1
200
7
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/328/RES-22980_Bedarride_Loi-juillet-1867_1.pdf
ad7d995ce266d5c47656bc84bf8665c7
PDF Text
Text
��DROIT COMMERCIAL
COM M ENTAIRE
DE LA LO I D U 24 JU IL L E T 1 8 6 7
SU R
DES
L E S S O C IÉ T É S
SOCIÉTÉS
AYANT - PROPOS
sonmiiitE
I.
Remaniements nombreux du titre des sociétés. Leur
cause. Projet de loi en 1838.
II. Loi de 1856. Son inefficacité était la conséquence du
maintien de la division en actions du capital de la com
mandite.
III. Cette division n ’est pas de l’essence de cette société. Elle
n ’a qu’un but, qu’un effet, le trafic des actions.
IV. Ce qu’avait été la commandite sous l ’ancien droit en Italie
et en France.
V. Motifs qui en 1807 portèrent les tribunaux et chambres
de commerce à réclamer la faculté de mettre le capital
en actions.
VI. Opinion du conseil d’Etat sur la nécessité de l ’interven
tion de l ’Etat dans la création des actions.
VII. Motifs justifiant cette nécessité.
VIII. Incompatibilité de l’article 38 avec ces motifs.
i. — 1
�XX.
XXI.
!
XXV.
XXVI.
Conséquences de la faculté donnée par cet article. Ca
ractère des sociétés existant en 1838.
Nature de celles existant en 1856. Leur nom bre, leur
importance.
Ce qu’eût dès lors produit l ’abrogation de l’article 38.
Combien les circonstances s'éloignaient du point de vue
où se plaçaient, en 1807, les tribunaux et chambres
de commerce.
Caractère actuel de la commandite par actions; a-t-elle
un autre objet que l’agiotage ?
Plaintes que soulève celui-ci. Objections qu’on oppose
au seul moyen de le supprimer radicalement.
Peut-on assimiler au contrat privé, l’acte par lequel le
créateur organise la commandite?
Contradiction entre les motifs et les dispositions de la
loi de 1856.
Caractère des précautions ordonnées. Ce qui devait les
rendre inefficaces.
Sévérité de la responsabilité édictée contre les conseils
de surveillance. Répugnance à l’appliquer.
A quelle cause le président du tribunal de commerce,
M. Dénieres attribuait l ’insuccès delà loi.
Appréciation.
Opinion de M. Blanche , avocat général à la cour de
Cassation.
Valeur de l ’exemple tiré de la pratique suivie en An
gleterre.
Conséquences de cette pratique , multiplicité des failli
tes constatée par les journaux anglais dès 1861.
Lois des 9 et 23 mai 1863. Leur objet. Mesures qu’el
les consacrent. Insuccès de la dernière.
Loi de 1867. Son objet.
Caractère de l'abrogation de l ’article 37 du Code de
commerce. Quels avaient été jusque là les effets de
la nécessité, pour les sociétés anonymes, d’obtenir
l'autorisation du Gouvernement.
�AVANT-PROPOS
XXVII.
XXVIII.
XXIX.
XXX.
XXXI.
XXXII.
XXXIII.
XXXIV.
XXXV.
XXXVI.
XXXVII.
XXXVIII.
3
Cette nécessité n ’était ni une gêne, ni une dérogation
au principe de la liberté des transactions.
Sous la loi nouvelle la perte de temps sera plus consi
dérable.
Raisons données par l ’Exposé des motifs.
Conséquence qu’en déduisaient les partisans de la li
berté absolue.
Réponse de la commission du Corps législatif.
Comment le législateur doit-il exercer son droit, rem
plir son devoir.
L’efficacité de l ’autorisation dans le passé devait en
faire maintenir la nécessité.
Les précautions ordonnées suppléeront-elles aux ga
ranties de l ’autorisation ?
Danger que le mal ne soit que déplacé. La liberté de
l ’anonym at, si elle empêche les actionnaires et les
tiers d’être exploités par la commandite, les expose
à l ’être par l ’anonyme.
On a prétendu que la loi ne faisait que rendre homma
ge au principe de la liberté des conventions, consa
crer l ’abolition d’un privilège.
Appréciation.
Observations de M. Ernest Picard dans la discussion
générale.
S.
— Il n’est pas de titre dans le Code de commerce
qui ait subi d’aussi nombreux, d’aussi profonds rema
niements que celui des Sociétés. Les abus les plus graves,
les désordres les plus scandaleux menaçaient la fortune
publique, compromettaient le crédit général et mettaient
en péril l’esprit d’association lui-même. Il fallait donc
parer à ces dangers, remédier à cette fièvre de spécula
tion que l’exemple de quelques fortunes rapides ne ces
sait d’aviver.
�4
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Un instant le Gouvernement mettant le doigt sur la
plaie, avait pris le moyen de nature à la fermer effica
cement. Un projet de loi de 1838 proposait d’abroger
l’article 38 du Code de commerce et de prohiber la di
vision en actions du capital de la commandite.
Mais attaquée dans son foyer intime , la spéculation
fit feu de toutes ses pièces. On cria à la ruine de la com
mandite, à la destruction de l’esprit d’association, à la
blessure mortelle qu’allaient en recevoir le commerce et
l’industrie, et ces clabauderies plus ou moins intéressées
firent impression sur les députés. La commission char
gée d’examiner la loi repoussa le projet du Gouverne
ment, et lui substitua des dispositions d’une réglemen
tation si étroite, qu’on n’osa pas même leur faire subir
l’épreuve d’une discussion publique.
II.
— On laissa donc les choses en l’état où elles étaient. Le mal se continua et devint bientôt si intoléra
ble, que le Gouvernement sortit de son inaction, propo
sa et fit adopter la loi de 1856.
Appelé des premiers à apprécier le caractère de cette
lo i, nous n’y vîmes qu’un palliatif insuffisant, et nous
émettions la crainte qu’elle ne réalisât pas les espérances
qu’on en avait conçues. L’événement ne vint que trop
justifier cette crainte : quelques années s’étaient à peine
écoulées qu’un avocat général à la cour de Cassation et
un président du tribunal de commerce de Paris recon
naissaient et proclamaient, d’une part, l’inefficacité de
la loi contre les abus, de l’autre, sa tendance à nuire au
progrès des associations.
�AVANT-PROPOS
5
Nous verrons tout à l’heure les causes que ces hono
rables magistrats assignaient à cet insuccès de la loi de
1856. Pour nous cette cause était uniquement la faculté
de diviser en actions le capital de la commandite.
Cette opinion qui est celle de jurisconsultes autorisés,
de M. Delangle notamment, a suscité d’ardentes contra
dictions , des objections graves en apparence , mais qui
étaient repoussées par la nature des choses, elle-même,
par l’expérience.
III.
— Nous ne saurions admettre que la division en
actions du capital soit de l’essence de la commandite.
Cette division n’a et ne peut avoir qu’un but : le trafic
des actions, leur négociation, c’est-à-dire l’agiotage.
Il est possible , comme l’enseigne M. Troplong , que
l’origine des actions remonte à un temps fort reculé1.
Mais, ainsi qu’il le relève lui-même, la plupart des ex
emples se rattachent, à l’origine , à des sociétés pure
ment civiles ; d’où, il conclut qu’il ne faut pas considé
rer la division du capital en actions comme une concep
tion commerciale.
Ce que nous en concluons, nous, c’est que les actions
étaient alors purement nominatives, que leur transmis
sion ne s’opérait que dans la forme qu’exigeaient les ces
sions de droits incorporels ; qu’elles étaient donc sous
un autre titre de véritables portions d’intérêts , c’est ce
dont rend raison l’objet et le but de la commandite.
Des sociétés, préface,
lxx.iv ..
�6
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
IV.
— Cette espèce de société n’avait été imaginée
que pour attirer dans le commerce l’argent des nobles
et des prêtres que leur caractère ou les préjugés écar
taient de tout négoce ; les fonds des capitalistes que les
chances indéterminées du commerce retenaient et effray
aient. C’était donc un placement que la société offrait
aux uns et aux autres, et à ce point de vue qu’importait
que le titre constatant ce placement s’appelât action ou
portion d’intérêt.
C’est la commandite réduite à cette limite que l’Italie
exploita avec tant de succès ; c'est avec elle qu’elle fît
tant et de si grandes choses.
Dans notre ancien d ro it, la commandite n’eut pas
d’autre caractère, ni d’autre objet. Chez nous , la no
blesse ne voulait, le clergé ne pouvait faire le commer
ce , chez nous aussi les lois canoniques proscrivaient le
prêt à intérêt. La commandite offrait seule le moyen d’é
luder l’incompatibilité ou la prohibition, et de retirer de
son argent un profit légitime.
À cette époque d’ailleurs les fondateurs des sociétés
se proposaient un commerce réel, des opérations sérieu
ses. Ils n’avaient pas encore sougé à ne voir dans les
sociétés qu’une spéculation sur les actions, que le moyen
de réaliser la prime que des manœuvres de toute nature
étaient parvenues à leur donner momentanément. Dans
ces conditions la division en actions du capital des so
ciétés pouvait ne pas présenter de graves inconvénients.
V„ — Il n ’en était déjà plus ainsi au moment où le
�AVANT-PROPOS
7
Code de commerce était en discussion au conseil d’Etat.
Quelques entreprises avaient fait concevoir de justes
craintes : nous en avons la preuve dans les observations
qui surgirent dans cette discussion, et qui se résumaient
dans celte règle qu’aucune société par actions ne pour
rait s’établir sans l’autorisation du Gouvernement.
Les tribunaux et chambres de commerce demandaient
qu’il en fût autrement dans la commandite. Leurs mo
tifs étaient :
1° Que le Gouvernement ne devait jamais intervenir,
sans nécessité, dans les contrats privés ;
2° Que l’autorisation donnée aux commandites par
actions pourrait sembler un privilège et devenir une sour
ce d’abus ;
3° Que toute société dont les gérants étaient respon
sables et solidaires, ne devait pas être gênée dans ses
combinaisons.
VI. - Les orateurs du conseil d’Etat ne repoussaient
aucuns de ces motifs ; mais ils posaient en fait que l’in
tervention du Gouvernement était nécessaire dans les so
ciétés par actions.
« Les grandes entreprises commerciales, disait la
commission , ne sont avantageuses au commerce que
lorsqu’elles ajoutent à ses ressources de nouveaux moy
ens de circulation ou de crédit ; que lorsqu’elles ont pour
objet un commerce nouveau ou éloigné et hors la portée
des commerçants. Elles sont dangereuses si elles établis
sent un commerce sur des objets que tous les cornmer-
�8
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
çants peuvent atteindre, en ce qu’elles favorisent un mo
nopole funeste au commerce et à la société.
» C’est à l’administration publique qu’il appartient
de juger les avantages et les dangers de ces sortes d’as
sociations ; elle est plus à portée d’en calculer les effets.»
VII. — Le jurisconsulte le plus éminent du siècle,
l’archichancelier Cambaceres, établissait à un autre point
de vue la nécessité du concours de l’Etat. « L’ordre pu
blic, disait-il, est intéressé dans toute société qui se for
me par actions, parce que, trop souvent, ces entreprises
ne sont qu’un piège tendu à la crédulité des citoyens.
Point de doute qu’une société qui travaille sur ses pro
pres fonds n’ait pas besoin d’autorisation ; mais si elle
forme ses fonds par des actions mises sur la place , il
faut bien que l’autorité supérieure examine la valeur de
ces effets, et n’en permette le cours que lorsqu’elle est
bien convaincue qu’ils ne cachent pas de surprise. »
On le voit, la nécessité de l’autorisation reposait sur le
devoir du législateur de veiller à ce que la confiance pu
blique ne fût pas le jouet de spéculateurs avides et sans
foi. Or ce danger ne résidait pas dans la qualification
donnée à la société, mais uniquement dans le mode de
sa constitution. Il n’eût pas été logique de s’arrêter aux
mots et non à la chose ; dès qu'une association quel
conque divisait son capital en actions et faisait appel aux
tiers, l’intérêt public se trouvait engagé, et exigeait que
toutes précautions fussent prises pour empêcher que cet
appel ne couvrit un piège contre le public. Aussi l’archi-
�àVANT-PROPOS
9
chancelier ne dislinguait-il pas et mettait-il sur la même
ligne toutes sociétés se formant par actions.
En exposant les motifs de la loi au Corps législatif,
Régnault de S-Jean d’Angely semble réduire le besoin
d’autorisation aux sociétés anonymes qu’il indique nom
mément, mais il ajoute immédiatement, ou par actions,
ce qui signifierait qu’à ses yeux les actions ne conve
naient qu’à la société anonyme à l’exclusion de toute
autre forme de société. Et cette signification ressort des
raisons qu’il donne à la nécessité de l’autorisation.
« Ces sociétés, disait-il, sont un moyen efficace de fa
voriser les grandes entreprises, d’ajouter au crédit pu
blic; mais trop souvent ces associations mal combinées
dans leur origine , ou mal gérées dans leurs opérations,
ont compromis la fortune des actionnaires , altéré mo
mentanément le crédit général, mis en péril la tranquil
lité publique. »
V IH . — Ce qui est vraiment inexplicable, c’est qu’a près toutes ces considérations, on eût inscrit l’article 38
dans le Code de commerce. Est-ce que la création d’ac
tions perdait son caractère de ce que au lieu de se pro
duire dans l’anonyme elle se produisait dans la com
mandite ? La crainte que la société ne fût un piège tendu
à la crédulité des citoyens était-elle moindre dans celleci que dans celle-là ? La chute des actions compromet
tait-elle moins la fortune des actionnaires, altérait-elle
moins le crédit général, mettait-elle moins en péril la
tranquillité publique ?
�10
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
On ne comprend donc point cette étrange contradic
tion qui accepte comme inoffensif dans la commandite,
ce qui est reconnu et proclamé essentiellement dange
reux dans l’anonyme. Aussi deux jurisconsultes qui ont
honoré le barreau de Paris, MM. Dupin aîné et Persil,
en concluaient que l’action négociable dans l’anonyme
ne pouvait être que nominative dans la commandite1.
Mais cette distinction qui ne reposait sur rien ne pouvait
être accueillie, et fut repoussée avec raison par les tri
bunaux.
Reste donc que par ia plus évidente des anomalies,
après avoir fermé à la fraude la porte de l’anonyme, on
lui offrait grande ouverte celle de la commandite, et l’on
sait si elle a usé de la permission.
IX. — Les sociétés en commandite paradions étaient,
en 1838, au nombre de mille trente-neuf, au capital de
plus d’un milliard divisé en quinze cent huit mille six
cent quatre-vingt-six actions.
« Elles étaient presque toutes , dit M. Delangle , une
œuvre de fraude et d’escroquerie. C’est pour tromper les
actionnaires , pour les dépouiller , pour se faire à leurs
dépens d’insolentes fortunes qu’elles ont été imaginées ;
des immeubles sans valeur et d’une exploitation com
mercialement impossible ont été apportés à des sociétés
naissantes pour des sommes immenses, des brevets d’in-
1 V. leur consultation et la réponse de M. Devaux (du Cher) dans
Delangle, Des sociétés, n° 501.
�AVANT-PROPOS
11
vention d’un produit incertain ou nul ont servi de base
à des associations de plusieurs millions ; des pièges de
tous genres ont été tendus à la crédulité et les actionnai
res dépravés par le funeste exemple de fortunes rapide
ment acquises se sont abandonnés à la passion du jeu :
on n’a pas acheté des actions pour profiter des gains
honorables du commerce, mais pour agioter. La conta
gion alors a gagné tout le monde, la corruption a péné
tré dans tous les coeurs1. »
Aujourd’h u i, ajoutait l’éminent m agistrat, la fièvre
s’est appaisée, toutes ces sociétés ont disparu, il ne reste
que la trace des ruines qu’elles ont faites. Mais on ou
blie si vile en France ! Le mal peut revenir avec la pros
périté.
X. — Le mal en effet était revenu. Un moment dé
couragée par la présentation du projet de loi de 1838,
la spéculation dolosive puisa dans son abandon un essor
auquel elle n’était pas encore parvenue. On en jugera
par le fait suivant : de 1855 à 1856, c’est-à-dire dans
l’espace de deux ans , il avait été publié sept cent soi
xante-seize sociétés en commandite par actions, repré
sentant ensemble un capital de deux milliards huit cent
quatre-vingt-neuf millions six cent soixante-douze mille
francs.
Ce qui n’avait pas changé , c’est le caractère de ces
sociétés. Toutes ou presque toutes étaient comme celles
1 Des sociétés, n° 506.
�12
LOI DK
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
dont parle M. Delangle , des œuvres d’escroquerie et de
fraude, et ni poursuite ni condamnations correctionnel
les n ’avaient pu empêcher les projets les plus extraordi
naires, les plus insensés même, de se produire et de faire
de nombreuses victimes.
XL — Si c’est là ce que détruirait l’abrogation de
l’article 38 et la prohibition de mettre en actions le ca
pital de la commandite , loin de le regretter et de s’en
plaindre, il faudrait s’en applaudir, car ce qui disparaî
trait enfin c’est cette exploitation éhontée de la crédu
lité publique fatale pour les mœurs , périlleuse pour le
commerce et l’industrie , compromettante pour le crédit
de l’Etat lui-même.
Nous sommes loin certes de nier les avantages de l’as
sociation , les immenses services qu’elle peut rendre.
Mais soutiendrait-on sérieusement que la commandite,
telle qu’on l’a pratiquée de nos jours, en favorise l’esprit.
Elle l’eût étouffée, si ses racines eussent été moins pro
fondes, moins vivaces. Oui, dirons-nous avec notre ho
norable confrère Paillard de Villeneuve , l’association a
accompli de grandes et belles choses ; elle a depuis vingt
ans sillonné le pays de chemins de fe r, fouillé les mi
nes, lutté vaillamment dans nos manufactures, dans nos
usines, dans nos chantiers, contre la production étran
gère, et donné la vie à des populations de travailleurs1.
Mais notre commandite aurait tort de revendiquer une
1 Gazelle des tribunaux, 11 et 12 novembre 1861,
�AVANT-PROPOS
13
part trop considérable dans ce magnifique bilan. Ces avantages se sont produits non par elle mais malgré elle.
L’honneur presque tout entier en appartient à la société
anonyme.
Il est évident que c’est à celle-ci que devaient recou
rir les entreprises sérieuses, sérieusement projetées. La
responsabilité limitée à la mise même pour les gérants
était un avantage trop ré e l, trop précieux pour qu’on
ne tint pas à s’en procurer le bénéfice. Aussi voit-on les
rares commandites qui ont surnagé solliciter leur con
version en sociétés anonymes , dès que par leur succès
elles peuvent justifier de leur utilité.
L’esprit d’association n’aurait donc pas à souffrir de
l’abrogation de l’article 38 et du retrait de la faculté de
diviser en actions le capital de la commandite ; il lui res
terait la commandite ramenée à sa simplicité originelle,
telle qu’on la pratiquait en Italie et en France avant le
Code de commerce ; il lui resterait encore la société ano
nyme dont il a fait jusqu’ici un usage si utile. En 1856,
ces sociétés s’étaient élevées au chiffre de trois cent cinquante-une, représentant ensemble un capital de dixneuf cent vingt-neuf millions.
XII.
— Au point de vue oh se plaçaient, en 1807,
les tribunaux et chambres de commerce , on comprend
qu’ils réclamassent pour la commandite la faculté d’é
mettre le capital par actions. Les crises que le commerce
venait de traverser, celles que lui faisait subir la guerre
incessante qui finit par dévorer l’Empire , nécessitaient
�14
LOI DK
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
des encouragements et appelaient toutes les mesures ca
pables de venir au secours de l’industrie et du com
merce.
D’ailleurs la commandite n ’était pas encore sortie de
ses limites naturelles. Elle ne se proposait alors que d’at
tirer les capitaux que les préjugés , que des incompati
bilités , que la crainte de chances trop multiples éloi
gnaient.
Mais est-ce le commerce dont se préoccupaient les
lanceurs de toutes ces affaires véreuses qui ont abouti à
la ruine des actionnaires? Cherchaient-ils autre chose que
le profit qu’ils espèrent et qu’ils s’empressent de réaliser
en vendant leurs actions dès que, par les manœuvres de
tout genre auxquelles ils se sont livrés, il leur est per
mis de le faire avec avantage.
XIII.
— Qu’a de commun le commerce sérieux avec
toutes ces compagnies qui appellent des capitaux si con
sidérables ? Est-ce en vue de ses opérations et pour les
développer que se forment ces compagnies, caisses, al
liances, salamandres, minotaures, restaurants porta
tifs, assurances contre la perle des procès, contre le
besoin d'argent, etc.. . . , et cette autre demandant mo
destement cinquante millions pour marier l’Afrique et
l’Amérique et fondre les races.
Tout cela n’a qu’un seul but, qu’un objet unique, la
vente et la négociation des actions , c’est-à-dire l’agio
tage q u i, selon l’expression si juste de M. Emile Vincens, est le négoce des commerçants qui dédaignent le
�AVANT-PROPOS
\ 5
pur commerce. Celui-ci ils ne le font p a s , ils le dé
fo n t'.
Oui, l’agiotage est pour le commerce sérieux la plaie
la plus profonde, le danger le plus imminent ; et ce n’est
pas là son seul défaut, il compromet encore le crédit
général et par conséquent la sûreté de l’Etat ; il cor
rompt les mœurs et développe les passions les plus fu
nestes ; il chasse des cœurs tout autre sentiment que ce
lui de s’enrichir quoi qu’il en coûte. A quel titre donc
revendiquerait-il et pourquoi lui accorderait-on les im
munités et les faveurs que le commerce est en droit de
réclamer et d’obtenir ?
XIV.
— Chose digne de remarque : tout le monde
crie contre les abus et les dangers de l’agiotage, et lors
qu’il s’agit du seul remède qui peut efficacement le com
battre, on vient se briser devant la plus obstinée, la plus
irrationnelle résistance.
« L’agiotage vous fait peur, s’écrie M. Emile Yincens,
et vous criez d’avance de crainte qu’on ne touche à son
plus facile élément, de peur qu’on ne retranche les ac
tions de la commandite. Je sais que jamais on n’empê
chera la Bourse d’exploiter les actions en cours de toute
espèce. Mais à leur création n’y a-t-il rien à faire? Un
contrôle public a du moins constaté le nombre de celles
qu’émet une société anonyme, et a vérifié la valeur pri
mitive qui est leur point de départ. Mais l’entrepreneur
1 Des sociétés p a r actions, p. 78.
�16
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
de la commandite jette sur la place le nombre d’actions
que bon lui semble , et vend pour autant de millions
qu’il lui plaît l’objet qu’il met en société. Il se fait payer
par des actionnaires crédules jusqu’à une pensée imma
térielle de son industrie , jusqu’à son savoir faire. Quoi
de plus favorable à la fraude, et qui n’en a pas présents
des exemples déplorables à citer1. »
Sans doute le Gouvernement ne doit pas intervenir
dans les contrats privés. Mais où trouver ce contrat pri
vé, si ce n’est dans l’acte de société intervenu entre tous
les intéressés qui en ont discuté et arrêté les bases , qui
en ont fixé le capital et la part que chacun d’eux doit
fournir.
XV.
— Assimilera-t-on à cet acte celui que le créa
teur de la commandite rédige et arrête seu l, et auquel
on ne procure des adhésions qu’à force de manœuvres,
que sur des prospectus promettant monts et merveilles ?
Dira-t-on que les adhérents devaient s’informer du ca
ractère de la société , de la moralité et de la solvabilité
de son auteur, qu’ils ont donc agi avec légèreté et com
mis une imprudence ? Mais en supposant qu’un pareil
langage pût se trouver dans la bouche du législateur, adresserait-on ce reproche à ceux qui ne sont devenus as
sociés, que parce qu’ils ont acheté à la Bourse les actions
auxquelles on est parvenu à donner une valeur factice?
Or ceux-là c’est le public, et qui le protégera, si le lé
gislateur se déclare ou est déclaré impuissant à le faire?
1 Des sociétés par actions, p. 26.
�AVANT-PROPOS
47
Nous croyons donc que le d ro it, disons mieux , que
le devoir du Gouvernement d’intervenir en notre ma
tière ne comporte pas le doute. Ce qu’on peut discuter
c’est l’étendue de ce d ro it, c’est la nature des mesures
qu’il peut autoriser. Quant à n o u s, nous persistons à
croire , avec M. Delangle , qu’il n’en existe d’efficace
qu’une seule, l’abrogation de l’article 38 et le retrait de
la faculté de diviser en actions le capital de la comman
dite.
Ce qui nous confirme dans celte opinion c’est l’ineffi
cacité des remèdes successivement essayés.
En 4856, le mal étant devenu intolérable, on s’en émut, et la loi des 47-23 juillet eut la prétention d’y met
tre un terme.
XVI.
— Alors aussi des voix s’élevèrent qui deman
daient l’abrogation de l’article 38 du Code de commerce,
et c’est au nom de la liberté qu’on repoussait leurs pré
tentions.
« Tout homme qui crée une entreprise, disait le rap
porteur du Corps législatif, doit pouvoir choisir la forme
d’association qui convient à son industrie. La loi n’in
tervient pas dans les contrats particuliers. C’est au fon
dateur à fixer son capital, à déterminer la durée de la
société , à créer les actions , à organiser les assemblées
des associés, à appeler les capitaux, à régler leur des
tination et leur emploi, à faire, en un mot, ces stipula
tions si variées qui constituent la charte de chaque so
ciété. Tel est l’empire de la liberté.
�Est-ce donc pour cela que faisant elle-même la charte
de la société, la loi fixait le taux de l’action selon que
le capital atteignait ou dépassait deux cent mille francs ?
subordonnait la constitution de la société à la souscrip
tion du capital entier et au versement effectif du quart
au moins de chaque action ? n’en permettait la négocia
tion qu’après versement des deux cinquièmes ? prescri
vait l’évaluation des apports en nature et l’appréciation
des avantages particuliers ?
C’était bien la peine de faire appel au principe de li
berté qui évidemment ne comportait aucune de ces dé
rogations. Celte contradiction entre les paroles et les ac
tes ne jetait-elle pas sur ceux-ci un soupçon d’illégalité?
XVII.
— Le caractère réel des sociétés ne s’opposaitil pas d’ailleurs à la réussite de ces précautions. Ce qui
était vrai pour les fondateurs était vrai pour les premiers
actionnaires en général. On accédait à la société, non
pour participer à des opérations commerciales, mais
pour vendre les actions dès qu’on était parvenu à les
faire monter au delà du taux d’émission. Or ce projet
n ’était réalisable qu’après la constitution de la société.
Comment dès lors se flatter qu’on se montrerait difficile
à l’égard de cette constitution.
XVIII. — Il est vrai que la loi plaçait la garantie de
son exacte et fidèle exécution sous la responsabilité du
conseil de surveillance. Mais autant cette responsabilité
était naturelle et légitime pour les faits ou le dol per-
�AVANT-PROPOS
49
sonnels des membres du conseil, autant elle était et de
vait paraître exorbitante lorsqu’on l’appliquait aux actes
du gérant, et c’est de celle-ci qu’il s’est toujours agi.
Voyez en effet les diverses espèces dans lesquelles on
réclamait l’application de la loi. Il n’en est peut-être
pas une seule où l’on reprochât aux membres du con
seil de surveillance de s’être sciemment associés à la fraude
du gérant. On se bornait à leur dire : votre examen a
été léger, superficiel ; un peu plus de soins et d’attention
vous eût fait découvrir la fraude et connaître la vérité.
Vous êtes donc coupable d’imprudence, de négligence, et
votre responsabilité se trouve engagée.
« Mais répondaient, dans une espèce , le tribunal de
commerce de Marseille et la cour d’Aix, sans doute cha
que membre du conseil de surveillance est tenu de don
ner à la chose commune les soins qu’y aurait apporté
un bon père de famille ; mais on doit tenir compte de
ce qu’il a d’autres occupations, d’autres affaires person
nelles , et l’on ne saurait exiger de lui ce qu’on est en
droit d’attendre d’un surveillant ordinaire placé au sein
d’un établissement, avec charge de se consacrer tout en
tier à son emploi. En conséquence, de simples négli
gences commises par un conseil de surveillance dans la
manière d’exercer les vérifications mentionnées en l’ar
ticle 8, ne suffisent pas pour le faire condamner à des
dommages-intérêts. Une pareille condamnation ne peut
être prononcée contre lui que pour des fautes lourdes. »
Dès que le fait matériel de négligence ne suffisait pas;
dès qu’il fallait en rechercher le caractère, en apprécier
�âO
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
l’imputabilité, la responsabilité tombait sous l’empire du
droit commun , et la garantie spéciale que la loi s’en
promettait, se trouvait singulièrement modifiée.
Fallait-il rendre cette responsabilité obligatoire dans
tous les cas ? C’eût été bien souvent arriver à une véri
table iniquité. Sans doute la fraude, le dol du gérant
découverts en définitive, auraient pu l’être plus tôt si on
s’était livré aux recherches qu’exigeait cette découverte,
et l’on connaît l’adage idem est scire et scire potuisse
aut debuisse.
Mais il est évident que le gérant infidèle mettra tous
ses soins à tromper d’abord le conseil de surveillance.
Ses écritures organisées dans ce but défieront les recher
ches ordinaires et ne laisseront rien soupçonner de leur
irrégularité. Ainsi dans l’espèce soumise au tribunal de
commerce de Marseille et à la cour d’Aix , les experts
chargés par la justice du dépouillement des livres étaient
bien parvenus à en constater le caractère frauduleux,
mais après six mois de longues et minutieuses investi
gations. Pouvait-on dès lors raisonnablement reprocher
au conseil de surveillance de n’avoir pas exécuté un pa
reil travail, et le rendre responsable de son omission ?
La loi donc ne pouvait faire autrement que de décla
rer, en cas de reproche de négligence, la responsabilité
facultative. Mais en lui assignant ce caractère , elle im
posait aux tribunaux la plus grande circonspection dans
l’usage du pouvoir qui leur était laissé : il faut avouer
qu’ils n’en ont pas abusé. A consulter les décisions in
tervenues, on dirait que l’exercice de ce pouvoir excitait
�AVANT-PROPOS
%\
leur répugnance, et peut-être faut-il en assigner la cause
à l’énorme disproportion entre le fait et la peine qu’il
faisait encourir. Une condamnation pouvait avoir pour
conséquences l’anéantissement d’une fortune laborieuse
ment , honorablement acquise , et jeter dans la misère
une famille dont le chef avait eu le tort de s’être laissé
tromper.
Aussi parmi de si nombreuses poursuites en respon
sabilité, combien en compte-t-on qui aient abouti ? La
répugnance des tribunaux est si réelle que, dans une af
faire récente, le tribunal de commerce de Marseille et la
cour d’Aix ont refusé de déclarer responsables deux mem
bres du conseil de surveillance , dont l’un avait accepté
et recevait un tantième dans les bénéfices de la gérance,
dont l’autre , s’associant au gérant, jouait avec lui à la
Bourse sur les actions de la société.
Il n ’est donc pas étonnant que la loi eût échoué. Elle
n’avait pu en effet prévenir l’abus qu’elle avait voulu
tuer. Les sociétés formées sous son empire n’en avaient
pas moins fini par la ruine des actionnaires. Le seul ré
sultat appréciable avait été de rendre fort difficile l’ac
ceptation des fonctions de membre du conseil de surveil
lance , et de mettre ainsi obstacle à l’essor de l’esprit
d’association.
XIX. — Cet insuccès qui prouvait l’inefficacité de tout
autre remède que l’abrogation de l’article 38, on voulait
en chercher la cause ailleurs, et l’on s’en prenait au ca-
fjffi
!•
�22
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
« Dans notre pensée , disait, en 1861, M. le prési
dent Denières, l’imperfection du système de la loi, qu’
une si courte expérience a déjà condamnée , ne réside
point dans les attributions conférées aux conseils desur
veillance, ni dans la responsabilité qui leur incombe,
mais prend sa source dans le principe même des socié
tés en commandite par actions, composées de deux élé
ments distincts , de deux catégories d’associés , le gérant
et les commanditaires, n ’ayant ni les mêmes droits ni la
même responsabilité. »
XX. — Mais ces deux éléments distincts, ces deux
catégories d’associés n’ayant ni les mêmes droits ni la
même responsabilité, constituent l’essence de la comman
dite, et ont leur raison d’être dans la position respective
des parties.
Le gérant dirigeant la société sous son nom, contrac
tant personnellement avec le public, devait nécessaire
ment répondre de ses engagements sur tous ses biens
mobiliers et immobiliers présents et à venir. C’est ce que
l’article 2092 du Code Napoléon consacre expressément;
et quoi de plus juste , disait devant la cour de Cassa
tion M. le procureur général Dupin.
« Le Code de commerce , ajoutait l’éminent magis
trat , a autorisé la commandite et déclaré que l’associé
commanditaire n’est passible des perles que jusqu’à con
currence de sa mise sociale, en mettant toutefois pour
condition à cette restriction qu’il ne pourrait faire aucun
acte de gestion. Quoi de plus modéré ? »
�AVANT-PROPOS
23
Comment en effet comprendre et justifier la différence
dans la responsabilité, autrement que par le motif que
les gérants dirigent les affaires, s’annoncent au public
et traitent directement avec les tiers, tandis que les com
manditaires éloignés des affaires sociales ne sont pas
même connus du public qui ne peut prétendre avoir
suivi leur foi.
Changez ces bases, et vous n’avez plus de comman
dite. Pourquoi en effet les commanditaires ne seraientils tenus que jusqu’à concurrence de leur m ise, s’ils
peuvent se faire connaître du public, concourir avec le
gérant à la direction de la société, traiter avec le tiers?
M. Denieres lui-même n’admet pas q u ’il puisse en
être ainsi, et estime que la responsabilité indéfinie est la
conséquence forcée de l’immixtion dans la direction.
C’est donc cette responsabilité qu’encourraient les com
manditaires dont les droits seraient égaux à ceux du
gérant, et je doute qu’aucun d’eux trouvât dans cette
égalité de quoi compenser la charge qu’elle leur impose
rait.
XXI. — M. l’avocat général Blanche n’admet pas
non plus que la restriction dans la responsabilité puisse
se concilier avec la faculté de gérer, mais il comprend
autrement l’égalité à établir entre gérants et commandi
taires. Loin d’étendre la responsabilité indéfinie à ceux
de ces derniers qui s’immisceraient dans la gestion, il
voulait qu’on étendit le bénéfice de la responsabilité li
mitée aux gérants eux-mêmes.
�24
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
« L’Angleterre ne s’y est pas trompée, disait l’hono
rable magistrat. En même temps que la France promul
guait sa loi sur la commandite par actions, l’Angleterre
publiait la sienne sur les sociétés de capitaux à garantie
limitée. L’une a maintenu la prédominance du gérant,
et parait avoir échoué; l’autre l’a supprimée , e t , s’il
faut en croire des autorités respectables, a produit d’heu
reux résultats1. »
XX!I. — Nous ne ferons pas le procès à l’école qui
veut sans cesse donner l’Angleterre comme modèle à
l’activité, à la moralité, au développement de notre com
merce. Certes l’Angleterre est la terre commerciale par
excellence, et nous aurions sous ce rapport comme sous
beaucoup d’autres à lui faire de nombreux emprunts.
Mais pour que ces emprunts portassent leur fru it, il
faudrait qu’en nous appropriant les institutions du pays,
nous pussions nous assimiler les mœurs et le caractère
de ses habitants.
Le contraste qui à ce double point de vue distingue
les deux peuples, autorise de prévoir et de croire qu’une
institution fort avantageuse pour l’un, pourrait devenir
pour l’autre une occasion d’abus et de scandales.
Que dirait cette école si, armée de l’exemple de l’An
gleterre, nous soutenions l’inutilité de la commandite?
Les anglais, en effet, n’ont jusqu’en 1856, connu et pra
tiqué que deux espèces de sociétés : les sociétés non eni Gazette des tribunaux, 6 novembre •1861.
�AVANT-PROPOS
25
registrées dans lesquelles , comme dans notre société en
nom collectif, tous les associés étaient solidairement et
indéfiniment tenus ; et les sociétés incorporées, véritables
sociétés anonymes qui non-seulement ne pouvaient s’é
tablir que par charte royale ou par acte du parlement,
mais qui encore n’étaient admises que pour les grandes
entreprises ayant pour objet l’exploitation d’un privilè
ge , d’un monopole comme la compagnie des In d es, la
banque d’Angleterre, les chemins de fer, etc.. . .
Cette absence de commandite avait-elle nuit à la pros
périté du commerce anglais ? en avait-elle contrarié ou
arrêté le développement? Or où trouver ailleurs que
dans la différence du caractère et des mœurs, la raison
qui a pu rendre inutile , en Angleterre , une institution
de tous temps jugée avec raison indispensable en France?
Le bill du 14 juillet 1856 ne se l’approprie pas. Ses
dispositions nejont que vulgariser l’anonyme, en per
mettre l’application aux opérations commerciales de toute
nature , et la dispenser de la nécessité d’obtenir une
charte royale ou un acte du parlement.
XXIII.
— Nous voulons bien croire que les sociétés à
responsabilité limitée ont pris, en Angleterre, de grandes
proportions. Ont-elles produit les heureuxrésultatsdont
parle M. Blanche? Nous ignorons sur quelles autorités
s’étaie l’honorable magistrat. Mais voici un fait qui pour
rait répondre à notre question :
De tout temps le journal de la cité, le Times, avait
inséré gratuitement l’annonce des faillites. En 1861,
�26
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
quelques jours précisément après le discours de M. Blan
che , on lisait dans ce journal que les faillites s’étaient
tellement multipliées , que leur annonce devenait une
charge; qu’en conséquence son insertion n’aurait lieu à
l’avenir que contre paiement.
Ainsi, cinq ans après le bill de 1856 , les faillites avaient pris un développement énorme. Il ne serait pas
sans intérêt de déterminer dans quelles proportions le
bill y avait contribué. Malheureusement nous ne som
mes pas en position de le faire. Mais ce qui n’a rien
d’équivoque, c’est la multiplicité des faillites après cinq
ans de pratique de l’innovation qu’il inaugurait, et qui
bien certainement a fourni son contingent à cet affli
geant résultat. Si ce sont là les succès que le bill a pro
duit, nous aurions tort de jalouser nos voisins et surtout
de leur emprunter l’instrument qui en a été l’occasion.
Nous ne sommes déjà malheureusement que trop riches
en succès de ce genre.
XXIV.
— Quoi qu’il en soit, le Gouvernement s’ins
pirant de ces idées et voulant essayer du remède indi
qué, proposa et fit adopter les lois des 9 et 23 mai 1863:
la première modifiant les articles 27 et 28 du Code de
commerce , la seconde créant et autorisant la société à
responsabilité limitée. Le principal objet de ces deux lois
était de raviver l’esprit d’association que celle de 1856
avait profondément découragé. Il faut, disait-on, recon
naître que les abus pratiqués au préjudice des action
naires et l’impossibilité , pour eux, de surveiller effica-
�AVANT-PROPOS
27
cernent leurs intérêts, ont commencé à détourner les ca
pitaux de ce genre de placement. Rien ne peut les y ra
mener davantage que la possibilité pour les intéressés de
participer à l’administration des sociétés, sans encourir
les responsabilités indéfinies qui atteignent les gérants.
Toujours la même équivoque, le législateur raisonne
dans l’hypothèse d’une société ayant pour objet un com
merce sérieux, tandis que ce à quoi il fallait remédier
c’était à ses opérations fictives se résumant en une spé
culation sur les actions que leurs possesseurs s’empres
saient de vendre pour se désintéresser de la société, et
en laisser la ruine à la charge de ceux q u i, entraînés
par une apparence trompeuse les avaient achetées et
payées au delà du prix d’émission.
Qu’il y eût encore, en 1863, beaucoup de gens dispo
sées à se livrer à des opérations de ce genre, c’est ce dont
il n’est pas permis de douter. Le rapporteur de la loi
du 23 mai au Corps législatif l’observait lui - même :
« Le nombre des gérants h o n n ê t e s et capables
est loin de s’être accru en proportion de la progression
delà richesse mobilière. »
C’étaient ces gérants honnêtes et capables qu’il s’agis
sait de trouver. Ce résultat pouvait naître de ce qu’on
ouvrait la porte de la gérance à tous les commanditai
res. Mais qu’attendre de ceux-ci, les uns s’empressant
de vendre leurs actions, les autres les achetant en vue
des dividendes avantageux qu’on a jusqu’alors fait mi
roiter aux yeux du public, ayant d’autant moins la vo
lonté d’administrer la société, que la plupart d’entre eux
�28
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
domiciliés à une distance plus ou moins grande du siège
social sont dans l’impossibilité matérielle de le faire.
Les causes de l’altération qu’avait subie l’esprit d’as
sociation étaient les désordres , les scandales, les abus
que la commandite par actions avait soulevés sur son
passage. Justement effrayés des naufrages successifs qui
avaient dévoré tant de fortune, on reculait devant la pres
que certitude d’une ruine inévitable. Or pouvait-on se
flatter de guérir cette crainte par la faculté pour les com
manditaires de se mêler dans une certaine mesure à la
direction de la société ; par une restriction dans la res
ponsabilité des gérants ?
XXV.
— Si les auteurs de la loi du 23 mai 1863,
autorisant les sociétés à responsabilité limitée, avaient
conçu cette espérance, leur illusion ne fut pas de longue
durée. Dès 1865, le Gouvernement présentait le projet
devenu, depuis, la loi du 24 juillet 1867, et qui a pu
rement et simplement abrogé celle du 23 mai 1863.
Celle-ci, comme celle de 1867, avait pour objet de
remédier à une inconséquence qui se rencontre rare
ment chez le législateur. La division du capital en ac
tions soumise, dans l’anonyme, à l’autorisation du Gou
vernement, était entièrement libre dans la commandite.
Où était la raison de cette différence ? L’émission d’ac
tions si elle offrait un danger dans l’anonyme, pouvaitelle ne pas l’offrir dans la commandite ? Les motifs qui,
dans le premier cas , faisaient exiger l’autorisation du
Gouvernement, militaient avec la même autorité pour en
�AVANT-PROPOS
29
faire prescrire la nécessité dans le second. Il fallait donc
l’imposer à celle-ci comme à celle-là, ou les en affran
chir l’une et l’autre.
XXVI.
— C’est à ce dernier parti que s’est arrêté le
législateur de 1867, et nous souhaitons que l’avenir lui
donne raison. Blais s’il nous est permis d’exprimer notre
pensée, ce parti pris contre les leçons, contre l’expérience
du passé, ne nous paraît pas le meilleur.
C’est au nom de la liberté et pour lui rendre hom
mage qu’on l’a sanctionné ! La liberté est pour nous une
chose sainte et sacrée, et nous nous honorons d’en avoir
été, d’en être encore, en tout et partout, le fervent adepte.
Blais nous ne saurions ni comprendre ni admettre
que, sous prétexte de liberté, on revendiquât le droit de
se livrer aux plus frauduleuses opérations, de tendre des
pièges au public , d’organiser la spéculation et le dol !
Or n’est-ce pas là ce que, de l’avis de tous, avait fait la
commandite par actions.
Dès lors l’intervention et l’intervention énergique du
Gouvernement était plus qu’un droit. À qui en effet in
combe le devoir de protéger les citoyens dans leur forfune comme dans leur personne ?
D’ailleurs en remplissant ce devoir l’Etat se protège
lui-même. Il est évident qu’avec notre système financier
les brèches faites à la fortune publique, les atteintes por
tées au crédit général réfléchissent sur le bien-être et le
crédit de l’Etat, que compromet déjà la masse de valeurs
plus ou moins véreuses qui écrasent le marché et avilis
sent ses propres valeurs,
�30
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Tous ces inconvénients, tous ces dangers, qu’on le re
marque bien, tenaient non à la forme et au caractère de
la commandite, mais uniquement à la faculté d’en émet
tre librement le capital en actions. Ce qui le prouve plus
énergiquement que toutes les observations , c’est l’effet
de cette émission dans l’anonyme. Toutes ou presque
toutes les sociétés en commandite avaient ruiné leurs ac
tionnaires. Les trois cent cinquante-une sociétés anony
mes au capital de deux milliards avaient au contraire
toutes prospéré , et la perte du capital n’avait été pour
elles qu’une très-faible et très-rare exception.
Celte énorme différence tenait uniquement à ce que la
société anonymene pouvait exister qu’après autorisation.
Cette autorisation n’était accordée qu’après que le con
seil d’Etat avait examiné les statuts , et vérifié s’ils ne
contenaient aucune clause compromettante pour les ac
tionnaires, ou dangereuse pour les tiers ; contrôlé le ca
ractère de l’objet que se proposait la société, la sincérité
et la valeur des apports, la réalité des souscriptions , la
moralité et la solvabilité des souscripteurs.
Outre les garanties réelles que cet examen offrait aux
tiers et aux associés, il avait cet autre avantage d’écarter
de piano ces projets que leur caractère dolosif et même
insensé n’empêchait pas de faire de nombreuses victi
mes, qui n’auraient osé affronter le conseil d’Etat, et se
produisaient insolemment sous la forme de la comman
dite.
La nature du mal indiquait, ce semble , celle du re
mède à employer. Il fallait appliquer à la commandite
�AVANT-PROPOS
31
par actions, le régime imposé à l’anonyme. C’est préci
sément le contraire que fait la loi de 1867. Désormais
l’émission d’actions libre dans la commandite, l’est éga
lement dans l’anonyme dispensée de toute autorisation.
XXVII.
— Un des principaux arguments a été que la
nécessité de l’autorisation était une gêne considérable,
une exception au grand principe de la liberté des con
ventions ; qu’il est des cas où une affaire importante ne
peut s’engager qu’à la condition d’une conclusion im
médiate.
Nous nions que cela puisse se rencontrer dans les en
treprises qui font appel aux actionnaires. On peut com
prendre la nécessité d’une conclusion immédiate dans
les opérations du commerce ordinaire , entre commer
cants travaillant avec leurs propres fonds. Mais les opé
rations qui exigent des capitaux considérables seront
trop importantes pour qu’on puisse supposer cette né
cessité.
Comment d’ailleurs concilier cette nécessité avec celle
de se procurer des souscripteurs. Placera-t-on les ac
tions du soir au lendemain ; et si la société peut atten
dre ce placement pendant des années quelques fois , il
serait ridicule d’admettre qu’elle ne pourrait attendre
pendant quelques semaines le résultat de l’instruction
sur la demande en autorisation.
L’intérêt de l’Etat à voir se développer le commerce,
est un sûr garant de la diligence que devait rencontrer
la demande de l’autorisation. Pour l’obtenir, disait l’Ex-
�32
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
posé des motifs de la loi du 23 mai 1863, les sociétés
anonymes n’avaient ni longs délais à subir, ni grandes
difficultés à vaincre. On leur demandait de présenter des
souscriptions sincères , c’est-à-dire des garanties pour
la société contre les administrateurs , et pour les tiers
contre la société. On comprend qu’avec les moyens d’in
vestigation dont elle dispose, l’administration ne devait
pas être longtemps à vérifier les déclarations faites à ce
sujet. Pourrait-on citer un exemple d’un retard dans la
décision tel que la société ait vu l’occasion qui l’avait
motivée se perdre et disparaître.
Le passé répondait donc de l’avenir. Dans tous les
cas pouvait-on mettre en balance les inconvénients d’une
perte de temps qui ne pouvait jamais être de longue du
rée, avec les avantages que le contrôle sur l’objet et le
caractère de la société offrait aux actionnaires et aux
tiers.
XXVIII.
— Est-ce que d’ailleurs sous l’empire de la
loi nouvelle, la société pourra se flatter d’arriver à la
conclusion immédiate qui serait la condition de sa cons
titution ? Les formalités prescrites par les articles 1, 2,
3 et 4 n’entraineront-elles pas une perte de temps iné
vitable, et dans certains cas plus considérable que celle
qu’eût exigé l’autorisation.
Cette perte de temps ne sera-t-elle pas beaucoup plus
sensible dans les actes préparatoires de la société ? Jus
qu’à présent celui à qui on demandait d’accéder à une
société anonyme pouvait signer sur-le-champ. La certi-
�33
AVANT-PROPOS
tude de l’examen et du contrôle que l’Etat devait exercer,
le dispensait de s’enquérir lui-même de la nature de l’o
pération, de la position de ses organisateurs. Désormais
cette abstention ne serait plus qu’une souveraine impru
dence , et chaque individu avant de s’engager est tenu
de rechercher s’il peut le faire solidement. Ainsi, au lieu
d’une instruction unique par l’autorité , on en subira
cinquante , cen t, deux cents, et d’autant plus longues
que les moyens de se renseigner seront moins faciles.
Nous ne saurions donc accepter comme sérieux l’ar
gument tiré delà nécessité d’éviter une perte de temps.
Etaient-ils plus concluants ceux que l’Exposé des motifs
donnait à l’appui de la mesure ?
XXIX.
— Les garanties qu’offrait la nécessité de l’au
torisation n’étaient pas niables, et l’Exposé des motifs ne
les dissimule pas ; mais il admet la possibilité d’y sup
pléer. « Ainsi, dit-il, on peut aisément remplacer toutes
celles qui résultent de l’étude des dispositions statutai
res, en traçant les règles générales sur lesquelles doivent
être, en quelque sorte, calqués tous les contrats de so
ciété.
» Quant aux investigations sur les choses qui forment
le fond social et sur les souscripteurs qui forment le per
sonnel de la société , elles peuvent sans doute réussir à
déjouer les combinaisons dolosives et à repousser des
entreprises mal conçues. Mais l’expérience a plus d’une
fois montré qu’elles ne peuvent pas toujours pénétrer les
i. — 3
�34
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
mystères dont, avec des intentions diverses, cherchent à
s’envelopper les demandeurs en autorisation.
» Ainsi, en premier lieu, lorsque la nature ou la va
leur des apports présente quelque incertitude , les pré
cautions prescrites par le projet doivent, si elles sont
bien observées, faire aisément découvrir l’erreur ou la
fraude.
» En second lieu et sur les questions de personnes, la
prudence la plus vulgaire commandait de s’enquérir de
la condition , de la moralité et de la solvabilité des gens
avec qui on traite , et chaque partie intéressée e st, sous
ce rapport, au moins aussi bien placée que l’adminis
tration pour obtenir des renseignements exacts et com
plets.
» Les intérêts privés, conclut l’Exposé des motifs,
n’ont pas à se plaindre lorsque la loi, par de sages dis
positions , trace la marche qu’ils ont à suivre , indique
les moyens qu’ils doivent employer pour se protéger et
se défendre ; et lorsque les effets de l’initiative indivi
duelle peuvent tout autant que l’action de l’autorité pu
blique. »
XXX.
— La conséquence logique de ce dernier prin
cipe était que, s’en référant à cette initiative individuelle,
le législateur n’avait à tracer ni préceptes à observer ni
règles à suivre. C’est ce que les partisans de la liberté
absolue ne manquaient pas d’opposer. Dès l’instant que
l’initiative individuelle peut se suffire, disaient-ils, elle
le doit ; et le législateur n’a d’autre droit que de procla-
�AVANT-PROPOS
35
mer, pour les sociétés, ce qu’il proclame pour les autres
contrats , pour le contrat de mariage notamment, à sa
voir : que les intéressés peuvent faire toutes les conven
tions qu’ils jugent convenables , pourvu qu’elles n’aient
rien de contraire à la lo i, â l’ordre public , aux bonnes
mœurs.
XXXI.
— « Mais, répondait avec raison le rappor
teur du Corps législatif, il ne faut pas oublier que le
projet est limité aux sociétés par actions nominatives ou
au porteur, c’est-à-dire à des conventions qui, par leur
mode de formation, leur nature, leur objet, diffèrent es
sentiellement des conventions ordinaires.
» Quand un vendeur et un acheteur se rencontrent,
on peut s’en remettre exclusivement à eux du soin de
débattre librement les conditions du contrat; il y a là
deux intérêts privés directement en lutte; c’est un débat
sur des prétentions contradictoires nettement précisées ;
la vigilance des deux parties est en éveil, chacun est éclairé sur les questions à résoudre, et si l’erreur, le dol
ou la fraude peuvent se glisser dans le contrat et le vi
cier , c’est là une exception , et la loi ouvre par l’action
en nullité ou en rescision un utile et suffisant recours
à la partie lésée.
» Les conventions matrimoniales, loin de différer des
autres en cela, offrent autant et plus de garanties peutêtre. Qui ne sait avec quel soin, quelle ardeur, quel ap
prêté parfois se discutent entre les deux familles ou leurs
conseils, les moindres clauses d’un contrat de mariage,
�36
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
et comment y pourrait-on redouter, en général, des sur
prises et des pièges ?
» Le contrat de société ne s’éloigne pas toujours de
cette espèce de droit commun des conventions. Les so
ciétés civiles , les sociétés en nom collectif, la société en
commandite simple elle-même, créées en vue des person
nes autant et plus que des capitaux , mettent les intérêts
face à face et provoquent entre eux une discussion sé
rieuse, loyale, contradictoire. Aussi nul ne songe à mo
difier les règles simples sous l’empire desquelles elles ont
vécu. Trois articles du Code de commerce, en dehors de
ceux qui ont trait à la publicité, suffisent, avec les prin
cipes du droit commun, à la réglementation de la société
en nom collectif. Il en est de même de la commandite.
» Mais les sociétés par actions sont loin d’offrir ce ca
ractère. Créations pour ainsi dire artificielles de la loi,
aggrégations de capitaux sans responsabilité personnelle
dans la société anonyme, avec une responsabilité isolée
et affaiblie dans la commandite , elles n’offrent ni aux
tie rs, ni aux intéressés eux-m êm es, les garanties des
conventions ordinaires soit dans leur mode de forma
tion, soit dans leur fonctionnement.
» A part les fondateurs, est-ce que les intéressés dé
battent et discutent les statuts ? Est-ce qu’ils les connais
sent et les lisent même ? Ils le pourraient sans doute et
le devraient, et s’ils ne le font pas on peut dire qu’ils
sont coupables envers eux-mêmes et n’ont point à s’en
prendre à la loi de leur imprévoyance. Mais le législateur
ne peut envisager les choses à ce point de vue théorique
�AVANT—PROPOS
37
et absolu. Il doit tenir compte des faits et de l’expérien
ce. Or l’expérience enseigne que , attirés par un pros
pectus, les actionnaires souscrivent, et que, du pacte so'
cial, ils connaissent une seule chose, le bulletin de sous
cription au pied duquel ils apposent leur signature. Re
lativement aux stipulations de l’acte de société, ils sont,
en fait, la plupart du temps, de véritables tiers.
» Quant aux tiers proprement dits, au public avec le
quel la société est destinée à entrer en relations , à né
gocier, à contracter, sans doute la publicité leur révèle,
à l’origine, les conditions sans lesquelles l’être moral, la
société entre dans le monde des affaires, et les garanties
que ces conditions présentent, soit au point de vue du
capital, soit au point de vue du personnel des gérants
ou administrateurs ; sans doute le projet actuel essaie
d’améliorer cette publicité, de la rendre effective, inces
sante pour ainsi dire, et il offre aux tiers, sous ce rap
port , et des facilités et des sécurités nouvelles. Mais ce
qui est v ra i, c’est que la rapidité et le nombre des af
faires, la bonne foi qui en est l’âme, la multiplicité des
points sur lesquels la société opère en dehors de son
centre, ne permettent pas d’étudier, à l’occasion de cha
que opération , les stipulations sociales, comme cela se
fait quand on traite avec une femme dotale une affaire
isolée. Il est facile de dire : « Eh bien 1 quand on vou» dra entrer dans une société ou contracter avec elle, on
» devra s’informer, se renseigner, examiner s’il y a ou
» non danger à le faire. » La nature des choses résiste
à ce qu’il en soit ainsi. La liberté ne la modifierait pas.
�38
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
» Il faut donc que la loi, prévoyante pour des inté
rêts que la force des choses pousse et condamne à une
imprévoyance inévitable, stipule, à l’occasion de chaque
espèce de sociétés , le minimum de garanties dont l’ex
périence enseigne la nécessité. Le projet ne fait pas autre
chose. Il écarte les rigueurs inutiles, les précautions ex
trêmes ; il concilie en un mot la liberté des conventions
avec la protection des intérêts : protection que le législa
teur ne pouvait négliger, en cette matière, sans abdiquer
son rôle et son devoir. »
En d’autres termes et comme le disait Cambacérès, si
le législateur n’a pas à intervenir dans les sociétés tra
vaillant avec leurs propres fonds, il le peut et le doit dans
celles dont le capital est formé d’actions mises sur la pla
ce , qui s’adressent ainsi à la crédulité des citoyens, et
q u i, souvent mal combinées dans leur origine ou mal
gérées dans leurs opérations , sont dans le cas de com
promettre laTortune des actionnaires et des tiers, d’alté
rer le crédit général, de mettre en péril la tranquillité
publique.
in
I
XXXIL — Le rôle du législateur ainsi déterminé ,
comment et dans quelle étendue usera-t-il de son droit,
remplira-t-il son devoir ? Suffira-t-il qu’il assure à cha
que société un minimum de garanties , comme le pense
le rapporteur du Corps législatif?
Nous ne nous rendons pas raison de cette restriction.
Si protection est due , elle doit être entière , absolue , et
chaque intérêt est en droit de réclamer toutes les garan-
�AVANT-PROPOS
39
ties qui peuvent utilement le sauvegarder. Ce summum
de garanties résidait, pour la société anonyme, dans l’au
torisation qu’elle devait rapporter, et c’est à ce titre que
la nécessité en avait été imposée.
XXXIII.
— Y avait-il utilité, opportunité à se dépar
tir de cette nécessité? A notre avis ce n’est pas par les
clabauderies plus ou moins intéressées de gens qui, sous
prétexte de bien public, ne cherchent que leur avantage,
que la question devait se résoudre. Il fallait s’en ré
férer aux faits , à l’expérience d o n t, d’après M le rap
porteur , le législateur doit toujours s’inspirer et tenir
compte.
Or ici l’expérience et les faits répondaient hautement.
Soixante ans du régime inauguré par le Code s’étaient
écoulés, et durant cette période quelle était la société ré
ellement utile à qui l’autorisation eût été refusée ? Quel
les sont celles qui avaient eu à souffrir ou qui avaient
souffert de la nécessité de l’obtenir ? N’est-ce pas par
leur secours que tant de grandes et belles choses se sont
accomplies ; et a-t-on jamais eu à leur reprocher les abus, les désordres et les scandales tant prodigués par la
commandite par actions ?
A quoi bon dès lors se livrer à des tentatives, à des
essais pour protéger l’esprit d’association ? On avait en
mains une garantie réelle , sérieuse , efficace, et l’a
bandonner sans pouvoir se promettre de la remplacer
avantageusement, n’était - ce pas sacrifier la proie à
l’ombre.
�40
lo i
de
1867 sua
les
s o c ié t é s
XXXIV.
—, Mais les précautions sanctionnées p arla
Loi y suppléeront, s’écrie-t-on !
Rappelons cet aveu de l’Exposé des motifs : l’expé
rience a plus d’une fois montré que les investigations sur
les choses qui forment le fond social, et sur les souscrip
teurs qui forment le personnel de la société, ne pouvaient
pas toujours pénétrer les mystères dont, avec des inten
tions diverses, cherchent à s’envelopper les demandeurs
en autorisation.
Or si l’Etat, malgré l’immensité de ses moyens, a pu
être trompé , si avec l’aide des procureurs généraux et
impériaux, des préfets, des maires, des commissaires de
police , il n’a pu percer le voile dont s’entouraient les
fondateurs de la société, que sera-ce lorsque tout est re
mis à l’initiative individuelle? Découvrira-t-on plus fa
cilement le mystère, et l’erreur au lieu d’être une excep
tion comme autrefois ne deviendra-t-elle pas désormais
la règle?
D’ailleurs l’Exposé des motifs ne considère les précau
tions édictées comme pouvant suppléer les garanties ré
sultant de l’autorisation , que si ces précautions étaient
Dien remplies. Le seront-elles toujours dans ces condi
tions, alors que tant d’intérêts à ce qu’il en soit autre
ment peuvent si facilement se supposer ?
Mon Dieu ! la loi de 1856 ne péchait pas par faute de
précautions, elle les avait même exagérées. Qu’était—il
arrivé cependant, et quel a été le sort des sociétés con
tractées sous son empire.
Nous ne croyons donc pas que la suppression de l’au-
�AVANT-PROPOS
41
torisation parvienne à raviver l’esprit d’association à le
tirer de la torpeur dans laquelle il est tombé. Les causes
de ce regrettable résultat, ce sont les blessures profondes
que tant de désastres ont fait subir à la confiance publi
que. On ne lui rendra donc son activité et son énergie
qu’en lui donnant, par la moralisation des sociétés, des
garanties sérieuses, qu’en rendant difficiles sinon impos
sibles ces scandales et ces désordres dont il a été jusqu’ici
victime.
XXXV.
— Il est évident que la loi nouvelle ne fait
que déplacer le mal. C’en est fait , nous le croyons, de
la commandite par actions, que la loi de 1867 a tuée
beaucoup plus sûrement que ne l’eût fait le retrait de la
faculté d’en diviser le capital en actions. La comman
dite, en effet, soumettait les gérants à la responsabilité
indéfinie, et cette responsabilité, bien qu’on fût parvenu
à l’alléger dans le présent, n’en était pas moins dans le
cas de devenir un embarras dans l’avenir.
On s’y soumettait parce qu’on ne pouvait faire autre
ment ; parce que la voie de la société anonyme était
subordonnée à l’autorisation , et que cette autorisation
on n’osait pas même la demander, tant l’objet et le ca
ractère de l’opération faisaient prévoir un refus.
Désormais libre de choisir entre la responsabilité in
définie et la responsabilité limitée à la mise , quel est
celui qui accepterait la première , et répudierait volon
tairement les avantages de la seconde. Il est donc cer
tain qu’assuré d’arriver à ses fins avec moins de dangers
�42
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
et d’embarras, l’auteur d’un projet quel qu’en soit le ca
ractère, prendra la voie de l’anonyme *.
N’est-ce pas d’ailleurs ce qui s’est déjà réalisé sous
l’empire delà loi du 23 mai 1863, autorisant la société
à responsabilité limitée. De 1863 à 1865 , c’est-à-dire
dans deux ans, il s’est formé cinquante-deux sociétés de
ce genre au capital ensemble de quatre-vingts millions.
Il s’en serait formé bien davantage , d isait, en 1867,
l’Exposé des motifs, si la loi n’avait pas fixé à vingt mil
lions de francs le maximum du capital de chaque société.
Donc au delà de cette limite on était obligé de recou
rir à la commandite par actions. Ce qui explique qu’il
a pu se former dans cette période quelques sociétés de
ce genre ; mais on ne pourrait peut-être pas en citer une
seule qui restant pour le capital dans la limite de la loi,
ait pris cette voie.
C’est donc à la société anonyme que recourront évi
demment tous ces faiseurs de projets qui ne cherchent
qu’à se créer une fortune aux dépens des dupes que
leurs manœuvres parviennent à entraîner. Sans doute la
loi leur suscite quelques embarras , quelques obstacles.
Mais la fraude est bien adroite, elle a tant de moyens,
qu’elle triomphera de ceux-ci comme elle a triomphé de
tant d’autres. Or qu’auront gagné les actionnaires et le
public, s i , au lieu d’être exploités par la commandite
par actions, ils le sont par l’anonyme ?
1 Nous écrivions ces lignes en 4 867 : nous sommes en 1870. Trois ans
se sont écoulés depuis la promulgation de la loi. Nous avons vu annoncer
une m ultitude de sociétés anonymes ; de commandite par a c tio n s, pas
une seule.
�AYANT-PROPOS
43
XXXVI.
— Vainement a-t-on dit que la loi de 1867
était un hommage à la liberté des conventions, et entrait
dans les vrais principes de l’association; qu’en effet il
ne fallait pas de privilège qui s’accorde souvent à faux
et engage la responsabilité de celui qui le donne; pas
d’entrave qui paralyse l’essor de l’intelligence et de l’ac
tivité des individus ; pas d’inutile tutelle, pas de contrôle
fictif qui, en réduisant les associés à l’état de mineurs et
en leur inspirant une trompeuse sécurité, empêche l’in
téressé de conjurer sa ruine.
XXXVI!. — En présence de cet acte d’accusation con
tre l’autorisation , une seule chose étonne , à savoir,
qu’on ait mis si longtemps à s’apercevoir de ces défauts
et de ces dangers ; que pendant soixante ans on ait pra
tiqué un régime fondé sur le privilège et aboutissant à
une ruineuse déception.
Ce qui surprend bien davantage, c’est le témoignage
que le législateur rendait de ce régime au moment mê
me oh il le désertait :
« Longtemps on a cru que la société anonyme conci
liait tous les droits et tous les intérêts; que l’autorisation et
la surveillance du Gouvernement donnaient aux capitaux
une entière sécurité, et offraient aux tiers les meilleures
garanties qu’ils pussent avoir........... Nous sommes loin
de dire que l’intervention de l’autorité ait été sans utilité
pour la formation des sociétés anonymes, et qu’elle n’ait
pas contribué à leur bonne administration. Il est cons-
�44
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
tant, au contraire, qu’elle a produit sous ces deux rap
ports d’excellents effets »
Mais alors pourquoi l’abandonner? Les actionnaires
et le public se sont-ils plaints qu’on les protégeait trop,
qu’on les traitait comme des mineurs? Nous comprenons
les accusations dirigées contre la nécessité de l’autorisa
tion de la part de ceux à qui cette nécessité faisait obs
tacle, et qui par leur nombre, par leur position, par leur
influence sont parvenus à créer une opinion factice, com
me ils font la hausse ou la baisse à la Bourse. Mais les
actionnaires sérieux , mais le vrai public sont restés étrangers à ces clabauderies : ce qu’ils ont toujours récla
mé , c’est qu’on prit en mains leurs intérêts , qu’on les
protégeât même contre leur propreentraînement. Si donc
on les eût consultés, bien évidemment on n’eût pas re
noncé à la nécessité de l’autorisation. Prétendre aujour
d’hui que cette autorisation inspirait une trompeuse sé
curité et empêchait l’intéressé de conjurer sa ruine, c’est
tout bonnement avancer la contre-vérité la plus flagrante
et jeter le plus injuste démenti à l’expérience de soixante
années. Quand a-t-on pu reprocher à l’anonyme les
abus , les scandales , les désordres que la commandite
par actions a semé partout sur ses pas.
XXXVIII. — Reste le principe de la liberté des con
ventions. Nous ne reviendrons pas sur nos observations
à ce sujet ; mais à titre de résumé de notre discussion
1 Exposé des motifs de la loi de 1867.
�AVANT-PROPOS
45
nous allons transcrire la réponse que faisait aux parti
sans de ce principe un homme qu’on n’accusera certes
pas d’esprit rétrograde, l’honorable M. Ernest Picard.
« On vous demande de déclarer que toutes les con
ventions sont possibles, à moins qu’elles ne soient con
traires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. On cher
che une assimilation dans les contrats de mariage, et on
dit : De même que les conventions sont libres entre les
époux , de même elles doivent être libres entre les asso
ciés.
» Mais je nie les prémisses d’abord. Si je me reporte
à notre législation civile , j ’y trouve les articles 1387 et
suivants, qui mettent une borne à la liberté des contrac
tants ; et il y en a une qui domine tout le monde et qui
est la plus forte que nous ayons : c’est l’irrévocabilité et
l’immutabilité même des conventions.
» Voilà déjà un point où le système est en désaccord
avec celui qu’on nous propose pour les sociétés. Mais si
nous prenons les faits et si nous leur faisons subir l’é
preuve de l’application, le système qu’on nous propose
serait-il de nature à être adopté par vous ? Je ne de
manderais qu’à lui faire subir cette épreuve, et je dirais:
Voulez-vous le juger? Attendez la fin de la discussion,
et quand chacun dans son individualité aura révélé ici
les dangers que courent les actionnaires, la nécessité de
les prévenir, alors voyez le système et acceptez-le si vous
l’osez.
» Mais ce système même qui est le système qui s’ap
pelle en économie politique le système du laissez-faire et
�46
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
du laissez-passer, qui pleure sur les vaincus et ne les
relève pas, ce système est-ce qu’on prétendrait le pous
ser jusqu’à ses conséquences extrêmes ? Il y a en matière
de sociétés une disposition prohibitive dans un cas qui
est bien connu : c’est celle qui concerne la société léo
nine. Je ne puis pas faire une société avec une person
ne , en m’affranchissant des pertes , et en gardant pour
moi seul les bénéfices. La société léonine est le vœu de
bien des ambitions, et le Code a eu raison de la pros
crire.
» Est-ce que les auteurs du système de la liberté des
conventions vont permettre la société léonine ? Non , ils
s’arrêteront là ; ils diront, faisons une loi.
» Ah , je les attendais là ! Eh bien , si vous voulez
faire une lo i, faisons-là ensemble, n’y introduisons pas
de réglementations inutiles : je suis là dessus d’accord
avec vous ; mais ce qui est contraire aux principes de
l’ordre public et qui a besoin, comme tel, d’être défini
par un texte de loi, mettons-le dans la loi ; ne permettons
pas la société léonine , car nous ne sommes pas à l’àge
d’or , à moins que l’àge d’or ne soit revenu pour ceux
qui aiment à faire des sociétés léonines; n ’admettons pas
les conventions qui renfermeraient des clauses contraires
à toutes les prévoyances des législateurs ; car, messieurs,
légiférer , c’est prévoir. Ainsi sans introduire de régle
mentations exagérées, mettons dans la loi tout ce qui
est nécessaire pour protéger la crédulité toujours persis
tante des tiers et des actionnaires.
» Je ne peux donc p a s , messieurs, me ranger à ce
�AVANT-PROPOS
47
système; je le peux d’autant moins que si j’examine quel
est le fondement définitif des sociétés en commandite
par actions et des sociétés anonymes , je suis obligé de
reconnaître que ce sont là des créations artificielles, des
créations de la loi, et il est nécessaire, il est bon qu’elles
restent des créations artificielles, des créations de la loi,
car le véritable mouvement commercial et industriel ne
s’accomplit heureusement que quand il a pour contre
poids et' pour équilibre la responsabilité personnelle de
celui qui le dirige. Mais quand vous formez des agglo
mérations de capitaux assemblés à grands soins, quand
vous préposez à la tête de ces puissances redoutables des
administrateurs irresponsables, des membres de conseil
d’administration qui veillent plutôt qu’ils ne surveillent,
il arrive en définitive que vous avez des forces et pas de
responsabilité. Or des forces de cette nature sans respon
sabilité introduites dans le monde financier et industriel
sont dangereuses...........
» Eh bien ! le jour où vous décrétez ici la liberté de
l’anonym at, ce jour-là vous dites à l’actionnaire, plus
de protection '. »
Puisse l’avenir donner raison au législateur de \ 867,
et ne pas amener la nécessité de revenir sur son œuvre.
1 Moniteur, 28 mai 4867.
��LO! OU 24 J U I L L E T 1867
TITRE I”
D e s s o c ié té » e n c o m m a n d ite p a r a c tio n s .
A r t . 1 er.
Les sociétés en commandite ne peuvent divi
ser leur capital en actions ou coupons d’actions
de moins de cent francs lorsque ce capital n’ex
cède pas deux cent mille francs et de moins de
cinq cents francs lorsqu’il est supérieur.
Elles ne peuvent être définitivement consti
tuées qu’après la souscription de la totalité du
capital social et le versement, par chaque action
naire, du quart au moins du montant des actions
par lui souscrites.
Cette souscription et ce versement sont cons
tatés par une déclaration du gérant dans un acte
notarié.
A cette déclaration sont annexés la liste des
souscripteurs , l’état des versements effectués,
l’un des doubles de l’acte de société s’il est sous
N
i. — 4
�50
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
seing privé, et une expédition s’il est notarié et
s’il est passé devant un notaire autre que celui
qui a reçu la déclaration.
L’acte sous seing privé, quel que soit le nom
bre des associés , sera fait en double original,
dont l ’un sera annexé , comme il est dit au pa
ragraphe qui précède, à la déclaration de sous
cription du capital et de versement du quart, et
l’autre restera déposé au siège social.
SO IIIU A IBE
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
Effet de la loi de 1867 sur la commandite par actions.
Nécessité pour bien saisir l ’esprit, de la loi nouvelle de s’en
référer à celle de 1856.
Nature du mal à cette époque; remède qu’il appelait.
1" condition : taux des actions suivant que le capital excède
ou n ’excède pas deux cent mille francs. Son caractère.
Réclamations à ce sujet lors de la discussion de la loi nou
velle.
La limite de cent ou cinq cents francs au minimum s’appli
que au coupon comme à l’action. Conséquences.
L’action de jouissance ne peut être fractionnée. Effet de la
vente ou de la cession.
Comment et sur quoi se calcule le taux à donner à l ’action.
Conditions imposées à la constitution définitive de la société.
Fraudes dont cette constitution était l’occasion sous l ’em
pire du Code de commerce.
Caractère de l ’exigence de la souscription de la totalité du
capital et du versement du quart au moins.
Motifs pour n ’exiger que le versement du quart.
La clause divisant le capital et laissant soit au g éran t. soit
�TITRE I , ART.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
24.
25.
26.
27.
28.
29.
30.
31.
32.
1.
SI
au conseil de surveillance la faculté d’émettre de nouvelles
actions est désormais illicite.
Conséquences.
Le versement du quart doit-il être effectué au moment de la
souscription ; peut-il l’être plus tard,
Peut-il être fait autrement qu’en espèces? Opinion de M.
Paignon pour l ’affirmative.
Réfutation.
Doctrine et jurisprudence.
Le versement ne peut être fait en factures ou mémoires ac
quittés de travaux ou fournitures à la société.
Résumé.
Le versement exigé est celui du q u art, non du capital, mais
de chaque action. Conséquences.,
Les souscripteurs d’actions peuvent-ils diminuer le Gapîtal
et le réduire à la partie souscrite ?
Arrêt de la cour de Paris ; son caractère. Opinion de M.
Dalloz.
Réfutation.
Opinion de M. Vavasseur ; discussion.
La clause des statuts autorisant la majorité des souscripteurs
à réduire le capital est-elle licite ?
Déclaration à faire par le gérant ; son authenticité ; rôle du
notaire.
Conséquences ; opinion de M. Duvergier sur l ’utilité de l’in
tervention du notaire.
Nécessité d'annexer à la déclaration : 1° la liste des sous
cripteurs, son utilité.
2° L ’état des versements, son caractère, sa forme.
Ce q u ’il doit constater.
3° L’acte de société; modifications introduites par la loi ac
tuelle.
Quel que soit le nombre d’actionnaires il suffit que l ’acte de
société soit fait à double original.
�52
t o i DE
1867
SUR UES SOCIÉTÉS
{. — Le législateur de 1867 n’a pu ni dû se dissi
muler que la commandite par actions ne serait plus à
l’-avenir qu’une exception plus ou moins rare. Quelle
probabilité en effet que les lanceurs d’affaires, pouvant
n’être tenus qu’à concurrence de leur mise, aillent s’ex
poser à une responsabilité indéfinie. II est évident qu’ils
seront d’autant plus empressés de se soustraire à celleci , que leur spéculation sera plus chanceuse , plus vé
reuse même.
Mais de ce que la commandite par actions promettait
d’être plus rare , ce n’était pas une raison pour qu’on
s’abstînt de la réglementer, de modifier ce que la pra
tique avait condamné dans la loi de 1856 , d’ajouter à
ses dispositions ce dont cette pratique avait signalé le be
soin, ce qu’exigeait le progrès commercial et industriel.
2.
Le titre ier de la loi du 24 juillet 1867 con
sacre cette réglementation, édicte ces modifications. Mais
pour bien saisir l’esprit de ses dispositions , il faut s'en
référer à la loi de 1856 à laquelle sont empruntées les
principales de ces dispositions. Aussi le projet présenté
par le Gouvernement, renvoyant à cette loi, se bornaitil à indiquer les changements et innovations qui y avaient été apportées. Mais la commission du Corps lé
gislatif pensa avec raison que la loi nouvelle devait con
tenir tout ce qui se rattachait à la matière, sauver ainsi
aux intéressés la nécessité de recherches plus ou moins
faciles, éviter une perte de temps en permettant de saisir'
d’un seul coup d’œil l’ensemble des conditions auxquel
les on subordonnait la validité des sociétés.
�TITRE I , ART.
1.
53
5. — Ges conditions, la nature du mal auquel il fal
lait remédier , les imposait en quelque sorte au législa
teur de 1856. Ce qui constituait ce mal c’était d’a
bord l’absence de toutes règles sur le taux des actions,
leur négociabilité; sur la constitution définitive de la so
ciété.
Usant de la liberté illimitée qui leur était laissée , les
fondateurs émettaient, suivant l’expression de M. Lan
glois, non des actions, mais des billets de loterie dont le
bas prix sollicitait la confiance de ces classes qui sont
d’autant plus crédules qu’elles ont moins d’instruction.
Des manœuvres de toute espèce donnaient à ces ac
tions une apparence de valeur qui en permettait la né
gociation , seul but que se proposassent les fondateurs.
Mais cette négociation n’était possible qu’après la cons
titution définitive de la société. Aussi les statuts dispo
saient-ils que la société serait constituée dès que les sous
criptions atteindraient à un chiffre déterminé.
Puis si ces souscriptions se faisaient trop attendre, on
obtenait par complaisance et quelquefois à prix d’argent
des signatures sans solvabilité', sans valeur ; on procla
mait la constitution de la société , on exigeait le verse
ment des actions prises par des souscripteurs sérieux, et
le capital qu’on se procurait ainsi, insuffisant pour faire
face aux besoins de la société, servait à distribuer de gros
dividendes à l’aide desquels on faisait de nouvelles du
pes, aux dépens'-lesquelles on se créait d’insolentes for
tunes.
A ces manœuvres dans la période qui préparait la so-
�54
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ciété, qui en suivaient la constitution, venaient s’en join
dre d’autres pour la réussite des plans de spoliation qu’on
avait conçus , et que l’Exposé des motifs de la loi de
1856 indiquait en ces termes :
« Les stipulations et les ruses dont on fait usage pour
attirer l’argent dans les sociétés en commandite sont va
riées. Mais bien examinées, elles rentrent dans un cercle
assez étroit, et se réduisent à quelques procédés qui, dif
férant par les détails, sont, au fond, en réalité les mê
mes. L’exagération de la valeur des apports en nature,
la distribution des actions d’après cette appréciation , la
forme au porteur qui donne une si dangereuse facilité
pour se défaire d’actions mal acquises et sans qu’on
puisse suivre leurs traces dans les mains qui se les trans
mettent; la valeur nominale rendue illusoire par la fa
culté de faire des versements minimes au moment de
l’émission ; la composition des conseils de surveillance
dans lesquels on entre soit par faiblesse, soit par calcul,
souvent même avec de mauvais desseins, presque tou
jours dans la pensée qu’aucune responsabilité n’est atta
chée aux fonctions qu’on accepte ; enfin la distribution
de dividendes fictifs pris sur le capital , tantôt h l’insu
des conseils de surveillance, tantôt de concert avec eux ;
telles sont les manœuvres le plus fréquemment employées
pour tromper le public. »
Ces données acquises, la tâche du législateur était toute
tracée. 11 fallait rendre impossibles les manœuvres, qui
pouvaient être matériellement prévenues, et frapper d’u
ne peine capable d’en empêcher le retour, celles qui ne
comportaient qu’une répression morale.
�TITRE
I,
ART.
1.
55
4 . — Ce double point de vue donne la clé des dis
positions de la loi de 1856. C’est d’abord un taux uni
forme imposé à l’action. Elle ne peut être au-dessous de
cent francs lorsque le capital social n’excède pas deux
cent mille francs, de cinq cents francs lorsqu’il est su
périeur.
Ainsi on ne verra plus de ces sociétés au capital de
dix, vingt, trente millions, dont les actions étaient émises
au taux de vingt, de dix, de cinq, et même d’un franc.
« Réduites à de si misérables proportions, disait-on
en 1856, les actions sont destinées à ceux qui, par leur
condition sociale, sont le moins capables d’apprécier les
chances auxquelles ils s’exposent. Evidemment elles sont
faites pour s’introduire dans les plus petites bourses, cel
les précisément pour lesquelles les pertes sont le plus
cruelles ; elles sont préparées pour s’emparer des modes
tes économies qui, au lieu de se hasarder dans les périls
de la spéculation, doivent aller s’accumuler dans les cais
ses d’épargne. C’est surtout pour la protection de ces in
térêts que la loi doit se montrer vigilante et sérieuse. »
C’étaient là , il faut en convenir , des inconvénients
fort regrettables et auxquels il était urgent de mettre un
terme, non pas seulement au point de vue du préjudice
matériel dont ils étaient l’occasion , mais eneore , mais
surtout eu égard à la démoralisation qu’ils entraînaient
à leur suite. Quelles pouvaient être en effet les consé
quences de cette passion du jeu , de cette fièvre de spé
culation que l’exemple de fortunes scandaleuses , que le
^miroitement de bénéfices considérables excitait et entreenait dans tous les cœurs ?
�56
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
5. — On ne pouvait à ce sujet penser et agir, en
1867, autrement qu’en 1856. On a donc maintenu la
limite minimum des actions à cent ou à cinq cents francs,
selon que le capital n’excède pas ou excède deux cent
mille francs.
Cette fixation du capital à deux cent mille francs pour
l’action de cent francs, excita des réclamations. Qu’estce, disait-on , qu’un capital de deux cent mille francs ?
Est-ce que les faiseurs se mettent en mouvement pour
si peu ? En réalité donc on supprime l’action de cent
francs en ayant l’air de la conserver.
On proposait donc de reporter au delà de deux cent
mille francs le capital permettant l’action de cent francs.
Mais cette proposition fut repoussée et devait l’être. Si le
taux de cinq cents francs pouvait être un obstacle capa
ble de faire échouer certaines spéculations, il n’y aurait
qu’à s’en applaudir.
6 . — La limite de cent ou de cinq cents francs est
imposée au coupon d’actions comme à l’action elle-mê
me, ce qui donna l’occasion de reprocher à la loi d’in
terdire le fractionnement de l’action. Cette accusation et
ce reproche n’étaient ni justes ni mérités.
On ne pouvait en effet sans inconséquence admettre,
pour le coupon , un chiffre inférieur à cent ou à cinq
cents francs selon le chiffre du capital. Que serait deve
nue l’exigence de la loi relativement à l’action ? Emise
au chiffre réglementaire, on n’eût pas manqué de la di
viser en coupon de dix , de vingt, de cinquante francs,
perpétuant ainsi l’abus qu’on voulait détruire.
�TITRE 1 , ART.
1.
57
Il n’était donc pas possible de laisser le sens de la
prohibition à la discrétion des intéressés, et de permettre
d’en éluder indirectement les effets.
En se préoccupant des coupons d’actions et en les
réglementant, la loi a prouvé suffisamment qu’elle n’en
tendait pas interdire le fractionnement de l’action. Sans
doute ce fractionnement est impossible , lorsque le taux
de l’action a été descendu à son minimum. Mais si avec
un capital n’excédant pas deux cent mille francs, si a vefrun capital supérieur l’action est de cinq cents , de
mille, deux mille, dix mille francs, rien ne fait obstacle
à ce qu’on la fractionne en coupons de cent francs dans
le premier cas, de cinq cents dans le second.
7
.
— Le fractionnement n’est interdit que pour les
actions de jouissance , donnant droit à participer aux
bénéfices. La nature particulière de ces actions, leur ob
jet qui est la rémunération d’avantages concédés, ou de
services rendus à la société, les rendaient exclusivement
personnelles. Elles, se placent naturellement en dehors
de celles qui constituent le capital et qui doivent être sol
dées en nature ou en espèces, et dont l’article \ se préocupe exclusivement.
On ne comprendrait donc pas leur division en cou
pons. Mais rien n’empêche leur bénéficiaire de les céder
en totalité ou en partie , soit à titre gratuit, soit à titre
onéreux.
Seulement le cédant ne se trouverait pas dispensé de
continuer à la société les'soins et les services en vue des-
l
�38
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
quels les actions lui ont été concédées. On connaît d’ail
leurs la maxime : socius socii mei, non est socius meus.
Les cessionnaires resteraient donc en dehors de la so
ciété qui ne pourrait être contrainte de les reconnaître et
de les admettre dans son sein.
8. — Le taux des actions se calcule sur le capital in
diqué par les statuts, abstraction faite du mode adopté
pour sa réalisation.
Supposez par exemple qu’après avoir fixé le capital à
cinq cent mille francs, à un million, le pacte social dis
pose que ce capital ne sera réalisé que par fractions de
cent mille francs et au fur et à mesure de l’insuffisance
des versements successifs , l’action ne serait légalement
établie qu’au taux de cinq cents francs.
9. — L’action n’est acquise aux souscripteurs et ne
peut leur être distribuée qu’a près que la société a été
définitivement constituée. O r, de même que la loi de
4836, la loi de 4867 subordonne cette constitution à
deux conditions : 4° la souscription de la totalité du ca
pital ; â° le versement par chaque actionnaire du quart
au moins du montant des actions par lui souscrites.
Cette double exigence a pour objet de prévenir le dan
ger que la constitution frauduleuse de la société faisait
courir aux actionnaires et au public. Nous avons déjà
fait remarquer que le fondateur, usant de la liberté que
le Code de commerce lui laissait à ce sujet, déclarait que
la société serait constituée dès qu’un nombre déterminé
�TITRE I ,
ART. 1 .
59
d’actions serait souscrit, et que bien souvent ce nombre
n’était atteint qu’à l’aide d’hommes de paille sans moyens
comme sans volonté de payer les actions qu’ils s’attri
buaient.
Ce qui en résulait, c’est que la société commençait
ses opérations avec un capital évidemment insuffisant ;
c’est que pour attirer de nouveaux et sérieux actionnai
res , on prenait sur ce capital insuffisant de gros divi
dendes qui, en alléchant le public, permettaient de ven
dre les actions avec un bénéfice dont la réalisation, mo
bile avéré du fondateur, était bientôt suivie de la ruine
de la société.
1 0 . — L’obligation de la souscription de la totalité
du capital ne remédiait à cette fraude que dans une cer
taine mesure, le fondateur pouvant être tenté de recourir
également à des signataires de complaisance.
Mais l’obligation faite aux souscripteurs de verser le
quart au moins du montant de chaque action est une
garantie contre toute éventualité de ce genre, en même
temps qu’elle assure à la société un capital effectif plus
que suffisant pour faire face à ses premières opérations.
1 1 . — Certes la garantie eût été bien plus énergique
si le législateur eût prescrit le versement actuel non du
quart, mais du montant intégral de chaque action. De
vait-il, pouvait-il le faire? Nous ne le pensons pas.
Les souscriptions pour l’entier capital ne se recueil
lent pas dans un jour. Plus ce capital sera considérable,
�60
LOI DE
1,867
SUR LES SOCIÉTÉS
plus on mettra de temps à le réaliser. La partie successi
vement souscrite était donc condamnée à demeurer im
productive pendant des mois , pendant des années en
tières, et la perte, peu importante lorsqu’elle ne s’appli
que qu’à une fraction, pouvait le devenir lorsqu’elle au
rait porté sur la totalité. Puis tel souscripteur consent
à courir les chances de la restitution du quart de sa
souscription , qui refuserait de s’y exposer pour la to
talité.
La détermination du législateur se légitime par une
autre raison non moins péremptoire : il n’est pas de so
ciété qui ait immédiatement besoin de son entier capital
qu’on calcule ordinairement en prévision des chances de
perle que peuvent donner les premières opérations, et
de manière à pouvoir faire face à toutes les éventualités.
Dès lors exiger le versement intégral dès la mise en
mouvement de la société ,• c’était lui donner au delà de
ce dont elle a réellement besoin , immobiliser dans sa
caisse une partie notable de son capital. Or, en com
merce, on meurt du trop plein autant que du vide de la
caisse, le désir d’utiliser ce trop plein donnant lieu à des
entreprises téméraires, hasardeuses, déterminant le plus
souvent la perle non-seulement de l’intérêt recherché,
mais encore du capital lui-même.
On ne peut qu’applaudir à la détermination du légis
lateur. Le versement du quart évite le danger que nous
venons d’indiquer, et tout en garantissant la sincérité des
souscriptions, met la société à même de satisfaire à tout
ce qu’exigent les premières opérations.
�.
TITRE I ,
ART.
1.
61
12 — Le législateur avait d’ailleurs sous les yeux
l’exemple de sociétés q u i, prenant à ce sujet l’initiative,
stipulaient dans leurs statuts qu’une partie seulement du
capital serait provisoirement recouvrée, laissant au gé
rant soit seul, soit avec l’autorisation du conseil de sur
veillance, la faculté d’émettre de nouvelles actions.
Une pareille clause n’a plus été possible depuis la loi
de 1856. En effet, puisque le capital entier doit être sous
crit, et le quart.au moins des actions versé avant la con
stitution de la société, rien dans les statuts ne pourrait
modifier cette double condition , l’éluder ou en dis
penser.
13. — Est-ce à dire pour cela que le versement du
capital entier devra toujours suivre la constitution de la
société? Dans quel intérêt le déciderait-on ainsi, et pour
quoi contraindrait-on la société à s’embarrasser de fonds
dont elle n’a que faire.
Il suffirait donc que la totalité du capital eût été sous
crite et que chaque action eût versé au moins le quart
de son m ontant, pour que la clause relative à la réali
sation ultérieure des trois quarts, quelle qu’elle fût, de
vint légale et obligatoire. On pourrait, par exemple, ran
ger les actions en séries, et déterminer par la voie du
sort celles qui seraient appelées à verser, les premières,
le solde dont elles seraient débitrices.
Ainsi il ne peut plus être question d’une émission
d’actions partielle. En exigeant la souscription de la tor
talité du capital , In loi a entendu non la partie du ca-
�62
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
pital jugée suffisante pour les premières opérations,mais
le capital'tel que le fixent les statuts.
D’autre part la faculté de surseoir à la réalisation du
capital doit se concilier avec l’obligation de verser le
quart au moins du montant de chaque action. Toute
clause q u i, directement ou indirectement, modifierait
cette obligation, serait radicalement nulle, et la constitu
tion de la société faite sous son empire irrégulière et
sans effets.
1 4.
— Le versement du quart au moins doit-il être
effectué au moment de la souscription ? Peut-il l’être
plus tard ?
L’économie de la loi conduirait à ce résultat, qu’il suf
fit qu’au moment où le gérant fait sa déclaration il ait
réellement touché le quart des actions souscrites.
Rien donc ne paraît s’opposer à ce qu’il ne perçoive
ce quart que lorsque la souscription entière du capital
permettant la constitution de la société , rend ce verse
ment obligatoire et acquis à la société. La nécessité de
perdre l’intérêt de leur argent, pendant un temps plus
ou moins long, pourrait éloigner les souscripteurs ; à plus
forte raison la crainte de n’êlre pas remboursés , le cas
de restitution arrivant.
Le fondateur est donc libre de consentir à ne recevoir
qu’après que la totalité du capital entier aura été sous
crite. Mais la prudence lui conseille d’agir autrement.
En effet, le temps consacré à recueillir cette souscrip
tion peut avoir modifié la position des premiers sous-
2
�TITRE
I
, ART.
1.
63
cripteurs , et s’ils refusent de verser , s’ils ne sont plus
en position de le faire, faudra-t-il bien les remplacer,
et le temps consacré à ce remplacement n’amènera-t-il
pas d’autres refus , d’autres insolvabilités qu’il faudrait
remplacer à leur tour ? Il faudrait donc sans cesse re
commencer et tourner ainsi dans ce cercle vicieux. Il est
donc prudent et sage de ne pas courir une pareille chance.
15. — Le/versement du quart de l’action peut-il être
effectué autrement qu’en espèces , en valeurs de porte- '
feuille par exemple ?
La négative nous paraît résulter du texte et de l’esprit
de la loi. M. Paignon, dans son Commentaire de la loi
de 1856, se prononce en sens contraire. Dans la pensée
de la loi, dit-il, le versement c’est la libération des ac
tions. Or il y a plusieurs manières de payer sa dette. On
peut donner une chose quelconque en paiement (article
1238 C. Nap.). L’argent est sans doute l’équivalent le
plus usuel ; mais il n’est pas le seul. Du numéraire, des
valeurs de satisfaction ou des titres , sont des modes de
se libérer parfaitement juridiques, sauf la responsabilité
du gérant1.
16. — Qu’on puisse donner une chose quelconque
en paiement d’une dette , c’est là un principe de droit
commun incontesté et qui, dans l’application, ne saurait
rencontrer d’autre obstacle que le refus du créancier.
Mais une loi spéciale a pu légalement déroger à ce prin1 Page 67.
0
�64
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
cipe. C’est en effet ce qu’avait fait la loi de 1856, ce que
fait encore celle de 1867 pour les sociétés en comman
dite par actions.
Le versement du quart au moins a été exigé pour pré
venir l’abus des sociétés en commandite par actions qui
n’ont au moment de leur constitution que des ressour
ces insuffisantes et illusoires.. Ce but est évidemment at
teint par le versement du quart , qui faisant disparaître
ces paiements fictifs imaginés par le gérant, assure à la
société un fonds de roulement suffisant pour sa mise
en activité. Ce double effet qui résulte invinciblement
d’un versement en numéraire, ne serait pas toujours la
conséquence de la remise de titres ou valeurs de porte
feuille.
Sans parler de la perle qui résultera de leur négocia
tion , on peut prévoir la chance d’un refus ou de l’im
possibilité d’un paiement à l’échéance. Il faudra dans
ce cas que la société rembourse ce qu’elle avait reçu, plus
les frais de protêt et de compte de retour , et reste ainsi
privée d’une partie de son capital en attendant l’effet de
son recours contre son endosseur, qui peut-être sera luimême devenu insolvable.
Puis il arrive quelquefois,'que pour se donner du cré
dit , un commerçant bourre son portefeuille de valeurs
qu’il s’est fait souscrire par des hommes sans consis
tance, sans aucune solvabilité et qu’on ne sait où trouver
au moment de l’échéance. La remise de valeurs de ce
genre serait donc non un paiement, mais une pure pro
messe de paiement qui ne se réalisera peut-être jamais.
�TITRE 1, ART.
65
1.
Le gérant pourrait être, de bonne foi, victime de cette
fraude ; il pourrait l’avoir organisée lui-même dans le
but de faire croire à l’accomplissement de la loi et de
commencer régulièrement en apparence les opérations
de la société. Dans l’un et l’autre cas les victimes seraient
les actionnaires sérieux et le public.
Sans doute ils auraient un recours contre le gérant.
Mais celui-ci n’aura pas manqué de prendre ses précau
tions , de se mettre à couvert des conséquences de sa
responsabilité.
La loi qui venait proscrire les fraudes dont la fré
quence avait éveillé sa sollicitude, ne pouvait laisser une
porte ouverte à celle que nous relevons. Il faut en con
clure que le versement qu’elle exige est celui qui en pré
vient même la possibilité , c’est-à-dire le versement en
argent.
17
.
— C’est ainsi d’ailleurs que l’avait compris la
majorité des auteurs, que l’avait compris la jurispru
dence. Ainsi M. Rivière qui se prononçait dans ce sens
sous l’empire de la loi de 4856, persiste dans son opi
nion dans son Commentaire de la loi de 1867 '. C’est
dans le même sens que se prononcent MM. Mathieu et
Bourguignat2.
Un arrêt de la cour d’Aix du 16 mai 1860, juge qu’
une société en commandite par actions est nulle dans le
cas où , sur une partie des actions souscrites, le verse1 N* 22.
2 Commentaire de la loi de 1867, n as 14 et suiv.
i. — 5
�66
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ment préalable du quart a été purement fictif, les action
naires étant censés, au moyen d’un /eu d’écritures, faire
ce versement et le retirer ensuite à titre de paiement an
ticipé soit du travail, soit des fournitures qui formaient
en réalité la matière de leur apport '.
Il est vrai que, dans cette espèce, le versement n’avait
pas été fait en valeurs de portefeuille. Or de l’arrêt an
nulant les versements consistant uniquement en promes
ses de travaux et de fournitures, on ne pourrait logique
ment conclure à la nullité des versements en valeurs.
Mais voici ce qui est plus précis :
Dans une espèce qui se présentait au tribunal de com
merce de Villeneuve , le versement en valeurs avait été
déclaré régulier. « Attendu , disait le jugement, que si
plusieurs versements ont été faits en valeur et non en nu
méraire, il est constant que c’étaient des valeurs de por
tefeuille d’une valeur égale à leur énonciation, qu’il ne
faut pas confondre avec celles dont s’occupe l’article 4
de la loi du 23 juillet 1856, qui, à cause de leur valeur
incertaine et variable , doivent être préalablement sou
mises à la vérification et à l’appréciation des actionnai
res en assemblée générale. »
Sur l’appel, la cDur d’Agen adoptant les motifs du ju
gement , le confirmait par arrêt du 6 décembre 1860 2.
Mais sur le pourvoi dont il devint l’objet, cet arrêt fut
cassé par la Cour suprême, le 11 mai 1863. Les motifs
1 D. P ., 60, 2, 118.
s D. P ., 61, 2, 60.
9
�TITRE I , ART.
1.
67
qui déterminent cette cassation tranchent fort nettement
la question, dans le sens que nous avons toujours préféré.
« Attendu que le mot versement qui, dans le langage
usuel et dans son acception grammaticale, se doit enten
dre d’un paiement effectif, présente manifestement celte
signification dans l’article 1 de la loi du 17 juillet 1836,
dont l’objet a été de faire cesser l’un des plus graves a bus des sociétés en commandite, celui du paiement fictif
des actions, et d’assurer aux associations créées sous cette
forme, un fonds de roulement suffisant pour leur mise
en activité, à compter du jour de leur constitution ;
» Attendu qu’il serait contraire à la pensée qui a dicté
l’article 1 de la loi du 17 juillet 1856, d’admettre com
me équivalent du versement qu’il prescrit, la remise par
les souscripteurs d’actions au gérant de la société, de va
leurs de portefeuille d’un recouvrement plus ou moins
certain , ou d’autres titres ne pouvant être réputés de
l’argent comptant ; et qu’à cet égard s’agissant d’une
matière qui intéresse l’ordre public, il y a lieu, confor
mément à l’article 6 du Code Napoléon , de considérer
comme non avenue toute clause du projet de constitution
d’une société en commandite qui dérogerait à la volonté
formelle du législateur ;
» Qu’il suit de là qu’en déclarant mal fondée la de
mande de Ballande et consorts afin de nullité de la so
ciété du comptoir de Villeneuve-sur-Lot, à défaut de
versement avant sa constitution du quart des actions
souscrites, alors qu’il était constant que le gérant avait
accepté, pour les versements à faire par plusieurs action-
�68
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
naires , des valeurs de portefeuille , des factures et mé
moires acquittés de travaux exécutés et de fournitures
faites pour le compte de la société , ainsi que des quit
tances de primes de fondation, la cour d’Agen a ouver
tement violé les articles 1 et 6 de la loi du 17 juillet
18561. »
La cour de Bordeaux devant laquelle parties et ma
tière avaient été renvoyées , adoptant la doctrine de la
cour de Cassation , infirmait le jugement et annulait la
société, par arrêt du 20 juin 1865 2.
18.
— On remarquera que dans cette espèce il ne
s’agissait p lu s , comme dans celle de l’arrêt d’Aix , de
l’engagement d’exécuter tels travaux, de faire telles four
nitures. Les travaux avaient été exécutés, les fournitures
faites, et c’était leur prix dû et acquis dont la société était
libérée. Cependant la nullité que la cour d’Aix admet
dans le premier c a s , les cours de Cassation et de Bor
deaux n’hésitent pas à la consacrer dans le second.
Peut-on leur reprocher un excès de sévérité ? Dira-t-on
qu’il ne saurait exister de différences fondées entre le
paiement que le gérant ferait des deniers réellement en
trés dans la caisse sociale, et celui qu’il effectue en rece
vant moins. Celui-ci en libère-t-il moins la société d’une
dette qu’elle est bien tenue d’acquitter ?
Ce reproche et ces objections auraient le tort de mé1 D. P., 63, 1, 213.
2 J. du P ., 1865, 1124.
�TITRE I , ART. t .
69
connaître non-seulement l’esprit de la loi spéciale, mais
encore les principes de droit les plus élémentaires en
matière de paiement par compensation.
Evidemment l’actionnaire qui opère le versement d u ,
quart en facture ou mémoires acquittés de travaux ou
fournitures , compense ce qu’il doit avec ce qui lui est
dû. Mais pour que cette prétention fût admissible, il
faudrait qu’il y eût identité dans les personnes respec
tivement créancière et débitrice ; que les deux dettes fus
sent également liquides et exigibles. Or aucune de ces
conditions ne se rencontrent dans notre espèce.
L’actionnaire e st, jusqu’à concurrence du montant
des actions par lui souscrites , débiteur principalement
de la société et subsidiairement du public à qui l’action
directe a été reconnue par la jurisprudence. Sa dette ne
deviendra exigible et ne sera échue que du jour de la
constitution de la société.
Les travaux qu’il a exécutés , les fournitures qu’il a
faites en vue de la société et avant sa constitution , ne
peuvent pas le constituer créancier de la société, qui n’ex
istant encore ni en fait ni en d ro it, n’a pu évidemment
ni s’engager ni être engagée par qui que ce soit.
Il a donc pour débiteur unique l’auteur du projet a vec lequel il a traité, et ce n’est qu’en exerçant les droits
de celui - ci qu’il pourrait s’adresser à la société. Or
quels peuvent être ces droits alors qu’aux termes de l’ar
ticle 13, le gérant qui commencerait les opérations so
ciales avant l’entrée en fonctions du conseil de surveil
lance encourrait une amende de cinq cents à dix mille
francs.
�• •
*
____________________________ ______________________________________
70
LOI DE
■■
1867
■
SUR LES SOCIÉTÉS
Dès lors puisqu’en traitant de ces travaux et de ces
fournitures, le gérant n’a ni agi, ni pu agir au nom et
comme mandataire de la société, toute compensation en
tre ce qu’il doit et ce qui est dû à la société est maté
riellement impossible.
Sans doute si la société a réellement profité des tra
vaux ou fournitures, il est juste qu’elle les paye, si d’ail
leurs il n’a pas été tenu compte de leur valeur dans
l’apport du gérant. Mais tout cela peut donner lieu à une contestation entre elle et le gérant, et non autoriser ce
lui-ci à dispenser son créancier du versement préalable
du quart exigé par la loi de tout souscripteur d’action.
La doctrine des cours de Cassation et de Bordeaux est
donc juridique. Elle est la juste et nécessaire application
tant des prescriptions de la loi spéciale que des principes
du droit commun sur la compensation.
L’invalidité , l’irrégularité du versement du quart en
quittances de travaux ou de'fournitures, résulterait dans
tous les cas des exigences de l’article 4. En effet l’action
naire qui prétend user de ce mode de libération, fait en
réalité un apport qui, ne consistant pas en numéraire,
doit être soumis à l’approbation et à l’appréciation de
l’assemblée générale.
Cette double mesure est ici d’autant plus nécessaire
que, dans le désir d’éluder la loi et pour paraître avoir
recueilli la souscription de la totalité du capital, le gérant
pourrait s’entendre avec tels ou tels entrepreneurs , tels
ou tels fournisseurs, supposer l’existence de travaux ou
fournitures , en exagérer tout au moins la valeur. Evi-
�TITRE I ,
ART.
1.
71
demment le législateur n’a ni entendu ni pu entendre
laisser cette chance à la fraude qui porterait atteinte au
capital de roulement en vue duquel il prescrit le verse
ment du q u a rt, et pourrait grever l’avenir de la société
d’une charge plus ou moins lourde.
19. — En résumé le législateur se préoccupant de
la constitution de la société , en subordonne la possibi
lité et la régularité : 1° au taux des actions qui ne peut
être inférieure à cent ou à cinq cents francs , suivant
que le capital demandé n’excède pas ou excède deux cent
mille francs ; 2° à la souscription totale du capital ;
3° au versement par chaque souscripteur du quart au
moins du montant des actions par lui souscrites. Bien
entendu que l’obligation défaire ce versement n’incombe
qu’aux actions payables en numéraire. En sont par con
séquent dispensées les actions de jouissance, les actions
industrielles, celles qui représentent l’apport mobilier ou
immobilier.
2 0 . - A ce sujet, on ne doit pas perdre de vue
que ce que la loi exige c’est le versement effectif du
quart non du capital social, mais de chaque action
souscrite.
De là cette conséquence que si un ou plusieurs ac
tionnaires versent au delà du quart, nul autre action
naire ne saurait en exciper eu s’en prévaloir pour se
dispenser de verser lui-même le quart du montant de
ses actions dès que le quart du capital serait atteint.
�72
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Ce qui exclut tout doute à cet égard, c’est que le pro
jet élaboré par le conseil d’Etat en 1 856 exigeait le ver
sement du quart au moins non du montant des actions,
mais du capital social consistant en numéraire ; c’est par
un amendement de la commission du Corps législatif,
admis par le conseil d’Etat, qu’on substitua la rédaction
qu’on lisait dans la loi de 1856 et qui est littéralement
reproduite par celle de 1867.
Certes, si l’exigence du versement du quart au moins
avait pour but unique d’assurer à la société un fonds
de roulement suffisant pour ses premières opérations, le
versement effectif du quart du capital social consistant
en numéraire remplirait parfaitement ce but.
Mais cette exigence a aussi pour objet de prévenir
et d’empêcher les souscriptions fictives dont on abusait
tant avant 1856. Or, loin de remplir cet objet, le verse
ment du quart du capital, que certains actionnaires an
ticiperaient, favoriserait et encouragerait la fraude. On
comprend en effet que, possesseur de ce quart et impa'
tient de, mettre la société en mouvement, le gérant pour
rait fort bien faire souscrire les actions restant à placer
par des individus sans moyens, sans consistance, sans
solvabilité, sauf à les remplacer au fur et à mesure que
l’occasion s’en présenterait.
Voilà pourquoi on repoussa le projet et on remplaça
par l’exigence du versement du quart de chaque action
le versement du quart du capital numéraire que ce pro
jet se bornait à prescrire. Voilà aussi pourquoi le ver
sement de plus du quart Opéré par les uns n’autorise-
�TITRE 1 , ART.
1.
73
rait les autres ni à se dispenser de verser le quart de
leurs aetions, ni à verser moins que ce quart. Dans l’un
comme dans l’autre cas la constitution de la société ne
serait ni régulière ni légale.
21.
— La cour de Cassation, dans son arrêt du 11
mai 1863, déclare que les prescriptions de la loi tou
chant la souscription de la totalité du capital et le verse
ment du quart au moins du montant des actions sous
crites, sont d’ordre public ; qu’en conséquence, toute
clause du projet de société qui dérogerait devrait être
considérée comme nulle et de nul effet.
Si on ne peut stipuler la faculté de laisser dans un
cas donné la loi sans exécution, à plus forte raison ne
saurait-on, en fait, s’éluder directement ou indirecte
ment. Or, n’est-ce pas ce que feraient les souscripteurs
qui, vu la difficulté ou l’impossibilité d’obtenir la sous
cription de la totalité du capital, modifieraient ce capital
et le réduiraient à la partie déjà souscrite.
Un pareil agissement serait, à notre avis, frappé
d’une nullité radicale et absolue, et ne créerait aucun
lien légal même pour ceux qui y auraient concouru.
Une disposition d’ordre public ne cède devant aucune
volonté, et tel est le caractère de celle qui exige la sous
cription de la totalité.
Accorder aux souscripteurs le pouvoir de la laisser de
côté lorsqu’ils n’ont pu parvenir à l’exécuter, serait se
jeter dans l’abus que le législateur a voulu proscrire,
s’exposer à autoriser une société mort-née avec un ca-
�74
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS'
pital insuffisant, vouée à une perte assurée. Comment,
en effet, concevoir et admettre que la société pourra se
passer du capital que ses fondateurs avaient jugé indis
pensable et se développer avec les ressources plus où
moins minimes qu’elle est parvenue à se procurer.
Faudra-t-il laisser se constituer une société qui, mal
gré l’entrainement du public, n’a pu réaliser son capital
qui, par conséquent, pêche par la nature de son objet
ou le caractère personnel de ses fondateurs ? Serait-il
admissible qu’une constitution qui ne peut s’appliquer
que par le désir de trafiquer des actions, pût ainsi met
tre en péril les acheteurs de ces actions et les tiers qui
traiteraient avec la société.
22.
— C’est donc fort juridiquement que la cour de
Paris se prononçait pour la nullité par arrêt du 24 mars
1859. En citant cet arrêt, M. Dalloz le fait suivre des
observations suivantes :
« Lorsqu’un projet de société en commandite ren
ferme des dispositions d’une réalisation trop difficile , il
est naturel que les fondateurs convoquent les actionnai
res pour donner leur adhésions à une modification du
projet. Mais le consentement donné parles actionnaires
ainsi convoqués ne peut obliger que chacun d’eux en
particulier. En effet, la société n ’étant pas encore cons
tituée il ne peut pas y avoir d’assemblée générale d’ac
tionnaires ayant le droit de prendre des délibérations
obligatoires pour la minorité. Dès lors, les souscripteurs
qui n’adhèrent pas au nouveau projet, peuvent retirer
�TITRE I , ART.
1.
75
leur souscription qu’ils n’avaient donnée que pour la
réalisation du projet primitif. C’est ainsi que s’explique
la décision que nous recueillons. Mais il faut reconnaî
tre en même temps qu’avec le concours des souscrip
teurs d’actions une société peut toujours se constituer
sur d’autres bases que celles indiquées au projet pri
m itif1. »
25.
— C’est-à-dire que M. Dalloz est d’avis que
pour la régularité et la validité des modifications il faut
l’unanimité des souscripteurs, cela est incontestablement
vrai pour toutes dispositions statutaires n’intéressant en
rien l’ordre public, et que la loi n ’interdit pas de modi
fier ou de changer. Mais comprendrait-on, dans le cas
contraire, que tous pussent faire ce que chacun en son
particulier est incapable absolument de consentir.
D’ailleurs, l’arrêt de Paris a une portée bien autre
que celle que lui assigne M. Dalloz. |Ala suite d’une
fusion régulièrement votée, le capital social avait été
porté à cinq millions. Plus tard, les actionnaires le ré
duisant à la partie alors souscrite, le descendent à trois
millions neuf cent quatre-vingt-quatre mille deux cents
francs.
L’actionnaire poursuivi par le gérant ne prétend pas
que la délibération consacrant la réduction ne lui est
pas opposable, il soutient que la société a été constituée
en dehors des conditions exigées par la loi, qu’en consé' D .P ., 89, 2, 146.
�76
loi
de
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
quence le gérant est sans qualité, la société qu’il pré
tend représenter n’ayant jamais eu d’existence légale.
La cour de Paris constate en fait que le capital de
cinq millions n’a pas été souscrit, que le souscripteur
de quatre cents actions n’a rien versé ; elle en conclut
que c’est au mépris de la volonté expresse du législateur
que la société s’est constituée; qu’elle est donc nulle dans
son principe comme dans ses effets.
L’arrêt ajoute : considérant qu’une pareille nullité est
d’ordre public ; qu’elle ne peut être couverte ; et que
vainement l’intimé excipe contre l’appelant soit du long
silence qu’il aurait gardé, soit de la délibération du
8 août 1837 qui aurait réduit le capital de cinq mil
lions à trois millions neuf cent quatre-vingt-quatre mille
deux cents francs qui était réellement souscrit et réalisé
alors en conformité de la loi de 4856.
On le voit, la Cour ne recbercbe même pas si cette
délibération liait ou ne liait pas l’actionnaire récalcitrant.
Elle lui refuse tout effet précisément parce qu’elle aurait
pour objet d’éluder les prescriptions de la loi touchant
la souscription de la totalité du capital.
2 4 . — M. Vavasseur n’est pas de cet avis. Il admet
bien que la réduction du capital ne peut avoir lieu à la
majorité, mais il est d’avis qu’elle serait valablement
consentie par l’unanimité des souscripteurs '.
Nous croyons, nous, que placée en présence de disÇommentaire de la loi de 1867, ncs 49 et 50.
�TITRE I , ART.
1.
77
positions d’ordre public, l’unanimité des souscripteurs
n’a qu’un droit : celui de renoncer au projet de société
dont le capital n’a pas été en entier souscrit, et de rédi
ger un nouvel acte indiquant le capital réduit.
A quoi bon cette exigence, se demande M. Vavasseur,
ne sutïira-t-il pas, par exemple, de faire signer par les
souscripteurs le procès-verbal de leur délibération, et
d’annexer ce procès-verbal à la déclaration notariée à
faire par le gérant pour constituer la société avec l’acte
de société, la liste des souscripteurs et l’état des verse
ments.
A quoi bon cette exigence? Mais pour observer les
convenances et rendre à la loi l’hommage qui lui est dû.
Pourrait-il être que n’ayant pu obéir à ses dispositions
on vînt effrontément prouver qu’on les a tout bonne ment mises de côté. La dignité du législateur se conci
lierait-elle avec l’approbation donnée à une pareille con
duite ?
Sans doute un nouvel acte de société aboutit au mê
me résultat, mais le législateur n’a ni le devoir ni le
droit de s’enquérir des précédents d’une société ne se
rattachant ouvertement en rien à celle qui n’a pu se
constituer; tout ce qu’il peut exiger, c’est qu’elle rem
plisse les conditions imposées à son existence, et rem
plies que soient ces conditions, la société a fait tout ce
dont elle est tenue, et rien ne saurait en empêcher la
constitution.
2 5 . — M. Vavasseur va plus loin encore, et pous-
�78
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
sant son système à ses extrêmes conséquences, il estime
qu’il pourrait être stipulé par les statuts que la majorité
des souscripteurs aurait le pouvoir de réduire le capital,
et que, dans ce cas, la délibération que prendrait cette
majorité lierait la minorité.
Nous renvoyons M. Vavasseur à l’arrêt de la cour de
Cassation du 11 mai 1863 : « Il y a lieu, s’agissant
d’une matière qui intéresse l’ordre 'public, de consi
dérer comme non avenue toute clause du projet de
constitution d’une société en commandite qui déroge
rait à la volonté formelle du législateur. »
Or que serait la clause donnant à la majorité des sous
cripteurs le pouvoir de réduire le capital dans le cas où
on ne parviendrait pas à le faire souscrire en totalité, si
non le pouvoir de déroger à la loi en prenant le moyen
de constituer la société en dehors des conditions pres
crites à cette constitution.
Dès lors cette clause devrait être considérée comme
nulle, avec d’autant plus de raison que beaucoup de
souscripteurs se trouveraient engagés sans se douter
qu’ils pouvaient l’être. Comme le disait le rapporteur
du Corps législatif , est-ce qu’à part les fondateurs , les
intéressés débattent et discutent les statuts ; est-ce qu’ils
les connaissent et les lisent même ? Attirés par un pros
pectus , les actionnaires souscrivent , et du pacte social
ils connaissent une seule chose, le bulletin de souscrip
tion au pied duquel ils apposent leur signature.
Et l’on voudrait qu’ils fussent engagés par une clause
subrepticement jetée dans les statuts, alors qu’on aurait
�TITRE I , ART.
1.
79
modifié le capital primitif et que cette modification ne
laissant à la société que des ressources insuffisantes, en
ferait prévoir et craindre la ruine prochaine. La loi , la
raison et la morale s’unissent pour repousser une pa
reille éventualité.
26.
— La preuve de l’exécution fidèle des prescrip
tions de la loi touchant la souscription de la totalité du
capital et du versement du quart au moins du montant
des actions souscrites , peut et doit résulter des bulletins
de souscription et du livre de caisse. Mais se contenter
de cette preuve , c’était s’en remettre à la volonté du
fondateur, et s’exposer à ce que la constitution de la so
ciété précédât les conditions dont elle doit être précédée.
Il fallait donc qu’avant cette constitution on obtînt
l’affirmation que la loi avait été obéie et ses ordres exé
cutés. En conséquence la loi de 1836 prescrivit, et celle
de 1867 prescrit encore que le gérant déclare et atteste
cette exécution.
Cette déclaration ne devait laisser aucun doute sur l’é
tat des choses au moment où elle se réalise. Voilà pour
quoi on lui a imposé la forme authentique.
Le projet de loi de 1856 disposait que l’exécution des
prescriptions de la loi serait constatée par acte notarié.
La commission du Corps législatif fit remarquer que ces
expressions laissaient du doute sur le rôle du notaire, et
pouvaient faire supposer que la loi exigeant de lui des
recherches à l’effet de contrôler la véracité de la décla
ration, on prétendit le rendre responsable de son inex
actitude.
�80
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Cette responsabilité n’ayant jamais été dans sa pensée,
le conseil d’Etat n’hésita pas à accueillir la modification
proposée et substitua à sa rédaction celle qui figure dans
l’article 1er.
Les rôles sont donc nettement tranchés. Le gérant étant seul en possession de tous les documents, ayant di
rectement concouru aux actes d’exécution que la loi a
reçus , a seul l’obligation et le devoir de constater cette
exécution. Le notaire ne fait que donner acte de la dé
claration qui lui est faite, sans en garantir le moins du
monde la véracité, sans encourir par conséquent la moin
dre responsabilité.
27.
— Il est évident dès lors que la forme authen
tique de la déclaration ne donnait pas la certitude que
la loi avait été fidèlement obéie, et n’était pas un obstacle
à ce que le gérant énonçât des faits inexacts, sauf à don
ner aux souscriptions et aux versements postérieurs une
date antérieure à la déclaration. Mais, dit M. Berenger,
la solennité de l’acte, l’intervention du fonctionnaire qui
le reçoit, offrent cependant une certaine sécurité. Le no
taire qui soupçonnerait que les articulations sont men
songères, refuserait son ministère ; il pourra , s’il n’y a
point de fraude, éclairer les parties par ses conseils, leur
indiquer ce qu’elles auraient négligé de faire et les moy
ens de réparer les erreurs ou les omissions '.
L'utilité de l’intervention de l’officier public , à ces
1 Collection des lois, vol. 1886, p. 337.
�TITRE I , ART.
1.
81
points de vue, nous paraît plus que problématique. Com
ment, en effet, soupçonnera-t-il le mensonge , et quels
conseils pourra-t-il donner, alors qu’il s’agit de la cons
tatation de faits matériels dont il n’a ni le droit ni le de
voir de contrôler l’existence ? Comment se flatter qu’il
dissuadera celui qui ne vient invoquer son ministère
qu’avec la volonté bien arrêtée de déclarer vrais des faits
qu’il sait être faux ?
28.
— Le législateur l’a ainsi compris et ne pouvait
guères le comprendre autrement. Aussi et dans le but de
donner à la déclaration .la garantie de véracité que la
forme authentique ne pouvait seule créer , a-t-il exigé
<l
l’annexe à cette déclaration de la liste des souscripteurs,
l’état des versements , un double ou une expédition de
l’acte de société , suivant qu’il est sous seing privé ou
passé devant un notaire.
La liste des souscripteurs , disait avec raison le rap
porteur de la loi en 1856, devient une preuve à l’appui
de la sincérité de la déclaration et fournit un document
important en cas de poursuites ultérieures.
Comment en effet admettre une liste de souscripteurs
indiquant, comme actionnaires, des individus qui ne le
seraient devenus que plus ou moins longtemps après la
déclaration? Il faudrait pour cela une prévision touchant
au miracle , et le refus d’adhérer que feraient plus tard
les personnes indiquées, deviendrait une preuve tellement
décisive de la fausseté de la déclaration, qu’on n ’oserait
en courir la chance.
i. — 6
�82
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
La liste des souscripteurs est même le seul document
excluant toute possibilité de mensonge et de fraude. Elle
ne saurait mentionner des noms qui n’auraient pas
souscrit ; en déterminant le personnel au moment de la
déclaration, elle empêche l ’introduction de signataires de
complaisance, et enlève toute possibilité de les rempla
cer plus tard par des souscripteurs sérieux. Le rappro
chement de la liste actuelle avec celle qui est annexée à
la déclaration , ne permettrait aucun doute sur la faus
seté de la déclaration du gérant et sur la responsabilité
que cette fausseté lui ferait encourir.
La liste des souscripteurs doit indiquer les nom, pré
noms , profession et domicile de chacun d’eux. Ce n’est
qu’à cette condition qu’on pourra facilement en vérifier
la sincérité.
29.
— L’état des versements opérés par chaque ac
tionnaire s’oppose à l’introduction, parmi les souscrip
teurs , de ces hommes de paille sans moyens et n’ayant
ni la volonté ni la possibilité d’opérer un paiement quel
conque. Mais il n’établit pas avec la même certitude
l’antériorité du versement.
Le gérant en effet pourrait n’avoir encore reçu ni le
quart au moins du montant des actions souscrites par
certains signataires, ni une somme quelconque, de la part
de certains autres. Le moyen de dissimuler cette infrac
tion à la loi est facile. Il suffirait en recevant plus tard
le versement, de le reporter à la date indiquée par l’état
annexé et dont on aurait gardé copie. Contre une fraude
�TITRE I , ART.
1.
83
de ce genre, la loi était évidemment impuissante ; elle ne
pouvait qu’en autoriser la preuve que les parties inté
ressées offriraient.
Dans notre Commentaire de la loi de 1836 nous di
sions que , malgré les termes de l’article premier , on
n’était pas obligé de fournir séparément et divisement la
liste des souscripteurs ; qu’il suffisait d’inscrire en regard
de chaque nom porté sur celle-ci, les sommes versées et
reçues.
Le législateur de 1867, ou du moins la commission
du Corps législatif l’avait ainsi admis. En conséquence
elle proposait de dire : « À cette déclaration sont anne
xés la liste des souscripteurs indiquant les versements
effectués, etc.. . . »
Le Gouvernement n’accepta pas cette rédaction , mais
le rapporteur constate qu’il avait accepté la pensée qui
l’avait dictée , et c’est sur cette observation que l’article
avait été voté.
Nous nous expliquons que le Gouvernement eût re
fusé d’adopter la rédaction nouvelle. Celle-ci impliquait
en effet, que ce qu’elle autorisait ne se trouvait pas dans
la loi de 1856. Or on ne saurait admettre que cette loi
eût proscrit une manière d’agir qui arrivait au but qu’
elle se proposait de la manière la plus naturelle et la
plus simple.
O
50.
— Aucun doute ne^ saurait s’élever sur ce que
doit être l’état des versements. C’est le détail nominatif
des sommes versées par chaque actionnaire.
�84
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Ainsi supposez que le quart des actions payantes soit
de cinquante , de cent, de cinq cent mille francs , il ne
suffirait pas de dire qu’il a été versé cinquante , cent,
cinq cent mille francs.
Cette recette pourrait n’être que la conséquence de ver
sements de plus du quart opérés par certains actionnai
res. Or, nous l’avons déjà indiqué , ce qui serait versé
en plus par l’un , ne dispenserait pas l’autre de verser
la quotité déterminée. En d’autres termes , la loi exige
le versement effectif non du quart du capital social, mais
du quart au moins du montant de chaque action. Il n’y
aurait donc d’état régulier que celui qui justifierait l’ac
complissement de cette dernière exigence.
3 1 . — Avec la liste des souscripteurs et l’état des
versements, doit être annexé l’acte de société. A ce sujet
la loi de 1867 a modifié celle de 1856, et rompt le si
lence que celle-ci gardait sur l’acte sous seing privé.
Ainsi si l’acte est authentique, il n ’en sera annexé
une expédition que s’il a été reçu par un notaire autre
que celpi qui reçoit la déclaration. Il est évident que
si cette déclaration a lieu devant l’officier public, qui a
dans ses minutes l’acte de société, la nécessité d’en an
nexer une expédition n’avait plus ni utilité ni raison
d’être.
Si l’acte est sous seing privé, l’un des doubles doit
être remis au notaire et annexé à la déclaration. Il est
en effet essentiel que le titre commun ne reste pas en la
possession exclusive du gérant qui pourrait être tenté,
�TITRE I ,
ART.
1.
85
au gré de ses intérêts, d’en changer ou d’en modifier
les stipulations.
5 2 . — L’article 4 325 du Code Napoléon dispose :
les actes sous seing-privé qui contiennent des conven
tions synallagmatiques, ne sont valables qu’autant qu’ils
ont été faits en autant d’originaux qu’il y a de parties
ayant un intérêt distinct.
Sous l’empire du Code de commerce on n’admettait
dans les sociétés en commandite par actions, que deux
intérêts distincts, celui du gérant, celui des actionnaires,
De toute évidence quel que fut le nombre de ceux-ci ils
n’avaient tous qu’un seul et même intérêt, celui de tou
cher les plus forts dividendes possibles. On avait donc
admis qu’il suffisait de deux originaux.
En rendant obligatoire la création des conseils de sur
veillance, la loi de 1856 avait-elle fait une position ex
ceptionnelle aux membres de ces conseils , et créé un
intérêt distinct ayant droit à un troisième original ?
L’affirmative se serait difficilement justifiée. La loi
de 1856 imposait aux membres du conseil de surveil
lance des devoirs, de l’exécution desquels ils étaient res
ponsables ; mais elle ne modifiait en rien leur position
d’associés, ne leur donnait ni droit ni actions contre les
actionnaires, et ne leur reconnaissait d’autre intérêt que
celui de percevoir les mêmes dividendes. Où donc la né
cessité d’un original spécial et distinct.
Quoi qu’il en soit, la possibilité d’un doute rendait
nécessaire d’établir nettement la volonté du législateur.
�86
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
C’est pour obéir à cette convenance que, d’accord avec
le conseil d’Etat, la commission du Corps législatif in
troduisit dans la loi le paragraphe final de l’article 1er,
aux termes duquel l’acte sous seing privé, quel que soit
le nombre des associés, sera fait en double original,
dont l’un sera annexé, comme il est dit au paragraphe
qui précède, à la déclaration de souscription du capital
et de versement du quart, et l’autre restera déposé au
siège social.
A rt. 2 .
Les actions o u co u p o n s d ’actions so n t n ég o
ciables après le v ersem en t d u q u a rt.
A rt. 3.
Il p e u t ê tre stip u lé , m ais seu lem en t p a r les
statu ts c o n stitu tifs de la société, q u e les actions
ou co u p o n s d ’actions p o u r r o n t , ap rès av o ir été
libérées de m o itié , ê tre c o n v ertis en actio n s au
p o rte u r p a r d é lib ératio n de l’assem blée générale.
S o it q u e les actions re ste n t n o m in ativ es après
cette d é lib é ra tio n , so it q u ’elles aien t été c o n v e r
ties en actions au p o r te u r , les s o u sc rip te u rs p r i
m itifs q u i o n t aliéné les actio n s, et ceux au x
q u els ils les o n t cédées avant le v ersem en t de m o i
tié , re ste n t ten u s au p aiem en t d u m o n ta n t de
leurs actions p e n d a n t deux ans à p a rtir de la d é
lib é ra tio n de l’assem blée générale.
�TITRE I , ART.
2, 3.
87
SO M M A IR E
33.
34.
35.
36.
37.
38.
39.
40.
41.
42.
43.
44.
45.
46.
47.
48.
49.
50.
51.
52.
53.
Modifications que ces deux articles introduisent à la loi de
1836. Sévérité de celle-ci ; ses causes.
*
Projet du Gouvernement de réduire la responsabilité à la
moitié, repoussé par le Corps législatif.
Plaintes que suscita la loi. Examen et avis du conseil d’Etat.
Nouveau projet présenté par le Gouvernement. Ses disposi
tions quant à la responsabilité des souscripteurs.
Exposé des motifs à l’appui.
Appréciation.
Nullité delà clause des statuts qui autoriserait l ’actionnaire
à ne payer que la moitié.
Avis contraire de M. Troplong ; ses motifs.
Examen et réfutation.
Appréciation des précédents législatifs invoqués par M. Troplong.
Cette clause peut-elle se fonder sur le principe de la liberté
des conventions?
Le projet n ’admettait la libération de moitié que si le sous
cripteur avait cédé ses actions.
Fraude à laquelle cette condition donnait naissance.
Proposition de la commission du Corps législatif.
Objections qui lui furent opposées.
Amendement de MM. J. Simon et de Janzé pour le maintien
de la responsabilité intégrale.
Rejet de toutes ces propositions par le Corps législatif. Ren
voi des articles à la commission.
Explication par le rapporteur du nouvel article adopté par
la commission.
Les actions ou coupons d'actions sont négociables après ver
sement du quart. Ce qu’il faut entendre par là.
La loi de 1856 exigeait le versement des deux cinquièmes.
Nature de cette exigence.
Caractère de la modification consacrée par la loi nouvelle.
�LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Aurait-on pu refuser de rendre les actions négociables pour
enlever au jeu un de ses principaux éléments ?
Conséquence de la disposition réduisant au quart le verse
ment qui rend les actions négociables.
Les actions ne peuvent être négociées qu’après la constitu
tion de la société.
Conséquence dans le cas d’apport en nature sujet à appro1 bation.
Faculté d’aliéner en tout temps les actions par la voie civile.
Faut-il pour la négociabilité des actions que toutes sans ex
ception aient été libérées? Opinion de M. Rivière pour l ’af
firmative.
Si la question pouvait se présenter sous la loi nouvelle, nous
serions d’avis contraire.
Mais impossible qu’elle se présente ; pourquoi.
Abus auxquels avait donné naissance la forme des actions au
porteur.
Disposition de la loi de 1856 à son endroit; caractère de
cette disposition.
Esprit et véritable sens de la loi nouvelle à ce sujet.
Ainsi les actions sont de droit nominatives jusqu’à entière
libération, mais elles peuvent être converties en actions au
porteur après versement de moitié ; à quelles conditions.
Clause spéciale dans les statuts; ce qu’elle doit être. Droit
exclusif de l ’assemblée générale.
La conversion ne doit être autorisée qu’après libération de
moitié. But de cette condition.
Dans quels cas elle sera efficace.
Faut-il que toutes les actions aient versé? Opinion deM.Vavasseur pour la négative.
Examen et réfutation.
Comment doit être composée l ’assemblée générale ?
Disposition de l’article 3 sur la responsabilité des souscrip
teurs et des cessionnaires ; son caractère.
�TITRE I , ART.
73.
74.
75.
76.
77.
78.
79.
80.
81.
82.
83.
84.
85.
86.
87.
88.
89.
90.
91.
2, 3.
89
Peut-on justifier l’exigence de la responsabilité biennale,
dans le cas de transformation des actions.
Dans quel cas cette responsabilité est-elle un surcroît de ga
ranties ?
La condition essentielle de l ’application de l ’article 3 , est
l’existence d’une cession.
Raisons qui justifient cette condition.
L’article 3 est inapplicable dans le cas de cession postérieure
à la délibération. Opinion de M. Vavasseur.
Examen et appréciation.
Si la transformation a été repoussée, la cession postérieure
à la délibération laisse les souscripteurs et les cessionnai
res indéfiniment responsables.
Si la transformation est accueillie , la cession libère de droit
les porteurs d’actions.
Motifs qui devaient faire admettre la responsabilité des ces
sionnaires.
Caractère de cette responsabilité sous la loi de 1856, et sous
la loi actuelle.
Quels sont les cessionnaires qui répondent encore deux ans
du jour de la délibération si les actions ont été converties
en actions au porteur.
Quid des cessionnaires antérieurs à l’assemblée générale et
avant versement de moitié.
L’assemblée générale ne peut délibérer que si les statuts lui
en confèrent expressément le pouvoir.
Opinion de M. Riviere dans le cas où les statuts sont muets.
Réfutation.
Résumé.
«
Actions pour poursuivre le versement des actions. Forme et
effets de la vente de l ’action.
Caractère de la faculté de faire vendre l ’action.
Contre qui peut être poursuivi le paiement du solde dont la
société peut rester créancière ; dans quel cas.
�90
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
t
5 3. — Ces deux articles font subir à la loi de 1856
la modification la plus importante. Celle-ci , en effet,
disposait: 1° que les actions restaient nominatives jus
qu’à entière libération ; 2° que les souscripteurs d’ac
tions étaient, nonobstant toute stipulation contraire, res
ponsables du paiement total des actions par eux sous
crites ; 3° que les actions ou coupons d’actions ne se
raient négociables qu’après versement des deux cinquiè
mes.
La sévérité de ces dispositions s’explique par les cir
constances dans lesquelles elles durent intervenir. On
sait les abus, les excès, les scandales dont les sociétés en
commandite par actions avaient été l’occasion, et le point
auquel ils étaient arrivés en 4856. Sous le paîronage,
souvent menteur, de personnalités notables , se produi
saient les entreprises les plus véreuses qui se distin
guaient, entre autres , par l’exagération des apports au
delà de toutes limites ; puis, comme l’observent MM. Ma
thieu et Bourguignat, des prospectus répandus à profu
sion faisaient miroiter aux yeux d’un public encore dé
pourvu de l’expérience de ces sortes d’affaires, l’éclat de
ce patronage et le prisme de ces apports. Ils promet
taient des recettes sans nombre, des profits sans mesure.
Le public ébloui, fasciné, trompé, se précipitait à l’envi
sur des titres qu’il enlevait à des cours hors de propor
tion avec leur véritable valeur. Or ceux dont ils les te
naient c’étaient les fondateurs eux-mêmes qui n ’avaient
fait sur ces titres que de minimes versements, et qui, en
les cédant, dès l’origine de l’entreprise sous forme d’ac-
�TITRE I , ART.
2, 3.
91
tions au porteur, à des prix fabuleux, s’étaient attribués
par avance les bénéfices problématiques de l’opération,
e t , dans tous les c a s , s’étaient affranchis de toutes les
chances défavorables. De là des pertes considérables, des
ruines, un concert de plaintes
Combien en effet de sociétés dont les actions aux mains
des acheteurs n’étaient plus que des titres sans valeur ;
combien d’autres dans lesquelles les actions avaient subi
une dépréciation capitale. On aura une juste idée de ce
qu’avaient été celles-ci, par ce tableau que M. de Janzé
en traçait au Corps législatif :
« Les actions de la caisse d’escompte qui valaient, en
1857, 512 fr., étaient à 10 fr. en 1866 ; celles des hauts
fourneaux d’Hersérange, valant 565 fr. en 1853, étaient
à 6 fr. en 1866; la caisse centrale de l’industrie Vergniolle était descendue de 163 fr. à 0,50 cent.; les ac
tions du crédit mobilier qui avaient atteint 1920 fr., étaientau dessous de 300 fr.; celles de l’immobilière sont
descendues de 750 fr. à 200 fr.; le nord de l’Espagne,
de 505 à 85 fr. »
M. de Janzé ajoutait : « Un économiste opérant sur
onze sociétés fondées par le Crédit mobilier , a constaté
une perte totale sur leur ensemble de 275 millions. Pour
qui ? Pour les premiers souscripteurs ? Non , cent fois
non ; mais pour les actionnaires sérieux 2. »
Aussi, pendant que quelques-uns se créaient d’inso1 Commentaire de la loi de 1867, n° 27.
Moniteur, 30 mai 1867.
�92
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
lentes fortunes, la masse se trouvait ruinée , et cela ex
plique ce concert de plaintes qui forçait en quelque sorte
le Gouvernement à intervenir.
5 4 . — Toutefois, dominé par la pratique du conseil
d’Etat en matière de sociétés anonymes et par le prin
cipe admis par la loi de \ 845 pour les chemins de fer,
le Gouvernement proposait, par dérogation au droit com
mun , de permettre que la responsabilité des souscrip
teurs d’actions pût être limitée à la moitié du montant
de chaque action. Mais le Corps législatif refusa de s’as
socier à cette indulgence. La nature du mal, ses consé
quences désastreuses lui parurent motiver et commander
ce double principe : actions nominatives jusqu’à entière
libération ; responsabilité des premiers souscripteurs pour
la totalité du montant de leurs actions.
4
3 5.
— Malheureusement, comme vinrent l’attester
les voix les plus autorisées, le remède n’eut pas l’effica
cité qu’on s’en était promis. Mais si tous les scandales
financiers ne furent pas prévenus , la loi ne laissa pas
que de susciter une certaine gêne dans l’exploitation du
public, et cela suffit pour ameuter contre elle les spécula
teurs et les gens d’affaires. A les entendre,la loi avait tué
la commandite, ruiné le crédit, créé un obstacle invin
cible à l’essor et au développement de l’esprit d’associa
tion. Ces déclamations ressassées sur tous les tons, com
mentées et exagérées par les journaux de certains hauts
financiers, émurent le Gouvernement et le déterminèrent
�TITRE I ,
ART.
2, 3.
93
à charger le conseil d’Etat de les apprécier et d’exami
ner ce qu’elles pouvaient avoir de sérieux.
Après mûr examen , l’avis du conseil d’Etat fut que
sans doute un certain nombre de sociétés avaient été em
pêchées par les dispositions de la loi de 1856 ; mais que
loin de s’en plaindre, il fallait s’en féliciter,parce que les
sociétés qui étaient venues se heurter contre ses disposi
tions, étaient des sociétés qui, dans l’intérêt de la morale
publique, ne devaient pas être permises.
3 6 . — En réalité la loi de 1856 n’avait pas empêché
toutes les sociétés qui auraient dû l’être. Les scandales
financiers qui suivirent prouvèrent combien elle laissait
encore la fortune publique en proie aux spéculations vé
reuses, à la plus odieuse exploitation.
Mais les clameurs des gens d’affaires n’avaient pas
cessé. De nouveau le Gouvernement crut devoir interve
nir, et cette fois dans le but de corriger ce que la loi de
1856 avait de trop sévère, au dire des intéressés. En con
séquence il présentait, en 1865, le projet qui est devenu
la loi de 1867.
Ce projet maintenait, en principe, la responsabilité des
souscripteurs pour le versement du montant total de leurs
actions; mais il permettait d’y déroger par une clause
des statuts jusqu’à concurrence de la moitié.
3 7. — Cette dérogation, l’Exposé des motifs la jus
tifiait par les considérations suivantes :
« Les parties peuvent, par leur volonté formellement
�94
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
exprimée, étendre ou restreindre à leur gré les effets de
leurs engagements. Chacun peut , par exemple , dire
qu’il se réserve de réduire le montant de son obligation
à une somme ou à une quotité déterminée.
)> Ceux qui traitent dans ces conditions, connaissant
la limite, la réserve qui a été énoncée dans le contrat,
sont tenus d’en subir les conséquences ; ils n’ont pas le
droit de se plaindre d’une stipulation qu’ils ont libre
ment acceptée, et sans laquelle la convention n ’aurait
pas eu lieu.
» En conséquence, lorsque les actes de société ont été
publiés dans les formes auxquelles on attache une pré
somption légale de notoriété, ni les associés, ni les tiers
ne peuvent, sous prétexte qu’ils ont ignoré tel ou tel arti
cle, telle ou telle clause de ces actes, en repousser l’ap
plication .
» D’ailleurs que ceux qui entrent dans une société ou
qui contractent avec elle, prennent le soin d’en consul
ter les statuts, ils sauront exactement dans quels termes
les actions ont été souscrites, à quel chiffre peut être ré
duit le capital, et ils n ’auront à craindre ni surprise ni
mécompte.
» Il ne serait ni juridique ni raisonnable de restrein
dre le principe de la liberté des conventions pour pro
téger des intérêts qui peuvent si facilement se protéger
eux-mêmes. »
38.
— A la rigueur on ne saurait méconnaître et
contester l’obligation et le devoir pour ceux qui entrent
�TITRE I, ART.
2, 3.
9
dans une société ou qui contractent avec elle, de s’as
surer du caractère de cette société et d’en vérifier les
statuts qui en règlent la constitution. Mais autant on
doit, en matière civile, se montrer rigoureux sur l’ap
plication de la maxime nemo debet ignorare conditionem ejus cum quo contrahit, autant on doit hésiter à le
faire en matière commerciale, parce qu’à une certaine
distance du siège social, cette obligation et ce devoir sont
difficiles à remplir et souvent même ne peuvent l’être ;
parce que dans tous les cas la rapidité qui fait l’essence
des opérations commerciales est inconciliable avec les re
cherches qu’exigerait leur accomplissement. Le temps
consacré à ces recherches pourrait fort bien aboutir à ce
résultat , qu’au moment où on serait enfin édifié,
l’opération projetée aurait perdu toute opportunité, toute
utilité et serait devenue impossible.
Ainsi on ne saurait sérieusement ni raisonnablement
exiger que ceux qui contractent avec une société à cin
quante, à cent lieues de son siège, vérifient ou fassent
vérifier à ce siège les conditions de son existence, et
quant à ceux qui entrent dans la société, tous n’étant
pas sur les lieux, n ’ont pas la même facilité pour le
faire.
D’ailleurs, ainsi que le rappellait le rapporteur du
Corps législatif : « Est-ce que, à part les fondateurs, les
intéressés débattent et discutent les statuts ? Est-ce qu’ils
les connaissent et les lisent même? Us le pourraient, ils
le devraient sans doute, et s’ils ne le font pas, on peut
dire qu’ils sont coupables envers eux-mêmes et n’ont
�96
LOI DK
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
point à s’en prendre à la loi de leur imprévoyance.
Mais le législateur ne peut envisager les choses à ce
point de vue théorique et absolu ; il doit tenir compte
des faits et de l’expérience. Or , l'expérience enseigne
que, attirés par un prospectus, les actionnaires souscri
vent, et que, du pacte social, ils connaissent une seule
chose, le bulletin au pied duquel ils apposent leur si
gnature. »
' 3 9 . — Donc loin d’autoriser l’introduction dans les
statuts d’une clause qui, s’écartant du droit commun,
peut devenir un piège pour le public, on doit déclarer
nulle et de nul effet celle qui y aurait été insérée. Or,
comment contester ce caractère à celle qui conférerait
aux actionnaires le pouvoir de ne payer à leur gré que la
moitié des actions par eux souscrites. Hésiteraient-ils à
user de ce pouvoir toutes les fois que la déconfiture ac
tuelle ou imminente de la société, leur fairait craindre
d’ajouter à la perte de la première moitié celle de la se
conde. Ainsi les créanciers seraient frustrés d’une gran
de partie de leur gage au moment précisément où la
totalité de ce gage leur devient le plus indispensable.
L’actionnaire usant de celte faculté ne viole-t-il pas
l’article 26 du Code de commerce, aux termes duquel
les commanditaires sont tenus jusqu’à concurrence de
leur mise. A ce point de vue encore la clause qui con
fère cette faculté serait évidemment frappée de nullité
comme dérogeant à une loi d’intérêt général et public.
4 0 . — Cette nullité n’est pas soutenable , objecte
�TITRI5 I, ART.
97
2, 3.
M. Troplong ; si l’on avait interrogé l’histoire on aurait
vu que cette clause, fort ancienne dans la pratique com
merciale, se rencontre dans les sociétés les plus honora
bles, par exemple dans la société générale des assureurs,
organisée par un édit de Louis XIV, de mai 1686, et
précédemment dans les statuts de la Compagnie des
Indes] réglementés par une déclaration de 1664. D’ail
leurs, comment peut-on dire que l’associé est tenu du
montant intégral de son action, puisque l’acte social lui
permet de se retirer après le premier versement partiel ?
Est-ce que la société n’aurait pas pu déclarer que le ca
pital consiste dans les fonds du premier q u a rt, seule
ment avec réserve de faire un appel de fonds en cas
d'insuffisance et sous la clause pénale que ceux qui n’y
répondraient pas perdraient leur première mise ? Est-ce
que cette combinaison n’est pas permise ? Quelle diffé
rence y a-t-il entre elle et les effets de celle qu’on taxe
d’illégalité1. »
41.
— On est surpris de voir à quel point la préoc
cupation peut dominer et égarer les meilleurs esprits.
Quoi, parce qu’il est licite de stipuler que lorsqu’il s’a
gira de reconstituer le capital, on pourra s’y refuser en
perdant les sommes précédemment versées , on pourra
valablement se réserver la faculté, sous la même clause
pénale, de ne payer que la moitié de ce qu’on doit.
Mais la différence entre ces deux hypothèses que M.
1 Des sociétés, n° 179.
I. — 7
�98
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Troplong assimile est énorme. Dans la première, en ef
fet , le capital déclaré consistant uniquement dans les
fonds du premier quart, chaque commanditaire en ver
sant ce quart a payé tout ce qu’il avait prom is, tout ce
qu’il devait, et par conséquent satisfait à l’article 26 du
Code de commerce. Les tiers n’ont donc rien à lui ré
clamer, et il est d’autant moins obligé à contribuer à un
nouveau versement de fonds pour remplacer le capital
entamé ou absorbé , que , loin d’en prendre l’engage
ment, il s’est formellement réservé la faculté de ne pas
le faire en renonçant aux versements par lui faits jus
que là.
Dans la seconde il s’agit non plus de s’engager à nou
veau, mais d’exécuter une obligation précise et formelle.
C’est l’intégralité du montant des actions qui constitue
le capital devenu le gage des associés et des tiers ; gage
sur lequel ces derniers ont dû compter et qu'ils sont re
cevables à exiger de tous ceux qui le détiennent à quel
que titre et dans quelque proportion que ce soit.
Nous ne saurions donc admettre avec M. Troplong
qu’on puisse assimiler les deux cas, et décider pour l’un
ce qu’on décide pour l’autre. Libre de ne rien fournir
au delà de sa m ise, l’actionnaire a pu se réserver l’al
ternative de contribuer à reconstituer le capital, ou de
s’y refuser en cessant de faire partie de la société et en
abandonnant ses versements précédents. La clause est
licite, parce qu’elle ne se réfère qu’à l’exercice d’un droit
qui n’a jamais pu être ni méconnu ni contesté.
Elle est essentiellement illicite, lorsqu’elle aurait pour
�TITRE I,
ART.
2, 3.
99
effet de soustraire aux créanciers légitimes de la société
la moitié de leur gage. Elle n’est alors que la violation
de l’article 26 du Code de commerce et des principes de
droit les plus élémentaires. 11 ne saurait être qu’on au
torisât les débiteurs à se faire remise à eux-mêmes de
leurs dettes.
42.
— Est-il vrai que le législateur de 1686 eût don
né cette autorisation, et consacré la clause que nous sou
tenons être illégale ?
L’affirmative enseignée par M. Troplong est une er
reur. L’édit de 1686 distingue les deux hypothèses que
M. Troplong confond , et ne libère les actionnaires au
moyen de la clause pénale, que dans celle où il s’agit de
s’engager à nouveau après avoir versé l’intégralité de la
mise. C’est ce que prouvent les articles 5 et 8.
Le premier en effet dispose : Si quelques-uns des as
sociés manquent de payer aux termes qui seront réglés
par la société, la part pour laquelle chacun d’eux devra
contribuer à proportion de son intérêt au fonds des trois
cent mille livres, ce qu’ils auront avancé leur tombera
en pure perte et demeurera au profit des autres associés,
sans qu’ils puissent être déchargés des pertes qui pour
ront arriver sur les engagements que la compagnie aura
contractés , jusques y compris le jour qu’ils auront été
en défaut de payer.
Voici maintenant l’article 8 : En cas que par les comp
tes qui seront faits par la compagnie dans les temps por
tés par la société , le fonds de trois cent mille livres se
�400
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
trouve diminué par les pertes, il sera incontinent réta
bli par contribution au sou la livre et à proportion de la
part crue chacun des associés aura signée dans la société,
à quoi faire ils seront tenus et obligés. Et en cas de refus
par aucuns d’eux , les refusants demeureront exclus de
la société de plein droit, huitaine après une sommation
faite à leur personne ou domicile élu, et perdront toutes
leurs avances qui demeureront au profit des autres as
sociés entre lesquels les actions de ceux qui auront été
exclus seront réparties à proportion de leurs intérêts.
Ainsi si le retard ou le refus de payer se réfère à la
mise souscrite , les actionnaires perdent leurs avances ;
mais ils ne sont ni exclus, ni libérés. L’édit au contraire
les déclare expressément tenus des pertes et par consé
quent les reconnaît obligés envers les associés et les
tiers.
Que si au contraire les actionnaires, après avoir payé
l’intégralité de leur mise, refusent de contribuer à la re
constitution du capital, ils deviennent de plein droit étrangers à la société, et comme conséquence de leur ex
clusion, ils perdent tout ce qu’ils ont versé. Mais ce qu’il
importe de remarquer, c’est le soin que, même dans ce
c a s , l’édit prend de l’intérêt des tiers. Les actions des
refusants ne sont pas éteintes ; elles se répartissent entre
les associés restant qui auront ainsi à en verser le mon
tant.
Il n’est donc pas exact de dire que l’édit de 1686
valide la clause qui autoriserait l’actionnaire à ne pas
/.verser l’intégralité de sa mise, sans autre peine que la
perte de ce qu’il aurait précédemment versé.
�TITRE I , ART.
2, 3.
101
Nous ne dirons rien de la déclaration de 1664 relati
vement à la compagnie des Indes. La nature de l’opéra
tion qu’elle avait pour objet, son étendue, sa durée per
pétuelle en faisaient une société à part qui pouvaient
comporter des règles qu’il eût été étrange d’appliquer à
une société de commerce ordinaire.
D’ailleurs, dans tous les cas où la perte des avances
est la conséquence du défaut de paiement de la mise,
cette perte est une peine dont l’application est subordon
née à la volonté de celui qui doit en profiter, et ne sau
rait être invoquée par celui qui doit la subir. Dès lors
l’existence de la clause pénale donnerait bien à la so
ciété le droit de s’en prévaloir , mais ne lui imposerait
pas l’obligation de le faire. Libre de ne consulter que ses
convenances et ses intérêts, la société pourrait en répu
dier le profit, et contraindre l’associé à remplir ses en
gagements.
Dans tous les cas, si la clause pénale pouvait être op
posée à la société , elle ne serait jamais opposable aux
tiers, car, en ce qui les concerne, la diminution de leur
gage ne serait compensée par aucun avantage.
43.
— Est-il vrai maintenant que la légalité de la
clause puisse s’étayer du principe de la liberté des con
ventions ?
Nous comprenons ce principe à l’origine de la con
vention et lorsqu’il est question de s’engager. Est-ce que
l’actionnaire n’a pas été libre de souscrire le nombre
d’actions qu’il a jugé convenable ? Est-ce que quelqu’un
�102
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
a été jamais tenté de le contraindre à aller au delà de
sa volonté ? Donc , en ce qui le concerne , le principe a
été respecté , et il a dépendu absolument de lui de ne
s’engager que pour mille francs, s’il ne voulait pas don
ner au delà.
Mais s’engager pour deux mille francs avec réserve de
n’en payer que la moitié s’il le juge convenable, serait
donner au principe de la liberté des conventions la plus
étrange interprétation, le convertir eu piège contre le pu
blic au mépris de cet autre principe non moins sacré,
que quiconque s’oblige, oblige le sien, et est tenu d’exé
cuter en entier son obligation.
Nous ne saurions donc admettre , avec l’Exposé des
motifs, que le principe de la liberté des conventions aille
jusqu’à autoriser les parties à restreindre à leur gré les
effets de leurs engagements, à dire, par exemple, qu’on
se réserve de réduire le montant de son obligation à une
somme ou à une quotité déterminée. Ce principe ne peut
être invoqué que lorsqu’il s’agit de l’étendue à donner à
l’obligation. Libres de s’engager pour la somme ou la
quotité qu’elles entendent donner, les parties ne le sont
p a s , ne peuvent l’être , de modifie]1, de changer ou de
réduire les effets de l’engagement qu’elles ont volontai
rement contracté.
44.
— Au reste le Gouvernement lui-même n’enten
dait pas qu’on pût enlever aux tiers une partie quelcon
que du capital souscrit. Il n’admettait la libération du
souscripteur que dans le cas où celui - ci avait cédé ses
actions et se substituait ainsi un répondant.
�TITRE I, ART.
2, 3.
103
« Tant que le souscripteur est en possession des ac
tions par lui souscrites , disait M. Duvergier au Corps
législatif , il répond de la totalité de leur montant ; il
n’est affranchi de la responsabilité que s’il a vendu ou
cédé ces actions. En réalité donc , dans ce cas , ce dont
on l’exonère c’est uniquement de l’obligation de garan
tir la solvabilité de son cessionnaire. Pourrait - il être
qu’on pût remonter au souscripteur originaire et lui dire,
après dix ans d’écoulés, vous avez fait partie d’une so
ciété dans laquelle vous avez versé honnêtement vos ca
pitaux, vous avez vendu honnêtement vos actions, n’im
porte ; aujourd’hui vous êtes responsable '. »
4
45.
— Ainsi dans la pensée du projet, le capital
promis, les tiers devaient le trouver intégralement sinon
dans les mains des souscripteurs primitifs, du moins
dans celles de leurs cessionnaires. Seulement les chances
de ceux-ci étaient mises à la charge non des cédants qui
les avaient choisis et qui avaient traité avec eux , mais
des associés, du public qui avaient été absolument étran
gers au contrat.
Ce n’était pas là sans doute méconnaître ouvertement
le principe : quiconque s’oblige oblige le sien , mais on
permettait de l’éluder si facilement, qu’on aboutissait in
directement à ce résultat. Les souscripteurs en effet étaient libres de se débarrasser de leurs actions et appré
ciateurs souverains du moment où il leur conviendrait
1 Moniteur, 30 mai 1867.
�104
LOI DE
1867
SDH LES SOCIÉTÉS
de le faire. Or plus les affaires de la société périclitaient,
plus on pouvait prévoir le moment de sa ruine, et plus
il devenait urgent de se soustraire à la responsabilité
qu’imposait la possession des actions et d’éviter d’avoir
à verser ce qui était encore dû sur les actions. Or, à dé
faut de cessionnaires sérieux, ne s’adresserait-on pas à
des hommes de paille sans surface, sans solvabilité.
46» — L’intérêt réel qu’on avait à la fraude en fai
sait justement redouter la réalisation, et c’est son immi
nence qui déterminait la commission du Corps législatif
à modifier le projet du Gouvernement. En conséquence,
en admettant la faculté de déroger, mais par les statuts
constitutifs de la société seulement, à la responsabilité
des souscripteurs jusqu’à concurrence de la moitié, elle
proposait d’ajouter :
« Dans ce cas le capital ne pourra être énoncé dans
aucun acte, facture, annonce, publication et autres do
cuments émanés de la société sans addition de ces mots
lisiblement écrits et en toutes lettres : capital souscrit
avec engagement des souscripteurs limité à ......... »
Cet amendement repoussé par le conseil d’Etat, ne fut
pas abandonné. La commission le soumit au Corps lé
gislatif et en soutint l’opportunité et la convenance.
4 7.
— M. Jules Simon d’abord, le commissaire du
Gouvernement ensuite contestaient l’une et l’autre. Si à
chaque mouvement de la société , disaient-ils , si dans
chaque quittance on inscrivait cette clause que le sous-
�TITRE I , ART.
2, 3.
105
cripteur serait tenu jusqu’à la moitié de l’action seule
ment, on ferait une chose qui non-seulement ne pourrait
échapper à l’attention, mais qui ruinerait la société de
vant laquelle on verrait se dresser à chaque instant cet
épouvantail pour les tiers : nous ne nous engageons que
jusqu’à la moitié.
Ces objections, naturelles dans la bouche de M. J. Si
mon demandant le maintien de la responsabilité des sous
cripteurs pour la totalité de leurs actions, étaient singu
lières dans celle du commissaire du Gouvernement par
lant en faveur de la clause dérogatoire. N’étaient-elles
pas en effet la critique la plus énergique de cette clause.
Qu’était-ce en effet qu’une stipulation qui, si elle frappait
l’attention, devait ruiner la société et devenir un épou
vantail pour les tiers ? On espérait donc qu’elle passerait
inaperçue , et dans ce cas n’autorisait-on pas un piège
dangereux pour le public.
4 8 . — Donc en faisant le procès à l’amendement de
la commission , le Gouvernement plaidait contre son
propre système , et faisait beau jeu à l’opinion qui les
repoussait l’un et l’autre. Cette opinion, MM. J. Simon
et de Janzé la formulaient dans un amendement conçu
en ces termes : Les souscripteurs d'actions sont tenus
du paiement du montant total des actions par eux sous
crites.
4 9 . — Le Corps législatif se trouvait donc en pré
sence de trois systèmes. L’amendement de MM. J. Simon
�106
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
et de Janzé, éloquemment défendu par MM. Louvet,
Pouyer-Quertier et Ernest Picard ; l’ammendement de
la commission ; la proposition du Gouvernement. Au
cun ne recueillit l’assentiment de la Chambre. Le pre
mier fut repoussé par 102 voix contre 98 ; le second
par 102 contre 80 ; la troisième par 108 contre 80. Les
articles 2 et 3 furent renvoyés à la commission.
Celle-ci se trouvait en quelque sorte mise sur la voie
de ce qu’elle devait faire par ce triple rejet. Il en résul
tait, en effet, chez la majorité, l’intention bien arrêtée
de ne rien admettre d’absolu en cette matière, d’appeler
un moyen terme de nature à concilier toutes les préten
tions en faisant disparaître les principaux inconvénients
que chacune d’elles pouvait offrir. C’est du moins ainsi
que le comprit la commission.
.
50
— « La commission, disait le rapporteur, a
pensé qu’entre les idées opposées qui avaient trouvé place
dans la discussion, à la suite de laquelle elle a été de
nouveau saisie de l’examen des articles 2 et 3, il y avait
une sorte de transaction à faire. Cette transaction, elle
l’a tentée ; elle a pensé que les sentiments de la Chambre
étaient de ne pas libérer d’une manière absolue, après le
versement de la moitié de l’action, soit les souscripteurs
primitifs, soit les cessionnaires qu’ils se seraient donnés.
La Chambre a pensé qu’il n’y avait pas pour les tiers,
pour la société elle-même, une suffisante garantie ; elle
a redouté surtout, et cela a été la considération princi
pale qui s’est fait jour dans la discussion, les cessions
faites à contre-temps, les cessions frauduleuses. »
�TITER I , ART.
2, 3.
107
Ces considérations indiquent l’esprit qui a présidé aux
dispositions qui régissent désormais la matière. Le coup
d’œil historique que nous venons de jeter sur la discus
sion était utile pour en faire ressortir et en bien fixer le
caractère.
5 1, — Les actions ou coupons d’actions sont négo
ciables après le versement du quart. On sait ce qu’il faut
entendre par négociables, ce n’est pas, ce ne pouvait
être l’aliénation proprement dite. Le législateur pouvait
d’autant moins la soumettre à une condition quelcon
que, qu’un événement fortuit, une déconfiture , une
mort pouvait à toute époque la rendre indispensable.
Ce que la loi subordonne au versement du quart,
c’est uniquement la transmission sommaire et rapide
des valeurs commerciales, c’est-à-dire celle qui, au mo
yen d’un simple endossement, tansfère la propriété
non-seulement entre parties, mais encore contre les
tiers.
En conséquence, tant que l’action n’a pas été libérée
du quart, la propriété ne peut en être transférée que
par la voie civile et l’accomplissement des formalités tra
cées par le Code Napoléon.
5 2. — Sous l’empire de la loi de 1856, les actions
ou coupons d’actions n’étaient négociables qu’après le
versement des deux cinquièmes. Ainsi tandis que pour
la constitution de la société il suffisait du versement du
quart, les actions ne pouvaient être négociées qu’après
�108
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
»
un nouveau versement arrivant avec le premier au deux
cinquièmes.
Celte exigence n’offrait aucun avantage pour la so
ciété, et pouvait au contraire lui occasionner un danger.
Il est évident, en effet, que si le quart suffisait pour
créer un fonds de roulement de nature à pourvoir aux
exigences des opérations, tout ce qui entrait dans la
caisse au-delà de ce quart était condamné à y rester
improductif et en pure perte. Ce qui résulte le plus sou
vent de cette exhubérance de la caisse, c’est que pour
faire valoir les fonds on se livre à des entreprises témé
raires, hasardeuses, et que pour ne pas perdre l’intérêt
on s’expose à perdre le capital et à compromettre l’ave
nir de la société.
Mais en 1856, la négociation des actions avait abouti
à un agiotage effréné qui avait pris des proportions tel
les qu’il était urgent d’en contrarier, d’en arrêter le
cours. Multiplier les difficultés et les obstacles n’était-ce
pas le moyen de remédier à cette fièvre, et c’est cette es
pérance qui dictait la disposition de la loi de 1856.
53.
— Bien différentes étaient les circonstances en
1867.11 était impossible que les scandales financiers,
qui avaient fait tant de victimes, n’eussent pas réagi sur
l’esprit d’association et ralenti le développement des so
ciétés. Mais les spéculateurs, que les précautions de la
loi de 1856 gênaient dans leurs opérations plus ou moins
véreuses, attribuaient ce ralentissement à ces précautions
et le Gouvernement, entraîné par ces clameurs malgré
j
�TITRE I ,
ART.
2, 3.
409
l’avis du conseil d’Etat, se décida à leur donner satisfac
tion dans une certaine mesure.
De là la faculté de négocier les actions après verse
ment du quart. Cette modification à la loi de 1856
était d’ailleurs excellente. Puisque le versement du quart
assurait à la société un fonds de roulement suffisant, à
quoi bon subordonner la négociabilité des actions à un
second versement dont le besoin ne se faisait nullement
sentir.
54.
— On aurait pu sans doute se demander où
était la nécessité de rendre les actions négociables et de
fournir ainsi un aliment à ce jeu, à cette fièvre d’agio
tage qui avait occasionné tant d’excès, déterminé tant
de désastres. Mais cette nécessité, il était impossible de
la méconnaître. Prohiber la négociation des actions, c’é
tait éloigner des, sociétés les souscripteurs même les plus
sérieux. En effet, ceux-là même qui prennent des actions
dans une pensée tout autre que celle de spéculer sur
leur cours, ne s’y déterminent que par la certitude d’en
réaliser facilement la valeur le jour où.,une crise com
merciale, où les besoins de leur industrie exigeraient
cette réalisation.
A ce point de vue on était donc contraint de faire des
actions une espèce de monnaie commerciale, mais en
prenant toutefois des précautions pour empêcher qu’elles
ne devinssent un des aliments les plus actifs de l’agio
tage. C’est pourquoi on subordonnait leur négociabilité
à un versement partiel préalable. Dans la détermination
�110
LOI DE
1S67
SUR LES SOCIÉTÉS
de la quotité de ce versement, on devait surtout con
sulter l’intérêt de la société, et cette quotité se trouvait
naturellement indiquée par celle qui, conduisant à la
constitution de la société, rattachait les actions à une
entreprise offrant des éléments suffisants de développe
ment et de durée.
5 5 . — La loi de 1867 n’exigeant plus, pour la né
gociabilité de l’action, que le versement du q u a rt, il
s’ensuit que cette négociabilité est acquise dès la consti
tution de la société. L’article 2, en effet, ne prescrit pas
un nouveau versement outre et indépendamment de ce
lui exigé par l’article 1er. Aucun doute ne saurait surgir
à cet égard, car, dans le cas contraire, loin d’atténuer
la loi de 1856, on l’aurait aggravée en mettant la né
gociabilité des actions au prix d’un versement de moitié
au lieu des deux cinquièmes.
Le versement du quart prescrit par l’article 1er a donc
ce double effet : permettre d’arriver à la constitution de
la société ; rendre les actions négociables le jour même
de cette constitution.
5 6. — Nous disons le jour de la constitution et pas
avant. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, qu’il n’y a
légalement d’actions que lorsque toutes les conditions
étant remplies, la société parvient à se constituer régu
lièrement. Jusque là le souscripteur, même après verse
ment du quart du montant de ses actions, n’a qu’un
titre provisoire, essentiellement conditionnel en ce sens
�TITRE I, ART.
2, 3.
111
qu’il sera révoqué et annulé de plein droit si la société
n’arrive pas à se constituer. Celui-là donc qui, en cet
état, négocierait les titres qu’il a reçus, ne négocierait
pas des actions dont la valeur ou la forme serait celle
que la loi exige , et encourrait la pénalité édictée par
l’article 14.
Dans le cours de la discussion au Corps législatif,
M. Millet, constatant que l’intention de la loi était de ne
permettre la négociation des actions qu’après la consti
tution de la société, ne trouvait pas que cette intention
fut suffisamment indiquée, il proposait en conséquence
d’ajouter à l’article : la négociation d'actions ou de
coupons d'actions, est interdite avant la constitution
de la société.
Cette proposition ne fut pas accueillie sur l’observa
tion du rapporteur, qu’elle était inutile, que la prohibi
tion qu’elle sollicitait résultait de l’économie générale de
la loi et du rapprochement de ses divers articles.
5 7.
— Ainsi, tant que la société n ’est pas consti
tuée régulièrement, il n’y a ni actions, ni coupons d’ac
tions susceptibles d’être négociés. Or, la souscription du
capital entier et le versement du quart de chaque action
permettent bien la constitution de la société mais ne la
déterminent pas toujours ipso facto. Dans le cas prévu
par l’article 4, par exemple, la société n’est légalement
et régulièrement constituée qu’après la délibération delà
seconde assemblée, approuvant l’apport en nature ou
les avantages particuliers.
�1121
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES SOCIÉTÉS
Ce n’est donc qu’après cette approbation que les ac
tions ou coupons d’actions pourraient être négociés. Peu
importerait qu’avant, le capital entier eût été souscrit et
le quart de chaque action versé. L’une et l’autre ne font,
dans notre c a s, que préparer la constitution de la so
ciété, qui n’est acquise que dans les conditions prescrites
par l’article 4.
5 8 . — Comme nous l’avons déjà dit, la prohibition
de négocier les actions dans la période de préparation de
la société, n’a pas pour effet de les rendre inaliénables.
Cette aliénation, même dans cette période, peut devenir,
pour le souscripteur ou ses héritiers, une nécessité qu’il
était facile de prévoir et aux effets de laquelle il n’était
ni juste, ni possible de s’opposer. On ne l’aurait pu d’ail
leurs sans méconnaître le droit de propriété et mettre
obstacle à sonjjexercice.
Le souscripteur d’actions peut donc à toute époque,
même avant la constitution de la société, vendre, céder,
transporter ses actions, soit à titre onéreux, soit à titre
gratuit , mais par la voie civile seulement. Le cession
naire a le plus grand intérêt à ne pas l’oublier ; car mal
gré qu’il eût fait les fonds de la cession, et quelque ré
gulier, quelque parfait que fût l’endossement souscrit en
sa faveur , il n’aurait pas acquis la propriété centre les
tiers. En ce qui les concerne, il ne serait saisi que par
la notification prescrite par l’article 1690 du Code Na
poléon.
5 9 . — Sous l’empire de la loi de 1856, exigeant le
�TITRE I ,
ART.
2, 3.
113
versement du quart seulement pour la constitution de la
société , des deux cinquièmes pour la négociabilité des
actions, il pouvait se faire qu’il y eût des actions libérées
des deux cinquièmes et d’autres qui n’eussent versé en
core que le quart. De là la question de savoir si les pre
mières pouvaient être négociées avant que les dernières
eussent complété le versement des deux cinquièmes. M.
Rivière , dans son Commentaire de la loi de 1836 , se
prononçait pour la négative , estimant que pour que les
actions pussent être négociées, il fallait que toutes, sans
exception, fussent libérées des deux cinquièmes.
60.
— Si, comme le pense cet honorable juriscon
sulte, la question pouvait se présenter depuis la loi de1867 ', nous n’hésiterions pas à la résoudre en sens in
verse. Quels pouvaient être , pour la société , les incon
vénients à craindre de ce que telles actions étaient négo
ciables, telles autres non? Aucuns évidemment, et cela
explique que le législateur n’ait plus exigé, à l’occasion
de la négociation des actions, ce qu’il exige pour la cons
titution de la société. On ajouterait donc à la loi si, pour
le premier cas comme pour le second , on voulait que
toutes les actions, sans exception, fussent libérées soit du
quart, soit des deux cinquièmes.
Tous ceux qui souscrivent des actions ne sont pas mus
par une pensée de spéculation. Il en est qui ne cherchent
qu’un placement, et ce sont là ces souscripteurs sérieux
1 Commentaire de la loi de 1867, n° 28.
1. — 8
»
�114
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
qu’il est dans l’intention de la loi d’appeler de préfé
rence. Or ceux-là surtout hésiteraient à devenir action
naires, s i , leur intérêt ou leur convenance leur en fai
sant une nécessité , ils ne pouvaient réaliser facilement
et promptement leurs actions après les avoir libérées
dans les proportions voulues par la loi.
Pouvait-il être sous l’empire de la loi de 1856 que le
refus ou l’impuissance de verser les deux cinquièmes, par
quelques actionnaires, par un seul même, créât un obs
tacle invincible à la négociation de celles qui avaient opéré
ce versement ? Un résultat aussi irrationnel nous parai*
trait une énormité. Il supposerait entre les actions , au
point de vue de leur négociabilité, une indivisibilité in
justifiable en droit et en fait.
Cette indivisibilité la loi nouvelle ne l’a ni créée, ni
autorisée. Donc si sous son empire la question pouvait
se présenter, on devrait la résoudre contrairement à l’o
pinion de M. Rivière.
61.
— Mais en réalité il est impossible que la ques
tion se présente désormais. En effet il suffit aujourd’hui
du versement du quart pour que les actions puissent être
négociées, et cette négociation ne peut avoir lieu qu’après
la constitution de la société. A celte époque on ne sau
rait imaginer des actions ayant versé le q u a rt, d’autres
non, par l’excellente raison que pour que la société puisse
se constituer, il faut que toutes les actions sans excep
tion aient opéré ce versement. Donc lorsque l'une d’elles
sera présentée régulièrement à la négociation, toutes au-
�TITRE I , ART.
2, 3.
115
ront été forcément libérés du quart. Dans le cas contraire
ce n ’est pas la négociation , c’est la société elle-même
qui, irrégulièrement constituée, serait frappée d’une nul
lité radicale.
62.
— La forme au porteur peut revendiquer une
large part dans les scandales et les abus dont le trafic
des actions avait été l’occasion. Elle servait admirable
ment ces spéculateurs avides qui imaginaient un projet
bien moins en vue des opérations qui paraissaient en
être l’objet, que pour spéculer sur le cours des actions
dans la distribution desquelles ils se faisaient une large
p a r t, et qu’ils s’empressaient de vendre dès que leurs
manœuvres ayant déterminé une hausse factice, ils pou
vaient encaisser une prime et réaliser le bénéfice qu’ils
s’étaient promis , laissant la perte à la charge de ceux
qui avaient eu le malheur de se laisser séduire par leurs
magnifiques prospectus.
Cette aliénation, la forme au porteur la facilitait et la
permettait, quoique les actions n’eussent encore été libé
rées que d’une somme insignifiante. Avec cette forme
aussi disparaissait toute responsabilité, puisque les titres
ne portant aucun nom et se transmettant de la main à
la main, il était impossible de remonter au premier pos
sesseur.
65.
— La loi de 1856 avait voulu couper court à
toutes ces manœuvres, en consacrant le principe de la
responsabilité des souscripteurs pour le paiement de la
�116
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
totalité de leurs actions, et comme conséquence le carac
tère nominatif de ces actions jusqu’à entière libération.
Ainsi la société et les tiers étaient en mesure de contrain
dre la réalisation des ressources qui avaient été promises
et sur la foi desquelles ils avaient traité. Après libéra
tion la forme au porteur n’offrait plus ni inconvénient
ni dangers. I/action ne devant plus rien , qu’importait
ce qu’elle était devenue, et qu’elle fût en mains de celuici ou de celui-là.
De toutes les précautions que dictait la nécessité de
mettre un terme à un mal devenu intolérable, il n’en est
aucune qui mît plus franchement le doigt sur la plaie,
qui déjouât plus sûrement la spéculation. Aussi devintelle le point de mire des réclamations des faiseurs grands
et petits; réclamations qui, malgré l’avis du conseil d’E
tat, motivèrent la présentation du projet de loi, que M.
le procureur général Dupin dénonçait comme l’œuvre
d'une secte audacieuse qui ne voyait dans les prescrip
tions de la loi que des entraves dont elle avait formé le
dessein de s'affranchir.
6 4 . — Toutefois, quelle que fût son intention de mo
difier la loi de 1856, le Gouvernement n ’allait pas jus
qu’à vouloir abroger ses dispositions relativement au ca
ractère des actions et à la responsabilité des souscripteurs
primitfs. Le projet présenté au Corps législatif se bornait
à autoriser de déroger dans les statuts à l’une et à l’au
tre, en bornant à la moitié la responsabilité des sous
cripteurs qui auraient aliéné ou eédé leurs actions.
�I
TITRE I ,
ART.
2, 3.
117
Nous avons rappelé les phases et les péripéties de la
discussion au Corps législatif ; nous avons dit comment
le renvoi à la commission des articles 2 et 3, devint l’o
rigine du système que, d’accord avec le conseil d’Etat,
la commission proposa et fit adopter.
Pour bien se pénétrer de l’esprit de la loi et en saisir
le véritable sens , il faut se référer aux explications que
le rapporteur de la commission donnait au Corps légis
latif.
« il n’est pas indispensable , disait-il, et il peut être
nuisible à la création des sociétés, que les souscripteurs
primitifs d’actions soient indéfiniment tenus du verse
ment intégral des sommes qu’elles représentent. Mais ce
qui est essentiel, c’est que leur engagement soit sérieux,
et qu’ils ne puissent pas, même après avoir versé la moi
tié, se soustraire au paiement du surplus par une sorte
de fraude difficile, pour ne pas dire impossible, à saisir.
Il ne faut pas qu’au moment où la société, ayant dévoré
les ressources produites par le versement de la première
moitié, touchera à sa ruine et aura besoin, pour la con
jurer, de faire appel aux parties non payées de son ca
pital, les souscripteurs primitifs ou les cessionnaires qu’ils
se seraient substitués aient la faculté pure et simple de
se dégager, en se donnant, sans garantie aucune, un ces
sionnaire insolvable et inconnu de la société.
» Il est désirable, d’un autre côté , que la société, si
elle le juge convenable à ses intérêts, ait le droit, pour
donner à ses titres une circulation plus facile, de les con
vertir en actions au porteur après le versement de la
�118
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
première moitié, en maintenant toutefois la responsabi
lité des premiers souscripteurs pendant le délai que la
loi aura déterminé.
» L’intervention de l’assemblée générale dans cette
résolution, combinée avec la publicité des statuts, source
unique de la résolution elle-même , offrira à la société
et aux tiers des garanties nouvelles, et préviendra toutes
les surprises '. »
Garantir la société et les tiers, tel était le but à attein
dre, et c’est pour y arriver que, sans recourir à des me
sures absolues dans un sens ou dans l’autre, la commis
sion s’arrêtait au système de conciliation qu’elle pro
posait.
6 5 . — Ainsi les actions sont et restent de droit no
minatives jusqu’à entière libération, mais elles peuvent
être, après libération, de moitié, converties en actions
au porteur, à condition : 10 qu’une clause spéciale des
statuts ait réservé à l’assemblée générale le droit de pro
noncer cette conversion ; 2° que l’assemblée générale
l’ait consacrée.
Le projet du Gouvernement voulait aussi que la déro
gation au caractère des actions résultât des statuts cons
titutifs de la société, mais il laissait au rédacteur de ces
statuts le pouvoir et le droit d’y inscrire à sa volonté la
clause qui autorisait la conversion.
6 6 . — Le rédacteur des statuts n’a plus désormais
4 M oniteur, 13 juin 1867.
�TITRE I , ART.
2, 3.
419
qu’un seul droit à cet égard , celui d’y insérer une
clause, chargeant l’assemblée générale de délibérer sur
la conversion. Cette restriction est rationelle. La conver
sion ne peut et ne doit avoir pour objet et pour but que
l’intérêt bien entendu de la société, que de satisfaire au
besoin qu’elle peut éprouver d’assurer à ses titres une
circulation plus prompte et plus facile, il fallait donc
que le droit de la prononcer ne fût pas livré au fonda
teur de la société, beaucoup trop porté à préférer son
intérêt îoersonnel à celui de la société.
L’intervention de l’assemblée générale était une ga
rantie que ce dernier ne serait pas sacrifié, et donnait
la certitude que si la conversion était sanctionnée, c’est
qu’elle ne devait avoir aucune conséquence fâcheuse
pour la société. Comment craindre, en effet, que l’as
semblée générale consentit à se prêter à l’aliénation des
ressources de la société au moment où des besoins ac
tuels ou prochains lui rendraient ces ressources indispen
sables ?
67.
— L’assemblée générale est donc seule compé
tente pour délibérer sur la conversion des actions nomi
natives en actions au porteur, et pour admettre ou re
pousser cette conversion, la loi n’exige qu’une seule
chose comme condition de la conversion : que les ac
tions soient libérées de moitié.
Il était impossible, en effet, d’autoriser la forme au
porteur avant tout versement ou après un versement in
signifiant, on se fût exposé de nouveau aux excès et aux
�120
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
désordres que la loi de 1856 avait voulu prévenir et
empêcher. Le versement, s’il ne devait pas être inté
gral, devait au moins atteindre une proportion telle
qu’il devint une garantie pour la société et pour les
tiers.
L’obligation de verser la moitié offrait cette garantie ;
elle prévenait, en effet, l’introduction dans la société de
cette nuée d’agioteurs qui ne souscrivaient que pour
spéculer sur. les actions et qui, sans moyens, sans sol
vabilité, ne pouvaient réussir dans leur projet qu’à la
faveur des sommes minimes qu’ils avaient à payer ou à
rembourser en prenant ou en achetant des actions.
68.
— On a également cru qu’en exigeant le verse
ment de moitié, on se précautionnait contre les cessions
qui substituaient aux souscripteurs des hommes de paille
sans surface, sans solvabilité.
Cette prévision de la loi ne sera pas trompée lorsque
on se trouvera en présence d’une cession faite de bonne
foi, et inspirée par un tout autre motif que celui de se
soustraire à une perte que la ruine actuelle ou prochaine
de la société rend imminente. Celui qui vend pour réa
liser ses fonds n’ira pas évidemment traiter avec un
homme hors d’état de lui rembourser la part dont les
actions sont libérées.
Mais il en est autrement dans l’hypothèse d’une ces
sion frauduleuse inspirée par le mauvais état des affai
res de la société, et exécutée dans l’unique but de se
soustraire à l’obligation de verser ce qui est dû sur les
�TITRE I , ART.
2, 3.
\%\
actions. Il est évident que dans ce cas résigné à la perte
des versements antérieurs, on en fera aisément le sacri
fiée ; qu’on cédera donc les actions sans que le prétendu
cessionnaire ait rien à rembourser ; qu’on lui deman
dera d’autant moins qu’on sera plus convaincu de son
insolvabilité.
Comme on le voit, la précaution de la loi manque
d’efficacité précisément dans le cas où il serait plus dé
sirable qu’il en fût autrement ; elle n’est une garantie
que pour les ventes réelles, sérieuses, sans fraude, et ne
s’oppose nullement à une simulation pouvant avoir pour
effet de faire perdre à la société la moitié de son capital.
69.
— Quoiqu’il en soit, les actions ne peuvent être
transformées en actions au porteur qu’après qu’elles ont
été libérées de moitié. Faut-il que cette libération soit
un fait accompli pour toutes les actions, sans exception,
au moment de la réunion de l’assemblée générale? Peutelle se réaliser après la délibération isolément au fur et
à mesure qu’on voudra échanger l’action nominative
contre un titre au porteur ?
M. Yavasseur se prononce dans ce dernier sens :
« Après le vote de la commission, dit-il, chacun des
actionnaires qui aura libéré ou qui libérera ses actions
de moitié, aura droit à se faire délivrer immédiatement
des titres au porteur, sans attendre que les autres actions
soient libérées de la même manière. Il n’y a aucune
raison sérieuse pour contraindre la diligence à subir la loi
des retardataires ; l’assemblée générale pourra d’ail-
�422
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
leurs précéder aussi bien que suivre la libération de
moitié1. »
70.
— Cetfe doctrine ne nous paraît pas admissi
ble. A notre avis elle méconnaît le texte et l’esprit de
la loi.
L’article 3, en effet, portant que les actions pourront,
après avoir été libérées de moitié, être converties en ac
tions au porteur, fait de cette libération la condition de
la conversion. Elle doit par conséquent précéder celleci, et comme il ne s’agit pas pour l’assemblée générale
de convertir telles ou telles actions, comme le bénéfice
de sa délibération s’applique hic et nunc à toutes les
actions sans exception, il faut que chacune d’elles réu
nisse la condition à laquelle la loi subordonne ce béné
fice. L’opinion de M. Vavasseur arrive à dire que les
actions pourront être transformées avant leur libération
de moitié, lorsque la loi dit après, elle ne saurait donc
être accueillie.
Si le doute pouvait exister il serait victorieusement
dissipé par l’esprit de la loi. On sait que l’article tel
qu’il figure dans la loi, est l’œuvre de la commission du
Corps législatif. Or, après avoir rappelé futilité et les
avantages de l’intervention de l’assemblée générale, le
rapporteur indiquant le rôle qu’elle avait à remplir,
disait :
« La délibération de l’Assemblée attestera deux cbo' Commentaire de la loi de 1867, n° 104.
�TITRE I , ART.
2, 3.
123
scs : la première, que la moitié du capital a été
réellement versée ; la seconde, que la so
ciété ést dans un état prospère.
Or, comment l’assemblée générale attesterait-elle le
versement de la moitié du capital si sa délibération pré
cédait ce versement ? Il n’est donc pas possible d’admet
tre qu’elle puisse, en effet, le précéder.
D’ailleurs la loi ne pouvait pas se tromper sur l’effet
de la transformation des actions. Elle équivaut, nous
allons le voir, à la libération des souscripteurs et des
cessionnaires, et comme elle ne voulait accorder cette
libération que jusqu’à concurrence de la moitié , il était
naturel qu’elle veillât à ce que sa volonté ne fût pas élu
dée ; pouvait-elle mieux y parvenir qu’en subordonnant
la transformation à la preuve du versement de moitié.
Dans le système de M. Vavasseur, la société pourrait
être privée de plus de la moitié de son capital, puisque
il y aurait des actions libérées de moitié, d’autres non.
Or quel moyen aurait-on de contraindre celles-ci si elles
ne venaient pas réclamer un titre au porteur ?
Sans doute, dans notre système, qui est d’ailleurs ce
lui de la loi , le refus ou l’impuissance de quelques-uns
opposerait un obstacle actuel au vœu de tous ; mais cet
inconvénient, fort peu probable d’ailleurs, ne pouvait
être mis en balance avec ceux qu’aurait entrainé le sys
tème contraire, laissant la libération de moitié à la vo
lonté, au caprice des actionnaires, et, pour la preuve
des versements, s’en remettant exclusivement à la dé
claration du gérant. Que de fraudes, que de simulations
�124
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
au préjudice de la société et des tiers pouvaient surgir de
cet état des choses.
