dont l’effet se
borne à retarder ce voyage, n’engage en rien leur res
ponsabilité.
Aussi la cour de Bordeaux jugeait-elle, le 10 janvier
1842, que lorsque la nature d’une marchandise, des
fruits, par exemple, la rendait susceptible de se détério
rer d’elle-même par le seul effet de la prolongation du
voyage, le dommage qu’elle a éprouvé, par suite d’un
�ART. 350, 351, 352, 353, 354.
63
retard occasionné par accident de mer, doit être imputé
non à une fortune de mer, mais au vice propre de la
chose, et ne tombe pas aux risques des assureurs l.
— Ce qui devait le faire décider ainsi, c’est
que, dans l’espèce, l’aggravation du vice propre tenait à
la longueur du voyage seulement, sans aucune atteinte
directe à la chose. Mais il en serait autrement si cette
aggravation tenait à un de ces accidents de mer dont les
assureurs répondent. Cette aggravation serait à leur
charge, parce que la responsabilité de l’assuré, quant au
vice propre, se borne aux effets naturels et directs de
celui-ci2.
Ainsi le coulage , auquel certaines denrées ou mar
chandises sont naturellement sujettes, constitue un vice
propre dont les assureurs ne sont pas tenus. Mais qu’une
tempête, qu’un échouement, qu’une fortune de mer, en
un mot, donne lieu à un coulage extraordinaire, les as
sureurs en deviennent responsables. Us doivent tenir
compte de tout ce qui dépasse le coulage ordinaire.
L’usage a, dans cette prévision, établi ce que pouvait,
ce que devait être celui-ci. Voici les proportions géné
ralement admises :
Dans les voyages au long cours, on admet : pour les
eaux-de-vie, vins, huiles et liqueurs, un coulage de 12
à 15 0/0; pour les sucres bruts, 13 à 14 0/0; pour
1365.
Il
1 D.P., 42, 2, 64.
�64
DROIT MARITIME.
les indigos, de 10 à 20 0/0, suivant qu’ils ont été plus
ou moins secs.
Dans les voyages de grand cabotage, le coulage ordi
naire n’est plus que de 3 ou 4 0/0. Il çst réduit à Ü5 ou
3 0/0 dans les voyages de petit cabotage.
En conséquence, si par suite d’un accident de mer
ces proportions ont été dépassées, les assureurs doivent
supporter l’excès.
136®. — La loi, en ce qui concerne le vice propre,
permet de déroger à ses dispositions. Les assureurs peu
vent donc prendre à leur charge les dommages et per
tes qui en proviendraient. La disposition de la loi est
surtout dans leur intérêt. Or, il est évident que s’ils ac
ceptent cette responsabilité, c’est qu’ils auront stipulé
une chance de gain de nature à contrebalancer le péril.
Par réciprocité, les assureurs peuvent ne pas se char
ger de l’aggravation que les accidents de mer peuvent
occasionner au vice propre, et s’affranchir notamment
du coulage extraordinaire. Cette intention résulterait suf
fisamment de la clause franc de coulage. Il est évident,
en effet, que cette clause ne peut concerner que le cou
lage extraordinaire, puisque, de plein droit et sans con
vention, les assureurs sont affranchis du coulage ordi
naire l.
1 3 6 9 . — La mort naturelle des animaux embarl Aix, 29 novem bre 1 818; tribunal de Marseille, 9 m ars 1829; Jour
nal de Marseille, t. 1 0 ,1 ,1 2 9 .
�qués est présumée provenir du vice propre. Les assu
reurs n’en seraient tenus que si l’assuré prouvait que la
mort arrivée pendant une tempête n’a pas eu d’autre
cause que cette tempête. Dans ces cas, les assureurs ne
pourraient être exonérés de la responsabilité qu’en jus
tifiant que toutes les précautions usitées en cette occur
rence n’avaient pas été prises lors de l’embarquement.
Ce défaut de précaution constituerait une faute grave de
la part du capitaine, et libérerait les assureurs, à moins
qu’ils n’eussent garanti la baraterie de patron.
— Toutes les fois qu’il s’agit de marchandi
se de nature à dépérir ou à se corrompre, la présomp
tion, en cas de perte, est qu’elle a péri par son vice
propre, alors même que le navire qui la portait a éprou
vé des fortunes de mer. Cette doctrine, qui est celle
d’Emérigon et de Pardessus, a été consacrée en ces ter
mes par un arrêt de la cour de Rouen, du 9 février
1847 :
« Attendu qu’il faut que l’avarie ou détérioration pro
vienne uniquement d’événements de mer, et non d’au
cune autre cause ; que la seule possibilité que la mer
n’a pas occasionné le sinistre suffit pour jeter au moins
du doute et de l’incertitude sur la cause réelle de la perte
de la chose assurée ; que, dans cet état d’incertitude,
c’est à l'assuré qu’il incombe de fournir la preuve irré
cusable que c’est une autre cause que celle résultant de
la nature de la marchandise qui a déterminé la perte ;
que, tant que cette preuve n’est pas produite, la respon13G8.
�66
DROIT MARITIME.
sabilité des assureurs ne saurait être atteinte ; que si, en
l’absence de preuve, on est réduit à juger sur des pré
somptions, les présomptions basées sur la nature même
de la marchandise assurée doivent l’emporter l. »
1369. — Les assureurs ne répondent de la bara
terie de patron ni envers l’armateur ni envers les char
geurs. Cette règle se justifie à l’endroit du premier par
la responsabilité qu’il encourt à l’endroit des actes du
capitaine qu’il a choisi Omnia : fada magistri debet
prœstare is qui eum prœposuit, alioquin contrahentes
deciperenturs.
Elle se justifie, vis-à-vis des chargeurs, par la raison
que les prévarications et les fautes du capitaine ou de
l’équipage ne sont pas de fortunes de mer, et les assu
reurs ne garantissent que celles-ci.
Avant l’ordonnance de 1681, la baraterie ne s’enten
dait que du crime, du délit ou de la prévarication ; ga
rantir celle de patron, c’était réduire la responsabilité
aux conséquences de l’une ou de l’autre.
L’ordonnance de 1681 étendit cette responsabilité à
la faute. C’est ce qui résulte expressément de l’article â8,
au titre des assurances ; cet article est même muet quant
"à la prévarication, mais aucun doute ne s’était jamais
élevé à cet égard. Les assureurs libérés de toute respon
sabilité à l’endroit de la faute du capitaine ou des gens
l D. P., 48, 2.-151.
8 L. 1, Dig. Deexercit, act.
�de l’équipage, l’étaient à bien plus forte raison, à l’é
gard des prévarications.
La commission première n’avait inséré dans le projet
du Code que le mot de prévarications. Or, celles-ci ne
comprennent pas les fautes. Aussi, craignit-on de pa
raître revenir au droit antérieur à l’ordonnance. On
ajouta donc le mot fautes à celui de prévarications, ce
qui indiquait qu’on persistait dans le système que l’or
donnance avait consacré.
Mais la baraterie de patron ne comprend pas seule
ment les prévarications et fautes du capitaine. De tout
temps son acception s’est étendue aux prévarications et
fautes de l’équipage. Ce mot patron, disait Emérigon,
comprend ici tous ceux qui sont aux gages du navire \
— Aujourd’hui donc, comme autrefois, en
droit commun, les dommages et pertes provenant de la
baraterie de patron demeurent étrangers aux assureurs.
Or, cette baraterie existe toutes les fois que le capitaine
a fait ce qu’il ne devait pas, ou omis d’accomplir ce
qu’il devait faire.
Les assureurs seraient donc fondés à repousser toute
demande en indemnité si le capitaine, en plaçant son
navire dans le port, n’avait pas observé la distance pres
crite ; s’il l’avait mal amarré ou amarré avec des câbles
insuffisants ; s’il l’avait mis sur le passage ; s’il n’avait
pas requis les secours d’un pilote à l’entrée ; si à la sor1890.
�68
DROIT MARITIME,
tie il n’avait pas pris toutes les précautions ordonnées ;
enfin, s’il avait négligé soit avant le départ, soit pen
dant le voyage, de faire au navire toutes les réparations
nécessaires pour le mettre ou le maintenir en bon état
de navigation. Le dommage souffert par suite de ces ac
tes ne serait dans aucun cas à la charge des assureurs.
Il y aurait baraterie de patron si le naufrage ou l’é—
chouement n’était que le résultat de l’impéritie, de la
uégligence du capitaine, ou des fausses manœuvres de
l’équipage; si, en cas d’incendie dans le port, les pré
cautions ordonnées pour le prévenir n’avaient pas été
prises.
La prise ou l’arrêt du navire serait la conséquence de
la baraterie de patron, si l’un ou l’autre s’était réalisé
pendant ou à l’occasion de la violation du blocus d’un
pays, d’un port ou d’une rade ; si la prise avait suivi
l’abandon de l’escorte sous la protection de laquelle le
navire devait voyager ; si le navire n’étant pas armé, le
capitaine, qui était en position de le faire, n’a pas évité
l’ennemi ; si, étant attaqué, il ne s’est pas défendu au
tant qu’il pouvait le faire ; enfin, s’il a refusé de se lais
ser visiter.
Dans ce dernier cas, cependant, le refus pourrait n’être que l’exercice d’un droit, que l’accomplissement d’un
devoir, il faut donc, avant tout, en déterminer le véri
table caractère. Les assureurs ne seraient exonérés des
conséquences de la prise, que si le capitaine était dans
son tort. C’est par les circonstances, par le droit des gens,
�ART.
350, 351, 552, 355, 554-.
69
par les traités que la conduite du capitaine doit être ap
préciée et jugée l.
La saisie ou l’arrêt du navire, soit parce que le capi
taine serait muni d’expéditions irrégulières, soit pour
contraventions aux lois sanitaires , soit enfin parce
qu’il n’aurait pas payé les droits de douane ou de l’Etat,
serait le résultat de la baraterie de patron. Les consé
quences préjudiciables qui en proviendraient resteraient
donc étrangères aux assureurs.
Enfin il en serait de même des dommages et pertes
soufferts par les effets assurés par suite d’un mauvais
arrimage2.
1 3 9 1 . — La responsabilité des faits de l’équipage
que le capitaine encourt lui rend en quelque sorte ces
faits personnels, c’est ce qui les a fait comprendre dans
la dénomination de baraterie de patron. En droit com
mun, donc, les assureurs ne pourraient être recherchés
pour les dommages ou pertes provenant de la désertion,
de la révolte, de l’insubordination de l’équipage.
M. Boulay-Paty admet le contraire dans le cas où la
révolte et l’insubordination n’éclatent que devant la
crainte de faire naufrage ou d’être pris par l’ennemi. La
juste crainte du péril, dit-il, est un cas fortuit, une es
pèce de violence et de fortune de mer dont les assureurs
sont responsables3.
1 Pardessus, n° 866.
2 Cass., 7 ju illet 1824 ; 9 août 1826.
3 T. 4, p. 68.
�70
DROIT MARITIME.
L’hypothèse supposée par M. Boulay-Paty ne se réa
lisera guère. La lâcheté n’est pas le défaut de nos ma
rins. Dans tous les cas, l’admissibilité de sa conclusion
nous parait fort contestable. Le capitaine qui a composé
un équipage assez pusillanime pour reculer devant la
crainte d’un danger, et pour refuser son concours au
moment le plus utile et où il est le plus indispensable,
commet une faute dont on doit lui imposer toute la res
ponsabilité ; la renvoyer aux assureurs, ce serait entre
autres inconvénients fournir au capitaine un moyen fa
cile de dissimuler son manque de courage qu’il mettrait
à l’abri d’une révolte qu’il saurait bien faire naître.
Donc, à quelque moment que la révolte éclate, quel
qu’en soit le prétexte, les assureurs ne peuvent en ré
pondre, pas plus que des faits ou fautes communes des
gens de l’équipage. La responsabilité des uns et des au
tres appartient au capitaine.
1393. — Il en est autrement de faits et fautes des
passagers et gens de guerre que le capitaine est obligé
de recevoir ou reçoit à bord. N’ayant aucune auto
rité hiérarchique sur eux, le capitaine n’encourt, en ce
qui les concerne, aucune responsabilité. Le préjudice
qu’ils occasionnent directement ou indirectement est un
cas fortuit dont les assureurs répondentl.
Le capitaine ne saurait en être tenu que si, mis à mê
me et en demeure d’empêcher le fait ou la faute, il a né1 Bordeaux, 23 novem bre 1830.
�gligé ou omis de le faire. Mais, dans cette hypothèse,
l’obligation directe des assureurs n’en existerait pas
moins, ils n’auraient qu’un recours contre le capitaine.
— Le pilote est bien aux gages du navire ,
mais son concours n’étant que momentané, on ne pour
rait le considérer comme faisant partie de l’équipage.
D’ailleurs, loin d’être le subordonné du capitaine, c’est
le capitaine qui est en quelque sorte le sien pendant tout
l’exercice de sa mission à bord.
Enfin le capitaine ne choisit pas le pilote, il est obligé
de recevoir celui que l’ordre du service de pilotage ap
pelle à son bord.
Il n’était donc pas possible de ranger les fautes ou
prévarications du pilote dans la catégorie de celles qui,
constituant la baraterie de patron, ne peuvent être à la
charge des assureurs.
1293.
1294. — La baraterie de patron ne se présume que
dans le cas d’incendie. Dans toutes les autres hypothè
ses, c’est aux assureurs qui l’invoquent à l’établir et à la
justifier. Nous avons dit qu’il en serait de même si la
cause de l’incendie était indiquée dans le consulat du
capitaine ; à défaut de preuve, l’événement est présumé
fatal, et est attribué à la cause indiquée par le consulat.
Mais tous les modes de preuves sont admissibles pour
établir le contraire : dépositions de témoins, documents,
présomptions. Les assureurs peuvent tout invoquer,
puisqu’en réalité ils n’ont jamais été en position de se
�72
DROIT MARITIMË.
procurer la preuve écrite, l ’appréciation de cette preuve
est laissée à l’arbitrage souverain des deux degrés de ju
ridiction. La solution, quelle qu’elle soit, échappe à toute
censure de la part de la Cour de cassation K
Il en est de même de la détermination du caractère
du fait reproché. La question de savoir si ce fait cons
titue une baraterie ou une faute plus ou moins lourde
est du domaine exclusif et souverain des tribunaux. C’est
ce que la Cour de cassation vient encore de décider le
21 décembre 1869.
A la suite d’un échouement qui lui avait occasionné
de graves avaries, le navire Theodicée, capitaine Allengry, avait été délaissé par ses propriétaires qui pour
suivaient contre les assureurs le paiement du montant
de l’assurance.
Mais ceux-ci, qui avaient exclu des risques la barate
rie du patron, refusaient ce paiement. Us soutenaient
que le sinistre était la conséquence unique de la bara
terie du capitaine, et pour le prouver ils excipaient d’un
arrêté du ministre de la marine qui, par application de
l’article 87 du décret du 24 mars 1852, prononçait
contre lui une suspension de son commandement pen
dant deux ans, pour avoir, par son imprudence et son
impéritie causé l’échouement de son navire.
Saisie du litige, la cour de Montpellier, sans s’arrêter
ni avoir égard à la décision du ministre, déclare qu’il
n’y a eu de la part du capitaine ni baraterie, ni faute
�grave de nature à dégager la responsabilité des assu
reurs, et en conséquence valide le délaissement.
« Considérant, dit l’arrêt, que les assureurs sou
tiennent que le sinistre était dû à l’impéritie du capitai
ne, ce qui, d’après eux, constituerait un fait de barate
rie dont ils ne sauraient être responsables ; mais consi
dérant que le dol et la fraude, éléments essentiels de la
baraterie, n’existent pas dans la cause ; que si, en doc
trine et en jurisprudence, le mot baraterie a été souvent
appliqué à la négligence et à l’impéritie, il n’en est pas
moins vrai que les statuts sociaux qui sont la règle des
parties, ne lui ont pas donné une signification aussi
étendue ; qu’ils ont voulu, au contraire, en restreindre
le sens au seul cas de fraude manifeste, et, en effet,
l’article 2 des statuts ne distinguant pas la baraterie de
la contrebande ou du commerce clandestin et prohibé,
il s’ensuit qu’on a excepté de l’assurance les risques
seuls dont la cause avait un caractère délictueux; d’où il
suit que s’il y a eu négligence de la part du capitaine,
il n’y a à lui imputer ni dol, ni fraude, ni conséquem
ment la baraterie prévue par les statuts, mais peut être
une manœuvre imprudente assimilée dans ses résultats
aux risques et fortunes de mer dont la société maritime
doit répondre ; considérant qu’on ne peut même pas
affirmer d’une manière positive qu’il y ait eu faute,
puisque le capitaine, dont l’aptitude est présumée a ap
pelé le pilote à son aide,en naviguant de son mieux dans
des circonstances plus ou moins périlleuses pour met
tre son navire en sûreté, sans y réussir. »
�74.
DROIT MARITIME.
On ne saurait imaginer une contradiction plus fla
grante que celle qui existait entre cet arrêt et l’arrêté du
ministre de la marine. Le premier, en effet, n’admet
pas même la faute, tandis que le second considère l’im
prudence et l’impéritie comme tellement certaines qu’il
les punit d’une suspension de deux ans.
Aussi devant la Cour de cassation reprochait-on à la
cour de Montpellier d’avoir violé l’article 353 du Code
de commerce en ce qu’elle avait mis à la charge des as
sureurs les conséquences d’un sinistre qui avait pour
cause une baraterie de patron, ainsi que l’établissait la
décision du ministre de la marine prononçant contre le
capitaine une suspension de deux ans pour avoir, par
son imprudence et son impéritie, causé la perte de son
navire.
Mais la Cour suprême donne sa haute sanction à l’ar
rêt attaqué, elle rejette le pourvoi ; « Attendu que la
décision du ministre de la marine qui suspend pendant
deux ans le capitaine Allengry de son commandement,
pour avoir, par son imprudence et son impéritie, causé
l’échouement du navire le Théodicée, est une mesure de
discipline qui ne saurait avoir le caractère de la chose
jugée dans l’instance en baraterie dirigée par la compa
gnie d’assurances contre le capitaine ;
« Attendu qu’en décidant que la simple faute du ca
pitaine procédant de l’imprudence et de l’impéritie ne
constitue pas un cas de baraterie exclu par l’article 2
des statuts ; et, d’autre part, qu’il n’existait même pas
de faute imputable au capitaine, mais une simple ma-
�art.
350, 351, 352, 353, 354.
75
nœuvre imprudente, assimilable aux risques de mer ga
rantis par l’assurance, l’arrêt attaqué n’a fait qu’inter
préter la convention et apprécier les faits de la cause ;
que sa décision sous ce double rapport ne tombe pas
sous le contrôle de la Cour de cassation K
La preuve que le sinistre a été occasionné par la ba
raterie de patron éteint toute action contre les assureurs.
Cette règle était-elle susceptible de dérogation ? Devaiton notamment permettre à l’assureur de se charger du
risque de cette baraterie ?
1 3 9 5 . — Dans la discussion au conseil d’Etat, on
faisait remarquer que dans la législation antérieure à
l’ordonnance de 1681, la baraterie de patron était de
plein droit à la charge des assureurs. On demandait mê
me qu’on en revînt à cette règle, en repoussant la mo
dification consacrée par l’ordonnance.
D’autres, au contraire, soutenaient avec Yalin et Po
thier que la baraterie de patron n’était pas un risque
maritime, et proposaient d’interdire aüx assureurs la fa
culté de la garantir que l’ordonnance de 1681 avait
adoptée. C’est ce que demandaient notamment la cour
de Rennes et la commission de commerce de Lorient.
L’intérêt des assureurs, l’avantage de prévenir les fri
ponneries d’un capitaine, qui peut quelquefois colluder
avec le propriétaire ou les chargeurs du navire, en un
mot, la morale publique, telles étaient les considérations
sur lesquelles cette proposition s’étayait.
�76
DROIT MARITIME.
Telle était l’opinion de la commission du conseil
d’Etat, cependant elle proposait de s’en tenir à la dis
position de l’ordonnance. Ce qui le fît ainsi admettre,
fut non seulement le défaut de réclamations de la pres
que unanimité des cours et tribunaux, mais encore la
pratique commerciale. En Angleterre et chez les autres
nations du nord, les assureurs répondent de plein droit
de la baraterie de patron. Dans plusieurs villes de
France, l’usage de la stipuler ainsi était tel,que la clause
de garantie par les assureurs était inscrite dans les for
mules imprimées.
1 3 9 6 ' — De droit commun , donc, les assureurs
sont affanchis de toute responsabilité à l’endroit de la
baraterie de patron , mais ils peuvent s’imposer celte
responsabilité et en accepter les risques. Cette condition
est absolue. La seule exception qu’elle comporte est l’hy
pothèse où le capitaine est en même temps propriétaire
des effets assurés ; assurer en pareil cas la baraterie de
patron, ce serait assurer le fait personnel de l’assuré, ce
qui est absolument défendu par l’article 351.
Toutefois cette exception se restreint elle-même aux
faits propres et personnels du capitaine, rien ne s’op
pose à ce que les assureurs garantissent les faits et fau
tes de l’équipage ; ce ne sont plus là des faits person
nels qu’on ne peut faire assurer, et la responsabilité du
capitaine ne saurait l’empêcher de transmettre à autrui
les risques résultant de cette responsabilité elle-même.
En conséquence, les assureurs qui auraient accepté ces
�ART. 350, 331, 352, 353, 354.
77
risques ne pourraient en récuser les conséquences qu’en
prouvant la complicité ou la participation du capitaine
dans l’acte reproché à l’équipage. Telle est la doctrine
que professait Emérigon.
139"?. — Ainsi, la responsabilité du capitaine à
l’endroit de l’équipage ne fait nul obstacle à ce qu’il
s’assure contre les faits et fautes de ceux qui le compo
sent. Comment, dès lors, comprendre que ce célèbre ju
risconsulte fasse de la responsabilité de l’armateur un
obstacle à l’assurance en sa faveur des fautes du capi
taine. Il enseigne, en effet, que l’assureur sur corps qui
a garanti la baraterie de patron ne répond pas cepen
dant des faits du capitaine ; celui-ci étant du choix de
l’armateur assuré, nul autre que cet armateur ne saurait
en être responsable : Omnia facta magistri debet prœs-
tare qui eum prœposuitl.
Mais n’est-ce pas le capitaine qui choisit l’équipage ,
qui en est responsable? Pourquoi donc ce qui ferait
prohiber l’assurance à l’armateur ne la ferait-elle pas
prohiber au capitaine, ou bien, pourquoi ce qui n’est
pas un obstacle pour celui-ci, en deviendrait-il un pour
l’armateur ?
Il y a là une contradiction évidente qui ne saurait se
concilier. On ne pourrait donc admettre les deux termes
de la proposition ; et comme la légalité de l’assurance
par le capitaine des faits et fautes de l’équipage a été
i Chap. <12, sect. 2, § 2,
/'
�DROIT MARITIME.
■ 78
universellement admise , l’opinion d’Emérigon sur celle
des faits du capitaine par l’armateur n’a jamais été
suivie.
Sans doute l’armateur répond du capitaine qu’il a
choisi, et cette responsabilité l’engage d’une manière ab
solue envers les tiers, mais n’est-ce pas celte responsa
bilité même et les dangers dont elle peut être la source
qui autorisent l’assurance ? qui en démontrent l’utilité?
Le choix du capitaine est restreint par la loi, il ne peut
être exercé que dans le cercle de ceux qui ont reçu cette
qualité. L’armateur est donc obligé d’accepter l’un d’eux;
il doit croire à son aptitude, à sa capacité; il peut être
trompé cependant, et cette erreur peut entraîner la perte
de son navire. Cette éventualité crée son droit à traiter
avec les assureurs et à se faire cautionner la bonne con
duite et l’habileté du capitaine. Les assureurs seraient
d’autant plus mal fondés à quereller le contrat, que rien
ne les contraignait à l’accepter. On ne pourrait admet
tre la plainte que si on refusait à la baraterie de patron
le caractère de risque maritime. Or, Emérigon lui-mê
me, réfutant sur ce point Yalin et Pothier, s’écrie : Il
est vrai que ce n’est pas ici un- dommage qui procède
ex marinœ lempeslalis discrimine, mais la baraterie
n’est pas moins un risque et un très grand risque mari
time, puisqu’on est obligé de confier son bien aux gens
de mer, qui peuvent oublier quelquefois leurs devoirs et
qui, par imprudence, occasionnent des perles ï.
i Ibid., § 3.
�On peut donc garantir la baraterie de patron, y com
pris les actes du capitaine, en faveur du propriétaire ou
de l’armateur qui l’a institué. On le peut, à plus forte
raison, en faveur des affréteurs et chargeurs. Cette ga
rantie est même devenue une clause banale. On la ren
contre dans les formules imprimées.
JL3Ï8. — A l’endroit des affréteurs et chargeurs, il
est une observation importante à rappeler. La baraterie
de patron ne s’entend que des prévarications et fautes
du capitaine commises dans l’exercice de ses fonctions
de capitaine. Ainsi, si le capitaine dissipe la pacotille
qu’il est chargé de transporter à sa destination, les assu
reurs qui ont garanti la baraterie sont tenus d’indemni
ser le chargeur.
Il n’en serait plus ainsi si le capitaine, cumulant avec
cette qualité celle de subrecargue, avait reçu la mission
de gérer la pacotille ou la cargaison. Les fautes ou pré
varications qu’il commettrait dans cette gestion consti
tueraient, non plus la baraterie de patron, mais des abus
de mandat dont les effets resteraient pour le compte
exclusif du mandant.
La réunion des qualité de capitaine et de subrecargue
sur la même tête est de nature à modifier profondément
la position des assureurs qui ont garanti la baraterie de
patron. Mais elle ne saurait, dans aucun cas, affaiblir
ni diminuer leur responsabilité à l’endroit des actes,
même relatifs à la cargaison, mais ressortissant de la
qualité de capitaine.
�80
DROIT MARITIME.
Ainsi la cour de Bordeaux décidait avec raison, le 18
mai 1832, que lorsque le capitaine, qui est en même
temps subrecargue, prend sur lui, après une relâche for
cée, au lieu d’effectuer les réparations indiquées et éva
luées par les experts, de vendre le navire, sans décla
ration judiciaire de son innavigabilité, à un prix infé
rieur au quart de sa valeur, l’assureur qui a garanti la
baraterie de patron ne peut contester le délaissement, en
opposant que le capitaine-subrecargue étant le repré
sentant de l’assuré, c’est à celui-ci à répondre des faits
de son mandataire.
Ainsi encore, l’assureur qui a garanti la baraterie de
patron répondrait du dommage causé à la cargaison
pour vice dans l’arrimage, alors même que le capitaine
serait en même temps subrecargue.
En d’autres termes, la confusion de celte double qua
lité ne fait pas disparaître la responsabilité des assureurs
pour tout ce qui se réfère aux fonctions de capitaine pro
prement dit. Elle les libère de tous les actes de disposi
tion ou de dissipation dont la cargaison serait l’objet, et
dont ils répondraient si le capitaine n’était pas en mê
me temps subrecargue.
1 3 9 9 . — Garantir la baraterie de patron, c’est de
la part des assureurs contracter l’obligation d’indemni
ser l’assuré des détériorations ou pertes que subit la
chose, quelles qu’aient été les causes du sinistre. 11 n’y
a plus à distinguer, cas fortuit, force majeure, impéritie,
imprudence ou négligence du capitaine, le résultat est
�ART.
350, 351, 352, 353, 354.
81
le même, sauf, dans ces derniers cas, le recours des as
sureurs contre le capitaine personnellement.
Cette règle reçoit exception :
1° Lorsque le sinistre peut être attribué au fait per
sonnel de l’assuré, empiétant sur les fonctions de capi
taine. Nous en citions tout à l’heure un exemple dans
le changement de mouillage du navire, sans le consen
tement et en l’absence du capitaine.
Nous en puisons un second exemple dans un juge
ment du tribunal de commerce de Marseille, du 17 jan
vier 1833, aux termes duquel l’assuré-armateur qui, au
lieu du reste, congédie le capitaine et l’équipage et fait
procéder par des journaliers au débarquement de la car
gaison, ne peut se prévaloir de la clause par laquelle les
assureurs sur corps et facultés ont garanti la baraterie
de patron, pour réclamer d’eux le remboursement des
avaries provenant de la faute des journaliers dans l’opé
ration du débarquement1;
2° Lorsque la faute du capitaine est le résultat d’un
concert entre lui et l’assuré. Ce concert, comme la sim
ple participation de ce dernier à l’acte préjudiciable,
rendrait la cause du sinistre personnelle à l'assuré, et
libérerait les assureurs des effets de la garantie qu’ils au
raient promise.
A plus forte raison en serait-il ainsi si, abusant de son
autorité et de l’ascendant que lui donne sa qualité, l’ar
mateur avait ordonné le fait dommageable, et contraint
1 Journal de Marseille, 1 .13, 1, 3B3.
iv — 6
�82
DROIT MARITIME.
le capitaine à l’exécuter. Alléguer un pareil abus ne suf
firait pas pour libérer les assureurs de leurs engage
ments. ils devraient en fournir la preuve soit par docu
ments, soit par témoins, soit par présomptions l.
Ainsi il y a baraterie de patron dans le fait du capi
taine qui, en cas d’avaries graves du navire constatées
par expertise et pour la réparation desquelles un juge
ment l’a autorisé à se rendre dans un lieu déterminé,
affrète le navire pour une destination plus éloignée, et
entreprend le voyage sans avoir fait opérer les répara
tions.
En conséquence l’assureur sur corps qui a pris à sa
charge la baraterie de patron répond des conséquences
que l’acte du capitaine a entraînés, il ne peut donc con
tester le délaissement que ferait l’armateur si le navire
se trouvant en état d’innavigabililé au terme du voyage
y avait été condamné et vendu.
Mais il est évident que si le capitaine n’avait ainsi agi
que pour se conformer aux instructions ou aux ordres
formels de son armateur, la faute serait personnelle à
celui-ci, ce qui exonérerait l’assureur de toute respon
sabilité. L’exception que ce dernier puiserait dans l’exis
tence de ces instructions ou de ces ordres serait donc
péremptoire et l’on peut sans témérité croire qu’en re
poussant le délaissement il étayera sa résistance sur
cette existence.
Il n’est pas moins évident qu’une simple allégation ne
i Rennes, 13 m ars 1826.
�saurait suffire reus excipiendo fil actor. L’assureur qui
chercherait dans l’excepticn le moyen de se libérer, se
rait donc tenu comme tout demandeur, de fournir la
preuve du fait servant de fondement à cette exception.
Le tribunal de commerce de la Seine, dans une es
pèce qui lui était soumise, avait fait résulter cette preuve
de la nature même du fait et du mobile qu’on devait
lui supposer.
« Attendu, disait le jugement, qu’il appert des docu
ments de la cause que le capitaine Poste!, agissant pour
le compte de l’armement et dans les limites générales
des instructions qui lui avaient été données au départ par
l’armateur, a traité verbalement à l’ile de la Réunion d’un
affrètement et de la direction donnée à son voyage; qu’il
a donc aussi recherché un but commercial dans l’intérêt
de l’armateur et non le moyen le plus sûr et le plus prompt
de réparer ses avaries.... qu’il suit de là que sa conduite
ne constitue pas la baraterie de patron, soit le fait dom
mageable à l’assuré que la police devait couvrir. »
Nous disions tout à l’heure qu’il y a baraterie de pa
tron toutes les fois que le capitaine fait ce qu’il ne de
vrait pas ou omet ce qu’il est obligé de faire. Or peutil exister pour lui une obligation plus impérieuse que
celle de pourvoir à la réparation des avaries qui com
promettent la sécurité du navire ?
Sans doute, entreprendre un nouveau voyage avant
cette réparation, c’est obéir à un but commercial. Mais
est-ce agir dans l’intérêt réel de l’armateur ? On peut en
douter car on s’expose à perdre l’instrument dont la
�DROIT MARITIME.
84
conservation peut seule permettre de réaliser ce but, et
c’est ce qui était arrivé dans l’espèce.
Ainsi le nouvel affrètement consenti à l’ile de la Réu
nion par le capitaine avait pour objet d’aller sur lest à
Moulmain pour y recevoir un chargement de grains. Or
le navire était bien parvenu à cette destination, mais le
voyage avait tellement aggravé les avaries non réparées
que, déclaré innavigable, il y avait été condamné et
vendu.
C’est ce qui, en pareille circonstance, se réalisera pres
que infailliblement, et il n’est pas à présumer qu’un ar
mateur quelconque consente à en courir la chance. On
ne devrait donc admettre qu’il l’a ordonné ou autorisé,
que si ses instructions étaient précises et formelles à ce
sujet.
C’est ce que la cour de Paris n’hésite pas à consa
crer. Aussi, et par arrêt du 14 novembre 1853, infir
mait-elle le jugement et validait-elle le délaissement.
» Considérant, dit l’arrêt, que les assureurs s’appuyent sur la coïncidence de l’affrètement fait à SaintDenis et la préférence donnée à Moulmain sur le port
plus voisin de Maurice pour contester le délaissement si
gnifié par Laporte, alléguant que le capitaine, en adop
tant ce parti dangereux, n’a fait qu’obéir aux instruc
tions qui lui avaient été données au départ de Bordeaux,
et qu’ainsi il ne s’agit point d’une baraterie de patron
dont ils soient responsables, mais d’un fait de l’arma
teur qu’ils n’ont pas garanti ;
« Considérant que cette allégation n’est pas justifiée ;
�que d’aucune partie des instructions données au capi
taine il ne résulte qu’en cas d’avaries, il ait dû, s’il se
présentait une opération utile à l'armement, l’entre
prendre, sans qu’au préalable le bâtiment fût mis en état
de naviguer ;
« Que la charte partie signée à Saint-Denis a donc
été l’œuvre personnelle du capitaine, et qu’elle constitue
un abus des pouvoirs exclusifs attachés à sa qualité ;
que le premier devoir du capitaine est de pourvoir, dans
le plus bref délai, aux réparations dont le besoin se ma
nifeste ; que toute négligence à cet égard est une faute
de la nature la plus grave l. »
128 0. — L’assureur sur facultés qui a garanti la
baraterie de patron répond de tout le dommage que la
marchandise assurée a souffert dans le cours du voyage,
excepté ceux qui proviendraient du vice propre. En con
séquence, un arrêt de la cour de Paris, du 21 décem
bre 1843, met à sa charge l’avarie résultant du ravage
commis par les rats.
Il s’agissait, dans l’espèce, de noix de galles, dont les
rats sont très friands. En conséquence et sans contester
la responsabilité en principe, on soutenait que la chose
avait péri par vice propre, et on demandait dès lors que
la perte restât pour le compte du propriétaire.
Mais la Cour refusa, avec raison, devoir un vice pro
pre dans l’attrait qu’une marchandise pouvait offrir à la
�,
86
DROIT MARITIME.
voracité de certains animaux. Tout ce qui pouvait ré
sulter de là, c’était la nécessité de redoubler de pré
cautions pour la protéger et la défendre contre ces ani
maux l.
— Cet arrêt suppose que le ravage commis
par les rats est imputable au capitaine, puisqu’il le con
sidère comme une baraterie de patron dont l’assureur
répond, parce qu’il s’y est engagé. Or, cela n’est vrai
que si le capitaine n’a pas fait à cet endroit ce qu’il de
vait faire, c’est-à-dire n’a pas embarqué un nombre de
chats suffisant pour se défendre des rats. On ne pouvait
pas, en effet, exiger autre chose. D’autre part, comment
rendre le capitaine fatalement responsable, dans tous
les cas, sans blesser les notions de la raison et de la
justice ?
Le Consulat de la mer était entré dans ces idées. Le
chapitre 65 disposait : Si la marchandise chargée sur le
navire se trouve rongée par les rats, et qu’on n’ait pas
eu la précaution de mettre des chats à «bord, le patron
est tenu de ce dommage.
Le chapitre 66 ajoutait : Le patron ne répond point
du dommage causé par les rats, si les chats qui étaient
à bord sont morts pendant le voyage, pourvu qu’au pre
mier endroit où il a touché il n’ait rien oublié pour s’en
procurer d’autres.
Rien ne s’oppose aujourd’hui à ce que la responsa1381.
1 J.
du P., \,
1844 82
,
.
�ART.
350, 351, 352, 353, 354.
87
bilité du capitaine soit calculée sur ces règles. Elles sont
trop équitables, pour que les législations postérieures
en aient récusé l’autorité.
— L’assureur qui a garanti la baraterie de
patron est tenu envers l’assuré de tout dommage que
celui-ci éprouverait de la rupture du voyage occasionnée
par cette baraterie Nous avons déjà exposé-la doctrine
delà Cour de cassation, déclarant, dans son arrêt du
14 mai 1844, que les dommages dont l’assuré doit être
indemnisé consistent non seulement dans le préjudice
matériellement souffert, mais encore dans les dépenses
extraordinaires exposées à l’occasion du voyage, et dans
la différence estimative entre la valeur des marchandi
ses au jour du chargement, et le produit de leur vente
à la suite de la rupture du voyage l.
Cette doctrine a soulevé des objections. On lui a re
proché notamment de méconnaitre les véritables princi
pes. L’assureur, a-t-on dit, ne garantit qu’une chose, à
savoir, que le transport se fera sans que les objets as
surés éprouvent aucune perte, aucun dommage par for
tune de mer, et sans qu’ils soient chargés d’aucuns frais
ni dépenses extraordinaires. Ainsi, c’est la perle corpo
relle, c’est le dommage matériel qui donne lieu à l'ac
tion en avarie, mais jamais cette action ne peut r^uller,
et les assureurs ne peuvent être responsables du dom
mage qui ne proviendrait que d’un simple manque de
1388.
1 J. du P., 2 1844 68
,
,
,
�DROIT MARITIME.
88
gagner, ou de la moins value de la marchandise, indé
pendante de sa dépréciation matérielle. Cela est si vrai,
que la faculté de délaisser n’est accordée qu’à celui qui
est entièrement privé, par un accident de mer, des ef
fets assurés, ou à celui dont les effets ont éprouvé une
perte ou une détérioration des trois quarts, que le légis
lateur assimile à la perte entière, et non pas à celui dont
les effets matériellement sains ont subi une dépréciation
dans leur valeur.
Mais, répond la Cour de cassation, loi n’a pas prévu
seulement les avaries matérielles donnant ouverture au
délaissement. L’article 371 le prouve, en déclarant que
tous dommages autres que ceux spécifiés dans l’article
369 sont réputés avaries. Cet article ni aucun autre ap
plicable à l’action d’avarie ne restreignent cette action
au cas d’avaries matérielles. En conséquence, il suffit
que l’assuré éprouve un dommage réel de la baraterie
de patron pour que l’assureur qui en a pris le risque
soit obligé de le réparer. C’est là accorder la réparation
d’une perte, et non un bénéfice espéré.
Les dépenses extraordinaires dont le fruit est perdu
par suite de la rupture du voyage ; la différence de la
valeur des effets assurés au jour du chargement et à ce
lui de la rupture qui en amène la vente sur les lieux
constituent donc une perte réelle, un dommage certain,
rentrant dans la catégorie des avaries dont dispose l’ar
ticle 371. Dès lors, si cette rupture est amenée par ba
raterie, les assureurs qui en ont garanti les risques ne
�ART.
550, 351, 352, 353, 354.
89
sauraient se soustraire à l’obligation d’en indemniser
l’assuré.
Il peut même arriver que la responsabilité des assu
reurs soit poursuivie, sans que la chose assurée ait souf
fert aucun préjudice matériel. Ainsi un navire en a abor
dé un autre qu’il a coulé sans avoir éprouvé lui-même
aucune atteinte.
Les propriétaires et chargeurs du navire perdu ac
tionnent le navire abordant et, prouvant la faute de son
capitaine, obtiennent contre l’armement des dommagesintérêts.
La garantie de celui-ci par les assureurs qui ont pris
la charge de la baraterie de patron est incontestable.
L’unique difficulté qui pourrait s’élever serait celle de
savoir si les dommages-intérêts alloués dépassant la som
me assurée, les assureurs seraient fondés à ne payer que
celle-ci.
Mais l’existence de cette difficulté est peu probable.
Evidemment, les propriétaires du navire condamnés à
payer au-delà de sa valeur feront l’abandon du navire
et du fret. Ils n’auront donc à réclamer que la valeur du
navire, le fret n’ayant jamais été compris dans l’assu
rance et se trouvant d’ailleurs perdu naturellement par
le sinistre déterminant l’abandon.
Les assureurs n’auront donc à payer que la valeur du
navire, telle qu’elle a été déterminée dans la police. Mais
cette valeur, ils la doivent bien positivement à l’assuré.
Nous avons vu, en effet, sous l’article 216, que l’aban
don ne comprend jamais le montant de l’assurance; '
�90
DROIT MARITIME.
cet abandon n’étant ici que la conséquence de la bara
terie de patron, il est rationnel et juste que ceux qui ont
garanti celle-ci en supportent seuls les conséquences *.
— Quelque absolu que soit l’effet de la ga
rantie delà baraterie de patron, il ne saurait aller jus
qu’à dispenser l’assuré de justifier de la perte. Ainsi, on
ne saurait considérer comme baraterie de patron la né
gligence que le capitaine aurait, mise dans la constata
tion régulière des causes du sinistre. L’assuré qui récla
me en vertu de la clause mettant cette baraterie à la
charge des assureurs, doit avant tout justifier de la perte
et de la cause qui l’a occasionnée. Sons doute, le capi
taine qui n’a pas fait régulièrement constater celle-ci a
commis une faute. Mais celte faute, étant étrangère à la
conduite du navire, ne saurait constituer la baraterie
de patron, celle-ci ne pouvant résulter que des délits et
fautes commis au préjudice de l’armateur dans la con
duite du navire.
1883.
— Mais si l’omission après le sinistre d’une
formalité légale ne constitue pas la baraterie, il en serait
autrement de l’acte formel que le capitaine se permet
trait d’accomplir en dehors des prescriptions de la loi.
Ainsi, la cour de Paris jugeait, le 8 avril 1839, que le
délaissement des marchandises composant le chargement
fait par le capitaine pour cause d’innavigabilité du na1884.
i Cass., 3 m ars 1821.
�ART.
350, 351, 352, 353, 354.
91
vire, mais sans observer les formalités prescrites par les
articles 387, 391 et 394 constitue de sa part la faute
grave connue sous le nom de baraterie de patron, telle
qu’elle est définie par l’article 353, et qui ne pourrait
être à la charge des assureurs que s’ils en avaient pris
le risque l.
— L’assureur, qui par suite de la garantie
de la baraterie de patron est tenu d’indemniser l’assuré,
est subrogé aux droits de celui-ci contre le capitaine. Il
est recevable et fondé à agir contre celui-ci, avant mê
me d’avoir payé, pour le convaincre de la faute et le dé
clarer tenu personnellement de ses conséquencess. Le
même droit existerait en faveur de l’assureur sur facul
tés contre l’armateur civilement responsable des faits et
fautes du capitaine. Il exercerait ici l’action qui ne sau
rait être contestée au chargeur et qui passe sur sa tête
par l’effet de la subrogation légale résultant du paie
ment.
Dans tous les cas, l’assureur peut prendre l’initiative
contre l’assuré lui-même, pour faire déclarer que le si
nistre est dû au fait personnel de celui-ci, ou au vice
propre de la chose. Sans doute, c’est là l’exception na
turelle à la demande en paiement que formerait l’as
suré. Mais il pourrait retarder indéfiniment cette de
mande, attendre que les preuves contre lui s’effaçassent
1385.
1 J. du P., 4, <839, 476.
2 Poitiers, 24 juin 1831.
�92
DROIT MARITIME.
ou devinssent plus difficiles. L’intérêt contraire de l’as
sureur légitimerait et autoriserait l’initiative qu’il croi
rait devoir prendre.
1 9 8 6 . — L’assureur sur corps, qui a pris à ses ris
ques la baraterie de patron, est-il tenu du dommage
que cette baraterie a occasionné, non au navire, mais à
la cargaison ? L’assureur sur facultés qui a payé ce dom
mage a-t-il un recours contre l’assureur sur corps pour
se faire rembourser ?
L’affirmative semble ne pouvoir être contestée, lors
qu’à raison du dommage ou de la perte, le chargeur,
ayant une action en garantie contre le propriétaire, ac
quiert un droit réel sur le navire. L’exercice de ce droit
peut même amener le propriétaire à abandonner le na
vire et le fret. Dans tous les cas, il portera une atteinte
plus ou moins considérable à son capital, et l’exposera
ainsi à une perte évidente.
Pourrait-on, dès lors, s’il a fait assurer la baraterie
de patron, lui refuser d’obliger son assureur à le ren
dre indemne de celte perte ? N’est-ce pas précisément le
but qu’il s’est proposé en contractant ^assurance ?
138 *. — Cependant la solution contraire a été con
sacrée par le tribunal de commerce de Marseille, le
11 janvier 1821. Ce qui détermine cette décision, c’est
que si le recours contre l’assureur sur corps était admis,
c’est en définitive sur lui que tomberait tout le poids de
la garantie de la baraterie, ce qui rendrait sans objet la
�clause qu’on insère presque tous les jours dans les poli
ces, et par laquelle les assureurs sur facultés répondent
de cette baraterie de patron K
Nous doutons très fort de l’exactitude de ce point de
vue. Pour juger de l’utilité de la garantie de la barate
rie de patron dans l’assurance sur facultés, il faut uni
quement consulter l’intérêt du chargeur. Or, cet intérêt
est-il contestable ? Pour le chargeur, assurer cette bara
terie, c’est ajouter un débiteur aux débiteurs que la loi
lui donne, c’est acquérir une nouvelle garantie d’au
tant plus à rechercher qu’elle peut, dans bien de cas, as
surer seule l’indemnité à laquelle il a droit.
Supposez, en effet, que l’assureur sur corps n’ait pas
garanti la baraterie de patron. Le chargeur, victime de
cette baraterie, se trouvera en présence du capitaine
obligé principal et de l’armateur civilement responsable.
Mais le premier peut être insolvable, le second peut l’être
devenu. Dans tous les cas, il sera complètement libéré
par l’abandon du navire et du fret, ce qui exposera le
chargeur à perdre tout ou partie de l’indemnité qui lui
est due.
Echapper à cette éventualité est, on en conviendra,
une chose désirable autant qu’avantageuse. C’est ce qui
résultera évidemment de l’assurance de la baraterie de
patron.
Cette assurance a un autre avantage. Le chargeur qui
a eu la précaution de la stipuler sera indemnisé sans
i Journ al de M arseille, t. 12, 1, 26.
�DROIT MARITIME.
94
retard, sans délais, ce qui, même dans le cas de solva
bilité du capitaine et de l’armateur, pourrait ne pas se
réaliser. Or, en commerce, recevoir immédiatement ce
qui est dû, pouvoir ainsi l’appliquer immédiatement à
ses affaires, est d’un prix bien autrement précieux que
de percevoir l’intérêt légal que le retard fait courir.
Donc, en fait, l’argument invoqué par le tribunal de
commerce manque complètement de bases. La clause de
garantie de la baraterie de patron dans l’assurance sur
facultés à un objet incontestable et surtout fort utile,
alors même qu’en définitive l’assureur sur corps dût seul
en supporter les conséquences.
Maintenant, comment admettre le contraire : le droit
du chargeur contre le capitaine et l’armateur n’est et ne
peut être dénié. S’il peut agir contre ce dernier, il est
sans contredit recevable à en exercer les droits contre ses
assureurs. Si cela est incontestable en ce qui le concerne,
comment ne pas l’admettre pour l’assureur qui le dé
sintéresse? Est-ce qu’en vertu de la subrogation, cet as
sureur ne succède pas à tous ses droits, à toutes ses ac
tions? Est-ce qu’il ne devient pas un autre lui-même?
Mais, dit le jugement, aux termes de l’article 350,
l’assureur ne répond que des dommages et pertes arri
vés à l'objet assuré par fortune de mer. Or, ces termes
doivent s’entendre, pour l’assureur sur corps, des dom
mages et pertes soufferts directement par le navire, et
non de ceux qui peuvent atteindre le propriétaire de ce
navire comme civilement responsable des faits de son
capitaine.
�350, 351, 352, 353, 354.
95
Cependant, cette responsabilité constitue un des ris—
' ques de la navigation et non le moins important, elle
menace la fortune des propriétaires autant que la tem
pête, le naufrage, l’échouement et toute autre fortune de
mer. C’est à ce litre, ainsi que l’enseigne Emérigon,
qu’on a permis de la faire assurer. Il serait donc étrange
que le propriétaire qui a usé de cette faculté ne dût pas
en retirer les avantages.
Son but, en contractant celte assurance, a été et n’a
pu être que de conserver intacte la propriété de son na
vire, quels que fussent les événements du voyage, ou
d’en recouvrer la valeur intégrale en cas de sinistre. Or,
ce but serait-il atteint si, par la faute du capitaine, ce
navire ou sa valeur était absorbé par les indemnités dues
aux chargeurs ou à tous autres. Dans le système que
nous combattons, le propriétaire payerait la prime et
perdrait son navire quelquefois en totalité, comme si
l’importance de ces indemnités le contraignait à en faire
l’abandon. L’iniquité de ce résultat dicte la conclusion à
laquelle il faut s’arrêter.
Tenons donc pour certain que l’assurance de la ba
raterie de patron par le propriétaire du navire comprend
et garantit non-seulement le préjudice matériel que le
navire éprouvera,, mais encore les effets de la responsa
bilité à laquelle le soumet l’article 216. Donc, l’assu
reur qui l’a garantie est tenu des conséquence de l’une
et de l’autre, s’il trouvait cette garantie 4rop onéreuse,
art .
�96
DROIT MARITIME.
il n'avait qu’à user du droit incontestable de ne pas la
consentir l.
1 * 8 8 . — La garantie par l’assureur de la baraterie
de patron ne se présume pas, elle doit être stipulée dans
la police. Cette stipulation, toutefois, n’exige pas une dé
claration explicite et formelle, il n’y a à cet égard au
cuns termes sacramentels ; elle pourrait implicitement
résulter de l’ensemble des conditions du contrat.
Il est néanmoins de l’intérêt de l’assuré de veiller à ce
que le doute ne puisse naître ; dans le doute, en effet,
la recherche et la détermination de l’intention des par
ties appartient souverainement aux tribunaux. Or, le
tribunal de Marseille jugeait, le 11 novembre 1829,
que l’assurance à tous risques ne s’entend que des ris
ques usuels et ordinaires, et nullement de la baraterie
de patron.
— Quelles que soient les conditions de la
police et la nature des engagements contractés par les
assureurs, les pertes et dommages survenus par fortune
de mer ne sont à leur charge que s’ils ont été éprouvés
pendant le temps et dans le lieu des risques.
Le temps du risque est l’intervalle qui s’écoule depuis
son ouverture jusqu’à sa cessation conventionnelle ou
légale. En conséquence, si l’assurance n’a été consentie
1*89.
1 Conf. Delvincourt, t. 2, p. 273 ; Dalloz, N ouv. R ép., v. D roit
m aritim e, n° 1935.
�que pour un temps déterminé, que jusqu’à une époque
fixe ou à une certaine hauteur en mer, le sinistre, quelle
qu’en soit la cause survenue après l’expiration du terme
ou de l’époque convenue, ou après que la hauteur vou
lue a été dépassée, ne saurait être à la charge des as
sureurs.
Si l’assurance a été faite pour un voyage, la respon
sabilité des assureurs ne cesse-qu’au jour où le navire est
ancré ou amarré dans le port du reste, si c’est un voyage
d’aller ; dans celui où doit s’effectuer le retour, si l’as
surance est à prime liée. Dans les mêmes hypothèses,
les assureurs sur facultés ne sont déliés que par la mise
à terre effective des marchandises. Ainsi est censée arri
vée dans le temps des risques, la perte d’une marchan
dise après son enlèvement du navire, mais encore sur
le canot qui doit la transporter à terre l.
1390. — Le lieu du risque est, dans l’assurance
sur corps, la route directe que la convention ou l’usage
indique du lieu à quo au lieu ad quem. Dans l’assurance
sur faculté, le lieu du risque est en outre le bâtiment
sur lequel sont chargés les effets assurés ; changer de
route, de voyage ou de navire, c’est donc sortir des ter
mes de la convention , c’est substituer un risque à un
autre. C’est, dès lors, annuler l’assurance, à moins que
ce changement n’ait été que la conséquence d’une force
i Bordeaux, 23 novembre 1830.
IV —
7
�DROIT MARITIME.
majeure, ce qui placerait les parties sous l’application
de l’article 350.
1801. — Il y a changement de route lorsque le na
vire s’écarte de celle qui est convenue dans la police,
ou, à défaut, de celle que l’usage a fait adopter pour
les voyages de la nature de celui qui est assuré. En ef
fet, les assureurs sont toujours présumés n’avoir garanti
que les périls de la route usitée; en prendre une autre,
c’est leur imposer une chance qu’ils n’ont pas acceptée
et dont dès lors on ne saurait leur imposer la respon
sabilité. Le déroutement rompt le contrat primitif, an
nule l’assurance d’une manière tellement absolue que
le sinistre, qui ne serait arrivé qu’après que le navire
aurait repris la voie directe et sur cette voie, ne pour
rait être mis à la charge des assureurs.
Le déroutement produit cet autre effet que la nullité
rétroagit au jour même du contrat, qui n’a pu dès lors
produire aucun effet. En conséquence, on ne serait ni
recevable, ni fondé à exiger des assureurs le paiement
de dommages qu’on prétendrait avoir été éprouvés pen
dant que le navire était encore dans la ligne des ris
ques et avant le déroutement.
Y a-t-il déroutement annulant l’assurance lorsqu’un
navire, assuré pour un temps et dans une mer détermi
née, a passé dans une autre mer d’où il est rentré dans
celle désignée dans la police ?
l Alauzet, t. 2, p. 12, n° 253.
�380, 381, 382, 383, 384.
99
Cette question, qui ne manque pas d’importance, s’est
présentée au tribunal de commerce de Cette et à la cour
de Montpellier dans l’espèce que voici :
La Caisse maritime de Nantes assure une somme de
5000 francs sur le navire le Grand-Général et pour un
an de navigation dans la Méditerranée.
Dans le cours de l’année, le navire entre dans l’Adria
tique, retourne ensuite dans la Méditerranée, où il se
perd.
Le propriétaire qui avait postérieurement traité avec
des assureurs pour la totalité de la valeur du navire, si
gnifie à tous le délaissement et les ajourne en condam
nation des sommes respectivement dues par chacun
d’eux.
, *
La Caisse maritime de Nantes soutient que le navire
ayant passé dans l’Adriatique a dérouté et mis ainsi fin
à l’assurance. Elle demande, en conséquence, le déboutement de la demande, en ce qui la concerne.
Celte exception est accueillie par l’assuré, qui déclare
renoncer au bénéfice de la police. Mais les assureurs
postérieurs la contestent dans le but de faire ristourner
leur propre police jusqu’à concurrence de 5,000 francs.
Ils soutiennent que l’article 351 est inapplicable ; qu’il
n’a pu exister de déroutement ; dans les assurances de
cette nature, disent-ils, la détermination de la mer n’in
tervient pas pour indiquer la route à suivre, mais seu
lement pour dire qu’on ne répondra que des sinistres
qui auraient lieu dans cette mer ; l’assurance sur vic
tuailles et corps pour un an de navigation dans la MéART.
�100
DROIT MARITIME.
diterranée devait sortir à effet alors que c’est bien dans
la Méditerranée que le navire a navigué et s’est perdu,
bien qu’en cours de voyage il ait pénétré dans l’Océan;
on ne peut voir là le changement de route prévu par
l’article 351.
Le tribunal et la Cour rejettent ce système, et fort lé
galement selon nous. On ne peut assigner à la détermi
nation de la mer le caractère que les adversaires des as
sureurs de Nantes lui affectaient. Cette détermination
fixe le lieu du risque et en constate la nature. Chaque
mer a ses hasards et ses dangers, et restreindre l’assu
rance à la navigation à opérer dans l’une, c’est virtuel
lement l’exclure pour toutes les autres.
Conséquemment le navire qui, assuré dans la Médi
terranée, passe dans l’Océan, abandonne en réalité le
lieu du risque et rompt le voyage ; il en réalise nn au
tre. Dès cet instant la police a cessé de produire ses ef
fets, et ne saurait les reprendre par cela seul que le na
vire est rentré dans le lieu du risque. « Les lieux du
risque une fois abandonnés par le déroutement volon
taire ne se retrouvent plus aux yeux de la loi. Le con
trat, une fois dissout, ne peut se renouveler que par le
consentement respectif des parties L »
1 3 9 3 . — Il y a changement de voyage lorsque le
navire étant assuré de sortie d’un port jusqu’à un lieu
déterminé, arrive dans un autre, il importerait peu que
�101
350, 351, 552, 355, 354.
le voyage substitué fût plus court, offrît moins de péril
que celui indiqué dans la police. L’assuré , disait la
cour de Paris, dans son arrêt du 16 août 1837, ne peut
changer les conditions de l’assurance et la position des
assureurs sans leur consentement, ni leur faire courir
d’autres risques que ceux auxquels ils se sont soumis,
ni les obliger à discuter les conséquences des innova
tions apportées au contrat L
La difficulté en cette matière ne saurait naître sur le
principe ou sur ses effets, les termes de l’article 351 sont
trop précis et trop clairs, ce qu’on contestera, c’est le
caractère de l’acte. Le voyage, dira-t-on, a été raccourci
et non changé, et l’on prétendra ainsi se mettre à cou
vert derrière la disposition de l’article 364. C’est donc
sur le fait en lui-même que devra se porter toute l’atten
tion du juge.
Aucun doute raisonnable ne saurait exister si le na
vire, parti pour une localité désignée, est entré dans une
autre ; il y aurait là évidemment changement de voyage,
alors même que le port abordé se trouverait sur la route
directe que le navire devait suivre, excepté cependant
que le capitaine ne se fût réservé le droit d’y entrer, en
stipulant la faculté de faire échelle.
Nous aurons à rechercher sur l’article 364 ce qui
constitue le raccourcissement du voyage. Nous nous bor
nons ici à faire remarquer que le raccourcissement ne
peut être admis que si le désarmement ou le déchargeART.
1 J. du P .. 2. 1839. 396.
�102
DROIT MARITIME.
ment a eu lieu dans un port d’échelle autorisé; il y a donc
changement de voyage et non raccourcissement lorsque,
en réalité, le port dans lequel est eniré le navire n’était
pas au nombre dé ceux dans lesquels il avait la faculté
d’entrer.
— Dans tous les cas, le fait accompli dirige
l’appréciation des tribunaux, mais la solution est plus
délicate et plus difficile lorsque le changement de voyage
n’est qu’en l’état d’allégation, et lorsque surtout le sinis
tre s’est réalisé pendant que le navire était encore sur
la ligne directe.
Alors c’est en quelque sorte une question d’intention
qu’il s’agit de résoudre, pour laquelle les juges ont sur
tout à apprécier les actes et les circonstances dont on
veut faire résulter cette intention.
Ainsi, nous comprenons que le tribunal de commerce
de Marseille ait refusé de voir un changement de voyage
dans le projet formé par le propriétaire assuré de chan
ger la destination du navire, projet abandonné avant
toute exécution. Mais on déciderait autrement si une exé
cution quelconque s’était ensuivie , et cette exécution
serait incontestable si, non seulement le capitaine avait
chargé, mais encore si surtout il avait pris ses expédi
tions pour la destination nouvelle x. Le sinistre éprouvé
même sur la ligne directe du voyage convenu ne pour
rait être à la charge des assureurs. La prise des expédi1293.
i Bordeaux, 3 février 1829 ; Paris, 18 avril 1849 ; D. P„ 49, 2,163.
�105
350, 351, 552, 553, 354.
tions constituerait le changement de voyage et aurait
annulé l’assurance.
Il en est au reste du changement de voyage comme du
changement de roule. La solution qui intervient ne ré
sout jamais qu’une question de fait, comme telle , elle
est du domaine souverain des deux degrés de juridic
tion. Elle échappe donc à toute censure de la part de la
Cour de cassation l.
ART.
— Il y gp changement de navire lorsque ,
après avoir chargé les effets assurés sur tel ou tel, on
les transborde sur un autre. Le transbordement volon
tairement opéré, sans le consentement des assureurs et
en l’absence de toute force majeure, annulle l’assurance
plus énergiquement encore que le changement de route
ou de voyage. Comment, en effet, appliquer l’assurance
sur marchandises chargées ou à charger sur VAdèle à
celles qui se trouvent à bord de la Galathée ?
Il importe peu que le navire qui devait les recevoir
ait été ou non désigné par la police, il suffit que le char
gement ait été fait à bord de l’un pour qu’on n’ait pu l’en
retirer et le placer à bord d’un autre. Ainsi, dans l’as
surance in quovis, l’assuré, tant qu’il n’a rien chargé,
a la plus entière liberté pour le choix du navire, mais
une fois le chargement des effets assurés accompli, ce
choix est épuisé, et il ne saurait, sous aucun prétexte,
substituer un autre navire, le transbordement qu’il ferait
1304.
1 Cass., 27 janviers806, 7 décembre 4838 ; J . du P ., 4, 4839, 46.
�104
DROIT MARITIME
opérer constituerait le changement du navire prévu par
l’article 351.
On avait soutenu que le changement de navire devait
être sans conséquence lorsque le vaisseau substitué était
aussi bon, et surtout lorsqu’il était meilleur que le pre
mier, ou bien lorsque la chose assurée qui a péri sur
l’un aurait également péri si elle fût restée sur l’autre,
mais cette prétention n’a jamais été admise ni en doctrine,
ni en jurisprudence; dès qu’il y a eu substitution de na
vire sans nécessité, et qu’on s’est ainsi écarté du contrat,
l’assurance a été résolue de plein droitL
— La nullité édictée par l’article 351, soit
pour fait personnel de l’assuré, soit pour changement
de route, de voyage ou de navire, est dans l’intérêt ex
clusif des assureurs. Aussi, si le fait y donnant lieu s’est
réalisé après que le risque a commencé de courir, l’as
suré doit la prime entière, malgré que l’assureur soit li
béré de tout risque.
Si le fait entraînant la nullité s’est réalisé avant l’ou
verture du risque, il ne constitue plus que la rupture
volontaire du voyage, et en conséquence ne donnerait
lieu en faveur des assureurs qu’au paiement de l’indem
nité fixée par l’article 349.
1395.
1396. — L’article 351 comporte une dérogation en
ce qui concerne le changement de route ou de navire.
1 Eméjigon, chap 42, sect, 16 ; P othier, n» 69.
�C’est surtout dans l’intérêt des assureurs que l’un et l’au
tre ont été proscrits. Dès lors il devait leur être loisible
de renoncer à un bénéfice n’intéressant en rien l’ordre
public et dont la privation n’altère en rien l’essence du
contrat.
On peut donc , dans le contrat, permettre le trans
bordement d’un navire sur l’autre aux conditions et dans
les circonstances qui seront jugées utiles. On peut éga
lement permettre de toucher à un ou plusieurs ports in
termédiaires, de s’écarter de la route directe, de revenir
sur ses pas. C’est ce qui résulte des clauses de faire
échelle, de dérouter, de rétrograder.
1 3 9 9 . — La clause de faire échelle est limitée lors
que la police désigne nommément les ports dans lesquels
le navire pourra entrer, elle est générale et absolue lors
que l’assuré a stipulé la faculté de faire échelle partout
où il le jugera convenable.
Dans ces termes mêmes, cette faculté n’a pour effets
que d’autoriser le capitaine à toucher aux divers ports
qui se trouvent sur sa route, et .dans l’ordre qu’ils se
présentent, il ne pourrait donc ni dérouter, ni rétrogra
der pour entrer dans un port qu’il aurait dépassé sans
y aborder.
1898. — Mais cette règle peut être modifiée par
les termes de la convention et l’intention avérée des par
ties. Ainsi, la cour de Bordeaux déclarait, le 11 avril
1837, qu’un navire assuré pour aller dans les divers
�DROIT MARITIME.
106
ports d’un pays sans indication de l’ordre dans lequel
ils seront visités, peut aller au port le plus éloigné et re
venir ensuite au port le plus rapproché du point de dé
part sans être tenu de les parcourir successivement, et
sans que le voyage puisse être réputé avoir été terminé
au moment où il a touché au port le plus éloigné.
Il s’agissait d’un n’avire assuré pour aller de Bor
deaux dans les divers ports de la côte de Coromandel.
Le capitaine va d’abord à Madras, port extrême, et re
vient ensuite dans les divers ports de la côte, et enfin à
Pondichéry, devant lequel il avait d’abord passé sans
entrer. Les assureurs soutenaient que le capitaine ayant
ainsi rétrogradé, l’assurance avait été rompue ; ce sys
tème est accueilli et consacré par le tribunal de com
merce de Bordeaux.
Sur l’appel, le jugement est réformé, non pas que la
Cour admette que le capitaine ait pu rétrograder ; mais
parce que, en fait, il n’a pas rétrogradé dans le sens de
la loi.
« Attendu, porte l’arrêt, que la destination pour un
port spécial ne se trouve point énoncée dans la police;
que les assurances ont été faites pour de Bordeaux aller
dans les ports de Coromandel, avec faculté de passer à
la côte de Malabar et de toucher à un ou plusieurs ports
de cette côte ; qu’il n’y est nullement expliqué que le
navire sera tenu de visiter d’abord et successivement les
ports qui se trouvaient les plus au sud, pour s’élever en
suite à ceux qui sont au nord ; que, si telle avait été
l’intention des assureurs, ils auraient dû en imposer
�350, 354, 352, 353, 354.
107
l’obligation aux assurés ; que cette clause n’ayant pas
été mise dans le contrat, on ne peut pas dire que ceuxci ont contrevenu à leurs engagements, lorsque le ca
pitaine, porteur de leurs ordres, est venu toucher à Ma
dras pour aller ensuite à Pondichéry ; que l’un et l’au
tre port étant sur la côte de Coromandel, il a usé de la
faculté que la police lui accordait en passant du pre
mier dans le second ; que, dès lors, il est vrai de dire
qu’il s’est tenu dans la ligne du voyage
Cet arrêt, on le voit, n’est qu’un arrêt d’interprétation
de l’intention des parties et des clauses du contrat. Ce
pendant, loin de contredire la règle que nous indiquions
tout à l’heure , il la confirme, en admettant implicite
ment que l’ordre successif eût été la conséquence d’une
désignation spéciale d’un port de reste. Ce n’est, en ef
fet, que parce que le voyage ne pouvait être terminé
qu’aprês que tous les ports de la côte-auraient été visi
tés, qu’on reconnaît au capitaine le droit d’agir à sa vo
lonté, n’ayant été nullement lié par la police.
Ce qui résulte de cet arrêt, c’est qu’il eût été rendu
en sens contraire, si l’assurance avait été faite de Bor
deaux à Madras avec faculté de toucher aux autres ports
de la côte. Alors, en effet, le navire n’aurait pu, sans
s’écarter de la ligne directe, visiter ces ports que dans
l’ordre qu’ils se présentaient, et que, parvenu à Madras,
le voyage eût été définitivement accompli et l’assurance
de plein droit éteinte2.
ART.
1 Dalloz, N ouveau rép ., v. D r. m a rk , n° 1884.
2 Cass., 3 avril 1807,
�108
DROIT MARITIME.
— La clause de faire échelle ne renferme et
ne confère donc pas la faculté de rétrograder ; ce qui
en résulte, c’est le droit d’entrer dans les ports intermé
diaires, d’y vendre la cargaison, de l’y remplacer et
même d’y séjourner pour s’assurer si on pourra ou non
vendre avantageusement, enfin d’y charger et décharger.
Ce qui résulte encore de la clause de faire échelle,
c’est la faculté pour le chargeur de décharger au port
intermédiaire son découvert, c’est-à-dire la partie de
ses marchandises non comprise dans l’assurance. Un
commerçant charge pour 3,000 fr. de marchandises, et
ne fait assurer que jusqu’à concurrence de 1,000 fr.
Arrivé dans un port d’échelle, il décharge pour 2,000
fr., les 1,000 fr. restant deviennent en totalité l’aliment
de l’assurance et restent à la charge exclusive des assu
reurs. Si ces 1,000 fr. viennent à périr ultérieure
ment, les assureurs sont obligés d’en rembourser inté
gralement l’assuré. Leurs prétentions à établir une pro
portion entre ces 1,000 fr. et les 2,000 fr. débarqués
avant le sinistre ne pourraient être accueillies1.
Mais, observe fort judicieusement M. Dageville, le dé
chargement partiel du découvert de l’assuré n’est pos
sible que si, au moment où on le réalise, le chargement
total est encore intact. 11 est évident, en effet, que si,
avant d’arriver au port d’échelle, des avaries ont été
souffertes, le chargeur ne pourra pas décharger les mar1299.
1 V. Supra, n»‘ 965 et suiv., en cas de prêt à la grosse.
�350, 351, 352, 353, 354.
109
chandises saines et ne laisser sur le navire, à la charge
des assureurs, que les effets avariés. L’avarie doit, en
pareil cas, se régler proportionnellement, elle devrait
donc être pour les deux tiers à la charge de l’assuré h
ART,
— La clause de dérouter permet de s’écarter
de la roule directe, mais non de rétrograder. Pour pou
voir opérer ce mouvement, il faut que la faculté en ait
été formellement stipulée et consentie dans la police. Ce
qui est vrai pour la clause de rétrograder, ne l’est pas
moins pour celles de faire échelle et de dérouler. Au
cune d’elles ne saurait être admise que si elle résulte au
moins implicitement de la police. Elles seraient toutes
trois comprises dans la stipulation permettant de lou
cher partout, avant, arrière, à gauche, à droite.
1300.
— La faculté de faire échelle, de dérouter,
de rétrograder n’emporte jamais celle de changer de
voyage. Son exercice n’est au contraire légitime que s’il
a lieu pour faciliter et accomplir le voyage convenu.
Verba vero, si
,
1301.
po ter navigare a d e x t r a e a s in ist r a
liane habent expositionem
et conceptum, ut tantum diverti possit iter, quantum
inserviat faciliori et tutiori navigationi pro deveniendo adportum deslinatum, nonautemutin totum
divertatur ab incepto et destinato itinere. Telle est la
e a piacimento d e l p a d r o n e ,
1 T. 3, p. 333.
�DROIT MARITIME.
HO
règle que la jurisprudence et la doctrine ont de tout
temps proclamée l.
Emérigon ajoute que le bénéfice de ces clauses se res
treint aux circonstances de la navigation maritime pro
prement dite. De telle sorte que si pour faire échelle le
capitaine est obligé de remonter une rivière, le sinistre
arrivé pendant l’opération ne saurait être mis à la char
ge des assureurs. Il n’a jamais appartenu au capitaine,
à moins d’une convention contraire, d’ajouter aux pé
rils de la mer ceux que peut offrir la navigation flu
viale, et de multiplier les risques à la charge des assu
reurs 2.
Cette convention contraire, dont parle Emérigon, nous
parait exister dans la formule de Marseille. L’article 3
porte en effet : il est permis au capitaine d’alléger, trans
border et recharger dans les fleuves et rivières. On lui
donne donc par cela même le droit d’y entrer, on ne
verrait pas, dans la supposition contraire, l’utilité de
cette stipulation.
-- Les frais ordinaires de la navigation ne
concernent et ne peuvent concerner les assureurs, ré
sultat indispensable de l’entrée ou de la sortie du navire
et de la cargaison, ils ne doivent être supportés que par
les propriétaires de l’un ou de l’autre.
1303.
1 Casarégis, D is., 1, n» 131 ; Valin, art. 27, tit. des Assur.; Pothier,
n° 74 ; Emérigon, chap. 13, sect. 6, § 3.
2 Ib id , § 4.
�C’est dans ce sens que l’article 354 dispense les assu»
reurs des sommes payées pour pilotage, touage et lama
nage, et de toute espèce de droits imposés sur le navire
et les marchandises.
— Cet article ne s’applique qu’aux droits
dus par le navire ou la cargaison et aux dépenses expo
sées à l’entrée dans le lieu de la destination. Nous avons
déjà dit, en effet, que les dépenses et droits payés à la
sortie doivent être réunis au prix d’achat, qu’ils forment
avec celui-ci le prix de revient devenant l’aliment légiti
me de l’assurance. Ces droits et frais étant payés au
moment du départ se trouvent irrévocablement perdus
par l’événement du sinistre, et c’est ce risque qui peut
et doit être assuré.
Mais les frais d’entrée et les droits sur les marchan
dises ne sont payés et dus que si le voyage se termine
heureusement. En cas de sinistre, le propriétaire ne
paye rien, il réaliserait donc un bénéfice si, les ayant
fait assurer, il les percevait en cas de sinistre.
Donc, ces frais et droits ne peuvent être compris dans
l’assurance. La conséquence forcée était que les assu
reurs ne pouvaient, dans aucun cas, en être tenus.
L’article 354 ne dispose donc que pour les frais et
droits à l’entrée, et encore à l’entrée du port de desti
nation. Les uns et les autres sont des accessoires de la
spéculation, et l’armateur et le chargeur eu seront in
demnisés par le fret ou par les bénéfices.
1303.
�112
DROIT MARITIME.
— Mais il en serait autrement en cas de re
lâche forcée par suite d’une fortune de mer. Dans ce
cas, les frais de louage, pilotage et lamanage, ancrage
et amarrage, les droits d’entrée et de sortie sont des dé
penses extraordinaires, imprévues, et comme elles ne
sont que la conséquence de la fortune de mer ; comme,
sans celle-ci, l’assuré n’aurait pas eu à les supporter,
elles constituent une avarie, aux termes de l’article 397,
à la charge des assureurs.
Il en serait de même si le navire, ne pouvant réparer
ses avaries, était obligé d’aller dans un port autre que
celui de destination. Les frais d’aller et de retour à ce
port, les droits payés à l’entrée et à la sortie de celui
de la réparation seraient à la charge des assureurs.
1304 ,
A r t ic l e
355.
Il sera fait désignation dans la police, des marchan
dises sujettes, par leur nature, à détérioration particu
lière ou diminution, comme blés ou sels, ou marchan
dises susceptibles de coulage ; sinon les assureurs ne
répondront point des dommages ou pertes qui pour
raient arriver à ces mêmes denrées, si ce n’est toutefois
que l’assuré eût ignoré la nature du chargement lors de
la signature de la police.
�ART.
355, 356.
Article
113
356.
Si l’assurance a pour objet des marchandises pour
l’aller et le retour, et si, le vaisseau étant parvenu à sa
première destination, il ne se fait point de chargement
en retour, ou si le chargement en retour n’est pas complet, l’assureur reçoit seulement les deux tiers propor
tionnels de la prime convenue, s’il n’y a stipulation
contraire.
SOMMAIRE
1305. Motifs de l’obligation imposée par l’article 355.
1306. Intérêt que l’assuré a à son exacte observation. Caractère
de la présomption tirée du silence gardé par la police
sur la nature des marchandises.
1307. L’article 355 n’est pas limitatif. Conséquences.
1308. Les marchandises susceptibles de coulage sont placées sur
la même ligne que celles sujettes à détérioration.
1309. Sanction pénale que l’obligation avait reçue avant et de
puis l’ordonnance de 1681 .Solution adoptée par le Code.
1310. Unique exception que comporte l’article 355. Quand
l’ignorance de l’assuré était-elle admise sous l’ordon
nance?
1311. Modification consacrée par le Code.
1312. Les parties pourront déroger à l’article 355. Celle dérorogation peut être implicite, résulterait-elle de la clause
en quoi que le tout consiste ou puisse consister ?
1313. Caractère exceptionnel de l’article 356.
1314. A quelle assurance s’applique l’article 356 ?
iv —• 8
�114.
DROIT MARITIME.
1315. Comment s’établit la réduction aux deux tiers ?
1316. Est-elle admissible, si le capitaine a débarqué le charge
ment de retour dans un port d’échelle.
1317. Quid, si le défaut de retour est occasionné par force ma
jeure.
1318. Faculté pour les parties de déroger à l’article 356. Ce que
peut être la dérogation.
I
— Nous avons déjà rappelé, sous l’article
348, que le droit des assureurs est d’être instruits de
toutes les circonstances de nature à les édifier sur les
périls réels qu’ils courent en consentant l’assurance qui
leur est proposée. Cette connaissance est indispensable
à ce double point de vue : l’acceptation ou le rejet du
risque d’abord, la détermination du taux de la prime
ensuite. Ce taux doit nécessairement varier suivant les
dangers de l’entreprise, résultant soit de la nature de la
marchandise expédiée, soit de celle du voyage à accom
plir.
De toute évidence, une assurance sur marchandises
sujettes par leur nature à détérioration particulière ou
diminution, ou susceptible de coulage, offre bien plus
de chances désavantageuses que celle qui porte sur des
marchandises exemptes de ce vice. Le silence gardé à
cet égard aurait donc diminué l’opinion du risque, et il
annulerait l’assurance aux termes de l’article 348.
1305.
— Il était donc inutile que le législateur s’en
expliquât de nouveau dans l’article 353. Ce qui résulte
cependant de celui-ci, c’est qu’en fait ce silence consti1306.
�ART. 5SS, 3 8 6 .
118
tue la réticence frauduleuse ; c’esi que ce silence est
considéré de plein droit comme existant, si la qualité
des marchandises ne se trouve pas expressément indi
quée dans la police. Cette présomption est même juris
et de jure, elle ne comporte aucune preuve contraire
autre que la preuve écrite émanée de l’assureur luimême, en conséquence, l’offre que ferait l’assuré de jus
tifier qu’au moment du contrat il a instruit l’assureur
de la nature des effets assurés ne serait ni recevable ni
admissible.
La stricte observation de l’article 355 intéresse donc
à un très haut degré l’assuré, à défaut il est exposé, en
cas de sinistre, à être privé du bénéfice de l’assurance.
130 9. — Comme type des marchandises sujettes à
détérioration particulière ou à diminution, la loi indi
que les blés et les sels. Il est certain, en effet, que le
mouillage qui serait sans conséquences pour certaines
marchandises, en entraînerait de graves et d’importantes
pour les uns et les autres. Le gonflement et réchauffe
ment des blés, la fonte des sels entraînerait leur perte
partielle ou totale, mais l’article 355 n’est pas limitatif,
ce qu’il décide pour les blés et les sels s’applique forcé
ment à toute espèce de grains, aux fruits et générale
ment à tout ce qui est dans le cas de subir des détério
rations analogues.
ISOS. — Les marchandises susceptibles de coulage
sont placées sur la même ligne que celles sujettes à dé-
�116
DROIT MARITIME.
térioration particulière ou à diminution, quant à l’obli
gation d’en exprimer la nature. Sans doute, les assu
reurs ne sont jamais tenus du coulage ordinaire que
nous venons de voir évalué et déterminé par l’usage,
mais pour ces marchandises, comme pour celles qui
n’offrent aucun des caractères dont parle l’article 355,
ils répondent des fortunes de mer sans que cette respon
sabilité soit différente ou moindre dans un cas que dans
l’autre. Or, telle fortune de mer, qui laisserait ces der
nières saines et intactes, aura des effets fâcheux pour les
autres, en aggravant leur vice propre. Cette éventualité
justifiait à elle seule le devoir que la loi impose à l’as
suré à leur endroit.
D’ailleurs, et pour le coulage spécialement, les assu
reurs peuvent, en stipulant la clause de franchise, s’exo
nérer de toute responsabilité à l’endroit du coulage or
dinaire. Or, comment stipuleront-ils cette clause , s’ils
ne sont pas en demeure d’en reconnaître l’utilité par
l’indication de la nature de la chose assurée?
1309. — On ne doit donc pas s’étonner de trouver
dans toutes les législations qui ont successivement régi
la matière le principe consacré aujourd’hui par l’article
355 ; ces législations n’ont varié que sur les conséquen
ces de sa violation.
Ainsi, l’article 17 du règlement d’Amsterdam, s’oc
cupant de l’assurance des grains, fruits, vins, huiles,
sels, harengs, sucres, etc., disposait : [l faut que cette
nature de denrées et marchandises soit exprimée dans
�ART.
355, 356.
*
117
la police d’assurance par mots exprès, autrement la
dite ASSURANCE EST DÉCLARÉE NULLE.
Cette nullité, équitable contre l'assuré, n’était plus
juste à l’endroit des assureurs, la perte de la prime qui
en résultait pour eux était une peine qu’on leur infligeait
malgré qu’on n’eût aucun reproche à leur adresser.
Aussi, l’ordonnance de 1681 maintint le principe,
mais modifia la peine ; sous son empire, ce défaut d’in
dication de la nature de la marchandise sujette à dépé
rir ou susceptible de coulage n’eut plus d’autre résultat
que d’exonérer les assureurs de l’obligation de payer la
perte. La police n’était donc nulle que contre l’assuré,
continuant d’exister pour tous, les droits qu’elle confé
rait aux assureurs, ceux-ci furent admis à s’en préva
loir notamment pour le paiement de la prime.
Cette solution était une appréciation plus exacte du
fait qu’il s’agissait de prévenir et de réprimer. Ce fait,
en réalité, ne constituait qu’une réticence de l’assuré de
vant modifier et diminuer l’opinion du risque en sa fa
veur, il était donc juste de lui faire perdre le bénéfice
qu’il avait cherché à s’attribuer par une déloyauté ;
quant aux assureurs, n’ayant participé en rien à la faute,
on ne pouvait équitablement leur rendre la peine com
mune.
C’est ce que les auteurs du Code ont pensé. Voilà ce
qui a fait consacrer l’article 355, son inobservation n’annulle pas la police, elle libère seulement les assureurs
de tous dommages ou pertes que peuvent éprouver les
marchandises, même par fortune de mer.
�H8
DROIT MARITIME.
— L’obligation imposée par l’article 355 est
générale et absolue, elle ne comporte qu’une seule ex
ception, à savoir, le cas où l’assuré a été dans l’impossi
bilité de la remplir, ignorant lui même quelles mar
chandises lui arriveront.
Cette ignorance, l’ordonnance ne l’admettait que lors
que l’assurance portait sur retour d’un pays étranger.
Cette restriction pouvait s’écarter de la vérité sous un
double rapport : l’assuré pouvait très bien connaître la
nature des effets qu’on lui expédiait de l’étranger ; il
était dans le cas d’ignorer la nature de ceux qui devaient
lui arriver d’un port français. Or, c’est précisément la
présomption contraire qui faisait la base des dispositions
de l’ordonnance.
« Que l’obligation de déclarer les marchandises su
jettes à coulage, disait Valin, cesse lorsque l’assurance
est faite sur retour des pays étrangers, c’est ce dont on
ne conçoit du tout point la raison, à moins qu’on ne
dise que dans ce cas l’assuré est censé ignorer quelle
sorte de marchandises lui seront envoyées en retour, et
que la présomption est contraire si les retours lui sont
faits de quelque port du royaume, ou de nos colonies. »
Cette présomption d’ignorance dans un cas , de con
naissance dans l’autre, n’était ni rationnelle, ni équita
ble, elle devait très souvent aboutir à un résultat diamé
tralement opposé à la vérité des choses. Etait-ce la dis
tance qui la motivait ? Mais les colonies pouvaient se
trouver plus éloignées du domicile de l’assuré que cer1310.
�119
385, 356.
tains pays étrangers. La détermination du législateur
n’avait donc aucun fondement réel.
art.
— Le Code a donc sagement déserté les er-*
rements de l’ordonnance. L’unique fondement de l’ex
ception à l’obligation d’indiquer la nature des effets su
jets à détérioration, diminution ou coulage, est l’igno
rance dans laquelle l’assuré se trouvait au moment du
contrat. Celte ignorance existant, le lieu d’où les mar
chandises ont été expédiées importe peu, la distance ne
pouvant jamais dominer le fait lui-même.
En conséquence, l’assuré qui, sur la poursuite en ap
plication de la sanction pénale de l’article 355, prouve
rait l’ignorance dans laquelle il était sur ce qui devait
faire la matière du chargement assuré, devrait triom
pher des prétentions des assureurs et être indemnisé de
la perte qu’il éprouverait par accidents de mer. Ajou
tons que cette ignorance est facilement présumée dans
l’assurance à prime liée, puisque le chargement de re
tour ne doit être acheté le plus souvent qu’après l’arri
vée et la vente du chargement d’aller.
1311.
La faculté de déroger à l’article 355 ne
saurait être contestée, sa disposition tout entière en fa
veur des assureurs n’intéresse en rien l’ordre public ;
dispenser de son observation, ce n’est que consentir une
aggravation de risque qu’il est toujours au pouvoir des
assureurs d’accepter.
Mais cette dérogation peut-elle être implicite ? Doit-on
1313.
—
�DROIT MARITIME.
120
l’induire de la clause : en quoi que le tout consiste ou
puisse consister ?
L’affirmative a été consacrée par le tribunal de com
merce de Marseille, le 218 avril 1830. « Attendu, porte
le jugement, que qui dit tout, n’excepte rien, et que par
cette clause les parties ont dérogé, ainsi qu’elles en
avaient la faculté, au droit commun et ont remplacé la
désignation des marchandises périssables exigées par
l’article 355, par la clause générale embrassant la to
talité des facultés assurées, quelle que fût leur nature l.
Cela serait vrai à notre avis, si déjà l’article 332 n’a
vait prescrit d’exprimer dans la police la nature, la va
leur ou l’estimation des effets assurés quels qu’ils soient.
En l’état de cette disposition, celle de l’article 355 doit
se proposer autre chose, car si elle n’avait pas d’autre
signification que la première, il devenait inutile de la
consacrer, de n’admettre d’autre exception que celle ré
sultant de l’ignorance de l’assuré.
Nous concluons de là que la clause, en quoi que le
tout consiste ou puisse consister, peut bien constituer
une dérogation licite à l’article 332 ; mais qu’on ne
saurait l’admettre ainsi en regard de l’obligation spéciale
de l’article 355 ; cette clause n’entraînant pas nécessai
rement et forcément l’idée de marchandises naturelle
ment sujettes à détérioration ou diminution, l’assureur
peut soutenir qu’il n’a eu en vue que les marchandises
ordinaires, et qu’il n’a nullement entendu transiger sur
le devoir spécial imposé à l’assuré.
1 Jou rn al de M arseille, t. 11, 1, 191.
�Ce qui nous inspire cette conviction , c’est la pratique
suivie en pareil cas. Les polices qui dérogent à l’article
355 ne se contentent pas de la clause, en quoi que le
tout consiste ou puisse consister, elles mettent ordinai
rement à la charge des assureurs tous les risques des
marchandises, de quelque nature qu’elles soient, su
jettes à coulage ou à dépérissement. L’existence de
cette dernière clause, qu’il nous a été permis de vérifier
dans une infinité de cas, prouve que dans la pensée du
commerce la première ne saurait par elle seule consti
tuer une dérogation à l’obligation de l’article 355 ; il
n’en serait ainsi que si au moment du contrat l’assuré
ignorait lui-même la nature des effets qu’il assure.
— La disposition de l’article 356 est une re
marquable exception au principe d’après lequel la rup
ture du voyage volontairement opéré après le risque
commencé donne à l’assureur le droit d’exiger le paie
ment intégral de la prime. Ce caractère de l’article a
longuement exercé les commentateurs. On a été même
jusqu’à dénier sa nature exceptionnelle; on a donc sou
tenu que la stipulation d’une prime liée ne fait pas dis
paraître la distinction entre les deux voyages et les deux
primes, de sorte que si l’assureur ne reçoit pas en entier
la prime de retour, lorsque ce retour s’effectue sans
chargement, ^c’est par la raison qu’alors le second voyage
n’a pas eu lieu.
Nous demanderons à ceux-là, dit M. Locré, pourquoi,
si la stipulation de la prime liée ne confond pas, n’iden13ft3.
�122
DROIT MARITIME.
tifie pas les deux primes et les deux voyages, l’assuré
doit la prime tout entière quand la chose assurée périt
pendant l’aller ? Nous leur demanderons encore pour
quoi la loi n’a pas déclaré la prime d’aller ou la moitié
de la prime liée acquise à l’assureur aussitôt que le vais
seau est arrivé à sa destination ? Pourquoi, à défaut ab
solu de chargement au retour, ce voyage qu’on prétend
être distinct et séparé du premier n’est pas réputé rom
pu, et l’assureur réduit à recevoir le demi pour cent aux
termes de l’article 349 ? Pourquoi enfin, en cas de char
gement incomplet, on ne se conforme pas aux disposi
tion de l’article 358 1?
Il est certain que, dans le système combattu par
M. Locré, on ne saurait résoudre ces questions d’une
manière satisfaisante. Cette impuissance prouve que ce
même système n’a rien de fondé. Reconnaissons donc
que l’article 356 est exceptionnel, et que le motif de
cette exception n’a pu être que celui indiqué par Emérigon. Le législateur a voulu faire grâce à l’assuré, ce
qui a pu le déterminer, c’est qu’en cas de défaut ou d’in
suffisance de chargement de retour, les assureurs n’ont
pas couru les risques qu’ils avaient acceptés. Il importe
peu que le chargement d’aller ait été complet, le taux
de la prime a été déterminé et calculé sur l’ensemble des
périls offerts par l’entier voyage, dès lors le retour ne
s’effectuant pas ou ne s’effectuant qu’en partie, on a cru
juste de réduire la prime.
i E sp rit du Code de commerce, art. 356.
�Ce parti a-t-il été consacré à tort ou à raison ? C’est
ce que nous pouvons nous dispenser de rechercher. La
disposition de l’article 356 est trop précise et trop for
melle, et dès que la loi s’est prononcée, il n’y a plus
qu’à l’appliquer.
1314. — Il est évident que l’article 356 ne se ré
fère et n’a trait qu’à l’assurance sur faculté. Il ne pou
vait même en être autrement, le défaut de retour, et sur
tout son insuffisance ne peuvent se supposer que pour
la cargaison. Le vaisseau qui l’a portée et qui devait la
retourner pouvant rentrer au port de départ sans qu’il
ait rien chargé pour le retour ou avec un chargement
incomplet, mais quand l’assurance porte sur le navire
et que ce navire revient, la chose assurée existe néces
sairement en son entier.
Si le navire ne revient pas, c’est qu’il aura fait un autre
voyage, ce qui aura annulé l’assurance et rendu la pri
me exigible. Sans doute lé navire pourrait rester dans le
port de destination de l’aller, si aucun délai n’avait été
fixé pour le retour. Mais, ainsi que nous l’avons déjà
remarqué, les polices d’assurance ont justement remé
dié à cet abus et limité le séjour que le navire peut faire;
la prolongation de ce séjour au delà du terme conven
tionnel amènerait la nullité de l’assurance L
En un mot, observe M. Locré, le vaisseau assuré re
vient ou ne revient pas.
1 Voy. supra n° \ 146.
�124
DROIT MARITIME.
S’il revient, la police est consommée et par consé
quent la prime liée est acquise en totalité à l’assureur.
S’il ne revient pas, ce ne peut être que parce que le
capitaine n’ayant pas trouvé à charger pour le retour a
jugé utile d’entreprendre un autre voyage. Dans ce cas,
l’assuré lui-même ayant mis fin au risque, et tenu l’en
gagement de l’assureur comme accompli, ce dernier ga
gne encore sans aucune diminution la prime stipulée.
— Donc la question d’application de l’arti
cle 356 ne s’élèvera guère que dans l’assurance sur fa
cultés pour l’aller et le retour. Si celui-ci ne se réalise
pas, l’assureur ne peut exiger que les deux tiers de la
prime entière, de celle de l’aller comme celle de retour.
Si le retour s’opère, mais avec un chargement incom
plet, la prime se réduit aux mêmes proportions, mais,
eu égard a ce qui n’a pas été chargé ; les termes de
l’article 356 ne peuvent être interprétés que de cette
manière.
Supposez un chargement .de 100,000 fr. assurés à
prime liée, au taux de 121 0/0, la prime entière pour
l’aller et le retour sera de 121,000 fr.
Mais le retour n’a pas lieu ; ce qui sera dû à l’assu
reur ce sera seulement les deux tiers de la prime, soit
8.000 fr.
Le retour a été effectué, mais avec une valeur de
50.000 fr. seulement. Jusqu’à concurrence de cette som
me, le voyage a été réellement accompli, et l’assureur
peut et doit exiger la prime entière, soit, à 12! 0/0, 6,000.
1315.
�ART.
553, 386.
12S
De plus il recevra les deux tiers sur la somme de
50,000 qui n’a pas été retournée, c’est-à-dire 4,000 fr.
Voila le mode à suivre pour établir la prime propor
tionnelle dont parle l’article 356 à défaut de retour, ou
dans l’hypothèse d’un retour avec chargement incom
plet. Dans ce dernier cas, la prime entière est toujours
due pour la valeur du chargement qui a ainsi réelle
ment accompli l’aller et le retour. La réduction ne s’o
père que sur le manquant relativement au chargement
d’aller, et à la somme assurée.
— La réduction est-elle due par cela seul que
le navire est rentré sans chargement ou avec un charge
ment incomplet au port de retour, alors même que le
capitaine ayant stipulé le droit d’échelle eût opéré le dé
chargement dans un lieu plus ou moins rapproché de ce
port?
La négative était enseignée par Valin. Il n’y a pas
lieu à diminution, disait-il, lorsque, dans le cas d’une
assurance à prime liée, sur la cargaison d’un navire al
lant d’abord en Guinée, par exemple, de là à Saint-Do
mingue, ensuite opérant son retour en France, le retour
sans chargement ne s’effectue que de Saint-Domingue
en France. Dans cette hypothèse, il y a eu plus de moi
tié du voyage accomplix.
Mais cette opinion est repoussée à bon droit par Emérigon. En assurance, dit celui-ci, on ne suppose jamais
1316.
1 Art 6, tit. des Assur.
�DROIT MARITIME.
126
deux termes intermédiaires ad quem, qui soient égale
ment principaux. La relâche en Guinée ne doit être con
sidérée que comme une simple échelle qui modifie le
voyage sans l’altérer L
Il est évident que, dans l’hypothèse de Yalin, la des
tination de l’aller était Saint-Domingue, et que la Gui
née, qu’on devait visiter en premier lieu, n’était qu’un
port intermédiaire. Ce n’était donc que de Saint-Domin
gue que le retour en France devait s’opérer. Donc, si
rien n’avait été chargé, il y avait réellement défaut de
chargement de retour, et la réduction de la prime était
acquise.
Mais il en serait autrement si le navire, parvenu à la
destination réelle et ayant préparé son retour, avait, en
abordant dans un port d’échelle, déchargé dans ce lieu
les effets qui constituaient le chargement de retour.
Alors, en effet, le voyage de retour aurait eu lieu avec
un chargement, seulement, ce voyage eût été raccourci,
ce que l’assuré est toujours libre de faire. Sans doute,
ce raccourcissement n’aura été effectué que parce que
l’assuré avait intérêt à le faire, et qu’il a placé ses mar
chandises à des conditions plus avantageuses que celles
qu’il aurait rencontrées au port de retour. 11 a donc
perçu tout le profit de sa double expédition ; il ne sau
rait dès lors être dispensé de payer la prime entière. Il
n’y aurait lieu à réduction que si le chargement débar
qué au port d’échelle était d’une valeur inférieure à la
�ART. 355, 556.
1*27
somme assurée. Dans ce cas, en effet, le retour aurait
été incomplet.
fi&ftS. — Emérigon estime que la diminution pro
portionnelle de la prime serait acquise, si le défaut de
retour était occasionné par un fait de force majeure dont
les assureurs n’ont pas pris le risque. C’est ce qu’il dé
cide notamment dans le cas de prise du navire pendant
le voyage d’aller, si les assureurs étaient affranchis de
tout événement de guerre. Il est indifférent, dit-il, que
le défaut de retour procède du fait de l’assuré ou d’un
événement dont les assureurs ne sont pas responsables,
car dès que le navire ne fait point de retour, et que ce
défaut de retour n’est pas à la charge des assureurs, on
se trouve au cas de l’article 6 (aujourd’hui 356) l.
Emérigon avait raison d’insister sur le défaut de res
ponsabilité des assureurs à l’endroit de la force majeure
empêchant le retour. Il est évident, en effet, que dans le
cas contraire ce contrat aurait produit son effet et que le
sinistre serait à la charge des assureurs, qui touche
raient la prime entière, mais qui devraient indemniser
intégralement l’assuré.
Voilà pourquoi l’article 356 ne dispose que dans
l’hypothèse où le navire a heureusement accompli le
voyage d’aller. En effet, si la perte était survenue dans
le cours de ce voyage, si elle avait été occasionnée par
une fortune de mer à la charge des assureurs, il ne poui Ibid.
�128
DROIT MARITIME.
vait être question de retour, et ce retour était fort indif
férent. La condition du contrat s’étant réalisée, l’assuré
aurait le droit d’exiger le paiement de la somme assu
rée, et serait dès lors tenu de payer la prime entièr$par
voie de compensation au moins.
Ce qu’il importe de remarquer encore, c’est que le
cas de force majeure dont parle Emérigon ne pourrait
produire l’effet qu’il lui attribue que s’il s’était réalisé
pendant le voyage d’aller, il y a retour opéré dès que
le navire, ayant chargé dans le port où s’est terminé le
voyage d’aller, s’est remis en route vers le port du dé
part, peu importe qu’il y arrive ou non. Si le défaut
d’arrivée tient à un événement dont les assureurs répon
dent, la perte est pour leur compte et la prime entière
est due.
Si le navire est victime d’un événement du risque
duquel les assureurs ont été affranchis, la perte reste à
la charge de l’assuré, mais il n’en doit pas moins l’en
tière prime. La diminuer dans cette hypothèse ne se
rait pas autre chose que de mettre à la charge des as
sureurs des risques dont le contrat les affranchit expres
sément.
1318. — L’artièle 6 de l’ordonnance de 1681 ren
fermait la disposition qui termine aujourd'hui l’article
356, s'il n'y a stipulation contraire. En effet, la ré
duction de la prime est une grâce que la loi a voulu faire
à l’assuré, celui-ci est donc et devait être libre d’en ré
cuser le bénéfice.
�art.
129
355,“ 556.
Valin tenait cependant pour l’opinion contraire, ce
qu’il voit dans l’article 6, c’est la faculté pour les par
ties de convenir d’une réduction plus considérable que
celle du tiers ; qu’ainsi l’assuré peut stipuler qu’il n’en
paiera que la moitié, que le quart.
Mais il n’admet pas que l’assureur puisse exiger la
prime entière à défaut de retour en cas de retour in
complet. Cette stipulation, dit-il, violerait le principe
essentiel de la matière, à savoir, que la prime ne peut
être acquise que jusqu’à concurrence des risques que
l’assureur a courus.
Mais, à côté de ce principe, la loi a consacré cet au
tre, à savoir, que la rupture volontaire du voyage, après
le risque commencé, donnait lieu au paiement de la
prime entière. Or, dans ce cas, l’assureur n’a couru le
risque que jusqu’au moment de la rupture, cependant
la loi lui accorde les mêmes droits que si le voyage avait
été accompli. Ce résultat, pour le temps postérieur 'à la
rupture, revêt, ce caractère que ce qui est attribué à
l’assureur l’est plutôt à titré de dommages-intérêts pour
inexécution du contrat qu’à titre de prime.
Pourquoi donc les parties ne pourraient-elles, dans
notre hypothèse, revenir purement et simplement à ce
second principe, et répudier l’exception que l’article 356
lui a fait subir. On ne saurait en découvrir le motif,
celui d’illégalité étant repoussé par la loi elle-même.
Aussi Emérigon repoussait-il l’opinion de Valin. Il
voyait dans les expressions de l’article 6 la preuve que
les parties avaient la plus grande liberté, la plus entière
îv — 9
�t30
DROIT MARITIME.
latitude, et il en concluait que la clause par laquelle
l’assuré s’obligerait à payer la prime entière, à défaut
de retour, était aussi régulière, aussi licite que celle par
laquelle l’assureur consentirait à en recevoir une moin
dre que les deux tiers, ou renoncerait à en exiger au
cune.
L’opinion d’Emérigon, qui avait prévalu dans la pra
tique, est également celle qui doit être suivie sous l’em
pire du Code.
Article 357.
Un contrat d’assurance ou de réassurance consenti
pour une somme excédant la valeur des effets chargés
est nul à l’égard de l’assuré seulement, s’il est prouvé
qu’il y a dol ou fraude de sa part.
Article 358.
S’il n’y a ni dol ni fraude, le contrat est valable jus
qu’à concurrence de la valeur des effets chargés, d’après
l’estimation qui en est faite ou convenue.
En cas de perte, les assureurs sont tenus d’y contri
buer chacun à proportion des sommes par eux assu
rées.
�• - -N
ART.
537, 358.
131
Ils ne reçoivent pas la prime de cet excédant de va
leur, mais seulement l’indemnité de demi pour cent.
ri
SOMMAIRE
1319. Effets de l’exagération dans l’estimation des effets assu
rés, lorsqu’elle est le résultat du dol ou de la fraude.
1320 Pénalité que consacrait l’ordonnance de 1681. Reproche
que méritait la confiscation des marchandises.
1321. Sévérité exagérée de la nullité absolue de la police.
1322. Equité du système consacré par le Code.
1323. A quel titre la prime est-elle acquise aux assureurs ?
1324. La nullité contre l'assuré coupable de dol ou de fraude
est absolue et de plein droit.
1323. La prime n’est acquise à l’assureur que s’il a été de bonne
foi.
1326. Position réciproque des parties, dans le cas contraire.
1327. A quelles conditions l’exagération tombe-t-elle sous le
coup de l’article 357 ?
1328. Effets de l’exagération commise de bonne foi et par er
reur.
1329. Comment et dans quels cas s’établit la proportion à la
perle entre assureurs ?
1330. Effets de la bonne foi quant à la prime. Droit de l’assuré
d’exciper de l’exagération.
1331. Caractère de la réassurance. Effet que produit sur elle la
nullité ou la réduction de l’assurance, si la réassurance
est totale.
1332. Quid, si elle n’est que partielle ?
1333 L’action du réassureur en exagération est indépendante
effets.
V-('- k\
VU
: ri
�152
DROIT MARITIME.
1319. — Nous avons déjà vu, sous l’article 336,
« I
que l’exagération de la valeur des effets assurés peut
toujours être opposée par l’assureur ; une prétention de
cette nature lui confère le droit de faire procéder à la
vérification et estimation des objets. Nos deux articles,
supposant l’exagération prouvée,en règlent les effets en
tre parties.
Ces effets s’induisaient naturellement du caractère de
l’acte. On ne saurait pas plus concevoir une assurance
sans un risque sérieux et certain, qu’une vente sans une
chose vendue. Or, l’exagération enlève et fait disparaî
tre ce risque dans une proportion déterminée, elle fait de
l’assurance un moyen éventuel de réaliser un bénéfice
plus ou moins considérable.
La conséquence forcée, commandée par le principe
et les lois de la matière, était donc de faire refuser au
contrat tout caractère obligatoire, tout lien légal, mais
l’exagération ne fait disparaître le risque que dans une
certaine proportion, les effets assurés ont toujours une
valeur quelconque, fallait-il donc ne tenir aucun compte
de celle-ci et annuler absolument le contrat ?
Ce double point de vue a été sagement concilié par le
législateur. La nullité absolue ne sera admise que si
l’exagération a été le résultat du dol ou de la fraude ;
dans cette hypothèse, celte nullité n’est plus que la juste
peine de la tentative déloyale de l’assuré, elle est hau
tement approuvée par la raison et la morale.
�core, l’exagération dolosive on frauduleuse non seule
ment motivait l’annulation de l’assurance, mais encore
entraînait la confiscation des marchandises.
Comme mesure préventive, cette peine ne laissait pas
que d’avoir une haute utilité, plus on rendait fâcheuses
et dures les conséquences du dol et de la fraude, et plus
on les rendait plus rares et plus difficiles à supposer.
Mais, comme répression, cette peine allait évidem
ment au-delà du but qu’avait à se proposer le législa
teur. La confiscation nuisait sans doute à l’auteur du
dol et de la fraude, mais elle nuisait également à ses
créanciers, qui étaient ainsi exposés à voir disparaître
le gage de leurs créances.
— La disposition de l’ordonnance méritait
un autre reproche ; en annulant l’assurance d’une ma
nière générale et absolue, elle atteignait les assureurs
eux-mêmes ; ils ne pouvaient en effet se prévaloir d’un
acte nul et anéanti, et réclamer la prime convenue. Ils
étaient donc punis de la déloyauté de l’assuré, et sup
portaient la peine de la tromperie dont on avait tenté
de les rendre victimes, c’était là un résultat exorbitant
en morale, en raison et en droit. Aussi, la doctrine s’é
tait-elle efforcée de l’atténuer, en enseignant que dans
cette hypothèse il n’était dû aux aussureurs que l’indem
nité du demi pour cent '.
1331.
i Valin, art. 22, tit. des Assur.
�134-
DROIT MARITIME.
— Le Code de commerce a ramené les cho
ses à des proportions plus exactes et plus justes, il a d’a
bord supprimé la confiscation, que rien ne légitimait
d’ailleurs ; et tou.t en consacrant le principe de la nul
lité de la police en cas de dol et de fraude, il en réduit
les effets à ce qui concerne l’assuré coupable de l’un ou
de l’autre. Ainsi, l’exagération dolosive ou frauduleuse
laissera son auteur sans recours possible contre les as
sureurs, quoi qu’il arrive, mais la police continue de
valoir en faveur de ceux-ci, recevables et fondés à lui
donner tous ses effets, et à se faire ainsi payer la prime
entière.
1322.
1333. — Toutefois, il importe de remarquer que le
montant de cette prime est acquis non pas à titre de
prime précisément, mais à titre de dommages-intérêts
conventionnels. Le doute pourrait naître de l’article 357
qui, n’annulant le contrat qu’à l’égard de l’assuré,
semble le maintenir à l’endroit des assureurs. Mais,
comme l’observe M. Locré, prior atque potentior est
quam vox mens dicentis. Or la raison indique qu’au
moment où Ton annulait l’assurance pour défaut de ris
que on n’a pu concéder une prime qui n’est et ne peut
être que le prix de ce risque.
Donc, à l’endroit de l’assureur, la validité de la po
lice se réduit au maintien du chiffre convenu comme
déterminant celui des dommages-intérêts auxquels il
a droit de prétendre. Cet esprit de notre législation ré
sulte invinciblement de la discussion au conseil d’Etat.
�iss
357, 358.
Dans ses observations sur le projet, la Cour de cassa
tion faisait remarquer qu’en cas de dol ou de fraude
une indemnité était due aux assureurs. Elle proposait,
en conséquence, de les obliger à rendre la prime, sauf
compensation du demi pour cent accordé dans le cas
de rupture, et qu’elle croyait une indemnité suffisante.
te principe que les assureurs devaient être indemni •
sés fut unanimement admis. Mais on contesta la suffi
sance de l’allocation proposée. On soutint qu’il était in
dispensable de traiter l’auteur du dol ou de la fraude
plus sévèrement que l’assuré qui rompait le voyage de
bonne foi et par nécessité. En conséquence, on admit
comme chiffre de l’indemnité celui qui résultait de la
prime convenue.
Tout ce qui résulte de là, c’est que la police, nulle
pour exagération dolosive ou frauduleuse, vaut en faveur
de l’assureur comme déterminant l’indemnité qui lui est
due ; cette indemnité résultant de la convention ne peut
dans aucun cas être modifiée par les tribunaux. L’assu
reur qui ne peut jamais réclamer plus, ne doit, dans
aucun cas, recevoir moins.
ART.
— Cette circonstance explique le caractère de
nullité de plein droit que la loi affecte à l’effet du dol
et de la fraude. On ne dit plus, comme le fait l’article
316 pour le prêt à la grosse, l’assurance pourra être
annulée. L’article 357 déclare que l’assurance excédant
la valeur des effets assurés est nulle. Ce qui explique
cette différence, c’est que, dans le cas de l’article 316,
JL334L.
�136
DROIT MARITIME.
le prêteur peut avoir intérêt au maintien du contrat, in
térêt qu’il ne convenait pas de méconnaître et moins en
core de contrarier.
Dans l’hypothèse de l’article. 357, au contraire, l’as
sureur ne saurait jamais avoir aucun intérêt à faire
maintenir le contrat. Tout ce que ce maintien serait
dans le cas de lui conférer, c’est le paiement de la pri
me, et ce paiement lui est assuré nonobstant la nullité.
Voilà pourquoi le législateur, dégagé de toute crainte
de nuire à la victime du dol ou de la fraude, a fait de
la nullité de la police un devoir impérieux et absolu.
En résumé donc, le Code de commerce atteint ce ré
sultat, de prendre l’auteur du dol et de la fraude dans
ses propres filets, de le rendre victime du piège qu’il
tendait aux assureurs. Il a voulu tromper pour se créer
un moyeu éventuel de s'enrichir en cas de sinistre ; il
l’a voulu même au prix d’une prime plus forte que celle
qu’il aurait eu à payer, il sera privé de tout bénéfice,
car le sinistre se réalisant, la preuve de la déloyauté le
laissera sans action contre les assureurs et. obligé de
payer cette prime plus forte. Sa tentative frauduleuse
n’aura donc servi qu!à lui faire supporter une double
perte, celle de la valeur réelle des effets mis en risque,
celle de l’excédant de la prime eu égard à cette valeur.
Sans doute, il trouvera ce résultat fâcheux, mais la rai
son et la morale publique s’unissent pour l’approuver
et le recommander.
1 3 S S . — Au reste, ce résultat suppose que l’assu-
�137
3S7, 388.
reur a été de bonne foi et a ignoré l’exagération. Sa par
ticipation à l’acte de l’assuré lui enlèverait tout droit à
une indemnité quelconque. Cette participation est peu
supposable. Cependant, le désir de gagner une prime
plus considérable peut la déterminer, ce qui ferait de
l’assurance un jeu, une véritable gageure.
Ce qu’on déciderait dans ce cas, c’est que le contrat
radicalement nul n’a créé ni pu créer aucun lien obli
gatoire en faveur ou contre les parties. Il n’y aurait là
d’ailleurs ni dol ni fraude de la part de l’assuré, il y
aurait association et concert pour éluder, pour violer la
loi, ce qui ferait refuser toute action en justice tant à
l’assureur qu’à l’assuré : Cum utriusque turpüudo verART.
satur, cessât repetitio l.
133®. — En conséquence, si la prime n’a pas été
payée, elle ne pourra être réclamée, pas plus que la
perte ne saurait l’être. L’assuré comme l’assureur trou
vera sa complète libération dans la preuve du concert
qui a fait dégénérer l’assurance en gageure.
Mais si la prime a été payée, l’assuré n’a aucune ac
tion pour la répéter. Il en serait de même de la somme
assurée. L’assureur qui l’aurait payée après le sinistre
serait en droit d’en poursuivre la restitution, s’il décou
vre plus tard le dol ou la fraude. Mais il ne serait ni
recevable, ni fondé à le faire, s’il s’était associé à l’un
j Jj, 4, $ 1, pig.- de C<wd.
ob turp. causa., art. 1965 et 1967.C . civ.
�DROIT MARITIME.
138
ou à l’auire. La dette de jeu volontairement payée n’est
pas sujette à répétition.
1 3 3 9 . — Quelle doit être l’exagération dont l’assu
reur peut exciper, à quelles conditions devra-t-on la
considérer comme dolosive ou frauduleuse ? A la charge
de qui en incombe la preuve ? C’est ce que nous avons
déjà examiné et résolu sous les articles 316 et 336. Nous
devons donc nous en référer à nos précédentes obser
vations.
Bornons-nous à rappeler : 1° qu’ainsi que l’indique
la raison, l’exagération reprochée doit offrir une cer
taine importance relativement à la valeur réelle du char
gement ; 2° que le dol ou la fraude peut, indépendam
ment de toutes manœuvres personnelles, résulter de la
nature et du caractère de l’exagération elle-même ;
3° enfin, que l’admission ou le rejet du reproche soit
d’exagération, soit de dol ou de fraude est, comme tou
tes les questions de fait, abandonné souverainement à la
conscience et à l’arbitrage du juge.
— L’exagération commise par erreur et de
bonne foi ne pouvait produire des effets analogues à ceux
que le dol et la fraude déterminent. Mais son existence
n’en a pas moins enlevé à l’assurance une partie de son
élément essentiel, en laissant le risque inférieur à la
somme assurée ; on ne pouvait donc, sans violer le pre
mier principe de la matière, valider le contrat en son
entier, et en ordonner l’exécution pure et simple.
1338.
�On ]’a donc ramené dans les limites justes que les
parties auraient dû lui donner. L’assurance est valable,
mais seulement jusqu’à concurrence de la valeur réelle
des objets chargés, d’après l’estimation qui en sera faite
ou convenue. C’est ce que consacraient l’ordonnance de
1681 et les règlements d’Anvers et d’Amsterdam.
1339. — Après avoir tracé le principe, l’article 358
en déduit les conséquences. S’il y a perte, les assureurs
sont tenus d’y contribuer chacun à proportion des som
mes par lui assurées. Tous profitent donc de la réduc
tion motivée sur l’exagération de bonne foi, puisqu’au
lieu de payer l’intégralité de ces sommes, chaque assu
reur ne supporte que la part lui revenant dans la valeur
réelle.
Cette règle suppose qu’il n’existe qu’une seule et mê
me police souscrite par plusieurs assureurs. S’il s’agis
sait en effet de plusieurs polices souscrites successive
ment et à des dates différentes, il n’y aurait plus ni con
cours , ni contributions. Elles seraient appelées dans
l’ordre établi par l’article 359, c’est-à-dire que le ris
que, se réduisant à la valeur réelle, serait exclusivement
à la charge des signataires de la police la plus ancien
ne, et successivement jusqu’à la concurrence de cette
valeur. Les polices qui ne viendraient qu’après l’épuise
ment de cette valeur seraient entièrement ristournées.
La réduction profiterait donc uniquement aux assureurs
de la seconde, de la troisième, de la quatrième police,
suivant que la première, ou que les deux ou trois pre-
�DROIT MARITIME.
14 0
mières couvriraient l’entier risque. Mais le concours
proportionnel se réaliserait entre les souscripteurs de la
dernière des polices maintenues, auxquels seuls profite
rait la réduction.
— Le maintien des polices avec réduction
amène à cette autre conséquence que la prime n’est pas
due pour le montant de l’exagération. Il y a sans doute,
dans ce cas, inexécution partielle dont les assureurs doi
vent être indemnisés. Mais la bonne foi de l’assuré a fait
réduire cette indemnité au demi pour cent de la som
me assurée.
L’exagération de bonne foi est donc considérée parla
loi comme la rupture volontaire du voyage avant l’ou
verture du risque. De la combinaison de cette règle avec
le principe que la prime n’est que le prix du risque ex
posé et couru, il suit qu’à l’heureuse arrivée du navire
l’assuré pourra exciper de l’exagération erronée et con
vertir la prime en une indemnité de demi pour cent
pour tout ce qui dépasse la valeur des effets transpor
tés par le navire.
Toutes les fois, en effet, qu’il s’agit d’un droit inhé
rent à l’essence même du contrat, ce droit peut être in
voqué indifféremment par toutes les parties, à moins
d’une disposition formelle le prohibant à l’une d’elles.
Or, cette disposition que nous trouvons, à l’endroit de
l’assuré, dans l’article 357, n’existe plus dans l’article
358. Non seulement celui-ci ne lui dénie plus le droit
d’agir, mais il lui confère au contraire la faculté for1330.
�337, 358141
melle de le faire, en proclamant la réduction de la pri
me. Or, comment admettre que la faculté de poursuivre
cette réduction eût pu être subordonnée à l’initiative des
assureurs.
Dans l’hypothèse de l’article 358, l’assuré ne peut ja
mais recevoir que la valeur effective et réelle des objets
assurés, mais il ne doit la prime que pour et sur cette
valeur seulement. Or, son droit serait complètement il
lusoire si on lui refusait la faculté de le revendiquer en
cas d’heureuse arrivée. Qu’on ne puisse exciper de son
dol et de sa fraude, la justice et la morale l’exigeaient
ainsi, mais chacun est et devait être admis à se faire
relever de l’erreur commise de bonne foi.
art .
— La réassurance n’est que le transfert que
l’assureur transmet en faveur d’un autre des droits et
obligations qu’il avait acquis et contractés lui-même en
souscrivant la police d’assurance ; son sort est donc
nécessairement subordonné à celui de cette police ; elle
est dès lors, en la supposant totale, nulle ou réducti
ble, suivant que celle-çi a été annulée ou seulement ré
duite.
1331.
— Si la réassurance n’a été que partielle, on
distingue. Si la police a été annulée, la réassurance tom
be du même coup ; admettre le contraire, ce serait con
férer au réassuré le droit de réaliser un bénéfice puis
que, n’ayant rien à payer, il retirerait le montant de la
somme réassurée. Ce résultat est aussi antipathique à
1333.
�DROIT MARITIME.
U2
l’essence de la réassurance qu’à celle de l’assurance ellemême.
Ainsi j’ai pris un risque de 12,000 francs et je me
suis fait réassurer pour 6,000 fr.; plus tard, la police
première est annulée pour cause d’exagération dolosive
ou frauduleuse, je n’ai rien à payer, mais la prime m’est
due. Je ne pourrai rien exiger de mon réassureur au
quel je devrai tenir compte de la prime sur 6,000 francs;
le réassureur profite donc de l’annulation , ce qui est
naturel. Celle-ci établissant qu’il n’y a jamais eu de ris
que, la réassurance ne peut pas plus se concevoir que
l’assurance elle-même.
Dans la même hypothèse, l’exagération étant déclarée
le produit de la bonne foi et de l’erreur, la police est
seulement réduite à une somme de 6,000 ou de 9,000
fr, Comment se répartira la réduction, devra-t-elle pro
fiter au réassureur ou bien exclusivement au premier
assureur ?
M. Locré soutient que le réassureur ne pourra s’en
prévaloir, et qu’ayant garanti une somme de 6,000 fr.,
il sera tenu de la payer en cas de perte. Cette opinion
de M. Locré n’est appuyée sur aucun motif. Sans doute,
dans sa pensée, il doit en être ainsi parce que la réduc
tion laissant intact le montant de la réassurance, celui
qui l’a consentie ne peut se plaindre d’une exagération
quelconque; ce qu’il a garanti, c’est un risque de 6,000
francs, ce risque existe réellement, ce qui assure la va
lidité du contrat et en commande l’exécution. Le réas
sureur ne peut exciper de la position du réassuré à l’é-
�357, 358.
U3
gard de l’assuré primitif que si elle était telle que ce
qu’il recevrait de lui constituerait un bénéfice.
Or, dans l’hypothèse, si le réassuré touche 6,000 fr.,
il les paye à son propre assuré, il ne réalise donc, au
moyen de l’assurance, ni profit, ni bénéfice.
Ces considérations devraient faire admettre l’avis de
M. Locré, mais seulement dans le cas où la réassuran
ce a eu pour objet une somme déterminée purement et
sans application à une part aliquote dans le risque pri
mitif.
Ainsi, si dans notre hypothèse la somme de 6,000 fr.
n’avait été indiquée que comme représentant la moitié
du risque assuré, ou si, sans énoncer le chiffre, le con
trat de réassurance portait sur la moitié, le quart de ce
même risque, il devrait en être autrement ; dans ce
cas, en effet, l’intention du réassuré de rester garant de
la partie non réassurée est évidente, il a pris à sa char
ge la moitié, les deux tiers, les trois quarts du risque,
quel qu’il fût, et il ne serait pas juste qu’il trouvât dans
la réassurance le moyen de s’exonérer de cette respon
sabilité.
D’ailleurs, en fait, dès que l’exagération est acquise,
le risque assuré n’a jamais été que la valeur réelle, dé
falcation faite de cette exagération. Dès lors, celui qui a
réassuré la moitié, le tiers ou le quart de ce risque, se
trouve n’avoir garanti que la moitié, le tiers ou le quart
de 6,000 francs ou de 9,000 francs. On ne saurait donc,
dans aucun cas, lui refuser de profiter de la réduction
ART.
�DROIT MARITIME.
144
ni exiger de lui au-delà de la proportion dont il s’est
chargé.
— Il ne faudrait pas conclure de ce qui pré
cédé que le réassureur soit, quant à l’application des
articles 357 et 358, réduit à attendre le bon plaisir du
réassuré ; que celui-ci attaque ou n’attaque pas la po
lice par lui signée, l’action en exagération n’en est pas
moins ouverte en faveur du réassureur ; il peut, dans
tous les cas, l’intenter et la suivre, sinon contre l’assuré
primitif, au moins contre le réassuré.
Celui-ci est devenu, par rapport à lui, le véritable
assuré, il a donc contracté envers lui toutes les obliga
tions dont il était lui-même en droit d’exiger l’exécu
tion de son propre assuré, notamment celle de prouver
le chargé et de justifier de la valeur des effets mis en
risque.
Si le contraire pouvait être admis, il serait bien fa
cile d’éluder l’application de l’article 357. Tout le mon
de pouvant devenir assureur, celui qui voudrait par dol
ou fraude assigner aux objets à assurer une valeur exa
gérée, s’entendrait avec un second qui ne prendrait l’ap
parence d’assureur que pour faire réassurer, et qui se
garderait bien de se plaindre pour laisser la fraude pro
duire toutes ses conséquences.
Cette éventualité non seulement justifie le droit que
nous venons de reconnaître au réassureur, mais déter
mine encore cette conséquence que c’est par les actes du
premier assuré que se déterminerait le caractère de
1333.
�145
357, 358.
l’exagération. S’il en était autrement, le réassureur ne
pourrait jamais poursuivre le bénéfice de l’article 357,
car il serait difficile de trouver un dol ou une fraude
dans l’acte de celui qui s’est borné à se faire réassurer
ce qu’il avait assuré lui-même.
Sans doute, il peut paraître rigoureux et étrange de
rendre un individu responsable d’un fait auquel il est
étranger, de le punir du dol ou de la fraude d’un au
tre, mais ce qui doit, dans notre hypothèse, bannir tout
scrupule à cet égard, c’est qu’en définitive* le réassuré
peut toujours faire retomber la peine sur le véritable
coupable, en l’appelant en cause et en demandant con
tre lui l’annulation de l’assurance. Cela est même si
naturel que, s’il s’abstient de le faire, il donne juste
ment lieu de le présumér de connivence avec l’assuré, et
complice du dol ou de la fraude de celui-ci.
art.
1334. — Enfin, quelque invraisemblable que cela
paraisse, la réassurance peut être atteinte d’exagération,
alors même qu’il n’en existe aucune dans l’assurance.
Par exemple, j’ai assuré en bloc et pour 20,000 francs
un chargement composé de denrées ou marchandises de
diverses natures, du vin, de l’huile, des liqueurs, je fais
réassurer séparément chaque nature de marchandises en
lui donnant une valeur au-delà de sa valeur réelle, et
delà réunion des diverses polices il résulte que j’ai ré
assuré pour 30 ou 40,000 francs, ce que j’avais assuré
pour 20,000 francs.
Le doute n’est pas même permis en présence des teriv — \ 0
�DROIT MARITIME.
mes formels de l’article 357. L’exagération qui entache
rait la réassurance devrait la faire annuler ou réduire,
suivant que le réassuré serait déclaré avoir agi fraudu
leusement ou de bonne foi.
J ■,
.
A r t ic l e
-
’
'
359.
S’il existe plusieurs contrats d’assurance faits sans
fraude sur lé même chargement, et que le premier con
trat assure l’entière valeur des effets chargés, il subsis
tera seul.
Les assureurs qui ont signé les contrats subséquents
sont libérés ; ils ne reçoivent que demi pour cent de la
somme assurée.
Si l’entière valeur des effets chargés n’est pas assurée
par le premier contrat, les assureurs qui ont signé les
contrats subséquents répondent de l’excédant, en sui
vant l’ordre de la date des contrats.
A r t ic l e
'
I
360.
' ’
S’il y a des effets chargés pour le montant des som
mes assurées, en cas de perte d’une partie, elle sera
payée par tous les assureurs des effets, au marc le franc
de leur intérêt.
�ART.
359, 360.
U7
SOMMAIRE
1335. Fondement de la prohibition de faire assurer deux fois la
même chose.
1336. Ce qui a motivé la disposition de l'article 359. Son ca
ractère,
1337. C’est par l’ordre des dates que s’opère le ristourne. Dans
quel sens.
1338. Quid, si les polices ont été souscrites toutes le même
jour ?
1339. Le ristourne s’opérerait par les polices imparfaites ou con
ditionnelles, quelle que fût leur date.
1340. L’accomplissement de la condition avant le sinistre , mais
après la souscription d’une seconde police, a un effet
rétroactif. Conséquences.
1341. Jugement en sens contraire du tribunal de commerce de
Paris. Réfutation.
1342. La règle de l’article 359 ne reçoit aucune exception de
la qualité de la personne quia signé les diverses polices.
1343. Ni du caractère général de l’une et spécial de l’autre.
1344. A quelle époque doit exister le concours de plusieurs po
lices. Effet de l’annulation amiabiement consentie.
1345. Mais celte annulation doit être le fait de toutes les par
ties. Application à l’assurance a prorata des jours de
navigation.
1346. Doit-on ristourner la seconde police, si la première est
dans le cas d'être résiliée ou annulée ? Arrêt de la cour
de Paris pour l’affirmative.
1347. Arrêt de lacour d’Orléans pour la négative.
1348. Réfutation.
1349. Les assureurs des polices subséquentes ont le droit de
discuter la régularité et la validité de l’annulation amia*
ble des précédentes.
�148
DROIT MARITIME.
1350. Caractère de la règle tracée par l’article 359. Exception
qu’elle devrait subir.
1351. L’estimation du chargement doit être faite entre l’assureur et l’assuré, conformément aux indications de la
police. Conséquences.
1352. Effets de la fraude dans le cas prévu par l’article 359.
1353. Cet article n’est applicable qu’aux cas où l’insuffisance
tient à un défaut de chargement. Conséquences pour les
marchandises déchargées en cours de voyage.
1354. L’assuré a le droit de se prévaloir de la nécessité de ris
tourner certaines polices, pour ne payer que le demi
pour cent.
1355. Obligation des assureurs, si la valeur de la cargaison est
égale au montant des diverses polices.
1356. Position de l’assuré, dans le cas d’excédant de la valeur
de la cargaison.
ft335. — Il n’est pas permis de faire assurer deux
fois le même objet. L’assurance deviendrait, sans cette
prohibition, un moyen facile de s’enrichir, puisqu’en
cas de perte, celui qui aurait multiplié les assurances
pourrait être trois ou quatre fois payé de sa chose unique.
Cette prohibition n’est elle-même que la juste consé
quence de ce principe que nous avons eu tant d’occa
sions de rappeler, à savoir, qu’il ne peut exister d’as
surance sans risque. Or, le défaut de risque est absolu
autant que certain, lorsqu’une assurance est contractée
sur effets déjà intégralement couverts par une police pré
cédente.
A son tour, cette conséquence s’induisait tellement
des principes de la matière, qu’on pourrait s’étonner
�559, 360.
149
que le législateur ait pu se préoccuper de la coexistence
de plusieurs assurances sur le même chargement. Cette
coexistence constituerait évidemment une exagération
flagrante de la valeur des effets assurés, que les arti
cles précédents viennent de prohiber et de punir.
D’autre part, comme en cas de sinistre, l’assuré est
obligé par l’article 379 de déclarer non seulement tou
tes les assurances qu’il a faites ou fait faire, mais en
core celles qu’il a ordonnées ; la spéculation consistant
à multiplier les assurances sur le même chargement a
si peu de chances de réussir, qu’il serait insensé de la
tenter.
ART.
— Mais les nécessités et la pratique com
merciales faisaient prévoir cette multiplicité d’assuran
ces. Un commerçant projette d’acheter et d’expédier une
certaine quantité de marchandises. Il mande à son cor
respondant de faire assurer jusqu’à concurrence de la
somme qu’il entend employer. De nouveaux projets amè
nent de nouveaux ordres, et c’est ainsi que se trouvent
contractées des assurances successives.
Plus tard, toutes les marchandises annoncées ne sont
pas expédiées, soit que l’état du marché ait empêché de
les acheter ou n’ait pas permis de s’en procurer en as
sez grande quantité, soit que le navire déterminé n’ait
pu les recevoir en totalité, de manière qu’à l’heureuse
arrivée, ou qu’après la perte du navire on se trouve en
présence d’un risque insuffisant pour les diverses poli
ces successivement souscrites,
1336.
�150
DROIT MARITIME.
Il importait dans cette prévision de statuer sur le sort
de chacune d’elles. Or, à cet égard, le législateur n’avait
pas même le choix. Sa conduite était impérieusement
dictée par les règles qu’il venait de consacrer, notam
ment par celle que nous venons de rappeler.
Les maintenir toutes, on ne pouvait y songer. C’était
donner à l’assuré le moyen d’être indemnisé plusieurs
fois et de réaliser un bénéfice considérable, de doubler
ou de tripler le capital exposé. Etablir un concours en
tre tous les assureurs, c’était consacrer, à l’endroit de
ceux qui avaient traité en dernier lieu, qu’ils s’étaient
valablement obligés pour un risque n’ayant jamais existé.
— Il n’y avait pour les rédacteurs du Code
qu’à se référer aux dispositions des législations précé
dentes, qu’à ranger les polices par ordre de date, qu’à
maintenir celles pour lesquelles le risque avait existé en
tout ou en partie, et à ristourner toutes celles souscrites
après l’épuisement total de ce risque.
C’est ce que consacre l’article 359. La police la plus
reculée en date est seule valable, soit qu’elle couvre ou
non l’intégralité du risque ; dans le premier cas, toutes
les autres sont ristournées ; dans le second, le solde
qu’elle laisse à découvert est à la charge de celle qui est
à la date la plus rapprochée de la sienne ; si, à son
tour, celle-ci laissait un solde, la police suivant immé
diatement vaudrait jusqu’à concurrence, et ainsi succèsgivemept.
1339.
�151
359, 360.
1338. — C’est donc par la date des polices que se
règlent les obligations et les droits des divers assureurs.
Il n’y a que les polices souscrites le même jour qui soient
appelées à concourir proportionnellement à la perte. Si
l’ensemble des sommes qu’elles représentent dépassait
la valeur du risque, l’impossibilité d’établir une priorité
quelconque appellerait tous les assureurs à contribuer,
au marc le franc, à la réduction que nécessiterait l’in
suffisance du chargement.
Cette impossibilité n’existerait plus, si les polices du
même jour portaient les unes qu’elles ont été souscrites
avant,, les autres, qu’elles l’ont été après midi. On en
reviendrait alors à la règle de l’article 359, et ces der
nières seraient ristournées de préférence aux premières.
Mais, dans celte hypothèse, il n’y aurait en réalité que
deu^ polices, l’une comprenant toutes celles de l’avant
midi ; l’autre, toutes celles de l’après-midi, de telle sorte
que cette seconde ne vaudrait que si la première ne cou
vrait pas l’entier risque, et pour le solde qu’elle laisse
rait à découvert.
Ce qui résulterait encore de cet état des choses, c’est
que dans le cas où le montant des sommes assurées par
les polices souscrites avant midi dépasserait la valeur du
risque, et qu’il y eût lieu à réduction, cette réduction
profiterait à tous les assureurs de l’après-midi indistinc
tement, et en proportion des sommes assurées par cha
cun d’eux.
Que si, au contraire, au lieu d’être insuffisant, le ris
que était supérieur, le solde excédant serait à la charge
ART.
�DROIT MARITIME.
152
de tous les assureurs de l’après-midi, qui devraient à
leur tour le garantir proportionnellement et au marc le
franc.
1339. — L’application de l’article 359 suppose que
les polices entre lesquelles il faut prononcer sont toutes
également parfaites et exécutoires. Si l’une d’elles n’était
que conditionnelle, et n’avait pas encore reçu le complé
ment indiqué, il est évident qu’elle devrait être ristour
née de préférence, quelle que fût d’ailleurs sa date. Cela
souffrirait d’autant moins de difficultés que, tant que la
condition n’est pas remplie, l’obligation conventionnelle
n’existe pas. De telle sorte que si, pour la police d’assu
rance, la condition n’est pas remplie avant le sinistre,
il sera vrai de dire qu’il n’y a jamais eu d’assurance.
Que doit-ilj'en être si l’événement prévu
s’est réalisé avant le sinistre, mais après la souscription
d’une seconde assurance?
Le 20 avril, une police d’assurance est consentie sur
un chargement déterminé, l’agent de la compagnie dé
clare réserver la ratification de celle-ci ; le 25 avril, le
même chargement est assuré par une autre compagnie
par une police pure et simple ; le 30 du même mois,
la ratification est consentie par la compagnie au nom de
laquelle a été prise la première assurance. Le sinistre
venant plus tard à se réaliser, à qui incombe la charge
de le supporter? Est-ce aux assureurs du 20? Est-ce aux
assureurs du 25 ?
1349.
—
�359, 360.
153
1341. — Le tribunal de commerce de Paris s’est
prononcé contre ceux-ci, par jugement du 25 avril
1847. Attendu, porte le jugement, qu’en matière d’as
surance, les engagements ne peuvent valoir que de la
date où ils sont complets et lient réciproquement les par
ties ; que, dans l’espèce, en réservant la ratification de
son mandant, l’agent ne se considérait pas comme ayant
pouvoir d’engager celui-ci ; que, dès lors, le contrat en
tre l’assuré et l’assureur n’est devenu parfait que du jour
de cette ratification ; qu’en conséquence, la police régu
lière d’une date antérieure à ce jour doit être mainte
nue seule l.
Le tribunal de commerce de Paris a raison. Le con
trat ne devenait parfait et obligatoire que par la ratifi
cation réservée, et, cette ratification refusée, il n’avait
jamais existé de convention.
Mais cette ratification régulièrement donnée, ses ef
fets ne pouvaient être équivoques. La loi n’a rien laissé
à l’appréciation à ce sujet. L’article 1179 du Code ci
vil est formel, l’accomplissement de la condition rétroagit au jour auquel l’engagement a été contracté. Ce prin
cipe est un de ceux auxquels le droit commercial n’a
nullement dérogé, et qui doivent être appliqués à l’as
surance comme à toutes les autres matières.
Dès lors, le contraire n’a pu être décidé sans tomber
en contradiction directe avec le texte formel de la loi.
Oui, l’engagement contracté dans l’espèce par l’agent
ART.
1 D. P., 47, 4, 25.
�1S4
DROIT MARITIME.
de la compagnie était subordonné à la ratification de
celle-ci, le refus de ratifier l’eût laissé sans exécution
possible. Mais cette ratification donnée, le vice tiré du
défaut de pouvoir de l’agent était complètement purgé,
et l’engagement existait légalement du jour qu’il avait
été souscrit par celui-ci.
La conséquence était que la police ratifiée étant anté
rieure à celle souscrite seulement cinq jours après, c’é
tait celle-ci qu’on devait ristourner, comme dans une
occasion semblable l’avait fort juridiquement consacré
le tribunal de commerce de Marseille l.
134 3. — La règle édictée par l’article 339 est gé
nérale et absolue. Elle doit être appliquée dès qu’il existe
plusieurs assurances sur le même chargement. Les ex
ceptions qu’on a voulu puiser, soit dans la qualité des
parties, soit dans le caractère général ou spécial des
polices, n’ont jamais été accueillies par les tribunaux.
Ainsi le tribunal de commerce de Paris jugeait, le 25
septembre 1843, que le commissionnaire qui a fait as
surer en absence d’instructions positives, doit être con
sidéré comme ayant agi, ainsi que son devoir de man
dataire et la prudence le lui prescrivaient, dans l’intérêt
de son commettant ; qu’en conséquence si, postérieure
ment à cette assurance et dans l’ignorance de son exis
tence, le propriétaire en a fait souscrire une seconde sur
le même chargement, c’est la police souscrite par le com1 20 mars 1832; Journal de Marseille, t. 13, 1, 91.
�359, 360.
155
missionnaire qui doit sortir à effet, comme première en
date K
Déjà, et le 1er mars 1831, le tribunal de commerce
de Marseille décidait que la clause pour compte de qui
il appartiendra, contenue dans une police d’assurance
sur facultés, donnait à tout porteur de cette police, quoi
qu’il n’y soit pas dénommé, le droit d’exiger la perte,
si d’ailleurs il prouve, par des connaissements passés en
son nom, que des marchandises ont été chargées pour
son compte sur le navire désigné; qu’il doit en être ainsi
alors même que le porteur qui se prévaut de la police
où il n’est pas dénommé, en a directement, et en son
nom, fait souscrire une autre d’une date postérieure sur
facultés du même navire, et quoiqu’il ne soit devenu
possesseur de la première qu’aprês avoir fait souscrire
la seconde ; que, par suite, celle-ci doit être entièrement
ristournée, si la première suffit pour couvrir le montant
du risque2.
Ainsi a été repoussée la préférence qu’on réclamait,
quelle que fût sa date, pour la police souscrite par le
propriétaire lui-même, sur celle contractée par le man
dataire ou le commissionnaire. Cette préférence, non
autorisée par l’article 359, ne peut d’ailleurs s’étayer
d’aucun motif plausible. La repousser c’était donc se
conformer à la raison et au droit.
I
1343.
ART.
— Le concours d’une police spéciale avec
1 Ibid, t. 23, 2, 1.
3 Ibid, t. 42, 1, 91.
»
�156
DROIT MARITIME.
une police générale a fait naître de nombreuses contes
tations. Mais la solution donnée par la jurisprudence
n’a jamais varié. On a décidé que l’application de l’ar
ticle 359 devait régler la position des parties, dans ce
cas comme dans celui de concours entre polices géné
rales.
Orna donc jugé que l’assurance contractée pour une
somme déterminée généralement sur toutes les mar
chandises voyageant pour compte de l’assuré sur navi
res indéterminés, avec dispense à l’assuré d’indiquer le
nom des navires dans le délai d’usage, doit de piano
couvrir jusqu’à concurrence de la somme assurée le ris
que de toutes les marchandises de l’assuré chargées dans
les ports et pour les destinations convenues , que, par
suite , si par une nouvelle assurance postérieure , con
tractée par d’autres assureurs, le même assuré fait cou
vrir spécialement les risques d’une nature de marchan
dises déterminée, ou de celle chargée sur un navire dé
signé, cette seconde assurance ne vaut et ne peut avoir
d’effets que pour les sommes que la première laisserait
à découvertl.
Il est évident, en effet, que l’assurance de la partie,
lorsque le'tout est déjà assuré, constitue la double as
surance prévue par l’article 350, et que, dès lors, on ne
pourrait refuser de l’appliquer.
1344. — Le concours dont l’article 359 règle les
i P aris, 19 janvier 4847 ; Journal Je Marseille, t. 26, 2, 76 ; Aix 25
août 4855, encore inédit.
�effets doit nécessairement exister au moment du sinistre
ou de l’heureuse arrivée du navire ; peu importerait qu’il
eût existé à une époque quelconque, s’il avait cessé avant
l’événement. Jusque-là, l’assuré qui a reconnu son er
reur ou qui est mieux instruit de la valeur des effets
chargés, peut provoquer et obtenir l’annulation d’une
ou de plusieurs polices, sans être tenu d’observer l’or
dre des dates.
On a voulu soutenir le contraire et prétendre, soit
que l’annulation amiable ne pouvait être valablement
consentie, soit qu’on devait, pour cette annulation,
suivre l’ordre des polices et la faire porter sur les plus
récentes.
Mais les inconvénients qu’on mettait en avant pour
étayer ce système sont fort peu à redouter. En effet, ce
ristourne amiable n’est régulier et valable que s’il inter
vient de bonne foi, et avant toute connaissance de l’évé
nement. Dès lors, et le résultat du voyage étant encore
incertain, !le ristourne de la première police, loin de
nuire aux signataires des polices subséquentes, peut
leur être avantageux. Grâce à lui, en effet, ces assureurs
pourront, en cas d’heureuse arrivée, percevoir la prime
entière au lieu du demi pour cent auquel les aurait ré
duit l’existence de la police ristournée. D’ailleurs, de
quoi se plaindraient-ils? Le ristourne n’empire pas
leur position. Il ne fait que maintenir celle qu’ils ont
sciemment et volontairement acceptée en signant leur
policel.
l Bordeaux, 47 janvier 4829et 48 avril 4839 ; J .
du P.,
2,4839,437.
�188
DROIT MARITIME.
— A côté de ce système, il s’en est créé un
autre. Loin ne nier à l’assuré la faculté de ristourner
telle ou telle police, on a voulu, dans certain cas, faire
résulter l’exercice de cette faculté de son fait unique, et
indépendamment du concours des assureurs.
Ainsi, par exemple, on assure quelquefois au prorata
des jours de navigation que fera le navire.Evidemment,
dans cette hypothèse, l’assuré peut, à son gré, arrêter
le cours des risques, en faisant cesser la navigation. De
ce droit, on concluait que si, par un fait certain, celuici a manifesté l’intention d’en user l’assurance était de
plein droit rompue. Ce fait, on voulait le faire résulter
de la souscription d’une nouvelle assurance. L’assuré,
disait-on, n’a pu contracter celle-ci que parce qu’il re
nonçait au bénéfice de la première, ce qu’il lui était loi
sible de faire.
Il est facile de découvrir le vice de ce système. Dans
une assurance a prorata des jours de navigation, l’as
suré est libre de rompre, mais en faisant cesser la navi
gation. Si celle-ci continue, l’assurance tient, quels que
soient l'intention et les faits de l’assuré, à moins que
les assureurs aient formellement consenti à l’annulation,
soit par une convention expresse, soit en réglant la pri
me acquise jusqu’au jour du règlement.
Ainsi, tant que la condition convenue pour l’épuise
ment de la police, la cessation réelle de la navigation
dans l’espèce, ne s’est pas réalisée, le contrat conserve
sa force obligatoire. Comme tous les autres, il ne peut
être rompu que par le concours des volontés qui a pré1345.
».
�:
ART. 559, 360.
139
sidé à sa constitution. Vainement les assureurs, pour
s’exonérer du sinistre, prétendraient-ils accepter l’acte
de l’assuré: comme le litige ne s’agite plus précisément
entre eux et lui, que les véritables intéressés sont les as
sureurs des polices subséquentes, ceux-ci seraient fon
dés à exciper de la tardiveté de leur adhésion et à de
mander le maintien de la police pour obtenir le ristour
ne de celle qu’ils avaient eux-mêmes signée l.
— L’article 359 doit-il être appliqué, si la
police première en date était dans le cas d’être résiliée
ou ristournée ?
L’affirmative a été consacrée par la cour de Paris,
dans son arrêt du 19 janvier 1847. Nous avons déjà in
diqué ce monument de jurisprudence, comme décidant
que l’assurance spéciale devait être ristournée de préfé
rence à l’assurance générale d’une date plus ancienne.
C’est ce que le tribunal de Paris avait également jugé.
Conformément au jugement, l’assuré s’adresse aux
souscripleurs de l’assurance générale, mais ceux-ci, excipant des clauses de la police, soutiennent qu’elle est
nulle, faute par l’assuré de n’avoir pas fait la déclaration
d’aliment qui lui était imposée. Un second jugement ac
cueille cette nullité.
L’assuré émet alors appel des deux jugements, et, de
vant la Cour , il soutient qu’il y a contradiction entre
eux. Si les seconds assureurs sont dégagés de toute res1346.
i Aix, 9 janvier 4 829.
�160
DROIT MARITIME.
ponsabilité, disait-il, ce ne peut être que parce que la
première police est valable, en conséquence, si on frap
pe celle-ci de déchéance, si on l’annule, la seconde doit
avoir son .effet.
Ou répondait : l’assuré a encouru la déchéance visà-vis des premiers assureurs, faute de leur avoir fait
la déclaration d’aliment, qui était une condition de l’as
surance.
Le contrat avec le second assureur est nul, parce que
l’assuré, lié malgré sa déchéance par un premier con
trat non résilié d’un commun accord, et dont l’assureur,
suivant les faits, pouvait revendiquer le profit, n’avait
pu s’engager valablement et transmettre régulièrement
le risque à un second assureur.
C’est, en effet, ce que décide l’arrêt, qui confirme les
deux jugements.
1349. — Le système contraire a été adopté par la
cour d’Orléans. Un arrêt rendu par elle, le 7 janvier
\ 845, décide, en effet, que l’assurance souscrite sur une
marchandise, subséquemment à une précédente assu
rance par laquelle les risques de cette marchandise se
trouveraient déjà couverts, n’est pas nulle si la première
ne produit elle-même aucun effet, par suite de l’infrac
tion commise par l’assuré à l’engagement par lui con
tracté envers l’assureur de la première police, de lui dé
clarer pour aliment les risques couverts par la seconde
police.
En conséquence, la Cour déclare que lorsqu’un com
�missionnaire, agissant pour compte de qui il appartien
dra, après avoir fait assurer par une police flottante,
souscrite à terme et pour les voyages indiqués, des vins
chargés ou à charger sur navires indéterminés, avec en
gagement de déclarer en aliments à cette police toutes
les expéditions de vins qu’il ferait sur les parcours indi
qués, fait souscrire une autre police subséquente sur
vins chargés à bord d’un navire désigné, les assureurs
de cette seconde police ne peuvent pas, en cas de perte,
prétendre que l’assurance par eux souscrite est nulle,
aux termes de l’article 359 du Code de commerce, Com
me se rapportant à des risques déjà couverts par la
précédente police, s’il est évident que cette police de
meure sans effets à raison de ces mêmes risques, faute
par l’asstyvé de les avoir déclarés en aliment à son pre
mier assureurx.
13JL8-. — Cette doctrine, à notre avis, méconnaît
tous les principes de la matière. En premier lieu, il ad
met que l’assurance spéciale doit prévaloir sur l’assu
rance générale qui lui est antérieure. Or, nous venons
de justifier que le contraire est de doctrine et de juris
prudence.
En second lieu, cette doctrine viole la règle que nous
avons vue unanimement admise, à savoir, que l’assuré
ne peut jamais rompre une police de sa seule volonté
et sans le consentement de l’autre partie. Or, si cette
' Journal de M arseille, t. 24, 2, 36.
iv — U
�DROIT MARITIME.
162
volonté directement manifestée serait impuissante, com
ment pourrait - on lui faire produire un effet légal et
obligatoire lorsqu’elle résulte d’une infraction au con
trat ?
Enfin, la cour d’Orléans s’écarte de l’article 359 et se
méprend sur son caractère. Le ristourne que cet article
sanctionne est dans l’intérêt exclusif des assureurs dont
l’engagement est postérieur à une autre police. L’exis
tence de celle-ci se réalisant, le bénéfice de la loi ne sau
rait leur être refusé.
Qu’importe que la première police puisse et doive être
annulée sur la poursuite de tel signataire. La police ne
sera réellement anéantie que lorsque la nullité aura été
consacrée. Elle existe donc légalement jusque-là. La con
dition de l’article 359 est donc accomplie, si^Ja pour
suite en nullité ne se réalise que postérieurement à l’é
vénement du voyage.
Mais le résultat de la nullité n’en sera pas moins que
l’assuré, qui a cependant assuré deux fois, ne sera nul
lement indemnisé de la perte 1 Nous répondons à cet ar
gument que ce résultat n’est que la conséquence de la
conduite de l’assuré lui-même. Il devait, au lieu de réa
liser une seconde assurance, maintenir la première en
exécutant les engagements qu’il avait contractés, ou, dans
tous les cas, s’entendre avec ses assureurs pour conve
nir de l’annulation de la police. En ne faisant ni l’un ni
l’autre, il a commis une faute dont il doit subir les con
séquences.
Mettre ces conséquences à la charge des seconds ou
�ART.
559, 360.
165
subséquents assureurs, serait d’autant plus injuste qu’il
ne dépendait pas de l’assuré de leur conserver le profit
éventuel qu’ils se promettaient de l’assurance. Dans no
tre hypothèse, la nullité est dans l’intérêt exclusif des
assureurs de la première police, eux seuls sont receva
bles à la faire valoir, à en poursuivre judiciairement la
consécration. Ils n’hésiteront pas en cas de sinistre, mais
ils se garderont bien de le faire dans l’hypothèse con
traire, pour ne pas se priver de la prime. Mais s’ils re
tirent cette prime, les assureurs subséquents ne pour
ront recevoir que l’indemnité du demi pour cent. Voilà
donc la position que leur ferait le système de la Cour
d’Orléans. Tenus de la perte en cas de sinistre, ils se
raient privés de la prime en cas d’heureuse arrivée. Or,
nous le répétons, un pareil résultat serait inique, il se
rait injustifiable en droit commercial comme en droit
commun. On devrait donc le proscrire, comme le faisait
la cour de Paris.
1349. — Les assureurs des polices subséquentes
ont droit non seulement à exciper des polices précéden
tes, tant qu’elles n’ont pas été ristournées, mais encore
de discuter la régularité et la validité du ristourne, soit
pour cause de fraude, soit à raison de l’incapacité des
parties qui l’ont consenti. Par exemple, le syndic d’un
assureur déclaré en état de faillite n’a pas qualité pour
ristourner les assurances précédemment consenties. En
conséquence,les assureurs subséquents, auxquels on op
poserait le consentement de ce syndic à l’annulation
�164
DROIT MARITIME.
d’une précédente police, seraient fondés à en faire re
pousser les effets, à moins que le syndic n’eût été régu
lièrement autorisé.
Sans doute la faillite de l’assureur est dans le cas de
faire résilier la police, faute de la caution exigée par l’ar
ticle 346. Cette faillite se réalisant, l’assuré a donc le
droit de poursuivre le cautionnement ou la résiliation,
et ce n’est qu’après que celle-ci a été prononcée et
qu’elle est acquise, qu’il peut valablement se prévaloir
des polices postérieures. Mais tout cela doit avoir lieu
avant l’échéance du risque. En effet, celui-ci se réali
sant, les choses ne peuvent plus être modifiées ni chan
gées, le droit des assureurs étant fixé et acquis par le
fait du sinistre.
De là cette conséquence que l’annulation consentie
par l’assureur et par l’assuré après le sinistre ne consti
tuerait plus qu’une fraude contre les assureurs subsé
quents. Ceux-ci sont, en conséquence, recevables à en
exciper dans tous les cas. La preuve qu’ils en feraient
rendrait sans ‘ effet cette annulation, et remettrait tou
tes les parties sous l’empire de l’article 359.
— La règle édictée en cas de concours de
plusieurs polices sur le même chargement est générale
et absolue. On ne peut maintenir les assurances qu’à
concurrence de la valeur du risque. Pour les autres, el
les doivent être non pas réduites proportionnellement,
mais totalement ristournées.
Il est un seul cas dans lequel cette proportionnalité
1350.
�devrait être admise, à savoir, si chaque police portait
sur une part aliquote du risque. J’ai fait assurer la moi
tié de mon chargement pour 20,000 fr., plus tard, j’as
sure l’autre moitié par une ou par deux polices pour
un quart chacune. L’article 359 devient inapplicable.
Chaque assureur n’a jamais garanti que la part qu’il a
acceptée, et ne peut ni ne doit, dans aucun cas, payer
autre chose. Il n’y a donc plus assurance sur le même
chargement, il y a autant de chargements qu’il y a de
polices distinctes.
En conséquence, si après le sinistre il est reconnu
qu’il n’a été chargé que 30,000 fr. au lieu de 40,000,
l’assureur de la moitié ne devra que 15,000 fr., ceux
du quart paieront 7,500 fr. Ils ne seraient pas fondés à
prétendre qu’ils n’en doivent que 5,000, la première
police devant être matntenue à 20,000 fr.
1351.. — L’estimation des marchandises peut et
doit avoir lieu dans chaque police, mais elle peut être
différente. Quelle est,, dans ce cas, le mode à suivre?
Chaque estimation doit-elle porter sur la totalité du char
gement, ou bien n’est-ce que prélèvement fait de la va
leur donnée dans la première police, et sur la différence
entre cette valeur et celle du chargement que doit por
ter l’estimation supérieure acceptée par les seconds as
sureurs ?
Exemple, une assurance de 126,000 fr., prix de fac
ture est consentie ; plus lard, une autre assurance de
86,000 fr. est prise sur le même chargement auquel on
�166
DROIT MARITIME.
donne, d’accord commun, une valeur déterminée supé
rieure à celle de la première assurance.
Le sinistre se réalisant, les premiers assureurs payent
126.000 fr., mais le risque étant plus considérable, un
solde doit être payé par les seconds assureurs. Com
ment s’établira ce solde ? Est-ce en calculant le charge
ment entier sur la valeur acquiescée dans la seconde
police, ou bien celte valeur ne doit-elle être acceptée que
pour la différence que la première assurance de 126,000
fr. laisse à découvert relativement à la valeur du char
gement ?
La solution de la quesiion peut offrir un très grave
intérêt. Dans une espèce sur laquelle la cour de Paris
avait à statuer, et qui nous a fourni les chiffres que nous
venons de poser,l’estimation sur l’entier chargement im
posait aux seconds assureurs l’obligation de payer l’in
tégralité de la somme par eux assurée, c’est-à-dire
86.000 fr., tandis que par le second mode ils en étaient
quittes suivant eux pour 32,899 fr. 50 c., différence
53,101 fr. 50 c.
Les arbitres appelés à statuer en premier ressort
avaient condamné les seconds assureurs au paiement
de 86,000 fr., en appliquant l’estimation par eux ac
ceptée à la totalité du chargement, mais leur sentence
fut infirmée par la Cour.
L’arrêt adopte le second mode et ne fait porter l’esti
mation de la seconde police que sur le solde restant, pré
lèvement fait du montant de la première assurance, at
tendu, dit-il, que l’obligation imposée aux assureurs de
�rembourser, en cas de perte, la valeur convenue ou fixée
par la justice des marchandises assurées est nécessaire
ment corrélative à la possibilité par l’assuré de faire le
délaissement desdites marchandises qui, en cas de sau
vetage, appartiennent aux assureurs comme représen
tant le prix payé par eux ; d’où il suit qu’en cas de con
currence de plusieurs assurances, l’assuré ne peut ré
clamer de chacun des assureurs que le paiement des
marchandises dont il est en mesure de lui faire le dé
laissement.
En conséquence, comme le chargement total ne va
lait, prix de facture, que 143,889 fr., et que les pre
miers assureurs en avaient payé 126,000 fr., la Cour
admet que l’évaluation convenue dans la police ne peut
porter que sur les 17,889 fr. pouvant être délaissés, et
qui, au moyen de celte évaluation, représentent une
somme de 32,186 fr. 50 c., qu’elle condamne les se
conds assureurs à payer.
D’après cet arrêt, malgré, l’estimation convenue par
eux, les assureurs profitaient de celle qui était consacrée
dans la première police qui leur était cependant étran
gère. Une pareille conséquence n’était-elle pas exorbi
tante du droit commun, ne méconnaissait-elle pas l’es
prit et les termes du contrat ? Il serait difficile de ne pas
le reconnaître.
Ainsi l’arrêt, ayant été l’objet d’un pourvoi, fût-il
cassé par la Cour régulatrice. Attendu que l’estimation
adoptée par le premier assureur ne détermine pas la
valeur des effets chargés à l’égard du second, lorsque
�168
DROIT MARITIME.
celui-ci a consenti une estimation différente ; que la va
leur des effets doit être appréciée, quant à ce dernier,
selon les termes de son contrat ; que, dans l’état des
faits déclarés constants, il existait sur la totalité du mê
me chargement deux contrats d’assurance ; l’un, celui
des assureurs du Havre, basé sur le prix de facture ;
l’autre, celui des assureurs de Paris, fondé sur une es
timation conventionnelle; que ces conventions librement
consenties et légalement fondées devaient recevoir leur
exécution jusqu'à concurrence de la valeur entière des
marchandises chargées, d'après l’estimation faite ou
convenue 1.
Par arrêt du 14 février 1840, la cour d’Amiens, à la
quelle le litige avait été renvoyé, se prononçait pour la
doctrine de la Cour de cassation s.
Il est donc certain que l’estimation convenue dans
une police ne lie que les parties qui l’ont souscrite; qu’on
peut dans des polices successives adopter une estimation
différente, laquelle ne peut s’entendre et s’appliquer que
du et au chargement total.
Ce système ne sera pas toujours et nécessairement dé
savantageux pour les seconds assureurs. S’il les lèse dans
un cas, il leur profitera dans un autre. Renversez en
effet l’hypothèse, supposez que la première police porte
une estimation déterminée, et que la seconde soit faite
au prix de facture, le sinistre se réalisant, si au moyen
�de la première estimation ce prix est atteint ou dépassé,
le second assureur obtiendra le ristourne total de la po
lice. Dans tous les cas, il n’aurait à payer que le décou
vert que laisserait relativement à ce même prix la som
me payée par le premier assureur.
1353. — L’article 359 ne déroge en aucune ma
nière h l’article 357. Il a soin de le déclarer lui-même
en n’appliquant sa disposition qu’aux assurances faites
sans fraude sur un même chargement. On devrait donc
recourir à l’application de ce dernier dans le cas où la
multiplicité des polices serait l’exécution d’une pensée de
dol ou de fraude. Il n’y aurait donc plus lieu à simple
ristourne, mais à annulation, et cette annulation pour
rait atteindre non seulement les polices dernières en
date, mais encore les plus anciennes elles-mêmes.
Ainsi la cour de Rennes déclarait, par arrêt du
13 mars 1826, que lorsque le chargeur a multiplié les
connaissements pour déguiser la fraude envers les assu
reurs, il n’y avait pas lieu de statuer sur chaque police
séparément, qu’on devait les annuler toutes indistinc
tement.
L’assuré s’étant pourvu en cassation, reprochait à l’ar
rêt d’avoir faussement appliqué les articles 348 et 357.
Il y avait sept polices d’assurances, disait-il, six pour le
chargement, une pour le navire, il y avait donc autant
de contrats distincts. Sur les sept polices, les compagnies
n’ont cherché à prouver la simulation du chargement
qu’à l’égard de trois ; quatre sont donc restées intactes.
�170
DROIT MARITIME.
L’arrêt lui-même ne constate en fait la simulation que
pour les trois premières. La Cour n’a donc pu, sans
faire une fausse application des articles précités, annu
ler indifféremment tous les contrats.
Ce système ne fut point accueilli par la Cour suprê
me, qui rejetta le pourvoi, le 4 août 1829. Ce rejet est
fondé sur ce que, de l’appréciation des faits et circons
tances de la cause, il était résulté pour la cour de Ren
nes la preuve que le chargeur n’avait multiplié les con
naissements et divisé les risques que pour mieux mas
quer la fraude à l’égard des assureurs ; et que, de cette
preuve fondée sur une appréciation de faits qu’il n’est
pas dans les attributions de la Cour de cassation de con
tredire, elle a tiré la juste conséquence qu’il n’y avait
pas lieu de statuer sur chaque police séparément.
Ces dernières expressions établissent le caractère juri
dique de la règle que nous indiquons. La multiplicité
des assurances due à la fraude n’empêche pas qu’il n’y
ait qu’une seule operation. Chaque police distincte n’é
tant que des moyens de faciliter et de consommer la
fraude, la preuve de celle-ci doit les atteindre et les
faire disparaître toutes.
1353. — Enfin l’article 359 n’est applicable que
lorsque la différence de valeur entre le chargement et les
diverses polices tient uniquement à l’absence de mise en
risque des marchandises constituant cette différence. Si
au port d’armement le navire avait réellement chargé
des effets équivalant au montant de toutes les polices, il
�importerait peu qu’à l’arrivée du navire ou qu’au mo
ment du sinistre il n’existât à bord qu’une somme moin
dre, les déchargements opérés dans le cours du voyage
et dans les ports d’échelle auraient proportionnellement
diminué le risque en faveur de tous les assureurs, mais
les laisseraient tous valablement engagés pour ce qui
est resté à bord. La diminution s’opérant proportion
nellement sur les effets débarqués et sur les sommes as
surées, il n’y aurait en réalité aucune insuffisance dans
le gage.
— Le ristourne édicté par l’article 359 in
téresse bien plutôt les assureurs que les assurés, mais
ce qui est réellement d’un intérêt commun, c’est l’effet
que ce ristourne produit, ce n’est plus la prime conve
nue qui doit échoir aux assureurs ristournés, tout ce
qui est dû est l’indemnité de demi pour cent.
La loi considère donc le fait donnant lieu au ristour
ne comme la rupture volontaire du voyage avant le ris
que commencé et lui en attribue les effets.
De là cette conséquence que l’assuré fondé à exciper
de cette rupture est recevable à se prévaloir de la néces
sité du ristourne, et en conséquence de n’offrir, en cas
d’heureuse arrivée, que le demi pour cent aux assureurs
dont la police serait dans le cas d’être ristournée.
1354.
— Si à l’époque du sinistre la valeur de la
cargaison égale les sommes assurées, ou si celte égalité
a existé à la sortie du port d’armement, la perle sera
1355.
�172
DROIT MARITIME.
commune à tous les assureurs. Chacuu d’eux payera la
somme assurée, si elle est totale ; au prorata de cette
somme, si elle n’est que partielle. Supposez que le
sixième du chargement a péri, chaque assureur sera
tenu de payer le sixième de la somme qu’il a pris en
risque.
Bien entendu que cette proportionnalité ne se réalise
que si chaque police porte sur l’entier chargement, abs
traction faite de la nature des marchandises le compo
sant ; si on avait assuré par une police, des vins ; par
une autre, de l’huile ; par une troisième, des laines, la
perte éprouvée par les vins, les huiles ou les laines serait
exclusivement et sans contribution à la charge de celui
ou de ceux qui les auraient spécialement garantis.
— Si la valeur du chargement excède le
montant des diverses polices, l’assuré devient son pro
pre assureur pour tout l’excédant, cet excédant consti
tue son découvert qui, non seulement périt pour son
compte, mais encore qui l’oblige, en cas de perte par
tielle, à contribuer dans les mêmes proportions que tous
les autres assureurs.
1356.
A rticle 3 6 1 .
Si l’assurance a lieu divisément sur des marchandises
qui doivent être chargées sur plusieurs vaisseaux dési-
�gués avec énonciation de la somme assurée sur chacun,
et si le chargement est mis sur un seul vaisseau ou sur
un moindre nombre qu’il n’en est désigné dans le con
trat, l’assureur n’est tenu que de la somme qu’il a as
surée sur le vaisseau ou sur les vaisseaux qui ont reçu
le chargement, nonobstant la perte de tous les vais
seaux désignés, et il recevra néanmoins le demi pour
cent des sommes dont les assurances se trouvent annu
lées.
• -, ' y .
Article 3 6 2 .
Si le capitaine a la liberté d’entrer dans différents
ports pour compléter ou échanger son chargement, l’as
sureur ne court les risques des effets assurés que lors
qu’ils sont à bord, s’il n’y a convention contraire.
SOMMAIRE
1357. Qu’est-ce que la police flottante? Son caractère, ses
effets.
1358. Faculté de stipuler que les marchandises assurées seront
chargées sur un ou plusieurs navires désignés ou non
désignés. Droits de l’assuré quant au mode de charge
ment.
1359. Effets de l’assurance avec indication de la somme à char
ger sur chaque navire.
1360. Les assureurs ne sont pas responsables au-delà de la som-
�174
1361.
1362.
1363.
1364.
1365.
DROIT MARITIME.
me indiquée pour chaque navire, alors même que tous
auraient péri.
Mais ils répondent des risques de gabarre, alors même
que le chargement total aurait été embarqué sur une
seule. ,
Effets de l'indication du chiffre à charger sur chaque na
vire, quant à l’indivisibilité de l’assurance.
Effets du défaut d’indication. Sur quoi doivent être préle
vées, dans ce cas, les franchises d’avarie. Jugement du
tribunal de Marseille.
Son caractère juridique.
Motifs et caractère de l’exception que l’article 362 fait su
bir à l’article 328.
— L’assuré a la faculté de faire assurer une
somme déterminée sur toutes les marchandises en quoi
que le tout consiste ou puisse consister, chargées ou à
charger pendant un tel espace de temps, dans tel lieu et
pour telle destination. Une police de ce genre constitue
une police flottante.
Le caractère propre de cette police est que l’assureur
est tenu jusqu’à la somme déterminée de la valeur de
toutes les marchandises chargées dans le délai convenu;
que sa responsabilité commence au moment où les mar
chandises sont chargées, sans que l’assuré soit obligé de
faire la déclaration successive de chaque chargement,
les marchandises, objet de la police flottante, se trou
vant de plein droit affectées, alors même qu’elles seraient
chargées à l’insu de l’asssuré.
De là cette autre conséquence que l’assuré n’a pas le
droit de rien distraire de ce qui a été chargé, ni à titre
1359.
�de déchargement, ni pour le rendre l’objet d’une se
conde et nouvelle assurance. Dans le premier cas, la
mise à terre constituerait la rupture du voyage après le
risque commencé, ce qui rendrait la prime exigible en
dégageant l’assureur de tout risque ; dans le second, se
rencontrerait l’assurance spéciale annulée ainsi que
nous l’avons dit par l’assurance générale d’une date an
térieure l.
— La liberté dont jouit l’assuré, quant à
l’objet du risque, ne saurait lui être contestée quant à
la détermination du lieu de ce même risque, il peut
donc stipuler que les marchandises à charger le seront
sur un ou plusieurs navires, ou sur tels et tels navires
désignés. Dans le premier cas, le chargement peut être
fait sur quelque navire que ce soit ; il doit, dans le se
cond, être effectué sur les navires convenus, mais, dans
l’un et dans l’autre, l’assuré est libre d’en opérer la ré
partition de la manière qu’il le juge convenable, il peut
embarquer beaucoup sur l’un, peu sur l’autre, il est
même libre de n’employer qu’un seul navire, si celuici peut transporter tous les effets assurés ; il doit donc,
en cas de sinistre, être intégralement remboursé de la
perte qu’il éprouve.
1358.
— Il n’en est plus ainsi dans le cas où l’as
surance a lieu pour des marchandises qui doivent être
1359.
1 Orléans, 7 janvier, 1844 ; D. P , 42, 2, 34.
�176
DROIT MARITIME.
divisement chargées sur plusieurs vaisseaux désignés
avee énonciation de la somme assurée sur chacun d’eux.
Ici, l’objet du risque est spécialement déterminé pour
chaque navire ; accepté dans ces termes par les assu
reurs, il ne peut plus être modifié ni changé sans leur
exprès consentement. Ainsi, j’assure une somme de
100,000 francs à charger sur plusieurs navires, à rai
son de 25,000 francs par chaque navire, ou à charger
par portions égales sur quatre navires désignés, il est
évident que je ne puis ni employer au-delà de quatre
navires, ni rien changer aux proportions assignées au
chargement.
S’il n’en a été chargé qu’un seul, que deux, que trois,
ou si le chargement a été inégalement réparti, l’assu
reur ne répond, en cas de sinistre, qu’à raison de 25,000
francs par navire, il importerait peu qu’il eût été chargé
sur l’un d’eux 30, 40 ou 50,000 francs des marchan
dises assurées, tout ce qui dépasse le chiffre convenu
dans la police forme le découvert de l’assuré, et n’a ja
mais été aux risques de l’assureur.
Dans la même hypothèse, l’assureur ne répond que
de ce qui a été réellement chargé sur les autres navires
la police se trouve de plein droit ristournée pour tout
ce qui manque des 25,000 francs. Si l’un de ces navi
res n’a rien reçu, le ristourne porte sur les 25,000 francs
qu’il devait recevoir
Supposez que les 100,000 francs assurés pour être
chargés sur plusieurs navires, à raison de 25,000 francs
pour chacun d’eux, aient été chargés : 40,000 francs
�sur le premier, 40,000 francs, sur le second et 10,000
francs sur chacun des deux autres, ce que l’assureur
couvrira réellement ne sera plus qu’une somme de
70.000 francs, à savoir 25,000 francs sur le premier,
25.000 francs sur le second et 20,000 francs pour les
deux derniers, il y aura donc un ristourne de 30,000
francs dont l’assureur n’a jamais répondu, mais sur le
quel il n’aura droit qu’à l’indemnité de demi pour cent.
— On se rend parfaitement raison de ce ré
sultat si le ou les navires ayant reçu au-delà de 25,000
francs viennent à périr et que les autres accomplissent
heureusement le voyage. Si vous aviez exécuté le con
trat, dirait l’assureur, je n’aurais à payer que 25,000
francs, que 50,000 francs, je ne puis donc être tenu
au-delà ni souffrir d’une faute qui vous est toute per
sonnelle. Cette objection de l’assureur serait sans ré
plique.
Mais lorsque tous les navires ont également péri, celle
objection n’a plus la même portée. En effet, l’assuré
pourrait répondre l’inexécution n’a causé aucun préju
dice ; vous ne perdez que ce que vous auriez perdu si
le contrat eût été fidèlement exécuté, vous devez donc
m’en indemniser.
Cependant, loin de distinguer ces deux hypothèses,
l’article 361 déclare sa disposition applicable à la se
conde comme à la première. Dominé par le caractère
essentiel du contrat pour tout ce qui touche au risque,
le législateur a pensé que l’assuré rompt réellement le
iv — 12
1360.
�178
droit maritime.
contrat dès qu’il s’écarte des conditions qui y sont sti
pulées ; le bénéfice de cette rupture est acquis dès qu’on
a chargé plus sur l’un et moins sur l’autre, lorsque cha
que navire devait recevoir une quotité égale. Dès lors,
le sinistre se réalisant postérieurement, ne pouvait com
promettre ni atténuer un droit définitivement acquis
avant son événement.
— L’article 328 laisse à la charge des assu
reurs les risques de gabarre et d’alléges à l’aide desquels
les marchandises sont transportées à bord. La perte
éprouvée avant la mise à bord, mais depuis le charge
ment sur ces gabarres ou allèges est donc pour leur
compte, à moins de convention contraire.
En l’absence de cette convention, le droit commun
recevrait son application dans l’assurance dont s’occupe
l’article 361. Aucune difficulté ne saurait s’élever si le
chargement de chaque navire avait été divisémenl placé
sur les gabarres et allèges qui ont péri.
Qu’en serait-il si le chargement total des quatre na
vires devant se faire du même coup, on avait placé les
100,000 fr. de marchandises sur les mêmes gabarres ou
allèges ? La perte serait-elle pour le tout à la charge des
assureurs ?
On a soutenu la négative, qu’on voulait faire résulter
de la nature du contrat et de l’intention des parties.
Evidemment, a-t-on dit, elles ont voulu diviser le ris
que. La convention le prouve. Il n’appartenait donc plus
à l’assuré de tenir nne conduite contraire, même quant
1361.
�art . 3 6 1 , 3 6 2 .
179
au mode dù chargement. 11 ne lui appartenait pas d’ag
graver la position de l’assureur en réunissant sur une
seule gabarre les risques que la police a divisés.
A l’appui de cette opinion, on invoquait l’article 1er
du chapitre 13 du Guidon de la mer, disposant : Les
assureurs ne pourront pas être contraints de payer la
perte ou dommage de telle barque, que jusqu’à raison
de la plus haute somme que chacun d'eux aura signée
en l’une des polices ou l'un des navires.
Mais celte disposition avait été omise par l’ordon
nance de 1681, et cette prétérition paraissait à Valin
proscrire l’opinion qui se fondait sur son texte. Aussi
enseigne-t-il l’opinion contraire. Il suffît, dit-il, que les
marchandises fussent destinées à être réparties sur les
différents navires aux termes de l’assurance, pour que
leur perte tombe sur les assureurs ; car, enfin, il fallait
les porter à bord de chacun des navires, et, cela étant,
il importe peu qu’elles aient été chargées sur une seule
allège. Si le cas se présente jamais, dit à son tour Emérigon, je crois qu’on devrait embrasser l’avis de Valin K
Le Code a gardé à cet égard le silence que l’ordon
nance s’était imposée. II ne parle du transport par gabarres ou allèges que d’une manière générale, et sans
rien prescrire de spécial pour telle ou telle hypothèse.
En conséquence, l’assuré qui, éteint en mesure de faire
les quatre chargements auxquels il est tenu, place la
totalité de ses marchandises sur une seule allège deslii Chap. G, sect. 6, § 3.
�180
DROIT MARITIME.
née à les transporter à bord de chaque navire, ne com
met aucune infraction au contrat, ne viole aucun de
voir. On ne saurait donc lui imposer un risque que la
loi met expressément à la charge des assureurs.
Ceux-ci, d’ailleurs, ont un moyen fort simple d’évi
ter ce danger, s’ils le trouvent trop onéreux. Ils n’ont
qu’à prohiber le transport du tout dans une seule fois,
et à prescrire dans l’exécution du chargement la division
qu’ils ont stipulée pour le chargement lui-même.
1 3 6 9 . — La question de savoir si l’assurance est
ou non conjointe ne laisse pas que d’avoir son intérêt,
ainsi que nous allons le voir. Or, l’indication du chiffre
à charger sur chaque navire fait perdre à l’assurance
cette indivisibilité que lui affecte le droit commun. Il y
a alors autant de contrat distinct qu’il y aura de frac
tions stipulées, et nous venons de voir quelles sont les
Conséquences que l’article 361 en déduit.
— Il n’en serait plus ainsi si les parties,
tout en réservant la faculté de charger sur plusieurs na
vires, n’avaient pas déterminé le chiffre que chacun
d’eux devrait recevoir. Ainsi, si l’assurance porte sur
effets à charger sur un ou plusieurs navires, sur tel ou
tel navire, enfin, sur tel et tel navire, l’assurance est
conjointe. De là résulte d’abord, comme nous le disions
tout à l’heure, que l’assuré est libre de charger dans les
proportions qu’il juge convenables, et que les navires
premiers partis épuisent le risque jusqu’à concurrence
1363.
�art.
361, 362.
181
du chargement qu’ils ont effectivement reçu. Ensuite
que, quelles que soient les divisions réalisées, quel que
soit le nombre de navires employés, il n’y a jamais pour
les assureurs qu’une masse unique et indivisible com
prenant la totalité des effets assurés.
En conséquence, si un des navires a reçu des avaries
dont le règlement est demandé aux assureurs, les fran
chises stipulées par eux ne pourront s’exercer, dans le
premier cas, que sur le chargement de ce navire, tandis
que, dans l’hypothèse d’une assurance et njointe, ces
franchises devront être prélevées sur le tout, alors mê
me que les autres navires porteurs d’une [ "rtie du ris
que seraient heureusement arrivés. C’est ce qui a été
formellement consacré dans l’espèce suivante : Un né
gociant assure une somme de 37,500 fr. sur facultés,
consistant en 250 quintaux cotons, évalués de gré à gré
à 150 fr. le quintal ; le tout à charger sur les navires le
Jeune-Ernest et la Baplisline. Le chargement est opéré
à raison de 18,500 fr. sur le premier, de 19,000 fr.
sur le second.
Le Jeune-Ernest accomplit heureusement le voyage,
et arrive au port du reste sans avoir éprouvé aucune
avarie. Il n’en est pas de même de la Bantistine. Les
avaries considérables qu’elle a éprouvées dans le cours
de sa navigation donnent lieu à un règlement.
Or, la police stipulait la franchise de 10 0/0 en fa
veur des assureurs. Ceux-ci soutiennent qu’il doit leur
en être tenu compte, non pas seulement sur la somme
de 19,000 fr. chargés sur la Bapiistine, mais sur les
�182
DROIT MARITIME.
37,800 fr. du chargement total. L’assurance, disent-ils,
a été prise conjointement sur facultés chargées sur deux
navires désignés, dès lors ces facultés, du moins visà-vis des assureurs, forment une masse unique et in
divisible ; donc la franchise d’avarie ne saurait être di
visée.
Les assurés répondent : Les facultés assurées ont été
embarquées sur deux navires différents ; elles n’ont donc
pas couru les mêmes dangers, n’ont pas été soumises
aux mêmes chances ; leur division matérielle ne permet
de les considérer ni comme masse unique, ni comme
masse indivisible ;
Ils ajoutent : L’indivisibilité intentionnelle n’existe
pas plus que l’indivisibilité matérielle. Comment, en ef
fet, admettre que les parties aient voulu établir une in
divisibilité conventionnelle là où la division matérielle
était prévue et reconnue par le contrat lui-même ;
La véritable intention des parties n’est pas équivo
que. Elles ont entendu que l’assurance serait divisée,
puisque le chargement était divisé lui-même. L’indivisi
bilité ne se rencontre que dans les termes verbis tantum;
elle n’est nullement dans la chose ou dans le-rapport
sous lequel elle a été envisagée.
Ce système, qu’on étayait sur des considérations d’é
quité, amenait les assurés à conclure que la franchise
d’avarie ne devait être prélevée que sur le chargement
de la Baptistine.
Mais le tribunal de commerce de Marseille ne fut pas
de cet avis. Son jugement, rendu le 18 mars 1825, dé-
�ART. 3 6 1 , 3 6 2 .
183
clare que la franchise doit être prélevée sur le charge
ment total, soit sur les 37,500 fr. Voici les motifs sur
lesquels se fonde le tribunal :
« Attendu, en droit, qu’il est de principe élémen
taire, en matière d’assurance, que le contrat est indivi
sible, et que le capital qui y est déterminé étant unique,
n’est pas susceptible d’une division qui conviendrait à
l’un des contractants, car les droits respectifs se trouvent
invariablement fixés par les termes de la police ;
« Attendu que, dans l’hypothèse, l’assurance n’a pas
été faite divisément, mais conjointement sur les deux
navires ; que les marchandises ayant été distribuées dans
chacun de ces navires, le tout forme une masse respec
tivement commune ;
« Attendu que des marchandises formant l’aliment
d’une assurance peuvent être réparties sur plusieurs
navires désignés, sans que les chargements partiels por
tent atteinte à l’indivisibilité du contrat et à l’unité du
capital ; qu’enfin, la division de l’assurance doit résul
ter des termes mêmes du contrat, sans qu’elle puisse
s'opérer au moyen d’inductions ou d’interprétation K »
— Ce jugement nous paraît faire une saine
et juste application des principes. L’indivisibilité de l’as
surance étant de droit commun, toute dérogation ne
saurait exister que si elle est clairement et expressément
établie par le contrat. La clause permettant d’embar1364.
1 Journal de M arseille, t. 614, 106.
�184
DROIT MARITIME.
quer sur plusieurs navires ne saurait être considérée
comme créant une dérogation, à moins que le chiffre à
charger sur chacun des navires n’ait été déterminé.
Alors, en effet, il y a divisibilité dont nous avons vu
les conséquences. L’assureur n’est jamais tenu que pour
la somme qui a dû être chargée sur chaque navire,
alors même que les proportions n’auraient pas été ob
servées. Si on a chargé 50,000 fr. sur celui qui ne de
vait en recevoir que 25,000, l’assureur ne sera jamais
tenu au-delà de ce dernier chiffre.
Il n’en est pas ainsi lorsque la police donne la fa
culté de charger sur plusieurs navires, sans indiquer ce
que chacun d’eux doit recevoir. Le navire premier char
gé est aux risques des assureurs, jusqu’à concurrence de
la part du risque dont il est porteur, quelle qu’elle soit;
il peut même en recevoir la totalité. Où est donc la
divisibilité pour les assureurs ? Si elle n’existe pas pour
eux, serait-il possible de l’admettre en faveur de l’as
suré ?
Il y a donc assurance conjointe toutes les fois que, le
chargement devant s’opérer sur plusieurs navires, on
n’a pas énoncé la somme que chacun de ces navires
doit recevoir. Il n’y a, en fait, division que lorsque la
police est conforme à ce qu’exige l’article 361.
1365.
— L’article 362 est une dérogation à l’arti
cle 328. Il ne déclare en effet les assureurs responsa
bles des marchandises chargées dans les ports d’échelle
que lorsqu’elles sont à bord. Il les exonère donc des
�art . 3 6 1 , 3 6 2 .
183
risques de gabarre ou d’allége que l’article 328 met à
leur charge.
Cette exonération s’entend non pas du risque des
marchandises chargées au port d’armement, celui-ci
continue d’êlre à la charge des assureurs, mais unique
ment de celui des effets chargés à un port d’échelle. Nous
avons vu que se réserver la faculté d’échelle, c’est se
donner le droit de charger, décharger, échanger la mar
chandise partout où le navire louchera, c’est donc mul
tiplier indéfiniment les risques de gabarre et d’allége. La
loi présume que les assureurs n’ont pas consenti à cette
aggravation des risques.
Elle n’admet le contraire que lorsque les assureurs
en sont expressément convenus. La légalité d’une con
vention de ce genre ne pouvait faire l’objet d’un doute.
Aussi, si elle est rappelée dans l’article 362, c’est uni
quement pour indiquer que son existence n’est admise
que si elle est établie par écrit.
A rticle 3 6 3 .
Si l’assurance est faite pour un temps limité, l’assu
reur est libre après l’expiration du temps, et l’assuré
peut faire assurer les nouveaux risques.
A rticle 3 6 4 .
L’assureur est déchargé des risques, et la prime lui
�186
DROIT MARITIME.
est acquise si l’assuré envoie le vaisseau en un lieu plus
éloigné que celui désigné par le contrat, quoique sur la
même route.
L’assurance a son entier effet, si le voyage est rac
courci.
SOMMAIRE
1366. On peut faire assurer de nouveau le risque, lorsque l’as
surance a produit son effet avant son expiration.
1367. Dans quel cas cet effet se produira-il?
1368. Disposition de l’ordonnance de 1681 dans l’hypothèse où
la police à temps limité désignait le voyage.
1369. Proposition de l’insérer dans le Gode. Réponse de la com
mission. Son caractère.
1370. Opinion de MM. Delvincourt et Pardessus.
1371. Cette dernière doit être préférée. Conséquences.
1372. Caractère et effet de la prolongation du voyage.
1373. Droits des assureurs du voyage de retour.
1374. Faculté de raccourcir le voyage. Ses effets pour l’assureur
et l’assuré.
/
1375. Importance de la question de savoir s’il y a raccourcisse
ment ou rupture. Comment elle doit être résolue ?
1376. Effets du raccourcissement du voyage d’aller sur l’assu
rance pour le retour.
1377. Opinion deM. Estrangin. Réfutation.
1378. Caractère du raccourcissement.
— On ne pouvait équivoquer sur la nature
de la prohibition de faire assurer deux fois le même ob
jet. Elle ne devait et ne pouvait s’entendre que d’une
1366.
�nouvelle assurance contractée pendant le cours de la pre
mière, suffisant à la garantie du risque entier. Ce que
le législateur n’a pas voulu permettre, c’est que le mê
me risque fût deux fois couvert en faveur de l’assuré,
l’assurance ne pouvant jamais devenir une occasion
d’augmenter son capital.
Dès lors, lorsque la première assurance ayant produit
tout son effet a cessé de couvrir le risque, l’assuré ne
pouvait être empêché de chercher ailleurs la garantie qui
lui manquait désormais. Il importe peu que les effets
sur lesquels la nouvelle assurance portera aient fait
l’objet d’une précédente assurance. Il suffit qu’au mo
ment de la souscription de la seconde , la première soit
épuisée, pour que cette souscription soit valable et obli
gatoire pour toutes les parties. Toutes les fois, en effet,
que l’assurance cesse avant l’extinction du risque, les
effets assurés jusque-là retombent aux risques et périls
de leur propriétaire. La nouvelle assurance ayant pour
objet de transmettre ces risques sur la tête du même as
sureur, ou d’un autre, a donc un aliment juste et légi
time. Elle ne pouvait donc, en droit, rencontrer aucun
obstacle.
— La police ne finira son effet avant l’expi
ration du risque que dans l’assurance à temps limité,
Il est évident que celle qui aura été consentie pour un
voyage, aller ou retour, ou aller et retour, n’aura pro
duit son effet que lorsque le voyage sera accompli,
rompu ou abandonné. Donc, jusque-là, les parties ne
1369.
�188
DROIT MARITIME.
peuvent respectivement s’exonérer de leurs obligations
que par une annulation aimablement consentie.
Mais dans une assurance à temps limité, soit qu’elle
ait été faite pour un certain nombre de jours ou de mois,
soit qu’elle ait été prise jusqu’à une certaine hauteur
sur mer, soit enfin pour une époque déterminée, l’ar
rivée du navire à la hauteur convenue, ou l’expiration
du temps prévu amène de plein droit la rupture du con
trat. Dès ce moment, l’assureur est à l’abri de tout ris
que, et l’assuré en position d’assurer valablement les ef
fets qu’il avait primitivement couverts par la police qui
vient d’expirer.
1368. — Telle est la disposition de l’article 363,
que la raison indiquait et que les législations précéden
tes avaient consacrée. Mais l’ordonnance de 1681 était
plus complète que le Code. La police, en effet, peut ne
déterminer un délai que par approximation du temps
dans lequel le voyage à exécuter par le navire est pré
sumé devoir s’accomplir.
En conséquence, l’ordonnance, après avoir consacré
le principe reproduit par le Code, ajoutait : Si le voyage
est désigné par la police, l’assureur court les risques du
voyage entier, à condition toutefois que si sa durée ex
cède le temps limité, la prime sera augmentée à pro
portion, sans que l’assureur soit tenu d’en rien resti
tuer, si le voyage dure moins.
JL369.
— Le commerce de Nantes, de Rennes, de
�Marseille demandaient que le Code s'appropriât et re
nouvelât celte disposition. La commission le jugea inu
tile. L’assurance, disait-elle, est faiie pour un temps li
mité ou pour un voyage entier, et, dans les deux cas, le
terme des risques est exprimé. On ne peut obliger l’as
sureur à outrepasser les limites qu’il a fixées dans le
contrat. Le temps des risques expiré, sa garantie n’a
plus lieu ; telle est la stipulation de son engagement.
En conséquence, la disposition réclamée rentre bien dans
celle de l’article 363.
M. Dalloz a raison lorsqu’il reproche à la commission
de n’avoir rien répondu à l’objection qui était présentée
dans l’ordonnance, comme dans les observations des
commercants de Nantes, Rennes et Marseille. Il ne s’a
gissait pas précisément d’une assurance à temps limité
ou pour un voyage déterminé. Ce que la première ré
glait, ce qu’on voulait que le Code réglât à son tour,
c’était cette assurance mixte, en quelque sorte, qui, faite
pour un voyage, détermine cependant le délai dans le
quel ce voyage doit être accompli ; on assure, et pour
le temps de quatre mois, un voyage de Marseille à la
Martinique. Ce n’était pas quel serait l’effet de l’expira
tion du terme qu’on cherchait, on se préoccupait uni
quement du moment auquel cette expiration serait ac
quise. Sera-ce à l’entrée du navire au port de destina
tion ? Résultera-t-elle de la seule échéance du terme ?
C’est ce que la commission omet de décider.
Or, cette solution ne rentre évidemment pas dans la
disposition de l’article 363, celle-ci ne se préoccupe que
�190
DROIT MARITIME.
des effets de l’expiration du risque à l’endroit des assu
reurs et des assurés, elle laisse donc dans le vague la
question de savoir à quel moment se réalise l’expiration
de la police dans l’assurance de la nature que nous ve
nons d’indiquer.
— La doctrine a dès lors été appelée à sup
pléer à ce silence. M. Delvincourt ne balance pas à se
prononcer dans un sens diamétralement opposé à celui
consacré par l’ordonnance de 1681 ; à son avis, comme
dans l’article 335, l’assurance pour un temps limité est
opposée à celle pour un voyage entier, il faut penser
que le Code n’a pas admis le système de l’ordonnance,
et que soit qu’il y ait ou non désignation du voyage, le
risque finit toujours avec le terme prescrit.
Il ne nous parait pas possible d’accueillir cette doc
trine dans ses termes absolus. On s’exposerait à mécon
naître non seulement la réelle intention des parties,
mais encore la vérité des choses.
Nous considérons comme beaucoup plus rationnelle
l’opinion de M. Pardessus, suivant laquelle c’est d’a
près les circonstances qu’on doit décider si le voyage dé
signé dans la police est l’objet principal on non du con
trat, et la limitation du temps un simple accessoire, ou
si le risque doit finir à l’époque fixée, malgré qu’elle
arrive avant que le voyage soit achevé.
1390.
— Nous acceptons cette manière d’agir, car
on ne saurait en contester l’évidente sagesse. C’est donc
1391.
�ART.
365, 364.
191
par les circonstances qu’on décidera de l’intention des
parties sur ce qui a fait le but et l’objet principal de
l’assurance,
Ces circonstances on les puisera d’abord dans les ter
mes de la police. Il est évident que si le contrat porte
qu’on assure pour trois ou six mois un navire parti ou
devant partir pour tel pays, l’assurance ne portera pas
sur le voyage. L’indication de la destination n’a ici d’au
tre objet que de déterminer la ligne du risque, elle sera
donc épuisée par la seule échéance du terme.
Mais comment le décider ainsi lorsque l’assurance
est prise de Marseille à la Martinique et pour un délai
de trois ou de six mois ? Dans cette seconde hypothèse,
la stipulation d’un délai n’indique qu’une seule chose,
à savoir, que dans la pensée commune des parties, le
voyage devait être accompli dans cette période, et que
c’est dans cette conviction que la prime a été fixée au
taux convenu ; si le voyage avait dû durer davantage,
celte prime eût été plus forte.
Personne n’ignore en effet que dans certains parages
la navigation devient à de certaines époques plus difficile
et plus chanceuse, ce sera souvent pour établir que la
prime a été calculée en dehors de cette prévision que la
police déterminera le délai qu’on a présumé devoir suf
fire à l’exécution du voyage.
Que peut-il dès lors résulter de ce que les accidents
de la navigation ont trompé cette prévision ? Que la po
lice sera épuisée par le fait seul de l’échéance du terme ?
Evidemment non, puisque en réalité l’assureur a ga-
�DROIT MARITIME.
192
ranli les risques de Marseille à la Martinique, son en
gagement ne peut donc s’éteindre que par l’arrivée du
navire dans ce dernier lieu, mais cet engagement peut
et doit être modifié. La prime notamment, calculée sur
la probabilité de la durée du voyage, ne désintéresserait
pas l’assureur des risques qu’il court pendant la pro
longation du terme. On devrait lui accorder un supplé
ment calculé, soit a prorata de celle convenue dans la
police, soit sur l’aggravation des périls que cette pro
longation a fait naître.
Au reste, il est de la prudence des parties d’expliquer
nettement leurs intentions pour éviter toute difficulté ;
cette intention ne pourrait être douteuse si, par exem
ple, la police stipulait une augmentation de prime pour
le cas où le voyage ne serait pas terminé dans le délai
prévu.
Mais, va-t-on objecter, vous revenez à la disposition
de l’ordonnance, malgré que le Code ne l’ait pas repro
duite?
D’abord il ne résulte pas de la discussion législative
qu’il ait été dans la pensée du conseil d’Etat de l’abro
ger. Ce que l’on a voulu dans l’article 363, c’est régir
spécialement le cas d’une assurance à temps limité.
Donc, s’il est admis que l’assurance porte sur le
voyage lui-même, elle n’est plus à temps limité, et l’ar
ticle 363 devient inapplicable. Donc, l’expiration du ris
que n’est acquis que par l’accomplissement du voyage,
ne serait-ce pas dans ce sens qu’on devrait interpréter
�ART. 363, 364.
193
la réponse que la commission faisait au commerce de
Nantes, de Rennes et de Marseille ?
Dès lors, si la responsabilité de l’assureur ne cesse
qu’à la fin du voyage, il sera vrai que la prime stipulée
pour un temps déterminé ne le couvrira pas de l’excé
dant du risque qu’il a couru.
On arrive donc, par l’application des principes géné
raux et en dehors de l’article 363, au résultat que l’or
donnance consacrait expressément, et que le Code n’a
certainement pas entendu proscrire.
En résumé donc, si la détermination d’un délai n’em
pêche pas l’assureur de répondre des risques du voyage;
si cette responsabilité a été l’objet principal de l’assu
rance, celle-ci n’est plus à temps limité, et l’article 363
est inapplicable. L’assureur n’est pas libéré, l’assuré n’a
pas la faculté de consentir une seconde assurance à l’é
chéance du terme.
— Le lieu ad quem, déterminé par la po
lice, est la limite naturelle et absolue du voyage assuré,
Le capitaine qui, sans y être contraint par une fortune
de mer, aurait négligé d’y aborder et conduit son navire
dans un port plus éloigné, serait évidemment sorti des
termes du contrat, l’assurance serait donc épuisée du
jour où le capitaine aurait été en mesure d’entrer au
port de destination. Les assureurs seraient libérés de
tous les risques ultérieurs, et la prime entière leur se
rait acquise.
Dépasser le port du reste et prolonger ainsi le par1393.
iv — 13
�DROIT MARITIME.
194
cours du navire, c’est, en réalité, changer le voyage.
Cela est tellement évident que, se référant à l’article 35 1,
la commission n’avait pas cru nécessaire de régir le cas
de prolongation. L’article 364 n’existait pas dans le
projet du Code. Le commerce de Nantes et celui de Ren
nes demandèrent qu’il y fût introduit pour éviter tou
tes mauvaises difficultés, ils craignaient, par exemple,
qu’on ne prétendît que prolonger le voyage, ce n’était
pas le changer ; qu’en conséquence l’article 351, spé
cial au changement, était inapplicable à la prolongation;
l’article 364, que cette crainte inspira, en prévient éner
giquement tous les effets ?
Aucune difficulté ne saurait donc s’élever ; dès que
le navire est parvenu à la hauteur de la destination in
diquée dans la police, et qu’il passe outre, l’assurance
est épuisée, la prime entière est acquise, les pertes ou
dommages ultérieurs ne peuvent être répétés des assu
reurs.
Comme pour le changement de voyage, la prolonga
tion peut n’avoir été qu’un projet que la navigation n’a
pas permis d’accomplir. En effet, le navire peut s’être
perdu avant d’avoir atteint la hauteur du port du reste.
Le sinistre s’étant ainsi réalisé dans la ligne des risques,
serait-il à la charge des assureurs ?
Si une intention de ce genre n’est pas la prolongation
matérielle prévue par l’article 364, elle constitue, dans
tous les cas, le changement de voyage prévu par l’arti
cle 351. La preuve de son existence et ses effets obéi
raient donc aux règles que nous avons exposées en com-
�art.
563, 364.
195
mentant ce dernier, et auxquelles nous n’avons qu’à
nous référer K
— La prolongation du voyage n’annule pas
seulement l’assurance d’aller, elle produit le même effet
sur celle de retour. Celui-ci ne pouvant plus s’opérer
dans les termes du contrat, le voyage convenu se trouve
rompu, ce qui dégage les assureurs de toute responsa
bilité.
Quels sont, dans cette hypothèse, les droits des as
sureurs ? Si l’assurauce est à prime liée, la prime de re
tour leur est acquise comme celle de l’aller. En effet, la
rupture volontaire après le risque commencé oblige l’as
suré à payer la prime entière. Or, dans l’assurance à
prime liée, le risque de l’ensemble du voyage commence
à courir du jour du départ du navire du port du char
gement. En conséquence, toute rupture postérieure à ce
départ oblige au paiement intégral de la prime,
Si le retour a été assuré par une police différente et
distincte de celle d’aller, le risque de la première ne
commence qu’à la fin de celui de la seconde, c’est-àdire légalement, lorsque le navire met à la voile du port
de destination pour celui désigné pour le retour, ou con
ventionnellement dès qu’il est entré dans le premier et
qu’il a procédé au chargement de retour.
Il est évident que si le voyage est prolongé, le risque
de retour n’a jamais commencé, puisque le navire n’est
1393.
1 Voy. supra n» 1293.
�196
DROIT MARITIME.
jamais entré dans le port de la destination d’aller. Dès
lors, la nullité résultant de cette prolongation n’est plus
que la rupture volontaire avant l’ouverture du risque.
Tout ce qui est dû aux assureurs de retour est donc l’in
demnité de demi pour cent.
— Le voyage qui ne peut être prolongé peut
être raccourci. Les assureurs seraient d’autant moins
fondés à se plaindre, que ce raccourcissement est tout
à leur avantage. En effet, la prime entière leur est due,
et cependant ils n’ont pas couru la totalité des risques
qu’ils avaient garantis.
Pour ce qui, concerne l’assuré, il suffit de remarquer
que le raccourcissement est son fait unique, pour qu’il
ne puisse pas trouver trop dure la condition qu’on lui
fait de payer la prime entière.
Le raccourcissement n’annule pas le contrat ; ce qui
en résulte, c’est que ce contrat a produit tout son effet,
et que l’assurance est épuisée si elle n’était que pour le
voyage dans le cours duquel s’est opéré le raccourcis
sement.
Le défaut d’annulation du contrat a un effet impor
tant dans le cas d’une assurance portant sur l’aller et le
retour. Si l’assurance est à prime liée, le retour s’opère
valablement du port dans lequel s’est arrêté le voyage
d’aller, les risques de ce point à celui où le retour doit
s’opérer restent donc à la charge des assureurs.
Il en serait de même, ainsi que nous allons le voir,
pour les assureurs qui auraient isolément garanti le
1394.
�retour, à condition toutefois que la police stipulât la fa
culté de faire échelle.
139 5. — La question de savoir s’il y a simple rac
courcissement ou rupture est donc d’un intérêt majeur
au point de vue de l’assurance de retour. Or, la solution
en appartient aux tribunaux, dont l’appréciation à cet
égard est souveraine l.
Malgré que cette appréciation n’ait d’autres éléments
que la conscience même du juge, il n’est pas hors de
propos de rappeler quelques règles devant exercer une
influence nécessaire. Ainsi, la faculté de raccourcir ne
comprend pas celle de dérouter. En conséquence, si le
port dans lequel le navire a fini son voyage est en de
hors de la route directe , l’entrée dans ce port constitue
une rupture de voyage et non un raccourcissement. Celte
rupture a même été acquise dès le moment où le navire
a dévié de sa route, et par conséquent avant même son
arrivée dans le port2.
Il ne suffirait même pas que le port abordé fût sur
la ligne directe, il faut encore que le capitaine ait été
autorisé à y entrer. En d’autres termes, le voyage ne
peut être valablement raccourci que dans un port d’é
chelle.
On a voulu contester cette règle, qu’on a considérée
comme trop sévère ; elle n’est cependant que la juste
conséquence des principes.
1 Cass.,
7 décembre 1838 ; J. du P., 1,1839, 46.
i Bordeaux, 3 février 1839.
�DROIT MARITIME.
198
Le capitaine non autorisé à faire échelle ne peut tou
cher à aucun des ports intermédiaires entre le lieu a quo
et celui ad quem. S’il viole cette prohibition, s’il entre
dans un de ces ports, le voyage est changé et par con
séquent rompu. C’est ce qui est unanimement admis et
reconnu. Dans quel cas appliquerait-on les effets de
cette rupture, si l’acte du capitaine n’était considéré que
comme un raccourcissement?
Ce qui est vrai dans le cas d’absence de faculté de
faire échelle, ne saurait pas ne pas l’être lorsque celte
faculté existant, le capitaine est entré dans un port qui
n’est pas au nombre de ceux auxquels il pouvait tou
cher. Cet acte n’est pas l’usage du droit de faire échelle,
il n’est qu’un abus, comme le serait l’entrée dans un
port quelconque, en l’absence de toute autorisation de
faire échelle.
Donc, par rapport aux ports non permis, il ne saurait
exister de différence entre la police permettant de faire
échelle et celle qui ne l’autorise pas. Dans aucun cas,
le capitaine ne peut les aborder. S’il se le permet, pour
ra-t-il continuer le voyage? Non, car les assureurs ne
manqueraient pas de soutenir, avec raison, que l’entrée
dans un port non permis a forcément rompu le contrat.
Or, ce résultat est incompatible avec l’idée de raccour
cissement. Celui-ci, en effet, implique un abandon pu
rement volontaire, uniquement dû à la volonté de l’as
suré. Il ne saurait donc exister lorsque cet assuré a
perdu la faculté de prolonger le voyage.
Ainsi, pour qu’il y ait raccourcissement et non rup-
�ART.
363, 364.
199
ture, il faut, de toute nécessité : 1° que le port où le
navire s’arrête, hors le cas de force majeure, soit sur la
ligne des risques tracée par la police d’assurance; 2° que
le navire ait été autorisé à y faire escale l.
Le premier terme de cette proposition pourrait être
modifié par les termes de la police. La condition serait
incontestablement remplie si, indépendamment du droit
de faire échelle, le capitaine avait la faculté de toucher
partout, d’aller à droite, à gauche, de rétrograder.
— Le raccourcissement du voyage d’aller ou
vre immédiatement le risque de retour, soit qu’il s’agisse
d’une assurance à prime liée, soit qu’il existe une police
différente et spéciale pour le retour. Cet effet, disionsnous tout à l’heure, est la conséquence logique du ca
ractère légal du raccourcissement. Puisqu’il ne saurait
motiver la nullité des assurances, faut-il bien qu’elles
aient leur cours régulier. D’ailleurs, le voyage peut être
raccourci, non seulement eu égard au point d’arrivée,
mais encore pour ce qui concerne le lieu de départ, si
la faculté de faire échelle permet d’opérer le retour d’un
port intermédiaire.
La jurisprudence a été appelée à consacrer cette règle,
par application de laquelle il a été jugé que lorsqu’un
navire est assuré par une compagnie pour le voyage
d’aller, et par une autre compagnie pour le voyage de
retour, avec faculté de faire échelle, ce dernier voyage
1396.
1 Paris, 16 août 1857 ; J .
du P.,
î, 1837, 396.
�200
DROIT MARITIME.
est commencé, et les risques sont à la charge des se
conds assureurs dès que le navire, sans partir précisé
ment du point de départ fixé pour le voyage de retour,
est parti d’un port intermédiaire pour se rendre au lieu
où le retour doit s’opérer l.
1 3 9 9 . — Cette doctrine est repoussée par M. Estrangin, même dans l’hypothèse d’une assurance à pri
me liée. Si le navire, dit-il, effectue son retour d’un lieu
d’échelle au port du départ sans avoir été au lieu de
destination, il y a rupture de voyage et, par suite, l’as
suré ne pourrait faire le délaissement en cas de prise du
navire au retour.
Mais pourquoi l’article 364 dispose-t-il : L’assurance
a tout son effet si le voyage est raccourci ? Comment con
cilier cette disposition avec la doctrine de M. Estrangin?
A n’en pas douter, celle-ci prohibe le raccourcissement
dans l’assurance à prime liée. Il y a donc une évidente
incompatibilité entre cette doctrine et le texte de la loi,
non moins qu’avec son esprit.
L’article 364, en effet, ne peut avoir pour objet que
l’assurance de retour. Le sort de celle-ci pouvait seul
faire difficulté, celle portant sur le voyage raccourci
se trouvant définitivement épuisée par l’abandon du
voyage.
M. Estrangin méconnaît donc l’esprit et les termes de
la loi. Il crée, dans tous les cas, une distinction fort ar1 B ordeaux, 89 jan v ier <833.
�ART. 3 6 3 , 3 6 4 .
201
bitraire, que rien dans la loi n’autoriserait, alors même
que tout ne la repousserait pas. Son opinion ne saurait
donc être suivie.
— Dans quelque hypothèse que ce soit, le
raccourcissement du voyage ne saurait nuire à l’assuré.
Il ne saurait non plus lui profiter au détriment des as
sureurs. Il ne pourrait donc s’en prévaloir pour de
mander une diminution proportionnelle de la prime.
Celle-ci reste acquise en entier dans tous les cas, sauf
les risques du retour, qui demeurent à la charge des
assureurs. Mais ce retour heureusement accompli, tout
comme lorsque le raccourcissement termine définiti
vement le risque, ce qui est dû aux assureurs c’est la
totalité de la prime stipulée, tout comme si le voyage
avait reçu sa pleine ht entière exécution. L’assuré pou
vait compléter cette exécution, et si son intérêt ou ses
convenances ne l’ont pas voulu ainsi, les droits des as
sureurs n’en sauraient être ni atteints ni modifiés.
Cet effet se produit, quelque important, quelque con
sidérable qu’ait été le raccourcissement. Ainsi que l’ob
servait Pothier, la loi ne distingue pas si le voyage a été
peu ou beaucoup raccourci, d’où il suit que si le navire,
après avoir mis à la voile, revient volontairement et surle-champ dans le port, les assureurs sont déliés de
leurs obligations, et la prime leur est irrévocablement
acquise. II suffit, pour que le paiement ne puisse en
être refusé, qu’ils aient commencé à courir les risques
1398.
�202
D ROIT' MARITIME.
dont elle est le prix pendant un certain temps, quelque
court qu’il ait été ï.
A r t ic l e 3 6 5 .
Toute assurance faite après la perte ou l’arrivée des
objets assurés est nulle, s’il y a présomption qu’avant
la signature du contrat l’assuré a pu être informé de la
perte, ou l’assureur de l’arrivée des objets assurés.
A r t ic l e 3 6 6 .
La présomption existe, si, en comptant trois quarts
de myriamètres par heure, sans préjudice des autres
preuves, il est établi que de l’endroit de l’arrivée ou de
la perte du vaisseau, ou du lieu où la première nou
velle en est arrivée, elle a pu être portée dans le lieu où
le contrat d’assurance a été passé, avant la signature du
contrat.
A r t ic l e 3 6 7 .
*
Si cependant l’assurance est faite sur bonnes ou mau
vaises nouvelles, la présomption mentionnée dans les
articles précédents n’est point admise.
�ART.
363, 366, 367, 368.
203
Le contrat n’est annulé que sur la preuve que l’as
suré savait la perte, ou l’assureur l’arrivée du navire
avant la signature du contrat.
A r t ic l e
368.
En cas de preuve contre l’assuré, celui-ci paye à l’as
sureur une double prime.
En cas de preuve contre l’assureur, celui-ci paye à
l’assuré une somme double de la prime convenue.
Celui d’entre eux contre qui la preuve est faite est
poursuivi correctionnellement.
SOMMAIRE
1379. L’article 365 est une dérogation au droit commun Motifs
qui l’ont fait consacrer.
1380. Condition exigée pour la validité du contrat. Sa nature.
1381. Caractère de la présomption que crée l’article 366. Modi
fication qu’elle introduit à l’ancienne jurisprudence, sur
le point du départ du calcul des distances.
1382. Nature de l’alternative consacrée par l’article 366.
1383. Comment se calcule la distance ? Conséquences.
1384. Véritable sens des termes avant ou après midi que l’as
surance doit renfermer.
1385. La présomption de l’article 366 est juris et de jure, mais
elle n’est pas la seule admissible.
1386. Différences entre elle et les présomptions ordinaires.
1387. Application des articles 365 et 366oà l’assurance faite par
le mandataire on commissionnaire. Conséquences.
�“204
DROIT MARITIME.
<388. Motifs qui, dans l’hypothèse de l’article 365, ont fait re
fuser toute indemnité.
<389. II peut être dérogé à l’article 366. De quoi résulterait la
dérogation ?
<390. Effets de la clause sur bonnes ou mauvaises nouvelles.
4391. Conséquences de la preuve positive de la connaissance de
l’événement.
fl:
<392.
P o sitio n d u m a n d a n t o u d u c o m m e tta n t, a u p o in t d e vue
d e l'a rtic le 3 6 8 .
<393. Nature de l’indemnité à payer par l'assureur.
<394. Quelle est la fin de non recevoir opposable à l’action de
l’assuré ou de l’assureur ?
<395. Droits de l’un ou de l’autre, quant à la poursuite crimitninelle. Peuvent-ils y recourir d’abord ?
<396. Quelle est la peine applicable ?
Il
il
1399. — En droit commun, le contrat qui a pour
objet une chose n’existant plus au moment où il inter
vient, est nul et de nul effet, malgré l’ignorance absolue
des parties. Il semble que cette règle devait d’autant
plus être appliquée en matière d’assurance, que déjà le
législateur a subordonné la validité du contrat à l’exis
tence d’un risque. Or, comment admettre ce risque, si,
au moment du contrat, l’objet à assurer n’en court plus
aucun, s’il a péri, ou s’il est heureusement arrivé ?
C’est cependant le contraire que consacre l’article 365.
L’épuisement du risque n’affecte en rien la régularité et
la validité de l’assurance, à la condition, toutefois, qu’au
moment de la signature de la police l’assuré ait ignoré
la perte, ou l’assureur l’heureuse arrivée. Quel a été le
motif de cette exception au droit commun ?
�ART. 365, 366, 567, 368.
SOS
On a prétendu que ce motif n’était autre que la bonne
foi évidente des parties. Mais pourquoi la bonne foi pro
duirait-elle ici un effet qu’on lui refuse péremptoire
ment en droit commun ? Est-ce que, d’ailleurs, en ma
tière d’assurance, la bonne foi, quelque incontestable
qu’on la suppose, peut valablement suppléer à l’absence
du risque? L’article 358 a déjà résolu cette question.
Le motif est donc ailleurs, et c’est dans la nature mê
me du contrat qu’on le rencontrera. Il importait de fa
voriser l’assurance dans l’intérêt du développement du
commerce maritime. Il fallait donc la dégager de toutes
les difficultés inhérentes à ce commerce lui-même. Bien
souvent, en effet, l’assurance doit être contractée à de
grandes distances, et la transmission de l’ordre ne peut
s’opérer que par la voie de mer. Des retards que le na
vire, porteur de cet ordre, peut subir, feront que cet
ordre n’arrivera à son destinataire que fort tard. De telle
sorte que, si la perte ou l’arrivée du navire, dans cet
intervalle, annulait l’assurance, l’assuré se trouverait
victime d’une force majeure dans le cas de perle, com
me il en profiterait au détriment des assureurs en cas
d’heureuse arrivée.
Disons donc avec M. Locré que c’est le caractère de
l’assurance et la faveur dont on a voulu l’entourer qui
a fait déroger au droit commun et au principe spécial
de la nécessité d’un risque. Le contrat ne pourrait plus
être fait qu’avant le départ ou le retour , et presque ja
mais pendant le voyage, s’il devait tomber toutes les
fois qu’il serait postérieur à l’événement. Un tel sysfè-
�206
DROIT MARITIME.
me diminuerait beaucoup l’usage et l’utilité de l’assu
rance, et comprimerait le développement du commerce
mari lime.
Le désir d’éviter un aussi grave inconvénient a donc
fait admettre une fiction. La loi ne considère l’événe
ment comme accompli que du jour où il a été ou pu
être connu de la partie intéressée. L’assurance contrac
tée en l’absence de cette connaissance est présumée avoir
précédé l’événement, et doit, en conséquence, produire
tous ses effets.
— Le caractère exceptionnel de cette dispo
sition, les fraudes nombreuses dont elle pourrait deve
nir l’origine ont, à juste titre, éveillé toute la sollicitude
du législateur. Il ne suffit pas qu’en fait l’assuré ou l’as
sureur ait ignoré l’événement, il faut encore qu’il n’ait
pas eu la possibilité de le connaître. Cela admis, il de
venait indispensable de déterminer quand et à quelles
conditions on devait admettre celte possibilité.
Son existence, non pas prouvée, mais seulement pré
sumée, entraînera la nullité du contrat. Or, cette pré
somption existera toutes les fois que la nouvelle de l’é
vénement a pu arriver au lieu où l’assurance est sous
crite avant la signature du contrat.
1380.
— Pour juger de cette seconde possibilité,
l’article 366 a tracé une règle précise et fixe. La pré
somption existe si, en comptant trois quarts de myriamètres (une lieue et demie) par heure, il est établi que,
1381.
�ART. 365, 366, 367, 368.
207
de l’endroit de l’arrivée ou de la perte du vaisseau, ou
du lieu où la première nouvelle en est arrivée, elle a pu
être portée dans le lieu où le contrat d’assurance a été
passé avant la signature du contrat.
La découverte et la création des télégraphes sous-ma
rins et électriques doivent nécessairement faire profon
dément modifier cette disposition. Ils ont en quelque
sorte aboli les distances. Telle nouvelle, dont la diffu
sion aurait exigé autrefois des semaines entières, pourra
aujourd’hui se répandre dans quelques heures.
Quoi qu’il en soit, ce que nous devons faire remar
quer, c’est que le Code s’est prononcé contre l’interpré
tation qu’on avait faite de l’ordonnance de 1681, à l’en
droit de la supputation du délai. L’amirauté de Mar
seille et le Parlement d’Aix avaient admis qu’on ne devait
jamais calculer la distance qu’à partir du port de terre
ferme où la nouvelle était d’abord arrivée. L’article 466,
prend au contraire pour point de départ du calcul des
distances le lieu et le jour de l’événement.
Il est vrai que l’article ajoute immédiatement : ou
du lieu où la première nouvelle en est arrivée. Mais ce
n’est pas !.à une véritable alternative dont les parties puis
sent exciper à leur choix. Ces derniers termes se réfè
rent à l’hypothèse où le navire ayant péri corps et biens,
il devient très difficile de connaître le moment et le lieu
du sinistre.
1383. — Les termes de l’article 366 ont encore un
autre but. Supposez que la nouvelle du sinistre ou de
�208
DROIT MARITIME.
l’arrivée soit parvenue dans un port de terre ferme,
avant le moment que supposerait le calcul de la lieue et
demie par heure, c’est de ce port et non plus du lieu de
l’événement qu’il faudrait établir le délai de la connais
sance au lieu du contrat. Il y aurait dès lors lieu à la
présomption de l’article 365, et à la nullité de l’assu
rance, si ce délai ainsi calculé faisait supposer la con
naissance avant la signature du contrat.
On le voit donc, l’alternative de l’article 366, loin
d’être en faveur de la partie alléguant l’ignorance, est
tout entière contre elle. Elle sera présumée avoir eu con
naissance si, par le calcul de la lieue et demie par heure,
l’événement a pu être connu au lieu de la souscription,
et le point de départ de ce calcul devra nécessairement
avoir pour base le point qui donnera le plus court délai.
— Le calcul prescrit par l’article 366 a tou
jours lieu de momento ad momentum. C’est pourquoi,
lorsque la police indique non seulement le jour, mais
encore l’heure de la souscription, on doit compter de
puis cette heure, en calculant l’espace de temps écoulé
depuis l’événement qui a mis fin au risque. Par exem
ple, si un navire parti du Havre le 1er juin, à huit heu
res du malin, avait péri après avoir parcouru la dis
tance de dix-huit myriamètres trois quarts (37 lieues et
demie), la police signée le 2, avant neuf heures du ma
tin, serait valable, et celle qui aurait été souscrite après
cette heure serait nulle l.
1383.
i Pardessus, n° 78o.
�Ici, il faudrait regretter que la proposition de rendre
obligatoire l’indication dans la police de l’heure précise
de la souscription n’ait pas été accueillie. Ce rejet laisse
exister une difficulté sérieuse. Dans l’hypothèse suppo
sée par M. Pardessus, voilà une police régulière et vala
ble si elle a été souscrite avant neuf heures du matin ;
nulle et sans effet, si elle n’a été souscrite qu’après. Que
décider donc de celle qui, conformément à la loi, se
bornera à énoncer qu’elle a été signée et convenue avant
midi ?
— Cette difficulté ne peut être résolue que
par la détermination du sens précis de ces expressions
avant ou après-midi. Or, à ce sujet, la doctrine n’est
pas d’accord. MM. Pardessus, Locré et Boulay-Paly es
timent que la police doit être présumée signée au der
nier moment de la partie du jour qu’elle indique. A midi,
si elle est déclarée faite avant midi ; au coucher du so
leil, si elle est datée de l’après-midi, ou si elle n’indique
que le jour de la souscription.
Mais telle n’était pas la doctrine de Pothier, et, à son
exemple, M. Dageville estime que la police doit toujours
être considérée comme faite à l’ouverture des bureaux,
soit le niatin, soit le soir.
Cependant la police, dans beaucoup de cas, sera va
lable ou nulle, selon que l’on adoptera l'une ou l’autre
de ces solutions. Le choix aura donc une véritable im
portance. Il n’en est pas plus facile pour cela, car les re
proches qu’on pourrait faire à la première s’appliquent
iv — 14
1384.
�DROIT MARITIME.
210
également à la seconde. En effet, s’il est peu probable
que la police ait été signée juste à midi ou au coucher
du soleil, il n’est pas plus vraisemblable qu’elle ait été
souscrite à l’ouverture des bureaux. On est donc exposé,
dans un cas comme dans l’autre, à consacrer le contraire
de la vérité, à maintenir une police nulle ou à annuler
une police valable.
Encore, si l’on pouvait, à l’aide d’une preuve testimo
niale, fixer l’heure précise à laquelle la police est inter
venue soit le malin, soit le soir, mais point. Aucune
preuve ne saurait être admise, et l’on se trouve forcé
ment en présence du doute et de l’incertitude que laisse
subsister la prescription de la loi.
Il faut donc choisir entre les diverses opinions que
nous venons d’indiquer, car il n’y a aucun juste milieu
possible. Dans cette nécessité, nous inclinerions pour
l’avis de MM. Pardessus et Locré, par application de la
règle de droit sur l’interprétation des conventions. Le
doute doit se résoudre contre le stipulant. Or, nous con
sidérons comme tel celui qui, excipant de l’heure réelle
de la souscription delà police, veut en déduire des con
séquences avantageuses pour lui. Il devait, en vue de
ces conséquences, s’expliquer dans le contrat de manière
à bannir toute hésitation et tout doute.
Sans doute, il a pu ne pas le faire sans contrevenir à
la loi n’exigeant que l’indication de l’avant ou de l’aprèsmidi, mais si la loi ne prescrit pas celle de l’heure pré
cise, elle ne la prohibe pas non plus. C’est donc à celui
qui prétend s’affranchir de la règle générale à prendre
�l’unique précaution devant lui garantir ce résultat. C’est
même la facilité qu’on a eu de se donner à cet égard
une preuve littérale, qui a fait et dû faire proscrire la
possibilité de la preuve orale.
— La présomption tirée du calcul des dis
tances est juris et de jure. Dès qu’elle est acquise en
faveur d’une partie et contre l’autre, la police est nulle.
Il n’est ni donné à la partie de prouver le contraire de
cette présomption, ni au pouvoir des tribunaux de main
tenir la police.
Mais le résultat négatif du calcul n’emporte pas le
maintien nécessairement et de plein droit. L’article 366
a soin de réserver toutes autres preuves. On pourra donc
justifier autrement, non pas que la partie a connu l’évé
nement, mais qu’elle a pu le connaître, cette possibilité
étant tout ce qu’exige l’article 365.
Comme de nature à faire présumer la connaissance,
on devrait s’arrêter à cette circonstance que l’événement
était répandu dans la localité, s’il y était de notoriété
publique. Le tribunal de Marseille, appelé à consacrer
le principe, faisait résulter la notoriété de cette circons
tance qu’une feuille publique étrangère annonçant l’évé
nement était arrivée sur les lieux du contrat le jour de
sa passation, et qu’elle y avait été répandue soit dans
divers lieux publics, soit parmi les commerçants ou cour
tiers de commerce.
Ainsi, tout ce qui est de nature à faire présumer que
l’assuré a pu connaître la perte, ou l’assureur l’arrivée,
1385.
�212
DROIT MARITIME.
peut être allégué et justifié par tous les modes de preuve,
cette preuve acquise, la nullité de l’assurance en serait
la conséquence.
1.386. — Il n’y a donc entre les présomptions or
dinaires et la présomption légale dérivant du calcul des
distances aucune différence dans les résultats, mais il en
existe une énorme quant à leur consécration. Ainsi que
nous venons de le voir, si cette dernière est acquise,
rien ne peut empêcher la nullité.
Les tribunaux, au contraire, sont toujours souverai
nement appelés à apprécier les présomptions ordinaires;
ils peuvent, tout en admettant le fait en lui-même, le
déclarer insuffisant pour entraîner la nullité ; décider,
par exemple, que le bruit qu’on prétend considérer
comme créant la notoriété publique n’était qu’une ru
meur vague, sans consistance, qui a pu être ignorée de
l’assuré ou de l’assureur. Leur décision à cet égard ne
saurait encourir la censure de la Cour de cassation.
138 *. — Dans l’assurance faite par le mandataire
ou le commissionnaire, l’existence de la présomption de
l’article 365 produirait tout son effet. Ainsi, si au mo
ment de la signature du contrat l’un ou l’autre avait pu
connaître la perte, il importerait peu que le mandant ou
le commettant l’eût absolument ignorée, l’assurance n’en
serait pas moins nulle.
Mais l’ignorance du mandataire ou du commission
naire ne ferait nul obstacle à la nullité si, ayant agi en
�365, 366, 367, 368.
213
vertu d’un ordre formel, l’auteur de cet ordre connais
sait ou avait pu connaître l’événement au moment où il
l’a transmis. On comprend qu’il ne saurait en être ainsi
dans le cas où le commissionnaire agissant à l’insu de
son commettant, avait fait l’assurance pour obéir aux
lois de la prudence, et pour accomplir les devoirs résul
tant de sa qualité. Son ignorance et sa bonne foi met
traient le contrat à l’abri de toute critique.
Mais toutes les fois que l’assurance est la conséquence
d’un ordre spécial, il ne suffit pas de la bonne foi de
l’intermédiaire. La présomption que celui qui a donné
l’ordre a pu connaître l’événement au moment où il le
transmettait acquise, l’assurance doit être annulée.
Si cette présomption de connaissance n’existe que
pour une époque postérieure à l’ordre, on doit distin
guer si l’assuré avait le pouvoir et le temps de révoquer
l’ordre, et qu’il ne l’ait pas révoqué, ou même si, dans
le doute sur l’arrivée à temps de la révocation, il ne
prouve pas avoir pris toutes les mesures que comman
dait cette révocation, l’assurance est nulle.