D’ailleurs, si la résistance de quelques-uns est un
obstacle, cet obstacle la majorité peut l’écarter. En vue
de la transformation des actions, elle peut voter un ap
pel de fonds q u i, avec les versements déjà opérés, dé
passerait la moitié. Chaque actionnaire serait bien obligé
de réaliser ce nouveau versement, puisqu’en s’y refusant
il s’exposerait à être exécuté, et quelquefois à perdre
tout ce qu’il aurait déjà versé. Ainsi donc le caprice, le
mauvais vouloir pourrait bien retarder la transforma
tion des actions, mais l’empêcher, jamais.
71.
— Pour que l’assemblé générale offre les garan
ties que la loi s’en est promise, il faut que tous les inté
rêts y aient accès, que tous les actionnaires grands ou
petits y soient présents ou représentés et puissent s’y dé
fendre.
Il n’est pas rare de voir les statuts d’une société n’ap
peler aux assemblées générales que ceux des actionnai
res qui sont porteurs d’un nombre d’actions déterminé.
Si cette prescription était suivie, dans notre hypothèse,
il s’ensuivrait que la délibération serait abandonnée à
ceux qui, par l’importance de leur intérêt, doivent le plus
désirer la transformation des actions, et qu’on en écar
terait ceux qui, précisément à cause de la modicité de
leur intérêt personnel, seraient portés à n’écouter et à ne
faire prévaloir que celui de la société.
Nous ne croyons pas qu’un pareil résultat soit entré
A
�TITRE 1, ART. 2 ,
3.
125
dans les prévisions du législateur. L’économie générale
de la loi repousse l’idée qu’elle ait voulu favoriser les
gros actionnaires au détriment des petits, qui méritent
d’autant plus d’être protégés qu’ils ne sauraient suffi
samment se protéger eux-mêmes.
Nous en concluons que l’assemblée générale dont parle
l’article 3, n’est autre que celle que l’article 4 va indi
quer ; qu’en conséquence elle se compose de tous les ac
tionnaires sans exception ; que chacun d’eux n’a qu’une
voix, quel que soit le nombre de ses actions ; que les
délibérations sont prises à la majorité des membres pré
sents qui doivent former le quart des actionnaires et re
présenter le quart du capital social en numéraire.
72.
— Le dernier paragraphe de l’article 3 règle les
effets de la délibération de l’assemblée générale, relati
vement à la responsabilité des souscripteurs d’actions et
des cessionnaires qu’ils se sont donnés. Soit que les ac
tions restent nominatives, soit qu’elles aient été converties
en actions au porteur, les souscripteurs primitifs qui ont
aliéné les actions et ceux auxquels ils les ont cédées a vant le versement de la moitié , restent tenus du paie
ment du montant de leurs actions , pendant le délai de
deux ans à partir de la délibération de l’assemblée gé
nérale.
75.
— La possibilité d’une cession avant le verse
ment de la moitié se conçoit, puisque les actions sont né
gociables après versement du quart. Ce que l’on conçoit
�126
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
moins, c’est cette responsabilité se prolongeant deux ans
encore après la délibération de l’assemblée générale. Ce
lui qui négocie ses actions, après versement du quart,
use d’un droit, et s’il l’a fait de bonne foi et sans fraude,
on ne voit pas pourquoi, puisqu’on l’exonère de la res
ponsabilité indéfinie, on lui impose cette responsabilité
pendant un délai quelconque.
Le but principal du législateur a été, nous le savons,
de prévenir ces cessions frauduleuses inspirées par le
mauvais état des affaires de la société et q u i, dans l’in
tention de s’affranchir de toute nouvelle contribution aux
pertes, vont jusqu’à substituer aux souscripteurs des hom
mes de paille sans surface, sans solvabilité. À la rigueur,
le caractère de la cession pourrait être suspecté, si l’as
semblée générale refuse la transformation des actions;
mais si elle l’admet,comment se laisser aller au soupçon?
« Il n’est pas possible de croire, disait le rapporteur
du Corps législatif, que l’assemblée générale , par une
sorte de suicide, par un acte de véritable démence, si la
société n’est pas excellente, si elle a besoin, dans un ave
nir prochain , de faire appel aux ressources des sous
cripteurs, à leur garantie personnelle , les libère en au
torisant la transformation des actions nominatives en ac
tions au porteur '. »
Aussi n’est-ce qu’après avoir constaté l’état prospère
de la société , que l’assemblée générale peut donner et
donnera cette autorisation. Mais si cet état prospère existe
1 Moniteur, 13 juin 1867.
�TITRE I, ART.
2, 3.
127
au jour de la délibération, évidemment il existait au jour
de la cession qui lui est antérieur. Conséquemment la
bonne foi qui a présidé à la cession ne saurait être dou
teuse. Pourquoi, dès lors, la traiter comme si elle pou
vait être suspectée de fraude.
D’autre part il est possible qu’au moment de la ces
sion, l’action n ’eût pas été libérée de la moitié. Mais évi
demment elle l’a été plus tard soit par le cédant, soil par
le cessionnaire, puisqu’à défaut l’assemblé générale n’au
rait pu délibérer ni même se réunir.
La responsabilité biennale que notre article fait peser
sur le souscripteur n’avait plus aucune raison d’être. La
bonne foi avec laquelle il avait agi laissait le caractère
de la cession au dessus de tout soupçon , et s’il est vrai,
comme le disait le rapporteur, pour justifier le délai de
deux a n s , qu’il n’est pas possible d’imaginer la prévi
sion , à une aussi longue échéance, des catastrophes et
des ruines qui pourrait exciter les souscripteurs ou leur
cessionnaire à se débarrasser de leurs actions pour échap
per à la responsabilité, il est évident que cette impossibi
lité s’imposera d’autant plus que la cession sera interve
nue à une époque de beaucoup antérieure à l’assemblée
générale.
De deux choses l’une : ou les souscripteurs sont indé
finiment responsables; ou ils cessent de l’être , s’ils ont
de bonne foi et sans fraude cédé leurs actions. Pourquoi,
dans le premier c a s , restreindre cette responsabilité à
deux ans? Pourquoi, dans le second, l’admettre pendant
ce même délai ?
�128
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
7 4 . — C’est un surcroît de garantie pour la société
et pour les tiers, disait le rapporteur. Oui pour le cas
où l’assemblée générale a voté la transformation des ac
tions en actions au porteur. Nous allons le voir. Cette
transformation en effet libère le souscripteur ipso facto
de toute responsabilité. Maintenir deux ans encore cette
responsabilité, c’est donc imposer aux souscripteurs une
charge réelle en faveur de la société et des tiers.
Mais l’article 3 ne distingue pas, et régit le cas où la
transformation ayant été repoussée, les actions restent no
minatives. Or, dans ce cas, la réduction de la responsabi
lité à deux ans devient non plus un surcroît de garantie
pour la société et pour les tiers, mais un avantage, une
faveur pour les souscripteurs. En vertu du droit com
mun ils seraient indéfiniment tenus. Ils ne le sont plus
que pendant deux ans, en force de notre article. En dis
posant pour l’un et l’autre cas, le législateur s’est quel
que peu laissé entraîner au delà du but qu’il voulait at
teindre.
Autre singularité : le caractère exceptionnel de l’arti
cle 3 aboutit à cette conséquence , qu’il ne régit que le
cas qu’il prévoit spécialement, c’est-à-dire celui d’une
cession antérieure à l’assemblée générale , et faite avant
le versement de moitié. Il est donc inapplicable lorsque
la cession est faite après ce versement. Ainsi si avant
versement de moitié, la responsabilité ne dure que deux
ans ; si après, la responsabilité tombant sous l’empire du
droit commun demeure indéfinie , n’est-ce pas le con
traire qui eût dû se réaliser.
�TITRE 1, ART.
2, 3.
129
75. — Quoi qu’il en so it, la condition essentielle à
laquelle est subordonné le bénéfice de l’article 3 , c’est
l’existence d’une cession par l’effet de laquelle le sous
cripteur s’est dépouillé de ses actions. Si au contraire il
les a gardé en sa possession, le principe qui veut que ce
lui qui s’oblige oblige le sien , reprend tout son empire
et s’impose avec toutes ses conséquences.
Sans doute dans les sociétés à très-long terme, il faut
qu’on puisse en sortir dès qu’il y a pour les intéressés
nécessité ou convenance à le faire. Mais pour revendi
quer cette faculté , il faut l’avoir exercée. Comment en
effet viendrait-il s’en prévaloir, celui qui ayant conservé
ses titres, a par cela même conservé sa qualité d’associé?
Personne n ’a jamais été tenté de soutenir et moins
encore d’enseigner qu’il fût recevable et fondé à le faire.
Le Gouvernement lui-même , dans le projet qu’il avait
préparé, n’admettait le droit de déroger à la responsa
bilité indéfinie qu’en faveur des souscripteurs qui ayant
cédé leurs actions de bonne foi, substituaient un tiers à
leur obligation.
76. — En reconnaissant à la cession l’effet de libé
rer les souscripteurs jusqu’à concurrence de la moitié, le
Gouvernement tranchait une question fortement contro
versée en doctrine et en jurisprudence Ce qui le dé
terminait , c’était la faveur due au commerce , c’était la
4 Y. Malepeyre et Jourdain, p. 200 et suiv.; Troplong , n°s 159, 176,
177 ; Delangle, n° 450 ; Paris, 22 mai 1852 ; Lyon, 9 avril 1856 ; D .P,,
55, 2, 265; 56, 2, 198.
I. — 9
�130
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
crainte d’éloigner de lui des capitaux qui peuvent et doi
vent en assurer le développement. La responsabilité ab
solue et indéfinie liait indissolublement le souscripteur
à la société, et lui rendait impossible la faculté d’en sor
tir quelque intérêt qu’il eût à le faire. Or, comme l’a dit
Bentham, dans un engagement aux liens moraux ou
une entreprise quelconque, la défense d’en sortir c’est la
prohibition d’y entrer.
La majorité du Corps législatif ne pensait pas autre
ment. Elle le prouvait par le rejet de l’amendement de
MM. J. Simon et de Janzé. Si elle repoussait la propo
sition du Gouvernement, c’était par crainte de l’abus
qu’on pouvait faire du droit de céder, en l’exerçant au
moment précisément où les embarras de la société en
faisant prévoir la ruine , il devenait urgent d’en sortir
pour s’exonérer de la perte.
Ce qu’elle voulait, c’était, tout en maintenant l’effet
libératoire de la cession , d’empêcher que cette cession
pût introduire dans la société des hommes de paille sans
surface et sans solvabilité. C’est pour y parvenir qu’elle
a sanctionné l’article 3. Dès lors le souscripteur qui a
aliéné ses actions pourra bien en revendiquer le béné
fice. Mais à quel titre viendrait-il s’en prévaloir celui
qui ayant conservé ses actions, n’a jamais perdu ni voulu
perdre la qualité d’associé ?
\
7 7.
— Inapplicable dans ce c a s , l’article 3 ne l’est
pas moins dans l’hypothèse d’une cession postérieure à
la délibération de l’assemblé générale. L’article 3 ne par-
�TITRE I ,
ART.
2, 3.
131
lant que de la cession faite avant cette délibération, ex
clut nécessairement celle qui se serait réalisée après.
M. Vavasseur ne l’admet ainsi que si la cession est
postérieure au délai de deux ans. Quant à celle qui au
rait lieu dans le cours de ce délai, il admet que son ex
piration mettrait fin à la responsabilité
7 8.
— Cette opinion méconnaît le principe qu’en
matière exceptionnelle on ne saurait avoir égard au plus
ou moins d’analogie ; elle n’a de fondement ni dans le
texte, ni dans l’esprit de la loi.
En limitant à deux ans la responsabilité des souscrip
teurs, dans l’bypothèse qu’il prévoit, l’article n’a ni en
tendu ni pu entendre que ce délai pût se restreindre à
un an, à six, à trois mois, et même à un mois. Ce terme
de deux ans n’a été lui-même admis que parce qu’il
riétait pas possible d'imaginer la prévision, à une aussi
longue échéance, des catastrophes et des ruines qui pour
rait exciter les souscripteurs à se débarrasser de leurs
actions. Or ce qu’on ne saurait prévoir à une distance
de deux ans, peut être entrevu plus tard. Depuis la délibération de l’assemblée générale, des embarras progres
sifs, une crise commerciale, des pertes importantes peu
vent pousser la société vers sa ruine. Admettre en cet
état, avec M. Vavasseur, que le souscripteur serait libéré
à l’expiration des deux ans à partir de la délibération
de l’assemblée générale, n’eût-il cédé son action que six
* Commentaire de la loi de 4867, n 9 420.
�132
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
mois, que trois mois avant cette expiration, ce serait créer
un effet sans cause,et s’exposer à consacrer la cession frau
duleuse que la loi a entendu prévenir et empêcher.
Que la cession postérieure à la délibération ait été faite
dans le cours de deux ans ou après leur expiration , la
responsabilité du cédant ne saurait être régie par l’arti
cle 3, ni quant au principe de la prescription, ni quant
au résultat de la délibération. Loin de résoudre la ques
tion d’une manière uniforme quel qu’ait été le résultat,
il est de la dernière évidence qu’on doit distinguer.
7 9 . — Si la transformation ayant été repoussée, les
actions restent nominatives , la cession postérieure à la
délibération n’influe en rien ni sur le caractère ni sur
la durée de la responsabilité. Le souscripteur est tenu au
paiement intégral de l’action, comme il l’était sous l’em
pire de la loi de 1856.
Il est vrai que cette loi est abrogée, et que la nouvelle
n’en a pas reproduit la disposition sur ce point. Mais,
comme nous l’avons établi, le législateur de 1867 n’a
entendu ni méconnaître ni repousser le principe qui s’in
duisait d’ailleurs du droit commun. Il s’est borné à au
toriser d’y déroger dans un cas spécialement indiqué.
Donc en dehors de ce cas, le principe conserve toute
sa force et exerce tout son empire. Ce sera non en vertu
de la loi de 1856 , mais en force de la maxime : qui
conque s’oblige, oblige le sien, que les souscripteurs se
ront tenus jusqu’à paiement entier des actions.
8 0 . — Si l’assemblée générale a voté la transforma-
�TITRE I , ART.
2, 3.
133
tion des actions nominatives en actions au porteur, le
souscripteur qui a cédé les siennes depuis et après la
délibération, est, de plein droit et d’une manière abso
lue, libéré de toute obligation.
On ne saurait raisonnablement nier cet effet de la for
me au porteur, sans en méconnaître le caractère essentiel.
Avec la transformation de l’action, il ne saurait exister d’o
bligation personnelle, car il n’est plus possible d’en déter
miner soit le porteur actuel, soit les divers détenteurs aux
mains desquels elle a successivement passé. Il n’y a donc que
l’action elle-même qui est engagée et qui puisse répon
dre du solde qu’elle peut encore devoir.
C’est la certitude de cet effet qui inspirait au rappor
teur du Corps législatif les paroles que nous avons déjà
rapportées :
« Il n’est pas possible de croire que l’assemblée gé
nérale, par une sorte de suicide, par un acte de vérita
ble démence , si la société n’est pas excellente , si elle a
besoin, dans un avenir prochain, de faire appel aux res
sources des souscripteurs, à leur garantie personnelle,
les libère en autorisant la transformation des actions
nominatives en actions au porteur. »
Or en quoi cette transformation libérerait-elle les sous
cripteurs, si leur responsabilité survivait même tempo
rairement à la cession de leurs actions ? Comment cons
tituerait-elle dans aucun cas une sorte de suicide , un
acte de véritable démence? Pour que le rapporteur et
la commission aient pu tenir ce langage , il faut bien
qu’à leurs yeux l’effet libératoire de la transformation ne
pût être l’objet d’un doute.
�134
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
N’est-ce pas d’ailleurs ce qui s’induit de la nature des
choses ? La transformation votée , chaque souscripteur
échange son action nominative contre un titre au por
teur; et celui qu’il reçoit n’a absolument rien qui soit
de nature à le rattacher à sa personne. Comment dès lors
convaincre tel ou tel que l’action en souffrance lui a ori
ginairement appartenu.
Tenons donc pour certain que la conversion des ac
tions nominatives en actions au porteur libère ipso facto
les souscripteurs , et enlève à la société tout moyen de
recourir à leurs ressources, à leur garantie personnelle.
81.
— Les motifs qui faisaient déclarer les sous
cripteurs responsables devaient faire adopter la respon
sabilité des cessionnaires, en acceptant les actions, en se
substituant au souscripteur dans les bénéfices qu’elles
pouvaient produire, le cessionnaire en avait accepté les
charges. Comme détenteur des titres, il avait l’obligation
de les libérer de tout ce qu’ils pouvaient devoir. La ces
sion qu’il en faisait plus tard ne pouvait l’exonérer de
cette obligation pas plus que celle consentie en sa faveur,
n ’en avait exonéré le souscripteur. Celui-ci restant res
ponsable, le cessionnaire, quel qu’il fût, devait à son
tour le demeurer.
Dans notre Commentaire de la loi de 1856, nous fai
sions remarquer que la responsabilité des cessionnaires
était une garantie contre les substitutions d’hommes de
paille sans surface et sans solvabilité. Ce qui était vrai
alors n’a pas cessé de l’être encore. Il est évident que
�TITRE I, ART.
2, 3.
135
chaque cessionnaire, se sachant exposé au recours de
son cédant, sera jaloux de se ménager ce même recours
contre son propre cessionnaire ; il ne consentira donc à
traiter qu’avec une personne dont la solvabilité promet
à ce recours toute son utilité.
82.
— Sous l’empire de la loi de 1856, le principe
de la responsabilité des cessionnaires pour l’entier paie
ment de l’action, était absolu et sans exception, comme
pour les souscripteurs eux-mêmes. En modifiant ce
principe à l’endroit de ceux-ci, la loi de 1867 l’a né
cessairement modifié à l’égard de ceux-là ; il n’était pas
possible en effet de distinguer ni surtout de rendre la
responsabilité des cessionnaires plus étendue et plus ri
goureuse que celle des souscripteurs.
Donc, aujourd’hui encore les cessionnaires sont de
droit responsables de l’entier paiement de l’action. Mais
le principe n’est plus absolu, il peut y être dérogé jus
qu’à concurrence de la moitié, dans le cas et aux con
ditions prescrits par notre article 3.
85.
— Si, en vertu d’une clause spéciale des statuts
constitutifs de la société, l’assemblée générale a pu se
réunir et délibérer sur la conversion des actions nomi
natives en actions au porteur , et si elle a adopté cette
transformation, les cessionnaires qui ont traité des ac
tions et en sont devenus propriétaires après cette déli
bération, n ’encourent aucune responsabilité à l’occasion
de la négociation dans laquelle ils ont figuré.
�136
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
En effet, la négociation d’une action au porteur se
faisant de la main à la main et par la simple remise du
titre, ne laisse aucune trace qui permette de connaître
la personnalité du cédant et du cessionnaire, qui puisse
l’établir même à l’égard du porteur actuel, s’il dénie
cette qualité.
D’ailleurs, la forme au porteur ne peut avoir pour
les cessionnaires un effet autre que pour les souscrip
teurs. Son adoption, nous venons de l’établir, libérant
ceux-ci, excepté dans le cas prévu par l’article 3 et spé
cialement déterminé, ne peut que libérer également les
cessionnaires dans les mêmes conditions.
8 4 . — Il n ’en est pas ainsi des cessionnaires à qui
les actions ont été vendues avant l’assemblée générale
et avant leur libération de moitié. Notre article 3 les dé
clare tenus encore pendant deux ans du jour de la déli
bération, soit que les actions restent nominatives, soit
que leur transformation et actions au porteur ait été ac
cueillie et prononcée.
Il est certain que l’article 3 ne distingue nullement
entre les cessionnaires d’avant la délibération et ceux
qui ne le sont devenus qu’après ; qu’il entend les attein
dre tous, mais ce but n’est pas facile à réaliser dans
tous les cas.
Ainsi si les actions sont et restent nominatives, leur
négociation, qu’elle s’opère par un endossement ou par
un transfert sur les registres de la société, indique les
noms du cédant et du cessionaire, permet de les suivre
�TITRE I, ART.
2, 3.
137
dans les transmissions successives dont elles sont l’ob
jet, et d’atteindre les divers porteurs.
Mais si l’assemblée générale a adopté la conversion en
actions au porteur, par l’échange que le porteur actuel
opère, les titres ont perdu toute trace, tout indice de
personnalité, leur transfert a lieu de la main à la main
et sans qu’il apparaisse du nom du cédant et du cession
naire. Comment donc les connaître, comment établir
que celui qu’on attaque a été ou est encore en posses
sion des actions, s’il le nie ?
Sans doute, la difficulté d’exercer un droit ne saurait
anéantir le droit, mais ici cette difficulté dégénère en
impossibilité ; il existe bien un créancier, mais il n’y a
pas de débiteur, du moins ce débiteur est tellement in
certain, tellement inconnu, que c’est exactement comme
s’il n ’existait pas. On peut en thèse reconnaître le droit,
mais en fait il ne saurait produire un effet utile quel
conque.
La force des choses impose donc une limite à la dis
position absolue de l’article 3, dans le cas où les actions
on été transformées en actions au porteur. Les seuls ces
sionnaires que cette disposition puisse atteindre sont
ceux qui ont successivement traité de l’action avant le
versement de moitié et la réunion de l’assemblée géné
rale, l’action étant encore forcément nominative. Ses
négociations, quelques nombreuses qu’elles aient été,
désignent et indiquent les personnes entre lesquelles el
les sont intervenues. Rien dès %lors ne saurait faire
obstacle à l’exercice du recours que pendant deux ans,
�138
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
à dater de la délibération, chaque cédant a le droit d’exer
cer contre son cessionnaire.
Quant à ceux qui ne sont devenus cessionnaires de
l’action que postérieurement à la déclaration de l’as
semblée générale, on ne saurait les régir par l’article 3.
Il ne sont plus dans les conditions voulues par cet arti
cle ; ils échapperaient encore à sa disposition par l’im
possibilité de les connaître, si les actions avaient été con
verties en actions au porteur. On pourrait d’autant moins
leur opposer l’article 3 , qu’ils ne seraient eux-mêmes
ni recevables ni fondés à s’en prévaloir si les actions
étant restées nominatives , ils prétendaient ne devoir
répondre de leur entier paiement que pendant deux ans.
8 5. —■ Nous avons déjà dit que l’assemblée générale
est seule compétente pour décider si, après libération de
moitié, les actions resteront nominatives, ou si elles se
ront converties en actions au porteur. Cette compétence
elle-même n’est acquise que si une clause spéciale des
statuts constitutifs de la société la stipule et la réserve.
Donc, en l’absence de clause dans les statuts, l’as
semblée générale elle-même est sans pouvoir pour sta
tuer sur la transformation des actions ; celles- ci restent
forcément nominatives, et les souscripteurs sont eh con
séquence tenus de leur montant total, alors même qu’ils
les auraient négociées.
« Si les statuts, dit M. Vavasseur, n’ont pas stipulé
la faculté de convertir les actions nominatives en actions
au porteur, elles devront rester nominatives, et l’engage-
�TITRE I,
ART.
2, 3.
139
ment des souscripteurs subsiste jusqu'à libération com
plète, conformément au droit commun
»
8 6. — M. Rivière tient un tout autre langage et
pense que le silence gardé par les statuts ne rend pas
nécessairement les actions nominatives en ce sens que
les souscripteurs soient indéfiniment tenus de leur mon
tant. Même dans ce cas, enseigne-t-il, il a été dans
l’intention du législateur de libérer. après un certain
temps, le souscripteur qui cède son action, et de ne pas
le laisser indéfiniment exposé à des recherches et à des
poursuites3.
8 7 . — Cette opinion est absolument condamnée par
ce fait qui ressort de la discussion législative, à savoir
que la loi nouvelle n’a nullement entendu abroger le
principe de la loi de 1836, qu’elle a permis seulement
d’y déroger, en autorisant la conversion des actions no
minatives en actions au porteur, après libération de
moitié. Donc si cette convention est impossible, toute fa
culté de déroger s’évanouit, et le principe conserve toute
sa force et s’impose de tout son empire. Or, M. Rivière
reconnaît qu’en l’absence d’une clause dans les statuts,
les actions restent forcément nominatives, on ne saurait
dès lors comprendre qu’il répudie les conséquences que
cet état des choses entraîne.
Quant à l’intention du législateur de libérer, même
' N» 116.
8 Commenlaire de la loi de 1867, n° 35.
�140
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
dans ce cas, après un certain temps, le souscripteur qui
cède son action, M. Rivière serait fort embarrassé de lui
trouver le moindre fondement dans la discussion au
Corps législatif. Sans doute tout le monde convenait que
pour n’être tenu qu’à concurrence de la moitié, il fallait
que le souscripteur eût aliéné ses actions. Mais si l’alié
nation était indispensable , ce n’est pas elle qui produi
sait la dérogation. Celle-ci n’était acquise que si les sta
tuts la faisaient expressément résulter du fait du trans
fert des actions.
Ainsi le projet primitif lui-même s’en expliquait for
mellement. Les souscripteurs, y était-il dit, sont respon
sables du montant total des actions. Il ne pourra être
dérogé à cette prescription que par les statuts de la so
ciété , et jusqu’à concurrence de la moitié de chaque
action.
Plus tard, lorsque la résistance de la commission con
traignait de modifier cette rédaction, le conseil d’Etat lui
substituait celle-ci : Les souscripteurs d'actions sont te
nus au paiement du montant total de leurs actions;
toutefois il peut être Stipulé, p a r l e s s t a t u t s c o n s
t i t u t i f s f i e l a s o c i é t é s e u l e m e n t , que ceux des
souscripteurs qui auront aliéné leurs actions, ne se
ront responsables des sommes dues par les cessionnaires
que jusqu'à concurrence de la moitié du montant de
chaque action.
Point de doute, donc. L’aliénation des actions ne mo
difiait l’obligation des souscripteurs que s i , prévoyant
cette aliénation, les statuts constitutifs lui attachaient ex-
�TITRE I, ART.
2, 3.
141
pressément cet effet. Ce n’était pas après un cerlain temps,
c’était immédiatement et par le fait de la cession que les
souscripteurs étaient libérés de moitié ; c’est même ce
qui fît rejeter l’article , car l’insertion de la clause dans
les statuts ne faisait pas obstacle à l’abus qu’on pouvait
faire du droit de cession, et inspirait la crainte qu’on ne
l’exerçât qu’après coup, dans le but unique de s’exoné
rer de la perte en se débarrassant des actions, dès qu’on
pouvait entrevoir une déconfiture prochaine.
C’est sous l’influence de ces considérations et pour
parer à ce danger, que la commission proposait et faisait
adopter la conversion des actions comme principe de la
dérogation à la responsabilité indéfinie, et confiait à l’as
semblée générale exclusivement le droit de statuer sur
cette conversion. Mais l’intention de subordonner l’exer
cice de ce droit à une clause spéciale des statuts, n’est ni
douteuse ni équivoque. Pouvait-elle être plus expressé
ment manifestée que par ces expressions de l’article 3 :
Il peut ê t r e stipulé , mais seulement par les
statuts constitutifs d e la société.........Donc si les sta
tuts sont m uets, les actions ou coupons d’actions ne
pourront, même après avoir été libérés de moitié, être
convertis en actions au porteur.
Puis si l’intention du législateur a été de libérer, après
un certain temps , le souscripteur qui cède son action,
pourquoi le Corps législatif repoussait-il l’amendement
de la commission, qui faisait résulter cette libération du
fait même de la cession sans exiger que les statuts se
fussent expliqués à ce sujet ? Pourquoi l’article 3 s’appli-
�142
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
que-t-il exclusivement aux cessions faites antérieure
ment à l’assemblée générale et avant le versement de
moitié ? Est- ce que le souscripteur qui cède ses actions
après la délibération et le versement de moitié méritet-il mieux que le premier d’être laissé indéfiniment ex
posé à des recherches, à des poursuites ?
N’est-il pas évident d’ailleurs que si le législateur eût
entendu admettre une prescription de la responsabilité
en dehors de celle de l’article 3, il se fût expliqué sur le
délai de cette prescription et sur son point de départ ?
Cette détermination , le Corps législatif avait été mis en
demeure de la faire. Un amendement de M. Beauverger
proposait de déclarer que, dans le cas où les actions ces
seraient, avant leur entière libération, d’appartenir aux
souscripteurs, ceux-ci ne demeureraient responsables
des sommes dues par les cessionnaires que pendant cinq
ans à partir de la date de la cession.
La commission et le Gouvernement repoussaient l’a
mendement. Le ministre faisait remarquer qu’il enle
vait, d’une p a rt, une facilité généralement réclamée par
les sociétés , en ne permettant pas la transformation en
actions au porteur après le versement de moitié ; que,
d’autre p a r t, il supprimait deux garanties introduites
par le système de la commission : une clause spéciale
des statuts, la délibération de l’assemblée générale.
En réalité donc MM. Mathieu et Bourguignat ont rai
son. « La loi nouvelle a le même point de départ que
la loi de 1856. Comme celle-ci, elle admet que le sous
cripteur, quand il s’est défait de son titre, serait-ce après
�TITRE I , ART.
2, 3.
143
l’avoir libéré jusqu’à concurrence de la moitié, reste obligé jusqu’à libération complète. Mais, à la différence
de la loi précédente, elle consent à tempérer la rigueur
du principe.
» A ce dernier point de vue, toutefois il faut s’enten
dre. Le tempérament qu’elle admet n’est pas une excep
tion absolue au principe ; c’est une faculté dont les asso
ciés peuvent user ou non, et qui n'est légale, qu'autant
qu’ils l’ont introduite dans les statuts même de leur
e n tr e p r is e »
M. Rivière a compris lui-même tout ce qu’aurait d’ex
traordinaire la supposition d’une prescription à laquelle
la loi n’assignerait ni d é lai, ni point de départ. Aussi
cherche-t-il, dans l’hypothèse, à suppléer à ce silence.
Rien ne s’oppose , d it- il, à ce que l’assemblée générale
se réunisse et décide que , vu le silence des statuts , les
actions doivent rester nominatives, et les deux ans com
menceront à courir depuis celle délibération.
C’est-à-dire qu’on jouera la comédie, qu’on se réu
nira pour délibérer qu’on n’a rien à délibérer, et sous
cette apparence inoffensive l’assemblée sanctionnerait la
plus grave des modifications aux statuts, en ouvrant le
délai à l’expiration duquel le capital pourrait être réduit
de moitié au grand détriment du public et de la société
elle-même.
Sans doute ce résultat se réalisera dans le cas de trans
formation des actions autorisée par une clause spéciale
* Commentaire de la loi de 1867, n» 30
�144
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
des statuts. Mais dans ce cas, nul ne pourrait s’en plain
dre, ni les associés ni les tiers. La publicité que reçoi
vent les statuts a suffisamment appris à tous, les dangers
qui peuvent les atteindre, et si ce danger se réalise,ceux
qui l’ont connu et qui en ont volontairement couru la
chance ne seraient ni recevables ni fondés à en récuser
les effets. Vouloir imposer ces effets, alors que le silence
gardé à ce sujet par les statuts ne pouvait ni les faire
prévoir ni même les supposer , serait une iniquité qui
n’est pas dans la loi, qui ne pouvait y être.
8 8 . — En résumé donc, pour que le principe de la
responsabilité indéfinie des souscripteurs reçoive excep
tion , il faut que , dans les statuts constitutifs de la so
ciété , il soit expressément stipulé que les actions pour
ront, par une délibération de l’assemblée générale et a près versement de moitié, être transformées en actions au
porteur. À défaut d’une clause de ce genre , les actions
restent forcément nominatives, et rien ne saurait exo
nérer les souscripteurs de l’obligation de payer la totalité
du montant de celles souscrites par chacun d’eux. Cette
obligation n’est éteinte que conformément au droit com
mun, la prescription exceptionnelle de deux ans ne pou
vant dans aucun cas être étendue à d’autres hypothèses,
et dans d’autres conditions que celles que l’article 3 pré
voit et indique
8 9 . — Toute obligation confère aux créanciers le
droit d’en poursuivre et d’en contraindre l’exécution.En
�TITRE I,
ART.
9, 3.
145
matière de versement du montant d’actions dans une
société, les créanciers sont: les associés d’abord, les tiers
ensuite.
Le plus ordinairement les statuts constitutifs de la so
ciété réglementant ce droit, disposent qu’en Cas de refus
ou de retard, l’action sera vendue à la Bourse par le mi
nistère d’agents de change , après mise en demeure,
et après telle ou telle publication.
Nous croyons, contrairement à l’opinion de M. Vavasseur, que l’accomplissement des prescriptions des statuts
rend la vente régulière et légale. Si le poursuivant était
tenu d’y appeler quelqu’un , ce ne pourrait être que le
détenteur actuel. Or quel moyen a-t-il de le connaître,
si l’action est négociable par simple endossement, et sur
tout si elle est au porteur? Il fait donc tout ce qu’il doit
faire en remplissant les formalités de publicité prescrites
par les statuts. On ne saurait exiger de lui autre chose.
90.
— Du reste la société ne saurait être contrainte
à user du droit que lui donnent les statuts. Ce droit n’est
après tout qu’une clause pénale contre l’actionnaire et
au profit de l’être moral , qui est dès lors libre de ne
consulter que son intérêt et ses convenances ; de s’ap
proprier ou de répudier l’avantage créé en sa faveur.
Or il est évident que si la société est en plein crédit
et dans un état prospère , la vente de l’action produira
facilement de quoi la désintéresser, et l’on comprend
qu’elle n’hésite pas à la poursuivre.
Mais que produirait la vente, si la société était notoi-
i, — -to
�446
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
rement dans un état de gêne, et surtout en déconfiture?
Pourquoi se donner la peine de vendre , alors qu'il est
certain qu’il ne se présenterait aucun acheteur , ou que
s’il s’en présentait, ce ne pourrait être qu’encouragés
par la vileté du prix qui ne laisserait à la société .aucune
chance d’être remboursée?
La faculté de vendre conférée par les statuts n’est
donc qu’un surcroît de garantie, qu’un moyen plus ex
péditif pour arriver au paiement; qu’une action réelle
venant se joindre à l’action personnelle et non la rem
placer. On ne saurait donc contraindre la société ni à
exercer la première, ni à s’abstenir de la seconde, si après cet exercice elle n’est pas intégralement désinté
ressée.
91.
— La poursuite du solde dont la société peut
rester créancière est recevable tant contre le souscripteur
que contre le détenteur actuel de l’action , que contre
les cessionnaires qui l’ont successivement possédée. Tous
sont tenus au même titre et peuvent être directement ac
tionnés.
L’intérêt, en effet, est la mesure de l’action. Or il
pourrait arriver que, de même que la société , le sous
cripteur et le détenteur actuel fussent devenus insolva
bles. A qui donc s’adresseraient les ayants-droit si on
leur interdisait de recourir contre les divers cession
naires.
La faculté de vendre l’action , son exercice , qui ne
pourraient créer aucune fin de non recevoir contre la
�TITRE I, ART.
2, 3.
147
poursuite par la société de l’action personnelle, le pour
raient bien moins encore contre l’action des créanciers
sociaux. Ceux-ci en effet ne sont nullement liés par les
stipulations des statuts, et ils ne pourraient même s’en
prévaloir que comme exerçant les droits de la société
contre leur débiteur.
Pour ce qui les concerne personnellement, l’action ne
leur est affectée que comme faisant partie de l’avoir de
leurs divers débiteurs. Ils ne pourraient donc l’atteindre
que par une saisie-exécution , et la faire vendre autre
ment que par voie de justice.
Le droit des tiers créanciers , comme celui de la so
ciété contre les souscripteurs , porteurs et cessionnaires
de l’action, ne peut être utilement exercé que dans l’hy
pothèse d’actions restées nominatives. Nous venons de
voir que l’adoption de la forme au porteur fait disparaî
tre l’action personnelle, et libère de plein droit les sous
cripteurs et les cessionnaires.
Cet effet ne comporte d’autre exception que celle pré
vue par l’article 3. Ainsi lorsque la cession est antérieure
à l’assemblée générale et a été faite avant le versement
de la moitié, la transformation des actions nominatives
en actions au porteur laisse les souscripteurs et les ces
sionnaires responsables pendant deux ans encore à par
tir de la délibération.
A rt; 4 .
Lorsqu’un associé aura fait un apport qui ne
consiste pas en numéraire, ou stipulé à son pro-
�148
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
fit des avantages particuliers, la première assem
blée générale fait apprécier la valeur de l’apport
ou la cause des avantages stipulés.
La société n’est définitivement constituée qu'après l'approbation de l’apport ou des avantages
donnée par une autre assemblée générale après
une nouvelle convocation.
La seconde assemblée générale ne pourra sta
tuer sur l’approbation de l’apport ou des avan
tages qu’après un rapport qui sera imprimé et
tenu à la disposition des actionnaires cinq jours
au moins avant la réunion de cette assemblée.
Les délibérations sont prises par la majorité
des membres présents. Cette majorité doit com
prendre le quart des actionnaires et représenter
le quart du capital social en numéraire.
Les associés qui ont fait l’apport ou stipulé
les avantages particuliers soumis à l’appréciation
de l’assemblée n’ont pas voix délibérative.
A défaut d’approbation la société reste sans
effets à l’égard de toutes les parties.
L’approbation ne fait pas obstacle à l’exercice
ultérieur de l’action qui peut être intentée pour
cause de dol ou de fraude.
Les dispositions du présent article relatives à
la vérification de l’apport qui ne consiste pas en
�TITRE I , ART. 4 .
149
numéraire, ne sont pas applicables au cas où Ja
société à laquelle est fait ledit apport est formée
entre ceux seulement qui en étaient propriétai
res par indivis.
S O M M A IR E
92
Caractère de l ’exagération des apports ou des avantages par
ticuliers ; ses conséquences.
93. Opinion du conseil d’Etat en 1856 ; ses fondements ; leur
caractère.
94. Di positions du projet arrêté en conséquence.
95 O sections présentées par la commission du Corps législatif,
on fait.
96 Objections en droit.
97- Système qu’elle proposait; son adoption par le conseil
d’Etat.
98. Inconvénients qu’il présentait ; leur étendue.
99. Dispositions qu’ils avaient inspiré au Gouvernement en
4863, en matière de société à responsabilité limitée.
100. Précautions ordonnées par la loi nouvelle.
101. Quels sont les apports soumis à vérification et à appré
ciation.
102. Quid, des avantages particuliers.
103. Les uns et les autres lombenl-ils sous l ’application de l'ar
ticle 4 lorsque celui qui fait l ’apport ou stipule les avan
tages est en même temps gérant de la société ?
104. Arrêt de la cour de Bordeaux.
105. Système de la loi de 1867.
106. Délai qui doit séparer les deux assemblées. Point de départ
des cinq jours.
107. Dans quelle forme doit être faite la convocation.
108. Si la seconde assemblée n’est pas en nombre, ou si l ’appro
bation ne réunit pas la double majorité peut-on renvoyer
à une nouvelle assemblée ?
�150
109.
110.
111.
112.
113.
114.
115.
116.
117.
118.
119.
120.
121.
122.
123.
124.
125.
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Opinion de MM. Mathieu et Bourguignat. Examen.
Faut-il que l’assemblée qui nomme les experts réunisse la
majorité en nombre et en sommes exigée par l ’article 4.
Forme des délibérations; droit des actionnaires de voter.
Chacun d’eux n ’a qu’une voix quel que soit le nombre
de ses actions.
C’est sur ce nombre que s’établit le quart du capital nu
méraire.
Conséquences du défaut de l ’une des majorités exigées;
leur nature.
Caractère réel de l’engagement contracté par les souscrip
teurs du pacte social.
Les actionnaires ne sont pas liés par le rapport des experts;
ils peuvent rejeter ce qu’il a admis , admettre ce-qu’il a
" repoussé.
Peuvent-ils modifier l ’évaluation , et la majorité lie-t-elle
la minorité à ce sujet.
Discussion au Corps législatif ; amendement de M. Javal ;
réponse du rapporteur.
Opinion de M. Fabre.
Objections du rapporteur ; leur caraclère.
Yote du Corps législatif ; ses conséquences.
Ne sont pas admises par M. Yavasseur. Doctrine de cet ho
norable jurisconsulte.
Examen et discussion.
Ceux qui ont fait l’apport en nature ou stipulé les avanta
ges particuliers n ’ont pas voix délibérative.
Exceptions que comportent les précautions édictées par
l’artide 4.
Réserve de l ’action pour cause de dol ou de fraude.
92.
— La fraude la plus dangereuse et cependant
la plus usuelle dans la commandite par actions, celle qui
compromettait le plus gravement l’intérêt des comman-
�TITRE I , ART. 4 . '
<51
ditaires é tait, sans contredit, l’exagération de la valeur
des apports, ou l’énormité des avantages particuliers sti
pulés par les fondateurs en leur faveur ou en celle de
certains associés.
La société frappée à mort avant de naître , n’existait
tout juste que le temps qu’il fallait pour que les actions
de capital qui avaient payé les apports ou les avantages
particuliers eussent été négociées. Cette négociation faite
et son résultat encaissé , on proclamait l’impossibilité
pour la société de marcher ; on liquidait, et ceux qui a vaient sérieusement souscrit ou acheté les actions , se
trouvaient avec une chose qp’ils avaient payée plus d’un
million et qu’ils revendaient trente - sept mille francs,
comme cela se vit en 1838.
93.
— La nécessité de veiller à cette fraude s’impo
sait tout d’abord au législateur qui entendait réglemen
ter la matière. La loi de 1856 dut donc y pourvoir. Mais
entraîné par l a . disposition de l’article 1833 du Code
Napoléon qui autorise les apports de toute nature et par
le respect du principe de la liberté des conventions , le
conseil d’Etat n’avait pas cru que les associés après avoir
consenti, pussent encore se livrer à un examen , à une
vérification quelconque , ni subordonner leurs engage
ments au résultat de leurs investigations.
C’étaient là des scrupules honorables , mais dont l’é
quité et la raison ne permettaient pas trop de se préoc
cuper. L’article 1833 du Code Napoléon , én effet, ne
dispose que pour les sociétés ordinaires ; celles où le
�152
LOI DE
1867
3UR LES SOCIÉTÉS
pacte social intervenant entre tous les intéressés, chacun
d’eux est en position de le discuter , d’en débattre les
clauses, comme les sociétés commerciales en nom collec
tif, ou en commandite simple.
Là il est à peu près impossible que la valeur de l’ap
port soit exagérée au delà d’une certaine limite inoffen
sive, ou que des avantages particuliers enrichissent l’un
au détriment de l’autre. L’intérêt contradictoire des par
ties en présence est une garantie assurée contre de trop
avides appétits.
Où donc est la garantie dans les sociétés en comman
dite par actions? N’est-ce pas le plus ordinairement celui
qui fait l’apport en nature, ou qui stipule les avantages
particuliers, qui, seul et sans contrôle, rédige les statuts
de la société? Peut-on raisonnablement objecter aux
actionnaires recrutés aux quatre points cardinaux, pro
voqués par des prospectus qui évitent avec soin de par
ler des charges , qu’ils se sont appropriés les clauses de
ces statuts? Est-ce qu’en réalité ils les ont connues? Ontils jamais lu autre chose que le bulletin au pied duquel
ils ont apposé leur signature ?
94.
— On le voit reculer en cette occurrence devant
le principe de la liberté des conventions : c’était sacrifier
la vérité à la fiction. Le conseil d’Etat cependant s’était
prononcé contre toute précaution préventive. Le projet
préparé par lui se bornait à disposer que : lorsqu’un
associé aurait fait un apport dont la valeur réelle serait
inférieure de plus de moitié à celle pour laquelle il a été
�TITRE I , ART.
4.
153
mis dans la société, tout intéressé pourrait demander,
contre l’auteur de l’ap p o rt, la réparation du dommage
à lui causé par l’exagération de cet apport, sans préju
dice de toute autre action pour fait de dol.
Le projet ajoutait : « Le gérant qui a accepté l’ap
port peut être déclaré solidairement responsable des con
damnations prononcées.
» La demande n’est plus recevable après l’expiration
de deux années à compter de la publication de la so
ciété. »
95.
— Quel pouvait être le dommage causé aux as
sociés par l’exagération de l’apport , si ce n’est la perte
totale ou partielle de l’action. C’était donc l’action en
restitution qui était concédée. Le danger qui en résultait
pouvait bien imposer à l’auteur de l’apport une certaine
circonspection. Mais la condition d’une exagération de
plus de la moitié, c’est-à-dire des sept douzièmes, lais
sait une marge fort belle encore. La faculté de faire payer
à la société un million une chose qui ne valait que cinq
cent mille francs, promettait un bénéfice qui n’était pas
à dédaigner. On forçait donc la fraude à se renfermer
dans de certaines limites; mais en la respectant quand
elle ne les avait ni atteintes ni dépassées, ne lui donnaiton pas un dangereux encouragement ?
Comment d’ailleurs après un an ou deux arriver à
déterminer d’une manière exacte la valeur réelle de l’ap
port au moment de sa mise en société ? La chose est
non-seulement possible, mais encore facile s’il s’agit d’un
�154
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
immeuble. Mais en est-il de même d’un brevet d’inven
tion, d’une idée nouvelle, d’une maison de commerce?
Comment revenir à cette valeur d’opinion et faire abs
traction des effets avantageux ou contraires de l’expé
rience, de l’incapacité, de l’impéritie ?
Enfin en permettant aux intéressés de poursuivre fa
réparation du dommage que l’exagération de l’apport
leur avait causé, on ne leur assurait nullement cette ré
paration. On pouvait bien condamner l’auteur de l’ap
port, mais le faire payer c’était autre chose. Plus l’exa
gération était manifeste et criante, plus la condamnation
était à craindre, plus on prendrait des précautions pour
se mettre à l’abri de ses effets. Après avoir réalisé ses
actions, l’auteur de l’apport n’aurait pas négligé de dis
simuler son actif, et peut-être qu’au dommage éprouvé
le poursuivant aurait dû ajouter la perte des frais de la
poursuite.
96.
- A ces objections de fait , la commission du
Corps législatif en ajoutait d’autres tirées des principes
de droit. « La règle, disait son honorable rapporteur M.
Langlois, c’est que les conventions font la loi des par
ties. La loi y a dérogé pour les mineurs, jamais pour les
majeurs si ce n’est en cas de partage ou de vente, mais
seulement au profit du vendeur. La raison de la loi pour
le mineur s’explique d ’elle-même ; pour le vendeur on
a considéré qu’il peut s’être trouvé dans une nécessité
puissante qui a enlevé à son consentement tout caractère
de liberté ; quant au partage, on n ’est restituable pour
�TITRE I ,
ART.
4.
155
fait de lésion que parce que celle-ci est envisagée com
me une erreur de compte. »
Devait-on assimiler l’actionnaire au mineur, au co
partageant , au vendeur ? Non , répondait le rapport.
« La légèreté de ceux qui souscrivent les actions est quel
quefois bien grande ; mais il est impossible que la loi les
considère comme des mineurs ; impossible que le contrat
de société soit l’équivalent d’un acte de partage ; impos
sible que cet actionnaire qui apporte son argent dans
une société et vient librement adhérer à ses statuts, soit
traité comme le vendeur d’une propriété qui , hésitant
entre la ruine et la honte, a fini par opter pour la ruine.
Le consentement est ou n’est pas. S’il n’y a pas de li
berté, c’est le contrat qui doit être anéanti. L’actionnaire
n’a pas droit seulement à une réparation ; il a droit à
la rescision du contrat, et il faut lui rendre son argent.»
97.
— À quoi bon d’ailleurs faire ainsi violence aux
principes, pour aboutir fatalement à un procès et à des
frais plus ou moins considérables ? La commission du
Corps législatif pensait donc, avec raison, qu’il était plus
naturel et plus simple de s'arrêter à une mesure capa
ble de prévenir la fraude qu’on voulait empêcher et de
sauvegarder les intérêts des actionnaires. Elle indiquait
comme telle, la nécessité de faire procéder à une appré
ciation et à une estimation préalables des apports en na
ture et delà cause des avantages particuliers.
Le conseil d’Etat se rangea à cet avis qui donna nais
sance à l’article 4. L’exécution de cet article offrira ses
�156
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
inconvénients, disait le rapporteur lui-même, et l’expé
rience a prouvé que ces inconvénients aboutissaient h
permettre d’éluder l’arlicle.
98.
— En effet que pouvaient faire des actionnaires
venant des quatre coins de la France , inconnus les uns
aux autres, réunis sans avoir pu se concerter ? Evidem
ment la confiance en la personne du gérant qui les avait
déterminés à entrer dans la société, devait les porter A
s’en rapporter à lui pour le choix des appréciateurs, et
à accepter ceux qu’il leur désignerait comme les plus ca
pables. C’était donc , le plus souvent, l’auteur de l’ap
port , ou le bénéficiaire des avantages particuliers qui
nommait ceux qui devaient en contrôler la valeur ou la
cause ; et l’on comprend que son choix se portât de pré
férence sur ceux sur la complaisance desquels il avait
droit de compter, ou sur des personnes aussi intéressées
que lui à la constitution de la société.
On comprend aussi ce que pouvait être un pareil con
trôle, et avec quelle facilité, quelle légèreté il y était pro
cédé. La loi de 1856 se prêtait merveilleusement à l’une
et à l’autre. Elle exigeait'bien deux assemblées généra
les : l’une qui faisait estimer l’apport ou les avantages
particuliers, l’autre qui les admettait ou les repoussait.
Mais elle n’avait rien dit de l’intervalle qui devait les
séparer, et de ce silence on en avait conclu que les deux
assemblées pouvaient se tenir le même jour. Un arrêt
de la cour de Douai du 22 mars 1865, décidait que l’ar
ticle 4 devait être entendu en ce sen s, qu’il suffit que
�TITRE I, ART. 4.
157
l’assemblée générale se soit réunie deux fois, et qu’il im
porte peu que ces deux réunions aient eu lieu le même
jo u r1.
Il est vrai que la Cour exige que, dans l’intervalle de
ces deux réunions , il ait été procédé à une estimation
sérieuse soit de l’apport soit des avantages particuliers.
Mais comment admettre ce caractère, si quelques heures
seulement séparent la seconde assemblée de la première.
Dans l’espèce , la cour de Douai attache le caractère
sérieux de la délibération à cette circonstance , que la
commission chargée d’apprécier avait fait modifier et ré
duire les avantages qui avaient été stipulés. Mais n’étaitil pas à craindre que ces modifications eussent été con
certées et qu’on.eût fait la part du feu précisément pour
donner à une délibération de pure complaisance une ap
parence de nature à la faire maintenir.
9 9 . — La fraude était si facile qu’on devait naturel
lement s’en méfier. Aussi lorsqu’en 1863 le Gouverne
ment présenta la loi sur les sociétés à responsabilité li
mitée, il exigeait que la seconde assemblée chargée d’ap
prouver ou de rejeter l’apport ou les avantages particu
liers, ne pût être réunie et délibérer qu’après une nou
velle convocation.
1 0 0 . — La loi de 1867 a pris à celle de 1856 le
principe de l’estimation préalable et la nécessité de deux
assemblées ; à la loi de 1863, la nécessité d’un intervalle
1 J. du P., 1866, 86.
�158
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
séparant ces deux assemblées. Elle a pensé , elle aussi,
que l’estimation doit non-seulement être sérieuse , mais
encore le paraître, et dans ce but elle a fixé à cinq jours
la durée minimum de cet intervalle.
Ainsi toutes les fois qu’un associé fait un apport qui
ne consiste pas en numéraire, ou stipule à son profil des
avantages particuliers, une première assemblée générale
fait apprécier la valeur de l’apport ou la cause des avan
tages particuliers.
L’examen de la commission nommée dans ce but est
soumis à une seconde assemblée générale , et comme il
importait que celle-ci procédât en pleine connaissance
de cause, qu’une lecture du rapport plus ou moins com
plète , plus ou moins saisissable ne remplissait pas ce
but, la loi nouvelle exige que ce rapport soit imprimé et
tenu à la disposition des actionnaires cinq jours au moins
avant la réunion de cette seconde assemblée. Dès lors
l’intervalle qui séparera celle-ci de la première sera au
moins de cinq jours , puisque avant leur expiration la
délibération, quelque juste, quelque motivée qu’elle pût
être, n’en serait pas moins irrégulière.
Les actionnaires profiteront ou ne profiteront pas du
délai qui leur est ménagé et des facilités qui leur sont
accordées pour se mettre en mesure de veiller à leur in
térêt. Dans tous les cas ils ne pourront s’en prendre qu’à
eux-mêmes du préjudice que leur imprévoyance ou leur
légèreté leur occasionnerait.
SOI. — Les apports soumis à appréciation sont tous
�TITRE I , ART.
4.
159
ceux qui ne consistent pas en numéraire. La loi ne
pouvait employer une locution plus générale et qui ren
dît mieux et plus énergiquement sa pensée. Elle com
prend en effet tout ce qui est de nature à être mis en so
ciété. Un immeuble, un commerce, une industrie, des
machines, la concession de carrières ou mines, un bre
vet d’invention, une idée nouvelle, un procédé, e tc ... . ,
tout cela n’est pas ordinairement donné gratuitement à
la société. Celui qui le cède stipule la valeur à laquelle
il l’estime, et c’est cette valeur que les assemblées géné
rales doivent vérifier et apprécier.
102.
Le projet de loi de 1856 n’assujélissait à
estimation et appréciation préalables que les apports en
nature. Il ne disait rien des avantages particuliers qu’un
assecié pouvait stipuler en sa faveur. La commission du
Corps législatif pensa avec raison qu’il y avait là une la
cune qu’il importait de remplir. Il est évident, en effet,
que l’énormité de ces avantages aboutissait ou pouvait
aboutir au même résultat que l’exagération de l’apport.
Il convenait donc de prendre contre l’une les précautions
édictées contre l’autre, et c’est ce que firent successive
ment le conseil d’Etat et le Corps législatif.
La loi de 1867 ne pouvait pas agir autrement. Elle a
maintenu une assimilation que tout commandait et jus
tifiait. Donc, dès que des avantages particuliers ont été
stipulés , leur cause doit être appréciée dans les formes
et aux mêmes conditions que les apports en nature.
Ce qu’on doit entendre par avantages particuliers est
�160
I!
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES SOCIÉTÉS
facile à déterminer. L’égalité la plus parfaite doit régner
entre les associés , soit dans la distribution des actions,
soit dans la participation aux bénéfices. Il y aura donc
avantage particulier, toutes les fois que l’un des associés
recevra desactions libérées en tout ou en partie, ou qu'on
lui attribuera soit un traitement annuel, soit un prélève
ment sur les bénéfices.
Peu importerait que ces diverses stipulations ne fus
sent que la rémunération d’études, de démarches, d’a
vances faites pour préparer la société et arriver à sa con
stitution. S’il est juste que l’associé soit récompensé de
ce qu’il a fait, des sacrifices qu’il s’est imposé dans l’in
térêt commun , il serait inique qu’il pût l’être au delà
de toute proportion. L’intervention de l’assemblée géné
rale arrivant à n’accorder que ce qui sera réellement dù,
s’imposait en quelque sorte elle-même.
103.
— On a émis la singulière prétention de ré
duire la nécessité de cette intervention au cas où l’auteur
de l’apport ou le bénéficiaire des avantages particuliers
n’avait que la qualité d’associé; qu’en conséquence, lors
qu’à cette qualité il réunissait l’exercice de fonctions ad
ministratives dans la société, les précautions ordonnées
par l’article 4 n’étaient ni requises ni nécessaires.
Ainsi, parce que le fondateur de la société s’est réservé
la gérance ; qu’en vue de celle gérance il s’est attribué
un traitement annuel , une indemnité de logement, des
frais de bureau, un prélèvement sur les bénéfices, il échapperaà la loi commune à tous les associés, et jouira,
�TITRE I , ART.
4.
161
sans contrôle possible, de tous les avantages dont il lui
aura plu de se gratifier, quelque importants qu'ils soient,
quelque exagérés qu’ils puissent être, cela ne serait évi
demment ni juste ni raisonnable.
Vainement objecle-t-on qu’en signant sa souscription
l’actionnaire a adhéré aux statuts et s’est approprié tou
tes leurs dispositions. Si cela était admis pour l’associé
gérant, on devrait l’admettre pour le simple associé, car
pour celui-ci comme pour celui-là, l’adhésion des ac
tionnaires constitue le contrat entre tous les intéressés,
et crée pour chacun d’eux des obligations et des droits.
Mais ce principe incontestable en général , reçoit ex
ception en matière de sociétés en commandite par ac
tions, et c’est cette exception que l’article 4 de la loi de
1856 consacrait, en prescrivant l ’appréciation des ap
ports et des avantages particuliers , et en subordonnant
la constitution de la société à leur acceptation par l’as
semblée générale. C’est ce que M. Duvergier faisait remar
quer avec raison.
« Il semble, disait-il, que le contrat est formé et que
toutes les parties ayant consenti, ne peuvent plus se li
vrer à une vérification quelconque, et subordonner leur
engagement au résultat de leurs investigations. Mais le
législateur, sachant avec quelle légèreté et quel emporte
ment se font souvent les souscriptions individuelles au
projet d’association,a voulu protéger les commanditaires
contre leur faiblesse ou leur emportement ; il a voulu que
le contrat n’eût sa perfection que lorsque les contractants
auraient eu le temps de réfléchir, de s’entendre et de dé-
�162
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
libérer sur la valeur de l’apport et la cause des avanta
ges particuliers. »
Si c’est là en effet ce que le législateur a voulu, et qui
oserait soutenir le contraire en présence de l’article 4,
comment admettre qu’il ait pu faire une exception pour
l’associé gérant, et accepter comme définitif et irréfraga
ble en sa_faveur, le contrat qu’il ne considère que com
me conditionnel pour les simples associés? L’aurait-il
pu sans tomber dans la plus étrange des contradictions,
et sans retirer sa protection aux commanditaires , dans
l’hypothèse précisément où cette protection leur devient
plus nécessaire, plus indispensable, sans encourager le
rédacteur des statuts à se réserver la gérance, et à se
gratifier d ’avantages en dehors de toute mesure, de toute
proportion ?
104.
— Il n’y a donc pas à hésiter sur la solution
à donner à la question. C’est ce que la cour de Bordeaux
consacrait le 20 novembre 1865, en repoussant la pré
tention du gérant par les motifs suivants :
a Attendu, quant à la distinction entre le cas où les
avantages particuliers sont stipulés à son profit par un
associé qui n’a que cette seule qualité, et celui où il cu
mulerait avec elle l’exercice de fonctions administratives
dans la société, que cette distinction est tout à fait arbi
traire et en dehors des termes de la loi ; que pour res
treindre l’application de l’article 4 à la première situa
tion , il faut aller jusqu’à affirmer q u e , dans l’espèce,
par exemple , Fauché doté comme directeur gérant de
�TITRE 1 , ART.
4.
163
trois bénéfices considérables , absorbait en lui l’associé
au point de le faire disparaître , tandis qu’en réalité il
était à la fois et en même temps l’un et l’autre, puisque,
indépendamment de sa gérance, il avait encore, comme
souscripteur d’un grand nombre d’actions, droit de vote
aux assemblées générales ; qu’ainsi les deux titres étaient
en lui co-existants et indivisibles ; qu’il ne faut donc
pas les isoler ni les séparer dans l’appréciation des avan
tages conférés à celui qui les réunit ’. »
1 0 5 . — Loin de déserter les errements de la loi de
1856, le législateur n’a fait que les affirmer de plus fort,
en fixant un intervalle minimum pendant lequel les
commanditaires pourront réfléchir, s’entendre et délibé
rer sur la cause des avantages particuliers. Donc toutes
les fois qu’un associé, quelle que soit d’ailleurs sa qua
lité et fût-il le gérant, en aura stipulé en sa faveur, cette
stipulation doit être soumise à une assemblée générale
qui confie à une commission le soin d’en vérifier et d’en
apprécier l’opportunité et la convenance.
106. — Sur le rapport de cette commission , une
seconde assemblée statue sur l’admission ou le rejet. Ce
rapport doit être imprimé et tenu à la disposition des
actionnaires qui pourront le consulter au siège de la so
ciété, et seront ainsi à même d’en vérifier et d’en discu
ter les bases. Ce n’est qu’après cinq jours au moins de* J. du P., 4866, 479.
�164
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
puis que le rapport aura été imprimé et tenu à la dis
position des intéressés, que cette seconde assemblée peut
délibérer. De quel moment partira ce délai de cinq jours?
La loi ne s’en explique pas et ne prescrit aucune forma
lité de nature à constater ce moment. Comment dès lors
établir que les prescriptions de la loi , (juant à ce , ont
été ou n’ont pas été observées ?
Nous croyons que le législateur en exigeant que le
rapport fût tenu à la disposition des actionnaires, a né
cessairement entendu que ceux-ci seraient prévenus du
jour où ils pourraient en prendre connaissance. Com
ment sans cette connaissance exerceraient-il s leur droit?
Sans doute le gérant ne peut être tenu d’adresser une
circulaire spéciale à tous les souscripteurs, mais il peut
et il doit insérer dans les journaux l’avis de l’impression
du rapport et de son dépôt au siège social, ou bien con
voquer les actionnaires pour la seconde assemblée, en
fixant le jour de la réunion de telle sorte qu’il y ait plus
de cinq jours entre cette réunion et la date de la convo
cation.
107.
— Comment doit se faire cette convocation ?
Faut-il une lettre circulaire adressée à chaque souscrip
teur personnellement? Sutfit-il d’une annonce dans un
ou plusieurs journaux ?
La loi n’a rien prescrit à ce sujet. Elle pouvait s’en
reposer sur l’immense intérêt que le ou les fondateurs
ont à amener à la réunion un nombre de souscripteurs
assez considérable pour qu’ils puissent facilement obte
nir la majorité en nombre et en sommes exigée par la loi.
�TITRE I, ART.
4.
165
Supposez en effet que les membres présents ne com
prennent pas le quart des actionnaires et ne représen
tent pas le quart du capital social en num éraire, ou les
représentent à peine.
Dans le premier cas, aucune délibération ne pourra
utilement intervenir ; dans le second, il suffira de quel
ques opposants pour empêcher toute majorité; et dans
l’un comme dans l’autre, la spciété ne pouvant se cons
tituer sera nécessairement et infailliblement nulle et sans
effets.
108.
— Pourrait-on au m oins, l’une de ces hypo
thèses se réalisant, en appeler à une nouvelle assemblée
et de nouveau convoquer les actionnaires ?
La négative s’induit du silence gardé à ce sujet par
l’article 4. Ce silence en effet est significatif, surtout si
l’on rapproche cet article de l’article 30.
Celui-ci prévoyant le cas où., s’agissant d’une société
anonyme , l’assemblée générale ne réunit pas un nom
bre d’actionnaires représentant la moitié du capital so
cial en numéraire, dispose que cette assemblée né peut
prendre qu’une délibération provisoire, et que ses réso
lutions ne deviennent définitives que si elles sont approu
vées par une nouvelle assemblée composée, cette fois,
d’un nombre d’actionnaires représentant le cinquième
au moins du capital social numéraire.
Donc il autorise une nouvelle convocation dont il rè
gle la constitution. Il est dès lors évident que si le légis
lateur eût entendu faire pour la commandite par actions
�166
LOI DE
1867
S IR
LES SOCIÉTÉS
ce qu’il autorise pour l’anonyme, il se fût expliqué pour
l’une comme il s’explique pour l’autre. On ne peut donc
interpréter le silence que garde l’article 4 , que comme
un refus de la faculté de faire un nouvel appel aux ac
tionnaires.
Vainement objecterait-on que les statuts prévoyant le
cas où les assemblées générales ne seraient pas en nom
bre, disposent qu’il sera procédé à une nouvelle convo
cation et que cette fois il sera passé outre à la délibéra
tion quel que soit le nombre des présents. Les statuts
ne deviennent obligatoires et n’ont d’autorité que du jour
où la société régulièrement constituée a commencé ses
opérations. On ne saurait donc ni les invoquer ni les
appliquer, lorsqu’il s’agit de délibérer si la société sera
ou non constituée, c’est-à-dire si les statuts seront adop
tés ou non.
109.
— La loi seule pouvait donc autoriser une nou
velle assemblée, et ne l’ayant pas fait, il faut conclure,
avec MM. Mathieu et Bourguignat, que la constitution de
la société est impossible, si, à la suite de la convocation
faite pour la seconde assemblée chargée de statuer sur le
rapport des vérificateurs, les souscripteurs ne se présen
tent pas dans les conditions de nombre et de capital exi
gées par la lo i1.
Toutefois ces honorables jurisconsultes reculent devant
les conséquences de leur doctrine, lorsque en note ils
1 Commentaire de la loi de \ 867, n° 46.
�TITRE I,
ART.
4.
ajoutent : « Il serait bien dur cependant, là où une nou
velle assemblée réunirait et au delà le nombre d’action
naires et la somme de capital exigés par la loi, de con
sidérer la société comme annulée de fait, et nous incli
nons à penser que, dans ce cas, les tribunaux devraient
la maintenir. La présence des actionnaires et la double^
délibération protesteraient contre la supposition de la
désertion du projet de société. »
On pourrait sans doute l’admettre ainsi, mais unique
ment à l’endroit de ceux qui, présents à la nouvelle as
semblée, auraient concouru et adhéré à la délibération.
Leur présence et leur vote constitueraient en effet la re
nonciation expresse à exciper de la nullité, et ils ne se
raient ni recevables ni fondés à l’invoquer ultérieure
ment.
Mais pour, ceux qui ne se sont pas présentés à l’as
semblée et qui non-seulement n’adhèrent pas à la déli
bération , mais qui la repoussent ; mais pour ceux qui
présents à l’assemblée ont voté contre le maintien de la
société, comment pourrait-on les contraindre à suivre la
loi de la majorité ? En ce qui les concerne , le projet de
société a été anéanti de plein droit, par cela seul que
l’assemblée chargée de statuer sur les apports en nature
ou les avantages particuliers , n’a pas réuni la double
majorité exigée par la loi. La nullité de la société est
pour eux un droit acquis dont le bénéfice ne pourrait
leur être enlevé que de leur consentement.
Les tribunaux ne sauraient donc les contraindre à de
meurer associés , lorsqu’ils déclareraient vouloir cesser
1L
'Il •; i
Ÿf:
ii|
il i ic','
■
�168
Lor
de
1867 sur.
les sociétés
de l’être. Leur retraite annulerait la société même vis-àvis de la majorité qui en aurait voté le maintien. Il en
résulterait en effet que le capital social ne serait plus
souscrit intégralement et que la condition que la loi met
à la constitution de la société manquerait, ce qui rendrait
cette constitution impossible. La majorité ne pourrait
donc échapper à la nullité que si elle souscrivait les ac
tions afférentes aux dissidents et versait le quart au moins
de leur montant.
Nous avions donc raison de le dire. La loi pouvait,
quant à la forme de la convocation, s’en remettre à l’au
teur du projet. Evidemment en présence des conséquen
ces qu’entraînerait une réunion insuffisante , celui-ci
prendra tous les moyens les plus propres à appeler à
l’assemblée le plus grand nombre d’actionnaires possibles.
110.
— Dans le passage que nous leur avons em
prunté, MM. Mathieu et Bourguignat pensent que la pre
mière assemblée générale chargée d’ordonner la vérifica
tion et l’appréciation des apports en nature ou des avan
tages particuliers, doit, à peine de nullité de la société,
réunir la majorité en nombre et en sommes exigée par
l’article 4.
Nous sommes d’un avis contraire. Nous comprenons
l’utilité et la nécessité d’une majorité, lorsqu’il s’agit de
prendre une mesure définitive créant des obligations et
des droits, et pouvant entraîner pour les actionnaires une
perte, un dommage plus ou moins considérable.
Aucun de ces caractères ne se rencontre dans la déli-
�TITRE I ,
ART,
4.
169
bération qui se borne à déléguer à tel ou tel le soin d’ap
précier et d’évaluer les apports ou les avantages parti
culiers. Cette délibération ne lie personne; elle ne crée
même aucun préjugé, puisque ceux qui voudraient re
jeter la société pourront le faire après le rapport comme
avant. On ne voit donc pas la raison qui en aurait
fait subordonner la possibilité à la réunion d’une ma
jorité quelconque.
Nous estimons donc que les exigences du quatrième
paragraphe de l’article 4 ne se réfèrent qu’aux délibé
rations à prendre par l’assemblée chargée de statuer dé
finitivement sur l’adoption ou le rejet des apports ou des
avantages particuliers.
111.
— Ce que la loi a réglé et dû régler c’est la
forme des délibérations. Le droit de concourir au vote
appartient personnellement à tous les souscripteurs, et
chacun d’eux n’a qu’une voix, quel que soit le nombre
d’actions qu’il a pu souscrire. Accorder autant de voix
que d’actions , c’eût été livrer le sort de la société aux
gros actionnaires , et mettre à leur discrétion ceux-là
même q u i, par la modestie de leur fortune , méritaient
d’être plus spécialement protégés.
Non-seulement la loi nouvelle n’a pas autorisé ce ré
sultat , mais elle l’a encore prévenu en empêchant que
les souscripteurs de plusieurs actions, dans le but d’élu
der la lo i, confient ces actions à des affidés transformés
ainsi en actionnaires , et qui viendraient voter dans le
sens qui leur aurait été indiqué.
�170
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
L’article 13, en effet, voit dans cet acte un double dé
lit , et punit de l’emprisonnement et de l’amende ceux
qui se présentant comme propriétaires d’actions qui ne
leur appartiennent pas , ont créé frauduleusement une
majorité factice , et ceux qui ont remis les actions pour
en faire l’usage frauduleux.
112. — Mais si dans la supputation du nombre des
volants les actionnaires ne comptent chacun que pour
une voix, il n ’en est plus de même lorsqu’il s’agit d’éta
blir la majorité en sommes. Il est nécessairement tenu
compte des actions souscrites par chaque votant, et c’est
sur leur ensemble que se calcule le quart du capital so
cial en numéraire. Les gros actionnaires trouvent là
l’influence qu’il était permis de leur accorder sur la cons
titution de la société.
113. — Si la valeur donnée à l’apport, si les avan
tages particuliers stipulés sont adoptés par le quart des
actionnaires représentant le quart du capital social, la
société est définitivement constituée et entre en cours
d’exécution.
Si l’une des deux majorités fait défaut , le projet so
trouve par cela même rejeté, et toutes les parties sont dé
liées de leurs engagements.
Ce résultat est une dérogation formelle au droit com
mun. En matière de contrats , en effet, le concours des
volontés rend l’engagement obligatoire, définitif, et l’une
des parties ne peut s’en délier sans le consentement de
�TITRE I ,
ART.
4.
.171
l’autre. Or les souscripteurs du pacte social peuvent l’an
nuler contre le vœu, contre la volonté du g éran t, nonseulement en votant dans l’assemblée contre les préten
tions de celui-ci, mais encore, nous venons de le dire, en
s’abstenant de se rendre à la réunion.
I ! 4 . — En réalité donc , quoique contracté pure
ment et simplement, l’engagement des souscripteurs d’ac
tions est essentiellement conditionnel, et son effet suborbonné à l’approbation soit des apports en nature , soit
des avantages particuliers. Si cette approbation est refu
sée, la condition ne se réalise pas et le contrat n’a jamais
eu d’existence légale, les signataires sont déliés. Ce qu’ils
avaient compté au moment de la signature doit leur être
restitué, ils ne contribuent à aucun frais : ceux d’étude,
de préparation, etc.. . ., restent à la charge de l’auteur
du projet.
N’était-ce pas là ce que commandait la nature des
choses. Sans doute chacuh doit réfléchir avant d é s e n
gager, s’assurer de la condition de celui avec qui il traite,
vérifier ses assertions et contrôler ses prétentions. Mais,
d’une part, prescrire cette prudence en matière de com
mandite par actions, c’était vouloir à peu près l’impos
sible, et condamner toutes les sociétés à échouer devant
d’interminables longueurs ; d’autre part, il s’agissait non
pas seulement de l’intérêt privé , mais encore de la for
tune publique que les désastres des sociétés frauduleuses
atteignent et blessent si profondément.
Que le fondateur puisse obtenir des adhésions à l’aide
�172
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
de prospectus promettant monts et merveilles, à l’aide de
promesses aussi pompeuses que peu fondées, soit. Mais,
comme correctif, il fallait que de tels engagements, ré
sultats de la surprise et de l’erreur, ne devinssent défi
nitifs et obligatoires qu’après une vérification qui à peu
près impossible pour chaque souscripteur en particulier,
devient fort praticable pour la généralité , et qui devait
être dès lors obligatoire et forcée.
1 S5. — Dans les délibérations qui suivent cette vé
rification , les actionnaires jouissent de la plus entière
liberté, de l’indépendance la plus absolue, même à l’en
droit de l’avis exprimé par les experts chargés de véri
fier et d’évaluer, soit les apports, soit les avantages par
ticuliers.
Il peuvent donc accueillir ou rejeter les conclusions
du rapport, accepter les prétentions du fondateur lors
que le rapport les repousse, les repousser lorsqu’il les
accepte. Le travail des experts n’est jamais qu’un avis
qui ne lie et ne saurait lier les intéressés.
1 Î6 . — L’assemblée générale, qui peut adopter ou
rejeter l’évaluation donnée à l’apport, peut-elle la mo
difier, la réduire, et la délibération de la majorité à ce
sujet lierait-elle la minorité ?
On pourrait à l’appui de l’affirmative invoquer l’a
dage : qui peut le plus peut le moins. L’assemblée au
torisée à accepter le chiffre donné par l’auteur de l’ap
port, ne saurait être à fortiori privée du droit d’en
�TITRE I , ART.
4.
173
fixer un moindre. C’est là, non point transiger, non pas
créer un nouveau contrat, mais user logiquement de la
faculté d’examen et d’appréciation, et substituer la vé
rité à l’erreur volontaire ou non.
Pour la négative on objecte que la loi ne donne à
l’assemblée générale qu’une mission unique, celle d’ac
cepter ou de repousser le chiffre donné à l’apport ; que
substituer à ce chiffre, un chiffre moindre, c’est changer
la base la plus essentielle de la société et lui enlever
peut-être toute chance de succès, et revenir sur une con
dition qui a déterminé l’adhésion des souscripteurs ;
qu’un acte de celte nature ne peut être obligatoire que
pour ceux qui y adhèrent ou l’acceptent.
Il est évident que le texte de l’article 4 incline vers
cette dernière opinion et s’emble n’admettre que la fa
culté d’approuver ou de rejeter sans autoriser aucun
terme moyen. Mais si on demande l’esprit de cette dis
position à la discussion législative, c’est pour l’opinion
contraire qu’on doit se prononcer.
1 1 7 . — En effet M. Javal proposait par amende
ment de faire suivre les mots de l’article 4 : à défaut
d’approbation, la société reste sans effets à l'égard de
toutes les parties, ceux-ci : à moins qu'elles ne se met
tent d'accord sur une évaluation différente.
La commission repoussait l’amendement comme inu
tile. Ce qu’il tend à introduire dans la loi, disait le rap
porteur, c’est une faculté qui évidemment est de droit
commun, et qui appartient, en matière de société com-
�174
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
manditaire comme en toute au tre, aux parties inté
ressées.
Rien, en effet, n’est plus certain, en matière de con
trats ordinaires, que la faculté pour les parties de dé
battre, de modifier, de réduire leurs prétentions respec
tives suivant ce que leur semblent comporter leurs con
venances ou leurs intérêts. Mais cette certitude est fon
dée précisément sur la présence des parties, sur leur
consentement précis et formel , constituant le concours
de volonté sur ce qui fait la matière du contrat.
Mais peut-il en être ainsi dans la commandite par
actions à l’égard des souscripteurs qui, présents ou non
à la délibération, refusent d’adhérer aux modifications
acceptées par les autres ? Où donc trouver chez les dis
sidents ce1concours de volonté qui seul peut constituer
l’engagement ? En l’absence de ce concours, n’est-il pas
évident que le contrat qu’on prétend leur imposer est
pour eux res inter alios acta et que, de droit commun,
on ne peut le leur opposer ?
1 1 8 . — C’est ce que M. Fabre relevait devant le
Corps législatif : « Je repousse l’amendement de M. Javal, disait-il, sans accepter le commentaire donné par
le rapporteur de la commission à l’article en discussion,
voici mes motifs :
» Il semble au premier abord que l’amendement a
voulu réserver aux actionnaires la faculté de former une
convention nouvelle lorsque les apports ou les avanta
ges stipulés n’ont pas reçu l’approbation de l’assemblée
�TITRE I , ART.
4.
175
générale convoquée dans ce but, mais si l’amendement
n’avait pas d ’autre portée il serait au moins inutile, car
il est manifeste, que les parties sont toujours libres de
modifier leurs conventions si tel est leur bon plaisir.
» Mais tant que la société n’est pas définitivement
constituée, le contrat conditionnel, le contrat primitif,
contenu dans la souscription, ne peut être changé sans
le consentement personnel du souscripteur. Or, qu’a rriverait-il si vous acceptiez le commentaire de l’hono
rable rapporteur? Bien rarement tous les actionnaires
sont présents à une assemblée générale chargée de vé
rifier les apports et de les approuver. Je suppose que les
absents ont souscrit des actions, ont voulu entrer dans
la société, à condition toutefois que les apports seraient
évalués et se trouveraient conformes aux indications
données par les fondateurs. Ils ont, en outre, nommé
des experts, constitué un tribunal chargé d’évaluer ces
apports; ce tribunal, ces experts viennent et ne donnent
pas à l’apport la valeur qui lui a été attribuée antérieu
rement , le contrat est brisé, il n’y a plus de convention.
» Il est donc impossible de maintenir dans la loi que,
à moins du consentement de tous les souscripteurs, il
ne pourra pas dépendre de certains d’entre eux d’éta
blir, entre les absents et ceux qui font les apports à la
société, un contrat nouveau, différent. »
i 19, — Le rapporteur de la commission répondait:
« Si l’évaluation est inférieure au chiffre déterminé par
les apporteurs , il n’y a vraiment besoin que du con-
�_______ -
176
LOI DE
. y--..- ■ .
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
sentement de ceux-ci pour faire un nouveau contrat, car
quant aux actionnaires, je parle des absents dont se pré- •
occupait tout à l’heure l’honorable M. Fabre, de quoi
peuvent-ils se plaindre ? Ils avaient accepté, et ils sem
blent encore accepter puisqu’ils sont absents, l’évalua
tion première exagérée ; ceux qui représentent le quart
du capital social sont considérés par la loi comme étant
leurs mandataires pour faire leurs affaires, dans leur
intérêt bien entendu, c’est-à-dire pour accepter une
évaluation qui les dégage, qui accroît en réalité le capi
tal numéraire, en diminuant la part que viendraient
prendre dans ce capital, sous forme d’actions, les ap
ports d’abord exagérés et qui ont été réduits à leur juste
valeur1. »
Ces raisons, il faut en convenir, étaient fort loin d’ê
tre concluantes. L’inexactitude des bases qui leur étaient
assignées était évidente. Les souscripteurs du pacte so
cial n’acceptent en rien les évaluations données à l’ap
port, puisqu’ils ne seront liés définitivement qu’après
vérification et approbation. Leur absence de l’assemblée
chargée de donner cette approbation, loin de les faire
considérer comme acceptant encore, fait au contraire
présumer qu’ils désertent la société, et c’est cette pré
somption qui, à défaut par l’assemblée de réunir le
quart des souscripteurs, détermine la nullité de la so
ciété.
La signature donnée à l’acte social renferme bien
1 Moniteur, 31 mai et 1er juin i 867.
�TITRE I ,
ART.
4.
177
l’engagement de subir la loi que la majorité indiquée
par la loi imposera, mais ne donne à personne le man
dat de gestion d’affaires. Dans tous les cas si mandat,
il est évident qu’il n’a et ne peut avoir qu’un objet:
l’acceptation ou le rejet de l’évaluation. Donc, lorsque
après avoir reconnu et constaté l’exagération, les présents
lui en substituent une autre, ils outrepassent leur man
dat et excédent leurs pouvoirs.
Mais de quoi se plaindraient les absents ? De quoi ?
De ce que traitant dans la supposition d’un capital d’un
million, par exemple, on les forcerait d’en accepter un
de cinq cent mille francs, lorsque peut être cette modi
fication enlèverait à la société les moyens de se suffire et
lui ferait perdre toute chance de succès.
Sans doute, la diminution de l’évaluation réduirait
d’autant la part que les apports viendraient prendre dans
le capital, mais le gain que les actionnaires feraient
sous ce rapport se compenserait avec la perte résultant
pour eux de ce que la chose qui faisait l’objet de la so
ciété ne vaudrait que cinq cent' mille francs au lieu d’un
million qu’on leur avait promis.
Dans tous les cas, lorsqu’il s’agit dans une société de
mesurer les pouvoirs donnés à l’assemblée générale, il
y a, disait l’honorable M. Marie, une idée fondamentale.
S’agit-il d’un acte d’administration, on comprend trèsbien comment une majorité peut faire loi, et par consé
quent enchaîner la minorité. Toutes les fois au contrai
re qu’il s’agit d’une chose fondamentale, d’une chose
constitutive de la société, de quelque chose de constitu-
�178
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
tionnel, dans ce cas la jurisprudence, et avant elle, la
raison, le bon sens ont toujours admis que la totalité
des actionnaires peut seule statuer.
En réalité donc, l’assemblée générale, qui modifie la
valeur des apports, consent une véritable transaction
pour laquelle les absents n’ont donné aucun mandat et
dont on ne saurait dès lors leur imposer l’autorité, d’au
tant moins que ses effets pourraient être funestes. Est-il
possible d’admettre qu’il est indifférent que la chose
mise en société vaille un million ou cinq cent mille
francs seulement, ne peut-il pas se faire que cette ré
duction ne soit plus en proportion avec les besoins réels
de la société et ne la condamne à échouer inévitable
ment dans un avenir plus ou moins prochain ?
Comme le faisait fort justement observer M. Marie, il
peut convenir à quelques actionnaires d’accepter une
société ainsi fondée, mais il peut convenir à beaucoup
d’autres de ne pas l’accepter ; il faut assurer à ceux-ci
le droit de se séparer d’une société qui, à leur sens,
n’est plus une société solidement fondée. Oui, il faut
qu’il en soit ainsi, autrement vous donnez à la simple
majorité le droit de faire, pour la minorité, un contrat
dont la minorité ne veut pas, dont elle a encore le droit
de ne plus vouloir ; et comment arrivez-vous là ? Par
une confusion de toutes les idées, en mettant de côté,
dans l’appréciation de la portée des pouvoirs concédés
aux assemblées générales, la distinction faite par la ju 1 Moniteur, 31 mai et 1er juin 1867
�TITRE I,
ART.
4.
179
risprudence entre ce qui est constitutionnel pour les in
térêts sociaux, et ce qui est purement administratif; pour
ce qui est constitutionnel, il faut faire appel à l’unani
mité des actionnaires. Eux seuls ont et peuvent avoir le
droit de modifier le contrat dans son essence '.
M. Marie se trompait, dans le système qu’il combat
tait, ce n’est pas la majorité qui imposait la loi à la
minorité, c’était au contraire la minorité qui enchaînait
la majorité, puisque le quart des actionnaires et du ca
pital numéraire liait définitivement les autres trois quarts
en nombre et en sommes, ce qui donnait à ce système
un caractère hautement anormal.
120. — C’est cependant en sa faveur que se pro
nonce le Corps législatif, non-seulement en repoussant
l’amendement Javal comme inutile, mais encore en re
jetant le renvoi de l’article à la commission que deman
dait M. Marie, afin que la commission, dans une rédac
tion nouvelle, dise que, lorsque l’assemblée générale
aura à voter, elle ne pourra le faire dans ce cas et pour
cette situation fondamentale, qu’autant que tous les ac
tionnaires auront été appelés, eux seuls pouvant décider
si, au moins à leur égard, la société sera maintenue ou
non.
Ce double résultat fixe le sens que le Corps législatif
donnait à l’article 4, et ne permet pas de douter que la
modification de l’apport, votée par la majorité requise,
1 Moniteur, 31 mai et 1er juin 1867.
�180
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ne lie tous les actionnaires et n ’entraîne la constitution
régulière de la société.
1 2 t. — Tel n’est pas l’avis de M. Yavasseur. Cet
honorable jurisconsulte rappelant le principe invoqué
par M. Marie, pense que la majorité ne peut lier la mi
norité que dans les actes d’administration ; que si elle
peut, sous certain rapport et dans certaines limites as
sez étroites, modifier les statuts sociaux, ce n’est que
lorsque la société est constituée ; mais qu’à l’origine
même et alors qu’il s’agit de former le contrat, il faut
l’assentiment unanime ; que sans doute la loi aurait pu
conférer à l’assemblée générale le pouvoir d’accepter une
modification dans le chiffre des apports ou des avanta
ges parliculiers, mais elle aurait dû s’expliquer formel
lement, et elle ne l’a point fait ; que cette explication ne
saurait résulter de la discussion législative, qui n’offre
qu’un débat très-long, très-confus, où l’on peut puiser
des arguments pour et contre la solution qu’il adopte,
et qui, même jiour l’esprit le plus attentif, a laissé la
question indécise et controversée.
En conséquence, M. Yavasseur conclut: qu’en cas de
refus d’approbation, la société ne peut se constituer que
du consentement unanime , non pas seulement des
membres de l’assemblée, mais de tous les actionnaires
sans distinction '.
1 2 2 . — Nous croyons avec M. Yavasseur que c’est
4 Commentaire de la loi de 1867, n01 67 et suiv.
�TITRE I , ART.
4.
181
en effet ce que la loi aurait dû consacrer. Mais est-ce là
ce qu’elle a consacré, de telle sorte que les tribunaux
puissent annuler la société si la modification aux apports
n’est votée que par la majorité de l’assemblée ?
Il nous paraît impossible de l’admettre ainsi. Les tri
bunaux ne sont appelés qu’à appliquer la loi, et pour
juger de l’interprétation qu’ils doivent lui donner, fautil bien qu’ils s’en réfèrent à la discussion législative.
Or, que celle de l’article 4 ait été longue, même quel
que peu diffuse, qu’elle ait offert des arguments pour et
contre, c’est ce qui pouvait et devait nécessairement ar
river. On comprend donc que, suivant qu’ils raison
naient dans un sens ou dans l’autre, les membres du
Corps législatif aient interprété la loi diversement.
Mais si MM. Fabre, Marie, Ernest Picard, donnaient
à l’article la signification adoptée par M. Vavasseur, le
rapporteur, le commissaire du Gouvernement étaient si
précis, si formels en sens contraire que M. Javal était
autorisé à demander pourquoi ils n’acceptaient pas sa
rédaction puisqu’elle était si conforme à leur pensée ; à
quoi le rapporteur répondait que si, dans le texte de la
loi, on voulait prévoir toutes les difficultés possibles, la
rédaction des lois serait interminable'.
Que le Corps législatif ait accepté la loi dans le sens
que lui donnait le rapporteur et le commissaire du Gou
vernement, c’est ce dont il n’est pas permis de douter,
surtout en présence du refus de renvoyer l’article à la
* Moniteur, 31 mai et 1cr juin 1867.
�182
LOI DE
1867
SCR LES SOCIÉTÉS
commission dans le but qu’indiquait M. Marie. Ce refus,
en effet, prouve évidemment que l’article 4 n’exige pas
que la modification soit acceptée par l’ùnanimilé, puis
que le renvoi n’avait pas d’autre objet que de faire con
sacrer cette exigence.
Conséquemment, le jugement ou l’arrêt qui, à défaut
de cette unanimité, annulerait la société, violerait la loi
et n’échapperait pas à la censure de la cour de Cassation.
:m;ï
1 r*-" H
123.
— Nous venons de dire que dans les deux
assemblées qui ont pour objet la constitution de la so
ciété, le droit de voter appartient à tous les actionnaires.
La seule exception consacrée par la loi concerne ceux
qui font l’apport en nature, ou qui ont stipulé en leur
faveur des avantages particuliers.
Cette exception se justifie d’elle-même, La raison et
le bon sens ne permettaient pas d’associer au contrôle
exigé par la loi ceux-là même qui ont le plus grand in
térêt à écarter tout contrôle. Juges et parties dans leur
propre cause, on pouvait être assuré d’avance qu’ils n’o
béiraient qu’à cet intérêt. Il eût été immoral de leur
reconnaître la faculté par leur suffrage, de faire pencher
la balance en leur faveur.
Au reste, ce que la loi leur refuse, c’est uniquement
et exclusivement voix délibérative. Ils peuvent donc as
sister à l’assemblée, prendre part à la discussion, redres
ser les erreurs des experts, donner tous les renseigne
ments qui peuvent éclairer les actionnaires présents et
les mettre à même de voter avec connaisssance de cause.
�TITRE I ,
A.11T.
4.
m
124.
— A leur tour les précautions ordonnées par
notre article comportent exception. Aux termes du der
nier paragraphe de l’article 4, les dispositions relatives
à la vérification de l’apport qui ne consiste pas en nu
méraire, ne sont pas applicables au cas où la société à
laquelle est fait ledit apport est formée entre ceux seu
lement qui en étaient propriétaires par indivis.
Ainsi, une société en nom collectif ou en commandite
simple, se transforme en commandite par actions et les
associés souscrivent et se distribuent la totalité de ces
actions. Que le capital social consiste en un brevet d’in
vention, en une usine, en une mine, à quoi bon une vé
rification lorsque ceux qui devraient la faire sont préci
sément ceux qui ont adopté l’évaluation qu’il s’agirait de
contracter.
Aussi , le rapporteur , disait-il avec raison , il n’y a
pas là d’actionnaires appelés et qui, trompés par de
fausses apparences, acceptent en aveugles des apports ou
des stipulations qu’ils n ’ont ni connus ni contrôlés. L’ab
sence d’approbation tient donc uniquement à l’absence
même de l’élément intéressé à exercer le contrôle.
Cependant on peut craindre que les associés qui, le
plus ordinairement, ne se chargeront des actions que
pour les négocier, aient, dans un intérêt facile à com
prendre, exagéré à dessein le capital que ces actions re
présentent, et trompent ainsi ceux qui en deviendront
cessionnaires. Il est à craindre, pensait la commission,
que cette combinaison n’ait été adoptée que pour échap
per à toute vérification et jeter sans entrave sur le mar-
�184
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ohé des actions , trompeuses au lendemain même de la
constitution de la société. Elle proposait donc de limiter
l’exception au cas où les associés, conservant les actions,
ne feraient pas appel à une souscription publique en
mettant ces actions en circulation.
Le conseil d’Elat repoussa cette proposition comme
empreinte d’un sentiment exagéré de prévention, comme,
renfermant une restriction dont, les limites précises
étaient difficiles à déterminer. En effet, si l’appel au pu
blic par voie de prospectus de la part des fondateurs est
suspect au lendemain de la société, en sera-t-il de mê
me six mois, un an plus tard ? Que faudra-t-il enten
dre par souscription publique ? La fraude que redoute
la commission, si elle existe, pourra être poursuivie;
mais il ne faut pas l’oublier, la fraude ne se présume
pas, et il est impossible, sous prétexte qu’elle pourra se
servir de l'exception pour tourner les prohibitions de la
loi, de condamner des intérêts loyaux et respectables.;! ne
point user des facultés de droit commun.
Ces observations du conseil d’Etat étaient rationnelles
et justes, elles convainquirent la commission et la déter
minèrent à abandonner sa proposition. Sans doute, la
crainte qui l’avait inspirée peut se réaliser. Blais quelle
est l’institution humaine qui ne puisse dégénérer en
abus, et dans la prévision de cet abus faudra-t-il trai
ter ces institutions en suspects et les entourer de précau
tions de nature à empêcher, non pas seulement leur dé
veloppement, mais encore leur création elle-même.
�TITRE I ,
ART.
4.
185
S2 5 . — On devait donc pour ce cas s’en référer aux
principes généraux, d’autant plus que l’article 4, allant
même au delà de ce qui était nécessaire, a réservé l’ac
tion de dol ou de fraude dans l’hypothèse où ses dispo
sitions précautionnelles étant applicables , l’assemblée
générale a approuvé l’apport ou les avantages parti
culiers.
Cette réserve n’est que la conséquence du principe
que le dol ou la fraude fait exception à toutes les règles
et amène la résolution du contrat quel qu’il soit. Il ne
pouvait en être autrement dans l’hypothèse dont la
commission se préoccupait. La fraude prouvée, la ces
sion d’action devenait nulle et de nul effet. Ce principe
qui garantit le public dans tous les actes de la vie com
mune, le garantit suffisamment dans cette occurrence.
A rt. 5.
Un conseil de surveillance composé de trois
actionnaires au moins , est étsbli dans chaque
société en commandite par actions.,
Ce conseil est nommé par l’assemblée géné
rale des attionnaires immédiatement après la
constitution définitive de la société et avant toute
opération sociale.
il est soumis à la réélection aux époques et
suivant les conditions déterminées par les statuts.
Toutefois le premier conseil n’est nommé que
pour une année.
�186
LOI DE
1867
A
SDK LES SOCIÉTÉS
r t
. 6.
Ce premier conseil doit, immédiatement après
sa nomination, vérifier si toutes les dispositions
contenues dans les articles qui précèdent ont été
observées.
SO M M A IR E
126.
127.
128.
129.
130.
131.
132.
133.
134.
135.
136.
137.
138.
Ancienneté de l ’institution des conseils de surveillance. Mo
tifs qui l’avaient recommandée.
Abus qu’on en faisait avant 1856.
Précautions prises successivement par les législateurs de
1856 et de ,1867.
Le conseil ne peut être pris que parmi les actionnaires. Mo
tifs de l’exiger ainsi.
Le nombre de cinq exigé par la loi de 1856 , est réduit à
trois par celle de 1867. Conséquences.
En cas de démission ou de décès d’un des membres, le gé
rant doit-il interrompre ou suspendre les opérations jus
qu’après remplacement ?
Peut-il exister de commandite par action, s’il y a moins de
trois actionnaires outre le gérant. Opinion pour la néga
tive de MM. Mathieu et Bourguignat.
Opinion contraire de M. Vavasseur ; doit être préférée;
motifs.
Arrêt de la cour d’Aix dans ce sens.
Le choix du conseil de surveillance appartient à l’assemblée
générale.
Limite portée à la liberté du choix.
Nécessité de remplacer le membre qui aurait vendu ses ac
tions ; précautions ordinairement consacrées par les sta
tuts.
Légalité de la clause exigeant que les actions des membres
�TITRE I, ART. 5 ,
139.
140.
141.
142.
143.
144.
145.
146.
147.
148.
149.
150.
151.
152.
153.
154.
6.
187
du conseil restent inaliénables pendant toute la durée de
leurs fonctions.
Quid, de celle qui exige la possession d’un certain nombre
d’actions pour être appelé au conseil de surveillance ?
Si cette clause est obligatoire, l ’acceptation des fonctions de
membre du conseil équivaut à la souscription tacite du
nombre d’actions exigé.
Epoque à laquelle le conseil doit être nommé , s’il existe
des apports en nature ou des avantages particuliers.
Dans le cas contraire , à qui appartient le droit de convo
quer l ’assemblée.
Quel est le caractère de la mission que remplit le conseil de
surveillance ? Nature de sa réélection.
La réélection du conseil fixée par la loi de 1856 à chaque
période de cinq ans s’opposait-elle à ce que les action
naires le changeassent plus tôt.
La loi de 1867 laisse aux statuts à fixer l’époque de la ré
élection. Exception pour le premier conseil.
Les membres sont toujours rééligibles.
Mais ils ne peuvent déléguer leurs fonctions.
Caractère de l’article 6 ; but qu’il s’est proposé.
Sa disposition se trouvait implicitement dans la loi de 1856*
L'article 6 a d’abord le mérite de dissiper le doute que le
silence de cette loi autorisait.
Celui de préciser ensuite le conseil qui répond de la contra
vention à ses dispositions. Devoir du premier conseil.
Ce que doit être la vérification qui lui est imposée. Juris
prudence avant 1867.
Le conseil peut-il suppléera la négligence du gérant et
prévenir ainsi la nullité de la société ?
Dans quels cas?
! 2 6 . — L’institution des conseils de surveillance
près des sociétés en commandite par actions n ’est pas
�188
LOI DE 1 8 6 7
SUU LES SOCIÉTÉS
de date récente. La loi de 1856 ne l’avait pas créée,
elle n’avait fait que confirmer une pratique bien anté
rieure à sa présentation.
En effet, on n’avait pu, dans aucun temps, équivoquer sur l’étendue des pouvoirs du gérant. Seul en nom
dans la société , seul indéfiniment tenu sur tous ses
biens, on ne pouvait pas ne pas lui reconnaître la liberté la
plus entière, la plus absolue dans l’administration d elà
société, et moins encore subordonner cette administra
tion à des inspirations étrangères. Le législateur l’avait
si bien compris, qu’à toutes les époques il avait prohibé
aux commanditaires toute immixtion dans les opéra
tions, sous peine de devenir obligés solidaires avec le
gérant et comme lui tenus sur tous leurs biens.
Cette omnipotence nécessaire du gérant, l’éloignement
et l’abstention forcés des commanditaires laissaient la
société exposée à. tous les inconvénients, à tous les dan
gers que pouvaient lui susciter l’incapacité ou l’infidélité
du gérant, en rendaient la ruine possible avant même
que les intéressés fussent à même de la connaître et d’y
remédier. Ce qu’un pareil état des choses pouvait entraî
ner, c’était une juste méfiance, un obstacle à la création
des sociétés, rien ne devant autant répugner à tout hom
me prudent et avisé que l’obligation de livrer son ar
gent sans possibilité d’en surveiller , d’en contrôler
l’emploi.
Cette conséquence n’avait pas manqué de frapper la
spéculation et de lui démontrer l’indispensable nécessité
de faire, en apparence du moins, disparaître l’obstacle.
�TITRE I, ART. 5 , 6 .
189
Aussi, et toutes les fois qu’il s’agissait d’une comman
dite par actions, les prospéclus qui faisaient appel à la
confiance publique, plaçaient-ils les opérations futures
sous la garantie d’un conseil de surveillance, chargé
d’éclairer et de contrôler les actes du gérant.
127.
— Ce qui donne la mesure de la subtile habi
leté de la fraude, c’est que cette institution, réellement
utile, et qui semblait devoir conjurer tout danger, était
venue précisément ajouter à sa gravité. Le gérant, qui
seul composait le conseil de surveillance, en avait fait
un piège, une amorce aussi dangereuse que perfide, il
présentait les noms les plus honorables, les plus retentisssanls, les plus dignes d’inspirer la confiance quoique
ils fussent étrangers à la société, et souvent même à l’in
su des personnes et sans les consuller; et c’est ainsi
que l’absence de toute responsabilité aidant, soit par
complaisance, soit par ignorance, soit par faiblesse, ces
conseils de surveillance ne surveillaient rien et n’exis
taient réellement que sur les statuts sociaux.
Que pouvaient-ils faire d’ailleurs ? Le plus souvent
leurs membres étaient étrangers à la société et ce défaut
d’intérêt dans l’opération n’était pas de nature à comman
der une bien vive sollicitude.
Pour les membres qui étaient actionnaires la position
était plus délicate encore. Rien dans la loi ne détermi
nait le caractère et l’étendue de leurs fonctions, ils avaient
donc à redouter qu’on ne vit dans leurs actes l’im
mixtion qui leur était interdite sous peine d’être solidai-
�190
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
renient tenus, et la crainte de trop faire les forçait en
quelque sorte à ne rien faire.
'
*
J ;
128. — Le législateur de 1856, appréciant cet état
des choses comme il devait l’être, avait pris les mesures
qui lui paraissaient le plus convenables pour rendre à
l’institution toute son utilité. En déterminant les attribu
tions du conseil de surveillance, il a rassuré et garanti
les membres contre le reproche d’immixtion et contre les
conséquences attachées à celle-ci ; en confiant la nomi
nation à l’assemblée générale et en limitant le choix aux
actionnaires eux-mêmes, il a prévenu l’emploi de ces
noms retentissants qui n’était qu’un piège ; enfin en
édictant les cas de responsabilité , il a pris une sage etutile précaution- contre la négligence ou la violation des
devoirs qu’il imposait.
La loi de 1867 ne pouvait que suivre ces errements,
et s’éclairant de la pratique, maintenir ce qu’elle avait
accepté, modifier et corriger ce qu’elle avait signalé
comme défectueux ou trop sévère. De là les dispositions
des articles 5 et suivants.
1 2 9 . — L’article 5 continue à exiger un conseil de
surveillance près de chaque commandite par actions, à
prescrire que les membres ne puissent en être pris que
parmi les actionnaires, ce qui était rationnel.
En effet, plus les membres du conseil auront intérêt
au succès des opérations et plus il est présumable qu’ils
s’acquitteront de leur mission avec tout le soin et le zèle
�TITRE I, AR'JJ. 5 , 6 ,
1 94
qu’elle exige. Dès qu’en agissant pour tous ils agiront
dans leur intérêt propre, leur surveillance et leur con
trôle en seront d’autant plus actifs, d’autant plus sé
rieux.
Avouons cependant que jusqu’à présent les prévisions
du législateur à ce sujet ne se sont guère réalisées. Les
nombreux procès intentés aux conseils de surveillance
des sociétés qui ont succombé, les condamnations dont
elles ont été quelquefois suivies viennent le démontrer.
Etait-ce là le résultat de l’importance et de l’étendue de
la mission que leur confiait la loi de 1856 ? Faut-il n’y
voir que l’effet de cette confiance aveugle des sociétai
res dans la personne du gérant? C’est ce que l’expé
rience des modifications introduites par la loi nouvelle
nous apprendra.
150. — La loi de 1856 fixait à cinq le nombre mi
nimum des membres des conseils de surveillance. La loi
de 1867 réduit ce nombre à trois.
Nous ne pouvons que répéter ce que nous disions à
ce sujet dans notre C o m m e n ta ir e d e la l o i d e 1856. Le
conseil ne pouvant se composer et agir régulièrement audessous de ce nombre, il est évident que l’absence ou
l’empêchement d’un seul le condamnera à l’inaction ;
qu’en cas de démission ou de décès il devra être immé
diatement procédé à une nomination nouvelle, et l’on
sait avec quelle difficulté ou réunit les assemblées gé
nérales.
La prudence conseille donc de porter les membres du
�■----------------------------------------------------------------------------------------------
.
192
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
conseil à un chiffre tel que dans tous les cas les plus
ordinaires ils puissent se réunir au nombre de trois, et
que sans inconvénients on puisse renvoyer les nomina
tions rendues nécessaires par les vacances survenues à
l’assemblée annuelle que la loi va bientôt prescrire.
151. t*- L’intention de la loi, de ne pas autoriser
la société à agir à quelque époque que ce soit sans con
seil de surveillance régulièrement organisé et en plein
exercice de ses fonctions, est évidente. Faut-il en conclure
que si par démission, par la perte de la qualité d’associé
ou par décès, le conseil n’est plus en nombre , la s o
ciété sera obligée de s’arrêter et de suspendre ses opéra
tions en cours d’exécution jusqu’à ce que ce nombre ait
été complété?
Nous persistons dans la solution négative que nous
avons adoptée dans notre Commentaire de la loi de
1856 et qui a été généralement admise.
Il est facile de nè commencer les opérations sociales
qu’après l’organisation régulière du conseil de surveil
lance. Le seul inconvénient qui puisse en naître, c’est
un retard que le gérant aura toujours le moyen d’éviter
et convoquant s’il y a lieu l’assemblée générale immé
diatement et sans délai.
Mais une fois commencées , les opérations commer
ciales veulent être suivies, la moindre interruption en
compromettrait le succès et pourrait occasionner à la so
ciété un préjudice considérable. Il n’est pas possible
d’admettre que le législateur, qui n’a eu qu’un but, ce-
�TITRE I , ART.
5, 6.
193
lui de protéger les associés, ait entendu les exposer à ce
préjudice.
Donc on ne saurait, de ce qu’il défend de commencer
les opérations avant qde le conseil de surveillance ait été
organisé, conclure qu’il a entendu prescrire de s’arrêter,
d’interrompre les affaires en cours d’exécution. Autre
chose est de ne pas commencer les opérations, autre chose
de les interrompre et de les suspendre après les avoir
commencées. On ne saurait donc les confondre, et il
n’est pas besoin de démontrer qu’en prescrivant l’une
le législateur n’a, ni prescrit ni voulu prescrire l’autre ;
autant l’une peut être favorable , autant l’autre serait
bien souvent désastreuse.
Pourquoi d’ailleurs en courir la chance lorsque d’une
part il. ne peut s’agir que d ’un temps assez court, puis
que le gérant et les membres restant du conseil de sur
veillance engageraient leur responsabilité si, négligeant
de faire pourvoir immédiatement aux nominations deve
nues nécessaires, ils exposaient la société à être annu
lée ; lorsque d’autre part le conseil reconstitué portera
son attention sur les actes accomplis dans ce que nous ap
pellerons l’interrègne,et pourra ainsi découvrir et signaler
les fautes ou les fraudes que le gérant aura pu commettre.
1 3 2 . — Les sociétés en comandite par actions ne
pouvant subsister sans conseil de surveillance, et celui-ci
devant se composer de trois actionnaires au moins,
qu’arrivera-t-il si toutes les actions se trouvant aux
mains d’un ou de deux intéressés, la société ne compte
pas le nombre d’associés exigés par la loi ?
�194
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
MM. Mathieu et Bourguignat estiment que des exigen
ces de la loi, relativement au nombre des membres du
conseil de surveillance, résulte la prohibition expresse
pour toute commandite par actions de se constituer avec
moins de trois actionnaires outre le gérant1.
153. — M. Vavasseur considère cette opinion com
me inadmissible. Il l’accuse d’ajouter à la loi une ri
gueur déraisonnable. Le législateur ne s’est préoccupé
que de eo quod plerumque fit, il n’a ni prévu ni pu pré
voir ce cas, et moins encore le prohibera.
Nous croyons, en effet, que la doctrine de MM. Ma
thieu et Bourguignat ne se légitime ni par le texte, ni par
l’esprit de la loi.
Il est évident qu’en exigeant que le conseil de sur
veillance soit composé de trois membres, le législateur
s’est placé dans l’hypothèse où la société compterait un
certain nombre d’actionnaires. Aussi, défère-t-il la noproposition à l’assemblée générale, ee qui prouve notre
proposition de la manière la plus irréfragable.
Mais s’il n’y a qu’un seul, que deux intéressés, il n’y
a de possible, ni assemblée générale, ni conseil de sur
veillance. Cela empêchera-t-il qu’en fait il existe une
société en commandite, et que son capital ait été divisé
en actions.
Où serait la raison qui empêcherait cette société de se
constituer et de commencer ses opérations ? Est-ce que
�TITRE I , ART.
5,
6.
195
les parties n’étaient pas libres de donner à leur société
la forme qu’elles jugeraient la plus convenable, d’en di
viser le capital en actions ? Y a -t-il là quelque chose
d’illégal ou d’immoral que la loi puisse et doive pro
hiber ?
Mais le nombre des actionnaires ne permet pas de
remplir les prescriptions de la loi à l’endroit du conseil
de surveillance ; qu’importe si en réalité on ne se trouve
pas dans le cas pour lequel ces prescriptions ont été
sanctionnées?
Or, le but que s’est proposé le législateur par les pré
cautions édictées par l’article 5, a été de protéger le pu
blic contre les spéculateurs qui abusaient audacieuse
ment de sa confiance. S’il défère a quelques actionnai
res la surveillance et le contrôle des opérations, c’est que
le grand nombre de ces actionnaires rendait impossible
pour chacun d’eux personnellement ce contrôle et cette
surveillance.
Mais si au lieu de faire appel au public la société se
constitue avec ses propres fonds, s’il n’y a qu’un seul
commanditaire, n’a-t-il pas le moyen et le devoir de se
protéger lui-même, de surveiller et de contrôler l’emploi
de ses fonds? On se trouve donc naturellement en de
hors de l’hypothèse, que les lois de 1856 et de 1867
ont entendu régir, et leur application ne serait plus qu’un
effet sans cause.
Nous estimons donc qu’on ne saurait contester la lé
galité d’une société en commandite qui n’aurait qu’un
nombre, d’associés inférieur à trois. Sa nullité, pour la-
�196
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
quelle se prononcent MM. Mathieu et Bourguignat, cons
tituerait une exception considérable au principe de la li
berté des conventions. On ne saurait dès lors l’admettre
que si la loi l’avait expressément et formellement édictée,
et nous venons de voir que loin de la consacrer, la loi
de 1867, comme celle de 1856, la repousse par son
esprit et par son texte.
D’ailleurs, dans l’hypothèse que nous examinons,
tant que les actions resteront en mains de l’associé uni
que, la société n’a, de la commandite par actions, que
le nom, elle est en réalité une commandite simple, elle
ne perdra ce caractère que du jour où la négociation
des actions les répandant dans le public, multipliera le
nombre des intéressés. Dès ce jour aussi l’institution
d’un conseil de surveillance deviendra nécessaire et
faute d’y pourvoir, la nullité d elà société pourrait être
poursuivie et prononcée.
154. — L’hypothèse d’un associé unique possédant
toutes les actions de la société parait une chimère'. Elle
s’est réalisée cependant dans les circonstances suivantes:
Une société qualifiée de commandite par actions avait
été formée à Marseille. Les associés n’étaient qu’au nom
bre de deux : le sieur Pascal, gérant, et le sieur Pecoul,
commanditaire ayant souscrit toutes les actions.
A la mort de ce dernier , ses héritiers poursuivent la
nullité de la société. Ils fondent cette nullité entre autres
sur ce que, contrairement aux prescriptions de la loi de
1856, aucun conseil de surveillance n’existe.
�TITRE I ,
ART. 8 ,
6.
197
Le tribunal de commerce de Marseille maintient la
société. Il repousse le moyen tiré de la violation de la loi
de 1856, par les motifs suivants :
« Attendu que la société Pascal et Cie n’a compris d’a
bord que deux personnes ; que les actions sont nomi
natives; qu’aucun transfert n’a été dénoncé au gérant ;
que la société se réduit encore à ses deux souscripteurs
primitifs, l’hoirie Pecoul étant encore indivise ; que dans
cet état il n’a pas été possible d’exécuter la loi précitée
dont l’article 5 exige que le conseil de surveillance soit
composé de cinq actionnaires au moins ;
» Attendu qu’on ne saurait faire résulter de cette im
possibilité, que l’existence de la société Pascal et Cie, telle
que cette société se trouve constituée, est en contradic
tion avec la loi , car ce serait admettre que cette loi a
prohibé les sociétés en commandite paradions de moins
de cinq personnes ; que cette interdiction ne pourrait
être imposée que par un texte formel; que telle n’a pas
été l’intention du législateur qui n’a eu d’autre but que
de protéger les actionnaires membres d’une société en
commandite; que lorsqu’il n’y a qu’un seul comman
ditaire, il n’a pas besoin d’être représenté par le conseil;
qu’il peut exercer lui-même et directement la surveil
lance à laquelle il est intéressé; que les dispositions in
voquées de la loi du 17 juillet 1856 recevraient donc une
fausse application si. on leur faisait régir le cas de ce
procès pour lequel elles n’ont pas été faites. »
Les héritiers Pecoul se pourvurent par appel; mais,
�198
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
par arrêt du 18 novembre 1857, la cour d’Aix confirme
le jugement avec adoption des motifs1.
On ne saurait, à notre avis, méconnaître ou contester
le caractère juridique de cette décision. Rendue sous
l’empire de la loi de 1856, elle n’a rien perdu de ce ca
ractère depuis la loi nouvelle. De même que la premiè
re, celle-ci n’a eu qu’un but dans l’exigence d’un conseil
de surveillance, celui de protéger l’intérêt public lui-mê
me en veillant à celui des commanditaires nombreux qui
sont ordinairement intéressés dans la société. Dès lors,
lorsqu’une opération se concentre entre quelques per
sonnes ; lorsqu’elle ne demande au public ni son con
cours ni sa confiance , on ne saurait lui appliquer des
dispositions oui évidemment ne la concernent pas. Ces
sante causa cessât effectus.
135. — Comme celle de 1856, la loi de 1867 défère
à l’assemblée générale le choix et la nomination du con
seil de surveillance. Cette nomination laissée au fonda
teur rédacteur des statuts, offrait un danger qu’il était
prudent de prévenir. L’intérêt de celui-ci est de rencon
trer dans le conseil de surveillance »bien moins un contrôle sérieux et actif qu’une’ complaisante bienveillance.
Son choix, alors même qu’il se fût porté sur des action
naires , devait nécessairement se ressentir de cet intérêt,
et se diriger sur ceux qui, par leur position ou leur qua
lité, faisaient espérer le plus de dévouement.
�Cet inconvénient disparaissait dès que ce choix était
confié aux actionnaires eux-mêmes. On avait d’autant
moins à hésiter, que ce parti était en quelque sorte com
mandé par la raison et la logique. Puisque le conseil
devait contrôler les actes du gérant et surveiller les opé
rations dans l’intérêt des actionnaires, il était naturel de
laisser à ces actionnaires exclusivement le soin de choi
sir ceux qu’ils voulaient investir de leur confiance , et
qu’ils considéraient comme les plus capables et les plus
dignes de la mission qu’il s’agissait de leur déférer. Per
mettre an contrôlé de choisir les contrôleurs, c’était man
quer à toutes les règles de la prudence, et fermer l’oreille
aux enseignements du plus simple bon sens.
156. — La faculté de choisir les membres du con
seil de surveillance est entière et absolue. La seule limite
qu’elle ait reçue dans son exercice est de ne pouvoir se
porter que sur un actionnaire. Il est évident que l’intérêt
personnel qu’on a dans le succès de la société offrait la
garantie que la surveillance serait active et sérieuse. Les
membres du conseil agissant dès lors dans leur intérêt
propre autant que dans celui des autres actionnaires de
vaient , par cela même , se montrer plus exacts et plus
sévères dans l’accomplissement de leur mission.
Indépendamment de cet avantage , l’exigence de la
qualité d’actionnaire en avait un autre non moins pré
cieux , celui d’empêcher l’emploi de ces noms retentis
sants qui n’étaient qu’une enseigne trompeuse , qu’un
piège dangereux pour la confiance publique ; qui , sans
�200
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
intérêt dans la société , laissaient les choses suivre le
cours que le gérant leur imprimait, et disparaissaient le
jour du naufrage.
15 7 . — En présence du texte et de l’esprit de la loi,
il n’est pas douteux que les membres du conseil de sur
veillance ne doivent, à toutes les époques, avoir et con
server la qualité d’actionnaires. Celui-là donc qui ven
drait toutes ses actions et n’aurait ainsi plus d’intérêt à
la société, perdrait de plein droit la qualité de membre
du conseil et devrait être immédiatement remplacé. On
comprend dès lors combien l’existence légale du conseil
peut se trouver compromise, et combien souvent peut se
présenter la nécessité de le réorganiser ou de le com
pléter.
Cette éventualité pouvant susciter des difficultés et des
obstacles, a naturellement inspiré la pensée de la préve
nir. En conséquence , il n’est pas rare de trouver dans
les statuts sociaux des clauses portant que nul ne pourra
être membre du conseil de surveillance, s’il ne possède
un nombre d’actions déterminé, et qui resteront attachées
à la souche pendant tout le temps que leur propriétaire
fera partie de ce conseil.
138.
— La légalité de cette dernière clause n’est pas
contestable. Vainement l’accuserait - on d’immobiliser
une partie de la fortune de l’actionnaire. En effet, sa li
berté d’en disposer n’est ni méconnue ni atteinte. Le jour
où il lui plaira d’en user, il le pourra en se démettant
de ses fonctions de membre du conseil de surveillance.
�TITRE I , ART.
5,
6.
201
Sans danger aucun pour l’actionnaire, la clause offre
pour la société cet avantage, de ne pas permettre au gé
rant d’ignorer cette démission et de le mettre en état et
en demeure de faire immédiatement procéder à une no
mination nouvelle si cette démission- réduit le conseil au
dessous du nombre règlementaire. Si le retard apporté
à ce remplacement motivait la nullité de la société pour
insuffisance du conseil, le gérant et même les membres
restants du conseil de surveillance serait et pourraient
être déclarés responsables des conséquences de cette nul
lité.
139.
— La clause exigeant la possession d’un cer
tain nombre d’actions pour être éligible au conseil de
surveillance, nous paraît plus difficile à justifier. Ne mé
connaît-elle pas en effet la liberté et l’indépendance ab
solues que l’assemblée générale est en droit d’exiger ?
Ne livre-t-elle pas le conseil de surveillance aux plus ri
ches, aux plus puissants actionnaires? N’exclura-t-elle
pas de ce conseil ceux-là même qui auraient plus de mo
yens d’être utiles, et seraient plus capables d’en remplir
les fonctions.
Dira-t-on que l’intérêt du possesseur d’un certain
nombre d’actions étant plus considérable, sa surveillance
et son contrôle en seront plus actifs, plus sérieux ?
Nous répondrions qu’en cette matière surtout, tout est
relatif. La possession d’une action peut être pour celuici d’un intérêt plus réel, plus considérable que ne le se
rait pour celui-là la possession de vingt, de trente ac-
�202
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
tions. D’ailleurs , si les plus riches actionnaires sont le
plus intéressés, ils ne seront pas toujours les plus capa
bles, les plus actifs surveillants, parce que, absorbés par
leurs propres affaires, ils ne pourront donner à celles de
la société tout le temps qu’elles exigeraient.
Le législateur de 1836 s’était inspiré de ces idées. En
effet, la proposition d’exiger que , pour être élu au con
seil de surveillance, on possédât un certain nombre d’ac
tions, surgit dans la discussion au Corps législatif ; mais
cette proposition ne fut pas acceptée même par la com
mission. On observait, en effet, que fixer la part des
membres du conseil à un chiffre trop faible, c’était s’ex
poser à rendre la précaution illusoire ; que l’élever trop
haut c’était se priver d’un concours utile ; qu’il suffisait
donc de n’imposer à l’assemblée générale d’autre con
dition que celle de choisir parmi les actionnaires.
Les statuts pourront-ils faire ce que la loi a formelle
ment refusé de faire? MM. Mathieu, Bourguignat et Vavasseur adoptent l’affirmative. Ici, comme ailleurs, di
sent-ils , la liberté des conventions doit être respectée,
dès que la loi n’est pas intervenue pour la restreindre.
Mais n’est-ce pas une restriction que le rejet de la
proposition exigeant précisément ce que les statuts vont
exiger ; et parce qu’elle figurera dans les dispositions de
ceux-ci au lieu de figurer dans la loi, la condition aurat-elle perdu son caractère ? Si la part des membres du
conseil est fixée à un chiffre trop faible, s’exposera-t-on
moins à rendre la précaution illusoire ? Si elle est élevée
trop haut, privera-t-on moins la société d’un concours
�TITRE I, ART.
5, 6.
203
utile ? Donc , si les inconvénients sont les mêmes dans
tous les cas, ils doivent faire exclure des statuts ce qu’ils
ont fait exclure de la loi.
Qu’on veuille bien le remarquer, d’ailleurs, la dispo
sition qu’il s’agit d’admettre est toute exceptionnelle.
Le droit des actionnaires à faire partie du conseil de sur
veillance résulte de leur qualité, et en les déclarant seuls
aptes à y être appelés , la loi n’a fait que confirmer ce
droit. L’exigence d’en subordonner le profit à la condi
tion de posséder un certain nombre d’actions, est évi
demment une dérogation sur laquelle la loi n’avait pas
à s’expliquer. Elle se trouvait virtuellement repoussée
par le silence seul que cette loi gardait, puisqu’en prin
cipe elle ne serait admissible que si elle avait été consa
crée par une disposition formelle. Or, non-seulement
celte disposition ne se trouve pas dans la loi, mais en
core mis en demeure de l’y introduire , le législateur a
formellement refusé d’y consentir.
Reste la souscription des actions et l’adhésion aux
clauses des statuts qui semble en résulter. Ici M. Mathieu
nous permettra de lui rappeler ce qu’il nous disait n aguères comme rapporteur de la loi : l’expérience a prou
vé qu’aucun des actionnaires n’a lu le pacte social. Ils
n’en connaissent que le bulletin au" pied duquel ils ap
posent leur signature.
Si cette vérité a rendu l’adhésion des actionnaires pu
rement conditionnelle à l’endroit de la valeur de l’ap
port, comment en serait-il autrement des autres clauses
plus ou moins importantes , restreignant les droits des.
�204
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
associés, de celle notamment qui subordonnerait leur
éligibilité aux fonctions de membres du conseil de sur
veillance à la possession d’un nombre d’actions déter
miné.
Les mêmes motifs doivent commander l’identité des
résultats. Aussi, et malgré l’autorité qui s’attache aux
noms de ceux qui soutiennent l’opinion que nous com
battons , estimons - nous que la clause des statuts que
nous supposons ne lie les associés, que si l’assemblée gé
nérale la ratifie et l’accepte en y conformant son choix.
140.
— S’il en était autrement, nous conseillerions
aux actionnaires qui ne posséderaient pas le nombre
d’actions déterminé, de refuser la nomination aux con
seils de surveillance dont ils auraient été l’objet de la
part de l’assemblée générale. Leur acceptation et l’exer
cice des fonctions de membres de ce conseil, feraient
présumer qu’ils ont souscrit ce nombre d’actions, et pour
raient les faire condamner à en payer la valeur. C’est ce
que la cour de Paris consacrait expressément par arrêt
du 16 avril 1861 '.
M. Dalloz , dans une note qui accompagne cet arrêt,
en approuve la doctrine. En présence de la clause des
statuts, dit-il, les intéressés ont dû croire que tous ceux
qui acceptaient la qualité de membres du conseil rem
plissaient la condition exigée. Donc ceux qui ont accepté,
biea qu’ils ne se trouvassent pas dans les conditions
�TITRE f, ART.
5, 6.
205
prescrites, les ont induits en erreur, et par là ont causé
un préjudice qu’ils sont tenus de réparer, Or en quoi
pourrait consister la réparation , sinon dans le verse
ment des actions qu’ils étaient tenus de posséder ? Ce
qui revient à dire que l’acceptation , dans l’hypothèse
dont il s'agit, équivaut à une souscription tacite du nom
bre d’actions exigé par les statuts.
Il y aurait beaucoup à répondre, car quel peut être
le préjudice causé aux intéressés, si le membre du con
seil nommé en dehors des conditions voulues a rempli
son mandat avec exactitude et loyalement surveillé les
opérations? Quoi qu’il en soit, c’est là un précédent que
les actionnaires doivent méditer et qui doit les engager
à ne pas s’exposer à en subir les conséquences.
Il est vrai que, dans cette espèce, il s’agissait d’une
société antérieure à la loi de 1856, et que la légalité de
la clause des statuts ne pouvait être mise en question.
Mais si on admet que cette loi a respecté et accepté cette
légalité , la date de la société devient fort indifférente,
même aujourd’h u i, puisque la loi de 1867 n’a fait que
confirmer à ce sujet celle de 1856. Donc si la clause est
légale et obligatoire, l’acceptation delà qualité de mem
bre du conseil de surveillance aurait les conséquences
que la cour de Paris en déduisait , et équivaudrait à la
souscription tacite du nombre d’actions exigé.
141.
— La prescription de ne choisir les membres
du conseil de surveillance que parmi les actionnaires,
fixait en quelque sorte l’époque où il devait être procédé
�206
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES
à c e tte n o m i n a t i o n .
s o c ié t é s
Ce n ’e s t q u ’a p r è s l a c o n s titu tio n
d e la so c ié té q u ’o n s e ra é d ifié s u r la p e r s o n n a lité d e s a s
so c ié s. L ’a r tic le S , e n
r e n v o y a n t la n o m in a tio n a p r è s
c e tte c o n s titu tio n , n ’e s t d o n c q u e . l a c o n s é q u e n c e lo g iq u e
d e c e tte p r e s c r ip tio n .
,
M ais s o n e x é c u tio n d o it ê tr e im m é d ia te , p u is q u e les
o p é r a tio n s n e p e u v e n t c o m m e n c e r q u ’a p r è s l ’o r g a n is a
tio n d u c o n s e il. O r, s ’il a é té f a it d e s a p p o r t s e n n a t u r e ,
o u s tip u lé d e s a v a n ta g e s p a r tic u lie r s , la s o c ié té n ’est
c o n s titu é e q u ’a p r è s l ’a p p r o b a tio n
d o n n ée au x u n s ou
a u x a u t r e s p a r la s e c o n d e a s s e m b lé e g é n é r a le .
C e lte s e c o n d e a s s e m b lé e
p o u r r a - t - e l l e , a p r è s a v o ir
d o n n é c e tte a p p r o b a tio n , p r o c é d e r à la n o m in a tio n d u
c o n se il d e s u r v e illa n c e ? N o u s n o u s é tio n s p r o n o n c é p o u r
l ’a f f ir m a tiv e d a n s n o t r e C o m m e n ta ir e d e la lo i d e 1 8 5 6 ,
e t l ’a c c u e il q u e c e tte o p in io n a re ç u n ’é t a i t p a s d e n a t u r e
à n o u s la f a ir e a b a n d o n n e r . L ’i n t e n t i o n d u lé g is la te u r
d e m e t t r e le te m p s à p r o f it e s t é v id e n te . O r l ’a s s e m b lé e
g é n é r a le o f f r a it p a r sa r é u n io n u n e o c c a s io n n a tu r e lle
d ’a r r iv e r à ce r é s u l t a t , e t l ’o n n e c o m p r e n d r a it p a s q u ’il
e û t p r o h ib é d e l a s a is ir e t d ’e n p r o f ite r .
L’a s s e m b lé e c h a r g é e d e s t a t u e r s u r les a p p o r t s o u les
a v a n ta g e s p a r tic u lie r s e s t d o n c a p p e lé e à c h o is ir le s m e m
b r e s d u c o n s e il d e s u r v e illa n c e .- M a is la s o c ié té se t r o u
v a n t d e p le in d r o i t c o n s titu é e p a r l ’a p p r o b a tio n d e s a p
p o r t s o u d e s a v a n ta g e s p a r t i c u l i e r s , les s t a t u t s s o n t d e
v e n u s o b lig a to ir e s . Il f a u d r a d o n c q u e l ’a s s e m b lé e s o it
c o n s titu é e c o m m e c e u x - c i l'e x ig e n t p o u r les d é lib é r a tio n s
o r d in a ir e s . L ’é le c tio n a lie u à la
s im p le m a jo r ité d e s
�ÎIT R ii r, ART. 5 ,
6.
207
membres présents, sans qu’il soit nécessaire ni du quart
des actionnaires en nombre, ni du quart du capital nu
méraire en sommes. L’exigence de la loi à ce sujet est
exclusivement spéciale aux délibérations sur les apports
en nature ou les avantages particuliers..
142.
— S’il n’y a ni apports en nature, ni stipula
tion d’avantages particuliers , la société est définitive
ment et régulièrement constituée par la déclaration no
tariée que l’article 1er prescrit au gérant.
Il faut donc convoquer l’assemblée générale pour la
nomination du conseil de surveillance, puisque, tant que
ce conseil n’a pas été régulièrement organisé, le gérant
ne peut commencer les opérations sans se rendre coupa
ble d’un délit que l’article 13 punit d’une amende de
cinq cents à dix mille francs.
Cette convocation nul autre que le gérant n’est en
position de la faire, et l’on ne comprendrait pas qu’il
négligeât le devoir que la loi lui impose d’y procéder
immédiatement après la constitution de la société , et
dont l’accomplissement est la condition iudispensable de
sa mise en mouvement.
Outre l’impossibilité de commencer les opérations, le
retard ou la négligence dans la convocation pourrait
motiver une poursuite en nullité de la société et faire
prononcer cette nullité. Or ce n’est pas au début de l’o
pération qu’on peut craindre de voir le gérant courir
une pareille chance.
Cependant le projet de loi présenté en 1838 à la
�m
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
chambre des Députés, admettait celte éventualité. En
conséquence, à défaut par le gérant de convoquer l’as
semblée dans un délai déterminé, il autorisait le prési
dent du tribunal de commerce à ordonner celte con
vocation sur la demande d’un ou de plusieurs action
naires.
Les lois de 1856 et de 1867 n’ont pas reproduit cette
disposition. Il est évident dès lors que les actionnaires
ne pourraient demander au président de suppléer au re
tard ou à la négligence que le gérant, contre toute, pro
babilité, contre toute vraisemblance, mettrait à provo
quer la nomination du conseil.
Faut-il en conclure que les actionnaires seraient ré
duits à se pourvoir en nullité de la société, alors même
que leur intérêt aurait à souffrir de celte nullité ? Nous
ne saurions l’admettre. Ici, comme dans toutes les obli
gations de faire, le créancier a le choix entre l’action en
résiliation et l’action en exécution. Les actionnaires
pourraient donc demander que, dans les trois jours ou
que dans la huitaine de la décision à intervenir, le gé
rant serait tenu de convoquer les associés , sous peine
d’avoir à payer une somme déterminée par chaque jour
de retard. Cette demande devrait être portée non devant
le président du tribunal, mais devant le tribunal de
commerce lui-même , comme toute autre action ordi
naire s’agitant entre commerçants on pour fait de com
merce.
14 5 . — Quel est le caractère de la mission que re-
�TITRE I, ART. 5 ,
6.
209
çoiventles membres du conseil de surveillance ; conslitue-t-elle un mandat pur et simple que le mandant puisse
révoquer à Volonté ?
MM. Mathieu et Bourguignat se prononcent pour la
négative. Sans doute, disent-ils, c’est le vole des action
naires qui investit les personnes du mandat; mais le
principe en existe en dehors d’eux. C’est la loi qui le crée
et qui en détermine elle-même les éléments et l’étendue.
Si les membres du conseil de surveillance peuvent en
courir une responsabilité vis-à-vis des actionnaires leurs
mandants, ils sont avant tout responsables envers la loi
qui trace leurs devoirs dans un intérêt supérieur d’ordre
public. Cela seul suffit pour faire comprendre que les
actionnaires ne peuvent être recevables à les révoquer
ad nutum, comme des mandataires ordinaires '.
Ce qui vient à l’appui de cette doctrine, c’est la dispo
sition qui prescrit la réélection du conseil à des époques
déterminées. Est-ce que pour un mandataire ordinaire
la loi s’est occupée et pouvait s’occuper d’une réélection.
Le mandat une fois donné se continue de plein droit,
tant que le mandant n’a pas manifesté l’intention de le
faire cesser. Et puisque cette intention peut se manifester
à toute époque , le silence gardé par le mandant est un
consentement équivalant à une réélection qui n’avait nul
besoin de se produire autrement.
En rendant cette réélection obligatoire , le législateur
a reconnu combien le mandat du conseil desurveillance
différait du mandat ordinaire. Cette réélection, en effet,
�210
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES SOCIÉTÉS
n’est qu’un moyen de suppléer à la privation du droit
de révocation et d’en ouvrir l’exercice à des époques dé
terminées.
Suit - il de là que les actionnaires devront subir* le
conseil de surveillance pendant tout l’intervalle d’une ré
élection à l’autre, alors même que les membres ou quel
ques-uns d’entre eux auraient déserté leur devoir, com
mis des fautes ou des négligences graves ?
Résoudre affirmativement cette question , serait mé
connaître la lettre et l’esprit de la loi.
La lettre 1 car le délai qui sépare les réélections n’est
& stipulé que comme le terme maximum à l’expiration du
quel l’assemblée générale devra être forcément consultée
sur le maintien ou le remplacement du conseil. Mais de
ce que la question ne doit être posée qu’après cette ex
piration , il ne s’ensuit nullement qu’elle ne pourra pas
l’être dans une des assemblées annuelles où le conseil est
précisément appelé à faire son rapport. La certitude qu’il
n’a pas fidèlement, loyalement rempli sa mission pen
dant le cours de l’année écoulée , autoriserait son rem
placement total ou partiel suivant le cas.
L’esprit 1 car ce qui a exclusivement dominé le légis
lateur dans l’institution des conseils de surveillance, c’est
la volonté de protéger l’intérêt des actionnaires. Si cet in
térêt lui a paru exiger que le conseil restât en exercice
pendant un certain temps, il ne l’a ainsi consacré que
dans la supposition et qu’en tant que les justes exigen
ces de cet intérêt ne commanderaient pas le contraire,
et ne rendraient pas le remplacement du conseil néces
saire à toute autre époque.
�TITRE I , ART.
5,
6.
211
144. — La loi de 1867 a adopté le principe de la
réélection. Mais au lieu de l’exiger à chaque période de
cinq ans comme la loi de 1856, elle laisse aux statuts à
en fixer eux - mêmes l’époque. Cinq ans d’existence
pouvaient être trop ou trop peu. Il était plus sage de
s’en référer aux intéressés devant, dans tous les cas, cal
culer le délai sur la nature des opérations et le genre
de la société.
Une seule exception a été consacrée. Le premier con
seil n’est nommé que pour une année, à l’expiration de
laquelle il doit être réélu. Ce qui a motivé cette exception
c’est que, lors de la première réunion, les actionnaires
encore inconnus les uns des autres pouvaient, dans leur
choix, tomber sur des incapacités, ou avoir trop aveuglé
ment suivi les inspirations du gérant. Il était dès lors né
cessaire de les mettre à même de profiter des enseigne
ments qu’ils pouvaient avoir puisé dans le cours de
l’année.
1 4 5 . — Au reste , dans ce cas comme dans le pre
mier , les membres du conseil sont tous rééligibles. La
loi , en effet, parle de réélection et non de remplace
ment. Quelle pouvait être , en effet, la raison d’exclure
du conseil des membres qui avaient rempli leur mission
consciencieusement, et efficacement protégé et garanti les
intérêts des actionnaires ?
D’ailleurs la réélection est autant dans l’intérêt de la
société que dans celui des membres qui en sont l’objet.
Il y a , en effet, un incontestable avantage à maintenir
�m
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
la surveillance aux mains de ceux qui sont au courant
des affaires et qui ont pu déjà apprécier l’administration
du gérant. Les connaissances acquises dans l’exercice du
mandat qui vient d’expirer rendent évidemment la tâche
plus facile, et inutiles les études auxquelles devraient se
livrer des hommes nouveaux.
146.
— La mission donnée aux membres du conseil
est toute personnelle. Ce qui la détermine , ce sont les
connaissances spéciales , la capacité , l’aptitude de celui
qui en est investi. Or tout cela ne se transmet pas, et ce
lui q u i, empêché d’agir , se ferait représenter par un
tiers , frustrerait la société des avantages qu’elle s’était
promis de son choix.
La conséquence était la dénégation aux membres du
conseil de surveillance du droit de se faire représenter
aux séances de ce conseil ou dans les actes que leur im
posent leurs fonctions. C’est ce que le législateur de
1856 avait positivement entendu.
En effet un membre du Corps législatif ayant deman
dé, lors de la discussion de la loi, si, au cas où un mem
bre du conseil serait empêché de remplir ses fonctions,
il pourrait se faire représenter ; le rapporteur de la loi,
M. Langlois, répondit : Cela est impossible, et personne
ne réclama contre cette affirmation.
Ce que voulait la loi de 1856 , celle de 1867 le veut
encore. Le caractère du mandat des membres du conseil
n’a pas changé : il est demeuré ce qu’il était, puremen^
exclusivement personnel, et ne saurait dès lors être trans
mis à un tiers.
�TITRE I, ART.
5, 6. ,
213
147.
— L’article 6 qui n’existait pas dans la loi de
1856 , explique jusqu’à un certain point la défense de
commencer les opérations de la société avant l’organi
sation du conseil de surveillance. C’est le gérant qui, le
cas prévu par l’article 5 excepté, est exclusivement char
gé des actes aboutissant à la constitution de la société.
C’est lui seul qui, en sa qualité de fondateur, rédige les
statuts, détermine le capital social et fixe le taux des ac
tions; c’est lui qui fait signer les bulletins de souscrip
tion et reçoit le versement anticipé imposé à chaque ac
tion ; c’est lui qui déclare par-devant notaire que le ca
pital est en entier souscrit et le versement du quart au
moins de chaque action opéré , et qui fournit toutes les
pièces qui doivent être annexées à cette déclaration.
Il fallait bien qu’il en fût ainsi ; la nature des choses
l’exigeait impérieusemeut. À qui en effet confier les opé
rations qui doivent convertir un projet en une société,
si ce n’est à l’auteur de ce projet?
Mais l’impossibilité d’en laisser le soin à un autre,
n’excluait pas le droit et le devoir de prendre toutes les
précautions nécessaires pour contrôler les actes du gé
rant, pour vérifier leur existence, pour contrôler L'exac
titude de ses déclarations. C’est cette vérification et ce
contrôle que notre article 6 confère au conseil de surveil
lance : et c’est en vue de leur efficacité qu’il est interdit
au gérant de commencer les opérations avant que sa con
stitution régulière ait mis ce conseil en mesure et en état
d’y procéder.
�214
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
148. -- La loi de 1836 ne contenait aucune dispo
sition analogue; mais elle la consacrait incontestable
ment d’une manière implicite. En effet elle déclarait nulle
la société constituée contrairement à l’une des prescrip
tions indiquant les conditions à remplir pour cette con
stitution, et les membres du conseil pouvaient être, dans
ce cas, solidairement tenus avec le gérant, de toutes les
opérations faites postérieurement à leur nomination.
L’unique moyen, pour les membres du conseil, d’é
chapper à cette responsabilité était donc de contrôler les
actes du gérant, de s’assurer de l’exactitude de sa décla
ration, de vérifier si toutes les conditions exigées avaient
été remplies, c’est-à-dire qu’ils étaient moralement te
nus des obligations que leur impose formellement notre
article 6.
149. — Cet article a le mérite, d’abord, d’exclure le
doute que le silence de la loi de 1856 pouvait faire et
avait fait naître. S’emparant des termes de son article 8,
on avait soutenu que le conseil n’avait à vérifier les li
vres, caisse, portefeuille et valeurs de la société qu’après
que les opérations avaient commencé ; qu’à l’origine il
n’avait à s’assurer que de l’exécution matérielle des de
voirs imposés au gérant.
Cette interprétation s’étayait du rapport de M. Langlois
au Corps législatif. « La vérification que doit faire le
conseil de surveillance est simple, disait l’honorable rap
porteur ; le chiffre des actions est-il conforme à la loi ?
Le capital social est-il entièrement souscrit? La déclara-
�TITRE I, ART.
5,
6.
215
tion du gérant constate-t-elle que le quart du numéraire
est versé? »
De cette interprétation législative de l’article , la cour
d’Agen avait conclu que le conseil de surveillance n’était
pas garant de l’exactitude de la déclaration notariée du
gérant constatant le versement du quart de chaque ac
tion ; que sa responsabilité était couverte par cette décla
ration même1.
Cette décision quelque peu juridique qu’elle fû t3 prou
vait que la loi laissait place au doute, et par conséquent
l’opportunité de notre article 6 qui tranche toute possi
bilité de controverse. On ne saurait en effet équivoquer.
C’est bien à l’origine de la société et avant sa mise en
mouvement, que le conseil de surveillance est aujour
d’hui tenu de vérifier si toutes les dispositions contenues
dans les articles précédents ont été observées. Or cette
vérification ne peut consister dans l’acceptation pure et
simple des actes et des déclarations du gérant. Elle ne
s’entend et ne peut s’entendre que du contrôle effectif de
la régularité des uns.de l’exactitude de l’autre. Or com
ment savoir si le capital a été en entier souscrit, si le
versement du quart au moins de chaque action a été opéré , autrement qu’en examinant et en consultant les
bulletins de souscription ? C’est en effet par ces bulletins
seulement qu’on pourra juger si la souscription est pure
et simple ou conditionnelle ; si le prix des actions a été
1 6 décembre 4 860 ; D. P ., 64, 2, 60.
2 L’a rrêt de la cour d’Agen a été cassé le 4 4 mai 4 863 ; D. P ., 63, 4,
�216
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
promis et en partie versé en argent ou en fournitures,
travaux ou services à venir.
150.
— L’arlicle 6 a un second mérite, celui de pré
ciser sur qui doit peser la responsabilité de la violation
de ses dispositions, c’est-à-dire, de la nullité de la so
ciété constituée en contravention des prescriptions des
articles précédents. À quelque époque en effet que cette
nullité soit poursuivie et prononcée, la responsabilité en
incombera exclusivement au conseil premier nommé, et
c’était juste. La négligence et la faute lui étant toutes
personnelles , il était naturel et logique de lui en faire
supporter la conséquence.
La loi de 1856 ne distinguant pas, c’est au conseil de
surveillance en exercice au moment de là poursuite qu’on
demandait compte des négligences viciant la constitution
de la société, et qu’on prétendait rendre responsable d’u
ne faute qu’il n’avait pu commettre , puisque ce n’était
qu’un an au moins après la mise en mouvement de la
société qu’il avait été institué.
Sans doute, comme le premier conseil, le second, le
troisième aurait pu et dû découvrir les irrégularités com
mises à l’origine, et en l’omettant il marchait sur les tra
ces du premier et s’associait à sa négligence.
iMais ne pouvait-il pas, ne devait-il pas de bonne foi
croire que son devancier avait scrupuleusement suivi les
prescriptions de la loi? D’ailleurs, après la mise en mou
vement de la société remontant à un an au moins, à plus
de six ans peut-être , il était un peu tard pour vérifier
�TITRE I, ART.
5,
6.
217
la régularité de la société à l’origine. En découvrant le
vice, le second ou le troisième conseil était obligé défaire
immédiatement prononcer la nullité de la société, de dé
terminer ainsi une liquidation forcée des opérations en
cours d’exécution, et cela nonobstant l’énorme préjudice
qui pouvait en résulter pour les associés.
On comprend donc que le silence que la prudence ellemême leur aurait conseillé , que le défaut de recherche
sur la régularité de la société à l’origine ne fût pas un
motif suffisant de le punir d’un tort qu’ils n’avaient pu
avoir. Celte recherche ne pouvait être utile qu’avant la
mise en mouvement de la société. Le premier conseil de
surveillance pouvait donc seul s’y livrer. En lui en im
posant le devoir, l’article 6 a obéi à un sentiment avoué
par la raison et la justice.
151.
— Au premier conseil donc la mission de vé
rifier, sous sa responsabilité et immédiatement après sa
nomination, si toutes les conditions exigées par la loi ont
été remplies, c’est-à-dire si les actions sont nominatives
et leur taux en rapport avec le capital social ; si ce ca
pital a été en entier souscrit et si chaque action a versé
le quart au moins de sa valeur ; si le gérant a fait devant
notaire la déclaration qui lui est prescrite, et fourni les
pièces qui doivent y être annexées ; si les apports en
nature ou les avantages particuliers ont été vérifiés et ap
prouvés, et si les deux assemblées ont été composées et
ont délibéré dans la forme voulue, notamment si la se
conde ne s’est réunie qu’après que le rapport des experts
�218
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
a été pendant cinq jours à la disposition des actionnai
res ; si ceux qui n’ont pas voix délibérative se sont abs
tenus de voter; enfin si les délibérations ont réuni la
majorité en nombre et en sommes exigées pour leur va
lidité.
152.
— Cette vérification doit être effective et sérieu
se, puisqu’elle doit contrôler les indications et les décla
rations données et faites par le gérant. Les membres du
conseil manqueraient donc à leur devoir si, par confian
ce pour le gérant, ils omettaient de se faire représenter
et d’examiner tous les documents de nature à établir la
sincérité ou la fausseté des unes et des autres.
Ainsi et malgré que la loi de 1856 ne consacrât qu’implicitement l’obligation des conseils de surveillance à ce
sujet, il avait été jugé sous son empire, que les membres
de ces conseils pouvaient être déclarés responsables si,
à l’endroit de la souscription du capital et du versement
du quart par chaque action, s’en tenant à la déclaration
du gérant et à la liste des souscripteurs rédigée par lui,
ils avaient omis de se faire représenter et de vérifier les
bulletins de souscription ; si leur négligence avait été
poussée au point de ne pas relever des irrégularités tel
les que : 1° la participation à l’assemblée générale et au
vote, d’individus étrangers ou de membres n’ayant pas
voix délibérative, comme le gérant ayant stipulé en sa
faveur des avantages particuliers , et les associés faisant
des apports en nature; 2° la nomination de membres
du conseil en nombre inférieur à celui fixé par les sta-
�TITRE I , ART.
>
S, 6.
219
**
tuts ; 3" l’inobservation de la disposition de ces mêmes
statuts, obligeant les membres appelés à ce conseil à dé
poser dans la caisse sociale un certain nombre d’actions
nominatives et inaliénables pour y rester pendant toute
la durée de leurs fonctions1.
Dans l’espèce, les membres du conseil de surveillance
poursuivis opposaient l’article 8 de la loi et l’interpréta
tion que lui avait donnée le rapporteur du Corps légis
latif. Mais ce système que la cour d’Agen consacrait le 6
décembre 1860, fut énergiquement repoussé par la cour
d’Àix et plus tard par la cour de Cassation.
Aujourd’hui et en présence de notre article, le doute,
nous venons de le dire, ne saurait s’élever. Il n’y a de
juridique que la doctrine de la cour d’Aix confirmée par
la cour de Cassation.
153.
— Si la vérification du conseil desurveillance
aboutit à la constatation d’irrégularités ou de contraven
tion aux prescriptions de la loi, que doit faire le con
seil ? Peut-il revenir sur ce qui a été fait ; suppléer à ce
qui a été omis et pourvoir à ce que les conditions pres
crites par la loi reçoivent leur fidèle exécution ? Doit-il
au contraire laisser les irrégularités ou les omissions pro
duire tous leurs effets et entraîner nécessairement la nul
lité de la société ?
On ne saurait admettre que le législateur ait été si par
tisan de la nullité de la société; qu’il ait entendu la ren1 A ix, 16 mai 1860 : Cass , 24 avril 1861 ; D. P , 60, 2, 118 ; 61,
1, 428.
i l
■
s*
�2â0
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES SOCIÉTÉS
dre inévitable , alors même qu’il s’agirait d’une irrégu
larité insignifiante, ou d’une omission facile à réparer.
Ce rigorisme serait inconciliable avec l’intention si sou
vent, si clairement manifestée de favoriser le développe
ment des sociétés.
Evidemment l’obligation que l’article 6 fait au conseil
de surveillance indique un autre but, manifeste une au
tre tendance ; et lorsque à côté de cette disposition on
place celle qui prohibe de commencer les opérations a vant l’entrée en fonctions du conseil de surveillance, on
aboutit à cette conclusion qu’en prescrivant une vérifica
tion immédiate et en exigeant que les choses fussent en
core entières, la loi n’a pu vouloir qu’une chose, per
mettre de constituer légalement la société en régularisant
ce que les agissements du fondateur pourraient avoir de
défectueux.
C’est aussi le sens que le rapporteur de la loi donnait
à l’article 6. « Ce qui vaut mieux que de prononcer
des nullités, disait-il, c’est de les prévenir. Le projet s’ef
force d’atteindre ce b u t, et après avoir imposé aux gé
rants des sociétés des devoirs qui trouveront leur sanc
tion dans les dispositions que nous examinerons bientôt,
il place ces devoirs sous le contrôle du premier conseil
de surveillance qu’il associe aux obligations, et aux res
ponsabilités du gérant. »
C’est à dire que le premier conseil de surveillance est
non-seulement autorisé, mais encore tenu d’assurer la
régularité de la constitution de la société, comme le gé
rant lui-même; que sa mission principale est de préve-
�TITRE I, ART.
5, 6.
221
nir la nullité. Or comment accomplirait-il cette mission
s’il ne pouvait suppléer à la négligence ou à l’erreur du
gérant ?
La lettre et l’esprit de la loi s’unissent donc pour fixer
le caractère et l’étendue du pouvoir du premier conseil
et il ne saurait exister un doute sérieux. Ce pouvoir con
siste à veiller à ce que la société soit régulièrement orga
nisée, et à remplir, dans ce but, toutes les formalités que
le gérant aurait négligées ou omises.
! 5 4 . — Toutefois l’exercice de ce pouvoir suppose
que l’irrégularité est de nature à être corrigée. C’est ce
qui se réalisera pour les conditions de forme prescrites
par la loi.
Ainsi la déclaration devant notaire peut être régulari
sée ou renouvelée ; la liste des souscripteurs dressée, les
autres pièoes à annexer fournies. Ainsi encore si les ap
ports ou les avantages particuliers n’ont pas été vérifiés
et approuvés dans la forme voulue, de nouvelles assem
blées convoquées à cet effet pourront y suppléer.
Mais comment remédier à l’irrégularité tirée de ce que
le capital n’aurait pas été souscrit en entier ; de ce que
le gérant aurait introduit des signataires de complai
sance ; de ce que certaines souscriptions seraient condi
tionnelles, et qu’au lieu d’argent elles n’auraient promis
que des fournitures, des services ou des travaux ; de ce
que, enfin, chaque action n’aurait pas versé le quart au
moins de sa valeur ?
Il n’y aurait qu’un seul moyen de parer aux consé-
�222
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
quences de cet état de choses : ce serait que les membres
du conseil seuls souscrivissent les actions restant à sous
crire et fissent le versement du quart de leur valeur. Or
la loi ne leur a pas imposé, ne pouvait pas leur imposer
ce devoir, et s’ils s’y refusent, la société viciée dans son
essence est forcément nulle et de nul effet. Le conseil de
surveillance n’aurait ni le pouvoir ni le moyen d’empê
cher ce résultat.
A rt. 7.
Est nulle et de nul effet à l’égard des intéres
sés toute société en commandite par actions con
stituée contrairement aux articles 1, 2, 3, 4 et
5 de la présente loi.
Celte nullité ne peut être opposée aux tiers
par les associés.
A rt. 8 .
Lorsque la société est annulée, aux termes de
l’article précédent, les membres du premier con
seil desurveillance peuvent être déclarés respon
sables, avec le gérant, du dommage résultant,
pour la société ou pour les tiers, de l’annulation
de la société.
La même responsabilité peut être prononcée
contre ceux des associés dont les apports ou les
avantages n’auraient pas été vérifiés et approu
vés conformément à l'article 4 ci-dessus.
�TITRE 1, ART. 7 , 8.
2213
SO im iA IBE
155.
C a r a c t è r e d e s a r t i c l e s 7 e t 8 ; l e u r b u t . R é s u l t a t d e l ’i n o b
456.
N u l l i t é é d i c t é e p a r l ’a r t i c l e 7 ; s e s e f f e t s c o n t r e le g é r a n t .
457.
C o m m e c e l l e q u i é t a i t c o n s a c r é e p a r l ’a r t i c l e 4 2 d u C o d e d e
serv atio n des a rticles p r é c é d e n ts .
c o m m e r c e , c e l t e n u l l i t é e s t d ’o r d r e p u b l i c ; a f f i n i t é s e t
d iffére n ce s e n t r e e lle s.
458.
P r e m i è r e c o n s é q u e n c e d u c a r a c t è r e d e la n u l l i t é : i m p o s s i
459.
D e u x i è m e c o n s é q u e n c e : l ’a c t i o n n e s e p r e s c r i t q u e p a r
b ilité d e ra tifie r ou d e t r a n s ig e r .
t r e n t e a n s e t p e u t ê tr e e x e rc é e m ê m e a p rè s d isso lu tio n .
4 60.
O p i n i o n d e M M . R i v i è r e , V a v a s s e u r e t D a l l o z s u r le d é la i d e
164.
R é f u ta tio n d e celle d e M. V a v a s s e u r.
462.
L ’e x c e p t i o n e s t s e u l e i m p r e s c r i p t i b l e ; e f f e t d e sa p e r p é
463.
L e d r o i t d e p o u r s u i v r e la n u l l i t é a p p a r t i e n t à t o u s l e s i n t é
la p r e s c r i p t i o n . D i s c u s s i o n d e c e l l e d e M . D a l l o z .
tu ité .
r e s s é s ; c e t t e d é s i g n a t i o n c o m p r e n d les c r é a n c i e r s p e r
so n n els des associés.
464.
L a n u llité ne p e u t ê tre opposée a u x tie rs. R a tio n n a lité de
4 65.
C o m m e c o n s é q u e n c e de ce p rin c ip e les tiers o n t actio n co n
c e t t e d i s p o s i t i o n ; s o n é t e n d u e d a n s Ja l o i n o u v e l l e .
t r e t o u s l e s a c t i o n n a i r e s m a l g r é la n u l l i t é . B u t d e c e t t e
a c tio n ; d a n s q u e ls cas e lle p e u t ê tr e e x e rc é e .
466.
L e s c r é a n c i e r s p e rs o n n e ls d e s associés p e u v e n t - il s o p p o se r
167.
Q u e l s s o n t l e s t i e r s a u x q u e l s la n u l l i t é d e la s o c i é t é n ’e s t
la n u l l i t é a u x t i e r s ?
p a s o p p o s a b l e ; c e s m ê m e s t i e r s p o u r r o n t - i l s s ’e n p r é
v a lo ir ?
168.
L a n u l l i t é d e l a s o c i é t é n ’é t a i t n i u n e p e i n e p o u r le g é r a n t
q u i o m e t d ’e x é c u t e r la l o i , n i u n e r é p a r a t i o n d u p r é j u
d i c e q u ’e n s o u f f r e n t la s o c i é t é e t l e s t i e r s ; c o n s é q u e n c e .
169.
O b l i g a t i o n p o u r le g é r a n t d e r é p a r e r le p r é j u d i c e .
170.
R e s p o n s a b ilité d e s m e m b r e s d u co n seil de su rv e illa n c e ; ca-
�224
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
r a c t è r e d e la l o i d e 1 8 5 6
à
c e t é g a r d : d i s p o s i t i o n d e la
loi n o u v e lle .
171.
Q u el e s t le co n se il q u i e s t re s p o n s a b le .
172.
R e je t d e la so lid a rité e n t r e ses m e m b r e s e t le g é r a n t .
173.
R e s t r i c t i o n à la r e s p o n s a b i l i t é d a n s s o n
p rincipe m ê m e .
A r r ê t d e la c o u r d e P a r i s so u s la loi a n c i e n n e ; s o n c a
ractère.
174.
A p p r é c ia tio n ; c o n s é q u e n c e d e la m o d ific a tio n .
175.
D ro it d e s 'a s s o c ié s e t d e s tie rs d e p o u r s u i v r e les m e m b r e s
d u co n seil d e s u rv e illa n c e ; q u a n d p o u r r a - t- il ê t r e e x erc é
p a r les p re m ie rs .
476.
F o n d e m e n t d e c e d r o i t à l ’é g a r d d e s t i e r s .
177.
D a n s q u e ls c as il p e u t ê t r e e x e r c é .
178.
C as d a n s le q u e l le p r é ju d ic e r é s u l t e r a i t d e p l e in d r o i t d e la
179.
L e c o n s e i l n e p e u t ê t r e p o u r s u i v i q u ’a p r è s q u e l a n u l l i t é a
180.
C arac tè re d e l à resp o n sab ilité d u c o n s e il;
n u llité ; o u v e r tu r e de l'a c tio n .
é té consacrée.
opin io n
de M.
R o m ig u ié re.
181.
E x a m e n et ré fu ta tio n .
182.
F a c u l t é p o u r r a s s e m b l é e g é n é r a l e d ’a c c e p t e r l e s o p é r a t i o n s
183.
O p in io n d e M M . D alloz e t R iv iè re .
184.
R é fu ta tio n de celle d e ce d e r n ie r .
185.
F i n d e n o n - r e c e v o i r q u e p o u r r a i t r e n c o n t r e r l ’a c t i o n e n
186.
R e s p o n s a b ilité d e s associés fa isan t u n a p p o r t en n a t u r e ou
187.
S o n c a r a c t è r e e t so n é t e n d u e s o u s la loi d e 1 8 5 6 .
188.
O p in io q d e M . D u v e r g i e r ; é t a i t- e ll e f o n d é e ? D o u te à ce
189.
A é t é a d m i s e e t c o n s a c r é e p a r la lo i d e 1 8 6 7 ; c o n s é q u e n c e .
190.
S u b s ti t u ti o n d u t e r m e a s s o c ié s
a n t é r i e u r e s à la c o n s t i t u t i o n d e l a s o c i é t é .
n u llité .
s tip u la n t des a v a n ta g e s p a rticu liers.
su je t.
à
celu i d e f o n d a te u r s
; ses
effets.
1 9 0 bis. C a r a c t è r e d e la r e s p o n s a b i l i t é d e s a s s o c i é s d a n s l e c a s d e
l'a rtic le 8 .
�TITRE I , ART.
7, 8.
225
155.
— Les articles dans l’examen desquels nous
entrons sont le complément naturel et nécessaire des ar
ticles précédents ; les conditions que ceux-ci imposent à
la constitulion de la société ne pouvaient être efficaces
que si leur observation était garantie par une sanction
pénale énergique. On sait ce qu’avait produit la liberté
dont les fondateurs de sociétés jouissaient avant 1856.
On n’a pas oublié les spéculations frauduleuses que cette
liberté fît naître , et dont le développement avait atteint
une telle progression que le public alarmé en signalait
les désastreux scandales et appelait à grands cris une
sévère, une énergique répression.
Le législateur de 1856, convaincu de la nécessité d’ac
cueillir cet appel, n’avait pas hésité à réglementer la
constitution de la société, à en subordonner la régularité
à des conditions de nature à prévenir les atteintes de la
fraude ; et pour que la fraude ne fût pas tentée de les éluder ou de les enfreindre, il avait attaché à leur inob
servation la nullité radicale et absolue de la société.
Le législateur de 1867 ne pouvait ni raisonner ni agir
autrement. N’acceptant comme sociétés régulières que
celles qui avaient rempli toutes les conditions qu’il édic
tait à l’exemple de son prédécesseur, il devait, comme
celui-ci, garantir l’exécution de ses prescriptions à ce
sujet et faire résulter de leur inobservation la peine de
la nullité qui, au point de vue des intérêts civils, arra
chait au violateur de la loi le profit qu’il s’était promis
de sa spéculation.
i. — 15
�226
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
1 5 6 . — L’article 7 proclame cette nullité, et ajoute
que la société sera sans effet. De là cette conséquence,
que chaque actionnaire est non-seulement libéré de tout
engagement pour l’avenir,mais encore autorisé à répéter
contre le gérant tout ce qu’il aurait précédemment versé
en vertu de cet engagement. La restitution devrait être
intégralement ordonnée et effectuée , sans que celui au
profit duquel elle serait prononcée eût à contribuer en
rien ni aux dépenses occasionnées par la préparation de
la société, ni aux pertes que la mise en mouvement des
opérations sociales aurait pu entraîner.
Le gérant ne serait ni recevable ni fondé à exiger une
contribution quelconque. Tout ce qu’il a fait contraire
ment aux devoirs que la loi lui imposait lui demeure ex
clusivement personnel. La société n’a jamais eu d’exis
tence légale : elle était morte avant de naître. Comment
aurait-elle pu créer des droits d’un côté, des obligations
de l’autre.
D’ailleurs les dépenses et les pertes seraient, dans tous
les cas, un préjudice pour les intéressés, et ce préjudice,
la nullité de la société le rend irréparable. Dès lors il
est rationnel et juste que celui qui a à s’imputer cette
nullité en supporte seul toutes les conséquences, quelque
onéreuses qu’elles puissent être.
157.
La loi nouvelle, à l’imitation de celle de
1856, frappe donc l’inobservation des conditions qu’elle
prescrit de la peine que l’article 42 du Code de com
merce attache au défaut de publication de l’acte social.
�TITRE I , A R T . -7,
8.
227
On ne saurait donc équivoquer sur le caractère de la
nullité édictée par notre article 7. De même que celle
prononcée par l’article 42 du code de commerce , cette
nullité est absolue et d’ordre public.
Mais identiques dans leur nature, ces nullités diffèrent
essentiellement quant à leurs effets. La nullité de l’arti
cle 42 n’a d’effets que pour l’avenir. Elle ne pouvait, en
effet, effacer le passé, et empêcher qu’une société de fait
eût existé entre les intéressés. D’où la doctrine et la ju
risprudence avaient conclu que, même à leur égard, il y
avait lieu à liquidation, et que chacun d’eux devait con
tribuer aux pertes proportionnellement à son intérêt.
Au contraire, dans l’hypothèse de notre article 7, tout
ce qui a précédé la demande en nullité et sa consécration
reste pour le compte personnel du fondateur gérant, sans
que les actionnaires aient à y contribuer en rien.
La raison de cette différence se puise dans la nature
de la nullité. Celle qui s’induit du défaut de publication
est purement extrinsèque, c’est-à-dire que le pacte social
intervenu entre majeurs et capables , librement accepté
et consenti, a été parfait dans son essence et lésa immé
diatement obligés. Le défaut de formes n’altèrera en rien
ce caractère. Il pourra bien influer sur l’avenir et moti
ver la résiliation du contrat ; mais il ne saurait faire que
tant que cette résiliation n’était ni demandée ni pronon
cée, le contrat ne conservât pas totite son autorité et ne
s’imposât- pas à ses souscripteurs.
« Attendu , disait la cour de P a ris, dans un arrêt du
26 janvier 1855, que, pour l’application de la maxime
�228
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
quod nullum est nullum producit effectum , il faut dis
tinguer les nullités substantielles de l’acte de société qui
rompent tout lien de droit entre les co-associés, des nul
lités extrinsèques qui ne rompent le lien social qu’à par
tir de la nullité prononcée pour l’avenir, le surplus des
conventions et pour le passé liant entre elles les parties
contractantes.
» Attendu, dit la même cour, dans un arrêt du 12
mai suivant, qu’il est de principe que les nullités pro
noncées pour vice de forme ne s’appliquent qu'à l’ave
nir ; que la convention subsiste pour les faits accomplis
et doit recevoir son exécution ; qu’il serait contraire au
droit, à la raison, à l’équité que l’irrégularité de l’acte
suffit pour libérer le co-associé d’un consentement libre
ment et volontairement donné. »
La nullité édictée par l’article 7 est essentiellement
substantielle et s’attaque directement à la convention. Les
actionnaires, en effet, en adhérant au contrat ne s’enga
gent que conditionnellement. Ils n’auront la qualité d’as
sociés que si toutes les conditions exigées pour que la so
ciété puisse se constituer ont été remplies. Donc omettre
une seule de ces conditions c’est aboutir forcément à ce
résultat, que la société n’a jamais été constituée et n’a
jamais pu se constituer ; que restée un projet pur et sim
ple, elle n’a été dans aucun temps capable de contracter
et d’engager des- tiers que le défaut d’événement de la
condition a complètement libéré.
A ces raisons de droit s’en ajoute une autre non moins
péremptoire : tous les associés ordinaires ont personnel-
�TITRE I,. • ART. 7 ,
8.
229
lement le droit et par conséquent le devoir de faire pu
blier l’acte de société. La négligence à exercer ce droit,
à remplir ce devoir constitue chacun d’eux en faute , et
les soumet justement à en subir les conséquences.
Les formalités ordonnées par les articles précédents ne
peuvent être provoquées ou remplies que par l’auteur
du projet de société. La faute de les avoir négligées ou
omises lui est donc exclusivement personnelle, et il se
rait inique d’en faire rejaillir la peine dans une propor
tion quelconque sur les simples signataires de l’acte.
5 8 . — Le caractère général et absolu de la nullité,
son fondement puisé dans l’intérêt public amènent à celte
première conséquence, qu’elle est insusceptible de rati
fication, et que toute transaction intervenue à son sujet
ne créerait aucun lien légal et obligatoire.
Ainsi chaque actionnaire en son particulier a le droit
de s’en prévaloir et de la poursuivre. Sa demande ne
saurait rencontrer une fin de non-recevoir dans aucun
des faits qui l’auraient précédée, pas même dans l’adhé
sion qu’il aurait explicitement donnée aux actes du gé
rant.
De plus, la nullité rétroagissant au jour du contrat et
lui enlevant tout effet, le poursuivant n’est tenu ni à de
mander la dissolution de la société , ni à tenir en cause
les autres actionnaires. Son seul adversaire légal est le
gérant, et ce qu’il est recevable et fondé à exiger de lui
c’est non-seulenient d’être relevé de tout engagement
pour l’avenir, mais encore le remboursement intégral de
ce qu’il a déjà versé.
f
�230
LOI DE
1867
SUR LES s o c ié t é s
Vainement le gérant exciperait-il de l’exécution don
née à la société par le poursuivant lui-même. Cette exé
cution constituerait tout au plus un ratification tacite. Or
comment attacher le moindre effet à celle-ci, lorsque.de
toute certitude, on ne saurait en reconnaître aucun à la
ratification expresse?
159.
— Une autre conséquence du caractère delà
nullité est de soustraire l’action à l’empire de la règle
tracée par l’article 1304 du Code Napoléon. Le droit de
l’intenter ne se perd que par la prescription de trente ans
édictée par l’article 2262 du même Code.
Peu importerait que dans cet intervalle la société eût
été dissoute soit par l’expiration du terme fixé pour sa
durée, soit par une décision de justice. La dissolution de
la société en entraîne la liquidation,et celle-ci ne désin
téresse les actionnaires que si l’actif dépassant le passif,
chacun d’eux reçoit l’intégralité de ce qu’il a versé. Ce
paiement intégral étant tout ce qu’il obtiendrait par la
nullité, il n’a aucun intérêt à la provoquer ; à plus forte
raison s’en abstiendrait-il si, outre le remboursement in
tégral, la liquidation lui donnait un bénéfice.
Si la société est en perte , sa dissolution n’exonèrera
pas les actionnaires de la part proportionnelle qui leur
incombe dans la perte. La nullité de la société produi
rait seule ce résultat. Dès lors la poursuite de cette nul
lité est d’un intérêt incontestable , et cet intérêt motive
suffisamment l’action. Ainsi, par arrêt du 3 juin 1862,
la cour de Cassation , « Attendu que les conséquences
�TITRE I,
ART.
7, 8.
231
juridiques de l’annulation d’une société étant autres que
les conséquences de sa dissolution, déclare qu’on ne pou
vait considérer comme dénuée d’intérêt la demande qui
tend à faire déclarer la nullité : elle juge en conséquen
ce que la nullité d’une société en commandite par ac
tions, pour contravention à la loi du 17 juillet 1856, et
notamment pour déclaration mensongère, par le gérant,
du nombre des souscripteurs et du montant des verse
ments opérés sur les actions à la date de la constitution
définitive de la société, peut être demandée, même après
dissolution de cette société prononcée par l’assemblée gé
nérale des actionnaires1. »
Nous n’avons pas besoin de dire que les principes étant, aujourd’hui, ce qu’ils étaient sous l’empire de la
loi de 1856, la doctrine de la cour de Cassation s’impo
serait aux tribunaux.
160.
— Son caractère juridique est d’ailleurs incon
testable. Aussi n’a-t-elle rencontré chez les auteurs ni
contradiction ni controverse. Mais le même accord n’existe
pas à l’endroit du délai nécessaire pour la prescription
de l’action. Comme nous, M. Rivière pense que ce délai
est de trente a n s3. Mais M. Va vasseur le réduit à dix
ans par application de l’article 1304 du Code Napoléon 3;
et M. Dalloz n’en admet aucun. Quelque délai qui se
soit écoulé, d it-il, la nullité de l’acte de société pourra
�232
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
toujours être invoquée par les intéressés. Comment ce
qui dans le principe est nul et de nul effet, ce qui est
légalement inexistant pourrait-il, avec le temps, devenir
inattaquable ? 1
L’opinion de M. Dalloz est inadmissible; elle tend à
introduire dans notre droit des actions perpétuelles et par
conséquent une exception que la loi non-seulement n’au
torise pas, mais encore repousse expressément. L’article
2262 du Code Napqléon est là pour le prouver :
T o u te s
les a c tio n s t a n t r é e lle s q u e p e r s o n n e lle s
so n t p r e s c rite s p a r tr e n te a n s , sans que c e lu i q u i a llè
g u e c e tte p r e s c r i p t i o n s o it o b lig é d ’e n r a p p o r t e r u n t i
tr e , o u m ê m e q u 'o n p u is s e l u i o p p o s e r l 'e x c e p tio n d é
d u i t e d e l a m a u v a is e f o i .
En disant toutes les actions , la loi n’en excepte évi
demment aucune. Aussi M. Troplong conclut-il des ter
mes de l’article 2262 que rien ne saurait échapper à son
empire ; qu’ils excluent toute faveur et tout privilège ;
que le niveau de la prescription s’étend sur tous les droits
par cette durée équitablement fixée, et délivre les citoyens
des inquiétudes que la variété des coutumes et l’abus des
exceptions faisaient naître dans l’ancienne jurispru
dence 2.
Oui le temps rendra inattaquable ce qui, dans le prin
cipe, est nul est de nul effet; ce qui est légalement in
existant. N’est-ce pas ce qui se réalise dans toute acqui1 R é p ., v° S o c iété s, n» 1263.
2 D e s p re sc rip tio n s, n» 820,
�TITRE I, ART.
7, 8.
233
sition par prescription ? Y a-t-il rien de plus odieux,
rien de plus illégal, que de s’emparer sciemment du bien
d’autrui, et de se l’approprier de mauvaise foi ? Cepen
dant le temps légitimera cette spoliation et la rendra in
attaquable. La nécessité l’a fait ainsi admettre, et a mé
rité à la prescription la qualification de patronedu genre
humain.
Celte nécessité ne se fonde pas seulement sur le besoin
de ne pas laisser les droits dans une incertitude perpé
tuelle, et la propriété trop longtemps incertaine ; elle se
justifie encore par cette considération que la prescription
ne puise pas son principal élément dans la durée qui lui
est assignée. En effet, comme l’enseigne M. Troplong,
comme l’admettent la doctrine et la jurisprudence , la
prescription n’est pas l’ouvrage de la seule puissance du
temps qui n ’y intervient que comme mesure des élé
ments sur lesquels elle repose; son fondement essentiel
est le fait de l’homme : la possession de celui qui ac
quiert , la présomption de renonciation chez celui qui
néglige d’user de son d ro it, qui abandonne sa pro
priété.
Ce reproche et la présomption qui en découle ne sontils pas encourus par celui qui, pouvant faire annuler la
société, la laisse exister pendant plus de trente ans ; qui
pendant tout ce temps a participé aux délibérations et
pris part aux répartitions d’intérêts ou de bénéfices qui
ont eu lieu ? Pourquoi donc cette conduite, pourquoi ce
silence prolongé qui seul serait la perte irrémissible d’u
ne propriété de cent mille francs , n ’aurait-il pas pour
�234
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
conséquence de rendre non recevable l’action en restitu
tion de cinq cent francs, de mille francs ?
Sans doute la nullité est ici d’ordre public. Mais il ne
faut pas oublier que cette nullité primario spectat u tilitatem privatam secundario publicam, et si ce carac
tère secondaire suffit pour la soustraire à la règle de
l’article 1304 du Code Napoléon, rien ne saurait la met
tre à l’abri du niveau de la prescription trentenaire.
Nous venons de le dire , la dissolution de la société ne
rend pas irrecevable l’action postérieure en nullité. Or
comprendrait-on qu’on pût intenter cette action cin
quante, soixante ans après cette dissolution ?
D’ailleurs si la nullité est d’ordre public , c’est aussi
cet oi'dre public qui recommande la prescription trente
naire. On ne pourrait donc admettre l’opinion de M.
Dalloz, que s’il établissait que la disposition de l’article
2262 du Code Napoléon, spéciale à la propriété, est in
applicable aux droits incorporels et aux actions qui en
dérivent. Or qui oserait soutenir cette inapplicabilité, en
présence des termes si précis et si absolus de l’article
2262 du Code Napoléon ?
Il est évident que la raison d’utilité publique qui a
fait admettre la prescription de la propriété, devait faire
consacrer celle des actions même personnelles. Ici com
me là, on peut et on doit dire avec Loisel : ancienneté a
autorité ; avec M. Troplong : que celui qui pendant trente
ans a négligé son droit, mérite peu d’intérêt ; que par
une recherche scrupuleuse du passé il n’y aurait plus
rien de certain , et que la société, loin d’être un état de
�TITRE I, ART.
7, 8.
235
sécurité et de protection, ne serait que l’absence de toute
garantie et une source permanente d’inquiétudes1.
1 6 1 . — Nous pensons donc, contrairement à l’opi
nion de M. Dalloz, que l’action en nullité créée par no
tre article 7, est prescriptible. Mais nous ne saurions ad
mettre avec M. Yavasseur, que, régie par l’article 1304
du Code Napoléon , la prescription est acquise par un
délai de dix ans.
La prescription décennale, consacrée par cet article,
n ’a d’autre fondement que la présomption d’une ratifi
cation qu’une exécution et un silence continués pendant
dix ans font supposer et admettre.
Donc, si le vice qui opère la nullité n’est susceptible
d’aucune ratification, si la renonciation expresse à s’en
prévaloir ne pourrait être opposée à une poursuite ulté
rieure, il ne pourrait évidemment en être autrement de
la renonciation tacite s’induisant d’une exécution plus
on moins prolongée, mais qui n’a ni atteint ni dépassé
le délai de trente ans.
Or, la nullité édictée par notre'article 7, -est d’ordre
public, tout le monde est d’accord à ce sujet. Elle n’est
donc couverte que par la prescription qui éteint tous
droits, toutes les actions, c’est-à-dire par la prescription
de trente ans.
1 6 2 . — La limite de trente ans, qui est la durée
extrême de l’action, ne saurait exercer aucune influence
1 D es
p r e s c r i p t io n s ,
n° 13
�236
toi
de
1867
sur
les
so c ié t é s
sur l’exception, on connaît la maxime quœ temporalia
s m t ad agendum sunt perpétua ad excipiendum.
Celte règle est un hommage rendu au caractère de la
prescription. Elle prouve que l’élément essentiel de celleci est, comme nous venons de le dire, ce double fait de
l’homme : la possession de celui qui acquiert, la pré
somption d’abandon chez celui qui néglige d’user de son
droit, qui laisse sa chose aux mains d’un tiers. Donc,
lorsqu’il n’y a ni possession d’un côté, ni présomption
de renonciation de l’autre, peu importe le délai écoulé
depuis le contrat. Le droit de le faire anéantir n ’a jamais
été ni compromis ni perdu, la nécessité de l’exercer ne
naissant qu’au moment même où, revenant sur ce qui
s’était réalisé jusqu’alors, on prétend en poursuivre et
en contraindre l’exécution.
L’actionnaire qui n’a jamais rien payé ou qui n’a pas
intégralement rempli son obligation, a donc conservé le
droit d’opposer la nullité de la société à quelque époque
que le gérant agisse contre lui. Il ne pourrait pas être
qu’en s’abstenant de poursuivre pendant trente ans, ce
lui-ci eût mis la validité de la société à l’abri de toute
attaque, et enlevé à l’actionnaire le bénéfice de la nullité.
Mais la perpétuité de l’exception ne saurait jamais
autoriser d’éluder la loi, elle doit donc se renfermer dans
ses limites naturelles.
Ainsi, tant que la prescription de trente ans n ’est pas
acquise, l’actionnaire, qui n’a exécuté son obligation
qu’en partie, pourra opposer à la poursuite dont il est
l’objet, la nullité de la société, non-seulement pour être
�TITRE I , ART.
7, 8.
237
dispensé de remplir ses engagements, mais encore pour
obtenir le remboursement de ce qu’il a payé.
Après trente ans il n’a plus qu’un seul droit, puiser
dans la nullité de la société la libération pour l’avenir.
Quant au passé, il ne saurait y revenir. Quoique de
mandé reconventionnellement, le remboursement de ce
qui a été précédemment payé n ’en constituerait pas
moins une action principale qui, n’étant plus , d’ail
leurs, la défense naturelle à l’action, échapperait à la
règle quœ temporalia etc., et se trouverait éteinte par
la prescription.
163.
— Le droit de poursuivre ou d’opposer la
nullité de la société, appartient indistinctement à tous
les intéressés en faveur de qui cette nullité est édictée.
Le mot intéressés a, dans notre article 7, la même si
gnification que dans l’article 42 du Code de commerce,
il désigne donc exclusivement les associés leurs héritiers,
leurs ayants-cause.
Au nombre de ces derniers sont compris, sans aucun
doute, les créanciers personnels des associés. Leur inté
rêt à faire annuler la société est évident, soustraire l’ac
tif de leur débiteur, pour l’avenir au moins, au privilège
des créanciers sociaux, peut n’être pas pour eux de peu
d’importance, et avoir pour résultat la conservation to
tale ou partielle de leurs créances.
La recevabilité de leur action ne saurait être ni mé
connue ni contestée. Evidente au point de vue de l’arti
cle 1166 du Code Napoléon, elle ne l’est pas moins à
�238
LOI DE
1867
SUR LES s o c ié t é s
celui de l’article 1167. En effet, l’abstention de leur dé
biteur à se prévaloir de la nullité pourrait n’être que le .
résultat d’une fraude contre leur droit.
164.
— Comme la loi de 1856, celle de 1867 rap
pelle et consacre le principe que la nullité de la société •
ne peut être opposée aux tiers par les associés.
L’équité la plus stricte le voulait ainsi d’abord, parce
que la nullité étant du fait des associés, il ne pouvait pas
être qu’on les autorisât à en exciper, et à se créer ainsi
un titre à eux-mêmes.
4
Il n’était pas moins impossible de faire peser sur les
tiers une responsabilité quelconque puisant son fonde
ment dans l’inexécution des prescriptions de la loi.
Quelle part en effet leur imputer dans cette inexécution?
Ont-ils été en position de la prévenir, ont-ils dû et pu
remplir eux-mêmes les formalités omises sciemment ou
involontairement par le gérant ?
On ne pourrait donc ni équitablement ni rationnelle
ment leur demander compte de la faute ou de la frau
de du gérant, de la négligence des co-associés, ni les en
rendre victimes. En ce qui les concerne, la société existe
légalement et régulièrement dès que, faisant appel à la
confiance publique, elle traite sans opposition sous le
nom social qui la personnifie.
Le Code de commerce avait consacré ces considéra
tions en déclarant dans son article 42 que le défaut d’au
cune des formalités prescrites pour la publication des
sociétés, ne pourrait être opposé aux tiers par les as
sociés.
�•
,'
'
vTITRE I, ART. 7 , 8 .
1
'*>)' ;
239
Les législateurs de 1856 et de 1867 ne pouvaient pas
penser et agir autrement, mais ils voulaient plus encore.
Assimilant la nullité foncière à la nullité de forme, ils
voulaient la faire aboutir au même résultat.
Il était dès lors indispensable qu’ils s’en expliquassent
expressément. Sans^ doute le silence qu’ils auraient gar
dé n’eut pas été considéré comme ayant abrogé l’article
42 du Code de commerce, mais on n’eût pas manqué
de soutenir que la disposition de cet article, spéciale à la
nullité pour publication insuffisante ne pourrait s’appli
quer à la nullité pour vice dans la constitution de la
société.
La première, en effet, n’atteint que l’avenir ; elle ne
saurait faire que la société n’eût pas en fait existé jus
qu’au moment où elle a été prononcée, et si pour les as
sociés eux-mêmes la société avait tous ses effets pour le
passé, à plus forte raison devait-il en être de même à
l’égard des tiers.
La nullité pour inexécution des conditions auxquelles
l’existence régulière de la société est subordonnée, réagit
sur le passé, elle saisit la société au jour même de sa
constitution et rend immédiatement applicable la règle
quod nullurn est nullurn producit effectum. Or, à ce
point de vue on n’a jamais distingué entre les intéressés
et les tiers , et ce qui est vrai pour les uns ne saurait
pas ne pas l’être pour les autres.
D’ailleurs, la nullité est ici générale, absolue, d’ordre
public ; donc, comme toutes celles de ce caractère elle
est opposable à tous et peut être invoquée même par les
parties.
�240
LOI DE
1867
SLR LES SOCIÉTÉS
A l’exception puisée dans la qualité de tiers, on eût
répondu par cètte autre règle : nemo debet ignorare
condilionem ejus cum quo contrahit. Celui-là donc,
qui est sollicité de traiter avec une société, a le devoir de
s’assurer de l’existence légale de celui-ci, il ne doit trai
ter que s’il lui est justifié de l’accomplissement des con
ditions exigées par la loi.
Le législateur de 1856, et à son exemple celui de
1867, n’ont pas cru qu’il fut possible de s’arrêter à ces
objections, et n’ont pas hésité à consacrer la doctrine
contraire.
Sans doute, chacun doit s’assurer de la condition de
celui avec qui il traite, mais imposer cette règle d’une
manière absolue en matière de sociétés, c’était agir con
tre la nature des choses et aboutir à une iniquité.
Comment, en effet, exiger que le public s’assure de
l’existence régulière de la société sans méconnaître la pre
mière et la plus impérieuse exigence commerciale? Pour
le public, l’existence de la société se manifeste suffisam
ment par la notoriété résultant de son exploitation ;
cette exploitation, qu’aucun des intéressés ne contredit,
contre laquelle aucune protestation ne s’élève encore,
en fait présumer la régularité.
Serait-il possible que les intéressés pussent se taire
tant que la société promettrait des bénéfices , réclamer
en cas de déconfiture et laisser la perte à la charge de
ceux que leur silence a induit en erreur ?
Il n’y avait donc pas à hésiter entre les intéressés et
les tiers, les premiers sont évidemment en faute d’avoir
�TITRE I , ART.
7,
241
8.
négligé de veiller à l’accomplissement de la loi de s’as
surer de cet accomplissement. On ne pouvait reprocher
aux seconds qu’une confiance que la rapidité nécessaire
des opérations commerciales justifie et commande, et
qu’il importait d’empêcher qu’elle put jamais dégénérer
en un piégé sciemment ou involontairement tendu à
leur crédulité.
Le principe consacré par notre article 7 est donc juste
et d’une moralité incontestable, les associés ne peuvent
dans aucun cas opposer aux tiers la nullité foncière de
la société, malgré que le caractère de cette société soit
radical, absolu et d’ordre public.
165.
— Cette nullité eût-elle été poursuivie et pro
noncée, les associés actionnaires n’en devraient pas moins
désintéresser les tiers, qui les actionneraient en paiement
de ce qu’ils devraient encore sur le montant de leur
mise.
A l’occasion de cette action, une distinction est à faire
tant que la société est in bonis, les tiers ne peuvent agir
contre les actionnaires. lisseraient sans intérêt à le faire,
puisque le gérant serait en position de les désintéresser.
C’est donc contre lui seul qu’ils seraient recevables à
se pourvoir. Ils ne pourraient agir contre les actionnai
res que par l’action oblique et comme exerçant les droits
du gérant. Ils seraient dès lors passibles de toutes les ex
ceptions opposables à celui-ci.
Les actionnaires, en effet, ne répondent que de la perte,
et celle-ci ne saurait résulter de l’existence d’un passif.
i . “— 16
�2421
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Quelle est, en effet, la maison de commerce qui n’a pas
le sien.
Mais la faillite ou la déconfiture de la société ne per
met plus le doute sur l’existence d’une perle que la mise
des associés doit éteindre ou contribuer à éteindre. Dès
lors s’ouvre le droit des créanciers d’agir contre ces as
sociés en leur nùm et par l’action directe. Ce caractère
de l’action d’abord mis en question, est aujourd’hui à
peu près unanimement admis par la doctrine et la juris
prudence1.
166.
— Nous venons de dire que les créanciers per
sonnels des associés étaient recevables à poursuivre et à
faire prononcer la nullité de la société contre les intéres
sés. Pourraient-ils exercer ce droit contre les tiers et se
prévaloir à leur égard de cette nullité ?
Evidemment non , si réduits à invoquer uniquement
l’article 1166 du Code Napoléon, ils n’agissent que com
me exerçant les droits et actions de leurs débiteurs. Dans
ce cas, en effet, ils ne sont que le débiteur lui-même et
sont forcément passibles de toutes les exceptions qui écar
teraient celui-ci.
Il en est autrement si les créanciers personnels de
l’associé , se plaçant sous l’empire de l’article 1167 du
même Code, soutenaient que la société a été contractée
en fraude de leurs droits. La recevabilité de leur actioû
ne saurait, dans ce cas, être méconnue. Mais son bien
0
1 V. n o t r e
Commentaire des faillites,
n ° s 3 7 2 et suiv.
�TITRE I , ART.
7, 8.
243
fondé ne pourrait être admis que s’ils prouvaient que la
fraude dont ils excipent a été connue favorisée et con
certée par les tiers auxquels ils l’opposent. En effet, peu
importe les actes du débiteur et l’intention qui y a pré
sidé. Les droits acquis à titre onéreux ne sont et ne peu
vent être atteints par l’action paulienne , que si ceux à
qui ils ont été conférés se sont rendus complices de la
fraude du constituant '.
167.
— Les tiers auxquels les associés ne peuvent
opposer la nullité de la société, sont tous ceux qui , étrangers aux actes qui ont précédé , préparé et suivi la
constitution de la société, ont acquis contre elle des droits
ou des actions, ou contracté envers elle des obligations.
Ces mêmes tiers pourront-ils se prévaloir de la nullité
et l’opposer aux associés ?
On ne saurait supposer qu’une prétention de ce genre
puisse jamais entrer dans l’esprit des créanciers sociaux.
Loin de servir leurs intérêts, la nullité de la société leur
serait préjudiciable. Son effet immédiat serait l’extinc
tion du privilège sur la mise des associés, privilège dont
la conservation a motivé la prohibition que la loi fait
aux associés d’opposer la nullité de la société aux tiers.
D’autre part à quel titre les débiteurs sociaux seraientils admis à se prévaloir de cette nullité ? Est-ce que sa
consécration éteindrait leur obligation et les en libérerait?
l V. n o t r e
Traité dudol eide la fraude,
n° 1432.
�244
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
L’unique intérêt que les débiteurs ont et peuvent a voir, est de payer valablement, et de se mettre ainsi à
couvert de toute réclamation ultérieure. Or ce résultat,
le paiement fait aux mains du gérant l’assure irrévoca
blement , alors même que la nullité de la société aurait
été plus tard demandée et obtenue. Ils n’ont donc aucun
intérêt à solliciter eux-mêmes cette nullité , et dès lors
aucune action dans cet objet.
168.
— La nullité de la société n’était ni une peine
pour le gérant qui a volontairement désobéi à la loi, ni
une réparation du préjudice que les actionnaires ont pu
souffrir de cette désobéissance , si cette nullité n’ayant
d’autre conséquence que la liquidation des affaires , ces
actionnaires devaient en subir les effets quels qu’ils fus
sent. Dans cette hypothèse même la nullité ne pouvait
qu’aggraver le dommage, en ajoutant à la perte déjà éprouvée celle qu’une liquidation forcée devait nécessai
rement entraîner. Ce résultat pouvait être pour les inté
ressés une raison de s’abstenir de poursuivre la nullité,
pour le gérant un encouragement à violer les prescrip
tions de la loi, puisqu’il aurait pu le faire impunément.
Il fallait donc, pour que le but que se proposait le lé
gislateur fût atteint, que la nullité eût pour conséquence
forcée de rendre les actionnaires indemnes de tout pré
judice et de les remettre au même état qu’ayant l’asso
ciation.
16 9 . — Dans ce but, la loi de 1856 rendait le gé~
�TITRE I, ART.
7, 8.
245
rant de plein droit responsable de toutes les opérations,
et laissait aux tribunaux le droit et la faculté d’étendre
cette responsabilité aux membres du conseil de surveil
lance.
1 7 0 . — En principe cette faculté était rationnelle et
juste. Il est évident en effet que le conseil de surveillan
ce avait de son côté désobéi à la loi en négligeant de
s’assurer si le gérant avait rempli les conditions aux
quelles la constitution de la société était subordonnée. La
nullité était dès lors autant de son fait que de celui du
gérant, et devait, à moins de circonstances graves, avoir
pour lui les effets qu’elle entraînait contre celui-ci.
Le législateur de -1867 ne pouvait envisager autrement
les choses. Mais en persistant dans la voie tracée par son
devancier, il a apporté à ses dispositions des modifica
tions que commandaient une plus juste appréciation des
choses et le sentiment d’une plus exacte justice.
1 7 1 . — L’article 7 de la loi de 1856 déclarait, d’u
ne manière générale, que le conseil de surveillance pou
vait être déclaré responsable de toutes les opérations pos- térieures à sa nomination. Ceux donc qui étaient atteints
étaient les membres du conseil en exercice au moment
où la nullité était prononcée, quel que fût le temps écoulé
depuis la mise en activité de la société.
Sans doute, à quelque époque qu’ils fussent élus , les
membres du conseil pouvaient découvrir et dénoncer
l’inexécution des conditions prescrites. Mais ce devoir
�246
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
n’était-il pas plus spécialement imposéau conseil de sur
veillance contemporain de la constitution de la société ?
Qui mieux que lui pouvait et devait le remplir, dès qu’il
avait pour objet de prévenir la nullité de la société, en
suppléant à la négligence volontaire ou involontaire du
gérant ?
Les membres plus tard élus ne doivent-ils pas de bon
ne foi supposer que leurs prédécesseurs ont fait ce qui
leur était ordonné de faire, et dès lors considérer com
me inutile de s’enquérir de la régularité ou de l’irrégu
larité de la constitution de la société ? Dès lors les dé
clarer responsables du vice de cette constitution , c’était
les traiter avec une sévérité injustifiable en droit et en
fait.
Le législateur de 1867 s’est bien gardé de tomber dans
cet excès. Appréciant plus sainement les choses, il ne
fait peser la responsabilité éventuelle d’une constitution
irrégulière que sur le premier conseil de surveillance seul
en position de la prévenir et de l’empêcher.
172.
— La solidarité entre les membres du conseil
et le gérant, édictée par la loi de 1 856 , donnait à la
responsabilité des premiers une étendue qu’elle ne com
portait pas. Elle assimilait la négligence, l’excès de con
fiance des uns à la fraude de l’autre , en lui imposant
un effet identique. En effet la condamnation , quelque
sévère qu’elle ait été déterminée par la fraude du gérant,
n ’en serait pas moins commune aux membres du con
seil par l’effet de la solidarité.
�■
TITRE I, ART.
7, B.
247
En repoussant le principe de la solidarité, la loi de
1867 permet aux magistrats d’apprécier les torts réci
proques à leur juste valeur, et de proportionner la peine
au degré de gravité de ces torts. Par cela même l’intérêt
des actionnaires sera plus efficacement garanti. En effet
la sévérité de la législation précédente, injustifiable dans
certains cas, répugnait à la conscience des tribunaux et
les portait à repousser la responsabilité des membres du
conseil de surveillance. Ils ne seront plus tentés de le
faire , dès que , arbitrant souverainement la nature des
actes reprochés, ils ont le droit d’en modérer équitable
ment les conséquences.
»
s
173.
— La loi nouvelle ne se contente pas de mo
difier la responsabilité du conseil dans ses effets ; elle la
restreint dans son principe. L’article 7 de la loi de 1856
rendait ce conseil responsable de toutes les opérations
faites postérieurement à son institution. Donc la perte
que ces opérations avaient entraînée était à la charge de
ses membres, par cela seul qu’elle existait; et alors mê
me qu’elle fût due à une toute autre cause que la nullité
de la société.
Les circonstances spéciales au milieu desquelles la loi
intervenait, expliquent qu’on eût fermé les yeux sur la
gravité d’une pareille conséquence. Mais ce qui en était
résulté, c’est que dans l’impossibilité de limiter équita
blement la responsabilité , les tribunaux refusaient de
l’accueillir, alors même qu’en fait le conseil de surveil
lance n’avait pas su découvrir l’inexécution des condi-
�248
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
tions auxquelles était subordonnée la régularité de la
constitution de la société. C’est notamment ce que la cour
de Paris faisait le 16 janvier 1863 :
« Considérant, disait l’arrêt, que dans l’espèce l’in
suffisance dès souscripteurs et le non versement du quart
des actions souscrites n’ont été pour rien dans la ruine
du comptoir Spinelli; que cette entreprise n’a point failli
par suite d’insuffisance de ressources, ni pour toute au
tre cause ayant trait à la composition de son capital ;
qu’elle a péri par suite des dilapidations de ses agents,
dilapidations qui eussent été plus considérables si les ap
ports de fonds eussent été plus élevés, sans que la situa
tion des actionnaires et de la faillite s’en trouvât meil
leure ; qu’ainsi dans de telles circonstances, en rendant
le conseil de surveillance responsable des pertes de la
compagnie, par application de l’article 7 de la loi du 17
juillet 1856, on arriverait à une peine qui n’aurait au
cune relation avec le fait reproché. »
Cet arrêt ayant été déféré à la cour de Cassation, le
pourvoi était rejeté le 23 août 1864 '.
174.
— Ce qui détermine ce rejet, c’est le caractère
purement facultatif de la responsabilité. Il est évident,
en effet, qu’en la repoussant, la cour de Paris n ’avait
fait qu’user du droit qui lui était souverainement attri
bué , et qui, s’il justifie le résultat de l’arrêt, ne saurait
en justifier les motifs.
»
* D. P„ 64. 4, 367.
�TITRE I, ART. 7 ,
8.
249
D’abord la loi n’exigeait pas même que l’irrégularité
de la constitution de la société eût été la cause directe
du préjudice éprouvé. La responsabilité était encourue
pour toutes les opérations exécutées en l’état de cette ir
régularité, c’est à dire que la société n’ayant pu légale
ment exister, les actionnaires devaient se trouver dans le
même état qu’avant le commencement de ces opérations.
Sans doute cette responsabilité n’était que facultative
contre les membres du conseil de surveillance , et l’on
comprend très-bien qu’ils en eussent été exonérés par
justice, si au lieu d’avoir été trop confiants ou négligents
ils avaient été trompés par les manœuvres frauduleuses
du gérant.
Mais, la négligence acquise, refuser d’en tenir compte
parce qu’elle aurait été sans influence sur la perte éprou
vée par la société, c’est substituer une pure fiction à la
vérité vraie et se refuser à l’évidence.
Ainsi, dans l’espèce de l’arrêt d elà cour de Paris, la
ruine de l’opération avait sa cause dans les dilapidations
des agents. Mais est-ce que ces dilapidations n’étaient
pas, dans une certaine limite, imputables au conseil de
surveillance? Evidemment elles ne s’étaient réalisées
qu’après la constitution et la mise en mouvement de la
/ société. Or la découverte que le capital social n’avait pas
été en entier souscrit, ni le quart des actions souscrites
versé, eussent rendu impossibles l’une et l’autre.
Donc, si le conseil de surveillance pouvait faire cette
découverte, la négligence qu’il a mise à remplir son de
voir a été essentiellement dommageable. Si elle n’a pas
�m
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
causé directement les dilapidations, elle les a tout au
moins favorisées, et il est dès lors rationnel et juste de
lui infliger une part proportionnelle dans la responsa
bilité.
Ce qui est vrai pour les dilapidations, ne le serait pas
moins dans toutes autres circonstances. Supposez , en
effet, que la ruine de la société ait été la conséquence
des pertes que ses opérations ont occasionnées, n ’est-ce
pas qu’en laissant la société se constituer lorsqu’il pou
vait l’empêcher, le conseil de surveillance a à se repro
cher d’avoir permis ces opérations, et contribué ainsi au
résultat fâcheux auquel elles ont abouti.
Nous comprenons que les tribunaux appréciant sou
verainement la conduite du conseil de surveillance, dé
clare qu’il n’a encouru aucun reproche, qu’il a fait tout
ce qu’il pouvait faire, et en conséquence l’affranchisse
de toute responsabilité. Mais établir en principe que sa
négligence n’a , dans telle ou telle circonstance , en rien
influé sur le préjudice , et ne saurait entraîner aucune
responsabilité, c’est accorder un brevet d’impunité con
traire à la volonté du législateur, et que la vérité des
choses repousse expressément.
L’excès de sévérité qui pouvait excuser un pareil ré
sultat a aujourd’hui disparu. Notre article 8 , en effet,
dispose que le conseil de surveillance pourra être déclaré
responsable, non plus de toutes les opérations faites pos
térieurement à sa nomination, mais du dommage résul
tant pour la société ou pour les tiers de la nullité de la
société. Les magistrats ont donc à rechercher tout d’a -
�TITRE I, ART.
7, 8.
251
bord s’il existe un dommage, et, en cas d’affirmative, à
en apprécier les causes , et à déterminer la part qui in
combe au conseil de surveillance.
Cette liberté d’appréciation, en donnant à la répres
sion un caractère plus juste, rendra cette répression plus
facile et plus efficace. C’est ce but que le législateur de
1867 s’est efforcé d’atteindre par les diverses modifica
tions qu’il a fait subir à la loi de 1856.
t7 5 . — La loi nouvelle accorde le droit d’agir con
tre les membres du conseil de surveillance non-seule
ment aux associés, mais encore aux tiers. Ceux-ci comme
ceux-là peuvent leur demander la réparation du préju
dice qu’ils éprouvent de la nullité de la société.
Cette nullité ne serait dommageable pour les associés
que si le capital social se trouvant entamé, ils ne peu
vent être remboursés intégralement de ce qu’ils ont ver
sé. Dans le cas contraire, où serait le dommage dont ils
auraient à se plaindre ?
Pourraient-ils prétendre que si la société eût continué
d’exister, elle aurait réalisé des bénéfices ; que sa nul
lité leur enlevant la part qu’ils auraient eue dans ces
bénéfices, leur occasionne une perte dont ils doivent être
indemnisés ?
Ce peut être là une probabilité, une espérance. Mais
ni l’une ni l’autre ne saurait équivaloir à une certitude.
Et comment les juges alloueront-ils des dommages-in
térêts, alors que tant de chances peuvent faire qu’au lieu
d’un bénéfice la société n’eût rencontré qu’une perte?
�252
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
'D ’ailleurs si la société fait concevoir de si belles es
pérances , qui empêche les intéressés de se constituer à
nouveau, et cette fois en remplissant fidèlement les con
ditions de la loi, et de prendre la suite de la société an
nulée ?
Ce n’est donc que dans le cas où ils sont menacés
d’une perte , que les intéressés pourront vouloir faire
condamner les membres du conseil de surveillance à les
en relever et garantir. Or cette perle peut provenir ou de
la liquidation forcée que la nullité de la société entraine
à sa suite ; ou des opérations exécutées jusqu’au moment
où cette nullité est prononcée.
Dans le premier cas , si la responsabilité du conseil
est admise, someffet doit comprendre l’intégralité de la
perte qui bien évidemment résulte de la nullité de la so
ciété. Comme au moment du jugement la perte peut ne
pas être connue, les magistrats sont autorisés soit-à dé
cider qu’elle sera fixée par é ta t, soit à l’arbitrer euxmêmes d’après les faits et documents du procès.
Dans le second, il serait par trop sévère de rendre le
conseil responsable d’opérations qu’il ne pouvait ni em
pêcher ni contrôler. C’est pourquoi notre article 8 ne
reproduit plus les termes de l’ancien article 7 : respon
sables des opérations faites postérieurement à leur no
mination.
Mais comme nous le disions toul-à-l’heure , c’est la
constitution irrégulière de la société qui a rendu les opé
rations possibles. Donc, si cette irrégularité est recon
nue être imputable au conseil de surveillance, sa respon-
�TITRE I , ART. 7 , 8 .
253
sabilité l’oblige à réparer le dommage résultant de sa
faute, et c’est aux magistrats à fixer dans quelles propor
tions il doit indemniser les associés.
176.
— Si quelques doutes pouvaient s’élever à ce
sujet, ils s’évanouiraient devant la disposition de l’ar
ticle 8, permettant de déclarer le conseil de surveillan
ce responsable même à l’égard et en faveur des tiers.
Où donc, en effet, peut résider le'principe de celte
responsabilité ? Tant qu’il ne s’est pas immiscé dans
l’administration de la société, le conseil est nécessaire
ment étranger aux tiers qui ont traité avec celle-ci, et
n’ont contracté envers eux ni engagement’direct, ni en
gagement indirect.
D’autre part, ses membres n’ont reçu de la part de
ces tiers ni mandat dont ils aient à rendre comp
te , ni mission dont ils doivent répondre. Tout ce
que ceux-ci ont ou peuvent avoir à leur reprocher, c’est
d’avoir permis à la société de se constituer en dehors
des conditions légales, de les avoir ainsi amenés à trai
ter avec elle et de les avoir exposés au préjudice qu’ils
en éprouvent.
Evidemment donc, pour le législateur, la tolérance
que le conseil de surveillance est convaincu d’avoir mal
à propos apportée, sa négligence qui a laissé la société
se constituer irrégulièrement, est par elle-même un
fait reprochable, obligeant à réparer le préjudice qui
peut en être la conséquence.
Ce préjudice est évident pour les actionnaires. Il est
�854
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
incontestable, en effet, que si la société ne s’était pas
constituée, elle n’aurait pu se livrer à des opérations
plus ou moins ruineuses. On pouvait donc , sans trop
de rigueur, accorder à ces actionnaires une action con
tre ceux qui ont permis cette constitution que leur de
voir était d’empêcher.
Mais étendre cette action aux tiers peut paraître une
rigueur moins justifiable. La loi vient de consacrer le
principe que la nullité de la société ne peut être oppo
sée aux tiers. Donc, à leur égard, cette nullité, même
judiciairement consacrée, est comme si elle n'existait
pas. Quel est dès-lors le préjudice qui pourra en résulter
pour eux ?
Le seul qu’ils puissent alléguer est la perte qu’ils sont
exposés à subir en capital et intérêts. Mais ce qui dé
terminera cette perte, c’est que le capital social se trou
vant plus ou moins engagé, l’actif et inférieur au passif.
Or celte infériorité, la nullité pourra bien la manifester,
mais de toute certitude, elle ne l’aura pas créée.
Sans doute, la société, en continuant, pourrait réali
ser un bénéfice, mais elle pourrait aussi voir ses pertes
s’aggraver, et comment, dans cette incertitude, se pro
noncer dans un sens ou dans l’autre.
177.
— Quoiqu’il en soit, la disposition de l’article
8 ouvre aux tiers l’action en nullité de la société, puis
que elle peut avoir pour résultat de rendre en leur fa
veur le conseil de surveillance responsable. Nous di
sions tout à l’heure que cette action serait plus préjudi-
�TITRE I, ART. 7 , 8 .
255
ciable qu’utile1, mais nous raisonnions dans l’hypothèse
d’une poursuite alors que la société est évidemment in
bonis.
Il en est autrement dans le cas de déconfiture ou de
faillite. Alors, en effet, la perle est imminente et certaine,
et alors aussi nait l’intérêt à obtenir, d’en être indem
nisé par les membres du conseil de surveillance, et cet
intérêt rend l’action évidemment recevable.
Mais son accueil est purement facultatif pour les tri
bunaux. La loi bornant la responsabilité du conseil au
préjudice résultant de la nullité, la demande serait et
devrait être rejetée dans le cas où cette nullité serait sans
influence sur le dommage.
1 78.
— Il est une hypothèse où le préjudice résul
terait infailliblement de la nullité , à savoir : si la so
ciété étant sans contredit au-dessus de ses affaires, sa
liquidation forcée, conséquence de cette nullité, donnait
lieu à des perles plus ou moins considérables, et absor
berait un actif sur lequel on pouvait et on devait comp
ter. La perte résulterait dans ce cas directement de la
nullité, et cette nullité étant dans une certaine limite
imputable au conseil de surveillance , on pourrait l’en
déclarer responsable par application de l’article 8.
Mais dans ce cas l’action ne serait recevable qu’à la
fin de la liquidation. Jusque-là, en effet, on ne sait si
les créanciers seront ou non intégralement désintéressés,
�256
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
on ignore dans tous les cas la quotité de la perte, c’està-dire que l’existence et l’importance du préjudice sont
inconnus. Dès lors, aucune hase appréciable ne justifie
rait ni la demande, ni l’allocation d’une réparation.
Sans doute, la liquidation exigera un certain temps
et pourra retarder plus ou moins le paiement des créan
ces; mais leurs bénéficiaires n’en éprouveront aucun
préjudice. Ces créances produiront intérêt jusqu’à leur
extinction, et il n’y aura paiement satisfactoire qu’en
tant qu’on aura fait raison de cet intérêt comme du ca
pital. Toute la partie non payée de l’un ou de l’autre
constituerait une perte qui motiverait l’action en res
ponsabilité contre le conseil de surveillance.
179.
— Sous l’empire de la loi de 1856, la Cour de
Bordeaux jugeait que l’action en responsabilité contre le
conseil de surveillance supposait que la nullité avait été
reconuue et consacrée judiciairement ; qu’en consé
quence elle était irrecevable lorsque celte nullité n’avait
été ni prononcée ni demandée. Le pourvoi dont cet ar
rêt avait été l’objet était rejeté par la cour de Cassation
le 9 juillet 1861 '.
Toute controverse à ce sujet n’est plus admissible,
puisque l’article 8 n’admet la responsabilité éventuelle
du conseil de surveillance que pour le dommage résul
tant de la nullité, il est évident que tant que cette nul
lité ne sera pas acquise, les membres du conseil sont audessus de toute atteinte.
�TITRE I , ART.
7, 8.
257
Il ne faudrait cependant pas en conclure qu'il faille
dans tous les cas deux instances distinctes et séparées,
l’une sur la nullité, l’autre sur la responsabilité. Ces
deux prétentions peuvent être l’objet d’une instance uni
que, et résolues par un seul et même jugement, sta
tuant successivement sur la nullité et sur les consé
quences qu’elle doit avoir pour les membres du conseil.
La cour de Bordeaux et la cour de Cassation ne se
prononcent pour la fin de non-recevoir absolue que par
ce que la nullité n’avait été ni prononcée ni demandée.
Donc, si dans l’ajournement ou dans leurs conclusions
les poursuivants l’avaient requise, il y aurait été statué,
et en la supposant admise on aurait pu et dû prononcer
sur la responsabilité des membres du conseil.
1 8 0 . — On remarquera que de même que l’ancien
article 7, notre article 8 dispose que les membres du
conseil 'pourront être déclarés responsables. Ainsi , la
responsabilité n’est pas obligatoire, elle peut être re
poussée alors même que le reproche qu’on leur adresse
est justifié en fait, et que la nullité a été dommageable
soit pour les associés, soit pour les tiers.
Dans son Commentaire de la loi de 1856, M. ftomiguièresfinterprétait l’article 7 en ce sens qu’il n’y avait
de facultatif que le droit des intéressés à poursuivre ;
mais que dès que ce droit était exercé , les tribunaux
étaient obligés de condamner.
181. — Nous avions au contraire soutenu qu’on ne
�258
LOI DE
1867
SUR LES s o c i é t é s
pouvait hésiter et moins encore équivoquer sur la por
tée du terme pourront ; que de la discussion législative
il résultait évidemment qu’on avait entendu laisser aux
tribunaux l’appréciation souveraine de la responsabilité
en faisant pour eux de sa consécration une faculté et
non un devoir.
• Cette interprétation admise par presque tous les au
teurs, a été consacrée par la jurisprudence ; partout et
toujours elle avait compris et appliqué l’article 7 dans
le sens que nous lui avions donné.
Nous sommes donc dispensés d’insister à ce sujet ; en
se servant des termes de la loi ancienne, la loi nouvelle
n’a dit et voulu que ce que la première voulait et disait.
La responsabilité du conseil de surveillance est donc,
aujourd’hui encore, une faculté dont les tribunaux peu
vent ou non user suivant les inspirations de leur cons
cience. Mais il n’en est pas de même de la nullité de la
société pour inexécution des articles 1, 2, 3, 44et 5 ;
Celte nullité est non-seulement obligatoire et forcée,
mais encore d’ordre public, elle ne comporte donc ni
ratification ni transaction.
— On remarquera que, bien que la loi ne s’en
explique pas expressément, il a été dans ses prévisions que
le gérant ne put commencer les opérations avant l’entrée
en fonctions du conseil de surveillance, cela résulte invin
ciblement de l’article 5 exigeant l’institution d’un conseil
desurveillance par l’assemblée qui déclare la société cons
tituée, et de l’article 13 punissant d’une amende de
182.
�TITRE 1, ART. 7 ,
8.
259
cinq cent à dix mille francs, le gérant qui commence les
opérations sociales ayant l’entrée en fonctions du conseil
de surveillance.
Cet acte constitue donc un délit et en même temps
une désobéissance formelle aux prescriptions de l’article
5 ; faut-il en conclure que dans ce cas sa réalisation
devrait nécessairement amener la nullité de la société ?
L’examen de cette question dans notre Commentaire
de la loi de 1856 , nous avait inspiré cette double con
clusion :
1° Le conseil de surveillance, ne pouvant répondre
de ce qui s’est passé avant sa nomination, ne saurait
être recherché à raison de la nullité. Mais son devoir est,
dès qu’il a connaissance d’opérations antérieures, de
convoquer l’assemblée générale, de lui soumettre le fait
et de prendre ses ordres ;
2° L’assemblée générale n’est pas tenue de se pro
noncer pour la nullité de la société, elle peut décider
que les opérations antérieures à l’entrée en fonctions du
conseil, resteront personnelles au gérant, ou seront au
compte de la société.
Notre première conclusion n’a rencontré aucune con
tradiction. On reconnaît que si la responsabilité des
membres du conseil est engagée, c’est non à cause de
l’infraction elle-même, mais uniquement pour ne pas
l’avoir signalée et ne pas avoir consulté les intéressés.
18 3 .
— Notre seconde conclusion est approuvée par
M. Dalloz qui estime que notre doctrine ne heurte au-
�260
loi d e
1867 syR
les sociétés
cun principe. Seulement il craint qu’elle 11e fit naître
quelque difficulté dans son opération pratique
M. Rivière ne partage pas cet avis. 11 pense que dans
le cas d’opérations antérieures à la constitution de la so
ciété , comme dans tous les autres énumérés dans les
cinq premiers articles de la loi , la nullité est d’ordre
public, par conséquent insusceptible d’être couverte par
une exécution ou une ratification quelconque; que dès
lors, malgré le consentement de la majorité, la société
ne peut pas plus exister pour elle que vis-à-vis de la
minorité; que si les membres de la majorité veulent
conserver leurs rapports, ce sera une nouvelle société et
non l’ancienne qui continuera d’exister entre eux2.
184.
— Nous avions tenu compte du caractère de
la nullité, puisque nous admettions que la délibération
acceptant les opérations antérieures à l’entrée en fonc
tions du conseil, ne lierait que ceux qui l’avaient votée,
et que si elle n’avait été prise qu’à la majorité, la mi
norité , se réduisit-elle à un seu l, ne pouvait être con
trainte à en subir les effets, ni privée du droit de pour
suivre et de faire prononcer la nullité de la société3.
Nous subordonnions donc le maintien de la société
au vote unanime des actionnaires , et l’opinion de M.
Rivière refusant à cette unanimité elle-même la faculté
1 R i p e r t, g i n . , v° S o c ié té s, n° 1241.
* C o m m e n ta ire de la lo i de 1867, n° 76.
3 Notre C o m m e n ta ire des sociétés, appendice n° 105.
�TITRE I, X RT. 7, 8 .
261
d’autoriser ce maintien et rendant la nullité de la so
ciété inévitable et forcée, ne nous parait pas admissible.
Où serait, en effet, dans ce cas, la raison de la nul
lité ? A proprement parler, les opérations antérieures à
la constitution de la société ne sauraient engager celleci, et sont personnelles au gérant. Donc , en les accep
tant pour leur compte , les actionnaires ne transigent
point sur la nullité. Ils contractent avec le gérant un
marché qu’ils sont libres de faire avec un tiers quelcon
que. Comment poursuivre et obtenir la nullité de la so
ciété, si le gérant se déclare seul engagé par les opéra
tions qu’on lui reproche, et consent à en subir seul la
chance ?
N’est-ce pas ce qu’il sera tenté de faire, si, encore en
cours d’exécution, ces opérations promettent d’être avan
tageuses, ou si déjà liquidées elles donnent un bénéfice?
En conclura-t-on que le gérant ne se résoudra à les cé
der à la société que lorsqu’elles menaceront d’une perte?
Mais maîtres de les accepter ou de les répudier, les ac
tionnaires ne les prendront évidemment à leur compte
qu’après examen et s’être convaincus qu’elles promet
tent un résultat favorable, et dans ce cas comment con
cevoir que la loi ait entendu leur refuser la faculté de
profiter d’une chance heureuse et leur imposer l’obliga
tion de rompre la société, au risque des inconvénients et
des dangers d’une liquidation immédiate ? Car on peut
n’apprendre l’existence d’opérations antérieures, qu’après
une exploitation ayant déjà engagé les intérêts sociaux
qui se trouveraient ainsi livrés aux hasards d’une liqui
dation prématurée et intempestive.
�262
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES
s o c ié t é s
Nous ne pouvions admettre que, sans tenir compte de
ce danger , la loi eût entendu dans un cas quelconque
qu’on dût forcément dissoudre la société ; et cette con
viction , la loi nouvelle est venue la corroborer. Son ar
ticle 6 , en effet, ainsi que nous l’avons établi, a pour
objet de prévenir cette nullité, en chargeant le conseil de
surveillance de suppléer à la négligence ou à l’incurie
du fondateur gérant.
Or si le conseil de surveillance peut faire réaliser ou
rectifier la déclaration notariée imposée au gérant, ou y
faire annexer les pièces que celui-ci aurait omis d’y join
dre ; s’il peut faire effacer des statuts toutes clauses con
traires aux conditions exigées pour le taux, le caractère
et la négociabilité des actions ; s’il peut, dans le cas où
«
les apports en nature ou les avantages particuliers n’au
raient pas été appréciés comme la loi l’exige, faire pro
céder à une nouvelle et régulière appréciation , quelle se
rait la raison qui pourrait s’opposer à ce que les action
naires à l’unanimité, prévenant une nullité dommagea
ble, prissent pour leur compte des opérations qu’ils croient
devoir être ou qui sont en réalité avantageuses ?
Nous maintenons donc notre opinion et nous persis
tons à croire que la faculté que nous reconnaissions à
l’unanimité des actionnaires est formellement consacrée
par l’esprit de la loi.
185.
— Le droit de poursuivre la nullité que nous
reconnaissons à tous ceux qui ont refusé ou qui refusent
d’adhérer à la délibération de la majorité, doit être ren-
�TITRE I , ART.
7, 8.
263
fermé dans d’étroites limites. Il importe, pour la rece
vabilité de son exercice , qu’il soit réalisé dans le plus
bref délai. Il ne saurait être qu’un ou plusieurs intéres
sés spéculassent sur le résultat des opérations, se réser
vant de les accepter si ce résultat était favorable , de les
répudier s’il était contraire, et en laissant la société s’en
gager dans des spéculations plus ou moins considéra
bles, exposassent ainsi à voir s’aggraver les conséquen
ces de la nullité.
Leur action devrait donc être repoussée, si, connais
sant ou pouvant connaître l’existence d’opérations anté
rieures à la constitution de la société, ils ne l’avaient pas
immédiatement réalisée. Le silence qu’ils auraient gardé
pendant un temps plus ou moins long, pourrait et de
vrait être considéré comme un acquiescement tacite à la
délibération de la majorité.
186.
— L’observation des prescriptions de la loi à
l’endroit de la vérification et de l’appréciation de la va
leur des apports en nature, ou des causes des avantages
particuliers, est du plus énorme intérêt. Elle est en effet
l’unique moyen de prévenir ces exagérations qui d’a
vance frappaient de mort les sociétés en commandite par
actions.
Aussi a-1—elle attiré toute la sollicitude du législateur
qui a complété son système de précautions à ce sujet, en
y intéressant d’une manière directe l’associé qui a fait
l’apport en nature ou stipulé à son profit les avantages
particuliers.
�264
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
En effet l’article 7 de la loi de 1856, après avoir dis
posé que les membres du conseil de surveillance pou
vaient être déclarés responsables de la nullité tirée de ce
que la société avait été constituée contrairement aux ar
ticles précédents, ajoutait dans son dernier paragraphe:
la même responsabilité solidaire peut être prononcée
contre les fondateurs de la société qui ont fa it un ap
port en nature ou au profit desquels ont été stipulés des
avantages particuliers.
187.
— Cette rédaction avait immédiatement fait
naître la question de savoir si les fondateurs étaient res
ponsables des mêmes infractions que les membres du
conseil de surveillance ?
Que ceux-ci répondissent de la violation des articles
1, 2, 3, 5, de même que de celle de l’article 4, on le
comprend , puisque, en leur qualité, ils devaient véri
fier si toutes ces dispositions avaient été observées, et
suppléer celles qui auraient été inexécutées.
Mais l’associé qui restait étranger à la gérance, et qui
se bornait à faire un apport en nature, ou à stipuler à
son profit des avantages particuliers , qu’avait-on rai
sonnablement à exiger de lui ? Qu’il veillât à la régula
rité de son opération , en provoquant la vérification et
l’appréciation de la valeur qu’il donnait à l’un, des cau
ses qu’il affectait aux autres. Il n’avait pas évidemment
d’autre devoir à remplir , d’autres soins à prendre dans
la préparation de la société. Dès lors permettre de le
rendre responsable pour toute autre cause que la viola-
�TITRE 1, ART. 7 , 8 .
265
tion de ce devoir, n’était-ce pas méconnaître à son égard
les notions de la raison et de l’équité ?
y -
188.
— Aussi M. Duvergier n ’hésitait-il pas à ré
soudre négativement notre question, « La circonstance
de l’apport en nature, disait-il, la stipulation d’avanta
ges particuliers a déterminé à prescrire certaines pré
cautions. Ces précautions prises, ceux qui ont fait l’ap
port, ceux qui ont stipulé des avantages, rentrent dans
la catégorie de tous les autres associés. On ne saurait
admettre que la responsabilité les suit et peut les atteintre. Lorsque tout ce qui était exigé d’eux ou à cause
d’eux a été fait, on ne conçoit pas une peine appliquée
à celui qui a fait tout ce que la loi lui prescrivait.
» À la vérité , après avoir déclaré , dans le premier
paragraphe, les membres du conseil de surveillance res
ponsables , l’article d i t , dans le second , que la même
responsabilité solidaire peut être prononcée contre les
fondateurs, etc.. . . Mais cette forme de langage signifie
que les fondateurs peuvent être déclarés responsables
comme les membres du conseil de surveillance. Elle ne
décide pas expressément que les uns et les autres doi
vent l’être en raison des mêmes infractions '. »
A notre avis M. Duvergier établit avec évidence plutôt
ce que la loi devait être que ce qu’elle était en effet. Ses
considérations pour établir que les fondateurs ne pou
vaient encourir une responsabilité de même nature due
�266
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
celle des membres'du conseil de surveillance , sont sans
réplique.
Mais la loi de 1856 les sanctionnait-elle? Il est per
mis d’en douter. Son article 7, après avoir rendu le
conseil de surveillance éventuellement responsable en cas
de nullité pour violation des prescriptions des articles
précédents , non-seulement ne faisait aucune restriction
en faveur des fondateurs , mais les soumettait au con
traire à la même responsabilité. La loi ne distinguait
donc pas entre les uns et les autres , et en déclarant la
responsabilité identique, elle en admettait forcément l’i
dentité dans les causes.
189.
— C’est du moins ainsi que l’envisageait le
législateur de 1867 qui voulant bannir cet excès de sé
vérité injustifiable , n’a pas manqué de s’en expliquer.
Notre article 8 dit, en effet, que la même responsabilité
peut être prononcée contre ceux des associés dont les
apports ou les avantages n’auraient pas été vérifiés et
approuvés conformément à l’article 4.
Donc si la vérification a été faite et l’approbation don
née régulièrement, peu importe que la société soit an
nulée comme constituée contrairement aux prescriptions
des articles 1, 2, 3 et 5. Les membres du conseil pour
ront bien en répondre , mais jamais les associés ayant
fait l’apport en nature ou stipulé des avantages particu
liers.
En d’autres termes, le législateur de 1867 s’est appro
prié et a consacré la doctrine de M. Duvergier. Dès qu’il
�TITRE I, ART. 7 ,
8.
267
a été satisfait aux exigences de la loi relativement aux
apports en nature ou aux avantages particuliers, ceux
qui ont réalisé les uns ou stipulé les autres ne sont plus
que des associés ordinaires, ne pouvant encourir d’autre
responsabilité que celle qui serait dans le cas d’atteindre
ces derniers.
190.
— A cette modification à l’article 7 de la loi
de 18S6, notre article 8 en joint une autre en substituant
le terme associés à celui de fondateurs, que le premier
consacrait.
Il sem blait, sous son empire , que pour encourir la
responsabilité il fallait non-seulement avoir fait un ap
port en nature ou stipulé des avantages particuliers, mais
encore avoir la qualité de fondateur de la société. Sans
"doute c’est ce qui devait se rencontrer le plus souvent ;
mais on pouvait supposer qu’il en serait autrement plus
ou moins fréquemment. En effet, tels souscripteurs d’ac
tions pouvaient se réserver la faculté de les solder soit
en immeubles , soit en marchandises ou autres objets
mobiliers ; tels autres ne donner leur concours qu’à la
condition de recevoir certains avantages outre et au delà
de leur part d’associés.
'
Excipant des termes de la loi , n’auraient-ils pas été
fondés les uns et les autres à récuser foute responsabilité
alors même que la société aurait été annulée pour dé
faut d’appréciation de la valeur des apports ou des cau
ses des avantages particuliers?
Evidemment ils ne léseraient plus aujourd’hui, la loi
�268
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
nouvelle ayant avec raison substitué le terme associés à
celui de fondateurs. Elle devait le faire , car le danger
auquel il fallait remédier é ta it, non dans la qualité des
personnes, mais dans l’exagération de la valeur des ap
ports , dans le défaut absolu de proportion entre la ré
munération exigée et les services qui en devenaient la
cause.
Donc on ne pouvait distinguer. La nécessité d’une vé
rification et d’une appréciation éclairées et sérieuses se
faisait sentir, quelle que fût la personne qui fit l’apport
en nature,ou stipulât les avantages particuliers. Dès lors
aussi le simple associé , comme le fondateur lui-même,
avait le devoir de les provoquer, et sa responsabilité de
vait être engagée s’il n’avait pas rempli ce devoir. On ne
peut qu’applaudir à la loi de 1867 de l’avoir ainsi ad
mis et consacré.
1 9 0 bis. — La responsabilité des associés par appli
cation du dernier paragraphe de l’article 8, est identique
à celle édictée contre le conseil de surveillance. De mê
me que pour celui-ci, cette responsabilité peut être pro
noncée. Elle est donc purement facultative pour les tri
bunaux qui n’ont à consulter, à ce sujet, que les inspi
rations de leur conscience.
A rt. 9.
Les membres du conseil de surveillance n’en
courent aucune responsabilité en raison des ac
tes de la gestion et de leurs résultats.
�TITRE I , ART. 9 .
269
Chaque membre du conseil de surveillance est
responsable de ses fautes personnelles, dans l’exé
cution de son piandat, conformément aux règles
du droit commun.
«
191.
192.
193.
194.
195.
196.
197.
198.
199.
200.
201.
202.
203.
204.
205.
206.
S O U H 1 U IF
Système de la loi de 1856 sur la responsabilité des conseils
de surveillance ; son caractère ; controverse qu'il avait
créé.
Le conseil répondait-il, pouvait-il répondre des actes de la
gestion ?
Dans quels cas la responsabilité était régie par les articles
1382, 1383, 1850, 1992 du Code Napoléon.
Conciliation des diverses décisions intervenues à ce sujet.
Doctrine de la cour de Cassation ; sa rationnalité ; ses con
séquences dans les cas de l ’article 10.
Système de la loi nouvelle. Applicabilité absolue du droit
commun ; conséquence.
Exonération de toute responsabilité quant aux actes de la
gestion.
Personnalité de la responsabilité.
La solidarité des membres entre eux ou avec le gérant peut
être prononcée. Dans quels cas?
L’absence d'un membre aux délibérations exclut-elle la
responsabilité ? Arrêt de la cour de Lyon pour la néga
tive.
Qu’en serait-il depuis la loi nouvelle ?
Dans quels cas des motifs légitimes pourraient-ils faire ex
cuser l’absence?
Les membres du conseil de surveillance répondent-ils de la
faute légère à l’égard des actionnaires ?
Quid, envers les créanciers?
Etendue dé la réparation.
Action qui découle de la responsabilité en faveur des action-
�270
207.
208.
209.
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES SOCIÉTÉS
naires et des créanciers. Mode d’exercice pour les pre
miers .
<
Les créanciers ne sont recevables qu’après cessation de
paiements et faillite.
L’action des syndics au nom de la masse est-elle recevable?
Arrêt de la cour de Douai pour la négative.
Examen et réfutation.
1 9 1 . — Le système adopté par la loi de 1856, re
lativement à la responsabilité des membres du conseil de
surveillance, avait soulevé d’ardentes controverses, et,
par l’énormité des résultats qu’on en avait induit, con
tribué puissamment à l’insuccès de la loi. On avait, en
effet, soutenu d’une part que cette responsabilité s’éten
dait aux actes mêmes du gérant; d’autre part, qu’elle se
plaçait en dehors des règles de droit commun édictées
par les articles 1382, 1383, 1850 et 1992 du Code Na
poléon, que la disposition de l’article 10, qui ne décla
rait responsable que les membres du conseil qui avaient
sciemment laissé commettre dans les inventaires des
inexactitudes préjudiciables, ou consenti, avec connais
sance de cause, à la distribution de dividendes fictifs,
dominait toute la loi et créait une responsabilité spéciale
en dehors de laquelle aucune autre ne pouvait trouver
place.
1 9 2 . — On comprend la répugnance des tribunaux
à accueillir une doctrine qui venait aboutir par sa sévé
rité même à l’impunité des membres du conseil. Leur
demander compte des actes du gérant, n’était-ce pas,
�TITRE
I,
ART.
9.
271
en effet, choquer la raison et le bon sens ? La responsa
bilité du fait d’autrui suppose entre le répondant et celui
dont il répond, des rapports d’autorité autorisant une
intervention utile ou un veto absolu.
O r, entre le gérant et le conseil de surveillance il
n’existe rien de semblable. Le premier est souveraine
ment indépendant et maître absolu du mode de gestion.
La loi a poussé la précaution en ce sens jusqu’à inter
dire aux membres du conseil tout concours à la rédac
tion des inventaires. Cette liberté, cette indépendance,
ces membres, étaient d’autant mieux tenus de les res
pecter, que tout acte contraire eût été taxé d’immixtion
dans la gérance et aurait entraîné contre eux les plus
graves conséquences.
Prétendre en cet état imposer aux membres du con
seil la responsabilité des actes de gestion, c’était vouloir
aboutir à une iniquité. On ne pouvait raisonnablement,
justement induire cette responsabilité que de l’omission,
que de la légèreté, que de la négligence apportée dans
l’accomplissement du devoir de surveillance que la loi
leur imposait, et à plus forte raison de la tolérance vo
lontaire d’inexactitudes préjudiciables dans les inventai
res ou de distributions de dividendes fictifs.
1 93.
— La responsabilité dans le premier cas étaitelle régie par les articles 1382, 1383, 1850, 1992 du
Code Napoléon ? La négative, nous l’avons dit, avait été
soutenue et consacrée par de nombreux monuments de
jurisprudence. Mais l’opinion contraire avait ses parti-
�272
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
sans et pouvait elle aussi invoquer plusieurs décisions
judiciaires, d’où l’on avait conclu à une contradiction
dans la doctrine et la jurisprudence.
194.
— Cette contradiction n’existait pas, et si les
règles de droit commun, en matière de responsabilité de
la faute, étaient rejetées ici, admises là, c’est que les di
verses dispositions de la loi commandaient ce résultat.
En effet, l’article 10 n’admettant la responsabilité des
membres du conseil que s’ils avaient sciemment laissé
commettre dans les inventaires des inexactitudes préju
diciables ou consenti avec connaissance de cause à la
distribution de dividendes fictifs, créait un droit spécial
et dérogerait au droit commun. Cette science ou cette con
naissance constituait un dol, une fraude, une complicité
avec le gérant, et en ne tenant compte que de celle-ci,
l’article excluait virtuellement la négligence, le fait ou
la faute même dommageable.
Mais l’article 7 créait un cas de responsabilité pure
ment facultative, mais l’article 8 déterminait la mission
que les membres du conseil avaient à remplir, en gar
dant le plus complet silence sur les conséquences de son
inaccomplissement.
Or, à moins de prétendre, comme on l’avait fait, que
cet inaccomplissement était forcément impuni, ce qui
était inadmissible, fallait-il bien reconnaître qu’il y avait
là aussi un cas de responsabilité facultative, et comment
les tribunaux auraient-ils été dans la nécessité de cher
cher ailleurs que dans les règles de droit commun les
éléments de leur décision ?
�TITRE I , ART. 9 .
'
273
On remarquera, en effet, que les arrêts proclamant l’ap
plicabilité du droit commun aux membres du conseil de
surveillance, sont tous intervenus dans des espèces où
ces membres étaient poursuivis non pour l’infraction
prévue par l’article 10, mais pour avoir laissé la société
se constituer irrégulièrement, ou pour avoir omis de
surveiller comme le leur prescrivait l’article 8
Nous avons donc raison de dire qu’il n’y a là aucune
contradiction avec les arrêts qui, dans le cas prévu par
l’article 10, ont déclaré les règles de droit commun inap
plicables. La différence, dans la solution, n’est que la
conséquence forcée de cette circonstance ; l’article 10, en
créant la responsabilité, avait en même temps indiqué à
quelles conditions exclusives elle serait encourue. Les ar
ticles 7 et 8 se taisant sur ces conditions, fallait-il bien
s’en référer au droit commun pour les effets de leur vio
lation, à moins de soutenir qu’en imposant un devoir
le législateur s’en était rapporté à la volonté, au caprice
des membres du conseil et les avait ainsi autorisé à le
violer impunément.
195.
— La distinction que nous signalons est nette
ment indiquée par la cour de Cassation et devient la
base de sa doctrine. Ainsi, dans son arrêt du 12 avril
1864, elle confirme un arrêt de Toulouse qui avait ap
pliqué le droit commun au conseil, de surveillance :
« Attendu que l’arrêt attaqué fonde les condamnations
1 V. notamment'Douai, 29 juin 1863 ; Cass., 12 avril 1864 et 4 mars
1867; Sirey, 61, 2,.547; D .P., 64, 1, 377; J. duP., 1867, 644.
�274
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
prononcées contre les demandeurs, non sur l’article 10
de la loi du 17 juillet 1856, mais tout à la fois sur les
article 1, 6 et 7 ; que le droit commun continue d’étre
la règle de tous les faits constituant l’incurie, la négli
gence et la faute auxquels ne s’applique pas la respon
sabilité spéciale créée par ladite loi ; que cette loi n’a
pas eu la pensée de se substituer au droit commun pour
effacer ou affaiblir, dans les cas auxquels elle ne 'pour
voit pas expressément, la responsabilité imposée anté
rieurement. »
Or, l’article 10, indiquant avec précision dans quels
cas et à quelles conditions les membres du conseil de
venaient responsables, s’était évidemment substitué au
droit commun et l’excluait formellement. C’est donc avec
raison qu’on avait admis que, pour l’application de cet
article, il ne suffisait pas à la partie, que l’inexactitude
de l’inventaire ou le caractère fictif du dividende avait
lésée et qui réclamait la réparation du préjudice qu’elle
en avait souffert, d’établir que cette inexactitude ou ce
caractère fictif dont elle se plaignait était apparent, ma
nifeste , qu’il devait frapper les regards du surveillant
le moins exercé , qu’en tout cas il n’eût pas échappé à
un examen attentif et sérieux ; elle devait, sous peine de
succomber, établir et prouver que les membres du con
seil de surveillance avaient connu et sciemment toléré
les inexactitudes de l’inventaire et s’étaient prêtés avec
connaissance de cause à la distribution des dividendes
fictifs.
On comprend toutes les difficultés que rencontrait
�TITRE I ,
ART.
9.
275
cette dernière preuve. Comment, en effet, justifier que
les membres du conseil avaient su et connu, dès qu’on
ne pouvait leur dire vous deviez et vous pouviez facile
ment savoir et connaître? Aussi, si la responsabilité fa
cultative des articles 6, 7 et 8 sortait quelquefois à effet,
la responsabilité obligatoire de l’article 10 était restée
un myte insaisissable et échappant ainsi à toute pour
suite, à toute répression,
196.
— Eclairé par l’expérience, instruit des systè
mes que le vague de la loi de 1856 avait fait se produi
re , le législateur de 1867 a tranché toute controverse :
il ne subordonne plus dans aucun cas la responsabilité
à la condition d’avoir agi sciemment ou avec connais
sance de cause. Quel que soit le prétexte motivant la
poursuite, c’est par les règles du droit commun que la
responsabilité se déterminera , c’est-à-dire par les arti
cles 1850 et 1992 du Code Napoléon, à l’égard des ac
tionnaires ; et pour ce qui concerne les créanciers , par
les articles 1382 et 1383.
Il suffira donc désormais d’établir, en ce qui concerne
les faits prévus par l’ancien article 10, que les inexacti
tudes ou le caractère fictif étaient apparents, manifestes,
qu’ils devaient frapper les regards du surveillant le moins
exercé ; qu’en tout cas ils n’auraient pas échappé à un
examen attentif et sérieux. Appréciateurs souverains du
plus ou moins de fondements du reproche, les tribunaux
arbitrent les conséquences que la certitude de l’incurie,
de la négligence ou de la faute doit entraîner; et tels actes
�•
276
LOI DE
1867
•
'
v
-
•
:
SUR LES s o c ié t é s
qui demeuraient impunis sous l’empire de l’ancien arti
cle 10, motiveront la responsabilité de leurs auteurs.
197.
— Mais si la loi nouvelle rend la responsabi
lité plus réelle, plus effective, et lui donne plus d’effica
cité dans l’intérêt des associés et des tiers, elle n’a pas
manqué de la restreindre dans des limites juslès et rai
sonnables.
Ainsi elle exonère les membres du conseil de toute
responsabilité à raison des actes de la gestion. Elle con
damne donc expressément l ’opinion de ceux qui trou
vaient dans la loi de 1856 le germe de celte responsa
bilité , ce qui n’était d’ailleurs qu’un acte de loyale , de
saine justice.
La mission des membres du conseil n’a jamais été, et
n’a pas cessé d’être de surveiller l’administration du gé
rant, d’avertir les actionnaires de tous les actes qui leur
paraîtraient compromettre l’intérêt social.
Qu’ils répondent de l’incurie, de la légèreté, de la né
gligence qu’ils ont mis à remplir leur devoir, c’était jus
tice. Mais leur demander compte des actes de la gestion,
alors que, sans autorité sur le gérant, ils ne pouvaient
intervenir sans se rendre coupable d’immixtion, n’étaitce pas vouloir aboutir à une véritable iniquité, consacrer
une anomalie telle, qu’on a de la peine à concevoir qu’on
eût pu interpréter en ce sens la loi de 1856.
Notre article 9 condamne cette interprétation, en pro
clamant l’irresponsabilité des membres du conseil à
raison des actes de la gestion et de leurs résultats.
�TITRE I , ART.
9.
277
1 9 8 . — A cette disposition de justice, l’article en ajoute une autre : la responsabilité n’est plus que per
sonnelle. Chaque membre répond seul des fautes qu’il a
pu commettre dans l’exécution de son mandat. Il est évident que punir un membre du conseil de la faute d’un
autre , était aussi énorme que d’imposer au conseil la
responsabilité des actes de la gestion.
Ce qui rendait cette disposition indispensable, c’est la
pratique suivie en Cette matière. Sans doute le mandat
de surveillance donné au conseil est collectif et commun
à tous ses membres. Mais il est d’usage que pour allé
ger le fardeau, on le divise en consultant les connaissan
ces et les capacités de chacun.
Aussi confie-t-on à celui-ci le soin de vérifier les écri
tures ; à celui-là la caisse et le portefeuille ; à cet autre
les magasins et les marchandises. Cette pratique , notre
article l’accepte et la consacre en quelque sorte.
199. — La personnalité de la responsabilité exclut
toute idée de solidarité soit entre le gérant et les mem
bres du conseil, soit entre ces membres. Mais cette règle
n’exclut pas l’exception, et la solidarité peut et doit être
prononcée dans le cas où elle est autorisée par le droit
commun.
Ainsi si les membres du conseil colludant avec le gé
rant s’étaient rendus sciemment complices de la faute,
de la fraude, du dol du g érant, ils seraient avec lui et
comme lui tenus d’en réparer les conséquences préjudi
ciables. La solidarité serait l’effet nécessaire de la com
munion des torts.
�278
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Il en serait de même si la faute imputable aux mem
bres du conseil était non celle de tel ou de tel, mais celle
de tous collectivement. C’est ce qu’on admettrait si tous
les membres connaissant la faute de l’un d’eux et la cou
vrant d’un silence complaisant en avaient assumé la com
plicité, en laissant s’accdmplir le préjudice qu’elle a, oc
casionné.
2 0 0 . — Sous l’empire de la loi de 1856 s’est pré
sentée la question de savoir si les membres du conseil
de surveillance, qui s’étaient abstenus d’assister à ses opérations , échappaient à la responsabilité que celles-ci
pourraient motiver?
Uu arrêt de la cour de Lyon, du 8 juin 1864, se
prononce pour la négative. Cette solution est motivée sur
ce qu’il ne faut pas que la mission des conseils de sur
veillance , au lieu d’être sérieuse , raisonnablement en
tendue comme le prescrit la loi , devienne une sorte de
sinécure d’autant plus propre à tromper le public, que
le conseil serait composé de noms plus honorables'.
Cette doctrine nous paraît fort juridique , à une épo
que surtout où la responsabilité du fait ou de la faute
préjudiciable pesait collectivement sur tous les membres
du conseil. Peut-on la consacrer encore aujourd’hui que
cette responsabilité a été déclarée purement personnelle?
— Nous ne saurions admettre que la loi nou
velle ait pu autoriser les conseils de surveillance à rendre
201.
�TITRE I , ART.
9.
279
inutile et vaine la garantie que les actionnaires doivent
trouver dans leur fonctionnement. Aujourd’hui comme
autrefois il importe que cette garantie soit sérieuse et ne
dégénère pas, par l’abstention plus ou moins volontaire
d’un ou de plusieurs membres, en un piège pour les as
sociés et pour le public. Celui qui est appelé à composer
le conseil et qui accepte cette mission , est choisi par les
intéressés à cause de la confiance que leur inspirent sa
capacité, ses connaissances et sa loyauté. En s’abstenant
du devoir que ce choix lui impose , il commet une faute
lourde et s’oblige à réparer le préjudice qui en a été la
conséquence.
202.
MM. Mathieu et Bourguignat, qui profes
sent cette doctrine, admettent que la preuve que l’abs
tention ou l’absence était commandée par des motifs lé
gitimes ferait évanouir toute responsabilité *.
On pourrait le décider ainsi pour l’abstention Ou l’ab
sence à une ou deux séances motivées par un empêche
ment survenu à l’improviste et purement fortuit
Mais si cet empêchement est de nature à se prolonger,
si un éloignement forcé ou une maladie ne permettent
pas d’assigner un terme à leur durée, la certitude de ne
pouvoir remplir sa mission pendant un temps indéter
miné, doit amener une démission qui permettra de con
fier ce devoir à quelqu’un qui pourra et devra s’en ac
quitter. Retenir un mandat qu’on se sait incapable de
*
C o m m e n ta ire de l a lo i de
4867, n° 104.
�280
LOI DE
1867 SUR LES
sociétés
remplir, est une faute pouvant et devant motiver contre
son auteur l’obligation de réparer le dommage qu’elle a
entraîné.
Au reste, en matière de responsabilité il ne saurait y
avoir de règles absolues. Apprépiateurs absolus des faits,
de leur caractère de gravité, de leurs conséquences, les
magistrats sont de véritables jurés qui n’ont à obéir qu’
aux inspirations de leur conscience.
203.
— L’appel que notre article fait aux règles du
droit commun , en matière de responsabilité de la faute,
a fait surgir la question de savoir quelles sont les fautes
dont répondent les membres du conseil de surveillance?
Il n’est pas douteux que, vis-à-vis des actionnaires,
les membres du conseil de surveillance ne soient admis
à invoquer, et obligés de subir la disposition de l’article
1992 du Code Napoléon. Leur responsabilité se mesu
rant sur le caractère de leur mandat, sa gratuité pour
rait les affranchir de la responsabilité de la faute légère.
Or, en principe, les membres du conseil de surveil
lance n’ont, droit à aucun traitement. Mais on a craint
que cette absence de tout salaire n ’écartât beaucoup de
gens peu désireux de consacrer leur temps au service
d’au tru i, et de s’exposer, sans aucune compensation, à
une responsabilité fort lourde quelque fois.
En face de cet obstacle et de ce danger, les fondateurs
de société ont cherché à l’annuler. En conséquence, line
clause des statuts accorde des jetons de présence qui
viennent encourager et récompenser l’assiduité.
�TITRE I , ART. 9 .
281
On ne saurait équivoquer. Ces jetons sont un traite
ment plus ou moins considérable sans doute, et leur at
tribution salarie les membres du conseil. Us ne sauraient
dès lors revendiquer les avantages de la gratuité. Us
répondent donc même de la faute légère vis-à-vis des
associés.
2 0 4 . — Entre les membres du conseil de surveillan
ce et les créanciers de la société, il n’existe aucun rap
port de mandants à mandataires. Il ne saurait donc
être question, en ce qui les concerne, de l’article 1992
du Code Napoléon. La responsabilité que ces créanciers
peuvent vouloir faire peser sur les premiers, ne puise et
ne peut puiser sa raison d’être que dans la disposition
des articles 1382 et 1383 du même Code.
Cette origine de la responsabilité en indique le carac
tère et l’étendue. Dès qpe l’existence du fait ou de la
faute est reconnue et admise , l’obligation de réparer le
préjudice qui en est résulté ne saurait être récusée.
Donc si en réalité les membres du conseil de surveil
lance ont failli à leur devoir, négligé de constater les
fautes , la fraude ou le dol du gérant, ou manqué d’en
prévenir les actionnaires, leur responsabilité est engagée,
et ils sont tenus de réparer le dommage qu’en éprouvent
soit les associés, soit les créanciers,
c
i1
r"v
2 0 5 . — Quelle doit être la réparation à leur impo
ser ? L’application du droit commun dans la détermina
tion de la responsabilité, rend ce même droit applica-
�282
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ble dans le règlement de ses effets. Or il est de doctrine
et de jurisprudence que les tribunaux, appréciateurs sou
verains des circonstances dans lesquelles s’est produit le
fait ou la faute donnant lieu à la responsabilité, sont également les arbitres souverains de sa nocuité et de la
détermination du chiffre desdommages-intérêts.
Celte doctrine s’étend incontestablement aujourd’hui
à la responsabilité des membres du conseil de surveil
lance. La conséquence est que , pour l’admission en
principe de la responsabilité et l’étendue de la répara
tion, on ne saurait tracer des règles uniformes et abso
lues. La seule que les tribunaux ne doivent pas perdre
de vue est celle que la cour de Lyon, dans son arrêt du
8 juin 1864, rappelait en ces termes :
« Considérant que si la mission des conseils de sur
veillance ne doit pas! être étendue hors de ses limites, et
si elle doit même être sagement circonscrite par la pru
dence des tribunaux , il faut néanmoins qu’elle soit sé
rieuse, raisonnablement entendue , et qu’elle ne puisse
mettre à la place d’une garantie voulue par la lo i, une
sorte de sinécure d’autant plus propre à tromper le pu
blic qu’elle serait couverte de noms plus honorables. »
C’est donc sur le plus ou moins de gravité du fait
ou de la faute que doit se calculer le chiffre de la répa
ration, ce qui est tellement rationnel que la cour d’Or
léans n’avait pas hésité à l’admettre sous l’empire de la
loi de 1856 , et malgré que cette loi déclarât les mem
bres du conseil solidaires avec le gérant1.
1 20 décembre 1860 ; D. P ., 61, 2, 1.
�TITRE I , ART.
\‘
-
: ,
9.
283
.
■
2 0 6 . — Il n’est pas douteux que la responsabilité
des membres du conseil ne so it, dans tous les cas , ce
qu’elle est dans celui de l’article 8. Elle existe dès lors
en faveur des associés et des tiers. L’action qui en dé
rive appartient donc à chacun de ceux qui se placent
dans l’une ou l’autre de ces catégories.
Cette action peut être exercée même pendant que la
société est en exercice, mais par les associés seulement.
Pour eux , en effet, le préjudice existe dès que le passif
absorbe ou est dans le cas d’absorber l’actif. Pour les
créanciers, au contraire, il n’y a perte et par conséquent
dommage que lorsqu’il est certain qu’ils ne pourront être intégralement désintéressés, et cette certitude ne peut
résulter que d’une cessation de paiements ou d’une dé
claration de faillite.
*
2 0 7 . — Ce n’est donc qu’alors que les créanciers
sont recevables à se pourvoir contre les membres du con
seil de surveillance. Pourquoi y seraient-ils autorisés, si
le gérant continuant d’administrer était dans le cas de
leur solder ce qui leur est dû ?
La cessation de paiements qui constitue la faillite ouvre
donc l’action des créanciers soit contre le g érant, soit
contre les membres du conseil de surveillance, et en con
fère l’exercice à tous ceux qui y ont intérêt.
2 0 8 . — La déclaration judiciaire de la faillite subs
titue l’action des syndics à l’action individuelle des cré
anciers. L’action des syndics incontestablement receva-
�284
LOI DE
1867
SUR LES s o c i é t é s
ble contre le gérant, l’est-elle également contre les mem
bres du conseil de surveillance ?
L'affirmative n’avait ' été jusqu’ici ni méconnue ni
contestée. Mais un arrêt de la cour de Douai, du 10
août 1868, se prononce en sens contraire, et juge que
les syndics de la faillite d’une société en commandite ne
sont pas recevables à intenter, au nom de la masse des
créanciers, une action en responsabilité contre les mem
bres du conseil de surveillance, lorsque l’action se.fonde
sur des faits préjudiciables non pas à la masse des cré
anciers ut u n iversi, mais à chacun des créanciers ut
singuli.
Il est certain que les syndics n’ont jamais été ni ap
pelés ni admis à exercer les actions purement attachées
à la personne d’un des créanciers , à l’occasion de faits
puisant leur origine autre part que dans la cessation de
paiements. Le principe invoqué par la cour de Douai est
donc juste autant qu’incontestable.
Mais ce que nous ne saurions admettre, c’est l’appli
cation qu’elle en fait à l’espèce sur laquelle elle statuait.
L’action du syndic reposait sur la négligence , sur l’in—
curie que les membres du conseil avaient apportée dans
l’accomplissement de leur devoir , et qui avait eu pour
résultat le préjudice que la ruine de la société faisait éprouver aux créanciers.
Il était difficile d’admettre que ce préjudice s’adressait
non aux créanciers ut universi, mais à chacun d’eux ut
singuli , et nous avouons que les motifs de l’arrêt sont
loin de résoudre la difficulté et de justifier la solution
qu’ils consacrent.
�TITRE I < ART. 9 .
285
« Attendu, dit la cour de Douai, que cette responsa
bilité est tellement personnelle , tellement proportionnée
à chaque créancier et à chaque nature de créance , que
le jugement, qu’on voudrait faire déclarer commun aux
appelants , a ordonné aux syndics de produire un état
indiquant, entre autres bases des dommages-intérêts à
accorder, l’importance des dépôts qui ont été faits à la
caisse Rey et Bellot ; qu’il est cependant bien évident
que les dommages-intérêts dus aux déposants ne peuvent
être attribués aux syndics pour être distribués également
à tous les créanciers ; qu’il est en effet de toute impos
sibilité de placer tous les créanciers sous le même niveau
pour mesurer et déterminer la responsabilité encourue
par des fautes ou des omissions qui, s’appliquant à cha
que individualité, varient, s’aggravent ou diminuent sui
vant la valeur , la date de la créance ou du dépôt , les
c o n n a is s a is ou les relations personnelles que chaque
créancier peut avoir avec le gérant et les membres du
conseil de surveillance ; que telles fautes ou telles omis
sions qui pourraient engendrer une responsabilité nulle
ou très-légère contre le conseil de surveillance envers
tel créancier déterminé q u i, par exemple, aura été pré
venu du péril que courait son dépôt ou sa créance et
n’aura pas agi en temps utile, s’aggraveront au contraire
envers tel autre créancier auquel le même conseil de
surveillance aura refusé des renseignements donnés à
d’autres déposants ou créanciers; que cependant si le
syndic était recevable dans l’action exercée, les domma
ges-intérêts accordés à la masse devraient être répartis
�2186
LOI DE
1867 SUR LES
sociétés
au 'p r o r a ta des créances vérifiées sans distinction de na
ture ou de date , et que l’iniquité d’un pareil résultat
suffirait pour démontrer que lesdits syndics ne sauraient
être admis à exercer , au nom de la masse , les actions
créées par la loi au profit de chaque créancier u t s i n g u l i 1. i>
209.
— Il importe de prévenir une confusion que
l’emploi des termes dépôts, déposants, pourrait faire
naître. Il s’agissait dans l’espèce du comptoir d’escompte
de Béthune, et tous les créanciers sans exception n’é
taient devenus tels qu’à la suite des dépôts faits à la
caisse.
Maintenant, pouvait-il s’élever le moindre doute sur
le caractère de l’acte reproché au conseil de surveillan
ce ? Sa négligence, son incurie à remplir son devoir
ayant entraîné la ruine et la déconfiture de la société ,
avait évidemment préjudicié, non à tel ou tel créancier,
mais à tous ceux sans distinction dont cette ruine com
promettait les intérêts.
Induire le contraire de ce que le jugement avait ordon
né, que les dommages-intérêts seraient réglés par état,
c’est interpréter singulièrement cette disposition, elle
n’avait et ne pouvait avoir d’autre signification que
celle-ci, les magistrats, avant de statuer et n’ayant pas
le moyen de le faire en l’état avec connaissance de cause,
voulaient se procurer les éléments de nature à rassurer
�TITRE I , ART.
9.
287
leur conscience, et en l’édifiant sur l’importance du pré
judice, la mettre à même d’en déterminer la réparation
d’une manière équitable et juste.
La différence de nature et de date dont se préoccupe
l’arrêt est purement chimérique, et la preuve c’est que
l’hypothèse par laquelle il entend la justifier est impos
sible. Quelle apparence, en effet, que le conseil de sur
veillance instruise celui-ci du mauvais état des affaires
sociales, lui qui, pour échapper à la responsabilité, sou
tiendra qu’il a été trompé et qu’il a cru à leur prospérité.
Comment recourra-t-il à cette excuse s’il a fait à quel
qu’un la confidence qu’on suppose ?
Quelle apparence ensuite que celui qui sera mis au
courant de la ruine prochaine de la société, aille lui
confier son argent et consente à devenir son créancier,
ou omette de prendre des mesures pour se faire rem
bourser de ce qui lui serait dû ?
La doctrine de la cour de Douai se heurte donc à une
double impossibilité, et cela prouve son peu de fonde
ments. Il est évident que tous ceux que la déconfiture
de la société compromet, ont agi sous la même inspira
tion, qu’ils ont cru à sa solvabilité, et que celui qui au
rait eu des raisons pour la suspecter ne serait pas au
nombre des victimes.
Dès lors, tous ont le même droit à la réparation du
préjudice qu’ils attribuent justement à la faute du con
seil de surveillance, et cette égalité, l’action des syndics
peut seule la réaliser ; puisque les dommages-intérêts
qui leur seront alloués se répartiront au marc le franc
�288
LOI DE
1867
SUR LES s o c i é t é s
des créances et que chacun recevra à proportion de ce
qu’il perd.
Sans doute, dans le principe, la société s’est engagée
non pas envers tous les créanciers collectivement et ut
universi, mais vis-à-vis de chacun d’eux personnelle
ment et en particulier. Mais cette vérité, le législateur
ne l’ignorait certes pas et cependant a-t-il hésité à cen
traliser toutes les actions aux mains de syndics en cas
de faillite ?
Ce qu’il a fait, il devait le faire dans l’intérêt même
de tous, il était non-seulement convenable, mais encore
de toute nécessité de prévenir les frais énormes qu’au
raient entraîné cinquante, cent, deux cents procès. C’est
pourtant le résultat contraire auquel aboutirait la doc
trine de l’arrêt.
Pourquoi, d’ailleurs, si cette doctrine est juridique et
juste à l’égard des membres du conseil de surveillance,
ne le serait-elle pas pour ce qui concerne le gérant ?
Est-ce que celui-ci a jamais traité avec la masse des
créanciers ut universi ? Il doit donc à chaque créancier
personnellement et cependant nul ne conteste et n’a ja
mais contesté la recevabilité de l’action au nom de la
masse.
Il ne saurait en être autrement des membres du con
seil de surveillance qui ont encouru les reproches qu’on
leur adresse. Leur faute a nui, non à tel ou tel créan
cier, mais à tous, puisque tous sont victimes de la ruine
que cette faute a entraînée.
Il y avait, sous l’empire de la loi de 1856, une ra i-
�TITRE I,
ART.
9.
289
son de plus pour le décider ainsi. Les membres du con
seil répondaient solidairement avec le gérant. Donc, si
la masse avait une action contre celui-ci, elle en avait
nécessairement une contre ses co-débiteurs solidaires.
Aujourd’hui celte solidarité n’existe plus en principe,
mais elle serait la conséquence de la complicité avec le
gérant, elle pourrait donc être demandée ; et cette pré
tention seule exclurait la fin de non-recevoir accueillie
par la cour de Douai, indépendamment des raisons dé
terminantes que nous venons d’exposer, et qui doivent
la faire repousser sous l’empire de la loi nouvelle.
A rt. 1 0 .
Les membres du conseil de surveillance véri
fient les livres, la caisse, le portefeuille et les va
leurs de la société.
Ils font, chaque année, à l’assemblée générale,
un rapport dans lequel ils doivent signaler les
irrégularités et les inexactitudes qu’ils ont recon
nues dans les inventaires , et constater, s’il y a
lieu, les motifs qui s’opposent aux distributions
des dividendes proposés par le gérant.
Aucune répétition de dividendes ne peut être
exercée contre les actionnaires, si ce n’est dans
le cas où la distribution en aura été faite en l’ab
sence de tout inventaire ou en dehors des résul
tats constatés par l’inventaire.
�290
LOI DE
1867
SUR LGS SOCIÉTÉS
L’action en répétition, dans le cas où elle est
ouverte, se prescrit par cinq ans à partir du jour
fixé pour la distribution des dividendes.
Les prescriptions commencées à l’époque de
la promulgation de la présente loi, et pour les
quelles il faudrait encore, suivant les lois ancien
nes, plus de cinq ans à partir de la même épo
que, seront accomplies par ce laps de temps.
A rt. 1 1 .
Le conseil de surveillance peut convoquer
l’assemblée générale et,conformément à ses avis,
provoquer la dissolution de la société.
A rt. 1 2 .
Quinze jours au moins avant la réunion de
l’assemblée générale, tout actionnaire peut pren
dre par lui ou par un fondé de pouvoir, au siège
social, communication du bilan, des inventaires
et du rapport du conseil de surveillance.
SO M M A IRE
,
210.
211.
0
Caractère des articles 10 et 41. Prescriptions du premier.
Caractère de la mission du conseil de surveillance ; ses li
mites.
212. Le conseil a le droit de vérifier tous les livres et non pas
seulement les livres obligatoires.
�TITRE I, ART.
213.
214.
215.
216.
217.
218.
219.
220.
221.
1.0, 11, 12.
291
Objet de la vérification de la caisse et du portefeuille de la
société.
Difficultés que peut offrir cette dernière. Devoirs du conseil.
Nature et étendue de la vérification des marchandises.
A quelles époques peuvent et doivent avoir lieu ces vérifi
cations.
Obligation pour le conseil de présenter un rapport à l’as
semblée générale à chaque fin d’année ; son objet.
Débats législatifs a ce sujet. Refus de donner au conseil un
rôle actif dans l ’inventaire.
C o n d u i te à t e n i r p a r l e c o n s e il d a n s le c o n tr ô l e d e l ’i n v e n
taire.
A quel prix doivent être cotées les marchandises. Devoirs et
responsabilité du conseil.
Compte à tenir des sommes en caisse et des valeurs de por
t e f e u il l e .
222. Des résultats d’opérations non encore liquidées.
223. Droit et devoir du conseil de proposer la modification ou la
suppression du dividende proposé par le gérant.
224 Ce qu’il doit faire pour mettre sa responsabilité é couvert
dans le cas où l ’assemblée générale a repoussé ses pro
positions.
225. Controverse qu’avait suscitée la question de savoir si les di
videndes fictifs perçus étaient répétibles.
226. Solution de la loi nouvelle : ses motifs.
»
227. Son caractère.
228. Dans quels cas l ’action pourra être intentée.
229. Prescription de cinq ans ; son caractère.
230. Critique que peut soulever le point de départ de ce délai.
231. Disposition relative aux prescriptions commencées sous la
lo i a n c i e n n e ; s o n c a r a c t è r e j u r i d i q u e .
232.
233.
Opinion de M. Vavasseur sur les modifications introduites
par la loi nouvelle ; appréciation.
Il en est des intérêts annuellemeut distribués en l ’absence
d'une clause formelle dans les statu ts, comme des divi
dendes ; conséquence.
�2921
LOI DE 1867 SUR L'ES SOCIÉTÉS
234.
Ne seraient pas répétibles les dividendes et les intérêts qui,
quoique distribués en l ’absence de tout inventaire, ne
porteraient que sur des bénéfices.
235. Caractère de l'article 11.
236. Objet que peut se proposer la convocation d’une assemblée
générale extraordinaire ; pouvoir de celle-ci.
237. Etendue du pouvoir exclusif de la justice. Existe dans tous
les cas.
238. L’opportunité et l’utilité de l ’action en dissolution sont sou
verainement laissées à l’appréciation de l’assemblée gé
nérale.
239. Le refus qu’elle ferait de l'autoriser empêche-t-il un asso
cié de la poursuivre en son nom personnel ?
240. Opinion de M. Rivière pour l ’affirmative. Examen et réfu
tation.
241. Opinion de M. Vavasseur dans notre sens.
242. Résumé.
243. Nature des attributions conférées au conseil de surveillance;
conséquence; responsabilité qu’entraînerait l ’inobserva
tion de l ’article 11.
244. Etendue de cette responsabilité.
245. Qu’arriverait-il si la majorité du conseil refusait de convo
quer l ’assemblée générale?
246. Droits et devoirs de la minorité dans tous les cas.
247. Caractère de l ’article 12 ; but qu’il s’est proposé.
248. Ce but sera-t-il atteint? Doutes à ce sujet.
249. Proposition de communiquer le rapport du gérant ; rejet.
250. Effet de l’article 12 sur la demande en répétition des divi
dendes dans les cas prévus par la loi.
251. Comment le gérant prouvera-t-il qu’il a observé le délai
prescrit par l’article 12 ?
— L’article 6 vient de tracer le devoir du con
seil de surveillance dès son entrée en fondions et relati210.
�TITRE I, ART.
10, 11, 12.
293
vement aux actes qui ont précédé sa constitution, restait
à déterminer ce que ce conseil avait à faire depuis sa
nomination et pendant que la société est en cours d’ex
ploitation. Cette détermination avait une haute impor
tance, il fallait en effet rassurer les membres du conseil
contre le reproche d’immixtion et les sauvegarder con
tre les conséquences que son accueil eût entraîné.
Les articles 10 et 11 procèdent à celte détermination.
Ils indiquent le droit et tracent le devoir du conseil de
surveillance.
Aux termes du premier, les membres de ce conseil
vérifient les livres, la caisse, le portefeuille et les valeurs
de la société. Cette disposition est empruntée et renou
velée de la loi de 1856. Sa nature et son étendue n’ont
été ni modifiées ni changées, elles restent sous l’empire
de la loi nouvelle ce qu’elles étaient avant, il convient de
bien les déterminer.
2 1 1 . — Les pouvoirs et la mission du conseil de
surveilllance sont essentiellement intérieurs et ne doivent
ni ne peuvent se manifester aux tiers. S’il en était au
trement, si ses membres pouvaient ostensiblement agir,
les tiers pourraient les croire associés solidaires et tom
ber ainsi dans la plus préjudiciable des erreurs.
Relativement au gérant, sa liberté d’agir dans l’ad
ministration de la société à sa convenance, est entière et
absolue. Les membres du conseil ne sauraient prétendre
influer sur ses actes. Le pouvoir de vérifier, d’examiner
ne renferme pas celui d’intervenir activement, de près-
�294
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
crire et d’imposer une mesure quelconque. La responsa
bilité indéterminée du gérant a pour corollaire forcé la
liberté la plus illimitée, la plus complète indépendance ,
il n’y aurait ni l’une ni l’autre si le conseil de surveil
lance pouvait dicter des lois et substituer sa volonté à
c elle du gérant.
« La loi, disait le rapporteur de 1856, n’admet pas
que le conseil de surveillance puisse participer aux actes
de gestion intérieure et patente ; elle n’admet pas même
une intervention pour ainsi dire domestique dans la di
rection pratique et journalière des affaires. Un gérant
n’est pas libre quand un conseil d’intéressés lui trace la
marche à suivre, prend part à chaque instant à ses opé
rations, indique celles qui sont à faire, lui demande
compte de ses projets, de ses relations, de ses secrets de
fabrication. »
En s’appropriant la disposition de la loi de 1856,
celle de 1867 n’en a modifié ni le sens ni la portée. Au
jourd’hui donc, comme autrefois, la mission du conseil
de surveillance se borne à examiner, à vérifier. Elle ne
saurait aller jusqu’à peser sur la gestion du gérant, à
contrarier ou à gêner en rien sa liberté et son indépen
dance.
212# — Renfermée dans ces limites, la mission du
conseil ne comporte et ne souffre aucun obstacle, aucu
ne entrave. Ainsi et quant aux livres, le droit et le de
voir de les vérifier s’étend non-seulement aux livres
obligatoires, mais encore aux livres facultatifs, et géné-
�TÎTRE I , ART.
10, 11, 12.
295
râlement sans exception à l’ensemble des écritures pou
vant servir à élucider et à contrôler les indications du
journal.
Ce n’est pas tout, en effet, de constater des recettes,
des entrées, il faut rechercher si elles ont réellement pro
fité à la société. On n’en aquerra la conviction que si
on s’assure par le livre de caisse, par celui des traites et
remises, par le grand livre, qu’à la date indiquée par le
journal, la caisse a été débitée des sommes reçues, et la
société créditée des valeurs acceptées par elle.
Sans doute, l’omission sur les livres auxiliaires des
indications du journal, ne diminuerait en rien la foi
due à celui-ci et ne libérerait pas le gérant de l’obliga
tion d’en faire compte ; sans doute encore, si les livres
auxiliaires présentaient un chiffre moindre que celui
porté au journal, c’est de ce dernier que répondrait le
gérant, sauf preuve d’erreur. Mais la vérification n’abou
tit-elle qu’à relever l’omission ou la différence, serait
encore utile, car elle aurait pour résultat d’éclairer la
gestion du gérant, de le convaincre au moins de légère
té ou de négligence et mettrait l’assemblée générale en
état et en demeure d’y remédier s’il y a lieu.
.\ ,
.
f
.
.
Si 15. — Le dépouillement complet des écritures pré
cisera et déterminera l’importance de l’actif social, et cet
actif doit se trouver dans la caisse, dans le portefeuille ,
dans les magasins et entrepôts de la société; de là pour
les membres du conseil le droit et le devoir de vérifier
la caisse, le portefeuille et les autres valeurs de la so
ciété.
�296
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
La vérification de la caisse est facile et rie peut don
ner lieu à équivoque. Il s’agit de procéder à la numéra
tion des espèces, et à s’assurer qu’elles représentent bien
les résultats constatés par le livre de caisse.
2 1 4 . — C’est aussi par le relevé général des titres
et valeurs qui y sont renfermés que s’opérera la vérifica
tion du portefeuille. Mais ce n’est pas à cette opération
matérielle que doivent se borner les membres du con
seil de surveillance. Leurs investigations doivent s’éten
dre à la nature et au caractère de ces valeurs. Il pour
rait se faire, en effet, que dans l’intention d’exagérer
l’actif, et même de masquer un déficit, le gérant eût
bourré le portefeuille de valeurs imaginaires, souscrites
par des hommes de paille et conséquemment absolument
irrécouvrables.
Sans doute, les membres du conseil de surveillance
ne doivent et ne peuvent courir de porte en porte pour
s’assurer de la solvabilité des débiteurs, mais le dépouil
lement des écritures les aura mis au courant des cor
respondants ordinaires de la société, et il est facile de
s’imaginer que les souscripteurs complaisants se place
ront en dehors de cette catégorie. Cela seul doit éveiller
l’attention des membres du conseil et les porter à s’en
quérir de la nature de la contrevaleur que ces prétendus
débiteurs ont reçue et de l’époque à laquelle elle a été
fournie.
Puis, comment ne pas suspecter la fraude si les mêmes
débiteurs figurent pour les mêmes sommes dans les in-
�TITRE ï ,
ART.
10,
11,
1 2.
297
ventaires clôturant les divers exercices. Est-ce que, en
commerce , le renouvellement successif des lettres de
change ou billets à ordre, ne crée pas un indice d’in
solvabilité ?
Enfin les membres du conseil de surveillance seront
nécessairement au courant de la notoriété commerciale.
Bien certainement, les souscripteurs plus ou moins com
plaisants des valeurs véreuses, n’en auront aucune, et
cette circonstance jointe à celle qu’ils n’appartiennent
pas aux correspondants ordinaires de la société, excitera
et devra exciter la méfiance, et devenir l’occasion et le
motif de recherches spéciales.
2 ! 5. — Il en est des marchandises comme des va
leurs de portefeuille. Elles peuvent fournir la matière
d’une fraude de la part du gérant. Tantôt il en exagé
rera soit la quantité soit le prix ; tantôt il dissimulera à
l’aide de coupons le vide de ses rayons.
Les membres du conseil de surveillance ne sauraient
être tenus d’auner ou de mesurer chacun des nombreux
articles constituant l’actif marchandises. Aussi leur res
ponsabilité ne serait engagée que si l’exagération était
de telle nature qu’elle devait nécessairement apparaître
à la suite d’un examen et de recherches ordinaires.
216.
— De même que la loi de 1856, celle de 1867
garde le silence sur l’époque à laquelle les membres du
conseil doivent procéder aux vérifications que la loi exi
ge. Mais ce silence est utilement suppléé par la nature
�298
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
même de la mission donnée au conseil, par le droit de
convoquer en tout temps l’assemblée générale, par l’obli
gation de présenter un rapport annuel sur l’état de la
société lorsqu’il s’agit de la distribution d’un dividende.
Ce que la loi prescrit et exige c’est une surveillance
effective, sérieuse, de nature à protéger efficacement l’in
térêt des actionnaires. Ce résultat ne peut être atteint que
par une vigilance en quelque sorte permanente. L’obli
gation imposée pour chaque fin d’année ne saurait au
toriser de s’abstenir dans l’intervalle d’un inventaire à
l’autre, car il pourrait se faire que, dans cet intervalle,
la société subit des évènements tels qu’il devînt indispen
sable de consulter les actionnaires.
N’est-ce pas d’ailleurs dans ce but que notre article
H confère au conseil de surveillance le droit de con
voquer l’assemblée? Evidemment cette convocation ne
peut s’entendre de celle qui se réalise forcément en fin
d’année.
Or, qui veut la fin veut les moyens. Comment, en ef
fet, le conseil de surveillance exercerait-il ce droit, si on
lui refusait la faculté de vérifier toutes les fois qu’il le
juge convenable les livres, portefeuille et valeurs de la
société.
Notons que l’objet de cette convocation peut être la
dissolution de la société. Celte dissolution ne peut être
motivée que sur les évènements qui rendent périlleuse
la situation et la continuation de la société. Or comment
les membres du conseil de surveillance apprendront-ils
ces évènements, si on leur refusait le droit de consulter
�TITRE I, ART.
10, 11, 12.
'
299
et de vérifier en tout temps les écritures et les documents
sociaux ?
L’exercice de ce droit purement facultatif dans l’in
tervalle d’un inventaire à l’autre , est un devoir rigou
reux à chaque fin d’année , lorsque le gérant rendant
compte des opérations et présentant son inventaire, pro
pose de distribuer un dividende qu’il détermine. Il n’est
pas de gérant qui ne mette son honneur à offrir le di
vidende le plus gros possible. Aussi arrive-t-il qu’à dé
faut de bénéfices réels, on en invente d’imaginaires qu’on
prélève en réalité sur le capital qu’on diminue ainsi au
moment même où il faudrait l’augmenter.
2 1 7 . — On comprend la gravité do danger qu’une
pareille fraude fait courir à la société. C’est ce danger
que la loi charge le conseil de surveillance de prévenir,
en exigeant de lui un rapport à l’assemblée générale qui
est appelée à voter sur le dividende.
Ce rapport doit être l’expression de la vérité vraie, et
substituer la réalité aux exagérations ou aux illusions
dans lesquelles le gérant s’est laissé entraîner. Il doit si
gnaler les irrégularités et les inexactitudes qui peuvent
vicier l’inventaire, et constater les motifs qui s’opposent
aux distributions des dividendes proposés par le gérant.
2 1 8 . — Mais pour signaler les irrégularités et les
inexactitudes des inventaires, il faut nécessairement les
connaitre, et quel moyen, pour arriver à çelte connais
sance, plus énergique et plus décisif que celui d’assister
et de concourir activement à leur rédaction.
�300
LOI
DE
1867
SUR
LES
S O C IÉ T É S
Or c’est précisément ce moyen que la loi refuse. La
mission du conseil de surveillance est purement passive,
et, quant à ce qui concerne la confection de l’inventaire,
c’est au gérant seul qu’elle est confiée, et ce n ’est qu’après sa clôture que le conseil de surveillance est appelé
à en vérifier et à en contrôler les indications.
À ce sujet on ne saurait se créer le moindre doute. Le
caractère et l’étendue de la surveillance dévolue au con
seil , l’obligation de faire un rapport annuel qui lui est
imposé par la loi nouvelle, étaient consacrés par l’arti
cle 8 de la loi de 1856. Or, dans le projet de loi arrêté
par le conseil d’Etat, cet article portait : les membres du
conseil surveillent l’inventaire et s'opposent à ce qu’il
soit distribué des dividendes fictifs.
Cette rédaction reposait sur cette idée que pour don
ner une opinion exacte sur un inventaire il fallait y avoir été en quelque sorte partie et être ainsi édifié sur
ses indications. Comment sans cela les apprécier saine
ment. Faudra-t-il, par exemple, auner chaque pièce de
toile , de draps, de mousseline, etc.. . . , pour s’assurer
qu’elle contient le métrage accusé? Devra-t-on procéder
ou faire procéder au pesage ou mesurage de telle autre
nature de marchandises ? Dans ce cas que de temps
perdu, que de frais, que de dangers pour certaines mar
chandises ! Or on évitait tous ces inconvénients si les
membres du conseil étaient autorisés à concourir active
ment à l'inventaire.
Mais cette autorisation lui donnait naturellement un
rôle actif dans l’opération, l’appelait à en discuter les ba-
�TITRE I, ART.
10,
11,
1 2.
301
ses, à en modifier les éléments et à repousser même les
prétentions du gérant. Tout cela , disait la commission
du Corps législatif, est inconciliable avec le caractère es
sentiellement passif que la loi a voulu imprimer à la
mission du conseil ; et sur cette observation la rédaction
du conseil d’Etat fit place à celle que la commission pro
posait : ils font chaque année un rapport à l'assemblée
générale sur les inventaires et sur les propositions de
distribution de dividendes faites par le gérant.
Notre article 10 ne fait que dire la même chose avec
plus de développement : il assigne au rapport, d’une ma
nière formelle , le but que la loi de 1856 se contentait
de sous-entendre. Pourquoi, en effet,un rapport annuel
sur les inventaires, si ce n’est pour relever et signaler les
irrégularités et les inexactitudes volontairement ou invo
lontairement commises.
Aujourd’hui donc sous l’empire de notre article 10,
pas plus qu’avant, le conseil de surveillance ne peut re
vendiquer une part active quelconque , ni réclamer sa
présence à la confection des inventaires. Son droit se
borne à contrôler le travail du gérant à comparer ses in
dications avec celle des écritures, et à s’assurer de leur
exactitude.
219,
— L’examen des livres et écritures pourra bien
fournir des éléments à cette appréciation,mais il ne sau
rait suffire dans tous les cas. Comment en effet fera-t-il
reconnaître la fausseté et le mensonge, si le gérant n’a
fait qu’exagérer la quantité des marchandises. Nous l’a-
�3Q2
LOI
DE
1867
SUR
LES
SO C IÉ T É S
vons déjà d it, les membres du conseil ne sauraient être
tenus de procéder ou de faire procéder au pesage ou
mesurage des diverses marchandises. Il faut donc qu’ils
s’en rapportent un peu à l’apparence; et on ne saurait
leur reprocher de l’avoir fait, à moins que la fraude fût
de telle nature que la moindre recherche devait la faire
découvrir, par exemple, si les cartons étaient à-peu-près
vides , ou si les prétendues pièces ne consistaient que
dans des coupons ; si la marchandise étant en grenier,
on avait dissimulé sous une couche plus ou moins épaisse
des objets avariés et sans valeur.
Dans l’appréciation de la conduite du conseil de sur
veillance, on devra tenir compte de la nature des irré
gularités et des inexactitudes que les intéressés seront
parvenus plus tard à découvrir et à constater. On ne
saurait, par exemple, raisonner pour l’exagération de la
valeur comme pour celle de la quantité.
220.
— Quel qu’ait été le prix d’achat des marchan
dises , quel que soit le produit qu’on espère obtenir de
leur revente, l’inventaire ne peut tenir compte ni de l’un
ni de l’autre. Le seul admissible est celui auquel sont
cotées les marchandises au moment de l’inventaire. Le
gérant ne peut en adopter un autre , ni appliquer aux
qualités inférieures celui de la première qualité.
Les membres du conseil desurveillance qui n’auraient
pas relevé et signalé une inexactitude de ce genre / au
raient gravement engagé leur responsabilité. Vainement
prétendraient-ils avoir ignoré le prix courant de l’épo-
�TITRE I, ART.
10,
11,
1 2.
303
que , ou n’avoir pas été à même d’apprécier la qualité
réelle de la marchandise. En supposant cette ignorance
et cette incapacité , leur devoir était de s’informer , de
consulter, et ils seraient inexcusables de ne pas l’avoir
fait.
2 2 |. — Il n’est pas présumable que le gérant porte
à l’inventaire des sommes supérieures à celles qui exis
tent en caisse : il serait trop facile de découvrir la ruse.
Aussi l’exagération de l’actif autre que les marchandises
consistera-t-elle le plus ordinairement à présenter com
me bonnes des créances véreuses ou souscrites par des
insolvables, à considérer comme acquis les résultats d’o
pérations encore en cours d’exécution.
Il ne sera pas toujours facile aux membres du conseil
d’apprécier exactement le caractère et la valeur des cré
ances. Nous venons d’indiquer quelques-unes des cir
constances qui peuvent les mettre sur la voie.
222.
— Quant aux résultats d’opérations encore en
cours d’exercice, ils ne peuvent figurer dans l’inventaire
comme acquis , par l’excellente raison qu’ils ne le sont
pas , qu’ils ne le seront peut-être jamais. Que de fois
dans le commerce la queue a dévoré la tête, que d’évé
nements ont fait évanouir des apparences que tout sem
blait faire considérer comme des certitudes.
« Il ne suffit pas, disait l’Exposé des motifs de la loi
du 23 mai 1863 , que des opérations engagées fassent
concevoir des espérances qui paraissent presque des cer
titudes ; ni même que des conventions faites, des mar-
�304
LOI
DE
1867
SUR
LES
s o c ié t é s
chés conclus constituent des droits véritables, des créan
ces positives. Les résultats probables des entreprises, les
effets des conventions et des traités ne sont pas encore
des bénéfices qu’on puisse distribuer ; et si l’on en fait
la répartition avant qu’ils soient effectivement réalisés,
avant que la caisse sociale ait reçu les sommes qui en
sont la représentation , c’est sur le capital social qu’on
prend ce qui est donné aux actionnaires sous le nom de
dividendes. »
Le rapporteur de la loi , M. du M irai, ajoutait : quel
est le commerçant, l’industriel qui ne sache distinguer
une opération conclue et liquidée, de celle qui n’est qu’en
cours d’exécution ?
Les membres du conseil de surveillance qui n’auraient
pas signalé l’inexactitude et redressé les indications de
l’inventaire à ce sujet auraient donc failli à leur devoir,
et il ne serait que juste de leur en faire supporter les
conséquences.
223.
— Si la vérification du conseil aboutit à cons
tater des irrégularité, des inexactitudes, il est plus que
probable qu’elles auront pour résultat de modifier le di
vidende proposé par le gérant, de le réduire à un chif
fre moindre ou de le faire supprimer en entier.
Mais à ce sujet le droit du conseil se borne à propo
ser l’une ou l’autre ; il rétablit la vérité des choses, fait
connaître les motifs qui ne permettent pas d’accueillir
les propositions du gérant. Ces motifs, on le comprend,
ne peuvent guère être que la réduction ou l’absence de
�T ITR E
I,
ART.
10,
11,
12.
305
bénéfices résultant du redressement des erreurs volon
taires ou involontaires du gérant.
L’assemblée générale délibère et prononce entre le
gérant et le conseil de surveillance. On peut craindre
qu’entraînée par son intérêt elle ne vote pour la propo
sition du premier, malgré qu’en prenant le dividende
sur le capital, ou expose la société à se trouver, à un
moment donné, dans l’impossibilité de faire face à ses.
affaires et réduite à liquider ou à se voir déclarer en
état de faillite.
224.
— Quoiqu’il en soit, le conseil de surveillan
ce n’a aucun moyen d’imposer son avis et d’empêcher
l’exécution du vote de l’assemblée générale, ce qui ne
doit pas l’empêcher de s’opposer, s’il y a lieu, à la dis
tribution du dividende. La constatation de cette opposi
tion en prouvant qu’il a loyalement rempli son devoir
le mettrait à l’abri de toute recherche ultérieure quel
que fictif qu’eût été d’ailleurs le dividende distribué.
Une autre conséquence de cette constatation serait d’en
lever aux actionnaires toute excuse de bonne foi et de
les obliger à restituer ce qu-’ils auraient reçus dans les
limites tracées par la loi.
Si le conseil s’est prononcé à la majorité pour le re
jet de la proposition du gérant, tous ses membres sont
également couverts. Au contraire, si la majorité a été
d’avis contraire et a refusé de tenir compte des irrégu
larités ou des inexactitudes relevées par la minorité, la
constatation ultérieure de ces irrégularités ou de ces
�306
LOI
DE
1867
SUR
LES
so c ié t é s
inexactitudes acquises, la responsabilité de tous ceux qui
ont formé cette majorité serait gravement engagée.
Cette responsabilité ne saurait atteindre les membres
de la minorité ; ceux-ci, en effet, sont irréprochables et
ont rempli dans toute son étendue le devoir qui leur
était imposé, ils ne pourraient sans injustice être tenus
de la faute, de la légèreté, de l’aveuglement de la majo
rité. Aucun doute ne saurait s’élever à ce sujet en pré
sence de l’article 7 qu’il proclame et consacre le princi
pe de la personnalité de la responsabilité.
Les membres de la minorité ont donc le plus haut in
térêt à ce qu’il conste de leur opinion. Ils ont le droit
de demander qu’elle soit explicitement insérée au rap
port, et en cas de refus de faire eux-mêmes un contre
rapport. Ils sont dans tous les cas recevables et fondés
à requérir, même par huissier, qu’il en soit fait mention
au procès-verbal de la délibération.
225.
— On connait la controverse et les difficultés
qu’avait soulevées la question de savoir si après décon
fiture de la société les actionnaires étaient tenus de rap
porter à la masse les dividendes fictifs qui leur avaient
été distribués pendant le eours de la société. Nous nous
sommes expliqués ailleurs à ce stajet , et nous avons
adopté l’opinion qui ne dispense du rapport que si, à
l’époque de la distribution du dividende, la société était
réellement en bénéfices
1 N o tre
Commentaire des sociétés,
n°* 2 2 6 e t s u i v .
�TITR E
I,
ART.
10,
11,
12.
307
Cette condition manque absolument, lorsque la vé
rité substituée au mensonge prouve qu’au moment de
la distribution il n’existait aucun bénéfice. Dans ce cas
le dividende était bien fictif, c’est-à-dire pris aux dé
pens du capital et sur le capital lui-même. En le rece
vant l’actionnaire a repris une partie de cette mise qui
appartient et doit appartenir d’abord aux créanciers.
Rien ne saurait donc faire que sur leur poursuite cette
partie de leur gage ne fut rendue à sa destination.
2 2 0 . — L’équitable justesse de cette conséquence
ne saurait être méconnue, cependant la loi nouvelle a
reculé devant sa consécration pure et simple ; elle ad
met bien en principe l’action en répétition, mais elle en
restreint l’exercice au cas où la distribution du dividen
de a été faite en l’absence de tout inventaire ou en de
hors des résultats constatés par l’inventaire.
La commission du Corps législatif étayait cette modifi
cation sur ce principe que ce qui avait été perçu de bon
ne foi n’était pas sujet à répétition. Elle faisait résulter
la bonne foi de l’existence d’un inventaire, justifiant en
résultat la distribution proposée par le gérant.
« Il a paru à la commission, disait le rapporteur,
que la bonne foi devait être dans l’accomplissement ré
gulier des obligations que la loi impose au gérant et au
conseil de surveillance. Là où un inventaire a été dressé,
vérifié, où la proposition d’un dividende a été précédée
et accompagnée de toutes les garanties extérieures que la
loi a organisées, l’actionnaire est autorisé à croire que
�308
LOI
DE
1867
SUR
LES
so c ié t é s
le dividende est légitimement acquis. Sa bonne foi est
présumée, et il ne doit pas être exposé au rapport à
moins qu’on n’établisse entre lui, le gérant et le con
seil de surveillance, une complicité véritable pour trom
per les tiers sur la véritable situation de la société; mais
là où aucun inventaire n’a été dressé, ou ce qui y res
semble, là où le dividende a été distribué sans inven
taire régulier, la bonne foi cesse et l’action en répétition
est ouverte. »
227.
— Quels que soient les efforts tentés par la
commission pour justifier cette disposition, on ne sau
rait se méprendre sur son caractère. Elle mérite le re
proche qu’on lui faisait de sacrifier l’intérêt des créan
ciers à l’intérêt des actionnaires. En restreignant l’action
aux deux cas qu’elle énumère, elle la supprime en réa
lité. Quelle apparence en effet qu’un gérant propose de
distribuer un dividende en l’absence d’un inventaire, ou
en dehors des résultats constatés par l’inventaire 1 En
supposant qu’il fût assez osé pour tenter l’un ou l’autre,
quel est le conseil de surveillance qui consentirait à fer
mer les yeux, à s’associer à cette violation de la loi, et à
braver ainsi la ruine qui pourrait résulter de l’action en
responsabilité qui, dans ce cas, ne serait pas douteuse?
Quant à la complicité entre les actionnaires, le gérant
et le conseil de surveillance, elle est une chimère irréa
lisable. Qui osera alléguer que deux à trois cents per
sonnes se sont concertées et ont pu se concerter ? Et si
on adresse ce reproche à tel ou tel en particulier, ne se-
�TITRE I , ART.
10, 11, 12.
309
ra-t-on pas repoussé par la minimité de l’intérêt de ce
lui qu’on accuse ? Quelle vraisemblance qu’on se livre
à la fraude pour avantager des centaines de personnes
qu’on ne connaît même pas ?
2 2 8 . — L'action en répétition reste donc ouverte ;
mais son exercice , quelque fictif que soit le dividende,
quelque frauduleux que soit l’inventaire , ne sera et ne
peut être à l’avenir qu’une rare exception, par exemple,
dans l’ypothèse que nous indiquions lout-à-l’heure, celle
où l’assemblée générale , contrairement au rapport du
conseil de surveillance et ne tenant aucun compte des
irrégularités et des inexactitudes signalées, aurait admis
et voté la distribution du dividende proposé par le gé
rant.
La présomption de bonne foi ne pourrait prévaloir
sur la certitude de la fraude qui naît d’une pareille dé
cision. D’ailleurs, dans ce cas , la distribution , si elle
s’étaye d’un inventaire, aurait lieu réellement en dehors
des résultats constatés par cet inventaire. En effet, les
redressements opérés par le conseil de surveillance atté
nuant ou faisant disparaître le bénéfice, enlevaient toute
possibilité d’une distribution, ou faisaient un devoir de
le fixer à un chilfre moindre.
2 2 9 . — La disposition de l’avant-dernier paragra
phe de l’article 10 a introduit une importante modifica
tion au droit commun. L’action en répétition dans le
cas où elle est ouverte se prescrit par cinq ans à partir
�310
LOI
DE
1867
SUR
LES
SO C IÉ T É S
du jour fixé pour la distribution des dividendes. Celle
dérogation à la législation précédente a soulevé d’éner
giques protestations.
Nous croyons qu’en principe une courte prescription
était nécessaire et juste en cette matière. Il ne fallait pas
qu’un actionnaire, qui a annuellement reçu des sommes
relativement minimes qu’il a consommées pour ses be
soins personnels et ceux de sa famille , pût être tenu
pendant trente ans de restituer l’intégralité des sommes
reçues accrues de l’intérêt légal : une pareille obligation
pouvait entraîner sa ruine.
Il est vrai, comme nous venons de le dire, qu’aujourd'hui l’action en répétition est a-peu-près impossible,
et qu’on n’avait dès lors pas à se beaucoup préoccuper
de son extinction. Néanmoins on ne saurait regretter
qu’allant à toutes fins, le législateur l’ait soumise à la
prescription quinquennale.
230.
— Ce qui est plus difficile à justifier est le
point de départ du délai de cinq ans. En le plaçant au
jour fixé pour la distribution des dividendes , l’article a
méconnu et violé le principe contra nonvalentem agere
non currit prescriptio.
En effet, tant que la société n’a pas suspendu ses paie
ments, les tiers créanciers qui se présentent à l’échéance
de leurs titres ‘sont intégralement désintéressés par le
gérant. Pourquoi s’adresseraient-ils aux actionnaires?
Dans quel intérêt ?
Evidemment ils n’ont pas à le faire, et s’ils le fai-
�T IT R E
I,
ART.
10,
11,
12.
311
saient leur action serait inévitablement écartée comme
non recevable. Cependant, si depuis la distribution des
dividendes fictifs la société est parvenue à se soutenir
pendant plus de cinq a n s , les créanciers plus Ou moins
ruinés n’auront rien à réclamer et leur action aura été
bien réellement perdue avant d’avoir pu être exercée. Ce
résultat p eut-il se concilier avec les principes , avec la
raison elle-même ?
Ce qui est dans le cas d’atténuer la rigueur de notre
disposition, c’est qu’il est peu probable que la distribu
tion de dividendes fictifs remonte à plus de cinq ans.
Quelle est la société qui résisterait si, depuis plus de cinq
ans, on prenait sur son capital de quoi payer des divi
dendes et les intérêts des actions ?
Donc, si malgré les distributions opérées plus ou moins
longtemps avant la période quinquennale, la société a
pu remplir ses obligations, faire face à ses engagements,
ne doit-on pas y voir la preuve que les dividendes n’a
vaient rien de fictif ?
Dès que l’insolvabilité se manifeste par le refus de
paiements, les créanciers sont fondés et recevables à agir
personnellement et directement contre les actionnaires.
Leur accorder le droit de revenir sur les distributions
faites dans les cinq dernières années, c’était, on a pu le
croire, protéger utilement et efficacement leurs intérêts;
car outre l’action en répétition contre les actionnaires,
ils ont l’action en responsabilité contre les membres du
conseil de surveillance ; et si la première d o it, dans la
limite tracée par la loi, réussir, parce que les dividen-
�312
LOI
DE
1867
SUR
LES
SO C IÉ T É S
des auraient été distribués en l’absence de tout inventai
re ou en dehors des résultats constatés par l’inventaire,
on ne saurait se faire un doute sur le sort de la seconde.
Elle serait a fortiori accueillie et consacrée.
2 5 i.
— L’introduction de la prescription quinquen
nale amenait naturellement à se préoccuper de ce qu’il
fallait statuer sur les prescriptions commencées avant la
promulgation de la loi nouvelle. Fallait-il les laisser à
l’empire de la loi ancienne , ou leur rendre commun le
délai admis par la nouvelle.
On a pu plus ou moins justement se prononcer dans
le premier sens ; mais le vrai principe en cette matière
est que tant que la prescription n’est que commencée et
non consommée , elle ne constitue qu’une expectative
dont la force n’est pas telle que le législateur doive la
respecter. Elle peut donc , à partir de la promulgation
d’une loi nouvelle , être régie pour l’avenir par cette loi
sans qu’il y ait en cela aucune rétroactivité '. L’article
2281 du Code Napoléon nous offre une application de
ce principe relativement à la prescription de trente ans.
Le dernier paragraphe de l’article 10 en fait également
l’application: à quelque époque que se place la distribu
tion de dividendes fictifs opérée sous l’empire de la loi
de 1856 , l’action en répétition sera bien prescrite par
cinq ans. Mais le point de départ de ce délai sera non
I Marcadé , E l é m e n t s
lombe, t. 4, n° 61.
de d ro it f r a n ç a is
. 1 .1 , n« 42 , p. 62 ; Demo-
�TITRE I, ART.
10,
12.
H ,
313
plus le jour fixé pour la distribution , mais celui de la
promulgation de la loi actuelle.
252.
— M. Yavasseur s’expliquant sur l’ensemble
des dérogations au droit commun, déclare s’associer aux
protestations énergiques qu’elles soulevèrent, et leur re
proche de sacrifier l’intérêt des créanciers à l’intérêt des
actionnaires'.
Il devait quelque peu en être ainsi, dès que le but avoué de la loi était de revenir sur les rigueurs de la loi
de 1856, qui, disait-on, avait tué l’esprit d’association.
Certes il était difficile d’accorder aux actionnaires plus
que la dispense de restituer les dividendes même préle
vés sur le capital ; et comme nous venons de le dire, cette
dispense résulte forcément des conditions auxquelles est
subordonnée l’obligation du rapport.
Mais cela donné, il est évident que la prescription
de cinq ans pouvait et devait être consacrée, car, si elle
favorise les actionnaires , elle ne préjudicie en rien aux
créanciers.
En effet, ou la distribution aura été opérée dans
les conditions exigées par la lo i, et dans ce cas qu’im
porte que l’action dure cinq ou trente ans , puisqu’elle
est d’avancé condamnée à ne pas aboutir ;
Ou la distribution aura été faite en l’absence de tout
inventaire ou en dehors des résultats constatés par l’in
ventaire , et dans ce cas nous persistons à croire qu’en
'. >
"
1 Commentaire de la loi de 1 8 6 7 ,
t
n° 182.
�314
LOI
DE
1867
SUR
LES
S O C IÉ T É S
ouvrant aux créanciers l’action en responsabilité contre
les membres du conseil; et en les autorisant à exiger des
actionnaires le recomblement de ce qu’ils ont indûment
reçu depuis cinq ans , on donne à ces créanciers les
moyens d’obtenir le paiement intégral de ce qui leur
est dû.
Qu’on ne dise pas que le recomblement peut être de
venu impossible ; que la responsabilité du conseil est in
certaine. On se créerait de cette responsabilité une idée
que la loi est loin d’autoriser. Comprendrait-on que les
membres du conseil eussent une excuse à proposer et
qu’ils pussent rester indemnes dans les circonstances qui
doivent forcément faire condamner les actionnaires ?
Evidemment si ceux - ci sont coupables d’avoir reçu
sans inventaire ou contrairement à l’inventaire, les mem
bres du conseil qui ont laissé cet acte s’accomplir sont
vingt fois plus coupables encore. Leur responsabilité ne
saurait être mise en question, et doit entraîner pour eux
l’obligation d’indemniser les créanciers même de l’insuf
fisance du recomblement.
La prescription de cinq ans sauvegarde donc l’intérêt
des créanciers d’une part ; de l’autre, elle évite ce résul
tat monstrueux de venir exiger après trente ans la répé
tition de sommes annuellement consommées et jeter ainsi
le trouble et la ruine dans de nombreuses familles. On
ne peut dès lors qu’applaudir à sa consécration.
2 3 3 . — Notre article 10 ne s’occupe que des divi
dendes exclusivement ; il se tait sur le paiement d’inté-
�TITRE I, ART. 1 0 ,
11,
12.
315
rets annuellement reçus par les actionnaires. Mais l’in
tention du législateur de mettre sur la même ligne ces
paiements et les distributions de dividendes, résulte avec
évidence de la discussion au Corps législatif. Après avoir
rappelé les règles qui doivent à l’avenir dominer l’action
en répétition de ces dividendes , le rapport de la com
mission ajoute : tout ce que nous venons de dire s'appli
que aux intérêts annuels reçus par les actionnaires,
comme résultat, sinon de bénéfices proprement dits, au
moins à titre d'excédant de l'a c tif sur le passif, et en
vertu des inventaires.
La perception d’un intérêt annuel, quel que soit d’ail
leurs l’état des affaires, expose la société à un danger
»
.plus considérable encore que celui qui résulte de la dis
tribution d’un dividende fictif. Celui-ci, en effet, peut
n’atteindre que le demi, que le un ou le deux pour cent
de la valeur des actions. L’intérêt au contraire sera in
variablement fixé par les statuts au quatre, cinq, peutêtre même à six pour cent et au delà. Il ne faut pas
perdre de vue que plus les promesses à ce sujet seront
brillantes, et plus il y aura chance de recueillir des ad
hésions. On comprend dès lors à quelle importance s’é
lèveront les prélèvements annuels sur le capital, si les
intérêts sont en réalité payés en l’absence de tout béné
fice.
Aussi en avions-nous conclu que si la clause des sta
tuts qui les stipule est légale , si son insertion dans les
statuts est indispensable pour qu’on puisse distribuer un
�316
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
intérêt quelconque, elle ne saurait faire cependant qu’on
pût le prendre ailleurs que sur les bénéfices1.
Que dans leur compte particulier et relativement à
leurs droits à l’actif social, on mette au crédit de chacun
d’eux les fonds qu’ils ont versé et l’intérêt de ces fonds,
on le comprend ; mais relativement aux tiers créanciers,
il ne saurait en être ainsi qu’en attribuant aux action
naires la qualité de prêteurs de fonds, qualité qu’ils n’ont
pas et ne peuvent pas avoir ; qu’en les autôrisant à re
prendre au préjudice des créanciers tout ou partie de la
mise exclusivement affectée à ceux-ci.
s
Le désir de favoriser et de développer l’esprit d’asso
ciation ne saurait justifier et légitimer ce résultat. Car,
ainsi que le disait éloquemment M. Duvergier dans la
discussion de l’article 10 actuel , il est bon sans doute
de favoriser les actionnaires pour appeler les capitaux
dans les sociétés en commandite par actions ; mais il
faut aussi se préoccuper de ce qui est juste, et il est juste
que le créancier soit payé conformément aux principes
du droit sur l’actif social, avant que l’actionnaire reçoive
un centime à titre de bénéfice2.
Il est vrai que M. Duvergier s’exprimait ainsi à l’oc
casion des dividendes fictifs. Mais que l’actionnaire re
prenne l’actif social non à titre de dividende, mais sous
la qualification d’intérêt, la position du créancier en
sera-t-elle changée et la justice moins méconnue, moins
blessée ?
> Notre Commentaire des sociétés, nos 224 et suiv.
2 Moniteur, 31 mai et 1er ju in 1867.
�TITRE .1, ART.
10, 11, 12.
fl»
317
Il semble donc que l’opinion que nous avions adoptée
devait être consacrée par la jurisprudence. C’est le con
traire qui s’est réalisé, et le 8 mai 1867 la cour de Cas
sation jugeait encore, que les actionnaires d’une société
en commandite par actions ne sont pas tenus à la resti
tution des sommes qui leur ont été payées à titre d’in
térêts annuels de leur mise, alors que ce paiement était
autorisé par les statuts comme charge sociale ;
Qu’il importe peu que la clause autorisant un tel paie
ment n’ait pas été insérée dans l’extrait de l’acte de so
ciété publié conformément aux articles 42 et suivants
du Code de commerce, la publication n’étant exigée que
pour les énonciations prescrites par l’article 43 !..
Il est difficile d’admettre que le paiement d’un intérêt
annuel soit une de ces charges sur lesquelles il importe
peu que les tiers soient édifiés, comme, par exemple, les
frais de bureau, le salaire des commis ou employés, les
loyers des maisons et bureaux, etc........ Quoi qu’il en
soit, la cour de Casssation n’hésite pas, et de sa doctrine
il résulte explicitement que la clause affectant un intérêt
annuel aux actions n’a rien d’inconciliable avec les prin
cipes régissant les sociétés en commandite ; que lorsque
cette clause a été insérée aux statuts, les sommes annuel
lement reçues à titre d’intérêt ne sont pas répétibles a lors même qu’elles auraient été prises sur le capital ;
qu’enfin la clause est opposable aux tiers alors même
i J du P., 1867, 642 ; Voy. Rennes , 26 août 1863 ; Caen , 16 août
1864 ; A ngers, 16 janvier 1865; J. du P., 1864, 539; 1865, 217,
�318
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
qu’elle n’a pas été mentionnée dans l’extrait de l’acte
publié conformément à la loi.
En présence de celte doctrine on comprend que notre
article 10 ait gardé le plus absolu silence sur les intérêts
annuels. A quoi bon, en effet, se préoccuper de ce qui
ne peut être qu’une très-rare exception ? Il est évident,
en effet, que puisque, pour empêcher l’action de naître,
il suffit que le paiement d’un intérêt annuel soit stipulé
dans les statuts , celte clause deviendra en quelque sorte
de style et se retrouvera dans tous les statuts.
Si cependant l’exception se réalisait et si des intérêts
annuels avaient été payés en l’absence d’une clause ex
presse des statuts, ces intérêts seraient répétibles, comme
les dividendes fictifs , mais aux mêmes conditions, et
pendant cinq ans seulement. Nous pensons à cet égard
comme le rapporteur de la loi. Il serait par trop illogi
que de permettre qu’on pût répéter les intérêts pendant
trente ans, alors qu’on n’accordait que pendant cinq ans
l’action en recomblemenl des dividendes fictifs.
2.34'. — Nous terminons par une obervation qui
s’applique à ceux-ci comme à ceux-là. L’article 10 n’a
en vue que les dividendes fictifs, c’est-à-dire ceux qui,
en l’absence de tout bénéfice, sont prélevés sur le capi
tal. Donc l’action qui ne sera recevable que si la distri
bution a eu lieu sans inventaire ou en dehors des résul
tats constatés par l’inventaire, ne sera fondée et ne pour
ra être accueillie que s’il est prouvé et acquis qu’au jour
de la distribution il n’avait été réalisé aucun bénéfice.
�TITRE I , ART.
10, 11, 12.
319
Si au contraire les écritures établissent qu’à ce mo
ment il existait des bénéfices, et que ce sont ces bénéfi
ces qui ont été uniquement répartis soit comme intérêt,
soit à titre de dividende, l’action en répétition sera re
poussée. L’irrégularité de la forme de la distribution ne
saurait prévaloir sur le fond, ni faire qu’on ne pût dis
poser des bénéfices acquis.
Pour admettre cette impossibilité, il faudrait en reve
nir à cette doctrine, qu’il ne peut exister de bénéfice, cer
tain qu’à la dissolution de la société et à sa liquidation;
que jusque là il n’y a que des chances incertaines , le
gain d’aujourd’hui pouvant être plus qu’absorbé par la
perte de demain. Mais cette doctrine, condamnée dès
1810 par la cour de Cassation, est aujourd’hui combat
tue par la presque unanimité de la doctrine et de la ju
risprudence. Les bénéfices périodiques, dit notamment
M. Troplong', sont faits pour être distribués et consom
més ; telle est leur destination, à moins que l’acte de so
ciété n’en dispose autrement. Les créanciers n ’ont pas
dû s’attendre à les trouver capitalisés pour augmenter le
fonds social.
Donc, si la distribution faite sans inventaire n’a en
réalité compris que des bénéfices, l’action en répétition
sera bien recevable ; mais elle devra être repoussée com
me n ’ayant aucun fondement.
2 3 5 . — L’article 11, nous l’avons déjà dit, confère
au conseil de surveillance le pouvoir et le droit de véri
fier à toute époque et dans l’intervalle d’un inventaire
�320
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
à l’autre les livres , caisse , portefeuille et valeurs de la
société. Qui veut la fin veut les moyens. La nécessité de
convoquer les actionnaires ne peut être inspirée que par
la connaissance de l’état réel des affaires, et où les mem
bres du conseil puiseront-ils cette connaissance , si ce
n’est dans une exacte et minutieuse vérification des li
vres et écritures ? Donc, en autorisant le conseil de sur
veillance à convoquer en tout temps l’assemblée géné
rale, la loi lui a par cela même concédé le droit illimité
de vérification.
2 3 6 . — La réunion de l’assemblée générale autre
que celle de fin d’année , ne peut avoir pour objet que
de faire connaître aux actionnaires l’état de la société,
de leur signaler les malversations, les fraudes ou les lé
gèretés du gérant, de provoquer les mesures propres à
conjurer le danger, la destitution et le remplacement du
gérant, la dissolution de la société.
Mais l’assemblée générale ne peut prononcer de pia
no ni l’une ni l’autre : elle n’a qu’un avis à exprimer.
Les intérêts que ces mesures mettent en présence ne sont
pas de ceux sur lesquels elle puisse délibérer et statuer.
Donc en cas d’opposition soit du gérant, soit d’un ou de
plusieurs actionnaires , la solution appartient, à la jus
tice, et c’est à elle qu’on doit s’adresser.
2 5 7 . — Le droit exclusif des tribunaux est absolu,
sans distinction du cas où la demande en dissolution re
pose sur un fait prévu dans l’acte social, du cas où ce
�TITRE 1, ART.
10, 11, 12.
.
321
fait est nouveau et imprévu. Nous n’admettons donc pas
avec MM. Mathieu et Bourguignat1 que , dans le pre
mier cas, l’assemblée générale soit compétente pour pro
noncer souverainement la dissolution.
Sans doute il y a entre ces deux hypothèses une diffé
rence bien prononcée. Mais l’effet de cette différence ne
saurait aller jusqu’à transporter à l’assemblée générale
une juridiction qui n’appartient qu’à la justice. Cet effet
n’aboutit qu’à cette conséquence : lorsque la demande
est fondée sur un fait prévu au contrat, l’existence du
fait rend la dissolution inévitable et le juge est forcé de
l’admettre. Il ne pourrait juger autrement sans violer
expressément l’article 1134 du Code Napoléon. Dans le
cas contraire, le tribunal apprécie non-seulement l’exis
tence du fait, mais encore son caractère et les effets qu’il
peut et doit produire ; il peut en le tenant certain refu
ser la dissolution.
2 3 8 . — La faculté de provoquer celle-ci donnée au
conseil de surveillance, était la conséquence de la posi
tion qui lui est faite. Nul, si ce n’est le gérant, n’est mieux
à même d ’apprécier la convenance et l’opportunité de la
rupture du lien social ; mais provoquer cette rupture était un acte- qui ne pouvait se concilier avec la mission
du conseil. Cette mission, nous l’avons souvent rappelé,
est purement passive : elle se borne à surveiller le gé
rant , à avertir les actionnaires. Or intenter une ac* Commentaire de la loi de 1867, n° 97.
I. — 21
�■v ;;v
:«
» i
ygji
• :h,
Outre qu’en intentant cette action au nom de la masse,
le conseil agissait sans m andat, ou tout au moins au
delà de son mandat, il y avait un inconvénient énorme
à abandonner en quelque sorte le sort de la société à
son arbitraire, à son caprice, en lui conférant le pouvoir
sans autre garantie que sa volonté , de saisir les tribu
naux d’un litige qui, même résolu dans un sens favora
ble à la société, pouvait gravement la compromettre, al
térer son crédit, et porter le coup le plus nuisible aux
nombreux intérêts qui y étaient engagés.
Cependant l’article 9 de la loi de 1856 semblait con
férer ce pouvoir sans condition , sans restriction. Mais
effrayés des conséquences que ce pouvoir pouvait entraî
ner, la doctrine avait interprété l’article 9 en ce sens,
que le droit du conseil se bornait à proposer la dissolu-,
tion à l’assemblée générale qui pouvait seule y statuer.
Cette interprétation a prévalu. Après une vive et inté
ressante discussion et sur la proposition de sa commis
sion, le Corps législatif adopta l’article 41, qui n’accorde
au conseil le pouvoir de provoquer la dissolution en jus
tice que conformément à l’avis de l’assemblée générale.
Ainsi l’initiative de l’action est retirée au conseil ; il
n ’a plus que celle de la proposition qui ne sortira à ef
fet que si elle est accueillie par l’assemblée générale, ou
tout au moins par la majorité. Il était d’autant plus con
venable de l’exiger ainsi, qu’il s’agit d’une action à in
tenter au nom et dans l’intérêt des actionnaires, et que
�TITRE I , ART.
10, 11, 12.
323
le conseil de surveillance n’a d’autre mandat pour l’ex
ercer que l’avis favorable donné à sa proposition.
2 3 9 . — Si l’assemblée générale repousse la propo
sition et vote le maintien et la continuation de la société,
quels seront les effets légaux de la délibération. Libèrera-t-elle les membres du conseil personnellement et tous
les autres actionnaires, de telle sorte qu’aucun d’eux ne
puisse en son nom recourir à la justice et lui demander
cette dissolution que la majorité de l’assemblée générale
a refusée ?
■ Dans notre Covimentaire de la loi de 1 856 , nous
nous étions prononcé pour la négative. Nous avions
pensé que la délibération ne liait que la majorité dont
elle était l’œuvre ; qu’elle ne pouvait faire obstacle à ce
qu’un actionnaire, qu’il fit partie ou non du conseil de
surveillance, poursuivît la dissoluion de Ta société en son
nom personnel, et à ses périls et risques.
2 4 0 . — Dans son Commentaire de la loi de 1867,
M. Rivière combat cette opinion. Il la considère comme
inadmissible, aujourd’hui surtout que l’article 11 sub
ordonne l’action du conseil de surveillance à l’avis de
l’assemblée générale , et ne permet plus de remettre en
question ce qui a été résolu par cet avis'.
Si la délibération qui repousse la dissolution est défi
nitive et obligatoire pour tous les actionnaires, évidem
ment celle qui est favorable à la proposition du conseil
�324
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
doit offrir le même caractère. Cependant son effet, M.
Rivière le reconnaît lui-même , se borne à autoriser le
conseil à investir les tribunaux et à poursuivre la dis
solution contradictoirement avec le gérant. M. Rivière
soutiendrait-il que ceux qui ont voté contre la dissolu
tion ne sont ni recevables ni fondés à intervenir dans
l’instance, et, se réunissant au gérant, à soutenir que la
dissolution n’est ni utile ni nécessaire? Mairalors si la*
minorité n’est pas liée par la délibération qui accueille
la dissolution , pourquoi le serait-elle par celle qui la
repousse ? Est-ce que la rupture du lien social n’offre
pas pour ceux qui la réclament un intérêt aussi certain,
aussi considérable que celui qui peut résulter de la con
tinuation de la société ; et si celui-ci est une cause ju
ridique pour l’action, comment décider le contraire pour
celui-là ?
On ne le pourrait que si la loi s’était formellement
expliquée. Au lieu de cela , c’est le contraire qu’elle a
expressément consacré. En effet, l’article 1871 du Code
Napoléon reconnaît à tout associé , qui croit avoir de
justes motifs, le droit de poursuivre la dissolution en son
nom personnel.
Il faudrait donc établir tout d’abord que le législateur
de 1856 et celui de 1867 ont entendu déroger à ce droit,
et la volonté de le maintenir résulte avec la dernière évidence des documents législatifs. Ainsi, en 1856, le rap
porteur du Corps législatif, empruntant les termes mê
mes de l’Exposé des motifs, déclarait : la loi ne crée
pas ; elle déclare ; elle rappelle des obligations trop
oubliées ou trop méconnues.
�TITRE I,
ART.
10, 11, 12.
325
Les dispositions des articles 10 et 11 , disait de son
côté le rapporteur de 1867, ne constituent à aucun titre
une innovation.
Donc , si ces lois n’ont ni créé ni innové , le droit
commun a conservé son empire, et ce droit, l’article 1871
du Code Napoléon vient de le définir et de l’édicter.
L’opinion de M. Rivière repoussée par l’esprit de la
loi, ne l’est pas paoins par le texte. L’action que l’article
11 subordonne à l’avis de l’assemblée générale ri’est et
ne peut être que celle que le conseil de surveillance exer
cerait en sa qualité, au nom et dans l’intérêt de la mas
se, à ses frais si elle était rejetée.
Quelle sera donc la conséquence logique du rejet de
la proposition de faire prononcer la dissolution ? Pas
autre évidemment que l’interdiction pour le conseil d’a
gir en sa qualité, au nom et dans l’intérêt de la masse.
Faire résulter du refus de concours de l'assemblée géné
rale, la perte du droit que l’article 1871 du Code Napo
léon assure à tout associé , c’est évidemment donner à
l’article 11 un sens et une étendue qu’il est loin de com
porter.
»
»
»
»
»
»
241.
— M. Vavasseur ne-s’y est point trompé. « Il
pourrait arriver, enseigne-t-il , que la majorité de
l’assemblée votât contre la proposition de dissolution.
Dans ce cas, le conseil de surveillance ne pourrait,
agissant en cette qualité , saisir les tribunaux d’une
demaude en dissolution, car l’article 11 ne lui donné
le droit de provoquer cette mesure que conformément
�326
LOI
DE 1 8 6 7 SUR LES sociétés
» à l’avis de l’assemblée; ce qui signifie bien qu’il ne
» doit agir que sur l’avis conforme de l’assemblée. Est» ce à dire que la décision de la majorité serait un
y> v e t o absolu opposable à tous les associés ? Non,
» car il serait toujours permis aux membres dissidents
» de l'assemblée ou à quelques-uns ou même à un seul
» d'entre eux d'introduire personnellement l'action
» devant la justice. L’article 1871 du Code Napoléon
» donne en effet le droit à un seul des associés de de» mander la dissolution anticipée quand il y a juste
» motif1. »
242.
— En dernière analyse, la loi a pu et dû, lors
qu’il s’agit d’engager la masse et de poursuivre en son
nom, prescrire de consulter l’assemblée générale et exi
ger son assentiment. Mais elle n’a ni voulu ni pu vou
loir subordonner à cet assentiment l’exercice des droits
personnels à chaque associé. Donc et malgré l’avis qui
repousse la dissolution, chaque associé pourra la pour
suivre et déférer la question aux tribunaux en son nom
et dans son intérêt. Il ne faudrait pas que les partisans
quand même du gérant, que les riches actionnaires pour
qui la perte totale de l’action ne serait d’aucune impor
tance, pussent, fermant les yeux à l’évidence , voter la
continuation d’une société mortellement atteinte, et faire
courir la chance d’une perte totale à ceux pour qui cette
perte serait plus ou moins ruineuse.
1 Commentaire de la loi de 1867, n° 152
�TITRE I, ART. 10, 1 1 ,
12.
327
Sans doute la demande d’un ou de quelques action
naires ne se présentera pas avec la même faveur que
celle qui , intentée par le conseil de surveillance dans
l’intérêt de la société , a déjà reçu l’assentiment de l’as
semblée générale. Mais ce défaut d’assentiment, le juge
en tiendra compte. Il y verra la nécessité d’apprécier
plus religieusement encore les motifs allégués par le de
mandeur , et l’on peut être certain qu’il ne les accueil
lera qu’autant qu’aucun doute ne saurait exister sur leur
bien fondé.
Avec l’opinion de M. Rivière on arrive , dans un cas
donné, à ce résultat : qu’il sera impossible de poursui
vre la dissolution alors même qu’elle serait impérieuse
ment exigée par la position réelle de la société.
Supposez en effet que le conseil de surveillance refuse
de convoquer l’assemblée générale, et personne ne pourra
l’y contraindre et faire cette convocation à sa place ex
cepté le géran t, évidemment l’assentiment de la majo
rité ne pourra se produire , et si cet assentiment est le
préliminaire obligé , la condition sine qua non de toute
poursuite en dissolution , celle qui se produirait serait
inévitablement écartée comme non recevable. Les action
naires seraient donc condamnés à attendre , les bras
croisés, que les dernières ressources de la société aient
été dissipées, et que la ruine soit complète et absolue.
Nous n’admettrons jamais qu’une pareille éventualité
soit entrée dans les prévisions du législateur : singulière
protection que celle qui aboutirait fatalement à la fail
lite, au lieu d’une simple liquidation.
�S '
328
LOI DE
1867
SUR LES s o c ié t é s
2 4 3 . — Les attributions conférées au conseil de
surveillance constituent des devoirs autant que des droits.
Elles doivent conséquemment être prises au sérieux et
fidèlement remplies. Par exemple, le conseil de surveil
lance qui, dans notre hypothèse, ayant pu s’édifier sur
la nécessité de la dissolution , aurait négligé de le faire
et omis de convoquer l’assemblée générale , ou de lui
soumettre la proposition de dissoudre la société , aurait
gravement engagé sa responsabilité et se serait exposé à
l’obligation d'indemniser les associés et les tiers du pré
judice qu’ils auraient éprouvé de sa légèreté ou de sa
négligence.
2 4 4 . — Le préjudice à réparer ne pourrait, à moins
de circonstances extraordinaires et d’une faute équiva
lente au dol, comprendre l’intégralité de la perte. Un
arrêt de Lyon, du 8 juin 1864, condamne un conseil
de surveillance à des dommages-intérêts : « Attendu
que s’il avait rempli, comme il le devait, sa mission, la
véritable situation de la société aurait apparu, la con
duite inhabile ou coupable du gérant aurait été démas
quée, la nécessité de dissoudre la société aurait été plu
tôt reconnue. »
Cette appréciation raisonnable et juste nous paraît dé
terminer l’étendue de la réparation à laquelle le conseil
de surveillance peut être tenu. Evidemment, les pertes
subies avant le jour où il a pu connaître la situation de
la société, ne peuvent être attribuées à sa négligence, et
n’auraient certes pas été prévenue par une dissolution.
�TITRE I,
ART.
10, 11, 12.
329
On ne peut donc mettre à sa charge que les pertes
postérieures au fait constitutif de la négligence, au jour
où il aurait pu et dû provoquer la dissolution, car évi
demment ces pertes ne se seraient pas réalisées si, ac
cueillie par l’assemblée générale, la dissolution était ve
nue mettre un terme aux opérations et faire cesser l’ad
ministration du gérant. Les membres du conseil sont
coupables s’ils ont négligé une vérification qui les aurait
mis au courant de la situation périlleuse de la société ,
plus coupables encore si ayant acquis cette connaissance
ils ont négligé de réunir l’assemblée générale, ou omis
de lui proposer la dissolution.
245.
— C’est au conseil de surveillance et non à tel
ou ^ tel de ses membres que l’article 11 confère le droit
et impose le devoir de réunir l’assemblée générale. On
s’est dès-lors demandé ce qu’il en serait si la majorité
refusait la convocation sollicitée par la minorité, et l’on
a refusé à celle-ci le droit et le pouvoir de procéder ellemême è cette convocation.
Nous croyons à la possibilité d’un dissentiment entre
les membres du conseil de surveillance, mais il nous
parait inadmissible de croire que ce dissentiment aura
pour effet le refus de convocation. La raison, en effet,
portera à s’en référer au juge naturel, à l’assemblée gé
nérale, et ce que la raison ne déterminerait pas, la
crainte ne manquera pas de le faire. De quelle respon
sabilité ne se chargerait pas la majorité, si en définitive
la minorité avait raison ' Quelle excuse pourrait-elle
�330
LOI DK
1867
SDK LES SOCIÉTÉS
invoquer, non de l’erreur dans laquelle elle serait tom
bée, mais de n’avoir pas appelé le principal intéressé à
prononcer entre elle et la minorité ?
2 4 6 . — Nous ne voyons pas d’ailleurs de raison
plausible pour qu’on refuse à celle-ci le droit de procé
der à cette convocation. Sans doute, le conseil de sur
veillance c’est la majorité, mais son institution n’étant
motivée que par le désir de veiller aux intérêts des ac
tionnaires, toutes les mesures qui tendent à ce but ren
trent évidemment dans l’esprit de la loi, et nous ne '
voyons pas pourquoi la minorité ne pourrait pas faire
le bien des associés, et celui de la majorité elle-même
en lui évitant une responsabilité pouvant éventuellement
fort lourdement peser sur elle.
Dans tous les cas son intérêt de se garantir contre
cette responsabilité ne saurait être méconnu, elle devra
donc, si elle ne croit pas pouvoir réunir l’assemblée gé
nérale, se ménager la preuve de l’insistance quelle a
mise à exiger cette réunion , et requérir qu’il en
soit fait mention au procès-verbal d e là délibération,
elle pourrait en outre protester par acte judiciaire, ou
saisir les tribunaux de la demande en dissolution au
nom personnel de ses membres.
2 4 7 . — L’intention d’assurer aux actionnaires la
protection efficace qu’ils sont en droit de réclamer, a
conduit le législateur à ne pas se contenter des obliga
tions faites au conseil de surveillance, il a voulu que
�TITRE I, ART.
10, 11, 12.
331
chaque actionnaire qui en aurait le désir, eût le droit et
la faculté de consulter les documents sur lesquels le gé
rant établit ses propositions de fin d’année et de s’assu
rer de leur véracité, de leur exactitude. En conséquence,
il a introduit dans la loi l’article 12, aux termes duquel
tout actionnaire peut, quinze jours au moins avant l’as
semblée générale, par lui ou par un fondé de pouvoir,
au siège social, prendre communication du bilan, des
inventaires et du rapport du conseil de surveillance.
248.
— Certes, le but que se proposait cette inno
vation était excellent, mais les moyens adoptés le ferontils atteindre ? Il est permis d’en douter. Combien d’ac
tionnaires voudront ou pourront exercer la faculté que
l’article 12 leur confère? Puis quel résultat utile peut
avoir la prise de communication du bilan et des inven
taires ? Si le gérant a été dans la nécessité de dissimuler
la vérité on peut-être assuré qu’il aura dressé ces docu
ments de manière, non à découvrir, mais à appuyer et
à confirmer le mensonge et la ruse. Quels moyens au
ront donc les actionnaires pour en contrôler utilement
les indications.
Il en existait un seul, l’examen des livres, caisse, por
tefeuille et valeurs de la société. Mais pouvait-on le per
mettre à tous les actionnaires sans exception ? Non évi
demment. Quel trouble n’eût pas apporté dans l’admi
nistration, cette ingérance d’une multitude d’intéressés,
parmi lesquels pourraient se rencontrer des concurrents
qui n’auraient d’autre but que celui de se mettre au cou-
�332
LOI DE
1867
SUR LUS SOCIÉTÉS
rant des relations de la société et qui abuseraient de
la connaissance qu’ils en auraient prise ; c’était donc
impraticable.
Cet exatnen, le conseil de surveillance a dû et pu le
faire. La communication de son rapport est donc un
contrôle indirect offert aux actionnaires, mais si le con
seil s’est trompé ou a été trompé, celte communication
sera non un avantage, mais un danger, en inspirant
une sécurité trompeuse qui empêchera de soupçonner
l’erreur et de la rechercher.
249.
— M. E. Picard, proposait au Corps législatif
de joindre le rapport du gérant aux documents dont
l’article 12 ordonnait la communication. Le commissai
re du Gouvernement combattait cette proposition et ré
pondait, : que rien n’empêchait les actionnaires de sti
puler dans les statuts que le gérant, serait tenu envers
eux de cette communication, mais que la loi ne devait
pas en faire une obligation h peine de tomber dans des
détails de réglementation superflus.
M. le commissaire du Gouvernement oubliait que les
statuts sont l’œuvre du gérant et qu’ils sont rédigés et
déposés depuis plus ou moins longtemps, lorsque les
actionnaires donnent Leur souscription. Quant h voir un
excès de réglementation dans la disposition prescrivant
la communication du rapport du gérant, personne n’y
aurait songé.
Il serait donc profondément regrettable que de tels
motifs eussent fait repousser la proposition de M. Picard,
�TITRE I, ART.
10, 11, 12.
333
si cette proposition eût offert une utilité quelconque,
mais comment lui reconnaître ce caractère ? Ou le bilan
et les inventaires seront loyaux et exacts, et le rapport
du gérant ne saurait rien ajouter à leurs indications ;
ou ces documents seront erronés et dressés non pour ex
poser, mais pour dissimuler la vérité, et le rapport du
gérant ne pourra qu’épaissir les ténèbres et conférer le
mensonge, la ruse ou la fraude.
En l’état, le faculté que l’article 12 a voulu confirmer
aux actionnaires de s’éclaircir par eux-mêmes sur la si
tuation de la société, est à peu près illusoire par l’im
possibilité de contrôler par les écritures les indications
du bilan et des inventaires.
250.
t— Mais si cet article ne peut être pour les ac
tionnaires que d’un mince secours, il sera décisif contre
eux lorsque dans les hypothèses prévues par l’article 10
ils seront poursuivis en restitution des dividendes par
eux perçus.
Vainement, en effet, se prévaudraient-ils de ce qu’ils
ont ignoré, soit l’absence de tout inventaire, soit la na
ture des résultats que l’inventaire constatait. On leur ré
répondrait avec raison et succès, vous ne pouviez rece
voir comme dividendes que les bénéfices réalisés dans
l’année, et l’existence de ces bénéfices ne pouvait être
établie que par un inventaire qui en justifierait d’une
manière apparente tout au moins.
Vous deviez donc exiger la représentation de cet in
ventaire, et c’est pour vous mettre en garde contre toute
�334
LOI DE
1867
SUR l e s s o c ié t é s
surprise à ce sujet, qu’innovant à la législation précé
dente, l’article 12 exige que ce document soit à votre
disposition quinze jours au moins avant l’assemblée
générale, vous pouviez donc et vous deviez vous présen
ter au siège social en personne ou par -un fondé de pou
voir, examiner les indications, à plus forte raison vous
assurer de l’existence de l’inventaire et des résultats
qu’il constatait. Si vous avez failli à ce devoir vous êtes
en faute, et vous devez en subir les conséquences ; il ne
vous est pas permis d’exciper d’erreur ou d’ignorance ;
vous ne pourriez le faire sans vous convaincre vous mê
mes de légèreté et d’imprudence.
251,
— Le gérant a le plus grand intérêt à ce que
aucun doute ne puisse s’élever sur l’exécution de l’arti*cle 12. Il doit donc avertir les actionnaires en temps
utile, et cet avertissement ne peut se réaliser que par
l’insertion plus ou moins répétée dans les journaux dé
signés pour recevoir les annonces légales, d’un avis an
nonçant que les documents indiqués par l’article 12
sont dès à présent à la disposition des actionnaires.
La date des insertions comparée à celle de la réunion
générale indiquerait si le délai prescrit a été ou non
observé.
A
rt
. 13.
L’émission d’actions d’une société constituée
contrairement aux prescriptions des articles 1» 2
�TITRE I , ART.
13, 14, 15, 16.
335
et 3 de la présente loi est punie d’une amende
de cinq cents a dix mille francs.
Sont punis de la même peine :
Le gérant qui commence les opérations so
ciales avant l’entrée en fonctions du conseil de
surveillance ;
Ceux qui en se présentant comme propriétai
res d’actions ou découpons d’actions qui ne leur
appartiennent pas ont créé frauduleusement une
majorité factice dans une assemblée générale,
sans préjudice de tous dommages-intérêts, s’il y
a lieu, envers la société et envers les tiers ;
Ceux qui ont remis les actions pour en faire
un usage frauduleux.
Dans les cas prévus par les deux paragraphes
précédents, la peine de l’emprisonnement de
quize jours à six mois pourra en outre être pro
noncée.
A rt . 4 4 .
La négociation d’actions ou coupons d’actions
dont la valeur ou la forme serait, contraire aux
dispositions des articles 1, 2 et 3 de la présente
loi, ou pour lesquels le versement du quart n’au
rait pas été effectué conformément à l’article 2
ci-dessus, est punie d’une amende de cinq cents
à dix mille francs.
�336
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
Sont punies de la même peine toute partici
pation à ces négociations et toute publication de
la valeur desdites actions.
A rt . 1 5 .
Sont punis des peines portées par l’article 405
du Gode pénal , sans préjudice de l’application
de cet article à tous les faits constitutifs du délit
d’escroquerie :
1° Ceux qui, par simulation de souscriptions
ou de versements , ou par la publication , faite
de mauvaise f o i , de souscriptions ou de verse
ments qui n’existent pas , ou de tous autres faits
faux , ont obtenu ou tenté d’obtenir des sous
criptions ou des versements ;
2° Ceux q u i , pour provoquer des souscrip
tions ou des versements , o n t , de mauvaise foi,
publié les noms de personnes désignées, contrai
rement à la vérité , comme étant ou devant être
attachées à la société à un titre quelconque ;
3° Les gérants qui en l’absence d’inventaires
ou au moyen d’inventaire frauduleux ont opéré,
entre les actionnaires -la répartition de dividen
des fictifs.
Les membres du conseil de surveillance ne
�TITRE I, ART. 13, 14, 15, 16.
337
sont pas civilement responsables des délits com
mis par le gérant.
A
rt
. 16
.
L’article 463 du Code pénal est applicable
aux faits prévus par les trois articles qui précè
dent.
SO M M A IR E
252.
Caractère de ces articles. Nécessité de la sanction pénale
qu’ils édictent.
253. Débats qu’ils suscitèrent en 1867. Proposition de s’en réfé
rer uniquement à l’intérêt privé.
254. Demande de renvoyer au Code pénal le soin d’édicter les
pénalités.
255. Rejet de l’une et de l ’autre , mais suppression de l’empri
sonnement que prononçait la loi de 1856.
256. Appréciation.
257. Faits ajoutés à ceux que cette loi punissait.
258. Ensemble des faits prévus et punis par les articles 13, 14
et 15.
259. Quel est le véritable caractère de ces faits.
260. MM. Mathieu et Bourguignat les considèrent tous comme
des délits ; par quel motif.
261. Examen et réfutation.
262. Premier fait puni par l ’article 13 : émission d’actions d'une
société irrégulièrement organisée ; but du législateur.
263. L’article 13 n’est pas applicable à la délivrance de titres
provisoires ou de récépissés.
264. L’article 13 se bornant à rappeler les articles 1 ,2 et 3, l’é
mission d’actions avant l ’accomplissement des formalités
prescrites par l’article 4 serait-elle punissable ?
i. — 22
�338
265.
266.
267.
268.
269.
270.
271.
272.
273.
274.
275.
276.
277.
278.
279.
280.
281.
282.
283.
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES
s o c ié t é s
Opinion de MM. Mathieu et Bourguignat pour l ’affirmative;
réfutation.
Ces honorables auteurs pensent que l’article 13 est applica
ble à l’émission d’actions d’une société étrangère: leurs
motifs.
Examen et réfutation.
Quelles personnes atteint l'article 13 ; peine qu’il prononce.
Deuxième fait : commencement des opérations avant l ’en
trée en fonctions du conseil de surveillance.
Sévérité de cette disposition ; conséquences.
Dans quels cas la contravention doit-elle être reconnue.
Troisième fait : création d’une majorité factice ; peine d’em
prisonnement ajoutée à l ’amende.
La loi ne punit que le délit accompli ; n ’aurait-elle pas dû
punir la tentative.
Conséquences de la disposition de l ’article 13 à ce sujet;
difficultés que peut présenter la constatation du délit.
Dans quel sens il faut prendre les termes de l ’article : ont
créé frauduleusement.
Le délit n’existe que si les’actions remises n’avaient pas le
droit de voter. Conséquence.
Encourt la même peine celui qui a remis les actions.
Le remettant et l ’acceptant peuvent être tenus à des dom
mages-intérêts envers les associés et envers les tiers.
S’il y a lieu, dit la loi, signification de cette restriction,
L'article 14 punit en premier lieu la négociation d’actions
dont la valeur ou la forme serait contraire aux articles 1,
2 et 3, ou qui ne seraient pas libérées du quart. Ce qu’on
doit entendre par négociation.
L ’article ne renvoit aux articles 1, 2 et 3 que relativement
à la valeur, à la forme des actions et au versement du
quart ; conséquences.
La loi ne punit que le fait accompli et non la tentative.
Conséquence quant au cessionnaire.
Est punissable toute participation à la négociation ; consé
quences pour les agents de change et courtiers.
�'
,v- 7
.
s
TITRE I, ART. 1 3 ,
284.
*•
14, 15, 16.
339
Proposition de ne punir la participation à la négociation que
si elle avait lieu sciemment et avec connaissance de cau
se. Rejet; conséquence.
285. Est punissable toute publication de la valeur des actions ir
régulières, quel qu’en soit le mode.
286. Qui doit être puni de l ’auteur de l ’annonce ou du gérant du
journal ; discussion au Corps législatif en 1856.
287. Ce qu’on avait conclu de cette discussion, quant au droit des
tribunaux d’apprécier l’intention.
288. Doutes que cette doctrine fait naître.
289. Le fait matériel de la publication détermine forcément la
condamnation.
290. Disposition de l’article 15; son origine; raisons qui l ’avaient
motivée.
291. Le premier délit qu’il prévoit et punit est la simulation de
souscriptions ou de versements, ou l ’obtention ou la ten
tative d'obtention de souscriptions ou de versements par
la publication faite de mauvaise foi de souscriptions ou de
versements qui n ’existent p a s , ou de tous autres faits
faux.
292. La tentative est punie comme le délit consommé ; rationnalité de cette disposition,
293. Dans quel sens il est exigé que la publication ait été faite
de mauvaise foi.
294. L ’article 15 punit en second lieu ceux qui ont de mauvaise
foi publié les noms de personnes désignées, contraire
ment à la vérité , comme appartenant ou devant appar
tenir à la société à un titre quelconque.
295. La mauvaise foi constitue seule le délit ; motifs.
296. Est punie comme les faits précédents, la distribution de di
videndes fictifs en l ’absence d’inventaire ou sur inven
taire frauduleux.
297. Le délit consiste uniquement dans le caractère fictif des di
videndes; conséquence.
298. L’article 15 n ’amnistie pas les délits de droit commun que
les fondateurs ou le gérant pourraient commettre.
�340
299.
300.
LOI DE
1867
SUR LES
so c ié t é s
Les membres du conseil de surveillance ne sont pas civile
ment responsables des délits du gérant. Controverse qui
s'était établie à ce sujet.
L’article 463 du Code pénal est applicable à tous les faits
prévus par les articles 13, 14 et 15.
252. — Les articles dans l’examen desquels nous
entrons , édictent les sanctions pénales sous la garantie
desquelles le législateur a placé l’exécution fidèle de ses
prescriptions. La nécessité d’une peine autre que la nul
lité de la société et la responsabilité qui pouvait en naî
tre, n ’était ni méconnue ni contestée en 1856. Le rap
porteur du Corps législatif en faisait ressortir l’opportu
nité :
« Pour que le but poursuivi par les articles 1, 2, 3
» et 4 fût sérieusement atteint, une sanction pénale ef» ficace était indispensable; il faut infliger des peines
» sévères à tous ceux qui, dans une intention coupable,
» violeraient une prescription de la loi, notamment ceux
» qui émettent les actions d’une société dont les statuts
» seraient en opposition avec les articles 1 et 2 ; ceux
» qui négocieraient des actions dont la valeur ou la for» me s’écarterait des règles prescrites par les mêmes
» articles, ou pour lesquelles le versement exigé par
» l’article 3 n’aurait pas été effectué ; ceux enfin qui pu» blieraient la valeur de ces actions. Dans tous ces cas,
» soit qu’on considérât les intentions, soit qu’on s’alla» chât aux conséquences des faits, soit qu’on appréciât
» l’intérêt qu’ôn peut avoir à commettre ces infractions,
» on reconnaissait la nécessité d’une pénalité. »
�-NY
TITRE I, ART. 1 3 , 1 4 ,
15,
16.
341
253.
— Il en fut autrement en 1867. L’opportunité
d’une peine quelconque trouva des contradicteurs. On
soutenait que les faits incriminés par l’ensemble des dis
positions de la loi n’avaient pas un caractère assez im
moral , assez répréhensible , pour qu’on les considérât
comme des délits, et qu’on les livrât à la juridiction cor
rectionnelle. Le droit commun, disait-on , suffirait à la
répression des actes vraiment délictueux accomplis soit
dans la constitution ,' soit dans l’administration des so
ciétés ; et quant ’â ceux qui ne tomberaient pas sous
l’application de la loi pénale ordinaire , il fallait laisser
â l’intérêt privé, s’il en avait souffert, le soin d’en pour
suivre la réparation en vertu de l’article 1382 du Code
Napoléon.
C’est-â-dire qu’on réclamait pour les fondateurs des
sociétés en commandite par actions, celte liberté illimi
tée dont l’abus avait soulevé tant de réclamations et mo
tivé les sévérités de la loi de 1856. Accueillir la propo
sition, ne punir que l’escroquerie et l’abus de confiance
dans les conditions tracées par le Code pénal, c’était lais
ser sans protection efficace ce public qu’on devait né
cessairement garantir contre l’audacieuse avidité de cer
tains spéculateurs. L’éventualité d’une allocation de dom
mages-intérêts n’était pas un obstacle de nature à pré
venir et à empêcher l’émission ou la négociation d’ac
tions contrairement aux prescriptions de la loi. Les fon
dateurs qui ne chercheraient qu’à s’enrichir et qui, dans
ce b u t, violeraient ces prescriptions , ne manqueraient
pas de se garantir contre ses effets , en dénaturant leur
�342
LOI DE
1867
SUR LES
so c ié t é s
fortune et en se donnant les apparences de l’insolva
bilité.
D’ailleurs, comme le faisait observer le rapporteur du
Corps législatif, l’intérêt privé, quand il se fractionne en
tre des milliers d’individus, est timide, même quand il
est éclairé. S’en rapporter dès lors à lui, pour la répres
sion des attentats dont il serait l’objet, c’était courir la
chance d’assurer l’impunité aux auteurs de ces attentats,
254.
— Une autre opinion , tout “en admettant la
nécessité d’une saction pénale , voulait qu’on renvoyât
au Code pénal le soin de l’édicter. Une loi sur les socié
tés commerciales, disait-on , est une loi qui fait appel
à la confiance, et c’est aller contre ce but, que d’y in
troduire , sous le titre de contravention et de délits, le
soupçon et la méfiance.
Mais en quoi l’expression de la pénalité réservée à la
violation des prescriptions dictées par l’intérêt des asso
ciés et du public , pouvait-elle appeler le soupçon et la
méfiance ? Ne devait-elle pas au contraire rassurer cet
intérêt par la garantie que celte pénalité assurait à l’exé
cution de ces prescriptions ?
On pouvait, fort injustement selon nous, contester la
nécessité d’une sanction pénale ; mais cette nécessité re
connue, à quoi bon renvoyer au Code pénal , et perdre
un temps précieux à en attendre et à en préparer la ré
vision? Il était beaucoup plus naturel et certainement
plus avantageux de placer la peine en regard et à côté
de l’obligation. On assurait par là, à celle-ci, une auto
rité nouvelle, et on en garantissait mieux l’exécution,
�TITRE I ,
ART.
13, 14, 15, 16.
343
2 5 5 . — C’est ce que pensa le Corps législatif. En
trant résolûment dans la voie tracée en 1856 , il s’ap
propria les dispositions consacrées à cette époque, mais
en modifiant ce qu’elles avaient de trop sévère , et en
comblant une lacune fort regrettable qu’elles présen
taient.
La modification consiste dans la suppression de la
peine d’emprisonnement qui était édictée contre l’émis
sion d’actions ou de coupons d’actions d’une société con
stituée contrairement aux articles 1 et 2 , et contre le
gérant qui commence les opérations sociales avant l’en
trée en fonctions du' conseil
de surveillance.
•
f
Cette suppression devint l’objet de graves attaques
dans le sein du Corps législatif. On trouvait qu’une amende même de dix mille francs n’était pas suffisante
pour arrêter celui qui pouvait, par la violation de la loi,
se procurer un bénéfice de vingt, de cinquante, de soi
xante mille francs.
Mais, répondait la commission, les pénalités excessi
ves affaiblissent la répression au lieu de la fortifier. La
loi ne doit être qu’un rapport de justice entre la peine
et le fait incriminé. Là où la peine est disproportionnée,
elle trouble la conscience du juge sans posséder cepen
dant une suffisante action préventive.
256.
A notre avis , il ne s’agissait pas de poser
des principes , ni surtout de rappeler que la loi ne doit
être qu’un rapport de justice entre la peine et le fait in
criminé , ce que personne ne pouvait être tenté de con-
�344
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
tester. La question était de savoir si l’emprisonnement,
dans les cas de l’article 11 de la loi de 1856, était exa
géré et hors de proportion avec les faits qu’il avait pour
objet de réprimer.
La négative s’induisait de la nature des choses. L’é
mission irrégulière d’actions ne sera jamais que le fait
des fondateurs de la société, et on ne saurait lui suppo
ser un autre mobile que celui de s’emparer de l’argent
des actionnaires, et de réaliser des titres se référant à une
société qui ne pourra peut-être se constituer, et qui du
jour au lendemain seront sans valeur dans les mains
qui ont été entraînées à les acquérir.
D’autre p a r t, pouvait-on se dissimuler la gravité de
commencer les opérations avant que le conseil de sur
veillance, eût vérifié et constaté la régularité de la cons
titution de la société? Pouvait-il être, si celte vérification
aboutissait à faire annuler la société pour inobservation
des prescriptions relatives à la souscription du capital
entier, ou au versement à opérer par chaque action, que
les actionnaires se trouvassent en présence de l’impos
sibilité d’être remboursés, parce que le gérant avait sans
qualité réelle dévoré une partie du capital en l’engageant
dans des opérations prématurées ?
Nous ne saurions admettre que ces faits puissent com
porter l’excuse de bonne foi. Moins que personne , les
fondateurs pouvaient ignorer la loi, et s’ils l’ont mécon
nue et violée, c’est évidemment sciemment et de dessein
prémédité.
Conséquemment, l’emprisonnement n’avait rien d’ex-
�TITRE I, ART. 1 3 ,
14,
15,
16.
345
agéré et ne pouvait, dans aucun cas, troubler la cons
cience du juge , qui pouvait, suivant les circonstances,
s’abstenir de le prononcer. La loi faisait une large part
à l’indulgence , puisque l’article 11 permettait d’appli
quer l’une des deux peines seulement.
Quoi qu’il en soit, le Corps législatif ne crut pas de
voir s’arrêter à ces considérations , et consacra la sup
pression de l’emprisonnement dans les deux cas prévus
par notre article 13.
•
i■ '
_
.
257.
La loi de 1856 avait gardé le silence sur
une fraude non moins dangereuse pour la société que la
plupart de celles qu’elle avait prévu et puni. Restaient
donc nécessairement impunis ceux q u i , dans le but de
peser sur les délibérations des assemblées générales, re
mettaient des actions à des personnes qu’ils introdui
saient ainsi illégalement dans les réunions , et ceux qui
acceptant ces actions et votant sans qualité et sans droit
créaient une majorité factice.
Pratiquée sur une certaine échelle, cette fraude a pour
résultat de fausser les résolutions de l’assemblée géné
rale , au grand détriment des actionnaires sérieux qui
voient ainsi leurs intérêts sacrifiés à l’intérêt de celui au
quel obéissent les faux actionnaires. De nombreux ex
emples de cette double et scandaleuse immoralité avaient
fait, depuis la promulgation de la loi de 1856, sentir la
nécessité de la prévenir et de la réprimer. L’article 29
de la loi de 1863 sur les sociétés à responsabilité limi
tée la punissait d’une amende de cinq cent francs à dix
mille francs,
�346
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
C’était un précédent qu’on ne pouvait négliger. Aussi
la loi de 1867 a considéré ces deux actes comme cons
titutifs de délits , et non-seulement maintient l’amende
de cinq cents francs à dix mille francs, mais encore don
ne la faculté aux juges de prononcer un emprisonnement
de quinze jours à six mois.
258.
— Les faits relevés par la loi actuelle et décla
rés punissables sont donc :
■i l
[' ■
,
i| |
11
10 L’émission d’actions ou de coupons d’actions d’u
ne société constituée contrairement aux articles \ , 2
et 3 ;
2° Le commencement des opérations sociales avant
l’entrée en fonctions du conseil de surveillance ;
3° Le fait d’avoir , en se présentant comme proprié
taire d’actions ou de coupons d’actions auxquels on n’a
aucun d ro it, créé frauduleusement une majorité factice
dans une assemblée générale ;
4° La remise des actions pour cet usage frauduleux ;
5° La négociation d’actions ou de coupons d’actions
dont la valeur et la forme sont contraires aux disposi
tions des articles 1, 2 et 3, ou pour lesquels le verse
ment du quart n’aurait pas été effectué ;
ô” La participation à cette négociation, et toute pu
blication de la valeur desdites actions ;
7° Le fait d’avoir, par simulation de souscriptions ou
de versements qui n’existent pas , ou par tous autres
faits faux, obtenu ou tenté d’obtenir des souscriptions ou
des versements;
�TITRK I, ART. 1 3 , 1 4 , 1 5 , 1 6 .
347
8° Le fait d’avoir, pour provoquer des souscriptions
ou des versements, publié de mauvaise foi les noms de
personnes désignées , contrairement à la vérité , comme
étant ou devant être attachées à la société à un titre quel
conque ;
9° Enfin, le fait par le gérant d’avoir , en l’absence
d’inventaires ou au moyen d’inventaires frauduleux, opéré, entre les actionnaires, la répartition de dividendes
fictifs.
259.
— Avant d’examiner chacun de ces faits en
particulier , il n’est pas sans intérêt d’en rechercher et
d’en déterminer le caractère juridique. On sait que, pour
les délits, l’intention frauduleuse est un élément essen
tiel et décide de leur imputabilité. Les contraventions,
au contraire, résident dans le fait matériel et doivent être
réprimées , quelle que soit l’intention qui en a été le
mobile.
Il n’est pas douteux que les trois derniers faits, pré
vus et punis par l’article 15 des peines portées par l’ar
ticle 405 du Code pénal, ne soient des délits-véritables.
Il faut donc de toute nécessité, pour que la peine puisse
être appliquée, qu’à la matérialité du fait se réunisse la
criminalité, c’est-à-dire une intention frauduleuse. Nous
verrons que, pour quelques-uns de ces faits , la crimi
nalité résulte de plein droit de leur matérialité.
Le caractère de délit ne saurait non plus être refusé
aux troisième et quatrième faits prévus par l’article 13,
et qui peuvent entraîner un emprisonnement de quinze
�348
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
jours à six mois. Leur criminalité ne résulte que de la
nature essentiellement frauduleuse-, de leur résultat qui
ne saurait comporter l’idée de la bonne fo i, ni se con
cilier avec ses exigences.
Tous les autres faits, c’est-à-dire, le premier et le se
cond prévus par l’article 13, le cinquième et le*sixième
prévus par l’article 14, ne sont que des contraventions.
C’est même ce caractère qui a fait supprimer l’emprison
nement dont les punissait la loi de 1856.
« Si l’on recherche l’origine des dispositions qui ont
» trouvé plaee dans l’article 11 de la loi de 1856 , dit
» l’Exposé des motifs de celle de 1867, et si l’on con» sidère la nature des faits auxquels elles s’appliquent,
» on reconnaît que des peines pécuniaires doivent suf» fire pour prévenir et réprimer au besoin des contra» ventions qui consistent dans l’émission ou la négo» ciation d’actions d’une société irrégulièrement consti» tuée ; dans la publication de leur valeur, et enfin dans
» le fait du gérant qui commence les opérations sociales
» avant l’entrée en fonctions du conseil de surveil» lance. »
260.
- La commission du Corps législatif ne pou
vait envisager autrement les choses ; mais elle proposa
et fit admettre la faculté d’appliquer l’article 463 du
Code pénal , même dans les cas prévus par les articles
13 et 14, et le rapporteur en concluait que ces faits ac
quéraient ainsi le caractère de délits.
Cette opinion a passé dans le Commentaire que le rap-
�TITRE
I ,
ART.
13,
14,
15,
16.
349
porteur a publié en société avec M. Bourguignat. L’ar
ticle 16, dit ce commentaire, ne permet plus d’hésita
tion. Tous les faits auxquels il autorise l’application des
circonstances atténuantes sont des délits, puisque désor
mais les magistrats pourront faire à la bonne foi sa part
et n’atteindre que la fraude1.
261,
— Nous ne nous serions jamais douté que l’ar
ticle 463 du Code p én al, en permettant de modérer la
peine, eût la vertu de convertir en délits ce qui ne con
stituerait en lui-même qu’une contravention. Aucun cri
minaliste, que nous sachions, n’a reconnu et attribué un
pareil effet à l’article 463 du Code pénal.
Sans doute son application permet au juge de faire sa
part à la bonne foi. Mais comment? En acquittant le con
trevenant, s’il reconnaît et constate la bonne foi ? Non,
évidemment, car en concédant la faculté de modérer la
peine , l’article 463 ne confère pas le pouvoir de n ’en
prononcer aucune. C’est cependant ce qui devrait être,
si, s’agissant d’un délit, la bonne foi du prévenu venait
enlever au fait'tout caractère de criminalité.
Donc l’applicabilité de l’article 463 du Code pénal
n ’exerce et ne peut exercer aucune influence sur le ca
ractère de l’acte. Nous allons même plus loin. Cette ap
plicabilité en matière de contravention n’a sa raison d’ê
tre que dans la nécessité d’une condamnation qui est la
conséquence du caractère de l’acte. Le législateur n ’a pu
�350
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ignorer, n’a pas ignoré que, même pour les contraven
tions, les circonstances varient plus ou moins; qu’elles
peuvent, dans certains cas, être telles, que l’application
de la peine généralement édictée serait un excès de sé
vérité qui répugnerait à la conscience du juge et la bles
serait.
Prévenir un pareil résultat était en quelque sorte un
devoir, et il n’existait d’autre moyen de le faire, que la
faculté d’appliquer l’article 463 qui perm et, dans tous
les cas, de proportionner la peine au plus ou moins de
gravité de l’acte.
Sans doute il en est de même en matière de délits ;
mais dans ce cas l’applicabilité de l’article 463 était
moins indispensable , puisque , dans l’hypothèse où la
peine ne serait qu’un injustifiable excès de sévérité,le juge
pouvait toujours acquitter en se fondant sur l’absence
d’une intention frauduleuse.
L’opinion de MM. Mathieu et Bourguignat est donc
inadmissible, et les premier, deuxième, cinquième et si
xième faits ne constituent et ne peuvent constituer que
des contraventions.
(J;
262.
— La première prévue par l’article 13 est l’é
mission d’actions ou de coupons d’actions d’une société
constituée contrairement aux articles 1, 2 et 3.
Ce qui avait, en 1856 , déterminé cette disposition,
c’est qu’en général les fondateurs de commandites par
actions se préoccupaient fort peu de la constitution et du
fonctionnement de la société , beaucoup de l’émission
�TITRE I ,
ART.
13,
14,
15,
16.
351
immédiate des actions. On jetait ainsi sur le marché une
énorme quantité de valeurs qui ne servaient et ne pou
vaient servir qu’à favoriser et à entretenir l’agiotage.
Puis les fondateurs s’étant débarassés de leurs actions,
se mettaient fort peu en peine de la société morte avant
de naître, et les actions rapidement dépréciées n’étaient
plus que des chiffons sans valeur aux mains des ache
teurs.
Emettre les actions d’une société, c’est faire supposer
que cette société existe et fonctionne. Il était donc logi
que de ne permettre cette émission que lorsque , par
l’exécution des articles 1, 2 et 3 , cette supposition est
devenue une vérité.
263.
— Ce que la loi prohibe et p u n it, est l’émis
sion irrégulière d’actions ou. de coupons d’actions, c’està-dire des titres définitifs , négociables, représentant la
part d’intérêt que le porteur a dans la société.
On ne saurait donc placer sous l’empire de l’article
13 la délivrance de titres provisoires, de récépissés don
nés aux souscripteurs pour constater et la souscription,
et le versement qui en a été la conséquence.
Prohiber cette délivrance, c’était rendre toute société
impossible. Les commandites par actions ne se créent
pas en un jour : elles doivent provoquer des souscrip
tions, faire appel au public. Quelle serait donc la posi
tion des premiers adhérents , s’ils ne pouvaient obtenir
un titre constatant le nombre d’actions qu’ils souscrivent,
et les sommes qu’ils versent.
#
�352
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
/
Ce titre est si peu susceptible d’être confondu avec
l’action, qu’il n’établît même pas la vraie position de
son bénéficiaire. Il constate bien le nombre d’actions
demandé, mais ce nombre ne peut être fixé qu’après la
clôture de la souscription , et la répartition qui peut en
être la conséquence.
x
264,
— L’esprit de la loi, dans cette première dis
position, n’est pas douteux. Ce qu’elle a voulu c’est que
les actions ne fussent émises qu’après la constitution de
la société ; cependant son texte est loin de se conformer
à cette pensée.
En effet, la peine n’est édictée que dans le cas où la
société est constituée contrairement aux articles 1, 2, et
3. Or il peut arriver que l’observation fidèle de ces ar
ticles ne détermine pas la constitution de la société, dans
le cas notamment d’apports en nature ou de stipulations
d’avantages particuliers.
Qu’en serait-il donc de l’émission réalisée dans l’in
tervalle entre l’accomplissement des formalités prescrites
par les articles 1, 2 et 3, et les délibérations qui doivent
vérifier et approuver, soit les apports en nature, soit les
avantages particuliers ?
Il est évident qu’à défaut de l’approbation la société
restant sans effets entre toutes les parties n’a jamais
eu d’existence, et que l’émission des actions se trouve
faite dans les conditions que la loi a voulu précisément
éviter par la disposition de l’article 13.
Mais les principes, en matière de justice répressive,
�/
TITRE I ,
ART.
13, 14, 1S, 16.
353
amène forcément à ce résultat qu’on ne saurait consi
dérer comme délits ou contravention que les faits qua
lifiés tels par la loi, et qu’une pénalité quelconque n’est
légitime que si elle est expressément édictée par une
disposition formelle.
L’article 13, omettant de rappeler l’article 4, aucune
peine ne saurait atteindre l’émission qui aurait précédé
les formalités que celui-ci prescrit, si d’ailleurs on s’é
tait conformé aux dispositions des articles 1, 2, et 3.
265.
— Vainement MM. Mathieu et Bourguignat
font-ils observer que cette conséquence est en opposi
tion avec l’esprit de la loi tel qu’il résulte de la discus
sion au Corps législatif. Plus cette discussion est explicite
et plus la conséquence acquiert d’autorité. On pourrait
hésiter peut-être si le silence du législateur pouvait être
attribué à un oubli, à une omission involontaire, mais
si l’omission existe malgré la discussion qui a forcément
appelé l’attention du législateur et l’a mis en demeure
de s’expliquer, on ne saurait s’y tromper, et prétendre
appliquer l’article 13 à l’inobservation de l’article 4; ce
serait créer une contravention, édicter une peine par as
sim ilation, par annalogie, c’est-à-dire tomber dans le
plus pur arbitraire.
Sans doute,
n’attacher aucun effet à- l’inobservation
•
/
de l’article 4 alors qu’on punit celle des articles 1, 2,
et 3 d’une amende de cinq cent francs à dix mille francs,
présente une singulière anomalie. Mais cette anomalie
les tribunaux peuvent bien la signaler, prétendre la cor.
i.
23
�354
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES s o c i é t é s
riger serait l’usurpation d’un droit dont l’exercice est
du domaine exclusif du législateur.
2 6 6 . — MM. Mathieu et Bourguignat estiment que
l’article 13 est applicable à l’émission d’actions de so
ciétés étrangères qui, constituées conformément à la loi
de leur nationalité, ne réuniraient pas les conditions
exigées par la loi française.
« Les prescriptions de celle-ci, quant à la forme des
actions et à leur taux, sont d’ordre public, disent-ils, il
y a là une loi de police qui oblige tout le monde en
France, aussi bien les étrangers que les régnicoles. Il se
rait par trop commode, en effet, de créer au delà de nos
frontières des sociétés dont la forme déjouerait toutes les
précautions de notre loi, et qui, impuissantes à recueil
lir leur capital sur le sol étranger où elles seraient nées,
inonderaient notre marché de titres contraires à l’arti
cle 1er, par exemple, et réaliseraient aux dépens de nos
nationaux les duperies que le législateur a voulu pré
venir1. »
2 6 7 . — Cette doctrine que nos honorables auteurs
ne considèrent pas comme douteuse, ne nous paraît pas
devoir être accueillie. En admettant que la loi réglant la
forme des sociétés, et déterminant les conditions que les
actions doivent réunir, soit une loi de police, tout ce qui
en résultera c’est que l’étranger constituant une société
�TITRE I,
ART.
13,
14,
1S,
16.
3S5
en France devra s’y conformer et en observer les dispo
sitions.
Mais comment l’étranger fondant une société dans son
pays, serait-il tenu de respecter la loi française ? Mais il
n’est pas même obligé de la connaître, hors de nos fron
tières notre loi n’a ni autorité ni force et pourvu que
l’étranger obéisse à sa propre loi, nul n’a le droit de lui
adresser le moindre reproche.
Ce que le législateur français pourrait faire, ce serait
d’interdire l’introduction en France des actions des so
ciétés étrangères, de leur refuser tout moyen de publicité,
mais ce serait là un parti odieux et dangereux, il pour
rait appeler contre nous des représailles qu’il est bon
d’éviter.
En l’état, l’étranger qui cherche à placer en France
les actions de la société qu’il a créée dans son pays, ne
fait en réalité qu’y proposer une marchandise, personne
ne peut y être trompé, le titre des actions, le caractère de
la société, la situation de son siège, tout enseigne que la
loi française y est restée forcément étrangère, qu’on doit
d’autant moins recourir à son autorité et implorer sa
protection, que les tribunaux français seraient incompé
tents pour prononcer sur les litiges entre les associés,
et que bien certainement le juge étranger, qu’on devrait
investir, n ’appliquerait que la loi de son pays.
Quant à la crainte de voir notre marché inondé de ti
tres contraires aux prescriptions de l’articlé 1er, elle est
quelque peu chimérique, il n ’y a pour les actions, com
me pour les autres'valeurs négociables, d’autre marché
�356
LOI DE
1867
SUR LES s o c i é t é s
que la Bourse, et l’on sait les conditions et les formali
tés qui peuvent en ouvrir l’accès.
Si les actions de la société étrangère y sont admises ,
c’est que quelle que soit leur forme elles représentent
une valeur réelle, sérieuse, de nature à les recomman
der à la confiance publique.
Si elles ont été refusées, elles ne figureront pas cer
tainement sur la cote officielle que tout le monde con
sulte , peut et doit consulter. Ce refus et cette absence
éveillent naturellement la méfiance , constituent un
avertissement qui n’est pas à négliger. On ne saurait
donc avoir égard aux réclamations de celui qui n’en au
rait tenu aucun compte.
2 6 8 . — L’émission d’actions ou de coupons d’ac
tions d’une société non régulièrement constituée , est
punissable quel qu’en soit l’auteur. Les fondateurs, le
gérant, les banquiers de la société chez qui elle s’opère-'
rait, ne pourraient échapper à la peine
Cette peine n’est plus aujourd’hui qu’une amende de
cinq cent à dix mille francs. L’écart entre le minimum
et le maximum était déjà pour le juge obligé de con
damner, un moyen de tenir compte des circonstances
qui peuvent appeler et motiver l’indulgence.
Ce moyen a reçu tout son développement par la fa
culté d’appliquer l’article 463 du Code pénal qui permet
d’abaisser l’amende même au-dessous de seize francs.
2 6 9 . — La même peine est encourue par le gérant
�TITRE I ,
ART.
13, H , 15, 16.
3S7
qui aurait commencé les opérations avant l’entrée en
fonctions du conseil de surveillance.
L’article 5 exige que le conseil de surveillance soit
nommé avant toute opération sociale, et ce conseil a tout
d’abord à examiner et à rechercher si toutes les forma
lités prescrites pour la constitution régulière de la société
ont été remplies. Dans le but d’assurer la fidèle exécu
tion de cette prescription, l’article 7 a attaché à son
inobservation la nullité de la société.
Une sanction pénale garantissait de plus fort cette
exécution. D’ailleurs, en condamnant le gérant à l’inac
tion jusqu’après l’entrée en fonctions du conseil de sur
veillance on l’intéressait à hâter cette entrée en fonc
tions et à prévenir toute négligence de la part de ses
membres.
\
270.
— Ces considérations expliquent la disposi
tion du deuxième paragraphe de l’article 13, mais n’at
ténuent en rien sa sévérité. De tous les faits prévus et
punis par la loi, celui que nous examinons est sans con
tredit celui qui offre le moins de gravité. Sans doute,
en engageant prématurément le capital, le gérant peut
occasionner un préjudice aux actionnaires en cas d'an
nulation de la société, mais la prohibition n’a-t-elle
pas un résultat fâcheux pour ces mêmes actionnaires si
l’occasion se présentant de faire une excellente affaire,
elle a empêché le gérant de la saisir et d’en profiter.
Aussi croyons-nous que la justice peut et doit se mon
trer indulgente. Evidemment pour qu’elle se décidât à
�358
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
appliquer l’amende de dix mille francs, il faudrait que
le commencement prématuré des opérations eût dégé
néré en une véritable dilapidation du capital.
Sans doute, le caractère de contravention détermine
une condamnation sans qu’on puisse avoir égard à l’in
tention, mais les tribunaux sont naturellement appelés
à apprécier le fait matériel en lui-même, et la déclara
tion, que celui reproché au gérant ne constitue pas la
contravention prévue par l’article 43, légitimerait un
acquittement.
2 7 1 . — Cette contravention d’ailleurs n’existe que
si l’opération précédant l’entrée en fonctions du conseil
de surveillance a été faite au nom social et par consé
quent si elle engage la société. Si le gérant l’a entrepri
se en son nom personnel, il est à l’abri de tout repro
che, alors même qu’il l’eût plus tard mise au compte de
la société. Nous avons déjà dit que le gérant qui cède
à la société et la société qui accepte la cession ne font
qu’exercer un droit incontestable1.
2 7 2 . — L’article 43 punit en troisième lieu ceux
qui, en se présentant comme propriétaires d’actions ou
de coupons d’actions qui ne leur appartiennent pas,
ont créé frauduleusement une majorité factice dans une
assemblée générale.
Nous avons déjà dit que celte disposition a été em-
�TITRE I , ART.
13, 14, 15, 16.
359
pruntée à la loi du 23 mai 1863, mais celle-ci ne con
sidérait le fait que comme une contravention, et bornait
la peine à une amende de cinq cent francs à dix mille
francs.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement suivait
les mêmes errements. Mais le Corps législatif ne voulut
pas admettre qu’une simple amende fut en rapport avec
la gravité de l’acte.
Cette gravité parut telle qu’on proposa d’assimiler le
fait au crime de faux et de le punir des peines édictées
par l’article 147 du Code pénal.
Cette pénalité fut, et non sans raison, trouvée exagé
rée. On se contenta d’élever le fait à la hauteur d’un
délit et de permettre de joindre à l’amende un empri
sonnement de 15 jours à six mois.
Ce résultat n’a rien de regrettable, mais ce qui, à no
tre avis, l’est beaucoup, c’est qu’on ail, contrairement
à tous les principes, subordonné la peine non au fait
intentionnel, mais au résultat auquel il a abouti, lais
sant ainsi la répression au hasard des circonstances.
275.
— L’article 13 en effet punit ceux qui o n t
c r é é une majorité factice. Vainement donc s’est-on
présenté comme propriétaire d’actions qui ne vous ap
partiennent pas ; vainement a-t-on pris part à la déli
bération et au vote, dans l’intention bien arrêtée de créer
une majorité factice. Si les véritables intéressés sont par
venus à déjouer la fraude et à en paralyser les effets,
les auteurs de cette fraude n’auiont aucun compte à ren-
�360
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES SOCIÉTÉS
dre de l’immoralilé de leur conduite, de l’intention cou
pable qui l'a inspirée, et seront à,l’abri de toutes recher
ches. C’est là, nous ne craignons pas de le dire, un ré
sultat inavouable en morale et en droit.
Vainement a-t-on objecté que l’intention de nuire,
quelque préjudice qu’elle médite de porter à autrui, iso
lée du fait matériel, n’est plus qu’une pensée coupable
qui ne relève que de la conscience, et que la loi pénale
ne peut atteindre. Nous admettons le principe et ses con
séquences, mais à une condition, à savoir : que l’inten
tion de nuire soit effectivement restée dans le domaine
dè la pensée, qu’elle ne se soit pas convertie en acte, et
surtout qu’elle n’ait pas reçu son exécution.
Ainsi celui qui a reçu les actions dans l’intention de
s’en dire faussement propriétaire, de voter en cette qua
lité pour créer une majorité factice, et qui, par une cir
constance quelconque , ne s’est pas présenté à rassem
blée générale ou n’a pas voté , sera certainement hors
des atteintes de la loi pénale.
Mais est-il rationnel, est-il juridique qu’il en soit de
même pour celui qui, après avoir reçu et accepté les ac
tions, s’est présenté à la délibération et a pris part à la
discussion et au vote? Peut-on raisonnablement préten
dre qu’il n’y a eu de sa part qu’une pensée ne relevant
que de la conscience, et qu’aucune loi pénale ne saurait
atteindre ?
Sans doute le préjudice qu’il méditait ne s’est pas ré, alisé ; mais peut-on lui en faire un mérite ? N’a-t-il
pas fait tout ce qui dépendait de lui pour qu’il en fût
�TITRE I,
ART.
13,
14,
15,
16.
361
autrement ? Et faut-il le faire bénéficier des circonstan
ces qui, bien malgré lui, ont fait échouer son projet.
L’existence d’un préjudice est aussi un des éléments
du crime de faux. Est-ce qu’on a égard à son absence,
si elle n’est due qu’à des circonstances fortuites et indé
pendantes de la volonté de l’auteur ?
Un arrêt de la cour de Cassation du 9 juillet 1807
est formel à cet égard. Il juge qu’un individu qui se
présente devant un officier public sous de faux noms,
pour faire opérer par son ministère un faux par suppo
sition de personnes dans un acte public , est coupable
d’une tentative de faux , lorsque , par une circonstance
indépendante de sa volonté , l’acte n’a été signé ni par
les parties, ni par l’officier public.
Evidemment les considérations qui, dans ce cas, dé
terminent la culpabilité o n t, dans notre espèce , toute
leur autorité et doivent motiver un résultat identique.
L’intention de créer une majorité factice, qui a reçu un
simple commencement d’exécution , si l’on veut, n ’en
constitue pas moins la tentative punissable. La punir,
d’ailleurs, c’était entrer plus intimément dans l’esprit de.
la loi. Ce qu’elle a voulu , c’est assurer la sincérité des
délibérations. Or n’arrivait-on pas plus énergiquement
à ce but en écartant de ces délibérations les éléments men
songers qui auraient essayé de les fausser?
2 7 4 . — En l’é ta t, la loi gardant le silence sur la
tentative , il n’y a délit punissable que si la majorité,
uniquement due au concours des faux actionnaires , a
�362
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES s o c i é t é s
adopté des résolutions autres que celles qui auraient été
prises sans ce concours. Dès lors , si la majorité a été
telle qu’elle existerait, défalcation faite des votes des faux
actionnaires, aucune poursuite ne saurait être exercée.
Si la majorité a pu être faussée par le vote des faux
actionnaires , restera la question de savoir si elle l’a été
en effet, si c’est bien dans ce sens que se sont pronon
cés ces faux actionnaires.
La question sera facilement tranchée dans le cas de
vote nom inal, ou de vote par assis et levé. Les témoins
ne manqueront pas pour déposer de la part qu’yont pris
les faux actionnaires.
Mais comment être édifié, si le vole a eu lieu au scru
tin secret ? Sans doute le fait seul d’avoir accepté les ac
tions de la main d’un intéressé fera présumer qu’on a
voté dans ce sens. Mais celui qui a accepté les actions et
celui qui les a remises ne manqueront pas de soutenir,
celui-ci qu’il n’a donné, celui-là qu’il n’a reçu aucune
instruction sur le sens à donner au vote , et dénieront
avoir voté avec la majorité. En présence de cette déné
gation, la justice se contentera-t-elle de la présomption
s’induisant de l’acceptation des actions.