Mais elle devrait être maintenue si la révocation faite
sans aucun délai n’était arrivée qu’après le contrat. Dans
ce cas, l’ignorance certaine au moment de la transmis
sion de l’ordre légitime toutes les conséquences de cette
transmission que l’assuré s’est efforcé, mais qu’il n’a pu
prévenir malgré sa diligence.
ART.
— L’article 365 se contente de prononcer la
nullité de l’assurance, sans accorder aucune indemnité
1388.
�DROIT MARITIME.
214
contre l’auteur de la nullité. Le silence gardé à cet égard
équivaut à un refus formel, ainsi que l’établirait au be
soin la disposition de l’article 368.
Mais ce refus s’explique suffisamment par la nature
du fait donnant lieu à la nullité. Une indemnité est une
peine, elle n’est donc juste que dans le cas où la fraude
ou la faute qui en motive l’allocation est clairement et
positivement établie.
Or, dans l’hypothèse de l’article 365, la nullité n’a
pour base qu’une présomption, mais une présomption,
quelque fortes que soient les probabilités sur lesquelles
elle repose, peut quelquefois n’être pas l’expression de
la vérité, et laisse place au doute ; si ce doute ne pou
vait suffire pour faire maintenir le contrat, il devait au
moins empêcher toute allocation de dommages-intérêts.
— La disposition de l’article 365 n’est pas
d’ordre public, on peut donc y déroger et renoncer à
son bénéfice, c’est ce qui se pratique à Marseille. L’ar
ticle 31 de la police imprimée déclarant que les parties
renoncent réciproquement à la présomption légale de la
lieue et demie par heure.
Cette dérogation n’a pas même besoin d’êre formel
lement stipulée ; aux termes de l’article 367, elle résul
terait de la stipulation que l’assurance est faite sur
bonnes ou mauvaises nouvelles. Une pareille clause an
nonce, de la part de celui qui la fait insérer dans la
police, des doutes, des inquiétudes qui exerceront une
1389.
�565, 366, 367, 368.
215
influence nécessaire sur la détermination du taux de la
prime.
ART.
— Mais si cetie clause exclut la présomption
de l’article 365, elle ne saurait autoriser que l’assuré la
rende un moyen de fraude en l’employant à dissimuler
la connaissance qu’il aurait de la perte. Que la déroga
tion à cet article soit légale ou conventionnelle, elle ne
peut jamais autoriser l’assurance d’une chose qu’on sait
avoir péri, son unique résultat n’est et ne peut jamais
être que celui-ci : dans le cas de l’article 365, il suffit
que l’assuré soit présumé avoir pu connaître la perte ou
l’assureur l’heureuse arrivée ; dans celui de l’article 367,
la preuve offerte doit avoir pour objet d’établir, non pas
que l’assuré ou l’assureur a pu connaître l’événement,
mais qu’il le connaissait en réalité au moment de la si
gnature du contrat K
1390.
— Cette preuve acquise déterminerait infail
liblement la nullité de l’assurance. M. Estrangin ensei
gne même que cette nullité devrait être prononcée si
l’assureur a su qu’une partie du risque avait cessé par
la connaissance qu’il a eu, lors du contrat , que le na
vire sujet ou porteur du risque était entré dans un port
intermédiaire.
Un autre effet de la preuve positive que la loi exige,
c’est la condamnation de la partie convaincue à indem1391.
1 Aix, 46 avril 4839; J. du F; 4, 4839, 608.
�rmjmÊKi
~
....
DROIT MARITIME.
216
niser l'autre, c’est la poursuite correctionnelle dont elle
doit devenir l’objet. Assurer une chose qu’on sait ne
plus exister, exiger une prime pour la garantie d’un ris
que qu’on sait ne pas devoir courir, c’est commettre un
délit et une fraude, c’est attenter à l’intérêt privé com
me à l’ordre public, on devait donc le punir à ce dou
ble point de vue.
En conséquence, s’il est prouvé qu’au moment du
contrat l’assuré connaissait la perte, l’assureur sera non
seulement à l’abri de toute action, mais il devra recevoir
une somme double de la prime convenue ; si l’assureur
a connu l’heureuse arrivée, il sera tenu de payer à l’as
suré une somme représentant également le double de la
prime. Cette peine est ici plutôt la conséquence du ca
ractère de l’acte que du préjudice que cet acte a pu oc
casionner, celui-ci disparaissant avec l’annulation de la
police.
— Cette nullité est acquise contre le mandant
ou le commettant, comme conséquence de la fraude dont'
serait convaincu le mandataire ou le commissionnaire :
Quis mandat ipse videtur fecisse. Il répugnerait d’ail
leurs à la morale que quelqu’un pût s’enrichir de la
fraude de son représentant, l’assurance serait donc an
nulée.
Mais la double prime ne saurait être imposée au man
dant ou au commettant que si la fraude lui est person
nellement imputable, soit comme auteur, soit comme
complice, en conséquence, si cette fraude est le fait ex1399.
�365, 366, 367, 368.
217
clusif du mandataire ou du commissionnaire, c'est lui
et lui seul qui devra payer la double prime.
ART.
1393. — Enfin, la somme que l’assureur est obligé
de payer, dans le cas de l’article 368, doit sortir entière
de sa caisse, il ne pourrait prétendre la compenser avec
la prime stipulée, et n’offrir qu’une somme égale. La
nullité de la police enlève tous droits à la prime. Or, si
l’assureur pouvait faire la compensation que nous indi
quons, il aurait réellement perçu tout ce que la police
lui promettait, elle aurait donc produit en sa faveur tous
ses effets, ce qui est inconciliable avec la nullité dont
la loi l’a frappée.
Non seulement l’assureur ne pourrait compenser ,
mais si la prime lui avait été payée, il serait tenu de la
rembourser et de payer ensuite une somme double, telle
est la conséquence forcée de l’article 368.
— Cet article ne comporte aucune fin de
non recevoir, tirée de l’exécution que la police aurait
reçue. La fraude, en effet, peut n’être découverte qu’après cette exécution, qui ne saurait dès lors créer aucun
obstacle à la répétition, par l’assureur du montant de
la perte, de la prime par l’assuré, et à l’exigence de l’in
demnité accordée par l’article 368. La seule fin de non
recevoir susceptible de faire repousser l’action, serait
celle tirée de la prescription édictée par l’article 432.
1394.
1395.
— Le législateur a voulu que celui contre
�^
'
,
218
DROIT m a r it im e .
qui la preuve de la fraude est acquise soit poursuivi
correctionnellement ; résulte—t-il des termes de l’arti
cle 368 que la partie poursuivante est libre de saisir à
son gré le tribunal correctionnel ou le tribunal de com
merce ?
M. Locré ne reconnaît pas cette faculté, incontestable
en droit commun, pour tous ceux qui se trouvent lésés
par un crime ou par un délit, il enseigne de plus que,
dans l’hypothèse, la seule action ouverte est l’action cor
rectionnelle.
Nous pensons comme M. Locré que la partie n’a pas
d’option, mais nous estimons qu’elle ne peut investir
que le tribunal de commerce.
Le doute, à notre avis, pourrait naître si l’article 368
avait dit : Celui contre qui la preuve est faite sera puni
correctionnellement. On pourrait voir dans ces expres
sions qu’en conférant le droit de punir, le législateur a
par cela même conféré celui de rechercher si le délit
existe en fait et en droit.
Mais, dans cette hypothèse elle-même, nous ne sau
rions admettre l’impérieuse nécessité d’investir la juri
diction criminelle ; la volonté de déroger au droit com
mun en matière de poursuites par la partie civile ne ré
sulterait ni explicitement, ni implicitement d’une pareille
disposition.
Telle n’est pas d’ailleurs celle de l’article 368, le lé
gislateur se borne à déclarer : Celui d’entre eux con
tre qui la preuve est faite est poursuivi correctionnelle
ment.
�365, 366, 567, 568.
219
De là , à notre avis, cette conséquence que l’existence
de la preuve est le préalable indispensable de la pour
suite correctionnelle, celle-ci est impossible tant que
cette existence n’est pas acquise, elle ne le sera légale
ment que lorsqu’elle aura été admise par une décision
judiciaire définitive.
C’est donc à poursuivre celle-ci que doit d’abord s’ap
pliquer la partie lésée, et devant qui pourra se réaliser
celte poursuite, si ce n’est devant le tribunal de com
merce ?
Mais, dit-on, après la décision de la juridiction civile,
la partie n’ayant plus d’intérêt ne serait pas recevable à
intenter l’action correctionnelle. Mais où trouve-t-on que
le législateur ait entendu que cette poursuite fût réalisée
par cette partie? Les termes de l’article 368 répugnent
à cette interprétation, et de leur ensemble il est permis
d’induire que c’est surtout en vue de l’action publique
que l’obligation de la poursuite correctionnelle a été ins
crite dans la loi.
D’ailleurs, l’intérêt réel de la partie réside bien plus
dans la nullité de la police que dans l’application d’une
peine quelconque. Cependant les faits articulés, insuffi
sants pour motiver cette application, peuvent être de na
ture à déterminer la nullité que le tribunal correction
nel ne peut prononcer que s’il y a eu condamnation.
Comment donc contraindre la partie à accepter la chance
d’un acquittement et à subir ainsi deux procès, lors
qu’elle n'en a qu’un seul à débattre, en recourant au
tribunal de commerce. Celui-ci, en effet, peut toujours
ART.
�DROIT MARITIME.
220
prononcer la nullité de la police, alors même qu’il dé
clarerait que les faits ne rentrent pas dans l’application
de l’article 368.
Mais, objecte-t-on, investir de préférence le tribunal
de commerce, c’est assurer l’impunité au coupable, l’ab
sence d’un officier du parquet écartant toute possibilité
de poursuites à la requête du ministère public.
Nous répondons que celui-ci peut être saisi en tout
temps par la plainte de la partie intéressée ; qu’il peut
prendre l’initiative sur la notoriété publique qu’un fait
de ce genre ne manquera pas de soulever ; qu’enfin, le
tribunal de commerce a le devoir de provoquer son ac
tion, en ordonnant que copie de son jugement sera
adressée par le greffier au procureur de la République.
Ainsi, à défaut d’initiative du ministère public, la
partie intéressée non seulement peut, mais encore doit
investir le tribunal de commerce. Les termes de l’article
368 ne peuvent recevoir une autre interprétation.
— La loi se tait sur la peine encourue par
celui qui a commis l’acte prohibé par l’article 368. Nous
croyons que cet acte étant essentiellement frauduleux, la
dissimulation qui le constitue, ayant pour objet d’inspi
rer la fausse croyance d’un événement chimérique, est
une véritable escroquerie tombant sous le coup de l’ar
ticle 405 du Code pénal.
Il est vrai que cet article semble exiger autre chose
qu’une dissimulation, qu’un mensonge quelque grave
qu’il soit. Mais l’article 368 du Code commerce renfer1396.
�221
368, 366, 367, 368.
me une dérogation à la règle ordinaire, puisqu’il pro
clame la dissimulation qu’il prévoit, un délit.
Nous hésitons d’autant moins à adopter cette doctri
ne, que nous ne faisons que suivre la jurisprudence.
Ainsi, il a été maintes fois jugé que l’individu qui entre
dans une auberge ou un cabaret, et s’y fait servir un
repas qu’il sait être dans l’impossibilité de payer, com
met le délit d’escroquerie. Que fait-il, cependant, si ce
n’est dissimuler son impuissance à faire face à la dé
pense à laquelle il se livre ; si cette dissimulation est
punie par l’article 405, lorsqu’il s’agit d’escroquer quel
ques francs, comment la considèrerait-on à un autre
point de vue, lorsqu’elle tend à soustraire des centaines
de mille francs à la caisse des assureurs. On ne saurait
l’admettre sans reconnaître que l’article 368 ne prescrit
les poursuites correctionnelles que pour aboutir à une
absolution forcée, ce qu’on ne pourrait supposer.
art .
139© bis. _ Dans son Traité des Assurances,
Emérigon écrivait : Je n’ai jamais vu de procès crimi
nels sur cette matière, et même je n’ai aucun exemple
que, parmi nous, la peine de la double prime ait été
prononcée. Nous sommes plus heureux ou plus malheu
reux qu’Emérigon, nous venons d’assister à un procès
criminel pour violation du devoir imposé par l’article
368 du Code de commerce.
Le 3 janvier 1857, vers les onze heures et demie du
matin, le sieur Dromocaiti se présente dans le bureau
de M. Locard, courtier d’assurances à Marseille, il lui
�222
DROIT MARITIME.
donne l’ordre de faire assurer 120,000 fr. sur charge
ment et 70,000 fr. sur corps du navire les Trois-Sœurs
capitaine Simon, de Scala-Nova à Marseille. Dans l’a
près-midi du même jour, il se rend de nouveau chez le
courtier pour s’assurer de l’exécution de cet ordre. Il y
retourne le surlendemain 5, pour presser la réalisation
de l’assurance, qui ne tarda pas à être entièrement cou
verte.
Le 8 du même mois, Dromocaïti fait ouvrir un advenant pour porter la valeur du chargement à 150,000
francs et celle du navire à 85,000 francs, demeurant
ainsi son propre assureur pour l’excédant des sommes
indiquées dans l’advenant sur celles portées par la po
lice. Cet advenant, successivement présenté aux assu
reurs, est signé par tous, sauf deux, dont un, M. Bou
quet, connaissait la perle du navire au moment où sa
signature était requise.
En effet, le vapeur le Protis, arrivé à Marseille le
9 janvier, y annonçait l’échouement du navire les TroisSceurs, à la date du 28 décembre. Cette nouvelle était
publique à Marseille, et, le 12, le Sémaphore insérait
dans ses colonnes le rapport de mer du capitaine du
Protis, qui la mentionnait.
Le 20 janvier, Dromocaïti faisait offrir aux assureurs
ses services pour le sauvetage, et leur demandait s’ils
consentaient, pour éviter frais, à ce que, conformément
à ce qui se pratique, le délaissement fût signifié à un
seul pour tous.
Mais, à cette époque, les soupçons des assureurs
�365, 366, 367, 368.
223
étaient éveillés. Des rapports circonstanciés leur avaient
appris que l’échouement était connu à Constantinople
le 1er janvier, ce qui rendait probable que Dromocaïti
en. eût été instruit dès le 3. Leurs recherches à ce sujet
aboutirent à la découverte qu’effectivement, dans la ma
tinée de ce jour, une dépêche télégraphique annonçant
le sinistre était réellement arrivée à la maison Dromo
caïli.
Ainsi, non seulement les offres de Dromocaïti furent
repoussées, mais encore, dans une réunion qui eut lieu
le 23, de 6 à 7 heures du soir, les assureurs nommèrent
quatre commissaires pour préparer une plainte et provo
quer des poursuites judiciaires. C’est dans la même soi
rée et plus tard que Dromocaïti proposait à l’agent des
assureurs d’annuler l’assurance.
Cependant, le ministère public, informé de ce qui se
passait prit l’initiative, et Dromocaïti, arrêté, fut traduit
devant le tribunal correctionnel de Marseille.
II ne contestait pas l’arrivée de la dépêche dans la
matinée du 3, mais il soutenait que, reçue par sa sœur,
ouverte par sa mère, on la lui avait cachée, que ne
l’ayant connue que le 23, il s’était empressé le même
jour de proposer la nullité de l’assurance. Dans tous les
cas, il prétendait que le fait ne tombait pas sous le coup
de la loi pénale.
Un jugement fortement motivé repousse la défense de
Dromocaïti et le condamne à trois ans de prison. iMais
sur l’appel, et par arrêt du 14 mars 1857, la Cour d’Aix
ART.
�224
DROIT MARITIME.
réforme ce jugement, mais par des moyens de droit
qu’il importe d’examiner.
« Attendu, dit la Cour, que le 3 janvier dernier, vers
les onze heures et demie du matin, la dépêche télégra
phique suivante a été portée au domicile du prévenu,
propriétaire du navire les Trois-Sœurs, capitaine Simon,
parti deScala-Nova pour Marseille, avec un chargement
de blé et de cocons :
« Constantinople, 2.
« M. Dromocaiti fils, à Marseille,
« Simon échoué devant Tchesméh. — Navire en dan« ger. — Chargement sera sauvé. — Carava et Pail« loux rendus sur les lieux. »
« Attendu que, vers la même heure, Dromocaiti se
rendait au bureau du courtier Locard, où il donnait
l’ordre de faire assurer 120,000 fr. sur partie du char
gement et 70,000 fr. sur corps de ce navire, assurance
qui, après d’autres allées et venues de Dromocaiti, a fini
par être remplie le 3 dudit mois ; que cependant, le 10,
on sut à Marseille , par le vapeur le Protis, arrivé la
veille au soir, que le 28 décembre le navire les TroisSœurs avait échoué sur un récif en face de Tchesméh,
qu’on n’avait pu lui venir tout de suite en aide à cause
de la grosse mer, et que le lendemain, au départ du
Protis, il était encore dans cette position avec une voie
d’eau considérable ;
« Attendu que plus tard une lettre de Smyrne an
nonçait l’entier bris du navire, le dernier jour de décem-
�365, 366, 367. 368.
225
bre, avec sauvetage de l’armement et d’une grande par
tie de la cargaison ;
« Attendu que, dans ces circonstances, Dromocaiti
prétend qu’à l’époque de la signature de la police, il ne
connaissait pas encore la dépêche télégraphique, laquelle
remise à sa sœur en son absence, puis ouverte et rete
nue par sa mère, ne lui aurait été communiquée que le
23 janvier, jour où il est allé proposer l’annulation de
l’assurance à ses assureurs ;
« Mais attendu que, en bien appréciant tous les ac
tes de sa conduite, depuis le 3 jusqu’au 23 janvier, et
les divers événements qui s’y rattachent, on demeure
convaincu du contraire ;
« Puis, que si l’on arrive jusqu’à admettre comme
possible qu’il ait ignoré la dépêche, lors de sa première
entrevue avec le courtier d’assurance, tout indique du
moins qu’il a dû la connaître avant la signature de la
police ;
« Qu’il ne reste donc plus qu’à examiner quelles sont
les conséquences juridiques de cette conduite du pré
venu, au point de vue des poursuites actuellement diri
gées contre lui, pour savoir si le fait tombe sous l’ap
plication de la loi pénale ;
« Attendu, à cet égard, que quelque blâmable que
soit l’action de Dromocaiti, on est obligé de décider
qu’elle n’est atteinte ni par les articles 367 et 368 du
Code de commerce, ni par l’article 45 ou tout autre ar
ticle du Code pénal ;
« Qu’en effet, le Code de commerce ne prescrit les
ART.
iv — 15
�226
DROIT MARITIME.
poursuites correctionnelles que sur la preuve que l’as
suré savait la perte, ou l’assureur l’arrivée du navire
avant la signature du contrat ; tandis que, dans la cause,
la dépêche arrivée au prévenu le 3 janvier ne lui appre
nait que le simple échouement de son navire mis en
danger, mais non encore perdu, et lui disait que le char
gement serait sauvé ;
« Qu’il n’y a que l’échouement avec bris qui doive
être considéré comme établissant la perte du navire, et
qui en autorise le délaissement, un navire échoué, sans
bris, pouvant être relevé, soit par le mouvement même
des flots et la force du vent, soit par le secours des hom
mes ou d’un autre navire ;
D’oii il suit que Dromocaiti n’a commis qu’une des
réticences coupables qui, d’après l’article 348 du Code
de commerce, entraînent la nullité de l’assurance com
me ayant diminué l’opinion du risque, mais non la
faute encore plus grande d’avoir fait assurer des objets
perdus, sachant bien qu’ils étaient perdus, faute que
l’article 368 commande de poursuivre correctionnelle
ment ;
« Que, en présence d’une disposition si rigoureuse,
il n’est pas permis d’assimiler un danger de perte, quel
que grand qu’il soit, et des probabilités plus ou moins
fortes d’avaries avec la perte effective dont parle la loi,
qui renvoie devant les tribunaux répressifs l’assuré qui
a caché aux assureurs la connaissance qu’il avait de
cette perte avant la signature de la police ;
« Attendu que cette solution dispense la Cour de re-
�565, 566, 367, 368.
227
chercher quelle doit être la conséquence du renvoi en
police correctionnelle, prononcée par l’article 368 ;
« Attendu, d’autre part, qu’on ne trouve point dans
l’action de Dromocaïti les manœuvres frauduleuses ca
ractérisées dans leur but et dans leurs moyens par l’ar
ticle 405 du Code pénal, pour constituer le délit d’es
croquerie, lesquelles doivent être extrinsèques et se rat
tacher à quelque acte extérieur destiné à leur donner
crédit ; qu’on ne saurait attribuer ce caractère à la réti
cence calculée qu’a employée le prévenu, afin de par
venir à faire assurer son navire et sa marchandise, puis
que, sans avoir besoin de rien combiner, ni d'ourdir
aucune ruse, il s’est borné à taire la nouvelle télégraphi
que du 3 janvier, en donnant son ordre au courtier
d’assurance ; que son retour plus ou moins fréquent au
bureau de ce courtier, pour s’enquérir du résultat, n’a
été que la simple continuation de sa première démar
che, sans addition d’aucun moyen ou mensonge nou
veau ; que, enfin, les signatures successives de la police
par ses divers assureurs, sur la présentation à eux faite
de bonne foi par le courtier, ne sont que le fruit et le
but de la réticence de l’assuré, de sorte qu’on ne peut
considérer les premières comme des manœuvres de Dromocaiti, pour obtenir celles qui les ont suivies; qu’elles
ne seraient telles que dans le cas où elles auraient été
apposées par complaisance, afin de servir à faciliter l’ob
tention des autres ;
« Attendu que, à défaut de l’article 405 du Code
pénal, aucun autre article de ce Code n’a été invoqué et
ART.
�DROIT MARITIME.
228
ne peut être invoqué contre le prévenu ; si bien que
force est à la justice, esclave de la loi, de déclarer que
cette déloyale conduite ne constitue ni délit, ni contra
vention punissablex. »
On aime à voir nos magistrats appliquer, dans l’exer
cice du pouvoir de punir, cette conscience timorée, ce
respect profond et absolu de la loi. Une erreur, inspirée
par de pareils sentiments, ne cesse pas d’être honora
ble, quelque regrettable qu’elle puisse paraître et être.
La Cour d’Aix a cru se conformer à la loi, et elle n’a
pas dû hésiter à remplir ce devoir. L’a-t-elle réellement
appliquée ? Qu’on nous permette d’en douter.
Ce que la loi a voulu dans l’article 368 du Code de
commerce, c’est de préserver les assureurs, exposés à
tant de dommages, à tant de ruses, à tant de fraudes,
du dol consistant à venir prendre dans leur caisse le
montant d’une perte déjà réalisée , sous prétexte d’une
chance aléatoire de gain que l’assuré saurait ne plus
exister au moment du contrat. L’absence de cette chan
ce fait perdre à la convention toute raison d’être, lui
enlève son caractère le plus essentiel, le plus indispen
sable.
Voilà pourquoi on a longtemps douté, non-seulement
en doctrine, mais même en législation, de la validité
d’une assurance sur choses réellement péries au moment
du contrat, sans qu’aucune des parties en eût connais
sance. Ainsi, le règlement d’Anvers exigeait que la sous-
1 B ulletin des arrêts de la Cour d 'A ix , 1887, p. 64.
�cription de l’assurance limitât le hasard, et que l’as
suré vérifiât que le navire était encore en état lors
de l'assurance. La Rote de Gênes consacrait la même
règle, en annulant le contrat lorsque la chose assurée
n’existait plus au moment de sa souscription, quoique
la partie en ignorât la perle.
Ce qui a fait prévaloir l’opinion contraire, c’est cette
maxime du grand Cujas : Ilia quœ confertur in prœsens, vel preteritum dicitur quasi conditio, vel quasi
conditionis stipulatio. On en a conclu que l’opinion
pouvait avoir la force de donner une existence légale à
une chose déjà périe C
Reste que, pour que l’assurance soit possible, il faut
que la chose assurée existe ou soit de bonne foi consi
dérée comme existant au moment du contrat. Mais pour
que l’opération soit régulière, pour que l’opinion puisse
légitimer l’assurance et ne devienne pas une occasion
permanente de préjudice pour les assureurs, il faut
qu’ils en sachent autant que l’assuré, et vice versa.
Or, sans connaître la perte, l’assuré peut avoir des
doutes sur son existence. Des circonstances plus ou moins
significatives lui auront inspiré des inquiétudes, des
craintes, il est tenu de déclarer les uns, de faire connaî
tre les autres. Le silence qu’il aurait gardé à cet égard
annulerait l’assurance, aux termes de l’article 348. La
connaissance de ces doutes, de ces inquiétudes, de ces
craintes, n’eût pas peut-être empêché l’assureur de traii Em érigon, Gh. 15, se«t. 2.
�230
DROIT MARITIME.
ter ; mais il eût exigé d’autres conditions, et cela suffit
pour qu’on le délie d’un engagement qui n’est plus que
le résultat de l’erreur et de l’ignorance dans laquelle on
l’a laissé.
Mais si, au lieu d’un doute, d’une crainte, d’une in
quiétude, l’assuré a la certitude d’un sinistre, d’une for
tune de mer, pouvait-on se flatter qu’il la communi
querait à ses assureurs ; s’en trouverait-il un seul qui
voulût accepter un risque déjà acquis. La raison indi
quait que celui qui serait assez déloyal pour faire assu
rer après l’événement, mettrait tous ses soins à dérober
la connaissance qu’il a lui-même de cet événement, et
à écarter tout ce qui serait de nature à découvrir plus
tard sa fraude.
Mais alors la nullité de l’assurance ne suffisait plus.
Seule elle n’était pas dans le cas d’arrêter des spécula
tions tendant à s’attribuer des sommes considérables
moyennant une faible prime. D’ailleurs, il fallait une
satisfaction aux assureurs si indignement abusés, à la
foi publique si outrageusement violée.
Toutefois, cette peine extraordinaire n’était équitable
qu’en présence d’un fait positif et avéré; aussi, tant que
la connaissance ne résulte que de la présomption établie
par l’article 367, le doute que toute présomption laisse
planer sur la vérité vraie existe. On s’est donc contenté
d’annuler l’assurance. Mais si la preuve positive de la
connaissance est acquise, l’article 368 condamne à la
double prime, et veut que l’auteur du fait soit poursuivi
correctionnellement.
De cette économie générale de la loi, résulte pour
�251
363, 366, 367, 368.
nous la conviction que l’article 368 ne dispose pas seu
lement pour le cas de perte totale. Ce que l’article 365
prohibe, c’est l’assurance faite après coup et par consé
quent la tentative de prendre dans la caisse des assu
reurs les sommes qu’on doit puiser dans sa propre
caisse.
Le Code n’a pas rompu avec les précédents législatifs.
Or, de tout temps, l’avarie elle-même a été considérée
comme une perle. C’est ainsi notamment que le règle
ment d’Arnslerdam plaçait sur une même ligne les mar
chandises déjà déprédées, gâtées ou perdues.
L’article 365 ne renouvelle plus ces expressions, qu’a
vait-il besoin de le faire, lorsque le mot générique qu’il
employait ne pouvait avoir un autre sens. Si l’assurance
après la perle est illégitime, comment celui qui l’aurait
faite sciemment échappera-t-il à la peine de l’article
368, si, d’ailleurs, l’avarie est une perte.
Or, peut-on lui contester sérieusement ce caractère.
La chose qui valait avant 10,000 fr., n’en voudra plus
après que 3, que 5, que 8, et les assureurs qui seront
obligés de payer 10, lorsqu’ils ne recevront que 3, 5
ou 8, ne perdent-ils pas réellement la différence, à la
quelle s’ajouteront les frais de sauvetage. Chose remar
quable, il y aura délit si l’on tente de se faire payer
10,000 fr., et ce délit n’existera plus si on essaye de
prendre 7, 5 ou 2,000 fr. Le caractère de l’acte dépen
dra donc de l’importance de la partie de la fortune d’au
trui qu’on aura voulu soustraire.
Un pareil résultat répugne trop à la raison et au droit
art.
�232
DROIT MARITIME.
pour qu’on puisse lui reconnaître un fondement juridi
que. Si le texte de la loi permet le doute, son esprit
l’exclut. Elle a voulu, dans un intérêt évidemment pu
blic, protéger les assureurs contre les tentatives ruineu
ses autant que déloyales, qui pouvaient les dégoûter de
leur profession et tarir ainsi un des plus puissants, des
plus énergiques éléments du commerce, et conséquem
ment de la prospérité publique. Etait-ce trop que d’exi
ger des assurés qu’ils s’abstinssent de s’exonérer, aux
dépens des assureurs, d’une perte déjà acquise et con
sommée, et d’honnêteté sous la garantie d’une sanction
pénale énergique.
En résumé, la perte, en matière d’assurances, s’en
tend de tout événement de mer donnant lieu à la res
ponsabilité des assureurs. On ne peut assurer que ce qui
est encore intact ou ce qui peut être ou est considéré
comme tel ; que la perte soit totale ou partielle, l’effet
est le même, sauf son étendue, puisque, si dans ce der
nier cas, le délaissement ne peut avoir lieu lorsque la
perte ne s’élève pas aux trois quarts, les assureurs n’en
seront pas moins obligés d’indemniser intégralement
l’assuré, et de payer les frais de sauvetage. Leur sur
prendre de mauvaise foi cette obligation en leur cachant
la vérité dont on est soi-même instruit, c’est plus qu’une
déloyauté, c’est un véritable vol.
Donc, celui qui reçoit la nouvelle que son navire est
échoué et en danger, à qui on fait seulement espérer
que le chargement sera sauvé, et qui s’empresse de faire
assurer comme s’il ne savait rien, commet évidemment
�235
368, 366, 367, 368.
le délit prévu par l’article 368, si le fait prévu par cette
disposition constitue un délit. S’il y a escroquerie dans
la tentative de prendre aux assureurs une somme de
10,000 francs, cette escroquerie n’en existera pas moins
lorsque la tentative s’appliquera non aux 10,000 francs,
mais à une partie de cette somme plus ou moins forte.
Reste à examiner si le fait prévu par l’article 368
constitue l’escroquerie punissable. Sur ce point, nous
différons encore d’opinion avec l’arrêt de la Cour d’Aix.
Comment, en effet, admettre que le législateur ait pres
crit une poursuite correctionnelle, si elle devait fatale
ment, nécessairement aboutir à une absolution.
Sans doute, en thèse ordinaire, l’existence de manœu
vres extrinsèques à l’acte est nécessaire pour constituer
l’escroquerie. On ne pouvait admettre à se plaindre ce
lui qui, devant et pouvant vérifier les déclarations qui
lui sont faites, aurait été, en réalité, victime d’une cré
dulité sans exemple, et aurait agi avec une légèreté in
admissible.
Or, telle n’est pas la position des assureurs, ils ne
peuvent s’assurer de l’exactitude des faits qui vont deve
nir la matière du contrat ; la loi, loin d’exiger d’eux
cette recherche, les en a dispensés, elle a si bien com
pris que la foi publique était leur unique garantie, qu’elle
les délie de leurs engagements en cas de fausse déclara
tion faite sans mauvaise foi.
Cette position spéciale justifiait une exception à la rè
gle commune, avec d’autant plus de raison que cette
exception rentrait dans l’esprit de l’article 405 du Code
ART.
�234
DROIT MARITIME.
pénal. C’est ce que MM. Chauveau et Faustin Hélie éta
blissent avec tant de sagacité.
« Le législateur, diseni-ils, a essayé de poser une li
gne de démarcation entre les faits frauduleux qui, sim
ples pour eux-mêmes et faciles à déjouer, ne présentent
point un véritable danger, et ceux qui, plus compliqués,
mieux ourdis, alarment la sécurité des citoyens, parce
qu’ils peuvent, h chaque moment, surprendre leur pru
dence. La loi pénale ne doit intervenir que lorsque les
faits se produisent avec un caractère grave qui permet
de les saisir, lorsque les citoyens, impuissants à s’en ga
rantir par eux-mêmes, ont besoin de la protection de la
justice V.
La conséquence de cet esprit de la loi a fait que le ca
ractère des manœuvres doit être envisagé, moins quant
aux actes qui les constituent que relativement à la per
sonne qui en a été victime. Les faits, ajoutent nos sa
vants criminalistes, ne peuvent être appréciés que dans
leurs rapports avec la sagacité et la prudence de la per
sonne qui a été leur dupe ; leur caractère est subor
donné aux qualités de l’esprit, à la position sociale, à la
profession même de cette personne; ce qu’il faut exa
miner, ce n’est p’us si les faits étaient de nature à trom
per la prudence ordinaire des hommes, puisque cette
prudence a tant de degrés, et que les précautions sont
plus ou moins grandes, suivant la position de chacun
d’eux ; il faut examiner si ces faits étaient capables d’é1 Théorie du Code pén., t. 5, p. 353.
�365, 366, 367, 568.
235
garer la prévoyance dont celui qui se plaint devait être
doué, de tromper les connaissances et la sagacité que
suppose son état, son éducation, sa position ; en un mot,
il faut examiner si celui-ci a été téméraire ou impré
voyant, s’il a commis une faute en s’abandonnant trop
facilement à de grossières illusions K
Voilà donc l’économie de la loi, ce qui, pour l’un, ne
constitue pas une manœuvre, le constituera pour l’au
tre, et comment ne pas voir celle-ci dans l’acte dolosif
lui-même, lorsque par la profession qu’il exerce, celui
qui en a été victime devait nécessairement le devenir,
comment veut-on que celui qui pour tromper n’a be
soin que de mentir, se livre à d’autres manœuvres, fau
dra-t-il donc qu’il trouve dans cette position l’occasion
de ruiner impunément celui dont il lui plaira de s’attri
buer les dépouilles.
N’est-ce pas d’ailleurs ce que la cour d’Aix jugeait
lorsqu’elle punissait comme escroc celui qui, entrant
dans un cabaret, s’y faisait servir un repas qu’il savait
ne pouvoir pas payer ? Mais si le cabarelier doit croire
à la solvabilité des consommateurs, l’assureur ne doit
pas moins faire foi à la sincérité de l’assuré, comment
donc ce qui est vrai pour l’un ne le serait-il pas pour
l’autre.
Il y a donc escroquerie véritable toutes les fois que
l'acte la constituant s’adresse à une personne qui devait
en être nécessairement victime ; toutes les fois qu’on ne
ART.
1 Ibid, p. 259.
�256
DROIT MARITIME.
pourra lui adresser ni reproche de légèreté, ni reproche
d’imprudence; toutes les fois enfin qu’il n’a été victime
que parce qu’il a cédé aux exigences de sa profession.
La loi doit protéger ceux qui ne peuvent se protéger euxmêmes. Cette protection est surtout due à ces professions
qui, n’ayant d’autre fondement que la foi publique, ar
riveraient bientôt à une ruine inévitable si une pénalité
sévère ne venait les garantir contre la trop grande faci
lité des abus.
Pouvait-on hésiter lorsqu’il s’agissait du commerce
des assurances ? Fallait-il s’exposer à voir périr sous les
atteintes de la cupidité et de la mauvaise foi une indus
trie si précieuse, d’une utilité si évidemment incontesta
ble ? Mais un pareil résultat prenait les proportions d’un
malheur public, et c’est pourquoi l’article 368 a voulu
l’éloigner par la sévérité de la peine qu’il édicte contre
la fraude.
Ainsi, condamner comme escroc celui qui assure une
chose qu’il sait être perdue eu tout ou en partie, c’est,
non violer l’article 405 du Code pénal, mais en faire
une juste application ; dans tous les cas, l’article 368
serait une exception à l’article 405 qui, statuant pour
les cas ordinaires, laissait à la loi spéciale les hypothè
ses qu’elle régit expressément.
C’est ce que le tribunal correctionnel de Marseille
avait pensé. Nous ne pouvons mieux résumer et clore
notre discussion qu’en transcrivant les motifs qui l’a
vaient déterminé à condamner :
« Attendu que la loi exige d’abord l’emploi de ma-
�237
365, 366, 367, 568.
nœuvres frauduleuses pour persuader l’existence de faus
ses entreprises, d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire,
ou pour faiTe naître l’espérance ou la crainte d’un suc
cès, d’un accident ou de tout autre événement chimé
rique ;
« Attendu qu’elle ne détermine point en quoi peu
vent consister les manœuvres frauduleuses ; que cette
appréciation est laissée à la conscience du juge, mais
qu’il est admis qu’elles doivent consister en actes de na
ture à déjouer les calculs ordinaires de la prudence hu
maine, et à surprendre la bonne foi par des menées fal
lacieuses et propres à inspirer la confiance ;
« Attendu que l’acte dolosif peut constituer lui-mê
me la manœuvre frauduleuse, lorsque celui qui en est
victime ne peut, dans l’usage ordinaire, le vérifier et
doit le tenir pour sincère et véritable ;
art .
« Attendu que les assureurs ne peuvent, lorsqu’on
leur présente une police à signer, vérifier quelle est à
cet instant la position du navire ; que l’assuré seul pos
sède des renseignements à cet égard, et que la loi lui
fait un devoir impérieux de tout communiquer aux as
sureurs, sous peine de nullité du contrat, car l’assurance
étant essentiellement aléatoire, toutes les chances , ou
risques doivent être connues des deux parties pour que
le consentement ne soit point le résultat de l’erreur ou
du dol ;
« Attendu qu’en pareille matière le dol de l’une des
parties est non seulement, comme dans tout autre con-
�238
DROIT MARITIME.
trat, une cause de nullité et de dommages-intérêts, mais
que le législateur le considère comme un dol criminel,
puisque la preuve de ce dol suffit pour motiver les pour
suites correctionnelles, etc., etc. »
Notre opinion était ainsi formulée lorsque la Gazette
des Tribunaux nous a fait connaître la décision de la
Cour de cassation. Sur le pourvoi du procureur général,
l’arrêt d’Aix a été cassé, et voici pour quels motifs :
« Attendu qu’il résulte des dispositions combinées
des articles 365 et 368 du Code de commerce, que lors
que une assurance est faite par un assuré qui savait la
perte du navire ou des objets assurés, cette fraude n’an
nule pas seulement l’acte dans ses effets civils ; que, par
une déclaration expresse du législateur, il existe alors un
délit ; qu’au moyen du mensonge dont l’assuré a usé
envers lui, l’assureur, en effet, a été entraîné dans une
erreur invincible; qu’il a signé la police croyant que les
chances de mer pourraient encore lui être favorables, et
déterminé ainsi par l’espérance d’un événement chimé
rique que lui déguisaient les manœuvres de l’assuré ;
qu’une tromperie si grave, qui peut avoir des résultats
désastreux pour la fortune de l’assureur et qui vicie
dans son essence un contrat tout de bonne foi, a été jus
tement assimilée par le législateur au délit de l’article
405 du Code pénal ;
« Qu’ainsi, une fois la preuve acquise d’un tel fait,
l’article 368 du Code de commerce ordonne que des
poursuites correctionnelles soient intentées ; que celte
disposition impérative de la loi ne peut être purement
�365, 366, 367, 368.
239
comminatoire, et conduit à l’application nécessaire et
forcée des peines de l’article 405 du Code pénal l. »
La cour de Nîmes, devant laquelle la cause avait été'
renvoyée, a déclaré qu’en fait il n’était pas établi que
Dromocaiti eût connaissance de la dépêche lorsqu’il
contractait l’assurance. Elle a, en conséquence, réfor
mé le jugement du tribunal de Marseille et renvoyé Dromocaïti de la plainte. Ce résultat satisfait surtout à la
morale.
art.
S E C T IO N
T R O IS IÈ M E
Du Délaissement
Article
369.
Le délaissement des objets assurés peut être fait ;
En cas de prise,
De naufrage,
D’échouement avec bris,
D’innavigabilité par fortune de mer,
En cas de perte ou détérioration des effets assurés,
si la détérioration ou la perte va au moins aux trois
quarts.
~ -L
..
1 Gazette des Tribunaux des 20, 21 ju illet 1887
�DROIT MARITIME.
240
Il peut être fait, en cas d’arrêt du gouvernement,
après le voyage commencé.
A r t ic l e
370.
Il ne peut être fait avant le voyage commencé.
A r t ic l e
371.
Tous autres dommages sont réputés avaries, et se
règlent entre les assureurs et les assurés, à raison de
leurs intérêts.
SOMMAIRE
1397. But el objet de l’assurance. Actions qui en naissent.
1398. Objet de celle en délaissement. Sa nécessité.
1399. Obligation de le réaliser, même lorsque tout a péri dans
le naufrage.
1400. Difficultés que l’effet du délaissement pouvait faire surgir.
Conséquences.
1401. L’article 369 est limitatif et restrictif.
1402. Faut-il, indépendamment d’un des faits qu’il prévoit,
qu’il y ait perte totale ou presque totale des effets assu
rés ? Doctrine ancienne et moderne.
1403. Conséquences.
1404. Le délaissement est purement facultatif pour l'assuré.
Conséquences.
1405. Fins de non-recevoir qui peuvent être invoquées. Pres
cription ou abandon du droit. Caractère de celui-ci.
�ART.
369, 370, 371.
241
1406. De quels actes s’induirait la renonciation tacite? Pour
suite en règlement d'avaries.
1407. Caractère des dérogations dont l’article 369 est suscep
tible.
1408. Influence de la prise du navire sur le droit de délaisser.
Dissidence sous le droit ancien.
1409. S’est continuée sous l’empire du Code. Comment elle doit
être tranchée.
1410. Effets de la prise pour cause de contrebande.
1411. Conséquences du naufrage à l'endroit du délaissement.
1412. Conséquences de l’échouement. Ancienne législation.
1413. Quelle doit être l’importance du bris, pour qu’il y ait lieu
à délaissement ? Doit-il être absolu ou sufSt-il qu’il soit
partiel ?
1414. Son appréciation est souverainement laissée à la prudence
des juges. Exemples divers.
1415. Effets de l'échouement avec bris à l’endroit de l’assuré
sur facultés.
1416. Le délaissement peut être fondé sur l’innavigabilité. Cau
se pouvant la déterminer.
1417. Son caractère.
1418. Est-ce à l’assuré à prouver la fortune de mer, ou à l’as
sureur à justifier du vice propre ?
1419. Déclaration de 1779. Effets des procès-verbaux de visite
qu’elle prescrit.
1420. Législation actuelle à ce sujet. Conséquences.
1421. A défaut de présentation des procès-verbaux de visite.
dans les cas où le Code prescrit celle-ci, l’assuré est ad
missible â fournir la preuve de la fortune de mer. Na
ture de cette preuve.
1422. Effets de la dispense de la visite dans les voyages pour le
cabotage.
1423. L’innavigabilité doit être déclarée. Par qui ? En quelle
forme ?
iv — 46
�242
DROIT MARITIME.
4 424. Caractère de la décision rendue par le consul ou par le
juge de la localité.
4425. Difficulté qui peut surgir de l’innavigabilité survenue
après l'arrivée. Comment elle doit se résoudre.
4426. L’arrêt d’une puissance étrangère donne lieu au délaisse
ment. Conséquences.
4427. Quid, de la défense de laisser passer certaines marchan
dises, ou de les laisser rétrograder?
4428. Actes constituant l’arrêt du prince. A quelles conditions.
4429. Effet de l’arrêt par le gouvernement. A quelle époque
doit-il se réaliser ?
4430. Quand le voyage est-il censé commencé ?
4434 . Le délaissement est recevable pour détérioration ou perte
des trois quarts au moins. Modifications à l’ordonnance
de 4684.
4 432. Comment se déterminent l’une et l’autre ?
4433. Nature de la mission confiée aux experts. Bases sur les
quelles ils doivent établir la valeur actuelle de la mar
chandise.
4434. Mission des tribunaux lorsque les résultats de la vente
s’écarteront des conclusions de l’expertise.
4435. Est-ce par la valeur actuelle fixée par les experts ou par
la somme nécessaire pour les réparations qu’on doit
fixer la détérioration du navire ? Arrêt de Paris dans ce
dernier sens.
4436. Caractère de cet arrêt. Arrêt contraire de la cour de Bor
deaux.
4 437. Sur quoi doit porter la détérioration ou la perte donnant
lieu au délaissement ? Effets de la vente en cours de
voyage.
4438. Le défaut de livraison au lieu de destination constitue la
perte. Jurisprudence conforme.
4439. Effets de l’arrivée de la chose assurée à sa destination.
4440. Comment se règle la question de contribution aux frais
�ART.
1441.
1442.
1443.
1444.
1445.
369, 370, 371.
243
de sauvetage et à ceux occasionne's par le sinistre ?
Quand devra-t-on l’assimiler à la perte ?
Sur quels objets s’établit la perte dans l’assurance sur
corps ou facultés.
Quid, dans celle sur somme» prêtées à la grosse ?
Importance à l’endroit du délaissement du caractère de
l'assurance.
La renonciation au délaissement résulterait-elle de la ré
ception des marchandises après la connaissance du si
nistre, sans protestations ni réserves ?
Caractère de la disposition de l’article 371.
— Le but et l’objet de l’assurance est de met
tre l’assuré à l’abri de toutes les chances fâcheuses de
la navigation. Les assureurs prennent à leur charge tout
le risque du voyage, et répondent dès lors de la dété
rioration et des pertes occasionnées par fortune de mer.
De là une double action en faveur de l'assuré, celle
en règlement d’avaries, lorsque la détérioration souf
ferte ne constitue pas le sinistre majeur, celle en délais
sement, lorsque l’événement a occasionné la perte to
tale ou presque totale de l’objet assuré.
Cette dernière, dans l’examen de laquelle nous en
trons, a pour conséquence de contraindre l’assureur au
paiement intégral de la somme pour laquelle il s’est en
gagé. Mais ce but ne peut être atteint que si l’assuré a
réalisé le délaissement, c’est-à-dire l’abandon de la chose
qui a fait la matière de l’assurance.
1399.
nécessité de ce délaissement était la
conséquence du caractère que notre droit a toujours as1398. — La
�DROIT MARITIME.
244
signé à l’assurance. Elle n’a jamais pu devenir l’occa
sion ou le moyen d’un profit pour l’assuré. C’est ce qui
se serait réalisé cependant s i, en recevant le montant
de l’assurance, il était resté en possession des débris de
la chose assurée. L’application qu’il se serait faite de
leur valeur aurait ajouté à son capital et constitué un
véritable bénéfice pouvant, suivant les cas, s’élever au
quart de ce capital. Il n’y avait donc pas à hésiter, l’as
suré ne pouvait, dans aucun cas, recevoir le prix et re
tenir la chose. Cette dernière, quelle qu’elle fût, appar
tenait de droit à ceux qui remboursaient le premier,
c’est-à-dire aux assureurs.
C’est ce qui résulte en effet du délaissement ; celui de
qui il émane n’a plus aucun droit sur la chose qui en
fait l’objet. La propriété passe sur la tête des assureurs
pour le compte exclusif de qui le sauvetage s’opère, sauf
le concours des prêteurs à la grosse dans l’hypothèse
prévue par l’article 331.
— L’obligation de faire le délaissement est
donc la condition préalable de la poursuite contre l’as
sureur. Cette obligation est générale et absolue, elle doit
être remplie alors même que le navire et la cargaison
Ont été engloutis dans les flots.
Casarégis et après lui quelques auteurs voulaient que
l’assuré pût, dans ce cas, se dispenser de toute forma
lité. Mais cette opinion n’a jamais été suivie, on l’a re
poussée d’abord parce que les débris d’un naufrage peu
vent n’être recouvrés que longtemps après ; ensuite,
1399.
�V.
245
369, 370, 371.
parce qu’à défaut d’objets matériels, il peut rester des
droits à poursuivre, des actions à intenter, celle, par
exemple, en paiement d’une partie de marchandises
qu’on avait cru perdue, mais qui, débarquée et vendue
avant le sinistre, se trouverait encore impayée entre les
mains des acheteurs ; en un mot, parce que la question
de savoir si le délaissement sera ou non improductif
pour les assureurs, ne peut être résolue que dans un
avenir plus ou moins lointain.
ART.
1400. — L’effet naturel du délaissement pouvait et
devait faire prévoir les difficultés sérieuses dont il mena
çait d’être l’origine. L’intérêt des assureurs à s’y sous
traire ne saurait être méconnu, car les quelques rares
circonstances dans lesquelles il pourrait leur être avan
tageux, ne le verront jamais s’accomplir, puisque, com
me nous allons le voir, il est absolument livré à la vo
lonté de l’assuré.
L’intérêt de celui-ci est diamétralement contraire à
celui des assureurs, plus le délaissement pourra leur
préjudicier, et plus l’assuré s’efforcera de le faire ad
mettre pour s’exonérer des conséquences que le règle
ment d’avaries entraînerait, ne fût-ce que celle de rete
nir pour son compte une partie des marchandises pour
laquelle une baisse survenue sur le marché de consom
mation menace d’une perte certaine.
Ce conflit devait donc éveiller toute la sollicitude du
législateur, et le déterminer à préciser les cas dans les
quels l’assuré pourrait recourir à ce remède extrême.
�246
DROIT MARITIME. C’est ce que n’avait pas manqué de faire l’ordonnance
de 1681, c’est ce que, à son tour, le Code fait par l’ar
ticle 369.
— Cet article est essentiellement limitatif et
restrictif. Le doute ne pouvait s’élever sous l’empire de
l’ordonnance, disposant que le délaissement ne pourrait
être fait que... Cette locution ne se rencontre plus dans
notre article 369, et cette suppression aurait pu faire
naître la controverse.
Mais si l’expression diffère, la volonté, l’intention est
restée la même. La doctrine est unanime à cet égard.
Ce qui lui sert de fondement, c’est la disposition de l’ar
ticle 371 : Tous autres dommages sont réputés avaries
et se règlent entre les assureurs et les assurés à raison
de leurs intérêts. Or, puisque dans tous les cas non pré
vus par l’article 369, il n’ÿ a lieu qu’à un règlement
d’avaries, il est évident que le caractère essentiellement
restrictif de celui-ci ne pouvait être méconnu.
1401.
-- A côté de cette difficulté ainsi tranchée
par la loi, il s’en est élevée une autre. On s’est demandé
si le délaissement est de plein droit admissible, dès qu’on
se trouve dans un des cas prévus par l’article 369 ? S’il
ne fallait pas qu’à cette cause se joignît la perte totale
ou presque totale de la chose assurée qu’on voulait dé
laisser ?
Ces questions avaient été diversement appréciées sous
notre ancien droit. Valin se prononçait pour la néces4403.
�247
369, 370, 371.
sifé de la perte totale ou presque totale, et estimait
qu’elle était dans tous les cas la condition essentielle du
délaissement.
Mais comment dans ce système expliquer le texte mê
me de l’ordonnance. L’article 46, au titre des assuran
ces, autorisait le délaissement en cas de prise, naufra
ge, bris, échouement, arrêt de prince ou perte entière
des objets assurés. Si l’opinion de Yalin était exacte,
celte nomenclature n’était qu’une inutilité. En réalité,
il n’y avait qu’une seule cause de délaissement, la perte
entière.
Dès lors, puisque le législateur distinguait, s’il attri
buait à chacune des causes qu’il énumérait un effet
identique à celui résultant de la perte entière, c’est qu’il
condamnait formellement l’opinion de Valin.
Cette conclusion, logique autrefois, ne saurait être
contestée sous l’empire du Code. L’article 369, tout en
modifiant l’ordonnance, en a maintenu les principales
dispositions et consacré les causes du délaissement. Le
naufrage, la prise, l’échouement avec bris, l’innavigabilité par fortune de mer, l’arrêt du prince sont encore
sur la même ligne que la perte ou détérioration des trois
quarts.La seule différence qui distingue celle-ci des pre
mières, résulte des obligations que quelques-unes de
celles-ci imposent à l’assuré, obligations prévues par les
articles 387 et suivants. Suivant l’observation de M. Lo
cré, il devient dès lors plus impossible de supposer chez
le législateur l’intention d’exiger pour celles-là d’autres
conditions que celles qu’il a édictées expressément ; d’en
àrt.
�248
DROIT MARITIME.
exiger aucune à l’égard de celles pour lesquelles il n’a
rien prescrit.
— Donc le naufrage, l’échouement avec bris,
la prise, l’arrêt du prince donnent ouverture au délais
sement, quelle que soit la perte éprouvée par les effets
assurés. Le fait est ici décisif et les motifs de le décider
ne manquaient certes pas..
Celui qui fait assurer ne cherche pas seulement à
veiller à la conservation de son capital, il veut encore
n’être pas privé trop longtemps de ses fonds, tant afin
de pouvoir former de nouvelles entreprises, que pour
satisfaire aux engagements que l’expédition manquée lui
a fait contracter. Or, la liquidation de la perte, après un
naufrage ou un échouement avec bris, pouvait occasion
ner une perte de temps considérable.
En second lieu, que seraient devenus les effets sauvés
pendant la durée de cette liquidation ? Ils auraient été,
jusqu’après la décision, sous une espèce de séquestre,
puisqu’on ne sait pas encore à qui ils appartiendront.
De là des frais plus ou moins considérable et une dépré
ciation matérielle facile à prévoir. A cet inconvénient
grave, s’en joignait un autre non moins certain. L’as
sureur, s’il succombait, pouvait avoir perdu l’occasion
de les vendre avantageusement. L’assuré, s’il était con
damné à les reprendre, les recouvrerait souvent à une
époque où il ne lui serait plus possible d’achever la spé
culation qu’il avait tentée pour le placement ou pour
les retours ; et le commerce, qui ne s’alimente que par
1403.
�569, 370, 371.
249
la circulation des marchandises, qui fleurit d’autant plus
que cette circulation est plus rapide, souffrirait lui-mê
me de ces stagnations partielles et de celles qu’elles amè
neraient en arrêtant des opérations qui se lient et nais
sent les unes des autres
Ce sont là tous les inconvénients qu’il importait de
prévenir par une règle précise et uniforme. Cette règle,
on la demanda à ce qui était dans le cas de se réaliser
le plus souvent. Ordinairement le naufrage ou l’échouement avec bris entraînera la perte totale ou presque to
tale. Cette présomption, indiquée par la nature des cho
ses, a prévalu, elle est même juris et de jure, et ne
comporte pas la preuve contraire.
Cette doctrine était cejle d’Emérigon qui en concluait
qu’on devait distinguer deux sortes de perte : la légale
et la réelle. La première, est un nom de droit ; la se
conde, est la privation absolue des choses assurées. Cette
distinction, ajoutait Emérigon, quelque subtile qu’elle
soit, a toujours paru le seul moyen de saisir le véritable
sens de l’article 46 2.
Cette doctrine, à laquelle la pratique s’était confor
mée, au témoignage de Valin lui-même, est celle qu’on
doit suivre sous l’empire du Code. Le délaissement est
recevable et doit être admis dès qu’en fait l’un des si
nistres majeurs indiqués dans l’article 369 s’est réalisé,
quelle que soit d’ailleurs la perte matérielle qui en soit
ART,
i Locré, Esprit du Code de commerce, art. 369.
3 Chap. 47, sect. 2, § 5.
�DROIT MARITIME.
280
résultée. Nous aurons l’occasion de signaler bien des
exemples de l’application de cette règle par la jurispru
dence.
Peut-il, doit-il en être de même lorsque par une
clause expresse la police restreint le droit de délaisser
au cas où la perte excéderait les trois quarts de la valeur
des objets assurés ?
L’affirmative semble s’induire tout naturellement de
la doctrine d’Emérigon. Si, comme l’enseigne ce célèbre
jurisconsulte, le sinistre majeur fait légalement présumer
la perte totale et si cette, présomption est juris et de
jure, la condition exigée serait plus qu’accomplie.
Il faudrait donc admettre qu’une clause de la nature
de celle que nous supposons ne se réfère qu’à l’hypothè
se d’une avarie et ne saurait s’étendre à celle d’un si
nistre majeur.
C’est ce que décidait an 1823 une sentence arbitrale
rendue par trois célèbres et profonds jurisconsultes de
Marseille, MM. Thomas, Emérigon et Désolliers père, et
cette décision avait, pendant plus de trente ans, été ac
complie comme règle unique par les assureurs de cette
place si importante.
En 1856, on esseya de la contester mais sans succès.
Le tribunal de commerce, .après avoir constaté cette
longue pratique, juge qu’on doit la suivre encore. En
conséquence, il décide que les marchandises chargées
sur un navire qui a fait naufrage sont valablement dé
laissées aux assureurs, encore bien qu’elles aient été
sauvées en entier, et qu’une clause de la police subor-
�369, 370, 371.
231
donne le délaissement à la perte ou détérioration ma
térielle des trois quarts au moins de la valeur.
Devant la cour d’Aix, les assureurs soutenaient l’inap
plicabilité de l’article 369 du Code de commerce à la
disposition duquel la police d’assurance avait explicite
ment dérogé ; ils induisaient cette dérogation des ter
mes : perte ou détérioration matérielle ce qui selon
eux excluait la perte légale.
Mais la Cour répond que toute marchandise étant
chose corporelle ne saurait être détériorée que matériel
lement ; qu’ainsi la qualification de matérielle ajoutée
à détérioration dans l’article 19 de la police était une
redondance ; que les expressions détérioration matérielle
ne peuvent avoir d’autre signification que celle-ci : dé
térioration de la chose corporelle assurée, delà marchan
dise elle-même, ce qui s’induisait tant de la perte légale
que de la perte réelle et effective.
En conséquence, confirmant le jugement, déclare :
« Que le tribunal a fait à la cause une juste application
« des saines doctrines de notre droit maritime, doc« trine qu’une pratique journalière, incontestée pendant
« trente-trois ans, a sanctionnées et suivant lesquelles
« tout sinistre majeur et spécialement le naufrage des
« facultés assurées, constitue par lui-même une perte
« autorisant l’abandon des objets assurés, au cas de la
« perte légale qui n’est qu’un “'nom de droit, comme
« au cas de la perte réelle qui est la privation abso« lue de la chose, en d’autres termes, tout sinistre ma« jeur une fois consommé, donne toujours lieu au déART.
�252
DROIT MARITIME.
« laissement que la perte ait été réelle et absolue ou
« simplement légale1. »
Nous considérons cet arrêt comme éminemment ju
ridique. Au moment où le naufrage se réalise, la mar
chandise est non seulement légalement mais encore ma
tériellement perdue. Sans doute elle peut être sauvée,
mais ce ne sera évidemment que par un fait postérieur
au naufrage, et si, comme tout le monde l’admet, le
droit de délaisser est acquis par le fait du naufrage,
comment concevoir qu’un acte postérieur , quel qu’en
soit le résultat, puisse en arracher le bénéfice ? Un pa
reil effet ne saurait raisonnablement s’induire des clau
ses de la police, à moins de supposer la renonciation
formelle à la faculté de délaisser, et l’obligation de s’en
tenir à un règlement d’avaries même au cas de sinistre
majeur.
La cour de Bordeaux ne l’a pas pensé ainsi. Elle ju
geait, le 22. décembre 1857, que l’article 12 de la po
lice n’autorisant le délaissement que dans le cas d’une
perle matérielle excédant les trois quarts, avait dérogé à
l’article 369 ; que les mots perte matérielle étaient évi
demment employés par opposition à la perte légale, et
en vue d’écarter toute fiction de droit pour ne tenir
compte que du fait et de la réalité ; que cette dérogation
ne blessant aucune règle d’ordre public devenait la loi
des parties et devait être respectée comme telle par les
tribunaux 2.
i Aix, 20 novem bre 1856 ; J. du P., 1858, 112.
�A notre avis rien ne prouve mieux l’erreur de la cour
de Bordeaux que le résultat auquel elle aboutit en défi
nitive. Elle valide le délaissement, parce que si le sau
vetage entrepris à grands frais par les assureurs de la
Nouvelle-Orléans avait procuré le recouvrement d’une
partie des effets assurés excédant de beaucoup le quart,
ces effets étaient le gage des sauveteurs qui en avaient
même fait opérer la vente pour se rembourser de ce qui
leur était dû, de telle sorte qu’il ne restait qu’un solde
en argent dépassant il est vrai le quart de la valeur des
marchandises et qu’on offrait à l’assuré en remplacement
de celle-ci.
Comment en cet état dénier que le naufrage avait
réellement occasionné la perte non pas des trois quarts,
mais de la totalité des effets ? On le pouvait d’autant
moins qu’à la suite de ce naufrage, ces effets avaient
été pillés par les habitants du pays et des pirates des
mains desquels il avait fallu les racheter. Or, est-ce que
l’assuré devait prévoir la réussite de ce rachat ? Est-ce
qu’il était tenu d’en entendre les effets au risque d’en
courir la fin de non-recevoir édictée par l’article 373
du Code de commerce.
Or si même après sauvetage il y avait perte totale ef
fective, à plus forte raison cette perte existait-elle au
moment du naufrage, et par conséquent alors même
que la clause de la police aurait eu le sens que l’arrêt
lui donne, la condition qu’elle mettait au délaissement
se trouvait plus que remplie.
En subordonnant la validité du délaissement au ré-
�DROIT MARITIME.
284
sultat du sauvetage, la cour de Bordeaux condamne
l’assuré à attendre ce résultat dont la durée est incer
taine et sera toujours plus ou moins longue. Or, cette
attente, outre quelle peut déterminer la fin de non-re
cevoir de l’article 373, aura souvent pour effet de pla
cer l’assuré dans l’impuissance de remplir ses engage
ments, ne pouvant compter ni sur ses marchandises, ni
sur leur valeur qu’il entendait se procurer par l’assu
rance. Il n’est pas possible d’admettre que la loi puisse
tolérer et ait pu autoriser une pareille éventualité.
Nous ne saurions non plus accepter l’interprétation
que l’arrêt donne à la clause de la police. Cette clause
ne se réfère évidemment qu’au cas de détérioration ou
d’avaries partielles, mais prévoir et régler ces hypothèses
c’est ne rien statuer sur la perte totale qui n’est que trop
souvent la suite immédiate et directe du sinistre majeur
prévu par l’article 369.
C’est dans ce sens que se prononce la cour de Caen.
Dans une espèce qui avait ceci de remarquable que l’ob
jet assuré était une somme argent de 30,000 fr. et qu’au
moment du naufrage on avait pu transborder sur un
navire Suédois et sauver 18,000 fr. qui étaient arrivés
au lieu du reste. La perte réelle n’était donc que de
12,000 fr., et comme la police restreignait le droit de
délaisser au cas de perte matérielle des trois quarts, les
assureurs soutenaient l’invalidité du délaissement qui
leur avait été signifié.
Mais cette prétention est repoussée et le délaissement
déclaré valable. Voici sur quels motifs ;
�« Considérant que pour l’interprétation et l’applica
tion de la clause de la police qui n’est que la reproduc
tion de l’une des dispositions de l’article 369 du Code
de commerce, il faut rechercher dans quels cas, d’après
les principes généraux du droit, en matière de com
merce, la loi réputé qu'il y a perte des objets assurés ;
« Considérant que de l’ensemble des dispositions du
Code de commerce sur ce point, il résulte que les cho
ses assurées sont censées perdues lorsque le voyage est
fini sans qu’elles soient parvenues à leur destination, et
que le voyage est fini, entre autres circonstances, lors
que le navire est abandonné en mer dans le cas de l’ar
ticle 241, sans qu’il soit possible de transborder le
chargement sur un autre navire à l’effet de continuer le
même voyage ;
« Considérant qu’il importe peu, en ce cas, que quel
ques objets excédant même le quart du montant de l’as
surance puissent être sauvés ; que le sauvetage n’a lieu
alors que dans l’intérêt des assureurs, et ne peut met
tre obstacle au délaissement ainsi que l’indique notam
ment l’article 381 ;
« Considérant qu’il y aurait un grave inconvénient à
ce qu’il en fût autrement ; qu’alors le capitaine qui est
souvent l’assuré lui-même et toujours le mandataire de
l’assuré, aurait intérêt à ne point remplir le devoir que
lui impose l’article 241 de sauver le plus possible de son
chargement, et qu’on ne peut supposer que tel soit
le sens de la loi lorsqu’on voit dans les articles 258,
302, 336 et 347 le soin qu’elle prend d’éviter à cet
�256
droit maritime.
égard toute possibilité d’opposition entre le devoir et
l’intérêt ;
« Considérant qu’on soutient à tort qu’il suffit que
les objets sauvés arrivent d’une manière quelconque au
lieu déterminé par la police, dans les délais prescrits
par l’article 387, pour que le délaissement ne puisse
avoir lieu aux termes de l’article 394 ; cet article n’est
fait que pour le cas où le navire est retenu par suite
d’innavigabilité dans un port ou dans tout autre en
droit où l’on peut attendre sans danger que l’occasion
d’un autre moyen de transport se rencontre ; dans ce
cas le voyage qui n’a été que momentanément suspendu
continue comme auparavant, tandis qu’il est fini dès
qu’il y a naufrage, et que le navire qui a recueilli à li
tre de sauvetage une partie quelconque du chargement
se dirige vers un autre lieu de débarquement. »
L’arrêt considère ensuite qu’assailli par une violente
tempête par suite de laquelle plusieurs hommes de son
équipage furent tués ou blessés et le navire mis hors
d’état de résister, ce navire avait été, après délibération,
abandonné par le restant de son équipage qui se réfu
gia à bord du brick norvégien Yüssus-Minor qui allait
à Bordeaux et qui les débarqua à l’île de Ré ; que tou
tes les marchandises furent abandonnées avec le navire,
sauf une somme de 18,000 fr. sauvée, partie au mo
ment de l’abandon du navire, partie plus tard, sur la
quelle 1,500 fr. avaient été accordés au capitaine Nor
végien comme ayant concouru au sauvetage ;
« Considérant, termine l’arrêt, que, d’après ces faits
�et les principes précédemment posés, la somme assurée
doit être considérée comme totalement perdue, et que,
dès lors, il y a lieu à délaissement.
Il serait difficile de ne pas voir dans cette décision un
arrêt de principe. Ses raisons de décider, en effet, sont
puisées, non dans une interprétation de la clause de la
police et de l’intention des parties, mais dans les règles
de droit édictées par les divers articles du Code de com
merce.
Les assureurs se pourvurent en cassation et repro
chaient à la cour de Caen d’avoir violé les articles 392,
et 393 du Code commerce. Il résulte, disaient-ils, du
rapport du capitaine que la plus grande quantité du
numéraire sauvé a été transbordée sur 1’Ursus-Minor
au moment même de l’abandon du navire, donc celle
quantité n’a jamais été abandonnée et c’est à tort que
l’arrêt prétend qu’elle a été sauvetée, ce qui exigerait un
abandon préalable. Dès lors la perte n'atteignant pas les
trois quarts, le délaissement était irrecevable.
Le savant et si compétent M. Lasagni n’hésitait pas
dans son rapport à donner sa haute sanction a la doc
trine de l’arrêt, qui fut en effet consacrée le 29 décem
bre 1840, par l’arrêt du rejet suivant :
• « Attendu que de la combinaison des articles 369
(2e et 6e alinéas) et 381 du Code de commerce, il résulte
que sur la demande en délaissement de la part des as
surés vis-à-vis des assureurs, il ne faut pas confondre
la perte ou détérioration des objets assurés, avec le nau
frage du navire quoique non assuré ; qu’au premier cas
iv — 17
�258
.
DROIT MARITIME.
le délaissement ne peut être fait que lorsque la perte ou
détérioration des mêmes objets va au moins aux trois
quarts, tandis qu’au second cas les objets assurés de
vant être considérés, aux yeux de la loi, comme totale
ment perdus, le délaissement peut être fait quand même
ils auraient été, à l’aide du sauvetage, recouvrés au-delà
des trois quarts ;
« Qu’en effet, s’il en était autrement, il pourrait ar
river que le capitaine et les assurés, pour ne pas être
privés du droit de délaisser, ne travailleraient point avec
tout l’empressement possible au recouvremént des objets
naufragés, au grand préjudice des assureurs eux-mêmes
qui en profitent '. »
Ainsi la clause de la police subordonnant le délaisse
ment à la perte ou détérioration des trois quarts au
moins, ne crée aucun obstacle à l’exercice de ce droit
dans les cas prévus par l’article 369. Elle ne saurait
faire que légalement et de plein droit, les effets assurés
ne soient réputés totalement perdus et ne puissent être
valablement délaissés.
Depuis la question s’est présentée plusieurs fois, mais
la tendance des cours d’appel et leur désir de soustraire
leurs arrêts à la censure de la Cour de cassation, les
ont portées à juger plutôt en fait qu’en droit, et à se
réfugier ainsi dans la souveraineté d’appréciation des
clauses de l’acte et de l’intention des parties, ce qui ex1 J. du P., I , 1841, 204, V. cass. 3 août 1821 ; 22 ju in 1826 ; 14
437
juin 1832 ; 5 novem bre 1839 ; ibid. 2, 1839,
�plique la divergence qu’on rencontre dans la jurispru
dence de la Cour de cassation elle-même.
Ainsi le 29 décembre 1849 la cour de Rennes vali
dait le délaissement contre les prétentions des assureurs,
par le motif que le navire YOriental avait fait naufrage
sur la côte du Brésil et y avait été entièrement détruit
avant d’être arrivé au lieu de sa destination ; qu’aux
termes du § 2 de l’article 369 cet événement donnait
de plein droit ouverture à l’action en délaissement des
objets assurés ; que dans de pareilles circonstances il ne
saurait y avoir lieu pour les assureurs à se retrancher
derrière les dispositions de l’article 10 du contrat d’as
surance pour repousser la demande des assurés, puis
que le lieu du sinistre étant une place déserte et inhos
pitalière, les marchandises de la cargaison se trouvaient,
à l’instant même et par le seul fait du naufrage, dans
le cas d’être abandonnées pour compte de qui de droit.
Les assureurs s’étant pourvus en cassation repro
chaient à l’arrêt d’avoir faussement appliqué et violé
l’article 369 du Code de commerce et l’article 1134 du
Code civil. Aux termes de l’article 10 de la police, di
saient-ils, le délaissement des facultés ne pouvait dans
aucun cas, sauf celui prévu par l’article 394, être fait
qu’autant qu’il y aurait perte ou détérioration au moins
des trois quarts, frais compris. En fait il n’y a pas eu
perte matérielle des marchandises puisqu’elles ont été
sauvées. Sans doute, dans l’hypothèse de l’article 369,
il y a toujours perte de fait ou de droit en cas de nau
frage, mais il en est autrement quand la convention
�260
DROIT MARITIME.
particulière des parties a restreint la faculté de délaisse
ment à la perle des trois quarts ; cela ne saurait s’en
tendre que d’une perle de fait, .et ce n’est plus le cas
d’invoquer la perte fictive ou de droit prévu par l’arti
cle 369.
Mais par arrêt du 30 décembre 1850 la Cour suprê
me rejette le pourvoi. Après avoir rappelé les disposi
tions des articles 369 et 381 du Code de commerce com
binés, l’arrêt ajoute ; « Attendu qu’il est constaté en
« fait par l’arrêt attaqué que le navire YOriental a fait
« naufrage sur la côte du Brésil et y a été entièrement
« détruit ; que ce naufrage a eu lieu sur une plage dé« serte et inhospitalière, où le capitaine n’avait aucun
« moyen de conserver, de loger, de préserver les mar« chandises ; qu’en décidant dans ces circonstances que
« l’action en délaissement de la part des assurés avait
« été légalement exercée, nonobstant la clause de la po« lice qui restreignait celte action au seul cas de perle
« ou détérioration des trois quarts au moins des mar« chandises, l’arrêt attaqué, loin d’avoir violé ou faus« sement appliqué l’article 369, en a fait au contraire
« une juste application l. »
En 1856, la question se présentait de nouveau à la
cour de Rouen, qui celte fois repousse le délaissement,
et son arrêt était confirmé par la Cour de cassation. Le
rejet du pourvoi indique et précise les motifs qui le dé
terminent et les faits particuliers de l’espèce.
�ART.
369, 370, 371.
261
« Attendu que si, en vertu de l’article 369 du Code
de commerce, le délaissement des marchandises assu
rées peut avoir lieu dans le cas de naufrage, alors mê
me qu’il n’y aurait pas perle des marchandises char
gées, il est permis aux parties contractantes de déroger
à cette disposition et d’y renoncer ; qu’en effet elle n’est
pas d’ordre public ;
« Attendu qu’il résulte de la police d’assurance sous
crite le 19 janvier 1854, que les assurés ont formelle
ment restreint la faculté du délaissement au cas de la
perte des trois quarts sur les facultés, et à ceux prévus
par l’article 394 du Code de commerce.
« Attendu qu’on y lit cette clause : « Il est expres« sèment dérogé à l’article 369 et à toutes lois et ju« risprudences contraires aux pleins et entiers effets du
« présent article ; »
« Attendu, d’autre part, qu’il est constaté par l’arrêt
attaqué que la marchandise n’a pas péri, qu’elle était
intacte et entière à la disposition du chargeur au mo
ment où il a fait procéder à la vente dans le port même
où les expéditions devaient être prises, et qu’en con
cluant de ces circonstances qu’il n’y avait pas lieu par
les assurés au délaissement, l’arrêt attaqué a fait une
saine interprétation des conventions des parties, et n’a
pas violé l’article 369 K »
Ce qui distingue cette espèce, c’est d’abord la clause
dérogeant formellement à l’article 369 ; c’est ensuite ce
i J. du P., 1859, 406.
�262
DROIT MARITIME,
fait que la marchandise assurée était intacte et entière à
la disposition du chargeur. Supposez au contraire que
les objets assurés eussent naufragé avec le navire, ne
devraient-ils pas être considérés comme perdus quel
qu’eût été l’effet du sauvetage, et sans qu’on pût avoir
égard à la clause dérogatoire quoique expresse ?
La cour d’Alger se prononçait pour l’affirmative, le
17 avril 1868. Dans cette espèce le navire ayant fait
naufrage, l’assuré sur facultés avait fait signifier le dé
laissement. Les assureurs en soutenaient l’irrecevabilité
parce que la police, après en avoir restreint la faculté
au cas de perte effective des trois quarts au moins, ajou
tait • il est expressément dérogé aux dispositions du
Code de commerce et notamment aux articles 369 et
37S contraires au présent.
Mais le tribunal d’Alger repousse ces prétentions et
valide le délaissement. Voici les remarquables motifs de
ce jugement que la Cour adopte purement et simple
ment ;
« Attendu qu’aux termes de l’article 369 du Code de
commerce, l’assuré est fondé à délaisser quand il y a
échouement avec bris ; que le Célibataire s’est trouvé
dans ces conditions ;
« Attendu que la Compagnie VUniverselle prétend
qu’il a été dérogé au droit résultant de cet article par
les articles 12 et 20 de la police d’assurance, dans les
quels cependant on ne peut voir la privation du droit de
délaissement ; qu’on y prévoit seulement certains cas
d’avarie; que le droit de délaissement après échouement
�ART. 369, 370, 371.
263
avec bris conserve au contraire toute sa raison d’être,
car si le navire est submergé, brisé, l’assuré ne doit plus
compter sur sa marchandise, et il faut qu’il avise pour
remplir ses engagements , les assureurs peuvent tenter
le sauvetage, mais ils ne peuvent en garantir la réussite;
« Attendu que la Compagnie l’Universelle a gardé le
silence pendant plus d’un mois sur la signification du
délaissement et qu’aujourd’hui elle n’offre encore qu’une
partie des objets assurés ; qu’on ne peut astreindre le
destinataire à attendre indéfiniment, qu’il y a donc lieu
de déclarer le délaissement valable. »
Les assureurs s’étant pourvus en cassation, leur pour
voi était rejeté le 20 janvier 1869.
M. le conseiller d’Oms avait, dans un lumineux rap
port, exposé et examiné la question sous toutes ses fa
ces, rappelé les précédents émanés, soit des cours d’ap
pel, soit de la Cour de cassation elle-même, et n’hési
tait pas à se prononcer, en droit pur, en faveur de la
cour d’Alger.
Il semble d’abord que la Cour veut se ranger à l’avis
de son rapporteur. En effet, les premiers motifs de son
arrêt vont établir, en droit, la légalité du délaissement.
« Attendu, disent-ils, que le droit de délaisser la
marchandise acquis à l’assuré au moment où le navire
sur lequel elle est chargée a fait naufrage, ne peut être
rétroactivement affecté par les événements ultérieurs ;
qu’on ne pourrait, en effet, sans mettre le trouble dans
les relations qui naissent du contrat d’assurance, obli-
�2CA
DROIT MARITIME.
ger l’assuré à attendre indéfiniment le résultat, toujours
incertain, des opérations du sauvetage ;
« Attendu que subordonner le délaissement aux chan
ces du sauvetage ce serait placer le capitaine, manda
taire des assurés et quelquefois assuré lui-même, dans
l’alternative de compromettre le délaissement en sauvant
la marchandise, ou de négliger le sauvetage pour con
server aux assurés la faculté de délaisser ; que c’est pré
cisément en vue de concilier ces deux obligations qui in
combent au capitaine, que l’article 381 lui impose le
devoir de travailler au sauvetage sans préjudice du dé
laissement à faire en temps et lieu, disposition parfaite
ment claire, et qui implique que les opérations du sau
vetage ne sauraient, dans aucun cas, créer une fin de
non recevoir contre l’exercice de la faculté de dé
laisser. »
La conclusion qui s’induit logiquement de ces pré
misses est la reconnaissance du droit de délaisser en
cas de naufrage quels que soient les termes de la po
lice et les conditions qu’elle met à l’exercice de ce droit.
En effet, si cet exercice ne saurait être subordonné aux
opérations du sauvetage, il faut s’en référer à l’état des
choses que crée le naufrage au moment même où il se
réalise. Or, à ce moment, le chargement comme le na
vire lui-même est. la proie des flots, au milieu desquels
il flotte, ou par lesquels il est submergé. Donc la con
dition restrictive se trouve plus qu’accomplie, puisque,
au lieu d’une perte des trois quarts, il y a perte totale,
réelle, effective. Sans doute, le sauvetage pourra ré-
�ART.
369, 570, 371.
265
duire celte perte, la faire disparaître même, mais c’est
aux assureurs, dans l’intérêt exclusif desquels ce sauve-'
tage s’opérera, qu’incombe la charge d’en courir les
chances sans qu’ils puissent s’en prévaloir contre les as
surés.
Cette conclusion la Cour de cassation s’abstient, con
tre l’avis de son rapporteur, de la consacrer. Elle se
borne à rendre un arrêt d’espèce ainsi que cela résulte
de ces derniers motifs :
« Attendu que vainement la Compagnie demande
resse se prévaut de la clause de la police d’assurance
qui, par dérogation expresse à l’article 369 du Code de
commerce, n’autorise le délaissement qu’au cas où la
perte ou détérioration des objets assurés, excéderaient
les trois quarts de la valeur ; que, d’une part, en effet,
les documents du procès ne fournissent aucun indice
pour établir la proportion des objets sauvés avec ceux
qui ont été perdus ; que, d’autre part, en jugeant que
la clause dont s’agit n’impliquait pas une renonciation
au droit de délaisser en cas de naufrage, l’arrêt attaqué
n’a fait qu’interpréter et apprécier l’intention des par
ties contractantes et qu’une pareille décision échappe à
la censure de la Cour de cassation '. »
Cette chute est regrettable et il nous semble que la
cour régulatrice a failli à sa haute mission. La matière
est assez importante pour qu’il soit convenable de ré
soudre une fois pour toutes et doctrinalement les diffi1 J. du P., 1869, 618.
�266
DROIT MARITIME.
cultés qii’elle peut faire surgir. A la Cour de cassation
seule incombait ce devoir et ce droit, et il est fâcheux
que, contrairement à son arrêt de 1840, elle n’ait en
visagé la question que comme une question de fait, et
en ait laissé la solution à l’appréciation nécessairement
arbitraire des tribunaux.
Pour nous, il n’y a qu’une solution possible. Nous
l’avons assez manifestée pour qu’il ne soit pas nécessaire
d’y insister. Mais nous devons résumer nos motifs et ce
résumé nous l’empruntons au si remarquable rapport
de M. le conseiller d’Oms.
« Le naufrage implique la perte légale sinon effec
tive de la totalité de la cargaison, et la clause de la po
lice qui restreint le délaissement au cas de perte des trois
quarts des effets assurés, ne saurait évidemment exclure
le cas de perle totale. La question est alors réduite au
point de savoir si, dans les rapports que le contrat d’as
surance établit entre l’assureur et l’assuré, les effets as
surés ne doivent pas être réputés intégralement perdus
par le fait du naufrage.
« L’effet indiscutable du naufrage est de rompre le
voyage, et, par cela même, d’ouvrir toutes les actions
qui naissent des divers contrats dont l’armement est
l’objet, et de résoudre les droits qui étaient subordon
nés à l’heureuse arrivée du navire. C’est ainsi que les
matelots perdent leurs loyers, du moins la partie qu’ils
n’ont pas touchée ; le capitaine perd son fret sur les
marchandises perdues par naufrage, sans que la loi lui
réserve aucun droit sur celles qui seraient sauvées ;
�ART.
569, 570, 571.
267
quant au contrai d’assurance le naufrage en opère l’é
chéance. Au moment où ce sinistre majeur s’accomplit,
l’assuré est investi du droit d’offrir le délaissement qui
transporte la propriété des effets assurés sur la tête des
assureurs. Dès ce moment, c’est aux risques et périls de
ceux-ci que se poursuivent les opérations du sauvetage.
L’article 381 impose à l’assuré l’obligation de travailler
au sauvetage, mais sans préjudice du délaissement à
faire en temps et lieu. Le sauvetage n’empêche donc
pas le délaissement, mais il ne peut se concilier avec
l’exercice de cette faculté qui a dessaisi l’assuré de la
propriété des effets assurés qu’il a transportée sur la
tête des assureurs. N’esl-il pas d’ailleurs évident que
l’assuré doit pouvoir exercer son droit dès qu’il est in
formé du sinistre arrivé au navire ? Ce droit, une fois
exercé, ne peut être infirmé par les événements ulté
rieurs, tels que le sauvetage d’une partie de la marchan
dise. Ce sauvetage peut se faire longtemps attendre, et
l’assuré serait ainsi exposé à subir la déchéance pro
noncée par l’article 373. Aussi les auteurs s’accordentils à décider que le délaissement peut avoir lieu im
médiatement et aussitôt que le naufrage est connu.
Appliquant ce principe au cas de prise du navire, les
auteurs enseignent que le droit de délaissement est dé
finitivement acquis par le seul fait de la prise, au mo
ment où elle s’est réalisée. Valin et Pothier enseignent
qu’aucun événement postérieur ne pourrait infirmer ce
droit. « Ainsi, ajoutent-ils, que le navire eût ou non
« recouvré sa liberté dans les vingt-quatre heures, soit
�268
DROIT MARITIME.
« par le fait de l’équipage, soit par un secours étran« ger ; qu’il ait été abandonné par le capteur ou ra« cheté, l’assuré n’est pas moins fondé à signifier le dé« laissement et à exiger le montant de l’assurance. »
Ici apparait dans sa plus claire manifestation la dis
tinction entre la perte légale et la perte réelle. La car
gaison est intacte ; et cependant elle est légalement per
due. Dans cette situation où l’on voit les effets assurés,
non seulement sauvés, mais même restés intacts, le dé
laissement est admis par cette raison, qui est précisé
ment celle donnée par Emérigon, à savoir que s’il n’y
a pas perte effective et réelle des objets assurés, il y a
perte de droit ou légale. Or, c’est celle-ci et non pas la
perte effective qui ouvre l’action en délaissement. Ainsi
tout sinistre majeur, une fois consommé, donne tou
jours lieu au délaissement, que la perte ait été réelle et
absolue ou simplement légale.
Que les dispositions de l’article 369 n’étant pas d’or
dre public, il puisse y être dérogé, c’est ce qu’on ne
saurait contester. Mais la dérogation doit être expresse,
et ne s’étend jamais d’un cas à un autre. Il faut donc
qu’elle indique nettement et spécialement chaque dis
position qu’elle entend écarter.
Comme exemple nous citerons un arrêt de Rouen du
5 juillet 1838. Dans l’espèce sur laquelle il est inter
venu, l’article 19 de la police portait : « Le délaissement
« ne pourra avoir lieu qu’autant qu’il y aurait perte ou
« détérioration des trois quarts de la valeur des objets
« assurés en nature ou en produit, quand même il y
�ART,
569, 370, 371.
269
« aurait naufrage, échouemeni avec bris, innavigabilité
« et même vente publique à la requête du capitaine,
« de la Marine, ou d’un agent consulaire, en cours de
« voyage ou à destination. »
Là il ne pouvait y avoir le moindre doute. Les par
ties n’avaient admis qu’une seule cause de délaissement,
la perte ou détérioration des trois quarts. Donc, pré
tendre, à défaut de cette condition, étayer le délaisse
ment sur le naufrage et la perte légale qu’il entraîne,
c’était déchirer la convention et répudier la loi qu’on
s’était faite à soi-même.
Aussi la cour de Rouen n’hésitait pas à le repousser,
et avec toute sorte de raison l.
— Le délaissement est dans l’intérêt exclusif
de l’assuré. On devait donc lui laisser la liberté de sui
vre ses seules inspirations, de le réaliser ou de s’en abs
tenir à sa volonté. Cette latitude résulte des termes de
l’article 369 : Le délaissement peut être fait. C’est une
simple faculté que la loi consacre, et non un devoir
qu’elle impose. L’article 409 confirme expressément
cette induction.
De là cette conséquence que les assureurs sont obligés
d’accepter la loi qu’il plait à l’assuré de leur faire. En
supposant donc que, dans une circonstance donnée, le
délaissement leur offrit un avantage, ils ne pourront ja
mais contraindre ce dernier à l’opérer.
1404.
1 J.
du P., 4860, 400.
�270
DROIT MARITIME.
On a essayé de soutenir le contraire, par exemple,
lorsque la cargaison ayant survécu au naufrage, la hausse
des marchandises promet un bénéfice certain, mais cette
prétention n’a jamais été admise, et ne pouvait l’être en
présence de l’article 369.
— Les assureurs ne peuvent donc jamais
contraindre l’assuré à délaisser, pas plus qu’ils ne pour
raient le forcer à se contenter d’un règlement d’avaries,
lorsqu’il signifie le délaissement dans un des cas de l’ar
ticle 369. Tout ce qu’ils peuvent dans celte dernière
hypothèse, c’est de contester la cause, de soutenir que
l’action est prescrite, ce sont là des fins de non recevoir
naturellement réservées par la loi et dont la justification
ferait repousser la prétention de l’assuré.
Une autre fin de non recevoir non moins péremp
toire serait celle tirée de la renonciation au délaissement
par l’assuré. Cette renonciation peut être expresse ou
tacite.
./
Elle est expresse lorsque la police interdit cette voie à
l’assuré ou en limite l’exercice à un ou quelques-uns
des cas énumérés dans l’article 369. La légalité d’une
clause de ce genre ne saurait être contestée. La dispo
sition de l’article 369 ne touche d’aucun côté à l’ordre
public. Exclusivement relative à l’intérêt privé de l’as
suré, la faculté d’en récuser le bénéfice ne saurait lui
être contestée. En conséquence, la clause de la police
par laquelle il s’interdirait de faire le délaissement dans
1405.
�le cas où il serait admis à le faire, serait valable et obli
gatoire.
— La renonciation tacite résulterait de tout
acte postérieur à l’événement connu et qui impliquerait
de la part de l’assuré la volonté de ne pas user de la
voie du délaissement, comme si, connaissant le sinis
tre et ses caractères, il se pourvoyait en règlement d’a
varies.
La loi laisse bien à l’assuré le choix entre ces deux
actions, mais, ce choix fait, le droit est épuisé, et la
voie prise peut seule être suivie : Electa via non datur
1406.
regressus ad alleram.
Cependant, en général, l’assuré ne doit pas être légè
rement présumé avoir voulu renoncer au délaissement.
On ne devrait donc se prononcer contre lui que si l’acte
dont on veut faire résulter la renonciation ne peut être
raisonnablement interprété que dans ce sens. Or, la
poursuite en règlement d’avaries n’a pas toujours et né
cessairement ce caractère.
Ainsi, le tribunal de Marseille jugeait, le 27 octobre
1829 , que l’assuré q u i, depuis l’accomplissement du
voyage, a passé avec l’assureur un compromis portant
pouvoir à des arbitres de régler les avaries souffertes par
le navire, n’est pas censé, par cela seul, avoir renoncé
au droit de faire le délaissement, lorsque rien ne lui in
diquait au moment du compromis qu’il y eût lieu de sa
part à l’exercer, et qu’il n’a été instruit de cette cir
constance qu’à la suite des opérations ordonnées par les
�272
|Sf|
EH
l» i
DROIT MARITIME.
arbitres ; qu’en conséquence l’assuré est, dans ce cas,
recevable à délaisser, et qu’il doit être sursis au règle
ment d’avaries sur lequel les parties avaient compromis
jusqu’au jugement à intervenir sur le validité du délais
sement l.
Ce qui donne à cette décision un caractère juridique,
c’est que le délaissement était motivé sur la perte des
trois quarts qu’avait éprouvée la chose assurée, et dont
la quotité n’avait été et pu être constatée qu’à la suite
des formalités ordonnées par les arbitres. Comment donc
admettre que l’assuré en consentant le règlement d’ava-ries, c’est-à-dire en conférant à des arbitres le soin de
déterminer la nature et l’impotrance du préjudice, eût
entendu renoncer au délaissement, si le chiffre auquel
arriveront les arbitres lui donnait le droit de le faire ?
Il suffisait donc, pour la recevabilité du délaissement
postérieur, qu’au moment du compromis rien n’indi
quât à l’assuré qu’il avait à exercer une autre action
que celle en réglement d’avaries. On ne peut être pré
sumé avoir renoncé à un droit dont on ignore l’exis
tence, et qui, dans l’espèce, ne pouvait être connu que
par le résultat du règlement d’avaries2.
La décision eût été tout autre si, connaissant le nau
frage, l’échouement avec bris, l’assuré eût prétendu,
après le compromis, fonder son action en délaissement
sur le fait du naufrage ou de l’échouement. La fin de non
1 Journal de Marseille. 1 .12, 1, 76.
2 Conf., Rouen, 25 juillet 1840 ; J. du P., 2, 1840, 385.
�369, 370, 371.
. 273
recevoir tirée de la maxime de droit electa una via...,
aurait fait repousser sa prétention K
ART.
#
j
1 4 0 9 . — Les dérogations dont l’article 369 est sus
ceptible peuvent avoir pour objet non seulement de res
treindre les causes du délaissement, mais encore de les
multiplier, d’en ajouter de nouvelles à celles légalement
prévues. Le doute pouvait surgir des termes de l’or
donnance : Le délaissement ne pourra être fait que,
etc., ces termes auraient pu paraître une interdiction
formelle pour tout ce qui ne rentrait pas dans les cas
prévus.
Mais c’est ce que la pratique n’avait pas admis. La
prohibition, disait Emérigon, n’a été établie que pour
déterminer les droits légaux, et nullement pour gérer
les droits conventionnels. Lorsque la police ne parle pas
des cas où le délaissement pourra être fait, on se dirige
par la disposition de l’article 46, mais si ce point a été
réglé par les parties, on doit exécuter le pacte qu’elles
ont souscrit, pourvu qu’il ne renferme rien de contraire
à l’essence du contrats.
Or, que le contrat, en cas de sinistre, s’exécute par
le délaissement ou par règlement d’avaries, il n’y a rien
d’attentatoire à son essence.La doctrine d’Emérigon était
d’une incontestable justesse, et c’est pour le consacrer
que l’article 369 n’a pas même reproduit les termes pro
hibitifs de l’ordonnance.
y
1 » infra, n« 1444.
2 Chap, 12, sect. 2,8 7.
tv — 18
�274 .
DROIT MARITIME.
Aujourd’hui donc, plus encore qu’autrefois, les par
ties ont la liberté de modifier la loi dans un sens ou
dans l’autre ; l’article 369 forme le droit commun à ap
pliquer dans le silence du contrat, mais les dispositions
de celui-ci doivent prévaloir , soit qu’elles restreignent,
soit qu’elles multiplient les causes de délaissement.
1 4 0 8 . — En droit commun, la prise autorise le
délaissement. Elle a, en effet, pour conséquence directe
de transférer au capteur la propriété pleine et entière
soit du navire, soit de la cargaison, il y a donc perte
totale pour les assurés, et, en conséquence, droit de se
faire indemniser du montant de l’assurance. Ce droit est
définitivement acquis par le seul fait de la prise, et au
moment où elle se réalise.
Yalin et Pothier enseignaient qu’aucun événement
postérieur ne pouvait infirmer ce droit. Ainsi, que le
navire eût ou non reconquis sa liberté dans les vingtquatre heures, soit par le fait de l'équipage, soit par un
secours étranger, qu’il eût été abandonné par le cap
teur ou racheté, l’assuré n’est pas moins fondé à signi
fier le délaissement et à exiger le montant de l’assu
rance K
Emérigon n’admettait cette conséquence que parce
que la jurisprudence l’avait consacrée. Sans cette juris
prudence, disait-il, j’aurais assimilé la prise non suivie
l Valin, art. 46, tit. des
Aisur.-,
Pothier, n° 118 ; In fra , art, 386,
�369, 370, 371. '
275
d’effets à l’échouement sans bris et refusé la faculté de
faire le délaissement
ART.
— La même divergence se fait remarquer
dans la doctrine depuis le Code. M. Locré se prononce
pour l’avis de Valin et de Pothier, il admet donc le dé
laissement,quand même il y aurait rescousse, délivrance
du navire par l’équipage, abandon par le capteur, ou
que la prise fût déclarée indûment faite. Tel est l’avis
de MM. Boulay-Paty et Dageville.
M. Pardessus tient l’opinion contraire, il estime en
conséquence que si, avant le délaissement, le navire
revient en la possession de l’assuré, de quelque manière
que ce soit, même par l’achat qu’il en aurait fait du
capteur', l’assuré ne peut plus le réaliser ; que tous ses
droits se bornent à exiger, par action d’avaries, le rem
boursement des sommes qu’il aurait payées2.
M. Pardessus n’énonce même pas les motifs sur les
quels il se base. Mais M. Delvincourt, qui soutient la
même doctrine, la fonde : 1° sur ce que l’article 385
n’oblige indispensablement l’assureur au paiement de
la somme^assurée que si le retour n’a lieu qu’après la
signification du délaissement ; â° sur ce que l’assureur,
en cas de rachat, peut empêcher le délaissement en pre
nant la composition à son compte, aux termes de l’ar
ticle 3963.
1409.
1 Chap. 42, sect. 48, § 4.
2 N» 838.
3 T. 3, p. 333.
�276
DROIT MARITIME.
Tout ce qui résulte de l’article 385, c’est que le dé
laissement transfère à l’assureur la propriété des objets
qui en font la matière, nonobstant le retour du navire.
Sans doute, dans les prévisions de la loi, ce retour est
postérieur à la signification du délaissement, et c’est, il
faut le reconnaître, ce qui se réalisera le plus ordinai
rement. Mais rien n’autorise à penser que celle prévision
aille jusqu’à créer une fin de non recevoir contre l’exer
cice du droit de l’assuré dans l’hypothèse contraire. Ce
droit est acquis par lé seul fait de la prise. D’autre part,
le délaissement rélroagit au jour du sinistre, au point
que le sauvetage est fait uniquement dans l’intérêt et
pour le compte des assureurs. Or, la remise en liberté
du navire n’est-elle pas un véritable sauvetage.
Il est vrai que l’article 396 établit une règle, particu
lière dans le cas de rachat. Ce qui résulte de cette règle,
c’est que, contrairement au droit commun, ce n’est plus
l’assuré qui a le choix entre le délaissement et l’action
d’avaries. L’assureur est libre d’empêcher le premier, en
acceptant la composition. Ce caractère exceptionnel de
l’article en spécialise la disposition et ne permet aucune
analogie, aucune assimilation en dehors d£son objet
particulier. D’ailleurs, ainsi que nous le verrons sous
cet article, la règle tracée pour le rachat se justifie par
des motifs réellement sans application à tout autre cas
pouvant faire reprendre sa liberté au navire capturé.
Enfin, puisque la loi a cru devoir s’expliquer pour le
rachat, il est évident qu’elle se fût également prononcée
sur tous les autres cas, si elle avait entendu leur attri
�buer un effet identique. En réalité donc, l’opinion de
MM. Pardessus et Delvincourt, en n’admettant le délais
sement en cas de prise que si les effets ne sont pas re
couvrés avant sa signification, tend à y ajouter une ré
serve qui n’est ni dans son texte, ni dans son esprit.
Elle est donc inadmissible K
— Il y a prise dans le sens de l’article 369,
et par conséquent ouverture à délaissement toutes les
fois qu’indépendamment d’un fait de guerre ou de dé
prédation, le navire est arrêté, distrait de sa destination.
C’est ce qui se réaliserait notamment si par force, sur
soupçon ou pour cause de contrebande civile, un navire
était saisi en pleine mer, et si, empêché de naviguer à
son dernier reste et au lieu de sa destination, il était
conduit dans un autre endroit2.
Mais, dans ce cas, l’admissibilité du délaissement est
nécessairement subordonnée à la responsabilité des as
sureurs. Or, nous avons déjà dit que la contrebande n’est
pas un risque maritime de plein droit à leur charge.
La décision du tribunal de Marseille ne se justifie donc
que par cette circonstance qu’il a soin de faire ressortir,
à savoir, que les assureurs, instruits de la nature de
l’opération, avaient formellement accepté les risques
qu’elle offrait, et les avaient garantis. Ils étaient donc
1410.
1 Dalloz, Nouv. Rép., V. Droit marit., n° 1992.
3 Tribunal de commerce de Marseille, 19 septembre 1826 ; Journal
de Marseille, t. 6, 1, 285
�DROIT MARITIME.
278
liés par la convention dont rien ne pouvait les exonérer.
Le résultat eût été le même si, la contrebande étant le
fait personnel du capitaine, les assureurs avaient pris à
leur charge la baraterie de patron.
Dans cette même espèce, le tribunal de Marseille a
considéré la lettre missive du capitaine capturé comme
justifiant suffisamment la prise, au moins .au point de
vue de la condamnation provisoire des assureurs. Il est
évident que, s’il est possible de produire le consulat du
capitaine, la condamnation ne doit être définitive que
sur le vu de cette pièce.
La prise impose certains devoirs à l’assuré ; leur ca
ractère et leur étendue font l’objet des dispositions des
articles 395 et 396.
— Le naufrage autorise le délaissement soit
du corps, soit de la cargaison. Celle-ci est légalement
présumée perdue, alors même qu’en réalité elle eût été
sauvée en grande partie, et même en totalité.
L’intérêt des assureurs lui-même dictait cette solu
tion, on devait craindre en effet, si on subordonnait le
délaissement à la quotité de la perte matérielle, que l’as
suré qui voudrait user de cette voie ne se livrât pas au
sauvetage avec l’ardeur et le zèle désirables, au grand
détriment des assureurs.
On a voulu cependant distinguer, à l’endroit de l’ar
ticle 349, sur ce point, le cas où l’assurance est faite
cumulativement sur corps et facultés, et celui où elle
porte exclusivement sur ces dernières. Dans cette hypo
141:1.
�thèse, disait-on, il n’y a de naufragée que la partie non
sauvée ; et si cette partie ne s’élève pas au moins aux
trois quarts, il ne peut être requis qu’une action en rè
glement d’avaries.
Cette distinction a été repoussée par la Cour de cas
sation, le 29 décembre 1840. Le savant rapporteur,
M. le conseiller Lasagni, après avoir examiné les moyens
des demandeurs en cassation, arrivant à cette distinc
tion, disait : Vous examinerez si on ne peut pas ré
pondre que la circonstance de l’assurance ou de la non
assurance du navire ne change pas la nature du nau
frage aux yeux de la loi. Quand ce sinistre a eu lieu, la
loi considère comme perdue toute la cargaison ; seule
ment elle oblige le capitaine et les assurés à travailler au
recouvrement des marchandises qui la composent, et que
la loi ne considère que comme des débris. Aussi, loin
de les priver du droit de délaisser, le leur conserve-t-elle
expressément.
C’est en ce sens que se prononce la Cour suprême,
en décidant que, en cas de naufrage du navire, les mar
chandises assurées sont considérées comme totalement
perdues, lors même que par l’effet du sauvetage elles ont
été recouvrées avec perte de moins des trois quarts, en
core bien que le navire n’ait pas été assuré en même
temps que la cargaison 1.
1413.
— L’échouement avec bris est assimilé au
�280
DROIT MARITIME.
naufrage. Il en a souvent toutes les conséquences. Il
devait dès lors en produire les effets au point de vue du
délaissement.
L’ordonnance de 1681 faisait deux causes distinctes
de délaissement de l’échouement et du bris, cependant,
l’échouement simple peut n’avoir que des conséquences
peu graves pour le navire lui-même et surtout pour la
cargaison. N'était-ce donc pas les exagérer outre mesure
que d’en autoriser le délaissement ?
Valin se prononçait énergiquement pour l’affirmative
et blâmait fortement la disposition de l’ordonnance. Il
paraît que ce blâme était successivement parvenu à se
répandre dans la pratique, puisque le législateur avait
été amené à l’abroger.
En effet, l’article 5 de la déclaration du 17 août 1779
vint changer l’état des choses créé par l’ordonnance. Il
dispose : Ne pourront les assurés être admis à faire le
délaissement du navire échoué, si ledit navire relevé soit
par les forces de l’équipage, soit par les secours étran
gers, continue sa route jusqu’au lieu de destination,
sauf à eux à se pourvoir ainsi qu’il appartiendra tant
pour les frais dudit échouement que pour les avaries
soit du navire, soit de la cargaison.
C’est ce dernier droit que le Code a consacré. D’a
bord, en ne faisant une cause de délaissement que de
l’échouement avec bris; ensuite, en reproduisant le texte
de la déclaration de 1779, dans l’article 389.
1413. — Du rapprochement de cet article avec l’ar-
�ticle 369 est née la question de savoir qu’elle doit être
l’importance du bris donnant lieu au délaissement. Doitil être total, ou suffit-il d’un bris quelconque pour au
toriser cette action ?
Cette question est controversée en doctrine et en ju
risprudence. Ainsi la cour de Paris jugeait, le 27 février
1841, que l’échouement avec bris n’est de nature à mo
tiver le délaissement qu’autant qu’il y a bris absolu, et
tel qu’il y ait impossibilité de relever le navire et de le
conduire au lieu de sa destination K
Les auteurs qui adoptent celte solution, MM. Favard
et Dagevilie notamment, la fondent sur lesprit de la loi.
Ils tirent la preuve que le législateur n’a entendu pré
voir que le bris total de l’article 381, lequel, assimilant
l’échouement avec bris au naufrage, paraît lui prêter et
lui supposer les mêmes résultats. Ils estiment donc que
le bris partiel ne donne lieu au délaissement, comme
l’échouement simple et sans bris, que lorsque le vais
seau ne peut être ni relevé ni réparé, parce que, dans
ce cas, ce n’est pas à titre d’échouement que l’assuré
délaisse, mais à titre d’innavigabilité.
C’est précisément cette conséquence qui doit, à notre
avis, faire repousser l’opinion qui l’invoque. Il en ré
sulterait, en effet, que l'innavigabilité seule motiverait le
délaissement. On ne voit pas dès lors pourquoi, s’il de
vait en être ainsi, la loi a fait de l’échouement avec bris
une cause distincte de l’innavigabilité.
�282
DROIT MARITIME.
Le texte de l’article 369 repousse donc l’interpréta
tion que lui donnent MM. Favard, Dageville et la cour
de Paris. Les six cas de délaissement que cet article énu
mère existent indépendamment les uns des autres. Ils
n’ont donc pas besoin d’être complétés les uns par les
autres. L’échouement, notamment, n’exige d’autres con
ditions que celle d’un bris, et c’est à ce titre que peut
et doit être fait le délaissement, si la condition se réa
lise.
Est-ce à dire cependant que la moindre égratignure
à la coque du navire devra être considérée comme réa
lisant la condition ? Evidemment ce serait là outrer sin
gulièrement la pensée et les expressions du législateur.
Le bris, quoique partiel, peut encore avoir été assez
grave pour constituer avec, l’échouement un sinistre
majeur, et ce ne sera que dans ce cas qu’il y aura lieu
à faire l’application de l’article 369. C’est ce que la Cour
de Bordeaux avait décidé le 23 juin 1827, c’est ce qu’a
vec beaucoup de raison la cour de Paris jugeait ellemême le 27 août 1842 l.
1111. — Ainsi le bris n’a pas besoin d’être total
pour donner lieu au délaissement. Le bris partiel suffit,
mais à condition qu’il aura atteint un certain degré de
gravité. La détermination de cette gravité appartient
souverainement aux tribunaux, qui décident ainsi si le
cas prévu par l’article 369 s’est ou non réalisé.
�Ce principe est reconnu et proclamé par les divers ar
rêts de Paris et de Bordeaux que nous venons de citer.
Un troisième arrêt rendu par la cour de Bordeaux, du
1er avril 1844, en fait une notable application. Cet arrêt
déclare que l’échouement avec bris ne peut donner lieu
au délaissement que lorsque le sinistre a été très grave;
et que ce sinistre n’a pas ce caractère quand le navire
n’a pas été brisé ou disjoint dans ses parties essentiel
les, et n’a subi que des avaries qui ont été facilement
réparées.
M. Dalloz, plaçant la doctrine de ces trois arrêts en
regard de celle qui exige le bris absolu, ajoute : Cette
doctrine est exacte, elle évite de confondre deux choses
distinctement signalées par l’article 369 , et n’ajoute
rien arbitrairement à la loi. Elle l’interprète rationnel
lement en exigeant que le bris partiel ait atteint l’une
des parties essentielles du navire et occasionné un dé
sordre grave l.
— De tout temps l’échouement avec bris a
autorisé, même en faveur de l’assuré sur facultés, l’ac
tion en délaissement. Telle était la règle admise avant le
Code. Le naufrage et le bris, disait Emérigon, donnent
indéfiniment lieu à l’action d’abandon, même pour les
facultés qui ne peuvent être sauvées sans avoir ordinai
rement souffert une perte où un dommage plus ou moins
1415.
i Nouveau rép., v. Dr.
m a rit ,
n» 1998.
�284
DROIT MARITIME.
considérable. On ne considère pas alors si la marchan
dise a souffert une perte effective ou si elle n’en a point
souffert, car on a besoin, en cette matière, d’une règle
simple, et cette règle a été établie par l’ordonnance et
par la déclaration de 1779 1.
Le Code de commerce, en maintenant sur ce point
l’ancienne législation, a consacré l’opinion d’Emérigon,
aujourd’hui universellement enseignée et consacrée par
la jurisprudence. Déjà nous avons rappelé l’arrêt de la
Cour de cassation du 29 décembre 1840; avant cette
époque, elle s’était déjà prononcée dans le même sens,
en décidant que, en cas de perte du navire résultant
d’un échouement avec bris, il y a lieu au délaissement
de la marchandise sauvée, qu’elle ait été ou non avariée
par suite de ce sinistre, et sans que le délaissement soit
subordonné, comme il le serait pour cause d’innaviga
bilité ne provenant pas d’un échouement avec bris, à la
condition qu’on n’ait pu trouver un autre navire pour
recharger les marchandisess.
En réalité donc, les assurances sur facultés suivront
le sort de celle sur corps. Toutes les fois que l’échouement avec bris permettra de délaisser celui-ci, le délais
sement de la cargaison sera facultatif et recevable, alors
même que le navire n’aurait pas été assuré. Si le bris
n’est pas reconnu suffisant pour le délaissement du
1 Chap. 17, sect. 2, S 4.
2 28 ju in 1826 ; Rouen, 14 août 1818,
�285
369, 370, 371.
corps, il ne le sera pas pour les facultés, qu'eiles que
soient les avaries qu’elles ont éprouvées, excepté que ces
avaries occasionnent la perte des trois quarts. Ce sera là
une cause spéciale de délaissement.
ART.
'
1 4 1 6 . — L’innavigabilité du navire est de plein
droit présumée dans les cas de naufrage ou d’échouement avec bris, et cette présomption, nous venons de
le voir, ne le cède pas à la preuve contraire. Dès lors,
lorsque le délaissement a pour fondement une de ces
deux causes, la question de savoir si le navire est ou
non innavigable est par elle-même complètement indif
férente.
Mais l’innavigabilité peut survenir sans qu’il y ait
naufrage ou échouement avec bris. Tout autre accident
de mer peut la déterminer, et l’effet, quant au navire,
étant le même, les conséquences ne pouvaient pas varier.
Qu’importe la cause réelle de l’accident si, en fait, le na
vire arrêté dans son voyage est hors d’état de le conti
nuer et de l’achever.
Aussi, et quoique l’ordonnance de 1681 n’eût pas
indiqué Pinnavigabililé dans les causes autorisant le dé
laissement, la pratique n’avait pas hésité à lui recon
naître cet effet, qui fut législativement consacré par la
déclaration da 1779.
— L’innavigabilité est absolue ou relative.
Nous nous occuperons de celle-ci en examinant Parti1414.
�DROIT MARITIME.
286
cle 389. Ses effets diffèrent suivant qu’il s’agit du navire
ou de la cargaison. C’est la première hypothèse que
l’article 369 réglemente. Les conditions du délaissement
dans la seconde sont édictées par les articles 390 et sui
vants.
Dans tous les cas, l’innavigabilité n’est une cause lé
gitime de délaissement que si elle est due à une fortune
de mer. L’assureur ne répond que de celle-ci. Dès lors,
l’innavigabilité résultant du vice propre notamment res
terait à la charge exclusive de l’assuré, et ne lui ouvri
rait aucun recours.
— La détermination de la cause de cet ac
cident est donc importante, puisqu’elle entraînera la
responsabilité de l’une des parties. Or, cette détermina
tion ne puisait aucun élément dans l’ordonnance de
1681. De là la question de savoir si c’était à l’assuré à
prouver la fortune de mer, ou à l’assureur à établir le
vice propre, ou tout autre circonstance qu’il invoquait à
sa décharge.
Yalin et Pothier , armés de la doctrine de Casarégis,
se prononçaient contre l’assuré. Ils tenaient donc que,
faute par lui de prouver le cas fortuit ou la force ma
jeure, l’innavigabilité était présumée provenir du vice
propre. L’opinion contraire, enseignée par Emérigon,
avait été consacrée par la jurisprudence.
1418.
1419.
— Toute controverse de ce genre dut tomber
�369, 370, 371.
287
devant la déclaration de 1779. Elle prescrivait aux na
vires marchands, sans exception, de se faire visiter, soit
avant le départ, soit avant le retour, pour qu’il constat
de leur bon état de navigation. Son article 4 dispose :
Les assurés ne seront admis à faire le délaissement qu’en
représentant les procès-verbaux de visite.
Dès ce moment, l’absence des procès-verbaux fut un
obstacle absolu au délaissement. Leur production néan
moins ne créait pas la preuve irrécusable de la fortune
de mer. Elle la faisait présumer, sauf aux assureurs la
preuve contraire, mais devenant à cet égard de vérita
bles demandeurs, c’était à eux à établir le vice propre
dont ils excipaient pour se libérer.
ART.
1430. — La déclaration de 1779 a subi quelques
modifications. Le décret des 9-13 août 1791 restreignit
l’obligation de se faire visiter aux navires destinés aux
voyages de long cours. Elle fut donc abrogée pour ce qui
concerne le petit et le grand cabotage.
De plus, le législateur considérant combien la visite
précédant le retour offrait d’inconvénients et souvent
d’impossibilités, la supprima-t-il pour tous les navires
indistinctement. Les visiteurs, au départ, devaient baser
leur opinion sur la nature du voyage et juger de la pos
sibilité du retour comme de celle de l’aller. Sans doute,
les*accidents de ce premier parcours pouvaient singuliè
rement peser sur ces prévisions ; mais comme la répa
ration de ces accidents était à la charge et aux frais des.
�288
DROIT MARITIME.
assureurs, on n’avait pas à craindre que le capitaine'
dissimulât les avaries ou reculât devant leur réparation.
Le Code s’est approprié les errements du législateur
de 1791, en ne rétablissant pas les dispositions de la
déclaration de 1779, qu’il avait abrogées. Sous son em
pire, il n’y a donc que les navires destinés à voyager au
long cours qui soient obligés de subir la visite. Ils n’y
sont tenus qu’avant le chargement et dans le port d’où
le voyage doit être entrepris ; cette visite unique suffit
pour l’aller et le retour L
De là cette conséquence que si un navire, régulière
ment visité avant son départ et jugé en bon état, devient
innavigable pendant le trajet, soit d’aller, soit de retour,
l’accident est présumé fatal, et les assureurs ne peuvent
échapper à ses conséquences que par la preuve qu’il
n’est dû qu’au vice propre2.
La doctrine est à peu près unanime à cet égard. Seuls,
MM. Dageville et Estrangin ont soutenu que les procèsverbaux de visite n’établissaient aucune présomption
contre les assureurs. Mais cette prétention a toujours été
repoussée par la jurisprudence. Aux arrêts que nous ve
nons de citer, nous pouvons joindre celui que la Cour
de cassation rendait le 18 mai 1824.
Donc, pour ce qui concerne les navires voyageant au
long cours, la controverse qui existait entre Valin, Po•
1 Cass., 3 ju illet 1839 ; J. duP., 2, 1839, 370.
2 Même arrêt, Bordeaux, 1er m ai 1828 ; Rouen, 18 avril 1837 ; Paris,
20 avril 1841 ; J. du P., 1, 1838, 41, 1 ,1 8 4 1 , 709.
�ART. 369, 370, 371.
289
thier el Emérigon est devenue impossible. La justifica
tion de la visite crée une présomption en faveur de l’as
suré. Jusqu’à preuve contraire, l’innavigabilité surve
nue pendant le voyage est attribuée à une fortune de
mer.
— Cependant le Code ne subordonne plus la
recevabilité du délaissement à la production des procèsverbaux de visite. De là cette conséquence que l’assuré
qui ne fait pas cette production ne saurait, par cela seul,
voir sa demande rejetée. Seulement, l’innavigabilité dont
il se plaint est présumée provenir du vice propre, et le
délaissement ne peut être validé que s’il fournit la preu
ve contraire.
Cette preuve peut résulter des circonstances acquises
et certaines. Ainsi le jugeait le tribunal de commerce de
Marseille, le 4 décembre 1820 : Attendu que, dans l’es
pèce, il ne s’agissait pas d’une innavigabilité dont la
cause fût ignorée, qu’on peut par conséquent attribuer,
d’après les présomptions légales, à la vétusté du navire
ou à son mauvais état à l’époque du départ, mais bien
d’une innavigabilité survenue à la suite d’un échouementavec bris,et produite par la circonstance que le na
vire n’a pu être réparé1.
A quoi bon, en effet, s’arrêter à des présomptions
lorsque par sa nature l’événement ne permet pas d’équivoquer. Cette règle était applicable sous l’empire de la
1431.
i Journal de Marseille, t. 2, 4, 40.
iv — 19
�290
d r o it m a r it im e .
déclaration de 1779 elle-même. Dans le cas de nau
frage, par exemple, ou d’échouement avec bris total, la
production des procès-verbaux de visite n’était ni exi
gée, ni nécessaire l.
Le tribunal de Marseille faisait donc une exacte ap
plication des principes. D’un côté, la certitude de l’échouement avec bris, de l’autre, l’impossibilité de répa
rer le navire ne permettaient aucun doute sérieux sur
la réalité de la fortune de mer.
14133. — Il suit de la dispense de la visite en fa
veur des navires faisant le cabotage, qu’on ne saurait
raisonnablement exiger la représentation des procès-ver
baux, ni faire surgir de leur absence aucune présomp
tion contre l’assuré. Comment, en effet, le punir de nîavoir pas fait ce dont la loi lui permettait de s’abstenir.
Donc, en ce qui concerne le cabotage, on pourrait en
core se demander si l’assuré doit prouver la fortune de
mer, ou s’il incombe à l’assureur de justifier le vice
propre.
Mais celte question nous parait résolue par l’écono
mie des dispositions du Code et par les principes géné
raux. Si les navires destinés à cette navigation n’ont pas
de visite à subir, c’est qu’on les a présumés en bon état,
dès lors on doit considérer l’événement comme fatal.
L’assureur excipant du vice propre pour établir sa libéi Cass., 25 m ars 1806.
�369, 370, 371.
291
ration devient demandeur dans son exception et tenu
comme tel de la justifier.
art.
*■
quelle qu’en soit la cau
se, n’a d’existence légale que du jour qu’elle a été dé
clarée par autorité compétente. Le délaissement n’est
récevable qù’après cette déclaration. C’est ce que l’ar
ticle 390 exprime formellement pour ce qui concerne
l’assuré sur facultés.
En ce point encore, le Code déroge à la déclaration
de 1779. Celle-ci voulait que le navire fût condamné
par le juge comme incapable de naviguer, de là cette
conséquence que le juge de la localité, quel qu’il fût,
était appelé à prononcer seul sur la condamnation.
Le Code a réservé cette faculté exclusivement aux tri
bunaux français. Mais comme l’événement peut se réa
liser à des distances considérables, la mission des tribu
naux devenait irréalisable. si des constatations accueil
lies sur la localité même ne venaient fournir des élé
ments utiles pour leur décision, ces éléments résulteront
de la déclaration d’innavigabilité que le Code se borne
à exiger.
Aucune forme spéciale n’a été tracée à cette déclara
tion, nous avons déjà vu à cet égard l’influence néces
saire que les circonstances du temps et du lieu sont ap
pelées à exercer sur celte déclaration K
1433.
— L’innavigabilité,
1 Voy. supra , art. 237, n°* 466 et suiv.
�DROIT MARITIME.
292
Ainsi, si le navire aborde dans un lieu où la France
est représentée par un consul ou un agent, c’est devant
l’un ou l’autre que doivent être remplies les formalités
pour arriver à la déclaration d’innavigabilité ; s’il
n’existe dans le pays ni consul, ni agent, c’est l’autorité
locale qui doit intervenir et sanctionner les mesures que
le capitaine doit prendre pour constater l’innavigabilité.
Dans ce dernier cas, il n’est pas nécessaire que cette in
navigabilité soit déclarée par le juge du lieu, elle le sera
régulièrement par les tribunaux français sur le vu des
documents produits par l’assuré L
1434. — Ajoutons que la déclaration émanée soit
du consul français, soit du juge de la localité, ne lie pas
les tribunaux chargés de prononcer sur la validité du
délaissement. La compétence des consuls notamment est
épuisée dès qu’ils ont ordonné l’expertise du navire, ils
ne peuvent ni annuler cette expertise, ni en ordonner
une nouvelle. G’est ce que la Cour de cassation décidait
formellement par arrêt du 1er août 1843.
La décision, dit la Cour régulatrice, par laquelle un
consul ordonne la vente d’un navire, en se fondant sur
son état d’innavigabilité, étant purement administrative
et conservatoire, ne peut constituer la chose jugée vis-àvis des assureurs qui n’y ont pas été représentés, et ne
lie pas les tribunaux saisis de la question de la validité
du délaissement;
�295
369, 370, 371.
En conséquence, ces tribunaux peuvent rejeter la de
mande en délaissement, sans avoir égard à la décision
du consul et à l’expertise sur laquelle elle s’appuye, en
s’en référant au contraire aux expertises par lui annu
lées 1.
D’autre part, dans son arrêt du 3 juillet 1839, la
même Cour déclare qu’en cas de relâche forcée dans un
port étranger où il n’existe pas de consul français, à la
Jamaïque, par exemple, l’innavigabilité par fortune de
mer est légalement constatée dans le sens de l’article
237, si elle l’a été, soit par le livre de bord, soit par
une expertise, même peu régulière, mais confirmée par
trois officiers de la marine anglaise nommés par le com
modore commandant de la station.
En d’autres termes, le juge investi de la connaissance
du délaissement est absolument indépendant et libre
dans l’appréciation de sa validité, il n’obéit qu’aux ins
pirations de sa conscience, quels que soient les docu
ments sur lesquels son attention est appelée. La décision
consulaire elle-même ne le lie en rien, et il peut écar
ter les éléments sur lesquels elle se fonde, admettre ceux
qu’elle repousse ; enfin , déclarer navigable le navire
qu’elle a considéré comme innavigable , et réciproque
ment.
Cette doctrine est celle qu’ont adoptée tous les au
teurs, sauf M. Pardessus qui seul s’est prononcé en sens
contraire. Il estime , en effet, que les procès-verbaux
ART.
1 J. du P., \ , 4 844, 442.
�294
DROIT MARITIME.
des autorités compétentes, les ordres qu’elles donnent,
fussent-ils même évidemment arbitraires, soit pour réu
nir les débris en cas de naufrage absolu, soit pour dé
pecer ou vendre le navire qui aurait échoué avec bris,
eussent-elles mal à propos considéré comme totalement
perdu un navire que les efforts de l’équipage auraient
pu relever, et que peu de frais auraient pu remettre en
état, sont des preuves du sinistre que l’assureur ne peut
contester, sauf son recours contre l’agent de l’autorité
dont il aurait à se plaindre l.
Cette opinion sans écho dans la doctrine n’en a pas
trouvé davantage dans la jurisprudence. La presque una
nimité des cours et tribunaux se sont rangés à l’avis
coniraire et la Cour de cassation qui le consacrant dès le
3 août 1821, n’a jamais varié depuis.
C’était là au reste une conséquence logique de la nature des choses. L’erreur du consul lui aura été néces
sairement inspirée par les renseignements inexacts, ou
les -calculs exagérés du capitaine, qui n’aura le plus
souvent en vue que l’intérêt de l’armateur. En consé
quence, consacrer celte erreur, et en faire le fondement
légitime d’un délaissement, c’eût été autoriser ce der
nier à profiter de la fraude de son mandataire, ce qui
est contraire à tous les principes.
Cette considération explique pourquoi lorsque l’ar
mateur a voulu, excipant de l’erreur du consul, faire
annuler la vente et poursuivre la restitution de son na-
�369, 370, 371.
295
vire contre le tiers acheteur, sa demande a été repous
sée K Cette demande en effet n’aurait d’autre objet que
de faire peser sur le tiers acheteur la responsabilité des
actes du capitaine, qui ne peut incomber qu’à lui qui
en a fait son mandataire et qui a eu le tort de l’investir
d’une confiance qu’il ne méritait pas.
ART.
— L’innavigabilité du navire peut n’éclater
qu’après son arrivée au port du reste , et n’être recon
nue qu’après son entier déchargement. Le délaissement
aux assureurs d’entrée n’en serait pas moins recevable si
les causes de l’innavigabilité proviennent d’accidents
éprouvés pendant le voyage, et constatés par le livre de
bord, le rapport du capitaine et les attestations de l’é
quipage. On déciderait le contraire si ces causes étaient
postérieures à la cessation du risque.
Dans cette hypothèse donc, le litige résidera sur l’é
poque à laquelle on doit fixer les causes d’innavigabilité.
Le tribunal de Marseille décidait, le 14 mars 1834, que
lorsque les assureurs prétendent que les avaries, ayant
donné lieu à la déclaration d’innavigabilité et par suite
au délaissement, sont survenues après que le risque
avait cessé par l’entier déchargement du navire, c’est à
eux à prouver cette exception, et non aux assurés à jus
tifier que les avaries ont eu lieu pendant la durée du
risque, c’est-à-dire, avant l’entier déchargement2.
1435.
1 V. Supra, art. 237, n° 474.
de Marseille, t. 44, 4, 4 69.
2 Journal
�296
DROIT MARITIME.
Nous acceptons cette doctrine, mais à la condition
que l’allégation de l’armateur s’étayera sur des docu
ments la rendant probable, c’est-à-dire le rapport régu
lier du capitaine, les attestations de l’équipage ; dans ce
cas, les assureurs ne peuvent réclamer que la preuve
contraire qui se trouve naturellement à leur charge.
Que si l’allégation de l’armateur ne s’appuye sur au
cun document, on ne voit pas pourquoi cette allégation
devrait être accueillie, et comment on pourrait dispen
ser l’assuré de prouver l’antériorité de l’avarie sur la
quelle il fonde son recours ; il n’aura raison que si
cette antériorité est réelle, à lui donc de la justifier sous
peine de voir sa demande rejetée pour défaut de fonde
ments.
1 4 9 6 . — Le droit de délaisser soit le navire, soit la
cargaison , résulte de l’arrêt émané d’une puissance
étrangère, mais ce droit se trouve régi dans ses consé
quences par les articles 387 et 388. L’arrêt de prince
est plutôt une interruption plus ou moins prolongée,
que la rupture absolue du voyage, il était donc naturel
de subordonner le délaissement au résultat des démar
ches que cette interruption appelle naturellement.
L’arrêt de prince semblerait devoir motiver le délais
sement, alors même que le souverain dont il émane
paye la cargaison en se l’appropriant. Le but de l’assu
rance, en effet, est le transport des objets assurés du
lieu a quo au lieu ad quem ; si par un accident quel
conque ils ne peuvent atteindre ce dernier, l’opération
�de l’assuré est manquée tout comme elle le serait par
tout autre sinistre majeur qui, concentré sur le navire,
aurait permis de sauver la cargaison.
Cependant, le délaissement admis dans ce dernier
cas est repoussé dans le premier. La doctrine et la ju
risprudence sont unanimes à cet égard. Dans tous les
temps, disait le tribunal de Marseille, on a tenu pour
principe que si le prince qui fait l’arrêt prend la car
gaison et la paye, l’assuré n’a rien à demander aux as
sureurs l.
Mais, dans ce cas, on considérerait comme avarie la
différence entre le prix payé et celui de revient aug
menté des frais de mise à bord, du fret, de la prime
d’assurance, etc... L’assuré devrait en être indemnisé.
La seule chose dont il ne pourrait exiger qu’on lui tint
compte, c’est le profit espéré.
143S. — La défense faite par un souverain de lais
ser passer certaines marchandises dans ses Etats, et mê
me de les laisser rétrograder si elles y sont parvenues,
n’est pas constitutive de l’arrêt de prince de ns le sens
de l’article 369. Elle ne donne donc pas lieu au délais
sement, si d’ailleurs elle est générale, préexistante au
contrat d’assurance et si elle n’est pas suivie de dépos
session .
Nous avouons que cette dernière condition ne nous
parait pas rigoureusement nécessaire. L’arrêt de prince
28 février <1822 ; Journal de Marseille, t. 3, \, 78.
�298
DROIT MARITIME.
n’est pas, en général, suivi de dépossession. Cependant,
il autorise le délaissement s’il se prolonge au-delà du
délai accordé par l’article 387. Pourquoi donc n’admet
trait-on pas, dans le premier cas, ce qu’on a permis
dans le second ?
Ce qui est décisif, c’est la généralité de la mesure et
sa préexistence au contrat d’assurance. Dès que la dé
fense était connue, celui qui s’est décidé à l’enfreindre
a commis un acte de contrebande dont il doit courir les
chances.
Nous avons dit, il est vrai, que la contrebande à l’é
tranger peut faire la matière d’une assurance. Mais il
faut que la police s’en exprime formellement. Les assu
reurs n’en répondent que s’ils en ont expressément ac
cepté les risques. Cette acceptation ne saurait être im
plicite, ni résulter, dans notre espèce, de ce que les
assureurs ont connu la nature de la marchandise, sa
destination et la prohibition de l’y conduire. Nous le
répétons, la contrebande n’étant pas un risque mariti
me, les assureurs ne peuvent, dans aucun cas, être pré
sumés l’avoir garantie. Il faut une stipulation expresse.
— L’arrêt de prince peut être non pas seument le fait du souverain, mais encore celui du magis
trat ou du juge. De quelque part qu’il émane, il est une
cause de délaissement.
Mais pour qu’il en soit ainsi dans la dernière hypo
thèse, il faut que l’arrêt dicté par l’intérêt public soit le
fait spontané du magistrat ou du juge, sa décision, pro1438.
�voquée par le capitaine lui-même, ne réunirait pas les
conditions rendant le délaissement recevable ; en con
séquence ; on a, avec raison, décidé, qu’on ne pourrait
considérer comme arrêt de prince dans le sens de la loi:
1° Le jugement rendu en pays étranger sur la deman
de du capitaine, et qui l’a autorisé à terminer son voyage
dans un port de sa route, faute par les chargeurs de con
sentir à une augmentation de fret, demandée à raison
de l’augmentation des risques occasionnés, depuis le
d'part, par la survenance de la guerre ;
2° Le jugement rendu sur la demande du capitaine,
et par lequel il s’est fait autoriser à terminer son voyage
dans un port intermédiaire, dans la crainte de l’incen
die qui pourrait résulter de l’état où se trouvaient, par
suite de réchauffement, les laines composant le char
gement ;
3° Le jugement provoqué par le capitaine et l’auto
risant à désarmer dans un port intermédiaire, en se
fondant sur l’interdiction de commerce avec le lieu de
destination survenue depuis le départ *.
Mais il y aurait réellement arrêt de prince donnant
lieu au délaissement, si le capitaine ne pouvait obtenir
l’autorisation sans laquelle il ne lui est pas permis de
continuer son voyage. Ainsi, le tribunal de commerce de
Marseille jugeait, les 20 octobre et 10 novembre 1829,
que lorsqu’un navire, parti de Marseille à dest nation
i Dageville, t. 3, p. 564 et 569; Estrangin, sur P othier, p. 435 et
suivantes.
�500
DROIT MARITIME.
d’Odessa, a été arrêté à Constantinople par le refus de
la Porte-Ottomane de délivrer le firman d’entrée dans
la mer Noire, et que, par suite, il a fallu y débarquer
et vendre la cargaison, la privation qu’éprouve l’assuré
de sa marchandise au lieu de destination est un événe
ment qui donne ouverture au droit de délaissement,
alors même que la police donnerait la faculté de dérou
ter, rétrograder et séjourner.
1 4 3 9 . — L’arrêt par le gouvernement français est
mis sur la même ligne que l’arrêt d’un souverain étranger. Tout ce que l’article 369 exige dans l’hypothèse du
premier, c’est qu’il ait lieu après le voyage commencé.
Mais cette condition est commune à l’arrêt du souve
rain étranger, on ne pouvait pas, pour celui-ci, édicter
cette condition, précisément parce que se réalisant à
l’étranger, il faut de toute nécessité que le navire ait
quitté le port français, et par conséquent commencé son
voyage.
Ce silence du Code à cet égard s’explique donc par
cette circonstance, que ce n’est le plus ordinairement
qu’en cours de voyage que le navire pourra être arrêté
par un souverain étranger. Supposez donc qu’un navire
arme dans un port étranger. Si avant la fin de l’arme
ment il est arrêté par l’autorité du pays, les armateurs
ou chargeurs ne seront ni recevables, ni fondés à opérer
le délaissement si, par la qualité des parties ou le lieu
dans lequel est intervenu le contrat d’assurance, le li
tige doit être régi par la loi française.
�369, 370, 371.
501
Il y a d’autant moins de doute à concevoir sur l’in
tention du législateur, que l’article 370 généralise la
condition que l’article 369 spécialise à l’arrêt du gou
vernement. Quelle qu’en soit la cause , le délaissement
ne peut être fait avant le voyage commencé. Donc, l’ar
rêt du souverain étranger survenu avant ce commence
ment ne pourrait l’autoriser, sinon en force de l’article
369, du moins par application de l’article 370.
ART.
— Dans l’un comme dans l’autre de ces ar
ticles, les termes, avant ou après le voyage commencé,
ne sont que la conséquence de ce que le législateur s’y
occupe plus spécialement de l’assurance sur corps, et
que, en droit commun, le risque en cette matière ne
commence à courir que du jour où le navire a fait voile.
C’est donc le commencement du risque qui fixe l’épo
que du commencement du voyage, à l’endroit de la va
lidité du délaissement.
De là cette conséquence que pour les facultés, le ris
que étant à la charge des assureurs au moment de leur
chargement sur les gabarres et allèges, l’arrêt intervenu
plus tard réunirait la condition exigée. Le délaissement
deviendrait recevable, dans les délais des articles 387 et
388.
Le voyage de retour, lorsque l’assurance est à pri
me liée, n’étant que la continuation du voyage d’aller,
l’arrêt de prince qui saisirait le navire dans le port
d’où il doit effectuer son retour serait intervenu après
1430.
�DROIT MARITIME.
502
voyage commencé et autoriserait dès lors le délaisse
ment.
i
1 4 3 JL. — Enfin, une dernière cause de délaisse
ment est la perte ou la détérioration des effets assurés,
si l’une ou l’autre atteint au moins les trois quarts de la
valeur.
Ici encore, nous notons une double modification à
l’ordonnance de 1681. Celle-ci ne prévoyait que la perte
matérielle, effective. De telle sorte que, quelle que fût la
détérioration, l’action en délaissement était absolument
refusée.
Vainement Pothier s’élevait-il contre cette règle, vai
nement observait-il « qu’on dit dans l’usage ordinaire
de parler, que des marchandises qui sont considérable
ment endommagées sont des marchandises perdues.
L’ordonnance, répondait Emérigon, ne comporte pas
cette interprétation. La dégradation n’est pas la perte,
le chargeur n’est pas privé de la chose. Sa conclusion
était celle-ci : supposez que le blé fût pourri en entier,
le délaissement, ne serait pas admis, ce dommage ne
serait rien de plus qu’une avarie simple.
L’ordonnance ne permettait donc de délaisser qu’en
cas de perte et de perte entière. Ce résultat devait se pré
senter bien rarement dans l’assurance sur facultés. Celte
condition était, à vrai dire, pour celle-ci une sorte de
prohibition de la faculté de délaisser. Ce qui en résul
tait notamment, c’est que, dans l’hypothèse d’une po
lice portant la clause franc d’avarie, l’assuré n’avait au-
�369, 370, 371.
303
cun recours à exercer, même dans le cas où il perdait
les dix-neuf vingtièmes de la chose assurée, cette perte
ne constituant pas le sinistre majeur autorisant le dé
laissement, et faisant par conséquent exception aux ef
fets de cette clause.
Ce pouvait être là un motif de discrédit pour l’assu
rance. Aussi, dans le désir de débarrasser l’institution
de cet obstacle, avait-on songé à donner à l’ordonnance
une interprétation plus rationnelle. Valin et Pothier,
s’étayant d’une disposition conforme du Guidon de la
mer, voulaient qu’on assimilât la perte presque entière
à la perte entière, et enseignaient la recevabilité du dé
laissement toutes les fois que l’assuré était privé au
moins de la moitié des effets assurés. L’ordonnance ad
mettait-elle ce tempérament? C’est que contestait Emérigon, et non sans raison.
Ce qui ne pouvait être réalisé par les jurisconsultes et
par la justice elle-même, le législateur était en position
de l’accomplir. Aussi les auteurs du Code n’hésitent-ils
pas à adopter le principe professé par Valin et Pothier
tant sur l’effet de la détérioration que sur la quotité de
la perte. La première fut assimilée à la perte elle-même,
et le délaissement fut ouvert à l’assuré, dès que l’une ou
l’autre affectait au moins les trois quarts de la chose
assurée.
ART.
— Il n’y a donc plus de difficultés à prévoir
si ce n’est sur la détermination de la détérioration- ou
de la perte. A-t-elle ou non atteint la proportion indi1433.
�504
DROIT MARITIME.
quée ? Telle sera l’unique question de la solution de la
quelle dépendra la recevabilité du délaissement.
O r, à cet égard, remarquons que la perte et la dé
térioration sont deux genres de sinistre , ayant chacun
ses caractères propres qu’on ne peut ni ne doit con
fondre. La perte s’entend de la diminution survenue
dans la quantité, la détérioration de celle dans la qua
lité.
C’est donc par le nombre des colis restants, par le
poids ou la mesure que s’établit la quotité de la perte.
Il y a lieu à délaissement, dès que les effets conservés
atteignent à peine le quart du chargement primitif, et
que l’excédant a été jeté à la mer, perdu par échouement ou naufrage, vendu ou engagé par le capitaine en
cours de voyage, même avec autorisation de la justice.
Il y a perte du navire, s’il est englouti dans le nau
frage ou brisé par échouement, si le capitaine s’en est
illégalement emparé ou l’a indûment vendu. Dans ces
dernières hypothèses, s’agissant d’une prévarication du
capitaine, le délaissement ne pourrait avoir lieu que si
l’assureur avait garanti la baraterie de patron.
La détérioration peut ne diminuer en rien la quantité
de la marchandise. Elle sera, sous ce rapport, ce qu’elle
était au jour du chargement. Seulement de bonne qu’elle’
était alors, elle sera devenue mauvaise sous l’influence
d’une fortune de mer, à la charge des assureurs.
— L’importance et les effets de la détériora
tion sont subordonnés à son étendue. De toute néces1433.
�ART.
303
3G9, 370, 371.
silé, on doit donc recourir à une expertise. Les éléments
de celle-ci sont, d’une part, la valeur des effets à l’état
sain, au jour et au lieu du chargement; d’autre part,
ce qu’auraient valu, à la même époque et dans le même
lieu, les effets tels que l’avarie les a rendus. La diffé
rence entre ces deux valeurs constitue le chiffre de la
détérioration.
Les experts, dit en effet M. Boulay-Paty, ne doivent
point prendre pour base un prix de vente au lieu d’ar
rivée, parce que le prix variera nécessairement suivant
la rareté des marchandises et la hausse ou la baisse ac
cidentelle qu’elles auront subie. Or, jamais les bénéfices
ou pertes d’une expédition, les résultats plus ou moins
heureux d’une spéculation commerciale ne sont à con
sidérer. Il est au contraire de l’essence du contrat d’as
surance que la fixation et l’évaluation des perles à la
charge des assureurs ne portent que sur la chose consi
dérée en elle-même 1.
Il est évident que si la quotité de la perte devait se
déterminer par le résultat de la vente au lieu d’arrivée,
une expertise était une mesure absolument frustratoire.
On n’avait qu’à rapprocher le prix produit par celte
vente du prix de revient, et en calculer la différence.
Mais cette manière de procéder accordait aux fluctua
tions du marché une influence décisive sur le délaisse
ment. Elle pouvait le faire admettre là où on aurait dû
1 T. 4, 264.
iv — 20
�D RO IT M ARITIM E.
306
le repousser, ou le faire rejeter lorsqu’il aurait dû être
consacré. Elle devait donc être proscrite.
Il n’y a donc de perte réelle que la diminution maté
riellement soufferte par l’avarie, et cette diminution ne
peut résulter que de la différence de valeur au lieu du
chargement entre la marchandise en état sain et la mê
me marchandise en éiat d’avarie. La recherche de cette
différence est l’unique mission des experts.
1434. — Ce qui pourra obvenir en maintes cir
constances, c’est que le résultat de la vente postérieure
à l’expertise sera en contradiction avec les prévisions de
celle-ci. Là, par exemple, où les experts auront admis
la perte des trois quarts, le prix obtenu dépassera le
quart, il ne l’atteindra pas dans l’hypothèse contraire,
que devront faire les juges ?
Les considérations qui précèdent semblent indiquer
qu’ils doivent s’arrêter de préférence à l’opinion des ex
perts. Cependant, on a indiqué comme jugeant le con
traire un arrêt de la cour de Rennes du 29 août 184M.
Il est vrai que certains motifs de l’arrêt prêtent à cette
interprétation ; qu’on y lit, en effet, que rien n’est plus
propre qu’une vente sincère et loyale pour fixer le prix
d’une marchandise, puisque l’évaluation n’est qu’une
opinion devant céder à un fait réel.
Cette proposition absolue conduirait au résultat que
nous repoussions tout à l’heure. Elle subordonnerait le
délaissement aux chances du marché d’arrivée, et viole
rait les principes de la matière.
�ART.
369, 370, 371.
507
La cour de Rennes n’a pas méconnu ce principe; elle
lui a, au contraire, rendu le plus complet hommage.
Seulement, elle refuse de l’appliquer à l’espèce qui lui
est soumise par des raisons de fait pouvant justifier sa
solution.
' Ainsi, immédiatement après les paroles que nous ve
nons de transcrire, l’arrêt ajoute : Que s’il paraît juste
de ne pas tenir compte, dans certains cas, des circons
tances qui pourraient donner à la marchandise, au lieu
du naufrage, une valeur excessive, comparativement au
lieu du chargement, cette hypothèse n’est pas admissi
ble dans le cas dont il s’agit, car les lieux sont ici tel
lement rapprochés qu’il ne peut y avoir des différences
notables dans les prix courants de l’un et de l’autre en
droit.
C’est donc un arrêt d’espèce, et non de doctrine, que
rend la cour de Rennes ; ce qui achève de la détermi
ner, c’est qu’indépendamment du rapprochement des
lieux, les experts ont commis des erreurs graves qui ont
dû influer sur leur évaluation.
Considérant, dit l’arrêt, qu’il est évident, d’après des
documents dignes de confiance, que les experts ont com
mis sur plusieurs points des erreurs qui ont dû néces
sairement influer sur le prix qu’ils ont donné aux fari
nes avariées ;
1° En déclarant, par exemple, qu’elles n’étaient pas
susceptibles d’être transportées, tandis que beaucoup de
sacs l’ont été jusqu’à Brest même sans inconvénients ;
2° En pensant qu’elles n’étaient pas propres à la pa-
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�DROIT M ARITIM E.
308
nification, tandis que pour la plus grande partie elles
ont servi à cet usage ;
3° En insistant sur ce que l’emploi en serait dange
reux pour la sauté , tandis qu’il a été constaté quinze
jours après la vente, par un commissaire de police de
Brest, assisté d’un expert, que la qualité en était irré
prochable sous le rapport de la salubrité, ce qu’avait
également déclaré le maire de la commune où elles
avaient été venduesl.
Loin donc de méconnaître le principe, la cour de
Rennes n’en faisait qu’une sage, qu’une intelligente
application. Quelle que soit en effet l’opinion des ex
perts, elle n’est jamais pour la justice qu’un avis dont
elle doit vérifier les bases qui en font le fondement. Ces
bases reconnues inexactes, le devoir du magistrat est de
les écarter et de leur substituer celle que lui dicte sa
conscience. Dans l’espèce, ce qui corroborait les repro
ches adressés à l’expertise, c’est que le prix des mar
chandises avariées qu’elle ne portait qu’à 4,632 fr. s’é
tait élevé à la vente à 11,148 fr., et les acheteurs attes
taient avoir gagné plus de trente pour cent.
En réalité donc, la cour de Rennes jugeait, non en
principes, mais en fait, dont l’appréciation lui apparte
nait souverainement. C'est ce que la Cour de cassation
relève pour rejeter le pourvoi dont l’arrêt de Rennes
avait été frappé2.
�art.
369, 570, 371.
509
La doctrine que nous avons empruntée à M. BoulayPaty n’est donc nullement atteinte par ces monuments
de jurisprudence. La valeur à considérer par les ex
perts est celle de l’époque et du lieu du chargement, sauf
les erreurs qu’ils pourraient commettre, erreurs que le
juge a toujours le droit de relever, et le devoir de ré
tablir.
— L’expertise, sauf son exactitude, est donc
le moyen unique de fixer la détérioration ou la perte
dans l’assurance sur facultés, mais dans l’assurance sur
corps, il est un autre élément à consulter ; à côté de la
détérioration, du préjudice matériel, figurera celle de la
somme jugée nécessaire pour la réparation et la remise
du navire en état de navigation. On pourrait donc vou
loir subordonner la validité du délaissement à la quotité
de la dépense.
Ainsi, dans une espèce jugée par la cour de Paris, un
navire évalué de gré à gré à 16,000 fr. s’étant échoué,
l’expertise requise par les intéressés fixait sa valeur ac
tuelle en étal d’avarie à 3,939 francs, et la dépense de
la réparation à 4,398 francs.
Le premier de ces chiffres portant la détérioration
aux trois quarts, l’assuré signifia le délaissement, mais
les arbitres repoussèrent ses prétendons : attendu que
l’évaluation des sommes à débourser en remplacement
et réparation des dommages survenus et constatés est la
seule et unique mesure exacte de la perte ou de la dété
rioration éprouvée ; qu’il est de toute impossibilité d’ad1435.
�510
D RO IT M ARITIM E.
mettre que la différence entre la valeur conventionnelle
et celle vénale donnée au navire après l’événement soit
la représentation de celle perte ou détérioration , puis
que ce serait évidemment imposer aux assureurs la res
ponsabilité et la charge des dégradations du vice propre
et de vétusté, et d’autres dépréciations étrangères à l’é
vénement.
Cette sentence, frappée d’appel, fut confirmée par
adoption des motifs K
1436. — Nous reprochons à cet arrêt de mécon
naître la loi, de retirer à l’assuré une faculté que lui
confère expressément l’article 369.
Cet article, en effet, fait deux causes de délaissement
distinctes, de l’innavigabilité, et de la détérioration ou
perte des trois quarts. On ne doit donc pas les confon
dre. C’est ce que fait cependant l’arrêt de Paris, exiger
dans tous les cas que la réparation atteigne les trois
quarts de la valeur, c’est vouloir l’innavigabililé rela
tive, il n’y aura donc pour l’assuré sur corps d’autre
cause de délaissement que celte innavigabilité même.
Ce résultat est condamné par l’article 369, mettant la
détérioration ou la perte des trois quarts sur la même
ligne que l’innavigabilité soit absolue, soit relative, et
lui attribuant les mêmes effets.
Dès lors il faut nécessairement arriver à cette conséi P a ris , 4 d é c e m b re 1 8 3 9 ; D a llo z ,
n° 2 0 3 0 .
Nouv. Rép:,
v.
Droit maritime,
�art .
369, 370, 371.
311
quence : si le coût de la réparation doit excéder les trois
quarts, l’abandon est fait pour cause d’innavigabilité ;
si la dépense ne doit pas atteindre celte proportion, le
délaissement devra encore être reçu pour perte des trois
quarts si, balance faite de la valeur actuelle et de celle
avant le sinistre, il exislecune différence atteignant cette
proportion. Dans l’espèce, le navire assuré valant avant
le sinistre 16,000 francs, n’en valait plus après que
3,939 francs. L’assuré avait donc perdu réellement et
matériellement les trois quarts de son capital, le délais
sement qu’il offrait devait être validé.
C’est ce que la cour de Bordeaux décidait, en jugeant
que pour qu’il y ait lieu à délaissement du navire en
cas de détérioration des trois quarts, cette détérioration
doit résulter d’un dommage matériel éprouvé par le na
vire, de façon qu’il n’ait, après le sinistre, que le quart
de la valeur qu’il avait avant son départ i que pour cons
tater cette détérioration il n’y a lieu qu’à rechercher la
valeur réelle du navire sans examiner le prix des répa
rations à faire, ou de la vente opérée par l’assuré.
Dans cette espèce, l’assuré avait omis de faire déter
miner la valeur actuelle, mais il prétendait l’établir par
les circonstances suivantes : le navire avait été évalué
dans la police à 30,000 francs. Or, après le sinistre,
les experts constataient que la réparation exigerait 5,600
piastres, c’est-à-dire près de 29,000 francs. La vente n’a
vait produit que 871 piastres, soit 4,462 francs 75 cen
times. La perte des trois quarts, disait-on dès lors, ne
saurait être ni méconnue, ni contestée.
�DROIT M ARITIM E.
312
Mais, répond la cour de Bordeaux, le rapport des
experts constate qu’il doit en coûter 5,600 piastres pour
réparer le navire. Or, pour constater la détérioration
des trois quarts, il ne s’agit pas de connaître les dépen
ses à faire pour la réparation, mais la valeur réelle du
navire avant que les dépenses^ne fussent faites. La vente
du navire, faite par l’ordre de l’assuré, fait connaître le
prix auquel il lui a plu de l’abandonneT, mais n’en
constate pas la valeur L
L’unique reproche qu’on pourrait faire à cet arrêt est
de n’avoir pas fait résulter du rapport des experts l’in
navigabilité du navire ; en effet, il est de principe que
dès que la somme nécessaire pour réparer le dommage
résultant de l’avarie doit s’élever au-delà des trois quarts
de la valeur du navire, le délaissement est recevable, en
core bien que le navire aurait été vendu plus du quart
de sa valeur et qu’ainsi la perte à la charge des assu
reurs serait moindre que les trois quarts de la somme
assurée ou de la valeur du navire3.
Or , dans l’espèce , le navire estimé de gré à gré
30,000 francs exigeant une réparation de 29,000 francs,
l’in navigabilité relative était incontestable, c’est ce que
la cour de Bordeaux reconnaissait elle-même, mais l’as
suré n’ayant fait ni constater, ni déclarer l’innavigabilité, le délaissement qu’il offrait ne pouvait et ne devait
pas être accueilli.
i L e Journal du Palais d o n n e à c e t a r r ê t la d a te d u 5 a v ril 18 3 2 .
M . D a llo z lu i a ssig n e c e lle d u 5 a v ril 1 8 3 9 , e t le ra p p o rte v o l. 3 9 , 2 ,2 2 1 .
�art ,
569, 370, 371.
313
1439. — La détérioration ou la perte autorisant le
délaissement doit porter sur les effets assurés et résulter
d’événements de mer en ayant diminué la quantité ou
la qualité. C’est ce qui aura lieu toutes les fois que l’as
suré ne recevra pas au lieu du reste les choses assurées
au complet ou en état sain. C’est par application de
cette règle que le délaissement est recevable lorsque, en
cours de voyage, le capitaine a vendu ou engagé les trois
quarts des marchandises pour subvenir aux nécessités
du voyage.
Peu importerait, dans ce cas, que la vente ou l’enga
gement constituant une avarie commune, le propriétaire
dût, au moyen de la contribution, recouvrer bien audelà du quart de la valeur, il suffit qu’à l'arrivée du
navire il reçoive moins du quart de sa marchandise
sans recevoir en même temps la contre-valeur de' ce
qui a été vendu ou engagé pour qu’il soit autorisé à
faire le délaissementl.
1438. — Ainsi, le défaut de livraison de la chose
assurée au lieu de sa destination équivaut à la perte ; la
condition du contrat est accomplie, et la responsabilité
des assureurs encourue. Entre eux et l’assuré, il n’y a
de réellement sauvé que la partie rendue à cette desti
nation. Si cette partie représente plus du quart, le dé
laissement est impossible, il est forcément admis dans
l’hypothèse contraire.
Comme conséquence de cette règle, on a admis que
1 Aix, 13 ju in 1823.
�314
DROIT M ARITIM E.
les effets assurés qui n’ont pu arriver à leur destination
par suite d’avaries provenant de fortunes de mer et de
la nécessité où s’est trouvé le capitaine de les vendre im
médiatement dans un port voisin pour éviter leur dété
rioration complète, peuvent et doivent être considérés
comme perdus en entier ; qu’en conséquence l’action en
délaissement est fondée, alors même que le produit de
la vente dépasserait le quart, et que la police stipulerait
que le délaissement ne sera admis que pour perte ou
détérioration de plus des trois quarts.
La cour de Rouen l’ayant ainsi jugé, le 27 novembre
1838, son arrêt fut dénoncé à la Cour de cassation, mais
le pourvoi fut rejeté le 5 novembre 1839. Ce qui déter
mine ce rejet, c’est que la cour de Rennes n’avait fait
qu’interpréter le contrat et apprécié les faits, comme
elle avait le droit souverain de le faire. La Cour suprê
me ne s’explique pas sur le fond du droit, mais M. le
conseiller-rapporteur n’imite pas cette réserve, il donne
au système de l’arrêt la plus complète adhésion. Rap
pelant que les effets assurés n’avaient pu être, n’avaient
pas été rendus à leur destination, il faisait ressortir de
là la perte entière, et cela par deux raisons ; d’une part,
pas la moindre partie des objets n’a été offerte aux as
surés au lieu de destination , d’autre part, les objets
parvenus au port intermédiaire n’ont pas même été mis
à la disposition des assurés, le capitaine ayant été obli
gé de les vendre, parce que, dans un bref délai, il y
aurait eu perte entière. Si la vente a produit plus du
quart de la valeur totale, continuait M. le rapporteur,
�369, 370, 371.
315
c’est dans l’intérêt et pour compte des assureurs ; quant
aux assurés, ils n’ont pu rien recevçir, parce qu’ils ont
dû apprendre en même temps le naufrage et la vente
de leurs marchandises. En cet état, elle était réellement
perdue pour eux, et même ils n’ont pas eu, à propre
ment parler, de délaissement à faire, puisque elle n’exis
tait plus en nature quand ils ont eu à s’expliquer l.
Toutes les fois donc que les effets assurés n’arrivent
pas à leur destination, il y a perte entière, quel qu’ait
été le résultat du sauvetage et à quelque quotité qu’at
teigne le prix de la vente que le capitaine a été dans la
nécessité de réaliser. Le délaissement est recevable et
fondé.
art.
1430. — Si, au contraire, les effets arrivent au
port du reste, la perte ne se calcule plus que sur leur
état matériel et l’importance de leur diminution en quan
tité ou en qualité. Si cette diminution ne s’élève pas
matériellement aux trois quarts, il ne peut y avoir lieu
qu’à un règlement d’avaries. Peu importerait qu’à leur
arrivée les marchandises se trouvassent grevées de char
ges résultant de fortunes de mer subies pendant le
voyage. Ainsi, on ne pourrait, dans la détermination
de la quotité de la perte, avoir aucun égard à ce que
les effets assurés devraient pour contribution aux ava
ries communes et aux frais depuis l’achèvement du
1 D. P , 39,
378.
�316
DROIT MARITIME.
voyage, cette contribution et ces frais ne pourraient don
ner lieu qu’à un règlement d’avaries1.
— L’arrivée de la marchandise au lieu de
destination est donc le fait capital et décisif en matière
de délaissement. C’est en se plaçant à ce point de vue
qu’on résoudra juridiquement la difficulté que soulève
la question de savoir si la contribution aux frais occa
sionnés par le sinistre et les opérations du sauvetage doi
vent compter ou non dans la détermination de la quo
tité de la perte ?
Un navire fait naufrage, on sauve plus du quart des
marchandises assurées, mais la nécessité de payer les
frais de sauvetage oblige le capitaine de les vendre. Le
délaissement sera-t-il recevable ?
On a étayé la négative sur la règle enseignée notam
ment par M. Eslrangin, que la faculté de faire le délais
sement ne peut naître que de l’événement de mer et non
de faits antérieurs ou postérieurs ; que c’est la perte ou
la détérioration que la marchandise souffre pendant la
tempête, qu’on doit exclusivement considérer ; enfin,
qu’on ne peut, par des dépenses faites après l’événement,
convertir en cas d’abandon un fait qui par lui-même ne
donne lieu qu’à un règlement d’avaries ; c’est ce qu’on
ferait cependant si on fondait le délaissement sur les dé
penses extraordinaires que la loi range expressément au
nombre des avaries.
1440.
1 Cass., 19 février 1841 ; J. duP., 1, 1844, 599.
�317
369, 370, 371.
Dans une espèce dans laquelle notre hypothèse s’était
réalisée, l’assuré soutenait devant le tribunal de com
merce de Marseille la validité du délaissement. En fait,
disait-il, les marchandises ne sont jamais parvenues à
leur propriétaire, puisqu’elles ont été vendues et ont dû
l’être, soit parce que tirées du fond des eaux elles étaient
pèle et mêle, qu’on ne voyait plus ni marques, ni nu
méros, et qu’il était impossible d’appliquer à l’un plu
tôt qu’à l’autre chargeur les objets perdus ou recouvrés,
soit parce que l’avarie était telle, que le moindre retard
eût amené la perte entière, soit enfin pour payer les frais
de sauvetage.
En l’état donc on ne pouvait considérer comme sauvé
que le prix de la vente, paiement fait des frais de sau
vetage auxquels était attaché le privilège, dès lors la por
tion de ce prix retirée par les chargeurs étant inférieure
au quart de leur chargement, le délaissement devait être
accueilli.
L’article 369, ajoutait-on, parle de perte ou détério
ration, il s’arrête là, il ne s’occupe ni de perte maté
rielle, ni de perte numérique, accidentelle ou occasion
nelle, ni de perle intrinsèque ou extrinsèque. La perte
n’est-elle pas matérielle et dans la chose, lorsque, com
me dans l’espèce, par suite de l’événement de mer, la
marchandise est devenue l’objet d’un sauvetage et d’une
vente et qu’elle a été enlevée au propriétaire.
Enfin, en admettant que la perte doive naître direc
tement de la fortune de mer, ce qui n’est nullement dans
la loi, celte condition se serait réalisée dans la circonsart .
�518
DROIT MARITIME.
tance. N’est-ce pas l’événement de mer qui a occasionné
le sauvetage, et, par suite, les frais nécessaires pour l’o
pérer, et la vente pour préserver les marchandises d’une
perte totale.
Ces prétentions et ces moyens furent repoussés, le tri
bunal, par application dés règles que nous venons d’ex
poser, déclara le délaissement non recevable et n’admit
que l’action en règlement d’avariesl.
Le grave intérêt que la solution de notre question
peut offrir se décèle notamment dans l’hypothèse d’une
police stipulant la franchise d’avarie. Alors, en effet, la
perte ou détérioration sera ou non au compte exclusif de
l’assuré, suivant qu’on admettra ou non le sinistre ma
jeur donnant lieu à délaissement3. Sous ce rapport il
convient de rechercher ce qu’il doit en être.
Or, on a reproché à l’opinion de M. Estrangin et au
jugement du tribunal de Marseille d’ajouter à la loi, en
distinguant là où elle n’a pas distingué elle-même, il
suffit, dit notamment M. Dageville, que l’assuré justifie
qu’il éprouve une perte ou détérioration des trois quarts
au moins, pour qu’il soit fondé dans son délaissement,
sans qu’il soit nécessaire d’examiner si cette perte est
l’effet direct, ou seulement la conséquence nécessaire
d’une fortune dè mer. Dès que la perte des trois quarts
est établie, qu’elle procède des événements de mer ou de
leurs conséquences, l’action en délaissement est admis1 Journal de Marseille, t. 4, 4, 303.
2 Voy. supra art. 409,
�sible. En conséquence, M. Dageville estime que toute
dépense légitime quelconque, antérieure à la demande
en délaissement, même les frais de justice du magistrat
sur les lieux, qui sont une conséquence nécessaire de
l’événement de mer, doivent entrer dans la composition
du compte duquel il doit résulter s’il y a ou non perte
des trois quarts L
C’est, en effet, ce que la cour d’Aix consacrait formel
lement, par arrêt du 5 décembre 1827.
On peut dire de celte opinion, comme de l’opinion
contraire, qu’elle est trop absolue. Nous venons de voir
qu’en principe les charges dont la marchandise a pu être
grevée pendant le voyage, notamment la contribution
aux avaries communes, ne devaient pas être prises en
considération, si cette marchandise arrivée au lieu du
reste peut être matériellement livrée au chargeur audelà du quart. C’est ce que l’avis de M. Dageville ten
drait à méconnaître.
La vérité est donc ailleurs. Oui, dirons-nous avec
MM. Estrangin, Pardessus, Boulay-Paty, la perte doit
être matérielle, mais cette condition se réalise toutes les
fois que la chose assurée n’est pas rendue à sa destina
tion et ne peut être livrée à son propriétaire.
C’est là une règle sur l’application de laquelle la Cour
de cassation n’a jamais varié. Nous venons de la cons
tater dans son arrêt du 5 novembre 1839, et dans les
observations si explicites de M. le conseiller-rapporteur.
l T. 3, p. 444 et suiv.
.
m§
. 'ij
Ia
�320
DROIT MARITIME.
C’est également ce qu’elle avait, plus expressément
encore, admis le 22 juillet 1826, en jugeant que la
clause d’une police d’assurance maritime, par laquelle
il est convenu que le délaissement des marchandises as
surées ne pourra avoir lieu qu’en cas de perte des trois
quarts des effets assurés, n’empêche pas les assurés de
faire le délaissement, lorsque, par suite d’échouement,
les marchandises en bon état ont été déposées dans un
lieu autre que celui oii les assureurs se sont, par une
clause écrite, expressément obligés de les faire parvenir
à leurs risques, soit par un navire désigné, soit par tout
autre, et quoique ni le capitaine, ni les assureurs n’aient
pu trouver un autre vaisseau pour en faire le transport
au lieu convenu l.
En réalité donc, la recevabilité de l’action en délais
sement est entièrement subordonnée à l’arrivée des mar
chandises au lieu de leur destination. Si, le voyage ter
miné, l’assuré ne reçoit que le quart, soit en quantité,
soit en qualité, il y a perte ou détérioration dans le sens
delà loi. Il suffît que l’une ou l’autre soit la conséquence
directe de l’événement de mer, pour qu’on ne soit pas
admis à distinguer. Le délaissement est recevable, que
la marchandise ait été engloutie dans la mer, qu’elle
ait été vendue à cause de son état d’avarie, ou pour faire
face aux dépenses occasionnées par le sinistre ou par le
sauvetage.
Si la marchandise arrive en nature à sa destination, si
�521
369, 370, 371.
elle peut y être livrée en nature au destinataire au-delà
du quart, le délaissement est impossible. Les charges
qui pourront la grever pour la contribution aux frais
du sauvetage, aux dépenses occasionnées par le sinistre,
ou à toutes autres avaries communes ne constituent plus
là perte exigée par l’article 369 et ne donnent lieu qu’à
un règlement d’avaries.
, r
C’est ce que la cour de Paris décidait avec raison, le
27 mars 1838. Dans l’espèce, le navire et la cargaison
étaient arrivés à leur destination. Mais un emprunt à la
grosse, contracté pendant le voyage, n’ayant pas été
remboursé, l’un et l’autre avaient été vendus à la pour
suite du prêteur. Le produit de la vente ayant été ab
sorbé au-delà des trois quarts, le chargeur signifia le
délaissement, mais sa prétention fut repoussée, par la
raison qu’il n’y avait pas là perle matérielle ; que la
chose était, au contraire, effectivement arrivée à sa des
tination, et que si elle y avait été vendue, c’était par la
faute de l’assuré, qui aurait dû acquitter le prêt, sauf à
s’en faire indemniser par ses assureurs b
ART.
1441. — Dans l’assurance sur corps ou facultés, la,
perte à la charge des assureurs ne se calcule jamais que
sur le montant de la somme assurée, quelle que soit la
valeur réelle du navire ou de la cargaison. L’assuré
devient son propre assureur jusqu’à concurrence de la
différence, et supporte proportionnellement la détériora1 D. P ., 38, 2, 94,
IV —
21
�322
DROIT MARITIME,
tion ou la perte. De là cette conséquence qu’il n’y a
perte des trois quarts donnant lieu à délaissement que
lorsque cette perte atteint ce taux, eu égard à la valeur
réelle du navire ou de la cargaison.
1 4 4 9 . — Dans l’assurance des sommes prêtées à la
grosse, il peut arriver que la perte ou la détérioration
atteigne les trois quarts de cette valeur , sans offrir la
même proportion à l’endroit du prêt. Par exemple,
je prête 40,000 fr. sur navire ou cargaison en valant
40,000. Après le sinistre, le navire ou la cargaison ne
présentant plus qu’une valeur de 5,000 fr., il y a évi
demment, en ce qui les concerne, perte de plus des trois
quarts.
Mais les 5,000 fr. restant devant être reçus par le
prêteur, la perte à son endroit ne sera que du 50 0/0,
pourra-t-il néanmoins faire le délaissement à ses as
sureurs comme pourrait le faire l’armateur ou le char
geur ?
M. Dageville se prononce pour l’affirmative. Le prêt
à la grosse, dit-il, ne portant que sur le quart de la
valeur, l’emprunteur aurait pu faire assurer l’excédant,
soit 30,000 fr.; auquel cas, aux termes de l’article 331,
les 5,000 fr., produit du sauvetage, se seraient répartis
entre l’assureur et le prêteur, à raison de 3,750 pour le
premier, et de 4,250 pour le second. Le prêteur eût
donc perdu les sept huitièmes de la chose, et eût été
fondé à délaisser. Or, ce droit ne saurait être accordé ou
refusé, suivant qu’il aura plu ou non à l’emprunteur
�ART. 3 6 9 , 3 7 0 , 3 7 1 .
323
de conserver ou non un découvert. C’est du résultat seul
des événements de mer que doit dépendre, pour le prê
teur, la faculté de délaisser l.
Ce système offre d’abord cette singularité qu’on se dé
cidera, non pas par la vérité des choses, mais par ce
qui aurait pu arriver. Sans doute, s’il y a concours en
tre une assurance et un prêt à la grosse, le prêteur as
suré pourra faire le délaissement. Pourquoi ? Unique
ment parce que, ayant prêté 10,000 fr., l’assuré n’en
recevra que 1,230, et qu’en fait il aura ainsi perdu plus
des trois quarts de son capital. Si ce concours n’existe
pas, le prêteur recevant à lui seul les 5,000 fr. sauvés,
comment pourrait-il prétendre avoir perdu au-delà des
trois-quarts ?
D’ailleurs, la nécessité du concours n’est-elle pas par
elle-même la preuve que le prêteur n’a jamais eu sur
les 30,000 fr., excédant du prêt, qu’un simple droit de
gage ; ce dont il sera privé sera donc la garantie que
l’emprunteur pouvait même en grande partie lui enle
ver, en faisant assurer ces 30,000 fr. Or, quelque forte
que soit la réduction du gage, elle ne saurait être assi
milée ni confondue avec la perte ou la détérioration de
la chose assurée. Cette chose, dans notre hypothèse, n’a
jamais été ni pu être que la somme de 10,000 fr. Dès
lors, si le prêteur est en position d’en retirer 5,000, il
se trouve par cela même dans l’impossibilité de se pré
valoir de l’article 369.
i T . 3, p. 113 et suivantes.
�524
DROIT MARITIME.
La doctrine que nous repoussons aurait un résultat
plus singulier encore. Elle autoriserait le prêteur à dé
laisser, même dans l’hypothèse où il ne perdrait pt s une
obole de son capital. Supposez, en effet, que le produit
du sauvetage atteigne le chiffre de 40,000 fr., le préteur
sera intégralement remboursé. Cependant, il pouvait
avoir à concourir avec une assurance, et, se trouvant
en perte des trois quarts, son délaissement aurait été re
cevable. Faudra-t-il encore que l’éventualité de ce con
cours lui permette de délaisser, alors que son absence
lui fera toucher les 10,000 fr. qu’il a prêtés.
Sans doute, le défaut complet d’intérêt permet de
croire qu’il ne recourra pas à cette voie. Mais enfin, si
par un sentiment quelconque, par pur caprice, il pré
tendait le faire, on ne saurait l’en empêcher dans le sys
tème de M. Dageville, et c’est ce qui nous paraît abso
lument inadmissible.
La difficulté, s’étant présentée devant le tribunal de
commerce de Marseille, y a été résolue dans le sens que
nous adoptons. Le jugement rendu le 15 mars 1824 re
pousse le délaissement, considérant que, dans l’assu
rance du prêt à la grosse, c’est la somme prêtée qui fait
l’objet principal de l’assurance ; que les effets sur les
quels cette somme est affectée ne sont que le gage du
prêt ; qu’en conséquence, quelque forte que soit la ré
duction du gage, elle ne saurait être confondue avec la
détérioration dont parle l’article 369, et qui ne se rap
porte qu’à la chose même garantie par l’assurance ; que
s’il est vrai que les deniers prêtés à la grosse se trans
�forment et soient représentés par les effets sur lesquels
ils ont été empruntés, ce n’est et ne peul être que jus
qu’à concurrence du prêt, parce que la représentation
doit toujours s’établir d’une manière relative 1.
Dans notre hypothèse donc, le prêteur ne pourrait
être fondé à délaisser, que si le produit du sauvetage ne
dépassait pas 2,500 fr.
1443.
— C’est surtout au point de vue de la rece
vabilité du délaissement pour détérioration ou perle des
trois quarts, qu’il importe de déterminer si l’assurance
a. été faite conjointement ou divisément. Dans le pre
mier cas, la quotité de la perte ne s’établirait qu'eu
égard au montant total delà somme assurée et de i’univenalité des effets chargés. Peu importerait qu’ils l’eus
sent été sur un ou plusieurs navires. Il suffirait que l’un
de ceux-ci arrivât avec plus d’un quart des marchandi
ses, pour que le délaissement fut irrecevable, alors mê
me que tous les autres se fussent totalement et complè
tement perdus.
Que si, au contraire, l’assurance a été faite divisé
ment, il y a autant de polices distinctes qu’il y a d’objets
assurés.L’arrivée heureuse des uns serait sans influence
sur la détérioration ou la perle que les autres auraient
subies et qui, pour chacun d’eux, donnerait lieu au dé
laissement, si elle atteignait les trois quarts de leur na
ture relative.
i Journal de Marseille, t. 5, 1, 38.
�IpKiJRE
|
H
HW.
« §
l
lîiiBfliw!
Ainsi j’assure 40,000 fr. sur marchandises consistant
en sucres, cafés, cacaos, etc. Le délaissement ne sera ad
missible que si la perte atteint 30,000 fr. A défaut, l’un
de ces articles aurait-il péri en entier, il suffit que les
restants représentent une valeur de plus de 10,000 fr.,
pour que l’assuré ne puisse prétendre qu’à un règlement
d’avaries.
J’assure au contraire 10,000 fr. sur une partie sucre,
autant sur une partie café, une somme égale sur cacaos,
etc. Si l’une de ces parties subit une détérioration ou
perte des trois quarts, la faculté de la délaisser ne sau
rait être contestée, alors même que toutes les autres se
raient arrivées sans aucune avarie.
La nature de l’assurance exercera donc une grave in
fluence sur la validité du délaissement. Or, nous l’avons
déjà dit, l’indivisibilité de l’assurance ne cesse pas par
ce fait que la marchandise assurée doit être chargée sur
plusieurs navires, tout, comme elle ne saurait résulter
de ce qu’elle est transportée par un seul. C’est par les
termes de la police et par l’intention des parties que les
tribunaux ont à l’admettre ou à la repousser '.
— Le délaissement étant exclusivement dans
l’intérêt de l’assuré, rien ne s’oppose à ce que celui-ci
s’abstienne de le réaliser, et en répudie le bénéfice.
Cette renonciation, pouvant être expressément consen
tie, pourrait l’être tacitement ; nous avons déjà recher1444.
«K M
: •«**
i V oy. supra , a rt. 361, n°« 1397 e t su iv .
m il
•IM
�369, 370, 371.
327
ché si elle résulterait de la demande en règlement d’a
varies x.
On a prétendu également l’induire de ce que posté
rieurement au sinistre, l’assuré a reçu sans protestations
ni réserves les effets sauvetés, et les a vendus aux en
chères pour compte de qui il appartiendra, mais sans
faire intervenir un officier public pour constater leur
identité, leur quantité, leur état, et en faire ordonner la
vente.
Cette prétention a été repoussée par le tribunal de
commerce de Marseille, le 14 mai 1824 :
« Attendu, porte le jugement, que les fins de nonrecevoir sont de droit étroit et doivent être restreintes au
cas spécialement déterminé par la loi ;
« Que le Code de commerce ne contient aucune dé
chéance contre l’assuré qui, postérieurement au sinistre,
reçoit, même sans protestations, les effets assurés ; qu’en
cela, l’assuré remplit un mandat légal et forcé, et n’agit
que dans l’intérêt de qui il appartient ;
« Attendu que, dans l’hypothèse, le consignataire des
facultés sauvées paraît avoir agi en bon administrateur;
que s’il n’a fait aucune protestation contre le capitaine,
à raison de l’état des marchandises sauvées et du dé
ficit existant, c’est que la responsabilité de ce capitaine
était à l’abri par suite des événements mêmes de la na
vigation ;
ART.
i V. Supra, n° 1406.
�328
D R O IT M ARITIM E.
« Attendu que la réception de la marchandise délais
sée ne constitue pas un acte de propriété ;
« Que, dans l’espèce, la vente des facultés sauvées,
aux enchères publiques, pour le compte de qui il ap
partiendra, est suffisamment justifiée par l’état d’avaries
dans lequel le capitaine a déclaré que la cargaison lui
avait été rendue l. »
Cette solution, que les faits particuliers de la cause
ont pu déterminer, ne nous paraît pas aussi facile à jus
tifier en droit. En matière d’assurance, le droit n’est
pas moins étroit et rigoureux qu’en matière d’exception.
Or, la fin de non-recevoir opposée par les assureurs
n’était, à notre avis, qu’une conséquence logique des
principes.
Le délaissement, en effet, n’est admissible que si la
détérioration ou la perte atteint les trois quarts. Faut-il
donc bien que la quotité en soit déterminée contre les
assureurs. Cette constatation, qui doit et peut la requé
rir, si ce n’est l’assuré ?
Il est vrai que, s’agissant dans l’espèce d’un délaisse
ment après la prise du navire, l’état des marchandises
ne pouvait exercer aucune influence, mais ce qui devait
présenter une importance réelle, c’était leur réception
après la connaissance du sinistre. L’intention de délais
ser rendait l’assuré complètement étranger aux effets
qui devaient être abandonnés, et qui devenaient par
i Journal de Marseille, t. 3,
167.
�369, 370, 371.
329
cela même la propriété unique et exclusive des assu
reurs.
Mais, dit le jugement, l’assuré ne remplissait qu’un
mandat légal et forcé. Nous n’admettons pas cette pro
position qui ne trouve aucun appui dans la législation.
En pareil cas, le seul, le vrai mandataire des assu
reurs est le capitaine qui, en cas de refus de réception,
doit faire nommer un tiers consignataire, ou provoquer
lui-même la vente publique, si l’avarie des marchandi
ses rend cette mesure indispensable et urgente.
La réception de la marchandise après le sinistre est
donc exclusive de l’intention de la délaisser plus tard.
Tout au moins, ne pourrait-on admettre le contraire
que si l’assuré avait manifesté cette intention par des
protestations et des réserves. Qu’importe à ce sujet la
responsabilité du capitaine ; l’assuré n’a pas même à
s’en enquérir. Pour lui, en effet, il ne s’agit que de la
conservation de la faculté de délaisser. Or, comment
pourra-t-il prétendre n’y avoir pas renoncé, si, rece
vant la marchandise, il ne manifeste pas l’intention con
traire.
Ce qui est vrai dans le cas de prise, le serait bien plus *
encore dans l’hypothèse d’un délaissement pour détério
ration ou perle des trois quarts. Ici, en effet, ce qui doit
être démontré, c’est non seulement la quotité de l’avarie,
mais encore sa cause réelle. Or, l’acceptation pure et
simple, suivie de la vente sans aucun concours d'un of
ficier public, ferait disparaître toute constatation de ce
ART.
�330
D R O IT M AR ITIM E.
genre, et priverait l’action en délaissement de ses bases
essentielles.
Dira-t-on que le produit de la vente fixera la quotité
de la détérioration ou de la perte. Mais nous avons déjà
vu que c’était sur la valeur au temps et au lieu du char
gement, que cette détermination devait être basée. Il
faut donc une expertise préalable. La vente faite en l’ab
sence de cette formalité opposerait donc un obstacle in
vincible a tout délaissement.
Concluons donc qu’en principe l’acceptation par l’as
suré de la marchandise assurée, après la connaissance
du sinistre, sans protestation ni réserve, que sa vente
même aux enchères, non précédée de la constatation de
son état actuel, ferait présumer l’intention de renoncer
au bénéfice du délaissement, et que cette présomption
ne devrait céder que devant des circonstances assez dé
cisives pour fournir la preuve du contraire.
— Nous avons déjà vu que l’intention du
législateur d’affecter à l’article 369 un caractère limita
tif et restrictif ne saurait être méconnue. Dire le délais
sement pourra avoir lieu dans tel et tel cas, c’était ra
tionnellement l’exclure dans tous les autres cas non spé
cifiés.
Le doute cependant pouvait naître de ce que le Code
n’employait plus la locution consacrée par l’ordonnance:
Ne pourra le délaissement être fait que... Mais cette
exclusion se trouve naturellement remplacée par la dis
position de l’article 371, tous autres dommages ne se
1445.
�ront réfutés qu'avaries. De là, en effet, la conséquence
forcée que le délaissement n’est et ne peut être admis
que dans l’une des hypothèses auxquelles l’article 369
donne le caractère de sinistre majeur.
Article
372.
Le délaissement des objets assurés ne peut être par
tiel ni conditionnel.
Il ne s’étend qu’aux effets qui sont l’objet de l’assu
rance et du risque.
Article
373.
Le délaissement doit être fait aux assureurs dans le
terme de six mois, à partir du jour de la réception de
la nouvelle de la perte arrivée aux ports ou côtes de
l’Europe, ou sur celles d’Asie et d’Afrique, dans la Mé
diterranée, ou bien, en cas de prise, de la réception de
celle de la conduite du navire dans l’an des ports ou
lieux situés aux côtes ci-dessus mentionnées ;
Dans le délai d’un an après la réception de la rouvelle ou de la perte arrivée, ou de la prise conduite aux
colonies des Indes occidentales, aux îles Açores, Cana-
�352
D RO IT M ARITIM E,
ries, Madère, et autres îles et côtes occidentales d’Afri
que et orientales d’Amérique ;
Dans le délai de deux ans après la nouvelle des per
tes arrivées ou des prises conduites dans toutes les au
tres parties du monde.
Et ces délais passés, les assurés ne seront plus rece
vables à faire le délaissement.
A r t ic l e
374.
•
41
Dans le cas où le délaissement peut être fait, et dans
le cas de tous autres accidents aux risques des assureurs,
l’assuré est tenu de signifier à l’assureur les avis qu’il
a reçus.
La signification doit être faite dans les trois jours de
la réception de l’avis.
SOMMAIRE
1446. Le délaissement ne peut être partiel. Conséquences.
1447 Comment s’établit la divisibilité ou l’indivisibilité de l’as
surance ? Effets de l’une ou de l’autre.
4448. Le délaissement ne peut être conditionnel.
1449. Obligations que l’acceptation ou l’admission du délaisse
ment impose aux assureurs. Effets de l’erreur dans le
compte de ristourne.
1450. Etendue que doit avoir le délaissement. Découvert de
l’assuré. Faculté d’en disposer.
�art.
372, 373, 374.
333
1451. Comment se répartit le produit du sauvetage, si ce dé
couvert a péri.
1452. Ce qu’il faut entendre par ces termes de l’article 372.
Objets du risque.
1453. Motifs qui ont fait accorder un délai à l’assuré pour faire
le délaissement. Caractère de ce délai.
1454. Point de départ de ce délai.
1455. Sa durée. Ancienne législation. Singuliers résultats qu’elle
consacrait.
1456. Proposition de la commission du Code de soumettre le dé
laissement à la prescription de cinq ans. Motifs qui la
firent repousser.
4457. Délais accordés par le Code.
1458. Le délaissement n’est valable que si la signification est
suivie d’une citation en validité dans les délais pres
crits.
1459. Caractère de la nouvelle dont la réception fait courir la
prescription.
1460. Faut-il que la nouvelle soit personnellement reçue par
l ’assuré. Suffit-il qu’elle soit publique et notoire au lieu
où a été faite l’assurance.
1461. Comment pourra-t-on prouver la réception à défaut de
notoriété ou de publicité.
1462. Caractère'de l’article 373. Exceptions qu’il comporte.
1463. Dans le délaissement pour perte des trois quarts, le délai
court-il du jour de la nouvelle du sinistre, ou de la ré
ception des procès-verbaux constatant la quotité de la
perte. Arrêt de la cour de Nîmes dans ce dernier sens.
1464. Discussion.
1465. La déchéance de l'article 373 est applicable au réas
suré qui n’a pas fait le délaissement dans les délais
prescrits.
1466. Moyen que le réassuré peut prendre pour éviter ce dan
ger dans tous les cas.
�334
D R O IT M AR ITIM E.
1467. La clause que la perte résultera de l’exhibition de la quit
tance de l’assuré primitif dispense-t-elle le réassuré de
l’obligation de délaisser ?
1468. Intérêt des assureurs à être tenus au courant de la na
vigation des risques dont ils sont chargés. Consé
quences.
1469. Effets de l’inobservation de l’article 374.
1470. Caractère que doit avoir l’avis qui doit être signifié.
4471. Opinion de M. Pardessus. Examen et réfutation.
1472. L’avis reçu après que tout est consommé n’a pas besoin
d’être signifié.
1473. Délai de la signification sous l’ordonnance de 1681.
1474. Système de la commission. Observations de la cour de
Rennes. Décision du conseil d’Etat. Effets du retard.
1475. Forme de la signification.
1476. Application de l’article 1033 du Code de procédure civile.
1446.
— La faculté laissée à l’assuré de faire ou
non le délaissement était rationnelle et juste. La conser
vation de ses marchandises, même avariées, pouvant
lui offrir un avantage certain, on ne pouvait le con
traindre à les abandonner, et à agir ainsi contre son
propre intérêt.
Mais cette faculté ne pouvait s’étendre jusqu’à la di
vision du contrat. L’assuré ne saurait prétendre aban
donner tels objets, en retenir tels autres. Le contrat
d’assurance, disait Yalin, étant individu, ne peut souf
frir aucune division. L’assureur n’a pas assuré par par
ties, mais indistinctement les effets énoncés dans la po
lice. Ainsi, il faut ou en faire le délaissement en entier,
�372, 373, 574.
333
ou se borner à lui demander simplement le paiement
de l’avarie \
Ces considérations, qui avaient déterminé le législa
teur de 1681, ont été consacrées par le Code, elles ont
donné naissance à la disposition de l’article 272.
Il n’y a donc plus lieu de distinguer, comme le fai
sait le Guidon de la mer, si l’assurance porte ou non
sur des objets d’une nature diverse, la seule chose à
examiner est le caractère de l’assurance, a-t-elle été prise
conjointement ou divisément.
ART.
111?. — Or, l’indivisibilité peut résulter de l’unité
de la police, à moins que les termes dans lesquels elle
est conçue n’établissent le contraire. J’assure jusqu’à
concurrence de 20,000 fr. des facultés consistant en
vins, huiles, liqueurs, etc... Il n’y a là qu’une seule et
même assurance. Le délaissement devra dès lors com
prendre les vins, les huiles, les sucres, alors même que
la détérioration ou la perte porterait exclusivement sur
les uns, sans s’étendre aux autres.
Que si, au contraire, la somme assurée a été appli
quée à chaque nature des marchandises, si, par exem
ple, la somme de 20,000 fr. a été stipulée jusqu’à con
currence de 10,000 fr. sur les vins, 5,000 fr. sur les
huiles, 5,000 fr. sur les liqueurs, l’assurance est dis
tincte. En cas de sinistre, l’assuré pourra délaisser soit
les vins, soit les huiles, soit les liqueurs, et retirer le
l Art 47, tit. des Assur.
�D R O IT M A R ITIM E.
536
reste. Mais il devra abandonner la partie entière qui
est l’objet du délaissement, tous les vins, toutes les hui
les, toutes les liqueurs. 11 ne pourrait, sans contrevenir
à l’article 372, abandonner ce qui, dans cette partie,
serait avarié, et retenir le reste. Ce serait là le délaisse
ment partiel, que les assureurs ne sont jamais contraints
d’accepter.
.
A plus forte raison, y aurait-il divisibilité de l’assu
rance si, dans une police relative à diverses espèces de
marchandises évaluées chacune à une somme convenue,
il a été stipulé que chaque espèce forme un capital dis
tinct et séparé. Dans le ca* où une partie seulement des
marchandises arrive au lieu de destination, c’est par
l’état relatif de chaque espèce qu’on doit se prononcer.
L’assuré a le droit de délaisser celles qui ont éprouvé
une détérioration ou une perte des trois quarts, et d’exer
cer l’action d’avaries pour celles dont la détérioration
ou la perte n’atteint pas à cette quotité 1.
Ce droit de l’assuré ne saurait jamais dégénérer en
une simple faculté. Son exercice peut être contraint par
l’assureur, recevable et fondé à réclamer le bénéfice de
la divisibilité de l’assurance. Le délaissement, à cause
même de son caractère, ne peut, en ce qui le concerne,
porter que sur ce qui a fait la matière réelle de son en
gagement. La division de celui-ci découle naturellement
de la divisibilité de l’assurance.
Une seule police peut donc renfermer plusieurs assui B o rd e a u x , 1 5 d é c e m b re 1 8 2 8 .
�rances distinctes. Dans ce cas, l’assuré ne peut être con
traint d’abandonner, ni l’assureur forcé de se charger
d’effets autres que ceux qui en font spécialement la ma
tière.
L’existence de plusieurs polices fait présumer la divi
sibilité de l’assurance. Chacune d’elles forme un contrat
spécial et distinct, alors même que les objets seraient
d’une même nature, et qu’il y aurait en outre identité
d’assuré, d’assureur et de prime. Le délaissement se fe
rait alors par la police, et suivant l’état des marchan
dises assurées par chacune d’elles.
Toutefois, de même qu’il peut y avoir plusieurs as
surances dans une seule police, de même on pourrait ne
voir qu’une assurance unique malgré l’existence de plu
sieurs polices. C’est là une appréciation de faits que la
loi laisse souverainement à la conscience du juge. Le
mens contrahentium, dit M. Locré, dans l’assurance a
la même force que dans les autres contrats, l’intention
des parties devant être toujours la première des règles
d’interprétation à l’égard de toutes les obligations qui ne
sont formées que par la volonté. Si donc il paraissait
par la contexture, par les termes de l’acte, par les cir
constances que l’une des polices est la suite, le complé
ment de l’autre, elles ne constitueraient qu’une seule
assurance L
1448. — Le délaissement ne peut être condition1 E sprü du Code de commerce, a rt. 3 7 2 ; Conf. Em érigon, ehap 17,
�358
DROIT MARITIME.
nel, son effet logique et direct étant de transporter aux
assureurs la propriété entière des choses qui en font
l’objet, il répugnerait à la raison que celui qui aliène
ainsi cette propriété pût la retenir dans une circonstance
donnée. Ainsi l’assuré qui, délaissant par suite de la
prise d’un navire, se réserverait le droit de reprendre
soit le chargement, soit le navire s’il venait à être relâ
ché, soit l’indemnité que pourrait devoir le capteur, con
treviendrait à l’article 372.
tes assureurs ne peuvent être tenus d’accepter, la jus
tice elle-même ne peut valider qu’un délaissement pur
et simple, absolu et sans aucune réserve, et qui moyen
nant l’indemnité due, leur transfère à tout jamais la pro
priété des effets assurés l.
— L’acceptation du délaissement ou sa con
sécration par la justice crée pour les assureurs l’obliga
tion d’indemniser l’assuré du montant de l’assurance,
mais cette obligation, quelle que soit la somme portée
dans la police, se trouve de plein droit réduite à la va
leur du chargement mis en risque. Tout ce qui excéde
rait serait ristourné, en force des principes que nous
avons exposés.
Le règlement intervenu entre l’assuré et l’assureur estil définitif, en ce sens que le bénéfice du ristourne con
senti par ignorance ou par erreur ne puisse plus être
contesté ?
1449.
i Valin, art. 47, tit. des Àssur
�372, 373, 374.
339
Celte question s’est présentée à la cour de Bordeaux
dans la circonstance suivante : Un commerçant ayant,
après assurance, délaissé les marchandises qui faisaient
la matière de celle ci, avait établi un compte de ris
tourne avec ses assureurs, chacun de ceux-ci avait payé
sa part et biffé sa signature sur la police.
À cette époque, l’assuré ignorait qu’on avait chargé
pour son compte sur le navire désigné une somme de
2130 piastres, instruit de ce fait par la réception du con
naissement, il s’empresse de le signifier aux assureurs et
d’en réclamer la restitution. Sur leur refus, il s’adresse
à la justice.
Les assureurs soutiennent la demande non recevable,
1° parce que le compte, de ristourne du 12 décem
bre 1827, et l’acte d’abandon du 24 janvier suivant
avaient définitivement et invariablement fixé les effets
de l’assurance à 5,693 fr. 57 c., qu’autrement on ad
mettrait que l’assuré a pu faire un abandon partiel et
conditionnel, ce qui est reprouvé par les articles 372 et
385 ; 2° parce que le paiement de cette somme par
les assureurs et le biffement de leur signature sur la po
lice avaient éteint le titre, et terminé tout ce qui s’y
rapportait entre l’assuré et les assureurs ; 3° parce que,
aux termes des articles 373 et 375, l’assuré n’était plus
en temps utile pour signifier l’abandon des 250 pias
tres.
Tous ces moyens furent repoussés par le tribunal de
commerce. Le jugement, constatant en fait l’erreur qui
vicie le compte de ristourne et l'acte d'abandon, déclare
art.
�340
DROIT MARITIME.
que cette erreur ne saurait nuire ni profiter à personne;
que ce qui s’induit du paiement et du bitfement de la
signature sur la police, c’est la présomption légale que
les assureurs ont rempli tous leurs engagements ; mais
que cette présomption doit céder devant la certitude
du contraire, devant l’aveu des assureurs eux-mêmes
qu’ils n’ont tenu aucun compte des 250 piastres récla
mées.
Le tribunal considère ensuite que les termes de l’arti
cle 372, proscrivant le délaissement partiel ou condi
tionnel, ne se rapportent évidemment qu’à la propriété
des effets abandonnés, lesquels doivent, .intégralement
et sans condition, appartenir à l’assureur dès l’instant
que le délaissement a été accepté ou jugé valable ;
qu’ainsi et dans l’espèce, en supposant même que l’acte
d’abandon de janvier 1828 soit restreint uniquement à
la somme de 5,693 fr. 57 c., ce serait évidemment for
cer les termes de l’article 372, et leur attribuer un sens
qu’ils ne sauraient avoir, de dire que l’assuré a fait un
abandon partiel et conditionnel parce qu’il n’y a pas
compris les 250 piastres dont il ignorait alors le char
gement ; que si la force des choses l’a obligé de faire
l’abandon en deux fois, il est cependant vrai de dire
qu’il a suffisamment exprimé l’intention de transférer,
en totalité et sans condition, à ses assureurs, la pro
priété de tout ce qui formait l’aliment du risque. Enfin,
le moyen tiré de la prescription est écarté, parce que,
en fait, le délaissement spécial aux 250 piastres avait
été signifié en temps utile.
�341
372, 373, 374.
Le caractère juridique de ces motifs ne saurait être
méconnu ni contesté. Aussi est-ce par leur adoption pure
et simple que la cour de Bordeaux démet de l’appel dont
le jugement avait été frappé l.
Au reste, la faculté de revenir sur l’erreur que cet
arrêt concède à l’assuré n’est qu’une conséquence d’un
principe de tout temps admis. Les comptes, même ar
rêtés, ne sont définitifs que sauf erreur ou omission.
On peut donc toujours revenir sur l’une et faire réparer
l’autre, à condition que celui qui en excipe après règle
ment prouve l’existence de l’une ou de l’autre. Dans
l’espèce, cette preuve était évidemment acquise.
Les assureurs pouvaient d’autant moins contester cette
faculté, qu’à la même condition ils seraient fondés à en
réclamer le bénéfice. Supposez, en effet, qu’après avoir
réglé avec l’assuré ils découvrent que la totalité des ef
fets déclarés par celui-ci n’a pas été en risque, soit que
le chargement n’en ait jamais été fait, soit qu’une par
tie d’entre eux ait été débarquée avant le sinistre, leur
droit à se faire restituer jusqu’à concurrence ne saurait
faire l’objet d’un doute sérieux2.
Le délaissement par l’assuré de tout ce qu’il avait à
bord du navire qui a péri comprend donc virtuellement
tout ce qui avait été embarqué pour son compte. Il n’est
donc ni partiel ni conditionnel. L’omission de tel et tel
objet, dont l’existence à bord était par lui ignorée, ne
i
art.
1 24 novem bre 4829.
2 Aix, 27 ju illet 1825.
�342
d r o it m a r it im e ,
saurait en rien changer ce caractère, et la preuve de
l’erreur impose aux assureurs l’obligation de l’indem
niser.
Il y a plus, l’allégation de cette erreur et la demande
en réparation ne sauraient être considérées comme un
second et nouveau délaissement. Le droit, à cet égard,
puise son origine dans l’acte de délaissement originaire,
qui l’a implicitement conservé.
De là, nous concluons que la demande en paiement
du supplément n’est soumise à aucun délai. Elle se rat
tache intimément à la signification du délaissement. Il
suffit donc que celle-ci ait eu lieu dans les délais légaux,
pour qu’on ne puisse l’écarter par l’exception de pres
cription, eût-elle été formée après l’expiration de ces
délais. Faire réparer une erreur évidente, ce n’est pas
faire un nouveau délaissement, c’est poursuivre les ef
fets de celui déjà signifié.
— L’article 372 comble une lacune que
laissait l’ordonnance. Fallait-il, sous l’empire de celleci, que l’abandon portât sur l’intégralité de la chose as
surée, quel que fût le découvert de l’assuré ? Dans le si
lence de la loi, Valin se prononçait avec raison pour la
négative, et soutenait que les assureurs étaient non re
cevables à exiger une valeur supérieure à celle conve
nue dans la police.
C’est cette opinion que le Code convertit en loi, en
déclarant que l’abandon ne doit s’étendre qu’aux effets
qui sont l’objet de l’assurance et du risque.
1450.
�343
372, 373, 374.
Or, ce qui fait cet objet, c’est la marchandise chargée
jusqu’à concurrence de la somme assurée. Ce n’est donc
qu’une valeur équivalente que l’assuré peut et doit dé
laisser, tout ce qui excède dans le chargement, formant
son découvert, n’a jamais cessé de lui appartenir exclu
sivement et sans partage.
Dans l’hypothèse donc d’un chargement excédant la
somme assurée, le délaissement ne comprend qu’une
partie des marchandises d’une valeur équivalente à celte
somme. L’assuré retiendrait la propriété de son décou
vert s’il existait encore à bord au moment du sinistre,
ce qui peut ne pas toujours arriver. En effet, il n’en est
pas de l’assureur comme du prêteur à la grosse. Ses
droits ne se réfèrent jamais qu’à la valeur correspon
dante à la somme assurée. L’excédant ne lui est nulle
ment affecté, pas même à titre de gage ; il suffit qu’au
moment du sinistre l’assuré ait à bord un risque égal
au montant de l’assurance, pour qu’il puisse contrain
dre son assureur à lui payer la détérioration ou la perte,
et pour autoriser le délaissement si l’une ou l’autre at
teint les trois quarts.
L’assuré est donc libre de disposer de son découvert
à ses plaisirs et volonté. Il peut le débarquer avant le
départ du navire, le vendre dans un port d’échelle, sans
que l’assureur ait à le rechercher à raison de ce L
ART.
1451.
— Si ce découvert a péri, le délaissement ne
i Voy. supra n° 968.
�344
DROIT MARITIME.
peut et ne doit le comprendre. Dans ce cas, le produit
du sauvetage appartient à l’assureur et à l’assuré, à pro
portion de la somme assurée d’une part et du chiffre du
découvert de l’autre.
Le découvert de l’assuré ne provient pas toujours d’un
chargement excédant au départ la somme assurée. Dans
l’assurance à prime liée ou avec faculté de faire échelle,
il peut se produire naturellement à la suite de la vente
et du remplacement des marchandises, de l’achat du
chargement de retour.
La substitution de marchandises nouvelles aux an
ciennes laisse subsister l’assurance. Mais elle n’en modi
fie en rien le chiffre, malgré qu’elle puisse augmenter
l’intérêt de l’assuré, qui aura consacré à ses achats nou
veaux les bénéfices que lui a procuré la cargaison d’al
ler. Cet excédant d’intérêt pourrait faire la matière d’une
assurance complémentaire. Il constitue donc, à défaut,
un découvert pour lequel, en cas de délaissement pour
sinistre majeur subi dans le voyage de retour, l’assuré a
le droit de contribuer proportionnellement au produit
du sauvetage.
En résumé donc, l’assuré n’est jamais tenu de délais
ser que l’équivalent de la somme assurée. Les assureurs
ne peuvent rien prétendre au-delà ; ils n’ont même au
cune préférence à exercer. Le découvert de l’assuré se
place sur la même ligne relativement au produit du sau
vetage, qui se répartit proportionnellement entre eux.
145 2. — Ce qui fait l’objet du risque, c’est ordi-
�372, 373, 374.
345
nairement la valeur du chargement jusqu’à concurrence
de la somme assurée. Ces termes, dans l’article 372, ne
doivent s’entendre que de ce qui était réellement à bord
au moment du sinistre.
Nous venons de voir que' la vente dans les lieux d’é
chelle, que la composition du chargement de retour peu
vent avoir pour effet d’augmenter la valeur de la car
gaison primitive ; cela suppose que le prix de cette car
gaison et les bénéfices qu’elle a produits ont été em
ployés à acheter d’autres marchandises, et que celles-ci
ont été réellement chargées.
Or, le contraire est dans le cas de se réaliser. L’as
suré peut ne pas avoir remplacé les effet vendus, ou ne
les remplacer que partiellement et pour une valeur in
férieure ; le sinistre venant à se réaliser plus tard, le
délaissement pouvait être contesté par les assureurs.
Ce délaissement auraient-ils dit, n’est que partiel,
puisqu’une partie de la chose assurée se trouve sauvée,
il esl donc irrecevable, à moins qu’en nous abandonnant
la partie naufragée, vous n’abandonniez en même temps
la partie sauvée. En conséquence, ou retirez votre dé
laissement, ou tenez-nous compte du produit des ven
tes antérieures.
C’est cette prétention que le législateur a entendu et
voulu condamner ; le délaissement ne doit porter que
sur les effets réellement à bord au moment du sinistre.
Les débarquements antérieurs ont profité aux assureurs
en réduisant d’autant leur responsabilité. En effet, quelle
que soit la somme convenue dans la police, l’assuré ne
art,
�346
DROIT MARITIME.
pourra jamais obtenir, au moyen du délaissement, audelà de ce qui a été réellement perdu, c’est-à-dire exac
tement la valeur des effets qu’il avait à bord, il était
donc naturel qu’on ne l’obligeât pas à abandonner au
tre chose.
L’assuré sur corps doit, en délaissant le navire, aban
donner également le fret. Nous examinerons le caractère
et l’étendue de cette obligation en commentant l’article
386.
— Du principe que le délaissement pouvait,
dans certains cas, contrarier les intérêts de l’assuré,
principe qui a fait considérer cette mesure comme une
pure faculté, naissait le devoir d’accorder un délai pen
dant lequel l’assuré put s’abstenir d’agir. L’irrévocabilité
du délaissement, la prohibition de toute condition s’a
joutaient à cette considération première et conduisaient
au même résultat.
Il est juste que l’assuré ait le temps de réfléchir, de
recueillir tous les renseignements de nature à le fixer
sur son véritable intérêt, sans cela la faculté qu’on enten
dait lui garantir devenait illusoire, puisqu’il aurait été
contraint d’agir avant même d’être en état de le faire
utilement.
D’une part, donc, l’intérêt de l’assuré exigeait un dé
lai ; de l’autre, il n’était pas possible de laisser éternel
lement les assureurs sous la menace d’un délaissement.
La multiplicité des risques qu’ils courent veut impérieu1453.
�347
372, 373, 374.
sement que leur sort soit le plus promptement possible
connu et constaté.
Ces considérations fixent nettement le caractère du
délai imparti par l’article 373, il est en même temps
facultatif et obligatoire : facultatif, en ce sens que l’as
suré n’est pas tenu de l’observer, et qu’il peut siguifier
le délaissement à toute époque, même au jour de la ré
ception de la nouvelle ; obligatoire, en ce que, faute
de l’avoir utilisé, l’assuré ne pourrait plus, après son
expiration, réaliser son délaissement, son action serait
prescrite.
ART.
— Le point de départ de ce délai ne pouvait
être que le moment où la nouvelle du sinistre est venue
éveiller la sollicitude de l’assuré. Le faire courir du jour
du sinistre lui-même, c’était s’exposer à laisser la pres
cription s’accomplir avant même que l’assuré sût qu’il
était appelé à faire des diligences quelconques. Aussi,
l’unique objection que cette détermination ait rencontrée
a été puisée dans l’inutilité prétendue d’un délai ; puis
que ce délai, a-t-on dit, ne doit courir que de la ré
ception de la nouvelle, à quoi bon l’accorder. Cette nou
velle, mettant l’assuré à même de choisir le parti que
son intérêt lui conseille, on pourrait exiger qu’il se pro
nonçât immédiatement.
Mais la nouvelle peut être fausse, exagérée, incom
plète, l’annonce du sinistre majeur peut faire part du
commencement du sauvetage, mais ne saurait, en géné
ral, en indiquer les résultats positifs. Or, c’est surtout
1454.
�O4-8
DROIT MARITIME.
par ces résultats que les chargeurs seront fixés sur le
parti qu’ils doivent prendre ; leur prescrire une réso
lution immédiate, c’était donc ou leur enlever la faculté
de faire le délaissement, ou les exposer à signifier pré
maturément un abandon contraire à leur intérêt. Ces
motifs, trop justes pour être méconnus, et qui avaient
été pris en considération par les précédents législateurs,
ont également déterminé les auteurs du Code.
— La concession d’un délai admise en prin
cipe, quelle devait en .être la durée, et comment devait
se calculer celle-ci ? Evidemment la distance à laquelle
le sinistre s’était réalisé était la seule règle à suivre, et
c’était celle qui, en effet, avait été suivie.
Mais le point central sur lequel devait se calculer la
distance avait amené des résultats singuliers. Ainsi, le
Guidon de la mer, plaçant ce point central à Rouen,
accordait un délai de six mois pour les navires envoyés
en Espagne, Portugal, Barbarie, Moscovie, Norvège, et
semblables lieux ; d’un an pour les voyages à Marseille,
côte d’Italie, Brésil, Guinée, etc.
L’ordonnance de 1681, faisant de Paris le point cen
tral sur lequel devait se mesurer la distance, fixait le dé
lai à six semaines, trois, quatre mois, un an, suivant
que le lieu du sinistre était plus ou moins rapproché de
cette capitale. Cette règle était essentiellement inexacte
pour la France, qui a des ports sur les deux mers, à la
distance de plus de deux cents lieues. Il aurait fallu, dit
M. Locré, pour que les délais établis fussent conformes
1455.
�349
372, 373, 374.
à la justice, qu’ils eussent été applicables à tous les ports
dans une proportion relative.
Ce qui était résulté de l’ordonnance, disait Emérigon,
c’étaient les disparates les plus étranges, par exemple,
si la perte arrive près de Cannes ou Antibes, la prescrip
tion dû délaissement sera acquise pour les assurances
faites à Marseille par le laps de six semaines, et si la
perte arrive à Villefranche ou à Monaco , le délai sera
d’un an. Ce même terme d’un an aura lieu pour les
pertes arrivées sur les côtes d’Italie les plus voisines de
nous, et l’on n’aura que quatre mois pour celles arrivées
en Angleterre ! L’Espagne, l’Italie et la Barbarie sont
confondues, vis-à-vis de Marseille, non seulement avec
le Portugal, mais encore avec la Moscovie et la Nor
vège L
Emérigon concluait de là à la nécessité d’un règle
ment des délais plus conformes à la vérité des choses, ce
vœu, adopté par les auteurs du Code, devint la matière
des dispositions nouvelles dont les résultats sont consa
crés par l’article 373.
ART.
— La commission avait adopté un moyen
beaucoup plus radical, elle proposait purement et sim
plement de s’en tenir à la disposition de l’article 432,
et de n’admettre d’autre prescription pour l’action en
délaissement que celle de cinq ans, édictée par ce der
nier article.
1456.
1 Chap. 19, sect. 2, § 4.
�550
DROIT MARITIME.
Cette proposition fut énergiquement combattue par le
commerce de Bordeaux et Rouen. La fixation des dé
lais dans lesquels l’assuré doit agir paraissait à l’un et
à l’autre une des dispositions les plus importantes de la
loi, et le silence gardé sur ce point comme une lacune
très nuisible au commerce maritime. La multiplicité des
risques dont se chargent les assureurs exige que leur
sort soit fixé, connu et constaté le plus promptement pos
sible ; ils soutenaient donc qu’on ne pouvait accorder
aux assurés un délai de cinq ans, ce délai, disent-ils,
serait beaucoup trop long pour les voyages d’une côte de
France à l’autre, ou aux pays voisins de la France ; il le
serait même pour les voyages d’Amérique, d’Afrique ou
d’Asie, il ne tendrait qu’à ralentir le commerce des as
surances qu’il est si essentiel de protéger, il faut donc
fixer un délai et le calculer d’après la nature des voya
ges plus ou moins éloignés, lesquels exigent un laps de
temps proportionnel pour se procurer les pièces justifi
catives et du chargé, et des événements fâcheux ou si
nistres.
Ces observations n’avaient point ramené la commis
sion, elle maintenait donc son système fondé, suivant
elle, sur un sentiment souve nt plus impérieux que la loi
elle-même, sur l’intérêt personnel.
En effet, disait-elle, en cas de sinistre, quel est l’in
térêt de l’assuré ? Il n’est pas douteux, c’est celui d’obte
nir, le plus promptement qu’il pourra, le paiement de
l’assurance. On est donc en droit de penser qu’il n’en
courra pas à cet égard le reproche de négligence.
�Mais ce qui était vrai pour l’assuré de bonne foi res
tait sans application possible dans l’hypothèse d’une as
surance frauduleuse. La commission le reconnaissait
elle-même en déclarant que s’il y avait fraude de la part
de l’assuré, il pourrait abuser du délai de cinq ans pour
dissimuler et faire évanouir les preuves que l’assureur
aurait pu se procurer plus tôt ; qu’il pourrait tirer avan
tage de la faculté que lui donnerait la loi pour masquer
sa perfidie. On sait que, dans les affaires de commer
ce, le temps efface bien des souvenirs, un assureur pour
rait donc être attaqué en paiement d’une assurance et
ne manquerait pas de l’être seulement au moment où
tous les faits qu’il lui importe de connaître seraient ef
facés de sa mémoire, et où tous les témoins utiles au
raient disparu.
C’était là, comme on le faisait remarquer, un incon
vénient d’autant plus grave, que le premier devoir du
législateur est de se prémunir contre la fraude. La loi
n’est faite précisément que pour ramener dans les sen
tiers de la loyauté et de la bonne foi ceux qui seraient
tentés de s’en écarter. La proposition delà commission,
telle qu’elle l’établissait elle-même, s’écartait donc nota
blement du but que doit se proposer tout législateur pré
voyant.
Il est vrai que la commission, cômme garantie con
tre le péril qu’elle signalait, observait que l’assureur
ayant intérêt à connaître les faits et les événements ne
manquerait pas de s’en informer et d’en conserver le
souvenir, Mais cette objection, en la supposant fondée
�352
DROIT MARITIME.
et possible dans la pratique, ne couvrait que le côté le
plus faible de la difficulté ; ainsi que l’observe M. Locré,
c’était moins l’oubli qu’il fallait craindre que le dépé
rissement des preuves que l’article 384 permet d’oppo
ser à celles de l’assuré. Or, dans le laps de cinq ans,
les personnes dont le témoignage aurait détruit les at
testations dont se prévaudra l’assuré peuvent disparaî
tre, les traces des circonstances peuvent s’effacer, et
alors l’assuré arrive avec des preuves, peut-être en soi
très fragiles, mais qui, par le fait, demeurent indes
tructibles l.
— Le conseil d’Etat ne pouvait donc pas hé
siter, il consacra les justes observations du commerce de
Bordeaux et de Rouen, quant à la nécessité de la déter
mination d’un délai, et, adoptant la base proposée, c’est
par le lieu dans lequel le sinistre s’est réalisé plutôt que
par celui du départ, qu’il en calcule la durée.
Ainsi, le délaissement doit être fait dans les six mois
de la réception de la nouvelle, si la perte est arrivée aux
ports ou côtes de l’Europe, ou, des côtes d’Asie ou d’Afri
que, dâns la Méditerranée, ou, en cas de prise , si ce
navire a été conduit dans l’un des ports ou lieux situés
aux côtes ci-dessus..
D’un an si la perte est arrivée, ou si la prise a été
conduite aux colonies des Indes occidentales, aux îles
1459.
1 Esprit du Code de commerce, art. 373.
�372, 373, 374.
353
Açores, Canaries, Madère et autres îles et côtes occiden
tales d’Afrique et orientales d’Amérique ;
De deux ans si la perte est arrivée, ou si la prise a été
conduite dans toutes les autres parties du monde.
Ces délais suffisent pour que l’assuré soit à même
d’agir dans tous les cas avec connaissance de cause. Il
pourra, en effet, quels que soient les lieux de sa de
meure et de l’assurance, prendre et recevoir tous les
renseignements utiles et nécessaires.
ART.
— L’article 48, titre 6, livre 3 de l’ordon
nance plaçait sur la même ligne le délaissement et la
demande en exécution de la police. C’était dire, en ter
mes formels, que, dans les délais déterminés, l’assuré
devait, sous peine de déchéance, non seulement signifier
le délaissement, mais encore ajourner pour en voir pro
noncer la validité, s’il n’était pas amiablement accepté,
et en condamnation du montant de l’assurance.
L’article 373 ne parle plus de la demande en exécu
tion. De là, on a voulu conclure que la signification du
délaissement suffirait aujourd’hui, et que cette signifi
cation faite, le droit de citer en justice n’était soumis
qu’à la prescription de cinq ans, édictée par l’article 432.
Cette conclusion est repoussée par l’économie géné
rale de notre législation, et notamment par les articles
385, 379 et 431.
Aux termes du premier, l’effet du délaissement est de
transférer à l’assureur la propriété des objets abandon
nés. Or, cet effet ne résulte que de l’acceptation ou du
iv — 23
1458.
�354
DROIT MARITIME.
jugement consacrant la prétention de l’assuré. Celui-ci
doit donc, à défaut de la première, provoquer ce juge
ment, car ce n’est qu’à cette condition qu’il aura réel
lement fait le délaissement. Se borner à la signification
pure et simple, c’est annoncer l’intention de prendre
celte voie, ce qui remplit d’autant moins les exigences
de l’article 373, que l’assuré reste seul maître de suivre
cette intention ou de ne pas la réaliser
De son côté, l’article 379 suspend dans un cas donné
le délai du paiement, mais il a le soin d’ajouter que
cette su-pension, du fait de l’assuré, n’entraîne aucune
prorogation du délai établi pour former l’action en dé
laissement. Cette réserve constitue une interprétation lé
gislative de l’article 373 ; ce qui est requis, c’est non
une signification, mais bien la réalisation de l’action en
validité, en cas de refus d’acceptation.
Enfin, le doute, s’il pouvait encore en exister un, se
rait tranché par l'article 431, l’action en délaissement
se prescrit dans les délais édictés par l’article 373. Ici
l’action en délaissement ne peut s’entendre de la signi
fication, car la nécessité de la réaliser dans le délai re
quis sous peine de déchéance avait été expressément pré
vue par l’article 373. On ne peut donc l’entendre que
de la demande en validité dont la justice peut être ap
pelée à connaître.
Aujourd’hui donc, comme sous l’empire de l’ordon
nance, la demande en exécution de la police doit ac
compagner le délaissement. Sans doute, l’assuré n’est
pas tenu de les accomplir cumulativement, il peut, en
dénonçant aux assureurs la nouvelle du sinistre, leur
�372, 373, 374.
385
déclarer qu’il entend délaisser, ou qu’il se réserve la fa
culté de le faire plus tard. Mais, à quelque époque que
le délaissement soit réalisé, sa signification, même avec
sommation de payer, ne remplirait pas le vœu de la loi.
Cette signification doit être suivie de la demande en jus
tice dans les délais de l’article 373; si cette demande
n’était réalisée qu’après leur expiration, l’action serait
prescrite, et par conséquent éteinte \
ART.
14150.
— Nous avons déjà vu que, par respect pour
la règle contra non valentem agere non curril prescriptio, le législateur faisait courir les délais de l’arti
cle 373, non du jour du sinistre, mais de celui de la
réception de la nouvelle. L’importance attachée à cette
réception a dû naturellement appeler l'attention des ju
risconsultes sur les caractères que devait offrir la nou
velle, pour qu’elle dût devenir le point de départ de la
prescription.
Yalin exigeait que la nouvelle fût non seulement cer
taine, mais encore publique et notoire. Cependant, ajou
tait-il, si l’assuré ayant reçu une nouvelle particulière
la communiquait aux assureurs avec protestation de
faire son délaissement, le délai courrait du jour de cette
communication.
La notoriété, la publicité de la nouvelle, ne peuvent
jamais devenir l’objet d’une difficulté sur l’effet qu’elles
sont appelées à produire. Comment, en effet, hésiter à
1 Cass ; 29 a»vri! 1835 ; D. P., 35, 1, 226.
�356
DROIT MARITIME.
placer le point de départ de la prescription au moment
ou au jour où l’une ou l’autre est acquise.
— Cependant on a soutenu le contraire.
L’article 373, a-t-on dit, ne prévoit qu’une réception
par l’assuré personnellement, et à l’appui on a cru de
voir invoquer un arrêt de la Cour de cassation, qui l’au
rait ainsi jugé.
Mais cet arrêt est loin de se prêter au sens qu’on es
saie de lui donner. Tout ce qui en résulte, c’est que la
notoriété doit avoir existé au lieu où l’assurance a été
contractée ; qu’on ne doit dès lors tenir aucun compte
de celle qui aurait pu se réaliser en un autre.lieu, au
port d’attache du navire, par exemple.
Dans l’espèce, un commerçant de Saint-Malo avait
fait assurer dans cette ville des marchandises à la des
tination de Nantes, chargées à bord d’un navire appar
tenant à ce dernier port.
Le 21 février 1807, le navire sort de Bayonne et se
perd , le 23 , au bord de la rivière de Bordeaux. Cette
perte est connue à Nantes le 2 mars, et la nouvelle en
est insérée dans la feuille locale le 5 du même mois.
D’après l’ordonnance de 1681, encore en vigueur, le
délaissement devait être fait dans les trois mois. En con
séquence, les assureurs, n’ayant été cités que le 6 juin,
soutiennent que l’action est prescrite, puisque la nou
velle était publique et notoire à Nantes dès le 2 mars, ou
tout au moins le 5 du même mois.
1460.
�372, 375, 374.
337
Ce système, repoussé en premier ressort par les arbi
tres, est accueilli sur l’appel par la cour de Rennes.
Les assurés dénoncent cet arrêt à la Cour de cassation
et lui reprochent d’avoir faussement appliqué et même
violé les articles 42, 43 et 48, titre des assurances, or
donnance de 1681, soit en faisant courir le délai de trois
mois, non du jour où la perte avait été connue des as
sureurs, ou à Saint-Malo, mais où elle avait été connue
de l’armateur, et à Nantes, etc...
On le voit, les demandeurs en cassation reconnais
saient eux-mêmes que si la perte avait été notoire à
Saint-Malo, le défaut de réception de nouvelle particu
lière et personnelle n’aurait pas empêché la prescription
de courir, concevrait-on même qu’il pût en être autre
ment ? Est ce que la publicité du fait au lieu même où
l’assurance a été contractée ne met pas l’assuré suffi
samment en demeure d’agir ? Pourrait—il raisonnable
ment prétendre avoir ignoré ce que tout le monde sait.
Le grief réel contre l’t rrêt de Rennes était donc d’a
voir fait produire à la publicité à Nantes un effet exclu
sivement attaché à celle qui aurait pu exister à SaintMalo. Aussi est-ce ce grief qui entraîne la cassation de
l’arrêt. Après avoir rappelé les faits, la Cour suprême,
en conclut qu’en faisant courir le délai de trois mois,
non pas du jour où les assurés auraient reçu l’avis ou
la nouvelle de la perte, mais du jour où le sinistre a été
connu à Nantes, lieu où l’assurance n’est pas faite, et
où les assurés ne demeurent pas, l’arrêt de la cour de
ART.
JLp
v...si
mV
il!
I 1. '
Lyi-f v
�358
DROIT MARITIME.
Rennes a méconnu le sens et violé les dispositions de la
loi K
Cette décision de la Cour régulatrice n’exige pas que
l’assuré soit, dans tous les cas, personnellement infor
mé de la perte. Le défaut d’avis particulier est suppléé
par la notoriété et la publicité de la nouvelle, mais à une
condition, c’est que l’une ou l’autre aura existé dans le
lieu de la demeure, ou dans celui dans lequel l’assurance
est contractée. Ainsi, il importerait peu que ce dernier
ne fût pas celui de la demeure de l’assuré. Celui qui a
fait une assurance dans un pays y a en quelque sorte
élu domicile pour toutes les suites que le contrat doit
produire. S’il ne peut être instruit de ce qui s’y passe
par lui-même, il peut et doit l’être par son correspon
dant ou son mandataire. Le devoir de celui qui a un
risque en cours d’exécution est de se tenir au courant
des nouvelles qui peuvent arriver au lieu où ce risque a
été contracté.
— A défaut de notoriété et de publicité, la
prescription courrait du jour de la réception par l’assuré
de l’avis annonçant le sinistre. Sans doute, cette récep
tion est facile à dissimuler, mais ce danger entrevu dans
la discussion législative fut l’origine de la réserve en
faveur des assureurs d’en fournir la preuve soit par le
témoignage de ceux qui auraient transmis l’avis, soit
par leurs livres ou par leur correspondance, soit par
1461.
C a ss., 6 ja n v ie r 1 8 1 3 .
�les indiscrétions qui auraient pu échapper à l’assuré luimême.
Le point de départ de la prescription, dans ce cas, se
placerait au jour où l’avis aurait dû être reçu, pourvu
toutefois que cet avis fût certain, positif, et que l’assuré
n’ait pu se méprendre sur son importance. L’annonce
r;ue des bruits plus ou moins inquiétants se répandent
sur le sort d’un tel navire ne constituerait pas la nou
velle exigée par l’article 373.
La cour d’Àix le jugeait ainsi, le 23 décembre 1842.
Dans l’espèce, l’assuré avait reçu une lettre lui annon
çant que des bruits inquiétants s’étaient élevés sur le
sort de son navire ; qu’on se proposait de prendre des
renseignements sur celte nouvelle, afin, si elle était
vraie, d’envoyer les documents nécessaires pour exiger
la réparation de sa perte.
Contrairement aux prétentions des assureurs, la Cour
décide que tant que cette nouvelle n’a point reçu de con
firmation, elle ne peut faire courir le délai du délaisse
ment. Le pourvoi dont son arrêt fut l’objet était rejeté
par la Cour de cassation, le 4 mars 1845 1.
146 3. — L’article 373 est impérieux soit quant au
point de départ, soit quant à la durée de la prescrip
tion. Il ne comporte aucune exception, si ce n’est dans
les cas formellement prévus. Dans ceux , par exemple,
d’abandon pour cause de prise ou de délaissement des
�360
droit maritime.
facultés en cas d’innavigabilité absolue ou relative. Dans
l’un et dans l’autre, la faculté de délaisser ne peut être
exercée que dans le délai fixé par les articles 387 et 390.
Il est évident dès lors que la prescription ne saurait
courir qu’après que l’expiration de ce délai aura rendu
à l’assuré toute sa liberté d’action. Ce n’est donc que du
jour de cette expiration que commencera de courir le
délai de l’article 373.
1 4 6 3 . — Que doit-on décider dans l’hypothèse d’un
délaissement pour détérioration ou perte des trois quarts ?
Est-ce de la réception de la nouvelle ou seulement de
celle des procès-verbaux constatant la quotité de l’une
ou de l’autre que courra ce délai ?
L’article 373 ne distinguant pas, il semble que la ques
tion ne saurait être résolue que dans le premier sens.
Cependant la cour de Nîmes a décidé le contraire :
« Attendu, perte l’arrêt, qu’en cas de perte ou de dé
térioration des effets assurés, il n’y a lieu à délaissement
que si la perte ou la détérioration est au moins des trois
quarts ; que dès lors l’assuré ne peut exercer son ac
tion que lorsqu’il a acquis la certitude que cette quotité
est atteinte ; qu’il ne peut l’acquérir qu’au moyen d’un
rapport d’experts régulier ; qu’il en résulte que le délai
ne peut commencer à courir qu’à dater de la réception
de la nouvelle d’une détérioration ou perte s’élevant aux
trois quarts ; que s’il en était autrement, l’assuré ne
pourrait le plus souvent utiliser les délais de la loi pour
l’exercice de son action ; qu’il pourrait même en être en
�tièrement déchu avant d’avoir pu l’exercer, ce qui serait
la violation de toutes les règles du droit, et notamment
de la règle contra non valentem agere non curril pres-
criptio.
— Cet arrêt, à notre avis, double sans né
cessité le délai que la loi a entendu restreindre dans les
limites tracées par l’article 373. Pourquoi, en effet, ac
corde-t-elle six mois, un an, deux ans du jour de la
réception de la nouvelle du sinistre ? Evidemment, pour
que l’assuré ait les moyens et le temps de s’enquérir de
la nature de la perte, de son importance, et de juger
ainsi de ce qu’il lui convient de faire. C’est donc uni
quement parce que, quelque positive que puisse être la
première nouvelle sur le sinistre, elle laissera toujours
quelques doutes sur les conséquences définitives, qu’il a
paru raisonnable de ménager à l’assuré le temps d’é
claircir ces doutes, de les dissiper.
C’est donc méconnaître l’esprit et le texte de la loi
que de vouloir que les délais de l’article 373 ne courent
que du jour de la réception du procès-verbal d’expertise
déterminant la perte d’une manière exacte et positive.
Quelle serait, dans ce cas, l’utilité réelle d’un délai quel
conque. On comprend que l’assuré, instruit du sinis
tre, ait besoin d’un délai de six mois, d’un an, de deux
ans, pour être définitivément fixé sur ses effels. Mais on
chercherait vainement la raison de ces mêmes délais,
lorsque tout serait connu et su. La certitude que la perte
1464.
�362
DROIT MARITIME.
atleint ou non les trois quarts peut et doit être suivie
d’une résolution immédiate.
Nous croyons donc que le délai de six mois, d’un an
ou de deux ans, n’étant que la conséquence de l’incer
titude nécessaire sur l’étendue du sinistre, n’a plus au
cune raison d’être le jour où cette incertitude n’existe
plus. C’est donc à l’assuré à l’utiliser, et il faut avouer
qu’il est suffisant dans tous les cas pour arriver au ré
sultat indiqué. D’ailleurs, si, par extraordinaire, le con
traire se réalisait, l’assuré obtiendrait du tribunal saisi
de la connaissance de la validité du délaissement le dé
lai supplémentaire pour justifier de la perte. Mais rien
ne saurait le dispenser d’intenter judiciairement son ac
tion avant l’expira>tion du délai. Il devrait alors suivre
le conseil de Valin, c’est-à-dire citer les assureurs en con
damnation au paiement de la perte, avec réserve de faire
le délaissement dans la suite, s’il y échet. Par là, il sera
parfaitement en règle et n’aura pas à craindre que les
assureurs puissent lui opposer raisonnablement aucune
fin de non recevoir l.
Si notre doctrine est vraie, il en résulterait que la cour
de Nîmes aurait méconnu la loi. Cependant, le pourvoi
dont son arrêt avait été l’objet a été rejeté par la Cour
de cassation, le 22 juin 18472. Qu’il nous soit per
mis, sans nous écarter de la respectueuse déférence que
nous professons pour les hautes lumières de la Cour su1 A rt 48, tit.
des Atiur.
�prême, de croire qu’elle s’est trompée dans cette cir
constance.
— Par décision du 1er juin 1824, la Cour
régulatrice a décidé que les délais du délaissement, appl cables à l’assurance, régis'sent également la réassu
rance, de sorte que l’assureur, qui est lui-même réas
suré, doit faire l’abandon, conformément aux prescrip
tions de l’article 373, c’est-à-dire dans les six mois,
dans l’année, ou dans les deux ans de la réception de
la nouvelle de la perte, à peine d’encourir la déchéance
prononcée par cet article. Vainement excipait-on qu’en
l’absence d’une disposition spéciale , déclarant l’article
373 applicable à la réassurance, on ne peut opposer à
l’action en délaissement du réassuré que la prescription
quinquennale ; ou que tout au moins, si on veut éten
dre cet article à la réassurance, on ne devrait faire cou
rir les délais que du jour où le délaissement a été fait
au réassuré par l’assuré :
« Attendu, dit la Cour de cassation, que l’assureur
est l’assuré, et que le réassureur est l’assureur ; qu’ainsi
il faut appliquer à cet assureur, devenu assuré, les prin
cipes généraux de l’article 373, qui n’admet point d’ex
ception et n’en pouvait admettre en faveur de l’assureur
assuré ; et qu’il n’y a point de distinctions admissibles
là où la loi ne distingue pas. »
L’assimilation que la Cour suprême relève étant in
contestable en fait, les conséquences de droit qu’elle en
déduit paraissent irréfutables. Sans doute, ces consé1465.
�364
DROIT MARITIME.
quences sont graves, et d’une extrême sévérité pour le
réassuré. On avait raison de le dire, elles le placent dans
une position singulière. Ainsi, il ne peut faire l’abandon
au réassureur qu’après que celui de son propre assuré
lui aura été notifié ; le délaissement qu’il ferait avant,
ne pouvant être que conditionnel, se trouve par cela
même inefficace, dès lors, si l’assuré primitif, usant de
la latitude que la loi lui laisse, ne fait l’abandon que le
dernier jour et à la dernière heure du délai, le réassuré
se trouve dans l’impossibilité matérielle de délaisser uti
lement et valablement, surtout si le domicile du réassu
reur se trouve plus ou moins distant de son propre do
micile. En ce qui le concerne donc, la prescription du
droit sera acquise avant que ce droit ait pu être exercé.
Un pareil état des choses est sans contredit fort re
grettable, mais, il faut l’avouer, il n’appartient qu’au
législateur d’y remédier. Les tribunaux ne pouvant
qu’appliquer la loi telle qu’elle existe, la Cour de cas
sation a eu pleinement raison de juger comme elle l’a
fait.
Quelle serait d’ailleurs, en l’absence de toute disposi
tion, la règle à suivre relativement au délai de l’action
du réassuré? Faudrait-il ne la déclarer presciiptible
que par cinq ans ? Accorder un nouveau délai de six
mois, d’un an, de deux ans à partir de la notification
du délaissement de l’assuré primitif? Restreindre cette
action dans un moindre délai ? Evidemment on pour
rait se prononcer dans un sens ou dans l’autre sans
craindre de violer la loi, ce serait donc substituer l’ar
�bitraire à la règle précise et uniforme qu’on a voulu
établir.
C’est à celle-ci que les tribunaux doivent s’en tenir,
ce qu’on doit, ce qu’on peut faire, c’est d’appeler l’atten
tion du législateur sur ces résultats anormaux, et lui si
gnaler le système si rationnel conseillé par M. Pardes
sus. On pourrait, dit cet honorable jurisconsulte, par
analogie des règles sur le recours en matière de lettres
de change, décider que le réassuré a, pour agir contre
le réassureur, un délai calculé comme si l’événement
était arrivé dans le lieu où il habite, et ce.délai com
mencerait à courir du jour où il a reçu la notification
qui a dû lui être faite par l’assuré primitif. Mais, en
l’état, décider en ce sens ne serait pas plus légal que de
se prononcer en faveur de l’un des deux autres systè
mes, il faut nécessairement s’en tenir à la doctrine de la
Cour de cassation, que la cour d’Àix appliquait, de son
côté, par arrêt du 4 mai 1836.
— Au reste, et en attendant que le législa
teur ait prononcé, le réassuré a le moyen de se soustraire
au danger que nous venons de signaler. L’article 373
n'a rien qui intéresse exclusivement l’ordre public ; il
participe du caractère de l’article 369 notamment ; en
conséquence les délais qu’il détermine peuvènt être mo
difiés au gré des parties.
Dès lors le réassuré peut et doit stipuler qu’il lui sera
facultatif de faire le délaissement dans un délai de... à
partir du jour de la notification qu’il recevrait de son
1466.
�366
DROIT MARITIME.
propre assuré, à quelque époque d’ailleurs que celle-ci
se réalisât. La légalité incontestable de celle clause aurait
pour effet de la rendre obligatoire et d’empêcher le ré
assureur de faire valoir d’autre déchéance que celle de
l’expiration du délai convenu.
— La police de réassurance stipule quelque
fois qu’en cas de sinistre ou de la perle il en sera justi
fié par l’exhibition pure et simple de la quittance de l’as
suré primitif; on a soutenu que cette clause dispensait
le réassuré de faire le délaissement.
L’arrêt d’Àix, du 4 mai 163G, a repoussé cette pré
tention. Une clause de ce genre, dit la Cour, ne s’ap
plique réellement qu’à la dispense de la preuve de la
perte du chargement à laquelle le réassuré serait tenu,
sans celte condition, mais ne saurait dispenser du dé
laissement.
'■
■» '
1369.
.
— L’intérêt des assureurs à être tenus au
courant de tous les événements de la navigation des .ris
ques dont ils sont chargés ne saurait être méconnu ni
contesté. Les relations qu’ils sont dans la nécessité d’en
tretenir avec tous les pays maritimes peuvent les mettre
à même de remédier utilement à certains de ces acci
dents, tout au moins d’en atténuer les conséquences, il
leur importe dès lors d’en être avertis le plus prompte
ment possible. De là l’obligation que l’article 374 fait à
l’assuré de leur signifier les avis qu’il a reçus, soit dans
1468.
�le cas de délaissement, soit dans l’hypoihèse où il n’y
aurait lieu qu’à un règlement d’avaries.
La déduction logique des motifs qui ont dicté cette
disposition était de restreindre l’obligation aux cas d’un
sinistre ou d’une avarie dont les assureurs sont respon
sables. A quoi bon, en effet, leur dénoncer la nouvelle
d’une avarie plus ou moins considérable s i, la police
stipulant la franchise absolue de toute avarie, ils doivent
rester étrangers à ces résultats ?
Cependant, et même dans cette hypothèse, la pru
dence fait à l’assuré un devoir de se conformer à la dis
position de l’article 374 et de signifier l’avis ; il est sou
vent difficile de déterminer les conséquences que l'évé
nement est dans le cas d’entraîner, une avarie au navire
peut amener l’innavigabilité, quelque apparence qu’elle
revête d’abord. La cargaison elle-même peut être atteinte
plus gravement qu’on ne l’a cru et être en définitive
assez détériorée pour qu’il y ait lieu à délaissement.
Dans le doute, l’assuré n’aurait rien de mieux à faire
que de se conformer à la loi, pour éviter ainsi toute dif
ficulté.
L’article 374 manque de sanction pé
nale, dès lors son inobservation ne saurait devenir une
fin de non recevoir, soit contre le délaissement, soit
contre l’action en règlement d’avaries. Son unique ré
sultat serait d’exposer l’assuré à une allocation de dom
mages-intérêts en réparation du préjudice que l’assureur
pourrait avoir éprouvé par l’ignorance dans laquelle il
1469. —
�368
DROIT MARITIME.
a été laissé. Par exemple, si cette ignorance l’avait mis
dans l’impossibilité d’user des moyens qu’il avait de ré
parer l’avarie, ou d’en atténuer les effets ; de surveiller
ou d’opérer lui-même le sauvetage. Appréciateurs sou
verains des faits, les tribunaux arbitreraient l’indemnité
due *.
1 4 9 0 . — Il en est de l’avis dont l’article 374 pres
crit la signification, comme de la nouvelle dont parle
l’article 373, il n’y a que celui qui, par la nature des
faits qu’il indique, et par la source dont il émane,
mérite une certaine confiance qui doive être commu
niqué.
L’ancienne doctrine enseignait qu’il suffisait qu’il eût
une apparence de certitude, de vérité. M. Pardessus es
time au contraire que l’assuré, en cas de silence ou de
retard, n’est exposé à des dommages-intérêts qu’autant
qu’il a dû regarder l’événement comme bien certain et
bien positif; qu’il doit être facilement excusé toutes les
fois qu'il n’a pas eu de nouvelles par des avis directs du
capitaine ou par des pièces dignes de confiance ; qu’il
n’a pas fait lui-même des actes annonçant qu’il les a
considérées comme certaines.
1 4 9 1 . — M. Pardessus s’en remet donc à l’arbi
trage exclusif de l’assuré, ce qui paraît fort difficile à
admettre. Supposez que voulant faire le délaissement, il
1 Rennes, 26 juillet 1849.
�372, 373, 574.
569
ail intérêt à empêcher l’action immédiate de l’assureur,
il ne manquera pas d’excuser son inaction par le peu de
confiance qu’il a ajouté à la nouvelle. J’ai peut-être eu
tort, dira-t-il, mais j’ai été de bonne foi. Aussi, me
suis-je abstenu de toute démarche personnelle que la
certitude du sinistre aurait commandée. En attendant
l’avarie se sera aggravée, la perte, qu’une réparation
immédiate aurait empêchée, aura atteint les trois quarts,
et le délaissement devra être accueilli.
Ce serait là une fraude contre laquelle les assureurs
doivent être protégés. Or le remède est fort simple, il
consiste à ne pas s’en référer à l’arbitrage exclusif de
l’assuré, et à lui faire un devoir de signifier l’avis de
quelque part qu’il émane d’ailleurs, pourvu qu’il ait
une apparence de certitude et de vérité. Nous hésitons
d’autant moins à nous ranger en cet endroit à l’avis de
Valin et de Pothier, qu’en définitive si la nouvelle est
fausse, sa signification sera non advenue, sans qu’elle
puisse jamais profiter ou nuire à personne. Remar
quons, en effet, que l’assuré n’est pas obligé, en faisant
cette signification, de réaliser le délaissement. C’est ce
que l’article 379 établit formellement. Tout se réduira
donc à la communication de l’avis, soit amiablement,
soit par acte exlrajudiciaire ; ce résultat, en regard de
la fraude qui peut surgir du système contraire, ne per
met , à notre avis, de s’arrêter à l’opinion de M. Par
dessus.
ART.
14*2.
— Les motifs qui ont fait prescrire la signiiv — 24
�370
DROiT MARITIME.
fication de l’avis indiquent la véritable pensée du légis
lateur. L’article 374 suppose évidemment que cet avis
a été reçu par l’assuré lui-même, à une époque où
l’intervention des assureurs est encore possible et de na
ture à se réaliser utilement. Le silence gardé dans le cas
d’une nouvelle annonçant que la perte est consommée
et définitive ne pourrait devenir le fondement d’une de
mande en dommages-intérêts contre l’assuré.
Dans une espèce soumise à la cour de Rennes, un
navire assuré pour un voyage de Bordeaux à SainteMarihe et retour, avait été forcé, en revenant, de relâ
cher à la Jamaïque, où il avait été déclaré innavigable
et vendu. L’assuré n’en avait été instruit que par la ren
trée de l’équipage à Bordeaux, le 9 avril 1836.
Dans le courant de l’année et le 4 février 1837,
le délaissement fut signifié aux assureurs. Sa receva
bilité fut contestée par eux, entre autres motifs, sur ce
que l’avis préalable du sinistre n’avait pas été signifié
dans les trois jours de la nouvelle qu’en avait eue l’as
suré.
Cette fin de non- recevoir fut accueillie par les pre
miers juges, mais, sur l’appel, le jugement fut réformé.
Attendu que lorsque la connaissance du sinistre du na
vire parvient à l’assuré seulement par le retour de l’é
quipage, ce n’est pas là un avis qui doive être signifié
aux assureurs ; que dès lors le délaissement est valable,
sans avis préalable, pourvu qu’il soit signifié dans le
délai de l’article 373.
�372, 575, 574.
371
Cet arrêt fut déféré à la Cour suprême, mais le pour
voi fut rejeté le 3 juillet 1839 l.
La non recevabilité du délaissement ne pouvait ja
mais résulter du défaut d’avis préalable. Ce qui peut
naître de ce défaut, c’est uniquement, comme nous ve
nons de le voir, une allocation de dommages-intérêts
proportionnée au préjudice que les assureurs ont pu en
éprouver.
Cela posé, quel pouvait être le préjudice dont les as
sureurs pouvaient se plaindre, qu’auraient-ils pu faire
s’ils avaient été avisés après le retour de l’équipage ?
Avaient-ils un moyen quelconque de remédier au si
nistre, d’en atténuer les conséquences ? Pouvaient-ils
faire que le navire n’eût pas été déclaré innavigable et
vendu?
Donc, le but que se propose l’article 374 ne pouvant
être atteint, la signification qu’il prescrit devenait abso
lument inutile : Cessante causa, cessât effectus. C’est
ce que, avec infiniment de raison, consacrent les arrêts
que nous rappelons.
ART,
1493. — L’ordonnance de 1681 voulait que la si
gnification de l’avis eût lieu incontinent, c’est-à-dire,
au témoignage des commentateurs, dans les vingt-qua
tre heures de la réception, mais il était évident que le
retard ne pouvait créer une fin de non recevoir qui ne
W . du P., î, 1839, 370.
J
�572
DROIT MARITIME.
naissait pas de l’inobservation absolue. C’est cette doc
trine que Valin et Pothier enseignaient.
— Dès lors la prescription de la loi pouvait
paraître inutile, et c’est cette considération qui avait
porté la commission à supprimer le mot incontinent,
sans le remplacer par la désignation d’un autre délai.
La cour de Rennes s’élevait contre ce silence, elle
proposait non seulement de déterminer un délai précis,
mais encore de faire résulter la déchéance de son inob
servation. Qu’est-ce, disait-elle, qu’une disposition im
pérative qu’on peut néanmoins , sans inconvénient, ne
pas exécuter ? Mieux vaudrait supprimer l’article en en
tier.
Le conseil d’Etat consacra le premier terme de cette
proposition, en prescrivant la signification de l’avis dans
les trois jours de la réception, mais il n’a pas fait résul
ter la déchéance du retard, pas plus que de l’omission.
L’assuré doit donc agir dans ce délai ; s’il néglige de le
faire, le délaissement ne sera pas écarté, mais il pourra
être condamné à des dommages-intérêts, si le retard ap
porté dans la signification a nui au succès des démar
ches que l’assureur aurait pu tenter, ou leur a fait per
dre toute efficacité. L’obligation de réparer le préjudice
est donc l’unique sanction pénale sous laquelle on a en
tendu placer les dispositions de l’article 374.
La signification régulière de l’avis reçu peut seule
défendre utilement l’assuré contre toute poursuite en
dommages-intérêts ; sous ce rapport l’obligation est ab1494.
�572, 573, 374.
375
solue. Ainsi, dit M. Pardessus, l’usage admis dans quel
ques places maritimes de faire à la chambre de com
merce la déclaration des avis que l’assuré reçoit, ne le
dispense pas de la signification aux assureurs, malgré
que celle déclaration soit consignée dans un registre spé
cial et public, à moins que le contraire n’ait été convenu
dans la police.
ART.
— Les termes de l’article 374 indiquent la
forme dans laquelle cette communication doit être faite
La preuve légale de son accomplissement ne résulte de
plein droit que de l’acte de l’huissier qui en fait la si
gnification.
Par cela même se trouve exclue la faculté d’invoquer
la preuve testimoniale, mais la déclaration écrite de l’as
sureur qu’il a reçu communication de l’avis remplace
rait utilement l’exploit et fixerait, par sa date, l’époque
de cette communication. Cette déclaration peut être faite
sur la police elle-même, ou par tout autre écrit séparé,
elle résulterait de l’accusé de réception de la lettre que
l’assuré aurait écrite, et dans laquelle il transmettrait la
nouvelle de l’avis par lui reçu.
1495.
— La nature même des choses indique que
le délai de trois jours doit être augmenté de celui des
distances entre le domicile de l’assuré et celui des assu
reurs; la loi n’a jamais entendu, n’a jamais pu enten
dre imposer un devoir matériellement impossible à rem
plir. C’est pourtant ce qui pourrait se réaliser si l’assu1496.
�374
DROIT MARITIME.
rance ayant été contractée loin du domicile de l’assuré,
c’est à ce domicile que la nouvelle serait arrivée. Le
délai de trois jours devrait donc naturellement et néces
sairement s’augmenter de celui que cette distance com
porterait, aux termes de l’article 1033 du Code de pro
cédure civile.
A r t ic l e
375.
Si après un an expiré, à compter du jour du départ
du navire, ou du jour auquel se rapportent les dernières
nouvelles reçues pour les voyages ordinaires,
Après deux ans pour les voyages de long cours,
L’assuré déclare n’avoir reçu aucune nouvelle de son
navire, il peut faire le délaissement à l’assureur, et dedemander le paiement de l’assurance, sans qu’il soit
besoin d’attestation de la perle.
Après l’expiration de l’an, ou des deux ans, l’assuré
a, pour agir, les délais établis par l’article 373.
A r t ic l e
376.
Dans le cas d’une assurance pour temps limité, après
l’expiration des délais établis comme ci-dessus, pour
les voyages ordinaires et pour ceux de long cours,
�375, 376, 377.
375
la perte est présumée arrivée dans le temps de l’assu
rance.
ART.
A r t ic l e
377.
Sont réputés voyages de long cours, ceux qui se font
aux Indes orientales et occidentales, à la mer Pacifi
que, au Canada, à Terre-Neuve, au Groënland et aux
autres côtes et îles de l’Amérique méridionale et septen
trionale, aux Açores, Canaries, à Madère, et dans tou
tes les côtes et pays situés sur l’Océan, au-delà des dé
troits de Gibraltar et du Sund (voir la loi du 14 juin
1854).
SOMMAIRE
1477. Effet du défaut absolu de nouvelles, ses conséquences
quant à la preuve de la perte.
1478. Caractère et objet de nos trois articles.
1479. Fondement de la présomption de perte créée par le défaut
de nouvelles. Condition exigée par l'école italienne.
Comment elle était acquise.
1480. À été abrogée par l’ordonnance de 1681 et par le Code.
1481. Difficulté que le silence gardé par l’ordonnance sur l’as
surance à temps limité avait lait naître. Comment elle
était tranchée par Valin.
1482. Cette opinion est consacrée par le Code. Conséquence,
dans le cas d’une assurance contractée pour l'époque où
la première cessera d’exister.
�37C
DROIT MARITIME,
1483. Recours de l’assuré contre les seconds assureurs, si la vé
rité connue est que le navire a péri après l’expiration
de la première police.
1484. Faut-il pour que ce recours soit recevable, qu’il soit
exercé dans les délais de l’article 375.
1485. Caractère et durée du défaut de nouvelles pour que le dé
laissement soit possible. Observation que fit naître la
détermination d’un an et de deux ans.
1486. Dérogation que renferme la police de Marseille.
1487. Point de départ du délai. Conséquence quant à la néces
sité de prouver que le navire est réellement parti.
1488. Quid, dans le cas d’une assurance pour contrebande à l’é
tranger ?
1489. Point de départ de la prescription, si depuis le départ le
navire a donné de ses nouvelles. Caractère que ces nou
velles doivent offrir.
1490 Effet de l’expiration du délai de l’article 375, quant à l’o
bligation de réaliser le délaissement. Silence de l’ordon
nance. Doctrine de Valin.
1491. Consacrée par le Code. Conséquences.
1492. Nécessité et convenance de définir les voyages de long
cours. Législation avant le Code.
1493. Discussion au conseil d’Etat. Adoption du principe que
celte définition devait être insérée dans la loi.
1494. Termes dans lesquels elle fut arrêtée.
1495. L’article 377 était limitatif et restrictif.
1496. Modification introduite par la loi du 14 juin 1854. Consé
quences.
1497. Lorsque dans une assurance faite après le départ du na
vire, l’assureur n’a accepté le risque que du jour du con
trat, l’assuré qui délaisse pour défaut de nouvelles doitil prouver que le navire existait à celte époque. Opinion
de M. Dageville pour l’affirmative. Réfutation.
1498. Résumé.
�ART.
375, 376, 377.
377
1499. Quid, si l’assuré a, au moment de l’assurance, indiqué
le jour du départ et le défaut de nouvelles depuis ?
1500. Peut-on faire assurer valablement un navire après l’expi
ration du délai de l’article 375. A quelles conditions.
1501. Conséquences quant à la faculté de délaisser ultérieure
ment pour défaut de nouvelles.
1502. Celui qui délaisse pour défaut de nouvelles, est-il tenu de
justifier de la visite du navire au départ?
1499. — L’article 383 pose ce principe absolu, à
savoir, qu’avant d’exiger le paiement de la somme as
surée, l’assuré doit signifier les actes justificatifs du
chargement et de la perte.
L’obligation de prouver le chargé pouvait et devait ne
comporter aucune exception, on ne saurait admettre
une hypothèse dans laquelle il fût impossible de la rem
plir, car la preuve, même dans le cas peu probable de
la perte du connaissement, résultera d’une foule d’au
tres documents, et pourra être établie par témoins.
Il n’en est pas ainsi de la perte du navire, elle peut
se réaliser dans des circonstances telles qu’elle soit desti
née à rester un mystère impénétrable, de telle sorte qu’il
sera bien permis de la conjecturer, mais qu’il serait
matériellement et absolument impossible d’en avoir et
d’en fournir la preuve. Les exemples ne sont malheu
reusement pas rares, et le sort du malheureux capitaine
Franklin et de ses équipages en fournit, dans ces der
niers temps, un douloureux et éclatant témoignage.
Le défaut absolu de nouvelles pendant un certain dé
lai fait présumer un événement de ce genre. Un silence
�578
DROIT MARITIME.
si prolongé n’est ni dans les usages, ni dans la nature
des choses, il devait donc faire craindre un accident fa
tal, dont les conséquences devaient être le règlement
définitif des assurances contractées pour ou à l’occasion
du navire, dont on n’a plus aucune nouvelle. Dans ce
même cas, l’incertitude qui règne sur le sort de ce na
vire devait nécessairement faire affranchir l’assuré de
l’obligation de prouver la perte.
1498. — Ce qui justifie que la présomption de celleci et la dispense de la prouver n’ont rien d’antipathique
à l’essence du contrat d’assurance, c’est que les légis
lateurs qui ont successivement réglementé la matière
les ont constamment admises l’une et l’autre. C’est
ainsi qu’on les rencontre dans le Guidon de la mer,
dans le règlement d’Amsterdam, dans l’ordonnance de
1681, enfin, en Italie, dont elles formaient le droit com
mun l.
Les articles 375 et 376 ne font donc que consacrer
un principe universellement admis, il embrassent l’as
surance faite pour un temps illimité, ou pour une épo
que déterminée, établissent dans l’un et l’autre cas une
présomption légale faisant considérer la perte comme
certaine, et qui permet à l’assuré de faire le délaisse
ment et d’exiger le paiement du montant de l’assurance;
Ils fixent le terme après lequel cette présomption est
acquise ;
1 Casarégis, Dis.,
û° 42.
�■
375, 576, 377.
379
Déterminent la manière de justifier le défaut de nou
velles ;
Règlent le temps dans lequel l’assuré doit agir depuis
que la présomption acquise lui concède la faculté de le
faire 1,
ART.
— La présomption légale de la perte, en cas
de défaut absolu de nouvelles, était dictée par l’intérêt
de l’institution elle-même. Pour que l’assurance fût pra
tiquée sur une large échelle, ce qui en rend les chances
plus favorables pour les assureurs, il importait que l’as
suré pût, dans tous les cas, atteindre le but qu’il se pro
pose, à savoir, une liquidation la plus prompte possi
ble. A quoi bon se faire assurer, si l’existence du navire
devenue problématique et incertaine, l’assuré ne pouvait
rentrer dans ses fonds qu’en résolvant ce qui peut être
matériellement insoluble.
Il n’y avait donc pas à hésiter, le défaut de nouvelles
devait faire présumer la perle, rendre le délaissement
facultatif et le paiement de l’assurance exigible : Nullo
probato naufragio, disait Casarégis, dummoclo ta1490.
men assecuratus probet nullam notitiam extitisse de
navi L
Ainsi l’école italienne, en admettant la présomption
de la perte, en subordonnait l’efficacité à la preuve du
défaut de nouvelles qu’elle exigeait de l’assuré. C’était là
i Esprit du Code de commerce, art. 375 et 376
�380
DROIT MARITIME.
lui imposer une tâche difficile et ingrate. Comment, en
effet, justifier un fait négatif ?
Par les présomptions, répondait Casaregis, et ces pré
somptions il les faisait résulter de ce qu’aucune nouvelle
n’était parvenue au lieu de la destination : Et hcecnegativa exclusionis notiliœ, habitce, salis tune probata
extat, si justificatum fuerit eam nolitiam non extitisse in loco ad quem merces erant vehendœ. Alioquin
sequeretur absurdum imo impossibüitas, si ubique et
indefinite in toto orbe esse probandum
Mais le retard que le navire mettait à arriver à sa des
tination, quelque prolongé qu’il fût, pouvait ne pas cons
tituer le défaut de nouvelles. Ce n’est pas, en effet, au
consignataire que le capitaine rend compte de son voya
ge. Ses lettres sont ordinairement adressées à l’arma
teur, aux chargeurs. Qu’importait donc que le premier
ne fût pas instruit du sort du navire, si ces derniers le
connaissaient.
— Cette considération avait sans doute dé
terminé le législateur de 1681 à ne pas sanctionner l’o
bligation pour l’assuré de prouver le défaut de nouvel
les, mais ce silence n’avait fait que déplacer la difficulté.
Comment et dans quelles circonstances devait-on admet
tre le défaut de nouvelles.
Le Code a tranché celte difficulté. Le défaut de nou
velles résultera désormais de la seule déclaration de
1480.
�l’assuré qu’il n’en a reçu aucune. Quelque latitude que
cette disposition laisse à l’assuré, il faut avouer qu’elle
était seule rationnelle. Comment exiger qu’une déclara
tion de ce genre fût étayée de preuves extrinsèques ?
Un fait de non réception de nouvelles en comporte-t-il
aucune ?
— Une autre lacune de l’ordonnance avait
donné naissance à une difficulté plus grave, Du silence
qu’elle avait gardé sur l’assurance à temps limité, le
Parlement d’Aix avait par deux fois décidé que le dé
laissement n’était recevable dans cette hypothèse que si
l’assuré prouvait que la perte avait eu lieu dans le temps
du risque, ce qui était en réalité la négation absolue de
la faculté de délaisser.
Aussi, dit Yalin, ces deux arrêts furent-ils cassés par
décision du conseil de 1779, ils étaient insoutenables,
puisque les assureurs ne pouvaient se défendre qu’en
excipant de ce que le navire n’avait fait naufrage qu’après le temps déterminé par la police. Or, par là deve
nant demandeurs, c’était à eux à prouver leur exception,
suivant l’axiome reus excipiendo fit actor U
1481.
— Ce qui du temps de Valin n’était qu’une
légitime et juste déduction des principes généraux, se
trouve converti en loi par l’article 375. Aujourd’hui,
donc, que l’assurance soit pour le voyage entier ou pour
1488.
' Art. 58, tit. des Assur.
�382
DROIT MARITIME.
un temps limité, le défaut de nouvelles a pour effet, non
seulement de faire considérer la perle comme certaine,
mais encore de la faire considérer comme arrivée pen
dant le temps du risque.
La conséquence de celte double présomption amène
à ce résultat : si l’assuré, en prévision d’une prolonga
tion de la navigation, a contracté une seconde assurance
pour sortir à effet à l’expiration du temps limité par la
première, le délaissement pour défaut de nouvelles ne
peut être fait qu’aux souscripteurs de celle-ci. Ils ne
pourraient, de leur côté, récuser l’obligation d’indem
niser l’assuré et en renvoyer la charge aux seconds as
sureurs, qu’en prouvant que le sinistre a eu lieu hors la
limite qu’ils avaient garanti.
— Mais le paiement auquel ils seraient te
nus, à défaut de cette preuve, ne serait que provisoire,
en ce sens que si la vérité, connue plus tard, était que
la perte a été subie hors du temps limité, l’asst.ré de
vrait restituer ce qu’il a reçu, sauf son recours contre
les seconds assureurs.
1483.
1484. — On a voulu soutenir que ce recours ne
pourrait être exercé que si l’assuré était encore dans le
délai de l’article 375. Ainsi, cet assuré pourrait être vic
time de cette incertitude contre laquelle la loi a entendu
le protéger ; avant la découverte de la vérité, il ne peut
s’adresser qu’aux premiers assureurs, et si cette décou
verte n’avait lieu qu’après l’année ou les deux ans du
�375, 376, 377.
383
défaut de nouvelles, tenu de rembourser ceux-ci ; il ne
pourrait s’adresser aux seconds, vis-à vis desquels il au
rait perdu son droit avant d’avoir pu l’exercer.
L’étrangeté d’un pareil résultat nous fait repousser la
doctrine qui le créerait, elle doit l’être parce que le dé
laissement fait aux seconds assureurs, sur nouvelle po
sitive de la perte, ne saurait être assimilé à celui que
régit l’article 375, qu’on devrait dès lors le ranger sous
l’empire de la disposition de l’article 373, et le dé
clarer valable s’il a été signifié dans les délais de cet
article.
ART.
— Le défaut de nouvelles donnant ouverture
à l’action en délaissement ne peut s’entendre que d’un
défaut complet, absolu, général; il ne suffirait donc pas
que l’assuré n’en eût reçu aucune, si les tiers dans le
lieu qu’il habile ou dans celui de la destination, si les
assureurs eux-mêmes en avaient reçu ; la certitude de
l’existence des unes ou des autres serait un obstacle au
délaissement, si leur réception ne remontait pas à une
date telle que le délai des articles 375 et 376 se trouvât
écoulé au moment de l’action.
Le délai est d’un an pour les voyages ordinaires, c’està-dire ceux du grand et du petit cabotage ; de deux ans
pour les voyages au long cours. Celle durée avait paru
trop élevée surtout pour les voyages au petit Cabotage.
C’est ce que relevaient notamment les tribunaux de com
merce de Paimpol et de Saint-Brieux.
On répondit que l’expérience ne venait pas appuyer
14 85.
�384
DROIT MARITIME.
cette observation. L’ordonnance ayant fixé ce même dé
lai, et d’une manière uniforme, le commerce était ac
coutumé à cette disposition dont il ne s’était jamais
plaint, on crut donc devoir la maintenir.
— Il parait cependant que la pratique an
térieure à l’ordonnance, comme celle que le Code a
créée, justifiait en quelques points l’observation des tri
bunaux de Paimpol et de Saint-Brieux. Le Guidon de
la mer n’accordait que le délai de dix-huit mois pour
les voyages au long cours.
D’autre part, l’article 14 des polices de Marseille
porte : hors le cas de survenance de guerre pendant le
voyage assuré, les délais établis par l’article 375 du
Code de commerce pour le délaissement, à défaut de
nouvelles, sont réduits comme suit : six mois pour le
petit et le grand cabotage, excepté pour les voyages des
mers Noire et Baltique, pour lesquels le délai est de
neuf mois ; un an pour les voyages de long cours ; et
pour les voyages au-delà des caps Horn et de BonneEspérance, dix-huit mois pour l’aller et quinze mois
pour le retour.
On aurait donc pu, sans grands inconvénients, amoin
drir les délais, pour le petit cabotage principalement,
celui d’un an qu’on a accordé ne répondant à aucune
nécessité réelle.
Quoi qu’il en soit, à défaut de convention contraire,
ce n’est qu’à l’expiration de ce délai ou de celle des deux
1486.
�585
575, 376, 377/
ans accordés pour les voyages au long cours, que l’as
suré est recevable à faire le délaissement.
ART.
— Dans l’un et l’autre cas, le délai court
du jour du départ du navire, de celui des dernières
nouvelles s’il en est parvenu quelqu’une depuis. L’obli
gation de prouver que le délai est acquis entraîne donc,
dans le premier cas, celle de justifier que le départ a eu
lieu, surtout lorsque ce départ doit s’effectuer d’un port
étranger et éloigné du lieu où a été contractée l’assu
rance.
Dans quelque lieu que s’effectue ce départ, son exé
cution pourra résulter des pièces et documents, tels que
le congé, le manifeste de sortie, les expéditions prises en
douane, l’annonce dans un journal de la localité, mais
il est des opérations qui ne permettront la production
d’aucune de ces pièces. .
148®.
— Nous avons vu que la contrebande à l’é
tranger peut devenir en France la matière d’une assu
rance licite, l’assureur qui l’accepte doit être certain
d’avance que le navire qui en fait l’objet quittera le port
dans lequel il est en armement sans laisser après lui des
traces de nature à faire échouer le projet qu’il va réali
ser. Le succès de l’entreprise dépend surtout du mystère
dont on l’enveloppera. Comment donc supposer qu’on
appellera sur elle la publicité et la surveillance, soit par
un manifeste de sortie, soit par la prise des expéditions
en douane.
iv — 25
1488.
�586
DROIT MARITIME.
L’assureur ne saurait donc raisonnablement exiger
l’un ou l’autre, c’est ce que la cour d’Àix décidait ex
pressément, par arrêt du 30 août 1833.
Dans l’espèce, le délaissement fait par le chargeur
pour défaut de nouvelles était repoussé par les assu
reurs, sur le motif que le départ n’était pas justifié par
des pièces probantes, puisque l’assuré ne produisait que
la charte partie et les connaissements n’établissant que
l’affrètement et le chargement.
Mais la Cour repousse cette exception, et juge que
dans le cas de délaissement pour défaut de nouvelles,
lorsque l’assuré prouve l’affrètement du navire et son
chargement, au moyen d’une charte partie et d’un con
naissement argués de faux par les assureurs, mais main
tenus comme vrais par la justice, le délaissement doit
être validé malgré l’absence des pièces légales et justifi
catives du départ, si d’ailleurs il résulte d’un ensemble
de faits et de documents que l’expédition, le chargement
et le départ du navire ont eu réellement lieu à l’époque
signalée par l’assuré, et si l’ignorance dans laquelle il
est resté des traces et du sort du navire depuis son dé
part s’explique par la nature interlope de l’expédition et
par diverses possibilités, telles qu’un naufrage total du
navire ou une action coupable du capitaine pour s’ap
proprier le chargement h
Ce qui doit être remarqué, c’est que les assureurs,
s’étant pourvus en cassation, ne font porter leur pourvoi
i Sous cass., 25 mars 1835.
�587
375, 376, 377.
que sur plusieurs autres griefs que l’arrêt résolvait con
tre eux. Leur silence, sur le point qui nous occupe, était
un acquiescement formel et la reconnaissance explicite
du bien jugé en ce qui le concernait.
ART.
— Si depuis le départ le capitaine a donné
de ses nouvelles, le délai d’un an ou de deux ans ne
court qu’à partir des dernières reçues. Malgré le silence
gardé sur ce point par l’ordonnance de 1681, on ne
l’avait pas moins pratiqué ainsi. A compter du jour
du départ, disait Valin, cela s’entend s’il n’y a eu
aucune nouvelle du navire depuis qu’il est parti. Autre
ment, s’il y en a eu, le temps ne se comptera que du
jour des dernières.
Par nouvelles du navire, il faut entendre tout ce qui
est de nature à en révéler, à en constater l’existence.
La présomption tirée du défaut absolu de ces nouvelles
étant celle de la perte, tout ce qui tend à établir le con
traire, jusqu’à un certain degré de certitude, ne pour
rait se concilier avec elle et doit par conséquent la faire
repousser.
Il n’est donc pas nécessaire de produire des lettres
directes du capitaine ou des membres de l’équipage ou
des passagers écrites à l’armateur, aux chargeurs, à
leurs familles. L’annonce dans une feuille publique
d’une localité de l’entrée ou de la sortie du navire dans
un port ou dans une rade intermédiaire, le rapport de
mer d’un capitaine constatant qu’il l’a laissé dans un
lieu déterminé ou rencontré en mer , constituerait une
1489.
�DROIT MARITIME.
388
nouvelle dans le sens de la loi, et le délai imparti par
l’article 375 ne commencerait que du jour indiqué par
le journal ou par le rapport de mer. Jusque-là, en effet,
il y a certitude que le navire n’avait pas péri.
L’allégation de l’existence d’une ou de plusieurs des
circonstances q.ue nous venons d’indiquer, par laquelle
on repousserait le délaissement, constituerait l’assureur
demandeur quant à ce. Il serait donc tenu d’en fournir
la preuve.
— Le Code de commerce a, sur un autre
point encore, comblé une lacune de la législation précé
dente. L’ordonnance de 1681 déterminait bien le délai
dont l’expiration faisait présumer la perte, en cas de
défaut de nouvelles, mais elle ne s’expliquait pas sur la
nécessité pour l’assuré d’agir, cette présomption étant
acquise.
Fallait-il conclure de ce silence que l’action en délais
sement était entièrement livrée à la discrétion de l’as
suré, sans que les assureurs pussent lui opposer aucune
fin de non recevoir, comme dans les cas de délaisse
ment ordinaire ? Non , disait Valin , car une pareille
conclusion serait en contradiction avec les principes
élémentaires de l’assurance , dans laquelle , de part et
d’autre, tout doit être réglé dans le plus bref délai pos
sible.
En conséquence, Valin enseignait que l’article 58 de
vait se combiner avec l’article 48, et que le délaissement
devait être fait dans les délais édictés par ce dernier,
1490.
�lesquels ne couraient que du jour où le droit de délais
ser était irrévocablement acquis. L’article 58, disait-il,
en permettant de faire le délaissement après un certain
temps, s’il n’y a aucune nouvelle du navire depuis le
départ, suppose évidemment que ce laps de temps tient
lieu de la nouvelle de la perte, ou, pour mieux dire,
vaut autant que l’entière certitude de la perte, donc
qu’après ce temps l’assuré doit se pourvoir contre les
assureurs, dans les mêmes délais qu’il lui est enjoint de
le faire lorsqu’il y a nouvelle de la perte, et cela sous la
même peine de déchéance
1 4 9 1 . — Ces paroles de Yalin sont le commen
taire le plus clair, le plus exact du dernier paragraphe
de l’article 375, celui-ci n’a pas d’autre objet que ce
lui de convertir en loi la doctrine du célèbre juriscon
sulte.
Donc, le délai d’un an ou de deux sans qu’on ait reçu
de nouvelles du navire étant expiré, l’assuré, soit sur
corps, soit sur facultés, est recevable à faire le délaisse
ment et à exiger le paiement de la somme assurée. Mais
ce droit n’est pas indéfini ; il doit, au contraire, être
exercé dans les délais de larticle 373. Ces délais ne com
mencent de courir que du jour de l’expiration de celui
accordé par l’article 375. Leur accomplissement, sans
que l’assuré eût réalisé son action, rendrait tout délais
sement ultérieur non recevable.
�390
DROIT MARITIME.
Toutefois, cette déchéance ne pourrait être invoquée
par les assureurs que si le délaissement ultérieur était
motivé sur le défaut de nouvelles. En conséquence, si
après l’expiration du double délai l’assuré, qui n’a pas
encore agi, recevait la nouvelle positive de la perte, on
ne saurait lui refuser le droit de délaisser, à la charge
par lui de réaliser son action dans les six mois, dans
l’année, ou dans les deux ans de la réception de cette
nouvelle.
1 4 9 3 . — La prolongation du délai qui résulte de
la nature du voyage déterminait la nécessité de définir
quels étaient ceux qu’on devait considérer comme de
long cours, afin d’éviter les difficultés qui pouvaient
naître à ce sujet.
Cette définition avait été donnée par le règlement du
20 août 1673. L’ordonnance de 1681 avait modifié ce
règlement, mais cette modification était loin d’avoir sim
plifié la difficulté. Aussi l’ordonnance du 13 octobre
1740 en était-elle revenue purement et simplement aux
dispositions du règlement de 1673.
— La commission, croyant qu’il appartenait
au souverain de fixer la nature du voyage, avait inséré
dans le projet du Code un article ainsi conçu : Le gou
vernement détermine ceux des voyages qui sont répu
tés voyages de long cours. Cette proposition, repoussée
par plusieurs cours et tribunaux de commerce, le fut
également par le conseil d’Etat. On admit que cette dé1493.
�termination devait se trouver dans la loi spéciale ellemême ; 1° parce que les dispositions arrêtées à cet égard
n’étant pas sujettes à varier, il n’était pas nécessaire
d’en faire la matière d’un règlement ; Ü5° parce qu’il était
à craindre que les règlements ne parussent pas aussitôt
que la loi ; 3° et surtout parce qu’il convenait de ne
pas forcer les négociants à chercher dans plusieurs vo
lumes des dispositions qu’ils ont également intérêt à con
naître et qui se lient au même sujet.
— La résolution d’insérer dans la loi la dé
finition des voyages de long cours adoptée, restait à s’en
tendre sur cette définition ; à ce sujet, on proposait,
d’une part, les termes de l’ordonnance de 1681 ; de
l’autre, les dispositions de celle de 1740. La préférence
que Valin accordait à celles-ci, comme beaucoup plus
nettes et plus précises que celles de 1681, la fit égale
ment adopter par le conseil d’Etat.
Le Code ne réputa donc voyage de long cours que
ceux qui se font aux Indes orientales et occidentales ; à
la mer Pacifique, au Canada, à Terre-Neuve, au Groënland et aux autres côtes et îles de l’Amérique méridio
nale et septentrionale ; aux Açores, Canaries ; à Madère
et dans toutes les côtes et tous les pays situés sur l’Océan,
au-delà des détroits de Gibraltar et du Sund.
1191.
— Il résulte de ces derniers termes que,
pour que le voyage soit de long cours, il ne suffit pas
que le port de destination soit au-delà des détroits de
1495.
�392
DROIT MARITIME.
Gibraltar ou du Sund, il faut encore qu’il soit situé sur
l’Océan. La nécessité du concours de la double condi
tion a été consacrée par la cour de Rouen, le 22 juin
1822.
Dans cette espèce, l’assuré ayant délaissé pour cause
d’innavigabilité, les assureurs contestaient la recevabi
lité de sa demande, sur le motif que le navire n’avait
pas été visité avant le départ, malgré qu’il allât se li
vrer à un voyage de Rouen à Saint-Pétersbourg, qu’ils
soutenaient être et devoir être considéré comme un voya
ge de long cours. Mais ce système fut repoussé, parce
que Saint-Pétersbourg n’étant pas situé sur l’Océan, l’ar
ticle 377 devenait inapplicable.
Les assureurs se pourvurent en cassation ; ils repro
chaient à l’arrêt d’avoir méconnu et violé ce même arti
cle 377. On devait, disaient-ils, déclarer le voyage de
long cours, puisque Saint-Pétersbourg se trouve audelà du détroit du Sund, la loi désignant comme tels
ceux qui ont lieu au-delà de ce détroit et de celui de Gi
braltar. Vainement voudrait-on exciper de ce que l’ar
ticle parle des côtes et pays situés sur l’Océan, et en li
miter les effets aux voyages qui se font sur cette mer. Il
est évident qu’il y a là un vice de rédaction, puisque
au-delà du détroit de Gibraltar on trouve la Méditerra
née, et au-delà du détroit du Sund la mer Baltique. On
ne saurait, sans rendre inutile et sans effets la dernière
disposition de cet article, ne pas appeler voyage de long
cours ceux qui ont lieu dans ces deux mers, et qu’il a
voulu aussi comprendre sous cette dénomination. Il se-
�375, 376, 377.
393
rait d’autant moins raisonnable de l’interpréter autre
ment, que la navigation étant plus périlleuse dans les
mers closes, telles que la Méditerranée et la Baltique, la
visite des navires en devient plus nécessaire.
Mais la Cour de cassation ne fut pas de cet avis, elle
rejeta le pourvoi, attendu que l’article 377 n’a déclaré
voyage de long cours, indépendamment des lieux qui y
sont nominativement désignés, que ceux qui se font aux
côtes et pays situés sur l’Océan, au-delà des détroits du
Sund et de Gibraltar , que Saint-Pétersbourg ne s’y
trouve pas nominativement indiqué ; qu’il n’est pas non
plus situé sur l’Océan ; que dès lors, les conditions re
quises manquant, le voyage de Saint-Pétersbourg ne
peut être considéré comme un voyage de long cours 1.
Ce qui résulte de cette jurisprudence, c’est que l’ar
ticle 377 était essentiellement limitatif et restrictif; qu’en
conséquence, tout voyage en des lieux autres que ceux
qui y sont indiqués ou situés sur une autre mer que
l’Océan, est un voyage de grand ou de petit cabotage
seulement.
art.
1496. — Peut-être, est-ce à la difficulté signalée
par le litige que nous venons de raconter qu’est due la
pensée de modifier l’article 377, pensée que la loi du
14 juin 1854 a accomplie. Aux termes de son article
unique, sont réputés voyages au long cours ceux qui se
font au-delà des limites ci-après déterminées :
i C a s s , 23 m a i 1 8 2 6 .
�394
DROIT MARITIME.
Au sud, le 30me degré de latitude nord ;
Au nord, le 72me degré de latitude nord ; .
A l’ouest, le 15me degré de longitude du méridien de
Paris ;
A l’est, le 14me degré de longitude du méridien de
Paris.
La faculté de délaisser ne sera donc acquise que par
un délai de deux ans pour les .navires expédiés au-delà
de ces distances ; d’un an pour ceux qui n’avaient pas
à les franchir. Dans l’un et l’autre cas, le délai courra
du jour des dernières nouvelles, de celui du départ, si
depuis il n’en a été reçu aucune.
— M. Dageville veut que l’article 375 re
çoive exception à l’endroit de la dispense de prouver la
perte, lorsque l’assurance étant postérieure au départ,
l’assureur n’a pris le risque qu’à partir du contrat. Dans
ce cas, dit-il, l’assuré ne sera recevable à délaisser après
l’expiration des délais qu’en prouvant que le navire
existait au moment de la convention.
Obliger l’assuré à prouver l’existence du navire à une
époque quelconque depuis le départ, précisément au mo
ment où il en fait le délaissement, parce qu’il ne sait
pas ce qu’il est devenu, c’est lui interdire d’une manière
absolue la faculté d’invoquer le bénéfice de l’article 375,
Il suffirait que le risque n’eût été accepté qu’à partir du
contrat, pour que cet article ne pût jamais être appli
qué, et que le délaissement pour défaut de nouvelles ne
pût être réalisé.
1499.
�L’assuré subirait seul les effets de la perte, malgré
l’assurance. Or, nous ne croyons pas qu’une pareille
conséquence soit jamais entrée dans l’esprit de la loi.
Ainsi le Guidon de la mer, qui obligeait l’assuré à four
nir attestation valable de la perte ou prise contenant
l’heure et le lieu qu'elle est advenue, ajoutait immé
diatement, si faire se peut . Ce qui résulterait de cette
restriction, c’est, au dire d’Emérigon, que si l’assuré ne
peut pas prouver en quel temps le navire a péri, on de
vait présumer que la perte était arrivée dans le temps
du risque.
Nous venons de prouver que le Code, loin de répu
dier cette doctrine, l’a au contraire implicitement con
sacrée. Or, elle suffit pour faire écarter l’opinion de
M. Dageville.
Elle doit l’être encore par le principe que nous rap
pelions tout à l’heure : Reus excipiendo fit actor. Dans
l’hypothèse d’un défaut de nouvelles, la présomption de
la perte n’est acquise que par l’expiration du délai édic
té par l’article 375. Jusqu’à cette expiration, le navire
est légalement présumé exister. Que cette dernière pré
somption puisse être renversée par la preuve du con
traire, c’est ce qui ne saurait être contesté. Mais qui
peut être tenu de faire cette preuve, si ce n’est celui qui
l’invoque pour établir sa libération ?
Disons donc ici ce que Pothier enseignait tout à l’heure
dans l’hypothèse d’une assurance limitée : Les assureurs
qui n’ont pris les risques qu’à partir du jour du contrat
ne peuvent se défendre de payer les sommes assurées
�596
DROIT MARITIME.
qu’en excipant que la perle du navire est arrivée avant
cette époque. C’est à eux à le justifier, suivant la maxi
me incumbit omis probandi ei qui dicit.
— En résumé donc, à quelque époque que
l’assurance ait été contractée, de quelque nature que
soit le risque accepté, la présomption légale de l’exis
tence du navire suffit à l’assuré. L’expiration du délai
de l’article 375 l’autorise à faire le délaissement. Les as
sureurs ne peuvent en récuser les effets qu’en soutenant
que la perte est arrivée soit avant l’ouverture du risque,
soit après son expiration. Dans l’un et l’autre cas l’ex
ception qu’ils invoquent les constituant, quant à ce, vé
ritables demandeurs , leur impose par cela même la
charge d’en établir et d’en justifier l’existence. Résoudre
la question comme M. Dageville, c’est en revenir à l’ar
ticle 5 du règlement d’Anvers, exigeant que les assurés
fissent apparaître, par acte authentique et judiciaire,
que le navire était encore en bon état lors de l'assu
rance, obligation que l’ordonnance de 4681 ne com
portait même pas, ainsi que l’établit Emérigon l.
1408.
1 4 0 0 . — A plus forte raison, devrait-on se pro
noncer contre les assureurs, si l’assurance étant faite
après le départ, l’assuré avait déclaré l’époque de ce
départ et le défaut de nouvelles depuis ; nous avons
déjà dit que la déclaration du jour du départ n’était pas
l Chap. 14, sect. 4, s 6.
�exigée par la loi, parce que l’assuré lui-même peut
l’ignorer. Mais s’il l’a connue, et si, à l’époque du con
trat, ce départ remontait assez haut pour faire conce
voir des inquiétudes sur le sort du navire ; si, à cette
circonstance, se joignait celle de l’absence de toutes nou
velles depuis, l’assureur pourrait repousser le délaisse
ment. Mais ce droit lui serait acquis uniquement à cause
de l’ignorance dans laquelle on l’aurait laissé sur les
circonstances devant influer sur l’opinion du risque, ce
qui constituerait de la part de l’assuré la réticence frau
duleuse de nature à entraîner la nullité de la police. Le
maintien de celle-ci, conséquence forcée de l’absence de
toute réticence, priverait donc l’assureur de tout moyen
de se soustraire aux effets du délaissement, à moins
qu’il ne prouvât que la perte a eu lieu avant l’ouverture,
ou après l’expiration du risque.
1SOO. — De tout temps on a agité la question de
savoir si on pouvait faire valablement assurer le navire
ou la cargaison après l’expiration des délais autorisant
l’action en délaissement, À première vue , l’affirmative
paraît impossible et téméraire. Comment, en effet, con
cevoir une assurance, lorsque le défaut de nouvelles,
depuis plus d’un an ou de deux f n s , a créé une pré
somption équivalent à la preuve de la perte ?
C’est néanmoins dans ce sens que la doctrine s’est
toujours prononcée. Quelque étendue que soit une pré
somption, elle n’est pas encore la certitude. Or, on ne
saurait donc empêcher que le doute qu’elle laisse, que
�398
DROIT MARITIME.
l’aléa qui en résulte devienne la matière d’un contrat
régulier.
Mais, pour que celui-ci puisse valablement exister, il
faut de toute nécessité le concours des deux volontés, et
surtout le consentement de la partie la plus directement
intéressée. Cette partie est, dans notre hypothèse, l’as
sureur, les dangers dont le menace la présomption de
la perte déjà acquise devant être sérieusement pris en
considération par lui. Dès lors, l’assurance, dans notre
hypothèse, ne serait valable et obligatoire que si, instruit
par la police elle-même du défaut de nouvelles depuis
le départ du navire et de l’époque précise de celui-ci,
il consentait à se charger du risque. C’est ce que Casaregis enseignait en ces termes : Assecuratio non subsistit, si sit facta postquam nullum mentium habetur
de navi, nisi assecurator, eo nomine monitus, nihilhominus assecurationem in se reciyiatl.
Emérigon se range à cette opinion qui d’ailleurs, n’a
jamais été contestée.
— On peut donc faire assurer, même après
l’expiration des délais de l’article 375. Quelle sera la
conséquence du contrat, devra-t-on considérer l’assuré
comme ayant renoncé à se pourvoir ultérieurement pour
défaut de nouvelles ?
L’affirmative aurait pour résultat de rendre l’assu
rance impuissante et sans objet, puisque, si l’incertitude
1501.
1 Disc., 1er, 153.
�399
375, 376, 377.
dans laquelle on se trouve au moment où elle est concontractée se prolongeait dix ans, vingt ans, l’assuré se
rait dans la nécessité d’attendre ; qu’il ne pourrait mê
me jamais délaisser, si cette incertitude durait éternel
lement. Mieux vaudrait prohiber l’assurance, plutôt que
d’exposer l’assuré à payer une prime nécessairement
forhélevée et le condamner à en perdre éventuellement
tout le bénéfice.
La validité de l’assurance amène donc à cette consé
quence que l’assuré pourra, comme dans tous les au
tres cas , se prévaloir du défaut de nouvelles et opé
rer le délaissement autorisé par l’article 375 , mais
sous une modification que commandait la nature des
choses,
Ainsi, l’article fait courir ce délai d’un an ou de deux
du jour du départ du navire, sans distinguer si l’assu
rance a été contractée avant ou depuis ce départ. Ap
pliquer cette règle au cas qui nous occupe, ce serait per
mettre à l’assuré de réaliser le délaissement un quart
d’heure après la signature de la police, ce qui serait ini
que et absurde.
L’assurance faite après l’expiration des délais de l’ar
ticle 375 emporte de plein droit, de la part de l’assuré,
renonciation à se prévaloir du temps écoulé jusque-là ;
malgré la présomption légale, le navire est considéré
comme existant par toutes les parties, ce qui seul pou
vait rendre raison de la possibilité et de la validité du
contrat.
Chaque partie est donc obligée de conformer sa conART.
�400
DROIT MARITIME.
duite à cet état des choses. Ce qui en résulte, c’est que
le délaissement ne sera facultatif que lorsqu’un nouveau
délai aura substitué la présomption de perte à celle qui
a fait le fondement régulier de l’assurance, c’est-à-dire
que lorsque le défaut de nouvelles se sera prolongé un
an ou deux depuis la souscription de la police.
En résumé, celui qui assure après l’expiration des
délais de l’article 375 pourra plus tard faire le délaisse
ment pour défaut de nouvelles, mais, celte faculté, il ne
pourra l’exercer que si depuis le jour de la police un an
ou deux se sont écoulés sans que le navire sujet ou por
teur du risque ait donné signe de vie. Assurer en pa
reille circonstance, c’est créer une exception à l’article
375, pour ce qui concerne le point de départ de la pres
cription \
— Le tribunal de commerce de Marseille a
été appelé à résoudre une difficulté que suscitait l’appli
cation de l’article 375, on soutenait dans l’espèce que le
délaissement pour défaut de nouvelles ne pouvait être
admis, faute par le capitaine de justifier de la visite du
navire avant son départ.
L’assureur inférait des dispositions des articles 225
et 228 que lorsque le navire n'a pas été visité il y a
présomption légale qu’il est parti en mauvais état ; que
dès lors si le délaissement n’est fondé que sur le défaut
de nouvelles, sans qu’aucune circonstance fasse connaî1503.
i Emérigon, chap 14, sect. 4, § 3.
�401
375, 376, 377.
Ire d’une manière positive d’où est provenue la per
te, c’est à l’innavigabilité, c’est au vice propre du na
vire plutôt qu’à toute autre cause qu’elle doit être attri
buée.
«
L’assuré répondait : aux termes de l’article 375, l’as
suré qui fait abandon pour défaut de nouvelles est dis
pensé de prouver la perte.
Il suit de là que c’est à l’assureur à justifier le genre
de sinistre auquel il attribue cette perte, s’il croit y trou
ver une exception pour se dispenser de payer la somme
assurée.
Sur la présomption tirée du défaut de visite, il faisait
remarquer que l’article 225 ne disait pas que faute de
visite le navire est présumé innavigable et avoir péri par
cette seule cause ; que, d’ailleurs, s’il était possible que
le navire eût péri à cause d’un vice propre, il était éga
lement possible qu’il eût péri pour tout autre événement
de mer à la charge de l’assureur ; que dès lors il ne lui
suffisait pas d’alléguer le premier, qu’il devrait en ou
tre en justifier la réalité.
Cette défense fut consacrée par jugement du 21 fé
vrier 1821 : « Attendu qu’il est constant que depuis
plus d’une année l’on n’a eu aucune nouvelle du navire
Vlno ;
« Attendu en droit, et d’après l’article 375, que le
délaissement peut être fait par l’assuré, pour défaut de
nouvelles, après l’expiration des délais déterminés par
cet article ; que, dans ce cas, la déclaration de l’assuré
iv — 26
art.
�402
DROÏT MARITIME.
suffit seule pour autoriser l’abandon, sans qu'il soit be
soin d'attestation de la perte ; que la conséquence de
celle disposition est que l’assureur qui conteste doit
prouver ses exceptions, d’après la règle reus excipiendo
fit actor ;
« Attendu que le défaut de visite avant le départ du
navire ne saurait fournir à l’assureur un moyen de se
soustraire au paiement de la perte ; que si l’article 225
oblige le capitaine à faire visiter son navire, et si l’arti
cle 228 le rend responsable envers les intéressés au corps
et à la cargaison, ces deux articles ne donnent qu’une
action particulière à ceux-ci sans l’étendre aux assu
reurs, parce que, en droit les fins de non recevoir ne
peuvent être étendues ;
« Attendu que d’après l’article 4 de la déclaration de
1779, encore en vigueur, la représentation du certificat
de visite n’était exigée des assurés que dans le cas d’in
navigabilité légalement constatée et reconnue ; que, hors
ce cas unique, et qui faisait exception à la règle géné
rale, le défaut de certificat de visite ne pouvait être op
posé par les assureurs ; que ce serait, en effet, renverser
tous les principes que d’appliquer la fin de non rece
voir résultant du défaut de visite à tous les cas de dé
laissement déterminés par l’article 369, et qui sont in
dépendants de l’état du navire, au moment du dé
part 1. »
Le caractère juridique de cette décision ne saurait être
1 Journal de Marseille, t. 2 ,1, 65.
�ni méconnu, ni contesté. L’exception tirée de la pré
somption naissant du défaut de visite ne pouvait pas
même être invoquée dans l’espèce ; il ne s’y agissait pas
d’un voyage de long cours. Or, ainsi que nous l’avons
indiqué, la loi du 17 août 1791 modifiant la déclara
tion de 1773, ne prescrit la visite que pour les navires
qui vont entreprendre un voyage de long cours. Dès
lors les voyages au grand ou au petit cabotage en
étant dispensés, comment ferait-on résulter une fin de
non recevoir contre le délaissement du défaut de pro
duction des procès-verbaux de visite, à laquelle on n’é
tait pas même tenu de faire procéder.
L’exception ne pouvait donc pas même être invoquée.
Dans tous les cas, la spécialité de cette production au
cas de délaissement pour cause d’innavigabilité com
mandait à elle seule la solution consacrée par le tribu
nal. Le délaissement pour défaut de nouvelles est fondé,
non sur une présomption d’innavigabilité, mais sur celle
d’une perte entière, conséquence d’un naufrage. Or,
dans ce cas, la doctrine et la jurisprudence sont unani
mes, le navire, visité ou non, n’en aurait pas moins
péri. Donc, celui qui prétend attribuer le sinistre exclu
sivement au vice propre est obligé et tenu de rapporter
la preuve de son allégation.
�404
DROIT MARITIME.
A r t ic l e
378.
L’assuré peut, par la signification mentionnée en l’ar
ticle 374, ou faire le délaissement avec sommation à
l’assureur de payer la somme assurée dans le délai fixé
par le contrat, ou se réserver de faire le délaissement
dans les délais fixés par la loi.
SOMMAIRE
1503. Caractères de l’article 378.
1504. Son objet, difficulté qu’il tend à prévenir.
1505. La latitude laissée à l’assuré n'inftire en rien sur le délai
conventionnel ou légal de paiement.
1506. Peut-on, avant son expiration, provoquer un jugement de
condamnation ?
1507. Examen d’un arrêt de la Cour de cassation jugeant l’af
firmative.
1508. L’omission, dans la signification de l’avis, de la réserve
de faire le délaissement ne créerait aucune exception
contre l’assuré.
— Le délaissement accepté ou jugé valable
est irrévocable. Désormais, la chose assurée est et de
meure la propriété de l’assureur, qui peut seul en dis
poser. Ce transfert de la propriété peut être onéreux
pour l’assuré. En effet, les circonstances de temps et de
lieu peuvent être telles que, quel que soit l’état réel des
effets assurés, leur conservation entrera dans les conve1503.
�, .ïfK.'‘r V
_1
____ ________________________________________
378.
4.05
nances et dans l’intérêt de l’assuré. Cette considération,
nous l’avons déjà dit, a donné naissance à une double
conséquence. Le délaissement est une pure et simple
faculté ; il ne doit être réalisé que dans un délai dé
terminé, pendant la durée duquel l’assuré pourra déli
bérer et choisir le parti auquel il lui conviendra de s’ar
rêter.
ART.
— L’article 373 ayant satisfait à cette dou
ble exigence, il était inutile d’y revenir et de la consa
crer une seconde fois. Il ne pouvait entrer dans la pen
sée de personne qu’en prescrivant la signification de
l’avis du sinistre, dans les trois jours de la réception,
l’article 374 eût entendu imposer un délaissement im
médiat, et retirer à l’assuré le bénéfice des délais que
venait de lui concéder si expressément l’article 373.
Aussi croyons-nous que l’article 378 n’a pas eu seu
lement pour objet d’empêcher une équivoque absolu
ment impossible. Ce que nous trouvons dans sa dispo
sition, c’est la confirmation explicite du caractère que
nous avons assigné à l’article 373, c’est la détermination
précise des inductions qui s’en tiraient, à savoir, que
les délais accordés sont au bénéfice exclusif de l’assuré;
que le seul droit que les assureurs puissent en préten
dre, est dès lors celui d’exciper de leur expiration pour
repousser le délaissement tardif qui pourrait leur être
fait.
A ce point de vue, l’utilité de l’article 378 était in
contestable. Sa disposition prévenait formellement une
1504.
«
�406
DROIT MARITIME.
difficulté qu’on n'aurait pas manqué de soulever. Le
délai légal ou conventionnel du paiement du montant
de l’assurance ne court que du jour de la signification
du délaissement. Il sera donc plus ou moins prolongé,
suivant que cette signification sera plus ou moins re
tardée.
Il pouvait donc se faire que pour s'assurer, dans tous
les cas, le délai le plus long, les assureurs fussent ame
nés à prétendre que le délaissement ne pouvait être réa
lisé que dans les délais de l’article 373, et revendi
quassent ainsi le bénéfice de ces délais. C’est cette pré
tention, condamnée d’ailleurs par les articles précédents,
que l’article 378 proscrit plus formellement encore.
JL505 . — L’assuré est donc libre de réaliser le dé
laissement dès qu’il se croira en mesure de le faire dès
la réception de la nouvelle et par l’acte de signification.
Dans cette hypothèse, cet acte contiendra sommation à
l’assureur de payer le montant de l’assurance, avec
ajournement aux fins de validité du délaissement, et en
condamnation.
La latitude laissée à l’assuré à cet égard ne saurait
toutefois rendre le paiement exigible avant l’expiration
du délai convenu dans la police, et à défaut concédé par
l’article 3821. La seule influence que la sommation de
payer exercera à ce sujet, ce sera de faire courir ce dé
lai du jour de sa signification.
1 5 0 0 . — De là la question de savoir si avant l’ex-
�piration de ce délai l’assuré serait recevable à poursuivre
le paiement en justice, et surtout à obtenir un jugement
de condamnation.
Le droit d’introduire l’instance n’a jamais été, n’a
jamais pu être contesté. Son exercice ne constituant
qu’une mesure conservatoire qui doit être réalisée dans
les délais de l’article 373, on ne pouvait refuser à l’as
suré la faculté d’user de ce droit, dès l’instant que,
réalisant son option, il prenait le parti de délaisser. La
citation en justice n’est donc que la manifestation de
l’option, elle devait dès lors, comme celle-ci elle-même,
être purement facultative et pouvait être signifiée à toute
époque.
Mais il devait en être autrement de l’adjudication de
la demande. Une condamnation contre une personne
suppose chez celui qui la poursuit l’existence d’un droit
actuellement exigible ; de la part de celui qui en est
l’objet, un refus ou un retard d’exécuter. Or, rien de
cela ne se rencontre dans notre hypothèse, l’assureur
n’étant et ne pouvant être tenu de payer qu’après l’expi
ration du terme. N’est-ce pas ce qui a motivé cette maxi
me : Qui a terme, ne doit rien ; comment dès lors con
damner celui qui est dans ce cas d'en revendiquer l’ap
plication et le bénéfice ?
130 9. — Cependant la cour de cassation a admis
la légalité de cette condamnation, en tant que condition
nelle , c’est-à-dire que le paiement n’est ordonné qu’a-
�DROIT MARITIME.
408
près le délai conventionnel ou légal -1. Que cette condi
tion sauvegarde à un point de vue l’intérêt du débiteur
en lui maintenant le bénéfice du terme, soit ; mais estce là tout ce que celui-ci a droit d’exiger, et la honte
d'un jugement, et les conséquences fâcheuses qu’il peut
avoir pour un commerçant, et les dépens qu’il occa
sionne, comment les infliger à celui qui, en refusant de
payer, n’a fait qu’user d’un droit légitime et légal ?
Dans la matière spéciale de l’assurance maritime, il
est une considération qui doit être décisive contre le
système que nous combattons. Le paiement du montant
de l’assurance ne peut être que la conséquence de la
validité du délaissement. On ne peut donc ordonner l’un
qu’après avoir consacré l’autre. Sur ce dernier point, le
jugement ne sera ni conditionnel, ni provisoire, il aura
définitivement statué.
Ce qui en résultera, c’est que l’assureur aura été con
damné à accepter le délaissement, sans avoir été mis à
même d’en discuter le mérite et l’à propos. Supposez,
en effet, que le délaissement soit fait dans l’acte signi
ficatif de l’avis de la perte, avec ajournement en validité,
le jugement pourra être requis et rendu sous quelques
jours, et par conséquent avant que l’assureur ait pu
utilement s’informer si la nouvelle est exacte, si les ef
fets assurés étaient ou non à bord au moment du si
nistre, etc.
Il est évident que si l’assuré a besoin de réfléchir
i 10 pluviôse an xn.
�avant d’agir, on ne saurait contester à l’assureur le mê
me besoin avant d’accepter le délaissement qui lui est
signifié. La loi, qui lui permet de prouver le contraire
des faits allégués par l’assuré, ne pouvait pas vouloir lui
refuser cette faculté et la rendre illusoire en autorisant
les tribunaux à statuer sur la validité du délaissement,
avant que l’assureur eût pu connaître ces faits contrai
res, à la preuve desquels il sera admis. La preuve que
telle n’a pu être son intention, c’est que, en l’absence
de toute convention, elle lui accorde pour payer trois
mois, à partir de la signification du délaissement. On
ne peut expliquer ce délai que par la volonté de don
ner à l’assureur le moyen et le temps de s’édifier sur la
vérité des choses, et le mérite de l’action en délaisse
ment.
Nous en concluons que tant que ce délai n’est pas ex
piré, l’assureur n’a pas même à s’expliquer ; qu’il n’est
pas en retard de payer ; qu’on n’a dès lors rien à exi
ger de lui, qu’en cet état valider le délaissement et le
condamner à payer, fût-ce après le délai seulement,
ce serait méconnaître là raison et la justice, et violer
un droit au moins aussi respectable que celui de l’as
suré.
— Si l’assuré n’est pas en position de réali
ser le délaissement, il peut se borner à signifier pure
ment et simplement l’avis du sinistre, sauf à faire ce
délaissement lorsqu’il le croira convenable et utile. Dans
ce cas, l’utilité de la signification est de mettre l’assuré
1508.
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DROIT MARITIME.
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à l’abri de toute action en dommages-intérêts de la part
des assureurs, désormais en demeure de prendre les me
sures que la nature du sinistre et leur intérêt compor
tent et commandent ; de faire courir le délai de l’arti
cle 373, dont l’expiration rendrait tout délaissement
ultérieur non recevable.
On aurait tort de conclure des termes de l’article 378
que l’absence de réserves dans l’acte de signification pût
être opposée à l’assuré, ni surtout affaiblir le droit de
délaisser ; il n’y a d’obstacles à l’exercice de ce droit que
la déchéance édictée par l’article 373, ou la renoncia
tion expresse ou tacite de l’assuré. Or, omettre dans la
signification de réserver la faculté de délaisser, ne cons
tituerait évidemment ni l’une ni l’autre, cette omission
ne saurait dès lors, en l’absence de clause pénale dans
l’article 378, devenir l’origine d’une exception quelcon
que contre l’assuré.
A r t ic l e
379.
L’assuré est tenu, en faisant le délaissement, de dé
clarer toutes les assurances qu’il a faites ou fait faire,
même celles qu’il a ordonnées , et l’argent qu’il a pris
à la grosse, soit sur le navire, soit sur les marchandi
ses ; faute de quoi, le délai du paiement, qui doit com
mencer à courir du jour du délaissement, sera suspendu
�jusqu’au jour où il fera notifier ladite déclaration, sans
qu’il en résulte aucune prorogation du délai établi pour
former l’action en délaissement.
A r t ic l e
380.
En cas de déclaration frauduleuse, l’assuré est privé
des effets de l’assurance ; il est tenu de payer les sommes empruntées , nonobstant la perte ou la prise du
navire.
SOMMAIRE
1509. Devoirs que l’objet que se propose le délaissement impo
sait au législateur.
1510. Caractère de l’obligation de déclarer toutes les assurances
et les emprunts à la grosse. Conséquences en cas d’igno
rance ou d’erreur. Etendue de la déclaration.
1511. Comment elle doit être conçue , suivant nue le délaisse
ment est fait par le mandataire, le commissionnaire ou
le tiers porteur de la police.
1512. Faut-il, si l’assurance est unique, déclarer qu’il n’on
existe aucune autre.
1513. L’assuré est-il tenu de déclarer seulement les assurances
de l’objet délaissé, ou indiquer celles prises sur tous les
effets chargés par lui sur le même navire.
1514. Solution dans le premier sens adoptée par le tribunal de
Marseille. Son caractère.
1515. La déclaration peut être également faite après l'expiration
du délai de l’article 373,
�t
412
DROIT MARITIME.
1516. Doctrine contraire de MM. Locré et Estrangin. Ses fonde
ments.
• 1517. Réfutation.
1518. Quels sont les emprunts à la grosse que l'assuré est tenu
de déclarer ?
1519. Caractère de l’article 380. Dans quel cas la peine qu'il
prononce est encourue.
1520. La fraude ne peut exister que si la déclaration est de na
ture à occasionner un préjudice.
1521. Influence de cette considération sur la législation de
1681.
1522. Conséquences qu’on a voulu faire résulter de la modifica
tion introduite par l’article 380.
1523. Réfutation.
1524 Caractère de cette modification et conclusion qu’on doit
en tirer.
1525. A la charge de qui est la preuve de la fraude. De quels
faits elle résulte.
1526. Effets de la fraude reconnue et constatée.
Le délaissement a pour objet de mettre
un terme à l’assurance. La condition prévue s’étant réa
lisée, il n’y a plus qu’à liquider l’opération, et à indem
niser l’assuré de la perte contre laquelle le contrat de
vait le garantir.
Cette liquidation éveillait naturellement la sollicitude
du législateur. Il importait surtout en ce moment de
conserver à l’assurance le caractère qu’on s’est efforcé
de lui donner On devait donc subordonner le paiement
non seulement à la preuve de l’existence d’un risque sé
rieux et sincère, à celle de la réalité de la perte, mais
encore à la certitude que cette perte n’était et ne pouvait
1509.
—
�être pour l’assuré une occasion de s’enrichir. Or, cette
occasion résultait inévitablement de la multiplicité des
assurances, si l’assuré poursuivant son paiement pou
vait se taire sur son état d’assurances, laisser les assu
reurs dans l’ignorance de l’existence d’autres polices, et
les placer ainsi dans l’impossibilité de faire valoir le
droit que leur confère l’article 359.
De là les devoirs que le législateur a imposés à l’as
suré qui fait le délaissement. Ces devoirs se réfèrent soit
à l’existence du risque, à sa justification et à celle du
sinistre, soit à l’état de ses assurances. C’est ce dernier
point de vue que régit l’article 379.
1510.
— A ce sujet , l’assuré qui fait le délaisse
ment est tenu de déclarer les assurances qu’il a faites ou
fait faire sur les marchandises et effets délaisssés. L’or
donnance s’arrêtait là, mais la pratique n’avait pas tar
dé à signaler une difficulté. Indépendamment de ces as
surances réalisées, connues, l’assuré pouvait en avoir
ordonné d’autres qui avaient pu être réalisées, malgré
que l’assuré l’ignorât encore au moment où il faisait le
délaissement. Que devait-on dès lors décider dans cette
hypothèse ?
Il était difficile d’imputer à faute un silence que l’as
suré n’avait gardé que par suite de l’ignorance dans la
quelle il était sur l’exécution que ses ordres pouvaient
avoir reçu. Aussi Valin enseignait-il qu’on ne devait
pas considérer ce silence comme une réticence, à la vé
rité il ajoutait : Qu'il est de l’exactitude, en pareil cas,
�414
DROIT MARITIME.
de faire mention des ordres donnés. Mais cette men
tion n’étant pas prescrite par l’ordonnance, son omis
sion ne pouvait devenir le fondement d’une peine quel
conque.
Aujourd’hui cette mention est expressément exigée.
La signaler aux assureurs, c’est les mettre à même de véri
fier l’exécution que l’ordre a reçu, et de réclamer le ris
tourne de leur police, le cas échéant.
Les motifs qui faisaient consacrer l’obligation de dé
clarer les assurances devaient faire prescrire celle d’in
diquer les emprunts à la grosse contractés par l’assuré.
Nous avons déjà vu que celui qui a emprunté à la grosse
pour la valeur intégrale de son chargement ne peut plus
valablement faire assurer. En réalité , en effet , il ne
court plus aucun risque, puisque, en cas de sinistre, il
est indemnisé de la perle par la dispense de restituer les
sommes empruntées. L’assurance faite contrairement à
cette prohibition, si elle sortait à effet, procurerait un
bénéfice net, qu’il n’était pas dans l’intention de la loi
de permettre.
Exiger de l’assuré la déclaration des emprunts à la
grosse contractés soit avant, soit depuis l’assurance, c’é
tait prévenir toute spéculation de ce genre, en lui enle
vant toute chance de succès. Leur connaissance, en effet,
mettra les assureurs à même de poursuivre la nullité de
la police, ou sa réduction jusqu’à concurrence de la
valeur que ces emprunts ont laissé libre et disponible.
t d l l . — L’obligation imposée par l’article 379 est
�absolue et générale, elle incombe à celui qui fait le dé
laissement, en quelque qualité qu’il agisse d’ailleurs.
Or, le délaissement peut être fait par un mandataire,
par un commissionnaire, par le tiers porteur de la po
lice d’assurance.
Aucun doute ne saurait surgir à l’endroit du manda
taire pur et simple. Ne pouvant agir qu’en vertu d’un
pouvoir spécial et formel, il doit y trouver tous les élé
ments nécessaires à la validité du délaissement. Les ré
ticences qu’il commettrait seraient imputables au man
dant et lui seraient de plein droit opposables, sauf le
recours de celui-ci, en cas de faute ou de négligence du
mandataire.
Le commissionnaire peut ignorer les assurances que
le commettant peut, de son côté, avoir faites, fait faire
ou ordonnées, il ne peut donc être tenu que de ce qui
le concerne. Il doit donc déclarer non seulement les as
surances qu’il a personnellement faites, fait faire ou or
données, mais encore qu’il n’est pas à sa connaissance
que son commettant en ait fait ou fait faire d’autres.
Cette double déclaration n’est pas néanmoins suffisante
pour la validité du délaissement. Les assureurs sont re
cevables et fondés à exiger qu’elle soit complétée par
l’affimation personnelle du commettant.
Enfin la police d’assurance pouvant être négociée, il
est évident que le délaissement ne pourrait être vala
blement signifié que par le bénéficiaire de l’endossement
entre les mains de qui se trouverait la police. Dans ce
cas, le tiers doit déclarer non seulement les emprunts et
�DROIT MARITIME.
416
les assurances qu’il aurait pu faire ou ordonner, mais
encore toutes celles faites ou ordonnées par l’assuré pri
mitif.
— Lorsque l’assurance est unique sur un ou
plusieurs objets, l’assuré doit-il, en délaissant, décla
rer qu’il n’en a été fait aucune autre ?
Le texte de la loi, a-t-on dit, ne permet pas de se
prononcer pour l’affirmative ; en soumettant l’assuré à
déclarer les assurances qu’il a faites, fait faire ou ordon
nées, l’article 379 indique bien qu’il suppose la coexis
tence de plusieurs assurances. La déclaration n’est donc
rigoureusement due que dans cette hypothèse, et nulle
ment dans le cas d’une assurance unique ; en se bor
nant à indiquer celle-ci, on fait en réalité une déclara
tion négative pour toute autre.
Cette interprétation avait été accueillie par la Cour de
cassation, sous l’empire de la législation antérieure.
Considérant, dit un arrêt du 9 août 1808, que l’arti
cle 53 de l’ordonnance de 1681, en exigeant des assu
rés la déclaration de toutes les assurances et des sommes
prises à la grosse, n’exige point de déclaration négative,
dans le cas où il n’a pas été fait d’autres assurances, ni
pris aucune somme à la grosse l.
La parfaite conformité de la disposition du Code avec
celle de l’ordonnance ne permettrait pas d’écarter cette
interprétation , si elle était juste sous l’empire de celle—
1513.
t D a llo z ,
Nouv. Rép., V . D r o it marit., n °
1 5 4 6 , n o te .
�ci, mais cette justesse a été contestée, surtout depuis le
Code. Puisque l’article 379 ne fait courir le délai du
paiement que du jour de la déclaration de l’assuré, cette
déclaration est indispensable dans tous les cas. Qu’im
porte que les assurances soient multiples, ou qu’il en
existe une seule. Dans ce dernier cas, l’article 379 ne
sera exécuté que si l’assuré déclare qu’il n’en existe pas
d’autres.
La nécessité d’une déclaration quelconque résulte
donc des effets que cette déclaration doit produire. Si
l’article 379 pouvait permettre le doute sur l’intention
du législateur, ce doute s’évanouirait devant l’arti
cle 380.
Celui-ci dispose que l’assuré, en cas de déclaration
frauduleuse, sera privé des effets de l’assurance. Or, si
l’on établissait en principe que l’assuré peut, dans un
cas donné, se dispenser de laire une déclaration, il en
résulterait qu’il n’en ferait jamais ; et, comme le silence
ne peut être assimilé à la fausse déclaration, l’assuré
pourrait, en usant de mauvaise foi et en négligeant de
se conformer à l’article 379, éviter, dans tous les cas,
l’application de la clause pénale portée par l’article 380.
Que le silence gardé sur l’existence d’autres assurances
fasse présumer que celle dont on poursuit l’effet est uni
que, soit, mais la découverte qu’il en est autrement
fournira à l’assuré l’occasion de soutenir que ce silence
est le résultat d’un oubli qu’il peut toujours réparer,
tandis qu’il serait sans excuse plausible s’il avait déclaré,
iv — 27
�418
DROIT MARITIME.
contrairement à la vérité, que l’assurance dont il pour
suit le paiement était unique.
Ces raisons ont paru décisives au tribunal de com
merce de Marseille. En conséquence, il décidait, le 26
janvier 1820, que lorsqu’une assurance est unique sur
un ou plusieurs objets, l’assuré qui fait le délaissement
est tenu, pour faire courir le délai du paiement de la
perte, de faire une déclaration négative de toute autre
assurance *.
A notre avis, cette solution est essentiellement juridi
que, elle fait une saine, une intelligente application du
texte et de l’esprit de la loi.
— On s’est ensuite demandé si l’assuré avait
satisfait à l’article 379, lorsqu’il a déclaré les assuran
ces qu’il a faites, fait faire ou ordonnées sur la chose
qui fait l’aliment du risque garanti par les assureurs,
ou bien s’il est, en outre, tenu de déclarer celles qu’il a
pu faire ou ordonner sur d’autres effets lui appartenant,
embarqués sur le même navire et compris dans un seul
et même connaissement ?
Aucun doute ne saurait exister lorsque les effets sont
de différentes natures. Ainsi, l’assuré qui justifie par un
seul connaissement avoir chargé des cotons et des laines
après les avoir divisément assurés, et qui délaisse les
premiers, n’est et ne peut être obligé que de faire con
naître les assurances dont ils ont pu être l’objet, celles
1513.
i
Journal de Marseille, t. ?,
1, 61
�379, 380.
419
faites sur les laines ayant un objet différent ne pour
raient jamais exercer auctine influence sur le délaisse
ment. A quel titre, dès lors, les assureurs des cotons
prétendraient-ils devoir en être informés.
La difficulté peut naître lorsque les effets embarqués,
achetés par une seule facture, mentionnés dans le même
connaissement, sont d’une nature identique ; mais, dans
ce cas, la question à résoudre est celle de savoir si les
diverses assurances ont été faites conjointement ou divi—
sèment, et cette division peut résulter de ce que les mar
chandises ont été assurées par séries distinctes, sous des
numéros différents. Voici un exemple que nous fournit
la jusrisprudence :
art .
— Un négociant de Marseille fait assurer,
pour compte du sieur Hérédia, de Malaga, 34,500 fr.,
soit 6,500 piastres fortes, sur denrées coloniales, char
gées sur le navire le Francis Johnson.
Instruit de la perte le 28 décembre 1825, l’assuré
signifie le délaissement le 21 mars suivant, avec décla
ration aux assureurs de Marseille qu’aucune autre as
surance n’a été faite ni ordonnée sur l’aliment du ris
que, ni par lui, ni par le propriétaire, le sieur Hérédia.
Comme pièces justificatives du chargé et de la perte,
il signifie un connaissement à 462 caisses sucre blanc et
blond de la Havane, chargées sur le navire désigné, et
une facture de 325 caisses sucre blanc et blond chargées
h la Havane, pour le compte du sieur Hérédia, et dont
le montant total s’élevait à 12,171 piastres fortes, et
1514.
�DROIT MARITIME.
420
déclare en même temps que cette facture comprend l’ali
ment du risque assuré à Marseille pour 6,500 piastres
fortes.
Quelques mois s’écoulent. Dans cet intervalle les as
sureurs apprennent que, le 16 août 1825, une autre
assurance avait été faite à Gênes, pour compte du sieur
Hérédia et pour une somme de 4,500 piastres fortes ;
ils contestent alors la validité du délaissement, et sou
tiennent que cette assurance aurait dû leur être décla
rée, que l’acte d’abandon ne l’ayant pas mentionnée n’a
jamais eu un caractère valable et définitif ; enfin , que
plus de six mois s’étant écoulés depuis la nouvelle du
sinistre, le droit de délaisser s’était éteint par la pres
cription.
L’assuré répondait : il est vrai que deux assurances
ont été faites, l’une à Gênes, l’autre à Marseille ; il est
vrai aussi qu’elles trouvent toutes les deux leur aliment
dans les 225 caisses sucre, facturées à 12,171 piastres
fortes.
Mais si l’aliment est confondu dans le même con
naissement, dans la même facture, il est distingué par
les polices. En effet, l’assurance prise à Gênes porte
sur les premières séries de numéros, et successivement,
à concurrence seulement de 4,500 piastres fortes, tan
dis que l’assurance prise à Marseille porte sur le sur
plus de la même partie, dans la proportion de son
étendue.
Or, l’aliment du risque étant ainsi classé et divisé, il
n’y avait aucune nécessité de déclarer aux assureurs de
�4Î1
379, 380.
Marseille une assurance prise à Gênes, et qui ne les in
téressait en aucune manière.
Cette conclusion était-elle bien exacte ? Il est permis
d’en douter. En supposant même que des assurances
portant sur une série de numéros déterminée constituent
deux risques spéciaux et distincts , n’est-il pas évident,
que leur connaissance importait aux seconds assureurs,
ne fut-ce que sous le rapport de leur valeur relative, et
pour vérifier si leur police était dans le cas d’être ris
tournée partiellement.
La loi, disaient dans l’espèce les assureurs, veut que
l’assureur puisse comparer la valeur des objets assurés
avec le montant de toutes les assurances prises. La loi
veut que l’assureur puisse, par le résultat de cette com
paraison, juger si la valeur des effets assurés a été dé
passée et si un ristourne doit avoir lieu. Or, dans l’es
pèce, comment les assureurs pouvaient-ils se livrer à
cet examen, l’assurance de Gênes n’étant pas déclarée?
Et si cette assurance, au lieu de s’élever à 4,500 pias
tres, s’était élevée à 9,000 piastres, n’aurait-elle pas
diminué sensiblement l’aliment de celle prise à Mar
seille et ne l’aurait-elle pas réduite à 3,171 piastres? Si
donc l’assurance de Gênes pouvait exercer une si gran
de influence sur celle de Marseille, n’y avait-il pas né
cessité de la déclarer ? Ne fallait-il pas, d’ailleurs, que
l’assureur en sût autant que l’assuré sur l’aliment du
contrat ?
Nous avouons que ces considérations pouvaient et de
vaient paraître concluantes. Elles furent cependant reART.
�422
DROIT MARITIME.
poussées. Le jugement, rendu le 11 août 1826, consa
cre le système dé l’assuré et valide le délaissementl.
Les assureurs, qui avaient émis appel de cette déci
sion, s’en désistèrent plus tard purement et simplement.
Ce qui, à notre avis, explique cette conduite, c’est qu’en
admettant qu’en déclarant, contrairement à ce que le
tribunal avait fait, que l’assurance de Gênes devait être
indiquée, la Cour n’eût pas manqué de confirmer le ju
gement sur une question que les assureurs avaient sou
levée et sur laquelle ils devaient succomber.
— En effet, assimilant la déclaration au dé
laissement lui-même, ils soutenaient qu’elle ne pouvait
être complétée après l’expiration du délai de l’article 373.
Ils demandaient, en conséquence, que le délaissement
fût repoussé, l’assurance de Gênes n’ayant été connue
que plus de six mois après la réception de la nouvelle
de la perte.
Ils fondaient cette doctrine sur les termes de l’arti
cle 379 : Sans qu'il en résulte aucune prorogation du
délai établi pour former l'action en délaissement. Si
à cause de la déclaration, disaient-ils, le délai de l’aban
don ne peut être prorogé, il s’ensuit nécessairement que
la déclaration doit se placer dans le délai de l’action,
autrement, et la déclaration étant postérieure, le délai
de l’abandon serait nécessairement prorogé. D’ailleurs,
l’abandon ne peut valablement exister sans déclaration,
1515.
l
Journal de Marseille, t.
8 , 1 , 4.
�423
579, 380.
au moins en ce sens qu’il ne peut sortir à effet que du
jour de cette déclaration. Or, si pendant six mois, un
an, deux ans, l’abandon est resté dans un état de mort,
peut-il être ramené à la vie par une déclaration tardive
et placée hors du délai fatal.
Le vice de ce système est facile à signaler et à saisir.
Il consiste à donner à l’article 377 un sens et une por
tée qu’il ne saurait comporter. C’est ce que, dans l’es
pèce que nous rapportons, l’assuré justifiait d’une ma
nière péremptoire.
Le délai de la déclaration prescrite par l’article 379
n’est ni limité, ni de rigueur, ni fatal, puisque l’article
ne le dit pas, et, par cela seul qu’il ne le dit pas, la dé
claration est toujours admissible, et aucune déchéance
ne peut être prononcée. La déchéance est une véritable
peine, et les peines peuvent bien être établies par la loi,
mais jamais par le juge.
Bien mieux, loin que l’article 379 restreigne l’assuré
dans les limites d’un terme fatal, pour la déclaration, il
lui accorde une latitude véritablement indéfinie, puis
qu’il n’attache à l’absence ou au retard de la déclara
tion d’autre effet que celui de suspendre le délai du
paiement. Or, suspendre le délai du paiement, ce n’est
certainement pas éteindre l’action en paiement ; d’où il
faut conclure que l’abandon une fois notifié, l’action est
conservée nonobstant l’absence ou le retard de la dé
claration.
Le législateur a imposé un terme fatal à l’abandon,
art.
�424
DROIT MARITIME.
pourqui ? Parce que la propriété et le sort des assureurs
ne doivent pas demeurer longtemps incertains.
Le législateur n’a imposé aucun terme fatal à la dé
claration, pourquoi ? Parce qu’il n’y avait aucun motif
de l’imposer. Il n’y avait aucun motif, ou plutôt il y
avait un motif tout opposé, car : 10 la propriété se trou
vant fixée par l’abandon, tous les droits sont acquis et
irrévocables ; 2° l’assureur ne souffre en rien du retard
puisque le cours désintérêts n’est ouvert qu’au moment
de la poursuite en justice, c’est-à-dire de la déclara
tion ; 3° enfin l’assurance pouvant être commandée
d’une extrémité du globe à l’autre, l’assuré commission
naire, s’il était assujetti à un terme de rigueur, se trou
verait souvent placé dans l’impossibilité de faire une
déclaration complète, et il encourrait ainsi une peine
imméritée autant qu’’névitable.
Dès lors appliquer à la déclaration le délai que l’ar
ticle 373 impose à l’action d’abandon, c’est donner à
cet article une extension arbitraire, c’est, de plus, violer
, ouvertement le texte et l’esprit de l’article 379.
Cet esprit n’a rien d’équivoque. On voit clairement
que cet article a pour but d’empêcher que l’assuré
puisse indéfiniment prolonger le délai de l’abandon,
sous prétexte qu’il ne serait pas en mesure de faire la
déclaration, mais voilà tout, l’article ne dit et ne veut
pas que l’abandon étant fait et la propriété transférée
aux assureurs, cet abandon soit frappé de nullité et que
la propriété retourne aux assurés par cela seul que la
déclaration n’aurait pas été faite ou qu’elle aurait été
if
�m
379, 380.
retardée, la déchéance n’est donc attachée qu’à l’absence
ou au retard de l’abandon, et non point à l’absence
ou au retard de la déclaration. L’effet unique de l’une
ou de l’autre, dans ce cas, est de suspendre la pour
suite du paiement, et non d’anéantir l’action.
Cela est entièrement conforme aux règles générales
du droit et notamment à celle tracée par la loi 139, Dig.,
de reg. juris, suivant laquelle une action temporaire
devient perpétuelle si elle est introduite en justice dans
le délai utile. Peut-on sérieusement parler de la prescrip
tion de six mois, d’un an, de deux ans, lorsque la de
mande a été formée avant son accomplissement ? l’ac
tion ne dure-t-elle pas aussi longtemps que le procès
n’est pas jugé, ou, tout au moins, tant que la péremp
tion de l’instance n’est pas acquise et.prononcée ?
En réalité donc la déclaration n’est autre chose qu’une
justification à faire par l’assuré, et qui se réfère à l’ali
ment du risque. Or, l’article 383 dispose que les actes
justificatifs du chargement et de la perte sont signifiés à
l’assureur avant qu'il puisse être poursuivi pour le
paiement des sommes assurées. Il y a donc concor
dance parfaite entre cet article et l’article 379, et de mê
me qu’aux termes du premier la demande subsiste mal
gré que les justifications soient retardées, de même elle
subsiste aux termes du second malgré les retards appor
tés dans la déclaration, d’cù il suit que dans l’un et
l’autre cas l’action est conservée.
L’évidente justesse de ces raisons, accueillies par le
tribunal de commerce, n’aurait pas manqué de les faire
consacrer par la Cour. On comprend dès lors le désisart .
�426
DROIT MARITIME.
tement de l’appel, puisque cette consécration rendait
inutile pour les assureurs une réformation sur le pre
mier chef.
En effet, ils demandaient que l’assuré fût privé des
effets de l’assurance, le droit de délaisser étant éteint par
la prescription ; repousser la prescription c’était donc re
jeter la demande désormais admissible que par l’appli
cation de l’article 380. Or, la fraude n’était pas même
alléguée.
Il suffit donc que le délaissement ait été notifié avec
citation en justice dans le délai de l’article 373, pour
que le bénéfice en soit acquis en principe. Le retard que
pourra subir l’exécution de l’obligation de payer la perte
qui en résulte pour les assureurs ne peut désormais
faire revivre une prescription dont le cours a été défini
tivement arrêté par la citation et le jour auquel elle a été
signifiée. Les derniers mots de l’article 379 n’ont et
ne peuvent avoir pour objet que de prohiber à l’assuré
toute prorogation du délai de l’article 373, sous pré
texte que s’il n’a pas fait plus tôt le délaissement, c’est
qu’il n’était pas encore en mesure de faire une déclara
tion exacte.
1 5 1 0 . — Telle n’est pas cependant l’interprétation
que MM. Locré et Eslrangin font de l’article 379, ce der
nier est on ne peut pas plus précis. Cet article, dit-il,
suppose que le défaut de déclaration rend nulle la de
mande en paiement, puisqu’il dit que le délai du paie
ment est suspendu, sans qu’il en résulte aucune proro-
�ART.
379 , 380 .
427
gation du délai pour former l’action en délaissement.
I/action irrégulière ne subsiste plus, il faut en former
une nouvelle, sans que l’assuré ait pour cela aucune
prorogation de délai h
On pourrait répondre et prouver facilement qu’il y a
loin entre la suspension des effets d’une action et sa nul
lité , que la première exclut même la seconde , puisque
la conséquence de celle-ci étant d’enlever tout effet lé
gal, on ne comprendrait pas la suspension de ce qui n’a
jamais pu exister.
Ce qui paraît certain, c’est que M. Estrangin a suivi
trop aveuglément la doctrine de Pothier, sans tenir
compte de la modification que le Code a fait subir à
l’ordonnance. L’article 53 de celle-ci disposait, en effet,
que l’assuré devait déclarer toutes les assurances et l’ar
gent pris à la grosse* sous peine d’être privé des effets
de l’assurance. Ce texte prêtait donc à la doctrine de
Valin , à laquelle Pothier s’était rallié , à savoir , que
malgré les termes de l’article, l’omission non fraudu
leuse ne faisait pas de plein droit encourir la perle ;
que tout ce qui pouvait en résulter c’est que le délaisse
ment ne valait que du jour que l’assuré avait fait sa
déclaration en due forme,
Mais Emérigon blâmait très énergiquement cette doc
trine, M. Pothier, enseignait-il, trouve cette interpréta
tion très plausible. Je crois qu’elle ne vaut rien; elle
n’est appuyée sur aucun texte de l’ordonnance, ni du
1 Sur P othier, p. 206
�428
DROIT MARITIME.
droit commun. D’ailleurs, lorsqu’il n’y a pas fraude,
peu importe aux assureurs qu’on leur ait ou non déclaré
des faits qui leur sont absolument étrangers. En un mot,
suivant l’ordonnance, la peine n’a lieu qu’en recélé, et
non dans le cas d’omission, Ü serait donc aussi bizarre
qu’injuste de déclarer nul en pareille occurence le délais
sement fait de bonne foi et d’exposer l’assuré à la pres
cription de l'article! 48 l.
Que les auteurs du Code aient entendu se ranger à
l’avis d’Emérigon, c’est ce qui résulte de l’article 379,
qui ne fait que suspendre le délai du paiement en cas
d’absence de déclaration ; plus explicitement encore de
l’article 380, qui ne prive l’assuré des effets de l’assu
rance que dans le cas de déclaration frauduleuse. Ne
serait-ce donc pas les violer ouvertement l’un et l’autre
que d’annuler indirectement le délaissement dans le pre
mier cas, et de priver ainsi l’assuré des effets de l’as
surance ?
Disons donc avec M. Pardessus: la signification du
délaissement qui ne contiendrait pas de déclaration, ou
qui n’en renfermerait qu’une incomplète ne serait pas
nulle, mais le délai dans lequel l’assureur doit payer
courrait seulement du jour que l’omission aurait été
réparée2.
En dernier résultat, l’action en délaissement et la
poursuite en paiement sont choses parfaitement distinc1 Chap. 17, sect. 5, S 3.
2 N» 847, E m ., V incens, t. 3, p. 2 8 6 ; V . infra, art. 383.
�tes que l’assuré n’est pas tenu de réunir dans une seule
et même demande l. La loi, qui a tracé un délai pour
la première, n’en a déterminé aucun pour la seconde,
d’où la conséquence que les obligations que celle-ci en
traîne ne doivent être remplies qu’au moment où elle
est exercée ; que dès lors, à quelque époque qu’elle le
soit, elle ne peut et ne doit exercer la moindre influen
ce sur le délaissement régulièrement signifié et pour
suivi.
1518. — Nous venons de voir que les assurances
dont la déclaration est exigée sont celles qui affectent
les effets délaissés, l’article 53 de l’ordonnance semblait
n’exiger celle des sommes à la grosse qu’autant qu’elles
portaient sur les mêmes effets.
Sous son empire, cependant, on ne pouvait valable
ment ni emprunter à la grosse sur choses assurées, ni
assurer les effets déjà affectés à un emprunt à la grosse;
il y avait donc, dans l’obligation de déclarer l'argent
pris à la grosse sur les effets assurés, une contradic
tion qui était signalée par Valin, qui voulait qu’on lût,
sur les effets p a r lu i chargés, autres que ceux qu'il a
fait assurer.
Il n’était pas possible en effet d’admettre que la loi
eût supposé qu’on eût enfreint sa prohibition. C’est
cette considération qui, sur la demande du tribunal de
commerce du Havre, fit supprimer, dans l’article 379,
1 Cass , 23 mars 4856.
�430
DROIT MARITIME.
les expressions que la commission avait copiées dans
l’ordonnance.
Les emprunts à déclarer sont donc ceux qui ont été
contractés sur l’excédant de la valeur du chargement,
eu égard à la somme assurée. L’intérêt des assureurs à
les connaître est incontestable, ils pourront ainsi véri
fier s’il n’existe pas d’exagération donnant lieu à un
ristourne, en ce qui les concerne, et la part pour la
quelle les prêteurs devront participer au produit du sau
vetage.
Sans doute, notre article ne dit pas comme le voulait
Valin : l’argent pris à la grosse sur les. effets autres que
ceux assurés, mais l’intention du législateur résulte ex
pressément de l’obligation qu’il impose de déclarer les
emprunts faits, soit sur le navire, soit sur les marchan
dises. Or, l’armateur n’étant pas toujours le chargeur, il
est évident que sa déclaration, quant à celle-ci, portera
sur choses qu’il n’aura pas fait, qu’il n’aura pu faire
assurer.
1519. — A quelque époque que soit réalisée la dé
claration exigée par l’article 379, elle peut se trouver
inexacte, incomplète. L’assuré peut de bonne foi igno
rer, au moment où il fait le délaissement ou la demande
en paiement de la perte, une assurance que son com
missionnaire aura spontanément prise sans qu’il, l’eût
ordonnée. L’armateur peut ne pas connaître encore
l’emprunt à la grosse que le capitaine a contracté en
cours de voyage, dès lors s’attacher exclusivement à
�l’inexactitude, à l’insuffisance matérielle de la déclara
tion, en faire dépendre la privation des effets de l’assu
rance, c’était s’exposer à sévir contre la bonne foi, et à
agir avec une inqualifiable sévérité.
La peine a donc toujours été subordonnée à l’inten
tion qui avait dicté la conduite de l’assuré. Ainsi l’or
donnance de 1681 en prescrivait l’application s’il avait
recélé des assurances ou des emprunts , c’est-à-dire si
l’assuré avait omis sciemment et volontairement de dé
clarer tout ce dont il avait eu parfaite connaissance.
Mais la fraude ne consiste pas seulement dans
l’omission, elle existe même A un degré supérieur dans
l’inexactitude et surtout dans la fausse déclaration. Les
auteurs du Code pensèrent en conséquence devoir s’ar
rêter au principe général. La fraude , de quelque ma
nière qu’elle se soit produite, privera l’assuré des effets
de l’assurance, c’est ce que l’article 380 établit taxativement.
1530. — Le caractère essentiel de la fraude ne
cesse pas d’être ici ce qu’il est dans toutes les autres
matières, à savoir, la possibilité d’un préjudice pour ce
lui qui l’allègue. Or, cette possibilité ne peut se réaliser,
quant aux assureurs, que si l’omission, l’inexactitude,
la fausse déclaration est de nature à déguiser la néces
sité d’un ristourne total ou partiel. De quoi pourraientils raisonnablement se plaindre si, en réalité, la vérité
connue les laissait dans la nécessité de payer la totalité
de la somme assurée, par exemple si, en réunissant aux
�432
DROIT MARITIME.
assurances et aux emprunts déclarés les assurances et
les emprunts omis, il restait encore un découvert pour
l’assuré, ou si la valeur du chargement faisait face aux
unes et aux autres.
Une pareille circonstance serait même exclusive de
toute idée de fraude. On ne commet celle-ci que pour
tenter de se procurer un avantage illicite. En consé
quence, si le fait incriminé n’a jamais pu atteindre ce
résultat, la bonne foi de son auteur est incontestable.
1531. —Dominé par cette considération, le légis
lateur de 1681 n’admettait la fraude que lorsque les
assurances ou emprunts recélés, réunis aux assurances
et emprunts déclarés, excédaient la valeur des effets as
surés. Cette condition non écrite dans l’article 380 n'en
est pas moins demeurée obligatoire. Son absence, nous
venons de le dire, laissant les assureurs sans préjudice
possible, écarterait jusqu’au soupçon de fraude.
1533. — M. Locré et, à son exemple, plusieurs
auteurs ont contesté cette règle. La fraude, disent-ils,
peut exister alors même qu’il n’y aurait aucun excès en
tre l’ensemble des assurances et des emprunts et la va
leur des choses assurées. Il peut arriver, ajoute M. Lo
cré, que l’assuré, se trompant dans ses calculs, suppose
une différence qui n’existe pas réellement et fasse en
conséquence une déclaration frauduleuse. Dans ce cas,
l’article 380 recevrait son application l.
1 Esprit du Code de commerce, art. 380.
�ART.
379, 380.
433
1533. — M. Locré reconnaît qu'on ne commet pas
de fraude gratu item en t, et qu 'ici l'in térêt qu'on peu t
y avoir ne sau rait être que de masquer une différence
entre l'assurance et la chose qui en est l'objet. Son
système dès lors ne se comprend plus. Qu’importe, en
effet, que l’assuré ait ou non l’intention de frauder si,
en résultat, il n’y a pas eu fraude. Celle-ci, en effet,
exige impérieusement un fait pouvant occasionner un
préjudice : Fraus non in consilio sed in eventu. Or, si
cet événement essentiel vient à manquer, on ne serait
pas même recevable à se plaindre.
La poursuite, en effet, ne peut avoir pour objet que
la réparation du préjudice que le poursuivant était dans
le cas de subir. Son premier devoir est donc de prou
ver la nature de celui auquel il était exposé. Le défaut
de preuve ferait rejeter sa demande. Comment donc par
viendra-t-il à remplir cette obligation si, en réalité , il
n’y avait pas même la possibilité d’un préjudice.
Les principes généraux repoussent donc l’opinion que
nous combattons. Ce résultat est également celui que
commandent les principes spéciaux de la matière. Dans
l’hypothèse de M. Locré, l’assuré ne pourra supposer
une différence qu’en exagérant la valeur du charge
ment, or l’effet de l’exagération est réglé par les arti
cles 357 et 358. L’absence du dol et de la fraude ne
donne lieu qu’à un ristourne proportionnel, comment
donc admettre la nullité de l’assurance dans un cas où
il n’y a pas même lieu à ristourne, l’exagération résiiv — 28
�434
DROIT MARITIME.
dant, non dans les choses, mais uniquement dans la
déclaration?
M. Locré fonde son système sur cette circonstance.
La commission avait copié dans le projet du Code la
disposition de l’ordonnance, mais le conseil d’Etat subs
titua à sa rédaction celle que l’article 380 a consacrée.
Cette modification parait, à M. Locré, entraîner le re
jet de la condition d’une différence dans la valeur res
pective.
1 5 M . — A notre avis, ce rejet signifie tout autre
chose. À côté de l’avantage de préciser ce qui consti
tuait la fraude, la disposition de l’ordonnance avait l’in
convénient grave de paraître lier l’indépendance du
juge, en le forçant à retirer à l’assuré les effets de l’as
surance, par cela seul qu’en fait il existait une différence
entre l’ensemble des assurances et emprunts et la valeur
des choses assurées. L’omission, en effet, pouvait être le
résultat de l’ignorance et de la bonne foi ; était-il donc
juste de l’assimiler à la fraude et de lui en appliquer la
peine ?
C’est pour éviter toutes difficultés, c’est pour assurer
aux tribunaux la plénitude de leur droit d’appréciation,
que l’article 380 a omis de déterminer les cas de fraude.
On en est revenu aux principes généraux, et puisqu’on
voulait prévenir et atteindre la fraude, on s’est contenté
d’édicter la peine contre la déclaration frauduleuse.
Ce que nous concluons de l’article 380 et de la mo
dification qu’il fait à l’ordonnance, c’est non pas que
�ART.
379 , 380 .
433
la fraude peut exister en l’absence de toute différence
dans les valeurs assurées et chargées, mais qu’elle peut
n’être pas admise lorsque cette différence est constatée.
C’est aux magistrats à en apprécier les motifs et les cau
ses, et à suivre uniquement les inspirations de leur cons
cience.
1535. —La preuve de la fraude est ordinairement
à la charge de celui qui en allègue l’existence, mais,
dans notre hypothèse, l’assureur aurait rempli toutes ses
obligations en justifiant l’omission, l’inexactitude ou la
fausseté de la déclaration ; en établissant que l’ensem
ble des assurances et des emprunts excède la valeur des
choses assurées.
Ce double fait acquis, la fraude est présumée'et l’as
suré considéré comme ayant agi de mauvaise foi. C’est
donc à lui seul qu’incombe le devoir de combattre cette
présomption et d’en récuser les effets, en justifiant soit
son ignorance , soit son erreur , soit l’absence de toute
possibilité de préjudice pour l’assureur. L’appréciation
des présomptions et des témoignages qu’il invoquerait
est dans le domaine exclusif et souverain des tribunaux.
1536. — L’effet de la fraude reconnue et constatée
est de faire annuler la police, mais seulement dans les
conséquences qu’elle devait produire en faveur de l’au
teur de cette fraude. Les assureurs ne devaient pas être
punis du fait dont ils devaient être victimes ; ce que la
justice commandait exclusivement, c’était de priver l’as-
�43 6
DROIT MARITIME.
suré du bénéfice qu’il a tenlé d’acquérir illégalement.
En conséquence, obligé de payer la prime, il ne
pourra rien réclamer des assureurs. Il devra même,
malgré la perte, payer les sommes empruntées.
Article 381.
En cas de naufrage ou d’échouement avec bris, l’as
suré doit; sans préjudice du délaissement à faire en
temps et lieu, travailler au recouvrement des effets nau
fragés.
Sur son affirmation, les frais de recouvrement lui
sont alloués jusqu’à concurrence de la valeur des effets
recouvrés.
SOMMAIRE
1527. Nécessité de ne pas faire du concours au sauvetage une
fin de non recevoir contre le délaissement.
1528. Doute que pouvait faire naître l’ordonnance de 1681.
Comment elle avait été interprétée par la doctrine.
1529. Le Code s’est conformé à cette doctrine.
1530. Droit de l'assuré à être remboursé des frais sur son affir
mation. Restriction à la valeur des objets recouvrés.
1531. Exception que subit cette restriction. L’assuré qui a agi
en vertu du mandat des assureurs doit être intégrale
ment remboursé en capital et intérêts,et peut exiger une
commission. Comment on doit la calculer.
�1532. Obligation du commissionnaire qui a fait assurer pour
compte de qui il appartiendra.
1533. Conséquences de l'emploi du produit du sauvetage au
paiement des dettes étrangères à l’assurance.
■ 1534. Effet de l’inobservation de l’article 381.
153 9. — Le naufrage ou l’échouement avec bris
impose des devoirs à l’assuré. Il était juste de lui faire
l’obligation de procéder au sauvetage pour affaiblir
d’autant les effets du sinistre.
D’autre part, on ne pouvait admettre que le concours
qu’il donnerait à ce sauvetage, que les mesures qu’il
ordonnerait et les opérations qu’il ferait dans cet objet
devinssent un obstacle au délaissement. Comme le doute
sur son importance ne peut être fixé qu’après son achè
vement, ce doute eût suffi pour qu’il s’abstint de toute
tentative qui pouvait l’empêcher d’exercër l’action en
délaissement.
Ce résultat eût été fâcheux, surtout pour les assu
reurs. Le sauvetage se faisant pour leur compte et dans
leur intérêt, il leur importe qu’il soit le plus productif
possible. Toute chance de le rendre tel s’évanouissait
si, ne pouvant être entrepris par l’assuré, sous peine
de déchéance du délaisssement, il fallait attendre les or
dres qu’ils pourraient transmettre sur la nouvelle du si
nistre.
Une disposition de ce genre eût donc été funeste,
surtout pour les assureurs. Elle était donc condamnée
par leur intérêt même. Cet intérêt exigeait, en effet, que
l’assuré fût dégagé de toute crainte à l’endroit du dé-
�438
DROIT
MARITIME.
laissement futur, puisque, n’ayant plus aucun motif
plausible pour garder une inaction préjudiciable aux
assureurs et sans utilité pour lui, cette inaction pouvait
autoriser contre lui une allocation de dommages-in
térêts.
1S 88. — Telle avait été la pensée du législateur de
1681 ; mais il faut avouer que la manière de l’exprimer
n'avait été ni heureuse ni suffisante. L’article 45 du ti
tre des Assurances se bornait à dire : L'assuré pou rra
tra v a ille r au recouvrem ent des effets naufragés, sans
préju dice du délaissem ent à fa ire en temps et lieu.
Ces termes paraissant impliquer une faculté plutôt qu’un
devoir, ne garantissaient pas suffisamment l’intérêt qu’on
voulait protéger.
Aussi la doctrine, repoussant le sens littéral du texte,
n’y voyait qu’une seule chose, à savoir , l’impossibilité
de faire résulter du concours donné au sauvetage par
l’assuré, aucune fin de non recevoir contre l’action en
délaissement. Valin, notamment, enseignait que l’obli
gation de procéder au sauvetage était pour l’assuré un
devoir rigoureux, du moins jusqu’à l’arrivée sur les
lieux des officiers de l’amirauté, que les assureurs eus
sent été ou non avertis. La violation de ce devoir don
nerait lieu à des dommages-intérêts, parce que l’inac
tion en pareil cas serait frauduleuse et pourrait être im
putée à délit K
I Art 46, tit. des Assur.
�Cette interprétation disait très bien ce que le législa
teur aurait dû vouloir ; mais son intention résultait-elle
suffisamment de sa disposition ? C’est ce dont il est per
mis de douter.
1539. — Ce doute a été dissipé par le Code. De
puis sa promulgation, l’assuré d o i t , en cas de naufrage
ou d’échouement avec bris, travailler au sauvetage des
effets assurés. La méconnaissance de ce devoir produi
rait incontestablement les conséquences qu’y attachait
Valin.
Or, l’accomplissement d’une obligation ne saurait,
dans aucun cas, créer la déchéance d’un droit. On ne
pouvait, en effet, placer l’assuré entre ses devoirs et son
intérêt. Dès lors, il ne fallait pas seulement déclarer les
opérations du sauvetage incapables de créer une fin de
non recevoir contre le délaissement. La crainte d’expo
ser des frais dont il ne serait point ou pas suffisamment
indemnisé, pouvait retenir l’assuré et devenir l’excuse de
cette inaction.
1530. — Le Code a donc non seulement consacré
le principe du remboursement des frais exposés par
l’assuré, il a de plus déclaré que la quotité de ces frais
serait déterminée sur son affirmation. Il y a donc cer
titude d’une indemnité suffisante dans tous les cas, cette
certitude, jointe à l’absence de toute fin de non rece
voir, permettrait d’apprécier sévèrement l’inaction que
�440
DROIT MARITIME.
l’assuré aurait gardée, contrairement aux désirs de la
loi.
Toutefois, le sauvetage ne saurait devenir une occa
sion nouvelle de perte pour les assureurs ; c’est ce qui
se réaliserait si ces frais dépassaient la valeur des effets
recouvrés. Il convient donc de ne le tenter qu’avec pru
dence et de n’agir qu’avec la plus stricte économie. Le
moyen le plus sûr d’obtenir de l’assuré l’une et l’autre,
était de l’intéresser directement aux conséquences que le
contraire pourrait entraîner. Voilà pourquoi le législa
teur a déclaré que les assureurs ne seraient jamais te
nus du remboursement des frais au-delà de la valeur des
effets recouvrés.
1531. — Mais cette restriction n’est admissible que
lorsque le sauvetage a été spontanément exécuté par
l’assuré, en l’absence de tout ordre de la part des as
sureurs ; si, prévenus en temps utile ou en position d’y
procéder eux-mêmes, ceux-ci en ont formellement con
fié le soin à l’assuré, ce dernier n’est plus qu’un man
dataire ordinaire , jouissant de toutes les prérogatives
attachées à cette qualité.
Il devrait donc être remboursé de tout ce qu’il aurait
dépensé à l’occasion du mandat, quel que fût le résultat
obtenu, il pourrait exiger l’intérêt de ses avances, et un
droit de commission pour ses peines et soins. On a bien
le concours gratuit de l’assuré tant que, par leur éloi
gnement et par l’ignorance du sinistre, les assureurs se
trouvent dans l’impossibilité matérielle d’agir par eux-
�mêmes. Dès que le contraire se réalise, le choix qu’ils
ont fait de l’assuré pour leur mandataire ne saurait le
priver de la juste rémunération pour ses peines et soins,
rémunération qu’ils auraient incontestablement payée à
tout autre.
L’assuré peut donc exiger une commission lorsqu’il a
agi comme mandataire formel des assureurs. Mais le
taux de cette commission ne doit être calculé que sur le
produit du sauvetage et non sur les capitaux avariés.
L’intérêt est, à raison de l’avance, la légitime et la seule
indemnité possible ; dès lors, réunir cet intérêt au ca
pital pour déterminer sur leur total le montant de la
commission, ce serait, comme le dit fort bien un arrêt
de la cour de Douai, du 26 mars 1841, accorder une
double indemnité. La commission ne doit donc porter
que sur le produit du sauvetagel.
1533. — L’obligation de travailler au recouvrement
des effets naufragés ou échoués est imposée au souscrip
teur de la police, en quelque qualité qu’il ait agi d’ail
leurs. Le commissionnaire notamment qui a fait une
assurance pour compte de qui il appartiendra, est, à
l’égard des assureurs, le véritable assuré, et, comme tel,
personnellement tenu de toutes les obligations naissant
du contrat. Il doit donc travailler au recouvrement des
effets naufragés ou échoués dont le délaissement trans-
�442
DROIT MARITIME.
fère la propriété aux assureurs, et rendre compte à ceuxci de leur valeur, prélèvement fait des frais de recou
vrement 1.
1533. — En effet, le produit du sauvetage appar
tient exclusivement aux assureurs par l’effet du délais
sement, sauf les droits de l’équipage et ceux des prêteurs
à la grosse. Ces droits satisfaits, l’excédant est la chose
propre et personnelle des assureurs. Il ne peut être ap
pliqué au profit de l’assuré. En conséquence, la cour de
Bordeaux, dans l’arrêt que nous venons d’annoter, juge
que l’emploi du produit du sauvetage au paiement de
dettes en dehors de l’assurance fait courir l’intérêt des
sommes payées au préjudice des assureurs, et que cet
intérêt est dû à partir du jour de l’emploi et non pas
seulement de celui de la demande en restitution.
1534. — Quelque impérieux que soit l’article 381,
il ne renferme aucune sanction pénale ; son inobserva
tion ne saurait dès lors influer sur le sort de l’assurance,
sur la validité et la recevabilité du délaissement.
Son effet unique serait donc de placer les parties sous
le coup de l’article 138â du Code civil. L’assureur serait
recevable et fondé à se faire indemniser du préjudice
qu’il en aurait éprouvé. La quotité de la réparation est
laissée à l’appréciation souveraine du juge, elle devrait
i Bordeaux, 6 avril 4830.
�ART. 3 8 2 , 3 8 3 , 3 8 4 .
443
être calculée sur la nature des circonstances et sur les
chances plus ou moins favorables que le sauvetage pou
vait offrir.
A r t ic l e 382.
Si l’époque du paiement n’est point fixée par le con
trat, l’assureur est tenu de payer l’assurance trois mois
après la signification du délaissement.
Article 383.
Les actes justificatifs du chargement et de la perte sont
signifiés à l’assureur avant qu’il puisse être poursuivi
pour le paiement des sommes assurées.
Article 384.
L’assureur est admis à la preuve des faits contraires
à ceux qui sont consignés dans les attestations.
L’admission à la preuve ne suspend pas les con
damnations de l’assureur au paiement provisoire de
la somme assurée, à la charge par l’assuré de donner
caution.
�444
DROIT MARITIME.
L’engagement de la caution est éteint après quatre
années révolues, s’il n’y a pas eu de poursuite.
SOMMAIRE
1535. Motifs du délai accordé à l’assureur pour le paiement de
l’assurance.
1536. Suspension du cours de l'intérêt, suivant que le délai est
légal ou conventionnel.
1537. Durée du délai. Son point de départ.
1538. Le versement n’est réellement exigible que par la pro
duction des pièces justificatives. Quand peut-elle être
faite.
1539. Obligation pour l’assuré de prouver le chargement, on ne
peut y déroger.
1540. Doctrine contraire d’Emérigon et de M. Dalloz. Ses mo
tifs.
1541. Réponse.
1542. Examen des analogies invoquées par M. Dalloz.
1543. La clause qui dispenserait le donneur à la grosse qui a
fait assurer de prouver le chargement devrait rester
sans effets.
1544. Le réassuré peut stipuler qu’il sera remboursé sur la
production de la quittance de l’assuré primitif. Consé
quences.
1545. Objet et valeur de la preuve du chargement.
1546. Obligation de prouver la perte.
1547. Comment elle se fait dans l’hypothèse de la prise.
1548. Dans celle du naufrage ou de l’échouement avec bris.
1549. En cas de prise, de naufrage, d’échouement avec bris,
d’arrêt de puissance ou de prince, la visite du navire est
sans influence. Conséquences.
1550. Secus, lorsqu’il s’agit de la preuve de l’innavigabilité.
�1551. Effets de la visite dans le cas d’un voyage de long cours.
1552. Effets de son omission ou du défaut de représentation des
procès-verbaux.
1553. Comment se prouve la perte des trois quarts.
1554. Faculté pour les assureurs de prouver le contraire des
pièces justificatives. Doctrine de M. Locré sur son
étendue.
1555. Motifs qui doivent la faire repousser,
1556. Principes qui régissent l’admissibilité de la preuve con
traire. Conséquences.
1557. L’admission de la preuve ne suspend pas la condamnation
au paiement provisoire. Nature de cette disposition, elle
n’est que facultative.
1558. Obligation pour l’assuré de donner caution. Durée de
l’engagement de celle-ci.
— Nous venons de voir que l’article 378 au
torise l’assuré à faire le délaissement avec sommation à
l’assureur de payer, dans l’acte même par lequel il si
gnifie l’avis du sinistre. Le délaissement peut donc être
réalisé le jour même de la nouvelle de la perte, et com
me son effet est de contraindre l’assureur au paiement
du montant de l’assurance, ce paiement serait dû et
pourrait être poursuivi immédiatement.
Une conséquence de cette nature était inadmissible en
équité et en droit. L’assuré n’est pas seul dans la né
cessité de peser mûrement le parti qu’il lui convient de
prendre ; l’assureur en éprouve également le besoin. Il
a à vérifier l’exactitude de la déclaration qui lui est
faite, de l’existence du sinistre et de ses causes, la pré
sence à bord des effets qu’on prétend avoir péri, enfin
1535.
�446
DROIT MARITIME.
la quotité réelle de la perte. On ne pouvait donc le
considérer comme en demeure de payer qu’a près lui
avoir laissé le temps moral de se livrer à toutes ces re
cherches.
riî
•'Hvl
1536. — Un délai était donc indispensable, et sa
concession amenait à cette conséquence qu’on ne pou
vait, pendant sa durée, faire courir les intérêts. Ceuxci, en effet, ne sont que la peine du retard. Or, il n’y
a ni refus, ni retard chez celui qui use du bénéfice du
terme.
Ce terme, dans notre hypothèse, peut être convention
nel. c’est même au contrat que le législateur devait s’en
référer ; quel que soit donc le délai fixé par la police,
l’assureur ne peut jamais être tenu de payer avant son
expiration.
Toutefois il n’en est pas de même pour le cours de
l’intérêt, il est suspendu de plein droit pendant la durée
du terme légal ; le contraire ne pourrait être admis que
si les parties en étaient expressément convenues. Le ter
me conventionnel peut, au contraire, autoriser le cours
de l’intérêt. Ainsi, la cour de Douai a jugé que, quel
que fût le délai convenu, on pouvait admettre que l’in
tention des parties a été de faire courir l’intérêt du jour
de l’expiration du délai légal. Sur le pourvoi dont cet
arrêt fût l’objet, la Cour suprême déclara que la Cour
n’avait ni méconnu, ni violé la loi K
i Cass., 19 mai +824.
:I
�— Si la convention n’a rien réglé, les assu
reurs ne sont obligés de payer que dans les trois mois
révolus de la signification du délaissement. De ces ter
mes de notre article, il résulte que si, usant de l’option
que lui laisse l’article 378, l’assuré a fait signifier l’avis
qu’il a reçu, en se réservant la faculté de délaisser plus
tard, cette signification ne peut faire courir le délai de
trois mois. Quelle que soit la distance qui sépare cette
signification de celle du délaissement lui-même, c’est
celle-ci qui créera seule l’ouverture du délai.
C’était là la conséquence d’un principe incontestable.
Pour que l’assureur soit tenu du paiement, il faut que
le paiement lui soit réellement demandé. Or, se réserver
la faculté de réaliser celte demande, ce n’est pas évi
demment l’intenter. Il n’y a donc aucune mise en de
meure à laquelle l’assureur puisse et doive avoir égard.
Du principe que l’intérêt n’est que la peine du refus ou
du retard du paiement exigible, naissait cette autre con
séquence, à savoir, que le délai de trois mois, pendant
lequel la loi dispense l’assureur de tout intérêt, ne pou
vait courir que du jour où le paiement peut être utile
ment exigé. Or, pour qu’il en soit ainsi, il ne suffit pas
que l’assuré ait signifié son délaissement, cette signifi
cation annonce bien l’intention d’obtenir ce paiement,
mais elle ne pourra rendre celui-ci exigible que si elle
a été précédée, accompagnée ou suivie de certaines con
ditions. Déjà l’article 379 a exigé la déclaration de tou
tes les assurances et des sommes prises à la grosse, et
1539.
�DROIT MARITIME.
446
la quotité réelle de la perte. On ne pouvait donc le
considérer comme en demeure de payer qu’après lui
avoir laissé le temps moral de se livrer à toutes ces re
cherches.
— Un délai était donc indispensable, et sa
concession amenait à cette conséquence qu’on ne pou
vait, pendant sa durée, faire courir les intérêts. Ceuxci, en effet, ne sont que la peine du retard. Or, il n’y
a ni refus, ni retard chez celui qui use du bénéfice du
terme.
Ce terme, dans notre hypothèse, peut être convention
nel. c’est même au contrat que le législateur devait s'en
référer ; quel que soit donc le délai fixé par la police,
l’assureur ne peut jamais être tenu de payer avant son
expiration.
Toutefois il n’en est pas de même pour le cours de
l’intérêt, il est suspendu de plein droit pendant la durée
du terme légal ; le contraire ne pourrait être admis que
si les parties en étaient expressément convenues. Le ter
me conventionnel peut, au contraire, autoriser le cours
de l’intérêt. Ainsi, la cour de Douai a jugé que, quel
que fût le délai convenu, on pouvait admettre que l’in
tention des parties a été de faire courir l’intérêt du jour
de l’expiration du délai légal. Sur le pourvoi dont cet
arrêt fût l’objet, la Cour suprême déclara que la Cour
n’avait ni méconnu, ni violé la loi l.
1536.
1 Cass., 49 m ai H H .
�382, 383, 384.
447
1539. — Si la convention n’a rien réglé, les assu
reurs ne sont obligés de payer que dans les trois mois
révolus de la signification du délaissement. De ces ter
mes de notre article, il résulte que si, usant de l’option
que lui laisse l’article 378, l’assuré a fait signifier l’avis
qu’il a reçu, en se réservant la faculté de délaisser plus
tard, cette signification ne peut faire courir le délai de
trois mois. Quelle que soit la distance qui sépare cette
signification de celle du délaissement lui-même, c’est
celle-ci qui créera seule l’ouverture du délai.
C’était là la conséquence d’un principe incontestable.
Pour que l’assureur soit tenu du paiement, il faut que
le paiement lui soit réellement demandé. Or, se réserver
la faculté de réaliser celte demande, ce n’est pas évi
demment l’intenter. Il n’y a donc aucune mise en de
meure à laquelle l’assureur puisse et doive avoir égard.
Du principe que l’intérêt n’est que la peine du refus ou
du retard du paiement exigible, naissait cette autre con
séquence, à savoir, que le délai de trois mois, pendant
lequel la loi dispense l’assureur de tout intérêt, ne pou
vait courir que du jour où le paiement peut être utile
ment exigé. Or, pour qu’il en soit ainsi, il ne suffit pas
que l’assuré ait signifié son délaissement, cette signifi
cation annonce bien l’intention d’obtenir ce paiement,
mais elle ne pourra rendre celui-ci exigible que si elle
a été précédée, accompagnée ou suivie de certaines con
ditions. Déjà l’article 379 a exigé la déclaration de tou
tes les assurances et des sommes prises à la grosse, et
ART.
�H8
DROIT MARITIME.
fixé au jour de sa notification seulement l’ouverture et
le cours du délai du paiement.
1538. — L’arlicle 383 va faire pour les actes jus
tificatifs du chargement et de la perte ce que l’article 379
a fait pour la déclaration. Leur production détermi
nant seule l’obligation des assureurs et sa quotité, la
dette n’est réellement exigible que du jour où elle a été
faite.
On ne pouvait renfermer l’obligation de cette notifi
cation dans un délai quelconque, elle est donc réguliè
rement faite, même hors de celui de l’article 373. Mais
son absence rendant la dette illiquide et inexigible, le
délai accordé pour le paiement ne peut courir que du
jour où sa réalisation a fait disparaître ce double ca
ractère.
1539. — L'obligation de justifier le chargement est
de l’essence du contrat d’assurance, aussi le droit fran
çais a-t-il de tout temps prohibé la faculté d’y déroger.
Le contraire était enseigné par l’école italienne, mais,
ainsi que l’observe très judicieusement Valin, cela tenait
à ce que le droit, en Italie, permettait l’assurance sous
forme de gageure.
Il est évident, en effet, que dispenser l’assuré de la
justification du chargé, c’était l’autoriser à ne rien char
ger, c’était, par conséquent, consacrer une véritable ga
geure. C’est précisément ce caractère qui devait, en
France, faire repousser la doctrine de Casaregis, Targa
�art.
382, 383, 384.
449
et Rocus, sur la validité de la dérogation à l’obligation
de prouver le chargement.
Elle serait donc, aujourd’hui encore, considérée com
me nulle et de nul effet. Quelque formels que fussent
les termes de la police, l’assureur ne pourrait même être
poursuivi en paiement tant que les pièces justificatives
du chargement n’auraient pas été produites.
1540. — Celte règle cependant a trouvé de la con
tradiction dans l’ancien comme dans le nouveau droit.
Emérigon s’était prononcé pour la validité de la déro
gation, et en soutenait la légalité; cette clause, disaitil, ne dispense pas du chargement effectif, elle dispense
seulement de rapporter la preuve du chargement qui
est affirmé véritable par l’assuré. L’obligation de s’en
tenir à la parole de quelqu’un n’est pas illégale, il faut
croire que l’assuré, en qui vous avez confiance, ne vous
trompera pas ; il est lié par la foi promise, et vous l’êtes
par le pacte du contrat.
Quand il demandera paiement de la perte, vous pour
rez l’obliger à jurer que , lors du sinistre , le charge
ment assuré était à bord du navire, s’il refuse de prê
ter serment, il perdra sa cause ; d’ailleurs, les assureurs
auront toujours le droit de faire la preuve contraire.
Emérigon , qui s’appuie sur les auteurs italiens,
ajoute : dans la pratique, on voit mille cas où il est im
possible ou très difficile d’avoir des preuves qui consta
tent le chargement des marchandises qu’on veut faire
iv — 29
�4Î>0
DROIT MARITIME.
assurer, il faudrait donc alors renoncer à l’assurance,
ce qui serait très préjudiciable au commerce \
Ces raisons ont paru déterminantes à M. Dalloz , il
s’est donc rangé à l’opinion d’Emérigon, qu’il enseigne
devoir être admise sous l’empire du Code2.
— Emérigon a par trop cédé à l’autorité de
l’école italienne , et pas assez réfléchi à l’observation si
relevante de Yalin. Vainement fait-il observer que dans
les passages qu’il leur emprunte, Casaregis, Targa,
Scaccia s’occupent non de la gageure, mais de l’assu
rance. N’est-il pas évident que leur doctrine à ce sujet
n’est que la conséquence de la législation sous l’empire
de laquelle ils écrivaient. Comment, en effet, auraientils pu condamner une dérogation dont tout l’effet était
de donner à l’assurance le caractère d’une gageure,
alors que la stipulation pure et simple de celle-ci créait
un lien légal et obligatoire.
Les auteurs italiens se montraient donc conséquents.
Toute leur doctrine se résumait à permettre de faire
indirectement ce qui pouvait être fait d’une manière di
recte.
La condamnation du principe devait donc nécessai
rement entraîner celle de ses conséquences. Permettre
sous l’ordonnance, comme depuis le Code, de déroger à
l’obligation de prouver le chargement, c’eût été et ce
154t.
i Chap. U, sect. 8.
s Nouveau rép., v.
■
Dr. m arit, n° 1750.
�serait autoriser purement et simplement la gageure.
Celle-ci, ne pouvant se montrer à découvert, se réfu
giera derrière cette forme que la doctrine que nous com
battons rendrait inviolable.
Les assureurs, dit-on, pourront toujours prouver le
contraire du chargement allégué. Mais si, au dire d’Emérigon, la preuve du chargement elle-même est souvent
difficile, quelquefois impossible, qu’en sera-t-il de cette
négative qu’on impose aux assureurs ?
Restera le serment, qui serait sans doute décisif pour
l’homme de bonne foi ; mais on sait combien peu il
arrêterait celui qui n’aurait cherché dans la stipulation
qu’un moyen de réaliser un bénéfice illégal et fraudu
leux. Or, c’est précisément de cette hypothèse qu’on doit
se préoccuper surtout.
D’ailleurs, est-il bien certain qu’on puisse l’exiger.
L’assuré ne dira- t-il pas que ce serment n’est qu’une
justification à laquelle il ne saurait être tenu, puisqu’il
a été dispensé d’en présenter aucune.
En résumé donc, les motifs donnés par Emérigon
sont bien légers en présence de l’immense danger que
son système présente. L’intérêt réel de l’institution fait
un devoir de le repousser.
154 8. — M. Dalloz invoque, comme considération
à l’appui de sa doctrine, d’abord qu’on est unanime
ment d’avis que celui qui fait assurer une prise est dis
pensé de prouver le chargement. Il n’y a pas là une
analogie à proposer. Le corsaire qui fait assurer le na-
�DROIT MARITIME.
452
vire n’a eu que la peine de le prendre avec ce qu’il con
tenait. Etranger à l’achat des effets composant la car
gaison, au fait de son chargement, il n’a pu s’en ménager
la preuve. L’exiger de lui, ce serait vouloir l’impossible.
Peut-on donc lui assimiler l’assuré qui a directement
acheté, frété et chargé le navire ?
M. Dalloz excipe ensuite d’un arrêt de la cour de Bor
deaux, du 12 janvier 1834, dispensant de toute justifi
cation lorsque l’assurance porte sur vivres et provisions
du navire.
Mais comment ce savant jurisconsulte peut-il perdre
de vue que l’article 383 ne régit et ne peut régler que
l’assurance des facultés à charger, et qui peuvent l’être
ou non. Quand à la certitude du départ du navire, sa
perte même en atteste suffisamment l’existence, et il
n’est jamais entré dans la pensée de personne d’exiger
de l’assuré sur corps d’autres justifications.
Or, ce qui est vrai pour le corps l’est également pour
les provisions et victuailles. La preuve que le navire avait
ses vivres à bord, c’est qu’il a commencé son voyage et
que l’équipage s’est nourri et devait l’être pendant toute
la durée de ce même voyage.
C’est tout ce que décide l’arrêt de Bordeaux, décla
rant que l’assurance des vivres et provisions du navire
peut être assimilée à l’assurance sur corps ; que, par
conséquent, leur existence à bord peut être valablement
admise sans autre preuve que la police d’assurance.
L’arrêt aurait-il fait cette assimilation et consacré ces
�conséquences, s’il se fût agi d’une assurance sur effets
et marchandises ordinaires ? i
Nous persistons donc à penser, avec Valin et Pothier,
que la clause qui dispenserait l’assuré de prouver le
chargement ferait dégénérer l’assurance en simple ga
geure , qu’on ne saurait lui reconnaître ni effet possible,
ni force obligatoire.
1543. — Par application de cette règle, on devrait
refuser tout effet à la clause par laquelle le donneur à
la grosse, en faisant assurer le capital, aurait été dis
pensé de toute justification à l’endroit du chargement.
C’est donc avec raison que Valin blâmait une sentence
de l’amirauté de Marseille, du 19 avril 17fi5, qui, sur
une police portant que le donneur à la grosse ne serait
tenu que de faire apparoir du contrat de grosse ,
avait condamné l’assureur au paiement de la somme as
surée et contenue au contrat, quoiqu’il n’y eût aucune
preuve que le preneur eût chargé des effets jusqu’à con
currence.
En pareil cas, dit Valin, le donneur a-f-il plus de
faveur qu’en aurait le preneur s’il lui était permis de
faire assurer? Dans cette supposition, le preneur ne se
rait pas recevable à inquiéter l’assureur sans prouver le
chargement. Comment donc en dispenser le donneur
qui ne fait que le représenter en cette partie l.
On devrait d’autant moins l’admettre, que le donneur
1 Art. 57, tit. des Âssur.
�484
DROIT MARITIME.
est obligé de prouver l’existence et le caractère sérieux
du risque qu’il a fait assurer, soit la chance qu’il court
de perdre son capital en cas de sinistre. Or, le défaut
de chargement laissant l’emprunteur dans la nécessité
de rembourser, dans tous les cas, la somme empruntée,
aurait empêché cette chance de courir et enlevé à l’as
surance faite par le donneur l’élément essentiel de sa
validité.
Dès lors, la clause dispensant le donneur de justifier
du chargement attenterait à la substance du contrat,
serait contraire à l’ordre public et devrait être annulée l.
— Nous avons eu occasion de rappeler plu
sieurs fois que le réassuré, devenant vis-à-vis du réas
sureur le véritable assuré, est tenu d’en remplir les obli
gations et les devoirs. Cependant, il a été admis qu’il
peut, dans la police de réassurance, stipuler qu’il sera
remboursé sur la seule production de la quittance qui
lui sera délivrée par son propre assuré. C’est ce que pro
fessait Emérigon, avec lequel nous différons sur un seul
point.
Ce célèbre jurisconsulte enseigne que le réassureur
ne peut opposer aucune exception, attendu le pouvoir
libre qu’il a déféré au réassuré ; qu’il suffit donc que
celui-ci ait agi de bonne foi.
Nous croyons au contraire, précisément parce que le
réassuré est, en quelque sorte, le mandataire du réassu1544.
I Dalloz Nouv. Jlép , V. Droit m a r i t n° 1753.
�455
382, 383, 384.
reur, qu’il est tenu envers lui des obligations résultant
de cette qualité, notamment de sa faute. Or, il y aurait
faute grave s’il payait l’assuré en l’absence de toute
preuve ou sur une preuve insuffisante du chargement.
Le réassureur pourrait donc s’en prévaloir. On ne sau
rait lui en refuser la faculté sans l’exposer à devenir
victime d’une collusion entre le réassuré et l’assuré pri
mitif.
ART.
— La preuve du chargement a pour objet
d’établir les quantité, espèce ou qualité des effets con
fiés au navire. Elle résulterait donc, de plein droit, du
connaissement régulier. Quant à la valeur, elle serait
justifiée dans les formes voulues par l’article 339.
Au reste, et à l’égard de la preuve, la loi n’a rien
prescrit d’absolu et d’exclusif. En l’absence du connais
sement, cette preuve pourrait être faite par tous autres
documents, tels que : certificats de la douane, livres,
factures, correspondance, enfin par la preuve testimo
niale et par présomptions.
1545.
— Le chargement prouvé, l’assuré doit éta
blir la perte. Comme le délaissement n’est que la con
séquence du sinistre majeur, il est évident que celui qui
en poursuit le bénéfice doit a priori justifier le fait dont
elle découle. Cette règle ne reçoit exception que dans le
délaissement pour défaut de nouvelles. Nous avons déjà
dit que, dans ce cas, la perte entière est légalement et
de plein droit présumée.
1546.
�-456
DROIT MARITIME.
La preuve de la perte se fait de diverses manières,
suivant la nature du sinistre donnant lieu au délaisse
ment.
— Dans l’hypothèse delà prise, la loi n’a
rien déterminé. Elle ne pouvait agir autrement sans
courir la chance de placer l’assuré dans l’impossibilité
matérielle d’obéir à ses exigences. La prise peut donc
être établie par toutes sortes de documents et de preu
ves ; c’est aux juges d’apprécier souverainement si l’as
suré justifie ou non le fait qu’il allègue.
1549.
1548. — Le plus ordinairement, le naufrage ou
l’échouement avec bris sera établi par le rapport du ca
pitaine, les attestations de l’équipage, le livre de bord,
les procès-verbaux de l’autorité qui a fait procéder au
sauvetage ; ici encore rien d’absolu, puisque le sinistre
peut être tel qu’il ne laisse après lui aucun moyen de
constatation régulière, dans le cas, par exemple, où le
navire assailli par la tempête a péri en pleine mer,
corps et biens.
On peut donc prouver le naufrage et l’échouement
avec bris de tout autre manière. La conséquence que la
jurisprudence a tirée de cette règle, est qu’on ne saurait
repousser l’assuré sous prétexte de l’irrégularité des do
cuments qu’il produit. Puisque les juges peuvent sup
pléer à leur absence totale, comment leur prohiber le
droit d’y ajouter foi malgré le défaut de la forme.
Ainsi la Cour de cassation jugeait, le 1er septembre
�1813, que l’assuré n’est pas non recevable dans son
action en délaissement, par cela seul qu’il ne produirait
qu’un rapport irrégulier du capitaine , par exemple un
rapport fait tardivement. De son côté, la cour de Rennes
admettait, le $4 août 1824, que bien que l’article 246
impose au capitaine naufragé l’obligation de faire son
rapport devant l’autorité du lieu où il est parvenu à se
sauver, cet acte n’est pas essentiel pour prouver le nau
frage ; qu’il peut être remplacé par un acte déclaratif du
sinistre fait dans un autre lieu, et certifié par les gens
de l’équipage.
Cette jurisprudence est rationnelle et juste. Dès que
l’incertitude des événements de mer ne permettait pas
d’adopter des bases certaines et permanentes, il n’y a
de vrai que cette proposition de M. Pardessus : la perte
n’a besoin que d’être prouvée d’une manière suffisante
pour convaincre tout homme raisonnable. Telle a été si
bien la pensée de la loi, que nous verrons l’article 384
admettre les attestations des témoins de l’événement.
1549. — Dans le cas de prise, de naufrage ou
d’échouement avec bris, d’arrêt de puissance ou de
prince, l’assuré, dont le navire était soumis à être vi
sité au départ, doit-il justifier de cette visite ; à défaut,
l’assureur pourra-t-il faire repousser le délaissement ?
La négative avait été consacrée par la Cour de cassa
tion, le 25 mars 1806, c’est-à-dire sous l’empire de
l’ordonnance de 1681 et de la déclaration de 1779.
L’arrêt constate que cette dernière n’exigeait ces procès-
�m
DROIT MARITIME.
verbaux de visite que dans le cas d’in navigabilité, c’està-dire lorsque l’accident qui avait terminé le voyage pou
vait être imputable au vice propre , ce qui n’avait pas
lieu lorsque le navire avait été englouti, ou qu’il s’était
brisé contre des rochers.
Nous avons déjà dit que la déclaration de 1779 était
encore en vigueur pour toutes les dispositions qui n’ont
pas été abrogées par le Code. Or, cette abrogation, en ce
qui concerne nos questions, n’est et n’a été ni dans le
texte, ni dans l’esprit du législateur de 1808. On devrait
donc les résoudre aujourd’hui dans le sens que la Cour
de cassation consacrait en 1806.
— La preuve de l’innavigabilité du navire
résultera forcément de sa constatation, dont la régula
rité peut seule autoriser le délaissement. Donc en justi
fiant de l’exécution des formalités requises, l’assuré jus
tifiera par cela même de l’in navigabilité.
Aussi, est-ce moins sur ce fait de l’innavigabilité que
sur sa cause, que s’établira le litige. Les assureurs ne
répondant que de celle due à une fortune de mer, ne
manqueront pas d’exciper du vice propre pour s’exoné
rer de celte responsabilité.
La certitude que le navire a subi des coups de mer,
qu’il a été exposé pendant le voyage à des ouragans, à
des tempêtes, ferait facilement présumer que l’innavigabilité est la conséquence des uns ou des autres. Cette
présomption, si d’ailleurs les procès-verbaux d’expertise
ne la détruisaient pas, suffirait pour que les assureurs
1550.
�fussent tenus de justifier le vice propre dont ils exciperaient.
1551. — Dans les voyages au long cours, la preuve
que le navire a été visité au départ et trouvé en bon état
de navigation produirait un résultat analogue. Ainsi la
cour de Bordeaux jugeait, le 1er mars 4828, que lors
qu’un navire, déclaré au départ en état de supporter la
navigation, a été obligé, après avoir essuyé une tempête,
de relâcher dans un port intermédiaire où des experts
ont constaté qu’il coûterait trop cher à réparer, à cause
de son extrême vétusté, et qu’en conséquence il doit
être réputé innavigable, ajoutant toutefois que, sans les
coups de mer qu’il a éprouvés, le navire eût pu se ren
dre à sa destination, il ne résulte pas de là la preuve que
l’innavigabilité provient du vice propre, et que par suite
les assureurs, s’ils ne fournissent pas d’ailleurs cette
preuve, ne sont pas fondés à refuser le délaissement.
La justification du fait de la visite importe donc à l’as
suré, ce n’est qu’en l’établissant qu’il acquiert la pré
somption de l’innavigabilité par fortune de mer, et qu’il
impose à l’assureur la charge de prouver le vice propre.
Cela est vrai pour l’assuré sur facultés, pour le capitaine
d’un navire étranger comme pour l’assuré sur corps,
comme pour les navires français. Seulement, lorsqu’il
s’agit d’un étranger, on ne peut exiger de lui un certi
ficat de visite tel qu’il est prescrit par la loi française, il
lui suffit de justifier que le navire était en bon état de
�460
DROIT MARITIME.
navigation avant le départ, dans la forme requise dans
le pays où il se trouvait \
1 5 5 3 . — Quel est l’effet du défaut de justification
de la visite? Emérigon en faisait résulter la non receva
bilité du délaissement, ce défaut, à son avis, faisait non
seulement présumer le vice propre, mais créait en outre
une présomption juris et de jure, n’admettant pas de
preuve contraire.
Cette doctrine pouvait avoir un fondement juridique
dans l’article 4 de la déclaration de 1779, prescrivant
la représentation des procès-verbaux de visite, sous peine
pour l’assuré d’être déclaré non recevable dans son dé
laissement, elle n-’en a plus aucune depuis le Code, aussi
est-elle repoussée par la jurisprudence2.
Tout ce qui résulterait du défaut de production des
procès-verbaux, ou de l’omission de la visite, serait la
présomption que l’innavigabilité provient du vice pro
pre, mais cette présomption céderait devant la preuve
contraire que l’assuré est toujours recevable à fournir,
et à défaut de laquelle son délaissement serait repoussé.
— Nous avons déjà dit que la perte des trois
quarts, peut affecter la quantité ou la valeur des choses
assurées ; dans l’un et dans l’autre cas, la preuve n’est
1553.
i Cass., 29 ju in 1826.
s Cass., 3 août 1806 ; A ix, 28 janvier 1822 ; B ordeaux, 17 février
1826; c a ss., 17 avril 1824.
�plus en quelque sorte qu’une opération mathématique,
la comparaison entre la quantité embarquée et celle ren
due ou à rendre, entre celle de la valeur actuelle et celle
convenue ou déclarée au départ, est de nature à fixer
tous les doutes.
— Quels que soient les documents invoqués
par l’assuré pour justifier le chargement et la perte, les
assureurs peuvent réclamer et sont admissibles à four
nir la preuve contraire, tel est le sens que comporte réel
lement l’article 384.
M. Locré, équivoquant sur les termes de cette dispo
sition, prétend réduire la faculté de faire cette preuve
contraire au cas où l’assuré n’invoque que des attesta
tions. Le législateur, dit-il, n’a pu avoir en vue le con
naissement, nous avons vu qu’il fait foi entre les parties,
s’il est en bonne forme ; pas même les livres et factures
ou les expéditions en douane, elles sont au-dessus du
soupçon. Aussi, n’a-t-il parlé que des attestations que
l’assuré produit à défaut de ces pièces, ces attestations
forment une espèce de preuve testimoniale contre la
quelle, de droit commun, la preuve contraire est tou
jours admise, parce qu’il est juste que le demandeur et
le défendeur aient un avantage légal et se battent avec
les mêmes armes \
1554.
1555.
— Cette interprétation n’a été admise ni en
1 E sprit du Code de commerce, art. 384.
�462
DROIT MARITIME.
doctrine, ni en jurisprudence, elle est repoussée par la
nature des choses et par l’esprit de la loi.
Ce que l’assuré doit prouver, c’est le chargement et la
perte ; pour que cette dernière preuve soit acquise, il
faut, de toute nécessité, que les effets chargés se soient
trouvés à bord au moment du sinistre.
Sans doute, le connaissement régulier fait foi contre
les assureurs, mais, comme nous l’avons déjà relevé, en
ce sens que celui qui l’invoque n’est jamais tenu de
prouver autre chose que sa régularité.
Mais de ce que l’assuré n’a rien à justifier, il ne s’en
suit nullement que l’assureur ne puisse prouver ou que
la marchandise n’a pas été réellement chargée, ou qu’elle
a été déchargée avant ou pendant le voyage, en totalité
ou en partie ; on ne saurait d’autant moins leur refu
ser cette faculté, que les assureurs ont été dans l’impos
sibilité de se procurer une preuve écrite de la collusion
et de la fraude dont ils offriraient de justifier l.
A plus forte raison, en serait-il ainsi contre les livres
et les factures dont se prévaudrait l’assuré. La fraude
étant ici beaucoup plus facile, devient moins invraisem
blable et doit faire rencontrer à l’offre de la prouver un
accueil moins sévère.
Enfin, quant aux expéditions prises en douane, leur
caractère ne saurait être un motif pour faire repousser
sans examen la preuve contraire. La foi qui s’attache à
ses actes, et qui ne peut être atteinte que par une insi Cass., 15 février 1826 ; 4 août 1829.
�art.
382 , 383 , 384 .
463
cription de faux, ne peut être acquise qu’eu égard aux
contraventions tendant à fixer les intérêts de l’Etat, elle
ne saurait s’imposer aux parties dans les litiges particu
liers qu’elles peuvent avoir à débattre. Ainsi, les actes
et procès-verbaux des préposés de la douane, tels que
ceux de visa, de visite, d’embarquements, ne sont pas
pour l’assureur des actes authentiques qu’il ne peut at
taquer qu’au moyen de l’inscription de faux l.
— Ainsi, la faculté de prouver , même par
témoins, le contraire de ce qui est constaté par les piè
ces produites par l’assuré, ne saurait être contestée aux
assureurs, ce serait méconnaître l’article 384 ; mais ce
droit n’est pas tellement absolu qu’il suffise de vouloir
l’exercer pour être admis à le faire ; il en est ici de l’al
légation de la fraude comme dans toutes les autres hy
pothèses. Les juges ne sont tenus d’admettre la preuve
offerte que si les faits cotés graves, pertinents et admis
sibles rendent la fraude vraisemblable. Par application
de ces principes, la cour d’Aix jugeait, le 15 juillet 18213,
que lorsque l’assureur n’a pas demandé, en première
instance, un délai pour faire la preuve contraire aux at
testations de la perte produites par l’assuré , et qu’il
s’est borné à soutenir l’insuffisance de ces attestations,
il n’est pas recevable en cause d’appel à réclamer le bé
néfice de l’article 384, et à demander un délai pour
fournir cette preuve ;
1550.
�464
DROIT MARITIME.
Elle décidait, le 15 novembre suivant, que les juges
d’appel peuvent refuser la preuve contraire, encore
qu’aucun consulat n’eût élé produit en première ins
tance, et que la preuve du sinistre y ait été reconnue
insuffisante , si d’ailleurs les assureurs ont eu le temps
nécessaire et les moyens de justifier leurs exceptions.
Enfin, la Cour de cassation jugeait, le 24 novembre
1845, que les assureurs ne peuvent, même en offrant
le paiement provisoire et sous caution de la valeur du
sinistre, réclamer purement et simplement un sursis
pour fournir la preuve contraire des faits constatés dans
les actes justificatifs et les attestations, sans articuler les
faits qu’ils entendent prouver, ou ceux qu’ils veulent
dénier, alors qu’ils ont eu toutes les facilités pour se
renseigner l.
Ainsi, l’article 384 ne déroge en rien aux principes
généraux. L’admission ou le rejet de la preuve qu’il au
torise est subordonné aux conditions ordinaires et entiè
rement laissé à l’arbitrage souverain du juge.
1 5 5 9 . — Dans le but d’empêcher que, sous pré
texte de prouver le contraire, l’assureur trouve le moyen
de retarder le paiement, l’article 384 va plus loin en
core. Il déclare que l’admission à la preuve ne suspend
pas la condamnation de l’assureur au paiement provi
soire de la somme assurée.
Celle disposition est-elle obligatoire pour le juge, ou
�ART. 3 8 2 , 3 8 3 , 5 8 4 .
465
ne lui confère-t-elle qu’une faculté dont il puisse s’abs
tenir d’user ?
L’ordonnance semblait trancher la question dans le
premier sens. Elle disposait : L'assureur s e r a cependant
condamné par provision, etc. Néanmoins, et malgré ces
termes, l’interprétation contraire avait prévalu. Yalin,
qui l’atteste et l’approuve, cite deux arrêts du Parlement
d’Aix, du 2 février 1741 et 23 septembre 1745 , refu
sant la condamnation provisoire, le premier, sur le mo
tif que le connaissement était attaqué de collusion et de
fraude, et que les circonstances paraissaient imposan
tes ; le second, parce que les preuves rapportées par
l’assuré n’étaient pas de nature à inspirer une grande
confiance.
C’est cette interprétation que l’article 384 a voulu con
sacrer. La doctrine et la jurisprudence ne l’ont jamais
méconnu ni contesté. La cour de Douai, notamment,
déclarait, le 1er février 1841, que si, aux termes de l’ar
ticle 384, provision est due aux actes justificatifs delà
perte, c’est seulement lorsque les faits consignés dans
les attestations paraissent de nature à motiver la de
mande en paiement de la somme assurée L
Les juges peuvent donc, si la bonne foi de l’assuré
leur est suspecte, ne pas ordonner, refuser même l’exé
cution provisoire. Mais, dans ce dernier cas, leur dé
cision n’est pas seulement incidentelle et préparatoire,
elle constitue un jugement définitif, susceptible d’appel
U . du P., 2, 4844, 38S.
Ügf il
| . f ’4
�466
DROIT MARITIME.
avant celui sur le fond, et alors même que la décision
qui admet la preuve ne serait pas attaquée. La cour
d’Àix le consacrait formellement, par arrêt du 8 dé
cembre 1835.
— Le jugement prononçant le paiement pro
visoire doit soumettre l’assuré à donner une caution. La
réception et la suffisance de cette caution s’établissent
aux conditions et dans les formes du cautionnement
commercial.
L’engagement de la caution est éteint si, du jour de
la réception, il s’est écoulé quatre ans sans poursuites
de la part de l’assureur ; un silence si prolongé ne peut
s’interpréter que comme une renonciation à faire la
preuve contraire, ou un aveu de l’impuissance de la
fournir.
Néanmoins, le droit de répétition de l’assureur contre
l’assuré ne se prescrit que par le délai ordinaire. En
conséquence, l’expiration de celui accordé à la caution
ne libérerait pas ce dernier, s’il n’avait pas prescrit luimême contre le droit de l’assureur.
1558.
A r t ic l e 3 8 5 .
Le délaissement signifié et accepté ou jugé valable, les *
effets assurés appartiennent à l’assureur, à partir de
l’époque du délaissement.
�ê
#
ART.
385, 386.
467
L’assureur ne peut, sous prétexte du retour du na
vire, se dispenser de payer la somme assurée.
Article 3 8 6 .
t ■'
Le fret des marchandises sauvées, quand même il au
rait été payé d’avance, fait partie du délaissement du
navire, et appartient également à l’assureur, sans pré
judice des droits des prêteurs à la grosse, de ceux des
matelots pour leur loyer, et des frais et dépenses pen
dant le voyage.
SOMMAIRE
1589. Effets que produit le délaissement. A partir de quel mo
ment. Législation de 1681.
1560. Débats lors de la discussion du Code. Solution.
1561. Le délaissement est révocable tant qu’il n’a pas été ac
cepté ou déclaré valable. Conséquences.
1562. Obligations qui naissent pour les assureurs de l’irrévocabilité du délaissement.
1563. Exception que subirait ja règle que le retour du navire
ne les dispense pas du paiement. ,
1564. Autre exception indiquée par Yalin, repoussée par le
Code.
1565. Ce que doit comprendre le paiement.
1566. Peut-on défalquer de la somme assurée le montant des
emprunts à la grosse. Distinction. Arrêts de la cour de
Rouen.
1567. Leur caractère juridique.
�468
DROIT MARITIME.
1568. L’assureur sur vivres el avances peut-il défalquer le
montant des vivres consommés et des avances gagnées
au moment du sinistre. Arrêt de la cour de Bordeaux
pour la négative.
1569. Examen et critique d’un autre arrêt de la même Cour
dans une espèce où le navire étant arrivé à sa destina
tion, le fret était acquis.
1570. Résumé.
1571. Le sauvetage est pour le compte exclusif et aux ris
ques et périls de l’assureur. Conséquences à l’égard du
produit.
1572. L’assureur est subrogé à tous les droits de l’assuré. Con
séquences.
1573. Il l’est également à ses obligations.
1574. Dans quel cas l’assureur peut-il se libérer par l’abandon
du navire des sommes empruntées pour le réparer
après le sinistre.
1575. Difficultés nue le silence que l’ordonnance avait gardé sur
le délaissement du fret avait fait naître. Solution de la
déclaration de 1779.
1576. Débats qui firent consacrer l’article 386.
1577. Ce qu’il faut entendre par marchandises sauvées. Arrêt
de la Cour de cassation, sa légalité. Conséquences pour
le fret acquis pendant le voyage.
1578. A quel taux l’assuré devrait-il faire raison de celui à dé
laisser, s’il avait été déclaré acquis à tout événement.
1579. Peut-on déroger à l’article 386 à l’endroit du fret des
marchandises sauvées. Opinion de MM. Pardessus et, Dageville pour l’affirmative.
1580. Réfutation.
1581. Secus, pour le fret acquis pendant le voyage.
1582. Effets du délaissement entre les assureurs. Droits de
l’assuré pour son découvert. Droit des prêteurs à la
grosse.
�art.
385, 386.
469
1583. Droits de l’équipage.
1584. L’assureur qui a payé les matelots serait-il subrogé à
leurs droits, et pourrait-il revenir contre l’assuré, si
celui-ci s’était réservé le fret des marchandises sauvées?
— Le délaissement produit de plein droit
deux effets : 1° le transfert sur la tête des assureurs de
la propriété des choses assurées ; 2° l’obligation de payer
le montant de l’assurance.
L’ordonnance de 1681 attachait ce double effet à la
seule signification du délaissement. Dès que l’assuré
avait ainsi manifesté sa volonté, la faculté de choisir que
lui laisse la loi, était épuisée, il ne pouvait plus se ré
tracter, malgré que le délaissement ne fût pas encore
définitif, en ce sens que les assureurs avaient le droit
d’en contester le mérite et de le faire repousser.
1559.
— La commission s’était bornée à repro
duire dans le projet du Code la disposition textuelle de
l’ordonnance. Mais cette reproduction donna lieu à des
observations diverses ; on faisait remarquer que l’assuré
se trouvait lié, lorsque l’assureur ne l’était pas ; que
cela était d’autant plus sévère que le délaissement pou
vait être irrégulier, mal fondé en fait ou signifié hors des
délais, ce qui devait lé faire infailliblement repousser.
La Cour de cassation demandait donc qu’après ces
mots : Le délaissement signifié , on ajoutât : Dans le
1560.
cas où il est autorisé par la loi.
Cette pensée de la Cour suprême a été complétée et
plus heureusement exprimée par le conseil d’Etat, le dé-
�470
DROIT MARITIME.
laissement n’existe que du jour où les parties pourront
mutuellement se contraindre à en subir les effets, c’est*
à-dire que lorsqu’il aura été volontairement accepté par
l’assureur ou validé par la justice.
1561. — Des motifs qui ont fait consacrer cette
disposition résulte , comme conséquence forcée, que le
délaissement est révocable tant qu’il n’a été ni accepté,
ni déclaré valable. Dès lors, il peut être annulé par la
seule volonté de l’assuré, qui, mieux éclairé sur son in
térêt ou sur ses droits, lui substituera l’action en règle
ment d’avaries.
L’acceptation que les assureurs feraient du délaisse
ment après l’acte qui l’aurait formellement retiré, la dé
claration de validité qu’ils obtiendraient de la justice
après le désistement que l’assuré aurait signifié ne sau
rait produire aucun effet.
Mais si l’acceptation ou la déclaration de validité est
intervenue avant la rétractation, c’est cette dernière qui
se trouve frappée d’une impuissance absolue, l’une ou
l’autre a rendu le délaissement irrévocable. Vainement
donc, l’assuré exciperait-il de ce qu’en fait il n’y avait
pas lieu à abandon ; de ce qu’il n’a été signifié qu’après
les délais ; de ce qu’il est partiel ou conditionnel ; tou
tes ces exceptions étant dans l’intérêt exclusif des assu
reurs, eux seuls sont recevables à s’en prévaloir.
Mais, à leur tour, ceux-ci ne pourraient plus les op
poser soit après leur acceptation, soit après la délaralion
de validité. L’acceptation volontaire serait la renoncia-
�471
585, 586.
tion expresse à se prévaloir des vices dont le délaisse
ment pourrait être entaché, elle constituerait une véri
table transaction sur procès irrévocablement acquise.
La chose jugée aurait incontestablement la même au
torité.
Tout fait donc un devoir aux assureurs de n’agir qu’a
vec la plus extrême circonspection, de ne se décider qu’après s’être livrés à toutes les investigations et pris tous
les renseignements de nature à les édifier sur la nature
et l’étendue de leurs droits ; ils doivent non seulement
user dans ce sens du délai que l’article 38$ leur donne,
mais encore en demander un second que la justice ne
leur refuserait certainement pas, s’ils justifiaient de l’in
suffisance du premier. L’assuré ne saurait raisonnable
ment s’y opposer, puisque la concession de ce nouveau
délai n’empêcherait pas d’ordonner le paiement provi
soire, et que, dans tous les cas, le cours des intérêts se
rait de droit.
ART.
1 5 6 3 . — L’irrévocabilité du délaissement acquise,
les assureurs n’ont plus qu’à exécuter le contrat par le
paiement du montant de l’assurance. Rien ne saurait
les exonérer de cette obligation, pas même le retour du
navire sujet ou porteur du risque, aux termes de l’arti
cle 385.
C’était là la conséquence de l’effet du délaissement à
l’endroit de la propriété des choses assurées. Le trans
fert qui remonte au jour du délaissement, quant à l’ac
quisition du droit, rétroagit, quant à ses effets légaux,
�472
DROIT MARITIME.
au moment même du sinistre. Tout ce qui a été fait de
puis lors, soit au navire, soit à la cargaison, l’a été pour
le compte, aux risques, péril et fortune des assureurs ;
l’accomplissement du sauvetage, la rentrée du navire ne
pouvaient faire qu’il en fût autrement. Aussi l’un et
l’autre ne conféreraient pas à l’assuré le droit de revenir
sur le délaissement ; quelque intérêt qu’il eût à le faire,
il ne le pourrait que du consentement exprès et formel
de l'assureur.
NHK»
— La règle tracée par l’article 385 ne reçoit
exception que dans une seule hypothèse, à savoir, si le
retour du navire n’était que la conséquence de la faus
seté de la nouvelle de la prise, de l’arrêt, du naufrage
ou de l’échouement avec bris, si on pouvait présumer
qu’elle puisse jamais se réaliser.
1563.
— Valin en indiquait une autre, il ensei
gnait que si le navire échappé au naufrage ou à l’échouement avec bris, ayant été réparé ou renfloué et mis en
état d’accomplir le voyage aux frais et par les soins des
assureurs, remplissait heureusement celte destination,
l’assuré pouvait être contraint à le reprendre, nonobs
tant le délaissement et sauf le règlement d’avarie. Cette
opinion, que rien ne justifie avoir été suivie sous l’em
pire de l’ordonnance, se trouverait au besoin condam
née par l’article 385 et par les motifs que nous avons
indiqués. Le délaissement accepté ou déclaré valable,
)es réparations faites par les assureurs étant exécutées
1561.
�385, 386,
473
sur une chose leur appartenant, ne sauraient changer
le sort de la propriété.
ART,
1 5 6 5 . — Ce que l’assureur doit payer à la suite et
et en exécution du délaissement, c’est le montant de la
somme assurée, si la valeur mise en risque lui est égale
ou supérieure, c’est jusqu’à concurrence de cette valeur
dans le cas contraire ; ce qu’il doit recevoir, c’est la
propriété de la chose assurée, telle qu’elle se trouve
après le sinistre. Or, il n’obtiendra même pas ce der
nier résultat, si des emprunts à la grosse, contractés
après l’assurance, viennent affecter par privilège les ob
jets délaissés.
— En présence de ce résultat on s’est de
mandé si l’assureur, pour empêcher la saisie et la vente
de la chose délaissée, remboursant les prêteurs , est au
torisé à retenir sur la somme assurée le montant de ce
remboursement.
C’est par la destination.affectée aux sommes emprun
tées que la cour de Rouen a, avec raison, résolu cette
difficulté^ Elle jugeait, le 6 février 1817, que l’assureur
n’a pas le droit d’opérer cette défalcation, lorsque les
sommes empruntées ont été employées à remédier aux
dégradations que le navire a pu subir pendant le voyage
assuré. L’emprunt, dit l’arrêt, ayant alors été contracté
pour la conservation de la chose, l'a été par conséquent
dans l’intérêt même de l’assureur.
Le bénéfice de cet arrêt ayant été invoqué dans d’au1566.
:
*
�474
DROIT MARITIME.
très circonstances, la Cour ne crut pas devoir l’accor
der ; par arrêt du 14 mai 1824, elle décide, au con
traire, que l’assureur a le droit de retenir sur l’assurance
les sommes empruntées à la grosse pour des causes an
térieures au voyage assuré, par exemple pour être em
ployées à la mise en état du navire, aux salaires dus à
l’équipage pour un voyage précédent, ou à l’achat de
provisions pour le voyage assuré.
— Il est évident, en effet, que la décision
contraire amenait à un double résultat, que les princi
pes de la matière condamnent expressément. L’assureur
ne recevait pas par le délaissement ce que la loi lui
promettait, puisque la valeur des choses assurées, telle
quelle, était encore diminuée par l’affectation privilégiée
des prêteurs, pouvant se venger sur la chose elle-mê
me du refus de paiement et la saisir même contre l’as
sureur.
D’autre part, la position de l’assuré se serait amélio
rée par l’assurance, qui ne pouvait porter que sur un
navire en état de naviguer actuellement. Supposez qu’au
moment de la police ce navire valut 50,000 fr. Cette
valeur était grevée entre les mains de l’assuré des frais
de mise en état, des salaires dus à l’équipage, du coût
des provisions nécessaires au voyage assuré. Donc, si au
lieu d’assurer, l’armateur avait vendu le navire, il au
rait retiré 50,000 fr., sur lesquels il eût été obligé de
payer ce qu’il devait lui-même. Or, comprendrait-on
qu’au moyen de l’assurance il pût être d’abord libéré de
1569.
�ART. 3 8 5 , 3 8 6 .
475
ses dettes et toucher ensuite l’intégralité de 50,000 fr.,
c’est-à-dire que l’assurance lui aurait procuré un béné
fice important et certain, ce que la loi prohibe expres
sément.
Le caractère juridique de la jurisprudence à laquelle
nous venons de faire appel ne saurait donc être mécon
nu. Elle mérite, à tous égards, d’être sanctionnée.
— Le principe que l’assureur n’est tenu que
de la valeur des effets assurés qui étaient réellement à
bord au moment du sinistre a fait naître cette difficulté :
l’assureur sur approvisionnements, avances et victuail
les peut-il défalquer de la somme assurée, dont le paie
ment lui est réclamé, la valeur des vivres consommés et
des avances gagnées au moment du sinistre ?
Le caractère de l’assurance sur vivres et avances doit
faire résoudre négativement cette question. Que les uns
soient consommés et les autres gagnées, ils n’en consti
tuent pas moins un déboursé de la part de l’assuré, et ce
déboursé se convertira en une perte réelle, si l’objet
qu’ils ont pour but de procurer n’est pas atteint.
Or, cet objet, c’est le fret, dans lequel l’assuré doit
trouver, non seulement le loyer du navire proprement
dit, mais encore le remboursement des frais pour la
nourriture et les salaires de l’équipage, au moyen du
quel le navire est exploité.
Si le fret ne doit pas être payé, parce que le navire
n’a pu, par fortune de mer, arriver à sa destination, ou
si celui à réclamer doit être délaissé, aux termes de l’ar1508.
�476
DROIT MARITIME.
ticle 386, l’assuré perdra non telle ou telle partie des
vivres et avances, mais leur totalité. Qu’importe donc
que les uns aient été consommés et les autres gagnées
dans une proportion quelconque ! Quel profit en aura
retiré l’assuré ! En cet état, le paiement fait par l’assu
reur ne sera que le remboursement d’une perte réelle.
L’assuré n’en sera pas enrichi, il ne fera que rentrer
dans ses fonds, qu’il avait exposés aux chances de la
navigation et dont le remboursement, en cas de sinistre,
a fait et pu faire la matière d’une assurance légitime.
On ne peut donc qu’applaudir à la solution dans ce
sens que consacrait la cour de Bordeaux, le 1er février
1839 L
— Mais on ne saurait donner la même ap
probation à l’arrêt que la même Cour rendait le 9 no
vembre suivant. Dans cette espèce, une somme de 4,000
fr. avait été assurée sur vivres et avances pour un voyage
de Bordeaux à Tampico.
Le navire , arrivé sans encombre à sa destination ,
touche sur la barre de Tampico. Mais la cargaison est
débarquée en entier et remise aux destinataires. Plus
tard et après le déchargement, des experts déclarent que
les réparations à faire absorberaient la valeur du navire,
qui est dès lors déclaré innavigable. L’assuré opère le
délaissement et demande paiement des 4,000 fr., mon
tant de l’assurance sur vivres et avances.
15G9.
i J. du P., 2, 4 839, 648.
�385, 38G.
477
Sur l’opposition des assureurs, cette demande est re
poussée par le tribunal de commerce de Bordeaux, sur
le motif, entre autres, que le navire étant parvenu à sa
destination et le fret ayant été acquis, le but de l’assu
rance sur vivres et avances est rempli ; que l’assuré ne
perd donc rien, et que la somme qu’il réclame consti
tuerait dès lors un véritable bénéfice.
Sur l’appel, ce jugement est réformé. Cette réforma
tion est surtout fondée sur les termes de la police ren
fermant la clause suivante : Le montant de l'assurance
est fixé à 4,000 fr., prime comprise, vaille plus, vaille
moins au moment de l'évènement, et pour tenir lieu
de capital pendant toute la durée des risques qui sont
assimilés à ceux sur corps, sans que, en cas de sinis
tre, il puisse être fait diminution pour vivres con
sommés, avances gagnées ou pour quelque cause que
ce puisse être 1.
A notre avis, cette clause, que la Cour applique dans
toute sa rigueur, ne pouvait être comprise que comme
l’avait fait le premier juge. L’assimilation à l’assurance
sur corps, la prohibition de toute diminution dans le
capital n’étaient stipulées que dans et pour l’hypothèse
d’un sinistre pendant le cours du voyage et avant l’arri
vée à destination, parce que alors, en effet, le but des
avances pour vivres et gages de l’équipage n’est pas at
teint, et que l’assuré perdrait la somme qu’il n’avait
exposée que sous la garantie de l’assurance que le na
vire arriverait au lieu du reste.
ART.
l J.
du P .,
2,4840, 389.
�478
DROIT MARITIME.
Indépendamment de ce qu’elle était seule rationnelle,
cette interprétation était en outre commandée par une
nécessité légale. L’assurance ne peut jamais devenir l’oc
casion d’un bénéfice. Toute clause ayant pour objet de
rendre la position de l’assuré, après le sinistre, plus
avantageuse que celle que lui aurait fait l’heureuse ar
rivée, est contraire à l’ordre public et atteinte d’une nul
lité viscérale et absolue.
.
V•
Or, tel est le caractère de la clause que nous exami
nons, interprétée comme le fait l’arrêt. Qu’aurait reçu
l’assuré si son navire avait franchi heureusement la
barre ? Uniquement le fret, qui l’aurait indemnisé des
dépenses pour vivres et avances. Que reçoit-il dans l’ar
rêt ? 1° le fret intégral ; 4,000 fr. Bénéfice évident :
4,000 fr., grâce au sinistre , qui fait que ce qui aurait
été une indemnité suffisante dans le cas d’heureuse ar
rivée ne doit plus être considéré comme telle.
Nous avons donc raison de le dire. Acceptée dans le
sens que lui donne l’arrêt, la clause ne pouvait être
maintenue et son exécution ordonnée que par une vio
lation des principes de la matière, que par la consécra
tion de ce que la loi a formellement prohibé.
En résumé donc, c’est par l’événement
lui-même que doit se régler le sort de l’assurance sur
vivres et avances. L’assuré n’est indemnisé des uns et
des autres que par le fret dont le cours a été établi, non
pas seulement sur la valeur vénale du navire, mais en
core en vue des dépenses que le voyage exigera. En con1590. —
�588, 386.
479
séquence, l’assurance devra sortir à effet toutes les fois
que le navire périssant en cours de voyage, l’armateur
ne peut recevoir ni exiger ce fret. Si le navire a atteint
sa destination, et que le fret ait été acquis , le risque
des vivres et avances est épuisé et le délaissement ne
peut concerner que la valeur du navire lui-même.
art.
1591. — Du principe que l’effet du délaissement
est de transférer à l’assureur la propriété des choses as
surées du jour du sinistre, il suit :
1° Que le sauvetage qui s’opère soit en vertu du man
dat légal conféré par l’article 381, soit en force du man
dat direct des assureurs, est fait pour leur compte exclu
sif. En conséquence, c’est à eux qu’il doit en être rendu
compte, entre leurs mains que le produit doit en être
versé.
Si ce produit est au pouvoir de l’assuré, celui-ci se
trouvant alors débiteur et en même temps créancier du
montant de l’assurance , il s’opère de plein droit une
compensation jusqu’à due concurrence, mais cette com
pensation ne saurait être réclamée, si le sauvetage ayant
été opéré par le correspondant de l’assuré, le produit
n’en avait pas été directement et personnellement tou
ché par celui-ci.
La raison de le décider ainsi, c’est que le correspon
dant n’a agi dans le sauvetage que comme mandataire
des assureurs et qu’il pourrait refuser d’en rendre compte
à tout autre qu’à eux ; c’est ensuite que ce compte n’est
obligatoire que lorsque le recouvrement est intégrale-
�480
DROIT MARITIME.
ment opéré, dès lors autoriser dans ce cas les assureurs
à opposer la compensation, ce serait leur permettre de
retarder le paiement de ce qu’ils doivent jusqu’à l’apu
rement du compte, et bien souvent au-delà du délai qui
leur est accordé ;
159 3. — 2° Que l’assureur est subrogé à tous les
droits de l’assuré, sur et à l’occasion des choses délais
sées ; il peut donc seul exercer désormais toutes les ac
tions que le propriétaire primitif aurait pu faire valoir.
Ainsi, l’indemnité dont la prise ou l’arrêt peut deve
nir l’occasion appartient à l’assureur, il peut, non seu
lement la réclamer directement dès qu’elle est consacrée
en principe, mais encore compenser sur le montant de
l’assurance celle que l’assuré aurait retirée, ou se faire
restituer tout ce qu’il aurait touché à ce titre depuis le
règlement de l'assurance.
Ainsi, encore, si les marchandises capturées, payées
par l’assureur, étaient plus tard introduites en France,
il serait seul recevable à exercer le droit de revendica
tion autorisé par la déclaration de 1638. La cour d’Aix
a déclaré que cet exercice est admissible même au cas où
celui qui a introduit les marchandises en France serait
étranger et aurait ignoré qu’elles fussent françaises et
déprédées sur des Français, et alors encore que le navire
sur lequel elles étaient primitivement chargées aurait
fait naufrage l.
�385, 386.
481
1593. — Mais si l’assureur est subrogé aux droits
de l’assuré, il l’est également à toutes ses obligations, le
délaissement ne lui transmet la propriété que telle que
ce dernier l’aurait possédée lui-même, c’est-à-dire gre
vée de toutes les charges qu’elle peut avoir contractées
pendant le voyage assuré. Il est donc substitué à tous
les engagements contractés, soit envers les chargeurs,
soit envers les prêteurs à la grosse pour radoub ou né
cessités du navire.
Mais en passant de l’assuré aux assureurs, ces obli
gations ne perdent rien de leur caractère spécial et dis
tinctif, elles ne sont garanties que sur et par le navire
lui-même. Dès lors, l’abandon qui en serait fait dans
les conditions de l’article 216 libérerait l’assureur com
me il aurait libéré le propriétaire lui-même.
ART.
1594. — Cet abandon par l’assureur est-il receva
ble envers le prêteur qui a fourni des fonds pour le ra
doub du navire à la suite du sinistre qui a motivé le
délaissement.
On a objecté, à l’appui de la négative, que ce radoub
constituait dans ce cas une opération de sauvetage ; que
puisque celui-ci s’opérait pour le compte et aux frais de
l’assureur, celui-ci devait être intégralement tenu d’en
rembourser le coût.
Mais on a répondu avec raison que cette conclusion
ne serait légitime que si le prêteur ou le capitaine em
prunteur avait agi en vertu d’un mandat exprès et for
mel des assureurs ; puisque, dans le cas contraire, ils
iv — 31
�DROIT MARITIME.
482
ne sont tenus des frais que jusqu’à concurrence de la
valeur des effets recouvrés, il ne saurait être qu’à leur
insu les assureurs répondent d’une dépense qu’ils n’au
raient peut-être pas autorisée, et qui viendrait accroître
la perle qu’ils subissent par l’effet du délaissement.
L’absence du mandat des assureurs, de l’existence
duquel le prêteur aurait dû exiger la preuve, le rendrait
donc passible des effets de l’abandon, à moins que les
assureurs n’eussent ratifié ce qui avait été fait sans leur
autorisation. Cette ratification résulterait de la réception
du navire après le radoub, et de l’exploitation ou de la
vente qu’eri aurait faite les assureurs.
Mais s i, étranger à la réparation , ils l’ont été à la
disposition ultérieure du navire ; si, comme dans une
espèce jugée par la cour d’Àix, le prêteur qui a pourvu
aux réparations du navire en a disposé, l’a envoyé dans
un port de son choix où il l’a fait vendre et en a retiré
le prix, à quel titre viendrait-il réclamer des assureurs
ce qui peut lui rester dû au-delà de ce prix? Une pré
tention de ce genre ne serait ni recevable, ni fondée.
L’assureur qui de bonne foi, après le délaissement, a
payé à l’assuré la somme portée dans la police, qui
ne s’est pas immiscé dans la disposition du navire, ne
saurait jamais être tenu au-delà de la valeur de ce na
vire L
1595. — L’assuré sur corps, en délaissant le na1 Cass., 27 décembre 1-830.
�vire, devait-il abandonner le fret qu’il avait pu gagner
pendant le voyage, et celui que devait payer les mar
chandises sauvées ?
L’ordonnance de 1681 avait omis de résoudre cette
question, et ce silence avait fait surgir de graves diffi
cultés. La jurisprudence les avait tranchées contre les
assureurs et en faveur des assurés.
Yalin formulait énergiquement les plaintes que celte
jurisprudence avait soulevées, il enseignait que la solu
tion contraire était seule juste, seule conforme aux prin
cipes de l’assurance. La sollicitude du gouvernement
ainsi provoquée, les amirautés furent consultées. Emérigon nous a transmis l’avis que donna celle de Mar
seille en 1778.
Deux questions étaient posées : 1° Le nolis des mar
chandises sauvées doit-il être délaissé aux assureurs sur
corps ? 2° Doit-on leur délaisser non seulement le nolis
des marchandises qui se trouvaient à bord au moment
du sinistre, mais encore le nolis perçu pendant le voyage
et avant le sinistre? Après une longue discussion sur
cette dernière, l’amirauté les résolut toutes les deux par
l’affirmative K
Cet avis ne fut pas admis entier par le législateur,
l’article 6 de la déclaration du 17 août 1779 disposa :
que le fret acquis de pourra faire partie du délaissement
s’il n’est expressément compris dans la police d’assu
rance ; que le fret à faire appartiendra aux assureurs
i Valia, art. 45 et 47, tit. des Assur.; Emérigon, chap. 47, sect. 9
�484
DROIT MARITIME.
comme faisant partie du délaissement, s’il n’y a clause
contraire dans la police d’assurance, sans préjudice tou
tefois des loyers des matelots et des contrats à la grosse
avanture, à l’égard desquels les dispositions de l’ordon
nance de 1681 continueraient d’être exécutées.
Il n’y eut donc que le fret non encore acquis qui
dut être délaissé, et encore était-il libre aux parties de
stipuler le contraire. Cette solution soulevait une autre
difficulté non moins grave. Devait-on considérer comme
acquis le fret déclaré tel à tout événement, et se dispen
ser, contrairement à l’opinion de Valin, de le délaisser
alors même que les marchandises qui en étaient le su
jet se trouvaient à bord au moment du sinistre ?
1 5 9 6 . — Tel était l’état de la législation lorsque la
refonte de nos lois commerciales fut projetée et s’accom
plit. Le projet du Code de commerce imitait le silence
gardé par l’ordonnance de 1681, mais les inconvénients
de ce silence étaient fortement signalés par la commis
sion de commerce de Lorient, qui proposait de déclarer
qu’en cas de délaissement, non seulement le corps du
navire, mais encore le fret ou nolis des marchandises
sauvées, et même celui perçu d’avance ou non perçu,
feraient partie du délaissement.
Cette proposition donna naissance à l’article 386 qui
ne l’accueille pas en totalité, puisqu’il restreint la néces
sité du délaissement au fret des marchandises sauvées.
1599. — Doit-on considérer comme sauvées, dans
�le sens de la loi, les marchandises débarquées én cours
de voyage, et dès lors contraindre l’assuré à en délaisser
le fret ? La Cour de cassation a repoussé cette interpré
tation, et déclaré que cette expression, marchandises
sauvées indiquait que le législateur n’a eu en vue que
le fret de celles qui, exposées au sinistre, ont échappé à
ses effets, elle a en conséquence jugé que le fret des
marchandises déchargées en cours de voyage et dans les
divers lieux d’échelle appartient exclusivement à l’as
suré, qui ne pouvait être contraint à le délaisser ’.
Les circonstances que nous venons d’indiquer justi
fient la légalité de cette décision. L’intention du législa
teur d’exclure du délaissement le fret acquis pendant le
voyage, est clairement démontrée par son refus de sanc
tionner la proposition de décider le contraire. Sans
doute notre article ne dit plus, comme la déclaration de
1779, que ce fret sera retenu par l’assuré, mais il s’a
gissait non de déterminer ce que celui-ci pouvait con
server, mais ce qu’il était seulement tenu de délaisser.
Il est évident dès lors que tout ce qui n’est pas indiqué
est nécessairement exclu.
Cette exclusion du fret acquis est un avantage consi
dérable pour l’assuré ; les déchargements avant le sinis
tre peuvent avoir fait disparaître la plus grande partie
des marchandises, il retirera donc dans ce cas l’intégra
lité de la somme assurée et le fret presque total du voya
ge assuré, mais il faut dire, avec Emérigon, le pacte est
i 24 décembre 4825.
�486
DROIT MARITIME.
légitimé par ie législateur, dont on peut d’autant moins
contester le droit à cet égard que l’assurance a parmi
nous quelque chose du droit civil. Toutes les fois que
les lois du royaume autorisent l’assuré à exiger quelque
chose au-delà du risque, le contrat vaut, non comme
assurance, mais comme gageure autorisée par le prince l.
159 8. — Il n’y a donc de fret dispensé du délais
sement que celui perçu pour marchandises réellement
déchargées avant le sinistre, et qui ne sont plus à bord
au moment où il se réalise. On ne saurait donc appli
quer cette dispense ni au fret payé d’avance avec inter
diction de le répéter dans aucun cas, ni à celui qui au
rait été stipulé acquis à tout événement. L’un et l’autre
devraient faire partie du délaissement, mais dans la pro
portion seulement de la marchandise sauvée du nau
frage. Si tout a péri, les assureurs n’ont rien à préten
dre, et l’assuré n’est pas obligé de faire le délaissement
du fret, son contrat avec le chargeur est à l’égard des
assureurs res inter altos acta, ils ne seraient ni rece
vables, ni fondés à en revendiquer le bénéfice.
Ainsi que l’observait Valin, l’existence d’un contrat de
ce genre est dans le cas de nuire aux assureurs. L’in
terdiction de réclamer le fret payé d’avance, ou l’obli
gation de le payer quoiqu’il arrive, aura, dans bien des
circonstances, déterminé l’armateur à fixer ce fret à un
taux inférieur à celui du jour. Les assureurs, s’ils ne
�385, 386. .
487
peuvent réclamer que ce taux, ne recevront pas ce qu’ils
auraient reçu, si l’assuré eût moins cédé à son intérêt
personnel.
Valin trouvait donc qu’il serait injuste de faire courir
la chance de perte à ceux qui ne sauraient jamais pro
fiter de la chance de bénéfice équivalente. Il enseignait,
en conséquence, que le fret à délaisser devait être cal
culé non au taux du contrat, mais au cours de la place
au jour du départ. Cette doctrine, équitable et ration
nelle, n’a trouvé aucune contradiction ni en doctrine,
ni en jurisprudence.
Quel est le fret à délaisser, lorsque après déclaration
d’innavigabilité de son navire, le capitaine en a loué un
autre qui a reçu la cargaison et l’a heureusement transe
portée à sa destination ?
La question ne saurait offrir un intérêt quelconque
lorsque le fret du second navire est supérieur à celui du
premier. Dans ce cas, en effet, l’armateur ne recevant
rien, n’a évidemment rien à délaisser.
Mais dans l’hypothèse d’une différence en moins en
tre les deux frets, cet armateur reçoit plus qu’il ne
donne, puisque nous avons vu que les chargeurs
en recevant leurs marchandises , sorit tenus d’en
payer le fret au taux convenu dans la charte partie du
premier navire l, quel que soit le profit qui en résulte
pour l’armateur.
Celui-ci pourra-t-il donc, en opérant le délaissement,
ART.
i V. Supra, n» 773.
�488
DROIT MARITIME.
retenir ce profit, et ne tenir compte aux assureurs que
du fret inférieur du second navire ?
L’affirmative blesserait, à notre avis, tous les princi
pes. Elle ne pourrait être acceuilli que si en fait et en
droit, l’affrètement du premier navire avait été rompu
de manière que le contrat de remplacement dût être con
sidéré comme un contrat nouveau complètement indé
pendant du premier, sans corrélation entre eux.
Or, si les chargeurs sont obligés de payer intégrale
ment le fret primitif, c’est parce que c’est le contraire
qui se réalise ; que le premier affrètement n’est pas
rompu par l’innavigabilité du navire; que le navire loué
en remplacement continue le voyage de l’ancien, si bien
que si la cargaison vient à périr avec celui-ci, il n’est
rien dû au premier capitaine, pas même au prorata du
fret proportionnel à la distance parcourue du lieu du
départ au port de la déclaration d’innavigabilité.
Il serait étrange que l’armateur q u i, pour se faire
payer des chargeurs, est obligé de le soutenir ainsi, pût
opposer le contraire aux assureurs. Ce qui est vrai pour
les premiers ne l’est pas moins pour le second et l’ar mateur qui, dans le premier cas, en profile, ne saurait
être ni recevable ni fondé à en répudier les conséquen
ces par l’unique raison qu’elles lui sont contraires dans
le second.
Si de ce point de vue rationnel on recourt aux prin
cipes spéciaux de l’assurance, l’absence de tout fonde
ment à la prétention de l’armateur est plus évidente en
core. Il est incontestable que le délaissement fait et
�ART. 385, 386.
489
accepté, la chose assurée devient la propriété exclusive
des assureurs. Sans doute l’assureur sur corps n’a rien
à prétendre sur la cargaison, mais le fret à payer par
celle-ci s’en distingue et ne saurait être confondu avec
elle, il s’incorpore au navire. Voilà pourquoi notre ar
ticle 386 impose l’obligation de le comprendre dans le
délaissement et en attribue la propriété à l’assureur.
Or, les marchandises ne payent le fret que si elles
sont sauvées. Donc, si celles chargées sur le navire loué
en remplacement et arrivées à destination, doivent non
pas seulement le fret acquis à ce navire, mais celui qui
était convenu avec le navire devenu innavigable, ce
n’est et ne peut être que parce qu’elles ont été sauvées
du sinistre auquel celui-ci a succombé. Dès lors le fret
n’est que la conséquence du sauvetage, et tout ce qui
est payé à ce titre appartient désormais aux assureurs.
L’effet du délaissement remonte au jour même du si
nistre. Comment dès lors l’armateur qui a perdu la pro
priété de son navire pourrait-il s’attribuer le produit
dont ce navire pourra être susceptible depuis et après
l’événement.
Une pareille prétention n’a donc aucun fondement et
c’est avec raison que, par jugement du tribunal de
commerce de Nantes, du 7 juillet 1866, elle a été con
damnée et repoussée.
Les armateurs du navire Georges, dont la cargaison
avait été amenée à Marseille par la Ville-de-Lima, qui
avaient fait condamner les chargeurs à leur payer le
fret de 117 fr. 50 c. par tonneau, ayant fait le délais-
�-490
DROIT MARITIME.
sement de leur navire, n’avaient tenu compte aux asassureurs que du fret de 60 fr. par tonneau payé à la
Ville-de-Lima.
Actionnés en paiement de la différence, ils soutenaient
le mal fondé de la demande. Leur défense consistait
à prétendre que les assureurs n’avaient aucun droit à
leur demander compte du produit du fret depuis que les
marchandises avaient été chargées sur le second navire,
dans d’autres limites que celles qui avaient été conve
nues avec le capitaine de celui-ci ; qu’ainsi que le dé
cidait l’arrêt d’Aix de 1859, la différence en moins était
une prime, une rémunération acquise au capitaine du
premier navire en récompense des dangers qu’il avait
courus à l’occasion du sauvetage de la cargaison et des
soins qu’il s’était donnés pour la faire arriver.
Cette prétention est repoussée et la demande des assu
reurs accueillie et consacrée. Après avoir constaté l’obli
gation du capitaine de louer un autre navire, et celle
des chargeurs de payer non le fret dû à celui-ci, mais
celui stipulé avec le navire déclaré innavigable, le tri
bunal de Nantes ajoute :
« Attendu qu’il résulte de ces diverses dispositions lé
gales et de leur application à la cause actuelle que les
marchandises prises à la côte de Coromandel par le
Georges, déchargées et bénéficiées à Maurice, sont des
marchandises sauvées ; qu’elles ont été rechargées au
lieu de ce sauvetage dans un autre navire, et qu’étant
arrivées à Marseille, leur port de destination , elles de
vaient y payer et qu’elles y ont payé, en effet, la tota-
�ART. 38b, 386.
491
Iité du fret stipulé entre les chargeurs à la côte de Co
romandel et le capitaine du Georges, c’est-à dire 117 fr.
50 c. par tonneau ;
« Que vainement Simon et Moussiou objectent, pour
justifier leur résistance à la demande des assureurs sur
corps du navire Georges, que ce contrat d’affrètement
stipulé à la côte Coromandel aurait été rompu à Mau
rice par suite de la condamnation du Georges ; que le
contrat intervenu entre le capitaine Leborgne et le capi
taine du navire la Ville-de-Lima serait un contrat
nouveau , complètement indépendant du premier,
sans corrélation entre eux, étranger aux assureurs sur
corps du Georges ; de telle sorte que le bénéfice à ré
sulter de ce nouveau contrat devrait’être recueilli par
eux, les armateurs payés de leur navire délaissé, ou
par le capitaine à leur profit personnel et à titre de pri
me d’encouragement et de récompense ;
« Attendu, au contraire, que l’affrètement à Maurice
de la Ville-de-Lima a été une conséquence directe et
obligatoire, pour le capitaine Leborgne, des connaisse
ments qu’il aurait signés à la côte Coromandel, et de la
condamnation du Georges à l’île Maurice ;
« Que ces connaissements et le déchargement des
marchandises qui en faisaient l’objet dans le navire la
Ville-de-Lima sont des faits tellement liés entre eux,
sont tellement une conséquence l’un de l’autre, que les
risques souscrits par les assureurs de ces marchandises
n’ont pas cessé d’exister depuis la côte Coromandel jus
qu’à Marseille, sans aucune interruption ni solution de
�492
DROIT MARITIME.
continuité, à bord du second navire comme à bord du
premier ; que si le second navire se fût perdu avec sa
cargaison avant son arrivée à Marseille, celte cargaison
n’eût dû payer aucun fret, pas même le prorata de
29 fr. 37 c. par tonneau pour la distance parcourue
par le Georges, la ventilation faite par l’expert à Mar
seille n’ayant eu lieu uniquement qu’afin de fournir aux
arbitres, qui lui avaient confié cette mission, un élé
ment qui pouvait devenir nécessaire pour régler les ques
tions soulevées par les destinataires et les assureurs de
cette gargaison ;
« Attendu que Simon et Moussiou, en repoussant de
vant les arbitres de Marseille la fausse interprétation de
l’article 393 du Code de commerce, invoquée par les
destinataires et les assureurs de- cette cargaison, n’ont
pu toucher le fret de 117 fr. bO c. par tonneau stipulé
à la côte Coromandel qu’en invoquant eux-mêmes les
principes dont les assureurs sur corps du Georges leur
demandent aujourd’hui l’application ;
« Attendu qu’il n’existe aucune disposition dans la
loi qui attribue à l’armateur ou au capitaine d’un na
vire une prime quelconque d’encouragement ou de ré
compense pour l’accomplissement des devoirs qui leur
sont imposés par elle, et spécialement, dans l’espèce
actuelle, aux capitaines, par les articles 296 et 391 du
Code de commerce ; aux assurés, par l’article 20 de
l’imprimé de la police qui stipule que : « soit que l’as
suré ait fait le délaissement ou non, et sans préjudicier
à ses droits, il demeure tenu de veiller à la salvation et
�art.
385, 386.
493
à la conservation des objets assurés, et il est autorisé à
les faire bénéficier, recharger sur un ou plusieurs navi
res, etc... » disposition qui est aussi bien applicable à
la conservation des dépendances du navire, dont le fret
fait partie, qu’aux marchandises assurées ;
« Attendu que Simon et Moussiou, qui ont été rem
boursés de la valeur totale de leur navire le Georges,
par le paiement des 70,000 fr. assurés, ^ui ont fait à
leurs assureurs le délaissement de ce navire avec toutes
ses dépendances, y compris le fret, qui ont reçu pour le
fret 117 fr. S0 c. par tonneau, sous déduction des
60 fr, par tonneau payés au capitaine de la Ville-deLima, qui ont en outre fait assurer séparément ce même
fret, et qui ont touché le montant de cette assurance,
ne peuvent être fondés à aucun titre à réaliser un nou
veau bénéfice, que rien ne saurait justifier, sur le sau
vetage de ce même fret du Georges, pas plus qu’ils ne
le seraient à retenir le produit net du sauvetage du corps
de ce navire »
Nous ignorons si ce jugement est devenu l’objet d’un
appel. Nous ne serions nullement étonnés qu’on s’en
fût abstenu. Le caractère juridique de ses motifs est tel,
qu’il ne permettait pas d’espérer une réformation.
— Nous avons vu que la déclaration de
1779, en comprenant le fret à faire dans les choses à
délaisser, permettait aux parties de stipuler le contraire;
1599.
Journal de Marseille 4867
�494
DROIT MARITIME.
mais une faculté de ce genre pouvait-elle se concilier
avec les principes essentiels de l’assurance ? Ne faisaiton pas du contrat un moyen pour l’assuré de se procu
rer un bénéfice?
C’est ce que les auteurs du Code paraissent avoir ad
mis en ne consacrant pas la disposition de la déclaration
de 1779. La doctrine est à peu près unanime pour faire
résulter de leur silence la prohibition de toute déroga
tion à l’article 386.
Seuls, MM. Pardessus et Dageville ont pensé le con
traire. Ils reconnaissent cependant combien une déroga
tion de ce genre est nuisible pour l’assureur. Mais, di
sent-ils, la stipulation d’une prime plus forte compense
ce que la chance de l’assureur a de moins favorable et
rétablit l’égalité du contrat.
— Si cet argument était sérieux, il n’est plus
de pacte, pas même celui d’une simple gageure, qui ne
pût être justifié. Il est évident, en effet, que l’absence
d’un risque déterminera toujours une prime plus forte,
puisque ce ne pourrait être qu’en vue d’un bénéfice im
portant à réaliser que l’assureur se déciderait à courir
la chance contraire.
Rien, au point de vue de l’intérêt particulier des par
ties, ne faisait un devoir de prohiber une pareille tran
saction. Mais, nous l’avons déjà dit, ce qui a surtout
préoccupé le législateur dans l’assurance, c’est la consêrvation, c’est le développement de l’institution elle1580.
�art.
385 , 386 .
495
même; l’un et l’autre se seraient trouvés gravement com
promis, le jour où l’égalité dans le contrat aurait pu ré
sulter uniquement du taux de la prime ; de ce jour-là,
en effet, l’assurance n’était plus qu’un jeu établi sur les
chances de la navigation, au lieu de l’être sur la hausse
ou la baisse des marchandises.
L’intérêt public protestait contre un pareil état des
choses qui devait ruiner les assureurs et tarir les res
sources que leur industrie sagement dirigée offre au
commerce maritime. C’est cette direction éclairée que le
législateur a voulu assurer, même en dépit des actes
contraires que les assureurs voudraient consentir et con
sentiraient en effet.
Ainsi le fret des marchandises sauvées appartient à
l’assureur, en cas de délaissement, au même titre que
le corps du navire lui-même. Il est aussi impossible à
l’assuré de stipuler valablement qu’il retiendra le pre
mier, qu’il le serait de convenir qu’il ne sera pas obligé
d’abandonner le second. Dans l’un comme dans l’autre
cas, sa position après le sinistre serait améliorée, il au
rait donc tout intérêt à ce qu’il se réalisât. La consécra
tion de cet intérêt serait une immoralité et un danger
qui doivent la faire énergiquement proscrire.
— Mais le risque qui ne peut être valable
ment amoindri peut toujours être aggravé. L’article 386
est donc susceptible d’être modifié en ce sens. En con
séquence, la clause par laquelle l’assuré se soumettrait
à délaisser, le cas échéant, même le fret acquis, serait
,1581.
�DROIT MARITIME.
496
obligatoire et devrait sortir son plein et entier effet. Rien
ne saurait légalement s’y opposer.
1583. — Le délaissement transfère la propriété des
choses assurées à tous les assureurs indistinctement et à
chacun en proportion de la somme par lui garantie. Le
produit du sauvetage se distribue dans la même propor
tion et au marc le franc.
Si toutes les polices réunies présentent un chiffre
d’assurances supérieur à la valeur du risque, les plus
récentes doivent être ristournées, aux termes de l’arti
cle 359.
Si la somme assurée est inférieure à la valeur, l’assuré
n’est tenu de délaisser qu’une somme équivalente, il con
serve la propriété de l’exédant formant son découvert,
jusqu’à concurrence duquel il est admis dans la distri
bution du produit du sauvetage.
Fnfin, si ce découvert a été affecté à des emprunts à
la grosse, le prêteur vient en concours avec les assu
reurs. Les bases de ce concours sont celles établies par
l’article 331.
— L’article 386 , qui réserve le droit des
prêteurs à la grosse, en agit de même pour les mate
lots. Pour ces derniers, néanmoins, il ne s’agit pas d’un
simple concours, mais d’un prélèvement de tout ce qui
leur est dû, de prérence aux assureurs ; c’est également
ce qui se réaliserait pour les sommes prêtées à la grosse
158*.
�ART, 385, 386,
4,97
pendant le voyage assuré et pour les nécessités du na
vire.
1 5 8 4 . — Les matelots peuvent-ils avoir action sur
le fret acquis, et les assureurs qui les auraient désinté
ressés pourraient-ils exercer celte action comme subro
gés à leurs droits.
La question ne saurait naître que pour les matelots
engagés au voyage, puisqu’aux termes de l’article 260,
les matelots engagés au fret ne sont payés que sur le
fret, à proportion de celui que reçoit le capitaine. Leur
droit sur le fret acquis serait donc incontestable, mais
il ne pourrait jamais être exercé que contre l’armateur,
les assureurs n’ayant et ne devant jamais rien toucher
de ce fret.
Pour les matelots engagés au voyage, M. Pardessus
résout affirmativement la question que nous venons de
poser, dans le cas de la clause autorisant l’assuré à re
tenir le fret des marchandises en la supposant licite.
L’assureur, dit-il, pourrait répéter les sommes par lui
payées sur le fret retenu par l’assuré, car, quoique les
matelots aient privilège à la fois sur les débris et sur le
fret, néanmoins, le paiement de leurs loyers étant un
engagement personnel de l’armateur, celui-ci doit être
tenu de ce paiement sur le fret qu’il s’est réservé avant
que l’assureur puisse être tenu sur les débris qui lui
sont abandonnés K
1 N» 852.
iv — 32
�498
DROIT MARITIME.
Nous venons de voir que la clause supposée par
M. Pardessus serait illégale et nulle, et, dès lors, la dif
ficulté qu’il prévoit ne saurait même être supposée.
Dans tous ces cas, nous croyons que son opinion est
repoussée par l’article 259. Il résulte , en effet, de sa
disposition que les matelots ne peuvent recourir sur le
fret des marchandises sauvées que subsidiairement et
dans les cas où les débris ne suffiraient pas pour les dé
sintéresser. Le propriétaire de ces débris est donc le dé
biteur principal, d’où la conséquence qu’en payant en
cette qualité, l’assureur éteint sa propre dette et n’a ja
mais pu obtenir une subrogation quelconque.
Article
387.
En cas d’arrêt de la part d’une puissance, l’assuré est
tenu de faire la signification à l’assureur dans les trois
jours de la réception de la nouvelle.
Le délaissement des objets arrêtés ne peut être fait
qu’après un délai de six mois de la signification, si
l’arrêt a eu lieu dans les mers d’Europe, dans la Médi
terranée ou dans la Baltique ;
Qu’après le délai d’un an, si l’arrêt a eu lieu en pays
plus éloigné.
Ces délais ne courent que du jour de la signification
de l’arrêt.
�art .
387, 388.
499
Bans le cas où les marchandises arrêtées seraient pé
rissables, les délais ci-dessus mentionnés sont réduits à
un mois et demi pour le premier cas ; à trois mois pour
le second cas.
Article 388.
Pendant les délais portés par l’article précédent, les
assurés sont tenus de faire toutes diligences qui peuvent
dépendre d’eux, à l’effet d’obtenir la main-levée des ef
fets arrêtés.
Pourront, de leur côté, les assureurs, ou de concert
avec les assurés, ou séparément, faire toutes démarches
à même fin.
SOMMAIRE
1585. Motifs qui devaient faire suspendre la faculté de délaisser
dans le cas d’arrêt de prince.
1586. Durée du délai. Son caractère.
1587. Obligalion pour l’assuré de signifier l’arrêt dans les trois
jours de. la réception de la nouvelle.
1588. Conséquences du défaut de signification.
1589. Effet du délai accordé par l’article 387 sur celui de l’arti
cle 373.
1590. Obligation pour l’assuré de faire toutes les diligen
ces qui dépendent de lui pour obtenir la main-levée de
l’arrêt.
1591. Véritable portée de l’article 388.
�500
DROIT MARITIME.
1592. Pourquoi ce qui est un devoir pour l’assuré n’est qu’une
faculté pour l’assureur.
1593. Caractère de cette faculté. Conséquences pour l’assuré.
1594. Effets des démarches, suivant qu’elles ont ou non réussi.
Indemnité due à l’assuré.
1585.
— L’arrêt de prince, qu’il émane d’une puis
sance étrangère ou du gouvernement lui-même après le
départ du navire, est une cause de délaissement, cepen
dant cette mesure ne pouvait être en tous points assimi
lée à la perte. De nature temporaire, elle peut être levée
sur réclamations ou justifications. Il eût donc été rigou
reux de lui attribuer les mêmes effets qu’aux autres cau
ses de délaissement, qu’au naufrage, qu’à l’échouement
avec bris, qu’à la perte des trois quarts.
A. ce point de vue, un délai pendant lequel l’exercice
de la faculté de délaisser serait suspendu, était com
mandé par le juste intérêt des assureurs ; mais on ne
pouvait, dans sa détermination, oublier ce que de son
côté exigeait le caractère de l’opération, le besoin natu
rel du commerce ; le sort d’une spéculation dépend bien
souvent de sa prompte liquidation, retarder celle-ci est
souvent remplacer par une perte le bénéfice qui aurait,
dans le cas contraire, soldé l’opération.
— C’est ce double intérêt qu’il importait de
concilier, et c’est cette conciliation que s’est proposé l’ar
ticle 387. S’il s’agit d’une cargaison ordinaire, la faculté
de délaisser est suspendue pendant six mois, si l’arrêt a
1586.
�lieu dans les mers d’Europe, dans la Méditerranée ou
dans la Baltique ; pendant un an, s’il se réalise dans
des pays plus éloignés. Ce délai n’est plus que d’un mois
et demi dans le premier cas ; de trois mois dans le se
cond, si les marchandises assurées sont périssables de
leur nature.
L’obligation de calculer la durée du délai sur les dis
tances était imposée par l’objet que se propose ce délai.
Il n’est accordé que pour mettre les parties intéressées à
même de faire disparaître l’obstacle qui s’oppose à la li
bre navigation du navire, dès lors, il est évident que
plus la distance à laquelle il faudra agir sera considéra
ble, et plus le délai devait être prolongé, à moins de
vouloir rendre illusoire et impossible le but qu’on se
proposait. Or, c’est ce qui se réalisera souvent dans la
dernière hypothèse, car trois mois pour le plus long dé
lai ne suffiront pas pour faire même parvenir sa récla
mation. Mais l’intérêt même des assureurs commandait
cette restriction, de quelle utilité pouvait leur être un
délai qui n’aurait pas eu d’autre résultat que d’empê
cher le délaissement avant l'entière destruction des mar
chandises devant en faire la matière.
IS S 1? . — L’objet de la suspension rend également
raison de l’obligation imposée à l’assuré. Autant et plus
que lui, les assureurs sont intéressés à la main-levée de
l’arrêt. Il était donc rationnel de les mettre à même de
prendre à cet effet toutes les mesures de nature à la dé
terminer. Or, bien souvent, non seulement le nom des
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assureurs, mais encore l’existence de la police est un
mystère pour le capitaine, ce n’est donc pas à eux que
la nouvelle de l’arrêt arrivera directement.
Il faut donc que l’armateur, que le chargeur, à la ré
ception de cette nouvelle, la communique aux assureurs.
Cette communication doit être faite dans les trois jours
de la réception, soit par une signification extrajudiciaire,
soit par une déclaration de l’assureur en constatant la
réalisation.
— Comme le délai est surtout dans l’intérêt
des assureurs, il importait de le leur assurer intact dans
tous les cas. L’assuré pouvait avoir intérêt à délaisser,
et, dans cette hypothèse, il n’eût pas manqué de dimi
nuer les chances d’une main-levée, en ne signifiant la
nouvelle que tardivement. La loi a coupé court à toute
velléité de ce genre, en ne faisant courir le délai qu’elle
accorde que du jour de cette signification. Celui-là donc
qui se sera abstenu de la faire immédiatement n’aura
que prolongé le temps pendant lequel il lui est prohibé
d’agir.
Est-ce là l’unique sanction pénale dont soit susceptible
l’inobservation de l’obligation formelle de signifier dans
les trois jours ? Se prononcer pour l’affirmative serait, à
notre avis, déserter l’idée qui a fait prescrire cette obli
gation. Supposez que l’assuré ait un intérêt à ce que la
main-levée ne soit pas prononcée, le simple retard mis
dans la signification lui assurera ce résultat. Le moment
favorable pour la faire ordonner aura été perdu, et les
1588.
�503
assureurs seront contraints d’accepter un délaissement
qu’ils auraient pu éviter.
Il nous semble donc que la justice exigerait qu’on les
dédommageât du préjudice que le retard inconcevable
de l’assuré leur aurait occasionné. La preuve que si la
signification avait été faite en temps utile la main-levée
aurait été obtenue, devrait non seulement faire condam
ner l’assuré à des dommages-intérêts, mais encore faire
repousser le délaissement.
— Le délai accordé par l’article 587 n’a au
cune influence sur celui dans lequel le délaissement doit
être réalisé aux termes de l’article 373. Ce n’est même
qu’à l’expiration du premier que court celui-ci. La pres
cription n’atteint que la négligence. Or, il n’en existe
aucune de la part de celui qui ne s’est abstenu d’agir
que parce que la loi lui prohibait la faculté de faire au
trement : Contra non valentem agere, non currit près1389.
criptio.
Le délai de l’article 387 suspend donc le cours de
celui de l’article 373. L’expiration du premier, mettant
en demeure d’user de la faculté de faire le délaisse
ment, oblige, sous peine de déchéance, de le réaliser
avant celle du second. Mais on n’est pas tenu de le faire
avant.
— Le but de l’article 387, tel que nous l’a
vons indiqué, donnait naturellement naissance à la dis
position de l’article 388. Puisqu’un délai est accordé
1590.
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ARÏ. 387, 588.
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droit maritime.
pour parvenir à faire cesser l’obstacle qui retient le na
vire, fallait-il bien que les parties intéressées se livras
sent aux démarches nécessaires dans cet objet.
L’assuré pouvait avoir intérêt au maintien d’une me
sure lui promettant le bénéfice du délaissement. Cette
éventualité devait frapper l’esprit du législateur, et est
devenue la cause de l’obligation formelle qu’il a consa
crée : L’assuré est tenu de faire toutes les diligences qui
dépendent de lui, à l’effet d’obtenir la main-levée des
effets arrêtés.
— Pour bien saisir la partie réelle de celte
disposition, il faut jeter un coup d’œil sur la discussion
législative qui précéda sa consécration.
L’ordonnance de 1681, titre des Assurances, renfer
mait dans son article 51 une disposition que la commis
sion du Code s’était appropriée, et qui est devenue l’ar
ticle 388. Valin concluait de ses termes que l’assuré ne
pouvait attaquer les assureurs, après le délai, qu’en
prouvant ses diligences pendant la durée de ce délai.
Est-ce là,ce que voulait le Code? Mais dans ce cas,
disaient les tribunaux et conseils de commerce de Caen
et de Saint-Malo, l’obligation imposée aux assurés pré
sente de grands inconvénients. Un marchand de Rouen
a fait assurer des savons ou des cotons venant de Mar
seille ; le navire est arrêté par des corsaires des puissan
ces barbaresques ; comment concevoir que ce marchand
puisse faire des diligences à Alger ou à Tunis pour ob
tenir la main-levée ; cependant, si l’article subsistait, il
1591.
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504
�ART. 3 8 7 , 3 8 8 *
305
ne pourrait faire le délaissement qu’il n’eût justifié de
ces diligences.
« Nous n’avons pas besoin, répondait la commission,
de faire sentir la justesse de cette observation. Cepen
dant l’ordonnance consacrait cette disposition, mais il
parait que les usages du commerce ont introduit des dé
rogations, surtout pour le cas dont il s’agit.
« L’ordonnance, en faisant cette injonction à l’as
suré, ne l’a point rendue absolue, puisqu’elle ne pro
nonce aucune peine ; elle a seulement voulu que l’as
suré ne négligeât aucun des moyens qui peuvent tendre
à la conservation de la chose, car s’il n’y avait pas d’as
sureur, il serait obligé de faire ses diligences pour la
main-levée.
« Nous croyons que l’ordonnance n’a eu d’autre but
que de dire à l’assuré : S’il est en votre pouvoir d'ob
tenir la restitution des objets arrêtés, faites pour l’as
sureur ce que vous auriez fait pour vous-même, afin
de conserver le gage commun l.
Dans tous les cas, voilà la pensée du Code, et le com
mentaire le plus explicite de l’article 388 ; l’obligation
de l’assuré est plutôt morale qu’effective ; il doit n’épar
gner aucune des démarches qu’il est dans le cas de réa
liser, mais non se livrer à celles dont l’insuccès serait
la conséquence presque assurée des difficultés qu’elles
offraient pour lui.
i Locré,
Esprit du Code de commerce, a rt. 388.
�306
DROIT MARITIME.
— Ce qui est un devoir pour l’assuré, n’est
plus qu’une faculté pour les assureurs ; il est cependant
certain que ceux-ci sont beaucoup plus intéressés à ob
tenir la main-levée qui doit rendre le délaissement imposible.
C’est cette certitude qui explique que le législateur se
soit contenté de leur concéder une pure et simple fa
culté. Il a pensé avec raison que le zèle des assureurs
n’avait nul besoin d’être stimulé. Le désir d’échapper
aux effets du délaissement était un sûr garant qu’ils
n’omettraient rien de ce qui pouvait amener ce résultat.
On pouvait donc s’abstenir de leur en faire un de
voir. Si l’article 388 s’occupe d’eux, c’est uniquement
pour prévenir une difficulté que leur intervention pou
vait susciter, on aurait pu prétendre que, ne devenant
propriétaire que par le délaissement, ils n’avaient au
cune qualité pour agir tant que ce délaissement n’avait
pas été réalisé. C’est même sur ce défaut de qualité qu’on
s’étayait pour justifier l’obligation d’agir qui était faite à
l’assuré.
Quoiqu’une objection de cette nature ne fût pas dans
le cas d’être accueillie, il était sage de l’empêcher mê
me de se produire en la condamnant. C’est ce que l’or
donnance d’abord, et le Code ensuite, n’ont pas man
qué de faire.
1593.
— Les assureurs ont donc la faculté de pren
dre directement toutes les mesures pouvant déterminer
la main-levée de l’arrêt ; d’agir concurremment avec
1593.
�387, 388.
507
l’assuré ; de suppléer à l’inaction forcée ou volontaire
de celui-ci. Cette faculté n’est pas sans utilité pour l’as
suré lui-même. Au reproche qui lui serait fait de s’être
abstenu, il pourrait répondre à l’assureur qu’il est d’au
tant moins admissible à s’en plaindre, qu’autorisé à
agir autrement, il pouvait et devait prendre de son côté
toutes les mesures que commandait la circonstance.
Mais cette réponse ne saurait être admise dans toutes
les circonstances et sans distinction. Il est telles justifi
cations que l’assuré peut seul faire facilement et d’une
manière sûre. Supposez que l’arrêt du prince ne fût
motivé que sur des doutes sur la nationalité du navire,
ou sur la provenance de la cargaison, qui mieux que
l’assuré sera en position d’éclaircir ces doutes, de les
dissiper ?
Ici l’inaction serait bien voisine de la fraude. On pour
rait ne l’attribuer qu’à l’intérêt que l’assuré doit trouver
dans le délaissement, et dans le désir d’en acquérir la
faculté par l’expiration du délai ; on devrait donc l’ap
précier sévèrement.
Nous estimons donc que l’assuré qui, instruit des
causes de l’arrêt, ne se serait pas empressé de transmet
tre à l’autorité des pièces qui devaient les faire disparaî
tre, ou qui, sommé de le faire, ne les aurait pas remi
ses aux assureurs, devrait être puni de cette inaction ;
que cette peine pourrait aller jusqu’à faire repousser le
délaissement ultérieur signifié.
ART.
1594.
— Si les démarches isolées ou combinées de
�508
DROIT MARITIME.
l’assuré et des assureurs n’aboutissent à aucun résultat,
le délaissement peut être fait, soit après le délai de l’ar
ticle 387 , soit avant l’expiration de celui de l’arti
cle 373.
Si elles ont déterminé la main-levée de l’arrêt, le con
trat reprend son empire et doit recevoir dans l’avenir
sa pleine et entière exécution.
Dans ce second cas, l’assuré doit être indemnisé des
pertes et détériorations que le retard du voyage a pu faire
souffrir aux choses assurées, et des frais que lui ont
coûté les formalités remplies pour obtenir la main-levée
de l’arrêt. Les uns et les autres sont considérés comme
avaries à la charge des assureurs.
Dans l’hypothèse de l’insuccès, le délaissement indem
nise l’assuré des pertes et détériorations, il n’aura donc
rien à exiger à l’égard des unes ou des autres, mais les
frais faits pour obtenir la main-levée seraient réputés
frais de sauvetage et devraient, par conséquent être rem
boursés par les assureurs. C’est surtout ce résultat qui
pourrait, dans certaines circonstances, rendre l’inaction
de l’assuré inexcusable.
Article
389.
Le délaissement, à titre d’innavigabilité, ne peut être
fait, si le navire échoué peut être relevé, réparé et mis
�en état de continuer sa route pour le lieu de sa desti
nation .
Dans ce cas, l’assuré conserve son recours sur les as
sureurs pour les frais et avaries occasionnés par l’échouement.
SOMMAIRE
Intérêts qu’affecte l'innavigabilité. Droits de l’assuré sur
corps. A quelles conditions peut-il les exercer.
Ancienne législation sur le relèvement et la réparation du
navire.
Projet du Code. Débats qu’il souleva.
Solution admise par l’article 389.
Innavigabililé résultant de l’impossibilité de se procurer
sur le lieu les matériaux, les ouvriers ou les fonds né
cessaires.
Si l’armateur est présent sur les lieux, et en mesure de
fournir aux réparations, il doit en faire l’avance.
Examen d’un arrêt de Paris indiqué par M. Dalloz, com
me jugeant le contraire.
Il y a innavigabilité, lorsque la réparation exigerait un
temps considérable ou une dépense excessive, eu égard
à la valeur du navire.
Résumé.
— L’innavigabilité du navire affecte deux
intérêts parfaitement distincts : celui de l’assuré sur
corps, celui de l’assuré sur facultés. La différence dans
ces intérêts permettait d’en admettre une dans les ré
sultats.
1505.
�510
DROIT MARITIME.
Pour le propriétaire du navire, l’échouement avec bris
est une cause de délaissement, parce qu’il aura pour
conséquence l’innavigabililé du navire. Aussi est-ce pour
cette raison qu’on exige que le bris porte sur les parties
essentielles du navire, et présente une certaine gravité,
à défaut, nous l’avons déjà rappelé, l’échouement serait
réputé pur et simple et le droit au délaissement subor
donné à l’innavigabilité.
Or, celle-ci n’existera réellement que si le navire ne
peut être relevé et réparé. Si cette double opération est
possible, si elle permet au navire d’achever son voyage,
pourquoi autoriser le délaissement? Il n’y a plus alors de
sinistre majeur, il ne s’agit que d’une avarie dont l’in
demnité, à la'charge des assureurs, désintéresse complè
tement l’assuré.
Telle est l’économie de l’article 389, dont les termes,
inspirés par les difficultés auxquelles les précédentes lé
gislations avaient donné lieu, sont, à l’endroit de ces lé
gislations, un véritable progrès.
— L’ordonnance de 1681 avait même gardé,
sur ce point, un silence absolu. Si on ajoute qu’en énu
mérant les causes de délaissement elle rangeait dans
cette catégorie l’échouement sans distinction, on com
prendra la nature des obstacles contre lesquels les assu
reurs avaient à lutter pour faire repousser le délaisse
ment., dans le cas où, après échouement simple, le
navire aurait pu être relevé, réparé et mis en état d’at
teindre le lieu de sa destination.
1596.
�ART. 389.
514
La déclaration d’août 1779 voulut mettre un terme
aux plaintes fondées des assureurs. Elle disposa donc,
dans son article 5 : Ne pourront aussi être admis, les
assurés, à faire le délaissement du navire qui aura
échoué, si ledit navire, relevé, soit par les forces de
son équipage, soit par les secours empruntés, a conti
nué sa route jusqu'au lieu de sa destination.
Le remède était plutôt apparent que réel, il n’en lais
sait pas moins les assureurs à la discrétion de l’assuré.
L’intérêt que celui-ci pouvait avoir à user de la voie du
délaissement, il trouvait facilement à le satisfaire en ne
faisant pas relever le navire, ou en l’arrêtant après l’a
voir relevé, en se plaçant ainsi en dehors des conditions
exigées par la loi. C’est ce qui fît encourir à la déclara
tion de 1779 le reproche, que lui faisaient toutes les
places de commerce, de faciliter le délaissement dans le
seul intérêt de l’assuré.
1597.
— C’est pourtant la disposition de la décla
ration de 1779 que la commission s’était contentée d’in
sérer dans le projet du Code ; mais, ramenée par les
justes observations des cours et tribunaux, par celles no
tamment de la cour de Rouen et du tribunal de com
merce du Hâvre, elle avait admis une première modi
fication, consistant à déclarer le délaissement irreceva
ble si le navire relevé avait pu continuer sa route.