Il y a là une chance d’acquittement que la fraude ne
manquera pas d’exploiter, ce qui fait regretter plus en
core que la loi n’ait pas fait résulter le délit de la pré
sence et du vote dans l’assemblée, et qu’elle n’ait pas dé
claré punissable ceux qui ont créé ou tenté de créer une
majorité factice.
�TITRE I , ART.
13, 14, 15, 16
363
2 7 5 . — Des termes de l’article 13 ont créé fraudu
leusement, il ne faudrait pas conclure que le fait d’avoir
faussé la majorité étant acquis, on est obligé de prouver
en outre l’intention criminelle. Cette intention résulte de
plein droit du fait matériel et de la manière dont il s’est
produit. Pourrait-il alléguer sa bonne fo i, celui qui se
disant propriétaire d’actions qui ne lui appartiennent
p a s , est venu en cette qualité assister à une assemblée
générale, et a contribué par son vote à dénaturer la dé
libération ?
Sans doute la criminalité de l’intention est un des élé
ments essentiels du délit. Mais si en général on doit prou
ver cette intention, cette obligation reçoit exception dans
certains cas spéciaux , et le délit que nous examinons
rentre dans l’exception.
Il en est de lui comme de la banqueroute simple, par
exemple. Celle-ci est incontestablement un délit. Cepen
dant dans les quatre cas prévus par l’article 585 du Code
de commerce, la condamnation est forcée dès que le fait
matériel est acquis.
276.
— Ce qui, dans l’hypotèse de l’article 13, fait
induire l’intention criminelle du fait d’avoir créé une
majorité factice, c’est qu’on a, uniquement dans ce but,
accepté des actions auxquelles on a ainsi attribué un droit
qu’elles n’avaient pas.
D’où la conséquence que si celui qui s’est faussement
dit propriétaire des actions n ’a voté que parce que ces
actions en avaient le d ro it, il n’a commis en définitive
ni délit ni contravention.
�364
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Par exemple , si le propriétaire sérieux des actions,
empêché de se rendre à la réunion, a remis ses actions
pour s’y faire représenter, ou bien si ayant, par le nom
bre d’actions, plusieurs voix, il n’a, en les distribuant,
que confié à autrui une faculté qu’il avait lui-même.
Dans l’un et l’autre cas, peu importe que ceux qui
ont accepté les actions s’en soient déclarés propriétaires.
Ils n’ont été en réalité que des mandataires, et quelque
influence que leur vote ait eu sur la délibération , ils ne
l’ont pas faussée, puisque, h leur défaut, le vrai proprié
taire des actions eût lui-même voté dans le même sens.
277.
— Le délit que nous examinons ne s’est pro
duit que parce que les actions qui ont servi à le com
mettre ont été remises par le vrai propriétaire. Celui-ci
est donc aussi coupable , plus coupable même que ceux
qui les ont acceptées, car il est vraisemblable qu’il a pris
l’initiative , a provoqué le délit et peut-être abusé de
l’autorité qu’il avait, ou que sa qualité lui assurait sur
ceux qu’il a ainsi déterminés, et qui seront le plus sou
vent ses subordonnés, ses commis.
Si celui qui remet les actions n’est pas l’aute.ur prin
cipal du délit, il en est bien certainement le complice.
N’a-t-il pas, en effet, donné les instructions, fourni les
instruments qui ont servi à le commettre ? La loi a donc
été logique en le soumettant aux mêmes peines que les
faux actionnaires.
Mais, pour lui comme pour ceux-ci, le délit n’existe
que si la participation des faux actionnaires a créé une
�TITRE I ,
ART.
13, 14, 15, 16.
365
majorité factice. Dans le cas contraire, il ne saurait exis
ter des complices, là où il n’y aurait point d’auteur prin
cipal;
2 7 8 . — Indépendamment de l’action publique, tout
délit crée en faveur de ceux qui en ont souffert une ac
tion civile en réparation du préjudice qui en est résulté.
Cette dernière action, n’eût-elle pas été prévue par l’ar
ticle 13, n’en aurait pas moins existé en vertu des prin
cipes généraux du droit.
Mais dans le' but de prévenir toute difficulté , notre
article a cru devoir s’expliquer. En conséquence il ré
serve expressément l’action en dommages-intérêts en fa
veur de la société et en faveur des tiers.
2 7 9 . — S 'il y a lieu , dit la loi. Une allocation de
dommages-intérêts, en effet, suppose un préjudice, puis
qu’elle n’a pas d’autre objet que de réparer ce préjudice.
Or il est possible qu’il n’en existe aucun , comme si la
fraude découverte immédiatement après la délibération,
les effets qu’on s’était promis de celle-ci n’avaient pu se
produire.
La société et les tiers ne peuvent avoir été lésés, que
si la délibération prise par la majorité factice a reçu une
exécution soit totale, soit partielle. Tout dépendra donc
du moment de la découverte de la fraude, et c’est par les
faits qui se sont réalisés dans l’intervalle, que les tribu
naux apprécieront s’il y a ou non préjudice, et par con
séquent s’il convient ou non d’allouer des dommagesintérêts .
�366
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
2 8 0 . — Le premier fait puni par l’article 14 est la
négociation d’actions ou de coupons d’actions dont la
valeur ou la forme serait contraire aux dispositions des
articles 1, 2 et 3 , ou pour lesquels le versement du
quart n’aurait pas été effectué conformément à l’arti
cle 2.
La négociation prohibée par la loi n’est pas la trans
mission de l’action par la voie civile. Nous avons déjà
indiqué le sens que la loi attache à ce mot négociation.
Nous n’avons donc pas à y insister1.
2 8 1 . — Ce que nous devons faire remarquer, c’est
que l’article 14 ne se réfère pas d’une manière générale
aux articles 1, 2 et 3 , comme le fait l’article 13. S’il
en appelle à leurs dispositions , c’est uniquement pour
ce qui a rapport à la forme , à la valeur de l’action ou
au versement du quart de son montant.
Ainsi celui qui à l’origine de la société négocie une
action créée au porteur , d’une valeur inférieure à cent
ou à cinq cents francs, suivant que le capital ne dépasse
pas ou dépasse deux cent mille francs, ou qui n’a pas
été libérée du quart, commet la contravention prévue et
encourt la peine édictée par l’article 14.
Celui-là au contraire qui négocie des actions de la
forme et de la valeur exigées, ou pour lesquelles le ver
sement du quart a été effectué, ne saurait être poursuivi,
alors même que l’entier capital n’eût pas été souscrit,
�TITRE I, ART. 13, 14, 15, 16.
367
que chaque action n’eût pas versé le quart de son mon
tant, que le gérant n’aurait pas fait la déclaration no
tariée qui lui est prescrite.
Il n’y aurait en certes rien de trop sévère à punir la
négociation, même dans ce cas. Si cette négociation n’a
vait pu être attribuée qu’aux fondateurs ou qu’aux gé
rants, chargés eux-mêmes d’exécuter la lo i, ils étaient
évidemment coupables de ne pas l’avoir fa it, de l’avoir
ainsi sciemment transgressée.
Mais comment punir le simple actionnaire ? Lui du
moins n’a pas à exécuter la loi. Il doit supposer que ses
prescriptions ont été obéies. Sa seule préoccupation doit
être la forme, la valeur des actions qu’il a en mains; et
lorsque l’une et l’autre sont conformes à ce qu’exige la
lo i, lorsque chacune d’elles a été libérée du q u a rt, le
punir pour les avoir négociées eût été une iniquité que
la loi ne pouvait commettre.
Pour les fondateurs, pour les gérants eux-mêmes, la
négociation dans ces circonstances ne pourrait être in ciminée. Mais s’ils ne sont pas coupables pour avoir né
gociés, ils le seraient incontestablement pour avoir émis
les actions , et ils n'échapperaient à la peine de l’article
14 , que pour être atteints de celle édictée par l’arti
cle 13.
2 8 2 . — Ici encore et avec beaucoup plus de raison
que tout à l’heure , la loi punit non la tentative , mais
le fait accompli exclusivement. Il est évident qu’en ma
tière de négociation il ne saurait exister de tentative ap-
/
�368
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
préciable. D’une p a rt, quelque intention de se défaire
de ses titres que le porteur ait manifestée , il peut, tant
que ces titres ne sont pas sortis de ses mains , revenir .
spontanément sur cette intention. D’autre part, une né
gociation exige un cédant et un cessionnaire , et si ce
dernier n’a pas encore été trouvé, où serait le commen
cement d’exécution qui caractérise seul la tentative pu
nissable ?
Mais de là cette autre conséquence , que, si la négo
ciation étant consommée la contravention existe, la peine
est encourue par le cessionnaire comme par le cédant.
La négociation est le fait aussi bien de l’un que de l’au
tre, puisqu’à défaut de concours de leur volonté, la né
gociation n’aura ni existé ni pu exister.
283,
— Au reste, si le cessionnaire n’était pas pu
nissable pour avoir négocié, il le serait incontestable
ment pour avoir participé à la négociation, car l’article 14
punit toute participation à la négociation de la même pei
ne que la négociation elle-même. A quel titre donc le
cessionnaire se soustrairait-il à cette peine, alors qu’elle
serait encourue par tous ceux qui, comme intermédiai
res, auraient préparé et facilité celte négociation, le
banquier, l’agent de change, le courtier par exemple ?
Dans le projet présenté par le Gouvernement en 1836,
les agents de change étaient nommément indiqués. Mais
chose remarquable , pendant que pour tous autres in
termédiaires on proposait l’amende de cinq cents francs
à dix mille francs, on réduisait à trois mille francs le
�maximum de celle à prononcer contre les agents de
change.
On fit remarquer avec raison qu’il était inutile de dé
signer spécialement les agents de change; qu’ils étaient
nécessairement compris dans la généralité des termes de
la loi qui atteignaient indistinctement tous ceux q u i, à
un titre quelconque, auraient participé à la négociation;
Que les agents de change étaient plus coupables que
personne de s’être prêtés à la violation de la lo i, et de
s’être entremis pour la consommer ; qu’il était donc d’u
ne inconséquence injustifiable de descendre pour eux à
trois mille francs l’amende qui était de dix mille’ pour
tous les autres.
Ces considérations devaient faire et firent repousser la
proposition du Gouvernement.
284.
— Il ne fut plus question, en 1867, d’établir
une différence entre les agents de change et les autres
intermédiaires. Mais la commission du Corps législatif
proposait, en faveur de tous, qu’ils ne pussent être pu
nis que lorsque, en participant à la négociation, ils au
raient agi sciemment et avec connaissance de cause. Le
conseil d’Etat repoussa cet amendement, que le caractère
de contravention donné à l’acte ne comportait guères, et
qui tendait à rendre la répression plus difficile , sinon
impossible.
Il n’est donc pas douteux que le fait d’avoir participé
à la négociation d’actions irrégulières ne soit par luimême punissable. Seulement les magistrats puiserontdans
�370
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
l’écart entre le minimum et le maximum de l’amende,
et surtout dans la faculté d’appliquer l’article 463 du
Code pénal le droit et le moyen d’avoir égard à l’inten
tion qui a présidé à cet acte.
2 8 5 . — L’article 14 place la publication de la va
leur des actions irrégulières sur la même ligne que la
participation à leur négociation , et la punit des mêmes
peines.
La loi gardant le plus complet silence sur les modes
de cette publication, les comprend nécessairement tous:
distribution de circulaires, de prospectus, apposition d’af
fiches, insertion dans les journaux.
2 8 6 . — Les auteurs des circulaires, des prospectus,
des placards ne sauraient en récuser la responsabilité.
Mais qui répondra de l’insertion dans le journal ? Serace l’auteur de l’annonce qui l’a transmise ; sera-ce le
gérant du journal ?
Cette question, la disposition qui punit la publication
ne pouvait manquer de la faire naître, Aussi a-t-elle
été soulevée à toutes les époques.
En 1856, M. Dalloz demandait s i , par les termes de
l’article, on avait entendu que l’amende sera appliquée
au gérant du journal qui a fait l’insertion, ou bien au
gérant de la société en commandite qui l’a commandée,
et il n’hésitait pas à se prononcer contre celui-ci et en
faveur du journal. Il paraîtrait exagéré et peu pratique,
disait-il, d’exiger que le gérant du journal vérifiât, pour
�TITRE I ,
ART.
13, 14, 15, 16.
371
toutes les annonces qui peuvent lui être apportées, si les
gérants de la commandite se sont conformés aux dispo
sitions de la loi. II me paraît donc que la peine doit être
appliquée au gérant de la société qui a fait l’annonce et
non au gérant du journal qui l’a insérée.
M. Duvergier, commissaire du Gouvernement, répon
dit : cette disposition de l’article 12 est empruntée à la
loi du 13 juillet 1845, où le mol publication est employé
dans le même sens. Ce mot, dans la loi nouvelle , aura
la même signification que dans celle de 1845. Lors de
la discussion de cette dernière , la même question fut, à
la chambre des Pairs, adressée par M. d’Argout. Le mi
nistre des travaux publics répondit, que tout dépendrait
des circonstances, et que l’intention de ceux qui auraient
fait la publication serait appréciée par les tribunaux. Le
Gouvernement fait aujourd’hui la même réponse.
Ce sont les mêmes errements que le législateur de
1867 a suivi, et en s’appropriant la disposition de l’ar
ticle 12 de la loi de 1856, il n’en a ni changé ni modi
fié le sens et la portée.
287.
— La réponse de M. Duvergier impliquait le
rejet de l’opinion de M. Dalloz. Sans doute elle ne disait
pas que l’application de l’article 12 devait être faite au
gérant du journal ; mais elle était loin de l’exclure et ne
se prononçait nullement contre le gérant de la comman
dite. L’affranchissement absolu du journal n’élait pas
d’ailleurs dans l’esprit de la loi. L’annonce qu’elle en
tend prévenir ne devient dangereuse que par la publi-
�372
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
cité, et cette publicité c’est le journal qui la donne ; et
comme l’insertion est payée, on pouvait être assuré que
le défaut de toute responsabilité aurait offert un danger
immédiat, et en dispensant le journal de toute recher
che, de toute précaution, favorisé une publicité malsaine
et périlleuse.
Mais M. Duvergier semblait admettre que les tribu
naux pouvaient et devaient se préoccuper de l’intention,
et lui subordonner l’application de la peine. La doctrine
s’était en général prononcée en ce sens ; ‘nous-mêmes
nous l’avions adopté dans notre Commentaire de la loi
de 1836
288.
— Avec la réflexion sout venus les doutes que
le caractère du fait autorise et commande. Comment con
cilier ce pouvoir des tribunaux avec les principes qui ré
gissent les contraventions ? Est-ce que celles-ci ne sont
pas indépendantes de l’intention, et ne doit-on pas les
réprimer dès qu’elles existent matériellement? Or que la
publication prohibée par l’article 14 ne soit qu’une con
travention, c’est ce que nous avons établi, et ce qui s’in
duit mieux encore de cette circonstance :
En ce qui concerne ceux qui se sont entremis dans la
négociation, la commission du Corps législatif, nous ve
nons de le dire, proposait de ne les punir que s’il était
acquis qu’ils avaient agi sciemment et en connaissance
de cause. Mais cette proposition fut rejetée par le conseil
* N» 448.
�TITRE I ,
ART.
13, 14, 15, 16.
373
d’E tat, parce qu'elle ne pouvait se concilier avec le ca
ractère de contravention.
Or il faut remarquer que le même paragraphe de
l’article 14 prévoit et punit la publication et la partici
pation à la négociation. Dès lors, si celle-ci n’est qu’une
contravention,celle-là ne saurait être autre chose. Il n’y
a pas d’exemple d’une seule et même disposition créant
en même temps une contravention et un délit.
Faut-il admettre avec le rapporteur de la loi, que l’ap
plicabilité de l’article 463 du Code pénal a converti en
délits toutes les infractions prévues par l’article 14 ?
Nous avons déjà dit et nous répétons que ce serait, là,
prêter à l’article 463 un effet que repoussent formelle
ment son esprit et sa lettre. Oui, sans doute, cet article
permet de tenir compte de l’intention qui a présidé à
l’acte. Mais de quelle manière ? En acquittant, en cas de
bonne foi? Non , certainement; en modérant la peine
seulement. A insi, au lieu du minimum de cinq cents
francs, les juges pourront descendre l’amende même audessous de seize francs. A ce point de vue, l’application
de l’article 463 est aussi équitable pour la contraven
tion que pour le d élit, et ne saurait dans aucun cas
substituer celui-ci à celle-là.
289.
— La matérialité de la publication suffira donc
pour faire prononcer une condamnation. Cette condam
nation sera plus ou moins sévère, suivant que le délin
quant aura commis une faute plus ou moins lourde.
Il est bon que les journaux ne se croient pas en de-
�374
LOI DE
1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
hors de cette règle. Leur en suggérer la pensée , serait
leur inspirer une sécurité trompeuse qu’ils pourraient
payer fort cher quelquefois.
Au reste il ne peut s’agir pour le gérant du journal de
vérifier si le gérant de la commandite a rempli les obli
gations que la loi lui impose. Ce qu’on exige de lui,
c’est, avant de publier la valeur des actions, de s’assu
rer si cette valeur , si la forme est conforme aux pres
criptions de la lo i, si elles sont libérées du quart. Or
tout cela est facile, car il ne s’agit que de se faire repré
senter les actions dont la teneur est dans le cas de l’é
difier complètement. Donc , si dans le désir de réaliser
le bénéfice de l’annonce il a négligé de prendre cette pré
caution , il est juste qu’il subisse les conséquences de sa
négligence , de sa légèreté , dans les limites que le juge
trouvera justes et convenables.
290.
— L’article 15 assimile à l’escroquerie et pu
nit des peines édictées par l’article 405 du Code pénal
les trois faits qu’il énumère. Cette disposition , sauf le
dernier paragraphe , est empruntée à l’article 13 de la
loi de 1856 dont elle n’est que la reproduction.
A cette époque le législateur n’avait pas à se livrer à
de grands frais d’imagination. Il lui suffisait de jeter un
regard sur ce qui se pratiquait le plus ouvertement du
monde. La constitution des commandites par actions
donnait lieu, presque sans exception, à toutes sortes de
manoeuvres pour en dissimuler le véritable caractère, et
leur attirer une confiance qu’elles ne méritaient sous au-
�.
• ....... i
TITRE I , ART.
13,
14,
15,
16.
375
cun rapport. On simulait des souscriptions , des verse
ments ; on prodiguait les allégations les plus fausses, les
plus mensongères ; on empruntait les noms les plus ho
norables qu’on disait faire partie du conseil de surveil
lance, sans leur adhésion, et même sans les avoir con
sultés; puis en fin d’année, tant qu’on avait besoin de
s’attirer des souscripteurs, on alléchait la cupidité des
uns , l’avidité des autres par des dividendes souvent énormes , toujours prélevés sur le capital qui se trouvait
ainsi insensiblement absorbé.
La nature du mal indiquait le remède. L’article 13 de
la loi de 1856 n’hésita pas à le sanctionner , et s’il ne
coupa pas le mal dans sa racine, du moins en rendit-il
la consommation plus difficile et plus rare. Mais cette
rareté ne pouvait pas empêcher le législateur de 1867 de
persister dans la voie de son prédécesseur, et de sanc
tionner les précautions que celui-ci avait si sagement
prescrit.
291.
— Ainsi dans son premier numéro, l’article 15
de la loi nouvelle punit des peines portées par l’article
406 du Code pénal, ceux qui par simulation de sous
criptions ou de versements, ou par la publication de
mauvaise foi de souscriptions ou de versements qui n’ex
istent pas , ou de tous autres faits faux , ont obtenu ou
tenté d’obtenir des souscriptions ou des versements.
L’exigence du versement d’une quotité de la valeur
de chaque action a éloigné la possibilité des souscrip
tions de complaisance , mais n ’en a pas fait disparaître
�376
LOI DK 1,867 SUR LES SOCIÉTÉS
le danger. Ce qu’on faisait autrefois soit pour arriver à
constituer la société, soit pour obtenir plus promptement
des adhésions sérieuses, on pouvait être tenté de le faire
encore.
Chacun sait qu’un moyen puissant pour appeler la
confiance est de paraître l’avoir obtenue. Prétendre que
dès son apparition le projet de société a recueilli de nom
breuses, d’importantes adhésions, c’est inspirer l’idée la
plus avantageuse de son caractère , faire concevoir les
idées les plus favorables sur son avenir et déterminer
le public h s’y associer.
Donc , si ces souscriptions et les versements qui ont
dû en être la conséquence sont purement imaginaires,
soit que ces souscriptions émanent d’hommes de paille
qui n’ont jamais ni versé ni pu verser un centime, soit
qu’elles n’aient jamais existé , s’en prévaloir auprès de
ceux dont on sollicite le concours , ou mieux encore les
publier dans de pompeuses annonces, dans des prospec
tus, dans des insertions, était une manœuvre à l’aide de
laquelle on tentait de s’emparer d’une partie de la for
tune d’au tru i, et il n’y avait que justice à l’assimiler à
l’escroquerie et à la punir des peines réservées à celle-ci.
Ne devait-on pas l’admettre également ain si, si au lieu
de simuler ou de publier des souscriptions ou des verse
ments n’ayant jamais existés.on provoquait la confiance
publique en publiant des faits faux et mensongers.
292.
— La loi fait ici ce que nous lui reprochions,
de n’avoir pas fait pour le délit de création d’une m a-
�TITRE I, ART.
13, 14, 15, 16.
377
jorité factice. Elle punit ceux qui, par les moyens qu’elle
indique, ont obtenu ou tenté d’obtenir des souscriptions
ou des versements.
Ainsi, la tentative est punie comme le délit consom
mé et c’était rationnel et juste. Qu’importe, en effet,
que la fraude n’ait pas obtenu le résultat qu’on s’en
était promis ? Qu’importe que le public n’ait pas donné
dans le piège ? Ce piège en a-t-il moins été tendu ?
N’a-t-on pas déployé tous les moyens pour le faire
réussir ?
Il eût donc été immoral de tenir compte aux auteurs
des circonstances purement fortuites et indépendantes de
leur volonté qui ont seules fait échouer leur coupable
entreprise.
293.
— Notre article exige que la publication ait
été faite de mauvaise foi. Cette condition eût été inutile
si la poursuite n’avait pu être exercée que contre les fon
dateurs ou le gérant de la société. Pour eux, en effet,
la mauvaise foi ne saurait être douteuse, elle résulte for
cément du fait matériel. Est-ce, en effet, de bonne foi
qu’ils ont pu publier des souscriptions ou des verse
ments qu’ils savaient bien ne pas exister, ou des faits
dont ils-ne pouvaient ignorer la fausseté ? Ils ont donc
sciemment voulu tromper le public et leur condamna
tion n’est que la juste conséquence de cette intention
perverse.
Mais le gérant du journal a fait la publication et peut
dès lors être poursuivi. Or, ce qui n ’est que juste à l’é-
�378
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
gard du gérant ou des fondateurs serait une énorme,
une injustifiable sévérité en ce qui le concerne ; il n’a ja
mais été en position de savoir et de ^connaître si les
souscriptions, si les versements qu’il annonce ont ou non
une existence sérieuse, si les faits qu’il publie sont faux
et c on trouvés.
*in ne pouvait raisonnablement exiger de lui qu’a vaut d’insérer l’annonce qui lui était remise il se livrât
à une enquête sur son véritable caractère, qu’il se fit re
présenter les livres et registres de la société, qu’il con
trôlât la sincérité des faits.
En ce qui le concerne donc, il faut en revenir au
droit commun en matière de délits. Il n ’est réellement
coupable et ne peut être condamné que si au fait ma
tériel se réunit l’intention criminelle, que s’il a agi de
mauvaise foi.
294.
— Le numéro 2 de l’article \ 5 punit ceux qui,
pour provoquer des souscriptions ou des versements,
ont, de mauvaise foi, publié les noms de personnes dé
signées, contrairement à la vérité, comme étant ou de
vant être attachées à la société à un titre quelconque.
Un nom honorable et honoré, est l’enseigne la plus
utile, la plus recommandable que puisse arborer une
opération commerciale. Rien n’attire plus et mieux la
confiance ; tel qui refuserait d’accéder à la société pro
jetée, n’hésitera pas à y adhérer s’il doit s’y trouver en
compagnie de personnes dont la notoriété est une ga
rantie de loyauté, de probité, d’honneur.
�TITRE I ,
ART.
13,
14,
15,
16.
379
On sait avec quelle impudeur ce moyen avait été ex
ploité. Quelque véreuse que fut la société projetée , ses
fondateurs ne manquaient pas de désigner, comme com
posant ou devant composer le conseil de surveillance,
les citoyens les plus recommandables, les commerçants
les plus autorisés, et cela sans même les avoir ni prévenus ni consultés.
En déférant aux actionnaires
» le choix des membres du
conseil, et en les obligeant de les prendre parmi eux,
on coupait court à cette fraude, on déjouait ce calcul,
mais restait la ressource de désigner, comme attachés à
la société, ceux dont on ne pouvait plus faire des mem
bres du conseil de surveillance, et l’on comprit qu’on
ne manquerait pas d’en user si une énergique sanction
pénale ne venait faire un devoir de s’en abstenir.
De là la disposition de l’article 13 de la loi de 1856,
et de l’article 15 de la loi nouvelle.
295.
— Le délit que nous examinons n’existe que
si la publication mensongère a été faite de mauvaise foi.
Ici celte condition est exigée, non pas seulement pour le
gérant du journal, mais encore pour le gérant et pour
les fondateurs de la commandite.
Quelque probable que soit la mauvaise foi de ceux-ci
qui, contrairement à la vérité, ont publié les noms de
personnes désignées comme étant ou devant être atta
chées à la société à un titre quelconque, il peut se fai
re cependant qu’au moment où cette publication a été
réalisée, elle eût une juste raison d’être, comme si des
�380
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
circonstances de fait, de la correspondance, ils avaient
pu croire qu’en effet la personne désignée appartenait
ou devait appartenir à la société.
Quelque éloignée que pût paraître cette chance, le lé
gislateur n’a voulu ni la méconnaître ni la négliger.
Lorsqu’il s’agissait d’un emprisonnement d’un an à cinq
ans, d’une amende de cinq cent francs à trois mille
francs et de l’interdiction des droits civils pendant cinq
ou dix ans.
L’erreur d’où naîtrait la bonne foi ferait disparaître le
délit, mais le gérant ou les fondateurs de la société qui
en allégueraient l’existence seraient obligés de la prouver.
En ce qui les concerne, la désignation est présumée de
mauvaise foi par cela seul qu’en fait la personne qu’elle
indique n’appartient pas à la société, ce qui fait suppo
ser qu’elle n’a jamais dû lui appartenir.
296.
— Le dernier délit prévu et puni par notre
article 15, est celui du gérant qui, en l’absence d’inven
taire, ou au moyens d’inventaires frauduleux, a opéré
entre les actionnaires la répartition de dividendes fictifs.
La criminalité de cette distribution ne saurait être
méconnue, elle est dangereuse pour la société, car dès
qu’ils sont réellement fictifs, les dividendes pris sur le
capital ne tardent pas à l’absorber et conduisent fatale
ment la société à la ruine et à la faillite ; dangereuse
pour les tiers puisqu’elle discipe et anéantit ce qui était
et devait être le gage de leurs créances.
�TITRE I ,
ART.
13, 14,
15, 16.
381
2 9 7 . — Ce double point de vue détermine parfaite
ment la nature du délit punissable. Ce qui le constitue,
c’est non l’absence d’inventaire, non les indications frau
duleuses que cet inventaire peut offrir, mais uniquement
le caractère fictif du dividende. Ainsi, si au moment où
il a été distribué la société était en bénéfice et que ce soit
ce'bénéfice qui a été réparti, il ri’y a aucun d élit, et le
gérant devrait être renvoyé de la poursuite dont il aurait
été l’objet.
Cette éventualité d’un bénéfice acquis n’est guère pro
bable dans le cas d’un inventaire frauduleux. Mais elle
se concilie très-bien avec l’absence d’inventaire que le
gérant a pu avoir involontairement omis ou cru inutile
de rédiger. Mais les écritures sociales suppléeraient à son
défaut, et si elles justifiaient d’un bénéfice qui aurait été
l’objet unique de la répartition, nous le répétons, le gé
rant serait irréprochable.
2 9 8 . — En punissant les trois délits spéciaux que
nous venons d’indiquer, l’article 15 n’a eu ni la pensée
ni l’intention d’amnistier les manœuvres ou lesactesqui,
de la part du gérant ou des fondateurs de la société,
constitueraient des délits de droit commun. Il a formel
lement consacré le contraire, en réservant l’application
de l’article 405 à tous les faits q u i, en dehors de ceux
qu’il prévoit, présenteraient les caractères légaux de l’es
croquerie.
Il est également certain que Les abus de confiance au
préjudice soit des co-associés soit des tiers motiveraient
l’application de l’article 408 du Code pénal.
�382
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES SOCIÉTÉS
299.
— L’article 15 se termine par une disposition
qui est une condamnation formelle d’une doctrine que
quelques cours impériales, que la cour de Cassation ellemême avaient adoptée. Les membres du conseil de sur
veillance ne sont pas civilement responsables des délits
commis par le gérant.
Le parquet de Paris avait à diverses reprises professé
le contraire. Cette prétention avait été repoussée par un
premier arrêt de la cour de Paris ; mais cet arrêt ayant
été cassé et la cause renvoyée devant la cour de Rouen,
celle-ci adoptant la doctrine de la cour de Cassation, avait consacré le principe de la responsabilité civile.
Plus tard et par un second arrêt du 29 août 1861, la
cour de Paris s’était rangée à cet avis.
Dans une consultation en faveur du conseil de sur
veillance, nous faisions remarquer tout ce que cette doc
trine avait d’étrange en droit ; nous soutenions qu’in
duire la responsabilité de la qualité de membre du con
seil desurveillance, c’était méconnaître l’article 1384du
Code Napoléon qu’on prétendait appliquer ; que si cet
article attache cette responsabilité à la qualité de père,
d’instituteur, de patron, c’est que cette qualité impliquait
une autorité susceptible d’empêcher le fait délictueux ou
dommageable; qu’il en était tellement ainsi, qu’aux ter
mes de l’article 1384 lui-même,le père, le patron, l’ins
tituteur étaient à l’abri de toute responsabilité, s’ils prou
vaient qu’ils n’ont pu empêcher le fait d’où découle cette
responsabilité ;
Qu’il faudrait établir à p r io r i, que les membres du
�TITRE I, ART.
13, 14, 15, 16.
383
conseil de surveillance avaient pu empêcher le délit com
mis par le gérant ; que cette supposition ne pouvait se
concilier avec la mission qu’ils avaient reçue ; que la
crainte de gêner l’indépendance absolue dont le gérant
devait jouir , leur avait fait refuser le droit non-seule
ment de concourir activement, mais encore d’être pré
sent à la rédaction de l’inventaire; qu’il était donc illo
gique de prétendre les rendre responsables civilement
des méfaits que le gérant se serait permis dans l’exercice
de la liberté absolue qui lui était laissée.
La disposition de l’article 15 nous dispense d’insister
sur les autres arguments qui militaient en faveur de no
tre thèse. En la consacrant, le législateur n’a fait que
rendre un légitime hommage à la raison et au droit.
Au reste cette disposition finale de notre article était
la conséquence forcée de l’article 9. Après avoir déclaré
que les membres du conseil de surveillance n’encourent
aucune responsabilité à raison des actes de la gestion et
de leurs résultats, il ne pouvait pas être qu’on n ’étendît
pas cette absence de toute responsabilité aux délits que
le gérant peut commettre.
300.
— L’article 463, que la loi de <856 ne décla
rait applicable qu’aux délits punis des peines portées par
l’article 405 du Code pénal, pourra désormais être ap
pliqué à tous les délits et contraventions prévus tant par
l’article 15 que par les articles 13 et 14. On ne peut
qu’applaudir à cette extension qui contribuera à donner
à la loi le caractère que doit offrir toute loi pénale : ce-
�384
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
lui d’un rapport de justice entre la peine et le fait pu
nissable.
A
rt
. 17.
Des actionnaires représentant le vingtième au
moins du capital social peuvent, dans un intérêt
commun , charger à leurs frais un ou plusieurs
mandataires de soutenir , tant en demandant
qu’en défendant , une action contre les gérants
ou les membres du conseil de surveillance et de
les représenter, en ce cas, en justice, sans pré
judice de l’action que chaque actionnaire peut
intenter individuellement en son nom personnel.
. S O M lIA in ii
301.
302.
303.
304.
305
306.
307.
308.
Caractère de l’article ; modification qu’il introduit relative
ment à la faculté d’être représenté par commissaires.
Nature de la condition à laquelle cette faculté est subor
donnée ; motifs donnés par le rapporteur.
Examen et appréciation.
Conséquence de la condition quant à la nécessité de produire
le litre de nomination.
Mode de nomination prescrit par la loi de 1856. Silence
gardé par la loi actuelle; conséquence.
Pouvoirs des commissaires. Leur nature ne va pas à au
toriser à compromettre ou à transiger, ou à se désis
ter de l’action.
Expirent-ils avec le jugement ou l’arrêt. Ancienne légis
lation .
Législation actuelle. Conséquence si le mandat est pur et
simple sans restriction,
�TITRE I , ART.
309.
310.
311.
312.
313.
314.
315.
316.
385
17.
Si le mandat est limité à un seul degré de juridiction.
Les restrictions opposées au mandat sont-elles opposables
aux tiers? Non, sous l’ancienne législation.,
Oui, sous la loi nouvelle ; motifs.
La représentation par commissaire est-elle permise dans les
procès entre actionnaires? Opinion contraire de MM.
Dalloz , Rivière , Bravard , Romiguières, sous la loi de
1856.
Caractère juridique de celle de ces deux derniers.
Solution sous l’empire de la loi nouvelle.
Différence entre la disposition finale de l’article 17 et celle
de l ’ancien article 14 ; son caractère. Qui peut aujour
d'hui intervenir ?
L ’intervention doit-elle rester encore aux frais de l ’inter
venant ?
SO I. — L’article 17, en reproduisant l’article 14 de
la loi de 1856, lui a fait subir deux modifications con
sidérables. Celui-ci, en effet, loin de l’entraver, rendait
la représentation par commissaires obligatoire dans les
procès qui s’agitaient entre une fraction d’actionnaires et
le.gérant ou les membres du conseil de surveillance , et
dans le cas où un obstacle quelconque empêchait la no
mination par les intéressés , il déférait cette nomination
au tribunal de commerce.
Cette disposition n’avait d’autre but que celui de sim
plifier la procédure, en évitant les embarras, les lenteurs
et les frais que la nécessité de mettre et de tenir en cause
de nombreux intéressés , amenait avec elle. Mais quel
que recommandable que fût un but pareil, la consé
quence à laquelle il avait conduit le législateur n’en était
I. — 25
�386
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
pas moins exorbitante du droit commun. S’il est un
acte qui doive émaner d’une volonté spontanée et libre,
c’est sans contredit l’élection d’un mandataire aux mains
duquel on remet le soin de défendre un intérêt que dé
fendrait bien plus énergiquement celui que cet intérêt
concerne personnellement.
Donc, en l’imposant obligatoirement, le législateur avait, dans les meilleures intentions, excédé toute mesure
et consacré une énormité. Aussi n’avait-il pas tardé à le
reconnaître et à en revenir, Dans la loi de 1863 qui in
stituait et réglementait les sociétés à responsabilité limi
tée, la représentation par commissaire n’est plus qu’une
faculté dont l’exercice est par conséquent laissé aux con
venances des actionnaires.
La loi de 1867 a suivi les errements de celle de 1863.
Le droit des actionnaires de se faire représenter par des
commissaires est expressément consacré; mais son exer
cice est purement facultatif. Quelque nombreux qu’ils
soient, les actionnaires , s’ils le jugent utile , pourront
exercer leurs actions, faire valoir leurs droits personnel
lement et individuellement.
Nul ne contestera l’avantage qu’il y a à simplifier les
procès, à utiliser le temps, à amoindrir les frais ; mais
cet avantage ne saurait autoriser à violenter les volontés
et à imposer un acte aussi grave que l’institution d’un
mandataire. Aussi ne peut-on qu’applaudir au législa
teur de 1867, de s’en être abstenu.
5 0 2 . — Mais ce qui nous paraît moins digne d’ap-
�TITRE I ,
ART.
17.
387
probation, c’est la condition à laquelle il a cru devoir
subordonner l’exercice de la faculté. Il ne le permet que
si les actionnaires représentent le vingtième au moins
du capital social. Ainsi, si ce capital est de vingt mil
lions, les actionnaires devront représenter un million au
moins ; s’ils ne représentent que neuf cent quatre-vingtdix-neuf mille francs , leur prétention de plaider par
commissaires ne sera ni recevable ni fondée. Autant le
législateur de 1856 avait voulu atteindre ce résultat, au
tant le législateur de 1867 paraît tenir à l’écarter.
Le rapporteur de la commission du Corps législatif
étayait l’exigence du vingtième du capital social des mo
tifs suivants :
« Plaider par mandataires , c’est une exception au
» droit commun qu’il importe de restreindre au lieu de
» l’étendre. En faire bénéficier les minorités sans se
» préoccuper de la part qu’elles représentent dans le
» capital social , c’est exposer la société à des attaques
» indiscrètes, encourager l’esprit processif en abaissant
» l’obstacle qui doit l’arrêter, la responsabilité des frais
» engagés dans la contestation. »
3 0 3 . — Il nous semble au contraire que le but que
se propose la représentation par commissaire est assez
précieux, assez désirable pour que, toute exceptionnelle
qu’elle soit, cette représentation soit favorisée et encou
ragée. Nous n ’admettrions le contraire que si son exten
sion offrait des inconvénients assez graves pour contre
balancer son utilité , et ceux relevés par le rapporteur
sont loin de présenter ce caractère.
�388
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES SOCIÉTÉS
L’interdiction de se faire représenter par des commis
saires ne saurait mettre la société à l’abri des attaques
qu’un groupe d’actionnaires plus ou moins nombreux
considérera comme fondées. Oublie-t-on les réclama
tions qu’avait suscitées la disposition rendant cette re
présentation obligatoire et forcée ; et ceux qui ont reven
diqué comme un droit la faculté de s’en abstenir, se dé
cideront-ils à renoncer à des prétentions qu’ils croient
justes, parce qu’on leur interdira d’y recourir.
Sans doute la responsabilité de frais considérables
pourrait les retenir; mais cette considération n’aurait
une valeur réelle que si les actionnaires n’avaient pas
un moyen facile d’arriver au résultat qu’ils obtiendraient
par la représentation par commissaire.
Ce résultat est avantageux en ce que les frais se répartissant entre tous les intéressés , en atténuent le fardeau
pour chacun d’eux ; mais cette atténuation , les action
naires qui ne représentent pas le vingtième du capital
social sont libres de se la ménager. Le droit de se choi
sir un mandataire ad lites n’a jamais été ni pu être con
testé. Ils useront de ce droit,ils s’entendront sur le choix,
et l’unique différence consistera en ce que les commis
saires plaideront en leur nom, tandis que le mandataire
ne pourra agir qu’en sa qualité, et devra indiquer et dé
signer ses mandants. Le procès n’en sera pas moins ré
duit entre le mandataire et la partie adverse, et en cas
de succombance chacun des mandants ne sera tenu que
d’une part proportionnelle dans les frais.
Qu’aura-t-on donc gagné à la restriction consacrée
�TITRE I , ART.
17.
389
par l’article 17 ? Rien évidemment, pas plus sous le rap
port de la préservation des attaques que sous celui de
la responsabilité des frais.
D’ailleurs cette responsabilité est une arme à deux
tranchants qui peut blesser la société autant que les ac
tionnaires.'Supposez en effet que , faute de s’entendre,
chaque actionnaire soit obligé de soutenir le procès in
dividuellement et en son nom , il en supportera seul les
frais, si sa prétention est repoussée; mais si elle est ad
mise , c’est la société qui en supportera les dépens , et
comme tous les actionnaires demandent la même chose,
ce qui sera jugé pour l’un le sera évidemment avec Tau
re. Voilà donc cinquante, cent procès dont le capital so
cial supportera les dépens. Cette éventualité méritait
qu’on en tînt compte , et puisqu’on voulait sauvegarder
l’intérêt social, on n’aurait pas dû l’exposer à subir de
pareilles atteintes.
I
Ajoutons que la pratique , sous la loi de 1856 , était
de nature à rassurer contre les craintes quelque peu chi
mériques qui motivaient la précaution à laquelle on re
courait. Si la représentation par commissaires a été sans
danger, alors qu’elle était obligatoire dans toutes les hy
pothèses , pourquoi aurait-elle été dangereuse depuis
qu’elle n’était plus qu’une faculté ?
5 0 4 . — Quoiqu’il en soit, notre article 17 met une
condition à son exercice. Les actionnaires qui voudraient
s’y livrer doivent représenter le vingtième au moins du
capital social. De là cette conséquence que celui qui se
X ■
�390
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
présentera comme leur délégué aura tout d’pbord à jus
tifier de l’existence de la condition, à faire connaître le
nom et l’intérêt de tout ceux qui l’ont préposé. La signi
fication du titre qui l’institue satisfera à cette obligation,
puisque ce litre doit indiquer le nom de tous ceux qui y
concourent et être revêtu de leur signature.
Cette signification peut être faite par copie en tête de
l’exploit introductif d’instance, mais ce mode n’a rien
d’obligatoire ; il suffit, pour la régularité de la procé
dure, qu’à la première sommation le titre soit versé au
procès.
3 0 5 . — L’article 14 de la loi de \ 856 prescrivait le
mode dans lequel il devait être procédé à l’élection des
commissaires. Leur nomination était déférée à l’assem
blée générale lorsque tous les actionnaires étaient inté
ressés au procès, ou à une assemblée spéciale com
posée des actionnaires engagés dans la contestation
lorsque cette contestation était soutenue ou dirigée par
ou contre un groupe d’actionnaires.
Notre article '17 abandonne la forme de l’acte à l’ar
bitrage souverain des parties intéressées. Il peut être
notarié ou sous seing privé, signé en même temps ou
individuellement et séparément.
Si la nomination par une assembée générale ou spé
ciale, suivant le cas, n’est pas prescrite, elle n’est pas
non plus prohibée et il est probable que ce mode sera le
plus ordinairement pratiqué. Il est beaucoup plus sim
ple, beaucoup plus facile que celui qui consisterait à al-
�TITRE I , ART.
17 .
391
1er de porte en porte quêter des adhésions et des signa
tures.
Dans l’un et l’autre cas, qu’il s’agisse d’une assemblée
générale ou d’une assemblée spéciale, le droit de la con
voquer et de la réunir ne saurait être contestée à ceux
des actionnaires qui ont pris l’initiative. On comprend
combien celte réunion serait difficile si le gérant ou les
membres du conseil de surveillance contre lesquels elle
est dirigée pouvaient seuls la provoquer.
Au jour indiqué si le procès à soutenir ou à intenter
est approuvé, soit par la majorité, soit par une minorité
représentant le vingtième au moins du capital social,
il est immédiatement procédé à la nomination des com
missaires. Le procès-verbal ■de cette nomination, revêtu
de la signature de tous ceux qui y ont adhéré, forme le
titre des élus. La détermination du nombre des commis
saires apartient souverainement aux actionnaires appe
lés à les nommer, et qui peuvent les prendre parmi eux
ou en dehors de la société.
5 0 6 . — Le caractère de l’article 17 est nettement
déterminé par ce fait déjà rappelé ; qu’il consacre une
exception au principe que nul en France ne plaide par
procureur.
Il n’est donc pas douteux qu’à la différence du man
dataire les commissaires agiront en leur nom propre et
personnel ; qu’ils auront tous les pouvoirs qu’exige la
mission dont ils sont chargés ; que les jugements ren
dus en leur faveur ou obtenus contre eux, profiteront
ou nuiront à tous ceux qui les ont institués.
�392f
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
Mais bien que traitant sous leur nom, les commis
saires ne sont en définitive que des préposés à un inté
rêt qui n’est pas le leur ou qui ne repose pas exclusive
ment et en entier sur leur tête. On ne doit point le per
dre de vue lorsqu’il s’agira de déterminer l’étendue de
leur mission.
On arrive dès fors à cette conséquence qu’ils sont sans
pouvoirs pour tous les actes qui, dérivant directement
du droit de propriété, sont attachés à la qualité de pro
priétaire. Ainsi ils ne pourraient valablement ni se dé
sister de l’action, ni compromettre, ni transiger, ni ac
quiescer au jugement, à moins qu’ils n’y eussent été
expressément autorisés par l’acte qui les institue.
Sous ces réserves, leur capacité est entière et absolue.
On ne saurait ni leur méconnaître ni leur contester le
pouvoir et le droit de faire tout ce que comporte la né
cessité de mener à bonne fin l’action qu’ils sont chargés
d’exercer, ou à laquelle ils sont autorisés à défendre.
307.
— Ce pouvoir et ce droit expirent-ils avec le
jugement ou l’arrêt qui statue définitivement sur l’ac
tion, de telle sorte qu’ils ne puissent, sans un nouveau
mandat, ni émettre appel, ni se pourvoir en cassation ?
Cette question pouvait offrir un intérêt mais pure
ment relatif, sous l’empire de la foi de 1856 ; sa solution
était indiquée par le caractère de la mission des com
missaires. Cette mission étant obligatoire, comment dou
ter qu’elle ne s’étendit à tous les degrés de juridiction?
De plus ce même caractère excluait toute idée de restrie-
�TITRE I , ART.
17.
393
lion, les mandants étant incapables d’agir par eux-mê
mes dans aucun cas, pouvant même n’avoir participé en
rien à la nomination des commissaires, dans l’hypothè
se par exemple, où cette nomination émanait du tribu
nal de commerce.
308.
— Aujourd’hui le ministère des commissaires
étant purement facultatif et leur nomination ne pouvant
émaner que des intéressés eux-mêmes , il est évident
que, libres de s’abstenir, ceux-ci le sont entièrement,
d’imposer toutes les conditions auxquelles ils entendent
subordonner leur engagement, et de stipuler toutes les
restrictions qui leur paraissent utiles ou convenables.
Notre question ne pourra donc être résolue que par les
termes du mandat lui-même.
Si ce mandat est pur et simple, si sans restriction il
charge les commissaires d’agir en justice pour les m an
dants, soit comme demandeurs, soit comme défendeurs,
aucun douta ne saurait s’élever. Le pouvoir des com
missaires subsiste tant que le procès n’est pas définitive
ment jugé, tant que tous les degrés de juridiction n’ont
pas été épuisés.
Les commissaires peuvent donc, à moins d’une révo
cation expresse, continuer d’agir et n’ont pas cessé d’ê
tre les contradicteurs de la partie adverse, ils sont léga
lement intimés sur l’appel de celle-ci, et s’ils ont euxmêmes succombé, ils peuvent émettre appel. Ils le peu
vent et ils le doivent, car l’éloignement des actionnaires
la difficulté de les réunir, pourraient être tels que les
�39 k
LOI DE 1 8 6 7 SUR LUS SOCIÉTÉS
délais accordés pour l’apel ou le pourvoi seraient expi
rés au moment où il serait permis aux intéressés de
prendre une détermination.
309.
— Si le mandat limite les pouvoirs des com
missaires, s’il le restreint à la représentation, soit devant
le tribunal, soit devant la Cour, il est évident que, soit à
l’égard des mandants, soit vis-à-vis des tiers, le juge
ment ou arrêt qui désinvestit le juge, termine la mis
sion des commissaires.
Des mandants aux mandataires, en effet.il est hors de
doute que rien ne saurait être légalement accompli en
dehors de limites données au mandat. Donc, si celui-ci
réduit la mission des commissaires à n’agir que devant
tel ou tel degré de juridiction, ceux-ci ne pourraient
suivre devant le degré supérieur sans un nouveau
mandat.
Mais pourraient-ils émettre valablement appel en at
tendant ce nouveau mandat? Nous croyons qu’on de
vrait répondre par l’affirmative. L’appel, en effet est
un acte purement conservatoire qui rendre dans les
obligations et par conséquent dans les attributions du
mandataire, lorsque à l’expiration du mandat, le man
dant n’est pas en position d’y procéder lui-même. Or,
dans l’espèce , cette impossibilité pourrait se réaliser.
Comme nous venons de le dire, l’éloignement des ac
tionnaires, la difficulté de les réunir pourrait avoir pour
conséquence de leur enlever la faculté d’appeler avant
même d’avoir pu l’exercer
�TITRE 1 , ART.
17.
395
5 1 0 . — Les restrictions opposées au mandat sontelles opposables aux tiers?
Cette question examinée par M. Rivière, sous l’empire
de la loi de 1856 , était par lui résolue négativement et
avec raison. Il enseignait, en conséquence, que ceux qui
avaient plaidé avec les commissaires pouvaient valable
ment appeler ou se pourvoir en cassation contre ces
commissaires , dans tous les cas ; il déduisait cette con
séquence du caractère obligatoire de la représentation
par commissaires. Puisque les actionnaires ne pouvaient
agir personnellement devant aucun degré de juridiction,
comment admettre , à défaut de révocation et de rem
placement dûment signifiés, que ceux qui les représen
taient devant le premier ne pouvaient plus le faire de
vant le second ?
Ajoutons que , pour en décider autrem ent, il aurait
fallu que la partie adverse connût le mandat restreint,
et les noms de ceux auxquels il devait dénoncer l’appel
ou le pourvoi. Or comment aurait-elle cette connais
sance , lorsque le tribunal de commerce a nommé les
commissaires sur la poursuite de la partie la plus dili
gente ?
3 H . — Cette solution était donc juridique sous la
loi de 1856; mais elle ne pourrait plus être suivie sous
la loi nouvelle , et c’est ce que M. Rivière enseigne luimême1.
'
C o m m e n ta ir e d e l a l o i d e \
867, n° 141.
�396
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
En effet la représentation par commissaires est au
jourd’hui facultative. Par conséquent elle comporte tou
tes les restrictions que les constituant jugent utiles. Per
sonne ne serait admis à prétendre l’avoir ignoré.
De plus , le titre constitutif du mandat doit être versé
au procès , et cette communication dévoile à toutes les
parties en cause non - seulement la nature et l’étendue
du m andat, mais encore les noms de tous ceux qui
l’ont déféré ; elle les met donc à même de s’adresser à
leurs véritables adversaires.
Celui-là donc q u i, sans tenir compte des restrictions
que le mandat apporterait aux pouvoirs des commissai
res, émettrait appel ou se pourvoirait en cassation, alors
que par suite de ces restrictions ces pouvoirs auraient
expiré avec le jugement ou l’arrêt , s’adresserait sciem
ment à des personnes sans qualité ni droit de défendre
à l’appel ou au pourvoi, et s’exposerait à les voir annu
ler l’un ou l’autre.
312.
— A l’exemple de l’article 14 de la loi de
.1856, notre article 17 ne parle de la représentation par
commissaire, que dans l’hypothèse d’un procès entre les
actionnaires d’une p a rt, et le gérant de la commandite
ou les membres du conseil de surveillance de l’autre.
Faut-il en conclure qu’on ne saurait y recourir dans les
contestations.s’agitant entre deux groupes d’actionnaires.
MM. Dalloz et Rivière professaient l’affirmative sous
l’empire de la législation précédente; MM. Bravard et
Romiguières s’étaient prononcés pour la négative. L’ar-
�TITRE I , ART.
17.
397
ticle 14 , disait ce dernier , est plutôt démonstratif que
limitatif , et l’on ne voit aucun inconvénient grave qui
puisse balancer le but si désirable de la célérité et de
l’économie des frais1.
313.
— Cette dernière opinion nous paraît préféra
ble et donner à la loi sa véritable signification. Le si
lence gardé par l’article 14 sur les procès entre deux
groupes d’actionnaires, qui est le principal argument de
l’opinion contraire , s’explique naturellement par cette
considération : que rien n’est moins probable qu’un li
tige de celte nature. Dès lors la loi qui ne doit se préoc
cuper que de eo quod plerumque fit, n ’avait ni à le pré
voir ni à y statuer.
Le caractère limitatif qui ne saurait s’induire du si
lence gardé par l’article 14 , est, de plus, inconciliable
avec le but avéré de sa disposition.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
« Toutes les fois, disait l’Exposé des motifs, que dans
le sein des sociétés où l’on compte beaucoup d’inté—
ressés , se sont élevées des contestations , le nombre
des parties , la difficulté de les connaître , l’éloigne—
ment des domiciles , ont entraîné des frais , des lenteurs , des embarras considérables. En permettant à
tous les actionnaires de se faire représenter par des
commissaires nommés en assemblée générale, en accordant aussi à des groupes d’actionnaires la faculté
de choisir entre eux des commissaires spéciaux, selon
1 C o m m e n ta ire
de la lo i de
4856, n» 464,
�398
»
»
»
»
»
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES SOCIÉTÉS
que tous les associés ou seulement quelques-uns d’entre eux seront engagés dans des contestations soutenues dans un intérêt collectif, le projet simplifie la
procédure , et diminue , par conséquent, la dépense
dans une grande proportion. »
Ainsi ce sont les frais, les lenteurs, les embarras qu’entraine le grand nombre d’intéressés au procès, qu’on
entend prévenir. Un but aussi utile, aussi désirable dans
un cas, l’est à un même titre dans tous ceux où l’on a
à redouter ces frais, ces lenteurs, ces embarras.
On ne comprendrait donc pas que la loi qui a voulu
l’atteindre dans une hypothèse, ne l’ait pas voulu dans
toutes. L’avantage réel qui s’y rattache non-seulement
exclut cette supposition, mais encore commande et im
pose la supposition contraire.
Est-ce que d’ailleurs les procès entre deux groupes
d’actionnaires n’offriront pas les caractères relevés par
l’Exposé des motifs ? Est-ce que chacun de ces groupes
ne soutiendra pas le procès dans un intérêt collectif?
Est-ce que la contestation ne s’élèvera pas dans le sein
d’une société ? Est-ce qu’elle n’intéressera pas de nom
breuses parties ? Est-ce qu’enfin l’une des deux préten
tions au moins ne profitera pas à tous les associés,même
à ceux qui sont restés en dehors du procès ?
Aucun doute sérieux ne saurait donc s’élever , et l’on
doit reconnaître que chaque groupe avait droit à être re
présenté par des commissaires, à moins d’admettre que
le législateur ait voulu autoriser dans ce cas les frais,'les
lenteurs et les embarras, qu’il entend prévenir dans les
�TITRE I ,
ART.
17.
399
procès soutenus contre le gérant ou contre les membres
du conseil de surveillance.
3 1 4 . — Dès lors notre article 17 n’ayant rien chan
gé sur ce point à l’ancien article 14, ce qui était prati
cable sous celui-ci est resté praticable sous celui-là.
A une condition pourtant : c’est que le groupe d’ac
tionnaires qui prétendra se faire représenter par com
missaire, aient à eux tous un intérêt équivalant au ving
tième au moins du capital social. Cette condition étant
imposée même dans l’hypothèse d’un procès entre ac
tionnaires et le gérant ou les membres du conseil , régit
nécessairement toutes les hypothèses dans lesquelles il
pourrait s’agir de la représentation par commissaires.
Donc si le groupe d’actionnaires ne représente pas le
vingtième au moins du capital social, chacun d’eux de
vra plaider en son nom personnel. Il y aura donc cin
quante , cent procès ayant un même b u t , tendant aux
mêmes fins et n’ayant d’autre avantage que celui de
créer des embarras, d’occasionner des lenteurs, d’enfler
outre mesure les frais. Ce n ’est pas là certes ce qui atté
nuera le regret que nous exprimions tout-à-l’heure , de
l’introduction dans la loi de la condition à laquelle est
subordonnée la faculté de se faire représenter par com
missaires.
3 1 5 . — La disposition finale de l’article 17 offre,
avec la disposition finale de l’ancien article 14, cette dif
férence que , tandis que celui-ci réservait expressément
pour chaque actionnaire le droit d’intervenir au procès,
�400
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
celle de l’article 17 se borne à réserver l’action que cha
que actionnaire peut intenter individuellement en son
nom personuel.
Cette différence est la conséquence forcée de la mo
dification que l’article 17 a fait subir à la faculté de se
faire représenter par commissaires. L’ancien article 14
imposant obligatoirement cette représentation, les com
missaires agissaient comme mandataires de tous les as
sociés sans distinction , de ceux qui n’avaient pas con
couru à leur nomination, comme de ceux qui y avaient
procédé.
Dès lors chaque actionnaire étant au procès par ses
mandataires, il ne pouvait avoir et on ne pouvait lui
reconnaître la prétention d’intenter l’action en son nom
personnel. Cependant il pouvait avoir intérêt à figurer
au procès, parce qu’il pouvait craindre que les manda
taires que lui avait imposé la majorité ou le tribunal de
commerce , ne se comportassent pas avec toute l’énergie
désirable. C’est à cet intérêt que pourvoyait la réserve
d’intervenir.
« Cette réserve , disait l’Exposé des motifs , il eût été
» imprudent de l’omettre. Celui qui manquera de con» fiance dans les mandataires choisis par ses co-inté» ressés, pourra se défendre lui-même, mais à la con» dition de supporter seul tous les frais que sa présence
» aura occasionné , quelle que soit la décision qui in » tervienne. »
Cette condition précisait l’esprit de l’article 14. En ré
servant le droit d’intervenir, il obéissait à un sentiment
�TITRE I ,
ART.
17.
401
de justice ; mais il n ’entendait pas favoriser une mesure
qui venait augmenter le nombre des parties , et donner
lieu à un surcroît de frais. En laissant ceux-ci à la charge
de l’intervenant, quoiqu’il arrivât, il décourageait et
empêchait les interventions indiscrètes ou sans utilité
réelle.
Dès que la représentation par commissaires n’était
plus qu’une faculté , il ne pouvait être question de ré
server purement et simplement le droit d’intervenir. La
généralité des termes eût étendu ce droit à tous les ac
tionnaires sans distinction, ce qui était inadmissible.
A quel titre, en effet, auraient-ils revendiqué ce droit,
ceux qui ont concouru à la constitution du mandat et à
la nomination des commissaires ? Pourraient-ils raison
nablement prétendre qu’ils n’ont pas confiance dans ces
commissaires qu’ils ont eux-mêmes librement et spon
tanément choisis ?
Voilà qui explique que l’article 17 ne réserve plus à
chaque actionnaire que le droit d’intenter l’action indi
viduellement en son nom personnel. Sans doute le droit
d’intenter l’action donne celui d’intervenir. Mais pour
réclamer celui-ci il faut de toute nécessité êire recevable
à exercer celui-là , et ceux-là seuls sont recevables qui
ne figurent pas légalement au procès.
Or ceux qui ont élu les commissaires sont nécessai
rement parties au procès. Ils ont épuisé leur droit d’ex
ercer l’action, car ce que font ou ce qu’ont fait les com
missaires, il sont censés le faire ou l’avoir fait eux-mê
mes, quis mandat ipse fecisse videtur. En fait, en réclai. — 26
�402
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
mant le droit d’intervenir , ils élèveraient la singulière
prétention de venir dans un procès où ils sont déjà par
ties, ce qui ne se comprendrait pas.
Il n’y a donc que ceux qui sont restés étrangers à la
nominationdes commissaires, qui pourraient valablement
réclamer le droit d’exercer individuellement l’action et,
par voie de conséquence, la faculté d’intervenir au pro
cès pendant entre d’autres parties.
316.
— S’ils usent de cette faculté, devront-ils sup
porter les dépens que leur présence occasionnera, quelle
que soit la décision ? Nous ne le pensons pas. Cette
charge av ait, sous l’ancienne lo i, sa raison d’êire dans
cette considération , que l’intervenant était de droit re
présenté par les commissaires , et que le ministère de
ceux-ci étant obligatoire, aucun des actionnaires ne pou
vait agir en son nom.
Aujourd’hui, au contraire , ce droit est formellement
reconnu et consacré. Celui-là donc qui ne l’a pas épui
sé en concourant à la nomination des commissaires, ne
fait qu’user de la faculté qui lui appartient. Son inter
vention n’est qu’un mode d’exercice de l’action. Suppor
terait-il les dépens si intentant principalement l’action
et plaidant en son nom, il gagnait son procès ?
Ce qui serait illégal dans ce cas, le serait également si
optant pour l’intervention , l’actionnaire l’avait préférée
à l’action directe. Il y a avantage à réunir toutes les pré
tentions dans un seul procès. Or la charge des dépens,
dans notre hypothèse, aboutirait à rendre ce résultat im
possible.
�TITRE I ,
ART.
17.
403
En définitive, qu’il exerce l’action ou qu’il se borne à
intervenir , l’actionnaire ne fait que ce qu’il a droit et
qualité de faire. On ne saurait donc , dans un cas com
me dans l’autre, lui infliger les frais que s’il a témérai
rement agi.
A
rt
. 18.
Les sociétés antérieures à la loi du 17 juillet
1856 , et qui ne se seraient pas conformées à
l’article 15 de cette loi, seront tenues dans un
délai de six mois de constituer un conseil de
surveillance conformément aux dispositions qui
précèdent.
A défaut de constitution du conseil de sur
veillance, dans le délai ci-dessus fixé, chaque ac
tionnaire a le droit de faire prononcer la disso
lution de la société.
A
rt
. 19.
Les sociétés en commandite par actions anté
rieures à la présente loi, dont les statuts permet
tent la transformation en société anonyme auto
risée par le Gouvernement, pourront se conver
tir en société anonyme , dans les termes déter
minés par le titre n de la présente loi, en se con
formant aux conditions stipulées dans les statuts
pour la transformation.
�404
LOI DE 1 8 6 7
A
rt
SUR LES SOCIÉTÉS
. 20.
Est abrogée la loi du 17 juillet 1856.
SO M M A IR E
317.
318.
Caractère de l’article 18 ; sa raison d’être lors de la pro
mulgation de la loi de 1856.
Motifs qui en firent adopter la disposition par la loi nou
v e ll e .
319.
320.
321.
322.
323.
324.
325.
Appréciation.
Caractère du délai de six mois accordé pour la constitution
du conseil.
Les dispositions de la loi ne sont pas applicables aux socié
tés civiles quelle qu’en soit la forme.
Conditions et forme de la conversion des sociétés en com
mandite en sociétés anonymes.
Objection tirée de la suppression de la nécessité de l ’auto
risation ; son caractère.
Réponse : appréciation.
Disposition de l’article 20 ; ses motifs.
317.
— L’article 18 de la loi nouvelle a cru devoir
reproduire l’article 15 de la loi de 1856, et décider que
les sociétés en commandite par actions qui seraient en
core sans conseil de surveillance, seraient tenues d’en
constituer un dans le délai de six mois de sa promul
gation.
La prescription de la loi 1856 avait sa raison d’être
dans la pratique qui l’avait précédée et à laquelle il était
urgent de mettre un terme. Jusqu’alors rien dans la lélégislation n’avait prescrit l’institution des conseils de
�liT RE I, ART.
18, 19, 20.
405
surveillance. Le fondateur de la société avait à cet égard,
comme en tous autres, la plus entière liberté, et s’il op
tait pour le conseil, c’est que sa composition était un
nouveau moyen de déguiser le véritable caractère de la
société et de surprendre la confiance publique.
Ainsi, il n’hésitait pas à présenter les noms les plus
retenlissants, les plus recommandables, qu’ils fussent
ou non intéressés à la société, et souvent même sans les
avoir prévenus ni consultés. Comme cette désignation
n’imposait aucun devoir, n’entraînait aucune responsa
bilité ou ne se hâtait pas de réclamer et, soit par com
plaisance, soit par ignorance, soit par faiblesse, on lais
sait le public exposé à tomber dans le piège qui lui était
tendu. Le conseil de surveillance ne surveillait abso
lument rien et n’avait d’existence réelle que dans les
statuts.
Aussi, le projet présenté par le Gouvernement , pro
posait-il d’imposer la nomination d’un conseil dans les
formes que la loi prescrivait à toutes les sociétés exis
tantes sans distinction.
La commission du Corps législatif trouva cette dispo
sition trop sévère, elle fit remarquer que la responsabi
lité désormais imposée au membres des conseils desur
veillance amènerait forcément la dissolution de ceux qui
n’avaient rien de sérieux ; qu’il était donc inutile de
prescrire, de remplacer ceux qui existaient et qui ac
ceptaient cette responsabilité, on se borna donc à im
poser l’institution d’un conseil de surveillance aux socié
tés qui n'en avaient aucun.
�406
LOI DE
1867
SUR LES s o c i é t é s
318.
— Onze ans après la promulgation de la loi, il
était peu probable qu’il s’en trouvât une seule dans ce
cas, et l’on pouvait considérer comme inutile l’introduc
tion dans la loi d’une disposition analogue à celle de
l’article 15 de la loi précédente. C’est ce que le Gouver
nement avait pensé et c’est ce qui l’avait déterminé à
garder à ce sujet le plus complet silence dans le projet
qu’il soumettait au Corps législatif.
Mais la commission pensa qu’il était utile de rompre
ce silence ; que malgré toutes les probabilités le princi
pe de l’article 15 de la loi de 1856 pouvait être encore
à appliquer ; qu’en conséquence il était nécessaire d’im
poser la nomination d’un conseil de surveillance, avec
les droits et les devoirs que le projet lui donnait, aux
associés qui, par impuissance ou par oubli de la loi, en
seraient encore privées Sa proposition à ce sujet, accep
tée par le Gouvernement, est devenue l’article 18 de
la loi.
319.
— Nous doutons très-fort qu’on puisse se
trouver dans le cas d’appliquer cette disposition. L’oubli
de la loi pendant onze ans consécutifs, n’est pas admis
sible, alors que cet oubli pouvait entraîner la dissolution
de la société que le gérant avait un si puissant intérêt à
prévenir et à empêcher.
Nous croyons moins encore à l’impuissance. Sans
doute, des circonstances fortuites, imprévues auraient pu
rendre insuffisant le délai de six mois que la loi pres-
�TITRE I ,
ART.
18, 19, 20.
407
crivait, mais cette impuissance temporaire avait été pré
vue et avait motivé la faculté donnée aux tribunaux
d ’accorder un nouveau délai.
Au reste, le rapport présenté au nom de la commis
sion, permet de saisir le véritable sens de l’impuissance
qui l’avait préoccupée. Cette impuissance n’était autre
que l’impossibilité d’obéir à ,1a loi, vu le petit nombre
d’intéressés gui pouvait être au-dessous de celui exigé
pour le conseil de surveillance.
Il est évident, en effet, que là où il n’existait que trois
ou quatre actionnaires, il était difficile d’en choisir cinq,
minimum exigé pour le conseil de surveillance. Mais
était-ce, est-ce encore pour des sociétés à personnel si
limité que la loi disposait et dispose ? Le but du législa
teur nous paraît résoudre cette question, ce qu’il a vou
lu, ce qu’il continue de vouloir, c’est de protéger ceux
qui, par leur nombre, par leur position vis-à-vis de la
société, sont dans l’impuissance de pourvoir par euxmêmes à ce que leur intérêt exige. Or, cette impuissan
ce est-elle admissible lorsque le nombre des associés est
réduit à trois, à quatre, à cinq même ?
L’application de la loi nouvelle réduisant à trois le
minimun des conseils de surveillance, aboutirait à des
résultats singuliers. Si les actionnaires sont au nombre
de quatre, l’assemblée générale se composera d’un seul,
de deux si ce nombre est de cinq. Si dans ce dernier
cas l’un est de l’avis du conseil de surveillance, l’autre
d’un avis contraire, qui tranchera la difficulté, comment
obtiendra-t-on une majorité?
�408
LOI
DE
1867
SUR
LES
SO C IÉ T É S
Les précautions prises par la l o i , si elles se réfé
raient à des sociétés pareilles, ne seraient que' puériles.
Avec un nombre si réduit d’intéressé, ces sociétés sont plu
tôt des commandites ordinaires que des commandites par
actions dont le législateur s’est à bon droit préoccupé, et
ce caractère ne saurait être méconnu parce que les parts
d’intérêt auraient été qualifiées d’actions.
320.
— Quoiqu’il en soit, si contre toute vraisem
blance des sociétés qui seraient dans le cas d’avoir un
conseil de surveillance et qui n’en auraient point encore
malgré qu’elles existassent depuis une époque antérieure
à la loi de 1856. pouvaient se rencontrer, elles seraient
obligées de s’en donner un dans les six mois de la pro
mulgation de la loi nouvelle, à défaut, chaque action
naire pourrait faire prononcer la dissolution de la so
ciété.
Cette fois le délai est fatal, les actionnaires ont bien la
faculté de poursuivre ou de ne pas poursuivre la dis
solution, mais s’ils la demandent, le juge ne saurait la
refuser. Il n’est plus autorisé à accorder un nouveau
délai, Le législateur a pensé que six mois ajoutés aux
onze années écoulées depuis la loi de 1856, étaient plus
que suffisants pour pourvoir à toutes les éventualités, et
pour enlever tout prétexte, toute excuse à l’inobserva
tion de la loi.
3 2 | . — Les dispositions de la loi sont-elles appli cables aux sociétés civiles qui ont pris la forme de la
commandite et divisé leur capital en actions ?
�TITRE
I,
ART.
18, 19, 20.
409
Dans notre Commentaire de la loi de 1 856 nous avons
examiné et résolu négativement celte question. Pour adopter l’affirmative, il faudrait admettre que la forme de
la commandite et la division du capital en actions im
priment aux sociétés qui les empruntent l’une et l’autre
le caractère commercial. Or il est de doctrine et de ju
risprudence que ce qui détermine le caractère d’une so
ciété, c’est, non la qualification qui lui a été donnée, ni
la forme qu’elle a reçue, ni même les statuts qu’elle s’est
imposée, mais et uniquement l’objet qu’elle se propose.
Si celui-ci n’a rien en lui de commercial, la société est
purement civile , malgré qu’elle se soit produite sous la
forme d’une commandite et qu’elle ait divisé son capital
en actions soit nominatives, soit au porteur'.
Or , que la loi de 1867 comme celle de 1856 , n’ait
entendu régir que les sociétés commerciales, c’est ce qui
ne saurait être ni méconnu ni contesté. La qualification
de société en commandite par actions ne s’est jamais ap
pliquée aux sociétés civiles, alors même qu’elles en a vaient pris la forme. Les lois de 1856 et de 1867 ne ré
glant que les sociétés en commandite par actions, restent
donc étrangères aux sociétés civiles.
Elles ne pourraient être étendues à celles-ci, qu’à rai
son de la similitude de la forme. Or , si l’analogie est
quelquefois déterminante en matière civile, elle n’est ni
licite ni possible en matière criminelle. Il suffirait donc
des dispositions pénales que ces lois édictent, pour qu’ori
1 V. notre Commentaire des sociétés, n»* 92 et suiv., 123 et suiv.
�410
LOI
DE
1867
SUR
LES
SO C IÉ T É S
reconnût l’impossibilité de les appliquer aux sociétés ci
viles, quelque décisives que fussent d’ailleurs l’assimila
tion et l’analogie.
Cette opinion que nous avaient inspirée le caractère et
la nature de la loi de 1856 les faits qui se sont réali
sés depuis n’ont pu que la confirmer.
En 1863, à l’occasion de la loi sur les sociétés à res
ponsabilité limitée , la commission du Corps législatif,
dans un contre-projet qu’elle avait rédigé, proposait de
confondre dans une même disposition les sociétés civiles
et les sociétés commerciales , et cela dans le but de dé
terminer plus clairement, sinon d’élargir, le cercle de la
loi, et de faire cesser les hésitations et les divergences qui
s’étaienî produites en jurisprudence sur le point de sa
voir si les sociétés civiles pouvaient prendre la forme des
sociétés anonymes. Mais le conseil d’Etat repoussa la
proposition et ne crut pas qu’on dût s’occuper des so
ciétés civiles dans une loi exclusivement consacrée aux
sociétés commerciales.
En 1867, dans le cours de la discussion de la loi au
Corps législatif, plusieurs honorables membres deman
daient, par un amendement, d’introduire dans la loi un
article ainsi conçu :
« Les dispositions qui précèdent sont applicables aux
sociétés civiles, charbonnières ou autres, qui se consti
tueraient dorénavant soit sous la forme de sociétés en
commandite par actions, soit sous la forme de sociétés
anonymes.
1 N o tre
Commentaire de la loi de 1 8 5 6 ,
n° 58.
�T IT R E
I,
ART.
18, 19, 20.
411
» Les sociétés civiles actuellement existantes sous l’une
ou l’autre de ces formes , seront tenus de se conformer
auxdiles dispositions dans le délai de six mois à partir
de la promulgation de la présente loi, sous peine de tous
dommages-intérêts pour les administrateurs ou gérants
envers les parties intéressées. »
La commission repoussa cet amendement, non pas
parce qu’il était inutile , la loi régissant les sociétés ci
viles comme les■sociétés commerciales. Au contraire , si
elle ne l’introduit pas dans la loi , c’est qu’elle ne croit
pas avoir qualité, saisie qu’elle était d’une loi sur les
sociétés commerciales , pour trancher une difficulté qui
se rattachait essentiellement aux sociétés civiles ; c’est
encore parce que le Gouvernement avait pris l’engage
ment de mettre la question à l’étude et de présenter,
dans le plus bref délai possible, un projet de loi qui don
nerait satisfaction à tous les intérêts.
Il en a été de cet engagement comme de beaucoup
d’autres. Mais en attendant qu’il soit tenu, ce qui ressort
clairement de cette discussion, ce qui est aussi manifeste
que la lumière du jour , c’est que la loi de IS67 s’oc
cupe uniquement et exclusivement des sociétés commer
ciales , et laisse les sociétés civiles en dehors de ses dis
positions , quelle que soit la forme qu’elles aient em
pruntée. s
De là cette conséquence, que celles qui existaient déjà
au moment de sa promulgation , ne sont pas astreintes
à se conformer à l’article 48 ; et que celles qui se cons
titueront à l’avenir, sont affranchies des conditions exi
gées par les articles I, â, 3, 4 et 5.
�412
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
5 2 2 . — Nous avons dit que la faculté pour les so
ciétés anonymes de se créer sans l’autorisation du Gou
vernement , tuait la commandite par actions. En effet,
entre la responsabilité indéfinie que celle-ci entraîne pour
les gérants, et la responsabilité limitée que celle-là im
pose aux administrateurs, le choix de fondateurs ne pou
vait hésiter. Aussi une crainte qui domina tous les es
prits , c’est que toutes les sociétés en commandite en
cours d’exécution ne s’empressassent de se convertir en
sociétés anonymes. Devait-on l’autoriser et le permettre?
Pouvait-on reconnaître à la majorité le droit d’imposer
cette transformation ?
Aucun doute ne pouvait s’élever sur la légalité de la
conversion lorsqu’elle était votée par l’unanimité des ac
tionnaires. Eux seuls en effet pourraient avoir à souffrir
de la conversion qui mettrait un terme à la responsabi
lité indéfinie du gérant. Quant aux tiers , ceux qui au
raient traité avant la conversion auraient des droits ac
quis que celle-ci ne pourrait ni altérer ni modifier ; ceux
qui auraient traité après n’auraient jamais contracté
qu’avec une société anonyme , et n’auraient par consé
quent que les droits que confère cette société.
A défaut de l’unanimité , la conversion de la société
en société anonyme ne serait possible que si elle avait été
prévue et réglée par les statuts. Alors en effet la conver
sion loin de violer la loi du contrat ne fait que l’exécu
ter ; car chaque actionnaire en adhérant aux statuts a
pris l’engagement formel de s’y soumettre , dès que les
conditions exigées par ces statuts seront remplies.
�»
i
TITRE I, ART.
18, 19, 2 0 .
413
Cette conséquence dont notre article 19 fait une loi,
n’aurait soulevé aucune difficulté ni comporté aucune
objection, si la conversion s’opérait sous l’empire de la
loi qui avait présidé à la formation du contrat. Mais à
l’égard des sociétés constituées avant sa promulgation,
la loi de 1867 avait profondément modifié cette lo i, en
affranchissant les sociétés anonymes de la nécessité d’ob
tenir l’autorisation du Gouvernement.
323.
— De là une objection sérieuse, capitale. Avant
la loi de 1867 il ne suffisait pas que la majorité fixée
par les statuts se fût prononcée ; il fallait encore que le
Gouvernement autorisât. Cette seconde condition n’étant
plus requise , déclarer la minorité liée n’était-ce pas la
reconnaître tenue au delà de son engagement? Sans
doute, dira cette minorité, j’ai accepté la chance d’une
transformation et acquiescé d’avance à ce qui serait dé
libéré à ce sujet dans les conditions exigées par les sta
tuts ; mais au moment où je m’obligeais je savais que
l’autorisation du Gouvernement pourrait seule rendre
cette transformation possible , et c’est la garantie que
présentait cette condition qui avait déterminé mon con
sentement; vaincue dans la délibération de l’assemblée
générale , je pouvais encore agir auprès du Gouverne
ment pour qu’il refusât l’autorisation ; cette ressource
m’étant enlevée, cette garantie m’étant prohibée, mon en
gagement n’a plus sa cause déterminante , et je dois en
être relevée, à moins qu’on ne méconnaisse l’esprit du
contrat et qu’on veuille m’imposer des conditions que je
�414
LOI DE 1 8 6 7
SUR LES SOCIÉTÉS
n ’ai pas acceptées et qui, si je les avais entrevues, m’au
raient empêché de m’engager.
Cette objection , nous le répétons , était sérieuse et
grave , et en rigueur des principes elle eût dû être ac
cueillie. Il est évident que, dans l’hypothèse, la conven
tion ne pouvait plus recevoir l’exécution telle que les
parties l’avaient prévue et avaient pu la prévoir. Lui en
substituer une nouvelle contre la volonté de quelquesuns était-ce autre chose que de faire violence à leur li
berté, leur imposer un engagement autre que celui qu’
ils avaient consenti , que méconnaître et violer le prin
cipe de la non rétroactivité des lois ?
324.
— L’Exposé des motifs suppose fort légère
ment qu’appelés à interpréter le contrat, les tribunaux
auraient décidé que quoique la faculté de transformer la
société en commandite en société anonyme, eût été sti
pulée au temps où l’autorisation du Gouvernement était
exigée, elle n’avait pas cessé parce que l’autorisation n’é
tait plus nécessaire ; en conséquence , il ne voit dans
l’àrticle 19 que le moyen de prévenir les procès qui au
raient pu s’engager à ce sujet.
Nous doutons fort que les tribunaux eussent pronon
cé dans le sens que suppose l’Exposé des motifs, et ce
doute paraît avoir dominé la commission du Corps lé
gislatif. Loin d’adopter l’explication du Gouvernement,
la commission relève tout ce que cet article avait d’exor
bitant, elle ne se dissimulait pas le caractère de rétroac
tivité que revêtait la disposition , mais elle l’excusait
�TITRE I,
ART.
18,
19, 20.
415
parce que la violence faite à la convention était plutôt
théorique que pratique. ,
« Que fait le projet, disait le rapporteur, sinon auto
riser une transformation prévue et permise par les sta
tuts des société existantes, c’est-à-dire par la volonté des
parties ? Qu’ajoute-t-elle à la convention , qu’en re
tranche-t-elle ? Elle substitue la forme nouvelle de la so
ciété anonyme à l’ancienne qui est supprimée, et efface
l’autorisation du Gouvernement. Mais, à vrai dire, dans
quel intérêt surtout cette autorisation et la surveillance
qui en est le corollaire, ont-elles été exigées jusqu’ici,
sinon dans l’intérêt des tiers, et quels risques sérieux
ceux-ci peuvent-ils courir par les facilités données à l’a
venir à la création des sociétés anonymes ? Ils sont aver
tis par les statuts de la conformatipn prévue, et la pu
blicité les avertit de la transformation réalisée ; il n’y a
donc pour eux aucun péril. Quant aux actionnnaires,
ou ne leur impose rien de nouveau, puisqu’ils ont sti
pulé, dans la convention qui les lie, la transformation
et ses conditions. Si ces conditions contractuelles étaient
modifiées par la loi de manière à altérer leurs garan
ties, leurs plaintes seraient légitimes, mais peuvent-ils, se plaindre, là où ces conditions sont respectives ? »
La faiblesse de ces considérations n ’a pas besoin d’ê
tre signalée, elles viennent toutes se briser devant cette
dernière, que les plaintes des actionnaires seraient lé
gitimes si les conditions contractuelles étaient modifiées
de manière à altérer leurs garanties. Or, c’est précisé
ment ce que fait l’article 19.
�416
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Niera-b-on l’intérêt des -actionnaires à se trouver en
présence de gérants tenus indéfiniment sur tous leurs
biens, plutôt que d’administrateurs obligés jusqu’à con
currence de leur mise seulement ?
Sans doute, ils ont accepté la chance de n’avoir à
compter qu’avec ces derniers, mais aux conditions pré
vues par les statuts, venait s’ajouter celle imposée par
la loi, la nécessité de l’autorisation. Dire que cette con
dition n’était pas pour les actionnaires une garantie ef
ficace, c’est fermer les yeux à l’évidence. Elle était, en
effet, une digue assurée contre l’entrainement, la fai
blesse, la complaisance d’une majorité aveugle et inté
ressée, car les observations repoussées par celle-ci pou
vaient être accueillies par le Gouvernement, motiver le
refus d’autorisation et conserver ainsi les droits de la mi
norité. Donc, dispenser de cette autorisation c’était évi
demment altérer et diminuer les garanties assurées au
moment du contrat.
Au reste, la commission ne se montrait pas bien sûre
du contraire, car elle proposait d’exiger, pour l’admis
sion de la conversion, la majorité la plus forte quels que
fussent les termes des statuts. Cette proposition fut reje
tée par le conseil d’Etat, et devait l’être, car de deux
choses l’une, ou le principe consacré par l’article 19
violait la convention et on devait le rejeter, ou aucun
reproche de cette nature ne pouvait lui être adres
sé, et on ne pouvait en subordonner l’application à
d’autres conditions que celles prévues et réglées par les
statuts. Exiger autre chose c’était faire suspecter la légi
timité de la disposition qu’on consacrait.
�TITRE I, ART.
18,
19, 2 0 .
417
En l'état, ce qui résulte de l’article 19, c’est que la
conversion des sociétés en commandite en sociétés ano
nymes, n ’est permise qu’à celles dont les statuts ont pré
vu et autorisé cette conversion ; que dans ce cas elle
s’opère dans les formes et les conditions réglées par ces
statüts et qu’elle s’impose à tous dès qu’elle a obtenu la
majorité qui y est indiquée.
325.
— L’article 20 prononce l’abrogation pure et
simple de la loi du 17 juillet. Ainsi, cette loi qui devait
être la panacée contre le mal qu’elle voulait guérir, aura
vécu onze ans et de quelle existence ?
En 1863, on la modifiait en introduisant les sociétés
à responsabilité limitée, et deux ans après, en 1865, le
Gouvernement présentait le projet qui est depuis devenu
la loi de 1867.
Ce projet n ’apportait que des modifications nouvelles
et plus importantes à la loi de 1856, aussi n’abrogeailil que les dispositions auxquelles il dérogeait.
Mais la commission du Corps législatif pensa avec rai
son qu’il y avait tout avantage à régler dans une seule
et même loi tout ce qui concernait la matière des com
mandites par aetions. Elle n’hésita donc pas à introduire
dans la loi nouvelle les dipositions de la loi de 1856
qui étaient maintenues et à déclarer abrogée cette loi.
« Il est désirable, disait le rapporteur, au point de
vue pratique, de rencontrer dans une loi ou dans une
série unique de dispositions, les principes régulateurs
d’un certain ordre d’intérêts ou de conventions. Là où
i. — 2 7
�418
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
ces dispositions sont éparses dans des lois d’origine et de
dates différentes, elles offrent aux recherches une diffi
culté relative et une perte de temps fâcheuse toujours ;
et puis , quand une loi , modifiée dans un grand
nombre d’articles, subsiste encore dans ses dispositions
maintenues, il est possible, malgré la prévoyance du lé
gislateur, qu’un certain antagonisme existe entre le mo
nument nouveau et ce qui reste du monument ancien. »
Ces considérations expliquent, motivent et légitiment
la diposition de l’article 20.
F I»
RU
P R E M IE R
VOLUM E
�TABLE DU Ier VOLUME
Pages
D E S SO C IÉ T É S
Avant-propos......................................................
Loi du
241
1
ju ille t 1 8 6 7 .
T itre I". D e s s o c i é t é s e n c o m m a n d i t e p a r a c t i o n s .
Article 4" ...................................................................49
Articles 2, 3 ............................................................86
Article 4
................................................................ 147
Articles 5, 6 .......................................................... 185
Articles 7 , 8 .
Article 9
.
.
............................................222
................................................................ 268
Articles 10, 14, 1 2 ............................................... 289
Articles 13, 14, 15, 1 6 ...............................
334
Article 1 7 ......................................
384
Articles 18, 19, 20 ...........................................
403
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/328/RES-22980_Bedarride_Loi-juillet-1867_2.pdf
536918c516fcf6272c9e797bfc2f2aa8
PDF Text
Text
D R O IT COMMERCIAL
COM M ENTAIRE
1 3 JE
JLiA
Tome 2
LES SOCIÉTÉS
En Commandite par Actions, Anonymes et Coopératives
PAR J. BÉDARRIDE
PA R IS
AI X
L. L A R O S E , L I B R A I R E
3 3 , RUE SOUFFEOT, 23
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
j
21, RUE THIERS , 2
1880
e>o ■2-3
�D R O IT COMMERCIAL
COM M ENTAIRE
1 3 JE
JLiA
LES SOCIÉTÉS
En Commandite par Actions, Anonymes et Coopératives
PAR J. BÉDARRIDE
PA R IS
AI X
L. L A R O S E , L I B R A I R E
3 3 , RUE SOUFFEOT, 23
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
j
21, RUE THIERS , 2
1880
e>o ■2-3
��Des
sociétés
anonymes.
A rt, 2 1 .
A l ’av en ir les sociétés a n o n y m es p o u rr o n t se
fo rm e r sans l’a u to risa tio n d u G o u v e rn e m e n t.
E lles p o u rr o n t , q u el q u e so it le n o m b re des
associés , ê tre form ées p a r u n acte sous seing
p riv é fait en d o u b le o rig in al.
E lles s e ro n t soum ises aux d isp o sitio n s des a r
ticles 2 9 , 3 0 , 3 2 , 3 3 , 34 et 36 d u C ode de
c o m m e rc e et aux d isp o sitio n s c o n ten u e s dans le
p ré s e n t titre .
�326.
327.
328.
329.
330.
331.
332.
333.
334.
335.
336.
337.
Suppression de la nécessité de l ’autorisation ; son caractè re
effet qu’elle a produit.
Faculté pour la société anonyme de se former par acte sous
seing privé fait à double original.
La société anonyme n’a ni nom social ni désignation indi
viduelle; elle est qualifiée par l ’objet de ses opérations.
Limite de la responsabilité des administrateurs et des as
sociés.
Division du capital en actions ; elle est prescrite obligatoi
rement.
La transmissibilité des actions est de leur essence. Texte
de la loi.
Son esprit; conséquences.
On ne pourrait stipuler dans les statuts que les actions se
ront incessibles. Opinion contraire de M. Rouher.
Appréciation.
La société dont les actions seraient incessibles ne serait pas
régie par la loi de 1867.
Nomenclature des actions ; effets de leurs divers caractères;
Renvoi.
Application de l ’article 36 du Code de commerce aux socié
tés anonymes.
326.
— Le premier paragraphe de l’article 21 in
troduit une modification capitale dans la constitution de
la société anonyme. Il supprime la nécessité de l’auto
risation du Gouvernement sans laquelle celte société ne
pouvait exister.
Dans notre avant-propos , nous nous sommes expli
qué sur cette suppression , et avons indiqué l’influence
qu’elle doit avoir sur la commandite par actions. Nous
�21.
TITRE I I , ART.
3
ne reviendrons pas sur les observations que nous avons
présentées. Nous constaterons seulement que nos prévi
sions sur l’usage exclusif de la société anonyme se sont
pleinement réalisées. Aujourd’hui et depuis la promul
gation de la loi, c’est à cette forme qu’on a recours. Cha
que jour les journaux publient des projets de sociétés
nouvelles , et nous n’en avons pas rencontré une seule
qui eût adopté la forme de la commandite par actions.
C’est que celle-ci impose au gérant une responsabi
lité indéfinie, et cette charge, quelque légère qu’on eût
su la rendre, n’en pesait pas moins à ces grands faiseurs
toujours à l’affût des moyens d’augmenter leur fortune.
Ce qu’ils ambitionnaient, c’était le moyen de sortir de
la société sans danger d’être recherchés, dès que par la
négociation de leurs actions ils avaient non-seulement
échappé à la perte qui frappait les pauvres dupes qui avaient eu confiance en leur projet, mais encore réalisé
un bénéfice souvent fort considérable.
C’est pour y arriver qu’ils avaient à grands frais or
ganisé cette agitation factice , ces attaques journalières
contre la nécessité de l’autorisation qui ont fini par la
faire supprimer. Ils sont donc libres aujourd’hui d’ex
ploiter la confiance publique sans encourir d ’autre res
ponsabilité que la perte de leur mise qui ne sera à la
charge que de ceux qui auront eu la bonhomie d’ache
ter leurs actions.
Il est possible que la liberté de l’anonymat ne pro
duise pas les abus et les scandales qui ont signalé la
commandite par actions. Mais ce résultat, s’il se réalise,
*
�4
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
on le devra non aux projeteurs dé sociétés, mais au re
froidissement de la confiance. Les actionnaires ont quel
que peu perdu de l’entrain qu’ils apportaient naguères
à verser des fonds dans les sociétés quelles qu’elles fus
sent ; et certes les leçons qu’ils ont reçues sont assez cru
elles pour qu’on s’explique cette retenue. Aujourd’hui le
milliard qui se serait autrefois précipité dans la spécu
lation dort dans les caves de la Banque , et on ne l’en
fera sortir que si, effaçant le souvenir du passé, on par
vient à rappeler la confiance des premiers jours.
Comment y parvenir au milieu des doutes, des incer
titudes de notre état politique. Le capital redoute les a ventures, et tant qu’il appercevra des points noirs soit à
l’intérieur, soit à l’extérieur, il rétrécira le cercle de ses
opérations, et se refusera à courir la chance des évène
ments.
La suppression de l’autorisation devait immédiate
ment imprimer à l’esprit d’association le développement
le plus considérable. En réalité, nous avons vu et nous
voyons se produire une foule de projets. Combien ont
réussi ? Est-on parvenu à vider les coffres de-la Banque?
327.
— En attendant que l’expérience détermine
l’opportunité et démontre les avantages de la suppres
sion, le législateur a, comme conséquence de cette sup
pression, modifié ou accepté purement et simplement
quelques dispositions du Code de commerce, et organisé
dans la loi nouvelle un système de précautions destinées
à suppléer à l’autorisation, ou tout au moins à atténuer
�TITRE II, ART. 2 1 .
5
les effets de sa suppression. Nous avons à nous occuper
des unes et des autres.
Une des dispositions du Code de çommerce que notre
article modifie est celle de l’article 40, aux termes du
quel les sociétés anonymes ne pouvaient être formées
que par des actes publics. A l’avenir et en vertu du deu
xième paragraphe de l’article 21, elles pourront être éta
blies par acte sous seing privé.
L’exigence d’un acte public pour la société anonyme
n’avait aucune raison d’être. On avait allégué la crainte
qu’on ne fit disparaître l’acte , ou qu’on ne le modifiât
après coup. Mais cette crainte était évidemment chimé
rique , puisque le Gouvernement devant approuver cet
acte, en exigeait nécessairement le dépôt à la chancel
lerie, et que cet acte était inséré au Bulletin des lois a vec l'ordonnance d’autorisation. Comment s’y serait-on
pris pour le faire disparaître, ou pour en changer après
coup les dispositions.
L’article 40 du Code de commerce comparé avec l’ar
ticle 39 consacrait donc une anomalie étrange, qui se
rait devenue bien plus étrange s i , comme la société en
nom collectif et la commandite , la société anonyme de
venant entièrement libre et pouvant se formersans auto
risation, on eût continué d’exiger pour elle l’acte public.
C’est pourtant ce que faisait le Gouvernement q u i, par
le silence qu’il avait gardé à cet égard , laissait les cho
ses sous l’empire de l’article 40 du Code de commerce.
Mais la commission du Corps législatif ayant pris l’initia
tive de la modification, sa proposition fut accueillie par
�6
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
le conseil d’E ta t, et devint le paragraphe 2 de l’article 21.
Donc la société anonyme peut être formée par acte
sous seing privé , et dans ce cas il suffît que l’acte soit
fait à double original. L’un de ces doubles devant être
annexé à la déclaration notariée de la souscription en
tière du capital et du versement du quart du montant
des actions, on ne saurait prévoir ni une soustraction de
l’acte, ni une altération quelconque de ses dispositions.
328.
— Les articles du Code de commerce qui con
tinuent de régir les sociétés anonymes sont, d’abord, les
articles 29 et 30 , aux termes desquels la société ano
nyme n’a pas de nom social, n’est désignée par le nom
d’aucun des associés, et n’est qualifiée que par la dési
gnation de l’objet de son entreprise.
Quoique affranchie de la nécessité de se pourvoir de
l’autorisation du Gouvernement, la société anonyme est
restée, sous la loi nouvelle, ce qu’elle était sous le Code,
et n’a perdu aucun de ses caractères essentiels. Elle con
tinue d’être une réunion de capitaux plutôt qu’une as
sociation de personnes. Il ne fallait donc pas qu’un nom
social ou qu’une désignation individuelle vînt inspirer
l’idée d’une société ordinaire, et faire supposer une obli
gation personnelle et une responsabilité qui n’existent
pas.
Nous avons constaté ailleurs que l’observation de ces
prescriptions est obligatoire et forcée. L’administrateur
d’une société anonyme qui agirait soit sous un nom so-
�TITRE I I , ART. 2 1 .
7
cial, soit au nom d’un associé , répondrait de l'erreur
qu’il aurait fait naître sur le caractère de la société , et
serait tenu de réparer personnellement le préjudice que
les tiers auraient pu en éprouver1.
3 2 9 . — Comme conséquence des prescriptions des
articles 29 et 30, les articles 32! et 33 règlent et limitent
la responsabilité des administrateurs et des associés.
Aux termes du premier, les administrateurs ne répon
dent que de l’exécution du mandat qu’ils ont reçu et ne
contractent, à raison de leur gestion, aucune obligation
personnelle et solidaire relativement aux engagements de
la société ; en vertu des dispositions du second, les asso
ciés ne sont passibles que de la perte du montant de leur
intérêt dans la société.
Nous verrons bientôt les nouveau devoirs que la loi
de 1867 a imposés aux administrateurs , et les consé
quences auxquelles elle les soumet en cas d’inobser
vation. Ces conséquences , nous pouvons le dire dès à
présent, loin de déroger à l’article 32 du Code de com
merce, le confirment expressément, car la responsabi
lité qui en découle pour les administrateurs n’a son fon
dement et son principe que dans la violation du mandat.
3 3 0 . — L’article 34 du Code de commerce régit tou
jours les sociétés anonymes. On sait qu’aux termes de
sa disposition, le capital de ces sociétés se divise en ac
tions ou en coupons d’actions d’une valeur égale.
* Notre Commentaire des sociétés, n° 268.
�8
LOI DE
1867
SUE LES SOCIÉTÉS
Quel est le caractère de cette disposition ? Est-ce une
faculté ; est-ce une obligation qu’elle impose ? Ces ques
tions se posèrent au Corps législatif lors de la discussion
de la lo i, et y firent naître une controverse animée. De
leur solution, en effet, on devait induire si la société a nonyme pouvait se créer avec des parts d’intérêt seule
ment, soit avec des actions déclarées incessibles ou bien
transmissibles du consentement de la société seulement;
si la société constituée de cette manière serait régie par
la loi nouvelle.
Nous croyons que l’article 34 est impératif; que les
actions qui doivent représenter le capital ne peuvent
s’entendre que de titres négociables transmissibles de la
main à la main ou par la voie de l’endossement ; qu’il
exclut par conséquent des statuts sociaux toute clause dé
clarant les actions incessibles , ou en subordonnant la
ransmission au consentement de tous les associés.
I.e caractère impératif de l’article 34 résulte , selon
nous, de son texte. Il nous semble qu’en le rapprochant
de l’article 38 , on ne saurait douter de la volonté du
législateur.
Pourquoi, eu effet, s’il n ’a voulu dans le premier que
ce qu’il veut dans le second , pourquoi dire dans l’un :
le capital des sociétés anonymes s e d i v i s e en ac
tions ; et dans l’autre ; le capital des sociétés en com
mandite p o u r r a être aussi divisé en actions. La
différence de ces termes ne permet pas de leur donner
une même et unique acception ; et il est évident que la
division en actions facultative dans l’article 38, estobli-
�TITRE II, ART. 21.
9
gatoire dans l’article 34 , et l’esprit de la loi que nous
allons bientôt examiner confirme cette conclusion. Dans
la pensée du législateur la société anonyme était desti
née à de si grandes choses, qu'il ne la concevait qu’avec
la division en actions pouvant seule procurer les capi
taux suffisants.
331.
— Quelle est maintenant la nature des actions
que l’article 34 impose ? Il nous semble également hors
de doute qu’on ne saurait confondre ces actions-avec les
simples parts d’intérêts à l’aide desquelles les associés
auraient réparti entre eux le capital social, et qu’ils au
raient frappées d’incessibilité.
D’abord l’article exige que les actions ou coupons
d’actions soient d’une valeur égale , ce qui équivaut à
exclure implicitement les parts d’intérêt. Pour celles-ci,
en effet, l’égalité de valeur n’est ni pratiquée ni pos
sible. Au lieu d’être représentées par un chiffre, les parts
d’intérêt le sont par quotités variables, un tiers, un quart,
un sixième, un huitième, etc...........
Le Code voulait donc des actions, et il les voulait né
gociables, transmissibles. C’est ainsi que les articles 35
et 36 s’occupaient du mode de transmission qui s’opère
par la simple tradition du titre s’il est au porteur , ou
par un transfert sur les registres de la société.
332.
— Les inductions sur la nature des actions qui
se tirent du texte reçoivent la plus haute , la plus écla
tante confirmation de l’esprit de la loi.
�LOI DE
il. :
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Quelle que soit l’origine de la société anonyme, à quel
que époque qu’elle remonte , celte société n ’a été codi
fiée que par le Code de commerce. Il faut donc , pour
bien saisir l’idée qu’y attachait le législateur, se référer
aux discussions dans le sein du conseil d’Etat.
Or il n’est pas douteux que, dans celte discussion, la
société anonyme ait été considérée comme un moyen
d’accomplir les opérations exigeant les ressources les
plus vastes que ne pouvait fournir la commandite ellemême. « Les sociétés anonymes ou par actions , disait
» Régnault de S‘-Jean d’Angely, sont un moyen efficace
» de favoriser les grandes entreprises, d’appeler en Fran» ce les fonds étrangers, d’associer la médiocrité même,
» et presque la pauvreté aux avantages des grandes
» spéculations, d’ajouter au crédit public et à la masse
» circulant dans le commerce. »
Est-ce que tout cela sera jamais réalisé par des parts
d’intérêts dont le moindre défaut est de ne pouvoir être
commercialement négociées? Comment ces parts d’intérêt
solliciteront-elles les fonds étrangers ? Comment serontelles accessibles ù la médiocrité et presque à la pauvreté?
Enfin qu’ajouieront-elles au crédit public et à la masse
des valeurs circulant dans le commerce?
Il est évident que les auteurs du Code ont considéré
les actions comme un attribut nécessaire , essentiel des
sociétés anonymes, et c’est ce qui explique cette locution
de M. Régnault de S'-Jean d’Angely: les sociétés ano
nymes ou par actions ; qu’ils n’ont admis ces actions que
comme des titres s’adressant à tous , transmissibles par
�TITRE II, ART. 2 1 .
11
les voies commerciales, car c’est précisément à cause de
ce caractère qu’ils avaient subordonné ces sociétés ü l’au
torisation du Gouvernement.
En effet, dans la séance du conseil d’Etat du 15 jan
vier 1807, M. Treilhard demande pourquoi l’on exige
rait cette autorisation dans une affaire qui est toute d’in
térêt particulier, et fait observer que jamais elle n’a été
nécessaire pour former une société dè commerce.
M. Régnault de S‘-Jean d’Àngely répond que la so
ciété anonyme est très-utile lorsqu’il s’agit d’une grande
exploitation et d’une grande entreprise; qu’elle fait trou
ver des capitaux que l’on n’obtiendrait peut-être pas de
toute autre manière ; mais qu’il ne faut pas se dissimu
ler que, sans une surveillance exacte, ce mode de for
mer une compagnie peut donner lieu à beaucoup de
fraudes ; qu’il ne faut que se rappeler ce qui est arrivé,
à diverses époques, à de grandes associations qui ont eu
une influence plus ou moins grande, plus ou moins fu
neste sur le crédit public, et même sur les fortunes p ar
ticulières, pour sentir l’utilité de la règle qu’on propose'.
Il ne saurait donc y avoir ni hésitation ni doute. La
conclusion nécessaire, forcée qui s’induit de l’esprit de
la lo i, c’est que la division du capital en actions est la
condition sans laquelle il ne saurait exister de sociétés
anonymes proprement dites ; c’est que par actions on a
entendu des titres qui s’adressent à tous les intérêts , à
toutes les fortunes et qui, véritable monnaie commerI Locré, t. 17, page 191.
�12
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ciale, sont transmissibles soit de la main à la main, soit
par endossement.
5 3 3 . — Cette solution résout la question de savoir
si les statuts peuvent stipuler que les actions seront in
cessibles. Cette incessibilité, en effet, enlève aux actions
leur caractère essentiel, les transforme en parts d’intérêt
et méconnaît le -texte et l’esprit de la loi.
C’est cependant en faveur de l’incessibilité que se pro
nonçait M. Rouher, dans la séance du Corps législatif
du 4 juin 1867 :
« A mes yeux, disait-il, aucune stipulation de droit,
» de législation n ’interdirait de stipuler dans les statuts
» l’incessibilité des actions. En conséquence je maintiens
» que dans une société anonyme, à mes yeux du moins,
» car je reconnais que ces questions nous prennent à
» l’improviste, et que les travaux de jurisconsulte n’é» tant pas à l’état normal notre occupation de tous les
» jours, nous pouvons facilement commettre une erreur,
» je maintiens, dis-je, qu’on peut parfaitement stipuler,
» dans les statuts, que les actions seront nominatives et
» incessibles. »
Plus tard et dans la séance du 8 juin, M. Rouher re
venant sur la question et répondant à M. Emile Ollivier,
ajoutait: « J ’inclinerais d’autant plus à penser que les
» actions peuvent être déclarées incessibles, que vous ê» tes les auteurs d’une décision analogue , et que per* sonne n’a réclamé contre cette stipulation. Dans la
» deuxième partie du projet (le lo i, vous avez déclaré
�TITRE II,
»
»
»
»
»
ART.
21
.
13
que les actions des administrateurs seraient inaliénablés , nominatives et ne pourraient être détachées du
registre à souche sous aucun prétexte , et vous avez
bien fait, vous avez voulu que ces actions fussent un
dépôt1. »
3 3 4 . — Nous venons de prouver que M. Rouher
commettait une erreur, et que texte et esprit, tout dans
la législation, proscrivait l’incessibilité des actions, et
que c’est contre les abus que pouvait entraîner leur trans
missibilité qu’on soumettait la société anonyme à l’auto
risation du Gouvernement.
Quant à l’argument tiré de la disposition relative aux
actions des administrateurs, il n’avait évidemment rien
de sérieux. Le caractère exceptionnel de cette disposi
tion n ’a'pas besoin d’être démontré, pas plus que sa
rationnalité. Les fonctions que les administrateurs sont
appelés à exercer justifiaient l’exigence d’un cautionne
ment qui offrit une garantie d’une bonne gestion, et
c’est, à ce titre que les actions qu’ils ont dans la société
ne peuvent être détachées de la souche et restent inalié
nable et incessibles.
Mais le cautionnement cesse avec la fonction qui l’a
vait motivé. Le lendemain de sa démission ou de son
remplacement, l’administrateur rentre dans tous ses
droits d’associés, il reçoit ses actions et il devient libre
d’en disposer à ses plaisir et volonté. 11 n’y a donc au1 Moniteur. S et 9 juin 1867.
�14
LOI DK
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
cune assimilation possible entre cette incessibilité essen
tiellement temporaire, et celle qu’il s’agirait d’imprimer
à toutes les actions d’une manière absolue.
Celle-ci aboutirait à ce résultat que le personnel des
associés serait invariable et que chacun de ces associés
ayant souscrit une part plus ou moins forte du capital,
les actions ne seraient plus que des parts d’intérêts, et
que c’est avec ses propres fonds que la société travaille
rait. Or, le Code de 1807 autorise si peu ce résultat que
le prince archichancelier reconnaissait que dans ce cas
la société n’avait nul besoin d’être autorisée. Donc, si
l’on imposa l’auiorisalion c’est parce qu’on supposa que
la société formerait ses fonds par des actions mises sur
la place, et qu’en cet état on crut indispensable de veil
ler à l’intérêt général et d’empêcher que ces actions ne
fussent un piège tendu à la confiance publique.
La loi de 1867 n’a rien changé à cet étal des choses
ni modifié le caractère des actions tout en faisant dis
paraître la nécessité de l’autorisation. Il est vrai que la
question de savoir si ces actions pouvaient être déclarées
incessibles s’est présentée au Corps législatif, mais si elle
y a été agitée elle n’a pas été résolue. On a donc laissé
les choses sur le pied où elles avaient été jusque là.
Comme le Code, on a admis la division du capital en
actions, et on a si bien compris que ces actions seraient
des titres commerciaux essentiellement transmissibles ,
que l’article 2 de la loi fixe le moment où elles pour
ront être négociées ; que l’article 3 règle la responsabi
lité du cédant et du cessionnaire, que les articles 13 et
�TITRE II, ART.
21.
15
14 punissent l’émission, la négociation et la participa
tion à la négociation d’actions irrégulières, et que ces
dispositions relatives aux sociétés en commandite par
actions sont déclarés communes et applicables aux socié
tés annonymes par les articles 24 et 45.
D’ailleurs, est-ce que la loi elle-même n’est pas le té
moignage le plus explicite à l’appui de notre thèse. A
quelle inspiration est-elle due si ce n’est à la pensée de
protéger le public contre les abus et les scandales de la
spéculation dolosive? Quel but s’est-elle proposée sinon
d’assurer cette protection et de la rendre plus effective?
Si elle supprime l’autorisation, ne la remplacè-t-elle pas
par un système de minutieuses précautions de nature à
rendre cette suppression inoffensive?
Or, à quoi bon tout cela, et comment justifier l’inter
vention du législateur si ce n’est par le caractère des ac
tions et par les dangers que leur rapide circulation fait
courir aux fortunes particulières el au crédit public luimême ?
3 5 5 . — Au reste, en admettant qu’on pût, dans les
statuts, déclarer les actions incessibles, on peut facile
ment prévoir que l’usage de cette faculté ne sera qu’u
ne rare et très-rare exception. Cette incessibilité, en effet,
écarterait ceux qui ne souscrivent des actions que pour
les négocier, et par le temps de spéculations qui court,
c’est là l’histoire de tout le monde.
Si pourtant cette exception se réalisait, la société, ain
si organisée, serait-elle soumise aux prescriptions de la
loi nouvelle ?
�16
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Nous venons de le dire, les actions incessibles sont
des parts d ’intérêts. Leurs possesseurs qui constituent
le personnel de la société sont invariables. C’est avec
leurs propres fonds que celle-ci est exploitée, et dès lors
si, dans l’opinion de l’archichancelier Cambacérès, cette
circonstance dispensait de la nécessité de l’autorisation,
elle doit dispenser des formalités et des précautions édic
tées par la loi.
Les unes et les autres sont, sans doute, dans l’intérêt
des associés, mais leur objet, leur but principal est de
sauvegarder le public contre les déceptions et les pièges
auxquels il est exposé, elles sont destinées, en un mot,
à remplacer l’autorisation à laquelle elles ont été subs
tituées.
Dès que le public est à couvert, dès que l’incessibilité
des actions le garantit de toute atteinte, qu’a-t-on à se
préoccuper de lui, et pourquoi essayerait-on de le pro
téger là oh il ne court ni danger ni risque ?
Quant aux associés, on comprend que la loi inter
vienne lorsque les chances de la négociation sont dans le
cas de renouveler à chaque instant le personnel, lorsque
l’associé de la veille n ’étant plus l’associé du lendemain
qui à son tour est remplacé par un autre, chacun d’eux
doit demeurer fort indifférent à l’avenir de la société.
Mais lorsque les associés ne changent pas et ne peu
vent changer, lorsque ceux qui ont contracté demeurent
seuls intéressés à cet avenir, peut-on craindre une né
gligence, une indifférence qui aboutirait pour eux à un
préjudice plus ou moins considérable? Et si contre toute
�TITRE II, ART. 2 i .
17
vraisemblance on avait à leur reprocher l’une ou l’au
tre, pourquoi la loi les en récompenserait-elle en les
protégeant lorsque pouvant se protéger eux-mêmes ils
ont dédaigné de le faire.
Nous croyons donc qu’une société qui, se qualifiant
de société anonyme, se créerait sans diviser son capital
en actions, ou déclarerait ses actions incessibles, échap
perait à l’empire de la loi de 1867 , et serait affranchie
de toutes les conditions que celle loi impose.
3 3 6 . — Ce serait le moment d’indiquer les actions de
diverse nature que la société anonyme comporte et peut
émettre. Nous rappelons qu’elles se distinguent en ac
tions de capital, en actions industrielles, en actions de
jouissance, en actions de prime, en actions de fondation.
Quant au caractère de ces diverses actions et aux ef
fets qu’elles produisent, nous renvoyonsaux observations
que nous avons présenté à ce süjet dans notre com
mentaire du titre dés sociétés1. Nous ferons seulement
remarquer que pour toutes les actions qui sont la re
présentation d’un appel en nature ou d’avantages par
ticuliers, leur délivrance n’est régulière qu’après vérifi
cation de la valeur des apports ou des causes des avan
tages, et leur approbation dans la forme et les conditions
que nous avons exposées sous l’article 4.
3 3 7 . — L’article 35 du Code de commerce, prévo
yant le cas où les actions étaient dès la constitution de
�18
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
la société, sous la forme de titres au porteur, et autori
sant cette émission, réglait, le mode de transmission de
ces titres.
La faculté conférée par cet article n’existe plus. Au
jourd’hui, la forme au porteur est subordonnée aux
conditions édictées par l’article 3, applicable aux socié
tés anojiymes comme aux sociétés en commandite par
actions, on comprend dès lors que l’article 35 ne soit
pas au nombre de ceux auxquels notre article 21 fait
appel.
Mais dans ce nombre figure l’article 36 et c’était na
turel. Sa disposition, qui crée une troisième forme d’ac
tions n’a rien d’antipathique ou de contradictoire avec la
loi nouvelle qui se l’est au contraire appropriée.
Aujourd’hui donc, l’action peut encore ne consister
que dans une inscription sur les registres de la société.
A ce sujet, on nous permettra de faire observer com
bien cette faculté et les effets qu’y attache la loi, confir
ment notre doctrine sur la cessibilité des actions. Certes,
si le législateur avait admis la possibilité de leur refuser
ce caractère, c’était le cas ou jamais d’appliquer ou d’au
toriser ce refus. Bien loin de là, l’article 36 du Code
de commerce déclare que dans ce cas la transmission
s’opère par une déclaration de transfert sur les registres
de la société.
Ainsi, l’action est transmissible même lorsqu'elle n’est
pas constatée par un titre spécial. N’est-ce pas là la preuve
que cette transmissibilité est tellement de son essence ,
que sans elle elle n’existerait pas.
�TITRE II, ART.
21.
19
Inutile de faire observer qu’en s’appropriant cette dis
position du Code de commerce la loi de 1867 n’en a ni
altéré ni modifié le caractère.f Ainsi, la transcription sur
les registres de la déclaration de transfert est obligatoire
et forcée, nul ne serait recevable <i l’empêcher ou à y
faire obstacle. La seule condition exigée est qu’elle soit
signée par le vendeur ou par un fondé de pouvoir.
A rt. 2 2 .
Les sociétés ano n y m es so n t a d m in istrées p a r
u n ou p lu sie u rs m a n d ataires à tem p s , ré v o c a
bles, salariés o u g ra tu its, p ris p a rm i les associés.
Ces m a n d ataires p e u v e n t choisir p a rm i eux
u n d ire c te u r, o u , si les statu ts le p e rm e tte n t, se
s u b stitu e r un m a n d ataire é tra n g e r à la société
et d o n t ils so n t resp o n sab les envers elle.
''
I
A rt. 2 3 .
La société ne p e u t ê tre c o n stitu é e si le n o m
b re des associés est in fé rie u r à sept.
S « H M 1 1 II
338.
Mode d’administration qui convenait à la société anonyme.
Disposition de l’article 31 du Code de commerce.
339. Disposition de la loi nouvelle ; caractère de la limite qu’elle
pose au choix des associés.
340. Amendement inspiré à la commission du Corps législatif;
son adoption.
�20
341.
342.
343.
344.
345.
346.
347.
348.
349.
350.
351.
352.
353.
354.
355.
356.
357.
358.
359.
360.
361.
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Nature du mandat des administrateurs ; sa durée.
Peut-il être révoqué ad nutum ? Opinion de MM. Mathieu
et Bourguignat pour la négative.
Examen et réfutation.
Les administrateurs sont salariés ou gratuits. Utilité de la
disposition ; conséquences.
Origine du deuxième alinéa de l ’article 22 ; motifs qu’en
donnait la commission,
Etrange conséquence de la condition à laquelle il subor
donne la substitution d’un mandataire étranger.
Proposition de le repousser ; son rejet.
Nature de la responsabilité qu’il impose aux administra
teurs ; motifs ; leur caractère de sévérité au point de vue
de l’article 1994 du.Code Napoléon.
Suite.
Suite.
Confusion dans laquelle se jetaient les adversaires de la
responsabilité. Opinion de MM. Josseau et de Bussières.
Appréciation.
Réponse de MM. Marie et Baroche.
Impossibilité d’équivoquer sur le sens et la portée de l ’ar
ticle.
Résumé.
Quid si le mandataire substitué est membre de la société ?
Observations du rapporteur à ce sujet ; leur caractère.
Origine de l ’article 23 ; débat qu’il avait soulevé en 1863.
Modifications introduites en 1867 ; leur raison d’être.
Légitimité de l’interdiction de l ’anonymat à la société qui
compte moins de sept membres dès son origine.
Objection tirée de l'article 38 ; réponse.
3 5 8 . — La nature et le caractère des sociétés ano
nymes, indiquaient le mode d’administration dont elles
étaient susceptibles. Puisque sans communion aucune
�TITRE I I , A.RT.
22, 23.
-21
entre les personnes, elles ne créaient qu’une chose inté
ressant chaque souscripteur dans des proportions dé
terminées, le droit de gérer appartenait évidemment à
tous.
Mais l’exercice du droit dans une pareille limite était
radicalement impossible. On ne pouvait le concevoir et
l’admettre que par une délégation qui, émanant de tous
les intéressés , concentrait l’autorité entre les mains
d’une ou de plusieurs personnes déterminées.
L’article 31 du Code de commerce avait donc accepté
cette nécessité, et poussant le respect du droit d’élire
jusqu’à ses dernières conséquences, il permettait que les
mandataires à temps , révocables , salariés ou gratuits
qu’il appelait à administrer la société, fussent choisis en
dehors des associés.
3 5 9 . — La loi de 1867 ne pouvait sur le principe
raisonner et penser autrement que le Code de commerce.
A son exemple donc elle décide que la société anonyme
sera administrée par des mandataires à temps, révoca
bles, salariés ou gratuits ; mais moins libérale que lui
elle circonscrit le choix et le limite entre les associés.
Cette modification est fâcheuse, les souscripteurs d’ac
tions, surtout dans les sociétés industrielles, ne connais
sent souvent pas le premier mot du caractère de l’objet
de la société et des soins qu’il exige. Les désigner exclu
sivement au choix de l’assemblée générale, c’est donc
exposer la société à perdre les avantages que lui eussent
assurés la capacité spéciale, l’habileté, l’intelligence de
tiers étrangers.
�32
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Le motif donné à cette restriction n’avait , à notre
avis, rien de concluant. Sans doute, on a pu croire que
l’associé, administrant dans son propre intérêt, déploie
rait plus de zèle dans l’accomplissement de sa mission,
mais le zèle ne saurait supléer à l’habileté, à l’intelli
gence, à la capacité spéciale.
D’ailleurs, ce ne sera pas gratuitement qu’un indivi
du étranger à la société acceptera le fardeau plus ou
moins lourd de son administration , lui vouera son
temps et ses soins. Or, le désir de ne pas perdre un
traitement peut-être important, et la crainte de la tâche
morale qui résulterait d’une révocation, ne sont-ils pas
des garanties de dévouement et de zèle? Ne donnentils pas l'assurance qu’on n’oubliera rien de ce qui doit
faire maintenir celui-ci et éviter celui-là ?
5-iO. — La commission du Corps législatif, frappée
des inconvénients qui résulteraient de cette restriction
dans le choix, et ne pouvant y remédier directement,
voulut y arriver d’une manière indirecte. Elle proposa
en conséquence et fit adopter par le conseil d’Etat le pa
ragraphe deux de l’article 22, aux termes duquel les
membres du conseil d’administration peuvent choisir
parmi eux un directeur et, si les statuts le permettent,
se substituer un mandataire étranger à la société et
dont ils sont responsables envers elle. Mais ce que la
commission n’a pas vu, c’est le caractère étrange, en
droit, de cette disposition ; les associés de peuvent in
vestir un tiers étranger de la qualité d’administrateur,
�TITRE I I , ART.
22, 23.
23
mais ils peuvent autoriser à le faire les hommes de leur
choix, c’est-à-dire que le mandant commet à son man
dataire un acte qu’il lui est interdit de faire personnelment. Il eût été plus simple de s’en tenir purement et
simplement à l’article 31 du Code de commerce.
341 . — Quoiqu’il en soit, les administrateurs ne sont
plus désormais des simples mandataires ordinaires puis
qu’ils sont appelés à gérer leur propre chose, mais quel
que considérable que puisse être leur intérêt, il ne sau
rait être mis en parallèle avec celui de la masse, et dès
lors c’est en considération de celui-ci qu’on devait dé
terminer le caractère du mandat et ses conséquences.
L’article 23 déclare ce mandat temporaire, révocable,
salarié ou gratuit. Les articles 42 et suivant détermi
nent la responsabilité qui peut en naître.
Aux termes de l’article 25, les administrateurs ne
peuvent être nommés que pour six ans ; que pour trois
ans s’ils sont désignés par les statuts avec stipulation
formelle que leur nomination ne sera pas soumise à
l’approbation de l’assemblée générale.
Mais ainsi que nous le verrons cette période de trois
ans ne concerne que la désignation faite au moment de
la constitution de la société. Après trois années écoulées
depuis cette constitution, le conseil élu par l’assemblée
générale, soit qu’il ait été renouvelé, soit qu’il ait été
maintenu, conserve ses pouvoirs pour une nouvelle pé
riode de six ans, comme celui qui est originairement
choisi et institué par l’assemblée générale.
�24
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Puis à chaque période il est procédé à une réélection.
L’assemblée générale peut maintenir son mandat précé
dent en confirmant les anciens administrateurs dans leurs
fonctions, mais ce n’est là qu’une faculté dont elle peut
à son gré user ou non.
5 4 2 . — Toutefois , en commerce, une période de
six ans ne pouvait être concédée sans exposer la société
à de graves dangers. C’est surtout en cette matière que
le temps est précieux, et une révocation différée de
vingt-quatre heures pouvait entraîner un préjudice ir
réparable. Le législateur était donc tenu d’y pourvoir,
et il y a pourvu, lorsqu’après avoir déclaré les admi
nistrateurs nommés à temps, il les déclare révocables.
Quel est le sens attaché à ce terme ? Faut-il en con
clure que les actionnaires peuvent à toute époque et ad
nutum révoquer les administrateurs?
11 nous semble que l’affirmative s’induit de l’insertion
dans l’article du mot révocable, quelle nécessité y avaitil de l’employer s’il devait avoir une autre significa
tion ? Est-ce que , s’agissant d’un m andat, quelqu’un
pouvait raisonnablement mettre en doute sa révocabilité?
Donc, si le législaleur a cru devoir formellement s’en
expliquer, ce ne peut être que pour faire entendre qu’il
autorisait la révocation ad nutum sans qu’on ait à la
justifier ni même à en donner les motifs, c’est aussi l’a
vis de M. Va vasseur
' Commentaire de la loi de 1867, n° 334 ; conf. Rivière, n os 186 et
�TITRE II, ART.
22, 23.
25
Mais MM. Mathieu et Bourguignat sont d’un avis con
traire. « Le mandat dont sont investis les administra
teurs des sociétés anonymes, disent-ils, n’esl pas un
mandat absolument ordinaire ; s’ils le tiennent des as
sociés, les devoirs en sont, en partie, déterminées par la
loi ; il en est de ce mandat comme de celui conféré, dans
les sociétés en commandite par actions, aux. membres
du conseil de surveillance ; il est surtout révocable en ce
sens, qu’il n’est pas indéfini ; mais il n’est pas révoca
ble ad nutum au gré et selon les caprices des associés ;
il ne saurait être enlevé aux administrateurs sans cause
légitime, c’est-à-dire sans que ceux-ci aient manqué
aux devoirs qui leur sont imposés par la loi ou par les
statuts ; et dans ce cas même, s’ils résistent à la révoca
tion prononcée par l’assemblée générale, il n’appartient
qu’aux tribunaux de les priver de leur m andatl.
3 4 5 . — Cette dernière proposition méconnaît telle
ment la nature du mandat , qu’elle en est évidemment
inacceptable. S’il est un acte qui soit de son essence vo
lontaire et personnel, c’est incontestablement le mandat.
Or comment admettre que le juge puisse l’imposer dans
aucun cas, malgré la résistance et contre.le gré de l’in
téressé ?
En supposant que le mandataire puisse se plaindre de
sa révocation et en appeler aux tribunaux , tout ce que
ceux-ci pourraient faire s’ils trouvaient celte révocation
1 N» 172.
�26
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
injuste et imméritée, serait de lui allouer la réparation
du préjudice matériel et moral qu’il en éprouverait.
Mais lui conserver la qualité de mandataire, et annuler
de leur autorité la révocation signifiée par le mandant,
serait un excès de pouvoir tel, qu’il n’est pas en France
un juge qui voulût se le permettre.
Mais on ne saurait même admettre que, excepté dans
des circonstances tout exceptionnelles, la révocation du
mandat puisse fonder de la part du mandataire une de
mande en dommages-intérêts ? L’exercice d’un droit ne
saurait jamais entraîner une telle conséquence. Or quel
droit a -t-il été plus expressément reconnu que celui de
révoquer le mandat ? Ne lit-on pas dans l’article 2004
du Code Napoléon : Le mandant 'peut révoquer sa pro
curation quand bon lui semble.
Il faudrait donc, pour que l’opinion de MM. Mathieu
et Bourguignat pût être admise, qu’il fût établi que no
tre article 22 a dérogé à ce principe. Fera-t-on résul
ter cette dérogation de ce qu’il a expressément déclaré le
mandat des administrateurs révocable? Sans doute il
aurait pu s’en référer purement au droit commun; mais
il a craint avec raison que la nature de ce mandat et sa
spécialité ne fissent méconnaître et contester l’applica
bilité de ce droit ; et c’est pour éviter toute possibilité de
controverse à ce sujet qu’il déclare le mandat des ad
ministrateurs révocable, sans condition aucune et de la
manière la plus absolue.
Loin donc de déroger à l’article 2004 du Code Na
poléon, notre article 22 le confirme, condamnant ainsi
�TITRE II, ART.
22, 23.
27
la doctrine de MM. Mathieu et Bourguignat, q u i , du
reste, la condamnent eux-mêmes. Voici en effet l’inter
prétation qu’ils font du mot révocable, inscrit dans l’ar
ticle.
« Les administrateurs sont, dit la loi, toujours révo» cables ; et, à ce point de vue, il n’y a pas de distinc» tion à faire entre ceux qui sont nommés par les ac» tionnaires et ceux qui auront été désignés par les sla» tuts, ainsi que l’article 25 le permet pour les mem» bres du premier conseil d’administration. Dans ce cas
» spécial comme dans l’autre , ils ont uniquement la
» qualité de mandataires des associés ; or aux termes de
» l’article 2004 du Code Napoléon il est toujours permis
» de révoquer un mandataire. »
Comprend - on qu’immédiatement après ces lignes
MM. Mathieu et Bourguignat aient pu émettre la doctrine
que nous combattons et déférer aux tribunaux seuls le
droit de retirer leur mandat aux administrateurs? N’estce pas là se jeter dans la plus flagrante contradiction ?
De quelque nature qu’on le suppose , le mandat des
administrateurs n’en est pas moins un mandat.Comme
tous les mandats, celui-ci peut être retiré par celui qui
l’a donné , à moins que le contraire n’eût été consacré
par une disposition de loi expresse. En l’absence de cette
disposition , la révocation du mandat reste souveraine
ment régie par l’article 2004 du Code Napoléon.
3 4 4 . — Les administrateurs sont salariés où gra
tuits. On a accusé cette disposition d’être inutile, car tout
�28
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
IV
mandataire est de droit commun salarié ou gratuit. Mais
l’opportunité de l’inscrire dans la loi spéciale résultait
de ce que le mandat ne pouvait être donné qu’à un as
socié. On aurait pu prétendre qu’un associé devant con
tribuer autant qu’il était en lui au succès de.la société,
celui qui l’administrait ne faisait que remplir un devoir
pour lequel il ne lui était dû aucune rémunération.
Dans la. pratique, les administrateurs sont salariés, et
c’est justice. Leurs fonctions en effet sont loin d’être une
sinécure. Elles exigent une attention soutenue, des soins
incessants , et prennent un temps que l’administrateur
consacrerait à ses affaires et qu’il doit exclusivement
donner à celles de la société. Or où trouverait - on des
administrateurs, si en échange de leur temps et de leur
industrie ils ne recevaient et ne pouvaient recevoir aucun
traitement ?
Ils peuvent donc être salariés, et cette qualité influera
sur le caractère de la responsabilité que leur gestion leur
impose. Nous allons bientôt voir l’article 45 déclarer que
cette responsabilité est régie par le droit commun. Or,
aux termes de l’article 1992 du Code Napoléon, le man
dataire salarié est plus rigoureusement traité que le
mandataire gratuit.
545.
— Le deuxième paragraphe de l’article 22
n’existait pas dans le projet présenté par le Gouverne
ment. Nous venons de dire qu’il y avait été introduit
par la commission du Corps législatif comme correctif
de la disposition prohibant de choisir les administra
teurs en dehors des associés.
�TITRE II, ART.
22, 23.
29
« Sans doute, disait le rapporteur, lorsqu’il s’agit de
nommer un administrateur pour une société anonyme,
l’on doit attendre un dévouement plus actif et plus de
prudence de la part d’un intéressé ; mais aussi en limi
tant le cercle dans lequel la société peut choisir, on court
le risque de se priver du concours d’une personne étran
gère dont les lumières et les aptitudes spéciales peuvent
être l’instrument de sa fortune. »
5 4 6 . — Il convenait donc de trouver un terme moyen
qui pût concilier toutes les exigences. C’est à ce titre que
la commission proposait et fit admettre l’autorisation
pour les administrateurs de se substituer un mandataire
étranger à la société , mais au cas seulement où une
clause expresse des statuts le permettrait.
Personne, au Corps législatif, ne releva la singularité
de la condition et du résultat auquel la disposition ve
nait aboutir. Dès qu'il était interdit aux associés de pren
dre leurs mandataires ailleurs que dans les rangs des as
sociés , comment concevoir qu’ils pussent autoriser ces
mandataires à se substituer un étranger ? N’élait-ce pas
là déroger indirectement à la prohibition ? admettre que
le mandant pût déléguer à autrui la faculté de faire ce
qu’il n’avait pas lui-même le droit de faire ?
5 4 7 . — A part cette étrange anomalie , la disposi
tion pouvait offrir quelque utilité. Elle rencontra cepen
dant quelque opposition. M. Delebecque notamment pro
posait au Corps législatif de là repousser.
�30
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
« Les administrateurs des compagnies, disait-il, sont
nommés par les actionnaires en assemblée générale. Estil possible que ces administrateurs nommés en assem
blée générale se démettent pour ainsi dire de leurs fonc
tions, les abdiquent de leur propre autorité , et en con
fèrent l’exercice à un individu étranger à la compagnie?
Evidemment ils abuseraient de la confiance dont les ac
tionnaires les ont investis. Les administrateurs ne peu
vent pas transférer leurs droits. S’ils nomment un direc
teur, ce n’est pas une substitution qu’ils font, c’est une
adjonction. Il n’y a pas lieu d’introduire dans la loi
*
quelque chose qui pourrait amener un fait très-regret
table, qui porterait le désordre dans les compagnies. Si
les administrateurs sont responsables dans la limite des
statuts , ils ne peuvent se dessaisir de leur pouvoir en
faveur de qui bon leur semble; ils ne peuvent pas se
faire substituer; ils ne peuvent pas disparaître à vo
lonté. »
Le Gouvernement par l’organe de M. Vuitry, minis
tre présidant le conseil d’Etat, répondait : « Oui, lors
que les statuts sont muets ou lorsqu’ils interdisent, il va
de soi que les administrateurs ne peuvent pas renoncer
au mandat qu’ils ont reçu, et se substituer un étranger
pour l’administration de la société. Mais la chambre re
marquera que le paragraphe ne s’applique qu’au cas
où les statuts le permettent.
» La question serait donc de savoir s’il faut interdire
par la loi à une société qui se constitue, la possibilité de
donner par ses statuts la faculté aux membres du con-
�TITRE II, ART.
22, 23.
31
seil d’administration de se substituer un mandataire étranger. Or je ne vois pas qu’il soit possible d’aller jus
que là »
548.
— D’ailleurs en laissant de côté le point de vue
que nous avons signalé, celui d’un mandant commettant
au mandataire de faire ce qu’il n’a pas lui - même le
droit de faire, il faut convenir que le conseil d’adminis
tration demeurant responsable de celui qu’il s’est subs
titué, les associés étaient suffisamment désintéressés dans
la question de substitution. Mais cette responsabilité de
vint la matière d’une longue controverse, d’une discus
sion animée au sein du Corps législatif.
La substitution d’un mandataire étranger n’est possi
ble que si les statuts l’autorisent formellement. Mais l’ar
ticle 22 fait peser sur les substituants une responsabilité
absolue et sans condition. Il déroge donc à l’article 1994
du Code Napoléon, ainsi qu’on l’a formellement déclaré
soit au nom du Gouvernement, soit au nom de la com
mission.
Nous comprenons fort bien avec le rapporteur de
celle-ci, que « la morale et la justice ne comportent pas
que des hommes eussent le titre d’administrateurs d’une
société , qu’ils en eussent les bénéfices matériels et ho
norifiques, et qu’après s’être déchargés de la partie la
plus considérable des devoirs qui leur incombent sur un
m andataire, ils puissent dire , si le mandataire est en
1 Moniteur, 5 juin <1867.
�32
LOI DS
1867 SUR LÈS SOCIÉTÉS
faute, nous n’en répondons pas; adressez-vous, non aux
mandataires directs de la société, mais à l’homme qu’ils
se sont substitués. »
Oui , accueillir une pareille prétention serait inique,
mais seulement dans le cas où le mandataire non auto
risé à le faire a pris sur lui de se substituer un tiers
quelconque dans l’exécution du mandat.
Alors en effet le substituant n’a suivi que ses propres
inspirations, n’a consulté que ses convenances ; il a dis
posé d’une confiance <qui lui était toute personnelle, et
s’est attribué un droit que son mandant lui aurait refusé
peut-être s’il eût été consulté. Dès lors et par rapport à
ce mandant, la subslitution doit être considérée comme
n’existant p a s , et le substituant répond naturellement
d’une gestion qui lui est présumée personnelle. C’est
d’ailleurs ce que consacre expressément le numéro 1 de
l’article 1994 du Code Napoléon.
Mais il ne saurait en être de même lorsque prévoyant
la nécessité d’une substitution, le mandataire en a pré
venu le m andant, et a obtenu de lui l’autorisation d’y
procéder le cas échéant, on objecterait vainement que le
mandataire n ’av ait, après to u t, qu’une faculté dont il
pouvait s’abstenir et qu’il n’a pu exercer qu’à ses risques
*
et périls; en donnant son autorisation , le mandant a
d’avance consenti à cet exercice , il se l’est en quelque
sorte approprié : quis mandat ipse fecisse videlur.
349.
— Supposez qu’en autorisant la substitution
le mandant eût désigné la personne qui devait en être
�TITRE II, ART.
22, 23.
33
l’objet, est-ce que quelqu’un songerait à rendre le subs
tituant responsable de cette personne? Eh bien 1 est-ce
que le défaut de désignation peut effacer les conséquen
ces de l’autorisation ? Le mandant en a-t-il moins con*
senti la substitution ?
Seulement il s’en est rapporté au mandataire pour le
choix de la personne. Dès lors celui-ci ne peut répon
dre que de l’imprudence, que de la légèreté qui lui se
rait reprochable. Voilà pourquoi , et fort justement, le
numéro 2 de l’article 1994 ne le déclare responsable que
si la personne qu’il a choisie était notoirement incapa
ble ou insolvable. Si de notoriété publique le substitué
était capable et solvable au moment de la substitution,
le substituant s’est comporté en bon père de famille, n’a
commis aucune faute, et le punir dans une limite quel
conque serait un excès de sévérité que, d’accord avec la
loi, la raison repousse et condamne.
350.
— Or, dans l’hypothèse de l’article 22, les ad
ministrateurs ne pouvant se substituer un mandataire
que si les statuts le permettent, se trouveront nécessaire
ment dans le cas prévu par le numéro 2 de l’article 1994
du Code Napoléon , c’est-à-dire que leurs co-associés
leur auront conféré le pouvoir de se substituer sans dé
signation d’une personne. Donc, en réalisant la substi
tution ils ont usé d’une faculté, exercé un droit. Or ex
ercer un droit, user d’une faculté, ne saurait constituer
une faute engageant la responsabilité. Il ne peut y avoir
faute que dans le mode suivi pour cet exercice; et si,
;
'yV■:?x!
’
•,
'
"
'
,
• ■
il. — 3
.....
�79S0S*1
34
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
sous ce rapport, on n’a à relever et à reprocher ni lé
gèreté ni imprudence, où serait le motif qui légitimerait
une pénalité quelconque ?
En d’autres termes , si, autorisés par les statuts , les
administrateurs se sont substitués un mandataire étran
ger , on ne pouvait, on ne devait les déclarer respon
sables de ce mandataire que dans les termes de l’ar
ticle 19 9 4 du Code Napoléon , c’est-à-dire que s’ils a vaient fait choix d’une personne notoirement incapable
ou insolvable.
351.
— C’était surtout sur ce point de vue que de
vaient insister les membres du Corps législatif qui com
battaient la responsabilité que l’article impose aux ad
ministrateurs. Pas un d’eux cependant ne se plaça sur
ce terrain , le seul rationnel, le seul équitable. Tous se
jetèrent dans une confusion que ni le texte ni l’esprit de
la loi n’autorisaient, qui amena et devait amener le rejet
de leur proposition , et empira ainsi le sort des admi
nistrateurs qu’ils voulaient par trop adoucir.
« Veut-on dire, objectait M. Josseau, que les mem
bres du conseil d’administration , par cela seul qu’ils
auront choisi nn mandataire qui , dans la suite de sa
gestion en dehors d’eux, et alors qu’il leur est impossi
ble de surveiller à tout instant sa gestion, aura commis
des fautes préjudiciables à la société; que les membres
du conseil qui l’auraient chargé de certains pouvoirs, se
ront responsables de ses fautes par lui commises, à eux
étrangères, et qu’ils en supporteront toutes les conséquen-
�TITRE II, ART.
22, 23.
35
ces alors qu’ils ne se seront en rien écartés des règles
ordinaires de la prudence? C’est créer une responsabilité
excessive, injuste, et qui aura pour effet inévitable d’é
loigner des conseils d’administration une foule d’hommes
honorables, sérieux, capables, et dont le concours serait
le plus à rechercher ; c’est priver les sociétés anonymes
des auxiliaires souvent les plus dignes, détournés qu’ils
seront par la crainte de responsabilités éventuelles et in
définies '. »
M.’ de Bussières de son côté rappelle qu’il existe en
France une foule de sociétés anonymes purement indus
trielles qui sont parfaitement administrées par des con
seils d’administration , mais dirigées par des hommes
techniques, par des hommes spéciaux.
« Comment voudriez-vous, continue-t-il, qu’un éta
blissement métallurgique, par exemple, fût dirigé par un
conseil d’administration? Ce serait impossible aussi bien
que ce le serait dans un établissement d’industrie coton
nière, que dans une fabrique de glaces, que dans toute
industrie où il y a un directeur, un homme technique,
un homme spécial. C’est lui seul qui dirige, qui doit di
riger les opérations industrielles de l’établissement. Ce
directeur est ordinairement nommé d’après les disposi
tions des statuts par l’assemblée générale, ou bien si l’as
semblée générale a délégué ses pouvoirs au conseil d’ad
ministration, par ce conseil.
» Le conseil d’administration administre mais ne di* Moniteur, b juin 1867
�36
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
rige pas les travaux. Pour cela il choisit un homme spé
cial. Quant à lui conseil, il administre les biens de la
compagnie.
» La partie industrielle d’un établissement anonyme
est dirigée par un mandataire qu’on appelle directeur.
Ce mandataire peut être actionnaire s’il a acheté des ac
tions ; mais il peut aussi ne l’être pas. C’est un agent
salarié qui est tout-à-fait dans la catégorie de ceux que
vous indiquez dans le second alinéa dans lequel je lis ce
qui suit : ces mandataires peuvent choisir parmi eux
un directeur, ou, si les statuts le permettent, un man
dataire étranger à la société. Cela est très-bien. Mais
voici la partie de l’alinéa contre laquelle je réclame : et
dont ils sont responsables.
» Comment voulez-vous que des administrateurs col
lègues des autres actionnaires prennent sur eux la res
ponsabilité du directeur qui agit dans l’intérêt de la so
ciété ? J’ai une grande expérience de ces sortes d’affai
res. Je pourrais citer des sociétés excessivement honora
bles existant depuis trente ans en France, société? ano
nymes qui sont administrées par des directeurs sous la
surveillance de conseils d’administration. Mais ces con
seils d’administration ne sauraient être responsables. On
ne trouverait plus de conseillers1. »
352.
— Toutes ces considérations étaient fort justes;
mais elles avaient un tort, celui de supposer que l’arii—
i Moniteur, 5 juin 4 867.
�TITRE II, ART.
22, 23.
37
cle les méconnaissait et refusait d’en tenir compte. Il élait évident que, dès que de l’aveu même des opposants,
l’homme technique, l’homme spécial n’était qu’un agent
salarié , il n’avait rien de commun avec le mandataire
que le conseil d’administration pouvait se substituer, et
dont il était déclaré responsable.
Le législateur entendait si peu les confondre , qu’il
n’employait plus le terme de directeur dont il se servait
pour désigner celui d’entre eux à qui les administra
teurs déléguaient l’administration. Il qualifiait de man
dataire l’étranger que ces administrateurs se substitue
raient dans l’administration. Il n’y avait donc pas à équivoquer. Pris dans son acception usuelle, le mot man
dataire signifiait non le préposé à la direction des tra
vaux, non le délégué à telle ou telle partie.de l’exploita
tion , mais l’homme que le mandant mettait à son lieu
et place, auquel il transmettait tous ses pouvoirs, et qui
avait dès lors qualité et droit de faire tout ce qu’il aurait
fait lui-même.
N’était-il pas dès lors naturel que les administrateurs
répondissent de la gestion de celui qu’ils avaient chargé
d’administrer pour e u x , et qui les avait en effet substi
tués en tout et partout ? Or c’est là ce que l’article con
sacrait exclusivement, et c’est en le rappelant qu’on ré
pondait aux reproches dirigés contre sa disposition et
qu’on les repoussait.
353.
— « On a compris, disait M. Marie, que l’in
tervention d’un mandataire étranger pouvait être utile
�38
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
à la société et alors on admet que les statuts pourront
autoriser la substitution de ce mandataire étranger. Mais
en admettant la substitution, il est évident que les vrais
mandataires de l’assemblée générale sont toujours les
administrateurs nommés par elle , et la confiance que
l’assemblée générale a donnée,i elle l’a donnée à ces ad
ministrateurs. Qu’ils puissent nommer un mandataire
étranger, soit ; mais qu’ils restent responsables, qu’ils
administrent par eux-mêmes, c’est le mieux. Mais ils
ne pourront se dégager d’une responsabilité qui se rat
tache aux pouvoirs qui leur ont été donnés par l’assem
blée générale. Je ne peux comprendre que des adminis
trateurs délaissent leurs fonctions, et qu’en se dégageant
de ces fonctions ils prétendent s’affranchir de toute res
ponsabilité1 »
Le ministre de la justice, M. Baroche, signalé la con
fusion dans laquelle se jettent les adversaires de l’article,
et s’étonne qu’elle ait pu durer si longtemps malgré les
explications données sur la sens et. la portée de la loi.
Puis précisant lui-même ce sens et cette portée, il ajoute :
« L’article dit : si les administrateurs veulent délé
guer leurs droits d’administrateurs. — Entendez-vous ?
Non leurs droits de directeurs de l’exploitation, mais
leurs droits d’administrateurs. — S’ils veulent le délé
guer à un tiers même étranger à la société, le contrat
pourra le permettre.
« il le permettra ou il ne le permettra pas. S’il ne le
1 Moniteur, 5 juin 1867.
�TITRE II, ART.
22, 23.
39
permet pas, il n’y a pas de question ; s’il le permet, ils
peuvent déléguer leurs droits d’administrateurs à qui
bon leur semblera, mais sous leur propre responsabilité.
La personne qu’ils auront choisie sera administrateur en
leur lieu et place. Ils devaient administrer, ils ont le
pouvoir de faire administrer par un autre, mais de mê
me qu’ils sont responsables de leur gestion personnelle,
ainsi ils le sont également de celle de leur remplaçant.
Cela me parait tout simple, tout naturel et à l’abri de
toute contradiction1 »
354.
— En principe M. Baroche avait incontesta
blement raison. Il était impossible de confondre la subs
titution dont il est question dans notre article, avec l’ins
titution d’un directeur de travaux, d’un homme techni
que, d’un homme spécial qu’il est dans les nécessités
des établissements industriels d’avoir à leur tête. La
mission de celui-ci se borne à ordonner, à diriger, à
surveiller les travaux à l’exécution desquels il est pré
posé; en dehors de ces travaux, il n’a ni droit ni qualité
pour s’immiscer dans les affaires de la société, à plus
forte raison pour contracter en son nom. Sans doute et
à raison des travaux il est mandataire de la société, mais
dans la pratique on ne lui a jamais donné cette quali
fication, on n’a vu en lui qu’un commis, qu’un agent,
qu’un contre-maître dont le conseil d’administration ne
saurait répondre pas plus que du caissier , pas plus
que des autres employés plus ou moins supérieurs.
Ibidem.
�40
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
La preuve que l’article ne le désignait pas n’entendait
pas le désigner, c’est la condition à laquelle il subor
donnait le choix du mandataire étranger à la société.
Est-ce que quelqu’un n’a jamais dénié au conseil d’ad
ministration le droit d’instituer le directeur des travaux,
l’homme spécial, technique qu’exige l’établissement ?
Est-ce qu’il a besoin d’être autorisé par les statuts pour '
être capable de le choisir ?
Donc, puisque notre article subordonne la substitution
du mandataire à la condition que les statuts l’auront
permise, c’est que ce mandataire était non un directeur
des travaux, mais un administrateur gérant la société
au lieu et place des substituants , ayant la signature so
ciale, traitant au nom de la société, et l’engageant en
vers les tiëi-s.
355.
— Les emprunts que nous venons de faire aux
débats du Corps législatif n’étaient pas inutiles, ils déter
minent avec netteté le véritable sens et la portée réelle
du dernier paragraphe de l’article 22.
Les administrateurs, quel que soit leur nombre, peu
vent toujours déléguer l’un d’entre eux à la direction de
la société. Cette délégation a le grand avantage d’impri
mer à l’administration une direction unique qui la rend
beaucoup plus facile, beaucoup plus profitable. Cette di
rection peut être confiée successivement et pour un temps
déterminé à chacun des membres du conseil d’adminis
tration. Nous verrons, sous l’article 45 , que la gestion
du directeur engage la responsabilité de tous les autres
�TITRE II,
ART.
22, 23.
41
membres intéressés dès lors à la surveiller et à se faire
rendre compte dans les réunions du conseil qui peuvent
être hebdomadaires, mensuelles ou trimestrielles.
De plus, les administrateurs peuvent, mais seulement
si les statuts le leur permettent, se substituer un manda
taire étranger, qui gérera et administrera en leur lieu et
place les affaires de la société et sera le maître de l’en
semble des opérations.
Mais ils demeurent responsables de ce mandataire
d’une manière absolue, car celui-ci n’a fait que ce qu’ils
auraient dû faire eux-mêmes, et si celui sur qui ils se
sont reposés de ce devoir n’a pas été à la hauteur de sa
mission, ils ont le tort d’avoir mal placé leur confiance,
ils doivent donc réparer le préjudice qu’ils ont ainsi
causé.
Ainsi que nous l’avons d i t , il eût été peut-être plus
juste de les placer sous l’empire de la règle édictée par
le numéro deux de l’article 1994 du Code Napoléon ,
aucune raison sérieuse ne justifiait le contraire.
Mais ce serait l’irresponsabilité absolue , objectait le
rapporteur, lorsque le choix n’aurait pas porté sur une
personne notoirement incapable ou insolvable; c’est
possible. Mais ce résultat offrait-il un caractère tel
qu’on dût nécessairement le repousser ?
On ne peut se plaindre d’un fait qu’on a pu empê
cher. Si la société craint que la substitution d’un man
dataire étranger fasse disparaître toute responsabilité,
elle n’a qu’à s’abstenir de l’autoriser dans les statuts, si
au contraire elle la permet, elle a sciemment et volon-
�42
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
tairement couru la chance dont elle se plaint fort mal à
propos, car elle est son œuvre comme celle des adminis
trateurs, et qu’il n’y a aucune raison d’en punir ceuxci plutôt qu’elle-même.
a*#1
3 5 6 . — Si le mandataire substitué est membre de
la société, le conseil d’administration en est-il responsa
ble comme de celui qui est étranger à la société ?
L’affirmative, à notre avis, ne saurait être douteuse.
Le principe de la responsabilité réside dans ce fait : que
le conseil d’administration a commis à un tiers ce qu’il
devait faire lui-même. Or, que ce tiers appartienne ou
n’appartienne pas à la société, le fait engendrant la res
ponsabilité, se serait-il moins réalisé, sera-t-il moins
acquis ?
Que si esclaves du texte de l’article on soutenait que
le conseil d’administration ne peut se substituer un as
socié , notre conclusion acquerrait une plus décisive au
torité, car il s’en suivrait que le conseil a substitué son
mandat sans y être autorisé, et sa responsabilité entière,
absolue s’induirait du droit commun lui-même.
3 5 7 . — A ce sujet, le rapporteur de la loi faisait une
distinction qui ne nous parait pas admissible. M. Lanjuinais demandait précisément si le conseil d’adminis
tration répondait du substitué si celui-ci était associé.
Le rapporteur rappelle d’abord la disposition de la loi
qui détermine la proportion d’actions représentant le ca
pital social qui sera affecté d’une façon intégrale à la
�TITRE II, ART.
22, 23.
43
garantie de la gestion. Il continue ensuite : « Ou le di
recteur (lisez mandataire) dont nous nous occupons,
aura en sa possession le nombre d’actions déterminé
par les statuts, ou il ne l’aura pas. S’il ne l’a pas, il
sera étranger à la société ; s’il le possède, au contraire,
il sera dans les conditions des administrateurs, dans les
conditions statutaires, et alors, choisi par ses collègues,
associé lui-même, il n’échappera à aucune responsabi
lité, il sera enveloppé à titre de membre du conseil d’ad
ministration dans la responsabilité collective que les sta
tuts et la loi auront déterminé1 »
Le mandataire que le conseil d’administration se
substitue, administre bien la société, mais il n’est pas
membre de ce conseil, il agit en vertu de la délégation
qu’il a reçue, et le conseil capable de consentir cette dé
légation, n’avait ni droit ni qualité pour se l’adjoindre,
les fonctions de membres du conseil ne pouvant être dé
férées que par l’assemblée générale.
Donc, quel que soit le nombre des actions qu’il pos
sède, il n’est et n’a jamais été l’homme de la société. Il
est possible qu’il fût dans les conditions d’être élu au
conseil, mais il ne l’a pas été, et dès lors il n’est de rien
tenu envers celte société.
Celle-ci ne serait ni recevable ni fondée à exiger de
lui qu’il laissât en dépôt les actions qu’il possède et que
ces actions demeurassent inaliénables pendant la durée
de sa gestion. Ceux-là seuls pourraienl élever cette pré■ Moniteur, 5 juin 1867,
�4
44
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
tention,qui l’ont investi de cette gestion en se le substi
tuant comme mandataire, et ce dépôt, s’ils l’obtenaient,
ne serait qu’une garantie du recours qu’ils auraient à
exercer contre lui dans le cas où sa gestion aurait en
gagé leur responsabilité. Sans doute, la société pourrait
se faire attribuer le bénéfice de ce dépôt, mais par l’ac
tion oblique de l’article 1166 du Code Napoléon et com
me exerçant les droits des administrateurs devenus ses
débiteurs par suite de celte resposabilité. Voilà la seule
solution que puissent avouer la loi et les principes.
358.
— L’article 23 a été emprunté à la loi du 23
mai 1863, sur les sociétés à responsabilité limitée. Dans
le projet du Gouvernement cette loi portait : Le nombre
des associés, dans les sociétés à responsabilité lim itée,
ne peut être au dessous de dix.
« Les sociétés à responsabilité limitée, disait l’Expo
sé des motifs, ont un objet sur lequel il ne faut pas se
méprendre, et dont on ne doit pas souffrir qu’elles s’é
cartent, elles sont instituées pour favoriser, dans l’inté
rêt des opérations ordinaires du commerce et de l’in
dustrie, les associations de capitaux. Or, une société en
tre moins de dix associés sera, la plupart du temps,
fondée sur les convenances personnelles de ceux qui
voudront l’établir, et pour les satisfaire, ils pourront
employer la forme de la société en nom collectif ou de
la commandite. »
La commission du Corps législatif s’associa à ces con
sidérations, mais s’inspirant de la législation anglaise,
�TITRE II, ART.
22, 23.
45
elle réduisit à sept le nombre des membres au-dessous
duquel la société ne pouvait exister. Le nombre sept lui
parut suffisant pour l’organisation d’un conseil d’admi
nistration et l’institution de commissaires que la loi
chargeait de la surveillance. Le conseil d’Etat ayant ac
cueilli la proposition, le nombre sept fut inscrit dans
la loi.
5 5 9 . — La loi de 1867 a suivi les mêmes erreipents
et exigé, pour la validité des sociétés anonymes , sept
associés au moins. Cependant elle est moins abso
lue que sa devancière; celle-ci ne faisait aucune distinc
tion, quelle que fût l’époque à laquelle le nombre d’as
sociés descendit à moins de sept, à quelque cause que
fût due cette circonstance, la société n’existait plus et sa
liquidation était forcée.
Le législateur de 1867 limite la nullité de la société
au défaut de sept associés au moment de sa constitution.
La société ne peut être constituée, dit notre article 23,
si le nombre des associés est inférieur à sept. Si après
sa constitution régulière la société, par une circonstance
quelconque, n’a plus ce nombre d’associés, elle ne sera
pas nulle, pas même obligée de se dissoudre. Aux termes
de l’article 38, ce n’est qu’après un an que les tribu
naux pourront en prononcer la dissolution.
La disposition de cet article 38 dictait celle de l’article
23 et rendait impossible la reproduction littérale de l’a r
ticle 2 de la loi de mai 1863. Comme le faisait remar
quer le rapporteur : « Ce dernier était en désaccord
�46
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
avec le premier, qui prévoit le nombre des associés des
cendu au-dessous de sept par la concentration impré
vue dans quelques mains des actions représentant le
capital social. Cet article, il est vrai, fait de cette cir
constance une cause de dissolution facultative pour les
tribunaux, mais il n’en résulte pas moins que la société
pourra subsister avec un nombre d’asscciés inférieur à
sept. L’article 23 veut seulement affirmer la nécessité
d’un nombre d’associés égal au moins à sept au mo
ment de la constitution de la société. »
Cette exigence est légitime. Il est certain que la loi
n’avait pas à se préoccuper de l’intérêt des associés lors
que leur petit nombre les met à même de se protéger
eux-mêmes. Cette possibilité ne saurait être douteuse
non pas seulement lorsque le nombre est inférieur à
sept, mais encore lorsque ce nombre est de dix ou douze.
Comme on le disait en 1863, une société avec un
personnel aussi réduit sera presque toujours fondée sur
des convenances personnelles de ceux qui voudront
l’établir, qui pourront être satisfaites par la forme de la
société en nom collectif ou en commandite.
5 6 0 . — Mais pourquoi leur imposer cette forme qui
entraînera pour tous ou pour quelques-uns d’entre eux
une responsabilité indéfinie. Se soustraire à cette res
ponsabilité n’est-ce pas un intérêt qui vaut la peine d’ê
tre recherché. Pourquoi donc leur interdire la forme de
la société anonyme ?
Pourquoi ? D’abord parce que cette forme ne convient
�TITRE II, ART.
22, 23.
47
qu’aux grandes opérations , qu’à celles qui exigent des
capitaux énormes , que sept à huit personnes ne seront
guères en position de fournir.
Ensuite parce que cinq à six personnes s’associant,
ne recourront à la forme anonyme que pour échapper à
la responsabilité indéfinie, et priver les tiers avec qui ils
vont contracter, de cette garantie. L’intérêt de ces tiers
était évidemment à protéger , et il ne permettait pas
qu’on fit de l’anonyme un piège de nature à le com
promettre.
Certes en ne prohibant la forme de l’anonyme que
lorsque le nombre des associés n’atteint même pas le
chiffre de sept, la loi ne s’est pas montrée fort exigeante.
Prélèvement fait du conseil d’administration et des com
missaires surveillants, de quoi se composerait l’assem
blée générale ? Qui contrôlerait le conseil d’administra
tion, si ce n ’est le conseil lui-même ? On comprend que
la loi ait refusé de prêter les mains à une pareille co
médie.
3 6 1 , — Mais ne se contredit-elle pas en admettant
dans son article 38, que la société réduite à moins de
sept associés peut exister au moins un an encore ? En
autorisant même les tribunaux à refuser dans ce cas de
la dissoudre ?
Nous verrons sous cet article les motifs sérieux qui le
firent consacrer. Mais nous pouvons dès à-présent faire
remarquer qu’autre chose est empêcher une société de
s’établir, autre chose la dissoudre lorsqu’après une con-
�48
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
stitulion régulière, une circonstance imprévue en réduit
le personnel à un chiffre inférieur à sept. La concentra
tion des actions dans quelques mains peut n’être qu’une
spéculation , et l’achat n’avoir été fait qu’en vue de la
revente. Le délai d’un an est de nature à éclaircir ce
point.
Puis en s’en référant à la prudence des magistrats sur
l’opportunité de la dissolution, la loi a concilié tous les
intérêts. Il est évident que, si la continuation de la so
ciété offrait des inconvénients ou des dangers, les tribu- .
naux usant de la faculté qui leur est laissée n’hésite
raient pas à la dissoudre.
A rt . 2 4 .
L es d ispositions des articles 1» 2, 3 e t 4 de
la p ré sen te loi so n t applicables aux sociétés an o
n y m e s.
L a d écla ra tio n im posée au g éran t p a r l’article
1" est faite p a r les fo n d a te u rs d e la société a n o
n y m e et est so u m ise , avec les pièces à l'a p p u i,
à la p re m iè re assem blée générale q u i en vérifie
la sin cérité.
A rt. 2 5 .
U ne assem blée générale e st, dans to u s les cas,
c o n v o q u ée à la diligence des fo n d a te u rs , p o s té
rie u re m e n t à l’acte q u i c o n sta te la so u sc rip tio n
�TITRE I I , ART.
24, 25, 26.
49
du capital social, et le versement du quart du
capital qui consiste en numéraire. Cette assem
blée nomme les premiers administrateurs ; elle
nomme également pour la première année les
commissaires institués par l’article 32 ci-après.
Ces administrateurs ne peuvent être nommés
pour plus de six ans ; ils sont rééligibles, sauf sti
pulation contraire.
Toutefois ils peuvent être désignés par les sta
tuts, avec stipulation formelle que leur nomina
tion ne sera pas soumise â l’approbation de l’as
semblée générale. En ce cas, ils ne peuvent être
nommés pour plus de trois ans.
Le procès-verbal de la séance constate l’ac
ceptation des administrateurs et des commissai
res présents à la séance.
La société est constituée à partir de cette ac
ceptation.
A rt. 2 6 .
Les administrateurs doivent être propriétai
res d’un nombre d’actions déterminé par les sta
tuts.
Ces actions sont affectées en totalité à la ga
rantie de tous les actes de la gestion , même de
�--------- ----
50
------------------ J
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
ceux qui seraient exclusivement personnels à
l’un des administrateurs.
Elles sont nominatives, inaliénables, frappées
d’un timbre indiquant l'inaliénabilité et déposées
dans la caisse sociale.
SO U IH A IK E
362.
363.
364.
365.
366.
367.
368.
369.
370.
371.
372.
373.
374.
375.
Caractère de la disposition de l’article 24.
Conséquences pour la constitution régulière de la société.
Par qui doit être faite la déclaration prescrite par l'arti
cle 1" ?
Ce qu’il faut entendre par fondateurs de la société.
A qui est déférée l ’appréciation de la déclaration et la sin
cérité des pièces.
Conditions exigées par l ’article 25 pour arriver à constituer
définitivement la société.
Les administrateurs ne sont nommés que pour six ans,
mais ils sont rèéligibles.
Peuvent être désignés par les statuts avec stipulation ex
presse qu’ils ne seront pas soumis à l ’approbation de
l ’assemblée générale ; motifs.
Caractère'de cette disposition.
Pour quel temps ils sont élus dans ce cas.
Conditions exigées par l’article 25.
Les administrateurs démissionnaires ou décédés peuvent être remplacés provisoirement par les autres ; légalité de
la clause qui les y autorise.
Modifications que subit l ’article 25 en cas d’apports en na
ture ou de stipulation d’avantages particuliers.
Constatation dans le procès-verbal de l’acceptation des ad
ministrateurs et du commissaire présents. Formes de
l ’acceptation en cas contraire; ses effets.
�TITRE II , ART.
376.
377.
378.
379.
380.
381.
382.
383.
384.
385.
386.
387.
388.
389.
24, 25, 26.
51
Origine de l ’article 26.
Exigences de l ’article 7 de la loi de 1863 sur les sociétés
à responsabilité limitée : leur caractère.
Abrogation par la loi nouvelle de l ’obligation de posséder
par parts égales le fond de garantie ; motifs.
Doute sur le résultat qu’on s’en promettait; son fonde
ment.
Abrogation de la disposition fixant au vingtième du capital
le fond de garantie.
La détermination de la quotité doit résulter des statuts.
Quid si les statuts gardent le silence à ce sujet ?
Débats au Corps législatif. Opinion de M. Bethmont ; ré
ponse du commissaire du Gouvernement.
Caractère de celle-ci; son peu de fondement.
Les administrateurs n ’ayant aucune faute à se reprocher ne
peuvent être responsables.
Affectation des actions de garantie à la réparation des actes
dommageables même d ’un seul administrateur.
Caractère da cette disposition ; sa sévérité.
Motifs invoqués à l ’appui; réfutation.
Les actions de garantie sont inaliénables. Précautions pri
ses pour assurer cette inaliénabilité.
3 6 2 , — La disposition de l’article 24 était la con
séquence logique , nécessaire de la liberté absolue con
cédée à la société anonyme. Tant que cette société ne
pouvait se constituer que par l’autorisation du Gouver
nement , la loi n ’avait à exiger d’elle ni conditions ni
précautions aucunes. Avant de donner son autorisation,
le Gouvernement exigeait qu’il fût pourvu à tout ce qui
pouvait garantir et assurer la sécurité du public appelé
à traiter avec la société.
�52
XOI DE 1 8 6 7 SUR UES SOCIÉTÉS
Le jour où la nécessité d’obtenir cette autorisation dis
paraissait, la société anonyme n’était plus qu’une com
mandite par actions , moins la responsabilité indéfinie
que celle-ci fait peser sur les gérants. Il devenait dès
lors indispensable d’imposer à l’une les formes, les con
ditions que le désir de protéger et de garantir le public
contre les spéculations frauduleuses avait fait imposer à
l’autre. Ce devoir était d’autant plus u rg e n t, que l’ab
sence de responsabilité indéfinie quelconque rendait le
péril plus imminent et plus grave. On a donc sagement déclaré que les dispositions des
articles 1, 2., 3 et 4 relatives aux commandites par ac
tions étaient applicables à la société anonyme, telle que
l’organisait la loi nouvelle. Ainsi, dans l’une comme dans
l’autre, le taux des actions ne peut être inférieur à cent
francs, si le capital social n’excède pas deux cent mille
francs ; à cinq cents francs, s’il est supérieur à ce chiffre.
565.
— De même que la commandite par actions,
la société anonyme ne peut être définitivement consti
tuée qu’après la souscription de la totalité du capital so
cial, et le versement par chaque actionnaire du quart
au moins du montant des actions par lui souscrites.
Cette souscription totale et ce versement doivent être
constatés par une déclaration notariée , à laquelle sont
annexés : la liste des souscripteurs, l’état des versements
effectués , l’un des doubles de l’acte de société s’il est
sous seing privé, ou une expédition s’il est notarié et s’il
a été passé devant un notaire autre que celui qui a reçu
la déclaration.
�TITRE I I , ART.
24, 25, 26.
53
Les actions ou coupons d’actions de la sociétés ano
nyme ne sont négociables qu’a près le versement du quart;
ils sont nécessairement nominatifs jusqu’à complète li
bération ; mais il peut être stipulé, et seulement par les
statuts constitutifs de la société, que les actions ou cou
pons d’actions pourront, après avoir été libérés de moi
tié, être convertis en actions au porteur par délibération
de l’assemblée générale ;
Soit que les actions restent nominatives après cette
délibération, soit qu’elles aient été converties en actions
au porteur, les souscripteurs primitifs qui ont aliéné les
actions et ceux auxquels ils les ont cédées avant le ver
sement de moitié, restent tenus au paiement de leurs ac
tions pendant un délai de deux ans à partir de la délibé
ration de l’assemblée générale.
Enfin lorsqu’un associé anonyme fait un apport en
nature ou stipule à son profit des avantages particuliers,
il est procédé conformément aux prescriptions de l’arti
cle 4 , c’est-à-dire que l’assemblée générale fait appré
cier la valeur de l’apport ou la cause des avantages sti
pulés ; la société n’est définitivement constituée qu’après
l’approbation de l’apport ou des avantages donnés par
une nouvelle et seconde assemblée générale et après une
nouvelle convocation. Cette seconde assemblée ne pourra
statuer sur l’approbation de l’apport ou des avantages
qu’après un rapport qui sera imprimé et tenu à la dis
position des actionnaires, cinq jours au moins avant la
réunion de cette assemblée. Les délibérations sont prises
�54
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
par la majorité des membres présents1. Les associés qui
ont fait l’apport ou stipulé les avantages particuliers
soumis à l’appréciation de l’assemblée , n’ont pas voix
délibérative. À défaut d’approbation la société reste sans
effets à l’égard de toutes les parties.
Tel est l’ensemble des règles auxquelles notre article
24 subordonne désormais la constitution des sociétés a nonymes. Dans notre commentaire des articles 1, 2, 3
et 4 nous nous sommes expliqués sur chacune de ces
règles ; nous en avons déterminé le sens et la portée, in
diqué les difficultés qu’elles pouvaient offrir, et la solu
tion dont ces difficultés étaient susceptibles. Nous n ’a
vons ni à y revenir ni à y insister. L’applicabilité abso
lue de ces articles à la matière des sociétés anonymes,
rendant nécessairement nos observations communes à
celles-ci, nous nous contentons d’y renvoyer nos lec
teurs.
■
.
\
3 6 4 . — Il n’y a à retenir que les modifications que
la nature spéciale de l’anonymat a forcément fait subir
aux dispositions des quatre premiers articles de la loi,
et dont l’article 24 nous offre lui-même des exemples.
Ainsi l’article 1" exige que la déclaration de la sous\
cription de l’entier capital et du versement du quart du
montant de chaque action soit faite par le gérant. Or le
défaut absolu de gérance dans la société anonyme ren
dait impossible l’exécution de cette prescription , et in1 V. article 30 ci-dessous.
�TÎTRE II, ART. 24, 25, 26.
55
dispensable l’indication de ceux à qui incombait le de voir de cette déclaration. Ce seront les fondateurs , dit
notre article 24.
Cette disposition a été empruntée à la loi de 1865 sur
les sociétés à responsabilité limitée. C’est donc à c -Ileci qu’il faut demander le sens précis qui s’attache aux
termes : fondateurs de la société.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
3 6 5 . — « Or, suivant l’Exposé des motifs, le sens
du mot fondateur n’est point déterminé par un texte
formel ; mais dans la pratique personne ne se méprendra sur les personnes qu’il désigne. Une société,
surtout une société nombreuse, ne se forme point par
le consentement spontané de tous ses membres ; l’idée
première appartient toujours à une ou à quelques
personnes q u i , après l’avoir mûrie , cherchent à la
propager. Elles sollicitent et obtiennent des adhésions;
elles fondent véritablement la société.
»
»
»
»
»
» Le vœu de la loi est que les fondateurs soient associés. Le premier titre ne peut convenir qu’à ceux
qui ont droit au second. Un individu qui par ses soins
parviendrait à déterminer un certain nombre de capitalistes, de commerçants ou d’industriels à former
une société à laquelle il resterait étranger , ne serait
»
»
»
»
qu’un agent, qu’un intermédiaire ; on ne pourrait lui
donner le titre de fondateur, et considérer comme digne de quelque confiance sa déclaration que le capital est souscrit en entier, et que le quart a été versé.»
La loi de 4867 n’a pas cru qu’il fût nécessaire de
�56
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
reproduire cette explication. Il est évident que nul ne
sera jamais tenté de confondre les intermédiaires qui
peuvent être employés à chercher et à procurer des sous
cripteurs , avec les associés qui ont conçu la pensée de
la société, en ont rédigé les statuts et ont provoqué des
adhésions ; et qu’en parlant des fondateurs, notre article
n’a désigné et entendu ne désigner que ceux-ci. C’est donc
à eux et à eux exclusivement qu’incombe la charge de
déclarer par-devant notaire que le capital est en entier
souscrit, et le quart des actions versé.
La nature même des choses qui imposait cette pre
mière modification, en imposait également une seconde.
La déclaration notariée du gérant et les pièces à l’ap
pui ne doivent pas être soumises à l’assemblée générale.
L’article 1er n’avait aucun motif de le prescrire en l’état
de l’obligation faite au conseil de surveillance , et sous
sa responsabilité , d’en vérifier et d’en contrôler la sin
cérité et l’exactitude.
566.
— La société anonyme n’a pas plus de conseil
de surveillance que de gérant. Fallait-il dès lors affran
chir de tout examen, de tout contrôle la déclaration des
fondateurs et les pièces dont elle est accompagnée ? On
ne pouvait certes l’admettre ainsi , sans s’exposer à de
réels, à de graves inconvénients.
Mais à qui déférer cet examen et ce contrôle ? Au
conseil d’administration ? On ne le pouvait sans courir
la chance d’appeler les fondateurs à se contrôler euxmêmes. Nous allons voir que ceux-ci ont la faculté de
�TITRE I I , ART.
24, 25, 26.
57
s’imposer comme administrateurs à la société. Dans tous
les cas il est probable que devant à leur qualité même
une notoriété qui les signale au choix de leurs co-asso
ciés, ils constitueront du moins en très-grande partie le
conseil d’administration.
Cette double éventualité faisant écarter ce conseil, res
tait l’assemblée générale , et c’est cette assemblée que
l’article 24 charge de vérifier l’exactitude et la sincérité
de la déclaration et des pièces à l’appui. On peut ne pas
mettre en doute le bon vouloir de l’assemblée générale
dans l’accomplissement d’un devoir qui intéresse si vi
vement l’avenir de l’opération ; mais il faut reconnaî
tre et convenir qu’elle est assez dépourvue de moyens
d’y procéder avec quelque efficacité. Comment en effet
s’assurer de la sincérité de la déclaration et des pièces
y annexées , lorsque c’est la masse des actionnaires qui
doit, séance tenante, les vérifier et examiner ? On com
prendrait que la loi eût prescrit ou tout au moins au
torisé la nomination d’une commission chargée de ce
soin et sur le rapport de laquelle il serait ultérieurement
statué ; mais l’article 25, loin de consacrer cette faculté,
l’exclut au contraire formellement en précisant la tâche
que la première assemblée est appelée à remplir.
La loi a elle-même si bien compris la nature du rôle
quelle imposait à ce sujet à l’assemblée générale , qu’à
son égard elle laisse ses prescriptions sans sanction d’au
cune nature. Nous verrons en effet que la nullité de la so
ciété prononcée pour inobservation de l’article 24, rend les
fondateurs auxquels celte nullité est imputable, seuls soli-
�LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
clairement responsables envers les tiers , sans préjudice
des droits des actionnaires
567.
— La déclaration que le capital entier est sous
crit et que le quart des actions est versé n’est qu’un pas
vers la constitution définitive de la société. Cette consti
tution ne résulte et ne peut résulter que de l’accomplis
sement des prescriptions de l’article 25.
A cet effet et pour y parvenir, les fondateurs doivent,
après avoir fait la déclaration que l’article 24 leur im
pose , convoquer une assemblée générale. Cette assem
blée, examen et vérification faits de la déclaration et des
pièces à l’a p p u i, nomme immédiatement les premiers
administrateurs et le commissaire surveillant institué par
l’article 32.
Nous verrons sous l’article 30 quelle doit-être la com
position de cette assemblée, et en quel nombre elle vote
et délibère régulièrement. Quant à la nomination des
administrateurs et du commissaire pour la première an
née , il n’est pas douteux qu’il suffit de la majorité des
votants.
368.
— Si le commissaire surveillant n’est nommé
que pour la première année, les administrateurs le sont
pour six ans, et ne peuvent l’être pour un plus long ter
me ; mais ils sont rééligibles à moins qu’une clause ex
presse des statuts ne le prohibe.
Cette clause, à notre avis, ne saurait être d'aucun a 1 Infra art. 41 et 42
�'/
■
TITRE II, ART.
24, 25, 26.
59
vantage pour la société, car la réélection n ’est, dans tous
les cas, qu’une faculté dont on peut, dont on doit s’abs
tenir dès que son exercice pourrait entraîner le moindre
inconvénient. Elle ne donne donc aux associés qu’un
droit dont ils sont naturellement investis.
Par contre elle peut avoir pour la société les effets les
plus fâcheux. Ce qui intéresse au plus haut degré celleci, c’est l’esprit d’homogénéité et de suite qui préside à
son administration et peut seul en assurer le succès. Or
comment concilier cet esprit avec la nécessité de faire
maison nette à chaque période de six a n s , c’est-à-dire
qu’à peine mis au courant, les administrateurs devront
céder la place à d’autres qui viendront à leur tour con
sommer un temps précieux à faire leur apprentissage.
Il n ’est pas nécessaire d’être commerçant ou indus
triel, pour comprendre le péril d’une pareille situation.
Aussi ne trouverait-on que de fort rares exemples de
statuts prohibant la réélection. Ce qui est moins rare,
c’est la précaution qu’a inspirée le désir de neutraliser
l’effet d’un défaut de réélection toujours possible par cela
même qu’il est facultatif, venant subitement interrompre
l’administration, et substituer une marche nouvelle à
celle suivie jusque là.
En conséquence et par une clause expresse des sta
tuts , il est stipulé que le conseil sera renouvelé par si
xième chaque année. On atteint ainsi le but précieux
de pourvoir à tous les remplacements devenus nécessai
res sans secousses, et surtout sans porter atteinte à l’u
niformité de vue et de suite si indispensable au succès
des opérations commerciales ou industrielles.
, " J'i.‘,4
Kl
m
�60
LOI DE
1867
SU U LES SOCIÉTÉS
369,
— Les administrateurs n’étant que les manda
taires des associés, ne peuvent évidemment être élus que
par ceux-ci. Doit-on considérer comme faisant excep
tion à ce principe la disposition de l’article 25, autori
sant la désignation des administrateurs par les statuts,
avec stipulation formelle que leur nomination ne sera
point soumise à l’approbation de l’assemblée générale ?
C’est là incontestablement une innovation de la loi de
1867, et elle répondait si bien à une pratique constante,
qu’elle ne souleva ni débats ni controverse.
« On comprend , disait l’Exposé des motifs , que les
» fondateurs d’une société, soit qu’ils en aient conçu la
» pensée , soit qu’ils aient fourni la plus grande par» tie de l’apport social, ou même ce qui en est l’élé—
» ment essentiel, ne consentent pas à se voir exclure de
» l’administration par un vote de l’assemblée générale.
» Ils peuvent avoir la volonté arrêtée d’y prendre part,
» non pas seulement en raison des avantages qu’offrent
» ordinairement les fonctions d’administrateurs , mais
» aussi par la conviction que seuls ils sont capables de
» donner l’impulsion convenable à des opérations qu’ils
» ont conçues, et même encore par le désir très-avoua» ble de ne pas laisser passer en des mains étrangères
» l’administration d’une entreprise dont l’idée, les ca» pitaux ou le matériel out été presque en entier four» nis par eux. »
370.
— Que ces prétentions fussent reconnues et
trouvassent place dans la lo i, c’était jusqu’à un certain
�TITRE II, ART. 24, 25, 26.
61
point rationnel et juste. Mais faire de cette disposition
une exception au principe que le mandataire ne peut ê~
tre institué que par le m andant, c’est ce que nous ne
saurions admettre.
En quoi en effet méconnaît-elle ce principe ? Sans
doute la désignation des administrateurs dans les statuts
sociaux sera le fait des fondateurs qui ont rédigé ces sta
tuts. Mais cette désignation n’est que l’expression d’un
désir, qu’une proposition et, si l’on veut, qu’une condi
tion faite à ceux dont on sollicite le concours. Si elle
perd ce caractère, ce ne peut être que par l’adhésion vo
lontaire que lui a donnée chaque souscripteur , qui en
s’appropriant la désignation l’a convertie en véritable
mandat.
371.
— Peut-être qu’ils eussent choisi autrement,
s’ils avaient été libres de le faire. Mais quelque sollicité,
quelque provoqué qu’il ait été , leur consentement n’en
a pas moins été donné en pleine liberté. Cependant la
loi a voulu tenir un certain compte des circonstances
dans lesquelles il s’est produit. Elle a limité à trois ans
la durée du mandat conféré par les statuts ; tandis que
celui directement déféré par l’assemblée générale se con
tinue pendant six ans.
Mais cette restriction se borne à la période qui suit
immédiatement la constitution de la société. Après trois
ans écoulés, rien n ’empêche la réélection des adminis
trateurs primitivement désignés par les statuts, et s’ils le
so n t, leurs nouveaux pouvoirs n’expirent légalement
qu’a près une période de six ans.
�62
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
3 7 2 . — Nous remarquons que pour que la désigna
tion des administrateurs par les statuts ne soit pas sou
mise à l’approbation de l’assemblée générale, il faut qu’
une clause expresse, formelle l’en ait affranchie. En l’ab
sence de cette clause , il importerait peu que des noms
eussent été inscrits dans les statuts. La qualité d’admi
nistrateur ne leur serait acquise que si l’assemblée géné
rale.la leur avait déférée : c’est ce qui s’induit forcément
du texte de l’article 23.
3 7 3 . — La nécessité du remplacement des membres
du conseil d’administration peut se présenter dans le
courant de l’année. On peut prévoir en effet une démis
sion, une mort ou tout autre empêchement rendant dé
sormais impossible l’exercice de ces fonctions.
Ce remplacement, l’assemblée générale annuelle qui
suit immédiatement est naturellement appelée à le réa
liser. Mais il peut être dans les convenances , dans les
exigences même du service de ne pas attendre jusque là.
C’est en vue de cette éventualité que les statuts chargent
le conseil d’administration de se compléter lui-même
provisoirement, sauf à en rendre compte à la plus p ro
chaine assemblée qui ratifiera ou procédera elle-même
au remplacement définitif.
Nous ne comprenons pas que M. Rivière ait pu sup
poser qu’on pouvait mettre en doute la légalité de cette
clause. Le remplacement des membres du conseil d’ad
ministration est une mesure conservatoire, et en la con
fiant provisoirement aux membres survivants de ce con-
�TITRE I I , ART.
24, 25, 26.
'6 3
seil, on ne fait que prévenir une perte de temps plus
ou moins considérable qu’entraînerait fort inutilement,
et quelquefois au détriment de l’administration , la né
cessité de convoquer et de réunir l’assemblée générale.
Au reste les statuts conférassent-ils aux administra
teurs le pouvoir de procéder non pas seulement à un
remplacement provisoire, mais encore au remplacement
définitif, que la légalité de la clause et sa validité ne
pourraient être ni méconnues ni contestées.
Sans doute le droit de choisir des administrateurs ap
partient souverainement aux actionnaires. Mais ce droit,
on en conviendra, n ’est pas dans la catégorie de ceux
tellement attachés à la personne qu’il ne puisse en être
détaché. Aucun obstacle ne saurait s’opposer à ce que
son exercice fût délégué à un tiers.
Or c’est cette délégation qu’opérerait la clause statu
taire que nous supposons , et il ne saurait venir à l’es
prit de personne d’en suspecter le caractère juridique.
374.
— L’article 25 dispose exclusivement pour le.
cas où il n’y a ni apports en nature, ni avantages parti
culiers stipulés. Alors en effet il appartient naturellement
à la première assemblée générale de procéder à la no
mination des administrateurs et du commissaire de sur
veillance , et l’on comprend que , constatation faite de
l’acceptation des uns et de l’autre, la société se trouve
définitivement constituée.
Il ne saurait en être ainsi dans l’hypothèse d’apports
en nature ou d’avantages particuliers stipulés. Dans ce
�64
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
cas la première assemblée générale n’a et ne peut avoir
d’autre objet que l’appréciation de la valeur de l’apport
ou de la cause des avantages particuliers. Elle n’a autre
chose qu’à désigner ceux à qui elle confie cette appré
ciation. La nomination des administrateurs et du com
missaire et la constitution définitive de la société se trou
vent nécessairement renvoyées à l’issue de la seconde
assemblée appelée à statuer sur cette appréciation , à
l’admettre ou à la repousser.
A quoi servirait en effet de nommer des administra
teurs et un commissaire surveillant, si en fait il n’y a vait ni société à adm inistrer, ni administration à sur
veiller ? Or c’est là qu’aboutirait fatalement le refus d’ap
prouver l’apport en nature ou les avantages particuliers,
ou le rejet par les parties intéressées des modifications
proposées.
L’article 25 doit donc, dans l’exécution, se combiner
avec les prescriptions de l’article 4. Son observation lit
térale n’est possible que s’il n’y a ni apport en nature,
ni stipulation d’avantages particuliers. Dans le cas con
traire, c’est à la seconde assemblée générale qu’est ex
clusivement dévolu le soin de choisir les administrateurs
et le commissaire, après avoir donné son approbation à
l’apport en nature ou aux avantages particuliers.
575.
— À quelque époque qu’ait lieu la nomina
tion , si ceux qui en sont l’objet assistent à l’assemblée,
ils doivent déclarer s’ils acceptent. Mention de cette ac
ceptation est faite au procès-verbal qui doit être signé
par chacun d’eux.
�TITRE II,
ART. 2 4 , 2 5 , 2 6 .
65
Si les administrateurs et le commissaire élus ne sont
pas présents, ils auront à transmettre plus tard leur ac
ceptation. La loi gardant à ce sujet le plus complet si
lence, admet par cela même tous les modes de nature à
établir cette acceptation. Pour les administrateurs elle
résulterait suffisamment de l’assistance aux réunions du
conseil d’administration et du concours à ses délibéra
tions.
Dès que l’acceptation est acquise, le personnel admi
nistratif se trouvant organisé , la société est définitive
ment constituée. Dès cet instant les administrateurs sont
en mesure et en demeure d’agir. Ils ne pourraient né
gliger de le faire sans engager plus ou moins leur res
ponsabilité.
576.
— L’article 26 est un de ces nombreux em
prunts que le législateur de \ 867 a fait à la loi de 1863
sur les sociétés à responsabilité limitée. Ces emprunts
n ’ont rien qui doive surprendre, lorsqu’on réfléchit que
sous cette qualification cette loi consacrait en réalité la
liberté de l’anonym at, mais seulement pour les sociétés
dont le capital social n’excédait pas vingt millions. On
compred dès lors que les précautions destinées, pour ces
sociétés ainsi réduites, à suppléer aux garanties qu’offrait
l’autorisation du Gouvernement, parussent et devinssent
plus indispensables dès que les sociétés, à quelque chiffre
que s’élevât le capital , étaient dispensées de demander
et d’obtenir cette autorisation , et pouvaient se former
librement et à la volonté des intéressés.
h
. — 5
�66
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
5 7 7 . — A ce titre l’article 7 de la loi de 1863 exi
geait que les administrateurs fussent propriétaires par
parts égales du vingtième du capital social ; que les ac
tions formant ce vingtième fussent affectées à la garantie
de la gestion, et restassent en conséquence nominatives,
inaliénables, frappées d’un timbre indiquant leur ina
liénabilité, et en dépôt dans la caisse sociale.
»‘ Pour la société comme pour les tiers , disait l’Ex
posé des motifs, il est très-important que l’administra
tion de la société ne puisse être confiée qu’à ceux qui
sont personnellement intéressés au succès de l’enlreprisé;
et pour que celte obligation ne soit pas éludée , il faut
fixer non-seulement la part du capital social qui doit
appartenir aux administrateurs réunis, mais aussi celle
dont chacun d’eux doit être individuellement proprié
taire. »
Il était certes tout naturel que dans une société où
tous les intéressés , y compris les administrateurs, ne
sont tenus des pertes que jusqu’à concurrence de leur
mise, on exigeât de ceux-ci une mise plus forte que celle
d’un simple associé, et qui fût de nature à devenir une
garantie et un gage de bonne administration. Mais do
miné par cette pensée fort juste , le législateur de 1863
en avait singulièrement exagéré les conséquences.
5 7 8 . — Le législateur de 1867, en adoptant le prin
cipe voulut en ramener les conséquences à de plus jus
tes proportions. En conséquence il refusa d’inscrire dans
la loi' l’obligation pour les administrateurs de posséder
par parts égales le capital de garantie.
�TITRE
II,
ART.
24, 25, 26.
67
« Cette obligation, disait l’Exposé des motifs, pouvait
avoir pour résultat d’exclure du conseil d’administration
des hommes ayant plus d’expérience et de capacité que
d’argent, ce qui arrive quelquefois.
» Il était facile, il est v ra i, d’échapper à la règle,
en mettant sous le nom des administrateurs moins ri
ches que les autres des actions appartenant à ceux-ci.
» Mais ce serait une singulière manière de justifier
une disposition, légale que de montrer qu’il est facile de
l’éluder et d’exciter par cela même à le faire.
» D’ailleurs celte combinaison placerait plus ou moins
l’administrateur propriétaire simulé sous la dépendance
du propriétaire réel, et l’intérêt de la société pourrait en
souffrir.
» Le projet en supprimant dans le paragraphe pre
mier les mots par paris égales, fait disparailre ces in
convénients ; il rend plus facile l’accès du conseil d’ad
ministration et plus assurée l’exécution de la loi. »
3 7 9 . — Peut-on considérer ce résultat comme at
teint et croire que cette espérance est en effet réalisée ?
Il est permis d’en douter.
La quotité des actions de garantie est aujourd’hui dé
terminée par les statuts , et peut l’être sans attribution
de parts. Mais quel qu’en soit le chiffre et quelle que
soit la personne qui l’aura déposée , elle répond , nous
allons le voir, de l’ensemble de la gestion , et se trouve
engagée par la faute d’un seul des administrateurs.
Il est donc permis de croire qu’on trouvera difficile-
�68
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ment des administrateurs qui consentent à assumer la
responsabilité des actes des collègues que leur donne
l’assemblée générale , et à affecter à cette responsabilité
une partie plus ou moins considérable de leur fortune.
Celte difficulté si évidente pour tous n’échappera pas
aux rédacteurs des statuts sociaux, et ce qu’elle leur ins
pirera sera d’insérer dans ces statuts une clause portant
que , pour être membre du conseil d’administration , il
faudra posséder un nombre d’actions déterminé. C’est
là évidemment ce qui se rencontrera dans les statuts
beaucoup plus souvent que l’indication d’un quantum
d’actions à posséder par le conseil d’administration col
lectivement.
Ainsi l’égalité de parts qui n’est plus exigée par la
lo i, existera en fait de par les statuts, et avec elle tous
les inconvénients qui la faisaient proscrire.
3 8 0 . — La loi de 1867, tout en répudiant cette dis
position de la loi de 1863 , s’était appropriée celle qui
fixait au vingtième du capital la part que devait possé
der le conseil d’administration. Cette exigence n’était
certes pas de nature à faciliter le recrutement de ce con
seil. *
Il est vrai que sous l’empire de la loi de 1863, le ca
pital social ne pouvant être supérieur à vingt millions,
le maximum de ce vingtième ne pouvait dans aucun cas
excéder un million ; mais ce chiffre n’en était pas moins
exagéré. Qu’on juge de ce qu’il en aurait été sous la loi
nouvelle n’imposant aucune limite au capital social qui
/
�TITRE I I , ART.
24, 25, 26.
69
pouvait atteindre au chiffre de c en t, deux cents , cinq
cents millions. Où trouver un conseil de surveillance
pouvant et voulant déposer un gage de cinq, de dix, de
vingt millions.
3 8 1 ..— Aussi le Gouvernement avait-il reculé de
vant l’énormité de celte exigence, et tout en admettant
la quotité du vingtième , le projet disposait que ce
vingtième ne pourrait dans aucun cas excéder quinze cent
mille francs.
La commission du Corps législatif ne crut pas que
cette limite dut faire adopter la détermination du ving
tième. Elle pensa que tout en laissant subsister le prin
cipe, que tout en imposant aux administrateurs l’obliga
tion d’être propriétaire d’actions représentant une par
tie du capital, il fallait laisser aux conventions le soin
de déterminer le chiffre et les conditions de la garantie.
C’est ce que consacre l’article 26.
Sans doute on peut craindre que les rédacteurs des
statuts s’arrêtent à un chiffre dérisoire et en dehors de
toute proportion avec l’importance de la gestion. Mais
ce danger est peu à redouter parce que le choix de l’as
semblée générale pouvant tom bersur d’autres que sur
les rédacteurs des statuts , ceux-ci n ’ont aucun intérêt
réel à amoindrir les charges que ce choix entraîne.
Puis l’importance de la garantie affectée à la gestion
appelle la confiance et est dans le cas de déterminer des
souscriptions qu’on refuserait si la garantie était déri
soire ou seulement par trop insuffisante. Il n’y a donc
�70
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
\
nulle apparence qu’on joue le sort de la société, qu’on
coure la chance de la voir échouer pour le plaisir de
rendre les fondions d’administrateurs plus accessibles et
moins périlleuses.
3 8 2 . — Il est un autre danger dont on se préoc
cupa dans la discussion législative, celui du silence gardé
par les statuts sur la quotité des actions de garantie que
doit déposer le conseil d’administration. Quelle serait la
conséquence de cette inobservation des prescriptions de
l’article 26 pour les administrateurs qui auraient en cet
état géré la société ?
On cherche vainement dans cet article la sanction
destinée à en assurer l’exécution. En l’état de ce silence
pourrait-on prononcer une peine quelconque ? Par qui
serait-elle encourue, des administrateurs, des fondateurs
rédacteurs des statuts, ou des actionnaires ?
3 8 3 . — On entrevoit facilement les difficultés qui
pouvaient et devaient surgir de cet état des choses. Pour
les prévenir M. Paul Bethmont proposait d’ajouter à
l’article le paragraphe suivant : dans le cas où les sta
tuts seront muets sur la quantité d’actions qui doivent
appartenir aux administrateurs, ces actions devront être
dans une proportion déterminée par rapport au chiffre
du capital social '.
M. le commissaire du Gouvernement Cornudet, dé
niait que l’article fut dépourvu de sanction, La sanction.
1 Moniteur, 5 juin 1867.
�TITRE II, ART. 2 4 , 2 5 , 2 6 .
71
disait-il me paraît être dans l’article 44 ; et après avoir
rappelé la disposition de cet article, M. Cornudet ajou
tait : « Je n’hésite pas à penser que si des administra» teurs avaient accepté ces fonctions sans posséder d’ac» tions et avec des statuts où l’article 26 aurait été mé» connu, l’article 44 pourrait être invoqué contre eux,
» et qu’ils pourraient être déclarés responsables sur leur
» fortune personnelle de l’infraction à la disposition de
» l’article 26, si cette infraction avait eu pour effet de
» causer un préjudice à la société l.
384.
— Cette opinion nous parait fort difficile à
justifier. Elle suppose d’abord que des administrateurs
acceptent ces fonctions sans posséder d’actions, ce qui
est impossible, puisque les administrateurs ne peuvent
être pris que parmi les associés, et que cette qualité
suppose la possession d’une ou de quelques actions au
moins.
Or, c’était là un des reproches qu’on faisait à l’article
26. Il introduit dans les statuts, disait-on, une disposi
tion dérisoire d’après laquelle on pourra être adminis
trateur avec deux ou trois actions, et le ministre de l’agri
culture, du commerce et des travaux publics, acceptant
le reproche, se contentait de répondre : « Le point im » portant était d’appeler l’attention sur cette disposi—
» tion. Or, elle y est appelée solennellement par un ar» ticle de loi dans lequel on fait appel à la vigilance
1 Ibidem.
�72
»
»
»
»
LOI DS
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
des actionnaires, à la vigilance de ceux qui rédigent
le contrat de la société, il a paru qu’il y avait là une
garantie suffisante et un hommage rendu à la liberté
des conventions1. »
Or, si les statuts peuvent borner à deux ou trois ac
tions la part que l’administrateur doit posséder dans le
capital, la nomination d’associés réunissant celte condi
tion serait-elle autre chose que la mise en vigueur de
celte clause, et comment contester le droit de la prati
quer à ceux qui ont incontestablement le droit de la
stipuler ?
385o — D’ailleurs, quelle est la faute reprochable
aux administrateurs ? Comment leur appliquer l’article
44 ? Parce qu’ils auraient enfreint une des dispositions
de la loi ? Mais il faudrait pour cela que le silence gar
dé par les statuts, contrairement à l’article 26, fut leur
œuvre. Or, comment leur adresserait-on justement ce
reproche.
Sans doute, au moment où ils acceptent leurs fonc
tions, ils ne doivent et ne peuvent ignorer l’omission
dans les statuts de la détermination prescrite par l’arti
cle 26, mais pourquoi ne croiraient-ils pas à la conven
tion tacite que nous induisions tout à l’heure de la con
duite de l’assemblée générale qui, elle aussi, ne doit et
ne peut ignorer celle omission ?
Puis il suffit que la précaution édictée par l’article 26,
1 Moniteur, 5 juin 1867.
�TITRE II, ART. 2 4 , 2 5 ,
26.
73
soit prise contre eux, pour qu’on ne puisse même leurreprocher ne ne pas l’avoir provoquée. Nema tenetur
edere contra se , dit la raison écrite, et cette règle de
haute justice doit en tout et partout recevoir son appli
cation.
Aussi n’entre-t-il pas dans la pensée du ministre du
commerce que la loi ait à ce sujet imposé un devoir
quelconque aux administrateurs élus. Il n’hésite pas à
reconnaître que l’article 26 fait appel à la vigilance des
actionnaires, à la vigilance de ceux qui rédigent l’acte
de société. Qui donc, excepté les uns et les autres, a
à répondre d’avoir méconnu et négligé cet appel.
Et c’est également ce que pense M. le commissaire du
Gouvernement Cornudet, car avant d’invoquer l’article
44 contre les administrateurs, il déclare que : « Les
» statuts étant à l’avance communiqués aux actionnaires
» qui y ont adhéré, si, par hasard, contrairement à
» l’article 26, on avait omis dans ces statuts de fixer le
» nombre des actions que les administrateurs doivent
» posséder, si de plus l’assemblée générale avait à nom» mer des administrateurs ne possédant pas d’actions,
» les actionnaires auraient à se reprocher à eux-mê» mes leur défaut de vigilance ’. »
Singulière contradiction, ce sont les actionnaires qui
seraient en faute, M. Cornudet le proclame, et c’est à ces
mêmes actionnaires qu’il accorde une action en respon
sabilité contre les administrateurs, à qui on ne peut pas
même reprocher un défaut de vigilance.
I Ibidem
�74
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Nous sommes convaincus que les tribunaux refuse
raient de s’associer à cette doctrine. Nous pensons avec
M. Bethmont que l’article 26 est dépourvu de sanction ;
que si on avait à demander compte à quelqu’un de son
inobservation, ce serait aux actionnaires ou mieux aux
rédacteurs des statuts et non aux administrateurs qui ne
sont après tout que les mandataires de ces associés.
586.
— L’article 26 déclare les actions possédées
par le conseil d’administration en conformité des statuts,
affectées en totalité à la garantie de tous lès actes de la
gestion, même de ceux qui seraient exclusivement per
sonnels à l’un des administrateurs.
L’Exposé des motifs signalait cette disposition comme
la conséquence de l’admission de l’inégalité des parts
dans le fond de garantie. Si une part, disait-il, était ré
duite à de trop faibles proportions, n ’aurait-on pas juste
raison de craindre qu’elle fût insuffisante pour la ga
rantie des actes dont l’administrateur propriétaire de
cette part minime serait seul responsable.
Cette crainte et ce danger pouvaient bien faire repous
ser la proposition d’admettre l’inégalité des parts entre les
administrateurs. Mais cette inégalité admise, où était la
raison pouvant légitimer cette responsabilité des fautes
d’autrui que crée l’article 26.
Ainsi, l’administrateur propriétaire de la plus petite
part a -t-il fait un acte dommageable à la réparation du
quel cette part ne peut suffire, la condamnation qui inter
viendra s’exécutera sur toutes'les autres, c’est-à-dire
�TITRE II , ART.
24, 25, 26.
75
que, punis pour une faute à laquelle ils sont absolument
étrangers, les autres administrateurs devront en réparer
les effets sur leur fortune. Est-ce là de la justice ?
5 8 7 . — C’est donc la solidarité entre administra
teurs que vous établissez, objectait-on, et en réponse
on invoquait à l’appui de la négative l’article 44, qui
exclut cette solidarité. Mais comment concilier cet arti
cle avec la disposition de l’article 26. Que celui-ci éta
blisse une solidarité évidente, certaine, c’est ce qu’on
ne pourrait contester. N’affecte-t-il pas en effet la for
tune des administrateurs à la faute de l’un d’eux ? Or,
en quoi consiste le solidarité si ce n’est dans l’obligation
de payer pour autrui?
Ce n’est pas tout encore, non-seulement cet article
frappe les administrateurs qui sont étrangers au fait
dommageable, mais il atteint encore ceux qui s’y sont
opposés en votant contre. Cette observation de M. Chevandier de Valdrome n’a pas été répondue et ne pouvait
l’être d’une manière satisfaisante.
5 8 8 . — Faut-il dire avec l’Exposé des motifs qu’après tout les administrateurs étrangers au fait domma
geable n’ont pas à se plaindre parce que : c'est l’affai
re de chacun de bien choisir ses collègues afin de ne pas
s'exposer à être compromis par eux et d’avoir au besoin
contre eux un recours efficace.
L’Exposé des motifs n’oublie qu’une chose, à savoir :
que les administrateurs n’ont ni choisi ni pu choisir
�76
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
leurs collègues, c’est l’assemblée générale seule qui les
désigne et son choix n ’est connu que lorsqu’il est fait.
En quoi donc pouvaient-ils influer sur ce choix ceux
qui ignoraient même qu’ils en seraient l’objet.
Les administrateurs qui n’agréeraient pas les collè
gues que l’assemblée générale leur a donnés, n’ont qu’un
droit, qu’une faculté : ne pas accepter les fonctions qui
leur ont été déférées. Comprend-on toutes les difficultés
que l’exercice de ce droit apporterait à l’organisation du
conseil d’administration.
C’est pourtant cet exercice que l’article 26 provoque
et rend en quelque sorte forcé, puisque ce n’est qu’à ce
prix que les administrateurs échapperont aux atteintes
dont menace leur fortune , la responsabilité de faits
auxquels ils sont restés étrangers, et auxquels ils se sont
même opposés.
Les motifs allégués à l’appui de cette responsabilité
loin de la légitimer, n ’en font que mieux ressortir l’é
trangeté. En effet, si le choix des administrateurs est
imputable à quelqu’un, c’est uniquement aux action
naires dont il est l’œuvre, et l’on ne saurait comprendre
qu’au lieu de leur en faire supporter les conséquences
fâcheuses qu’il a eu, on les en récompence en leur per
mettant de faire peser ces conséquences sur ceux qui,
étrangers à ce choix, ont été obligés de le subir.
Cette rigueur, nous le disions tout à l’heure, aura pour
conséquence de maintenir en fait l’égalité de parts que
la loi a voulu proscrire. Il est peu probable que l’asso
cié qui aura cinquante, cent actions, entre dans le con-
�TITRE II, ART. 2 4 , 2 5 , 2 6 .
77
seil d’administration avec celui qui n’en aura que cinq,
que dix, et consente à subir la chance dont le menace la
responsabilité des actes de celui-ci.
389.
— Les actions de garantie devaient à leur af
fectation elle-même, de rester inaliénables pendant toute
la durée de la gestion. La disposition de l’article 26 à
ce sujet ne peut qu’être approuvée.
Mais en décrétant l’inaliénabilité il convenait de l’as
surer et de prévenir toute tentative dans l’objet de s’y
soustraire. Or, on pouvait craindre que malgré le dépôt
dans la caisse sociale, l’administrateur ne parvînt à se
mettre en possession des actions et à les aliéner.
Yoilà pourquoi la loi exige que les actions soient frap
pées d’un timbre indiquant l’inaliénabilité. Celui qui les
aurait acquises en cet état ne saurait arguer de sa bon
ne foi et serait tenu de les restituer purement et sim
plement.
Nous n’avons pas besoin de dire que l’administrateur
qui cesserait ses fonctions ou qui serait remplacé, reti
rerait ses actions, et qu’en échange des anciennes frap
pées du timbre, il en recevrait de nouvelles sans indica
tion aucune d’inaliénabilité.
A rt. 2 7 .
\
Il est tenu chaque année une assemblée géné
rale à l’époque fixée par les statuts.
Les statuts déterminent le nombre d’actions
�\
.
78
"
:; r
\
LOI DK 1867 3UÏI LES SOCIÉTÉS
qu’il est nécessaire de posséder soit à titre de
propriétaire, soit à titre de mandataire pour être
admis dans l’assemblée et le nombre de voix ap
partenant à chaque actionnaire , eu égard au
nombre d’actions dont il est porteur.
Néanmoins dans les assemblées générales ap
pelées à vérifier les apports, à nommer les pre
miers administrateurs et à vérifier la sincérité de
la déclaration des fondateurs, prescrite par le
deuxième paragraphe de l’article 24 , tout ac
tionnaire , quel que soit le nombre des actions
dont il est porteur, peut prendre part aux déli
bérations avec le nombre de voix déterminé par
les statuts, sans qu’il puisse être supérieur à dix.
A rt.
28.
Dans toutes les assemblées générales les déli
bérations sont prises à la majorité des voix.
Il est tenu une feuille de présence ; elle con
tient les noms et domiciles des actionnaires et le
nombre d’actions dont chacun d’eux est por
teur.
Cette feuille certifiée par le bureau de l’as
semblée est déposée au siège social et doit être
communiquée à tout requérant.
�TITRE I I , ART.
27, 28.
79
S O M M A IR E
390. But divers des assemblées générales. Distinction.
391. Nécessité et objet de l’assemblée annuelle prescrite par la
loi.
392. Faculté de déterminer dans les statuts le nombre d’actions
donnant le droit de voter, et le nombre de voix apparte
nant aux actionnaires eu égard au nombre d ’actions dont
ils sont porteurs.
393. Caractère de cette faculté ; ses avantages.
394. Débats au Corps législatif ; amendement de M. de Janzé.
395. Appréciation.
396. Reproche qu’on lui avait adressé ; réponse de M. de Janzé.
397. Observations du rapporteur ; véritable caractère de l ’arti
cle 27.
398. Proposition de M. Belhmont ; son caractère.
399. Que devrait-on décider si les statuts avaient omis cette dou
ble détermination ?
400. Les actionnaires peuvent se faire représenter à l’assemblée
générale.
401. Spécialité du premier paragraphe de l ’article 27 ; ne s'ap
plique pas à l’assemblée générale constituante.
402. Tous les actionnaires sans distinction ont droit d’y voter
Les porteurs de plusieurs actions n ’ont que dix voix quel
que soit le nombre de celles-ci.
403. Règles applicables à toutes les assemblées sans distinction.
390.
— Les articles dans l’examen desquels nous
entrons organisent les assemblées générales , indiquent
les actionnaires qui peuvent y prendre part, déterminent
le mode de votation et en règlent la composition.
Le législateur devait tenir et a tenu compte de la dif
férence de but que se proposent ces assemblées. Les unes
�80
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
qu’on pourrait appeler constituantes, apprécient les ap
ports en nature, les avantages particuliers, vérifient la
sincérité de la déclaration imposée aux fondateurs par
le deuxième paragraphe de l’article tk , nomment les
premiers administrateurs ; les autres qui doivent être ré
unies chaque fin d’année, délibèrent sur les comptes de
l’administration , apprécient la situation actuelle de la
société, donnent leur avis sur les propositions de distri
bution de dividendes faites par le conseil d’administra
tion ; les autres enfin sont extraordinairement appelées
à délibérer sur des modifications aux statuts , sur des
propositions de continuation de la société au-delà du
terme fixé pour sa durée , ou de dissolution avant ce
terme. Nous verrons l’influence que cette différence d’ob
jet exerce sur la composition de l’assemblée.
391.
— Les actionnaires des sociétés anonymes ont
le plus incontestable intérêt à être tenus au courant de
la situation de la société , à connaître les résultats de
l’administration , et à apprécier ainsi la capacité et le
mérite des administrateurs.
Cet intérêt toutefois devait se concilier avec l’adminis
tration et la somme de liberté et d’indépendance qu’elle
exige. Il ne fallait pas que l’obligation de rendre compte
devint par sa fréquence un obstacle ou une gêne.
La pratique commerciale était ici un guide à suivre
avec confiance. Il n’est pas de commerçant soigneux de
ses intérêts , qui ne s’empresse de remplir l’obligation
que lui fait la loi de dresser chaque année un inventaire
�TITRE II , ART.
27, 28.
81
de son actif et de son passif. Nul doute que ce devoir
ne soit plus pressant encore pour les administrateurs de
la société anonyme. Les statuts fixeront l’époque à la
quelle ce devoir doit être rempli. Mais il était naturel
que le moment où le conseil d’administration se rend
compte à lui-même des opérations de l’année fût aussi
celui où ils devaient initier les actionnaires aux résultats
de ces opérations.
De là la disposition de l’article §7, exigeant la tenue
d’une assemblée annuelle à l’époque fixée par les statuts
et qui est le plus ordinairement la fin d’année.
"592. — Quels sont les actionnaires qui seront ap
pelés à former cette assemblée générale, et à prendre part
à ses délibérations ?
En thèse ordinaire le droit du communiste de parti
ciper à la gestion de sa copropriété ne saurait être con
testé. Aussi s’exercerait-il librement en notre matière, si
les statuts gardaient le silence sur le nombre d’actions
auquel est subordonné le droit de faire partie de l’assem
blée générale. Mais ce silence , la loi a permis de le
rompre, et il n’est peut-être pas de statuts qui ne déter
minent non - seulement le nombre d’actions donnant
droit à participer à l’assemblée générale, mais encore le '
nombre de voix appartenant à chaque actionnaire eu égard au nombre d’actions dont il est porteur.
5 9 5 . — En concédant cette faculté, le législateur n’a
fait d’ailleurs que se conformer à la pratique constante
�82
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
en celle matière. Ainsi les prescriptions de notre article
27 à ce sujet sont la reproduction des termes de l’arti
cle 12 de la loi de mai \ 863 sur les sociétés à respon
sabilité limitée. Or en présentant celui-ci, l’Exposé des
motifs faisait remarquer qu’il était emprunté aux statuts
des sociétés anonymes et des sociétés en commandite
par actions les mieux constituées ; qu’il devait donc être
considéré bien moins comme imposé par l’autorité du
législateur, que comme l’expression de la volonté pro
bable des parties.
Le rapporteur de la loi de 1867 trouvait fort sages les
dispositions de l’article 27. Sans cela, disait-il, on ar
riverait à des impossibilités matérielles et à de criantes
injustices. Composées de tout porteur d’une seule action,
les assemblées générales pourraient,, dans certains cas,
comporter un personnel que nul local ne pourrait con
tenir.
Si c’était là l’unique difficulté , on n’aurait certes pas
dû s’y arrêter , ni modifier le droit commun en vue de
s’y soustraire. Mais ce qui est plus sérieux, c’est qu’avec
un personnel trop nombreux on ne parviendrait pas tou
jours à réunir une majorité ; que si tout le monde ve
nait à l’assemblée, les délibérations pourraient s’éterni
ser ; qu’il serait difficile de maintenir dans la discussion
l’ordre et le calme indispensables, et d’empêcher la con
fusion dans laquelle pourrait tomber cette masse d’inté
ressés.
3 9 4 . — Cependant l’article 27 ne fut pas admis
�TITRE II, ART.- 2 7 , 2 8 .
83
sans opposition. M. de Janzé notamment demandait que
tout porteur d’actions pût prendre parta la délibération,
et que son vote , quel que fût le nombre de ses actions,
ne pût jamais compter que pour une voix.
« Le Code , disait cet honorable député , fixe les cas
dans lesquels on peut interdire à quelqu’un la gestion et
l’administration de sa co-propriété, et cette interdiction
ne peut résulter que d’un jugement. Les statuts des so
ciétés anonymes peuvent-ils stipuler contre le droit com
mun en excluant des assemblées générales les neuf di
xièmes des actionnaires ? Nous ne le pensons pas.
» Vous savez qu’avec la division toujours croissante
de la propriété , les petits porteurs sont beaucoup plus
nombreux que les g ro s , et si vous les excluez tous
vous arriverez à ce résultat : les sociétés seront obligées
de faire statuer sur des intérêts très - considérables par
des assemblées générales fort peu nombreuses, et c’est ce
qui se produit aujourd’hui. »
Comme exemple, M. de Janzé cite la compagnie de
l’Ouest dont le capital obligations s’élève à neuf cent mil
lions , et dont les statuts portent que les assemblées gé
nérales sont régulièrement constituées lorsque les action
naires sont au nombre de trente au moins et représen
tent sept millions cinq cent mille francs, vingtième du
capital actions. Ainsi sept millions cinq cent mille francs
peuvent engager un capital de neuf cent millions.
395.
— L’exemple n ’était ni heureux ni décisif en
faveur de l’amendement. Celui-ci n’avait et ne pouvait
�84
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
avoir d’autre but que d’ouvrir l’accès des assemblées gé
nérales et de donner le droit de voter à tous les asso
ciés, et cette qualité n’appartenait évidemmemt qu’à ceux
qui avaient souscrit le capital déclaré par les statuts et
qui n’était que de cent cinquante millions. Qu’importait
que des subventions concédées plus tard, que des obliga
tions émises par la société eussent porté les ressources de
celle-ci à neuf cent millions ; elles n’avaient pu ni mo
difier le capital primitif, ni augmenter le nombre des as
sociés , parmi lesquels on ne saurait ranger ni les
obligataires , ni ceux qui avaient promis ou donné des
subventions.
On pouvait bien accuser d’insuffisance l’exigence du
vingtième seulement du capital actions pour la régula
rité de l’assemblée ; mais une quotité plus élevée n’en
eût pas moins laissé un écart considérable, puisque, en
admettant au vote tous les actionnaires indifféremment,
cent cinquante millions en eussent engagé neuf cents.
396.
— On avait reproché à l’amendement de vou
loir l’écrasement du franc par les centimes, en d’autres
termes l’écrasement du pot de fer par le pot de terre.
« Je ne crois pas, répondait M. de Janzé, qu’il y ait
aucune espèce de danger de ce genre à adopter les me
sures que je propose. Je pense au contraire, comme le
disait hier M. le ministre d’Etat, que ce sont les gros
sous qu’il faut protéger et que les louis se protègent
bien assez eux-mêmes »
l Moniteur, 6 juin 4867.
�TITRE II, ART.
27, 28.
85
Oui , à moins qu’on ne les ait réduits à l’impossibi
lité de le faire, et c’est ce résultat que consacrait l’a
mendement, non pas certes dans la disposition qui ac
cordait voix délibérative à tous les souscripteurs sans ex
ception, mais évidemment dans celle qui ne donnait à
l’actionnaire qu’une seule voix quel que fût le nombre
de ses actions.
Que devait-il résulter en effet de cette restriction ?
Voilà dix actionnaires qui possèdent chacun cent ac
tions, en tout mille actions, ils auront dix voix, que fe
ront-ils contre les trente souscripteurs qui n’auront pris
qu’une action chacun ? Ainsi, trente action feront la loi
à mille, n’est-ce pas là en effet l’écrasement du pot de
fer par le pot de terre ?
5 9 7 . — Sans doute, il ne faut pas pour protéger le
fort contre le faible laisser opprimer celui-ci par celuilà. Mais comme le disait le rapporteur du Corps légis
latif : dans les sociétés commerciales, anonymes ou en
commandite par actions, il y a une mesure véritable au
droit d’émettre son opinion et son vote sur les résolu
tions à prendre et qui doivent, soit constituer la société,
soit assurer sa marche, soit la développer, soit suppri
mer les obstacles qu’elle rencontre sur son chemin, et
cette mesure c’est l’intérêt. La vérité, en effet, serait au
sein des assemblées générales la représentation propor
tionnelle de l’intérêt ‘.
1 Moniteur, 6 juin 1867.
�S6
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Or, ce n’est pas cette proportionnalité que l’article 27
consacre. Supposez, en effet, que le nombre d’actions
exigé par les statuts pour être membre des assemblées
générales soit de vingt, la proportionnalité donnerait
cinq voix à celui qui aurait cent actions, dix voix à ce
lui qui en posséderait deux cent, vingt-cinq voix à l’ac
tionnaire qui en aurait cinq cent. Or, ce n’est pas ce
que la loi a entendu et voulu en autorisant d’établir
une limite maximum qui ne peut être dépassée.
Il est vrai qu’en ce qui concerne les assemblées an
nuelles ordinaires, la détermination de ce maximum est
abandonnée souverainement et sans limite aux statuts,
mais il n’est peut-être pas de statuts qui aient omis cette
détermination qui ne saurait dégénérer en proportion
nalité pure précisément parce qu’elle a pour objet de
la limiter.
398.
— En permettant cette limitation, l’article 27
la provoque. Aussi M. Bethmont faisait-il remarquer
que, contrairement au principe invoqué par le rappor
teur, sa disposition n’accordait pas à l’intérêt tout ce
que cet intérêt exigeait. Dans la société anonyme, di
sait-il, les personnes disparaissent derrière l’action. Il
est dès lors très-rationnel, très-juste que chaque porteur
d’actions ait autant de voix qu’il possède’de fois le nom
bre d’actions donnant une voix.
C’était évidemment tomber dans l’inconvénient con
traire de celui que nous signalions tout à l’heure.
M. Bethmont raisonnait dans l’hypothèse d’un action-
�TITRE I I , ART. 2 7 , 2 8 .
87
naire possédant quatre mille actions, n’ayant que dix
ou vingt voix.
Dans son système, le chiffre d’actions donnant droit
à une action étant de vingt, cet actionnaire devait
avoir deux cents voix, c’est-à-dire que dans toutes les
délibérations il ferait à lui seul la majorité à peu près
certaine en tenant compte des nombreux souscripteurs
ayant moins de vingt actions, et qu’il imposerait la loi
aux autres actionnaires fussent-ils mille.
Un pareil résultat ne serait-il pas, nous le demandons,
l’écrasement des centimes par les francs, en d’autres
termes l’écrasement du pot de terre par le pot de fer? En
quoi serait-il moins odieux, moins regrettable que celui
qui permettrait au pot de terre d’écraser le pot de fer ?
Il ne pouvait donc pas s’agir de sacrifier un intérêt
à l’autre, ce qu’il fallait, c’était les concilier l’un avec
l’autre dans une mesure aussi juste que possible. C’est
ce que nous parait faire l’article 27 en laissant aux sta
tuts le soin de déterminer le nombre de voix appartenant
à chaque actionnaire en égard au nombre d’actions
dont il est porteur. Une société qui veut se former a
besoin du public et s’adresse à toutes les fortunes. Le
rédacteur des statuts a tout le monde à ménager, on n’a
donc pas à craindre qu’il éloigne les gros souscripteurs
en ne leur accordant qu’un nombre de voix illusoire, et
les petits en exagérant ce nombre outre mesure, il saura
s’arrêter à un juste milieu de nature à rassurer les uns
et les autres.
�88
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÊsj
399.
— Il est peu probable que les statuts omettent
de déterminer le nombre d’actions donnant droit à une
voix , et le maximum de voix que peuvent réclamer les
porteurs d’actions plus ou moins nombreuses. Si cepen
dant ils avaient omis de le faire, que devrait-on décider?
Evidemment tout actionnaire n’eût-il qu’une seule ac
tion, serait de droit admissible aux assemblées générales
et y aurait voix délibérative. Aucune difficulté ne saurait
se supposer à ce sujet.
Mais si une seule action donne voix délibérative , les
porteurs de plusieurs actions seront-ils fondés à récla
mer un nombre de voix équivalant au nombre de leurs
actions ?
M. Duvergier qui examine cette question la résout
par la négative. Il pense et enseigne qu’en l’absence de
toute stipulation dans les statuts, le principe de l’égalité
devrait l’emporter1.
Sans doute la solution contraire offrirait l’inconvé
nient et le danger de laisser le sort de la délibération à
la merci des gros actionnaires. Mais n’y a-t-il ni incon
vénient ni danger de remettre ce sort à la merci des pe
tits ?
Où est d’ailleurs dans ce cas la véritable égalité?
N’est-ce pas en l’invoquant que les porteurs de plusieurs
actions réclameront un nombre équivalent de voix, et où
est la raison pour asseoir le principe sur les personnes
plutôt que sur l’intérêt ?
1 Des sociétés, n» 288.
�TITRE I I , ART.
27, 28.
89
On voit combien sont sérieuses les difficultés auxquel
les peut donner naissance le silence des statuts. Il est
fort regrettable que la lo i, en prévision de cette hypo
thèse , n’ait pas elle-même tranché la question et dicté
la règle à suivre.
En l’état, ce qui ressort de plus net de cet état des
choses, c’est le devoir ou plutôt l’obligation pour les ré
dacteurs des statuts d’user de la faculté que la loi leur
donne, et de déterminer le nombre d’actions donnant
droit à une voix , et le maximum de voix que chaque
actionnaire pourra réclamer eu égard au nombre de ses
actions.
400.
— Il n’est pas nécessaire que celui qui se pré
sente à l’assemblée avec le nombre d’actions requis, soit
propriétaire de ces actions. Il peut n’être que le repré
sentant des propriétaires : notre article 27 le consacre
expressément.
Il n’était pas possible, en effet, d’interdire aux action
naires le droit de déléguer leur pouvoir. Celui qui par
le nombre de ses actions est appelé à faire partie de
l’assemblée générale et à y voter, s’il se trouve empêché
de le faire , exerce un droit incontestable en se choisis
sant un mandataire'.
La difficulté ne pouvait s’élever qu’à l’endroit de ce
lui qui ne possédant pas le nombre d’actions exigé se
trouve exclu des assemblées générales. On aurait pu
prétendre que n’ayant pas lui-même le droit de voter, il
ne pouvait commettre à un tiers l’exercice de ce droit.
�90
LOI -DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Cette prétention n’aurait aucun fondement. En délé
guant un mandataire, l’actionnaire qui n’a pas voix dé
libérative ne lui concède pas cette voix, et si ce manda
taire ne représentait que cet actionnaire, il ne pourrait
ni assister à l’assemblée générale ni y voter.
Mais si une ou quelques actions isolées n’ont pas une
voix , elles ont au moins une fraction de voix, et c’est
cette fraction qui fait l’objet de la délégation. Donc si
plusieurs actionnaires constituant un même mandataire,
celui-ci se trouve, par la réunion des fractions, attein
dre à l’unité, on ne saurait l’empêcher d’exercer les
droits attachés à celle-ci.
\
401.
— Le premier paragraphe de l’article TI ne
statue que pour les assemblées générales ordinaires, ap
pelées chaque année à recevoir les comptes du conseil
d’administration , à constater la situation de la société,
et à délibérer sur les propositions de distribution de di
videndes.
Lorsque s’agissant de constituer la société , l’assem
blée générale a à vérifier la déclaration que l’article 24
impose aux fondateurs; à nommer les premiers adm i
nistrateurs ; à approuver, rejeter ou modifier les apports
en nature ou les avantages particuliers, tout actionnaire,
même celui qui ne posséderait qu’une action , fait de
droit partie de l’assemblée et y a voix délibérative.
Le moment en effet qui décide si la société existera ou
non , est en réalité le moment critique pour les petits
souscripteurs dont la fortune va se trouver plus ou moins
�TITRE II , ART.
27, 28.
91
engagée. C’est aussi le moment où il convenait de les
armer de tous les moyens de se protéger efficacement.
On n’a pu, on ne pouvait pas vouloir les livrer à la merci
de ces gros capitalistes q u i , le plus souvent, n’entrent
dans la société que par spéculation et pour en sortir dès
qu’ils le pourront avec bénéfice, et qui dès lors se mon
treront d’autant plus ardents, d’autant plus faciles à
constituer la société , que cette constitution peut seule
assurer le succès de leur spéculation.
402.
— L’article %1 dans son deuxième paragraphe
a donc concédé voix délibérative même aux actionnaires
qui n’ont qu’une seule action, ce qui n’était pas rigou
reusement nécessaire. Le contraire en effet ne peut ré
sulter que d’une clause des statuts. Or ceux-ci ne de
viennent la loi obligatoire qu’après la constitution régu
lière de la société. On ne saurait donc ni les invoquer,
ni leur attribuer une autorité quelconque lorsqu’il s’agit
de statuer sur cette constitution.
Ce qui était indispensable, c’était de régler la position
des détenteurs d’un nombre d’actions plus ou moins
considérable et de fixer le nombre de voix qui leur ap
partiendrait, Ici la limite ne se trouve que dans les sta
tuts, et, nous venons de le dire, ne sont pas encore obli
gatoires.
On aurait donc pu prétendre avoir un nombre de voix
équivalant au nombre d’actions qu’on possédait; et
puisqu’il n’était pas dans l’intention du législateur d’au
toriser cette prétention, il fallait bien qu’il s’en expliquât.
�92
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Il le fallait surtout dès qu’il voulait même restreindre la
faculté donnée sans limite aux statuts dans l’hypothèse
du premier paragraphe de l’article 27.
Ce sera donc non en vertu des statuts, mais en force
du paragraphe 2 de cet article que les porteurs de plu
sieurs actions n’auront qu’un nombre restreint de voix,
et ce nombre , quelle que soit la limite arrêtée par les
statuts, ne pourra être supérieur à dix, quel que soit le
chiffre des actions, atteignît-il celui de quatre mille sur
lequel raisonnait M. Bethmont.
403.
— Les prescriptions de l’article 28 régissent
toutes les assemblées générales que comporte la société
anonyme , tant celles dont il est question dans l’article
27, que celle dont l’article 31 va nous indiquer l’objet.
Le caractère de ces prescriptions en effet leur assurait
une inévitable, une incontestable généralité.
Ainsi et sauf la régularité de leur constitution , dans
toutes les assemblées générales les délibérations sont pri
ses à la majorité des voix. C’est là au reste la règle com
mune à toutes les assemblées délibérantes. Cette dispo
sition déroge à l’article 4, en n ’exigeant plus le quart
des actionnaires et le quart du capital social que pres
crit ce dernier. On comprend que, en matière de socié
tés anonymes , la loi se préoccupe moins des personnes
que des voix que chacune d’elles possède. Dès qu’un seul
peut en avoir dix, on pourrait atteindre à une majorité
considérable avec un nombre d’actionnaires relativement
minime.
�TITRE I I , ART. 2 7 , 2 8 .
93
La seconde règle commune à toutes les assemblées,
quel qu’en soit l’objet, est la tenue d’une feuille de pré
sence contenant les noms et domicile des actionnaires
qui ont composé l’assemblée, et le nombre d’actions dont
chacun d’eux est porteur. Le but de cette prescription a
été de donner aux associés et même aux tiers le moyen
de contrôler les indications du procès-verbal, et de s’as
surer de la réalité et de la sincérité de la majorité.
A cet effet cette feuille certifiée par le bureau de l’as
semblée est déposée au siège social, et doit être commu
niquée à tout requérant.
A rt. 2 9 .
Les assemblées générales qui ont à délibérer
dans des cas autres que ceux qui sont prévus
par les deux articles qui suivent doivent être
composées d’un nombre d’actionnaires repré
sentant le quart au moins du capital social.
Si l’assemblée générale ne réunit pas ce nom
bre, une nouvelle assemblée se réunit dans les
formes et avec les délais prescrits par les sta
tuts, et elle délibère valablement quelle que soit
la portion du capital représentée par les action
naires.
A rt. 3 0 .
Les assemblées qui ont à délibérer sur la vé
rification des apports , sur la nomination des
�94
LOI I)E
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
premiers administrateurs , sur la sincérité de la
déclaration faite par les fondateurs aux termes
du paragraphe 2 de l ’article 24 , doivent être
composées d’un nombre d’actionnaires repré
sentant la moitié au moins du capital social.
Le capital social dont la moitié doit être re
présentée pour la vérification de l’apport, se
compose seulement des apports non soumis à
vérification.
Si l’assemblée générale ne réunit pas un nom
bre d’actionnaires représentant la moitié du ca
pital social, elle ne peut prendre qu’une délibé
ration provisoire. Dans ce cas une nouvelle as
semblée générale est convoquée. Deux avis, pu
bliés à huit jours d’intervalle, au moins un mois
à l’avance, dans l’un des journaux désignés pour
recevoir les annonces légales, font connaître aux
actionnaires les résolutions provisoires adoptées
par la première assemblée, et ces résolutions de
viennent définitives si elles sont approuvées par
la nouvelle assemblée , composée d’un nombre
d’actionnaires représentant le cinquième au
moins du capital social.
A rt. 31.
Les assemblées qui ont à délibérer sur les
�T1TKE II, ART. 2 9 , 3 0 , 3 1 .
95
modifications aux statuts, ou sur des proposi
tions de continuation de la société au delà du
terme fixé pour sa durée , ou de dissolution avant ce terme, ne sont régulièrement constituées
et ne délibèrent valablement qu’autant quelles
sont composées d’un nombre d’actionnaires re
présentant la moitié au moins du capital social.
SOIU1UIRE
404.
405.
406.
407.
408.
409.
410.
411.
412.
413.
Caractère de ces trois articles ; rationnalité de la base adoptée pour l’exigence de la quotité du capital que doi
vent représenter les assemblées générales'.
Cette quotité doit être du quart pour les assemblées an
nuelles ou relatives à des actes d’administration . Quid si
cette quotité n ’est pas atteinte ?
Origine de la disposition relative aux assemblées constitu
antes. Termes du projet de loi.
Opinion de la commission du Corps législatif ; système
qu’elle proposait ; son caractère.
Système substitué par le conseil d'Etat ; ses conséquences.
Les assemblées appelées à constituer la société doivent re
présenter la moitié au moins du capital.
Conséquences si cette quotité n ’est pas atteinte. Quotité
que doit représenter la nouvelle et seconde assemblée.
Nature du caractère provisoire attaché aux résolutions de
la première assemblée ; conséquence.
Composition des assemblées appelées à voter les modifica
tions aux statuts, la continuation de la société après son
terme, ou sa dissolution avant.
Le silence gardé sur une nouvelle convocation ne l ’exclut
pas.
�96
LOI DE
414.
415.
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Peut-on recourir à une troisième ou quatrième réunion '!
Comment dans les divers cas se calcule la quotité du ca
pital ?
404.
— Ces trois articles complètent ce qui a rap
port aux assemblées générales, en déterminant la quo
tité d’intérêt qui doit être représentée dans chacune
d’elles pour être régulièrement constituée et pouvoir va
lablement délibérer.
Il est évident que cette quotité devait être plus où
moins forte, selon l’importance de l’objet soumis à l’as
semblée. A ce sujet la distinction que nous faisions tout
à l ’heure se présentait naturellement à l’esprit. On ne
pouvait confondre les assemblées appelées soit en fin
d’année, soit dans le courant de l’année, à statuer sur
le compte du conseil d’administration, sur l’élection de
la majorité de ce conseil nécessitée par démission ou
décès, ou sur tout autre mesure de simple administra
tion, avec celles qui ont pour objet de vérifier les ap
ports, de contrôler la déclaration que l’article 24 exige
des fondateurs, de nommer les premiers administrateurs,
c’est-à-dire de statuer sur la constitution de la société ;
ni les unes et les autres avec celles qui devraient pro
noncer sur des modifications aux statuts, sur des pro
positions de continuation de la société au-delà du ter
me fixé pour sa durée ou de dissolution avant ce terme,
il y avait là une gradation qui devait frapper et qui
avait frappé l’attention du législateur.
405. -
Ainsi, l’article 14 de la loi de mai 1863,
�*
TITRE I I , ART.
29, 30, 31.
97
sur les sociétés à responsabilité limitée, avait admis que
les premières étaient régulièrement constituées par un
nombre d’actionnaires représentant le quart du capital
au maximum.
Puis, si cette quotité n’était pas atteinte, on devait
convoquer une nouvelle assemblée, et celle-ci délibérait
valablement quelle que fût la portion du capital repré
sentée par les actionnaires présents.
On avait avec juste raison reculé devant l’idée que
l’absence, la maladie, l’indifférence pussent interrom
pre et condamner à se dissoudre une société régulière
ment constituée, sagement administrée, au risque des
inconvénients et des dangers qu’une liquidation forcée
imprévue pouvait faire courir à la société elle-même et
aux tiers.
Le législateur de 4867 ne pouvait envisager autre
ment les choses, aussi, dans le projet de la loi nouvelle
s’était'On contenté de copier l’article 14 de la loi de
1863, et nous voyons par l’article 29 que le Corps lé
gislatif s’est contenté d’ajouter que la convocation de la
nouvelle assemblée aurait lieu dans les formes et délais
prescrits par les statuts.
406.
— C’est aussi à l’article 14 de la loi de 1863
que le projet de la loi nouvelle se référait relativement
aux assemblées appelées à statuer sur la constitution de
la société, de même que cet article 14, le projet assimi
lait les délibérations sur la valeur de l’apport en nature,
sur la sincérité de la déclaration des fondateurs, sur le
u. - 7
�98
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
choix des premiers administrateurs, aux délibérations ,
sur les modifications aux statuts, sur la continuation de
la société après son terme ou sa dissolution ayant ce ter
me, pour les unes comme pour les autres on exigeait
une assemblée représentant la moitié au moins du ca
pital social.
L’importance de ces délibérations ne pouvait être ni
contestée ni méconnue. Il ne s’agissait plus, en effet, de
faciliter, de simplifier l’administration, d'apprécier et de
contrôler ses résultats ; il y avait à décider si la société
existerait ou non, à en organiser l’administration, à mo
difier la loi sous l’empire de laquelle on avait contracté,
à prolonger l’effet de cet engagement, ou à le briser
avant l’expiration du terme.
Sans doute ces divers objets ne sont pas aussi impor
tants les uns que les autres, mais tous le sont assez pour
justifier l’exigence de la représentation de la moitié du
capital social, d’autant que la délibération devant être
prise à la simple majorité des voix, c’est en définitive le
quart des actions plus une qui donnera cette majorité et
décidera de toutes les questions.
Aussi la loi de 1863 avait-elle pensé qu’elle ne devait
dans aucun cas se départir de cette exigence. Elle n ’a
vait ni prévu ni réglé le cas où l’assemblée n’aurait réu
ni qu’une quotité du capital inférieure à la moitié, et si
elle n’interdisait pas de recourir à une nouvelle assem
blée, elle n’admettait pas que celle-ci pût valablement
délibérer dans des conditions autres que celles imposées
à la première.
�TITRE II ,
ART.
29, 30, 31.
99
407.
— C’est aussi ce que le projet de loi présenté
par le Gouvernement avait adopté. Mais la commission
du Corps législatif ne partagea pas cet avis, non pas qu’
elle trouvât exagéré le chiffre exigé, mais elle pensa qu’il
ne convenait pas d’admettre qu’il ne dût pas être modi
fié à un second appel. /
« Si faible que soit celte proportion de la moitié, di
sait son rapporteur, il lui arrivera fréquemment, l’ex
périence le prouve , de ne pas répondre à l’appel. Que
faire alors ? Le projet du Gouvernement ne le disait pas
et l’Exposé des motifs lui-même était muet sur ce point.
Youlait-on interpréter l’absence des actionnaires comme
un refus et dire qu’il était interdit de passer outre ? Une
telle solution semblait inadmissible. Comment, en effet,
le capital a été souscrit, le premier quart versé, une pre
mière assemblée générale a organisé la vérification de
la valeur de l’apport ou la cause des avantages particu
liers , et parce qu’il s’en est fallu d’une action que la
seconde assemblée, chargée de l’approbation nécessaire
à la constitution définitive de la société , fût régulière
ment composée, il faudra que l’œuvre avorte, on devra
voir un refus dans ce qui sera une simple négligence ou
une impossibilité ! L’absence d’un seul arrêtera la vo
lonté , compromettra la volonté de tous ! C’est impos
sible.
» II fallait, ajoute le rapporteur, trouver un moyen
de sortir de cette impasse sans blesser la raison et la jus
tice, c’est-à-dire en ouvrant aux absents une voie pour
réparer leur faute et ne pas rendre la société victime de
�une société nombreuse , feront toujours obstacle à ce
qu’on réunisse nécessairement non pas même l’unani-r
mité, mais les éléments déterminés par la loi. »
Ce moyen, la commission croyait l’avoir trouvé dans
la disposition additionnelle suivante qu’elle proposait
d’ajouter à l’article du projet :
« Si dans les cas prévus aux deux paragraphes qui
» précèdent l’assemblée générale ne réunit pas le nom» bre d’actionnaires exigé , une nouvelle assemblée gé» nérale est convoquée. Deux avis publiés à huit jours
» d’intervalle , au moins un mois à l’avance , dans le
» journal désigné conformément à l’article 63, font con» naître les résolutions adoptées par la première assem» blée, et ces résolutions deviennent définitives si la nou» velle assemblée les adopte , quelle que soit l’impor» tance du capital représenté par les actionnaires pré» sents. »
Cette disposition additionnelle ne distinguait pas les
assemblées appelées à constituer la société de celles qui
ont à voter les modifications aux statuts, la continuation
ou la dissolution de la société. Puis, pour éviter un in
convénient elle tombait dans un autre non moins grave,
celui de livrer de si importantes décisions à une poignée
d’actionnaires qui n ’y avaient et ne pouvaient y avoir
qu’un intérêt minime.
408.
— Le conseil d’Etat consentait bien à modifier
la disposition du projet ; mais il lui répugnait avec juste
�TITRE II, ART.
29, 30, 31.
101
raison d’accorder à la seconde assemblée la faculté de
délibérer quelque minime que fût le capital qui y était
représenté , et d’étendre aux assemblées délibérant sur
les modifications aux statuts, la continuation ou la dis
solution de la société, les concessions qu’on pouvait faire
à celles qui avaient à constituer la société.
En conséquence il proposait de faire de l’article uni
que du projet trois articles destinés à édicter les condi
tions et les règles à appliquer aux assemblées générales
suivant l’importance de l’objet sur lequel elles seraient
appelées à délibérer. Cette-proposition accueillie par le
Corps législatif a fait introduire dans la loi les articles
29, 30 et 31.
Le premier , nous l’avons d i t , n’exige que la repré
sentation du quart au moins de l’intérêt social dans les
hypothèses que nous avons indiquées, et si ce quart n’est
pas atteint, la nouvelle assemblée convoquée aux formes
et dans les délais prescrits par les statuts, délibère va
lablement quelle que soit la portion du capital repré
sentée par les membres présents.
4 0 9 . — Lorsqu’il s’agit de l’approbation des ap
ports en nature , de la vérification de la sincérité de la
déclaration des fondateurs, de nommer les premiers ad
ministrateurs, l’assemblée n’est régulièrement constituée
que si les actionnaires présents représentent la moitié au
moins du capital social.
4 1 0 . — Si cette proportion n’est pas atteinte , l’as-
�102
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
semblée ne peut prendre qu’une délibération provisoire.
Dans ce cas une nouvelle assemblée générale est convo
quée. Deux avis publiés à huit jours d’intervalle , au
moins un mois à l’avance, dans l’un des journaux dé
signés pour recevoir les annonces légales , font connaî
tre aux actionnaires les résolutions adoptées par la pre
mière assemblée, et ces résolutions deviennent définitives
si elles sont approuvées par la nouvelle assemblée.
Jusqu’ici l’article 30 s’approprie et consacre la dispo
sition additionnelle proposée par la commission ; mais
où se manifeste le désaccord c’est dans la composition
de la nouvelle assemblée. La disposition additionnelle
voulait qu’elle pût régulièrement et valablement délibé
rer , quelle que fût l’importance du capital représenté
par les actionnaires présents ; l’article 30 au contraire
ne lui reconnaît ce pouvoir que si les membres qui la
composent représentent le cinquième au moins du ca
pital social.
Cette exigence qui différencie la nouvelle assemblée
dans les cas prévus par l’article 30, de celle que l’arti
cle 29 prévoit et autorise , n’a rien d’exagéré : elle se
justifie par l’importance et la gravité des mesures à pren
dre bien plus considérables dans un casque dans l’autre.
411.
— On ne saurait équivoquer sur le caractère
provisoire attribué aux résolutions prises par l’assemblée
générale qui ne représente le capital que dans une pro
portion inférieure à la moitié. La loi a entendu que ces
résolutions ne reçussent aucune exécution et fussent con-
�TITRE II, ART. 2 9 , 3 0 ,
31.
103
sidérés comme non avenues jusqu’après le résultat de la
nouvelle assemblée.
On ne saurait concevoir en effet qu’on commençât les
opérations et qu’on engageât la société, lorsqu’on ignore
encore si cette société existe ou non. Il pourrait se faire
que la nouvelle assemblée ne pût à son tour réunir le
cinquième du capital social, ou que régulièrement con
stituée, elle refusât son approbation aux résolutions pri
ses par la première assemblée. Dans ce cas la société
resterait sans effet à l’égard de toutes les parties.
Il était donc rationnel de subordonner la mise en
mouvement de la société à la délibération de la nouvelle
assemblée. Les administrateurs provisoirement élus ne
doivent pas le perdre de vue. La prudence leur fait un
devoir de ne pas prendre leur nomination trop au sé
rieux et de garder l’inaction la plus complète en atten
dant sa confirmation. Le résultat des opérations qu’ils
tenteraient avant, s’il offrait un préjudice, resterait pour
leur compte personnel.
412.
— Voilà donc réglées les assemblées ordinaires
pendant que la société est en cours d’exécution, et celles
qui doivent décider de sa constitution. Restaient à or
ganiser celles qui peuvent être appelées à délibérer sur
des modifications aux statuts, sur la continuation de la
société au delà du terme fixé pour sa durée, ou sa dis
solution avant ce terme.
La haute gravité de ces mesures ne saurait être ni
méconnue ni contestée. Changer la loi du contrat, en
�104
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
modifier les conditions, prolonger l’engagement au delà
du terme pour lequel il a été souscrit, le rompre avant
l’expiration de ce terme, sont en droit commun des ac
tes considérables qui exigent le concours des intéressés,
et qui ne sauraient leur être imposés malgré leur résis
tance et contre leur volonté.
Donc à ne consulter que ce droit, ces mesures, dans
une société exigeraient l’unanimité des associés, et la ma
jorité serait impuissante à lier la minorité. Tout le monde
au Corps législatif reconnaissait ce principe et lui ren
dait hommage.
Cependant l’article 31 y déroge expressément, et cela
dans l’intérêt du commerce et de l’industrie et pour fa
voriser l’esprit d’association. Il permet donc que la ma
jorité de l’assemblée générale modifie les statuts, vote
obligatoirement la continuation.de la société après l’ex
piration du terme , ou sa dissolution avant. Seulement
il exige , pour que la délibération soit régulièrement et
valablement prise, que l’assemblée soit composée d’ac
tionnaires représentant au moins la moitié du capital
social.
413.
— On remarquera que l’article ne se préoccu
pe en aucune manière du cas où l’assemblée ne réunit
pas cette condition de proportionnalité, et n’autorise pas
une nouvelle et seconde assemblée. Est-ce à dire qu’il
en prohibe la convocation et interdit la faculté de la
consulter ?
Non ; et nous en avons la preuve la plus explicite
J
�TiïRE
II ,
ART. 29, 30, 31.
105
dans la discussion législative qui précéda l’adoption de
l’article 31. Un député, M. Chevandier de Valdrome de
mandait qu’on y ajoutât la disposition additionnelle sui
vante : Lorsque dans ces assemblées générales la moitié
au moins des actions n’aura pas été représentée, les dé
libérations pourront être rendues valables par des adhé
sions postérieures écrites et portant le nombre d’actions
ayant consenti, à la moitié plus une du capital social.
« Il ne faudrait pas , disait cet honorable député,
rendre impossible le fonctionnement de l’assemblée gé
nérale. Or lorsque les actions d’une société ont pris
beaucoup de faveur, qu’elles se sont répandues dans tout
le public , dans tout l’empire , il peut se présenter plus
d’une circonstance où l’absence , la maladie , l’indiffé
rence empêcheront les actionnaires de se présenter à l’as
semblée générale.
» On peut même supposer un cas extrême , celui où
la division des actions dans le public sera telle , que la
totalité des actionnaires ayant d roit, par le nombre des
actions qu’ils possèdent, d’assister à l’assemblée générale,
ne représenteraient pas entre eux tous la moitié du ca
pital1. »
Après avoir signalé les inconvénients et les fraudes
auxquels pourraient donner lieu la faculté d’aller de
maison en maison quêter des adhésions, le rapporteur
ajoutait :
« Sans doute il peut se faire, et cela s’est vu souvent,
I Moniteur, 6 juin 1867,
�106
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
que des actionnaires , par un motif quelconque, négli
gence, indifférence ou impossibilité, ne répondent pas à
l’appel en nombre suffisant pourqu’uue première assem
blée générale réunisse dans son sein le nombre d’actions
nécessaire. Est-ce que la société sera désarmée ? Est-ce
qu’il n’y aura point de ressources? À une première as
semblée, une nouvelle peut succéder plus pressante, plus
instante, qui provoquera alors les négligents, les indiffé
rents, et amènera — le conseil d’Etat pourra vous dire
que cela s’est rencontré dans beaucoup d’occasions —
la majorité voulue , c’est-à-dire une assemblée q u i, si
elle n’est pas l’unanimité des associés, en sera au moins
l’expression la plus considérable que raisonnablement on
puisse espérer. »
,
Mais, objecte M. Marie, vous ne parlez pas de la dé
libération d’une seconde assemblée.
« Elle est de droit, » répond le rapporteur1.
M. Chevandier de Valdrome insistant, le commissaire
du Gouvernement, M. Cornudet, repousse ses nouvelles
observations.
« M. de Valdrome , d it- il, pense que le système de
solliciter des adhésions écrites est très-pratique. Eh bien!
s’il est pratique, il y a un autre procédé qui ne l’est pas
moins et qui aura beaucoup moins d’inconvénients que
le système qu’il propose. La loi telle qu’elle est faite l’au
torise parfaitement, aucune disposition additionnelle
n’est nécessaire à cet effet. Ce procédé consiste à convo1 Moniteur, 6 juin 1867.
�TITRE I I , ART. 2 9 , 3 0 ,
31 .
107
quer une seconde assemblée générale, après avoir pris le
soin de rechercher les actionnaires qui ne sont pas ve
nus à la première et de leur demander un pouvoir pour
les représenter à la seconde s’ils ne peuvent pas y venir.
Cela n’est pas plus difficile que de recueillir des adhé
sions écrites, et cela est beaucoup plus régulier , beau
coup moins sujet à abus1. »
Aucun doute donc ne saurait s’élever sur la légalité de
la convocation d’une nouvelle assemblée générale , si,
dans la première , le capital représenté n’atteint pas la
proportion exigée. Le silence gardé à ce sujet par l’arti
cle 31 n’est ni un refus , ni une interdiction. Tout le
monde l’a unanimement reconnu et admis.
414.
— Au reste il était impossible qu’il en fût au
trement. On n« pouvait en effet empêcher les adminis
trateurs de convoquer l’assemblée générale toutes les fois
qu’ils le jugent utile , et de lui soumettre les mesures
qu’ils croient nécessaires. La loi ne dit nulle part qu’après une ou même deux convocations sans résultat, les
propositions soumises à celles-ci ne pourront être re
nouvelées qu’après un intervalle de temps déterminé, et
une disposition de ce genre serait nécessaire pour faire
prohiber une troisième, une quatrième convocation. Aux
objections qui pourraient leur être faites à ce su jet, les
administrateurs répondraient avec succès qu’ils n’enten
dent rattacher en rien la convocation actuelle aux pré1 Ibidem.
�108
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
cédentes restées sans résultat ; qu’ils agissent à nouveau
en exerçant le droit que la loi leur confère.
On peut donc , après avoir échoué une ou deux fois,
tenter de réussir une troisième. Mais à quelque époque
que se tienne l’assemblée appelée à délibérer sur une
des mesures prévues à l’article 31, elle ne sera réguliè
rement constituée et ne délibérera valablement, que si
les actionnaires présents représentent la moitié au moins
du capital social ; et si cette exigence pouvait encourir
un reproche, ce ne pourrait être que celui de ne pas exi
ger comme le droit commun l’unanimité, et de permet
tre au quart plus une des actions d’imposer aux autres
trois quarts des modifications plus ou moins graves aux
statuts, la continuation de la société après son terme, ou
sa dissolution avant.
415.
— Dans chacune des hypothèses des articles
29, 30 et 31 , la quotité du capital se calcule sur le
nombre total des actions en quelques mains qu’elles se
trouvent. Ainsi le possesseur de cent, de deux cents ac
tions pourra bien n ’avoir que cinq , dix ou vingt voix,
mais la totalité de ces actions compteront dans la déter
mination de la quotité du capital exigée pour la régula
rité de la constitution de l’assemblée.
L’article 30 modifie cette règle dans le cas d’apports
en nature. Il exclut ces apports et prescrit de ne calcu
ler la quotité du capital que sur les apports non sujets à
vérification, c’est-à-dire sur le capital numéraire.
Il ne pouvait en être autrement par deux raisons éga-
�TITRE II , ART.
29, 30, 31.
109
lement décisives. D’abord tant que l’apport en nature
n ’est ni vérifié ni admis, sa valeur reste indécise. Pour
quel chiffre la ferait-on figurer dans le capital social ?
Ensuite son importance peut être telle que s’il devait
compter dans la détermination de la quotité du capital
à représenter par l’assemblée, cette quotité serait impos
sible à atteindre. N’oublions pas en effet que l’associé
qui fait l’apport en nature est privé du droit de voter.
Dès lors cet apport reste sans représentant dans l’assem
blée. Pouvait-on donc raisonnablement le comprendre
dans le capital à représenter alors qu’on lui prohibe de
l’être.
Il est vrai que les actionnaires qui n’ont pas le nom
bre d’actions donnant une voix sont également exclus
de l’assemblée, et cependant leurs actions comptent pour
la détermination de la quotité du capital. On pourrait
donc reprocher à la loi de tomber dans une contradic
tion flagrante.
Mais ce reproche serait immérité. La différence entre
ces deux cas s’explique par ce fait que, dans le premier,
l'exclusion est absolue et ne peut être éludée; tandis que
dans le second , les intéressés ont le droit et le moyen
de s’y soustraire en instituant un mandataire commun.
On a donc pu très-rationnellement admettre pour l’un
ce qu’on rejetait pour l’autre.
A ux. 5 2 .
L’assemblée générale désigne un ou plusieurs
commissaires chargés de faire un rapport à l’as-
�110
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
semblée générale de l’année suivante sur la situa
tion de la société, sur le bilan et sur les comptes
présentés par les administrateurs.
La délibération contenant approbation du bip
lan et des comptes est nulle si elle n’a été précé
dée du rapport des commissaires.
A défaut de nomination des commissaires par
l’assemblée générale , ou en cas d’empêchement
ou de refus d’un ou de plusieurs commissaires
nommés , il est procédé à leur nomination ou à
leur remplacement par ordonnance du président
du tribunal de commerce du siège de la société,
à la requête de tout intéressé , les administra
teurs dûment appelés.
A r t . 35.
Pendant le trimestre qui précède l’époque fi
xée par les statuts pour la réunion de l’assemblée
générale, les commissaires ont droit, toutes les
fois qu’ils le jugent convenable dans l’intérêt so
cial , de prendre communication des livres et
d ’examiner les opérations de la société.
Ils peuvent toujours, en cas d’urgence, con
voquer l’assemblée générale.
�TITRE II,
ART. 3 2 , 3 3 ,
34, 35.
111
A rt. 3 4 .
Toute société anonyme doit dresser chaque
semestre un état sommaire de sa situation active
et passive.
Cet état est mis à la disposition des commis
saires.
Il est, en outre, établi chaque année, confor
mément à l’article 9 du Code de commerce, un
inventaire contenant l ’indication des valeurs mo
bilières et immobilières , et de toutes les dettes
actives et passives de la société.
L’inventaire, le bilan et le compte des profits
et pertes sont mis à la disposition des commis
saires le quarantième jour au plus tard avant
l’assemblée générale. Ils sont présentés à cette
assemblée.
A rt. 5 5 .
Quinze jours au moins avant la réunion de
l’assemblée générale, tout actionnaire peut pren
dre, au siège social, communication de l’inven
taire de la liste des actionnaires , et se faire dé
livrer copie du bilan résumant l’inventaire et
du rapport des commissaires.
�112
LOI DE 1867 SUR LES SOCIÉTÉS
r
416.
417.
418.
419.
420.
421.
422.
423.
424.
425.
426.
427.
428.
429.
430.
431.
432.
433.
434.
435.
436.
SO M M A lR K
.
But et objet de l ’institution des commissaires de surveil
lance.
Objections en 1863 ; réponse du rapporteur de la commis
sion du Corps législatif.
Discussion au Corps législatif.
Par qui sont nommés les commissaires.
Durée de leur mission.
Peuvent ne pas être associés.
Ils sont salariés ou gratuits.
Principale mission des commissaires ; son caractère , son
objet.
Leurs prérogatives, époque à laquelle ils pourront les ex
ercer.
Motifs qui la firent restreindre au dernier trimestre ; appré
ciation ,
Leurs droits et leurs obligations. Leur rapport est prescrit
à peine de nullité de la délibération.
Peuvent convoquer l’assemblée générale, dans quels cas.
L’état sommaire que les administrateurs doivent rédiger
chaque semestre doit être mis à leur disposition.
Inventaire de fin d’année; devoir des commissaires d’en
contrôler l’exactitude.
A quelle époque cet inventaire, le bilan et le compte des
profits et pertes doivent-ils leur être remis ?
Droit des actionnaires de consulter ces documents et de se
faire délivrer copie du bilan et du rapport des commis
saires.
Système de la loi de 1863.
jSa modification par la loi nouvelle.
Aux frais de qui est la délivrance de la copie ?
A quelle époque doit se faire la convocation de l ’assemblée
générale annuelle?
Effets de l’inobservation des articles 34 et 35 ; renvoi.
�titré
il,
a rt .
32, 33, 34, 35.
113
-416. — Lorsque en 1863, sous le nom de sociétés
à responsabilité limitée, on intronisa la société anony
me dispensée d’obtenir l'autorisation du Gouvernement,
on songea à suppléer à cette autorisation par un systè
me de précautions qui pût offrir de sérieuses garanties
à la société elle-même et au public appelé à traiter avec
elle. On considéra comme indispensable un contrôle
éclairé des opérations de l’administration et de sa comp
tabilité.
On y pourvut par ^institution de commissaires de sur
veillance, chargés de présenter chaque année à l’assem
blée générale un rapport sur la situation de la société,
sur le bilan et sur les comptes des administrateurs. Ce
devoir, pour être accompli, exigeait, pour les commis
saires, le droit de vérifier les livres et écritures, les docu
ments sociaux, de contrôler les opérations sociales et les
actes de gestion du conseil d’administration.
L’article 46 de la loi du 23 mai 1863, concédait ce
droit sans restriction et sans limites. Les commissaires
peuvent, disait-il, toutes les fois qu'ils le jugent conve
nable, dans l’intérêt social, prendre communication des
livres, examiner les opérations de la société et convo
quer l’assemblée générale.
417.
— Dans leurs observations sur le projet de loi,
quelques tribunaux et chambres de commerce se mon
traient peu favorables à l’institution qu’on armait d’un
tel pouvoir ; ils y voyaient le germe probable d’un an
tagonisme fâcheux entre les administrateurs et les com-
�114
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
\
missaires ; une atteinte au principe de l’unité de direc
tion qui pouvait seule donner une bonne administration.
Le rapporteur de la commission du Corps législatif,
M. du Mirai, écartait ces reproches et ces craintes en
précisant le rôle que la loi attribuait aux commissaires
et la ligne de démarcation qui séparait leurs attributions
de celles des administrateurs. « La sphère d’action des
uns et des autres est distincte, disait-il, les administra
teurs agissent, les commissaires se bornent à contrôler
et n’ont pas même le droit de veto sur les actes des pre
miers. Il est vrai que les commissaires peuvent convo
quer l’assemblée générale ; mais ce n’est pas là un acte
d’administration proprement dit, et il est difficile d’ad
mettre qu’ils en fassent usage hors des cas exception
nels où il sera impérieusement commandé par l’intérêt
social. L’unité de direction n’est donc pas compromise
par cette création, elle pourra, sans doute, parfois cau
ser une gêne et un ennui aux administrateurs ; mais ce
n’est là qu’un inconvénient secondaire, et il est impos
sible de ne pas reconnaître qu’elle constitue pour les ac
tionnaires non administrateurs et pour les tiers une ga
rantie efficace et presque nécessaire. »
418.
— Dans le cours de la discussion au Corps lé
gislatif, M. Javal critiqua fort vivement ces dispositions.
« L’article 15, dispose ; l’assemblée générale désigne un
ou plusieurs commissaires associés ou non ; ces com
missaires sont chargés de faire un rapport à l’assemblée.
Dans l’article 16, les commissaires ont droit, toutes les
�TITRE II,
ART. 3 2 ,
33,
34, 35,
115
fois qu’il le jugent convenable, de prendre connaissance
des livres, d’examiner les opérations de la société et de
convoquer les assemblées générales, ce sont là des com
missaires de police. On va mettre là un étranger qui
vient examiner les livres, contrôler vos affaires. Dans
tous les cas, c’est une nouvelle fonction qu’on crée et je
demande au moins, puisqu’il est difficile dans ce mo
ment, de faire changer les. articles 15 et 1 6 , qu’il soit
bien établi que des répressions très sévères seront exer
cées contre ces commissaires, s’ils usent de leur mandat
d’une manière qui puisse, d’une façon quelconque, nui
re aux intérêts sociaux. Voilà des hommes investis d’un
pouvoir extraordinaire, et qui peuvent certainement je
ter du trouble dans les affaires delà société s’ils ne sont
pas des hommes parfaitement modérés. Je demande
une explication. »
« L’article 26, répond le rapporteur, donne complè
te satisfaction à l’honorable M. Javal. D’après l’article
26, les commissaires sont responsables, aux termes du
droit commun, de l’exécution de leur mandat. Il est
évident que s’ils commettent, dans l’exécution de leur
mandat, des faptes, des malversations, des abus, ils en
seront responsables, puisque l’article 26 le porte.
» Quant à l’institution elle-même, elle est excellente.
C’est une garantie de la bonne administration des ad
ministrateurs. »
Le législateur de 1867 l’a considérée de la même
manière, et n’a pas hésité à la consacrer à son tour.
�416
LOI DK
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
419,
— Nous avons vu l’article 25 confier la nomi
nation des premiers commissaires à l’assemblée géné
rale. Pour les années subséquentes l’article 32 reproduit
d’une manière littérale la disposition de l’article 15 de
la loi de 1863.
Ainsi, l’assemblée générale annuelle désigne un ou
plusieurs commissaires associés ou non chargés de faire
un rapport à l’assemblée générale de l’année suivante
sur la situation de la société, sur le bilan et sur les
comptes présentés par les commissaires.
A défaut de nomination par l’assemblée générale ou
en cas d’empêchement ou de refus d’un ou de plusieurs
des commissaires nommés, il est procédé à leur nomi
nation ou à leur remplacement par ordonnance du pré
sident du tribunal de commerce du siège de la société ,
à la requête de tout intéressé, les administrateurs duement appelés.
On comprend l’appel fait au président du tribunal de
commerce, la pratique a démontré combien il est diffi
cile de réunir le nombre d’actionnaires requis soit par
les statuts, soit p a rla loi. On a donc sagement reculé
devant la nécessité de multiplier les convocations.
Ce que l’on comprend moins, c’est l’obligation d’ap
peler les administrateurs. A quel titre rend-on partie
dans la nomination des contrôleurs ceux qui doivent
être contrôlés ? Est-ce qu’ils peuvent avoir à s’expliquer
sur le choix, proposer celui-ci, récuser celui-là ? Leur
mise en cause est donc une formalité inutile, bonne tout
au plus à donner lieu à quelques frais.
�titre
ii,
art.
32, 33, 34, 35.
117
4 2 0 . — Les commissaires ne sont jamais nommés
que pour un an, mais ils peuvent être réélus à moins
d’une stipulation contraire dans les statuts. A ce sujet
chaque assemblée générale jouit de la plus entière, de la
plus absolue indépendance, elle n’est en rien liée par les
décisions de l’assemblée précédente et de même qu’elle
peut maintenir ou remplacer les commissaires en exercice, de même elle peut en augmenter ou en réduire le
nombre.
4 2 1 . — A la différence des administrateurs les com
missaires peuvent être pris parmi les non associés. On a
compris que la mission confiée aux commissaires exi
geait des connaissances et une aptitude spéciales qui
pourraient ne pas se rencontrer parmi les actionnaires.
Quant à la crainte que M. Javal exprimait en 1863 ,
qu’un étranger n’abusât , au détriment de la so
ciété, du droit qu’il a de consulter les livres, de contrô
ler les affaires, elle est et était évidemment chimérique.
Sans doute, cet abus serait à redouter de la part de
personnes exerçant la même industrie, faisant le même
commerce que le société, mais il est peu probable que
les actionnaires fassent porter leur choix sur un concur
rent et s’exposent ainsi bénévolement au préjudice qui
pourrait en résulter pour leurs intérêts.
4 2 2 . — De même que les administrateurs, les com
missaires sont salariés et gratuits. La loi ne s’en expli
que pas mais son silence ne saurait être considéré com-
�118
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
me une dérogation au principe que le mandat gratuit,
en droit commun, peut être rendu salarié par la con
vention des parties.
Dans notre matière, il est évident que loin d’être la
règle générale, la gratuité du mandat ne sera qu’une
fort rare exception. Difficilement on obtiendra d’un as
socié qu’il accepte sans rétribution les fonctions de com
missaires, les devoirs qu’elles imposent, la responsabi
lité dont elles peuvent être l’origine.
N’est-il pas permis de croire que cette difficulté de
viendra une impossibilité lorsqu’il s’agira d’investir de
ces fonctions un tiers étranger à la société ?
423.
— La principale mission des commissaires est,
nous venons de le voir, de faire à l’assemblée générale
annuelle qui suivra celle dans laquelle ils ont été élus,
un rapport sur la situation de la société, sur le bilan et
sur les comptes présentés par les administrateurs.
M. Josseau croyait que l’article était à ce sujet équi
voque. Le rapport devra-t-il porter seulement sur la si
tuation le bilan et les comptes, ou contenir l’apprécia
tion des opérations qui ont motivé ces comptes et ame
né cette situation ? En conséquence, il demandait qu’on
s’expliquât à ce sujet.
« Aucun doute ne peut raisonnablement s’élever, ré
pondait le rapporteur. En supposant que le mot situa
tion écrit dans l’article 32 ne fut'pas suffisamment ex
plicite, l’obscurité serait manifestement dissipée par les
termes de l’article 33 qui, en effet, oblige, dans les trois
�TITRE TI, ART.
32; 33, 34, 38.
119
mois qui précèdent l’assemblée générale, les commissai
res à se livrer à toutes les investigations possibles sur les
opérations de la société ; il serait illogique que les com
missaires qui sont armés de ce droit, ou plutôt qui ont
ce devoir à remplir, ne vinssent pas faire à l’assemblée
générale un rapport qui exprime tout ce que, pour être
fidèles à leur devoir, ils ont dû examiner '. »
Le rapport ne doit donc pas seulement constater la
situation matérielle, les comptes et le bilan, ce qui serait,
comme l’observait M. Josseau, s’arrêter aux effets sans
remonter aux causes. Or, c’est la connaissance de cel
les-ci qui importe à la société , et cette connaissance
doit résulter des éclaircissements donnés par le rapport.
424.
— Il était dès lors indispensable que les com
missaires fussent mis en position d’acquérir ces éclair
cissements ; qu’on mit à leur disposition les livres, écri
tures et documents de nature à les initier au secret des
opérations et à les éclairer sur le mobile des actes de
l’administration. L’article 33 pourvoit à cette nécessité
qui avait déjà dicté l’article 16 de la loi de mai 1863.
Mais en consacrant le principe la loi nouvelle lui a
fait subir une importante, une capitale modification.
L’article 16 de la loi de 1863 , assimilant les cornmissaires aux conseils de surveillance de la commandite
par actions, rendait leur contrôle permanent et ne met
tait à son exercice d’autre limite que leur convenance.
i Moniteur, 6 juin 1867.
�120
LOÏ DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Il n’en est plus ainsi. Si notre article 33 concède aux
commissaires le droit, toutes les fois qu’ils le jugent con
venable dans l’intérêt social, de prendre communication
des livres et d’examiner les opérations de la société, il
restreint l’exercice de ce droit au trimestre qui précède
l’époque fixée par les statuts pour la réunion de l’as
semblée générale.
425.
— Il semble que le législateur se soit préoc
cupé des reproches que quelques tribunaux et chambres
de commerce adressaient en 1863 à ce droit des com
missaires, et ait entendu ne leur laisser aucun prétexte.
En effet, si la restriction consacrée par l’article 33 a
été adoptée, c’est, nous dit l’Exposé des motifs :
« Qu’il était à craindre que l’action des commissaires
» pouvant s’exercer chaque jo u r , à chaque instant et
» sur toutes choses, ne devînt pour l’administration une
» gêne insupportable. S’il faut que les administrateurs
» soient contrôlés, il faut aussi qu’ils soient libres. Ce
» n’est pas dans leur intérêt qu’il importe que leurs
» mouvements soient dégagés de toute entrave ; c’est
» dans l’intérêt de la société elle-même. Quand arrive
» le moment de rendre les comptes , alors il est utile
» qu’un examen préparatoire en soit fait par des hom» mes impartiaux et expérimentés, afin que l’assemblée
» générale ayant sous les yeux lés résultats de cet exa» men , puisse voter avec la parfaite connaissance des
y> faits et bien éclairée sur la situation de la société. »
Mais ces hommes expérimentés pourront-ils remplir
�TITRE II, ART. 32, 33, 34, 35.
121
leur mission aussi convenablement qu’elle doit l’être.
Après une abstention et une inaction forcées de neuf
m ois, on leur accorde quatre-vingt-dix jours et encore
pas entiers , puisque l’article 35 accorde à chaque ac
tionnaire le droit de se faire délivrer copie du rapport
quinze jours au moins avant la réunion de l’assemblée.
Faudra-t-il bien dès lors que ce rapport soit prêt et dé
posé avant cette quinzaine.
Les commissaires auront soixante-dix ou soixantequinze jours au'plus pour vérifier la situation de la so
ciété , se mettre au courant des opérations de l’année,
contrôler la sincérité du bilan, l’exactitude des comptes.
Il faut avouer que dans cette limite leurs fonctions ne
seront pas une sinécure , et qu’ils arriveront d’autant
plus difficilement à les remplir, que les administrateurs
auront plus d’intérêt à leur déguiser la vérité.
426.
— Quoi qu’il en s o it, il est incontestable que
dans la période de temps qui lui est assignée, leur con
trôle ne doit rencontrer ni difficulté ni obstacle. Ils sont
libres de l’exercer à tous moments, sans qu’on puisse
refuser la communication des livres., écritures et tous
autres documents de nature à les édifier sur la situation
vraie de la société , sur la nature des opérations et la
sincérité des comptes.
C’est le résultat de ces investigations que le rapport
constate et devra mettre sous les yeux des actionnaires
réunis en assemblée générale. Eux seuls en effet peuvent,
s’il y a lieu , prendre les remèdes que la situation peut
�122
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
exiger. Les commissaires , eux , n’ont ni autorité ni
actions sur les administrateurs. Ils n’ont d’autre préro
gative que celle de faire connaître la vérité vraie , et de
mettre l’assemblée générale en position de prononcer en
pleine connaissance sur les mesures qui peuvent être né
cessaires.
,
Cela explique le prix que la loi attache au rapport.
Elle n’admet pas qu’en son absence l’assemblée ait pu
délibérer convenablement et avec une suffisante connais
sance de la situation de la société. En conséquence elle
annule la délibération qui aurait été prise sans être pré
cédée du rapport.
427.
— Le contrôle des commissaires ne pouvant
jamais aboutir qu’à renseigner les associés sur le carac
tère de l’administration et sur ses résultats , il s’ensui
vait forcément qu’ils devaient être autorisés à convoquer,
s’il y avait lieu , l’assemblée générale. C’est surtout en
commerce qu’il importe de ne pas perdre le temps , et
que le moindre délai peut rendre incurable un mal qui
aurait pu être conjuré si on l’avait arrêté à temps.
Or si l’administration est telle qu’elle met en péril la
société , à quoi bon des commissaires surveillants si on
leur avait refusé le droit de réunir les intéressés , et de
provoquer de leur part les mesures que l’état des choses
peut exiger.
Par la même raison le droit de convoquer l’assemblée
générale ne comportait ni limite ni restriction. Aussi la
loi en prescrit-elle l’exercice non pas seulement pendant
�titr e j i , art .
32, 33, 34, 35.
123
le dernier trimestre, mais à quelque époque que ce soit
dès qu’il y a urgence.
Mais comm ent les commissaires reconnaîtront-ils cette
urgence dans la période où toute recherche leur est in
terdite, où ils ne peuvent ni prendre ni exiger commu
nication des livres et des écritures? Il y a là une diffi
culté sérieuse qui pourrait expliquer l’inaction quron leur
reprocherait et la justifier.
Cependant il est impossible que la gêne, que les em
barras d’un commerçant ne transpirent pas au dehors,
il n’est pas de catastrophe qui ne s’annonce à l’avance
par des signes auxquels les hommes d’expérience ne se
trompent guères.
On peut donc admettre que ces signes précurseurs
éveilleront l’attention des commissaires et les porteront
à se renseigner soit auprès des administrateurs, soit au
près des maisons qui ont des relations avec la société,
et ces démarches pourront les convaincre de l’urgence
d’une convocation de l’assemblée générale.
428.
— Aux termes de l’article 34, les administra
teurs de sociétés anonymes doivent, chaque semestre,
dresser un état sommaire de la situation active et pas
sive de la société. Cette prescription ne se rapporte guè
res qu’au premier semestre. Puisque, en effet, à la fin
du second les administrateurs doivent dresser le bilan,
faire inventaire , présenter leur compte , à quoi bon un
état sommaire.
La rédaction de cet état se réalisera donc nécessaire-
�124
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ment pendant la période où les commissaires sont pri
vés du droit d’agir. Cependantla loi veut que cet état
soit mis à leur disposition.
Il y a là une garantie de sincérité incontestable. Sans
doute ne pouvant en contrôler utilement les indications
au moment où ils le reçoivent, les commissaires sont
sans moyens de reconnaître et de constater les erreurs et
les mensonges qui pourraient s’y être glissés.
Mais ces moyens , l’échéance du dernier trimestre les
leur fournit, et il est certain qu’ils vérifieront l’exactitude
de ces indications, ne fût-ce que pour s’édifier et édifier
l’assemblée générale sur la manière dont la société est
administrée.
Nul doute non plus que si cet état était reconnu in
exact, mensonger, fait à plaisir, l’assemblée générale ne
s’empressât de révoquer les administrateurs qui auraient
essayé de la tromper. Or le désir d’éviter cette révocation
et la défaveur qui en résulterait, retiendra les adminis
trateurs dans le devoir, et leur indiquera l’intérêt qu’ils
ont à ne recourir ni à la ruse ni au mensonge.
429.
— Notre article exige qu’en fin d’année il soit
dressé un inventaire des valeurs mobilières et immobi
lières et de toutes les dettes actives et passives de la so
ciété. La société anonyme est un commerçant; on ne
pouvait dès lors la dispenser de l’obligation que l’article
9 du Code de commerce fait à tous les commerçants.
L’inventaire doit être dressé par les administrateurs
exclusivement ; les commissaires n’ont ni le droit d’y
�titre
H,
art , 3 2 ,
33, 34,
35.
425
concourir, ni celui d’êlre présent. Il en est de même du
bilan qui n’est que le résumé de l’inventaire et la consrtatation de ses résultats.
Mais le droit ou plutôt le devoir des commissaires est
de contrôler l’un et l’autre de ces documents de s’assu
rer de leur exactitude, de rechercher s’il n’y a pas d’o
mission du passif ou des exagérations de l’actif. Tout
cela évidemment exigeait que les commissaires eussent
sans cesse à leur disposition et l’inventaire et le bilan.
Voilà pourquoi notre article prescrit qu’ils soient mis à
leur disposition.
Sur la demande de M. de S* P a u l, le Corps législatif
joignit à ces deux documents le compte des profits et
pertes. Ce compte en effet peut offrir un moyen de con
trôler le bilan, et servir tout au moins à faciliter les re
cherches.
430.
— A ce dernier point de vue, il convenait d’au
tant mieux d’en ordonner la remise aux commissaires,
que le délai qu’on leur accorde pour exercer leur con
trôle se trouve assez réduit. C’est le quarantième jour,
au plus tard, avant l’assemblée générale que l’inventaire,
le .bilan et le compte des profits et pertes doivent être
mis à leur disposition ; mais ils doivent avoir terminé
leur examen assez à temps pour que leur rapport puis
se, quinze jours au moins avant l’assemblée générale,
être consulté par les actionnaires qui peuvent même en
exiger copie.
C’est donc en réalité vingt à vingtr-cinq jours qui leur
�426
LOI DE 1 8 6 7
SUll LES SOCIÉTÉS
sont accordés. Or il est des sociétés pour lesquelles ce
délai suffirait à peine à la vérification du matériel.
Il est vrai que les commissaires peuvent diviser entre
eux les vérifications à opérer ; mais cette division a l’in
convénient de substituer l’examen d’un seul à l’examen
de tous, et d’offrir ainsi moins de garanties contre l’er
reur ou la négligence.
431.
— Le rapport des commissaires est lu à l’as
semblée générale à laquelle sont présentés l’inventaire,
le bilan et le compte des profits et pertes. Mais comment
se flatter d’obtenir une appréciation raisonnée d’une ré
union nombreuse qui verrait ces documents pour la pre
mière fois. Si chacun de ses membres voulait en pren
dre une connaissance approfondie , quel délai n’exige
rait pas la délibération.
Sans doute le rapport des commissaires simplifie cette
appréciation. Mais ce rapport sera-t-il bien saisi, à la
lecture, par tout le monde ; sera-t-il lui-même exempt
d’erreurs et n’aura-t-il jamais besoin d’être contrôlé.
Tout cela devait nécessairement préoccuper le légis
lateur et lui faire sentir la nécessité de mesures propres
à mettre les associés à même de se prononcer avec une
entière connaissance de cause et le plus de certitude pos
sible.
432.
— Dans ce but la loi de 4863 avait prescrit
que quinze jours au moins avant la réunion de l’assem
blée générale, une copie du bilan résumant l’inventaire
et du rapport des commissaires fût adressée à chacun
�TITRE I I , ART.
32, 33, 34, 35.
127
des actionnaires connus et déposée au greffe du tribunal
de commerce.
La mesure était excellente ; mais que de difficultés
dans l’exécution. Comment connaître les actionnaires
autrement qu’en consultant le procès-verbal de la pré
cédente assemblée qui ne donnait d’ailleurs que le nom
des membres qui y avaient assisté.
Parmi ces membres eux-mêmes que de mutations avaient pu et dû s’opérer dans l’espace d’une année ? Dans
combien de-mains avaient passé les actions et comment
connaître les possesseurs actuels.
433.
— Le système adopté était donc mauvais, et
le législateur de 1867 l’a répudié. Celui qui lui a été
substitué est beaucoup plus rationnel et promet d ’être
plus efficace.
L’inventaire, la liste des actionnaires, le bilan, le rap
port des commissaires sont déposés au siège de la so
ciété où tout actionnaire peut venir les consulter quinze
jours au moins avant la réunion de l’assemblée géné
rale. Indépendamment de cette communication, chaque
actionnaire peut se faire délivrer copie du bilan résu
mant l’inventaire et du rapport des commissaires.
Ainsi tous ceux qui voudront s’éclairer avant de vo
ter en auront les moyens. Ils n’ont qu’à se présenter au
siège social qu’ils ne peuvent pas ne pas connaître , et
prendre communication des pièces qui y sont à leur dis
position.
Ceux qui ne se contenteraient pas de cette communi-
�128
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
cation se feront délivrer copie du bilan et dü rapport des
commissaires , et les étudieront citez eux , à leur aise,
dans le calme et la réflexion.
Quant à ceux qui ne feraient aucune démarche et ne
se présenteront point au siège social, ils n’auront qu’à
subir, sans pouvoir se plaindre, les conséquences de leur
négligence, de leur indifférence , quelles qu’elles soient.
La loi n’avait ni le moyen, ni le pouvoir de les contrain
dre à user des précautions qui pouvaient sauvegarder
leurs intérêts. Tout ce qu’elle devait faire, c’était de leur
donner les moyens de se protéger, et si dédaignant ces
moyens ils sont restés sans protection , ils ne peuvent
s’en prendre qu’à eux-mêmes.
Plusieurs membres du Corps législatif demandaient
que les actionnaires pussent prendre au siège social com
munication du rapport des administrateurs. Cette de
mande ayant pour résultat de multiplier les moyens
d’investigations, entrait parfaitement dans l’esprit de la
loi. Elle fut cependant repoussée. Ne serait-ce pas par
ce que le rapport des commissaires est, jusqu’à un cer
tain point et sauf les critiques et les appréciations à
faire , le reflet du rapport du conseil d’administration.
En conséquence , disait M. Marie , on trouve déjà dans
le rapport des commissaires, en très-grande partie, ana
lysé le rapport du conseil.
La conclusion qu’en tirait M. Marie c’est qu’on pou
vait sans aucun danger autoriser la communication de
ce dernier rapport. Ce que le Corps législatif en conclut
c’est que, puisque les actionnaires avaient dans le rap-
�titre
il,
art .
32, 33, 34, 35.
129
port des commissaires un reflet, une analyse du rapport
du conseil d’administration , il n’y avait aucune utilité
réelle à leur communiquer ce dernier rapport en ori
ginal.
434.
— Aux frais de qui est la délivrance de la co
pie que notre article permet d’exiger ? De la société ré
pondons nous sans hésiter.
Aucun doute ne pouvait s’élever sous l’empire de la
loi de 1863, qui prescrivait de délivrer la copie non pas
seulement à ceux des actionnaires qui en faisaient la
demande, mais indistinctement à tous ceux qui étaient
connus. Il est évident que cet envoi d’office restait aux
frais de la société, car comment faire payer ceux qui ne
l’avaient ni demandé ni commandé.
La loi de 1867, en subordonnant à la demande la
délivrance de la copie, a laissé les choses ce qu’elles
étaient à l’égard des frais, si elle avait entendu les met
tre à la charge des actionnaires, elle s’en fut expressé
ment expliquée, en disant : tout actionnaire peut se
faire délivrer à. s e s f r a i s copie, etc...
Son silence prouve qu’elle n’a pas voulu qu’il en fut
ainsi, et elle ne pouvait pas le vouloir. La modification
qu’elle fait subir à la loi de 1863, est tout entière dans
l’intérêt des actionnaires et n’a d’autre but que de faire
cesser, pour ceux qui pourraient n ’être pas connus l’ex
ception dans laquelle les plaçait cette loi.
C’est donc une plus large, une plus efficace publicité
qu’elle a recherché. Or, comment concilier ce but et
�130
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
cette intention avec une disposition qui n’aurait d’autre
résultat que celui de restreindre cette publicité? Il est
évident, en effet, qu’en mettant les frais de la copie à
la charge des actionnaires, on en aurait détourné un
nombre plus ou moins considérable de la voie qu’on
leur ouvrait, et qu’en les obligeant ainsi en quelque sor
te à renoncer à tout contrôle on perdait les garanties
que la loi attend de ce contrôle.
D’ailleurs, n’était-il pas naturel et juste de laisser au
compte de la société les dépenses faites dans son inté rêt ? Or, telle est évidemment celle qu’entraînera la déliyrance des copies. En effet, n’est-ce pas à son profit
que s’exerce le contrôle de l’inventaire et du bilan. La
rectification des erreurs commises par les administra
teurs et qui auraient échappé aux commissaires, amé
liorera la situation non de tel ou tel associé, mais de
tous. Tous doivent donc contribuer à la dépense comme
ils participeraient au bénéfice.
435.
— L’article 33 laisse aux statuts le soin de
fixer l’époque de la réunion de l’assemblée générale an
nuelle. Il est évident qu’en déterminant cette époque les
statuts indiqueront la forme de la convocation et le dé
lai à observer entre cette convocation et le jour de la
réunion.
Les rédacteurs des statuts ont à cet égard liberté plei
ne et entière. Toutefois cette liberté ne peut aller jusqu’à
retirer aux actionnaires le délai de quinzaine au moins
que l’article 35 leur impartit.
�TITRE I I , ART. 3 2 , 3 3 ,
34, 35.
431
Il faut donc que l’avis de la réunion arrive aux in
téressés de manière à ce qu’ils jouissent de cette quin
zaine et soient à même de l’employer comme ils ont
droit de le faire.
Comme la convocation aura lieu presque toujours par
insertion dans les journaux, il sera facile de s’assurer si
les prescriptions de l’article 35 ont été ou non observées.
436.
— L’inobservation des prescriptions de cet ar
ticle et de celles de l’article 34 entraînerait-elle la nulli
té de l’assemblée et des délibérations prises en l’état de
cette inobservation ?
La négative résulte infailliblement du silence que la
loi garde à ce sujet, silence d’autant plus remarquable
que l’article 32 frappe de cette peine la délibération qui
n ’a pas été précédée du rapport des commissaires.
Toutefois le législateur n’a pas pu laisser et n’a pas
laissé sans sanction les dispositions des articles 34 et 35.
Cette sanction est écrite dans les articles 43, 44 et 45.
Nous renvoyons au moment où nous nous occuperons
de ces articles à nons expliquer sur le caractère de celte
sanction et sur l’étendue des effets qu’elle comporte.
A rt. 3 6 .
Il e st fait a n n u ellem en t s u r les bénéfices nets
un p ré lè v em e n t d ’u n vingtièm e au m oins affecté
à la fo rm a tio n d ’u n fonds de ré serv e .
Ce p ré lè v em e n t cesse d ’ê tre o b lig ato ire lo rs -
�132
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
que le fonds de réserve a atteint le dixième du
capital social.
SO M M A IRE
437.
438.
439.
440.
441.
442.
443.
444.
445.
446.
447.
448.
Caractère de l’institution du fonds de réserve; son utilité.
Sa consécration ne fut en 1863 contestée par personne.
Critiques dont elle fut l'objet en 1867 ; leur caractère.
Réponse du rapporteur.
Le prélèvement du vingtième au moins des bénéfices nets
est obligatoire et forcé. Peut être plus élevé.
Le silence que les statuts garderaient à ce sujet importe
peu. Responsabilité des administrateurs qui se fondant
sur ce silence auraient omis le prélèvement.
Ce silence n ’est pas une cause de nullité de la société. Mis
sion des tribunaux à ce sujet.
Doit-on prélever avant tout le paiement des intérêts ? Doc
trine.
Examen.
Jurisprudence de la cour de Cassation ; son influence sur la
question.
Les sommes mal à propos distribuées avant le prélèvement
ne sont pas sujettes à rapport. Effets de l’irrégularité à
l’endroit des administrateurs.
Limite posée à l ’obligation de prélever le vingtième ; sa na
ture.
437.
— L’exigenêe d’un fonds de réserve ayant pour
objet de maintenir autant que possible l’intégrité du ca
pital social, se justifiait d’elle-même, les avantages
qu’elle procure la signalaient comme un des éléments
appelés à contribuer le plus énergiquement à la forma
tion, au développement et aux succès des sociétés.
�TITRE II , ART.
36.
133
C’est qu’en effet, comme on l’a d’ailleurs fort judi
cieusement remarqué, le fonds de réserve établit une sa
ge et prévoyante compensation entre la bonne et la mau
vaise fortune ; il emprunte au présent au profit de l’a
venir, il est un motif de confiance pour les tiers, une
ressource et un élément de crédit pour la société
Aussi et malgré qu’avant 1819 la loi n ’eût rien pres
crit à ce sujet, on ne trouverait peut-être pas une so
ciété anonyme qui n ’eût stipulé dans ses statuts la créa
tion d’un fonds de réserve à constituer par un prélève
ment annuel sur les bénéfices.
En 1819, pour la première fois, une circulaire mi
nistérielle rendit cette création obligatoire en déclarant
que l’autorisation du Gouvernement ne serait accordée
qu’aux sociétés qui l’auraient stipulée dans leurs statuts.
438.
— Eorsqu’en 1863 on faisait un premier pas
dans le système de liberté absolue de l’anonymat, et que
la loi du 23 mai organisait le système des précautions
devant se substituer à l’autorisation , l’article 19 pres
crivait un prélèvement annuel d’un vingtième sur les
bénéfices nets, affecté à la formation d’un fonds de ré
serve. Pénétrée des motifs qui avaient dicté cet article,
la commission du Corps législatif n’hésitait pas à décla
rer que la création d’un fonds de réserve était d’un inté
rêt supérieur pour les actionnaires, pour les tiers et
même pour la fortune publique, aussi l’adoption de
l’article ne suscita ni opposition ni controverse.
4 Exposé des motifs de la loi du 23 mai 1863.
�<34
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
439.
— En 1867 également l’exigence de la créa
tion d’un fonds de réserve fut admise sans discussion
par le Corps législatif. Mais le rapport de la commission
nous apprend qu’en dehors, elle avait été combattue au
nom de la liberté des conventions ; qu’on soutenait que
sa vraie raison d’être était uniquement dans une vérita
ble manie de réglementation qui, comme en 1856 et en
1863, s’obstinait à substituer la volonté de la loi à la
prudence des individus ; que le prélèvement d’un ving
tième sur les bénéfices nets jusqu’à concurrence du di
xième du capital social, était un palliatif impuissant
pour répondre à une dépréciation sérieuse de ce capi
tal ; que si l’on y voyait un obstacle à la distribution de
dividendes fictifs, le remède n’était pas sérieux puisqu’il
retranchait seulement cinq pour cent des bénéfices;
qu’ênfin l’intérêt des tiers , si souvent invoqué , n’avait
rien à faire dans une telle exigence ; que ce qui devait
le protéger efficacement c’était la disposition qui suivait,
d’après laquelle, en cas de perte des trois quarts du ca
pital social, les administrateurs sont tenus de provoquer
la réunion de l’assemblée générale à l’effet de délibérer
sur la dissolution de la société.
Par une singulière contradiction , les auteurs de ces
objections déclaraient la mesure excellente en elle-même,
lorsqu’elle était librement introduite dans le pacte social.
Ainsi, d’excellente qu’elle était, la mesure devenait
mauvaise par cela seul que, dans l’intérêt des tiers for
cément absents du contrat, la loi en prescrivait l’obser
vation.
�TITRE II , ART.
36.
135
4 4 0 . — Le rapporteur avait raison. L’aveu de la
bonté de la mesure était la meilleure réponse à toutes
ces critiques. On ne pouvait donc ni s’y arrêter ni leur
prêter un caractère sérieux. Il fallait au contraire ap
plaudir à uqe disposition qui avait pour résultat d’en
courager la prévoyance, d’en faire un devoir légal, d’a
mortir partiellement le capital si des sinistres n’obligent
pas la société à toucher à sa réserve, de constituer ainsi
pour les tiers un surcroît de garantie qui appelait natu
rellement un surcroît de confiance et de crédit.
Le Corps législatif n’en pensa pas autrem ent, et en
1867 comme en 1863, l’article fut adopté sans discus
sion.
4 4 1 . — Ainsi dans toute société anonyme il doit être
annuellement prélevé un vingtième au moins sur les bé
néfices nets, à l’effet de constituer un fonds de réserve.
Ce prélèvement, la loi ne se borne pas à en autoriser la
stipulation dans les statuts, elle l’impose obligatoirement,
de sorte qu’il devrait être réalisé alors même que ces
statuts garderaient à ce sujet le plus com plet, le plus
absolu silence. La société n ’est dispensée d’y pourvoir
que lorsque le fonds de réserve a atteint le dixième du
capital social.
Ce qui dans l’article est facultatif, c’est soit la quo
tité du prélèvement, soit la limite jusqu’à laquelle l’obli
gation d’y pourvoir a été imposée. Le vingtième des bé
néfices d’une part, de l’autre le dixième,du capital con
stituent un minimum en deçà duquel on ne saurait res-
�136
LOI DE.
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ter, mais au delà duquel il est toujours loisible d'aller.
Ainsi, au lieu du cinq pour cent seulement, on peut sti
puler qu’on affectera au fonds de réserve le dix, le quin
ze, le vingt pour cent, et que ce prélèvement ne cessera
que lorsque ce fonds de réserve aura atteint le quart, le
tiers, la moitié du capital.
À défaut de stipulation et dans le silence des statuts,
les proportions édictées par l’article. 36 devraient seules
être observées ; mais, nous venons de le dire, elles s’im
poseraient obligatoirement à la société.
442.
— En effet, du texte et de l’esprit de notre ar
ticle 36, il résulte que, pour la création du fonds de ré
serve , le législateur ne s’en est nullement référé aux
clauses du pacte social. Il intervient directement, il com
mande, il exige : i l e s t f a i t annuellement, etc...
Dès lors qu’importe que les statuts aient ou non une
disposition analogue? Evidemment ils ne pourraient va
lablement stipuler qu’il ne sera fait aucun prélèvement
annuel. Comprendrait - on qu’ils vinssent aboutir à ce
résultat, parce qu’il aurait plu à leur rédacteur de gar
der le silence à l’endroit de ce prélèvement.
Aussi n’hésitons-nous pas à penser que les adminis
trateurs qui se fondant sur ce silence auraient omis d’ef
fectuer le prélèvement, auraient gravement engagé leur
responsabilité. Sans doute ils n’auraient pas violé les
statuts , mais bien évidemment ils auraient à se repro
cher une infraction à la disposition de l’article 36. Ils
seraient donc tenus, aux termes de l’article 44, de répa-
�TITRE I I , ART.
36.
137
rer le préjudice qui en serait résulté soit pour les asso
ciés, soit pour les tiers.
443.
— On n’a pu à notre avis sérieusement agiter
la question de savoir si l’omission des statuts détermi
nerait la nullité de la société. En effet on ne peut pas
même soutenir que cette omission viole la lo i, puisque
celle-ci ordonnant elle-même le prélèvement n’exige
nulle part que l’obligation en soit insérée dans les sta
tuts.
Dans tous les cas la nullité ne pouvant être prononcée
que dans les cas où la loi l’a formellement édictée, nous
comprenons fort bien qu’on ait résolu la question par la
négative.
Ce que nous ne saurions admettre avec M. Vavasseur', c’est que les tribunaux puissent, complétant les
statuts, ordonner que l’omission soit réparée au moyen
de prélèvements à opérer sur les bénéfices futurs , assez
élevés pour faire atteindre au fonds de réserve le mini
mum fixé par L’article 36.
Une pareille décision constituerait un excès de pouvoir
et violerait doublement la loi. Elle grèverait l’avenir au
delà de ce que l’article exige , ce qui ne peut résulter
que de la libre volonté des parties intéressées ; en lais
sant à sa charge la réparation du passé , elle amnistie
rait celui-ci contrairement à l’article 44 , enfin elle ad
mettrait que les prescriptions de l’article 36 pour être
exécutées ont besoin d’être consacrées par les statuts.
�138
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Tout ce que peut et doit faire uu tribunal saisi d’une
demande en nullité de société pour inobservation de
l’article 36, c’est de rejeter la demande , de statuer sur
les dommages-intérêts si des conclusions subsidiaires lui
ont déféré la question, sinon renvoyer purement et sim
plement les parties à se pourvoir ainsi que de droit.
444.
— Le prélèvement ordonné par la loi ne doit
être opéré que sur les bénéfices nets , c’est-à-dire sur
l’excédant d’actif après déduction de tous les frais géné
raux et des charges auxquels la société a dû pourvoir
dans l’année. Ce sont là des dépenses qui doivent être
couvertes par les premières rentrées et soldées tout d’a
bord.
Au nombre de ces charges se placent évidemment les
intérêts payés aux créanciers de la société. Qu’en est-il
de ceux dus aux associés pour la mise que chacun d’eux
a versée. Doit-on les prélever tout d’abord sur les béné
fices bruts et ne rien consacrer au fonds de réserve , si
ces bénéfices sont insuffisants pour pourvoir à celui-ci
et à ceux-là ?
Les honorables jurisconsultes qui ont écrit sur la loi
de 1867 se prononcent tous pour l’affirmative1. Ils font
remarquer que la circulaire du 12 juillet 1819, qui fit
de la création d’un fonds de réserve la condition sine
qua non de l’autorisation, déclare expressément que celte
réserve ne préjudicie en rien au ‘p aiement des intérêts
ordinaires.
1 Rivière , n« 244 ; Vavasseur, n° 385 ; Mathieu et B ourguignat, n °
�TITRE II , ART.
36.
139
Or le législateur ayant formellement proclamé, soit en
1863 soit en 1867 , qu’il entendait non innover mais
consacrer la pratique suivie jusqu’alors , avait par cela
même admis que les intérêts ordinaires avaient la préfé
rence sur le fonds de réserve. Le bon sens, ajoutent MM.
Mathieu et Bourguignat, indique qu’il n’y a rien à met
tre en réserve tant que le capital n’a pas reçu une ré
munération au moins égale à celle qu’il trouverait, si,
ayant été prêté, il était ainsi l’objet d’un prêt ordinaire.
44-5. — Nous nous sommes déjà expliqués sur la
différence qui ne permet pas d’assimiler le versement
d’une mise sociale à un prêt ordinaire'. La rémunéra
tion que peut se promettre et à laquelle peut prétendre
la première , c’est une part de bénéfices proportionnée
à son importance ; la somme simplement prêtée devient
bien la propriété de l’emprunteur , mais à la condition
et à la charge de la restituer à une époque déterminée.
La mise versée ou à verser par les associés est définiti
vement acquise à l’être moral qui les personnifie tous ;
son remboursement est nécessairement subordonné aux
résultats de la gestion ; si cette gestion aboutit à la dé
confiture , elle est engloutie dans le désastre et perdue
irrémissiblement.
De pareilles différences excluent toute possibilité d’as
similation. Ce qui est annuellement dû aux associés, c’est
la part des bénéfices afférente à la fraction du capital
�140
LOI ÛE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
qu’ils représentent. Cette part sera inférieure ou supé
rieure aux intérêts dus au simple capitaliste, elle ne les
représentera pas moins et en tiendra nécessairement lieu.
4 4 6 . — La conclusion serait donc qu’aux termes de
notre article 36, les bénéfices nets ne pourraient être
affectés aux intérêts qu’après le prélèvement de la part
attribuée au fonds de réserve ; mais la jurisprudence de
la cour de Cassation dont il est impossible de ne pas te
nir compte, modifie singulièrement cette conclusion.
Le 8 mai 1867 elle jugeait encore que lorsque les
statuts d’une société autorisent le paiement annuel des
intérêts , les sommes distribuées à ce titre aux action
naires leur sont définitivement acquises , alors même
qu’elles auraient été distribuées en l’absence de tout bé
néfice1, c’est-à-dire que les intérêts peuvent être préle
vés sur le capital lui-même.
À plus forte raison pourraient-ils l’être sur le fonds
de réserve qui n’a pour objet que de maintenir l’inté
grité du capital social , en lui rendant tout ce que les
chances du commerce lui ont enlevé.
À quoi bon dès lors prélever la quotité lui afférant de
préférence aux intérêts ? Si ce prélèvement ne laisse plus
de quoi payer intégralement ces intérêts, ceux-ci mor
dront sur le capital, et ce sera au capital de réserve à
rétablir la part qu’ils lui auront empruntée, c’est-à-dire
qu’il n’aura reçu que pour rendre immédiatement. N’est-
�TITRE I I ,
ART.
36.
141
il pas plus naturel et plus simple d’éviter ce circuit d’o
pérations en n’attribuant au fonds de réserve que ce qui
lui sera définitivement acquis , c’est-à-dire la part des
bénéfices nets qui restera après le paiement intégral des
intérêts ?
Il faut donc en se conformant à la jurisprudence de
la cour de Cassation distinguer : si les statuts stipulent le
paiement annuel- d’un intérêt, ce paiement doit être le
premier prélevé sur les bénéfices nets. Le solde seul doit
être attribué au fonds de réserve.
Si les intérêts et leur paiement annuel sont omis dans
les clauses des statuts, c’est le contraire qui doit être
pratiqué. Alors en effet il n’est dû aucun in térêt, et ce
qui est distribué à ce.titre n’est qu’un dividende vérita
ble. Sans doute sa légalité ne saurait être contestée dès
qu’il est pris sur les bénéfices ; mais il n’en constitue
pas moins un avantage , et en principe un avantage,
quelle que soit sa nature, ne peut être acquitté de pré
férence aux charges.
Or la création d’un fonds de réserve est pour la société
une charge que la loi lui impose. En lui affectant la
quotité déterminée, la société acquitte la dette des asso
ciés. Il n’est dès lors pas possible d’admettre qu’elle ne
doit pas être prélevée avant toute distribution à ces mê
mes associés.
44-7. — Quelle serait par rapport à eux la consé
quence de la distribution avant le prélèvement ce ce qui
aurait dû être appliqué au fonds de réserve ? Pourrait-
�142
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
on les obliger à rapporter jusqu’à concurrence de ce
qu’ils auraient reçu en trop ?
La négative ne saurait être douteuse en l’état des con
ditions auxquelles l’article 10 subordonne le rapport des
dividendes fictifs ; elle aurait dû être consacrée même
sous l’empire de la précédente législation. Alors en effet
le rapport ne pouvait être exigé que lorsqu’il s’agissait
de dividendes fictifs , et il n’y avait de dividendes fictifs
que ceux qui étaient pris aux dépens du capital. Dès
que les sommes distribuées représentaient réellement le
bénéfice, l’action en rapport n’était ni recevable ni fon
dée.
Or , dans notre hypothèse , la distribution qui avait
précédé au lieu de suivre le prélèvement du vingtième
n’avait pu modifier le caractère des sommes qui en a vaient fait la matière. Elles provenaient de bénéfices, et
cela suffit pour mettre la distribution à l’abri de tout re
proche.
Les actionnaires garderaient donc ce qu’ils ont reçu,
quelque préjudice que le défaut de prélèvement de la part
afférante au fonds de réserve eût occasionné soit à la so
ciété soit aux tiers , ceux qui répondraient de ce préju
dice ce sont les administrateurs spécialement chargés
d’exécuter les prescriptions de la loi. La violation de
celles de l’article 36 constituerait de leur part une faute
lourde dont ils devraient être tenus, aux termes de l’ar
ticle 44, de réparer les conséquences.
4 4 8 . — Le prélèvement prescrit par l’article 36 cesse
�TITRE I I , ART. 3 6 .
443
d’être obligatoire lorsque le fonds de réserve a atteint
le dixième du capital. On a pensé qu’une limite pouvait
et devait être adoptée , à moins de vouloir à côté d’un
capital productif créer un capital improductif pouvant
atteindre et même dépasser le premier, ce que personne
ne pouvait admettre.
Une limite était donc convenable, et celle du dixième
du capital atteignait le but qu’on se proposait et n’offrait
aucun inconvénient. Il est rare en effet qu’on perde d’un
seul coup plus du dixième de son capital, et les pertes
moindres devraient être couvertes par le fonds de réserve
qu’on aurait ensuite le temps, de reconstituer.
Le législateur en effet n’entend se départir de ses exi
gences relativement au fonds de réserve que si ayant at
teint le dixième il se maintient à ce chiffre. Si des per
tes viennent l’absorber en tout ou en partie, l’obligation
de prélever sur les bénéfices et dans la proportion in
diquée de quoi le ramener à son chiffre normal renaît
immédiatement.
S’il en était autrement, si ayant atteint le dixième et
ayant été absorbé par des pertes on continuait à être
dispensé de tout prélèvement, le fonds de réserve n ’au
rait qu’une existence plus ou moins éphémère, et n ’of
frirait plus cette ressource permanente que sa création a
eu pour objet d’assurer à la société et aux tiers.
Au reste on remarquera que la loi n’a nullement en
tendu empêcher un prélèvement après que le fonds de
réserve a atteint le dixième ; elle se borne à déclarer qu’il
n’est plus obligatoire.
�144
LOI DE
1867
!
SUR LES SOCIÉTÉS
Il peui donc encore être volontaire, la prudence peut
déterminer ce résultat et le légitimerait au besoin. Mais
dans ce cas il ne serait que ce que les intéressés vou
draient qu’il fût : de un, de deux pour cent. On pour
rait même déclarer qu’après un délai déterminé ce qui
excéderait le dixième du capital serait distribué aux as
sociés. On retomberait et d’une manière absolue sous
l’empire du principe de la liberté des conventions.
A rt. 3 7 .
En cas de perte des trois quarts du capital so
cial, les administrateurs sont tenus de provoquer
la réunion de l’assemblée générale de tous les ac
tionnaires, à l'effet de statuer sur la question de
savoir s’il y a lieu de prononcer la dissolution
de la société.
La résolution de l’assemblée est dans tous les
cas rendue publique.
A défaut par les administrateurs de réunir
l’assemblée générale, comme dans le cas où cette
assemblée n’aurait pu se constituer régulière
ment, tout intéressé peut demander la dissolu
tion de la société devant les tribunaux.
A rt. 3 8 .
La dissolution peut être prononcée sur la de-
�t ît r e
i i , art.
37, 38, 39.
145
mande de toute partie intéressée , lorsqu’un an
s’est écoulé depuis l’époque où le nombre des
associés est réduit à moins de sept.
A rt. 5 9 .
L’article 17 est applicable aux sociétés ano
nymes.
SOMMAIRK
449.
450.
451.
452.
453.
454.
455.
456.
457.
458.
459.
460.
Caractère de l’article 37. Devoir qu’il impose de convoquer
l ’assemblée en cas de perte des trois quarts du capital.
Objet sur lequel elle doit délibérer.
Comment doit être composée cette assemblée; dans quelle
proportion elle doit représenter le capital.
De quel capital parle l’article 39. Proposition de la com
mission du Corps législatif ; ses motifs.
La dissolution n’est que facultative. Critique et apprécia
tion.
Motifs donnés par la commission du Corps législatif ; leur
caractère.
Conséquence du système adopté.
La décision de l ’assemblée générale est souveraine et n’ad
met aucun recours.
Dans quels cas on peut déférer la question à la justice.
Pouvoir des tribunaux ; moyens d’instruction dont ils dis
posent.
Publicité que doit recevoir la délibération de l ’assemblée ;
sa forme.
Le délai d’un mois accordé par l’article 55 n’est pas appli
cable ; conséquence.
Le jugement rendu par le tribunal a défaut de l’assemblée
générale doit être publié.
ii. — 10
�446
*5-61.
462 .
463 .
464 .
465 .
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Faculté de demander la dissolution en justice, lorsque le
nombre des associés est descendu au dessous de sept.
La dissolution n ’est que facultative ; motifs qui l’exi
geaient.
L’action n ’est recevable qu’un an après l ’époqueoù le nom
bre des associés est devenu inférieur à sept.
Signification du terme intéressé dans les articles 37 et 38.
Faculté peur les associés anonymes de plaider par commis
saires ; dans quels cas.
4 4 9 . — L’article 37 est l’application d’une pensée
qui domine la matière commerciale et qui a son fonde
ment dans l’intérêt des commerçants eux-mêmës, dans
celui du public.
Il importe à tous, en effet, qu’une entreprise mortel
lement atteinte s’arrête et renonce à des opérations qui
la conduisent en quelque sorte fatalement à la faillite et
deviennent pour les créanciers anciens comme pour les
nouveaux une cause de ruine.
Or, la société anonyme n’est qu’un commerçant or
dinaire, on ne pouvait donc l’excepter de la loi qu’on a
entendu faire à tous les commerçants.
En conséquence, dès qu’elle a perdu les trois quarts
de son capital, les administrateurs sont tenus de provo
quer la réunion de l’assemblée générale et de lui sou
mettre la question de savoir s’il y a lieu ou non à dis
soudre la société.
4 5 0 . — On remarquera que l’article exige la réu
nion de l’assemblée générale de tous les actionnaires,
En conséquence. en font nécessairement partie tous ceux
�TITRE I I , ART. 3 7 ,
38, 39.
147
qui possèdent des actions, soit que celles-ci atteignent ,
soit qu’elles n’atteignent pas le nombre exigé par les
statuts pour avoir droit à une voix.
Dès qu’il s’agit de dissoudre la société avant l’expira
tion du terme qui lui a été assigné, ou d’engager les
débris du capital dans les chances qui en ont dévoré les
trois quarts, il est juste que tous les intéressés sans ex
ception puissent être consultés et donner leur avis.
La délibération est prise à la majorité des membres
présents, mais aux termes de l’article 31 l’assemblée
n ’est régulièrement constituée et ne peut valablement
délibérer que si elle est composée d’actionnaires repré
sentant la moitié au moins du capital social.
451.
— Quel est le capital dont l’article 37 entend
parler ? Est-ce le capital indiqué par les statuts et sous
crit en entier ? Est-celui dont le versement est réalisé ou
réalisable ?
Le doute pouvait naître des termes mêmes de l’arti
cle qui n ’émettaient et n ’excluaient aucune opinion à ce
sujet, mais un incident de la discussion au Corps légis
latif détermine le sens précis et la véritable signification
de l’article 37.
La commission du Corps législatif proposait de le ré
diger en ces termes : en cas de perte des trois quarts du
capital social dont le versement est réalisé ou obliga
toire, les administrateurs, etc...
« En se bornant à parler du capital social, disait le
rapporteur, le projet ne tient pas compte de la faculté
�148
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
accordée par l’article 3, que l’article 214 déclare applica
ble aux sociétés anonymes, de limiter, par les statuts,
l’obligation des souscripteurs primitifs à la moitié du ca
pital nominal de l’action. Il pourrait résulter de là que,
le titre étant déprécié de moitié, par exemple, il fut im
possible de réaliser une obole au delà de la portion du
capital obligatoire. Dans ce cas, cependant, les admi
nistrateurs, si la rédaction du projet était maintenue,
pourraient soutenir que les trois quarts du capital social
n’étaient pas perdus là même où la presque totalité du
capital vraiment réalisable serait dévorée ; la même dif
ficulté peut se présenter dans le cas où, par suite d’in
solvabilité des souscripteurs primitifs, il est impossible
de réaliser intégralement, même le capital obligatoire.
Sans doute, un capital non recouvré n’est pas perdu,
mais quelle est la condition d’un capital irrécouvrable ?
Qu’importe qu’il soit détruit par des sinistres ou par
l’insolvabilité absolue du débiteur ? La loi veut sagement
que les actionnaires ou la justice soient appelés à se pro
noncer sur la dissolution de la société quand elle se
trouve amenée à une situation qui accuse son impuissan
ce, c’est-à-dire quand l’instrument de son activité, la
garantie des tiers, son capital est diminué dans une
proportion menaçante. Or, le seul capital qui puisse
compter, c’est le capital réalisé ; s’il n’a pas été appelé
intégralement, et si les souscripteurs sont solvables, les
administrateurs en provoqueront le versement ; ils le fe
ront surtout quand la société, sans que son existence soit
compromise ou menacée, sera pressée par d’urgents be-
�TITRE I I , ART. 3 7 ,
38, 39.
449
soins, et ils n’attendront pas pour cela que les appa
rences provoquent et légitiment la mesure prescrite par
notre article. »
Cette proposition ne recueillit pas l’adhésion du con
seil d’Etat, et le Corps législatif, auquel la commission
la soumit, ne crut pas devoir la consacrer. Le capital
social dont la perte, lorsqu’elle a atteint les trois quarts,
doit faire mettre en délibération la dissolution de la so
ciété. est donc uniquement le capital déterminé par les
statuts, et dont la souscription totale a été la condition
de la constitution de la société.
452.
— L’article 37 a évidemment pour but de pro
téger les associés et surtout les tiers contre l’entraîne
ment auquel se laissent trop souvent aller ceux dont la
profession est de spéculer sur les chances du commerce.
~Or, les illusions qui engendrent cet entrainement pour
ront dominer les administrateurs des sociétés anonymes
aussi bien que le commerçant agissant sous son nom et
dans son intérêt propre et l’effet ne manquera pas d’ê
tre le même, c’est-à-dire que s’élargissant chaque jour
davantage, le gouffre finira par engloutir toutes les res
sources et les associés et les tiers se trouveront en pré
sence de la plus désastreuse faillite.
Ce résultat déplorable à tous les points de vue, ne
convenait-il pas de le prévenir ? N’était-il pas sage de
tenter de soustraire au naufrage une partie de l’actif
quelque minime qu’elle pût être ? C’est ce qu’on s’est
flatté d’atteindre par l’article 37.
�S
150
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Mais le malheur c’est que cet article donne un con
seil au lieu d’imposer une obligation. En effet, il fait de
la dissolution une faculté qui est souverainement laissée
à l’appréciation des actionnaires.
Dès lors, où est la garantie qu’on écoutera les conseils
de la prudence, et que renonçant à l’espoir de récupérer
ce qu’on a perdu on se prononcera pour la dissolution?
Quels moyens ont d’ailleurs les actionnaires pour ju
ger sainement la situation réelle de la société, et pour
résoudre d’une manière convenable la question de vie
ou de mort qui leur est posée? Ne seront-ils pas natu
rellement portés à s’en rapporter aux administrateurs ?
Or, ceux-ci sont intéressés à prolonger l’existence de la
société qui leur assure un traitement plus ou moins con
sidérable. Ne seront-ils pas d’ailleurs, et de très-bonne
foi, séduits par des apparences, entraînés par des espé
rances qu’ils considéreront comme infaillibles qu’ils ne
manqueront pas de faire miroiter aux yeux des action
naires ?
Que feront ceux-ci ? Ils partageront des illusions aux
quelles ils céderont d’autant plus volontiers qu’elles flat
tent leurs désirs et leurs espérances. Il y a là un danger
réel auquel il fallait remédier et que l’article 37 encou
rage et autorise.
Il fallait donc, en cas de perte des trois quarts du ca
pital social, exiger obligatoirement la dissolution de la
société. C’est ce que le Gouvernement avait compris en
1863 et c’est ce qu’il avait inscrit dans le projet de la
loi du 23 mai, sur les sociétés à responsabilité limitée.
�TITRE II, ART.
37, 38, 39.
151
La dissolution obligée, disait l’Exposé des motifs, empê
chera les gens honnêtes de s’aveugler sur leur situation
et de courir à une ruine complète ; elle empêchera sur
tout de tromper le public par une apparence de vie
lorsque, dans la réalité, la société ne peut plus exister.
453.
— Sans méconnaître la vérité pratique de ces
considérations, la commission du Corps législatif ne crut
devoir admettre ni le principe ni la conséquence. Nous
avons, disait le rapporteur, rendu facultative la pres
cription obligatoire qui existait dans le projet primitif,
parce qu’il y a certaines affaires qui peuvent encore
fonctionner avec un capital réduit, et qu’il serait trop
rigoureux d’anéantir au moment où elles semblent de
voir réparer leurs pertes. Mais dans le plus grand nom
bre des situations il sera sage de s’arrêter et il y aura
avantage à ce que le public soit averti.
Ainsi on sacrifiait la règle générale à l’exception, le
plus grand nombre des situations aux quelques affaires
qui peuvent encore fonctionner avec un capital réduit.
Dans la recherche de ces affaires, la doctrine est parve
nue à en découvrir une seule : les exploitations des mi
nes1, mais la société minière qui a absorbé les trois
quarts de son capital en travaux qui permettront d’ex
ploiter, n’est pas en perte, ces trois quarts étant repré
sentés par ces travaux mêmes qu’il fallait nécessaire
ment exécuter. D’ailleurs, si une exception était à faire
1 Mathieu et Bourguignat, n° 227; Rivière, n°247.
�152
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
elle pouvait trouver place dans la loi et concilier ainsi
toutes les exigences.
Le Corps législatif appelé à statuer sur la loi de 1867
étant le même qui avait en 1863 consacré la dissolution
facultative, on pouvait croire qu’il ne voudrait pas se
déjuger. Aussi, ni le Gouvernement ni aucun de ses
membres ne songea à lui demander de rendre cette
dissolution obligatoire, et notre article 37 fut adopté
sans discussion.
454.
— Ce qui en résulte c’est qu’une société mor
tellement atteinte pourra continuer ses opérations et ve
nir fatalement aboutir à la déconfiture et à la faillite.
Comment y échapperait-elle? Pour faire le commerce
il faut des capitaux ou du crédit. Dans notre hypothèse,
le capital est dévoré , non pas aux trois quarts seule
ment , mais encore en totalité , au dix-neuf vingtièmes
peut être.
En effet, aux pertes résultant de sinistres commer
ciaux, il faut ajouter les non valeurs que l’insolvabilité
des actionnaires ou de leurs cessionnaires, dans le cas
prévu par l’article 3, peut créer. Ces non valeurs qui ne
comptent pas dans le calcul de la perte exigée par l’ar
ticle 37, n’en auront pas moins anéanti le capital au re
couvrement duquel elles opposent un obstacle invincible.
Le crédit ! Mais l’article 37, et c’est là encore un re
proche à lui faire, s’est en quelque sorte appliqué à en
tarir la source. Il exige, en effet, que quelle que soit la
délibération de l’assemblée, elle soit rendue publique.
�TITRE I I , ART.
37, 38, 39.
453
Sans doute, il était indispensable de mettre le public
en garde contre le piège qu’on tendrait à sa confiance.
Mais qu’arrivera-t-il de la publicité si justement or
donnée ? C’est que tous ceux qui en seront touchés se
garderont de traiter avec la société, ou que s’ils traitent,
ils le feront à des conditions tellement onéreuses que
leur concours, au lieu de conjurer ou d’éloigner le pé
ril, le rendra plus imminent, plus inévitable encore.
Nous avons donc raison de le dire, l’article 37 ne
réalisera pas les espérances qu’on s’en était promis. La
continuation de la société ne peut avoir qu’un résultat,
anéantir les quelques ressources qui lui restent encore.
En l’autorisant, l’article semble partager des illusions
et encourager un entraînement qu’il fallait énergique
ment prévenir et combattre.
455.
— La décision que l’assemblée générale adop
te est souveraine et sans recours possible. Ainsi ceux
qui auraient voulu soustraire au danger ce qui reste en
core du capital et qui auraient le plus vif intérêt à le
faire, seront contraint d’accepter la loi que leurs collè
gues plus audacieux et plus riches voudront leur impo
ser, résultat d’autant plus déplorable que l’assemblée
se composant de la moitié du capital, la majorité n’exi
ge que le quart, plus une des actions, et qu’ainsi le
quart liant les autres trois quarts, c’est la minorité qui
pèsera sur la majorité, et lui imposera ses volontés.
Ce résultat nous parait rendre bien plus regrettable
encore que la loi n’ait pas cru devoir réserver l’inter-
�154
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
vention de la justice qui, sans danger pour personne,
pouvait prévenir et empêcher de graves abus. Nous vou
drions bien pouvoir admettre avec M. Rivière que mal
gré la délibération de l’assemblée, l’associé qui pourrait
établir que le capital a souffert un amoindrissement tel
que la société n’est plus en position de suffire à ses
opérations, serait recevable et fondé à poursuivre en jus
tice la dissolution, mais aucun doute ne saurait exister.
Loin d’autoriser , ce système, l’article 37 le condamne et
l’exclut.
D’une part, en effet, la dissolution étant purement fa
cultative, l’assemblée générale, qui refuse de la pronon
cer, use du pouvoir qui lui appartient, exerce un droit.
A quel titre donc et sous quel prétexte les tribunaux
pourraient-ils contrôler et surtout réformer sa dé
cision.
D’autre part, nous allons le voir, la loi permet bien
d’en appeler aux tribunaux, mais uniquement dans le
cas où l’assemblée’ générale n’a ni délibéré ni pu délibé
rer. Par cela même elle le prohibe dans le cas contraire;
celle-ci ayant prononcé, il n’y a plus à la suppléer.
456.
— On pouvait et on devait en effet prévoir soit
que les administrateurs omettraient de provoquer la ré
union de l’assemblée générale, soit que celle-ci dûment
convoquée ne pourrait se constituer régulièrement. Nous
avons dit que, dans ce dernier cas, le silence gardé par
la loi sur une nouvelle assemblée ne faisait point obsta
cle à sa convocation ; mais il faut que la mesure qu’il
�TITRE II , ART.
37, 38, 39.
155
s’agit de prendre soit de nature à permettre de tenter
cette nouvelle convocation , et c’est ce qui se réalisera
pour les modifications aux statuts , c’est ce qui pourra
se réaliser pour les propositions de continuer la société
au delà de son terme.
Mais lorsqu’il s’agit de dissoudre la société, et surtout
de la dissoudre pour perte des trois quarts du capital, il
y a urgence , et le temps qu’on perdrait à convoquer et
à réunir l’assemblée pourrait laisser se réaliser la ruine
complète et causer un préjudice irréparable.
Il fallait donc dans ce cas que chaque intéressé pût
demander aux tribunaux de statuer sur la question’que
Rassemblée n ’a pu résoudre, et c’est ce que notre article
37 ne manque pas d’autoriser.
457.
— Mais transportée de Rassemblée au tribu
nal, la question ne perd rien de son caractère. La disso
lution reste purement facultative. Elle peut être accueil
lie ou rejetée suivant l’appréciation que le juge fera de
son opportunité.
Pour cette appréciation le tribunal dispose de tous les
moyens d’instruction qu’il juge nécessaire. Il peut en
tendre les administrateurs, examiner ou faire examiner
les livres, charger des experts de constater la situation de
la société, de déterminer si les ressources qui lui restent
lui permettent de continuer avec quelques chances de
succès.
La seule chose que le tribunal ne pourrait faire c’est
de renvoyer à Rassemblée générale pour avoir son avis.
�,
156
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Il faudrait pour cela perdre le temps qu’exigerait la con
vocation et la réunion des intéressés sans avoir aucune
certitude de réussir. Or c’est précisément pour éviter cette
perte de temps qu’on a permis de déférer la question
aux tribunaux.
D’ailleurs si l'assemblée générale donnait son avis,
tout serait fini ; le tribunal n’aurait plus rien à faire.
C’est elle et elle seule qui prononce souverainement. Les
tribunaux ne sont appelés qu’à suppléer à l’impossibilité
où elle s’est trouvée de s’expliquer. Où serait donc la
nécessité de la suppléer, si à une époque quelconque
elle avait pu délibérer et avait en effet délibéré réguliè
rement ?
L’appel que le tribunal ferait à son avis aboutirait
donc à l’un de ces résultats : ou tomber à plein dans
l’inconvénient qui a motivé l’intervention de la justice et
qu’on a voulu précisément éviter en recourant à sa ju
ridiction, ou renoncer à la mission qui lui est confiée et
la transférer à l’assemblée générale. Or on ne saurait
accepter ni l’un ni l’autre.
458.
— L’article 37 exige que dans tous les cas la
résolution de l’assemblée soit rendue publique. L’impor
tance de cette publicité ne saurait être méconnue , sur
tout lorsque l’assemblée s’est prononcée pour la conti
nuation de la société. Que pour certaines associations la
perte des trois quarts du capital ne soit pas une cause
de dissolution immédiate, on peut l’admettre. Mais pour
celles-là comme pour toutes les autres, cette perte est un
I
�TITBE II, ART. 37, 38, 39.
157
évènement grave, capital, devant exercer une énorme
influence sur leur crédit. Il est donc de la plus haute
importance que les tiers soient avertis de cette situation
pour qu’ils puissent traiter avec connaissance de cause
et juger sainement de la conduite à tenir envers la so
ciété.
La publicité doit être donnée dans la forme prescrite
par les articles 55 et 56. C’est d’ailleurs ce que prescrit
formellement l’article 61. Nous examinerons sous ces
articles la nature et le caractère des conditions qu’ils
exigent. Nous nous bornons à résoudre ici une difficulté
spéciale que leur application à notre matière soulève.
459.
— Les articles 55 et 56 accordent tout un mois
pour l’accomplissement des formalités qu’ils prescrivent.
Ces formalités sont donc régulièrement remplies le der
nier aussi bien que le premier jour du mois. Doit-il en
être de même pour la publication de la résolution de
l’assemblée générale ?
Cette question n ’offre pas un grand intérêt dans le
cas où l’assemblée a voté la dissolution. Ce vote en effet
amenant la nécessité d’une liquidation immédiate, c’est
entre les mains du liquidateur que passera la gestion
des affaires sociales, et celui-ci traitant en sa qualité, les
tiers ne pourront être induits en erreur sur la véritable
situation de la société.
Mais cet ..intérêt est énorme lorsque malgré la perte
des trois quarts du capital, l’assemblée générale a décidé
la continuation de la société. Nous l’avons déjà d it, la
�connaissance de cette situation peut sinon faire perdre à
la société tout crédit, du moins le faire restreindre dans
d’étroites limites. La société a dès lors le plus évident
intérêt à retarder le plus possible cette connaissance, et
si on lui accorde un mois pour publier la résolution de
l’assemblée générale, on peut être certain qu’elle atten
dra, pour le faire, le dernier jour du délai ; et dans l’in
tervalle combien de dupes n’aura-t-on pas attiré dans
le piège frauduleusement tendu à la confiance publique?
Il ne nous paraît pas possible d’admettre que le lé
gislateur ait entendu autoriser un abus aussi grave,
aussi dangereux pour le public ; c’eût été retirer d’une
main la protection qu’il offrait de l’autre, et pour la ga
rantie de laquelle il prescrivait la publicité de la délibé
ration.
Nous croyons donc que la publication doit être faite,
non dans le mois , mais immédiatement et sans autre
retard que celui qu’exigerait l’opération elle-même. Vai
nement objecterait-on que l’article 61 renvoi! purement
et simplement aux articles 55 et 56 qui doivent dès lors
être appliqués dans toutes leurs dispositions. Nous ré
pondons que ces articles disposent spécialement pour la
publication des actes de sociétés, et que si elles accordent
un délai d’un mois , c’est que par elle-même cette pu
blication n ’a rien d’urgent; que les tiers ne peuvent être
trompés , puisque avant comme après ils ne peuvent
ignorer qu’ils traitent avec une société ; qu’enfin cette
publicité est bien plutôt dans l’intérêt des associés que
dans celui des tiers, puisqu’elle doit rendre obligatoires
�titre
il,
art .
37, 38, 39.
459
les restrictions que l’acte social stipule à la responsabilité
du droit commun.
Aucun de ces motifs ne militait dans le cas de publi
cation de la résolution qui refuse de dissoudre la so
ciété. Ce qui en résulte en quelque sorte forcément, c’est
que l’appel que l’article 61 fait aux articles 55 et 56 se
réfère uniquement aux formalités que ces articles exi
gent; qu’il ne peut s’entendre du délai spécial à la pu
blication des actes de société, et qui, observé dans notre
hypothèse , deviendrait un piège et un danger pour la
confiance publique.
Il est donc du devoir des administrateurs de remplir
sans retard les formalités qui doivent donner aux réso
lutions de l’assemblée la publicité que la loi exige. A dé
faut les tiers trompés par le retard et qui en éprouve
raient un préjudice, seraient recevables et fondés à leur
en demander la réparation.
460.
— Lorsqu’à défaut de l’assemblée générale, la
question a été soumise au tribunal, la décision qui in
tervient doit-elle être également publiée ?
Nous rie voyons pas sur quels motifs sérieux et plau
sibles s’étayerait la négative. Est-ce que , en effet, les
tiers ont moins d’intérêt à être au courant de la situa
tion vraie de la société , par cela que , malgré la perle
des trois quarts du capital, la continuation de la société
a été autorisée par jugement au lieu d’être délibérée par
l’assemblée générale ? Est-ce que cette perte changera
de caractère et aura moins d’influence sur le crédit de
�160
LOI DK
1867
w
SUR LES SOCIÉTÉS
'‘ni*
* , j* .
:
.« i t u , •
te
la société dans un cas que dans l’autre ? Est-ce que les
tiers qu’on laisserait dans l’ignorance seraient moins
exposés à être trompés ?
Donc si le danger est le même, la nécessité de le pré
venir s’affirme également. On ne saurait donc dispen
ser la délibération du tribunal de la publicité, exigée
pour la résolution de l’assemblée générale.
461.
— Nous avons vu que l’article 23 n ’admet pas
qu’une société anonyme puisse se former lorsque le nom
bre des associés est inférieur à sept. Au dessous de ce
nombre , disait fort justement le rapporteur , et en fai
sant la part du conseil d’administration et du commis
saire de surveillance, il n’y a plus qu’un gouvernement;
le peuple, les gouvernés sont absents, et alors la société
a tous les caractères d’une société en nom collectif et non
d’une société anonyme.
Mais une société qui a pu , par le nombre des asso
ciés , régulièrement se constituer en société anonyme,
peut, pendant sa durée , voir ce nombre descendre au
dessous de sept, par la concentration des actions en quel
ques mains. Ce cas venant à se réaliser, l’article 38 per
met à tout intéressé de demander en justice la dissolu
tion de la société.
Cet article reproduit la disposition de l’article 21 de
la loi de mai 1863, mais avec une double modification
quant au caractère de la dissolution et quant au délai qui
rendait l’action recevable.
�TITRE II , ART.
37, 38, 39.
161
462.
— La loi de 1863 rendait la dissolution obli
gatoire, et c’est aussi ce caractère que lui donnait le pro
jet de loi rédigé par le Gouvernement.
Mais la commission du Corps législatif tout en recon
naissant que la dissolution pouvait être la conséquence
légitime de la réduction du nombre des associés, se de
mandait si cette conséquence était nécessaire ? s’il fallait
en faire une loi au juge? s’il n’était pas préférable d’en
abandonner à son appréciation la convenance et l’op
portunité ? C’est à ce dernier parti qu’elle s’arrêtait.
On comprend l’interdiction absolue édictée par l’arti
cle 23. En effet, lorsqu’il s’agissait de la constitution de
la société, le petit nombre d’associés peut faire supposer
que l’anonymat n ’est qu’un manteau abritant une fraude
à la lo i, et destiné à déguiser une société en nom col
lectif pour échapper à la responsabilité que celle-ci en
traîne.
Mais lorsqu’une société anonyme a été régulièrement
constituée et a fonctionné pendant un temps plus ou
moins long, comment croire à une fraude de celte na
ture. La concentration des actions dans quelques mains,
résultat du hasard, n ’a rien que de très-légitime, et au
cune confusion ne saurait exister sur le caractère de la
société. Véritable société anonyme av an t, elle n’a pu
devenir par le fait de cette concentration une société en
nom collectif, et le public pourra d’autant moins s’y
tromper qu’il n’a aucun moyen de connaître les divers
transferts d’actions qui ont pu s’opérer.
Mais à l’égard des associés dont le nombre était ainsi
�162
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
descendu à moins de sep t, beaucoup de raisons pou
vaient nécessiter la rupture du lien qui les unissait. Il
était donc juste d’auloriser chacun d’eux à poursuivre
en justice la dissolution ; mais il était prudent et sage
de laisser les tribunaux arbitres souverains de son op
portunité et de leur reconnaître le droit de rejeter la de
mande. On le devait d’autant mieux qu’on n’avait pas à
craindre ici, comme dans le cas où l’assemblée générale
prononce, que des motifs d’intérêt personnel influent sur
la décision et imposent le maintien et la continuation
de la société.
463.
La loi de 1863 ne permettait d’introduire
l’action que six mois après l’époque où le nombre des
associés avait été réduit à moins de sept. Mais le difficile
était de fixer le point de départ de ce délai, car, sauf le
cas où le transfert des actions doit s’opérer par une in
scription sur les registres, ce transfert ne peut être connu
que des parties entre lesquelles il intervient.
C’est surtout sur cette difficulté que se fondait la com
mission du Corps législatif pour proposer de substituer
le délai d’un an à celui de six mois. Le seul fait, disait
son rapporteur, qui puisse révéler, avec quelque exacti
tude, quand le capital est divisé en actions au porteur,
que le personnel des associés est inférieur à sep t, c’est
l’assemblée générale annuelle. Les mutations intermé
diaires sont des actes privés que rien ne manifeste avec
certitude.
Cette proposition accueillie par le conseil d’E tat, fut
�TITRE II, ART.
37, 38, 39.
163
consacrée par le Corps législatif qui l’inscrivit dans l’ar
ticle 38.
Au reste la faculté que confère cet article a peu de
chances d’être exercée. En effet celui qui a intérêt à la
continuation de la société a toujours le pouvoir d’en em
pêcher la dissolution et d’en porter le personnel au delà
de sep t, soit en vendant réellement quelques actions à
divers acheteurs , soit en simulant ces ventes et en fai
sant paraître comme actionnaires des individus qui n’ont
aucun droit réel à la propriété des actions.
4 6 4 . — Le terme intéressé , dans les articles 37 et
38, a la même signification que celle que nous lui avons
donnée en examinant l’article 7 !. Il désigne donc nonseulement les associés, leurs représentants ou ayants
cause, mais encore leurs créanciers personnels.
4 6 5 . — L’article 39 obéit en quelque sorte à une
nécessité en déclarant applicable aux sociétés anonymes
l’article 17 relatif à la commandite par actions*
Cet article, on le sait, autorise les commanditaires re
présentant le vingtième au moins du capital social à
charger , dans un intérêt commun et à leurs frais , un
ou plusieurs mandataires de soutenir , tant en deman
dant qu’en défendant, une action contre les gérants ou
contre les membres du conseil de surveillance, et de les
représenter, en ce cas, en justice.
Il ne pouvait pas en être autrement pour les action-
�164
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
naires des sociétés anonymes qui ont à plaider soit con
tre les administrateurs, soit contre les commissaires de
surveillance dès qu’ils se trouvaient représenter le ving
tième au moins du capital. Les motifs qui militaient dans
un cas militaient également dans l’autre , et cette iden
tité de raisons devait infailliblement déterminer un ré
sultat identique.
Nous nous sommes déjà expliqué sur le caractère de
cet article , sur la nature de la condition qu’il impose,
sur les difficultés qu’il peut faire surgir , enfin sur son
applicabilité dans le cas d’un litige entre deux groupes
d’associés ; nous ne pourrions que. reproduire nos ob
servations, nous préférons y renvoyer purement et sim
plement *.
A rt. 4 0 .
Il est interdit aux administrateurs de prendre
ou de conserver un intérêt direct ou indirect
dans une entreprise ou un marché fait avec la
société ou pour son compte , à moins qu’ils n’y
soient autorisés par l’assemblée générale.
Il est chaque année rendu à l’assemblée géné
rale un compte spécial de l’exécution des mar
chés ou entreprises par elle autorisées aux termes
du paragraphe précédent.
�TITRE I I ,
ART.
40.
165
SO M M AIRE
466.
467.
468.
469.
470.
471.
472.
473.
But de l ’interdiction consacrée par l'article 40. Discussion
en 1863.
Caractère de la modification que le Corps législatif faisait
subir au projet ; conséquences.
Disposition de la loi nouvelle ; sa nature, ses motifs.
Amendement de M. de Janzé ; son rejet.
Ce que l’article 40 prohibe c’est un intérêt dans les entre
prises et marchés. Signification de ces termes.
Quelles seraient les conséquences de l ’inobservation de l ’ar
ticle 40 ?
L ’article 40 n’est pas applicable aux marchés faits par ad
judication avec publicité et concurrence.
Il doit être tous les ans rendu à l’assemblée générale un com
pte spécial de l ’exécution des marchés par elle autorisés;
but de cette formalité.
466.
— L’interdiction consacrée par l’article 40
avait déjà trouvé place dans la loi du 23 mai 1863. Un
scrupule auquel on ne peut qu’applaudir l’avait dictée
au législateur, il fallait, disait l’Exposé des motifs, éviter
que les administrateurs fussent placés entre leur inté
rêt et celui de la société ; c’eût été une situation délicate
dans laquelle l’intérêt delà société aurait pu souvent être
mal défendu et quelquefois ouvertement sacrifié.
En conséquence, dans le projet de loi qu’il avait ré
digé , le Gouvernement interdisait aux administrateurs
et d’une manière absolue, sans exception, de prendre ou
de conserver un intérêt direct ou indirect dans une opé
ration quelconque faite avec la société ou pour son
compte.
�466
LOI DE
1867
SUR LES s o c ié t é s
-4h
La commission du Corps législatif trouva cette prohi
bition exagérée, et crut nécessaire de la modifier. Elle
demanda donc et obtint qu’on ajoutât : à moins qu'ils
ne soient autorisés par l'assemblée générale pour cer
taines opérations déterminées. Ce tempérament, disait
le rapporteur, fait disparaître les inconvénients qui
avaient été signalés par divers tribunaux de commerce,
notamment par celui de la Seine, en ce qui concerne
cette disposition du projet. Ainsi modifiée, elle consti
tue une innovation des plus morales et des plus heu
reuses. »
467.
— Mais il était facile de voir que l’améliora
tion que la commission avait voulu introduire était plu
tôt apparente que réelle, que la condition à laquelle elle
était subordonnée, était à peu près impossible à remplir.
En effet, l’autorisation de l’assemblée devait être donnée
pour chaque opération, et comment l’obtenir ? On sait
avec quelles difficultés on parvient à réunir l’assemblée
générale une fois l’an. Or, comment parvenir à y réus
sir s’il fallait, suivant le nombre d’opérations à réaliser,
la réunir vingt, trente, cinquante fois dans une année ?
D'ailleurs, le temps nécessaire pour convoquer la
réunion n’aurait-il pas le plus souvent rendu celle-ci
sans objet en enlevant à l’opération toute son opportu
nité, en la rendant désormais impossible ?
En réalité, donc, on n’avait en rien atténué la ri
gueur de la règle, rigueur qui atteignait à ce point que
dans les sociétés de crédit qui composaient leur conseil
�TITRE II, ART. 4 0 .
467
d’administration des banquiers les plus éminents, ces
banquiers ne pouvaient, même aux conditions du jour
et de la place, faire escompter leurs valeurs par la so
ciété ni escompter les siennes, si à chaque négociation
ils n’avaient obtenu l’autorisation de l’assemblée géné
rale. Or, pouvaient-ils sérieusement songer à la deman
der et à l’obtenir ? Le caractère et l’urgence de l’opéra
tion n’excluaient-ils pas toute tentative à ce sujet.
Aussi, qu’était-il arrivé ? Les sociétés de crédit no
tamment éprouvaient de sérieuses difficultés dans la
constitution de leur conseil d’administration, et ne par
venaient pas à y faire entrer les associés qui, par leur
intelligence, promettaient une gestion excellente et lu
crative pour la sociéié, et ce grave inconvénient, c’est le
législateur de 1867 lui-même qui va l’attester.
468.
— En effet, l’article 40 modifie profondément
l’article 23 de la loi de 1863, et cette modification l’Ex
posé des motifs en justifiait l’opportunité et la nécessité
en ces termes :
« Il est bien vrai qu’il faut éviter de placer les admi
nistrateurs entre leur intérêt et celui de la société, dans
la crainte que celui-ci ne soit mal défendu ou quelque
fois volontairement sacrifié.
» Mais la loi de 1863 n’avait-elle pas dépassé le but?
On a vu des sociétés de crédit trouver difficilement des
administrateurs parmi ceux qui auraient été les plus ca
pables de les bien administrer, parce que, en présence
de la prohibition de faire une opération quelconque
�468
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
avec la société, aucun associé n’était disposé à accepter
une mission qui l’empêchait de participer aux avantages
offerts à tous les autres. La faculté de demander et d’ob
tenir l’autorisation de l’assemblée générale, n ’était qu’u
ne ressource inutile ; il fallait, en effet, que l’autorisa
tion fût accordée pour chaque opération spécialement dé
terminée ; or, cela était impossible, par exemple, pour
des opérations d’escompte pouvant se renouveler cha
que jour.
» Ces difficultés signalées à l’attention du Gouverne
ment ont dû être prises en sérieuse considération ; et le
projet, en maintenant le principe, en fait une application
plus modérée.
469.
— La commission du Corps législatif concluait
à l'adoption. Mais un amendement de M. de Janzé pro
posait de retrancher de l’article cette dernière phrase :
à moins qu’ils n’y soient autorisés par l'assemblée gé
nérale, c’est-à-dire d’en revenir non pas à l’article 213
de la loi de 4863, mais au projet présenté à cette épo
que par le Gouvernement.
» Je ne trouve normal, dans aucun cas, disait M. de
Janzé, qu’un administrateur de deux sociétés différentes
fasse une affaire avec lui-même, qu’il traite au nom des
deux sociétés comme acheteur et comme vendeur à la
fois, et accepte ainsi de la main droite ce qu’il livre de
la main gauche. Nous avons eu de nombreux exemples
des graves inconvénients qu’il y a à cette double si
tuation '. »
* Moniteur, 6 ju in 1867.
�TITRE I I , ART.
40.
169
Saisie de l’examen de cet amendement, la commission
l’avait repoussé. Nous persistons à penser, disait son
rapporteur, que l’interdiction absolue s’étendant même
à un intérêt direct, allait au delà de ce que comportent
l’intérêt des sociétés et le droit de limiter leur liberté.
Dans la pratique, une telle disposition créerait ou ren
contrerait les plus grands obstacles, la force des choses
la ferait éluder. Mieux vaut laisser à l’assemblée géné
rale le droit d’autoriser ou de refuser en imposant l’obli
gation de rendre compte de l ’usage qui aura été fait de
l’autorisation. La conscience et la morale y gagneront
sans qu’aucun intérêt légitime soit blessé l.
Le Corps législatif partagea l’avis de sa commission.
Il rejeta l’amendement et adopta l’article 40 tel qu’il fi*
gure aujourd’hui dans la loi.
470.
— Le grand mérite de cet article c’est de s’être
affranchi des inutilités dont se préoccupait la loi de
1863 et des impossibilités auxquelles elle venait aboutir,
et cela sans avantage pour personne. Qu’importait en
effet qu’un administrateur de la société en escomptât
les valeurs ou lui fit escompter les siennes ? Qu’impor
tait qu’il eût acheté ou vendu à la société une partie de
marchandises qui lui convenait à lui ou à elle si l’es
compte avait eu lieu aux conditions de la place et l’achat
ou la vente au prix courant des mercuriales. Exiger
dans l’un ou l’autre cas l’autorisation de l’assemblée
l Prem ier rapport supplémentaire,
�170
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
générale, c’était pousser la pruderie au delà de l’exagé
ration. C’est donc avec raison que notre article a refusé
d’entrer dans celte voie.
Car ce qui est aujourd’hui interdit aux administra
teurs, à moins qu’ils n’y soient autorisés par l’assem
blée générale, c’est non de faire avec la société les opé
rations courantes que la nature de leur commerce ou de
leur industrie réciproque peut comporter, mais de pren
dre ou de conserver un intérêt direct ou indirect dans
une entreprise ou un marché fait avec la société ou pour
son compte.
Or , comme l’observait l’Exposé des motifs, les con
ventions auxquelles s’appliquent ces dénominations ont
ordinairement une importance assez grande et leurs ef
fets une durée assez longue, pour qu’il soit prudent de
les assujettir à la nécessité de l’autorisation par l’assem
blée générale.
Ainsi ce n’est qu’en tant qu’il s’agit d’engager l’ave
nir, de le grever, qu’on appelle l’intervention et le con
cours de l’assemblée générale ; et dans ces termes on
ne saurait contester l’opportunité et la nécessité de cette
intervention et de ce concours.
Outre sa rationnalité, cette exigence a cet autre avan
tage de ne plus faire de l’autorisation une impossibilité,
un leurre irréalisable. Dès qu’il s’agit en effet d’une en
treprise, d’un marché qui se réfère à des fournitures, à
des livraisons successives pour un temps quelquefois
considérable, l’assemblée peut être convoquée et réunie
et exprimer son avis en temps opportun.
�TITRE II, ART.
40.
471
Nous croyons donc que la règle que consacre l’article
40, si elle est moins absolue, est beaucoup plus ration
nelle et infiniment plus pratique que celle que sanction
nait l’article 23 de la loi du 23 mai 1863.
471.
— On remarquera que l’obligation faite aux
administrateurs n’est garantie par aucune sanction ni ci
vile ni pénale spécialement édictée. Quelle sera donc la
conséquence de sa violation. Pourrait-on annuler l’en
treprise ou le marché convenu ?
Le silence gardé par l’article 40 sur l’effet de sa vio
lation s’explique par l’hypothèse même qu’il prévoit et
régit. Ce ne sont pas les administrateurs qui auront, di
rectement et sous leur nom , traité avec la société. Ce
qu’ils ont fait c’est de prendre ou de conserver un inté
rêt quelconque dans l’entreprise ou le marché qu’ils ont
contracté avec des tiers au nom de la société ou pour
son compte.
S’il en était autrement, s’ils avaient obtenu personnel
lement le m arché, sa nullité ne saurait même être mise
en question, et on n’avait pour cela qu’à s’en référer au
droit commun. Cette convention ils n’avaient pas capa
cité pour la consentir, aux termes de l’article 1124 du
Code Napoléon. Dès lors le contrat manquant d’une des
conditions essentielles exigées par l’article 1108 du mê
me code, son invalidité serait de plein droit acquise.
Mais comment pourrait-on en l’absence d’une dispo-,
sition formelle.annuler le marché contracté avec des tiers
et en leur nom exclusif? Objectera-t-on qu’ils se sont
�172
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
en quelque sorte associés à la faute des administrateurs
et qu’on peut et doit les en punir ?
Mais ce qui est pour ceux-ci une faute et même une
fraude, n’est pour les tiers que le légitime exercice d’une
faculté, d’un droit. Il n’est pas de loi qui leur interdise
de donner dans leurs opérations un intérêt à tel ou à tel,
et dans notre hypothèse on ne pourrait les punir que si
cette concession était une rémunération pour le sacrifice
volontaire que les administrateurs auraient fait de l’in
térêt de la société.
Si dans l’origine le marché n ’est entaché ni de dol ni
de fraude, si consenti et accepté dans les conditions géné
rales du commerce, il n’est devenu onéreux que par les
chances aléatoires qui en étaient inséparables, les tiers
sont à l’abri de tout reproche et le marché tient et doit
tenir.
Quel intérêt aurait d’ailleurs la société à la nullité ?
Ce qu’il lui faut, c’est d’être indemnisée du préjudice
qu’elle est dans le cas d’éprouver. Or, cette indemnisa
tion, elle serait recevable et fondée à la poursuivre con
tre les administrateurs qui auraient désobéi à la loi et
fait ce que l’article 40 leur interdisait de faire.
Vainement exciperait-on en leur nom de lfabsence de
toute sanction dans l’article 40. En ce qui les concerne,
cette sanction est formellement écrite dans l’article 44,
aux termes duquel ils sont responsables des infractions
aux dispositions de la loi. Or, en fait, pourraient-ils dé
nier l’infraction commise à l’article 40 ? Dès lors ils ne
pourraient en refuser la responsabilité et se soustraire à
ses conséquences.
�TITRE II, ART.
40.
173
472.
— L’interdiction édictée par l’article 40 est une
précaution contre l’abus que les administrateurs pour
raient faire de leurs pouvoirs, à l’effet de concéder le
marché ou l’entreprise à celui ou à ceux avec lesquels
ils auraient intérêt à le conclure. Or cet abus possible
dans les marchés qui se contractent de gré à gré, n’est
plus à redouter dans ceux qui se donnent à l’adjudica
tion avec publicité et concurrence.
Aussi le ministre du commerce et le rapporteur de la
commission n’hésiiaient-ils pas à reconnaître et à dé
clarer que, dans ce dernier cas , l’article 40 n’était pas
applicable. On n’aurait pu admettre le contraire sans
méconnaître le véritable caractère de l’article et consacrer
un effet sans cause.
Donc, dans cette hypothèse, les administrateurs pour
ront non-seulement prendre ou conserver un intérêt mê
me direct dans le marché ou l’entreprise à adjuger, mais
' même en devenir personnellement adjudicataires.
Pourvu toutefois qu’il se soit agi d’une mise en adju
dication sérieuse et ayant reçu la publicité qui peut seule
attirer la concurrence : si l’adjudication avait eu lieu
pour la forme seulement ; si sa publicité n ’avait été qu’
apparente ; si loin d’appeler la concurrence on avait
tout fait pour l’éviter ; en un mot si on n’avait eu qu’un
but, celui d’éluder la loi et d’échapper à la nécessité de
l’autorisation par l’assemblée générale , il y aurait une
fraude manifeste dont il serait immoral de consacrer les
effets, et qui pourrait avoir pour conséquence non-seu
lement l’annulation du marché pour l’avenir, mais en-
�174
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
core l’obligation de réparer le préjudice déjà éprouvé
par la société.
473.
— Le législateur de 1867 a vu dans l’obliga
tion de tenir l’assemblée générale au courant de l’exé
cution donnée aux marchés par elle autorisés un sur
croît de garanties , et c’est à ce titre qu’il a exigé que
dans l’assemblée tenue annuellement il fut rendu un
compte spécial de cette exécution.
Il est certain que cette obligation préviendra certaines
fraudes qu’on pourrait essayer dans l'exécution des màrchés. La fraude en effet vit d’obscurités et de mystères,
et la crainte que l’assemblée générale , mise sur la voie
par le compte spécial qui doit lui être rendu, ne la dé
couvrît facile, est de nature à en empêcher toute tenta
tive.
Cet effet préventif n’est pas le seul qu’on puisse se
promettre de l’observation de la prescription de l’article
40 à ce sujet. Une répression assurée viendrait réparer
le préjudice dans le passé et en garantir l’avenir.
Sans doute l’assemblée générale n’aurait ni réclama
tion à exercer ni reproches à adresser, si l’exécution du
marché n’était devenue préjudiciable à la société que par
le résultat de la hausse ou de la baisse survenue depuis
sa conclusion. C’est là l’aléa inséparable de toute opéra
tion commerciale et qu’il faut savoir subir.
L’assemblée générale n’y saurait donc trouver un pré
texte pour révoquer son autorisation, ni pour interrom
pre l’exécution du marché qui devrait suivre son cours.
�TITRE II , ART.
4-0.
475
Mais supposez que ce qui a déterminé et occasionné
le préjudice soit la déloyauté ou l’infidélité apportée dans
l’exécution, les administrateurs qui s’en seraient rendus
coupables ou qui l’auraient tolérée auraient commis une
faute lourde sinon une fraude qu’on pourrait présumer
dictée par leur intérêt, puisqu’elle devait leur profiter.
Ils ne sauraient donc en récuser les conséquences, et ces
conséquences seraient évidemment non-seulement leur
révocation , mais encore l’obligation de réparer le pré
judice que la société aurait éprouvé.
Il est de plus évident que la résiliation du marché,
fût-il sous le nom de tiers, pourrait être ordonnée. L’in
fidélité , la déloyauté apportées à l’exécution sont bien
certainement imputables aux titulaires du marché ou de
l’entreprise , et les justes craintes que le passé est dans
le cas d’inspirer pour l’avenir pourraient rendre néces
saires la rupture du contrat.
Dans tous les cas les tribunaux apprécieraient, et l’on
peut être certain q u e , s’ils refusaient de résilier le mar
ché, ils n’omettraient rien de ce qui serait de nature à
assurer dans l’avenir sa fidèle et loyale exécution.
A rt. 4 1 .
Est nulle et de nul effet à l’égard des intéres
sés toute société anonyme pour laquelle n’ont
pas été observées les dispositions des articles
22, 23, 24 et 25 ci-dessus.
�476
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Aivr. 42.
Lorsque la nullité de la société ou des actes
et délibérations a été prononcée aux termes de
l ’article précédent , les fondateurs auxquels la
nullité est imputable et les administrateurs en
fonctions au moment où elle a été encourue,
sont responsables solidairement envers les tiers,
sans préjudice des droits des actionnaires.
La même responsabilité solidaire peut être
prononcée contre ceux des associés dont les ap
ports ou les avantages n’auraient pas été véri
fiés et approuvés conformément à l’article 24.
SOMMAIRE
474.
475.
,476.
477.
478.
479.
480.
481.
482.
<L’inobservation des conditions auxquelles est subordonnée
la constitution de la société en entraîne la nullité.
Quelles sont ces conditions pour les sociétés anonymes ?
Cette nullité n ’existe qu’à l ’égard des associés.
Elle ne peut être opposée aux tiers.
La nullité est absolue et d’ordre public ; conséquences.
La responsabilité de la nullité incombe aux fondateurs et
aux administrateurs solidairement ; motifs.
Quid de la nullité des actes et délibérations non publiés.
La responsabilité pèse uniquement sur les administrateurs.
Ces administrateurs sont-ils affranchis de toute responsa
bilité en cas de nullité pour inobservations des conditions
prescrites. Raisons de MM. Mathieu et Bourguignat pour
l ’affirmative.
�TITRti II, ART.
41, 42.
177
483. Examen et réfutation.
484. La responsabilité des administrateurs est obligatoire.
485. Responsabilité de ceux des associés qui ont fait un apport
en nature ou stipulé des avantages particuliers ; renvoi.
4 7 4 — Les articles 41 et 42 font pour la société
anonyme ce que les articles 7 et 8 ont fait pour la com
mandite par actions. C’est que dans l'un comme dans
l’autre cas les prescriptions de la loi touchant la consti
tution régulière de la société, exigeaient nécessairement
qu’une sanction énergique vint en assurer et en garan
tir l’exécution. L’identité de l’effet était la conséquence
forcée de l’identité de la cause.
L’article 41 déclare donc nulle et de pul effet à l’é
gard des intéressés toute société anonyme pour laquelle
les conditions auxquelles est subordonnée sa constitu
tion, n’ont pas été observées. Dans ce cas, en effet, la
société n’ayant pu se constituer régulièrement n’a ja
mais eu d’existence légale et n’a pu par conséquent pro
duire le moindre effet.
475.
— En ce qui concerne la société anonyme, ces
conditions sont celles qu’édictent les articles 22, 23, 24
et 25. L’article 24, nous l’avons vu, se réfère lui-même
aux articles 1 , 2 , 3 et 4. De cet ensemble de disposi
tions il résulte que la société sera nulle et de nul effet :
1° Si les administrateurs n ’ont pas été pris parmi les
associés ; si les statuts les déclarent irrévocables ; si
sans que les statuts les y autorisent, les administrateurs
se sont substitués un mandataire étranger à la société ;
II. — 42
�178
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
2° Si la société s’est constituée avec un nombre d’as
sociés inférieur à sept ;
3° Si le taux des actions est au-dessous de cent francs
ou de cinq cents, selon que le capital ne dépasse pas
ou dépasse deux cent mille francs ; *si le capital social
n’a pas été souscrit en entier et le quart au moins des
actions versé ; si une déclaration notariée à laquelle doi
vent être annexées les pièces indiquées par l’article 1er,
n’a pas constaté cette souscription et ce versement ;
4° Si les actions ou coupons d’actions sont déclarés
négociables avant le versement du quart ;
5" Si les actions sont créées au porteur, ou si nomi
natives dans l’origine elles ont été converties en actions
au porteur sans qu’une clause expresse des statuts auto
rise cette conversion, ou si elle a été votée avant que les
actions eussent été libérées de moitié ;
6® Lorsque les apports en nature ou les avantages
particuliers n’ont pas été vérifiées et approuvés dans les
formes prescrites par l’article 4 ;
7° Enfin, si les fondateurs n’ont pas réuni l’assem
blée générale, ou si celle-éi n’a pas rempli toutes les
conditions exigées par l’article 25.
476.
— Ces causes de nullité spécialisent en quel
que sorte la nature de la*nullité et justifient la disposi
tion qui ne l’admet qu’à l’égard des intéressés, ce qui
laisse la société produire tous ses effets en faveur des
tiers. On ne peut, en effet, perdre un droit, un avanta
ge quelconque que, si l’on est coupable d’une légèreté,
�TITRE II , ART.
41, 42.
179
d’une négligence, d’une imprudence qui motive et légi
time cette privation.
Or , quel reproche fondé pourrait-on adresser aux
tiers dans notre hypothèse ? Est-ce qu’ils ont pu eux
prévenir ou empêcher l’inobservation de la loi qui en
traîne la nullité de la société ? Est-ce qu’ils étaient lé
galement tenus avant de traiter avec elle, d’exiger la
preuve qu’elle avait été régulièrement constituée ? N’au
ront-ils pas été d’ailleurs le plus souvent dans l’impos
sibilité matérielle de le faire ? A quel titre donc les au
rait-on rendu responsables des irrégularités qui ont pré
sidé à la constitution de la société, et aurait-on modifié
les droits qui leur ont été irrévocablement acquis dès
qu’ils ont pu et dû croire qu’ils traitaient avec une so
ciété régulière ?
La raison et la justice faisaient un devoir de laisser
les tiers absolument en dehors des résultats que peut
avoir l’inobservation de la loi à laquelle ils sont restés
étrangers. C’est pour obéir à ce devoir que notre arti
cle 41 ne prononce la nullité qu’à l’égard des intéressés.
477.
— Ce que celui-ci fait pour les sociétés ano
nymes, l’article 7 l’avait déjà consacré pour la comman
dite par actions, en ajoutant, pour mieux préciser sa
pensée : cette nullité ne peut être opposée aux tiers par
les associés.
Cette disposition ne se retrouve plus dans l’arti
cle 41, et son omission est d’autant plus remarquable
que, dans le projet du Gouvernement, dans lequel cet
�180
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
article avait le numéro 37, l’impossibilité pour les as
sociés d’opposer la nullité aux tiers était expressément
édictée.
Faut-il conclure que, dans ces circonstances, le si
lence de l’article 41 constitue un refus de sanction, et
que par conséquent les associés pourront se prévaloir de
la nullité contre les tiers ?
L’affirmative ne saurait être soutenue, elle serait le
renversement de tous les principes, l’oubli des plus sim
ples notions de la justice et l’interprétation la plus ma
nifestement erronée des termes de l’article 41 lui-même.
Ne dit-il pas, en effet, que la société n’est nulle qu’à
l’égard des intéressés? Donc,pour ce qui concerne les
tiers, la société est valable et n’a pas cessé d’exister ; et
si la nullité ne les concerne pas, comment pourrait-on
la leur opposer? Ne serait-ce pas prétendre qu’elle
existe à leur égard, contrairement à la disposition for
melle de notre article 41.
On ne saurait donc équivoquer sur la pensée, sur
l’intention du législateur. Il n’est pas possible de sup
poser qu’il a permis, dans la société anonyme, ce qu’il
prohibait si expressément danà la commandite par ac
tion au mépris de la raison et de la justice qui ne per
mettent pas de distinguer entre l’une et l’autre.
L’interdiction d’opposer la nullité aux tiers se trouve
donc, sinon explicitement, du moins implicitement dans
l’article 41. Sa lettre et son esprit ne permettent pas
d’en douter, s’il ne reproduit pas à ce sujet la disposi
tion du projet, on ne saurait l’attribuer qu’à un oubli
�TITRE II ,
ART.
4-1, 42.
181
dont nous allons rencontrer un second exemple dans
l’article 42 ; oubli que les nombreux remaniements du
projet peuvent, jusqu’à un certain point expliquer, mais
ne sauraient justifier.
478.
— La nullité de la société édictée par l’article
41 est absolue et d’ordre public. Nous avons déjà indi
qué les conséquences de ce caractère relativement à la
faculté de ratifier ou de transiger , et son influence sur
le mode de liquidation , sur la durée de la prescription,
de l’action. Nous ne reviendrons pas sur nos observa
tions que nous ne pourrions d’ailleurs que répéter'.
Nous insistons seulement sur l’intérêt réel que les ac
tionnaires ont à faire prononcer la nullité de la société,
le cas échéant. Cette nullité en effet remontant à l’ori
gine même de la société lui fait perdre toute existence
dans le passé comme pour l’avenir, et enlève toute for
ce, toute autorité au pacte social. La liquidation doit se
faire dans les conditions identiques à celles qu’elle au
rait eue si elle s’était réalisée la veille de la constitution
de la société, c’est-à-dire, que les actionnaires sont en
droit d’exiger et d’obtenir la restitution de tout ce qu’ils
ont versé quelle que puisse être la perte éprouvée par la
société. Il est évident en effet que mettre cette perte à
la charge des actionnaires dans une proportion quelcon
que, ce serait faire sortir la société à effet contrairement
à la disposition expresse de l’article 41.
�182
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
479.
— L’obligation de réparer le préjudice que la
nullité cause soit aux tiers, soit aux associés eux-mêmes
qui dans la commandite pèse obligatoirement sur le gé
rant , facultativement sur les membres du conseil de
surveillance, incombe, dans l’anonyme, aux fondateurs
et aux administrateurs en fonctions au moment où la
nullité est encourue. L’article 42 en effet les déclare so
lidairement responsables des conséquences de la nullité
envers les tiers et sans préjudice des droits des action
naires.
Il est évident que la nullité résultant de l’inobserva
tion des formalités prescrites pour la constitution régu
lière de la société, est le fait des fondateurs. Il n’est pas
moins évident que seuls les premiers administrateurs
pouvaient et devaient contrôler les affirmations des fon
dateurs, >en vérifier la sincérité et suppléer dans la me
sure du possible à la négligence qui aurait fait omettre
certaines formalités.
Pourquoi donc à l’instar de l’article 8 l’article 42 ne
se borne-t-il pas à déclarer responsables les premiers
administrateurs ? C’est que, outre l’hypothèse de la nul
lité pour inobservation des formalités, l’article 42 pré
voit et règle celle de la nullité des actes et délibérations
qui devant être publiées ne l’auraient pas été. Or cette
nullité peut être encourue à toute époque et longtemps
après le remplacement des premiers administrateurs.
On ne pouvait donc s’occuper exclusivement, de ceux-ci,
et cette prévision rendait indispensable d’imposer la res
ponsabilité aux administrateurs qui étant en fonctions
avaient par leur négligence déterminé la nullité.
�TITRE II , ART.
41, 42.
183
L’expression est donc juste. Ce qui est à relever dans
l’article 42 c’est l’omission inconcevable de Iqjpettreen
rapport avec l’article précédent et de lui faire subir la
modification que commandait celle qu’on avait consa
crée dans les dispositions de celui-ci.
480.
— On remarquera en effet que l’article 42 dis
pose : Lorsque la nullité de la^société ou des actes et
délibérations a été prononcée aux termes de l’article pré
cédent, etc.. . . Or on cherche vainement dans l’article
41 un mot s’appliquant aux actes et délibérations sus
ceptibles d’être annulés. Comment donc l’article 42 sup
pose-t-il le contraire ?
L’explication est bien simple. Dans le projet présenté
par le Gouvernement, l’article 37, aujourd’hui 41, con
tenait la disposition suivante : sont également nul les
actes et délibérations désignés dans l'article 23 , s'ils
n'ont point été déposés et publiés dans les formes pres
crites par les articles 21 et 22. Il était donc naturel que
l’article qui suivait immédiatement réglât à qui incom
berait la responsabilité des actes et délibérations que pro
nonçait l’article précédent.
Mais la préparation de la loi entre la commission et
le conseil d’Etat amena celui-ci à renvoyer à l’article 61
tout ce qui se référait à la publicationjion-seulement
des actes de société , mais encore des actes et délibéra
tions susceptibles d’être publiés. On retrancha donc de
l’article 37 la disposition relative à ces actes et délibé
rations.
�184
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Mais ce retranchement en commandait un autre dans
l’article^8 aujourd'hui 42. Son omission laisse celui-ci
se référer à l’article précédent à l’égard de la nullité des
actes et délibérations, alors que celui-ci„est absolument
muet sur cette nullité et sur ces actes et ces délibéra
tions. Ainsi par la plus singulière des distractions on
oublie d’ajouter à l’article 41 que la nullité ne peut être
opposée aux tiers par les associés, et de retrancher dans
l’article 42 les mots actes et délibérations qui ne figu
rent plus dans le premier.
Quoi qu’il en soit, si la nullité des actes et délibéra
tions susceptibles d’être publiés et qui ne l’ont pas été
n’est plus prononcée par l’article 41, elle l’est expressé
ment par l’article 56 auquel renvoi! l’article 61. Cette
nullité n’engage et ne peut engager la responsabilité que
des administrateurs alors en fonctions et qui ont négligé
la publication qu’ils étaient tenus d’en faire. Les fonda
teurs de la société , quels que soient les termes de l’ar
ticle 42, ne sauraient de près ni de loin être recherchés
à ce sujet.
481.
— Cette nullité atteignant les délibérations re
latives aux modifications des statuts ; à la continuation
de la société au delà du terme assigné à sa durée ou à
sa dissolution avant ce terme, ne sera encourue que dans
le cours de la société et postérieurement à sa constitu
tion.
Or à partir de celle-ci il n ’y a plus de fondateurs. Ils
ont fait place aux administrateurs aux mains de qui est
�TITRE II , ART.
41, 42.
185
exclusivement confiée la direction des intérêts sociaux,
et qui seuls naturellement ont à répondre d’une nullité
qui est leur fait unique.
Les fondateurs n’en répondraient que s’ils faisaient
partie du conseil d’administration ; mais dans ce cas ils
seraient tenus non comme fondateurs , mais en leur
qualité d’administrateurs.
482.
— Si dans l’hypothèse que nous venons de
poser, la nullité est le fait personnel et exclusif des ad
ministrateurs , on ne peut se dissimuler que la nullité
pour inobservation des formalités exigées pour la régu
larité de la constitution de la société ne soit imputable
aux fondateurs. Devra-t-on, dans ce cas et par récipro
cité, faire peser la responsabilité sur eux seuls et en exo
nérer les administrateurs ?
L’affirmative est soutenue par MM. Mathieu et Bourguignat. « Il est certain , disent-ils , q u e , de quelque
manière que l’article soit conçu, les administrateurs ne
sauraient répondre de la nullité de la société , à raison
des infractions à la loi qui vicieraient cette société dans
son essence et son origine. Ceux-là même qui, les pre
miers, seraient entrés en fonctions, ne peuvent encourir
la responsabilité dont s’agit, puisque, lors de leur nomi
nation ou lorsqu’ils ont été désignés par les statuts, leur
acceptation est le dernier acte par lequel se constitue la
société.
» Au surplus la loi, comme elle le fait dans les com
mandites par actions pour les membres du conseil de
�186
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
surveillance, ne leur impose pas le devoir de vérifier si
toutes les conditions légales auxquelles est subordonnée
la constitution de la société ont été régulièrement ac
complies. Le soin de ces vérifications c’est, pour les so
ciétés anonymes, à la première assemblée générale qu’elle
le confie; c’est à celle-ci, non aux administrateurs, que
doit être soumise, avec les pièces à l’appui, la déclara
tion notariée dont sont tenus les fondateurs à la suite de
la souscription totale des actions et du versement du pre
mier quart.
» Lors donc que notre article dispose qu’en cas de
nullité de la société ou des actes et délibérations, les fon
dateurs et les administrateurs sont responsables solidai
rement, il entend à coup sûr parler de la responsabilité
respective des uns ou des autres entre eux. Il ne veüt
pas dire que les administrateurs seraient tenus solidai
rement des dommages-intérêts encourus par les fonda
teurs et réciproquementl. »
483.
— Nous repoussons cette doctrine comme dia
métralement contraire au texte et à l’esprit de l’article
42. Si le législateur n’avait voulu dire que ce que sup
posent nos auteurs, il aurait nettement établi la distinc
tion, tout au moins aurait-il déclaré que les fondateurs
o u . les administrateurs en fonctions, etc___
Loin de là l’article déclare solidairement responsables >
les fondateurs © t les administrateurs. Il suppose donc
�TITRE II, ART;
41, 42.
187
nécessairement l’existence d’une faute commune impu
table aux uns comme aux autres. Or où rencontrer cette
faute commune, si ce n’est à l’origine de la société et
dans les actes qui ont précédé et amené sa constitution,
puisque celle- ci se réalisant, les fondateurs s’évanouis
sent et disparaissent et sont réduits à la qualité de sim
ples associés étrangers à la gestion.
Ce qui résulte pour nous de ce texte de l’article 42,
c’est que loin de les affranchir du devoir de vérifier si
toutes les conditions prescrites ont été rem plies, le lé
gislateur l’impose implicitement aux administrateurs,
puisque ce n ’est qu’en le négligeant qu’ils commettent
la faute qui explique leur responsabilité solidaire avec
les fondateurs.
Il est bien vrai que l’article 24 exige que la déclara
tion des fondateurs avec pièces à l’appui soit soumise à
la première assemblée générale qui en vérifie la sincé
rité. Mais est-ce que le législateur a pu se faire illusion
sur le caractère de cette vérification au point de s’en
contenter dans l’intérêt du public „ et de dispenser les
administrateurs de vérifier cette sincérité à leur tour.
S’il en était ainsi le législateur mériterait le reproche
d’avoir sacrifié la proie pour l’ombre et de n’avoir don
né aux tiers et même aux associés qu’une garantie évi
demment illusoire. En effet les administrateurs ont tout
le temps et tous les moyens désirables pour rendre la
vérification sérieuse et utile, pour la mener à bonne fin,
et ce sont eux qu’on aurait affranchis du devoir de s’y
livrer.
�188
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Et c’est à l’assemblée générale que ce devoir aurait été
imposé, sans se demander si elle était en état de le rem
plir, que dis-je, en la mettant dans l’impossibilité de le
faire. Notons en effet qu’elle doit, séance tenante, nom
mer les administrateurs , choisir les commissaires de
surveillance et constituer ainsi la société. Comment dès
lors contrôlera-t elle les indications de la déclaratioti et
la sincérité des pièces ? Auprès de qui se renseignera-telle ? On ne comprendrait pas , si le législateur s’était
contenté de cette vérification , qu’il n’eût pas donné le
moyen d’y procéder utilement ; qu’il n’eût pas exigé,
comme pour la vérification des apports en nature, la
nomination de commissaires sur le rapport desquels une
nouvelle et seconde assemblée aurait prononcé.
Le défaut absolu de précautions indique bien que le
législateur a fait de la vérification de l’assemblée le cas
qu’il était possible d ’en faire , et qu’il s’est reposé sur
celle que les administrateurs étaient naturellement appe
lés à accomplir. En voici la preuve.
On sait que la loi du 23 mai 1863 sur les sociétés
à responsabilité limitéè a servi de type à la loi nouvelle
qui, sauf les modifications dont l’expérience et la prati
que démontraient la nécessité ou la convenance , en a
littéralement reproduit les dispositions.
Or, dans son article 4, la loi de 1863 exigeait que la
déclaration des fondateurs et les pièces à l’appui fussent
soumises à l’assemblée générale qui en vérifie la sincé
rité ; et par son article 25 elle disait : Lorsque la nullité
de la société ou des actes et délibérations a été pronon-
�TITRE I I , ART.
41, 42.
189
cée aux termes de l’article 24 ci-dessus , les fondateurs
auxquels la nullité est imputable, et les administrateurs
en fonctions au moment où elle a été encourue sont res
ponsables solidairement, etc.. • .
Si la doctrine de MM. Mathieu et Bourguignat était
fondée, il faudrait en conclure que, sous l’empire de la
loi de 1863, les administrateurs étaient dispensés de vé
rifier si toutes les conditions requises avaient été ac
complies. Or c’est le contraire qui avait été admis, et le
législateur ne fondait leur responsabilité solidaire avec
le gérant que sur la violation de ce devoir.
« Cette responsabilité , disait en effet l’Exposé des
motifs, résulte pour les administrateurs de leur qualité
même et des devoirs qu’elle leur impose. Us sont nom
més, aux termes de l’article 8, aussitôt que la souscrip
tion totale du capital social et le versement du quart
sont constatés dans la forme prescrite par le troisième
paragraphe de l’article 4. En entrant en fonctions leur
premier soin doit être de vérifier si les dispositions des
articles 3, 4, 5, 6, 7 et 8 ont été observées. Us doivent
ensuite remplir les formalités de publication conformé
ment aux articles 9 et 10. Ce sont des devoirs dont l’ac
complissement est facile et dont, par conséquent, l’in
exécution n’est point excusable.
•
» Si ceux qui acceptent les fonctions d’administra
teurs ne les remplissent pas ou les remplissent mal, s’ils
compromettent par là les intérêts des tiers ou ceux de
leurs co-associés, il est juste qu’ils réparent le préjudice
qu’a causé leur négligence. »
�190
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Voilà comment le législateur de 1863 avait entendu
dispenser les administrateurs de l’obligation de vérifier
si toutes les conditions auxquelles est subordonnée la
constitution de la société ont été régulièrement accom
plies. Or les articles 24 et 42 ne font que répéter les
dispositions des articles 4 et 25 de la loi de 1863 ; et
comment admettre qu’en les copiant littéralement ils en
aient changé ou modifié le sens et la portée.
Il faudrait pour cela que le législateur s’en fût nette
ment expliqué. Cette explication on la chercherait vai
nement dans l’Exposé des motifs et dans la discussion
au Corps législatif. Le seul document qui n’ait pas gardé
le silence à ce sujet tranche nettement la question dans
le sens que nous soutenons : ce document que M. Ma
thieu ne récusera pas, c’est le rapport qu’il faisait luimême au Corps législatif.
« L’article 42, disait ce rapport, impose la responsa
bilité de la nullité qu’il prononce aux fondateurs aux
quels elle est imputable et aux administrateurs en fonc
tions au moment où elle a été encourue, les uns parce
qu’elle est leur œuvre personnelle et directe , les autres
parce que pouvant l’empêcher ils l’ont laissé commettre;
et par une conséquence légitime de cette f a u t e
c o m m u u e il prononce la solidarité entre tous en
vers les tiers qui peuvent en avoir souffert sans préjudice
du droit des aciionnaires. »
Peut-on imaginer une réfutation plus énergique, plus
péremptoire de la doctrine actuelle de MM. Mathieu et
Bourguignat ? Si comme ils le soutiennent les adminis-
�TITRE II, ART.
4-1, 4-2.