Ce n’était pas encore assez, car l’assuré conservait la
liberté de ne pas faire relever le navire. Pourquoi d’ail
leurs ne pas faire ù l’égard de cette condition ce qu’on
�512
DROIT MARITIME.
admettait pour la seconde, c’est-à-dire s’en référer à la
possibilité qui enlevait à l’assuré l’appréciation absolue
de l’opportunité du renflouage ?
Pourquoi encore considérer, comme une impossibilité
de continuer le voyage, la nécessité d’une réparation que
l'écbouement avait rendue indispensable ?
— Ces considérations, justement appréciées
par le conseil d’Etat, amenèrent la consécration de l'ar
ticle 389, tel qu’il figure dans le Code. Il n’y a innavi
gabilité autorisant le délaissement que si le navire n’a
pu être relevé, réparé et mis en état de terminer le voya
ge. Peu importe qu’il l’ait été ou non. La preuve seule
qu’il aurait pu l’être, fournie par les assureurs créerait
un invincible obstacle à tout délaissement.
Cette preuve résulterait-elle de ce que en fait le na
vire échoué a pu être et a été renfloué et est arrivé plus
tard dans un port français ?
C’est par les circonstances spéciales et par la nature
des moyens à l’aide desquels ce résultat a été obtenu que
celte question doit se résoudre, et à ce sujet les tribu
naux apprécient souverainement.
Evidemment l’article 389 entend parler d’un ren
flouement pouvant s’opérer par les moyens ordinaires
et sans que le navire ait trop souffert puisqu’il exige
non seulement que ce navire ait été renfloué, mais en
core mis en état de continuer sa route pour le lieu de
sa destination.
Il ne peut donc s’agir d’un renflouement et d’une ré
1598.
�paration tels quels, qui, après avoir consommé un temps
considérable et exigé un travail long et pénible, n’avaient
abouti qu’à donner un navire usé jusqu’à la corde et qui
n’aurait pu arriver au port qu’il a atteint que traîné à
la remorque par un autre navire.
Si le temps est précieux pour les chargeurs, il ne l’est
pas moins pour les armateurs. L’impossibilité de navi
guer dans laquelle se trouve le navire leur cause un pré
judice journalier considérable, et si elle se prolonge, la
perte des produits équivaudra bientôt à la perte du ca
pital lui-même, et c’est ce qui arriverait infailliblement
si, à la perte de temps considérable qu’a exigé le ren
flouement, venait se joindre la nécessité d’un délai in
déterminé pour les réparations indispensables pour la
mise en état du navire.
Il est vrai que si, comme nous le dirons bientôt, les
frais du renflouement et des réparations absorbaient la
valeur du navire, le délaissement trouverait son fonde
ment dans l’innavigabilité relative du navire, mais la
police d’assurance peut légalement avoir exclu celle-ci,
et dans ce cas on comprend l’intérêt de notre question
et de sa solution.
C’est dans cette dernière hypothèse que la cour d’Aix
avait à l’apprécier dans l’espèce suivante :
Le vapeur la Ville-de-Bône avait été assuré pour la
somme de 160,000 fr., la police n’autorisait le délais
sement que dans le cas d’innavigabilité absolue et de
perte totale.
Ce navire échoue, le 4 mars 1865, sur la côte de l’île
iv — 33
�f .•
514
T
DROIT MARITIME.
de Tabarque. Des experts chargés de le visiter consta
tent qu’il repose sur des blocs de rocher qui l’avaient
défoncé en plusieurs endroits ; que l’avant seul était in
tact et qu’il ne pourrait être renfloué que par des moyens
puissants.
Les assurés signifient le délaissement, les assureurs le
contestent. Ils soutiennent que le navire peut être utile
ment renfloué et obtiennent l’autorisation d’accomplir
eux-mêmes cette opération.
Quatre mois s’étant écoulés en inutiles efforts, les as
surés renouvelèrent le délaissement et le tribunal de com
merce le déclara dès à présent admis, si le navire n’é
tait pas conduit dans un port avant le 15 août lors pro
chain.
Les assureurs émirent appel. Dans l’intervalle, et le
3 septembre, le navire traîné par un remorqueur entrait
dans le port de la Seyne.
Armés de la clause de la police, les assureurs soutien
nent de plus fort qu’il n’y avait pas l'in navigabilité ab
solue à laquelle cette clause subordonnait le délaisse
ment et concluent au rejet de celui qui leur avait été
signifié, mais par arrêt du 9 novembre 186S, cette pré
tention est rejetée et le délaissement validé.
Après avoir rappelé et constaté les faits que nous ve
nons d’exposer, la cour d’Aix se pose la question de
savoir s’il en résulte eu non une innavigabilité absolue,
et sur ce :
« Attendu que les experts, chargés de visiter le navire
après l’échouement, ont constaté qu’il reposait sur des
�ART. 3 8 9 .
515
blocs de rocher qui l’avaient défoncé en plusieurs en
droits ; que l’avant seul était intact ; et qu’il ne pourrait
être renfloué que par des moyens puissants ;
« Attendu que les assureurs, travaillant eux-mêmes
à ce renflouement, n’ont pu l’opérer qu’après cinq à six
mois d’inutiles efforts ; que le navire échoué le 3 mars
n’a été amené dans le port de la Seyne à l’aide d’un
remorqueur que le 3 septembre suivant ; qu’il est cer
tain qu’il ne pourra reprendre la mer qu’après une
nouvelle perte de temps occasionnée par l’étendue des
dommages qu’il a souffert et l’importance des répara
tions auxquelles il devra être soumis,
« Attendu que ces difficultés, ces retards, ce long dé
lai nécessaires pour que le navire puisse être remis à
flot, en un mot, toutes ces conséquences de l’échouement ne sont pas dues à des circonstances particulières
et locales dans lesquelles le capitaine se serait trouvé, ce
qui ne constituerait qu’une innavigabilité relative, mais
qu’elles tiennent, au contraire, à la gravité même du si
nistre, et qu’elles ont placé le navire, par rapport à l’as
suré, dans un véritable état d’innavigabilité absolue. »
Les assureurs se pourvurent en cassation. Ile repro
chaient à la cour d’Aix d’avoir violé: 1° les articles
369, 371 et 389 du Gode de commerce, 1134 du Code
civil, en ce que l’in navigabilité dont était frappé le na
vire n’était pas l’innavigabilité absolue qui seule, d’après
la convention des parties, pouvait donner lieu au dé
laissement ; 2° l’article 390 du Code de commerce, en
�SI 6
DROIT MARITIME.
ce que l’innavigabilité n’avait pas été régulièrement cons
tatée et déclarée.
Mais la Cour suprême rejette le pourvoi par arrêt du
6 mai 1867, disposant en ces termes :
« Sur la première branche ;
« Attendu qu’en l’absence d’untexte de loi qui ait fixé
les caractères de l’innavigabilité absolue de nature à au
toriser le délaissement, la solution de cette question dé
pend des circonstances de fait qu’il appartient aux juges
du fond d’apprécier souverainement ;
« Attendu que l’arrêt attaqué constate que le navire
la Ville-de-Bône reposait sur des blocs de rocher qui
l’avaient défoncé en plusieurs endroits ; que l’avant seul
était intact, et qu’il ne pourrait être renfloué que par
des moyens puissants ; qu’après cinq mois d’inutiles ef
forts, le navire a pu être renfloué, et qu’il est certain
qu’il ne pourra reprendre la mer qu’après une nouvelle
perte de temps ; qu’en concluant de tous ces faits à l’in
navigabilité absolue du navire, l’arrêt attaqué n’a pas
violé les articles invoqués par le pourvoi ;
« Sur la deuxième branche :
« Attendu qu’aucun texte de loi n’impose aux juges
de recourir à une expertise pour constater l’innavigabilité d’un navire, alors que celle innavigabililé leur est
démontrée par des documents acquis dans la cause; que
le renflouement du navire opéré avant l’arrêt attaqué
faisait d’autant moins disparaître l’innavigabilité, que le
navire échoué n’a pu, ainsi que le constate l’arrêt, être
ramené dans le port qu’à l’aide d’un remorqueur ; que
�ART. 381).
pour avoir, dans ces circonstances, jugé qu’il y avait
lieu de valider le délaissement de la Ville-de-Bône,
l’arrêt attaqué n’a contrevenu à aucune des dispositions
du Code de commerce invoquées par les demandeurs l. »
Ces deux monuments de jurisprudence précisent et
fixent la véritable portée de l’article 389. La possibilité
de relever le navire qui fait obstacle au délaissement ne
peut s’entendre que d’une opération pratiquable par les
voies ordinaires, qui n’est pas dans le cas d’exiger des
dépenses et une perte de temps considérables. Les as
sureurs repoussant le délaissement, alors même que la
police n’admet que l’innavigabilité absolue, sont obligés
de prouver que le renflouement peut être ou a été fait
dans ces conditions, dont l’appréciation rentre dans le
pouvoir souverain des tribunaux.
1 5 9 9 . — A défaut de clause excluant l’in naviga
bilité relative, les assureurs doivent prouver, outre que
le navire a pu être relevé, réparé et mis en état de con
tinuer sa route, que le lieu dans lequel le navire s’était
échoué offrait tous les moyens nécessaires pour l’exécu
tion des réparations commandées par l’état du navire.
L’absence de ces moyens constituerait une impossibilité
relative, dont l’assuré ne pourrait être victime. C'est là,
en quelque sorte, une nouvelle fortune de mer, une vé
ritable force majeure, dont il ne pouvait raisonnable
ment répondre,
¥
J. du P ., 1867, 1044.
�518
DROIT MARITIME.
Aussi, la doctrine a-t-elle de tout temps unanimement
enseigné qu’on doit assimiler à l’innavigabilité absolue
celle qui serait reconnue lorsque, le navire matérielle
ment réparable, les moyens d’exécuter la réparation
n’ont pu être fournis sur les lieux.
C’est ce que la jurisprudence a également consacré.
Ainsi, il a été maintes fois jugé qu’il y a innavigabilité
autorisant le délaissement, non seulement lorsque le
navire éprouve, par fortune de mer, des avaries non
susceptibles d’être réparées, mais encore lorsque les
avaries ne peuvent être réparées parce que le capitaine
ne trouve pas, dans le lieu où il aborde, soit les maté
riaux, soit les ouvriers, soit l’argent nécessaires pour
mettre le navire en étal de reprendre la mer ; que le
capitaine qui justifie avoir usé de tous les moyens pos
sibles pour emprunter à la grosse sans pouvoir réussir,
a pu se dispenser de se faire autoriser à emprunter 1.
— L’impossibilité d’emprunter à la grosse
devrait-elle être admise si l’armateur, présent sur la lo
calité, était en mesure de faire face aux dépenses de la
réparation ? La vente ordonnée, sur son refus d’y pour
voir, par l’autorité compétente pour innavigabilité, au
toriserait-elle le délaissement ?
Le tribunal de commerce de Marseille, par jugement
du 5 octobre 1830, avait consacré la négative. Il avait,
1600.
1 Paris, 27 novem bre 1841 ; Bordeaux, 15 novem bre 1842 ; J. du P.,
�319
en conséquence, repoussé le délaissement que le prêteur
sur corps offrait aux assureurs, sous le rapport de l’in—
navigabilité du navire.
Sur l’appel, les parties convinrent de s’en référer à
des arbitres ; MM. Dessoliers père, Emérigon et Alexan
dre Paul reçurent la mission de prononcer. Ces trois ju
risconsultes distingués furent unanimes pour la confir
mation du jugement. Ils déclarèrent que l’impossibilité
de trouver à emprunter à la grosse, pour payer les ré
parations , ne pouvait être , dans l’espèce , considérée
comme une cause d’innavigabilité, puisque l’armateur
était sur les lieux avec une cargaison d’entrée, ou son
produit, et qu’il devait faire face aux dépenses L
AHT, 3 8 9 .
«►
1601. — M. Dalloz indique comme décidant le
contraire un arrêt de Paris, du 6 décembre 1848. Mais
les faits n’étaient plus les mêmes. Dans cette dernière
espèce, l’armateur n’était pas sur les lieux, il n’y avait
pas même des fonds suffisants, puisque son intérêt dans
,1a cargaison ne représentait qu’une somme de 23,200 fr.
et que les réparations avaient été évaluées à 36,584 fr.
Les assureurs excipaient même de cette insuffisance
qu’ils imputaient à faute à l’assuré, obligé, disaient-ils,
de faire trouver au lieu du reste les fonds nécessaires
aux réparations. Le rejet de cette prétention, en pre
mière instance et en appel, amenait comme conséquence
la validité du délaissement2.
i Journal de Marseille, 1 .12, 1, 128
9 D. P , 49, 2, 213.
�S iO
DROIT MARITIME.
Il est vrai qu’au nombre de leurs motifs, le jugement
et l’arrêt invoquent le principe que l’assuré ne peut être
tenu de préserver, aux dépens de sa fortune de terre,
les risques de mer qu’il a fait assurer. Mais l’application
de ce principe était-elle opportune et légale ?
Il ne s’agissait pas, dans l’espèce, d’un paiement à
faire par l’assuré d’une somme excédant la valeur du
navire, et de nature à compromettre sa fortune de terre.
L’avance qu’il aurait faite était remboursable non seu
lement en capital, mais encore en intérêts. Il n’était
donc exposé à aucune perle.
La nécessité de cette avance résultait de la qualité
même de l’assuré, véritable mandataire des assureurs,
chargé de prendre dans leur intérêt toutes les mesures
que leur absence et leur ignorance forcée leur rend per
sonnellement impossibles. Elle résulte, si non du texte,
au moins de l’esprit de la loi. Si elle autorise à emprun
ter pour subvenir aux réparations, c’est qu’elle s’est
placée dans l’hypothèse la plus ordinaire, la plus pré
sumable, celle de l’absence de l’armateur du lieu où doi-«
vent s’exécuter les réparations, de l’impossibilité d’y faire
trouver les fonds suffisants. Mais le contraire se réali
sant, comment douter de son intention de contraindre
l’armateur à devenir son propre prêteur, en présence du
pouvoir conféré au capitaine d’emprunter sur la cargai
son elle-même. Si la chose des tiers peut être affectée,
n’est-il pas rationnel d’en conclure à fortiori, que celle
de l’armateur lui-même doit l’être avant tout et par pré
férence.
�589.
521
Nous pensons donc, avec le tribunal de Marseille, que
l’armateur présent sur les lieux et en position de four
nir aux réparations est tenu de le faire. La doctrine con
traire annulerait le bénéfice que l’article 389 a conféré
aux assureurs, en laissant l’assuré libre de rendre le
délaissement inévitable.
ART.
1 6 0 3 . — L’obligation de réparer le navire lorsqu’il
peut l’être, et que la localité én fournit les moyens, re
çoit exception lorsque le coût des réparations excéderait
ou égalerait la valeur du navire remis en état. Loin
d’être avantageuse aux assureurs, une réparation exécu
tée dans ces circonstances leur serait préjudiciable. Elle
aurait les inconvénients du délaissement sans en offrir
l’avantage, puisqu’elle coûterait autant que celui-ci, sans
la compensation telle quelle que peut présenter le pro
duit des débris du navire.
Aussi, n’a-t-on jamais hésité en doctrine et en juris
prudence. Le délaissement est admissible toutes les fois
que la réparation du navire exigerait un temps considé
rable ou des dépenses excessives eu égard à sa valeur l.
C’est ce principe qui a donné naissance à la jurispru
dence que nous avons déjà rappelée, à savoir, que le
capitaine qui, dans ces circonstances, ferait procéder à
la réparation, commettrait une faute engageant sa res
ponsabilité 2.
1 Cass., 14 ju in 1832.
s Voy. supra n° 454.
�322
DROIT MARITIME.
L’innavigabilité du navire, qu’elle soit absolue ou re
lative, n’en arrive pas moins au même résultat. Le na
vire qui en est atteint n’en est pas moins dans l’impos
sibilité de naviguer et par conséquent de continuer ou
de suivre le voyage. Il ne reste donc plus que des maté
riaux pouvant avoir une certaine valeur, mais il n’y a
plus de navire et dès lors la recevabilité du délaissement
ne saurait être douteuse, à moins que le contraire n’ait
été formellement stipulé dans la police d’assurance.
En effet, les dispositions de l’article 369 ne sont pas
d’ordre public, et il peut y être valablement dérogé, mais
il faut que la dérogation soit expresse. Celle qui aurait
pour objet un des cas qui y sont prévus resterait sans
influence sur les autres.
Ainsi la Cour de cassation jugeait, le 19 juillet 1864,
que l’innavigabilité relative d’un navire, par suite de
fortune de mer, à raison des dépenses nécessaires pour
sa remise à flot, en ce que, par exemple, ces dépenses
dépasseraient les trois quarts de la valeur du navire,
peut être admise comme une cause suffisante de délais
sement, bien que dans la police il ait été stipulé par
dérogation à l’article 369 du Code de commerce, que
le délaissement des objets assurés ne pourrait être fait
pour détérioration allant aux trois quarts.
La cour de Paris l’ayant ainsi admis, son arrêt était
attaqué pour violation des articles 369 du Code de com
merce et 12 de la police d’assurance. Mais la Cour su
prême repousse ce reproche et rejette le pourvoi. Elle
�389,
523
considère que l’article 369 admet au nombre des cas de
délaissement l’innavigabilité par fortune de mer et la
détérioration des objets assurés si la détérioration ou la
perte va au moins aux trois quarts ; que de l’article 12
de la police il appert que les parties ont dérogé à l’ar
ticle 369 précité, mais seulement en ce point que le dé
laissement ne pourra être fait dans le cas de détériora
tion des effets assurés allant au moins aux trois quarts;
mais qu’elles ont au contraire entendu maintenir ledit
article 369 dans ses autres dispositions, et, par consé
quent, dans celle qui admet le délaissement pour cause
d’innavigabilité soit absolue, soit relative par suite d’une
fortune de mer ; que l’arrêt attaqué, en induisant l’in
navigabilité de cette circonstance que les dépenses né
cessaires pour réparer le navire excéderaient les trois
quarts de sa valeur, n’a pas pour cela fait revivre au
préjudice des assureurs les dispositions de l’article 369,
auxquelles l’article 12 de la police avait formellement
dérogé ; qu’il n’a pas pris la détérioration jusqu’à con
currence des trois quarts de la valeur assurée pour cause
exclusive et nécessaire du délaissement ; mais qu’il l’a
rappelée comme l’un des éléments destinés à apprécier
l’étendue de la détérioration qui, dans l’espèce, avait
rendu le navire innavigable K
Le caractère rationnel et juridique de cet arrêt ne
saurait être ni méconnu, ni contesté. D’abord nous au
rions hésité à appliquer l’article 12 de la police à l’asART.
i J. du P., 1864, 1147.
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524
D R O IT M A RITIM E.
surance du navire. Lorsque les assureurs arrêtent les
clauses de leurs polices, ils les calculent en vue de ce
qui se pratique le plus souvent. On pouvait donc croire
que l’article Ti’avait en vue que les effets et mar
chandises. Pour ceux-ci, en effet, Içt détérioration mê
me des trois quarts diminue d’autant leur valeur, mais
ne la fait pas évanouir complètement.
Il n’en est pas de même des navires, si le coût des
dépenses qu’en exige la réparation atteint les trois quarts
et détermine l’in navigabilité,- le navire est totalement
perdu pour son propriétaire qui ne peut plus l’appli
quer à la navigation, alors la cause du délaissement est,
non pas la détérioration en elle-même , mais l’innavbgabilité relative dont elle est un des éléments. Dès lors,
les clauses de la police , relativement à l’une , ne sau
raient régir l’autre.
Pourrait-on les invoquer en cas d’innavigabilité ab
solue ? Pourquoi donc serait-on recevable à le faire en
cas d’innavigabilité relative ? Dès que celle-ci est en tout
assimilable à celle-là, elle doit nécessairement en pro
duire tous les effets..
Dans tous les cas, les cas de délaissement prévus par
l’article 369 sont parfaitement distincts. Qu’ils soit per
mis de déroger à ses dispositions, c’est admis, mais il
est évident que la dérogation constituant une exception,
est de droit étroit et doit se renfermer strictement dans
les termes de sa stipulation.
Ainsi, déroger à l’un des cas, ce n’est pas déroger à
l’autre. C’est, au contraire, comme le dit la Cour de
.
�ART. 3 8 9 .
525
cassation, maintenir celui-ci, précisément parce que,
pouvant le faire, on n’y a pas dérogé. Or, si cette dé
rogation était utile pour l’un elle ne l’était pas moins
pour l’autre, et son absence en ce qui concerne ce der
nier place les choses sous l’empire de la règle : Exclusio
unius fit inclusio atterius.
— En résumé, l’assuré sur corps est receva
ble à délaisser en cas d’innavigabilité. Celle-ci est ab
solue, lorsque le navire ne peut être ni relevé ni réparé.
Elle est relative lorsque le navire, pouvant être relevé
et réparé, il est impossible de pourvoir à la réparation
par le défaut absolu, soit d’argent, soit de matériaux,
soit d’ouvriers Capables. Enfin, lorsque la réparation,
pratiquable sous tous les autres rapports, serait de na
ture à consommer un temps considérable, ou exigerait
une dépense excessive, eu égard à la valeur du navire.
L’absence d’innavigabilité absolue ou relative ne don
nerait lieu qu’à un règlement d’avaries.
4603.
Article 3 9 0 .
Si le navire a été déclaré innavigable, l’assuré sur
chargement est tenu d’en faire la notification dans le
délai de trois jours de la réception de la nouvelle.
�826
D R O IT M A RITIM E.
A r ticle 3 9 1 .
Le capitaine est tenu, dans ce cas, de faire toutes di
ligences pour se procurer un autre navire, à l’effet
de transporter les marchandises au lieu de leur desti
nation.
A r tic le 3 9 2 .
L’assureur court le risque des marchandises char
gées sur un autre navire, dans le cas prévu par l’ar
ticle précédent, jusqu’à leur arrivée et leur décharge
ment.
A r tic le 3 9 3 .
L’assureur est tenu en outre des avaries, frais de dé
chargement, magasinage, rembarquement, de l’excé
dant du fret et de tous autres frais qui auront été faits
pour sauver les marchandises jusqu’à concurrence de la
somme assurée.
A r ticle 3 9 4 .
Si, dans les délais prescrits par l’article 387, le capi
taine n’a pu trouver de navire pour recharger les mar-
�chandises et les conduire au lieu de leur destination,
l’assuré peut en faire le délaissement.
SO M M A IRE
1604. Caractère de l’innavigabilité à l'égard des chargeurs.^Con
séquences.
1605. Urgence de la nécessité de se procurer un autre navire.
Motifs qui ont fait donner cette mission au capitaine.
Nature de cette mission.
1606. L’article 391 n’exclut pas le concours ni l’action directe
des assureurs.
1607. Obligation de l’assuré de notifier la nouvelle de la décla
ration d’innavigabilité dans les trois jours de la récep
tion. Délai pendant lequel le délaissement ne peut être
fait.
1608. Caractère de la nullité du délaissement fait avant l'expi
ration de ce délai. Qui peut l’invoquer ?
1609. Effet de l ’expiration relativement à l’assuré.
1610. Les assureurs garantissent le risque sur le navire subs
titué.
1611. Frais qui sont à leur charge.
1612. La clause franc d’avaries ne les délierait pas de cette obli
gation.
1613. Peuvent-ils, en cas de sinistre ultérieur, défalquer ces
frais du montant de l’assurance ?
1614. Effet de l’impossibilité de trouver un autre naviré.
1604.
— Nous venons de dire que l’innavigabilité
du navire survenue pendant le voyage affecte l’intérêt
des chargeurs, elle peut, pour eux aussi, rendre irréa
lisable le but que s’est proposé l’assurance, à savoir,
�528
D R O IT M ARITIM E.
l’arrivée à destination des effets qui en font la matière.
Mais ce qui est un obstacle invincible pour le navire
peut n’être qu’un retard pour la cargaison, il convenait
dès lors d’adopter dans ce cas la mesure qu’on venait
de consacrer dans celui de l’arrêt de prince.
— Il est évident que ce qui est véritablement
urgent, en cas d’innavigabilité du navire porteur du ris
que, est de s’en procurer un autre pour opérer le trans
port des effets assurés à leur destination. La première
question à résoudre était donc de savoir à qui on im
poserait ce devoir. Le projet du Code proposait de le
confier à l’assureur et à l’assuré. Sur les observations
de quelques tribunaux on désigna le capitaine.
Une pareille mission ne pouvait être utilement con
fiée qu’à quelqu’un qui, forcément présent sur le lieu
du sinistre, était à même de la remplir immédiatement.
Avant que l’assureur et l’assuré fussent instruits de l’é
vénement avant qu’ils fussent en mesure d’agir, l’occa
sion pouvait être perdue sans chance de la retrouver plus
tard.
Le capitaine n’a pas seulement la faculté de procurer
un autre navire. La loi lui en impose le devoir formel,
il est, quant à ce, mandataire légal de l’assureur et de
l’assuré en même temps. La négligence qu’il mettrait à
s’acquitter de cette obligation, l’omission, à plus forte
raison, engagerait formellement sa responsabilité sur
tout envers le premier, dont elle pourrait singulièrement
aggraver la position.
1605.
�L’assureur, en effet, répond de tous les frais que le
remplacement de navire est dans le cas d’occasionner.
Nous allons voir la loi mettre à sa charge les avaries,
les frais de magasinage notamment. Or les unes peuvent
s’aggraver par les retards, les autres en deviennent plus
considérables. L’auteur de ce double préjudice serait
donc légitimement condamné à le réparer, il en serait
de même du renchérissement du fret occasionné, soit
par les circonstances, soit par le départ de plusieurs na
vires que le capitaine aurait pu utiliser.
1 6 0 6 . — La disposition de l’article 391, absolue
en ce qui concerne le capitaine, n’est pas l’exclusion de
l’intervention des assureurs, ceux-ci sont toujours libres
d’agir directement et de choisir le navire à bord duquel
les marchandises doivent être transportées. Les motifs
qui ont fait élire le capitaine, tels que nous venons de
les exposer, n’ont rien qui puisse autoriser une sembla
ble exclusion.
Une preuve plus explicite encore résulterait de la dis
position de l’article 390, prescrivant à l’assuré de signi
fier à l’assureur la nouvelle de l’innavigabilité déclarée
dans les trois jours de sa réception. Sans doute cette si
gnification a pour objet de préciser le point de départ
du délai pendant lequel la faculté de faire le délaissement
est suspendu, mais à quoi bon la détermination de ce
point de départ au jour de la signification, si ce n’était
pour que les assureurs eussent toute la latitude désirable
pour agir par eux-mêmes.
iv — 34
�530
D R O IT M ARITIM E.
Il semble en effet que puisqu’on a imposé au capi
taine le devoir de se procurer un autre navire, puisqu’il
est à même de le remplir au moment même de l’événe
ment, on aurait pu faire courir le délai de faveur du jour
même de cet événement.
Toutefois, le consacrer ainsi, c’était livrer les assu
reurs à la discrétion du capitaine, dont la position peut
ne pas offrir des garanties suffisantes à l’endroit de la
responsabilité que sa négligence lui ferait encourir. De
telle sorte que les assureurs auraient pu perdre le béné
fice du délai, avant d’avoir pu utilement se défendre
contre une inaction pour la réparation de laquelle ils
n’auraient qu’un recours illusoire.
On s’est donc bien gardé de s’exposer à un tel incon
vénient, et puisque dans l’intérêt des assureurs un délai
était indispensable avant d’autoriser le délaissement, il
fallait les mettre à même d’en recueillir le profit, alors
même que le mandataire qui leur était imposé se serait
soustrait au devoir qui lui est prescrit.
— De là la nécessité pour l’assuré de notifier
la déclaration d’innavigabilité dont il a été avisé.
À compter du jour de cette signification, les assu
reurs ne peuvent être contraints à accepter le délaisse
ment avant six mois, si l’innavigabilité a été déclarée
dans les mers d’Europe, dans la Méditerranée ou dans
la Baltique ; avant un an, si le navire se trouve en pays
]plus éloignés, conformément à l’article 387, auquel l’ar1609.
�ART. 3 9 0 , 3 9 1 , 3 9 2 , 3 9 3 , 3 9 4 .
531
ticle 394 se réfère purement et simplement ; ce délai
n’est que d’un mois et demi ou de trois mois, si les mar
chandises sont d’une nature périssable.
Dans tous les cas, l’assuré doit remplir l’obligation de
notifier qui lui est imposée. Indépendamment de la pro
longation du délai qui naîtrait de la signification tar
dive, il pourrait être tenu, en cas de négligence, du pré
judice que cette négligence serait dans le cas d’occasion
ner au point de vue surtout des frais que l’article 393
met à la charge des assureurs.
1 0 0 8 . — Le délaissement fait avant l’expiration du
délai serait nul et sans effets, le capitaine qui aurait com
mis cette irrégularité serait tombé dans la faute qualifiée
baraterie de patron, dont les assureurs ne répondent que
s’ils l’ont expressément garantie.
Mais cette nullité n’est pas absolue, le délai étant sur
tout dans l’intérêt des assureurs, rien ne saurait s’oppo
ser à ce qu’ils en répudiassent le bénéfice, eux seuls ont
donc le droit de se prévaloir de la nullité qui serait dé
finitivement couverte par l’acceptation formelle ou tacite
qu’ils feraient du délaissement.
Les assureurs peuvent donc dispenser l’assuré de l’ob
servation des dispositions de notre article, mais cette fa
culté ne saurait jamais aller jusqu’à autoriser de con
traindre ce dernier à réaliser le délaissement en dehors
des délais qui y sont mentionnés. Indépendamment de
ce qu’il lui est loisible dans tous les cas d’opter pour un
�S3“2
rm oiT m a r it im e .
règlement d’avaries, celui-ci a, de son côté, le droit in
contestable non seulement de jouir du délai pendant le
quel la loi le déclare incapable d’agir, mais encore de
celui que l’article 373 lui concède et qui ne commence
à courir que de l’expiration du premier.
— L’intérêt que peut avoir l’assuré à ce
que les marchandises arrivent à leur destination ne sau
rait être méconnu , de là cette conséquence que tous
moyens pour arriver à ce résultat lui sont permis, il
pourrrait donc se procurer un autre navire non seule
ment pendant le délai de l’article 391, mais encore après
son expiration.
Celui-ci, en effet, n’a pas d’autre objet que de permet
tre de faire le délaissement, et, en conférant la faculté
d’agir, d’ouvrir le cours du délai de l’article 373. Or,
tant que ce dernier n’est pas expiré, l’assuré conserve
son droit d’option, il peut délaisser ou non, et, dans ce
dernier cas, se procurer un navire en remplacement de
celui qui a été déclaré innavigable; mais, en prenant ce
parti, il aurait épuisé son droit d’option et renoncé à
faire plus tard le délaissement, fût-il encore dans le dé
lai de l’article 373.
1609.
161.0. — Les
motifs qui ont fait suspendre l’exer
cice de la faculté de délaisser déterminaient les consé
quences que le législateur va en déduire. Puisque cette
suspension est surtout dans l'intérêt des assureurs, il
�,
ART. 390, 591. 392, 595, 594.
555
était rationnel de les charger de placer l’assuré dans la
position que lui aurait faite l’absence de tout sinistre.
Dès lors le risque des marchandises transbordées sur
le nouveau navire est garanti par les assureurs, ils ré
pondent de tous les événements ultérieurs de la naviga
tion, avaries, détériorations, pertes, même celles prove
nant des vices inhérents du navire qu’on aurait été
obligé de prendre à défaut d’autres.
1 6 1 1 . — L’article 393 les charge en outre des
avaries, frais de débarquement, magasinage, embar
quement, excédant du fret, et tous autres frais faits
pour sauver les marchandises. En effet, l’assurance
a, pour principal objet, l’arrivée des marchandises à
leur destination, l’assuré doit y recevoir son capital
entier et intact. La fortune de mer qui a atteint le na
vire qui les avait d’abord reçues ne pourrait modifier
cet état des choses qu’en laissant à la charge de l'assuré
les risques dont il était expressément garanti par l’assu
rance.
D’autre part, l’innavigabilité du navire devait auto
riser le délaissement. Cette autorisation subordonnée à
une mesure que l’intérêt des assureurs commandait, il
était,juste de les charger exclusivement des frais que
cette ?nesure devait occasionner.
L’équité était donc ici d’accord avec les principes et
commandait les prescriptions des articles 392 et 393,
qui se résument dans cette simple proposition. Si le
navire choisi en remplacement du premier effectue heu-
i!..
�534
DROIT MARITIME.
reusement son voyage, l’assuré doit être dans la posi
tion que lui aurait faite cette heureuse arrivée si elle
avait été accomplie par le premier. Il doit, par consé
quent, rester étranger à tous les frais que l’innavigabilité de celui-ci a occasionnés. Il doit lui être tenu comp
te, en outre, des avaries et de la perte que le retard a pu
entraîner.
1 6 1 3 . — Son droit, à cet égard, est absolu. Il ne
trouverait aucun obstacle, même dans la franchise d’a
varies stipulée par la police. Les conséquences de l’innavigabilité sont dues à un sinistre majeur, pouvant auto
riser le délaissement. Elles sont, dès lors, régies par
l’article 409, à l’endroit de la clause franc d’avaries.
L’action que la loi accorde, dans ce cas, à l’assuré, n’est
pas une action d’avarie proprement dite, c’est une ac
tion extraordinaire qui remplace celle en délaissement et
doit en produire les effets.
Ainsi, la clause franc d’avaries ne saurait être un
obstacle à l’application de l’article 393 ; mais elle re
prendrait son empire avec la reprise du voyage. Les
avaries souffertes dans le cours de la navigation du na
vire substitué ne pourraient être répétées par l’assuré.
La responsabilité que l’article 392 impose aux assureurs
ne peut s’entendre que de celle résultant de la police, et
dans les conditions qui y sont tracées.
1613. —
L’article 393 se termine par une restric
�tion qu’il était rationnel de prévoir. L’obligation pour les
assureurs de supporter les avaries et les frais ne saurait
aller au-delà de la somme assurée. Consacrer le con
traire, c’eût été tourner contre les assureurs une mesure
consacrée en leur faveur.
L’application de cette restriction a donné naissance à
une grave difficulté. Doit-elle être comprise en ce sens
que le paiement des frais doit diminuer d’autant le ris
que que l’article 392 impose aux assureurs, de telle sorte
que le navire substitué venant à se perdre avant la fin
du voyage l’assureur n’a à payer que la somme assurée,
en en défalquant le coût des dépenses occasionnées par
la substitution? Doit-il, au contraire, quelles qu’aient
été ces dépenses, rembourser l’intégralité de là somme
assurée ?
Les précédents de doctrine et de jurisprudence qu’il
est permis de consulter ne peuvent servir à résoudre
nos questions au point de vue spécial de l’article 393.
Ils reposent tous sur des hypothèses ou des espèces
dans lesquelles il n’y avait aucun doute sérieux à Con
cevoir.
Des assurés avaient prétendu que lorsque là chose as
surée avait péri pendant le voyage, les assureurs étaient
tenus non seulement du montant de l’assurance, mais
encore des dépenses exposées avant le sinistre pour la
réparation des avaries que cette chose avait successive
ment éprouvées.
Cette prétention avait même été accueillie par la cour
de Poitiers ; mais l’arrêt dénoncé à la Cour suprême
�S3lj
DROIT MARITIME.
fut, par elle, réformé le 8 janvier 1823. Il serait, dit
la Cour régulatrice, aussi contraire à l’équité qu’à l’es
sence de tout contrat qui renferme des obligations ré
ciproques et proportionnelles, d’assujettir l’assureur,
qui ne stipule et ne reçoit de prime que pour une
somme déterminée, à fournir une somme plus forte
que celle pour laquelle il s’est engagé, et à raison de
laquelle il a reçu la prime qui est le prix de son enga
gement. En conséquence, elle casse l’arrêt de la cour
de Poitiers, comme violant expressément les articles 332
et 393.
C’est la thèse de la Cour de cassation que MM. Par
dessus et Boulay-Paty développent, et ils ont raison. La
doctrine contraire serait un coup mortel au principe de
l’assurance lui-même. L’assureur qui s’est chargé de
10.000 fr. pourrait être, sans augmentation de pri
me, exposé à en payer 30,000. Celui qui en a garanti
30.000 pourrait avoir à en payer 100,000; qui donc
oserait aborder une industrie offrant de pareilles éven
tualités?
Il n’y a donc, en pareille matière, de réellement équi
table que cette règle que notre maître à tous, Emérigon, avait depuis longtemps tracée : l’assureur, en au
cun cas, ne doit rien au-delà de la somme par lui pro
mise. C’est sur celle-ci que l’assuré a pu et dû compter
seulement.
Vainement objecte-t-on que c’est là méconnaître le
principe, qui veut que l’assuré soit intégralement désin
téressé de la perte totale ou partielle de la chose assurée,
�ART. 390 , 391 , 392 , 393 , 594-.
557
II est vrai qu’en recevant la somme assurée il perdra le
montant des réparations successives qu’il a dû faire,
mais cette perte, il avait le moyen de l’éviter. Ces répa
rations constituent une dépense extraordinaire, que nous
avons vu pouvoir faire la matière d’une légitime assu
rance. L’assuré pouvait donc y pourvoir, même dans la
police primitive.
La légalité de la clause par laquelle l’assureur s’o
bligerait à rembourser, en cas de sinistre, non seule
ment le capital assuré, mais encore les dépenses extra
ordinaires que les chances de la navigation auraient
occasionnées, et dont il serait justifié, serait incontesta
ble. Ses effets ne pourraient être, sous aucun prétexte,
récusés.
Telle est donc la règle : En cas de sinistre, il ne sau
rait exister, en droit commun, de cumul de la somme
assurée et des dépenses occasionnées par la réparation
d’avaries successivement éprouvées dans le cours du
voyage ; mais cette règle est-elle tellement absolue
qu’elle ne peut recevoir aucune exception ? Cette excep
tion n’est-elle pas notamment expressément consacrée
par l’article 393 ? Voilà ce que M. Locré a seul exa
miné.
La solution affirmative qu’il adopte trouve un solide
fondement dans l’esprit et le texte de la loi. L’innavi
gabilité du navire est une cause de délaissement, puis
qu’elle rompt le voyage, qu’elle le retarde, au moins,
plus ou moins pour les chargeurs. L’effet du délaisse
ment amenait l’obligation pour l’assureur de rembour-
�558
DROIT MARITIME.
ser la somme assurée. Si, dans son intérêt, la loi a
voulu surseoir, si elle lui a permis de s’exonérer mo
mentanément de cette obligation, si elle a entendu lui
réserver la faculté de s’en libérer complètement et de
gagner la prime, peut-on trouver étonnant qu’elle ait
entendu lui faire payer cette chance au prix du sacri
fice des dépenses et frais qu’elle doit nécessairement
entraîner. Où serait la justice si ce sacrifice devait être
supporté par l’assuré ? Si le délaissement, dirait celuici, avait pu être fait au lieu de l’innavigabilité, j’aurais
été indemnisé de mon capital que j’aurais intégralement
reçu. Faut-il donc que le préjudice auquel donne lieu
l’épreuve que l’intérêt de l’assureur a fait consacrer re
tombe sur moi, qui ne devait, qui ne pouvait en retirer
le bénéfice ?
Lui objectera-t-on, comme nous le faisions tout à
l’heure, qu’il pouvait faire assurer le supplément de
dépenses ? Mais ce serait là résoudre la question par la
question. La faculté de faire assurer suppose un ris
que. Or, si la loi a entendu mettre les frais de l’arti
cle 393 à la charge de l’assureur, l’obligation de faire
assurer passait sur la tête de celui-ci, l’assurance faite
par l’assuré devenant caduque pour absence de risque.
A ces considérations, on peut ajouter que l’exception
est ici d’autant plus présumable, que le danger qui a
fait proscrire le cumul est moins à craindre. L’article
393 n’est relatif qu’à la cargaison. Or, les frais qu'oc
casionnera le déplacement de celle-ci ne peuvent jamais
�ART. 390, 391, 592, 393, 394.
359
atteindre un chiffre bien considérable, et surtout les pro
portions auxquelles peut s’élever la réparation du na
vire. Il n’y avait donc aucun motif sérieux de ne pas
consacrer un droit exceptionnel pour une circonstance
toute exceptionnelle.
Cette intention de la loi ne résulte-t-elle pas d’ailleurs
de son texte ? L’article 392 admet sans restriction au
cune la responsabilité des assureurs pour le risque
du voyage du navire substitué. L’article 393 ajou
te :
, etc. N’est-ce pas là indiquer clairement
que les frais mentionnés dans ce dernier s’ajoutent à la
responsabilité imposée par le premier et en sont indé
pendants ; indépendamment du sens grammatical, nous
trouvons dans les débats législatifs une raison décisive,
le tribunal du Havre, qui voulait étendre la restriction
de l’article 393 à l’article 392, proposait de terminer le
premier de la manière suivante : L
jusqu'à con
currence de la somme assurée ; le défaut d’adoption de
cette proposition prouve que l’opinion du tribunal du
Havre n’a pas prévalu.
Quel peut donc être le sens précis de la restriction
de l’article 393 ? Celui-ci uniquement, si l’avarie, les
frais de sauvetage, de magasinage, de débarquement et
de rechargement dépassaient la somme assurée, l’assu
reur serait en droit d’exiger que l’assurance se terminât
au lieu de l’innavigabilité. Ce serait là, nous en conve
nons, une exception à la faculté absolue laissée à l’as
suré de faire ou non le délaissement, mais cette excep
tion est plutôt apparente que réelle, puisque, quel que
en o u t r e
e tout
�540
DROIT MARITIME.
fût le lieu du règlement, l’assuré pourrait se borner à un
règlement d’avaries et conserver ainsi les marchandises
dont il disposerait à son gré.
Nous croyons donc que le capitaine ne pourrait
accomplir la substitution du navire si cette substitu
tion devait occasionner une dépense excédant la som
me assurée ; qu’il doit attendre dans ce cas les ordres
des assureurs qui se trouveraient complètement libérés
par l’offre de payer le montant de l’assurance.
La restriction ainsi comprise n’enlève donc rien à
l’autorité des considérations que nous avons exposées, et
qui justifient l’opinion de M. Locré ; nous dirons donc
avec lui que si le navire substitué vient à périr dans le
cours du voyage, et que l’assureur soit forcé de payer
l’entière somme assurée, il ne devra pas en sus le dom
mage matériel que l’échouement aura causé aux mar
chandises rechargées , puisque l’assuré s’en trouvera
pleinement indemnisé en recouvrant la perte totale, mais
il sera tenu, outre cette perte, des déboursés et frais que
l’assuré aura fait à l’occasion du rechargement, car ils
constituent une perte indépendante que l’assuré n’aurait
pas éprouvée, s’il avait pu délaisser au moment de cet
échouement.
Enfin, la preuve que le principe suivant lequel l’assu
reur n’est jamais tenu au-delà de la somme assurée est
susceptible d’exception, résulte bien formellement des
deux articles suivants. Un navire assuré pour 50,000 fr.
est pris et racheté par l’assuré au prix de 25,000 fr., si
�abt.
390, 391, 592, 393, 394.
S'il
l’assureur accepte la compensation, il sera tenu dérem
bourser ces 25,000 fr., ce qui ne l’empêchera pas d’en
payer 50,000, si depuis le rachat le navire périt par
fortune de mer. Voilà donc une hypothèse où, de l’avis
de tous, une assurance de 50,000 fr. donnera lieu à un
paiement de 75,000 fr.
Il est vrai que l’assureur sera libre de se soustraire
à cette obligation, en répudiant la composition. Mais si
cette option lui a été personnellement laissée, c’est que
le rachat pouvait être tellement onéreux, fait dans de
telles circonstances, qu’un refus pouvait facilement être
prévu.
Dans la continuation du voyage, il n’existait rien de
semblable. Nous l’avons déjà dit, tout ce que l’assureur
est exposé à payer en sus de l’assurance sont les frais de
déchargement et de rechargement, ceux de magasinage
et de sauvetage.
On pourrait donc facilement croire qu’il n’hésiterait
jamais entre cette chance et celle d’une libération com
plète avec acquisition de la prime. Le législateur a donc
cru qu’il pouvait opter pour lui, et ce qui prouve qu’il
a eu raison, c’est que sa disposition n’a été l’objet d’au
cune réclamation, d’aucune plainte.
Fallût-il donc considérer la doctrine de M. Locré, ré
duite aux termes que nous venons de rappeler, comme
une exception au droit commun sur les effets de l’as
surance, elle se justifierait par les motifs qui justifient
celle en cas de rachat. La continuation du voyage étant
�8 4 .2
DROIT MARITIME.
à l’avantage principal de l’assureur, on ne pouvait faire
autrement que de laisser à sa charge les frais qu’elle
occasionne.
fl»
161JL. — Si le délai de six mois ou d’un an, et,
suivant le cas, celui d’un mois et demi ou de trois
mois, expire sans qu’on ait pu se procurer un nou
veau navire, l’exercice de la faculté de faire le délaisse
ment est acquis à l’assuré. Il peut le réaliser immédia
tement ou le retarder, selon ses convenances, pourvu
toutefois que ce retard ne se prolonge pas au delà du
délai accordé par l’article 373 , lequelainsi que nous
l’avons vu , commence à courir de l’expiration de celui
de l’article 387.
Dans cette hypothèse, le délaissement est indépendant
de l’état réel des effets sur lesquels il porte, il serait re
cevable, alors même qu’ils seraient intacts et sans ava
rie. Le défaut d’arrivée au lieu de destination est consi
déré comme la perte totale.
Enfin, à quelque époque qu’il soit signifié, le délais
sement, quant à ses effets, remonte au jour du sinistre.
Les assureurs recevraient les marchandises telles qu’elles
seraient; les frais de sauvetage et de magasinage, mê
me pendant que le droit de délaisser était suspendu, se
raient exclusivement à leur charge.
�Article
395.
En cas de prise, si l’assuré n’a pu en donner avis à
l’assureur, il peut racheter les effets sans attendre son
ordre.
L’assuré est tenu de signifier à l’assureur la compo
sition qu’il aura faite aussitôt qu’il en aura les moyens.
Article
396.
L’assureur a le choix de prendre la composition à
son compte, ou d’y renoncer : il est tenu de notifier son
choix à l’assuré dans les vingt-quatre heures qui suivent
la signification de la composition.
S’il déclare prendre la composition à] son profit, il
est tenu de contribuer sans délai au paiement du rachat
dans les termes de la convention et à proportion de son
intérêt ; et il continue de courir les risques du voyage ,
conformément au contrat d’assurance.
S’il déclare renoncer au profit de la composition, il
est tenu au paiement de la somme assurée sans pouvoir
rien prétendre aux effets rachetés.
Lorsque l’assureur n’a pas notifié son choix dans le
�11
1621.
1622.
1523
1624
1625
Caractère de la prise. Conséquences quant au droit de dé
laisser.
Ses effets sur la propriété des choses assurées. Consé
quences.
Motifs qui ont dû faire subordonner le profit du rachat
fait par l’assuré à la volonté des asssureurs.
Nature de l’obligation d’aviser ceux-ci de la prise. Son
utilité.
Nécessité de leur déclarer la composition. Délai et forme
de la signification.
Obligation pour les assureurs de notifier leur option dans
les vingt-quatre heures de la signification. Effet de
l’inobservation.
Conséquence du refus d’accepter la composition.
De l’acceptation. Controverse sous l'ancien droit entre Valin, Pothier et Emérigon.
Comment elle a été résolue par le Code.
L’assureur qui a fait directement le rachat, peut-il exiger
la continuation du voyage?
Irrévocabilité de l’option signifiée. Exception.
— La prise d’un navire est un sinistre ma
jeur qu’on a, avec juste raison, placé au nombre des
causes de délaissement ; conséquence de l’état de guerre,
la prise est, en droit des gens, un moyen d’acquérir ; le
capteur devient propriétaire de ce que la force lui a pro16JL5.
�598, 396.
545
curé, le capturé est complètement désinvesti de sa chose;
il éprouve donc une perte totale, et, à ce titre, on ne
pouvait lui contester et moins encore lui refuser le droit
de s’en faire indemniser par l’assureur qui a garanti le
risque de guerre. Ce risque constituant une véritable for
tune de mer, les assureurs en sont tenus, à moins qu’ils
n’aient formellement stipulé le contraire.
Ces effets de la prise sont subordonnés à la déclara
tion de sa validité par l’autorité compétente. Ils ne sont
donc définitivement acquis que du jour où cette décla
ration est prononcée. Cette circonstance devait-elle faire
suspendre la faculté de délaisser ? La négative résultait
de l’impossibilité matérielle dans laquelle se trouvait
le législateur d’établir utilement une prévision quelcon
que. Le délaissement peut donc avoir lieu immédiate
ment, le fait seul de la prise le rend recevable et fondé,
quels que soient les événements ultérieurs ; que le na
vire soit relâché ou repris, que sa prise soit déclarée
nulle, les assureurs ne sauraient en exciper pour refu
ser de payer la somme assurée, mais la chose assurée
ou l’indemnité qui la représente leur appartiendra ex
clusivement.
ART.
1 6 1 6 . — La prise, transportant de fait sur là tête
du capteur la propriété des effets capturés, lui confère
tous les droits attachés à cette propriété, notamment ce
lui de les vendre, les aliéner, les céder. Les circonstan
ces peuvent être telles que son intérêt lui prescrive d’user
immédiatement de ce droit. Les exigences de sa navirv — 35
■ a tfc .
4 C -
-
•■:
�546
DROIT MARITIME.
galion, la crainte de se voir bientôt arracher sa prise
peuvent lui inspirer le besoin ou le désir de la convertir
immédiatement en espèces ou en valeur, et l’autoriser à
composer avec le capturé lui-même. Cette éventualité
devait être prévue et réglée ; cette composition, en effet,
entraînera toujours, de la part du capteur, un sacrifice
plus ou moins considérable, qui constituera le bénéfice
du rachat.
Or, il n’est pas douteux que pour l’assuré lui-même,
comme pour tout autre, ce rachat n’est qu’une acqui
sition ordinaire. Si, en le réalisant, il recouvre la pro
priété des objets qui lui avaient appartenu, ce n’est que
par l’effet de la vente qui lui est faite, et nullement en
vertu de son ancien droit. Cette possession constitue une
propriété nouvelle et sans aucun rapport avec les droits
que la prise avait effacés et anéantis.
1019. — Convenait-il, en cet état, de l’autoriser à
racheter pour son compte propre et exclusif, et lui per
mettre de cumuler avec le montant de l’assurance le bé
néfice du rachat ?
Le décider ainsi, c’était méconnaître la position des
assureurs et ses exigences. La justice voulait que si un
profit doit naître du fait dommageable, ce profit appar
tient à celui qui 'doit supporter le préjudice, qui s’en
trouvera ainsi diminué. Or, le rachat ne se fera à des
conditions avantageuses que s’il est réalisé au moment
même de la prise, sur le lieu où elle s’effectue. L’éloigne
ment et l’absence forcés des assureurs, la présence de
�ART. 5 9 5 , 3 9 6 .
54.7
l’assuré ou du capitaine rendaient donc le rachat impos
sible pour les premiers, si ce dernier pouvait y concou
rir personnellement.
Soumettre l’assuré à ne pouvoir racheter pour son
propre compte que sur le refus des assureurs, était donc,
à l’égard de ces derniers, un acte de justice, puisque,
disait Valin, par leur qualité, la perte causée par la
prise les regarde directement et personnellement. Ce
n’était d’ailleurs là qu’une application exacte des prin
cipes de la matière. Nous avons déjà vu que le transfert
de propriété résultant du délaissement rétroagissait au
moment même du sinislre ; que tout ce qui avait été
fait depuis était de plein droit considéré comme exécuté
pour le compte des assureurs. Or, le rachat opéré après
la prise n’est en réalité qu’un sauvetage dont il était juste
de leur réserver le bénéfice, s’ils consentaient à en ac
cepter les charges.
1 6 1 $ . — Ces considérations rendent raison des
prescriptions de nos deux articles. Le rachat peut être
directement tenté par l’assuré, surtout lorsqu’il n’a pas
été en position d’informer les assureurs et d’attendre
leurs ordres.
Au reste, il est évident que l’obligation d’aviser les
assureurs n’est imposée qu’à titre de convenance et de
précaution, puisque leur droit ne saurait souffrir de son
inexécution, l’option leur étant laissée dans ce cas ; il
faut même reconnaître que cet avis sera le plus souvent
impossible. Nous venons de le dire, les convenances du
�848
DROIT MARITIME.
capteur peuvent lui imposer le besoin de traiter au mo
ment même de la prise, et comme ce besoin rendra la
composition plus favorable, l’assuré aurait tort de né
gliger une occasion qui pourrait ne plus se présenter.
Au reste, s’il y a possibilité d’aviser les assureurs sans
inconvénients, l’assuré doit le faire. Les ordres qu’ils
auraient transmis épuiseraient leur droit d’option. Ils
ne pourraient plus répudier la composition s’ils l’avaient
autorisée, ou en réclamer le bénéfice dans le cas con
traire. L’assuré n’aurait donc plus à les aviser de ce qu’il
aurait fait.
— La composition, en effet, ne doit être dé
noncée que si elle a été accomplie et arrêtée par l’as
suré, à l’insu et sans ordre des assureurs. L’option qu’ils
sont appelés à exercer dans ce cas rendait cette notifica
tion indispensable. L’article 395 a entendu que cette
notification fût faite par acte d’huissier. Mais ce qui ré
sulte de sa disposition, c’est uniquement la prohibition
de la preuve testimoniale, la forme n’est jamais de ri
gueur en matière commerciale. La preuve écrite de la
communication émanant de l’assureur remplirait suffi
samment le vœu de la loi.
Mais, dans cette hypothèse, la prudence exige de l’as
suré que la déclaration écrite de l’assureur constate les
conditions du rachat, telles qu’il les a lui-même décla
rées. Il est certain que si quelques-uns des avantages de
la composition avaient été dissimulés, l’assureur serait
1619.
�ART.
393, 396.
349
recevable à poursuivre la nullité de la répudiation qu’il
en aurait faite. Or, à défaut de mention des conditions
dans l’acte écrit par l’assureur, comment l’assuré repous
serait-il le reproche de dissimulation ?
Au reste, ce que l’intérêt de l’assuré exige dans le cas
d’une déclaration sincère, celui de l’assureur le prescrit
dans l’hypothèse contraire. Les conditions rappelées par
l’acte écrit, accepté par l’assuré, seraient les seules dont
l’assureur serait censé avoir eu connaissance. La preuve
de la dissimulation serait donc acquise, dès que la con
dition dont l’existence aurait été découverte ne serait pas
mentionnée dans la déclaration.
Dans tous les cas, la loi ne fixe aucun délai pour la
signification qu’elle prescrit. L’assuré doit la faire aus
sitôt qu’il en aura les moyens. On devait d’autant mieux
se contenter de le déclarer ainsi, que l’assuré est seul
intéressé à ce que l’assureur s’explique le plus promp
tement possible. Si, pendant qu’on néglige de le mettre
à même de le faire, le navire racheté achevait heureu
sement le voyage ou venait à périr, le choix de l’assu
reur ne serait plus douteux. La chance aléatoire, que la
loi a voulu réserver à l’assuré, aurait complètement
disparu.
1 6 3 0 . — A côté des obligations de l’assuré, l’arti
cle 396 place celle des assureurs et règle les effets de la
résolution qu’ils ont prise.
Cette résolution doit être dénoncée dans les vingtquatre heures qui suivent la signification de la compo-
�SSO
'lift
!:!
W
:
DROIT MARITIME.
sition. En précisant ainsi ce délai, le Code a fait dispa
raître les difficultés que le texte de l’ordonnance avait
fait surgir. Celle-ci, en effet, s’étant bornée à disposer
que le choix de l’assureur devait être déclaré sur-lechamp, Valin en avait conclu que ce délai était de quin
zaine, en y ajoutant un jour par chaque cinq lieues,
comme on le pratique pour les lettres de change
Ce long délai compromettait le but que la loi s’était
proposée. Le voyage pouvait être terminé d’une façon ou
d’autre avant son expiration et permettre ainsi aux as
sureurs de se prononcer après coup.
Aucune utilité réelle ne pouvait autoiiser un pareil
inconvénient. C’est à leur domicile que les assureurs re
cevront la signification de la composition ; c’est à celui
élu dans la localité même par l’assuré qu’ils devront
faire leur réponse. Le délai de vingt-quatre heures
que le Code a accordé suffisait donc sous tous les rap
ports.
Ce délai est de rigueur. L’article 396 le déclare for
mellement, en induisant de son inobservation la renon
ciation au bénéfice de la composition.
Il en est de la réponse de l’assureur, comme de l’avis
à donner par l’assuré, elle peut êire officieuse et résul
ter de la correspondance elle-même, mais il importe à
l’assureur, si elle est affirmative, qu’aucun doute ne
puisse s’élever sur sa date réelle, ce qui ne pourrait s’iri-
�ART.
398, 396.
881
duire que de la lettre de l’assuré accusant réception et
mentionnant la date de la lettre d’envoi.
1631. — Les effets de l’option étaient en quelque
sorte indiqués par la nature des choses. Si l’assureur
refusait la composition, le contrat d’assurance a pris
fin ; il n’y a plus qu’à payer la somme assurée, et à cet
effet le délaissement ne saurait rencontrer aucun obs
tacle.
Mais ce délaissement ne transfère aucun droit sur les
effets rachetés, c’était là la conséqusnce du sinistre ma
jeur qui a terminé l’assurance. L’assuré ne peut être tenu
d’abandonner que ce dont il est encore nanti. Or, la
prise lui a enlevé tout droit de propriété sur la chose
capturée, qui n’a plus d’autre possesseur légitime que le
capteur lui-même.
Il est vrai que le rachat remet cette chose aux mains
de l’assuré, mais, ainsi que nous venons de le dire, ce
rachat n’est pas et ne peut être la négation de la prise,
il n’est qu’un achat ordinaire. L’assuré qui l’a contracté
n’a pas acquis la continuation de son ancienne proprié
té, sa possession n’a d’autre fondement que la vente que
lui a consentie le capteur, il puise donc son droit, non
dans sa propriété primitive, mais dans sa qualité d’ache
teur ; représentant quant à ce le vendeur lui-même, il
ne saurait donc être tenu d’une obligation dont celui-ci
était incontestablement affranchi.
Il semblerait dès lors que le délaissement est inutile,
mais ce serait une erreur. Son utilité, dans ce cas, est la
�Sb2
DROIT MARITIME.
conséquence de la chance que la prise soit annulée par
l’autorité compétente. C’est le profit de cette chance que
les assureurs puisent dans le délaissement.
Si elle se réalise, le droit de recevoir l’indemnité due
par le capteur leur appartient exclusivement, ils peuvent
donc l’exiger directement de lui, ou en contraindre le
remboursement de l’assuré qui l’aurait reçue, soit en es
pèce, soit par l’annulation du billet de rançon qui serait
la conséquence immédiate de la déclaration d’invalidité,
si ce billet, n’étant pas échu, n’avait pas encore été payé.
163 3. — Si l’assureur opte pour la composition, il
en prend le prix à sa charge en proportion de l’intérêt
qu’il a assuré, il doit le rembourser dans les termes de
la convention, c’est-à-dire qu’il profiterait du terme que
le capteur aurait accordé.
L’acceptation avec ses conséquences effaçant en quel
que sorte le sinistre, lui fait perdre ses effets à l’endroit
du délaissement, la police reprend son empire, et le
contrat son exécution. La composition n’est plus qu’une
avarie extraordinaire que les assureurs ont dû payer, et
qui ne saurait, dans aucun cas, exercer la moindre in
fluence sur l’obligation de payer la somme assurée dans
l’hypothèse d’un second sinistre majeur.
L’acceptation de la composition par les assureurs a
donc pour effet immédiat de remettre sur la tête de l’as
suré la propriété de la chose assurée et de rendre tout
délaissement actuel impossible. Le voyage doit conti
nuer, mais à leurs risques et périls. Telle était l’indue-
�ART.
395, 396.
553
tion que Valin et Pothier tiraient de l’article 67 de l’or
donnance.
Il n’y a pas lieu à la demande de la somme assurée,
disait ce dernier, en cas d’option par les assureurs pour
la composition. Ceux-ci sont seulement tenus de con
tribuer au prix du rachat, à proportion de l’intérêt
qu’ils y ont, et ils continuent d’être chargés du risque
du retour du vaisseau, sans qu’ils puissent, en cas de
malheureux événement, faire sur la somme assurée au
cune déduction ni imputation de la somme payée pour
le rachat l.
Le texte de l’article 67 et les principes de la matière,
objectait Emérigon, s’opposent à cette idée, car, s’il est
vrai que la composition soit au profit des assureurs à
proportion de leur intérêt, il s’ensuit qu’ils sont deve
nus, quant à ce, propriétaires et acheteurs des objets
rachetés, ils doivent donc payer l’assurance, rien ne les
empêche de faire assurer la chose rachetée si elle est
encore en risque ; s’ils ne le font pas, ils courent les
risques du retour, non plus comme assureurs, mais
bien comme propriétaires et subrogés aux droits des
anciens assurés2.
— Ce qui résultait de cette doctrine d’Emérigon, c’est qu’il était impossible que les assureurs re
fusassent jamais la composition. Obligés de payer dans
1633.
1 N» 368.
2 Chap. 12, sect. 21, § 6.
�5U
DROIT MARITIME.
ce cas la somme assurée, leur refus n’aurait eu d’autre
résultat que de les priver du bénéfice qui pourrait résul
ter de l’acquisition de la chose dont le paiement de la
somme assurée leur conférait la propriété en cas d’ac
ceptation, bénéfice d’autant plus certain que, dans l’in
certitude sur l’issue du voyage, ils pouvaient faire as
surer ; il était donc difficile de croire que telle eût été
réellement la pensée de la loi.
Au reste, si le doute pouvait exister sous l’empire de
l’ordonnance, il est impossible d’en conserver aucun de
puis le Code. L’article 396 ne se borne pas à dire que
l’assureur continue de courir les risques du voyage, il
ajoute : Conformément au contrat d’assurance, ce qui
exclut la doctrine d’Emérigon et consacre formellement
celle de Yalin et Pothier.
Eraérigon qui se prononçait pour le droit des assu
reurs à la propriété de la chose rachetée, en cas d’op
tion pour la composition, devait, à plus forte raison,
admettre ce droit dans l’hypothèse d’un rachat directe
ment opéré par les assureurs eux-mêmes. On peut au
jourd’hui encore reconnaître que ce rachat ne pouvait
avoir pour conséquence d’autoriser les assureurs à refu
ser de payer la somme assurée en offrant de restituer la
chose rachetée à l’assuré.
1 6 2 4 . — Mais faut-il en conclure que celui-ci
pourra exiger ce paiement hic et nunc, et s’opposer à
la continuation du voyage dans les conditions de l’arti
cle 396 ?
�ART.
395, 396.
555
Pour l’affirmative, on a invoqué ce principe : que le
fait seul de la prise autorise le délaissement : Que dès
lors le droit est acquis dès qu’étant réalisée l’assuré a
irrévocablement été dépossédé de la chose ; que le fait
postérieur des assureurs ne saurait anéantir ce droit,
d’autant plus que le rachat, étant une acquisition ordi
naire, ne restitue pas à cet assuré la propriété qui lui a
été ravie ; qu’à leur tour les assureurs ne représentent
que le vendeur, et ne peuvent, à l’occasion de la chose
transmise, exercer une action que le vendeur n’a ja
mais eue.
Cette doctrine exagère les conséquences de l’article
369 et ne se conforme ni à la lettre ni à l’esprit de l’ar
ticle 396, Certes le législateur avait le pouvoir, en adop
tant les causes de délaissement, d’en modifier l’exercice,
de le subordonner à telles ou telles conditions, c’est ce
qu’il vient de faire pour l’arrêt de prince, pour l’inna
vigabilité, c’est ce qu’il a entendu faire pour la prise ;
celle-ci peut, comme les autres, n’être qu’un obstacle
temporaire. Pourquoi donc n’aurait-il pas voulu pour
elle ce qu’il a prescrit pour les autres, les motifs n’é
taient-ils pas les mêmes, l’intérêt des assureurs n’estil pas identique ?
Ces questions nous paraissent résolues par le texte
des articles 395 et 396. À quoi bon, en effet, prévoir le
rachat, autoriser l’assuré à le faire même sans l’ordre
des assureurs, si ce rachat ne devait exercer aucune
influence sur le droit de délaisser, consacré par l’arti
cle 369?
�550
DROIT MARITIME.
Ce droit est infailliblement éteint par l’acceptation de
la composition ; pourquoi ne le serait-il pas lorsque le
rachat est fait directement par l’assureur ? Quelle diffé
rence y a-t-il entre faire soi-même un acte quelconque
ou ratifier celui qu’un tiers a fait pour notre compte et
dans notre intérêt ?
Ce qui ressort des articles 395 et 396, c’est qu’à l’en
droit du rachat l’assuré n’agit en réalité que comme
mandataire. Comment donc affecterait-on à l’acte direct
du mandant un caractère différent et des conséquences
autres qu’à l’acte du mandataire ?
À ces considérations, qui naissent du texte, viennent
s’adjoindre celles qui se tirent de l’esprit de la loi. Ce
qu’on a eu en vue, en s’occupant du rachat, c’est l’inté
rêt des assureurs, qui était inséparable de celui qu’ins
pire si justement l’institution elle-même. On a voulu leur
permettre de diminuer la perte en se ménageant la chan
ce heureuse de la continuation du voyage, et en n’ayant
ainsi à payer que le prix de la composition. Cela était
d’autant plus équitable, que l’intérêt de l’assuré n’était
nullement compromis, puisque le sinistre ultérieur lui
assurera le remboursement intégral delà somme assurée.
Il est donc évident que lorsque l’assureur aura été en
position d’opérer personnellement le rachat, il sera pré
sumé ne l’avoir fait que dans le but de profiter de cette
même chance. On devrait donc autoriser la continuation
du voyage qu’il réclamerait.
1635.
— L’option signifiée par l’assureur serait ir-
�art .
395, 396.
557
révocable, ses droits et ses obligations seraient acquis
du moment da la signification. Il ne pourrait répudier
ce qu’il aurait accepté , à moins que sa résolution eût
été dictée par la fraude. Celle-ci résulterait de la dissi
mulation que l’assuré aurait faite des avantages ou des
charges du rachat, surtout de la fausse déclaration des
uns ou des autres. La preuve de la dissimulation ou de
la fausse de la déclaration relèverait l’assureur des effets
de l’option.
FIN DU QUATRIEME VOLUME.
��TABLE ALPHABÉTIQUE
DES MATIÈRES
L es
c h i f f r e s i n d i q u e n t l e s n u m é r o s d ’o r d r e
A.
— Dans quels cas l'assureur peut-il se libérer des charges
grevant le navire après le délaissement par l’abandon du navire ?
1574.
Abordage. — Ses espèces diverses, sés effets, 1239 et suiv.
Arrêt de prince. — Est une cause de délaissement, à quelles condi
tions, actes qui le constituent, 1446 et suiv. — Doit être signifié à
l’assureur dans les trois jours de la réception de la nouvelle, 1587 et
suiv. _ Obligation qu’il impose à l’assuré, faculté qu’il confère à
l’assureur, 1590 et suiv.
Arrêt de puissance. — Ses diverses espèces, ses effets, 1254 et suiv.
— Voy. Arrêt de prince.
A ssurance. — L’assurance postérieure à l’arrivée ou à la perte est va
lable. A quelles conditions, 1379 et suiv. — Objet de l’assurance.
Actions qui en naissent, 1397. — Peut être contractée après l’expi
ration des délais de l’article 375, 1500.
A ssuré. — Est obligé de payer la prime. Quand la doit-il, 1221. —
Est libre de rompre le voyage, 1222 et suiv. — A le droit de se
prévaloir de l’article 459 pour se dispenser de payer la prime, 1354.
— Sa position pour son découvert dans la cargaison, 1356. — Peut,
faire assurer de nouveau le risque après l’échéance du temps limité
par la police, 1366 et suiv, — Quid, si la police désigne le voyage ?
1368 et suiv. — Peut-il, dans le cas de l’article 368, investir d’aA bandon.
�b60
TABLE ALPHABÉTIQUE
bord le tribunal correctionnel? 1395. — Ses obligations en cas de
délaissement, voy. ce mot. — Des devoirs en cas de naufrage ou
d’échouement avec bris, 1527 et suiv.— Voy. Arrêt de prince,
Chargement, Déclaration, Délai, Délaissement, lnnavigabilité.
Perle, Prise.
Assubeurs. — Nature de leur responsabilité, 1231 et suiv. — Evénéments dont ils sont légalement tenus, 1236 et suiv. — Il peut être
dérogé à l’article 350, 1256 et suiv. — Voy. Baraterie de patron,
Exagération, Fait personnel, Incendie, Indemnité, Jet, Pillage,
Pilotage, Prise, Ristourne, Vice propre. — Les assureurs par se
conde police peuvent exciper de la nullité du ristourne amiable de la
première, 1347. — Leurs obligations, en cas de suffisance pour tou
tes les polices, 1355. — Leur responsabilité, suivant que l’assurance
est ou non conjointe, 1359 et suiv. — Ne répondent des marchandi
ses chargées dans les lieux d’échelle que lorsqu’elles sont à bord,
1365. — Sont libérés par la seule échéance du terme, si l’assurance
est pour un temps limité, 1366 et suiv__ Quid, si le voyage est dé
signé? 1368 et suiv. — Peuvent-ils, dans le cas de l’article 368, in
vestir d’abord le tribunal correctionnel? 1395. — Leurs obligations
et leurs droits en cas de délaissements, — Voy Abandon, Arrêt de
prince, Avances, Délaissement, Emprunts à la grosse, Innaviga
bilité, Perte, Prise, Subrogation, Vivres.
Avances. — L’assureur sur avances peut-il, en cas de délaissement,
retenir sur la somme assurée le montant des avances gagnées au mo
ment du sinistre, 1568 et suiv.
Avis. — Tout avis relatif à la navigation des risques dont les assureurs
sont chargés doit leur être signifié. Effet de l’inobservation, 1468 et
sniv. — Caractère de l’avis. A quelle époque doit-il avoir été reçu,
1470 et suiv. — Délai de la signification. Effet du retard, 1473 et
suiv. — Forme de la signification. Application de l’article 1033 du
Code de procédure civile, 1475 et suiv. — Utilité de l’avis de la prise.
Son caractère, 1618.
B
Baraterie de patron. —
Ce qu’elle était sous l’ancien droit, ce qu’elle
�'561
est depuis le Code, 1269 et suiv. — N’est jamais présumée. Par qui
et comment elle doit être prouvée, 1274. Proposition de la mettre de
plein droit â la charge des assureurs, 127S. — Faculté pour les assu
reurs de la garantir. Exception que cette faculté reçoit. Son caractère,
1276. — Cette garantie oblige-t-elle à la responsabilité envers l’ar
mateur des faits du capitaine choisi par lui, 1277 — La garantie de
la baraterie de patron ne comprend pas les prévarications et fautes
que le capitaine peut commettre en qualité de subrecargue. Consé
quences, 1278. — Garantir la baraterie de patron, c’est répondre de
la perte, quelles qu’en soient les causes. Exception à cette règle,
1279. — Etendue de cette garantie pour l’assureur sur facultés, 1280
et suiv. — L’assureur qui a pris la garantie répond de la rupture du
voyage par l’effet de la baraterie de patron, 1282. — L’assuré est
tenu de justifier la perte nonobstant que l’assureur ait pris la bara
terie à sa charge, 1283. — Droits de l’assureur d’agir contre le capi
taine, même avant d’avoir payé l’assuré, 1284. — L’assureur sur
corps qui a garanti la baraterie de patron est tenu même du domma
ge en résultant pour la cargaison, 1286 et suiv. — La garantie par
l’assureur n’est jamais présumée. Conséquences, 1288.
Bris. — Eflets du bris du navire par suite d’échouement. Dans quels
cas autorise-t-il le délaissement? 1412 et suiv. Sa nature et ses ef
fets sont souverainement appréciées par les tribunaux, 1414. Ses ef
fets à l’endroit de l’assuré sur facultés, 1415.
DES MATIÈRES.
/
O
Capitaine. —
Est tenu, dans le cas d’innavigabilité, de se procurer un
autre navire pour le transport des marchandises à leur destination.
Nature de ce devoir, 1605 et suiv. — Voy. B araterie de patron,
Passagers.
— Durée de l’engagement de la caution à fournir par l’assuré
qui obtient le paiement provisoire de l’assurance, 1558.
Changement. — Le changement forcé de route, de voyage ou de navire
est à la charge des assureurs, 1242. — Est toujours présumé volonCaution.
IV —
36
�56:2
TABLE ALPHABÉTIQUE
taire ? Conséquences, 1243. — En quoi consiste le changement de
route? Quand doit-on l’admettre ? 1291. — En quoi le changement
de voyage ? Comment doit-on l’apprécier ? 1292 et suiv. — En quoi
le changement du navire? Ses effets, 1294. — Les assureurs peuvent
autoriser ces divers changements. — Voy. D éroutem ent, Echelle,
R étrogradation .
— Doit être prouvé par l’assuré faisant le délaissement.
Peut-on stipuler valablement le contraire? 1539 et suiv. — Q uid, à
l’endroit du prêteur à la grosse? 1543.— Du réassuré, 1544.—
Objet et nature de la preuve, 1545.
Commissionnaire. — Effets de sa bonne ou mauvaise foi, au point
de vue des articles 365 et 366, 1387. — Sa position à l’endroit de
la fausse déclaration, 1392. — Ses obligations pour le sauvetage,
1532 et suiv. — Dans le cas de délaissement, 1511. — Voy. Sau
Chargement.
vetage.
Composition. —
Voy. Prise.
Corsaire. — Voy. Prise.
C oulage. — Effet de la clause franc de coulage, 1266 — Nécessité
d’indiquer dans la police la nature des marchandises, si elles sont
susceptibles de coulage, 1308.
X>
D éclaration. — V o y .
Délai, Délaissement, Fraude.
D éclaration de guerre. — R e s p o n s a b ilité q u 'e lle im p o s e a u x a s s u
re u rs , 1 2 5 5 .
D élai. — M o tifs d u d é la i a c c o rd é à l ’a ss u ré p o u r la ré a lis a tio n d u d é
la is s e m e n t. S o n c a ra c tè re , s o n p o in t de d é p a rt, 1 4 5 3 e t s u iv . — S a
d u ré e a v a n t e t d e p u is le C ode, 1 4 5 5 e t s u iv . — N a tu re d e la n o u
v e lle q u i le f a it c o u rir, 1 4 5 9 e t s u iv . — E s t-c e d u j o u r de la ré c e p
tio n d e la n o u v e lle , o u s e u le m e n t de c elle d e s p ro c è s -v e rb a u x d ’e x
p e rtis e , q u ’il c o u r t d a n s le d é la is s e m e n t p o u r p e rte d es tr o is q u a r ts ?
1 4 6 2 e t s u iv . — L a d é c h é a n c e tir é e d e so n e x p ira tio n e s t o p p o s a b le
a u ré a s s u ré , 1 4 6 6 . _ D e q u e l j o u r c o m m e n c e d e c o u r ir le d é la i re -
�DES MATIÈRES.
363
quis pour délaisser pour défaut de nouvelles? 1487. — Point de dé
part, si depuis le navire a donné de ses nouvelles. Caractère dé cel
les-ci, 1489. — Effet de son expiration quant à la nécessité de réali
ser le délaissement, 1490. — Y a-t-il un délai fatal pour déclarer
les assurances et les contrats à la grosse ? 151S et suiv. — Motifs de
celui accordé à l’assureur pour payer. Son effet. Son point de dé
part, 1335 et suiv. — Nécessité d’un délai suspensif du délaissement
en cas d’arrêt de prince. Durée et caractère de ce délai, 1585. — Son
influence sur celui de l’article 373, 1589. _ Délai accordé pour le
rechargement de la cargaison, en cas d’innavigabilité. Effets de son
expiration, 1607 et suiv. — Nature de celui accordé aux assureurs
pour notifier s’ils acceptent ou refusent la composition, 1620.
D élaissement . — Son objet. Sa n écessité, 1398 et su iv. — D ifficultés
qu ’il pouvait faire naître. C onséquences, 14 00. — Caractère de l’ar
ticle 369. E xige-t-il q u e chacun des faits y énoncés soit accom pagné
de la perte entière ou presque entière ? 1401 et su iv . — Le délaisse
m ent est purem ent facultatif. C onséquences, 1 4 0 4 . — F in s de non
recevoir dont il e st susceptible, 1405. — D ’où s’induirait la renon
ciation tacite, 1406. — Cas dans lesquels il peut être réalisé. — V oy .
A rrêt de p rin ce , D étérioration , Echouem ent, In n avigabilité, N a u
fra ge, P erte, P rise. — Ne peut être partiel. — Effet de la d iv isib i
lité ou de l’in d iv isib ilité de l’assurance, 1446 et su iv. — Ni co n d i
tionnel, 14 48. — C onséquences de l ’acceptation ou de la déclaration
de valid ité, 1449 — Etendue qu'il doit avoir et délai dans lequel il
doit être réalisé, 1450 et su iv. — P oin t de départ et durée de ce dé
la i, 1454. — N ’est valab le que si la signification est su ivie d’une
citation en ju stice dans le cours du délai, 14 58. — E xceptions.que
l’article 373 com porte, 1462 et su iv. — P eut être fait pour défaut
de n ou velles. — V o y . ces m ots. — P eut être réalisé dans la sign i
fication de l ’avis, 1503 et su iv. — O bligations de l ’assuré C arac
tère et étendue de la déclaration des assurances et em prunts à la
grosse, 1509 et suiv. — Effets de la fausse déclaration, 1519 e t
su iv . — A quel m om en t est acquis l’effet du délaissem ent. Consé
quences de son irrévocabilité, 1559 et su iv . — Caractère de la n u l
lité de celu i fait avant l’exp iration du délai de l’article 387. Qui peut
l’in voquer, 1608.
D épart.
— Obligation de le prouver en cas de délaissement pour défaut
�5G4
TABLE ALPHABÉTIQUE
de n ou velles. Nature de la preuve, 1 4 8 7 . — D e quels docum ents
pourrait-on la faire résulter dans l ’hyp oth èse d’une assurance pour
contrebande à l ’étranger, 1488.
D érogationi — Caractère des dérogations que peut subir le principe de
la respon sabilité des assureurs, 12 57. — D e celles dont l'article 369
est su scep tib le, 1407. — V oy . Chargem ent.
D éroutement. — Ses effets, 12 91. — F aculté de dérouter. Ses con sé
quences, 1300.
D étérioration . — V o y . Perle.
D ivisibilité . — C om m ent peut elle être étab lie, 1358 et su iv. — S es
effets, 1560 et su iv. — Son influence en cas de délaissem ent, 1447.
JE
E chelle. — Caractère de la clause autorisant de faire éch elle. D roit
q u ’elle confère, 1 2 97 et su iv . — Né renferm e pas le droit de rétrogra
der, 1299 — L a faculté de faire éch elle et de rétrograder ne ren
ferm e pas celle de changer le voyage, 13 81.
Échouement. _ Ses caractères. Ses effets, 1238 — Ouvre le droit de
d élaisser. À q u elles conditions, 14 12. — D evoir que l ’échouem ent
avec bris im pose à l ’assuré, 15 27. — C om m ent il doit être prouvé
par l’assuré qui d élaisse, 15 48. — V o y . In n a vig a b ilité.
Emprunt a la grosse.
O bligation pour l ’assuré q u i délaisse de dé
clarer les som m es prises à la grosse. N ature de cette obligation, 1510
et su iv. — L’assureur p e u t-il défalquer de la som m e assurée le
m ontant de ce q u ’il doit payer pour les em prunts contractés pen
dant le voyage, 15 66. _ D roits des prêteurs sur les choses d élais
sées, 1582.
É quipage. — Les fautes de l ’équipage con stitu en t la baraterie de pa
tron, 1 2 6 9 . — C onséquences quant à la révolte , l’insubordination
et la désertion, 1 2 7 1 . — D roits de l’équipage en cas de d élaisse
m ent, 1583.
�565
DES MATIERES.
Erreur. — Effets de l’erreur dans le règlement entre assureur et assuré,
après délaissement, 4449.
Exagération. — Effets de l’exagération frauduleuse ou dolosive dans la
valeur des choses assurées, 4349. — Dispositions de l’ordonnance.
Reproches qu’elles méritaient, 4320 et suiv. — Système du Code,
4322. — A quel titre la prime est-elle acquise aux assureurs ? 4323.
— Caractère de la nullité de l’assurance, 4324. — L’assureur doit
avoir été de bonne foi. Q uid, en cas contraire? 432S et suiv. —
Comment s’établit le dol ou la fraude, 4327. — Effets de l’exagéra
tion commise par erreur et de bonne foi, 4328. — Comment et dans
quels cas s’opère la réduction, 4329. — Effets de la bonne foi puant
à la prime, 4330. — L’action en exagération est ouverte au réassu
reur, 4333. — Ses effets sur le contrat de réassurance, 4334.
F ait personnel. — L’assurance ne peut avoir pour objet le fait per
son n el de l’assuré ni des chargeurs ou affréteurs. C onséquences, 4289
et su iv. — Quand peut-on adm ettre son existen ce ? 4262.
F in de non recevoir. — Q uelle est la fin de non recevoir contre l’action
en n u llité de l ’assurance faite après l’arrivée ou le sin istre, 4 394-et
su iv. — Contre celle en d élaissem en t, 4 4 0 5 ,4 4 4 4 .
F ranchise d’avaries . — Ses effets, suivant que l’assurance est d ivisib le
ou in d ivisib le. — V oy , ces mots. — A l’endroit des frais que l’arti
cle 393 m et à la charge des assureurs, 4642.
F raude . — Son caractère dans la déclaration des assurances et des
em prunts à la grosse, 454 9 et su iv. — Par q u i d oit-elle être prou
vée, 45 25. — Ses effets, 4-526. — Son influence sur l ’option des
assureurs pour la com p osition , 4 62 5. — V o y . Déclaration-, E x a
g ération .
F ret . — D o it être d élaissé. — En q u elles circonstances et pour
q u elles m archandises, 4 575 et su iv. — A quel tau x l’assuré d oit-il
faire raison de celui qui lui est acquis à tout événem ent, 4 578 —
�566
TABLE ALPHABÉTIQUE
Peut-on déroger à l’obligation de délaisser le fret des marchandises
sauvées, 1879 et suiv.
I
L’incendie par fortune de mer est au risque des assu
reurs. Quand est-il présumé tel, 1245 et suiv. — Il est présumé le
résultat de la faute si le rapport n’en indique pas la cause, 1247 et
suiv.
Indemnité. — Légitimité de celle accordée par l’article 349, 1223 et
suiv. — Son caractère. Ses conséquences à l’endroit du privilège ac
cordé pour la prime, 1230. — Il n’en est dû aucune pour la nullité
résultant des articles 365 et 366. Motifs, 1388. — Nature de celle
accordée par l’article 368, 1391 et suiv.
I ndivisibilité . — Son caractère. Ses effets quant à la franchise d’avaries,
1363 et suiv.
I nnavigabilité. — Donne droit au délaissement du navire. Son carac
tère Ses causes, 1416. — Est-ce il l’assuré à prouver la fortune ue
mer, ou à l’assureur à établir le vice propre. Effet des procès-ver
baux. de visite, 1418 et suiv. — Conséquences des modifications qu’a
subies la déclaration de 1779, 1420. — Effet de la production ou du
défaut de représentation de ces procès-verbaux, 1421 et suiv.—
L’innavigabilité doit être déclarée. Par qui. En quelle forme, 1423.
— Caractère de la décision rendue par le consul français ou le ma
gistrat de la localité, 1424 _Ses effets si elle se déclare au port de
retour, 1425. — Intérêts qu’elle affecte. Droits de l’assuré sur corps,
1595. — Effets de l'innavigabilité relative. En quoi elle consiste,
1899 et suiv. — Caractère de l’innavigabilité et ses effets dans l’as
surance sur facultés, 1604 et suiv.
Incendie. —
J
Jet a la mer. —
Ses effets à l’égard des assureurs, 1244.
�DES MATIÈRES.
SG7
Li
L amanage
(Droit de) — Voy. P ilotage.
M
— Effets de sa bonne ou .mauvaise foi dans l’assurance
contractée après le sinistre ou l’arrivée, 1392. —• Sa position quant à
la peine prononcée par l’article 368, 1393. — Ses obligations s’il si
gnifie le délaissement, 1511.
Marchandises. — Motifs de l’obligation de désigner dans la police les
marchandises sujettes à détérioration ou diminution et celles suscep
tibles de coulage. Caractère de cette obligation, 1305 et suiv. —
Quelles sont les marchandises auxquelles s’applique l’article 355,
1308. — Peine de l’inobservation, 1309. — Exception que la règle
comporte, 1310 et suiv. — On peut y déroger. De quoi pourrait ré
sulter cette dérogation. Effet de la clause : E n quoi que le tout con
siste ou puisse consister , 1312.
Mandataire.
IV
Naufrage. — Son
caractère. Ses effets à l’égard des assureurs, 1237. —
Autorise le délaissement, 1411. — Devoirs qu’il impose à l’assuré,
1527 et suiv. — Comment doit-il être prouvé, 1548.
Nouvelles. — Caractère et effets de la clause sur bonnes ou mauvaises
nouvelles, 1389 et suiv. — La réception de la nouvelle du sinistre
fait courir le délai pendant lequel doit être fait le délaissement.
Quand et par qui doit-elle être reçue, 1459 et suiv. — Comment
prouverait-on cette réception, à défaut de notoriété et de publicité,
1461. — Exceptions à cette-règle, 1462.
�568
TABLE ALPHABÉTIQUE
(Défaut de). — Donne lieu au délaissement Ses effets quant
à la preuve de la perte, 1447 et suiv — Daus l’assurance à temps li
mité, 1481 et suiv. — Caractère du défaut de nouvelles. Comment il
est acquis, 1485 et suiv. — Point de départ du délai d’un an ou de
deux ans, 1487 et suiv. — Effet de son expiration, 1490. — L’as
suré est-il tenu de prouver l’existence du navire au moment de l’as
surance, si celle-ci a été prise après le départ, et si l’assureur n’a
pris le risque que du jour du contrat, 1497 et suiv.
Nullité . — Caractère et effets de la nullité de l’assurance, dans le cas
de changement de route, de voyage ou de navire, 1295. Caractère de
celle du délaissement fait avant l’expiration du délai de l’article 387.
Qui peut l’invoquer, 1608.
Nouvelles
JE*
P assagebs. — Les faits et fautes des passagers ne sont pas à la charge
du capitaine Conséquence, 1270
Paiement. — A quelle époque est-il dû par les assureurs? Peuventils être condamnés avant l’échéance du délai? 1505 et suiv._Dé
lai dans lequel il doit être réalisé, 1535 et suiv. — N’est réelle
ment exigible qu’après la production des pièces justificatives, 1538.
Est dû après délaissement accepté ou validé, malgré le retour du
navire. Exception, 1563 et suiv. —• Ce qu’il doit comprendre dans
le cas d’emprunt à la grosse, ou d’une assurance sur vivres et avan
ces, 1565 et suiv.
Paiement pbovisoibb. — Peut être ordonné en cas d’admission de la
preuve contraire. A quelles conditions, 1557 et suiv.
Peine . — Peine encourue par l’assureur ou l’assuré ayant agi connais
sant l’arrivée ou le sinistre, 1396.
Pebte. — Dans quels cas la perte ou la détérioration donne lieu au dé
laissement. Comment elle se détermine, 1431 et suiv. — Nature de
la mission des experts. Devoirs des magistrats, 1433 et suiv. — Sur
quoi doit porter l’une ou l’autre dans l’assurance sur corps, sur fa
cultés ou sur sommes prêtées à la grosse, 1337 et suiv. — Comment
'
I
�DES MATIÈRES.
S69
elle se calcule, 1443. — De quelle manière doit-elle être prouvée en
cas de délaissement, 1546 et suiv.
P illage. — Quel est le pillage dont répondent les assureurs, 1253.
P ilotage. — Les droits de pilotage, tonage et lamanage ne sont pas à
la charge des assureurs. Exceptions, 1302 et suiv.
P ilote . — Les prévarications et fautes du pilote ne constituent pas la
baraterie de patron. Conséquences, 1273.
P irate . — Voy. P rise.
P olices (concours de). — Voy. Ristourne.
P olice flottante . — Son caractère. Ses effets, 1357.
P résomption. — Caractère de la présomption de l’article 366, 1381. —
Comment se fait-le calcul des distances. Nature de l’alternative adop
tée, 1382 et suiv. — Présomption qui se tire des termes avant ou
après midi, 1384. — Différence entre la présomption de l’article 366
et les présomptions ordinaires, 1385 et suiv. — Effet de la présomp
tion dans l’assurance faite par un mandataire ou un commissionnaire,
1387.
P reuve . _ Faculté pour les assureurs de faire la preuve contraire des
attestations produites par l’assuré. Etendue de cette faculté, 1554 et
suiv. — Principes qui régissent son admissibilité, 1556. — Son ad
mission ne suspend pas la condamnation au paiement provisoire.
Nature de cette règle, 1557.
P rime . — Dans les cas d’annulation pour exagération frauduleuse, la
prime est acquise à l’assureur. A quel titre, 1322 et suiv. — Q uid,
si celui-ci a participé à la fraude ? 1325 et suiv. — Effet de l’exagé
ration de bonne foi quant à la prime. Droits de l’assuré, 1330.—Voy.
R istourne.
P rise . — Son caractère. Ses effets, selon qu’elle est faite par un cor
saire ou par un pirate, 1249. — Comment s’apprécie le caractère du
navire capteur, 1251, — Q uid, de la prise opérée avant toute décla
ration de guerre? 1252. — Donne lieu au délaissement, 1408 et
suiv. — Effet de la prise pour cause de contrebande, 1410. == Na
ture de la preuve que l’assuré, qui délaisse doit faire, 1547. — Effet
de la prise sur la propriété des objets capturés, 1615 et suiv. — Obli
gations de l’assuré quant au rachat, 1617 et suiv. — Doit notifier la
iv — 37
�570
TABLE ALPHABÉTIQUE
composition. Option laissée aux assureurs. Délai de la réalisation,
1619 et suiv— ; Effets du refus ou de l’acceptation de la composi
tion, 1620 et suiv. — Q uid, si le rachat a été fait directement par
l’assureur, 1624.
Prolongation nu voyage. — Son caractère. Ses effets, 1372 et suiv.
Fi
R accourcissement nu voyage. — Ses effets, 1374. — Importance de
la question de savoir s’il y a raccourcissement ou rupture. — Com
ment doit-on la résoudre? 1375. — Conséquences pour l’assu
rance du retour, 1376 et suiv. _Caractère du raccourcissement,
1378.
R achat — Voy. P rise.
R éassurance . _ Son caractère, 1331. — Effets que produit sur elle
l’annulation de la première police pour exagération frauduleuse,
1332. — Estelle même nulle ou réductible en cas d’exagération
frauduleuse ou de bonne foi, 1334. Obligations et droits du réassuré
en cas de délaissement, 1465 et suiv.
R éduction. — Dans l’assurance à prime liée, il y a lieu à réduction de
la prime aux deux tiers, à défaut de retour ou dans le cas d’un
retour incomplet. Caractère de cette disposition, 1313 — A quelle
assurance est-elle applicable? 1314. — Comment s’établit la réduc
tion, 1315. — A-t-elle lieu si le déchargement partiel a été opéré
dans un lieu d’échelles ? 1316. Q u id , si le défaut de retour est le ré
sultat de la force majeure, 1317. Peut-on convenir qu’il n’y aura pas
de réduction, 1318. — Comment s’établit la proportion entre assu
reurs en cas d’estimation exagérée, 1329.
Représailles . — Responsabilité des assureurs, 1255.
R éserve. — L’omission de la réserve de faire le délaissement dans la si
gnification de l’avis ne créerait aucune exception contre l’assuré,
1508. — Voy. D élaissem ent.
Responsahilité. — Droit commun en matière de responsabilité des as
sureurs. Son étendue, 1231 et suiv. — Comprend-elle l’augmentation
du profit maritime stipulée en cas de voyage intermédiaire, 1234. —
�DES MATIÈRES.
571
Q uid, de la différence dans l’estimation de la valeur de la marchan
dise, 1235.— Cas légaux de responsabilité, 4236. — Yoy. Assu
rance, Délaissem ent, Paiem ent.
Rétrogradation. —
La faculté de faire échelle ne comprend pas celle
de rétrograder. Conséquences, 1298.
R istourne. — Fondement et motifs du ristourne en cas de concours de
plusieurs polices sur le même chargement, 4335 et suiv. — Dans
quel ordre et entre quelles polices s’établit-il? 1337 et suiv. — Il
importerait peu que les polices fussent signées les unes par le pro
priétaire, les autres par le commissionnaire. Que les unes fussent gé
nérales, les autres spéciales, 4 342 et suiv. — A quelle époque doit
exister le concours. Effet du ristourne amiable. Par qui doit-il être
consenti, 1344 et suiv. — Peut-on et doit-on ristourner la seconde
police,lorsque la première est annulable ou résiliable, 4346 et suiv.
— Droit des assureurs subséquents de contester la régularité et la
validité du ristourne amiable d’une précédente police, 4349..— Ex
ception que l’article 389 peut comporter, 1350. — Comment doit-on
procéder à l’estimation pour arriver au ristourne, 1351. — Effet de
la fraude, 1352. — Il n’y aurait pas lieu à ristourne, si l’insuffisance
de valeur tenait à des déchargements dans les échelles autorisées,
4353. — L’assuré peut l’invoquer pour se dispenser de payer la pri
me, 1354._Effet de l’erreur dans le règlement de ristourne après
délaissement, 444S.
S
S auvetage. — Devoir de l’assuré de travailler au sauvetage en cas de
naufrage ou d’échouement avec bris, 4527 et suiv. — Quels sont les
frais qui doivent être remboursés et jusqu’à quelle quotité, 1530. —
Obligation du commissionnaire. Conséquence, 1532. — Effet de
l’inobservation de ce devoir, 4354. — Le sauvetage se fait pour le
compte exclusif de l’assureur. Conséquences, 4574.
S urrogation. — L’assureur payant après délaissement est subrogé de
plein droit aux actions et aux obligations de l’assuré. Conséquences,
1572 et suiv. — Q uid, de celui qui a payé l’équipage relativement
au fret acquis avant le sinistre, 4584.
�572
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.
T
T empête . — Ses caractères. Ses effets quant aux assureurs, 1236.
T onage (droit de). — Voy. P ilotage.
V
V ice propre. — Les assureurs n’en répondent pas. Ce qui les constitue,
• 1•
1263. — Quand sont-ils tenus de l’aggravation à laquelle il a donné
lieu, 1264 et suiv. — On peut déroger à la loi sous l’un ou l’autre
rapport, 1266 — La mort naturelle des animaux embarqués est pré
sumée provenir du vice propre. Conséquences, 1267. — Il en est de
même pour toute marchandise sujette par sa nature à dépérir ou à
se corrompre, 1268.
V isite . — Celui qui délaisse pour défaut de nouvelles est dispensé dans
tous les cas de produire les procès-verbaux de visite, 1502.— Q uid,
pour le cas de délaissement pour prise, naufrage, éehouement avec
bris. Arrêt de puissance ou de prince, 1549. — Effet de la preuve de
la visite ou de son défaut dans l’innavigabilité, 1550 et suiv.
V ivres. — L’assureur sur vivres peut-il, en cas de délaissement, défal
quer de la somme assurée le montant des vivres consommés jusqu’au
moment du sinistre, 1568 et suiv.
V oyage. — Peut être rompu par l’assuré. A quelles conditions, 1222 et
suiv — La rupture s’induirait du défaut de chargement, 1226. —
Dans quels cas devrait-on l’admettre, 1227 et suiv. — Caractère de
la rupture encours de voyage. Ses effets, 1229.— voy. C hargem ent ,
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1
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il
La
Déroutem ent, E chelle, P rolongation , Raccourcissem ent, Rétro
g ra d a tio n .
V oyage de long cours. — Utilité de sa détermination. Ancien droit,
1492. — Doctrine du Code, 1493 et suiv. — Son abrogation par la
loi du 14 juillet 1854. Conséquences, 1496.
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FIN DE LA TABLE ALPHABETIQUE
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Tome 5
PAR J. BÉDARRIÛE
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Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier!
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’IIonneur
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L. L A R O S E , LI BRAI RE
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PAR J. BÉDARRIÛE
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Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier!
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’IIonneur
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revue e t m ise au c o u ra n t de la d octrine et de la jurisp
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L. L A R O S E , LI BRAI RE
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
22 , RUE SOUFELOT, 22
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COMMENTAIRE Dü CODE DE COMMERCE
L IV R E II
DU COMMERCE MARITIME
TITRE XI
DES»
AVARIES
Article 397.
Toutes dépenses extraordinaires faites pour le navire
et les marchandises, conjointement ou séparément ; tout
dommage qui arrive au navire et aux marchandises,
depuis leur chargement et départ, jusqu’à leur retour et
déchargemeut, sont réputés avaries.
Article 398.
A défaut de conventions spéciales entre toutes les
v— \
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DROIT MARITIME,
parties, les avaries sont réglées conformément aux dis
positions ci-après.
Article 399.
Les avaries sont de deux classes : avaries grosses ou
communes, et avaries simples ou particulières.
S OMMA I R E
1629.
1630.
1631.
1632.
1633.
Sinistres donnant lieu à l ’action d’avaries. Objet de cette
action. Son caractère.
Peut être formée pour la première fois en appel du juge
ment statuant sur le délaissement.
La prescription qui éteint l ’action en délaissement ne
produit pas le même effet sur celle en règlement d’ava
ries.
Résulte-t-il de là qu’après avoir succombé sur le délais
sement, l ’assuré pourra encore exercer l ’action d’ava
ries, si le délai de cinq ans n’est pas expiré?
Dans quels cas la décision sur le délaissement créera la
chose jugée sur l'action d’avaries.
Jurisprudence.
Critique qu’en fait M. Dageville. Réfutation.
De quels actes doit résulter l ’option qui est laissée à l’as
suré entre les deux actions. Conséquences.
A quelle époque peut et doit être exercée l’action d’ava
ries.
Qui doit avancer les sommes nécessaires pour la répara
tion de l’avarie.
A la charge de qui est le remboursement de l’emprunt à
la grosse contracté dans cet objet.
�ART.
1637.
1638.
1639.
1640.
1641.
1642.
1643.
1644.
1645.
1646.
1647.
1648.
1649.
1650.
1651.
397, 398, 399.
3
Devant quel juge doit être portée l’action en règlement
d’avaries contre les assureurs.
Obligations de l’assuré. Preuves qu’il doit fournir. Dé
lai dans lequel il doit produire les pièces justificatives.
Nature de la preuve du chargement et de celles de la
perte.
Effets de la preuve à l’endroit des assureurs sur corps.
Sur quelles bases s’établit l ’indemnité qu’ils doivent
payera l’assuré.
Leur est-il dû un prélèvement pour la différence du neuf
à l’usé.
Il en est de la quotité de ce prélèvement comme du prin
cipe lui-même. A défaut de convention, elle doit être
réglée par le juge.
Indemnité que doivent les assureurs sur facultés, en cas
d’avaries. Règlement par différence d ’abord adopté. Ses
éléments.
Substitution du règlement par quotité ou brut. Sa na
ture.
Prétention d’opérer ce règlement au net. Exemple du ré
sultat de ces trois modes.
Le règlement par quotité au brut doit être préféré. Arrêt
remarquable de la cour d’Aix.
Comment doit-on procéder dans l ’hypothèse des marchan
dises vendues en cours de voyage pour les besoins du
navire.
Quid, si la vente n ’a eu lieu que pour prévenir la perle
totale de la marchandise ?
Position des assureurs lorsqu’il s’agit d’une avarie grosse.
En quoi et comment sont-ils liés par le règlement in
tervenu entre les chargeurs et l ’armateuç;.
Ce que peut répéter l ’assuré, et ce que doit l ’assureur.
Entre l ’assureur et l ’assuré le règlement a lieu par poli
ces ou par nature de marchandises.
�4
DROIT MARITIME.
1652.
Quid, si la marchandise de même nature a été divisée en
séries.
1653. A la charge de qui sont les frais de vente et d'expertise.
Comment ils doivent être payés.
1654. "Ventilation en cas de vente cumulative des effets avariés
et de ceux en état sain. Conséquence dans l ’assurance
par séries.
1655. L’obligation de payer les frais n’étant qu’accessoire à celle
de payer l ’avarie, l’assureur n‘en devrait aucun, si le
taux de celle-ci étant inférieur aux franchises, il ne de
vait aucune indemnité.
1656. Ancienne acception du mot avarie. Conséquences.
1657. Devoir du législateur de s’expliquer sur le caractère des
dépenses extraordinaires.
1658. Que doit-on entendre par dépenses extraordinaires cons
tituant une avarie.
1659. De quelles causes peut naître l’avarie. Conséquences quant
à la responsabilité des assureurs.
1660. Ils sont tenus de la diminution du poids.
1661. Profitent-ils de son augmentation ?
1662. Répondent-ils des conséquences de la rupture de l’assor
timent ?
1663. Caractère de l ’article 398. Motifs qui le firent consacrer.
Conséquences.
1664. Nécessité de classer les avaries. Eléments de ce classe
ment.
1665. Nature de celui adopté par le Code.
A 62G . — Tout sinistre autre que ceux énumérés
dans l’article 369, toute détérioration ou perte qui n’at
teint pas les proportions y indiquées n’est qu’une ava
rie, c’est ce que l’article 370 a expressément consacré.
L’assuré n’a donc plus le choix entre l’action en dé-
�ART.
397, 398, 399.
5
laissement et celle en règlement d’avaries, il est forcé
ment réduit à exercer celle-ci, qu’on ne saurait lui con
tester. En effet, le but de l’assurance étant de faire par
venir la chose assurée intacte au lieu de destination, les
assureurs répondent naturellement de tout ce qu’elle
perd par fortune de mer dans sa qualité ou sa quan
tité, à moins cependant de convention contraire que les
parties sont libres de stipuler.
L’action en règlement d’avaries n’a pas pour objet de
transférer aux assureurs la propriété des effets avariés.
Cette propriété n’a pas cessé et ne doit jamais cesser de
résider sur la tête de l’assuré ; elle se borne à obtenir
l’indemnité du préjudice résultant de la fortune de mer,
différant en ce point de l’action en délaissement, qui
doit contraindre les assureurs au paiement intégral du
montant de l’assurance. Cette différence, dans la nature
et les résultats des deux actions, en détermine une autre
dans leur durée respective. Celle en délaissement doit, à
peine de déchéance, être exercée dans les délais de l’ar
ticle 373, tandis que le règlement d’avaries n’est soumis
qu’à la prescription édictée par l’article 432.
De là on prétendait établir entre ces ac
tions une séparation telle, que celle en avarie ne pou
vait être formée pour la première fois en appel, subsi
diairement à la demande en délaissement. Relativement
à celle-ci, seule soumise au premier degré de juridiction,
disait-on, le règlement d’avaries, qui s’en éloigne par
son principe, par ses résultats, par ses règles spéciales,
1639.
—
�DROIT
MARITIME.
constitue une demande nouvelle, irrecevable en cause
d’appel.
Un arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation,
du 22 juin 1847, repousse ce système, voici sur quels
motifs :
« Aitendu que la demande en délaissement a pour
objet d’obtenir le paiement total de la somme assurée,
et que la transmission aux assureurs des effets dont ils
ont couvert les risques n’en est qu’une suite et une con
séquence lorsqu’il est reconnu valable ; que l’action dite
d’avaries a seulement pour but de faire obtenir à l’as
suré une partie du prix de ses marchandises, en pro
portion du dommage éprouvé, et en raison de l’évalua
tion admise dans la police d’assurance ; que cette action
ou demande a donc pour but, comme le délaissement
lui-même, les pertes résultant des événements de mer ;
qu’ainsi, dans l’un et l’autre cas, il faut examiner et ap
précier les mêmes éléments pour savoir si la perte est
en dessus ou en dessous des trois quarts de la valeur
assurée ; que s’il résulte, de la contradiction opposée par
les assureurs au délaissement, qu’il y a seulement lieu
à un règlement d’avaries, les conclusions prises à cet
égard par l’assuré, pour la première fois en appel, sont
une simple modification de son action première, en di
minuent la portée, mais ne constituent pas une deman
de à laquelle il soit nécessaire de faire subir deux degrés
de juridiction h »
�art.
397, 398, 399.
7
1628.
— Donc, aux yeux de la Cour régulatrice, il
y a entre les deux actions un lien tel qu’on peut substi
tuer celle en avaries à l’action en délaissement, dont elle
n ’est qu’une modification. Cette doctrine a besoin d’une
explication à l’endroit de la prescription et de l’in
fluence que la chose jugée sur le délaissement doit exer
cer sur l’action d’avaries.
Il est certain que la prescription de l’article 373 n’é
teint que l’action en délaissement, celle en règlement
d’avaries pouvant être exercée dans le délai porté par
l’article 432 ; à ce point de vue, l’application absolue
de la doctrine de la Cour de cassation arriverait à une
conclusion contraire. En effet, un droit prescrit pour le
tout se trouverait éteint dans toutes ses parties. La de
mande d’une de ses parties se trouverait donc écartée
par une exception insurmontable. Donc, si le délaisse
ment est l’ensemble,et le règlement d’avaries la fraction,
la ruine du droit d’exercer l’un entraînerait forcément
celle d’user de ce dernier, ce serait là cependant sortir
de la réalité, et donner à l’article 373 une extension
qu’il ne comporte pas.
Il faut donc admettre que l’action en délaissement
peut se trouver prescrite, sans que celle en règlement
d’avaries le soit. C’est ce que la Cour de Rouen consa
crait avec raison, par .arrêt du 10 mars 1826.
1629.
— Résultait-il de là, comme le décide cet
arrêt, que cette dernière peut être exercée lorsque l’as
suré s’étant pourvu en délaissement a été déclaré non
�—
DROIT
MARITIME.
recevable pour l’avoir fait hors du délai de l’article 373.
Décider affirmativement celte question, c’est donner,
au point de vue de la prescription, à l’indépendance des
deux actions, une extension telle qu’elle arrive à violer
ouvertement la loi. Nous admettons bien que celui qui
poursuivrait le règlement de l’avarie après l’expiration
des délais accordés pour le délaissement, ne pourrait
être écarté par l’exception de prescription, mais à une
condition cependant, c’est qu’il n’aura jamais exercé
l’action en délaissement ; si après avoir intenté celle-ci,
et succombé, il prétendait se pourvoir en règlement d’a
varies, il devrait succomber, soit par l'autorité de la
chose jugée dans les conditions que nous exposerons
bientôt, soit par application de l’article 369.
Nous l’avons déjà dit, la faculté de faire le délaisse
ment ne signifie qu’une seule chose, à savoir, que l’as
suré a deux actions entièrement abandonnées à son ap
préciation, il peut, à son choix, les exercer l’une ou l’au
tre, mais il ne peut les cumuler l’une et l’autre ; les
exercer successivement, revenir à l’une après avoir suc
combé sur l’autre. Son intérêt lui conseille de choisir
celle qui s’offre plus favorablement pour lui, son option
consommée, il n’est plus libre de la considérer comme
nulle et de nul effet : Electa una via, non datur regressus ad alteram.
Donc, eu admettant le contraire, l’arrêt de la Cour de
Rouen s’écartait du texte et de l’esprit de la loi. Il est
vrai que dans l’espèce l’assuré signifiant le délaissement
faisait sommation aux assureurs de payer le montant
�ART.
597, 598, 599.
9
des assurances, et la Cour voit là deux demandes dis
tinctes : l’une en délaissement, prescrite d’après l’arti
cle 373 ; l’autre en paiement de l’avarie non atteinte par
la prescription ; mais n’est-ce pas là une appréciation
erronée ? La demande en paiement du montant de l’as
surance ne se rattachait-elle pas étroitement au délais
sement, n’en était-elle pas la conséquence immédiate,
l’accessoire naturel ? Dès lo rs, si le droit était éteint,
comment consacrer la conséquence? Si le principal avait
péri, comment consacrer l’accessoire ?
Ainsi, la prescription opposable au délaissement ne
saurait l’être à l’action d’avaries lorsque, se bornant à
celle-ci, l’assuré n’a jamais réalisé l’autre ; si, au con
traire, optant pour celle-ci, il a judiciairement succom
bé, son droit est éteint et épuisé, il ne lui en reste plus
aucun à exercer. Cette conséquence, fondée sur la maxi
me electa una via, etc., se justifierait encore par l’au
torité de la chose jugée. Puisque, en formant le délaisse
ment, l’assuré peut à tout événement conclure, même
pour la première fois en appel, à un règlement d’ava
ries, il est coupable de ne pas l’avoir fait : In judicium,
omne jus dedmisse videtur. Il n’y a que ce qui cons
titue une demande nouvelle qui survive à l’instance dé
finitivement terminée. Nous venons de voir la Cour de
cassation refuser positivement ce caractère à la demande
en règlement d’avaries, elle est donc éteinte si , n’ayant
pas été formée, l’assuré a été déboulé de son action en
délaissement.
�10
DROIT MARITIME.
1630.
— Cette conséquence est-elle tellement ab
solue qu’on doive l’appliquer même dans l’hypothèse
où le délaissement a été écarté comme ne se référant à
aucun des cas autorisés par la loi ? Nous ne le pensons
pas. Dès lors toutes les fois que le délaissement n’a été
combattu et repoussé que parce que le fait sur lequel on
le fondait ne rentre pas dans la catégorie de ceux énu
mérés par l’article 369, l’action d’avaries ne saurait
être refusée, tout ce qui résultera du jugement accueil
lant la fin de non recevoir, c’est que l’assuré n’ayant
jamais eu l’action en délaissement, son option a été le
résultat d’une erreur de fait ne pouvant ni lui profiter,
ni lui nuire.
D’ailleurs, le fond n’ayant été ni abordé ni discuté,
la seconde action qui déterminera cet examen et cette
discussion aura une toute autre cause que la première.
Donc, en jugeant celle-ci et en décidant que le droit de
délaisser n’appartenait pas à l’assuré, on n’a pas même
préjugé le fond. Comment, dès lors, pourrait-on oppo
ser à la poursuite de celui-ci l’exception de chose jugée ?
En ne statuant que sur la fin de non recevoir, le juge a
par cela même réservé les droits des parties, et c’est
cette réserve que réalise la seconde demande.
Mais si le droit de délaisser existait ; s’il n’est devenu
l’objet d’aucune contestation dans son principe ; si en
fin on s’est borné à soutenir qu’il a été perdu pour n’a
voir pas été exercé en temps utile, le jugement définitif
qui a accueilli cette prétention est un obstacle invincible
b l’exercice ultérieur de l’action d’avaries; dans cette
�ART.
397, 398, 399.
11
hypothèse, il y avait réellement lieu à option, et cette
option réalisée, l’action intentée à la suite était devenue
la seule possible pour l’assuré, ayant par cela même
renoncé au bénéfice de l’autre ; dès lors si le délaisse
ment a été écarté, soit parce qu’il n’a pas été réalisé
dans les délais utiles, soit parce qu’il n’a pas été fait
dans les formes prescrites, tout est définitivement jugé.
Permettre à l’assuré de revenir ensuite par l’action en
règlement d’avaries, ce serait lui reconnaître la faculté
de cumuler les deux actions, alors que la loi ne lui a
conféré que l’une ou l’autre,
1 .6 3 JL. — Notre doctrine trouve un point d’appui
dans la jurisprudence de la Cour suprême. Dans une
espèce où la chose assurée avait totalement p é ri, dé
laissement avait été fait aux assureurs, mais ceux-ci,
excipant de sa tardiveté, l’action avait été repoussée par
application de l’article 373.
L’assuré intente alors l’action en règlement d’avaries,
mais on lui oppose l’exception de chose jugée, et cette
exception est définitivement consacrée par arrêts de la
cour de Rennes, des 12 juin 1817 et 26 juillet 1819.
«Attendu, porte ce dernier, que l’assuré, libre d’adop
ter l’une ou l’autre des deux actions, ayant fait choix de
celle en délaissement, ne peut revenir à celle en règle
ment d’avaries, après avoir succombé sur la première ;
l’ordre et la tranquillité publique ne pouvant permettre
de reproduire la même action sous différentes faces, lors-
�DROIT
MARITIME.
que, pouvant agir à différents titres, on a consommé son
option...... »
La question ayant été déférée à la Cour de cassation,
un arrêt du 26 mars 1823 rejeta le pourvoi. Au reproche
d’avoir fait mal à propos résulter la chose jugée pour
l’avarie de l’arrêt qui avait écarté le délaissement, la
Cour régulatrice répond que le chargement de sel dont
l’assuré prétendait faire le délaissement lors de l’arrêt du
12 juin 1817 , avait, suivant lui , totalement péri sans
espoir d’en recouvrer aucune partie, et que cet arrêt rejeta
sa demande, tant en délaissement, qu’en paiement de
l’assurance, comme prescrite et non justifiée ; que c’est
de ce même chargement que l’assuré a ultérieurement
demandé de lui payer les avaries comme ayant équivalu
à une perte entière ; qu’il suit de là que la demande en
avaries avait lieu entre les mêmes parties, et avait la
même cause et le même objet que le délaissement ; que
par suite, en la rejetant, l’arrêt n’a fait qu’une juste
application de la loi.
1633.
— M
. Dageville critique cette décision , il
refuse d’admettre que la demande en avaries ait le mê
me objet et la même cause que celle en délaissement ;
il soutient, en conséquence, que la chose jugée sur celleci ne saurait l’être sur celle-là.
Le fait qui devient l’occasion de deux actions ne cesse
pas d’être pour l’un ce qu’il est pour l’autre. Donc,
lorsque le règlement d’avaries a pour base un événe-
�ART.
397, 398, 399.
13
ment de nature à autoriser le délaissement, l’identité
de cause ne saurait être contestée.
Dans la même hypothèse, c’est exactement le même
objet, c’est- à-dire le paiement de l’assurance, seulement
il l’est à un titre différent, nous ne pouvons admettre
que cette seule et unique différence fasse disparaître
cette identité.
Dans tous les cas, M. Dageville se tait sur les consé
quences de la maxime electa una v ia ..., et ce sont ces
conséquences que l’arrêt de Rennes invoquait avec rai
son, et dont elle faisait résulter la chose jugée.
Toutes les fois donc que les deux actions ont pu être
exercées, l’assuré est lié par son option. La décision ren
due sur celle qu’il a préférée crée la chose jugée, épuise
son droit et devient un obstacle invincible à toute re
cherche ultérieure. L’assuré, au reste, n ’est ici victime
que de sa propre faute, il a méconnu le devoir que lui
faisait son intérêt d ’opter pour l’action qui n’était pas
encore prescrite, ou de se conformer scrupuleusement
aux formes auxquelles la loi a subordonné la validité du
délaissement.
1633. — Il n’y a d’option créant une fin de non
recevoir contre l’action en avaries, que lorsque le délais
sement a été poursuivi en justice. On ne saurait donc
faire résulter cette fin de non recevoir de la signification
non suivie de citation dans le délai voulu. En consé
quence, si, abandonnant la voie indiquée par la signi
fication, l’assuré se bornait à demander le règlement
�U
DROIT
MARITIME.
d’avaries, on ne saurait ici lui appliquer la maxime èlecta una via, ni le faire déclarer non recevable dans son
action.
Tant que le délaissement n’est pas judiciairement
poursuivi, l’intention d’y recourir n’est qu’un projet que
des renseignements ultérieurs peuvent modifier, que l’as
suré peut, par conséquent, abandonner. Il n’en serait
autrement que si, sur la signification qui leur est faite,
les assureurs acceptaient amiablement le délaissement.
Mais cette acceptation, faisant sortir à effet celui-ci, dé
sintéresserait complètement l’assuré et rendrait l’action
d’avaries non seulement impossible, mais encore abso
lument inutile.
1634.
— L’action d’avaries naît 'de l’avarie ellemême, mais son exercice est subordonné à l’achèvement
du voyage. Ce n’est qu’après l’expiration du risque, soit
par l’arrivée du navire au port du reste, soit par le si
nistre majeur, soit par la rupture volontaire du voyage,
qu’on pourra en connaître la nature et l’étendue, et la
régler d’une manière convenable.
Cette solution semble commandée par le principe déjà
rappelé, à savoir, que les assureurs, n’étant jamais te
nus au-delà de la somme assurée, ne sont pas astreints
au paiement des avaries successives que les marchandi
ses peuvent éprouver dans le cours du voyage, surtout
dans le cas d’un sinistre majeur qui aurait suivi. Ce
pendant elle n’est pas unanimement adoptée en principe,
M. Delaborde, notamment, enseigne que l’assuré peut
�ART.
397, 398, 399.
15
poursuivre le remboursement des sommes employées à
la réparation de l’avarie avant la fin du voyage. Remar
quons, a-t-il soin d’ajouter, que l’assureur qui, sur la
remise à lui faite des pièces et documents justificatifs de
l’opportunité et de la réalité du paiement des frais et
dépenses, en remboursera le montant, ne s’exposera ja
mais à payer trop par la suite, si une perte totale sur
venait, puisque la somme respectivement agréée dans la
police établissant la limite de la responsabilité, il se
trouvera toujours en temps utile pour défalquer la som
me déjà payée du montant de la somme totale dont le
paiement lui sera réclamé 1.
Ce peut être là un motif pour que l’assureur consente
à payer avant la fin du voyage, mais non pour l’y con
traindre. Ce paiement le léserait sous un double rapport,
il lui ferait d’abord perdre l’intérêt de son argent pour
la période qui séparera la fin du voyage du moment où
il le réaliserait par avance ; il l’exposerait de plus à un
grave inconvénient, à un préjudice plus ou moins con
sidérable. Supposez, en effet, qu’à raison des avaries
successivement réparées, l’assuré ait touché l’intégralité
de la somme assurée, il n’aura plus rien à recevoir en
cas de perte totale II se gardera dès lors bien, le cas
échéant, de faire le délaissement qui, sans aucun avan
tage pour lui, lui enlèverait la propriété des choses sauvetées. Il s’en appliquera le produit, et ainsi il aura
tout le profit du délaissement, sans en supporter les
1 Des avaries particulières, n° 208.
�16
DROIT
MARITIME.
charges. L’assureur sera privé de la compensation telle
quelle qu’il aurait pu trouver par la propriété des cho
ses sauvées.
Cela suffit pour qu’on ne puisse le contraindre à ajou
ter cette chance à celles dont il court le risque. Hans tous
les cas, la somme assurée ne devient exigible qu’après la
cessation du risque. L’assureur, ne devant jamais que
le résultat du règlement, et celui-ci ne devant et ne pou
vant avoir lieu qu’à l’arrivée du navire, rien, si ce n’est
sa volonté propre, ne saurait contraindre l’assureur à
payer avant celte même époque.
1635.
— De la cette conséquence, l’obligation de
faire les avances qu’exigent les réparations des avaries
est à la charge de l’assuré. Cette conséquence se déduit
logiquement des articles 371 et 389. En effet, si, de leur
disposition combinée, il résulte que lorsqu’il n’y a pas
lieu à délaissement l’assuré conserve son recours contre
les assureurs pour les frais et avaries occasionnés par
fortune de mer, il en résulte également que les uns et
les autres doivent être préalablement réglés entre les as
sureurs et les assurés, à raison de leur intérêt respectif,
ce qui exclut l’idée que les premiers, à moins de con
vention contraire, soient tenus de concourir par des
avances aux réparations nécessaires pour mettre le na
vire en état de naviguerl.
C’est donc à l’assuré qu’incombe la charge de pouri P oitiers, 25 ju in 1824.
�art,
397, 398, 399.
17
voir aux dépenses et frais qu’exige la réparation de l’a
varie, mais il ne s’ensuit nullement qu’il soit tenu de
faire trouver des fonds au lieu de la réparation. S’il n’y
en possède aucun, s’il en est absent, c’est par un em
prunt sur le navire ou la cargaison elle-même que le ca
pitaine doit et peut se procurer la somme nécessaire.
Dès lors, l’obligation passe en quelque sorte sur la tête
des assureurs. En effet, l’impossibilité de contracter cet
emprunt constituant i’innavigabilité relative donnerait
lieu au délaissement, dont les assureurs ne pourraient
prévenir les effets qu’en pourvoyant par eux-mêmes à la
réparation.
1036. — Si l’emprunt ayant été contracté, le na
vire a continué et achevé heureusement le voyage, le
remboursement de ce qui est dû au prêteur doit être
opéré par l’assuré, sauf son recours contre les assureurs
après règlement. Si, par suite du refus qu’il ferait de
rembourser, le navire ou la cargaison était saisi par le
prêteur et vendu en totalité, il n’y aurait lieu qu’à un
règlement d’avaries. C’est ce que la cour de Paris déci
dait expressément le 27 mars 1838 l.
Dans la même hypothèse, le recours de l’assuré con
tre les assureurs aurait pour objet non seulement le rem
boursement du capital, mais encore celui du profit ma
ritime, enfin celui des intérêts. Ces intérêts, en cas
d’avances, courent du jour où le navire complètement
1 J. du P., 1, 4838, 536.
�DROIT
MARITIME.
réparé a repris le cours de sa navigation L. Us courent
du jour du remboursement, si l’assuré a désintéressé le
préteur à la grosse. Tenus de l’avarie, les assureurs doi
vent en subir toutes les conséquences immédiates et di
rectes.
1639. — L’action en paiement de l’avarie contre
les assureurs étant pure, personnelle, ne peut être por
tée que devant le tribunal de leur domicile, alors même
que, s’agissant d’une avarie commune, le règlement de
vrait s’en faire ailleurs, aux termes de l’article 414.
Nous verrons sur cet article quels sont, dans cette cir
constance spéciale, les obligations et les droits des as
sureurs.
1638. — Cette action en paiement est subordonnée
aux conditions tracées pour le délaissement à l’endroit
de la preuve du chargé et de celle de l’existence de l’ava
rie. L’assureur n’est en demeure de payer qu’après que
les pièces justificatives de l’un et de l’autre lui ont été
signifiées ; comme conséquence, l’intérêt ne peut cou
rir contre lui que du jour de cette signification2.
L’assuré est donc ainsi puni du retard qu’il mettrait
à remplir son obligation. C’est cette considération qui a
empêché la détermination d’un délai quelconque pour
son accomplissement. La cour d’Aix jugeait dès lors avec
1 Bordeaux, 3 décembre 4827.
2
Aix, 3 août 4 830.
�ART.
397, 398, 399.
19
raison, le 45 juin 4840, que les pièces justificatives du
chargement et de la perte peuvent n’être signifiées qu’après la nomination de l’expert répartiteur, lors de la no
tification de l’état d’avaries et avant la poursuite en paie
ment des sommes assurées l.
1639. — La preuve du chargement est dans l’ac
tion d’avaries la même que celle exigée dans l’hypothèse
d’un délaissement. Celle de la perte n’est soumise, en
tre l’assuré et l’assureur, à aucune forme précise et ri
goureuse. Elle peut résulter de tout acte, quelque irrégu
lier qu’il soit, pourvu que sa signification soit concluante
et qu’aucun doute ne s’élève sur sa sincérité. Cette règle
n’a pas cessé de diriger la jurisprudence. Ainsi il a été
jugé :
Que l’assureur ne pourrait se soustraire au paiement
de l’avarie par cela seul qu’il n’aurait point été fait de
rapport par le capitaine au lieu de l’arrivée, et que le
journal de bord ne serait pas représenté, si d ’ailleurs la
cause et l’étendue des avaries étaient suffisamment cons
tatées 3.
Que le rapport du capitaine, quoique non vérifié dans
les formes voulues par l’article 247, peut néanmoins
être pris en grande considération pour établir entre l’as
suré et l’assureur la réalité et le caractère de l’avarie3.
Qu’un rapport d’experts dressé en pays étrangers peut,
1 J . du P ., 2, 4840, 695,
2 Aix, 7 mai 4824.
3 Cass., 27 mars 4828.
�N
20
DROIT
MARITIME.
à raison des circonstances, être tenu pour valable, quoi
qu’il n’ait pas été affirmé sous serm ent, et qu’il peut
être admis comme pièce justificative de l’avarie, quand
il se trouve corroboré par le livre de bord ou par d’au
tres rapports rédigés et régulièrement affirmés 1;
Enfin, que la constatation des avaries éprouvées dans
des parages lointains, et réparées dans un port où il
n’existe pas de consul français, a pu être faite suivant
les usages de ce lieu par un simple certificat de négo
ciants et agents de commerce de la localité, dont les si
gnatures ont été légalisées par l’autorité compétente2.
1640.
— La preuve faite et admise, l’assuré doit
être indemnisé par les assureurs. Dans quelles propor
tions et sur quelles bases s’établit cette indemnité ?
Dans l’assurance sur corps, les assureurs payent tous
les dommages éprouvés par le navire à la suite des for
tunes de mer. La quotité de ce dommage est naturelle
ment fixée par le chiffre de la dépense que l’avarie a
occasionnée, si elle a dû être et a été, en effet, réparée
en cours de voyage ; elle l’est par une expertise, si cette
avarie n’ayant pas empêché l’arrivée du navire, sa ré
paration s’effectue au port du reste.
La mission des experts, dans ce cas, est non de com
parer la valeur actuelle du navire avarié avec celle qu’il
aurait eue en état sain, mais d’établir la nature et le
1 Bordeaux, 7 m ai 1839 ; J. du P ., 2, 1839, 287.
2 Bordeaux, 22 février 1844 ; D. P ., 45, 2, 31.
�art.
397, 398, 399.
21
coût des réparations indispensables pour sa mise en état.
Les assureurs ne répondent pas de la détérioration pro
venant des fatigues ordinaires du voyage, de l’usure na
turelle des corps, agrès et apparaux. On la mettrait ce
pendant à leur charge, si on les obligeait de payer la
différence entre la valeur en état sain et celle en état
d’avaries. Cette différence n’est à considérer que dans le
cas d’un règlement d’avaries communes entre l’arma
teur et les chargeurs.
1641.
— Quelle que soit la partie du navire qui se
trouve affectée , la réparation ou le remplacement de
l’objet avarié aura pour effet la substitution d’une chose
neuve à une autre plus ou moins usée. De là la question
de savoir si l’assuré doit tenir compte de la différence
du neuf au vieux.
Sur plusieurs places de commerce, l’usage avait ad
mis l’affirmative, et non seulement consacré le principe,
mais encore déterminé son étendue. Les assureurs étaient
autorisés à retenir un tiers de la valeur, comme reprétant cette différence.
Cet usage avait-il un fondement bien logique ? Il est
permis d’en douter. Comme l’observe M. Dageville, le
gain qu’on attribue ainsi à l’assuré est fort problémati
que. Le bois neuf qu’on ajoute au vieux ne rend pas ce
lui-ci meilleur, une ancre vieille qui a fait ses preuves
est préférable au mérite incertain d’une neuve. L’assuré
peut gagner quelque chose relativement aux voiles et
�22
DROIT MARITIME.
aux cordages, mais jusqu’à présent on n’avait fait au
cune attention à ces faibles avantagesl.
N’est-il pas d’ailleurs évident que l’avantage n’a été
que la conséquence des fortunes de mer ; que loin d’être
recherché par l’assuré, il est obligé de le subir malgré
lui, et souvent sans utilité réelle. Si, tel qu’il était, le
navire était en position d’accomplir utilement le voyage
entrepris, n’est-il pas irrationnel de faire contribuer le
propriétaire à une réparation qui ne lui donne que ce
qu’il avait déjà ? Pouvait-on le faire sans mettre à sa
charge une quotité de l’avarie dont il avait entendu s’af
franchir entièrement au moyen de l’assurance ?
Sous ce rapport donc l’indemnité du neuf à l'usé, en
faveur des assureurs, n’entrait pas naturellement dans
les prévisions essentielles du contrat, on s’explique dès
lors le silence absolu que garde à son endroit l’ancienne
doctrine.
D’autre part, la détermination générale et uniforme
de cette indemnité au tiers était de nature à blesser dans
plusieurs cas la vérité et la justice. L’avarie pouvait se
réaliser sur un navire à peine construit et armé, essayant
son premier voyage ; dans ce cas, c’est au neuf que se
substituait le neuf, et cependant on n’en prétendait pas
moins à l’indemnité du tiers ; enfin cette quotité, accep
table lorsque le navire naviguait depuis dix ou vingt ans,
se justifiait-elle lorsqu’il n’était âgé que de deux, do
cinq, de six ans?
i T . 4, p. 7.
�art.
397, 398, 399.
23
Quoi qu’il en soit, l’usage dont nous venons d’exami
ner le caractère suffisait-il pour qu’à défaut de conven
tion expresse, l’assuré dût payer la différence du neuf au
vieux, et perdre ainsi le tiers delà dépense? La cour de
Rouen l’ayant ainsi jugé, son arrêt fut cassé parla Cour
suprême, le 13 juillet 1829. A la suite de cette cassa
tion, et pour en répudier les effets dans l’avenir, les
compagnies d’assurances firent insérer dans leur police
une clause stipulant à leur profit la différence du neuf
au vieux et la déterminant au tiers. La légalité incon
testable de cette clause, son existence dans les polices
d’assurance rendant l’indemnité conventionnelle, notre
question ne s’offrira que très rarement. Nous venons de
voir, dans tous les cas, comment la Cour de cassation
l’a résolue.
On indique, comme ayant décidé le contraire, un ar
rêt d’Aix du 28 juin 1831 ; mais, quels que soient les
termes de cet arrêt sur le paiement de la différence du
neuf au vieux, il ne peut avoir la force d’un précédent
sur notre question. Dans l’espèce, en effet, la police
portait : Ne seront admis dans les comptes d’avaries que
les objets qui remplaceront ceux brisés ou détériorés par
fortune de mer dans le cours du voyage, et tous les ef
fets de cette nature, ouvrages et m ain-d’œuvres, sup
porteront un tiers de rabais sur le coût justifié, pour
compenser la différence entre le neuf et le vieux.
Liée par la convention, la Cour n’avait donc pas à se
prononcer sur la valeur de l’usage, tout au plus avaitelle à s’enquérir de la validité de la clause de la police.
�DROIT MARITIME.
Or, sa légalité n’était pas même contestée, on ne plaidait
que sur la question de savoir si l’indemnité du tiers de
vait être calculée sur le cours de la valeur au lieu de la
réparation ou à celui de l’armement.
L’a rrê t, en interprétant la convention sous ce rap
port, n’a certainement résolu, pu ni voulu résoudre la
question si à défaut de convention l’usage suffisait pour
autoriser un prélèvement quelconque en faveur des as
sureurs. C’est donc à tort qu’on le cite comme contraire
à la doctrine de la Cour de cassation.
Au reste, c’est à cette doctrine que s’est rangée la
cour de Rouen elle-même. Un arrêt rendu par elle, le 15
mars 1842, réforme une sentence arbitrale qui, en l’ab
sence d’une convention expresse, avait accordé aux as
sureurs la déduction d’un tiers pour différence du neuf
au vieux.
« Attendu, porte l’arrêt, que si selon l’article 1135
du Code civil les conventions obligent non seulement à
ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que
l’usage donne à l’obligation d’après sa nature, et si l’ar
ticle 1160 dispose en outre qu’on doit suppléer dans un
contrat les clauses qui sont d’usage, les assureurs de
vraient au moins prouver, pour pouvoir réclamer le bé
néfice de ces textes, non un usage local, mais un usage
général ; que loin qu’il soit prouvé que l’usage général
autorise la déduction du tiers pour la différence du neuf
à l’usé, c’est le contraire qui est démontré '.
�\
ART.
597, 398, 399.
25
Ainsi, de droit commun, l’assuré ne doit rien pour la
compensation du neuf au vieux, mais ce droit, d’un pur
intérêt privé, peut être modifié. On pourrait stipuler la
franchise complète de toute avarie, à plus forte raison
peut-on la répartir entre l’assureur et l’assuré dans des
proportions convenues ; la légitimité de la clause met
tant à la charge de celui-ci la différence du neuf à l’usé
ne saurait rencontrer ni exciter le moindre doute ; elle
produirait donc tous ses effets.
1643.
— L’usage n’est pas plus obligatoire pour la
quotité que pour le principe lui-même. Si la convention
ne détermine pas la première, l’assuré ne doit que ce
dont il profite en réalité. C’est donc à l’assureur à jus
tifier de la nature et de l’étendue de ce profit, il ne lui
suffirait pas, pour obtenir une réduction quelconque,
d’établir l’âge du navire '.
L’appréciation des documents que l’assureur produi
rait comme justification et la quotité de l’indemnité à
allouer sont souverainement laissées à l’arbitrage des
juges.
Si la convention détermine le quantum de l’indem
nité, fut-ce le quart, le tiers, la moitié, les tribunaux
seraient liés par les accords des parties et ne pourraient
accorder autre chose que ce qui aurait été arrêté, mais
la quotité convenue doit être calculée, non sur le coût
réel de la réparation, si on a été obligé de la faire en
i Rouen 6 février 1843 ; D. P ., 43, 2, 193.
�DROIT
MARITIME.
cours de voyage, dans un pays où le prix élevé des ma
tériaux et de la main-d’œuvre a singulièrement accru
la dépense, mais seulement sur ce qu’il en aurait coûté
si la réparation avait eu lieu au port d’armement. L’as
suré, dit la cour d’Aix dans son arrêt du 28 juin 1831,
ne doit tenir compte que de ce dont profile le navire,
l’excédant ne pouvant être attribué qu’à la fortune de
mer dont l’assureur est responsable.
Mais il peut être dérogé à cette règle, même implici
tement, et l’arrêt attribue ce caractère à la clause que
nous avons reproduite. Inutile de faire observer que
l’existence de cette dérogation est une question d’inter
prétation de contrat, de détermination de l’intention des
parties dont la solution appartient souverainement aux
deux degrés de juridiction.
1 6 4 3 . — Lorsque l’assurance est faite sur facultés,
les assureurs sont tenus du dommage causé par les for
tunes de mer. Ce dommage consiste dans les détériora
tions que les choses assurées présentent à leur déchar
gement.
L’application de ce principe incontesté rencontra et
devait rencontrer quelques tâtonnements. L’assureur ne
doit jamais que la valeur des objets au lieu du charge
ment. Celle considération amenait donc à cette consé
quence qu’on ne pouvait l’astreindre à payer que la dif
férence entre l’état sain et l’état avarié dans ce lieu même,
mais, pour opérer avec certitude, il aurait fallu de toute
�ART.
597, 398, 399.
27
nécessité que la marchandise avariée y fût débarquée et
vendue, ce qui était impossible.
On s’arrêta donc à une autre mesure, la marchandise
avariée étant vendue au lieu de l’arrivée, on établit par
les prix courants de la localité ce qu’elle aurait valu en
état sain, la différence entre cette valeur et le prix de la
vente fut considérée comme constituant la dette à la
charge des assureurs.
Mais la marchandise n’était rendue à sa destination
qu’au moyen de certaines dépenses, le fret, les droits de
douane, les frais de débarquements ; de plus sa valeur
était soumise aux chances de hausse et de baisse du
marché ; exiger des assureurs le paiement intégral de la
différence entre la valeur en état sain et celle en état
d’avaries, c’était mettre à leur charge une part propor
tionnelle dans le fret, les droits et les frais, c’était leur
faire subir les chances de housse et de baisse toutes
choses qui n’ont pu être, qui n’ont jamais été les élé
ments de l’assurance.
1644.
— Tel est cependant le règlement qu’on pra
tiquait à Marseille, mais en 4821 les assureurs se ravi
sèrent, ils substituèrent au mode que nous venons d’in
diquer, et qui était qualifié de règlement par différence,
le règlement par quotité au brut. Celui-ci consiste à con
sidérer la différence entre l’état sain et l’état avarié,
comme la proportion de ce que les assureurs auront à
payer sur la somme assurée. Ainsi une cargaison au
rait valu, en état sain, 30,000 francs, avariée elle n ’a
�28
DROIT MARITIME.
produit que 15,000 fr , elle a donc perdu le 50 0/0.
Les assureurs qui auraient assuré pour 20,006 francs
ou 40,000 francs ne payeront que le 50 0/0 de la somiue assurée, soit 10,000 francs dans le premier cas,
20,000 francs dans le second, au lieu de 15,000, la
baisse du marché ne pouvant pas plus leur profiter que
la hausse leur nuire.
— Enfin, en 1845, un assuré de Marseille
prétendait que le réglement par quotité devait se faire
non au brut mais au net ; dans ce mode, on n’établit
la quotité proportionnelle qu’après avoir prélevé le mon
tant des fret, droits et frais, tant sur la valeur de l’état
sain que sur celle de l’état d’avaries.
Pour bien faire comprendre les effets de ces divers
modes, il est nécessaire de recourir à un exemple
Un chargement est assuré et vaut au lieu du charge
ment 20,000 francs, il arrive avarié et ne produit en
cet état que 10,000 francs ; en état sain , il eût valu
25,000 francs, la différence est de 15,000 francs.
Au brut on dira : 15 sur 25 représentant une perte
de 60 0/0, cette même quotité sur les 20,000 francs
assurés s’élève à 12,000 francs.
Au net on déduira de l’état sain les fret, droits et
frais, soit pour le tout une somme de 5,000 francs, ce
qui réduira la valeur réelle à 20,000 francs.
On fera la même déduction sur le produit de l’état
avarié, mais la somme sera moindre, parce que l’avarie
ne payera pas les dooits qu’on eût payé en cas d’heu1645.
�art .
397, 398, 399.
29
reux voyage. Nous supposons cette diminution des droits
à 1,000 francs, on ne prélèvera donc que 4,000 francs
sur 10,000, restera 6,000 francs.
Or, 6,000 francs à l’endroit des 20,000, prix réduit
de l’état sain, élèvent la perte à 69 et 1/10 0/0 qui, pris
sur la somme assurée, représentent 14,000 francs.
Ainsi, dans notre hypothèse, les assureurs payeront,
s’ils règlent par différence, 16,000 francs : par quotité
au b ru t, 12,000 francs ; par quotité au net, 14,000
francs.
A 6 4 6 . — On voit par là l’intérêt qui s’attache à ces
divers modes et la nécessité de déterminer quel est celui
des trois qui doit être suivi. Or, le premier est unani
mement condamné; assurés, assureurs, tous s’accordent
pour le repousser.
Les considérations qui sont le fondement de cette opi
nion semblent devoir faire rejeter le règlement par quo
tité au net. L’exemple que nous venons d’exposer prou
ve, en effet, jusqu’à l’évidence, que dans celui-ci les
divers frais influent sur la somme à payer , et qu’en
l’augmentant il laisse à la charge des assureurs une pro
portion quelconque dans les fret, droits de douane et
frais de déchargement qui doivent leur rester complè
tement étrangers. Qu’importe que cette proportion soit
moindre que dans le règlement par différence, elle n’en
existe pas moins, dès lors le résultat étant identique, ce
qui fait condamner le plus doit faire proscrire le moins.
Reste le règlement par quotité au brut, s’il est vrai
�30
DROIT
MARITIME.
que seul il affranchit l’assureur de toute participation à
des frais dont il n’a jamais pris le risque ; si seul il
laisse cet assureur en dehors des variations du marché,
comment ne pas le consacrer ?
Or, ce caractère ne peut même être contesté. La preu
ve que ce règlement est conforme aux véritables princi
pes s’induirait de sa longue pratique, tant sur la plu
part des grands centres commerciaux de la France que
chez les nations les plus renommées par l’étendue de
leur navigation.
Ainsi, les jurisconsultes anglais, tels que William,
Bénecke et Rob-Stevent, démontrent mathématiquement
que la comparaison des produits bruts était le seul rè
glement conforme aux notions essentielles de l’assu
rance ; en France, la doctrine est unanime parmi les
auteurs qui ont examiné la question l.
La tentative isolée de 1845 offrait donc bien peu de
chances, pourtant elle fut accueillie et consacrée par le
tribunal de commerce de Marseille, mais le jugement
ayant été frappé d’appel, la Cour d’Àix le réforma par
arrêt du 5 juin 1846, aux motifs duquel M. Dalloz n’hé
site pas à rendre un éclatant hommage
C’est donc sur les produits bruts que devra se calcu
ler la quotité que les assureurs auront à payer sur la
somme admise et convenue dans la police. Cette hypo1 D u b ern ard su r Bénecke, p. 485 e t 557 ; Frém évy, Eludes de droit
com., p. 320 e t suiv, ; D elaborde, avaries particulières, n° 165 e ts u iv .
Àlauzet, des Assur., t . 2, n° 320.
2 D. P ., 46, 2. 429.
�ART.
397, 398, 399.
31
î
thèse suppose que, quoique avariée, la marchandise est
néanmoins arrivée à sa destination.
1049. — Cette arrivée est fictivement supposée
dans l’hypothèse d’une marchandise vendue en cours de
voyage pour les besoins du navire. L’article 234, en ef
fet, oblige dans ce cas le capitaine à indemniser le pro
priétaire sur le pied de la valeur au lieu du reste. Or,
cette valeur peut être inférieure à celle du départ ou à
celle convenue dans lé police. Ce cas se réalisant, l’as
suré pourrait-il réclamer de ses assureurs le montant de
la différence.
L’article 234, disait-on dans une espèce où notre
question s’agitait, a fourni au chargeur, dont les mar
chandises ont été vendues en cours de voyage pour les
besoins du navire, le moyen d’obtenir une indemnité
complète, on ne saurait pas équivoquer à cet égard. En
effet, le chargeur est en réalité pleinement dédommagé
de la perte qu’il a subie, puisque le payement qr.e lui
a fait l’armateur ou le capitaine d’une somme dont la
quotité se règle sur la valeur des objets vendus au lieu
du reste le place exactement dans la même position que
celle qu’il eût occupée si ces effets, au lieu d’être ven
dus, fussent parvenus à leur destination. Or, si cette in
demnité satisfait à toutes les légitimes exigences du char
geur, il est impossible que son assureur soit tenu de lui
payer quelque chose. Ainsi, l’article 234 prohibe impli
citement tout recours contre l’assureur sur facultés.
« Attendu, répondait le tribunal de commerce de
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DROIT
MARITIME.
Marseille, que la vente des marchandises en cours de
voyage est un emprunt forcé qui a rendu l’armateur pro
priétaire de ces marchandises et les a mises à ses ris
ques; que si le chargeur se trouve ainsi privé’ de tbut
ou de partie de ses effets, les assureurs en répondent,
sauf leur droit contre l’armateur, si la marchandise a
été vendue pour satisfaire à quelques besoins du navire;
qu’ainsi, l’assuré a contre les assureurs non seulement
l’action en garantie de la solvabilité du capitaine ou de
l’armateur, mais encore une action directe et principale,
sauf le recours des assureurs contre l’armement. »
Cela posé, le tribunal ajoute : qu’il est de principe
fondamental en matière d’assurances que toute action
de l’assuré contre l’assureur se règle d’après l’évaluation
convenue dans la police, et, à défaut, d’après la valeur
de l’objet assuré au lieu du départ, que ce mode de ré
gler les pertes totales ou partielles, adopté par tous les
tribunaux, peut seul atteindre le but du contrat d’assu
rance, qui est d’indemniser l’assuré de son débours au
lieu de l’expédition, sans égard au bénéfice ou à la perte
résultant de la valeur supérieure ou inférieure qu’au
rait eu l’objet assuré au lieu du reste.
En conséquence, le tribunal condamne l’assureur à
payer la différence réclamée, et cette décision, soumise
à l’appréciation du degré supérieur, fut confirmée par
la cour d’iix , le 7 janvier 1839.
Les assureurs se pourvurent en cassation pour viola
tion notamment de l’article 234. Mais vainement repro
duisirent ils leur système, vainement soutenaient-ils que
�*
ART.
397, 398, 399.
33
la vente des marchandises en ayant enlevé la propriété
à l’assuré, le risque garanti par eux avait cessé, et que
le contrat avait fini d’exister ; vainement enfin préten
daient-ils, la vente n’ayant été que partielle, que l’arrêt
avait consacré un délaissement qui, non seulement n’é
tait pas total, mais qui, relativement à la différence ré
clamée, ne leur transférait aucun droit sur la chose dé
laissée ; leur pourvoi, d’abord admis, fut définitivement
rejeté par la chambre civile, le 9 février 1842 K
Il résulte de cette doctrine, ainsi que nous avons eu
l’occasion de le dire déjà, que le chargeur dont la mar
chandise a été vendue en tout ou en partie, dans le cours
du voyage, pour les besoins du navire, a une double ac
tion directe et principale : une contre l’armement, l’au
tre contre l’assureur ; que l’article 234, spécial au pre
mier, ne régit que lui et ne saurait nuire ni profiter à
l’assureur. Entre celui-ci et l’assuré, il n’y a jamais d’au
tre valeur que celle du lieu du chargement, ou conve
nue dans la police ; le prix des marchandises au lieu du
reste, s’il excède cette valeur, n’est pas dû par l’assu
reur au-delà de la somme assurée ; par réciprocité, s’il
est inférieur, on ne saurait en exciper pour atténuer
l’obligation de l’assureur. Dès lors, si l’assuré n’a reçu
du capitaine ou de l’armateur que ce produit inférieur,
il sera recevable et fondé à se faire indemniser de la
différence par cet assureur.
Si l’assureur a intégralement désintéressé l’assuré, il
1 J. du P., 4 , 4842, 899.
v — 3
�34
DROIT
MARITIME.
se trouvera de plein droit subrogé à l’action de celui-ci
contre l’armement, et ne recevra jamais autre chose que
ce que l’assuré aurait reçu lui-même, si le prix au lieu
du reste est inférieur au montant de l’assurance ; s’il
lui est supérieur, l’assureur ne pourra obtenir que jus
qu’à concurrence de ce qu’il a payé, l’excédant consti
tuant le bénéfice appartient exclusivement à l’assuré, nul
autre que lui ne saurait, dans aucun cas, l’exiger.
1648.
— Que doit-on décider, lorsque la mar
chandise n’a été vendue au port intermédiaire que par
suite des avaries souffertes qui en rendent impossible le
transport jusqu’à sa destination ?
Nous avons déjà vu que la vente opérée dans cette
hypothèse, si elle porte sur la totalité ou sur les trois
quarts de la somme assurée, ouvrait l’action en délais
sement. L’assureur paye alors la somme assurée et re
çoit le prix de la vente. Notre question ne peut donc
naître que lorsque la vente est en dessous de cette pro
portion, ou que, par suite de l’option qui lui est laissée,
l’assuré pouvant délaisser se borne à demander le rè
glement d’avaries.
Le mode à adopter pour parvenir à ce règlement a
été diversement apprécié, les uns ont pensé que l’assuré
devait recevoir la différence entre la valeur, produit net
de la vente et la somme assurée.
Les autres, que cette différence devait se calculer sur
la valeur brute de la marchandise avariée et en état sain
au lieu du déchargement.
�ART.
397, 398, 399.
35
Enfin, une troisième opinion a consisté à prendre
pour base la même différence, mais au lieu de la vente.
Le premier système offre en grande partie les incon
vénients du règlement par différence. En effet, en pre
nant pour base le produit net de la vente, on met à la
charge de l’assureur une partie du fret, des droits et des
frais ; on le soumet de plus à souffrir des variations du
marché, ce mode est donc inadmissible.
Le second, constituant le règlement par quotité au
brut, serait plus acceptable, s’il était pratiquable. Mais
comment déterminer ce que les marchandises avariées
auraient valu au lieu du déchargement, lorsqu’il était
tellement certain qu’elles ne pouvaient y arriver, qu’el
les ont dû être vendues en route pour prévenir leur
perte totale. On ne pourrait donc que se livrer à des
conjectures s’écartant plus ou moins de la vérité dans
un sens ou dans l’autre.
Reste donc le troisième, mais celui-ci est repoussé par
les principes et encourt le reproche de méconnaître l’ob
jet et le but du contrat. Ce que l’assurance garantit,
c’est non l’arrivée dans tel ou tel port intermédiaire,
mais celle de la chose assurée à sa destination. On ne
saurait dès lors contraindre l’assuré à régler les effets du
contrat ailleurs qu’à cette destination.
A notre avis, la question doit se résoudre par une
combinaison des deux derniers systèmes : l’une des ba
ses du règlement doit être le produit brut de la vente ;
l’autre, la valeur que les mêmes choses auraient eue au
�36
DROIT
MARITIME.
lieu de destination. La différence entre l’une et l’autre
établira la quotité à payer sur la somme assurée.
Sans doute, il pourra se faire que le marché sur le
quel la vente s’est opérée fût à la baisse, tandis que ce
lui du déchargement sera à la hausse à l’arrivée du na
vire. Mais le contraire pouvant se réaliser, on ne saurait
voir dans cette éventualité qu’une de ces chances aléa
toires caractérisant le contrat d’assurance.
De quoi se plaindraient d’ailleurs les assureurs ? La
vente dans le port intermédiaire a été réellement dans
leur intérêt, puisqu’à défaut la marchandise qui en a
été l’objet aurait totalement péri. Le produit, quel qu’il
soit, sera pour eux un incontestable avantage, puisqu’il
diminuera d’autant l’indemnité qu’ils auraient eu à
payer, si cette perte totale s’était accomplie.
— Si l’avarie dont le payement est poursuivi
est une avarie grosse, les assureurs sont liés par le rè
glement régulièrement intervenu entre les chargeurs et
l’armateur, quoiqu’ils n’y aient été ni présents, ni ap
pelés. C’est ainsi que la cour d’Aix jugeait, le 1er février
1827, que les assureurs sont garants de l’erreur com
mise par le juge dans un règlement d’avaries commu
nes fait en pays étranger.
Toutefois, cette régie doit être sainement entendue et
restreinte dans ses limites naturelles. Ce qui est définitif
dans le règlement à l’endroit des assureurs, c’est la dé
termination des bases et de la quotité delà contribution.
Ainsi l’assureur ne serait ni recevable ni fondé à soute1649.
�ART.
397, 398, 399.
37
nir sur l’appel du jugement homologatif qu’on a faus
sement considéré comme avarie commune, ce qui n’é
tait qu’une avarie particulière soit au navire, soit à la
cargaison.
Mais ce règlement et le jugement qui l’a homologué
n’ont pu modifier les rapports que la police établit entre
l’assuré et l’assureur. Celui-ci pourra donc soutenir que,
dans les sommes laissées à la charge de la chose qu’il
garantit, il en est qui ne constituent pas une avarie, ou
qui ne rentrent pas dans la catégorie de celles dont il a
pris le risque. II pourrait également, si le règlement de
l’avarie commune a été fait à l’amiable, soutenir qu’on
a exagéré le chiffre de la perte et atténué celui de la
masse contribuable, à l’effet d’accroître le taux de la
contribution.
1650.
— Dans tous les cas, et quel que soit le taux,
le droit de l’assuré contre l’assureur se borne à répéter
une quotité égale sur la somme assurée. Comme nous
le verrons plus bas dans l’avarie commune, le prix des
marchandises perdues comme de celles sauvées s’établit
sur leur valeur au port du reste. Or, l’assureur n’est ja
mais tenu que de la somme portée dans la police, ou
de la valeur de la chose assurée au lieu du départ.
Ainsi, une cargaison a été assurée pour 18,000 fr.,
une avarie commune ayant été soufferte, elle a été éva
luée à l’arrivée à une somme de 24,000 fr., et sa con
tribution arrêtée au 25 0/0, l’assuré payera donc 6,000
fr., il ne recevra dès lors que 18,000 fr. au liea de
�DROIT
MARITIME.
24,000 fr. qu’il aurait eu, si le navire était arrivé in
tact; il perd 6,000 fr.
Si l’assureur remboursait intégralement cette perte,
on lui ferait garantir le bénéfice de l’opération qui ne
pouvait même être valablement assuré. Pour lui la mar
chandise n’a jamais valu ni pu valoir que 18,000 fr.
Dès lors, la perte étant de 25 0/0, il n’est tenu que de
cette quotité sur cette somme de 18,000 fr., il nejremboursera dès lors que 4,500 fr., les 1,500 fr. restant
représentent la part afférente aux 6,000 fr. du profit,
qui ont formé le découvert de l’assuré.
L’assureur ne doit donc jamais la quotité à supporter
par l’assuré dans l’avarie commune, que relativement à
la somme assurée, mais il la doit dans tous les cas, et
alors même qu’au lieu d’un profit la valeur des mar
chandises au lieu du débarquement offrirait une perte.
Supposez, dans notre hypothèse, que la contribution à
l’avarie commune étant du 25 0/0, la cargaison assurée
pour 18,000 fr, n’a été évaluée que 12,000 fr., l’assuré
n ’aura à payer que 3,000 fr., mais il n’en a pas moins
perdu le quart de la somme assurée. En conséquence,
l’assureur devra lui rembourser 4,500 fr. Le décider
autrement, ce serait le faire profiter de la baisse du mar
ché, ce qui serait d’autant plus injuste qu’il ne saurait,
dans aucun cas, supporter les effets de la hausse.
— Entre l’assureur et l’assuré, le règlement
de l’avarie a lieu par polices. En effet, sauf une très
rare exception, il y a autant d’assurances que de poli1651.
�ART.
397, 398, 399.
39
ces distinctes. On ne saurait donc confondre les choses
qui en font la matière dans une seule et même avarie.
L’existence d’une seule police n'est pas toujours un
motif pour procéder autrement. Ainsi, lorsque des mar
chandises de différentes valeurs sont assurées par la mê
me police, le règlement des avaries se fait par nature de
marchandises et jamais sur la masse totale. Autant de
marchandises distinctes, dit M. Delaborde, autant de
capitaux divers exposés à de chances différentes sur le
même marché, et soumis d’ailleurs la plupart du temps
à des franchises diverses. On tomberait dans des diffi
cultés inextricables, en se laissant aller à confondre en
un seul et même tout ce qui, de sa nature, ne doit ja
mais être confondu. Il en serait de même dans le cas
où les marchandises assurées, quoique comprises dans
le même connaissement, porteraient des marques diffé
rentes.
1652. — Enfin, il y aurait lieu à plusieurs règle
ments si les marchandises de même nature, comprises
dans une seule police, avaient été divisées en séries. Une
pareille assurance, qu’elle qu’en soit la forme , établit
autant de capitaux distincts qu’il y a de séries, et con
séquemment la nécessité d’un règlement spécial pour
chacune.
1653. — Les frais de vente des marchandises ava
riées, ceux de l’expertise pour constater leur valeur à
l’état sain sont à la charge des assureurs, ainsi que ceux
�40
DROIT
MARITIME.
auxquels peut donner lieu l’instance en réglement. Tout
cela, en effet, n’est qu’une conséquence de l’avarie et
doit être supporté par le débiteur de celle-ci.
Toutefois, observe M. Delaborde, comme ces frais ne
sont qu’une conséquence directe du dommage éprouvé
par les marchandises assurées, et qu’à proprement par
ler, ils n’en font point une partie constitutive, il en faut
strictement conclure que jamais ils ne doivent être com
pris dans les calculs relatifs à l’appréciation du dom
mage. On doit seulement les ajouter hors ligne à la som
me représentative de l’indemnité que l’assureur doit
payer par suite de l’avarie l.
M. Delaborde examine ensuite l’opinion de ceux qui
veulent que les frais extraordinaires de vente et d’exper
tise soient tout d’abord prélevés sur le produit brut en
état d’avarie, il en prouve l’inadmissibilité en établis
sant par des chiffres que ce prélèvement procure à l’as
suré un bénéfice ou une perte, suivant que la vente a eu
lieu en baisse ou en hausse. On doit donc l’écarter com
me contraire au principe qui laisse l’une et l’autre ab
solument en dehors de l’assurance,
1654.
— Les frais à la charge des assureurs ne sont
que ceux occasionnés par la vente des effets avariés,
dès lors si l’assuré faisait vendre cumulativement et les
marchandises avariées et celles en état sain, les frais
devraient être ventilés de telle sorte que seul il payât
ceux relatifs à ces dernières.
1 N° 495.
�ART.
397, 398, 399.
41
C’esl surtout dans le règlement par séries que l’obser
vation de celte règle est importante, il ne saurait suffire
qu’une série eût subi une avarie excédant les franchises,
pour que l’assureur fût chargé des frais de la vente en
comprenant plusieurs, ou portant sur la totalité. Cha
que série formant un capital distinct et donnant lieu à
un règlement spécial, les frais seraient chaque fois ré
glés comme dans le cas que nous venons d’examiner.
1«55. — L’obligation de payer les frais de vente et
d’expertise n’étant que la conséquence de celle d’indem
niser l’assuré de la perte, elle n’existe que lorsque le
taux de l’avarie excède les franchises convenues ; dans
le cas contraire, l’assureur, non tenu du principal, ne
saurait l’être de l’accessoire.
De là cette conséquence : dans l’assurance par séries,
les frais de vente et d’expertise des marchandises dété
riorées elles-mêmes ne seront à la charge de l’assureur
que pour les séries dont l’avarie excédera les franchises.
Pour toutes celles qui ne présenteraient pas cette cir
constance, les frais resteraient exclusivement à la charge
de l’assuré.
1056. — Le mot avarie n’a pas toujours eu l’ac
ception que l’usage lui a depuis longtemps attribuée. Au
jourd’hui l’avarie implique l’idée d’un dommage maté
riel subi par des objets qui sont exposés aux chances de
la navigation.
Dans l’origine, ce dommage était appelé : Dan, dang,
�DROIT
MARITIME.
damnatge, perdua, conmmament et surtout encamirament. Le Consulat de la mer emploie le plus souvent
cette dernière expression. Il désigne la marchandise dé
tériorée par ces mots : Roba encamerada ou mercaderia encamerada.
A cette époque, avarie signifiait exclusivement dépen
se, et plus spécialement celle qui avait pour objet cer
tains frais et droits de navigation. C’est ainsi que dans
maintes circonstances nous trouvons ce mot employé
dans ce sens par le Consulat de la mer : Àquel mercader es tengut al senyore de la nau, de pagar le nolit
que ab est aura empres, et totes les a v a r i e s que per
acquella roba seram fetes.., Si aquel en haurà fêta
messio o a v e r i e s algunes, etc.
M. Delaborde rappelle en outre que dans le vieux
droit les usages du commerce maritime donnaient à
toute marchandise en général, non seulement le nom de
roba, mais encore celui de aver, haver, avéré. Le ca
pitaine répondait de los havers dels mercadens. Le
compte qu’il devait en rendre s’appelait compte de hos
havers, ou de l'avarie. C’est ainsi que l’expression ava
ria, averie, avarie, dérivant d’un mot originairement
applicable aux marchandises elles- mêmes, a été appelée
à retracer l’idée d’une formalité pécuniaire concernant
celles - c il.
1.659. — Les précédents imposaient au législateur
�ART.
397, 398, 399.
43
le devoir de préciser sa pensée à l’endroit de la respon
sabilité des assureurs. Aucun doute ne pouvait surgir
sur la détérioration ou la perte. L’une et l’autre por
tant matériellement sur la chose assurée, leur obliga
tion d’en indemniser l’assuré ne pouvait être récusée, à
moins de convention contraire.
Mais la dépense faite pour conserver cette chose n’é
tait pas un dommage matériel ; des difficultés étaient
donc dans le cas de naître sur la responsabilité des as
sureurs en ce qui la concernait. Sans doute, leur solu
tion résultait de la nature du contrat. L’obligation que
contractent les assureurs est de faire arriver la chose as
surée en état sain au lieu de la destination, conséquem
ment ils doivent être tenus de faire face à tout ce que les
chances du voyage ont rendu indispensable pour attein
dre ce but, mais il n ’en était pas moins prudent de s’en
expliquer formellement.
Aussi', dès qu’on commença à donner au mot avarie
l’acception qu’il a encore de nos jours, rangea-t-on sur
la même ligne la détérioration matérielle et les dépenses
que la conservation de la chose assurée avait nécessitées
en cours de voyage.
1658. — Toutefois il était évident qu’on ne pou
vait considérer comme avaries aux risques des assureurs
les dépenses naturellement occasionnées par le fait du
voyage lui-même, qu’on a pu d’avance calculer et pré
voir.
De là, l’expression dépenses extraordinaires, pour
�:
44
DROIT MARITIME.
désigner les frais constituant l’avarie. Ce qui signifie
qu’on ne doit ranger dans cette catégorie que les dépen
ses qu’il était impossible de prévoir, et qui ne sont que
la suite directe d’une fortune de mer. Telle était d’ail
leurs la pratique avant même que l’ordonnance de 1681
d’abord, et le Code de commerce ensuite l’eût consacrée
par la locution que nous relevons.
Ainsi, sont avaries toutes dépenses extraordinaires fai
tes pour le navire et les marchandises conjointement ou
séparément. On dit dépenses extraordinaires, observait
Valin, par opposition à celles qui peuvent survenir na
turellement, quoiqu’elle ne soit pas ordinaire dans le
voyage. Par exemple si le navire est conduit sans néces
sité dans un port où il y ait des droits à payer, ce n’est
point une avarie à supporter en commun par les char
geurs ni par les assureurs, mais ce sera autre chose si
c’est par force majeure, de même pour les droits de pi
lotage, touage, etc.
Par exemple encore, si le voyage sans accident mari
time se prolonge de manière qu’il y ait nécessité de faire
de nouveaux vivres, ce n’est point non plus une avarie,
Secus, si des coups de mer endommagent le navire de
telle sorte qu’il y ait nécessité de gagner un port pour
se radouber et y prendre un supplément de vivres. Alors
tout cela est avarie, particulière au navire à la vérité,
mais pour le compte des assureursl.
1 6 5 9 . — Est également avarie tout dommage suri A rt. 4, tit. des Avaries.
�art.
397, 398, 399.
45
venu au navire du jour du chargement ou du départ,
jusqu’à son arrivée au port convenu, ou à son retour
dans celui d’armement.
L’avarie puisera nécessairement son origine dans une
des causes suivantes : la fortune de mer ; le vice propre
de la chose ; le fait du capitaine ou de l’équipage ; le
fait personnel de l’assuré.
Les assureurs répondent de plein droit de celle résul
tant d ’une fortune de mer, ils doivent dès lors en sup
porter toutes les conséquences. Le contrat d’assurance
n’a été souscrit que dans ce but.
L’avarie provenant du vice propre concerne exclusi
vement le propriétaire de la chose, il n’a, à raison de
ce, aucun recours à exercer, soit contre l’armateur, soit
contre l’assureur, à moins que ce dernier n’en eût ex
pressément garanti le risque.
Le fait du capitaine ou de l’équipage crée de plein
droit une action en faveur du propriétaire de la chose
avariée, tant contre le capitaine que contre l’armateur
civilement responsable. L’assureur ne pourrait être re
cherché que s’il avait pris à sa charge la baraterie de
patron ; dans ce cas, l’assureur qui aurait désintéressé
l’assuré serait subrogé à ses droits contre le capitaine et
contre l’armement.
Le fait personnel de l’assureur ne pouvant donner lieu
à une assurance licite, l’avarie qu’il aurait déterminée
resterait dans tous les cas à sa charge exclusive l.
i V lupra, a rt. 3S2.
�46
DROIT
MARITIME.
1600. — Il y a avarie pour la cargaison toutes les
fois que la marchandise dont elle se compose est at
teinte dans sa qualité ou sa quotité. La diminution du
poids se place dans cette dernière catégorie. L’assureur,
tenu des avaries, est donc responsable de cette dimi
nution .
Cette responsabilité, toutefois, ne peut être invoquée
que si, au'moment du chargement, la quotité du poids
a été déterminée d’une manière certaine, par exemple
si le connaissement constatait le pesage et ses résultats.
A défaut d’une détermination précise, l’assuré serait
non recevable à exciper d’une prétendue différence.
Il faut, indépendamment de cette première condition,
qu’il soit de plus justifié de fortunes de mer ayant pu
occasionner la diminution du poids. Si le navire n’a
souffert aucun accident pendant le voyage, si, à l’arri
vée, l’arrimage est trouvé bon et en bon état, et si les
caisses, fûts, sacs ou autres enveloppes sont secs et bien
conditionnés, le déficit sur le poids porté au connaisse
ment ne peut provenir que du vice propre, dont l’assu
reur n’est pas responsable en principel.
1661. — Il est des marchandises dont le poids
augmente par le contact de l’eau. Ainsi, ce qui est de
nature à en diminuer la qualité, en accroît la quantité.
L’usage est de bonifier cette augmentation à l’assureur
et à ne calculer le bénéfice que sur le poids actuel.
I Detaborde, n« 201.
�ART. 397, 398, 399.
47
M. Delaborde s’élève contre cet usage et non sans
raison. Il^est certain, en effet, que l’assuré ne retirera
aucun profit d’une pareille augmentation. L’acheteur à
qui il proposera les marchandises ne manquera pas de
faire la part du mouillage et d’offrir un prix inférieur à
celui qu’il aurait donné, si la marchandise n’avait pas
été atteinte. On ne devrait donc pas ajouter à cette dif
férence la diminution dans la quotité de l’avarie, qui ré
sultera du compte qu’on fait de l’augmentation.
M. Delaborde estime donc que les experts doivent
constater en fait l’augmentation et son importance; mais
que pour établir le déficit constituant l’avarie, ils n’ont
aucunement à s’en préoccuper ; qu’ils ne doivent se ba
ser que sur le poids porté au connaissement L
1663. — L’avarie subie par les marchandises peut
avoir pour l’assuré d’autres conséquences que la dépré
ciation matérielle ou la diminution de la quantité. La
destruction de l’assortiment est dans le cas d’occasion
ner un grave préjudice en enlevant aux marchandises
restantes une grande partie de leur valeur. L’assureur
répond-il de ce préjudice ?
L’intérêt de cette question sera démontré par un exem
ple. Une balle, contenant 80 pièces de soiries assorties,
est assurée 16,000 fr., à raison de 200 fr. la pièce. A
l’arrivée, il n ’y a plus que 60 pièces en état sain, 20
autres sont plus ou moins avariées.
i Ibidem.
�48
DROIT
MARITIME.
Les experts constatent que la valeur de la balle en
tière en état sain eût été de 22,000 fr., mais à cause de
l’avarie de 20 pièces, et surtout parce que l’assortiment
est rompu, le produit brut de 80 pièces vendues n’est que
de 11,000 fr., ce qui représente une perte de 50 0/0.
En conséquence, l’assuré réclame le 50 0/0 de la som
me assurée, soit 8,000 fr.
Les assureurs répondent qu’il faut avant tout distraire
de la somme assurée le prix de 60 pièces non avariées,
ce qui, à raison de la valeur commune de 200 fr. l’une,
représente la somme de 12,000 fr., reste donc en ris
que la valeur des 20 pièces avariées, soit 4,000 fr.
Ces 20 pièces auraient valu en état sain 5,500 fr., el
les n’ont produit que 2,800 fr., la perte est bien du
50 0/0, mais les assureurs ne sont tenus de cette pro
portion que sur la somme de 4,000 fr.; ils ne doivent
donc que 2,000 fr.
Ainsi d’une part 8,000 fr., de l’autre seulement
2,000 fr.; on peut juger par là de l’importance de la dif
ficulté et de l’intérêt que présente la solution.
En fait, il est incontestable que l’assortiment exerce
une influence sur chaque partie des objets qui en cons
tituent l’ensemble et leur donne une valeur qu’elles
n’auraient pas, considérées isolément les unes des au
tres.
Mais cette valeur est plutôt morale que matérielle.
Comment, dès lors, en rendre l’assureur responsable,
s’il ne l’a pas volontairement garanti, s'il n’en a pas in
tentionnellement accepté le risqne ?
�art .
397, 398, 399.
49
C’est ce lie volonté et cette intention dont la recherche
doit préoccuper les juges. De l’existence de l’une ou de
l’autre dépend la solution du litige. Celte dernière peut
s’induire des termes du contrat, de la nature des ac
cords, dont l’interprétation et la détermination rentrent
dans le pouvoir souverain des deux degrés de juri
diction.
1 6 6 3 . — Tout ce qui se rattache à l’avarie, à ses
caractères, à ses conséquences ne concernant que l’inté
rêt privé des parties, peut devenir l’objet de toutes les
conventions qu’elles jugent convenables de souscrire. Le
principe ne pouvant soulever aucun doute, aucune in
certitude, la commission et la section de l’intérieur ellemême avaient cru inutile de le consacrer expressément.
L’article 398 n’existait pas dans le projet rédigé par la
première, soutenu par la seconde.
Le conseil d’Etat crut devoir l’ajouter. Il paraît in
contestable, disait M. Berlier, que les rédacteurs du pro
jet n’ont voulu établir que le droit commun en cette ma
tière et non exclure les conventions spéciales dont elle
est susceptible. Il est cependant bon de le dire, c’est ce
qui fît introduire dans le Code l’article 398.
Ainsi les contractants peuvent convenir, à l’endroit
des avaries et de leurs effets, tels accords qu’ils jugent
convenables ou utiles. Le règlement s’en ferait dans ce
cas dans les termes de la convention, que les tribunaux
ne pourraient ni modifier, ni méconnaître.
A défaut de stipulation, ce règlement obéit aux presv— 4
�KO
DROIT
MARITIME.
criptions des articles suivants, formant le droit commun
en cette matière.
1664. — La création de ce droit exigeait d’abord
une classification exacte des avaries, surtout en ce qui
concerne les rapports entre les chargeurs et l’armateur.
D’anciens usages, et dans le but de s’y conformer, plu
sieurs monuments anciens de législation avaient adopté
une division fort étendue. Ainsi, on distinguait les ava
ries en propres ou impropres ; générales ou particuliè
res ; ordinaires ou extraordinaires ; grandes ou petites ;
volontaires ou fatales ; pures ou mixtes ; régulières ou
irrégulières. Une pareille classification, s’éloignant de
la nature des choses, ne pouvait que multiplier les diffi
cultés.
L’avarie ne peut être subie que par le navire ou la
cargaison, elle sera le produit d’une pure fortune de
mer, ou la conséquence d’un acte volontaire, accompli
pour se soustraire à un péril imminent et beaucoup plus
grave. Il n’y avait, en conséquence, d’autre classification
rationnelle que celle qui, s’en référant à cette double
origine, indiquait par cela même les effets que l’avarie
était susceptible de produire.
De là, le classement en avarie grosse ou commune et
en simple ou particulière que faisait le Guidon de la
mer, et qui, au témoignage de Yalin, était le plus juste
et le plus précis.
Cependant, tout en le consacrant, l’ordonnance de
4684 avait classé à part l’avarie simple et ajouté la me-
�ART.
397, 398, 399.
51
nue avarie. Elle en admettait donc quatre : l’avarie
grosse, l’avarie particulière, l’avarie simple, la menue
avarie. Celle-ci comprenait exclusivement les droits de
lamanage, touage ou pilotage pour entrer dans les ha
vres ou rivières, ou en sortir ; elle était pour deux tiers
à la charge de la cargaison, et l’autre tiers à celle du
navire l.
w
1(365. — La commission avait réduit cette classifi
cation à trois espèces : l’avarie grosse, l’avarie particu
lière, l’avarie simple. Mais le conseil d’Etat retrancha
cette dernière, qui s’appliquait uniquement à des dépen
ses qui sont bien plutôt des frais de voyage que des ava
ries proprement dites.
Le Code ne reconnaît donc plus que les avariés gros
ses ou communes, et les avaries particulières ou simples.
Nous allons voir dans les articles suivants les caractères
qui constituent chacune d’elles et les effets qu’elles sont
appelées à produire.
Article 400.
Sont avaries communes :
1° Les choses données par composition et à titre de
rachat du navire et des marchandises ;
1 A rt. 8, tit. des Avaries.
�52
DROIT
MARITIME.
2° Celles qui sont jetées à la mer ;
3° Les câbles et les mâts rompus ou coupés ;
4° Les ancres et autres effets abandonnés pour le sa
lut commun ;
5° Les dommages occasionnés par le jet aux mar
chandises restées dans le navire ;
6° Les pansement et nourriture des matelots blessés
en défendant le navire, les loyer et nourriture des ma
telots pendant la détention, quand le navire est ar
rêté en voyage par ordre d’une puissance, et pendant
les réparations des dommages volontairement souf
ferts pour le salut commun, si le navire est affrété au
mois ;
7° Les frais du déchargement pour alléger le navire
et entrer dans un havre ou dans une rivière, quand le
navire est contraint de le faire par tempête, ou par la
poursuite de l’ennemi ;
8° Les frais faits pour remettre à flot le navire échoué
dans l’intention d’éviter la perte totale ou la prise ;
Et, en général, les dommages soufferts volontaire
ment, et les dépenses faites, d’après délibérations moti
vées-, pour le bien et salut commun du navire et des
marchandises, depuis leur chargement et départ jusqu’à
leur retour et déchargement.
�art.
400, 401, 402.
53
Article 401.
Les avaries communes sont supportées par les mar
chandises, et par la moitié du navire et du fret, au marc
le franc de la valeur.
Article 402.
Le prix des marchandises est établi par leur valeur
au lieu du déchargement.
SOMMAIRE
1666.
1667.
Caractère de l’avarie commune.
Il est nécessaire que le préjudice volontairement sonffert
ait eu en vue un danger imminent et actuel.
1668. Exception que comporte l ’obligation d’une délibération
préalable.
1669. Le dommage souffert dans l’exécution de la mesure déli
bérée, mais fortuit et imprévu, tom be-t-il en avarie
grosse ?
1670. Espèce devant le tribunal de Cette.
1671. Moyens invoqués pour la négative.
1672. Pour l'affirmative.
1673. Jugement et arrêt de Montpellier pour la négative.
1674. Leur caractère juridique.
1675. Jurisprudence ancienne sur les frais de déchargement,
magasinage et rechargement en cas de voie d ’eau à ré
parer. Son caractère.
1676. Il y a été dérogé par le Code.
�DROIT
1677.
1678.
1679.
1680.
1681.
1682.
1683.
1684.
1685.
1686.
1687.
1688.
1689.
1690.
1691.
MARITIME.
Contradiction dans la jurisprudence.
Peut-on admettre comme caractérisant l ’avarie la délibé
ration prise après le dommage. Arrêt d’Aix de 1853.
Opinion de MM. Dubernard et Fremery.
Observations de M. Bernard de Rennps, dans le rapport
de l ’arrêt de la Cour de cassation du 19 février 1834.
Conclusion.
Ces mêmes frais ne seraient qu’une avarie particulière de
la cargaison, si lé déchargement n ’avait eu lieu que pour
sa conservation.
Application que fait l’article 400 du principe général :
1° Sommes données pour le rachat du navire.
Nécessité d’une composition. Caractère de celle-ci.
Conséquence du refus de l ’exécuter de la part du cap
teur.
Les choses données par un chargeur pour le rachat par
ticulier de sa marchandise, de sa personne, ou de celles
de ses gens ne tombent pas en avaries grosses.
Secus, de celles données pour le rachat de l’otage et de
l’indemnité qui lui est due.
Sont avaries communes, les frais pour réclamer la resti
tution du navire et les loyer et nourriture de l’équipage
conservé à bord pendant la prise.
Arrêt de la Cour de cassation plaçant dans la même caté
gorie les dons et présents faits après délibération aux
avocats et aux juges de la prise en pays étrangers.
L’article 400 déclare avaries communes; 2“ les choses
jetées à la mer. Renvoi au titre du jet.
3’ Les câbles ou mâts rompus ou coupés. Difficulté que
souleva l’expression rompus.
Dans quel sens elle doit être appliquée.
Le forcement dévoilés délibéré et exécuté pour le salut
rend le dommage souffert avarie grosse. Arrêt contraire
de la cour de Douai.
�art .
1 692.
1693.
1694.
1695.
1696.
1697.
1698.
1699.
1700.
1701.
1702.
1703.
1704.
400, 401, 402.
S5
Critique et discussion.
La rupiured’un mât, la déchirure dévoilés peuvent, quoi
que résultant d’un cas fortuit, devenir l’origine d’une
avarie commune. Comment s’apprécie celle-ci. Sur quoi
elle porte.
4“ Les ancres et autres effets abandonnés pour le salut
commun. Caractère de cet abandon. Ses conditions.
Applications diverses de cette règle.
Exemple d’un canot abandonné pour donner le change à
l ’ennemi et échapper à sa poursuite.
Quid, de la perte de la chaloupe ou du canot mis à la
traîne.
5° Les dommages causés par le jet aux marchandises res
tées dans le navire. Caractère de cette disposition. Peuton l ’appliquer aux dommages que le jet occasionne au
corps du navire ?
6“ Le pansement et la nourriture du matelot blessé en
défendant le navire. Les loyer et nourriture pendant la
détention et pendant la réparation des dommages volon
tairement soufferts, si le navire est loué au mois. Carac
tère de la première disposition.
S ’applique à tout l'équipage sans distinction dégradé,
mais non au matelot blessé en exécutant nne manœu
vre.
Le passager blessé en défendant le navire doit-il être assi
milé au matelot, au point de vue de l’article 400 ?
Opinion de M. Locré. Réfutation.
Droits du matelot blessé soit en mer, soit à terre, pen
dant qu’il remplit une mission, à l ’endroit de l'avarie
commune.
Dans quels cas les loyers pour tout le voyage dus au ma
telot tué en défendant le navire ou pris et fait esclave,
pendant qu'il est envoyé en mission, tombent-ils en
avarie commune ?
/
�b6
1705.
1706.
1707.
1708.
1709.
1710.
1711.
1712.
1713.
1714.
1715.
1716.
1717.
1718.
DROIT MARITIME.
Quid, des dommages occasionnés par le feu de l ’ennem1
soit au navire, soit à la cargaison.
Caractère de la disposition concernant les loyer et nourri
ture pendant le temps de l’arrêt. Discussion que soule
va la différence suivant que le navire est loué au mois
ou au voyage.
Raisons qui dictaient cette différence.
Devait-on assimiler à la détention le temps consacré à ré
parer les dommages volontairement soufferts, et déci
der comme le fait le Code ?
Opinion de M. Freméry pour la négative.
Ce qui devrait s’induire des motifs rationnels qu’il invo
que. Jurisprudence en ce sens.
7" Les frais de déchargement pour alléger le navire et
entrer dans un havre ou dans une rivière, quand le na
vire est contraint de le faire par tempête ou par la pour
suite de l ’ennemi. Ordonnance de 1681 sur ce point. In
terprétation qu’elle avait reçue.
La restriction terminant l ’article ajoutée par le conseil
d’Etat. Dans quel but.
La perte des marchandises débarquées pour alléger le na
vire tombe en avarie grosse.
8“ Les frais faits pour remettre à flot le navire échoué
dans l ’intention d'éviter la perte totale ou la prise. Na
ture de ces frais. Leur caractère.
L’échouement volontaire est-il avarie commune, si le
navire ouvert par la tempête le rendait indispensable ?
Arrêt de la cour de Bordeaux pour l’affirmative. Son ca
ractère juridique.
Il en serait de même de l ’échouement, qui ne serait que
la conséquence du sacrifice souffert pour le salut com
mun. Arrêt d’Aix.
Avaries communes auxquelles l’échouement purement
fortuit peut donner lieu. En quoi elles consistent.
�art ,
400, 401, 402.
57
1719.
1720.
1721.
Cas divers d’avaries communes admis dans la pratique.
Résumé.
L‘origine de l’avarie commune indiquait Ja répartition
qu’on doit en faire.
1722. Devait-on faire contribuer la totalité du navire et du fret?
Législation antérieure à 1681.
1723. Système de l’ordonnance. Opinion de Yalin.
1724. Adopté par le Code. Conséquence quant à l ’obligation
pour l ’assureur d’indemniser l ’armateur de la part con
tributive du fret.
1725. En général, la contribution est due pour tout ce qui a été
sauvé par l'avarie commune. Exceptions.
1726. Comment elle s’établit.
1727. Nécessités d’une expertise. Bases de l’estimation quant
aux marchandises.
,1728. Le navire doit être estimé sur la valeur au lieu de l’arri
vée et non du lieu du départ.
1729. Arrêt de la cour de Bordeaux invoqué par l ’opinion con
traire. Ne saurait l ’être utilement. Pourquoi ?
1730. Arrêt de la cour de Caen, en faveur de notre solution.
1731. Renvoi au titre du jet pour les obligations du capitaine et
le mode de règlement.
1 6 6 6 . — Le caractère des premières dispositions
de l’article 400 est nettement indiqué par le paragraphe
qui le détermine. C’est à titre d’exemples, que le légis
lateur rappelle les divers faits qu’il offre comme spéci
men de l’avarie grosse. En conséquence, prétendre que
cet article était limitatif et restrictif, c’était non seule
ment se tromper sur l’intention de la loi, mais encore
en méconnaître le texte formel.
L’avarie commune existera donc, en quoi que l’évé-
�88
DROIT MARITIME.
nement puisse consister, dès que le préjudice la consti
tuant procédera de la volonté humaine, dont la mani
festation résultera infailliblement d’une délibération
prescrivant les mesures à prendre, et dont l’exécution
a déterminé le dommage souffert par le navire ou la
cargaison.
'1 6 f i 9 . — Cette faculté pour le capitaine et l’équi
page de disposer du navire et des marchandises confiés
à leurs soins était tellement exorbitante, qu’on ne pou
vait en comprendre et en admettre l’exercice que dans
des circonstances spéciales et sévèrement déterminées.
Ces circonstances étaient et devaient être le désir et le
besoin de se soustraire à un danger imminent, a un pé
ril actuel menaçant de tout dévorer, de tout engloutir.
Dans un cas de ce genre, le salut de tous l’exigeant, on
ne devait reculer devant aucun sacrifice. Il est évident,
dès lors, que le capitaine qui, sans nécessité réelle et
impérieuse, aurait accompli un des actes constitutifs de
l’avarie commune, se serait rendu coupable d’une préva
rication grave, engageant sa responsabilité personnelle.
En vain, prétendrait-il qu’il n’a fait qu’exécuter une dé
libération de l’équipage, celui-ci ne doit et ne peut être
consulté que dans un cas de danger imminent,, en l’ab
sence duquel il est absolument incapable de disposer des
choses qu’il est chargé de conserver. En cet état, l’auto
risation qu’il aurait donnée ne serait plus qu’un abus
déplorable que le capitaine devait empêcher, et auquel
il ne devait donner ni concours, ni exécution, il répon-
�ART.
400, 401, 402.
59
drait donc personnellement de l’un et de l’autre envers
qui de droit.
Il n’y a donc que la certitude d’un danger imminent
et actuel qui puisse donner au préjudice volontairement
souffert le caractère d ’avarie commune ; il ne suffirait
pas au capitaine de l’alléguer, il faut qu’elle ait été
réelle, ce que les parties intéressées ont toujours la fa
culté et le droit de rechercher et de contester ; leur ac
corder l’une et l’autre était indispensable pour prévenir
la 'fraude. Mais, dans l’appréciation des difficultés qu’ils
pourront élever, les tribunaux doivent se décider eu
égard à la position réelle du navire au moment du sa
crifice volontaire, et approuver l’acte du capitaine si le
danger qu’on a voulu prévenir a pu sérieusement, et de
bonne foi, être considéré comme imminent.
C’est pour faciliter, d’une part, le contrôle des par
ties, de l’autre, la mission des tribunaux, que la loi im
pose l’obligation de motiver la délibération. C’e st, en
effet, par les causes qui on déterminé l’avarie grosse
qu’on pourra juger de sa nécessité ; il importait donc
que ces causes fussent constatées au moment même où
elles se manifestaient. Comment, sans cette formalité,
établir que la mesure n’était ni nécessaire, ni utile ?
Il résulte de l’article 400 que la délibé
ration prescrite doit précéder la mesure qu’elle a pour
objet d’autoriser. Toutefois une exigence de cette nature
ne pouvait être absolue sans méconnaître la vérité des
166$ .
—
�DROIT MARITIME.
choses et les impossibilités dans lesquelles peuvent être
placés les navigateurs.
Le danger peut être tellement urgent, qu’il n’y a pas
une seconde à perdre pour assurer le salut commun. Il
ne pouvait pas être dans l’intention du législateur d’exi
ger en pareille occurrence qu’on consacrât à délibérer
un temps beaucoup mieux employé à agir. L’absence
d’une délibération préalable n’aurait donc d’autre ré
sultat que de conférer aux juges l’appréciation des cir
constances et le devoir d’examiner si la mesure a été
réellement dictée et commandée par elles.
Toutes les formalités, dit avec raison M. Locré, sont
indiquées plutôt comme des précautions utiles que com
me des conditions rigoureuses ; on peut s’en dispenser
quand les circonstances ne permettent pas de les ac
complir.
Cela est d’autant plus rationnel que la délibération,
nous venons de le dire, ne lie les intéressés ni quant à
l’urgence, ni quant à la nécessité du sacrifice volontaire.
Cette délibération n’est que la constatation régulière de
l’une et de l’autre, qui s’impose aux intéressés jusqu’à
preuve contraire. Son absence prive donc le capitaine du
secours qu’il y aurait puisé, l’oblige de prouver luimême l’opportunité de la mesure qu’il a prise, mais ne
saurait jamais modifier le caractère vrai de l’avarie.
Cette doctrine, professée par les auteurs, a été consa
crée par la jurisprudence. Ainsi, la cour de Bordeaux
jugeait, le 23 février 1829, qu’une délibération motivée
du capitaine et de l’équipage n’est pas un préalable tel-
�ART.
400,
401,
402.
61
lement indispensable pour attribuer le caractère d’avarie
commune à un échouement volontaire, ou à tout autre
sacrifice fait pour le salut commun, qu’elle ne puisse
être suppléée, et la nécessité du sacrifice justifiée par
d’autres pièces, telles que les procès-verbaux de pilotes.
Un arrêt de la cour de Rouen, du 6 février 4843, dé
cide également qu’une délibération motivée n’est pas in
dispensable pour constituer le dommage volontairement
souffert1.
En réalité donc, il y a avarie grosse toutes les fois
que, pour se soustraire à un danger' plus grave, on s’est
volontairement imposé un sacrifice pour sauver le na
vire et la cargaison.
1 6 0 9 . — Une difficulté, qui ne laisse pas d’offrir
une certaine gravité, s’est élevée sur ce qu’il fallait en
tendre par sacrifice volontairement souffert. Doit-on ne
réputer tel que le préjudice résultant de la mesure or
donnée, et qui en est la conséquence immédiate et di
recte, qui a été inévitablement prévu au moment de la
délibération ? Faut-il en outre ranger dans la même ca
tégorie celui qui, ne pouvant être et n’ayant pas été
prévu, s’est réalisé dans l’exécution de la mesure déli
bérée ?
Tout le monde est d’accord sur ce point, à savoir, que
le dommage, conséquence directe de la mesure prise
dans l’intérêt commun, constitue l’avarie grosse. Ainsi,
1 D , P ., 43, 2, 1 93; V. inf., a rt. 410, pour le je t irrégulier.
�'
62
DROIT MARITIME,
on délibère d’échouer le navire, ou de relâcher dans un
port quelconque, pour éviter l’ennemi ou la tempête, il
est évident que la dépense pour relever et renflouer le
navire, que les frais de relâche donneront lieu à une
contribution. L’intérêt de tous ayant dicté la mesure
exécutée, l’avarie est grosse : Omnium contributione
sarciatur, quodpro omnibus datum e s tl.
Mais, en se dirigeant vers le port choisi pour la re
lâche, et avant d’y pénétrer, le navire assailli par la
tempête est jeté sur des rochers, la dépense nécessaire
pour le remettre à flot devra-t-elle entrer en avarie com
mune ?
1690. — Telle était la question à résoudre dans
l’espèce que voici : le navire la Fortune, en route pour
Cette, fut assailli par un gros temps qui le mit dans une
situation périlleuse. L’équipage et le capitaine délibérè
rent que dans l’intérêt commun on chercherait un re
fuge dans le port de Calais, qu’on venait de dépasser.
On se mit en devoir de le faire, mais, au moment où
on touchait au port, un fort grain poussa le navire sur
le banc du Diable, où il vint s’échouer.
Cet échouement détermina trois séries de frais :
4° ceux du redressement et du renflouement ; 2° ceux
de réparation du dommmage souffert par le navire, la
nourriture et les loyers de l’équipage ; 3° ceux de déi L. 1 ; Dig., de
Leg. Rhodia.
�ART. 4 0 0 , 4 0 1 , 4 0 2 .
63
chargement, de transport et rechargement des marchan
dises, les frais de magasinage.
1691. — Arrivé à Cette, le capitaine demande que
tous les frais soient réglés en avaries grosses, le consi
gnataire n ’admet dans cette catégorie que ceux de la
troisième série, en y ajoutant les frais de pilotage, ton
nage, et ceux de justice faits à Calais et à Cette..
Pour que le dommage causé par l’échouement sur le
banc du Diable et ses conséquences puissent tomber en
avaries communes , il aurait fallu , d isait-il, que cet
échouement fût volontaire et délibéré. Or, loin de là, il
n ’a été occasionné que par un grain fortuit et imprévu,
dès lors, les avaries qui en ont été la suite doivent être
réputées avaries particulières.
1693.
— On répondait : il ne faut pas s’attacher
exclusivement à l’objet énoncé dans la délibération de
manière à n ’admettre en avaries communes que ceux
des risques qui y auraient été exprimés textuellement
par le capitaine et l’équipage, car, par cela même
qu’une mesure est prise, qu’une manœuvre est volon
tairement résolue, tous les dangers qu’elle présente, tou
tes les chances qu’elle peut offrir sont acceptés par la
volonté de ceux qui l’adoptent ; et dès lors qu’un risque
nouveau se substitue à ceux qu’on a reconnus , la né
cessité d’éviter toutes les parties de ce risque doivent être
appréciées de la même manière, et aucune distinction
�64
DROIT MARITIME.
ne peut être permise entre les divers effets de la résolu
tion à laquelle on s’est arrêté.
Au surplus, ajoutait-on, ce n’est pas seulement la rai
son qui conduit à ce résultat, le texte de la loi est là qui
le formule et le justifie; et en regard des.derniers mots
de l’article 400 , dommage souffert volontairem ent,
dont on abuse à l’appui de l’interprétation judaïque que
nous combattons, il suffit de placer les dispositions con
tenues dans les numéros 5, 6, 7 et 8 du même article,
pour avoir la preuve que tout dommage qui peut être
regardé comme la suite et l’effet de la résolution prise
pour le salut commun entre en avaries grosses, aussi
bien que les objets directs et dénommés en la délibé
ration.
On concluait, en conséquence, qu’il fallait tenir com
me une règle invariable, et comme le seul élément vrai
de décision de toutes les questions auxquelles les classe
ments d’avaries peuvent donner lieu, que, toutes les fois
qu’une résolution a été réellement adoptée pour le salut
commun du navire et de la cargaison, tous les domma
ges qui se produisent dans l’exécution et comme consé
quences de celte résolution sont avaries communes, et
que le seul moyen de les rejeter en avaries particuliè
res serait de prouver qu’ils seraient advenus dans tous
les cas, et lors même que la résolution n’aurait pas eu
lieu.
Il élait évident dans l’espèce que si le navire avait
continué sa route et n’avait pas tenté de pénétrer dans
le port de Calais, il ne serait pas venu s’échouer sur le
�art.
400, 401, 402.
65
banc du Diable. Or, le retour sur Calais ayant été dé
libéré dans l’intérêt et pour le salut commun, on pou
vait soutenir que la résolution prise à cet égard avait
réellement occasionné l’échouement.
Mais, cela suffisait-il pour faire appliquer l’article
400, et considérer le préjudice comme volontaire ? Le
tribunal de commerce de Cette ne crut pas devoir l’ad
mettre.
1693.
— « Attendu, disent entre autres les juges,
que la délibération d’un capitaine et de son équipage
prise, en pleine mer, au milieu d’une tempête, à l’effet
de gagner un abri et un port pour le salut commun, ne
peut déterminer la classe ou la nature de l’avarie que
le navire pourra éprouver ; qu’admettre un pareil prin
cipe, serait méconnaître la loi, la jurisprudence mariti
me, ouvrir la porte à tous les abus, et laisser aux capi
taines la faculté de faire admettre en avaries grosses
tous les dommages qui pourraient les frapper dans le
cours de leur navigation.
« Attendu que la seule intention du capitaine était
de gagner le port de Calais pour fuir la tempête et met
tre à l’abri son navire, son équipage et sa cargaison,-...
que rien ne prouve que, dans la situation du navire,
relativement au port de Calais, il fallût nécessairement
échouer sur le banc du Diable pour atteindre ce port,
ou se perdre d’où il résulte que l’échouement ne dérive
pas de la volonté humaine, n’est point un événement
v— 5
�66
DROIT MARITIME.
prévu el recherché, mais au contraire un événement
imprévu, un cas fortuit et de force majeure. »
En conséquence, le jugement déclare : avaries gros
ses, les dépenses faites et les objets sacrifiés pour le déchouement du navire, avant le débarquement ;
Avaries particulières au navire, le montant des répa
rations occasionnées par l’échouement, et les nourriture
et loyer de l’équipage ;
Avaries particulières à la cargaison, les frais de dé
chargement, transport, commission et rechargement des
marchandises et autres devenus nécessaires pour leur
sauvement.
Ce jugement, frappé d’appel, fut confirmé par un
arrêt de la cour de Montpellier, du 25 décembre 1837.
Le pourvoi contre cet arrêt fut à son tour rejeté par la
chambre civile de la Cour de cassation, le 2 août 1841 l .
1694 .
— Ces monuments de jurisprudence nous
paraissent apprécier sainement le texte et l’esprit de no
tre Code. Il ne suffit plus, en effet, comme sous l’em
pire de l’ordonnance, que le préjudice ait été souffert
pour le salut commun, il faut encore, pour qu’il y ait
avarie grosse, que ce préjudice ait été souffert volontai
rement, ce qui indique qu’il devait être prévu et actuel
au moment même où s’accomplissait soit l’acte qui l’oc
casionne, soit la délibération l’autorisant, ou que tout
au moins il soit la conséquence directe et inévitable de
1 J. du P., 2, 4838, 384, et 2, 4844, 499.
�ART. 4 0 0 , 4 0 1 ,
402.
07
la mesure ordonnée. Or, délibérer une relâche, c’est
volontairement accepter les dépenses que celle-ci entraî
nera, quelle qu’en soit la nature. Les risques que les
événements de mer fortuits font surgir dans l’exécution,
et pendant que le navire se dirige vers le lieu de la re
lâche, ne sont qu’une conséquence fort éloignée de la
mesure adoptée. Ils n’ont été ni pu être prévus au mo
ment de la délibération, ni moins encore volontaire
ment acceptés. Ils ne sont donc que des avaries particu
lières.
1695 .
— L’ordonnance de 1681 se bornait, quant
aux avaries, à disposer, dans l'article 2 du titre qu’elle
leur consacrait : Les dépenses extraordinaires faites pour
le bâtiment seul ou pour les marchandises seulement,
et le dommage qui leur arrive en particulier sont ava
ries simples et particulières ; et les dépenses extraordi
naires faites et le dommage souffert pour le bien et le
salut commun des marchandises et du navire sont ava
ries grosses et communes.
Dans quelle catégorie devait-on ranger les dépenses
faites par suite d ’une relâche occasionnée par une voie
d’eau, arrivée par suite d ’une tempête ou de tout autre
accident de mer, notamment les frais du déchargement,
magasinage et rechargement des marchandises détermi
nés par la nécessité du radoub ?
Au témoignage d’Emérigon, ces frais étaient rangés
en avaries communes, et il approuve sur ce point la
jurisprudence. Si le navire maltraité par la tempête,
�68
DROIT MARITIME.
disait-il, n’était pas radoubé dans le lieu de la relâche,
il resterait innavigable, ce qui porterait un grand pré
judice à la cargaison. Il s’agit donc d’une dépense faite
pour le bien et le salut commun l.
Si tel était le caractère de la relâche, on ne voit pas
pourquoi on ne rangeait pas en avaries grosses le coût
du radoub lui-même, le prix des mâts, voiles ou autres
agrès qu’il fallait remplacer. Ne pouvait-on pas le dire,
en effet, que sans ce radoub ou ce remplacement le navire
fût demeuré innavigable, et que, dès lors, la dépense
avait eu réellement pour objet le bien et le salut com
mun?
On n’allait pas jusque-là cependant, et les frais de
radoub et de remplacement des mâts, voiles et cordages
n’étaient admis que comme avaries particulières.
Il y avait là une contradiction qui signalait le vice de
la doctrine d’Emérigon. Une voie d’eau n’est et ne peut,
être qu’une avarie particulière au navire. Il est vrai que
sa réparation importe à la cargaison ; mais l’armateur a
promis un navire en bon état ; il a contracté l’obligation
formelle de transporter à bon port les marchandises qui
lui sont confiées, et par conséquent le devoir impérieux
de veiller à la solidité du navire, de le maintenir en bon
état jusqu’au lieu de sa destination. Donc, toute dé
pense dans cet objet, quelle qu’en soit la nature, le con
cerne personnellement et exclusivement. Elle n’est que
la conséquence directe et forcée de rengagement résull Chap. 42, sect. 41, § 6.
�ART.
400, 401, 402.
69
tant du contrat d’affrètement. Les chargeurs ont d’autant
moins à y contribuer, que l’armateur répond de la sû
reté de la cargaison, et qu’il serait incontestablement
tenu à la réparation du préjudice qu’elle éprouverait
par suite du défaut de réparation.
1690. — Ce sont ces considérations qui ont déter
miné les auteurs du Code de commerce, et dicté les ar
ticles 400 et 403, qui auraient expressément dérogé à
l’ordonnance si celle-ci devait être interprétée comme le
faisait Emérigon.
En effet, l’article 400 ne range en avaries grosses que
les dommages soufferts volontairement, et les dépenses
faites d’après délibérations motivées pour le bien et le
salut commun du navire et de la cargaison. Or, la voie
d’eau survenue accidentellement ne saurait constituer le
préjudice volontairement souffert. La réparation qu’elle
exige n’est que la conséquence de l’atteinte qu’elle porte
à la solidité du navire, du péril dans lequel elle le met ;
cette réparation est si peu volontaire, que son omission
rendrait l’armateur responsable du dommage qui en se
rait résulté pour la cargaison. Enfin, le déchargement
de la cargaison en tout ou en partie n’est pas plus vo
lontaire que la cause de la relâche, que la réparation,
puisqu’il n’est que le moyen indispensable d’accomplir
celle-ci.
Il suffirait donc de l’article 400 pour condamner la
doctrine d’Emérigon, et cependant le législateur ne s’en
contente pas. Il ajoute, dans l’article 403 : Sont avaries
�DROIT MARITIME.
particulières : les dépenses résultant de toutes relâches
occasionnées soit par la perte fortuite des câbles, an
cres, mâts, cordages, soit par le besoin d’avitaillement,
soit par voie d’eau à réparer. Le législateur ne pouvait
pas se dissimuler que la perte des apparaux, telle qu’elle
exige une relâche pour les remplacer ; que la voie d’eau
offre un péril réel pour la cargaison. Il n’a donc pas
considéré ce péril comme constituant le danger commun
pouvant rendre la dépense avarie grosse, puisqu’il range
nommément la dépense que l’une ou l’autre occasionne
dans la catégorie des avaries particulières.
Ce qui le déterminait, c’était le principe consacré par
la raison écrite : Navis adversa tempestate depressa,
ictu fulm inis deustis armamentis et arbore et antemna, hyponem delata est, ibique tumultuariis arma
mentis ad prœsens comparatis, ostiam navigavit et
om s integrum pertulit. Quœsitum est an hi, quorum
onus fu it, nautœ pro damno conferre debeant ? Respondit non debeunt : hic enim sumplus instruendœ
magis navis quam conservandarum mercium gratia
factus e s t l .
Les auteurs du Code de commerce se trouvaient donc
en présence de ce droit et de l’opinion contraire d’Emérigon. Il ne pouvait en être de la réparation de la voie
d’eau autrement que de la perte des objets d’armement,
et c’est parce qu’ils l’ont considérée comme faite, magis
i L. 6, Dig.,
De Lege Rhodia dejaciu.
�ART.
400, 401, 402.
71
instruendœ n a v is, quant conservandarum mercium
gratta, qu’ils l’ont déclarée avarie particulière.
1 6 9 9 . — Le texte et l’esprit de la loi semblaient
exclure la controverse et le doute. Il n’en a pas été ainsi
cependant. La jurisprudence de certaines cours, celle de
Rouen notamment, est en sens contraire. Les cours d’Aix
et de cassation ont singulièrement varié, en se pronon
çant tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre.
Ainsi, la cour d’Aix jugeait, le 19 décembre 1833,
que lorsqu’il y a lieu de réparer le navire en cours de
voyage, et par suite de décharger la marchandise, les
frais de décharge et de recharge sont avaries grosses L
Mais, par arrêts des 27 décembre 1853 et 6 février
1855, la Cour décide le contraire, et, appliquant l’arti
cle 403, juge que ces mêmes frais ne constituent qu’une
avarie simple et particulière au navire2.
La question s’étant représentée plus tard, la cour
d’Aix vient, par arrêt du 10 mars 1859, de se pro
noncer pour la solution qu’elle lui avait donnée en
1833.
Cette jurisprudence, comme celle de la cour de
Rouen, invoque la doctrine d’Emérigon, à laquelle le
Code n ’aurait point dérogé. Nous venons de prouver le
contraire, et d’enlever ainsi à l’opinion des cours d’Aix
et de Rouen leur principal et unique fondement.
1 Journal de Marseille, t. 5, 1, 12
2 Ibid., t. 31, 1, 378 et t. 33, 1, 66.
�DROIT
MARITIME.
Le 19 février 1834, la Cour de cassation rejetait le
pourvoi formé contre un arrêt de la cour de Rouen,
jugeant que la disposition de l’article 403, qui range
dans la classe des avaries particulières les frais résultant
de toute relâche occasionnée par voie d’eau à réparer,
ne déroge pas à la disposition de l’article 400, qui dé
clare avaries communes les dommages soufferts volon
tairement et les dépenses faites après délibération moti
vée pour le bien et le salut commun du navire et des
marchandises ; qu’en conséquence si, à la suite d’une
voie d’eau, le capitaine et l’équipage ont délibéré de re
lâcher dans le port le plus voisin pour réparer le na
vire, les dépenses occasionnées par cette relâche, no
tamment les frais de déchargement, magasinage et re
chargement de tout ou partie de la cargaison, sont des
avaries grosses à répartir entre la totalité des marchan
dises débarquées ou uon et la moitié du navire et du
fret.
Mais la cour de Bordeaux déclarait, le 18 novembre
1830, que toute avarie provenant de ce que le navire
n’a pas été en état de supporter jusqu’à sa destination
les accidents ordinaires de la navigation est exclusive
ment à la charge des propriétaires du navire ; spéciale
ment, que les frais de déchargement, magasinage et re
chargement des marchandises pour cause de réparation
du navire pendant le cours du voyage constituent, ainsi
que les frais de réparation eux-mêmes, une avarie par
ticulière au navire, et retombent, par suite, à la charge
des propriétaires du bâtiment, sans aucun recours con-
�ART.
400, 401, 402.
73
tre les chargeurs, alors que ce rie sont que les mauvais
temps, ou d’autres accidents ordinaires de la navigation
qui ont occasionné le dommage éprouvé par le navire,
et le pourvoi dont cet arrêt avait été l’objet était rejeté
par la Cour régulatrice, le 2 décembre 4840 1.
Enfin, et par arrêt du 7 mars 4848, la même Cour
rejetait également le pourvoi contre un nouvel arrêt de
la cour de Rouen, qui, persistant dans sa jurisprudence,
rangeait ces mêmes frais en avaries grosses2.
»
1 6 9 8 . — On ne peut se dissimuler la contradiction
flagrante existant entre ces arrêts. Peut-on l’expliquer et
la justifier par cette circonstance que, dans les espèces
des arrêts de Rouen, la relâche n ’avait eu lieu qu’après
délibération motivée sur le salut commun, tandis que,
dans celle de l’arrêt de Bordeaux, aucune délibération
de ce genre n’était intervenue ?
On subordonnerait donc le caractère de l’avarie, non
pas à sa nature, mais à l’avis de l’équipage. Une pa
reille poctrine ne nous parait ni rationnelle ni juridique.
Elle exposerait et sacrifierait par trop l’intérêt des char
geurs.
L’atteinte subie par le navire, et qui compromet sa
solidité, offre nécessairement un danger pour la cargai
son. Or, s’il suffît au capitaine de s’étayer de ce dan
ger pour faire peser sur celle-ci une partie de la dé1 J. du P ., 1, '1841, 136 ; D. P ., 41, 1, 25.
2
Journal de Marseille, t. 28, 2, 69,
�74
DROIT MARITIME.
pense, il ne manquera pas de provoquer une délibéra
tion dans ce sens, et bientôt toutes les avaries particu
lières au navire se trouveraient converties en avaries
grosses.
La voie d’eau survenue par fortune de mer est évi
demment une avarie particulière au navire. Si elle est
assez grave pour exiger une réparation immédiate, il
n’y a pas à délibérer, la relâche est forcée. Le capitaine
qui s’abstiendrait de la réaliser, engagerait gravement sa
responsabilité et celle de ses armateurs. Il commettrait
une faute lourde qui l’obligerait à réparer, sur tous ses
biens, le préjudice qui en serait résulté pour la cargai
son. A quoi bon, dès lors, une délibération. L’oppor
tunité de celle-ci suppose que la mesure à prendre est
encore d’une nécessité au moins douteuse. Elle ne serait
plus qu’une véritable comédie, si cette nécessité et son
urgence étaient telles que l’équipage n’est plus libre de
la repousser.
« On ne saurait admettre, disait la cour d’Aix, dans
son arrêt de 1853, que la loi ait voulu investir le ca
pitaine du pouvoir arbitraire de déterminer la nature
de l'avarie, au moyen d’une délibération portant que
la relâche est motivée sur le salut commun ; pour fixer
le caractère des avaries, on doit, avant tout, s’attacher
aux circonstances de la navigation. Dès lors, telle ava
rie peut-être rangée dans la classe des avaries commu
nes, sans qu’il y ait eu délibération, tandis que telle
autre peut être considérée comme particulière au na-
�ART.
400, 401, 402.
75
vire, bien qu’il existe une délibération motivée tendant
à la faire ranger dans la classe des avaries communes »
1 $ Ï 9 . — On comprend la valeur d’une délibéra
tion lorsque le danger, quoique imminent, est encore à
venir ; ainsi, la relâche votée pour se soustraire aux ef
fets de la tempête ou à la poursuite de l’ennemi. Le na
vire, encore intact, a la chance d’éviter toute catastro
phe, et la renonciation à cette chance a pu légalement
et rationnellement faire l’objet d’une délibération, mais
lorsque une voie d’eau s’est déclarée et rend la répara
tion du navire indispensable, il n ’y a pas même lieu à
délibérer.
« La délibération, en effet, observe M. Dubernard,
n’est efficace que si la réparation, objet de la relâche,
ne se rattache pas aux obligations de l’armateur de te
nir le navire en état de faire le voyage. Si le mal est de
nature à compromettre la cargaison avec le navire, la
relâche sera bien dans l’intérêt commun ; mais comme
elle n’aura pour cause immédiate qu’un dommage par
ticulier au navire, les frais qu’elle occasionnera devront
prendre le même caractère. Le chargeur n’a -t-il pas,
d’ailleurs, toujours le droit d’objecter que le danger que
la cargaison courait ne provenant que du mauvais état
du navire, l’obligation de le réparer est, bien plus en
core que le salut commun, la cause de la relâche l.
« Quand un dommage causé par une force majeure,
1 S ur liénecke, t. 'I, p. 608, 609,
/
�DROIT MARITIME.
enseigne de son côté M. Frémery, a rendu la relâche
nécessaire, elle ne peut avoir le caractère d’un sacrifice
faii volontairement. Le capitaine est obligé, sous sa res
ponsabilité personnelle, d’entrer dans un port de relâ
che et d’y réparer son navire, quand le dommage sur
venu rend la réparation indispensable. La relâche est
donc l’effet d’une nécessité et non d’une volonté. La
nécessité étant constante, la délibération n’est pas per
mise L »
La circonstance d’une délibération préalable ne sau
rait donc être d’aucun poids dans notre hypothèse. On
ne peut donc s’expliquer la contradiction dans laquelle
est tombée la Cour de cassation. À notre avis, le droit
ne comporte aucune autre solution que celle de son ar
rêt du 21 décembre 1840, que celle des arrêts d’Aix de
1853 et 1855.
Cette question n’a été examinée et traitée in extenso
que par MM. Dubernard et Frémery, qui tous deux se
prononcent pour l’avarie particulière. Un troisième ju
risconsulte, M. Frédérick Caumont, a également résolu
la question dans le même sens2. On peut donc dire
qu’il y a unanimité dans la doctrine.
On a prétendu que M. Pardessus était de l’opinion
que nous repoussons ; c’est une erreur. Il est vrai que
cet honorable jurisconsulte s’occupe des frais de débar
quement, et qu’il les déclare avaries grosses ; mais M.
1 Etudes de Droit comrn., p . 217.
2 Traité du Droit comm. etm arit., v° Avaries, n°s 232 et suiv.
�ART.
400, 401, 402.
77
Pardessus ne raisonne que dans l’hypothèse d’un dé
chargement pour entrer dans un havre ou dans une ri
vière, ce qui n ’a aucun rapport avec la question qui nous
occupe et dont M. Pardessus ne parle même p a s 1.
1080. —- Nous ne saurions mieux résumer notre
discussion qu’en transcrivant les observations que l’ho
norable M. Bernard, de Rennes, faisait à la Cour de
cassation dans son rapport sur l’affaire jugée en 1834 ;
« Consacrer le système de l’arrêt attaqué, ce serait
remettre au capitaine le pouvoir arbitraire de changer
la nature de l’avarie ; en effet, vainement l’article 403
aurait rangé les relâches pour réparation de voie d’eau
parmi les avaries particulières, il suffirait à un capitaine
de réunir son équipage et de prendre une délibération
que la relâche est motivée pour le salut commun, pour
donner à cette relâche le caractère d’avarie grosse ou
commune. Le capitaine, ou soit l’armateur, s’est obligé
de transporter la cargaison à tel endroit, à tel port ; en
conséquence, il doit supporter les dépenses nécessaires
pour mettre le navire en état d’effectuer ce transport : il
n’y a que l’impossibilité absolue qui puisse le dispenser
de l’accomplissement de cette obligation. De là cette
conséquence que la réparation des dommages éprouvés
accidentellement par le navire, s’il est susceptible d’être
réparé, est une charge imposée au capitaine par le con
trat d’affrètement, et dont il trouve la compensation dans
1 pjo 74,
�DROIT MARITIME.
l’obligation des chargeurs d’attendre l’achèvement des
réparations, ou de payer le fret entier du voyage.
Recherchant ensuite quels pourraient être les effets de
la délibération en supposant qu’elle rendît la relâche
volontaire , M. le conseiller rapporteur ajoutait : Quand
il serait vrai qu’on pourrait déclarer avaries communes
tous les frais d’entrée dans le port choisi, du moins
aussitôt que le navire serait en sûreté, la cause donnant
lieu à la contribution cesserait, car tout ce qui se fait
après n’est plus un sacrifice pour le salut commun ou la
préservation d’un péril imminent, c’est une suite natu
relle d’un accident fortuit, c’est une dépense, faite pour
mettre le navire en état de suivre sa route.
On ne peut, à notre avis, proclamer les vrais princi
pes avec plus de raison et de certitude. Aussi, et tout en
regrettant que la Cour de cassation ait admis le con
traire, nous n’hésitons pas à penser que toutes les fois
que la relâche n’est déterminée que pour réparer une
voie d’eau, l’avarie est particulière au navire et com
prend non seulement les frais de radoub, mais encore
toutes les dépenses nécessaires que celui-ci occasionne.
La nécessité de la relâche acquise, il n’y a plus lieu à
délibération ; que si l’avis de l’équipage pouvait rendre
la relâche volotaire, on ne devrait ranger en avaries
communes que les frais d’entrée dans le port indiqué ;
tous les autres, tels que ceux de réparation, de séjour,
de débarquement, magasinage et rechargement des m ar
chandises restant à la charge particulière du navire.
�ART. 400, 401, 402.
79
1681. — Toutefois, et quant à ces derniers, notre
solution suppose que le déchargement a été nécessité
par les besoins du radoub ; si celui-ci n’exige pas ce dé
chargement, et s’il n’est effectué que dans l’intérêt et
pour la conservation des marchandises qui en sont l’ob
jet, les frais, comme ceux de magasinage et de rechar
gement, ne sont que des avaries particulières à ces mê
mes marchandises.
Il n’y a donc avarie commune que lorsque, dans l’in
tention d’éviter un péril plus grave, on se livre volontai
rement à un acte occasionnant un préjudice, soit au na
vire, soit à la cargaison, soit cumulativement à l'un et
à l’autre. Dans cette hypothèse le préjudice et toutes les
conséquences qu’il entraîne sont à la charge de tous
ceux qui ont profité du sacrifice volontaire.
1683.
— Tel est le principe général qui domine la
matière. Le législateur ne s’est pas borné à le procla
mer, il a voulu en offrir quelques applications , qui
avaient l’incontestable avantage de préciser mieux sa
pensée à l’endroit du principe lui-même.
Le capitaine, en cas de prise, a le droit de racheter
le navire et la cargaison. Le résultat du rachat étant de
restituer à l’armateur et aux chargeurs une propriété
que la prise leur avait enlevée, il est évident que ce qui
a été donné à ce titre a profité à tous, et que chacun
est dès lors obligé d ’y contribuer à proportion de l’a
vantage qu’il en retire. Peu importe que le rachat ait
été opéré en argent, en valeurs commerciales, en vivres
�80
DROIT
MARITIME.
ou en marchandises, de la cargaison, le montant de la
composition n’en tombe pas moins en avarie commune.
1 6 8 3 . — Ce qu’il importe de remarquer, c’est que
l’article 400 subordonne le caractère de l’avarie à l’exis
tence de cette composition, c’est-à-dire d’un traité par
lequel le capteur s’engage, moyennant la chose ou le
prix livré ou promis, à restituer la prise. Si aucun traité
de ce genre n’est intervenu, si le capteur, s’appropriant
une partie de l’armement ou de la cargaison à sa con
venance, dédaigne de conserver le reste et l’abandonne,
il n’y a plus qu’une avarie particulière à laquelle les
effets sauvés ne doivent nullement contribuer ; en pa
reille matière, disait l’école italienne, Chi salva, salva;
chi perde, perde l.
Vainement prétendrait-on que les choses abandonnées
n’ont été sauvées qu’au prix de celles que le capteur a
retenues. L’acte spontané de celui-ci n’est qu’un cas for
tuit, qu’une force majeure dont les conséquences ne
peuvent jamais retomber que sur celui qui est contraint
de les subir.
Il n’y a donc que les marchandises ou l’argent don
nés à titre de composition qui soient réputés avaries
communes, à la condition encore que cette composition
aura produit l’effet qu’on s’en promettait, c’est-à-dire
amené la restitution effective du navire et de la cargai
son, et assuré ainsi le salut commun. Si malgré la comi Casaregis, dise., 434, n° 17.
�ART.
400, 401, 402.
81
position et après en avoir reçu le prix, le capteur refu
sait de restituer le navire, l’avarie résultant de la perte
de ce prix ne serait plus qu’une avarie particulière à la
charge du navire ou de la cargaison, suivant que ce
prix consisterait en argent ou en marchandises. L’arma
teur ou le propriétaire de celles-ci n’aurait aucune con
tribution à exiger de qui que ce soit.
On ne saurait assimiler au manque de foi du capteur
la prise nouvelle dont le navire pourrait devenir l’objet,
durant le cours de la navigation. Dès qu’au moyen de
la composition le navire avait été rendu à la liberté, le
droit de l’armateur ou du chargeur à être indemnisé de
ce qu’il lui en a coûté pour le rachat est définitivement
et irrévocablement acquis, et l’avarie commune ne pour
rait perdre ce caractère parce qu’une nouvelle fortune
de mer l’aurait postérieurement privé de la liberté.
1684. — L’article 400 ne déclare avales commu
nes que les choses données par composition et à titre de
rachat du navire et des marchandises cumulativement.
En effet, le traité qui n’aurait en vue que la restitution
particulière de l’un ou des autres n’aurait évidemment
pas pour objet le salut commun, et serait dépourvu de
la condition essentielle pour qu’il ait avarie grosse. On
a donc avec raison refusé ce caractère à la dépense faite
par un chargeur pour le rachat de ses marchandises,
de sa personne ou de ses gens et employés.
1685. — Il en serait autrement du prix du rachat
v— 6
�DROIT
MARITIME.
de celui qui aurait été livré comme otage sur l’exigence
du capteur. La captivité de l’otage étant purement vo
lontaire et subie d’ailleurs pour assurer la mise en li
berté du navire et de la cargaison, la dépense à laquelle
elle donne lieu est évidemment une avarie commune.
Tout le monde doit donc contribuer non seulement au
prix du rachat, mais encore à l’indemnité due à l’otage
qui s’est dévoué pour le salut commun.
1686.
— Le même principe a fait considérer com
me avaries communes les frais faits de bonne foi, de
quelque nature qu’ils soient, lorsqu’ils ont eu pour ob
jet de faire relâcher le navire, si, en réalité, ils sont
parvenus à déterminer ce résultat. Ainsi, Ricard, dans
son Négoce d'Amsterdam , enseigne que si un navire
est pris par force et conduit dans quelque p o rt, et que
l’équipage reste dessus pour le garder et le réclamer,
non seulement les frais de la réclame entrent en ava
ries communes, mais encore les gages et la dépense de
l’équipage pendant que le navire est demeuré en a r
rêt. C’est ainsi , ajoute Emérigon, que la question a
été décidée parmi nous toutes les fois qu’elle s’est pré
sentée \
Cette doctrine est rationnelle, le maintien de l’équi
page à bord, dans la supposition que le navire sera re
lâché, est une nécessité autant pour le navire lui-même,
que pour la cargaison ; la mise en liberté se réalisant,
i Chap. W, sect. 41, § 9 ; Rouen, 2 frim aire, an x .
�ART.
400, 401, 402.
85
on pourra immédiatement se remettre en route, il y a
donc incontestablement profit commun, et par consé
quent obligation de contribuer à la dépense faite uni
quement dans cet objet.
On ne pourrait donc décider le contraire sous l’em
pire du Code, les principes sont aujourd’hui ce qu’ils
étaient alors à l’endroit de ce qui constitue l’avarie com
mune. Les conséquences doivent être identiques, tout
ce qui est relatif à l’intérêt de tous est une avarie com
mune.
1 6 8 1 . — Nous trouvons une remarquable applica
tion de ce principe dans un arrêt de la Cour de cassa
tion du 2 août 1827, déclarant : Que les dons et pré
sents que le capitaine du navire capturé fait en pays
étranger, après délibération de l’équipage, aux avocats
et aux juges de la prise, pour obtenir la libération du
navire et de la cargaison, doivent être admis en avaries
communes ; au reproche que c’est là favoriser l’immo
ralité, la corruption, la Cour répond qu’il suffit qu'il
soit établi en fait que ces dons et présents aient été réa
lisés pour le bien et le salut commun du navire et de la
cargaison ; et que le capitaine, qui savait que la com
mission était associée au bénéfice des prises, a agi pru
demment en suivant les lois de la nécessité.
1 6 8 8 . — L’article 400 range nommément dans la
classe des avaries grosses ou communes ; 21° les choses
�84.
DROIT MARITIME.
jetées à la mer ; nous verrons plus bas les conditions
imposées au jet.
I B 8 0 . — 3° Les câbles ou mâts rompus ou coupés.
Aucune difficulté ne pouvait s’élever sur le caractère
de l’avarie dans l’hypothèse du sacrifice volontaire d’un
câble ou d’un mât, dicté par l’intention de sauver le
navire. Il y a là le concours des conditions exigées, vo
lonté humaine, préservation du navire et de la cargai
son, dès lors l’avarie est grosse.
Il n’en était pas de même du mot rompu, par oppo
sition au mot coupé. Le premier offre l’idée d’un évé
nement fortuit, indépendant de la volonté humaine. C’est
dans ce sens que l’article 403 range en avaries particu
lières la perte des mâts, câbles, etc.
Le rapprochement de cette disposition d’avec celle de
l’article 400 paraissait au commerce du Havre et de
Caen constituer une véritable contradiction, ils deman
daient en conséquence qu’on supprimât, dans celui ci,
le mot rompus. Les mâts et les câbles, disaient-ils, se
rompent ou par leur vice propre, ou par l’effet de la
tempête ; dans l’un et l’autre cas, c’est un événement
fortuit, pour lequel il n’y a pas lieu à contribution,
parce que c’est une charge de l’affrètement que le pro
priétaire fournisse son navire muni de tout ce qui lui
est nécessaire pour naviguer, et remplace à ses frais tout
ce qui s’use ou se détruit par cas fortuits. Aussi Valin
observe-t-il sur ces mots : les câbles et mâts rompus ou
coupés, que tout cela est pris dans le sens de l’article,
�ART.
400, 401, 402.
83
qui est que cela se fasse dans l’intérêt commun, autre
ment ce ne serait plus qu’une avarie particulière, quoi
que causé par la tempête ou autres fortunes de mer.
Eelte demande, ainsi justifiée, avait été accueillie par
la commission, elle avait en conséquence supprimé dans
le projet du Code le mot rompu, et cette manière de voir
avait été partagée par la section de l’intérieur.
Cette suppression ne manqua pas de défenseur dans
la discussion du conseil d’Etat, on disait : quelques ex*
pressions qu’on adopte, elles devront toujours se modi
fier par le principe qui ne réputé avaries communes que
celles qui ont lieu dans la vue du salut commun. Un
câble ou un mât coupé suppose l’action de l’homme, et
celte action a ordinairement pour but le salut commun;
un câble ou un mât rompu n’est pas une avarie com
mune, si la rupture n’arrive que par un accident de
mer. En analysant donc la valeur des expressions, la
rédaction de la commission peut avoir quelque avantage
sur celle de l’ordonnance.
Mais la suppression pure et simple du mot rompu
conduisait à cette conséquence : que la rupture d’un câ
ble ou d’un mât ne pouvait jamais tomber en avarie
grosse, cependant elle pouvait ne s’être réalisée que
dans l’exécution d’une mesure prise pour le salut com
mun ; il rj’était pas juste, dans ce cas, de la considérer
comme avarie particulière.
Aussi, la proposition d’en revenir à la rédaction de
l’ordonnance fut-elle d’abord faite à condition d’y ajou
ter : Lorsque le câble ou le mât est rompu par suite
�DROIT MARITIME.
d'opérations nécessaires au salut commun, mais cette
addition fut repoussée, et l’on en revint purement et
simplement au texte de l’ordonnance.
Toutefois on ne doit pas voir dans le rejet de l’addi
tion l’intention de s’écarter de la doctrine qui la faisait
proposer ; ce rejet tient principalement à l’inutilité d’ex
primer plus expressément ce qui ressortait avec évidence
de l’esprit de la loi, du rapprochement des articles 400
et 403.
1690. — Ce qui ressort de la discussion, c’est que
pour la rupture d’un mât ou d’un câble, comme pour
toute autre avarie, sa nature sera subordonnée à la
cause qui l’a occasionnée.
Ainsi, celle qui est due à l’effet d’un coup de vent,
d’une tempête ou de tout autre fortune de mer ne cons
tituera qu’une avarie particulière, aux termes de l’arti
cle 403.
Si, au contraire, il a été délibéré, pour le salut com
mun, de couper les cordages, les haubans, si la néces
sité de se soustraire à la tempête ou à l’ennemi a déter
miné un forcement de voiles, la rupture occasionnée soit
parce que le mât se sera trouvé sans appui, soit parce
qu’il n’a pu résister à l’impulsion que lui imprimait le
forcement de voiles, tombera en avarie commune et sera
régie par l’article 400.
Voilà le seul, le véritable sens du troisième paragra
phe de notre article. Le mot rompu n’y est admis que
dans l’hypothèse d’une rupture réalisée dans l’exécution
�ART.
400, 401, 402.
87
d’une mesure dictée par le salut commun. Il est dès lors
évident qu’il n’existe aucune contradiction entre les ar
ticles 400 et 403.
1 6 9 1 . — Le forcement de voiles délibéré pour le
salut commun et opéré dans le but de prévenir, en évi
tant la côte ou les écueils, de plus grands malheurs que
la perte d’une partie des marchandises ou des agrès de
navire imprime-t-il le caractère d’avaries grosses aux
dommages qui en résultent ? L'affirmative absolue a été
consacrée par un arrêt de Rouen, du 3 mai 1827.
La cour de Douai, au contraire, a considéré ces dom
mages comme avaries particulières, lorsque cette ma
nœuvre, quoique délibérée par l’équipage et pour le sa
lut commun, a été faite sans déviation de la route du
navire, et qu’en outre elle était la seule pratiquable, à
raison du danger qu’il y aurait eu de mouiller ou relâ
cher dans d’autres ports pour arriver à celui de la des
tination l.
1 6 9 3 . — Ce dernier arrêt, contraire à la doctrine
ancienne et moderne, nous paraît méconnaître les prin
cipes consacrés par le Code de commerce : l’avarie est
commune toutes les fois que le préjudice a été volontai
rement souffert dans le but d’en éviter un plus considé
rable. Or, dans l’espèce, le forcement de voiles avait été
délibéré par le capitaine, l’équipage et le pilote. Les
1 11 m ai 1843 ; J. d u P ., 2, 1844, 303.
'f
�'
88
DROIT MARITIME.
conditions exigées étaient donc remplies ; dès que la
manœuvre était déclarée indispensable pour le salut
commun, qu’importe qu’elle eût pour objet d’arriver au
port de destination, le temps exigeait pour le salut com
mun que l’entrée dans ce port s’opérât le plus tôt pos
sible, et c’est pour répondre à cette nécessité que le for
cement de voiles avait été délibéré et exécuté.
Vainement encore, dit-on, que la mesure était la seule
pratiquable et par conséquent indispensable. C’est là le
caractère essentiel de toutes celles qui sont prises dans
un intérêt et pour le salut commun. Le jet, l’abandon
de câbles, la coupure des mâts et cordages, enfin l’échouement lui-même sont également indispensables ou
jugés tels, ce n’est même qu’à cette condition qu’ils sont
admis en avaries communes. Pourquoi en serait-il au
trement pour le forcement de voiles ? Que le navire ne
puisse ni mouiller, ni entrer dans un port intermédiaire,
soit, mais il pourra toujours naviguer sous sa voilure
ordinaire, et c’est ce que fera le capitaine si on met à
son unique charge les conséquences d’un forcement de
voiles commandé par le salut commun.
Il suffit donc que ce but soit reconnu et admis par
une délibération de l’équipage, pour qu’on doive juger
comme l’a fait l’arrêt de Rouen du 3 mai 1827.
163)3. — La rupture d’un mât, la déchirure des
voiles provenant d’un cas fortuit peut devenir l’origine
d’une avarie commune. Le mât fracturé peut n'avoir pas
été abattu par la tempête, le salut du navire peut exiger
�ART.
400, 401, 402.
89
qu’on s’en débarrasse immédiatement. Il faudra donc
le couper et le jeter à la mer, et avec lui les cordages et
autres manœuvres qui avaient été épargnés.
Une avarie grosse vient donc s'enter sur l’avarie par
ticulière, et il faudra nécessairement faire la part de
l’une et de l’autre. A ce sujet, Emérigon enseignait qu’on
ne devait ranger en avarie commune que la valeur du
mât et de ses accessoires, en l’état que le tout valait
étant rompu. Cette opinion, adoptée par M. Pardessus,
a été formellement consacrée par la cour de Rennes, le
9 janvier 1844 1.
La même Cour avait déjà jugé, le 22 mai 1826, qu’on
doit classer dans l’avarie commune la valeur estimative
des voiles d’abord déchirées par la tempête, lorsque,
pour le salut commun , on était réduit à couper ce qui
en restait et à les jeter à la mer, ainsi que les cordages
qui en dépendaient, et la perte des mâts et des manœu
vres courantes. Ce n’est là qu’une application du prin
cipe enseigné par Emérigon et Pardessus.
Du principe que les dommages, qui sont une suite
immédiate, directe, inévitable de l’avarie grosse partici
pent de ce caractère, il suit que lorsqu’un mât et des
vergues coupés pour le salut commun sont tombés dans
la mer, et qu’avant qu’on pût s’en dégager ont occa
sionné une voie d’eau par les secousses imprimées au
navire, la voie d’eau et les dommages qu’elle a entraî1 Emérigon, chap. 2, sect. 41, § S ; Pardessus, n° 788 ; .7. du P.,
1844, 286.
�90
DROIT MARITIME,
nés sont avaries communes et donnent lieu à contribu
tion. Ces dommages rentrent dans la catégorie de ceux
que l’article 422 admet en avaries grosses.
— 4* Les ancres et autres effets abandonnés
pour le salut commun.
Cet abandon est un véritable jet à la mer. Aussi l’ar
ticle 410 le met-il sur la même ligne que çelui-ci et lui
accorde les mêmes effets.
Pour que l’abandon tombe en avarie commune, il
suffit qu’il ait été volontaire, qu’il ait eu lieu dans l’in
térêt du navire et de la cargaison, soit pour préve
nir un danger probable, soit pour remédier à un péril
actuel.
1694.
— Ainsi, de tout temps, on a considéré com
me avarie commune l’abandon volontaire de l’ancre
pour ne pas être séparé de l’escorte sous la protection
de laquelle on navigue, pourvu toutefois que cet aban
don n’ait pas pour cause la faute du capitaine L
Ainsi encore la cour de Rouen jugeait, le 15 mars
1842, que si, dans un danger imminent et dans le but
de préparer des moyens d’assurer le salut commun, le
canot ou la chaloupe a été mis en mer, la perte de l’un
ou de l’autre serait une avarie commune2.
Il en serait de même de l’abandon de l’un ou de l’au1695.
1 Casaregis, Disc. 46, n ° 9 ; Em érigon, chap. 12, sect. 41, S 5.
2
J. du P ., 2, 1842, 41.
�art .
400, 401, 402.
91
Ire, déterminé pour éviter un danger ou pour donner le
change à l’ennemi et échapper à sa poursuite.
— A ce sujet, Emérigon nous a conservé un
exemple remarquable d’une ruse de ce genre habilement
tentée et couronnée du plus entier succès.
Pressé par de nombreux ennemis, le capitaine Demoulin, commandant la polacre la Victoire , en route pour
Marseille, avait pris chasse toute la journée. Au soir, les
navires ennemis se trouvaient à une lieue ou deux de la
polacre, on délibère alors de préparer le canot, d’y met
tre un mât avec une voile de l’avant, et au bout du mât
un fanal enveloppé d’une toile claire. La nuit venue, on
allume le fa n a l, on met le canot à la mer au gré du
vent, et, prenant la route contraire, le capitaine pour
suit heureusement son voyage et arrache son navire au
péril imminent qui le menaçait.
Il n ’est pas douteux, observe Emérigon, que le canot
ainsi abandonné ne dût entrer en avarie commune Per
sonne n ’oserait contredire cette conclusion.
1696.
1 6 9 9 . — L’abandon cesse d’être volontaire s’il peut
être attribué au fait du capitaine. Ainsi si la chaloupe
ou le canot, au lieu d’être sur le navire, avait été mis à
la traîne, et que, l’orage survenant, on eût été contraint
découper l’amarre, la perte ne serait plus qu’une ava
rie particulière.
Toutefois, les Italiens qui naviguaient sur la Méditer
ranée étaient dans l’usage de tenir la chaloupe à la mer,
�92
DROIT MARITIME.
afin de soustraire plus facilement leurs personnes, au
moins, aux barbaresques. Cette intention faisait consi
dérer comme avarie commune la perte de cette chaloupe
occasionnée par fortune de mer, si le navire arrivait à
bon port.
1 6 9 8 . — 5° Les dommages causés par le jet aux
marchandises restées dans le navire.
Cette règle est une nouvelle application de celle que
nous rappelions tout à l’heure, à savoir, que tous les
dommages qui sont la conséquence immédiate et directe
de l’avarie commune suivent le sort de celle-ci. On ne
pouvait classer l’accessoire autrement que le principal.
Le dommage occasionné par le jet au navire ou au res
tant de la cargaison était évidemment l’accessoire du jet
lui-même.
Le Code de commerce ne parle ici que du dommage
fait aux marchandises restant sur le navire, il s’est con
formé en cela aux législations précédentes, et notamment
à l’article 23, chapitre 5 du Guidon de la mer, décla
rant avarie particulière le dommage que le jet aurait oc
casionné au corps du navire.
Cette décision était difficile à justifier, aussi avait-elle
été modifiée par l’ordonnance de 1681. Il est vrai que
le titre des avaries ne s’occupe nullement du dommage
fait au corps du navire, mais l’article 14, titre du jet,
considère comme avarie commune le dommage souffert
par le navire volontairement et pour faciliter le jet.
�ART.
4.00, 401, 402.
93
C’est cette modification que le Code a expressément
consacrée dans les articles 422 et 426.
En conséquence, si le léger dommage que l’exécu
tion du jet peut occasionner au navire est une avarie
particulière, il en est autrement de celui résultant du
fait tendant à faciliter le jet. Le sacrifice étant alors vo
lontaire, et procédant d’une pensée de salut commun,
devait être assimilé au jet lui-même et produire des ef
fets identiques.
1 6 9 9 . — 6° Le pansement et la nourriture des
matelots blessés en défendant le navire ; les loyers et
nourriture des matelots pendant le temps de la déten
tion, quand le navire est arrêté en voyage par ordre
d’une puissance, et pendant les réparations des domma
ges volontairement soufferts pour le salut commun, si
le navire est affrété au mois.
Le matelot qui défend le navire contre l’ennemi ou
les pirates remplit un devoir sans doute, mais le mobile
de ce devoir est évidemment le salut commun. Il était
dès lors légitime et naturel de ranger en avaries grosses
les dépenses du pansement de la blessure par lui reçue
dans ces circonstances et les frais de nourriture pendant
la durée du traitement.
1 9 0 0 . — Cette disposition ne comporte aucune dis
tinction quant à la qualité de la personne blessée, elle
s’applique aux officiers du bord, au capitaine lui-mê
me, comme au simple matelot. La blessure procédant
�DROIT
MARITIME.
de la même cause, ses effets ne pouvaient qu’être iden
tiques.
L’article 400, dans son paragraphe 6, ne prévoit et ne
régit que la blessure reçue en défendant le navire. Dès
lors, le membre de l’équipage qui aurait contracté une
maladie, ou qui se serait blessé en exécutant une ma
nœuvre, ne serait pas recevable à en invoquer le béné
fice. Les frais de pansement et de nourriture seraient à
la charge exclusive de l’armement.
1901 . — Il est évident que le passager qui, sans
prendre part à la défense du navire, aurait été fortuite
ment atteint d’une blessure pendant le combat, devrait
pourvoir à ses frais au trailement que cette blessure
exigerait. Que devrait-il en être si ce passager, s’asso
ciant spontanément aux efforts de l’équipage, a pris une
part active à la défense, et n’a été blessé qu’à cette oc
casion ?
/
1903 .
- - M. Locré enseigne que, même dans ce
cas, le passager n’a aucune indemnité à réclamer. En
défendant le navire, dit-il, le passager se défendait luimême, il n’a donc pas agi pour le salut commun.
Ce raisonnement de M. Locré pourrait s’appliquer à
l’équipage lui-même. On peut croire, en effet, que cha
cun de ses membres a d’abord en vue sa liberté et sa
préservation.
Avec raison, la loi ne s’est nullement préoccupée de
l’intention, ce qu’elle a considéré, c’est le résultat. Le
�*
ART.
400, 401, 402.
95
succès de la défense a conservé les choses, tout en pré
servant les personnes. Le profit qu’en retirent le navire
et la cargaison faisait un devoir de les soumettre à con
tribuer au dommage éprouvé par les défenseurs du na
vire.
En se plaçant généreusement parmi ces défenseurs,
le passager a fait plus que son devoir : il a réellement
concouru au succès qui a conservé le navire et la car
gaison. Il est donc de toute justice que ceux qui ont pro
fité de son dévoûment contribuent à la réparation du
tort personnel que ce dévoûment lui a occasionné.
La solution contraire, outre qu’elle blesserait l’équité,
pourrait avoir les conséquences les plus fâcheuses. Les
passagers, s’ils devaient soigner à leurs frais les blessu
res reçues en combattant, ne manqueraient pas de rester
dans l’inaction, ce qui priverait l’équipage d’un secours
sans lequel il aurait succombé peut-être. L’intérêt géné
ral exige donc qu’on repousse cette solution.
1903 . — Le bénéfice concédé par les articles 267
et 268 ne saurait être refusé au matelot blessé, soit en
mer, soit à terre, pendant qu’il remplit une mission.
Ainsi, les frais de pansement et de nourriture seront
avaries particulières au navire, si le matelot agissait
pour celui-ci ; à la cargaison, si la mission la concer
nait exclusivement ; avaries communes, s’il s’agissait de
l’intérêt du navire et de la cargaison cumulativement.
1904 . — Le matalot tué en défendant le navire, ou
�96
DROIT
MARITIME.
pris et fait esclave en remplissant une mission, a droit
à ses loyers pour tout le voyage, si le navire arrive à
bon port. L’article 278, dans ce dernier cas, ne déclare
avarie commune que l’indemnité pour le rachat. D’où
il résulterait que, même lorsque la mission du matelot
est dans l’intérêt du navire et de la cargaison, celle-ci
doit rester étrangère au paiement des loyers. De là on
peut induire qu’il en est de même dans l’hypothèse
d’un matelot tué en défendant le navire.
Les loyers sont une charge naturelle de l’armement.
Quel que soit donc l’événement qui oblige de les payer,
ce caractère ne saurait s’effacer. Cependant, si cet évé
nement constitue une avarie commune, et si, indépen
damment des loyers à payer au matelot, l’armement y
rencontre la nécessité d’une dépense supplémentaire,
celle-ci doit donner lieu à contribution. Elle n’a, en
effet, d’autre origine que l’événement accompli pour le
salut commun, sans lequel elle n’aurait pas eu lieu.
M. Pardessus a donc raison de distinguer, et l’on doit
dire avec lui : lorsque l’armateur a loué un matelot pour
remplacer l’homme tué ou pris, le payement qu’il est
tenu de faire à celui qu’il a engagé en remplacement,
sans être affranchi de l’obligation de continuer les loyers
du remplacé, lui cause une double dépense, et par con
séquent un déboursé extraordinaire qui, ayant son prin
cipe dans le salut de tous, forme une avarie commune.
Mais si le matelot tué ou pris n’a pas été remplacé, le
payement des loyers que fait l’armateur ne doit plus être
considéré comme une dépense extraordinaire, ni par
�art .
4-00, 4-01, 402.
97
conséquent avarie grosse, car l'armateur, dans ce cas
ne paye pas plus que si ce matelot eût continué de
servir H
>
1 ? 0 5 . — On doit ranger en avaries communes les
dommages que le feu de l’ennemi a pu faire éprouver,
soit au navire, soit à la cargaison. La résistance étant
toute dans l’intérêt de tous, il est juste que chacun con
tribue à indemniser celui qui en a éprouvé un préjudice.
L’opinion contraire de Casaregis et Emérigon, repoussée
par Yalin et Pothier, n’a trouvé aucun défenseur dans
la doctrine moderne.
1 9 0 6 . — La disposition du Code relativement aux
loyers et nourriture des matelots et équipage pendant la
détention du navire, par suite de l’arrêt de puissance,
est la reproduction de l’article 7 de l’ordonnance de
1681, titre des avaries. La dépense en résultant, avarie
commune si le navire est affrété au mois, n’est plus
qu’une avarie particulière à l’armement, si l’affrètement
est au voyage.
Cette différence dans les effets, basée sur la nature de
l’affrètement, avait été vivement critiquée par Yalin.
Ses motifs avaient tellement impressionné la commis
sion, que, se conformant à son avis, elle avait rangé,
dans tous les cas, en avaries communes, les loyers et
l N» 739.
v— 7
�DROIT
MARITIME.
la nourriture de l’équipage pendant la durée de la dé
tention.
La résolution de la commission fut combattue notam
ment par le tribunal de commerce du Havre. Quoiqu’en
dise Valin, observait ce tribunal, il semble que l’article
de l’ordonnance était plus conforme aux vrais principes,
en fait d’avaries, qui sont que tous les cas fortuits (et
l’arrêt de puissance en est un) ne donnent ouverture
qu’à des avaries simples, et que chacun doit supporter
le dommage qu’il en éprouve : le navire, la solde et la
nourriture de l’équipage qui sont à sa charge particu
lière ; les affréteurs, le retard et le dépérissement de
leurs marchandises. Le principe de distinction entre le
navire frété au mois et celui frété au voyage se justifie
par ce fait que, dans ce dernier cas, le capitaine ou
l’armateur a pris à forfait, envers les affréteurs, la lon
gueur ou la brièveté du voyage, à sa perte ou à son bé
néfice, et qu’il n’en est pas de même lossqu’il l’a loué
au mois.
C’est ce que le conseil d’Etat admit en revenant à la
disposition de l’ordonnance, et en n’admeltant en ava
ries communes les loyers et la nourriture de l’équipage,
pendant la détention, que lorsque le navire est affrété
au mois.
1909.
— La différence que Valin critiquait ne laisse
pas que d’avoir un fondement légitime. La cargaison
profite des soins que l’équipage donne au navire pen
dant la détention. A son endroit, la rémunération de
�ART.
400, 401, 402.
99
ces soins consiste dans le payement du fret, comprenant,
outre le juste émolument de l’armateur, la dépense qu’il
est obligé de faire pour l’entretien de l’équipage.
Dans l’affrètement au voyage, le chargeur paye l’inté
gralité du fret convenu, quelle que soit la durée de la
navigation. Il rémunère donc réellement l’équipage. En
conséquence, le contraindre à contribuer aux loyers et
nourriture pendant la détention, ce serait augmenter le
fret, avec d’autant moins de raison que si, par une cir
constance quelconque, le navire terminait son voyage
dans un temps moindre que celui que les parties ont dû
admettre, il ne serait ni recevable ni fondé à réclamer
une réduction.
L’affrètement au voyage est donc, en réalité, un for
fait consenti par le capitaine. Profitait de la chance fa
vorable, il ne saurait être fondé à répudier la chance
contraire. Que celle-ci soit la conséquence de temps con
traires ou de l’arrêt de puissance, elle n ’en aura pas
moins pour cause un cas fortuit, rentrant dans les pré
visions aléatoires du contrat.
L’article 300 dispense l’affréteur au mois du paye
ment du fret pendant toute la durée de la détention.
Donc, les soins que l’équipage donne au navire, et qui
profitent à la cargaison autant qu’au navire lui-même,
ne coûteraient rien à l’affréteur. Il était dès lors équi
table que, comme équivalent de ce profit, on fit contribuér celui-ci aux loyers et à la nourriture de l’équipage
pendant le temps de la détention.
L’admission en avarie commune des loyers et nourri-
�100
DROIT
MARITIME.
ture de l’équipage pendant la détention, lorsque le na
vire est loué au mois, est une exception au principe
constitutif de cette avarie. Elle n’existe ordinairement
que lorsque le sacrifice est volontaire et provient de
l’initiative humaine. Or, qu’y a-t-il de volontaire dans
la dépense occasionnée par l’arrêt? N’est-elle pas la
conséquence forcée de l’arrêt lui-même, c’est-à-dire
d’un cas fortuit, comme le serait toute autre fortune de
mer?
1 9 0 $ . — Notre législation, qui n’a pas hésité à
consacrer cette exception, a cru devoir en consacrer une
autre. Modifiant, en ce point, l’ordonnance de 1681,1e
§ 6 de l’article 400 admet en avarie commune les loyers
et nourriture de Véquipage pendant les réparations du
préjudice volontairement souffert, lorsque le navire est
affrété au mois.
Le fondement de la première exception se justifie par
cette raison que la contribution dans l’hypothèse de
l’arrêt n’est que la rémunération des peines et soins de
l’équipage à l’endroit du navire et de sa cargaison. A
notre avis, la seconde ne saurait invoquer aucune rai
son légitime et même plausible.
La réparation du dommage volontairement souffert
est sans doute elle-même une avarie commune ; mais
elle doit se restreindre dans ses limites naturelles. Ce
dont il faut indemniser l’armateur, c’est la dépense qu’il
est obligé de faire dans cet objet, en tant qu’elle cons
titue un déboursé dont il ne touche pas l’équivalent.
�ART.
400, 401, 402.
101
Ce caractère n’existe pas pour les loyers et la nourri ture de l’équipage. L’article 300 dispense l’affréteur au
mois du payement du fret, mais pendant l’arrêt seule
ment. Aucun texte n’étend ce bénéfice au temps des
réparations pour dommages volontairement soufferts.
Dès lors, si le capitaine doit recevoir le fre t, il est en
réalité dédommagé du coût des loyers et nourriture. Lui
accorder une autre indemnité à ce sujet, c’est grever in
justement le chargeur d’une double dépense.
1 Ï O » . — Il y a , entre les deux cas prévus par
l’article 400, cette différence énorm e, à savoir, l’ar
mateur qui ne reçoit rien dans le premier, est payé du
fret dans le second. Il n’était dès lors pas admissible
de les assimiler. C’est ce que M. Frémery établit avec
raison.
Pendant la détention, dit-il, payer les loyers et nour
riture de l’équipage sans toucher le fret, c’est un dom
mage évident, tandis que, pendant les réparations d’un
préjudice volontaire, payer son équipage et le nour
rir n’est point une cause de dommage, puisque l’af
fréteur contitue de payer la totalité du fret stipulé à
tant par chaque mois. L’armateur est donc indemnisé
de la dépense par la recette. La première ne saurait,
dès lors, être une avarie quelconque. Sur quel fon
dement, en effet, le capitaine, payé chaque jour de
son fret, pourra-1-il demander que le propriétaire
du chargement lui tienne compte, outre ce fret, d’une
�102
droit
maritime.
portion des loyers et de la nourriture de l’équipage1
1910 .
— Ces considérations sont tellement justes et
décisives, que nous serions portés à croire que la ré
daction actuelle de l’article 400 est le résultat d’une er
reur, et qu’au lieu de ces mots, qui terminent le § 6 :
si le navire est affrété au mois, on voulait mettre : si
le navire est affrété au voyage. Sans doute , dans ce
dernier cas, l’armateur a pris, à ses risques et périls, la
durée du voyage. Mais, ce qu’il faut en induire, c’est
qu’il répond seul des événements fortuits qui le pro
longent plus ou moins. Mais si l’obstacle surgit d’une
mesure prise dans l’intérêt commun, commandée par
le salut du navire et de la cargaison, où est la justice à
en mettre les conséquences à sa charge exclusive ?
Les protestations contre un pareil résultat se font
jour dans la jurisprudence. Ainsi, et malgré les termes
des articles 400 et 403, il a été jugé que les loyers et la
nourriture de l’équipage, pendant la réparation du dom
mage souffert volontairement, doivent tomber en avaries
grosses, alors même que le navire est loué au voyage2.
Cet état de choses appelle l’attention et la sollicitude
du législateur.
1911 . — 7° Les frais du déchargement pour allé—
1 Eludes de Droit cornrn., p. 24 3 et 21 S.
~ Àix, 31 décembre 1824 ; 15 février 1828. Le Journal du Palais
en citant le premier, l’attribue à la cour d’Agen. C’est une erreur.
�ART.
400, 401, 402.
103
ger le navire et entrer dans un havre ou dans une ri
vière, quand le navire est contraint de le faire par tem
pête ou par la poursuite de l’ennemi.
L’ordonnance de 1681 se bornait à dire: Sont ava
ries communes les frais de la décharge pour entrer dans
un havre ou dans une rivière, ou pour remettre à flot
un vaisseau.
Cela devait-il s’entendre de la décharge pour entrer
dans le port de destination, ou seulement n’avait-on
prévu l’allégement que lorsque la nécessité résultait de
la volonté d’échapper au naufrage ou à la poursuite de
l’ennemi ? Valin et Pothier s’étaient tour à tour pronon
cés dans ce dernier sens.
1913.
— En maintenant, dans son projet, la ré
daction de l’ordonnance, la commission n’en compre
nait pas autrement la portée. Ce sont ses propres ex
plications qui suggérèrent la restriction qui termine le
§ 7. Puisque, disait le tribunal de commerce de Paim pol, ce n’est que l’allégement à la suite d’accidents, et
non celui qui a lieu pour se procurer l’entrée ou la sor
tie d’un port ou d’une rivière qui ne fournit pas l’eau
nécessaire pour flotter le navire avec la charge entière
que l’article a en vue, il conviendrait de terminer le
paragraphe par ces mots : Mais seulement dans le cas
de naufrage ou d’échouement, ou à la suite de tous au
tres événements de mer ou de guerre.
Cette proposition, qui avait l’avantage d’indiquer clai
rement la pensée du législateur, fut accueillie et devait
�10-4
DROIT
MARITIME.
l’être, l’allégement du navire n’est donc avarie grosse
que lorsque, volontairement exécuté, il a pour objet de
prévenir les effets de la tempête ou d’y remédier pour
éviter une perte totale, ou de se soustraire à la pour
suite de l’ennemi. Quant aux frais du déchargement
partiel pour entrer au port de destination, ils ne sont
occasionnés que par la position connue de ce port ; ils
ne constituent donc qu’une dépense indispensable à
l’achèvement du voyage entrepris, à la charge par con
séquent de l’armement, sauf convention contraire 1.
1913 . — Lorsque l’allégement a eu lieu dans les
conditions prescrites, la perte des effets placés sur les
allèges constitue une avarie commune, alors même
qu’elle ne provient que d’un cas purement fortuit ; il
est évident que cette perte ne se serait pas réalisée si
ces effets étaient restés à bord du navire, elle n’est donc
que la conséquence de leur transbordement. Or, comme
celui-ci a eu pour cause unique le salut commun, les
suites fâcheuses qu’il a entrainées doivent peser égale
ment sur tous2.
Nous aurons occasion, en examinant l’article 427,
de résoudre la question de savoir si les marchandises
transbordées sur allèges contribuent ou non aux ava
ries communes qu’éprouvent postérieurement au trans
bordement le navire et le restant de la cargaison. Nous
1 V° infra, a rt. 427.
2
V. in fra , a rt. 427.
�ART. 400, 401, 402.
105
renvoyons donc aux observations que nous ferons à ce
sujet.
1914.
— 8° Les frais faits pour remettre à flot le
navire échoué dans l’intention d’éviter la perte totale ou
la prise.
La remise à flot du navire échoué peut déterminer
l’abandon d’une ou de plusieurs manœuvres, d’une
partie plus ou moins considérable de la cargaison. Elle
nécessite la réparation du préjudice souffert par le navire
dans sa coque ou dans son gréement, et, par consé
quent, le besoin de relâcher, de transporter la cargaison,
de la déposer en lieu sûr, de veiller à sa conservation,
de réparer les avaries qu’elle a pu éprouver.
Toutes ces pertes , tous ces frais , sont les suites im
médiates et directes de l’échouement, il est dès lors
évident que si celui-ci a été volontairement délibéré et
exécuté, les uns et les autres tombent en avaries com
munes.
1915.
— Toutefois, dans les prévisions de la loi,
l’échouement volontaire n’est licite que lorsqu’il a pour
objet de se soustraire à l’ennemi ou d’éviter la perte to
tale. La première condition ne saurait faire naître des
difficultés que sur la nécessité ou l’opportunité de l’é—
chouement ; la seconde, au contraire, peut être révo
quée en doute quant à ses caractères constitutifs. Doiton l’admettre, par .exemple, lorsque l’échouement est
�106
DROIT
MARITIME.
rendu inévitable par le motif que le navire ouvert par
la tempête menace de sombrer corps et biens ?
La négative était soutenue dans l’espèce suivante : la
Sophia Maria, embarque à Stokolm une partie de sau
mons de cuivre à l’adresse et consignation de MM. Balguerie Junior et Compagnie, à Bordeaux ; le navire se
trouvait, au commencement de septembre, en vue de
Cordouan.
Dans ce moment, le vent soufflant avec violence, le
capitaine fait hisser un pavillon de signal pour deman
der un pilote, personne ne répond à cet appel.
Le capitaine et l’équipage délibèrent à l’unanimité
que, pour éviter d’être jetés à la côte et pour le salut
commun, il fallait tenter d’entrer en rivière, quoique
sans pilote ; on manœuvre dans cette direction, mais la
mer étant très basse, le navire touche sur les brisants
de Cordouan, où il perd son gouvernail et demeure
échoué.
Nouvelle délibération d’après laquelle on coupe la mâ
ture. Le navire poussé par le vent et les courants entre
en rivière.
Sur ces entrefaites arrivent quatre chaloupes de pilo
tage qui remorquent le navire jusqu’à près de cinq lieues
de distance des brisants de Cordouan, mais le navire
ayant une voie d’eau considérable, et courant risque de
couler bas, les pilotes prennent le parti de l’échouer sur
les vases du Talais, pour le salut commun.
Après les formalités pour constater le dommage, le
capitaine demande que les dépenses pour renflouer le
�art .
400, 401, 402.
107
navire et réparer les avaries tombent en avaries gros
ses, et soient supportées par le navire et la cargaison.
Refus du consignataire, et, après instruction, sentence
arbilrale qui déclare avarie particulière au navire, le tâlonnement sur les brisants de Cordouan ; avarie com
mune, l’échouement sur les vases de Talais.
Cette classification dernière est attaquée par le consi
gnataire. En fait, disait-il devant la Cour, l’échouement
sur les vases de Talais n’a pas été volontaire. Le navire
brisé sur le Cordouan devait infailliblement couler bas,
et l’on ne saurait présumer qu’il y a sacrifice volontaire,
lorsque la perte était certaine.
Cette objection n ’avait aucune portée réelle, quelque
certaine que dût paraître la perte, et précisément parce
qu’elle était ou paraissait infaillible, il était d’autant
plus urgent de la prévenir. L’échouement devant attein
dre ce résultat était conseillé par la prudence et la rai
son, et offrait le caractère exigé par la loi. Faut-il, en
pareille occurrence, courir la chance jusqu’au bout, et
laisser fatalement s’accomplir la perte entière, dans l’es
pérance de l’éviter ? N’est-ce pas précisément pour au
toriser et commander la conduite contraire que le légis
lateur range en avarie grosse l’échouement, pour éviter
la perte totale.
191G . — Aussi la cour de Bordeaux n ’hésite-t-elle
pas à condamner le consignataire. « Attendu, porte l’ar
rêt, que si les dommages doivent, pour être rangés dans
la classe des avaries communes, avoir été soufferts vo-
�108
DROIT
MARITIME.
lontairement, le péril que courait le navire n’ôte pas au
sacrifice qu’on a fait le caractère que lui a donné le
concours de la volonté ; qu’il y aurait faute, s’il n’y
avait dans le fait déterminant le dommage péril immi
nent ; avarie particulière, si on abandonne à la fois le
navire et la cargaison aux chances de l’événement ; et
avarie grosse, si la volonté de l’homme, choisissant en
tre deux dangers, préfère celui qui peut sauver le navire
aux dépens d’une partie du chargement, ou le charge
ment aux dépens du navirel. »
La cour de Bordeaux a raison, l’imminence du dan
ger, loin d’être un obstacle, devient au contraire la con
dition essentielle pour que le sacrifice volontaire tom
be en avarie commune. L’échouement, tant que le na
vire est en état de tenir la mer, ne serait plus qu’une
baraterie véritable.
On ne pouvait donc rationnellement admettre le sys
tème du consignataire ; on ne le pouvait sans effacer le
§ 8 de l’article 400. Est-ce que , en effet, la prise ne
sera pas infaillible, si le capitaine ne prend le parti d’é
chouer. Refuser à cet échouement le caractère d’avarie
commune, c’est ce qu’on n’oserait prétendre, dès lors
pourquoi décider le contraire lorsqu’au lieu d’une prise
inévitable par tout autre moyen, il s’agira d’une perte
placée dans les mêmes conditions ?
Il y aura donc avarie grosse par cela seul que l’échouement aura été volontaire et aura sauvé la eargaii 23 février 1829.
�ART.
400, 401, 402.
109
son aux dépens du navire ; ce qui sera avarie particu
lière, ce sera uniquement les dommages soufferts avartf
l’échouement et qui l’ont rendu nécessaire, si ces dom
mages sont uniquement dus à une fortune de mer, à un
cas fortuit.
l ï l V . — Que si ces dommages ont été la suite
d’une mesure prise dans et pour le salut commun, ils
seront, comme ceux occasionnés par l’échouement pos
térieur, à la charge de tous. On le déciderait ainsi alors
même que l’échouement n’ayant pas été délibéré serait
la conséquence immédiate et directe de la mesure prise
pour le salut commun.
Dans une espèce jugée par la cour d’Aix, le 31 dé
cembre 1824, un capitaine dont le navire avait été
abordé, avait, pour éviter la perte totale et dégager son
navire, volontairement coupé son câble, ce qui avait en
traîné la perte du câble et de l’ancre, et sacrifié les cor
dages de la civadière, ce qui avait privé le navire du
bâton du foc et du minois. Cette double perte occasion
na Péchouement du navire le lendemain et pendant
que le capitaine était à terre pour se remplacer de tous
ces objets.
La prétention du capitaine de ranger en avarie com
mune, non seulement la perle des objets sacrifiés, mais
encore les conséquences de l’échouement étant contes
tées, fut admise, attendu que la rupture du câble et des
cordages était volontaire et n ’avait eu d’autre objet que
le salut commun ; que l’échouement avait été la suite et
�110
DROIT
MARITIME.
l’effet de la perte du câble, de l’ancre, des cordages, de
la civadière, e tc l.
15(1 8 . — L’échouement purement fortuit n’est
qu’une avarie particulière pour le navire ou pour la par
tie de la cargaison qui a éprouvé un dommage quelcon
que, mais il est évident que si le navire est dans le cas
d’être relevé et de continuer le voyage, les conséquences
de l’échouement deviennent la matière d’une avarie com
mune.
Ce principe n’a rencontré aucune contradiction. Il y
a dans le relèvement du navire les conditions constituti
ves de l’avarie grosse, d’une part la volonté humaine, de
l’autre le salut commun, puisque le relèvement est au
tant dans l’intérêt de la cargaison que dans celui du
navire. En conséquence, les frais faits à son occasion
devaient tomber et tombent en avaries grosses.
Doivent être considérés comme tels : le prix des ma
nœuvres sacrifiées, ou des effets jetés pour redresser le
navire ;
Les frais de déchouement et de remorque opérés avant
le déchargement de la cargaison ;
Ceux de déchargement, transport, magasinage et re
chargement.
Quant à ceux-ci, il importe de remarquer qu’ils ne
tombent en avaries communes que si le déchargement
i Nous avons déjà fait observer que le Journal du Palais a ttrib u ait
par e rre u r cet a rrê t à la cour d’Agen.
�ART.
400, 401, 402.
\\\
de la cargaison esl indispensable au relèvement du na
vire et n ’a été opéré que dans cet objet ; si les marchan
dises n’étaient débarquées, soit sur le lieu du sinistre,
soit à plus forte raison au port de relâche, que pour as
surer leur conservation ou les garantir de l’avarie dont
elles ont été atteintes par la fortune de mer, les frais de
déchargement, de transport, de magasinage et de rechar
gement restent à la charge exclusive du propriétaire des
effets qui y ont donné lieu.
Enfin, si le déchargement s’opère au lieu de relâche,
et uniquement pour faciliter la réparation du navire,
ces mêmes frais, ainsi que nous l’avons déjà établi, ne
constituent plus qu’une avarie particulière à la charge
de l’armement
1919. — Nous avons déjà vu que le principe gé
néral qui termine l’article 400 enlève à sa disposition
tout caractère limitatif et restrictif. Que le dommage
qu’il s’agit de réparer ait été ou non la conséquence
d’un des faits qui y sont énumérés, peu importe, il n’en
est pas moins avarie grosse si, volontairement souffert,
il n’a eu pour cause que le salut commun du navire et
de la cargaison.
Ainsi, on a considéré et dû considérer comme avaries
communes :
1° Les frais d’escorte, si la crainte de l’ennemi a dé
terminé le navire à en invoquer la protection ;
1 V. Supra, n« 1676.
�H2
DROIT MARITIME.
2° Les dépenses extraordinaires du déroulement opéré
pour éviter l’ennemi, et ceux du refuge sous la protec
tion des canons d’une forteresse ;
3° Les frais pour recouvrer le navire abandonné, lors
que l’abandon a eu lieu, vu l’imminence du danger,
sans fraude ni imprudence grave ;
4° Les frais de prolongation du voyage occasionnée
soit pour éviter un pays où règne une maladie conta
gieuse, soit pour aller relâcher ailleurs parce que la
santé de l’équipage donne des inquiétudes aux autorités
locales.
Dans ce dernier cas , il faut que le refus soit absolu.
Si un isolement plus ou moins prolongé était seulement
exigé, le capitaine devrait s’y soumettre, et n’aurait pas
le droit, pas plus que l’équipage, de délibérer et d’exé
cuter une prolongation de route ;
5° Enfin, le prix des marchandises vendues en cours
de voyage pour subvenir aux besoins du navire, lorsque
le propriétaire ne peut être remboursé de ce qui lui est
dû, à raison de l’insolvabilité de l’armateur et de l’insuf
fisance du prix du navire.
Cette règle a été contestée sur le fondement que la loi
met nommément à la charge de l’armement l’obligation
de restituer le prix des marchandises ainsi vendues. Mais
la vente faite pour les nécessités du navire en cours de
voyage, n’en a pas moins été faite pour le salut commun,
elle n’en a pas moins profité à tous en rendant possible
l’accomplissement du voyage. Il serait donc inique que
l'insolvabilité constatée de l’armateur pesât uniquement
�art.
400, 401, 402.
115
sur le propriétaire, malgré l’avantage incontestable que
les autres chargeurs ont retiré de la mesure.
1930 . — En résumé donc, sont avaries communes
tous dommages réunissant ces deux conditions : la vo
lonté et le fait de l’homme dans sa perpétration ; le sa
lut commun dans sa cause. Ces (feux conditions existent
lorsque le fait dommageable a été autorisé et arrêté par
une délibération motivée. Mais celte délibération n’étant
pas toujours possible,son absence peut être suppléée par
les rapports réguliers du capitaine ou des pilotes no
tamment.
A ces conditions s’en joint une troisième, à savoir,que
la mesure préservatrice ait réellement conservé la chose
commune ; il est évident que si, malgré les sacrifices
volontaires, on n’a pu assurer le salut qu’on s’en pro
mettait ; que si la prise ou le naufrage s’était réalisé,
ces sacrifices se confondraient dans la perte, et comme
elles ne sauraient donner lieu à aucune contribution,
chacun supporte la position que le sort lui a faite : Chi
salva, salva ; chi perde, perde l.
1931 . — L’origine et l’objet de l’avarie commune
indiquaient la manière dont elle devait être réparée. Le
dommage la constituant n’étant souffert que pour le sa
lut commun, tous les intéressés au navire et à la cargai
son devaient y contribuer. Cette contribution ne pouvait
i V. infra, a rt. 423, 424.
v— 8
�114
DROIT MARITIME.
comporter une distribution par quotité ; la seule juste,
la seule raisonnable était celle consacrée par la loi, celle
au marc le franc de la valeur du navire et de la cargai
son, celle du fret, que l’avarie commune a conservé.
I S S » . — Mais fallait-il que la contribuiion pesât
sur les valeurs intégrafes du navire et du fret ? En réa
lité, ce dernier n’est dû qu’à raison du navire lui-même;
il n’est en quelque sorte que l’équivalent des dépenses
de la mise en état, de la nourriture et des loyers de l’é
quipage ; il n’est acquis qu’aux dépens du navire luimême, et comme indemnité des détériorations et dépré
ciations que l’usure et la fatigue du voyage ont natu
rellement et nécessairement occasionnées. Les faire
contribuer l’un et l’autre pour l’intégralité, c’était im
poser à une même chose une double charge.
La question a été de tout temps envisagée et résolue
dans ce sens. Le Consulat de la mer ne faisait porter
la contribution que sur la moitié du navire. Quant au
fret, il ne contribuait que si le patron exigeait celui des
objets jetés ; s’il en faisait l’abandon, il était dispensé
de toute contribution, la perte qui en résultait tenant
lieu de celle-ci.
Les Jugements d'Oléron soumettaient le capitaine à
contribuer pour la nef ou pour le fret, à son choix.
Même disposition dans VOrdonnance de Wisbuy, avec
cette différence que le choix était déféré aux marchands
chargeurs.
Le Guidon de la mer s’était approprié la disposition
�ART.
397, 398, 399.
115
des Jugements d'Oleron, tant sur l’alternative, que sur
le choix du capitaine.
Enfin Cleirac enseigne qu’en la mer de Marseille le
patron n’entre en contribution que pour autant que vaut
la moitié de la nef ou son nolis. Il a perdu assez quand
il aura consommé sa personne, son temps et les dépens
qu’il aura faits, de façon que s’il ne demande pas son
fret ou nolis, il n’est tenu de contribuer.
— A son tour, l’ordonnance de 1681 eut à
s’expliquer sur la matière. Elle distingua le rachat du
jet. Pour le premier, l’article 20, titre du fret, fait por
ter la contribution sur la totalité du navire et du fret,
déduction néanmoins faite des victuailles consommées et
des avances faites aux matelots qui contribuaient aussi
à la décharge du fret à proportion de ce qui leur restait
dû de leurs loyers.
Pour le jet, l’article 6 du titre n ’exige plus qu’une
contribution par la moitié du navire et du fret.
Nous avons donc raison de le dire, de tout temps on
a reculé devant la pensée de faire contribuer le navire
et le fret pour la totalité. La raison , dit Valin , est
qu’en réalité ils ne sont nullement indépendants l’un de
l’autre.
Valin approuve donc la disposition de l’ordonnance.
L’alternative laissée par les législations précédentes, de
venait l’occasion d’une surprise ou d’une lésion de part
et d’autre. En effet, si l’option était laissée au maître, il
affecterait le fret, lorsque sa valeur serait moindre que
1933.
�H6
DROIT
MARITIME.
celle du navire, et vice versa, si le choix était abandonné
aux marchands, ils ne manqueraient pas de se pronon
cer pour la plus forte valeur.
Il convenait donc de déterminer d’une manière inva
riable la quotité pour laquelle contribueraient le navire
d’un côté, le fret de l’autre. Car, ajoute Yalin, on ne
pouvait pas les faire contribuer intégralement l’un et
l’autre. S’il y a un fret, c’est aux dépens du proprié
taire ou du maître, tant à raison des victuailles consom
mées et des loyers des matelots, que de la diminution
que souffre nécessairement le navire dans sa valeur du
rant le voyage par le dépérissement inévitable de ses
corps, agrès et apparaux ; à quoi il faut joindre l’intérêt
de toute la dépense de la mise hors. Ainsi, nulle appa
rence de faire contribuer le fret pour le tout, et le navire
en même temps aussi pour le tout, puisque le fret n’est
que le remplacement de ce que le navire est censé avoir
perdu de sa valeur pour le gagner b
1 * 3 4 . — Ces considérations sont la plus éclatante
justification de l'article 401. Comme conséquence, notre
législation moderne a effacé la différence entre le rachat
et le jet. La contribution est la même dans l’un et l’au
tre cas. Ce qui était juste dans celui-ci, devait l’être éga
lement pour celui-là.
Une déduction logique de la nature de la contribution
l Art 6, tit. d u J e t.
�ART.
400, 401, 402.
117
à la charge du fret a fait résoudre contre les assureurs
la question de savoir s’ils doivent indemniser l’arm a
teur assuré, de la part de l’avarie commune afférante
au fret.
La négative se fondait sur ce que, si le fret devait
contribuer, c’était parce que, comme le navire, comme
la cargaison elle-même, il avait été conservé par l’ava
rie commune , puisque , si le navire eût p é ri, aucun
fret n’aurait pu être exigé. Il est vrai, disait-on, que
le fret n’est qu’un accessoire du navire, mais à l’en
droit du propriétaire seulement ; il ne saurait en être
ainsi vis-à-vis des assureurs, qui n’ont jamais pu le
comprendre dans l’assurance. Il appartient au pro
priétaire seul, il constitue une spéculation étrangère à
l’assureur , qui n’est appelé à en profiter que dans le
cas de délaissement. On ne peut donc le grever de la
part pour laquelle il contribuait que dans cette même
hypothèse.
Fallut-il admettre, ajoutait-on, que le fret n’est que
la représentation de la détérioration naturelle du navire,
les assureurs ne répondant pas ordinairement de ce dom
mage spécial, il ne serait ni logique ni juste de leur en
imposer la responsabilité dans la circonstance particu
lière.
Ces objections ont été repoussées par la raison que
le fret n’étant appelé à contribuer que comme repré
sentant la moitié du navire, la part lui afférant dans
la contribution est à la charge des assureurs sur corps,
�118
DROIT
MARITIME.
comme le serait celle qui grèverait la totalité du na
vire l.
1325. — En général, la contribution est due par
tout ce qui a été sauvé par l’avarie. Cette règle, néan
moins, comporte des exceptions. C’est ainsi notamment
que les provisions de guerre ou de bouche , les hardes
des matelots sont affranchies de toute charge à ce sujet.
Nous aurons plus tard à examiner le caractère, l’étendue
et les motifs de ces exceptions, car, en ce qui concerne
les effets possibles de la contribution, les règles édictées
en cas de jet reçoivent leur application dans toutes les
hypothèses d’avaries grosses2.
1326. — La proportionnalité de la contribution
s’établit au marc le franc sur la valeur des effets soumis
à cette contribution. On constitue, en conséquence, deux
masses distinctes, se composant : la première, du prix
des choses sacrifiées en avarie commune, celui des ré
parations à faire au navire, et le montant de tous les
frais accessoires ;
La seconde comprend la valeur de tous les effets de
vant contribuer, celle de la moitié du navire et du fret,
celle enfin des objets jetés ou sacrifiés. Ceux-ci, comme
nous le verrons, n’étant pas dispensés de la contribu
tion, leur évaluation figure nécessairement dans les deux
masses.
1 Rennes, 7 m ai 1823 ; Aix, 1 « février 1827, 24 ju in 1829.
V . infra, a rt. 417 e t suiv.
2
�ART.
400, 401, 402.
119
La proportion existant entre l’un et l’autre détermine
le chiffre de la contribution. La première, représentant
la moitié, le quart, le tiers de la seconde, la perte sera
du 50, du 25 ou du 33 0/0. Chaque contribuable sup
portera une quotité égale. Ainsi, supposez que la masse
avariée soit de 40,000 fr., et cplle qui doit contribuer
de 200,000 fr.; la perte atteindra le 20 0/0.
L’armateur contribuera pour le 20 0/0 de la moitié
du navire et de celle du fret, c’est-à-dire 10,000 fr., si
les deux moitiés atteignent le chiffre de 50,000 fr. A,
dont le chargement sauvé en entier vaut 20,000 fr.,
payera 4,000 fr.; B, qui ne retire qu’une valeur de
6.000 fr., contribuera pour 1,200 fr., ainsi pour tous
les autres chargeurs, y compris l’armateur lui-même,
s’il a à bord un chargement lui appartenant, la contri
bution à la charge du navire et du fret ne l’affranchis
sant pas de celle qu’il doit en qualité de chargeur.
Bans la même hypothèse, B, qui ne reçoit que
6.000 fr. de sauvés, avait un chargement de 20,000 fr.;
il a donc perdu, dans l’avarie commune, 14,000 fr.,
dont il doit être indemnisé. Mais il n’en touchera que
11,200, les 2,800 fr. restant représentant la valeur de
la contribution à la charge des 14,000 fr. Enfin, C, dont
le chargement évalué à 20,000 fr. a péri en entier, de
vra pour la contribution 4,000 fr.; il n’en retirera donc
que 16,000.
On le voit, tout le monde perd , en réalité , une som
me identique. L’égalité est donc assurée et entière.
�120
DROIT
MARITIME.
1 Ï 3 Ï . — Ces diverses opérations exigent l’estima
tion préalable, tant des choses sauvées que de celles per
dues. Cette mission est nécessairement confiée à des
experts. Les bases de cette opération sont même, à l’en
droit des marchandises, expressément déterminées par
l’article 402. Leur prix est établi par leur valeur au lieu
du déchargement.
11 est évident que la cargaison sauvée par l’avarie
commune, et arrivant à sa destination, chaque chargeur
reçoit réellement la valeur que ces effets représentent au
lieu de leur arrivée. L’avarie grosse leur ayant seule con
servé cette valeur, ils devaient y contribuer jusqu’à con
currence. Quant aux choses perdues, il ne pourrait en
être autrem ent, puisque , les considérant comme arri
vées, la loi veut que leur propriétaire en reçoive la va
leur intégrale, sauf la part dans la contribution.
1 Ï 8 8 . — Qu’en est-il du navire ? L’article 402 est
muet sur le mode d’estimation. Faut-il en conclure que
sa valeur doit être calculée sur celle qu’il avait au lieu
du départ. Doit-on, au contraire, l’évaluer par appli
cation de l’article 417, comme la cargaison elle-même,
au lieu du déchargement ?
La doctrine s’est, en général, prononcée dans ce der
nier sens, et avec raison selon nous. Le jet n’est qu’une
espèce d’avarie commune. Rien de sérieux ne peut donc
s’opposer à ce que les règles qui le régissent soient ap
pliquées au genre lui-même. Hésite-t-on à le faire pour
ce qui est relatif à la constatation de l’avarie, au lieu où
�doit se faire le règlement, à l’expertise, aux effets sou
mis à. la contribution ? Pourquoi donc ferait-on une ex
ception à l’article 417 ?
D’ailleurs, nul ne contribue à l’avarie grosse que jus
qu’à concurrence du profit qu’il en retire. Or, ce profit
n’est et ne peut être pour l’armateur que la valeur ac
tuelle de son navire.
Vainement objecte-t-on que la moitié du navire et du
fret, affranchie de toute contribution, est une indemnité
suffisante pour le dépérissement occasionné par le voya
ge. Nous répondons qu’outre ce dépérissement, l’arma
teur a dû pourvoir aux victuailles consommées avant
le sinistre et à consommer après, jusqu’à l’arrivée au
port du déchargement ; aux loyers de tout le voyage.
Or, celte double dépense, augmentée de celle de mise à
bord, n’aurait pas eu lieu si Je navire avait péri. Dès
lors, l’avarie commune, si elle a profité d’une part à
l’armateur, lui a nui de l’autre, et c’est cette nocuité
que, dans un intérêt public, la loi a voulu compenser en
affranchissant de la contribution la moitié du navire et
du fret.
f ? S 9 . — On invoque, à l’appui du système que
nous repoussons, un arrêt de la cour de Bordeaux, du
20 mai 1833. Mais cet arrêt ne saurait exercer aucune
influence sur notre question, au point de vue de l’arti
cle 402. Celui-ci, en effet, ne s’occupe du règlement de
l’avarie commune qu’à l’endroit de l’armateur et des
chargeurs. Or, les parties en cause devant la cour de
�122
DROIT
MARITIME.
Bordeaux étaient : d’une part, l’armateur ; de l’autre,
les assureurs du navire.
Dès lors, l’arrêt ne pouvait consacrer que la doctrine
qu’il consacre, en effet, puisque, de l’assureur à l’as
suré, il ne peut jamais être question que de la valeur
portée dans la police, ou de celle au lieu du charge
ment. Aussi, la cour de Bordeaux observe-t-elle avec
raison que la valeur dont parle l’article 401 doit être ré
glée par les principes généraux en matière d’assurance,
lorsqu’il s’agit d’une contestation entre l’assureur et
l’assuré.
Or, ces principes, nous l’avons déjà vu, conduisent à
cette conséquence que le règlement intervenu entre ar
mateur et chargeurs n ’oblige l’assureur qu’à raison de
la quotité proportionnelle qu’il détermine. Si elle est du
10, du 15, du 20 0/0, l’assureur ne doit que le 10, le
15 ou le 20 0/0 de la somme assurée, qui ne peut ja
mais être que celle convenue dans la police ou celle que
la chose assurée avait au lieu de d épartl.
Donc, l’arrêt de Bordeaux, en écartant l ’application
de l’article 417 à l’endroit de l’assureur, ne faisait que
se conformer au texte et à l’esprit de notre loi. Mais il
est évident que sa doctrine est et doit rester étrangère
au règlement entre l’armateur et les chargeurs. Là la
valeur du navire doit être celle qu’il a au lieu du dé
chargement.
i Bordeaux, 11 février 1828 ; C ass., 16 février 1841 ; J . du P ., 1,
1 8 4 1 ,5 3 1 .
�art .
400, 401, 402.
123
1730. — C’est ce que la cour de Caen décidait for
mellement le 8 novembre 1843. Attendu que lorsqu’il
s’agit de déterminer les bases de la contribution aux ava
ries communes, c’est l'article 417 qu’il faut consulter,
parce qu’il est placé sous le titre 12, qui traite de la
contribution en général, c'est-à-dire du mode de pro
céder à la répartition des avaries entre les marchandises
et la moitié du navire et du fret ; que la disposition de
cet article n’est pas restreinte à la contribution pour
cause de jet ; qu’elle détermine la base générale de toute
contribution entre les chargeurs et le capitaine, et qu’elle
est destinée à modifier les dispositions contraires à son
texte formel ; que, d ’ailleurs, on ne voit pas de raisons
pour évaluer le bâtiment sur d’autres bases que les
marchandises pouvant, suivant les circonstances, être
estimées moins qu’elles ne valaient au départ ; que le
navire doit dès lors être estimé, conformément à l’arti
cle 417, au prix qu’il se trouve valoir au moment et au
lieu où s’opère le déchargementl. »
1731. — Les devoirs du capitaine, en cas d’avaries
communes, le mode de régler celles-ci sont expressé
ment prévus et réglés dans les dispositions du titre sui
vant. Nous aurons donc à les examiner en nous occu
pant de celui-ci.
1 J. du P ., 4, <845, 344.
�124
DROIT
MARITIME.
A r t ic l e
403.
Sont avaries particulières :
1° Le dommage arrivé aux marchandises par leur
vice propre, par tempête, prise, naufrage ou échouement ;
%° Les frais faits pour les sauver ;
3° La perle des câbles, ancres, voiles, mâts, corda
ges, causée par tempête ou autres accidents de mer ; les
dépenses résultant de toute relâche occasionnée soit par
la perte fortuite de ces objets, soit par le besoin d’avitaillement, soit par voie d’eau à réparer ;
4° La nourriture et le loyer des matelots pendant
la détention , quand le navire est arrêté en voyage
par ordre d’une puissance, et pendant les réparations
qu’on est obligé d’y faire, si le navire est affrété au
voyage ;
5° La nourriture et le loyer des matelots pendant la
quarantaine , que le navire soit loué au mois ou au
voyage ;
Et, en général, les dépenses faites et le dommage souf
fert pour le navire seul, ou pour les marchandises seu
les, depuis leur chargement et départ jusqu’à leur re
tour et déchargement.
�ART.
405, 404, 405, 406.
A r t ic l e
125
404.
Les avaries particulières sont supportées et payées par
le propriétaire de la chose qui a essuyé le dommage ou
occasionné la dépense.
A r t ic l e
405.
Les dommages arrivés aux marchandises, faute par
le capitaine d’avoir bien fermé les écoutilles, amarré le
navire, fourni de bons guindages, et par tous autres ac
cidents provenant de la négligence du capitaine ou de
l’équipage, sont également des avaries particulières sup
portées par le propriétaire des marchandises, mais pour
lesquelles il a son recours contre le capitaine, le navire
et le fret.
\
A r t ic l e
.y
406.
Les lamanages, touages, pilotages pour entrer dans
les havres ou rivières, ou pour en sortir , les droits de
congés, visite, rapports, tonnes, balises, ancrages et au
tres droits de navigation ne sont point avaries, mais ils
sont de simples frais à la charge du navire.
�42G
DROIT
MARITIME.
SOMMAIRE
4732.
1733.
4734.
4735.
4736.
1737.
1738.
1739.
1740.
1741.
1742.
1743.
1744.
1745.
1746.
Caractère et utilité de l’article 403.
Conditions de l’avarie particulière. Nature du vice propre.
Ses effets vis-à-vis des assureurs.
Actions naissant de l ’avarie particulière par fortune de
mer.
Sont avaries particulières é la cargaison les frais faits
pour la sauver. Ce que ces frais comprennent.
Caractère de la perte du navire par suite du vice propre.
Conséquences. ’
Quid, de l ’avarie survenue par fortune de mer et cas for
tuit ? Jurisprudence.
Avaries grosses, dont l ’avârie particulière peut être l’ori
gine. Ce qu'elles comprennent.
Sont avaries particulières : les frais de sauvetage. Consé
quences.
La perte des câbles, ancres, voiles, mâts, cordages, cau
sée par tempête ou autres accidents de mer. Obligation
de l ’armateur.
Quid, des frais de la relâche occasionnée soit parleur
remplacement, soit par le besoin d’avitaillement ou pour
réparer une voie d’eau.
Dans quels cas les loyers et nourriture de l’équipage sont
avaries particulières.
Véritable signification du § 4 de l ’article 403, à l’endroit
des loyers et nourriture de l’équipage pendant la répa
ration de l ’avarie.
Nature des frais de quarantaine. Leur caractère.
Dans quels cas devrait-on les ranger en avaries grosses.
Frais de navigation. Exception que comporte l’article
406.
�ART. 403, 404, 405, 406.
127
1747.
1748.
1749.
Jurisprudence.
Quid, des droits grevant les marchandises ?
Caractère de l’avarie provenant du fait ou de la négligence
du capitaine. Ancienne législation.
1750. Doctrine du Code. Sa justesse tant sous le rapport de la
classification de l'avarie que sous celui de la responsabi
lité du capitaine, du navire et du fret.
1751. Actions que le chargeur peut exercer. Position des assu
reurs.
1752. Le chargeur répond-il du dommage causé au navire par
le vice propre de sa chose.
1753. Résumé. Caractère et effets de l ’avarie particulière.
1754. Comment se prouve l'existence et la nature de l ’avarie.
1755. Comment peut-on en justifier la cause.
— Le principe général posé par l’article 400
suffisait à la rigueur pour caractériser l’avarie particu
lière. En effet, puisque l’avarie commune n’existe qu’à
condition que le dommage aura été volontairement souf
fert pour le salut commun, il est évident que tout pré
judice ayant une autre origine rentrait forcément en
avarie particulière.
Toutefois, la détermination spéciale de celle-ci était
utile à un double point de vue, il était sage de prévenir
les doutes qui auraient pu s’élever dans certaines cir
constances ; il fallait, en outre , à l’endroit des assu
reurs, distinguer les avaries dont ils répondent, des dé
penses pour lesquelles l’assuré ne saurait avoir aucune
action en répétition. Tel est le double objet que se pro
posent les articles dans l’examen desquels nous en
trons.
1933.
�128
DROIT
MARITIME.
— Aux termes de l’article 403, sont avaries
particulières à la cargaison le dommage arrivé aux mar
chandises parleur vice propre, tempête, prise, naufrage
et échouement.
1933.
La charge du vice propre ne saurait dans aucun cas
grever le capitaine ni l’armateur. La mission du navire
se borne à transporter les marchandises et effets d’un
lieu donné dans un autre ; de même qu’il ne garantit
pas contre les fortunes de mer, de même, et à plus forte
raison, ne peut-il répondre des causes de détérioration
et de perle , inhérentes à la marchandise elle-même et
absolument indépendantes du fait du capitaine et de l’é
quipage.
Quant aux assureurs, nous avons vu qu’ils sont lé
galement affranchis de la responsabilité à l’endroit du
vice propre. L’avarie qui en proviendrait, quelle qu’elle
fût, resterait au compte exclusif de l’assuré, à moins
que les assureurs n’en eussent expressément garanti le
risque.
— L’avarie résultant d’une fortune de mer
doit être réparée parles assureurs. Cette réparation fait
précisément l’objet de l’assurance. Le recours de l’assuré
ne saurait dès lors être repoussé.
1934.
Indépendamment de cette action, l’assuré peut être
appelé à en exercer une autre. Si le naufrage, la prise,
l’échouement sont le résultat d’une faute du capitaine,
celui-ci est personnellement tenu de leurs conséquen-
�ART.
403, 404, 405, 40G.
129
ces , de même que l’armateur , comme civilement res
ponsable.
L'assuré peut donc, à son choix, les poursuivre l’un
et l’auire, ou s’adresser directement à son assureur ; s’il
opte pour ce dernier parti, le payement que fait cet as
sureur le subroge de plein droit à l’action de l’assuré
contre le capitaine et l’armateur.
1935. — Sont avaries particulières à la cargaison
les frais faits pour la sauver. Ces expressions compren
nent non seulement les frais de sauvetage proprement
dit, mais encore toutes les dépenses que la conservation
des marchandises avariées par fortune de mer occa
sionne. Nous le disions tout à l’heure, si dans une re
lâche cette conservation exige que les marchandises
soient déchargées pour être réparées, les frais de ce dé
chargement, du transport, de magasinage et de rechar
gement, comme le coût de la réparation, ne constituent
que des avaries particulières, à raison desquelles l’as
suré n’a de recours que contre l’assureur.
1936. — Il en est du navire comme de la cargai
son. La perte provenant du vice propre est non seule
ment avarie particulière, mais encore à la charge de
l’armateur exclusivement, si les assureurs n’en ont pas
expressément garanti les risques.
Mais la perte du navire pour vice propre ne laissera
pas que d’entraîner des conséquences plus ou moins
fâcheuses pour la cargaison, elle pourra, à son tour,
v —
9
�|30
DROIT
MARITIME.
être perdue ou détériorée. Un événement de cette nature
n ’est en lui-même qu’un naufrage fortuit, ses consé
quences demeurent donc avaries particulières, même à
l’égard des chargeurs.
Mais le mauvais état du navire constitue une bara
terie de patron, de là cette double conséquence : le ca
pitaine et l’armateur répondent des dommages vis-à-vis
des chargeurs ; l’assureur n’est tenu de l’avarie que s’il
a pris le risque de la baraterie de patron ; s’il s’en est
chargé et s’il indemnise l’assuré, il peut exercer l’ac
tion ouverte à celui-ci contre le capitaine çt l’armateur.
fl.93 9. — A défaut du vice propre, le dommage
provenant d’une tempête, d’un naufrage, de la prise, de
l’échouement n’est qu’une avarie particulière pour le
navire comme pour la cargaison. La distinction entre
lui et le dommage occasionné par le vice propre n’a
d’utilité réelle qu’à l’endroit des assureurs d’abord, que
relativement à la responsabilité de l’armement ensuite.
L’un et l’autre se placent, quant à leurs effets, sous
l’empire de la règle de l’article 404 ; et cela, non seu
lement pour le dommage matériellement souffert, mais
encore pour toutes les conséquences qu’il entraînerait ;
comme, par exemple, les suites qu’aurait eues pour la
cargaison une voie d’eau occasionnée par tempête ou
échouement.
Ainsi, il a été jugé que les dommages survenus à un
navire sous pavillon neutre, par suite de sa capture par
un corsaire, notamment ceux résultant d’un choc du
�navire sur une jetée, ou de son long séjour dans le port
où il a été conduit doivent être considérés comme ava
ries particulières et non comme avaries grosses, dont
les propriétaires du chargement puissent être tenus l.
1938.
— La prise, le naufrage, la tempête, l’échouement, quoique avaries particulières dans leur prin
cipe, peuvent devenir l’occasion d’une avarie grosse.
Tel est en effet le caractère de la dépense pour le rachat
du navire et de la cargaison, de l’abandon volontaire
des voiles déjà déchirées, du coupement des mâts déjà
en partie rompus, des frais de relâche pour éviter les ef
fets ultérieurs de la tempête, enfin de ceux occasionnés
par le déchouement du navire.
Mais dans ces cas ne tombent en avaries grosses que
le montant de la composition, que la valeur des voiles
ou mâts en l’état que leur avait fait la tempête, les frais
postérieurs à la délibération autorisant la relâche et
ceux du déchouement proprement dit. Les avaries souf
fertes par le navire ou la cargaison, avant la mesure
dictée et prise pour le salut commun ne seraient que
des avaries particulières ne donnant lieu à aucune con
tribution, pas plus dans leur importance et leur nature
que dans les conséquences qu’elles seraient dans le cas
d’entraîner.
1939. — Le sauvetage que peut nécessiter le naui Rouen, 6 germinal, an x.
�132
DROIT
MARITIME.
frage n’est utile que s’il réussit, et ne profite jamais
qu’aux propriétaires des effets sauvés. C’est donc avec
juste raison qu’on a déclaré avaries particulières les frais
auxquels il peut donner lieu, ce qui est vrai pour les
marchandises ne pouvait pas ne pas l’être pour les dé
bris du navire.
Aux termes de l’article 381, ces frais ne peuvent or
dinairement être restitués qu’à concurrence de la va
leur des effets sauvés, ce n’est donc qu’entre les pro
priétaires de ces effets, et au prorata de leur valeur ac
tuelle, que ces frais se répartissent.
1940.
— Le § 3 de l’article 403 n’est que l’appli
cation au navire de la règle tracée pour les marchan
dises dans le premier paragraphe. La perte de câbles,
ancres, voiles, mâts, cordages causée par tempête ou
autres accidents de mer n’est qu’une avarie particu
lière.
Dès lors , et par une conséquence logique , les suites
d’un événement de ce genre participant de son carac
tère ne peuvent être envisagés qu’au même point de
vue.
Ainsi, le remplacement des objets perdus sera à la
charge exclusive de l’armement, ensemble toutes les dé
penses de la relâche que la nécessité de ce remplace
ment rendra indispensable.
Le contrat d’affrètement impose à l’armateur l’obliga
tion de transporter le chargement du lieu du départ à
celui de l’arrivée. Ce transport n’étant possible que si le
�ART.
403, 404, 408, 406.
. 153
navire est en état de tenir la mer, c’est à l’armateur à
pourvoir à ce qu’il en soit ainsi pendant la durée du
voyage ; on ne pouvait en conséquence l’affranchir de
la nécessité de remplacer les agrès et apparaux détruits
ou perdus par cas purement fortuits et de subvenir per
sonnellement à toutes les dépenses faites dans ce but,
sauf son recours contre les assureurs.
JL
¥41. — Le même principe conduisait à cette autre
conséquence, qu’il devait en être de même de la relâche
occasionnée soit par le besoin d’avitaillement, soit par
voie d’eau à réparer.
Les suites de l’un et de l’autre sont loin d’être iden
tiques, l’acquisition de victuailles pouvant être réalisée
dans un court délai, la durée de la relâche ne saurait
donner lieu à une dépense fort considérable.
Il n’en est pas de même pour la relâche faite dans le
but de réparer une voie d’eau. Cette réparation peut
non seulement exiger un certain temps, mais encore le
déchargement de tout ou partie de la cargaison.
Aux frais matériels de la réparation viendront donc
se joindre les loyers et la nourriture de l’équipage, et
quelquefois ceux de déchargement, de transport, de
magasinage et de rechargement. O r , tous ces fra is,
n’étant que la conséquence de l’avarie particulière au
navire, participent de ce caractère et demeurent à la
charge de l’armement, c’est ce que la Cour de cassation
décidait expressément dans son arrêt du â décembre
4830.
�134
DROIT
MARITIME.
Qu’en serait-il des frais des loyers et nourriture de
l’équipage, de ceux de déchargement, magasinage et re
chargement, si la relâche avait été délibérée par le capi
taine et l’équipage ?
Nous avons plus haut traité cette question, et nous
persistons dans la solution que nous avons indiquée. Il
est impossible de reconnaître au capitaine le droit de
convertir en avaries grosses les conséquences d’un fait
classé par la loi dans la catégorie des avaries particu
lières l.
1948. — Les loyers et nourriture de l’équipage
pondant la détention, si le navire est arrêté en voyage
par ordre de puissance, sont avaries particulières si le
navire est affrété au voyage. Nous avons déjà expliqué
les motifs de cette solution2.
Nous retrouvons ici l’assimilation que l’article 401 a
déjà faite entre l’arrêt et la nécessité d’une réparation au
navire, mais ce qu’il faut remarquer, c’est que l’article
403 ne répète plus l’affectation que l’article 401 donne
à la réparation , il n’exige plus qu’elle s’applique au
dommage volontairement souffert.
1943.
— Faut-il en conclure que l’article 403 con
sidère comme avarie grosse les loyers et nourriture de
l’équipage pendant la réparation du dommage, quel
qu’il soit, si le navire est loué au mois ?
1 V. Supra, n 03 1 677 et suiv.
3 V. supra n os 1708 et suiv.
�art.
405, 404, 405. 406.
158
La solution affirmative est repoussée par le sixième
paragraphe de l’article 401, n’affectant ce caractère aux
loyers et nourriture de l’équipage, lorsque le navire est
affrété au mois, que pour la réparation du préjudice
volontairement souffert. L’article 403 ne peut donc avoir
en vue que le même dommage qu’il considère comme
avarie part:culière dans l’hypothèse d’une location au
voyage ; dans ce sens il est en harmonie parfaite avec
l’article 401.
Lui donner le sens absolu que l’affirmative sur notre
question entraînerait, ce serait non seulement briser
cette harmonie, mais encore méconnaître le principe si
souvent rappelé, à savoir, que les conséquences immé
diates ef directes de l’avarie participent de son caractère
et en suivent le sort. Or, ce caractère se juge par la cause
déterminante de l’avarie. Si préjudice volontairement
souffert pour le salut commun, les frais de toute nature
ne sont que des accessoires que tous doivent supporter.
Dans le cas contraire, le mode d’affrètement, ne pouvant
influer sur le cause de l’avarie, ne saurait en changer la
nature. Particulière au navire, elle reste avec toutes ses
suites à la charge de l’armateur.
Si cette interprétation pouvait laisser quelques doutes
au point de vue de l’article 403, § 4, ces doutes s’éva
nouiraient devant la disposition finale de cet article, dé
clarant avaries particulières les dépenses faites et le
dommage souffert pour le navire seul ou pour les mar
chandises seules, depuis leur chargement et départ jus
qu’à leur retour et débarquement ; ils s’évanouiraient
�136
DROIT
MARITIME.
bien plus encore en présence de l’article 404, qui veut
que les avaries particulières soient supportées et payées
par le propriétaire de la chose qui a souffert le dom
mage ou occasionné la dépense. Nous ne rencontrons
ici aucune restriction suivant le mode d’affrètement con
venu. L’obligation est générale et absolue, il suffit donc
que le dommage à réparer soit une avarie particulière
pour que les dépenses pour loyers et nourriture de l’é
quipage pendant celte réparation, occasionnées par elle,
soient, comme les frais qu’elle coûte, à la charge exclu
sive de l’armateur.
— Quel que soit le mode d’affrètement, les
frais de la quarantaine, notamment les loyers et nourri
ture de l’équipage pendant sa durée, ne sont que des
avaries particulières à l’armement ; mais les frais que
l’assainissement de la cargaison occasionnerait seraient
avaries particulières à celle-ci.
Les frais de quarantaine sont pour la part afférente
au navire des frais ordinaires de la navigation. On de
vait d’autant mieux les laisser à sa charge, qu’ils ont
concouru à déterminer le taux du fret.
Delà cette conséquence que quel que soit le motif de la
relâche dans un port intermédiaire, fut-ce même pour
le salut commun, les loyers et nourriture de l’équipage
pendant la quarantaine ne laisseraient pas que d’être
avaries particulières.
Cette quarantaine, en effet, comme le remarquait le
tribunal de commerce de Marseille, affranchit le navire
1944.
�a rt .
405, 404, 405, 406.
137
de celle qu’il serait obligé de subir au lieu de destina
tion. Les frais qu’elle occasionne, n ’étant dès lors que
l’équivalent de ceux que cette dernière aurait coûté, doi
vent comme eux rester à à la charge de l’armement L
1 1 4 5 . — Cette règle doit, toutefois, être circons
crite dans de justes limites, nous pensons donc avec
M. Dageville que si la quarantaine, que le navire n’au
rait pas eu à subir au lieu de destination, n ’était que la
conséquence de la relâche, et que celle-ci n’eût été oc
casionnée que par la nécessité de réparer le préjudice
volontairement souffert pour le salut commun, les frais
auxquels elle donnerait lieu devraient tomber en avaries
grosses.
Il en serait de même si le navire, devant être affran
chi de toute quarantaine au lieu d’arrivée, n’y avait été
soumis que parce que, contraint par le salut commun,
il aurait relâché dans un port suspect. Comme dans la
première hypothèse, les frais ne sont plus qu’une dépense
extraordinaire qui, dérivant d’une avarie grosse, suivent
le sort de celle-ci.
1 9 4 6 . — Ce qui était admis pour les frais de qua
rantaine ne pouvait pas ne pas l’être pour les autres
frais et droits inhérents à toute navigation. Tels sont le
coût des pilotages, touages, lamanages, pour entrer dans
les havres ou rivières, ou pour en sortir ; les droits de
1 18 mai 1841 ; J o u r n a l de M a r s e ille , t. 20 . 1 , 274.
�138
DROIT
MARITIME.
congé, visite, rapport, tonnes, balises, ancrages et au
tres perçus soit au départ, soit à l’arrivée.
L’article 406 leur refuse avec raison le caractère d’a
varies particulières, et, en les déclarant simples frais de
navigation, il exclut tout recours à ce sujet contre les
assureurs eux-mêmes. Il est évident que l’obligation de
les supporter entre en très grande considération dans le
calcul du fret. La perception de celui-ci indemnise donc
suffisamment le navire qui, s’il les débourse d’une main,
les retire de l’autre.
Il en est de ces dépenses et frais comme de ceux de
la quarantaine. L’article 406 ne dispose que dans l’hy
pothèse où ils ne sont que la conséquence prévue et
inévitable du voyage entrepris. Conséquemment si l’en
trée dans les havres ou rivières, si la relâche dans un
port intermédiaire n ’était pas dans les prévisions du
voyage, si elle n’a eu lieu que par fortune de mer, le
payement de ces mêmes frais constitue une dépense ex
traordinaire, et par suite, aux termes de l’article 397,
une avarie : grosse, si l’événement a été dicté par les
nécessités du salut commun ; particulière s’il n’a été
que fortuit ou s’il n’a eu pour objet que la réparation
du dommage causé par fortune de mer. Dans cette der
nière hypothèse, la responsabilité des assureurs ne sau
rait être ni méconnue, ni repoussée.
1V4L7. — Ainsi il a été jugé ;
Par la cour de Bordeaux, le $3 février 1829, que les
droits dus à des pilotes dont les efforts réunis ont été
�ART.
403, 404, 403, 406.
139
employés à sauver le navire et la cargaison, ne sont
point, comme dans le cas de pilotage ordinaire, des
frais à la charge du bâtiment ; qu’on doit les réputer
avaries communes ;
Par le tribunal de commerce de Marseille, le 29 fé
vrier 1840, que les frais de la relâche opérés pour échap
per à la tempête, tels que frais de douane, de pilotage,
de déchargement, de garde de la cargaison, constituent
une avarie grosse l.
La cour de Caen est allée plus loin encore, elle déci
dait, le 20 novembre 1828, que les frais extraordinai
res de pilotage, tels que ceux qui sont occasionnés par
la nécessité de faire secourir le navire atteint d’unevoie
d’eau, doivent, à la différence des frais de pilotages or
dinaires entrer en avaries communes.
L’arrêt, a raison de ne pas appliquer à des frais de
cette nature l’article 406, de les considérer non pas
comme des frais de navigation, mais comme des ava
ries.
Mais que ces avaries soient grosses, c’est ce qu’il est
difficile d’admettre, le préjudice qui avait occasionné la
dépense n’avait été ni volontaire, ni souffert pour le sa
lut commun, le concours du pilote n ’avait pas fait la
matière d’une délibération, il avait été spontané de la
part du capitaine. Tout cela évidemment faisait de cette
dépense une avarie particulière devant être supportée et
payée par la chose qui l’avait occasionnée.
i J o u r n a l de M a rs e ille , t. 49, 4, 233,
�140
DROIT
MARITIME.
Sans doute, la sûreté du navire intéresse la cargai
son, mais s’il suffisait de cet intérêt pour faire ranger
les frais en avarie grosse, il n’y en aurait plus de parti
culières pour le navire. Cet intérêt, en effet, existe, soit
qu’il s’agisse d’une voie d’eau, soit dans l’hypothèse de
la perte fortuite de tous autres éléments de bonne navi
gation. tels que câbles, ancres, voiles, mâts, cordages,
etc... Pourquoi donc la loi considère-t-elle tous ces évé
nements comme des avaries simples?
Il est donc impossible de confondre. Malgré l’intérêt
que la cargaison trouve dans la mise en état du navire,
cette mise en état concerne exclusivement l’armateur, il
s’est virtuellement soumis à la maintenir pendant la
durée du voyage. La réparation n’étant dès lors pour lui
que l’exécution d’une obligation, ne saurait lui faire ac
quérir des droits contre les chargeurs. Cette réparation
ne peut constituer qu’une avarie simple, parce qu’elle a
lieu, magis instrundœ navis, quarn conservandarum
mercium gratia b
JCSAS. — Les droits dont les marchandises sont
passibles sont pour la cargaison ce que les frais de na
vigation sont au navire, c’est-à-dire qu’ils constituent
non une avarie quelconque, mais une dépense inhérente
à la nature de l’opération, à la charge exclusive du pro
priétaire. Les assureurs eux-mêmes ne pourraient être
recherchés à raison de ce.
' L. 0, D ig., De Legc Rhodia,
�Si cependant, par fortune de mer, le navire était obli
gé de décharger dans un port où ces droits seraient plus
considérables qu’ils ne l ’auraient été au port de desti
nation, l’excédant constituerait une dépense extraordi
naire et imprévue, et dès lors une avarie particulière si
le déchargement était le résultat d’un pur cas fortuit :
grosse, s’il n’avait lieu que par suite d’un sacrifice vo
lontaire, consommé pour le salut commun l.
fl949. — Jusqu’ici le législateur n’a envisagé le
dommage qu’au double point de vue d’un sacrifice vo
lontaire, d’un cas purement fortuit. En réalité, cepen
dant, il peut ne provenir ni de l’un, ni de l’autre ;
n’être la conséquence que de la négligence ou de la faute
du capitaine.
Cette hypothèse se recommandait à l’attention des au
teurs du Code par le soin que les législations précéden
tes avaient mis à la régler. Le Consulat de la mer, les
Jugements d'Oléron, Y Ordonnance de Wisbuy, celle de
1681 avaient tour à tour déclaré ce dommage avarie
particulière à la chose qui en avait été atteinte, en ré
servant à son propriétaire un recours contre le capitai
ne et le navire. Ce sont ces errements que le Code a
suivis.
1950. — Ainsi, les dommages arrivés aux marchan
dises faute par le capitaine d’avoir bien fermé les écou1 Pardessus, n» 741 ; B oulay-P aty, t. 4, p. 487.
�142
DROIT
MARITIME.
tilles, amarré le navire, fourni de bons guindages, ou
par tout 8utre accident provenant de sa négligence ou
de celle de l’équipage, sont avaries particulières à la
charge du propriétaire des choses endommagées, sauf
son recours contre le capitaine, le navire et le fret.
La classification de ces dommages en avaries particu
lières était la conséquence de la cause qui les a produi
tes. Quelque volontaire qu’on suppose l’acte du capi
taine, sa négligence ne saurait, dans aucun cas, se rat
tacher à une pensée du salut commun. La responsa
bilité du capitaine et de l’armateur se justifiait par les
principes ordinaires. Chacun répond non seulement de
son fait, mais encore de celui de ses ouvriers, employés
ou préposés. Or, ces principes, en ce qui concerne les
capitaines et armateurs, se trouvent expressément con
sacrés par les articles 216 et 221 du Code de com
merce.
1951. — Le chargeur peut donc demander la ré
paration du préjudice que le fait du capitaine ou de
l’équipage lui occasionne, soit au capitaine, soit à l’ar
mateur, soit à l’un et à l’autre cumulativement. Il peut,
de plus, faire saisir le navire, le fret dû par les autres
chargeurs, ou se payer sur celui qu’il doit lui-même.
L’obligation de l’armateur ne s’éteint que par l’abandon
du navire et du fret.
Le chargeur, indépendamment de ses actions, a la
faculté de s’adresser directement à son assureur, à une
condition, néanmoins, c’est que celui-ci aura pris à ses
�ART.
403, 404, 40b, 406.
145
risques la baraterie de patron. A défaut de convention
expresse à cet égard, l’assureur poursuivi a raison du
préjudice occasionné par la faute ou la négligence du
capitaine opposerait avec raison et succès l’article 353.
Si le risque de la baraterie a été accepté, l’assureur ne
pourrait se soustraire à l’action de l’assuré, ni le ren
voyer à discuter le navire. Il serait obligé de payer le
montant de l’avarie ; mais ce payement le subrogeant
aux droits de l’assuré, il serait recevable et fondé à exer
cer contre le capitaine, le navire et le fret, l’action que
la loi donne à celui-ci. Nous verrons même que si, par
son fait, l’assuré avait rendu illusoire l’effet de cette su
brogation, son action contre l’assureur devrait être re
poussée K
19518. — Le préjudice que le navire peut éprouver
par l’effet du vice propre des marchandises embarquées
est une avarie particulière, à raison de laquelle l’arme
ment n ’a aucun recours à exercer contre le chargeur, si
le capitaine n’a pu ignorer l’existence de ce vice. La so
lution contraire porterait une atteinte grave au commer
ce maritime, en rendant certaines opérations impossi
bles. Qui, en effet, oserait embarquer des marchandises
sujettes à s’échauffer, à s’enflammer, si, indépendam
ment de leur perte, on devait répondre de l’incendie du
navire et de la cargaison ?
Dans une espèce sur laquelle le tribunal de commerce
1 V» infra, art. 435.
�144
DROIT
MARITIME.
de Marseille était appelé à statuer, un capitaine qui
avait relâché pour réparer le dommage que réchauffe
ment de laines à bord avait occasionné au navire, de
mandait que les frais de la réparation et ceux de la re
lâche fussent supportés par le propriétaire de ces lai
nes ayant occasionné les uns et les autres. Voici en quels
termes cette prétention était repoussée :
« Attendu que c’est précisément parce que, de leur
nature, les laines sont,susceptibles de s’échauffer et de
s’enflammer, que ce vice inhérent à cette marchandise a
été connu du capitaine , que celui-ci ne peut réclamer
la réparation des dommages causés par réchauffement
des laines, lors même qu’il serait établi que c’est à cet
échauffement qu’il faut attribuer la véritable cause des
dommages ;
« Attendu que la chaleur des laines n’est qu’un évé
nement fortuit de la navigation, ne constituant qu’une
avarie particulière à la charge des propriétaires de la
chose endommagée ; que d’après l’article 404 ces pro
priétaires ne pourraient être tenus qu’au rembourse
ment des dépenses directes à cette marchandise, ou que
sa conservation ou sa réparation aurait pu exiger, sans
être responsables des dommages qu’elle a fortuitement
causésl. »
Ce qui assure a cette décision un caractère éminem
ment juridique, c’est que le cours du fret se calcule sur
la valeur de la marchandise, et à proportion des chani
J o u r n a l de M a r s e ille ,
t. B, 4,22, 9 janvier 1824.
�ART.
405, 404, 405, 400.
145
ces plus ou moins fâcheuses qu’elle fera courir au na
vire. Celui d’une marchandise sujette à échauffement,
.
*
* ' L '' 1
. «
>}»'••
a inflammation, sera nécessairement plus élevé que
celui qu’on exigera pour toute autre marchandise or
dinaire.
. .. . . v
4
... ; ii-1 • - if
: ; 1.4 Iv
i .
Ce surcroit de fret représente donc la chance fâ
cheuse que la présence de la marchandise fait courir au
navire, et il n’en sera pas moins acquis, alors même
que le voyage s’accomplirait heureusement. Dès lors,
l’armateur est, dans tous les cas, indemnisé du risque
qu’il court, et s’il profite de la chance favorable, il ne
saurait répudier les effets de la chance contraire.
La connaissance de la nature de la marchandise char
gée est donc décisive. Aussi n ’y aurait-il aucun doute
possible, si cette nature avait été cachée, et surtout dé
guisée, tout le dommage que le navire en aurait éprouvé
devrait être à la charge exclusive de l’auteur du men
songe ou de la réticence.
1? 53. — En résumé donc, et pour parler le lan
gage de la loi, il n’y a qu’une avarie particulière dans
le dommage fortuit souffert par le navire seul, ou par
les marchandises seules. La dépense et les frais que la
réparation exige, de quelque nature qu’ils soient, doi
vent être supportés et payés par le propriétaire de la
chose qui a éprouvé le dommage ou occasionné la dé
pense.
L’avarie particulière , résultat d’une fortune de m er,
est à la charge des assureurs tenus d ’en indemniser l’asv — -10
�146
DROIT
MARITIME.
suré. Celle qui provient du fait, de la faute ou de la né
gligence du capitaine ne produit cet effet que si les as
sureurs ont garanti la baraterie de patron, mais elle
engage le capitaine, le navire et le fret qui en sont cu
mulativement et solidairement responsables, sauf la fa
culté pour l’armateur de s’en libérer par l’abandon du
navire et du fret.
Enfin, les droits de navigation pour le navire, ceux
perçus sur la marchandise, ceux enfin de la quarantaine
ne tombent en avaries que si, occasionnées par un si
nistre fortuit ou volontaire, ils auraient été évités sans
sa réalisation.
1954.
— L’existence de l’avarie résultera le plus
souvent, quant à sa matérialité, de l’inspection de la
marchandise qui en est atteinte ; il peut se faire néan
moins que, celle-ci n’existant plus en nature au moment
où le règlement sera poursuivi, on soit privé de cet élé
ment d’appréciation, par exemple, si l’avarie, dont le
payement est demandé au retour du navire, a été subie
par les marchandises d’aller.
La preuve de l’avarie, celle de son importance se pui
seront alors dans les rapports du capitaine, dans les
énonciations du livre de bord, dans les procès-verbaux
d’expertise ou de vente dressés à l’arrivée du navire,
La nécessité et l’utilité de ces documents divers sem
bleraient donc essentielle et leur représentation indis
pensable.
Cependant la jurisprudence a consacré le contraire, et
�ART.
403, 4.04, 403, 4.06.
4 4,7
a refusé de voir dans leur absence une fin de non rece
voir contre la demande du capitaine en payement de
l’avarie, ou celle de l’assuré contre les assureurs. La
cour de Rennes déclarait, le 17 juin 1811, qu’on pou
vait suppléer à ces rapports et procès-verbaux par tout
autre mode de preuve et notamment par les déclarations
de l’équipage.
La Cour de cassation a même jugé, le 22 avril 1823,
que lorsqu’il est constant par l’expérience du commerce
que des marchandises, telles que vin de Champagne, ne
passent jamais la ligne sans éprouver des avaries, les
juges peuvent, sans violer la loi et sans donner ouver
ture à cassation, allouer une somme quelconque pour
cette avarie, malgré qu’elle ne soit constatée ni par un
rapport, ni par un procès-verbal d’expertise.
1955.
— Lorsque les marchandises existant encore
en nature établissent par elles-mêmes l’existence de l’a
varie, la seule difficulté consiste à en déterminer la cause
réelle, surtout vis-à-vis des assureurs. Ici encore les
rapports du capitaine, le livre de bord, l’opinion des
experts deviennent des éléments d’autant plus essentiels
que leurs énonciations doivent être crues jusqu’à preuve
contraire.
Quelque insolite, quelque extraordinaire que soit le
défaut de production de ces documents, on a pu le si
gnaler dans plusieurs circonstances où il a été invoqué
comme fin de non recevoir contre la demande en paye
ment de l’avarie. Mais tout ce que la jurisprudence en
�U8
DROIT MARITIME.
a déduit, c’est que le capitaine est obligé de prouver la
cause qu’il allègue ; ce qu’il peut faire au moyen de tous
autres documents de nature à inspirer confiance ’.
Ainsi la preuve de l’avarie, de sa nature, de sa cause
n’est soumise à aucune forme rigoureuse et exclusive,
elle est nécessairement subordonnée aux éventualités de
la navigation. Ce qui justifie cette doctrine, c’est que la
solution contraire pouvait aboutir, dans certaines cir
constances, à rendre le capitaine victime de l’impossibi
lité matérielle et absolue dans laquelle il se serait trouvé
de remplir les formalités prescrites. Elle devait donc être
repoussée.
A r t ic l e 407.
En cas d’abordage de navire, si l’événement a été pu
rement fortuit, le dommage est supporté sans répétition
par celui des navires qui l’a éprouvé.
Si l’abordage a été fait par la faute de l’un des capi
taines, le dommage est payé par celui qui l’a causé.
S’il y a doute sur les causes de l’abordage, le cjommage est réparé à frais communs et par égale portion
par les navires qui l’ont fait et souffert.
i ifix. 14 m ars 1840; B ordeaux, 22 février 1844 ; J . du P ., 2, 1840,
�art.
4.07.
U9
Dans ces deux derniers cas, l’estimation du dom
mage est faite par experts.
SOMMAIRE
1756.
Caractère de l’avarie résultant de l’abordage. Ce qu’est
celui-ci. Distinction.
1757. Effets de l ’abordage fortuit.
1758. De l’abordage provenant de la faute.
1759. Etendue de la responsabilité du capitaine qui a com
mis la faute. Difficultés de constater celle-ci. Consé
quences.
1760. La présomption est acquise contre le capitaine qui ne
s’est pas conformé aux règles de la navigation.
1761. Quelles sont ces règles pour l ’entrée, la sortie des ports
et rades.
1762. Obligations du capitaine pendant son séjour et depuis son
entrée dans le port.
1763. Règles à suivre dans la navigation en mer.
1764. Modification de l ’obligation de se détourner. A qui elle
incombe réellement.
1765. Eclairage réglementaire pour les bateaux à vapeur, entre
le coucher et le lever du soleil.
1766. Effet du système adopté.
1767. Conséquence de la violation de ces diverses règles pour le
capitaine. Arrêt de la cour d’Aix.
1768. Eclairage obligatoire pour les navires à voiles pendant la
nuit.
1768 bis. Décret du 25 octobre 1862. Son caractère.
1768 ter. Feux que doivent porter les bateaux à vapeur et les
navires à voile.
1768 quatuor, signaux qu'ils doivent faire en temps de brume.
�130
DROIT MARITIME.
1768 quinto. Obligations des navires qui, par leur route, sont
en danger de s’aborder.
4769. Règles pour la navigation sur les rivières ou fleuves.
1770. Obligation pour les capitaines d’exécuter les manœu
vres requises dans l ’intérêt d’un navire voisin. Consé
quences.
1771. Le capitaine de celui-ci peut-il, sur le refus qui est fait
de larguer l ’amarre d’un navire, la couper de sa propre
autorité ?
4772. Résumé.
1773. Motifs qui ont fait prévoir et régler les effets de l’aborda
ge douteux.
1774. Dans quel cas l’abordage est-il réellement douteux ?
1775. Caractère de l’obligation pour chaque navire de payer la
moitié du dommage total. Motifs.
1776. L’article 407, déclarant que le dommage sera supporté
par les navires, affranchit les capitaines de toute res
ponsabilité.
1777. Quid, des chargeurs dont les marchandises ont souffert de
l ’abordage douteux ?
1778. Le dommage mis à la charge des navires ne comprend
pas celui éprouvé par les cargaisons respectives.
1779. Position des assureurs. Répondent-ils, indépendamment
des dommages à la chose assurée, des sommes que l’as
suré paye, en cas de faute ou d’abordage douteux, aux
propriétaires de l’autre navire.
1780. Mode d’évaluation du dommage dans ces deux cas.
1780 bis. Doit-on comprendre dans l’indemnité le chômage du
navire î
1780 ter. Les parties peuvent renoncer à l’expertise. Légalité de
la disposition qui leur réserve ce droit.
1780 quatuor. Comment il est procédé lorsque l ’abordage est le
résultat de la faute commune ?
4780 quinto. L’abordage par un navire remorqué reste à la char-
�ART.
1781.
407.
1 5i
ge du remorqueur s’il a eu lien par sa faute. Consé
quences.
Avaries communes dont l ’abordage peut devenir l’origine.
195Q. — L’abordage est un événement de force
majeure, une véritable fortune de mer. Il était dès lors
évident que le dommage en résultant, quelle qu’en soit
l’importance, est une avarie particulière soit au navire,
soit à la cargaison, suivant qu’ils ont été atteints l’un et
l’autre.
Aussi les législations qui ont tour à tour réglementé la
matière maritime n ’ont-elles envisagé l’abordage qu’au
point de vue des deux navires entre lesquels il s’est réa
lisé. De tout temps aussi ses effets ont varié, suivant
qu’il provient d’un cas purement fortuit, de la faute d’un
des deux capitaines.
1959. — Le premier ne saurait devenir l’origine
d’une action quelconque d’un navire envers l’autre. Ce
n’était là que l’application du principe du droit com
mun, aux termes duquel nul ne répond du cas fortuit
ou de la force majeure. L’événement étant indépendant
de la volonté humaine, personne n’ayant pu ni le pré
voir ni l’empêcher, ses conséquences fâcheuses restent
naturellement à la charge de celui qu’elles lèsent.
Ce principe ne répugnait en rien à la législation nau
tique. Aussi le lui avait-on déclaré commun : S i cauta
vis navi facta sit, disait le droit romain, quœ temperari non potuit, nullam in dominum dandam actio-
�152
Jvj
DROIT MARITIME.
nern l. C’est cette même doctrine, confirmée par le Con
sulat de la mer, qui avait formé le droit commun, pra
tiqué encore sous l’empire de l’ordonnance de 1681,
dont le silence avait été considéré comme une approba
tion formelle. '
r.
Le Code a cru, avec raison, devoir s’en expliquer. Sa
disposition s’ept conformée aux prescriptions du droit
romain, du Consulat de la mer, au droit commun résultant de la pratique. L’abordage purement fortuit est
un malheur dont les conséquences restent à la charge
de celui qui en souffre.
Ainsi, que précipités fatalement l’un sur l’autre par
la fureur des vagues ou la violence du vent ; qu’au mi
lieu d’une nuit obscure ou d’un brouillard épais, deux
navires s’abordent ; qu’une tempête, éclatant dans un
port, brise les amarres et pousse les navires les uns sur
les autres, le dommage, quel qu’il soit, reste à la charge
du navire qui l’a souffert, sans recours aucun contre
l’autre.
Î S ^ S . — De droit commun encore le dommage
causé par le fait ou la faute doit êire réparé par l’auteur
de l’un ou de l’autre. L’application à la matière mari
time de ce second principe n’était pas moins équitable,
pas moins commandée par la raison que celle du pre
mier. Aucun motif ne pouvait faire que celui qui a oc
casionné l’abordage, pouvant l’éviter, ne fût pas tenu
L. 29, S 4, B ad leg. Aquiliam.
�T
.
ART.
407.
153
de réparer le préjudice qui en était -résulté, soit pour
son propre navire, soit .surtout pour le navire abordé.
En consacrant cette obligation, le Code a continué de
se conformer aux législations précédentes, et de recon
naître un principe hautement avoué par la morale et la
justice.
1*359. — Le capitaine dont la faute a déterminé
l’abordage répond du préjudice qui en est résulté, et
cette responsabilité engage celle de son armateur. Au
cune difficulté ne saurait naître sur le droit en luimême.
Ce qui en soulèvera de nombreuses et de graves, c’est
l’existence de la faute. L’abordage ne peut être jugé
qu’après l’événement, et s’il est facile d’en apprécier
les effets, il est souvent fort difficile d’en constater la
cause..
Aussi, le législateur ne pouvait, à cet égard, que s’en
référer à l’appréciation souveraine des tribunaux. Les
éléments de cette appréciation consistent dans les cir
constances de temps, de lieux, dans les rapports des ca
pitaines, les déclarations de l’équipage, les dépositions
des passagers.
1760. — Toutefois, ces éléments eux-mêmes se
ront, dans bien des cas, incapables de donner une cer
titude. Cette inévitable insuffisance a produit cette con
séquence, qu’en pareille matière, c’était la présomption
�154
DROIT
MARITIME.
qu’il fallait rechercher, bien plutôt que la vérité à la
quelle il serait bien souvent impossible d’arriver.
Or, cette présomption, la doctrine et la jurisprudence
l’ont de tout temps fait résulter de la violation de cer
taines règles que la prudence dicte aux navigateurs. Ces
règles, sur lesquelles la loi ne pouvait s’expliquer, sont
ainsi indiquées par Emérigon.
1 9 6 1 . — Lorsque deux vaisseaux se présentent
pour entrer dans un port de difficile accès, le plus éloi
gné doit attendre que le plus proche soit entré, et que
le passage soit devenu libre. S’ils s’abordent en voulant
tenter le passage cumulativement, le dommage sera im
puté au dernier venu, à moins qu’il ne prouve qu’il n’y
a aucune faute de sa part, comme s’il n’avait pu s’ar
rêter sans danger pour lui, ou si l’abordage n’avait eu
lieu que par une fausse manœuvre du navire premier
entré dans la passe.
Le vaisseau qui sort du port doit faire place à celui
qui y entre, et prendre garde à celui qni est sorti avant
lui.
Quand un vaisseau en rade voudra faire voile pen
dant la nuit, le maître est tenu de se conformer aux
prescriptions ordinaires en pareil cas, à celle notamment
qui le soumettent à placer,dès le jour précédent, son na
vire de manière à pouvoir sortir sans aborder ni faire
dommage à aucun de ceux qui se trouvent ancrés dans
la même rade.
Dans le concours de deüx navires, l’un gros, l’autre
�ART.
407.
155
plus petit celui-ci doit céder le pas au premier, si les
circonstances de temps et de lieu ne s’y opposent pas.
± 7 0 2 . — Les navires entrés dans un port doivent
se conformer aux usages locaux. Répondrait donc du
dommage qu’il occasionnerait, le capitaine qui place
rait mal son navire, ou qui ne garderait pas la distance
prescrite ; celui qui embarrasserait le passage, qui au
rait mal amarré son navire, ou amarré avec des câbles
insuffisants ; celui qui l’aurait laissé sans gardien ; ce
lui enfin qui aurait jeté des ancres sans graviteaux ou
bouées, dont l’objet est de signaler l’existence de l’ancre
et empêcher les autres navires d’y venir s’y heurter.
En énumérant chacune de ces règles, Emérigon cite
de nombreux exemples dans lesquels leur violation a
fait peser sur le contrevenant la responsabilité de l’abor
dage ‘.
1963.
— A côté de ces règles, se référant à l’en
trée et à la sortie des ports et rades, et au séjour dans
les uns et les autres, on a placé celles qui doivent régir
la navigation en pleine mer. Ici le devoir de chaque ca
pitaine est d’exécuter la manœuvre nécessaire pour évi
ter un abordage.
Cette manœuvre doit être exécutée de manière à éloi
gner les navires l’un de l’autre. Ce résultat ne serait
pas atteint si, pendant que l’un prend à tribord, l’autre
i Chap. 12, sect. 14, § 2.
�156
DROIT MARITIME.
prenait à bâbord. La rencontre en deviendrait plus iné
vitable encore. Aussi a-t-on cru, en indiquant le devoir
pour chaque capitaine de dévier, lui tracer la route qu’il
doit suivre : il faut donc que chaque navire s’éloigne
par son tribord.
Celui qui prendrait la direction contraire commettrait
une faute et serait responsable de l’abordage, à moins
qu’il ne prouvât qu’il n’a pu agir autrement.Cette règle,
en effet, est susceptible d’être modifiée par les circons
tances dans lesquelles le navire a pu se trouver. Son
exécution littérale suppose que les deux navires ont été
réellement en position et en mesure de prendre la route
indiquée.
JLÏ©4L. — Cette condition n’existe pas pour le navire
à la cape, au moment où un autre se dirige sur lui h
pleines voiles. L’obligation de se détourner incombe,
dans ce cas, à ce dernier exclusivement, et si l’abordage
a lieu, son capitaine encourra la responsabilité de l’évé
nement ; c’est ce que le parlement de Provence décidait
le 30 juin 1750.
Entrant dans la pensée qui dictait cette solution, la
Cour de cassation jugeait, le 7 juillet 1835, que la res
ponsabilité à raison d’un abordage entre deux navires
doit peser sur celui qui, ayant vent arrière tandis que
l’autre avait vent au plus près, n’a pas fait la manœu
vre nécessaire pour franchir le premier le point d’inter
section et éviter l’abordage ;
Qu’il doit en être ainsi lors même que le navire qui
�ART.
4-07.
137
avait vent au plus près aurait pu, par une manœuvre
prompte, prévenir la rencontre des deux navires.
Enfin, que la circonstance que le capitaine de ce na
vire n’était pas sur le pont au moment de l’accident ne
suffit pas pour atténuer la faute primitive du capitaine
du navire qui avait vent arrière, et faire supporter le
dommage par moitié.
Il résulte de cette jurisprudence que l’obligation de
prévenir l’abordage en mer est principalement imposée
au navire qui, par sa position, peut facilement y par
venir. L’inaction du capitaine lui fait encourir la res
ponsabilité du sinistre, alors même que le navire, plus
défavorablement placé, n’aurait pas fait de son côté tout
ce qu’il aurait dû faire.
1965. — C’est surtout pendant la nuit que la ren
contre de deux bâtiments est à redouter et amène de si
déplorables résultats. L’obscurité ,- qui les empêche de
s’apercevoir, porte le danger à sa plus haute période. Il
n’est donc pas étonnant qu’on se soit de tous les temps
fortement préoccupé de parer à ce que cet état des cho
ses avait de périlleux.
De là ce système d’éclairage et de signaux, qui avait
pu diminuer le danger, mais non le faire en totalité dis
paraître. Ce n'est pas tout, en effet, que de découvrir
l’approche d’un navire ; c’est surtout sa position et sa
direction qu’il importe d’apprécier, pour juger de la
manœuvre à exécuter pour l’éviter. Or, un feu unique,
ou répété à chaque mât, n ’apprend rien sur la direc-
�158
DROIT
MARITIME.
tion, de manière qu’il peut se faire que les deux navires
s’abordent précisément en tâchant de s’éviter. C’est ce
qui explique les nombreux sinistres que toutes les pré
cautions prescrites n’ont pu empêcher.
En 4 848, l’amirauté anglaise ayant adopté un nou
veau mode d’éclairage, le gouvernement français ne
tarda pas à se l’approprier. Un décret, du 14 octobre,
l’ayant déclaré obligatoire pour la marine militaire, fut
bientôt suivi d’un autre qui en prescrivit l’emploi pour
tous les navires marchands.
Aux termes de ces décrets, les navires à vapeur, à
roues ou à hélice, lorsqu’ils feront route, soit au large,
soit près des côtes, soit dans l’intérieur des ports, rades,
baies ou rivières, porteront :
Un feu blanc en tête du mât de misaine ;
Uu feu vert à tribord ;
Un feu rouge à bâbord.
Et, lorsqu’ils seront à l’ancre, un feu blanc en tête du
mât de misaine.
Le feu de tête du mât devra être visible à une dis
tance d’au moins cinq milles, par une nuit claire, et le
fanal être construit de telle sorte que sa lumière soit uni
forme et non interrompue dans un arc de 20 rumbs de
vent (223*) c’est-à-dire depuis le cap du bâtiment jus
qu’à deux quarts en arrière du travers de chaque bord.
Les feux de couleur devront être visibles à une dis
tance d’au moins deux milles, par une nuit claire, et
les fanaux construits de manière à ce que la lumière
embrasse sans interruption ni variation d’éclat un arc
�ART.
407.
159
de l’horison de dix quarts (112° 30), c’est-à-dire de
puis le cap du navire jusqu’à deux quarts de l’arrière
du travers du bord où ils sont placés. Ces fanaux doi
vent de plus être installés de telle sorte qu’on ne puisse
apercevoir leur lumière en travers du bâtiment.
1966. — Ce système, il faut en convenir, est dans
le cas de pourvoir au but qu’on s’est proposé. Il place
les navires en position de s’éviter par la nuit la plus
noire aussi facilement qu’en plein jour. II pourrait donc
prévenir un grand nombre de ces terribles accidents
qu’on a eu si souvent à déplorer.
Dans tous les cas, il a le mérite de permettre d’at
teindre le véritable auteur de la faute, et de lui en im
poser la responsabilité. Supposez, en effet, deux vapeurs
se dirigeant en sens inverse, ils apercevront respective
ment leurs trois feux : blanc, vert et rouge, aucun doute
ne sera possible. Les navires courent évidemment l’un
sur l’autre, l’unique moyen d’éviter l’abordage sera
l’exécution de la règle dont nous venons de parler, et
qui prescrit à chaque navire de s’écarter à tribord.
Si l’un des navires ne montre que son feu vert, il ne
verra que le feu rouge de l’autre. Les capitaines sauront
donc qu’ils on un navire : le premier à tribord, le se
cond à bâbord, ce qui suffit pour leur indiquer la ma
nœuvre à faire pour éviter toute collision.
1969. — Il est évident que le capitaine qui n ’au
rait pas allumé ses feux, qui, dans la première hypo-
�il!
i
"i:i
'
1
thèse, ne se serait pas écarté par tribord ou qui n’aurait
pas dans la seconde, exécuté la manœuvre indiquée par
la position des navires, aurait commis une faute grave
et répondrait de toutes les conséquences de l’abordage.
C’est ce que la cour d’Aix consacrait judicieusement
dans l’espèce suivante ;
Les vapeurs la V ille - d e - M a r s e ille et la V ille -d e - G r a s s e
s’étant abordés dans la nuit du 16 novembre 1851, au
passage des îles d’Hyères, ce dernier fut englouti avec
toute sa cargaison et un certain nombre de passagers et
de membres de son équipage.
Sur la poursuite du ministère public contre les capi
taines en premier et en second des deux navires, un ju
gement du tribunal correctionnel de Toulon, confirmé
par le tribunal supérieur de Draguignan, avait acquitté
les deux capitaines et condamné le second de la V i l l e d e - M a r s e i l le à un mois d’emprisonnement et 50 fr. d’a
mende; le second de la V i l l e - d e - G r a s s e à un empri
sonnement de quinze jours et à l’amende de 25 fr. seu
lement.
Ces jugements attribuaient donc la plus large part de
la faute au navire la V ille - d e - M a r s e ille . Aussi les arma
teurs et chargeurs de la V i l l e - d e - G r a s s e actionnèrent-ils
les propriétaires du premier, et leur demandèrent de les
indemniser du préjudice qu’ils avaient souffert ; ces pro
priétaires, de leur côté, formèrent reconventionnellement
la même demande contre les armateurs de la V i l l e - d e G r a s s e . Le tribunal de Marseille repoussa les deux de
mandes.
�ART.
407.
161
Appel par toutes les parties. Devant la Cour, on sou
tient, dans l’intérêt du navire la V i l le - d e - G r a s s e , que
la question de faute était définitivement tranchée par
les jugements correctionnels ; qu’il n’y avait donc plus
qu’à en déduire les conséquences et à appliquer aux
propriétaires de la V i l l e - d e - M a r s e t l l e les prescriptions
de l’article 407. Dans l’intérêt de ces propriétaires, on
discute celte exception et on soutient que la chose jugée
au criminel ne peut avoir aucune influence sur le civil.
Au fond, on cherche à prouver que l’abordage n’a eu
lieu que par la faute du capitaine de la V i l l e - d e - G r a s
se, dont les armateurs doivent subir la responsabilité.
L’arrêt qui intervient repousse d'abord l’exception de
la chose jugée, et, entrant dans l’examen du fond, se
prononce en faveur de la V i l le - d e - M a r s e i l le . t
« Considérant, dit la Cour, que toutes les parties au
procès reconnaissent que c’est à tort que le jugement
dont est appel a déclaré que le sinistre à la suite duquel
le navire la V ille - d e - G r a s s e a péri corps et biens est le
résultat d’un cas fortuit ; qu’il y a donc lieu de recher
cher la véritable cause du désastre, et quels en sont les
auteurs ;
« Considérant qu’il est aujourd’hui certain, avéré
que l’abordage a eu lieu à l’ouest du phare et au sud
de l’île du G r a n d - R i b a u d ; qu’au moment où les deux
navires s’apperçurent réciproquement, ils avaient leurs
feux réglementaires ; qu’ils étaient alors séparés par une
distance de mille à douze cents mètres, et que tous deux
marchaient vers la passe sud, la V t l l e - d e - M a r s e i l l e
v — \\
�162
DROIT
MARITIME.
faisant route de l’est à l’ouest ; la V i l l e - d e - G r a s s e de
l’ouest à l’est ; que chacun des deux navires aperçut les
deux feux de couleur de l’autre, ce qui leur indiquait
qu’ils couraient l’un sur l’autre ; que la règle prescrite,
en pareil cas, pour se préserver de l’abordage, est que
les deux navires viennent à tribord ; que cette règle a
été rigoureusement suivie par le vapeur la V ille - d e - M a r s e i l l e qui a serré, on le reconnaît, aussi près que pos
sible et presque à toucher les récifs du côté du G r a n d R i b a u d ; que le vapeur la V i l le - d e - G r a s s e a, au con
traire, violé cette prescription réglementaire, puisque,
au lieu de poursuivre sa marche vers la partie du sud,
il l’a brusquement abandonnée, se rejetant sur bâbord ;
que cette fausse manœuvre, dans laquelle il persista
jusqu’au moment de l’abordage, est l’unique cause du
sinistre, qui serait un événement inexplicable, s’il n’était
constaté et avoué qu’aucun des chefs du vapeur la V ille d e - G r a s s e n’était en ce moment à son poste ;
« Qu’on reproche vainement au commandant de la
V ille - d e - M a r s e ille de ne pas s’être arrêté lorsque la
marche oblique des deux navires s’est révélée; dans
cette position, les prescriptions réglementaires comman
daient au vapeur la V i l l e - d e - G r a s s e d’arrêter sa mar
che, et au vapeur la V ille - d e - M a r s e ille de continuer la
sienne ; de plus, le navire ne pouvait s’arrêter et mar
cher en arrière sans s’exposer à sombrer sur les récifs
qu’il serrait de p rè s, et sans compromettre ainsi la vie
de son équipage et de ses nombreux passagers ; que,
vainement encore, on oppose l’exemple du vapeur la
�ART. 4-07.
163
V i l l e - d e - G r a s s e qui s’est arrêté ; que celte manœuvre a
été ordonnée beaucoup trop tard ; qu’il résulte, en ef
fet, de la déclaration du capitaine Gazan que, à son a r
rivée sur le pont du vapeur la V ille - d e - G r a s s e , la V ille d e - M a r s e i l le n ’était plus qu’à cinquante ou soixante
mètres ; que c’est lui qui commanda machine en ar
rière, ma;s il n’était plus temps, dit Alliés, le 17 no
vembre, à Toulon, et le chauffeur Boyer, dans sa dépo
sition du même jour, déclare que ce commandement
ne put être exécuté ;
« Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les
fausses manœuvres du vapeur la V ille - d e - G r a s s e , aban
donné de ses chefs, sont l’unique cause de l’abordage
du 46 novembre et du sinistre qui en a été la suite im
médiate ; que l’abordage ayant eu lieu par la faute des
commandants de ce même navire, le dommage doit être
payé par eux et par leurs commettants, aux termes du
deuxième paragraphe de l’article 407. »
Cet arrêt ayant été déféré à la Cour suprême, le pour
voi fut rejeté par arrêt du 3 août 4853 r.
La navigation à vapeur trouve donc dans les pres
criptions du décret de 4848 le moyen de prévenir ces
déplorables catastrophes qu’avec tant de raison on s’ef
force d’empêcher. La multiplicité des feux et leur cou
leur différente sont dans le cas d’atteindre ce b u t, en
supposant chez les capitaines la vigilance et l’accomplis
sement exact des devoirs qui leur sont imposés.
l Sirey et de V ., 55, 4, 437
�164
DROIT
MARITIME.
1968. — On ne voit pas pourquoi on n’a pas or
donné pour les navires à voiles un système d’éclairage
analpgue. Sans doute, il n’y a pas dans ces navires les
tambours pour y établir les feux latéraux, mais leur ab
sence pouvait si facilement se suppléer. D’ailleurs, on
pouvait prescrire que le feu en tête du mât fût de trois
couleurs ; blanc de face, vert à tribord, rouge à bâbord.
De celte manière, les navires étaient non seulement en
mesure de s’apercevoir, mais encore de juger de leur
position et de leur direction réciproque.
Quoi qu’il en soit, le décret de 1848 ne prescrit qu’un
seul feu pour les navires à voiles, ce feu doit être, lors
que ces navires marchent à la voile, à la remorque ou
à la touée, lorsqu’ils s’approchent ou se sont approchés
d’un autre navire, une lumière brillante placée de façon
à être apperçue par tout autre navire, et en temps suf
fisant pour éviter l’abordage. Cette lumière doit être por
tée entre le coucher et le lever du soleil.
Les navires à voiles, à l’ancre sur une rade, sont te
nus de hisser en tête du mât un feu clair et continu pen
dant la même période de temps. Le fanal à cet usage
doit être installé de façon à éclairer tous les points de
l’horizon. Enfin, ils doivent dans les ports se conformer
aux règlements particuliers sur les feux de position.
1 9 6 8 bis- — Les règles relatives à la route à tenir
parles navires n’étaient, jusquesen 1862, écrites nulle
part et ne résultaient que de l’usage, que de la pratique
généralement suivis et adoptés. C’est qu’en effet leur ef-
�ART.
407.
165
ficacité tenait à ce consentement unanime, une loi quel
conque ne commandant qu’à ses nationaux il ne pa
raissait pas convenable de lier les uns et de leur impo
ser des devoirs dont les autres pouvaient s’affranchir.
Ce qui en résultait c’est que, malgré les prescriptions
relatives aux signaux que toutes les nations avaient ac
ceptés, les abordages n’avaient pas été prévenus et s’é
taient même multipliés.
« Depuis les prescriptions sur les feux, disait un rap
port du Ministre de la marine, les nombreux abordages
qui ont eu lieu et que le développement de la naviga
tion à vupeur semble avoir augmentés dans une grande
proportion, ont démontré l’insuffisance des prescrip
tions établies, En effet si, dans bien des cas, des abor
dages ont pu être attribués à l’absence à bord des feux
réglementaires, il a été constaté que, le plus souvent,
ces sortes d’accidents se sont produits par suite de la
diversité des règles observées par les différentes nations
en ce qui concerne la route à suivre pour éviter la ren
contre de deux navires courant l’un sur l’autre, ou fai
sant des routes qui se croisent. »
Il devenait donc indispensable d’édicter des prescrip
tions à ce sujet qui pussent être et qui fussent unanime
ment adoptées par tous les navigateurs. Ces prescrip
tions, préparées par le conseil d’amirauté, furent donc
soumises au gouvernement Britanique et adoptées par
lui.
On pensa dès lors qu’une législation nautique défini
tivement adoptée par la France et l’Angleterre recevrait
�166
DROIT
MARITIME.
l'adhésion de toutes les autres nations. En conséquence,
un décret du 25 octobre 1862 n’hésita pas à la sanc
tionner.
Avec juste raison on pensa et on admit que ce décret
devait contenir l’ensemble des règles qu’exigeait la né
cessité de prévenir les abordages, et devenir le code
unique de la matière. C’est cet ensemble que nous trou
vons dans ses divers articles.
La distinction entre les navires à voiles et les navires
à vapeur s’imposait d’elle-même. Mais il n’est peut être
pas de bâtiments à vapeur qui n’aient ses voiles, ses
cordages, ses mâts pour n’être pas absolument arrêtés
en cas d’accidents à la machine ou de manque de com
bustible. On pouvait donc vouloir équivoquer et soulever
des difficultés sur le caractère réel du navire. La crainte
de cette éventualité a amené le décret à définir nette
ment ce caractère : T o u t n a v ir e - à v a p e u r q u i n e m a r
c h e q u 'à l 'a i d e d e ses v o i l e s , e s t c o n s id é r é c o m m e n a
v ir e à v o ile ; e t to u t n a v ir e d o n t la m a c h in e est e n
a c t i o n , q u e lle q u e s o i t s a v o i l u r e , e s t c o n s id é r é c o m m e
Ces termes sont clairs et se passent
de tout commentaire.
n a v ir e à v a p e u r.
On comprend aisément l’utilité de cette définition.
Autres en effet étaient et vont être les règles à suivre par
les navires à voiles, autres celles qui s’imposent au na
vire à vapeur. Il était donc essentiel qu’on ne pût équi
voquer sur la catégorie à laquelle appartenaient les na
vires qui viennent de s’entrechoquer, afin de détermi-
�ART. 407.
167
ner avec précision les devoirs qui incombaient à chacun
d’eux.
1968 ter. — Relativement aux feux que doivent
porter les navires à vapeur naviguant depuis le coucher
jusqu’au lever du soleil, le décret ne change rien à ce
ce qui se pratiquait avant. C’est toujours un feu blanc
en tête du mât de misaine d’un rayonnement uniforme
et non interrompu de 20 quarts du compas, et d’une
portée à être visible à cinq milles au moins de distance
par une mer sombre mais sans brume ;
Un feu vert à tribord, un feu rouge à bâbord, établis
l’un et l’autre de manière à projeter une lumière uni
forme et non interrompue sur un arc horizontal de dix
quarts du compas, et à être visibles à deux milles au
moins de distance.
Pour qu’on ne puisse se tromper sur la position vraie
du navire , le décret exige que les feux de côté soient
pourvus en dedans du bord d’écrans dirigés de l’arrière
à l’avant et s’étendant à 90 centimètres en avant de la
lumière afin que le feu vert ne puisse être aperçu de
bâbord avant, et le feu rouge, de tribord avant.
Indépendamment de ces feux de côté, les navires à
vapeur, quand ils remorquent, doivent porter deux feux
blancs verticaux en tête du mât, de la même puissance
et de la même portée que le feu unique que les navires
à vapeur ordinaires portent en tête du mât.
On comprend que le navire remorquant pourrait
masquer le navire remorqué et que celui qui apercevrait
�168
DROIT MARITIME.
le premier, après l’avoir évité, pourrait, en reprenant
immédiatement sa route, venir se précipiter sur le se
cond. Aucune chance de ce genre n’est à redouter dès
qu’on voit et qu’on sait avoir affaire à un remorqueur
exerçant sa mission.
Le décret ne distingue plus quant aux feux de côté
entre les navires à vapeur et les navires à voiles. Au
jourd’hui que l’adoption générale de l’hélice a fait dis
paraître les disgracieux tambours attachés à leurs flancs
rien, si ce n’est les tuyaux de cheminée, ne distingent
extérieurement les navires à vapeur des navires à voiles.
On pouvait donc exiger pour ceux-ci les feux de côté
qu’on impose à ceux-là.
Mais dans une rencontre imminente entre un ba
teau à voiles et un navire à vapeur, celui-ci a des
devoirs à remplir. Or, comment serait-il à même de le
faire, si la vue des feux pouvait lui faire croire qu’il se
trouve en présence d’un navire, non à voile, mais à
vapeur.
Cette méprise le décret l’a prévue et a voulu la pré
venir. Les navires à voiles qui font route soit à la voile,
soit à la remorque, ne doivent avoir que les feux de
côté, mais non le feu blanc du mât de misaine qui leur
est interdit, de manière que le navire qui n’appercevra
que les feux vert et rouge saura tout de suite qu’il est
en présence d’un navire à voile et manœuvrera en
conséquence.
Si le navire à voile est d’assez faible dimension pour
que les feux vert et rouge ne puissent être fixés d’une
�AUT. 407.
109
manière permanente, il n'en doit pas moins tenir ces
feux allumés à leur bord respectif pour pouvoir les
montrer instantanément à tout navire dont on consta
terait l’approche, et assez à temps pour prévenir l’a
bordage.
Ces fanaux portatifs doivent être peints extérieure
ment de la couleur du fer qu’ils contiennent, tenus au
tant en vue que possible et pourvus d’écrans convena
bles pour que le feu vert ne puisse être aperçu de bâbord
avant, et le feu rouge de tribord avant.
L’observation de ces prescriptions est de nature à
prévenir les abordages si d’ailleurs , suffisamment
avertis par là , les capitaines exécutent chacun les
mouvements qui leur sont prescrits. Leur inobservation
offrira cet avantage d’indiquer celui des capitaines qui
est en faute, et à qui, par conséquent, incombe la res
ponsabilité de l’abordage.
Les bâtiments de mer mouillés sur une rade, dans un
chenal, ou sur une ligne fréquentée, doivent du coucher
au lever du soleil porter un feu blanc placé à une hau
teur n’excédant pas six mètres au-dessus du plat bord
et projetant une lumière uniforme et non interrompue
tout autour de l’horizon à une distance de un mille au
moins.
Enfin , les bateaux pilotes et les bateaux de pê
che pontés ou non pontés, ne sont pas tenus d’a
voir les feux de côté, mais ils doivent avoir, les pre
miers, un feu blanc en tête du mât et visible de tous
les points de l’horizon, et montrer un feu de quart
�170
DROIT
MARITIME.
d’heure en quart d’heure ; les seconds un fanal muni
sur l’un de ses côtés d’une glissoire verte et sur l’autre
d’une glissoire rouge, de façon qu’à l’approche d’un na
vire ils puissent montrer ce fanal en temps opportun
pour prévenir l’abordage, en ayant soin que le feu vert
ne puisse être aperçu de bâbord et le feu rouge de tri
bord.
Les navires de pêche et les bateaux non pontés qui
sont à l’ancre et qui, ayant leurs filets dehors, sont sta
tionnaires, doivent montrer un feu blanc et peuvent en
outré' faire usage d’un feu visible à de courts intervalles
s’ils le jugent convenable.
, 1 S 6 8 quatuor. _ Tous ces feux peuvent ne pas être
visibles en temps de brume si favorable pourtant aux
abordages la nuit comme le jour. Il fallait donc pour
ce cas créer un système de signaux de nature à dénon
cer l’approche des navires, leur présence et prévenir
ainsi leur rencontre. Ce système est réglé par l’article
10 du décret.
Aux termes de son premier paragraphe, les navires
en marche doivent, de jour comme de nuit, faire en
tendre toutes les cinq minutes au moins :
Les bateaux à vapeur le son du sifflet à vapeur qui
est placé à l’avant de la cheminée à une hauteur de
2 mètres 40 centimètres au-dessus du pont des gail
lards ;
Les bateaux à voiles le son d’un cornet.
�ART.
407.
171
Les uns et les autres font usage d’une cloche lorsqu’ils
ne sont pas en marche. .
1768 quinto. — Après s’être ainsi occupé des si
gnaux, le décret va régler les cas où, par la route qu’ils
tiennent, les navires se trouvent en danger de s’abor
der. Ce danger existe lorsque deux navires courent l’un
sur l’autre directement ou à peu près ; lorsqu’ils font
des routes qui se croisent.
Dans le premier cas, que les navires soient à voiles
ou à vapeur, ils doivent prendre chacun à tribord pour
passer à bâbord de l’autre.
Dans le second cas, s’il s’agit de navires à voiles et
qu’ils aient des amures différentes, celui qui a les amu
res à bâbord manœuvre de manière à ne pas gêner la
route de celui qui a le vent à tribord.
Toutefois lorsque le navire qui a les amures à bâbord
est au plus près tandis que l'autre a du largue, celui-ci
doit manœuvrer de manière à ne pas gêner le bâtiment
qui est au plus près.
Mais si l’un des deux est vent arrière ou s’ils ont le
vent du même bord, le navire qui est vent arrière, ou
qui aperçoit l’autre sous le vent, doit manœuvrer pour
ne pas gêner la route de celui-ci.
Si les navires faisant des routes qui se croisent sont
à vapeur, c’est celui des deux qui voit l’autre par tri
bord qui doit manœuvrer de manière à ne pas lui gêner
la route.
On remarquera que dans ce second cas la loi n’indi-
�172
DROiT
MARITIME.
que pas ce que doit être la manœuvre et n’exige pas,
comme dans le premier, que les navires prennent cha
cun à droite. Elle ne devait ni ne pouvait le faire.
En matière de grande navigation on a à compter avec
une foule de circonstances, l’état de la mer, la position
respective des navires, le voisinage des côtes, l’existence
d’un écueil, etc... On ne pouvait donc prescrire une
manœuvre spéciale, déterminée que lorsque on pouvait
être certain qu’elle était possible et serait efficace.
Or cette certitude existe dans le cas où deux navires
courant l’un sur l’autre directement ou à peu près font
craindre un abordage. Il est évident que rien ne peut
les empêcher de mettre la barre à tribord, et que s’ils
le font tout abordage est prévenu et rendu impossible.
On pouvait donc leur en imposer le devoir.
Il n’en est pas de même dans l’hypothèse de deux
navires faisant des routes qui se croisent. De quelle ma
nière celui qui a le devoir de ne pas gêner la route de
l’autre le remplira-t-il ? Etait-il possible que le législa
teur tranchât la question souverainement et prescrivît
de se diriger à droite plutôt qu’à gauche, à gauche plu
tôt qu’à droite ? Ne pouvait-il pas se faire que la ma
nœuvre ordonnée vint aboutir à un choc entre les deux
navires, choc que la manœuvre contraire eut évité?
Il était donc plus prudent et plus sage de s’en rap
porter à l’expérience et à l’habileté des capitaines, en les
laissant ainsi libres de pourvoir aux exigences que la si
tuation, que les circonstances de temps et de lieu crée-
�ART.
407.
173
raient, en un mot, de leur prescrire de manœuvrer se
lon qu’ils le croiraient convenable et nécessaire.
Si les deux navires faisant des routes qui se croisent
sont l’un à voiles, l’autre sous vapeur, c’est dans tous
les cas celui-ci qui doit manœuvrer de manière à ne
pas gêner la route de celui-là.
Tout navire sous vapeur qui approche d’un autre na
vire de manière qu’il y ait risque d’abordage, doit di
minuer sa vitesse ou stopper et marcher en arrière^, si
c’çst nécessaire; en temps de brume, la vitesse des navi
res à vapeur doit être modérée.
Enfin, tout navire qui en dépasse un autre gouverne
de manière à ne pas gêner la route de ce navire.
Quel est le devoir imposé au navire auquel un autre
navire doit laisser la route libre ? L’esprit du décret ré
pondait d’avance à cette question. Evidemment il ne
pouvait pas être que par une manœuvre inintelligente
ou inopportune ce navire vint se jeter sur celui qui avait
manœuvré pour ne pas lui gêner la route.
Il est aussi évident que ce n’est pas pour qu’il l’a
bandonne qu’on a ordonné de lui déblayer la route. II
doit donc la suivre sans se détourner ni à droite ni à
gauche, sous peine, s’il le fait, de répondre des consé
quences qu’a pu entraîner cette fausse manœuvre.
Les articles 18 et 19 lui imposent un autre devoir,
celui de tenir compte de tous les dangers de la naviga
tion et d’avoir égard aux circonstances particulières
qui peuvent rendre nécessaire une dérogation aux règles
prescrites afin de parer à un péril immédiat.
�174
DROIT
MARITIME.
Comment en effet comprendre qu’il pût imperturba
blement continuer sa route et venir se jeter sur le navire
qui devait manœuvrer pour ne pas lui gêner cette route,
alors qu’il aurait été dans l’impossibilité de le faire uti
lement.
Il faut dans un danger commun que tout le monde
contribue à le prévenir et à l’éviter. Si l’un est en posi
tion de le faire, il le doit dans le cas surtout où celui
qui en avait le devoir a été dans l’impossibilité de le
remplir.
Enfin et pour mieux préciser l’esprit qui l’a dicté, le
décret déclare que rien dans les règles qu’il prescrit ne
saurait affranchir un navire quel qu’il soit, ses arma
teurs, son capitaine ou son équipage des conséquences
d’une omission de porter des feux ou signaux, d’un dé
faut de surveillance convenable, ou enfin d’une négli
gence quelconque des précautions commandées par la
pratique ordinaire, ou par les circonstances particu
lières de la navigation.
Donc, l’abordage qui aurait pour cause cette négli
gence, ce défaut de surveillance, cette absence des feux
ou signaux, pèserait, quant au préjudice qui en serait
résulté, sur le navire qui aurait à se l’imputer.
19G9. — La navigation sur les rivières, indépen
damment des développements que la vapeur lui a im
primée, se lie bien souvent à la grande navigation dont
elle est un accessoire obligé. C’est surtout dans cette na
vigation que l’abordage est à redouter, le défaut d’es-
�ART.
407.
175
pace d'une part, la profondeur inégale des eaux de l’au
tre ne permettant pas toujours de réaliser la manœuvre
qui aurait fait éviter l’abordage.
En conséquence, indépendamment des précautions
générales, cette navigation comportait des règles spécia
les pour la conservation et la sûreté des navires qui la
desservent.
Ici il ne pouvait plus s’agir de s’écarter à droite ou à
gauche, ce qui serait souvent impossible ; en consé
quence lorsque deux navires se rencontrent, l’un des
deux doit céder le pas à l’autre. Cette obligation est im
posée à celui qui est le mieux en mesure de la remplir.
Or, le bâtiment qui remonte, ayant à vaincre le courant,
s’avance beaucoup plus lentement, et est par conséquent
bien plus maître de ses manœuvres que celui qui des
cend, il doit donc lui céder et lui faire place.
L’accomplissement de cette obligation, lorsque l'état
des lieux le rend indispensable, doit être provoqué par
le bâtiment qui a droit de le requérir. Celui qui descend
doit avertir celui qui remonte et lui enjoindre de se ran
ger et d’aller à terre s’il le faut. Ce défaut d’avertisse
ment équivaudrait à la faute, et ferait peser sur son au
teur la responsabilité de l’abordage.
Le capitaine, régulièrement prévenu, doit obéir à l’in
vitation qui lui est faite. La conduite contraire le ren
drait responsable de l’abordage. Vainement tenterait-il
de chercher une excuse dans le préjudice que la manœu
vre causerait aux intérêts de ses chargeurs. En matière
de navigation, on est sans cesse en présence d’un intérêt
�176
DROIT
MARITIME.
général et public. L’intérêt mercantile et privé devait et
doit se taire lorsqu’il s’agit de prévenir des sinistres pou
vant atteindre non seulement les choses, mais encore les
personnes, passagers et équipage.
l ï ï O . — Aussi n’est-ce pas seulement dans la na
vigation des fleuves et rivières qu’un navire doit exécu
ter les manœuvres qui, sans danger pour lui, peuvent
conjurer les périls auxquels un autre se trouve exposé.
L’obligation est la même en pleine mer, dans les ports,
dans les rades ; toutes les fois et dans quelque lieu que
ce soit qu’un navire se trouve en danger d’être abordé
par un autre, ou sur le point d’éprouver un tout autre
sinistre, et que le péril peut être conjuré par une ma
nœuvre d’un navire voisin, le capitaine de celui-ci doit
obéir à l’invitation qui lui est adressée, sous peine de ré*
pondre de son refus ou du retard qu’il mettrait dans
l’exécution.
Il suffit donc qu’un capitaine soit requis, pour le sau
vetage d’un navire, de déplacer ou de lever son ancre,
de larguer son amarre, pour qu’il doive le faire sur-lechamp, à une condition pourtant, c’est qu’il pourra le
faire sans danger pour son propre navire, il est évident
que si la mesure réclamée devait faire tomber le navire
dans le péril que l’autre cherche à éviter, le refus serait
aussi juste que fondé, et ne saurait avoir pour son auteur
aucune conséquence fâcheuse.
Il y a plus, si, dans l’exécution de la mesure requise,
le navire qui obéit venait à éprouver un dommage quel-
�ART.
407.
177
conque, sans aucune faute de la part du capitaine ou
de l’équipage, ce dommage serait à la charge du navire
secouru, et payé par lui ; ce résultat, outre qu’il est
avoué par le droit et la justice, enlève tout prétexte
à une résistance irrationnelle et aveugle.
1 9 9 1 . — Le capitaine qui en invite un autre à lar
guer l’amarre de son navire, peut-il, en cas de refus, la
couper lui-même ? La solution de cette question dépend
uniquement des circonstances. Si le danger n’est pas tel
lement imminent, tellement actuel que le moindre re
tard doive amener une catastrophe, personne ne devant
se faire justice à soi-même, le capitaine devrait en ré
férer au capitaine du port, au commandant de la rade
et recourir à son autorité.
En cas contraire, il peut couper l’amarre, même sans
avertissement préalable. En effet, son devoir le plus im
périeux lui fait une loi d’assurer avant tout son salut, ce
lui de ses passagers, celui de son équipage. En consé
quence, tout ce qu’il fait dans ce but ne saurait engager
sa responsabilité, il ne serait pas même tenu de la va
leur de l’amarre coupée, de celle de l’ancre, dont la
perte suivrait, ni de l’échouement du navire ainsi dé
taché K
± 9 9 2 . — Le capitaine qui par sa faute ou la vio
lation des règles a occasionné l’abordage répond des
1 L . 29, S 3 : D. ad Leg,
Aquil.
t
v — 42
�178
DROIT MARITIME.
dommages soufferts par les deux navires. Cette respon
sabilité s’entend de ceux soufferts par la cargaison com
me de ceux qui ont été faits aux corps, agrès ou appa
raux du navire. Chaque chargeur a donc contre lui et
contre l’armateur une action pour être indemnisé des
pertes ou avaries qui sont la suite de l’abordage. Cette
action passe sur la tête des assureurs si, garants de la
baraterie de patron, ils ont remboursé leur assuré.
Telle est donc la règle en matière d’abordage : si for
tuit, chacun en supporte les effets qui en sont résultés
pour lui ; si provenant de la faute d’un des navires, ces
effets sont intégralement et exclusivement à la charge
de celui qui l’a commise.
1993.
— La force des choses indique une troisième
hypothèse, sur laquelle l’ordonnance de 1681 avait omis
de s’expliquer. En conséquence, toutes les fois que la
faute n’était pas prouvée , l’abordage était considéré
comme fortuit, et en produisait les effets.
En réalité, cependant, l’hypothèse d’un cas fortuit
peut être impossible à admettre, en ce sens qu’il sera
certain et démontré que le sinistre aurait pu être évité.
Cela posé, reste à rechercher par la faute de qui il n’en
a pas été ainsi, mais, à cet égard, rien de certain, rien
de positif ne vient résoudre la difficulté, et la question
reste entourée d’un mystère impénétrable.
L’existence certaine d’une faute autoriserait naturel
lement la présomption que cette faute était commune
aux deux capitaines, et c’est cette présomption que le
�ART.
407.
179
Code consacre en déclarant que, s’il y a doute dans les
causes de l’abordage, le dommage est à frais commun
et par égale part pour les navires qui l’ont fait et souf
fert.
lï'tfÆ . — Ces considérations fixent la véritable por
tée du dernier paragraphe de notre article. Prise dans
leur acception naturelle, ces expressions auraient une
autre signification, elles sembleraient exiger que le doute
existât sur le caractère de l’abordage. Or, il ne saurait
en être ainsi. En effet, si la cause n’est pas certaine,
on devrait le considérer comme fortuit, puisque cette
présomption ne peut céder que devant la preuve con
traire.
Il n’y a donc abordage douteux, dans le sens de la
loi, que lorsque, étant d’ailleurs certain que le sinistre
n’est pas le résultat d’un cas fortuit, il est impossible de
déterminer lequel des capitaines a commis la faute,
alors cette faute est présumée commune. Cette présomp
tion détermine l’obligation pour les deux navires de sup
porter le dommage.
— La répartition s’en fait par moitié pour
chaque navire, quelles que soient les dimensions de
chacun d’eux, et alors même que le plus faible aurait
souffert des avaries plus ou moins considérables. On fait
donc une masse du dommage éprouvé par l’un et par
l’autre, et le total se divise entre eux par portion égale.
Ce résultat peut arriver à cette conséquence que l’in-
�180
DROIT
MARITIME.
demnité, à peine sensible pour l’un, sera onéreuse à
l’autre. Cependant la pratique n ’a jamais hésité, alors
même que le silence de la loi laissait une vaste place au
doute.
« Cette pratique, disait Valin, est fondée vraisembla
blement sur ce que cette voie est plus courte que celle
d’une estimation de la valeur des deux navires, estima
tion non seulement embarassante de sa nature, mais en
core sujette à inconvénient par les surprises qu’il serait
aisé de pratiquer.
« D’autre part, c’était le moyen le plus propre à ren
dre les capitaines extrêmement attentifs à éviter l’abor
dage, surtout ceux des bâtiments faibles et plus suscep
tibles d’être endommagés par le moindre choc, en leur
rendant toujours présente la crainte de supporter la moi
tié du dommage qu’ils pourraient recevoir ; et si l’on dit
qu’il aurait été plus simple et plus court de laisser pour
le compte particulier de chacun le dommage qu’il aurait
reçu, comme dans le cas d’un événement fortuit, la ré
ponse est qu’alors les capitaines de gros navires n’au
raient plus craint de heurter les bâtiments d’une beau
coup moindre force que les leurs. Rien donc de plus
juste que la contribution par moitié »
C’est surtout cette considération dernière qui a motivé
la consécration législative de la pratique signalée et si
rationnellement justifiée par Valin. La part réelle qu’elle
fait à l’ordre public devait nécessairement prévaloir sur
�ART.
407.
181
les inconvénients qu’elle peut offrir à l’endroit de l’in
térêt privé.
1990. — L’article 407 distingue fort judicieuse
ment la faute certaine de celle qui n’est que présumée
et leur attribue un effet bien différent. Ainsi, le § 2 met
nommément à la charge du capitaine le dommage ré
sultant de l’abordage occasionné par sa faute, le § 3 se
contente de laisser au compte de chaque navire les con
séquences de l’abordage douteux.
Dans le premier cas, l’armateur tenu de payer aurait
incontestablement un recours contre le capitaine, ce re
cours n’existe pas dans le second. La faute seulement
présumée pouvait bien légitimer la responsabilité du na
vire, mais elle ne suffisait pas pour déterminer celle du
capitaine personnellement. Celle-ci ne peut être que la
conséquence d’un fait certain et constaté.
Donc l’armateur, qui en cas d’abordage douteux paye
la moitié du dommage fait et souffert par les deux na
vires, ne serait ni recevable, ni fondé à poursuivre une
garantie quelconque contre le capitaine. Ce payement le
concerne seul.
1 7 7 7 . — L’effet que la présomption produit contre
l’armateur repousserait également le recours que les
chargeurs prétendraient exercer à raison des dommages
que l’abordage douteux aurait occasionné à leurs mar
chandises. L’avarie née de l’abordage est particulière,
elle est donc exclusivement à la charge des propriétai-
�182
DROIT
MARITIME.
res de la chose Atteinte. La responsabilité du capitaine,
du navire et du fret n’est que la conséquence de la preu
ve de la négligence ou de la faute. Celte preuve n’étant
pas faite dans l’hypothèse d’un abordage douteux, au
cune responsabilité ne saurait être réclamée par les
chargeurs.
1®®8. — Le dommage éprouvé par les marchan
dises resterait une avarie purement particulière. Ce ca
ractère a fait résoudre négativement la question de saveir si, dans les sommes à payer par chaque navire, on
devait comprendre le dommage souffert par leur car
gaison respective. Ce serait, disait Yalin, rendre l’ava
rie particulière l’objet d’une contribution, que loiu d’au
toriser la loi repousse formellement.
Il est vrai que les navires sont appelés à contribuer
également aux avaries qu’ils éprouvent l’un et l’autre ;
mais c’est là une exception écrite dans la loi. Exception,
disait Emérigon, qui, étant spéciale aux navires, reste
étrangère aux marchandises, à l’égard desquelles, par
conséquent, le principe relatif à l’avarie particulière de
meure dans toute sa force. C’est dans ce sens que s’est
prononcée la doctrine moderne1.
i®®O. — L’abordage, quelle qu’en soit la cause,
constituant une fortune de mer, la position des assui P aris, 15 février 1861 ; Caen, 24 novem bre 1 8 6 2 ; J. du P., 1863,
�ART.
407.
183
reurs est nettement tranchée. Us répondent de ses con
séquences vis-à-vis des assurés, soit sur corps, soit sur
facultés, à moins que, n’ayant pas garanti la baraterie
de patron, ils n’établissent que le sinistre a été occa
sionné par la faute du capitaine. Cette condition n’étant
pas acquise dans l’abordage douteux, leur obligation
d’indemniser l’armateur et les chargeurs ne pourrait
être déclinée.
Dans cette hypothèse comme dans toutes les autres,
s’ils s’étaient chargés du risque de la baraterie de pa
tron, quelle serait l’étendue de leur obligation ? Le pro
priétaire du navire pourrait-il répéter contre eux la moi
tié qu’il est obligé de payër pour le dommage souffert
par l’autre navire ? Pourrait-il exiger le remboursement
intégral de ce dernier dommage en cas de faute du ca
pitaine ?
Un jugement du tribunal de commerce de Paris, du
28 avril 1854, avait consacré l’affirmative. Ses motifs
étaient entre autres puisés dans l’étendue donnée par la
police à la garantie des assureurs, comprenant tous
dommages et pertes provenant de tempête, naufrage,
échouement, abordage fortuit, baraterie de patron et
généralement tous accidents et fortunes de mer. D’où le
tribunal conclut que, quelle que soit la nature de la dé
pense, il suffit qu’elle se soit réalisée pendant le voyage
assuré, et à son occasion, pour que les assureurs soient
tenus d’en indemniser l’assuré.
Ces principes et leurs conséquences ne sont admissi
bles qu’à la condition d’en restreindre i’application et
�184
DROIT MARITIME.
les effets à la chose assurée. Relativement à elle, en ef
fet, l’avarie ne consiste pas seulement dans le dommage
matériel qu’elle a pu souffrir. Tenus de ce dommage,
les assureurs répondent également de toutes les dépen
ses extraordinaires faites dans son intérêt et pour sa
conservation. Ainsi, lorsqu’ils ont garanti la baraterie
de patron, les assureurs payeront non seulement la perte
ou la détérioration, mais encore ce que la conservation
de la partie sauvée aura coûté, quelle que soit d’ailleurs
la cause de l’abordage.
Cette obligation, naturelle et légitime en ce qui con
cerne le navire et la cargaison faisant l’objet de l’assu
rance, comment l’étendre aux dommages éprouvés par
le navire ou la cargaison non assurés. C’est cependant
à ce résultat qu’on arriverait, quoique d’une manière
indirecte, par le système du jugement que nous exami
nons. Les assureurs payeraient réellement l’avarie du
navire et de la cargaison, aux risques desquels ils sont
étrangers, si on les obligeait à rembourser ce que leur
propre assuré aurait payé à ce titre, soit en cas de faute,
soit en cas d’abordage douteux.
Un pareil système violerait toutes les règles, tous les
principes de l’assurance. Aussi la décision du tribunal
de commerce eut-elle le sort qu’il était facile de prévoir.
Déférée à la cour de Paris, elle fut réformée par arrêt
du 23 juin 1855. Cet arrêt fixe nettement la portée na
turelle et légitime de la police, et étaye son interprétation
sur les principes les plus incontestables. Nous croyons
�ART.
407.
183
devoir en transcrire les motifs, parce qu’ils tranchent
péremptoirement et d’une manière fort juridique la
question que nous avons posée.
« Considérant, dit la Cour, qu’aux termes des arti
cles 350, 397, 400 et 403 du Code de commerce la con
vention d’assurance maritime n ’a d’autre objet que de
réparer les pertes et dommages qu’ont éprouvés les ef
fets mis en risques ; que les clauses de la police liant les
parties n’ont pas d’autre signification ; que tous les ac
cidents qui s’y trouvent énumérés comme engageant la
responsabilité des assureurs : naufrage, tempête, échouement, abordage fo rtuit, changement forcé de route de
voyage, de vaisseau, baraterie de patron, jet, feu et gé
néralement toutes fortunes de mer se réfèrent exclusi
vement aux corps et facultés du navire assuré ; que, par
conséquent, dès qu’il est reconnu que le navire et son
chargement sont arrivés intacts au lieu de destination,
toute action en restitution doit être refusée ; que vaine
ment les assurés invoquent les expressions générales de
la police : Tous accidents ou fortunes de mer, pour en
déduire que la condamnation prononcée contre le capi
taine pour la réparation des effets de l’abordage ayant
pour cause, pour prétexte du moins, un accident arrivé
dans le cours de la navigation, les assureurs en doivent
garantie ; que ces mots, soit qu’on s’attache aux princi
pes constitutifs de l’assurance, soit qu’on interroge le
contrat lui-même, se limitent naturellement au choses
assurées ;
« Considérant qu’on ne peut prétendre avec plus de
�186
DROIT MARITIME,
fondement que la libre disposition du navire et de son
chargement au lieu de destination ayant été subordon
née au payement des 6,000 ducats accordés au navire
abordé, il s’agit d’une de ces dépenses extraordinaires
que l’article 397 considère comme avaries , et met à la
charge des assureurs ; que l’article 397, en effet, ne
s’applique qu’aux dépenses faites directement pour le
navire ou les marchandises assurées; qu’autant il est rai
sonnable et juste d’imposer aux assureurs la restitution
des sommes qui ont été consacrées à lever les obstacles
que l’état du bâtiment ou la condition du chargement
pouvait opposer au voyage assuré, autant il serait abusif
d’étendre leur responsabilité au payement de dommages
soufferts par les tiers ; que, pour qu’il en fût autrement,
il faudrait une stipulation expresse, les contrats ne pou
vant embrasser que les choses sur lesquelles les parties
se sont proposées de contracter ;
« Considérant qu’à défaut de convention contraire,
la clause qui met à la charge des assureurs la baraterie
de patron n ’a d’autre objet que de garantir aux assurés
la réparation du préjudice que pourrait causer, aux ef
fets mis en risque, la fraude ou l’impéritie du capitai
ne ; que l’étendre aux dommages faits aux tiers, serait
dénaturer le contrat, en substituant à des risques limi
tés et définis la responsabilité de faits impossibles à pré
voir l. »
ÎWSO. — C’est par une expertise que doivent, à
�ART. 407.
187
défaut d’entente amiable, se régler les sommes à payer,
soit par le capitaine, dont la faute a déterminé l’abor
dage, soit par chacun des deux navires dans l’abordage
douteux. La loi ne s’explique pas sur le mode d’évalua
tion que doivent adopter les experts ; mais comme il ne
s’agit j)a s des conséquences du contrat d’assurance;
comme l’indemnité est due pour un quasi-délit certain
ou présumé, l’estimation doit être faite : pour le navi
re, suivant le coût de la réparation au lieu où elle se
réalise ; pour les marchandises, suivant leur valeur au
lieu du déchargement.
L’exigence par l’article 407 d’une expertise dans les
deux cas où le dommage est à la charge d’un des navi
res, ou doit être supporté par les deux, déroge au prin
cipe que l’expertise constituant une mesure d’instruc
tion, les juges peuvent toujours se dispenser de l’or
donner lorsqu’elle ne leur paraît pas nécessaire L
Donc, en matière d’abordage fautif ou douteux, les
tribunaux n’ont ni le pouvoir ni le droit de déterminer
eux-mêmes le chiffre du dommage. En le prescrivant
ainsi, le législateur a obéi à cette idée que le préjudice
souffert doit être intégralement réparé. Or, l’apprécia
tion des juges étant nécessairement arbitraire et ne pui
sant ses éléments que dans les prétentions intéressées
des parties, pourrait facilement rester en deçà ou aller
au-delà de la vérité, et méconnaître ainsi la volonté si
expresse de la loi. Confiée à des gens du métier, l’ex1 Cass., Gjuillet 4857, J. du P., 1859, 321.
�188
DROIT
MARITIME.
pertise peut seule affirmer cette vérité. Elle est donc in
dispensable, et le tribunal qui refuserait de l’ordonner
violerait l’article 407 du Code de commerce.
L’article 407 conduit à cette autre conséquence que
les juges ne pourraient ordonner le règlement par état
du préjudice à réparer. Il est évident que ce règlement
aboutirait en définitive à la détermination arbitraire du
tribunal qui aurait à décider si les états fournis sont
exagérés ou non et s’il y a lieu de les confirmer ou de
les réduire.
Toutefois, les juges qui ne peuvent ordonner le règle
ment par état peuvent autoriser les parties à y recourir
en leur laissant le choix entre ce moyen et l’expertise.
C’est ce que la cour de Rouen avait jugé dans une
espèce qui lui était soumise en déclarant que l’estima
tion du dommage serait faite par experts, ou son mon
tant établi par état. Un pourvoi ayant été dirigé contre
son arrêt, on soutenait devant la Cour de cassation qu’il
avait violé l’article 407 en autorisant l’option entre l’é
valuation du dommage par experts et sa fixation par
états, alors que cet article exigeait impérieusement l’ex
pertise.
Mais par arrêt de la chambre civile, du 23 avril 1873,
La Cour suprême déclara que l’arrêt attaqué s’est borné
à ordonner que le dommage serait réparé à frais com
muns, et que l’estimation en serait faite par experts
ou son montant établi par états sans s’expliquer d’ail
leurs ni directement, ni indirectement, soit dans ses
motifs, soit dans son dispositif sur les éléments consti-
�ART. 407.
189
tutifs de ce dommage ; que les droits des parties de
meurant ainsi réservés de part et d’a u lre , le moyen
manque en fait. En conséquence, elle rejette le pour
voi l.
L’expertise toujours nécessaire dans l’abordage dou
teux peut devenir inutile lorsque l'abordage est le ré
sultat d’une faute de l’un des capitaines. Les juges peu
vent alors ordonner que l’auteur de la faute procédera
lui-même et ù ses frais à la réparation des avaries souf
fertes par le navire abordé. A quoi bon, en effet, dans
ce cas, une expertise ? A-t-on à redouter une exagéra
tion quelconque dans le préjudice ? et si le capitaine
tentait de ne pas le réparer intégralement, ne serait-il
pas obligé de le faire sur la plainte de l’intéressé ?
L’expertise n’étant plus qu’un effet sans cause, il n’y
a plus lieu de l’ordonner. C’est ce que consacrait un
arrêt de la cour de Poitiers, du 19 juillet 1861.
On ne manqua pas de déférer cet arrêt à la Cour de
cassation et de lui reprocher d’avoir méconnu et violé
l’article 407 du Code de commerce, mais par arrêt du
9 avril 1862, la chambre des requêtes rejette le pourvoi,
d’abord parce que l’expertise avait été demandée par le
défendeur éventuel au pourvoi et non par le deman
deur, qui ne pouvait dès lors se faire un moyen de ce
que l’arrêt attaqué aurait rejeté des conclusions prises
par son adversaire ; ensuite parce que la cour de Poi
tiers n’ayant pas évalué le dommage, et s’étant bornée
1 J. du P., 1873, 917.
�190
DROIT
MARITIME.
à ordonner que les avaries causées par l’abordage se
raient réparées par les soins et aux frais du capitaine
abordeur, n’avait ni violé, ni pu violer l’article 407 l.
Cette jurisprudence interprête rationnellement et exac
tement l’article 407, la spécialité de sa disposition à
l’hypothèse que nous venons d’indiquer excluait tout
autre sens. Cet article, en effet, n’a qu’un objet, proté
ger l’intérêt du capitaine abordeur en le sauvegardant
contre les exagérations et les abus que la partie pourrait
se permettre dans les réparations qu’elle serait autori
sée à exécuter elle-même ou qui pourraient résulter de
l’appréciation erronée du juge.
Mais de ce que l’expertise est forcée dans cette hypo
thèse, il ne s’ensuit pas qu’elle doive l’être lorsque le
mode de réparation adopté exclut toute crainte d’exagé
ration et d’abus. A quoi bon des précautions lorsque
le mal qu’elles auraient pour objet de prévenir ne sau
rait se produire ?
Il est vrai que la cour de Poitiers ordonnait que faute
par le capitaine abordeur de remplir l’obligation qui lui
était imposée, le capitaine abordé ferait exécuter luimême les réparations aux frais du premier, ce qui était
éventuellement s’en remettre à la partie elle-même et
s’exposer à l’abus. Mais cette éventualité, si elle venait
à se réaliser, qui donc l’aurait créée si ce n ’est celui
qui viendrait s’en plaindre ? Pouvait-il être que la Cour
admit la supposition que son arrêt ne serait pas exécuté,
�ART.
407.
191
et cette inexécution ne Paurait-elle pas provoquée et en
couragée si, raisonnant dans cette hypothèse, elle eût
prescrit dans ce cas une expertise ? Pouvait-il se faire
que la justice imposant une obligation la laissât sans
sanction et s’en remit au bon plaisir, au caprice du dé
biteur ?
Si l’obligation imposée est légale, la sancton pénale
destinée à en garantir l’exécution ne peut pas ne pas
l’être. Celui-là ne serait ni recevable ni fondé à se plain
dre qui, condamné à faire ou à laisser faire, a volon
tairement opté pour ce dernier parti, volenti non fit
injuria. II n’y a, il ne saurait y avoir ni sévérité, ni
illégalité, ni injustice à laisser à la charge d’un individu
les conséquences d’un acte que son intérêt et son devoir
lui prescrivaient d’empêcher et qui a dédaigné d’user de
la liberté qui lui était laissée de l’empêcher.
Outre cette sanction pénale, la Cour avait condamné
le capitaine abordeur à une indemnité de 50 fr. par jour
depuis le lendemain de l’abordage jusqu’au jour où le
navire abordé serait mis en état de reprendre la mer. Le
demandeur en cassation voyait là une véritable détermi
nation du préjudice sans qu’une expertise fût venue l’é
tablir, et signalait cette disposition comme violant ex
pressément l’article 407.
Mais la Cour suprême déclare que l’indemnité de 50
fr. par jour est accordée non à titre de réparation du
préjudice éprouvé, mais comme peine du retard que
cette réparation éprouverait, qu’en conséquence, en
�192
DROIT
MARITIME.
l’allouant, la cour de Poitiers n’avait ni violé ni pu vio
ler l’article 407
Ce qui pouvait faire douter du caractère de l’alloca
tion, c’est le point de départ que lui affectait l’arrêt de
Poitiers. Le retard pouvait être prévu depuis que la jus
tice, ayant mis les conséquences de l’abordage à la
charge du capitaine abordeur, l’avait condamné à pro
céder aux réparations qu’il avait nécessitées. Mais com
ment admettre ce retard à partir du lendemain de l’a
bordage, c’est-à-dire avant toute décision sur la nature
de cet abordage, et alors que le capitaine abordeur n’a
vait pas encore été déclaré responsable, et comme tel,
tenu de la réparation ?
Mais fallût-il considérer l’allocation comme consti
tuant la réparation du préjudice que sa légalité n’en
était pas moins incontestable, au point de vue même de
l’article 407.
En effet, dans l’abordage reconnu imputable à la
faute, l’auteur de cette faute doit réparer intégralement
le préjudice qui en a été la conséquence. Les éléments
de ce préjudice sont divers et multiples. Ils se compo
sent des avaries souffertes par le navire dans sa coque,
ses agrès et ses apparaux ; des frais de sauvetage et de
remorquage ; des droits d’entrée dans le port de relâ
che et de ceux de sortie, des frais de déchargement, ma
gasinage et rechargement de la cargaison ; des frais de
séjour dans le port, d’achat de nouvelles victuailles ou
de la nourriture de l’équipage, du chômage du navire
pendant la durée des réparations.
�ART.
407.
193
Or, il n’a pu être dans l’esprit de l’article 407 de
laisser à l’expertise la détermination de tous ces élé
ments. Que cette expertise soit indispensable pour fixer
la nature, l’étendue, l’importance des avaries matériel
les, on le comprend. Mais où en serait l’utilité à l’en
droit des divers frais occasionnés par la relâche qui se
ront en général établis par des quittances régulières ?
Est-ce que, à l’égard des frais de séjour et de chô
mage, les experts pourraient offrir autre chose qu’une
appréciation plus ou moins arbitraire ? Pourquoi donc
ne pas s’en remettre au juge ? L’arbitrage de celui-ci
vaudra-t-il moins que celui des experts, alors que ceuxci n’ont pas d’autres éléments que ceux que le juge
aura à consulter ?
Nous estimons donc qu’on ne saurait donner à l’ar
ticle 407 une pareille interprétation. Sans doute, si une
expertise est ordonnée, les juges pourront bien donner
aux experts la mission de s'expliquer sur tous les autres
frais. Mais si, comme dans l’espèce de l’arrêt de Poi
tiers, le mode de réparation ordonné rend toute exper
tise inutile quant aux avaries, les juges ne sauraient être
tenus d’y recourir pour tous les autres frais, ils peuvent
les apprécier hic et n m c en ordonnant que ceux qui
sont susceptibles d’être établis par des quittances seront
remboursés sur le vu de ces quittances.
1980 bis. — On a prétendu, dans l’abordage dou
teux, contester de tenir compte du chômage des navires
dans la détermination du préjudice à réparer. L’article
v — <3
�194
DROIT
MARITIME.
407, disait-on devant la cour de Bordeaux, ne parle
que du dommage provenant de l’avarie, et ce serait
étendre abusivement le sens de ce mot que de l’appli
quer aux pertes résultant du chômage ; d’ailleurs, l’in
demnité à ce titre ne pourrait être accordée que comme
dommages-intérêts ; or, comment condamner un capi
taine à des dommages-intérêts envers l’autre, alors que
par son caractère douteux l’abordage est le résultat d’une
faute commune ?
Mais par arrêt du 31 août 1841, la cour de Bordeaux
repousse cette prétention. Elle déclare que le chômage,
conséquence de l’abordage, constitue un dommage non
moins réel que l’avarie matérielle ; que l’article 407 se
servant du mot dommage, ce mot n’est pas moins ap
plicable au chômage résultant de la nécessité des répa
rations qu’aux avaries qu’il a fallu réparer à frais com
muns h
Si l’indemnité pour chômage est due dans l’abordage
douteux, à bien plus forte raison l’est-elle dans l’abor
dage fautif. Il y a alors de la part de l’auteur de la faute
un çttasi'-délit qui l’oblige à en réparer intégralement
_ tout lç préjudice qu’en éprouve celui qui en a été victi
me. Or, comment contester que le chômage forcé du
navire ne soit un préjudice souvent fort considérable ?
Donc, en tenir compte dans l’indemnité à accorder, c’est,
non violer, mais sainement appliquer l’article 4 0 7 9.
1 Sibille, de l’Abord., n° 411.
Tribunal de Marseille, 1er août 1838 ; J. de Mars, 1 8 3 8 ,1 , 202.
2
�1980 t8r. — L’expertise est toute dans l’intérêt des
parties. Elle a en effet pour objet d’une part d’assurer h
la victime de l’abordage la juste et intégrale réparation
du préjudice qu’elle a souffert ; d’autre part, d’empê
cher que cette réparation excède ses légitimes limites et
de garantir que le débiteur ne paye que ce qu’il doit
réellement.
On ne saurait dès lors contester à ces mêmes parties
le droit de ne pas donner suite à la disposition du ju
gement ordonnant l’expertise et de s’entendre pour évi
ter les longueurs et les frais que celle-ci est dans le cas
d’entraîner.
Dès lors aussi le jugement qui, après avoir ordonné
l’expertise, réserve aux parties la faculté de régler au
trement le montant de l’indemnité, ne saurait être ac
cusé de violer l’article 407. C’est ce que la Cour de cas
sation jugeait expressément le 23 avril 1873.
Dans cette espèce, la cour de Rouen avait décidé que
l’estimation du dommage serait faite par experts, ou
son montant établi par états, et cette disposition était
signalée comme violant l’article 407. Cet article, disait
le demandeur en cassation, prescrit l’estimation par ex
perts et exclut tout autre mode. Il n ’aulorise donc pas
l’option consacrée par la cour de Rouen.
Mais la Cour de cassation repousse cette prétention.
« Attendu, dit son arrêt, que l’arrêt attaqué s’est borné
à ordonner qùe le dommage serait réparé à frais com
muns et par égales portions par le Mexico et par la
Ville-de-Nantes, et que l’estimation du dommage serait
�_y>
196
DROIT
MARITIME.
faite par experts, ou son montant établi par états, sans
s’expliquer, d’ailleurs, ni directement ni indirectement,
soit dans ses motifs, soit dans son dispositif, sur les élé
ments constitutifs de ce dommage ; que les droits des
parties demeurant ainsi réservés de part et d’autre, le
moyen manque en fait \ »
La Cour de cassation avait raison. En ordonnant
l’estimation par experts, la cour de Rouen avait suffi
samment garanti l’intérêt de toutes les parties, car le
règlement par état ne pouvait être que le résultat d’un
accord entre elles, celle qui s’y serait refusée ne pou
vant être empêchée de poursuivre l’exécution de l’ex
pertise.
En réalité donc, tout se bornait à autoriser les parties
à s’entendre pour éviter l’expertise, et cette autorisation
pouvait d’autant mieux leur être accordée qu’elles la pui
saient dans le caractère de l’expertise, et qu’elles au
raient pu en user alors même que l’arrêt eût gardé le
silence à ce sujet.
1*880 q u a tu o r,
L’article 407 ne prévoit et par
conséquent ne régit que trois sortes d’abordages : l’abor
dage fortuit ; l’abordage par la faute d’un des capitai
nes ; l’abordage douteux.
Il en est un quatrième qui est dans le cas de se réa
liser plus ou moins souvent, l’abordage par la faute des
deux capitaines, quels en seront les effets? L’assimil J. du P., 1873, 917.
�ART.
407.
197
lera-t-on à l’abordage fortuit, ou à l’abordage dou
teux ?
M. Pardessus se prononce dans le premier sens. Il
estime et enseigne en conséquence que s’il est prouvé
qu’il y a faute des deux parts, chacun supporte sa perte *.
« Cette opinion, objecte M. Sibille, me paraît inad
missible au point de vue de l’équité, s’il n ’y a point de
cas fortuit la faute est censée commune, et, dès lors, il
faut supposer que les deux capitaines ont contribué au
dommage dans la même proportion. Cela posé, en lais
sant à chacun ses dépenses, il serait injuste de ne faire
supporter à l’un qu’une faible dépense comparativement
à l’autre. La logique veut qu’on procède comme dans la
circonstance d’un abordage douteux 2. »
C’est dans le même sens que se prononçait notre re
grettable et regretté confrère de Fresquet. S’il y avait,
dit-il, faute commune égale de part et d’autre, on par
tagerait les dépenses3.
M. Caumont n'admet ni l’une ni l’autre de ces opi
nions. A son avis, s’il y a certitude sur l’imputabilité à
faire aux deux capitaines des fautes communes qui ont
amené l’abordage, les principes généraux reprennent
leur empire et infligent à l’un et à l’autre la responsa
bilité du dommage causé, chacun dans la mesure de la
faute par lui commise, sans que rien dans les termes de
1 N» 652.
De l'Abordage, n» 27.
3 Des Abordages, p. 27.
2
�198
DROIT
MARITIME.
l’article 407 vienne atténuer cette responsabilité aussi
juridique que conforme à l’équitél.
La conclusion de M. Caumont nous paraît irréfuta
ble en droit même au point de vue de l’article 407 du
Code de commerce, c’est ce que la cour de Rouen con
sacrait formellement les 12 janvier et 3 mai 1864.
Les jugements qui lui étaient déférés appliquant la
doctrine de M. Pardessus, avaient assimilé l’abordage
par la faute commune à l’abordage purement fortuit, et
décidé que chaque navire supporterait le préjudice qu’il
avait éprouvé.
Mais la Cour condamne cette doctrine et infirme les
jugements. « Attendu, disent ses arrêts, qu’il résulte
manifestement des faits de la cause que l’abordage ne
peut être attribué qu’à une double faute imputable aux
capitaines des deux navires ; qu’ainsi, il y a faute com
mune des deux capitaines et qu’une responsabilité pro
portionnée à la faute de chacun d’eux doit peser sur
eux -mêmes et sur leurs armateurs ; que ce ne peut être
le cas, comme l’ont fait les premiers juges, d’appliquer
à la cause le § 1er de l’article 407 du Code de com
merce, qui ne parle que du cas fortuit ; que si le § 2
ne prévoit que la faute d’un des deux capitaines, il est
évident que la même disposition s’applique, par les mê
mes motifs, au cas où les deux capitaines sont en fau
te ; qu’alors le devoir du juge est de rechercher le degré
de la faute imputable à chacun, de manière à propori Dict. de Droit marü., v° Abordage, n° 108.
�V
ART.
407.
199
tionner la réparation du dommage suivant la gravité des
fautes respectives. »
L’arrêt du 12 janvier ayant fait l’objet d’un pourvoi,
ce pourvoi était rejeté le 11 mai 1865 *.
On ne voit pas en effet pourquoi, si l’hypothèse d’un
abordage par la faute commune devait se régir par l’ar
ticle 407, on appliquerait le § 1er plutôt que le § 2 ou
que le § 3.
Il serait anormal, injuste de s’en référer au § 1“ , car
on pourrait aboutir à ce résultat que l’un des capitaines
perdrait tout et l’autre ne perdrait rien ou presque rien,
non seulement dans le cas où la faute serait égale, mais
encore dans celui où la faute de celui-ci eût été plus
grave et eût plus directement occasionné l’abordage.
Ajoutons qu’il faudrait ainsi assimiler cet abordages à
l’abordage fortuit, au mépris et en violation des raisons
décisives qui ne permettent pas de les confondre.
L’anomalie ne serait pas moindre si l’on réglait le
dommage conformément à la disposition du § 3. Sans
doute, dans le cas de faute commune, il peut y avoir
doute sur les conséquences de la faute des deux capi
taines et l’influence qu’elle a pu exercer sur le sinistre,
et c’est ce doute dont on excipe en faveur du règlement
prescrit par le § 3, parce que dans le doute on doit pré
sumer le cas fortuit.
Mais s’il en était ainsi c’est au § 1" qu’il faudrait de
mander le règlement du dommage, et le législateur se1 En note sous cass., <5 novembre 1871 ; J . du P., 1871, S88.
�200
DROIT
MARITIME.
rait tombé dans la plus étrange contradiction en chan
geant dans le § 3 la proportionnalité qu’il venait d’éta
blir dans le § 1e'.
Nous en concluons que si dans l’abordage douteux le
dommage doit être réparé à frais communs et par égale
portion, c’est que la loi suppose qu’il y a eu faute réci
proque des detfx capitaines. Comment comprendre dès
lors que lorsque cette faute commune est acquise et
constatée on agisse autrement qu’on nede fait lorsqu’elle
n’est que présumée, c’est-à-dire qu’on refuse à la vé
rité l’effet qui s’attache à la présomption.
Qu’imporie que l’article 407 n’ait ni prévu ni réglé
le cas d’une faute commune ? Le § 2 ne consacre-t-il
pas la responsabilité du capitaine à la faute de qui l’a
bordage est imputable? Peut-on rationnellement induire
de cette consécration que lorsqüe il y a faute commune
des deux capitaines, l’un des deux puisera l’impunité
dans la responsabilité de l’autre ?
Donc, ce que prescrit le § 2 dans le cas de faute, doit
être suivi dans l’hypothèse d’une faute commune. La
responsabilité, au lieu de peser exclusivement sur un
seul, sera répartie sur les deux capitaines suivant la gra
vité du fait qui leur est personnellement imputable,
comme le décide la cour de Rouen.
Dans tous les cas, il faut dire avec M. Caumont que
tout ce qu’on peut et doit induire du silence de l’article
407, c’est que la loi spéciale et exceptionnelle ayant
omis de s’expliquer, c’est au droit commun qu’il faut
�V
ART.
407.
201
s’en référer, et à ses dispositions qu’il faut demander la
solution de la difficulté.
Or, en droit commun, l’obligation de réparer le pré
judice est'la conséquence forcée de la faute. L’article
1382 du Code civil est on ne Vpeüt pas plus précis à ce
sujet. L’auteur de la faute est tenu de réparer le dom
mage qui en est résulté. C’esit là d’ailleurs une règle
que la simple raison recommandait et que l’équité dic
tait en quelque sorte.
Donc, le capitaine qui, par sa faute, a plus ou moins
contribué à l’abordage , a évidemment une part dans
le préjudice, il doit eu avoir une dans la responsabilité.
Celle ci variera nécessairement suivantson plus ou moins
de gravité de la 'faute, suivant le plus ou moins d’in
fluence sur le sinistre. Vainement objecterait-t-il le si
lence de l’article 407 du Code de commerce, on lui op
poserait l’article 1382 du Code civil, à l’empire duquel
rien ne pourrait le soustraire. Dès lors, ainsi que le di
sait la cour de Rouen, il n’y a plus qu’à rechercher et
à déterminer le caractère de la faute, afin de lui pro
portionner l’obligation de réparer le préjudice qui en est
résulté.
Ce n’est pas ce que la cour d’Àix avait cru devoir
faire. Dans un abordage qui avait eu lieu entre le Ben
jam in et le Delta, elle déclare que l’événement est dû
à la faute commune des deux capitaines, et appliquant
le § 1er de l’article 407, elle décide que chaque navire
supportera le préjudice qu’il a éprouvé. Notez que le
Benjamin coupé en deux avait immédiatement coulé,
i
�202
DROIT
MARITIME.
et que le Delta n’avait éprouvé qu’une avarie insigni
fiante.
Mais sur le pourvoi dont il avait été l’objet, cet arrêt
encourut la censure de la Cour de cassation qui, par ar
rêt du 15 novembre 1871, l’annulait pour fausse ap
plication de l’article 407 du Code de commerce et vio
lation de l’article 1382 du Code civil.
« Attendu, dit la Cour régulatrice, qu’il est déclaré
en fait par l’arrêt attaqué que l’abordage est le résultat
d’une faute ; que les capitaines de chacun des deux na
vires sont également coupables de la faute qui a occa
sionné l’événement et qu’ils en sont excusables ;
« Attendu qu’en matière d’abordage le navire abor
dé ne supporte le dommage sans répétition que dans le
cas où l’événement a été purement fortuit ; que s’il y a
doute sur la cause de l’abordage, le dommage est réparé
à frais communs ;
« Attendu que le cas de faute respective n’ayant pas
été expressément prévu par la loi commerciale, est sou
mis aux principes du droit commun ; que chacun est
responsable envers les personnes lésées, et tenu de ré
parer le dommage en proportion de la gravité de la faute
qui lui est imputable
Il est impossible de ne pas rendre hommage au ca
ractère essentiellement juridique, et en même temps fort
équitable de cette décision. Il faut donc conclure avec
elle que la faute commune engage la responsabilité des
�ART.
407.
203
auteurs et les soumet l’un et l’autre à l’obligation de ré
parer le préjudice dont cette faute a été l’occasion.
Ce qui sera fort dificile dans certains cas, c’est de dé
terminer l’influence que la faute aura exercé sur l’évé
nement. C’est au juge qu’il appartient de résoudre cette
difficulté. Il doit peser toutes les circonstances, en cas
de doute, s’éclairer de l’avis des hommes spéciaux, ar
bitrer ensuite la gravité de la faute imputable à chacun
des deux capitaines, et proportionner à cette gravité la
part de responsabilité afférente à chacun d’eux.
C’est à cet arbitrage qu’aboutissent forcément les a r
rêts de la Cour de cassation des 11 mai 1865 et 15 no
vembre 1871. Ainsi se trouve condamnée la doctrine de
M. Sibille enseignant qu’il y a lieu de recourir à cette
distinction :
« Ou bien les fautes commises par les deux capitai
nes l’ont été successivement, et alors si la première faute
est plus grave que celle qui l’a suivie, le dommage doit
être supporté par le capitaine reconnu le premier en
faute comme s’il n'y avait de faute imputable qu’à lui
seul ; ou bien la double faute a été commise par les
deux capitaines en même temps sans qu’on puisse avec
conviction attribuer la première faute à l’un d’eux, et
alors on rentre dans le cas douteux, et la réparation du
dommage doit être supportée par moitié par les deux ca
pitaines 1. »
Cette doctrine a le tort de prétendre régir l’abordage
1 Ibid,., n° 66, 77 e t suiv.
�204
DROIT
MARITIME.
par la faute commune uniquement et exclusivement par
l’article 407. En faisant abstraction de l’article 1382 du
Code civil, elle ne s’appuye que sur une assimilation que
tout repousse.
Il est évident, en effet, <que le cas douteux prévu et
réglé par l’article 407 ne doit s’entendre que de celui
où, bien qu’il soit établi que l’abordage est le résultat
d’une faute, il est impossible de préciser avec certitude
à qui cette faute est imputable. Or, cette impossibilité
n’existe pas lorsqu’il est reconnu et admis qu’il y a
faute de la part de chacun des deux capitaines ;
Qu’importe que la faute de l’un ait précédé celle de
l’autre. On ne saurait jamais admettre que la responsa
bilité qu’encourt son auteur puisse aller jusqu’à effacer
la responsabilité qui de droit commun dérive de la faute
qui a suivi.
L’opinion de M. Sibille n’est donc admissible que s’il
est reconnu que la première faute a rendu l’abordage
tellement inévitable qu’il se fût réalisé même en l’ab
sence de toute faute de la part de l’autre capitaine.
Que si au contraire cette faute a été commise , si elle
a eu une influence quelconque sur l’événement, et
qu’une part du préjudice lui soit imputable, tout ce
que le plus de gravité de la première faute peut et doit
produire, sera de faire mettre à la charge de son au
teur la part la plus considérable du préjudice. C’est ainsi
que dans son arrêt du 11 janvier 1864 la cour de
Rouen avait condamné l’un des capitaines aux trois
quarts de la perte, et l’autre à un quart seulement.
�ART.
407.
205
Au reste, il ne faut pas équivoquer sur ce qui consti
tue la faute. Elle n’existe que si, par impéritie, négli
gence ou imprudence le capitaine n ’a pas fait ce qu’il
devait faire, si, par exemple, il avait négligé les pres
criptions du décret de 1862 sur les précautions à pren
dre et les règles à observer pour prévenir tout choc en
tre les navires.
Il ne suffirait donc pas que le capitaine n ’eût pas
exécuté une manœuvre de nature à empêcher l’abor
dage si la loi ne l’y obligeait, pas. On n’est pas en faute
pour s’étre abstenu de faire ce que la loi ne vous com
mande pas. Nous venons de voir la Cour de cassation
le décider formellement ainsi dans son arrêt du 7 juil
le t! 835.
1980 quinto. — Dans le sens légal, l’abordage s’en
tend et ne peut s’entendre que du choc survenu entre
deux navires, c’est ce choc que régit évidemment l’arti
cle 407 du Code de commerce.
Comment concevoir, en effet, qu’on puissse à son
occasion rechercher un navire qui n ’a été ni abordeur
ni abordé? Mais, d’autre part, comment demander
compte du sinistre au navire abordeur si, traîné à la
remorque et sans aucune faute de son capitaine, il n ’est
venu se précipiter sur l’autre navire que par le fait de
son remorqueur ? N’est-il pas juste alors de considérer
celui-ci comme l’auteur de l’abordage et de lui en faire
supporter les conséquences ?
�206
DROIT
MARITIME.
La cour de Rouen se prononçait pour l’affirmative.
En conséquence, reconnaissant qu’il y avait doute sur
les causés de l’abordage, elle avait ordonné que le pré
judice serait réparé à frais communs et par égales parts
par le navire abordé et le remorqueur du navire abordeur.
On se pourvut en cassation, non que le capitaine du
remorqueur déclinât la responsabilité de la faute qu’on
pouvait lui imputer. Cette responsabilité, disait-on dans
son intérêt, est écrite dans l’article 1382 du Code civil,
mais, il ne s’agit donc plus que de l’application de cet
article, et, dès lors, une condamnation à des domma
ges intérêts ne peut être prononcée qu’autant qu’une
faute est prouvée et non pas sur un simple doute ; qu’en
recourant aux prescriptions spéciales de l’article 407 du
Code de commerce, la cour de Rouen avait donc faus
sement appliqué cet article et violé l’article 1382 du
Code civil.
Mais la Cour régulatrice repousse ce système. Elle
déclare que le navire abordeur ayant été mis hors de
cause parce qu’il n’y avait aucune faute à lui reprocher,
l’arrêt attaqué avait pu considérer l’abordage et le dom
mage qui en a été la conséquence comme fait par le
navire remorqueur, et, par suite, après avoir déclaré
qu’il y avait doute sur les causes de l’abordage, ordon
ner, par application du § 4 de l’article 407 du Code de
commerce, que le dommage serait réparé à frais com
muns et par égales portions par ce navire et par le na-
�ART.
407.
207
vire abordé ; qu’en jugeant ainsi la cour de Rouen
n’avait contrevenu à aucune loi
La doctrine des cours de Rouen et de cassation me
paraît irréprochable sous un double rapport.
En premier lieu il est difficile de ne pas considérer le
remorqueur comme le véritable auteur de l’abordage.
N’est-il pas, en effet, chargé de diriger le navire qu’il
traîne après lui et qui, pour obéir à l’impulsion qu’il
en reçoit, est obligé -de se priver de tous les moyens de
se mouvoir de crainte de contrarier ou de neutraliser
cette impulsion ? Comment dès lors le déclarer auteur
de l’abordage si, par le fait ou la faute du remorqueur,
cet abordage se réalise ? Sur qui donc en ferait-on peser
la responsabilité si ce n’est sur l’auteur de la faute ?
En second lieu, dans l’hypothèse où cette responsa
bilité serait mise à la charge du navire remorqué, est ce
que son recours contre le remorqueur pourrait souffrir
la moindre difficulté ? Dès lors il arriverait ceci : le na
vire remorqué poursuivi directement mettrait en cause
le remorqueur et lui demanderait de le garantir contre
toutes les adjudications qui pourraient être prononcées '
contre lui. Or, est-ce que entre le demandeur principal
et le garanti, il peut exister une autre règle que celle
tracée par l’article 407 ? Comment donc le garant récu
serait-il cette règle ?
La lui appliquer directement, c’est en définitive évi1 23 avril 1873 ; J. du P., 1873, 917.
�208
DROIT
MARITIME.
ter un circuit d’actions, c’est réduire le nombre des par
ties et éviter des frais.
En dernière analyse dans les questions de ce genre il
s’agit bien de la; responsabilité d’un tais dommageable.
Mais ce fait est un abordage et dès lors c’est à l’article
407 qu’il faut recourir quel qu’en soit l’auteur.
f î S l . — L’abordage, quelle qu’en soit la cause,
peut devenir l’origine d’une avarie grosse. Tel serait le
caractère de tous les sacrifices volontairement soufferis
pour le salut commun, dans le but de dégager le na
vire. Ils seraient donc supportés par tous, dans la pro
portion réglée par la loi.
A r t ic l e
408.
Une demande pour avaries n’est point recevable, si
l’avarie commune n’excède pas un pour cent de la valeur
cumulée du navire et des marchandises, et si l’avarie
particulière n’excède pas aussi un pour cent de la valeur
de la chose endommagée.
A r t ic l e
409.
#
La clause franc d’avaries affranchit les assureurs
de toutes avaries, soit communes, soit particulières, ex-
�ART. 408, 409.1
209
cepté dans les cas qui donnent ouverture au délaisse
ment ; et, dans ces cas, les assurés ont l’option entre le
délaissement et l’exercice d’action d’avarie.
SOMMAIRE
1782.
1783.
1784.
1785.
1786.
1787..
1788.
1789.
1790.
1791.
1792.
1793.
1794.
1795.
1996.
Antiquité de la règle consacrée par l ’article 408. Ses mo
tifs.
■
Première modification que le Code a faite à l’ordonnance.
Sa consistance. Ses effets.
Seconde modification, l ’avarie commune doit excéder le
un pour cent de la valeur cumulée du navire et de la
cargaison. Son caractère.
Critique qu’en fait M. Emile Vincens. Son fondement.
Nécessité d'une révision.
En cas d’excès, l ’avarie doit être payée intégralement.
Usage de stipuler certaines franchises dans les polices
d’assurance. Son fondement.
Ses conséquences sur leur taux et sur l ’obligation de
l’assuré d’en bonifier l ’assureur dans tous les cas.
Sur quelle valeur on calcule les franchises, dans le cas
d ’une police unique.
Quid, dans le cas d ’une assurance par séries, ou portant
sur effets passibles de franchises diverses ?
Faculté pour les assureurs de stipuler la clause franc d’a
varies. Ancienneté de l ’usage à Marseille.
Doctrine de l ’Ecole italienne.
Opinion de Valin.
Mal fondé de ses reproches. Légalité de la clause consa
crée par le Code.
Ses effets.
Peut-on suppléer à l ’absence d’une stipulation expresse ?
v — 14
�210
DROIT MARITIME.
1 * 8 8 . — Le principe consacré par l’article 408 a
de tout temps formé le droit commun en matière d’as
surance. Les législations anciennes l’avaient tour à tour
reconnu et consacré.
Le motif donné de cette résolution législative était,
d’après la doctrine, qu’une demande d’avarie ne devait
pas être admise quand, pour jouir de son effet, il fau
drait dépenser en frais autant et plus que le dommage
qu’on obtiendrait, parce qu’alors il n’y avait intérêt
pour personne.
Pour que ce motif eût déterminé la législation, il
faudrait qu’il eût une consistance qu’on ne saurait lui
reconnaître. Il est fort difficile de déterminer a priori
l’étendue vraie de l’avarie, et souvent on ne saura qu’elle
n’excède pas le 1 0[0 qu’après l’accomplissement, et que
par l’accomplissement des formalités qui doivent en pré
céder le règlement.
Il faut donc chercher ailleurs le motif réel de notre
disposition. Ce motif ne serait-il pas qu’une avarie si
minime doit être attribuée au déchet naturellement
éprouvé durant le voyage, plutôt qu’à une fortune de
mer ? L’usage pratiqué dans les assurances relativement
aux franchises diverses semble devoir le faire décider
ainsi.
1*83. — Quoi qu’il en soit, le Code, tout en s’ap
propriant cette disposition de l’ordonnance, a modifié
celle-ci à un double point de vue :
1° Il a placé le principe que le législateur de 1681
�ART. 408, 409.
211
avait inscrit dans la matière des assurances, au titre des
avaries. L’effet de cette transposition a été de faire dis
paraître un doute sur la portée du principe lui-même.
L’ordonnance, en effet, ne disposant que pour les assu
reurs, pouvait-on faire participer les chargeurs et l’ar
mateur au bénéfice de la franchise, soit dans l’hypothèse
d’une avarie grosse, soit dans celle d’une avarie parti
culière causée par le fait ou la faute du capitaine.
L’affirmative ne résultait guère de la disposition de
l’ordonnance. Cependant, ce qui était juste pour l’assu
reur ne l’était pas moins à l’endroit des chargeurs et de
l’armateur, à quelque motif qu’on rattachât l’exception
consacrée. On devait donc leur en concéder le bénéfice,
et cette concession résulte de plein droit de la place que
l’article 408 occupe dans le Code.
1 1 8 4 . — 21° Le Code place l’avarie commune sur
la même ligne que l’avarie particulière. Cette assimila
tion n’a rien que de juste et de fondé, elle était même
la conséquence de l’application du principe aux char
geurs et à l’armateur.
Mais on ne saurait en dire autant de la condition que
l’avarie n ’excède pas le 1 0/0 de la valeur cumulée du
navire et de la cargaison. Cette exigence peut conduire
à ce résultat étrange que celui qui aurait été victime du
sacrifice fait pour le salut commun ne recevrait aucune
indemnité, alors même qu’il aurait perdu la totalité de
son chargement.
Supposez, en effet, que la valeur cumulée du navire
�212
DROIT MARITIME.
et de la cargaison s’élève à 500,000 fr. Le salut com
mun a occasionné le jet de marchandises estimées au
lieu du déchargement 4,000 fr., il n’est dû aucune con
tribution. Dans le fait, cependant, le chargeur-proprié
taire des effets jetés n’en a aucun autre à bord, il perd
donc la totalité de son chargement. Devrait-il supporter
seul cette perte, alors qu’elle n’a eu lieu que pour la con
servation du navire et de la cargaison, et qu’en "assurant
le salut commun elle a réellement profité à tous ?
1 3 8 5 . — Pourquoi, dit M. Emile Vincens, un ca
pitaine ou son propriétaire, sur une cargaison de 300
ou de 500,000 fr., devrait-il perdre de son argent 3,000
ou 5,000 fr. de mâts, câbles, canot et chaloupe, s’il les
avait régulièrement sacrifiés pour le salut commun l .
La conclusion que M. Emile Yincens tire de cette con
sidération, c’est que l’article 408 ne concerne que les as
sureurs, mais cette conclusion est inadmissible. Nous
venons de voir que la fin de non recevoir, tirée de cet
article, a été étendue aux chargeurs et à l’armateur.
Comment d’ailleurs, si la contribution était due au char
geur, la refuserait-on à l’assureur ? Celui-ci, en désintéresssant l’assuré, n’est-il pas subrogé à tous les droits
et appelé à exercer toutes les actions qu’il aurait pu in
tenter lui-même? Enfin, la charge de supposer seul la
perte, dans notre hypothèse, injuste à l’endroit du pro
priétaire, le serait-elle moins de ce qu’elle aurait passé
de sa tête sur celle de l’assureur ?
�213
ART. 408, 409.
Ce qu’il faut conclure, c’est que l’article 408, en au
torisant le résultat signalé, consacre une anomalie échap
pée à l’attention du législateur. Il n’eût pas été certai
nement consacré, si cette attention se fût portée sur ses
conséquences. En l’état, cependant, faut-il bien l’appli
quer tant qu’une révision fort désirable n’aura pas fait
disparaître ce que ces conséquences peuvent avoir et ont
réellement d’injuste.
1 9 8 6 . — Si l’avarie excède le 1 0/0, l’action est
ouverte soit contre les chargeurs et armateurs, soit con
tre les assureurs. Les uns ni les autres ne pourraient
prétendre contribuer ou payer l’excédant seulement ; la
quotité de l’avarie n’est pas ici une franchise proprement
dite, elle n ’est que la limite en dessous de laquelle toute
action est refusée. En conséquence, si l’avarie dépasse
cette limite, elle .est due en totalité. C’est ce qui était
universellement admis sous l’empire de l’ordonnance.
Pour qu’il en fût autrement, disait Pothier, il faudrait
qu’il fût dit que les assureurs ne seront tenus de l’ava
rie que jusqu’à concurrence de ce qu’elles excéderont le
1 0/0, mais les termes si elles n'excèdent n’expriment
que la condition sous laquelle les assureurs s’obligent à
payer les avaries1. Enfin la quotité de l’avarie ne se cal
culait que sur la détérioration ou la somme extraordi
nairement dépensée, les frais de justice ne devant et ne
pouvant être pris en considération.
i D es A s s ., n° 165 ; Valin, art. 47, tit.
12, sect. 44, 3 4.
d es A s s .;
Emérigon, chap.
�2U
DROIT MARITIME.
1 * 8 1 . — Tout cela se passerait ainsi depuis la pro
mulgation du Code, si la police étant muette il fallait
recourir à l’application de l’article 408, mais cette hypo
thèse est peu présumable. Aujourd’hui les franchises,
quant aux assureurs, sont nettement exprimées dans les
polices. Il n’existe pas de formule qui ne les énumère
avec le plus grand soin.
L’origine de cette stipulation est dans la nature même
des choses. Il est peu de marchandises qui puisse voya
ger plus ou moins longtemps sans éprouver une certaine
détérioration. Comme cette détérioration n’est pas le ré
sultat d'une fortune de mer, et qu’ils ne répondent
réellement que de celle-ci, les assureurs ont pu et dû
avec raison la répudier.
1
JLS'SS. — De là cette conséquence. Le taux de la
franchise varie naturellement suivant la nature des mar
chandises, et suivant qu’elles sont plus ou moins sus
ceptibles de se détériorer, c’est ainsi que le taux est sti
pulé au 3, au 5, au 10 et même au 15 0/0 de la valeur.
Ce taux représentant la détérioration que les effets as
surés doivent naturellement éprouver, les assureurs n’en
doivent tenir compte dans aucun cas. Pour que le doute
ne pût s’élever à cet égard, les assureurs, mettant à
profit les leçons de Pothier, ont le soin de stipuler dans
les polices qu’ils ne payeront que l’excédant des fran
chises.
Donc, entre l’assureur et l’assuré, la question de sa
voir si l’avarie dépasse ou non la quotité de la fran-
�ART. 408, 409.
215
chise offre un véritable intérêt, mais ce dernier n’est
jamais payé que de l’excédant, il répond seul jusqu’à
concurrence du taux convenu qui représente la détério
ration naturellement produite par la nature de la chose
assurée.
1989.
— Or, cette question est appréciée, non pas
relativement à l’état des objets avariés, mais sur l’en
tière cargaison, de manière que si, à côté de la partie
avariée, il en existe une autre en état sain, les assureurs
ne sont tenus que si la valeur de l’avarie excède le taux
de la franchise, eu égard à la valeur de toutes les par
ties réunies. Peu importe que le chargement comprenne
des marchandises de diverses natures, il suffit qu’il ait
été assuré pour une somme unique, pour que les assu
reurs soient autorisés à prélever leur franchise sur sa
valeur intégrale.
L’existence d’une police unique produit le même ef
fet, soit qu’elle ait été signée par des assureurs divers,
soit qu’elle intéresse plusieurs assurés. Dans ce dernier
cas, il y a entre ceux-ci, et relativement à l’assurance,
une sorte de société ne représentant pour les assureurs
qu’une seule et même personne. Supposez une police
sur chargement de 60,000 francs, appartenant pour
30.000 francs à Paul, pour 20,000 francs à Pierre, pour
10.000 francs à Jacques, quel que soit l’assuré atteint
par l’avarie, il n’aura action que si la quotité excède le
taux de la franchise sur 60,0QQ francs,
�216
DROIT MARITIME.
1 9 9 0 . — On. peut déroger à celte règle, et cette
dérogation résulte de l’assurance par séries soit d’espè
ces, soit de numétos. Là franchise s’applique dans ce
cas à chaque série spécialement, de manière que si l’une
d’elles éprouve une détérioration dépassant le taux con
venu, les assureurs sont tenus de payer l’excédant, alors
même que toutes les autres étant arrivées en état sain,
le taux de l’avarie serait, sur l’ensemble, inférieur à ce
lui de la franchise.
L’assurance par séries est en quelque sorte de droit,
lorsqu’il s’agit d’une cargaison composée de marchan
dises soumises à des franchises différentes. Le calcul est
alors le même, sauf l’application à chaque nature de
marchandises de la franchise spécialement convenue.
La quotité des franchises est entièrement laissée à la
libre volonté des parties, elles peuvent même, dans
l’hypothèse d’un chargement de diverses natures, stipu
ler un taux unique ou moyen, abaisser ou relever celui
que l’usage autorise, n’en stipuler aucune, et même dé
ro g er^ l’article 408. Cette matière étant uniquement
d’intérêt privé, la loi n’avait à intervenir que pour sup
pléer au silence qu’elles auraient gardé, ou que pour
sanctionner les accords régulièrement et volontairement
intervenus.
1991. — Cette liberté entière pour les assurés existe
également pour les assureurs, ils peuvent donc, s’ils le
jugent convenable, répudier toute responsabilité à l’en
droit des avaries, en stipulant une franchise entière et
�ART.
408, 409.
217
absolue. C’est même ce qu’ils sont dans l’usage de faire
pour certaines marchandises dont la nature est de s’al
térer ou de se détériorer trop facilement
La légalité de la clause franc d'avaries n’a jamais été
mise en doute à Marseille. De tout temps, au contraire,
l’usage l’y a autorisée, et cet usage et ses effets, admis
par l’amirauté, avaient été confirmés et consacrés par
le Parlement de Provence.
1 9 9 3 . — Il n’en était pas ainsi en Italie, Casaregis
nous apprend que si la clause excluso getto et avaria
s’était introduite à Gênes, ce n’était que pour faire ces
ser les procès qui s’élevaient journellement au sujet des
avaries essuyées par les petits bâtiments employés au
transport des effets commestibles, il ajoute tout aussi
tôt : Ista exceptio non extenditur ad nauta a capilaneo amissa ob non consignationem mercium projeclaru m , et ideo assecuratores tenentur eidern solvere
dicta n a u ta 2. Conformément à cette doctrine, la Rote
jugeait, le 29 mars 1695, que les assureurs étaient te
nus de contribuer aux avaries communes, malgré la
clause franc de jet et d’avaries.
1993. — Cette doctrine était formellement approu
vée par Yalin, qui trouvait la clause franc d’avaries na
turellement injuste et dangereuse. Aussi, après avoir
1 Art. 20 de la police de Marseille.
2 Disc., 47, n°* \ \ et 42 au sommaire.
V
�218
DROIT MARITIME.
mentionné les décisions contraires du Parlement de Pro»
vence, il ajoutait : il y a apparence que cette jurispru
dence ne sera pas adoptée ailleurs, ne fût-ce qu’à cause
qu’elle pourrait porter au crime, c’est-à-dire engager le
capitaine à ne pas s’embarrasser de retirer son navire
de l’échouement pour l’empêcher de faire naufrage dès
qu’il pourrait se sauver avec son équipage, et cela pour
ménager le recours de son armateur et le sien propre
contre les assureurs, recours qu’il perdrait en consé
quence de cette clause insidieuse, s’il n’avait que des
avaries à demander *.
1994.
— Comment se fait-il donc que les auteurs
du Code non seulement n’aient pas imité le silence que
les précédentes législations avaient gardé à ce sujet, mais
encore aient formellement inscrit dans la loi la faculté
de stipuler la clause franc d’avaries ?
C’est que cette clause ne mérite aucun des reproches
qu’on lui faisait ; elle n’est pas injuste, car l’assurance
n'étant en réalité qu’une garantie que l’assureur n’est
jamais contraint de donner, comment lui contester dès
lors la faculté de ne la consentir que dans les limites
qu’il juge utiles à son intérêt. Sans doute, les restric
tions qu’il oppose aggravent la position de l’assuré, mais
à son tour celui-ci est libre de ne pas les accepter et de
chercher chez d’autres ce que celui-ci lui refuse. En
conséquence, s’il consent, c’est que ce qu’on exige lui
i Art 47, tit.
/
des A tsu r.
�ART. 408, 409.
219
paraît juste à lui-même, et que d ’ailleurs la prime qu’il
paye se ressentira nécessairement des risques qu’on
laisse à sa charge.
Une convention librement consentie par toutes les
parties ne saurait être taxée d’injustice, maintenant fal
lait-il restreindre la liberté des contractants et la sacri
fier à la possibilité de l’abus signalé par Valin ? Evidem
ment non, qu’importe en effet que la fraude puisse
abuser de la clause franc d'avaries ? Si la loi défendait
tous les pactes dont la mauvaise foi peut abuser , elle
n’en autoriserait qu’un fort petit nombre.
D’ailleurs ce ne serait pas toujours impunément que
le capitaine aurait sacrifié son devoir à l’intérêt pécu
niaire de ses armateurs, au sien propre. On le jugerait
ordinairement non pas parce qu’il a fait, mais bien parce
qu’il lui aurait été possible de faire. La certitude que le
navire pouvait être relevé et sauvé non seulement af
franchirait les assureurs de toute obligation, mais aurait
pour le capitaine personnellement les conséquences les
plus fâcheuses, puisque, indépendamment des poursui
tes criminelles et leur résultat, elle lui ferait perdre sa
qualité elle-même.
Enfin, à côté de l’intérêt du moment, le capitaine en
a un autre permanent qui n’est pas moins précieux pour
lui, celui de sa réputation et de son avenir ; tout capi
taine, disait Emérigon, est présumé honnête, et ne s’at
tire la confiance publique que par une conduite sage,
ferme et intelligente ; lorsque, sacrifiant l’intérêt du
moment à ses devoirs, il ramène au travers des écueils
�220
DROIT MARITIME.
et des tempêtes, le navire à bon port, il se couvre de
gloire, et la bonne réputation dont il jouit devient pour
lui un patrimoine aussi solide que fructueux 1.
On pouvait donc ne pas trop se préoccuper de l’abus
que redoutait Valin, abus d’ailleurs que la justice ré
pressive aura à réprimer comme toutes les prévarica
tions que se permettrait un capitaine indélicat et im probe.
Notre législateur n’a pas hésité, il a autorisé la clause
franc d'avaries, par la même raison qui a fait admettre
pour les assureurs la faculté de limiter les risques dont
ils entendent se charger.
1995.
— L’effet de cette clause est tel que l’avaient
consacré l’usage et la jurisprudence du Parlement de
Provence, c’est-à-dire que les assureurs qui l’ont stipu
lée sont absolument à couvert de toutes avaries de quel
que nature qu’elles soient, des avaries communes com
me des particulières.
Cette règle ne souffrait qu’une seule exception, à sa
voir, si l’avarie constituant un sinistre majeur donnait
ouverture au délaissement. Cette exception a été conser
vée et devait l’être, elle ne pouvait naître que du carac
tère de l’événement ; celui-ci étant à la charge des as
sureurs, il importait peu que l’assuré procédât par voie
de délaissement, ou que, retenant les débris, il deman
dât seulement le règlement de la perte.
�ART. 408, 409.
221
Les assureurs tenus du plus ne pouvaient s’affranchir
du moins. Déjà nous avons dit que le délaissement ne
pouvait être forcé; l’article 409 n’est qu’un nouvel hom
mage rendu à ce principe, et ne fait que confirmer de
plus fort l’option laissée à l’assuré ; il peut donc, dans
tous les cas où la voie du délaissement lui est ouverte,
se borner à exiger le règlement de la perte, la clause
franc d’avaries ne saurait elle-même créer un obstacle
quelconque contre cette demande.
1996.
— Le caractère et les effets de la clause franc
d’avaries doivent en rendre l’admission difficile en l’ab
sence d’une stipulation expresse. Cette absence, à notre
avis, ne serait pas suppléée par la limitation des ris
ques que ferait la police, car garantir, par exemple, le
naufrage, ce n’est pas convenir l’affranchissement des
avaries qui, comme la perte totale ou presque totale,
sont une conséquence du naufrage lui-même. On ne
saurait donc, à défaut de stipulation précise, admettre la
franchise d’avaries que s’il était convenu que la respon
sabilité de l’assureur ne sera engagée que dans les cas
donnant lieu à délaissement.
�222
DROIT MARITIME.
TITRE XII
*
Du J e t e t d e la C o n trib u tio n
Article 410.
Si, par tempête ou par la chasse de l’ennemi, le ca
pitaine se croit obligé, pour le salut du navire, de jeter
en mer une partie de son chargement, de couper ses
mâts ou d’abandonner ses ancres, il prend l’avis des
intéressés au chargement qui se trouvent dans le vais
seau et des principaux de l’équipage.
S’il y a diversité d’avis, celui du capitaine et des prin
cipaux de l’équipage est suivi.
Article 411.
Les choses les moins nécessaires, les plus pesantes
et de moindre prix, sont jetées les premières, et ensuite
les marchandises du premier pont au choix du capitai
ne, et par l’avis des principaux de l’équipage.
�ART. 4.10, 411, 412, 413.
223
A rticle 412.
Le capitaine est tenu de rédiger par écrit la délibéra
tion, aussitôt qu’il en a les moyens.
La délibération exprime : les motifs qui ont détermi
né le jet ; les objets jetés ou endommagés.
Elle présente la signature des délibérants ou les mo
tifs de leur refus de signer.
Elle est transcrite sur le registre.
A rticle 413.
a
.
Au premier port où le navire abordera, le capitaine
est tenu, dans les vingt-quatre heures de son arrivée,
d’affirmer les faits contenus dans la délibération trans
crite sur le registre.
SOMMAIRE
1797.
Conditions pour que le jet tombe en avarie grosse. An
cienne législation.
1798. Texte et esprit du Code de commerce.
1799. Acception du mot tempête dans l’article 410.
1800. Obligation du capitaine de prendre l ’avis des principaux
de l’équipage. Ce qu'on doit entendre par ces termes.
1801' Motifs qui ont fait appeler les chargeurs à la délibéra
tion.
1802. En cas de dissentiment, l’avis de l ’équipage doit être
�224
DROIT
4803.
4804.
1805.
4806.
4807.
4808.
4809.
4810.
1814.
4812.
1813.
1814.
1815.
1816.
4817.
1818.
1819.
MARITIME.
suivi. Quid, en cas de dissentiment entre celui ci et le
capitaine ?
La délibération doit être rédigée par écrit sur le livre de
bord et signée par tous les délibérants. Elle doit expri
mer les causes du jet.
Motifs qui ont fait prescrire la mention des causes du re
fus de signer.
A quelle époque doivent se réaliser la rédaction et la sir
gnalure de la délibération.
Obligation du capitaine à son arrivée dans un port.
Caractère de ces précautions. Effet de leur inobserva
tion .
Exigence de la mention des objets jetés. Son caractère.
Les articles 410 et 44 2 ne s’appliquent pas à la navigation
au petit cabotage. Obligation du capitaine.
Caractère du jet irrégulier à l ’endroit des mêmes arti
cles.
Obligation du capitaine dans ce cas.
L'abandon des câbles ou ancres, le sacrifice d’un mât
ou de toute autre manœuvre est assimilé au jet. Consé
quences.
A qui appartient l’exécution du jet. Ordre à suivre.
Choses chargées sans connaissement ni déclaration.
Effets chargés sur tillac.
Ustensiles du vaisseau.
Canons dont le navire est armé,
Choses chargées sur le premier pont.
L’article 414 souffre exception dans le cas d’un jet irré
gulier.
1999. — Le jet, en tant que volontaire, présente
une des conditions constitutives de l’avarie grosse ; mais
il n’en acquiert réellement le caractère que si, dicté par
�ART.
410, 411, 412, 413.
223
la nécessité, il a eu pour objet de sauver le navire des
effets de la tempête ou de la poursuite de l’ennemi. Le
jet, en effet, n’est autorisé que lorsqu’il a lieu Removendi commmis periculi causa, disait le droit romain;
Periculi imminentis evitandi causa, répétait à son tour
le statut marseillais.
L’ordonnance de 1681 avait cru devoir préciser la
nature du danger que le jet devait avoir pour but de
conjurer. Laisser à l’arbitrage du capitaine et de l’équi
page les cas où le jet constituerait une avarie grosse
pouvait donner lieu à beaucoup de fraudes, ou faire naî
tre de nombreuses et graves difficultés. L’ordonnance
voulait donc que le jet se fût réalisé pour se soustraire
à la tempête ou pour éviter la prise par l’ennemi ou par
les corsaires.
•/
1 1 9 8 . — Ces considérations et leurs conséquences
prévalurent au sein de la commission, et plus tard au
au conseil d’Etat. L’article 410, révisé par la première,
fut consacré par le second et reproduisit la rédaction de
l’ordonnance.
Les termes de la loi sont d’ailleurs parfaitement élu
cidés par son esprit. L’avarie résultant du jet n ’est ava
rie grosse que lorsqu’elle a été volontairement soufferte
pour sauver le navire, et par conséquent la cargaison,
du péril où les précipite une de ces fortunes de mer qu’il
est impossible de prévoir et d’empêcher. Cette condition
n’est réellement acquise que dans l’une des deux hypo
thèses prévues par notre article. Supposez, en effet, que
v — 18
�226
DROIT
MARITIME.
le jet n’ait été rendu nécessaire que par la négligence,
l’impéritie ou la faute du capitaine, il ne s’agit plus que
d’urte baraterie de patron dont on pouvait prévoir les
effets. En conséquence, la perte que ce jet aura entraî
née ne sera plus qu’une avarie particulière, à la charge
de celui qui en est atteint, sauf son recours contre le
capitaine et l’armateur.
1 9 9 9 . — Ce qui résulte de cet esprit de la loi, c’est
que, dans l’article 410, l’expression tempête doit être
prise dans une acception plus large que celle qu’elle a
dans le langage ordinaire. Elle est ici synonyme du mot
perte. Quel que soit donc la nature et la cause du d an
ger, il suffit qu’il provienne d’un événement fortuit et
qu’il puisse entraîner le naufrage du navire pour que le
jet réunisse la condition requise, s’il est volontairement
exécuté pour conjurer le danger.
La nécessité d’un péril imminent, le désir de s’y sous*
traire sont donc les conditions essentielles pour que le
jet puisse être rangé en avaries communes. L’existence
de ces conditions, invoquée par le capitaine, peut être
contestée et méconnue par les ayants droit. C’est en vue
de cette faculté et pour en rendre l’exercice possible que
le législateur a prescrit les précautions édictées par les
articles 410, 412 et 413.
1 8 0 0 . — Le capitaine doit donc prendre l’avis des
principaux de l’équipage, c’est-à-dire non seulement
les officiers du bord, mais encore les matelots dontl’ex-
�ART. 410, 411, 412, 413.
227
périence pratique ne laisse pas que d’être utilement
consultée. Valin, interprétant les termes identiques de
l’ordonnance, pensait que les seules personnes exclues
de la délibération étaient les novices et les mousses.
1801.
— Les motifs légitimant cette exclusion sem
blaient, à fortiori, commander celle des chargeurs, s’ils
sont présents, ou du subrecargue par eux préposé.
Etrangers à la navigation, ceux-ci se trouveront le plus
souvent dans l’impossibilité d’apprécier sainement le
danger et l’opportunité des mesures que le salut com
mun peut exiger. Aussi, la proposition de les laisser en
dehors de la délibération fut-elle soumise au conseil
d’Etat.
Le respect dû au droit de propriété, la convenance de
ne pas disposer de la chose d’un tiers sans le consulter,
lorsqu’il est en position de l’être, la firent repousser. Il
est juste, observait-on, d’écouter du moins les intéres
sés ou leurs représentants.
1803.
- - On devait d’autant plus le consacrer ain
si, que le concours des intéressés ne saurait jamais créer
un obstacle sérieux à l’accomplissement d’une mesure
utile. Il suffit qu’elle soit telle aux yeux de l’équipage
pour qu’elle soit exécutée. C’est ce qui résulte de la dis
position voulant qu’en cas de dissentiment entre les
chargeurs et l’équipage, l’avis de celui-ci soit suivi.
Disposition éminemment rationnelle et juste. Comment,
en effet hésiter entre le dire de la science et de l’expé-
�228
DROIT
MARITIME.
rience, et celui de personnes, honorables sans doute,
mais étrangères à la matière sur laquelle il s’agit de
délibérer, et hors d’état, le plus souvent, d’apprécier les
exigences de la position dans laquelle se trouve le na
vire.
Les mêmes raisons n’existant plus en ce qui concerne
l’équipage, que devrait faire le capitaine si la majorité
ou l’unanimité de celui-ci se prononçait contre la me
sure? Pourrait-il l’exécuter si, la considérant comme in
dispensable, il croit utile de le faire ?
L’affirmative est enseignée par la doctrine. Le capi
taine est, par sa qualité, présumé le plus instruit, le
plus capable des faits que l’erreur ou l’ignorance de l’é
quipage laisserait s’accomplir. Il devait donc avoir la
faculté et le droit d’obéir, dans tous les cas, à ses pro
pres inspirations.
On comprend toutefois combien délicate serait la po
sition du capitaine, dans l’hypothèse que nous exami
nons. L’acte qu’il accomplirait contrairement à l’avis de
son équipage ferait peser sur lui une responsabilité dont
il ne pourrait répudier les effets qu’en justifiant qu’il
devait agir comme il l’a fait, cette conviction seule pou
vant lui attirer l’approbation de la justice.
1803. — La délibération autorisant le jet crée, à
l’endroit de son opportunité, une présomption qui ne
le cède qu’à la preuve contraire. Mais cette présomption
ne s’attache qu’à la délibération réunissant les condi
tions exigées par la loi. Le but de celle-ci est de cons-
�ART.
410, 411, 412, 413.
229
tâter non seulement le fait matériel auquel elle donnera
lieu, mais encore la justification des causes qui le dé
terminent.
De là la nécessité de la rédiger par écrit sur le livre
de bord ; d’y mentionner les motifs qui ont fait autori
ser le jet, cette dernière formalité est d’un intérêt très
saisissable. Ces motifs, en effet, doivent être péremptoi
res et établir l’opportunité de la mesure délibérée.
Enfin, la preuve du concours des chargeurs et de l’é
quipage ne saurait résulter que d’un fait personnel aux
uns et aux autres, et ce fait ne pouvait consister que
dans la signature individuelle de tous ceux qui ont pris
part à la délibération.
1804. — Or cette signature, on devait le prévoir,
sera refusée par ceux dont l’avis n’aura pas prévalu.
Son absence établira donc que le refusant a voté contre
la mesure. Toutefois, la loi ne se contente pas de cette
preuve muette, elle exige la mention de la cause du re
fus. Cette exigence a un double but : d’abord, celui
d’empêcher qu’on ne mentionne comme ayant été con
sultées des personnes qui, devant l’être, ne l’auraient
pas été ; ensuite, de fournir, par l’expression des motifs
contraires, un juste contrôle de ceux qui ont déterminé
la mesure.
1805. — Les raisons qui ont fait prescrire la ré
daction par écrit et la signature exigeaient que l’une et
l’autre se réalisassent immédiatement, pour empêcher
�250
DROIT
MARITIME.
qu’on ne justifiât après coup une mesure dont l’oppor
tunité ne serait pas démontrée au moment de la délibé
ration. Mais la matière avait des nécessités spéciales
qu’on ne pouvait ni méconnaître ni négliger. Le salut
commun est la loi suprême ; l’assurer est un devoir de
vant lequel tous les autres doivent céder. Voilà pour
quoi la loi n’oblige le capitaine à rédiger par écrit la
délibération que dès qu’il en a les moyens.
1806.
— Enfin, l’article 413 exige qu’au premier
port où le navire abordera le capitaine affirme les faits
contenus dans la délibération transcrite sur le registre.
Cette affirmation doit être faite dans les vingt-quatre
heures de l’arrivée. Elle est reçue par l’autorité prépo
sée pour entendre le rapport du capitaine, et dans la
même forme que ce rapport lui-même.
1809.
— Tel est l’ensemble des précautions que le
législateur a tracées pour protéger les chargeurs contre
la mauvaise foi et les fraudes du capitaine ; mais quel
ques impératives que soient ces dispositions, il est à re
marquer qu’aucune d’elles n’est accompagnée d’une
sanction pénale. Il ne pouvait en être autrement dans
notre matière, l’allégation du capitaine ne peut ni chan
ger ni modifier le caractère du fait. Il suffit donc que
le sacrifice ait été volontaire, arrêté et consommé pour
le salut commun, pour que l’avarie soit commune. La
négligence que le capitaine mettrait à remplir les devoirs
qui lui sont imposés ne pouvait dès lors faire perdre le
�ART. 410, 411, 412, 413.
231
droit acquis à celui qui doit recevoir une indemnité,
soit du navire, soit du restant de la cargaison.
La seule conséquence de cette négligence serait celleci : Les formalités de la loi étant remplies, le capitaine
ou le chargeur qui poursuit la contribution n’a rien à
prouver ; le sinistre et ses causes résultent suffisamment
des documents constatant cet accomplissement. Sa de
mande est donc fondée et doit être accueillie, à défaut
par ceux qui la contestent de produire la preuve con
traire.
Si les formalités n’ont pas été observées, la contribu
tion ne pourra être demandée et ne sera due que par la
preuve que celui qui la poursuit sera tenu de faire, et
du sinistre, et de son caractère réel, preuve qui pourra
résulter de tous documents ou déclarations jugées suffi
santes.
1 8 0 8 . — Indépendamment des indications qui pré
cèdent, l’article 412 veut que la délibération exprime
les objets jetés ou endommagés. Il ne faudrait pas, en
effet, qu’on plaçât au nombre des premiers des choses
qui, ne l’ayant pas été, seraient frauduleusement débar
quées par le capitaine, qui voudrait ainsi se les appro
prier. Contre ce danger, le remède consistait dans la
signature individuelle de ceux qui ont pris part à la dé
libération, les chargeurs compris. Pouvant apprécier au
moment même l’importance des objets jetés ou endom
magés, leur attestation est une suffisante garantie. Cela
�232
D R O IT
M A R ITIM E .
démontre mieux encore la nécessité et l’utilité de la si
gnature.
Ce qui résulte de l’obligation que nous rappelons,
c’est que son exécution est nécessairement postérieure au
jet lui-même. Ce ne sera, en effet, qu’après sa consom
mation qu’on connaîtra, d’une manière certaine, et les
objets jetés et ceux endommagés. Dès lors, l’intention du
législateur, de rendre la délibération préalable à l’opé
ration, ne saurait s’appliquer à la mention que l’article
41 %exige, et qui n’est possible qu’après.
‘>
1809. — Les articles 410 et 412 régissent incon
testablement la navigation au long cours et celle du grand
cabotage. Sont-ils également obligatoires pour le capi
taine consacré au petit cabotage ?
Après quelques hésitations, on s’est généralement
rangé à la négative. Dans cette dernière navigation, l’é
quipage se compose le plus souvent d’un ou de deux
matelots et de quelques mousses, tous illétrés. On ne
pouvait donc raisonnablement exiger du capitaine ou
maître qu’une seule chose, à savoir, qu’au premier port
où il abordera il fasse un rapport circonstancié des évé
nements de sa navigation, et ce rapport, affirmé par les
matelots, suppléera à toutes autres formalités *.
1810. — Le jet, accompli dans les formes que nous
venons d’examiner, s’appelle jet régulier ; mais ces for-
�ART.
410, 411, 412, 413.
233
malilés elles-mêmes ne sont pas toujours possibles à exé
cuter. L’éventualité qui préoccupait le législateur dans
l’article 418, à l’endroit de la rédaction de la délibéra
tion, peut se réaliser pour la délibération elle-même.
Pouvait-on, dans ce cas, en rendre responsable, soit le
capitaine, soit le chargeur, dont les marchandises ont
été sacrifiées pour le salut commun ?
Un pareil résultat eût été inique. Aussi, et dans l’in
tention d’en empêcher même la supposition, plusieurs
cours et tribunaux voulaient qu’en cas de jet, le capi
taine ne fût soumis qu’à en faire la déclaration dans les
vingt-quatre heures de son arrivée au premier port, et à
en faire affirmer les circonstances par la moitié au moins
de son équipage.
« La rapidité avec laquelle, disait le tribunal de com
merce de Paimpol, il est indispensable d’effectuer le jet
au moment de l’échouement, sur un rocher surtout ; la
promptitude avec laquelle un mât devra être coupé à
l’instant que le navire devient engagé par la force du
vent ou par un coup de mer ; le premier et seul mo
ment à saisir pour couper un câble, lorsque la rupture
d’un autre ou une soute de vent porte un vaisseau ac
culé près d ’un écueil ou sa perte va devenir inévitable ;
cent autres circonstances peuvent enlever au capitaine
la possibilité de sauver son navire, si, avant de pouvoir
commander la manœuvre dans laquelle seule il aperçoit
le salut commun, il est réduit à abandonner tout agis
sement pour, avec son équipage, se constituer en corps
délibérant. »
�234
D R O IT
M A RITIM E.
« Dans le désordre produit par une tempête, dans la
précipitation d’une mesure commandée par un péril
imminent, disait de son côté la cour de Caen , il sera
souvent impossible d’exécuter tout ce qu’exige la loi. Il
faut alors plutôt agir que délibérer et rédiger des procèsverbaux longs et détaillés. »
Le conseil d’Etat ne crut pas devoir sacrifier les ar
ticles 410 et 412, parce qu’il ne le crut pas nécessaire
au but qu’on se proposait. En législation maritime, les
préceptes sont toujours subordonnés aux chances et aux
circonstances de la navigation, ils cèdent nécessaire
ment aux impossibilités soulevées par les unes et les au
tres. La prescription dominante est celle d’assurer le
salut commun. Tout ce qui est fait dans ce but est légi
time : Omnis honesta ratio expediundœ salutis.
Aucune législation n’a jamais ni refusé de reconnaî
tre ce principe, ni reculé devant son application. C’est
ainsi que de tout temps, et à l’endroit du jet notam
ment, on a distingué le jet régulier et le jet irrégulier,
c’est-à-dire celui qui, commandé par une nécessité im
périeuse, se réalise dans un moment où, comme le dit
Emérigon, les formalités et les discours sont hors de sai
son. Mais, tout en les distinguant, on n’a jamais refusé
à celui-ci les effets attribués au premier. L’un et l’autre
étaient considérés comme avarie grosse, donnant lieu à
contribution. Tous deux, procédant de la volonté hu
maine, reconnaissant les mêmes causes, tendant au mê
me résultat, ils ne pouvaient qu’être placés sur une me
me ligne.
�ART.
410, 411, 412, 413.
235
C’est ce droit commun, en quelque sorte, auquel le
conseil d’Etat s'en référait, lorsqu’il refusait d’inscrire
dans la loi les conséquences des considérations si légi
times que nous transcrivions tout à l’heure.
— En réalité donc, les articles 410 et 412
né prévoient que les cas ordinaires dans lesquels on a le
temps et les moyens de se livrer à un jet régulier. L’im
minence du péril, la nécessité absolue d’une manœuvre
immédiate et instantanée dispensent de leur observation'.
Dans ce cas, ce que le capitaine doit faire, c’est, le pé
ril ayant disparu, de mentionner sur le livre de bord
l’extrémité dans laquelle il s’est trouvé et les sacrifices
qu’il a été obligé de faire ; c’est, au premier port où il
aborde, et dans les vingt-quatre heures de son arrivée,
de faire un rapport détaillé et circonstancié de l’événe
ment et de ses suites.
1811.
L’affirmation de ce rapport par l’équipage et au be
soin par les passagers est un témoignage non seulement
de la véracité du capitaine, mais encore une approbation
de sa conduite. Sa demande en contribution ne pour
rait être repoussée que par la preuve contraire des faits
consignés sur le livre de bord et dans le rapport.
1813.
— La loi considère comme un jet l’abandon
de câbles ou ancres, le sacrifice d’un mât ou de toute
autre manœuvre. Cette assimilation est d’une évidente
justesse, le résultat de l’un et de l’autre étant pour le
navire celui que le jet produit pour la cargaison. Il suf-
�230
D R O IT
M A R ITIM E.
fit donc que l’abandon ou le sacrifice ait été volontaire,
qu’il se soit accompli pour le salut commun, pour que
tous les intéressés contribuent au dommage qui en est
résulté.