191
trateurs ne répondent jamais que de la nullité des actes
et délibérations, cette nullité est leur fait direct et per
sonnel , et ils en seront punis non pour ne pas l’avoir
empêchée, mais bien pour l’avoir commise. Où serait,
dans le même système, cette faute commune dont parle
le rapport et qui a pour conséquence légitime la solida
rité entre fondateurs et administrateurs ?
En résumé l’article 42 distingue deux nullités, fondées
l’une sur l’inobservation des formalités prescrites pour
la constitution de la société, l’autre sur le défaut de pu
blication des actes et délibérations soumis à cette forma
lité. De la première répondent solidairement les fonda
teurs dont elle est le fait personnel et d irect, et les ad
ministrateurs qui pouvant l’empêcher l’ont laissé com
mettre; la seconde intervenant ..pendant que la société
est en cours d’exécution n’engage et ne peut engager que
les administrateurs auxquels elle est imputable , et les
oblige tous solidairement.
484.
— Dans les sociétés en commandite par action
le gérant est obligatoirement responsable de la nullité
pour inexécution des conditions requises pour sa cons
titution. Cette responsabilité s’étend aux membres du
conseil de surveillance, mais à leur égard elle n’est que
facultative aux termes do l’article 8.
On remarquera qu’au contraire l’article 42 rend obli
gatoire la responsabilité qu’encourent les administrateurs
dans les circonstances qu’il indique. Cette différence s’ex
plique par le caractère de la mission des uns et des au
tres et la nature des droits si divers qui y sont attachés.
�192
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Les membres du conseil de surveillance ont une mis
sion essentiellement passive, à côté d’eux le gérant ab
sorbe toute l’activité ; il gère et dirige à son gré, et c’est
encore lui qui doit suppléer aux formalités omises. Or il
pouvait se faire que les membres du conseil se fussent
livrés au contrôle qui leur est imposé et que ce contrôle
n’eût pas abouti parce qu’une fausse démarche ou des
renseignements inexacts ou incomplets les auraient de
très-bonne foi détourné de la vérité. L’hypothèse toute
rare qu’on la suppose n’était pas impossible , et voilà
pourquoi le législateur a voulu laisser une porte ouverte
à l’indulgence.
Les administrateurs des sociétés anonymes ont une
situation bien différente. Dès leur nomination les fonda
teurs disparaissent, et c’est dans leur main que se con
centre l’autorité : eux seuls dirigent et gèrent l’opéra
tion ; ils ont seuls qualité pour accomplir les faits qui
constituent cette gestion, au nombre desquels se placent
ceux qui ont dû précéder la constitution de la société
aussi bien que ceux qui la suivent. En d’autres termes,
ils sont dans l’anonyme ce qu’est le gérant dans la com
mandite ; il était donc rationnel qu’on ne mît aucune
différence dans le caractère de la responsabilité qu’ils
peuvent avoir encourue.
485.
— De même que l’article 8, l’article 42 per
met de rendre responsables ceux des associés dont les
apports ou les avantages n’auraient pas été vérifiés et
approuvés conformément à l’article 4. Nous renvoyons
�TITRE II, ART. 4 1 , 4 2 ,
193
aux observations que cette disposition nous a suggérées
dans l’examen de l’article 8
A rt. 4 5 .
L’étendue et les effets de la responsabilité des
commissaires envers la société sont déterminés
d’après les règles générales du mandat.
A rt. 4 4 .
Les administrateurs soDt responsables con
formément aux règles du droit commun , indi
viduellement ou solidairement suivant les cas,
envers la société et envers les tiers , soit des in
fractions aux dispositions de la présente loi, soit
des fautes qu’ils auraient commises dans leur
gestion , notamment en distribuant ou en lais
sant distribuer, sans opposition, des dividendes
fictifs.
SOMMAIRE
486.
487.
488.
L’article 43 est une sanction donnée aux dispositions des
articles 32 et 33.
L’étendue et les effets de la responsabilité des commissai
res sont déterminés d ’aprës les règles générales du man
dat; conséquences.
Caractère de la faute reprochable aux commissaires. Ses ef
fets quant à l ’article 1992 du Code Napoléon.
1 Supra n«* \ 86 et suiv.
U. — 13
\
�194
489.
490.
491.
492.
493.
494.
495.
496.
497.
498.
499.
500.
501.
502.
503.
504.
505.
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Les commissaires ne sont responsables qu'envers la société.
Répondent-ils solidairement ? Opinion de M. Rivière pour
la négative.
Réfutation.
Responsabilité des administrateurs ; son caractère.
Existe en faveur des tiers comme à l’égard des associés.
Faits qui engendrent la responsabilité. Infraction aux dis
positions de la loi ; exemples.
Fautes dans la gestion ; obligation d ’exécuter les satuls,
devoir des administrateurs.
De ne pas excéder les pouvoirs qu’ils ont reçus; consé
quences.
Exception tirée de l’article 1997 du Code Napoléon. Peutelle être invoquée par les administrateurs?
Distinction selon qu’il s’agit d’un acte de disposition ou de
simple administration.
Objection tirée de la publication des statuts ; réponse.
Les administrateurs pourraient-ils pour s’excuser d’une
violation des statuts exciper de l’autorisation de l'assem
blée générale? Non, s’il a été dérogé à une disposition
d’ordre public ou d’intérêt général.
Le caractère de la dérogation est souverainement apprécié
par le juge. Arrêt de la cour de Cassation.
Irresponsabilité des administrateurs si la délibération de
l'assemblée porte sur un objet d’intérêt privé.
La distribution de dividendes fictifs serait la faute la plus
lourde.
Quand les dividendes sont-ils fictifs ?
Comment faut - il entendre ces mots de l'article 44 : si les
administrateurs laissent distribuer,etc... .
486.
— Nous avons vu l’article 32 prescrire à cha
que assemblée générale annuelle de nommer un ou plu-
�TITRE II , ART.
43, 44.
195
sieurs commissaires associés ou non, ayant pour fonc
tions de faire à l’assemblée générale de l’année suivante,
un rapport sur la situation de la sociélé, sur le bilan
et sur les comptes présentés par les administrateurs.
L’institution des commissaires n’est pas une innova
tion. De tout temps les sociétés anonymes avaient senti
le besoin, non-seulement de contrôler, mais encore de
surveiller la gestion des administrateurs. Ainsi, plusieurs
sociétés anonymes, outre le commissaire du Gouverne
ment chargé de surveiller l’exécution des statuts et de
rendre compte au ministre des infractions qui y seraient
faites, avaient placé à côté des administrateurs des cenceurs chargés de contrôler la gestion, de vérifier les opé
rations et de rendre compte à l’assemblée générale des
résultats de leur vérification, d’autres enfin avaient été
jusqu’à instituer un conseil appelé à diriger l’adminis
tration à la surveiller, à en conseiller ou à en autoriser
les actes.
Sauf les commissaires du Gouvernement qui n’au
raient plus de raison d’être depuis le retrait de la néces
sité de l’autorisation, toutes ces précautions peuvent en
core être stipulées. Le législateur ne lésa nullement pro
hibées, seulemenldaris sa pensée elles ont ce grave incon
vénient de rendre l’administration difficile, de créer un
antagonisme dangereux et nuisible à la bonne direction
de la société. Aussi, dans son désir de simplifier l’ad
ministration et de lui assurer l’unité de direction qu’elle
exige, s’est-il contenté, non-seulement de déterminer
dans l’article 32 les fonctions restreintes des commissai-
�496
LOI DE
1867
SUR LES s o c ié t é s
res, mais encore de les réduire à un rôle purement pas
sif pendant neuf mois de l’année.
Mais ni l’article 32, ni l’article 33 ne s’étaient pré
occupé de leur inobservation et n’en avaient par consé
quent point réglé les conséquences. Cependant une sanc
tion de nature à garantir les devoirs qu’ils prescrivaient
était indispensable, et cette sanction l’article 43 la con
sacre. Elle consiste dans la responsabilité personnelle
des commissaires.
487.
— L’étendue et les effets de cette responsabilité
sont déterminées d’après le règles générales du mandat.
C’est qu’en effet les commissaires ne sont que des m an
dataires et des mandataires fort restreints. Pour eux, il
ne saurait être question ne gérer les affaires du mandant,
de se mettre en relations et de traiter avec les tiers, l’ob
jet unique de leur mission est le rapport dont les char
ge l’article 42 et qui doit être le contrôle loyal de la si
tuation accusée par les administrateurs, du bilan qu’ils
ont rédigé, des comptes qu’ils présentent.
La faculté pour les commissaires de prendre dans le
dernier trimestre de l’année, toutes les fois qu’ils le ju
gent convenable, communication des livres et d’exami
ner les opérations de la société, n’est que le moyen de
rendre ce contrôle sérieux et utile. Donc les commissai
res qui s’abstiendraient de cette vérification et de cet
examen, qui accepteraient les données fournies par les
administrateurs et en feraient les bases de leur rapport,
manqueraient gravement à leur devoir et s’exposeraient
�TITRE I I , ART.
43, 44.
<97
à subir les conséquences préjudiciables de leur négligen
ce et de leur légèreté.
488.
— À ce sujet, n’oublions pas qu’aux termes
de l’article 1992 la responsabilité de la faute est plus
rigoureusement appliquée au mandataire salarié qu’au
mandataire gratuit, ce qui a fait admettre que la faute,
légère qui ne lierait point celui-ci, engagerait celui-là.
Or, et peut-être sans exception, les commissaires, sur
tout ceux qui ne seraient pas associés, se placeront dans
la catégorie des mandataires salariés ; on ne pourrait
donc les exonérer de la responsabilité de sa faute quel
que légère qu’elle fût.
Au reste, la distinction des fautes fort utile en matière
ordinaire ne répondrait à aucune nécessité dans notre
hypothèse. La responsabilité, en effet, n’a et ne peut
avoir d’autre objet que la réparation du préjudice ré
sultant du fait qui la motive. Or, dans notre espèce, il
n’y aurait préjudice que si l’assemblée générale, trom
pée par le rapport, a pris des résolutions que la con
naissance de la vérité eût empêchées et qui ont occasion
né un dommage à la société. La faute qui aurait en
traîné une pareille conséquence serait évidemment et
dans tous les cas upe faute lourde, des effets de laquelle
les commissaires ne sauraient s’affranchir qu’en prou
vant qu’elle leur a été inspirée par la tenue frauduleuse
des écritures.
Les commissaires doivent donc, avant d’arrêter leur
rapport, y regarder à deux fois, ne rien donner au ha-
�198
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
sard, n’avoir dans l’œuvre des administrateurs qu’une
confiance relative, et procéder avec le plus grand soin
au choix et à l’examen des éléments de nature à former
leur conviction.
489.
— Les commissaires ne répondent qu’envers
la société. Les actionnaires sont donc seuls recevables et
fondés à en poursuivre les effets, s’il y a lieu, les tiers
ne peuvent les actionner dans aucun cas.
C’était là la conséquence logique de la nature des
choses. La mission des commissaires est toute intérieurieure, elle exclut toute relation, tout rapport avec les
tiers. A quel titre donc ces tiers prétendraient-ils agir
contre eux ?
Sans doute, la délibération intervenue sur le rapport
inexact, incomplet, défectueux, a pu leur nuire, par
exemple, si elle a eu pour résultat une distribution de
dividendes non acquis.
Mais dans ce cas la faute est principalement imputa
ble aux administrateurs, et c’est contre eux que les tiers
peuvent et doivent se pourvoir. Les commissaires ne sont
reprochables que parce qu’ils n’ont pu, su ou voulu dé
couvrir la vérité. Cette faute volontaire ou non qui
constitue la violation du mandat, les tiers peuvent d’au
tant moins en demander compte qu’indépefndamment
de ce qu’ils n’ont jamais traité avec les commissaires,
leurs intérêts sont pleinement sauvegardés par leur ac
tion contre les administrateurs.
Cette impuissance des tiers contre les commissaires ne
�TITRE I I , ART.
43, 44.
199
se réfère qu’à l’action directe. Quant à l’action oblique
autorisée par l’article 1166 du Code Napoléon, on ne
saurait la leur contester.
4 9 0 . — Aux termes de l’article 1995 du Code Napo
léon, quand il y a plusieurs fondés de pouvoir ou man
dataires établis par le même acte, il n’y a de solidarité
entre eux qu’autant qu’elle est exprimée. Cette disposi
tion régit-elle les commissaires et les affranchit-elle de
la solidarité entre eux lorsqu’elle n’a pas été exprimée
dans l’acte de leur nomination ?
M. Rivière se prononce pour l’affirmative. Les com
missaires, dit-il, ne sont pas solidairement responsables
des fautes dont ils répondent, car la loi n’a pas pronon
cé la solidarité. Mais ils sont tenus in solidum de la ré
paration des dommages résultant des fautes commises
en commun dans l’exercice de leurs fonctions '.
4 9 1 . — Nous pensons le contraire. A notre avis
l’article 1995 ne prévoit et ne régit qu’une hypothèse,
celle de mandataires qui, tenant leurs pouvoirs du mê
me acte, sont cependant appelés et autorisés à agir diviséraent et séparément ou les uns en l’absence des au
tres. Alors, en effet, le défaut de solidarité se comprend,
car elle aurait nécessairement pour résultat de punir
tous les mandataires de la faute d’un seul.
De plus l’article 1995 a eu en vue et exclusivement
le mandat civil dont la gratuité imprimait un caractère
�200
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
de sévérité plus exorbitant à la responsabilité de la
faute d’autrui. C’est même en considération de cette
gratuité qu’on a exclu la solidarité. En effet, dans son
rapport au tribunat, M. Tarrible expliquait ainsi la rè
gle que l’article 1995 consacre ;
y> Cette règle générale a dû être particulièrement ap
pliquée à plusieurs mandataires constitués par le même
acte, parce que leurs obligations prenant leur source
dans un service officieux, il est juste de les resserrer dans
leurs bornes naturelles1. »
Or, non-seulement le mandat des commissaires est
commercial et salarié, mais de plus son exécution ne
comporte aucune division entre les mandataires, et ex
clut toute action purement personnelle à l’un d’eux,
ils ne peuvent agir qu’en commun, et leur rapport est
nécessairement l’œuvre commune de tous. Les vices dont
ce rapport pourrait être entaché leur sont donc imputa
bles à tous indirectement, et il n’est que juste que l’o
bligation de réparer le préjudice qui en est résulté pèse
sur tous et sur chacun d’eux in solidum.
L’obligation d’agir en commun suffirait à elle seule
pour justifier la solidarité, car, d’après les auteurs des
pandectes françaises, on doit regarder la solidarité com
me exprimée quand le mandant a dit que ses manda
taires doivent agir ensemble , car , alors il a témoigné
l’intention de ne point partager la gestion entre eux et
de les charger chacun pour le tout.
■ Locré, E sprit du Code Napoléon, t. 15, p. 253.
�TITRE II, ART.
43, 44.
201
Enfin, et à un autre point de vue, on arrive à un
même résultat. Les commissaires qui ont omis de rem
plir ou qui n’ont rempli qu’imparfaitement leur mission,
ont évidemment abusé de la confiance que l’assemblée
générale leur avait témoignée. Ils sont donc coupables
envers la société d’un véritable quasi délit, et l’on sait
qu’en pareille matière la solidarité est la conséquence
de l’impossibilité de déterminer la part de chacun dans
le fait reproché.
492.
— De même que les commissaires, les admi
nistrateurs sont des mandataires et cette fois le mandat
se réfère à une gestion importante, à une série d’opéra
tions qui peuvent donner naissance à de nombreux cas
de responsabilité. C’est aussi par le droit commun que
se règle cette responsabilité qui, dit l’article 44, est sui
vant les cas, individuelle ou solidaire, soit envers la so
ciété, soit envers les tiers.
Cette disposition apprécie sainement la nature du
mandat des administrateurs et s’inspire des principes les
plus équitables. Par son étendue ce mandat se prête fort
bien à la divisibilité, tel administrateur aura passé ce
traité, tel autre contracté cet engagement, tel autre pris
cette mesure. Or, avec la possibilité d’actes séparés per
sonnels à tel ou à tel, naissait la nécessité d’une respon
sabilité individuelle. Il n’eût pas été juste, en effet, de
punir d’une faute ceux qui y étaient restés absolument
étrangers.
Mais si le traité, l’engagement, la mesure reprocha-
�202
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ble est le fait commun de tous les administrateurs, la
responsabilité en pèse sur tous, et comme il est impos
sible de déterminer la part que chacun devrait prendre
à la réparation du préjudice, cette réparation est soli
dairement prononcée contre tous.
La loi elle-même n’agit pas autrement. Ainsi, l’arti
cle 22 autorise les administrateurs à choisir parmi eux
un directeur, et si les statuts le permettent, à se substi
tuer un mandataire même étranger à la société. Mais le
fait du directeur les oblige tous, et tous répondent du
mandataire, parce que l’élection de l’un, le choix de
l’autre est leur œuvre commune.
Ainsi encore, nous venons de voir l’article 42 les dé
clarer solidairement responsables de la nullité de la so
ciété pour inobservation des conditions prescrites pour
sa constitution régulière , non-seulement entre eux ,
mais encore avec les fondateurs. Or, cette solidarité n’a
sa raison d’être que dans ce fait que la faute de n’avoir
pas veillé à l’observation des prescriptions de la loi est
imputable, non à tel ou tel, mais à tous indistinctement.
Nous pouvons maintenant apprécier sainement la
portée des termes de l’article 44. La responsabilité sera
individuelle lorsque le fait qui l’engendre émane d’un
des administrateurs personnellement. Elle sera solidaire
lorsque ce fait sera l’œuvre commune de tous.
493.
— De l’étendue et de la nature du mandat des
administrateurs résulte cette autre conséquence que, con
trairement à ce qui se réalise pour les commissaires, ils
\
�TITRE II, ART.
43, 44.
203
sont responsables non-seulement envers la société, mais
encore envers les tiers.
Traitant en effet directement avec les administrateurs,
les tiers peuvent se trouver dans cette position : que la
faute ou le fait de ceux-ci les laisse sans droits et sans
action contre la société. La raison, la morale et la jus
tice exigeaient qu’en cet état ils pussent recourir contre
les auteurs de la faute, et poursuivre contre eux la répa
ration du préjudice qu’ils sont dans le cas d’éprouver.
494.
— Les faits qui engendrent la responsabilité
des administrateurs sont, d’une part, les infractions à une
disposition de la loi, de l’autre, les fautes qu’ils peuvent
commettre dans l’exécution de leur mandat.
Il y a infraction à la loi toutes les fois que les admi
nistrateurs ont omis de faire ce qu’elle ordonne ou fait
ce qu’elle prohibe. Dans l’un et l’autre cas l'obéissance
est un devoir strict. On comprend que pour certaines
dispositions la loi ne soit pas spécialement exprimée sur
les effets de l’inobservation ; mais ce qu’on ne compren
drait pas, c’est que pour l’exécution de ce qu’elle ordon
ne ou de ce qu’elle défend, elle s’en fût rapportée au bon
vouloir, au caprice de ceux qui sont chargés de cette
exécution.
Ainsi comme nous l’avons vu sous les articles précé
dents, elle veut que chaque administrateur soit proprié
taire du nombre d’actions déterminé par les statuts ;
que ces actions restent inaliénables et frappées d’un tim
bre indiquant cette inaliénabilité: elle leur prescrit de
�204
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
dresser, chaque semestre, un élat sommaire de la situa
tion de la société ; elle leur prohibe de prendre ou de
conserver un intérêt dans les marchés ou entreprises
faits au nom de la société ou pour son compte, à moins
d'y être autorisés par l’assemblée générale, etc.. . .
On ne pouvait certes raisonnablement faire dépendre
le sort de la société de ce que un ou plusieurs adminis
trateurs n’auraient pas le nombre d’actions exigé, ou de
ce que omettant de les faire frapper d’un timbre indi
quant leur inaliénabilité , ils les auraient négociées ; de
ce qu’il n’aurait pas été dressé chaque semestre un état
sommaire de la situation ; enfin de ce que , sans y être
autorisés , les administrateurs eussent pris ou conservé
un intérêt dans les entreprises ou marchés faits au nom
de la société ou pour son compte.
Ce qu’il était impossible d’admettre et de tolérer c’est
qu’un tel oubli du devoir restât impuni et sans consé
quences pour ceux qui se le seraient permis, quels qu’en
fussent les effets pour la société ou pour les tiers. La
responsabilité édictée par l’article 44 , qui entraîne la
nécessité de réparer le préjudice que l’infraction aurait
occasionné, est donc rationnelle, approuvée par la mo
rale et la justice.
En réalité notre article 44 édicte une sanction indis
pensable pour toutes les dispositions impératives ou pro
hibitives auxquelles la loi n’en attache spécialement au
cune.
4 9 5 . — Il n’était ni moins juste ni moins convena-
�TITRE II, ART.
43, 44.
205
ble d’imposer aux administrateurs la responsabilité des
fautes qu’ils auraient commises dans leur gestion. L’ap
pel fait par l’article 44 au droit commun en matière de
mandat nous renvoit, pour la détermination de la res
ponsabilité aux articles 4991 et suivants du Code Napo
léon : on sait l’influence qu’exercerait la qualité de sa
larié.
Le premier et principal devoir des administrateurs est
d’accomplir loyalement et fidèlement les obligations qui
leur sont imposées par la loi et lés statuts sociaux. Ceuxci en effet sont ordinairement plus explicites, parce que
la loi se contente de poser des principes généraux qu’il
est même permis d’étendre ou de modifier, en tant ce
pendant qu’ils ne sont relatifs qu’à un intérêt privé. En
cette matière comme en tout autre, les dispositions d’or
dre public ou d’intérêt général s’imposent à tous et ne
permettent ni attermoiements ni modifications. Celles que
les administrateurs se permettraient constitueraient une
faute lourde et engageraient gravement leur responsa
bilité.
4 £ 6 . — Une autre obligation imposée aux adminis
trateurs est de se renfermer dans les limites des pou
voirs qu’ils ont reçu. Ce qu’ils feraient en dehors de ces
limites les engagerait d’autant plus envers les tiers qu’il
ne pourrait être opposé à la société. En effet, aux termes
de l’article 4998 du Code Napoléon , le mandant n’est
tenu de ce qui a été fait au delà du mandat que s’il l’a
expressément ratifié.
�206
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Donc à défaut de ratification les tiers ne seraient ni
recevables ni fondés à recourir contre la société, à pré
tendre obtenir d’elle l’exécution des engagements excé
dant les pouvoirs des administrateurs. Leur unique res
source serait de s’adresser à ceux-ci pour se faire indem
niser du préjudice que leur occasionnerait la nullité de
leurs conventions.
497.
— Mais l’article 1997 déclare que le manda
taire qui a donné à la partie avec laquelle il a contracté
en cette qualité une suffisante connaissance de ses pou
voirs, n ’est tenu d’aucune garantie pour ce qui a été
fait au delà, s’il ne s’y est personnellement soumis. C’est
qu’alors il y a bonne foi de la part du mandataire , et
faute chez celui avec qui il traite qui a pu et dû s’assu
rer s’il pouvait valablement contracter, et qui s’est ainsi
bien volontairement exposé à supporter les conséquences
de sa négligence ou de son imprudence.
Cela est incontestablement juste pour les actes de la
vie ordinaire. Celui qui va traiter avec quelqu’un se di
sant mandataire d’un autre a pour premier devoir d’exi
ger la reproduction du mandat qui doit et peut seul éta
blir et la réalité de la qualité et l’étendue des pouvoirs.
11 lui est donc facile de vérifier si le traité qu’il s’agit de
conclure rentre ou non dans ces pouvoirs.
Mais est-ce que cette pratique est possible pour les
transactions commerciales qui se traitent ordinairement
par intermédiaires ou par correspondance. Faudra-t-il
que celui qui est à cent lieues du siège social suspende
�TITRE II, ART. 43, 44.
207
la conclusion du traité jusqu’à ce qu’il ait fait vérifier
au greffe, ou qu’on lui ait produit les statuts ?
498.
— Nous croyons donc que les administrateurs
ne pourraient se prévaloir de l’article 1997 du Code Na
poléon que s’ils justifiaient avoir réellement exhibé les
statuts à celui avec qui ils ont traité. A défaut de cette
justification , on ne saurait hésiter entre lui et les tiers,
toutefois suivant la nature de l’acte.
Tout le monde sait ou doit Savoir que les mandatai
res sont sans pouvoir pour compromettre, transiger, aliéner ou hypothéquer les immeubles du mandant , s’il
n’y a été expressément autorisé. Celui-là donc qui com
promettrait ou transigerait avec les administrateurs d’u
ne société anonyme , ou qui se serait fait consentir une
vente d’immeubles ou une hypothèque, sans exiger qu’ils
justifiassent qu’ils en ont reçu le pouvoir , non-seule
ment n’aurait acquis aucun droit contre la société, mais
encore ne pourrait recourir contre les administrateurs
si le traité était annulé. Il se serait bien sciemment prêté
à l’excès de pouvoir , et à défaut de l’article 1997, la
raison le condamnerait à en subir les conséquences.
Mais le public est autorisé à croire que les adminis
trateurs d’une société anonyme ont la plénitude de pou
voirs qu’exige la gestion. En pareille occurence les tiers
qui ont traité avec eux pour des actes rentrant dans
cette gestion ont pu et dû croire à la régularité de l’opé
ration. Il n’est ni dans les habitudes, ni dans les con
venances du commerce de se faire représenter l’acte de
�208
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
société et les délibérations de l’assemblée générale qui
ont pu restreindre la mission des administrateurs. On ne
saurait donc rendre les tiers victimes d’un excès de pou
voirs qu’ils ne pouvaient présumer, et leur en imposer
les conséquences préjudiciables plutôt qu’aux auteurs
de cet excès.
499.
— M. Rivière ne repousse pas cette doctrine;
seulement il fait observer qu’en présence de la publicité
étendue que les statuts doivent recevoir d’après les arti
cles 55 et suivants de la loi nouvelle, il sera souvent dif
ficile aux tiers de prétendre qu’ils n’ont pas connu les
limites imposées aux pouvoirs des administrateurs
La publicité crée contre les tiers une présomption
qui n’est souvent que la contre vérité la plus manifeste.
Mais enfin ce n’est pas d’une présomption que se con
tente l’article 1997 ; il exige qu’il ait été donné nonseulement une connaissance, mais encore une connais
sance suffisante des pouvoirs. Or comment faire résulter
cette suffisante connaissance d’une publication qui date
de dix , de vingt ans peut-être , et qui a eu lieu peutêtre encore avant que celui à qui on l’oppose songeât à
devenir commerçant.
D’ailleurs l’effet de la présomption résultant de la pu
blication régulière de l’acte de société, est exclusivement
au profit de la société. Ainsi les tiers devront subir les
exceptions que les statuts publiés ont introduit au droit
�TITRE II , ART.
43, 44.
209
commun, et n’auront dans les cas prévus aucun recours
à exercer contre la société.
Mais ce qui peut être rationnel et juste à l’égard de
la société qui a fait, en publiant ses statuts, tout ce qu’il
était en son pouvoir de faire , constituerait une iniquité
en faveur des administrateurs. Si les tiers sont présumés
connaître, les administrateurs ne peuvent pas ne pas avoir connu. Ils ont eux bien sciemment excédé leurs
pouvoirs, et faire tomber la peine exclusivement sur les
tiers serait préférer la présomption à la certitude , et le
plus souvent le mensonge à la vérité.
En dernière analyse la véritable position serait celleci : les tiers ont pu se tromper, mais les administrateurs
ont bien certainement trompé. II n’y a donc pas à hé
siter, la responsabilité doit atteindre ceux qui ont sciem
ment agi, de préférence à ceux à qui on ne peut repro
cher qu’une erreur ou une négligence.
Nous persistons donc à croire que les administrateurs
ne sont recevables à réclamer l’immunité de l’article
1997 du Code Napoléon, que si avant de traiter ils ont
réellement exhibé et communiqué les statuts, ce qu’ils
devraient faire constater par celui qui recevrait cette
communication.
500.
— Les administrateurs poursuivis pour avoir
souscrit un acte contraire aux statuts, seraient-ils fondés
à récuser toute responsabilité sous prétexte que l’acte a
été autorisé par l’assemblée générale ?
La doctrine et la jurisprudence ont distingué. Si la dé-
�210
LOI DK
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
rogation aux statuts porte sur une disposition d’ordre
public ou d’intérêt général, l’exception des administra
teurs devrait être repousssée. L’assemblée générale, pas
plus que tout autre citoyen ne saurait modifier et à plus
forte raison autoriser à violer les dispositions de cette
nature. Sa délibération dans ce sens serait donc illégale,
incompétemment prise et insusceptible d’exécution. Celle
que lui auraient mal à propos donnée les administra
teurs engagerait leur responsabilité.
501.
— Le caractère de la dérogation est souverai
nement laissé à l’appréciation du juge. Citons pour ex
emple un arrêt delà cour d’Agen du 8 juin 1836.
L’article 50 des statuts de la caisse hypothécaire dis
posait : l’emprunteur qui voudra échanger les obliga
tions de la caisse contre espèces , en recevra le montant
soit de la chambre de garantie, soit de l’administration
moyennant l’escompte de demi pour cent par an du
capital porté dans chaque obligation, ou autrement dix
pour cent par an du capital total du prêt. Cette faculté
sera conservée pendant les trois mois qui suivront la date
de son engagement..
Dans un crédit ouvert à un emprunteur la caisse lui
remet quatre-vingt-quatre'nbligations ayant plus de trois
mois de date et par conséquent insusceptibles d’être es
comptées. Plus tard réclamation de la réparation du pré
judice qui en est résulté. Un litige s’engage et le tribu
nal de Marmande d’abord et la cour d’Agen décident
que l’article 50 des statuts est d’ordre public et d’intérêt
�TITRE II ,
ART.
43, 44.
211
général ; qu’en conséquence on n’avait pu valablement
renoncer à s’en prévaloir , et accordent les dommagesintérêts réclamés.
La caisse se pourvoit vainement en cassation. Par ar
rêt du 16 juillet 1836, la Cour suprême rejette le pour
voi : « Attendu qu’il n’est pas permis aux sociétés ano
nymes de déroger aux stipulations de leurs statuts, qui'
ont pour objet l’ordre public et l’intérêt des tiers; que
l’arrêt attaqué ayant déclaré que l’article 50 des statuts
de la caisse hypothécaire était de cette nature, a fait une
juste application du droit en condamnant cette société
à des dommages-intérêts pour avoir violé les dispositions
de l’article 50 de ses statuts '. »
On remarquera que dans cette espèce c’est la société
qui est condamnée et non les administrateurs. Mais dans
l’hypothèse que nous supposons , celle d’une dérogation
aux statuts exécutée par les administrateurs mais déli
bérée par l’assemblée générale, les tiers ont deux débi
teurs , la société et les administrateurs. Or tant que la
première est in bonis et en état de réparer le préjudice,
il n’y a ni raison ni intérêt réel à agir contre les seconds.
Cet intérêt au contraire existe dès que la société est en
déconfiture ou à la veille de l’être , et l’on comprend
qu’on s’adresse alors aux administrateurs.
502.
Si l’objet sur lequel l’assemblée générale a
statué est d’intérêt privé , les administrateurs qui ont
i D. P , 38, 1, 328 ; voy. Cass , 8 mars 1841 ; D. P., 41, 4, 464.
�212
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
exécuté la délibération sont à l’abri de toute recherche,
quel que soit le préjudice que cette exécution ait occa
sionné aux tiers. Un arrêt de la cour de Paris du 20 dé
cembre 1829 en fournit un remarquable exemple1.
5 0 3 . — De toutes les fautes que les administrateurs
sont dans le cas de commettre , la plus lourde est celle
de distribuer ou de laisser distribuer sans opposition
des dividendes fictifs. Elle doit à sa gravité et à son im
portance l’honneur d’être spécialement et nominalement
indiquée dans l’article 44.
Quant à son caractère essentiellement dommageable,
il ne saurait être ni méconnu ni contesté. Ces distribu
tions attaquent la société dans son élément vital; les pré
lèvements sur le capital qu’elles réalisent absorbent in
sensiblement ce capital, précipitent la chute de la so
ciété, et enlèvent aux tiers une partie notable du gage
sur la foi duquel ils avaient traité.
Au reste nous allons voir que ces distributions peu
vent constituer un délit susceptible d’être corporellement
et pécuniairement puni. A plus forte raison devaientelles engager la responsabilité de ceux qui les ont réa
lisées.
5 0 4 . — Chacun sait ce que sont les dividendes fic
tifs. Cette locution que le projet de loi avait adoptée dans
1 V. pour cet arrêt et pour tout ce qui est relatif aux fautes des admi
nistrateurs des sociétés anonymes, notre Commentaire des sociétés, art.
�TITRE II , ART. 4 3 , 4 4 .
213
son article 7, était ainsi expliquée par l’Exposé des mo
tifs :
« Au lieu de parler de dividendes non justifiés par
des inventaires sincères et réguliers, l’article du projet
se sert de l’expression dividendes fictifs , qui a d’abord
le mérite du laconisme; elle a en outre l’avantage plus
grand de mieux faire ressortir la pensée qui a constam
ment présidé à la rédaction de la disposition ; elle ex
prime très-nettement que les dividendes, dont la distri
bution engage la responsabilité de celui qui y concourt,
sont ceux qui ne représentent point de véritables béné
fices, ceux que le distributeur sait lui-même n’être que
de bénéfices supposés. »
Le législateur de 1863 précisant mieux encore ce qu’il
fallait entendre par dividendes fictifs ou non .réellement
acquis, avait déjà dit : « Il ne suffit pas que des opé
rations engagées fassent concevoir des espérances qui
paraissent presque des certitudes, ni même que des con
ventions faites de marchés conclus constituent des droits
véritables , des créances positives. Le résultat probable
des entreprises , les effets des conventions et des traités
ne sont pas encore des bénéfices qu’on puisse distribuer.
Si l’on en fait la répartiti'on avant qu’ils soient effecti
vement réalisés, avant que la caisse sociale ait reçu les
sommes qui en sont la représentation , c’est sur le ca
pital social qu’est pris ce qui est donné aux actionnaires
sous le nom de dividende. C’est là ce que les adminis
trateurs ne peuvent faire sans se compromettre. »
Ainsi toute distribution qui ne porte pas sur des bé-
�SS1 4
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
néfîces est une distribution de dividendes fictifs, et, sui
vant l’expression du rapporteur de la loi de 1863, il n’y
a de bénéfices réels que ceux qui ne peuvent plus échap
per à la société , qui ne sont plus à l’état de simple éventualité quelle qu’en soit la vraisemblance, dont au
cun coup du s o rt, excepté une insolvabilité imprévue
ou une destruction fortuite , ne peut plus priver la so
ciété,
505.
— L’article 44 déclare les administrateurs en
faute s’ils distribuent ou laissent distribuer des dividen
des fictifs. On peut se demander à quoi ces derniers ter
mes font allusion, comment et dans quels cas les admi
nistrateurs pourront laisser distribuer des dividendes
quelconques. Est-ce qu’ils n’ont pas l’initiative des pro
positions ? Ne rédigent-ils pas l’état de situation, le bi
lan, l’inventaire annuel. Qui pourrait donc sans leur
concours et contre leur volonté réaliser une répartition
entre les associés ?
Nous avons vainement cherché dans les documents
officiels et dans la discussion législative le sens de ces
expressions et l’acception qu’il convient de leur attacher.
Faut-il donc admettre que la loi s’est préoccupée d’une
hypothèse impossible ? Ne serait-ce pas accuser le lé
gislateur de négligence et d’aveuglement ?
Il convient donc de donner un sens, une signification
à ces mots : laissé distribuer , et quant à nous nous ne
saurions en voir aucun en dehors d’une des trois hypo
thèses suivantes ;
�TITRE II, ART. 43, 44.
215
Ou l’assemblée générale a d’office et malgré la pro
position contraire des administrateurs voté la distribu
tion d’un dividende ; ou le rapport des commissaires
concluant à l’existence d’un bénéfice a provoqué ou mo
tivé ce vote ; ou la proposition d’un dividende émane
de la majorité des administrateurs , contre l’avis de la
minorité.
Dans les deux premiers cas , les administrateurs se
raient bien forcés non-seulement de laisser distribuer,
mais d’exécuter eux-mêmes la distribution. Ils doivent
donc, s’ils la jugent irrégulière, s’opposer et faire cons
tater leur opposition : ce n’est qu’à ce prix qu’ils échap
peraient à la responsabilité.
Dans le dernier cas , c’est la minorité qui aurait à
s’opposer et qui devrait le faire à peine de devenir res
ponsable de la mesure quoique prise contre son avis.
'■
/
A rt. 4 5 .
Les dispositions des articles 13, 14, 15 et 16
de la présente loi sont applicables en matière de
sociétés anonymes , sans distinction entre celles
qui sont actuellement existantes et celles qui se
constitueront sous l ’empire de la présente loi.
Les administrateurs qui , en l’absence d’inven
taire ou au moyen d’inventaire frauduleux, au
ront opéré la distribution de dividendes fictifs,
seront punis de la peine qui est prononcée dans
�.
216
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
ce cas par le numéro 3 de l’article 15 contre
les gérants des sociétés en commandite.
Sont également applicables en matière de so
ciétés anonymes les dispositions des trois der
niers paragraphes de l’article 10.
« O U « A I R 1<;
506.
Application aux sociétés anonymes des articles 13, 14, 15
et 16. Son opportunité.
507. Comment on doit entendre et appliquer cette disposition.
508. N’encourent aucune peine les administrateurs qui commen
cent les opérations avant la nomination des commis
saires.
509. Utilité de l ’appel que fait la loi pour les faits prévus par les
paragraphes 1, 3 et 4 de l ’article 13.
510. Pour ceux prévus par les articles 14 et 15.
511. Motifs qui ont porté le législateur à renouveler contre les
administrateurs la disposition du paragraphe 3 de l ’arti
cle 15 contre les gérants.
512. Application de l ’article 16 et partant de l'article 463 du
Code pénal.
513. Dans quelle mesure doit-on appliquer ces divers articles
aux sociétés antérieures à la loi ?
514. L’action en répétition de dividendes fictifs et sa durée dans
les sociétés anonymes sont régies par l'article 10.
506.
— Les motifs qui avaient amené dans la com
mandite par actions, la consécration de pénalités devant
concourir avec les sanctions purement civiles à assurer
l’exécution des prescriptions de la loi pour la constitu
tion régulière, et l’exploitation loyale des sociétés, corn-
�TITRE II, ART.
45.
217
mandaient une identité de dispositions relativement
aux sociétés anonymes. La violation de ces prescriptions
ayant le même caractère et offrant les mêmes dangers,
dans un cas comme dans l’a u tre , l’empêcher et
la prévenir, dans tous, atteignaient à la hauteur d’un
devoir.
Ce devoir l’article 45 le remplit. Aux termes de sa
disposition les articles 13, 14, 15 et 1 6 , relativement
aux sociétés en commandite par actions, sont applica
bles en matière de sociétés anonymes. Nous avons déjà
examiné le caractère de ces articles et recherché les di
vers cas qui pouvaient et devaient tomber sous leur em
pire, les conditions dans lesquelles on était admis à les
invoquer et à les appliquer ; y revenir serait donc, nous
livrer à des répétitions non moins fastidieuses qu’inu
tiles.
507.
— Nous nous bornons à rappeler succincte
ment le genre de peines que ces articles prononcent et
les faits qu’elles ont pour but de réprimer. Mais avant
nous devons présenter une observation sur le véritable
caractère de notre article 45.
L’appel qu’il fait aux articles 13, 14, 15 et 16 est
absolu ; mais leur application se trouve nécessairement
dans le cas d’être modifiée par la force des choses, et
subordonnée à la possibilité, à l’existence des contraven
tions ou des délits que chacun d’eux prévoit et punit.
Par exemple, l’émission d’actions ou de coupons d’ac
tions d’une société constituée contrairement aux près-
�218
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
criptions des articles 1, 2 et 3 de la loi que prévoit le
premier paragraphe de l’article 13, peut se réaliser aussi'
bien dans l’anonyme que dans la commandite , et en
courrait l’amende de cinq cents à dix mille francs.
508.
— Mais comment appliquer le paragraphe 2
punissant de la même peine le gérant qui commence les
opérations avant l’entrée en fonctions du conseil de sur
veillance , à la société anonyme qui n’a ni gerant ni
conseil de surveillance ?
Faudra-t-il dire avec M. Rivière, qu’on devra punir
les administrateurs qui auront commencé les opérations
avant la nomination des commissaires du contrôle? Cette
prétention n ’a de fondement ni dans le texte ni dans
l’esprit de la loi.
D’abord en matière pénale toute analogie est impos
sible. On ne saurait dès lors appliquer aux administra
teurs une disposition prise spécialement et nommément
contre les gérants. L’article 45 l’a si bien compris et
admis q u e , pour la distribution de dividendes en l’ab
sence d’inventaire ou en dehors des résultats constatés
par l’inventaire, il ne s’est pas borné à s’en référer à
l’article 15 qui la punit chez le g éran t, mais en a ex
pressément rappelé la disposition contre les administra
teurs nommément. Si, dans ce cas, les administrateurs
n’auraient pu être atteints à défaut de cette disposition,
comment en serait - il autrement dans l’hypothèse de
l’article 13 ?
Ensuite on s’explique très-bien que, dans la comman-
�« TITRE II, ART.
45.
219
dite, la loi ait prohibé de commencer les opérations a vant l’entrée en fonctions du conseil de surveillance.
Celui-ck, en effet, a pour devoir spécial de vérifier si
toutes les conditions exigées par la loi pour la constitu
tion régulière ont été remplies, de veiller à la réalisation
de celles qui pourraient l’être encore, et de prévenir
ainsi la nullité de la société ou de la constater.
Dans l’anonyme ce devoir est dévolu eiclusivement
aux administrateurs , q u i , nous l’avons vu , répondent
de son inexécution. Les commissaires ne sont appelés /
qu’à faire annuellement le rapport prescrit par l’article
32. Pourquoi attendrait-on leur nomination avant de
commencer les opérations, alors surtout que quelle que
soit l’époque de cette nomination , ils ne peuvent pren
dre communication des livres et vérifier les opérations
de la société que pendant le trimestre qui précède la ré
union de l’assemblée ? C’est-à-dire que pendant neuf
mois ils sont condamnés à ne rien faire, et l’on voudrait
que les administrateurs fussent punis pour avoir com
mencé les opérations dès que par leur acceptation la
société s’est trouvée régulièrement et définitivement con
stituée.
La loi a si peu confondu les commissaires avec le con
seil de surveillance, que l’omission de nommer celui-ci
annulerait absolument la société ; tandis que si l’assem
blée générale n’a pas choisi et élu les commissaires,
l’article 32 en défère la nomination au président du tri
bunal de commerce du siège de la société; et ce qui est
remarquable , c’est qu’il ne fixe aucune époque pour
�220
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
cette nomination. Il se borne à dire que l’ordonnance
sera rendue à la requête de tout intéressé, ce qui peut ne
se réaliser qu’un temps plus ou moins long depuis la
constitution de la société ; faudra-t-il donc qu’en atten
dant les administrateurs restent les bras croisés ?
5 0 9 . — Somme toute, le deuxième paragraphe de
l’article 13 restera sans application possible dans la so
ciété anonyme ; mais l’appel que l’article 45 fait à ses
dispositions n’était pas moins nécessaire, et ne sera pas
moins utile de ce que son application se réduira aux hy
pothèses prévues par les paragraphes 1, 3 et 4.
En effet, dans l’anonyme pourra , comme dans la
commandite, se réaliser non-seulement l’émission d’ac
tions ou de coupons d’actions, malgré que la société ait
été constituée contrairement aux prescriptions des arti
cles 1, 2 et 3, mais encore l’introduction dans les as
semblées de faux actionnaires qui viendront frauduleu
sement créer une majorité factice.
Il n’est pas douteux que celui qui aurait remis les
actions pour un pareil usage, et celui qui se serait per
mis de les y employer ne fussent passibles de l’amende
de cinq cents à dix mille francs et ne pussent être con
damnés à un emprisonnement de quinze jours à six
mois.
5 1 0 . — On pouvait, dans la société anonyme, pré
voir et craindre une négociation ou une participation à
la négociation et à la publication de la valeur d’actions
�TITRE II, ART. 4 5 .
221
ou de coupons d’actions dont la valeur ou la forme serait
contraire aux dispositions des articles 1, 2 et 3 de la
loi, ou pour lesquelles le versement du quart n ’aurait
pas été opéré. L’appel à l’article 14 que fait l’article 45
soumet les auteurs à la peine édictée pour la comman
dite, c’est-à-dire à une amende de cinq cents à dix mille
francs.
Enfin sont passibles des peines édictées par l’article
405 du Code pénal : 1° ceux qui dans la société ano
nyme ont, par simulation de souscriptions ou de verse
ments, ou par publication faite de mauvaise foi de sous
criptions ou de versements qui n’existent p a s , ou de
tous autres faits faux , obtenu ou tenté d’obtenir des
souscriptions ou de versements ;
2° Ceux qui pour provoquer des souscriptions ou des
versements o n t, de mauvaise fo i, publié les noms de
personnes désignées, contrairement à la vérité , comme
étant ou devant être attachées à la société à un titre quel
conque.
511.
— Dans un troisième paragraphe, l’article 15
déclarait la même peine applicable aux gérants qui, en
l’absence d’inventaire ou au moyen d’inventaire fraudu
leux , ont opéré entre les actionnaires la répartition de
dividendes fictifs. Aurait-on pu en vertu de cette dispo
sition atteindre les administrateurs des sociétés anony
mes qui , dans les mêmes circonstances , auraient eux
aussi distribué des dividendes fictifs ? Nous venons d’ex
poser les motifs qui pouvaient faire répondre par la né
gative.
�222
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Dans tous les cas le doute seul faisait un devoir au
législateur d’expliquer nettement son intention et sa vo
lonté. Aussi a-t-il dans l’article 45 renouvelé contre
les administrateurs la disposition que le paragraphe 3
de l’article 15 édictait contre les gérants.
On ne pouvait d’ailleurs faire autrement. La distri
bution de dividendes fictifs en l’absence d’inventaire ou
au moyen d’inventaire frauduleux , ne perdait rien de
sa criminalité , de ce que, au lieu d’être exécutée par le
gérant d’une commandite, elle l’avait été par les admi
nistrateurs d’une société anonyme. Offrait-elle moins de
danger pour la société et surtout pour les tiers dans un
cas que dans l’autre ?
Il était donc nécessaire, convenable et juste de la pré
venir dans l’anonyme comme dans la commandite, en
attachant à sa réalisation une peine de nature à retenir
ceux qui seraient tentés de s’en rendre coupables.
512.
— En faisant appel à l’article 16, l’article 45
porte l’assimilation entre la commandite et l’anonyme
jusqu’à ses dernières limites. On sait que cet article 16
permet d’appliquer l’article 463 du Code pénal aux faits
prévus par les articles 13, 14 et 15. Ici encore il ne
pouvait exister aucune différence, et les raisons de recou
rir à cette application militaient aussi puissamment dans
un cas que dans l’autre. Il était donc à peu près impos
sible en rendant les dispositions des articles 13, 14 et
15 communes aux sociétés anonymes, de répudier et de
laisser de côté l’article 16.
�TITRE II, ART. 4 5 .
223
513.
— Aux termes de notre article 45, les disposi
tions des articles 13, 14, 15 et 16 sont applicables
non-seulement aux sociétés anonymes qui se constitue
ront sous l’empire de la loi nouvelle, mais encore à cel
les qui existaient avant sa promulgation.
Toutefois et quant à ces dernières , l’article 45 ne
doit être en quelque sorte accepté que sous bénéfice d’in
ventaire. Il ne peut s’entendre que relativement aux dé
lits ou contraventions qui, postérieurs à la constitution
de la société et se réalisant pendant le cours de son ex
ploitation, peuvent se rencontrer dans les anciennes com
me dans les nouvelles sociétés.
Ainsi, dans les assemblées générales des sociétés ano
nymes antérieures à la loi nouvelle , peuvent se glisser
de prétendus actionnaires qui n’ont aucun droit à la
possession des actions dont ils sont porteurs, qui ne leur
ont été momentanément confiées que pour qu’ils pussent
s’introduire dans l’assemblée et y créer une majorité fac
tice. Ce fait étant déclaré délit par la loi nouvelle, il
suffit qu’il se commette sous son empire pour qu’il tom
be sous le coup de ses dispositions à quelque époque
que se place d’ailleurs la formation de la société.
Il n’est donc pas douteux que celui qui aurait remis
les actions dans ce but et celui qui en aurait fait usage
seraient atteints des peines édictées par l’article 13 , et
ne pourraient y échapper en prouvant que la société
existait bien avant la promulgation de cet article.
Ainsi encore les administrateurs d’une société anony
me ne pourraient puiser dans l’ancienneté de la société
�224
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
le droit de commettre impunément un acte qui , depuis
1867, a reçu le caractère d’un délit. Donc toute distri
bution de dividendes fictifs, postérieure à la loi nouvelle,
et exécutée dans les circonstances prévues par l’article
45 , entraînerait contre ses auteurs les peines édictées
par l’article 405 du Code pénal.
Les articles 13 et 15 de la loi actuelle pourront être
appliqués , dans les dispositions que nous venons de
rappeler, aux sociétés anonymes anciennes. Ce qu’il n’est
pas possible de supposer et d’admettre, c’est que les con
traventions prévues par les paragraphes 1 et 2 de l’ar
ticle 13, par l’article 14, et les délits punis par les deux
premiers paragraphes de l’article 15 puissent jamais se
rencontrer dans lès sociétés anonymes antérieures à la
loi.
En effet elles n’ont pu se former qu’avec l’autorisa
tion du Gouvernement, et avant de concéder cette auto
risation celui-ci aura nécessairement pris toutes les pré
cautions que l’intérêt public exigeait. De toute certitude
les statuts auront déterminé l’époque de l’émission , la
valeur et la forme des actions ; de toute certitude aussi
on aura justifié de la souscription du capital , ou réglé
de quelle manière il serait procédé à de nouveaux ap
pels de fonds. L’approbation des statuts , condition de
l’autorisation les ayant rendu la loi suprême de la so
ciété, les infractions qui s’y commettraient engageraient
la responsabilité des administrateurs, mais ne sauraient
dans aucun cas être atteintes par les articles 13, 14
et 15.
�TITRE II, ART.
45.
225
514.
— La possibililé d’une distribution de dividen
des fictifs faisait naturellement prévoir l’éventualité d’u
ne action en répétition de ce qui avait été mal payé de
la part des créanciers sociaux , et contraignait en quel
que sorte à déterminer les conditions et la durée de son
exercice.
La disposition des trois derniers paragraphes de l’ar
ticle 10 réglant ces conditions et cette durée dans la
commandite par actions, s’imposait dès lors pour rem
plir ce double objet dans l’anonyme. Aucune raison
spécieuse ne pouvait faire que ce qui était convenable
dans tfn cas ne le fût pas dans l’autre.
Donc, dans la société anonyme comme dans la com
mandite, aucune répétition de dividendes ne peut être
exercée contre les actionnaires , si ce n’est dans le cas
où la distribution en aurait été faite en l’absence de tout
inventaire, ou en dehors des résultats constatés par l’in
ventaire.
L’action, quand elle est ouverte , se prescrit par cinq
ans , à partir : du jour fixé pour la distribution des di
videndes pour les sociétés postérieures à la loi ; du jour
de la promulgation de la loi pour les prescriptions com
mencées avant et pour lesquelles il faudrait encore, se
lon les lois anciennes, un laps de temps plus considé
rable.
On trouvera dans notre commentaire de l’article 10
les motifs qui ont dicté ces dispositions , lpur caractère,
et les critiques qu’elles ont soulevées.
�226
LOI DE
1867
SCR LES SOCIÉTÉS
A rt. 4 6 .
Les sociétés anonymes actuellement existan
tes continueront à être soumises, pendant toute
leur durée, aux dispositions qui les régissent.
Elles pourront se transformer en sociétés anonÿmes dans les termes de la présente loi , en
obtenant l’autorisation du Gouvernement et en
observant les formes prescrites pour la modifi
cation de leurs statuts.
A rt. 4 7 .
Les sociétés à responsabilité limitée pourront
se convertir en sociétés anonymes dans les ter
mes de la présente loi , en se conformant aux
conditions stipulées pour la modification de
leurs statuts.
Sont
ab rogés
le s
a r tic le s 31 , 3 7 e t 4 0 d u
C o d e d e c o m m e r c e , e t la lo i d u 2 3 m a i 1863
s u s le s s o c ié t é s à r e s p o n s a b ilit é lim it é e .
S O ItlM A IIlC I
515.
516.
517.
Législation applicable aux sociétés anonymes existantes avant la loi.
Intérêt qu’elles ont à se transformer en sociétés anonymes
aux termes de la loi nouvelle.
Conditions auxquelles cette transformation est subordon
née ; leurs caractères.
�TITRE II, ART.
518.
519.
520.
521.
522.
46, 47.
227
N’a pas besoin d’êlre stipulée dans les statuts.
Proposition d’en étendre la faculté aux sociétés civiles ; dis
cussion, rejet.
Celte faculté est concédée aux sociétés à responsabilité li
mitée. Intérêt qu’elle présente.
Condition qui lui est imposée. Sens que lui donne M. Ri
vière, réfutation.
Abrogation des articles 31, 37 et 40 du Code de commerce
et de la loi du 23 mai 1863.
53 5. — La non rétroactivité des lois dictait logique
ment la règle consacrée par l’article 46. Les sociétés
anonymes existantes au moment de la loi nouvelle con
tinueront à être soumises pendant toute leur durée aux
dispositions qui les régissent. Ainsi l’exigeaient non-seu
lement le principe de la non rétroactivité , mais encore
le respect des conventions régulièrement et légalement
formées : aussi le résultat aurait-il été le même , alors
même que la loi ne s’en fût pas expressément expliquée.
L’intérêt que les sociétés ordinaires en nom collectif
ou en commandite par actions ont à se transformer en
sociétés anonymes est évident. La responsabilité de la
perte limitée à la mise succédant à la responsabilité in
définie qui grève les associés en nom ou les gérants de
la commandite, est un résultat dont l’importance ne sau
rait être méconnue et qui rend raison du désir de se
transformer chez les uns et chez les autres.
5 1 6 . — Mais pour les sociétés anonymes formées
sous l’empire du Code ce résultat est acquis. On pourrait
donc se demander où se trouve pour elles l’intérêt de la
�228
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
transformation en sociétés anonymes dans les termes de
la loi nouvelle ?
Cet intérêt à notre avis se trouve dans l’extension que
la loi de 1867 donne aux pouvoirs des assemblées gé
nérales, notamment dans la faculté de voter des modi
fications aux statuts, faculté qui sous l’empire du Code
rencontrait un double obstacle.
Les statuts approuvés par leGouvernement devenaient,
pour la société, une loi immuable. Toutes modifications
altérant leur essence ou qui en auraient changé certai
nes dispositions , devaient être soumises au Gouverne
ment et approuvées par lui sous peine de nullité absolue.
D’autre part la majorité de l’assemblée ne pouvait im
poser ces modifications à la minorité, et sa délibération
ne liait qu’elle. Ainsi que nous l’avons établi, les clau
ses fondamentales du pacte ne pouvaient être valable
ment changées ou modifiées que par l’unanimité des as
sociés, chacun d’eux étant recevable et fondé à préten
dre que ces clauses avaient déterminé son engagement,
et que, sans la certitude d’être constamment régi par el
les, il n’eùt pas accédé à la société1.
Or l’afticle 31, nous l’avons vu, permet à la majorité
de l’assemblée générale de modifier les statuts, à la seule
condition qu’elle sera composée de membres représen
tant la moitié au moins du capital social. Cette conces
sion est assez importante pour expliquer et légitimer le
désir de la transformation.
1 Notre
C o m m e n ta ir e
des so c ié té s , n°* 288 et suiv.
�TITRE II, ART.
46, 47.
229
Êiî7. — Mais celte transformation qui pourrait ser
vir l’intérêt des gros actionnaires , pourrait bien nuire
aux petits en anéantissant la garantie qu’ils puisaient
dans la nécessité de l’unanimité. On ne doit donc pas
s’étonner que l’article 46 ait subordonné la transforma
tion à l’autorisation du Gouvernement d’abord , à l’ob
servation des formes prescrites pour la modification des
statuts, ensuite.
Ces deux conditions ont chacune leur importance, et
la première garantit et assure l’exécution de la seconde.
La tutelle de l’Etat, disait le rapporteur au Corps législa
tif , intervient là comme la garantie essentielle que les
parties ont eue en vue, et nul intérêt ne peut, sérieuse
ment se plaindre.
Il est évident d’ailleurs qu’il importe de maintenir la
balance égale pour tous, gros ou petits, et que si la trans
formation faisait redouter la rupture de l’équilibre , le
Gouvernement pourrait et devrait refuser de l’autoriser.
Nous disons que cette première condition garantit et
assure l’exécution de la seconde. En effet l’autorisation
du Gouvernement devra être demandée et ne pourra l’ê
tre qu’après que l’assemblée générale en aura reconnu
et admis l’opportunité. On devra donc produire la déli
bération qui la provoque. Or évidemment il s’agirait là
d’une importante modification aux statuts, et si les con
ditions et les formes auxquelles ces statuts subordonnent
ces modifications n’avaient pas été religieusement ob
servées, le Gouvernement ne manquerait pas de refuser
l’autorisation.
�230
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
518.
— On remarquera que l’article 46 n’exige pas,
comme l’article 19 le fait pour la transformation des
commandites par actions , que cette transformation ait
été prévue et autorisée par les statuts, et qu’elle s’exécuie
dans les conditions y stipulées. Cela s’explique par la
nature même des choses. La commandite , dans beau
coup de cas , n’est qu’une étape vers l’anonyme. Trèsfréquemment la forme même de la commandite n’est,
dans la pensée de ceux-qui l’adoptent, que temporaire
et transitoire. La constitution d’une société anonyme est
le véritable but qu’ils se proposent. Rien donc de plus
naturel que la réserve, dans les statuts, d’une transfor
mation.
D’ailleurs la possibilité de cette réserve dans tous les
cas naissait de l’existence légale, notoire de la société anonyme inscrite dans le Code à côté de la commandite.
Même alors que la société anonyme n’était pas le but
que les fondateurs se proposaient, il était facile de pré
voir qu’on pourrait avoir un jour intérêt à prendre cette
forme , et qu’il était prudent de s’en réserver la faculté.
L’article 19 a donc pu très-rationnellement n’accorder
le droit de se transformer qu’aux sociétés qui l’avaient
expressément stipulé dans leurs statuts.
Mais comment une pareille stipulation se serait-elle
rencontrée dans les sociétés anonymes. En quoi pou
vaient-elles se transformer , depuis la promulgation du
Code jusqu’à celle de la loi nouvelle ? Etait-il possible
aux fondateurs de prévoir qu’en juillet 1867 on organi
serait une société anonyme sur des bases plus larges,
�TITRE II, ART. 4-6, 4 7 .
231
plus libérales que celles du Code ; car cette prévision
pouvait seule inspirer et motiver la réserve d’une trans
formation.
Donc, n’autoriser cette transformation pour les socié
tés anonymes existantes en 1867, qu’autant que les sta
tuts l’auraient prévue et réservée, c’était refuser absolu
ment toute transformation, car la condition ne se serait
jamais rencontrée, ne pouvait pas se rencontrer.
519,
— De même qu’à l’occasion de l’article 19, la
question de savoir si les sociétés civiles pouvaient reven
diquer le bénéfice de l’article 46 fut examinée et discu
tée au Corps législatif à propos de ce dernier article. M.
.laval renouvela l’amendement qu’il avait présenté sous
l’article 19 et qui en concédait la faculté, et le développa
mais sans succès.
De leur côté plusieurs membres du Corps législatif,
entre autres MM. Seydoux et Brame proposaient d’ins
crire dans la loi la disposition additionnelle suivante :
« Les dispositions qui précèdent sont applicables aux
sociétés civiles , charbonnières et autres qui se consti
tueraient dorénavant soit sous la forme de sociétés en
commandite par actions , soit sous la forme de sociétés
anonymes. Les sociétés civiles existant sous l’une et l’au
tre forme seront tenues de se conformer auxdites dispo
sitions, dans le délai de six mois à partir de la présente
loi, sous peine de tous dommages-intérêts pour les ad
ministrateurs ou gérants envers les parties intéressées. »
Ainsi ce que l’amendement Javal réclamait comme
�232
LOI DE
î 867 SUR LES SOCIÉTÉS
une faculté, l’amendement Seydoux et Brame l’imposait
comme une obligation. Il était plus que probable que le
Corps législatif qui venait de rejeter le premier n’adop
terait. pas le second.
Aussi fut-il retiré par ses auteurs sur la promesse faite
par le ministre au nom du Gouvernement de faire étu
dier la question et de présenter un projet de loi de na
ture à concilier tous les intérêts.
De tout cela il faut de plus fort conclure que la loi
de juillet 1867 ne concerne que les sociétés commercia
les exclusivement ; que les sociétés civiles, tant celles qui
existent que celles qui se constitueront dorénavant, res
tent complètement en dehors de ses dispositions.
520.
— La société à responsabilité limitée n’est en
réalité qu’une société anonyme dont la forme et les con
ditions diffèrent peu de celles des sociétés organisées par
la loi actuelle. La preuve la plus décisive s’induit de ce
ait que, sauf quelques modifications plus ou moins in
signifiantes, la loi de 1867 s’est appropriée les disposi
tions de celle du 23 mai 1863.
On pourrait donc également se demander quel intérêt
peuvent avoir les sociétés à responsabilité limitée à se
transformer en sociétés anonymes, comme a cru devoir
les y autoriser l’article 47.
Il est certain que ces sociétés possèdent tous les avan
tages principaux des sociétés anonymes constituées par
la loi nouvelle. Elles n’ont besoin d’aucune autorisation;
elles sont administrées par des administrateurs qui, sau1
�TITRE II, ART.
46, 47.
233
la responsabilité pour violation du mandat, ne sont te
nus, comme les simples associés, que jusqu’à concur
rence de leur mise ; enfin les assemblées générales sont,
quant au mode de leur composition et l’étendue de leurs
pouvoirs, sur la même ligne.
Mais ce qu’elles ont de moins c’est la faculté de por
ter leur capital jusqu’à un chiffre indéterminé. En effet
celui des sociétés à reponsabilité limitée rie peut dépas
ser vingt millions. Sous ce rapport, leur transformation
peut être pour elles d’un grand intérêt, et cet intérêt ex
plique qu’on leur en ait ouvert la faculté qui seule pou
vait le satisfaire. En effet, sans transformation, impos
sibilité de franchir cette limite.
Peu importe que l’article 47 ne dise pas que les so
ciétés à responsabilité limitée existantes continueront
d’être soumises, pendant toute leur durée, aux disposi
tions qui les régissent. C’est là, nous venons de le dire,
une règle qu’imposent impérieusement le principe de la
non rétroactivité des lois et le respect des conventions
régulièrement et légalement intervenues. Sans doute no-r
tre article dans son dernier paragraphe abroge la loi du
23 mai 1863, mais cette abrogation a pour effet unique
de laisser la loi sans autorité et sans force pour l’ave
nir. Elle ne saurait faire qu'elle ne continuât pas de ré
gir de ses dispositions tous les faits réalisés et consom
més sous son empire. Nous avons donc raison : sans
transformation, impossibilité absolue de porter le capital
social à un chiffre supérieur à vingt millions.
Or l’augmentation pouvait répondre à un besoin, à un
�234
loi dl
1867
sur les sociétés
intérêt réel et pressant, outre qu’elle n’offrait aucun in
convénient, aucun danger de nature à la faire prohiber.
On a donc voulu lui laisser la faculté de se produire en
force et au moyen de la transformation.
5 2 | . — Notre article ne subordonne cette transfor
mation qu’à une seule condition, savoir : que la délibé
ration qui en adopte le principe se sera conformée aux
conditions stipulées pour la modification des statuts.
M. Rivière comprend singulièrement celte disposition.
A son avis il en résulte que les sociétés à responsabilité
limitée ne peuvent se convertir en sociétés anonymes
dans les termes de la loi nouvelle, qu’autant que la pos
sibilité de cette transformation a été prévue dans leurs
statuts1.
Si c’était là ce que le législateur a entendu, il s’en se
rait expliqué de manière à prévenir tout doute : témoin
l’article 19. Evidemment si l’article 4 7 exige ce que l’ar
ticle 19 prescrit, nous, rencontrerions dans l’un les ter
mes que nous trouvons dans l’autre.
Ce que le législateur n’a pas fait, il ne pouvait pas le
faire sans rendre impossible la faculté de transformation
qu’il entendait concéder.
La société à responsabilité limitée ne pouvait pas sti
puler la réserve^de se transformer en société anonyme
par l’excellente raison qu’elle n ’est elle - même qu’une
société anonyme et dispensée de la nécessité de se pour-
�TITRE II, ART.
46, 47.
235
voir de l’autorisation du Gouvernement ; elle en avait
tous les avantages, toutes les prérogatives. Il ne pouvait
donc venir dans la pensée de ses fondateurs de se trans
former un jour en société anonyme telle que l’organisait
le Code, transformation qui ne pouvait avoir pour ré
sultat que l’obligation d’obtenir l’autorisation du Gou
vernement.
Le besoin pour elle d’une transformation n’a pu se
faire sentir qu’au moment où la société anonyme dis
pensée de cette autorisation a pu se constituer avec un
capital indéterminé et sans limite, c’est-à-dire depuis la
promulgation de la loi de 1867. Mais de 1863 à 1867
qui pouvait prévoir cette promulgation , et stipuler la
réserve de participer au bénéfice de celte loi par une
transformation? Est-il donc possible d’admettre que la
loi de 1867 eût imposé l’obligation de cette prévision et
en eût fait la condition de la faculté qu’elle confère ?
Interprété comme le fait M. Rivière , l’article 47 a boutit à ce résultat qu’aucune société à responsabilité
limitée ne pourra en invoquer le bénéfice , car aucune
n’aura stipulé dans ses statuts une éventualité qui eût
exigé le don de seconde vue.
A notre avis les termes de l’article 47 ne signifient
(ju’une chose , que , s’agissant d’une modification aux
statuts, la transformation ne pourra être délibérée et
votée que conformément aux conditions imposées par
l’article 14 delà loi de 1863, confirmé par l’article 31
de la loi actuelle. C’est à dire que l’assemblée générale
appelée à statuer ne sera régulièrement constituée et ne
�236
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
délibérera valablement qu’aulant qu’elle sera composée
d’un nombre d’actionnaires représentant la moitié au
moins du capital social ; qu’elle devra en outre se con
former aux prescriptions des statuts , si prévoyant des
modifications à leur teneur , ils ont stipulé la forme et
les conditions qu’on devra remplir.
5 2 2 . — Les articles 31, 37 et 40 du Code de com
merce disposaient : le premier, que les administrateurs
pouvaient n’être pas associés; le second, que les sociétés
anonymes ne pouvaient exister qu’avec l’autorisatipn du
Gouvernement ; le troisième, qu’elles ne pouvaient être
formées que par acte public. Ces dispositions étant in
conciliables avec celles de la loi nouvelle, l’article 47 les
déclare abrogées.
Est aussi abrogée la loi du 23 mai 1863. Elle n’avait
plus sa raison d’être, dès que la loi de 1867 était venue
généraliser son principe et faire la règle de l’exception
qu’elle avait consacrée.
�TITRE III
Dispositions p articu lières aux sociétés à capital
variable.
Aux. 4 8 .
11 peut être stipulé , dans les statuts de toute
société , que le capital social sera susceptible
d’augmentation par des versements successifs
faits par les associés ou l’admission d’associés
nouveaux, et de diminution par la reprise totale
ou partielle des apports effectués.
Les sociétés dont les statuts contiendront la
stipulation ci-dessus seront soumises, indépen
damment des règles générales qui leur sont pro
pres suivant leur forme spéciale , aux disposi
tions des articles suivants.
/
SOM M AIRE
523.
524.
525.
526.
527.
Objet que le projet présenté par le Gouvernement se pro
posait dans le titre iii .
Caractère et développement du mouvement coopératif.
Premier projet du Gouvernemehl. Polémique qu’il souleva;
conséquences.
Second projet ; exposé de «es motifs.
Système de la commission du Corps législatif ; ses motifs,
son adoption.
�2138
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
528.
Son effet sur l ’intitulé du titre iii et sur les dispositions du
projet.
529. Objection contre l ’utilité de la loi ; son caractère.
530. Appréciation et réponse.
531. Conclusion.
532. L’article 48 est général, pour toutes personnes et pour tous
les genres de sociétés.
533. Mais la loi nouvelle ne régit que celles qui ont divisé leur
capital en actions.
534. Origine et motifs de la variabilité du capital.
535. Faculté de la reprise totale ou partielle. Objection de M.
Marie contre celle-ci ; réponse de M. Emile Ollivier.
536. Appréciation.
537. Difficulté sur la division en actions du capital. Renvoi.
525.
— Ce que le Gouvernement avait en vue dans
le titre m de la loi qu’il présentait, c’était la réglemen
tation de ce mouvement coopératif qui répondant à cette
transformation sociale que le progrès développe, cher
chait à faire une place au soleil à ces humbles enfants
du travail, qu’un salaire souvent insuffisant condamnait
à une sorte de servage vis-à-vis des heureux détenteurs
du capital.
Il n’entre ni dans nos intentions ni dans notre rôle
de commentateur de remonter à l’origine de ce mouve
ment , de raconter le développement successif qu’il re
çut, les épreuves qu’il subit, les mécomptes et les revers
qui vinrent en retarder la marche. Nous devons nous
borner à quelques considérations de nature à bien dé
terminer l’intention du législateur et le sens qu’il faut
attacher à ses dispositions.
�TITRE III, ART. 4 8 .
239
5 2 i . — Dégagé des dangereuses utopies qui l’a
vaient fourvoyé et égaré en 1848, le mouvement coopé
ratif avait pris en France, comme en Angleterre, com
me en Allemagne, un essor et un développement consi
dérables. Le travail et l’épargne vivifiés par le principe
d’association avaient produit cet admirable résultat, que,
ainsi que le rappelle l’Exposé des motifs, telle société qui
avait commencé, il y a quelques années avec un capital
de quelques centaines de francs et un très-petit nombre
d’associés , comptait aujourd’hui par milliers les mem
bres qui la composaient et par millions les capitaux dont
elle disposait.
D’aussi nobles , d’aussi honorables efforts qui glori
fiaient le travail et l’épargne en montrant jusqu’où ils
pouvaient atteindre, méritaient d’être encouragés et fa
vorisés. On ne pouvait plus longtemps refuser une place
au soleil et le droit de cité à des associations qui don
naient de pareils exemples et offraient de tels enseigne
ments.
La refonte de la législation sur les commandites par
actions et les sociétés anonymes , offrait l’occasion toute
naturelle de faire à ces nouvelles venues la part qu’elles
étaient en droit de réclamer. Cette occasion saisie par le
Gouvernement lui inspira le titre m qui témoignait des
•préoccupations dans lesquelles il avait été conçu.
5 2 5 . — C’était en effet les sociétés entre ouvriers
que ce titre avait eu pour objectif. Aussi le projet le qua
lifiait-il de dispostilions particulières aux sociétés de co-
�240
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
»
opération, et dans la nomenclature des objets auxquels
elles pouvaient se livrer, l’article 51 tenant compte de la
pratique générale suivie jusque là, restreignait ces objets
à l’achat, pour les revendre aux associés , des choses
nécessaires aux besoins dé jà vie ou aux travaux de leur
industrie ; à ouvrir aux associés des crédits et à leur faire
des prêts ; à établir pour les associés des ateliers de travail en commun, et d’en revendre les produits soit col
lectivement, soit individuellement; c’est à dire que la loi
n ’admettait que les associations de consommation , de
crédit ou de production.'
Le mouvement d’opinion que souleva l’attention qui
se portait sur la matière fut considérable ; chacun vou
lut apporter sa pierre à l’édifice : la presse, les publicis
tes , les ouvriers eux-mêmes se demandèrent tout d’a
bord quelle était l’utilité de restrictions que condam
naient énergiquement les efforts nouvellement tentés
pour étendre la sphère d’actions dans laquelle la coopé
ration s’était retranchée jusque là.
Toutes ces polémiques, tous ces faits nouveaux sollici
taient toute l’attention du Gouvernement, et rendaient
indispensables des modifications au projet déjà présenté.
Mais avant de rien arrêter , il crut prudent de se livrer
à une enquête dans laquelle seraient appelés tous ceux
dont les lumières et l’expérience pouvaient être consul
tées avec fruit.
La commission chargée de recueillir les dépositions
entendit de notables industriels, des jurisconsultes et des
publicistes distingués , des magistrats consulaires , des
�TITRE III, ART.
48 .
241
membres des chambres de commerce , des administra
teurs de grandes compagnies; elle s’attacha à provoquer
les observations des'fonda leurs des sociétés coopératives,
et celles des ouvriers membres ou gérants de ces asso
ciations.
526.
— Sur le rapport de la commission un nouveau projet fut rédigé et présenté au Corps législatif. La
comparaison de ce projet avec le précédent fait compren
dre les modifications dont l’enquête avait signalé la né
cessité.
De même que le premier , le second projet avait adopté la qualification de sociétés de coopération, et consérvé dans son article 51 la nomenclature des objets
auxquels elles pouvaient s’appliquer. Seulement aux as
sociations de consommation, de crédit et de production,
il ajoutait celles pour construire des maisons pour les
associés, celles pour exécuter en commun les traités ou
marchés.
« L’enquête, disait l’Exposé des motifs, a montré que
le cercle dans lequel le principe coopératif doit se mou
voir pouvait être élargi. » L’était-il suffisamment par
le nouveau projet ? Il était permis d’en douter.
L’action de la coopération n’en était pas moins limi
tée dans son objet. Que dans l’intention du Gouverne
ment le bénéfice de la loi ne dût être acquis qu’aux seu
les sociétés entre ouvriers ou travailleurs, on pouvait le
comprendre; mais même pour ces sociétés à quoi bon
une restriction ? Pourquoi les cantonner dans telles ou
�242
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
telles opérations , et poser ainsi des bornes à leur ini
tiative ?
527.
— La commission du Corps législatif fut à ce
sujet d’un avis opposé à celui du Gouvernement et de
mandait la suppression de la nomenclature que renfer
mait l’article 51. A supposer, disait le rapporteur, que
cet article énonçât tous les objets auxquels , dans l’état
actuel des faits économiques , avaient tenté de s’appli
quer les associations ouvrières , qui pouvait affirmer
qu’au lendemain de la promulgation de la loi, leur ac
tivité ne serait pas attirée vers un autre but?
« Sans doute, comme le dit le nouvel Exposé des mo
tifs, le projet n’a d’autre prétention que celle de poser
des bases que l’avenir rectifiera et complétera. Le légis
lateur, en effet, marche avec le tem ps, et il sera tou
jours prêt à saisir par des dispositions nouvelles les faits
qui se produiront.
» Mais cette mobilité de la loi n’est-elle pas un prin
cipe d’affaiblissement de son autorité , et n’est-il pas
préférable de poser des règles auxquelles puissent se
plier les faits de demain aussi bien que ceux d’aujour
d’hui ; des règles générales qui , n’excluant aucun des
objets possibles de l’activité civile , commerciale et in
dustrielle , constitueraient une loi de droit commun,
c’est-à-dire un instrument dont tous les citoyens indis
tinctement pourraient se servir ? »
Quel inconvénient pouvait-il y avoir d ’ailleurs à a baissér toutes les barrières devant les ouvriers et travail-
�TITRE HT, ART.
4-8.
243
leurs comme devant toutes les autres classes de citoyens?
Pouvait-on craindre que ceux qui avaient à peine le
nécessaire vinssent le compromettre en entreprenant étourdiment des opérations au-dessus de leurs moyens et
de leurs forces ; et si en définitive ils ne tentaient que
ce qu’ils étaient capables de mener à bonne fin, était-il
convenable, était-il juste de les en déclarer préventive
ment incapables ?
Rien ne pouvait légitimer un pareil ostracisme. Aussi
l’opinion de la commission recueillit-elle l’adhésion suc
cessive du conseils d’Etat et du Corps législatif.
528.
— La substitution de la liberté à la restriction
ne s’arrêta pas à faire disparaître de la loi la nomen
clature que l’article 51 du projet consacrait, elle s’éten
dit au personnel même des associations. On voulait bien
n’interdire aux ouvriers aucun des objets possibles de
l’activité civile , commerciale et industrielle, mais on
n’entendait pas, on ne pouvait pas entendre leur confé
rer un privilège au détriment de ceux qui exploiteraient
un commerce similaire.
Par exemple, on ne pouvait pas interdire aux socié
tés ouvrières de consommation la faculté de vendre aux
tiers comme aux associés. Tout le monde au contraire
reconnaissait que, sans cette faculté, ces associations étaient à-peu-près impossibles en France. •
Mais alors , disait la commission du Corps législatif
par l’organe de son rapporteur , quelle concurrence ne
feraient-elles pas au commerce ordinaire, à la vente au
�244 \
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
détail ; et comment sans injustice et sans privilège refu
ser les facilités qu’on leur accorde à des sociétés créées
uniquement pour acheter et revendre à des tiers ?
L’article 48 qui remplace l’article 51 du projet sortit
donc de la spécialité que celui-ci avait eu en vue. Il étendit à tout le monde ce que le projet réservait aux ouvries : il peut être stipulé dans les statuts de toute so
ciété, etc.. . . Mais ce changement radical en nécessitait
un dans l’intitulé du titre. On ne pouvait plus lui con
server la dénomination de sociétés coopératives qui n’é
taient plus l’objqt unique de ses dispositions. Emprun
tant le nom au caractère spécial de ces sociétés , on adopta la qualification de sociétés à capital variable.
Il n’en est pas moins certain que si quelqu’un est ap
pelé à profiter de la loi nouvelle , ce sont les ouvriers
qui doivent y puiser des facilités pour atteindre le but
que leurs associations se proposent, celui d’arriver à la
richesse par le travail , c’est-à-dire par la voie la plus
légitime et la plus sainte.
529.
— Il semble dès lors que les efforts tentés en
ce sens par le législateur, n’auraient dû rencontrer que
des encouragements , que des adhésions empressées.
Mais la critique quand même s’en est mêlée ; on a été
jusqu’à dire qu’il n’y avait pas lieu de créer une forme
spéciale, de soumettre les travailleurs à une réglemen
tation particulière, de les enrégimenter en quelque sort0,
de leur donner un gérant, c’est-à-dire un chef qui
prescrira tel ou tel mode de travail ou en réglera le ta-
�rif. Ne serait-ce pas une coalition d’ouvriers en perma
nence, faisant la loi à ceux qui ont besoin de leurs ser
vices? Que des associations de travailleurs puissent se
produire , la liberté qui doit présider aux conventions
civiles ou commerciales le veut ainsi. Mais de là à la
création d’un système spécial il y a loin. Le Code de
commerce tel qu’il est satisfait à toutes les exigences.
L’exagération de l’idée conservatrice peut seule expli
quer de pareilles craintes et inspirer un pareil mépris
pour l’effort des petits et des faibles pour prendre part
au mouvement industriel qui s’est développé dans les
trente dernières années. On ne devrait pas trouver mau
vais que les ouvriers, que les travailleurs vinssent pren
dre quelques miettes de ces plantureux festins auxquels
participent les hauts barons de la finance.
530.
— Quant à l’allégation que le Code de com
merce tel qu’il est satisfait à toutes les exigences , elle
constitue la contre vérité la plus certaine, la plus incon
testable.
A cet égard nous cédons volontiers la parole à un de
nos jeunes confrères, M. Claudio Jannet, qui, le 21 dé
cembre 1866 , dans le discours de rentrée de la confé
rence des avocats, avait pris pour matière : de l’état pré
sent et de l’avenir des associations coopératives.
« Le Code de commerce, disait ce jeune et intelligent
jurisconsulte, a été promulgué à une époque où l’asso
ciation n’était pratiquée que sur une petite échelle, et il
l’a entourée d’une série de dispositions réglementaires
�246
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
qui, aujourd’hui, étouffent les sociétés coopératives. Le
capital composé de modiques apports et consistant sur
tout en la promesse que font les associés d’être écono
mes y est essentiellement variable ; on le crée peu-à-peu
et en attendant on tâche de s’en passer.
» Le personnel n’est pas moins mobile , les groupes
coopératifs ne pouvant subsister qu’à la condition d’être
des cadres toujours ouverts où de faciles admissions com
blent les vides que font incessamment dans leurs rangs
la mort, les départs, quelquefois de simples changements
de quartiers.
» Enfin la responsabilité vis-à-vis des tiers est un
de ces points délicats que les associés doivent pouvoir
résoudre librement dans leurs statuts, pour la propor
tionner équitablement avec la part que chacun a eue
dans l’affaire commune. On voit par là que toute régle
mentation législative, entrant quelque peu dans le détail,
répugne aux sociétés coopératives.
r> O r , la disposition fondamentale de nos lois com
merciales en cette matière est celle q u i , préalablement
à toute constitution de la société, prescrit la publication
au greffe du tribunal de commerce et par extrait dans
les journaux, du nom des associés et du montant des
apports, et quelquefois des deux choses, suivant la for
me de société adoptée (C. de comm., art. 42, 43, 44,
45; loi du 23 mai 1863, art. 8 et 9j. Associés et ca
pital doivent donc être rigoureusement déterminés dès
le premier jour. Poursuivant jusqu’au bout l’application
de son système , le Code exige de semblables publica-
�TITRE III, ART. 4 8 .
247
tions pour toute dissolution de la société avant terme ou
continuation après terme; pour tout changement ou re
traite d’associés ; pour toutes nouvelles stipulations ou
clause (art. 46). De fortes sociétés se plient facilement à
ce régime et, d’ailleurs, la nécessité de nouvelles publi
cations revient rarement pour elles ; mais pour nos pau
vres groupes d’ouvriers il s’agit d’en faire à chaque en
trée, à chaque retraite d’associés.et les frais s’en élèvent
chaque fois de soixante à soixante-dix francs , charge
tout-à-fait en dehors de proportion avec leurs ressour
ces. En vain quelques sociétés conseillées par d’habiles
jurisconsultes ont-elles imaginé de ne recevoir de nou
veaux membres que tous les six mois ,■pour ne faire de
publications qu’à pareil intervalle; c’est une source de
graves complications dans leur régime intérieur ; leur
existence est mise en question à chaque instant ; livrée
à la merci de tout associé mécontent. Ce grave et capi
tal obstacle subsiste donc toujours, comme pour leur fer
mer, dès l’abord, les portes de la légalité.
» Une fois cette première difficulté surmontée ou
tournée plus ou moins sûrement , quelque type de so
ciété que les coopérateurs adoptent, ils y rencontrent des
dispositions fort gênantes et ils n ’ont pas la ressource,
d’emprunter à chaque type ce qui leur convient, car
c’est un principe constant qu’on ne peut mélanger les
dispositions des différents régimes de sociétés.
» Ainsi la forme ennom collectif qui permet de com
biner heureusement les nécessaires prérogatives des ad
ministrateurs avec le contrôle de tous, est généralement
�248
loi de
1867
sur les sociétés
repoussée , parce qu'elle entraîne la solidarité. Si quel
ques associations ont adopté cette forme , c’est presque
toujours parce que leurs fondateurs ne se sont pas rendu
compte de ses conséquences juridiques.
» La commandite qui limite la responsabilité d’une
façon mieux appropriée aux convenances des coopéra
teurs et qui , à cause de cela , est la forme qu’ils em
ploient le plus fréquemment, a le grave inconvénient de
donner au gérant un pouvoir à peu près absolu ; il est
le maiire de l’affaire, et sa révocation n’est possible que
dans les cas prévus par les statuts. En outre , malgré
les modifications apportées par la loi du 9 mai 1863,
aux articles 27 et 28 du Code de commerce, l’interven
tion des associés dans l’affaire commune demeure fort
périlleuse. »
Restaient la société anonyme et l’association en parti
cipation. « Mais, disait M. Claudio Jannet, la nécessité
d’obtenir l’autorisation du Gouvernement rend la pre
mière inabordable pour des associations qui prennent
naissance dans les ateliers et dont les proportions sont
si humbles au début.
» Quant à la participation, quoique quelques sociétés
coopératives aient cru pouvoir se constituer sur cette base
qui les dispense de toute publication et les affranchit de
toute réglementation légale , nous ne voudrions nulle
ment la leur conseiller. La participation ne crée point
de personne morale. Le gérant reçoit des pouvoirs illi
mités, il est maître de la fortune des associés, et comme
la société n’a point d’existence vis-à-vis des tiers , ses
�TITRE III, ART.
48.
249
créanciers personnels peuvent saisir sur lui les fonds
qui, en réalité, appartiennent aux associés. Enfin aucun
lien social n’existe entre ceux-ci, rien ne convient donc
moins à ces sociétés. »
5 5 Î . — Ce tableau que nous avons avec bonheur
emprunté à notre jeune et intelligent confrère, est aussi
exact que complet. Il fait bonne et entière justice de
cette allégation, que le Code de commerce suffit à toutes
les exigences. Que cela soit pour les sociétés ordinaires,
on pourrait le croire, si ce n’étaient les nombreux rema
niements que ses dispositions ont subies à ce sujet; mais
pour les sociétés entré ouvriers, la vérité est que le Code
de commerce les plaçait en présence d’obstacles tels que
c’est merveille que quelques-unes aient pu en triompher
et\ les vaincre.
L’anomalie entre la loi et les mœurs que cet état des
choses accusait, appelait forcément l’intervention du lé
gislateur. Il pouvait et devait s’emparer du mouvement,
et le diriger dans l’intérêt de la sécurité et de l’ordre. Il
ne pouvait s’émouvoir du reproche d’organiser les ou
vriers dans un état de coalition permanente. Heureuse
coalition que celle qui poussant les ouvriers vers l’asso
ciation, les arrachait aux excitations malsaines de la rue,
les excitait au travail et à l’épargne pour conquérir cette
position indépendante qui fait l’objet de leur juste am
bition.
La loi avait donc une légitime raison de se produire.
A—t—elle fait tout ce qu’elle aurait pu faire ? C’est ce que
y
�250
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
nous rechercherons en examinant les divers articles du
titre ni.
532.
— L’article 48, nous l’avons dit, par la géné
ralité de ses termes , rend la société à capital variable
accessible à tout le monde : ouvriers, travailleurs, arti
sans, petits bourgeois, commerçants, tous peuvent y re
courir et donner cette forme à leur association quel qu’en
soit d’ailleurs l’objet.
Il ri’est pas moins certain que cette clause peut et doit
être stipulée , quel que soit le mode de société adopté :
société en nom collectif ou en commandite ordinaire;
commandite par action ou anonyme. La loi n’en exclut
évidemment aucune , puisqu’elle reconnaît et déclare
qu'il peut être stipulé dans les statuts d.e> t o u t e
s o c i é t é que le capital, etc.. . . "
« Nous avons voulu , disait le rapporteur , donner à
la loi un caractère général, en faire une loi de droit
commun, applicable non-seulement aux sociétés de pro
duction , aux sociétés de crédit mutuel, aux sociétés de
consommation , aux sociétés de construction , aux mar
chés ou entreprises ,'mais encore à tout ce qui pourrait
être la matière de l’activité commerciale et industrielle.
Nous avons voulu faire une loi qui ne s’appliquerait pas
à telle ou telle classe de citoyens , aujourd'hui que les
classes ont disparu, mois à tous ceux quelles que fussent
leur condition et leur fortune qui voudraient se servir de
cet instrument nouveau, quand il aurait pris place dans
nos Codes1. »
Moniteur, 8 juin 4867
�TUBE 111, ART.
48.
% 6\
533.
— Mais si toutes les sociétés peuvent stipuler
un capital variable , toutes ne seront pas régies par la
loi actuelle. Celles-là seules lui seront soumises qui se
seront conformées aux conditions prescrites par les arti
cles 49 et suivants. « Le titre iii , disait M. Jules Simon,
ne réglementera que celles de ces sociétés qui acceptent
la division de leur capital en actions. Il laisse en dehors
les autres sociétés à capital variable , c’est-à-dire qu’il
laisse subsister à leur égard les dispositions actuelles de
nos Codes '. »
Plus tard M. Garnier-Pagès ayant émis quelques dou
tes à cé sujet, M. Emile Ollivier se faisant l’organe de
la commission, répondait :
« Accordez-nous , dit l’honorable M. Garnier-Pagès,
que la loi actuelle n’atteindra pas les sociétés qui n ’au
ront pas recours au système des actions et qui resteront
soit en nom collectif, soit en commandite par intérêt.
Sans cela la loi actuelle, au lieu d’être un adoucissement,
serait une aggravation ; au lieu d’accorder une faveur,
elle créerait un obstacle de plus.
» Je réponds que ceci est accordé, et il ne saurait à
cet égard exister aucun doute pour personne.
» Dans la commission, nos investigations ont toujours
été limitées et dirigées par cette idée , qu’il s’agissait de
sociétés en commandite par actions ou de sociétés ano
nymes, c’est même exprimé en termes implicites, sinon
formels, dans l’Exposé des motifs. Je ne l’ai pas sous
1 Ibidem.
�252
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
les yeux , mais je suis sur que M. Duvergier y indique
qu’il ne s’agit rii des sociétés en nom collectif, ni des
sociétés en commandite par intérêt, mais des sociétés par
actions soit anonymes soit en commandite.
» Donc sur cette question , il est inutile d’insérer
quoi que ce soit dans la loi. Elle est claire, et il n’y a
pas lieu de redouter aucune controverse. Il va de soi
que tout ce qui est décidé dans une loi sur les sociétés
anonymes ou sur les sociétés en commandite par actions
ne saurait s’appliquer à la commandite simple ou par
voie d’intérêt. Ainsi toutes les fois qu’à l’avenir, les so
ciétés coopératives se constitueront sans diviser leur ca
pital en actions, elles ne seront pas plus atteintes par la
loi actuelle qu’elles ne l’étaient dans le passé par la loi
de 1856.
» A une condition toutefois , c’est qu’elles réalisent
toutes les prescriptions du droit commun, et notamment
qu’elles satisfassent aux prescriptions de publicité qu’il
impose1. »
C’est qu’en effet la commission et le Corps législatif
avaient bien pu enlever à la loi tout caractère restrictif ;
mais elle ne pouvait pas faire que toutes les dispositions
du projet n’eussent été prises au point de vue spécial
des sociétés coopératives entre ouvriers , pour lesquelles
on ne songeait évidemment qu’à l’une des formes régies
par les titres i et n.
Ainsi si la société en nom collectif ou en commandite
1 Moniteur, 8 juin 4 867.
�I
TITRE III, ART. 4 8 .
253
ordinaire peut stipuler un capital variable , elle reste en
dehors des prescriptions de la loi, qui du reste a entendu
n ’autoriser cette stipulation que dans les associations qui
ne peuvent ni tenter ni réaliser de vastes et considéra
bles opérations. C’est ainsi que* l’article 49 va n’admet
tre pour les sociétés de ce genre qu’un capital ne dé
passant pas deux cent mille francs.
534.
— La variabilité du capital n’a pas été ima
ginée par le législateur. Depuis 1840 , les ouvriers qui
se réunissaient dans des sociétés de coopération en fai
saient la base de leur association , et dans ces termes
cette variabilité était la conséquence logique du person
nel et du caractère de ces sociétés.
Il est en effet de leur essence de commencer modes
tement et de ne s’accroître que peu-à-peu en hommes et
en capitaux. Par cela que c’est l’épargne qui grossit
leurs fonds, si elles doivent fournir apx associés de gran
des facilités pour le versement des sommes par eux sous
crites, elles doivent leur en accorder de non moins gran
des pour le retrait des sommes versées.-Les intéressés
ont besoin dans de certains moments, eu égard à leur
profession , de se déplacer , de changer de domicile ; il
faut qu’ils puissent se retirer de la société ; ils peuvent
traverser des instants de crise et avoir besoin de leur ar
gent. La société coopérative est pour eux , à un certain
point de vue , une caisse d’épargne où ils doivent pou
voir puiser dans de certaines conditions '. >
1 Mathieu et Bourguiguat, n» 268.
�254
LOI DE
1867
SUR LES s o c ié t é s
Ainsi avaient raisonné les ouvriers , ainsi ils avaient
agi dans la pratique. A cet égard il était impossible que
le législateur fût d’un autre avis, et ne sanctionnât pas
cette pratique.
535.
— Donc on pourra dans toute société stipuler
que le capital sera susceptible d’être augmenté ou dimi
nué : augmenté par des versements successifs faits par
les associés ou par l’admission d’associés nouveaux ; di
minué par la reprise totale ou partielle des apports ef
fectués.
Dans la discussion au Corps législatif, M. Marie ac
ceptait l’article relativement aux modes d’augmentation
du capital ; mais en ce qui concernait sa diminution, il
soutenait qu’elle ne devait être autorisée que par le re
trait total de la mise.
« Je comprends très-bien , d isait-il, que, dans une
société à capital variable qui se constitue par des mises
fractionnées, échelonnées , chacun des associés entrant
dans la société avec la pensée de pouvoir se retirer quand
il le voudra et comme il le voudra, puisse, en effet, se
retirer; mais à quelles conditions? A deux conditions :
c’est que , d’une part , il se retirera tout-à—fait avec sa
mise totale et ne restera plus associé; et que , d’autre
part, il sqbira la responsabilité qui se rattacherait à tout
le temps pendant lequel il faisait partie d elà société.
Mais ce que je ne comprends pas, c’est qu’il puisse res
ter associé en retirant non pas la totalité de sa mise,
mais en retirant une partie seulement de sa mise.
�TITRE III, ART. 48.
255
« Anisi s’il a déposé une somme de cinq francs sur
les cinquante pour lesquels il se serait engagé, il retire
rait une partie de la mise qu’il aurait faite , il resterait
associé ; en sorte que l’on aurait de cette façon des asso
ciés voyageurs qui seraient aujourd’hui associés pour un
capital total qu’ils auraient versé, et demain retireraient
leur mise sociale soit par moitié , soit par q u a rt, soit
par tiers, c’est un disposition que je ne comprends pas.
Qu’on entre dans une société, qu’on en sorte, soit ; mais
qu’on y reste capricieusement en maintenant ou en reti
rant son engagement par partie, cela est inintelligible.
» Je réponds à l’honorable M. Marie , dit M. Emile
Ollivier, que de ce chef il ne me paraît pas qu’il y ait
lieu de renvoyer l’article 48 à la commission. Cet arti
cle , en effet, n’impose pas obligatoirement la reprise
partielle des apports. Cette reprise n ’est écrite dans l’ar
ticle qu’à litre de faculté. Si les sociétés coopératives
pensent qu’elle a des inconvénients, elles n’ont qu’à en
exclure la possibilité par une disposition des statuts , et
à décider que la reprise totale seule pourra avoir lieu1.»
5 5 6 . — Cette réponse semble passer condamnation
sur les observations de M. Marie, qui , pour nous , ne
son t ni justes ni fondées.
Ces observations nous en comprendrions la portée et
l’opportunité, s’il.s’agissait de sociétés et d’associés ordi'
naires. Dans ce cas , en effet, la reprise partielle de la
mise serait une anomalie assez difficile à admettre.
Moniteur, 9 juin 1867.
,
�256
LOI DE
1867 SUR LES
s o c ié t é s
Mais dans les sociétés coopératives , la variabilité du
capital amenait logiquement à autoriser cette, reprise
partielle : nous le relevions tout-à-l’heure. Dans la pen
sée du législateur ces sociétés, par leur nature , par les
circonstances dans lesquelles doit se constituer le capital,
doivent être pour les associés de véritables caisses d’é
pargne. Pourquoi donc n’en rempliraient-elles pas l’of
fice ? Pourquoi, dans un moment de crise, dans un be
soin pressant et imprévu, ne restitueraient-elles pas une
partie de ce qu’elles ont reçu, sauf à le recevoir de nou
veau dans un moment plus favorable n Où donc est le
danger de ces retraits partiels ?
M. Marie se place dans l’hypothèse d’un versement
de cinq francs , et raisonne uniquement dans cette hy
pothèse. Nous croyons, nous, que dans ce cas il ne sera
jamais question d’un retrait partiel. L’associé qui après
avoir versé cinq francs aurait besoin de quelques francs,
tâchera de se les procurer ailleurs, et préférera recourir
au mont-de-piété plutôt que de faire à ses associés l’hu
miliant aveu de sa détresse.
S’adressât-il à eux et retirât-il une partie de ce qu’il
a versé, où serait le mal, et quel changement subiraitil dans sa position pour qu’on ne dût plus le considérer
comme associé ? Au lieu de devoir à la société quarantecinq francs, il lui en devrait quarante six, quarante-sept,
quarante-huit, et dans la répartition des bénéfices on ne
lui attribuerait sa part qu’en proportion de.la mise qu’il
resterait avoir faite.
*
A combien plus forte raison l'exclusion de la société
�TITRE II I, ART.
48.
257
serait sans excuse et ne pourrait invoquer une raison
plausible , si l’associé ne venait retirer une partie de ce
qu’il a versé qu’après avoir libéré complètement l’action
ou les quelques actions qu’il aurait souscrites !
Cet homme qui a déjà versé cinquante, cent, cent cin
quante francs , si une nécessité urgente , imprévue l’o
blige à redemander vingt, vingt-cinq, trente francs , ne
pourra les recevoir sans cesser de faire partie de la so
ciété ! sans être obligé de retirer tout son capital ? C’est
cette sévérité qui serait réellement inintelligible et sur
tout inintelligente , car elle pourrait avoir pour résultat
de priver la société d’un membre qui lui est fort utile
par son expérience, par ses connaissances spéciales, par
sa capacité , et cela sans utilité, sans avantage ni pour
les associés, ni pour les tiers qui ne sauraient dans au
cun cas souffrir du retrait partiel de la mise.
Les associés ! car dans la répartition des bénéfices ils
calculeront la part afférante au retrayant, sur la portion
du capital non retirée et dont ils auront la disposition.
Les tiers ! qu’auraient-ils si le retrayant sortait de la
société ? Sa responsabilité personnelle pour les engage
ments contractés pendant qu’il était associé. Mais s’il
continue à en faire partie, ils auront pour gage la par
tie du capital non retirée et la responsabilité personnelle
pour l’excédant. Donc loin d’empirer leur position le re
trait partiel l’améliorera.
M. Marie se prononce contre ce retrait, parce que,
en Allemagne on n’admet que le retrait total. Nous a vouons que cette raison ne nous paraît pas déterminanii. -
17
�258
LOI DE 1867 SUR LES
sociétés
te. Nous voudrions connaître et pouvoir apprécier les
motifs sur lesquels on s’est fondé ; et comme nous n ’en
trouvons aucun qui puisse justifier cette doctrine , on
nous permettra de la repousser.
Sans doute, comme le disait M. Emile Ollivier, la re
prise partielle n’est qu’une faculté, ni plus ni moins que
la reprise totale, car les statuts pourraient bien les ex
clure l’une et l’autre. Mais nous croyons que , comme
celle-ci, celle-là est de l’essence de la société coopéra
tive. Nous ne conseillerons donc pas de l’exclure, d’au
tant moins que cette exclusion pourrait bien devenir un
obstacle à la formation de la société, en éloignant plu
sieurs de ceux que la possibilité d’un retrait partiel au
rait rallié.
/
537.
— Le second paragraphe de l’article 48 donna
lieu à une discussion intéressante sur la question de sa
voir s’il convenait d’abroger ou de maintenir l’article 34
du Code de commerce , dans l’hypothèse d’une société
coopérative prenant la forme de l’anonyme. Mais le
compte-rendu de cette discussion sera à notre avis beau
coup mieux à sa place sous l’article 50. En effet, cet ar
ticle traitant des actions ou coupons d'actions , fournit
naturellement l’occasion d’examiner s’il convenait de
soumettre le capital à la division exigée par cet arti
cle 34.
A rt. 4 9 .
Le capital social ne pourra être porté par les
�F
TITRE II I, ART.
49, 50, 51.
v
259
statuts constitutifs de la société au-dessus de la
somme de deux cent mille francs.
Il pourra être augmenté par des délibérations
de l’assemblée générale , prises d’année en an
née ; chacune des augmentations ne pourra être
supérieure à deux cent mille francs.
A rt.
50.
Les actions ou coupons d’actions seront no
minatifs , même après entière libération ; ils ne
pourront être inférieurs à cinquante francs.
Ils ne seront négociables qu’après la constitu
tion définitive de la société.
La négociation ne pourra avoir lieu que par
voie de transfert sur les registres de la société,
et les statuts pourront donner , soit au conseil
d’administration, soit à l’assemblée générale, le
droit de s’opposer au transfert.
A r t.
51.
Les statuts détermineront une somme audessous de laquelle le capital ne pourra être ré
duit par les reprises des apports autorisées par
l’article 48.
Cette somme ne pourra être inférieure au di
xième du capital social.
�260
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
La société ne sera définitivement constituée
qu’après le versement du dixième.
SU W U A IH E
538.
539.
540.
541.
542.
543.
544.
545.
546.
547.
548.
549.
550.
551.
552.
553.
554.
Limite de deux cent mille francs fixée au capital social ;
comment elle fut introduite dans la loi.
Motifs qui la firent décréter.
Son caractère par rapport aux grandes sociétés ordinaires.
Nouveaux motifs donnés par le commissaire du Gouverne
ment, nécessité de prévenir l ’agiotage.
La limitation ne saurait offrir un inconvénient quelconque
pour les sociétés entre ouvriers.
La loi d ’ailleurs n'a fait que consacrer ce qui se pratiquait
avant.
La faculté d’augmenter le capital d ’année en année rend la
limitation absolument inoffensive.
Fallait-il diviser le capital par actions? Motifs invoqués
pour la négative.
Appréciation.
Pourquoi avant la loi les sociétés coopératives ne s’étaient
pas constituées avec des actions.
L’argument tiré de l’incompatibilité de l ’article 34 est une
interprétation-inexacte de cet article.
Réponse que M. Rouher faisait.
AdmissiDilité des associés qui n ’ont pour tout apport que
leur industrie ; conditions.
Les actions doivent être de cinquante"francs au moins.
Elles ne sont négociables qu’aprês la constitution de la so
ciété. Motifs qui ont fait admettre la négociabilité.
Forme de la négociation ; droit de la société de s’opposer au
transfert.
La loi exclut la cession par la voie civile. Dissentiment avec
M. Rivière.
�TITRE I I I , ART.
49, 50, 51.
261
555.
Les actions restent à cinquante francs, quel que soit le chif
fre auquel les augmentations successives ont porté le ca
pital.
556. Obligation de verser le dixième. Quid de la souscription en
tière du capital ?
557. Secus du chiffre des augmentations.
558. Détermination par les statuts d’une somme au-dessous de
laquelle le capital ne pourra être réduit. Quid en cas
d’omission. Quotité de la somme.
559. Difficultés qui surgiront à cet égard sur la faculté de retrait;
leur caractère.
560. Proposition de permettre l’abaissement de la somme primi
tivement fixée ; rejet.
561. Conséquences.
538.
— Les deux projets successivement présentés
par le Gouvernement ne renfermaient aucune disposi
tion analogue à celle de l’article 49. Dès que la stipula
tion d’un capital variable était l’apanage exclusif des so
ciétés coopératives entre ouvriers ; dès que ces sociétés
ne pouvaient se livrer qu’à l’une des opérations déter
minées par un article formel de la lo i, on avait avec
raison jugé inutile de rien statuer sur le capital qui se
trouvait naturellement limité par la spécialité des ob
jets qui pouvaient devenir la matière de l’association.
Le Corps législatif ayant, sur l’initiative de sa com
mission, étendu à toutes les sociétés, quel qu’en fût le
personnel, la faculté de rendre leur capital variable, il
était à craindre que des sociétés considérables et comp
tant leur capital par millions ne prétendissent user de
cette faculté, se réservant ainsi le moyen de retirer et
�262
LOI DE
1867
SUR LES s o c ié t é s
de faire successivement disparaître le gage en vue du
quel ils auraient obtenu la confiance publique. La spé
culation frauduleuse, pour se présenter avec un autre
caractère et sous une autre forme, n’offrait pas un péril
moindre. Il fallait donc trouver un moyen de nature à
le prévenir.
539.
— Ce moyen, disait le ministre du commerce,
nous a paru résider dans la fixation, mais à l’origine
seulement de la constitution sociale, d’une limite au ca
pital de la société.
« Pourquoi cette limite? pourquoi cette restriction?
Il eût été à désirer quon n’en mit aucune. Je le recon
nais ; mais quel est le danger qu’on a voulu éviter, et
qu’ont voulu éviter toutes les législations sur la matière?
Le voici : si toutes les sociétés en commandite on ano
nymes, quelle que soit l’importance de leur capital, pou
vaient être constituées avec faculté de s’en retirer, tou
tes les garanties stipulées dans les articles de la loi dis
paraissent en même temps. Ainsi, l’âctionnaire ne sera
pas tenu de verser soit la moitié, soit la totalité de son
action.
« La faculté de retrait de la société à capital variable
crée pour toutes les sociétés anonymesou en comman
dite un danger considérable. Or, si cette faculté de re
trait est utile dans les sociétés coopératives, si elle est
essentielle dans ce genre de sociétés, elle serait funeste
dans les autres ; il y aurait le plus grand inconvénient
dans une société anonyme et dans une société en corn-
�TITRE II I, ART.
49. 50, 51.
263
màndite, qui s’appliquent à des capitaux considérables,
de consacrer une faculté de retrait, de la consacrer dans
la proportion où elle existe pour les sociétés à capital
variable. Il y aurait là un danger très-grave, c’est pour
éviter ce danger qu’on a posé la restriction que les so
ciétés coopératives, à leur origine, dans la première an
née de leur établissement, ne pourraient avoir qu’un ca
pital de deux cent mille francs1. »
540.
— Il est évident que la faculté du retrait total
ou partiel offre assez d’avantages pour qu’on ne s’em
presse pas de se la ménager. Mais autant elle est néces
saire et juste pour des ouvriers vivant au jour le jour
et dans l’existence desquels une crise commerciale, une
maladie jette une si grave perturbation, autant elle serait
inique, irrationnelle et sans cause pour ces grands in
dustriels, pour ces riches capitalistes prenant part à des
entreprises importantes qui exigent des capitaux consi
dérables à toutes les phases de l’opération.
Quelles en seraient d’ailleurs les conséquences dans
ce cas? Supposez une société exigeant un capital de cent
millions, et le constituant à ce chiffre. La clause de re
trait peut faire descendre le capital à un dixième. Les
tiers le savent, et de toute certitude c’est sur ce mini
mum qu’ils mesureront le crédit qu’ils doivent accor
der, parce que c’est ce minimum seul en présence du
quel ils peuvent se trouver en fin de compte.
1 Moniteur, 9 juin 1867.
�264
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Donc, en limitant le capital des sociétés coopératives
à deux cent mille francs et en prohibant ainsi aux gran
des sociétés de se constituer à capital variable, le légis
lateur a agi autant dans l’intérêt du crédit de ces socié
tés que dans l’intérêt du public.
541.
—■ Aux motifs donnés par le ministre du com
merce pour justifier cette limite, M. le commissaire du
Gouvernement Bayle-Mouillard en ajoutait un autre, la
nécessité de prévenir les spéculations dolosives auxquel
les pouvait donner lieu la création d’actions à cinquante
francs.
« Les fraudes les plus fréquentes, 'disait-il dans la
séance du 14* juin 1867, celles qui se reproduisent à
toutes les époques où les opérations financières sont su
rabondantes, où le crédit est, en quelque sorte, surex
cité, les fraudes les plus fréquentes sont celles qui con
sistent à émettre un très-grand nombre d’actions de mi
nime valeur, pour lesquelles on a versé des sommes in
signifiantes, à les faire valoir, à gonfler leur valeur réel
le, à séduire, à entraîner les imaginations et à émettre
ainsi, aussi avantageusement que possible, des actions
sans prix ou dont la valeur fictive s’anéantit immédia
tement.
« Ce qui pourra arrêter, bien mieux que le caractère
nominatif des actions, ces mauvaises manœuvres, ce
qui empêchera de tenter des spéculations pareilles, c’est
la limitation du capital à deux cent mille francs. Alors
on n’est plus suffisamment attiré, la spéculation dolosive
�tît r e
m ,
art.
49, 50, 51.
265
n’a plus une base assez large, les bénéfices ne sont pas
suffisants pour couvrir les dépenses inévitables, pour
payer les articles de journaux, les prospectus. Les agio
teurs sont donc arrêtés beaucoup plus par la limitation
du capital que lorsque il y a simplement des actions no
minatives1. »
542.
— Il est incontestable qu’à ce double point de
vue, la limitation du capital à deux cent mille francs
offrait des avantages certains. Mais ces avantages pou
vaient-ils contre-balancer les inconvénients qu’entraî
nait la restriction des moyens d’action des sociétés entre
ouvriers? Nous n’hésiterions pas à répondre négative
ment si ces inconvénients existaient et pouvaient exister.
Mais il est évident qu’à l’origine, qu’au début aucune
société de ce genre n’exigera même deux cent mille
francs, et qu’elle en serait fort embarrassée si elle les
avait immédiatement à sa disposition. On n’avait dans
la discussion cité qu’un seul exemple contraire, celui de
la société des Tisseurs de Lyon. Mais, outre que cette
société comprenait tous les tisseurs de cette cité si im
portante, outre qu’elle ne s’était pas constituée à capital
variable, la vérité officiellement démontrée a prouvé que
les apports ne s’étaient pas élevés au-delà de cent qua
tre-vingt-treize mille francs. Dans tous les cas, il n’y
aurait rien à conclure de ce cas exceptionnellement
spécial à la généralité des sociétés à capital variable.
1 Moniteur, 12 juin <1867.
�266
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
Objectera-t-on que si le capital n’est pas limité, on
pourrait doubler, tripler le nombre des actions et mul
tiplier ainsi le versement de cinq francs que chacune
d’elles est tenue de réaliser ?
A cette objection, nous répondrions par la pratique
qui prouve qu’un pareil expédient n’est pas dans les ha
bitudes des sociétés coopératives, Ainsi, d’un état sou
mis ait Corps législatif par le ministre du commerce, il
résulte que sur cent vingt sociétés existant à Paris, soixan
te-huit avaient un capital inférieur à dix mille francs ;
trente, un capital de dix mille à cinquante mille; dou
ze, de cinquante mille à cent mille ; cinq, de cent mille
à deux cent mille; quatre seulement dépassaient deux
cent mille francs, mais pour ces quatre comme pour
les cinq de cent mille à deux cent mille francs, comme
pour les douze de cinquante mille à cent mille, elles n’é
taient arrivées là que successivement et par le dévelop
pement progressif de leurs opérations.
Le ministre avait donc raison de le dire; en étudiant
le mécanisme, le fonctionnement des sociétés coopérati
ves, l’expérience enseignait, et le bon sens indiquait
qu’elles commençaient par des réunions de capitaux peu
considérables et que ce n ’est qu’avec le temps qu’elles
arrivent à se développer. Ainsi, avec la limitation à deux
cent mille francs d’un capital pouvant progresser d’an
née en année d’une manière indéfinie jusqu’à atteindre,
au bout de quinze à vingt ans, à des sommes se chif
frant par inillions, on satisfait aux nécessités des socié
tés coopératives, et on échappe au danger de confondre
�TITRE III, ART.
49, 50, 51.
267
ces sociétés avec celles qui, à l’origine, se constituent
avec des millions, et qui, à la faveur de la clause du ca
pital variable, ne présenteraient aucune garantie vérita
ble, et ne seraient qu’une espèce de fantasmagorie de
richesses qui pourraient disparaître au moyen de la fa
culté de retrait.
543.
— Nous croyons qu’en limitant le capital des
sociétés ouvrières, la loi n’a fait que consacrer un usage
librement accepté, une pratique constamment suivie ;
qu’en fixant celte limite à deux cent mille francs, elle l’a
reculée au delà non-seulement des besoins réels , mais
encore des possibilités.
En effet avec l’action à cinquante francs, le capital de
deux cent mille francs représente quatre mille actions
et exigerait quatre mille souscripteurs. Or imagine-t-on
une société réunissant à son début un pareil nombre
d’adhérants et le dépassant ? Celle qui émettrait une pa
reille prétention et qui tenterait de la réaliser se voue
rait évidemment à la recherche de l’impossible.
Ici encore la pratique est décisive , car ce nombre
de quatre mille souscripteurs ne s’est jamais rencontré
dans les sociétés en formation , et ne se rencontre pas
dans celles qui existent depuis un temps plus ou moins
long.
Ainsi les cent vingt sociétés de Paris, par exemple, se
composent :
Quatre-vingt-cinq de moins de cinquante membres ;
Dix-huit de cinquante à cent membres ;
�268
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
Onze de cent à deux cents membres;
Huit de deux cents à mille membres ;
Au dessus de mille il n’y en a pas.
Or, si au lieu de quatre mille actions vous en portez
le nombre à huit mille, à douze mille , que ferez-vous,
sinon rendre la constitution de la société de plus en plus
impossible, car le capital de quatre cent, de six cent mille
francs devra être souscrit en entier pour que cette cons
titution soit possible. A cet égard l’article 48 est précis
et formel. Les sociétés à capital variable ne sont sou
mises aux prescriptions du titre ni qu’outre et indépen
damment des règles générales propres à chaque forme
spéciale de sociétés. Donc , soit que la société à capital
variable se constitue en anonyme , soit qu’elle revête la
forme de la commandite par actions, le capital devra
être en entier souscrit aux termes des titres i et i i . Or,
où trouver ces quatre mille , ces huit mille , ces douze
mille souscripteurs ?
544.
— La limitation du capital à deux cent mille
francs ne serait une gêne, un embarras sérieux, un obs
tacle à la formation et au développement des sociétés
coopératives, que si elle était définitive et immuable, et
qu’elle s’imposât non-seulement au début de la société,
mais encore pendant toute sa durée.
Or la loi s’est bien gardée de donner dans cet excès
qui eût condamné la société à rester stationnaire, et op
posé à tout progrès une infranchissable barrière. Aussi
a-t-elle concédé à l’assemblée générale le pouvoir et le
�TITRE III, ART. 49, 50, 51.
269
droit de voter d’année en année, et par sommes de deux
cent mille francs, l’augmentation du capital. Voilà donc,
dès le début de la seconde année , la société en mesure
de disposer d’un capital de quatre cent mille francs.
Nous sommes de ceux qui souhaitent ardemment qu’
elles soient toutes en position de revendiquer ce béné
fice. Mais une pareille prospérité , un si heureux déve
loppement difficile à supposer est plus difficile encore à
atteindre. On n’en doit pas moins savoir gré au législa
teur de l’avoir prévu , et d’avoir pourvu à ce que cette
prévision exigeait.
545.
— Convenait-il d’imposer la division du capi
tal en actions, si la société se constitue sous la forme de
la société annonyme ?
MM. Jules Simon, Garnier-Pagès, Marie et E. Picard
voyant dans cette division une gêne et un danger pour
les sociétés coopératives, repoussaient cette division. Ils
demandaient en conséquence qu’une disposition expresse
de la loi déclarât l’article 34 du Code de commerce in
applicable aux sociétés à capital variable qui recourraient
à la forme anonyme.
A l’appui de cette proposition , M. Marie disait dans
la séance du 8 juin 1867 :
« Il y a incompatibilité entre la faculté que vous
voulez donner aux sociétés coopératives de se constituer
sous la forme anonyme et l’article 34 du code de com
merce. En effet cet article 34 d i t , que le capital sera
toujours divisible par actions , et que les actions seront
�270
LOI DE
1867 SUR LES
sociétés
de valeur égale. Or, n’est-il pas évident, d’après ce que
nous savons des sociétés coopératives , que les associés
n’ont jamais et ne peuvent jamais avoir que des mises
très—inégales; et par conséquent qu’ils ne peuvent avoir
dans la main, comme représentation de ces mises, que
des titres , actions ou autres très-inégaux. Que devient
alors pour eux la faculté de se constituer en société a nonyme, puisqu’à l’instant même où on la leur donne,
on porte atteinte et une atteinte profonde aux éléments
essentiels et constitutifs de la société coopérative dans
laquelle ils figurent ?
» De deux choses l’une donc : ou bien il faut que
vous retranchiez pour les sociétés coopératives l’article 34
du Code de commerce , et alors il y aura compatibilité,
je l’admets ; que si au contraire vous ne retranchez pas
cet article, l’incompatibilité serait flagrante. Or j’insiste
sur le retranchement, parce que je ne doute pas de vo
tre volonté de concéder sérieusement les facilités que
votre projet contient’. »
A quoi bon disait-on encore exiger des actions, lors
qu’on refuse à ces actions les caractères qui en consti
tuent l’essence ? N’est-ce pas cependant ce que fait la
loi en déclarant que les actions seront nominatives mê
me après leur complète libération ; en n’admettant d’au
tre mode de transmission que le transfert sur les regis
tres de la société ; en concédant soit au conseil d’admi
nistration , soit à l’assemblée générale le droit de s’op
poser au transfert ?
* Moniteur, 9 juin 1867.
�TITRE III, ART.
49, 50, 51.
271
Enfin on ajoutait : les sociétés de coopération , leur
nom l’indique , ont un égal besoin pour se fonder et
prospérer, et des bras et de l’épargne du travailleur, de
ceux-ci non moins que de celle-là. Or l’on conçoit bien
que l’ouvrier qui n’a de ressource que son travail puisse
toujours faire partie de l’association coopérative établie
sous forme de commandite. Mais comment entrera-t-il
dans cette association si elle est constituée sous la forme
anonyme , celle-ci devenant alors une société de capi
taux ?
546.
— Là se décélait surtout l’erreur du système.
Même en revêtant la forme anonyme, la société coopé
rative n ’est pas, ne peut pas être une association de ca
pitaux. Où donc en effet rencontrer le capital, lorsque
les associés ont le droit de retirer leur apport soit en to
talité soit en partie ?
L’essence de la coopération est, dans toutes les hypo
thèses , la personnalité. Le gérant de l’association des
maçons de P a ris , M. Cohadon , disait avec raison dans
l’enquête : La société coopérative ne peut considérer le
capital que comme l'outil de l'associé ; elle ne peut ad
mettre qu'un associé qui lui convienne. La transmission
ne peut avoir lieu que du consentement de la société.
La conclusion qui s’en induisait logiquement c’est que
l’action dont la cessibilité constitue le caractère essentiel
était antipathique à la société coopérative. L’action, oui;
mais non le capital. Même considéré comme l’outil de
l’associé, il en fallait nécessairement un quelconque, car
�272
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
pouvait-on imaginer une société n’offrant ni responsa
bilité personnelle indéfinie,ni capital? Quel eût été le sort
d’une société pareille, et quel crédit eût-elle rencontré.
Or, si la société coopérative devait avoir un capital,
fallait-il bien régler de quelle manière ce capital se di
viserait entre les associés, et la portion que chacun d’eux
devait en fournir. Que cette portion s’appelât part d’in
térêt ou action, c’est ce dont il importait peu, à notre avis, de se préoccuper.
«
547.
— On objectait que les sociétés coopératives
qui s’étaient formées n’avaient pas admis l’action.Com
ment auraient-elles pu agir autrement, celles qui avaient
dû se constituer en nom collectif ou en commandite
simple ?
On n’avait pas usé de l’action 1 Dites au contraire que
jusqu’en 1856, un des plus graves obstacles aux socié
tés coopératives avait été l’abus des actions poussé jus
qu’au plus révoltant scandale. Qui ne se rappelle ces so
ciétés aux actions de cinq francs qui n’étaient, suivant
l’expression du rapporteur, que d’immenses fraudes dans
lesquelles on pipait l’épargne de l’ouvrier, l’épargne du
pauvre, et au moyen desquelles on réduisait à la dé
tresse et à la misère ceux que l’intérêt social commande
de protéger?
Depuis 1856 les sociétés coopératives ne pouvaient
songer aux actions. En en fixant le minimum à cent ou à
cinq cents francs selon que le capital atteignait ou dépas
sait deux cent mille, et en exigeant le versement préalable
�TITRE III, ART. 4 9 , 5 0 ,
81.
273
du quart au moins, la loi de 1856 d’abord, celle du 23
mai 1863 ensuite les leur avaient rendues inabordables.
Ce que la loi de 1867 en imposant ou en permettant
l’action ne devait pas perdre de vue, c’était le caractère
de personnalité des sociétés qu’elle venait réglementer
et qu’elle voulait encourager et favoriser. Or n’a-t-elle
pas rendu le plus éclatant hommage à ce caractère, lors
qu’elle a déclaré que les actions resteraient nominatives
même après entière libération ; lorsqu’elle n’a admis
leur transmission que par un transfert sur les registres
sociaux; lorsque, enfin, elle a armé la société du droit
de s’opposer au transfert.
En réalité on n’avait pas à se tant préoccuper des in
convénients qu’on craignait de la division par actions,
car si l’on avait le mot , on n’avait pas réellement la
chose. Telles que les organise notre titre ih , les actions
sont plutôt des parts d’intérêt que des actions propre
ment dites.
548.
— Quant à la prétendue incompatibilité entre
l’article 34 du Code de commerce et la société coopéra
tive, elle ne repose que sur une confusion dont il est fa
cile de se rendre raison.
Cet article 34 exige non que chaque associé ait le mê
me nombre d ’açtions , ni qu’il se soit libéré dans les
mêmes proportions , mais que chaque action soit d’une
valeur égale. Donc, lorsque la société coopérative a di
visé son capital en autant d’actions que de chiffres de
cinquante francs , elle a littéralement exécuté les pres
criptions de cet article.
il. —
t8
�274
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
Il importe peu que l’un ait souscrit pour une action,
l’autre pour deux ou un plus grand nombre; que ceux
qui ont le même nombre d’actions lésaient libérées dans
des proportions égales. Cette inégalité dans la souscrip
tion ou dans les versements ne peut avoir qu’un effet unique, à savoir une inégalité correspondante dans la par
ticipation des bénéfices , car ce partage n’est nullement
réglé par le Code de commerce , et si la valeur de l’ac
tion doit être égale , l’attribution du bénéfice qui est le
but final de l’action ne peut que varier suivant les ver
sements opérés par les souscripteurs.
549.
— « Ne croyez donc pas , disait M. Rouher,
que l’article 34 du Code de commerce gêne l’article 48.
L’article 34 fixe la division du capital en actions égales,
et ces actions ainsi constituées sont la garantie des tiers;
car, si elles n’étaient pas libérées , les tiers pourraient
rechercher les porteurs et les obliger à verser les som
mes nécessaires pour désintéresser les engagements so
ciaux.
» Mais dans cette division par actions n’appercevez
à aucun degré le mode de partage des bénéfices.
» Ainsi un ouvrier aura versé vingt-cinq francs, il
prendra son bénéfice pour la part proportionnelle à son
versement ; un autre aura versé cinq francs , il prendra
une part proportionnelle à ce versement ; un autre enfin
aura versé cinquante francs , il prendra également une
part proportionnelle à ce versement de cinquante francs.
» Vous voyez donc que la division initiale n ’influe
�TITRE III, ART.
49, 50, 51.
275
nullement sur les retraits partiels ; que ces retraits servent
seulement à fixer la répartition des bénéfices sociaux.
» Donc l’article 34 ne gêne point l’article 4S *. »
550.
— M. Rouher n’admet pas que l’ouvrier qui
n’aurait que son industrie ne puisse pas devenir mem
bre d’une société coopérative constituée sous la forme
anonyme. L’industrie est par elle-même aussi précieuse
et quelquefois plus précieuse que l’argent: Pourquoi ne
constituerait-elle pas une mise de fonds dans une société
quelle qu’elle soit.
« Ainsi, disait le ministre d’Etat, il est incontestable
que si un associé se présente venant réclamer une part
des bénéfices pour l’apport de son industrie, l’apport de
cette industrie et sa valeur devront être fixés par les sta
tuts. Les statuts ayant une fois constaté la valeur de cet
apport industriel, il faudra que l’assemblée générale
confirme cette évaluation. La tâche ne sera pas bien com
pliquée, car les statuts auront contradictoirement évalué
la valeur de l’apport et de l’industrie de celui qui n’ap
portera pas de cap ital, et l’assemblée générale ne fera
que vérifier la légitimité de cette évaluation,ce qui, dans
les sociétés coopératives, sera d’autant plus facile qu’elle
sera faite par des ouvriers de la même profession, de la
même industrie , connaissant directement la personne
qui n’apporte que son industrie, et pouvant très-exacte
ment se rendre compte de la légitimité des stipula
tions2. »
i Moniteur, 9 juin 1867
1 Ibidem.
�276
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
En d’autres termes, l’apport de l’industrie est l’ap
port en nature prévu et réglé par les articles 4 et 24 de
la loi, applicables à la société anonyme à capital varia
ble, comme à la commandite par actions, comme à l’a
nonyme ordinaire.
La division par action ne contrariait donc en rien la
société coopérative. Elle ne s’opposait ni à sa fondation
ni à ses développements. Le Corps législatif ne crut pas
devoir la repousser.
551.
— Cette division admise , quel devait être le
taux de l’action ? Ici le législateur avait à prendre en
très-sérieuse considération le personnel des sociétés qu’il
organisait, et on ne peut lui reprocher de ne pas l’avoir
fait. En fixant à cinquante francs le taux de l’action, et
en n’exigeant que le versement préalable du dixième, il
s’est tenu dans des limites assez humbles pour être a bordables par tous.
Mais la modeste pièce de cinq francs, qui n’est rien
envisagée du côté des riches , est beaucoup quand on
l’envisage du côté du pauvre. Pour l’ouvrier elle repré
sente bien du courage , bien des sacrifices, comme le
disait M. Jules Simon.
Aussi faisait-on remarquer que la loi n’en exige le
versement que lorsque la société vient réclamer une place
dans le commerce et se manifester au public. Jusque là
rien n’empêche que des ouvriers , que des travailleurs
s’associent, mettent en commun leur industrie, se cons
tituent pour ainsi dire en caisse d’épargne , et parvien-
�TITRE I I I , ART.
49, 80, S i.
277
nentau moyen de vprsemenls de dix, de quinze, de vingt
centimes plus ou moins répélés, à économiser cette pièce
de cinq francs qui permet à leur société de se produire
enfin à l’égard des tiers, avec quelque chance de succès.
En effet, pour réussir auprès du public, pour obtenir
la confiance et le crédit qu’elle vient solliciter, il est in
dispensable que la société offre une surface et des ga
ranties qui puissent appeler et légitimer celle confiance
et ce crédit. Pour cela il lui faut ou la responsabilité
personnelle solidaire et indéfinie des associés , ou un
capital qui puisse devenir le gage des engagements
sociaux. Se présenter sans l’un de ces deux éléments,
c’est s’exposer à venir aboutir au plus désastreux in
succès.
Or la responsabilité indéfinie ne convenant pas aux
sociétés entre ouvriers, il fallait dans leur intérêt même
exiger un capital souscrit en entier, mais versé seulement
en partie. À ce point de vue on ne sera pas tenté de re
procher à la loi de s’être montrée trop sévère.
En effet la société pouvant se constituer avec sept as
sociés seulement, il résulte du taux des actions à cin
quante francs et du versement réduit au dixième,qu’elle
pourra fonctionner avec un capital souscrit de trois cent
cinquante francs et une somme disponible de trente-cinq
francs.
Le rapporteur pouvait donc sans trop de témérité dire
que bien loin d’être dirigées contre les sociétés coopé
ratives , ces prescriptions de la loi avaient pour but de
les favoriser, d’assurer leur marche, de leur ménager du
�278
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
crédit et de leur permettre de conquérir la confiance qui
pouvait seule les faire utilement aboutir.
552.
— Aux termes de notre article 50 , les actions
ne sont négociables qu’après la constitution de la so
ciété et seront nominatives même après leur entière li
bération.
Il semble que la loi aurait pu se dispenser de recon
naître la négociabilité des actions. Cette négociabilité en
effet ne puise sa raison d’être que dans l’une des deux
hypothèses suivantes : ouda nécessité de sortir de la so
ciété avant sa dissolution ; ou le désir de spéculer sur les
variations que la valeur des actions peut subir.
Or, dans les sociétés à capital variable , l’associé est
libre de sortir de la société à quelque époque qu’il en
éprouve le besoin ou la volonté. L’article 52 est formel
et précis à cet égard. A ce point de vue la faculté de
négocier l’action ne donnait aux associés que ce qu’ils
avaient déjà.
On a cependant compris que le remplacement d’un
associé peut être plus avantageux à la société que sa re
traite. Celle-ci en effet entraînant la restitution d’une
partie du capital, en diminuerait l’importance et pour
rait jeter quelque trouble dans les opérations. Il était
digne de la prévoyance de la loi de ne pas rendre cette
retraite inévitable et forcée.
Contre la spéculation sur la valeur des actions, c’està-dire contre l’agiotage , la loi a imposé aux actions le
caractère nominatif. En excluant la forme au porteur,
�TITRE III, ART.
Æ9, 50, 51.
Î7 9
en rendant la négociation beaucoup plus difficile , elle
opposait un obstacle sérieux à ces manœuvres qui ne
pouvaient que compromettre la société.
•: f i
JÉ||
553.
— Mais ce n’était pas tout, et la nature de ces
sociétés exigeait plus encore. Leur avenir, disait le rap
porteur, dépend en grande partie de leur union, et celleci naîtra surtout de l’harmonie des éléments qui cons
titueront le personnel. Ce qu’il faut souhaiter de voir ré
unis sous le même drapeau, ce sont des ouvriers qui se
connaissent, liés par la pratique des mêmes devoirs, la
borieux , économes , intelligents , quoique à des degrés
divers , et mettant en commun ce capital m o ral, supé
rieur de beaucoup , au point de vue du succès même,
aux faibles ressources industrielles sur lesquelles repose
l’association.
Il fallait donc veiller à ce que les actions se négociant
librement, n’arrivassent pas en des mains de personnes
dont l’introduction dans la société viendrait y semer la
discorde et le trouble, et en compromettre à chaque ins
tant l’existence.
Voilà pourquoi en admettant la négociabilité des ac
tions, l’article 50 a non-seulement exigé que leur trans
mission ne s’opérât que par un transfert sur les regis
tres , mais encore autorisé que les statuts donnassent,
soit au conseil d’administration, soit à l’assemblée géné
rale, le droit de s’opposer au transfert.
Cette dernière disposition n’était au reste que l’appli
cation de la règle consacrée par l’article 1 861 du Code
|1
■
!['M»b
• 1!
lit
-Bit
Pli
■.pH
"B'i
�V
280
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
Napoléon , et jamais celle applicalion ne pouvait être
mieux justifiée. En effet à côté des avantages qu’elle as
surait, elle n’avait aucun inconvénient, pas même celui
de retenir dans la société un associé qui voulait en sor
tir. Si malgré le refus d’agréer son successeur l’associé
persiste à vouloir se retirer , il n’aura qu’à user de la
faculté donnée par l’article 52.
554.
— M. Rivière pense qu’en interdisant la né
gociation par les voies commerciales ordinaires , la loi
n ’a pas entendu prohiber la cession par la voie civile1.
Le texte et l’esprit de la loi repoussent également cette
doctrine. Il est évident qu’en décidant que la négocia
tion ne pourra avoir lieu que par voie de transfert sur
les registres , l’article 50 prohibe sans exception toutes
les autres voies.
Ce que la loi s’est proposée, c’est d’empêcher l’intro
duction dans la société d’associés dont la personnalité,
dont l’inaptitude ou l’incapacité serait pour elle une me
nace et un danger permanents. Or, à ce point de vue,
qu’importe que la transmission s’accomplisse commer
cialement ou civilement? Le danger est le même,et l’on
ne comprendrait pas que la loi armant la société dans
un cas, l’eût laissée désarmée dans l’autre.
Enfin pourquoi une cession par la loi civile ? Où en
était la nécessité , où le motif de l’admettre en présence
du droit concédé par l’article 52 ?
' N* 335.
�TÎTRB III, ART. 49, 50, 51.
281
La doctrine de M. Rivière ne saurait donc être ac
cueillie.
La détermination du taux des actions à cinquante
francs est invariable pendant toute la durée de la so
ciété , alors même que par le résultat d’augmentations
successives le capital eût été porté à six cent, à huit cent
mille francs, à un million.
555.
— L’article 48 soumettant les sociétés à capi
tal variable aux règles générales des sociétés dont elles
prennent la forme, on aurait pu soutenir que, par ap
plication du paragraphe premier de l’article 1er de la loi,
dès que leur capital dépassait deux cent mille francs les
actions devaient être portées à 500 francs.
Que cette prétention fût fondée, qu’elle ne le fût pas,
le silence de la loi lui permettait de se produire et de
devenir ainsi matière à contestation.
Aussi, et dans l’intention de prévenir tout doute, toute
difficulté, M. Jules Simon proposait-il d’ajouter à l’ar
ticle : Les dispositions du paragraphe premier de l’arti
cle 1er de la loi ne sont pas applicables aux sociétés à
capital variable.
La commission d’abord , le Gouvernement ensuite
ayant déclaré que l’amendement était inutile parce que
l’inapplicabilité qu’il avait pour objet de formuler résul
tait implicitement de l’article 51, M. Jules Simon retira
sa proposition.
Ce qui n ’était pas inutile c’est la déclaration du rap
porteur corroborée par celle du ministre du commerce.
�282
LOI DK 1867 SUR LES SOCIÉTÉS
Grâce à i’une et à l’autre , la prétention que nous exa
minons se trouvant formellement condamnée n ’osera se
produire.
5 5 6 . — Les actions resteront donc quoi qu’il arrive
à cinquante francs et chacune d’elles devra verser le
dixième au moins de son montant. L’article 51 déclare
que ce n’est qu’après ce versement que la société pourra
être définitivement constituée.
Bien que l’article soit muet sur la souscription de l’en
tier capital, celte souscription n’en reste pas moins la
condition sine qua non de la constitution de la société.
L’article 48 déclarant les dispositions de l’article 1er ap
plicables aux sociétés à capital variable, il était inutile
de les reproduire.
Il en eût été ainsi du versement si à ce sujet, l’arti
cle 1er n’avait pas été modifié. Mais dès qu’on réduisait
ce versement au dixième, on ne pouvait s’en référer à
l’article 1er qui exigeait qu’il fût du quart au moins et il
devenait indispensable de s’en expliquer.
557.
Qu’en est-il des augmentations que le ca
pital pourra recevoir successivement? Faudra-t-il qu’à
chacune d’elles la somme ajoutée au capital soit souscrite
en entier et que le versement du dixième ait été réalisé?
Nous ne voyons pas sur quel fondement on appuyerait l’affirmative. Pour l’admettre, il faudrait supposer
une obligation que la loi n’a ni créée ni pu créer, et al
ler jusqu’à prétendre que sa violation entraînerait la nul
lité rie la société.
�TITRE III, ART.
4-9 , 50 , 51 .
283
Or on comprend que faute de la souscription totale
du capital et du versement exigé par la loi, la société ne
puisse se constituer. Mais comment admettre que si ayant
satisfait aux conditions de la loi, elle a régulièrement
procédé à sa constitution et légalement fonctionné pen
dant une année au moins, un événement postérieur lui
fasse perdre le bénéfice de cette constitution.
La loi n’a pu autoriser cette énormité, et en gardant
le silence à l’égard des augmentations du capital dont
on pouvait prévoir le besoin dans la commandite par
actions et dans l’anonyme ordinaire, qu’on prévoyait et
qu’on autorisait dans la société à capital variable, elle
a suffisamment indiqué qu’elle s’en remettait à ce sujet
à l’intérêt des associés, qui, s’ils sont dans la nécessité
d’augmenter leur capital pour répondre au développe
ment de leurs opérations, n’oublieront rien de ce qui
pourra leur procurer des souscriptions et des versements.
558.
— Aux termes de l’article 51, les statuts de
vront déterminer une somme au-dessous de laquelle le
capital ne pourra être réduit par les reprises des apports
autorisées par l’article 48. Cette somme ne pourra être
inférieure au dixième du capital social.
Mais elle pourra être supérieure, les associés seuls
sont juges de ce qu’exige l’intérêt réel de la société ; et
c’est cet intérêt qui doit les diriger dans la détermina
tion qu’ils sont appelés à faire. Il est évident que plus
la partie invariable du capital sera importante, plus s’aggrandira le cercle des opérations.
�284
;
loi
de
1867
su r
l e s so c ié t é s
Si les siatuts ont omis de faire celte détermination, la
somme au-dessous de laquelle le capital ne peut être
réduit est de plein droit d’un dixième. L’importance de
la détermination, l’influence qu’elle doit exercer sur l’a
venir de la société commandaient de suppléer à la né
gligence des intérêts.
Le législateur ne pouvait pas se dissimuler combien
serait délicate vis-à-vis des tiers la position des sociétés
à capital variable. Il était facile de comprendre que pour
apprécier le crédit qu’ils doivent accorder à la société,
ces tiers auraient exclusivement égard à la quotité du
capital qui ne pouvait être reprise. Il fallait donc que
cette quotité fût déterminée ou par les statuts ou par la
loi elle-même.
559.
— La discussion des articles 50 et 51 ramena
l’attention sur la faculté de reprise partielle des ap
ports. Nous avons déjà rappelé les observations de M.
Marie à ce sujet. On y revint pour signaler les dangers
qu’elle faisait courir à la société.
Ainsi, M. Martel posait l’hypothèse suivante : une
boulangerie se crée au capital de dix mille francs qui
sont intégralement versés. L’administrateur croit le mo
ment favorable pour acheter des farines qu’il prévoit de
voir augmenter. Il en achète donc pour six mille francs
payables dans quinzaine ; mais dans cette quinzaine, les
retraits partiels s’élèvent à sept mille francs, que fera
l’administrateur, disait M. Martel?
Une société au capital de cent mille francs, disait de
�TITRE II I, ART.
49, 50, 51.
285
son côté M. Josseau, peut être obligée d’avoir un outil
lage de vingt-cinq ou trente mille francs. Les cent mille
francs sont versés et les affaires engagées sur ce pied.
Mais les retraits réduisent le capital à dix mille francs et
l’outillage est de vingt-cinq mille. Comment marchera
la société ?
On faisait là, à notre avis, un procès injuste au re
trait partiel. Il est évident que dans l’un et l’autre cas,
l’embarras tenait non au retrait partiel, mais à la faculté
du retrait en elle-même. En effet, cet embarras eût-il
moins existé si, au lieu d’être partielle , la reprise eût
été totale ?
La conséquence logique eût donc été la suppression
absolue de tout retrait. Mais c’était blesser à mort les so
ciétés coopératives, les rendre impossibles. Dès lors,
fallait-il bien accepter les inconvénients que celte situa
tion entraînait.
Le seul remède possible est l’application intelligente
de l’article 51. Ainsi, dans l’hypothèse sur laquelle rai
sonnait M. Josseau, si la société au capital de cent mille
francs doit avoir un outillage de vingt-cinq mille francs,
les statuts doivent stipuler que le retrait ne pourra dé
passer la moitié, les deux tiers du capital social : ceux
qui créent une société doivent en assurer le fonctionne
ment dans tous les cas.
Dans l’hypothèse de M. M artel, il y aurait gestion
inintelligente. On ne comprendrait pas qu’ayant l’a r
gent en caisse, l’administrateur renvoyât le paiement
des farines à quinzaine, au risque de se voir dans l’im-
�â86
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
possibilité d’y satisfaire par suite de retraits qu’il est
toujours prudent de prévoir.
En l’état de cette épée de Damoclès suspendue sur les
sociétés à capital variable, des administrateurs intelli
gents et sages prendront pour base de leurs engagements
le chiffre du capital qui doit rester invariable et se,gar
deront bien d’engager l’avenir au-delà de cette limite.
Il appartient donc aux intéressés de déterminer jus
qu’à quelle, somme pourront atteindre les retraits. Cette
détermination doit être basée sur la nature de la socié
té, sur ses besoins réels, sur la position et les ressources
des associés. Une fois faite, elle est invariable et ne peut
plus être modifiée ou changée pendant toute la durée
de la société.
560.
— M. Jules Simon, dont les intentions ne pou
vaient être suspectées, demandait qu’il en fût autre
ment. De concert avec quelques-uns de ses collègues,
il demandait qu’on insérât dans la loi la disposition ad
ditionnelle suivante :
« La société, en se conformant de nouveau aux pres
criptions des articles 55, 56 et 57 de la présente loi ,
pourra abaisser le chiffre du capital social, et le chiffre
de la somme au-dessous de laquelle le capital ne pourra
être réduit par la reprise des apports autorisés par l’ar
ticle 48. »
Cette proposition s’étayait sur ce qu’il arrive souvent
qu’une société coopérative a plusieurs branches d’opé
rations, et que, par exemple, une société de consomma-
�TITRE III, ART. 4 9 , 5 0 ,
51.
287
tion comprend le vêtement, la chaussure, les vivres, le
lit. Or, après avoir essayé ces divers genres d’opérations,
elle peut s’apercevoir que l’un deux est nuisible aux af
fairas et y renoncer. Renonçant à une branche d’indus
trie, il est naturel qu’elle renonce à une partie du capital.
La proposition, en accordant la faculté de modifier le
chiffre du capital, ne faisait que concéder ce que l’arti
cle 48 consacrait déjà en autorisant les reprises partiel
les de l’apport. Elle était donc inutile à ce point de vue.
Elle était dangereuse au point de vue de l’abaisse
ment du chiffre au-delà duquel la reprise pourrait avoir
lieu, dangereuse pour les tiers comme pour la société
elle-même.
Sans doute la publicité donnée à la résolution pou
vait sauvegarder l’intérêt de ceux qui viendraient, après
cette publication, contracter avec la société; mais les
tiers qui avaient traité avant, qui n’étaient devenus ses
créanciers qu’en considération du gage que leur offrait
la partie du capital déclarée invariable par les statuts,
était-il juste qu’on vînt après coup leur enlever ce gage,
et leur retirer la garantie sur la foi de laquelle ils avaient
traité ?
Mais tous les associés demeuraient pendant cinq ans
responsables envers ces créanciers I C’était magnifique
en théorie ; mais dans la pratique que pouvait valoir
cette responsabilité avec un personnel aussi ambulatoire,
aussi insaisissable, et qui le plus souvent n’aura d’autres
ressources que son travail.
Ce qui pouvait résulter de là, c’est que les tiers ne
�288
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
I
pouvant plus compter sur rien , menacés sans cesse de
voir le lendemain leur retirer la garantie que leur offrait
la veille, refuseraient tout crédit à la société. Que de
viendrait dès lors celle-ci ; trouverait-elle dans son mo
deste capital l’équivalent de cet élément si utile , si in
dispensable à tout commerçant ?
Exposer la société à une pareille chance c’était, dans
l’intention de la favoriser , lui fermer toutes les issues,
lui interdire tout espoir de succès, la précipiter vers une
ruine inévitable. Les amis les plus dévoués aux intérêts
des ouvriers n’ont qu’à applaudir au rejet de la propo
sition.
561.
— En l’état, un capital minimum dixième au
moins du capital social doit rester à l’abri de tçut retrait,
de toute reprise. Les tiers qui ont fait crédit à la socié
té, en considération précisément de ce minimum , doi
vent le retrouver intact à moins d’une déconfiture com
plète. L’intérêt des tiers est ici l’intérêt de la société ellemême, puisque sans cètte garantie elle ne pourrait ob
tenir le crédit qui peut suppléer à la modestie de son
capital et lui permettre de développer ses opérations.
A rt. 5 2 .
Chaque associé pourra se retirer de la société
lorsqu’il le jugera convenable, à moins de con
ventions contraires et sauf l’application du pa
ragraphe premier de l’article précédent.
�TITRE III , ART.
52, 53, 54.
289
Il pourra être stipulé que l’assemblée générale
aura le droit de décider, à la majorité fixée peur
la modification des statuts, que l’un ou plusieurs
des associés cesseront de faire partie de la so
ciété.
L’associé qui cessera de faire partie de la so
ciété, soit par l’effet de sa volonté soit par suite
de décision de l’assemblée générale, restera tenu,
pendant cinq ans, envers les associés et envers
les tiers , de toutes les obligations existant au
moment de sa retraite.
A rt. 5 3 .
La société, quelle que soit sa forme, sera va
lablement représentée en justice par ses admi
nistrateurs.
A rt.
54.
La société ne sera point dissoute par la mort,
la retraite, l’interdiction, la faillite ou la décon
fiture de l’un des associés ; elle continuera de
plein droit entre les autres associés.
SOMMAIRE
562.
563.
Faculté pour chaque associé de sortir de la société ; son ca
ractère.
Critiques de M. Pouyer-Qnertier.
H. — 19
�290
564.
565.
566.
567.
568.
569.
570.
571.
572.
573.
574.
575.
576.
577.
578.
LOI DE
1867
SUR LES s o c i é t é s
Appréciation.
Droit des associés de stipuler la convention contraire.
La sortie de la société n’est admise que sauf l’application
du paragraphe premier de l ’article 51 ; conséquence.
Faculté pour les associés de la subordonner à telles autres
conditions qu’ils jugeraient utiles.
Dans quels cas les articles 1869 et 1870 du Code Napoléon
pourraient être applicables.
Intérêt pour la société de stipuler un délai pour le rembour
sement.
On peut stipuler que l’assemblée générale aura le droit
d’exclure un membre ; caractère de ce droit.
L’assemblée générale est seule compétente pour l ’exercer.
Majorité requise.
Sa décision n ’est pas-susceptible de recours.
Quid si le capital est descendu à son minimum légal ou st atutaire.
Responsabilité de l’associé qui sort ou qui est exclu de la
société ; son caractère.
Durée de la responsabilité.
Droit pour la société d’être représentée en justice par ses ad
ministrateurs.
La mort d’un associé ne met pas fin à la société.
Continue-t-elle avec les héritiers de l ’associé décédé ?
562.
— La faculté pour un associé de sortir de la
société lorsqu’il le juge convenable est une faculté ex
orbitante réellement inconciliable avec les principes or
dinaires en matière d’associations ; mais on ne doit pas
perdre de vue que la société à capital variable est une
société à part, m i generis, qui pouvait bien emprunter
quelques règles aux sociétés de droit commun, mais qui
avait des principes en dehors de ces règles et des exigen-
�TI TRI! III, ART.
52, 53, 54.
291
ces auxquelles il fallait satisfaire, sous peine d’en rendre
l’existence impossible. Les mêmes raisons qui avaient
fait admettre la variabilité du capital, commandaient la
faculté pour les associés de sortir à leur convenance de
la société. Comment les y retenir, les y enchaîner, en
effet, si par leur état même et les nécessités de leur po
sition ils étaient obligés de s’éloigner du siège social et
de transporter leur domicile à des distances plus ou moins
considérables ?
D’ailleurs et à proprement parler, l’article 52 n’était
que la conséquence logique, que la confirmation de l’ar
ticle 48. Qu’était-ce, en effet, que la reprise totale des
apports, sinon la retraite, la sortie de la société? A quel
titre prétendrait-il lui appartenir encore celui qui n’y a
plus le moindre intérêt ?
565.
— Dans la discussion législative , M. PouyerQuertier attaquait vivement celte disposition :
« Si un associé, disait-il, peut se retirer de la société
le jour où il lui p la ît, il n’y a pas de société possible.
Vous ne voulez pas faire seulement des sociétés de con
sommation vous avez prévu des sociétés de crédit et de
production. Voilà des sociétés qui surgiront avec un
capital prévu ; elles organisent une production, puis vous
autorisez les sociétaires à disparaître quand bon leur
semblera. Des bruits fâcheux courent sur la société : si
la société passe pour avoir fait une mauvaise opération,
que feront les actionnaires intelligents ? Ils se retireront,
et il ne restera que les dupes pour recueillir les résultats
�292
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
de cette organisation. Eh bien I je vous assure que je
ne vois aucune espèce de garantie pour les associés entre
eux, aucune garantie pour les tiers.
» Maintenant vous me dites : nous avons obligé les
associés pour cinq ans. Oui ils resteront obligés. Je vou
drais bien que M. le rapporteur me d it, quand il s’agit
d’associations coopératives , s’il est facile de retrouver,
pendant une durée de cinq a n s , tous les ouvriers qui
auront été associés , pour exercer contre eux le recours
autorisé par la lo i.1 »
5 6 4 . — Le ministre du commerce avait raison de
dire que les critiques de M. Pouyer-Quertier s’adres
saient , non à l’article 52 spécialement, mais au prin
cipe de la loi lui-même. Il est évident, en effet, que s’il
devait en être des sociétés coopératives comme des so
ciétés ordinaires, une loi spéciale était complètement in
utile ; on n’avait qu’à s’en référer soit au Code de com
merce, soit aux titres i et n de la loi nouvelle.
La nécessité d’une loi spéciale reconnue et admise, ses
dispositions étaient en quelque sorte dictées par la na
ture même des sociétés qu’elle venait régir. Puisque leur
personnel était essentiellement incertain et ambulatoire,
le capital devait en être variable ; et, comme tout s’en
chaîne , cette variabilité du capital , nous venons de le
dire, n’était que la faculté indirecte de sortir de la so
ciété en retirant son épingle du jeu. Dès lors il n ’y avait
1 Moniteur, -12 juin <186?;
s
�TITRE III, ART.
52, 53, 54.
293
ni inconvénient ni danger à en concéder la faculté di
recte.
5 6 5 . — Mais il n’est pas exact de dire que la loi a
méconnu et sacrifié l’intérêt des associés. Tout ce qu’elle
pouvait et devait faire , c’était de les mettre à même de
se protéger eux-mêmes, c’était de les rendre les arbitres
suprêmes de l’opportunité et de la convenance de la
mesure, et elle n ’y a pas manqué. L’article 52 , en ef
fet, permet à chaque associé de se retirer de la société à
moins de convention contraire.
Donc si l’intérêt des associés exige qu’on refuse la fa
culté de quitter à son gré la société , ils sont libres d’y
pourvoir en faisant de ce refus la loi statutaire.
D’autre part la reprise totale ou partielle des apports
n’est réalisable qu’autant que les statuts la stipulent ex
pressément. Donc les associés sont en position d’empê
cher toute retraite volontaire tant directe qu’indirecte, et
si s’abstenant de le faire ils compromettent leur intérêt,
à qui peuvent-ils s’en prendre si ce n’est à eux-mêmes
et à eux seuls.
5 6 6 . — Quant aux tiers, nous venons également de
le voir, ils n’ont à compter et ils ne compteront jamais
que sur le capital minimum qui ne peut subir d’atteinte
dans aucun cas, pas plus dans celui d’une retraite vo
lontaire que dans celui d’une reprise totale ou partielle
des apports.
L’article 52 en effet n’autorise la sortie volontaire de
�294
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
l’associé que sauf l'application du paragraphe premier
de l’article précédent, c’est-à-dire que dès que le capi
tal sera descendu au minimum légal ou statutaire, au
cun associé ne pourra plus se retirer de la société quel
que convenance qu’il y eût pour lui à le faire , car on
ne sort de la société que pour recevoir la partie du ca
pital à laquelle on a droit ; et pourquoi cette sortie si
l’on ne peut et ne doit recevoir une obole.
L’intérêt des tiers est donc sauvegardé autant qu’il peut
l’être : on leur assure intact le seul gage sur lequel ils
ont pu compter.
5 6 7 . — Seulement de la combinaison des articles
51 et 52 il résulte que la sortie de la société ou la re
prise totale ou partielle des apports devient en quelque
sorte le prix de la course. L’essentiel, en effet, est d’ar
river avant que le capital soit descendu à son minimum,
puisque cette limite atteinte il n’y a plus de réduction
possible. Il peut donc se faire que l’un ait retiré tout son
apport et que l’autre ne puisse rien en reprendre malgré
le besoin urgent qu’il en éprouverait.
Evidemment la loi ne pouvait remédier à cet état des
choses, mais les associés le peuvent. Les statuts ayant à
autoriser les reprises ou à prohiber les retraites, peuvent
subordonner les unes et les autres à telles conditions qui
pourront maintenir, quant à ce, les associés sur le pied
d’une égalité parfaite.
5 6 8 . — Les articles 1869 et 1870 du Code Napo-
�TITRE III, A.RT.
52, 53, 54.
295
léon ne pourraient incontestablement être invoqués con
tre un associé qui viendrait isolément signifier sa volonté
de sortir de la société. Mais seraient-ils applicables dans
le cas où , après s’être concertés , plusieurs associés se
retireraient de façon à nuire à la société ?
A cette question posée parM.E. Picard, M. le rapporteur
répondait, qu’en présence des termes de l’article 52, on
ne pouvait méconnaître l’intention du législateur de dé
roger aux articles 1869 et 1870. « Mais, ajoutait-il, au
sentiment de la commission, si plusieurs associés par une
sorte de coalition, c’est-à-dire par une fraude véritable,
pour jeter la société dans des embarras, par une fraude,
le mot dit tout, se retiraient dans des conditions inop
portunes, il pourrait y avoir lieu par les tribunaux d’ap
pliquer les principes du droit commun1. »
La fraude, en effet, ne saurait être nulle part tolérée,
et elle fait exception à la règle de l’article 52 comme à
toutes les autres. Mais la fraude, c’est à celui qui l’allè
gue qu’incombe la charge de la prouver ; et cette preuve
comment la faire dans notre espèce. Plus les dissidents
se seront entendus et concertés, plus ils mettront de soins
à le cacher. C’est un à un et même à de certains inter
valles qu’ils viendront annoncer leur retraite, et la plu
part auront déjà retiré leur mise que d’autres ne l’au
ront pas même encore demandée. Comment en cet état
parler de complot et surtout le prouver ?
A ces embarras, à ces difficultés il y aurait un remède
Moniteur, 12 juin 1867,
�296
LOI DE
1867 SUR LES
sociétés
héroïque : ce serait de ne pas autoriser les reprises de
l’apport totales ou partielles, et d’exclure la sortie volon
taire de la société. Mais cela pourrait bien devenir un
obstacle à la formation de la société. C’est à ceux qui
sont appelés à en faire partie, à réfléchir et à voir ce qui
convient le mieux à leur position et à leur intérêt.
569.
— Dans tous les cas, il est une précaution que
nous conseillons de ne pas omettre , à savoir , celle de
stipuler un délai soit pour le remboursement des repri
ses, soit pour la restitution de ce qui peut revenir à l’as
socié qui sort de la société.
On comprend tout le trouble que pourrait occasionner
aux sociétés la nécessité de rembourser immédiatement
et à l’improviste une partie plus ou moins considérable
du capital, surtout à celles de production ou de consom
mation qui ont dû consacrer ce capital à se procurer
leur outillage ou à l’achat de marchandises. Il est donc
prudent et sage de faire en sorte de n’être pas pris au
dépourvu , et de se ménager le moyen de satisfaire aux
remboursements à l’aide des rentrées.
Ce délai, comme le dit M. Vavasseur, suffira bien sou
vent d’ailleurs à tenir en bride le caprice , la mauvaise
humeur d’un moment , et à empêcher des scissions de
nature à amener et à nécessiter la dissolution de la so
ciété.
A tous ces avantages, la réserve d’un délai pour le
remboursement joindra celui de permettre de soupçon
ner les retraites concertées et frauduleuses. Il est en ef-
�TITRE I I I, ART.
52, 53, 54.
297
fet permis de croire que pendant le cours de ce délai les
demandes de sortie s’accumuleront, et l’on pourra ainsi
apprécier leur caractère par leur nombre et par les mo
tifs qui ont pu les inspirer.
570.
— La seconde disposition de l’article 52 n’est
pas moins exorbitante que la première : elle introduit
l’ostracisme dans les sociétés à capital variable. Mais était-il possible d’agir autrement ? Oui veut la fin veut
les moyens. Or, puisqu’on voulait organiser et favoriser
la société coopérative, on devait nécessairement admet
tre et concéder tout ce qui pouvait et devait amener ce
résultat.
I
Rien n’y conduisait plus sûrement qu’un contrôle ac
tif du personnel même de la société. Aucune mesure
n’était aussi indispensable à son existence ; et c’est cette
conviction qui avait déjà fait concéder à la société la fa
culté de s’opposer au transfert des actions, ce qui devait
empêcher l’introduction dans son sein d’éléments de
trouble et de discorde capables de la désorganiser.
Or s’il importe d’empêcher que ces éléments pénètrent
dans la société, il n’importe pas moins de se débarras
ser de ceux qui seraient parvenus à s’y introduire. Les
sentiments essentiels à toute association exigeaient, dans
les sociétés coopératives , qu’on pût exclure ceux qui,
aux yeux de l’ensemble des associés , ne remplissaient
plus les conditions de moralité et de sympathies réci
proques.
Là encore la pratique avait frayé la route. L’exclusion
�298
LOI DE 1867 SUR LES sociétés
était tellement indispensable à la coopération que, mal
gré le silence de la loi, on ne manquait pas de la stipu
ler, et que dans l’enquête les membres et les directeurs
des sociétés ouvrières étaient unanimes pour en récla
mer la consécration.
Il était difficile de négliger ces précédents, de repous
ser ce vœu. L’exemple des principaux intéressés , de
ceux-là même que la mesure pouvait atteindre , était
décisif.
Mais le législateur a reculé devant l’idée de la pres
crire. Il s’est borné à reconnaître et à consacrer la fa
culté de la stipuler dans les statuts sociaux.
5 7 1 . — A l’assemblée générale peut être déféré le
droit de prononcer l’exclusion, et elle ne peut le faire
qu’à la majorité fixée pour la modification des statuts :
ce qui suppose que cette majorité a été déterminée par
le pacte social. S’il n’a rien été prévu et statué à ce su
jet , la majorité des votants suffit. Mais , aux termes de
l’article 31 , l’assemblée générale ne serait régulièrement
constituée et ne délibérerait valablement que si elle était
composée d’actionnaires représentant la moitié au moins
du capital social.
5 7 2 . — L’assemblée générale est souveraine : sa
décision n’a p s besoin d’être motivée, et n’est suscepti
ble d’aucun recours. « Il ne faut pas s’en plaindre, dit
M. Vavasseur ; il vaut mieux encore s’exposer à une sen
tence inexacte , même injuste et passionnée , prononcée
�TITRE III, ART. 52, 53, 54.
299
par le tribunal intérieur des pairs , que de livrer à une
publicité souvent hostile les discussions intestines de la
société, ou les fautes de l’un des associés ’. »
D’ailleurs que ferait la justice? Pourrait-elle condam
ner la société à conserver au nombre de ses membres
celui que la majorité vient d’exclure ? Pourrait-elle faire
revivre ces sentiments de sympathie réciproque sans les
quels il ne peut exister d’association;
Tout se réduirait donc à une allocation de domma
ges-intérêts , si la société persistait dans sa résolution.
Or où serait le fondement juridique de celte allocation,
alors qu’en définitive la société n’aurait fait qu’user
d’un droit, qu’appliquer la loi librement et volon
tairement acceptée et souscrite par le plaignant luimême.
L’absence de tout recours était donc la conséquence
forcée de la nature des choses et de l’adhésion donnée
aux stipulations du pacte social.
573.
— L’exclusion de la société entraîne, de plein
droit, l’obligation de rembourser à celui qui en est l ’ob
jet la part qu’il peut avoir dans l’actif social. Or il n’est
pas douteux qu’il en soit de l’exclusion comme de la re
traite volontaire, c’est-à-dire qu’elle ne peut produire
son effet que sauf l’application du paragraphe 1e! de l’ar
ticle 51.
Donc, si le capital est descendu à son minimum sta-
�300
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
s’opérer , l’exclusion serait impossible , à moins qu’un
nouveau membre consentant à prendre la place de l’ex
clu lui remboursât ce qui lui revient ; ou que l’assemblée
générale votât une cotisation destinée à faire face à ce
remboursement.
574.
— L’associé qui sort de la société , soit par
suite d’une retraite volontaire, soit par l’effet d’une dé
libération de l’assemblée générale , reste tenu pendant
cinq ans envers les associés et envers les tiers de toutes
les obligations existant au moment de sa sortie.
Nous comprenons cette responsabilité envers les tiers.
Ceux-ci en effet ne peuvent voir modifier les garanties
sous la foi desquelles ils ont traité, ni voir leur gage di
minuer par l’attribution d’une partie quelconque du ca
pital à l’associé sortant soit volontairement, soit forcé
ment. Ils doivent donc pouvoir redemander cette partie
à celui qui l’a reprise ou reçue.
Ce qui nous paraît plus difficile à comprendre c’est la
responsabilité vis-à-vis des associés. En effet la retraite
volontaire ou forcée constitue pour l’associé sortant une
véritable dissolution, comme le reconnaissait le rappor
teur : elle doit donc en produire les effets , c’est-à-dire
déterminer une liquidation à l’égard de cet associé.
Il faut en effet le couvrir de ce qui lui revient, et
pour cela établir la position de la société, dresser l’état
de l’actif et du passif, établir la quotité des pertes , le
chiffre des bénéfices.
Or il n’est pas douteux qu’en dressant ce compte on
�TITRE III, ART. 5 2 , 5 3 , 5 4 .
304
comprendra dans le passif toutes les dettes actuellement
contractées; et comme les droits de l’associé ne seront
établis que sur le solde de l’actif, balance faite de celuici avec le passif, il en résultera que la société aura reçu
et gardé en mains de quoi satisfaire au paiement des
dettes ; et si elle ne l’a pas fait elle a commis une faute
lourde, et à quel litre viendrait-elle en rejeter la respon
sabilité sur l’ancien associé?
Nous avons donc raison de le dire , il est difficile de
s’expliquer cette disposition de l’article 52 en ce qui con
cerne les associés. Dans tous les cas il faut reconnaître
que la responsabilité des associés sortant est une garan
tie à peu près illusoire pour ceux , quels qu’ils soient,
qui pourraient en réclamer le bénéfice. Où trouver, en
effet, après quelques années les ouvriers qui ont pu faire
originairement partie de la société, et qu’attendre et
qu’exiger d’eux si pour toute ressource ils n’ont que leur
travail ?
Aussi était-il reconnu par tout le monde, par les mi
nistres , par les commissaires du Gouvernement que le
crédit des sociétés coopératives vis-à-vis des tiers se me
surerait uniquement et principalement sur le minimum
du capital, sur la manière dont seront gérées les affai
res, et sur les résultats que promettrait le travail ou l’in
dustrie des associés. Personne ne parlait d’une respon
sabilité quelconque.
575,
— Le projet de loi présenté par le Gouverne
ment ne fixait aucune durée à la responsabilité. Il se
�302
LOI DE Î 867 SUR LES SOCIÉTÉS
contentait de disposer que l’associé sortant serait tenu
dans les termes des statuts, etc.. . .
La commission du Corps législatif pensa qu’il était
préférable de fixer la durée de la responsabilité, et con
sidérant les sorties des associés comme des dissolutions
véritables au moins par rapport à eux, elle n’hésita pas
à adopter le terme de cinq ans fixé par l’article 64 du
Code de commerce, ce qui fut ‘successivement consacré
par le conseil d’Etat et par le Corps législatif.
M. Jules Simon avait proposé le terme de deux ans,
mais il ne crut pas devoir insister devant les dispositions
de la chambre. Seulement il fit observer que la plupart
des affaires de cette nature sont liquidées au bout de
deux ans ; que d’ailleurs il serait très-difficile de suivre
un ouvrier plus longtemps. Ici encore, ajoutait-il, pour
réglementer à l’excès vous tombez dans l’inutile et dans
l’impossible1. »
C’est cette impossibilité et cette inutilité qui nous em
pêchent de regretter que la proposition de M. J. Simon
n’ait pas été adoptée. Que la responsabilité dure cinq
ans ou deux ans , rien ne saurait faire que par la force
des choses elle ne soit le telum imbelle sine ictu.
Nous verrons sur l’article 6 2 ,que les actes constatant
l’augmentation ou la diminution du capital, conformé
ment à l’article 48, ou les retraites d’associés par appli
cation de l’article 5 2 , sont dispensés de toute publicité.
576.
— La disposition de l’article 53 a été inspirée
1Moniteur, <2 juin 4867.
�TITRE III, ART. 5 2 , 5 3 , 5 4 .
303
par le désir de simplifier la procédure et d’économiser
les frais pour les sociétés coopératives qui , s’étant for
mées avant la loi, avaient pris la forme civile.
« Peut-être , disait l’Exposé des motifs , ces sociétés
n’ont-elles pas eu encore l’occasion de se présenter en
justice pour la défense de leurs intérêts. Il faut désirer
qu’il en soit longtemps ainsi ; mais en formant ce vœu
on peut craindre qu’il ne se réalise pas. Alors les socié
tés civiles se trouveraient en présence de la jurispru
dence qui leur refuse le droit d’ester en justice par leurs
administrateurs , qui exige que tous les membres figu
rent personnellement dans l’instance.
» L’article leur accorde le droit si précieux pour elles
d’être représentées devant les tribunaux par leurs man
dataires légaux. »
Cet article ne comporte d’autre commentaire que l’a
dhésion la plus franche , que l’approbation la plus ex
plicite.
577.
— Une autre difficulté commune aux sociétés
commerciales et aux sociétés civiles se présentait à ré
soudre et sollicitait une solution.
Aux termes de l’article 1865 du Code Napoléon la
société finit par la mort de quelqu’un des associés. On
comprend tout de suite ce qui serait arrivé de l’applica
tion de cette disposition à des sociétés appelées à comp
ter les associés par centaines , par milliers même. Elles
auraient passé leur temps à se dissoudre, à se reconsti
tuer et à se redissoudre.
Cette application ne pouvait donc entrer dans la pen-
�304
LOI DE 1867 SUR LES so c iétés
sée ou dans les prévisions de personne. Notre article 54
répond donc, en l’excluant, à un besoin universellement
reconnu et admis.
Il ne fait au reste que revêtir du caractère législatif,
ce dont les intéressés pouvaient toujours convenir. L’a r
ticle 1865 du Code Napoléon autorisait les dérogations
à la règle qu’il édicte : témoin l’article 1568 qui statue
dans l’hypothèse de cette dérogation.
578.
— En rapprochant ce dernier article de l’article
54, on voit que celui-ci ne dit rien delà continuation de
la société avec les héritiers du défunt. Ce silence était pru
dent et sage : ces héritiers en effet pouvant par leur nom
bre, par leur âge, par leur sexe, par leur profession, se
trouver dans l’impossibilité de revêtir la qualité d’associés.
La loi n’avait donc à ce sujet qu’à s’en remettre aux
intéressés eux-mêmes. Ceux-ci en effet ont la faculté et
le droit de stipuler que la société continuera avec les
héritiers. Mais à défaut de stipulation, la société est finie
pour ces héritiers qui n’ont que le droit de réclamer la
part afférant à leur auteur.
Mais même dans ce cas, aucune atteinte ne pourrait
être portée au minimum du capital légal ou statutaire.
Donc si à l’époque du décès, le capital était réduit à ce
minimum, l’impossibilité d’être remboursé retiendrait
les héritiers dans la société, à moins, comme nous le di
sions tout-à-l’heure, que le remboursement fût opéré
par un associé venant prendre la place du défunt, ou au
moyen d’une cotisation votée par l’assemblée générale.
L’interdiction, la faillite ou la déconfiture de l’un des
associés ne pouvait agir autrement que le cas de mort.
�TITRE IV
D ispositions relatives à la publication
des actes de société.
A rt . 5 5 .
D a n s le m o is d e la c o n s t it u t io n d e t o u t e s o
c ié té c o m m e r c ia le , u n d o u b le d e l ’a c te c o n s t i
t u t if , s ’il e s t s o u s s e i n g - p r i v é , o u u n e e x p é d i
t io n , s ’il e s t n o t a r ié , e s t d é p o s é a u x g r e ffe s d e la
j u s t ic e d e p a ix e t d u tr ib u n a l d e c o m m e r c e d u
lie u d a n s le q u e l e s t é t a b li la s o c i é t é .
A l ’a c te c o n s t i t u t i f d e s s o c ié t é s e n c o m m a n
d ite p a r a c t io n s e t d e s s o c ié t é s a n o n y m e s s o n t
a n n e x é e s : 1° u n e e x p é d it i o n d e l ’a c t e n o ta r ié
c o n s t a t a n t la s o u s c r ip t io n d u c a p it a l s o c ia l e t le
v e r s e m e n t d u q u a r t ; 2 ” u n e c o p ie c e r t if ié e d es
d é lib é r a t io n s
p r is e s
par
l ’a s s e m b lé e
g é n é r a le
d a n s le s c a s p r é v u s p a r le s a r tic le s 4 e t 2 4 .
E n o u t r e , lo r s q u e la s o c i é t é e s t a n o n y m e , o n
d o it a n n e x e r à l ’a c te c o n s t it u t if la lis t e n o m in a
t iv e , d û m e n t c e r t if ié e , d e s s o u s c r ip t e u r s , c o n
t e n a n t le s n o m s , p r é n o m s , q u a lit é s , d e m e u r e e t
le n o m b r e d ’a c t io n s d e c h a c u n d ’e u x .
» .
—
20
�306
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
A rt .
56.
D a n s l e m ê m e d é la i d ’u n m o is , u n e x tr a it d e
l ’a c te c o n s t i t u t i f e t d e s p iè c e s a n n e x é e s e s t p u
b lié d a n s l ’u n d e s j o u r n a u x d é s ig n é s p o u r r e c e
v o ir le s a n n o n c e s lé g a le s .
I l s e r a ju s tifié d e l ’in s e r t io n p a r u n e x e m p la ir e
d u jo u r n a l c e r tifié p a r l'im p r im e u r , lé g a lis é p a r
l e m a ir e e t e n r e g is t r é d a n s le s t r o is m o is d e sa
d a te .
L e s f o r m a lité s p r e s c r it e s p a r l’a r tic le p r é c é
d e n t e t p a r le p r é s e n t a r t ic le s e r o n t o b s e r v é e s à
p e in e d e n u llit é à l ’é g a r d d e s i n t é r e s s é s ; m a is le
d é f a u t d ’a u c u n e d ’e lle s n e p o u r r a ê t r e o p p o s é
a u x tie r s p a r le s a s s o c ié s .
S O M M A IR E
579.
C a r a c t è r e g é n é r a l d e l a d i s p o s i t i o n d e l ’a r t i c l e
5 5 . M otifs
q u i d é t e r m i n è r e n t la c o m m i s s i o n à l ’a d o p t e r .
580.
C o n stitu e u n p ro g rès . G a ra n tira -t-e lle
s u f f i s a m m e n t l ’i n
t é r ê t q u ’e l l e a p o u r b u t d e p r o t é g e r .
581.
D é p ô t d e l ’a c t e c o n s t i t u t i f a u x g r e f f e s d e la j u s t i c e d e p a i x
582.
P ièces q u i d o iv en t y ê tre a n n e x é e s .
583.
I n t é r ê t q u e les t ie rs o n t à c o n n a î t re ces p ièces.
584.
S i la s o c i é t é e s t a n o n y m e c e s a c t e e t p i è c e s d o i v e n t ê t r e a c
585.
F o rm e d u d é p ô t.
e t du trib u n a l de c o m m e rc e .
c o m p a g n é s d ’u n e l i s t e n o m i n a t i v e d e s s o u s c r i p t e u r s .
�TITRE IV, ART.
586.
55, 50.
307
O b l i g a t i o n d e p u o l i e r u n e x t r a i t d e l ’a c t e e t d e s p i è c e s d a n s
u n d e s j o u r n a u x d é s ig n é s p o u r re c e v o ir les a n n o n c e s l é
g a le s.
587.
S y s tè m e de M. Jules S im on.
588.
S y s t è m e d e la c o m m i s s i o n .
589.
R é p o n s e d u m i n i s t r e d u c o m m e r c e ; s e s e f fe t s .
590.
C o m m e n t il e s t j u s t i f i é d e l ’i n s e r t i o n . E f f e t d u d é f a u t d ' e n
591.
D é l a i a c c o r d é p o u r la p u b l i c a t i o n ; s o n p o i n t d e d é p a r t .
re g istre m e n t du n u m éro du journal.
592.
E f f e t d e l ’i n o b s e r v a t i o n d e s a r t i c l e s 5 5 e t 5 6 .
593.
Quid. d u r e t a r d .
579.
— Le projet de loi rédigé par le Gouverne
ment et présenté au Corps législatif, ne contenait aucune
disposition spéciale sur la publicité à donner aux socié
tés commerciales en général. Il laissait les sociétés en
nom collectif, en commandite simple et même par ac
tions, sous l’empire des articles 42 et suivants du Code
de commerce ; les articles 21, 22, 23 et 24 réglaient les
formalités à remplir pour la société anonyme dispensée
d’autorisation ; enfin et quant à ce qui concernait la pu
blication des sociétés à capital variable, il y avait été
pourvu par les articles 38, 39 et 60.
C’étaient donc trois modes de publication différents et
variant suivant la nature et la forme de la société. C’é
tait une complication nouvelle à ajouter à toutes celles
que l’article 42 du Code de commerce avait fait surgir.
La commission du Corps législatif ne crut pas devoir
accueillir un pareil système. Elle crut que la loi nouvelle
offrait naturellement l’occasion d’introduire dans le mode
de publicité organisé par le Code de commerce les mo-
�308
LOT DE
1807
SUR LES SOCIÉTÉS
dificalions dont l’expérience avait démontré la nécessité,
et que sollicitaient les nombreuses et pressantes récla
mations du commerce, et auxquelles il convenait de
faire droit par un système de publicité unique, et s’ap
pliquant à toutes les sociétés commerciales quels que
fussent leur caractère et leur foi me.
Dans celte résolution, la commission était singuliè
rement encouragée par les résultats de l’enquête. Une
foule d’hommes spéciaux avait fortement insisté sur la
nécessité de simplifier la publicité des sociétés, de la ren
dre en même temps plus efficace et moins coûteuse, et
par conséquent de refondre les dispositions du Code de
commerce à ce sujet.
Répondant à ces préoccupations, se rendant à ce vœu,
la commission avait donc arrêté une série de disposi
tions qui, accueillies par le conseil d’Etat, sont devenues
les articles 55 et suivants de la loi.
580.
— Ces prescriptions constituent un progrès
réel, et consacrent quelques nouvelles et excellentes me
sures. Suffiront-elles pour garantir efficacement les in
térêts qu’elles ont pour but de protéger? Il faudrait
pour cela qu’elles eussent modifié ce qui est peu modi
fiable par lui-même : la nature des choses.
L’orateur du Gouvernement, répondant à l’argument
que les tiers étaient suffisamment protégés par la pu
blicité que reçoivent les sociétés, disait dans le second
Exposé des motifs du titre ni :
« Si les formalités prescrites pour la publication des
I
�TITRE IV, ART. 5 5 , 5 6 .
309
actes de société les faisait, en effet, connaître à tous ceux
qui sont intéressés à savoir ce qu’ils contiennent, ou
même s’il était possible à chacun, au moment où il con
tracte avec une société, de s’enquérir des stipulations in
sérées dans les statuts, on devrait moins se préoccuper
de protéger des intérêts qui seraient en mesure de se
protéger eux-mêmes. Mais, d’une part, il y aura tou
jours, quoi qu’on puisse faire, entre la publicité de droit
et la publicité de fait, une différence qu’il ne faut ni
méconnaître ni oublier; d’qn autre côté, au milieu des
transactions si rapides et si nombreuses du commerce,
personne ne peut parvenir à connaître les combinaisons
si variées des actes de société, et à se prémunir contre
leurs effets. »
Oui, quoi qu’on puisse faire, il y aura toujours entre
la publicité de droit et la publicité de fait une énorme,
une immense différence. Comment les précautions prises
au siège de la société pourraient-elles être efficaces pour
ceux qui traiteront avec elle à cinquante, à cent lieues
de distance? Comment un commerçant, lisant aujour
d’hui un journal et y trouvant l’annonce d’une société,
se rappellera-t-il dans trois, dans six mois et cette an
nonce et ses indications? Faudra-t-il qu’avant de con
clure une opération toujours urgente, on aille au greffe
du tribunal de commerce ou à celui de la justice de paix
interroger l’acte qui y aura été déposé ? Reprochera-ton de n’être pas allé dans les bureaux de la société à ce
lui qui a traité avec elle par le ministère de courtiers et
sans que les parties se soient abouchées ?
�310
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
L’efficacité absolue de la publicité des sociétés est en
réalité une chimère, un problème insoluble. Elle exige
rait une circonspection, une prudence inconciliables avec
les exigences commerciales et la rapidité d’opérations
qui, présentant aujourd’hui un profit, se solderont de
main par une perte. En pareille matière, ce qu’il y a à
faire, c’est de prescrire les mesures qui, à moins de frais
possibles, seront de nature à assurer à la société la plus
grande notoriété, et à offrir aux recherches des tiers le
plus de facilités.
581.
— Dans ce but, l’article 55 exige que toute so
ciété commerciale dépose tant au greffe de la justice de
paix qu’à celui du tribunal de commerce, du lieu dans
lequel elle est établie, un double de l’acte constitutif s’il
est sous seing-privé, ou une expédition s’il est notarié.
Première et importante modification à l’article 42
Code de commerce, l’exigence d’nn double dépôt. Celui
qui doit être réalisé au greffe de la justice de paix atté
nue singulièrement l’inconvénient qui pourrait résulter
de la distance entre le siège du tribunal de commerce et
le lieu où est établie la société. On trouvera au chef-lieu
du canton, qui sera toujours à portée, les renseigne
ments qu’on négligerait d’aller demander au tribunal de
commerce si un voyage, quelque court qu’il fût, était
nécessaire. D’ailleurs on pourrait ignorer de quel tribu
nal de commerce ressort la société. Aucun doute ne sau
rait s’élever relativement à la justice de paix.
Une autre modification est le remplacement de l’ex-
�TITRE IV, ART. 5 5 ,
56.
311
trait prescrit par l’article 42, par le double ou l’expédi
tion de l’acte. Ainsi disparaissent toutes les difficultés
qu’avait soulevées la question de savoir si telles ou tel
les clauses devaient ou non être mentionnées dans l’ex
trait. En consultant l’acte lui-même dans son entier, les
tiers seront évidemment mieux à même d’apprécier la
condition de celui avec qui ils vont traiter.
582.
— Le législateur ne s’est pas arrêté à cette pré
caution. La production de l’acte est tout ce qu’il avait à
exiger dans la société en nom collectif et dans la com
mandite simple, parce que dans l’une et dans l’autre,
la société se trouve constituée dès que l’acte est accepté
et signé par les intéressés.
Mais dans la commandite par actions et dans l’ano
nyme, cette constitution est subordonnée à des formali
tés postérieures à l’acte et dont dépend la régularité de
la société, c’est la preuve que ces formalités ont été rem
plies que le législateur a cru devoir exiger.
En conséquence l’article 55 prescrit d’annexer à l’acte
constitutif : 1° une expédition de la déclaration notariée
constatant la souscription du capital social et le verse
ment du quart ; 2° copie certifiée des délibérations pri
ses par l’assemblée générale dans les cas prévus par les
4 et 24, c’est-à-dire : dans la commandite par actions,
les délibérations approuvant les apports en nature ou
les avantages particuliers, et dans l’anonyme, outre les
délibérations sur le même objet, celle qui constate la
sincérité de la déclaration imposée aux fondateurs.
�31 2
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
583.
— On pourrait se demander quel intérêt ont
les tiers à la production de ces délibérations. À suppo
ser que les formalités qu’elles ont pour objet de consta
ter n’aient pas été remplies, la société serait bien nulle,
mais cette nullité ne pouvant leur être opposée, en quoi
pourraient-ils en souffrir ?
Sans doute les associés ne peuvent se prévaloir de la
nullité de la société contre les créanciers sociaux. Mais
leurs créanciers personnels le peuvent, car eux aussi
sont des tiers et ils ont un intérêt évident à faire consa
crer la nullité de la société. En effet, cette nullité acqui
se, ils échappent au privilège des créanciers sociaux, et
viennent en concours avec eux dans la distribution de
la part que leur débiteur a à prétendre dans l’actif
social.
Donc, la régularité de la société intéresse les tiers qui
traitent avec elle. Grâce à elle, l’actif social leur sera
spécialement affecté de préférence aux créanciers person
nels des associés. C’est cet intérêt que l’article 55 pro
tège en exigeant que le public puisse reconnaître si les
formalités qui doivent présider à la constitution de la so
ciété ont été ou non remplies.
5 8 1 . — Enfin dans l’hypothèse d’une société ano
nyme, il est une dernière pièce qu’il faut déposer avec
l’acte constitutif et les documents qui doivent l’accom
pagner, à savoir, la liste nominative dûment certifiée
des souscripteurs, contenant les noms, prénoms, qua
lités, demeure et le nombre d’actions de chacun d’eux.
�TITRE IV, ART. 5 5 , 5 6 .
313
Ici l’intérêt est évident : dans la société anonyme il
n’y a pas de responsabilité personnelle indéfinie. Les
administrateurs eux-mêmes ne sont tenus que jusqu’à
concurrence de leur mise. Il est donc rationnel que le
public, n’ayant d’autre garantie, d’autre gage que le ca
pital déclaré, soit mis à même d’apprécier d’abord si
les débiteurs de ce capital sont sérieux et en état de
remplir leurs engagements; ensuite, le cas échéant, de
n’avoir pas à se livrer à des recherches plus ou moins
faciles pour les contraindre à s’exécuter.
Il est vrai que ce double intérêt existe également dans
la commandite. Mais il est de l’essence de cette société
u
que les commanditaires restent ignorés et inconnus des
tiers. Et le gérant répondant intégralement du capital
entier ne pourrait favoriser l’un d’eux qu’à son propre
détriment, ce qui n’est ni à supposer ni à craindre.
Enfin les commanditaires ne pouvant être poursuivis
qu’en cas de déconfiture de la société, les tiers ne sont
intéressés à les connaître qu’à ce moment. Or la loi y
a pourvu, puisque à la déclaration notariée qu’elle pres
crit au gérant doivent être annexés et la liste des sous
cripteurs et un double de l’acte s’il est sous seing-pri
vé, double qui sera forcément signé de tous ceux qui
l’ont souscrit. Quant aux modifications ou altérations
après coup, elles ne sont pas à craindre dès que ces
pièces sont déposées dans les minutes du notaire.
585.
— Les pièces déposées aux greffes de la justice
de paix et du tribunal de commerce prennent placç
�314
LOI DE 1867 SUR LES SOCIÉTÉS
dans les archives de l’un et de l’autre. Il n’y a plus ni
transcription sur un registre, ni affiche pendant «rois
mois dans la salle d’audience, comme le prescrivait l’ar
ticle 42.