1813. — L’exécution du jet régulièrement délibéré
appartient au capitaine exclusivement, les retards qui
naîtraient d’une discussion ou d’une contradiction pou
vant consommer inutilement un temps précieux et nuire
ainsi à l’intérêt commun.
Toutefois, on n’a pas entendu rendre ce droit pure
ment discrétionnaire, et l’article 411 détermine le mode
de son exercice : les choses les moins nécessaires, les
plus pesantes et de moindre prix son jetées les pre
mières.
Ainsi, ce qui doit surtout diriger le capitaine, c’est
l’intérêt de ceux qui sont appelés à contribuer. Il faut
que la perte soit aussi minime que le salut commun le
comportera, ce qui déterminera une quotité moindre a
la charge de chaque contribuable et profitera ainsi au
navire lui-même, puisqu’il est aussi un de ces contri
buables.
1814.
— Le but général de la loi appelait naturel
lement l’attention sur une hypothèse faisant à l’arme
ment un intérêt opposé à celui des chargeurs. Aux ter
mes de l’article 420, les marchandises chargées sans
connaissement et sans déclaration préalables, si elles sont
jetées, ne donnent pas lieu à contribution. Il semble,
�ART. 410, 411, 412, 413.
237
dès lors, qu’elles devraient être jetées de préférence à
toutes autres, puisqu’elles peuvent l’être sans préjudice
pour la cargaison régulière et pour le navire lui-même.
Mais si ce dernier gagne à cette mesure d’être affran
chi de la contribution, il y perd le fret que devraient ces
marchandises, et qui, suivant l’article 220, doit être
payé au taux le plus élevé. Or, il est fort possible que
ce fret, devant atteindre à une proportion plus élevée
que celle que le navire aura à supporter dans la con
tribution, le capitaine s’abstienne de les jeter pour assu
rer à l’armement le bénéfice de la différence.
Une pareille conduite s’écarterait des devoirs imposés
au capitaine à l’endroit de la cargaison. Représentant
des chargeurs, il est tenu de protéger leurs intérêts en
toutes circonstances, et il les aurait évidemment sacri
fiés dans l’hypothèse que nous supposons.
Aussi estimons-nous qu’à moins que le capitaine ne
prouvât que le jet de ces objets était impraticable, com
me si pour les atteindre il eût fallu détruire l’arrimage
entier du navire, ou si, déposés au fond de la cale, le
jet n’aurait pu s’en faire avec la promptitude exigée par
les circonstances, les chargeurs seraient fondés à récla
mer de lui l’indemnité du préjudice que le jet de mar
chandises créant le droit à la contribution leur aurait
occasionné. Cette indemnité consisterait pour chaque
chargeur dans la proportion dont il aurait été affranchi,
eu égard à la valeur des marchandises non déclarées,
si elles eussent été jetées.
�238
D R O ÎT
M A RITIM E.
1815. — Ainsi donc le capitaine, placé dans la n é
cessité d’un jet à la mer d’une partie de sa cargaison,
doit obéir exclusivement aux inspirations qui naissent
des conséquences du jet pour le restant de la cargaison;
il doit, autant que possible, s’efforcer de rendre la con
tribution moins onéreuse en jetant de préférence les cho
ses auxquelles il n’en est dû aucune. Ce principe con
duit à lui imposer le devoir de commencer le jet par les
marchandises chargées sur le tillac, alors même qu’ayant
opéré ce chargement sans le consentement du proprié
taire, celui-ci pourrait le poursuivre en dommages-in
térêts.
A défaut de marchandises chargées sur tillac et de
marchandises non déclarées, le jet s’opère dans l’ordre
indiqué par l’article 411.
1816. — Dans les choses de moindre prix se trou
vent compris les ustensiles du vaisseau, tout comme les
canons dont il peut être armé se classent au nombre des
plus pesantes, le jet doit donc les comprendre les uns et
les autres avant les marchandises proprement dites.
C’est, à l’endroit des premiers, ce qui était expressément
exigé par l’article 3 de l’ordonnance, titre du jet.
La commission n’ayant pas cru devoir rappeler cette
mention, son rétablissement était sollicité par le tribu
nal et le conseil de commerce de Marseille. Ce rétablis
sement, disaient-ils, paraît devoir être utile, rien, en
effet, ne peut mieux constater la nécessité du jet que le
parti pris par le capitaine et par l’équipage de jeter les
�ART. 410, 411, 412, 415.
259
ustensiles nécessaires à la préparation des aliments.
Le conseil d’Etat se contenta de reproduire le principe
consacré par l’article 411, sans parler des ustensiles du
vaisseau, car l’obligation de les jeter tout d’abord pou
vait avoir de graves inconvénients.
Sans doute le jet se propose surtout de remédier au
présent, mais il a également pour but l’avenir, puisque
la conservation du navire doit le mettre à même de con
tinuer et d’achever le voyage. Or la première et la plus
indispensable condition pour qu’il en soit ainsi, c’est
d’assurer à l’équipage les moyens de vivre, et de prépa
rer ses aliments.
L’obligation de jeter d'abord les ustensiles, comme
effets de moindre valeur, doit donc s’entendre sous la
réserve de ce qui est indispensable à l’équipage pour la
continuation du voyage. Cette réserve naturelle et légi
time a déterminé la disposition du Code, se contentant
de consacrer implicitement la nécessité du jet des us
tensiles. En faire une obligation absolue, c’était s’expo
ser à des difficultés sur la manière dont le capitaine
l’aurait exercée.
181
— Ce que nous disons des ustensiles s’ap
plique aux canons dont le navire peut être armé. Com
me choses plus pesantes, la loi les range dans la caté
gorie de celles devant être jetées les premières. Cette obli
gation, absolue en temps de paix, ne saurait exister en
temps de guerre. La rencontre probable de l’ennemi im
pose la nécessité de ménager les moyens de se défen-
�240
D R O IT
M A R ITIM E.
dre, et en conséquence de conserver les canons sans les
quels le navire deviendrait la proie assurée du premier
attaquant.
La crainte de ce résultat autoriserait donc le capitaine
à ne pas obéir à la lettre à l’article 411 ; il en serait de
même en temps de paix, si l’existence certaine de cor
saires dans les parages que le navire doit parcourir com
mandait contre eus les précautions que l’état de guerre
autorise contre l’ennemi.
En réalité, il devait en être de la règle tracée par l’ar
ticle 411, comme de toutes les prescriptions régissant la
matière maritime, son exécution est nécessairement su
bordonnée aux circonstances et à la position du navire.
Il suffit que le capitaine ait agi loyalement et de bonne
foi, qu’on ne puisse le soupçonner d’avoir obéi à un in
térêt personnel, ou à celui de l’armement, pour que ses
actes reçoivent la sanction de la justice et lient les char
geurs.
1 8 1 8 . — Après les choses les moins nécessaires, les
plus pesantes et de moindre prix, viennent les marchan
dises du premier pont. Cette prescription est la consé
quence de la facilité que ces marchandises offrent pour
l’exécution du jet. Placées les premières sous la main,
elles doivent être jetées avant celles sur lesquelles elles se
trouvent superposées et au jet desquelles elles seraient
un obstacle.
Le choix entre les diverses marchandises placées sur
le premier pont appartiennent au capitaine, qui doit ce-
�a r t
.
4-10,411, 412. 413.
241
pendant consulter l'équipage. La loi n’appelle plus com
me tout à l’heure les chargeurs à donner leur avis, il
était facile de prévoir que chacun d’eux aurait été d’avis
de conserver sa chose et de jeter celle du voisin, il était
donc prudent de couper court à tout cet embarras, à
toutes ces discussions, en laissant le soin de trancher la
question à ceux qui, n’ayant aucun intérêt à la cargai
son, sont présumés devoir se conduire uniquement sui
vant les nécessités du moment, et d’après les exigences
du salut commun.
181® . — Il en est de l’article 411 comme du précédeht, il ne dispose obligatoirement que dans l'hypo
thèse d’un jet régulier. Le jet irrégulier n’obéit à aucun
ordre, précisément parce qu’il n ’en comporte aucun.
L’événement imprévu et urgent qui le motive ne per
met ni réflexion, ni calcul. Ogn'un getto cio che li
vienne aile mani, disait Targa, che percio eincapace
di rigola. Or, c’est cette hypothèse qui se réalisera le
plus ordinairement, ainsi le même auteur déclare que,
pendant soixante ans qu’il a été magistrat du Consulat
de la mer à Gênes, il n’a vu que quatre ou cinq exem
ples de jet régulier, lesquels furent même suspectés de
fraude par cela seul que les formalités avaient été trop
bien observées.
v — 16
J
�242
D R O IT
M A R ITIM E .
A rticle 414.
L’état des pertes et dommages est fait dans le lieu du
déchargement du navire, à la diligence du capitaine et
par experts.
Les experts sont nommés par le tribunal de comV -
merce , si le déchargement se fait dans un port fran
çais.
Dans les lieux où il n’y a pas de tribunal de com
merce, les experts sont nommés par le juge de paix.
Ils sont nommés par le consul de France et, à son
défaut, par le magistrat du lieu , si la décharge se fait
dans un port étranger.
Les experts prêtent serment avant d’opérer.
A r t ic l e 415.
Les marchandises jetées sont estimées suivant le prix
courant du lieu du déchargement ; leur qualité est cons
tatée par la production des connaissements et de factu
res, s’il y en a.
SOMMAIRE
4820.
A pplication des règles tracées pour la contribution à tous
les cas d ’avarie grosse.
�ART.
414, 415.
243
1821.
Droit du capitaine de poursuivre le réglement. Nature de
ce droit. Son étendue,
1822. Contre qui l ’action doit être dirigée.
1823. Où doit être fait l ’état des pertes et des dommages.
1824. Exception que la règle de l’article 414 comporte.
1825. Quid, par rapport aux assureurs ?
1826. Les parties peuvent désigner amiablement les experts.
1827. A défaut, quelle est l’autorité chargée de leur désigna
tion.
1828. Droit pour le capitaine étranger, débarquant dans un port
français, de faire nommer les experts par le consul de
sa nation.
1829. Nature de ce droit. Le capitaine renonçant à s’en préva
loir, son exercice ne pourrait être réclamé par l ’inté
ressé français.
1830. Il ne pourrait l’être même par l ’étranger appartenant à la
même nation que le capitaine.
1831. Arrêt conforme de la Cour de cassation.
1832. Obligation des experts de prêter serment avant d’exécu
ter leur misssion. Comment ils doivent procéder à l ’es
timation des dommages essuyés par le navire.
1833. Les marchandises jetées on endommagées sont estimées
au prix courant du lieu de décharge. Comment établiton la qualité des premières.
1834. Les experts doivent tenir compte de l’avarie particulière
que les marchandises auraient souffert avant le jet.
Conséquences.
1835. Autres objets dont la perte donne lieu à contribution. Doi
vent être estimés.
1 8 3 0 . — L’avarie commune, quelle qu’en soit la
cause, qu’elle provienne d’un jet ou de tout autre sacri
fice volontairement fait pour le salut commun, doit se
�244
DROIT MARITIME,
répartir proportionnellement entre tous les intéressés au
navire et à la cargaison. Ce principe, proclamé par les
articles 400 et suivants du Code de commerce, donne
nécessairement lieu à un règlement pour arriver à une
répartition équitable. Nulle part cependant la loi ne s’est
expliquée sur le mode de ce règlement, sur le moment
où il peut être provoqué, par qui il peut et doit l’être,
et devant quelle autorité la poursuite doit être inten
tée. Sur tous ces points la loi n’a édicté d’autres règles
que celles que nous trouvons dans le titre 12, en cas
de jet, d’où on a très rationnellement conclu qu’en s’oc
cupant de l’espèce, le législateur a entendu décider pour
le genre lui-même, et que ses prescriptions à l’endroit
du jet s’appliquent naturellement à toutes les avaries
communes.
1 8 8 1 . — La perte en résultant devant se répartir
dans les proportions indiquées, on ne peut atteindre ce
résultat que par un règlement dont la provocation cons
titue le premier acte de la procédure à suivre. La loi en
laisse l’initiative au capitaine, dans le cas où l’armateur,
n’étant ni présent, ni représenté sur les lieux, n’a pris
et n’a pu prendre aucune mesure à cet égard.
Le droit du capitaine n’est pas borné à l’hypothèse
d’un préjudice souffert par le navire pour le salut com
mun, il lui appartient de provoquer le règlement, alors
même que l’avarie commune n’a atteint que la cargai
son. Relativement à ce règlement, en effet, le capitaine,
en sa qualité de consignataire de la cargaison représente
�tous les chargeurs, il peut donc agir non seulement dans
l’intérêt de celui qui a été victime de l’avarie commurte,
mais encore comme leur mandataire à tous. C’est ainsi
que la Cour de cassation jugeait, le 17 novembre 1817,
que l’affréteur n ’est pas fondé à prétendre qu’il n’est
pas lié par le règlement d’avaries, par le motif qu’il a
été fait sans sa participation.
La faculté concédée au capitaine prenant son origine
dans sa qualité de mandataire, soit des armateurs, soit
des chargeur^, ne pourrait évidemment être refusée aux
mandants, il est donc libre à l’armateur ou à celui des
chargeurs qui voudrait agir personnellement de provo
quer lui-même le règlement de l’avarie grosse.
1 8 3 3 . — Par suite de la qualité du capitaine, il est
certain que l’action dirigée par un des chargeurs serait
utilement intentée contre lui seul, et que le règlement
dont cette action serait régulièrement suivie serait obli
gatoire pour tous, armateurs ou chargeurs indifférem
ment.
Mais le capitaine prenant l’initiative des poursuites ne
pourrait évidemment être son propre contradicteur, il
faut donc qu’il en appelle d’autres, et comme, ainsi que
nous allons le dire, le règlement ne peut avoir lieu
qu’au port de destination, ces contradicteurs ne peuvent
>être que les consignataires de la cargaison.
Néanmoins leur nombre peut être tel, que leur mise
en cause occasionnerait des frais ruineux. Aussi de tout
temps on les a considérés comme ne formant qu’une
�246
DROIT MARITIME.
masse qui est légalement représentée par les deux prin
cipaux d’entre eux. On peut donc se borner à actionner
ceux-ci, auxquels les pièces justificatives sont valable
ment signifiées1.
1823. — La première opération pour arriver au
règlement de l’avarie grosse était évidemment la dé
termination de son importance. Donc, il convenait,
avant tout, de dresser un état des pertes et dommages
qu’elle a entraînés ou occasionnés.
Cet état doit être arrêté au lieu du déchargement,
c’est-à-dire au port de la destination ; il n ’y a, en effet,
que les marchandises qui y arrivent matériellement qui
soient soumises à la contribution. Le naufrage qui les
ferait périr dans la continuation du voyage et avant son
achèvement ne laisserait leur propriétaire tenu de l’ava
rie commune que sur le produit du sauvetage3.
Or, tant que ce naufrage est possible, il n’y a en réa
lité ni créancier, ni débiteur des effets de l’avarie com
mune. On a donc jugé avec raisoh, et dû juger que si
le sinistre constituant celle-ci se réalise au port du dé
part, il n’en faudrait pas moins attendre l’arrivée du
navire au port de décharge, pour procéder au règlement;
en effet, enseigne M. Pardessus, s’il se faisait plus tôt, il
pourrait arriver ultérieurement tel sinisire majeur ou
mineur qui l’annulerait, en modifierait les bases ou en
1 Emérigon, chap 12, sect. 43, § 4.
? V. i n f r a , art. 424.
�ART.
414, 418.
247
nécessiterait un nouveau ; et puis, comme les marchan
dises et le navire lui-même doivent être estimés au lieu
de la décharge, il faut qu’ils y soient arrivés pour qu’on
puisse exécuter cette volonté de la loi ’.
1884.
— La seule exception que comporte le prin
cipe que le règlement doit être fait au lieu du déchar
gement, est celle qui résulterait de l’impossibilité d’éta
blir dans ce lieu les bases de ce règlement. La Cour de
cassation a admis cette impossibilité lorsque le capitaine
n’a pu conduire son navire jusqu’au lieu de sa destina
tion ; que les marchandises y ont été amenées par un
autre navire, et qu’on n’a pu se procurer dans ce lieu
les pièces justificatives de l’avarie ; dans ce cas, l’ac
tion en règlement peut être portée devant le juge du lieu
du départ2.
Elle devrait l’être devant le juge du port intermé
diaire dans lequel il aurait été nécessaire de décharger
et dans lequel se serait terminé le voyage par l’impos
sibilité de se procurer un autre navire pour transporter
la cargaison à sa destination3.
Enfin la cour de Bordeaux décidait, le 14 avril 1829,
que si par suite de difficultés élevées au lieu du dé
chargement, et qui sont le résultat imprévu de la des
tination du navire et des marchandises, il a été impos-
1 N° 746.
2 13 août 1840; J . d u P . , 1, 1841, 101.
3 Pardessus, n° 746.
�248
DROIT MARITIME.
sible d’établir dans ce lieu les bases d’un règlement d’a
varies juste et légitime, l’armateur peut, sur la deman
de dirigée contre lui en payement de la marchandise
perdue pour le salut commun, conclure par voie d’ex
ception à un règlement d’avaries, et cette demande ainsi
formée régulièrement et reconventionnellement, est de
la compétence du tribunal de commerce devant lequel
est portée l’action en payement de la marchandise1.
Mais, en dehors de ces exceptions, l’obligation de faire
constater la perte dans les formes prescrites par l’arti
cle 414, est impérieuse, et son inobservation rendrait le
capitaine et par suite l’armateur responsable de toutes
les marchandises non arrivées à destination.
La cour d'Aix le décidait ainsi dans l’espèce sui
vante :
Le 6 janvier 1857, le sieur Viton chargeait à Mar
seille sur le vapeur la Normandie, capitaine Lapierre,
100 balles de farine à destination de Barcelone. Ces 100
balles, placées sur lillac furent, pendant la traversée,
jetées à la mer après délibération et pour le salut com
mun. Mais à son arrivée à Barcelone, le capitaine ne
fit aucune démarche et omit de faire dresser l’état des
pertes.
Le sieur Viton actionne alors le capitaine et ses ar
mateurs en paiement des 100 balles de farine. Mais sa
demande est repoussée par jugement du tribunal de
commerce de Marseille du 7 mai 1857. Le tribunal con-
�ART.
414, 418.
249
sidère qu’aux termes de l’article 229, dans la navigation
au petit cabotage, le capitaine ne répond pas de la perte
des marchandises placées sur tillac ; que la marchan
dise étant adressée en Espagne, Viton devait savoir que
la loi espagnole ne permettait ce chargement dans au
cun cas ; qu’il a donc commis une faute en ne le pro
hibant pas au capitaine l.
Mais sur l’appel, et le 22 décembre 1858, arrêt de
la cour d’Âix qui infirme et condamne solidairement
le capitaine et les armateurs au paiement demandé.
La Cour rappelle et constate d’abord les obligations
que l’article 414 impose au capitaine. Examinant en
suite les objections des intimés elle déclare que l’excep
tion tirée de ce que le capitaine n’avait pas d’action
pour faire régler la contribution au lieu du décharge
ment, parce que la loi espagnole prohibe tout charge
ment sur le tillac ne saurait être admise : 1° parce que
tout, dans l’expédition, était Français, navire, pavillon,
capitaine, armateur, chargeurs, lieu de chargement ;
qu’en ces circonstances, c’était par le consul Français
à Barcelone et par application de la loi française que
l’avarie devait être réglée ; que si, lorsque les marchan
dises chargées sur le même navire sont adressées à di
vers consignataires de nations différentes, chacun d’eux
pouvait invoquer la compétence du consul et la législa
tion de son pays, le règlement d’avaries deviendrait im
possible ; 2° parce que l’article 665 du Code de comi Journal de Marseille, 1857, 1, 147.
�2S0
DROIT MARITIME.
merce Espagnol, dont excipe le capitaine, n ’est que la
reproduction de l’article 12, titre 1", livre 2 de l’or
donnance de marine et de l’article 421 du Code de com
merce, lesquels ne s’appliquent qu’à la grande naviga
tion ; qu’en effet, sous l’empire de l’ordonnance de
1681, l’usage constant, tant dans les ports de la Médi
terranée que dans ceux de l’Océan, d'érogeait, pour le
petit cabotage, à la prohibition de charger sur le tillac,
ainsi que l’attestent Valin et Emérigon et plusieurs de
nos auteurs modernes ; que la loi espagnole, ne conte
nant aucune disposition pour le petit cabotage, est cen
sée s’en référer aux usages communs ; que d’ailleurs le
capitaine n’avait pas le droit de décider sur ces ques
tions et de condamner les chargeurs à perdre leurs mar
chandises, et qu’il devait, au contraire, recourir à jus
tice ; 3° parce que la prohibition générale de charger
sur le tillac reçoit exception, même d’après le Code es
pagnol, quand il y a consentement de la part de tous
les intéressés à là navigation ; or, le chargement a eu
lieu à Marseille, résidence du capitaine, de l’armateur
et de tous les chargeurs, sans opposition, sans protes
tation de la part d’aucun d’eux ; donc, chacun d’eux
s’est expressément, ou tacitement au moins, soumis
aux dispositions du § final de l’article 229 du Code de
commerce, et par suite aux conséquences que pourrait
entraîner le jet des marchandises chargées sür le tillac ;
que, par rapport au chargement, le principe locus régit
actum doit recevoir son application ; qu’il résulte du
livre de bord que le capitaine n’a séjourné à Barcelone
�art.
414, 415.
251
que vingt-quatre heures et qu’il a repris incontinent la
mer ; que dès lors le consignataire à Barcelone des mar
chandises chargées par Viton, n’a eu le temps ni de
mettre le capitaine en demeure d’exercer l’action en rè
glement d’avaries, ni d’agir en justice contre lui ; que
Viton conserve donc l’intégrité de son droit à l’encontre
du capitaine ; qu’il ne serait pas juste, en effet, qu’en
chargeant sur le tillac, comme il en avait le droit, sans
opposition aucune, Viton perdit le prix de sa marchan
dise sacrifiée pour le salut commun, et qu’il pût être
déclaré non recevable contre l’armateur et les chargeurs
par application de l’article 421 du Code de commerce
et non recevable contre le capitaine par application de
l’article 229.
Nous devions transcrire ces motifs parce que au point
de vue doctrinal, et indépendamment des faits particu
liers de l’espèce, ils justifient la conséquence à laquelle
ils conduisent. Nous l’avons déjà dit, dans le petit ca
botage le chargement sur tillac est à peu près inévitable.
On ne comprendrait pas qu’on pût et dût dans les nom
breuses échelles que le navire doit faire perdre un temps
précieux à défaire et à refaire l’arrimage du navire, car
les marchandises destinées au port le plus éloigné peu
vent n’arriver et n’être reçues à bord du navire qu’au
dernier moment, et alors que toutes les autres sont déjà
arrimées, soit dans la cale, soit dans les autres parties
du navire destinées au chargement. N’est-il donc pas
naturel que le capitaine conserve sous sa main celles
�252
DROIT MARITIME.
qu’il doit décharger dans les ports qu’il touchera les
premiers ?
Or, cela ne pouvant être ignoré de personne, la cour
d’Aix en déduit avec raison cette double conséquence, à
savoir que celui qui consent à ce que sa marchandise
soit chargée sur tillac use d’un droit ; que tous ceux
qui traitent avec un petit caboteur acceptent, au moins
tacitement, les conséquences que ce droit peut entraîner.
Dès lors le capitaine qui n’a pas fait les diligences que
lui prescrit l’article 414, engage sa responsabilité et par
suite celle de son armateur.
Aussi la Cour de cassation, saisie du pourvoi contre
l’arrêt d’Aix, le rejette-t-elle le 14 novembre 1859. Au
reproche fait à la cour d’Aix d’avoir violé les articles
229, 421, 216 et 221, et faussement appliqué les arti
cles 414 et 416 du Code de commerce, la cour suprê
me répond :
« Attendu que le moyen doit être apprécié dans l’état
des faits présentés par les parties et admis par les juges
du fond, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si le
voyage entrepris par le vapeur la Normandie constituait
un voyage de long cours ou de petit cabotage ;
«’ Attendu qu’aux termes de l’article 414 du Code de
commerce, le capitaine qui veut dégager sa responsa
bilité personnelle et celle de son armateur à l’égard des
propriétaires des marchandises jetées à la mer, doit faire
constater l’état des pertes dans le lieu du déchargement;
que si ce déchargement s’opère dans un port étranger,
les experts chargés d’apprécier l’état des pertes doivent
�art .
414, 415.
285
être nommés par le consul de France ; que peu im
porte que Barcelone, port du déchargement des balles
de farine jetées à la mer, fût un port étranger ; que
c’est en effet pour cette hypothèse que statue l’article
414 du Code de commerce, 4mo alinéa ; attendu qu’il
ne servirait de rien d’établir que le destinataire de la
marchandise était étranger ; que, quelle que fût la loi
qui dût en définitive régler le sort de la contestation,
c’était un devoir impérieux pour le capitaine de faire
constater dans les formes légales l’état des pertes arri
vées à la marchandise chargée à son bord ; que, pour
ne l’avoir pas fait, le capitaine, et avec lui ses arm a
teurs, sont devenus responsables des balles de farine je
tées à la mer pendant le voyage entrepris par le navire
la Normandie et qui n’ont pas été représentées au des
tinataire l .
— L’attribution de juridiction résultant de
l’article 414 s’étend à la répartition de l’avarie et con
cerne toutes les parties intéressées à l’avarie, quel que
soit d’ailleurs leur domicile. Les assureurs eux-mêmes ne
pourraient s’y soustraire dans le cas où ils seraient ap
pelés à assister au règlement poursuivi entre l’armateur
et chargeurs9.
Mais il en serait autrement si le chargeur, réalisant
la faculté que la loi lui accorde, s’adressait directement
1885.
1 J . d u P ., 1860, 43.
2 Cass.. 6 novembre 4817.
.
�254
DROIT
MARITIME.
à son assureur pour le payement de l’avarie ou de la
perte de ses marchandises, soit en remboursement de la
contribution qu’il a payée dans l’avarie commune.
Toute action, née de la police d’assurance est pure per
sonnelle. Elle doit donc être portée devant le tribunal
du domicile du défendeur, aussi la jurisprudence estelle unanime. L’assureur ne peut être, dans aucun cas,
distrait des juges de son domicile, lorsqu’il s’agit de le
faire condamner au payement de l’assurance 1.
1 8 2 6 . — La procédure ordonnée par l’article 414
n’est obligatoire que faute par les parties de s’être en
tendues amiablement. Le recours à la justice n’est ja
mais une nécessité pour les intéressés majeurs et capa
bles. L’article 414 ne le prescrit que dans l’hypothèse
où il serait impossible, par le nombre et l’éloignement
des parties, qu’elles s’entendissent entre elles.
En conséquence, les experts chargés de procéder à la
déterminafion des pertes et dommages peuvent être
choisis par les parties. La désignation faite d’un com
mun accord confèreraît tous pouvoirs à ceux qui en
seraient l’objet.
1 8 2 * . — À défaut, cette désignation est faite con
formément à l’article 414. Si le déchargement s’opère
dans un port français, le choix des experts appartient
1 Aix, 21 ju ille t 1 8 2 6 ; 9 février 1829 ; Cass., 16 février 1 8 4 1 ;
�art.
441, 418.
255
au tribunal de commerce, s’il en existe un dans la loca
lité ; en cas contraire, au juge de paix.
Si le déchargement s’opère à l’étranger, le capitaine
français doit s’adresser au consul de France pour la
désignation des experts. S’il n’existe dans le pays ni
consul, ni agent de notre nation, cette désignation doit
être demandée au magistrat du lieu qui a seul le droit
de la faire.
— Ainsi, le bénéfice de notre législation est
acquis à nos capitaines dans quelque lieu qu’ils se trou
vent, et ce bénéfice, l’étranger lui-même intéressé au
navire ou à la cargaison ne saurait le contester. Un pa
reil effet ne peut être que le résultat d’une convention
internationale, formelle ou présumée, mais qui, dans
tous les cas, commandait une juste, une légitime réci
procité. La nation qui sacrifie sa législation à la notre
est en droit d’exiger que, dans les mêmes circonstances,
cette dernière le cède à la sienne propre.
De la cette conséquence que le capitaine étranger est
recevable en France à demander au consul de sa na
tion la désignation des experts chargés de régler l’avarie
commune soufferte pendant le voyage.
Cette désignation et le règlement opéré par ces experts
seraient obligatoires pour les intéressés français eux-mê
mes. C’est ce que la cour d’Aix n’hésitait pas à admet
tre à l’endroit des assureurs français '.
1838.
1 2 mai 1828.
�256
DROIT
MARITIME.
— Le droit pour le capitaine étranger d’in
vestir le consul de sa nation est un privilège auquel il
lui est loisible de renoncer. Ainsi, le chargeur français
qu’il assignerait en nomination d’experts devant le tri
bunal de commerce de la localité ne serait ni recevable,
ni fondé à décliner la juridiction de ce tribunal.
1889.
1830. — En serait-il de même du chargeur étran
ger appartenant à la même nation que le capitaine, et
soumis par conséquent à la même législation ? Ou bien
pourrait-il, déclinant la compétence de l’autorité fran
çaise, demander que la procédure fût déférée au consul
de sa nation? En droit commun, ces questions ne
souffriraient aucune difficulté. Les tribunaux français
sont incompétents pour connaître des litiges entre étran
gers à raison d’engagements contractés à l’étranger.
L’exception soulevée par une des parties devrait donc
être accueillie.
Mais ce principe reçoit exception pour les matières de
commerce en général, surtout lorsque, par sa nature,
l’engagement ne peut recevoir son exécution qu’en Fran
ce. Dès lors, celui qui l’a contracté est présumé avoir
fait élection de domicile, à l’effet de cette exécution, dans
le lieu même où elle doit se réaliser.
Ce caractère de l’engagement ne saurait être méconnu
lorsqu’il s’agit du règlement d’une avarie commune,
quelle que soit la nationalité de celui qui expédie des
marchandises en France et du navire qui les transporte.
Chacun sait que les avaries communes ne seront et ne
�peuvent être réglées qu’au port d’arrivée. On est, par
cela même, présumé accepter toutes les conséquences
de cet état des choses, et notamment l’intervention de
la justice française, le cas échéant.
A ce point de vue général s’en joint un autre spécial
à la matière et non moins péremptoire. Le défendeur à
l’action en règlement d’avaries est, comme nous venons
de le dire, le consignataire, et celui-ci agit en cette qua
lité personnellement et en son nom, comme tout com
missionnaire commercial.
La personne du chargeur et sa nationalité importent
dès lors fort peu, car, précisément à cause de sa qualité,
il aura fait choix d’un consignataire au lieu du déchar
gement. Or, si ce consignataire est Français, on ne
saurait prévoir qu’il prétende se soustraire à la jus
tice du pays, ni moins encore l’autoriser à le faire.
Si ce consignataire est étranger, mais établi depuis
plus ou moins longtemps en France et y exerçant le com
merce, fût-ce uniquement celui de la consignation, cet
exercice lui a légalement conféré domicile et l’a soumis
dès lors à la juridiction des tribunaux français. Il est,
en effet, universellement admis que l’autorisation exi
gée par l’article 13 du Code civil peut être suppléée par
le domicile de fait résultant toujours de l’établissement
commercial et de l’exploitation d’une industrie.
1 8 3 1 . — Dans une espèce soumise à la Cour, un
capitaine américain, commandant le navire le Liverpool,
avait fait citer les consignataires de la cargaison, les
v — 47
�288
DROIT
MARITIME.
sieurs Hugues et Fetty Place , en règlement d’avaries
communes devant le tribunal de commerce de Marseille.
Américains l’un et l’autre, les consignataires décli
nent la compétence de ce tribunal et demandent leur
renvoi devant le consul de leur nation. Cette exception,
ayant été repoussée par le tribunal, le fut également par
la cour d’Aix, sur les motifs : que les sieurs Hugues et
Fetty Place, ayant un établissement commercial à Mar
seille, y ont acquis un domicile légal, et qu’ils peuvent
d’autant moins décliner la justice française que dans
d’autres circonstances ils en ont invoqué l’autorité com
me demandeurs ; à l’exception tirée de ce que les con
signataires ne sont que les mandataires de chargeurs
américains, qui ne réunissent aucune de ces conditions,
la Cour répond qu’ils ont été cités personnellement sans
réclamations, et qu’ils sont les parties directes du capi
taine, en leur qualité de consignataires de la marchan
dise.
Un arrêt de la Cour de cassation, du 26 avril 1832,
rejeta le pourvoi dont cet arrêt avait été l’objet, « At
tendu, dit la Cour suprême, que si, pour jouir en France
de tous les droits civils, l’étranger doit être autorisé à y
établir son domicile, cette autorisation n’est cependant
pas indispensable pour que, notamment en matière de
commerce, l’étranger puisse, même vis-à-vis d’un au
tre étranger, être déclaré dans certaines circonstances
justiciable des tribunaux français ; qu’il peut l’être en
effet s’il a en France un domicile de fait ; s’il y a un
établissement commercial ; si, dans d’autres affaires de
�Afif. 414, 415.
259
même nature, il s’est soumis lui-même à la juridiction
commerciale française ; si surtout, et par la nature de
l’engagement commercial, et par ses résultats, et par les
droits respectifs des parties, celles-ci, à quelque nation
qu’elles appartiennent, sont censées avoir élu, à l’égard
du même engagement, leur domicile en France, où il
doit être consommé. »
Il serait donc bien difficile de résoudre notre question
affirmativement, puisque, indépendamment de la posi
tion du consignataire, de sa qualité de Français ou d’é
tranger exerçant le commerce en France, le chargeur est
présumé et doit être présumé avoir élu domicile au lieu
de la décharge, et par conséquent accepté la juridiction
française.
O
1833. — Les experts, amiablement choisis ou ju
diciairement nommés dans les formes que nous venons
d’exposer, prêtent serment, avant d’agir, devant le ma
gistrat délégué à cet effet. Leur mission consiste tout
d’abord à arrêter le montant de la perte ou des dom
mages occasionnés par l’avarie commune, soit au na
vire, soit à la cargaison. Ils estiment donc la valeur des
choses jetées et le montant du préjudice que le jet a
causé.
Les choses sacrifiées ou volontairement abandonnées
par l’armement ne doivent pas toujours tomber pour
leur entière valeur en avaries grosses. Ainsi que nous
l’avons dit, les mâts peuvent avoir été entamés, les voi
les déchirées par l’effet seul de la tempête, et avant leur
�260
DROIT
MARITIME.
sacrifice. Or, tout le préjudice existant avant celui-ci,
ne constitue qu’une avarie particulière non susceptible
de contribution.
Dans cette hypothèse donc, les experts doivent faire
la part de celle-ci. Ils ne doivent porter en avarie grosse
que la partie des réparations et des frais de remplace
ment relative au préjudice volontaire. Que si les dépen
ses nécessitées par les diverses avaries se trouvent telle
ment confondues qu’il soit impossible de les distinguer,
ils doivent arbitrer en hommes consciencieux la somme
à appliquer aux unes et aux autres.
Ainsi encore, dans l’application de la valeur des câ
bles, voiles, cordages, mâts manœuvres sacrifiés pour le
salut commun, les experts prendront en considération
l’état dans lequel chacun de ces objets se trouvait au
moment de l’abandon volontaire ; ils ne porteront en
avarie grosse que ce qu’ils pouvaient valoir en cet état.
Enfin, le remplacement des manœuvres, agrès ou
apparaux du navire substituant un objet neuf à un vieux,
les experts devront tenir compte de la différence dont
profite l’armement; la quotité doit en être calculée sui
vant que l’objet à remplacer était plus ou moins usé.
1 8 3 3 . — Relativement aux marchandises perdues
ou avariées, l’article 415 trace une règle uniforme : el
les sont estimées suivant les prix courants du lieu de
débarquement. Les effets jetés sont présumés être arri
vés à leur destination. La perte est donc réellement de
la valeur à laquelle ils y auraient été vendus.
�Cette valeur variant nécessairement suivant la qualité
des marchandises jetées, celle-ci devient un élément es
sentiel de leur estimation. Or, comment la déterminer si,
perdue en totalité, la cargaison ne peut être mise sous
les yeux des experts ? Restent les connaissements et les
factures, auxquels l’article 415 prescrit de recourir. Ob
servons, à cet égard, que ce recours a pour objet uni
que la constatation de la qualité. Quant au prix porté,
soit sur le connaissement, soit sur les factures, il reste
complètement indifférent, puisque c’est d’après le prix
courant au lieu du déchargement que la valeur doit être
arrêtée.
Observons encore que, dans le cas de contradiction
entre les connaissements et les factures sur la qualité de
marchandises, les experts doivent se diriger d’après la
règle prescrite par l’article 418.
Si la marchandise n’a été qu’avariée, sa qualité sera
facilement constatée. Son estimation pourra donc se faire
utilement, sauf encore l’application de l’article 418, si
la qualité avait été déguisée dans le connaissement. Dans
ce cas, l’avarie grosse comprend la différence entre la
valeur que la marchandise de la qualité déclarée eût
produite en état sain, et celle à laquelle l’avarie l’a ré
duite. Ainsi, en état sain, au lieu du déchargement, la
marchandise aurait représenté 20,000 fr.; avariée, elle
n’en vaut plus que 12,000. La perte tombant en avarie
commune sera de 8,000 fr.
1834:. — Il en est de la cargaison comme du n a-
�262
DROIT
MARITIME.
vire lui-même. Ce dont les propriétaires doivent être in
demnisés , c’est du préjudice réellement occasionné par
l’avarie commune, et ce préjudice ne peut être que la
perte éprouvée relativement à l’état des effets jetés au
moment où ils l’ont été.
De là cette conséquence que si, avant le jet, les mar
chandises avaient subi une détérioration par une de ces
fortunes de mer si fréquentes dans la navigation, les ex
perts devraient faire la part de cette avarie particulière,
et ne ranger dans l’avarie grosse que la différence de
valeur relativement aux détériorations précédemment
souffertes.
Exemple : Les marchandises jetées auraient valu, en
état sain, 20,000 fr. au lieu d’arrivée ; m ais, avant
d’être jetées, elles ont souffert une avarie, en l’état de
laquelle, si elles étaient parvenues à leur destination,
elles n ’auraient représenté que 12,000 fr. La perte à ad
mettre en répartition, qui aurait été de 20,000 fr. dans
le premier cas, ne sera, dans le second, que de 12,000
fr. La maintenir au chiffre de 20,000 fr., serait nonseulement indemniser le chargeur des conséquences de
l’avarie grosse, mais encore lui rendre cette avarie très
avantageuse, puisqu’elle le relèverait des effets de l’a
varie particulière, ce qu’il n’était pas possible d’ad
mettre.
Sans doute, il sera souvent difficile de préciser jus
qu’à quel point cette dernière avait déprécié les m ar
chandises qui en avaient été atteintes ; c’est à la cons
cience des experts à faire la juste part de chaque sinistre.
�La qualité et l’espèce des marchandises, la nature de
l’accident ayant donné lieu à l’avarie particulière, ses
effets sur le restant de la cargaison seront autant d’élé
ments de leur appréciation.
1835. —Ala valeur des dépenses pour la répara
tion du dommage matériel éprouvé par le navire, à celle
des agrès et apparaux remplacés, enfin au chiffre de
l’estimation des marchandises, on ajoutera la valeur de
tous autres objets dont le jet motive une indemnité en
faveur de leur propriétaire. Tels seraient les provisions
de guerre ou de bouche, les hardes et coffres de l’équi
page, etc. Toutes ces différentes valeurs réunies forment
le total de la perte à répartir entre le navire et la car
gaison, dans les proportions établies par les articles sui
vants.
Article 4 1 6 .
Les experts nommés en vertu de l’article précédent
font la répartition des pertes et dommages.
La répartition est rendue exécutoire par l’homologa
tion du tribunal.
Dans les ports étrangers , la répartition est rendue
exécutoire par le consul de Frange, ou, à son défaut,
par tout tribunal compétent sur les lieux.
�DROIT MARITIME.
A rticle 417.
I>a répartition pour le payement des pertes et dom
mages est faite sur les effets jetés et sauvés, et sur la
moitié du navire et du fret, à proportion de la valeur au
lieu du débarquement.
A rticle 418.
Si la qualité des marchandises a été désignée par le
connaissement, et qu’elles se trouvent d’une plus grande
valeur, elles contribuent sur le pied de leur estimation,
si elles sont sauvées ;
Elles sont payées d’après la qualité désignée par le
connaissement, si elles sont perdues.
Si les marchandises déclarées sont d’une qualité in
férieure à celle qui est indiquée par le connaissement,
elles contribuent d’après la quotité indiquée par le con
naissement, si elles sont sauvées.
Elles sont payées sur le prix de leur valeur, si elles
sont jetées ou endommagées.
SOMMAIRE
1836.
Nécessité de constituer la masse contribuable. De quoi
elle se compose.
�ART. 4 1 G, 4 1 7 ,
1837.
418.
268
Sont appelées d contribuer la moitié du navire et du
fret.
1838. Mode d ’évaluation du premier.
1839. Quel est le fret dont la moitié doit la contribution.
1840. Toutes les marchandises à bord au moment de l’avarie
doivent la contribution, ainsi que les effets sacrifiés ou
jetés.
1841. Dans quels cas il en est ainsi de celles vendues en cours
de voyage pour les besoins du navire.
1842. Motifs qui ont fait prescrire l ’évaluation des marchandises
au prix courant du lieu de l'arrivée.
1843. Système contraire de la commission, abandonné sur les
observations de la Cour de cassation.
1844 La valeur contribuable est celle qui reste, déduction faite
du fret et des frais.
1843. Comment il est procédé à l’évaluation des marchan
dises dont la qualité a été déguisée dans le connaisse
ment.
1846. Dispositions du droit romain, de VOrdonnance de Wisbuy et du Guidon de la mer sur les effets et bagages
des passagers.
1847. Silence gardé par l ’ordonnance de 1681. Opinion d’Emérigon et de Pothier.
1848. Devrait-on les faire contribuer sous l ’empire du Code.
1849. Distinction entre les valeurs que le passager porte sur
lui, et celles qui se trouvent dans ses coffres ou mal
les.
1850. Résumé. Que comprend l’état des dommages et pertes.
1851. De quoi se compose la masse contribuable.
1852. Comment les experts procéderont à la répartition.
1853. Le travail des experts doit être homologué. Caractère de
l’homologation.
1854. Par qui doit-elle être poursuivie ? Droit des assureurs
d’intervenir.
�266
1 855
1856.
DROIT
MARITIME.
Par qui doit-elle être prononcée ?
Ses effets entre parties et contre les assureurs.
1836. — Le montant des pertes et dommages dé
termine lé débit du navire et de la cargaison et le crédit
des armateurs et chargeurs, suivant que le sacrifice vo
lontaire affecte l’un ou l’autre, ou tous les deux cumu
lativement. Reste la répartition entre tous les intéressés
qui est l’objet et le but de l’action en règlement, cette
répartition devait naturellement et nécessairement être
confiée aux experts appelés dans les formes que nous
venons d’exposer.
La contribution devant avoir lieu au marc le franc de
la valeur des choses sujettes à contribuer, la répartition
n’est praticable que par la détermination préalable de
cette valeur, il faut donc que les experts estiment et ap
précient toute la masse contribuable.
Celle-ci se compose en général de tous les objets dont
la conservation est due à l’avarie commune ; cette rè
gle ne reçoit exception que dans les cas formellement
prévus par la loi, et dont nous aurons bientôt à nous
occuper.
H fl
f
s
IS S ® . — La contribution est donc due par le navire
et le fret ; par les marchandises tant jetées que sauvées,
embarquées avec ou sans connaissement ou déclaration
du capitaine, ou chargées sur le tillac, avec ou sans l’a
veu de l’affréteur : par les bagages des passagers ; en
fin par tout ce qui se trouvant dans le navire au mo-
�art.
416,
417,
418.
267
ment de l’événement a profité du sacrifice volontaire
ment subi.
Nous avons déjà vu les motifs qui ont fait déterminer
à la moitié de leur valeur la part pour laquelle le na
vire et le fret doivent contribuer. Pour ce qui concerne
ce dernier, toute évaluation est inutile. Les divers con
trats d’affrètement, les connaissements eux-mêmes dé
terminant le fret dû par chaque affréteur, il est très fa
cile d’arriver à en fixer la quotité. Dans l’hypothèse de
marchandises chargées à l’insu du capitaine et devant
le plus haut fret, les prix courants du lieu de départ suf
firont pour établir la moitié devant contribuer.
1838. — Les experts n’ont donc réellement à éva
luer que le navire. L’article 417 paraît ne permettre
aucun doute, et vouloir que l’expertise porte sur sa va
leur au lieu du déchargement. Cependant, ainsi que nous
l’avons déjà observé, on a soutenu que les derniers ter
mes de sa disposition ne s’appliquaient qu’aux mar
chandises ; qu’il a même été jugé que dans dans tous
les cas cet article était spécial pour le je t, et ne devait
par conséquent régler aucun des autres cas d’avarie
commune '.
Nous n’avons pas à revenir sur l’équitable justesse
des motifs qui recommandent la solution inverse. Puis
que le navire, au moyen de la moitié du fret, contribue
en réalité pour l’intégralité de sa valeur, il est évident
1 V. Supra, a rt. 402, n° 1728.
I
�268
D R O IT
M A R ITIM E.
que, prendre en considération cette valeur au lieu du
départ, c’était faire payer à l’armement au-delà du pro
fit qu’il avait retiré de l’avarie commune.
Les experts doivent donc, dans leur estimation, ne
faire entrer que la valeur actuelle et telle que le voyage
l’a réduite ; à cette valeur matérielle ils réunissent le
montant des agrès et apparaux volontairement sacrifiés,
mâts, câbles, voiles, etc.; il est vrai que ces objets n’exis
tent plus, mais l’armement en est indemnisé par la part
contributive que supporte la cargaison, on ne saurait
donc les omettre dans la masse appelée à contribuer sans
contrevenir à la règle consacrée par l’article 417, exi
geant que les choses jetées contribuent comme celles qui
sont sauvées l.
1839. — Le fret dont la moitié doit contribuer est
celui non encore acquis au moment de l’avarie commu
ne et qui aurait été perdu sans son secours. En consé
quence, le fret perçu ou encore dû pour des marchan
dises arrivées à leur destination et y débarquées avant
le sinistre serait affranchi de toute contribution. Acquis
et gagné sans l’avarie commune, il n’en a retiré aucun
profit, il ne doit donc rien. Il en serait de même de ce
lui dû pour marchandises débarquées en cours de voya
ge, d’ordre ou du consentement du chargeur.
1840. — Tout ce qui compose la cargaison coni R o u e n , 6 f é v r ie r 1 8 4 3 ;
J. du P.,
1, 1843, 657,
�ART.
416, 417, 418.
269
tribue à l’avarie commune pour la totalité de la valeur.
Cette obligation incombe à tout chargeur, sans distinc
tion ni exception. Ainsi, si l’armateur avait lui-même
des marchandises à bord, il contribuerait non seulement
pour la moitié du navire et du fret, mais encore pour
la valeur entière de ces marchandises, il en serait de
même des choses chargées personnellement par le capi
taine, des pacotilles et du port permis des matelots r.
Les marchandises et effets soumis à la contribution
sont ceux qui se trouvaient à bord au moment du sinis
tre, et dont le salut a été assuré par le sacrifice cons
tituant l’avarie commune. Peu importe qu’ils aient été
chargés au port du départ ou en cours de voyage ; qu’ils
l’aient été à une époque plus ou moins voisine de l’évé
nement, il suffit qu’ils en aient courus la chance et pro
fité de l’avarie grosse pour qu’ils soient tenus d’en sup
porter les conséquences.
1841.
— Sont donc exemptes de toute contribu
tion les marchandises déchargées à leur destination en
cours de voyage, et avant le sinistre, ainsi que celles
vendues dans les mêmes circonstances pour les besoins
du navire.
Cette vente, en effet, ne constitue pas par elle seule
une avarie commune, mais, comme nous l’avons ob
servé, elle peut le devenir en cas d’insolvabilité du ca
i y» infra , a rt. 419.
�270
DROIT
MARITIME.
pitaine et de l’armateur 1; dans ce cas, le chargeur qui
réclame la contribution des autres ne saurait en être af
franchi, il la doit donc en proportion de la valeur et des
marchandises vendues, et de celles qui lui restaient en
core dans le navire.
1849. — Quelle était la valeur devant contribuer?
Fallait-il la prendre telle qu’elle était au lieu du dé
part, ou bien ne s’arrêter qu’à celle du lieu du déchar
gement ?
L’avarie commune n’est qu’une dépense extraordi
naire que l’accomplissement du voyage a rendu indis
pensable dans l’intérêt de tous. Nous allons voir que si
ce but n’a pas été atteint, il n’y a plus d’avarie commu
ne donnant lieu à contribution2.
Dès lors chaque chargeur et l’armateur lui-même
doivent avoir la position que leur aurait procurée l’heu
reux achèvement du voyage, en participant également à
la dépense extraordinaire que les accidents du voyage
ont occasionnée. Chacun doit payer suivant le bénéfice
qu’il en retire, or, ce bénéfice n’est et ne peut être que
la valeur au lieu du déchargement.
Aussi, et par dérogation à la loi romaine, l’ordon
nance de 1681 d’abord, le Code de commerce ensuite
ont-ils consacré que les marchandises jetées, comme
celles sauvées, doivent être estimées suivant les prix cou1 V. supra n° 1719, 5°.
2 V . infra, a rt. 423.
�«
ART. 4 1 G , 4 1 7 ,
418.
271
rants de ce dernier lieu, ce qui était juste pour les der
nières ne pouvait pas ne pas l’être pour les autres, si
celles-ci n’arrivent pas matériellement, on les considère
comme arrivées, puisque leur propriétaire recevra leur
valeur intégrale, sauf la part proportionnelle à sa char
ge dans l’indemnité lui afférant.
Accorder cette indemnité sans obliger celui à qui elle
est due de contribuer à la perle ne pouvait entrer dans
l’esprit de personne, c’était rendre le jet avantageux et
placer le propriétaire des choses qui en font la matière
dans une position meilleure que celle des autres intéres
sés. La contributiomadmise en principe, on ne pouvait,
sans atteindre au même résultat ou sans arriver à une
inégalité révoltante, permettre d’évaluer les choses jetées
au prix du départ, tandis que les sauvées l’étaient au
prix d’arrivée. La proportion à la charge du propriétaire
aurait été plus forte ou plus faible que celle des autres
chargeurs, suivant que le marché de déchargement au
rait été à la baisse ou à la hausse.
1 8 4 8 . — La commission, méconnaissant l’empire
de ces considérations, proposait de déclarer que les cho
ses jetées seraient estimées d’après les connaissements
ou factures, et les effets sauvés d ’après leur état et sui
vant les prix courants au lieu de la décharge.
La Cour de cassation, et avec elle les conseils et tri
bunaux de commerce de Rouen et de Marseille récla
mèrent contre cette distinction, ils la signalaient comme
brisant l’égalité que l’ordonnance de 1681 avait voulu
�272
DROIT
MARITIME.
établir. Voici, disait la Cour de cassation, le résultat
qu’elle consacrait :
« Paul et Pierre ont chacun un chargement coûtant
24,000 francs sur le pied de facture ; et qui eût gagné
cent pour cent s’il était arrivé à bon port.
« Les effets de Paul ont été jetés.
« Les effets de Pierre sont arrivés intacts et valent au
cours du lieu 48,000 fr.
« Suivant le projet, il faut indemniser Paul de 24,000
fr., et cette indemnité doit être prise tant sur lui-même
que sur Pierre, Paul confondra donc en lui-même une
partie de l’indemnité dans la proportion de 24,000 fr.,
prix de facture, à 48,000 fr., valeur des marchandises
de Pierre au lieu du déchargement, c’est-à dire que Paul
confond en lui-même un tiers de l’indemnité qui lui
est due, il recevra donc de Pierre 16,000 fr., et son
opération se soldera ainsi par une perte de 8,000 fr. sur
le prix d’achat.
« Au contraire, Pierre conservera 32,000 fr. outre
les 16,000 fr. qu’il aura donnés et il aura ainsi un bé
néfice de 8,000 fr.
« Pourquoi cette différence dans leur sort ? Tous les
intéressés sur un même navire sont associés pour sup
porter également les pertes résultant d’avaries commu
nes, parce que ces avaries ont nécessairement pour cause
et pour effet le salut commun.
« A joindre qu’il serait du plus grand danger que le
sort des chargeurs fût dans les mains du capitaine qui,
�t
ART. 416, 417, 418.
273
par le choix des marchandises qu’il jetterait, ferait per
dre l’un et gagner l’autre. »
A côté de ces inconvénients, la Cour de cassation faisait ainsi ressortir l’équité du système contraire.
« En estimant ces marchandises jetées et celles sau
vées au prix courant du lieu de la décharge, l’égalité
est rétablie.
« Les effets sauvés valent 48,000 fr.
« Les effets jetés auraient eu la même valeur, ainsi
la perte est de 48,000 fr.
a Cette perte étant une avarie commune, chacun doit
en supporter la moitié, Pierre doit payer à Paul 24,000
fr. Ils sont traités de la même manière.
« Si les effets de Pierre sont avariés par le jet ou au
tres avaries communes, il faut les estimer ce qu’ils va
lent au cours du lieu en l’état où ils sont, estimer en
suite la diminution de valeur que leur a causée l’avarie
commune, on joint cette diminution à la valeur des
marchandises jetées, et le tout se partage de la même
manière.
« Ainsi, il est dû à Paul son chargement entier, qui
eût valu 48,000 fr.
« En état sain, la marchandise de Pierre eût valu une
somme égale ; avariée, elle n ’est plus que d’une valeur
de 42,000 fr.
« Le total de la perte est donc de 34,000 fr.
« La masse, appelée à contribuer, étant de 96,000
fr., chaque capital en payera la moitié, soit 27,000 fr.,
il restera à Paul et à Pierre, à chacun d’eux, la somme
v
48
�274
DROIT
MARITIME.
égale de 21,000 fr., c’est-à-dire que l’un et l’autre au
ront perdu 3,000 fr. sur leur capital primitif. »
Ces arguments mathématiques convainquirent la com
mission. En révisant le projet du Code , elle y inscrivit
le principe que le conseil d’Etat consacra dans les arti
cles 418 et 417.
Ainsi, tous les effets soumis à la contribution, sans
distinction entre ceux qui ont été sauvés et ceux qui ont
été sacrifiés ou jetés, sont estimés par la valeur qu’ils
auraient au lieu du déchargement. Le chargement en
tier est considéré comme rendu à bon port. La position
de tous doit donc être celle que leur eût fait cet événe
ment, s’il s’était naturellement produit. Or, comme il
n’a été acquis qu’au prix de l’avarie grosse, chacun doit
en subir les effets à proportion de son intérêt.
184L4. — Ici se présente, relativement aux char
geurs et à l’armateur entre eux, la question que nous
avons déjà examinée à l’endroit des assureurs et des as
surés. La masse contribuable comprend-elle la valeur
au brut, ou bien faut-il en défalquer notamment le fret
dû par chaque chargeur?
Le tribunal de Cherbourg, saisi de la question, l’avait
résolue dans le premier sens. Attendu, disait le juge
ment, que l’article 402 du Code de commerce porte que
le prix des marchandises est établi par leur valeur au
lieu du déchargement ; que cet article, précédé de celui
qui dispose que les avaries communes sont supportées
par les marchandises et par la moitié du navire et du
�ART.
416, 417, 418.
275
fret au marc le franc, parait évidemment compléter la
pensée du législateur ; qu’une marchandise, au lieu où
elle a été transportée, n ’y a acquis sa valeur vénale, gé
néralement supérieure à celle qu’elle avait au point du
départ, qu’à l’aide du fret et des frais qu’elle a dû ac
quitter pour pouvoir y jouir de sa plus value ; et que
le propriétaire d’un chargement arrivé à destination doit
toujours considérer que le bénéfice qu’il s’en promet et
qu’il peut en obtenir est la conséquence des dépenses
de plusieurs natures qu’il a fallu avancer, dépenses au
nombre desquelles est le fret.
Ce jugement déféré à la cour de Caen, l’arrêt rendu,
le 8 novembre 1843, constate en fait qu’il résultait suf
fisamment du règlement d’avaries fait par les experts
que le fret dû au bâtiment a été défalqué de l’estimation
de la valeur des marchandises ; il approuve, en consé
quence, le travail fait par les experts l.
Cette approbation décide implicitement notre question
dans le sens contraire à celui admis par le tribunal. La
légalité de cette solution était démontrée dans une con
sultation que les chargeurs versaient au procès, et qui
émanait de M. Delisle, doyen de la faculté de droit de
Caen.
« On ne doit pas admettre facilement, disait l’hono
rable professeur, un système qui pourrait arriver à un
résultat évidemment déraisonnable, c’est ce qui arrive
rait bien souvent dans celui adopté par le tribunal. En
1 D. P ., 44, 2. <129.
�276
DROIT
MARITIME.
effet, le fret est dû en entier, lorsque les marchandises,
au lieu d’être perdues, auraient éprouvé des avaries par
cas fortuits. Il pourrait donc se faire que le chargeur
non seulement ne trouverait pas dans ses marchandises
conservées par le jet l’équivalent du fret par lui dû, mais
encore qu’il serait obligé de contribuer aux avaries com
munes à raison du prix de sa marchandise déjà absorbé
par le fret.
« Les articles 304, 401, 402, 404, 415 et 417, re
latifs aux contributions dues pour cause d’avaries com
munes, ont pour type les articles 201, titre 3 ; 6 et 7,
titre 8, du livre 3 de l’ordonnance de 1681. Rien dans
les procès-verbaux du conseil d’Etat, ni dans les dis
cours prononcés devant le Corps législatif n’a indiqué
la volonté de déroger à ces articles ; et cependant toute
disposition tendant à changer l’ancienne législation et
son interprétation a été signalée par les procès-verbaux
et par les discours. On doit donc interpréter les textes
du Code dans le même sens que les articles de l’ordon
nance.
« Or, sous l’empire de l’ordonnance, personne ne
mettait en doute que, sous la dénomination de valeur
de la marchandise au lieu du déchargement, on en
tendait le net produit, fret préalablement d é d u itl. Emérigon invoque l’article 20, titre 3 , reproduit par l’arti
cle 304 qui, dans une hypothèse d’avarie commune,
1 V alin, a rt. 6, tit. 8 ; Em érigon, chap. 42, seet. 43 ; P o th ier, Coni.
maril., n os 121 et suiv,; Nouv. Denisart, v° Avarie, 55, 3, n° 1.
�art.
416, 417, 418.
277
celle du rachat en cas de capture, déclare que les mar
chandises contribueront suivant leur prix courant au lieu
du déchargement, déduction faite des frais. Pothier,
n° 140, cite également le même article, et, après l’avoir
copié, il ajoute, après ces mots : déduction faite des
frais, c’est-à-dire les frais de décharge et du fret qui
est dû pour les marchandises, car le marchand ne pro
fite de la conservation de ses marchandises que sous la
déduction de ces frais.
« Tous les auteurs modernes, ajoute la consultation,
ont adopté cette doctrine, dont le motif se présente de
lui-même. L’avarie grosse est un dommage souffert vo
lontairement pour le bien et le salut commun du navire
et de la cargaison. Si le navire eût péri, les propriétai
res de celle-ci n’eussent dû aucun fret, il n’y a donc eu
de sauvé, par suite de l’avarie commune, que la diffé
rence entre les marchandises au lieu du déchargement
et le fret, et c’est cette différence qui seule doit contri
buer, et qui est ce que l’article 402 qualifie valeur des
marchandises au lieu d’arrivée. »
184L5. — Nous avons déjà observé que la qualité
des marchandises est le premier et le plus indispensable
élément de leur appréciation. Or, relativement à celles
jetées ou perdues, cette qualité ne peut être constatée
que par les énonciations du connaissement ou des fac
tures.
Toutefois, on pouvait prévoir que, dans un intérêt
quelconque, le chargeur pourrait déguiser la véritable
�278
D R O IT
M A R IT IM E .
qualité de la cargaison, soit pour obtenir un fret moin
dre, soit pour réaliser un bénéfice, l’hypothèse d’une
avarie commune en occasionnant la perte venant à se
réaliser.
Contre une fraude de cette nature, l’article 418 a pris
les seules précautions utiles, puisque son application
rendra son auteur victime du piège qu’il tendait aux
autres. Les indications du connaissement et des factu
res, en les supposant contraires à la vérité, ne seront ad
mises que contre le chargeur et jamais en sa faveur.
Ainsi, si les marchandises sont d’une qualité supé
rieure à celle déclarée dans le connaissement, elles con
tribuent pour leur valeur réelle, si elles sont sauvées ;
elles ne sont payées que sur le pied de la qualité portée
au connaissement, si elles sont perdues.
Si les marchandises sont d’une qualité inférieure à
celle déclarée, elles contribuent d’après la qualité indi
quée, si elles sont sauvées.
Elles ne sont payées que d’après leur valeur réelle, si
elles sont endommagées ou jetées.
Ainsi, le mensonge et la fraude ne menacent jamais
que leur auteur, il se trouvera nécessairement pris dans
ses propres filets. Lié par le connaissement dans le pre
mier cas, il ne serait ni recevable, ni fondé à justifier
que ses marchandises jetées étaient d’une qualité supé
rieure, tandis que la contribution sera toujours établie
sur la valeur réelle, si, arrivées à bon port, il est per
mis d’en constater la qualité supérieure.
Dans le second, il ne serait pas admis à exciper du
�ART.
416, 417, 418.
279
connaissement. Malgré ses termes, les intéressés pour
ront établir la qualité vraie des marchandises jetées.
Si ces marchandises arrivent à leur destination, ou si,
endommagées seulement, leur qualité se trouve cons
tatée, on ne lui tient compte que de la valeur que re
présenterait la qualité déclarée dans le connaissement.
La moralité de cette disposition n’a pas besoin d’être
démontrée, elle se justifie par elle-même.
1846. — Les effets et bagages des passagers doi
vent-ils être estimés pour supporter une part proportion
nelle à l’avarie commune ? L’affirmative s’induisait du
principe qui a fait consacrer la contribution. Puisque
ces effets n’ont été sauvés que par le sacrifice volontai
rement souffert,' puisque, d’autre part, tout ce qui a pro
fité de ce sacrifice doit en supporter sa p a rt, les effets
des voyageurs ne pouvaient échapper au sort commun,
à moins d’une exception formelle en leur faveur.
Le droit romain, loin de consacrer cette exception,
décidait formellement le contraire. Tous les effets des
voyageurs devaient contribuer, etiam vestimentorum
cujusque et annulorum estimationem fe r i oporteat '.
Il n’en exceptait que la personne des hommes libres, capita libéra, parce que liberum corpus non recipit œstimationem.
Ces usages, remontant à la plus haute antiquité, sont
utiles à consulter en l’état du silence gardé par les légis1 L. 2, S 2, Dig., De Lege Rhodia.
�280
D R O IT
M A R IT IM E .
lations subséquentes, ils prouvent que la contribution
des effets des passagers n’a rien d’antipathique aux
principes de la matière, on devrait les appliquer aujour
d’hui surtout que ces effets peuvent constituer la valeur
principale du chargement. Par exemple, dans l’hypo
thèse de bateaux à vapeur spécialement destinés au
transport des voyageurs, quel motif légitime pourrait
exonérer les bagages sauvés de la nécessité de contribuer
à l’indemnité due à ceux dont les effets auraient été sa
crifiés pour assurer le salut commun ?
Cette exonération serait d’autant plus injuste, que
certains bagages ainsi conservés peuvent être d’une va
leur plus considérable que telle partie de la cargaison
appelée à contribuer. Les choses de plus de valeur n’exi
gent pas toujours le plus de place. Les diamants ou bi
joux précieux qu’un voyageur a dans son coffre suffi
raient quelquefois pour acheter le navire et son entier
chargement.
A ce point de vue, la nécessité de la contribution avait
été admise par plusieurs législations, non qu’on eût
poussé la rigueur jusqu’à l’exiger pour les habits et les
bagues que les passagers portaient sur eux. L’ordon
nance de Wisbuy en affranchissait même pour l’argent
que le passager avait dans son coffre, si, l’en retirant,
il le prenait sur lui ; mais le Guidon de la mer décidait
le contraire, les marchands passagers, disait l’article 26
du chapitre 5, contribueront non à cause de leurs per
sonnes, mais des pierreries, or, argent ou précieuses
denrées gu’ils porteront sur eux.
�ART.
416, 417, 418.
281
Telle élait la règle admise par l’école italienne : Vestimenta et vestes qnœ corpori applicantur, aliaque
quæ ordinario illius cullui et amietui inserviunt, in
avaria non veniunt, exceptis semper monilibus, cimeliis, lapillis, auro et argento ac ann u lisl.
184?. — L’ordonnance de 1681 gardait à cet
égard le plus absolu silence, mais comme elle n’excepte
de la contribution que les hardes des matelots, on pou
vait en conclure qu’elle y soumettait celles des passa
gers, cependant, observe Emérigon, je n’ai jamais vu
qu’on ait fait contribuer à l’avarie grosse ni les ha
bits dont le passager était revêtu, ni ses bijoux, ni l’ar
gent de sa bourse, ni ses coffres et bagages, tout cela
est considéré parmi nous comme l’accessoire de la per
sonne.
Mais, ajoute-t-il, si la question était élevée, je ne
crois pas qu’il fût permis au juge de s’écarter de la dis
position de la loi. Les coffres des passagers jetés h la
mer pour le salut commun doivent être payés par con
tribution, pourquoi, s’ils sont conservés, seraient-ils
dispensés de contribuer au jet de la chose d’autrui ? Les
marchands et les passagers ne jouissent pas de la faveur
accordée aux matelots, par conséquent rien n’altère à
leur égard la réciprocité de la règle générale. Aussi,
Pothier n’hésite pas à décider que les passagers doivent
contribuer pour leurs hardes et leurs bijoux, quoique
1 Casaregis,
d ise .,
45, n» 7, et autorités citées.
�282
D R O IT
M A R IT IM E .
ces choses ne chargent pas le navire, la raison est que
c’est le jet qui les leur a conservés1.
1848. — Le Code n’ayant fait que reproduire le
texte de l’ordonnance, on peut donc, sous son empire,
accepter comme fondés les principes enseignés par Emérigon et Pothier. Jusqu’à présent la question ne s’est pas
présentée, et ce qui a dû déterminer ce résultat, c’est
que la valeur ordinaire des bagages des passagers ne
compenserait ni les longueurs, ni les frais d’un règle
ment d’avaries communes, ni les inconvénients qu’ils
entraîneraient pour la navigation.
Mais l’affectation spéciale de la vapeur au transport
des voyageurs, groupant sur le même navire ce qui était
avant disséminé sur un grand nombre, peut donner à la
question un intérêt tel, qu’il n’y aurait rien d’étonnant
à ce qu’elle fût déférée aux tribunaux. Cette hypothèse
se réalisant, on peut dire avec Emérigon qu’on ne voit
pas comment les juges pourraient la résoudre en faveur
des passagers ; comme l’ordonnance, le Code n’excep
tant de la contribution à l’avarie que les coffres et har
des des matelots, rien n’altère pour les passagers la ré. ci procité de la règle générale.
4849. — Cependant, et dans celte prévision, une
distinction nous parait se recommander à l’attention des
magistrats. Il nous semble que relativement à tout ce
�ART.
416, 417, 418.
283
que le passager porte sur lui, on doit préférer la règle
que l’ordonnance de Wisbuy consacrait, plutôt que celle
du Guidon de la mer.
Le fondement sur lequel repose l’obligation de con
tribuer est bien celui que Pothier indique ; c’est que
l’avarie commune a sauvé et conservé le navire et la
cargaison. Ce résultat, incontestable pour les choses
matérielles, est-il absolument vrai pour ce qui concerne
les personnes ? On ne pourrait l’admettre que si la perte
du navire et de la cargaison devait nécessairement en
traîner celle des personnes. Or, l’expérience enseigne le
contraire, bien de fois on a vu, même en cas de nau
frage, l’équipage et les passagers survivre au sinistre
qui a englouti navire et chargement.
Cette chance de salut étant absolument indépendante
du jet ou de toute autre avarie commune, l’effet de l’un
ou de l’autre en aura bien prévenu le risque, mais n’au
ra pas seul et nécessairement déterminé la conservation
de la personne. La possibilité de la voir se réaliser dans
tous les cas doit donc influer sur les conséquences que
la loi ne fonde que sur la certitude du contraire. Or,
tout ce que le passager porte sur lui ne périra que s’il
périt lui-même, l’incertitude de l’événement doit dès
lors l’exempter de toute contribution.
Quant aux valeurs renfermées dans les coffres, malles
ou caisses, le jet les ayant évidemment et nécessaire
ment sauvées, les frapper de la contribution, c’est saine
ment appliquer la loi.
�284
DROIT
MARITIME.
1850. — En résumé, la mission des experts con
siste à établir d’abord ce qu’on peut appeler la masse
passive de l’opération. Cette masse se compose :
1° De tous les effets et marchandises volontairement
jetés, quelle qu’en soit la nature, à qui que ce soit qu’ils
appartiennent, de toutes les manœuvres sacrifiées, des
ustensiles du navire, provisions de bouche ou de guerre,
coffres et hardes des matelots et des passagers. Cette rè
gle ne reçoit exception que pour les objets spécifiés dans
les articles 420 et 421 ;
2° Du montant du dommage souffert par le navire et
des réparations qu’il a exigées ; de l’avarie éprouvée par
les effets restés à bord, par suite de l’avarie commune ;
3° Des frais de toute nature qui en ont été la consé
quence directe, immédiate, forcée, tels que frais de re
lâche, de séjour, loyer et nourriture des matelots, dé
chargement, transport, magasinage et rechargement.
Toutes ces valeurs réunies forment la dette à acquit
ter par le navire et la cargaison.
185t. — Ce point ainsi fixé, les experts procèdent
à la détermination de la masse entre laquelle cette dette
doit être répartie. Cette masse se compose :
1° De la valeur de la moitié du navire et de la moitié
du fret ;
2° De la valeur intégrale de tous les effets sauvés, sauf
l’exception déterminée par l’article 419 ;
3° Enfin de la valeur totale des marchandises jetées,
des manœuvres, agrès ou apparaux sacrifiés, et dont les
�art.
416, 417, 418.
285
propriétaires doivent être indemnisés. Puisque cette in
demnité doit être de leur valeur au lieu du décharge
ment, on les considère comme arrivés, et on ne pouvait
dès lors les affranchir de la contribution.
Les effets perdus figureront donc et pour un chiffre
identique dans l’une et dans l’autre masse, et leurs pro
priétaires ne recevront en réalité que l’excédant de la va
leur, défalcation faite de la part pour laquelle ils doi
vent contribuer.
1858.
— Voici donc comment les experts procéde
ront :
L’armement a coupé les mâts, abandonné des câbles
ou voiles, ou éprouvé tout autre dommage, il est dû à
raison de ce 3,000 francs, qui figurent dans l’état des
pertes.
Les marchandises du chargeur A ont été jetées en to
talité, elles auraient valu au lieu du reste 30,000 francs,
la perte est d’une somme égale.
B avait un chargement qui a été seulement avarié, en
état sain il eût valu 40,000 fr., il est estimé ne valoir
plus que 30,000 fr. La différence, soit 10,000 fr., cons
tituera la perte dont B doit être indemnisé.
Le navire, les chargeurs A et B sont donc intégrale
ment indemnisés de ce qu’ils perdent, mais ils ne peu
vent prétendre occuper une position plus avantageuse
que celle des autres chargeurs qui n ’ont rien perdu,
c’est cependant ce qui se réaliserait, s’ils ne confondaient
pas avec eux-mêmes une part proportionnelle de la per-
�286
DROIT
MARITIME.
te ; le navire devra donc contribuer spécialement pour
3,000, A pour 30,000, B pour 40,000.
Supposons donc que la perte totale, s’élevant à
160.000 fr. , la masse active atteigne le chiffre de
400.000 fr., la proportion sera pour chaque intéressé
de »
soit les 2/5.
Le navire pour la moitié imposable en l’état où il se
trouve après l’avarie, étant estimé 20,000 fr., devra les
2/5, s o i t .................................................. •
8,000 fr.
La moitié du fret étant 12,000 fr. devra.
4,800
Enfin l’armement devra les 2/5 des
3,000 fr. qu’il a p e rd u s .........................
1,200
La contribution totale du navire sera
de..................................................................
14,000 fr.
Sur lesquels retenant ce qui lui est dû .
3,000 fr.
Il n’aura à payer qu'un solde de . . . 11,000
A doit pour les 2/5 de son chargement. 12,000
Il lui est d û .........................
30,000
Il ne retirera que.................................... 18,000
B doit les 2/5 de son chargement va
lant 40,000 fr., s o i t ................................. 16,000
Il lui est dû pour l’avarie.............. .... . 10,000
Il ne payera q u e ....................................
6,000 fr.
Tous les autres chargeurs ou autres intéressés subi
ront l’application de la même règle. C’est là la réalisa
tion la plus complète de la pensée qui faisait admettre
le principe de la contribution. Quelle que soit la perte,
elle atteindra également tout le monde. C’était évidem-
�ART.
416, 417, 418.
287
ment ce que la justice exigeait dès que l’avarie grosse a
réellement ou fictivement conservé la chose de tous.
1853.
— La proportion établie comme précède, la
mission des experts est terminée, celle de la justice com
mence. On comprend, en effet, que comme dans toutes
les autres circonstances, les experts ne donnent ici qu’un
avis qui n’a et ne saurait avoir exécution forcée que
si, apprécié contradictoirement par la justice, il a été
sanctionné par elle. C’est cette sanction que l’homolo
gation consacre, la répartition n’est donc obligatoire et
ne pouvait l’être qu’après cette homologation.
Celte homologation n’est pas un simple enregistre
ment que les juges soient tenus de concéder. Devant le
tribunal saisi, chaque partie a le droit de discuter le
rapport, d’en débattre les éléments, de faire réparer les
erreurs que les experts auraient pu commettre soit dans
les calculs, soit dans la détermination des valeurs, soit
par l’admission en avaries communes de ce qui ne se
rait qu’une avarie simple, et réciproquement par le re
fus de comprendre dans la catégorie des premières un
dommage qui devait y entrer. Ces exceptions peuvent
être accueillies par le juge et nécessiter telles modifica
tions qui rendraient le jugement à intervenir le seul et
véritable état de répartition.
1854.
— L’homologation doit être poursuivie par
le demandeur en règlement, à son défaut, elle pourrait
l'être par tout intéressé, elle doit l’être contradictoire-
�288
DROIT
MARITIME.
ment contre le capitaine le cas échéant, ou contre les
chargeurs représentés par les consignataires, ou soit les
deux principaux entre ceux-ci.
Les assureurs ne sont pas parties nécessaires à l’ins
tance en homologation, pas plus qu’à celle en règlement.
Mais ils sont libres d’y intervenir. En effet, en suppo
sant que les choses par eux garanties soient arrivées in
tactes, ils n’en sont pas moins tenus envers l’assuré de
la part qu’il doit prendre à l’avarie grosse. Leur intérêt
à surveiller l’opération, à contrôler les éléments qui fe
ront admettre la contribution à la charge de chacun est
incontestable, leur intervention ne saurait dès lors être
refusée.
1855.
— Le juge compétent pour prononcer sur
l’homologation est celui du lieu du déchargement. En
conséquence, en France et pour les navires français, c’est
le tribunal de commerce qui doit être investi.
A. l’étranger, la répartition est rendue exécutoire, en
tre Français, par le consul. Ce n’est que s’il n’en existe
aucun sur la localité que le capitaine sera tenu de s’a
dresser à l’autorité du pays.
Cette attribution de juridiction en faveur des consuls
français entraîne, comme nous l’avons dit, la réciprocité
en faveur des étrangers. Conséquemment, le capitaine
étranger qui, arrivant en France, se serait pourvu en
règlement des avaries communes auprès de son consul,
le ferait régulièrement homologuer par ce même consul,
�art.
416, 417, 418.
289
et sa n s q u ’il eût à se p o u rv o ir devant le tribu nal de
com m erce.
M ais la décision d ’u n e autorité étran gère ne pou van t
être exécutée en F ra n c e s a n s l ’intervention de la ju stice
fra n ça ise , l ’h om ologatio n défin itive, q u a n t à la ré g u la
rité de l’o p é ratio n , est so u m ise à la ju stice fran çaise ; les
in téressés ne p ou rraien t être con train ts de p ay er que
su r p ou rsu ite et co n d am n atio n p a r les tribu n au x fra n
çais. Cette co n d am n atio n serait forcée su r le vu de la
sentence d ’h om ologatio n , q u i ne sa u ra it, d a n s au cu n
cas, être révisée.
1856.
— Le ju gem en t h om ologatif, régulièrem en t
ren d u , oblige n on seu lem en t les parties entre lesqu elles
il est in terv en u , m a is encore tous les in téressés au n a
vire et à la c a rg a iso n , et m êm e les a ssu re u rs. C’est don c
sur les b a se s fixées p a r les experts ou arrêtées p a r la
justice q u e se règlen t les effets des polices d ’assu ra n ce .
L ’a ssu re u r ne p o u rrait contester ces b ases, les faire m o
difier ou rectifier q u ’en étab lissan t q u e l’a ssu ré a a b a n
donné d es d roits évidents et certain s. Cet ab an d o n con s
tituerait une fra u d e , un d ol contre l’a ssu re u r, to ujours
recevable à en prou ver l’existence et à en ré p u d ie r les
co n séq u en ces.
N ’o u b lio n s p a s cep en d an t q u ’à l’endroit d es a ssu re u rs
le règlem ent d ’a v a rie g ro sse en tre l’a rm a te u r et le ch a r
geu r n ’a d ’au tre effet q u e celui d e déterm iner la quotité
à pren dre su r la so m m e a ssu ré e , l ’estim ation faite a u
lieu du d éch argem en t ne peut con cern er l’a ssu re u r d e v — 49
�290
DROIT
MARITIME.
v a n i rester absolu m en t étran ge r n otam m en t au x v a ria
tions du m arch é d u lieu de destin ation ; p o u r lu i il n ’y
a don c ja m a is q u ’un cap ital, à sav o ir, la valeu r portée
d a n s la police ou celle d u lieu d u d é p a r t , et les fra is
faits ju sq u ’à la m ise à b o rd .
De là cette conséquence : l’homologation du rapport
de l’expert ne le rend obligatoire contre l’assureur que
relativement au classement des dommages et à la pro
portion naissant des chiffres respectifs des masses pas
sives et actives.
Ainsi l ’a ssu re u r ne sera n i recevable ni fondé à criti
q u er la com position de l ’av arie co m m u n e , à souten ir
q u e tel article devait être rejeté, tel au tre a d m is. L ’er
re u r m êm e d a n s laquelle seraien t tom bés les exp erts, si
le ju g e ay an t h om ologu é le ra p p o rt, s a décision étan t
devenue définitive, n u ira it au x a s s u r e u r s l .
Par contre, l’assuré n’est pas recevable à se faire rem
bourser l’intégralité de la contribution qu’il supporte, ce
qui lui est uniquement dû par l’assureur, c’est le taux
de la contribution à prélever sur la somme portée dans
la police.
Dans l’hypothèse que nous posions tout à l’heure, ce
taux étant des 2/5, A et B contribuent : le premier, pour
12,000 fr.; le second, pour 16,000 fr. Mais ils ne pour
ront se faire rembourser intégralement que si leur char
gement a été assuré : le premier, pour 30,000 fr.; le
second, pour 40,000 fr.
i Aix, 1CF février 1827.
�art .
416, 417, 418.
291
Si le chargement de A n’a été assuré que pour 20,000
fr., celui de B pour 30,000 fr., les assureurs ne seront
tenus que des 2/5 sur ces sommes, ils rembourseront
donc 8,000 fr. au premier, 12,000 fr. au second. L’ex
cédant s’appliquant à des éléments en dehors de l’as
surance, reste à la charge personnelle de l’assuré.
Cette règle, onéreuse pour celui-ci dans notre hypo
thèse, peut lui devenir avantageuse en cas de baisse sur
le marché d’arrivée. Supposez, en effet, qu’au prix cou
rant du jour, le chargement assuré pour 30,000 fr. soit
estimé n’en valoir que 20,000 fr. L’assuré, si le taux
de la contribution est du 2/5, ne payera à l’avarie com
mune que 8,000 fr., mais il en recevra 12,000 de son
assureur, parce qu’il aura perdu les 2/5 de la chose
assurée, et que pour lui, comme pour l'assureur luimême, le capital assuré ne peut varier suivant les évé
nements. Si la hausse ne peut nuire à ce dernier, la
baisse ne saurait non plus lui profiter.
Article 417.
Les munitions de guerre ou de bouche et les hardes
des gens de l’équipage, ne contribuent point au jet; la
valeur de celles qui auront été jetées sera payée par con
tribution sur tous les autres effets.
�299
DROIT
MARITIME.
SOMMAIRE
Motifsfde l’exception en faveur des provisions de bouche
ou de guerre.
4858. A quoi elle s’applique.
4859. Elle s’étend aux victuailles chargées par les passagers
pour leur usage particulier.
4860. Caractère de l ’exception pour les hardes des gens de l'é
quipage. Ce qu’elle comprend.
4861. Les loyers de l’équipage sont affranchis de la contribu
tion.
4862. Il en est ainsi pour le capitaine et les officiers, comme
pour les simples matelots.
4863. L’exception ne concerne pas les hardes des passagers.
4864. Droits de l’armateur, de l ’équipage et des passagers, en
cas de jet des provisions ou de leur coffre.
4865. Difficultés que peut offrir l’estimation de la valeur, en
ce qui concerne les passagers. Comment on doit la ré
soudre.
-1857.
f.851
?. — L’exception à la règle que tout ce qui est
conservé par l’avarie commune doit y contribuer, que
consacre l’article 419, était si légitime, si naturelle, que
toutes les législations l’avaient admise. Ainsi le droit
romain, qui voulait que tout contribuât, même les vê
tements et l’anneau des passagers ajoutait : Nisi, si qua
consumendi causa imposita forent, quo in numéro es
tent cibaria.
En effet, et relativement aux victuailles, comment les
soumettre à contribution. L’avarie commune n’a pour
�but que la continuation du voyage. Or, l’existence à
bord de provisions de bouche pour la subsistance de
l’équipage et des passagers est la condition indispensa
ble à cette continuation. Leur consommation après l’a
varie grosse a donc eu lieu dans l’intérêt de tous et pour
le salut commun. Leur conservation ne pouvait dès lors
devenir l’objet d’une contribution. Elles n’ont été sau
vées que pour être consommées pendant le reste du
voyage.
Ce qui était vrai pour les provisions de bouche l’était
également, quoique sous un autre point de vue, pour
les provisions de guerre. Celles-ci comme les autres,
disait Ëmérigon, forment la matière et l’instrument du
salut commun ; destinées à défendre le navire, par con
séquent à assurer le succès et la réussite du voyage,
on ne pouvait les placer sur une autre ligne que les
provisions de bouche et leur refuser la faveur faite à cel
les-ci.
' 1858. — La rationalité de ces considérations ne
saurait être méconnue, elles ont en outre le mérite in
contestable de préciser la véritable portée de l’article
419, l’exception qu’il consacre s’attache non à la na
ture des choses, mais à la destination qui leur est affec
tée. Elle ne concerne donc réellement que les choses
consacrées à la nourriture de l’équipage et des passagers
pendant le voyage, et à défendre le. navire, le cas
échéant, contre les corsaires et les ennemis.
Dès lo rs, si les p rov ision s de bpuche ou de gu erre
�294
DROIT
MARITIME.
n’étaient à bord que pour être transportées d’un lieu à
un autre, c’est-à-dire si elles constituaient le charge
ment, leur propriétaire, fût-il l’armateur lui-même, ne
saurait, en cas d’avaries grosses, se prétendre libéré de
la contribution. Ce que la loi excepte, c’est non pas telle
ou telle nature de marchandises, mais uniquement les
victuailles indispensables à la conservation du navire
pendant le voyage, et les moyens de résister à toute at
taque, en un mot, selon l’expression d’Emérigon, les
choses qui forment la matière et l’instrument du salut
commun.
1859.
— Les motifs qui déterminaient l’exception
en faveur des provisions de bouche à consommer par le
navire devaient faire excepter de la contribution les vic
tuailles chargées par chaque passager pour son usage
personnel.
Il est vrai que ces victuailles étant consacrées à cet
usage exclusif, il semble qu’elles restent en dehors du
salut commun. Mais le droit du passager à être nourri
pendant le voyage n’est pas moins sacré que celui de
l’équipage et méritait les mêmes égards. D’ailleurs, com
me l’observe M. Locré, les provisions particulières font
partie de la masse des victuailles, puisqu’elles dimi
nuent d’autant la consommation de celles achetées par
le capitaine, et que même, au besoin, elles sont mises
en commun l.
�/
ART.
419.
29S
Ici revient l’observation que nous faisions tout à
l’heure. L’exemption n’est attachée qu’à la destination.
Il faut donc dire, avec Valin, qu’en ce qui concerne les
passagers quant aux vivres embarqués par eux, la fran
chise se restreint à ceux destinés à leur consommation
journalière; que s’ils consistaient en farines, vins ou
autres comestibles chargés, comme marchandises, rien
ne les soustrairait à l’obligation de contribuer à l’avarie
commune.
1860.
— L’exception consacrée par l’article 419,
pour les hardes des matelots était une conséquence de
celle faite pour les provisions de bouche. Pour accom
plir la mission qui lui est imposée, l’équipage a autant
besoin d’être vêtu que d’être nourri. Il était donc natu
rel de placer ce qui est nécessaire au vêtement sur la
même ligne que ce qui est destiné à la nourriture.
L’expression hardes, employée par le législateur, ne
doit pas être prise dans un sens restrictif et appliquée
aux effets d’habillements et au linge de corps seulement,
elle comprend en général le coffre de chaque matelot, et
les quelques marchandises qui pourraient y être ren
fermées, l’exiguïté de ces coffres donnant à celles-ci une
valeur si minime, qu’on ne saurait la prendre en con
sidération.
Mais la faveur de l’exemption ne saurait s’étendre
aux pacotilles que l’équipage embarquerait, pas même
au port permis que chacun de ses membres obtiendrait.
Au témoignage de Valin, malgré que ce port permis
�296
DROIT
MARITIME.
pût être considéré comme faisant partie des gages, les
marchandises embarquées à ce titre contribuaient à l’a
varie commune si elles étaient sauvées, à plus forte rai
son en serait-il ainsi des effets chargés comme paco
tilles.
1 .861. — L’article xi, titre vu, livre 3, de l’ordon
nance de 1681 plaçait les loyers de l’équipage sur la
même ligne que les hardes, et les dispensait de toute
contribution. L’article 419 ne parlant plus que de cel
les-ci, faut-il en conclure que les loyers doivent con
tribuer ?
La négative consacrée par l’ordonnance était fondée,
d’une part, sur ce que c’était précisément par le secours
et le travail de l’équipage que le jet avait été opéré ;
qu ainsi ses membres ont matériellement concouru au
salut commun par ce travail spécial et les fatigues ex
ceptionnelles qu’ils se sont données ; d’autre part, sur
ce que l’armement contribue réellement à la décharge
des loyers en contribuant pour la moitié du fret qui
sert à les payer.
Ces considérations n’ont rien perdu de leur force en
fait et en équité. Aussi ont-elles paru, malgré le silence
du Code, devoir autoriser la même solution que celle
consacrée par l’ordonnance. On devait d’autant mieux
le décider ainsi, que si le Code a cru devoir, en ce qui
concerne les loyers, modifier les dispositions de l’ordon
nance, il l’a fait dans un sens diamétralement contraire
à l’idée de les faire contribuer à l’avarie commune.
�ART.
419.
297
Ainsi l’ordonnance les soumettait formellement à cette
obligation dans l’hypothèse du rachatL Or, c’est préci
sément ce que l’article 304 a formellement abrogé. N’aurait-on affranchi les loyers de cette avarie commune que
pour les y soumettre en cas de jet ? C’est ce qu’il est
impossible d’admettre.
1 § 6 2 . — Les loyers de l’équipage sont donc, com
me les hardes, affranchis de toute contribution à l’ava
rie commune. Cette faveur est-elle commune à tous les
membres de l’équipage, qu’elle que soit leur qualité ?
Le doute était autorisé par les expressions de l’ordon
nance, ne parlant que des hardes et loyers des matelots,
ce qui paraissait exclure de son bénéfice les officiers et
capitaine.
Ce doute, que l’usage avait levé en faveur de ces der
niers, est législativement résolu dans le même sens par
l’article 419. La substitution au mot matelots de l’ex
pression gens de l’équipage indique que la faveur s’a
dresse sans exception à tous ceux qui le composent.
Ainsi matelots, officiers, capitaine ne sent tenus à
aucune contribution à l’avarie commune pour la valeur
de leurs loyers et de leur coffre. Quant à ce, l’exception
à la règle que tout ce qui est conservé par elle doit en
supporter les conséquences se justifie sous tous les rap
ports.
1 Art. 20, tit. 3 et 4, liv. 3,
/
�298
DROIT MARITIME.
1.863. — Mais aucun des motifs qui l’étayent ne
saurait être raisonnablement invoqué par les passagers.
Aussi n ’a-t-on pas hésité à leur refuser en droit la fa
culté de s’en prévaloir. En fait, l’usage a été jusqu’à pré
sent de les affranchir à raison de leurs bagages. Mais
comme nous l’avons déjà remarqué, le jour où la con
tribution leur sera demandée, ils seront dans l’impossi
bilité de faire consacrer leur refus.
1864. — Les motifs qui faisaient consacrer l’exemp
tion étaient exclusifs de toute réciprocité en cas de perte.
L’armateur, pour les provisions de bouche ou de guerre,
les gens de l’équipage ne courent pas à forfait la chance
de bénéficier ou de perdre. Si l’avarie commune a eu
pour effet le sacrifice de ces provisions ou de leur cof
fre, ils doivent en être intégralement indemnisés suivant
leur valeur et sans qu’ils aient eux-mêmes à supporter
une part quelconque dans la perte. Dans cette hypo
thèse, les passagers ont le même droit ; ils doivent être
indemnisés de la perte de leurs coffres et hardes. Mais
ce qui les distingue des gens de l’équipage, c’est qu’ils
confondront avec eux-mêmes une portion de cette in
demnité, en contribuant à proportion de la valeur don
née aux choses qu’ils ont perdues.
4865. — Cette valeur, comment sera-t elle déter
minée par les experts ? La preuve que les effets perdus
existaient réellement ne peut résulter que de la déclara-
�ART, 419.
299
lion du propriétaire ; devra-t-on ajouter foi à cette dé
claration ?
L’intérêt de cette question se manifeste toutes les fois
que des sommes plus ou moins importantes ou des cho
ses plus ou moins précieuses sont alléguées avoir été
contenues dans les malles ou coffres jetés ou sacrifiés.
L’idée d’une spéculation inspirée par la certitude du dé
faut absolu de moyens pour constater la vérité se pré
sentait si naturellement à l’e sp rit, qu’elle avait préoc
cupé le législateur.
Cleirac rappelle que, suivant les Jugements d’Olèron,
si un marchand, passager ou marinier a de l’argent ou
autres besoignes précieuses dans ses coffres ou cassettes,
il le doit dire et manifester au maître ou à l’écrivain,
autrement, arrivant la nécessité d’un jet, on ne portera
à la contribution que la valeur du coffre seulement et
de ce qu’il aura manifesté d’être en icelui.
De leur côté, les ordonnances de Wisbuy disposaient :
Si quelqu’un dans le navire a de l’argent ou quelque
marchandise de haut prix, dans son coffre, il est tenu
de le déclarer avant qu’on l’ait jeté, et ce faisant sera
payé desdites marchandises au prix qu’elles valent. Si
un coffre est jeté et que le propriétaire ne déclare pas
ce qu’il y a, il ne sera compté à la contribution que
pour le bois et la ferrure, s’il est ferré, au prix qu’il
vaut.
Il faut convenir qu’exiger la déclaration au moment
du jet seulement, c’était s’y prendre un peu tard. Dans
le jet irrégulier surtout, le coffre d’un passager pouvait
�500
D R O IT
M A R ITIM E.
être jeté sans que son propriétaire sût qu’il devait l’être,
ou qu’il l’avait été, et dans ce cas on le rendait victime
d’un fait qu’il n’avait pu ni prévoir ni empêcher.
Cette obligation d’ailleurs, loin de prévenir la fraude,
était dans le cas de la favoriser. Quelle apparence en ef
fet qu’au moment où le danger est si imminent, on
s’amuserait à ouvrir les coffres pour vérifier les décla
rations. Restait donc le fait de la déclaration elle-même
donnant un vernis de bonne foi à celui qui n’avait pas
craint de mentir pour s’enrichir dans le malheur com
mun.
Le mode prescrit par les Jugements d'Oléron était
donc plus naturel et pouvait être plus efficace contre
l’abus qu’il tendait à réprimer. Mais ce mode supposait
que le capitaine rédigeait un manifeste pour y inscrire
les déclarations des passagers ; et comme ce manifeste
n ’est nulle part prescrit par l’ordonnance, on avait con
clu que celle-ci avait abrogé l’obligation imposée par les
Rôles d'Oléron.
Aussi les intéressés n’étaient-ils pas admis à se préva
loir contre les passagers du défaut de déclaration, Il fal
lait donc, ainsi que l’observe Emérigon, s’en tenir à leur
assertion. Dans tous les cas, le juge pouvait déférer le
serment jusqu’à concurrence d’une somme déterminée,
ou bien prendre telle autre détermination que lui sug
géreraient la qualité, la position du réclamant, les cir
constances du fait, à l’exemple de ce qui se pratique au
sujet d’un coffre volé dans une hôtellerie '.
�ART.
449.
301
Il serait difficile de décider autrement sous l’empire
du Code. Il est évident que celui-ci ne prescrivant ni
déclaration de la part des passagers, ni obligation pour
le capitaine de tenir un manifeste à ce sujet, ni de men
tionner ces déclarations sur le connaissement, l’unique
règle est de s’en référer à l’appréciation équitable des
tribunaux.
Les éléments de cette appréciation sont livrés à la
conscience des juges. S’il n’est pas possible d’arriver à
cet égard à une démonstration matérielle et positive, en
core faut-il que la réclamation soit vraisemblable, ce
que son auteur doit établir par tous les moyens en son
pouvoir. La preuve qu’il partait pour se livrer à une
spéculation, qu’avant son départ il avait touché certai
nes sommes qui étaient dues, ou provenant de la réali
sation de son actif ferait présumer sa bonne foi et pour
rait motiver l’accueil de sa demande.
Il est évident que les experts chargés d’arrêter l’état
des pertes et de faire la répartition devraient être saisis
de cette demande. Leur décision, quelle qu’elle fût, mo
tiverait une critique soit de la part du passager, soit de
celle des intéressés au navire ou à la cargaison. La dé
cision définitive de la difficulté n’appartient qu’aux tri
bunaux.
�D R O IT
302
M A R ITIM E .
A rticle 4 2 0 .
Les effets dont il n’y a pas de connaissement ou dé
claration du capitaine ne sont pas payés s’ils sont jetés;
ils contribuent s’ils sont sauvés.
A rticle 4 2 1 .
Les effets chargés sur le tillac du navire contribuent
s’ils sont sauvés.
S’ils sont jetés ou endommagés par le jet, le pro
priétaire n’est point admis à former une demande en
contribution ; il ne peut exercer son recours que contre
le capitaine.
SOMMAIRE
1866.
1867.
1868.
1869.
1870.
1871.
Caractère du chargement fait sans connaissement ou déclaratiou du capitaine.
Ses conséquences en cas d’avarie grosse.
Raisons qui ont fait admettre l ’assimilation entre le con
naissement et la déclaration du capitaine.
Conditions que doit réunir la déclaration dans le cas de
chargement clandestin.
Devoir qu’elles imposent au capitaine. Conséquences de
sa violation.
Inefficacité de la déclaration , lorsqu'il s’agit d'effets
�appartenant au capitaine ou A un membre de l'équi
page.
1872. Caractère du chargement sur tillac. Ses conséquences,
lorsqu’il a été consenti par le chargeur.
1873. Ses effets contre le capitaine qui se l ’est permis à l'insu
du propriétaire.
1873 bis. Le chargeur qui a consenti au chargement de ses mar
chandises sur le tillac, doit-il le fret de celles qui ont
été jetées à la mer ?
1874. Position du chargeur envers les assureurs dans chacune
de ces hypothèses.
1873. Q t i i d , pour l'assuré dans le cas d’un chargement clan
destin.
1876. L’article 421 est inapplicable à la navigation du petit ca
botage.
1877. Les marchandises chargées sans connaissement ou sur
tillac contribuent, si elles sont sauvées. Obligations et
droits des assureurs.
1 8 G 6 . — Nul ne peut charger sur un navire sans
en avoir obtenu le droit de celui à qui le navire appar
tient, ou du capitaine, son représentant légal.
L’acquisition de ce droit constitue le contrat d’affrète
ment ; la preuve de son existence résulte du connaisse
ment constatant la réception à bord des choses qui en
font l’objet.
L’absence de tout connaissement rend le chargement
non seulement un acte irrégulier parce qu’il est clan
destin, mais encore un véritable attentat sur la propriété
d’autrui. Il ne peut en conséquence créer ni droits pour
son auteur, ni lien contre le capitaine ; de là la faculté
pour celui-ci de renvoyer à terre, au lieu du charge-
�504
D R O IT
M A R ITIM E .
ment, les effets chargés sur le navire sans son concours,
et même de les jeter à la mer si, découverts seulement
en cours de voyage, ils sont pour le navire un embar
ras ou un danger 1.
1 8 6 ® . — L’article 420 ne fait que tirer la consé
quence du principe conférant cette faculté, qu’en appli
quer sainement les effets. Le danger dans lequel se
trouve le navire est présumé provenir du chargement
clandestin. La nécessité de l’alléger, qui fait recourir au
jet, n’aurait pas existé sans sa réalisation. Dès lors, si
le jet porte sur les objets qui en font la matière, aucune
contribution ne saurait être réclamée. Il est juste que
celui qui par son fait occasionne le préjudice en sup
porte seul toutes les conséquences.
D’ailleurs, le connaissement n’établit pas seulement
la preuve du contrat et le caractère légal du chargement,
il détermine en outre la quotité et la qualité des mar
chandises et justifie de leur mise à bord. Or cette preuve
ne pourrait résulter, en l’absence du connaissement, que
d’une enquête, que de la production de factures, ce qui
favoriserait singulièrement la fraude. Justifier, en effet,
qu’on a acheté certaines marchandises, ce n’est pas éta
blir qu’on les a réellement transportées dans le navire.
Prouver le fait d’un embarquement quelconque peut en
core laisser du doute sur ce qui en fait l’objet. Toutes
ces considérations conduisaient nécessairement au réi V
supra,
a rt. 29 2 .
�ART.
4 2 0 , 421.
305
sultat consacré par la loi. Celui qui viole toutes les rè
gles en disposant du navire à l’insu du propriétaire,
agit à ses risques et périls. Si, au lieu du reste, ce qu’il
a chargé ne se trouve plus sur le navire, il n’a rien à
réclamer de personne, la perte reste pour son compte
personnel et exclusif.
1 8 0 8 . — L’article 420 admet la déclaration du ca
pitaine comme remplaçant le connaissement. Cette dé
termination fut consacrée sur la demande du tribunal
de commerce de Bordeaux. Ce tribunal faisait remar
quer qu’il n ’était pas d ’usage de rédiger des connaisse
ments pour les piastres que les négociants de cette ville
vont prendre à Cadix, ou dans tout autre port espagnol.
Dans ce cas, le capitaine se borne à en inscrire la décla
ration sur le livre de bord et sur la facture générale du
chargement. Pourquoi dès lors ne pas donner à cette
déclaration, si d’ailleurs on ne peut en suspecter la
sincérité, la même autorité qu’au connaissement luimême ?
L’équipollence, éminemment juste dans cette hypo
thèse, devait être également admise dans tous les cas où
la déclaration ne suppléait le connaissement que par la
force des circonstances. Par exemple, que, pressé de
mettre à la voile, de s’éloigner d’une rade que le temps
rendait dangereuse, le capitaine n’ait eu ni le temps,
ni les moyens de délivrer un connaissement, la récep
tion volontaire de la marchandise à bord en sera-t-elle
moins certaine ? Pourra-t-on dire dès lors que le charv — 20
�306
'
D R O IT
M A R ITIM E.
gement a été fait à son insu ? Pourrait-il le mettre à
terre sans s’exposer à des dommages-intérêts ? Rien ne
justifierait donc l’application de l’article 420 contre le
chargeur.
L’article 292 lui-même signale un autre cas dans le
quel la déclaration du capitaine est appelée à remplacer
le connaissement. Lorsque la marchandise chargée clan
destinement est découverte au lieu du chargement et
avant le départ, le capitaine a la faculté de la renvoyer
à terre. Mais il peut aussi la garder à bord à la char
ge du fret le plus élevé. S’il adopte ce dernier parti, il
ratifie l’acte du chargeur, le purge du vice qui l’enta
chait. Or n’est-ce pas ce qui résulterait virtuellement de
l’inscription au livre de bord et sur la facture générale
du chargement, de la nature et de la quotité de cette
marchandise.
Ces considérations déterminèrent le conseil d’Etat.
L’article 420 n’exclut de la contribution que si les effets
jetés étaient à bord sans connaissement ni déclaration
du capitaine.
1869. — Celle-ci est donc appelée non seulement
à compléter , mais encore à suppléer le connaissement.
Comme celui-ci, elle prouve la légitimité du chargement,
mais à la condition d’abord qu’elle est le fait libre et
spontané du capitaine.
Ainsi, dans l’hypothèse prévue par l’article 292, la
déclaration du capitaine ne régularise le chargement
clandestin que si son existence a été connue au lieu du
�ART.
420,
421.
307
départ ou du chargement. La faculté de renvoyer à terre
les marchandises qui le composent, la possibilité de
l’exercer impriment à leur conservation à bord un ca
ractère de volonté tel, que la ratification de l’acte du
chargement ne saurait être ni méconnue ni contestée.
La déclaration que le capitaine ferait postérieurement
à la découverte du chargement clandestin, après le dé
part et en cours de voyage, n’aurait pas pour effet de
soustraire le chargement à l’application de l’article 420.
Le capitaine n’ayant plus l’option de conserver ou de
rendre, sa déclaration n’est plus qu’un acte forcé, indis
pensable pour mettre sa responsabilité à couvert, soit
envers la douane, soit vis-à-vis de l’armateur. Elle ne
serait donc plus que la constatation d’un chargement
frauduleux, dont toutes les conséquences resteraient aux
risques et périls de son auteur.
1890.
— Ajoutons que si, dans la première hypo
thèse, la déclaration du capitaine suffit pour régulariser
la position du chargeur et l’autoriser à faire contribuer
les intéressés en cas de jet de ses marchandises, elle
pourrait ne pas suffire pour mettre le capitaine et le na
vire à couvert de toute responsabilité.
Sans doute l’article 292 laisse au capitaine l’alterna
tive de remettre à terre ou de conserver à bord la mar
chandise clandestinement chargée et découverte au lieu
du chargement, mais il n’a réellement cette alternative
que si la conservation à bord n’offre aucun inconvénier
pour le restant de la cargaison. Si les objets chargés
�508
D RO IT
M A RITIM E.
sou aveu surchargeaient le navire, son devoir exige qu’ils
les renvoyé et les remette à terre. Que si le désir de ga
gner le fret le plus élevé l’engageait à agir autrement,
il aurait commis une faute grave, et tous ceux qui au
raient été obligés de contribuer à l’avarie seraient en
droit de se faire rembourser de la perte, soit par lui,
soit par l’armateur civilement responsable.
1 8 Ï 1 . — La déclaration du capitaine ne saurait,
dans aucun cas, remplacer le connaissement pour les
marchandises qui auraient été chargées soit pour le
compte personnel du capitaine , soit pour celui de tout
autre membre de l’équipage. Nous avons vu , à l’égard
des marchandises de cette nature, les précautions or
données pour le connaissement lui-même.
Or, la demande faite soit par le capitaine, soit par un
autre membre de l’équipage en contribution pour jet
de marchandises lui appartenant, l’est en réalité contre
les tiers, comme le sont les assureurs eux-mêmes, d’où
la cour d’Aix concluait avec raison qu’on doit lui appli
quer les articles 344 et 345 du Code de commerce. En
conséquence elle juge, le 9 juin 1840, que l’énonciation
faite par le capitaine, dans son consulat, d’une pacotille
lui appartenant qui aurait été jetée à la mer, ne suffit
pas pour fournir la preuve de l’existence de cette paco
tille à bord du navire, et, par suite, la faire admettre en
avarie commune '.
I.
du P.,
2 , 1840, 259.
�ART,
420, 421,
309
1 8 SS. — Les chargements sur tillac surchargent
ordinairement le navire. On ne recourt à ce chargement
que parce que le navire est déjà rempli dans toutes ses
parties, et qu’on n ’hésite pas à vouloir ainsi dépasser
son port naturel et légitime.
A cet inconvénient s’en joint un autre non moins
grave, l’encombrement du pont, qui gêne nécessaire
ment la manœuvre et rend le navire plus difficile à di
riger et à conduire. Le chargement sur tillac n ’a donc
pas d’autre résultat possible que d’augmenter le béné
fice de l’armement au détriment de la sûreté générale.
Ceux qui acceptent ce mode pour les effets qu’ils em
barquent ne sauraient se plaindre si, en cas de jet, on
leur refuse tout recours contre les autres intéressés. Ils
se sont volontairement associés à l’imprudence du capi
taine, ils ont facilité une mesure dangereuse et qui com
promettait le navire, ils ont su d’ailleurs, le péril se réa
lisant, le sort qui attendait leur marchandise. Us ne peu
vent donc faire peser sur autrui une responsabilité qu’ils
ont volontairement acceptée.
Sans doute, le dommage ou la perte a été volontaire
et subi pour le salut commun ; mais le danger qu’il
s’est agi de conjurer est présumé provenir de la sur
charge, sans laquelle il n’aurait pas été nécessaire d’al
léger le navire. D’autre part, le dommage souffert à
l’occasion du jet n’est attribué qu’à l’obstacle que le
chargement sur tillac mettait à son exécution ; on n ’a
donc fait que sortir le navire du péril dans lequel le
précipitait le mode vicieux de son chargement.
�310
D R O IT
M A R ITIM E .
Peut-être était-il plus naturel de prohiber absolument
ce mode, comme le demandaient le tribunal et le conseil
de commerce de Caen. Ils proposaient, en conséquence,
de supprimer l’article 421, qui paraît le tolérer. Mais on
répondit qu’une prohibition de ce genre ne pouvait trou
ver place dans une loi uniquement destinée à régler les
intérêts civils ; que loin d’encourager le chargement sur
tillac, l’article 421 le prohibait en réalité, puisque la
crainte du résultat qu’il consacre pouvait empêcher les
chargeurs d’y consentir et le capitaine de se le permet
tre ; que, dans tous les cas, il était sage de prévoir et
de régler les effets de l’infraction qui pouvait être faite à
la loi prohibitive.
1893.
— C’est surtout à ce dernier point de vue
que l’utilité de l’article 421 était évidente, même dans
l’hypothèse d’une prohibition absolue. Les parties ne se
conforment pas toujours aux désirs de la loi. Il fallait
donc, dans cette prévision, indiquer la règle à appliquer
à l’infraction.
Cette règle ne pouvait être douteuse pour le chargeur
qui a consenti le chargement sur tillac. Il n’a aucune
contribution à demander si les marchandises sont jetées
ou endommagées, il contribue si elles sont sauvées.
Devait-il en être ainsi si le chargement sur tillac est
le fait unique du capitaine, s’il a été opéré sans l’assen
timent du chargeur? Voilà ce qu’il importait de fixer,
et ce que fixe en effet l’article 421.
La solution consacrée par cet article est conforme aux
�\
ART.
420,
421.
311
principes. Sans doute, dans l’hypothèse prévue, le char
geur est victime d’une prévarication du capitaine. Mais
son existence certaine ne pouvait ni affecter les droits
des tiers, ni changer la nature de ceux appartenant à
celui qui en a été victime.
Or, ces derniers n’ont jamais consisté que dans la fa
culté de faire condamner l’auteur du fait dommageable
à réparer le préjudice qui en est résulté. C’est cette fa
culté que consacre l’article 421, qui, tout en déchar
geant les cochargeurs de toute contribution, réserve, le
cas échéant, le recours contre le capitaine, et par voie
de conséquence contre l’armateur.
Nous avons déjà examiné et résolu la question de
savoir si le chargement dans la dunette doit être assi
milé à celui sur tillac. La solution que nous avons adop
tée amène à cette conséquence que, dans le premier cas
comme dans le second, on devrait appliquer l’article
421 l.
1 8 » * bis. — Le chargeur qui autorise le charge
ment sur tillac doit-il le fret des marchandises jetées à
la mer pour le salut du navire et de la cargaison ?
Nous venons de le dire ce mode de chargement sur
charge le navire, encombre le pont, gêne la manœuvre,
et comme le lui reprochait la cour de Bordeaux, élève
le centre de gravité du navire, diminue’ sa stabilité et
i V.
supra
n» 4 1 2 .
\
�512
D R O IT
M A R ITIM E .
augmente forcément l’amplitude du roulis , c’est-à-dire
qu’il est une source de difficultés et de dangers.
Aussi en sollicitait-on la prohibition, et si cette de
mande ne fut pas accueillie, c’est que cette prohibition
avait nécessairement pour sanction une pénalité qui ne
pouvait se trouver dans un code uniquement destiné à
régler les effets civils des contrats commerciaux, et qui
avait naturellement sa place dans les lois sur la police
maritime.
Voilà pourquoi le Code de commerce dut prévoir et
régler les conséquences du chargement sur tillac pour le
capitaine et pour le chargeur. De là l’article 229 dispo
sant que le capitaine répond de tout le dommage qui
peut arriver aux marchandises chargées sur tillac. Il est
vrai que cette responsabilité disparaît si le chargeur a
autorisé ce chargement par écrit, mais dans ce cas c’est
ce chargeur qui est puni. L’article 421 lui interdit tout
droit à demander une contribution ; il ne lui réserve
que son recours contre le capitaine. Or, où serait l’uti
lité de ce recours si le capitaine n’avait fait que ce qu’il
était autorisé de faire ?
Qu’on ne dise donc pas qu’en réglant les effets du
chargement sur tillac le Code de commerce en a permis
la réalisation. La vérité est que les articles 229 et 421,
en punissant, soit le capitaine, soit le chargeur, ont, au
contraire, entendu leur interdire un acte qui peut com
promettre le navire lui-même et les intérêts multiples qui
s’y trouvent engagés.
Il est évident, et l’article 229 le dit expressément, que
�ART. 4 2 0 , 4 2 1 .
313
l’autorisation écrite du chargeur affranchit le capitaine
de toute responsabilité en cas de jet. Mais outre le dé
faut d’action en contribution le chargeur doit-il payer
le fret des marchandises jetées en cours de voyage ?
On est réellement surpris qu’une pareille prétention
ait pu se produire et être soutenue devant les tribunaux.
Sur quel fondement s’appuyerait-elle ?
Une faute ne peut devenir une occasion de profit
pour son auteur. Or, le capitaine qui, pour augmenter
ses profils, surcharge son navire et compromet ainsi et
ce navire et sa cargaison, commet une faute tellement
lourde qu’on la déclarait un délit dans la discussion du
Code de commerce, et que si l’on renvoyait la détermi
nation de la peine au Code de la police maritime, on en
déduisait dans l’article 2219 la responsabilité absolue du
capitaine.
Sans doute l’autorisation du chargeur fait évanouir
cette responsabilité, mais en effaçant les conséquences
de la faute elle ne saurait effacer celle-ci. Tout ce qu’on
pourrait en conclure, c’est qu’il y a eu faute commune,
et que chacun doit supporter sa part dans ses consé
quences ; le chargeur perdra ses marchandises, le capi
taine n’aura aucun fret à réclamer.
N’est-ce pas d’ailleurs ce qui, pour le capitaine, est
écrit dans l’article 302 du Code de commerce ; il n’est
dû aucun fret pour les marchandises perdues par nau
frage ei échouement, pillées par des pirates ou prises
par les ennemis. Donc, la règle, en pareille matière, est
que le fret étant le prix du transport des marchandises
�314
D R O IT
M A R ITIM E .
d’uo lieu à un autre, n’est dû que si cette marchandise
arrive au lieu de sa destination. Dans le cas contraire,
il n’y a pas eu en réalité de transport, et il serait de la
plus haute injustice de contraindre le chargeur à ajou
ter la perte du prix de ce transport à la perte de la mar
chandise.
On objecte que le fret est dû pour les marchandises
vendues en cours de voyage pour les besoins de la na
vigation, ou jetées à la mer pour le salut commun, ce
pendant les marchandises n’en sont pas moins perdues.
Oui, mais si le chargeur est tenu du prix du transport
des marchandises vendues en cours de voyage, c’est
qu’aux termes de l’article 298, l’armement doit lui en
rembourser la valeur au prix qu’elles auraient été ven
dues au lieu de déchargement, il ne perd donc pas sa
marchandise puisqu’il en est payé, ce qui pour lui a
entre autres avantages d’en opérer la vente immédiate
ment et d’éviter un retard plus ou moins long exposant
son capital à rester improductif et même à se perdre en
partie par la détérioration de la marchandise.
Il en est exactement de même pour le jet à la mer.
On remarquera en effet que l’article 301 n’exige le fret
des marchandises jetées à la mer qu’à la charge de con
tribution. Or, l’article 413 dispose dans ce cas que les
marchandises jetées sont estimées suivant le prix courant
du lieu de déchargement.
Sauf donc sa part dans l’avarie commune, le char
geur dont la marchandise a été jetée recevra l’intégralité
de cette marchandise, il sera à l’instar des autres char
�geurs à cette seule différence que ce que ceux-ci retire
ront en nature lui sera payé en argent. Dès lors, de
même que tous ces chargeurs, il doit payer le fret.
Loin d’être des exceptions à la règle que le fret n’est
dû que par l’heureuse arrivée du navire à sa destination,
les hypothèses des articles 298 et 301 n’en sont que des
applications spéciales. On ne saurait donc raisonner de
ces hypothèses à celle d’un jet à la mer de marchandises
chargées sur le tillac. Dans ce cas, en effet, le chargeur
ne reçoit rien, ni argent, ni marchandises, n’a droit à
aucune contribution. Il éprouve donc une perte sèche,
on ne saurait par conséquent l’empêcher d’invoquer le
bénéfice de l’article 302.
Il ne devrait payer le fret que si, n’ayant pas auto
risé ce mode de chargement, il avait un recours contre
le capitaine. Dans ce cas l’indemnité qui lui serait al
louée devrait être calculée de manière à tenir compte du
fret avec lequel elle se compenserait naturellement.
Que si il a consenti à ce que sa marchandise soit
chargée sur tillac cette marchandise a péri pour son
compte, mais en revanche il ne doit aucun fret. La ré
clamation du capitaine serait d’autant plus irrecevable
qu’il a lui-même à se reprocher une faute grave qui, si
elle ne l’oblige pas à réparation, ne saurait dans aucun
cas devenir pour lui une occasion de profit.
Ainsi le jugeait la cour de Bordeaux par arrêt du
1" juillet 1872. Dans ses conclusions M. l’avocat géné
ral de La Seiglière n’hésitait pas à soutenir que, quels
que soient les termes de la charte partie, le capitaine
�316
DROIT MARITIME.
est en faute quand il charge des navires sur le tillac, et
que si la loi ne l’a pas dit en termes formels, si elle
n’inflige aucune peine au capitaine, il est vrai de dire
qu'elle voit avec défaveur les chargements sur tillac, et
que la pensée du législateur était de les interdire pour
les voyages de long cours.
Après avoir établi que cette pensée ressort nettement
de la discussion du Code de commerce, qu’elle se révèle
dans la rédaction des articles 229, 411, 4^1 du Code
de commerce, M. l’avocat général ajoute :
« En présence de ces dispositions de la loi et quand
on songe à la discussion à laquelle ces articles ont donné
lieu, je pense, pour ma part, qu’on a le droit de dire
que le capitaine qui consent à mettre des marchandises
sur le tillac de son navire commet une imprudence, et
pour un capitaine de navire une imprudence est une
faute.
« Je pense qu’alors même que le chargeur, par désir
de payer le plus souvent un fret moins élevé, consent à
courir de pareils risques, le capitaine qui, par désir de
lucre, surcharge son navire, s’associe à l’imprudence du
chargeur, expose toute la cargaison et commet une fau
te. Il y a tout au moins une imprudence commune, et
je crois, à défaut d’un texte contraire, que les risques
doivent être partagés.
« Le chargeur imprudent perdra sa marchandise, le
capitaine imprudent perdra son fret, sans préjudice du
recours des autres chargeurs si ce mode imprudent de
chargement a pu leur être préjudiciable. »
�'-
'■ ^ _...
ART. 420, 421.
317
La Cour partage sur tous les points l’opinion de
M. l’avocat général. Son arrêt rappelle d’abord et justi
fie le principe que le fret n’est dû que par l’accomplisse
ment du voyage, il ajoute :
« Attendu qu’à côté de la règle générale qui, en cas
de jet à la mer fait pour le salut commun, assure au
propriétaire de la marchandise ainsi sacrifiée une in
demnité réglée par voie de contribution, le Code a ce
pendant placé une exception spécifiée dans son article
Ii%\, d’après lequel le propriétaire des effets chargés sur
le tillac est privé, sauf son recours contre le capitaine,
du droit ouvert pour le même fait aux chargeurs des ef
fets arrimés sous le pont ;
« Attendu que cette exception est fondée sur des mo
tifs d’intérêt général ; qu’en effet ce mode de charge
ment constitue une véritable et grave imprudence, non
seulement en ce qu’il embarrasse et gêne la manœuvre,
mais aussi en ce que élevant le centre de gravité du na
vire il diminue sa stabilité, augmente forcément l’am
plitude du roulis et l’expose ainsi à de plus graves pé
rils ;
« Attendu que si cette imprudence considérée com
me un délit par les rédacteurs du Code de commerce,
n’y a pas été frappée d’une pénalité, c’est uniquement,
ainsi qu’il résulte de la discussion, parce qu’une sanc
tion de cette nature n ’eût pas été à sa place dans une
loi uniquement destinée à régler les effets civils des
contrats commerciaux entre ceux qui les ont souscrits ;
mais que si cette pénalité a été réservée pour le futur
�318
DROIT
MARITIME.
Code de la police maritime, la proposition qui en a été
faite imprime tout au moins à l’acte lui-même le carac
tère d’une faute absolument grave, passible des consé
quences de droit commun auxquelles la loi commerciale
ne déroge pas.
« Attendu que lorsque le chargement sur tillac a été
fait sans le consentement du chargeur, cette faute, ex
clusivement personnelle au capitaine, ne peut à aucun
titre retomber sur les tiers et le laisse justement seul res
ponsable de tous les dommages arrivés aux marchandi
ses (art. 229 et 421) ; que si au contraire le chargeur y
a consenti, il y a faute commune entre lui et le capi
taine, visant l’un à diminuer le prix du fret, l’autre à
en augmenter la quantité au détriment de la sûreté du
navire et de la cargaison, et que cette faute ne peut dès
lors profiter à aucun d’eux.
« Attendu, en effet, qu’ils en ont d’avance accepté
les conséquences en s’y exposant de concert et volontai
rement, le chargeur sachant très bien qu’en cas de né
cessité de jet, sa marchandise y serait, selon les règles
de l’usage ot du bon sens, sujette avant toute autre ; sa
chant aussi que par l’autorisation donnée au capitaine
de lui faire courir ce risque, il perdrait par là même
son recours contre celui-ci ; le capitaine, de son côté,
n’ignorant pas qu’en agissant de la sorte il créait pour
la marchandise une nouvelle chance de perte, et que
cette chance se réalisant, il se trouverait avoir par son
propre fait manqué à son obligation de transporteur.
« Attendu qu’il suit de la qu’au cas dont il s’agit le
�ART. 4.20, 4 2 1 .
519
capitaine n’est pas mieux fondé à réclamer au chargeur
le paiement du fret, que le chargeur à recourir contre
le capitaine pour la perte de la marchandise l. »
On ne saurait méconnaître le caractère juridique de
cet arrêt. Sa solution ne peut donc qu’être accueillie et
recommandée.
1 8 3 4 . — L’auteur du chargement clandestin, celui
dont les marchandises ont été chargées sur le tillac, peutil réclamer de ses assureurs le payement des détériora
tions ou de la perte de la chose assurée ?
Le chargement sur tillac aggrave singulièrement le
risque. S’il avait été autorisé et consenti par l’assuré, et
si celui-ci avait caché cette circonstance, il aurait sans
contredit commis la réticence frauduleuse qui, annulant
l’assurance, la rendrait absolument sans effets en sa
faveur.
Les assureurs ne seraient donc tenus que si, dûment
informés du mode de chargement, ils en avaient accepté
le risque. Dans ce cas, ils ne seraient ni recevables, ni
fondés, même à exciper contre l’assuré de l’impossibilité
de retirer des autres chargeurs la part pour laquelle ils
auraient contribué à la détérioration ou à la perte, dans
tout autre cas d’avarie commune. Ils ont su, en effet,
que telle serait la conséquence du mode de chargement
qu’ils garantissaient.
Si le chargement sur tillac a été fait à l’insu de l’as-
�320
DROIT
MARITIME.
suré, on ne pourrait exciper contre lui d’une réticence
quelconque ; mais cet acte du capitaine, constituant la
baraterie de patron, n’engagerait la responsabilité des
assureurs que s’ils avaient expressément accepté les ris
ques de celle-ci.
18SS. — Emérigon enseigne que l’auteur du char
gement clandestin doit être privé de tout recours contre
ses assureurs. Le défaut de connaissement, dit-il, étant
le fait du chargeur, ne saurait préjudicier aux assureurs.
Or, ce préjudice serait évident si, obligés d’indemniser
le chargeur, ceux-ci ne pouvaient recevoir la part pour
laquelle le navire et le restant de la cargaison auraient
contribué à l’avarie grosse dans le cas d’un chargement
régulier.
La conclusion n’est pas en parfaite harmonie avec les
motifs sur lesquels elle se fonde. La privation de tout
recours contre les assureurs peut être la conséquence du
chargement clandestin, celte clandestinité pouvant créer
un obstacle invincible à la preuve du chargé à laquelle
l’assuré est rigoureusement tenu.
Cette preuve faite et acquise, comment les assureurs
pourraient-ils être absolument libérés de leur obligation
de réparer les détériorations et la perte ? Le seul droit
qu’on ne saurait raisonnablement leur contester, est de
répudier l’aggravation de leur position naissant du fait
personnel de l’assuré.
Cette position ne peut jamais être que celle que leur
aurait fait le chargement régulier. Supposez des mar-
�ART. 4 2 0 , 4 2 1 .
521
chandises assurées pour 20,000 fr.; elles sont chargées
et jetées en cours de voyage. S’il existe un connaisse
ment, leur perte donne lieu à une répartition dont la
quotité sera par exemple, pour chaque contribuable, de
50 0/0.
Si cette répartition n’a pas lieu parce que ces mar
chandises auront été chargées sans connaissement ou
déclaration du capitaine, les assureurs seraient fondés à
répudier les conséquences de ce défaut de contribution.
Ils diront donc à l’assuré qui, après avoir prouvé le
chargé et la perte , demandera le montant de l’assu
rance : Sans votre faute, nous n’aurions eu à vous payer
que la moitié, ou, si nous vous avions compté le tout,
nous aurions été remboursés du 50 0/0 ; nous ne vous
devons donc que celte moitié, car vous n’avez pu, par
votre fait, nous occasionner le préjudice qui naîtrait pour
nous du défaut de contribution.
La conclusion que nous indiquons est plus rationnelle
et plus équitable que celle trop absolue d’Emérigon. La
faute de l’assuré ne peut nuire aux assureurs, mais elle
ne saurait leur profiter hors les cas où elle est de nature
à entraîner la nullité de l’assurance ; or, cette nullité
n’est pas admise pour défaut de connaissement. La con
sacrer, serait, dès lors, ajouter à la loi, dans une ma
tière où tout est essentiellement de droit étroit.
En résumé donc, le chargement clandestin ne saurait
avoir pour les assureurs d’autre conséquence que celle
de les placer dans la position que leur aurait faite le
chargement régulier. L’assuré ne pourra exiger d’eux
v — 21
�322
DROIT MARITIME.
la part contributive que sa faute leur fait perdre. Mais
cette part retenue, l’excédant doit lui être remboursé dès
qu’il a justifié suffisamment du chargé de la perte.
1890. — L’article 421 doit être combiné avec l’ar
ticle 229, et puisque, aux termes de celui-ci, le capi
taine faisant le petit cabotage peut charger sur tillac, il
semble que la règle tracée par l’article 421 doit recevoir
exception dans cette navigation.
Cependant, un arrêt de la cour de Rennes, du 24
janvier 1822, repousse cette exception et déclare la dis
position de l’article 421 commune au petit cabotage,
comme à toutes les autres navigations. Mais la juris
prudence a répudié cette doctrine et consacré l’opinion
contraire. C’est notamment ce que la cour de Bordeaux
jugeait, le 21 novembre 1827.
Le 4 mars 1841, la cour d’Aix déclarait, de son
côté, que bien que le capitaine d’un navire de petit ca
botage eût chargé sur le tillac des marchandises que le
connaissement portait devoir être chargées sous couver
ture, le jet de ces marchandises constituait une avarie
grosse, donnant lieu à l’action en contribution entre les
intéressés1.
Enfin, la Cour suprême, appelée à résoudre la ques
tion, a adopté la doctrine des cours de Bordeaux et
d’Aix. Nous transcrivons les motifs de son arrêt, rendu
le 20 mai 1845, parce qu’ils déterminent nettement le
�ART. 4-20, 4-21.
323
caractère de l’article 421 et l’affinité qui le lie à l’article
229.
« Considérant que l’article 421 est fondé sur ce que
le capitaine qui charge les marchandises sur le tillac
commet une faute, à laquelle le propriétaire de la mar
chandise est censé s’associer en ne réclamant pas con
tre ce mode périlleux de chargement ; que celte faute ne
peut retomber sur les autres chargeurs, qui ont tenu la
main à ce que les marchandises fussent chargées régu
lièrement ; que, dès lors, il était raisonnable que le lé
gislateur considérât l’avarie comme ne pouvant donner
lieu qu’à une action entre les chargeurs, dont les effets
ont été jetés, et le capitaine ;
« Mais que la disposition de l’article 421, si générale
qu’elle paraisse au premier coup d’œil, ne saurait être
étendue au petit cabotage, puisque, d’après l’article 229,
le tillac est, dans ce cas, un lieu régulier de chargement;
que, par suite, si des marchandises placées sur le tillac
viennent à être jetées, loin qu’on puisse alors se préva
loir des présomptions légales qui dominent l’article
421, ces présomptions sont nécessairement détruites
par l’impossibilité d’attribuer à la faute du capitaine
ou autres l’avarie éprouvée, et à leur place s’élève la
preuve évidente que le jet a eu lieu pour le salut com
mun ;
« Que si l’article 421 devait être appliqué au petit
cabotage, il en résulterait que les chargeurs, dont les
marchandises auraient été sacrifiées, n ’auraient aucune
action contre les autres chargeurs à cause de Tard-
�524
DROIT
MARITIME.
cle 421, contre le capitaine à cause de l’article 229, ré
sultat inadmissible et contraire à toutes les idées de jus
tice, d’équité et d’égalité ;
« Qu’une pareille jurisprudence porterait une atteinte
funeste au petit cabotage, si utile aux intérêts commer
ciaux ; que, de plus, elle serait en opposition avec les
usages maritimes les plus anciens, les plus respectables,
et sanctionnés du reste d’une manière formelle par l’ar
ticle 228 r.
185® . — Le refus du droit d’exiger la contribution
dans les cas prévus par les articles 420 et 421 est fait
à titre de peine, soit contre le chargeur clandestin, soit
contre le capitaine chargeant sur le tillac. En consé
quence, si le fait de l’un ou de l’autre n’a été suivi d’au
cune conséquence fâcheuse, si les marchandises sont ar
rivées à leur destination en tout ou en partie, elles sont
présumées sauvées par l’avarie commune. On en revient
donc à la règle générale, d’après laquelle tout ce qui a
profité de cette avarie doit y contribuer.
Ce retour au droit commun s’opère non seulement en
faveur du navire et de la cargaison , mais encore du
chargeur clandestin à ses assureurs. Ici le chargement
ne saurait être contesté, il est prouvé, quant à la partie
sauvée, par son existence à bord au lieu d’arrivée. Le
défaut de connaissement n’a plus aucune importance, et
les assureurs ne pourraient en exciper pour refuser le
�art . 4 2 0 ,
421.
325
remboursement de la portion pour laquelle contribuent
les marchandises par eux assurées.
Il n’en serait pas de même pour le chargement sur
lillac, si l’ignorance des assureurs était le résultat d’une
réticence. La nullité de l’assurance résultant de son
existence, les assureurs pourraient la faire prononcer
même après l’arrivée des marchandises pour être exo
nérés de la part contributive qu’elles supportent à l’ava
rie commune.
Article 4 2 2 .
Il n’y a lieu à contribution pour raison du dommage
arrivé au navire que dans le cas où le dommage a été
fait pour faciliter le jet.
Article 4 2 3 .
Si le jet ne sauve le navire, il n’y a lieu à aucune con
tribution.
Les marchandises sauvées ne sont point tenues du
payement ou du dédommagement de celles qui ont été
jetées ou endommagées.
■ ' ' T "-''-, i '
. - ■: v r
\ -y
�326
DROIT
MARITIME.
A rticle 4 2 4 .
Si le jet sauve le navire, et si le navire, en conti
nuant sa route, vient à se perdre, les effets sauvés con
tribuent au jet sur le pied de leur valeur en l’état où
elles se trouvent, déduction faite des frais de sauve
tage.
S OMMAI RE
1878.
1879.
1880.
1881.
1882.
1883.
1884.
1885.
1886.
1887.
1888.
1889.
1890.
Caractère de l ’article 422.
Erreur dans laquelle la Cour de cassation était tombée.
Doctrine suivie sous l’empire de l’ordonnance de 1681.
Doctrine du Code.
La contribution à l’avarie grosse n ’est due que si elle a
sauvé le navire. Motifs.
Conséquences en cas de naufrage.
En cas de prise.
Pour quel objet est due la contribution en cas de ra
chat.
La contribution est due, si l’avarie grosse a sauvé le na
vire, même en cas de sinistre ultérieur.
Effets de celui-ci.
Dans quels cas la condition du sauvement est acquise.
Obligations du propriétaire des objets sauvetés à l’endroit
de la contribution.
Les frais de sauvetage doivent être déduits avant toute
contribution.
1 8 * 8 . — Le principe que l’avarie grosse, c’est-à-
�ART. 4 2 2 ,
423,
424.
327
dire le préjudice volontairement souffert pour le salut
commun donne lieu à contribution, pouvait-il être mo
difié suivant la nature des dommages éprouvés et les
résultats obtenus ? La loi ne distingue pas, en ce qui
concerne les marchandises ; que le dommage ait été
prévu ou non, dès qu’il est l’effet ou la conséquence de
l’avarie elle-même, il y a contribution.
Pouvait-il en être autrement pour le navire? Ne de
vait-on, relativement à lui, considérer comme tombant
en avarie grosse que le dommage souffert à l’occasion
du jet et pour le faciliter ? L’intention du législateur ne
pouvait être douteuse en présence des termes formels de
l’article 400. On ne pouvait donc se méprendre sur la
véritable portée de l’article 421.
1899. — C’est cependant ce qu’avait fait la Cour
de cassation qui, critiquant vivement sa disposition, la
signalait comme inutile, comme énonçant un principe
faux en restreignant, pour le navire, les avaries com
munes au dommage qu’il a souffert pour faciliter le jet.
Or, disait-elle, suivant l'article 400, plusieurs autres
événements sont pour lui avaries communes.
Le caractère erroné de cette interprétation était évi
dent. Si telle, en effet, eût été la pensée de la loi, les
armateurs, si directement intéressés dans la question,
auraient certainement imité la Cour suprême et fait
entendre leurs justes réclamations ; le silence absolu
gardé à ce sujet par le commerce indique donc que ce-
�328
DROIT
MARITIME.
lui—
ci ne s’était pas mépris sur le sens réel de l’article
422.
Comment se serait-il mépris ? Depuis longtemps ce
sens avait été nettement déterminé par la pratique uni
verselle. L’article 422, en effet, n’était que la reproduc
tion de l’article 14, titre 8, livre 3 de l’ordonnance. Il
est évident dès lors, qu’en transportant cette disposition
dans le Code, la commission n’entendait consacrer que
les effets qu’on en avait jusque-là déduit.
1 8 8 0 . — O r, voici comment, au témoignage de
Valin, l’usage et la pratique l’avaient interprétée :
« L’ordonnance, dans les articles 4 et 6 du titre des
avaries, ayant déjà réglé que les pertes causées au na
vire par tempête ou autre fortune de mer ne sont que
des avaries simples et particulières, à moins qu’elles
n’aient été souffertes pour le salut commun, l’article 14
n’ajoute rien à leur décision en disant qu’il ne sera fait
aucune contribution pour raison du dommage arrivé au
bâtiment, s’il n’est fait exprès pour faciliter le jet ; puis
que pour juger si une telle avarie sera sujette à contri
bution et répartition ou non, tout dépend du point de
savoir si elle est avarie commune ou particulière.
« A prendre à la lettre la fin de cet article , le droit
du propriétaire du navire se trouverait fort restreint, et
il faudrait en conclure qu’il ne pourra demander raison
du dommage arrivé à son bâtiment qu’autant qu’il y »
aurait eu jet, et que ce dommage aurait été fait exprès
pour le faciliter. Mais nulle apparence d’admettre cette
�interprétation comme ne pouvant s’accorder ni avec l’é
quité naturelle, ni avec la disposition dudit article 6, ti
tre des avaries.
« Aux termes de celui-ci, en effet, qu’il y ait jet ou
non, dès qu’il a fallu couper les câbles et les mâts,
abandonner les ancres, etc., pour assurer le salut com
mun et éviter le naufrage ou la prise, nul doute que
ce ne soit là une avarie commune, sujette à contribu
tion.
« D’autre part, en cas de jet, si, dans le trouble de
la manœuvre et l’agitation des flots, des cordages sont
coupés, des vergues emportées, ou si, en jetant les ca
nons ou autres objets de poids, les bordages du navire
ont été endommagés, nul doute non plus que ce soient
encore là des avaries communes, quoique rien de tout
cela n’ait été fait exprès. »
Valin ajoute : Ce n’est donc pas à cela aussi qu’on
peut faire l’application de notre article, mais seulement
au cas de naufrage ou échouement effectif, où chacun
porte la perte comme avarie particulière et sauve ce qu’il
peut. Les Italiens disent à ce sujet chi salva, salva ; chi
perde, perde. En pareille occurence, il arrive cependant
quelquefois que pour tirer les marchandises il faut faire
des ouvertures au navire, ce qu’on appelle le saborder ;
c’est bien alors un dommage fait exprès au bâtiment
pour faciliter le jet, ou, ce qui est la même chose, l’ex
traction des marchandises, et c’est sans doute cette opé
ration que notre article a eu en vue, quoiqu’il y ait un
article exprès .à ce sujet, qui est le 18 du présent titre.
�350
DROIT
MARITIME.
Par cette explication simple et naturelle de notre article,
on lui fait porter une décision particulière qui ne dé
roge en rien à l’idée générale que l’article 6, au titre
des avaries, a déjà donnée des dommages au navire qui
d( ivent être considérés comme avaries grosses et com
munes, sujettes par conséquent à contribution
1 8 8 1 . — Quoi qu’il en soit, le Code a évidemment
voulu que ce que l’ordonnance avait créé. Dès lors, l’ar
ticle 422 n’est et ne peut être une dérogation au classe
ment édicté par l ’article 400 de l’avarie commune à
l’endroit du navire. À notre avis, loin de porter atteinte
à ce classement, l’article 422 en a agrandi le cercle.
Ainsi que l’observe Valin, le jet peut occasionner dans
son exécution un dommage non prévu et purement for
tuit. On aurait pu, dès lors, soutenir qu’il ne devait pas
tomber en avarie commune, puisque, n’ayant été qu’involontairement souffert, il manquait de la condition es
sentielle constitutive de cette avarie.
Une pareille prééention eût été injuste. Un pareil
dommage, quoique non prévu en principe, n’en est pas
moins la conséquence unique et directe du jet. I! est
donc implicitement autorisé par la délibération autori
sant le jet lui-même. C’est cette idée , fort rationnelle
d’ailleurs, qui se trouve consacrée par l’article 422.
Il n’est donc pas nécessaire d’admettre, comme le fait
Valin, que cet article ne dit que ce que dira plus tard
i A rt
14, tit. du Jet.
�ART. 4 2 2 ,
423, 424.
331
l’article 426 dans l’hypothèse où il a fallu saborder le
navire. Cet acte, ne pouvant émaner que de la volonté
humaine, réunissait toutes les conditions exigées pour
l’avarie commune. Nous verrons bientôt les motifs qui
ont déterminé le législateur à en faire l’objet d’une dis
position particulière.
Ces deux articles ont chacun un objet spécial. Celui
de l’article 422 est de ranger dans la catégorie des ava
ries communes le dommage même fortuit, occasionné
par l’exécution de la mesure prise pour le salut com
mun. Ainsi, qu’en procédant au jpt on ait coupé et en
traîné des cordages, emporté uné|^ergue ou tout autre
manœuvre, déchiré une voile, endommagé les bordages
du navire, la valeur de l’objet perdu se réunira à celle
des choses que le navire a pu volontairement sacrifier,
et le tout tombera en avarie commune.
— La disposition de l’article 423 est la con
séquence logique du principe qui a fait consacrer la con
tribution. Tous ceux qui ont retiré un profit de l’avarie
grosse doivent en supporter les conséquences. Où serait
le profit si, malgré le sacrifice volontairement opéré pour
conjurer le péril, on avait été dans l’impuissance de
réussir, et si le navire avait été englouti ou précipité sur
des rochers. Il n’y a plus alors qu’un malheur général,
qu’une catastrophe commune dans lesquels, suivant
l’expression de l’Ecole italienne chi sülva, salva ; clù
perde, perde.
1883.
�352
DROIT
MARITIME.
1883. — Les marchandises sauvées du naufrage
arrivent dès lors à leur propriétaire libre de toute charge
autre que celle de payer les frais de sauvetage. Elles ne
doivent aucune contribution pour les effets volontaire
ment sacrifiés pour conjurer le sinistre. Leur abandon,
leur jet, n’ayant pu sauver le navire, leur perte est at
tribuée au naufrage lui-même : Eorum enim non possunt videri servandœ navis causa jacta esse, quia per i i t l.
Cette décision de la loi romaine n’a jamais cessé d’ê
tre le droit commun de la matière. Consacrée par les lé
gislations subséquentes, nous la retrouvons inscrite dans
l’article 423.
Cette décision n ’est qu’une application de la règle
res périt domino. Dès l’instant que le navire n’a pu
être arraché à sa perte, tout se confond dans le sinistre
qui atteint dès lors chacun, à concurrence de son in
térêt.
#
1
■S
'
1884. — Ce qui se réalise en cas de naufrage au
rait également lieu dans l’hypothèse de la prise du na
vire par les ennemis ou les corsaires. Si les sacrifices,
volontairement faits pour l’éviter, ne l’ont pas empêché,
il n’est dû aucune contribution à personne par per
sonne.
Ce résultat est atteint par le seul fait de la prise qu’el
les qu’en soient d’ailleurs les conséquences, il importe-
�ART.
4-22, 4 2 3 , 4 2 4 .
333
rait peu que le navire eût été relâché ou qu’il fût par
venu à recouvrer sa liberté.
L’un et l’autre de ces événements ne sont les consé
quences de l’avarie commune, ils sont uniquement dus
soit à la volonté spontanée du capteur ou à son im
puissance de conserver sa prise, soit aux secours de
tiers, dont l’intervention a permis au navire de recou
vrer sa liberté, soit enfin aux efforts ou à l’adresse de
l’équipage.
;
c
■
•
1885. — Il n’y aurait lieu à contribuer, en cas de
prise, que si la restitution du navire était le résultat
d’une composition et d’un rachat, mais, même dans
cette hypothèse, ce qui fait l’unique matière de la com
position, c’est la somme payée et la valeur des choses
livrées par suite et en exécution de la composition. Les
effets précédemment jetés ou sacrifiés en seraient exclus,
leur perte resterait à la charge des propriétaires ; par
une même réciprocité, ces effets seraient affranchis de
l’obligation de contribuer à un rachat qui ne les concer
ne pas ef dont ils ne sont pas appelés à profiter.
1886. — Si le jet a sauvé le navire, la contribution
est due, le droit des propriétaires, dont tout ou partie
de la cargaison a été sacrifié, est acquis ; il affecte le
navire et le restant du chargement est grevé d’une ma
nière définitive.
Il ne cesse donc pas d’exister, alors même que, par
�3M
D R O IT
M A R IT IM E .
un nouvel accident de la navigation, le navire vient à se
perdre avant d’avoir accompli son voyage.
1 8 8 1 . — Si le second sinistre n’abroge pas le droit
résultant du premier, il ne laisse pas que de le modi
fier. Ce qui contribue dans ce cas, ce n’est pas la valeur
du navire et de la cargaison telle qu’elle était au mo
ment de l’avarie grosse, c’est uniquement et exclusive
ment ce qui a été sauvé.du naufrage ultérieur, suivant
ses état et valeur à la suite du sauvetage. En réalité,
l’armateur ou chargeur ne retire que le profit de l’ava
rie commune, il ne doit donc y prendre part qu’à rai
son de ce. C’est même dans cette prévision et pour ne
pas sanctionner une contribution que les événements
postérieurs pourraient rendre exagérée et injuste, que la
loi a prescrit le règlement au lieu de la décharge seule
ment.
La disposition de la loi à cet effet est donc juste, elle
est, quant au principe en lui-même, justifiée par cette
considération que l’avarie commune est l’origine du sau
vetage. Sans elle, en effet, les choses qui en font l’objet
auraient péri, elle les a donc conservées. Sans doute,
elles peuvent ne plus être intactes par suite du second
sinistre, mais tout ce qui s’induisait de là, c’est que la
contribution due et acquise ne devait se faire que pro
portionnellement à la valeur actuelle.
1 8 8 8 . — La condition de sauvement exigée par le
législateur n’existe que si le navire heureusement sorti
�du premier danger n ’a péri plus tard que par suite d’uii
nouvel accident distinct et indépendant du premier.
L’avarie commune n’aura donc pas sauvé le navire,
si la tempête qu’elle a pour objet de conjurer, conti
nuant après le jet ou le sacrifice volontaire, finit par
détruire le navire et en occasionne la perte. Ce qui sera
résulté dans ce cas de l’avarie sera un répit plus ou
moins prolongé, elle aura retardé et non prévenu la
perte. Peu importe l’étendue et la nature de ce retard,
il suffit que la lutte se soit continuée , que la tempête
n’ait pas cessé , enfin que le navire ait succombé pour
qu’aucune contribution ne puisse être imposée au pro
duit du sauvetage.
La condition prescrite ne sera donc accomplie que si
l’avarie grosse a réellement tiré le navire du péril qui
était venu l’assaillir, si le calme succédant à la tempête,
ou l’éloignement certain de l’ennemi lui a permis de
continuer sa navigation ; enfin que si, exposé à une
nouvelle tempête ou à la poursuite d ’un autre ennemi,
il a péri ou a été pris, dans ce cas seulement la con
tribution sera due et pourra être réclamée par les ayants
droit sur les effets sauvés, de la manière que nous ve
nons d’indiquer, c’est-à-dire proportionnellement à leur
valeur actuelle.
1 8 8 » . — Comment s’établira cette contribution ?
La perte entière sera-t-elle à la charge des effets sau
vés, de telle sorte que leurs propriétaires devront être
�336
D R O IT
M A R ITIM E .
tenus de la part qui aurait été supportée par les mar
chandises perdues dans le second sinistre ?
L’affirmative blesserait la raison et l’équité. Il est évi
dent que, quelle que soit l’époque du règlement, la part
que les intéressés doivent prendre à la contribution ne
peut être que celle qu’ils auraient supportée si ce règle
ment avait été fait au moment de l’avarie ; le droit du
propriétaire des effets sacrifiés est dès lors acquis envers
et contre tous.
Or, ce droit est entièrement divisible, il grève chacun
des contribuables pour sa part et portion, sans aucune
solidarité entre eux, il est dès lors impossible que la
part de l’un puisse se répartir sur les autres.
Ainsi, si le second sinistre a diminué et fait disparaî
tre une partie des effets soumis à la contribution, il a
par cela même, et jusqu’à due concurrence, éteint l’in
demnité au préjudice de celui à qui elle est due. La perte
de la chose éteint l’obligation, et fait par conséquent dis
paraître les droits du créancier. Or, ce principe de droit
commun n’a ripn qui répugne à la matière dont nous
nous occupons.
La libération de l’un ne peut aggraver l’obligation de
l’autre, il n’y a entre les codébiteurs ni indivisibilité, ni
solidarité.
Concluons donc que dans notre hypothèse le proprié
taire des effets sauvés ne devra jamais contribuer que
pour la part proportionnelle qu’aurait déterminé le rè
glement général de l’avarié, c’est-à-dire que si le règle
ment avait déterminé la quotité de la contribution au
�ART.
422, 423, 424.
337
10 ou au 20 0/0, il n’aura à payer que ce 10 ou 20 0/0
sur la valeur des choses sauvées.
Ce n’est, en effet, que sur celles-ci que l’article 424
fait peser la contribution. En conséquence, si à l’endroit
du ou des chargeurs, le sauvetage représente la moitié,
le quart, le tiers de l’intérêt qu’ils avaient sur le navire,
ils ne supporteront la contribution que pour celte moi
tié, ce quart, ce tiers. Il serait inique, observe M. Dageville, qu’en faisant perdre aux contribuables une par
tie de leurs marchandises, ce dernier naufrage n’éteignit
pas en même temps une partie des droits du proprié
taire des marchandises jetées '.
Cette iniquité a été si bien comprise par le législateur,
que notre article déclare expressément que la contribu
tion n’est due par les effets que sur le pied de leur va
leur au lieu où ils se trouvent.
1 8 9 0 . — Nous avons déjà dit que cette valeur devait
être établie au net et non au brut, puisque la contribu
tion no peut jamais consister que dans la réduction du
profit, et que celui -ci n’est et ne peut être que ce que
louche lé chargeur, tous frais payés.
L’article 424 applique cette règle aux frais de sauve
tage dans l’hypothèse qu’il prévoit, il prescrit de les dé
duire de la valeur contribuable. Cette déduction est lé
gitime, ces frais ont, en conservant la chose, sauvegardé
le droit de la soumettre à la contribution, ils sont privi' T . 4, p. -184.
v — 22
�538
D R O IT
jS -
M A R ITIM E.
'
légiés, el ce n’est même qu’à la charge d’y satisfaire que
cette chose arrivera aux mains de son propriétaire. Ce
lui-ci ne profite donc réellement que de l’excédant qui
doit dès lors seul contribuer ; admettre le contraire, c’eût
été contraindre à contribuer pour une dépense consti
tuant une perte réelle.
Article 4 2 5 .
Les effets jetés ne contribuent en aucun cas au paye
ment des dommages arrivés depuis le jet aux marchan
dises sauvées.
Les marchandises ne contribuent point au paye
ment du navire perdu, ou réduit à l’état d’innaviga
bilité.
A rticle 4 2 6 .
Si, en vertu d’une délibération, le navire a été ouvert
pour en extraire les marchandises, elles contribuent à la
réparation du dommage causé au navire.
A rticle 4 2 7 .
En cas de perte des marchandises mises dans des bar-
�ART.
425, 426, 427.
339
ques pour alléger le navire entrant dans un port ou une
rivière, la répartition en est faite sur le navire et son
chargement entier.
Si le navire périt avec le reste de son chargement,
il n’est fait aucune répartition sur les marchandises
mises dans les allèges, quoiqu’elles arrivent à bon port.
SOM M AIRE
1891.
1892.
1893.
1894.
1895.
1896.
1897.
1898.
1899.
1900.
1901.
1902.
1903.
1904.
Objet de l ’article 425.
Exception qu’il introduit au principe que tout ce qui pro
fite de l'avarie commune doit y contribuer.
Raisons qui ont dû faire consacrer cette exception.
Comment on procède, dans ce cas, au règlement des ava
ries successives.
Comment se composent les masses passibles de la contri
bution. .
Les marchandises ne contribuent pas au payement du na
vire perdu ou re'duit A l’étal d’innavigabilité.
Rigueur de cette disposition.
Caractère de l ’article 425.
Opinion de M. Dageville et de Pothier.
Jurisprudence.
Conséquences.
Espèce jugée par la cour de Rordeaux.
Ce qui distingue le dommage prévu par l ’article 426 de
delui déjà indiqué par l ’article 422. Ce qu’est le pre
mier.
Le navire ne peut être ouvert pour en extraire les mar
chandises qu’à la suite d’une délibération. Forme de
celle-ci.
�340
1905.
1906.
1907.
1908.
1909.
1910.
1911.
1912.
1913
1914.
1915.
D R O IT
M A R ITIM E.
En cas île dissentiment entre les chargeurs et le ca
pitaine et l ’équipage, l'avis de ces derniers doit préva
loir.
Si les marchandises mises sur des barques pour alléger
le navire périssent, leur valeur tombe en avarie com
mune, si le navire arrive à bon port.
La disposition de l’article 427 ne s’applique qu'à l’allége
ment opéré dans les cas prévus par l ’article 400.
Doctrine conforme de Valin et de Pothier sous l’ordon
nance.
Opinion de M. Pardessus en ce sens.
Arrêt contraire de la cour d’Aix.
Examen et discussion.
Résumé et concl usion.
La perte des barques et allèges tombe-t-elle en avarie
grosse ?
Les marchandises transbordées, si elles arrivent à bon
port, ne contribuent point à la perte du navire et du
restant de la cargaison.
Q u i d , de l'avarie commune?
1891.
— Nous venons de voir le législateur régler,
quant au principe de la contribution, l’hypothèse de la
perte postérieure du navire survenant par une seconde
et nouvelle fortune de mer, il pouvait cependant se faire
que le moyeu employé pour conjurer la première tem
pête fût renouvelé, et avec le même succès, lors de la
seconde. Il importait, dans cette prévision, de fixer la
base et les éléments de la contribution qui devait en être
la conséquence.
Tel est l’objet spécial de l’article 425. Les dommages
dont il affranchit les marchandises précédemment jetées
�ne peuvent, en effet, s’entendre que de ceux donnant
lieu à une contribution. Tous ceux qui seraient soufferts
par le navire ou par la cargaison, et qui ne seraient que
le résultat d’un événement fortuit ou de force majeure
ne constituant que des avaries particulières à la charge
de l’un ou de l’autre.
1 8 9 3 . — L’article 425 serait donc, dans sa pre
mière disposition, une exception à la règle suivant la
quelle tout ce qui profite de l’avarie grosse est tenu d’y
participer ; ce caractère, on a voulu le justifier par le
motif que les choses. primitivement jetées, n’étant plus
à bord au moment du second jet, sont sorties de la com
munauté des risques et doivent dès lors rester étrangè
res aux chances ultérieures de la navigation.
L’économie générale de la loi, son texte et son esprit
repoussent cette proposition. La preuve que les choses
jetées ou sacrifiées restent soumises au sort ultérieur
du navire, c’est que l’indemnité qui leur est-due ne sera
réglée qu’au port d’arrivée; c’est qu’il n’en sera alloué
aucune si le navire et le restant de la cargaison péris
sent dans la continuation du voyage ; c’est enfin qu’en
cas de sauvetage, cette indemnité ne sera calculée que
sur la valeur des effets sauvés en l’état où ils se trouve
ront.
D’ailleurs, le droit à l’indemnité n ’a-t-il pas pour
fondement la supposition que les effets jetés sont réelle
ment arrivés? N’est-ce pas cette supposition qui les fait
�3, .4 2 *
D R O IT
M A RITIM E.
(
estimer à leur valeur au lieu de la destination, et con
tribuer eux-mêmes sur le pied de cette valeur ?
On ne peut donc pas légalement prétendre que ces
effets sont sortis de la communauté des risques. Sans
doute, en ce qui les concerne, la question n’est pas s’ils
arriveront ou non à leur destination, ce qu’il s’agit pour
eux, est de savoir s’ils seront ou non payés. Dès lors, si,
en sauvant les effets la seconde avarie commune a con
servé le droit au payement, elle a réellement profité à
leur propriétaire, et aurait pu le contraindre à contri
buer à raison de ce profit.
Vainement a t-on voulu assimiler les choses jetées ou
sacrifiées aux marchandises vendues en cours de voyage
pour les besoins du navire. Quels qu’aient été les mo
tifs de cette vente, et alors même qu’à raison de l’insol
vabilité de l’armateur, elle devrait tomber en avarie
commune, les marchandises qui en sont l’objet contri
buent dans ce dernier cas, ainsi que nous l’avons dit.
Dans toutes les autres hypothèses, elles sont si bien
sorties de la communauté des risques, qu’il ne s’agit
plus pour leur propriétaire que d’un droit de créance
contre le capitaine et l’armateur. La disposition de l’ar
ticle 234 affecte à cette vente le caractère d’avarie par
ticulière ; les marchandises qui en ont été l’objet ne
sont donc dispensées de toute contribution précisément
que parce que, en thèse ordinaire, leur propriétaire ne
peut en exiger aucune, la vente n’étant qu’un emprunt
forcé contracté par le navire.
L’assimilation que nous examinons n’est donc pas
�ART. 4 2 5 , 4 2 6 , 4 2 7 .
543
admissible, les choses jetées pour le salut commun tom
bent dans tous les cas en avaries grosses, le prix des
choses vendues ne revêt ce caractère que si l’insolvabi
lité de l’armateur l’empêche de faire face au rembourse
ment que la loi met directement à sa charge ; d’ailleurs,
dans cette hypothèse, ce prix concourt à la contribution,
en supporte sa part.
1893. — Nous avons donc raison de le dire, la
première disposition de l’article 425 est une exception à
la règle que nous rappelions, mais ce qui la justifie,
ce sont les conséquences qui naissen i de cette disposition
elle-même.
Celui dont les choses ont été jetées ne profite du jet
que si, au moyen de la contribution, il est payé de leur
valeur, aussi cette valeur doit elle figurer intégralement
dans le chiffre des perles qu’il s’agit de répartir entre
tous les intéressés.
Or, la masse passive de la seconde avarie commune
ne comprendra pas la valeur des marchandises jetées
ou sacrifiées lors de la première, cela par deux motifs :
d’abord, parce que ce jet primitif n'a été d’aucune uti
lité dans le second événement, et qu’il est impossible de
prétendre qu’il a concouru au salut commun ; ensuite,
parce que ce qui est dû n’est qu’une contribution à pré
lever sur les marchandises que le premier jet a sauvées,
à établir sur leur état et leur valeur au jour et au lieu
de l’arrivée du navire.
Cette valeur elle-même ne se calcule que déduction
�344
D R O IT
M A R ITIM E .
faite, des, frais de sauvetage. Or, comment contester ce
caractère aux pertes ou dommages soufferts volontaire
ment, dans le second événement.
Dès lors les unes et les autres doivent être préalable
ment réglées entre les intéressés, dans le nombre des
quels ne figurent pas les propriétaires des choses primi
tivement jetées. En conséquence, et puisqu’ils ne rece
vaient rien de ce règlement, on ne pouvait les y faire
contribuer.
1894.
— Il résulte de ce qui précède qu’en matière
d’avaries communes successives, les dernières sont d’a
bord réglées et payées ; en matière maritime, la préfé
rence se règle par l’influence que le fait a exercé sur la
conservation du navire et des intérêts y attachés. Or, la
seconde avarie grosse a, en assurant le salut commun,
profité aux ayants droit dans la première avarie, en con
servant le gage sur lequel ces droits seront exercés.
On doit donc procéder à autant de règlements dis
tincts qu’il y a d’avaries grosses. Les plus, récentes sont
d’abord payées, et ce n’est qu’à concurence de ce qu’ils
retirent après ce payement que les contribuables parti
cipent aux plus anciennes. Ce mode a incontestablement
le mérite de faire en quelque sorte contribuer les ayants
droit à celles-ci, à raison du profit qu’ils retirent des
subséquentes. Cette contribution consiste dans la réduc
tion de ce que ces ayants droit auraient reçu si l’avarie
à laquelle ils sont intéressés avait seule conservé le ria-
�ART. 4 2 8 , 4 2 6 , 4 2 7 .
543
1895.
— Dans ces règlements successifs, la masse
passive varie seule, elle ne comprend dans chacun que
les pertes et dommages soufferts à l’occasion de l’événe
ment spécial. La masse contribuable reste composée des
mêmes éléments, c’est-à-dire la moitié du navire et du
fret et la valeur des effets et marchandises au lieu du
reste. Seulement, la seconde contribution ne se prélève
que sur ce qui reste de cette valeur, payement fait de la
première.
Ainsi, Paul a un chargement évalué à l’arrivée 20,000
fr., il y a eu deux jets distincts et successifs. Le faux de
la contribution dans la plus récente étant du 20 0/0, il
paye une somme de 4,000 fr.
II n’est donc plus compris dans la seconde que pour
les 16,000 fr. qu’il est dans .le cas de recevoir. En con
séquence, en admettant que dans celle-ci le taux soit
encore de 20 0/0, il ne devra que 3,200 fr.
1896.
— La contribution n’est due qu’à l'avarie,
elle, ne pourrait être exigée en cas de perte entière cons
tituant un sinistre majeur , c’est ce qui explique la se
conde disposition de l’article 425, affranchissant les
marchandises de toute contribution au payement du na
vire perdu ou réduit à l’état d’innavigabilité.
II est à regretter qu’en empruntant celte disposition à
l’ordonnance de 1681, la commission d’abord, le con
seil d’Etat ensuite, n’ait pas dissipé le doute naissant de
l’obscurité des termes. Quelle est la perte à laquelle il
«
�o it)
D RO IT
M A R ITIM E .
ne sera dû aucune contribution ? Quelles sont les mar
chandises qui en sont affranchies?
1.809. — Si la perte du navire, si l’état d’innavi
gabilité est la conséquence directe et unique du dom
mage volontairement fait pour le salut commun, l’ex
ception consacrée en faveur des marchandises viole la
loi de l’égalité et s’écarte des notions d’équité et de jus
tice. Qu’importe que le navire soit totalement perdu,
c’est ce qui arrivera pour le chargement qui sera inté
gralement jeté. On n’hésite pas cependant à en indem
niser le propriétaire. Pourquoi, puisque le navire luimême contribue à cette perte, lui refuser la réciprocité
qu’il était en droit d’exiger ?
A un autre point de vue, le dommage que le navire
éprouve a été purement volontaire ; il a bien certaine
ment sauvé la cargaison. Est-il juste, est-il équitable
que les propriétaires de celles-ci profitent du sacrifice
sans être tenus d’indemniser celui qui se l’est imposé
dans leur intérêt exclusif ?
Vainement exciperait-on de l’article 424 pour soute
nir que l’avarie grosse, n ’ayant pas sauvé le navire, dé
génère en avarie particulière à celui-ci. La même objec
tion s’appliquerait au chargement jeté en totalité, et
puisqu’on la repousse dans ce cas, on devrait l’écarter
également pour le navire.
D’ailleurs, l’article 424 n’exige pas la conservation
simultanée du navire et de la cargaison, il suffit que l’un
ou l’autre ait trouvé son salut dans l’avarie commune,
�pour que la chose sauvée soit tenue d’indemniser le
propriétaire de celle sacrifiée dans ce but. Comment, en
effet, ne pas admettre et l’avarie commune et la contri
bution, si la volonté de l’homme, choisissant entre deux
dangers, s’arrête au moyen devant sauver le navire aux
dépens de la cargaison, ou la cargaison aux dépens du
navire ?
„ .
Ainsi considérée au point de vue de la perte ou de
l’innavigabilité par suite d’un sacrifice volontaire, l’ex
ception consacrée par la loi serait irrationnelle et in
juste.
1898. — La contribution n’est due que dans le cas
de jet ou de sacrifice volontairement exécuté après déli
bération, dans le but de conjurer le péril imminent et
actuel, et qui l’a effectivement conjuré. Aussi l’article
423 vient-il de l’exclure si le jet, quelque volontaire,
quelque important qu’il soit, ne sauve le navire. Dans
ce cas, disait Valin, qu’importe qu'il ait été jeté des ef
fets en vue de sauver le navire ? Si le navire n’a pas été
sauvé du naufrage ou de la prise, c’est comme s’il n’y
avait pas eu de jet, et chacun sauvera ce qu’il pourra
du naufrage ou du pillage, sans être sujet à aucune con
tribution en faveur de celui dont les marchandises ont
été jetées l.
A quelles conditions devra-t-on réputer le navire
sauvé ? Faut-il qu’il soit sorti du naufrage en pleine
i Ordonnance de 1681, art. 15.
�348
DROIT
MARITIME.
possession de ses facultés ? Suffit-il au contraire que,
réfugié dans un port quelconque, il y ait débarqué sa
cargaison saine et sauve, bien qu’il soit atteint lui-mê
me d’une innavigabilité soit absolue, soit relative ?
La raison de douter naît de la disposition de l’article
425, aux termes de laquelle les marchandises sauvées
ne contribuent point au paiement du navire perdu ou
réduit à l’étal d’innavigabililé, mais ce doute cesse siori
s’en réfère à l’économie générale du Code.
Le législateur règle dans les articles précédents la na
ture, l’objet, et la forme de la contribution, dans la sup
position que le jet ou le sacrifice volontaire aura sauvé
le navire. Il fait, avec raison, de ce sauvement la con
dition delà contribution, car si le navire succombant
au péril qui motive le jet ou le sacrifice tout ou partie
de la cargaison échappe au naufrage, son sauvetage est
indépendant du jet et n’est dû qu’à des circonstances
plus ou moins heureuses, plus ou moins fortuites.
La preuve que l’article 423 ne se réfère qu’au péril
actuel du navire, résulte de la discussion législative. Le
projet de loi portait en effet : si le jet ne sauve le na
vire d u n a u f r a g e , mais le tribunal fit observer que ces
expressions n’étaient pas assez générales, qu’il fallait
aussi prévoir le cas de chasse par l’ennemi ou par les
pirates, et c’est dans ce but que l’article 423 se borne à
dire : si le je t ne sauve le navire.
Il est donc hors de doute que celte disposition n’a en
vue que l’événement qui détermine le jet et ne règle les
effets de celui-ci que dans la double supposition du na-
�ART.
425, 426, 427.
349
vire échappant ou succombant au péril qu’on a voulu
conjurer.
Mais à côté de ces hypothèse? s’en plaçait une troi
sième : celle du navire qui, sauvé du péril actuel et
continuant sa route, venait à succomber dans une nou
velle fortune de mer. C’est cette hypothèse qu’à l’exem
ple des articles 16 et 17 de l’ordonnance de 1681,
règleôt les articles 424 et 525 du Code de commerce.
Le premier oblige les marchandises sauvées à contri
buer à celles qui ont été jetées lors du premier nau
frage et c’était justice. Evidemment elles n’auraient pu
échapper au second naufrage si elles avaient péri dans
le premier ; et puisque elles n’en ont été sauvées que
par le jet, il n’était pas possible de les affranchir de
l’obligation d’y contribuer.
L’article 425 ne fait qu’appliquer à l’hypothèse que
prévoit l’article 424 le principe de l’article 423. Les
marchandises sauvées du second naufrage ne doivent
rien au navire qui y a succombé, par la double raison
que le navire a péri. Que dès lors leur sauvetage est dû
non aux sacrifices volontairement subis lors du pre
mier, mais aux circonstances, mais à la diligence, aux
fatigues et aux travaux des chargeurs ou de leurs re
présentants.
Elles ne contribuent pas au paiement du navire parce
que ce navire, périssant dans un second naufrage après
avoir été sauvé d’un premier, est victime d’une fortune
de mer ne constituant et ne pouvant constituer qu’une
avarie particulière.
�3!50
DROIT
MARITIME.
Il suit de là que l’article 425 a une affectation spé
ciale ; que son application suppose d’une part deux
naufrages successifs, une cargaison sauvée en tout ou en
partie, un navire perdu. Cela ne pouvait faire doute
sous l’empire de l’article 17 de l’ordonnance de 1681,
lequel, au dire de Valin, sous entendait que les effets
jetés avaient réellement sauvé le navire, et que dans
la suite le navire ayant continué sa route avait fait
naufrage et s’était perdu ou brisé.
Il est vrai que l’article 425 ajoute ou réduit à l’état
d’innavigabilité. Mais évidemment le Code de commerce
n’est pas sorti de l’hypothèse de l’ordonnance qu’il vient
de consacrer dans l’article 424. L’innavigabilité prévue
est uniquement celle due au second naufrage et consti
tuant comme résultat d’une pure fortune de mer, une
avarie particulière.
1 8 0 » . — M. Dageville va même plus loin. Il en
seigne que l’exemption de contribuer au paiement du
navire n’est qu’en faveur des effets jetés. Mais cette opi
nion, empruntée à Pothier, nous parait condamnée par
les termes de l’article 425, qui met en regard les effets
jetés et les marchandises sauvées, et qui, en affranchis
sant de la contribution les marchandises, n’a évidem
ment eu en vue que les marchandises sauvées.
D’ailleurs quelle nécessité d’exempter les effets jetés
dans le dernier paragraphe, alors que le premier vient
de dire que ces effets ne contribuent point aux domma
ges arrivés depuis le jet aux marchandises sauvées. Est-
�ART. 4 2 5 , 4 2 6 , 4 2 7 .
351
ce que quelqu’un pouvait avoir la pensée de les faire
contribuer aux dommages arrivés depuis le jet au na
vire lui-même.
Ce sont donc bien les marchandises arrachées au se
cond naufrage qui sont dispensées de contribuer au paie
ment du navire perdu ou réduit à l’état d’innavigabilité
à la suite et par l’effet de ce second naufrage.
On a voulu faire du § final de l’article 425 une règle
générale et absolue s’appliquant à tous les cas, même à
l’in navigabilité, résultat et conséquence du sacrifice vo
lontaire. En effet, disait-on, l’article 369 assimile l’innavigabilité à la perte. Donc, le navire devenu innavi
gable par suite du sacrifice de ses mâts, agrès ou appa
raux est un navire perdu. On doit dès lors, aux termes
de l’article 423, refuser toute contribution.
Nous avions nous-même, dans notre première édition,
admis le caractère général et absolu de la dernière dis
position de l’article 425, mais un exament plus attentif
nous a convaincu que cette doctrine subissait une pro
fonde modification.
Non sans doute les marchandises sauvées par le jet
ne contribueront point au paiement du navire réduit à
l’état d’innavigabilité, mais à la condition que cet état
sera dû à des avaries particulières au navire. Dans ce
cas la contribution se réduira à la valeur des objets vo
lontairement sacrifiés dans l’intérêt commun.
Qe si l’innavigabilité n’a été que la conséquence di
recte, nécessaire du jet, rien ne saurait dispenser les
marchandises que le navire, quoique désormais innavi-
�582
DROIT
MARITIME.
gable, a heureusement conduites et débarquées soit à
leur destination, soit dans un port de relâche quelcon
que, de contribuer au paiement dii navire.
C’est qu’en effet on ne saurait se méprendre sur le
sens des termes de l’article 423 : si le je t ne sauve le
navire, par rapport à la cargaison on ne peut équivoquer sur celle restriction. Le législateur n’a dit et n’a
voulu dire que ceci : si malgré le jet, le navire succom
be au naufrage que ce jet avait pour objet d’éviter et
laisse ainsi sa cargaison tout entière exposée à tous les
périls, à toutes les chances du naufrage.
Donc, si le navire résiste ; si, réduit à la coque par
suite de sacrifices volontaires, il aborde dans un port et
y décharge sa cargaison saine et sauve, ne sera-ce pas
au jet que celle-ci devra sa conservation, qu’importe
qu’à l’avenir le navire ne puisse plus naviguer ? En au
ra-t-il moins sauvé les marchandises à ses dépens, et
serait-il juste qu’au mérite de cette innavigabilité les
chargeurs fussent dispensés de contribuer à une perte
dont ils retirent le profit, alors même que l’innavigabilité purement relative ne serait prononcée que parce que
le capitaine ne trouverait sur les lieux ni les matériaux
ni les ouvriers qu’exigerait le remplacement des objets
sacrifiés pour le salut commun.
1900. — Disons donc avec un arrêt de la cour de
Bordeaux, du 4 décembre 1855, le jet étant fait sous
l’imminence du péril, et en vue de prévenir la perte to
tale, il a atteint son but toutes les fois que le navire al-
�ART.
423, 426, 427.
335
légé parvient au port en quelque état qu’il y arrive. Il
serait dès lors déraisonnable autant qu’injuste que le
chargeur qui doit au jet le salut de sa marchandise, pût
se dispenser d’y contribuer soüs prétexté que le nàvire,
une fois défis le port, a été recdtinu inhafigdble.
4 l’objection puisée dans l’article 369, assimilant l’innavigabilité à la perte, la Cour répond qu’on ne saurait
appliquer au jet les règles admises en matière d’assu
rances ; que la loi a dû déterminer entre les assurés et
les assureurs, dans quels cas le navire, bien qu’à l’abri
dans le port, ne pouvant plus remplir sa destination,
serait censé perdu pour l’assuré ; mais que la règle doit
être tout autre en matière de jet ; qu’il s’agit d’échap
per à tout prix au péril présent, au naufrage, à la prise
de l’ennemi, et que le navire est sauvé du taoülent qu’il
a pu se traîner dans le port.
Sur le pourvoi dont cet arrêt avait été l’objet, M. le
conseiller rapporteur présentait les observations sui
vantes :
« Le pourvoi devrait infailliblement réussir si l’article
425 avait le sens que lui prêtent les demandeurs; Si cet
article renferme dans son deuxième paragraphe une
règle générale, s’il est vrai que dans tous les cas l’innavigabilité doive être assimilée à la perte du navire* il
sera manifeste que l’arrêt attaqué aura violé lés pres
criptions de cet article si, comme le prétendent les de
mandeurs, il a fait contribuer la marchandise au paie
ment du navire réduit à l’état d’innavigabilité. Mais il
faut convenir aussi que si l’article 425 devait être env — 23
�3U
DROIT
MARITIME.
tendu dans le sens du pourvoi, il conduirait à cette énor
me conséquence, à savoir : que si le navire qui, après
le jet, a encore tenu la mer pendant plus de 30 jours et
fait plus de 800 lieues, au lieu d’aborder dans l’un des
ports de l’île de Java, eût abordé au port de Pondichéry
sa destination, le chargeur qui aurait reçu sa marchan
dise saine et sauve aurait pu se refuser à la contribution,
par le motif que le navire, quoique parvenu à sa desti
nation, n’y était arrivé qu’à l’état d’innavigabilité. Or,
quel intérêt peut avoir le chargeur dont les marchandi
ses ont été sauvées d’exciper de l’état du navire ? Que
lui importe que ses marchandises lui arrivent sur un
navire en possession de toutes ses facultés ou sur un na
vire désemparé ?
« Ce résultat, qui serait inique dans une matière où
la bonne foi occupe toujours une si large part, suffit au
moins pour tenir l’esprit en suspens, et autorise le doute
en attendant l’évidence. Nous démontrerons que l’arti
cle 425 ne renferme qu’une règle spéciale pour le cas
de l’article 424, et nullement un principe général et ab
solu. »
M. le conseiller, entrant alors dans l’examen de l’ap
préciation des moyens du pourvoi, en signale le peu de
fondements et, sur ce rapport, la Cour, par arrêt du 23
juillet 1856, rejette le pourvoi, et juge :
Que le jet à la mer des mâts, agrès et apparaux d’un
navire, après délibération motivée et pour le salut com
mun du navire et de la cargaison, constitue une avarie
grosse dont la répartition doit être faite dans les pro-
�ART.
425, 42<i, 427.
355
portions prescrites parles articles 404 et 417 du Code
de commerce, alors même que le navire qui a dû se
réfugier dans un port autre que celui de sa destination,
se trouve réduit à l’état d’innavigabilité ;
« Que vainement, dans ce cas, dans le but d’affran
chir les marchandises sauvées de l’obligation de contri
buer à la perte des objets jetés à la mer, invoquerait-on,
en s’appuyant à tort sur la disposition qui, en matière
d’assurances, assimile l’innavigabilité à la perte du na
vire, l’article 424, aux termes duquel le jet ne donne
lieu à la contribution que s’il a sauvé le navire ; que le
navire doit en effet être réputé sauvé, du moins au res
pect des obligations que les chargeurs contractent, lors
que par le sacrifice volontairement fait d’une partie de
sa substance, il a pu continuer sa course et opérer le
salut de la marchandise qui lui était confiée ;
« Que vainement encore invoquerait-on l’article 423
qui dispose dans sa seconde partie que les marchandi
ses ne contribuent point au paiement du navire perdu
ou réduit à l’état d’innavigabilité, ces articles ne ren
fermant pas une règle générale, mais une disposition
spéciale édictée en vue du cas prévu par l’article 424,
c’est-à-dire le cas où le navire, sauvé par le j e t , vient
à périr en continuant sa course h »
Dans cette espèce le navire avait subi des avaries, ou
tre les objets jetés. Aussi la cour de Bordeaux n’admetelle la contribution qu’eu égard à la valeur de ceux-ci,
i J . d u P . , 2, -1866, 817.
�-
r
'
350
....
DROIT
-■ /
MARITIME. .
elle ne fait donc pas contribuer les marchandises au
paiement du navire condamné.
Dans une seconde espèce au contraire, la même Cour
déclare que l’innavigabilité étant la conséquence néces
saire et immédiate du jet, les chargeurs doivent y con
tribuer pour la valeur entière du navire.
Cette fois encore la Cour de cassation rejette le pour
voi par arrêt du 18 décembre 1867. « Attendu, dans
l’espèce, que l’innavigabilité du navire provenant de
l’impossibilité où s’est trouvé le capitaine de se procurer
au port de relâche les ouvriers et les matériaux néces
saires à sa réparation, était la conséquence nécessaire
de la mesure volontaire, prise après délibération, qui,
dans l’intérêt commun du navire et du chargement,
avait ordonné le sacrifice du grand mât et du mât d’ar
timon.
« Attendu que l’in navigabilité du navire doit être ap
préciée dans ses rapports avec sa destination ; que si à
l’égard du propriétaire le navire innavigable est réputé
perdu, c’est qu’en réalité il ne peut plus remplir sa
fonction ; mais que cette règle spéciale aux contrats
d’assurance ne saurait s’étendre aux rapports qui exis
tent entre l’armateur et le chargeur ; qu’â l’égard de
celui-ci le navire est réputé sauvé dans le sens de l’ar
ticle 423, par cela seul qu’il a mis sa cargaison à l’abri
de la fortune de mer en la déposant au port de destina
tion, ou même dans tout autre port ; que le chargeur
qui a reçu sa marchandise ne saurait invoquer les dis
positions de l’article 369, qui détermine les conditions
�ÀHT. 4 2 b , 4 2 6 , 4 2 7 .
3S7
de 1’innavigabilité du navire dans ses rapports avec le
contrat d’assurance, pour se soustraire à la contribution
aux avaries souffertes pour le salut commun ; que peu
importe, en effet, au propriétaire de cette marchandise
qu’elle soit sauvée par un navire en pleine possession
de ses facultés ou par un navire en détresse, dont la
perte ou l’innavigabilité n’a peut-être d’autre cause que
l’effort suprême qu’il a fait pour le salut commun ;
« Attendu que cette solution n’est pas contredite par
l’article 425; que cet article, loin de consacrer un prin
cipe général, ne renferme qu’une règle spéciale pour
l’hypothèse prévue par l’article 424 qui suppose que le
navire sauvé une première fois par le jet, vient à se
perdre en continuant sa route ; qu’il est de toute justice,
dans ce cas, que les marchandises qui doivent leur sa
lut, non au navire qui s’est perdu ou qui est devenu
innavigable, mais à un heureux accident indépendant
du navire, soient affranchies de toute contribution en
vers lui ; que la raison qui, dans l’hypothèse précédente,
appelle la marchandise à concourir aux frais de répara
tion du navire qui l’a sauvée malgré son innavigabilité,
devait dans la seconde l’affranchir de toute contribu
tion envers un navire perdu ou in navigable, et devenu
impuissant pour le salut de sa cargaison '. »
On ne saurait méconnaître la force et l’autorité de ces
considérations. On ne peut donc qu’applaudir h la doc
trine qu’elles inspirent.
1 J. du P.. 1868. 248.
�558
DROIT
MARITIME.
lO O ft. — Donc, dans tous les cas de sacrifice vo
lontaire, si le navire surmontant le péril qui détermine
ce sacrifice, aborde dans un port quelconque, les mar
chandises qu’il y amène doivent contribuer au paiement
des objets sacrifiés, si elles atteignent plus tard leur des
tination. Elles sont bien certainement sauvées puisque si
au port de relâche le navire est reconnu innavigable,
elles seront embarquées sur un autre que le capitaine
doit se procurer.
Si l’in navigabilité provient, outre le jet, d’avaries par
ticulières au navire, la valeur de celle-ci est exclue. La
contribution n’a lieu qu’eu égard à celle des objets
jetés.
Si au contraire l’innavigabilité est le résultat direct,
forcé du jet, c’est la perte entière en résultant qui tombe
en contribution.
Ainsi le jugeait la cour de Bordeaux le 23 février
1829 dans l’espèce suivante :
1903. - - Un navire volontairement échoué à l’en
trée du port de sa destination avait été déchargé; de
venu plus tard innavigable, les chargeurs qui avaient
reçu leurs marchandises refusaient la contribution de
mandée par application de l’article 425, leur prétention
fut repoussée.
La Cour constate, en fait, qu’il n’est nullement établi
que l’innavigabililé existât au moment de l’événement ;
elle ajoute : que, dès lors, le capitaine qui avait délivré
aux consignataires les effets chargés, n’ayant pu se pro-
�ART.
425, 4 26, 427.
35 9
curer les ressources suffisantes pour relever son navire
en empruntant à la grosse, soit sur le navire, soit sur la
cargaison, les consignataires étaient tenus de contribuer
à ces dépenses ; que si les détériorations croissantes
éprouvées par le navire pendant le refus des consigna
taires, et la durée du litige ne permettent plus de rele
ver le navire, ce serait un dommage de plus et non un
motif pour décharger ceux-ci des frais qu’ils devaient
originairement supporter ; qu’il serait souverainement
injuste que la résistance du chargeur mis en possession
de sa marchandise, qui a, par son refus de contribuer,
privé le capitaine de la possibilité de relever le navire,
pût faire naître un droit en sa faveur.
Nous croyons cette solution juridique, et nous l’ad
mettrions sans hésiter dans tous les cas d’innavigabilité
relative. L’absence d’ouvriers, le défaut de matériaux
dans la localité, leur cherté, l’impossibilité de trouver à
emprunter pour faire face à la réparation sont autant de
circonstances indépendantes de l’événement et qui ne se
réalisent qu’après. Or, si cet événement se réduit à une
avarie, si le dommage la constituant a été volontaire
ment souffert pour le salut commun, le droit à l’indem
nité est acquis et ne saurait être ultérieurement anéanti
que par la perte des objets soumis à la contribution.
1903. — L’article 422 a déjà consacré la règle que
tous les dommages que le navire a éprouvés pour faci
liter le jet tombent en avaries grosses. Il était donc inu
tile de sanctionner une seconde fois cette même règle.
�360
D R O IT
M A f tW p E .
Çn conséquence, ceux qui n’ont, vu , dans l’article 426,
que ce qui était déjà dans l’artiçle 422, ont mal appré
cié lq premier.
Ce qqi distingue ces deux dispositions, c’est que l’une
prévoit le cas de jet, tandis que l’autre se préoccupe de
l'hypothèse du, sauvetage. Supposez, en effets le navire
naufragé ou échoué, la cargaison, quoique exposée à de
graves dangers, peut encore être sauvée, et ce résultat
ne peut être, atteint que pa? un déchargement tellement
urgent, que recourir au mode ordinaire et usité ce serait
risquer d’en perdre une grande partie.
Pourquoi ne se serait-on pas préoccupé de cette éven
tualité, et aurait-on hésité à rangeç en avaries commu
nes les, dommages faits volontairement au navire pour
arriver à son prompt déchargement ? N’est-ce pas parce
que le jet doit sauver une partie de la cargaison, que
l’article 422 déclare avarie grosse le dommage subi pour
le faciliter ? Il n’était, donc pas possible de considérer
autrement celui qui n’a d’autre objet que celui d’assu
rer cette conservation sur une plus large, échelle.
L’article 426, conforme en cela aux législations pré
cédentes, est la conséquence de cette impossibilité. Le
dommage résultant de l’ouyertuce du navire pour en ex
traire la marchandise, est une avarie grosse. Quelle
qu’ait été la cause du naufrage ou de l’échouement, et
alors qu’il ne constituerait qu’une avarie particulière,
la contribution est due pour la réparation de ces ou
vertures.
�ART. 4 2 3 , 4 2 6 , 4 2 7 .
361
1904. — Ce qu’on devait redouter pour les char
geurs, c’est que dans la pensée de diminuer la perte de
l’armement,, en confondant ainsi une avarie commune
et une avarie simple, le capitaine ne sabordât le navire
sans nécessité réelle et impérieuse. Mais, dans ces cas
extraordinaires, la preuve de cette nécessité résultera des
circonstances de l’événement, du caractère d’urgence
que présentait le danger. Ce qui ferait admettre le jet
irrégulier justifiera les ouvertures spontanément faites
au navire pour en extraire la cargaison.
Dans les cas ordinaires, le navire ne peut être sabor
dé que par suite d’une délibération prise à cet effet. La
contribution est à ce prix., et cette règle de l’article 426
ne reçoit exception que si le temps que la délibération
aurait consommé a dû être consacré à agir.
Cette délibération exige le concours des chargeurs
présents ou de leur représentant. La mesure à prendre
devant refluer exclusivement sur la cargaison, il est na
turel et juste que ses propriétaires soient consultés.
1905.
— Faudra-t-il, en cas de dissentiment, sui
vre l’avis du capitaine et de l’équipage? L’article 410 le
décide ainsi en cas de jet, cela se comprend. Le jet doit
sauver le navire comme la cargaison. L’expérience et la
position du capitaine et de l’équipage assurait dès lors
à leur opinion une juste et légitime prépondérance.
Lorsqu’il s’agit de l’extraction des marchandises, on
pourrait dire qu’iLn’est question que de sauver la mar
chandise, que la mesure étant dès lors étrangère au na-
�562
DROIT MARITIME.
vire, il n’y a que ceux qui doivent en subir les effets
qui puissent l’autoriser. Mais cette proposition serait
inexacte. L’extraction des marchandises du navire nau
fragé ou échoué peut être du plus haut intérêt pour le
navire, car, en l’allégeant et le relevant, il diminue le
danger qui menace de le faire sombrer. Cette position
du navire, le capitaine et l’équipage sont mieux à même
de l’apprécier que les chargeurs. Il ne faudrait donc
pas que l’obstination irrationnelle de ces derniers ren
dit le danger inévitable et amenât la perte forcée de ce
qui reste du navire.
Objecterait-on que, s’il en est ainsi, les ouvertures
faites au navire étant dans son intérêt, on aurait dû en
laisser les effets à sa charge ! Nous répondrons qu’à cet
endroit il est impossible de séparer la cargaison du na
vire. La présence de la première à bord augmentant le
danger, celui-ci ne cessera ou ne diminuera que par le
déchargement. Si, se réalisant pendant les opérations
ordinaires de celui-ci. il fait sombrer le navire, une par
tie plus ou moins considérable de la cargaison se trou
vera également engloutie. Dès lors, les mesures prises
pour empêcher ce résultat intéressent autant la car
gaison que le navire, et c’est cet intérêt commun qui
a dû les faire tomber dans la catégorie des avaries com
munes.
1906.
— Le même caractère ne pouvait être mé
connu au prix des marchandises mises dans des barques
pour alléger le navire à l’entrée des ports ou rivières, si
�ART. 4 2 5 , 4 2 6 , 4 2 7 .
365
elles viennent à se perdre. Si le navire est heureusement
arrivé, la même issue favorable se serait réalisée pour les
marchandises, si elles étaient restées à bord. Or, com
me elles n’en ont été retirées que dans l’intérêt commun
et pour mettre le navire en état d’aborder à sa destina
tion, il était juste que la perte occasionnée par le trans
bordement se répartît sur tous les intéressés.
C’est ce que l’article 400 a déjà décidé pour les frais
du déchargement destiné à alléger le navire. Or, ce qui
était équitable pour ces frais, ne pouvait pas ne pas
l’être pour la valeur des marchandises qui n’avaient été
perdues que pour assurer le salut du navire et du res
tant de la cargaison.
f O©1
?. — L’article 427 ne fait donc que développer
le principe consacré par l’article 400. Mais il ne répète
plus la restriction qu’on trouve dans celui-ci. Ainsi que
nous l’avons fait remarquer, l’effet de cette restriction
rend la disposition inapplicable à l’allégement, qui ne
serait commandé que par la nécessité d’entrer au port
■de la destination. Faut-il conclure, du silence gardé par
l’article 427, qu’il y a avarie commune dans la perte
des marchandises transbordées, quelle que soit la cause
de l’allégement et alors même qu’il n’aurait eu pour
objet qu’un obstacle inhérent à la localité et parfaite
ment connu par les navigateurs?
L’économie générale de la loi ne permet pas, à notre
avis, de le décider affirmativement. Il n’y a avarie com
mune que lorsque, indépendamment de ce qu’il émane
/
�36i
DROIT
MARITIME.
de la volonté humaine, le sacrifice est commandé par la
nécessité de se soustraire à un péril actuel : Periculi
imminentis evitandi causa.
Il est évident qu’on n’a entendu par là que le danger
né d’un de ces accidents de mer si fréquents, qu’on n’a
pu ni prévoir ni prévenir. La condition n’existe pas
toutes les fois que, signalé d’avance, le danger ne se
réalise que parce qu’il a plu à un capitaine de le braver.
Ce n’est pas certes trop exiger de lui que de vouloir qu’il
connaisse les lieux vers lesquels il veut diriger son na
vire. Cette connaissance acquise, il est de son devoir de
ne pas se mettre d’avance dans l’impossibilité de rem
plir ses obligations. Il doit donc conformer son char
gement aux exigences de la localité, et ne rien prendre
au-delà de ce que comporte la passe qu’il aura à fran
chir.
Que si, pour gagner un fret plus considérable, le ca
pitaine accepte un chargement qu’il sait bien devoir être
réduit pour pénétrer jusqu’à sa destination, il commet
une faute ou tout au moins un fait qui, devant tourner
à son profit exclusif, ne saurait équitablement tourner
contre les chargeurs et aggraver leur position, à moins
de prétendre que le législateur a voulu améliorer le sort
du navire au détriment du chargement.
— Or, un pareil résultat n’a pu entrer dans
sa pensée. La doctrine de tous les temps a été unanime.
Ainsi, lorsque, sous l’ordonnance de 1681, il a été
question des conséquences de l’allégement, on n’a ad
mis en avaries communes que celles puisant leur origine
1908.
�art .
425, 426, 427.
565
dans la nécessité de se soustraire à l’ennemi ou à la
tempête, malgré que cette restriction ne fût pas mention
née dans la loi. C’est ce que nous avons vu Valin en
seigner expressément.
Pothier, développant la pensée de Valin, disait, de
son côté, que la perte des marchandises qui ont été pla
cées dans les barques pour alléger le navire entrant dans
le port de sa destination, ne doit pas être considérée
comme une avarie commune, attendu que le maître,
connaissant ou devant connaître la portée du port où il
conduisait son navire, est en faute d’y avoir mis une trop
grande charge ; que c’est donc par son fait qu’on a été
obligé de placer une partie des marchandises dans des
allèges ; qu’il est dès lors responsable des accidents aux
quels elles auraient échappé si elles étaient restées dans
le navire ’.
1909.
— Le caractère juridique et rationel de cette
doctrine ne saurait être méconnu. C’est elle que M. Par
dessus notamment n’hésite pas à adopter. Lorsque, ditil, pour alléger le navire, soit à l’entrée d’un port, soit
dans une rivière où la crainte du naufrage ou de la prise
force le capitaine d’entrer, des marchandises sont trans
bordées et mises dans des barques dites allégea, leur
perte est une avarie commune. Comme c’est pour le sa
lut du navire et du chargement qu’on a ainsi exposé les
1 Des Avaries, il0 14G.
�366
DROIT
MARITIME.
marchandises transbordées, c’est une espèce de jet pour
laquelle il y a lieu à contribution.
« On voit par là qu’il n’en serait pas ainsi du cas où
le navire étant arrivé au port de destination auquel il
ne pouvait aborder avec sa charge entière , parce qu’il
tirait trop d’eau, le capitaine aurait été obligé de mettre
quelques marchandises sur des allèges pour les rendre à
quai. Si elles venaient à périr, cet événément ne serait
point considéré comme arrivé dans la vue du salut com
mun, puisque le transbordement a eu lieu sans que le
navire fût en danger. Elles seraient donc au compte du
propriétaire de ces objets, ou de celui qui, d’après les
règles de droit, devrait en répondre E »
1910.
— C’est cependant le contraire que la cour
d’Aix vient de juger, par arrêt du 21 mai 1856. Le ju
gement du tribunal de commerce de Marseille, que cet
arrêt confirme, avait rangé en avarie grosse la perte de
marchandises qui n’avaient été transbordées que pour
les besoins de la navigation. Il déclarait, pour motiver
sa décision, que l’article 427 était indépendant de l’ar
ticle 410, quant à la restriction édictée par celui-ci ; que,
tandis que ce dernier règle les frais et dépenses de l’al
légement, ce dernier régit la perte des choses allégées
pour franchir une barre en cours de voyage pour sim
ples nécessités de navigation.
�ART, 4 2 b, 4 2 6 , 427 .
367
1911.
— Mais c’est là précisément ce qu’il s’agis
sait de décider, et, nous venons de le voir, se prononcer
dans ce sens, c’est admettre une avarie grosse en dehors
de tout danger en expliquant, en justifiant l’existence ;
c’est favoriser le navire en lui assurant le profit de sa
spéculation ; c’est encourager le capitaine à surcharger
son navire, dès que l’obstacle résultant de la surcharge
sera vaincu aux dépens du chargement qui n’en peut
mais cependant.
Le tribunal ajoute que son interprétation s’appuye sur
l’ordonnance de 1681 et remonte aux traditions les plus
anciennes, ce qui est une allusion à la loi 4, Dig. de
leg. Rhod. Nous convenons que cette loi ne parle que
de l’allégement pour entrer dans un port ou dans une
rivière , qu’elle ne renferme aucune restriction. Mais il
en était ainsi de l’ordonnance de 1681, et cependant
Valin et Pothier hésitaient-ils à en réduire l’application
au cas de l’entrée provoquée par la nécessité d’éviter
l’ennemi et le naufrage.
Le droit romain ne pouvait signifier que cela. Cette
hypothèse seule réalisait le danger légitimant et excusant
l’avarie commune. La loi citée, assimilant l’allégement
au jet, proinde tanquam sijactura facta esset, ne pou
vait l’autoriser que dans les cas où le jet l’eût été luimême.
Dans tous les cas, l’article 410 eût au besoin abrogé
ou tout au moins restreint celte disposition. Comment
voulez-vous, en effet, soustraire l’article 427 à son ef
fet. Peut-on raisonnablement prétendre que notre légis-
�368
DROIT
MARITIME.
lateur n’a pas exigé pour la perle ce qu’il prescrit pour
les simples frais. Quelle raison y avail-il d’être si facile
pour le plus lorsqu’on se montrait si difficile à l’endroit
du moins ?
Enfin, abordant les considérations, le tribunal con
sidère que les principes en cette matière ne permettent
pas qu’une partie des objets engagés dans les risques
qui doivent être communs soit, dans un seul but d’inté
rêt commun, exposée à un danger autre et plus grave
que les autres objets , sans que la perle survenue soit
commune et réglée par contribution ; que, s’il en était
autrement, il arriverait, au cas d’un chargement à di
vers intéressés, que les marchandises de l’un des char
geurs venant à périr par un allégement nécessaire au
voyage, seraient perdues pour les propriétaires, tandis
que l’allégement aurait profité aux autres, en les faisant
arriver au lieu de la destination.
Mais le tribunal oublie que les conséquences de notre
système ne seront jamais celles-là. L’auteur du fait mo
tivant l’allégement, et par conséquent le danger auquel
succombent les marchandises transbordées, est exclusi
vement le capitaine, en faute pour avoir trop chargé.
Dès lors, sa responsabilité et celle de l’armement se
trouvent irrévocablement engagées. Ainsi le chargeur,
dont les marchandises ont péri, ne les recevra pas ma
tériellement, mais il devra être indemnisé, c’est-à-dire
que sa position sera celle que lui eût faite l’exercice de
la faculté donnée par l’article 424, et que l’indemnité à
lui due sera établie sur les bases y indiquées.
�ART. 4 2 !), 4 2 6 , 4 2 7 .
569
Quelque profond que soit notre respect pour les hau
tes lumières de la Cour, nous ne pouvons être de son
avis. Le droit, les principes, l’équité elle-même faisaient,
à notre avis, un devoir de réformer le jugementl.
1913. — En résumé donc, l’article 437 se réfère à
la restriction de l’article 400, la perte des marchandises
transbordées n’est avarie commune que si l’allégement
n’a lieu que pour se soustraire au naufrage ou à la prise.
Aux motifs si décisifs donnés par Valin, Pothier et Par
dessus , ajoutons une considération puisée dans le droit
commun, et qui justifie les conséquences que nous
venons de tirer de notre système.
Le capitaine, affrétant son navire pour une destina
tion déterminée, prend, par cela même l’obligation d’y
transporter les effets qu’il reçoit sur son navire, ce
transport doit se faire à ses frais, au moyen du fret
qu’il a stipulé et qui est tout ce que lui doivent les
chargeurs.
Or, comprendrait-on qu’après avoir pris cette obliga
tion, le capitaine pût en rendre l’exécution impossible.
C’est ce qu’il ferait en réalité si, connaissant les parages
qu’il doit parcourir, il chargeait au-delà de ce que leur
possibilité comporte.
Cet excès dans le chargement et les difficultés qui en
surgiraient seraient l’inexécution partielle du contrat, ils
donneraient donc lieu à des dommages-intérêts. Pour1 Journal de'lMarseille, t. 34, 4, 49 et 471.
v — 24
�370
DROIT
MARITIME.
rait-on les renfermer dans une limite plus exacte que
celle consistant dans la nécessité de réparer les pertes
que la nécessité de vaincre ces difficultés a occasionnées.
Ces pertes constitueraient donc des avaries particulières
à la charge de l’armement.
Il en serait ainsi de la perte des marchandises pla
cées sur allèges pour les rendre à terre à leur destina
taire; elle constituerait une avarie particulière, elle serait
donc pour le compte du propriétaire, si le contrat mettait
à sa charge les risques de déchargement et de la mise
à terre.
A défaut d’accord de ce genre, sa responsabilité à
l’endroit de cette perte s’établit conformément aux rè
gles prescrites par la loi.
1913. — Lorsque le transbordement est fait dans
les cas indiqués par l’article 400, doit-on comprendre
dans la perte et ranger en avaries communes la valeur
des barques ou allèges, si elles sont également perdues,
ou le dommage qu’elles ont éprouvé ?
On s’est sagement arrêté à cette distinction : si les
marchandises ont été. placées sur les canots ou sur les
chaloupes du navire, la perte ou détérioration par eux
subies est avarie commune. Il est évident qu’en affec
tant une partie de l’armement à l’allégement régulier,
le capitaine a agi pour le salut commun. On ne saurait
donc refuser de l’indemniser des pertes réellement es
suyées à cette occasion ;
Si les barques employées pour l’allégement du navire
�ART.
4 2 5 , 4 2 0 , 427 .
571
ont été louées dans cet objet, leur perte ne concerne que
leur propriétaire. Au moyen du prix de location qu’il
perçoit, celui-ci reste chargé des risques de la naviga
tion. Ces risques se réalisant donc dans son intérêt ex
clusif, il ne saurait raisonnablement prétendre en faire
supporter les conséquences à qui que ce soit.
1914:. — Les marchandises transbordées pour allé
ger le navire ne doivent, si elles arrivent’à bon pori,
aucune contribution dans le cas de perte du navire après
l’allégement, mais remarquons que l’article 427 ne pré
voit que le cas de perte entière du navire et du restant
de la cargaison, ce qui légitime l’affranchissement de la
contribution.
Supposez, en effet, que les marchandises, se trouvant
encore sur le navire au moment du sinistre, eussent été
sauvées, elles ne seraient passibles de rien ni envers le
navire, ni vis-à-vis le restant de la cargaison. La perte
entière n’est qu’une avarie particulière à chacun de ceux
qui en sont victimes, le sauvetage ne s’opère qu’en fa
veur de celui qui est appelé à en profiter : en d’autres
termes, chi salva, salva ; chi perde, perde.
Or, le transbordement n’a été pour les marchandises
qui en ont été l’objet qu’un moyen de sauvetage. On ne
pourrait en conséquence les faire contribuer, lorsque
par sa nature l’événement exclut toute possibilité de cou •
tribu tion.
1915. — Ces motifs amènent à cette conséquence
�5 72
DROIT
MARITIME.
que si, au lieu d’une perte entière, le navire n’éprouvait
après le transbordement qu’une avarie commune, les
marchandises transbordées devraient y contribuer. Un
instant on7a soutenu le contraire, qu’on voulait faire
résulter du second paragraphe de l’article 427. Mais
cette opinion n’a pas tardé d’être abandonnée en pré
sence du texte et de l’esprit de la loi.
Les marchandises transbordées n’ont pas cessé d’être
considérées comme faisant partie du chargement. Cette
circonstance, absolument indifférente dans l’hypothèse
d’une perte entière, ne devait et ne pouvait pas l’être
dans le cas d’une avarie commune. Celle-ci, en conser
vant le navire et la cargaison, conservait par cela même
le droit éventuel à la contribution si les marchandises
transbordées venaient à périr. Elle leur a donc réelle
ment profité, et il est juste quelles y contribuent com
me le navire, comme le restant de la cargaison.
A rticle 428.
Dans tous les cas ci-dessus exprimés, le capitaine et
l’équipage sont privilégiés sur les marchandises ou
le prix en provenant pour le montant de la contribu
tion.
A rticle 429.
Si, depuis la répartition, les effets jetés sont recouvrés
�ART. 4 2 8 ,
429.
373
par les propriétaires, ils sont tenus de rapporter au ca
pitaine et aux intéressés ce qu’ils ont reçu dans la con
tribution, déduction faite des dommages causés par le
jet et des frais de recouvrement.
SOMMAIRE
1916.
1917.
1918.
1919.
1920.
1921.
1922.
1923.
1824.
1825.
1926.
1927.
1928.
Position du capitaine à l’endroit des chargeurs. Con
séquences qui conduisaient à lui conférer un privilège.
Consacré par l ’ordonnance de 1681. Premier projet de la
commission. Comment il fut modifié.
Solution par le conseil d’Etat.
Le privilège est accordé à l’équipage. Son étendue en ce
qui le concerne.
Sur quoi porte le privilège du capitaine.
Dans quel cas répond-il de l’insolvabilité postérieure d’un
des chargeurs ?
Etendue de cette responsabilité. Comment se répartit
d’ailleurs la perte résultant de cette insolvabilité.
L’action en règlement peut être intentée par le capitaine
ou un membre de l’équipage.
Par un des chargeurs.
Par l’assureur lui-même.
Le propriétaire ne perd pas la propriété des choses jetées.
Conséquences.
Ses obligations en cas de recouvrement avant règle
ment.
Après règlement. Comment et entre qui se fait la répar
tition.
1916.
— Le capitaine est tenu de restituer les
marchandises dont le connaissement prouve la mise è
�574
DROIT
MARITIME.
bord. Cette restitution, impossible h l’endroit de celles
qui ont été volontairement jetées ou sacrifiées, doit être
remplacée par la portion du prix dont le propriétaire a
droit d’être indemnisé.
Cette portion est directement due par le capitaine.
Mandataire des chargeurs, il doit prendre dans leur in
térêt toutes les mesures capables de satisfaire chacun
d’eux dans la limite de ses droits ; dépositaire du char
gement, il fallait qu’il ne pût être contraint de s’en des
saisir que lorsque chacune des parties aurait satisfait
aux obligations que lui fait l’avarie commune.
La conséquence logique de ce point de vue était de
faire conférer au capitaine en quelque sorte un droit
réel sur tout ce qui était soumis à la contribution, une
espèce de main mise qui, tout en conservant le droit
de ceux qui ont une indemnité à recevoir, sauvegardât
sa propre responsabilité et celle de l’armateur. La na
ture des choses les comportait légalement l’un et l’autre.
Les marchandises sauvées ne l’ont été qu’aux dépens de
celles dont ce but a occasionné la perte. Elles sont dès
lors devenues le gage de la part qu’elles doivent pren
dre à cette perte, et le capitaine qui les a en sa pos
session pouvait être assimilé au créancier gagiste.
1919. — Aussi l’ordonnance de 1681 n’avait-elle
pas hésité, le capitaine avait un privilège sur le charge
ment, il avait le droit de retenir, même de faire vendre,
par autorité de justice, les marchandises du contribua
ble refusant de payer sa part, jusqu’à concurrence de
�AKT. 4 2 8 , 4 2 9 .
3 75
cette part, et Valin trouvait que rien n ’était plus naturel
que cette faculté K
La commission première, partageant cette conviction,
proposait de déclarer : Qu’en cas de refus de la part
des contribuables de payer leur part à la contribution,
le capitaine pourrait retenir leurs marchandises et en
faire ordonner la vente jusqu’à concurrence de leurs
portions.
Sur l’observation du conseil et du tribunal de com
merce d’Anvers, que cette rédaction n’indiquait pas suf
fisamment la nécessité pour le capitaine de recourir à
l’intervention du juge, la commission s’était arrêtée à la
disposition suivante : En cas de refus de la part des
contribuables de payer leur part à la contribution,
le capitaine peut s'opposer à la délivrance de leurs
marchandises et en faire ordonner la vente jusqu’à
concurrence de leurs portions.
1 9 1 .8 . — Cette rédaction nouvelle fixait parfaite
ment la position du capitaine et l’obligation qui lui était
faite de n’agir qu’avec le concours de la justice. Mais,
en réglant la forme dans laquelle le capitaine exercerait
son droit, elle omettait de s’expliquer sur la nature de
ce droit. Cette observation fit consacrer l’article 428 tel
qu’il se trouve inscrit dans le Code.
On déclara le droit du capitaine privilégié, et cela suf
fisait, car, comme tous les autres, ce privilège doit être
i Art. 21, tit.
d u Jel.
�376
DROIT
MARITIME.
exercé par voie d’opposition, de condamnation et de
vente judiciaire.
1919. — Le privilège est déclaré commun au ca
pitaine et à l’équipage. Il ne fallait pas en effet que
celui-ci fût réduit à recourir séparément contre les char
geurs et à voir ainsi traîner en longueur ses légitimes
réclamations.
Mais, en ce qui le concerne, le privilège ne comprend
que ce qui peut être dû à chacun de ses membres,
conformément aux articles 400, § 6, et 519. Le peu
d’importance de l’indemnité était un motif de plus d’en
prescrire le prélèvement avant toute délivrance effec
tive.
1 9 3 0 . — Le privilège du capitaine comprend non
seulement ce qui peut lui être personnellement dû, mais
encore la part afférente soit au navire, soit à la cargai
son elle-même. Représentant et l’armateur et les char
geurs, il doit, comme tel, veiller aux intérêts des uns et
des autres.
Il le doit même à l’endroit des chargeurs, sous peine
d’engager sa propre responsabilité. Consignataire obligé
de toute la cargaison, il doit la restituer aux destinatai
res. Si cette restitution doit être intacte, elle ne peut ce
pendant comprendre que ce qui doit en faire la juste
matière, c’est-à-dire tout ce qui reste de la cargaison,
prélèvement fait de la part due à l’avarie commune.
C’est ainsi qu’on décide et qu’on a dû décider que le
�ART.
428, 429.
377
chargeur qui poursuit la restitution de ses effets ne peut
l’obtenir qu’en acquittant la part contributive que ces
effets doivent à l’avarie commune.
De là cette conséquence que le capitaine qui a resti
tué la cargaison sans exiger le payement de la contribu
tion a manqué aux devoirs que lui imposait sa qualité
de mandataire de ceux qui avaient droit à l’indemnité.
Il a dès lors commis une faute, des conséquences de la
quelle il doit répondre.
1931. — En principes rigoureux, ces conséquen
ces iraient jusqu’à obliger le capitaine à payer la part
de contribution que l’insolvabilité postérieure d’un des
chargeurs rendrait irrécouvrable. Devait-on aller jusquelà et consacrer cet effet ?
Non disait la loi romaine : Si qui ex rectoribus solvendo non sit, hoc detrimentum magistri navia non
erit, nam enim fortunas cujusque nauta excutere non
debetl.
L’application de celte règle : lorsque le capitaine avait
rendu le chargement sans exiger la part contributive,
excitait l’étonnement de Cujas : Estne inops, disait-il,
qui merces habet sa lvasl Et ce grand jurisconsulte
avait raison. Dans tous les cas, il avait dépendu du ca
pitaine de prévenir les effets de l’insolvabilité, en ne li
vrant le gage qu’en échange de la contribution qui le
grevait.
1 L. 2, S 6, Pig. de. Le,g. Rhod
;i'
�378
DKOIT MARITIME.
C’est cependant cette application qui a prévalu. L’in
térêt du commerce en général l’exigeait ainsi. Procla
mer !a responsabilité absolue du capitaine, c’était lui
faire un devoir de ne jamais se dessaisir que contre
payement. C’eût été un léger inconvénient si, dès l’ar
rivée du navire, la part contributive de chacun était dé
terminée et certaine, mais cette détermination ne peut
résulter que d’un règlement qu’il faudra le plus souvent
judiciairement provoquer, et qui peut consommer un
certain temps pour que le travail des experts soit achevé.
Puis, l’état de répartition dressé, surgiront les diffi
cultés sur la composition des masses. On soutiendra que
tels articles non admis devaient l’être, que tels autres
admis devaient être rejetés. Le tribunal devra donc pro
noncer, et si le jugement omet de prononcer l’exécution
provisoire, il faudra attendre la décision du degré su
périeur ; et pendant ce temps l’occasion d’une vente
avantageuse sera irrémissiblement perdue, et la marchan
dise retenue à bord aura souffert des détériorations plus
ou moins notables.
Il est vrai que sans recourir au droit de rétention
matérielle de la marchandise, le capitaine pourrait effi
cacement veiller à l’intérêt qu’il représente. Cet intérêt
serait absolument à l’abri par l’exigence d’une caution,
sous la garantie de laquelle le chargement serait déli
vré. Mais c’est encore là une exigence dont le rigorisme
se concilie peu avec les habitudes commerciales.
Il n’est donc pas étonnant que l’usage ait de tout
temps écarté ces précautions, que le législateur lui-mê-
�art.
4 29 , 429.
379
me se soit défendu de les prescrire obligatoirement. Re
marquez, en effet, que l'ordonnance de 1681 elle-même,
en consacrant en faveur du capitaine la faculté de rete
nir la marchandise, d’en provoquer judiciairement la
vente, ne lui en faisait pas un devoir. Elle avait voulu
le protéger efficacement dans toutes les circonstances,
en mettant à sa disposition des moyens dont l’emploi
était souverainement laissé à sa libre appréciation.
Il serait difficile d’admettre que le Code ait voulu au
tre chose. Il faut donc, sous son empire, s’en référer à
la doctrine que Yalin et Emérigon induisaient de l’or
donnance.
Ainsi, la délivrance de la cargaison au destinataire,
sans exiger le payement de la contribution ou la garan
tie d’un cautionnement, ne saurait avoir pour le capi
taine aucune conséquence, notamment celle de le rendre
responsable de l’insolvabilité postérieure, si. en agissant
ainsi il n’a fait qu’obéir à l’usage universel et n’a ni
méconnu ni mal à propos méprisé certaines circonstan
ces de nature à éveiller sa sollicitude et à lui prescrire
des précautions spéciales. Comment, en effet, lui re
procher cette délivrance, si le destinataire jouissait et
avait toujours joui de la solvabilité la plus notoire, si
aucune de ces rumeurs plus ou moins sourdes qui pré
cèdent les catastrophes commerciales ne s’étaient élevées
sur son compte.
Le capitaine répondrait de l’insolvabilité, si celle du
destinataire étant notoire au lieu de l’arrivée, il lui avait
délivré ses marchandises sans prendre aucune précau-
�,180
DROIT
MARITIME.
lion, ou si, dès avant l’arrivée du navire des bruits alar
mants s’étant répandus sur sa position, il n’en avait
tenu aucun compte. Cette absence de précautions cons
tituerait une faute lourde devant le faire condamner à
réparer le préjudice qui en résulterait.
En pareille occurence, la plus ordinaire prudence
commande de ne se dessaisir du gage que contre paye
ment des charges qui le grèvent ou que sur garanties
assurant le payement futur. Vainement le capitaine exciperait-il de ce que la loi le laisse libre d’agir. Cette li
berté n’existe réellement que dans les circonstances or
dinaires. Elle ne saurait jamais l’autoriser à braver un
péril que tout fait craindre, si ce n’est à ses propres ris
que et fortune. Sa responsabilité serait la conséquence
forcée de son imprudence.
A plus forte raison en serait-il ainsi si la marchan
dise avait été délivrée au mépris d’une opposition for
melle ou une mise en demeure faite au capitaine de la
retenir. Dans l’un et l’autre cas, celui-ci n’est pas juge
des motifs dirigeant l’auteur de l’opposition ou de la
mise en demeure. Le parti qu’il prendrait de n’avoir
égard ni à l’une ni à l’autre le constituerait en état de
grave imprudence, et le rendrait passible de toutes les
suites, si le danger redouté venait à se réaliser.
1 9 3 3 . — Dans ce cas encore, celte responsabilité ne
se bornerait pas au préjudice souffert par l’auteur de
l’opposition ou de la mise en demeure. Tous les autres
ayants droit l’invoqueraient utilement. De quelque part
�art .
428,
429.
3Si
que vienne l’avertissement, il suffit qu’il se soit produit
pour que, dans l’intérêt de tous ceux qu’il représente,
le capitaine soit tenu de prendre toutes les précautions
qui doivent prévenir le préjudice. Dès qu’il connaissait
le danger, il n’a pu le braver que pour son propre
compte.
Dans tous les cas, la perte résultant de l’insolvabilité
d’un' des contribuables est supportée par tous ceux qui
doivent toucher la contribution ; elle se répartit entre
eux au marc le franc de leur intérêt. Seulement, dans
le cas de faute et de responsabilité du capitaine, chacun
a contre lui un recours pour être remboursé de sa part
proportionnelle.
1 9 3 3 . — La position spéciale du capitaine l’ap
pelle principalement à poursuivre lui-même le règlement
de l’avarie commune. Dans tous les cas, cette initiative,
résultant d’ailleurs implicitement de l’article 428 , n’est
pas exclusive. Rien n’empêcherait le membre de l’équi
page qui aurait des droits à exercer, soit au point de vue
du paragraphe 6 de l’article 400, soit à celui de l’arti
cle 419, de se pourvoir lui-iuême et de poursuivre di
rectement ce règlement. L’article 428 consacre cette fa
culté en mettant, à l’endroit du privilège, l’équipage sur
la même ligne que le capitaine.
1934. — Il ne faudrait pas cependant conclure de
sa disposition que le droit de poursuivre le règlement
est interdit à tout autre qu’au capitaine ou au membre
�582
DROIT
MARITIME
de l’équipage. Ici, comme partout, l’intérêt est la me
sure de l’action. Or, comme celui du propriétaire des
effets jetés ou sacrifiés est incontestable, on ne saurait,
sous aucun prétexte, l’empêcher de prendre l’initiative
d’un règlement qui doit l’indemniser de la perte qu’il
éprouve. Son action ne rencontrerait donc aucune fin de
non recevoir.
1935. — Il en serait de même de celle que l’assu
reur exercerait lui-même. L’avarie commune, de même
que l’avarie particulière, ouvre à l’assuré le droit de
s’adresser directement à son assureur. O r, la quotité à
payer par celui-ci devant se déterminer par le taux de
la contribution, son intérêt à faire fixer ce taux serait
incontestable, il ne pourrait donc être repoussé si, les
autres parties s’abstenant, il poursuivait lui-même le
règlement.
1936. — Le jet étant un sacrifice forcé au moment
où il s’accomplit, n’implique pas, chez le propriétaire
de ce qui en fait la matière, l’idée d’un abandon de la
propriété. Ce qui lui est payé, l’est non comme prix
de vente, mais comme indemnité de la perte dont il est
menacé.
De là cette conséquence que, si les choses jetées sont
recouvrées, elles n’appartiennent qu’à leur proprié
taire et ne peuvent être revendiquées que par lui, alors
même que le règlement d’avarie déjà consommé il au-
�art .
428, 429.
38 5
rait reçu l’indemnité dont le jet a été l’occasion et la
cause.
à
0
1 9 3 9 . — Mais il né pouvait être dans la pensée de
la loi de permettre, dans ce cas, que le chargeur retînt
et la chose et l’indemnité. Que le jet ne ruine pas l’un
au bénéfice de l’autre, la justice l’exigeait ainsi, mais
ses exigences ne protestaient pas moins contre le résultat
contraire, à savoir, que le jet pût jamais enrichir le pro
priétaire des choses qui en ont fait l’objet.
On arrivait, dès lors, à cette conséquence : Les cho
ses jetées, si elles sont recouvrées, retournent en la pos
session de leur propriétaire ; elles n’ont jamais cessé de
lui appartenir ; elles reposent sur sa tête exclusivement.
Il n’en doit même aucun compte si le jet n ’ayant pas
sauvé le navire, il n’y a eu aucune coniribution.
Dans l’hypothèse contraire, si le recouvrement s’o
père avant le règlement, en ne porte au passif des con
tribuables que les frais que ce recouvrement a coûté,
que les détériorations que le jet a fait subir ; en d’au
tres termes, on ne tient compte que des avaries qui ont
pu en résulter.
1938. — Si le recouvrement n’a lieu qu’après que
le règlement est consommé, chacun de ceux qui ont con
tribué doit être proportionnellement indemnisé ; c’est-àdire que le propriétaire doit leur rembourser ce qu’ils
auraient été dispensés de payer, si le recouvrement s’était
opéré avant le règlement.
�384
DROIT
MARITIME.
Toutefois, la valeur dont il doit être tenu compte n’est
pas celle admise dans la masse passive. La marchandise
recouvrée peut avoir été détériorée par son séjour dans
la mer. Ces détériorations ne sont qu’un effet du jet, et
celui-ci ayant eu lieu pour le salut commun, elles doi
vent, dans tous les cas, rester en avarie grosse et être
supportées par tous.
D’ailleurs, le propriétaire ne doit rendre raison que
du profit réel qu’il relire du recouvrement. Or, ce pro
fit n’est que la valeur de la marchadise dans l’état où
elle se trouve actuellement, et sur laquelle doivent être
prélevés les frais de sauvetrge. Il n’y a évidemment d’ac
quis que cet excédant, et c’est aussi cet excédant seul
que l’ordonnance de 1681 d’abord, que le Code en
suite, veut être réparti entre tous les intéressés.
Ainsi, de deux choses l’une, ou le propriétaire entend
conserver la marchandise recouvrée, ou non. Dans le
premier cas, une expertise détermine la valeur actuelle
de la marchandise, suivant le prix courant de la loca
lité ; dans le second, la vente est poursuivie aux formes
de droit.
La valeur résultant de l’expertise ou produite par la
vente est imputée d’abord à faire face aux frais de sau
vetage et à ceux de l’expertise ou de la vente ; le restant
net est distribué, proportionnellement et au marc le
franc, entre tous ceux qui ont contribué dans le règle
ment primitif.
Bien entendu que le propriétaire lui-même est au
nombre des prenants. Il a, en effet, contribué originai-
�ART.
428, 429.
585
renient, à raison des choses jetées, à la perte, telle qu’elle
était établie alors. Celte perte, devenant moindre, il ne
saurait être dans une position différente de celle des au
tres intéressés. Ce qui est vrai et juste pour ceux-ci, ne
saurait pas ne pas l’être pour lui. On doit lui rembour
ser ce qu'il a payé en trop.
TITRE X III
D E S P R E S C R IP T IO N S
A r t ic l e
430.
Le capitaine ne peut acquérir la propriété du navire
par voie de prescription.
SOMMAIRE
1929.
Motifs qui ont fait admettre la prescription en matière
maritime.
1930. Pourquoi on lui a assigné une courte durée ?
1931. Durée de celle qui a pour objet l’acquisition du navire.
1932. Caractère que doit avoir la possession.
1933. Point de départ de la prescription.
1934. Sa durée serait-elle modifiée par la circonstance que le
v — 25
�386
1935.
4 936.
1937.
1938.
1939.
4940.
DROIT
MARITIME.
possesseur avait acquis a n o n d o m i n o . Affirmative en
seignée par M. Pardessus.
Réfutation.
Légalité de la prohibition de toute prescription pour le ca
pitaine.
Faculté pour le quirataire du navire de prescrire contre
les autres.
Opinion de M. Troplong. Réponse aux objections prises
dans les articles 2236 et 2240 du Code civil.
Conclusion.
Effet de la mutation opérée en douane.
1939.
— La bonne foi, qui doit être le caractère
distinctif des opérations commerciales, semblait devoir
repousser toute idée de prescription en ce qui les con
cerne. Cependant, des motifs puisés dans la sécurité mê
me du commerce, dans ses besoins réels, l’ont non seu
lement fait admettre, mais encore déterminé à la rendre
la plus courte possible.
Le commerce, en effet, n’existe que par la rapidité
de ses opérations. Chacune d’elles devient l’objet de
transactions multipliées. On ne pouvait donc laisser trop
longtemps en suspens un droit dont la chute aurait en
traîné celle d’une foule d’autres et compromis ainsi de
nombreux intérêts.
Cette exigence du commerce en général devenait plus
étroite encore en matière de contrats maritimes, pour
ce qui concerne la navigation, on peut surtout dire avec
raison que ses opérations sont de chaque jour, que
d'autres de même nature doivent suivre chaque jour,
qu'il était donc indispensable d’amoindrir les obsta-
�ART.
430.
387
clés qui m ira ien t à la liberté, à la sûreté et à l'ac
tivité qu'elles exigent.
1930. — Pouvait-on raisonnablement laisser l’ar
mateur, l’affréteur et les assureurs sous l’obligation de
répondre pendant trente ans ; l’un, des marchandises
que son navire transportait ; l’autre, du fret qu’il devait
à raison de ce transport ; ceux-ci, des engagements pris
en cas de sinistre ?
La négligence ne doit pas être le défaut des commer
çants, des navigateurs surtout. Ses effets pouvaient donc
et devaient être d’autant plus sévèrement appréciés que
le fait en lui-même était réellement anormal et incon
cevable. L’expérience d’une longue pratique, l’exemple
des législations précédentes étaient d’ailleurs des en
seignements qu’on ne pouvait ni négliger, ni mécon
naître.
Le Code les a donc consacrés, et nous allons voir
comment il a approprié la prescription aux diverses ac
tions que les opérations maritimes sont dans le cas de
créer. Avant d’entrer dans cet examen, faisons remar
quer que les motifs nécessitant la réduction de la durée
des prescriptions ordinaires faisaient un devoir de res
treindre cette réduction aux transactions commerciales
proprement dites. Tout ce qui sortait de ce cercle devait
être laissé sous l’empire du droit commun. C’est ainsi
notamment que la propriété du navire ne peut être ac
quise que par la prescription de trente ans.
�5 88
DROIT
MARITIME.
1931. — Devait *on permettre d’acquérir un navire
par la prescription ? L’affirmative n’a jamais été con
testée, quelque exceptionnelle que soit la nature de cette
propriété ; elle est même explicitement consacrée par le
législateur, déclarant que, seul, le capitaine ne peut ac
quérir par cette voie.
Mais la possibilité de prescrire admise, fallait il, puis
que les navires sont meubles, se contenter de la posses
sion faisant acquérir la propriété de ces derniers ? La
raison elle-même protestait contre une pareille solution.