On comprend que la transcription de l’acte et des piè
ces qui l’accompagnent serait assez coûteuse par la place
qu’elle prendrait sur le registre. Il en coûterait bien da
vantage si toutes ces pièces devaient être rédigées en
placard pour être affichées. Et cela assez inutilement,
car qui fréquente la salle d’audience si ce n’est les plai
deurs qui y sont appelés par leurs procès.
Ceux qui dans le but de s’instruire iront au greffe,
ne liront plus un extrait transcrit sur un registre. Ils
auront à leur disposition l’acte en son entier et les piè
ces à l’appui, ce qui leur sera beaucoup plus avanta
geux et plus utile.
586.
— Le dépôt prescrit par l’article 55 opéré, il
s’agit de le faire connaître. À cet effet, l’article 56 exige
qu’un extrait de l’acte constitutif et des pièces annexées
soit publié dans l’un des journaux désignés pour rece
voir les annonces légales. Cette insertion est la première
manifestation publique que reçoive la société. Jusque
là en effet rien n’est venu en faire supposer l’existence.
Les pièces annexées dont l'extrait doit être donné avec
l’acte constitutif, sont exclusivement la déclaration no
tariée de la souscription du capital et du versement du
quart, et les délibérations prises en exécution des arti
cles 4 et 24.
�'
TITRE IV, ART.
55 , 56 .
315
Quant à la liste nominative supplémentairement exi
gée par l’article 55 lorsque la société est anonyme, elle
n’est pas susceptible d’extrait. Il faut la donner entière
ou ne pas la donner du tout. Quelles seraient d’ailleurs
les signatures à comprendre dans l’extrait, quelles celles
à omettre? En l’état, la loi ne prescrivant qu’un extrait
a par cela même exclu la liste nominative.
587.
— L’exigence d’une insertion au journal, sou
leva une controverse au Corps législatif, non pas sur le
principe en lui-même, mais sur le mode d’exécution
qu’il devait recevoir.
« Est-ce que, disait M. Jules Simon, quand on veut
imposer la publication aux sociétés, c’est afin qu’elles
soient connues du plus grand nombre de personnes, et
qu’elles trouvent un plus grand nombre d’adhérents ?
Est-ce que c’est afin que leurs affaires s’étendent? Ce
n’est pas cela du tout ; c’est afin que personne ne puisse
être trompé, et que ceux qui ont besoin de savoir quels
sont les statuts de la société le sachent parfaitement sans
la moindre difficulté.
« Eh bien ! pour cela que faut-il? Il faut qu’on puisse
trouver ces renseignements dans le même lieu et pour
ainsi dire à la même place. Vous n’avez pas besoin pour
cela d’un journal répandu; tout au contraire, le ren
seignement qu’il vous faut sera noyé dans un pareil
journal. On l’y trouvera difficilement après de longues
et fastidieuses recherches que tout le monde ne peut
pas faire. Il est mille fois préférable d’avoir un réper-
�34 6
LOI DE
1867
SUR LES
so c ié t é s
toire unique, où tout est réuni et méthodiquement classé
et qui rend les recherches et les comparaisons faciles. »
En conséquence, M. Jules Simon proposait la créa
tion d’un bulletin unique destiné à recevoir et à centra
liser l’annonce de toutes les sociétés qui se créeraient
sur tous les points de la France.
5 8 8 . — La commission n’admettait pas le système
et lui préférait la publicité locale , mais elle demandait
que parmi les journaux appelés à recevoir les annonces
légales on en désignât un spécialement et exclusivement
chargé d’insérer toutes les annonces relatives aux so
ciétés. Avec la liberté du choix , disait-elle , il peut se
faire que les insertions pour la même société soient a dressées à différents journaux ; tandis qu’avec un seul
journal devant concentrer toutes les annonces , les re
cherches sont aussi faciles , aussi simples , aussi peu
coûteuses que possible.
Cette proposition que le conseil d’Etat avait repoussée
était combattue par le ministre du commerce comme
créant sans nécessité une dérogation au droit commun.
5 8 9 . — « Remarquez , disait le ministre , que les
publications des sociétés, quelque intéressantes que soient
les sociétés, ne sont pas plus importantes que les pu
blications qui touchent à l’intérêt des mineurs , à l’in
térêt des interdits , aux divers intérêts auxquels s’appli
que la publicité légale. Pourquoi donc vouloir une pu
blicité spéciale pour les sociétés ? Pourquoi vouloir des
�TITRE IV, ART» 55, 56.
317
garanties que le droit commun n’exige pas pour les au
tres sortes de publications? Nous n’en avons pas apperçu
le motif. »
Le motif était cependant assez visible. D’abord la
proposition de la commission ne tendait à créer ni pu
blicité spéciale , ni garanties autres que celles du droit
commun. Son objet unique était de rendre les recher
ches plus faciles et d’économiser le temps. Elle était là
dans les véritables principes , car c’est en commerce
que le temps est une monnaie , et celui qu’on perdrait
à feuilleter divers journaux, qui serait sans inconvénient
aucun lorsqu’il s’agit démineurs, d’interdits ou de purge
d’hypothèques légales, pourrait avoir les conséquences
les plus fâcheuses pour les opérations commerciales.
Quoiqu’il en soit, suivant docilement le ministre , la
majorité du Corps législatif repoussa la proposition de
M. Jules Simon et celle de la commission.
Ainsi dans les localités où plusieurs journaux ont été
désignés pour recevoir les annonces légales , c’est dans
l’un d’eux au choix des parties que doit être inséré l’ex
trait prescrit par l’article 56. Nous allons voir sous les
articles suivants les indications que l’extrait doit con
tenir.
590.
— L’insertion , conformément à l’article 56,
est justifiée par un exemplaire du journal certifiée par
l’imprimeur et légalisé par le maire.
De ces deux formalités la première ne saurait établir
la certitude de la date ; la seconde pourrait la faire pré-
�318
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
sumer mais ne la prouve pas. Pour qui connaît la ma
nière dont la signature se donne dans les mairies , la
supposition d’une pièce intercalée et passant au milieu
de beaucoup d’autres n’a rien d’invraisemblable.
Aussi et pour établir la certitude de la date la loi a t—elle , de tout temps , exigé l’enregistrement , dans les
trois mois , du numéro du journal certifié par l’impri»
meur et légalisé par le maire. Le défaut d’enregistre
ment qui avait été jugé, sous l’empire du Code de com
merce, devoir entraîner la nullité de la société, produi
rait aujourd’hui le même résultat.
591.
— L’article 42 du Code de commerce voulait
que la publication de l’acte de société fût réalisée dans
les quinze jours de la date de l’acte. Cette disposition
n’avait pu créer aucune difficulté, tant que la constitu
tion définitive de la société soit en nom collectif ou en
commandite simple, soit en commandite par actions ré
sultait de l’acceptation et de la souscription du pacte
social.
Mais la loi de 1856 étant venu subordonner la con
stitution définitive de cette dernière à des formalités né
cessairement postérieures à la signature de l’acte, surgit
la question de savoir si le délai de quinzaine courait de
la date de l’acte , ou du jour de la dernière formalité.
Les tribunaux l’avaient résolue en sens inverse.
La loi nouvelle a rendu toute controverse impossible.
Elle élève le délai de quinze jours à un mois, et elle en
fixe le point de départ au jour de la constitution défini-
�TITRE IV, ART.
55, 56.
319
tive : ce qui est rationnel. Jusque là en effet la société
n’est qu’un projet qui peut avorter; à quoi bon dès
lors la publicité, si ce n’est à déterminer une formalité
sans utilité et des frais frustratoires.
Ainsi le délai d’un mois commence à courir : pour
les sociétés en nom collectif ou en commandite simple,
de la date de l’acte ; pour la commandite par actions,
du jour où l’assemblée générale sur le vu des pièces
produites par le gérant déclare la société constituée et
nomme le conseil de surveillance; pour l’anonyme, du
jour où les administrateurs élus ont accepté leurs fonc
tions. Pour l’une et pour l’autre, du jour de la dernière
délibération approuvant les apports en nature ou les avantages particuliers s’il y échet.
592.
— Les formalités prescrites par les articles 55
et 56 sont strictement et absolument obligatoires. Leur
inobservation entraîne la nullité de la société, quelle que
fût d’ailleurs l’exécution de fait qu’elle aurait reçue.
Mais la nullité ne produit son effet qu’entre les asso
ciés. Ceux-ci ne peuvent jamais l’opposer aux tiers. A
quel titre en effet ces derniers pourraient-ils répondre
d’une faute qu’ils n’ont ni commise ni pu commettre,
qu’ils n’étaient pas en position de prévenir et d’empêcher.
Ceux-là donc seuls peuvent et doivent subir les con
séquences de la violation de la loi, qui appelés à en ex
écuter les prescriptions ont volontairement ou involon
tairement omis de le faire1.
1 Voir pour le caractère et les effets de la nullité vis-à-vis des associés
et des tiers, notre Commentaire des sociétés, nos 363 et suiv.
�320
LOI DE
1867
SUR LES
s o c ié t é s
£ 9 5 . — La peine de nullité attachée à l’inobserva
tion des articles 55 et 56 serait-elle encourue par le re
tard apporté à leur exécution ? Spécialement l’expiration
du délai d’un mois ferait-elle obstacle à ce que les for
malités prescrites fussent régulièrement remplies plus
tard ?
La solution de cette question nous a paru devoir être
subordonnée à la conduite des intéressés. Il n’est pas
douteux que l’expiration du délai ouvre à chacun d’eux
l’action en nullité. Si usant de la faculté un seul d’entre
eux poursuit cette action , la nullité est acquise et ne
pourrait être conjurée par une exécution tardive des pres
criptions de la loi.
Au contraire, quelque tardive que soit cette exécution,
si elle a eu lieu avant toute poursuite, elle ferait repous
ser l’action en nullité qu’on serait tenté d’introduire
plus tard '.
En réalité donc le délai des articles 55 et 56 n’a d’au
tre objet que de déterminer le moment où la poursuite
en nullité peut être utilement intentée. Pour qu’elle soit
recevable , il faut qu’elle l’ait été avant l’exécution des
formalités légales. Si elle n’intervient qu’après celte exé
cution , à quelque époque que celle-ci se soit réalisée,
elle doit être repoussée.
A rt. 5 7 .
L’extrait doit contenir les noms des associés
autres que les actionnaires ou commanditaires ;
. 1 Notre Commentaire des
s o c ié té » ,
n» 358.
�TITRE IV, ART. 5 7 , 5 8 .
324
la raison de commerce ou la dénomination adop
tée par la société et l’indication du siège social ;
la désignation des associés autorisés à gérer, ad
ministrer et signer pour la société ; le montant
du capital social et les valeurs fournies ou à four
nir par les actionnaires ou commanditaires ; l’é
poque où la société commence , celle où elle
doit finir, et la date du dépôt fait aux greffes de
la justice de paix et du tribunal de commerce.
A r t. 5 8 .
L’extrait doit énoncer que la société est en
nom collectif ou en commandite simple , ou en
commandite par actions, ou anonyme, ou à ca
pital variable.
Si la société est anonyme , l’extrait doit don
ner le montant du capital social en numéraire et
en autres objets, la quotité à prélever sur les bé
néfices pour composer le fonds de réserve.
Enfin, si la société est à capital variable, l’ex
trait doit contenir l’indication de la somme audessous de laquelle le capital social ne peut être
réduit.
so m m a ir e:
394.
Modifications introduites à l ’article 43 du Code de com
merce; molifs.
�322
595.
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
O u tre les énonciations p re sc rite s p ar c et a rtic le , l ’e x tra it
doit indiquer la dénomination adoptée par la société.
596. Le siège social.
597. Le capital ; en quoi il consiste.
598. Si la faculté de convertir les actions en actions au porteur a
été réservée.
599. La date du dépôt aux greffes de la justice de paix et du
tribunal de commerce.
600. Les associés autorisés à gérer, administrer et à signer pour
la société.
601. Conséquences pour les sociétés anonymes.
602. Doivent être publiés la révocation des administrateurs et
les n om s des nou v eau x .
603.
604.
605.
606.
607.
Nécessité d’indiquer si la société est en nom collectif, en
commandite, anonyme ou à capital variable.
Si la société est anonyme, l ’extrait doit indiquer : 1° le ca
pital en numéraire ou en autres objets. Conséquences
pour les apports en nature.
Quid de l’apport en travail ou en industrie ?
2° La quotité à prélever sur les bénéfices pour le fonds de
réserve.
Dans la société à capital variable, l ’extrait doit indiquer la
somme au-dessous de laquelle le capital ne peut être
réduit.
594-. — L’article 57 est la reproduction à peu près
textuelle de l’article 43 du Code de commerce. Seule
ment la transformation de la société anonyme et les
modifications introduites dans le mode de publication
rendaient indispensables certaines exigences qui ne se
trouvaient pas et ne pouvaient pas se trouver dans l’ar
ticle 43.
Ces exigences sont : l’indication de la dénomination
�TITRE IV, ART.
57, 58.
323
adoptée par la société, et du siège social ; l’indication du
montant du capital ; l’indication de la date du dépôt
fait aux greffes de la justice de paix et du tribunal de
commerce.
5 9 5 . — Une société est une personne morale qui
doit avoir un étal civil qui la désigne au public. L’arti
cle 43 du Code de commerce ne disposant que pour la
société en nom collectif ou en commandite, y avait suf
fisamment pourvu en exigeant l’indication du nom des
associés responsables et solidaires, et de la raison so
ciale.
L’anonyme n’a ni associés solidaires et responsables,
ni raison sociale ; et puisque désormais libre comme les
deux autres elle doit obéir aux mêmes lois, remplir les
mêmes conditions de publicité, fallait-il bien qu’elle in
diquât la dénomination sous laquelle il lui est prescrit,
par l’article 30 du Code de commerce , de se produire
au public. L’exigence de publier celte dénomination est
donc aussi légitime que naturelle.
5 9 6 . — L’indication du siège social répond à une
nécessité telle qu’on ne comprend pas que l’article 43
du Code de commerce eût omis de l’exiger.
C’est en effet au tribunal de ce siège qu’est déférée la
connaissance des actions qui peuvent être dirigées con
tre la société. Donc tous ceux qui nouant des relations
avec celle-ci sont dans le cas d’avoir à l’appeler en jus
tice, ont le plus grand intérêt à être fixés à cet égard.
�3214
LOI DE
1867 SLR LES SOCIÉTÉS
Cet intérêt est surtout évident lorsque la société a
plusieurs maisons établies dans des localités différentes.
On sait toutes les difficultés que peut faire naître la dé
termination du principal établissement. Or ces difficul
tés disparaissent lorsque la société prenant l’initiative a
publiquement déclaré le lieu où elle a son siège.
597.
— L’indication du capital social est d’un fort
mince intérêt dans l’hypothèse d’une société en nom
collectif. Tous les associés étant solidairement et indéfi
niment tenus sur tous leurs biens, il importe peu de sa
voir et de connaître le chiffre que leurs mises peuvent
atteindre.
L’intérêt s’accroît si la société est en commandite.
Sans doute là aussi le public prendra en considération
la responsabilité indéfinie du gérant ; mais il ne saurait
être indifférent pour ce qui concerne le chiffre du ca
pital. On comprend que plus ce capital offrira des res
sources et moins on hésitera à traiter avec la société.
Enfin dans la société anonyme dont l’article 43 du
Code de commerce n’avait ni pu. ni dû s’occuper , l’in
dication du capital est de la dernière importance. Ce ca
pital, en effet, forme le gage unique du public, son uni
que garantie, l’élément sur lequel il mesurera le crédit
et la confiance qu’il doit accorder. L’intérêt même de la
société exigeait, donc qu’on fit connaître le chiffre au
quel il a été porté.
Il est vrai qu’à l’exemple de l’article 43 du Code de
commerce, notre article 57 exige qu’on indique les
�TITRE IV, ART. 5 7 ,
58.
325
valeurs fournies ou à fournir par les actionnaires. Mais
il est évident que ce terme dans l’article 43 ne pouvait
désigner que les souscripteurs de la commandite par ac
tions ; et ce qui prouve qu’il n’a pas d’autre sens dans
l’article 57, c’est que le mol actionnaires y est immé
diatement suivi des mois : ou commanditaires, qui fi
xent la pensée du législateur.
Les apports en nature constituant une part plus ou
moins forte du capital doivent être mentionnés dans
l’extrait. On comprend mieux encore dans quel but la
loi exige le dépôt , avec l’acte de société , d’une copie
certifiée des délibérations qui ont fixé ou approuvé la
valeur de ces apports.
598.
— Il résulte de la discussion que l’extrait en
ce qui concerne le capital doit faire mention de la clause
de conversion des actions en actions au porteur après
libération de moitié , si elle a été stipulée dans les sta
tuts. En effet M. Bethmont ayant demandé pourquoi
aux mentions que doit contenir l’extrait dont parle l’ar
ticle 58, on n’avait pas ajouté celle relative à l’article 3,
le ministre du commerce répondait : l’explication de
mandée par l’honorable M. Bethmont se trouve non pas
dans l’article 58 , mais dans l’article 57 qui me parait
résoudre complètement la difficulté. En effet on lit dans
l’article 57 : l’extrait doit contenir le montant du capital
social et le montant des valeurs fournies ou à fournir
par les actionnaires ou commanditaires. Il est évident
qu’en indiquant le capital social on doit indiquer aussi
�326
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
les conditions auxquelles est soumis le versement de ce
capital social
Or, de toutes les conditions celle touchant la conver
sion des actions en actions au porteur est la plus im
portante. Cette conversion, en effet, peut avoir pour ré
sultat de libérer les souscripteurs de l’obligation de payer
la seconde moitié de l’action, et dans le cas d’insolvabi
lité du porteur actuel, de réduire à la moitié le capital
annoncé. On ne saurait donc contester l’intérêt que les
tiers ont à être prévenus d’une éventualité pareille.
599.
— L’indication de la date du dépôt aux greffes
de la justice de paix et du tribunal de commerce est in
dispensable pour faciliter aux intéressés la communica
tion qu’ils seraient tentés d’aller demander à l’un ou à
l’autre. Tant que le dépôt au greffe du tribunal de com
merce ne consistait qu’en un extraikde l’acte social,
cet extrait ne disant ni plus ni moins que celui que le
journal publiait , l’indication de la date était inutile.
Personne ne pouvait éprouver le besoin d’aller au greffe
où il était assuré de ne trouver que ce qu’il avait sous
la main dans le journal.
Aujourd’hui ce qui est déposé étant le double de l’acte
de société et une copie de pièces importantes, fort utiles
à connaître, l’idée d’aller les consulter pouvait facilement
se supposer. Or ne convenait-il pas dès lors d’éviter
qu’on ne perdît un temps précieux à feuilleter des re1 Moniteur, 14 juin 1867.
�TITRE IV, ART. 5 7 , 5 8 .
327
gistres, à chercher dans les archives ? C’est dans cet ob
jet que la loi a prescrit et dû prescrire d’indiquer la
date du dépôt.
6 0 0 . — L’indication des associés autorisés à gérer,
administrer et signer pour la société, aurait pu paraître
inutile dans les sociétés en nom collectif ou en com
mandite. Dans la première , en effet , tous les associés
sont présumés les mandataires les uns des autres, et
comme tels autorisés à gérer , administrer et à signer
pour la société ; dans la seconde ce pouvoir se concentre
dans la personne du ou des gérants , puisque les com
manditaires doivent sous peine de responsabilité s’abste
nir de tout acte de gestion et d’administration.
Mais bien souvent, malgré que tous les associés en
nom et tous les gérants soient aptes à gérer et à admi
nistrer, tous peuvent ne pas être autorisés à signer pour
la société, le pacte social peut n’avoir confié la signatu
re sociale qu’à certains d’entre eux.
Il n’est pas douteux dans ce cas que l’emploi de cette
signature par d’autres que ceux qui en ont reçu la dis
position, n’engagerait pas la société. Mais pour cela il
faut que les tiers aient été légalement prévenus , et ils
ne sont présumées l’être que si l’extrait publié désigne
les associés autorisés à gérer, administrer, à signer pour
la société.
601. — Dans la société anonyme il n’y a que des
actionnaires tous également aptes à gérer , administrer
�328
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
la société. Mais celle action collective étant impossible,
force était bien de déléguer ce pouvoir à ceux des asso
ciés que choisirait l’assemblée générale. C’est la désigna
tion de ces élus que doit contenir l’extrait publié au
journal.
M. Vavasseur pense que la désignation des premiers
administrateurs est tout ce que la loi exige ; qu’on n’a
donc pas besoin de publier le nom des administrateurs
élus pendant le cours de la société '.
602.
Nous l’admettons en tant que les nouvelles
élections confirmant les précédentes maintiennent les
administrateurs déjà en fonctions. Dans le cas contraire
l’opinion de M. Vavasseur ne nous parait pas pouvoir
être accueillie.
Voyez, en effet, quelles en seraient les conséquences.
Les administrateurs quoique révoqués n’en resteraient
pas moins , aux yeux du public , chargés de gérer et
d’administrer.
Qu’opposerait - on au tiers qui aurait traité avec
eux? Leur révocation? Mais répondrait-il avec raison et
succès , cette révocation est un fait intérieur que je n’ai
pu connaître , que je n’ai pas connu , dont vous ne
pourriez vous prévaloir que si vous lui aviez donné une
publicité de nature à m’empêcher de tomber dans le
piège qui m’était tendu , et si j’y suis tombé par votre
faute c’est vous et non pas moi qui devez en être puni.
�TITRE IV, ART.
57’ 58.
329
Il est donc évident que la révocation doit être pu
bliée. Dès lors avec qui traiteront les tiers , si en reti
rant le pouvoir aux uns on n’indique pas ceux qui leur
ont été substitués ? L’iniérêt de la société exige donc
cette indication dont l’omission serait d’autant plus im
pardonnable qu’elle se confond avec la révocation ,
qu’elle participe à la publicité que doit recevoir celle-ci
et qu’il n’en coûte pas une obole de plus.
Nous ne dirons rien des autres indications de l’arti
cle 57. Nous avons eu à les examiner en commentant
l’article 43 du Code de commerce. Comme nous ne
pourrions que répéter les observations qu’elles nous ont
suggérées, nous nous contenterons d’y renvoyer '.
605.
— Indépendamment des indications prescrites
par l’article 57, l’extrait doit aux termes de l'article 58
désigner la nature de la société : si elle est en nom col
lectif, ou en commandite simple, ou par actions, ou a nonyme, ou à capital variable.
Si la société est en nom collectif ou en commandite
soit simple, soit par actions, il n’y a rien à ajouter aux
énonciations de l’extrait. Celles prescrites par l’article 57
suffisent, excepté toutefois que la société ait été déclarée
à capital variable. Dans ce cas en effet on devrait rem
plir la condition exigée par le dernier paragraphe de
l’article 58.
6 0 4 . — Si la société est anonyme, l’extrait doit ini V. notre Commentaire des sociétés, n os 371 et suiv.
�330
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
cliquer le montant du capital en numéraire et en autres
objets ; la quotité à prélever sur les bénéfices pour com
poser le fonds de réserve.
On ne saurait méconnaître ni contester l’intérêt du
public à être fixé sur la consistance réelle de l’actif. On
sait le peu de ressources qu’offre le capital mobilier ou
immobilier dont la réalisation future enlèverait tout ali
ment à l’exploitation de la société , et la dépréciation
qu’il est dans le cas d’éprouver par l’insolvabilité des
débiteurs ou par l’effet de cette réalisation.
Il faut donc que le public sache à quoi s’en tenir et
qu’il ne puisse croire à un capital numéraire disponible
alors que des apports en nature contribueraient à le
constituer dans une proportion plus ou moins considé
rable. Au reste l’indication des apports en nature est,
comme nous l’avons dit, exigée dans la société par ac
tions , à plus forte raison devait-elle l’être dans l’ano
nyme , et si l’article 58 l’exige spécialement , c’est que
les termes : valeurs fournies ou à fournir par les action
naires ou commanditaires, empruntés par l’article 57 à
l’article 43 du Code de commerce, ne se rapportent dans
l’un comme dans l’autre qu’à la commandite.
6 0 5 . — De tout temps il a été admis qu’un associé
pouvait valablement n’apporter dans la société que son
travail, que son industrie ; et nous venons de voir qu’il
en est ainsi pour la société à capital variable.
Faut-il d^s lors que ce cas se réalisant, l’extrait men
tionne cet apport à côté du capital en numéraire ?
�TITRK IV, ART.
57, 58.
•*31
L’affirmative, à notre avis, ne saurait être douteuse.
Elle résulte des termes de l’article 5S : le capital en nu
méraire et en autres objets. Le législateur n’a pu par
ces derniers mots entendre que les apports en nature,
et comment refuser ce caractère à l’apport du travail ou
de l’industrie.
Vainement on objecte qu’il faudrait chiffrer ab initia
la valeur des travaux à exécuter pendant la durée en
tière de la société , ce qui offrirait une difficulté à peu
près insurmontable. Nous répondons qu’une pareille
manière de procéder ne viendra jamais à la pensée de
personne. Ce qu’on considérera en cette matière c’est la
nature de l’industrie, son importance et le profit que la
société est dans le cas d'en retirer. Or nous ne voyons
pas ce qu’une évaluation en argent sur ces bases aurait
de si difficile.
Toutefois ce qui ressort de l’article 38 , c’est que les
objets à mentionner en l’extrait sont exclusivement ceux
qui concourent à former le capital social, et participent
à la répartition des actions représentant ce capital.
Or l’apport en travail ou en industrie né réunira ce
caractère, que si évaluation faite, l’associé reçoit des ac
tions à concurrence du montant de cette évaluation.
Alors en effet ces actions qui seraient payées en argent
si elles étaient délivrées à un souscripteur ordinaire, l’é
tant en nature, influeront sur le capital numéraire qu’
elles réduiront d’autant. L’extrait devra donc mention
ner l’apport en nature et la valeur que lui aura donné
l’assemblée générale.
�332
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Si au lieu d’actions on n’attribue à l’associé qui ap
porte son travail ou son industrie qu’une part dans les
bénéfices, il n’y a rien à mentionner dans l’extrait. Dans
ce cas en effet le capital ne subit d’atteinte d’aucun gen
re. Il n’est ni augmenté ni diminué, et la société maitresse de disposer de ses bénéfices n’a pas à mettre le
public dans la confidence de la destination qu’elle leur
affectera.
»
'
6 0 6 . — Toutefois la part de bénéfices attribuée à
l’apport du travail et de l’industrie , ne viendrait qu’a près le prélèvement, sur ces bénéfices, de la part desti
née à composer le fonds de réserve.
Nous avons vu les motifs qui ont amené la création
de ce fonds de réserve ; le législateur l’a considéré com
me un surcroît de garantie pour les tiers, et pour la so
ciété comme un surcroît de confiance et de crédit
Dès lors la connaissance de la quotité de bénéfices
qui lui est réservée ne saurait être indifférente ; aussi
l’article 58 exige-t-il que l’extrait en fasse mention.
6 0 7 . — Dans les sociétés à capital variable, ce qui
importe au public c’est la connaissance de la somme
au-dessous de laquelle le capital social ne peut être ré
duit. 11 est évident en effet que c’est cette somme qui
forme le capital réel. Insensés seraient ceux qui comp
teraient sur la partie du capital que les associés peuvent
retirer et reprendre.
I Supra n0* 436 et suiv.
�TITRE IV, ART.
57, 58.
333
L’obligation que fait l’ariicle 58 de publier cette som
me en l’indiquant dans l’extrait à insérer au journal est
donc toute naturelle.
Mais la société à capital variable n’est pas une so
ciété nouvelle et indépendante. Elle empruntera néces
sairement la forme de la société en nom collectif, ou de
la commandite soit simple soit par action, ou de l’ano
nyme , et selon qu’elle aura pris l’une ou l’autre, l’ex
trait devra se conformer aux prescriptions des articles
57 et 58 et renfermer les indications qu’ils exigent. Seu
lement on y ajoutera celle de la somme au-dessous de
laquelle le capital ne peut être réduit.
A r t.
59.
S i la s o c ié t é a p lu s ie u r s m a is o n s d e c o m m e r c e
s it u é e s d a n s d iv e r s
a r r o n d is s e m e n t s , le d é p ô t
p r e s c r it p a r l ’a r tic le 5 5
e t la p u b lic a t io n p r e s
c r it e p a r l ’a r t ic le 5 6 o n t l i e u d a n s c h a c u n
des
a r r o n d is s e m e n t s o ù e x is t e n t le s m a is o n s d e c o m
m erce.
D a n s le s v ille s d iv is é e s e n p lu s ie u r s a r r o n d is
s e m e n t s , le d e p o t s e r a fa it s e u le m e n t au g reffe
d e la j u s t ic e d e p a ix d u p r in c ip a l é t a b lis s e m e n t .
A r t.
60.
L ’e x tr a it d e s a c te s e t p iè c e s d é p o s é s e s t s ig n é ,
p o u r le s a c te s p u b l i c s , p a r le n o t a ir e , e t , p o u r
�334
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES
le s a c te s s o u s s e in g
so c ié t é s
p r i v é , p a r le s a s s o c ié s e n
n o m c o l l e c t i f , p a r le s g é r a n ts d e s s o c ié t é s e u
c o m m a n d it e o u p a r le s a d m in is tr a te u r s d e s s o
c ié t é s a n o n y m e s .
SO M M A IR E
608.
O b l i g a t i o n s p o u r la s o c ié té q u i a
p lu s ie u rs m a iso n s d a n s
d e s l o c a l it é s d i f f é r e n t e s . C e q u ’il f a u t e n t e n d r e p a r m a i
so n s d e c o m m e rc e .
609.
S i g n i f ic a ti o n d u t e r m e a r r o n d i s s e m e n t d a n s l e p r e m i e r p a
610.
N é c e s s ité d e p u b l i e r la s o c ié té d a n s c h a q u e a r r o n d i s s e m e n t .
611.
D a n s le d e u x i è m e p a r a g r a p h e d e l ’a r t i c l e 5 9 , le m o t a r r o n
r a g r a p h e d e l ’a r t i c l e 5 9 .
d is s e m e n t e s t p ris p o u r c a n to n ; c o n sé q u e n c e s .
612.
C a r a c t è r e d e l ’a r t i c l e 6 0 ; sa n é c e s s i t é .
613.
N a t u r e d u r ô le q u ’il r é s e r v e a u n o t a i r e .
614.
P a r q u i d o it ê t r e s i g n é l ’e x t r a i t i n s é r é a u j o u r n a l .
615.
Q u id s i l ’u n d e s a s s o c ié s r e f u s a i t d e s i g n e r ?
608.
— Les articles 59 et 60 ne sont pas suscepti
bles de longs développements. 11 n’est guères possible,
en effet, d’équivoquer sur le sens et la portée de leurs
dispositions.
Le premier reproduit les prescriptions de l’article 42
du Code de commerce. Lui aussi exigeait, lorsque la
société avait plusieurs maisons de commerce situées dans
divers arrondissements , que le d ép ô t, la transcription
et l’affiche de l’extrait fussent opérés au greffe du tribu
nal de commerce de chaque arrondissement.
Sous l’empire du Code de commerce, la jurisprudence
et la doctrine avaient eu à déterminer ce qu’il fallait
�TITRE IV, ART.
59, 60.
335
entendre par maison de commerce différentes. « Ce se
rait pousser les choses à l’excès , disait notamment M.
Delangle , que d’imposer la nécessité de publications
partout où la société a des rapports avec les tiers et
se livrer aux travaux qui doivent la conduire à son but.
Il faut encore pour que la loi soit applicable qu’il y ait
un domicile social , une maison de commerce. M. De
langle invoque un arrêt de Paris du 24 décembre 1842
qui le juge dans ce sens1. »
Nous sommes de l’avis de M. Delangle , e t , comme
lui, nous donnons à l’arrêt de Paris la plus entière ap
probation. Or rien n’a été modifié ou changé par la loi
nouvelle, et ce qui était vrai sous le Code est resté vrai
sous son empire. L’article 59 suppose, non pas de rap
ports plus ou moins fréquents avec les tiers, pas même
des opérations plus ou moins nombreuses, mais des établissements permanents, tenant magasins ouverts,
s’annonçant au public par l’enseigne portant la raison
sociale ; en d’autres term es, des succursales régulière
ment organisées et faisant dans les localités où elles sont
situées tout ce que la maison mère fait au siège de la
société.
On comprend dès lors que les raisons d’utilité publi
que qui prescrivaient la publication de la société à ce
siège, exigeaient cette publicité dans les localités où les
succursales fonctionnaient, et l’on se rend facilement
compte des motifs qui ont porté le législateur à la pres
crire dans chacune de ces localités.
1 Des sociétés, n° 529.
�336
LOI DE
1867 su it LES SOCIÉTÉS
6 0 9 . — Le premier paragraphe de l’article 59 don
ne au mot : arrondissement, l’acception qu’on lui re
connaît dans la langue judiciaire. Il désigne donc le res
sort assigné aux divers tribunaux de première instance.
Le département des Bouches-du-Rhône , par exemple,
se divise en trois arrodissements : Marseille, Aix, Arles.
La société qui aurait des maisons de commerce dans des
localités ressortissants de ces trois arrondissements de
vrait opérer le dépôt prescrit par l’article 55 aux greffes
de la justice de paix et du tribunal de commerce de cha
cune des localités où existeraient les maisons de com
merce de la société.
6 1 0 . — L’article 59 ne se borne pas à exiger le dé
pôt prescrit par l’article 55 ; il veut de plus que dans
chacun des arrondissements différents ait lieu la publi
cation ordonnée par l’article 56. Donc dans l’hypothèse
que nous supposons, la société serait tenue de faire in
sérer l’extrait prescrit par les articles 5 7 .et 58 dans un
des journaux qui auraient été dans chaque localité dé
signés pour recevoir les annonces légales.
6 1 1 . — Le second paragraphe de l’article 59 re
produit le terme : arrondissement ; mais il lui assigne
une acception complètement différente de celle que lui
donne le premier paragraphe. La division d’une même
ville en plusieurs arrondissements ne se rencontre guères
qu’à Paris et à Lyon. Partout ailleurs les villes , quelle
que soit leur importance, sont divisées par cantons dont
�TITRE IV, ART.
59, 60.
337
chacun est desservi par une justice de paix spéciale.
C’est celte division à laquelle fait allusion le dernier pa
ragraphe de l’article 50.
Fallait-il dès qu’une société avait des maisons dans
les divers quartiers de la même ville l’obliger à déposer
l’acte de société et les pièces à l’appui au greffe de cha
cune des justices de paix d’où ressortissaient ces divers
quartiers? On ne l’a pas cru et avec raison , car rien
n’était plus problématique que l’utilité qu’aurait pu pro
duire cette multiplicité de dépôts dans une même ville.
Il suffit donc , dans ce cas , d’un dépôt au greffe de la
justice de paix du principal établissement. Ce principal
établissement sera nécessairement celui qui sera indiqué
dans l’extrait comme le siège social.
612.
— L’article 60 n’est lui-même que la répéti
tion de l’article 44 du Code de commerce, répétition que
rendait indispensable la nécessité de compléter ses dis
positions.
L’article 44 en effet ne régissait que les sociétés en
nom collectif ou en commandite : il ne disait rien et ne
pouvait rien dire des sociétés anonymes auxquelles les
articles 42 et suivants du Code de commerce étaient ab
solument inapplicables.
La loi nouvelle étant venu soumettre celles-ci aux mê
mes formalités de publication que celles-là , il devenait
nécessaire de déterminer par qui devaient être signés
les actes et pièces à déposer et à insérer dans les jour
naux.
22
�338
LOI DE
1867
SUK LES SOCIÉTÉS
613.
— Mais ce à quoi on n’a pas assez réfléchi,
c’est que cette formalité qui avait une légitime raison
d’êire sous l’empire du Code , n’en avait plus aucune
depuis les modifications introduites dans les dispositions
de l'article 42.
Ainsi lorsque le dépôt au greffe ne comprenait qu’un
extrait de l’acte constitutif, nul autre que le notaire, si
cet acte était authentique,ne pouvait en rédiger et en dé
poser l’extrait de l’exactitude duquel il devenait respon
sable1. On s’explique donc et l’obligation qui lui était
faite de le signer, et le but que cette obligation se pro
posait.
Aujourd’hui ce qu’il faut dépqser c’est non plus un
extrait de l’acte, mais l’acte en entier , mais une expé
dition s’il est authentique. Or il est évident que ces ex
péditions seront signées par le notaire. Mais leur déli
vrance épuise le rôle qu’il a à jouer dans la publication?
A quel titre lui imposerait-on l’obligation d’effectuer le
dépôt, lui qui n’a peut-être pas en mains les pièces qui
doivent accompagner l’expédition de l’acte? A quel titre
exigerait-on de lui qu’il rédigeât l’extrait à insérer dans
les journaux ?
Tout cela est l’affaire des intéressés et non la sienne.
La rédaction de l’extrait comme son insertion au jour
nal, appartient donc exclusivement et dans tous les cas
aux associés en nom dans les sociétés en nom collectif ;
aux gérants dans.la commandite simple ou par actions;
aux administrateurs dans les sociétés anonymes.
i V. Douai, 21 novembre 1840; D.P., 41, 2, 67.
�614.
— Il est dans les intentions de l’article 60 que
l’extrait soit revêtu des signatures de tous les associés
en nom , de tous les gérants, de tous les administra
teurs. Aussi le corps législatif avait-il refusé de s’asso
cier à la proposition que la commission faisait de dé
clarer que , pour ce qui concerne la société anonyme,
l’extrait serait signé par les administrateurs de la so
ciété , ou par celui d’entre eux ou par toute autre per
sonne désignée à cet effet.
De plus si conformément à l’article 22 les admi
nistrateurs ont choisi parmi eux un directeur, ou si dû
ment autorisés par les statuts ils se sont substitués un
mandataire même étranger à la société, la signature de
ce directeur ou de ce mandataire au pied de l’extrait
suffit à sa régularité, et sans qu’il sojt besoin d’autres
pouvoirs ni de mandat spécial.
6 f 5 . — A u nautre point de vue, si rien ne pouvait
suppléer à la signature collective exigée par la lo i, on
pourrait aboutir à ce résultat qu’un des associés qui
doivent celte signature pourrait, en refusant obstinément
de la donner, rendre la société nulle pour défaut de pu
blication.
Nous ne croyons pas qu’une pareille éventualité soit
entrée dans les prévisions du législateur. Aussi n ’hési
tons-nous pas à admettre que ce refus se réalisant, l’ex
trait signé par les autres associés après mise en demeure
du récalcitrant remplirait toutes les exigences de l’arti
cle 60 , et donnerait à la société une publicité régulière
et suffisante.
�340
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉ*
A r t.
61.
S o n t s o u m is a u x fo r m a lité s e t a u x p é n a lité s
p r e s c r it e s p a r le s a r tic le s 5 5 e t 5 6 :
T o u s a c te s e t d é lib é r a t io n s a y a n t p o u r o b j e t
la m o d if ic a tio n d e s s t a t u t s , la c o n t in u a t io n d e la
s o c ié t é au d e là d u te r m e fix é p o u r sa d u r é e , la
d is s o lu t io n a v a n t c e t e r m e e t le m o d e d e l i q u i
d a tio n , t o u t c h a n g e m e n t o u r e tr a ite d ’a s s o c ié s
e t t o u t c h a n g e m e n t à la r a is o n s o c ia le .
S o n t é g a le m e n t s o u m is e s a u x d is p o s it io n s d e s
a r tic le s 5 5 e t 5 6 le s d é lib é r a t io n s p r is e s d a n s
le s c a s p r é v u s p a r le s a r tic le s 1 9 , 3 7 , 4 6 , 47 e t
49 c i - d e s s u s .
A rt.
62.
N e s o n t p a s a s su je ttis a u x f o r m a lité s d e d é p ô t
e t d e p u b lic a t io n le s a c t e s c o n s t a t a n t la s a u g
m e n t a t io n s o u le s d im in u t io n s d u c a p ita l s o c ia l
o p é r é e s d a n s le s t e r m e s d e l ’a r tic le 4 8 , o u
le s
r e tr a ite s d ’a s s o c ié s , a u tr e s q u e le s g é r a n ts o u a d
m in is t r a t e u r s , q u i a u r a ie n t li e u c o n f o r m é m e n t
à l ’a r tic le 5 2 .
l
, .
SOMMAI BE
616.
C a r a c t è r e d e l ’a r t i c l e 61 ; m o ti f s d e s e s p r e s c r i p t i o n s .
617.
D i s t i n c t i o n e n t r e la c o n t i n u a t i o n o u la d i s s o l u t i o n d e la s o
c ié t é e t l e s m o d if i c a t io n s a u x s t a t u t s ; c o n s é q u e n c e s .
ï
�TITBE IV, ART. 6 1 , 6 2 .
344
618.
C o m m e n t d o i t s e r é s o u d r e la q u e s t i o n d e s a v o i r s 'i l y a o u
619.
O b l i g a t i o n d e p u b l i e r l e m o d e d e l iq u i d a ti o n ; c e q u ’il f a u t
620.
P u b l i c a t i o n s s p é c ia le s e x ig é e s p a r la l o i . C o n v e r s io n d e s
n o n l ie u à p u b l i c a t i o n .
e n te n d re p a r là .
s o c ié té s e n c o m m a n d i t e , a n o n y m e s
ou à re s p o n s a b ilité
l i m i t é e e n a n o n y m e , d a n s l e s t e r m e s d e la lo i n o u v e ll e .
621.
D é l ib é r a t i o n q u i c o n t i n u e la s o c i é t é m a l g r é
la p e r t e d e s
t r o i s q u a r t s d u c a p i t a l s o c ia l.
622.
D e c e lle q u i e n v e r t u d e l ’a r t i c l e
49 a u g m e n te le c a p ita l
d ’a n n é e e n a n n é e .
623.
F o r m a l i t é s à r e m p l i r . C o m m e n t il e n e s t j u s t if i é .
624.
E f f e t s d e l ’in o b s e r v a t i o n .
625.
Quid, d u r e t a r d ?
626.
E x c e p tio n e n fa v e u r d e s s o c ié té s à c a p ita l v a ria b le . S e s m o
tif s ; s o n é t e n d u e .
627.
C a r a c t è r e d e la r e s t r i c t i o n e n c e q u i c o n c e r n e
le s g é r a n ts
o u le s a d m in is tra te u rs .
616.
— L’article 61 ne fait que déduire les consé
quences logiques du principe qui, dans l’intérêt du pu
blic, faisait prescrire la publicité des sociétés. Le systè
me de précautions que le caractère exceptionnel du con
trat de société rendait indispensable , voulait être suivi
jusqu’au bout sous peine de demeurer complètement il
lusoire. À quoi bon, en effet, prescrire à l’origine de la
société la pullication du pacte social et des pièces qui
en établissent ou en complètent les conditions, si, pen
dant sa durée, des conventions affranchies de toute pu
blicité pouvaient en modifier, en altérer, en changer les
clauses même les plus essentielles, et retirer ainsi une à
une les garanties que l’acte semblait promettre.
�342
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Si le public doit être à même de connaître et d’ap
précier la loi que s’est donnée la société qui en appelle
à sa confiance, il n ’a pas un intérêt moindre à être tenu
au courant de toutes les modifications qu’on ferait su
bir à cette loi , et qui seraient de nature à exercer une
influence plus ou moins directe sur ses relations.
Or ce caractère ne saurait être contesté aux délibéra
tions ayant pour objet la modification des statuts; la
continuation de la société au delà du terme fixé pour sa
durée; sa dissolution avant ce terme; les changements
ou retraite d’associés; les changements à la raison so
ciale.
A cet égard* l’article 61 n’est que la reproduction de
l’article 46 du Code de commerce , et comme dans no
tre Commentaire des sociétés nous avons examiné cha
cun de ces faits, recherché leur caractère, déterminé les
conséquences du défaut de leur publication , nous nous
bornons à renvoyer à nos observations pour ne pas
nous livrer à une répétition inutile '.
617.
— Il est pourtant une distinction que nous
ne' devons pas omettre de rappeler. La continuation de
la société après son terme ou sa dissolution avant ce
terme, les changements ou retraites d’associés, les chan
gements à la raison sociale, ne peuvent pas ne pas inté
resser le public. Leur publication est donc de rigueur
dans tous les cas.
i Notre Commentaire des sociétés, n°s 398 et suiv.
�TITRE IV, ART.
61, 62.
343
Il n ’en est pas ainsi des modifications aux statuts.
Celles-là seules ont besoin d’être publiées qui restrei
gnant les obligations ou étendant les droits des associés
viendraient par cela même porter à l’intérêt des tiers une
atteinte plus ou moins considérable.
Donc.si les modifications ne se réfèrent qu’à l’admi
nistration intérieure, qu’aux rapports entre associés; si
par exemple elles se bornent à régler à nouveau le sa
laire des gérants, le mode de leur paiement, l’époque de
la répartition des bénéfices, et la proportion dans laquelle
chaque associé y prendra part, leur publication n’inté
resserait en rien les tiers et serait par conséquent assez
inutile.
618.
— Au reste la question de savoir s’il y a ou
non lieu à publicité ne saurait à notre avis offrir de bien
graves difficultés. On doit la résoudre par les disposi
tions des articles 57 et 58
Ainsi toutes les fois que les modifications s’applique
ront à un des faits dont l’extrait doit donner l’indica
tion, la publication sera indispensable. On pourra déci
der le contraire lorsque la convention nouvelle se rap
portera à un fait dont la mention dans l’extrait n’est pas
exigée. Alors en effet on devra dire avec la cour de Cas
sation qu’il n’y a aucnn motif de penser que L’article 61
ait voulu prescrire ce dont on est dispensé par l’arti
cle 57 '.
1 Cass., 21 févriflf 1832: D. P., 32, 1, 110.
�344
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
6 t 9 , — En comparant l’article 61 à l’article 46 du
Code de commerce, on voit que le premier ajoute aux
obligations imposées par le second celle de publier le
mode de liquidation. Nous avouons ne pas saisir le mo
tif qui pouvait le faire exiger ainsi.
Publier que ia société est ou sera dissoute à partir de
telle époque, c’est annoncer en même temps sa liquida
tion ; et en général Celle-ci ne comporte qu’un mode, la
réalisation de l’actif, l’extinction du passif, le partage de
ce qui reste du premier, prélèvement fait du second.
Le public d’ailleurs ne saurait dans aucun cas s’y
trom per, non-seulement parce que la liquidation est la
conséquence forcée de la dissolution, mais encore parce
que cette liquidation se manifeste par chacun des actes
auxquels elle donne lieu. Ainsi celui qui y est préposé
ne manquera pas de signer ces actes de sa qualité de li
quidateur , ou , s’il use de la raison sociale , de la faire
suivre des mots : en liquidation. Il n’est donc pas pos
sible d’admettre qu’ûn seul de ceux qui auront traité avec lui puisse prétendre avoir cru traiter avec une so
ciété en cours d’exercice.
Le public est intéressé à connaître non pas tant le
mode de liquidation, que les personnes à qui le soin en
est confié , que le nom de celui ou de ceux des associés
qui en sont chargés. Aussi croyons-nous que la loi n’ex
ige pas autre chose, et que le mode de liquidation qu’elle
prescrit de publier ne peut s’entendre que de la manière
dont la liquidation s’accomplira et aux mains de qui
elle est confiée. Il est certain qu’à défaut d’indication à
�TITRE IV, ART.
61, 62.
345
ce su jet, le public pourrait et devrait croire que cette
mission a été confiée à tous les associés, et bien certai
nement lés opérations que les tiers feraient avec celui
de ces associés qui prendrait faussement la qualité de
liquidateur engageraient la société.
620.
— A côté des règles générales applicables à
toutes les sociétés, la loi nouvelle avait à déterminer cel
les que nécessitaient les modifications qu’elle introdui
sait dans la commandite par actions et la société ano
nyme, et la reconnaissance des sociétés à capital varia
ble. C’est à quoi pourvoit le second paragraphe de l’ar
ticle 61.
Sont donc soumises à être publiées les délibérations
qui ont pour objet la conversion en sociétés anonymes
dans les termes de la loi nouvelle : 1° des sociétés en
commandite par actions ; 2° des sociétés anonymes or
ganisées sous l ’empire du Code de commerce ; 3° des
sociétés à responsabilité limitée.
La conversion de la commandite par actions en so
ciété anonyme affranchit le gérant de la responsabilité
indéfinie qui résultait de sa qualité. Sans doute l’effet de
cette responsabilité est définitivement acquis pour tout
le passé et jusqu’au jour de la conversion. Mais la pu
blication sauvegarde l’avenir et met à même de cesser
toute relation ceux qui n’auraient traité avec la société
qu’en considération et en vue de la responsabilité des
gérants.
La conversion des anciennes sociétés anonymes et des
�346
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
sociétés à responsabilité limitée n’a pas pour le public
un intérêt aussi considérable. Il lui importe cependant
de la connaître pour juger et apprécier sainement s’il
convient de continuer ou de rompre avec la société, avec
celles notamment qui, par la conversion, se trouve dé
gagée des entraves que lui imposait l’ordonnance d’au
torisation.
6 2 1 . — En exigeant la publication de la résolution
de l’assemblée générale qui refuse de dissoudre la so
ciété malgré la perte des trois quarts du capital social,
l’article 61 ne fait que confirmer les prescriptions de
l’article 37 à ce sujet. Comme nous l’avons fait alors
remarquer le fait de la perte des trois quarts du capital
social doit exercer la plus énorme influence sur les re
lations des tiers avec la société. Leur intérêt à le con
naître se justifie donc de lui-même.
6 2 2 . — Enfin l’article 61 soumet à la publication
les délibérations qui aux termes de l’article 49 peuvent,
d’année en année, augmenter le capital social.
Ces augmentations certes intéressent avant tout la so
ciété qui, par la publication de ce surcroît de garanties,
obtiendra un surcroît de confiance et de crédit.
Mais il ne faudrait pas que la mauvaise fortune arri
vant, ces augmentations du capital pussent disparaître,
et qu’il fût loisible aux intéressés d’en effacer toute tra
ce. Or à ce point de vue la publicité des délibérations
sera décisive, et les associés seront bien obligés de lais-
�TITRE IV, ART.
61, 62.
347
ser le capital tel que les diverses augmentations l’a
vaient constitué, ou de rendre compte des circonstances
qui l’auraient absorbé.
6 2 5 . — L’article 61 soumet les délibérations sur les
♦
sujets qu’il indique aux formalités et aux pénalités des
articles 55 et 56.
Il en résulte que dans le mois de la date une copie
certifiée de la délibération doit être déposée aux greffes
de la justice de paix et du tribunal de commerce du lieu
dans lequel est établie la société ; que dans le même dé
lai un extrait doit être inséré dans un des journaux de
la localité désignés pour recevoir les annonces légales.
Si la société a plusieurs maisons situées dans des arron
dissements divers, les dépôts et insertion ont lieu con
formément aux prescriptions de l’article 59.
L’extrait à publier dans les journaux n’a à mention
ner que le dispositif de la délibération constatant le vote
de la conversion de la société dans les cas des articles
19, 46 et 47 ; la continuation de la société malgré la
perle des trois quarts du capital social ; le chiffre jus
qu’à concurrence duquel le capital a été augmenté.
Il est justifié du dépôt par l’acte dressé à ce sujet par
les greffiers de la justice de paix et du tribunal de com- '
merce; de l’insertion, par un exemplaire du journal
certifié par l’imprimeur , légalisé par le maire et enre
gistré dans les trois mois de sa date.
6 2 4 . — L’inobservation ou l’omission d’une seule
�348
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
de ces formalités entraînerait la nullité , non pas bien
entendu la nullité de la société, mais celle de la délibé
ration qui aurait dû être publiée et qui ne l’aurait pas
été. Les droits des tiers que cette délibération aurait eu
pour objet de modifier n’en aurait subi aucune atteinte
pas plus dans l’avenir que pour le passé.
-i
Ces mêmes tiers auxquels les délibérations non pu
bliées ne sont pas opposables , peuvent toujours , s’ils y
ont avantage, les opposer aux associés. En effet la nul
lité n’existant qu’à l’égard des associés entre eux, ceuxci peuvent bien s’en prévaloir les uns contre les autres,
mais ils ne seraient ni recevables ni fondés à en exciper contre les tiers.
Ainsi les associés ne peuvent acquérir le droit d’op
poser les délibérations aux tiers qu’en leur donnant toute
la publicité que la loi exige. À défaut de celte publicité,
ils ne peuvent en exciper contre personne , et tout le
monde est recevable à s’en prévaloir contre eux. Ce ré
sultat est la plus énergique sanction pour l’observation
exacte des formalités prescrites à ce sujet.
6 2 5 . — Nous avons déjà dit que le retard dans
l’accomplissement de ces formalités ne saurait être con
fondu avec l’omission, ni produire les mêmes effets. Ici
comme dans l’hypothèse des articles 55 et 56, l’expira
tion du délai d’un mois ouvre bien aux intéressés l’ac
tion en nullité , mais ne fait pas obstacle à une exécu
tion ultérieure tant que cette action n’a pas été réali
sée. A quelque époque que les formalités prescrites aient
�TITRE IV, ART.
61, 62.
349
été remplies, il suffit que leur accomplissement ail pré
cédé la demande en nullité pour que cette demande ne
soit plus recevable.
626.
— La publicité telle que l’organisent les arti
cles qui précèdent, appliquée aux sociétés à capital va
riable , ont été pour ces sociétés un écueil et un obsta
cle. Il est évident que si à chaque augmentation ou di
minution du capital, que si à chaque retraite d’associés
elles eussent été obligées de recourir au dépôt et à la
publication, elles auraient dû passer la plus grande par
tie de leur temps à courir du greffe de la justice de paix
et du tribunal de commerce au bureau du jo u rn al, et
dévorer en frais frustratoires une notable partie de leurs
ressources.
Où était d’ailleurs l’utilité qui aurait pu seule faire
fermer les yeux sur la gravité de ces inconvénients ?
Nous l’avons déjà dit, ce qui dans les sociétés à capital
variable importe réellement au public , c’est d’être fixé
sur le minimum au dessous duquel le capital social ne
pourra être réduit. Car c’est ce minimum que les tiers
prendront pour base de la confiance et du crédit qu’ils
doivent accorder à la société , et considéreront comme
l’unique garantie qui leur soit offerte.
Or ce minimum connu, et il le sera puisque l’article
38 en ordonne la publication, les mouvements que su
bit le capital social deviennent assez indifférents. Les
augmentations qu’il recevra par les versements suc
cessifs des associés ou par l’admission d’associés nou-
�350
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
veaux profiteront au public dont elles auront accru le
gage , en supposant qu’elles n’aient pas été absorbées
par les reprises totales ou partielles autorisés par l’artilicle 48. Ces reprises elles-mêmes devant s’arrêter dès
que le minimum statutaire ou légal est atteint, ne sau
raient nuire au public ni affecter le gage qu’il a pu et
dû se promettre.
Il en est de même de la retraite des associés autori
sée par l’article 52. Sans doute en se retirant l’associé
emportera la part qui peut lui revenir dans l’actif social.
Mais ainsi que nous l’avons vu , si le mininum est at. .
.
.
.
.
^
teint il ne peut rien exiger , et sa retraite en supposant
qu’il persiste à vouloir l’opérer ne peut ni nuire aux
tiers, ni leur enlever une obole du capital sur bquel ils
ont compté.
C’est donc avec raison que par exception en faveur
des sociétés à capital variable, l’article 62 dispense de
toute publicité les augmentations ou les diminutions du
capital social opérées dans les termes de l’article 48, ou
les retraites d’associés autres que les gérants ou admi
nistrateurs qui auraient lieu conformément à l’article 52.
627.
— La restriction en ce qui concerne les gé
rants ou les administrateurs était naturelle et était com
mandée par l’intérêt de la société elle-même.
Les tiers qui ont toujours traité avec ceux que la so
ciété avait placé à sa tête continueront nécessairement à
le faire et à le faire régulièrement tant qu’ils n’auront
pas été légalement avisés qu’ils doivent s’en abstenir
désormais.
�TITRE IV, A.RT.
61, 62.
351
Cet avis c’est à la société à le donner en publiant la
retraite ou la révocation de ses gérants ou administra
teurs. A défaut elle sérait légalement tenue des engage
ments abusivement souscrits par eux.
Nous avons donc raison de dire que la restriction de
l’article 62 était impérieusement dictée par l’intérêt de
la société.
A rt.
65.
Lorsqu’il s’agit d’hne société en commandite
par actions ou d’une société anonym e, toute
personne a le droit de prendre communication
des pièces déposées aux greffes de la justice de
paix et du tribunal de commerce , ou môme de
s’en faire délivrer à ses frais expédition ou e x
trait par le greffier ou par le notaire détenteur
de la minute.
Toute personne peut également exiger qu’il
lui soit délivré au siège de la société une copie
certifiée des statuts, moyennant paiement d’une
somme qui ne pourra excéder un franc.
Enfin les pièces déposées doivent être affi
chées d’une manière apparente dans les bureaux
de la société.
A rt. 6 4 .
Dans tous les actes, factures, annonces, publi-
�352
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
cations et autres documents im p r i m é s ou a u to g r a p h ié s , émanés des sociétés anonyme ou des
sociétés en commandite par actions, la dénomi
nation sociale doit toujours être précédée ou
suivie immédiatement de ces mots écrits lisi
blement en toutes lettres : s o c ié té a n o n y m e ou
s o c ié té e n c o m m a n d ite p a r a c tio n s , et de l’énon
ciation du montant du capital social.
Si la société a usé de la faculté accordée par
l’article 48, cette circonstance doit être men
tionnée par l’addition de ces mots : a c a p i t a l
v a r ia b le .
,
Toute contravention aux dispositions qui
précèdent est punie d’une amende de cinquante
francs à mille francs.
A u t . tîô.
Sont abrogées les dispositions des articles 42,
43, 44, 45 et 46 du Code de commerce.
S O M M A IR E
628.
Nécessité d'une publicité spéciale pour les sociétés anony
mes ou en commandile par actions.
629. Droit de prendre communication des pièces déposées.
630. De s’en faire délivrer une expédition. Caractère de ce droit.
631. Droit de se faire délivrer au siège de la société une copie
certifiée des statuts moyennant un franc.
632. Obligation d'afficher dans les bureaux et d’une manière
apparente une copie des pièces déposées.
�TITRE IV, ATIT.
633.
03. 64, 65.
353
Nature de la sanction garantissant l ’observation de ces
p re scrip tio n s.
634.
Obligation imposée d’annoncer la nature de la socié:é et
d ’i n d i q u e r l e c a p i t a l d a n s l e s a c t e s , f a c t u r e s e t a u t r e s
d o c u m e n ts i m p r im é s ou a u io g ra p h ié s . R e p ro c h e a d r e s s é
à l ’a r t i c l e .
635.
636.
637.
638.
Appréciation.
Indication exigée si la société est à capital variable.
Amende encourue en cas de contravention.
Abrogation des articles 42, 43, 44, 45 et 46 du Code de
co m m erce.
•
,
628.
— La disposition des articles 63 et 64 est em
pruntée à la loi de 1863 sur les sociétés à responsabi
lité limitée. En appliquant aux commandites par actions
et aux sociétés anonymes les précautions édictées par le
législateur de 1863 , la loi actuelle les a complétées et
réellement amélioré le système de publicité destiné à
sauvegarder l’intérêt des tiers auxquels ces sociétés fônt
appel.
Le caractère spécial de l’anonyme et de la comman
dite par actions exigeait un mode de .publicité particu
lier. I)e même que le législateur de 1863, celui de 1867
n’a pas jugé suffisant que ces sociétés s’annonçassent au
public à leur origine; il a pensé qu’il convenait de les
soumettre à une publicité en quelque sorte permanente
pendant toute leur durée. Les prescriptions des articles
63 et 64 , disait le rapporteur de ld loi , ont pour but
d’éviter aux tiers des surprises en mettant' constamment
sous leurs yeux la nature de l’être moral avec leqpel ils
traitent et l’étendue des garanties qu’il présente.
ii. — 23
�354
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
6 2 9 . — Ainsi toutes les fois qu’il s’agira d’une so
ciété anonyme, ou d'une commandite par actions, toute
personne a le droit de prendre communication des piè
ces déposées aux greffes de la justice de paix et du tri
bunal de commerce, c’est-à-dire, de l’acte de société,
de la déclaration notariée constatant la souscription du
capital social et le versement du quart. Enfin des déli
bérations de l’assemblée, approuvant les apports en na
ture ou les avantages particuliers, et si la société est a nonyme, de la liste nominative des souscripteurs.
6 3 0 . — Au droit de prendre communication des
pièces déposées, l’article 63 en joint un autre , celui de
se faire délivrer une expédition soit par le greffier, soit,
pour celles qui sont authentiques, par le notaire déten
teur de la minute.
Cette expédition est naturellement aux frais de celui
qui l’exige, et ces frais peuvent s’élever à un chiffre as
sez fo rt, vu l’étendue des pièces. 11 est donc permis de
croire qu’on ne sera pas souvent tenté d’user du droit
que l’article 63 confère.
La loi l’a elle-même compris et y a pourvu. Ce qui
importe surtout aux tiers c’est l’acte de société qui dé
termine la nature de l’opération, en fixe les conditions,
indique le capital et sa division. Les autres pièces peu
vent être bonnes à consulter , et le droit d’en prendre
communication est d’autant plus suffisant que rien n’in
terdit à celui qui use de ce droit de prendre les notes
qu’il juge convenables ou utiles.
�titre
ni,
art.
63, 64, 65.
3SS
631.
Or aux termes du deuxième paragraphe de
l’article 63, toute personne peut exiger qu’il lui soit dé
livré, au siège de la société, une copie certifiée des sta
tuts moyennant paiement d’une somme qui ne pourra
excéder un franc. Comment dès lors supposer qu’on
préfère s’adresser soit au greffier , soit au notaire , au
risque de payer une somme dix à douze fois plus forte?
On ne saurait reprocher à cette disposition d’imposer
à la société une obligation de nature à lui occasionner
une perte de temps ou d’argent. Dans la commandite
par actions comme dans l’anonyme on fait ordinaire
ment imprimer les statuts sociaux pour pouvoir en re
mettre un exemplaire aux nombreux souscripteurs dont
on sollicite le concours. Or jusqu’à présent le tirage ex
cédait plus ou moins le nombre des actions. Depuis la
loi nouvelle on fera un tirage plus considérable , et la
vente des exemplaires à un franc produira non une
perte mais un bénéfice , et la société ne doit souhaiter
qu’une chose, en vendre beaucoup.
632.
— Enfin et comme dernière précaution, notre
article 63 veut qu’une copie des pièces déposées soit af
fichée d ’une manière apparente dans les bureaux de la
société.
Le but que se propose cette formalité ne permet pas
d’équivoquer sur le sens des termes de l’article. Afficher
d’une manière apparente ne peut s’entendre que d’une
affiche apposée de telle sorte que les personnes péné
trant dans les bureaux puissent la lire facilement toutes
les fois qu’elles en éprouveront le besoin ou le désir.
�356
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
Toute autre manière d’afficher ne procurerait pas
cette publicité permanente que la loi a voulu imposer,
et ne mettrait pas constamment sous les yeux des tiers
la nature de l’être moral avec lequel ils traitent, et l’é
tendue des garanties qu’il présente.
•
-
633.
— Aucune sanction pénale spéciale ne garan
tit l’observation des prescriptions de l’article 63. L’a
mende de cinquante francs à mille francs prononcée par
l’article 64 n’est encourue qu’en cas de contravention à
cet article 64 lui-même. Aussi un membre du Corps lé
gislatif faisait-il remarquer que si on ne l’appliquait pas
aux cas prévus par l’article 63 , celui-ci se trouverait
dénué de toute sanction.
Cette observation à laquelle il ne fut pas même ré
pondu constate bien le caractère exclusif de la disposi
tion de l’article 64. On n’a pas voulu prévoir qu’en ce
qui concerne le greffier ou le notaire, l’article 63 pût
rester inobservé, et qu’il fût nécessaire d’en assurer l’ex
écution même par une peine pécuniaire.
Quant aux obligations imposées aux gérants ou ad
ministrateurs , elles avaient leur sanction dans la res
ponsabilité des uns et des autres. Il est certain que
cette responsabilité serait gravement engagée par le re
fus qu’ils feraient de se conformer à ce qui leur est si
expressément prescrit.
D’ailleurs le droit commun permettrait aux intéressés
d’avoir raison de la résistance illegale qu’on leur oppo
serait. Ainsi ils pourraient s’adresser à la justice , et en
�TITRE IV, ÀRT.t 6 3 , 6 4 , 6 5 .
357
cas d’urgence demander en référé que le gérant ou l’ad
ministrateur fût tenu de remplir ses obligations sous
contrainte d’une somme déterminée par chaque jour de
retard.
Il est également hors de doute que si l’inexécution ou
le retard avait occasionné un préjudice , une allocation
de dommages-intérêts ne dût condamner les auteurs à
le réparer.
Dans l’un et dans l’autre cas, c’est évidemment la so
ciété qui serait poursuivie et condamnée en la personne
des gérants ou des administrateurs. Mais comme en dé
finitive le fait donnant lieu à la poursuite et à la con
damnation serait purement personnel aux uns ou aux
autres, la société aurait un recours pour se faire garan
tir de toutes les adjudications qui auraient été pronon
cées contre elle.
634.
— Des prescriptions de l’article 64 sont la ré
alisation énergique de l’intention de mettre constam
ment sous les yeux des tiers la nature de la société et
l’étendue des ressources qu’elle présente. Ainsi tous les
actes, factures, annonces, publications et autres docu
ments, émanés des sociétés anonymes ou des sociétés en
commandite par actions, doivent faire précéder ou sui
vre la dénomination de la société de ces mots, écrits li
siblement en toutes lettres : société anonyme ou société
en commandite par actions, et indiquer le montant du
capital social.
L’article ne parlant que des actes , factures ou autres
�358
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
documents imprimés ou authographiés, il s’en suit q u
elle excepte de la nécessité de donner ces indications
dans les actes, factures et autres documents simplement
manuscrit.
On a reproché à la loi cette distinction dans laquelle
on a vu un moyen d’en éluder les prescriptions. Il suf
firait donc à une société , dit M. Vavasseur, quand elle
ne voudrait pas se faire connaître , d’écrire à la main
ses actes, factures, billets, etc.
635.
— Il ne faut pas perdre de vue que la loi se
préoccupe exclusivement des sociétés anonymes et des
commandites par actions, entreprenant de grandes cho
ses , ayant un capital considérable. Or des sociétés de
cette nature, si elles sont sérieuses, n’ont aucun intérêt
à dissimuler leur caractère, et ne fusse que pour facili
ter la gestion et économiser un temps toujours précieux,
elles feront imprimer ou aulographier leurs actes, fac
tures, billets, lettres de change, chèques et autres docu
ments. La loi qui ne doit jamais se préoccuper que de
eo quod plerumque fit, devait donc se placer dans cette
prévision et en faire la base de ses dispositions.
Mais d’autres motifs non moins sérieux dictaient la
distinction que la loi consacre. La commission du corps
législatif faisait avec raison remarquer qu’en attachant
la peine à tous actes, factures et autres documents même
manuscrits on frappait les agents pour une négligence
�TITRE IV, ART. 63, 64, 65.
359
très-vénielle , au lieu d’atteindre la société. Quel devait
être le but de la loi ? ajoutait le rapporteur. D’éviter
aux tiers des surprises , en mettant constamment sous
leurs yeux la nature de l’être moral avec lequel ils trai
tent et l’étendue des garanties qu’il présente. Or ces sur
prises calculées sont à craindre surtout dans les i m p r i
m és, annonces, publications, factures ou autres par les
quels un commerçant, société ou autre manifeste son
existence au dehors. En limitant la pénalité aux impri
més, on atteignait le mal dans sa source véritable. La
répression, au lieu de s’égarer un peu au hasard, frap
pait le vrai coupable, la société, et l’amende limitée en
tre un minimum de cinquante francs et un maximum
de mille francs, permettait de tenir compte des nuances
et de mesurer exactement la peine à la gravité de l’in
fraction.
Il n’y a donc pas à hésiter. La société qui n’emploie
rait que des actes, factures, billets ou autres documents
écrits à la main serait dispensée de se conformer aux
prescriptions de l’article 64. L’intention de celui-ci de
ne s’imposer que pour les documents imprimés ou autographiés est évidente , et les considérations invoquées
par le rapport expliquent et justifient cette intention.
6 5 6 . — Nous l’avons dit bien des fois , la société h
capital variable constitué non un genre de société nou
veau , mais une modalité qui sera nécessairement et le
plus ordinairement ou une société en commandite par
actions ou une société anonyme.
�360
LOI DK
1867
SU K LES SOCIÉTÉS'
L’intérêt du public à être fixé à ce sujet ne saurait
être méconnu. Dès qu’on lui aura annoncé qu’il se trouve
en présence d’une société à capital variable , il saura
qu’il ne doit compter que sur le minimum au dessous
duquel le capital ne peut être réduit, et il agira en con
séquence.
11 faut donc qu’il soit informé. En conséquence si la
société s’est constituée dans les termes de l’article 48,
après les mots : société anonyme ou société en com
mandite par actions, on devra immédiatement ajouter :
à capital variable.
Én prescrivant cette addition l’article 64 ne parle ni
du capital, ni du minimum au dessous duquel on ne
peut le réduire. Peut-être n’eût-il pas été inutile d’en
ordonner l’indication.
r.
*.
En l’état les tiers qui voudront le connaître devront
recourir à l’acte de société, et l’article 63 leur en facilite
les moyens.
0 5 7 . — Toute contravention aux dispositions de l’article64est punied’uueamende decinquante francs à mille
francs. On reprochait à cette peine de n’être ni nécessaire
ni juste, puisqu'un lieu de frapper la société elle attein
drait les employés, les agents inférieurs coupables de la
contravention. Mais ce reproche la commission en avait
fait justice par le système qu’elle avait substitué à celui
du Gouvernement. L’omission des indications exigées
dans les documents imprimés était imputable non plus
aux employés ou aux agents inférieurs , mais bien à la
�TITRE IV, ART.
63, 64, 65.
361
société. La contraindre à obéir à la loi était nécessaire;
la punir de ne pas l’avoir fait était juste.
638.
— La substitution du nouveau système de pu
blicité avait pour conséquence forcée l’abrogation des
articles 42, 43, 44, 45 et 46 du Code de commerce.
C’est cette abrogation que l’article 65 consacre.
TITRE Y
Ke» Tontine» et «3c» Société» d’A»»ui*ancc».
A r t . 66.
L es a sso c ia tio n s d e
la n a t u r e d e s t o n t i n e s e t
le s s o c i é t é s d ’a s s u r a n c e s s u r la v i e , m u t u e l l e s o u
à p r i m e s , r e s t e n t s o u m i s e s à l ’a u t o r i s a t i o n e t à
la s u r v e i l l a n c e d u G o u v e r n e m e n t .
L e s a u t r e s s o c i é t é s d ’a& surances p o u r r o n t se
f o r m e r s a n s a u t o r i s a t i o n . U n r è g l e m e n t d ’a d m i
n is t r a t io n p u b l i q u e d é t e r m i n e r a le s c o n d i t i o n s
s o u s l e s q u e l l e s e lle s p o u r r o n t ê t r e c o n s t i t u é e s .
A r t.
67.
L e s s o c i é t é s d ’a s s u r a n c e s
d ésig n ées
d an s le
�362
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
paragraphe 2 de l’article précédent, qui exis
tent actuellement, pourront se placer sous le
régime qui sera établi par le règlement d ’admi
nistration publique, sans l’autorisation du Gou
vernement, en observant les formes et les con
ditions prescrites pour la modification de leurs
statuts.
S O M M A I R E
639.
640.
641.
642.
643.
644.
645.
646.
647.
648.
649.
650.
651.
652.
'
Nécessité d’introduire ces deux articles dans la loi.
Motifs qui l’exigeaient pour les tontines et agences tontinières.
Pour les compagnies d’assurances en général.
Sont placées sur la même ligne les tontines et les assuran
ces sur la vie mutuelles ou à prime.
Diverses combinaisons de celles-ci ; leur caractère.
Objections touchant les sociétés universelles de l’article
1836 du Code Napoléon ; réponse.
Dans quelle catégorie se placent les associations entre p è
res de famille pour le remplacement de leurs fils.
Jurisprudence de la cour de Cassation.
Résumé.
Restriction apportée au régime de liberté par le deuxième
paragraphe de l’article 66.
Nécessité de cette restriction.
Faculté pour les compagnies d’assurance de se placer sous
l ’empire de la loi nouvelle.
Ne peuvent jouir de cette faculté que celles qui sont régu
lièrement constituées.
Et qui ont pris la forme de la commandite par actions ou
de la société à responsabilité limitée.
6 3 9 . — Dans un rapport fait au conseil d’Etat en
�TITRE V, ART. 6 6 , 6 7 .
363
novembre 1808 , M. d’Haulerive , après avoir indiqué
les caractères constitutifs des tontines, disait : Il est dif
ficile de comprendre comment l’existence de ces asso
ciations pourrait être rapportée à la législation commer
ciale qui a pour objet de soumettre l’industrie à des
lois particulières , de favoriser ses accroissements , de
déterminer ses droits et de régler ses concurrences.
A cet égard les choses sont aujourd’hui ce qu’elles étaient en 1808 , et nous ne croyons pas que personne
veuille confondre les associations tontinières avec les so
ciétés commerciales. D’où vient donc que le législateur
a cru devoir s’occuper des premières dans une loi des
tinée à régler spécialement les secondes ? D’où vient que
cette excursion de la loi dans une matière qui lui était
si essentiellement étrangère n’a soulevé aucune contro
verse, rencontré aucun blâme ?
640.
— C’est qu’en l’état de la jurisprudence l’a
brogation de l’article 37 du Code de commerce pouvait
mettre en question les conditions sous l’empire desquel
les devaient se constituer, sinon les tontines proprement
dites, du moins les sociétés d’assurances sur la vie soit
mutuelles soit à primes.
En effet de tout temps les tontines ont été subordon
nées à l’autorisation du Gouvernement et soumises à sa
surveillance. Sans remonter aux temps antérieurs à la
révolution de 1789, nous rappellerons l’avis du conseil
d’Etat du %% mars 1809, approuvé le 1er avril suivant
et inséré au Bulletin des lois, qui impose la nécessité de
l’une et de l’autre.
�364
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
641.
— Quant aux assurances mutuelles, un second
avis du conseil d’Etat , du 15 octobre de la même an
née, les soumettait bien au même régime; mais ce sev
cond avis non inséré au Bulletin des lois ne fut publié
que par une ordonnance royale du 14 novembre 1821,
Aussi sa constitutionnalité avait été contestée ; on lui
avait refusé toute force obligatoire, tout lien légal, et
ces prétentions avaient été consacrées par la jurispru
dence.
Mais en même temps qu’ils déclaraient ces sociétés af
franchies de la nécessité de l’autorisation préalable au
point de vue de l’avis du conseil d’E ta t, les tribunaux,
par application de l’article 37 du Code de commerce,
leur imposaient cette nécessité dès qu elles avaient re
vêtu la forme de la société anonyme.
L’abrogation de l’article 37 était donc appelée à exer
cer une certaine influence sur la constitution de ces so
ciétés. Et puisqu’on ne voulait pas que toutes pussent en
profiter, il devenait indispensable de déclarer celles qui
resteraient soumises au régime de l’autorisation et celles
qui en seraient dispensées.
642.
— La loi place dans la première catégorie les
associations de la nature des tontines et les sociétés d’as
surances sur la vie mutuelle ou à prime exclusivement.
La nécessité du concours et de l’intervention du Gouver
nement pour les tontines n’a jamais été contestée. Elle
«
reposait d’ailleurs sur des motifs dont il était impossible
de méconnaître l’autorité.
�TITRfi V, ART. 6 6 , 6 7 .
365
« Le privilège du Gouvernement, disait M. d’Hauterive dans son rapport au conseil d’E ta t, ri’est pas dans
la faculté de combiner d’entreprendre et de gérer , mais
dans le droit vraiment exclusif de connaître de la léga
lité des combinaisons, des entreprises et des gestions qui
embrassent un grand ensemble d’intérêts privés, d’inté
rêts épars, de petits intérêts ; et ce droit est surtout lé
gitime à l’égard des tontines particulières ; car, dans ces
sortes d’établissements , les intéressés sont plus faibles
contre l’administration , la société leur offre moins de
garanties. Il est plus facile à la direction d’abuser, il est
presque impossible aux associés de se défendre contre
les fraudes; et l’intervention d’une autorité tutélaire,
non seulement pour légitimer l’existence de l’établisse
ment, mais encore pour assqrer l’exécution des engage
ments mutuels , y devient plus indispensable et plus
juste
»
Les mêmes raisons devaient faire aboutir à un résul
tat identique en ce qui concerne les assurances sur la
vie qui ne sont après tout que des associations tontiniè—
reS. « La tontine, dit Merlin, est une société de rentes
perpétuelles ou viagères formée sous la condition que
les rentes des prédécédés accroîtront aux survivants soit
en totalité, soit jusqu’à une certaine concurrence2. »
Aussi lorsque le décret du 18 novembre 1810 recherchait le caractère des associations de la nature des ton1 Merlin, Rép ., v° Tontine, § 2.
2 Ibidem.
�366
LOI DE 1867 SUR LES SOCIÉTÉS
tines, il les définissait : les établissements qui, sous l’ad
ministration d’un ou de plusieurs administrateurs ou
directeurs, ont pour but de réunir des fonds fournis par
des actionnaires, de les placer en rentes sur l’Etat, en
immeubles, en prêts ou autres opérations, et de répartir
entre les actionnaires ou associés des revenus fixes et
annuels , des prim es, des accroissements et bénéfices
extraordinaires , et des remboursements à des époques
fixes ou indéterminées d’après les chances de décès et
autres combinaisons aléatoires.
645.
— Or en interrogeant les combinaisons diver
ses des sociétés d’assurances sur la vie, le doute est im
possible. Elles se placent dans la catégorie du décret de
1810, soit qu’elles constituent des sociétés d’accroisse
ment du capital avec aliénation totale ou partielle du
revenu ; ou des sociétés d’accroissement du capital sans
aliénation du revenu ; ou des sociétés d’accroissement
du revenu sans aliénation du capital ; ou des sociétés
d’accroissement du revenu avec aliénation du capital ;
ou enfin des sociétés de formation d’un capital par Uaccumulation d’un revenu sans aliénation du capital des
mises.
Dans tous les cas l’époque assignée à la durée de la
société expirant, la répartition du capital, de quelque
manière qu’il ait été constitué, se fera entre les associés
survivants, et la part de chacun d’eux sera d’autant plus
considérable que les décès auront été plus nombreux.
Il y a donc là et à un haut degré cet élément aléatoire,
�TITRE V, ART. 6 6 , 6 7 .
367
ces chances de décès qui caractérisent les associations
tontinières. Conséquemment les précautions à prendre
dans celles-ci sont aussi indispensables aussi urgentes
dans celles-là.
Eh 1 cela évidemment abstraction faite du mode a dopté par les sociétés. Que l’assurance sur la vie soit
mutuelle ou à prim e, la société n’en sera pas moins de
la nature des tontines, et dès lors soumise à l’autorisa
tion et à la surveillance du Gouvernement '. L’article 66
ne pouvait donc distinguer.
— Dans la discussion au Corps législatif, M.
E. Picard s’éleva contre la généralité des expressions :
les associations de la nature des tontines. Vous ne
pouvez les maintenir, disait-il, car elles embrasseraient
les sociétés universelles de tous biens autorisées par l’ar
ticle 1836 du Code Napoléon, et pourraient même s’é
tendre aux associations entre pères de famille mettant
en commun une certaine somme pour le remplacement
de leurs enfants.
En ce qui concerne les sociétés autorisées par l’article
1836 du Code Napoléon, nous ne croyons pas que per
sonne puisse être jamais tenté de les considérer comme
régies par l’article 66. Ces sociétés ne sont ni des ton
tines , ni des sociétés de la nature des tontines. Outre
qu’elles ne comportent pas de droit l’attribution aux
644.
1 V. quant à, la surveillance des sociélés et agences tontinières , l’or
donnance des 5 juin et 42 juillet 1842, et l’arrêté des 26 décembre 1848
et 16 janvier 1849.
�368
1.01 DE 1867 SUR LES
sociétés
survivants d elà totalité de l’actif, elles" présentent avec
les associations tontinières cette différence que , dans
celles-ci, la personnalité n’est rien, et chaque associé
doit désirer la mort des autres, puisque son bénéfice est
subordonné à cette chance.
Dans la société universelle du Code Napoléon la per
sonnalité au contraire est to u t, car elle n’existe et ne
peut exister qu’entre individus qui se connaissent, s’ap
précient et s’agréent réciproquement.
Sans doute on peut exceptionnellement stipuler dans
cette société que l’actif appartiendra aux survivants. Elle
emprunte alors à la tontine, non son caractère, mais un
de ses effets , et cela ne suffit pas pour qu’on puisse les
assimiler ou les confondre. Cette clause d’ailleurs n’a
pas ici le même mobile que dans la tontine. Son but
unique est d'empêcher que le décès de l’un des associés
n’amêne soit la dissolution de la société, soit l’introduc
tion dans son sein des représentants du décédé , étran
gers à l’esprit de l’association , à la pensée qui l’a dé
terminée, aux sentiments qu’elle exige. Ce qui le prouve,
c’est que la clause qui attribue aux survivants l’actif de
la société ne se rencontre presque exclusivement que
chez les maisons religieuses qui, à tort ou à raison, ont
cru se soustraire ainsi à l’incapacité dont les frappe le
défaut de reconnaissance et d’autorisation.
Enfin donner à l’article 66 le sens indiqué par M.
Picard , ce serait lui reconnaître l’effet d’abroger , au
moins implicitement et dans certains cas, l'article 1836
du Code Napoléon. Or il est impossible d’admettre qu’u-
�TITRE V, ART. 66, 67.
369
ne loi exclusivement relative aux sociétés commerciales
par actions puisse aboutir à ce résultat d'abroger impli
citement une nature de société autorisée formellement
par un texte exprès du Code Napoléon1.
6 4 5 . — Les associations entre pères de famille pour
l’exonération de leurs enfants du service militaire , se
rapprochent beaucoup plus des associations tontinières,
puisque le fonds constitué par les mises de tous appar
tiendra à ceux qui seront appelés au service à l’exclu
sion de ceux qui en auront été libérés soit par le résul
tat du tirage au sort, soit par la décision du conseil de
révision.
Mais si ces simples associations se rapprochent en ce
point des tontines, elles en diffèrent non-seulement par
leur objet mais encore par leur étendue, par leur durée
et le mode de leur gestion , et surtout par cette circons
tance que loin d’accroître aux survivants les sommes
versées pour ceux qui décéderaient avant le tirage, se
raient purement et simplement restituées à la famille.
Enfin où serait. l’utilité de l’autorisation et de la surveillance du Gouvernement dans l’association mutuelle
des familles formées d’assurés nés dans le cours de la
même année , devant participer au même tirage et qui
prenant naissance dans l’approche des formalités du
recrutement annuel, a sa fin marquée à l’issue des opé
rations du conseil de révision ?
-
1 V. Mathieu et Bourguignat, rt° 333.
■
\
�370
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
On comprend dès lors que la question de savoir si une association pour le remplacement militaire doit être
ou non autorisée , doit se résoudre par les conditions
qui lui ont été imposées , et suivant que ces conditions
se rapprocheront ou s’éloigneront plus ou moins de cel
les qui constituent les agences tontinières.
646.
— Ainsi par deux arrêts du 16 avril 1836, la
cour de Cassation juge : qu’une association entre divers
pères de famille , qui s’engagent à verser chacun une
somme déterminée dans une caisse commune ou dans
les mains d’un dépositaire quelconque , pour assurer
mutuellement leur fils contre les chances du recrutement
de la même classe, en procurant, par la répartition du
fonds commun , à ceux que le sort appellerait à faire
partie du contingent, les moyens de pourvoir en tout ou
en partie aux frais d’un remplacement, diffère essentiel
lement des associations connues sous le nom de tonti
nes par son objet et par sa nature , ainsi que par les
conditions d’existence , d’administration et de durée ;
qu’elle n’est donc pas soumise à la nécessité de l’auto
risation administrative exigée par l’avis du conseil d’E
tat du 1er avril 1809 et par le décret du 18 novembre
1810 pour l’établissement de toute association de la na
ture des tontines1.
Mais par arrêt du 27 mai de la même année la Cour
régulatrice se prononce pour la nécessité de l’autorisa-
�TITRE V, ART. 6 0 , 6 7 .
374
lion, parce que dans sa constitution, dans ses conditions
d’administration , de durée et de dispositions du fonds
commun, l’association affectait toutes les allures d’une
agence tontinière.
L’arrêt, en effet, relève que dans le but d’assurer les
jeunes gens appelés au service militaire contre les chan
ces du tirage au sort, les directeurs de la société faisaient
appel à des capitaux dont ils conservaient l’administra
tion pendant un temps qui pouvait s’étendre à un grand
nombre d’années; que ces capitaux s’accroissaient,aux
termes des articles 10 et 44 des statuts, soit des intérêts
produits jusqu’au jour du tirage, soit des sommes ver
sées par les souscripteurs qui n’auraient pu fournir,
dans le délai prescrit, les pièces exigées pour établir leur
droit à la répartition , soit, enfin, des déchéances pro
noncées dans certains cas par ces mêmes statuts; que
ces capitaux s’accroissaient, de plus, par l’attribution à
la masse commune des versements faits par les associés
prédécédés dans l’intervalle qui séparait le tirage des opéralions du conseil de révision , et même, en certains
cas, antérieurement à ce tirage; qu’enfin la répartition
de cette masse commune, grossie des bénéfices ci-des
sus , se faisait entre les associés appelés par le sort à
faire partie de l’armée active ou de la réserve à l’exclu
sion des associés libérés, réformés ou exemptés ; que de
pareilles opérations à raison de leur étendue , de leur
durée et de leur gestion , différaient essentiellement de
celles qui ont pour objet un but restreint et se renfer
ment dans des limites déterminées , telles qu’une asso-
�372
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
dation de divers pères de famille qui , à l’approche et
en vue des opérations du recrutement, s’engagent à ver
ser chacun une somme convenue dans une caisse com
mune, ou dans les mains d’un dépositaire désigné, pour
assurer mutuellement leurs fils contre les chances du
s o rt, en procurant, par la répartition du fonds com
mun, à ceux que le sort appellera à faire partie du con
tingent , les moyens de pourvoir en tout ou en partie
aux frais d’un remplaçant
647.
— Le rapprochement de ces arrêts indique
beaucoup mieux que tous les raisonnements la solution
que les tribunaux doivent donner à la question , et que
le ministre du commerce résumait en ces termes :
« S’il s’agit de sociétés constituées au moment du
tirage au sort par un certain nombre de pères de famille,
ces sociétés n’ont pas le caractère lontinier , ce sont des
sociétés d’une nature particulière ; le Gouvernement ne
considère pas qu’il faille les soumettre à la nécessité de
l’autorisation; elles rentrent dans les conditions géné
rales des sociétés libres.
» Mais s’il s’agit de sociétés constituées par des pères
de famille en prévision du tirage au sort, à une époque
plus ou moins éloignée de la naissance de leurs enfants
et en vue de régler une situation future qui ne doit se
produire qu’au moment du tirage au sort ; si à cette époque les chances de l’opération peuvent se trouver mo-
�66, 67.
TITRE V, ART.
373
difiées par la mortalité, alors le caractère tontinier ap
paraît , et ces sociétés rentrent dans les dispositions de
la loi qui exigent l’autorisation1. »
6 1 8 . — Il est évident que par cela seul que l’arti
cle 66 ne soumettait à l’autorisation et à la surveillance
du Gouvernement que les sociétés lontinières et les com
pagnies d’assurances sur la vie. Il en dispensait toutes
les autres compagnies d’assurances de quelque espèce
que fût le risque qui pouvait en être l’objet, et qu’elles
fussent mutuelles ou à prime. Donc si le paragraphe
deux de l’article 66 n’avait pour but que de concéder
cette dispense, il était à peu près inutile.
En réalité ce second paragraphe tout en proclamant
le principe de liberté y apporte une restriction notable.
Il est vrai que les sociétés d’assurances autres que les
assurances sur la vie pourront se créer sans avoir à ob
tenir l’autorisation du Gouvernement, sans être soumi
ses à sa surveillance. Mais elles ne sauraient se consti
tuer dans des conditions autres que celles que leur im
pose le règlement d’administration publique qui, promis
par l’ariicle 66, a été décrété le 22 janvier 1868 et pro
mulgué le 18 février suivant2: ce qui faisait dire au rap
porteur de la loi que c’était là un moyen terme entre la
liberté et le régime de l’autorisation ei de la surveillance.
*
6 4 9 . — Le seul reproche adressé à cette disposition
I Moniteur, 44 juin 4867.
* V. l’appendice.
�374
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
a été d’abandonner à un règlement d’administration
publique ce qui était en réalité du domaine de la loi, ce
qui est quelque peu vrai. Mais d’une manière ou d’au
tre l’intervention du Gouvernement, dans les Conditions
constitutives de ces sociétés, était acceptée et reconnue
utile et nécessaire.
Pouvait-il en être autrement, et les motifs qui justi
fiaient cette intervention dans les sociétés par actions ne
militaient-ils pas avec une égale autorité dans notre
matière ? N’est-ce pas au public que s’adressent les as
surances ? Est-on libre de discuter les polices qu’on fait
signer ? N’était-il pas d’intérêt général et public de veil
ler à ce que , en cas de sinistre , la société fût à même
de remplir ses engagements ?
Une liberté entière , une indépendance absolue pou
vait facilement dégénérer en abus. Il était donc pru
dent et sage de contenir l’une et l’autre dans une limite
raisonnable et juste.
650.
— Aux termes de l’article 67 les sociétés d’as
surances désignées dans le paragraphe deux de l’article
66, qui existent actuellement, pourront se placer sous le
régime qui sera établi par le règlement d’administration
publique, sans l’autorisation du Gouvernement, en ob
servant les formes et les conditions prescrites pour la
modification des statuts.
La faculté de se placer sous l’empire de la loi nou
velle déjà concédée aux sociétés en commandite par ac
tions, anonymes ou à responsabilité limitée, ne pouvait
�titre
v,
art.
66, 67.
375
être refusée aux sociétés d’assurances régulièrement con
stitués avant sa promulgation, qui demanderaient è se
placer sous le nouveau régime. Cette faculté l’article 67
la concède sans autre condition que celle de se confor
mer à ce que les statuts prescriront pour les modifica
tions à y apporter. C’est-à-dire que la conversion devra
être votée par une assemblée générale composée de la
manière déterminée et à la majorité requise.
651.
— Ce qui résulte des termes restrictifs de l’ar
ticle 67, c’est que la régularité de la constitution de la
société est la condition sine qua non de la possibilité de
la conversion. Ainsi les agences tontinières et les socié
tés d’assurances sur la vie qui, se fondant sur la loi de
1863 sur les sociétés à responsabilité limitée, se seraient
constituées sans l’autorisation du Gouvernement, ne
pourraient invoquer le bénéfice de l’article 67.
« La loi de 1863, disait le commissaire du Gouver
nement , a été abolie pour l’avenir , mais elle régit le
passé , c’est-à-dire les associations qui se sont formées
sous son empire. Si , en se constituant sous la forme
d’une société à responsabilité limitée, la compagnie d’as
surances a commis une infraction à la loi de son insti
tution, la loi actuelle ne peut pas y pourvoir : c’est une
question à régler entre les tiers et elle, et que les tribu
naux décideront ’. »
Seconde observation. En supposant l’association ré4 Moniteur, 14 juin 4867
�376
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
gulièrement constituée, cela ne suffira pas pour lui per
mettre de se placer sous l’empire de l’article 66 , sans
l’autorisation du Gouvernement.
652.
— L’article 67, en effet, n ’a nullement enten
du déroger aux dispositions précédentes de la loi. Or,
aux termes de l’article 46, les sociétés anonymes exis
tant au moment de la loi nouvelle pourront se transfor
me rdans les termes de la loi en obtenant l’autorisation
du Gouvernement. Donc si les compagnies d’assurances
antérieures à la loi ont pris la forme anonyme , elles
resteront régies par cet article 46. Celles-là seules pro
fiteront de l’article 67 qui se seront constituées en com
mandite par actions ou en sociétés à responsabilité li
mitée.
C’est au reste ce que proclamait le Gouvernement.
Les cas dans lesquels il y aura lieu d’appliquer l’article
50, (art. 67 de la loi), disait YExposè des motifs, seront
au surplus fort rares. II n’est fait que pour l’hypothèse
où une société d’assurances n’aurait pas été constituée
sous la forme de société anonyme, ce dont, nous le ré
pétons , il y a bien peu d’exemples. Lorsqu’il s’agira
d’une société d’assurances établie en société anonyme,
l’article 45 (art. 46 de la loi) devra servir de règle.
F IN
�A P P E N D IC E
TW ®
DECRET
dL
IMPÉRIAL
P ortan t règlem ent d’adm in istration publique
pour la constitu tion des Sociétés d’assu
rances.
D u 3 2 J a n v i e r 1 8 6 8 . — Promulgué le 18 février.
N apoléon , etc.
Sur le rapport de notre ministre secrétaire d’Etat au
département de l’agriculture , du commerce et des tra
vaux publics ;
Yu l’article 66 de la loi du 24 juillet 1867, sur les
sociétés, ledit article ainsi conçu :
« Les associations de la nature des tontines et lesso» ciétés d’assurances sur la vie, mutuelles ou à primes,
» restent soumises à l’autorisation et à la surveillance
» du Gouvernement.
» Les autres sociétés d’assurances pourront se former
» sans autorisation. Un règlement d’administration pu-
�'378
LOI DK
1867
SUR LËS SOCIÉTÉS
» blique déterminera les conditions sous lesquelles elles
f> pourront être constituées. »
Notre conseil d’Etat entendu.
Avons décrété et décrétons ce qui suit :
'1' « v ■ , ' ;
;
• v• ■' •; '
TITRE I"
DES SOCIÉTÉS ANONYMES d ’à SSURÀNCES A PRIMES.
A r t . 1er. Les sociétés anonymes d’assurances à
primes sont soumises aux dispositions des lois relatives
à cette forme de société et, en outre, aux conditions ciaprès déterminées.
Elles ne peuvent user des dispositions du titre m de
la loi du 24 juillet 1867, particulières aux sociétés à ca
pital variable.
2 . La société n’est valablement constituée qu’après
le versement d’un capital de garantie qui ne pourra, en
aucun cas et alors même que le capital social est moin
dre de deux cent mille francs, être inférieur à cinquante
mille francs.
3. L’article 3 de la loi du 24 juillet 1867, relatif à
la conversion des actions au porteur , n’est applicable
aux sociétés d’assurances à primes que si le fonds de
réserve est égal au moins à la partie du capital social
non encore versée, et s’il a été intégralement constitué.
4 . La société est tenue de faire annuellement un pré
lèvement d’au moins vingt pour cent sur les bénéfices
nets pour former un fonds de réserve. Ce prélèvement
�379
APPENDICE.
devient facultatif lorsque le fonds de réserve est égal au
cinquième du capital.
5 . Les fonds de la société, à l’exception des sommes
nécessaires aux besoins du service courant, doivent être
employés en acquisitions d’immeubles , en rentes sur
l’Etat, bons du Trésor ou autres valeurs créées ou garan
ties par l’Etat, en actions de la banque de France, en
obligations des départements et des communes, du cré
dit foncier de France ou des .compagnies françaises de
chemins de fer qui ont un minimum d’intérêt garanti
par l’Etat.
r *,
fr
\
i
''
6. Toute police doit faire connaître :
1* Le montant du capital social ;
2° La portion de ce capital déjà versée ou appelées t
s’il y a lieu, la délibération par laquelle les actions au
raient été converties en actions au porteur ;
3* Le maximum que la compagnie peut , aux termes
de ses statuts, assurer sur un seul risque , sans réassu
rance ;
4° E t , dans le cas où un même capital couvrirait,
aux termes des statuts, des risques de nature différente,
le montant de ce capital et l’énumération de tous ces
risques.
7. Tout assuré peut, par lui ou par un fondé de pou
voir , prendre à toute époque , soit au siège social, soit
dans les agences établies par la société, communication
du dernier inventaire.
Il peut également exiger qu’il lui en soit délivré une
�380
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
copie certifiée , moyennant le paiement d’une somme
qui ne peut excéder un franc.
TITRE II
lï i
DES SOCIÉTÉS D’ASSURANCES MUTUELLES.
S E C T IO N I r'
De la constitution des sociétés et de leur objet.
8 . Les sociétés d’assurances mutuelles peuvent se
former soit par un acte authentique , soit par un acte
sous seing privé fait en double original, quel que soit le
nombre des signataires de l’acte.
9. Les projets de statuts doivent :
m
10 Indiquer l’objet, la durée, le siège, la dénomina
tion de la société et la circonscription territoriale de ses
opérations ;
2° Comprendre le tableau de classification des ris
ques, les tarifs applicables à chacun d’eux , et détermi
ner les formes suivant lesquelles ce tableau et ces tarifs
peuvent être modifiés ;
3° Fixer le nombre d’adhérents et le mihimum des
valeurs assurées au-dessous desquels la société ne peut
être valablement constituée, ainsi que la somme à valoir
sur la contribution de la première année, qui devra être
versée avant la constitution de la société.
10.
Le texte entier des projets de statuts doit être
inscrit sur toute liste destinée à recevoir les adhésions.
�APPENDICE.
381
H . Lorsque les conditions ci-dessus ont été rem
plies, les signataires de l’acte primitif ou leurs fondés
de pouvoir le constatent par une déclaration devant no
taire.
A cette déclaration sont annexés :
1 ” La liste nominative dûment certifiée des adhérents,
contenant leurs noms , prénoms , qualités et domiciles,
et le montant des valeurs assurées par chacun d’eux ;
2° L’un des doubles de l’acte de société, s’il est sous
seing privé , ou une expédition, s’il est notarié et s’il a
été passé devant un notaire autre que celui qui reçoit la
déclaration ;
3° L’éiat des versements effectués.
1 2.
La première assemblée générale, qui est convo
quée à la diligence des signataires de l’acte primitif, vé
rifie la sincérité de la déclaration mentionnée aux arti
cles précédents; elle nomme les membres du premier
conseil d’administration ; elle nomme également, pour
la première année , les commissaires institués par l’ar
ticle 24 ci-après.
Les membres du conseil d’administration ne peuvent
être nommés pour plus de six ans ; ils sont rééligibles,
sauf stipulation contraire. Toutefois, ils peuvent être
désignés par les statuts , avec stipulation formelle que
leur nomination ne sera pas soumise à’ l’assemblée gé
nérale; en ce cas, ils ne peuvent être nommés pour plus
de trois ans.
Le procès-verbal de la séance constate l’acceptation
�382
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
des membres du conseil d’administration et des com
missaires présents à la réunion.
La société n’est définitivement constituée qu’à partir de
cette acceptation.
13. Le compte des frais de premier établissement est
apuré par le conseil d’administration et soumis à l’as
semblée générale, qui l’arrête définitivement et détermi
ne le mode et l’époque du remboursement.
S E C T IO N I I
Administration des sociétés.
1 4. L’administration peut être confiée à un conseil
d’administration dont les statuts déterminent les pou
voirs. Les membres de ce conseil peuvent choisir parmi
eux un directeur, ou, si les statuts le permettent, se sub
stituer un mandataire étranger à la société et dont ils
sont responsables envers elle.
L’administration peut également être confiée par les
statuts à un directeur nommé par l’assemblée générale
et assisté d’un conseil d’administration. Ses statuts dé
terminent , dans ce cas , les attributions respectives du
directeur et du conseil.
15. Les membres du conseil d’administration doi
vent être pris parmi les sociétaires ayant la somme de
valeurs assurées déterminée par les statuts.
1 6. Il est tenu chaque année au moins une assem
blée générale, à l’époque fixée par les statuts.
�APPENDICE.
383
Les statuts déterminent soit le minimum de valeurs
assurées nécessaire pour être admis à l’assemblée, soit
le nombre des plus forts assurés qui doivent la compo
ser ; ils règlent également le mode suivant lequel les so
ciétaires peuvent s’y faire représenter.
17. Dans toutes les assemblées générales, il est tenu
une feuille de présence. Elle contient les noms et domi
ciles des membres présents.
Cette feuille, certifiée par le bureau de l’assemblée et
déposée au siège social, doit être communiquée à tout
requérant.
1 8. L’assemblée générale ne peut délibérer valable
ment que si elle réunit le quart au moins des membres
ayant le droit d’y assister ; si elle ne réunit pas ce nom
bre, une nouvelle assemblée est convoquée dans les for
mes et avec les délais prescrits- par les statuts , et elle
délibère valablement, quel que soit le nombre des mem
bres présents ou représentés.
1 9. L’assemblée générale qui doit délibérer sur la
nomination des membres du premier conseil d’adminis
tration et sur la sincérité de la déclaration faite , aux
termes de l'article 11, par les signataires de l’acte pri
mitif , doit être composée de la moitié au moins des
membres ayant le droit d’y assister.
Si l’assemblée générale ne réunit pas le nombre cidessus, elle ne peut prendre qu’une délibération provi
soire ; dans ce cas, une nouvelle assemblée générale est
convoquée. Deux avis, publiés à huit jours d’intervalle,
�384
LOI DK
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
au moins un mois à l’avance , dans l’un des journaux
désignés pour recevoir les annonces légales , font con
naître aux sociélaires les résolutions provisoires adop
tées par la première assemblée, et ces résolutions devien
nent définitives si elles sont approuvées par la nouvelle
assemblée, composée du cinquième au moins des socié
taires ayant le droit d’y assister.
2 0 . Les assemblées qui ont à délibérer sur des mo
difications aux statuts ou sur des propositions de conti
nuation de la société au delà du terme fixé pour sa du
rée, ou de dissolution avant ce terme, ne sont réguliè
rement constitués et ne délibèrent valablement qu’autant
qu’elles sont composées de la moitié au moins des so
ciétaires ayant le droit d’y assister.
Toute modification de statuts est portée à la connais
sance des sociétaires dans le premier récépissé de coti
sation qui leur est délivré.
2 1 . L’assemblée générale annuelle désigne un ou
plusieurs commissaires , sociétaires ou non , chargés de
faire un rapport à l’assemblée générale de Tannée sui
vante sur la situation de la société , sur le bilan et sur
les comptes présentés par l’administration.
La délibération contenant approbation du bilan et
des comptes est nulle si elle n’a été précédée du rapport
des commissaires.
À défaut de nomination des commissaires par l’as
semblée générale , ou en cas d’empêchement ou de re
fus d’un ou de plusieurs d’entre eux , il est procédé à
�APPENDICE.
385
leur nomination ou à leur remplacement par ordon
nance du président du tribunal de première instance du
siège de la société , à la requête de tout intéressé , les
membres du conseil d’administration dûment appelés.
2 2 . Pendant le trimestre qui précède l’époque fixée
par les statuts pour la réunion de l’assemblée générale,
les commissaires ont d ro it, toutes les fois qu’ils le ju
gent convenable dans l’intérêt de la société , de prendre
communication des livres et d’examiner, les opérations
de la société. Ils peuvent toujours , en cas d’urgence,
convoquer l’assemblée générale.
2 3 . Toute société doit dresser chaque semestre un
étal sommaire de sa situation active et passive.
Cet état est mis à la disposition des commissaires.
Il e s t, en outre , établi chaque année un inventaire
ainsi qu’un compte détaillé des recettes et dépenses de
l’année précédente et du montant des sinistres.
Ces divers documents sont mis à la disposition des
commissaires le quatrième jour au plus tard avant l’as
semblée générale. Ils sont présentés à celte assemblée.
L’inventaire et le compte détaillé sont également a dressés au ministre de l’agriculture , du commerce et
des travaux publics.
2 4 . Quinze jours au moins avant la réunion de l’as
semblée générale , tout sociétaire peut prendre, par lui
ou par un fondé de pouvoir, au siège social, communi
cation de l’inventaire et de la liste des membres compo-
�386
LOI DE
1867 SUR LES
sociétés
sant l’assemblée générale , et se faire délivrer copie de
ces documents.
S E C T IO N I I I
De la formation de /’engagement social.
2 5 . Les statuts déterminent le mode et les conditions
générales suivant lesquels sont contractés les engage
ments entre la société et les sociétaires. Toutefois , les
sociétaires auront indépendamment de toute disposition
statutaire ,.le droit de se retirer tous les cinq ans , en
prévenant la société six mois d’avance dans la forme in
diquée ci-après. Ce droit sera réciproque au profit de
la société.
Dans tous les cas où un sociétaire a le droit de de
mander la résiliation , il peut le faire soit par une dé
claration au siège social ou chez l’agent local , dont il
lui sera donné récépissé , soit par acte extrajudiciaire,
soit par tout autre moyen indiqué dans les statuts.
Les statuts indiquent spécialement le mode suivant
lequel se fait l’estimation des valeurs assurées, les con
ditions réciproques de prorogation ou de résiliation des
contrats et les circonstances qui font cesser les effets des
dits contrats.
2 6 . Toute modification des statuts relative à la na
ture des risques garantis et au périmètre de la circon
scription territoriale donne de plein droit à chaque so
ciétaire la faculté de rési lier son engagement.
Cette faculté doit être exercée par lui dans un délai
�APPENDICE.
387
de trois mois, à dater de la notification qui lui aura été
faite, conformément à l’article 20.
2 7. Les statuts ne peuvent défendre aux sociétaires
de se faire réassurer ou assurer par une autre compa
gnie. Ils peuvent seulement stipuler que la société sera
immédiatement informée et aura le droit de notifier la
résiliation du contrat.
2 8 . Les polices remises aux assurés doivent contenir
les conditions spéciales de l’engagement, sa durée, ainsi
que les clauses de résiliation et de tacite réconduction,
s’il en existe dans les statuts.
La police constate , en outre , la remise d’un exem
plaire contenant le texte entier des statuts.
S E C T IO N IV
Des charges sociales.
*
2 9 . Les tarifs annexés aux statuts fixent, par degrés
de risques , le maximum de la contribution annuelle
dont chaque sociétaire est passible pour le paiement des
sinistres.
Ce maximum constitue le fonds de garantie.
Les statuts peuvent décider que chaque sociétaire sera
tenu de verser d’avance une portion de la contribution
sociale pour former un fonds de prévoyance. Le mon
tant de ce versement, dont. le maximum est fixé dans
les statuts, sera déterminé chaque année par l’assemblée
générale.
�388
lof d e
1867
sur
les
sociétés
30.
Si les statuts le stipulent ain si, les indications
du tableau de classification ne font pas obstacle à ce
que le conseil d’administration demeure juge soit de
l’application de la classification à tout risque proposé à
l’assurance, soit même de l’admissibilité de ce risque.
5 1 . Les statuts déterminent également le maximum
de la contribution annuelle qui peut être exigée de cha
que sociétaire pour frais de gestion de la société.
La quotité de cette contribution est fixée tous les cinq
ans au moins par l’assemblée générale.
Il peut être décidé, soit par les statuts, soit par l’as
semblée générale , qu’une somme fixe ou proportion
nelle est allouée par traité à forfait à la direction. Ce
traité est révisé tous les cinq ans au moins.
L’acte qui l’autorise ou l’approuve détermine en mê
me temps , d’une manière précise , quels sont les frais
auxquels la somme allouée a pour objet de pourvoir.
3 2 . Il peut être formé , dans chaque société d’assu
rances mutuelles, un fonds de réserve ayant pour objet
de donner à la société les moyens de suppléer à l’in
suffisance de la cotisation annuelle pour le paiement des
sinistres.
Le montant du fonds de réserve est fixé tous les cinq
ans par l’assemblée générale , nonobstant toute stipula
tion contraire insérée dans les statuts.
Le mode de transformation et l’emploi de ce fonds
sont déterminés par les statuts, sauf application des dis
positions suivantes :
�APPENDICE.
389
Dans aucun cas , le prélèvement sur le fonds de ré
serve ne peut excéder la moitié de ce fonds pour un seul
exercice.
En cas de dissolution de la société, l’emploi du reli
quat du fonds de réserve est réglé par l’assemblée géné
rale, sur la proposition des membres du conseil d’ad
ministration , et soumis à l’approbation du ministre de
l’agriculture, du commerce et des travaux publics.
3 3. Les fonds de la société doivent être placés en
rentes sur l’Etat, bons du Trésor ou autres valeurs créées
ou garanties par l’Etat, en actions de la banque de Fran
ce , en obligations des départements et des communes,
du crédit foncier de France ou des compagnies françai
ses de chemins de fer qui ont un minimum d’intérêt
garanti par l’Etat.
Ces valeurs sont immatriculées au nom de la société.
S E C T IO N V
Déclaration, estimation et paiement des sinistres.
5 4 . Les statuts déterminent le mode et les conditions
de la déclaration à faire en cas de sinistre par les so
ciétaires pour le règlement des indemnités qui peuvent
leur être dues.
35.
L’estimation des sinistres est faite par un agent
de la société ou tout autre expert désigné par elle, con
tradictoirement avec le sociétaire ou avec un expert choisi
par lui ; en cas de dissidence, il en est référé à un tiers
expert désigné , à défaut d’accord entre les parties, par
�390
LOI DE
1867
SUR LES SOCIÉTÉS
le président du tribunal de première instance de l’ar
rondissement , ou, si les statuts l’ont ainsi décidé , par
le juge de paix du canton où le sinistre a eu lieu.
3 6 . Dans les trois mois qui suivent l’expiration de
chaque année , il est fait un règlement général des si
nistres à la charge de l’année, et chaque ayant droit
reçoit, s’il y a lieu, le solde de l’indemnité réglée à son
profit.
37. En cas d’insuffisance du fonds de garantie et de
la part du fonds de réserve déterminée par les statuts,
l’indemnité de chaque ayant droit est diminuée au cen
time le franc.
S E C T IO N VI
Dispositions relatives à la publication des actes de
société.
3 8 . Dans le mois de la constitution de toute société
d’assurances mutuelles, une expédition de l’acte notarié
et de ses annexes est déposée au greffe de la justice de
paix et, s’il en existe, du tribunal civil du lieu où est établie la société.
A cette expédition est annexée une copie certifiée des
délibérations prises par l’assemblée générale , dans les
cas prévus par l’article 12.
3 9 . Dans le même délai d’un m ois, un extrait de
l’acte constitutif et des pièces annexées est publié dans
l’un des journaux désignés pour recevoir les annonces
légales. Il sera justifié de l’insertion par un exemplaire
�,
APPENDICE.
391
du journal certifié par l'imprimeur, légalisé par le maire
et enregistré dans les trois mois de sa date.
4 0 . L’extrait doit contenir la dénomination adoptée
par la société et l’indication du siège social, la désigna
tion des personnes autorisées à gérer, administrer et si
gner pour la société, le nombre d’adhérents et le mini
mum de valeurs assurées au-dessous desquels la société
ne pouvait être valablement constituée, l’époque où la
société a commencé, celle où elle doit finir et la date du
dépôt fait au greffe de la justice de paix et du tribunal
de première instance. Il indique également si la société
doit ou non constituer un fonds de réserve.
L’extrait des actes et pièces déposées est signé , pour
les actes publics, par le notaire, et, pour les actes sous
seing privé , par les membres du conseil d’administra
tion.
4 1 . Sont soumis aux formalités ci-dessus prescrites
tous actes et délibérations ayant pour objet la modifica
tion des statuts , la continuation de la société au delà
du terme fixé par les statuts, la dissolution avant ce ter
me et tout changement à la dénomination, ainsi que la
transformation de la société dans les conditions indi
quées par l’article 67 de la loi du 24 juillet 1867.
4 2 . Toute personne a le droit de prendre commu
nication des pièces déposées au greffe de la justice de
paix et du tribunal , ou même de s’en faire délivrer à
ses frais expédition ou extrait par le greffier ou par le
notaire détenteur de la minute.
�LOI DE 1 8 6 7
SUR LES SOCIÉTÉS
Toute personne peut également exiger qu’il lui soit
délivré , au siège de la société , une copie certifiée des
statuts, moyennant paiement d’une somme qui ne pour
ra excéder un franc.
Enfin les pièces déposées doivent être affichées d’une
manière apparente dans les bureaux de la société.
4 5 . Notre ministre, etc.
Il*
If
> Wj t K
m
■
■i
Nous avons aux numéros 208 et suivants indiqué et
discuté un arrêt de la cour de Douai du 10 août 1868,
jugeant que les syndics de la faillite d’une société en
commandite par actions, sont irrecevables à intenter et
à poursuivre l’action en responsabilité contre les mem
bres du conseil de surveillance, au nom et dans l’intérêt
de la masse.
Il nous a paru que cette doctrine méconnaissait et
violait la loi. Nous sommes heureux de voir que la Cour
suprême a partagé et consacré cette opinion.
En effet la cour de Douai avait déjà adopté la même
solution par un arrêt du 11 février de la même année
1868. Cet arrêt ayant été déféré à la Cour régulatrice,
avait encouru sa censure. La chambre civile en pronon
çait la cassation le 16 mars 1870.
�APPENDICE.
393
Attendu, dit l'arrêt, que les articles 7 et 10 de la
loi du 17 juillet 1856, qui statuent sur la responsabi
lité encourue , dans certains cas , par des membres du
conseil de surveillance, assimilent cette responsabilité à
celle du gérant de la société avec qui les membres du
conseil sont ou peuvent être tenus des dettes sociales so
lidairement et pâr corps ; que cette assimilation ne per
met pas de douter que cette action fondée sur les articles
7 et 10 précités , telle qu’était celle du syndic Ducros
et Cie, ne puisse intéresser la masse des créanciers , et
que , conséquemment , l’exercice n’en appartienne au
syndic; qu’en décidant de contraire l’arrêt attaqué a
violé les articles çi-dessus visés1. »
La loi nouvelle n’a modifié en rien le caractère de la
responsabilité des membres du conseil de surveillance.
Sous son empire ces membres peuvent être tenus soli
dairement avec le gérant, dans le cas prévu par les ar
ticles 7 et 8.
Quant à la responsabilité personnelle des membres du
conseil indépendante du g é ra n t, l’article 9 ne l’admet
que s’il y a eu violation du mandat.
Dans le premier cas , on doit dire avec la cour de
Cassation que l’identité du principe de la responsabilité
donne au syndic, contre les membres du conseil, les mê
mes droits et par conséquent les mêmes actions que
contre le gérant.
Dans le second cas, le mandat des membres du con1
du P.,
1870, SSM,
�394
LOI DE
1867
SUR LES s o c i é t é s
seil existe, non pour tel ou tel créancier , mais pour la
masse qui les comprend tous. Sa violation intéresse donc
cette masse, et l’on ne saurait contester au syndic le
droit d’en demander compte et de poursuivre la répa
ration du préjudice qui peut en être résulté.
La société qui n’a pas été publiée conformément aux
prescriptions de la loi est frappée de nullité. Quel est
l’effet juridique de cette nullité ?
Un arrêt de la cour de Paris du 3 mars 1870 juge
qu’une société commerciale qui n’a pas été publiée con
formément à la loi constitue , non une personne civile,
propriétaire de l’actif social et tenue du passif social,
mais une simple société de fait non susceptible d’être
mise en faillite ; que dès lors les créanciers peuvent seu
lement faire déclarer en faillite chacun des associés in
dividuellement.
« Considérant, dit l’arrêt, que la matière de la fail
lite est du ressort de l’ordre public ; que la faillite n’est
aucunement un effet de la société de fait ; qu’elle est au
contraire la sanction de l’inexécution par les associés
de leurs engagements; qu’à ce titre chacun d’eux serait
bien exposé à être mis en faillite individuellement dans
�APPENDICE.
395
les conditions ordinaires de tout commerçant cessant
ses paiements ; mais que la mise en faillite collective
d’une simple association répugnerait à la nature d’une
telle société qui, procédant du fait et non du d ro it, ne
saurait participer à la fiction purement légale en vertu
de laquelle une société , pour constituer un être moral
distinct de l’individualité des associés, une personne ci
vile propriétaire de l’actif social et tenue du passif so
cial , est essentiellement soumise à la condition de la
y
publicité réglée par la loi '. »
Toutes les conséquences que la Cour tire de la nul
lité de la société sont juridiquement incontestables lors
que le litige s’agite entre associés. Mais on ne saurait
ni les invoquer , ni moins encore les admettre lorsque
les parties en présence so n t, d’une p a r t, ces associés,
de l’autre, les créanciers sociaux.
La raison péremptoire se puise dans cette règle de
l’article 56 , que le défaut des formalités prescrites par
l’article 55 ne peut être opposé aux tiers par les asso
ciés.
Donc pour les tiers la société n’est pas nulle : elle
existe non pas seulement en fait, mais encore en droit.
On ne saurait donc , en ce qui les concerne , refuser de
lui faire produire toutes ses conséquences , la mise en
faillite notamment.
La doctrine de la cour de Paris méconnaît et viole
positivement la disposition de l’article 56. Si des créanJ, du P., -1870, 576,
Y
�396
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES
c ie rs s o c ia u x
so c ié t é s
p o u r s u iv a n t c o n tr e les a sso c ié s la fa illite
d e la so c ié té p e u v e n t ê tr e é c a r té s p a r l ’e x c e p tio n d e n u l
lité d e
la
s o c i é t é , r / e s t - c e p a s a u to r is e r le s
a s s o c ié s ,
c o n tr a ir e m e n t a u x te r m e s f o r m e ls d e l ’a r tic le 5 6 , à o p
p o s e r a u x tie rs le d é f a u t d e s f o r m a lité s
p re s c r ite s p a r
l ’a r tic le 5 5 ?
M . l ’a v o c a t g é n é r a l H é m a r n e s ’y é ta it p a s tr o m p é .
L e d é f a u t d e p u b lic a tio n , d i s a i t - i l , n e p e u t p r é ju d ic ie r
a u x tie r s . C e u x -c i p e u v e n t , à l e u r g r é e t d a n s la m e
s u r e d e le u r s in té r ê ts , i n v o q u e r o u n é g lig e r la n u llité ,
a d m e ttr e o u r e p o u s s e r l ’e x is te n c e d e l a so c ié té , et d é d u i
r e , s o it d u fa it d e l ’a s s o c ia tio n q u ’ils r e c o n n a is s e n t, s o it
d e l ’e x is te n c e d e l a s o c ié té , to u te s le s c o n s é q u e n c e s q u i
e n d é c o u le n t. L a lo i le u r d it : v o u s tr a ite r e z c e tte s o c ié té
n o n p u b lié e c o m m e il v o u s p la ir a . S i v o tr e in té r ê t ex ig e
q u ’e lle s o it c o n s id é r é e c o m m e v iv a n te , la v ie lé g a le l ’a
n im e r a ; si n o n , e lie s e ra m o r te
e t v o u s n ’a u r e z p lu s
d e v a n t v o u s , e n la p e r s o n n e d e s a s s o c ié s , q u e d e s i n d i
v id u a lité s d is tin c te s q u e le lie n so c ia l n e r a t t a c h e r a p lu s
e n t r e e lle s. T e l e st é v id e m m e n t le s e n s d e ce tte rè g le :
q u e la n u llité p e u t ê tr e o p p o s é e p a r le s in té r e s s é s , e t n e
p e u t ê tr e o p p o s é e a u x tie r s p a r le s a s s o c ié s .
Ceci p o s é , a jo u te M . l ’a v o c a t g é n é r a l , e s t - i l p e r m i s
d e d ir e , a v e c le tr ib u n a l d e c o m m e r c e , q u e
la s o c ié té
n o n p u b lié e n e p e u t ê tr e d é c la r é e e n f a illite ? I l e st é v i
d e n t q u e la th è s e o p p o s é e e s t s e u le v r a ie . C o m m e n t, e n
effet , le s a ss o c ié s p o u r r a i e n t - i l s se d é f e n d r e c o n tr e l a
d e m a n d e e n d é c la r a tio n d e fa illite p o r té e p a r le s tie rs '
Les tie rs p a r t a n t d e c e lte id é e q u e la so c ié té ex iste et n e
�APPENDICE.
397
paie plus , demandent sa mise en faillite. Les associés
impuissants à contester la suspension des paiements
pourront-ils se prévaloir de l’inexistence de la société?
Non, car ce serait invoquer, à l’égard des tiers, la nul
lité qui vicie la société. Or la loi porte textuellement que
cette nullité ne peut être opposée aux tiers par les as
sociés.
M. l’avocat général avait cent fois raison , et son in
terprétation de l’article 56 était incontestablement la
seule que comportaient le texte et l’esprit de cet article.
On ne peut que s’étonner que la cour de Paris en ait
pensé autrement.
Tenons donc pour certain , contrairement à l’arrêt,
que dès qu’une société commerciale s’est publiquement
produite , rien ne saurait faire obstacle à ce que les
tiers qui ont traité avec elle et qui ne peuvent être dé
sintéressés par elle , poursuivent contre les associés sa
mise en faillite et la fassent déclarer.
Il ne pourrait en être autrement que si le conflit ex
istait entre les créanciers sociaux et les créanciers per
sonnels des associés. Ceux-ci , en effet , sont des tiers1.
Ils peuvent donc, en cette qualité, agir à leur gré et sui
vant les exigences de leurs intérêts. Il s’agit en effet pour
eux de subir le privilège que les créanciers sociaux ré
clament sur l’actif social. Ils sont donc recevables et fon
dés à discuter ce privilège et à le repousser si l’inobser1 Y. notre Commentaire des sociétés , nu 370 ; notamment Cass., 24
août 4863; J. du P., 1864, 95.
�398
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
vation de la loi a vicié la société dans son origine. Dans
ce cas le privilège n’a plus de base et ne saurait sortir
à effet.
Maintenant comment procèdera-t-on , si avant l’in—
terveniion des créanciers personnels la société a été mise
en faillite? Faudra-t-il rétracter ce jugement et décré
ter autant de faillites distinctes qu’il y aura d’associés
en nom et solidaires ?
Les longueurs et les frais qu’un pareil état des choses
entraînerait doivent le faire rejeter. La faillite d’une so
ciété atteint tous les associés solidaires personnellement.
Dans tous les cas on pourrait demander que le jugement
fût commun à chaque associé individuellement.il n’y au
rait qu’une seule faillite , qu’un seul syndicat ; seule
ment dans la vérification des créances on établirait au
tant de masses qu’il y aurait d’associés. Les créanciers
sociaux seraient admis dans chacune d’elle en concours
des créanciers personnels qui ne fîgureraientchacun qu’au
passif de leur débiteur.
Cette manière de procéder , qui ne saurait offrir le
moindre inconvénient , a le grand avantage de ne créer
qu’une administration , qu’une liquidation unique , et
d’économiser ainsi les longueurs et les frais de dix ou
vingt liquidations. Elle doit donc être préférée et suivie.
H *
D K Di lAIMIi: E T
DEWVIER VOM'ME
�TABLE DD II” VOLUME
T itre II. Des sociétés anonymes.
Article 2 1 ............................................................
I
Articles 22, 23
.............................................
19
Articles 24, 25, 26 ..........................................
48
Articles 27, 28
.............................................
77
Articles 29, 30, 31 ..........................................
93
Articles 32, 33, 34, 35
109
Article 3 6 ................................................................ 131
Articles 37, 38, 39 ........................................... 144
- Article 4 0 ...........................
164
Articles 41, 4 2 ...........................
175
Articles 43, 44
............................................ 193
Article 4 5 ............................................................. 2 1 5
Articles 46, 47
................................................. 526
T itre III Dispositions particulières a u x sociétés
à capital variable.
Article 48 .................................................
Articles 49, 50, 51 .............................................
Articles 52, 53, 54 ............................................
237
258
288
T itre IV. Dispositions relatives à la publication
Articles
Articles
Articles
Articles
Articles
55,
57,
59,
61,
63,
dés actes de société.
56 .................................................
58 .................................................
60 ................................., . . .
62 ................................................
64, 65 ...........................................
305
320
333
340
351
Titre V. Des tontines et des sociétés d ’assurances.
Articles 66, 67 ................................................
361
Appendice............................................................ 377
��TABLE ALPHABÉTIQUE
■/>
A
Abrogation. Sont abrogés la loi de 1856, 325 ; les articles 31,
37 et 40 du Code de commerce , et la loi du 23 mai 1863, 522 ; les arti—
ticles 42, 43, 44, 45 et 46 du Code de commerce, 638.
Acte de société. S’il est sous seing privé il suffit d’un double
original quel que soit le nombre des associés, 32.
A
■
Action. Taux des actions dans la société en commandite par ac
tions,'4 et suiv. — La limite de cent ou de cinq cents francs est appli
cable au coupon comme à l’action, 6. — L’action de jouissance ne peut
être fractionnée ; effets de la vente ou de la cession, 7. — Comment et
sur quoi se calcule le taux à donner à l’action, 8. — Chaque action doit
verser le quart de son montant, 10 et suiv. — La clause de créer de
nouvelles actions au cours de la société est illicite, 12 et suiv. — A
quel moment doit être effectué le versement du quart ,14. — Peut-il
être fait autrement qu’en espèces, 15 et suiv. — Ne peut être fait en
factures ou mémoires de fournitures ou travaux, 18 et suiv. — Le ver
sement est dû par chaque action , 20. — Modifications à la loi de 1856
sur le caractère des actions, plaintes que cette loi avait suscitées , 33 et
suiv. — Les actions ou coupons d’actions sont négociables après le ver
sement du quart, 51 et Suiv. — Ils ne peuvent être négociés qu’après la
constitution de la société , 56 et suiv. — Peuvent être aliénés en tout
temps par la voie civile, 58. — Faut-il que toutes les actions aient
versé le quart, 59 et suiv. — Forme des actions au porteur, ses abus,
dispositions de la loi nouvelle , 62 et suiv. — Les actions sont de droit
nominatives jusqu’à complète lib é ra tio n , quand et comment peuvent-elles
II.
26
�402
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES sociétés
être converties en actions au porteur , 65 et suiv. — La conversion ne
peut être autorisée qu’après libération de moitié, 67 et suiv. — Il n’est
pas nécessaire que toutes aient été libérées dans cette proportion, 69 et
suiv. — Assemblée qui peut être appelée à voter la conversion , 71. —
Droit de poursuivre l’entier versement de l’action ; forme et effet de la
vente, 89. — Caractère de la faculté de provoquer cette vente , 90 et
suiv. — V. S o c ié té a n o n y m e . — Taux des actions dans la société à
capital variable ,551. — Epoque et forme de leur négociation , 552 et
suiv. — Droit conféré à la société de s’opposer au transfert, 553. —
Le taux de cinquante francs est invariable , 555. — V. A d m in is tr a
teu rs.
A c tio n n a ire s .
V.
A c ti o n , A p p o r ts en n a tu r e , A ssem b lée g é
— Ont droit de prendre communica
tion qu siège social de l’inventaire et de se faire délivrer copie du bilan
et du rappôrt des commissaires, 431 et suiv. — Aux frais de qui est
cette copie, 434.
n é r a le , A v a n ta g e s p a r tic u lie r s .
' A d m i n i s t r a t e u r s . Les administrateurs des sociétés anonymos ne peuvent être choisis que parmi les associés, 339 et suiv. — Na
ture de leur mandat, sa, durée, 341. — Peut-il être révoqué a d n u tu m ,
342 et suiv. — Us sont salariés ou gratuits ; conséquence quant à la
responsabilité, 344. — Peuvent nommer un directeur, ou se substituer
un mandataire étranger à-la société, dans quel cas, 345 et suiv — Sont
responsables de ce mandataire ; étendue de cette responsabilité , 348 et
suiv. — Q u id si le mandataire est associé, 356 et suiv. — Ne sont
nommés que pour six ans, mais peuvent être réélus à moins de stipula
tion contraire, 368. — Peuvent être désignés par les statuts et affran
chis de l’approbation de l’assemblée générale ; durée de leur mandat dans
ce cas , 369 et suiv. — Peuvent être autorisés à remplacer provisoire
ment ceux d’entre eux qui seraient morts ou démissionnaires, 373. —
Quand sont-ils nommés , s’il y a des apports en nature ou des avantages
particuliers stipulés, 374. — Constatation de leur acceptation, ses effets,
375. — Nombre d’actions dont ils doivent être propriétaires, 376 et
suiv. — Les statuts doivent le déterminer ; q u i d en cas d’omission, 381.
— Affectation spéciale de ces actions , 386 et suiv. — Elles sont ina
liénables; précautions pour assurer cette inaliénabihté, 389. — Doivent
chaque semestre rédiger un état sommaire de la situation de la société et
�TABLE ALPHABÉTIQUE.
403
le mettre à la disposition des commissaires. 429 et suiv. — Ne peuvent
prendre ou conserver un intérêt direct ou indirect dans les entreprises
ou marchés faits avec la société s’ils n’y sont autorisés, 466 et suiv. —
Nature et caractère de leur responsabilité en cas d’annulation de la so
ciété , 479 et suiv. — Leur responsabilité en cas d’infraction à la loi,
493 et suiv. — Répondent des fautes dans la gestion^ 495 • — De l’ex
cès de pouvoirs, 496. — Peuvent-ils invoquer l’article 4997 du Code
Napoléon, 497 et suiv. — Q u id de la dérogation aux statuts autorisée
par l’assemblée générale, 500. — Répondent de la distribution de divi
dendes fictifs ; en quoi consistent ceux-ci, 503 et suiv. — N’encourent
aucune peine s’ils commencent les opérations avant la nomination des
commissaires, 508. — Cas dans lesquels ils sont punis de la peine de
l’article 505 du Code pénal, 511.
A gence to n tin iè r e .
V.
T o n tin es.
A p p o r t s e n n a t u r e . Caractère de l’exagération des apports
en nature ou des avantages particuliers, ses conséquences, 92. — Pré
cautions prises en 1856 et en 1863 , 93 et suiv. — Système de la loi
nouvelle, 100. — Quels sont les apports soumis à la vérification ; en
quoi consistent les avantages particuliers , 101 et suiv. — Faut-il véri
fier et apprécier si les apports en nature ou les avantages particuliers
sont faits ou stipulés par celui qui est en même temps gérant de la so
ciété, 103 et suiv. — Délai qui doit séparer les deux assemblées, point
de départ des cinq jo u rs, forme de la convocation , 106 et suiv. — Si
la seconde assemblée n’est pas en nombre ou si l’approbation ne réunit
pas la double majorité exigée , peut-on renvoyer à une nouvelle assem
blée, 108 et suiv. — Faut-il que l’assemblée qui nomme les experts
réunisse cette double majorité, 110. — Forme de la délibération, droit
des actionnaires, 111. — Sur quoi se calcule le quart du capital numé
raire, 112. — Conséquence du défaut de l’une des deux majorités , 113.
— Les actionnaires ne sont pas liés par le rapport des experts, consé
quence, 115. — Peuvent-ils modifier l’évaluation, et la majorité sur ce
point lierait-elle la minorité, 116 et suiv. — Ceux qui ont fait l’apport
en nature ou stipulé les avantages particuliers n’ont pas voix délibéra
tive, 123. — Exception aux règles qui précèdent, 124. — Réserve de
l’action pour dol ou fraude, 125. — V. R e s p o n s a b ilité — L’apport
par un ouvrier de son industrie dans la société à capital variable est un
apport en nature, conséquence, 550.
�LOI DE
■
m
i
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
Assemblée générale. Comment doit être composée celle
appelée à voter la conversion des actions en actions au porteur, 71. —
Ne peut délibérer que si les statuts lui en donnent expressément le pou
voir, 85. — Q u id si les statuts sont muets, 86 et suiv. — V. A p p o r ts
en n a tu r e , C o n s e il de s u r v e illa n c e . — L’assemblée générale peut ac
cepter les opérations antérieures à la constitution de la société , 182 et
suiv. — But divers des assemblées générales dans les sociétés anony
mes, distinction, 390. — Nécessité d’une assemblée générale annuelle,
son objet, 391. — Faculté de subordonner , par les statuts, la faculté
d’en faire par,tie à la possession d’un certain nombre d’actions et dé ré
gler le maximum de voix que pourront réclamer les porteurs de nom
breuses actions, 392 et suiv. — Débats au Corps législatif, 394 et suiv.
— Q u id si les statuts omettent cette double détermination, 399. — Les
actionnaires peuvent se faire représenter à. l’assemblée générale, 400. —
Droit de voter aux assemblées constituantes, à qui il appartient ; nom
bre de voix accordées aux porteurs d’actions plus ou moins nombreu
ses, 401 et suiv. — Règles applicables à toutes les assemblées, 403. —
Dans quelle proportion les assemblées générales doivent représenter le
capital social, distinction, 404. — Majorité requise pour les assemblées
annuelles, 405 ; — Pour celles appelées à constituer la société, 406 et
suiv.; — Pour celles qui ont à délibérer sur les modifications aux sta
tuts, la continuation ou la dissolution de la société ,412. — On peut
en appeler à une seconde assemblée si la première ne réunit pas le nom
bre d’actions exigé, 413. — Peut-on également recourir à une troisième
ou à une quatrième, 414. — Comment dans tous les cas se calcule le
capital, 415. — A quelle époque doit être convoquée l’assemblée géné
rale annuelle, 435. — Sa mission en cas de perte des trois quarts du
capital, sa. composition dans ce cas , 449 et suiv. —
D is s o lu tio n ,
P u b lic ité , S o c ié té à c a p it a l v a r ia b le .
A s s o c ia tio n t o n t i n i c r e .
V.
T o n tin e
A s s u r a n c e s (Compagnie d’). Les compagnies d’assurances
autres que celles sur la vie peuvent se former sans autre condition que
d’observer le règlement d’administration publique, 648 et suiv. — A
quelles conditions et quelles sont les compagnies antérieures qui pour
ront se placer sous l’empire de ce règlement, 650 et suiv.; Appendice
n« 1,
�TABLE ALPHABÉTIQUE.
405
Assurances su r la vie (Compagnie d’). Restent sou
mises à l’autorisation et à la surveillance du Gouvernement, 639 et suiv.
Avantages particu liers.
V.
A p p o r ts en n a tu r e .
V
Caisse,
y.
V é rific a tio n .
Capital. La commandite par action né peut se constituer qu’après la souscription de l’entier capital, 40. — La clause divisant le ca
pital et réservant la faculté d’en émettre une partie au cours de la société
serait illicite , 42 et suiv. — Les souscripteurs peuvent-ils réduire le
capital à la partie souscrite, 24 et suiv. — La clause des statuts autori
sant la majorité à faire cette réduction ne serait pas légale, 28. — V.
A c tio n s , A ssem b lée g é n é r a l e , S o c ié té a n o n y m e , S o ciété à c a p it a l v a
r ia b le . — Quand y a-t-il lieu de publier l’augmentation du capital,
622, 626. — V. P u b lic ité .
Cession «factions,
Cessionnaire,
y.
y.
A c tio n s, R e sp o n sa b ilité .
R e s p o n s a b ilité .
Com m issaires. Les actionnaires représentant le vingtième
du capital social peuvent charger des commissaires de les représenter,
304 et suiv. — Comment ils sont nommés, 308. — Nature de leurs
pouvoirs, 306. — Ces pouvoirs expirent-ils avec le jugement ou l’ar
rêt? distinction, 307 et suiv. — Les restrictions au mandat sont op
posables aux tiers, 34 0 et suiv. :— La représentation par commissaires
est-elle permise dans les procès entre actionnaires, 34 2 et suiv. — Les
mêmes règles doivent être suivies dans la société anonyme, 466.
Com m issaires su rveillan ts. But et objet de leur ins
titution, 446 et suiv. — Par qui ils sont nommés et pour quel temps,
44 9 et suiv. — Peuvent ne pas être associés, 424. — Ils sont salariés
ou gratuits, 422. — Mission principale qu’ils ont Uremplir; à quel mo
ment ils doivent l’exercer, 423 et suiv. — Nature et étendue de cette
mission, 426. — Peuvent convoquer l’assemblée générale, 427. —
L’état sommaire sémestriel, l’inventaire de fin d’année et le compte des
profits et pertes doivent être mis à leur disposition , à quelle époque,
428 et suiv. — Comment se règlent l’étendue et les effets de la respon-
�406
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
sabilité des commissaires surveillants , 486 et suiv. — Cette responsa
bilité n’existe qu’à l’égard'de la société , 489. — Les oblige-t-elle soli
dairement, 490 et suiv.
Com m im icatioii.
Faculté pour les actionnaires de prendre
au siège de la société communication, quinze jours avant l’assemblée, de
l’inventaire , du bilan et du rapport du conseil de surveillance , 247 et
suiv — Conséquences quant à l’action en répétition des dividendes fic
tifs , 250. — Comment le gérant prouvera-t-il qu’il a observé le délai
exigé, 251. — Toute personne a droit de prendre communication des
pièces déposées, 628. — V. A c tio n n a ir e s , P u b lic ité .
Conseil d'adm inistration,
y.
A d m in is tr a te u r s .
Conseil de surveillance. Ancienneté de l’institution, mo
tifs qui la recommandaient, 126. — Abus qu’on en faisait avant 1856,
précautions édictées par la loi de cette époque et depuis parcelle de 1867,
127 et suiv. — Le conseil ne peut être pris que parmi les actionnaires,
129. — Le nombre de cinq est réduit à trois, conséquence, 130. — En
cas de démission ou de décès d’un des membres le gérant n’est pas tenu
d’interrompre ou de suspendre les opérations, 131. — Le choix du
conseil appartient à l’assemblée générale ; limite à la liberté du choix,
135 et suiv. — Nécessité de remplacer le mpmbre qui aurait vendu ses
actions, 137. — Légalité de la clause qui rend ces actions inaliénables,
138. — Quiÿ de celle qui exige la possession d’un certain nombre d’ac
tions pour être élu au conseil ,139. — Effet de l’acceptation des fonc
tions si cette clause est obligatoire, 140. — Epoque à laquelle le con
seil doit être nommé en cas d’apports en nature ou d’avantages particùliers, 141. — S’il n’en existe point à qui' appartient le droit de convo
quer l’assemblée générale , 142- — Caractère de la mission ,du conseil,
143 — ,Sa durée, comment elle est déterminée , 144 et suiv. — Les
membres sont toujours rééligibles , mais ne peuvent déléguer leurs fonc
tions, 146 et suiv. — Devoir imposé au premier conseil, 148 et suiv.
— Peut-il suppléer à la négligence du gérant et prévenir ainsi la nullité
de la société, 153 et suiv. — Répond de la nullité pour inobservation
des articles 1, 2, 3, 4 et 5 , 170 et suiv, — Ses membres ne sont pas
solidaires avec le gérant, 172. — Modification à la responsabilité , con
séquence, 173 et suiv. — Droit des associés et des -tiers de poursuivre
les membres du conseil, son fondement à l’égard des tiers, 175 et suiv
�TABLE ALPHABÉTIQUE.
407
— Quand peut-il être exercé , 477 et suiv. — Le conseil ne peut être
poursuivi qu’après que la nullité a été prononcée, 479. — Caractère de
la responsabilité du conseil, 480 et suiv. — V. Responsabilité. — Ca
ractère et étendue de sa mission, 240 et suiv. — A droit de vérifier
tous les livres ,242. — Objet de la vérification de la caisse et du porte
feuille, 213. — V. Vérification — Doit faire annuellement un rap
port à l’assemblée, objet de ce rapport. 247. — Ses devoirs et ses droits
pour l’inventaire , 24 8 et suiv. — Peut proposer le rejet ou la suppres
sion du dividende fixé par le gérant, 223. — Ce qu'il doit faire si sa
proposition à ce sujet est repoussée, 224. — Peut convoquer l’assem
blée générale et conformément à son avis provoquer la dissolution de la
société, 238 et suiv. — Sa responsabilité s’il ne le fait pas, 243 et suiv.
Continuation de société.
V. Assemblée générale , Pu
blicité.
Conversion,
Coopération.
Coupons.
y. Action, Assemblée générale, Responsabilité
V. Société à capital variable..
V. Actions.
a
Déclaration.
Délibération.
V. Fondateurs, Gérants.
V, Assemblée générale, Publicité.
Dépôt. Nécessité du dépôt de l’acte de société, où doit-il être ef
fectué, 884. — Pièces qui doivent être jointes, 882 et suiv. — Formes
du dépôt, 588. — Toute personne a droit de prendre communication
des pièces déposées ou de s’en faire délivrer une expédition, 629 et suiv.
— Obligation d’en afficher une copié dans les bureaux de la société,
632 et suix.
D issolution. Qui peut demander la dissolution de la société en
commandite par actions, 238 et suiv. — Etendue du pouvoir exclusif
de la justice pour la prononcer , 237. — Son opportunité et son utilité
sont appréciées souverainement par l’assemblée générale, 238 — Le re
fus qu’elle ferait d’en autoriser la poursuite empêcherait-il un actionnaire
de la demander en son nom, 239 et suiv. — V. Assemblée générale.—
La dissolution des sociétés anonymes pour perte des trois quarts du ea-
�408
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
pital social est facultative ; par qui doit être résolue la question, 454 et
suiv. — Peut être demandée en justice lorsque le nombre des associés
est descendu au-dessous de sept ; son caractère dans ce cas, 461 et suiv.
— V. Publieité. — A quelle époque l’action est-elle recevable, 463.
Dividendes fictifs. Controverse sur la question de savoir
s’ils étaient répétibles, 225. — Solution de la loi nouvelle , ses motifs,
226 et suiv. — Dans quels cas l’action pourra être intentée, 228. — Se
prescit par cinq ans ; point de départ de ce délai. 229 et suiv. — Com
ment se règlent les prescriptions commencées avant la loi nouvelle, 231
et suiv. — Ne seraient pas répétibles quoique distribués sans inven
taire s’ils représentaient des bénéfices, 234. — Ce que sont les dividen
des fictifs, 504.
JE
Em ission. Peine encourue pour l’émission d’actions d’une so
ciété irrégulièrement constituée. — V. Peine.
E tat som m aire. Devoirs des administrateurs des sociétés anonymes de rédiger chaque semestre un état sommaire de la situation de
la société, 428. — y . Administrateurs, Commissaires surveillants.
E xtrait. Ce que doit contenir l’extrait à insérer au journal. —
V. Insertion, •publicité.
Exclusion. Dans les sociétés à capital variable l’assemblée gé
nérale peut être autorisée à exclure un des associés ,570. — A quelle
majorité doit être prise la décision , 571. — N’est susceptible d’aucun
recours, 572. — Obstacle que l’état du capital pourrait opposer à l'ex
clusion, 573.
E
Factures. Indications que doivent contenir les factures, actes
et autres documents imprimés ou autographiés, 634 et suiv.
Faute. Les membres du conseil de surveillance répondent de la
faute légère; envers qui , 203 et suiv. — V. Administrateurs , Com
missaires surveillants, Mandataires, Responsabilité.
Feuille de présence.
niquer à tout requérant, 403.
Son objet; obligation de la commu
�TABLE ALPHABÉTIQUE.
409
Fondateurs. Les fondateurs dans la société anonyme doivent
faire la déclaration exigée par l’article ! er ; ce qu’il faut entendre par
fondateurs , 364 et suiv. — A qui est déférée l’appréciation de sa sin
cérité et de l’exactitude des pièces annexées , 366. — Nature et carac
tère de leur responsabilité en cas d’annulation de la société, 479 et suiv.
Fonds de réserve. Son objet, ses avantages, 437 et suiv.
— Critiques qu’il souleva; réponse du rapporteur, 439 et suiv. — Pro
portion et caractère du prélèvement qui lui est affecté, 441. — Effets du
silence que les statuts garderaient à ce sujet, 442 et suiv. — V. I n té
r ê ts , N u llité .
G
Gérant. Déclaration notariée qu’il doit faire, 26 et suiv. —
Pièces qui doivent y être annexées, 28 et suiv. — Est punissable s’il émet des actions avant la constitution régulière de la société, 264 ; — Ou
s’il commence les opérations avant l’entrée en fonctions du conseil de
surveillance, 269 et suiv. — V. N u l l i t é , P e in e , R e s p o n s a b ilité , S o
ciété en co m m a n d ite.
I
Insertion. L’extrait des actes de société doit être inséré dans
un des journaux désignés pour recevoir les annonces légales ; pièces qui
doivent l’accompagner, 586 et suiv. — Comment il est justifié de l’in
sertion, 580. — Indications que l’extrait doit contenir, 594 et suiv.
Intéressés. Signification de ce terme dans l’article 7, 163 ; —
Dans les articles 37 et 38, 464.
Intérêts. Les intérêts distribués annuellement en l’absence d’une
clause expresse dans les statuts sont assimilés aux dividendes fictifs et
répétibles comme eux , 233. — S ecu s si distribués en l’absence d’in
ventaire ils sont pris sur les bénéfices , 234. — V. D iv id e n d e s fic tif s .
— L’intérêt des actions de la société anonyme peut - il être, prélevé sur
les bénéfices avant la part destinée à constituer le fonds de réserve ? 444
et suiv.
Intervention. Est-elle possible dans l’instance engagée ou sou
tenue par les commissaires nommés par un groupe d’actionnaires ,315,
— Doit-elle rester encore aux frais de l’intervenant, 316.
II. — 27
�410
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
Inventaire. Rôle du conseil de surveillance dans l'inventaire2-18 et suiv — A quel prix, doivent y être cotées les marchandises, 220.
— Compte à tenir des sommes en caisse et des valeurs de portefeuille,
221. — Qwiddes résultats d’opérations non encore liquidées, 222. —
Obligation pour les administrateurs des sociétés anonymes de faire in
ventaire chaque fin d’année ; ses indications, 429.
JL
Liquidation.
Publicité que doit recevoir le mode de liquida
tion, 619.
Livres.
V.
Vérification.
Loi. La loi de 1856 est abrogée, 325 ; — Il en est de même de
la loi du 23 mai 1863, 522.
NI
Obligations quant à la publicité;
de la société qui a plusieurs maisons de commerce dans divers arron
dissements ; ce qu’on doit entendre par maisons de commerce, 608 et
suiv. — Quid si les diverses maisons sont dans la même ville, 611.
Maisons de com m erce.
M ajorité. Dans toutes les assemblées générales les délibéra
tions sont prises à la majorité des voix , 403 — V. Assemblées géné
rales.
M andat,
y.
Administrateurs, Commissaires surveillants.
M andataire» m l f i l e n t .
Marchandise».
V.
Commissaires
V. Inventaire. Vérification.
X
Nullité. L’inobservation des articles 1, 2. 3, 4 et 5 entraîne la
nullité de la société; eflets de cette nullité contre le gérant, 155 et suiv.
— La nullité est d’ordre public, conséquence, 157 et suiv. — L’action
en nullité peut être exercée même après la dissolution de la société, et
ne se prescrit que par trente ans , 159 et suiv. — Le droit de la pour
suivre appartient à tous les intéressés, y compris les créanciers person
nels des associés, 163. — La nullité ne peut être opposé aux tiers, mais
�TABLE ALPHABÉTIQUE.
411
ils peuvent en exciper contre les associés, 164 et suiv.— Les créanciers
personnels des associés peuvent-ils l’opposer aux tiers ,166. — Quels
sont les tiers auxquels la nullité ne peut être opposée, 167. — Caractère
de la nullité ; obligation pour le gérant de réparer le préjudice qu’elle a
causé, 168 et suiv. — Fin de non recevoir que pourrait rencontrer l’ac
tion en nullité, 185. — L’omission du prélèvement du vingtième destiné
au fonds de réserve n’est pas une cause de nullité, 443. — Nullité des
sociétés anonymes, 474 et suiv. — L’inobservation des articles 55 et
56 annulle la société; q u i d du retard dans l’observation, 592 et suiv.—
Le défaut de publication des délibérations dont la loi exige la publicité
les frappe de nullité , conséquence, 624. — Q u id du retard , 625. —
Conséquences et effets de la nullité quant à la faillite, appendice n° 3.
JP
Petne. Nécessité d’une peine comme sanction aux devoirs et obli
gations prescrits ; nature de celle édictée par la loi nouvelle , 252. —
Débats au corps législatif, 253 et suiv. — Ensemble des faits punissablés , 257 et suiv. — Leur caractère, 259 et suiv. — La peine est en
courue par l’émission d’action d’une société irrégulièrement constituée,
262. — La délivrance de titres provisoires n’est pas punissable, 263. —
L’émission d’actions avant l’accomplissement de l’article 4 est punissa
ble, 264 et suiv. — Quid de l’émission d’actions d’une société étran
gère , 266 et suiv. — Contre qui la peine serait-elle prononcée dans ce
cas, 268. — La peine est encourue si les opérations sont commencées
avant l’entrée en fonctions du conseil de surveillance , 269 et suiv.; —
Par ceux qui se présentant comme actionnaires sans l’être ont créé une
majorité factice ; sa nature dans ce cas , 272. — La loi ne punit que le
délit consommé, non la tentative, 273. — Difficultés que peu! soulever
la constatation du délit; sens des mots : « ont frauduleusement créé, »
274 et suiv. — Il n'y a pas délit si les actions avaient droit de voter,
276. — La peine prononcée contre les faux actionnaires est encourue
par ceux qui ont remis les actions , 277. — Le remettant et l’acceptant
peuvent être tenus à des dommages - intérêts envers les associés et les
tiers, 278 et suiv. — Est punissable la négociation d’actions dont la
valeur ou la forme serait contraire aux articles 1, 2 et 3 ou qui n’au
raient pas versé le quart, 280 et suiv. — La loi ne punit que le fait ac
compli ; conséquence pour le cessionnaire ,282. — Sont punissables
�4121
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
tous ceux qui ont participé à la négociation, agents de change, courtiers
ou autres intermédiaires, 283 et suiv. — Est punissable toute publica
tion de la valeur des actions irrégulières, 285. — Qui doit être puni de
l’auteur de l’annonce ou du gérant du journal qui l’a insérée, 286 et suiv.
— Le fait matériel de la publication détermine la condamnation, 289.—
Peine encourue par ceux qui par simulation de souscriptions ou de ver
sements, ou par publication de souscriptions ou de versements qui n’ex
istent pas ou de tous autres faits faux ont obtenu ou tenté d’obtenir des
souscriptions ou des versements, 291. — La tentative est punie comme
le fait lui-même, 292. — Dans quel sens il est exigé que la publication
ait été faite de mauvaise foi, 293. — La même peine est encourue par
ceux qui ont de mauvaise foi publié le nom de personnes désignées con
trairement à la vérité comme appartenant ou devant appartenir à la so
ciété à un titre quelconque, 294 et suiv. — Est passible de la peine la
distribution de dividendes fictifs en l’absence de tout inventaire ou sur
un inventaire frauduleux, 296 — C’est le caractère fictif qui constitue
seul le délit, conséquence, 297. — Ces peines sont indépendantes"de
celles que pourraient faire encourir les délits de droit commun dont se
rendraient coupables le gérant ou les fondateurs, 298. — L’article 463
du Code pénal est applicable dans tous les cas, 300. — Les peines pro
noncées dans l’hypothèse d’une commandite par actions s’appliquent à
celle d’une société anonyme , 506 et suiv. — Peine encourue pour ab- '
sence , dans les actes , factures et autres documents imprimés ou autographiés, des indications exigées par la loi, 637.
Perte,
v . Dissolution.
Portefeuille.
Prélèvem ent.
V. Inventaire, Vérification.
V.
Fonds de réserve, Intérêts, Nullité.
P r e s c r i p t i o n . Par quel laps de temps se prescrit l’action en
nullité de la société, 159 et suiv. — L’action en répétition des dividen
des fictifs se prescrit par cinq ans, 228. — Point de départ du délai,
230. — Comment se règlent les prescriptions commencées avant la loi
et non encore acquises, 231 et suiv.
.
P ublication. La publication de la valeur d’actions irrégulières
quant à leur valeur ou à leur forme constitue un fait punissable, 280.—
Est également punissable la publication de la valeur d’actions d’une so
ciété non régulièrement constituée, 285. — Qui doit être puni de l’au-
�TABLE ALPHABÉTIQUE.
413
teur de l’annonce ou du gérant du journal qui l’a insérée , 286. — La
publication entraîne la condamnation, 289. — Publication de souscrip
tions ou de versements qui n’existent pas ou de tous autres faits faux ;
son caractère, 291 et suiv. — Du nom de personnes désignées contraire
ment à la vérité comme appartenant à la société à un titre quelconque,
294. — V. Peine.
Pu blicité. Publicité que doit recevoir la résolution de rassem
blée ou le jugement du tribunal statuant sur la dissolution, 458 et suiv.
— Forme de la publicité à donner aux actes de "société, 579 et suiv. —
Délai dans lequel elle doit être réalisée, son point de départ ,591. —
V. Insertion. — Doivent être publiées lés délibérations modifiant les
statuts ,616; — Continuant la société après l’expiration du terme ou
la dissolvant avant, 617 et suiv.; — Ou votant la conversion de la so
ciété en société anonyme dans les termes de la loi, 620 ; — Ou repous. sant la dissolution malgré la perte des trois quarts du capital, 621 ; —
Ou qui augmentent le capital en vertu de l’article 49 , 622 — Dans
quelle forme se réalise cette publicité, 623. — Effet de l’inobservation
ou du retard, 624 et suiv. — Publicité spéciale pour la société ano
nyme ou en commandite par actions, 628 et suiv.
se
R apport à la masse. Conditions auxquelles est subordon
née l’action en rapport, 225. — Par quel laps de temps elle se prescrit,
229. — Dans quels cas les intérêts sont assimilés aux dividendes fictifs
quant au rapport, 233. — Les dividendes et les intérêts ne sont pas su
jets à rapport s’ils sont pris sur les bénéfices, 234. — Ne sont pas su
jettes à rapport les sommes distribuées aux actionnaires des sociétés anonymes sans qu’on eût prélevé la part destinée à constituer le fonds de
réserve, 447.
Rem placem ent. Associations des pères de famille pour le'
remplacement.de leurs fils, V. Tontines.
R eprise «le l ’apport. L’apport dans les sociétés à capital
variable peut être repris en tout ou en partie, 534 et suiv. •— Les sta
tuts doivent fixer un minimum au-dessous duquel le capital ne pourra
être réduit, 558 et suiv. r - V. Société à capital variable. — Intérêt
pour la société à se ménager un délai pour opérer la restitution, 569
�414
LOI DE 1 8 6 7 SUR LES SOCIÉTÉS
R esponsabilité. Le projet de loi réduisait à la moitié du
montant de l’action la responsabilité des premiers sorscripteurs, motifs,
34 et suiv. — La clause des statuts qui autoriserait l’actionnaire à ne
payer que la moitié serait nulle, 39 et suiv. — Conditions du projet,
débats au Corps législatif 44 et suiv. — Responsabilité des souscrip
teurs qui ont aliéné leurs actions et des cessionnaires qui les ont acqui
ses , 72. — Durée en cas de transformation des actions , 73. — Dans
quels cas cette responsabilité devient un surcroît de garantie, 74. — La
responsabilité n’existe que s’il y a eu cession, 75 et suiv. — L’article 3
est inapplicable au cas de cession postérieure à la délibération , 77 et
suiv. — Si la conversion n’est pas admise la cession postérieure à la
délibération laisse les souscripteurs et les cessionnaires indéfiniment res
ponsables; quid si elle est admise? 79 et suiv. — Motifs qui ont fait
admettre la responsabilité des cessionnaires ; caractère de cette respon
sabilité , 81 et suiv. — Quels sont les cessionnaires qui répondent en
core deux ans du jour de la délibération , 83 et suiv. — V. Conseil de
surveillance , Nullité. — Caractère et étendue de la responsabilité des
associés qui ont fait des apports en nature ou stipulé des avantages par
ticuliers, 186 et suiv. — Substitution du mot associé à celui de fonda
teur, ses effets, 190. — Caractère de la responsabilité que peuvent en
courir ceux qui ont fait un apport en nature ou stipulé des avantages
particuliers dans le cas de nullité de là société pour inobservation des
articles 1, 2, 3, 4 et 5, 190bisj 485. — Caractère de la responsabilité
des membres du conseil de surveillance sous l’empire de la loi de 1856.
conséquence, 191 et suiv. — Système de la loi actuelle, applicabilité
absolue du droit commun, 196. — Le conseil n’est pas responsable des
actes de gestion ; la responsabilité de ses membres est toute personnelle,
197 et suiv. — Dans quels cas ils répondraient solidairement entre eux
et avec le gérant, 199. — L’absence d’un membre aux délibérations du
conseil l’exonèrerait-elle de la responsabilité? 200 et suiv. — Les mem
bres du conseil répondent de la faute légère vis-à-vis des actionnaires ;
quid à l’égard des tiers? 203 et suiv. — Etendue de cette responsabi
lité, 205. — Action en responsabilité; par qui et quand peut-elle être
exercée, 206 et suiv. — Les syndics peuvent-ils l’exercer au nom de la
masse, 208 et suiv.; appendice n° 2. — Responsabilité du conseil qui
n’a ni convoqué l’assemblée générale ni provoqué la dissolution ; son étendue, 243 et suiv. _ Quid si le refus de convoquer émanait de la
�TABLE ALPHABÉTIQUE.
415
majorité; droits et devoirs de la minorité dans ce cas, 245 et suiv. —
Responsabilité des administrateurs des sociétés anonymes qui n’ont pas
prélevé la part afférente au fonds de réserve , 442. — V Administra
teurs, Commissaires, Commissaires surveillants, Fondateurs. — Res
ponsabilité des membres des sociétés à capital variable qui sont sortis
de la société ; son caractère, sa durée, 574 et suiv.
Responsabilité civile. Les membres du conseil de sur
veillance ne sont pas civilement responsables des délits du gérant, 299.
R etraite d’associés. Dans la société à capital variable les
associés peuvent se retirer de la société quand ils le jugent convenable,
562 et suiv — Restriction que ce droit comporte, 565 et suiv.— Pour
rait-on exciper des articles 1869 et 1870 du Code Napoléon , 568. —
Temps pendant lequel les membres sortis de la société sont tenus des
dettes antérieures à leur sortie, 574 et suiv. — Les retraites d’associés
autres que les gérants on administrateurs n’ont pas besoin <}’être pu
bliées, 626 et suiv.
*
Signature. Par qui doivent être signés les pièces et extrait dé
posés et publiés, 612.
Société à capital variab le. Motifs qui l’ont fait admet
tre dans la loi, 523 et suiv. — Personnes qui peuvent la former ; nature
et forme de la société, 532. — La loi ne régit que celles qui ont divisé
leur capital en actions , 533. — Origine et motifs de la variabilité du
capital ; discussion sur la reprise partielle, 534 et suiv. — Le capital ne
peut dépasser deux cent mille francs, 538 et suiv. — Peut être augmen
tée d’année en année , 544. — Doit-être divisé eh actions , 545 et suiv.
— Peuvent faire partie de la société ceux qui n’apportent que leur in
dustrie; condition, 550. — Les actions sont de cinquante francs au
moins ; forme de leur négociation, 551 et suiv. — L’assemblée générale
peut être autorisée à s’opposer au transfert, 553. — Chaque action doit
préalablement verser le dixième, 556. —= La société ne peut être consti
tuée qu’après le versement et la souscription de l’entier capital, 557. —
Elle est valablement représentée en justice, quelle que soit sa forme, par
ses administrateurs, 576. — N’èst pas dissoute par la mort d’un ou de
plusieurs des associés, 577 et suiv. — V. Reprise de l’apport, Retraite
d'auociét.
�seing privé à double original, 327. — Elle n’a ni nom social, ni désigna
tion individuelle ; comment elle est dénommée, 328. — Responsabilité
qu’elle impose aux actionnaires et aux administrateurs, 329. — Son ca
pital doit être divisé en actions ; cette division est obligatoire , 330. —
Les actions sont essentiellement cessibles ; nullité de la clause qui sti
pulerait le contraire, 331 et suiv. — Dans tous les cas la société dont
les actions auraient été déclarées incessibles ne serait pas régie parla loi,
335 et suiv. — Nomenclature des actions que comporte la société ano
nyme, 336 — L’article 36 du Code de commerce est applicable, 337.—
Elle est administrée par un ou plusieurs mandataires, 338. — V A d m i
n is tr a te u r s . — Ne peut exister si le nombre des associés est inférieur à
sept ; caractère de cette interdiction , 358 et suiv. — Est soumise pour
sa constitution aux mêmes formalités que la commandite par actions,
362. — N’est constituée que par l’acceptation des membres élus pour
l’administrer ; comment est constatée cette acceptation, 367. — Dans
quels cas elle est frappée de nullité, 474 et suiv. — Les sociétés anony
mes antérieures à la loi peuvent se transformer en sociétés anonymes
dans les termes de la loi ; à quelles conditions, 516 et suiv.
S o c i é t é à r e s p o n s a b i l i t é l i m i t é e . A quelles con
ditions elle peut se transformer en société anonyme dans les termes de
la loi nouvelle, 521 et suiv.
S o c i é t é c i v i l e . La société civile quelle qu’en soit la forme
n’est pas régie par la loi de 1867, 321, 519.
S o c ié té c o o p é r a tiv e .
V.
S o e ié lé à c a p it a l v a r ia b le .
S o c i é t é e n c o m m a n d i t e p a r a c t i o n s . Effets de la
loi de 1867 sur la commandite par actions , 1. — Nécessité pour bien
saisir l’esprit de cette loi de s’en référer à celle de 1856, 2. — Nature
du mal à cette époque ; remède qu’il appelait, 3 — Conditions impo
sées, 4 et suiv — Fraudes dont sa constitution était l’objet sous le Co
de ; dispositions de la loi nouvelle, 9. — Peut-il exister de commandite
par actions s’il y a moins de trois actionnaires outre le gérant, 132 et
suiv. — Les sociétés antérieures à la loi de 1856 qui n’auraient pas en
core nommé un conseil ds surveillance sont tenues d’y procéder dans les
■ •
�TABLE ALPHABÉTIQUE.
417
six mois de la loi nouvelle ; caractère de ce délai, 317 et suiv. — Sont
exceptées les sociétés civiles quelle qu’en soit la forme, 321. — Condi
tions et forme de la conversion de la commandite par actions en société
anonyme, 322 et suiv. — V. A cte de s o c ié té , A c tio n s, C o n seil d e s u r
v e illa n c e . G é ra n t, V ersem en t.
S o c ié té t o n t i n i c r c .
v.
T o n tin e.
S o c i é t é u n i v e r s e l l e . La société universelle autorisée par
l’article 1836 du Code Napoléon est absolument en dehors de la loi de
1867, 644.
S o lid a rité .
V.
R e s p o n s a b ilité .
S o u s c r i p t e u r s . Les souscripteurs d’actions peuvent-ils ré
duire le capital à la partie souscrite , 21 et suiv. — Caractère réel de
l’engagement contracté par les souscripteurs du pacte social ,114. —
V. A c tio n s , R e s p o n s a b ilité .
S o u s c rip tio n s ,
v.
C a p ita l.
S t a t u t s , v. A ssem b lée g é n é r a le , P u b lic ité . — Droit de se faire
délivrer une copie des statuts moyennant une somme qui ne peut excé
der un franc, 631.
T
T o n t i n e . Les tontines, agences et sociétés tontinières restent
soumises à l’autorisation et à la surveillance du Gouvernement, 639 et
suiv. — Quel est le caractère des associations entre pères de famille
pour le remplacement de leurs enfants, 645 et suiv.
F
V e n t e . Poursuite de la vente de l’action en cas de non paiement ;
forme et effets de la vente , 89 et suiv. — Contre qui peut être pour
suivi le paiement du solde que peut laisser le prix de la vente, 91.
V é r i f i c a t i o n . Nature et étendue de la vérification des livres,
212. — Objet de celle de la caisse et du portefeuille; difficultés que
peut présenter celle-ci, 213 et suiv. — Nature et étendue de celle des
marchandises, 215. — A quelles époques peuvent avoir lieu ces vérifi
cations, 216 — V. A p p o r t en n a tu r e , A v a n ta g e s p a r tic u lie r s .
�418
LOI DE
1867 SUR LES SOCIÉTÉS
Versem ent. Obligation pour les souscripteurs de verser le
quart au moins du montant de leurs actions , <1. — A quel moment
doit être effectué ce versement, 14. — Peut-il être fait autrement qu’en
espèces, 15 et suiv. — C’est le quart non du capital mais de chaque ac
tion qui doit être versé, 20. — Les membres des sociétés ê capital va
riable sont tenus de verser le dixième de l’action, 556.
FIN DE LA TABLE ALPHABÉTIQUE
��
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Droit commercial. Commentaire de la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés en commandite par actions, anonymes et coopératives, 2e tirage
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Description
An account of the resource
2ème tirage de l'exposé et de l'analyse approfondie et critique de la loi de 1867 réformant le code de commerce en matière d'organisation des sociétés par actions, des sociétés anonymes et des coopératives
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-22980/1-2
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1880
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234480270
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-22980_Bedarride_Loi-juillet-1867_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
2 vol.
418-[1], 418 p.
21 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/328
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Commentaire de la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés en commandite par actions, anonymes et coopératives
Abstract
A summary of the resource.
Cet ouvrage est un commentaire de la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés en commandite par actions, anonymes et coopératives.
Jassuda Bédarride, jurisconsulte provençal et avocat au barreau de la Cour-en-Provence commente dans ces deux tomes la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés. Cette loi permet la création d’une société anonyme et oblige pour la première fois, les sociétés à la publication des comptes annuels. Elle deviendra l’une des principales formes de société utilisée par les entreprises. La loi de 1867 a également abrogé les deux précédentes sur les sociétés en commandite du 17 juillet 1856 et la loi du 23 mai 1863 sur les sociétés à responsabilité limitée pour l’avenir.
Après un bref historique sur la législation des sociétés, le premier tome traite du premier Titre de la loi sur les sociétés en commandite et le tome deux des quatre autres titres sur les sociétés anonymes, les sociétés à capital variable et la publication des actes de société.
Le premier tome se concentre sur la société en commandite, plus intéressante à l’époque pour la collecte de capitaux. Les sociétés anonymes étaient soumises à une procédure de création reposant sur l’autorisation de l’Etat ce qui bridait leur création.
Résumé Morgane Dutertre
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Droit commercial -- France -- 19e siècle
Sociétés -- Droit -- France -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/331/RES-20982_Bedarride_Brevet-1.pdf
bfb9d12ec4dc934c317728f134ad1c10
PDF Text
Text
DROXT COMMERCXAL
COMMENTAIRE DES LOIS
SUR
LE~
BREVETS D'IN;\'ENTION
SUR
NOMS
LES
DES FABRICANTS & DES LIEUX DE FABRICATION
su n
LES MARQUES DE FABRIQUE ET DE COMMERCE
SUIVI
D'UN
APPENDICE
CONTENANT LES ACTES ET DOCUMENTS OFFICIELS ET J,ÉGISLATIFS
PAR J. B ÉDARR DE
Avocat près la Cour d'appel d'Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l'Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Legion d'Honneur
22 ,
RUB SOU11FLOT ,
22
2,
1880
RUE TlllBRS,
2
���LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
3 La législation sur les jurandes et maîtrises s’opposait à ce
que la france suivit cet exemple.
4 Nature des privilèges accordés aux inventeurs—Conséquences.
5 Appréciation de cette législation par Colbert ; son abolition
par Turgot.
6 Son rétablissement ; ses effets. — Lettres patentes du 5 mai
1779.
7 Insuffisance du remède.—Arrêt du conseil du 14 juillet 1787
pour les dessins de fabrique.
8 Nécessité qu’il en fût de même pour les inventions.—Récla
mations générales dans ce sens.
9 Liberté du commerce proclamée par la Constituante. — Con
séquences pour les inventeurs.
10 Opinion qu’elle se fait des inventions.
11 Loi du 7 janvier 1791. — Considérations de M. de Boufflers
sur sa nécessité.
12 Son préambule.— Principe consacré par l'art. 1".
13 Négation des conséquences que ce principe entraînait.
14 Diverses catégories de brevets qu’elle consacrait.
15 Cas spécial de déchéance du brevet.
16 Loi du 25 mai 1791.—Son objet.
17 Ces deux lois ont régi la matière jusqu’en 1844. — Modifica
tions qu’elles avaient reçues dans l ’intervalle.
18 Réclamations dont elles avaient été l ’objet, et imperfections
que la pratique avait signalées.
19 Plaintes contre la disposition qui déclarait déchu du brevet
pris en France, le Français qui se faisait breveter à l’é
tranger pour le même objet.
20 Contre les brevets de perfectionnement.
21 Contre les brevets d’importation.
22 Effets de ces réclamations et de ces plaintes.—Révision de la
législation.— Projet présenté à la chambre des Pairs en
janvier 1843.
23 Importance de la propriété du nom du fabricant, de la dési
gnation du lieu de la fabrication , de la propriété des
marques de fabrique.
�SUR LES BREVETS O’iNVENTION
24
25
26
3
Loi du 22 germinal an XI, arlicle 142 du Code pénal de 1810.
Leur raraclère.
Lois des 28 juillet 1824 et 23 juin 1857.
Objel et but de noire Commenlaire.
1. — Dans son rapport sur la loi du 7 janvier 1844,
M. Philippe Dupin faisait entendre res remarquables
paroles :
« Le premier besoin , le premier devoir d'un peuple
qui veut devenir ou rester fo rt, est d’encourager le tra
vail dans toutes ses applications; de lui ouvrir, de lui
faciliter le progrès dans toutes les branches de l’indus
trie; de rechercher des procédés industriels plus puis
sants, plus faciles, plus prompts, plus économiques ; de
multiplier enfin ses objets de consommation et ses moy
ens d’échange , ce double élément de la prospérité des
nations. »
Ce devoir, la société, être collectif, ne peut le remplir
qu’en faisant appel à l’initiative particulière. Les études,
les labeurs incessants et suivis qu’exige un pareil but
ne peuvent se concevoir et se réaliser en dehors de l’in
telligence et du génie de l’individu. Or comment déter
miner les efforts et les sacrifices que coûte ordinaire
ment l’invention, si son auteur n’est pas assuré d’en re
cueillir d’abord le bénéfice ?
2 . —• Le pays commercial par excellence , l’Angle
terre ne s’y était pas trompée. Dès le règne de Jacques
Ier, en 1623, elle avait adopté, en faveur des inventeurs,
un système de protection et d’encouragement qui im -
�4
LOI DU
6
JUILLET
1844
prima un si puissant développement à son commerce et
à son industrie.
3. — L’exemple de cette prospérité fut perdu pour
la France, non pas certes qu’on en méconnût les causes,
qu’on ne se forçât de se les approprier, mais l’organisa
tion des maîtrises et jurandes opposait le plus invincible
obstacle et laissait sans issue possible tous les efforts
tentés dans ce but.
En effet, indépendamment des difficultés qui ren
daient si difficile l’accès des communautés hors desquel
les nul travail n’était possible ; outre la prohibition aux
membres de chacune d’elles d’empiéter sur le domaine
des autres , une réglementation rigide et absolue dont
on ne pouvait s’écarter , perpétuait des procédés de fa brication surannés, enchainait l’essor de l’intelligence,
et étouffait le génie.
4 . — Sans doute la concession autorisée de privilè
ges , assurant aux auteurs des découvertes l’exploitation
libre et exclusive de leurs œuvres, aurait pu atténuer le
mal ; mais cette concession purement arbitraire n’était
pas facile pour le mérite isolé et sans protection. Com
ment aurait-il triomphé de l’opposition et de la résis
tance énergiques de la communauté , bien décidée à ne
pas permettre l’exploitation d’une déouverte qui n’eût
pas été sa propriété, et dont elle ne devait pas recueillir
les avantages.
Aussi voyait-on les auteurs des inventions ou décou
vertes les plus utiles réduits à s’expatrier , ou à mourir
misérablement sur un lit d’hôpital.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
5
5.
Des institutions qui rendaient ce résultat en
quelque sorte inévitable, étaient condamnées par la rai
son et la justice : c’est ce que des esprits éminents ne
cessaient de proclamer. Colbert lui-même qui les avait
respectées et maintenues , ne se faisait aucune illusion
sur leur caractère périlleux autant qu’inique. Il en lais
sait le plus éclatant témoignage dans son testament po
litique, où il exprimait le vœu de leur suppresssion , et
la recommandait au nom de l’intérêt public.
Ce legs fut accepté par Turgot, qui s’acquit un titre
immortel à la reconnaissance publique par la suppres
sion d’une institution qui ne permettait pas à l'indus
trie de vivre de son travail ; qui éloignait l'émulation
et l'industrie , et rendait inutile le talent de ceux que
les circonstances excluaient d'une communauté ; qui re
tardait le progrès des arts par les difficultés multipliées
que rencontraient les inventeurs auxquels les différen
tes communautés disputaient le droit d'exécuter les dé
couvertes qu'elles n'ont point faites.
6.
— Malheureusement l’édit de 1776 n ’eut qu’une
existence éphémère. Des intérêts individuels, des néces
sités fiscales prévalurent sur les motifs d’ordre public et
d’intérêt général si nettement indiqués par Colbert, et si
courageusement appliqués par Turgot.
Les maîtrises et jurandes renaquirent de leurs cen
dres, et avec elles les abus et les énormités qui en étaient
inséparables. Ecoutez le législateur lui-même déclarant
dans le préambule des lettres patentes données, à Marly,
�6
LOI DU
6
JUILLET
1844
le 5 mai 1779 , que si les règlements sont utiles pour
servir de frein à la cupidité mal entendue, et pour as
surer la confiance publique, ces institutions n e cLev a i e n t p a s s'étendre jusqu'au point de circons
crire l’imagination et le génie d'un homme industri
eux , et encore moins jusqu'à résister à la succession
des modes et à la diversité des goûts.
On en était donc arrivé là, et il semble qu’une insti
tution qui, en France, résistait à la mode, était inévi
tablement et définitivement condamnée à périr. Mais les
motifs, les nécessités fiscales qui avaient fait abroger l’é
dit de 1776, s’opposaient à l’adoption d’un remède par
trop radical. Aussi tout ce qu’on va faire pour venir en
aide à l’imagination et au génie, pour servir la mode et
la diversité des goiits, c’est d’ordonner qu’il sera pro
cédé à des règlements nouveaux, et en attendant, de per
mettre aux fabricants et manufacturiers du Royaume
de donner à leurs étoffes telles dimensions ou combinai
sons qu’ils jugeront utiles, s’ils préfèrent ne pas s’assujétir à l’exécution des règlements.
7.
— Cette pauvre satisfaction n’était pas de nature
à satisfaire aux nécessités réelles de l’intérêt général et
aux aspirations qui , de jour en jour , se produisaient
d’une manière plus générale. Les vérités si noblement
proclamées par Turgût avaient germé, et leur revendica
tion devenait de plus en plus générale. Plus le temps
marchait, dit M. Renouard, plus le droit des inventeurs,
notamment à la liberté de leur travail et à sa rémuné-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
T
ration, apparaissait non-seulement dans les réclamations
privées et sous la plume des écrivains, mais encore dans
le langage de l’administration publique.'
Nous ajoutons : et dans ses actes. En 1787, en effet,
un grand pas avait été fait dans cette voie. Un arrêt du
Conseil, du 14 juiHet, assurait pour quinze a n s , à tous
les fabricants du Royaume, la jouissance exclusive des
dessins qu’ils avaient composé ou fait composer, et dont
ils auraient déposé l’esquisse originale ou un échan
tillon.
8.
— Mais ce qui était rationnel et juste pour les
dessins de fabrique, l’était-il moins pour les inventions
ou découvertes nouvelles ? Les raisons de décider dans
le premier cas , n’étaient-elles pas également évidentes
dans le second? Pouvait-on raisonnablement distinguer,
et ne pas les ranger dans une seule et même catégorie?
Ces questions qui s’imposaient chaque jour davantage,
et que la Monarchie aurait eu à résoudre tôt ou tard,
la révolution de 1789 les soumit naturellement à la
Constituante. Les tendances du moment, le caractère de
sa mission faisaient d’avance prévoir dans quel sens
celle-ci les résoudrait. Cette prévision était d’autant plus
facile, que les vœux de la nation énergiquement expri
més par la chambre de commerce de la Normandie dans
ses observations ; dans l’avis des députés du commerce
publié au commencement de l’année précédente ; dans
i Des brevets d’invention, p. 70.
�8
LOI DU
6
JUILLET
1844
celui des inspecteurs et intendants généraux du com
merce ; dans les vœux des bailliage et les cahiers du tiers
état, étaient unanimement reproduits dans les nombreu
ses pétitions qui arrivaient sans cesse de toute part.
9 . — L’assemblée Nationale ne pouvait donc hési- ter. Comme premier pas dans cette voie, elle décrétait la
liberté absolue du commerce et de l’industrie , par la
suppression des maîtrises et jurandes.
Mais cette liberté, loin de protéger les inventeurs, les
exposait au danger qu’avait eu pour eux le régime de
servitude. Elle faisait même leur position pire, puisqu’
elle permettait à tous de s’emparer de leurs œuvres et
de s’en appliquer le profit, Faut-il donc, avec l'honora
ble rapporteur de la loi de 1844 à la chambre des Pairs,
en faire un reproche à l’assemblée Constituante, et l’ac
cuser d’avoir fait table rase du passé, détruit tout ce qui
existait sans songer à mettre quelque chose à sa place,
sans songer à la garantie qu’elle devait à des droits jus
tes et sacrés.
Non, notre immortelle Assemblée n’a mérité ni cette
accusation ni ce reproche. Elle devait avant tout briser
ces entraves odieuses qui enchaînaient la liberté du tra
vailleur et condamnaient à la misère tout ce qui était en
dehors des communautés. Mais il fallait réglementer cette
liberté, en prévenir les abus, et si on ne le faisait pas
immédiatement, c’est qu’il était impossible de le faire.
10. — L’Assemblée ne pouvait donc que hâter de
ses vœux le moment où elle pourrait remplir ce devoir,
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
9
et en attendant manifester sa volonté bien arrêtée de
concilier tous les droits. N’affirmait-elle pas notamment
celui des inventeurs, en applaudissant la manière dont
le définissait Chapelier q u i, rapportant la pétition des
auteurs dramatiques, s’écriait : le droit des inventeurs
est la plus inattaquable, la plus sacrée, la plus légiti
me, la plus personnelle des propriétés.
Mais il était plus facile de proclamer le principe, que
d’en déterminer les conséquences.Celtedétermination,qui
devait concilier le droit des inventeurs et celui delà so
ciété, ne pouvait être que le fruit de la réflexion et d’é
tudes consciencieuses et approfondies.
l î . — Le projet rédigé par la commission fut con
verti eu loi le 7 janvier 1 7 9 1 . Le retard, depuis la sup
pression des maîtrises et jurandes,s’explique parfaitement
par les circonstances qui préoccupèrent l’Assemblée, et
par la nature sociale et politique de la mission à laquelle
elle dut faire face.
Le rapporteur, M. de Boufîlers, examinant le régime
sous lequel on avait jusque là vécu , en exposait ainsi
les iniques et déplorables conséquences :
« Combien de citoyens précieux, après avoir négligé
le soin de leur fortune pendant les plus belles années
d’une vie consumée en recherches, en études, en médi
tations ; après avoir épuisé leur patrimoine en fabrica
tion, en frais inutiles , en essais infructueux , voyaient
souvent leur espoir le plus cher et le mieux fondé s’é
vanouir tout à coup ! Combien d’entre eux privés de
�10
10
LOT DU 6 JUILLET 1 8 4 4
.
ressources , accablés de regrets et d’inquiétude , se sont
expatriés ou bien ont langui dans des asiles ignorés et
souvent humiliants !
» Les noms de Nicolas Briof, inventeur du balancier
à frapper les médailles ; d’Argant, exécuteur des lampes
à double courant d’air ; de Réveillon , fondateur de la
première manufacture de papiers peints ; de Lenoir, qui
a porté à un si haut degré de perfection la fabrication
des instruments de précision, retentissent dans nos an
nales comme un acte d’accusation contre les règlements
de cette époque , et comme une protestation éloquente
contre toute idée de retour vers un pareil régime. »
12.
— Ces paroles font pressentir l’esprit de la loi
nouvelle que le préambule proclame si explicitement :
æSa
« Considérant que toute idée nouvelle dont le déve
loppement ou la manifestation peut devenir utile pour
la société, appartient primitivement à celui qui l’a con
çue, et que ce serait attaquer les droits de l’homme dans
leur essence que de ne pas regarder une découverte in
dustrielle comme la propriété de son auteur; considé
rant en même temps combien le défaut d’une déclara
tion positive et authentique de cette vérité peut avoir
contribué jusqu’à présent à décourager l’industrie fran
çaise en occasionnant l’émigration de plusieurs artistes
distingués , et en faisant passer à l’étranger un grand
nombre d’inventions nouvelles dont cet Empire aurait dû
tirer les premiers avantages; considérant enfin que tous
les principes de justice, d’ordre public et d’intérêt na-
�'
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
11
tional commandent impérieusement de fixer désormais
l’opinion des citoyens français sur ce genre de propriété
par une loi qui la consacre et la protège. »
C’est ce que l’Assemblée admet et consacre. La loi
qu’elle vote déclare , article premier : Toute découverte
ou nouvelle invention dam tous les genres d'industrie,
est la propriété de son auteur. En conséquence la loi
lui en garantit la pleine et entière jouissance suivant
le mode et pour le temps qui seront ci après détermi
nés.
13.
— Cette disposition reproduit la pensée de Cha
pelier, déclarant l’invention ou la découverte la propriété
la plus inattaquable, la plus sacrée, la plus légitime, la
plus personnelle ; et notre grand tribun Mirabeau ajou
tait que cette propriété existait avant que l’assemblée
Nationale l’eût proclamée. Mais alors pouvait-on logi
quement en rendre la jouissance temporaire ? La dispo
sition entière et à perpétuité n’est-elle pas l’attribut na
turel et inséparable de la propriété ?
La loi de 1791 n’accorde cependant la jouissance ex
clusive que pour un temps limité , cinq, dix ou quinze
ans, sans que ce dernier terme puisse être prorogé si ce
n’est par un acte du corps Législatif. Elle recule donc
devant les conséquences du principe qu’elle s’approprie
et qu’elle proclame.
Nous verrons tout à l’heure qu’elle ne pouvait faire
autrement. En protégeant les inventions et les découver
tes nouvelles , en en encourageant ainsi la multiplicité,
�.
12
I.OI DU fi JUILLET
1844
on avait pour but non passeulement l’intérêt privé, mais
encore, mais surtout l’intérêt et l’avenir du commerce
et de l’industrie. Or comment ce but si important au
rait-il été atteint si la société eût été à jamais dans l’im
puissance de profiter de ces inventions ou découvertes?