Quoique meubles, les navires ne sont pas susceptibles
de tradition manuelle, la loi exige que la vente en soit
faite par écrit. Donc, le droit à la possession elle-même
ne peut être établi que par un acte régulier; à défaut,
cette possession est insuffisante et incapable de fonder
une prétention de propriété.
Celui-là donc qui n’exciperait que de la possession
matérielle du navire, ne pourrait s’en prétendre pro
priétaire, à moins que cette possession ne remontât à
plus de trente ans et qu’elle réunît les conditions requi
ses ; à défaut, il ne pourrait résister à la demande en
revendication s’étayant sur un titre régulier et légal.
Vainement, dit M. Pardessus, se serait-il fait enregis
trer au bureau des douanes comme nouveau proprié
taire. Puisqu’il n’y aurait pas fait inscrire le litre qui le
rend propriétaire , cet enregistrement déposerait contre
lui. La seule prescription de trente ans éteindrait l’ac
tion en revendication L
�La propriété des navires n’est donc acquise qu’en
force du principe général édicté par l’article 2Ü262 du
Code civil, c’est-à-dire, à défaut de titre, par une pos
session de trente ans révolus.
1033. — Cette possession doit recevoir les caractè
res exigés pour qu’elle puisse fonder la prescription,
c’est-à-dire qu’elle doit avoir été publique, paisible, non
interrompue et à titre de propriétaire. La manifestation
de ce dernier caractère ne peut résulter que de la muta
tion opérée sur les registres de la douane..
Sans doute, celte mutation, ne reposant sur aucun
titre translatif de propriété, manquera de son élément
essentiel et sera dès lors irrégulière , comme le dit
M. Pardessus, mais elle n’en prouvera pas moins que
son auteur entend posséder le navire animo domini. La
publicité des registres rendait donc la mutation une con
tradiction manifeste au droit du véritable propriétaire,
et en faisait, quoique sans efficacité sur la propriété, un
point de départ pour la prescription.
1933. •— De là cette conséquence que cette pres
cription ne court que du jour de celte mutation. Jus
que-là, en effet, la possession peut n’être que le résultat
d’accords verbaux, et le navire ne cessant de voyager
sous le nom du propriétaire, le possesseur n’en est en
réalité que l’affréteur, et la précarité présumée de son
titre est un obstacle à toute prescription. Mais cette pré
carité disparaît dès que le possesseur, par la mutation
�390
DROIT
MARITIME
en douane, manifeste sa prétention à la propriété et fait
voyager le navire sous son propre nom. La possession
ultérieure est donc exercée animo domini, et la publicité
qu’elle reçoit constitue, contre le propriétaire, une mise
en demeure suffisante. En conséquence, si à partir de
ce moment il reste trente ans sans réclamer, il a défini
tivement perdu son droit à la propriété du navire.
1934.
— La durée de la prescription serait-elle mo
difiée, si celui qui possède avait acheté le navire d’un
autre que du véritable propriétaire ?
On connaît, au sujet de l’acquisition a non domino,
la disposition de l’article 2265 du Code civil. Le titre et
la bonne foi donnent lieu à la prescription de dix ou de
vingt ans, mais cette disposition est spéciale aux immeu
bles. La nature mobilière du navire ne permet donc pas
d’en ranger l’acquisition sous l’empire de la règle qu’elle
consacre.
Cependant M. Pardessus est d’un avis contraire, il
pense qu’on doit, par analogie, appliquer cette règle. De'
même, dit-il, que celui qui achète de bonne foi un im
meuble d’une personne qui n’en est pas propriétaire,
prescrit par le laps de temps et les moyens qui servent à
prescrire contre les hypothèques, de même il paraît
convenable de décider que l’acheteur de bonne foi d’un
navire prescrirait contre le véritable propriétaire lors
qu’il l’aurait possédé pendant le temps et avec les cir
constances qui purgent les droits des créanciers sur le
navire.
�ART.
430.
391
1935.
— C’est-à-dire que M. Pardessus veut que le
véritable propriétaire soit à jamais dépouillé par cela
seul que le navire mis en mer sous le nom de l’acheteur,
a non domino, aura navigué plus de soixante jours, ou
que son départ et son arrivée auront été constatés dans
deux ports différents et trente jours après le départl.
Ce résultat seul proteste énergiquement contre la doc
trine qui le consacrerait. Dix ou vingt ans sont un dé
lai suffisant pour que le véritable propriétaire, dans
l’hypothèse de l’article 2265, prévienne la perte dont
il est menacé. Trente jours, soixante même s’écouleront
souvent avant que le propriétaire du navire soupçonne
l’existence de l’acte dont il est victime, il aura donc tout
perdu avant même d’avoir été mis en mesure et en de
meure d’agir.
M. Dageville a raison de repousser cette doctrine au
torisant une conséquence aussi énorme, contraire à la
justice, condamnée par le droit, repoussée par la mo
rale elle-même.
D’ailleurs, la condition exigée par M. Pardessus est
irréalisable, la circonstance qui a fait consacrer l’extinc
tion des droits des créanciers dans le délai des articles
193 et 194, est précisément que l’acheteur a un titre
légal lui conférant la propriété ; qu’en faisant naviguer
celui-ci sous son nom, il a publiquement manifesté son
droit ; il était donc juste qu’il ne restât pas trop long1 Art. 493 et 494.
�392
DROIT
MARITIME.
femps affecté à des droits dont rien d’ailleurs né pouvait
lui faire soupçonner l’existence.
Or, non seulement l’acheteur du navire a non do
mino n’a pas un titre régulier, mais il n’a pu encore
ignorer le vice de celui dont il se prévaut. Chaque na
vire a sa généalogie et l’historique de ses transmissions
dans les registres de la douane. D’un seul coup d’œil on
jugera non seulement du nombre de ses transmissions,
mais encore de leur caractère, la mutation devant être
fondée sur un titre juste et légal.
Pour que le navire soit arrivé aux mains du non pro
priétaire qui l’a vendu, il faudra que l’une de ces mu
tations ne mentionne aucun titre, elle sera dès lors irré
gulière, et n’aura pu conférer à son bénéficiaire la
propriété du navire.
Il suffira donc à l’acheteur de recourir au registre de
la douane pour être édifié sur le droit, soit de son ven
deur, soit de l’auteur de celui-ci. S’il s’est abstenu de
le consulter, il ne pourra pas même alléguer sa bonne
foi, et s’il est plus tard dépouillé de la chose vendue il
ne saurait l’imputer qu’à sa faute, qu’à son inconceva
ble négligence ; ne serait-ce pas les récompenser, les
encourager l’une et l’autre que de réduire dans cette
hypothèse la prescription à trente ou soixante jours ?
Il n’y a donc aucune assimilation possible entre l’a
chat d’un immeuble et celui d’un navire, et l’article
21265 du Code, civil, spécial au premier, ne saurait en
rien régir le second. Par rapport à celui-ci, la posses
sion qui ne repose que sur un titre émané a non do-
�ART.
430.
593
mine, n’est qu’une possession de fait n’acquérant la
prescription que si elle s’est continuée pendant trente
ans, sans interruption et sans troubles.
1936.
— La prescription trentenaire que tout le
monde peut invoquer, ne saurait l’être par le capitaine
commandant le navire. Cette exception, formellement
écrite dans l’article 430, n’est qu’une application des
principes ordinaires en matière de prescription.
Pour pouvoir prescrire, il faut en effet avoir possédé
proprio nomine et animo domini. Or, le capitaine n’est
que le représentant, que le mandataire du propriétaire
qui l’a choisi, il ne possède donc que pour le compte de
celui-ci, et comme nul ne peut se changer à soi--mêrae
la cause et Je principe de sa possession, celle du capi
taine, quelque longue qu’on la suppose, n’a jamais
purgé le vice de précarité qui l’entache à son origine.
On ne pouvait dès lors que le soumettre à la règle
édictée par l’article 22136 du Code civil. C’est ce que fait
l’article 430.
193?. — Le quirataire d’un navire peut-il pres
crire la part et portion des autres intéressés ? Doit-on
le ranger dans la.classe des possesseurs auxquels l’article
2236 du Code civil interdit la faculté d’acquérir par la
voie de la prescription ?
En principe, la possession d’une chose commune et
indivise est équivoque, elle est présumée se réaliser pour
le compte et dans l’intérêt de tous. C’est ainsi que la
�394
DROIT
MARITIME.
Cour de cassation décidait, le 16 mai 1826, que celui
qui possède en vertu d’un titre qu’il fait valoir comme
commun à plusieurs, ne peut prescrire contre ceux-ci ;
que dans ce cas le titre même proteste contre toute idée
de possession exclusive, et dès lors la possession allé
guée manque d’un des caractères essentiels exigés par
l’article 2229 du Code civil.
C’est ce qui se réalise surtout pour les navires. Celui
qui le possède, soit par lui-même, soit par le capitaine
qu’il a préposé, ne pourra justifier son droit que par
son titre d’acquisition ou par l’acte de francisation. Si
le premier ne lui a transmis qu’une quotité déterminée,
si le second indique les noms de tous les quirataires,
on pourrait lui appliquer la doctrine de la Cour de
cassation et refuser à sa possession tout caractère ex
clusif.
De là la conclusion qu’aucune prescription ne pour
rait être invoquée par le quirataire du navire contre ses
communistes, sa possession devant toujours se restrein
dre dans les limites du titre dont la nature ne cesse de
protester en faveur de ces derniers. C’est cependant le
contraire qui a été admis en doctrine et en jurispru
dence.
193$. — Le communiste qui a possédé la chose
commune sous son nom exclusif et personnel pendant
trente ans, l’a définitivement acquise par prescription.
Les communistes qui ont gardé le silence pendant si
longtemps sont présumés avoir reconnu être sans inté-
�ART.
430.
393
rêf. Dans un espace de 30 ans, dit M. Troplong, il a pu
arriver que mon associé m’ait vendu ou donné sa por
tion. Or, la prescription trentenaire fait présumer le ti
tre. J ’ai joui exclusivement, non comme associé, mais en
mon nom seul. Mon compersonnier l’a vu et l’a su ; il
ne s’est pas plaint ; il a donc reconnu qu’il ne pouvait
se plaindre, et son silence établit en ma faveur une pré
somption de titre l.
M. Troplong se préoccupe de l’objection puisée dans
l’article 2240, qui défend de prescrire contre son titre
et de se changer à soi-même la cause et le principe de
sa possession. Voici sa réponse :
« On ne doit pas ranger dans la classe des posses
seurs précaires l’associé qui jouit de la chose commune.
Il possède en effet pour lui, et en vertu de son droit in
divis, qui est répandu sur la chose entière.
« Il est vrai que, dans le doute, on suppose que le
communiste n ’a pas voulu s’arroger un droit privatif ;
mais ceci tient à ce que la possession équivoque est
inutile pour prescrire, et que la possession du commu
niste est empreinte de ce vice tant qu’elle ne se mani
feste pas par des actes hautement exclusifs.
« Que si l’associé abdique sa qualité de communiste
et fait des actes publics de jouissance privée, il com
mence alors une possession bonne pour prescrire, et
l’on ne peut pas dire qu’il passe du précaire à l’état de
propriétaire. Il possède pour lui, et, en s’étendant hors
1 De la
P r e s c r ip t io n ,
n°‘ 360 et suiv.
�39G
DROIT
MARITIME.
de son titre, il ne prescrit pas contre son titre. Il a été
toujours de règle qu’un propriétaire peut agrandir son
droit de propriété au-delà des limites que ses titres lui
assignent. Dans sa propre sphère, la possession animo
domini trouve toujours une élasticité qui lui permet de
tracer un cercle plus large que celui dans lequel elle
était enfermée à son point de départ. Ce qui est dé
fendu, c’est de passer d’une sphère dans une autre et
de dépouiller uue qualité pour en prendre une diffé
rente l. »
1939. — Ainsi, le communiste ne peut être assi
milé ni au fermier, ni au dépositaire, ni à l’usufruitier,
ni à aucun de ceux auxquels l’article 2236 du Code ci
vil interdit le droit d’acquérir par prescription. Sans
doute, et dans l’origine, il est présumé avoir joui pour
tous ses intéressés ; mais, aux termes même de l’article
2231 du Code civil, la possession peut avoir changé de
caractère, puisque celui qui a commencé de posséder
pour autrui n’est toujours présumé avoir possédé au
même titre que sauf la preuve contraire.
Comment ne pas reconnaître cette preuve dans ces
actes hautement exclusifs dont parle M. Troplong? Se
rait-il possible de leur refuser le caractère de contradic
tion flagrante au droit qu’on prétend prescrire, la ma
nifestation de posséder à l’avenir animo domini, et par
�conséquent une véritable mise en demeure contre celui
que cette intention menace ?
1940.
— Or, cet acte, hautement exclusif, on le
rencontrera infailliblement dans la matière qui nous
occupe. L’intention de posséder, proprio nomme , le
navire commun, ne pourra résulter que de la mutation
opérée en douane. Tant que cette mutation n’est pas
réalisée, la possession sera conforme au titre , dont les
énonciations ne cesseront de protester en faveur des
communistes.
Sans doute, cette mutation n’étant pas étayée d’un
titre translatif de propriété, sera irrégulière ; l’unique
conséquence de cette irrégularité, nous l’avons déjà dit,
c’est que le propriétaire pourra réclamer pendant trente
ans, et que la revendication exercée avant l’expiration
de ce délai devra être consacrée.
Mais, comme manifestation de l’intention de posséder
seul le navire à l’avenir, la mutation, telle quelle, est
décisive ; elle constitue une interversion de titre, une
contradiction aux .droits de l’intéressé. L’une et l’autre
sont publiques, puisqu’elles sont consignées dans un
registre public que chacun peut, que celui qui y a inté
rêt doit consulter.
Cette mutation est donc un point de départ certain
pour la prescription. En conséquence, le quirataire qui,
pendant trente ans, depuis sa date, aurait gardé le si
lence, se serait abstenu de réclamer, aurait définitive
ment perdu tout droit de copropriété au navire, à moins
�398
DROIT MARITIME.
qu’il n’établit par pièces probantes, telle que des arrêtés
et règlements de compte, que le possesseur n’a jamais
cessé de lui rendre raison de sa part dans les revenus
du navire.
L’absence de mutation en douane rendrait la pres
cription bien difficile à admettre. La possession serait
alors présumée conforme au titre, et rien n’annonçant
l’inteniion de la rendre exclusive, elle serait considérée
comme faite dans l’intérêt et pour compte de tous.
A rticle 4 3 1 .
L’action en délaissement est prescrite dans les délais
exprimés par l’article 373.
A rticle 432.
Toute action dérivant d’un contrat à la grosse, ou
d’une police d’assurance, est prescrite, après cinq ans,
à compter de la date du contrat.
SOMMAIRE
1941.
Actions qui naisssent du contrat à la grosse entre le prê
1942.
Caractère de celle du prêteur contre les assureurs,
teur et l ’em p ru n teu r. L eur durée.
�ART. 4 5 1 , 4 3 2 .
1943.
399
1944.
4945.
Actions dérivant de la police d ’assurance. L eu r carac
tère.
D urée de celle en délaissem ent. Utilité de l ’article 431.
Sous l ’em pire de l ’ordonnance, la prescription de l ’action
en délaissem ent éteignait celle en règlem ent d’avaries.
Motifs.
4946.
Doctrine contraire du Code. Ses conséquences. A rrêt de
1947.
la cour de Rouen.
Discussion législative de l ’article 432. Proposition de la
commission. Observation des tribunaux de commerce de
1948.
Difficultés su r la durée du délai. Observations en sens
Bordeaux et de M arseille.
contraire des trib u n au x de commerce de Rouen et de
1949.
Paimpol.
Prise en considération de ces dernières.
1950.
Caractère de l'article 432. La prescription q u ’il consa
cre ne reconnaît aucune cause de suspension. Consé
quences.
1941.
— Le contrat de grosse devient entre la prê
teur et l’emprunteur l’origine de plusieurs actions. Celle
en nullité fondée sur la contravention aux prescriptions
des articles 316 et 319, ou sur l’absence d’un risque
sérieux et réel. Cette nullité étant absolue et d’ordre pu
blic, peut être poursuivie par l’une ou l’autre des parties
indifféremment.
La régularité de l’acte en assure l’exécution, c’est-àdire que si le voyage s’est heureusement terminé, le
prêteur doit être remboursé de son capital et du profit
maritime. On ne saurait donc lui contester l’action pour
contraindre à ce remboursement.
S i, victim e de fortun es d e m er, la chose affectée au
�400
DROIT
MARITIME.
prêt a péri pendant le voyage, l’emprunteur est com
plètement libéré, et ne peut être recherché ni à raison
du profit maritime, ni à l’occasion du capital. Cepen
dant, même dans cette hypothèse, le prêteur peut avoir
action, par exemple, s’il prétend que la perte provient
du fait personnel de l’emprunteur, s’il excipe d’une
exagération frauduleuse ou non, en un mot, s’il se pla
ce dans l’un des cas prévus par les articles 316, 317 et
326.
Aux termes de l’article 432, toutes ses actions doivent
être exercées dans les cinq ans de la date du contrat.
L’expiration de ce délai sans poursuites anéantit le droit
qui se trouve irrévocablement prescrit.
1943. — Le contrat de grosse peut être pour le prê
teur l’origine d’une autre action. Nous avons vu, en ef
fet, qu’il peut valablement faire assurer son capital.
Dans cette hypothèse, la perte qui éteint ses droits
contre l’emprunteur l’autorise à recourir contre l’assu
reur.
Mais, dans ce cas, l’action réside bien plutôt dans la
police d’assurance que dans le contrat de grosse luimême, on peut donc la ranger dans la catégorie de cel-*
les dérivant de l’assurance.
• 1943. — Celles-ci sont: l’action en délaissement;
celle en règlement d’avaries ; celle en payement de la
prime ; celle en indemnité en cas de rupture de voyage;
enfin celle en nullité dans les cas prévus et énumérés
�art.
431, 432.
401
par la loi. Les deux premières concernent exclusivement
les assurés, les deux suivantes intéressent les assureurs,
la dernière appartient, suivant les cas, aux uns et aux
autres indifféremment.
1 9 4 4 t. —
L ’article
373 a déjà réglé l ’action en dé
laissem ent et in d iq u é le délai d a n s lequel elle doit être
intentée so u s peine d e déch éance. L ’article
431 ne fait
que s ’en référer à cette d isp o sitio n , q u ’il con firm e ex
pressém ent.
On pourrait donc considérer l’article 431 comme une
superfétation inutile ; il n’en est rien cependant, et sa
consécration était en quelque sorte commandée par la
disposition de l’article 432.
Celui-ci, en effet, accordant un délai de cinq ans
pour toutes les actions dérivant des polices d’assurances,
on aurait pu prétendre qu’il régissait l’action en délais
sement ; qu’il avait dérogé à l’article 373, et soutenir
dès lors que, malgré l’expiration des délais tracés par
celui-ci, l’action était recevable si on était encore dans
les cinq ans de la date de la police.
C’est cette prétention que le législateur entendait pros
crire. Voulant laisser l’action en délaissement sous l’em
pire exclusif de l’article 373, il devait s’en expliquer,
et il ne pouvait le faire qu’en créant dans l’article 431
une exception formelle au principe général qu’il allait
émettre dans l’article 432.
Ainsi, pour l’action en délaissement, il n’y a pas
d’autres délais que ceux de l’article 373. L’assuré qui
v — 26
�402
DROIT
MARITIME.
ne les a pas observés a encouru la déchéance. Son droit
est éteint par| la prescription, alors même qu’il ne se
serait pas écoulé cinq ans de la date de la police.
1945.
— Sous l’empire de l’ordonnance de 1681,
l’action en règlement d’avaries était soumise à la même
prescription que l’action en délaissement. Cette prescrip
tion courait non du jour du règlement des avaries, mais
à partir du moment de la réception de la nouvelle du
sinistre. La Cour de cassation consacrait ce point de dé
part sur ce qu’il était dans la faculté des assurés d’agir
contre les assureurs dans le cas d’avaries comme dans
celui de délaissement, c’est-à-dire du jour de la nou
velle du sinistre , elle considérait dès lors cette faculté
comme une mise en demeure faisant courir lés délais de
la prescription 1.
Au fond, la soumission de l’action d’avaries à la pres
cription de celle en délaissement était fondée sur les ter
mes généraux de l’article 48, titre des Assurances, pla
çant, quant au délai, sur la même ligne le délaissement
et toutes demandes en exécution de la police. L’article
373 a modifié singulièrement cette rédaction, en res
treignant au délaissement seul l’obligation d’agir dans
les délais qu’il prescrit.
1946.
— De là cette conséquence forcée que, sous
l’empjre du Code, on doit distinguer les deux actions,
�ART. 431, 432.
403
que celle en règlement d’avaries n ’est absolument sou
mise qu’à la prescription de l’article 432.
La cour de Rouen, en consacrant cette doctrine, a
même fait résulter de l’action en délaissement tardive
ment formée, la demande en payement des avaries.
Dans cette espèce, la nouvelle du sinistre avait été
consignée dans les feuilles publiques, le 15 juillet 1820.
Ce ne fut que le 30 mai 1821 que la déclaration d’a
bandon fut signifiée aux assureurs avec assignation en
payement du montant des assurances.
Les assureurs soutiennent : 1° que le délaissement
est non recevable, parce qu’il n’a été fait qu’après l’ex
piration des délais accordés par la loi ; 2° que le délais
sement ne peut tenir lieu à l’assuré d’une demande en
payement d’avaries, puisque, dans aucun acte du pro
cès, il n’a formé, par un chef de conclusion distinct,
une demande en indemnité pour cause d’avaries, et s’en
est toujours tenu aux termes généraux de son acte de
délaissement.
La Cour déclare le délaissement non recevable, mais,
considérant que l’assuré était dans le délai voulu par la
loi pour former, aux termes de la police d’assurance, sa
demande en indemnité ou en réparation du tort qu’il
aurait éprouvé, rejette la fin de non recevoir et ordonne
qu’il sera plaidé au fond '.
Il en est donc de l’action en règlement d’avaries com
me de toutes celles dérivant de la police d’assurance,
1 40 m ars 4826 ; V . inf. n» 4980.
�404
DROIT
MARITIME.
l’action en délaissement exceptée ; elle ne se prescrit que
conformément à la disposition de l’article 432.
1949. — Cette disposition devint l’objet, dans l’ori
gine, de plusieurs réclamations, et fit naître plusieurs
propositions contraires. La commission, obéissant à la
nature des choses et se conformant strictement à la pen
sée qu’en matière commerciale les prescriptions doivent
être de courte durée, proposait de limiter à quatre ans
celle des actions dérivant des contrats de grosse ou des
polices d’assurances, elle fixait le point de départ de ce
délai à la date du contrat.
Le tribunal de commerce de Bordeaux, celui de Mar
seille et le conseil de commerce de la même ville se pro
nonçaient contre la détermination d’un délai uniforme
pour tous les cas ; ils la signalaient comme pouvant
aboutir à une injustice, ils pensaient donc qu’il était
plus convenable de s’en référer à la règle adoptée par le
législateur de 168Î, et de calculer le délai de la pres
cription sur la nature du voyage. Tel était aussi l’avis
du tribunal et du conseil de commerce de Rouen.
Les nombreux procès qu’avait occasionnés l’applica
tion du mode consacré par l’ordonnance, la crainte de
les voir se renouveler firent repousser cette proposition.
Un délai unique et identique dans tous les cas devait
prévenir toutes difficultés.
1948. — Seulement, il fallait l’établir tel q u ’il pût
être suffisant dans l’hypothèse du voyage le plus éloi-
�ART, 431, 432,
403
gné. C’est comme tel que la commission proposait celui
de quatre ans.
« On ne peut pas, disaient le tribunal et le conseil
de commerce de Rouen, accorder aux assurés quatre
ans, de la date de la police, pour former des demandes
quelconques en remboursement ; ce délai serait beau
coup trop long pour les voyages d’une côte de France à
l'autre ou aux pays étrangers voisins de la France. Il le
serait même pour les voyages d’Amérique, d’Afrique ou
d’Asie. Un pareil délai ne tendrait qu’à proscrire le
commerce des assurances qu’il est si essentiel de proté
ger. » La conclusion était qu’il fallait mesurer les dé
lais sur la nature du voyage.
Le délai de quatre ans, courant de la date du contrat,
faisait abstraction de toutes les circonstances qui dans
cet intervalle mettent l’assuré dans l’impossibilité d’a
gir. On trouvait donc, d’autre part, qu’il n’était pas
suffisant.
« En effet, observait le tribunal de commerce de Paimpol, il est très ordinaire que le départ du navire n ’ait
lieu que plusieurs mois après des assurances opérées
sur des objets chargés à son bord. Les riches charge
ments en toiles de Bretagne, journellement expédiées à
Saint-Malo et à Morlaix, pour la destination de Cadix,
offrent particulièrement l’exemple d’une grande dis
tance, entre l’époque des premiers chargements sur un
vaisseau destiné à cette exportation et celle à laquelle
son départ a lieu, après avoir, reçu le complet de sa
charge.
�406
DROIT
MARITIME.
o L’article 387 du Code dispose que l’arrêt de la part
d’une puissance ne devient à la charge de l’assureur
qu’après un an d’empêchement au départ.
« D’après l’article 300 du projet, la somme assurée
sur un voyage de long cours ne peut être réclamée qu’a
près que deux ans se sont écoulés sans nouvelle du na
vire sur lequel l’assurance est devenue au compte de
l’assureur.
« La réunion de ces trois circonstances emporte déjà
près du terme de quatre ans, d’après lequel la prescrip
tion est prononcée par l’acte proposé.
« Il est donc plusieurs circonstances dont la réunion
emporte près de quatre années de la date du contrat à
celle de la demande de sa mise à exécution.
« Il en est d’autres dans lesquelles la ressource d’un
litige apportera tout le retard nécessaire pour suppléer
à ce qui manquerait dans la distance des dates. »
Ce qui résultait de ces observations, c’est, d’une part,
qu’on devait prolonger le délai ; de l’autre, qu’il était
juste de rendre efficace les actes judiciaires dont la po
lice serait devenue l’objet. Le tribunal de Paimpol de
mandait donc que dans tous les cas on termina l’article
par ces mots : Ou du dernier acte judiciaire qu’il aura
produit.
1949. — Ces observations furent prises en consi
dération et devaient l’être. Dès qu’on adoptait un délai
uniforme, on était contraint de l’établir tel qu’il fût suf
fisant dans tous les cas. Il fallait donc augmenter celui
�ART. 451, 432.
407
proposé par la commission ; puisque, dans l’hypothèse
signalée par le tribunal de Paimpol, cette suffisance
était fort contestable, le conseil d’Etat le porta à cinq
ans.
11 importe peu que ce délai soit en réalité trop long
dans telle ou telle autre hypothèse. Le législateur n’avait
pas à se préoccuper de celle-ci ; le terme qu’il fixe n’est
qu’un maximum qui ne saurait être dépassé sans perdre
les droits de réclamer la perte, mais il n’est pas défendu
d’agir avant son expiration, et l’intérêt des assurés à
rentrer le plus tôt possible dans leurs fonds est un sûr
garant qu’ils réclameront aussitôt qu’il leur sera possi
ble de le faire.
On ne risquait donc pas de nuire à l’assurance, com
me le redoutaient les commerces de Bordeaux et de Mar
seille. Sans doute, c’est surtout aux assureurs qu’on a
songé en édictant l’article 432. Or, pour ce qui concerne
les demandes dont ils peuvent être l’objet, le délai de
cinq ans n’a rien d’exagéré, n’est pas de nature à jeter
le trouble et la perturbation dans leurs opérations.
En effet, ce délai ne concerne que l’action en règle
ment d’avaries, celle en délaissement étant restreinte aux
délais de l’article 373, et l’article 374 lui enlève tout ca
ractère de surprise. La communication des avis reçus
fait facilement prévoir le recours que l’existence de l’a
varie autorisera.
Ajoutons que les articles 435 et 436 rendent la dis
position de l’article 432 à peu près illusoire en en su
bordonnant l’application à des cas extrêmement rares.
�408
droit
maritime.
Dans (ous les cas , rester cinq ans, de la date de la
police, sous la menace de l’action qu’elle confère à l’as
suré, n’était pas un inconvénient de nature à alarmer et
moins encore à entraver le commerce des assurances,
nous ne sachons pas que le recours qui dure aussi cinq
ans pour les lettres de change ait jamais occasionné les
moindres troubles dans le commerce de la banque, pour
quoi en serait-il autrement dans les assurances ?
Quant aux autres actions dérivant de la police d’as
surance, les assureurs ne se plaindront pas évidemment
de la loi. Pourquoi, en effet, trouveraient-ils mauvais
qu’elle leur ait permis de demander pendant cinq ans
le payement de la prime, celui de l’indemnité pour
rupture de voyage ou du ristourne, enfin la nullité de
la police. C’est là un avantage pour eux d’autant plus
incontestable que, de leur côté, ils peuvent agir avant
l’expiration du délai et aussitôt qu’ils seront en mesure
de le faire.
1 9 5 9 . — L’article 432 ne mérite donc aucun des
reproches adressés au projet, il a le mérite incontestable
de substituer une règle claire et simple à l’incertitude et
aux difficultés que soulevait l’application du délai dans
chaque hypothèse. Désormais la prescription n’est plus
qu’une question mathématique. La date de la police
d’un côté, celle de la demande en justice de l’autre,
et la question de prescription est irrévocablement tran
chée.
Retenons, en effet, que, du débat législatif, il résulte
�f'
ART.
431, 432.
409
que le délai de cinq ans n’a été consacré que pour parer
à tous les événements qui auraient pu, dans l’intervalle,
placer l’assuré dans l’impossibilité d’agir. Rien ne sus
pend le cours de la prescription de l’article 432, vaine
ment donc, l’assuré prétendrait-il et prouverait-il que
le navire n’est parti que six mois, qu’un an après la
date de la police. Tout droit est éteint par l’expiration
de ce délai.
Quant à la proposition du tribunal de commerce de
Paimpol sur l'efficacité des actes judiciaires , nous en
verrons le résultat en examinant l’article 434.
Ainsi un arrêt de la cour de Rouen, du 12 juillet
1830, décide non seulement que toute action en règle
ment d’avaries est éteinte par la prescription de cinq
ans, mais encore que cette prescription court du jour du
contrat et non de celui où les risques ont commencé
d’après une déclaration ultérieure des assurés qui aurait
modifié le contrat primitif; qu’elle n’est interrompue ni
par des simples pourparlers, ni par la minorité des in
téressés ï.
Nous avons admis sous les articles 433 et 436 que les
pourparlers entre les parties s’opposaient à la déchéance
édictée par ce dernier. On conçoit qu’il en soit autre
ment dans l’hypothèse de l’artice 432. En effet, ce qui
justifie une inaction de vingt-quatre heures, de huit, de
quinze jours et même d’un mois, ne saurait rendre rai1 J, du P., 1. -1852, 460.
�410
Dr,OIT
MARITIME.
son d’une inaction qui s’est prolongée au-delà de cinq
ans.
Quant à la minorité de l’ayant droit, il est de prin
cipe généralement admis qu’elle n’est pas une cause de
suspension des prescriptions établies par le Code de com
merce l. C’est qu’en effet l’intérêt du commerce ne pour
rait se concilier avec les inconvénients qui naîtraient de
cette cause de suspension, inconvénients dangereux sur
tout en matière d’assurances. « Attendu, dit l’arrêt, que
si le législateur eût voulu soustraire les mineurs aux
conséquences de la prescription en matière d’assuran
ces, il aurait évidemment statué à cet égard par une dis
position particulière et exceptionnelle ; que du moment
où la loi reste muette sur ce point, il est impossible de
conclure de son silence qu’il faille appliquer, dans ce
cas, la règle civile qui met les incapables à l’abri de la
prescription, en tirant ainsi des termes si précis et si
formels de l’article 432 une exception qu’ils ne compor
tent pas. »
Du caractère général et absolu de l’article 4321, la cour
de Bordeaux, dans un arrêt du 5 août 1840, induisait
que le commissionnaire qui a fait faire l’assurance peut,
alors que sa bonne foi est reconnue, s’en prévaloir pour
repousser l’action dirigée personnellement contre lui par
les assureurs, après plus de cinq ans, en répétition des
sommes payées pour le montant de l’assurance, encore
i T roplong, Presc , n° 1038 ; P ardessus, n 08 240 et 531; Merlin, Rép.
v» Société ; V azeilles, n»s 268 et 269 ; N ouguier, Lettres de change
�art.
431,432.
Ml
bien que celle aclion repose sur le dol et la fraude dont
l’assuré commettant se serait rendu coupable.
Il est évident que, comme dans tous les autres cas,
le dol fait ici exception au principe et que le délai de
cinq ans ne peut courir que du jour de sa découverte.
Ce principe acquis, on disait qu’en droit commercial le
commissionnaire qui a fait assurer pour compte de qui
il appartiendra est le véritable assuré et répond du dol
de son commettant; que d’ailleurs l’action ayant pour
objet la répétition d’une somme payée sans être due, se
trouvait naturellement régie par le droit commun, et
que la seule prescription applicable était celle de trente
ans.
Mais l’arrêt répond avec raison que si en thèse géné
rale celui qui fait assurer pour compte est considéré
comme véritable assuré, ce n’est là qu’une fiction qui
ne dure et ne peut durer que tout autant que dure le
contrat d’assurance lui-même. Que d’ailleurs si l’on
considère le commissionnaire comme l’assuré réel, tout
ce qui en résultera c’est qu’il sera tenu pendant cinq
ans, mais qu’il ne saurait alors répondre du dol d’une
tierce personne et que si la bonne foi est acquise on ne
saurait lui interdire de se prévaloir de la prescription de
l’article 432.
« Qu’au point de vue de la répétition de l’indû, si,
d’après les principes généraux du d ro it, l’action ne se
prescrit que par trente ans, il faut reconnaître que les
mêmes principes établissent expressément que le man
dataire qui agit dans les limites de son mandat ne s’o-
�412
DROIT
MARITIME.
blige pas personnellement ; que celui avec lequel il a
contracté n’a d’action que contre le commettant et que
le mandataire qui a reçu un payement en sa qualité et
qui s’est dessaisi des sommes reçues, n’est pas sujet per
sonnellement à la répétition ; d’où il faut conclure que
si les principes généraux du droit civil donnent aux
assureurs trenie ans pour'exercer leur action, ils four
nissent aussi au commissionnaire la plus péremptoire
des exceptions l.
Bien entendu que la prescription de l’article 432
n ’est opposable qu’à l’action en payement soit du billet
de grosse, soit de la prime, soit du montant total ou
partiel de l’assurance. Ainsi si, sur la demande du por
teur du billet de grosse ou des assureurs , l’armateur du
navire les avait désintéressés, ses copropriétaires ne
pourraient lui opposer l’article 432, .lorsque, même
après plus de cinq ans, il réclamerait de chacun d’eux
la part afférant à son intérêt dans le navire.
C’est ce que la cour d’Aix jugeait le 23 décembre
4870. Les héritiers du sieur Arnaud , copropriétaire
avec le sieur Sanglar du navire le Mithridate dont il
était l’armateur, demandaient à ce dernier le rembour
sement de la part à sa charge dans les billets de grosse
payés par leur auteur à la décharge de l’armement,
payement qui remontait au-delà de cinq ans. Le capi
taine Sanglar prétendait s’être libéré, et soutenait au
�surplus que l’action contre lui était éteinte par la pres
cription de l’article 432.
Le tribunal de commerce repousse cette double pré
tention. II n’admet pas la prétendue libération du capi
taine ; et quant à la prescription il refuse de l’admettre ;
« Attendu que l’action exercée par les hoirs Arnaud
était celle du copropriétaire d ’un navire contre un au
tre en payement de ses avances faites pour éteindre
les dettes de l’armement et qui excéderaient la part de
charges afférant à sa quotité d’intérêts ;
« Qu’une pareille action constituait une action en rè
glement de comptes ; qu’on ne peut en effet déterminer
si le sieur Arnaud est resté créancier qu’en tenant
compte des payements comme des recouvrements effec
tués par chaque propriétaire ; que le capitaine Senglar
lui-même n’a appuyé sa prétention de libération que
sur la production d’un compte entre lui et le sieur Ar
naud ;
« Que dès lors l’action n’a pas de caractère différent
suivant les causes des avances faites par un des copro
priétaires ; quelles que soient les avances pourvu qu’el
les aient été nécessaires ou utiles, un copropriétaire a
toujours le même droit d’en réclamer l’excédant contre
l’autre et d’en prélever le montant sur l’avoir commun
s’il en existe ; que les conséquences de la subrogation
qu’aurait rapportée l’un d ’eux en payant une dette de
l’armement ne sont opposables qu’aux tiers dans l’inté
rêt commun des copropriétaires ;
« Que l’action en règlement de comptes entre copro-
�414
DROIT MARITIME.
priétaires d’un bâtiment de mer ne saurait être soumise
tantôt à la prescription de l’article 432, tantôt à celle
de l’article 433, ou à toute autre, suivant qu’un des
propriétaires aurait acquitté la dépense d’une fourniture
ou un contrat à la grosse, ou toute autre charge ; que
la loi n’ayant établi aucune prescription spéciale relati
vement à cette action, le défendeur ne peut se préva
loir que de la prescription trentenaire qui n’est pas ac
quise.
On ne peut que rendre hommage au caractère ration
nel et juridique de ces considérations. La copropriété
d’un navire constitue en quelque sorte une société que
gère dans l’intérêt de tous celui qui a reçu la qualité
d’armateur. Comme gérant l’armateur reçoit et paye, se
débile de l’actif et se crédite du passif entre lesquels s’é
tablit une compensation légale qui a éteint les divers
articles qui sont venus se fondre dans le compte.
Or, tant que le compte n’a été ni réglé ni arrêté il
n’y a en faveur ou contre les intéressés ni créance, ni
dette. Ce n’est en effet que par la balance de la recette
et de la dépense qu’on saura si le comptable doit ren
dre raison d’un reliquat quelconque, ou s’il lui est dû
un solde. Ce solde, s’il existe, constiue une créance spé
ciale, particulière, distincte des articles qui ont été suc
cessivement payés, qui sont venus composer l’ensemble
du compte et qui ont par cela seul perdu leur caractère
et leur nature propre.
On ne saurait donc les extraire de ce compte et les
régir par les prescriptions spéciales auxquelles la loi les
�ART.
451, 432.
418
soumettait. D’ailleurs, comment se prévaloir de la pres
cription contre celui qui n’était ni recevable ni fondé à
agir ? Or, telle est évidemment la position du compta
ble, car il est de principe incontesté que le solde seul
du compte est exigible.
Donc, tant que ce solde n’est pas déterminé par un
règlement, le comptable n’est ni en état ni en demeure
d’agir, et par conséquent ce ne serait que du jour de ce
règlement qu’on pourrait placer le point de départ de
la prescription. Dans tous les cas, cette prescription ne
peut être celle des articles 189, 432 et 433 du Code de
commerce, car la créance résultant du solde ne consti
tue ni une lettre de change, ni un billet à ordre, ni un
contrat de grosse, ni un mémoire de fournisseur, bien
qu’il y ait un peu de tout cela dans le compte. La seule
qui puisse être invoquée et appliquée est celle édictée
par l'article 2262 du Code civil1.
Celte conclusion du tribunal de commerce de Mar
seille était irréfragable. Aussi le capitaine Senglar ayant
émis appel du jugement, un arrêt de la cour d’Aix, du
23 décembre 1870, le confirmait purement et simple
ment et par adoption des motifs 2.
1
Vide R o u e n ,
17 n o v em b re 1 3 1 7 .
2 D e C a p d e v ille ,
Bulletin des Arrêts d'Aix, 1 8 7 1 , 1 9 3 .
�/i IG
DROIT
MARITIME
A rticle 4 3 3 .
Sont prescrites :
Toutes actions en payement pour fret du navire, ga
ges et loyers des officiers, matelots et autres gens de l’é
quipage, un an après le voyage fini ;
Pour nourriture fournie aux matelots par ordre du
capitaine, un an après la livraison ;
Pour fournitures de bois et autres choses nécessaires
aux constructions, équipement et avitaillement du na
vire, un an après ces fournitures ;
Pour salaires d’ouvriers et pour ouvrages faits, un an
après la réception de l’ouvrage ;
Toute demande en délivrance de marchandises, un
an après l’arrivée du navire.
SOMMAIRE
1951.
1952.
1953.
Motifs qui ont déterminé la conservation de la prescrip
tion annale contre l’action pour le fret, celle des gages
et salaires de l ’équipage et celle en délivrance des mar
chandises.
L’action pour le fret est éteinte non seulement contre le
capitaine, mais encore contre l’armateur, si elle n ’a élé
exercée dans le délai prescrit.
Les mêmes motifs amenaient à déclarer la prescription
�annale commune â l ’action en payement du fret et à
celle en payement du salaire de l ’équipage.
4954. Le mot officiers, dans l’article 433, comprend le capitaine
lui-même. Conséquences.
1955. Inapplicabilité de l’article 433 à l’action du prêteur pour
la nécessité du voyage pendant sa durée et à celle du
capitaine en remboursement d’avances faites à l’arme
ment.
4956. A l ’action de l’administration de la marine en rembourse
ment de ce qu’elle a payé pour nourriture, traitement
et rapatriement de l'équipage d ’un navire confisqué
pour s’être livré â la traite.
4957. Dans ce cas, la responsabilité pèse sur la fortune de terre
de l ’armateur.
1958. Silence gardé par le projet du Code sur l ’action des char
geurs en délivrance des marchandises. Observations des
cours et tribunaux.
1959. Par quel laps de temps se prescrit cette action contre le
destinataire.
1960. Caractère de l’action du chargeur demandant au capitai
ne la preuve de la remise des marchandises. Arrêt de
la cour de Rouen. Son caractère juridique.
4961. Est-ce de l ’arrivée au port de destination ou du jour
de la rentrée au port du départ que court le délai
d'un an.
1962. L’action en répétition du prix des marchandises vendues
en cours de voyage pour les besoins du navire est-elle
soumise à la prescription annale ?
1963. Opinion de M. Dalloz. Arrêt qu’il invoque. Apprécia
tion.
1964. Point de départ des trois prescriptions précédentes.
1964 bis. Quel est le point de départ de la prescription dans le
cas de naufrage ?
1964 ter. De quel jour court-elle contre l ’administration pour
v —
27
�418
DROIT
MARITIME.
le remboursement des frais de nourriture et de rapa
triement ?
1964 quatuor, Quid, dans le cas où le navire n ’a plus donné de
ses nouvelles ?
1965. Prescription de l ’action des fournisseurs de bois ou autres
choses nécessaires aux constructions, équipement et
avitaillement du navire.
1966. Ne peut être opposée par le fournisseur à ceux avec
qui il a lui-même traité. Arrêt de la cour de Montpel
lier.
1967. L’action intentée par le fournisseur contre le proprié
taire apparent du navire suspend la prescription. Con
séquences.
1668. Délai de la prescription de l’action pour nourriture four
nie à l ’équipage par ordre du capitaine.
1669. De celle pour salaires ou travaux faits. A qui est opposa
ble celle-ci ?
1970. Point de départ de la prescription contre les cabaretiers,
hôteliers ou traiteurs.
1971. Contre les fournisseurs.
1972. Contre les ouvriers.
1973 Peut-on, dans les cas prévus par l ’article 433, autoriser
celui à qui la prescription est opposée h déférer le ser
ment à celui qui l’oppose?
1951. — L’heureuse arrivée du navire au port de
destination termine l’opération qui avait donné lieu au
voyage. Cette opération doit dès lors être liquidée et
dans le plus bref délai possible. Les habitudes ordinai
res du commerce se réunissaient ici aux exigences de
la navigation pour le déterminer ainsi.
Quoi de plus naturel, en effet , qu’en délivrant les
marchandises dont il a opéré le transport, le capitaine
�ART.
433.
419
se fasse payer de son fret ; que les gens de l’équipage,
le plus souvent congédiés, règlent, leurs gages et salai
res ; enfin, que le destinataire ou consignataire des
marchandises en exige la restitution dès que, par l’ar
rivée du navire, leur délivrance devient passible et mê
me forcée.
C’est cette impression à laquelle le législateur a obéi,
en consacrant le premier et le dernier paragraphe de
l’article 433, soumettant à la prescription annale l’ac
tion en payement du fret, celle en payement des gages
et salaires, celle en délivrance des marchandises.
1953.
— L’article % titre 12, livre 1er de l’ordon
nance de 1681, déclarait nommément les maîtres et pa
trons sans action pour poursuivre le payement du fret,
après un an de l’arrivée du navire. De là la question de
savoir si la prescription atteignait ou non l’armateur ou
le propriétaire du navire.
Cette question ne pouvait faire naître de difficultés sé
rieuses. Il est certain que , dans la plupart des cas, le
soin d’exiger le fret est dévolu au capitaine. Indépen
damment de ce que, se trouvant nanti des objets qui
répondent du payement, il est, lui, nécessairement pré
sent au lieu d’arrivée soit à l’étranger, soit en France
même, ce qui se réalise bien rarement pour l’armateur
ou le propriétaire.
II est donc évident que les maîtres et patrons n’étaient
désignés dans l’hypothèse qu’en leur qualité de repré
sentants du navire, chargés d’exercer les actions de l’ar-
�420
DROIT
MARITIME.
mement. La prescription consacrée contre eux l’était
donc contre celui-ci en réalité, et, dès qu’elle était ac
quise, l’action était éteinte, quel que fût d’ailleurs celui
qui prétendait l’exercer.
Au reste, le Code de commerce a voulu même préve
nir cette difficulté, il ne prononce plus la prescription
contre tel ou tel ; il déclare l’action elle-même éteinte,
si elle n’a été poursuivie dans l’année de l’arrivée du na
vire.
1953. — Les raisons qui faisaient exiger la plus
prompte diligence dans la demande en payement du fret
autorisaient le même résultat à l’endroit des salaires
dus à l’équipage. Ici le payement immédiat devenait
d’autant plus probable, que la plupart des matelots
n’ont pas d’autres ressources soit pour payer les dé
penses de leur famille pendant leur absence, soit pour
subvenir à leurs besoins en attendant un nouvel engage
ment.
Aussi la loi n’a-t-elle pas hésité : officiers, matelots,
tous autres gens de l’équipage n’ont qu’un an pour se
faire payer de ce qui leur est dû.
1954. — En désignant les officiers, la loi a com
pris parmi eux le capitaine lui-même. Il est donc sou
mis à la même prescription que les autres gens de l’é
quipage , e t , par rapport à lu i, cette prescription em
brasse non seulement les gages et salaires proprement
dits, mais encore les droits qui lui sont attribués en sa
�ART.
433.
421
qualité et qui constituent un supplément de salaires.
C’est ainsi que la cour de Gand déclarait, le 2 juin 1836,
que, faute d’avoir réclamé dans l’année, le capitaine ne
pouvait plus exiger le droit de chapeau qui lui avait été
concédé.
1955. — Les lois exceptionnelles doivent être ren
fermées dans leurs plus étroites limites, et ne sauraient
régir par analogie et assimilation les cas qui ne se pla
c e n ta s spécialement dans leurs dispositions. C’est ce
qui a été reconnu et admis par notre article 433.
Ainsi, la prescription annale, opposable aux fournis
seurs pour équipement et avitaillement du navire, ne
saurait être opposée au créancier de sommes prêtées en
cours de voyage pour les nécessités du navire. Ainsi,
encore, la même prescription, qui éteint toute action du
capitaine pour ses gages et salaires, ne saurait s’appli
quer à la répétition des avances qu’il aurait faites à l’ar
mement. Dans ces deux cas, l’action n’est éteinte que
par la prescription ordinaire.
1956. — La Cour de cassation a fait une notable
application de ce principe, en jugeant, le 2! juin 1829,
que la prescription annale n’était pas opposable à l’ad
ministration de la marine réclamant le remboursement
des sommes qu’elle avait dépensées pour nourriture,
frais de traitement dans les hôpitaux étrangers, et ra
patriement des matelots et gens de l’équipage d’un na
vire arrêté et confisqué pour s’être livré à la traite.
�422
DROIT
MARITIME.
L’armateur poursuivi opposait que la marine ne pou
vait agir que comme subrogée à l’équipage lui-même,
que dès lors, elle devait être repoussée par la prescrip
tion annale qui aurait fait écarter celui-ci. Celte excep
tion, d ’abord accueillie par le tribunal de commerce de
Nantes, le fut également par la cour de Rennes.
Mais l’administration de la marine s’étant pourvue,
la Cour suprême cassa l’arrêt de Rennes sur ce double
motif: d’abord que la marine, chargée principalement
de pourvoir à la nourriture, au traitement et au rapa
triement des matelots, avait une action directe pour se
faire rembourser des avances faites dans cet objet ;
qu’elle n’agissait pas comme subrogée aux gens de l’é
quipage, et qu’on ne pouvait dès lors lui opposer une
prescription particulière à celui ci ;
Ensuite, parce que s’agissant dans tous les cas d’une
répétition fondée sur un délit, l’unique prescription op
posable était celle de l’article 2262 du Code civil.
Les parties et matières ayant été renvoyées devant la
cour d’Angers, un arrêt rendu par celle-ci, le 29 jan
vier 1830, consacra la doctrine de la Cour de cassation.
Outre que dans l’espèce la perte du navire était le
résultat, non d’une fortune de mer, mais du fait délic
tueux de l’armateur, on remarquera que la Cour suprê
me se réfère à l’ordonnance du 21 octobre 1784 et à
l’arrêté du 5 germinal an x i i , pour en conclure qu’en
fournissant aux frais de nourriture, de maladie et de ra
patriement des marins de l’équipage congédiés en pays
étrangers, l’administration de la Marine ne fait qu’exé-
�art.
453.
42 3
cuter l’obligation que cette législation lui impose direc
tement et personnellement.
Sans doute elle a un recours contre l’armateur, mais
ce recours est formellement réservé par les mêmes lois.
Donc, en l’exerçant, l’administration de la Marine use
d’un droit qui résulte pour elle de l’accomplissement de
son obligation. On peut d’autant moins la considérer
comme subrogée à l’équipage que celui-ci n’ayant en
réalité fait personnellement aucuns frais, n’a jamais été
créancier de l’armateur à leur occasion.
Ces considérations amènent à cette conséquence que
lorsqu’il s’agit de loyers et salaires de l’équipage, l’ad
ministration de la Marine n’agit et ne peut agir qu’en
exerçant les droits de celui-ci, qu’en vertu de la subro
gation résultant du patronage qu’elle exerce sur les ma
rins. En effet, elle n’a aucun droit à ces salaires, au
cune créance à faire valoir contre l’armateur. La rete
nue en faveur de la caisse des invalides est due unique
ment par les marins, et c’est pour empêcher ceux-ci de
ne pas en tenir compte, qu’il n’est permis à l’armateur de
régler avec eux qu’en présence du commissaire de l’Ins
cription Maritime qui lui donne quittance.
Il est dès lors évident qu’en poursuivant le paiement
de ces salaires, l’administration exerce le droit de l’équi
page ; qu’elle ne saurait avoir que celui afférent à ce
lui-ci auquel elle se subroge, et que la prescription qui
aurait éteint l’action l’aurait également éteinte aux mains
et sur la tête de l’administration.
En est-il encore ainsi aujourd’hui? Il est permis d’en
�424
d r o it
m a r it im e
.
douter. Le décret du 7 avril 1860 efface toute distinc
tion entre les frais de conduite et de rapatriement et les
salaires, et les met tous à la charge de l’armateur. Son
article 14, en effet, dispose: les frais de subsistance,
d’entretien, de rapatriement et de retour au quartier
des individus provenant de l’équipage d’un navire de
commerce, sont à la charge de l’armement au même ti
tre que les loyers de l’équipage, quel que soit le mode
d’engagement des hommes.
Il n’y a donc plus aujourd’hui qu’une seule et uni
que dette, celle de l’armement. L’administration de la
Marine n’est plus directement obligée, et elle ne paye
qu’à la décharge du débiteur ; elle ne peut donc l’en
treprendre que comme subrogée au créancier qu’elle a
désintéressé.
D’ailleurs si les frais quelconques de conduite et de
rapatriement sont assimilés aux loyers des matelots, on
ne voit pas comment et pourquoi ces frais ne seraient
pas atteints par la prescription édictée par l’article 433
contre les loyers de l’équipage.
1959. — Le même jour, 2 juin 1829, la Cour ré
gulatrice, dans un second arrêt, résolvant la question
dans le même sens, eût à s’expliquer sur une autre dif
ficulté.
Dans cette espèce, en effet, l’armateur, indépendam
ment du moyen puisé dans l’article 433, opposait que
l’armateur étant libéré par l’abandon du navire et du
fret, et cet abandon résultant de la dépossession absolue
�ART.
4 .3 5 .
428
par suite de la confiscation et de la vente, l’administra
tion de la Marine devait être déclarée sans action. C’est
encore ce que le tribunal de Nantes avait consacré.
Le jugement étant en dernier ressort, fut directement
déféré à la Cour suprême et cassé comme l’avait été
l’arrêt de la cour de Rennes. Ce qui, sur le moyen spé
cial, détermine cette cassation, c’est que la responsabi
lité, qui cesse par l’abandon du navire et du fret en
vertu de l’article 216 du Code de commerce, n ’a aucun
rapport avec la confiscation prononcée pour cause de
délit ; qu’on ne peut assimiler non plus les cas de prise,
bris ou naufrage prévus par l’article 358, à celui de la
confiscation prononcée contre l’armateur en punition
d’un délit qui lui est personnel.
La Cour régulatrice ne méconnaît donc pas le prin
cipe de l’article 216, et n’en refuse nullement les con
séquences. Elle reconnaît qu’en général l’armateur n’est
pas tenu sur sa fortune de terre des engagements résul
tant de la navigation du navire. Il résulte, en effet, im
plicitement de son arrêt que l’armateur eût été libéré,
même envers l’administration, de l’obligation de lui
rembourser ses avances pour nourriture, traitement et
rapatriaient de l’équipage , si la perte du navire avait
été occasionnée par un de ces accidents fortuits et im
prévus qu’amènent les fortunes de mer.
Mais était-il possible d’accorder les mêmes effets,
lorsque le navire avait été confisqué parce qu’il avait
plu à l’armateur de le consacrer à un commerce délic
tueux et sévèrement proscrit par la loi ? Un délit, quel
«
�426
DROIT MARITIME.
qu’il soit, ne saurait jamais profiter à son auteur. C’est
à lui, et à lui seul à en supporter toutes les conséquen
ces. La doctrine de la Cour de cassation, indépendam
ment de sa légalité, est hautement approuvée par la
morale.
1958. — Le projet primitif du Code n ’avait rien
statué sur l’action du chargeur en délivrance des mar
chandises, et ce silence laissait cette action sous, l’em
pire de la prescription ordinaire. Ainsi, pendant que le
capitaine n’avait qu’un an pour exiger le payement du
fret, il demeurait pendant trente ans sous le coup de
l’action des chargeurs.
L’ordonnance de 1681 av;ait reculé devant l’énormité
de ce résultat, elle avait en conséquence soumis cette ac
tion à la prescription annale, et c’était justice, d’abord
parce qu’il n’est pas vraisemblable que le porteur d’un
connaissement laisse écouler un an, depuis l’arrivée du
navire, sans exiger la délivrance des marchandises men
tionnées sur ce connaissement ; ensuite, parce qu’il eût
été d’une trop dangereuse conséquence pour la naviga
tion et le commerce maritime que des actions de cette
nature eussent la durée des actions ordinaires. C’est
bien assez, et peut-être même trop, d’après Valin, qu’un
capitaine soit obligé, pendant un an, de conserver la
preuve qu’il a rempli son engagement b
D’ailleurs, puisque l’action du capitaine ou de l’ar. i A rt. 4, tit. D e
la Prescription.
�mateur se prescrivait par un an, n’était-il pas juste qu’il
en fût de même de celle du chargeur. Une réciprocité
parfaite n’était-elle pas commandée par la nature même
des choses. La négligence de ce dernier, son inaction
est elle plus naturelle, plus concevable que celle du
premier ? L’impossibilité donc de fonder, sur des mo
tifs plausibles une si importante différence dans leur
position réciproque, devait faire exclure toute diffé
rence.
Ces considérations, énergiquement développées par la
Cour de cassation, par le tribunal et le conseil de com
merce de Nantes, par la cour de Rouen, parurent dé
terminantes. Le conseil d’Etat accueillit donc la propo
sition qui en découlait, et, suppléant au silence de la
commission, plaça l’action en délivrance des marchan
dises dans la catégorie de celles qui s’éteignent par la
prescription annale.
1959. — Le chargeur n’a donc qu’un an pour ré
clamer soit la marchandise elle-même, soit la preuve
qu’elle a été rendue à destination. La prescription ré
sultant du défaut de poursuites dans ce délai est abso
lue, elle s’applique à toute réclamation ayant pour ob
jet la délivrance des marchandises.
Peu importerait que le destinataire ou le consigna
taire prétendit n’avoir reçu ni avis du chargement, ni
exemplaire du connaissement. Une pareille négligence
de la part du chargeur n’est pas supposable, eût-elle
existé qu’on ne saurait lui attribuer l’effet d’aggraver la
�428
DROIT
MARITIME.
position du capitaine ou de l’armateur, auxquels on ne
saurait adresser aucun reproche à cet endroit. D’ailleurs
la publicité que reçoivent les manifestes d’entrée avertit
suffisamment les intéressés à la cargaison.
Peu importerait encore que l’action fût intentée par
le destinataire ou le consignataire, au lieu de l’arrivée,
ou par le chargeur, demandant au lieu du départ la jus
tification que son envoi a été réellement reçu à destina
tion.
1 9 6 0 . — On a voulu donner à celle-ci un carac
tère différent de celle du destinataire en délivrance, on
la qualifiait donc d’action résultant de l’exécution du
mandat. Mais, répondait avec raison la cour de Rouen,
quel que soit le titre qu’on lui donne, l’action n’est au
tre qu’une action se référant uniquement à la délivrance
des marchandises que le capitaine devait porter à desti
nation. Elle est donc atteinte par la prescription de l’ar
ticle 433 l.
On ne pourrait le décider autrement sans arriver à ce
résultat. L’action en délivrance éteinte par la prescrip
tion, on se garderait bien de l’intenter ; mais le char
geur demanderait qu’on lui justifiât de la remise. Qu’arriverait-il du défaut de justification ? Que le capitaine ou
l’armateur devrait rendre la marchandise ou en payer la
valeur, c’est-à-dire qu’on atteindrait indirectement le
1 24 m ai 1830,
�but unique qui résulterait directement de l’action en dé
livrance.
196fl. — Nous approuvons donch autement la doc
trine de l'arrêt de Rouen. L’unique reproche qu’il nous
paraît mériter, est d’avoir fait courir le délai de l’ac
tion du chargeur, non du jour de l’arrivée au port de
destination, mais de celui de sa rentrée dans le port du
départ.
Ce qui explique cette disposition, c’est que, en fait,
dans l’espèce, l’action était introduite plus d’un an
après le retour du navire, ce qui enlevait tout intérêt
à la question de savoir de quel jour devait courir le
délai.
Supposez le contraire, l’action intentée dans l’année
du retour ne serait-elle pas prescrite si plus d’un an
s’était écoulé depuis l’arrivée du navire au port de des
tination ?
A notre avis, l’affirmative ne saurait être douteuse.
Elle ne le serait pas si l’action avait directement pour
objet la délivrance des marchandises. Or, puisque c’est
cette action déguisée qu’exerce le chargeur, il est impos
sible de décider autrement.
Le capitaine qui reçoit des marchandises ne contracte
pas deux obligations : l’une de remettre les marchandi
ses à leur destination, l’autre de justifier de cette re
mise ; son unique engagement est de délivrer la cargai
son à qui de droit, et cet engagement est présumé rem
pli jusqu’à preuve contraire. Cette présomption devient
�430
DROIT MARITIME.
juris et de ju re lorsqu’aucune réclamation ne s’est
produite pendant un an, depuis l’arrivée du navire.
Concevrait-on, dès lors, que le capitaine, définitivement
libéré, puisse être encore tenu pendant un temps indé
terminé.
Remarquons, en effet, qu’il peut se faire que le na
vire, après avoir atteint sa destination, opère divers
voyages intermédiaires ; qu’il ne rentre au lieu du dé
part primitif que dix ans, vingt ans après l’avoir quitté ;
dans le système que nous-combattons, il n’en serait pas
moins tenu, pendant un an encore, de l’action en jus
tification de la remise des marchandises. N’est-ce pas
là précisément le résultat que l’article 433 a voulu pré
venir.
Concluons donc que, quel que soit le voile sous le
quel elle se déguise, l’action se référant aux marchan
dises chargées à bord d’un navire est absolument régie
par l’article 433. Le consignataire est le mandataire lé
gal du chargeur; il doit, dès lors, veiller à ses intérêts
et prendre, en temps utile, toutes les mesures devant les
sauvegarder. La négligence qu’il mettrait dans l’exécu
tion de ce devoir nuirait à son mandant, sauf à celui-ci
l’action en réparation du préjudice qu’elle lui occasion
nerait : mais elle ne saurait faire revivre contre le capi
taine une action désormais éteinte.
1 9 6 3 . — L’action en répétition du prix des mar
chandises vendues en cours de voyage pour les nécessi
tés du navire, est-elle soumise à la prescription annale?
�ART. 433.
431
L’affirmative résulte, à noire avis, du caractère de l’ac
tion. Quel qu’en soit l’objet, elle n’est, en réalité, que
l’action en délivrance elle-même.
Comment, en effet, distinguer la restitution en nature
de la remise en valeur, et pourquoi autoriser celle-ci
pendant trente ans ? Est-ce que le chargeur a moins
d’intérêt à percevoir le prix de ses marchandises que de
les retirer en nature ? Est-ce qu’il est probable qu’il
restera plus d’un an sans réclamer le premier.
Pourquoi donc tout étant égal, d’ailleurs, la négli
gence serait-elle si diversement appréciée et ses effets si
divergeants ?
1963. — M. Dalloz, qui se prononce pour l’opi
nion que nous combattons, ne la discute pas ; il se borne
à l’énoncer en l’étayant sur un arrêt de la Cour de cas
sation qui l’aurait consacrée '.
Les arrêts devant être appréciés secundum subjectam
materiam ; il appert, de l’examen de celui invoqué par
M. Dalloz, qu’on ne saurait guère s’en prévaloir com
me ayant résolu notre question. L’objection principale
de l’assuré contre l’application de l’article 433 était que
le voyage ne s’étant pas accompli, la prescription n ’a
vait jamais couru, qu’elle devait donc être repoussée.
C’est ce que la cour de Montpellier avait consacré.
Le pourvoi contre son arrêt fut rejeté : « Attendu que
la prescription annale établie par l’article 433 ne s’ap- Nouveau
ré p ., v.
D r
m a r it . n° 2267.
�\
432
DROIT MARITIME.
plique qu’aux actions en délivrance de marchandises
chargées sur un vaisseau, et ne commence à courir que
lorsque le voyage a été'accompli ; que la cour de Mont
pellier, ayant reconnu que la demande n’avait pas cet
objet et que le voyage n’avait pas été accompli, n’a fait,
en écartant la prescription , que se conformer au texte
précis de cet article *. »
Ce qui était capital et décisif, dans l’espèce, était
l'inaccomplissement du voyage enlevant à la prescription
son point de départ. On comprend, dès lors, que la Cour
suprême n’avait pas à se préoccuper de l’appréciation
du caractère de l’action.
Qu’aurait-elle fait, qu’aurait fait la cour de Montpel
lier si l’«bsence de cette circonstance eût fait dépendre
le sort du procès de la nature de l’action ? Auraient-elles
l’une et l’autre refusé de la considérer comme une de
mande en délivrance ? Nous en doutons, car l’identité
dans le but ne permettrait pas de distinguer.
, Ce qui est pour nous la preuve que la détermination
de la Cour de cassation est uniquement fondée sur l’inaccomplissement du voyage, c’est le silence qu’elle garde
sur un autre principe consacré par l’arrêt de Montpel
lier, et qu’elle n’aurait pas manqué de censurer en toute
autre circonstance. En effet, cet arrêt décide que l’arti
cle 433 ne s’applique uniquement qu’au capitaine, et
refuse à l’armateur le droit d’en invoquer le bénéfice, ce
1 24 mai 1830.
�ART, 4-35.
435
qui est, à notre avis, l’interprétation la plus erronée
qu’on pût faire de cet article.
Mais à quoi bon les critiques de détail, lorsque le re
jet du pourvoi était la conséquence infaillible de l’inaccomplissement du voyage. Nous ne saurions donc in
duire de ce rejet la doctrine qu’en tire M. Dalloz. Dans,
tous les cas, nous en appellerions avec confiance à un
nouvel et plus'spécial examen.
1964.
— La prescription contre le capitaine ou
l’armateur pour le fret, contre le chargeur en délivrance
des marchandises, contre les gens de l’équipage pour
leurs salaires et gages, ne court que du jour où le na
vire est arrivé à destination. Ce point de départ était
indiqué par la nature des choses. On ne pouvait recon
naître une prescription avant l’exigibilité du droit. Or,
dans l’hypothèse, cette exigibilité n’existe que par l’évé
nement de l’arrivée du navire. Cette arrivée étant au
thentiquement constatée par les formalités en douane,
par le manifeste d’entrée, rend le point de départ de la
prescription insusceptible de doute.
1964 bis. — Si le navire, au lieu de rentrer au port
d’armement, a péri dans le voyage, les gens de l’équi
page peuvent être créanciers soit des loyers gagnés dans
un précédent voyage, soit dans les engagements au mois
pour tous ceux échus avant le naufrage. De quel jour
commencera dans ce cas à courir la prescription annale?
Les termes de l’article 433 sont précis et formels. Le
v —
28
�434
DROIT MARITIME.
point de départ du délai est la fin du voyage. Or, com
ment soutenir sérieusement que le naufrage n’a pas fini
le voyage?
Mais notre matière elle-même appelait et comportait
l’application de la règle contra non valenlem agere non
*urrit prescriptio. La prescription de l’article 433 a
pour objet et pour but de punir la négligence. Or, sontils négligents ces matelots qui, jetés p a rle naufrage sur
une plage à cinq ou six mille lieues de la patrie, n’ont
pas agi parce qu’ils étaient dans l’impossibilité de le
faire. On comprend dès lors qu’on ait prétendu faire
courir le délai que du jour du rapatriement des mate
lots.
Ce point de départ nous paraît juridique. Il est évi
dent que, rendus dans leur arrondissement, les matelots
sont parfaitement en mesure et par conséquent en de
meure d’agir. L’administration elle-même n’a plus au
cune raison pour ne pas poursuivre. La prescription
serait donc la juste peine de leur inaction.
Contre ce point de départ on a objecté : qu’à l’in
convénient de n’être pas conforme à l’article 433, il
réunissait celui de laisser au hasard le plus variable le
soin de fixer le moment où le délai commence de cou
rir, puisque tel matelot débarqué au cours du voyage
peut très bien n’être rapatrié que plusieurs années après
qu’il a quitté le navire, ou peut être même plusieurs
années après le naufrage.
Nous reconnaissons que la matière comporte et exige
le règlement le plus prompt possible. La disposition de
�l’article 433 le prouve suffisamment. Mais, prétendre
que cet article a entendu sacrifier à ce besoin des droits
qui ne pouvaient être exercés, c’est interpréter singuliè
rement sa disposition et lui prêter une intention qu’il
n’a pas eue, qu’il ne pouvait avoir.
D’ailleurs ce système peut comporter une exception
pour les matelots débarqués en cours de voyage, il ne
saurait en souffrir aucune pour ceux qui se trouvaient à
bord au moment du naufrage. Si les premiers, en effet,
ne sont rapatriés que plusieurs années après leur dé
barquement, c’est qu’ils l’auront bien voulu, c’est qu’ils
se sont soustraits à l’action du consul, dans un intérêt
facile à apprécier.
Les seconds, au contraire, auront consacré les années
qui se sont écoulées avant leur rapatriement à se sau
ver des pays où le naufrage les avait jetés et à venir se
réfugier sous la protection de nos consuls, et ce n’est
guères qu’ainsi qu’on pourrait expliquer ce retard plus
ou moins long apporté à leur rapatriement. Il est évi
dent en effet que si ce retard n’était imputable qu’à
l’inertie, qu’à l’insouciance du consul, celui-ci aurait
gravement manqué à son devoir, ce qui n’est pas à sup
poser. Ce retard ne peut donc provenir que d’une force
majeure, et l’on ne saurait dès lors sérieusement l’objec
ter contre le système que justifie cette règle d’équité :
contra non valentem agere non currit prescriplio.
Les matelots ne sont donc tenus d’agir que lorsqu’ils
ont été en état et en position de le faire. Appréciateurs
souverains de l’exception de prescription, les tribunaux
�436
"
DROIT MARITIME.
sont naturellement appelés à en fixer le point de départ.
Quelles raisons auraient-ils pour ne pas tenir compte
de la position dans laquelle se sont trouvés les mate
lots ?
1 0 6 4 ter. — Nous venons de voir la Cour de cas
sation décider que l’administration avait une action di
recte pour le remboursement des frais de nourriture, de
maladie et de rapatriement des matelots ; qu’elle n ’agis
sait pas, quant à ce, comme subrogée aux droits de
l’équipage, et qu’en conséquence on ne pouvait même
lui opposer la prescription de l’article 433.
Il ne saurait en être ainsi pour les salaires et loyers.
Il n’y a à leur égard d’autre créancier que les matelots
eux-mêmes, et, en en poursuivant le paiement, l’admi
nistration n’agit et ne peut agir que comme exerçant
leurs droits. Dès lors, la prescription acquise contre eux
est acquise contre elle.
L’administration a soutenu le contraire. Comme re
présentant la caisse des Invalides, a-t-elle dit, j’ai un
droit personnel à concurrence de la retenue que celle-ci
est autorisée à prélever sur les salaires des marins, et la
prescription qui a atteint ceux-ci ne m’est pas oppo
sable.
Rien n ’est moins démontré que ce droit personnel de
la marine. Une retenue à prélever sur des salaires pré
suppose qu’il existe des salaires à percevoir. On ne sau
rait rien retenir lorsqu’il n’y a rien à payer à ceux qui
doivent subir celte retenue.
�Dans tous les cas, en supposant que le droit person
nel existât, il s’en suivrait que jusqu’à concurrence de
la retenue, cette partie des salaires serait due non aux
matelots, mais à l’administration représentant la caisse
des Invalides. Mais cette substitution de créancier ne
modifierait en rien la nature et le caractère de la dette,
elle n’en aurait pas moins pour origine le contrat de
louage, et ne pourrait être exigée qu’à titre de salaire.
Il n’est donc pas douteux que même vis-à-vis de l’ad
ministration elle serait soumise à la prescription de l’ar
ticle 433, quel serait donc, par rapport à elle, le point
de départ du délai en cas de naufrage ?
L’impossibilité d’agir que nous supposions tout à
l’heure pour les matelots ne saurait, en aucun cas, se
réaliser pour l’administration. Celle-ci, en effet, est
présente en tous lieux, en tous pays en la personne de
ses délégués, les consuls. Ceux-ci ont la mission expresse
de l’aviser des sinistres qui se réalisent dans le ressort
de leur juridiction, et qu’ils ne peuvent longtemps igno
rer. L’article 33 de l’ordonnance du
novembre 1833
leur impose même le devoir de veiller à la liquidation
des salaires de l’équipage ; et l’on ne saurait ni présu
mer ni admettre qu’ils ont failli à leurs obligations.
Dans tous les cas, s’ils y ont mis de la négligence, l’ad
ministration doit s’imputer d’avoir mal choisi, et doit
subir les conséquences dé son erreur.
Dès qu’elle est informée par le consul, l’administra
tion est en mesure, et par conséquent, en demeure d’a -
�438
DROIT MARITIME.
gir pour la conservation de son droit. C’est donc aussi
de ce moment que la prescription commence de courir.
Sans doute on pourra encore ignorer le montant de
ce qui est réellement dû aux matelots et l’importance
de la retenue qui obvient à la caisse des Invalides, on
se trouvera donc dans l’impossibilité de requérir une
condamnation quelconque. Mais cette réquisition n’est
pas exigée. L’article 434 du Code de commerce se con
tente d’une interpellation judiciaire. <Or, une interpella
tion est la chose du monde la plus facile pour celui qui
est quelque peu jaloux de conserver son droit.
S’en abstenir lorsque se manifeste la nécessité d’y re
courir, c’est agir avec négligence, et si cette négligence
s’est continuée plus d’un an, rien ne saurait empêcher
l’application de l’article 433.
C’est donc avec raison que la cour d’Àix jugeait, le
13 août 1859, que la prescription annale est opposable
à l’administration de la Marine agissant tant au nom des
matelots eux-mêmes, que dans son intérêt direct com
me représentant la caisse des Invalides ; qu’elle com
mence à courir, en cas de naufrage, du jour même du
naufrage, le voyage étant alors réputé fini ; qu’en sup
posant que ce point de départ fût inapplicable à la por
tion de la créance afférente à la caisse des Invalides, la
prescription devrait être réputée accomplie lorsqu’il s’est
écoulé plus d’un an depuis que le naufrage a été connu
du consul français dans un pays étranger, ou tout au
moins depuis que l’avis du naufrage est parvenu au mi
�nistre de la Marine et aux commissaires de l’Inscriptiorx
Maritime *.
On se pourvut en cassation contre cet arrêt, et à l’ap
pui du pourvoi on soutenait que le voyage n’est légale
ment fini que du jour où le rôle de désarmement du
navire naufragé a été arrêté dans le bureau de l’Ins
cription Maritime. En effet, disait-on, lorsque le na
vire, après une campagne heureuse, revient au port
d’armement d’où il est parti, le capitaine remet le rôle
d’équipage au commissaire de l’Inscription Mariti
me. Ce document constate les avances qui ont été fai
tes aux gens de l’équipage au moment de leur engage
ment , les à-comptes qui leur ont été légitimement
donnés soit à l’étranger, soit en France dans les ports
de relâche, et permet de faire ainsi le décompte de cha
que matelot, après quoi le capitaine ou l'armateur paye
à chacun ce qui lui est dû, en présence du commissaire
qui donne quittance. Si, au contraire, le navire ne re
vient pas, s’il est désarmé dans un port autre que celui
de l’armement pour quelque cause que ce soit, alors,
bien que le voyage soit matériellement fini, il est dé
fendu au capitaine de payer l’équipage, à l’équipage de
recevoir ses salaires , et des amendes solidaires sont pro
noncées contre les contrevenants. Bien plus le capitaine
ne peut être actionné en paiement. Dans ce cas encore
la règle subsiste et les loyers ne sont payés aux mate
lots qu’en présence du commissaire de l’Inscription Ma-
�4
440
DROIT MARITIME.
ritirne du port d’armement après que, sur le vu du rôle
d’équipage et des papiers du bord, le rôle de désarme
ment aura été dressé et le compte de chaque matelot
contradictoirement arrêté entre l’armateur et le com
missaire.
D’autre part, ajoutait-t-on, les matelots réduits aux
termes de l’article 259 à une action subsidiaire sur le
fret, ne peuvent assigner l’armateur en payement qu’autant qu’ils prouveront n’avoir pas été désintéressés com
plètement par le produit du sauvetage. Or, comment
faire cette preuve sinon par la liquidation qui constate
les sonjmes produites par la vente des débris sauvés et
la part revenant à chaque matelot ? Jusque-là ils n’ont
donc pas à introduire une action qui serait invincible
ment repoussée par une fin de non recevoir.
On ne voit pias en quoi ces raisons étaient de nature
à établir le mal jugé qu’on reprochait à l’arrêt d’Aix.
Que le capitaine ou l’armateur ne puisse payer qu’au
port d’armement après le décompte en présence du com
missaire de ce qui revient à chaque matelot ; que ce
décompte ne puisse être définitivement établi qu’après
la liquidation du sauvetage, tout cela fera que la citation
en payement investira, si elle est donnée, le tribunal
du port d’armement ; que le juge investi, s’il n’a pas
les éléments nécessaires pour déterminer la somme réel
lement due, surseoira à statuer jusqu’après la liquida
tion ; qu’on n’a donc à redouter aucune fin de non re
cevoir.
D’ailleurs, rien n’oblige les matelots ou l’administra-
�»
art.
433.
441
tion à donner une citation en payement. Ce que la loi
exige c’est une protestation pure et simple, c’est une
interpellation pour la conservation de leurs droits. Or,
rien dans les motifs allégués n’établit l’impossibilité de
cet acte et peut par conséquent en justifier l’omission.
Aussi, et par arrêt du 16 juillet 1860, la Cour de
cassation rejette-t-elle le pourvoi.
« Attendu , dit la C our, qu’aux termes de l’article
433 du Code de commerce, l’action en payement des
loyers des gens de mer est prescrite un an après le
voyage fini, et que le voyage doit être réputé fini par le
naufrage du navire ;
« Attendu que le navire la Petite-Suzanne a fait
naufrage au mois de janvier 1856 et que plus d’une
année s’était écoulée lorsque, par exploit du mois d ’août
1857, l’administration de la Marine a introduit l’action
en payement des loyers dus aux matelots du navire nau
fragé ;
« Attendu qu’à la vérité cette prescription est, com
me toutes les autres prescriptions, susceptible d’inter
ruption, et que cette interruption peut s’induire des cir
constances qui ont mis le créancier dans l'impossibilité
d’agir ; que dans l’espèce l’administration de la Marine
prétend qu’elle n’a pu agir qu’à compter du mois de
février 1857, époque à laquelle elle aurait reçu les pa
piers de la Petite-Suzanne et la liquidation du sauve
tage de ce navire ;
« Attendu que c’est à compter du jour où elle a eu
connaissance du naufrage que l’administration de-la
�DROIT MARITIME.
442
Marine a pu agir en justice, ou tout au moins inter
rompre la prescription ; qu’il n’est pas établi, en fait,
que ce ne soit qu’au mois de février 1857 que la nou
velle du sinistre lui soit parvenue ; qu’il ressort au con
traire des déclarations de l’arrêt attaqué que le consul
de France à Cadix a connu le naufrage dès le mois de
janvier 1856, et que l’administration a dû en être in
formée, par ses soins, en février ou mars de la même
année;
« Attendu que les consuls représentent l’administra
tion de la Marine dans les lieux où ils sont établis ; que
l’article 33 de l’ordonnance du 21 novembre 1833, les
charge notamment de veiller à la liquidation des salai
res de l’équipage ; que c’est donc avec raison que l’ar
rêt attaqué a fixé le point de départ de la prescription
annale édictée par l’article 433 du Code de commerce,
soit au jour où le consul de France à Cadix a connu le
naufrage de la Petite-Suzanne, soit au mois de février
ou mars 1856, époque à laquelle l’avis du naufrage a
dû parvenir à l’administration de la Marine »
Ainsi la créance que les gens de l’équipage peuvent
avoir à exercer à raison de leurs salaires se prescrit par
un an, et ce délai court du jour du naufrage, à moins
d’impossibilité d’agir qui peut résulter des circonstan
ces qui ont accompagné le naufrage. Le droit éteint sur
leur tête est également éteint contre l’administration de
la Marine poursuivant le payement de ce qui leur est
l-D. P . 60, 4, 4fi1.
�*
art .
435.
445
dû, ce qu’elle ne peut faire que comme subrogée à leurs
droits, et, comme le disait avec raison la cour d’Aix,
une créance prescrite contre le représenté ne peut pas
revivre par cela qu’elle sera poursuivie au requis d’un
représentant ou d’un mandataire.
La retenue en faveur de la caisse des Invalides fait
partie des salaires sur lesquels elle est prélevée. Elle se
confond donc avec eux et ne saurait en être séparée. Elle
suit donc leur sort, et la prescription qui éteint l’action
pour ce qui les concerne l’éteint également pour ce qui
la concerne.
Dans tous les cas et à l’égard de l’administration de
la Marine, la prescription p a rt, non du jour du désar
mement administratif, mais du jour où le consul a
connu le naufrage, tout au moins de celui où l’avis qu’il
est tenu d’en donner à l’administration est arrivé aux
mains, soit du Ministre de la Marine, soit du commis
saire de l’Inscription Maritime du port de départ ou de
celui où le navire devait arriver. Dès ce jour, en effet,
elle est en mesure et en demeure sinon de citer en paye
ment la créance pouvant n’êlre pas encore liquidée, du
moins d’interpeller judiciairement l’armateur afin de
prévenir toute prescription. Si elle omet de le faire, elle
se constitue en état de négligence, et la perte du droit
n’est que la juste conséquence de cette négligence si elle
s’est continuée pendant une année entière.
1 9 6 4 quatuor, _
L’exception de prescription est-elle
�Ul
DROIT
MARITIME.
opposable lorsque au moment où l’action est introduite
on est depuis plusieurs années sans nouvelles du navire?
Cette question se présentait à résoudre dans l’espèce
que voici : l’administration de la Marine avait demandé
contre l’armateur du navire Saint-Esprit payement de
la somme de 15,481 fr. pour salaires de l’équipage et
droits de désarmement.
Ce navire, parti en mai 1863 de Marseille pour Mon
tevideo, avait fait divers voyages dans les mers des In
des, touché successivement à Maurice, à Pointe de Gal
les, une première fois à Calcutta, une seconde fois à
Pointe-de-Galles, et une seconde fois à Calcutta.
Rentré à Marseille, il en était reparti pour Sidney,
le 12 mai 1865, et depuis lors il n’avait plus donné de
ses nouvelles.
En conséquence, ajourné seulement en 1869, c’est-àdire après quatre ans du jour du départ, l’armateur op
posait la prescription édictée par l’article 433. Il re
poussait d’ailleurs la demande comme mal fondée ,
puisque le navire ayant évidemment fait naufrage, les
matelots avaient perdu tous droits aux salaires aux ter
mes de l’article 258 du Code de commerce.
Ces fins de non recevoir en la forme et au fond pou
vaient-elles être accueillies ? Sans doute l’absence de tou
tes nouvelles pendant quatre ans faisait présumer le
naufrage. Mais à quelle époque, dans quels lieux, dans
quelles conditions s’était-il réalisé ? L’incertitude la plus
complète existait sur tous ces points et en cet état à quel
�ART.
433.
445
moment devait-on et pouvait-on placer le point de dé
part de la prescription ?
D’autre part c’est sur le fait du naufrage que l’arma
teur se fondait pour refuser à l’équipage tous droits aux
salaires. Ce qu’il devait faire avant tout c’était donc de
prouver la certitude de ce naufrage. Il est de principe,
en effet, que c’est à celui qui allègue un fait dont il pré
tend faire résulter en sa faveur soit une obligation, soit
une libération qu’incombe la charge de justifier de la
certitude de ce fait. L’armateur ne pouvant dans l’es
pèce faire la justification du naufrage devait donc être
éconduit.
Aussi l’était—
il par le tribunal de commerce de x\Iarseille qui le condamnait à payer la somme réclamée ;
Attendu qu’il n’était pas fondé à repousser la demande
de l’administration par des fins de non recevoir ou pour
cause de prescription ; qu’il est avéré qu’il a reçu des
frets bruts qui dépassent le montant des salaires, et que
la prescription d’une année qui date de la fin du voya
ge, manque, dans l’espèce, d’un point de départ précis
qui soit antérieur d ’une année au moins au jour de la
demande. »
Appel ayant été émis de cette décision, la cour d’Aix
la confirmait, avec adoption des motifs, par arrêt du
28 mars 1870.
Il y eut pourvoi en cassation, mais, par arrêt du 20
février 1872 le pourvoi était rejeté.
Devant la Cour suprême et pour la première fois on
se prévalait de la disposition de l’article 258 qu’on sou-
♦
�446
DROIT
MARITIME.
tenait être d’ordre public. Mais, dit l’arrêt, en suppo
sant que ce caractère permit de soumettre le moyen à
la Cour de cassation, malgré qu’il ne l’eût pas été aux
juges du fond, il devrait être repoussé par cette consi
dération qu’il suppose en fait le naufrage du navire
qui, dans la cause, n’est pas prouvé
1965.
— L’article 433 soumet à la prescription an
nale la créance des fournisseurs de bois et autres choses
nécessaires aux constructions., équipement et avitaillement du navire. Ainsi, de quelque nature que soient les
fournitures, en quoi qu’elles consistent ; bois, fers, voi
les, cordages, ancres, provisions de guerre ou de bou
che, le créancier doit, sous peine d’en perdre le droit,
en demander le payement dans l’année.
1906. — On a prétendu, par une singulière inter
prétation de notre article, attacher la prescription non à
la qualité des parties, mais à la destination que la cho
se avait reçue. On a, en conséquence, soutenu qu’on
devait déclarer prescrite par un an l’action de celui qui
avait vendu des effets d’armement ou d’équipement au
fournisseur, qui les avait plus tard livrés et vendus à
l’armateur.
C’est ce qu’on soutenait notamment devant la cour de
Montpellier, dans l’espèce suivante :
Les sieurs Millet, fournisseurs des bois de la marine,
1 J. du P., 187*, 398.
■
•
i
�ART.
433.
44.7
font enlever, en 1820, des forêts du sieur de Roquefint,
des arbres martelés par les agents de l’administration
des bois et forêts.
Le sieur de Roquefint les ajourna en payement, en
1828 seulement. Les sieurs Millet, se prévalant de l’ar
ticle 433, demandent le déboutement de l’action au
moyen de la prescription.
Cette exception, repoussée par le tribunal, l’est égale
ment par la Cour, déclarant que les dispositions de l’ar
ticle 433, ne concernent que les fournisseurs eux-mêmes
et ne pouvaient, dès lors, recevoir aucune application à
la cause 1.
On n’aurait pas compris la solution contraire. Les
lois exceptionnelles devant se renfermer dans leurs li
mites spéciales, on ne saurait imaginer qu’en déclarant
sujettes à la prescription annale l’action des fournisseurs
contre le navire, la loi ait autorisé ces fournisseurs à
opposer cette prescription à leurs propres créanciers.
Ainsi, la prescription annale contre les fournisseurs
n’a lieu qu’entre l’armement et celui qui lui a directe
ment livré les bois et autres effets de constructions, d’é
quipement ou d’avitaillemenl. Elle est acquise si une
année s’est écoulée sans poursuites de la part du créan
cier.
1969. — L’action intentée contre celui que le four
nisseur a pu et dû, de bonne foi, considérer comme le
1 <12 f é v r ie r 4 8 3 0 ,
�us
DROIT
MARITIME.
propriétaire du navire, satisfait au vœu de la loi et sus
pend la prescription. Voici un exemple, que nous pui
sons dans la jurisprudence de la cour d’Àix.
Le sieur Roux avait traité avec le sieur Portanier pour
la construction d’un navire. Le premier ayant été dé
claré en état de faillite, Portanier se présenta pour être
admis au passif de la faillite.
Cependant, les sieurs Teisseire et Mauric, prétendant
que le navire avait été construit pour leur compte, en
revendiquèrent la propriété. Leur demande ayant été
accueillie par la justice, Portanier s’adressa à eux pour
être payé de ses fournitures. Cette action, intentée dans
l’année.du jugement consacrant la revendication, était,
en fait, postérieure à l’année depuis la fourniture.
En conséquence, Teisseire et Mauric, excipant de l’ar
ticle 433, opposèrent la prescription.
Mais leur exception fut définitivement repoussée par
arrêt du 30 mars 1827. La cour d’Aix déclare que la
production dans la faillite de son débiteur apparent avait
conservé les droits du fournisseur ; qu’ignorant la vé
rité, celui-ci n’était pas tenu d’agir avant qu’il eût été
statué sur la revendication ; que l’obligation d’agir con
tre les véritables propriétaires ne pouvait naître tant que
leur qualité n’était pas établie ; que, dès lors, la pour
suite réalisée avant l’expiration d’un an, depuis la cons
tatation de cette qualité, était régulièrement et légalement
obvenue.
La doctrine de cet arrêt est irréprochable. Le vérita
ble propriétaire, qui laisse ignorer sa qualité, ne pour-
�rail équitablement reprocher au créancier de ne pas l’a
voir poursuivi, et la prescription ne saurait courir en sa
faveur tant que sa qualité n’a pas été légalement recon
nue et consacrée. Une simple prétention, une demande
en justice à l’effet d’obtenir cette constatation ne peu
vent équivaloir à la mise en demeure du créancier qui,
dans le doute sur l’issue, ne peut que s’abstenir en at
tendant que la justice ait prononcé.
Aussi, l’arrêt d’Aix ayant été déféré à la Cour de cas
sation, le pourvoi fut-il rejeté le 30 juillet 1829.
1068. — L’action des hôteliers, cabaretiers ou trai
teurs pour nourriture fournie aux matelots par l’ordre
du capitaine, est prescrite par un an.
La nourriture de l’équipage, dès qu’il est engagé, est
à la charge de l’armement. Cette nourriture se prend
ordinairement à bord, mais il arrive souvent que pen
dant que le navire est sous charge, et durant les ap
prêts du départ, on fait nourrir les gens de l’équipage
en ville. C’est dans cette hypothèse que se place l’arti
cle 433.
L’armement ne répond que si la nourriture a été
fournie par l’ordre du capitaine, et celte responsabilité
cesse si, dans le délai indiqué par la loi, le créancier de
la nourriture n’a pas poursuivi ou obtenu le règlement
de ce qui lui est dû.
1969. — Enfin, la même prescription annale éteint
l’action des ouvriers pour salaires ou ouvrages faits par
v — 29
�480
DROIT
MARITIME.
eux ou à eux dus Les motifs qui ont fait consacrer l’ar
ticle 433 étaient plus pressants encore dans cette hypo
thèse. La négligence à se faire payer est d’autant moins
admissible chez les ouvriers, que leur position leur fait
un besoin plus urgent de ce payement.
Au reste, l’article 433 ne concerne pas seulement les
ouvri^r^travaillant à la journée moyennant salaires. Ses
expressions : et pour ouvrages faits , indiquent que le
mot ouvrier doit être pris dans son acception la plus
étendue ; que la prescription annale peut être invoquée
contre tous ceux qui ont travaillé pour le navire, quelle
que soit leur qualité.
1990. — Le législateur a fait courir les trois der
nières prescription, savoir : pour les créanciers de nour
riture fournie aux matelots du jour de la livraison. Mais,
en pareille matière la livraison s’opère au jour le jour,
et au fur et à mesure de la consommation, faudra-t-il
en conclure que la prescription doit se calculer spécia
lement sur la fourniture de chaque jour.
Evidemment ce serait là interpréter singulièrement
la loi, et donner naissance à des difficultés nombreu
ses. Il n’y a livraison, dans le sens de la loi, que lors
que la créance est devenue liquide, certaine et exigible,
ces caractères ne sont acquis à celle du fournisseur de
la nourriture, que lorsque le temps pendant lequel il
devait y pourvoir est expiré, et que la fourniture a réel
lement cessé.
En conséquence, la prescription contre l’hôtelier, le
�cabarelier ou le traiteur ne commence à courir que du
jour du départ du navire ou de celui de la cessation de
la fourniture, soit que l’équipage doive être à l’avenir
nourri à bord, soit que le capitaine ait traité avec un
autre fournisseur que celui auquel il s’était d’abord
adressé.
1 9 9 1 . — Le point de départ de la prescription
contre les fournisseurs de bois et autres choses nécessai
res aux constructions, équipement et avitaillement du
navire se place au jour de la fourniture.
Ici encore il y a lieu à distinguer : s’il s’agit d’une
fourniture spéciale, isolée, par exemple de l’achat d’un
m ât, d’une quantité déterminée de planches, toiles ou
cordages, l’année accordée pour exercer l’action en
payement court du jour de la fourniture réelle et effec
tive.
Si le capitaine a traité avec un fournisseur pour tou
tes les réparations à faire au navire, ou pour sa cons
truction, la fourniture n’est réellement faite que du jour
où le navire est complètement construit ou réparé, et
c’est uniquement à ce moment que se place le point de
départ de la prescription.
\
1993. — Enfin, l’article 433 fait courir la pres
cription pour le salaire des ouvriers et pour ouvrages
faits, de la réception des ouvrages. Les règles que nous
venons d’indiquer, la distinction que nous venons de
faire à l’endroit des fournisseurs de nourriture ou des
�452
DROIT
MARITIME.
matériaux doivent ici recevoir leur application, et fixer
le moment où la prescription a commencé de courir.
1093. — Dans la pratique, la disposition de l’ar
ticle 433 a fait surgir une grave difficulté. Le droit com
mun ne voyant dans les prescriptions brevi temporis
qu’une présomption de libération, a admis contre cette
présomption une preuve contraire spéciale, à savoir, le
serment. Ainsi, l’article 2275 du Code civil autorise ceux
auxquels les prescriptions établies par les articles 2271
et suivants seront opposées à déférer le serment à ceux
qui les opposent sur la question de savoir si la chose a
été réellement payée.
C’est là une dérogation formelle aux effets ordinaires
de la prescription. Celle-ci, en effet, dispense celui qui
l’invoque de toute autre preuve et le libère par le seul
bénéfice de l’expiration du délai. C’est donc méconnaî
tre ce principe que d’autoriser le serment, puisque sa
délation constitue, pour celui à qui elle est faite, l’obli
gation de prouver sa libération.
Le législateur l'a si bien compris lui-même que, vou
lant user du pouvoir de modifier les règles qu’il est ap
pelé à consacrer, il a cru devoir s’en expliquer formel
lement dans l’article 2275 du Code civil.
Cet article d o it-il, peut-il être appliqué aux diverses
prescriptions établies par l’article 433. Telle est la diffi
culté que la doctrine a cherché à résoudre, que la juris
prudence a eu à trancher.
Que cette difficulté ait été appréciée par le législateur,
�I
ART.
433.
453
c’est ce dont il n’est pas permis de douter. En effet,
dans ses observations sur le projet du Code, le tribunal
de commerce de Gand soutenait que la prescription ne
devait être accordée que sous l’obligation d’un serment.
En conséquence, il proposait de terminer l’article 433
en ces termes : Néanmoins celui qui voudra se préva
loir de la prescription devra affirmer qu'il croit de
bonne foi que la prétention est payée, et ses héri
tiers ou sa veuve qu’ils croient que de ce chef il n’est
rien dû.
Cette proposition fut repoussée , parce q u e , dit
M. Locré, elle faisait dépendre l’extinction de la dette,
non plus de la prescription, mais de l'affirmation du
débiteur; c’eût été à peu près exclure la prescription
dans tous les cas auxquels l’article s’applique.
Ainsi, au témoignage de M. Locré, on a voulu en rien
porter atteinte aux effets ordinaijrés de la prescription.
On lui a laissé toute son énergie pour répondre aux exi
gences naissant de la célérité indispensable à tout com
merce maritime.
Cependant M. Locré va distinguer. Il refuse tout ser
ment pour réclamation du fret, de la marchandise ou
des fournitures d’effets pour construction, équipement
ou avitaillement du navire, mais il l’admet en ce qui
concerne les hôteliers et ouvriers, par la raison que l’ar
ticle 2276 du Code civil l’autorise dans ces deux cas.
Or, dit M. Locré:, le droit commun doit être suivi, même
dans les matières commerciales, toutes les fois que le
Code de commerce n’y a pas dérogé.
�454
DROIT
MARITIME.
Merlin ne fait aucune distinction, et, à notre avis, il
est plus conséquent que M. Locré. S’il est vrai que dans
les prescriptions à court terme le serment est un com
plément de garantie que le législateur a entendu accor
der aux créanciers, comment ne pas l’accorder lorsqu’il
s’agit d’une de ces prescriptions ? Merlin pense donc
que sa délation doit être autorisée dans toutes les hypo
thèses prévues par l’article 433 l.
Nous ne pouvons partager cet avis, pas plus que ce
lui de M. Locré. Ce qui doit faire repousser ce dernier,
c’est que la condition exigée par M. Locré se rencontre
précisément dans notre hypothèse.
Il est vrai que le droit commun devient la loi même
en matière commerciale, lorsque la loi spéciale n’y a
pas dérogé. Ainsi, si le Code de commerce s’était tu sur
la prescription de l’action des cabaretiers pour nourri
ture fournie, des ouvriers pour salaires, l’article 2275
du Code civil les régirait l’une et l’autre.
Mais lorsque la loi exceptionnelle a réglementé une
matière, elle l’a par cela même soustraite au droit com
mun. En ce qui la concerne, il n’y a plus d’autres for
malités obligatoires, d’autres conditions possibles que
celles qu’elle a elle-même édictées.
Or, en droit maritime, la prescription a été spéciale
ment réglée dans le titre 13 que nous examinons. C’est
donc aux articles qui y sont contenus qu’il faut demani Rép , V. Prescrip., sect. 2, § 4 .
�der la solution que peuvent faire surgir le principe de
la prescription et ses applications.
Donc, puisque l’article 433 s’explique sur l’action des
cabaretiers et ouvriers, et qu’il n’autorise pas la délation
du serment, on ne saurait l’admettre sans méconnaître
le texte et l’esprit de sa disposition.
Cet esprit résulte, selon nous, du rejet de la proposi
tion du tribunal de commerce de Gand, déterminant la
nature du silence gardé par l’article 433, silence qui
aurait suffi seul pour faire repousser le serment. Nous
l’avons dit, autoriser le serment, c’est déroger au effets
naturels et ordinaires de la prescription. Or, toutes les
fois que la loi spéciale a voulu de cette dérogation, elle
s’en est formellement expliquée. Ainsi, l’article 189
du Code de commerce l'a-t—elle expressément consa
crée.
Faudrait-il induire cette consécration du silence gar- •
dé par l’article 433, du rejet de la|proposition du tribu
nal de Gand ? La raison seule tranche cette question.
L’inadmissibilité de l’avis de M. Locré détermine a
fortiori celle de la doctrine de Merlin, qui a le tort de
méconnaître le caractère de la prescription spéciale de
l’article 433. En droit commun, les prescriptions brevi
temporis reposent uniquement sur la présomption de
payement. On a donc pu vouloir attacher à cette pré
somption l’autorité résultant du serment.
Sans doute, en matière maritime, la prescription an
nale suppose la libération, mais à cette présomption se
réunissait la considération tirée des nécessités de la ma-
�456
DROIT
MARITIME,
tière elle-même. Tout doit y être prompt et rapide pour
éviter de graves inconvénients, pour faire disparaître
les obstacles devant lesquels l’institution viendrait se bri
ser peut-être. La négligence est donc dans ce cas non
seulement la méconnaissance d’un intérêt, mais encore
l’oubli d’un devoir que la prescription vient punir. On
comprend dès lors que le serment admis en droit com
mun ait été refusé par la loi spéciale.
Mais, dit Merlin, l’article 434 ne semble-t-il pas at
tribuer, en partie au moins à la prescription de l’article
433 le caractère d’une simple présomption de libéra
tion, en repoussant la prescription dès qu’il y a cédule,
obligation , arrêté de compte ou interpellation judi
ciaire ?
Cette objection n’a rien de sérieux, nous venons de le
dire, la présomption de libération est certainement en
trée dans les prévisions du législateur, mais cette pré
somption n’existerait qu’en partie, au dire de Merlin
lui-même, et tout en lui attribuant les effets dont elle
est susceptible, resterait la partie relative à la violation
du devoir méritant une peine ? C’est ce que décide, en
faveur de cette dernière, le silence gardé par le législa
teur et qui lui était commandé par les nécessités com
merciales.
Daulre part, l’argument de Merlin est sans portée
réelle. S’il est vrai que la cédule, l’obligation, l’arrêté
de compte, l’interpellation judiciaire est un obstacle à la
prescription parce qu’elle fait évanouir toute idée de li
bération, il ne l’est pas moins que chacun do ces moyens
�ART.
435.
457
répond victorieusement au point de vue de la violation
du devoir. Qu’a-t-on à reprocher à celui qui s’est mon
tré diligent, qui a protesté de ces droits et les a conser
vés ? Le défaut absolu de faute rend donc toute peine
impossible, et c’est ce que l’article 434 consacre et a dû
consacrer.
On ne pourrait donc, sans méconnaître la loi, se ran
ger à l’opinion de Merlin comme à celle de M. Locré.
Dès que l’article 433 est le seul arbitre de la question,
ce sont ses dispositions et non celles de l’article 2275 du
Code civil qui régissent et doivent régir toutes les hypo
thèses prévues par le premier.
C’est dans ce sens que se prononce la jurisprudence.
Un arrêt delà cour de Gand, du 2 juin 1836, un au
tre de la cour de Bordeaux, du 16 novembre 1849, ont
repoussé l’application de l’article 2275
Enfin, mise à son tour en demeure de s’expliquer, la
chambre civile de la Cour de cassation vient de se pro
noncer dans le même sens, par arrêt du 13 février
1856. L’importance de la question, les termes précis de
cet arrêt nous paraissent en recommander l’entière re
production.
« Le capitaine Tulier s’embarque au mois d’avril
1852 sur le navire la Panthère, appartenant au sieur
Thomas et à la veuve Duclésieux ; ce navire, de retour
1 D. P., 49, 2, 426.
N o t a . — U n e fa u te t y p o g r a p h iq u e f a i t d ir e a u s o m m a ire du l ’a r r ê t le
c o n tra ire d e sa d is p o s it io n .
�D1101T
MARITIME.
au Havre, fut désarmé le 1er décembre 1852. Un mois
après, le capitaine Tulier s’embarqua de nouveau sur le
même navire, et c’est à son retour seulement, au mois
d’octobre 1853, qu’il réclama ses gages du premier
voyage.
Le sieur Thomas et la dame Duclésieux opposèrent à
cette réclamation la prescription annale. Le capitaine
Tulier leur déféra le serment décisoire.
Le 17 mai 1854, jugement du tribunal de commerce
de Saint-Malo, déclarant qu’il n’y a pas lieu à serment,
et qui accueille la prescription. « Attendu, disent les
juges, que la prescription est un moyen d’acquérir ou
de se libérer par un certain laps de temps qu’en règle
générale, elle opère par elle-même, et dispense celui au
profit de qui elle est acquise de toute autre preuve ; at
tendu que la prescription d’un an, établie par l’article
433 du Code de commerce, est une prescription spéciale
qui ne repose pas, comme celles qui sont réglées par les
articles 2271, 2272, 2273 et 2274 du Code civil, sur
une présomption de payement ; qu'elle a au contraire le
caractère d’une peine, d’une déchéance motivée sur la
célérité qui doit régner dans les affaires commerciales ;
que, s’il en était autrement, l’armateur serait tous les
jours en butte à des poursuites d’autant plus fâcheuses
pour lui que, la plupart du tem ps, elles lui seraient
adressées quand il aurait réglé ses comptes avec ses coin
téressés, ce qui aurait pour effet de lui faire supporter
seul les charges devant grever l’armement ; que d’ail
leurs l’article 2275 du Code civil est limitatif dans ses
�termes, et ne se réfère qu’aux seules prescriptions éta
blies par les articles qui précèdent.
Ce jugement étant en dernier ressort, le capitaine se
pourvoit en cassation pour violation des articles H275
du Code civil et 433 du Code de commerce. L’admis
sion du pourvoi défère la solution à la chambre civile.
Celle-ci, après un délibéré dans la chambre du con
seil, et malgré les conclusions contraires de M. l’avocat
général Sevin, rejette le pourvoi et maintient le jugement
par les motifs suivants :
« Sur le moyen tiré de la violation des articles 227S
du Code civil et 433 du Code de commerce,
« Attendu que la prescription est un moyen d’acqué
rir ou de se libérer par un certain laps de temps, qui
dispense de toute preuve celui au profit de qui elle
existe ; qu’aucune preuve n ’est admise contre la pré
somption légale qui en découle, à moins que cette preuve
n’ait été réservée par la loi ; que cette règle générale est
applicable à toutes les prescriptions, quelle qu’en soit la
durée, à celles réglées par la loi commerciale comme à
celles prévues par la loi civile ; que si, pour certaines
prescriptions réduites, qui ont paru au législateur repo
ser exclusivement sur une présomption de payement, il
a cru devoir réserver aux créanciers, à titre de preuve
contraire, le droit de déférer le serment au débiteur sur
le fait de la libération, cette réserve a toujours été l’ob
jet d’une disposition expresse, limitée au cas qu’elle a
pris soin de spécifier, qui ne saurait, sous prétexte d’a
nalogie, être étendue à d ’autres cas laissés, par le silence
�460
DROIT
MARITIME.
seul de la loi, sous l’empire du droit commun et du
principe absolu qui ne permet d’admettre aucune preuve
contre la prescription, quand cette preuve n’a pas été
réservée ;
« Attendu que l’exception à ce principe, posée par
l’article 2275, n’est applicable qu’aux prescriptions pré
vues par les articles 2271, 2272, 2273 et 2274 qui le
précèdent ;
« Attendu que l’article 433 ne donne pas au créan
cier le droit de déférer le serment à son débiteur ; qu’il
n’appartient pas au juge d’admettre contre la prescrip
tion une preuve non réservée par la loi ; que l’admission
de cette preuve serait non seulement contraire au texte, ^
mais encore à l’esprit de l’article 433 précité, dont le
but a été d’amener, dans un court délai, le règlement
définitif des intérêts multiples qui se rattachent à une
expédition maritime, et de protéger l’armateur contre
des réclamations tardives, qui concernent l’armement
tout entier, dont il est le seul représentant responsable
vis-à-vis des- tiers. D’où il suit qu’en refusant de sou
mettre les armateurs au serment qui leur était déféré sur
le fait du payement du gage remontant à plus d ’üne an
née du voyage fini, le tribunal de commerce de SaintMalo, loin de violer la loi, en a fait, au contraire, une
juste application \ »
Cet arrêt fait ressortir avec évidence et netteté le ca
ractère relativement spécial des articles 2275 du Code
■ à■ J ■
>
1 D, P-, 56, 1, 77.
�ART.
435.
401
civil et 433 du Code de commerce. Toutes les fois que
l’exception de prescription prendra sa base dans les dis
positions des articles 2271, 22172, 2273 et 2274, le
serment pourra être déféré. Lorsque, au contraire, le
bébiteur se prévaudra de l’article 433 pour exciper de
la prescription, l’expiration seule du délai établira sa
libération absolue, et, dispensé de toute autre preuve,
on ne saurait lui appliquer la faculté que l’article 2275
accorde aux créanciers. Cette doctrine et sa légalité sont
Clairement et supérieurement justifiées par la Cour régu
latrice.
C’est ce que le tribunal de commerce de Marseille et
la cour d’Aix ont admis et consacré. Dans l’affaire de
la Petite-Suzanne dont nous venons de parler 1, l’ad
ministration de la Marine soutenait que les armateurs
étaient non recevables à opposer la presciption. Celleci, disait-elle repose sur la présomption de libération.
Or les armateurs ont reconnu eux-mêmes qu’ils ne
s’étaient jamais libérés, puisque le 16 mai 1857, c’està-dire plus d’un an après le naufrage, ils écrivaient ;
« Nous ne sommes pas tenus de payer la somme ré
clamée, parce que non seulement nous n’avons retiré
aucun profit des voyages de la Petite-Suzanne, mais
encore nous en avons éprouvé une perte considérable,
et nous nous croyons dégagés de toute responsabilité
par l’abandon du navire et du fret. » En présence de
cet aveu de non paiement, la prescription a perdu tout
1 V. supra n° 4964.
�462
DROIT MARITIME.
fondement, toute raison d’être, elle n’est donc plus ni
proposable ni admissible.
Le tribunal l’admet cependant. Il considère que la
prescription établie par l’article 433 n’est pas une de
celles qui comportent la faculté de déférer le serment
sur la quesfion de savoir si la chose a été payée ; que
toute prescription en général n’admet d’autre preuve
contraire que celle qui a été expressément réservée par
la loi, et que le droit de déférer le serment n’a été ré
servé par l’article 2275 du Code civil, que contre les
prescriptions énoncées dans les dispositions qui précè
dent cet article ; que la Cour de cassation l’a jugé dans
ce sens, notamment par l’arrêt du 12 février 1856; que
dès lors la prescription dont il s’agit ne dérive pas seu
lement d’une présomption de payement contre laquelle
la délation du serment devrait être admise ; que, sui
vant l’expression de la Cour de cassation et du tribunal
de Saint-Malo que cet arrêt a sanctionnée, elle est une
peine, une déchéance motivée sur la célérité qui doit ré
gner dans les affaires commerciales ; qu’elle a pour but
de protéger l’armateur contre les réclamations tardives
qui concernent l’armement tout entier et dont il reste
rait seul responsable vis-à-vis des tiers après règlement
de compte avec ses cointéressés.
Le caractère juridique de ces motifs ne pouvait ni
échapper à la cour d’Aix , ni être méconnu par elle.
Aussi les adopte-t-elle purement et simplement en con
firmant la solution qu’ils déterminent.
�ART. 4 3 4 .
463
Article 434.
La prescription ne peut avoir lieu, s’il y a cédule,
obligation, arrêté de compte ou interpellation judi
ciaire.
SO M M A IR E
1974
Caractère de l ’article 434. Effets quant à la prescription
des actes qu’il énumère.
Opinion de M. Alauzet ne donnant qu’un caractère inter
ruptif à la cédule et à l ’interpellation judiciaire.
1976. Examen et réfutation.
1977. Résumé.
1978. Délai de la péremption de l’instance dans les prescriptions
de l'article 433. Doctrine ancienne. Droit nouveau.
L’interpellation judiciaire peut résulter de conclusions
prises dans le cours de l’instance en délaissement.
L'introduction de cette dernière comprend celle d’avarie
et empêche celle-ci de prescrire.
A quelles conditions l ’arrêté de compte produira les effets
de l’article 434.
Effets de la reconnaissance de la dette résultant de pour
parlers pour arriver à une solution amiable.
Les pourparlers doivent être établis par écrit. Inadmissi
bilité de la preuve testimoniale. Caractère qu’ils doivent
avoir.
Est-on recevable à en exciper dans l ’action en délaisse
ment.
Effets qu'ils produisent dans tous les cas.
i1
�464
DROIT MARITIME.
1 0 9 4 . — Dans ses observations sur l’article 432,
le tribunal de commerce de Paimpol soutenait qu’en
matière de prescription maritime on devait tenir comp
te des démarches et des actes conservatoires auxquels se
serait livré le créancier, il proposait en conséquence de
déclarer que la prescription ne courrait que du jour du
dernier acte judiciaire auquel la police d’assurance ou le
contrat de grosse aurait donné lieu.
Le principe invoqué par le tribunal ne pouvait ren
contrer aucune contradiction. La prescription est la pei
ne de la négligence, et celle-ci n’existe que lorsque, mis
en mesure et en demeure d’agir, le créancier s’est com
plètement abstenu de le faire. On ne saurait donc la
rencontrer chez celui qui, obéissant au devoir qui lui est
imposé, a judiciairement manifesté l’intention de pour
suivre et de faire valoir ses droits.
Aux yeux du tribunal de Paimpol, l’acte judiciaire
n’exerçait aucune influence sur l’avenir, de telle sorte
que si, se contentant de cet acte, le créancier ne lui avait
donné aucune suite, et si, depuis, \\ était resté dans
l’inaction pendant le temps suffisant pour prescrire, son
droit se trouvait désormais éteint.
Devait-on se borner à cet effet que le droit commun
autorisait d’ailleurs ? C’est ce que le législateur ne crut
pas devoir examiner sur l’article 432, il n’avait pas en
core parcouru le cercle entier des prescriptions qu’il
voulait édicter, et l’effet à donner à l’acte judiciaire de
vant les régir toutes, la disposition à cet égard prenait
un caractère de généralité tel qu’elle devait nécessaire-
�ART.
465
4 5 4 ..
ment être renvoyée au moment où la catégorie des pres
criptions serait définitivement établie et réglée.
L’article 434 répond à cette exigence. Clôturant le ti
tre de la prescription, il régit nécessairement le sort de
celles qui viennent d’être édictées, celles de l’article 433
comme celle de l’article 432, comme celle de l’article
431 elle-même.
Or, le caractère de toutes ces prescriptions devait né
cessairement influer sur les effets de l’acte judiciaire. Ce
qui les distingue, c’est qu’elles sont plutôt une peine
contre une négligence que ne sauraient comporter la ra
pidité et la célérité des opérations commerciales. En con
séquence si, par ses diligences, le créancier a obéi au
vœu de la loi, il est sorti de la position exceptionnelle
qu’on avait dû lui faire ; il est rentré dans le droit com
mun, et son sort à venir ne doit plus être fixé que par
les inspirations de celui-ci.
Cela est surtout incontestable lorsqu’à la suite d’un
règlement entre parties il est intervenu soit une obliga
tion, soit un arrêté de compte. De toute certitude, il
s’est alors réalisé une novation dans le titre, le créancier
ne puise plus son droit ni dans la charte partie, ni dans
le contrat de grosse, ni dans la police d’assurance, ni
dans la fourniture matérielle de nourriture, de maté
riaux ou d’industrie; ce droit réside essentiellement dans
l’obligation souscrite dans l’arrêté de compte. Il ne peut
donc reconnaître d’autre prescription que celle qui s’at
tache à la nature du titre, c’est-à-dire, celle de l’arti
cle 2262, si ce litre est un arrêté de compte ou une
v — 30
�■466
DROIT
MARITIME.
obligation ordinaire ; celle de l’article 189, si ce titre est
une lettre de change.
On comprend dès lors pourquoi le législateur ne s’est
pas borné à donner le caractère simplement interruptif
aux actes indiqués dans l’article 434, et comment il a
été amené à leur attribuer un effet exclusif de toute
prescription, la prescription ne peut avoir lieu...
Cela n’a jamais pu être et n’a jamais été contesté à
l’endroit de l’obligation ou de l’arrêté de comptes. Mais
la doctrine s’est divisée relativement à la cédule et à l’in
terpellation judiciaire. Leur effet est-il de substituer la
prescription trentenaire à celle de cinq ans de l’article
432 et à celle d’un an de l’article 433 ?
1995. — L'affirmative absolue est enseignée par
M. Locré, M. Alauzet se range à l’opinion contraire,
pour ce qui concerne la prescription quinquennale.
L’article 432, dit-il, n’est applicable qu’au seul cas
d’avaries. L’article 431 fixe d’autres délais pour le dé
laissement. Si ce n’est dans des circonstances très ex
ceptionnelles, les articles 435 et 436 sont applicables
toutes les fois qu’il y a simplement avaries, et, comme
le dernier de ces articles, ordonne, à peine de déchéan
ce, de former, dans le délai d’un mois, une demande
en justice, l’article 432 n’aurait pour ainsi dire jamais
d’application, et, en fait, la prescription dérivant d’une
police d’assurance serait de trente ans. Ce n’est pas ce
que la loi a voulu. Les actes judiciaires n’ont pas d’au
tre effet que d’interrompre la prescription, de ne la faire
�ART.
4 3 4.
467
courir qu’à partir de leur date, et non de la changer et
de rendre applicable un nouveau système. Il est évident
que l’interpellation judiciaire n’opère pas novation , et
qu’il ne s’agit toujours que d’une action dérivant d’une
police d’assurance *.
1096. — Le but réel du législateur dans l’article
432 a été de ne pas laisser les assureurs trop longtemps
en suspens sur l’événement du contrat. Indépendam
ment de la célérité indispensable aux opérations com
merciales en général, la nature de celles qu’ils accom
plissent l’exigeait ainsi. Ce qui devait résulter du système,
c’était un certain trouble , une certaine confusion qu’on
a voulu éviter dans l’intérêt de l’institution elle-même.
De là les précautions que nous avons indiquées, celle
que vont prescrire les articles 435 et 436, enfin la dé
termination d’un délai fixe dont l’expiration e s t, par
elle-même, l’extinction de l’obligation par la prescrip
tion.
Que celle-ci soit acquise par le défaut absolu de pour
suites, par le silence prolongé au-delà du terme légal,
rien de plus naturel et de plus juste, mais comment ad
mettre l’idée d’une prescription en l’état d’une citation
ou d’une interpellation en justice ? Ouelle autre dili
gence pouvait accomplir le créancier pour obéir au de
voir qui lui est imposé ?
Et l’on prétendrait le rendre responsable des divers
i Des A ss., n» 366.
\
%
�468
DROIT MARITIME.
incidents qui retarderaient la solution du litige 1 Mais
c’est alors qu’il faudrait dire avec le tribunal de Paimpol que les ressources de la chicane ne manqueraient
pas d’apporter tous les retards nécessaires pour attein
dre à l’expiration du délai exigé, et que, arrivé là, le
débiteur n’aurait plus qu’à opposer la prescription qu’il
se serait ainsi ménagée.
Une pareille doctrine ne pourrait être possible que si
la loi eût proclamé le payement effectif comme le seul
obstacle à la prescription. Or, loin de l’autoriser ainsi,
la loi a formellement consacré le contraire et ne pou
vait faire autrement. La prescription, n’étant jamais
que la peine d’une négligence, ne saurait être encourue
par celui qui, faisant valoir judiciairement ses droits, est
à l’abri de tout reproche de ce genre.
Sans doute, l’interpellation judiciaire n’est pas par
elle-même une novation, mais elle prépare cette nova
tion, puisqu’elle aura pour effet de substituer l’autorité
du jugement à celle du contrat, et par conséquent la
prescription ordinaire de trente ans à celle de cinq ans,
établie par l’article 432.
Qu’importe, qu’après avoir introduit l’instance, il la
néglige pendant un temps plus ou moins long. Cette né
gligence est autant reproehable au défendeur qu’au de
mandeur lui-même, puisqu’à défaut de celui-ci, il peut
demander lui-même expédition et même un défaut con
gé, le cas échéant.
D’ailleurs, si cette négligence est de nature à amener
�ART.
454.
469
la péremption de l’instance, la déclaration légale que le
défendeur en obtiendra remettra les parties sous l’em
pire de la prescription spéciale. La citation en justice
ne sera pas, dans ce cas, même une interruption de la
prescription. La péremption, en la rendant inefficace,
lui enlève tout effet. Elle' est censée n’avoir jamais existé,
et par conséquent la prescription n’a cessé de courir de
puis le point de départ que lui assigne la loi. Ainsi,
dans l’hypothèse de l’article 432, le prêteur à la grosse
ou l’assuré ne pourra plus rien demander si, au mo
ment où la péremption est prononcée, il s’est écoulé
plus de cinq ans de la date du contrat ou de la police.
Mais si l’instance, utilement introduite, a été réguliè
rement entretenue, le délai qui s’est écoulé depuis la ci
tation, quelque prolongé qu’on le suppose, ne saurait
créer l’exception de prescription. Il ne peut exister de
déchéunce contre un droit réellement exercé, ce droit ne
peut désormais périr que par un jugement qui le re
pousserait comme non fondé ; que si le jugement l’ac
cueille et le consacre, il ne peut plus se réaliser de pres
cription que de la date du jugement, et elle n’est acquise
que par trente ans.
Vainement, M. Alauzet veut il conclure des articles
435 et 436 que l’article 432 serait inapplicable. Les cas
dans lesquels il n'y a pas lieu à recourir aux deux pre
miers ne sont pas si rares, si exceptionnels qu’il veut
bien le dire. Ainsi, il est reconnu que leur disposition
ne s’applique qu’à l’assurance sur facultés, et que les
�470
DROIT MARITIME.
assureurs sur corps sont non recevables à en invoquer
le bénéfice '.
Donc, en ce qui concerne ces derniers, l’article 432
sera, dans tous les cas, applicable. N’eût-il à régir que
cette catégorie d’opérations, que.son utilité serait incon
testable et rendrait raison de sa consécration.
L’opinion de M. Àlauzet est donc repoussée par l’es
prit de la lo i, par les principes ordinaires ; elle l’est
plus énergiquement encore par le texte même de l’arti
cle 434. Lorsque le législateur n’a voulu donner à un
acte qu’un caractère interruptif ou suspensif de la pres
cription, il n’a pas manqué de s’en expliquer expressé
ment. Or, l’article 434 ne parle ni d’interruption ni de
suspension. La 'prescription n ’ aura pas lieu , dit-il, et
ces expressions sont d’autant plus significatives, que le
tribunal de Paimpol proposait seulement de donner à
l’acte judiciaire l’effet d’interrompre la prescription. Estce pour le décider ainsi que le Code n ’a pas consacré
les termes proposés ? On ne saurait évidemment admet
tre une pareille étrangeté. En plaçant sur la même ligne
l’obligation, l’arrêté de compte, la cédule et l’interpella
tion judiciaire, notre article a entendu leur faire pro
duire à tous les mêmes effets. Or, si, sans contestation,
la prescription n’a pas lieu dans l’hypothèse des deux
premiers, elle ne saurait avoir lieu dans l’un des der
niers cas.
1 Bordeaux, T mai 1839 ; J .
du P.,
2,1839, 287.
�art.
434.
471
1999. — En résumé, la cédule ou l’interpellation
étant l’exercice de l’action que le contrat crée, enlève
cette action à l’empire des dispositions des articles 431,
432, 433, et rend ces dispositions inapplicables désor
mais. Ainsi mis en litige, le droit n’est plus subordonné
qu’au sort de l’instance. Si la péremption, étant acquise,
est prononcée, la prescription n’a jamais cessé de cou
rir ; dans le cas contraire, le jugement à intervenir de
vient le litre régulier du créancier qui l’obtient, et son
bénéfice ne peut être perdu que par la prescription qui
lui est propre.
1998. — La péremption de l’instance produirait
l’effet que nous venons d’indiquer dans les hypothèses
de l’article 433. En ce qui les concerne, cet effet serait
d’autant plus énergique que, le délai de la péremption
étant de trois ans et celui de la prescription d’un an, le
droit sera infailliblement éteint lorsque la première sera
prononcée.
Donc, dans cette hypothèse, la cédule ou l’interpella
tion n’aura eu que l’effet de substituer un plus long
délai à celui réglé par l’article 432, et cette substitution
avait amené l’ancienne doctrine h se demander si on ne
devait pas appliquer, dans ce cas, à la péremption, le
délai de la prescription seulement.
L’affirmative avait même été adoptée. Ainsi Valin
pensait et enseignait que, s’il s’agissait d’une action près-
�DROIT MARITIME.
472
criptible par deux ans, un an ou six mois, l’instance
périmait par un même laps de temps l.
Emérigon distinguait. Il n’admettait l’avis de Valin
que si la demande portée en justice n ’avait soulevé au
cune contestation ; dans le cas contraire, la péremption
n’était acquise que par l’expiration de trois ans, à comp
ter du jour du dernier acte de procédure3.
L’article 397 du Code de procédure civile a rendu ces
tempéraments et distinctions impossibles, et, dans tous
les cas, inadmissibles. Il n’y a plus aujourd’hui d’autre
péremption que celle dont il règle les conditions. Quelle
que soit la nature du droit, dès que l’instance est enga
gée, aucune prescription ne peut courir, et cela dure
tant que l’instance est régulièrement pendante, c’est-àdire tant que l’expiration des délais fixés par l’article
397 précité n’a pas permis d’en faire prononcer la pé
remption.
999. — L’interpellation judiciaire est explicite
lorsque l’instance est directement introduite par un
ajournement en condamnation, et tel est le caractère de
la cédule dont parle l’article 434.
Mais de quelque manière que l’instance ait été in
troduite ; quel qu’en ait été l’objet primitif, l’interpella
tion judiciaire, exigée par la loi, résulte de conclusions
prises, pendant sa durée, par le prêteur à la grosse ou
par l’assuré.
£
1 Art. 40, tit.
de la P r e s e r ip lio n .
2 Chap. 19, sect. 5.
�* ' (î
«*•
art .
434.
• 473
Ainsi, la Cour de cassation décidait, le 44 mai 1844,
que l’action d’avaries est réputée comprise dans des con
clusions tendantes à désignation d’arbitres, pour statuer
sur la validité du délaissement, et sur toutes les autres
contestations qui peuvent exister entre les parties, à
raison de l’assurance ; qu’en conséquence, il suffit que
de telles conclusions aient été prises dans le délai de
cinq ans, établi par l’article 432, pour que l’action d’a
varies ne puisse être atteinte par la prescription, bien
qu’on n’ait d’abord suivi que sur le délaissement, et
que ce ne soit qu’après cinq ans que des conclusions
formelles en règlement d’avaries aient été prises
1 9 8 0 . — Nous approuvons d’autant plus cette doc
trine, qu’à notre avis, l’action en délaissement comprend
implicitement celle en règlement d’avaries. Exiger le
payement intégral du montant de l’assurance, c’est évi
demment demander le payement partiel, si le droit du
demandeur se réduit à celui-ci en définitive. Si le plus
ne se trouve pas dans le moins, le moins est nécessai
rement compris dans le plus.
D’ailleurs, la prescription n ’est que la peine de la
négligence. Quelle est celle dont s’est rendu coupable
celui qui, se trompant sur l’étendue de son droit, a de
mandé au-delà de ce qui lui était dû ? Il ne s’en est
pas moins montré diligent, il n’en a pas moins fait con1 D. P , 44,
280.
�474
DROIT MARITIME.
naître aux assureurs son intention d’exiger l’exécution
de leurs engagements.
Or, la manifestation de cette intention enlève à la
prescription toute raison d’être. Nous croyons donc,
avec la cour de Rouen, que la demande en délaissement
comprend virtuellement l’action d’avarie, et que la réa
lisation de la première met la seconde à l’abri de toute
prescription l.
1081 . — L’obligation ou l’arrêté de compte n’em
pêchant la prescription que par la novation en résul
tant, il est évident que cet effet n’est acquis que lors
que l’une ou l’autre constituera un titre régulier et
obligatoire.
Ce caractère ne saurait être contesté à l’obligation
émanée et signée du débiteur ; mais il n’est acquis à
l’arrêté de compte que lorsque ce même débiteur l’a re
vêtu de son approbation. Le créancier qui se serait bor
né à remettre le compte arrêté seulement par lui, ne
pourrait donc invoquer le bénéfice de l’article 434.
1083.
— A défaut d’un titre, la prescription serait
écartée par la reconnaissance de la dette, alors même
qu’elle ne résulterait que de pourparlers qui seraient
intervenus pour le règlement amiable des difficultés que
peut offrir l’événement, en tant cependant que ces pour1V
su p ra ,
n» <946.
�ART.
434.
473
parlers se résumeraient en une promesse de payement
de la part du débiteur.
Sous l’empire de l’ordonnance de 1681, l’efficacité
des pourparlers, comme obstacles à la prescription, était
soutenue par Valin et Emérigon, rappelant une nom
breuse jurisprudence conforme.
Les fondements de cette doctrine étaient ainsi exposés
par Emérigon : « La moindre reconnaissance de la
dette, minima agmtio debiti, suffit pour interrompre
la prescription. Lorsque les assureurs, examinant les
pièces qu’on leur exhibe, demandent des éclaircisse—
1
ti
ments ultérieurs, ils reconnaissent l’obligation de payer
la perte dès que les choses seront mieux justifiées. Il se
rait très indécent qu’on présentât requête contre eux
avant de les avoir satisfaits par des préalables qu’ils
paraissent en droit d’exiger. Il serait donc injuste que
ces mêmes préalables n’eussent été qu’un piège tendu
aux assurés pour les faire déchoir de leur action. Il fau
drait se méfier des assureurs comme on se méfie des pi
rates, et détruire la bonne harmonie qui doit régner en
tre concitoyens!. »
1983. — Donc, les pourparlers empêchaient la
prescription de courir, le créancier étant ainsi autorisé
à ne pas agir, mais l'allégation de leur existence ne suf
fisait pas ; ils devaient être prouvés par écrit. C’est ce
que professaient expressément Valin, Pothier et Ernéri-
�476
DROIT MARITIME.
gon. Ce dernier, rappelant une sentence du 18 janvier
1782, qui avait déclaré la preuve testimoniale admissisible, en fait la plus énergique critique et la signale
comme tendant nécessairement à éluder la loi .en ma
tière de prescriptions spéciales.
Les considérations que nous venons d’emprunter à
Emérigon n’ont rien perdu de leur force et continuent
d’être marquées au coin de l’équité la plus exacte. Nous
croyons donc que rien, sous l’empire du Code, ne pour
rait les faire écarter, et refuser aux pourparlers l’effet
qu’elles tendent à leur assurer. La prescription ne sau
rait, pas plus aujourd’hui qu’autrefois, atteindre un
droit reconnu et acquiescé par celui qui doit le subir.
Donc, la moindre reconnaissance de la dette devient un
obstacle à toute prescription.
Or, comment ne pas assigner ce caractère au fait des
assureurs, lorsque, instruits d’un sinistre dont on leur
communique les pièces justificatives, ils se bornent,
après les avoir examinées, à demander de plus amples
justifications. N’est-ce pas, comme le disait Emérigon,
qu’ils reconnaissent l’obligation qu’ils promettent de
payer dès que ces nouvelles justifications seront four
nies ? En l’é ta t, donc , l’assuré n’a plus qu'à produire
celles-ci. Il manquerait à toutes les convenances, il vio
lerait tous les procédés , il ferait même une sanglante
injure aux assureurs, s’il agissait judiciairement contre
eux en l’état d’une pareille négociation.
La preuve des pourparlers le relèverait donc de l’inac
tion qu’il aurait gardée, mais nous dirons, avec les il-
�ART, 434.
477
lustres jurisconsultes que nous venons de nommer, que
cette preuve doit être littérale.
Sans doute, la preuve testimoniale est de droit com
mun en matière commerciale, mais cette règle, suscep
tible d’exception, doit en recevoir une dans notre hypo
thèse, d’abord parce qu’en assimilant les pourparlers à
l’un des actes indiqués par l’article 434, on est contraint
de les soumettre à la forme exigée pour ceux-ci. Or,
cette forme n’est pas douteuse. La prétention de prouver
par témoins l’obligation ou l’arrêté de compte serait in
failliblement repoussée; comment pourrait-il en être au
trement pour les pourparlers tenant lieu de l’une ou de
l’autre ?
Ensuite, et relativement à ces pourparlers, ce qu’il
faut prouver c’est moins leur existence que leur carac
tère. Ils ne sont efficaces que s’ils se résument en une
promesse de payement. Or, il peut exister des pourpar
lers qui n’aient pas ce caractère ; et comment le juge
pourra-t-il dinstinguer les uns des autres, s’il en est ré
duit à consulter des témoignages qui ne pourront établir
qu’un fait, à savoir, l’existence de pourparlers quelcon
ques.
Disons donc que le créancier à qui la prescription est
opposée pourra repousser cette exception, en se préva
lant des pourparlers qui l’ont empêché d’agir, mais à
condition que ces pourparlers auront le caractère que
nous venons d’indiquer, qu’ils seront avoués, ou prou
vés par écrit.
Si des pourparlers justifiés empêchent la prescrip-
�478
DROIT
MARITIME.
tion, à plus forte raison doit-il en être ainsi si une con
vention intervenue entre parties a suspendu l’exercice
du droit. C’est donc avec raison que la Cour de cassa
tion jugeait : que le sursis accordé par un créancier à
son débiteur, sur la demande de celui-ci, jusqu’à l’ar
rivée de pièces nécessaires à l’établissement de la cré
ance, emportait à la fois renonciation à la prescription
qui pourrait être alors acquise contre le créancier, et
suspension du cours pendant la durée du sursis, de la
prescription pour l’avenir.
La question se présentait dans les circonstances sui
vantes :
j
Après naufrage du baleinier le Napoléon 111 les ar
mateurs, interpellés par l’administration de la Marine,
fournissaient un état des sommes dues pour gages et
frais de rapatriement des marins de l’équipage qu’ils
portaient au chiffra de 7,858 fr., mais cet état, donné
le 27 décembre 1860, se terminait par la déclaration
suivante : « Nous ne pouvons clore cet état avant d’a« voir reçu du capitaine Morel, actuellement en cours
« de voyage, le registre des avances faites en mer, tant
« en argent qu’en effets et tabac, aux marins de ce na« vire. » En conséquence, les armateurs ne déposent
qu’une somme de 6,039 fr.
Aucun état n’ayant été donné depuis, le commis
saire de l’Inscription Maritime ajourne, le 15 janvier
1863, les armateurs en payement de 1839 fr., solde du
premier état.
Ceux-ci excipent de la prescription annale, mais cette
�exception est repoussée successivement par le tribunal
de commerce du Havre et la cour de Rouen.
Les armateurs reprochent à l’arrêt d’avoir méconnu
l’article 433 et faussement appliqué l’article 434. Ils en
demandent donc la cassation.
Mais par arrêt du 28 novembre 1865 le pourvoi est
rejeté. « Attendu, dit la Cour suprême, qu’aux termes
des articles 2220 et 2221 du Code civil, tout débiteur
peut renoncer soit tacitement, soit expressément, à la
prescription acquise ; que ce principe général s'applique
aussi bien aux prescriptions particulières qu’aux pres
criptions de droit commun ;
« Attendu qu’en réponse à un acte extrajudiciaire en
date du 17 août 1860, par lequel l’administration de la
Marine invitait les frères Guillot à faire le décompte des
sommes qui revenaient à l’équipage du navire le Napo
léon III sur la valeur des objets sauvés à la suite du
naufrage de ce navire, les frères Guillot ont déclaré, par
acte signé de leur mandataire, en date du 27 décembre
1860, qu’ils ne pouvaient clore l’état de répartition
proposé par l’administration avant d’avoir reçu du ca
pitaine Morel, actuellement en cours de voyage, le re
gistre des avances qu’il a faites en mer, tant en argen
qu’en effets et tabac, aux marins de ce navire ;
« Attendu qu’en admettant que la prescription an^nale édictée par l’article 433 du Code de commerce eût
été acquise aux frères Guillot, l’arrêt attaqué a pu re
connaître dans la déclaration qui vient d’être rappelée
une renonciation à celte prescription ;
�480
d r o it
m a r it im e
.
« Que, d’uu autre côté, la demande en sursis, sol
licitée par les frères Guillot, et consentie par le repré
sentant de l’administration de la Marine, jusqu'au re
tour du capitaine Morel et pour sauvegarder les intérêts
de l’armement du navire, impliquait, pour l’avenir, la
suspension du cours de la prescription ; qu’il serait, en
effet, contradictoire aux principes de la matière qu’une
prescription pût courir au profit d’un débiteur pendant
le sursis qu’il aurait sollicité et obtenu pour l’exécution
de ses obligations l. »
1084.
— Les pourparlers qui interrompraient la
prescription dans les cas de l’article 432, produiraientils le même effet s’il s’agissait d’une action en délaisse
ment?
M. Dalloz indique, comme ayant jugé pour la néga
tive, un arrêt de la Cour de cassation du 29 avril 1835;
mais cet arrêt est, à notre avis, fort loin d’avoir cette
signification.
Dans l’espèce, l’assuré n’avait aucune preuve des
pourparlers dont il excipait. Il était donc réduit à sol
liciter la faculté de les justifier par témoins.
Cette prétention est repoussée, en droit et en fait, par
la cour de Rennes, dont l’arrêt est ainsi conçu ;
« Considérant que l’article 434 exige, pour interrom
pre la prescription, une cédule, une obligation, un ar1 J , d u P . , 1878, 398.
�ART.
434.
481
rété de compte ou une interpellation judiciaire, et que
les intimés ne produisent aucun de ces moyens ;
« Que les pourparlers qui étaient facilement admis
dans l’ancienne jurisprudence, à cause de la brièveté
des délais, n’étaient pas susceptibles de la preuve testi
moniale, si l’on prétendait en induire une promesse de
payement, et que les nouvelles lois n’ont pas dérogé à
ce principe, conforme au droit commun ;
a Que ceux qu’on assigne se bornent, de la part du
sieur Godefroy, qui n’avait pas le pouvoir de transiger,
à la promesse d’un rapport à la compagnie d’assuran
ces pour connaître sa décision, et à la déclaration de
quelques-uns des associés, que la discussion eût été ré
glée à Saint-Malo, réponse qui n’engagerait en rien les
assureurs ;
«i Que les intimés eux-mêmes reconnaissent, dans
l’exposé de leur assignation du 19 novembre 1831,
qu’on leur avait fait attendre une réponse de la compa
gnie, qu’ils n’avaient encore pu obtenir ;
« Considérant que les faits posés par les intimés, alors
même que la preuve testimoniale serait admissible, se
raient impuissants pour interrompre la prescription ;
qu’on n’y voit aucun engagement, aucune renonciation
aux délais établis par la loi pour l’exercice des droits
des assurés. D’où il résulte qu’ils doivent être écartés,
et que la prescription n’a pas été interrompue, »
L’arrêt consacre donc, en principe, que les pourpar
lers doivent être prouvés par écrit et ne sauraient être
établis par témoins ; que la loi nouvelle n’a en rien dév — 31
�482
DROIT
MARITIME.
rogé à cette règle, unanimement consacrée par l’ancien
ne jurisprudence.
Dans tous les cas, il établit que, pour être utiles, ces
pourparlers doivent créer un engagement, une renon
ciation aux délais prescrits par la loi. En conséquence ,
on examine ceux dont l’existence était alléguée. De cette
appréciation, l’arrêt conclut qu’ils n’ont rien de perti
nent et décisif. En conséquence, et en se plaçant au
point de vue de l’irrecevabilité de la preuve testimo
niale, il la refuse par application de la maxime : Frus
tra probatur guod probatum non relevât.
Est-ce là décider qu’en matière de délaissement on ne
peut exciper de pourparlers comme ayant interrompu la
prescription ? Non seulement nous ne pouvons l’admet
tre, mais encore nous n’hésitons pas à voir dans cet ar
rêt même la consécration du contraire. Qu’aurait fait la
Cour si les pourparlers avaient été prouvés par écrit, et
qu’il en fût découlé un engagement tacite ? Qu’auraitelle fait dans l’hypothèse de l’admissibilité de la preuve
orale, si les faits cotés eussent tendu à établir ce même
caractère ?
On ne peut donc pas rationnellement conclure comle fait M. Dalloz. Cet arrêt n’a pu consacrer l’ineffica
cité des pourparlers en matière de délaissement, de ce
que, dans l’espèce, il les repousse parce qu’ils ne sont
pas prouvés par écrit, et, dans tous les cas, parce que
les faits cotés en preuve sont dénués de toute perti
nence.
Or, c’est surtout cette circonstance et l’appréciation
�ART.
4 .3 4
.
483
qu’en fait la cour de Rennes qui déterminent le rejet
du pourvoi. Attendu, dit la Cour de cassation, qu’au
cun des faits articulés n’aurait constitué en droit des ac
tes propres à interrompre la prescription ; attendu,
d’ailleurs, qu’appréciés par la Cour d’appel, juge de leur
pertinence, il n ’appartiendrait pas à la Cour de cassa
tion de s’immiscer dans une appréciation restée dans le
domaine des juges souverains de la cause L
Cette décision est donc un arrêt d’espèce et non de
principe. On doit d’autant plus lui refuser ce dernier ca
ractère, que rien ne le justifierait. Les considérations
que rappelait Emérigon s’appliquent évidemment au dé
laissement comme à toutes autres actions que le fait de
la navigation peut faire naître. Comment permettre que,
dan^ le premier cas, l’assuré devînt victime du piège *
qui lui serait tendu ? Ce qui serait immoral et inique
pour l’avarie, ne saurait être moral et juste dans l’hy
pothèse du délaissement, si ce n ’est aux mêmes condi
tions, à savoir, qu’il résulte des pourparlers une recon
naissance de la dette, une promesse implicite de paye
ment; qu’ils soient justifiés par écrit.
1085.
— L’effet des pourparlers diffère de celui de
la cédule, de l’obligation, de l'arrêté de compte, de l’in
terpellation judiciaire ; celui-ci empêche la prescription
spéciale, à laquelle il substitue la prescription ordinai
re ; celui-là ne produit jamais qu’une interruption jus1 D P ., 35, I, 226.
�DROIT
MARITIME.
qu’au moment où les pourparlers n’ayant pas abouti,
la partie est mise à même et par cela même en demeure
d’agir.
Ainsi, du jour o ù , pour quelque cause que ce soit,
les assureurs ont fait connaître leur intention de ne pas
payer, ou ont dénié les droits de l’assuré, la prescrip
tion commence contre ce dernier, qui aurait définitive
ment perdu ses droits par l’expiration des délais des
articles 373 ou 432, sans aucune poursuite de sa part.
*
TITR E XIV
>
De» fin» de non - rece v o ir
Article
435.
Sont non recevables :
Toutes actions contre le capitaine et les assureurs pour
dommage arrivé à la marchandise, si elle a été reçue
sans protestation ;
Toutes actions contre l’affréteur, pour avaries, si le
capitaine a livré les marchandises et reçu son fret sans
avoir protesté ;
�ART.
435, 436.
485
Toutes actions en indemnité pour dommages causés
par l’abordage dans un lieu où le capitaine a pu agir,
s’il n’a point fait de réclamation.
Article 436.
Ces protestafions et réclamations sont nulles, si elles
ne sont faites et signifiées dans les vingt-quatre heures,
et si, dans le mois de leur date, elles ne sont suivies
d’une demande en justice.
SOMMAIRE
1986.
1987.
1988.
1989.
1990.
4991.
1992.
1993.
Caractère des fins de non rcveir. Leur objet.Effets qu’el
les produisent.
Intérêts divers engagés dans une opération maritime.
Actions du chargeur dont la marchandise a été endom
magée. Fin de non recevoir résultant de la réception
sans protestation. Son caractère.
Conditions exigées : 1° réception matérielle et effective.
Conséquences du silence gardé par la loi sur ce qui cons
titue la réception. Arrêt de la cour de Rouen sur la mise
d quai.
Y a-t-il réception dans le sens de la loi dans le dépôt des
caisses dans les magasins de la douane pour en vérifier
le contenu.
Autres arrêts de la Cour de cassation et de la Cour de
Paris.
La protestation n'est pas rendue tardive par la mise en
magasin.
�486
1994.
1995.
1996.
1997.
1998.
1999.
2000.
2001.
2002.
2003.
2004.
2005.
2006.
2007.
2008.
DROIT
MARITIME.
2* Protestation dans les vingt-quatre heures. Effets de
son omission.
Fondement de la fin de non recevoir. Actes qui suppléent
à la protestation.
Le chargeur peut être dispensé de la protestation par le
fait du capitaine. Exemple. Lorsque ce dernier a fait le
rapport et constaté le dommage.
Par le fait des assureurs, lorsqu’ils ont judiciairement fait
constater le dommage ou consenti à l ’expertise judi
ciaire,ou demandé une plus ample justification avec pro
messe de payer.
P arles pourparlers intervenus. Caractères qu’ils doivent
avoir.
A défaut d’une de ces exceptions, la fin de non recevoir
est acquise, si la protestation n’a pas été faite dans les
vingt-quatre heures.
A qui doit être signifiée la protestation. Effets de l ’omis
sion.
La protestation n ’est efficace que si elle est suivie dans le
mois d’une demande en justice.
Ce qu’on doit entendre par demande en justice. Dis
sentiment entre la Cour de cassation et la cour de Poi
tiers.
Motifs qui doivent faire prévaloir la doctrine de cette der
nière.
Jurisprudence à l’appui.
Résumé.
A qui doit être signifiée la demande en justice. Consé-#
quences pour le capitaine.
Les assureurs sent libérés, à défaut de poursuites contre
le capitaine. Dans quels cas.
La requête présentée par le chargeur pour faire nommer
des experts, afin de constater l ’état des marchandises,
�2009.
2010.
2011.
2012.
2013.
2014.
2015.
2016.
2017.
2018.
2019.
2020.
2021.
doit-elle être signifiée dans les vingt-quatre heures ?
Quid, du rapport ?
Quels sont les assureurs qui peuvent se prévaloir du pa
ragraphe 1" de l ’article 435.
Le chargeur ou son représentant doit-il remplir les
formalités prescrites dans le cas d’une avarie com
mune ?
Obligations du capitaine qui a des droits sur le charge
ment, à raison d’avarie.
Exceptions que le capitaine peut invoquer pour excuser
son inaction. Nature des accords dont il excipe. Recon
naissance implicite de l ’avarie par l’affréteur.
L’inaction du capitaine, alors même qu’elle résulte d’un
accord, fait perdre à l’assuré tout relcours contre les as
sureurs.
L’obligation d’agir est imposée au capitaine, même dans
le cas d’une avarie commune.
Résumé.
Point de départ du délai de vingt-quatre heures accordé
soit à l'affréteur, soit au capitaine. De quel moment il
commence, lorsque la délivrance des marchandises exi
ge plusieurs jours.
Le délai doit être augmenté de celui des distances, lors
que cette délivrance a lieu à l ’étranger.
Motifs qui ont fait prescrire de réclamer dans le plus bref
délai, en cas d’abordage.
Doutes que les termes de l ’ordonnance avaient fait naître
en cas d’abordage en pleine mer. Impossibles sous le
Code.
Difficultés que la question de savoir si le capitaine a pu
agir peut faire naître. Peut-il rétrograder, dérouter ou
relâcher ?
La possibilité d’agir fait courir le délai de la fin de non
recevoir et la nécessité de réclamer.
�488
DROIT MARITIME.
2022.
Le rapport du capitaine équivalant à la réclamation, de
quel moment courra le délai de vingt-quatre heures,
lorsque la confection de ce rapport aura exigé plusieurs
jours.
2023. Que doit-on décider, si le jour de l'expiration du délai
est férié, ou si l’événement s'est réalisé dans un jour
férié.
2023 bis. Est-ce la loi française, est-ce la loi du pays qui règle
le délai, lorsque le capitaine abordé est étranger ?
2023 ter. Le chargeur n’est ni recevable ni fondé à prétendre
qu’il a utilement protesté lorsqu'il l ’a fait dans les
vingt-quatre heures de la nouvelle du sinistre.
2024. La réclamation doit être suivie d’une demande en justice
dans le mois.
2025. Quel est le tribunal compétent pour statuer sur cette ré
clamation.
2026. Les articles 435 et 436, relativement à l’abordage, ne
sont applicables qu’au choc de deux navires.
2027. Doivent-ils l ’être, lorsque le choc a occasionné la perte
entière de l ’un des navires.
2028. Le capitaine qui aurait encouru la fin de non recevoir au
rait perdu tout recours contre ses assureurs.
2029. Peut-on invoquer la fin de non recevoir en appel pour la
première fois.
1986. — Les fins de non recevoir sont des moyens
opposés à une action poursuivie en justice, tendant à la
faire repousser. Elles sont relatives soit à la forme, soit
au fond du droit lui-même.
Les premières ne constituent le plus souvent que des
exceptions dilatoires. En effët, celui qui aura été dé
claré non recevable, soit parce qu'il n’a pas rempli les
�art .
438, 436.
489
formalités prescrites par la loi, ou pour défaut de justi
fication de la qualité qu’il prend, pourra intenter de
nouveau son action, à moins que dans l’intervalle le
droit qu’elle a pour objet de faire valoir ait péri par la
prescription ou tout autre événement légal.
Les secondes s’attachent au droit lui-même ; elles ont
pour but et pour résultat d ’en faire constater l’extinc
tion, sans même qu’on ait à en examiner le fondement
et le mérite.
Si elles sont fondées, le demandeur doit être évincé,
quelques justes, quelques fondées que fussent ses pré
tentions en elles-mêmes. Leur admission crée une
impossibilité absolue de renouveler l’action , malgré
qu’elle n’ait jamais été foncièrement examinée ni ap
préciée.
Ce résultat, quelque sévère qu’il paraisse, ne saurait
être taxé d’injustice. Il ne se produit que parce que ce
lui qui doit en souffrir a eu le tort grave de méconnaître
les prescriptions de la loi, en s’abstenant de remplir les
formalités qu’elle exige sous peine de déchéance. Il dé
pendait donc de lui de l’éviter et de s’y soustraire.
L’application qu’on lui en fait n’est donc que la consé
quence de son fait propre et personnel, que la peine de
sa négligence. Elle ne saurait donc offrir un caractère
odieux.
Ce qu’on devait induire de la rigueur du principe,
c’est que, comme toutes les exceptions d’ailleurs, celleci ne devait être autorisée que lorsqu’elle résulte d’une
�490
DROIT
MARITIME.
disposition formelle de la loi, et qu’il convenait de la
restreindre dans ses plus étroites limites. Nous verrons
qu’à l’endroit de l’article 435 la jurisprudence n’a pas
failli à ce devoir.
198®. — La consommation d’une opération mari
time, les incidents qui l’ont signalée mettent en mouve
ments divers intérêts. Celui des chargeurs pour les ava
ries que la cargaison a éprouvées ; celui du capitaine en
remboursement des réparations faites à la cargaison ou
en contribution à l’avarie soufferte par le navire, enfin,
celui de l’armement pour l’indemnité due par l’auteur
de l’abordage. L’article 435 trace les formalités à rem
plir par chacun de ces intérêts. L’article 436 complète
la série de ces formalités et indique le délai dans lequel
elles doivent être accomplies.
1988. — Le chargeur, dont la marchandise a été
endommagée, peut avoir à exercer son recours non seu
lement contre les assureurs, mais encore contre le capi
taine et l’armateur. Dans le cas, par exemple, où le
dommage provient de la faute ou du fait du premier ;
ce recours n’est recevable qu’à la condition qu’en rece
vant sa marchandise, le chargeur a protesté à raison du
dommage et pour la conservation de ses droits. S’il re
çoit sans protester toute action ultérieure à raison de ce,
tant contre les assureurs que contre le capitaine, est non
recevable.
Cette fin de non recevoir est fondée sur la nature mê-
�ART.
456, 437.
491
me des choses. Il n’est pas naturel que celui à qui l’on
offre une marchandise visiblement endommagée, l’ac
cepte en cet état, ou s’il l’accepte, qu’il ne réclame pas
pour se pourvoir en réparation du dommage. S’il la re
çoit sans protester, il est présumé avoir reconnu le bon
état de la marchandise au moment de la livraison, et
cette présomption n’admet pas la preuve contraire. En
conséquence, l’avarie dont il se plaindrait plus tard
serait considérée comme survenue après la livraison,
comme soufferte dans ses magasins, et ne pourrait en
gager ni la responsabilité du capitaine, ni celle des as
sureurs.
L’incertitude de l’événement est ici toute du fait du
chargeur exclusivement. Il pouvait l’empêcher par une
simple protestation. Il ne peut donc en réalité se plain
dre si on lui fait supporter les conséquences de son in
qualifiable négligence.
198». — Ce fondement de la présomption en fai
sait forcément subordonner l’existence à la réunion des
deux circonstances suivantes : 10 la réception matérielle
et effective ; 2° l’absence de tous faits de nature à cons
tituer la protestation.
La première condition est de rigueur. Le texte de la
loi est ici en complète et parfaite harmonie avec son es
prit. Comment, en effet, le chargeur aurait-il pu con
naître l’état de ses marchandises, si elles ne sont jamais
venues en sa possession ? Or, il ne sera en demeure d’a
gir que du moment où il a pu et dû acquérir cette con-
�492
DROIT
MARITIME.
naissance. En réalité donc, l’absence deréception enlève
tout point de départ à la prescription, elle ne pourrait
être acquise par la raison décisive qu’elle n’a jamais
commencé de courir.
1990. — Le fait de la réception est donc capital
dans notre matière. Or la loi ne s’est point expliquée à
cet égard, et n’a nulle part tracé les caractères pouvant
et devant le constituer. Dès lors, son appréciation est
entièrement laissée à l’arbitrage souverain du juge, d’a
près les circonstances et les faits particuliers de chaque
espèce. Telle est la conclusion que la cour de Rouen tire
du silence gardé par la législation.
Usant immédiatement de cette faculté d’appréciation,
cette Cour déclare, par arrêt du 30 janvier 1843, que
la mise à quai des marchandises, en présence du réclamateur, constitue, dans les cas ordinaires, de la part de
ce dernier, une réception, en ce sens que la marchan
dise est dès lors à ses risques et périls ; mais non la ré
ception faisant courir le délai de la protestation, quand
elle n’a pas mis le réclamateur à même de connaître les
avaries souffertes par les marchandisesl.
Cette interprétation est équitable et juridique. Plus les
effets de la réception sont sévères et énergiques, et plus
il convient d’exiger qu’elle réunisse les caractères qui
ont motivé la fin de non recevoir. Or, le déchargement
à quai livre ordinairement les marchandises en ballots
1 D , P ., 43, 2, 74.
�ART,
438, 436,
49 3
ou en caisses ; l’apparence extérieure des unes et des
autres peut être irréprochable ; ce ne sera donc qu’à leur
ouverture que le dommage apparaîtra, et qu’avec sa
connaissance surgira la nécessité de protester. On ne
pourrait donc rationnellement prendre pour point du
départ du délai le débarquement à quai, que si la mar
chandise était reconnue et vérifiée à fur et à mesure de
son débarquement.
1991. — Le même arrêt décidait qu’il n’y a pas
réception, dans le sens de l’article 435, dans le dépôt
des marchandises fait en présence du réclamateur dans
les magasins de la douane, à l’effet de vérifier le con
tenu des caisses où elles se trouvent ; que dès lors le dé
lai de vingt-quatre heures, pour la protestation, peut
être déclaré n’avoir couru qu’à partir du moment où les
caisses, qui ne présentaient aucune trace extérieure d’a
varies, et qui ont été, dès leur arrivée, mises en douane,
ont été vérifiées par les douaniers en présence du desti
nataire.
Ce n’est encore là qu’une intelligente application de
l’esprit de la loi. La fin de non recevoir ne saurait être
le prix de la ruse ou de la fraude. Nul ne peut être puni
de la surprise dont il a été l’objet. Décider autrement
que le faisait la cour de Rouen, ce serait livrer les char
geurs à la discrétion du capitaine , puisqu’il lui suffi
rait, dans les hypothèses que nous indiquons, de don
ner aux marchandises une apparence irréprochable,
* pour se ménager le bénéfice de la fin de non recevoir.
�494
DROIT
MARITIME.
Contra non valentem agere non currit prescriplio.
C’est surtout pour les prescriptions de courte durée que
l’observation de cette règle est de rigueur. Or, com
ment contraindre à agir celui qui est évidemment dans
l’ignorance la plus complète sur l’obligation où il est de
le faire ?
La cour de Rouen a donc sagement interprété le texte
de la loi et fait une exacte application de son esprit.
À plus forte raison doit-il en être ainsi, lorsque, à
défaut par le destinataire de réclamer la marchandise à
son adresse, cette marchandise a été déposée sans son
concours et à son insu dans les magasins de la douane.
Que dans ces magasins cette marchandise soit à ces
risques et périls, que le retard à s’en livrer le rende res
ponsable du préjudice que ce retard peut avoir occa
sionné, c’est ce qui n’a jamais fait ni pu faire question.
Mais fallait-il conclure de là que le délai de la protesta
tion courait du jour de ce dépôt ?
Le tribunal de commerce de Marseille a refusé de l’ad
mettre et fort juridiquement à notre avis. Les déchéances
sont de droit essentiellement étroit, or, dès que celle de
l’article 436 a pour fondement la négligence à se pour
voir, elle suppose nécessairement qu’on a été en me
sure et par conséquent en demeure de le faire, ce qui ne
peut se réaliser que par une vérification réelle et effec
tive de l’état de la marchandise. Or, est-il possible de
voir cette vérification dans le dépôt en douane fait hors
la présence et sans le concours et peut-être même à
l’insu du destinataire ?
�ART. 4 3 5 , 4 3 6 .
495
Dans l’espèce jugée par le tribunal de Marseille, les
assureurs soutenaient que la demande devait d’autant
mieux être déclarée non recevable que le destinataire
avait commis une double faute : d’abord celle de ne pas
réclamer en temps utile sa marchandise, ensuite celle de
ne pas l’avoir vérifiée dans les magasins de la douane
où elle était à sa disposition dès qu’il en avait appris et
connu le dépôt.
Mais, répond avec raison le jugement, les articles 435
et 436 n’ont fixé aucun délai pour la vérification des
marchandises. Tout ce qu’ils exigent, c’est que, vérifi
cation faite ou présumée avoir été faite , la protestation
se réalise dans les vingt quatre heures
Or la vérification ne peut être faite ou présumée faite
que lorsque le destinataire, se livrant de la marchandise,
s’en met réellement en possession et la reçoit dans ses
magasins. Sans doute, la possibilité de faire cette véri
fication dans les magasins de la douane ne saurait être
méconnue, mais si elle a eu lieu il sera très facile d’en
fournir la preuve et c’est cette preuve que doit rappor
ter celui qui excipe de la déchéance.
A défaut de cette preuve il sera évident que la véri
fication n’a pas eu lieu et le point de départ de la dé
chéance manquant, cette déchéance ne saurait être ni
accueillie ni consacrée.
± 9 9 2 . — De son côté, la Cour de cassation déci
dait, le 44 juin 4842, qu’il n’y a pas réception des
i 2 mai 1867.
J o u r n a l de M a r se ille ,
1867, 1, 198.
�496
DROIT
MARITIME.
marchandises dans le sens de l’article 435, de la part du
destinataire qui, après les avoir refusées, les a laissées
déposer dans des magasins qu’on ne prouve pas être
les siens, et qui le jour même de son arrivée, a pré
senté requête pour en faire constater l’état et les faire
vendre, bien que, d’ailleurs, il ait acquitté sans protes
tation le fret et les frais de débarquement, fait procéder
à leur vérification et à leur vente judiciaire sans y ap
peler le capitaine, encaissé le produit de la vente ; qu’en
pareil c as, l’expéditeur conserve son action contre ses
assureurs, sans qu’on puisse lui opposer les fins de non
recevoir établies par les articles 435 et 436 l.
Ainsi, sans réception réelle et effective, point de fin de
non recevoir. Les caractères de la réception sont livrés
à l’appréciation du juge autorisé à déclarer qu’elle n’a
pas existé si, en fait, les marchandises n’ayant jamais
été à la libre disposition du destinataire, celui-ci n’a pu
s’édifier sur leur état réel. C’est ainsi que la cour de Pa
ris jugeait, le 4 juillet 1838, que les articles 435 et 436
ne pouvaient recevoir d’application lorsque la marchan
dise saisie à bord et vendue sur la poursuite des créan
ciers du destinataire, n’était jamais entrée dans les ma
gasins de celui-ci.
1993. — Avec la réception de la marchandise naît
la nécessité d’une protestation. Cette protestation doitelle, à peine de déchéance, précéder la mise en maga1 J . d u P . 2. 1842, 660.
�•
497
ART. 4 3 3 , 4 5 6 .
sin ? L’article 436 paraît résoudre cette difficulté, en
accordant vingt-quatre heures pour faire et signifier la
protestation.
On a cependant soutenu le contraire et prétendu que
la mise en magasin constituait une réception définitive
excluant toute possibilité de protestation ultérieure, c’é
tait là revenir au système que la cour de Rouen pros
crivait tout à l’heure, dans son arrêt de 1833, c’est-àdire rendre le destinataire victime d’une apparence trom
peuse, et le punir de ne pas avoir réclamé contre un
dommage qu’il ne pouvait même pas soupçonner.
Aussi, et par arrêt du 29 novembre 1844, la même
Cour, saisie de la difficulté, la résout dans le sens de
son premier arrêt. Elle écarte donc la fin de non rece
voir tirée de la mise en magasin, « attendu qu’aux ter
mes de l’article 436, le dépositaire d’une marchandise a
vingt-quatre heures pour protester, à partir de la déli
vrance à lui faite de la marchandise ; que le seul fait de
la réception ne peut constituer une fin de non recevoir
contre toute réclamation ultérieure, puisque, dans le
plus grand nombre de cas, il est impossible de vérifier
la marchandise sur le navire au moment où elle est dé
chargée ; que la loi n ’indique pas que la vérification
de la marchandise doive être nécessairement opérée dans
quelque lieu neutre où elle devrait être préalablement
entreposée ; que, dès lors, le seul fait de l’introduction
des marchandises dans le magasin du destinataire ne
saurait être considéré comme une réception définitive, et
qu’il suffit, pour conserver ses droits, qu’il proteste dans
v — 32
�498
DROIT
MARTTIMR.
les vingt-quatre heures, s’il vient à reconnaître quelque
avarie '.
1994. — Ainsi le législateur a ménagé dans tous
les cas au destinataire le moyen de vérifier l’état de la
marchandise, et d’apprécier ainsi l’utilité et la nécessité
d’une protestation. Mais il ne pouvait le laisser seul maî
tre de différer cette vérification, il doit y procéder dans
les vingt-quatre heures, de manière à ce qu'il puisse,
avant leur expiration, signifier la protestation. Tout re
tard dans cette formalité entraînerait la fin de non-rece
voir. Vainement prétendrait-il qu’il n’a connu l’avarie
' qu’après les vingt-quatre heures, il n’en aurait pas
moins perdu toute action, à moins que les faits qui ont
précédé, accompagné ou suivi la délivrance ne fussent
de nature à remplacer la protestation ou à la rendre inu
tile, ce qui nous amène à examiner la seconde condi
tion que nous avons posée.
4995. — La fin de non recevoir de l’article 435 est
fondée sur la présomption de la reconnaissance du bon
état des marchandises par le destinataire. Celle pré
somption, qu’une simple protestation fait évanouir, doit
s’effacer bien mieux encore en présence d’actes dont la
signification ne saurait être douteuse, qui constituent
par eux-mêmes la plus énergique protestation.
Comment, en effet, soutenir que celui-là a reconnu
1 D. P . 48. 4. 33.
�ART.
43b, 436.
499
l’absence de toute avarie qui, dès l’arrivée de ses mar
chandises, a présenté requête pour faire constater leur
état et nommer des experts chargés de cette constata
tion ? L’application de l’article 435 ne serait qu’un effet
sans cause, puisque les motifs sur lesquels elle se fonde
manqueraient même d’apparence.
Aussi a-t-elle été repoussée unanimement, dans ce
cas et dans d’autres analogues, par la jurisprudence. Il
a été, en effet, jugé :
Par la cour d’Aix, le 7 mai 4821, que l’assuré qui, à
l’époque de l’arrivée et avant la réception des marchan
dises, a fait constater par experts le déficit ou coulage
extraordinaire qu’elle a éprouvé pendant le voyage, n’a
pas à faire de protestations ; de telle sorte que si les as
sureurs refusent de l’indemniser de cette avarie, faute
de représentation du consulat ou rapport de la naviga
tion, qu’aucune clause de la police l’obligeait de pro
duire, il peut recourir contre le capitaine, sans que ce
lui-ci puisse lui opposer la fin de non recevoir de Par licle 435 ;
Par la Cour de cassation, le 12 janvier 1825, que le
rapport d’experts constatant les avaries peut être consi
déré comme une protestation suffisante dans le sens du
même article. Cette doctrine ayant été qonsacrée par la
cour de Bordeaux, le 20 mars 1840, le pourvoi dont
son arrêt avait été l’objet fut rejetté le 14 juin 1842 ;
Enfin, par la cour de Rouen, dans son arrêt du 30
janvier 1843, que la requête présentée au consul fran
çais, à l’effet de faire nommer des experts chargés de
�800
DROIT
MARITIME.
constater les avaries, équivalait à la protestation exigée
par l’article 435 ; et cet arrêt ayant été déféré à la Cour
suprême, le pourvoi fut rejeté le 17 mars 1846 l.
Nous n’avons pas à multiplier les indications. Celles
qui précèdent suffisent pour justifier notre doctrine, que
nous croyons être, d’ailleurs, marquée au coin de la plus
stricte légalité comme de la plus équitable justice.
1 9 9 e . — Ainsi le fait du chargeur équivalant à pro
testation, le dispense de celle-ci, qu’il rend inutile. Il
devrait en être de même toutes les fois que, par des ac
tes personnels, le capitaine ou les assureurs auraient ex
plicitement on implicitement reconnu l’existence de l’a
varie alléguée par les chargeurs. Cette reconnaissance
les rendrait non recevables à se prévaloir des articles
435 et 446.
Ainsi, et à l’endroit du capitaine, la cour de Poitiers
jugeait, le 24 juin 1821, qu’il ne peut se prévaloir de la
fin de non recevoir pour défaut de protestation, à raison
du dommage causé à la marchandise, lorsqu’il a luimême fait à l’autorité compétente le rapport de l’événe
ment qui a causé le dommage, et lorsque d’ailleurs il
a été assigné par l’assureur dans les vingt-quatre heu
res qui ont suivi la délivrance qu’il prétend avoir faite
au consignataire de la marchandise assurée.
Comment, en effet, le capitaine pourrait-il être admis
à invoquer la présomption que ces marchandises étaient
�art.
43K, 436.
KOI
en bon état, lorsque son rapport de navigation établit
le contraire, soit en indiquant d’une manière générale
que l’événement dont il rend compte a occasionné des
avaries à la cargaison, soit, ce qui serait plus décisif en
core, en relatant les dommages spéciaux qu’elle aurait
souffert. Que peut valoir une protestation ultérieure, en
présence de cette constatation émanée de la partie inté
ressée elle-même ? Le silence gardé par l’autre peut-il
annihiler l’effet de cette constatation ?
La protestation est inutile. Elle est plus que suffisam
ment remplacée par le consulat du capitaine. Il y avait
d’autant moins à hésiter dans l’espèce jugée par la cour
de Poitiers, que, dans tous les cas, l’assignation en paye
ment avait été donnée dans les vingt-quatre heures de
la livraison des marchandises. Il est vrai que la loi exi
ge et la protestation et l’assignation ; il est vrai encore
que celle-ci ne pourrait suppléer l’autre. Mais cela ne
peut s’entendre que lorsque l’assignation est donnée
hors du délai de vingt-quatre heures. Dans le cas con
traire, l’assignation vaut et comme assignation et com
me protestation. N’est-ce pas, en effet, protester, et
protester énergiquement que de citer son débiteur en jus
tice? Donc, signifier, dans les vingt-quatre heures de la
livraison, cette citation, remplit convenablement les con
ditions exigées par les articles 435 et 436.
On excipait dans l’espèce de ce que l’assignation avait
été donnée par l’assureur, et non par le consignataire.
Quelle pouvait être l’utilité de cette allégation ? N’est-ce
pas comme subrogé aux droits de celui-ci que l’assu-
j
�$02
DROIT MARITIME.
reur agissait. Or , quelle différence y a-t-il entre agir
soi-même ou par le ministère de celui qu’on s’est su
brogé. En réalité donc c’était le destinataire qui agis
sait sous le nom de l’assureur, et l’objection devait être
écartée-.
1 9 9 9 . — Pour ce qui concerne les assureurs, la
Cour déclarait, le 4 juillet 18218, qu’ils sont non receva
bles à se prévaloir des articles 43S et 436, lorsque le
dommage arrivé aux marchandises a été judiciairement
constaté à leur requête lors de l’arrivée du navire à sa
destination.
Dautre pari, et par arrêt du 21 avril 1830, la Cour
de cassation jugeait que les assureurs qui, après avoir
été avertis par les lettres des assurés d’avaries survenues
aux marchandises, ont consenti à ce que l’appréciation
des avaries à leur charge fût faite judiciairement, ne
sont pas fondés à opposer aux assurés la fin de non
recevoir, tirée de ce que ceux-ci n’ont pas formé, dans
le mois de leur réclamation, une demande en justice.
On devait dans l’espèce d’autant plus le décider ainsi,
qu’il était constaté que les assurés n ’avaient pas pris li
vraison de leurs marchandises. Mais l’absence de cette
circonstance n’aurait pas dû changer la solution. Ac
cepter une expertise, c’est reconnaître la dette, c’est s’o
bliger à la payer. Or, qu’on demande judiciairement un
payement contesté, on le comprend, mais qu’on soit
tenu de le faire, sous peine de déchéance, lorsque le
�ART.
43S, 436.
303
débiteur acquiesce, c’est ce que le droit et la raison ne
sauraient autoriser,
A l’appui de notre doctrine, citons un dernier arrêt
rendu par la Cour de cassation, le 17 mars 1846. Cet
arrêt déclare que les assureurs peuvent renoncer à se
prévaloir de l’inobservation des délais prescrits par les
articles 435 et 436 ; que cette renonciation résulte de ce
que les assurés, ayant amiablement réclamé dans les
délais, les assureurs ont promis de faire droit à la ré
clamation, à condition que certaines pièces justificati
ves seraient produites, en sorte que lors de la produc
tion de ces pièces, ils sont non recevables à opposer aux
assurés la tardiveté de leur action K
1998. — Enfin , les pourparlers qui interrom
praient la prescription auraient également pour résultat
d’écarter la fin de non recevoir de l’article 435. Mais,
comme dans l’hypothèse il y a toujours trois intérêts
distincts : le capitaine, le chargeur et les assureurs, les
pourparlers ne seraient efficaces que pour ceux qui les
auraient consentis, et ne sauraient être opposés à la par
tie qui n’y aurait pris aucune part.
Ajoutons que l’existence de ces pourparlers ne saurait
être admise que si elle était justifiée par écrit. La preu
ve testimoniale ne pourrait être ni proposée, ni accueillie.
1999. — A défaut de tout fait exceptionnel de la
1 D. P ., 46, t , 266
�S04
DROIT MARITIME.
nalure de ceux que nous venons d’indiquer, la récep
tion réelle et effective de la marchandise ne peut être
opérée sans protestation. Celle-ci doit être réalisée dans
les vingt-quatre heures d elà réception. L’omission ou
le retard entraînerait une déchéance absolue et telle, que
le chargeur aurait définitivement et irrévocablement
perdu tout droit à une indemnité quelconque, soit con
tre le capitaine, soit contre les assureurs, même dans
l’hypothèse où il s’agirait du délaissement.
En effet, les termes généraux et sans restrictions des
articles 435 et 436 ne comportent aucune distinction.
Ils régissent tous les cas où le dommage souffert par la
marchandise est l’origine et le fondement de l’action,
et, en conséquence, l’action en délaissement, comme
celle en règlement d’avaries K
9000. — L’article 436 règle la forme de la protes
tation. Il est évident que, puisqu’il exige que dans le
même délai de vingt-quatre heures elle soit signifiée, il
suppose qu’elle sera faite par écrit et qu’elle résultera
d’un acte extrajudiciaire. La signification était indiquée
et nécessitée par la nature des choses. Si l’intérêt seul
du capitaine eût été engagé, l’acte sous seing-privé, re
vêtu de sa signature, eût été suffisant pour constater le
fait de la protestation, et lui donner une date incontes
table.
Mais l’action du chargeur doit réfléchir contre l’ar* Cass , 1 2 ja n v i e r 1 8 2 5 : B o r d e a u x , 2 7 j a n v i e r 1 8 2 9 ,
�_________
ART. 4.3 5 ,
436.
303
mafeur. Il importait, dans l’intérêt de celui-ci, de veil
ler à la sincérité de l’acte qui la conserve et en assure
les effets. Il convenait, dès lors, de se prémunir contre
toute antidate, que l’intérêt ou la collusion du capitaine
pouvait faire naître. La signification exigée met l’arma
teur à l’abri de toute fraude de ce genre.
Cette collusion entre le capitaine et le chargeur était
bien plus à redouter contre les assureurs, dans l’hypo
thèse surtout où l’avarie étant le résultat d’une fortune
de mer purement fortuite, la responsabilité du capitaine
n’était nullement engagée.
Donc, pour les assureurs forcément étrangers à la
protestation, on ne pouvait accepter comme valable que
celle dont la date était certaine et de nature à faire foi
par elle-même de l’exécution ponctuelle de la loi. Ce
résultat est atteint par la signification qui, émanant
d’un officier ministériel, place l’acte au-dessus de tout
soupçon.
Cette signification est donc indispensable. Aussi ,
l’inobservation de cette formalité ou sa réalisation après
l’expiration du délai de vingt-quatre heures fait-elle en
courir irrémissiblement la fin de non recevoir. La pro
testation est, par cela même, annulée ; elle est censée
n’avoir pas existé, et rien, dès lors, ne viendrait faire
obstacle à l’application des articles 435 et 436. r
2001. — La protestation régulièrement faite et si
gnifiée dans les vingt-quatre heures de la réception ne
produit ses effels que si elle est suivie, dans le mois,
�506
DROIT MARITIME. .
d’une demande en justice. Ce nouveau délai court de la
date de la signification. Le désir de voir le sort des par
ties se régler le plus promptement possible rend raison
de cette prescription de l’article 436. À côté de cette
considération s’en placerait une autre non moins puis
sante. L’avarie dont la marchandise est atteinte est susceptible de s'aggraver par les retards qu’on mettrait à
agir, et comme cette marchandise est au pouvoir de ce
lui qui se plaint, comme l’intérêt de celui-ci est d’obte
nir l’indemnité la plus forte possible, on pouvait rai
sonnablement craindre qu’un défaut de soins ne vînt
s’ajouter aux causes naturelles de détériorations et ag
graver encore le dommage.
3 0 0 9 . — Le réclamateur doit donc agir avec dili
gence et former dans le mois une demande en justice.
Quel doit être le caractère de cette demande? Le vœu
de la loi est-il rempli par la citation en nomination
d’experts chargés de constater les avaries alléguées ? Ne
doit-on considérer comme rentrant dans les termes de
l’article 436, que l’action en condamnation au paye
ment de ces avaries ?
Un arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre
1822, se prononce dans ce dernier sens. Il décide , en
conséquence, que l’article 436 doit s’entendre d’une
demande en justice ayant pour objet d’obtenir le paye
ment de la somme à laquelle peut s’évaluer le domma
ge occasionné par les avaries, et non d’une demande
formée devant le tribunal de commerce, tendant à faire
�AHT. 43o, 43G.
â07
nommer des experts pour évaluer-ces avaries. Elle casse
donc un arrêt de la cour de Poitiers, qui avait déclaré
que cette dernière avait suffisamment rempli le vœu de
la loi:
Ce que l’article 436 exige, disait la cour de Poitiers,
c’est la demande qui doit être portée devant le tribunal
de commerce du lieu du déchargement du navire pour
faire procéder à la reconnaissance des avaries ; celle
prétention réalisée, le droit n’est plus soumis qu’à la
prescription de l’article 43â. La condamnation peut être
requise dans les cinq ans au moins.
En toute matière contentieuse, répond la Cour de
cassation, on ne peut entendre par demande en justice
que celle formée par un individu contre un autre qui
est cité, dans les délais prescrits par le Code de procé
dure civile, à^comparaître en justice pour répondre aux
conclusions prises contre lui ; qu’ainsi, le sens évident
de l’article 436 est que l’assuré doit former une de
mande contre l’assureur avec ajournement devant un
tribunal ; qu’il doit former celte demande dans le mois,
en se conformant, pour le délai de l’ajournement, à
celui fixé par le Code de procédure à raison des dis
tances.
Le mode suivi dans l’espèce par l’assuré rend en quel
que sorte raison de la solution de la Cour suprême.
Après avoir demandé et obtenu dans le mois la nomi
nation d’experts chargés d’évaluer les avaries, et ceuxci ayant procédé à leur mission, l’assuré avait gardé le
silence pendant dix-huit mois depuis le rapport. Ce n’est
�S08
D R O IT
M A R ITIM E .
qu’après ce laps de temps écoulé qu’il avait cité les a s
sureurs en condamnation. C’est cette citation que la
Cour de cassation déclare tardive, insuffisante et nulle.
*
s
3003. — Nous en demandons pardon à la Cour
suprême, nous ne pouvons admettre sa doctrine ni en
droit ni en fait.
En droit, l’article 436 n’exige évidemment qu’une
chose, à savoir, que l’assuré qui a régulièrement fait et
signifié sa protestation n’encoure pas le reproche d’en
avoir déserté les effets. Il prescrit donc d’intenter l’ac
tion que la protestation annonce dans le mois de la
date de celle-ci.
C’est ce qui explique la locution du législateur : Et
si, dans le mois de leur date, elles ne sont suivies
d'une demande en justice, c’est-à-dire de la réalisation
du droit, de sa mise en mouvement. En conséquence
tout ce qui présente ce double caractère se place forcé
ment dans les prévisions de la loi, et en remplit reli
gieusement l’objet.
Poursuivre en justice la nomination d’experts chargés
de liquider le droit des demandeurs, n’est-ce pas réali
ser ce droit par une mesure essentiellement préalable à
toute demande en condamnation? Celle-ci, en effet,
n ’est-elle pas subordonnée au sort de l’expertise ? Quelle
que soit l’avarie dont l’existence a nécessité les protes
tations, qu’aura à répéter le réclamateur, si l’expertise
laisse l’avarie en dessous du taux des franchises soit lé
gales, soit conventionnelles.
�ART. 4 3 5 ,
436.
50 9
Donc, au moment où s’ouvre l’action, où l’instance
est introduite, le demandeur est encore dans l’incertitude
s’il aura ou non une condamnation à requérir. On ne
saurait donc lui faire un devoir d’en demander une
quelconque, que si la loi s’en était formellement expli
quée. Or, nous voyons bien dans l’article 436 l’exigence
d’une demande en justice, mais nous n’y rencontrons
aucune détermination du caractère et de la nature de
cette demande. La loi ne dit pas notamment qu'elle doit,
sous peine de déchéance, être une demande en con
damnation. Consacrer cette déchéance, c’est donc ajou
ter à la loi dans une circonstance où il est d’autant
moins permis de le faire qu’il s’agit de créer une peine
et une exception.
L’expertise judiciairement poursuivie est donc une
demande en justice, et remplit dès lors l’unique condi
tion exigée par l’article 436. Ne présente-t-elle pas d’ail
leurs tous les caractères que la Cour de cassation exige
en matière contentieuse? Nous y rencontrons un indi
vidu qui en cite un autre dans les délais légaux à com
paraître en justice pour répondre aux conclusions prises
contre lui. Dans l’espèce, ces conclusions, tout en ne
tendant qu’à la nomination d’experts, n’en renferment
pas moins implicitement la demande en condamnation.
En effet, les experts ne seront nommés que si celui con
tre qui on le demande est responsable du dommage.
Dès lors, le jugement qui les délègue reconnaît et cons
tate cette responsabilité, consacre la nécessité d’une con
damnation qu’il subordonne au résultat de l'expertise.
*
#
�810
D R O IT
M A R ITIM E .
Il nous parait donc impossible d’admettre de ne pas
donner à une demande de cette nature l’effet d’écarter
la fin de non recevoir des articles 435 et 436. Les dili
gences exigées ont été accomplies ; la déchéance pro
noncée par ces articles n’a plus aucun fondement, elle
doit donc être désormais absolument repoussée.
9004. —
w Ce résultat, que nous puisons dans la loi
elle-même et dans les principes, nous allons le voir res
sortir de la jurisprudence d e là Cour de cassation ellemême. Nous venons d’indiquer qu’elle jugeait, les 12
janvier 1825 et 14 juin 1842, que la poursuite en ex
pertise équivaut à la protestation et empêche la dé
chéance. Pourquoi accorder cet effet dans l’hypothèse
de l’article 435 et le refuser dans celle de l’article 436 ?
La protestation est aussi impérieusement exigée que la
demande en justice. Ce serait donc tomber dans une
contradiction que rien ne justifie que de décider que
l’acte constituant la diligence, suppléant à la première,
ne la constitue pas vis-à-vis de la seconde.
La contradiction serait bien plus manifeste, bien plus
inexplicable encore au point de vue de l’arrêt que la
Cour de cassation rendait le 21 avril 1830. Nous avons
vu que cet arrêt décide que lorsque les assureurs, aver
tis par les lettres des assurés d’avaries survenues aux
marchandises, ont consenti à ce que l’appréciation des
avaries à leur charge fût faite judiciairement, ils ne sont
pas fondés à opposer aux assurés la fin de non recevoir
i
�ART. 4-55, 4 3 6 .
511
tirée de ce que ceux-ci n’ont pas formé, dans le mois de
leur réclamation, une demande en justice.
Donc, une demande d’expertise, amiablement formée,
si elle est acquiescée par les assureurs, remplit le vœu
de l’article 436. Comment serait-il possible de ne pas
attribuer le même effet à la demande introduite en jus
tice, qui, également acquiescée ou contradictoirement
consacrée par le tribunal, aurait abouti à une nomina
tion d’experts ?
» 3005. — En résumé donc, quelle qu’en soit la na
ture, la demande en justice, pourvu qu’elle se réfère à
l’avarie soufferte par les marchandises du réclamateur,
suffit, si elle est formée dans le délai prescrit, pour
écarter la déchéance édictée par l’article 436. On ne
peut punir comme négligent celui qui a réellement
exercé son droit. Cela est surtout vrai lorsque l’exper
tise, judiciairement poursuivie, a été acquiescée par le
défendeur ou ordonnée contre son opposition ; l’une ou
l’autre de ces circonstances entraînerait implicitement
reconnaissance de la dette, promesse de la payer, et. par
conséquent renonciation au besoin à se prévaloir de
l’inobservation des délais.
Qu’importe, dès lors, en fait, que l’homologation du
rapport soit requise plus ou moins longtemps après sa
confection. Tant que l’instance n’a pas été déclarée
périmée, le droit du demandeur reste debout; et intact.
La poursuite en condamnation ne constitue pas une de
mande nouvelle ; elle se lie indivisiblementà celle qui a
�512
D R O IT
M A R ITIM E.
introduit l’instance, dont elle est l’accessoire immédiat
et nécessaire, le complément indispensable. On ne sau
rait donc les diviser et attribuer à l’une un effet contre
lequel la première n’a pas cessé de protester.
9 0 0 6 . — La protestation doit être signifiée , et la
demande en justice dirigée tant contre le capitaine que
contre les assureurs, si le réclamateur entend conserver
ses droits contre l’un et contre les autres. Cependant, il
est libre de ne s’adresser qu’au capitaine. Dans cette hy
pothèse, celui-ci, régulièrement actionné, ne pourrait
se prévaloir du défaut de formalités vis-à-vis des assu
reurs.
Il peut aussi ne poursuivre que ces derniers ; mais,
dans ces cas, l’accomplissement des formalités contre le
capitaine ou son inobservation créerait une fin de non
recevoir en faveur des assureurs.
Cette différence dans l’obligation résulte de la posi
tion respective. La responsabilité de l’avarie encourue
par le capitaine l’oblige personnellement à en supporter
les conséquences, sans qu’il ait à exercer aucune garan
tie contre les assureurs de la marchandise avariée ; peu
lui importe donc que l’assuré néglige ou perde le droit
d’agir contre eux. Son obligation ne saurait en être ni
modifiée, ni altérée.
900®.^— Il n’en est pas de même des assureurs.
Contraints de désintéresser l’assuré, ceux-ci sont subro
gés à ses droits et naturellement appelés à exercer con-
�art .
4-35, 4 3 6 .
513
tre le capitaine le recours que celui-ci avait lui-même.
Ils sont donc fondés à exciper comme fin de non rece
voir contre la demande dont ils sont l’objet de la part
de l’assuré, de la négligence qui aurait amené la libé
ration du capitaine.
Ce droit, l’article 2037 du Code civil le leur con
fère. En réalité, les assureurs ne sont que cautions, et,
dans l’hypothèse de la responsabilité du capitaine,
c’est celui-ci qui est le débiteur principal. Si toute acton contre lui est éteinte par la faute de l’assuré, l’effet
de la subrogation étant impossible, les assureurs sont
déchargés.
De là on a conclu avec raison que l’obligation pour
l’assuré de signifier la protestation et la demande en
justice au capitaine n’existait que dans l’hypothèse où
celui-ci était responsable. Si l’avarie était le résultat
d’une pure fortune de mer, les assureurs ne pourraient
exciper du défaut de poursuites contre le capitaine ; ils
n’en éprouvent aucun préjudice , puisque , dégagé de
toute responsabilité, le capitaine ne pouvant être ac
tionné par le chargeur, ne pouvait jamais l’être par ses
assureurs K
Si l’inaction de l’assuré contre le capitaine, dans le
cas de sa responsabilité, était motivée sur un arrange
ment intervenu entre eux, cette inaction ne pourrait
fournir un grief en faveur des assureurs. La dispense
des formalités légales résultant de cet arrangement a
i V. a rrê t de R ouen, d u 30 ja n v ie r \ 843.
v — 33
�514
DROIT
MARITIME.
laissé debout l’obligation du capitaine, dont l’exécution,
pouvant être poursuivie par l’assuré, le serait utilement
par les assureurs ; l’absence de la condition exigée par
l’article 2037 du Code civil le rendrait inapplicable quant
à ses effets.
Ainsi, l’assuré qui entend conserver ses droits contre
ses assureurs et contre le navire est obligé d’agir confor
mément aux articles 435 et 436, et dans le délai pres
crit tant contre les premiers que contre le capitaine. Le
défaut de signification de la protestation et de la de
mande aux assureurs les mettrait définitivement à cou
vert de toute recherche ultérieure. Ce défaut ne peut être
excusé sous aucun prétexte, pas même par la préten
tion de l’assuré qu’au moment où il a dû agir pour se
conformer à la l o i , il ignorait l’existence de l’assurance
ou le nom et l’adresse des assureurs l.
A plus forte raison en serait-il ainsi si l’assuré, se re
posant sur la reconnaissance de la dette et dispensé par
le capitaine de remplir les formalités légales, s’était abs
tenu de faire aux assureurs les notifications prescrites
par les articles 435 et 436.
3008.
— Nous avons vu que la requête à fin de
nomination d’experts chargés de constater l’avarie, pré
sentée à l’arrivée du navire, équivalait à la protestation.
Doit-elle, comme celle-ci, être signifiée dans les vingtquatre heures au capitaine et aux assureurs ? L’affirma1 Rouen, 8 février 4843 ; J.
4843, 6B9.
�art.
455, 436.
51 5
tive a été consacrée par la cour de Bordeaux, le 27 jan
vier 4829.
Cette solution est-elle fondée en droit ? Nous hésitons
à l’admettre. Le caractère de la requête, son authenti
cité nous paraissent répondre aux motifs qui ont fait
prescrire la signification de la protestation, et enlever
toute incertitude sur sa date.
D’ailleurs, ne recevoir la marchandise qu’à la condi
tion que des experts en constateront l’état, ne peut cons
tituer la réception pure et simple prévue par l’article
435. Dès lors, le délai de vingt-quatre heures n’aurait
pas même couru, ce qui écarterait toute idée de fin de
non recevoir.
Mais la requête présentée et la mission des experts
remplie , surgit le devoir d’a g ir, et avec lui la mise en
demeure de le faire. Le chargeur doit donc signifier le
rapport dans les vingt-quatre heures, et faire suivre
cette signification d’une demande en justice dans le
mois. La cour d’Aix l’avait ainsi jugé, le 40 juillet 1824.
Sa décision fut déférée à la cour de cassation , mais le
pourvoi fut rejeté par arrêt du 12 janvier 4825.
3009.
— Le premier paragraphe de l’article 435
ne disposant qu’à l’endroit du chargeur qui retire ses
marchandises, ne saurait s’appliquer, en cas d’avaries,
au corps du navire ; quelles que soient celles éprouvées,
le capitaine ou l’armateur conservent le droit de s’en
faire indemniser par leurs assureurs, sans être tenus de
�Slfi
DROIT
MARITIME.
protester dans les vingt-quatre heures ou d’ajourner dans
le mois.
Il est évident, en effet, que la condition de la récep
tion exigée par ce paragraphe ne peut se réaliser. Le
capitaine ou l’armatenr n’ont jamais cessé d’être en pos
session réelle et effective du navire. Or, puisque le point
de départ de la fin de non recevoir est fixé au moment
de la réception, le délai ne peut courir lorsque celle-ci
n ’a jamais pu être effectuée.
On a cependant prétendu le contraire dans une es
pèce soumise à la cour de Bordeaux. Les assureurs sou
tenaient que le défaut de protestation devait faire décla
rer non recevable l’action du capitaine pour avaries au
corps du bâtiment. Il est vrai qu’on ne se dissimulait
pas la difficulté ; aussi voulait-on faire courir le délai,
non du moment de la réception, il ne pouvait y en
avoir aucune, mais du jour de l’arrivée dans le port où
l’avarie avait été réparée.
Cette doctrine violait ouvertement la maxime qu’en
matière exceptionnelle on ne saurait raisonner par ana
logie. D’ailleurs, il n’en existait aucune dans l’hypothèse
qui pût être accueillie. Aussi fut-elle repoussée par ar
rêt du 7 mai 1839, déclarant que les assureurs sur corps
sont non recevables à se prévaloir d’une disposition qui,
spéciale à la réception des marchandises, ne pouvait
être invoquée que par les assureurs sur facultés l.
i J. du P., 2, 4839, 887.
�ART.
435, 436.
517
3010.
— Les formalités prescrites par les articles
435 et 436 sont-elles obligatoires pour le chargeur
ou son représentant dans l’hypothèse d’une avarie
grosse ?
La solution de cette question est subordonnée à la
nature et au résultat de l’avarie.
Si les marchandises ont été jetées ou perdues en tota
lité, le destinataire n’a pas à se conformer à nos arti
cles. La réception, qui seule fait courir le délai de la
protestation, ne pouvant se réaliser, la fin de non rece
voir n’aurait aucune base. Il est donc évident, dans ce
cas, que l’action n’est soumise qu’à la prescription de
l’article 432.
Si la marchandise n’a pas été jetée ou sacrifiée en to
talité, ou si la circonstance constituant l’avarie com
mune l’a seulement endommagée, elle sera délivrée au
destinataire. Il y aura donc réception réelle de sa part,
et, dès lors, nécessité de protester dans les vingt-quatre
heures, sous peine de voir déclarer son action non re
cevable. L’hypothèse prévue par l’article 435 se réa
lisant, les formalités qu’il prescrit doivent être accom
plies.
Vainement exciperait-on de la nature de l’avarie. Sans
doute, l’article 435 ne parle pas d’avarie commune ;
mais, loin de l’exclure, la généralité de ces termes la
comprend forcément. Toutes actions pour dommages
arrivés à la marchandise, dit le législateur, et ces ter
mes sont exclusifs de toute distinction, suivant les causes
du dommage.
�518
DROIT
MARITIME.
On a objecté, à l’appui de la doctrine contraire, que,
dans l’avarie commune, l’état des marchandises était
toujours constaté, puisque la détérioration ou le rapport
du capitaine doit énoncer le dommage souffert, soit par
le navire, soit par la cargaison. Cette objection est dé
cisive ; mais, pour ce qui concerne le capitaine seule
ment ; nous avons vu, en effet, que le rapport que le
capitaine fait à l’autorité compétente vaut protestation en
faveur du propriétaire des marchandises. Nous admet
tons donc que, dans notre hypothèse, le capitaine ne
pourrait opposer le défaut de protestation.
Mais l’acte personnel du capitaine ne saurait jamais
être opposé ni nuire aux assureurs. La reconnaissance
formelle que celui-ci ferait de la dette ne justifierait,
n’excuserait pas l’inaction gardée à l’endroit de ces der
niers ; or, ce qui est vrai pour la reconnaissance expli
cite ne saurait pas ne pas l’être pour la reconnaissance
implicite.
Tenons donc pour certain que le chargeur ou son re
présentant ne conserve ses droits contre les assureurs,
dans le cas dont nous nous occupons, qu’en remplissant
envers eux et dans les délais requis les formalités pres
crites par les articles 435 et 436.
Ces formalités remplies, les assureurs seront obligés
d’exécuter leurs engagements. Ils ne pourront se préva
loir du défaut de signification au capitaine ; ce défaut de
signification n’ayant pas libéré celui-ci, la subrogation
en faveur des assureurs sortirait son plein et entier effet,
ce qui enlèverait à ceux-ci tout motif de plainte.
�ART.
435, 436.
51!)
Enfin, si la marchandise est arrivée intacte, mais gre
vée de la contribution à l’avarie commune, le destina
taire n’a aucune initiative à prendre ; il n ’a, contre ses
assureurs, qu’un recours contre la demande dont il se
rait lui-même l’objet de la part du capitaine, demande
qui serait elle-même non recevable, si ce capitaine avait
délivré les marchandises sans protestation. Il doit donc
attendre la signification de cette protestation ; cette si
gnification reçue, il doit immédiatement la faire refluer
à ses assureurs, en protestant lui-même de la garantie
qu’il a à exercer contre eux.
Ainsi, dans l’hypothèse de la perte totale de la cargai
son, par l’effet de l’avarie commune, les articles 435 et
436 ne peuvent recevoir aucune application, la condi
tion qu’ils exigent ne pouvant jamais se réaliser.
Dans celle d’une perte partielle ou d’un dommage
quelconque, le chargeur n’a pas à protester contre le
capitaine ; mais il est tenu de le faire contre ses assu
reurs, s’il entend conserver les droits que lui donne la
police d’assurance. L’inobservation de nos articles crée
rait la fin de non recevoir et amènerait la libération des
assureurs.
Dans celle d’arrivée de la cargaison sans autre dom
mage que la part à sa charge dans l’avarie commune,
le réceptionnaire n’a pas à protester de son chef ; mais,
en recevant la protestation du capitaine, il est tenu,
sous peine de déchéance, de la signifier à ses assureurs
et de la faire suivre, dans le mois, d’une demande en
justice.
�520
DROIT
MARITIME.
2 0 1 1 . — Le capitaine qui a des droits à faire va
loir sur le chargement pour avaries qu’il aurait fait ré
parer à ses frais, ne doit délivrer celui-ci que contre le
remboursement de ce qui lui est dû. A défaut de ce
remboursement, son action est éteinte par la remise des
marchandises, s’il ne s’est point conformé aux prescrip
tions des articles 435 et 436.
Les motifs qui faisaient consacrer le premier para
graphe de l’article 435 amenaient la consécration du se
cond. De là cette conséquence que l’obligation du capita ne, ayant une origine identique à celle de l’affréteur,
les principes et les règles applicables à celle-ci régissent
nécessairement la première.
2 0 1 2 . — Ainsi, la nécessité de protester dans les
vingt-quatre heures de la délivrance et de citer en jus
tice dans le mois est absolue, à moins que, par les ac
cords intervenus entre le capitaine et l’affréteur, le pre
mier ait été dispensé de le faire. C’est ce que la cour
d’Aix a expressément décidé en jugeant, le 8 janvier
4836, que les articles 435 et 436 ne pouvaient être in
voqués par l’affréteur qui, connaissant à la fois et l’exis
tence de i’avarie et la valeur des pertes qui en ont été
la suite, a pris avec le capitaine, au moment du débar
quement,' des arrangements pour le déchargement, ar
rangements qui emportent renonciation de sa part à se
prévaloir de l’inobservation des formalités prescrites. Le
pourvoi formé contre cet arrêt fut rejeté le 40 février
4840 L
�ART. 4 5 6 , 4 3 7 .
521
Le capitaine ne peut donc utilement invoquer les ar
rangements pris avec l’affréteur que s’ils impliquent de
la part de celui-ci renonciation à se prévaloir de l’inob
servation des articles 435 et 436. Or, il est évident que
la détermination de ce caractère appartient souveraine
ment aux deux degrés de juridiction.
L’affréteur peut non seulement renoncer au bénéfice
des articles 435 et 436, mais encore se trouver dans une
position telle qu’il ne puisse l’invoquer. Ainsi, celui qui,
se trouvant de sa personne à bord au moment du sinis
tre qui, durant la traversée, a nécessité le jet de diffé
rentes marchandises, a signé non seulement le journal
de route, mais encore la déclaration d’avarie faite dans
le port du désarmement au greffe du tribunal de com
merce, serait dans l’impossibilité d’invoquer plus tard
l’inobservation des articles 435 et 436 '.
3013. — Ce que l’affréteur a payé au capitaine
pour avaries durant le voyage doit lui être restitué par
les assureurs, mais ceux-ci ne sont obligés que si la loi
a été accomplie, et que si, notamment dans notre hypo
thèse, le capitaine avait rempli toutes les formalités pres
crites. Le défaut de protestation dans les vingt-quatre ■
heures et de demande en justice dans le mois, fût-il le
résultat d’un arrangement entre le capitaine et l’affré
teur, n’en aurait pas moins libéré les assureurs, l’affré
teur est libre de transiger sur son intérêt, mais il ne
1 Bordeaux, 24 août 1816.
�522
DROIT
MARITIME.
peut engager celui de ses assureurs et leur faire perdre
la chance de libération que leur offre la négligence que
le capitaine mettrait dans l’acomplissement du devoir
qui lui est imposé. C’est ce que la cour d’Aix décidait
dans son arrêt du 8 janvier 1836. L’accord intervenu
entre le capitaine et l’affréteur, disait la Cour, ne sau
rait être opposé aux assureurs qu’autant qu’ils y au
raient participé ou adhéré. Comme nous l’avons déjà
dit, cet arrêt était confirmé par la Cour suprême, le 10
février 1840.
Les assureurs peuvent donc de leur chef, aussi bien
que l’affréteur lui-même, invoquer l’exception résultant
du paragraphe â de l’article 435. L’accord intervenu
entre ce dernier et le capitaine aurait bien pour résultat
de le contraindre à rembourser celui-ci, mais ne sau
rait dans aucun cas, sauf concours ou ratification, faire
revivre son action en recours contre les assureurs.
30JL4L — Doit-il en être ainsi dans le cas d’avarie
commune ? Le tribunal de commerce de Marseille s’é
tait prononcé pour la négative ; à son avis, l’article 435
ne disposait que pour le cas d’avarie particulière qui a
besoin d’être constatée, et non pour celui d’avarie com
mune, dont l’existence est acquise par le rapport du ca
pitaine.
Mais en quoi le fait personnel de celui-ci peut-il in
fluer sur l’intérêt des assureurs sur facultés ? Pour eux,
l’obligation étant la même dans les deux cas, on ne
saurait établir, quant aux conditions, une différence
quelconque que si la loi l’a indiquée. Or, loin de con-
�ART.
435, 436.
523
duire à cette distinction, les termes généraux du deuxiè
me paragraphe de l’article 435 l’excluent formellement.
En conséquence, sur l’appel dont il fut frappé, ce
jugement fut réformé par la cour d’Aix, le H9 novembre
1830, et il devait d’autant plus l’être que le plus sou
vent les droits du capitaine contre le chargement n’au
ront pas d’autre origine qu’une avarie commune.
8011». — Il résulte de ce qui précède que le capi
taine et l’affréteur peuvent se trouver réciproquement
dans l’impossibilité de se prévaloir l’un contre l’autre
de l’inobservation des articles 435 et 436. Mais que
cette position soit la conséquence d’un accord direct et
explicite, ou qu’elle s’induise implicitement des circons
tances ou des faits personnels à chacun d’eux, elle n’est
jamais opposable aux assureurs sur facultés. C’est ce
que nous avons établi dans le cas du premier paragra
phe de l’article 435.
Supposez, dans l’hypothèse du second, que le capi
taine ayant des droits sur le chargement à raison d’ava
ries souffertes par celui-ci, ait délivré les marchandises
sans protester, son action est éteinte. Sans doute, il
pourra encore l’exercer contre l’affréteur, dans les cas
exceptionnels que nous avons indiqués.
Mais l’extinction sera acquise aux assureurs des mar
chandises, de telle sorte que tout recours de l’assuré, à
raison de ce, sera non recevable. Actionnés par lui, les
assureurs lui répondront : le capitaine s’é ta it, par le
défaut de formalités, enlevé tout moyen de réclamer son
�nu
DROIT MARITIME.
payement. Vous avez bien pu le relever de cette dé
chéance, ou le dispenser de l’observation de la loi, mais
pour ce qui vous concernait seulement ; vous n’aviez ni
droit ni qualité pour nous obliger, et vous n’avez ja
mais pu aliéner le bénéfice personnel que nous puisions
dans la loi elle-même. Vous avez pu payer ce que vous
ne deviez pas, mais non créer le droit de répéter con
tre nous le montant de ce payement.
Cette défense serait péremptoire, elle ne pourrait être
écartée que par la preuve que les assureurs ont parti
cipé à l’accord ou l’ont ratifié, ou que si, dans les vingtquatre heures de la délivrance, l’assuré avait de son
chef fait et signifié une protestation aux assureurs, sui
vie dans le mois d’une demande en justice.
£ 0 1 6 . — Le délai pour la protestation dans l’hy
pothèse des deux premiers paragraphes de l’article 435
était dans le cas de soulever quelques difficultés. Fal
lait-il le faire partir, dans tous les cas, du moment où
la livraison a commencé ; devait-on, au contraire, lors
qu’elle s’était continuée pendant plusieurs jours, en
fixer le départ au moment où elle a été complètement
achevée ?
Cette question était résolue par l’esprit de la loi. Dès
que les vingt-quatre heures n ’étaient accordées que pour
permettre à l’affréteur de s’édifier sur l’état de la mar
chandise, il est évident que le délai ne pouvait courir
que du moment où la réception étant complète, la vé
rification pouvait en être utilement faite. Comment com-
�ART. 4 3 5 , 4 3 6 .
525
prendre l’utilité de la protestation, si les marchandises
d’abord remises étant en état sain, le besoin de la réali
ser n’est déterminé que par l’état de celle qui sera re
mise le second et le troisième jour ? L’affréteur pouvait
donc être déchu du droit avant d’avoir su qu’il avait à
l’exercer, ce qui aurait été contraire à tous les prin
cipes.
D’autre part, tant que la délivrance n’est pas entière,
le capitaine pourrait vouloir garder en sa possession
une quantité suffisante pour se payer de ce qui lui est
dû, ou refuser de livrer le solde, si on ne le désintéres
sait pas, il n’est et ne peut être contraint de protester de
ses droits que lorsque, par la délivrance de ce solde, il
s’est placé dans l’impossibilité de se donner à lui-même
la garantie qui ne peut désormais résulter pour lui que
delà protestation.
Donc, lorsque la délivrance exige plusieurs jo u rs, le
délai de vingt-quatre heures, accordé par l’article 436,
pour la protestation, ne court que du dernier moment
de la remise et de la réception l.
3 0 1 9 . — Les formalités prescrites par les articles
435 et 436 sont impératives et absolues. Elles doivent
être accomplies dans tous les cas, soit que la marchan
dise ait été reçue par le chargeur ou le consignataire,
soit qu’elle ait été livrée en France ou à l’étranger, si
le contrat d’assurance a été passé en Frances.
i Rouen, 30 janvier 4843; 29 novembre 4844 ; Aix, 24 août 484B;
D. P., 43, 2, 74; 45, 4. 33 ; 46, 2, 46B.
s Cass,, 42 janvier 4828.
�326
DROIT MARITIME.
Mais, dans ce dernier cas, l’exécution littérale de ces
formalités deviendrait impossible. Comment signifier
dans les vingt-quatre heures, lorsqu’on se trouve à mille
lieues de l’endroit où la signification doit se faire. La
conséquence logique que la doctrine et la jurisprudence
en ont induit, c’est que, dans cette hypothèse, le délai
de vingt-quatre heures ou d’un mois s’augmente de ce
lui des distances, tel qu’il est réglé par l’article 73 du
Code de procédure civile.
301$. — De tous temps, le désir d’éviter une frau
de qu’on pouvait raisonnablement redouter a porté le
législateur à n ’accorder qu’un délai fort court à la ré
clamation pour dommages résultant de l’abordage. Les'
accidents maritimes sont si fréquents, disait Valin, qu’il
se pourrait qu’un navire, après avoir été abordé par un
autre, souffrit dans l’intervalle d’autres avaries dont on
dissimulerait la cause pour les faire regarder comme une
suite naturelle, ou même comme un effet direct de l’a
bordage l.
Il convenait donc de rendre la constatation des ré
sultats de celui-ci indispensable dans un délai tel que
l’existence de la fraude qu’on voulait prévenir, ne pût
être raisonnablement soupçonnée.
201.9. — Mais cette nécessité se trouvait forcément
subordonnée à la possibilité dans laquelle le capitaine
i Art, 8, tit. des P r e s c r ip t ,
�(S
art . 4 3 5 ,
436.
527
aurait été de faire procéder à cette constatation. Or, cette
faculté n’existe pas toujours, et notamment lorsque
l’abordage se réalise en cours de voyage et en pleine
mer.
Ainsi, le législateur de 1681, qui voulait que la ré
clamation eût lieu dans les vingt-quatre heures, avait-il
le soin d’ajouter, dans le cas d’abordage dans un port,
havre, ou autre lieu où le capitaine pouvait agir.
Devait-on conclure de ces termes que l’abordage réa
lisé en pleine mer n’était pas compris dans l’exception,
et que sa constatation était laissée à la libre volonté du
capitaine? Cette conclusion, que le texte de l’ordonnan
ce semblait autoriser, n’est pas celle à laquelle s’étaient
arrêtés Valin et Emérigon. L’un et l’autre enseignaient
que, même dans l’hypothèse d’un abordage en pleine
mer, le capitaine devait réclamer dans les vingt-quatre
heures, que seulement ce délai ne commençait de cou
rir que du jour de l’arrivée à destination ou de l’entrée
au premier port de relâche.
C’est cette doctrine que le Code de commerce a en
tendu consacrer. La supression des mots dans un port
ou hàvre enlève tout doute. Dans quelque lieu que se
réalise l’abordage, la réclamation doit être réalisée dans
les vingt-quatre heures, dès que le capitaine se trouve
dans un lieu où il peut agir. Or, ce lieu est nécessaire
ment le premier port où le navire entrera soit forcément
et par suite des effets de l’abordage, soit naturellement
pour remplir la mission qu’il est appelé à accomplir.
�528
DROIT MARITIME.
2 0 2 0 . — La question de savoir si le capitaine a
pu agir n’est pas exempte de difficultés. Yalin se de
mandait, par exemple, si le capitaine, abordé dans sa
route hors la rade, était obligé de rentrer dans le port
pour réaliser sa réclamation dans les vingt-quatre heu
res? Il répondait négativement, lorsque les effets de
l’abordage n’étaient pas de nature à empêcher la conti
nuation du voyage. La raison en est, disait-il, que le
voyage commencé met le capitaine dans l’impuissance
d’agir, à cause qu’il ne pourrait relâcher pour se plain
dre de .l’abordage, sans augmenter considérablement la
perte par les dommages-intérêts que causerait la relâ
che, et qu’on serait en droit de lui reprocher l’affecta
tion qu’il aurait eue de relâcher, étant en état de conti
nuer sa route 1.
Cette doctrine nous paraît d’une incontestable jus
tesse, vraie sous l’empire de l’ordonnance, elle ne peut
pas ne pas l’être sous le Code, car, aujourd’hui comme
alors, revenir dans le port du départ après le voyage
commencé et sans une invincible nécessité, c’est rompre
le voyage, par conséquent déterminer la nullité tant des
assurances sur corps que de celles sur facultés, et s’ex
poser à la responsabilité que les conséquences de celte
nullité entraîneraient.
On ne pouvait donc exiger du capitaine le retour dans
le port pour y constater les effets de l’abordage, toutes
les fois qu’ils ne sont pas de nature à empêcher la con-
�a r t
.
455, 436.
1529
tinuation du voyage. C’eût été l’exposer à une respon
sabilité vingt fois plus onéreuse que le minime préju
dice dont ce retour aurait pour objet d’assurer la resti
tution.
Le capitaine, qui n’est pas tenu de rétrograder, ne
saurait l’être de dérouter ou d’entrer dans un port où
il ne lui est pas permis de faire échelle. La rupture du
voyage et ses conséquences, résultant de l’un ou de
l’autre, on ne saurait lui reprocher de s’en être abs
tenu, alors même que le port se fût trouvé sur sa route
directe.
Dans tous les cas, le capitaine ne pourrait être auto
risé à rétrograder, dérouter ou relâcher, qu’en vertu
d’une délibération régulière en constatant l'urgence et la
nécessité. Si l’une et l’autre ne sont pas reconnues, il
est réellement dans l’impossibilité d’agir, et celle-ci ne
cesse que par l’arrivée à la destination ou par l’entrée
dans le premier port où la nature du voyage lui fait
aborder.
2 0 3 1 . — La possibilité d’agir fait courir le délai
de la réclamation. Toute action à raison des dommages
occasionnés par l’abordage serait donc non recevable
si, dans les vingt-quatre heures de son entrée dans le
port, le capitaine n’avait pas fait et signifié sa réclama
tion .
2 0 2 2 . — Celle-ci résultera nécessairement du rap
port que le capitaine fera â l’autorité compétente, mais
v — 34
�830
DROIT
MARITIME.
ce rapport doit être vérifié et affirmé, le capitaine peut,
pour plus grande sûreté, faire interroger non seulement
son équipage, mais encore l’équipage et les passagers du
navire responsable de l’abordage. Or, les formalités peu
vent exiger plusieurs jours, de telle sorte que la signifi
cation du rapport ne pourra avoir lieu dans les vingtquatre heures. Aura-t-il dès lors encouru la déchéance,
ou bien devra-t-on le considérer comme n ’ayant eu la
possibilité d’agir qu’après la clôture de son rapport,
alors d’ailleurs qu’il est prouvé que ce rapport a été
commencé dans les vingt-quatre heures ?
M. Dalloz indique comme ayant jugé dans ce dernier
sens une décision rendue par le tribunal de Livourne,
le 16 août 18421, dans l’affaire du Mongibello, qui avait
heurté violemment et fait couler le Pollux. Cette déci
sion est approuvée par cet honorable jurisconsulte, qui
la justifie par des considérations décisives , dévelop
pées dans une consultation qu’il avait donnée dans
cette affaire et qui furent consacrées par la cour de Flo
rence l.
Nous sommes de l’avis de M. Dalloz ; aux raisons sur
lesquelles il se fonde nous ajouterons celle-ci :
En principe, il est admis que le rapport du capitaine
équivaut à la réclamation, à la charge néanmoins de
signification dans les vingt-quatre heures2. Mais ce délai
ne peut dès lors s’entendre que du moment où cette si
' Nouv. Rép. V. Droit rriarit., n° 2302.
* Rouen. 2 m ars 1842 ; J. du P., 1, 1842, î>99
�ART. 4 3 5 , 4 5 G.
551
gnification a pu être réellement faite, c’est-à-dire du
jour de la clôture du rapport. Vouloir le conlraire, ce
serait se jeter dans la contradiction la plus manifeste ;
d’une part, en effet, on consacrerait que la réclamation
résulte du rapport ; de l’autre, on exigerait pour cela
une condition impossible à réaliser, lorsque pour la per
fection de ce rapport, il ne pourrait être terminé qu’a près quelques jours.
La seule objection à adresser à notre système consis
terait à prétendre que le capitaine pourrait retarder le
rapport à son gré, mais comme l’observe très justement
M. Dalloz, cette objection n’a rien de sérieux, puisque
le capitaine ne pourra faire partir le délai de la clôture,
qu’autant que le rapport aura été commencé dans les
vingt-quatre heures de l’arrivée.
Cette condition remplie, le capitaine a mis toute la di
ligence requise, et il serait inique de le rendre respon
sable du défaut d'une formalité qu’il ne pouvait remplir
qu’après la clôture.
8 0 3 3 . — Sous l’empire de l’ordonnance, le délai
de vingt-quatre heures était suspendu s’il échéait un
jour férié ou un dimanche. La réclamation qui ne pou
vait être faite ce jour même était utilement réalisée le
lendemain.
On a soutenu qu’il devait en être autrement depuis
le Code, mais cette prétention a été formellement re-
�DROIT MARITIME.
poussée par un arrêt de la cour d’Aix, du 24 novembre
1852 1.
Mais , dans ce cas , la signification doit être faite le
lendemain, sous peine de déchéance.
Dans une espèce jugée par la cour de Rouen, le capi
taine soutenait avoir été dans l’impossibilité d’agir, et
être par conséquent relevé de la tardivelé de sa deman
de, d’abord parce que l’abordage avait eu lieu un jour
de dimanche, ensuite parce qu’il n’y avait pas d’huis
sier dans la localité, et que les deux qui désservaient le
canton étaient domiciliés, l’un à un myriamètre, l’autre
à un myriamètre et demi, enfin parce que le capitaine,
auteur de l’abordage, était parti le lendemain lundi, à
huit heures du matin.
Mais ce système fut repoussé, attendu qu’il est cons
tant, en fait que l’abordage a eu lieu à Quillebœuf, à en
viron cent mètres du quai, de huit à neuf heures du
matin, et que par conséquent le capitaine aurait pu fa
cilement agir dans le délai imparti par la loi, le capi
taine à l’imprudence duquel l’abordage était attribué
ayant relâché à Quillebœuf, et n’en étant reparti que le
lendemain, 19 juillet, de neuf à dix heures du m atin2.
Ainsi, lorsque le délai expire un jour férié, il est
naturellement reporté au lendemain, mais si le jour
férié est celui de l’événement, et que la signification ait
pu être utilement faite le lendemain, jour libre, la fin
1 D P., 54, 5, 66.
2 Rouen, 2 mars 1842 ; J . (In P., 1 1842. 599.
�ART. 4 5 5 , 4 5 6 .
535
de non recevoir est acquise à défaut de cette significa
tion.
M. Sibille 1 cite un arrêt de la cour de Rennes du 28
novembre 4836,qui aurait jugé en sens contraire. Mais,
en examinant cet arrêt, on se rend facilement raison de
la solution qu’il consacre.
L’occurrence d’un jour férié peut bien suspendre le
cours de la prescription, mais ne saurait effacer le temps
qui a couru en jours libres et pendant lequel on a pu
agir. Tout ce qui peut en résulter c’est qu’on réunisse
les heures écoulées la veille du jour férié à celle du len
demain, afin de compléter les vingt-quatre heures, tout
en déduisant le temps intermédiaire composant le jour
férié. Ainsi, supposez l’abordage un samedi à dix heu
res du matin, la prescription commencée à ce moment
aura couru pendant le reste de la journée du samedi ;
suspendue le dimanche, elle reprendra son cours le
lundi et durera le temps qu’elle aurait duré la veille si
le jour n ’avait pas été férié , c’est-à-dire jusqu’à dix
heures.
O r, dans l’espèce de l’arrêt de Rennes, l’abordage
avait eu lieu le samedi 30 avril, à dix heures du matin,
disait l’un, à six heures, disait l’autre, et la protestation
n’avait été signifiée que le lundi 2 mai, à sept heures
du soir. Donc, même en admettant que le cours de la
prescription eût été suspendu pendant la journée du di
manche, il était évident que la signification avait été
1 De l’abord., n» 179.
�33 4
DROIT MARITIME.
tardive, car elle eût dû être réalisée tout au moins avant
dix heures le lundi. Elle n’avait donc pu faire revivre un
droit éteint depuis lors.
Aussi, dans ses motifs que la cour de Rennes adopte
et s’approprie, le jugement relève-t-il avec soin cette cir
constance décisive :
« Attendu, au surplus, qu’en écartant du délai le
« jour férié, la réclamation n’aurait pas encore été faite
« dans les vingt-quatre heures de l’abordage, puisque
« elle n’a été signifiée que le 2 mai, à sept heures du
« soir et que l’abordage a eu lieu le 30 avril au matin;
« Qu’en effet le délai doit se compter d’heure à heure
« et ne peut commencer à courir après l’expiration du
« jour où l’abordage a eu lieu, autrement il pourrait
« arriver que le délai serait quelquefois de deux jours,
« dans le cas par exemple où l’abordage aurait eu lieu
« de grand matin, ce qui serait contraire à la loi. »
L’arrêt de Rennes est donc moins un arrêt de doc
trine qu’un arrêt d’espèce, et comme tel il est irrépro
chable. Il était incontestable que, soit que l’abordage se
fût réalisé à six heures du malin, soit qu’il l’eût été à
dix heures, le capitaine abordé avait eu, pour agir,
toute la journée ou tout au moins une grande partie de
la journée du samedi, et qu’il éiait coupable de ne pas
en avoir profilé. Il le comprenait si bien lui-même qu’il
excusait son inaction en prétendant qu’il avait été dans
l’impossibilité d’agir parce qu’il n’avait pu connaître le
nom du navire abordeur et le joindre que dans la jour
née du lundi ; que d’ailleurs son navire ayant échoué
�sur un banc de sable, il n’avait pu l’abandonner qu’a près l’avoir retiré de cette position et mis en sûreté dans
le port de Paimbœuf, où il n ’était arrivé que le 2 mai,
à quatre heures d’apprès-midi.
Mais toutes ses allégations sont repoussées et ce n ’est
que parce qu’il est reconnu et admis que le capitaine
avait pu agir le samedi que la protestation réalisée seu
lement le lundi à sept heures du soir est déclarée tar
dive et non recevable.
Ce qui, dans ce monument de jurisprudence, n ’est
pas décidé en droit pur, l’était expressément par le tri
bunal de commerce de Nantes le 26 juin 1869, Le ju
gement proclame, en effet, que le délai de vingt-quatre
heures prescrit par l’article 436 du Code de commerce
pour faire les protestations en cas d’abordage, ne peut
être augmenté sous prétexte que le jour qui a suivi l’a
bordage serait un jour férié ; qu’en conséquence est
nulle la protestation signifiée le surlendemain encore
bien que le lendemain se trouvât être un dimanche l. »
Dans l’espèce l’abordage avait eu lieu le samedi à huit
heures du soir, de manière qu’eu lui refusant la faculté
d’agir légalement et valablement le lundi, on réduisait
la capitaine à la journée du dimanche. Or, pouvait-il
être tenu, sous peine de déchéance, de se pourvoir com
me il aurait dû le faire dans un jour non férié? Il nous
répugne d’admettre qu’il ait été dans l’intention de la
loi d’autoriser cette exigence.
�550
DROIT MARITIME.
Sans dou(e, comme ie fait observer le jugement, aux
termes de l’article 1037 du Code de procédure civile, les
huissiers peuvent, avec permission du juge, instrumen
ter les jours fériés ; mais ils ne sont pas obligés de le
faire.
Qu’arrivera-t-il donc si aucun huissier ne veut prêter
son ministère, ou si le juge croit devoir refuser la per
mission qui lui sera demandée ? La déchéance sera fata
lement acquise sans qu’on ait pu l’éviter, et non plus
par le bénéfice du temps, mais par le fait de l’homme
qui s’imposera à la victime de l’abordage, et lui enlè
vera toute action en réparation.
Qu’une pareille hypothèse soit difficile à prévoir et à
admettre, nous n’en disconviendrons pas. Mais elle est
possible et cette possibilité seule doit faire proscrire le
système qui, dans un cas donné, viendrait y aboutir.
Les termes de l’article 8, titre 12, livre 1, de l’or
donnance de 1681 , n’étaient ni moins formels, ni
moins impérieux que ceux de l’article 436 du Code de
commerce, cela n’avait pas empêché les deux plus illus
tres interprètes de ce remarquable monument de légis
lation de se prononcer pour la suspension du délai pen
dant les jours fériés.
Valin indique et invoque une sentence de l’amirauté
de Marseille, du 17 décembre 1751, et il en conclut
que : « Dans le délai, quoique fatal, ne sera pas com« pris le jour du dimanche qui s’y rencontrera, l’or« donnance ne le disant pas. De même de la fête
« chômée, la raison étant égale. »
�ART. 4 5 5 , 4 3 6 .
53 7
Emérigon, avec cette haute raison qui le caractérise,
établit cette distinction ;
« Lorsque, pouvant agir un jour utile, on a attendu
« le dernier jour, si ce dernier jour est une fête et qu’on
« ne trouve point d’huissier qui veuille exploiter, c’est
« tant pis pour celui qui n’a pas prévu ce qu’il devait
« prévoir. La loi ne survient pas et ne se rend pas in « dulgente à celui qui s’est laissé empresser et tomber
« par sa faute et sa négligence dans la nécessité et an« gustie de temps.
« S’il s’agit d’une prescription de courte durée qui
« tombe en entier dans des jours de fête, la raison de
« la loi cesse et l’on se trouve au cas de la règle contra
« non valentem agere bon currit prescriptio l. »
Voilà donc l’interprétation que la doctrine et la juris
prudence avaient adoptée sous l’empire de l’ordonnance
de 1681. Pour repousser aujourd’hui cette interpréta
tion, il faudrait établir que le Code de commerce l’a for
mellement ou tout au moins implicitement condamnée.
Or l’intention de ne rien innover à la pratique suivie
sous l’ordonnance, a été cent fois attestée dans la dis
cussion législative.
Donc, dans l’espèce du jugement du tribunal de Nan
tes, l’abordage ayant eu lieu le samedi à huit heures du
soir. Le délai de vingt-quatre heures suspendu pendant
toute la journée du dimanche, n ’expirait que le lundi à
huit heures du soir. Donc, la protestation signifiée ce
lundi à dix heures du matin l’avait été régulièrement et
devait produire tout son effet,
1T. 2, p. 335.
�838
0P.01T
m aritim e .
Sans doute, il ne faudrait pas qu’on pût attribuer à
l’abordage des avaries survenues postérieurement. Mais
on ne doit pas, pour éviter cet inconvénient, tomber
dans cet autre beaucoup plus grave encore de faire cou
rir la prescription contre celui qui n’a pu agir. La possi
bilité d’agir doit être entière, absolue, et elle n’existe
pas avec ce caractère lorsqu’elle se trouve subordonnée
au bon vouloir d’un huissier, à l’arbitraire du juge.
C’est dans le sens diamétralement contraire à celui
du jugement du tribunal de Nantes que la cour d’Àix se
prononçait. Elle jugeait, en effet, le 24 novembre 1852,
que le délai de vingt-quatre heures dans lequel, suivant
l’article 436 du Code de commerce, doivent être for
mées les réclamations pour dommages résultant d’un
abordage, ne court point pendant les jours légalement
fériés l.
Appelée deux fois à se prononcer, la Cour de cassa
tion n’a jamais varié. Ses arrêts des 17 novembre 1858
et 20 novembre 1871, consacrent la doctrine que nous
soutenons et que la cour d’Àix avait adoptée.
« Attendu, disent ces arrêts , que s’il est de principe
incontestable en droit que les jours fériés sont compris
dans la supputation des délais qui se comptent par an
nées, par mois et par jours, il en est autrement à l’é
gard des délais supputés par heures ; qu’il est confor
me aux règles générales du droit, en matière de pres
cription ou de déchéance, que les vingt-quatre heures
1 J. du P.. 4. 1854. 52.
�ART.
435, 435.
539
accordées pour faire un acte doivent s’entendre de vingtquatre heures utiles ; que ce délai cesserait d’être com
plet, alors que le jour féri : se trouve compris dans les
vingt-quatre heures que la loi accorda ;
« Attendu que si les articles 63 et 1037 du Code de
procédure civile permettent exceptionnellement de don
ner un exploit un jour de fêle légale en vertu de la per
mission du président du tribunal, celte exception, con
sacrée seulement pour le cas où il y a péril en la de
meure, ne saurait avoir pour effet d’exiger un acte dont
la validité dépendrait d’une autorisation que le magis
trat est libre de refuser ‘. »
On ne saurait donc hésiter. La survenance d ’un jour
férié empêche le délai de courir et renvoie au lendemain
les heures restant à courir pour compléter les vingtquatre heures.
2 0 2 3 bis. — Devra-t-on admettre la fin de non
recevoir de l’article 436 contre le capitaine qui, abordé
dans un port étranger, ou arrivant dans ce port après
abordage en pleine mer, a protesté dans le délai im
parti par la loi du pays où il est arrivé ?
Aucun doute ne saurait surgir si le capitaine abordé
est français. En ce qui le concerne rien ne saurait le dis
penser d’obéir à la loi qui est la sienne propre ; qu’il
connail ; qu’il est légalement présumé connaître.
La difficulté est sérieuse si le capitaine abordé est luiI J . du P., 4859 ; 600; 4874,589
�f>40
DROIT MARITIME.
même étranger. A. quel titre, en effet, lui reprocheraiton de ne pas s’êlre conformé à des prescriptions qu’il
ignore, qu’il a eu le droit d’ignorer.
En l’état donc, tout ce qu’on pourrait exiger de lui
serait ce semble qu’il eût fait ses diligences dans le dé
lai prescrit par la loi de son pays, mais nous compre
nons très bien qu’on ait refusé d’autoriser contre un
français l’application d’une loi qui lui est étrangère et
ne peut dès lors le régir.
Ce que nous ne comprendrions pas c’est qu’on trou
vât juste contre un étranger ce qu’on repousse comme
injuste à l’égard du français. L’étranger n’est pas plus
tenu d’obéir à la loi française que le français à la loi
étrangère. On ne saurait donc exiger de l’un ce qu’on
répudie pour l’autre.
Il n’y a, dans cette occurrence, de réellement équita
ble que le parti qui, sans sacrifier un intérêt à l’autre,
les concilie l’un et l’autre, et ce parti est de s’en référer
â la législation du pays dans lequel la protestation doit
être, réalisée.
Outre son caractère de haute justice, ce parti est
marqué au coin de la plus exacte rationnalité. Que doit
en effet naturellement faire le capitaine qui arrive dans
un port où il est appelé à protester contre l’abordage
dont il a été victime ? S’informer de ce que exige la loi
du pays, se conformer à la pratique qui y est suivie.
Pourquoi se préoccuperait-il de la loi française ? Il peut
se faire qu’il ne connaisse même pas la nationalité du
navire abordeur. Dans tous les cas il lui faudra s’en-
�art . 4 3S , 4 3 6 .
quérir, s’informer et ces recherches seront-elles faciles ?
Ne pourra-t il pas aboutir à ce résultat qu’au moment
où il sera édifié le délai d’agir aura expiré et que tout
réclamation ultérieure sera inévitablement repoussée
par une fin de non recevoir.
Contra non valentem agere non currit prescriptio,
dit la raison écrite. Or n ’est-il pas dans l’impuissance
d’agir celui qui ignore et qui a le droit d’ignorer qu’il
avait à le faire dans un délai précis, absolu, déterminé
et à qui on n’a à reprocher que cette ignorance.
La question s’est présentée pour la première fois en
juin 1869 devant le tribunal de commerce de Marseille
qui, par jugement du 10 de ce mois, la résolvait dans
le sens que nous adoptons.
« Attendu, disait le tribunal, que l’abordage a eu lieu
dans un port étranger ; que c’est donc à Messine que le
capitaine grec Moraïlis a pu et dû agir pour conserver
le recours en indemnité pour le dommage occasionné
par l’abordage ; que la question est de savoir s’il était
tenu nécessairement, à peine de déchéance, soit pour
lui, soit pour les autres intéressés qu’il représentait, de
protester dans le délai voulu par les articles 435 et 436
du Code de commerce.
« Attendu qu’il ne saurait être imputé au capitaine
grec Moraïtis d ’avoir ignoré la loi française et, par suite,
de n’en avoir pas rempli rigoureusement les prescrip
tions, pas plus qu’il ne peut lui être reproché de ne
pas s’être conformé à sa loi nationale ; qu'ayant à agir
contre un français en pays étranger, il devait le faire
comme le permettaient les circonstances dans lesquelles
�542
DROIT MARITIME.
il se trouvait placé d’après la règle : locus régit aclum,
c’est-à-dire se conformer à la loi du lieu où il était ;
« Attendu que la loi italienne accorde, en cas d’abor
dage, trois jours pour faire les protestations et réclama
tions voulues ; que cette prescription a été remplie par
le capitaine Moraïtis ;
« Attendu que l’on ne doit pas, ainsi que les défen
deurs le prétendent, distinguer entre les formalités de
procédure proprement dites et le délai imparti pour leur
accomplissement ; que le délai fait essentiellement par
tie de la procédure puisqu’il doit être observé aussi bien
que les autres formalités qui doivent être prescrites, et
que, lorsque la loi italienne donne trois jours pour pro
tester, il faut forcément admettre que tout ce temps est
nécessaire à l’accomplissement des formalités voulues
pour la protestation ; qu’il serait donc arbitraire de re
procher au capitaine qui avait à se conformer à la loi
du pays de n’avoir pas accompli les formalités qu’elle
ordonne dans un délai plus court, celui de vingt-quatre
heures. »
Mais ce jugement encourt la censure de la cour d’Aix
qui l’infirmait par arrêt du 27 février 1870. Celte in
firmation repose sur les motifs suivants :
« Attendu qu’il faut rechercher en l’état si c’est la loi
française ou la loi italienne qui doit être appliquée et
quel est le vrai sens de la maxime locus régit actum ;
« Attendu que le sinistré étant arrivé dans un port
étranger, c’est le cas d’appliquer la maxime locus régit
actum, mais qu’il faut la renfermer dans une interpré
talion juridique ; que cette règle est relative aux actes
�ART. 4 3 5 ,
43G.
5/„5
de pure forme, aux formalités intérieures et instrumen
taires ; que la doctrine et la jurisprudence sont unani
mes pour considérer les prescriptions et la fin de non
recevoir comme des exceptions péremptoires, de vérita
bles moyens de fond ; que, dans l’espèce, la protestation
faite à la requête du capitaine Moraïtis est valable en la
forme, mais qu’elle est nulle comme signifiée hors du
délai de vingt-quatre heures prescrit par la loi française
quiest la loi du débiteur et qui seule doit être appliquée.
« Attendu que si le capitaine n’avait pas pu agir
dans le délai légal, il devait en faire la preuve ; que
rien ne justifie ce moyen et que la signification faite le
14 aurait pu avoir lieu le 12 , les formalités de la loi
italienne n’étant pas plus compliquées que celles de la
loi française.
« Que si le délai pour protester devait être confondu
avec les formalités elles-mêmes, il en résulterait une
regrettable confusion, et cette sage règle de la loi fran
çaise, qui n’est que la reproduction de l’ordonnance de
1681, serait livrée è toutes les variations de la législa
tion étrangère ;
« Attendu que de ce qui précède il résulte la preuve
que la forme de protester ne doit pas être confondue
avec le délai ; que le capitaine Moraïtis n ’a pas été dans
l’impossibilité d’agir dans les vingt-quatre heures ; que
sa protestation dans les trois jours est nulle, et que par
suite la demande de Mouttet est non recevable par ap
plication des articles 435 et 436 du Code de com
merce. »
Cet arrêt, attaqué devant la Cour suprême, ayant été
�544
DROIT MARITIME.
cassé pour vice dans la composition de la Cour, parties
et matière furent renvoyées devant la cour de Montpel
lier qui se prononça dans le même sens que la cour
d’Aix par les motifs suivants :
« Attendu que si l’acte de protestation est, dans la
forme, régi par la loi du lieu où. il a élé fait selon l’an
cien adage locus régit aclum, le délai fixé pour sa si
gnification est du domaine de la loi française ; en se pé
nétrant des dispositions combinées des articles 435 et
436 du Code de commerce, on reconnaît, en effet, qu’il
y a dans leurs textes deux choses parfaitement distinc
tes, l’acte protestatif et le délai dans lequel il doit être
signifié. L’acte une fois fait doit être signifié ; c’est la
signification qui en assure l’exécution. Une disposition
spéciale fixe le délai dans lequel cette signification a lieu.
Le législateur n’a soumis l’acte à aucune forme particu
lière, tandis qu’il a imposé le délai de signification avec
une rigueur inexorable ;
« Attendu que la raison qui la déterminé à en agir
ainsi est dans les motifs rappelés ci-dessus et empruntés
à l’esprit du Code de commerce par Locré, il a fallu
prévenir des fraudes et fixer immédiatement la respon
sabilité des sinistres sur la tête de ceux qui devaient la
subir ;
« Attendu que ce serait entrer dans un ordre d’idées
tout différent que de soumettre la forme ainsi que le dé
lai à la loi du pays où l’abordage a eu lieu ; l’on arrive
rait nécessairement à ce résultat qu’au lieu d’un délai
précis, parfaitement connu de tous, ou aurait des délais
�ART. 4 5 5 , 43C.
545
incertains, variables, tout à fait imprévus et souvent en
opposition avec les intérêts des chargeurs et des arma
teurs. 1 »
*
Nous avouons que ces deux arrêts ne nous ont pas
convaincus. Nous ne voyons pas les raisons juridiques
qui, dans notre matière, feraient distinguer la forme
de la protestation du délai dans lequel elle doit être si
gnifiée.
En elle-même la protestation n’a et ne saurait avoir
nulle part une forme déterminée. Elle est nécessaire
ment la même partout. Aussi, ce que la loi exige, c’est
sa signification. Il importerait peu, en effet, qu’elle eût
été réalisée si elle n’était pas arrivée légalement à la
connaissance de celui contre lequel elle est dirigée.
La forme n'est donc rien. Le délai de la signification
est tout, et si, par application de la règle locus régit
actum, on est amené à appliquer une loi étrangère, ac
cepter cette loi quant à la forme, la rejeter pour le rè
glement du délai, c’est en réalité se jeter dans la plus
étrange des contradictions, et refuser de faire trancher
le litige par la loi qu’on déclare devoir le régir.
L’arrêt d’Aix se prévaut de ce que la doctrine et la
jurisprudence sont unanimes pour considérer les pres
criptions et les fins de non recevoir comme des excep
tions péremptoires, de véritables moyens de fond. Mais
avant de s’occuper du caractère des unes et des autres,
il faut rechercher si elles existent. Or, cette existence ne
�ÏS4G
DROIT MARITIME
peut résulter que de la loi, et si, en vertu de la règle
locus régit actum, il faut s’en référer à une loi autre
que la loi française, c’est évidemment à cette autre loi
que sera subordonnée cette existence jj> : t
U f; î’ifùKi
s’agira d’une prescription* à laquelle la loi française at
tache la peine de la nullité, c’est par ses dispositions et
non par celles de la loi du lieu qu’il faudra se pronôiH
cer. Qu’il nous soit permis de rappeler que la loi fran
çaise frappe de nullité radicale, absolue les donations
faites par actes sous seing-privé. Or, nierait-on la vain
dité de ces donations si la loi du pays où elles ont été
régulièrement faites admettait cette forme ?
On le voit, des exceptions de pure forme peuvent être
elles aussi des exceptions péremptoires, de véritables
moyens de fond. Donc, ce caractère attaché aux pres
criptions et aux fins de non recevoir ne Saurait les sous
traire à l’application de la règle locus régit actum, et
les faire régir par la loi française alors qu’elles doivent
l’être par la lôi étrangère.
Dans tous les cas, si les considérations des arrêts des
cours d’Àix et de Montpellier pouvaient avoir quelque
valeur, ce ne serait que dans l’hypothèse d’un abordage
entre français. Alors , en effet, la loi française s’impo
serait à toutes les parties, chacune d’elles connaissant la
loi et ne pouvant prétendre l’avoir ignorée, aurait à se
reprocher de ne pas en avoir rempli les prescriptions.
C’est évidemment dans ce cas seul qu’on pourrait dire
�ART. 436, 437;.
547
avec la cour de Montpellier qu’il s’agissait d’un délai
précis, absolu, connu de tous.
Un pareil raisonnement est-il possible lorsque le na
vire abordé est étranger, commandé par un capitaine
étranger ? A quel titre lui opposerait-on la loi française?
Est-ce que cette loi a sur lui une autorité quelconque,
est-ce qu’il la connaît, est-ce qu’il est tenu de la con
naître? Pourquoi donc la lui appliquerait-on de préfé
rence à sa loi propre et personnelle à laquelle il devait
tout naturellement 'recourir ?
Parce que, dit l’arrêt d’Aix, la loi française est la loi
du débiteur ! Nous comprenons la valeur de l’argument,
lorsqu’il s’agit de l’exécution d’un contrat., car on peut
alors dire à l’étranger qu’en traitant avec un français et
en l’acceptant pour débiteur, il a implicitement con
senti à se soumettre à la loi de celui-ci.
Mais un pareil raisonnement est-il possible lorsqu’il
s’agit d’un abordage ? Nul n ’oserait le soutenir. Dès
lors l’argument pêche par sa base et doit être écarté.
Reste que pour le règlement des conséquences de
l ’abordage on se trouve dans celle nécessité, ou de recourif à la loi de l’abordé, ou de s’en référer à celle de
l’abordeur. Or, nous l’avons dit et nous le répétons* les
raisons qui font repousser l’application au français
abordeur de la législation de l’étranger abordé, ne per
mettent pas d’imposer à celui-ci la loi de celui-jlà. Dans
ce conflit négatif, il n’y a qu’une solution équitable, ra
tionnelle, loyale, le recours à la loi du pays où se trouve
le navire abordé.
�W'
S48
DROIT MARTTIMR
Nous disons donc sans hésiter, avec le tribunal de
commerce de Marseille, il ne saurait être imputé au ca
pitaine étranger d’avoir ignoré la loi française et, par
suite, de n’en avoir pas rempli rigoureusement les pres
criptions, pas plus qu’il ne peut lui être reproché de ne
s’être pas conformé à sa loi nationale ; qu’ayant à agir
contre un français en pays étranger* il devait le faire
comme le permettaient les circonstances dans lesquelles
il se trouvait placfe d’après la règle locus régit actum,
c’est-à-dire se conformer à la loi du lieu oh il était ;
que par conséquent la protestation signifiée dans le dé
lai prescrit par cette loi était bien obvenue et avait con
servé tous les droits.
2 0 2 3 ter. — Ce que nous ne saurions admettre
avec le tribunal de commerce, c’est que le chargeqr
puisse suppléer à la négligence du capitaine, et que sa
protestation personnelle , pourvu qu’elle soit réalisée
dans les vingt' re heures de la connaissance du si
nistre, est utile
faite et doit produire tous ses effets
Cette doctrine méconnaît la position respective du
chargeur et du capitaine. Pour tout ce qui concerne les
objets chargés, et pendant que le voyage est en cours
d’exécution, le capitaine est le mandataire des intéres
sés ; il en a les actions actives et passives, et est spécia
lement chargé de veiller à la conservation de leurs
droits.
On ne saurait donc admettre que lorsque le capitaine,
�ART. 4 3 5 , 4 3 6 .
549
négligeant le devoir qui lui est imposé, a laissé pres
crire une action, périmer un droit, le chargeur puisse,
par un fait direct et personnel, effacer cette négligence,
et fait revivre le droit éteint par le fait de son manda
taire.
Vainement voudrait-il, excipant de son ignorance qui
ne lui permettait pas d’agir, se prévaloir de la règle
contra non valcntem agere non currit prescriptio.
Cette prétention ne serait ni recevable ni fondée. Per
sonnellement absent du lieu du sinistre, le chargeur y
est représenté par le capitaine qui, non seulement peut,
mais encore doit agir pour lui. La négligence du man
dataire ne saurait profiter au mandant ni lui créer un
titre. Quelque fâcheuse, quelque onéreuse qu’elle puisse
être pour lui, ce dernier doit en subir les conséquences,
il a à se reprocher d’avoir choisi ou accepté un manda
taire négligent ou infidèle. Son seul droit est d'exiger
de celui-ci la réparation du préjudice qu’il éprouve.
Notre système, qui s’induit des principes généraux eu
matière de mandat, trouve une éclatante confirmation
dans l’esprit qui a dicté les articles 435 et 436 du Code
de commerce. Si le législateur ne donne pour protester
qu’un délai de vingt-quatre heures, J ||s l qu’il a voulu
prévenir les fraudes, et empêcher ifro n n’attribue à
l’abordage des dommages provenant d’avaries posté
rieures. Il a voulu , comme le disait la cour de Mont
pellier, fixer immédiatement la responsabilité du sinis
tre sur la tête de celui qui doit en subir les^conséquences.
�&50
DROIT MARITIME.
Comment donc concilier cette intention avec le systè
me que consacre lé tribunal de commerce de Marseille ?
Si le chargeur pouvait utilement protester dans les
vingt-quatre heures de la connaissance du sinistre, c’est
un mois, trois mois, six mois après l’abordage que cette
protestation se réaliserait, la nouvelle du sinistre pou
vant tarder d’arriver plus ou moins longtemps, et com
ment établir et distinguer si le dommage est le résultat
de l’abordage plutôt que de tout autre événement pos
térieur.
C’est donc avec raison que les cours d’Aix et de
Montpellier infirmaient le jugement sur ce chef. Voici,
comme résumé, les motifs de l’arrêt de cette dernière :
« Attendu que le chargeur peut, sans doute, se subs
tituer au capitaine qui est son negotiorum gestor, et,
faisant ce qu’il a négligé de faire lui-même, se couvrir
et se protéger contre son incurie ou sa négligence ; mais
il n’est pas, en prenant en mains ses propres intérêts,
dispensé d’observer la loi en ce qu’elle a de plus impé
ratif ; le délai de vingt-quatre heures qui est imposé au
capitaine l’est également au chargeur ; les motifs de la
loi ne sauraient, sur ce point, laisser aucun doute ;
« Attendu que tout en admettant ce délai de rigueur
l’on ajoute qu’il ne court pour le chargeur, comme
pour le capitaine, qu’à partir du moment où il y a eu,
pour l’un comme pour l’autre, la possibilité d’agir ; pour
le capitaine, c’est son entrée dans un port, hâvre ou tout
autre lieu qui le met en communication directe avec le
continent ; mais ce n’est pas là ce que le chargeur de-
�AfôH’W b , 4 5 6 .
531
mande ; il voudrait que la possibilité d’agir pour lui,
comme pour l’armateur, commençât avec la réception
de l’avis du sinistre. Comment se ferait cette preuve ?
La conséquence ne serait-elle pas , dans la pratiqué, la
suppréssion même du délai ? Chacun des intéressés au
rait toujours à sa disposition les moyens d’établir qu’au
moment où il lui a plu d’agir, il venait d’être informé ?
Ce que l’on demande n’est donc pas évidemment ce
qu’a ordonné lé législateur qui a posé ce délai rigou
reux et fixe dans l’intérêt bien entendu de la navigaIjg fle in n q e itp j m> te o n h lo o b ny ulBviviq » ‘tlnhoSm oj
ollnqnol «9iJn B aitn o èJù <> v e g io v u tl . !( oh n o jn iq o 'J
9 0 3 4 . — Il en est du dommage causé par l’abor
dage comme des avaries dues à l’affréteur ou aü capi
taine, il né suffit pas d’avoir réclamé dans les vingtquatre heures, il faut encore que la réclamation soit
suivie d’une demande en justice dans h; mois de sa date.
L’absence de cette formalité enlèverait toute efficacité à
la réclamation et créerait la fin de non recevoir contre
toute poursuite ultérieure.
;
;
Dans ce cas, encore, comme pour les deux autres,
les délais légaux s’augmenteraient de ceux de distance,
mais cela n’est vrai, quant à l’abordage, que’ si celui
qui l’a occasionné est absent de la localité ; sa présence
rendant la signification à sa personne possible, elle de
vrait être faite, soit pour la réclamation, soit pour la
demande en justice, dans les délais rigoureux de l’ar
ticle 436.
,< \T K
, W 6
f .» , ’Vvth
\
'
�552
DROIT MARITIMF,.
0* 5. — Quel est le tribunal compétent pour con
naître de l’action en réparation du dommage causé par
l’abordage?
On a soutenu que la loi ne s’étant pas expliquée à
cet égard, s’en est référée au droit commun ; que dès
lors l’action, étant purement personnelle et mobilière,
devait être portée au tribunal du domicile du défendeur.
C’est notamment ce qui était enseigné par M. Duvergier
dans la consultation qu’il donnait dans l’affaire du Mongibcllo, dont nous avons déjà parlé, mais la compétence
territoriale a prévalu en doctrine et en jurisprudence.
L’opinion de M. Duvergier a été entre autres formelle
ment condamnée par arrêt de labour de Rouen, du 24
novembre 1840
Ce point admis, reste à savoir si l’on doit investir le
tribunal du lieu le plus voisin du sinistre, ou celui du
port dans lequel le navire est entré après l’événement, ou
enfin celui du lieu du déchargement ?
C’est pour ce dernier que se prononce M. Dalloz, par
assimilation de ce qui se pratique en matière de règle
ment d’avaries. Il est en effet certain que cette assimila
tion acceptée, on ne voit pas de raison qui pût faire in
vestir le port le plus voisin du sinistre de préférence à
celui du déchargement.
Cette proposition est d’autant plus évidente, qu’on ne
saurait opter pour le premier que par des motifs puisés
dans cette assimilation. Ainsi, l’arrêt de Rouen, du 24
*
�art.
435, 456.
55 3
novembre, ne motive le choix du port le plus voisin que
sur ce que, s’agissant d’une action en réparation d’un
dommage causé par un abordage, il est reconnu qu’en
pareil cas l’état des pertes et dommages est fait dans le
lieu du déchargement du navire ; que les experts sont
nommés par le tribunal de commerce ; que, d’après
l’article 416, la répartition est rendue exécutoire par
l’homologation du tribunal.
On ne comprend pas dès lors que la Cour proclame en
thèse la compétence du tribunal le plus voisin et non de
celui du lieu de déchargement ; ne serait-ce pas que
dans l’espèce c’était celui-ci qui était en même temps le
plus voisin ?
Nous pensons donc , avec M. Dalloz, que le tribunal
auquel la connaissance du litige doit être déférée est ce
lui du déchargement. En observant toutefois, comme il
le fait lui-même qu’il faut entendre par lieu de déchar
gement non seulement le port de destination, mais en' core celui dans lequel, par suite d’une rupture forcée du
voyage, le navire termine sa navigation et décharge ses
passagers et ses marchandises l.
De là cette conséquence que lorsque le navire a som
bré par l’effet de l’abordage, l’action sera régulièrement
déférée au tribunal du lieu dans lequel les passagers
auront été débarqués et les marchandises sauvées dépo
sées.
L’attribution de juridiction au tribunal du premier
1
Nouv. Rep , V . Droit marit,,
n«* 2 3 0 3 e t s u iv
�554
ÔROh' MARITIME.
port où le navire est arrivé, est admise par là presque
unanimité des auteurs Mais les cours d’appel sont di
visées. Elle a été consacrée par la cour de Caen le 1"
août 1848, par la cour d’Àix le 22 mai 1 8 6 8 3;
Outre les considérations invoquées par l’arrêt de
Rouen du 24 novembre 1840, ces deux arrêts considè
rent qu’en réalité l’action du capitaine abordé est une
demande en payement du montant de la réparation du
dommage causé par l’abordage, et que ce payement
étant dû au lieu où ces réparations s’exécutent, l’ariicle
420 du Code de procédure civile devient applicable et
attribue juridiction au tribunal de ce lieu.
« Attendu, dit notamment la cour d’Àix, que d’après
l’article 435, le capitaine de YAndorra devait faire sa
réclamation à Marseille, comme le premier lieu où il ait
pu agir ; que c’est aussi à Marseille, port de destination
où est arrivé le navire Andorra après son abordage,
que doivent être vérifiées les avaries et que doivent être
faites les réparations qui seront reconnues nécessaires ;
que le tribunal de commerce de Marseille était, par
suite, compétent pour connaître de l’action intentée par
le capitaine de l’Andorra, soit parce que c’est à Mar
seille que le capitaine doit agir en justice, conformément
aux articles 435 et 436 du Code de commerce, soit parce
1 P ardessus,
no 1353. Alauzet, Comment , du Code de com., h®,|lb89.
n° 304. Caumont, Dicl. de Dr. m arit., v® Abord ,
Sibille, Abordage ,
�a r t
.
435, 436.
535
que l’armateur de la Gèba, s’il est responsable de l’a
bordage, est tenu de faire réparer le navire à Marseille
et que la demande en payement de réparations com
mandées et exécutées à Marseille, ressortissait du tribu
nal de commerce de cette ville. »
« Considérant, disait de son côté la cour de Caen,
que d’après l’article 420 du Code de procédure civile le
demandeur peut assigner le défendeur devant le tribu
nal de commerce dans l’arrondissement duquel le paye
ment doit être fait ; qu’aux termes de l’article 407 du
Code de commerce , si l’abordage a été fait par la faute
de l’un des capitaines, le dommage est payé par celui
qui l’a fait ; que l ’abordage forme ainsi un quasi contrat par lequel le capitaine est obligé à payer une indem
nité pour le dommage qu’il a causé ; que le lieu de
payement d’une obligation n’est pas toujours expressé
ment désigné, et qu’il peutrésulter tacitement de lanature
de l’obligation et des accessoires deson exécution ; que
c'est ainsi qu’on considère comme le lieu de payement,
en cas d’action en contribution ppur avaries, celui où
le règlement des avaries doit être fait ; en matière de
contrat de grosse, celui où le risque finit ; et que de
même on doit considérer comme le lieu de payement
pour la demande en indemnité du dommage causé par
l’abordage de deux navires, lé port où arrive le bâti
ment qui a éprôuvé le dommage ; qu’en effet, il résulte
des articles 435 et 436 du Code de commerce, que c’est
au port où le navire endommagé s’ést réfugié que le
dommage doit être examiné et évalué par des experts
�ï>56
DROIT MARITIME,
que nomme le juge de ce lieu, et dont il homologue le
rapport ; que c’est aussi dans ce port que les travaux do
réparation sont faits par le capitaine du navire, et doi
vent être payés par l’auteur de l’imprudence ou de la
faute, par celui qui est tenu, en vertu du quasi con
trat, à indemniser le capitaine du dommage qu’il lui
a causé. »
Mais la cour de Rouen, dont l’arrêt du 24 novembre
1840 se prononçait si nettement pour la compétence du
tribunal du lieu le plus voisin, désertant sa'jurisprudence, jugeait, le 23 novembre 1857, que l’action en in
demnité pour dommages causés à un navire par un
abordage en pleine mer, était valablement portée devant
le tribunal du domicile du défendeur, conformément à
l’article 420 du Code de procédure civile.
Le tribunal de commerce du Havre avait décidé le
contraire, et c’est son jugement que la Cour infirmait :
« Attendu que le tribunal du domicile du défendeur
« est, en principe, toujours compétent ; qu’on ne sau« rait voir dans les articles 435 et 436 du Code de com
« merce une attribution exclusive au tribunal du lieu
« le plus voisin de celui de l’abordage ; que ces arti« clés statuent sur les réclamations et protestations qui
« doivent être faites, mais ne contiennent ni dans leur
« lettre ni dans leur esprit aucune dérogation au prin« cipe posé par l’article 420 du Code de procédure ci« vile ; déclare en conséquence que le tribunal de com« merce du Havre était compétentl. »
�art.
455, 436.
557
I! est indubitable que l’article 420 , s’en remettant
exclusivement au demandeur pour le choix du tribunal,
ce choix ne peut être ni critiqué par le défendeur, ni
repoussé par la justice s’il a été réellement fait dans les
conditions prévues par cet article. Nous admettons qu’il
en serait ainsi en matière d’action en indemnité pour
dommages causés par l’abordage, mais à une condition,
è savoir qu’il s’agira uniquement du payement du mon
tant des réparations exécutées, et qu’au port où il a pu
agir le capitaine abordé aura régulièrement et contra
dictoirement avec l’abordeur, fait constater définitive
ment la nature et l’étendue du dommage ; que ce dom
mage, réparé aux frais de l’armement du navire qui l’a
souffert, celui-ci porte sa demande en remboursement
au tribunal du domicile du défendeur. De quoi pour
rait se plaindre celui-ci, et quel serait son intérêt à de
mander son renvoi devant un autre juge?
Cet intérêt serait au contraire évident si rien n’a été
fait au port où le capitaine a pu agir, ou si la procé
dure qui y a été suivie a été irrégulière et en dehors de
tout concours du défendeur. Il importe qu’avec la cons
tatation du préjudice on constate également les causes
de l’abordage et à qui est imputable la faute qui l’a dé
terminé. Or, cette constatation peut amener la nécessité
d’une enquête, et comment y procéder au lieu du do
micile qui peut être à mille lieues de l’endroit où s’est
réalisé le sinistre ? Dans tous les cas, que de frais à
ajouter à l’indemnité, sans compter qu’on pourrait très
�ÎJ58
DROIT
MARITIME.
bien attribuer à l’abordage des avaries souffertes posté
rieurement.
Eviter les uns, contrôler utilement les autres consti
tuent un double intérêt légitiment l’exception d’incom
pétence, et n’est ce pas en vue de cet intérêt que sont
édictés les articles 435 et 436,
« Le but et la portée de ces deux articles, disait dans
l’espèce le tribunal de commerce du Havre, sont faciles
à saisir. Le législateur ayant voulu que la demande fût
faite immédiatement afin qu’on ne pût pas comprendre
dans cette demande la réparation d’avaries autres que
celles causées par l’abordage ; et qu’en outre la contes
tation fût jugée par le tribunal le plus rapproché du lieu
où l’événement est arrivé , comme étant celui qui peut
le mieux vérifier et apprécier les faits. Ces dispositions de
la loi, en imposant bien clairement aux réclamants, en
matière d’abordage, dans le lieu où le capitaine a pu
agir, l’obligation de procéder dans ce lieu même et non
ailleurs, ont pour conséquence forcée de créer audit lieu,
pour les défendeurs présents ou absents, un domicile
légal substitué, pour le cas particulier dont il s’agit, au
domicile réel.
Après avoir examiné la procédure suivie à Saint-De
nis (île de la Réunion), où le navire était arrivé, et cons
taté l’irrégularité dont elle était entachée,1le jugement
Ml P
<< Attendu que la procédur^uivie devant le tribunal
n’est pas moins irrégulière ; qu’elle aurait pour effet de
prolonger arbitrairement par des délais de distance le
�art ,
, 4 3 K, 4.56.
8,59
délai d’un mois fixé impérieusement par l’article 436
pour former une demande en justice dans le lieu où le
capitaine a pu agir ; qu’en outre elle pourrait mettre le
tribunal de commerce du Havre dans le cas d’ordonner
pour vérifier les faits une contre-enquête à celle faite
devant le tribunal de Saint-Denis, contrairement à tous
les principes qui veulent que l’enquête et la contre-en
quête ne puissent . être valablement faites que devant
le même tribunal et après qu’il a été saisi de la de
mande. »
:
«!* • M.-.' .->t' }■/ ; i ,
Aucun principe ne pouvait empêcher le tribunal du
Havre s’il eût été compétemment saisi, d’ordonner une
enquête qui eût été, tion la. contre-enquête de celle prise
à Saint-Denis, mais une seconde et nouvelle enquête
ouvrant de plein droit la preuve contraire. Mais ce qui
était vrai c’était la difficulté de faire aq Havre une en
quête sur des faits qui s’étaient passés aux environs de
l’îie de la Réunion. C’est précisément pour obvier à
cette difficulté que les articles 435 et 436 nous semblent
•
•
avoir attribué juridiction au juge du lieu où le capitaine
a pu agir, Nous estimons en conséquence que de ces
deux monuments de jurisprudence celui qui a le mieux
compris et le plus sainement appliqué ces deux articles,
c’est le jugement.
A l’exemple de la cour de Rouen, la cour de Bor
deaux se prononçait pour la compétence exclusive du
juge du domicile du défendeur. Elle jugeait, le 23 février
1863, que l’action en réparation du préjudice causé par
l’abordage n’était régie, ni par les articles 414, 416,
�860
DROIT MARITIME,
435 et 436 du Code de commerce , ni par l’article 420
du Code de procédure civile. Que notamment les articles
435 et 436, uniquement relatifs aux protestations à faire
en cas d’abordage, ne pouvaient être étendus au-delà de
leur objet, ni avoir pour effet de déplacer la compéten
ce ; que leur silence même sur ce point essentiel, alors
qu’il se présentait naturellement à l’attention du législa
teur, démontre bien que celui-ci n’a voulu rien modifier
au principe, contrairement à ce qu’il a fait en s’occu
pant du jet et de la contribution \
Qui sans doute, la loi parle de protestations et de ré
clamations, mais dans quel but? Dans celui évidemment
de faire constater l’étendue du préjudice. Or, est-ce que
celle constatation n’exige pas le concours du juge, et s’il
est compétent, exclusivement compétent à ce sujet, com
ment lui dénier le pouvoir de déterminer s’il y a faute;
à qui elle est imputable ; d’ordonner la réparation du
préjudice, et de condamner l’auteur de la faute à payer
les frais de cette réparation. Faudra-t-il donc qu’on
confie le soin de rechercher les causes de l’abordage à
un juge qui, siégeant à mille lieues de distance du lieu
de l’événement, est dans l’impossibilité de le faire, ou
bien qu’on exige deux instances, l’une au lieu où le na
vire a déchargé, pour la recherche des causes et des
conséquences de l’abordage, l’autre au domicile du dé
fendeur en condamnation à la réparation du préjudice ?
�ART.
455, 436.
561
Nous ne saurions admettre qu’une pareille alternative
soit entrée dans les prévisions du législateur.
Nous croyons donc avec les cours de Caen et d’Aix
que les articles 435 et 436 sont attributifs de juridiction
au tribunal du lieu où le navire a déchargé sa cargai
son ou rompu le voyage par la nécessité de réparer les
avaries causées par l’abordage ;
Nous avons jusqu’ici raisonné dans l’hypothèse d’un
abordage entre navires français. Mais l’abordage peut se
réaliser entre navires étrangers, ou entre un navire
étranger et un français. Qu’en est-il dans l’un ou l’autre
cas ? Les tribunaux français pourront-ils être valable
ment saisis et seront-ils compétents pour en connaître?
Attribut de la souveraineté, la justice ne s’impose et
ne doit protection qu’aux nationaux. Donc lorsque l’a
bordage a lieu en pleine mer entre étrangers n’ayant en
France ni résidence, ni domicile, ni établissement com
mercial ou industriel, les tribunaux français sont abso
lument incompétents et ne peuvent prononcer que si
leur juridiction est librement et volontairement acceptée
par toutes les parties. Dans ce cas même rien ne les
oblige à le faire et ils ont le droit de se dessaisir d’of
fice ;
Il n’en est pas de même dans le cas d’abordage en
eaux françaises. Celles-ci sont sur le territoire français
dont l’inviolabilité et la police sont sous la sauvegarde
de l’autorité française. Or l’abordage constitue ou un
crime, ou un délit, ou un quasi-délit, ou tout au moins
v
v — 36
�S62
,
' C:
■■ A-
DROIT
MARITIME.
la violation d’une loi de police et de sûreté générale.
Donc, quel que soit le caractère du fait, quelle que soit
la qualité de son auteur, on ne saurait contester à nos
tribunaux le droit d’en connaître, d’en apprécier les
conséquences, d’en ordonner la réparation que néces
site le préjudice qui s’en est suivi.
« Dans ce cas, dit M. Sibille, le fait s’étant accompli
dans les eaux françaises, c’est sur le territoire que l’obli
gation de réparer le délit a pris naissance ; c’est là que
les avaries peuvent être constatées et que la réparation
peut s’obtenir. Il y aurait injustice à refuser protection
à l’étranger qui aurait à se plaindre d’un crime comme
d’un quasi-délit *. »
Appelé plusieurs fois à se prononcer sur la question,
le tribunal de commerce de Marseille s’est consiamment rangé à cette opinion et a consacré la compétence
des tribunaux français. Il le décidait encore ainsi le 3 juin
1 8 6 7 2.
Dans l’abordage d’un vaisseau français par un bâti
ment étranger, il n’y a plus à distinguer. Que cet abor
dage se soit réalisé en eaux françaises, qu’il ait eu lieu
en pleine mer, les tribunaux français son compétents
pour en déterminer le caractère et la cause, et pour en
ordonner la réparation.
On l’a plusieurs fois contesté en force et par applica
tion de la maxime : actor seauitur forum rei. Mais
�■M . i l . '
art.
4 3 5 , 45G .
5G3
cette maxine ne pouvait créer un obstacle à l’indépen
dance du législateur et à son droit absolu de fixer les
conditions auxquelles il subordonne les relations de ses
nationaux avec les autres peuples.
De là les nombreuses dérogations que nos codes ont
fait subir au principe, notamment celle que consacre
l’article 14, aux termes duquel l’étranger peut être tra
duit devant les tribunaux français pour les obligations
par lui contractées en pays étranger envers des fran
çais.
Sans doute, les jugements rendus en France n ’affec
teront la fortune étrangère du débiteur que dans les li
mites et conformément aux conditions que la loi du
pays trace et impose. Mais leurs effets grèveront les
biens de l’étranger situés en France ou qui s’y trouve
ront, quelle que soit leur nature. Par exemple le navire
qui a abordé le français s’il se trouve dans un de nos
ports. Dans ces conditions, la compétence des tribu
naux français étant expressément reconnue par la loi ne
saurait être utilement contestée par l’étranger.
On l’a cependant essayée en se fondant sur le texte
même de l’article 14 du Code civil. Cet article, a-t-on
dit, ne parle que d’obligations c o n t r a c t é e s , il ne dis
pose donc que pour celles qui résultent d’un contrat vo
lontairement et librement consenti ; dans ce cas, en ef
fet, l’étranger en s’engageant s’est implicitement soumis
à la loi française pour tous les effets que cet engage
ment peut entraîner. Mais comment admettre cette sou
mission lorsque l’obligation résulte d’un fait indépen-
�-
564
T
DROIT MARITIME.
dant de sa volonté ? On invoque à l’appui un arrêt de
Paris du 5 juin 1829 l.
Il est vrai que cet arrêt interprête l’article 14 dans ce
sens. Mais il faut remarquer que dans l’espèce cet arti
cle ne pouvait même être invoqué, car, s’agissant uni
quement d’une rectification d’acte de l’état-civil, il n ’y
avait d’obligation d’aucune sorte et en faveur de qui
que ce fût.
Cette interprétation de l’article 14 du Code civil n’est
pas admissible. Dans le langage du droit, contracter ne
signifie pas toujours traiter avec un tiers. Le Code civil
renferme tout un titre consacré aux engagements qui se
forment sans convention, et il n’est pas douteux que
l’auteur du fait d’où naît l’engagement n’ait contracté
l’obligation d’en réparer les conséquences dommagea
bles dont ce fait a été l’origine.
D’autre part, l’article 14 employant le mot obligation
sans restriction et sans distinction, l’a évidemment ac
cepté dans le sens général qu’il a toujours comporté. Or
obligationes fiunt ex contracta, aut ex quasi contrac
ta , ex maleficio aut ex quasi m aleficio2. Il n’y a donc
aucune différence possible dans les conséquences. Que
l’engagement soit le produit d’une volonté spontanée et
libre ; qu’il résulte d’un fait même involontaire l’obli
gation n’en est pas moins contractée, le lien de droit
existe et ne peut que produire son effet.
1 D. P ., 29, 2, 289.
2 ln ît,, lib. 3, tit. 43, S 2
�ART.
433, 436.
363
Ce qui explique l’arrêt de Paris du 5 juin 1829, c’est
l’espèce même sur laquelle il est intervenu. Ce qui le
prouve, c’est que, appelée à apprécier de nouveau la
question, la même Cour jugeait, le 17 novembre 1834,
que l’article 14 du Code civil, qui reconnaît aux fran
çais le droit de poursuivre en France le payement des
obligations contractées par l’étranger à leur profit, s’ap
plique à toute action civile, sans distinction des obliga
tions résultant d ’un contrat et de celles qui dérivent
d’un fait donnant lieu à une action.
« Attendu, dit l’arrêt, que les obligations résultent
aussi bien du commerce forcé des hommes que du con
cours de leur libre volonté ; qu’en matière civile les ter
mes d’actions et d’obligations sont corrélatifs ; d’où ré
sulte que l’article 14 s’applique à toute action civile
intentée contre un étranger par un français. »
La cour de Rouen consacrait plus explicitement en
core cette doctrine. Le navire français le Phénix ayant
été abordé par le navire anglais Britannia , avait cité
l’armateur de celui-ci devant le tribunal du Havre qui,
sans s’arrêter à l’exception d’incompétence , retient la
cause et ordonne qu’il sera plaidé au fond.
Sur l’appel, arrêt de la cour de Rouen qui confirme.
L’unique question, dit la Cour, est de savoir si ces ex
pressions contractées peuvent s’appliquer aussi bien aux
obligations résultant d’un délit ou d’un quasi - délit
qu’aux obligations provenant d’une convention expresse.
« Attendu, à ce sujet, que l’article 14 ne restreint
�560
DROIT
MARITIME.
pas le droit qu’il accorde aux conventions, mais qu’il
l’étend à toutes les obligations, sans distinguer entre
les divers moyens par lesquels elles peuvent êire con
tractées ;
« Qu’il résulte évidemment des articles 1370 et sui
vants du Code civil, et notamment de l’article 1382
spécialement applicable à l’espèce, qu’une obligation
peut aussi bien être contractée par un fait ayant le ca
ractère d’un délit ou d’un quasi-délit, que par une con
vention expresse ;
« Que d’ailleurs cette définition dos obligations n’est
que la reproduction de celle qui était donnée par la loi
romaine :
« Attendu enfin qu’aucun motif assez puissant n’existe
pour établir entre les diverses obligations, dont un étran
ger peut être tenu envers un français, une distinction
que la loi française n’a pas créée, alors surtout que
cette distinction aurait pour résultat de restreindre une
protection qu’elle a voulu généralement accorder aux
nationaux contre l’étranger , et de transporter aux tri
bunaux du pays de cet étranger une juridiction que le
droit de souveraineté française doit faire maintenir à la
justice nationale. »
Les propriétaires du Britannia se pourvurent en cas
sation. Mais le caractère essentiellement juridique de
l’arrêt de Rouen faisait présager le peu de chance de
réussite qu’avait le pourvoi. Il fut en effet rejeté par ar
rêt du 13 décembre 1842, au rapport de M. de Gaujal.
�AUT.
435, 436.
567
Après avoir posé en principe que l’article 14 s’appli
que aux obligations résultant d’une convention, comme
à celles qui découlent d’un fait, d’un délit ou d’un
quasi-délit, M. le conseiller rapporteur ajoutait :
« Alléguerait-on que lorsque l’étranger s’oblige en
vertu d’un contrat, il est réputé se soumettre volontai
rement à la juridiction française à la différence des au
tres causes d’obligations ? Mais d’abord le quasi-contrat
se forme aussi par le fait volontaire de l’une ou plu
sieurs des parties. Quand il y a délit ou quasi-délit, la
volonté n ’est plus nécessaire. La conséquence inévitable
du fait, même involontaire, c’est un engagement forcé
avec toutes ses conséquences. Il n’y a donc pas chez
l’auteur du délit absence de la volonté de se soumettre
à la juridiction française ; cette absence de volonté ne
peut pas exister ; la volonté et ses conséquences sont
inhérentes au quasi-délit. Donc, toutes les fois qu’il y
a quasi-délit de la part d’un étranger envers un fran
çais, cet étranger est soumis à la juridiction fran
çaise. »
C’est ce que la Cour régulatrice décide en effet en dé
clarant que le mot obligation n’étant, dans l’article 14,
ni limité ni modifié par aucune expression, doit néces
sairement être entendu dans le sens générique et ab
solu qui lui appartient en droit ; qu’il s’applique, dès
lors, à toutes les obligations quelles qu’en soient la na
ture et la cause, et à celles qui sont contractées par
une convention volontaire, et à celles qui sont contrac
tées par le fait de celui qui , ayant commis un quasi-
�568
DROIT
MARITIME.
délit, est obligé, suivant l’expression de l’article 1382
du Code civil, à réparer le préjudice qu’il a causé l.
Cet arrêt tranche souverainement toutes les difficul
tés que peuvent faire naître le sens et la portée de l’ar
ticle 14 du Code civil et son application aux engage
ments qui se forment sans convention.
Ce qui en résulte pour notre matière, c’est que le
français victime d’un abordage par un navire étranger
est recevable à investir la justice française de l’action en
réparation du préjudice qu’il a souffert. Nos tribunaux
sont compétents que l’abordage ait eu lieu en pleine
mer ou en eaux françaises.
Quant à l’abordage entre navires étrangers, la justice
française ne peut et ne doit en connaître que s’il s’est
réalisé dans les eaux françaises. S’il a eu lieu en pleine
mer l'incompétence des tribunaux français est abso
lue. Non seulement elle doit être consacrée sur la de
mande d’une des parties, mais elle peut encore être dé
clarée d’office par le juge.
3 0 3 6 . — Le caractère exceptionnel du dernier pa
ragraphe de l’article 435 en rend la disposition pure
ment applicable au cas formellement prévu, c’est-à-dire
à l’abordage. Or, on n’a jamais entendu par ce mot.
que le choc d’un navire avec un autre. On ne pourrait
donc se prévaloir de l’inobservation des articles 435 et
�ART.
433, 436.
369
436, lorsque le dommage n’est causé que par le heurt
du navire contre un obstacle quelconque.
Un bâteau appartenant au sieur Moustiers ayant péri
par suite d’un choc contre un pieu destiné à marquer la
place que devait occuper une pile du pont de Langon,
sur la Garonne, le sinistre n’avait été constaté que trois
jours après.
Actionnée en payement de la perte, la compagnie du
pont de Langon soutient que la demande était non rece
vable, par application de l’article 435 du Code de com
merce.
Mais, par jugement confirmé par arrêt de Bordeaux,
du 17 mars 1830, la fin de non recevoir fut repoussée,
par le motif que l’abordage que cet article régit ne peut
s’entendre que du choc de deux navires.
3 0 8 9 . — Cette circonstance se réalisant, les forma
lités des articles 435 et 436 doivent-elles être remplies,
quels qu’aient été les effets de l’abordage, et alors mê
me qu’il eût occasionné la perte entière d’un des deux
navires ?
Emérigon tenait pour la négative, il enseignait que le
législateur, ne parlant que des dommages, n’avait eu en
vue que le cas d’une simple avarie, d’où il concluait
que la prescription n’avait pas lieu dans l’hypothèse où
l’abordage avait causé la perte entière ; que , dans ce
cas, on retombait sous l’empire du droit commun L
Chap. 19, sect. 16.
�570
DROIT
MARITIME.
Cependant, contrairement à cette doctrine, la Cour de
cassation décidait, le 5 messidor an x i i i , que la loi, ne
distinguant pas, la fin de non recevoir pouvait être in
voquée et devait être appliquée à tous les cas d’aborda
ge, quelles qu’en eussent été les conséquences. C’est à
cette opinion que se range M. Boulay-Paty l.
Nous croyons avec Emérigon que le texte de la loi :
Toute action en indemnité, pour dommages causés par
l'abordage, implique l’idée d’une simple avarie, bien
plutôt que celle d’une perte entière. Quelle serait, dans
le système de la Cour de cassation, la position de l’ar
mateur, si, en sombrant, le navire avait englouti son
équipage ? Faudrait-il déclarer son action non recevable
faute de protestation dans les vingt-quatre heures et
d’action en justice dans le mois.
Cette considération nous paraît justifier la distinction
que fait Emérigon, distinction d’ailleurs qui, si elle n’est
pas établie par le texte, résulterait évidemment de l’es
prit de la loi.
Tout le monde est d’accord sur ce point, à savoir,
que les articles 435 et 436 ont, en ce qui concerne l’a
bordage, pour but unique de prévenir qu’on n’attribuât
à celui-ci le dommage occasionné par d’aulres accidents
de mer qui peuvent se succéder à de très courts inter
valles.
Or, cette fraude est impossible dans le cas de perle
entière, dès lors à quoi bon prescrire des précautions
�AKT. 4 5 5 , 4 5 6 .
571
complètement inutiles, ne faut il pas, au contraire, ad
mettre et appliquer la règle cessante causa, cessât ef
fectifs.
Nous croyons donc que l’impossibilité de l’abus qu’on
voulait prévenir dispense naturellement de l’exécution
des précautions ordonnées dans ce but. Nous nous ran
geons donc à la doctrine d’Emérigon, qui est également
adoptée par M. Dalloz
A l’exemple de M. Boulay-Paty, quelques auteurs,
notamment M. Duvergier2 et M. Sibille3, ont embras
sé et soutenu l’opinion contraire. Ce dernier a beau
dire que pour quiconque raisonne froidement, cet opi
nion ne saurait être douteuse, nous persistons à la re
pousser comme inadmissible. Le seul motif qu’il invo
que est celui sur lequel s’étaye M. Boulay-Paty, à savoir,
que toutes les fins de non recevoir avaient été établies
dans l’intérêt bien entendu du commerce et de la navi
gation, pour imprimer aux opérations de ce genre la
célérité qui est nécessaire au négociant, afin qu’il sache
de quel fonds il peut disposer pour continuer ses vastes
entreprises, et qu’il ne s’arrête pas par la crainte de
contestations tardives, dans des spéculations nouvelles.
Mais l’obligation d’agir dans les vingt-quatre heures
serait non pas de la célérité, mais une précipitation in
justifiable si elle n’avait un fondement légitime, en no-
i N o u v . R é p . V. D r o i t m a r i l . , n° 2294.
s Consult. pour le M o n g ib e llo .
^ D e l'A b o r d a g e , p. 94.
�S72
DROIT MARITIME.
tre matière, dans la crainte qu’on n’attribuât à l’abor
dage des avaries qui auraient une tout autre cause.
La crainte que l’armateur, dont le navire a péri par
suite .de l’abordage, tarde trop longtemps à réclamer est
une de ces exagérations que la raison elle-même re
pousse, et nous pouvons à notre tour dire que pour
quiconque raisonne froidement, il est évident qu’à la
première nouvelle du sinistre cet armateur n’aura rien
de plus pressé que de poursuivre et de se mettre en me
sure d’obtenir la réparation qui lui est due.
Il faut avouer d’ailleurs que le législateur, s’il a eu
l’intention qu’on lui prête îelativement aux articles 435
et 436, n’a guère été conséquent avec lui-même. Car,
ainsi que le fait observer M. Dalloz, aux termes de l’ar
ticle 473, l’action en délaissement du navire ou des ob
jets assurés peut être signifiée, selon les-distances, dans
deux ans, un an et tout au moins six mois de la nou
velle de l’événement, sans distinguer si la perte provient
d’un abordage ou de tout autre sinistre. Comment con
cilier ce long délai dans ce cas avec la volonté de n’ac
corder que vingt-quatre heures dans celui de l’abor
dage?
On ne peut admettre une telle anomalie, et ce qui
résulte de ce rapprochement c’est évidemment que la
cause qui légitime ce simple délai de vingt-quatre heu
res n’existant plus lorsque le navire a sombré par suite
de l’abordage, ce délai a cessé d’être obligatoire.
C’est dans ce sens que se prononçait la cour de Ren-
�ART. 4 3 5 , 4 3 6 .
573
nés le 5 février 1838 ’. C’est aussi ce que la cour de
Florence jugeait le 16 août 1842, dans l’affaire du Mongibello, malgré la consultation de M. Duvergier2.
Mais la doctrine contraire a été consacrée par la cour
d’Aix le 12 mai 1857. Le motif qu’en donne l’arrêt est
que si, dans le cas où il y a avarie seulement, on ex
plique la rigueur de la loi par la nécessité de ne pas
confondre, en les constatant sur-le-champ, les avaries
causées par l’abordage avec celles qui pourraient avoir
une autre cause, cette même rigueur s’explique égale
ment et même à plus forte raison, en cas de perte to
tale, par la nécessité de faire constater le sinistre luimême, d’éviter le dépérissement des preuves, et de ne
pas laisser indéfiniment incertains les droits si impor
tants qui peuvent naître d’un abordage ayant causé la
perte entière du navire abordé3.
La constatation du naufrage qui a englouti le navire,
l’avantage de ne pas laisser dépérir les preuves, tout
cela est exclusivement l’affaire du propriétaire du navire
sombré à la suite de l’abordage, et c’est précisément ce
qui doit rassurer contre une lenteur qui n’aurait d’au
tre résultat possible que de compromettre ses intérêts.
C’est encore à lui et à lui seul que l’abordage est dans
le cas de conférer des droits, et qui plus que lui doit te
nir à ne pas laisser ces droits indéfiniment incertains ?
1 Sibille, looo citât o,
2 Ibid.
3 J . du P., 1858, 462,
�5 74
DROIT MARITIME.
Au reste et dans tous les cas le motif de l’arrêt n’est
autre que celui invoqué par M. Boulay-Paty. Nous l’a
vons donc réfuté en réfutant celui-ci.
En dernière analyse on ne peut admettre que le législa
teur ait admis un effet sans cause. Or, c’est à ce résultat
que vient fatalement aboutir le système de MM. BoulayPaty, Duvergier, Sibille et celui de la cour d’Àix, il est
donc repoussé par la logique autant que par le texte et
l’esprit de la loi.
3 0 3 8 . — Le capitaine qui aurait encouru la fin de
non recevoir, et qui aurait ainsi libéré l’auteur de l’a
bordage, aurait, par cela même, perdu son recours con
tre les assureurs. Ici revient la règle tracée par l’article
2037 du Code civil, l’extinction de l’obligation du débi
teur principal ne permettant pas à la subrogation de
sortir à effet en faveur du subrogé, et ce résultat étant
imputable à l’assuré, les assureurs ne pourraient être
recherchés par lui.
3039. — On a agité la question de savoir si la fin
de non recevoir des articles 435 devait être proposée
in limine litis, si notamment le débiteur qui ne l’a pas
invoquée en première instance est recevable à le faire en
cause d’appel. MM. Dageville et Boulay-Paty, adoptant
l’affirmative sur la première question, arrivent naturel
lement à résoudre négativement la seconde.
Celte opinion, à notre avis, ne trouve aucun fonde
ment dans la loi. En effet, la fin de non recevoir, dans
�ART.
455, 436.
575
notre hypothèse, n’est ni une de ces nullités, ni une de
ces exceptions dilatoires que les articles 173 et \ 86 du
Code de procédure prescrivent de proposer avant toute
défense au fond, elle constitue un moyen foncier, pé
remptoire, et comme tel pouvant être invoqué en tout
état de cause. On n'a jamais prétendu interdire de faire
valoir devant le second degré de juridiction les moyens
qu’on s’est volontairement ou involontairement abstenu
d'invoquer devant le premier.
A un autre point de vue, la fin de non recevoir est
une véritable prescription. C’est ainsi que l’a qualifiée
Emérigon. Or, on sait que la prescription non opposée
en première instance peut l’être en cause d’appel.
Cette double considération a paru déterminante à la
cour d’Aix qui, par arrêt du 4 janvier 18Ü0, tranchait
notre question contrairement à l’opinion de MM. Dageville et Boulay-Paty.
FIN
��GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
DES MATIERES
L e
c h iffre in d iq u e ie n u m é r o
d ’o r d r e d e s s o m m a i r e s
Abandon. — Effets de l’abandon su r la responsabilité des propriétaires
à l ’endroit des faits du capitaine, 284. — E st-il recevable p o u r les
engagem ents contractés par le capitaine en qualité de subrecargue,
285 e t suiv. — Libère les propriétaires de la responsabilité des faits
de l ’équipage, 287. — Dans quel cas l ’offre de le réaliser doit-elle
être accueillie ou repoussée, 288 e t suiv. — Qui peut le consentir.
Conséquences, lo rsq u ’il y a plusieurs propriétaires, 293. = 11 ne
doit p o rter que su r le navire et le fret, e t non su r le m o n tan t de
l’assurance, 294 et suiv. — Effets de l ’abandon à l ’égard du pro
priétaire, du capitaine, des créanciers, 296. — Com m ent e t à quelle
époque il doit être réalisé ? 297. — N’est pas recevable de la p a rt du
capitaine qui est en m êm e tem ps pro p riétaire ou copropriétaire du
navire, 298 e t suiv. — Ses effets pour le propriétaire des m archan
dises vendues ou engagées p o u r les besoins du voyage, 785. —
D ans quels cas p eu t-il être réalisé par l’assu re u r après délaissem ent,
1574.
Abandon
des mabchandises .
— L 'affré te u r n ’est pas fondé à abandon
ner la m archandise p o u r se lib é re r du fret. Caractère et étendue de
cette règle, 818 e t suiv. — E xception p o u r les futailles vides ou
presque vides, 821 e t suiv. —
Quid, si le coulage provient du vice
propre, 823. — Com m ent se fait l ’abandon, lorsque les futailles sont
en partie vides e t en parties pleines, 824.
v — 37
�TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
878
A bandon
du navire en danger .
— D ans quels cas le capitaine peut-il
abandonner son navire. Ses devoirs envers l’équipage, 489 e t suiv.
— C onstatation de l ’avis de l’équipage. Effets du défaut du procèsverbal, 494. —
Quid,
si le navire a réellem ent péri ou a été pris ?
492.
Abordage. — D iverses espèces. Ses effets, 4239 e t suiv. — C aractère de
l’avarie en ré su lta n t, 4786. — Effets de l’abordage fortuit, 4787. —
De celui occasionné p a r la faute, 4788 e t su iv . — D ans quels cas
présum e-t-on celle-ci ? 4760. — Abordage douteux. Son caractère,
4773 et suiv. — Ses effets relativem ent aux deux navires,
et suiv. — Le dommage à leu r
4778
charge ne com prend pas celui
souffert par la cargaison, 4778. — P osition des assu reu rs. N ature et
étendue de leu r responsabilité, 4779. — Com m ent s’évalue ce dom
mage, 4780. — A varies com m unes d ont l ’abordage peut devenir l ’o
rigine, 4784, v oy.
Fin de non-recevoir.
Acquits a caution ou de payem ent . — Le capitaine doit les a v o ir' à
b o rd pendant le voyage, 390. — Conséquence de l’inobservation de
cette prescrip tio n , 4 03.— D oivent lu i être rem is par l ’affréteur vingtq u a tre heures après le chargem ent, 694.
Acte
de francisation —
Le capitaine doit en être po rteu r. Motifs 390.
— Effets de l’om ission, 403.
Acte
de pr o pr iét é .
390. _
Action . =
— O bligation p our le capitaine de l’avoir à bord,
Conséquence de l ’inexécution, 403.
Caractère de l ’action des créanciers du vendeur d’un navire
c ontre l’acheteur, 49. — D urée de celle d u pro p riétaire d ont o n a
vendu l ’in té rê t à son in su , 347. _
A ction n a issa n t de l’avarie p a rti
culière p a r fortune de m er, 4734. — De celle im putable à la négli
gence ou à la faute du capitaine, 4784 . — A ctions n a issa n t d n con
tr a t de grosse. L eu r caractère e t leu r durée, 4944 e t su iv —
Actions
dériv an t de la police d’assurance, 4 943 et su iv . t- D urée de celle en
délaissem ent, 4944.
A ction
d’avaries .
S inistres d o n n a n t lieu à l’action d’avaries. O bjet
de cette action. Son caractère, 4626—
P eut-elle être form ée p our
la prem ière fois en cause d ’appel, 4 627. — Ne se prescrit que p a r le
délai de c in q ans de l’article 432. Conséquences, 4628. — Peut-elle
être exercée par l ’assuré q u i a succom bé su r le délaissem ent, 4 629
e t suiv. — A quelle époque elle peut e t do it être exercée, 4634, —
�DES MATIÈRES.
579
D evant q u e l trib u n a l elle doit être p o rtée ? 4637. — Preuves q u ’elle
exige, 4 638.
Action
en déla issem ent , t -
Action
en règlem ent .
V oy. D é la is s e m e n t.
— A qui app artien t l’action en règlem ent d ’ava
ries grosses, 4923. — D ans quel délai elle se prescrit, 4945 et
su iv ., voy Avarie commune, Contribution, Fin de non-recevoir.
Prescription.
A djudicataire . — D roits et devoirs que lui crée et lui impose l’adjudi
cation, 225 et suiv. — O bligation de payer le p rix . Conséquences du
refus ou du retard, 229 et suiv.
A djudication . — F a it cesser de plein d ro it les fonctions du capitaine,
225. —
Quid,
de celle à la suite de la lic ita tio n ? 22S. — Elle est un
obstacle à to u t abandon u lté rieu r dans l ’objet de se libérer de la res
p onsabilité des faits du capitaine, 290.
Affectation . — Le co n trat de grosse doit indiquer les objets qui lui
so n t affectés. Effets de l’om ission, 844. — Il suffit d ’une indication
générale. Conséquences, 842, voy.
Contrat de grosse
Affich e . — Délai dans lequel elle doit être apposée à la suite des criées.
D ans quels lieux elle doit l’être, 499. — E nonciations q u ’elle doit
renferm er, 200. — L a loi exige tro is affiches consécutives, 20 i. —
Com m ent il en est justifié, 204. — Où doit-elle être apposée dans le
cas de saisie d ’un navire au-dessous de dix tonneaux, 246. — Une
seule affiche suffit pour la revente su r folle-enchère, 234
Affr ètem en t . — L e capitaine peut le consentir sans autorisation, hors
la dem eure des pro p riétaires. T oute dérogation serait nulle à l’égard
des tiers, 443 et suiv. — Caractère de l'affrètem ent total ou partiel
Ce q u ’il com prend, 74 3 et suiv. — Effets de l ’affrètem ent au voyage
ou p our u n tem ps lim ité, 74 6. — Com ment se règle le fret, 747. —
A ffrètem ent au tonneau ou au q uintal. Son caractère, 748 et suiv. —
A ffrètem ent à forfait. D evoirs q u ’il im pose au capitaine, 724. — A
cueillette. Son caractère, 722 et s u i v . __Quel que soit le mode con
venu, il est nécessaire d’énoncer le tonnage du navire. Effets de l’o
m ission, 724. — L’acheteur du navire affrété est-il tenu de l’exécu
Affréteur, Autorisation du propriétaire.
Charte partie, Fret, Fréteur.
tio n du c o n trat, 727, voy.
�5 8 0
ta ble
g én éra le
e t
a l p h a b é t iq u e
Affréteu r . — P eut décharger ses m archandises p endant le tem ps de
l’a rrê t. Conditions, 670. — Peine q u ’il encourt s’il refuse de déchar
ger, ou s’il ne le fait pas en tem ps utile, 671. — D roits de l’affréteur
dm navire entier. Conséquences p our les sous-affrétem ents consentis
par le capitaine, 728 e t suiv. — Q uand peut-il s’opposer à ce que le
capitaine charge su r les parties du navire exclues de l ’affrètem ent,
731. — Son obligation à l ’endroit du fret, 732. — D roits e t obliga
tions de l ’affréteur partiel, 734 et suiv. — L’affréteur ne peut rom
pre le co n trat qui a reçu u n com m encem ent d ’exécution, 7 3 7 . — E x
ception pour l’affréteur à cueillette. Motifs et caractère de cette e x
ception, 750 et suiv. — A quelle époque celui-ci peu t-il re tire r ses
m archandises. Indem nité et frais q u ’il doit payer, 753 e t suiv. — A
quelles conditions l ’affréteur peut re tire r ses m archandises pendant
le voyage, 755 et suiv. — Sa responsabilité, s’il arrête ou retarde
p a r son fa it le départ du navire, 761 et suiv
— Ses obligations,
lo rsq u ’il est affrété p our l’aller e t le r e to u r , 763 e t suiv, — Ses
droits, lorsque le navire a été arrêté ou retard é p a r le fait du ca
Quid, si le re ta rd p rovient du propriétaire
Affrètement, Charte partie, Connaissement,
pitaine, 765 et suiv. —
du navire, 767, voy.
Fret.
A llégement . — V oy.
Avarie commune, Contribution.
Amalfi, — Son origine. Im portance de son com m erce. Caractère de ses
lois su r le d ro it nautique, 8.
Ancre . — Son abandon volontaire pour le salut com m un constitue une
avarie grosse,
1694. voy. Avaries particulières.
A rmateur . — V oy.
Gérant, Propriétaire du navire.
Armes . — Les arm es p ouvant se tro u v e r à b o rd ne re n tre n t pas dans la
dénom ination d’agrès e t app arau x . Conséquences en cas de saisie,
184, voy.
Arrêt
Contribution, Munitions et Provisions de guerre.
ee prince .
— Son caractère. Ses effets su r la charte partie, 568
e t su iv ., 667 et suiv. — S u r le fret, la n o u rritu re e t les loyers de
l’équipage, 789 et suiv. — E st une cause de délaissem ent. A quelles
conditions. Actes qui le constituent, 1446 et suiv. D oit être signifié
A l ’assureur dans les tro is jo u rs de la réception de la nouvelle, 1587
e t su iv ___O bligation q u ’il im pose A l ’assu ré. Faculté q u 'il confère
à l’assureur, 1590 et suiv.
�DES MATIÈRES.
381
de puissance . — Ses diverses espèces. Ses effets, 1254 et suiv.,
voy. Arrêt de 'prince.
A rrêt
A rrêté
de compte .
A rrimage .
— Voy.
— Voy. Prescription.
C h a r g e m e n t.
— Le montant de l’assurance est-il, en cas de perte du na
vire, grevé du privilège des créanciers? 140. — Effets de celle con
tractée parles créanciers du propriétaire, 142. — L’assurance du
navire, votée par la majorité, n’est pas obligatoire pour la minorité
328.—Le gérant qui, sans délibération, l’a contractée pour l’entier,
navire, doit être proportionnellement remboursé par les divers quira
taires, 329. — Importance et utilité de l’assurance, 1002. — Son
origine, 1003. — Connue et pratiquée chez les Romains, 1004. —
Causes qui s’opposèrent à ses développements, et silence gardé par
les législations antérieures au xiv<= siècle, 1005. — Quelle est sa vé
ritable nature, 1006. — Le contrat d’assurance est consensuel. Con
séquences à l’endroit de la capacité des parties, 1007 et suiv. — Il
est synallagmatique et aléatoire, 1009 et suiv. — Du droit des
gens, 1012.— La police doit indiquer le montant de l’assurance,
1067. — A quel voyage s’applique l’assurance contractée avant ou
après le départ du navire, 1075. — Objets pouvant faire la matière
d’une assurance, 1082 et suiv. — Caractère de l’assurance sur corps
et quille, 1085. — L’assurance sur chargement peut être totale ou
partielle. Ses caractères dans les deux cas, 1086 et suiv. — Quid,
de celle pour l’aller et le retour ? 1089. — Effets de l’assurance sur
facultés, 1090. — De celle des sommes prêtées à la grosse, 1091 et
suiv. — Assurance sur la vie et la liberté des personnes, 1094. —
Celle pour la contrebande à l'étranger est valable, 1095. — Ce que
comprend l’assurance, 1097. — Epoque où elle peut être consentie,
et pour quel temps, 1098 et suiv. — Ses effets lorsqu’elle est pour
l’aller et le retour suivant qu’elle est ou non à prime liée, 1101. —
Responsabilité résultant de celle à temps limité, 1102. — L’assu
rance peut avoir pour objet la navigation sur les fleuves et rivières
1103. — Motifs qui ont fait admettre l’assurance in quovis. Ses
conditions. Son caractère. Son étendue, 1113 et suiv., voy. Police
d ’assurance. — L’assurance postérieure à l’arrivée ou à la perte est
valable. A quelles conditions, 1379 et suiv. _ Objet de l’assurance.
A ssurance.
�582
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
Actions qui en naissent, 1397. — Peut être contractée après l’expi
ration des délais de l’article 373, 1600.
Assubè. — N’a pas besoin de signer la police d’assurance, 1026. —
Doit être désigné par son nom et son domicile. Conséquences de l’o
mission. 1036 et suiv. — Nécessité d’indiquer la qualité en laquelle
il agit, 1039. — Est obligé de payer la prime. Quand la doit-il?
1221. — Est libre de rompre le voyage, 1222 et suiv. — A le droit
de se prévaloir de l’article 359 pour se dispenser de payer la prime,
1354. — Sa position pour son découvert dans la cargaison. 1356.—
Peut faire assurer de nouveau le risque après l’échéance du temps li
mité dans la police, 1366 et suiv. _ Qtiid, si la police désigne le
voyage? 1368 et suiv._Peut-il, dans le cas de l’article 368, inves
tir d’abord le tribunal correctionnel, 1395. — Ses obligations en
cas de délaissement, voy. ce mot. — Ses devoirs en cas de naufrage
ou d'écbouement avec bris, 1527 et suiv. — Ses droits en cas d’ava
rie, voy. Abordage, Action d’avarie, Arrêt de ‘p rince, Avarie,
Chargement, Déclaration, Délai, Délaissement, Fin de non-rece
voir, Franc d’avaries, Franchises, Innavigabilité, Perte, Pres
cription , Prise, Règlement d’avaries, Réticence.
Assuheurs. — L’assureur vient en concours avec le prêteur à la grosse,
sur le produit du sauvetage. Dans quels cas et pour quelles sommes
997 et suiv. — Dès que la police est signée par lui, elle est parfaite
et obligatoire, 1024.— Peut-il biffer sa signature ou modifier ses
engagements, 1025. — Les assureurs peuvent toujours agiter la
question de propriété, 1040. — Leurs droits contre le mandataire ou
commissionnaire, 1044. — Profitent seuls de la nullité résultant de
l'inobservation de l’article 332, 1055. — Nature de leur responsabi
lité, 1231 et suiv. — Evénements dont ils sont légalement tenus,
1236 et suiv. — Il peut être dérogé à l’article 350, 1256 et suiv.,
voy. Baraterie de patron, Exagération, Fait personnel, Incendie,
Indemnité, Jet, Pillage, Pilotage, Prise, Ristourne, Vice propre.
— Les assureurs par seconde police peuvent exciper de la nullité du
ristourne amiable de la première, 1347^ — Leurs obligations, en cas
de suffisance, pour toutes les polices, 1355. — Leur responsabilité,
suivant que l’assurance est ou non conjointe, 1359 et suiv. — Ne
répondent des marchandises chargées dans les lieux d’échelle que
�UES MATIERES.
583
lorsqu’elles sont à bord, 1365. — Sont libérés par la seule échéance
du terme si l’assurance est pour un temps limité, 1366 et suiv. —
Quid, si le voyage est désigné ? 1368 et suiv. — Peuvent-ils, dans
le cas de l’article 368, investir d’abord le tribunal correctionnel ?
1395. — Leurs obligations et leurs droits en cas de délaissement*
voy. Délaissement ; en cas d’avaries, voy. Abordage, Action d’a
varie, Avaries, Franc d’avarie, Franchise, Règlement d ’avaries.
— Quid , dans le cas de chargement clandestin ou sur tillac ? Voy.
ces mots et Arrêt de prinee, Avaries, Emprunt à la grosse, Inna
vigabilité, Perle, Police d’assurances, Prime, Prise, Rélicence, Subrogalion, Vivres.
du ju g e . — Quel est le juge appelé à autoriser l’emprunt
pour les nécessités du navire. Caractère de l’autorisation, 447.
A utorisation '
du pro pr iét a ir e . — Quand est-elle requise pour l’affrè
tement ou autres cas ? 428. — Comment doit-on procéder lorsqu’il y
a un ou plusieurs copropriétaires? 429. — Conséquences et effets du
défaut d’autorisation, 430 et suiv.
A utorisation
— L’assureur sur avances peut-il, en cas de délaissement, re
tenir sur la somme assurée le montant des avances gagnées au mo
ment du sinistre, 1588 et suiv.
Avances .
— Position du capitaine qui a passé dans les comptes des ava
ries supposées, 461. — Le prêteur à la grosse est tenu de l’avarie
commune, 991 et suiv. — L’avarie particulière n’est à sa charge que
s’il n’y a pas de convention contraire, 995 et suiv. — Ancienne ac
ception du mot avarie. Ce qu’il signifie aujourd’hui, 1556. — Néces
sité de s’expliquer sur le caractère des dépenses extraordinaires
constituant l’avarie, 1657 et suiv. — A quelles causes sera attribuée
l’avarie. Conséquences à l’endroit des assureurs, 1659,— Il y a
avarie dans la diminution de poids. A quelles conditions? 1660. —
Les assureurs profitent-ils de son augmentation, 1661. _ La
rupture de l’assortiment est-elle une avarie à leur charge, 1662. —
Classification des avaries. Ancienne et nouvelle législation, 1664 et
suiv.
A v a bie .
grosse ou commune. — Son caractère. Conditions qu’elle doit
réunir. 1666 et suiv. — Le dommage fortuitement souffert en exécu
tant la mesure délibérée pour le salut commun n’est pas une avarie
A v a rie
�384
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
grosse, 1669 et suiv. — Quid, des frais de séjour, de déchargement,
de magasinage et de rechargement, occasionnés par la réparation
d’une avarie particulière au navire, 1678 et suiv. — Devrait-on les
admettra en avaries communes si la relâche a été délibérée, 1677 et
suiv. — Sont avaries particulières à la cargaison, s’ils ont eu lieu
pour sa conservation, 1681. — Diverses hypothèses d’avaries com
munes prévues par l’article 400, voy. Ancres, Câbles, Canots, Cha
loupe, Déchargement, Echouement, Jet, Matelots, Rachat. — Est
avarie commune le dommage fait au ijavire ou à la cargaison par le
feu de l’ennemi, 1705. — Exemples divers d’avaries communes en
dehors des cas prévus par l’article 400, 1719. — Comment se répar
tit l’avarie commune, 1721. — Quels sont les dommages que l’article
422 déclare avaries communes. Caractère de cet article, 1878 et suiv.
— La perte des barques, servant au transport des marchandises en
cas d’allégement, tombe-t-elle en avaries communes, 1913, voy.
Contribution, Règlement d'avaries.
particulière . — Caractère, 1732. — Effets de celle résultant du
vice propre à l’égard des assureurs, 1733. — Les frais faits pour
sauver la cargaison sont avaries particulières à celle-ci, 1735.—
Perte du navire par vice propre. Ses conséquences, 1736, — Quid,
de la perle par fortune de mer, 1737 et suiv. — Est avarie particu
lière la perte de câbles, ancres, voiles, mâts, cordages arrivée par cas
fortuit, 1740. — Ont le même caractère les frais de relâche pour le
besoin d’avitaillement ou les réparations d’une voie d’eau, 1741. —
La nourriture et les loyers de l’équipage pendant le temps de la dé
tention, si le navire est affrété au voyage, 1743. — Quelle est la ré
paration que, dans ce cas, règle le législateur, 1743.— Caractère des
frais de quarantaine, des frais et droits de navigation. Dans quels cas
tombent-ils en avaries? 1744 et suiv. — Caractère de l’avarie impu
table à la négligence du capitaine. Droits du chargeur, 1749 et suiv.
_Le chargeur ne répond pas de l’avarie occasionnée au navire par
le vice propre de la cargaison, 1752. — Comment se prouvent l’exis
tence, l’importance et la cause de l’avarie, 1754, voy. Franc d ’ava
AvAniE
ries, Franchises.
— L’aveu du capitaine, dans son rapport non vérifié, n’est pas
indivisible, 526, voy. Rapport.
Av eu .
�DES MATIÈRES.
585
Avis. — Tout avis relatif à la navigation des risques dont les assureurs
sont chargés doit leur être communiqué. Effet de l’omission, 1468 et
suiv. — Caractère de l’avis. A quelle époque doit-il avoir ôté repu,
4470 et suiv. — Délai de la signification. Effets du retard, 4473 et
suiv. — Forme de la signification. Application de l’article 4033 du
Code de procédure civile, 4475 et suiv.- • Utilité de l’avis de la prise.
Son caractère, 4648.
B
de patbon . — Distinction entre la baraterie criminelle et la
baraterie civile. Ses caractères, ses effets, 364 et suiv:. — Ce qu’elle
était sous l’ancien droit. Ce qu’elle est depuis le Code, 4269 et suiv.
— N’est jamais présumée. Par qui et comment elle doit être prou
vée, 4274. — Proposition de la mettre de plein droit à la charge des
assureurs, 4275. — Faculté pour eux de la garantir. Exception à
cette faculté. Son caractère, 4276. — Cette garantie impose-t-elle la
responsabilité en faveur de l’armateur des faits du capitaine choisi
par lui, 4277. — La garantie de la baraterie de patron ne comprend
pas les prévarications et fautes que le capitaine peut commettre en
qualité de subrécargue. Conséquences, 4278. — Garantir la baraterie
de patron, c’est répondre de la perte, qu’elles qu’en soient les cau
ses. Exceptions, 4279. _ Etendue de cette garantie pour l’assureur
sur facultés, 4280 et suiv. — L’assureur qui s’est soumis à cette ga
rantie répond de la rupture du voyage provenant du fait du capitai
ne, 4282. — L’assuré est tenu de justifier la perte nonobstant la
garantie de la baraterie par l’assureur, 4283. — Droits de celui-ci
d’agir contre le capitaine, môme avant d’avoir payé l’assuré, 4285
— L’assureur sur corps qui a garanti la baraterie de patron est tenu
môme du dommage en résultant pour la cargaison, 4286 et suiv.
— La garantie par l’assureur n’est jamais présumée Conséquences,
4288.
Babatebie
— Les règles de l’article 245 sont applicables aux bateaux na
viguant sur les fleuves et rivières, 264, voy. Saisie.
Bateau .
�586
table générale et alphabétique
B atim ent . —
Voy. Navire.
— Le bénéfice espéré ne peut être affecté au contrat de grosse,
ni être assuré, 892, 1198. — Secus du bénéfice réalisé, 893.
Bén éfic e .
de grosse . — Peut être négocié s’il est à ordre, 860. — Quelles
sont les différences entre le billet et la police pouvant faire annuler
l’assurance ? 1091, 1219, voy Endossement,
B illet
— Effets des blessures reçues au service du navire, 604.
— De celles reçues en le défendant, 605. — De celles reçues à ter
re, suivant que le blessé y est venu avec ou sans autorisation, 606
et suiv.
Blessures .
— Devoirs que le blocus du port de destination impose au capi
taine. Quid de celui qui s’étend à tout le pays ? 672 et suiv., voy.
Interdiction de commerce. La faculté d’entrer dans un autre port
empêchera-t-elle le retour au port du départ ? 1076.
B locus.
— Effet du bris du navire par suite d’échouement. Dans quels
cas autorise-t-il le délaissement, 1412 et suiv. — Sa nature et ses ef
fets sont souverainement appréciés parles tribunaux, 1414. — Ses
effets à l’endroit de l’assuré sur facultés, 1415, voy. Echouement,
Br is .
Naufrage.
O
— Les câbles et mâts rompus ou coupés sont avaries commu
nes. Discussion que souleva le mot rompus, 1689. — Dans quel sens
il doit être entendu, 1690. — Les câbles et mâts rompus par un
forcement de voiles délibéré pour le salut commun tombent en ava
rie grosse, 1691 et suiv. —■La rupture d’un mât, d’un câble, la dé
chirure des voiles par cas fortuit peut devenir l’occasion d’une avarie
commune. Ce que comprend celle-ci, 1693.
Cables .
— L’abandon volontaire du canot ou de la chaloupe pour le
salut commun constitue une avarie grosse. Exemples divers, 1694 et
suiv. — Quid de la perte, s’ils ont été mis à la traîne, 1697 , voy,
Ca no t .
Chaloupe.
�D ES M A T IE R E S .
587
— Le capitaine dont les fonctions cessent par l’adjudication
du navire a le droit d’obtenir un dédommagement, 223 et suiv. —
Ce que doit comprendre ce dédommagement, 226. — Contre qui doitil être poursuivi ? 227. — Nature du mandat que remplit le capi
taine. Peut être révoqué au gré du propriétaire, sans allégation de
motifs et sans indemnité, 303 et suiv. — La disposition de l’article
248 est d’ordre public. Conséquences, 306. — On peut y déroger
quant à l’indemnité, 307. — La convention écrite exigée peut-elle
résulter soit de l’engagement lui-même, soit de l’inscription au rôle
d’équipage ? 308 et suiv. — Droits que le capitaine peut exercer en
cas de congé indépendamment de l’indemnité, 340. — Le capitaine
copropriétaire est soumis à la révocation, sauf la faculté de se faire
rembourser de son intérêt au navire, 341. — Nature de cette facul
té. Comment et dans quel délai elle doit être exercée, 342 et suiv.—
Qualités requises pour être capitaine, par qui est-il choisi, 385. —
Peut-on traiter avec un capitaine employé par un autre, 356. — Ca
ractère de sa mission. Conséquence quant à la faute très légère, 387
et suiv. — Nature de sa responsabilité. Il ne peut y être valable
ment dérogé, 359. — Répond des faits de contrebande, de l’infrac
tion aux lois, de discipline et de police, 360. — L’article 224 s’ap
plique au capitaine engagé à la part, 364. — Pouvoirs des tribunaux
dans les questions de responsabilité du capitaine, 363. — A le droit
de choisir l’équipage, 364 et suiv. — Ses devoirs à l’embarquement.
Formalités qu’il doit remplir, 370. — Sa responsabilité s’il constitue
un équipage inexpérimenté ou insuffisant, 371. — Etendue de celle
qu’il encourt pour les faits de l’équipage, 372. — Doit tenir un re
gistre ou livre de bord, 373 et suiv. — Veiller à la mise en état
matérielle du navire, 377 et suiv. — Pièces qu’il est obligé d’avoir à
bord, 388 et suiv. — Doit partir sur l’ordre qui lui en est donné,
392. — Se trouver sur le navire à l’entrée et à la sortie des ports,
bâvres et rivières, 393. — Appeler un pilote. Effets de la présence
de celui-ci sur sa responsabilité, 394 et suiv. — Effet de la violation
de ces divers devoirs, 398 et suiv. — Ses salaires sont saisissables,
426. — Ne peut, dans le lieu de la demeure des propriétaires, agir
sans autorisation, 428 et suiv. — A le droit, en cas d’affrètement ré
gulier, de contraindre les copropriétaires à contribuer à la dépense
de la mise en état. Nature de ce droit. Procédure, 439 et suiv. —
Ca pita in e .
�588
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
Effet de la condamnation ou de l’emprunt réalisé 442. — Doit, avant
son départ d’un port étranger, envoyer aux propriétaires l’état pres
crit par l’article 235. — Exception, 463 et et suiv. — Le capitaine
naviguant à profits communs ne peut faire aucun trafic ou commerce
pour son compte particulier, 481. — Secus, de celui qui est en part
dans le fret, 487. — A quelles conditions il lui est permis d’aban
donner le navire, 489 et suiv. — Obligation que lui impose l’aban
don, 494. — Ses devoirs à l’arrivée, voy. Livre de bord , Rapport.
— En cas de relâche forcée, voy. Relâche. — En cas de naufrage,
voy. Naufrage. — Ne peut décharger avant d’avoir fait son rap
port, 350. _Ses devoirs et ses droits quant à l’approvisionnement
du navire, voy. Victuailles. — A droit à l’indemnité de l’article
252 en cas de rupture du voyage, 568. — Qaid de celle accordée
en cas de prolongation ou de raccourcissement, 582. — Ses devoirs
à l’arrivée pour la consignation du navire et la délivrance des mar
chandises, 702 et suiv. — Comment se règlent les difficultés que
cette délivrance pent faire naître, 711. — Ses droits en cas de refus
d’accepter les marchandises, 805 et suiv. —1 Ne peut retenir les
marchandises à bord jusqu’à payement du fret. Quid de la nomina
tion d’un tiers consignataire, 809 et suiv., voy. Affrètement, Affré
teur, Charte partie, Connaissement, Emprunt, Fret, Radoub. —
Le nom du capitaine doit être indiqué dans la police d’assurance. —
Effet de l’omission, 1054 — De son changement après l’assurance,
1057. — Origine et ancienneté de la clause ou tout autre pour lui.
— Ses résultats, 1058 et suiv. — L’existence de cette clause excu
serait-elle la fausse indication, 1060. —- Obligation du capitaine fai
sant assurer des marchandises chargées pour son compte, 1178, voy.
Emprunt à la grosse, Loyers. — Est tenu dans le cas d’innavigabi
lité de se procurer un autre navire pour le transport des marchandi
ses, 1605 et suiv. — Etendue de son obligation en cas d’abordage
causé par sa faute, 1759 — Règles qu’il doit suivre dans la direc
tion du navire, 1760 et suiv. — Est obligé d’exécuter les manœuvres
nécessaires au salut d’un autre navire, 1770. — Peut-il couper l’a
marre d’un autre navire, sur le refus de la larguer, 1771. — Ne ré
pond pas du dommage causé par l’abordage douteux, 1776. — Ses
obligations en cas de jet, voy Jet — Effet de sa déclaration en cas
de chargement sans connaissement, 1868 et suiv. — Insuffisance de
�DES MATIÈRES.
S 89
cette déclaration pour les effets chargés par lui ou par un membre
de l’équipage, 1871. — Dans quel cas répond-il de l’insolvabilité
des contribuables à l’avarie commune. Etendue de cette responsabi
lité, 4921 et suiv. — Ne peut acquérir le navire par prescription,
4936, voy. Abordage, Abandon, Action d'avarie, Avarie commu
ne, Baraterie de patron, F in de non-recevoir, Passagers, Pres
cription, Règlement d'avaries.
— Effet de la dation de caution en cas de faillite de l’assureur
ou de l’assuré avant la fin du risque, 1492. — Caractère et mode de
réception de la caution 14 93 — Durée de l’engagement de la caution
à fournir par l’assuré qui obtient le payement provisoire du mon
tant de l’assurance, 1558
Caution .
— Ses effets quant à l’exécution de la contrainte par
corps contre le capitaine ou autres gens de l’équipage, 422. — Sa
forme et son étendue, 423.
Cautionnement .
— Est l’accessoire obligé du navire. Conséquences en cas de
saisie et de vente de celui-ci, 484 , voy. Canot.
Chaloupe .
de navire . — Opère la fin du risque et rend le prêt à la
grosse exigible, 941 et suiv. — Exception en cas de force majeure:
Qui doit la prouver, 944 et suiv , voy. le mot suivant.
Changement
de route . — Le changement forcé de route, de voyage ou
de navire est à la charge des assureurs, 1242. — Est toujours pré
sumé volontaire. Conséquences, 1243. — En quoi consiste le chan
gement de route. Quand doit-on l’admettre? 1291. — En quoi
le changement de voyage. Comment on doit l’apprécier, 1292 et
suiv. — En quoi le changement de navire. Ses effets, 1294. — Les
assureurs peuvent autoriser ces divers changements, voy. Déroute
Changement
ment, Echelle, Rèlrogadation.
Changement
de voyage .
— Voy. Changement de route.
(droit de). — Comment on peut le stipuler, 659. — Est-ce au
capitaine ou à l’armateur qu’il est dû, 660.
Chapeau
— Le capitaine doit veiller au chargement du navire. Na
ture de ses devoirs. Obligation de ne pas surcharger, 405. — Est
responsable des accidents survenus et des retards apportés au char
gement des marchandises mises à sa disposition, 406.— Règles qu’il
Chargement.
�590
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
doit suivre pour l’arrimage, 407.— Motifs de la prohibition de char
ger sur tillac, 409. — Exception pour le petit cahotage, 410.—
Forme du consentement exigé, 411. — Le chargement dans la du
nette est-il assimilé à celui sur tillac, 412. — Prohibition au capi
taine et aux gens de l’équipage de rien charger sur le navire sans
payer le fret, s’ils n’y sont autorisés, 549. •— Législation ancienne
sur la portée ou l’ordinaire des matelots, sur le port permis. Systè
me du Code, 550 et suiv. — Le port permis peut être racheté par
l’armateur. — Conséquences, 552 — Comment il est procédé au
chargement entre les divers affréteurs en cas d’insuffisance du navire,
747. — Droits de l’affréteur d’empêcher que le capitaine charge
pour son compte dans les parties du navire non comprises de droit
dans l’affrètement, voy. Affréteur, Capitaine. — Comment et dans
quelles proportions le chargement peut-il être affecté au prêt à la
grosse, 880. — Effets du chargement incomplet sous l’ordonnance
et depuis le Code, 881 et suiv. — Chargement insuffisant. Nullité de
l’affrètement. Par qui elle peut être invoquée, 883 et suiv. — Effet
de l’assurance faite sur un chargement depuis affecté à un prêt à la
grosse, 887. — Effet de l’exagération de bonne foi dans la valeur du
chargement, 889. — Nécessité par l’emprunteur de prouver le char
gement, 985. — Caractère de cette preuve, 987. — Preuve contraire
réservée au prêteur. Son objet, sa nature, ses effets, 988 et suiv. —
Le défaut de chargement peut être invoqué par l’emprunteur luimême, 990. — La police d’assurance doit indiquer le lieu du char
gement. Effet de l’omission, 1061. — Quid, si, à défaut d’indication,
le chargement n’avait pas été fait au lieu du départ, 1062. — La
nature, la valeur ou l’estimation du chargement doivent égale
ment y être mentionnées. Conséquences, 1064 et suiv. — Doit être
prouvé par l’assuré faisant le délaissement. Peut-on stipuler verbale
ment le contraire, 1539 et suiv. — Quid, à l’endroit du prêteur à la
grosse, 1543. — Du réassuré, 1544. — Objet et nature de la preu
ve, 1545.
clandestin . — Son caractère. Ses effets, 1866 et suiv. —
Motifs qui ont fait assimiler la déclaration du capitaine au connais
sement. Conditions, 1868 et suiv. — Droits et obligations des assu
reurs, 1875, voy. Contribution.
Chargement
�DES MATIÈRES.
591
sur tillac . — Son caractère, ses effets pour les char
geurs, le capitaine et les assureurs, 1872 et suiv., voy. Contri
Chargement
bution
Chargeur ,
— Voy. Chargement, F in de non-recevoir, Prescription,
Privilège.
p a r t ie . —: Le capitaine doit l’avoir à bord. Exception, 390.
— Etlets de l’inobservation, 403. — Objets de cette règle, 640. —
Son origine, 641. — Doit être rédigée par écrit. Conséquences, 642
et suiv. — La signature du courtier peut-elle remplacer celle de la
partie, 644. — Effet du défaut d’acte écrit, 64S. — La charte par
tie n’est pas nécessaire dans le petit cabotage. Comment on peut
prouver l’existence du contrat, 646 et suiv. — Enonciations qu’elle
doit renfermer, 648 et suiv. — Toutes autres conventions sont
permises si elles n’ont rien d’illicite, 658. — Effets de l’interdic
tion de commerce et de l’arrêt de prince sur la charte partie, 662 et
suiv.
Charte
Cédule .
— Voy. Prescription.
— La notification du procès-verbal de saisie doit être accom
pagnée d’une citation au saisi pour venir procéder à la vente. For
me de cette citation, 186. — Où elle doit être signifiée, 187 et suiv.
Doit-elle être donnée aux délais ordinaires de distances? 190.—
Doit-elle être laissée à personne dans le cas du second paragraphe
de l’article 201 ? 191. — Quid, si le saisi n’a sur les lieux ni capi
taine, ni représentant? 192. — S’il s’agit d’une saisie contre un
étranger ? 193.
Cita tio n .
compromissoire . — Sa validité ne saurait être contestée en ma
tière d’assurances. Conséquences, 1071.
Clause
Code
de commerce.
— Sa spécialité, 29.
— Les marchandises que les gens de mer portent dans leur
coffre sont exemptes du fret, 558, voy. Contribution.
Coffre .
— Epoque à laquelle le juge doit ouvrir le procès-verbal
de collocation. Son caractère, 248 et suiv. —Peut-elle être demandée
par un créancier dont le titre n’est pas encore certain, 251.
Collocation.
Commandement.
— Nécessité d’un commandement préalable à la saisie.
Ses formes, 167 et suiv. — Délai qui doit le séparer de la saisie,
�S 92
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
471. — A qui doit-il être signifié, 172. — Quid, en cas d'élection
de domicile dans le titre, 173.
— Effets de la clause donnant cette qualité à celui
qui assure, 4041. — Nature de sa responsabilité à l’endroit de la
prescription quinquennale, 4042._Peut poursuivre en son nom le
payement de la perte. Comment prouverait-il le chargé, 1043. —
Effets de sa bonne ou mauvaise foi sur le contrat d’assurance, 4258.
— Au point de vue des articles 365 et 366, 4387. — Sa position
à l’endroit de la fausse déclaration, 1392. — Ses obligations pour
le sauvetage, 4539 et suiv. — Dans le cas de délaissement, 4541 .
Commissionnaire .
Composition .
— Voy. Prise.
(droit de). — Nature de ce droit. Il est dû en cas de rupture
volontaire du voyage. Comment il se règle, 166. — Quid, en cas de
naufrage ? 598.
Conduite
— Dissout la copropriété du navire. Ses effets sur les
pouvoirs du gérant, 353, voy. Loyers, Marchandises, Pacotille.
Confiscation .
Congé . —
Faculté pour les propriétaires de congédier le capitaine, voy.
Capitaine. — Pour le capitaine de congédier les gens de l’équipage
Effets de son exercice, suivant qu’il y a ou non cause valable, 622 et
suiv. — La cause valable est toujours présumée. Conséquences, 627.
— Effets qu’elle produit, 628. — Le congé peut être donné par le
capitaine même dans le lieu de la demeure des propriétaires, 629. —
A la charge de qui est l’indemnité, si elle est due, 630. — Quid, si
le capitaine a contraint le matelot à le demander? 631. — Formes à
suivre pour le congé à l’étranger ou dans les colonies, 632. — Le
congé donné avant la clôture du rôle d’équipage ne donne lieu à in
demnité en aucun cas, 633
de navigation . — Son objet. Le capitaine doit l’avoir à bord,
391. — Ce qui résulterait de l’impossibilité de le représenter, 403.
Congé
Connaissement . —
l’avoir à bord,
Son objet. Pourquoi il est prescrit au capitaine de
391, 403. — Buts divers qu’il est appelé à remplir,
675. — Indications qu’il doit contenir, 676 et suiv. — Doit être
daté, 681. — Peut être à ordre ou au porteur. Modes et effets de sa
transmission, 683 et suiv. — Doit être fait à quatre originaux au
moins, 690. — Doit-il mentionner cette formalité, 694. — Par qui
�DES MATIERES.
et dans quel délai doit-il être signé. Caractère du délai, 692 et suiv.
— Effet du défaut de signature, 696. — Effet du connaissement ré
gulier entre parties, 696. — De la clause sans approuver, que dit
être, mesure à moi inconnue. Droit du capitaine à l’inscrire, 697__
Présomptions que le connaissement régulier crée contre les tiers in
téressés au chargement, 698. — Effets du connaissement irrégulier,
699. — Comment se règle la divergence entre les exemplaires d’un
même connaissement, et celle éntre le connaissement et la charte
partie, sur le prix du fret, 700 et suiv. — Le capitaine est toujours
directement et personnellement responsable des effets portés au con
naissement, 712 — Forme du connaissement lorsque le capitaine
charge pour son propre compte, 1176 et su iv .— Obligation pour
les gens de l’équipage ou les passagers chargeant à l’étranger, de dé
poser un double du connaissement. Forme de ce dépôt. Ses effets,
1181. — Effets de la différence entre le connaissement et la police
d’assurance, 1219.
Obligation pour lui de donner un reçu de la mar
chandise qui lui est livrée, et de recevoir celle-ci, 708 et suiv. —
Effet du refus, 707 et suiv., voy. Capitaine, F in de non-recevoir,
Consignataire . —
Prescription.
C onstructeur . —
Droits du constructeur sur le navire, voy. Prescrip
tion , Privilège.
C onsulat . —
Consulat
Voy. Rapport.
ce la m er .
—
Son origine, son influence sur le droit nauti
que, 9 et suiv.
par corps . — A quelles conditions peut-elle être exercée
à bord du navire contre les gens de l’équipage, 619, voy. Gens de
mer. — Dans quels cas l’exercice en est-il suspendu, et comment
on peut l’empêcher, 422, voy. Cautionnement.
Contrainte
a la grosse . — Sa définition, ses caractères, 825. — Légiti
mité du profit maritime, dont il est l’occasion, 826. — Nécessité
d’un risque sérieux et réel, 827 et suiv. — Affinités et différences
avec d’autres contrats, 830 et suiv. — Doit être fait pardevant no
taire ou sous seing privé. Conséquence quant à la preuve testimo
niale, 833 et suiv. — Enonciations qu’il doit renfermer. Leur nalu-
Contrat
V — 38 .
�39 4
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
re. Effets de l’omission, 836 et suiv. — Doit être enregistré, où et
dans quel délai, 813 et suiv. — Quid, de celui fait en pays étranger,
859, voy. Emprunt, Emprunteur, Prêt, Prêteur.
— Le prêteur peut-il prendre à sa charge le risque de la
contrebande, 955. — La contrebande à l’étranger peut faire la ma
tière d’une assurance, 1095. — Effet du défaut de déclaration que
lejiavire est chargé pour la contrebande, 1212.
Contrebande .
— Devait-on soumettre à la contribution le navire et le
fret entier. Ancienne législation, 1722 et suiv. — La part contribu
tive du fret est à la charge des assureurs, 1724 — Exception au
principe que tout ce qui est sauvé par l’avarie grosse doit y contri
buer, 1725.— Comment s’établit la valeur contribuable pour les
marchandises et pour le navire, 1926 et suiv. — Nécessité d’établir
la masse devant contribuer, ce qu’elle comprend, 1836 et suiv. —
La contribution n’est due que déduction faite du fret et des frais,
1844. — Comment s’établit la contribution pour les marchandises
dont la qualité a été déguisée dans le connaissement, 1845. — Les
effets et bagages des passagers doivent contribuer, 1846 et suiv. —
N’est pas due par les provisions de bouche et de guerre,ni par les coffres
et hardes de l’équipage. Caractère et étendue de ces exceptions. 1857
et suiv. — N’est pas due aux marchandises chargées sans connaisse
ment ou sur tillac. Si elles sont jetées, 1866. — Exception pour le
petit cabotage, 1876. — Elles contribuent si elles sont sauvées. Con
séquence à l’endroit des assureurs, 1877. — La contribution n’est
pas due, si l’avarie commune n’a pas sauvé le navire, 1882 et suiv.—
Pour quel objet est-elle due en cas de rachat, 1885. — Est due si le
navire a été sauvé. Conséquence dans le cas d’un second sinistre,
1886 et suiv. — Sur quoi porte alors la contribution, 1889. — Les
frais de sauvetage doivent être prélevés, 1890. — Il n’est dû aucune
contribution par les choses jetées au dommage survenu depuis le
jet aux choses sauvées, 1891 et suiv. — Ni par le chargement au
navire perdu ou devenu innavigable, 1896. — Caractère de cette rè
gle. Ses conséquences, 1897 et suiv. — La contribution est due au
navire sabordé pour en extraire les marchandises, 1903._A quel
les conditions, 1904 et suiv. — Quand est-elle due pour les mar
chandises perdues sur les barques pour alléger le navire, 1906 et
Contribution .
�595
DES MATIÈRES.
s u iv . — C e s m a r c h a n d is e s , s i e lle s s o n t s a u v é e s , n e c o n t r i b u e n t p a s
e n c a s d e p e r te d u n a v i r e e t d u r e s t a n t d e
Quid,
la
c a r g a is o n , 1 9 1 4 , —
d e l’a v a r ie c o m m u n e , 1 9 1 5 .
Copropriété — F r é q u e n c e e t a v a n ta g e d e l a c o p r o p r ié té e n m a t i è r e d e
n a v i r e . N é c e s s ité d ’e n
r é g l e r l ’a d m i n i s t r a t i o n à d é f a u t d e s t i p u l a
t i o n s , 3 1 6 . — N e c o n s t i t u e n i u n e a s s o c ia tio n e n p a r t i c i p a t i o n , n i
u n e s o c ié té , 3 1 7 e t s u i v . — N e p e u t ê t r e p r o u v é e p a r té m o in s , 3 2 0 .
— C a ra c tè r e d e la m a j o r it é a p p e lé e à l ’a d m i n i s t r a t i o n , 3 2 1 . — C o m
m e n t e lle s e d is s o u t, 3 4 4 . — V o y . M a jo r ité .
Correspondance . — P r o u v e - t - e l l e e n t r e p a r t i e s l a v e n te d u n a v i r e ,
320 (b is ).
Corsaire . — V o y . Prise.
Courage. — E ffe t d e l a c la u s e f r a n c d e c o u la g e , 1 2 6 6 . — N é c e s s ité d ’i n
d i q u e r l a n a t u r e d e s m a r c h a n d i s e s s i e lle s s o n t s u s c e p tib le s d e c o u
la g e , 1 3 0 8 .
Course . — L é g is la tio n s u r la m a t i è r e , s a n a t u r e , s o n o r ig in e , 2 7 . —
S o n a b o l i t i o n p a r le t r a i t é d e P a r i s d e 1 8 5 6 , 2 7 ( b is ) . — C o n s é q u e n
c e s d e l ’a r m e m e n t e n c o u r s e p o u r la r e s p o n s a b i l i té d e s p r o p r i é t a i r e s
d u n a v ir e , 3 0 0 e t s u i v .
Co ur tier . — P e u t r e c e v o ir le s p o lic e s d ’a s s u r a n c e , 1 0 2 2 . — D a n s q u e l
b u t s a s i g n a tu r e e s t- e lle r e q u i s e , 1 0 2 4 . — D o i t - il f a ir e s ig n e r s o n
r e g i s t r e p a r le s p a r t i e s , 1 0 2 7 . — S a r e s p o n s a b i l i té , 1 0 3 3 .
Créanciers . — L e c r é a n c i e r , m ê m e p r iv ilé g ié , n e p e u t f a ir e a s s u r e r l a
c h o se d u d é b ite u r, 1 0 4 5 .
C r ié e s . — C o m m e n t e t e n q u e ls l i e u x d o i v e n t s e f a ir e le s c r ié e s o r d o n
n é e s d a n s le c a s
d e l a s a is ie d ’u n n a v i r e d e p l u s d e d i x t o n n e a u x ,
1 9 7 . — E n q u o i e lle s c o n s i s t e n t , 2 0 0 . — E ff e t d e l 'i n o b s e r v a t i o n ,
2 0 2 . — C o m m e n t il e n e s t j u s t i f i é , 2 0 4 .
C roisades . — L e u r e ffe t s u r le d r o i t n a u t i q u e d e s n a t i o n s o c c id e n ta
le s . 9 .
�TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
S9G
r>
D ate. —
Voy.
C o n tr a t
à la
g ro sse , P o lic e d ’a ss u r a n c e .
D échargement . — I n t é r ê t d u c a p ita in e à f a ir e c o n s t a t e r a v a n t le d é c h a r
g e m e n t, le
bon
é t a t d e l ’a r r im a g e , 4 0 8 . — N e p e u t ê t r e c o m m e n c é
a v a n t le r a p p o r t , 5 3 0 e t s u iv . — E x c e p tio n .
D e v o ir d u c a p ita in e ,
5 3 8 . — D a n s q u e ls c a s l e s f r a i s d e d é c h a r g e m e n t p o u r a llé g e r l e n a
v i r e t o m b e n t e n a v a r ie g r o s s e , 4 7 1 1 e t s u i v . , v o y . A v a r i e com m u n e
e t P a r t ic u l i è r e .
D éclaration . — C a r a c tè r e e t e ffe t d e l a f a u s s e d é c l a r a t i o n , 1 2 1 7 e t
s u i v . , v o y . D é la i, D é la is s e m e n t, F r a u d e , R éticen ce.
D éclaration
t e guerre . —
R e s p o n s a b ilité q u ’e lle i m p o s e a u x
assu
re u rs, 4 255.
D édommagement. — Voy. C a p ita in e .
D é l a i . — D é la i d e l ’o p p o s itio n a u v o y a g e p o u r c o n s e r v e r le p r iv ilè g e ,
1 5 0 e t s u iv . — P o u r o p é r e r l a s a is ie , 1 7 1 . — D e l a n o tif ic a tio n d u
p r o c è s - v e r b a l a v e c c i t a t i o n , 4 8 8 e t s u iv . - -
D e l a v e n te lo r s q u e
le
n a v i r e s a is i e s t d ’u n p o r t i n f é r i e u r à d i x to n n e a u x , 2 1 7 . — D e l’o p
p o s itio n
à
l a d é liv r a n c e d e s d e n ie r s , 2 4 3 . — D e l a p r o d u c t i o n d e s t i
t r e s p o u r l a c o llo c a tio n , 2 4 6 , v o y . A b a n d o n , A c ti o n , A ffic h e , C i
ta tio n , C o m m a n d em e n t, C rié e s, D is t r a c t io n ,
E n c h è re s, O p p o s i
tio n , S a is ie , V en te. — M o tifs d e c e lu i a c c o r d é à l ’a s s u r é p o u r r é a l i
se r le d é la is s e m e n t.
Son
c a r a c tè r e ,
s o n p o i n t d e d é p a r t, 1 4 5 3 e t
s u iv . S a d u r é e a v a n t e t d e p u is l e C o d e , 1 4 5 5 e t s u iv . — N a t u r e de
l a n o u v e lle q u i le f a i t c o u r i r , 4 4 5 9 . — E s t - c e d u j o u r d e l a r é c e p tio n
d e l a n o u v e lle o u s e u le m e n t d e c e lle d e s p r o c è s - v e r b a u x d ’e x p e r tis e
q u ’i l c o u r t d a n s le d é la is s e m e n t p o u r p e r t e d e p l u s d e s t r o i s q u a r ts ,
1 4 6 2 e t s u iv . — L a d é c h é a n c e t i r é e d e s o n e x p i r a t i o n e s t o p p o s a b le
a u r é a s s u r é , 1 4 6 6 . — D e q u e l j o u r c o m m e n c e c e lu i a c q u i s p o u r d é
l a i s s e r . p o u r d é f a u t d e n o u v e lle s , 1 4 8 7 . — P o i n t d e d é p a r t s i a p rè s
a v o i r q u i t t é le p o r t l e n a v i r e a d o n n é d e s e s n o u v e l l e s , 1 4 8 9 . — E f
fe t d e s o n e x p i r a t i o n q u a n t îi l a n é c e s s ité d e r é a lis e r ' l e d é la is s e m e n t.
�DES MATIERES.
597
1 4 9 0 . — Y a - t - i l u n d é la i f a ta l p o u r d é c la r e r le s a s s u r a n c e s e t le s
c o n t r a t s à la g r o s s e , 4 5 1 5 e t s u i v . — M o tifs d e c e lu i a c c o r d é à l ’a s
s u r e u r p o u r p a y e r . S e s e ffe ts . S o n p o i n t d e d é p a r t , 4 5 3 5 e t s u i v . —
N é c e s s ité d ’u n d é la i s u s p e n s if d u d é la is s e m e n t e n c a s d ’a r r ê t d e p r i n
c e . S a d u r é e e t s o n c a r a c tè r e , 1 8 8 5 . — S o n in f lu e n c e s u r c e lu i d e
l ’a r t i c l e 3 7 3 ,
1589—
D é la i a c c o r d é p o u r le r e c h a r g e m e n t d e l a c a r
g a is o n , e n c a s d ’i n n a v ig a b ilité . E ffe t d e s o n e x p i r a t i o n , 1 6 0 7 e t s u i r .
— N a t u r e d e c e lu i a c c o r d é a u x a s s u r e u r s p o u r n o tif ie r s ’i l s a c c e p te n t
o u s ’il s r e f u s e n t l a c o m p o s itio n , 1 6 2 0 , v o y . F i n
d e n o n -re c e v o ir ,
P r e s c r ip tio n .
D élaissem ent . — N ’e s t p a s u n o b s ta c le à l ’a b a n d o n d u n a v i r e e t d u
fre t, 2 9 1 . —
S o n o b je t,
s a n é c e s s ité , 1 3 2 8 e t s u i v . — D if fic u lté s
q u ’i l p o u v a it f a ir e n a î t r e . C o n s é q u e n c e s , 1 4 0 0 . — C a r a c tè r e d e l ’a r
tic le 3 6 9 . E x ig e - t- il q u e c h a c u n d e s f a i t s q u ’i l é n o n c e s o i t a c c o m p a
gné d e la p e rte e n tiè re o u p re s q u e e n tiè re , 1401 e t s u iv . — L e d é
l a is s e m e n t e s t p u r e m e n t f a c u l t a t i f . C o n s é q u e n c e s , 1 4 0 4 . —
F in de
n o n - r e c e v o ir d o n t i l e s t s u s c e p tib le , 1 4 0 5 . — D ’o ù s’i n d u i r a i t l a r e
n o n c ia tio n t a c i t e ,
1466. _
C as d a n s
l e s q u e ls
i l p e u t ê t r e r é a lis é ,
v o y . A r r ê t de p r in c e , D é té r io r a tio n , E ch o u em en t, I n n a v ig a b i l it é ,
N a u f r a g e , P e r te , P r is e . — N e p e u t ê t r e p a r t i e l . E ffe t d e l a d i v is i
b i l i t é o u d e l ’i n d i v i s i b i l i t é d e l ’a s s u r a n c e , 1 4 4 6 e t s u iv . — N i c o n d i
tio n n e l, 1 4 4 8 . — C o n s é q u e n c e s d e l’a c c e p ta tio n o u d e l a d é c la r a tio n
d e s a v a l i d i t é , 1 4 4 9 . — E te n d u e q u ’i l d o i t a v o i r e t d é la i d a n s l e q u e l
i l d o i t ê t r e r é a lis é , 1 4 5 0 e t s u iv . — P o i n t d e d é p a r t e t d u r é e d e ce
d é la i, 1 4 5 4 . — N ’e s t v a la b le q u e s i l a s ig n if ic a tio n e s t s u iv ie d ’u n e
c i t a t i o n e n j u s t i c e d a n s le c o u r s d u d é la i, 1 4 5 8 . — E x c e p tio n q u e
l ’a r t i c l e 3 7 3 c o m p o r te , 1 4 6 2 e t s u i v . — P e u t ê t r e f a i t p o u r d é f a u t
d e n o u v e lle s , v o y . ces m o ts . — P e u t ê t r e r é a l i s é d a n s l a s ig n if ic a tio n
d e l ’a v is , 1 5 0 3 e t s u iv . _
O b lig a tio n s d e l ’a s s u r é . C a r a c tè r e e t é t e n
d u e d e l a d é c la r a tio n d e s a s s u r a n c e s e t e m p r u n t s à l a g r o s s e , 1 5 0 9 e t
s u iv .
—
A q u e l m o m e n t e s t a c q u is l ’e ffe t d u d é la is s e m e n t. C o n s é
q u e n c e s d e s o n i r r é v o c a b il i t é , 1 5 5 9 e t s u iv . — C a r a c tè r e d e l a n u l
l i t é d e c e lu i f a i t a v a n t l ’e x p i r a t i o n d u d é la i d e l ’a r t i c l e 3 8 7 . Q u i p e u t
l ’i n v o q u e r ? 1 6 0 8 .
D emande
en justice . — V o y . F i n d e n o n -r e c e v o ir .
D éfa u t . — Obligation de le prouver en cas de délaissement pour défaut
�TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
598
d e n o u v e lle s . N a t u r e
d e la p re u v e , 1 4 8 7 . — D e q u e ls
d o c u m e n ts
p o u r r a i t - o n l a f a ir e r é s u l t e r d a n s l ’h y p o t h è s e d ’u n e a s s u r a n c e p o u r
c o n t r e b a n d e à l ’é tr a n g e r , 1 4 8 8 .
D épenses
extraordinaires . — O n
p e u t f a ir e a s s u r e r le s d é p e n s e s e x
t r a o r d i n a i r e s f a ite s e n c o u r s d e v o y a g e ,
1 1 6 3 . — L e u r c a r a c tè r e ,
v o y . A v a r ie .
D ernier
ressort . —
L e ju g e m e n t q u i p r o n o n c e e n t r e p l u s i e u r s a s s u
r e u r s c o lle c tiv e m e n t e s t e n d e r n i e r r e s s o r t p o u r c e u x d o n t l ’i n t é r ê t
n e d é p a s s e p a s 1 ,5 0 0 f r a n c s , 1 0 8 1 .
D érogation . — C a r a c tè r e d e s d é r o g a tio n s d o n t e s t s u s c e p tib le l e p r i n
c ip e d e l a r e s p o n s a b i l i té d e s a s s u r e u r s , 1 2 8 7 . — D e c e lle s q u e c o m
p o r te l ’a r t i c l e 3 5 9 , 1 4 0 7 , v o y . C h a r g e m e n t.
D éroutement . — S e s e ffe ts , 1 2 9 1 . — F a c u l t é d e d é r o u t e r . S e s c o n s é
quences, 1 3 0 0 ,
D étérioration . — V o y . P e r te .
D ifférence . — C a ra c tè r e e t e ffe ts d e l a d if fé r e n c e e n t r e l a p o lic e d ’a s
s u r a n c e e t l e c o n n a i s s e m e n t o u le b i l l e t d e g r o s s e , 1 2 1 9 . —
s u r é p e ù t s ’e n p r é v a l o i r , 1 2 2 0 . — E s t - il d û
d e p le in
L ’a s
d ro it u n e in
d e m n ité a u x a s s u r e u r s p o u r l a d if fé r e n c e d u n e u f a u v i e u x . S a q u o
t i t é l o r s q u ’e lle e s t a c q u is e , 1 6 4 1 e t s u i v .
D istraction . — C a u s e s p o u v a n t m o tiv e r u n e d e m a n d e e n d i s t r a c t i o n ,
223 e t s u iv . —
F o r m e d e c e t t e d e m a n d e e t d é la i d a n s l e q u e l e lle
d o i t ê t r e r é a lis é e , 2 3 6 . — S e s e ffe ts s u i v a n t q u ’e lle e s t a n t é r i e u r e o u
p o s t é r i e u r e à l ’a d ju d ic a tio n , 2 3 7 e t s u iv . — C o m m e n t d o i t - e l l e ê t r e
i n s t r u i t e e t j u g é e , 2 3 9 e t s u i v . — C o n d a m n a tio n q u e p o u r r a e n c o u
r i r le d e m a n d e u r q u i a s u c c o m b é , 241
D iv isibilité — C o m m e n t p e u t- e lle ê t r e é t a b l i e , 1388 e t s u iv . — S e s
e ffe ts , 1360 e t s u iv . — S o n in f lu e n c e e n c a s d e d é l a i s s e m e n t , 1447.
D omicile . — L a p o lic e d o i t i n d i q u e r le d o m ic ile d e l ’a s s u r é . E ffe t d e
l ’o m is s io n , 1 0 3 6 e t s u iv .
D roit
m aritim e .
—
S o n c a r a c t è r e . S e s o r i g in e s , 1. — D if fic u lté
que
p r é s e n t e l a r e c h e r c h e d e c e lle s - c i, 2 . — R a p p o r t s s o u s l e s q u e l s i l
d o i t ê t r e e n v is a g é , 2 3 e t s u iv .
Droit
romain. —
E p o q u e à la q u e lle
il
a e u à s ’o c c u p e r d e la m a -
�599
DES MATIÈRES.
tièrc 5.
Influence qu’il a exercé en Orient et en Occident, 7.
— Comment il se conserva dans celui-ci, 8. — Appréciation de
ce droit, eu égard aux divers recueils des lois nautiques, 18.
D unette . — Voy.
Chargement.
JE
E chelle . — C a ra c tè r e d e l a c la u s e a u t o r i s a n t à f a ir e é c h e lle , d r o i ts
q u ’e lle c o n f è r e , 1 2 9 7 e t s u iv . — N e d o n n e p a s le d r o i t d e r é t r o g r a
d e r , 1 2 9 9 . — L a f a c u lté d e fa ire é c h e lle e t d e r é t r o g r a d e r n e r e n f e r
m e p a s c e lle d e c h a n g e r le v o y a g e , 1 3 8 1 .
E chouement. — S e s c a r a c tè r e s , s e s e ffe ts, 1 2 3 8 . — E s t u n e c a u s e d e
d é la is s e m e n t. Q u a n d ? 1 4 1 2 . —
D e v o ir q u e l ’é c lio u e m e n t a v e c b r i s
im p o s e à l ’a s s u r é , 1 6 2 7 . — C o m m e n t il d o it ê t r e p r o u v é p a r l ’a s s u r é
q u i d é la is s e ,
1548, voy.
Innavigabililé.
— N a tu r e d e s f r a is o c
c a s io n n é s p a r l’é c h o u e m e n t v o l o n t a i r e . C a ra c tè r e d e c e lu i- c i, 1 7 1 4 e t
s u iv . — A v a r ie c o m m u n e n a i s s a n t d e l ’é c h o u e m e n t f o r t u i t , 1 7 1 8 .
E clairage . — E c la ira g e r é g le m e n ta ir e p o u r le s n a v ir e s à v a p e u r , 1 7 6 5 .
— P o u r le s n a v i r e s à v o ile s , 1 7 6 8 .
E mprunt . — D a n s q u e ls c a s le c a p ita in e p e u t e m p r u n t e r p o u r le s n é c e s
s i t é s d u v o y a g e . A q u e lle s c o n d itio n s , 4 4 6 . — L e c a p ita in e d û m e n t
a u to ris é
p e u t-il
c o n tr a c te r u n e m p ru n t o rd in a ire , 4 1 9 e t su iv . —
P e u t - i l a f fe c te r le c h a r g e m e n t à l ’e m p r u n t à l a g r o s s e , 4 5 3 e t s u iv .
—
E ffe t d e l ’in o b s e r v a tio n
d e s f o r m a lité s
3 3 4 . P e u t - e l le ê t r e o p p o s é e a u p r ê t e u r p a r
v ire , 4 5 5 e t
su iv . —
p r e s c r i t e s p a r l ’a r tic le
le p r o p r i é t a i r e d u
na
L e c a p ita in e e s t t e n u d e j u s t i f i e r d e l ’e m p lo i
d e s s o m m e s e m p r u n t é e s , 4 6 0 . — E ffe t d e l ’e m p r u n t c o n tr a c té s a n s
n é c e s s ité , 461 e t s u iv .
E mprunt
a la grosse . —
O b je ts s u r le s q u e ls il p e u t ê t r e a ffe c té , 8 7 2
e t s u i v . — P e u t - i l ê t r e f a i t s u r le s b a r q u e s e t b a t e a u x d e s s e r v a n t le s
p o r t s e t r a d e s o u c o n s a c r é s à l a p ê c h e , 8 7 7 e t s u i v . — P e u t - il affec
t e r l e c h a r g e m e n t, 8 8 0 . —■ L ’e m p r u n t s u r c h o s e s d é jà a s s u r é e s e s t
�600
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
n u l, 8 8 7 . — N e p e u t p o r t e r s u r le f r e t à f a ir e n i s u r le b é n é f ic e es*
p é r é , 8 9 2 . — N i s u r le s l o y e r s d e s m a t e l o t s ,
c o tille s
d e s g e n s d e l ’é q u ip a g e , 9 0 7 . —
900. —
S ccu s, d e s p a
C a u s e s r e n d a n t l ’e m p r u n t
e x ig ib le . E ffe ts d e l ’e x ig ib ilité , 9 0 8 e t s u i v . —
Q u i p e u t e m p ru n te r
à la g r o s s e , 9 2 5 e t s u iv . — C e lu i f a i t s u r c o r p s p a r le n o n p r o p r i é
ta i r e n e p r o d u i r a i t a u c u n e ffe t. E x c e p tio n p o u r le c a p i t a i n e . S e s d e
v o ir s , 9 2 7 e t s u iv . —
E ffe t d e l ’e m p r u n t c o n t r a c t é p a r l u i h o r s le
lie u d e l a d e m e u r e d e s p r o p r i é t a i r e s , 9 3 1 . — L e u r r e s p o n s a b i l i té r é
c ip r o q u e , 9 3 2 ___ E ffe t d e la g a r a n tie q u e le c a p ita in e d o n n e r a i t p e r
s o n n e lle m e n t à l’e m p r u n t , 9 3 5 . — C o m m e n t se r è g l e n t le s e m p r u n t s
s u r f a c u lté s c o n tr a c té s p a r le c a p ita in e e n c o u r s d e v o y a g e , 9 3 6 . —
L e c a p ita l e m p r u n té n e p e u t ê t r e a s s u r é , 1 2 0 0 . — O b lig a tio n d e l ’a s
s u r é q u i d é la is s e d e d é c la r e r le s s o m m e s p r is e s à la g r o s s e . N a tu r e
d e c e tte o b lig a tio n , 1 5 1 0 e t s u iv . — L ’a s s u r e u r p e u t - i l d é f a lq u e r d u
m o n t a n t d e l’a s s u r a n c e d e q u o i s a tis f a ir e a u x e m p r u n t s c o n t r a c t é s e n
co u rs de voyage, 1 5 6 6 . _
D r o i t s d u p r ê t e u r s u r l a c h o s e d é la is s é e ,
1 5 8 4 . — Q u i d o it r e m b o u r s e r l ’e m p r u n t à l a g r o s s e f a it e n c o u r s d e
v o y a g e p o u r r é p a r e r le n a v ir e , 1 6 3 6 .
E m p b u n t e u b . — N é c e s s ité d e s o n n o m d a n s le c o n t r a t d e g r o s s e . E ffe t
d e l ’o m is s io n , 8 4 7 . — D a n s q u e l c a s e s t - i l l i b é r é p a r le s i n i s t r e , 9 4 0
e t su iv . —
Quid,
e n cas d e d é té rio ra tio n d e p lu s des tr o is q u a r ts ?
9 4 6 . — C o m m e n t s’a p p r é c ie c e lle - c i ? 9 4 9 . — L e s i n i s t r e d o i t ê t r e le
r é s u l t a t d e la f o rc e m a je u r e . C o n s é q u e n c e s , 9 5 0 . —
N ’e s t p a s lib é r é
s i, p o u v a n t t r a n s b o r d e r le s m a r c h a n d is e s a f fe c té e s , i l
a p r é f é r é le s
v e n d r e s u r l a lo c a lité , 9 5 8 . — S e s o b lig a tio n s à l ’e n d r o i t d e s o b je ts
s a u v é s , 9 5 9 . — P e u t - il v e n i r e n c o n c o u r s a v e c le p r ê t e u r s u r le p r o
d u i t d u s a u v e ta g e , 9 6 0 e t s u iv . — D o it- il, e n c a s d e c o n c o u r s , t e n i r
c o m p te d e s m a r c h a n d is e s d é c h a r g é e s a v a n t le s i n i s t r e , 9 6 5 e t s u i v . —
N ’e s t l i b é r é q u e p a r l a p r e u v e q u ’i l a v a i t à b o r d u n i n t é r ê t é g a l à la
s o m m e e m p r u n té e . C a r a c tè r e d e C e tte p r e u v e , 9 8 5 e t s u iv .
— Peut
e x c i p e r lu i- m ê m e d u d é f a u t d e c h a r g e m e n t, 9 9 0 , v o y . C h a r g e m e n t,
C o n tr a t, E m p r u n t et
Prêt à la gro sse.
E n c h è b e . — E p o q u e e t o r d r e d e r é c e p tio n
d e s e n c h è r e s p o u r l a v e n te
s u r s a is ie , 2 0 5 e t s u iv . — L e d e r n i e r e n c h é r is s e u r a p r è s l a tr o is iè m e
c r ié e e s t - i l lié p a r s o n o ffre m a lg r é l a r e m is e , 2 1 0 e t s u i v
m a lité s d e la f o lle e n c h è r e . S e s e ffe ts , 231 e t s u iv .
— F o r
�DES MATIÈRES.
E nchérisseur .
601
— Voy. Enchère.
— Caractère de l’endossement des billets de grosse. Ses
effets, 862. — Envers qui le porteur d’un endossement irrégulier
pourra-t-il prouver qu’il en a fait les fonds, 863. Effet de l’irrégu
larité du second endossement à l’égard du souscripteur du premier,
864 et suiv. — Etendue de la garantie résultant de l’endossement,
866 et suiv. — Il peut être à forfait. Conséquences, 869 et suiv. —
Déchéance du porteur contre son cédant. Dans quels cas, 871. — La
police d’assurance peut être à ordre et transmissible par endosse
ment. Formes et conditions, 1078 et suiv.
E ndossement .
— L’engagement des gens de mer est réglé, quant à sa du
rée, par l’article 1780 du Code civil, 539. — Modes divers admis par
la loi. Actions qui en naissent, 540 et suiv. — Comment il est éta
bli. Foi due au rôle d’équipage, 542 et suiv. — A défaut, le mode
est déterminé par la convention, 545— Comment il est procédé pour
les engagements contractés à l’étranger ou en cours de voyage, 546
— Devoirs du matelot régulièrement engagé, 547. — La substitu
tion de navire, de capitaine, ou de l’un et de l’autre ne rompt pas
l’engagement, 548. — Obstacles à l’exécution de l’engagement, 559.
— Effets de l’inexécution, voy. Rupture de voyage. — Caractère de
l’engagement au profit ou au fret. Conséquence dans le cas de ruptu
re, 533 et suiv.
E ngagement .
— Pourquoi on l’a prescrit pour le prêt à la grosse?
Délai accordé, 873 et suiv. _ Où et en quel lieu il doit être fait.
855 et suiv. — Effet de l’omission ou de sa tardiveté, 857 et suiv.
. E nregistrem ent .
— Comment il doit être formé, 364 et suiv. — Qui doit dé
terminer le taux des salaires? 369. — Qualités requises pour pou
voir en faire partie, 538. — Les faits de l’équipage rentrent dans la
catégorie des faits personnels à l’emprunteur, 952. — Les fautes de
l’équipage constituent la baraterie de patron, 1260. — Conséquences
quant à la révolte, l’insubordination et la désertion, 1271. — Droits
de l’équipage en cas de délaissement, 1563, voy. Capitaine, Enga
gement, Gens de mer, Matelots, Officiers.
E quipage .
Erreur . — Effets
de l’erreur dans le règlement entre assureur et assuré,
1449.
E sclavage.
— Droits du matelot pris et fait esclave, 616 et suiv. —
�602
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
Comment se règle l’indemnité du rachat et par qui elle est due,
618 et suiv. — Détermination de l’indemnité. Formes de son recou
vrement et de son emploi. 621.
— Ne peut être dispensé de donner caution, en cas de saisie
de son navire prêt à mettre à la voile. La doit-il dans tous les autres
cas, 265 et suiv. — Les capitaines étrangers sont-ils liés par l’arti
cle 225 du Code de commerce, 385. — Devant qui doivent-ils faire
leur rapport, 600. — L’étranger peut se faire assurer en France. A
quelles conditions, 1013 — Quid, si la France était en guerre avec
la nation à laquelle il appartient? 1014.
E tranger .
E xagération. — Effet de l’exagération frauduleuse ou dolosive dans la
valeur des choses assurées, 1319. — Dispositions de l’ordonnance.
Reproches qu’elles méritaient, 1320 et suiv. — Système du Code,
1322. — A quel titre la prime est-elle acquise aux assureurs 1323
— Caractère de la nullité de l’assurance, 1324. — L’assuré doit
' avoir été de bonne foi. Quid, en cas contraire? 1325 et suiv. —
Comment s’établit le dol ou la fraude, 1327. — Effet de l’exagération
commise de bonne foi et par erreur, 1328. — Comment et dans quel
cas s’opère la réduction, 1329. — Effets de la bonne foi quant à la
prime, 1330. — L’action en exagération est ouverte au réassureur,
1333 — Ses effets sur le contrat de réassurance, 1334.
Expéditions. — Nature du refus que la douane peut faire de délivrer
les expéditions du navire. Conséquence de leur remise après l’op
position d’un créancier, 257. — Ne peuvent être saisies-arrêtées par
application de l’article 557 du Code de procédure civile, 270.
E xperts . — Les parties peuvent aimablement choisir les experts char
gés de régler l’avarie commune, 1826 et suiv. — Compétence du
consul du pavillon dans les ports français, 1828. — Le capitaine
étranger peut valablement s’adresser aux tribunaux français, même
lorsqu’il agit contre un de ses nationaux, 1829 et suiv. — Les ex
perts prêtent serment avant d’agir. Nature de leur mission. Comment
ils doivent la remplir, 1832 et suiv. — Comment ils doivent procé
der à la répartition, 1852, voy. F in de non-recevoir, Règlement
d'avaries, Répartition.
�DES MATIÈRES.
603
— Avantages et inconvénients des factures dans l’estimation
des choses assurées, 1126. — Cas dans lesquels on doit leur préfé
rer les prix courants, 1127.
F acture .
— Effets de la faillite de l’assureur ou de l’assuré avant la fin
du risque, 1185 et suiv.
F a il l it e .
personnel . — Le prêteur à la grosse ne répond pas du fait person
nel de l’emprunteur. Nullité de la convention contraire, 951 et suiv.
— L’assurance ne peut avoir pour objet le fait personnel de l’assuré
ni des chargeurs ou affréteurs. Conséquence, 1259 et suiv. — Quand
peut-on admettre son existence, 1262.
F a it
F alsification .
F a ute.
— Son caractère. Ses effets, 1112.
— Voy. Capitaine.
de non - recevoir . — Caractère de celle contre la demande en nul
lité de l’assurance contractée après l’arrivée ou le sinistre, 1394 et
suiv. — De celle contre l’action en délaissement, 1405, 1444__ Ca
ractère des fins de non-recevoir. Leur objet. Effets qu’elles produi
sent, 1986. — Conditions de celle que peut encourir le chargeur
dont la cargaison a été endommagée, 1987 et suiv. — Caractère de
la réception. Actes et faits qui l’excluent, 1990 et suiv. — Protesta
tion à faire dans les ving-quatre heures. Equipollent admis par la
jurisprudence, 1993 et suiv. — A qui doit-elle être signifiée, 2000.
La fin de non-recevoir est acquise, si la protestation n’a pas été sui
vie d’une demande en justice dans le mois, de sa date^ Caractère de
cette demande, 2001 et suiv. — Contre qui doit-elle être dirigée ?
Conséquences quant au capitaine et aux assureurs, 2006 et suiv. —
Obligation du chargeur qui, à l’arrivée, a présenté requête en nomi
nation d’experts pour constater l’état des marchandises, 2008.—
Quels sont les assureurs qui peuvent se prévaloir de l’inobservatior
du premier paragraphe de l’article 435, 2009. — Ce même paragra-
F in
�604
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
phe régit-il l’hypothèse d’une avarie commune, 2010. — Devoirs
que l’article 435 impose au capitaine qui a des droits sur le charge
ment à raison d’avaries. Exceptions qu’il peut invoquer, 2011 et
suiv. — Effets de l’inaction du capitaine quant aux assureurs sur
facultés, 2013 et suiv. — Point de départ du délai de vingt-quatre
heures, notamment lorsque le déchargement exige plusieurs jours,
2016.— S’augmente du délai des distances, lorsque la délivrance a
lieu à l’étranger, 2017. — Obligations du capitaine pour le domma
ge résultant de l’abordage, 2018 et suiv. — Difficultés que la ques
tion de la possibilité d’agir peut faire naître. Solution, 2020 et suiv.
— De quel moment court le délai, 2022. — Quid, s’il tombe sur un
jour férié ? 2023. — La réclamation doit être suivie d’une demande
en justice dans le mois. Devant quel tribunal doit-elle être portée,
2024 et suiv. — Les articles 435 et 436 ne prévoient que le choc
entre deux navires, 2026. — Sont-ils applicables lorsque le choc a
occasionné la perte entière, 2027. == La fin de non-recevoir encou
rue par le capitaine libère ses assureurs, 2028.—Elle peut être invo
quée pour la première fois en cause d’appel, 2029.
m ajeu re . — Ses effets sur la responsabilité du capitaine Na
ture de la preuve exigée, 413 et suiv. — Elle n’existe que si l’évé
nement ne peut être attribué ni au fait du capitaine, ni à celui de
l’équipage, 416, voy. Arrêt de prince, Blocus, Incendie, Interdic
F orce
tion de Commerce.
F orcement
de voiles . —
Câble.
— Droits des fournisseurs pour radoub, victuailles, ar
mement et équipement du navire avant et pendant le voyage, voy.
Privilège. — Ne peuvent faire assurer leur créance, mais ils peu
vent la céder à forfait, 141. — Par quel délai se prescrivent ces
droits, voy. Prescription.
F ournisseur .
— A la charge de qui sont les frais de vente et d’expertise eh cas
d’avarie. Nature de l’obligation des assureurs. Conséquences, 1653
et suiv.
F ra is .
F rais
de ju stice .
— Voy. Privilège.
d’avaries . — Faculté pour les assureurs de stipuler cette
clause. Critiques qu’elle a suggérées, 1791 et suiv. — Réfutation,
F ranc
�DES MATIÈRES.
605
1794. — Ses effets, 1795. — Cette clause peut-elle être suppléée,
1796.
F ranchises. — L eur effet suivant que l ’assurance est divisible ou non,
v oy. D i v i s i b i l i t é , I n d i v i s i b i l i t é , Q u id , p o u r les frais que l ’article
393 m et à la charge des assureurs ? 1612 — A ntiquité de la règle
exigeant que l ’avarie excède le u n p our cent. Ses m otifs, 1682. —
M odifications in tro d u ites par le Code à l ’ordonnance de 1681. —
L eur n a tu re , 1783 et suiv. — Si l’avarie est au-delà d ’un p o u r cent,
elle do it être intégralem ent payée, 1786. — Franchises convention
n ellem ent établies. L eur caractère', 1787 et su iv . — S u r quelles va
leurs doit-on les calculer, 1789 e t suiv.
F rancisation . — Celui d ont le nom figure dans l ’acte de francisation
est, à l ’endroit des tie rs, le seul p ropriétaire du navire, 165.
F raude . — Son caractère dans la déclaration des assurances e t des em
pru n ts, 1519 et suiv. — P a r q u i doit-elle être prouvée, 1525 — Ses
effets, 1526. — Son influence su r l ’opinion des a ssu reu rs p o u r ou
contre la com position, 1625, voy. D é c la r a tio n , E x a g é r a t io n , F a l
s ific a tio n , R é tic e n c e .
— Ne commence à courir que du jour où le navire a fait voile,
dans l’affrètement au mois, 661. — Comment il est réglé pour les
marchandises non chargées ou retirées avant le départ ou pendant
le voyage, 754 et suiv. — Celui du chargement sans connaissement
ou déclaration, 757. — Celui des marchandises engagées ou vendues
pour les nécessités du voyage, 780 et suiv. — Celui des marchandi
ses vendues pour cause d’avaries, 785. — Dans quel cas l’affréteur
est libéré du fret de retour, 786 et suiv. — Effet de l’arrêt de prince
789. — Le fret est dû pour les marchandises jetées à la mer pour le
salut commun. Comment il se règle, 792 et suiv. — Il n’en est dû
aucun en cas de naufrage, de pillage ou de prise, 794. — Consé
quence quant au fret payé d’avance et à celui des marchandises sau
vées, 795 et suiv. — A quelle époque le fret cesse-t-il d’être dû en
cas de pillage, ou de prise ? 797. — Ne peut être diminué dans au
cun cas, 817, voy. Affréteur, Capitaine, Consignataire, Prescrip
tion, Rachat. — Le fret à faire ne peut faire l’objet d’un emprunt à
la grosse, 892. — Quid, du fret acquis ?.Quand sera-t-il réputé tel ?
893 et suiv. — Lorsque le fret déclaré acquis à tout événement
F ret.
�606
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
égale la valeur du navire, et que l’armateur a emprunté sur corps
jusqu’à concurrence de cette valeur, pourra-t-il, en cas de sinistre,
retenir et le capital emprunté et le fret, 895 et suiv.— Le fret acquis
en cas d’heureux voyage est soums au privilège du prêteur, 917 —
— Quid, en cas de naufrage? 918. — On peut quant au fret déroger
au droit commun, 919. — Comment se répartit le fret entre les
prêteurs sur les diverses parties du navire, 920. — Le fret à faire ou
à payer ne peut être assuré, 1197._ Le fret doit être délaissé. En
quelles circonstances et pour quelles marchandises ? 1575 et suiv.—
A quel taux l’assuré doit-il faire raison de celui qui lui est acquis à
tout événement ? 1578. — Peut-on déroger à l’obligation de délais
ser le fret des marchandises sauvées, 1579 et suiv. — Est-il dû pour
les marchandises jetées à la mer lorsque le chargeur a autorisé le
chargement sur tillac, 1783 (bis).
— Est obligé de mettre et de maintenir le navire promis en
la possession de l’affréteur. Conséquence, 725. — Effet en ce qui le
concerne, de la vente postérieurement à l’affrètement, 726. — Peut
demander la résiliation de la charte partie en cas de non exploitation
du navire, 733, voy. Affrètement, Affréteur, Charte partie, Con
F r éteu r .
naissement.
G
— Droit et obligation du créancier qui a reçu un navire en
gage, 260.
G age .
— Qualités que doit offrir celui que l’huissier institue sur
saisie, 185, voy. Privilège.
G ardien .
G a ran tie .
— Voy. Endossement.
— Ne peuvent être arrêtés pour dettes civiles lorsqu’ils
sont ou qu’ils se rendent à bord pour faire voile, 417. —: Caractère
et effet de cette prohibition, 418. — Quelles sont les dettes qu’elle
concerne, 424 et suiv , voy. Chargement, Coffre, Conduite, Con-
G ens
de m er .
ribulion, Engagement, Equipage, Loyer, Matelot, Pacotille.
�DES
MATIÈRES
(507
— Caractère du mandat confié au copropriétaire choisi pour
être armateur gérant du navire. Son étendue, 336 et suiv. — Ses
obligations, ses droits, sa responsabilité, 338 et suiv. — Etendue
et caractère de celle que ses faits entraînent pour les copropriétaires,
340 et suiv. — Peut toujours être révoqué sauf convention contrai
re, 344. — Il l’est de plein droit par la perte, l’innavigabilité ou la
confiscation du navire, 353. — Le copropriétaire gérant est soumis à
la prohibition de l’article 239. — Peine qu’il encourt en cas de vio
lation, 488.
G éra n t .
G uidon
de la m er .
— Son origine, son influence sur le droit nauti
que, 15.
H anse
teutonique .
— Origine de ce recueil de droit nautique. Son ca
ractère, 17.
Rend seule l’avis des experts exécutoire, 1853 —
Devant qui doit-elle être poursuivie. Par qui, 1864 et suiv. — Ses
effets entre parties à l’égard des assureurs, 1856.
H omologation. —
— Doit se conformer à l’article 585 du Code de procédure
civile. Est-il tenu de faire itératif commandement? 175. — Ce que
doit contenir son procès-verbal de saisie, 176 et suiv. — Son obli
gation de constituer un gardien. Qualités qu’il doit rechercher en
lui, 185. II est chargé de faire les criées et de dresser procèsverbal, 197. _ De même pour l’apposition des affiches, 199 et
suiv.
H u issier .
v isiteurs . — Leurs fonctions sous l’ordonnance, 378. —
Conséquences de leur suppression, 379.
H uissiers
mputation .
—■ Quand peut-on imputer sur le capital le montant de
�608
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
la contribution due par le prêteur pour l’avarie commune, 994.
I ncendîe .—
L’incendie du navire doit-il être considéré comme un fait
de force majeure, 416. — L’incendie par fortune de mer est aux ris
ques des assureurs. Quand est-il présumé tel, 1245 et suiv. — Il est
présumé le résultat de la faute, si le rapport du capitaine n’en indi
que pas la cause, 1247 et suiv.
•— L’indemnité de demi pour cent accordée aux assureurs
est-elle acquise au prêteur à la grosse en cas de rupture du voyage,
891. — Légitimité de celle accordée par l’article 349, 1223 et suiv.
— Son caractère. Ses conséquences à l’endroit du privilège accordé
pour la prime, 1230. — Il n’en est dû aucune pour la nullité
résultant des articles 365 et 366. — Motifs, 1388.— Nature de celle
accordée par l’article 368, 1391 et suiv., voy. Capitaine.
I ndemnité ,
— Son caractère, ses effets quant à la franchise d’avaries,
1363 et suiv., voy. Aveu, R a p p o r t .
I ndivisibilité .
— Effet de l’inexécution de l’artiele 200, relatif au procèsverbal de saisie’, 180. — De celle des articles 201 et 204, 194 et
suiv. — Qui peut s’en prévaloir, 203.
I nexécution .
I nnavigabilitè . — L’innavigabilité
du navire dissout la communauté d’in
térêts. Ses effets à l’endroit de l’armateur gérant, 353. — Ses effets
sur la vente du navire. A quelles conditions on doit l’admettre, 467
et suiv. — Qui est à appelé à la déclarer. Nature de la preuve, 469
et suiv. — Conséquences à l’endroit du fret, 771 et suiv. — Quid,
si elle existait avant le départ. 777. — La preuve de cette existence
est recevable malgré le certificat de visite. Ses effets, 778 et suiv. —
Est une cause de délaissement, 1416. — Est-ce à l’assuré de prouver
la fortune de mer, ou à l’assureur d’établir le vice propre. Effets des
procès-verbaux de visite, 1418 et suiv. — Conséquences des modifi
cations qu’a subies la déclaration de 1779,1420. — Effets de la pro
duction ou du défaut de représentation de ces procès-verbaux, 1421
et siiiv. — Par qui et en quelle forme elle doit être déclarée, 1423.
— Caractère de la décision rendue par le consul français ou le juge
de la localité, 1424. — Ses effets si elle se déclare dans le port du
retour, 1425. — Intérêts qu’elle affecte. Droits de l’assuré sur corps,
1595.— Effets de l’innavigabilité relative. En quoi elle consiste.
�DES MATIERES.
<599 et suiv. — Caractère de l’innavigabilité et ses effets dans l’as
surance sur facultés, 1604 et suiv.
In
— La clause du chargement in quovis est-elle admissible
dans le prêt à la grosse ? 805, voy. Chargement.
quovis .
— Le navire prêt à faire voile esMnsaisissable. Excep
tion en faveur des créanciers privilégiés, 252 et suiv. — Dans tous
les cas, le cautionnement empêche la saisie, 255. — A quel moment
le navire est-il prêt à mettre à la voile, 256 et suiv. — L’insaisis
sabilité cesse-t-elle dans le cas d’une relâche ou d’entrée dans un
port d’échelle, 258 et suiv. — Ce que doit contenir le jugement ou
l’arrêt repoussant l’exception d’insaisissabilité, 261.
Insaisissabilité .
m aritime . — Nature et objet de l’inscription maritime. Lé
gislation qui la régit, 538.
I nscription
iNTERncTioN de commerce. — Ses effets sur l’engagement des gens de
mer, voy. Rupture de voyage. Sur la charte partie, 662 et suiv. —
Cas divers qui lui sont assimilés, 665. — Ses effets sur le fret, voy.
Fret. _Sur l’assurance, voy. Assurance, Police.
Interpellation
jud icia ire .
— Voy. Prescription.
a la m er . — Comment se règle le fret des marchandises jetées à la
mer, voy. Fret. Ses effets à l’égard des assureurs, 1244. — Le jet
exécuté pour le salut commun constitue une avarie grosse, ainsi que
le dommage qu’il a occasionné aux marchandises restant sur le na
vire, 1698. — Quid, de celui souffert par le navire, ibid. _ Condi
tions exigées, 1797 et suiv. — Devoirs du capitaine, 1800. — La
délibération doit être rédigée par écrit, signée par tous les délibé
rants, et indiquer les motifs du jet, 1803 et suiv. —. Rapport que
doit faire le capitaine au premier port où il aborde, 1806. — Ces
conditions ne sont pas obligatoires dans le petit cabotage, 1809. —
L’abandon volontaire des câbles ou mâts, le sacrifice d’une ancre ou
J et
v — 39
�610
table générale et alphabétique
de tout autre manœuvre est assimilé au jet, 4842. — A qui appar
tient l’exécution du jet. Ordre à suivre, 1843 et suiv.
J et
irrégulier .
— Ses caractères, ses effets. Devoirs du capitaine,
4$10,4819.
(choses). — Ne contribuent pas au payement du dommage arrivé,
depuis le jet, aux marchandises restées dans le navire, 1891 et suiv.
— Comment se règlent les avaries successives, 4894 et suiv. — A
qui appartiennent les choses jetées, si elles sont recouvrées. Obliga
tions du propriétaire, 4926 et suiv.
J etées
_Quelle est la juridiction compétente pour statuer sur les
contestations entre propriétaires d’un navire, 319.
J uridiction .
L
L amanage
(droit de). — Voy. Pilotage.
— Quand et par qui la licitation peut être demandée et or
donnée, 449 et suiv. — A quelles conditions purge-t-elle le navire
des droits des créanciers privilégiés, ou non, 384. — Comment il y
est procédé, lorsque des navires appartenant à divers propriétaires
ont été mis en société pour les exploiter en commun, et que la so
ciété vient à se dissoudre, 352.
L icitation .
du bord . — Obligation du capitaine de le tenir. Motifs, 373, —
Sa forme, 373. — Enonciations qu’il doit offrir, 375. — Foi qui leur
est due, 376. — Conséquences du défaut de production, 399. — Ex
ception en cas de perte. Comment peut-elle être établie, et dans quels
cas peut-on l’alléguer , 400 et suiv. — Doit être visé à l’arrivée au
lieu du reste. Par qui, 497. — Sa production ne peut suppléer le
rapport, 498.
L ivre
— Effet du naufrage avec perte entière sur les loyers des mate
lots, 587. — Quels sont les loyers perdus, si le naufrage n’a lieu
qu’au retour, 588 et suiv. — Quid, de la perte entière résultant de
la confiscation, 592. — Comment ils affectent les objets sauvetés,
L oyers .
�DES MATIÈRES.
593. — Com ment ils sont payés en cas de m aladie, blessure, .m ort
ou captivé, 599 et suiv. — Privilège qui leu r est accordé su r le
navire et le fret. Son caractère et son étendue, 634 et suiv. Où
et com m ent ils doivent être payés, 636 et suiv. — Sont considérés
comme avaries, en cas d ’arrêt. Qui les supporte, 790. — Ne con
trib u en t pas au rachat, 804. — Ne peuvent faire la m atière d ’un em
p ru n t à la grosse, 900 et suiv. — Quid, de ceux du cap itaine? 904
et suiv. — Ne peuvent être assurés, 1201. — Ne contribuent pas à
l ’avarie com m une, 1 8 6 1 .— Caractère de l’exception,
1862, voy.
Prescription.
— Voy. Capitaine.
— Comment se calcule la majorité appelée à administrer le
navire commun, 321. — Objets sur lesquels elle est appelée à sta
tuer, 325. — Sa délibération consacrant un voyage projeté rend
obligatoire pour la minorité la contribution aux dépenses de la mise
en état du navire, 326. — Peut-elle déterminer elle-même la na
ture et la quotité des réparations, 327. — La majorité ne peut obli
ger la minorité à faire assurer le navire, 328._Ni la forcer à con
tribuer à la cargaison, ni lui refuser sa part du fret des marchan
dises qu’elle aurait chargées à concurrence de ses intérêts seu
lement, 330 et suiv. — Q u id , si elle décidait le désarmement ab
solu et définitif du navire ? 334. — Ne peut revenir sur sa délibéra
tion. Conséquences, 335. — Peut révoquer l’armateur gérant, dans
quels cas? 344.
Ma îtr e .
Majorité .
— Les frais de traitement de la maladie survenue pendant
le voyage sont à la charge dn navire. Etendue de cette obligation,
599 et suiv.— Quid, de celle qui se déclare pendant le rapatriement
des matelots? 502. — De celle qui est imputable à celui qui en est
atteint, 603.
Ma la die .
Mandataire .
— Effet de sa bonne ou mauvaise foi dans l’assurance con-
�G12
TA BU’, GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
tractée depuis le sinistre, 1392. — Sa position, quant à la peine pro
noncée par l’article 368, 1393. — Ses obligations, s’il signifie le dé
laissement, 1511, voy. Assurance, Commissionnaire.
— Sa nature. Ses effets. Devoirs du capitaine, 391. Consé
quences de l’omission, 403.
Manifeste .
_ Faculté pour le capitaine de les engager ou de les
vendre en cours de voyage pour les nécessités du navire1 451. —
Les chargeurs peuvent empêcher l’un et l’autre, en déchargeant.
Comment se règle le fret, 452. — Le capitaine peut les affecter
à l’emprunt à, la grosse, 453. — Celles que le capitaine, naviguant
à profit commun, aurait chargées pour son compte seraient con
fisquées en faveur des coïntéressés, s’il n’y a convention con
traire, 481. — Quid, de celles qu’il expédierait par d’autres na
vires, 482 et suiv. — Effet de la confiscation, 487. — Motifs de
l’obligation de désigner la nature des marchandises sujettes à dé
térioration ou dépérissement et de celles susceptibles de coulage,
1305 et suiv, — Quelles sont les marchandises auxquelles s’ap
plique l’article 355,1308. _ Peine de l’inobservation, 1309. — Ex
ception que cette règle comporte, 1310 et suiv. — On peut y dé
roger. Effet de la clause : En quoi que le tout consiste ou puisse
consister, 1312.
Marchandises.
— Lois spéciales qu’elle avait adoptées. Epoque de leur pro
mulgation, 6. — Suivait le Consulat de la mer, 10.
Ma rseille .
Ma t .
— Voy. Câble.
— Leurs salaires sont insaisissables, 426. — Les matelots
qui chargent une pacotille pour leur compte peuvent l’affecter au
prêt à la grosse. Conséquences de l’emprunt quant à leurs loyers,
907. — Le pansement et la nourriture du matelot blessé en défen
dant le navire sont avaries communes, 1699 et suiv. — Nature des
droits du'matelot blessé sur mer ou sur terre, pendant qu’il était en
mission, 1703. — Nature des loyers dus au matelot fait esclave pen
dant qu’il remplissait une mission, 1704. — Caractère des loyers et
nourriture des matelots pendant la durée de l’arrêt. Motifs de la dis
tinction entre l’affrètement au mois et celui au voyage, 1706 et suiv.
— Devait-on leur assimiler les loyer et nourriture pendant la répa
ration du dommage volontairement souffert, 1708 et suiv. — Ne
Matelots .
�DES MATIÈRES.
contribuent pas à l’avarie commune à raison de leurs coffre et har
des, 1860. — En sont payés, s’ils ont été jetés, 1864, voy. Avarie
grosse, Avarie particulière, Engagement, Equipage , Gens de
mer, Loyer, Pacotille, Rupture de voyage.
Min orité .
— Voy. Majorité.
a te r r e . — Droit du capitaine de mettre à terre les marchan
dises chargées à son insu. Quand peut-il et doit-il l’exercer? 757 et
suiv.
Mise
— Abus qui étaient résultés du silence gardé par l’ordon
nance sur les assurances faites en monnaie étrangère, 1122. — Dé
claration du 17 août 1779, maintenue et complétée par le Code,
1123. — Peut-on déroger à ses dispositions, 1124.
M onnaie .
M o r t . — E ffe t de la m o r t d u m a te lo t q u a n t à
Matelots. — La
ses lo y e r s , v o y .
Loyers,
m o r t d u p a ssa g e r n ’e s t pas u n e cau se de d im in u t io n
d u f r e t d û p o u r s o n passage, 8 1 7
Munitions. — Les munitions de guerre, ne sont pas comprises sous la
dénomination d’agrès et apparaux. Conséquence en cas de saisie du
navire, 184, voy. Contribution , Provisions.
— Obligation du capitaine qui s’est sauvé seul ou avec par
tie de son équipage, 814 — Délai qui lui est accordé pour la rem
plir, 515. — Comment doit être affirmé le rapport, 516. — Où doitil être déposé, 517. _ Effets du naufrage sur le fret et les loyers de
l’équipage, voy. Fret, Loyers. — Caractère du naufrage. Ses effets à
l’égard des assureurs, 1237. — Autorise le délaissement, 1411. —
Devoirs qu’il impose à l’assuré, 1527 et suiv. — Comment doit-il
être prouvé, 1548.
Naufrage .
— De quoi se compose le navire sans autre désignation, 41. —
Signification des termes navires et autres bâtiment de mer, 42. —
L’édit de 1666 les déclara meuble. Conséquences, 43. — Doctrine
N a vire .
�TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
614
de l’ordonnance de 1681, 44 et suiv. — Du Code de commerce. Ses
motifs, 46. — Quels sont les navires exceptés de l’affectation aux
dettes, 47. — Conséquences de l’affectation., 80. — Influence que le
plus ou moins d’importance du navire exerce sur la procédure de
saisie, 198 et suiv. — Formalités, suivant que le navire jauge plus
ou moins de dix tonneaux, 197, 214 et suiv. — Quid, lorsque la
saisie comprend des navires de l’un et de l’autre tonnage? 220. —
A qui appartient le nouveau navire construit avec les débris de l’an
cien, 384. — But de la loi en exigeant que le contrat de grosse men
tionne le nom du navire, 843. — Effets de l’erreur dans l’énon
ciation ou de l’omission, 844. — La police d’assurance doit indi
quer le nom et la désignation du navire, 1046. — Effet de l’omis
sion du nom, 1048. — Exception consacrée par l’article 332, 1049.
— Effet de l’omission de la désignation, 1081. — De la fausse
déclaration ou de l’erreur, 1052 et suiv. — Effet de la nullité 1055.
— Autres indications se rattachant au navire, 1061 et suiv., voy.
Vente.
— Doit-on avoir égard à la différence du neuf au vieux. Sa qua
lité. 1641 et suiv.
Neu f .
Noms. — Voy. Fret.
N olissement .
— Voy. Affrètement.
— Peut recevoir les polices d’assurances et s’entremettre pour
• amener le consentement des parties, 1022 et suiv. — A quel titre sa
signature est requise, 1024. — Doit-il faire signer son registre par
les contractants, 1027. — Sa responsabilité, 1033.
No ta ib e .
N ourriture .
— Voy. Matelot.
N ouvelles . —
Caractère et effets de la clause sur bonnes ou mauvaises
nouvelles, 1389 et suiv. — La réception de la nouvelle du sinistre
fait courir le délai du délaissement. Quand et par qui elle doit être
reçue, 1459 et suiv. - - Comment prouverait-on cette réception à dé
faut de notoriété et de publicité, 1461. — Exception, 1462. — Le
défaut de nouvelles donne lieu au délaissement. Ses effets quant à la
preuve de la perte, 1477 et suiv. — Dans l’assurance à temps limité,
1481 et suiv. — Caractère du défaut de nouvelles. Quand est-il ac
quis, 1485 et suiv. — Point de départ du délai, 1487 et suiv. — Ef-
�DES MATIÈRES.
615
fet de son expiration, 1490. — L’assuré est-il tenu de prouver l’exis
tence du navire au moment de l’assurance, si elle a été faite après le
départ, et si l’assureur n’a pris le risque que du jour du contrat,
1497 et suiv.
— Caractère de la nullité pour chargement incomplet ou frau
duleusement exagéré. Ses effets, 888 et suiv. — De celle édic
tée par l’article 347. Stipulations qu’elle affecte, 1202. — De celle
pour réticence frauduleuse, 1204. — De celle pour fausse décla
ration ou différence. Qui peut les invoquer, 1220. — Caractère
et effet de la nullité de l’assurance dans le cas de changement de
route, de navire ou de voyage, 1295. — De celle du délaissement
fait avant l’expiration du délai de l’article 387. Qui peut l’invo
quer. 1608.
N u llité .
Obligation .
— Voy, Prescription.
— Les salaires de tous les officiers du bord sont saisissables, 426. — Peuvent être congédiés par le capitaine, 625, voy. Ca
pitaine, Chargement, Congé, Engagement. Loyers, Pacotille,
Offïc iees .
Port permis, Prescription.
(Rôles d’). — Origine de ce recueil du droit nautique. Son in
fluence, 12 et suiv.
Oléron
Opposmon. — Nécessité pour conserver les droits sur le navire de faire
opposition au voyage. Caractère de cette obligation, 146 et suiv. —
Qui peut se prévaloir de son inexécution, 148 et suiv. — Délai de
l’opposition. Sa forme. Ses effets, 150 et suiv. — Les créanciers pos
térieurs à la vente ont-ils le droit de faire cette opposition, 152. —
Opposition à la délivrance des expéditions. Sa forme, 169. — Délai,
242 et suiv. — Où doit-elle être signifiée, 245 — La délivrance des
expéditions postérieure à l’opposition ne met pas le navire en état de
faire voile et n’en empêche pas la saisie, 257.
Optio n .
— Conséquences de celle que fait l’assuré entre le délaisse-
�616
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
ment et le règlement d’avaries, <1629 et suiv._De quels actes peuton la faire résulter, 1633 .
Ordinaire
des matelots .
— Voy. Chargement.
— Ordonnances de 1551, 1563 et 1565 sur le droit nauti
que par Charles-Quint et Philippe II, 16- — Ordonnances des rois
de France avant 1681. Leur nature, 1 6 .— Ordonnance de 1681. Son
caractère. Ses effets, 21 et suiv. — Continue d’être obligatoire pour
les points non réglés par le Code, 30.
O rdonnance.
— Droits des ouvriers employés à la construction d’un na
vire, voy. Privilège. — Ne peuvent iaire assurer leur créance, mais
ils peuvent la vendre à forfait, 141, voy. Prescription.
O uvriers .
3F*
— Nature, objet et effets du contrat de pacotille, 553. — La
prime d’assurance doit-elle être prélevée avant le partage des bénéfi
ces, 554. — Obligation du preneur, 555, — Comment se paye le fret
des marchandises excédant le port permis, 556. — Cet excédant
et les marchandises chargées sans port permis sont-ils soumis à la
confiscation, 557, voy. Assurance, Emprunt à la grosse, Matelots
P acotille .
Port permis'
P ansement . —
Voy. Matelots, Passagers.
_ Effets du partage des voix dans les délibérations des co
propriétaires du navire, sous l’ordonnance et depuis le Code, 322 et
suiv.
P artage .
— Les faits et fautes des passagers ne sont pas à la charge
du capitaine Conséquences, 1270. — Le pansement et la nourri
ture du passager blessé en défendant le navire tombent en avarie
commune, 1701. — Leurs bagages et effets sont-ils soumis à la
contribution ? Voy. Contribution — Doivent contribuer pour la
valeur de leurs hardes, si elles sont sauvées, 1863. — Doivent être
indemnisés de cette valeur, si elles sont jetées, 1864. — Difficultés
P assagers .
�DES MATIERES.
(517
que la détermination de cette valeur peut offrir dans ce dernier cas.
Solution, 1865.
de santé . — Obligation pour le capitaine de l’obtenir et de
l’avoir à bord, 391, 403.
P aten te
P atbon .
— Voy. Capitaine.
— A quelle époque doit se faire le payement du contrat à la
grosse. Où et comment doit-il être exécuté, 915 et suiv. — A quelle
époque est-il dû par les assureurs. Peuvent-ils être condamnés avant
l’échéance du délai, 1505 et suiv — Dans quel délai doit-il être
réalisé, 1535 et suiv. — N’est exigible qu’après la production des
pièces justificatives, 1538. — Est dû après délaissement validé ou
accepté, malgré le retour du navire. Exception, 1563 et suiv. — Ce
qu’il doit comprendre en cas d’un emprunt ou d’une assurance sur
vivres et avances, 1565 et suiv.
P ayement .
pbovisoibe . — Peut être ordonné. Dans quels cas, à quelles
conditions, 1557 et suiv.
P ayement
— Peine encourue par l’assuré ou l’assureur qui a traité con
naissant le sinistre ou l’heureuse arrivée, 1396.
P e in e .
— Effets de la péremption d’instance relativement à la
prescription, 1976. — Par quel délai elle est acquise, 1978.
P ébem ption ,
— La perte du navire éteint le privilège, voy. Privilège. —
Dissout la copropriété,^53 — Dans quels cas donne-t-elle lieu au
délaissement, 1431 et suiv. — Sa détermination. Mission des ex
perts. Devoirs des magistrats, 1433 et suiv. Sur quoi doit-elle por
ter dans l’assurance sur corps, sur facultés ou sur sommes prêtées à
la grosse, 1337 et su iv .— Comment elle se calcule, 1443. — De
quelle manière doit-elle être prouvée en cas de délaissement, 1546 et
suiv.
Pebte.
— Pratique nautique des Phéniciens. Importance de leur
commerce, 3.
P héniciens .
— Effets du pillage de la cargaison sur le fret, 797. _ Quel
est le pillage dont répondent les assureurs, 1253.
P illage
Les droits de pilotage, touage et lamanage ne sont pas à la
charge des assureurs. Exception, 1302 et suiv.
P ilotage . —
�618
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
— Nature de ses fonctions. Le propriétaire répond de ses faits,
281. — Sa responsabilité, 395. — Indemnité qu’il peut exiger.
Nature de son action, 396 et suiv. — Ses salaires sont saisissables, 426. — Effets de sa présence à bord à l’endroit de la responsa
bilité du capitaine, voy. Capitaine. — Les prévarications et fautes
du pilote ne constituent pas la baraterie de patron. Conséquences,
1273.
P ilo te .
P ira tes .
— Voy. Prisa,
d’assurance . — Doit être constatée par écrit, 1015 et su iv .—
La preuve testimoniale est admissible lorsque celui qui l’invoque
n’a pas contracté lui-même, 1018. — La police doit être datée. De
quelle manière, 1019. — Quid, de celle successivement souscrite
par divers assureurs? 1020. — Effets de l’omission totale ou par
tielle. 1021 ■— Forme de la police, 1022. — Dans tous les cas elle
est parfaite parla signature de l’assureur, 1024. — Cette signature
ne peut être biffée, 1025. — Celle de l’assuré n’est pas indispensa
ble. Motifs, 1026. — La police ne peut contenir ni renvois ni ra
tures ni surcharges, à moins de l’approbation de toutes les parties,
1028. _ Doit-elle être à double original si elle est sous seing privé,
1029 et suiv. — Foi qui lui est due, 1032. — Elle ne doit, dans
tous les cas, offrir aucun blanc, 1033. — Enonciations qu’elle doit
renfermer. Effet de l’omission, 1035 et suiv. — Ce qu’il faut enten
dre par les autres conventions que la loi autorise, 1072. — Effets
de la police. — Règles d’interprétation, 1073 et suiv. — Pouvoirs
du juge, 1077». — Peut être à ordre ou au porteur, 1078 et suiv. —
Une même police peut contenir plusieurs assurances. Comment le
reconnaîtra-t-on, 1083.
P olice
P olice
(concours de). — Voy. Ristourne.
P olice
flottante .
P ort .
P ort
— Son caractère, ses effets, 1357.
— Lois de police régissant les ports et rades, 25.
perm is .
P ortée
— Voy. Chargement, Pacotille. >
des matelots .
— Voy. Chargement, Coffre.
PossESsion. — Voy. Prescription.
P ourparlers .
—■Voy. F in de non-recevoir, Prescription.
�DES MATIERES.
619
Motifs qui l’ont fait admettre dans le commerce mari
time, 1929 et suiv. — Durée de celle qui a pour objet la propriété
du navire. Caractères de la possession, 1931 et suiv. — Son point
de départ, 1933. — Sa durée serait-elle moindre si le possesseur avait
acquis a non domino, 1934 et suiv. — Quid, du quirataire du na
vire ? 1937 et su iv .— Durée de celle contre l’action dérivant du
contrat de grosse, 1941 et suiv. — De celle contre l’action en délais
sement, 1943 et suiv. — De celle contre l’action d’avarie, 1945 et
suiv. — Point de départ de celle-ci. Ne reconnaît aucune cause de
suspension, 1960. — Prescription contre l’action en payement du
fret. Délai requis. A qui peut-elle être opposée, 1951 et suiv. —
Motifs qui ont dû soumettre à la prescription annale l’action en paye
ment des salaires de l’équipage. Etendue de l’article 433 à cet égard,
1953 et suiv. — La prescription annale n’atteint pas les sommes
prêtées en cours de voyage ni les avances faites par le capitaine
à l ’armement, 1955. — Quid, de l’action de l’administration de la
marine en remboursement des frais de nourriture, traitement et rapa
triement de l’équipage? 1956 et suiv. — La prescription annale
éteint l’action en délivrance. Des marchandises, 1958 et suiv.—
Quid, de l’action en répétition du prix des marchandises vendues en
cours de voyage pour les nécessités du navire ? 1962 et suiv. —
Point de départ de ces trois prescriptions, 1964. — Délai de celle
contre les fournisseurs. A qui peut-elle être opposée, 1965 et suiv.
— L’action contre le propriétaire apparent l’empêche de courir,
1967. — Délaide celle pour nourriture fournie aux matelots. Sa
laires ou travaux faits, 1968 et suiv. — Son point de départ, 1970
et suiv. — Celui qui exeipe de l’article 433 peut-il être astreint au
serment, 173. — La prescription n’a pas lieu s’il y a cédule, obliga
tion, arrêté de compte, interpellation judiciaire, 1974 et suiv.—
D’où peut résulter celle-ci, 1979 et suiv. — Celle faite pour le dé
laissement comprend celle pour avarie, 1980. — Caractère que doit
avoir l’arrêté de compte pour empêcher la prescription. 1981. — Ef
fet des pourparlers. Leur caractère, mode de preuve, 1982 et suiv__
On peut en exciper en cas de délaissement. Leur effet dans ce cas,
1984 et suiv.
P heschiption . —
P késomption. — Caractère de la présomption de l’article 366, 1381. —
Comment se fait le calcul des distances. Nature de l’alternative,
�620
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
4382 et suiv. — Présomption qui se tire des termes avant ou après
midi, 4384. — Différences entre la présomption de l’article 366 et
les présomptions ordinaires, 438S et suiv. — Effet de la présomp
tion dans l’assurance faite par un mandataire ou par un commission
naire, 4387.
P bêt
a la grosse .
— Voy. Contrat à la grosse, Emprunteur, Prê
teur.
— Son nom doit être indiqué dans le contrat. Effet de l’o
mission, 847 et suiv. — Droits que lui confère l’exigibilité du prêt.
942. — Ne répond ni du fait personnel de l’emprunteur, ni du vice
propre de la chose, 954 et suiv. — Ses droits sur les effets sauvés
en cas de naufrage, 957 et suiv._ A-t-il action sur le produit
intégral du sauvetage dans le cas d’un chargement excédant la
somme prêtée, 960 et suiv. — Peut-il exiger, en cas de concours
avec le preneur, que celui-ci tienne compte des marchandises déchar
gées avant le sinistre, 965 et suiv — Répond de l’avarie com
mune. Dans quels cas, 994 et suiv. — Son droit sur le sauvetage
en cas de concours du prêt et d’une assurance, 997 et suiv., voy.
P rêteu r .
Privilège.
— La preuve que les nécessités alléguées n’existaient pas est
admissible, malgré que les formalités de l’article 334 aient été rem
plies, 459. — Celle du mauvais état du navire avant le départ l’est
également, nonobstant les procès-verbaux de visite, voy. Innaviga
bilité , Visite. Comment se prouve la force majeure, voy. Force ma
jeure. L’affrètement et le connaissement, voy. ces mots. Nature de
la preuve résultant du rapport, voy. Rapport. Faculté pour les as
sureurs de prouver contre les attestations produites par l’assuré.
Etendue de cette faculté, 4554 et suiv. — Principes qui régissent
son admissibilité, 4556. — Son admission ne suspend pas la con
damnation au payement provisoire, 4557. — Preuves'que l’assuré
doit fournir à l’appui de l’action en règlement d’avarie Leur nature
et leurs effets, 4638 et suiv.
P reu v e .
l it tér a le . — La vente d’un navire doit être prouvée par écrit,
453 et suiv. — Il est de même de la convention réglant l’indemnité
du capitaine en cas de congé, 308. — De celle qui dérogerait à l’arti-
P reuve
�DES MATIÈRES
fi 21
cle 220 en matière de licitation, 350, voy. Affrètement, Charte
partie, Contrat à la grosse, Police d’assurance.
testimoniale . — Est recevable pour prouver qu’il ne s’est pas
écoulé vingt-quatre heures entre le commandement et la saisie, 171.
— Ne peut être admise dans tous les cas pour lesquels la loi exige
un acte écrit, 308, 320, 350.
P beuve
— En quoi elle consiste. Doit être exprimée dans la police.
1068. — Comment peut-elle être stipulée, 1069 et suiv. — La prime
de réassurance peut être moindre ou plus forte que celle de l’assu
rance, 1151. — On peut faire assurer la prime, 1156. — Doit-elle
être augmentée, la guerre survenant, 1164 et suiv. — Dans quel cas
cette augmentation est-elle acquise, 1168 et suiv. — Comment il
est procédé à sa détermination, 1172 et suiv. — Quand peut-on la
diminuer, 1175. — Dans le cas d’annulation pour exagération frau
duleuse, la prime est acquise à l’assureur. A quel titre, 1322 et
suiv. — Quid, si celui-ci a participé à la fraude ? 1325. — Etfets
de l'exagération de bonne foi quant à la prime, 1330, voy. Ris
P b im e .
tourne.
des pbim es . — L’assureur qui ne l’a pas assurée peut-il la com
prendre dans la réassurance ? 1150. — Faculté de l’assurer, 1150.—
Comment s’établit la prime générale, 1157. — Peut-elle être assurée
par l’asureur du capital ? 1158. — Cette assurance peut-elle être
présumée ? 1159.
P bime
— Ses effets sur le fret, 737. — Quid, si elle est annulée? 798.
Droit de celui qui reprend le navire capturé, voy. Rachat. Son ca
ractère. Ses effets, selon qu’elle est faite par un corsaire ou par un
pirate, 1249. — Comment s’apprécie le caractère du capteur, 1250
— Effet de la lettre de marque, 1251. — Quid, de la prise opérée
avant toute déclaration de guerre, 1252. — Donne lieu au délaisse
ment, 1408 et suiv. — Effet de la prise pour contrebande, 1410. —
— Nature de la preuve à la charge de l’assuré délaissant par suite
delà prise, 1547. — Effets de la prise sur la propriété des objets
capturés, 1615 et suiv. — Obligations de l’assuré quant au rachat,
1617 et suiv. — Doit notifier la composition. Option laissée aux as
sureurs. Délai de la réalisation, 1619 et suiv. — Effets de l’accep
tation ou du refus delà composition, 1620 et suiv. — Q u i d , si le
rachat a été directement fait par l’assureur, 1624.
P b is e .
�622
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
— Dispositions de l’ordonnance de 4681 sur les privilèges.
Comment on les appliquait, 51 et suiv. — Motifs qui firent adopter
l’article 191. — Son caractère, 53. — Economie de la loi sur Tordre
des privilèges, 54. — Les frais de justice viennent en première ligne.
Quels sont les frais autres que ceux de justice qui viennent au mê
me rang, 55 et suiv. — Comment doit-on justifier de ces frais, 57.—
Le deuxième rang appartient aux frais de pilotage, tonnage, cale,
amarrage, bassin, avant-bassin. Caractère de ces frais. Leur justifica
tion, 58 et suiv — Les frais de1 garde sont colloqués au troisième
rang, 60.— Au quatrième, viennent les créanciers pour location de
magasins dans lesquels ont été reposés les agrès et apparaux, 61. •—
Le locateur a-t-il en outre un privilège spécial sur ces derniers, 62
et suiv. — Peut-il s’opposer à ce qu’on les vende séparément du na
vire, 65. — Au cinquième rang figurent les frais pour entretien des
navires, agrès et apparaux, 66. — Justification en ce qui les con
cerne, 67. — Les gages et salaires du capitaine et de l’équipage ont
le sixième rang pour le dernier voyage. Nature et étendue de ce pri
vilège, 68 et suiv. — Ce qu’il faut entendre par dernier voyage, 72.
— Le privilège des gens de mer comprend l’indemnité pour la con
duite Commènt il est justifié, 74 et suiv. — Sont colloqués, au sep
tième rang, les créanciers pour sommes prêtées ou marchandises
vendues en cours de voyage pour le3 besoins du navire. Nature et
objet de ce privilège, 78 et suiv. — Comment se réalise le concours
de ces créanciers, 80. — Il n’y a dans ce cas aucune distinction en
tre les prêteurs à la grosse et les prêteurs ordinaires, 81. — Droit
que la vente des marchandises en cours de voyage, pour les besoins
du navire, confère au chargeur, 82 et suiv. — Justifications à four
nir par les prêteurs et les chargeurs, 85 et suiv. — Fournitures ac
quérant le privilège du septième degré, 90 _Sont colloqués au
huitième rang le vendeur non payé et les constructeurs, à défaut, les
créanciers pour radoub, victuailles, armement et équipement avant
le départ, 92 et suiv. — Le vendeur qui a perdu son privilège n’a
plus le droit de revendiquer le navire, 99. — Différence, quant au
voyage, entre le vendeur et le constructeur, 100 — Droit des ou
vriers employés à la construction. Pourront-ils réclamer le privilège,
104 et suiv. — Les créanciers dont les deniers ont servi à désinté
resser les constructeurs et ouvriers sont-ils subrogés à leur privilé-
P rivilège .
�DES MATIÈRES.
625
ge, <06.— Différence entre les créanciers pour fournitures, travaux,
main-d’œuvres, radoub et les vendeurs et constructeurs, <07 et
suiv. — Ce que comprennent les fournitures pour victuailles, <09.—
Comment doivent être établis les privilèges du n° 8. — Conséquen
ces du défaut des justifications exigées, <10 et suiv. — Les prê
teurs à la grosse sur corps,, quille, agrès et apparaux avant le départ
du navire sont colloqués au neuvième rang, 0 5 et suiv. — Ce pri
vilège existe-t-il s’il y a rupture de voyage, <<8 et suiv, — Effet de
cette rupture après le commencement du risque, 121.— Le privilège
peut-il être réclamé par celui qui a prorogé le fret, <22. — Justifica
tions requises pour l’obtention de ce privilège, <23. — Au dixième
rang viennent les assureurs pour la prime du dernier voyage, <24 et
suiv. — Réponse aux reproches faits à cette disposition, <26 et
suiv. — Comment se règle la prime, si l’assurance est à temps, <28.
_ En cas de sinistre, celui qui paye à la décharge de l’assuré a-t-il
privilège sur le montant de l’assurance, <29. — Justification à four
nir par l’assureur réclamant le privilège. Effet de la quittance qu’il
aurait concédée, <30 et suiv. — Les chargeurs qui ont des domma
ges-intérêts à réclamer sont colloqués au onzième .rang. A quelles
conditions le sont-ils, <32 et suiv. — Pourrait-on substituer une
transaction au jugement ou à la sentence arbitrale, <35. — Caractère
de l’article <91. Il ne peut y être dérogé, <36. — Durée des privilè
ges. Comment ils s’éteignent, <37 et suiv. — L’article 280 ne crée
aucun.privilège, 674. — Durée du privilège du fréteur après la li
vraison des marchandises. Conditions, 812 et suiv. — Ordre dans le
quel il s’exerce, 814. — N’est pas éteint'par la faillite des chargeurs
survenue dans la quinzaine, 815. —Ne s’étend pas aux indemnités
accordées par les articles 288 et suiv. Conséquences, 816. — Sur
quoi porte le privilège du prêteur sur corps, 917. — Que comprend
celui du prêteur sur la totalité ou sur une partie du chargement, 921
et suiv. — Etendue du privilège en général. Ordre dans lequel il
s’exerce. Comment il s’éteint, 923. — Existe-t-il pour le rembour
sement du capital, en cas de rupture du voyage avant le départ, 924.
— Dans quel cas sort-il à effet contre les tiers, 933 et suiv. —
Classement entre les divers prêteurs, 937 et suiv. — Motifs qui l’ont
fait accorder au capitaine et aux gens de l’équipage pour la contribu
tion qui leur est due en cas d’avarie commune. Son étendue, 19< 6 et
suiv.
�Doit être notifié au saisi,
maritime:. — Sa légitimité à quelque taux qu’il ait été porté,
826._Doit être déterminé dans le contrat. Effet de l’omission, 837
etsuiv. — Produit-il intérêt du jour de l’exibilitê, 912 et suiv. —
Peut être stipulé à tant par mois, 976 — Peut-on convenir qu’il
sera en partie acquis à tout événement, 976 et suiv. — Ne peut être
assuré, 1199
P rofit
de voyage . — Caractère de celle prévue par l’article 265.
Ses effets, 574 et suiv. — Quid, de celle occasionnée par force ma
jeure ? 578. — Effets de toutes autres prolongations, 1372 et suiv.
P ro priéta ire . — Doit être consulté sur le choix de l’équipage. Nature
de ce droit, 364 et suiv. — Quid, s’il ne demeure pas sur la localité
et s’il y a seulement un fondé de pouvoir, 367, voy. Abandon.
P rolongation
■■
■■
Affrètement, Capitaine, Congé, Emprunt, Radoub, Responsabilité.
— But et objet de la législation sur la propriété des navires,
28, voy. Navire, Prescription, Vente.
P rotestation . — Voy. F in de non-recevoir.
P ro têt . — Voy. Endossement.
P ro priété .
de bouche. — Ne sont pas comprises sous la dénomination
générale d’agrès et apparaux. Conséquence en cas de saisie, 184. =
Ne contribuent pas à l’avarie commune si elles sont sauvées, 1857.
— Sont payées si elles sont jetées, 1866.
P rovisions de guerre . — Voy. Provisions de bouche.
P rovision
m
Que
dit être .
m e n t.
— Effet de cette clause, voy.
C a p ita in e , C o n n a isse
�625
DES MATIERES.
T X
Ses effets pour les matelots engagés au voyage ou
au mois, 579 et suiv. — Ses effets sur les contrats maritimes en gé
néral, 1374. — Importance de la question de savoir s’il y a raccour
cissement ou rupture. Comment on doit la résoudre, 1375. Consé
quence pour l’assurance du retour, 1376 et suiv. __ Son caractère,
4378.
V-R achat . — Les choses données par composition et pour le rachat du
navire et des marchandises tombent en avaries communes, 4682. —
Nécessité d’une composition. Son caractère. Conséquences du refus
de l’exécuter, 4683. — Les choses données par un chargeur pour le
rachat de ses marchandises, de sa personne ou de celle de ses gens,
ne sont qu’une avarie particulière, 4684. — Secus, de Celles données
pour le rachat de l’otage et de l’indemnité qui lui est due, 4685. —
Les frais faits pour obtenir la mise en liberté du navire sont avaries
grosses, 4686 et suiv. — Effets et forme du rachat, 799 et suiv.—
Celui qui, ayant pris le navire capteur, est devenu ainsi possesseur
du billet de rançon, peut-il en exiger le payement, 802 et suiv. —
Le payement est-il dû si le navire rançonné périt après le rachat,
803. — Entre qui et dans quelles proportions se paye lâ rançon 804,
voy. Esclavage, Prise.
R accourcissement.
— Voy. Porl.
R adoub. — Obligations du capitaine dans le lieu de la demeure du pro
priétaire. Ses droits hors cette demeure, à l’endroit du radoub, 428,
443 et suiv. — Précaution pour l’exercice de ceux-ci, 447. — De
voir du capitaine si la dépense devait excéder ou égaler presque la
valeur du navire, 454. — L’affréteur est obligé d’attendre la lin du
radoub , si le navire a besoin d’être réparé pendant le voyage. Com
ment il peut se soustraire à cette obligation, 768 et suiv. — Devoir
du capitaine, si le radoub est impossible, 774 et suiv. — Effets de
cette impossibilité pour la cargaison et les passagers, 775 et suiv.—
Peine encourue par le capitaine, 9i la nécessité du radoub provient
R ade .
v — 40
I
�6 2 6
ta b le
g én ér a le
et
a l p h a b é t iq u e
du mauvais état du navire avant le départ. Recevabilité de la preuve,
777 et suiv. — Qui répond de celui opéré après l’arrivée du navire,
1139.
R ançon. — Voy. Rachat.
R a pport . — Motifs qui l’ont fait exiger du capitaine, 496. — Dans quels
délais doit-il être fait. Enonciations qu’il contient, 498 et suiv. —
Les rapports des capitaines étrangers peuvent être faits devant le
consul de leur nation, 600. — Par qui et devant qui doit être fait le
rapport, 801. — Comment se justifie l’observation de la loi quant
au délai. Effets de l’inobservation, 502 et suiv. — Effet de l’omis
sion, 504. — Nature et énonciations de celui que le capitaine fran
çais doit faire à l’étranger devant le consul français. Délai, 505 et
suiv. — Conséquence de l’omission, 503. — Q u id , en cas de nau
frage, voy. Naufrage. Comment le rapport doit être vérifié et affir
mé, 512 et suiv. — Forme de la vérification. Mission du juge, 520
et suiv. — Exception, 522. — La vérification peut-elle être suppléée
par d’autres preuves, 523. — Caractère du rapport non vérifié. Fait
foi contre le capitaine, 524 et suiv. — Effet du rapport vérifié. Foi
qui lui est due, 527. — Nature de la preuve contraire, 528. — Le
rapport fait foi en faveur des tiers, jamais contre eux, 529.
R éassurance . — Ses caractères. Ses effets, 1147 et suiv. — Sur quoi
peut-elle porter, 1149 et suiv. — Son effet à l’égard de l’assuré pri
mitif, 1152 et suiv. — Effets que produit sur elle l’annulation de la
police d’assurance pour exagération frauduleuse, 1322. — Est ellemême nulle ou réductible en cas d’exagération frauduleuse ou de
bonne foi, 1334. — Obligations et droits du réassuré en cas de dé
laissement, 1465 et suiv.
—Voy. F in de non-recevoir.
à prime liée, il y a lieu à réduction de
la prime aux deux tiers, à défaut de retour ou en cas de retour in
complet, 1313. — A quelle assurance est-elle applicable, 1314. —
Comment elle s’établit, 1315. — A-t-elle lieu en cas de décharge
ment partiel dans un port d’échelle, 1316. — Quid, si le défaut de
retour provient de la force majeure ? 1317. — Peut-on convenir
qu’il n’y aura pas de réduction, 1318. — Comment s’établit la pro
portion entre assureurs, 1329.
R éclamation .
R éduction . — Dans l’assurance
«
�i& tL .
DES MATIÈRES.
627
d’avabies — Sur quelles bases les assureurs sur corps doi
vent-ils payer l’avarie, 1640, — Doit-on avoir égard à la différence
du neuf ah vieux. Sa quotité, 1641 et suiv. — Modes de règlement
successivement adoptés dans l’assurance sur facultés. Effets spéciaux
de chacun d’eux, 1643 et suiv. — Celui par quotité au brut est le
seul rationnel, 1646. — Comment il y est procédé pour les. objets
vendus en cours de voyage, 1647. — Quid, si la vente n’a eu lieu
que pour prévenir la perte totale, 1648. — Droits et obligations des
assureurs dans un règlement d’avaries communes entre les chargeurs
et l’armateur, 1649 et suiv. — Entre l’assuré et l’assureur le règle
ment a lieu par police, par nature de marchandises, et. le cas
échéant, par séries, 1651 et suiv. — Les dispositions de la loi sur le
règlement peuvent être modifiées par les parties, 1663. — Les règles
prescrites au titre du jet s’appliquent à tous règlements d’avaries
communes, 1820- — Par qui et contre qui doit être intentée l’action
en règlement. Où doit-elle être formée, 1821 et suiv. — Exemple
d’un règlement d’avaries communes, 1852.
R èg les , — Règles, obligatoires pour l’entrée, la sortie et le séjour dans
les ports et rades, 1761 et suiv. — Règles prescrites pour la naviga
tion en mer, 1763 et suiv. —- Effets de leur violation quant à l’abor
dage, 1767. — Règles pour la navigation dans les fleuves et rivières,
1769.
R èglement
— Caractère de la relâche forcée. Devoir du capitaine d’en dé
clarer les causes, 509. — Autorité qui doit recevoir cette déclara
tion. Conséquences quant à l’innavigabilité et la vente du navire,
610 — Peut être fait à l’étranger devant un notaire, 511. — Délai
donné au Gapitaine, 512.—Présomption résultant de l’omission, 513.
R elâche .
R emboursement .
— L’époque fixée pour sa réalisation doit être expri
mée dar.s le contrat de grosse. Effet de l’omission, 852.
— Faculté pour le juge d’accorder remise après les enchères
sur la troisième publication. Discussion dont elle a été l’objet, 207
et suiv. — Peut-elle être accordée d’office, 209. — Il ne peut jamais
y avoir plus de deux remises, 212. —Délai que chacune d’elle
comporte. Leur ordre successif. Leur publicité, 213 — La faculté
de les accorder existe-t-elle lorsqu’il s’agit d’un navire de moins de
dix tonneaux, 219.
R em ise .
wBf&siv
�— Qui doit pourvoir aux réparations nécessitées par des
avaries. Nature de cette obligation, 1635.
R épa rtitio n . — L’origine de l’avarie commune en indiquait la réparti
tion, 1721. — Comment y est-il procédé, voy. Contribution, E x
R épa ration .
perts.
— Responsabilité des assureurs pour le préjudice en ré
sultant, 1235.
R ephésailles .
Réserve . — L’omission de la réserve de faire le délaissement dans la si
gnification de l’avis ne crée aucune exception contre l’assuré, 1508,
voy. Délaissement.
— Dans quels cas et pour quels motifs peut-on demander
celle de la police d’assurance, 1185 et suiv. — Quid, si, en fait, le
risque était épuisé au moment de la demande? 1188. — Peut-elle
être poursuivie faute de payement delà prime, 1191._Effet du
cautionnement, 1192.
R ésiliation .
: V-
( / •.f •i'V
Responsabilité. — Caractère
de celle des propriétaires du navire pour
les faits du capitaine, 266 et suiv. — Son étendue avant le Code de
commerce, 268 et suiv. — Système de la Cour de cassation sous
l’empire du Code. Conséquences, 271 et suiv. — Loi du 14 juin
1841. — Ses motifs. Ses effets, 273 et suiv. — En quels cas et à
quelle^ conditions la responsabilité est-elle encourue. Ses effets,
276 et suiv. — Quid, lorsque l’affréteur a lui-même armé le navi
re ? 2J9, — Si le capitaine s’est fait remplacer malgré qu’il se le fût
interdit, 280. — La responsabilité s’étend au fait du pilote, 281. —
Droits des créanciers. Comment et contre qui peuvent-ils les exer
cer, 282 et suiv. — Restriction au principe de la responsabilité en
cas d’armement en guerre, 300 et suiv. — Caractère de la participa
tion ou de la complicité faisant perdre le bénéfice de cette restric
tion, 302. — Nature de la responsabité du quirataire, armateur, gé
rant, 338. — Caractère de celle des copropriétaires, 340 et suiv. —
Droit commun en matière de responsabilité des assureurs. Son éten
due, 1231 et suiv — Comprend-elle l’augmentation du profit mari
time stipulé en cas de voyage intermédiaire, 1234. — Quid, de la
différence de l’estimation de la valeur de la marchandise ? 1235. —
Cas légaux de responsabilité, 1236, voy. Capitaine.
ï ■
— Ses effets. La faculté de faire échelle ne comprend
pas celle-de rétrograder, 1298.
R étrogradation .
- -V , v
y*.
:«
HŸ. 'A
,^;fl •!
-yimm
�DES MATIERES.
629
— Le vendeur non payé, qui a perdu son privilège, est
non recevable à l’exercer, 99, voy. Action, Distraction, Privilège.
R evendication .
R hodiens .
— Caractère des lois qui les régissaient. Origine de celle
Rhodia dejactu, 4.
— L’existence d’un risque sérieux et certain est substantielle
au contrat à la grosse. Conséquence, 827 et suiv — Sa durée doit
être fixée dans l’acte. Effets de l’omission, 849 et suiv. — Ce qu’il
faut entendre par le temps et le lieu du risque, 940. — Nature du
risque. Caractère de celui pour l’aller et le retour, 969 et suiv. —
Celui qui est pris en termes généraux pour le voyage, les comprend
l’un et l’autre, 972 et suiv. — Droit du préteur si le retour ne s’ef
fectue pas, 964. — Influence du risque sur la stipulation du profit,
975. — Le risque peut être rompu en cas de survenance de guerre.
Conséquence, 978. — Risque pour un temps limité. Son caractère.
Ses effets, 979 et suiv. — A quelle époque commence et finit le ris
que, 981 et suiv — Nécessité du risque dans l’assurance Son ca
ractère à l’endroit de l’assuré, 1010 et suiv. — La police indique le
commencement et la durée du risque, 1066.— Importance de la déter
mination, liberté absolue laissée aux parties, 1135. — On peut sti
puler qu’il ne commencera que tant de jours après le départ. Effets
de cette clause, 1136 et suiv. — Qui répond du prêt à la grosse ou
du radoub opéré après l’arrivée du navire, 1139. — Epoque à la
quelle l’article 328 fixe l’ouverture du risque, 1140. — Quant finit
le risque dans l’assurance sur corps, 1141 et suiv. — Modifications
qu’on peut stipuler, 1143 — Quid, dans l’assurance sur facultés ?
1144 et suiv. — Lorsque le risque est illimité peut-on faire fixer un
délai passé lequel la police sera résiliée, 1146.
R isque .
R istourne. — Fondement et motifs du ristourne lorsque les différentes
polices excèdent la valeur du chargement, 1335 et suiv. — Dans
quel ordre et entre quelles polices s’établit-il, 1337 et suiv.— A lieu
quelle que soit la nature de la police, quel qu’en soit la signataire,
1342 et suiv. — A quelle époque doit exister le concours. Effet du
ristourne amiable. Par qui doit-il être consenti, 1344 et suiv. —
Peut-on et doit-on ristourner la seconde police, si la première est
annulable ou résiliable, 1346 et suiv. — Droit des assureurs subsé
quents de contester la validité du ristourne amiable d’une précédente
"police, 1349. — Exception que l’article 359 peut comporter, 1350.
�TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
630
— Comment doit-on procéder à l’estimation de la chose assurée,
1351. — Effets de la fraude de la part de l’assuré , 1352. — Le
ristourne ne serait pas admis si l’insuffisance actuelle du chargement
tenait à des déchargements dans des échelles autorisées, 1353.—
L’assuré peut s’en prévaloir pour se dispenser de payer la prime,
1354. — Effets de l’erreur dans le règlement du ristourne après dé
laissement, 1449.
R ôle
d’équipage .
— Son caractère. Son objet. Doit être à boid, 390,
403.
du voyage. — Ses effets lorsqu’elle a lieu avant le départ, 561
et suiv. — Indemnité pour les matelots engagés au voyage, si elle
provient du fait du propriétaire ou des affréteurs, 573 et suiv. —
Quid, dans l’engagement au mois? 56ô. — Dans tous les cas la
conduite est due, 566. — Effet de la rupture par force majeure, 568
et suiv. — Effet de la rupture volontaire. Quand peut-on la réaliser,
881. — La rupture totale ou partielle donne-t-elle lieu, en faveur du
prêteur, à l’indemnité due aux assureurs, 891.
R upture
S
— Nécessité de cette voie d’exécution contre les propriétaires du
navire, 162. — Par qui et contre qui peut-elle être exécutée, 163 et
suiv. — Effets de la saisie régulière, 166. — Ne fait pas obstacle à
l’abandon du navire et du fret, 290 — Le créancier est toujours re
cevable à saisir les effets de son débiteur. Exception 424. — Effet
de la saisie de marchandises déjà chargées, 425. -• Ne peut porter
sur les salaires des matelots, 426 et suiv.
S a is ie .
S a isie - a r r êt .
— Le navire et ses expéditions ne peuvent être saisis-ar-
rêtés, 170.
S a isie
conservatoire .
— Peut-elle’ être réalisée. Dans quel cas et en
quelle forme, 164.
S a la ir e .
— Voy. Capitaine, Matelot, Officier, Pilote, Rupture de
voyage, Saisie.
�DES MATIÈRES.
— Lois et ordonnances sur le sauvetage des personnes et des
choses, 26. — Moralité et but de l’ordonnance de d681, 31 et suiv.
— Droits qu’il confère et quels sont les effets dont le tiers est acquis
au sauveteur, 33. — Comment se règle ce droit, lorsque c’est un
navire qui est sauveté, 34. — Le navire abandonné par son équi
page est assimilé au navire naufragé. Appréciation de l’abandon, 35
et suiv. — Quels sont les frais dont les sauveteurs sont affranchis,
39 — Peuvent exiger le partage en nature, 40. — Objets que le ca
pitaine abandonnant le navire doit sauver, 494 — Sa responsabilité
n’est engagée que si leur sauvetage était possible, 495. — Pour
compte de qui s’opère le sauvetage en cas de naufrage. Conséquences.
593 et suiv. — Les matelots qui se sont abstenus d’y participer peu
vent-ils concourir à ses produits pour le payement de leurs salaires,
594. — Quid, des matelots loués au profit ou au fret? 395.— Tous
doivent être payés de leurs journées. Comment ils le sont, 596 et
suiv. — Obligation de l’assuré de concourir au sauvetage, 1527 et
suiv. — Quels sont les frais à rembourser, et jusqu’à quelle quotité,
1530. — Obligations du commissionnaire, 1542. — Effets du non
accomplissement, 1534.— Le sauvetage a lieu pour le compte exclu
sif de l’assureur. Conséquences, 1571.
S auvetage .
_ Peut-il être exigé de celui qui se prévaut de la prescription
annale, 1973, voy. Prescription.
S erm ent .
— On peut faire assurer la solvabilité de l’assureur. Ca
ractère du contrat. Ses effets quant au bénéfice de discussion, 1160
et suiv.
S olvabilité .
p r ê t é e . — Doit être énoncée dans le contrat. Effet de l’omission,
836. — En quoi elle peut consister, et à quel titre livrée, 840.
S omme
S ta ries .
— En quoi elles consistent, 651 et suiv.
S ubrecargüe .
— Ses fonctions. Par qui il est nommé, 368,
— L’assureur payant après délaissement est subrogé à
l’assuré. Conséquences, 1572 et suiv. — Quid, de celui qui a payé
l’équipage relativement au fret acquis avant le sinistre, 1584.
S ubrogation.
S upposition
S urestaries .
de chargement .
— Son caractère. Ses conséquences, 1112.
— Leur nature, 651 et suiv.
�T em pête .
T illac .
— Son caractère. Ses effets quant aux assureurs, 1236.
— Voy .Chargement.
— Chaque créancier opposant est tenu de produire son titre.
Dans quel délai, 246. — Caractère de ce délai. Effet de son expira
tion, 247.
T it r e .
— Effet de Terreur en plus commise dans l’indication du ton
nage du navire, 737 et suiv.— Quand cette erreur existe-t-elle ? 744.
•— Il n’y a pas erreur si l’indication est conforme au certificat de
jauge. Droits des parties dans ce cas, 745 et suiv. — Effet de Ter
reur en moins, 748, voy. Affrètement, Charte partie, Connaisse
T onnage.
ment.
T ouage
(droit de). — Voy. Pilotage.
— Importance de l’estimation dans la police des objets reçus en
troc, 4434 . — A défaut, quand y a-t-il lieu à l’article 340, 1132,
Bases d’estimation, 4133.
T roc.
V aisseau .
— Voy. Navire.
— Effet de la vente en justice sur les privilèges grevant le na
vire, 443 et suiv. — De la vente volontaire., 145. — Doit être cons
tatée par écrit. 153 et suiv. — Effet de l’inexécution de cette règle,
453. — Effet de la vente consentie le navire étant en voyage, 157 et
suiv. — Quand le navire est-il réputé en voyage, 460 — Peut-elle
entre parties résulter de la correspondance, 320 (bis). — Comment
peut avoir lieu la vente volontaire de l’entier navire, 346. — Droit
du copropriétaire qui ne Ta pas consentie, 347. — Le capitaine n’a
pas pouvoir de vendre le navire, 466 et suiv. — La vente hors le
cas d’innavigabilité et sans pouvoir spécial est nulle, môme à l’égard
Ve n t e .
�DES MATIÈRES.
653
des tiers, 471. — Motifs de cette règle, 472. — Effet de la vente sur
la mission du capitaine, 473,
V érifica tio n .
— Voy. Rapport.
propre . — Le prêteur à la grosse ne répond pas du vice propre.
Ce qui le constitue, 951. — Peut-il en prendre la responsabilité,
956. — N’est pas aux risques des assureurs, 1263. — Quand sontils tenus de l’aggravation à laquelle il a donné lieu, 1264 et suiv. —
On peut déroger sur ce point à la loi, 1266. La mort naturelle des
animaux embarqués est présumée provenir du vice propre, 1267. —
Il en est de même pour toutes les marchandises sujettes à dépérir ou
à se corrompre, 1268.
V ice
— Ce qui est compris dans cette dénomination, 109, —
Caractère de l’achat de victuailles. Conséquences, 448. — Devoir du
capitaine pour l’approvisionnement du navire, 533. — Les victuail
les ne peuvent être vendues pendant le voyage. Exception, 534. —
Le capitaine peut en acheter en mer, ou contraindre la mise en com
mun de celles des passagers, 535 et suiv.
V ictuailles .
V ieu x .
— Voy. Neuf.
— Est obligatoire pour les navires. Formes, 379 et suiv. — A
quelle époque doit-elle avoir lieu, 381. — Quels navires y sont sou
mis, 389 et suiv. — Quid, en cas de relâche pour avaries, 384. —
Des capitaines étrangers, 385. — Où doit être déposé le procès-ver
bal, 387. — L’extrait doit en être à bord, 390. — Effet du défaut
de visite, 402. — La preuve du mauvais état est recevable malgré le
procès-verbal de visite, 778. _ Celui qui délaisse pour défaut de
nouvelles est dispensé de prouver la visite, 1502. — Quid, dans le
délaissement pour prise, naufrage, etc., 1549. — Effet de la visite
ou de son omission dans le cas d’innavigabilité, 1550 et suiv.
V is it e .
— L’assureur sur vivre peut-il, en cas de délaissement, défal
quer de la somme assurée le montant des vivres consommés avant le
sinistre, 1568 et suiv.
V iv res .
— Caractère de l’obligation du capitaine d’accomplir le voyage
pour lequel il s’est engagé, 474 et suiv. — A quelle époque le voya
ge est-il terminé, 476. — Effets de la force majeure, 477. — L ’in
vasion d’une maladie contagieuse au lieu de destination rompt-elle le
V oyage ,
v — 41
�654
TABLE GÉNÉRALE ET ALPHABÉTIQUE
voyage, 478._Comment, pendant le voyage, il est pourvu au rem
placement du capitaine, 479. — Peine contre le capitaine qui refuse
de l’accomplir, 480. — Peut être rompu par l’assuré. A quelles con
ditions? 1222 et suiv. — La rupture s’induirait du défaut de char
gement. Dans quels cas l’admettrait-on ? 1226 et suiv.— Rupture
en cours de voyage. Ses effets, 1229, voy. Chargement, Déroute
ment, Echelle, Prolongation, Raccourcissement, Rétrogradation,
Rupture de voyagede long cours . — Utilité de sa détermination. Ancien droit,
1492. — Doctrine du Code, 1493 et suiv. — Loi du 14 juin 1854,
1496.
V oyage
in term éd ia ire . — Pour compte de qui est le risque du voyage
intermédiaire pour la réparation des avarias survenues pendant le
voyage, 1143.
V oyage
W
Wisbuy. _
Origine des lois de Wisbuy, leur caractère, leur influence, 14.
��
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Title
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Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
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Droit commercial. Commentaire du code de commerce. Livre deuxième, Du commerce maritime, 2e édition revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
Subject
The topic of the resource
Droit maritime
Droit commercial
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 22986/1-5
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1879
Rights
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public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234486430
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-22986_Bedarride_commerce-maritime_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
5 vol.
604, 564, 555, 572, 634 p.
21 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/335
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Du commerce maritime
Abstract
A summary of the resource.
Jassuda Bédarride, jurisconsulte provençal et avocat au barreau de la Cour d’Aix-en-Provence poursuit son commentaire du Code de commerce en développant dans ces tomes le Livre II sur le commerce maritime. Ce commentaire débute avec le deuxième tome qui porte sur les titres Ier à III.
- Le premier tome correspond au commentaire du Titre IV du capitaine au Titre XI Des avaries.
- Le deuxième tome contient le début du commentaire du Livre II du Code de commerce. Il regroupe les paragraphes 1 à 354, tandis que le premier tome correspond à sa suite (il regroupe les paragraphes 355 à 824).
- Le troisième tome porte sur le titre IX Des contrats à la Grosse.
- Le quatrième tome commente le Titre X Des assurances.
- Le cinquième tome commente le Titre XI Des avaries au Titre XIV Des fins de non-recevoir.
Afin d’avoir un aperçu encore plus vaste du droit maritime, le Traité des assurances et des contrats à la grosse d’Emerigon, Balthazard-Marie pourra compléter ce commentaire du droit français. Il contient une vision comparatiste des droits maritimes et développe également des conceptions juridiques en avance pour l’époque.
2ème édition revue et mise au courant de la doctrine et de la jurisprudence
Sources : J. Mestre, « L’enseignement du droit commercial », Six siècles de droit à Aix 1409-2009, PUAM, 2009, p. 67.
Résumé Morgane Dutertre
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Présentation et analyse du droit maritime avec sa mise en perspective historique.
Droit maritime -- France -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/1011/RES-28941_Ribbe_Familles_T1.pdf
6f54b4bfb4cb47d92fd58390238e4d8f
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/1011/RES-28941_Ribbe_Familles-T2.pdf
fb77c0c257eda489cee290d8304b5389
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
familles et la société en France avant la révolution (Les) : d'après des documents originaux - 4ème édition refondue et considérablement augmentée
Subject
The topic of the resource
Histoire de la Provence
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Ribbe, Charles de (1827-1899). Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 28941
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Alfred Mame et fils (Tours)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1879
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : https://www.sudoc.fr/048556688
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-28941_Ribbe_Familles_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
2 vol.
XX-338, 376 p.
19 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1011
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Abstract
A summary of the resource.
Dans son avertissement de la 4ème édition, C. de Ribbe rappelle que ce qui l'a toujours guidé dans ses études sur la famille est la leçon tirée par un maître éminent, Le Play, de la Guerre de 1870-1871 : "<em> Le moment est venu pour la France de substituer aux luttes stériles, suscitées par les vices de l'ancien régime et par l'erreur des révolutions, une entente féconde fondée sur l'observation méthodique des faits sociaux</em> ". Un précepte qui fait gagner du temps puisque c'est la méthode qui fixe les objectifs et les limites de l'étude ! <br /><br />Mais il ne s'agit pas de mener une analyse scientifique contemplative destinée à élaborer une anthropologie abstraite. Non, l'enjeu de ce travail, basé sur des faits et pas sur des raisonnements, est son utilité sociale et patriotique : il doit aider à redresser l'état moral du pays. C. de Ribbe est habité par la conviction que la famille en tant qu'institution est ou doit être la clef de voûte de la société humaine et tourmenté par la hantise d'une certaine décadence : "<em>Le péril social n'a pas cessé de grossir, par notre inertie et notre état d'anarchie</em>". <br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/famille-19e.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>La famille bourgeoise : un patriarche, des femmes et beaucoup d'enfants (un "cliché" du 19e siècle)</em></div>
<br />Où trouver ces faits ? Pas dans les archives, ni dans les bibliothèques et moins encore dans les textes abstraits des historiens mais dans les coutumes locales et les histoires des familles provençales, le plus souvent inédites (donc authentiques ?). Il en ressort un florilège de concepts clés qui résument à eux seuls son étude : travail, famille, patrie (une malheureuse trilogie plus tard récupérée par un régime politique bien français...), devoir, Dieu, dévouement, jeunesse, père, mère, éducation, mariage, paix domestique et sociale.<br /><br />C. de Ribbe joint le geste à l'écrit : sa monographie <em>Le livre de famille</em> (publiée la même année, en 1879) propose un modèle de <em>livre de raison</em> au service de toute famille soucieuse de consigner son histoire, transmettre la connaissance de ses ascendants, diffuser ses valeurs et protéger son patrimoine, en résumé, un vade mecum du roman familial. Prêchant la bonne parole, il en fera un sujet de conférence.<br /><br />L'intérêt des écrits de C. de Ribbe réside bien sûr dans la précision bien datée et documentée de son témoignage sur une société provençale à tout jamais disparue. Mais indépendamment de son peu d'intérêt aux autres cultures et aux modèles non patriarcaux, son point faible reste que ce travail n'est jamais exempt d'un prosélytisme qui prône un véritable culte de la tradition défendu, sans aucune distance, par une apologie du conformisme moral et social de sa propre époque où l'ordre et la stabilité deviennent des impératifs catégoriques individuels et collectifs absolus. A l'opposé de toute démarche historique et sociologique pourtant revendiquée comme base méthologique...
Description
An account of the resource
Pour C. de Ribbe, la famille modèle, la morale chrétienne, le sens du devoir et le respect de la tradition sont les ingrédients de l'équation parfaite d'une société idéale : stable, harmonieuse et ordonnée. Sinon, c'est l'anarchie.
Famille -- France -- 18e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/949/RES-38588_Ribbe_Livre-famille.pdf
f63c8182ec3736c375d0325700629ea0
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
livre de famille (Le) : conférence faite à l'assemblée des catholiques le 12 juin 1878 ; [Lettre de son Eminence le Cardinal Donnet]. - 2e éd.
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 38588
Rights
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domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/265878047
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-38588_Ribbe_Livre-famille_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
28 p.
22 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/949
Abstract
A summary of the resource.
La bonne fortune de l'avocat Ch. de Ribbe, c'est justement sa fortune familiale : bien qu'avocat, elle le dispense de devoir travailler pour gagner sa vie. Même s'il s'intéresse à d'autres questions (par ex., le reboisement de la Provence) et écrit pour des revues agricoles, ce qui l'intéresse, c’est surtout la société humaine, sa cohésion et sa stabilité (vu sa situation...). Pour lui, les choses sont simples : les trois piliers d'une vie morale et ordonnée sont la famille, la religion et la propriété. L'ordre importe peu, la famille, c'est la cellule de base, la propriété, le ciment social et la religion le ciment spirituel de la société. <br /><br />Le vrai problème de ses contemporains et de la société française en cette fin de 19e siècle tient en quelques mots : "<em>L'individualisme est posé comme le but du progrès. La famille n'est plus qu'une institution éphémère; le foyer se détruit matériellement et moralement; la terre, fécondée par les vertus et le travail des ancêtres, est assimilée aux valeurs de bourse et traitée comme elles. Notre état domestique et social est la liquidation en permanence. Tout est instable</em>"<br /><br />Bref, nous sommes emportés par un matérialisme débridé qui ne s'arrête jamais (malheureux Héraclite) : il faut trouver un ancrage solide, enraciner la famille dans sa propre histoire, construire ce récit clair et instructif qui retrace sa généalogie, qui consigne les grands évènements qui la constituent (mariages, naissances, décès), transmets ses valeurs et dresse le bilan de son patrimoine.<br /><br />Ch. de Ribbe a trop appris sur les coutumes de l'ancienne Provence par les livres pour savoir que la mémoire humaine est souvent partielle, volatile, subjective, parfois même trompeuse : un livre se transmet, s'enrichit, se consulte, s'enseigne. Ch. de Ribbe sait ce qu'il en coûte de manquer de sources : il voue un culte à l'archive. Il connaît bien les "<em>Livres de raison</em>" ou "<em>Livres domestiques</em>" (le plus ancien date du 14e siècle - Archives de Marseille), d'abord conçus comme de simples livres de comptes, répandus dans plusieurs pays d'Europe, certains sont devenus des registres plus spécialisés comme le <em>Livre terrier</em> (copie des titres de propriété) ou le <em>Livre de généalogie</em> (preuves des filiations). Ch. de Ribbe, toujours en quête d'ordre moral, s'est particulièrement intéressé aux livres de raison enrichis de préoccupations plus spirituelles.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/ARCH-2_153-2_Portalis_Livre-raison.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Livre de raison : état de mes fonds & de ceux de ma femme (Joseph-Marie Portalis 1803-1832)<br />état des dépenses de 1803, BU Schuman - Réserve - cote ARCH-2-153-2-Portalis (1)</em></div>
<br />La même année (1879), il publiera "<em>Le livre de famille</em>" accompagné d'un second registre vierge avec un titre imprimé et un sommaire indiquant les chapitres à ouvrir (les éditeurs lui recommandent de les vendre séparemment). Lors de sa conférence, sorte de campagne de communication sur son prochain livre auprès d'un public bien ciblé, il ne sait pas encore quelle forme définitive lui donner : "<em>L'expérience dira comment et dans quelles conditions devrait être publié un petit livret tout populaire</em>" (3).<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Le_livre_famille_Ribbe-Charles.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Le livre famille (de Ribbe, Charles, 1879) - Gallica<br /></em></div>
<br />Le livre de famille élaboré par Ch. de Ribbe, est un modèle qui n'oublie rien du passé (ancêtres, parents), qui dresse le bilan du présent (mariage, enfants, l'état des biens) et qui pense à l'avenir (testaments, conseils des parents en toutes matières - religion, bonnes meurs, spectacles, lectures, travail, éducation, serviteurs, épargne). Famille, propriété et religion : trois bonnes raisons de tenir un livre de raison. Un livre qui doit dépasser le souci boutiquier du bilan comptable, transcender les tourments de chaque roman familial individuel et constituer une ligne de vie édificatrice : le livre de famille qui s'écrit, c'est l'esprit de famille en marche.<br /><br />______________<br />1. <a href="https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/354" class="permalink"><em>Livre de raison : état de mes fonds & de ceux de ma femme</em></a>2. de Ribbe, Charles.- Le Livre de famille, 1879. - <a href="Livre%20de raison : état de mes fonds & de ceux de ma femme" target="_blank" rel="noopener"><em>Gallica</em></a><br />2. faut-il voir une malice de la part de l'auteur quand il fait la promotion de son <em>Livre de famille</em> : difficile d'éviter tout rapprochement avec le <em>Livret de famille</em> qui vient d'être créé deux ans plus tôt (1877) après la destruction (incendie) des états civils parisiens (couvrant les années 1530 à 1870) : depuis cette perte irréparable, un livret officiel est remis à chaque famille, livret qui reprend tous les actes la concernant, une sorte de copie individuelle de sauvegarde pour pallier toute destruction... <br />3. de Ribbe, Charles.- Le Livre de famille, 1879. - <a href="Livre%20de raison : état de mes fonds & de ceux de ma femme" target="_blank" rel="noopener"><em>Gallica</em></a>
Subject
The topic of the resource
Droit de la famille
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Ribbe, Charles de (1827-1899). Auteur
Donnet, Ferdinand (1795-1882). Préfacier, etc.
Publisher
An entity responsible for making the resource available
A. Mame et fils (Tours)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1879
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Description
An account of the resource
La famille, fondement de toute vie humaine digne et morale, doit résister au tumulte du temps qui passe. Comment ? En consignant dans un registre tout ce qui lui arrive sur les plans matériel et spirituel. Ch. de Ribbe s'occupe du modèle à suivre
Famille -- Aspect religieux -- Église catholique -- 19e siècle
Livres de raison -- 19e siècle
Piété filiale -- 19e siècleEnlever
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/1026/OAMP_Stephan_discours.pdf
eda0bf7d015975033cb89f32c891afba
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
M. Le Verrier, fondateur du Nouvel Observatoire de Marseille : Discours de réception prononcé à la séance publique du 9 mars 1879 / par M. Stephan ; réponse de M. Amédée Autran
Subject
The topic of the resource
Astronomie
Histoire de l'université
Biographie
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Stephan, Édouard (1837-1923). Auteur
Autran, Amédée. Auteur
Publisher
An entity responsible for making the resource available
impr. Barlatier-Feissat et fils (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1879
Rights
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domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : https://www.sudoc.fr/127324771
vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/OAM_Stephan_Discours-LeVerrier_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
32 p.
in-8°
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1026
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Marseille. 18..
Description
An account of the resource
E. Stephan, responsable de l'Observatoire d'astronomie de Marseille, rend hommage à son fondateur historique, Urbain Le Verrier, considéré comme le vrai découvreur de la planète Neptune et à qui il doit son poste actuel de directeur.
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Réponse de M. Amédée Autran, président du Tribunal civil de Marseille, Président de l'Académie, au discours de réception de M. Stephan
Table Of Contents
A list of subunits of the resource.
Contient deux pièces :<br />
<ol>
<li>M. Le Verrier, fondateur du Nouvel Observatoire de Marseille : Discours de réception prononcé à la séance publique du 9 mars 1879 (pp. 3-20)</li>
<li>Réponse de M. Amédée Autran, président du Tribunal civil de Marseille, Président de l'Académie, au discours de réception de M. Stephan (pp. 21-28)</li>
</ol>
Abstract
A summary of the resource.
E. Stéphan ne pouvait pas faire moins pour celui qui l'a nommé directeur de l'Observatoire en 1866 : il lui restera fidèle en dirigeant l'Observatoire durant 42 ans, jusqu'en 1907.<br /><br />
<div style="text-align: center;"><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Edouard-Jean-Marie-Stephan_OAM_1837-1923.jpg" /><br /><em>Édouard Jean-Marie Stephan (1837-1923) - photogr. Marcel Marcelin (source OAM, début 20e)</em></div>
<br />Quand il parle du Nouvel Observatoire, E. Stéphan rend justice aux astronomes du passé : avant Le Verrier, il existait déjà un observatoire à Marseille, créé en 1702 par les Jésuites dans le quartier du Panier.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Trigometre-Danfrie.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Le Trigomètre de Danfrie, fin 16e siècle (conservation OSU-Pythéas, Marseille)</em></div>
<br />Au début des années 1860, Le Verrier, alors directeur de l'Observatoire national, choisit Marseille pour disposer d'une base d'observation mieux placée au niveau météorologique : c'est à cette époque que l'observatoire est transféré sur le plateau Longchamp (architecte Henry Espérandieu, 1829- 1874) pour y accueillir de nouveaux instruments (à la taille toujours croissante), comme le grand télescope de Foucault, premier instrument à être équipé d'un miroir de verre argenté (80 cm de diamètre) qui marque une avancée remarquable dans les outils de l'observation astronomique.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/Telescope-Foucault_Marseille.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Le Grand télescope de Foucault (Observatoire de Marseille, 1864)<br />Histoire de l'astronomie et histoire des instruments, un passé commun et un avenir partagé<br /></em></div>
<br />Comme toutes les institutions dont la mission transcende l'actualité, l'Observatoire connaîtra les changements administratifs induits par ses tutelles successives : Ministère de la Marine, Académie de Marseille, Bureau des Longitudes, les différents Ministères de l'Éducation. Rattaché à l’Université d’Aix-Marseille depuis 1899, il fait partie du périmètre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. En dehors des réformes de l'État, à l'image d'autres domaines d'étude, on peut y voir aussi le lent glissement des buts à vocation pratique et opérationnelle (besoins de la navigation, par ex.) vers des objectifs de plus en plus théoriques et à visée fondamentale (lois de la physique, lois de l'univers et cosmologie).<br /><br />Si ce discours de réception (Stéphan est intronisé membre de l'Académie des sciences de Marseille) a toutes les allures d'un hommage à titre posthume (Le Verrier est décédé un an et demi plus tôt), c'est à l'astronomie que Stéphan réserve la place centrale de son propos : oui, l'astronomie n'est pas une science ordinaire parce que, qui mieux qu'elle, élargit l'horizon des idées philosophiques en resituant l'homme dans un vaste système, qui plus qu'elle, combat les superstitions d'antan, comme les éclipses et l'apparition des comètes qui plongeaient les peuples dans l'effroi, et qui mieux qu'elle procure une géographie précise des terres et des mers aux voyageurs et aux marins. Quel plus bel exemple qu'une science aussi rigoureuse en géométrie et aussi utile qu'à Marseille, la cité marine par excellence. Avec l'astronomie, les mers ne sont plus des barrières infranchissables mais des voies ouvertes pour parcourir le monde (hommage lucide du monde du négoce à la science, la statue du navigateur et de l'astronome Pythéas orne la façade du <em>palais commercial</em>). L'astronomie, une très anciennelle science pleine d'avenir.
Source
A related resource from which the described resource is derived
OSU Pythéas - Observatoire des Sciences de l'Univers (Marseille)
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
OSU Pythéas - Observatoire des Sciences de l'Univers (Marseille)
Astronomie -- France -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 19e siècle
Faculté des sciences -- France -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 19e siècle
Le Verrier, Urbain Jean Joseph (1811-1877)
Observatoire astronomique de Marseille-Provence -- Histoire -- 19e siècle
Observatoire astronomique de Paris -- Histoire -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/3/827/BUT-MS-07_Garcin_Uree-phosphates.pdf
08d94275d3bc0b7d0d0f102ebd16db37
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Manuscrits
Description
An account of the resource
Plusieurs dizaines de manuscrits des 16e-18e siècles, principalement juridiques, conservés dans les réserves des BU de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
urée, les phosphates et les chlorures de l’urine (L') : mémoire de médecine clinique. Mémoire pour le prix Rampal à la Société nationale de médecine de Marseille
Subject
The topic of the resource
Médecine
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Garcin, Charles (18..-.... ; médecin)
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU médecine-ondotologie (Marseille), MS in-4°-7 (BUT 20 229)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
s.n. (sl)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1879
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/258402652
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BUT-MS-07_Garcin_Uree-phosphates_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol
209 p.
30 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
manuscrit
manuscript
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/827
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
<span class="detail_value">Pour son mémoire sur l'urée, Charles Garcin, déjà décoré en 1865 de la Médaille d'argent du choléra créée par le Second Empire et qui récompense les personnes qui se sont dévouées lors de</span>s épidémies de choléra, reçoit le prix Rampal à la Société nationale de médecine de Marseille, prix du nom de Louis Rampal, d<span class="detail_value">octeur en médecine, médecin légiste, </span>futur p<span class="detail_value"><span class="detail_value">rofesseur d'anatomie à l'École de médecine de Marseille (1868) et co-auteur de rapports sur le choléra dans les années 1884-1885.<br /><br />Au 19e siècle, les phosphates prennent une très grande importance dans les engrais à usage agricole. Les engrais organiques sont souvent d'origine animale ou végétale mais ils peuvent aussi être synthétisés, comme l'urée. <span class="ILfuVd"><span class="hgKElc">Si l'urée naturelle est découverte en 1773 par Hilaire Rouelle, c'est seulement un quart de siècle plus tard que Fourcroy et Vauquelique découvrent et identifient l'urée urinaire (1797). Sa mauvaise élimination, due à une affection ou insuffisance rénale chronique, engendre une véritable </span></span><span class="ILfuVd"><span class="hgKElc">intoxication de l'organisme, notamment du sang.</span></span> Son excès a plusieurs causes possibles, divers organes pouvant en être responsables et mais il a également des conséquences multiples sur ces mêmes organes vitaux (foie, estomac, coeur, ...).<br /><br /><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/dosage-uree_1880.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></span></span>
<div style="text-align: center;"><em>Le dosage de l'urée, instrumentation de 1880 (1)<br /></em></div>
<span class="detail_value"><br />L'urémie et tout ce qu'elle implique en termes d'étude clinique et d'éléments chimiques (urée, phosphates et chlorures) est un sujet d'étude relativement récent quand l'aborde Charles Garcin dans une démarche résolument médicale : ce qui importe, ce sont les perspectives de diagnostic, de pronostic et de traitement. La reconnaissance de ses travaux par ses pairs est d'autant plus méritoire qu'ils sont le fruit d'un travail d'observation clinique que l'auteur avoue être très personnel. Une contribution à ce qui deviendra la néphrologie, l'une des plus jeunes spécialités médicales de la médecine contemporaine.<br /></span><span class="detail_value"><br />1. Archives de médecine navale. - 1880, n° 34. - Paris : J.-B. Baillière, 1880. <a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?do=page&cote=90156x1880x34&p=234" target="_blank" rel="noopener" title="Archives de médecine navale"><em>Bibliothèque numérique Medica</em></a><br /><br /></span>
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU médecine-odontologie (Marseille)
Description
An account of the resource
L'insuffisance rénale chronique engendre de graves conséquences sur l'organisme progressivement intoxiqué par l'accumulation de l'urée urinaire, identifiée à l'aube du 19e siècle : un dérèglement qu'il faut mesurer, comprendre et maîtriser
Insuffisance rénale chronique -- 19e siècle
Urémie -- Complications (médecine) -- 19e siècle