14.
— L’article 2 considère comme invention tous
moyens d’ajouter à quelque fabrication que ce puisse être, un nouveau genre de perfection.
L’article 3 dispose : Quiconque apportera le premier
en France , une découverte étrangère, jouira des mê
mes avantages que s’il en était / ’inventeur.
L’importation était donc sur la même ligne que l’in
vention, que le perfectionnement, et pouvait donner lieu
à la délivrance d’un brevet. La seule différence c’est
qu’au lieu d’une durée de cinq, dix ou quinze ans , le
brevet d’importation ne pouvait en avoir d’autre que le
terme fixé dans son pays à l’inventeur.
1 5. — L’article 16 énumérant les cas de déchéance
du brevet, range dans cette catégorie le fait du Français
breveté d’avoir obtenu à l’étranger une patente pour le
même objet.
16. — Le 25 mai 1791, une nouvelle loi vint dé
terminer le mode d’exécution de celle du 7 janvier , la
forme des brevets et les formalités à suivre pour leur dé
livrance.
17. — Ces deux lois ont régi la matière jusqu’en
1844. Les quelques modifications qu’elles avaient subies
�SUR LES BREVETS D’rNVENTTON
13
dans l’intervalle, se trouvent dans le décret du 23 sep
tembre 1792 , prohibant la délivrance ultérieure et or
donnant la suppression des brevets antérieurement con
cédés aux établissements de finance ; dans l’arrêté du 5
vendémiaire an IX, prescrivant la mention sur l’expé
dition du brevet d’une annotation ainsi conçue : Le Gou
vernement en accordant un brevet d’invention sans exa
men préalable, n'entend garantir en aucune manière
ni la priorité, ni le mérite, n i le succès d'une inven
tion ; dans le décret de Berlin, du 25 novembre 1806,
abrogeant la prohibition d’exploiter les brevets par ac
tion, et en subordonnant la faculté à l’autorisation du
Gouvernement ; enfin dans le décret de Varsovie, du 25
janvier 1807, réglant le point de départ des années de
jouissance, et, en cas de contestation entre deux breve
tés pour le même o b jet, accordant l’antériorité à celui
qui le premier a fa it, au secrétariat de la préfecture de
son domicile le dépôt des pièces exigées par l’art. 4 de
la loi du 7 janvier.
Un dernier décret du 13 août 1810 , non inséré au
Bulletin des lois, permet de donner au brevet d’impor
tation une durée de cinq, dix ou quinze ans, quelle que
soit celle du brevet étranger dans son pays.
%
18.
— Cette législation fut, pour notre commerce et
notre industrie, un progrès incontestable et un immense
bienfait. On sait le développement qu’elle leur imprima
dès que le rétablissement de la paix vint donner à leurs
spéculations l’occasion et le moyen de se produire , en
�44
LOI DU 6 JUILLET
1844
leur assurant la sécurité sans laquelle elles sont impos
sibles.
Mais elle n’était pas parfaite, et l’expérience ne man
qua pas de prouver qu’elle n’avait pas tout prévu. Fautil s’en étonner, et lui en faire un reproche? Non évi
demment. Comme l’observait le rapporteur de la loi de
4844 , les lois les mieux faites ne sauraient devancer
les révélations de l’avenir, les rapports qu’il doit créer,
les besoins qu’il peut faire naître. Pour se maintenir à
la hauteur de leur destination, elles ne doivent pas res
ter stationnaires dans une société en progrès; filles du
temps et de l’expérience, il faut qu’elles marchent avec
leur siècle, qu’elles suivent les mouvements de la civili
sation ; qu’elles satisfassent à tous les intérêts qui se
produisent.
N’est-ce pas surtout dans la matière commerciale que
se produit et se manifeste cette nécessité ? Sans doute la
législation ne doit pas suivre les oscillations du marché.
Mais la proclamer immuable lorsqu’une épreuve cons
tante a démontré son insuffisance, persister dans des
dispositions q u i , légitimes à l’origine, ne seraient plus
qu’un obstacle au développement et à l’essor des affai
res, ne saurait ni se justifier ni se comprendre.
Or l’expérience signalait chaque jour dans les lois de
4791, non pas seulement des lacunes , mais encore des
erreurs graves qu’il importait de faire disparaître, et les
réclamations devenaient chaque jour plus unanimes et
plus pressantes.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
1o
19.
— On se demandait notamment où était là rai
son d’être désormais de la disposition qui déclarait dé
chu de son brevet, en France, le Français qui avait fait
breveter à l’étranger son invention ?
Sans doute , disait-on , si cette interdiction devait a voir pour effet de réserver au pays le monopole du gé
nie de ses enfants, le fruit exclusif de leurs découvertes,
on comprendrait que la loi frappât les Français indignes
de ce nom qui porteraient à l’étranger leurs moyens et
leurs innovations.
Mais quand l'intelligence ne s’arrête pas devant les
barrières qui séparent les peuples , quand la science et
la civilisation franchissent tous les obstacles , quand la
lumière se répand malgré tous les efforts, est- il juste de
disputer à l’inventeur une partie de la rémunération que
lui doit la société ? Est-il raisonnable de l’empêcher de
faire ce que tout autre pourrait faire à sa place ? Est-il
de l’intérêt national de faire tomber dans le domaine
public, à l’étranger, ce 'que la loi place, en France et à
juste titre, sous l’empire du monopole ?
Celte disposition, en effet, n’était pas seulement une
injustice pour l’inventeur, en ce qu’elle le privait de la
rémunération due à ses sacrifices et à ses travaux , elle
avait pour effet un résultat plus inique encore, en l’ex
posant même sur le marché français à une concurrence
fort préjudiciable. Elle lésait donc les droits de l’inven
teur en même temps qu’elle nuisait au commerce fran
çais en général q u i , pendant la durée du brevet, ne
pouvait employer les procédés à l’aide desquels les é-
�16
LOI DU
6
JUILLET
1844
(rangers produisaient une matière supérieure, et qui se
trouvait ainsi dans un état d’infériorité marquée au
moins sur le marché étranger.
2 0 . — Les brevets de perfectionnement à leur tour
avaient soulevé les réclamations des inventeurs. La né
cessité dans laquelle nous sommes, disaient-ils, d’assu
rer la priorité à nos découvertes, nous oblige de les met
tre au plutôt sous la sauvegarde de la lo i, avant même
qu’elles soient arrivées à leur perfection. Obligés ainsi
de les produire dans l’état d’imperfection qui accompa
gne ordinairement le premier jet d’une conception, nous
laissons la voie ouverte à des perfectionnements sans
nombre qui se présenteraient d’eux-mêmes à nos médi
tations, si la cupidité de certains spéculateurs industriels,
véritables frelons du génie de l’invention, ne venait, dès
les premiers moments, nous en enlever le bénéfice, pa
ralysant ainsi entre nos mains le développement, sou
vent même l’exploitation d’idées qui nous ont coûté des
sacrifices considérables.
2 1 . — De toutes parts enfin on demandait la sup
pression des brevets d’importation. A l’appui de celte
suppression, on disait : Les rapports entre les différents
peuples et les habitudes de l’industrie sont bien changés
depuis l’époque où il pouvait être nécessaire d’encoura
ger par un privilège et par la concession d’un droit de
propriété, l’importation des découvertes étrangères. De
puis longtemps la pratique des arts les plus difficiles,
l’exploitation des industries les plus secrètes n’ont plus
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
17
de mystère pour l’œil investigateur de l’intérêt privé, les
brevets d’importation ne sont plus, pour ainsi dire, que
le prix de la course. 'Il faut dès lors les proscrire eomme une atteinte portée aux droits de lg société, comme
un vol fait au domaine public.
2 2 , — Ces réclamations et ces plaintes durent émou
voir et émurent enfin le Gouvernement. Dès 1828, une
commission spéciale reçut la mission de revoir dans l’en
semble et dans les détails le régime des brevets d’inven
tion, de perfectionnement et d’importation. Un projet
de loi arrêté par elle, en 1833, fut soumis à une com
mission nouvelle qui y introduisit quelques modifica
tions. On consulta les conseils généraux d’agriculture,
de commerce et des manufactures, et sur leurs obser
vations la loi fut présentée à la chambre des pairs, en
janvier 1843.
L'Exposé des motifs est une œuvre remarquable à la
quelle nous aurons beaucoup à emprunter'. Une discus
sion solennelle et approfondie amena la consécration
définitive du projet qui devint ainsi , pour l’avenir , le
Code spécial des inventeurs.
2 3 . — Une matière non moins précieuse, non moins
importante pour le commerce et l’industrie, dès lors di
gne d’une protection énergique, est celle qui a trait à la
propriété du nom du fabricant, à la désignation du lieu
i V. Moniteur du 43 janvier 4843.
�18
LOI DT
J
6
JUILLET
1844
de la fabrication, aux dessins et marques de fabriqueMieux encore qu’un brevet d’invention , l’éclat de l’un,
la réputation méritée des autres est dans le cas de ser
vir d’éléments au succès du commerce , à la fortune du
commerçant, et par cela même d’appeler l’usurpation et
la contrefaçon.
Il fallait donc , dans l’intérêt du commerçant non
moins que dans celui du public, prévenir l’une, empê
cher l’autre, et garantir cette prohibition par une sanc
tion pénale.
2 4.
—- La loi du 22 germinal an XI assimilait au
faux, et punissait de la peine réservée à celui-ci la fausse
indication du nom du fabricant, ou du lieu de la fabri
cation.
L’article 1 42 du Code pénal de 1810 punit de la ré
clusion la contrefaçon des marques de fabrique ou l’u
sage des marques contrefaites; et l’art. 143 de la loi du
28 avril 1832 édicte la peine de la dégradation civique
contre l’usage des marques vraies au préjudice de leur
propriétaire.
Ces lois avaient dépassé le but, et ne protégeaient rien
pour avoir voulu trop protéger. L’énormité de la peine,
son évidente disproportion avec le fait reproché, en an
nihilait l’efficacité , et faisait de leurs dispositions une
lettre morte que personne ne songeait à invoquer ou à
appliquer.
25.
— La concurrence déloyale puisait donc une
dangereuse impunité dans l’excès de précautions que le
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
19
désir de sa répression avait inspiré. Ce mal exigeait un
remède. Les lois des 28 juillet 1824 et 23 juin 1857,
en proportionnant la peine au délit, sont venues opposer
àcelui-ci une barrière plus efficace.
26.
— Ces lois, dont l’une a précédé et l’autre suivi
la loi du 5 juillet 1844, forment, avec celle-ci, un vé
ritable et second Code de commerce dont la connaissance
et l’étude ne sont pas moins intéressantes pour nos né
gociants. S’il leur importe , en effet , d’être fixés sur la
forme , les conséquences juridiques des contrats divers \
qu’ils peuvent souscrire, il ne leur importe pas moins de
connaître les formalités qu’ils ont à remplir pour mettre
leur n om, leur marque de fabrique , les inventions que
leur intelligence a découvertes à l’abri de toute atteinte;
les droits qu’ils ont à faire valoir contre l’usurpation ou
la contrefaçon.
Au reste l’importance de cet intérêt s’établit et se jus
tifie par les nombreux litiges qui chaque jour sollicitent
l’appréciation de nos tribunaux. Eclairer les difficultés
que la matière fait surgir par une étude consciencieuse
de l’esprit et du texte de la loi ; en demander l’exacte
interprétation aux discussions législatives ; indiquer la
solution adoptée par la doctrine et la jurisprudence, nous
a paru une œuvre qui s’imposait d’autant plus à nos
investigations qu’elle était la suite et le complément de
notre Commentaire du Code de commerce.
Puisse l’accueil bienveillant que celui-ci a rencontré,
protéger ce nouvel ouvrage qui, comme son aîné, a été
�20
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
dicté par le désir d’être utile à notre commerce , en lui
signalant les obstacles qui peuvent le contrarier dans sa
marche , et en lui indiquant la manière légale de les
vaincre.
Nous allons, dans une première partie, nous occuper
des brevets d’invention. Nous examinerons , dans une
seconde , ce qui concerne le nom des commerçants, du
lieu de fabrication , et enfin les marques de fabrique
et de commerce.
�PREMIÈRE PARTIE
LOI
SUR
LES
BREVETS
D’INVENTION
T1TRE Ier
DISPOSITIONS
A rt
GÉNÉRALES
1er.
Toute nouvelle découverte ou invention dans
tous les genres d’industrie, confère à son auteur,
sous les conditions et pour le temps ci-après
déterminés, le droit exclusif d’exploiter à son
profit ladite découverte ou invention.
�22
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Ce droit est constaté par des titres délivrés
par le Gouvernement sous le nom de brevets
d’invention.
A rt. 2.
Seront considérées comme inventions ou dé
couvertes nouvelles :
L’invention de nouveaux produits industriels;
L ’invention de nouveaux moyens, ou l’appli
cation nouvelle de moyens connus pour l’obten
tion d’un résultat ou d’un produit industriel.
SOMMAI RE
27 Droit des inventeurs industriels.—Quelle en était la nature?
28 Importance de la solution
29 Arguments tendant à faire considérer le droit comme une
propriété ordinaire.—Réfutation.
30 Inconvénients de la perpétuité qu’entraînait l ’idée de pro
priété.
34 Refus de la loi de 1844 de qualifier de propriété le droit des
inventeurs.
32 Ses motifs.
33 Réponse à l’objection que la loi en cette matière ne pouvait
intervenir que pour constater la préexistence du droit et
pour le protéger.
34 Devoirs et droits du législateur.
35 Adhésion de la chambre des Pairs.—Discussion à la chambre
des Députés.
36 Observations du rapporteur M. Philippe Dupin.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
37
23
Substitution par la chambre des Pairs de l’art. 1" actuel, à
celui du projet du Gouvernement.— Sa rationnalité.
38 Ce qu’est le droit exclusif accordé à l’inventeur.
39 Première condition : prise d’un brevet. — Discussion que ce
mot souleva.
40 Le mot de patente qu’on voulait lui substituer pouvait-il si
gnifier que l ’autorité ne faisait que donner acte d’un dé
pôt, sans rien garantir ?
41 Obligation imposée de mentionner le défaut de garantie. —
Comment elle est exécutée.
42 La délivrance du brevet est obligatoire et forcée.
43 Mais il n ’a d’effets que si l ’invention qu'il protège est nou
velle.
44 La condition de nouveauté est remplie si le produit de l'in
vention est en effet nouveau , malgré qu’il soit obtenu
par la combinaison d’éléments anciens et connus.
45 Ce qu’il faut entendre par moyens, et par application.—Pro
position de déclarer brevetable l ’application nouvelle
â’agents ou de moyens connus.
46 Motifs qui la firent repousser.
47 Troisième condition : que l’invention offre un produit ou un
résultat industriel.—Définition de l ’un et de l’autre.
48 L’intérêt général du commerce et de l’industrie ne permet
tait pas de distinguer.—Exemples cités devant la cham
bre des Pairs.
49 Jurisprudence conforme.
50 Ce qui est vrai pour les résultats, l ’est à plus forte raison
pour les produits. — Arrêt remarquable de la cour de
Paris.
51 Arrêt de Nîmes indiqué comme décidant le contraire.— Ap
préciation .
52 Autre arrêt de la cour de Paris.—Leur caractère.
53 Résumé.
54 Arrêt de la cour de Colmar, exigeant que la découverte soit
utile.—Appréciation.
�24
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
55 Arrêt de la cour de Cassation, qui décide le contraire.
56 Les juges ne peuvent non plus subordonner l ’existence du
brevet à sa valeur et à son importance. — Jurisprudence
en ce sens.
57 Conséquences.
58 Effets du brevet suivant qu’il arrive à un produit nouveau,
ou à l ’application nouvelle de moyens connus.
59 Ce qui est brevetable dans ce dernier cas c’est non le résultat
ou le produit, mais le moyen.—Opinion de M. Rendu.
60 Son caractère rationnel et juridique.
61 Mais ce qui, considéré en soi, ne serait qu’un résultat, peut
devenir, par son application, un moyen brevetable. —
Exemple.
62 Silence gardé par l’art. 2, sur les brevets de perfectionne
ment.—Renvoi.
63 Suppression des brevets d’importation.—Conséquences.
64 Abrogation de la prohibition au breveté français de prendre
un brevet à l ’étranger.
2 7.
— Le législateur de 1844 ne pouvait hésiter
sur la nécessité d’encourager et par conséquent de ré
compenser les découvertes industrielles qui impriment
tant d’élan et un si puissant essor au commerce et à
l’industrie. Le droit des inventeurs à ces récompenses
était affirmé même par ceux qui réclamaient la suppres
sion des brevets d’invention , puisqu’ils proposaient de
les remplacer par une juste et préalable indemnité.
Donc et en principe, le droit des inventeurs était una
nimement reconnu et accepté. Mais quels en étaient la
nature et le caractère ? Constituait-il une propriété ?
N’était-il qu’une créance donnant naissance à un pri
vilège , à un monopole dont on pouvait législativement
régler les conditions et la durée ?
�SUR LES BREVETS û’iNVENTlON
25
28.
— Telle était la difficulté qui s’offrait d’abord,
et sa solution, outre un grave intérêt théorique , devait
exercer une énorme influence sur les conséquences du
droit, et peser d’un grand poids dans le règlement des
litiges nés à son occasion.
En effet, dit avec raison M. Comte , « si la décou» verte nouvelle est la propriété de son auteur, les ma» gistrats devront décider en faveur de l’inventeur les
» difficultés qui se présentent ; si c’est un privilège, c’est
» à dire une restriction mise à la liberté de tous les ci» toyens, les magistrats devront relâcher les liens mis
» à la liberté , et résoudre contre l’inventeur les diffi» cultés qui se présentent. »
L’importance pratique de la solution ne faisait qu’a
jouter à la difficulté. Aussi le parti à adopter a-t-il di
visé , et divise-t—
il encore aujourd’hui les publicistes et
les jurisconsultes.
29.
— Ceux qui se prononcent pour la propriété in
voquent l’autorité de l’assemblée Constituante. Il est cer
tain , en effet, qu’en 1791, l’idée de considérer le droit
des inventeurs comme une propriété ordinaire, dominait
les esprits. Nous en avons la preuve dans les paroles de
Chapelier et de Mirabeau , dans les termes du préam
bule et de l’art. 1er de la loi.
Cependant, lorsque l’Assemblée passe de la théorie à
la pratique, elle abandonne aussitôt celte idée ; elle sub
ordonne la reconnaissance du droit à des conditions, à
des formalités déterminées, et ne lui attribue qu’un effet
temporaire.
�26
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Or la perpétuité n’est-elle pas l’élément vital, l’apa
nage le plus précieux, le corollaire le plus intime de la
propriété ? Est-ce que d’ailleurs celle-ci n’a pas une ex
istence propre et indépendante de toutes conditions ex
trinsèques ? La propriété, dit M. Thiers, est un fait avant
d’être un droit ; le législateur n ’intervient que pour la
constater et la protéger.
La loi de 1791, au contraire , crée le droit et orga
nise ce qui n’existait pas avant, et qui n’a existé depuis
que par elle, et en vertu de ses dispositions ; elle en sub
ordonne le profit à des conditions, et ne lui accorde
qu’un effet temporaire. Donc elle n’a pu le considérer et
ne l’a pas considéré comme une propriété.
Il ne pouvait au reste en être autrement au point de
vue industriel. Le but qu’une loi sur les brevets d’inven
tion se proposait, amenait logiquement, nécessairement
aux conséquences que celle de 1791 consacre.
5 0 . — Sans doute il fallait encourager les découver
tes utiles, afin de les multiplier. Mais le résultat auquel
on voulait ainsi arriver était, non l’enrichissement des
inventeurs en particulier, mais l’intérêt de la société en
général, mais les progrès et le développement du com
merce et de l’industrie.
Or qu’aurait gagné la société si, accepté* comme une
propriété ordinaire, l’invention nouvelle avait été à per
pétuité acquise à son auteur , et passait de ses mains
dans celle de ses héritiers ? Que devenait-elle si, par in
curie , par incapacité ou par leur position , ceux-ci ne
�SUR LES BREVETS DTNVENTION
27
.t,
pouvaient ou ne voulaient plus l’exploiter ? Elle serai
ainsi retombée dans le néant d’où elle avait été tirée,
sans autre résultat que celui d’avoir enrichi l’inventeur.
C’était précisément cet inconvénient que le passé avait
laissé se produire, et qui avait motivé la déclaration du
24 décembre 1763 , réduisant à une durée de quinze
ans les privilèges qui , jusque là , ne recevaient aucune
limite.
Le préambule de cette déclaration constate que les
privilèges, en fa it de commerce, qui ont pour objet de
récompenser l’industrie des inventeurs , ou celle qui
languissait dansune concurrence sans émulation, n’ont
pas toujours le succès qu’on en peut attendre, soit parce
que ces privilèges accordés pour des temps illim ités
semblent plutôt être un patrimoine héréditaire qu’une
récompense personnelle à l'inventeur ; soit parce que
le privilège peut être souvent cédé à des personnes qui
n'ont pas la capacité requise ; soit enfin parce que les
enfants, successeurs ou ayants cause du privilégié ap
pelés par la loi à la jouissance du privilège, négligent
d'acquérir les talents nécessaires. Le défaut d'exercice
de ces privilèges peut avoir aussi d'autant plus d'in
convénients qu'ils gênent la liberté sans fournir au
public les ressources qu'il doit en attendre.
L’expérience avait donc prononcé. C’était là une leçon
et un exemple que notre immortelle Constituante ne
pouvait négliger, et qui la mettaient en garde contre la
perpétuité destinée à produire dans l’avenir l’effet qu’elle
avait produit dans le passé.
�28
LOI DO
6
JUILLET
1844
Mais si on arrivait ainsi invinciblement à refuser au
droit l’attribut essentiel de la propriété, à quoi bon l’ap
peler de ce nom ; pourquoi adopter le mot lorsqu’on
déniait et repoussait la chose ?
3 1 . — La loi de 1844 a évité cette anomalie. Elle
ne qualifie plus de propriété un droit auquel elle n’a
pu ni dû en attribuer les effets : elle évite ainsi une con
tradiction flagrante.
Ce n’est certes pas que les excitations contraires eus
sent oublié ou négligé de se produire. Les inventeurs
revendiquaient cette qualification avec une ardente in
sistance. S’étayant des paroles de Mirabeau.de l’autorité
de l’assemblée Constituante, de l’opinion de publicistes
distingués , ils soutenaient que ne pas inscrire dans la
loi le principe de leur propriété, c’était les rendre victi
mes d’un déni de justice, et fouler aux pieds le droit le
plus respectable, le plus sacré.
3 2 . — Mais pouvait - on raisonnablement qualifier
de propriété un droit auquel on ne voulait pas reconnaî
tre ce caractère ? « La pensée, disait VExposé des m o» ti f s , n’est la propriété de celui qui l’a conçue que
» tant qu’elle ne s’est pas produite au dehors. Une fois
» mise au jour et livrée au monde , elle appartient au
» monde. La matière seule peut être saisie, occupée, re» tenue. L’invention, produit de la fermentation géné» raie des idées, fruit du travail des générations succes» sives, n’est jamais l’œuvre d’un seul homme , et ne
» peut devenir sa propriété exclusive que par le con-
�SUR LES BREVETS û ’INVENTION
2|9
» sentement de la société dans le sein de laquelle il a
» trouvé le germe que son génie a fécondé.
» Heureusement, ajoutait l'Exposé des m otifs, nous
» n’avions pas à vous déférer une question de pure mé» taphysique, et nous ne pouvions oublier que les so» ciétés qui s’éclairent et s’améliorent par les discussions
» philosophiques, ne se gouvernent pas par des princi» pes absolus, et vivent de la réalité des faits. Bornons» nous donc à constater ce qui existe , et ce qui existe
» sans contestation depuis 1791. L’inventeur ne peut
» exploiter sa découverte sans la société ; la société ne
» peut en jouir sans la volonté de l’inventeur. La loi,
» arbitre souverain , est intervenue : elle a garanti , à
» l’un, une jouissance temporaire exclusive; à l’autre,
» une jouissance différée mais perpétuelle. Cette solu» tion , transaction nécessaire entre les principes et les
» intérêts , constitue le droit actuel des inventeurs ; et
» droit naturel ou concédé, propriété ou privilège , in » demnité ou rémunération , ce résultat a été regardé
» universellement comme le règlement le plus équitable
» des droits respectifs ; la raison publique l’a accepté et
» il est devenu, dans cette matière, la base de la légis—
» lation de tous les peuples. »
33.
— La loi est intervenue 1 Mais avait-elle à in
tervenir autrement que pour constater et protéger un
droit qui existait sans elle et avant elle ? Voilà l’objection
derrière laquelle se retranchaient ceux qui soutenaient
que le droit des inventeurs constituait une propriété or
dinaire.
�30
LOI DU
6
JUILLET
1844
Cette objection avait le tort de poser en fait ce qui était en question, et d’accepter comme résolu ce qui res
tait encore dans le doute le plus profond. Il eût fallu,
en effet, établir a priori cette propriété dont on excipait,
avant de conclure à la consécration de ses effets. Or, cette
preuve on était loin de la faire.
3 4.
— Quoi qu’il en so it, même dans l’hypothèse
oû le droit des inventeurs aurait été considéré comme
une propriété, l’intervention de la loi pour l’organiser et
en régler les effets était une nécessité du caractère excep
tionnel de cette propriété. L’état de société crée des rap
ports entre tous ses membres ; et ces rapports, qui donc
a à les régir, si ce n’est la loi ? N’est-ce pas l’intérêt pu
blic qu’il s’agit avant tout de satisfaire , même au prix
des sacrifices à imposer à l’intérêt privé ?
N’est-ce pas, d’ailleurs, de la réunion des intérêts pri
vés que se forme et se constitue l’intérêt général ? Donc
défendre et protéger celui-ci, c’était protéger et défen
dre celui-là. On pouvait d’autant moins hésiter, que tous
les membres d’une société sont tenus de contribuer de
tous leurs efforts à son développement, à sa prospérité;
que chacun d’eux appelé à jouir du travail de tous et à
s’enrichir des efforts de tous, ne saurait spécialiser à son
profit exclusif les résultats de son intelligence et de ses
veilles.
Ce qui était juste, c’est qu’il n’eût pas exclusivement
travaillé pour les autres ; il fallait donc lui assurer l’at
tribution de sa découverte, pendant un temps assez long
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
31
pour qu’il y trouvât le dédommagement de ses veilles,
de ses sacrifices, la récompense de son intelligente et
courageuse initiative.
En définitive donc, la limite imposée à la jouissance
exclusive de l’inventeur, sera si l’on veut une expropria
tion; mais cette expropriation trouvera sa justification
dans le motif d’intérêt public qui en est le mobile.
Vainement objecterait-on que dans tous les autres cas
cette expropriation ne peut se réaliser sans une juste et
préalable indemnité. Cette indemnité existe ; seulement
la nature spéciale de la chose expropriée lui imprimait
nécessairement un caractère spécial et particulier. Elle
ne pouvait consister que dans l’attribution de la jouis
sance exclusive pendant un temps suffisamment rému
néra toire.
La crainte d’étouffer des efforts inutiles, de soumettre
les inventeurs à des formes gênantes , à une inquisition
dangereuse, à une perte de temps considérable, a fait ré
clamer et admettre le principe d’absence de tout examen
préalable , et rendre obligatoire la délivrance des bre
vets. La carrière est donc ouverte à tous, et l’on sait avec quel entrain elle est parcourue.
Il n’est peut-être pas d’Etat qui pût suffire aux in
demnités qui lui seraient chaque jour réclamées. D’ail
leurs ces indemnités ne pourraient se régler que par la
nature et le caractère de la découverte , à l’utilité réelle
de laquelle elles devraient être proportionnées.
Nous voilà donc soumis au système d’examen préala
ble, et à la faculté pour l’Etat d’accorder ou de refuser
�32
LOI DU
6
JUILLET
1844
l’indemnité, suivant les résultats plus ou moins avanta
geux, plus ou moins justes de cet examen. Ce régime,
nous en sommes convaincus, soulèverait des plaintes et
des réclamations cent fois plus énergiques que celles plus
ou moins intéressées qu’a soulevées l’état actuel des
choses.
L’Exposé des motifs avait donc raison d’affirmer le
droit du législateur à intervenir , et de proclamer que
les règles qu’il édictait étaient autant dans l’intérêt des
inventeurs que dans celui du public ; qu’elles étaient
seules capables de concilier tous les droits. Or ces règles
se bornant à la création d’un privilège , et n’accordant
dès lors à l’inventeur qu’un droit de créance, à quoi bon
inscrire dans la loi le mot de propriété.
35.
— La chambre des Pairs d’abord, celle des Dé
putés ensuite n’en jugèrent pas autrement. Organe de
la commission de la première, l’honorable M. Sauvaire
de Barthélémy exposait les motifs qui justifiaient l’omis
sion de la qualification de propriété , et l’approbation
qu’il donnait au projet ne rencontra aucune contradic
tion sur les bancs de la Chambre.
Il n’en fut pas de même à la chambre des Députés.
Le maintien dans la loi de la déclaration que le droit
de l’inventeur constituait une propriété, y fut énergique
ment réclamé. Croyez-vous, disait-on, que le droit sera
plus solide, lorsque vous lui aurez enlevé son fondement
le plus large, la déclaration et la manifestation expresse
du droit de propriété ? Croyez-vous que les inventions
�33
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
seront plus respectées, quand vous les aurez dépouillées
de leur caractère , c’est-à-dire du prestige le plus res
pectable ?
36.
— Cette insistance ne pouvait se justifier que
par la démonstration que le droit des inventeurs consti
tuait en effet une propriété. Or, ce caractère formelle
ment dénié par le projet du Gouvernement, n’avait pas
été admis par la chambre des Pairs. C’est aussi ce que
la commission de la chambre des Députés proposait de
faire, et voici comment son organe, le regrettable Phi
lippe Dupin, étayait cette proposition :
« On a répété souvent que s’il existe, pour l’homme,
une véritable propriété, une propriété sacrée, c’est celle
de la pensée qu’il a conçue, de l’invention qu’il a créée.
Rien n ’est plus vraie. M ais, comme toute a u tre , cette
vérité a ses limites.
» Tant que l’idée , la conception d’une découverte
n’est pas émise , il est incontestable qu’elle est la pro
priété exclusive de celui qui l’a enfantée ; il peut la con
server ou l’émettre, la garder pour lui ou la commu
niquer aux autres. Ce droit n’a pas besoin d’être recon
nu ou protégé par la loi. Nul ne peut l’usurper ou y
porter atteinte. Une telle propriété est inaccessible com
me la conscience, impénétrable comme la pensée.
» Mais une fois émise , une fois jetée dans le vaste
fond commun des connaissances humaines , une idée
n’est plus susceptible de cette jouissance jalouse et exclu
sive qu’on appelle propriété. On ne peut empêcher peri
—
3
!
�34
LOI DU
6
JUILLET
1844
sonne de la recueillir dans le livre où elle est écrite,
dans le cours où on la professe, dans les communica
tions où elle circule.
» Sans doute si l’inventeur d’une découverte a cons
truit ou fait construire la machine qu’il a conçue et dont
il veut doter l’industrie, s’il a fabriqué les produits nou
veaux dont il veut enrichir la société, ces produits et
cette machine sont sa propriété ; nul ne le lui conteste.
» Mais là n’est point la question. 11 s’agit, pour l’in
venteur, non de savoir s’il pourra traduire par l’exécu
tion les conceptions de son intelligence, non pas s’il sera
propriétaire des résultats matériels qu’il aura ainsi ob
tenus, mais s’il aura seul le droit d’exécuter ; s’il pourra
exclure les autres travailleurs du bénéfice d’une création
semblable, s’il obtiendra la faculté d'enchainer leurs bras
et de les empêcher de produire ce qui est entré dans
leur intelligence.
» Or quelque imposantes que soient la parole de Mi
rabeau et l’autorité de l’assemblée Constituante, il est
évident que ce droit de veto sur le travail d’autrui n’est
pas un de ces droits naturels préexistants aux lois , et
que les lois ne font que reconnaître et protéger ; il est
évident encore que ce n’est point là ce qu’on appelle une
propriété.
» Toute découverte utile est, suivant l’expression de
Kant , la prestation d’un service rendu à la société. Il
est donc juste que celui qui a rendu ce service en soit
récompensé par la société qui le reçoit. C’est une trans
action équitable , un véritable contrat, un échange qui
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
35
s’opère entre les auteurs d’une découverte nouvelle et la
société. Les premiers apportent les nobles produits de
leur intelligence, et la société leur garantit en retour les
avantagesd’une exploitation exclusitvedeleur découverte
pendant un temps déterminé. Celte rémunération a mê
me cela de remarquable, que ses produits sont toujours
en rapport direct avec le mérite de l’invention qu’il s’a
git de récompenser.
» Sans doute c’est un privilège , c’est un monopole.
Mais ces mots n’ont rien d’odieux, quand ils n’ont point
pour effet de concentrer dans une main favorisée des
procédés connus; quand ils ont au contraire pour but
d’ouvrir de nouvelles voiePdont tous doivent profiter, et
d’étendre le domaine des arts et de l’intelligence. »
Ces considérations étaient trop rationnelles, trop jus
tes , pour qu’on pût en méconnaître l’autorité. L’omis
sion de la qualification de propriété, qui en était la con
séquence nécessaire , reçut la sanction de la chambre
des Députés, comme elle avait recueilli celle de la cham
bre des Pairs.
5 7 . — Mais l’article 1er du projet proposait de dé
clarer que toute nouvelle découverte ou invention con
férait à son auteur, sous les conditions et -pour le temps
ci-après déterminés l e d r o i t d e j o u i s s a n
c e e n t i è r e e t e x c l u s i v e . La commis
sion de la chambre des P airs, signalant les inconvé
nients de cette rédaction , proposait de remplacer ces
derniers mots par ceux-ci : Le droit exclusif d'exploi
ter à son profit.
�36
LOI DU
6
JUILLET
1844
Le Ministre du commerce s’opposait à cette substitu
tion ; il la signalait comme devant soulever des diffi
cultés , en paraissant circonscrire le droit et le privilège
à l’inventeur personnellement, ce qui impliquait contra
diction avec le pouvoir de céder qui lui était accordé.
La chambre des Pairs suivit l’avis de sa commission;
elle pensa avec raison que les craintes manifestées par
l’organe du Gouvernement n’avaient aucun fondement.
Comment en effet concevoir que des difficultés pussent
surgir sur la faculté de céder et de transmettre l’exploi
tation qu’on lui attribuait ? La rédaction proposée , en
consacrant le droit de l’inventeur, ne dérogeait en rien
aux principes qui pouvaient en diriger l’exercice. Or, en
droit commun, la personne qu’un privilégié s’adjoint ou
se substitue, n ’est que ce privilégié lui-même. C’est ce
lui-ci qui profite de l’exploitation, soit qu’elle se réalise
sous son nom et pour son compte , soit qu’elle se fasse
par un tiers qui en a acheté et payé la concession.
D’ailleurs, pour les privilèges eux-mêmes , la prohi
bition de les céder ne saurait s’induire implicitement de
la rédaction d’une disposition de loi. Elle ne peut ré
sulter que d’un texte qui la consacre expressément; tant
qu’il n’y a pas interdiction de céder , disait M. Girod
(de l’Ain), la cession est possible et légale.
Or, loin de consacrer cette interdiction , la loi allait
dans une section spéciale réglementer la cession , et par
conséquent la prévoir et l’autoriser. Comment, dès lors,
supposer et craindre qu’il se présentât quelqu’un d’assez
osé pour en contester ou en dénier la faculté ?
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
37
38.
— La rédaction de la chambre des Pairs ne dit
donc que ce que disait le projet lui-même, à savoir que
pendant le temps et aux conditions que la loi détermine,
la jouissance de l’invention ou de la découverte appar
tient exclusivement à l’auteur, et que nul ne saurait lé
galement en user sans son autorisation et contre sa vo
lonté.
Mais cette jouissance exclusive et ce droit de veto sont
subordonnés à la prise d’un brevet d’invention. Ce n’est
que par l’obtention de ce brevet que le droit du béné
ficiaire s’impose au public et se trouve placé sous la sau
vegarde de la loi.
39.
— Cette qualification donnée au titre délivré
par le Gouvernement, adoptée sans opposition en 1791,
souleva, en 1844, une vive critique. On lui reprochait
de faire naître l’idée d’une garantie par l’Etat,alors qu’en
fait il ne put ni ne voulut en accorder aucune,
« Le mot de brevet d’invention , disait M. OdilonBarrot, est très-malheureusement employé. Une grande
partie des inconvénients du système exclusif de tout exa
men préalable est attribuée au mot brevet , à l’opinion
fausse que le public y attache. Cette opinion fausse est
exploitée dans le public. Le mot propre serait celui qui
désignerait que l’autorité ne fait que donner acte d’un
dépôt. Malheureusement le mot brevet, dans l’acception
usuelle de ce m o t, suppose ou permet de supposer un
droit attribué. »
4 0 . — La justesse de ces observations était évidente,
�38
LOI DU 6 JUILLET
1844
mais quel était le remède à employer? On n’en propo
sait aucun autre que la substitution du mot patente à
celui de brevet.
Mais quelle était l’efficacité qu’on pouvait se promet
tre de cette substitution ? Quelle différence dans les ré
sultats pouvait-on se flatter d’obtenir de ce que, au lieu
de se produire comme breveté, un objet, un résultat
industriel se serait offert comme patenté par le Gou
vernement ?
Evidemment le danger était ici, non dans le mot,mais
dans la délivrance du titre par l’autorité. Cependant à
qui sinon à elle pouvait-on demander cette délivrance ?
Si l’inventeur a droit à un privilège temporaire, l’inter
vention du Gouvernement était une nécessité; et com
ment empêcher la crédulité d’attribuer à cette interven
tion la reconnaissance et la garantie de l’excellence du
produit qu’elle couvrait d’une protection spéciale.
41.
— Tout ce que le législateur avait à faire, c’é
tait de protester contre cette fausse conviction, et de dé
clarer hautement qu’elle n’avait aucune espèce de fon
dement.
Ce devoir , la loi de 1844 ne Ta ni répudié , ni né
gligé. En consacrant la qualification de brevet, prati
quée depuis 1791 , elle ne s’est pas bornée à déclarer
que l’Etat ne garantit ni la réalité, ni la nouveauté, ni
le mérite de l’invention. Elle exige, de plus , que toute
indication du brevet mentionne en même temps cette
absence de garantie.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
39
Peut-être eût-il été possible de donner à l’exécution
de cette prescription une forme plus efficace que celle
que lui a donnée la pratique. Les quatre initiales, sou
vent microscopiques, sous lesquelles on la déguise, élu
dent bien plutôt qu’elles n’exécutent la loi. Elles n’ont
et ne peuvent avoir aucune signification pour ceux sur
tout qui auraient le plus besoin d’être éclairés.
42.
— L’obtention d’un brevet est donc la condition
viscérale du privilège que tout inventeur est autorisé à
réclamer. Cette obtention ne saurait être de la part du
Gouvernement l’objet d’une hésitation ou d’un doute.
Le principe exclusif de tout examen préalable qui mo
tive et justifie le refus de garantie , entraînait cette au
tre conséquence, que la délivrance du brevet était, pour
le Gouvernement, non une faculté, mais une obligation.
Il ne saurait donc la refuser , dès que le postulant a
rempli les formalités prescrites par la loi.
Telle à été si bien la pensée du législateur , que la
chambre des Pairs ayant rédigé l’art. 2 en ces termes,
sont susceptibles d'être brevetées. ,
, cette rédaction
fut repoussée par la chambre des Députés, parce qu’elle
semblait laisser l’appréciation de cette susceptibilité à la
décision du Gouvernement.
4 5 . — Le brevet légalement demandé doit donc être
accordé. Mais de la part du bénéficiaire son obtention
a surtout pour objet le privilège d’exploiter exclusive
ment son invention ou sa découverte, pendant le temps
et aux conditions déterminés par la loi. Or cet effet ne
3
�40
LOI DU
6
JUILLET
1844
résulte pas du fait de la délivrance , précisément parce
que cette délivrance est obligatoire; qu’elle a lieu sans
examen préalable; qu’elle ne peut donc ni constater, ni
moins encore garantir la réalité, la nouveauté et le mé
rite de ce qui fait l’objet du brevet.
Le brevet ne produit l’effet en vue duquel il a été de
mandé et obtenu, que si son objet constitue une inven
tion ou une découverte réellement nouvelle et inconnue
jusque-là.
La nature des choses l’exigeait forcément ainsi. On
ne saurait certes traiter de trop rigoureuse l’exigence de
la lo i, et arguer d’injustice sa prétention de n’accepter
comme inventeur que celui qui a réellement inventé ou
découvert quelque chose.
Quant à la condition de nouveauté , elle s’imposait
également d’elle-môme. Le désir bien entendu d’encou
rager et de multiplier ainsi les investigations susceptibles
de développer et d’enrichir le commerce et l’industrie,
ne pouvait aboutir à leur appauvrissement. N’est-ce pas
cependant ce qui serait infailliblement arrivé, si un in
dividu quelconque avait pu confisquer à son profit, mê
me temporairement, des produits , des méthodes , des
procédés devenus déjà le patrimoine de tous par leur pu
blicité ou par une pratique quelque restreinte qu’elle eût
été jusqu’à la prise du brevet ?
Le privilège concédé au breveté est un sacrifice que la
société s’impose, et en échange duquel elle doit recevoir
un avantage. Car, comme on l’observait fort justement
dans la discussion de la lo i, si la société donne, ce ne
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
41
peut être qu’à la condition de recevoir. Evidemment elle
ne recevrait rien ; bien plus on lui ravirait ce qui lui
appartient si l’invention ou la découverte, objet du bre
vet, n’était pas nouvelle ; son sacrifice n’aurait plus au
cune raison d’être, et le droit du breveté ne serait plus
qu’un effet sans cause.
La nouveauté ! Telle est donc la condition essentielle
non pour l’obtention du brevet, mais pour son efficacité.
Le gouvernement, en effet, n’est ni en position ni en
demeure de trancher une question qui ne peut être ré
solue que dans et par la pratique ; que par une appré
ciation de faits souvent douteux, et dont les éléments ne
sont pas toujours fort clairs pour les tribunaux euxmêmes.
44.
— La condition de nouveauté est remplie dès
qu’il s’agit d’un produit nouveau, ou que la méthode ou
les procédés découverts ou inventés arrivent à un ré
sultat industriel plus perfectionné , ou d’une manière
plus facile , plus prompte ou plus économique. Il im
porte peu que les moyens employés fussent déjà connus,
si la combinaison qui en est faite constitue un progrès
incontestable.
La pensée du législateur à ce sujet résulte nettement
de la discussion de l’art. 1er ; du texte et de l’esprit de
l’art. 2.
Ainsi on proposait de dire dans l’art. 1er, toute dé
couverte ou invention r e p o s a n t s u r u n ©
. i d é e n o u v e l l e ............. , mais cette proposition
,:|id L h
■h
>i
W
�42
LOI DU
6
JUILLET
1844
fut écartée. Une invention , une découverte, répondaiton, peut se borner à perfectionner une idée ancienne.
La vapeur appliquée à la locomotion n’est pas une idée
nouvelle, et tous les jours elle donne lieu à des inven
tions, à des découvertes.
Au reste une invention , c’est-à-dire la mise en lu
mière et en pratique de ce qui n’existait pas, peut à la
rigueur reposer sur une idée nouvelle. Mais la décou
verte, qui n’est que la manifestation d’un principe qui
jusque-là existait quoique à l’état latent, ne fait le plus
souvent que développer une idée ancienne, en lui don
nant les conséquences dont elle était susceptible , et qui
avaient jusque-là échappé aux investigations. Est-ce que
le profit pour la société est moindre dans ce cas que
dans l’autre.
La loi ne pouvait donc distinguer. La nouveauté dont
elle fait la condition de l’efficacité du brevet, s’entend
uniquement au point de vue du but ou du résultat de
l’invention ou de la découverte. Que l’idée soit ancienne
ou nouvelle, elle est légalement brevetable , si l’emploi
qui en est fait arrive à créer un produit ou à procurer
un résultat se produisant pour la première fois.
45.
— Aussi l’art. 2 considère et accepte-t-il com
me découverte nouvelle l’invention de nouveaux produits
industriels ; celle de moyens nouveaux ; l’application
nouvelle de moyens connus.
« On entend par produit, l’objet matériel obtenu, tel
qu’une étoffe , un ustensile. Par exemple les étoffes de
�SUR LES BREVETS D INVENTION
43
verre , les cafetières à double récipient , le papier de
paille, etc.. . .
» On entend par moyens, le procédé, la combinaison
chimique ou mécanique , la manière dont tels agents
sont employés. Ainsi le procédé de dorure sans l’emploi
du mercure.
» Enfin on entend par application , le fait d’appli
quer un agent connu à un usage nouveau. Par exem
ple l’application du filtre à la cafetière ; l’application de
la vapeur au blanchiment des tissus de fil, etc.. . . ' »
La question de nouveauté , lorsqu’il s’agit d’un pro
duit, ne saurait créer de difficultés bien sérieuses. Il est
facile, en effet, de distinguer et de juger si celui qui est
offert comme nouveau, se produit ou non pour la pre
mière fois.
Cette question est plus difficile à résoudre , lorsqu’il
s’agit soit de moyens prétendus nouveaux, soit de l’ap
plication nouvelle de moyens connus et déjà dans le do
maine public. Mais elle est loin d’être insoluble. L’affir
mative sera accueillie lorsque , dans ce dernier c as, la
combinaison brevetée produit un résultat nouveau quant
à son effet, ou le fait obtenir plus facilement, à moins
de frais ou d’une manière plus parfaite.
La discussion législative explique et précise ce que
comprend la qualification de moyens adoptée par l’ar
ticle 2. Un membre de la chambre des Députés propo-
l Et Blanc, Des brevets d’invention , p. 257.
�44
LOI DU 6 JUILLET
1844
sait de le rédiger en ces termes : l'application nouvelle
d’a g e n t s ou de m o y e n s connus.
« Qui dit agents, observait-il, dit principes, éléments,
substances ou matières connus. La plupart des inven
tions ne sont que des applications nouvelles de princi
pes, d’agents, d’éléments, de substances naturelles, com
binés, élaborés par l’homme de manière à faire obtenir
des résultats, des effet, des produits nouveaux. Les mots
moyens connus ne peuvent embrasser tout cela dans leur
généralité. Prenons pour exemple l’application de la va
peur au blanchiment du linge, de la dentelle. Dira-t-on
que la vapeur est un moyen connu ? Non ; c’est un
principe , un agent connu qui reçoit une application
nouvelle. Même observation pour la paille, le bois, les
feuilles d’arbres qu’on appliquerait, par exemple , à la
fabrication de. la pâte à papier par les moyens en usage
pour la conversion des chiffons en pâte. La paille , le
bois, les feuilles d’arbres so n t, non des moyens , mais
des substances naturelles et connues qui n’auraient pas
encore reçu la destination nouvelle de la pâte à papier.
Il faut en dire autant de l’air chaud et de l’application
nouvelle qu’en a fait l’écossais Nelson pour activer la
combustion dans la fonte du minerai. L’air est un prin
cipe, un agent; ce n’est pas un moyen. »
46.
—■ Tout cela était vrai et tellement v ra i, que
personne ne pouvait le contester. Cependant la proposi
tion ne fut pas même appuyée, parce qu’elle supposait
une lacune qui n’était ni dans l’esprit ni dans la lettre
�SUR LES BREVETS D INVENTION
de la loi. Dans la qualification de moyens , l’art. 2 ré
unissait et confondait l’agent emprunté , et le mode de
son emploi ; et c’était avec raison ; car, comme l’observe
M. Renouard, l’emploi d’un agent naturel ou artificiel,
d’une substance, d’une force quelconque, est manifeste
ment un moyen de production. Dès lors indiquer cu
mulativement dans l’art. 2 les moyens et l’agent, c’était
en réalité ne rien dire de plus que ce que cet article di
sait et avait voulu dire.
La proposition fut donc rejetée. Mais elle a eu au
moins le mérite d’avoir provoqué la véritable significa
tion des termes de l’art. 2 ; et de prévenir toutes les
difficultés qu’on aurait pu soulever en distinguant entre
l’agent, le principe et les moyens.
Quelle que soit donc la combinaison imaginée ; quels
que soient les éléments qui la constituent, les moyens
qu’elle emploie , elle est valablement brevetable si elle
réalise une des trois alternatives prévues par l’art. 2,
c’est-à-dire si elle arrive à un produit nouveau , si elle
imagine de nouveaux moyens, ou offre une application
nouvelle de moyens connus , pour l’obtention d’un ré
sultat ou d’un produit industriel.
47.
— On remarquera dans ces derniers mots de
l’article, qu’on a mis sur la même ligne le résultat et le
produit ; et que l’un et l’autre ne sont brevetables que
s’ils ont un caractère industriel.
Il est évident, en effet, que le privilège que le brevet
confère n’a d’autre fondement rationnel que l’utilité de
�46
LOI DU
6
JUILLET
1844
l’invention ou de la découverte qu’il protège. Ce n’est
qu’en vue du profit qu’elle en retirera plus tard, que la
société consacre et respecte le droit exclusif de l’inven
teur pendant la durée du brevet. Cette utilité ne peut
résulter que de la valeur industielle de l’invention. Si
cette valeur est nulle , si, purement scientifique, la dé
couverte n’offre ni produit, ni résultat appréciable pour
le commerce et l’industrie, comprendrait-on l’existence
d ’un brevet d’invention ? Où en serait le profit, nous ne
dirons pas pour la société en général, mais pour l’auteur
de la découverte lui-même.
Le développement de cette idée amenait naturellement
à placer sur une même ligne les résultats et les produits.
Autant et quelquefois plus que les seconds, les premiers
étaient dans le cas de remplir la condition d’utilité in
dustrielle. C’est ce que l’honorable et judicieux rappor
teur de la chambre des Pairs faisait remarquer en de
mandant de rompre le silence que le projet de loi gar
dait sur les résultats.
« Lorsque , disait M. de Barthélémy, on mettait de
l’eau dans une chaudière destinée à produire de la va
peur, il s’incrustait à ses parois des matières blanchâtres
qui détruisaient cette chaudière. On a trouvé le moyen,
en y introduisant des pommes de terre, d’éviter l’incrus
tation. Il n’y a pas là un produit industriel; mais il y
a un résultat industriel en ce sens que les chaudières
ne sont plus minées par ces espèces de petite croûte qui
se formait sur leurs parois. »
« Lorsque, ajoutait M. Gautier, on a récemment dé-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
47
couvert un procédé pour souder le plomb avec le plomb
à l’aide du chalumeau, on n’a pas inventé un produit
nouveau, mais obtenu un résultat auquel on ne parve
nait auparavant que par des procédés plus dispendieux
et plus compliqués. »
4 8 . — Pourquoi donc ne pas déclarer brevetables
les découvertes aboutissant à de pareils résultats. Il est
évident que l’intérêt général exigeait qu’on ne distinguât
point. Tout ce qui rend plus facile ce qui est utile , ou
produit plus d’effets avec moins d’efforts , est un déve
loppement réel pour le commerce ou l’industrie, et une
cause d’enrichissement pour tous, au même titre qu’un
nouveau produit. Il fallait donc récompenser et encou
rager non-seulement l’inventeur de celui-ci, mais encore
l’inventeur de procédés, combinaisons ou méthodes plus
faciles, plus prompts, plus économiques , qui tendent à
abaisser le prix de revient au grand avantage des con
sommateurs.
4 9 . — Au reste, en le consacrant ainsi, la chambre
des Pairs ne faisait que s’inspirer de la doctrine et de
la jurisprudence. En effet, et malgré le silence gardé à
ce sujet par les lois de 1791, les tribunaux n’avaient pas
hésité à assimiler les résultats aux produits, quant à la
brevetabilité.
Ainsi le 24 août 1829, le tribunal civil de Paris dé
clarait qu’on devait réputer inventeur celui qui, par la
réunion de moyens connus, a obtenu des résultats nou
veaux.
�48
LOI DU
6
JUILLET
1844
Il s’agissait, dans cette espèce , de l’éclairage au gaz
tombé depuis longtemps dans le domaine public. Le sieur
Windsor, inventeur breveté d’un appareil de distribution,
revendiquait contre les sieurs Mamby Wilson et Cie le
droit exclusif de distribuer le gaz dans Paris. Les dé
fendeurs soutiennent que l’idée du demandeur n’était
pas brevetable , et cette prétention est accueillie par le
juge de paix.
Sur l’appel, le tribunal constate que les appareils Le
bon , tombés dans le domaine public , présentaient des
inconvénients et des dangers qui ne permettaient pas de
les employer dans les grandes usines et d’en obtenir un
éclairage économique et non malsain ; que Windsor est
le premier dont les appareils aient procuré ces avanta
ges , sans avoir les mêmes inconvénients et les mêmes
dangers.
En conséquence, le jugement infirme la sentence, et
consacre la validité du brevet; considérant qu’on ne peut
refuser le titre d’inventeur à celui qui , par la réunion,
souvent fort difficile, des divers moyens déjà connus dans
les sciences ou dans les arts, a obtenu des résultats nouveaux et importants.
Par application de ce principe, la Cour suprême cas
sait un jugement du tribunal de S-Etienne, et jugeait,
le 217 décembre 1837, que l’emploi d’un procédé connu,
en tant qu’appliqué à l’objet d’une découverte, peut de
venir, comme celle-ci, la matière d’un brevet; qu’ainsi,
par exemple , celui qui a obtenu un brevet pour l’art
de réduire en fil le caoutchouc, et d’en former des fis-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
49
sus élastiques à l’aide de toute autre matière filamen
teuse, a un droit privatif à l’un et à l’autre de ces pro
cédés, dont le second n’est, à proprement parler, que
l’application du premier; de sorte qu’un tiers ne peut,
sans se rendre contrefacteur, fabriquer des bretelles élas
tiques avec le fil de caoutchouc, bien qu’il n’ait pas luimême fabriqué ce fil ; qu’il dirait en vain que l’art de
revêtir un fil quelconque, pour en former un lacet, n’est
point une invention nouvelle, car si cette proposition est
vraie à l’égard d’un fil quelconque, elle ne l’est point à
l’égard du fil de caoutchouc.'
Le 8 mars 1843 , le tribunal de Paris déclarait qu’il
y a également invention susceptible d’être brevetée dans
le fait d’avoir, le premier, appliqué à la fabrication du
sucre de glucose, des procédés précédemment employés
par les fabricants de sucre de betterave ou de canne, et
d’avoir, en déterminant un degré spécial de cuisson des
sirops, obtenu le sucre de fécule ou glucose à un état
si différent de celui fabriqué jusqu’alors, qu’on peut le
considérer comme un produit nouveau.
Ces exemples, que nous pourrions multiplier, suffisent
pour démontrer qu’en inscrivant, dans l’art. 2, les ré
sultats à côté des produits, la chambre des Pairs a, non
créé un droit nouveau, mais législativement sanctionné
l’interprétation que les tribunauxavaient donnée aux lois
de 1791.
i Dalloz, Rép gin., n° 48
�50
LOI DU
6
JUILLET
1844
Depuis la loi de 1844 tout doute a nécessairement dis
paru. L’obtention d’un résultat nouveau de quelque ma
nière qu’elle se produise, quels que soient les moyens
mis en usage, est susceptible d’être brevetée, et le bre
vet légalement obtenu confère, à l’auteur, la jouissance
exclusive aux conditions et dans les limites tracées par
la loi.
50.
— Ce qui est vrai pour les résultats, est égale
ment vrai pour les produits. En créer un nouveau, c’est,
pour l’auteur, la possibilité et le droit d’obtenir un bre
vet obligatoire, alors même qu’il n’aurait atteint le but
que par l’emploi de moyens connus et tombés dans le
domaine public.
Un arrêt delà cour de Paris, du S9 décembre 1859,
nous offre un remarquable exemple d’application de
cette règle.
MM. Réal et Grégoire avaient pris, en 1855, un bre
vet pour un tissu présentant des jours variés sur une
même ligne de tissage , fabriqué sur le métier à maille
fixe avec l’adjonction de la jacquard. Ce tissu est formé
avec le fil brodeur mû par la jacquard et liant le fil
tisseur ; de telle sorte que ce fil n’est plus seulement
employé à faire le dessin broché sur l’étoffe , mais sert
encore à confectionner le tissu lui-même.
Des produits similaires étant vendus par d’autres né
gociants , les brevetés font procéder à une saisie , à la
suite de laquelle ils introduisent une instance en contre
façon devant le tribunal de Paris.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
51
Les défendeurs soutiennent l’invalidité du brevet, et
le jugement consacre leurs exceptions en ces termes :
« Attendu que le tissu pour lequel a été pris le bre
vet d’invention, se fait sur le métier à mailles fixes ré
uni au métier à la jacquard, par une combinaison tom
bée dans le domaine public, et à laquelle, de leur pro
pre aveu, Réal et Grégoire n’ont rien ajouté; que toute
la différence, entre le produit qu’ils ont fait breveter, et
les autres produits obtenus par la même alliance des
métiers, consiste en ce que, dans le premier, le fil bro
deur, outre sa fonction particulière qui est de former la
partie brochée , contribue à former le tissu proprement
dit ou fond qui, par suite, devient susceptible de varié
tés; attendu que ce n’est là qu’un des nombreux résul
tats qui , contenus dans la combinaison des deux mé
tiers, ont été, pour ainsi dire, inventés en même temps
que cette combinaison même, et ne peuvent être séparés
pour constituer une invention nouvelle. »
Ce jugement méconnaissait la loi sous un double rap
port. En effet, et d’abord qu’importaient les moyens
employés,si le produit était nouveau? Or,cette nouveauté,
le jugement ne la recherche, et ne la conteste pas.
En second lieu, les conséquences que le tribunal tire
de ce que la combinaison des deux métiers était connue
étaient fort indifférentes , s i, en fait, les brevetés lui avaient donné une application nouvelle. Or ce caractère
résultait invinciblement du nouveau rôle qu’ils faisaient
jouer au fil brodeur q u i, réduit jusque là au brochage
du tissu, était désormais employé à former le tissu luimême.
�52
LOI DU
6
JUILLET
1844
Aussi sur l’appel de Real et Grégoire, le jugement estil infirmé. Dans son arrêt du 29 décembre 1859 , la
Cour pose en principe qu’un emploi nouveau de deux
machines connues, encore bien qu’il ne nécessite aucun
changement dans leur construction, peut donner lieu à
un brevet valable, soit comme donnant un produit nou
veau, soit comme constituant une application nouvelle
de moyens connus pour l’obtention d’un produit indus
triel ;
Elle déclare spécialement que la réunion du métier à
mailles fixes et du métier à la jacquard pour obtenir
des tulles brochés, bien qu’elle fût déjà connue, ne fai
sait pas obstacle à ce que , soit au point de vue de la
nouveauté du produit, soit à raison du procédé, on re
connût valable le brevet pris pour l’idée d’intervertir
l’action des fils tisseur et brodeur ainsi que des machi
nes motrices , de manière à obtenir au lieu des tissus à
à mailles uniformes et brochées, épais , antérieurement
connus , un réseau présentant tout à la fois l’avantage
d’être variable dans toutes ses parties et dans tous les
sens, et d’être plus léger dans sa partie brochée.'
5 1.
— Notre honorable confrère, M. Pataille, rédac
teur des Annales, approuve le principe de l’a rrê t, mais
il indique comme consacrant la doctrine contraire, un
arrêt de la cour de Nîmes du 2 août 1844 , confirmé
1 Annales de lapropr. industr. artistig. et littér., 4 860, pag. 74.
n° 825.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
53
par la cour de Cassation , et un précédent arrêt de la
cour de Paris du 10 mars 1849.
Il est vrai que ces arrêts consacrent l’invalidité du
brevet dont il s'agissait dans chaque espèce ; mais au
fonds et en droit, ils ne contredisent nullement la doc
trine de celui de 1859 .
Si celui-ci valide le brevet, c’est parce qu’il constate
que, par l’interversion des fils tisseur et brodeur, l’em
ploi de la combinaison connue des métiers à maille fixe
et du métier à la jacquard constitue une application
nouvelle, et donne un produit nouveau.
La cour de Nîmes, au contraire, n ’invalide le brevet
que parce que le dessin breveté n’était pas un nou
veau produit ; que l'emploi du métier unique par
lequel il était obtenu, était non une idée nouvelle,
mais seulement la mise en œuvre dé l'idée première
qui avait présidé à la confection de la machine. C’est
cette constatation de faits souveraine qui fait rejeter le
pourvoi.
L’arrêt de Paris du 10 mars 1849, à son tour, ne re
pousse les prétentions du breveté que parce que la maille
formant le point dit m a l e z i e u , objet du brevet,
n'est que l'un des résultats produits par l'emploi du
bélier à chaîne, dépendant du domaine public, résultat
que peut obtenir un travail purement mécanique.
52.
—■ Il n’y avait donc, dans ces deux espèces, ni
produits nouveaux, ni nouvelle application de moyens
�54
LOI DU 6 JUILLET
1844
connus. Comment, dès lors, faire résulter de la solution
qu’elles ont reçues , une contradiction à l’arrêt de 1859
validant le brevet R eal, parce qu’il arrivait à produire
un résultat nouveau, et offrait une nouvelle application
de moyens connus.
Loin de revenir sur sa jurisprudence, la cour de Pa
ris, dans l’arrêt Real, persistait dans celle qu’elle avait
précédemment adoptée. En effet elle avait jugé , le 23
juillet précédent, qu’on ne saurait contester la validité
d’un brevet pris pour un ensemble de procédés de fabri
cation , bien que , pris isolément, ces procédés fussent
antérieurement tombés dans le domaine public; qu’ainsi
peut être déclaré nouveau et susceptible d’être breveté,
un produit qui se distingue de tous les produits analo
gues par sa composition et les procédés employés pour
sa fabrication.
Cet arrêt fut déféré à la cour de Cassation , comme
violant l’art. 31 de la loi de 1844. Mais par arrêt du 2
décembre 1859 , la Cour rejette le pourvoi , et déclare
qu’on a pu déclarer valable le brevet pris tant pour un
charbon spécial considéré comme produit nouveau, que
pour un ensemble de procédés de fabrication, lorsqu’il
est constaté que, bien qu’antérieurement on ait fabriqué
des charbons analogues avec diverses matières et no
tamment avec du charbon de bois pulvérisé , le breveté
est le premier qui ait décrit un charbon composé de
poussière de charbon de bois à l’exclusion de toute autre
matière ligneuse ou minérale, et que ce produit se dis-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
55
tingue des produits analogues par sa composition et les
procédés employés pour sa fabrication.'
53.
— La validité du brevet ne saurait donc être
contestée toutes les fois qne son objet arrive à obtenir
un produit nouveau, alors même que cette obtention ré'
sulterait de l’emploi de moyens connus. A plus forte rai
son si elle n’était due qu’à des moyens nouveaux, qu’à
des procédés employés jusque-là.
On remarquera que, dans ses arrêts de juillet et d’août
1859 , la cour de Paris fait ressentir la nouveauté du
produit et celle des procédés de fabrication. Elle avait
raison de le faire , dès que ce double fait se réalisait ;
mais l’absence de l’une ou de l’autre n’aurait pas eu
pour éffet d’invalider le brevet. L’article2, en effet, n’e
xige pas le cumul; il y a brevetabilité, si l’une d’elles
seulement est acquise.
La seule différence qui naisse du cumul est que per
sonne ne pourra fabriquer le produit et se servir des
procédés de fabrication. S’il ne s’agit au contraire que
d’un produit nouveau , les procédés de fabrication res
tent dans le domaine public et pourront être employés
à toute autre chose, le produit breveté restant le domai
ne exclusif de l’inventeur.
S’il n’y a nouveauté que dans les procédés , chacun
pourra fabriquer le même produit, mais à l’aide d’au-
i Annales industr., 1860, pag 120, n° 540.
�56
LOI DU
6
JUILLET
1844
très moyens que ceux employés par l’inventeur et qui
lui appartiennent exclusivement.
54.
— La condition de nouveauté reconnue et ad
mise, le brevet doit produire tous ses effets, sans que les
tribunaux aient à se préoccuper du plus ou moins d’utitité de la découverte ou de l’invention.
La cour de Colmar ne l’avait pas pensé ainsi. En
conséquence elle jugeait, le 16 février 1842, qu’il n ’y a
de privilège pour le breveté qu’autant qu’il est évident
que l’invention ou le perfectionnement, objet du brevet,
présente des avantages pratiques, réels et utiles aux ci
toyens qui n’en jouissaient pas av an t, ou de l’emploi
desquels il doit résulter une nouvelle branche d’indus
trie.
Si l’invention brevetée n’est ni utile, ni avantageuse,
le brevet restera aux mains de celui qui l’a obtenu une
véritable lettre morte, et nul ne sera tenté de se l’appli
quer. Comprendrait-on, en effet, que quelqu’un eût la
pensée et le courage d’usurper dans ces conditions le
droit de l’inventeur.
Donc, si cette usurpation a eu lieu, si cet inventeur
est dans la nécessité de faire judiciairement consacrer
son privilège, c’est évidemment que sa découverte a un
avantage pratique , réel et utile , et il ne peut pas être
que les tribunaux décident le contraire.
La cour de Colmar s’écarte donc de la vérité, en fait.
En droit, elle se montre beaucoup plus exigeante que la
loi, et ajoute à ses dispositions.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
57
5 5.
— C’est ce que la Cour régulatrice admet et
consacre, car, le 30 décembre 1845, elle casse l’arrêt de
la cour de Colmar : Attendu que la validité des brevets
délivrés aux inventeurs, à leurs risques et périls, ne peut
légalement dépendre ni de Yimportance ni de Vutilité
de l’invention ; et qu’il y a contradiction à prétendre,
d’une part, qu’on est gêné dans le libre exercice de son
industrie par le privilège du brevet qu’on attaque ; et
d’autre part, que l’industrie objet du brevet, n’a ni effi
cacité ni valeur.'
La cour de Cassation juge donc et fort expressément
que les juges n’ont pas le droit de rechercher si le ré
sultat ou le produit obtenu par l’inventeur est ou non
utile ou avantageux. Le public en est seul juge ; car, si
oui, l’industrie adoptera la découverte et se l’appliquera
en s’entendant avec le breveté ; si non , elle la laissera
de côté , et son auteur aura poursuivi et atteint un but
purement chimérique.
La prétention qu’il en est ainsi est-elle bien placée
dans la bouche de celui qui s’est illégalement approprié
la découverte ou a exploité l’invention ? On n’usurpe
pas une chose qui n ’offre ni avantage ni utilité ; et c’est
avec toute raison que la Cour régulatrice relève la con
tradiction entre l’allégation d’un prétendu défaut de va
leur, et l’acte dont la consommation prouve par ellemême cette valeur.
1 D P., 46, 1, 46.
> ;
�58
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
5 6.
— Ce que la Cour suprême admet au point de
vue de l’utilité , elle le consacre à celui de l’importance.
Elle condamne donc la prétention de faire de celle-ci la
condition de la validité du brevet.
Cette prétention s’est souvent produite ; mais repous
sée par la doctrine1, elle n’a pas cessé de l’être par i a
jurisprudence.
Ainsi il a été jugé :
Qu’une invention industrielle qui n’a pas exigé un
grand effort d’intelligence, mais qui s’applique à un usage général, comme, par exemple, les chaînes fermoirs
pour les gants, ne laisse pas que d’être brevetable;
Qu’il en est de même de l’invention qui en perfection
nant et en combinant, pour percer les matières desti
nées à recevoir les œillets métalliques et pour les y ri
ver , des moyens précédemment connus , a rendu ce
genre de travail plus régulier, plus rapide, plus écono
mique ;
Que celui qui, dans la confection des chapeaux de da
mes, avait eu l’idée de substituer aux deux calottes de
linon , placées l’une dans l’autre , précédemment em
ployées , une seule calotte formée de gaze et de linon,
appliqués l’un à l’autre au moyen d’un fer chaud, avant
la confection de la calotte, et d’économiser ainsi la maind’œuvre d’une calotte par chapeau,avait en cela inventé
i Renouant, n° 66 ; — E t. Blanc, pag, 357 ; — Nouguier, n° 66
Calmels, De la contrefaçon, n° 80, pag. 129.
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
59
un perfectionnement de fabrication, pouvant être l’objet
d’un brevet;'
Enfin que le fait d’avoir appliqué à des bourrelets
d’enfants, une forme qui peut se rapprocher d’une for
me connue dans la chapellerie, mais qui cependant con
stitue une forme distincte et spéciale , ayant eu un ré
sultat industriel , c’est-à-dire un avantage sensiblement
appréciable , peut être breveté et constitue un droit ex
clusif d’exploitation.1
5 7.
— Il n’est qu’un point de vue sous lequel il
soit permis aux tribunaux de se préoccuper de l’impor
tance de l’objet du brevet, à savoir dans la détermina
tion des dommages-intérêts en réparation du préjudice
causé par l’usurpation. Il est en effet naturel et juste
que cette allocation puise ses éléments et sa base dans
l’importance de l’invention , ses difficultés et les frais
qu’elle a occasionné", les avantages qu’elle est dans le
cas de procurer.
Mais à l’endroit de la validité du brevet, on ne sau
rait exiger que ce que la loi exige elle-même. On doit
donc la consacrer dès qu’en fait, le brevet a pour objet
un produit nouveau , l’invention de nouveaux moyens,
ou l’application nouvelle de moyens connus pour l’ob
tention d’un produit ou d’un résultat industriel.3
1 Dalloz, Rép. gén.. vis Brevet d’invent., n os S3 et suiv.
2 Aix, 11 novembre 1863, Bulletin des arrêts 1863, pag. 259.
3 V. infra art. 30.
�60
LOI DU
6
JUILLET
184-4
5 8 . — Quelle est dans chacune de ces hypothèses
l’étendue du brevet ? Quels sont les droits privatifs qu’il
confère à son bénéficiaire ?
Aucun doute ne saurait s’élever, lorsqu’il s’agit d’un
produit nouveau. Ce produit est brevetable par lui-mê
me et indépendamment des moyens à l’aide desquels il
est obtenu. La délivrance du brevet en assure pendant
toute sa durée la propriété exclusive à l’inventeur. Nul
autre que lui ne peut, sans son consentement ou contre
sa volonté, le fabriquer ou le vendre , alors même que
ses études l’auraient naturellement conduit à le décou
vrir, ou que les moyens employés seraient depuis long
temps connus ou tombés dans le domaine public.'
5 9. — Il en est autrement, si l’objet du brevet est
la découverte de moyens nouveaux ou une nouvelle ap
plication de moyens connus. Le droit privatif du breveté
porte, dans ces cas, non sur le produit ou le résultat in
dustriel , mais sur le nouveau moyen dans le premier ;
sur la combinaison nouvelle dans le second.
« Ce principe fondamental, enseigne M. Rendu, dont
les applications sont continuelles, et qui ressort évidem
ment du texte même de la loi, comme d’une jurispru
dence constante, était impérieusement réclamé par les
exigences du progrès de l’industrie. Résultat industriel,
en effet, signifie tout avantage, toute amélioration obte
nue dans une opération industrielle , sans constituer un
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
61
corps certain, un objet matériel distinctement exploita
ble, par exemple, une production plus belle, plus prom
pte, plus économique. Ainsi le rapide blanchiment de la
lain e, de la soie , du sucre , la désinfection des fosses
d’aisance, l’épuration plus complète du gaz d’éclairage,
la régénération d’agents chimiques altérés par l’usage,
la préservation d’un appareil en fer de l’oxidation,
etc., sont autant de résultats industriels. Celui q u i , le
premier, a obtenu telle ou telle de ces améliorations, ne
peut se réserver le monopole du progrès lui-même, pré
tendre seul au droit d’effectuer l’épuration du gaz, de
désinfecter les fosses d’aisance, de blanchir les sucres, les
laines ou les soies dans un temps très-court. Il ne peut
revendiquer que les moyens par lesquels il a obtenu ces
avantages, et chacun reste libre d’y tendre et d’y arri
ver par des moyens différents.'
60.
— Il est évident, en effet, comme l’observe no
tre savant et judicieux auteur, que l’industrie eût été ab
solument paralysée dans son essor , si l’obtention d’un
résultat nouveau par un moyen peût-être fort défectueux,
eût empêché de le réaliser par d’autres moyens infini
ment supérieurs ; si un industriel, pour être arrivé le
premier par une route, et peut-être par la moins bonne,
eût fermé toutes les avenues qui y conduisent. On ne
pouvait l’admettre ainsi, ni équitablement ni rationnel
lement.
1 Traité pratique du droit industr., pap. 4 81, n° 323.
�62
LOI DU
6
JUILLET
1844
Au lieu d’être un élément de progrès, le brevet d’in
vention lui eût été un obstacle. L’intérêt général engagé
dans la multiplicité des découvertes qui dotent la so
ciété de nouveaux résultats industriels , ne saurait être
indifférent à la multiplicité des moyens à l’aide desquels
ces résultats peuvent être atteints. Cette multiplicité, in
dépendamment de ce qu’elle enrichit réellement le com
merce et l’industrie, a pour résultat immédiat une con
currence de nature à modérer les prétentions souvent
fort exagérées de tel ou tel inventeur.
Chacun, d’ailleurs, n ’a à réclamer un privilège que
sur l’objet du brevet qui lui a été délivré, et si cet objet
se borne à la découverte d’un nouveau procédé, on lui
accorde tout ce qui lui est dû en lui conservant, pendant
la durée du brevet, la jouissance et l’exploitation exclu
sives de ce procédé. A quel titre s’opposerait-il à ce
qu’un autre fit, par un procédé différent, ce qu’il a fait
lui-même ?
61.
— Mais ce qui en soi ne serait qu’un résultat,
peut devenir un moyen par l’application qui en est faite
à un but déterminé. Le brevet constitue alors un droit
exclusif, au point de vue de cette application.
Ainsi, l’obtention de l’air chaud dans l’industrie est
un résultat que chacun peut obtenir et rechercher, et il
y a lieu à autant de brevets qu’il y a de procédés dis
tincts.
Mais un industriel a eu l’idée d’employer l’air chaud
à activer la combustion dans les forges et les hauts four-
�SUR LES BREYETS D’INVENTION
63
naux. Par suite de cette application , le résultat est de
venu un moyen , et l’inventeur a acquis par son brevet
le droit de se servir seul de l’air chaud dans l’insuffla
tion.1
6 2 . — Contrairement aux termes de la loi de 1791,
notre article 2 ne parle ni du perfectionnement, ni de
l’importation d’une découverte.
Le brevet de perfectionnement ne pouvait disparaître
de la loi. Le premier jet d’une découverte n’est pas or
dinairement son dernier mot, et tous les développements
utiles, que la science ou la pratique est dans le cas de
signaler, sont trop évidemment dans l’intérêt public pour
qu’on pût concevoir la pensée de les prohiber, ou mê
me de leur susciter la moindre entrave.
Les inventeurs eux-mêmes n’ont jamais prétendu ou
exigé cette prohibition ou cette gêne. Tout ce qu’ils de
mandaient, c’est qu’on leur accordât le temps moral de
faire eux-mêmes les perfectionnements dont leurs dé
couvertes étaient susceptibles.
Nous verrons tout-à-l’heure dans quelle mesure le
législateur de 1844 a fait droit à ces réclamations.
6 3 . — Quant aux brevets d’importation , ils ont été
purement et simplement supprimés. Nous avons déjà ex
posé les reproches que leur consécration avait suscité.”
1 Traité prat. du droit indust., pag. 181, n° 324.
2
Supra
n° %\.
�64
LOI DU
6
JUILLET
1844
La justesse de ces reproches a contribué , mais non
déterminé à elle seule cette suppression. Elle était de plus
la conséquence du droit concédé à l’étranger, de se faire
légalement breveter en France.
Désormais la découverte ou l’invention, faite à l’étran
ger, pourra être l’objet d’un brevet en France, et assu
rer à son auteur les droits conférés aux inventeurs fran
çais.
O
Si cet auteur ne veut ou ne peut en réclamer le bé
néfice , sa découverte tombe dans le domaine public , et
tous nos commerçants ou industriels pourront librement
l’exploiter , sans privilège en faveur de celui qui l’aura
importée.'
4»
64.
— La concession à l’étranger du droit de se
faire breveter en France , dictée par un sentiment de
justice et de respect pour le d ro it, avait forcément une
autre conséquence, à savoir, l’abrogation de la prohibi
tion faite aux Français de se faire breveter à l’étranger,
sous peine de déchéance du brevet français.
Nous avons aussi rappelé les plaintes qui s’étaient unanimement produites contre cette prohibition qu’on si
gnalait comme un déni de justice, et un danger immi
nent pour notre industrie et notre commerce.’
Dès que l’étranger pouvait être breveté chez lui et chez
nous, il ne pouvait pas être qu’on défendit au Français
1 In fra art. 27 et suiv.
2 Supra n° 19.
�SUR LES BREVETS R'INVENTION
65
breveté en France de se faire également breveter à l’é
tranger. Aussi l’article 30 de la loi n’a-t-il pas inscrit
dans les causes de déchéance la prise d’un brevet à l’é
tranger, comme le faisait le § S de l’article 16 de la loi
de 1791.
A r t. 3.
Ne sont pas susceptibles d’être brevetées :
1° L es com positions p h a rm a ce u tiq u e s ou r e
m èd e de to u te espèce , lesdits objets d e m eu ran t
soum is aux lois et règlem ents spéciaux su r la
m a tiè re , e t n o ta m m e n t au d é c re t d u 18 a o û t 1810
re la tif aux rem èdes secrets ;
2° Les plans et combinaisons de crédit ou de
finance.
SOMMAI RE
65
La loi de 1791 considérai! comme brevetables même les com
binaisons de crédit ou de finances.—La loi du 25 septem
bre 1792 décida le contraire.
66 Celle exception au principe général a été maintenue par le
législateur de 1844.
67 Autres exceptions portées au projet, ou proposées par la com
mission de la chambre des Pairs.
68 Discussion. — Ses résultats quant aux découvertes purement
i — 5
�66
69
70
71
72
73
74
75
76
77
78
79
80
81
82
83
84
85
86
87
88
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
théoriques, ou contraires aux bonnes m œ urs, ou à la
sûreté publique.
Opposition que rencontra la proposition de déclarer non bre
vetables les compositions pharmaceutiques. — Décision
de la chambre des Pairs.
Motifs qui la firent adopter par la chambre des Députés.
Critique qu’en font MM. Loiseau et Vergé.—Réponse.
La loi du 21 germinal an X I , et le décret du 18 août 1810
consacraient indirectement cette exception.
Pratique adoptée quant aux brevets.—Son caractère.
Réponse au reproche d’injustice.
A celui de blesser la logique.
Motifs qui rendaient l ’exception indispensable.
L'expérience d'ailleurs a prouvé qu’elle ne faisait nul obsta
cle à la recherche de nouveaux remèdes, et qu’elle ne
blessait en rien l’intérêt de l’inventeur.
L ’emploi de son nom lui garantit la propriété de sa décou
verte.—Jurisprudence.
Décision notable du tribunal de commerce de la Seine.
Conséquences.
Exception à la prohibition de prendre le nom du premier pré
parateur.—A quelles conditions.
Jurisprudence.
Son caractère.
Quid si une matière est en même temps un remède et un
objet utile aux arts ?
La prohibition de l’art. 3 ne s’étend pas aux procédés de fa
brication à l ’aide desquels on obtient les remèdes. —
Exemple : le capsulier du docteur Clertan.
Propriété et droit exclusif de l’inventeur au nom qu’il donne
à son produit.—Conséquences.
Arrêt de la cour de Paris du 21 mars 1861. — Son caractère
juridique.
Arrêt de la cour de Cassation déclarant brevetable l’appareil
mécanique destiné à un traitement orthopédique.
�SUR LES BREVETS ^INVENTION
67
89 Doutes sur sa légalité'.
90 La prohibition de l ’art. 3 s’applique aux compositions des
médecins vétérinaires, mais non aux produits alimentai
res et aux cosmétiques.
6 5. — Le principe consacré par les articles 1 et 2!
était général et absolu, et ne comportait d’autres excep
tions que celles qui se trouveraient expressément et nom
mément consacrées. Pouvait-il en subir plus ou moins?
Quelles étaient celles qu’il convenait d’adopter ? Telles
sont les questions que le législateur avait d’abord ;i ré
soudre.
Celui de 4791 s’était prononcé pour la négative. Le
système du défaut d’examen préalable lui avait paru
s’opposer à l’admission d’aucune exception. Comment,
en effet, juger si la découverte entrait dans les catégo
ries exceptées autrement que par une appréciation pré
alable de la légalité et de la moralité de l’invention,
c’est-à-dire que par un acte qu’on se prohibait formel
lement.
La loi n ’avait donc en rien dérogé à la généralité du
principe, et tout était matière à brevet, même les com
binaisons de crédit ou de finance.
Les conséquences désastreuses de ces monopoles ne
tardèrent pas à se faire sentir. Par la loi des 20-25
septembre 1792, on les fit disparaître en annulant l’ef
fet des brevets déjà délivrés et en prohibant d’en délivrer
à l’avenir.
66. — A son tour, le législateur de 4 844 eut à se
�68
LOI DU 6 JUILLET
1844
prononcer, et il ne pouvait, à l’endroit des combinaisons
de crédit ou de finance, que persister dans la voie sui
vie depuis 1792. Aussi les déclare-t-il non susceptibles
d’être brevetées.
6 7. — Mais l’article 3 du projet contenait une autre
exception. Il déclarait non brevetables les principes, in
ventions, méthodes et généralement toutes découvertes et
conceptions purement scientifiques ou théoriques.
La chambre des Pairs , saisie la première du projet,
maintint ces deux exceptions. De plus elle en proposait deux
autres, à savoir, les inventions contraires aux lois, aux
bonnes moeurs , à la sûreté publique ; les compositions
pharmaceutiques.
Tout le monde était d’accord quant aux combinaisons
de crédit ou de finance. Le danger qui serait résulté de
leur monopole était, en 1844, plus évident encore qu’en
1792. La prohibition de les breveter ne rencontra donc
ni opposition ni obstacle.
6 8. — Il n ’en fut pas de même des inventions con
traires aux lois, aux bonnes mœurs ou à la sûreté pu
blique, et de celles purement scientifiques et théoriques.
Certes nul ne songeait à les déclarer brevetables, mais
comment juger de leur caractère réel ? Il est évident
que personne n’oserait attaquer ouvertement la loi, les
bonnes mœurs, la sûreté publique. On déguiserait donc
le but réel de l’invention qui se présenterait sous les ap
parences les plus inoffensives et les plus légitimes.
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
69
Quant aux découvertes théoriques et purement scien
tifiques, l’inventeur ne les présentera jamais comme tel
les. Il ne manquera pas de leur assigner une valeur ré
elle, un but industriel, offrant de bonne foi, comme une
certitude, ce qui n’est qu’une illusion.
Comment le Gouvernement saisira-t-il la vérité ? Vous
regardez comme substantiel et inévitable l’absence de
tout examen préalable. Mais alors de deux choses l’une:
ou le Gouvernement devra recourir à cet examen , ou,
s’il doit croire l’inventeur sur parole , la prohibition ne
sera plus qu’une lettre morte et sans application pos
sible.
Il est d’ailleurs quelque chose q u i, beaucoup mieux
que les hommes les plus instruits, signalera le véritable
caractère de l’invention et son but réel : c’est l’expérien
ce; c’est la pratique, Il convenait donc de s’en référer
à leurs enseignements , et il suffisait d’inscrire dans la
loi, comme on l’a fait dans l’art. 30, que le brevet serait
nul et de nul effet, s’il porte sur des principes , systè
mes , découvertes et conceptions théoriques et purement
scientifiques dont on n’a pas indiqué les applications in
dustrielles ; si la découverte , invention ou application
est reconnue contraire à l’ordre ou à la sûreté publi
que, aux bonnes mœurs ou aux lois du Royaume.
Ainsi l’E ta t, quoique abusé par le mensonge , déli
vrera le brevet. Mais celui qui aura tenté et exécuté
cette surprise, n’en retirera aucun profit, puisque sur la
poursuite des intéressés ou du ministère public il sera
déchu de son brevet, et, suivant le cas, atteint des pei-
�70
LOI DU
6
JUILLET
1844
nés qui pourraient être encourues pour la fabrication ou
le débit d’objets prohibés.
6 9 . — Restaient les compositions pharmaceutiques
et remèdes de toute espèce. La commission de la cham
bre des Pairs, en proposant de les déclarer non breve
tables, se conformait au vœu unanime des diverses com
missions spéciales formées au Ministère du commerce
pour préparer la loi ; au désir des Conseils supérieurs
d’agriculture et de commerce ; à l’opinion du conseil
d’Etat ; enfin à la demande de l’Académie de médecine
elle-même.
Cependant la proposition rencontra la plus vive op
position. Appuyée par MM. Thénard , Girod (de l’Ain),
Portalis, Barlhe, Laplagne-Barris, Ferrier, elle fut com
battue par MM. Charles Dupin, Persil et Gay-Lussac;
elle ne fut adoptée qu’après une épreuve douteuse.
70. — La discussion s’engagea de nouveau devant
la chambre des Députés , et fut vivement soutenue no
tamment par M. Bethmont. Mais le Ministre q u i, dans
l’origine, s’opposait à la mesure, l’appuyait cette fois.
La commission de la chambre des P airs, disait-il, en
proposant de déclarer que les préparations pharmaceu
tiques ne seraient plus brevetées , entendait que le Mi
nistère soumettrait les demandes à un examen préala
ble, et refuserait les brevets s’il y avait lieu, sauf recours
au conseil d’Etat. Ce système constituait une innovation
dans l’économie de la loi, et entraînait le renversement
complet des principes qui, depuis cinquante ans, régis-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
71
sent la matière. Le Gouvernement, disposé à admettre
l’exclusion , ne pouvait accepter l’examen préalable , et
la Chambre a partagé ses convictions, en rejetant l’exa
men après avoir voté l’exclusion. L’adoption de cet a mendement ne porte donc aucune atteinte au système
actuel de la législation, et le résultat de son application
sera de faire repousser sans examen les demandes qui
seraient présentées dans les termes mêmes de la prohi
bition.1
La commission de la chambre des Députés accueillit
ces explications, et, comme elle le proposait, la prohibi
tion de breveter les compositions pharmaceutiques fut
maintenue dans la loi.
71.
— MM. Loiseau et Vergé le regrettent. Ils accu
sent cette prohibition d’être injuste, illogique, déplacée.’
Nous ne sommes pas de cet avis.
Il nous semble, d’abord, que la loi n’a fait que re
vêtir de sa sanction ce qui résultait au moins implicite
ment de la législation en vigueur avant sa promulga
tion .
Sans doute la loi de 1791 ne dit rien des prépara
tions pharmaceutiques, et ce silence les laissait breveta
bles. Mais plus encore que pour les combinaisons de cré
dit , le brevet offrait des inconvénieids et des dangers
qui appelaient des mesures préventives énergiques.
1 Exposé des motifs devant la chambre des Députés
3 Loi sur les brevets d'invention, art 3, pag. 54,
�72
LOI DU
6
JUILLET
1844
72.
— Ta nécessité de protéger la santé publique,
d’arrêter le débit de drogues sans vertu ou de substan
ces inconnues dont l’emploi pouvait être nuisible, don
na naissance à la loi du 21 germinal an XI.
Aux termes de l’art. 25, nul autre qu’un pharmacien
ne peut préparer, vendre ou débiter aucun médicament;
et l’art. 32 ajoute : les pharmaciens eux-mêmes ne peu
vent vendre des remèdes secrets. Or étaient réputés tels
tous les remèdes dont la formule n’est pas au Codex, ou
ne résulte pas de l’ordonnance d’un médecin. L’article
36 ajoute : toute annonce ou affiche imprimée, indi
quant des remèdes de cette nature, est prohibée.
N’était-ce pas, là, retirer la faculté de faire breveter
les remèdes de toute nature ? De quelle utilité pouvait
être le brevet, dès que la matière qui en faisait l’objet
ne pouvait être ni annoncée, ni vendue.
En réalité , la loi de l’an XI créait une exception au
principe général de la loi de 1791, et déclarait les com
positions pharmaceutiques non susceptibles d’être bre
vetées, Mais cette loi était trop générale et trop absolue,
en ce qu’elle ne permettait qu’aux pharmaciens d’inven
ter des remèdes , et qu’en proscrivant les mauvais, elle
proscrivait également les bons.
Le décret du 18 août 1810 voulut corriger et corrigea
celte anomalie qui avait annulé l’effet qu’on s’était pro
mis de la loi de germinal. Il paraît, en effet, que, con
trairement à ses prescriptions , des individus qui n’é
taient pas pharmaciens avaient demandé et obtenu l’au
torisation de vendre des remèdes spécifiques contre di-
�SUR LES BREVETS CONVENTION
73
verses maladies, tout en gardant le silence sur le secret
de leurs compositions ; „que d’autres demandaient des
pouvoirs de la même nature, c’est-à-dire l’autorisation
et la permission d’annoncer, vendre et débiter des remè
des de leur composition.
Le décret de 1810 ramena à l’exécution de la loi de
l’an XI, en la modifiant et complétant. Son but est clai
rement annoncé par son préambule :
« D’après le compte que nous nous sommes fait ren
dre, nous avons reconnu que si ces remèdes sont utiles
au soulagement des maladies, notre sollicitude cons
tante pour le bien de nos sujets doit nous porter à en
répandre la connaissance et l’emploi , en achetant des
inventeurs la recette de leur composition ; que c’est, pour
les possesseurs de tels secrets un devoir de se prêter à
leur publication , et que leur empressement doit être
d’autant plus grand qu’ils ont plus de confiance en leur
découverte. »
En conséquence, l’art. 1er annule toutes les autorisa
tions et permissions accordées jusqu’à ce jour, et défend
d’en accorder de nouvelles.
Dans ses autres dispositions , le décret veut que les
auteurs, quels qu’ils soient, de découvertes tant ancien
nes que nouvelles, en remettent la recette au Ministre de
l’intérieur , qui forme une commission prise parmi les
professeurs des Facultés de médecine, à l’effet d’exami
ner la composition et de reconnaître : 10 si son admi
nistration ne peut être dangereuse ou nuisible en certains
cas ; 2" si le remède est bon en soi, s’il produit des ef-
�74
LOI DU
6
JUILLET
1844
i'ets utiles à l’humanité ; 3U quel est le prix qu’il con
vient de payer, pour son secret, à l’inventeur du remède
reconnu utile , en proportionnant ce prix : 1° au mé
rite de la découverte ; 2° aux avantages qu’on en a ob
tenu ou qu’on peut en espérer pour le soulagement de
l’humanité ; 3° aux avantages personnels que l’inven
teur en a retirés ou pourrait en attendre encore.
Le travail de cette commission p eu t, sur la réclama
tion de l’inventeur, être soumis à une seconde et nou
velle commission, qui vérifie et donne son avis après avoir entendu les parties.
Ce que la jurisprudence avait conclu de cette législa
tion , c’est qu’il n’y avait de reconnus et de licites que
les remèdes composés selon les formules du Codex , ou
préparés sur prescriptions de médecins, chirurgiens ou
officiers de santé , ou dont la recette avait été achetée
par le Gouvernement.Tout ce qui n’entrait dans aucune de
ces catégories,constituait des remèdes secrets dont ledébit
et même l’annonce étaient prohibés et punis par la loi.1
75.
— N’était-ce pas, là, déclarer les préparations
pharmaceutiques non brevetables ? La délivrance du
brevet , en effet, n’enlevait pas au remède qui en était
l’objet le caractère de remède secret, et ne donnait pas
la faculté de l’annoncer et de le vendre contrairement
à la prohibition formelle de la loi. Où était, dès lors, l’u
tilité du brevet, et pourquoi le délivrait-on ?
i V. notamment Paris, 24 décembre ISSI.
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
75
Le Ministre du commerce répondait à cette question :
l’autorité croit devoir obéir aux prescriptions fâcheuses,
et certainement rigoureuses pour elle, résultant du prin
cipe de propriété consacré par les lois des 7 janvier et
25 mai 1791, qu’elle considère comme ne lui permet
tant pas de refuser les brevets dans aucun cas; mais tou
tefois avant de les délivrer elle a soin de consulter l’Aca
démie de médecine pour savoir si la composition peut
être nuisible ou dangereuse. Si l’Académie la déclare
telle, on en prévient l’inventeur. Si celui-ci persiste, on
lui donne son brevet, mais on a la précaution d’avertir
le ministère public pour qu’il forme une demande en
nullité du brevet, et qu'il en poursuive l’exploitation.
Cette pratique était essentiellement mauvaise , et ne
pouvait avoir un fondement légitime dans la loi qu’elle
commençait d’ailleurs par violer, en recourant à un ex
amen qu’elle a nettement proscrit. Elle était en outre
fort peu recommandable. Le détour qu’elle employait
pour retirer d’une main ce qu’elle donnait de l’autre,
s’écartait singulièrement de cette loyauté , de ce respect
de soi-même que l’autorité surtout doit se prescrire et
observer. C’est cette pratique à laquelle on voulait et on
devait mettre un terme, en consacrant expressément ce
qui était implicitement édicté par le décret de 1810.
En réalité donc, la prescription de l’art. 3, h l’égard
des préparations pharmaceutiques, est moins l’introduc
tion d’un droit nouveau, que l’interprétation rationnelle
des lois èt décrets précédents.
�76
LOI DU 6
JUILLET
1844
74. — En elle-même, cette prescription n’est ni in
juste, ni illogique, ni déplacée. Ce dernier reproche sur
tout ne se comprend pas. Où donc, si ce n’est dans la
loi sur les brevets d’invention, déterminera-t-on si une
chose est ou non brevetable.
MM. Loiseau et Vergé la déclarent injuste , en ce
qu’elle met hors la loi une classe de citoyens qui ren
dent à la société , à l’humanité , d’incontestables ser
vices.
Comment se faisait-il donc que les représentants les
plus élevés , les plus autorisés de la médecine et de la
pharmacie,eussent sollicité cette décision du législateur ?
En effet, la prohibition consacrée a été réclamée , non
pas seulement par l’Académie de médecine, mais encore
par l’Ecole de pharmacie de Paris, et par la Commission
générale des pharmaciens du département de la Seine.
Reprochera-t-on à ces derniers d’avoir provoqué leur
mise hors la loi, celle des pharmaciens de province.
L’initiative de ces diverses autorités absoudrait le lé
gislateur, si tant est qu’il eût besoin d’être absous. De
vait-il, pouvait-il hésiter à se ranger à un avis que dic
taient les sentiments de la plus honorable suscepti
bilité.
L’Ecole de pharmacie et la Commission générale des
pharmaciens avaient compris, avec le décret de 1810,
que les remèdes réellement utiles au soulagement des
maladies appartenaient à tous ; que leur divulgation était un devoir d’autant plus rigoureux pour les inven
teurs , qu’ils avaient plus de confiance en leurs décou
vertes.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
77
L’homme honorable pouvait d’autant moins hésiter
que, s’il est exproprié du fruit de son intelligence et de
ses travaux , il en est dédommagé par une indemnité
contradictoirement calculée sur les bases les plus équi
tables.
Or l’art. 3 , loin d’abroger le décret de 1810, l’invo
que au contraire et le maintient comme loi de la ma
tière.
7 5. — Le renvoi à ce décret n’a rien non plus d’il
logique. Ce qui l’était au plus haut degré, c’était de dé
livrer un brevet pour une composition que l'Académie
de médecine déclarait nuisible ou dangereuse , c’est-àdire d’autoriser le débit privilégié d’un poison qui pou
vait faire de nombreuses victimes en attendant et jus
qu’à ce que le ministère public averti eût obtenu de la
justice l’annulation, du brevet.
En quoi d’ailleurs la prohibition de l’art. 3 déroget-elle au principe de non examen préalable ? La propo
sition d’autoriser cet examen n’a-t-elle pas été formel
lement repoussée ? L’autorité n’aura donc jamais à re
chercher si la préparation, pour laquelle un brevet est
dem andé, est ou non un remède. Comme le disait le
rapporteur de la chambre des Députés, de deux choses
l’une : ou celui qui veut un brevet, pour une composi
tion pharmaceutique, le demande ouvertement, et il est
repoussé, sans autre examen, par un refus péremptoire;
ou bien il se cache et surprend le brevet sous une fausse
qualification. Mais alors son brevet tombe sous le coup
fl
!
■
N il
x «v
�78
LOI DU
6
JUILLET
1844
des §§ 2 et 5 de l’art. 30 , et sa nullité est prononcée
par les tribunaux. Il est donc impossible de rencontrer
dans tout cela la moindre dérogation au principe de
non examen préalable.
76.
— Ainsi disparaissent les reproches adressés à
notre disposition, et, à notre avis, il était impossible de
l’omettre dans la loi. La santé publique exigeait des ga
ranties sérieuses , et une protection énergique. On a
voulu lui donner tout cela en empêchant le charlatanis
me de spéculer sur les préjugés populaires, en débitant
des remèdes souvent nuisibles , et qui ne doivent leur
succès qu’au prestige dont jouissent , dans les masses,
les brevets d’invention.
MM. Loiseau et Vergé reconnaissent toute la gravité
de ce motif. Mais il n’était ni le seul, ni le plus décisif.
Ce qui opposait le plus invincible obstacle à ce qu’on
monopolisât un remède réellement utile, c’était la néces
sité de l’employer. Fallait-il que le malade , qui allait
lui devoir son rétablissement, le payât au prix de l’or,
ou dût aller le chercher à cinquante lieues de son do
micile ? Pouvait-il être que le pharmacien q u i, pour
sauver la vie à un homme , l’avait composé ou vendu,
fut poursuivi et puni comme contrefacteur.
La prohibition de la loi se justifie donc par les rai
sons les plus considérables qui la commandaient impé
rieusement. D’ailleurs , n’eût-elle produit que cet effet
d’avoir mis un terme à cette anomalie de l’autorité dé
livrant un brevet et enjoignant à son représentant d’en
�SUR LES BREVETS D’l«VENTION
79
demander la nullité et d’en poursuivre l’exploitation,
qu’elle mériterait toute approbation.
77. — En réalité d’ailleurs et l’expérience l’a prou
vé, la loi de 1844 n’a ni mis obstacle à la recherche de
nouveaux remèdes, ni enlevé à l’inventeur le profit qu’u
ne découverte heureuse pouvait et devait procurer. C’est
qu’en cette matière, sauf quelques accessoires pour les
quels on a pu prendre des brevets d’invention , les in
novations n’ont guères consisté que dans la fabrication
de certains produits, suivant les formules du Codex , et
ne tombant pas dès lors sous l’application de la législa
tion prohibitive des remèdes secrets. Ces produits, tant à
raison de la publicité qui leur a été donnée,que du soin
particulier apporté à leur préparation , ont acquis une
immense notoriété, et sont devenus la source de béné
fices considérables.
78. — Or, l’auteur n’a jamais manqué d’attacher
son nom à sa découverte , et de s’en assurer ainsi en
quelque sorte la propriété. C’est ce nom , en effet , qui
fait la célébrité du remède, et il est à l’abri de toute u surpation. Si les autres pharmaciens peuvent composer
et débiter le remède, il ne leur est pas pe rmis de s’em
parer du nom. L’emploi de celui-ci constitue, non une
contrefaçon, mais un acte de concurrence déloyale que
les tribunaux n’ont jamais manqué de réprimer.'
1 V. nombreuses décisions dans les Annales indu sir., 4 800, pag. 81
et suiv.
;\
�80
LOI DU
6
JUILLET
1844
79. — Le tribunal de commerce de la Seine , par
jugement du 27 mars 1856, faisait une remarquable et
fort juste appréciation des principes de la matière :
« Attendu que, dans l’exercice de la profession de
pharmacien, on doit distinguer l’élément scientifique de
l 'élément commercial ; le premier réglé par des restric
tions et des immunités légales que commandent la santé
et l’ordre public ; le deuxième soumis à la concurrence,
mais ayant droit à la protection de la justice si cette
concurrence devenait déloyale ;
» Attendu qu’au premier de ces points de vue , au
cune invention de remèdes ne peut être l’objet d’un mo
nopole ; que tous ont le droit de préparer et de vendre
les médicaments dont le principe est déposé dans le Co
dex, ou qui sont autorisés par l’administration publique;
mais que la préparation de ces médicaments pouvant
être l’objet de méthodes plus ou moins parfaites, là est
le champ industriel où chacun peut développer son in
telligence à son profit ;
» Attendu qu’il s’ensuit le droit évident pour celui
qui a perfectionné certains produits , d’y attacher son
nom qui devient alors une propriété commerciale invio
lable, que les concurrents doivent respecter pour ne pas
produire une confusion qui pourrait être dommagea
ble. »
8 0. — Ainsi, les préparations pharmaceutiques tom
bant de plein droit dans le domaine public , tous les
pharmaciens peuvent composer , annoncer et vendre
�SUR l.I'.S BREVETS d ’in v e n t io n
S i-
tout ce qui se produit à ce titre, par exemple, le papier
épispastique, l’élixir tonique anti-glaireux , le sirop lénitif, la pâte pectorale, etc.. . . ; mais ils ne peuvent dé
signer ces divers produits sous les noms d’Albespeyre,
du docteur Guillé, de Flou, de Georgé, qui leur ont ac
quis une juste célébrité. L’indication de ces noms, par
d’autres que ceux auxquels ils appartiennent, n’aurait
d’autre but que celui de tromper sur la provenance ré
elle du produit ; d’établir une confusion avec ceux sor
tis de l’officine du premier préparateur ; de faire à ce
lui-ci une concurrence essentiellement déloyale, pouvant
occasionner un grave préjudice.
81.
— La prohibition d’indiquer le nom du premier
préparateur d’un produit reçoit exception lorsque,par le
fait de celui-ci, ce nom est devenu la seule désignation
du produit. Dans ce cas , en effet, dès que le produit
tombe dans le domaine public, le nom, comme désigna
tion , lui est également acquis. Dans ces circonstances,
prohiber l’annonce du nom serait la prohibition du pro
duit, et la consécration de son monopole en faveur de
celui qui l’a créé ou découvert.
Mais dans cette hypothèse même , il ne faut pas que
l’indication du nom favorise une concurrence déloyale
et détermine une erreur sur la provenance et l’indivi
dualité du producteur. La jurisprudence en a conclu que
cette indication doit avoir lieu en termes tels qu’il soit
impossible d’attribuer à l’un ce qui est réellement le fait
de l’autre. Il faut donc que celui qui fabrique et met en
i — 6
�82
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
vente un produit connu sous le nom de celui qui l’a in
venté, indique que la préparation est son fait propre et
personnel.
82.
— Ainsi le tribunal de commerce de Paris ju
geait, le 2 7 avril 1 8 4 3 , que bien que les lampes carcel
fussent dans le domaine public, nul autre que les héri
tiers de l’inventeur ne pouvait les annoncer autrement
qu’en ces termes : lampes dites de carcel, ou façon de
carcel ; il jugeait, le 2 8 octobre 1 8 4 4 , que celui qui
vend de la pâte pectorale connue sus le nom de Ré
gnault, doit inscrire sur ses prospectus et ses boites, au
lieu de ces mots : pâte pectorale de Régnault, ceux-ci:
pâte préparée suivant la formule de Régnault.
Mais le 2 2 mai 1 8 5 6 , le tribunal désertant cette ju
risprudence , jugeait que si la formule employée par
l’inventeur peut être employée par un autre, celui-ci
ne doit être admis à le faire que sous son propre nom;
qu’il doit lui être interdit de se servir, de quelque ma
nière que ce soit, du nom d’autrui, si ce nom n’est pas
tombé dans le domaine public; que l’annonce de ce
nom, appliqué seulement comme rappel d’une formule,
n’est qu’un moyen d’éluder ce principe, et constitue un
abus déloyal qui doit être réprimé aussi bien que l’usage
direct du nom du premier préparateur ; ou de dénomi
nations similaires trop faciles à confondre avec celles
appliquées par celui-ci originairement.
Ce jugement frappé d’appel , est confirmé par arrêt
de la cour de Paris du 1 5 mai 1 8 5 8 .
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
83
Mais la Cour suprême, à laquelle cet arrêt est dénoncé
comme violant la loi , en prononce la cassation le 31
janvier 1 8 6 0 . Elle juge que , lorsque la fabrication et
l’exploitation d’un produit industriel sont entrés dans
le domaine public , il y a faculté pour tous d’annoncer
et de débiter ce produit sous la dénomination sous la
quelle l’inventeur ou premier préparateur l’a fait con
naître, et qui sert, dans l’usage, à le désigner;
Que ce principe s’applique même à la désignation
dont ferait partie le nom de l’inventeur ou premier pré
parateur, si, par le fait même de celui-ci, son nom est
devenu l’élément nécessaire de la désignation du pro
duit, à la condition toutefois que les concurrents n ’em
ploient ce nom que comme simple désignation , et non
de manière à induire le public en erreur sur l’indivi
dualité du fabricant, et la provenance du produit ;
Qu’ain si, un remède secret tombé dans le domaine
commun de la pharmacie p e u t, si l’inventeur y a luimême attaché sou nom, de manière que ce nom en soit
devenu la désignation usuelle et nécessaire,être annoncé
et débité par tous pharmaciens sous le nom de cet in
venteur, précédé de ces mots : selon la formule de . .
pourvu, d’ailleurs, que les annonces et étiquettes des
concurrents soient rédigées de manière à ne permettre
aucune confusion sur la provenance du remède.
Il s’agissait, dans cette espèce, du rob végétal dépu
r a tif de Boyveau-Laffecteur. Le représentant de celuici poursuivait les sieurs Charpentier et Cie qui avaient,
dansdes journaux, prospectus,circulaires, prix-courants,
�84
1.01 DU
6
JUILLET
1844
annoncé la vente d’un rob dépuratif , f o r m u l e
d e B o y y e a u -L a fT e c te u r ;
Il soutenait que le rob Boyveau-Laffecteur n’était ja
mais tombé dans le domaine public; que formellement
autorisé par lettres du
septembre 1778 , il n’avait
pas été atteint par les lois et décrets postérieurs, et était
resté une propriété privée ; qu’en supposant le contraire,
ce qui était acquis, c’était le droit d’annoncer et de ven
dre le remède, mais non sans le nom de Boyveau-Laf
fecteur.
Le décret de 1810 ne permettait pas d’accueillir le
premier moyen. Aussi était-il rejeté par le tribunal et la
Cour qui consacraient le second, ce qui leur avait attiré
la censure de la cour de Cassation.
Celle-ci persistant dans sa jurisprudence a de nouveau
jugé, le 29 mai 1861, que le droit de tout pharmacien
de fabriquer et exploiter un médicament qui est dans le
domaine commun de la pharmacie, emporte avec lui la
faculté de l’annoncer et de le débiter sous les dénomi
nations qui sont devenues, dans l’usage, la désignation
de ce médicament, à la charge seulement de ne pas in
duire le public en erreur sur la provenance des pro
duits , et de ne pas en faire un moyen de concurrence
déloyale.'
83.
— Cette jurisprudence , hautement approuvée
par la logique, assure aux inventeurs ou premiers pré-
i Annales induslr., 4 860, pag. 4 00; 4 864, pag. 22S.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
85
parateurs d’un remède utile, la rémunération à laquelle
ils ont droit de prétendre. C’est aussi, ce que les inven
teurs ont pensé, car pas un qui ait profité du droit que
leur assure le décret de 4 810, de vendre son secret à l’Etat
moyennant une indemnité. Us ont préféré exploiter leurs
découvertes, et la faculté pour tous les autres pharma
ciens de se livrer à leur exploitation n’a pas empêché
ces découvertes de devenir pour leurs auteurs l’origine
de fortunes considérables.
84.
— Il peut arriver qu’une matière soit à la fois
un remède et un objet utile aux arts. Devra-t-on la con
sidérer comme non brevetable par cela seul qu’elle est
de nature à être employée comme médicament ?
Non évidemment. Le texte et l’esprit de l’art. 3 n’au
torisent en rien cette induction. Ce que la loi déclare non
brevetable, c’est non telle ou telle substance, mais exclu
sivement et uniquement les préparations pharmaceuti
ques, c’est-à-dire l’emploi de ces substances comme re
mèdes. Donc , celui qui aurait découvert une matière
pouvant être à la fois un remède et un objet utile aux
arts, pourrait prendre un brevet valable lui assurant le
droit exclusif à toute application industrielle. Mais l’exis
tence de ce brevet ne saurait être un obstacle à l’emploi
de la matière comme médicamment.
Par exemple, l’acétate de plomb, employé comme re
mède, sert aussi pour la teinture, et reçoit ainsi une ap
plication précieuse dans l’industrie. Celui qui découvri
rait aujourd’hui l’acétate de plomb , ou qui en aurait
�86
LOI DU
6
JUILLET
1844
modifié ou amélioré l’application à la teinture, obtien
drait sûrement un brevet pendant la durée duquel cette
application lui appartiendrait exclusivement, mais qui
ne lui accorderait nullement le droit d’empêcher les phar
maciens de se servir de la substance dans et pour leurs
préparations.
85.
—■ La disposition de l’art. 3 est donc essentielle
ment limitative et restrictive. De ce caractère on a con
clu que sa prohibition ne s’étendait pas aux procédés
de fabrication à l’aide desquels on obtient les prépara
tions pharmaceutiques.
Ainsi l’idée de renfermer des médicaments dans des
capsules gélatineuses était connue et depuis longtemps
exploitée, lorsque, en 1846, les docteurs Lavalle et Clertan se firent breveter pour un appareil dit capsulier
destiné à fabriquer un grand nombre de capsules à la
fois. Ce capsulier ayant été imité, la poursuite en confaçon fut accueillie et consacrée par la justice,‘
8(î. — Par application du même principe, il a été
jugé que le nom donné au produit pharmaceutique con
stituait une propriété privée, et que les autres pharma
ciens qui pouvaient fabriquer le produit, ne pouvaient
l’annoncer et le vendre sous ce nom.
Les mêmes docteurs Lavalle et Clertan avaient donné
au produit de leur capsulier le nom de perles d'éther
i Annales industr., 1860, pag. 116,
�SUE LES BREVETS D’iNVENTION
87
Divers pharmaciens s’étant servis de ce nom , ils les
poursuivirent en contrefaçon et demandèrent, outre des
dommages-intérêts, la défense de se servir à l’avenir de
la désignation perles d’éther.
Les défendeurs soutenaient, d’abord, que MM. Clertan et Lavalle étant médecins et non pharmaciens, n’ay
ant même pas le droit de s’occuper de pharmacie , ne
pouvaient pas revendiquer le priviléged’un produit phar
maceutique dont l’exploitation leur était interdite. Ils
ajoutaient, que le nom de perlés d'élher constituait une
appellation nécessaire , ne pouvant être remplacée par
une autre, et que personne n’avait le droit de s’emparer
d’un terme générique.
Celte défense, tant en la forme qu’au fond, est repous
sée par le tribunal de commerce qui accueille la de
mande le 21 mars 1859.
8 7.
— Appel et, le 21 mars 1861, arrêt de la cour
de Paris qui annule le jugement comme incompétemment ren d u , et qui évoquant le fonds , statue en ces
termes :
Considérant que rien, dans la législation qui régit la
médecine et la pharmacie , n’interdit à un médecin de
céder à un pharmacien un procédé mécanique propre à
la fabrication de certains produits médicamenteux, et la
propriété du nom qu’il a donné à ces produits,même alors qu’ils appartiennent au domaine public.
Au fond, considérant que l’unique objet du débat est
la propriété du nom de perles d’éther ; que , de l’aveu
�/.
88
■ V. ’ ' ■
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
des appelants , Clertan et Lavalle ont employé les pre
miers, qu’ils ont déposé comme marque de fabrique et
de commerce au greffe du tribunal de commerce de Di
jo n .........
Considérant, au surplus, que la dénomination de
perles d'êther n’est pas un terme générique nécessaire
à la désignation du produit auquel les intimés l’ont ap
pliquée, puisqu’il en existe d’autres pour les indiquer.
En conséquence , la Cour déclare que les appelants
seront tenus de supprimer de leurs flacons, étiquettes et
prospectus le nom de perles d’Ether, et les condamne à
500 fr. de dommages-intérêts.’
Ce qui assure à cet arrêt un caractère essentiellement
juridique, c’est ce motif déterminant que le nom en li
tige n’était pas le nom générique du produit, qui n’était
et ne pouvait être connu que sous celui de capsules
d'éther. Or, Clertan et Lavalle ne prétendaient pas avoir
le droit exclusif de préparer et de vendre celles-ci. Ce
qu’ils revendiquaient,c’était le nomabsolument nouveau
par lequel ils désignaient les produits de leur capsulier,
et qui , dès lors , ainsi que le dit la cour de Paris , ne
constituait, en réalité,qu’une marque de fabrique. Il est
donc évident qu’il ne pouvait s’agir de l’art. 3 , et que
cette désignation donnée par d’autres à des produits si
milaires, ne pouvait avoir pour objet que d’inspirer la
croyance d’une provenance mensongère , et constituait
1 Annales induslr., 1860, pag. 90 ; 1861, pag. 161.
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
89
ainsi une concurrence déloyale qu’il était du devoir de
la justice de réprimer.
8 8 . — Il en est du traitement médical comme des
préparations pharmaceutiques. Il ne peut être l’objet
d’un brevet d’invention, et tous les médecins peuvent en
prescrire l’emploi.
Mais ce traitement peut exiger l’emploi d’un agent
matériel, d’un appareil mécanique. Le brevet pris pour
l’un ou pour l’autre sera-t-il valable, et conférera-t-il à
l’inventeur un droit exclusif?
Un arrêt de la cour de Cassation, du 30 mars 1853,
se prononçant pour l’affirmative , juge que l’appareil
mécanique destiné à un traitement orthopédique cons
titue un produit susceptible d’être breveté ; qu’en consé
quence un médecin qui fait fabriquer cet appareil pour
l’appliquer notamment dans un établissement orthopé
dique qu’il dirige, et le bandagiste dans les atteliers du
quel l’appareil a été fabriqué , sinon sur son ordre for
mel, du moins avec son assentiment tacite, par l’ouvrier
chargé de l’exécution de ces sortes de commandes , se
rendent coupables du délit de contrefaçon.'
8 9 . — On pourrait révoquer en doute le caractère
juridique de cet arrêt. L’appareil destiné à redresser les
déviations de la taille , ou à faire disparaître telle autre
infirmité, est-il en réalité autre chose qu’un remède, et
1 D P., S3, 4,198.
�90
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
échappera-t-il à l’application de l’art. 3, parce que, au
lieu d ’être préparé par un pharmacien, il l’a été par un
mécanicien ?
Il semble que la guérison d’une infirmité mérite le
même intérêt que celle d’une maladie ordinaire ; que,
dès lors, on devrait accorder à l’une la faveur qu’on fait
à l’autre. Mais les termes de l’art. 3 ne permettent pas
d’étendre sa prohibition hors les cas prévus. Les tribu
naux, alors même qu’ils reconnaîtraient dans la loi une
lacune regrettable, ne peuvent que la signaler et non la
combler. De là, la doctrine de la cour de Cassation , et
la pratique constante de breveter les appareils, de quel
que nature qu’ils soient.
90.
— Il a été formellement reconnu, dans la dis
cussion législative, que la prohibition du § 1er de l’arti
cle 3 s’appliquait aux compositions que les médecins
vétérinaires sont dans le cas d’employer pour la guéri
son des animaux. Mais la proposition de l’étendre aux
compositions alimentaires et aux cosmétiques ne fut pas
même appuyée.
A rt. 4.
L a d u ré e des b rev ets sera de c in q , dix o u
qu in ze années.
C h aq u e b re v e t d o n n e ra lieu au p a iem en t d ’u
ne taxe qui est fixée ainsi q u ’il su it, sav o ir :
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
500
fr. p o u r
un b re v e t de cinq ans ;
1000
fr. p o u r
u n b re v e t d e d ix ans ;
1500
fr. p o u r
u n b re v e t de quinze ans.
91
C ette taxe sera payée p a r annuités de 100 fr .,
sous peine de d é ch é a n ce si le b re v e té laisse é co u
ler un te rm e sans l’a c q u itte r.
SOMMAI RE
91
Nécessité de limiter la durée du privilège résultant du bre
92
L’expérience l ’avait tellement prouvé que l ’assemblée Cons
tituante tout en consacrant le principe de la propriété,
n ’accordait qu’une jouissance exclusive temporaire.
Prétentions des inventeurs, en 1844, d’assimiler leurs droits
à ceux des auteurs des oeuvres artistiques ou littéraires.
Réponse du rapporteur de la commission de la chambre des
Pairs.
Différence réelle entre les uns et les autres.
Caractère suffisamment rémunéraloire de la limite de quinze
ans.
Faculté de l’inventeur de réduire son privilège à dix ou cinq
vet.
93
94
95
96
97
ans.— Cette faculté n ’a plus déraison d’être, sous la loi
actuelle.
98 Difficultés que la taxe des brevets a soulevées.
99 Principal reproche des adversaires de la taxe.—Réponse.
100 La taxe était donc juste et nécessaire. Mais sur quelle base
l ’établir ?
101 Le projet de loi, en admettant les chiffres de 500, 1000 ou
1500 fr., exigeait le paiement intégral immédiatement.
Effets de cette obligation.
�92
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
102
Système des brevets provisoires de deux ans à la taxe de
200 fr.—Consécration par la chambre des Pairs.
103 Amendement de M. Bethmont à la chambre des Députés —
Objections de la commission et du Gouvernement.
104 Motifs qui le firent adopter.
105 Son effet quant à la détermination de la durée du brevet.
106 Peut-on modifier, prolonger ou réduire cette durée ?—Effet
du retard ou du défaut de paiement.—Renvoi.
91.
— Nous avons déjà dit que la délivrance des
brevets d’invention et les effets qui y sont attachés étaient
moins dans l’intérêt particulier des inventeurs que dans
celui du commerce et de l’industrie. En général, pour
que cet intérêt fût satisfait, il fallait que, dans un temps
donné , les inventions et découvertes , tombant dans le
domaine public , pussent être exploitées par tous ceux
qui pouvaient y avoir un intérêt. C’était, là, la condi
tion du monopole temporaire assuré à l’inventeur. Si la
société , observent avec raison MM. Loiseau et Vergé,
concède des droits de jouissance exclusive à ceux qui
l’enrichissent de précieuses découvertes, il est bien juste
qu’elle rentre un jour en possession de l’invention qu’elle
a consenti à placer, pendant un temps déterminé, sous
la garantie de prescriptions spéciales , hors du droit
commun.1
En d’autres termes , la société ne donne et ne peut
donner qu’à la charge de recevoir. Or, qu’aurait-elle
i Commentaire de la loi de 1844, art.. 4.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTTON
93
reçu en échange du monopole qu’elle reconnaît aux in
venteurs, si ce monopole devant se perpétuer indéfini
ment, l’invention restait pour toujours la propriété ex
clusive de son auteur.
92.
— A cet égard l’expérience aipit été faite. Les
privilèges que notre législation ancienne permettait de
conférer étaient d’abord accordés à perpétuité. Le résul
tat que cette perpétuité avait produit, c’était l’appauvris
sement de la société , comme l’ordonnance de 1762 le
constate.
Aussi et malgré l’idée de propriété qu’elle attachait
aux découvertes ou inventions nouvelles, l’assemblée
Constituante n’accordait-elle aux auteurs qu’une jouis
sance exclusive d’une durée de quinze ans au maximum.
Ce terme était indiqué non-seulement par l’ordonnance
de 1762 , et l’arrêt du Conseil de 1787 , mais encore
par la pratique de deux grandes nations commerçantes,
l’Angleterre et les Etats-Unis , qui n’accordaient que
quatorze ans.
95.
— Lorsque, en 1844, il s’est agi de réviser la
loi sur les brevets d’invention , personne n’a soutenu
que le droit des inventeurs ne devait recevoir aucune
limite. Mais quelle devait être cette limite, c’est sur quoi
on cessait d’être d’accord. Les inventeurs industriels ré
clamaient à grands cris contre le terme de quinze ans.
Us demandaient que la jouissance exclusive, comme celle
des œuvres littéraires et artistiques , leur fût concédée à
vie, et s’étendit même au delà.
�94
LOI DU
6
JUILLET
1844
Cette réclamation ne rencontra ni sympathie ni ap
pui, ni dans le Gouvernement ni dans les chambres lé
gislatives. L’assimilation sur laquelle elle reposait était
en effet inadmissible.
Sans doute, les productions littéraires ou artistiques
ont cela de commun avec les productions industrielles
que , comme celles-ci , elles sont les nobles fruits de
l’intelligence et du génie. Mais combien elles en diffèrent
dans leur origine, dans leurs effets.
9 4 . — « L’industrie, disait M. de Barthélémy dans
son rapport à la chambre des Pairs, se compose de la
masse des découvertes préexistantes ; l’industriel profile
bien plus des connaissances répandues avant lui dans
les arts et métiers, que le littérateur ne tire parti des
ouvrages qu’il trouve dans les bibliothèques ; non-seu
lement l’industrie ne perd jamais, mais d’un pas tantôt
plus lent, tantôt plus rapide elle avance incessamment.
Le génie des auteurs est-il également progressif? Notre
siècle dépasse-t-il celui de Périclès, d’Auguste, de Louis
XIV? N’établissons pas de comparaisons entre les ap
plications diverses du génie de l’homme à des objets si
différents. »
« Les découvertes faites dans les arts et métiers, di
sait à son tour le rapporteur de la chambre des Dépu
tés , M. Ph. Dupin , n’empruntent-elles pas au passé
beaucoup plus de secours que les œuvres de l’écrivain?
La pensée industrielle n’est—elle pas susceptible d’être
conçue et réalisée de la même manière par plusieurs
�SUR LES BREVETS D’iNVENTlON
95
personnes ? Ne peut-on pas affirmer que si elle ne fut
point éclose à une époque , elle se serait infailliblement
produite plus tard sous les indications des besoins du
commerce, sous l’influence d’une observation attentive,
et quelquefois par le seul bienfait du hasard ? Si le gé
nie de Molière n’eût pas créé le Tartuffe et le Misan
thrope, le genre humain n’eût-il pas été à jamais dés
hérité de ces chefs-d’œuvre ? »
9 5 . — D’ailleurs, la jouissance que réclame l’in
venteur d’une découverte industrielle , est aussi jalouse
qu’exclusive. Tant que durera son brevet, nul autre que
lui ne peut exploiter son idée, se servir de ses procédés,
employer sa méthode, créer et débiter ses produits, c’està-dire que cette jouissance imprime un temps d’arrêt à
l’industrie , et constitue en réalité un veto sur le travail
d’autrui.
L’auteur littéraire ne s’approprie ni la matière, ni le
sujet qu’il traite ; on ne lui accorde aucun brevet d’in
vention, et chacun peut, après lui, non-seulement trai
ter matière et sujet à son point de vue, mais encore pro
fiter de ses enseignements, comme il a profité lui-même
de ceux de ses devanciers, emprunter et citer ses pensées
et ses paroles. On a eu raison de le dire , les livres se
font avec les livres, car ce qui est exclusivement prohibé
en cette matière, c’est le plagiat qui emprunterait nonseulement la pensée , mais encore le langage dans le
quel elle a été exprimée, la rédaction qui lui a été don
née, et s’attribuerait une œuvre qui ne lui appartient
sous aucun rapport.
�96
LOI DU
6
JUILLET
1844
Enfin, la diffusion des découvertes et inventions in
dustrielles, en amène et en détermine nécessairement le
développement et le perfectionnement. Or personne que
nous sachions, n’a encore perfectionné Corneille, Raci
ne, Molière, Bossuet, Despréaux , etc.. . . La réimpres
sion de leurs œuvres a bien pu enrichir l’éditeur, mais
elle n’a évidemment rien ajouté à la valeur des œuvres
de ces génies immortels.
9 6 . — Donc , ce qui était rationnel et juste pour
l’écrivain, ne l’était pas, ne pouvait pas l’être pour l’in
dustriel. On ne devait à celui-ci qu’un monopole suffi
samment rémunérateur. Or, une durée de quinze ans
atteint parfaitement ce but. On était dès lors fondé à ne
pas le prolonger au delà.1
9 7 . — L’inventeur a le choix de réduire ce délai. Il
peut n’assigner à son brevet que le terme de cinq ou
dix ans. Cette alternative avait sa raison d’être sous
l’empire de la loi de 1791 .La taxe du brevet était alors,
droit d’expédition et de dépôt compris, de 360 fr. pour
cinq ans; 862 fr. pour dix ans; 1562 fr. pour quinze
ans. Mais elle était payable en totalité au moment de
la demande du brevet, ou au plus tard dans les six mois
de sa délivrance. Il n’eût donc pas été juste de contrain
dre à payer 1500 fr. celui qui, dans l’incertitude du ré
sultat , ne voulait ou ne pouvait payer que 300 ou
800 fr.
�SUR LES BREVETS DÏNVENT10N
97
Le mode de paiement consacré par la loi de 1844
rend celle alternative sans intérêt et dès lors sans objet,
puisque le breveté peut chaque année renoncer à son
brevet en ne payant pas l’annuité échue. Il est dès lors
évident qu’on aurait pu admettre qu’un seul terme,celui
de quinze ans qui, dans la pratique, sera seul ado$é.
Quelle apparence, en effet, qu’on se borne à une jouis
sance de cinq ou dix ans, alors qu’il n’en coûte pas un
centime de plus pour s’en assurer une de quinze ans,
sauf à y renoncer à sa volonté ?
9 8 . — A son tour, la taxe imposée aux brevets a été
l’objet de nombreuses réclamations et rencontrait d’ar
dents adversaires. Les uns , se fondant sur ce que le
privilège des auteurs leur était concédé gratis, voulaient
qu’il en fût de même des inventeurs ; un grand nombre
désiraient une taxe moindre; quelques-uns demandaient
des taxes graduées, suivant une progression croissante
d’après le nombre d’années que l’inventeur aurait choisi
pour la durée de son brevet, dans la ;limite maximum
de quinze ans, mais sans être astreint à suivre la divi
sion quinquennale adoptée par la loi.
99. — Le principal reproche des adversaires de
toute taxe, était de deshériter les inventeurs pauvres de
la protection et de la récompense accordées à ceux que
la fortune a favorisé.
Mais n’était-il pas rationnel et juste que les dépenses
spéciales qu’exigent, pour les finances publiques, la cré
ation et la délivrance des brevets, fussent supportées
i - 7
�98
LOI DIJ
Ç
JUILLET
1844
par ceux qui en profitent ? Donc , tout ce qui pouvait
et devait résulter des reproches, c’était de réduire la taxe
à une proportion telle que tout le monde, pauvre ou ri
che , fût en état d’y suffire. O r, les sommes de 500,
1000, 1500 fr. u ’ont rien d’exhorbitant.et on a pu jus
tement dire que le droit était modéré et à peine rému
nérateur, en compensation du monopole accordé à l’in
venteur.
Juste à ce point de vue, la taxe était nécessaire, com
me écartant la plus grande partie de ces futilités et de ces
rêveries que chaque jour voit éclore,et qui sont l’occasion
d’une demande de brevet. Il est évident que cette fièvre
avait besoin d’un frein, et que, si à l’absence d’examen
préalable se joignait la gratuité du brevet, l’inondation
déjà si forte déborderait sans mesure ni retenue.'
ÎOO. — La taxe, en principe, était donc juste et né
cessaire. Mais comment l’asseoir ; à quel chiffre l’éta
blir ? Fallait-il, comme en Belgique , lui donner pour
base l’importance présumée de l’objet breveté ? On com
prend tout ce que ce mode avait d’incertain et d’arbi
traire, et l’on s’explique que le législateur de 1791 l’eût
repoussé. C’est le chiffre par lui admis qui a été main
tenu, sauf une légère modification se résumant dans une
1 Le nombre des brevets tend toujours à s’accroître. Il était, en 4844,
sept fois plus considérable qu’il n ’était sous le premier empire. Les do
cuments fournis par l’administration établissaient que, dans les premiers
mois de 4842 , il avait été délivré 4083 brevets d’invention et 524 d ’ad
dition.
�SUR LES BREVETS û ’iNVENTION
99
augmentation de 140 fr. pour le brevet de cinq ans ;
de 138 fr. pour les brevets de dix ans, et en une dimi
nution de 62 fr. pour les brevets de quinze ans.
101. — En posant le chiffre uniforme de 100 fr.
par an, le projet de loi en déclarait le paiement en une
seule fois et d’avance obligatoire. C’était donc 500, 1000
ou 1500 fr. que le bénéficiaire du brevet avait à payer
suivant qu’il portait sa jouissance à cinq, dix ou quinze
ans.
Cette obligation pesait lourdement sur les inventeurs
pauvres. Elle leur interdisait en quelque sorte le brevet
de quinze ans , et ne leur permettait que celui de cinq
ans , qu’ils avaient encore assez de peine à solder. Un
pareil état d’inégalité et d’infériorité ne pouvait que sus
citer les plus justes plaintes, qu’inspirer la plus vive ré
pulsion.
102. — Le Gouvernement l’avait lui-même com
pris, et comme correctif à ce que ce système avait d’o
dieux, il autorisait les brevets provisoires pour deux ans
à la taxe de 200 fr., imputable , en cas de prolongation
jusqu’à cinq, dix ou quinze ans, sur la somme à payer
pour la durée choisie.
La proposition, ainsi atténué, avait été admise par la
chambre des Pairs. L’admettant à son tour, la commis
sion de la chambre des Députés en proposait l’adoption.
105. — Mais M. Bethmont, amendant le projet,de
manda qu’on rédigea l’article en ces termes : celle taxe
sera payée par annuité de 100 jr.
�100
LOI DU 6 JUILLET
1844
Cet amendement fut vivement combattu par le Gou
vernement et par la commission elle-même. On le si
gnalait comme favorisant l’abus que la taxe avait pour
objet de prévenir , la multiplication désordonnée des
brevets. Désormais, disait le rapporteur M. Ph,Dupin,
pour avoir le titre de breveté sur son enseigne , dans
ses prospectus , dans ses annonces , on se fera donner
un brevet sous un prétexte quelconque. Ce sera à la fois
un moyen de surprendre la crédulité publique, et de se
donner une apparence de supériorité sur ses rivaux.
Au nom du Gouvernement , on disait : Il y a en ce
moment plus de 8000 brevets en cours d’exécution.
Supposons que le nombre en soit doublé , et non pas
triplé comme on l’annonce, il y aura 16000 brevets,
c’est-à-dire 16000 comptes-courants ouverts sur divers
points de la France chez les receveurs généraux. En ou
tre, il importe, en matière de brevets, que le commerce,
l’industrie , les consommateurs connaissent les brevets
qui tombent dans le domaine public , et ceux qui sont
en cours d’exécution. Comment , avec une si grande
multiplicité de brevets , une comptabilité sur tous les
points de la France, une correspondance tenue par tous
les receveurs ; comment, avec des échéances qui se re
nouvellent tous les ans, connaître avec certitude les bre
vets en vigueur et les brevets expirés ? Enfin , en per
mettant le paiement par annuité, on expose le cession
naire du brevet à un dommage considérable. En effet,
�.'
V'1, 7 : ,
'
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
;; I
101
breveté vient à encourir la déchéance par suite de non
paiement des annuités.
104. — Aucune de ces objections ne répondait à
l’argument sur lequel se fondait la proposition du paie
ment par annuité. Ce qui devait en résulter, et ce qu’on
en voulait, c’était d’établir une égalité parfaite entre in
venteurs,et venir efficacement au secours de ceux que la
pauvreté opprimait.
L’importance sociale de ce but l’imposait comme un
devoir au législateur , et le Gouvernement lui-même en
était si bien convaincu, qu’il avait cherché à l’atteindre
par la création des brevets provisoires de deux ans. En
effet, disait—il, ce délai est suffisant pour permettre d’ex
périmenter la découverte, et, si elle était réellement u lile , de se procurer les fonds nécessaires pour acquérir
le brevet définitif.
Cette suffisance était contestée. Il est, disait AJ. Àrago, une foule d’inventions, et des plus importantes, qui
n’ont commencé d’être appréciées qu’au bout de cinq ou
six ans. Comme exemple, il citait les turbines, et l’in
génieuse machine à imprimer les toiles appelée perroline du nom de son inventeur M. Perrot. Que seraient
devenues ces inventions, ajoutait-il, avec le système des
brevets provisoires ?
Donc, le remède proposé était insuffisant et laissait
exister une inégalité choquante, dangereuse pour les in
venteurs pauvres. Il fallait donc songer à autre chose,
et adopter le paiement par annuité qui avait le mérite
�102
LOr DU
6
JUILLET
1844
de détruire le mal dans sa racine et de concilier tous
les droits. Qu’était, à côté de cet avantage, la difficulté
de comptabilité qu’on invoquait ?
Ce qui était vrai, c’était la difficulté de connaître les
brevets expirés et ceux qui étaient encore en activité ;
c’était le danger que pouvait courir le cessionnaire.
Le premier de ces inconvénients, le brevet provisoire
le laissait subsister. Il était, d’ailleurs, possible et facile
d’y remédier : la publication, à des époques déterminées,
des déchéances encourues pour défaut de paiement. Cette
publication était-elle plus difficile que celle des déché
ances pour toute autre cause ?
Quant au danger auquel le cessionnaire était exposé,
il était plus facile encore de le prévenir et de l’annuler.
L’exigence d’un paiement intégral, rigoureuse et injuste
au moment de la délivrance du brevet, perdait ce carac
tère lorsqu’après cette délivrance , il s’agit d’en trans
porter le bénéfice à un tiers, parce que le prix de la ces
sion mettra le plus pauvre comme le plus riche en me
sure d’y satisfaire. Il fallait donc n’autoriser la cession
qu’après l’acquit préalable de toutes les annuités restant
à courir, et c’est ce qu’a fait l’art. 20.
Successivement adopté par la chambre des Députés,
par le Gouvernement et par la chambre des Pairs , le
paiement par annuité a été inscrit dans la loi et est de
venu le droit commun de la matière. L’effet que M. Ara*
go en déduisait, en l’appelant de tous ses vœux, sera de
donner à tous les brevets une durée de quinze ans. Il
est évident que le breveté , maître de renoncer chaque
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
103
année à l’effet de son brevet, n ’a plus aucun intérêt à
lui assigner une durée moindre.
105.
Voilà pourquoi nous disions tout-à-l’heure
que la détermination des périodes des cinq, dix et quinze
ans n ’a plus de raison d’être. Il est vrai qu’on pourrait
la justifier par l’hypothèse d’une cession. Celle-ci , en
effet, nécessitant le paiement intégral des annuités , il
importe de savoir si le brevet a été demandé et obtenu
pour cinq, dix ou quinze ans.
Mais ce n’est pas là ce qui empêchera de donner au bre
vet la durée maximum. Si, en cas de cession, le cédant,
dans l’hypothèse d’une durée moindre, a moins à payer,
il aura évidemment moins à recevoir. Personne, en ef
fet, ne donnera pour un brevet de cinq ans, ce qu’elle
donnerait pour un brevet de quinze. L’intérêt que le
breveté peut avoir à payer moins est donc plus que com
pensé par la perspective de recevoir plus , et l’on peut
prévoir et prédire que celle-ci prévaudra infailliblement
sur l’autre.
106. — La durée déterminée par la demande peutelle être modifiée , prolongée ou réduite ? C’est ce que
nous aurons à examiner sous l’art. 15. C’est aussi sous
l’art. 32 que nous établirons les conditions et le caracfère de la déchéance résultant du défaut ou du retard
du paiement des annuités.
�104
LOI
DU
6
JUILLET
1844
TITRE II
DES
FORMALITÉS RELATIVES A LA DÉLI
VRANCE DES BREVETS
SECTION ïre
D e s 'd e m a n d e s «le- b r e v e t s .
A rt
5.
Quiconque voudra prendre un brevet d’in
vention devra déposer, sous cachet, au secréta
riat de la préfecture, dans le département où il
est domicilié, ou dans tout autre département
en y élisant domicile :
1" Sa demande au Ministre de l’agriculture et
du commerce ;
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
103
2° Une description de la découverte, inven
tion ou application faisant l’objet du brevet de
mandé ;
3° Les dessins on échantillons qui seraient né
cessaires pour l ’intelligence-de la description 5
Et 4° un bordereau des pièces déposées.
A r t . 6.
La demande sera limitée à un seul objet prin
cipal, avec les objets de détail qui le constituent,
et les applications qui auront été indiquées.
Elle mentionnera la durée q u e les demandeurs
entendent assigner à leur brevet, dans les limites
fixées par l ’article 4, et ne contiendra ni restric
tions, ni conditions, ni réserves.
Elle indiquera un titre renfermant la désigna
tion sommaire et précise de l’objet de l’invention.
La description ne pourra être écrite en langue
étrangère. Elle devra être sans altérations ni sur
charges.Les mots rayés comme nuis seront com
ptés et constatés , les pages et les renvois para
phés. Elle ne devra contenir aucune dénomina
tion de poids ou de mesures autres que celles qui
�106
loi
du
6
ju il l e t
1844
sont portées au tableau annexé à la loi du 4 juil
let 1837.
Les dessins seront tracés à l’encre et d’après
une échelle métrique.
Un duplicata de la description et des dessins
sera joint à la demande.
Toutes les pièces seront signées par le deman
deur ou par un mandataire dont le pouvoir res
tera annexé à la demande.
X
A r t . 7.
Aucun dépôt ne sera reçu que sur la produc
tion d’un récépissé constatant le versement d’u
ne somme de cent francs à valoir sur le montant
de la taxe du brevet.
Un procès-verbal dressé sans frais par le se
crétaire général de la préfecture, sur un registre
à ce destiné, et signé par le demandeur, consta
tera chaque dépôt, en énonçant le jour et l’heure
de la remise des pièces.
Une expédition dudit procès-verbal sera re
mise au déposant, moyennant le remboursement
des frais de timbre.
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
107
SOMMAI RE
407 Caractère de l ’art. 5 : son objet.
108 Développement par l ’art. 6 des conditions prescrites à la
demande.
109 Première condition : Elle doit être limitée à un seul objet
principal, avec les objets de détail qui le constituent, et
les applications dont il est susceptible. — Rédaction du
projet—Attaques dont il fut l ’objet.
110 Son adoption par la chambre des Pairs.
111 Débats à la chambre des Députés. — Observations de M.
Bethmont.
112 Réponse du rapporteur de la commission.
113 Objections de M. Arago.—Réponse.
114 Répliques.
115 Modification de l 'article.
116 Sa signification précise.
117 Le brevet qui protège le produit s’étend à toutes les appli
cations que ce produit peut recevoir.— Arrêt de la cour
de cassation en ce sens.
118 Seconde condition : La demande doit indiquer la durée que
l ’inventeur entend assigner à son brevet.— Importance
de cette indication.
119 Troisième condition : Elle ne doit contenir ni restrictions, ni
conditions, ni réserves.
120 Effets de l’inobservation de cette condition.
121 Quatrième condition : Elle doit indiquer un titre renfermant
la désignation sommaire et précise de l ’objet de l’inven
tion.
122 But et objet de cette désignation.
123 Conséquences du défaut ou de l ’inexactitude de la désigna
tion.
�108
LOI
DU 6 JUILLET
1844
124 Tant que le brevet n ’est pas délivre , le demandeur peut
changer ou modifier le litre.—Peut-il y être contraint ?
125 Caractère que doit offrir la description exigée par l ’art. 5.—
Débats à la chambre des Députés.
126 Elle ne peut être écrite en langue étrangère.
127 Etendue de la prohibition.
128 Les mots rayés comme nuis doivent être comptés et consta
tés, et les pages et les renvois paraphés.
129 Elle ne doit contenir aucune dénomination de poids et de
mesures autres que celles portées au tableau annexé à
la loi du 4 juillet 1837.
130 Etre accompagné des dessins et échantillons nécessaires à
son intelligence.
1 31 Conditions que les dessins doivent réunir.
132 Effets du défaut de production ou de l ’irrégularité des des
sins.
133 Les dessins peuvent-ils être gravés ou lithographiés ?
134 Exigence d'un duplicata de la description et des dessins.
135 Le bordereau et chaque pièce doivent être signés par le de
mandeur ou son mandataire.— Nécessité de prévenir et
d’autoriser le concours de celui-ci.
136 Le pouvoir doit être annexé à la demande.—Sa forme.
137 Instructions du ministre pour les employés de préfectures
qui reçoivent la demande.
138 Résumé.
139 Sanction donnée aux prescriptions de la loi à ce sujet.
140 Le dépôt des pièces à la préfecture n ’est reçu que sur la
production du récépissé constatant le paiement de la som
me de cent francs.
141 Constatation du dépôt.—Comment elle s’opère.—Forme du
procès-verbal.
142 Importance de l’indication du domicile du demandeur, et du
jour et de l’heure du dépôt.
143 Remise d’ùne expédition au déposant. — Frais qu’il a à
payer.
'
..
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
109
144
Quid si le brevet, quoique non limité à un objet principal,
avait été par mégarde délivré par l ’autorité ?
145 Sa validité absolue enseignée par M Nouguier.—Ses motifs.
146 Opinion contraire de M. Et. Blanc.
147 Nous pensons comme celui-ci.—Par quels motifs.
107.
Les formalités à remplir pour obtenir un
brevet ne pouvaient être difficiles à déterminer, ni offrir
de bien grandes difficultés. Les articles que nous exa
minons font cette détermination, qui est à peu près celle
de la loi de 1791. Il ne pouvait en être autrem ent, et
l’identité du but amenait à l'identité des moyens pour
y arriver. Ce qu’une loi sur les brevets d’invention pou
vait et devait vouloir , ce que celle de 1844 a voulu,
c’est : exiger une désignation claire et complète de la
découverte à breveter ; assurer aux auteurs de cette dé
couverte le rang que leur assigne la date de leur de
mande ; garantir à la fois les droits présents de l’inven
teur et les droits futurs de la société.'
L’article 5 exige, de la part de l’inventeur, une de
mande au ministrede l’agriculture et du commerce.Cette
demande, dont la forme est abandonnée à la volonté de
son auteur, doit être accompagnée d’une description de
la découverte, invention ou application faisant l’objet du
brevet ; des dessins et échantillons qui seraient nécessai
res pour l’intelligence de la description ; enfin d’un
bordereau des pièces déposées. Tout cela est remis sous
i R apport de M . P li. D upin .
�HO
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
pli cacheté à la préfecture du département du domicile
de l’inventeur , ou de tout autre département en y éli
sant domicile.
108. — L’article 6 indique la caractère que doivent
offrir la demande , la description , les dessins. La première doit être limitée à un seul objet principal.
L’article 6, tel qu’il figure dans la loi, est le résultat
de la discussion législative. Il faut donc, pour en saisir
la signification exacte, s’en référer à cette discussion.
109. — L’article 6 du projet portait : Aucune de
mande ne devra comprendre plus d’un objet distinct.
Un membre de la chambre des Pairs , M. Dubouchage
l’attaquait avec force, comme jetant l’industrie dans une
foule d’embarras et de complications. « Pourquoi, di
sait-il, autoriser l’administration à rejeter une demande
qui comprendrait plusieurs objets distincts, si toutes ces
inventions ou procédés , si toutes ces découvertes dis
tinctes conduisent à la création d’un seul et même pro
duit? Par exemple, soit une machine à vapeur d’un poids
léger, d’une facture moins embarrassante et moins coû
teuse , et réunissant à ces avantages l’inexplosibilité.
Faudra-t-il prendre autant de brevets distincts, l’un
pour le poids qui est moindre , l’autre pour la facture
qui est moins dispendieuse, un autre pour l’économie
du combustible ? En faudrait-il un autre , si cette ma
chine pouvait s’adapter à un véhicule marchant sur les
routes ordinaires ? Ce système serait d’une odieuse fis
calité ; mieux valait l’art. 4 de la loi du 25 mai 1791,
�SUR LES BREVETS
d ’ i NVKN'TION
1 11
portant qu’on ne recevrait aucune demande contenant
plus d’un objet principal avec les objets de détail qui
pourraient y être relatifs. »
110. — A ces observations, appuyées par MM.GayLussac et de Boissy, on répondait, au nom du Gouver
nement , qu’on confondait l’objet avec les applications
de l’objet. Que la machine économise le combustible,
t
qu’elle ait telle ou telle qualité , tel ou tel avantage , ce
ne sont pas là autant d’objets distincts ; il n’y a qu’un
objet principal et un objet accessoire ; il n’y a qu’une
machine ; c’est un objet unique pour lequel le brevet a
été demandé. Nous avons la même intention que les ré
dacteurs de la loi de 1 7 9 1 . Nous voulons seulement ren
dre leur disposition plus claire et plus correcte.
Sur ces explications, la chambre des Pairs adopta la
rédaction du projet.
111. — La controverse se renouvela devant la
chambre des Députés. La commission proposait l’adop
tion pure et simple de L’article voté par la chambre des
Pairs. Mais cette proposition rencontra une vive oppo
sition.
« Lorsqu’un inventeur décrira son invention , disait
M. Bethmont, est-ce qu’il n’y aura qu’un seul objet sur
lequel pourra porter cette invention ? Est-ce qu’il n’est
pas ordinaire qu’une invention porte à la fois sur plu
sieurs objets ? Supposez, par exemple, l’inventeur d’un
nouveau mode de circulation ; il aura embrassé dans
�Wt
LOI DU
6
JUILLET
1844
son invention une série de faits et d’idées qui, dans l’ap
plication , forment plusieurs inventions corrélatives et
s’enchaînent toutes. D’après le principe de la lo i, elles
ne pourraient faire l’objet d’un seul brevet. Ainsi, l’in
venteur du chemin de fer atmosphérique aura inventé
le système en lui-même, la pression de l’air atmosphé
rique au mouvement du piston ; puis il faudra inventer
un long cylindre auquel on devra donner une position
parfaitement horizontale ; il est possible .qu’il y ait dans
cette partie de l’organisation du système, une difficulté
à vaincre, et, après l’avoir surmontée, on trouvera peutêtre une soupape longitudinale qui fermera plus hermé
tiquement. Faudra-t-il prendre plusieurs .brevets pour
toutes.ces inventions de détail qui se rattacheront inti
mement à la première ? Il faut expliquer que pour une
invention principale on ne prendra qu’un brevet, mais
qu’on jouira, en vertu de ce brevet, de toutes les inven
tions de détail qui se trouvent dans l’objet principal. »
i 12. — « Le but de la loi, répondait le rapporteur
de la commission, est de mettre obstacle à ce qu’on pût
ne demander qu’un seul brevet pour plusieurs inven
tions , et ne payer par lè qu’une seule taxe , mais non
d’obliger l’inventeur à requérir autant de brevets qu’il
pourrait y avoir de parties dans une même invention,
par exemple,d’organes dans une machine. Une machine
forme un ensemble composé d’un certain nombre de
pièces ou d’organes. La partie est dans le tout, et quand
on parle d’un seul objet, on parle seulement de l’objet
�SUR LES BREVETS ü ’iNVENTION
113
principal dans son ensemble. Lors donc qu’on viendra
demander un brevet pour un objet composé de plusieurs
organes , il n’y aura qu’un seul brevet ; mais s’il y a
plusieurs objets distincts, quoiqu’ils puissent se rappor
ter à une même idée, à une même invention, il y aura
autant de brevets qu’il y a d’objets distincts. »
113.
— La rédaction de l’article n’en était pas
moins obscure, pas moins vicieuse, et M. Àrago le prou
vait par un exemple. « Voyons,disait-il, par quelles mo
difications la machine à vapeur a dû passer pour deve
nir un moteur universel après avoir été une simple ma
chine d’épuisement. Ces modifications furent au nom
bre de trois ou quatre parfaitement distinctes et qui au
raient pu évidemment être contenues dans un seul et
même brevet. Il fallut d’abord transformer un mouve
ment de va et vient en mouvement de rotation ; il fallut
que la machine eût de la force non-seulement pendant
la course descendante , mais encore pendant la course
ascendante ; il fallut enfin établir entre la tige du piston
et l’extrémité de la manivelle une communication rigide
à l’aide d’un mécanisme remarquable , l’une des plus
belles inventions de Watt : le parallélogramme arti
culé ; enfin pour parer à des changements de vitesse
trop considérables, il fallut imaginer une soupape à ou
verture variable , et fermant en partie au moment des
trop grandes vitesses, et se dilatant quand le mouvement
se ralentissait. Ce résultat s’obtint à l'aide de l’appareil
qu’on appelle le régulateur à force centrifuge. Ajoui — 8
�m
LOI DU
6
JUILLET
1844
tons que Walt introduisit successivement la vapeur en
dessus et en dehors du piston, et ce fut là le point prinprincipal de l’invention. Est-ce que ces trois inventions
ne pourraient pas être contenues dans un seul et môme
brevet? »
« Dans l’exemple cité, répondait le rapporteur, c’est
la môme machine qui a reçu successivement les perfec
tionnements indiqués. Supposez qu’elle les ait reçus
d’un premier j e t , avant l’obtention du brevet, tout ce
qui constitue l’ensemble de la machine pourrait être
compris dans un seul et même brevet, comme formant
les diverses parties d’un même tout. Si le perfectionne
ment arrivait après coup, il ne pourrait être que l’objet
d’un certificat d’addition.
1 1 4 , — Vous allez voir la difficulté, reprit M. Arago : Supposons les trois inventions,appartenant à Watt,
contenues dans le même brevet. Watt ne manquera pas
de prévoir que le parallélogramme articulé, dont il vient
de faire un des organes de sa machine puissante, aura
des applications dans d’autres circonstances. Il devinera
aisément que le régulateur à force centrifuge servira
pour régulariser l’écoulement de la vapeur. Eh bien |
votre article aurait empêché Walt, à moins de trois bre
vets , de donner à la machine à vapeur les propriétés
si précieuses que tout le monde connaît et admire , et
deux de ses inventions serviraient à améliorer une foule
d’autres machines sans avantage pour lui.
La réponse sera fort simple, répliqua le rapporteur.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
115
Si la machine peut recevoir des applications différentes,
avec les mêmes organes , elle pourra être entièrement
comprise dans un seul brevet pour toutes les applica
tions possibles. Mais si la machine a besoin de subir des
modifications dans ses organes pour arriver à ces ap
plications diverses, ces modifications constituent des in
ventions diverses et devraient faire la matière de plu
sieurs brevets.
1 1 5 . — Fort simple, en effet, était la réponse. Mais
elle décélait elle-même la nécessité de modifier l’article
que le Gouvernement avait proposé, et la chambre des
Pairs adopté. Cet article, en effet , ne disait rien de ce
qu’on lui faisait dire , de ce qu’il était utile qu’il dit.
C’est ce que pensa la majorité qui renvoya l’article à la
commission.
Le résultat de ce renvoi fut la proposition de rédiger
l’article en ces termes : La demande sera limitée à un
seul objet principal avec les objets de détail qui le
constituent.
1 1 6 . — M. Arago proposait de dire : La demande
devra contenir le titre, la désignation sommaire de
l'objet de l'invention, et des nouveaux artifices à l'aide
desquels l'inventeur l'aura réalisée. L e s d its artifices
qu oiq u ’ils aien t seu lem en t figuré dans le b rev et
com m e fractio n s de l ’in v en tio n principale , se
trou veron t b r ev etés de p lein d roit quant aux
ap p lication s an a lo g u es q u ’ils pou rront recevoir,
et dont l ’in v en teu r aura d on n é l ’in d ication pré
c ise .
�116
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
On objecta que c’était là une disposition explicative
qui ne pouvait ni ne devait pas trouver place dans la
loi, dont l’objet est, non de développer , mais de poser
les principes. M. Arago serait-il content, demandait le
rapporteur, si à la nouvelle rédaction proposée on ajou
tait ces mots : et pour les applications qui auront été
indiquées.
Cela revient au même, répondit M. Arago, mais c’est
moins clair. Cependant pour ne pas amener un débat
trop long , je m’en réfère à cette nouvelle rédaction de
la commission. Mon commentaire sera là en cas de be
soin.
Le savant et illustre secrétaire perpétuel de l’Acadé
mie pouvait, sans orgueil, en appeler à son opinion
pour éclaircir ce que la loi avait encore d’obscur. En
effet, le rapporteur lui avait lui-même rendu cet éclatant
témoignage : que ses explications avaient trop d’impor
tance pour ne pas être recueillies ; qu’elles devaient avoir
une influence ultérieure et diriger l’application de la loi;
qu’elles indiquaient le sens et la portée de ces mots : les
applications qui auront été indiquées.
Sans ces explications la loi ne pourrait donc être sai
nement comprise et judicieusement appliquée. A ce titre
elles sont le complément nécessaire de l’article , et on
nous pardonnera de les rappeler et de les transcrire.
« Il doit être bien entendu que les organes nouveaux
qui existent dans une machine complète, pourront être
considérés comme brevetés quant à toutes les applica
tions nouvelles qu’on ferait de ces mêmes organes dans
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
117
les machines ayant une autre destination , pourvu que
ces applications aient été indiquées par l’inventeur. Les
objets qui auront concouru à la création d’une machine
complexe , pourront avoir des applications analogues
dans des machines parfaitement distinctes. C’est là un
point capital. Il faut qu’on sache bien que les choses
nouvelles employées dans une machine complexe, seront
brevetées relativement aux applications analogues qu’el
les pourront recevoir dans d’autres machines. Par exem
ple, le parallélogramme articulé breveté pour les ma
chines à vapeur , le sera pour toutes ses applications.
Son but est d’établir une communication rigide entre un
point qui se meut circulairement et une tige qui se meut
verticalement. Toutes les fois que , dans une machine
quelconque, le parallélogramme servira à établir ce genre
de communication, il sera considéré, suivant moi, com
me breveté. Il a figuré, d’abord, dans la machine à va
peur au nombre des perfectionnements que Walt y a
introduits. Mais cela ne doit pas l’empêcher d’être bre
veté , de plein d ro it, pour toutes les applications qu’il
recevra ailleurs. »
Ce commentaire de la loi est, en effet, clair, précis et
positif. L’exemple s’unit au précepte, et leur ensemble
ne permet pas d’hésiter sur la pensée qu’ils expriment,
et par conséquent sur la portée réelle de la lo i, s i , en
fait, cette pensée a été celle du législateur.
♦
117.
— L’application de ce principe au produit in
dustriel pour lequel un brevet a été obtenu , conduit à
�118
LOI DU
6
JUILLET
1844
cette conséquence , que ce brevet qui protège le produit
s’étend à toutes les applications que ce produit est sus
ceptible de recevoir. C’est ce que la cour de Cassation
décidait expressément le 27 décembre 1837, dans l’es
pèce suivante :
Rallier et Guibal avaient pris un brevet pour l’art de
réduire le caoutchouc en fil , et d’en former des tissus
élastiques à l’aide de toute autre matière filamenteuse.
Dans le mémoire descriptif annexé au brevet, il était
dit : les applications de cette industrie nous paraissent
très-étendues. Les principales sont les corsets pour fem
mes et pour hommes , lacets de tous genres , bretelles,
etc .........
Instruits que le sieur Janvier employait le fil de ca
outchouc à la fabrication des bretelles, Raltier et Guibal
font opérer une saisie dans ses magasins, et le poursui
vent en contrefaçon.
Condamné par le juge de paix , Janvier se pourvoit
par appel devant le tribunal de S-Etienne. Il reconnaît
qu’il employait le fil de caoutchouc à la fabrication de
bretelles élastiques, mais il déclare que ce fil lui était
vendu par Daubrée de Clermont-Ferrand , qui y était
autorisé par les brevetés. Qu’en conséquence, sa bonne
foi et la légitimité de sa possession de ce produit ne
pouvaient être contestées.
Quant à l’emploi du fil à la fabrication des bretelles,
il soutient qu’il ne pouvait constituer une conlrefaç :
1° parce que l’art de revêtir un fil quelconque poui n
former un lacet n ’étant point une invention neuve <
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
119
ne pouvait être compris dans les termes du brevet déli
vré aux poursuivants ; 2° parce que les bretelles n’é
taient pas indiquées dans le mémoire descriptif (ce qui
était une erreur).
Ce système est accueilli par le tribunal qui, réformant
la sentence du juge de paix, annulle la saisie, repousse
l’action en contrefaçon , et condamne Rattier et Guibal
à payer à Janvier 3000 fr. de dommages-intérêts, et à
tous les dépens.
Pourvoi en cassation , et sur les conclusions de M.
l’avocat général Tarbé , arrêt qui casse le jugement par
les motifs suivants :
« Attendu qu’une invention resterait inerte et stérile,
tant pour son auteur que pour la société , si elle de
meurait dans les ternies d’une simple théorie sans pas
ser à l’état d’application ; que si cette application ne
peut se faire qu’à l’aide de procédés déjà connus, et qui,
par conséquent, appartiendraient, en thèse générale, au
domaine commun de l’industrie, l’emploi de ces procé
dés, en tant qu’appliqués à l’objet de la découverte,
doit être justement frappé du même droit privatif que la
découverte elle-même, et peut devenir, comme celle-ci,
et en considération de l’utilité qui s’y rattache, la ma
tière d’un brevet d’invention ;
» Attendu que tel a été l’esprit et l’objet du brevet
d’invention obtenu le 31 mars 1830 par Rattier et Guibal; qu’en effet ce brevet porte, en termes exprès, qu’il
leur a été délivré pour l’art de réduire en fil le caout
chouc , et d’en former des tissus élastiques à l’aide de
�130
LOI DU 6 JUILLET
1844
toute autre matière filamenteuse ; d’où il suit qu’ils ont,
aux termes du même brevet, un droit privatif à l’un et
à l’autre de ces procédés, dont le second n’e s t, à pro
prement parler, que l’application du premier.' »
Cet arrêt, on le remarquera, était rendu sous l’em
pire de la loi de 1791. Les termes de notre article 6,
expliqués par la discussion que nous venons de trans
crire , en rendent la doctrine, à plus forte raison, seule
légale et juridique.
.
118. — Une seconde condition imposée à la de
mande , est qu’elle mentionne la durée que l’inventeur
entend assigner au brevet.
La durée du brevet importe non-seulement à son bé
néficiaire, mais encore au public. Les intéressés, en ef
fet , n’attendront pas son expiration pour se mettre en
mesure d’exploiter la découverte qui en fait l’objet. Or,
pour qu’ils puissent le faire avec certitude , pour qu’ils
ne se livrent pas à des dépenses inutiles et compromet
tantes, il faut qu’ils soient fixés sur le moment précis où
cette exploitation leur sera permise; et par conséquent
sur l’époque où ils devront faire leurs préparatifs. Nous
verrons, sous l’art. 15, que la nécessité de ne pas lais
ser ces préparatifs inutiles est entrée pour beaucoup dans
la prohibition de proroger la durée des brevets.
1 1 9 . — La demande doit, en troisième lieu , ne
1 D P., 38, 1,73,
�SUR LES BREVETS D’iNVENTlON
121
contenir ni restrictions, ni conditions -, ni réserves. On
n’imaginait pas qu’il pût en être autrement ; on ne se
rendait donc pas raison de cette prescription du projet.
Mais le Ministre du commerce fit connaître que l’abus
qu’on voulait prévenir ne se produisait que trop sou
vent dans la pratique. Qu’a in si, parmi les postulants,
l’un veut que le brevet ne lui soit délivré que dans six
mois ou dans un an ; l’autre met pour condition que sa
jouissance pourra être prolongée d’une ou de plusieurs
années ; un troisième exige que son invention soit ga
rantie, etc..
Chaque jour, ajoutait le Ministre, voit apparaître des
conditions plus ou moins déraisonnables. Si la loi n’ar
mait pas l’administration du droit de refus, dans le cas
où la demande serait faite dans des conditions ou avec
des réserves inadmissibles, l’administration se serait vue
obligée de délivrer un brevet dans tous les cas ; et plus
tard on aurait prétendu qu’il s’était formé avec elle un
contrat dont les conditions se trouvent violées. Un tel
résultat n’est pas possible, et c’est pour l’éviter que la
loi doit proscrire toutes conditions , restrictions ou ré
serves que contiendrait la demande du brevet.
120.
— Le droit de refus réclamé fut donc concédé,
mais son exercice n’est que facultatif et ne saurait cons
tituer pour l’administration qu’un devoir purement mo
ral.
Or, supposez que l’administration n’ait pas cru devoir
ou ait omis de l’exercer, le breveté pourra-t-il préten-
�m
LOI DU 6 JUILLET 4 8 4 4
dre que ses conditions ont été acceptées, que ses réser
ves lui sont acquises ? Non évidemment. Les termes
impératifs de la loi , l’exclusion absolue qu’elle consa
cre ont pour résultat nécessaire d ’entacher ces conditions,
restrictions ou réserves, de la plus complète illégalité, et
par conséquent de les faire considérer comme non écriles.
Il y a plus , le demandeur qui stipulerait des condi
tions, qui ferait des restrictions ou des réserves, s’expo
serait à voir la validité du brevet, que la négligence de
l’administration aurait fait délivrer, contestée par les in
téressés. En effet, les privilèges n’existent et ne peuvent
exister que dans les conditions prescrites par la loi.
L’administration , pas plus qu’un simple citoyen , ne
peut se soustraire à ce principe. Donc, le brevet qu’elle
aurait délivré contrairement à une disposition formelle
de la loi, ne saurait avoir aucune efficacité à l’encontre
du public.
Ce qui peut résulter de là, c’est que les inventeurs se
garderont bien de contrevenir aux prescriptions du lé
gislateur. On peut donc considérer notre doctrine com
me d’autant plus acceptable qu’elle tend à assurer l’ex
acte observation de la loi.
121.
— Enfin la demande doit indiquer un titre
renfermant la désignation sommaire et précise de l’ob
jet de l’invention.
La législation de 1791 ne s’occupait pas de l’intitulé
des brevets. Mais, à cette époque, la nécessité de répan-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
123
dre dans les départements la connaissance des brevets
délivrés, avait amené l’administration à publier annuel
lement un catalogue dans lequel ces brevets étaient in
diqués par ordre de noms et de matières. Il fallait bien
dès lors que chacun d’eux eût un intitulé , choisi soit
par le bénéficiaire du brevet, soit imaginé par l’admi
nistration elle-même.
Fallait-il s’en tenir là et continuer cette pratique ?
L’affirmative, soutenue à la chambre des Pairs par M.
Senac , trouva plus tard un chaleureux défenseur dans
M. Bethmont à la chambre des Députés.
L’inventeur , disait cet honorable jurisconsulte , peut
être un homme spécial, avoir le génie de l’invention, et
non celui de la rédaction. On exige une désignation som
maire et précise de l’objet inventé. C’est imposer à l’in
venteur une tâche difficile à Templir. Il y a un danger
d’autant plus grand à lui prescrire cette formalité, que
sa demande est considérée comme nulle s’il n’y a pas
satisfait.
Ce danger avait-il un fondement réel ? On ne le crut
pas, et avec raison. Il ne faut pas être doué du génie de
la rédaction pour indiquer le but et l’objet de l’inven
tion. L’inventeur sait évidemment ce qu’il v eu t, et ne
saurait dès lors trouver de la difficulté à l’exprimer.
S2 2 . — L’exigence d’une désignation sommaire et
précise se justifiait par le but qu’elle se proposait. O11
voulait éviter qu’on ne dissimulât, sous une indication
mensongère, le véritable objet du brevet, et qu’on trom-
�124
LOI DU
6
JUILLET
1844
pât ainsi l’attention soit des personnes qui avaient inté
rêt à le consulter, soit du ministère public chargé de
protéger l’ordre public, la morale et les bonnes mœurs.
*
Cette exigence s’expliquait par la nécessité où se trou
ve l’administration de délivrer le brevet demandé sans
observations , sans examen préalable. Elle n’avait donc
d’autre garantie que la parole du demandeur, et elle
pouvait et devait exiger que cette parole fût l’expression
de la vérité vraie.
Il est vrai que l’art. 30 déclare le brevet nul, si le ti
tre indique un objet autre que le véritable objet de l’in
vention. Mais celle peine est subordonnée au caractère
frauduleux de l’indication. Or, l’appréciation de ce ca
ractère, celle de l’intention de l’inventeur, était d’autant
plus facile que la loi se serait plus fortement pronon
cée. On peut conclure à la fraude, de cela seul qu’il y a
eu violation d’un devoir positif. Pouvait-il en être de
même, si, usant de la latitude que lui aurait laissée la
loi, l’inventeur n ’eût dissimulé la vérité qu’en s’abste
nant d ’indiquer un titre à son invention ?
On ne pouvait donc accueillir les observations de M.
Bethmont, et dispenser l’inventeur d’une formalité qu’u
ne double sanction pénale recommande , et rend une
garantie efficace contre l’abus qu’il fallait prévenir et
empêcher.
123.
— Rem arquons, en effet, que l’inexactitude
dans le titre est doublement atteinte. Elle autorise d’a
bord le refus du brevet. Mais l’absence de tout examen
�SUR LUS BREVETS D’iNVENTlON
125
préalable faisait prévoir que l’administration ne serait
pas toujours en mesure de découvrir la vérité que la pra
tique divulguera plus tard. De là , la disposition de
l’article 30 , donnant à tous les intéressés la faculté et
le droit de faire constater le mensonge et annuler le
brevet.
124.
— Tant que le brevet n’est pas délivré, le d e
mandeur n’est pas lié par le titre qu’il a indiqué. Il lui
est facultatif de le modifier, de le changer. L’adminis
tration elle-même peut l’inviter à faire l’un ou l’autre.
Peut-elle l’y contraindre ?
M. Et. Blanc soutient l’affirmative'. Nous sommes,
avec M. Dalloz , d’un avis contraire. Comme lui , nous
pensons qu’il appartient à l’administration de rejeter la
demande qui n’indiquerait pas le titre de l’invention ;
mais que lorsque le litre est énoncé, elle ne peut se con
stituer juge de la question de savoir si ce litre est ou
non exact et suffisant.1
Pour décider cette question , il faudrait un examen,
un contrôle, et c’est précisément ce que la loi n’a ni en
tendu ni voulu autoriser, L’opinion de M. Et. Blanc ne
tient aucun compte de cette circonstance décisive.
En résumé, la demande qui indique un litre a satis
fait à l’art. 6 , et le brevet doit être délivré , mais aux
risques et périls de l’inventeur qui en perdra le profit,
1 Pag. 271.
2 Rép. gèn..
vi$ Brevet d'invent., n° 4 21.
�m
LOI DU
6
JUILLET
1844
si, sur la poursuite de qui de droit, ce titre est reconnu
inexact ou mensonger.
125.
— Dans l’intention d’obtenir la vérité de la
part de l’inventeur , l’art. 5 veut que la demande soit
accompagnée d’une description de la découverte, inven
tion ou application faisant l’objet du brevet demandé.
L’article 6, après avoir indiqué les conditions que doit
réunir la demande, s’occupe de celles que la description
doit présenter.
M. Bethmont s’est plaint de ce que la loi n’indiquait
pas quels devaient être les caractères essentiels de la
description, lorsque, dans l’art. 30, on déclare la nul
lité du brevet à défaut d’une description loyale et exacte.
Il proposait, en conséquence, d’exiger, comme on le fait
en Angleterre, que la description précisât les points sur
lesquels porte l'invention, et qu'elle fû t assez claire et
assez complète pour que l'exécution fû t possible , sans
le concours de l’inventeur, pour Une personne à ce con
naissant.
Ce que vous demandez est dans la loi , répondait le
rapporteur. En effet, qui dit description, dit explication
d’une invention dans tousses détails, dans tous les points
qui la constituent. On peut donc se passer de tout nou
veau commentaire.
Cet incident de la discussion détermine nettement le
caractère de la description, que l’intérêt général a pres
crit d’exiger. Elle doit être , dans tous les cas , claire,
complète , et telle que tout intéressé puisse , sans autre
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
127
secours, exécuter la découverte , l’invention ou l’appli
cation. Autrement celle-ci , tombée plus tard dans le
domaine public , resterait, par la force des choses, la
propriété de son auteur qui serait seul en état et en me
sure de l’appliquer. La société n’aurait donc rien gagné,
rien reçu en échange du monopole temporaire qu’elle a
concédé. Dans la pensée de la loi , la description n’est
et ne peut être autre chose que l’exposé de ce que l’in
venteur livre à la société en échange de la jouissance ex
clusive que la société lui concède. Elle est une partie es
sentielle du contrat qui intervient.
Ce n’est pas là, au reste, un droit nouveau introduit
par la loi de 1844. Il était en germ,e dans la législation
de 1791. Ainsi la cour de Cassation, appréciant la ques
tion sous son empire, jugeait, le 11 juillet 1846, que la
simple énonciation d’un moyen ou procédé nouveau,
par le but que se propose l’inventeur, ne suffit pas pour
la validité du brevet; qu’il faut, en outre, une dêscription circonstanciée, complète et loyale du procédé bre
veté.1
126.
— Ce caractère et le but de la description dic
taient les conditions qu’il convenait d’exiger , et dont la
principale est la prohibition d’une langue étrangère.
Il est évident que l’emploi de celle-ci rendrait impos
sible ou difficile la vulgarisation de la découverte,et son
exploitation , lorsque , tombée dans le domaine public
l D. P., 46, 1, 287.
�128
LOI DU 6 JUILLET
1844
par l'expiration du brevet, cette exploitation devient le
droit de tous.L’invention,en effet,resterait un mystère pour
tous ceux qui ne comprendraient pas l’idiome employé,
ce qui serait en quelque sorte autoriser l’inventeur à se
perpétuer dans la jouissance exclusive de son œuvre, ou
tout au moins restreindre outre mesure le nombre des
concurrents.
127.
— On a donc proscrit cet emploi. Mais la pro
hibition ne va pas jusqu’à empêcher l’introduction, dans
la description, de certains termes étrangers q ui,n’ayant
pas d ’équivalents dans la langue française , sont indis
pensables pour la clarté et la fidélité de la description.
C’était là l’observation que M. Delespaul faisait à la
chambre des Députés , et qu’avant l u i , la commission
de la chambre des Pairs avait fait plus énergiquement
encore. Le projet primitif portait, en effet, la descrip
tion sera e n t i è r e m e n t écrite en français ; et
la commission proposait et fit adopter le retranchement
du mot entièrement qui n’ajoutait rien au sens de la
phrase, et pourrait empêcher l’emploi souvent nécessaire
de mots techiques empruntés aux autres langues.'
Mais il ne faudrait pas qu’on abusât de cette latitude,
et qu’à force d’introduire des termes étrangers, on ren
dît la description obscure ou inintelligible. On n ’a en
tendu tolérer que ceux qui donnent à l’expression une
signification plus énergique, et qu’il serait impossible de
1 P re m ie r r a p p o r t de M . de B a r th é lé m y .
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
129
rendre en français. Si cette possibilité existe, c’est la
langue française qui doit être employée, tout au moins
pour expliquer les mots étrangers dont on s’est servi.
1 2 8 . — Il faut que les mots rayés comme nuis
soient comptés et constatés, et les pages et les renvois
paraphés.
Ces précautions assurent la sincérité de la descrip
tion. Elles préviennent toute discussion sur l’identité de
la pièce, et font obstacle à ce que la suppression ou l’ad
dition subreptice, et après coup de certains mots ; que
la substitution ou l’intercalation de certaines feuilles
vienne altérer, modifier ou changer la description.
1 2 9 . — Une troisième condition imposée par notre
article, est que la description ne contienne aucunes dé
nominations de poids ou de mesures autres que celles
qui sont portées au tableau annexé à la loi du 4 juillet
1837.
Les termes de cette loi semblaient rendre superflue
une prohibition qu’ils consacrent en termes exprès. Mais
le commissaire du Gouvernement , pour en justifier la
nécessité, faisait remarquer que la loi de 1837 et l’or
donnance du 17 août 1839 , qui en règle l’exécution,
n’interdisaient les anciennes dénominations que dans
les actes, écritures et registres de commerce produits en
justice; qu’il convenait donc d’étendre spécialement cette
interdiction aux descriptions annexées aux brevets, afin
de prévenir toute incertitude sur ce point. Les Cham
bres furent de cet avis.
î — 9
�130
LOI DU 6 JUILLET
1844
1 3 0 . — L’article 5 veut que les dessins et échantil
lons soient joints à la description, mais seulement dans
le cas où ils sont nécessaires à l’intelligence de la des
cription. Prévoyant cette nécessité et ses conséquences,
l’art. 6 exige que les dessins soient tracés à l’encre et
d’après une échelle métrique.
L’inventeur n’est pas favorablement placé pour résou
dre la question de nécessité. Ce qui est parfaitement in
telligible pour lui, peut ne pas l’être pour tout autre, et
cela suffirait pour faire demander et prononcer la nul
lité du brevet. La prudence lui fait donc un devoir d’an
nexer, dans tous les cas, les dessins à la demande.
1 3 1 . — Il était évident que la nécessité des dessins
admise, il fallait en assurer le maintien et la conserva
tion. S i , tracés au crayon ou à la mine de plom b, ils
venaient à s’effacer , la description pouvait en devenir
inintelligible pour ceux qui étaient appelés à en profiter
et à l’exploiter, une fois tombée dans le domaine public.
De là l’exigence d’un traçage à l’encre.
1 3 2 . — Qu’elle est la conséquence de la violation
de la loi à cet égard ?
Nous distinguons. Ou il n’a été produit aucun dessin,
ou tous ceux qui sont joints à la description ne sont ni
tracés à l’encre, ni à l’échelle métrique.
Dans le premier cas, le défaut de production tiendra
à l’idée que les dessins ne sont pas nécessaires à l’intel
ligence de la description. Or, l’administration n’est pas
juge de la justesse de cette idée. Elle ne pourrait la vé-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
131
rifîer que par un examen qui n’est ni dans son devoir,
ni dans ses attributions. Elle ne saurait donc refuser le
brevet. Mais l’absence de dessins, rendant la description
obscure et incomplète; la nullité du brevet pourrait être
requise par tout intéressé, et devrait être prononcée par
la justice.
Dans le second c a s, le demandeur a reconnu luimême la nécessité de la production. Si les dessins de
vaient être annexés , ils ne pouvaient l’être que dans la
forme prescrite. L’administration n’est pas obligée d’en
accepter d’autres. Elle peut donc rejeter ceux qui lui sont
offerts et refuser, par conséquent, de délivrer le brevet,
pour violation de l’art. 6.
133.
— Dans la discussion de la loi à la chambre
des Pairs , on demanda si les dessins pourraient être
gravés ou lithographiés. M. Senac, commissaire du Gou
vernement, répondait par la négative.
Cependant, comme l’observait M.Girod (de l’Ain), les
dessins gravés ou lithographiés sont tracés à l’encré, et
la loi n’exige pas autre chose. Aussi n’est-ce pas sur la
violation de l’art. 6 que s’étayait M. Senac. Son opinion
se fondait sur ce que l’inventeur, s’adressant à un gra
veur ou à un lithographe, avant d’avoir obtenu le bre
vet , sa découverte se trouvait divulguée , et le brevet,
postérieurement délivré, nul pour défaut de nouveauté.
Mais si l’auteur de la découverte avait, lui-même,
gravé ou lithographié les dessins, où serait la raison
d’être de la nullité ?
�13â
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Cette observation de M. Dubouchage amenait forcé
ment le rejet de la solution du commissaire du Gouver
nement, qui ne reposait d’ailleurs que sur une supposi
tion fort inexacte.
En effet, confier la gravure ou la lithographie des des
sins à un tiers, ce n’est pas divulguer la découverte, car,
isolés de la description de celle-ci, les dessins n’ont au
cune signification, et, s’ils représentent la chose, ils ne
donnent aucuns des moyens employés pour l’obtenir.
En fût-il autrem ent, qu’on ne saurait admettre une
divulgation de nature à enlever à la découverte tout ca
ractère de nouveauté. Se confier à un artiste, à un ou
vrier , sous le sceau du secret, ce n’est pas appeler la
publicité; surtout si, fidèle à sa parole, l’ouvrier a reli
gieusement gardé le secret.
Donc , tout ce qui pouvait et devait résulter de cette
hypothèse , c’était la nécessité , pour l’inventeur, d’agir
avec prudence dans le choix du tiers auquel il s’adres
se, de manière à ce que sa confiance ne soit pas trom
pée.
Les dessins peuvent donc être gravés ou lithographiés,
soit par l’auteur, soit par un tiers, mais aux risques et
périls de l’auteur, dans ce dernier cas, si celui qu’il a
choisi a abusé de sa confiance et rendu sa découverte
publique.
134'. —• L’article 6 veut qu’un duplicata de la des
cription et des dessins soit joint à la demande. L’article
\ 1 indique et prouve l’utilité et l’objet de cette prescrip-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
433
tion. Il en résulte, selon nous, que le mémoire descrip
tif , accompagné des dessins , rédigé séparément de la
demande, doit être transcrit à la suite de celle-ci, ou
tout au moins y être annexé en second exemplaire.
En résumé, les pièces à déposer pour obtenir un bre
vet, sont: 4° la demande; 2° un mémoire descriptif
avec dessins ou échantillons nécessaires pour son intel
ligence; 3° un duplicata de la description et des des
sins ; 4° enfin un bordereau contenant l’indication dé
taillée de toutes ces pièces.
135. — Une dernière condition générale et abso
lue, c’est que ce bordereau et chaque pièces soient revê
tus de la signature du demandeur ou de celle de son
mandataire.
Il était prudent de prévenir et d’autoriser le concours
de celui-ci. Il pouvait se faire, en effet, que l’inventeur
ne sût ou ne pût signer, et il eût été injuste et irration
nel que cette impuissance le privât du droit d’obtenir un
brevet, et de trouver dans une jouissance exclusive, pen
dant la durée de celui-ci, la rémunération de son tra
vail et de son génie.
On aurait pu , et avec beaucoup plus de raison, ob
jecter contre l’admission du mandataire, les observations
que M. Senac faisait contre l’emploi d’un graveur ou
d’un lithographe. Le mandataire, en effet, signant toutes
les pièces, connaît nécessairement et la découverte, et les
moyens de l’obtenir Mais la crainte qu’il ne la divul
gue, ne pouvait prévaloir sur la nécesité d’invoquer son
concours.
�134
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
1 5 6 . — On l’a donc adm is, à la seule condition
d’être porteur d’un pouvoir spécial qui doit être annexé
à la demande.
Il est évident que , si l’inventeur ne sait signer , ce
pouvoir ne peut être qu’authentique. En cas contraire,
il peut être fait sous seing privé , à la charge de faire
légaliser la signature par le maire de la commune.
1 3 7 . — Le pli renfermant les pièces devant être re
mis cacheté à la préfecture du domicile du demandeur,
ou de tout autre département, il suit que l’employé qui
le reçoit n’est pas en mesure d’apprécier si l’invention
est ou non brevetable, si les formalités prescrites ont été
observées.
Il importe cependant, dans l’intérêt même du deman
deur , qu’on s’assure et du caractère de l’invention et
de l’accomplissement de ces formalités. Dans ce but, une
circulaire ministériellle, du 1er octobre 1844, prescrit et
recommande aux préfets et à leurs employés de faire
bien comprendre aux demandeurs : 1° qu’il ne peut être
délivré de brevet pour les préparations pharmaceutiques
et remèdes de toute espèce , ou pour les plans et com
binaisons de crédit ou de finances; 2° que les brevets
qui seraient délivrés pour des principes, méthodes, dé
couvertes ou conceptions théoriques ou scientifiques sans
applications industrielles, sont nuis de plein droit.
« Cette explication bien comprise, dit le Ministre, por
tera toujours les inventeurs , je me plais à le croire , à
renoncer à une demande qui ne pourrait aboutir qu’à
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
135
un titre entâché de nullité. Mais si, contre mon attente,
il en était autrem ent, votre préfecture ne devrait pas
perdre de vue, à l’égard des brevets demandés pour des
principes sans applications industrielles, que le Gouver
nement n ’a pas le droit de refuser , et d o it, dès lors,
borner son action à un avertissement officieux ; et à l’é
gard des préparations pharmaceutiques et des plans de
finances que la loi n’a attribué qu’au Ministre de l’agri
culture et du commerce et non aux préfectures le droit
de refus de brevet. »
Le Ministre ajoute : « La demande ou requête doit,
à peine de nullité , satisfaire à chacune des conditions
imposées par l’art. 6 de la loi. Il est donc de la plus
grande importance que les inventeurs soient bien pré
venus de cette circonstance ; et j ’insiste pour que, avant
d’être admis à faire le dépôt de leurs pièces, ils soient
invités à prendre connaissance de cet article. »
1 5 8 . — En dernière analyse, la loi n’impose à la
demande aucune forme sacramentelle. Mais quelle que
soit celle qui lui a été donnée, elle ne doit comprendre
qu’un seul objet principal avec l’ensemble des détails
accessoires qui le constituent, et l’indication des appli
cations diverses qu’il comporte ; elle doit déterminer la
durée (cinq, dix ou quinze ans) que l’inventeur entend
assigner à son brevet ; elle ne peut contenir ni condi
tions, ni restrictions, ni réserves ; elle doit offrir un ti
tre donnant la désignation sommaire de l’invention ;
être accompagnée d’une description suffisante pour l’ex-
�136
LOI DU 6 JUILLET
1 84 4
écution par les tiers, et exposant d’une manière loyale
et complète les véritables moyens à employer; et dans le
cas où ils seraient nécessaires pour l’intelligence de l’in
vention, être accompagnée des dessins tracés à l’encre, et
devant, comme la description elle-même, être produits
en duplicata.
139. — Telles sont les formalités que la loi a tra
cées pour l’obtention d’un brevet d’invention. Leur ac
complissement exact est garanti , non-seulement par
l’art. \% donnant à l’administration le droit de refuser
le brevet, mais encore par l’art. 30 qui en rend la nul
lité opposable par tout intéressé. On ne peut donc qu’ap
plaudir aux avertissements que la circulaire provoque,
et qui sont évidemment d’un intérêt sérieux et réel pour
les postulants.
L’employé de la préfecture qui doit recevoir le dépôt
et le constater, est le secrétaire général ou le conseiller
de préfecture en faisant fonction. La réception ne com
porte d’autres observations que celles prescrites par la
circulaire que nous venons de rappeler.
1 4 0 . — Toutefois, on a cru nécessaire de la subor
donner à la consignation préalable de la somme de cent
francs à valoir sur la taxe du brevet et en formant la
première annuité. On obtient ainsi un double résultat :
d’abord celui d’éviter toute difficulté pour le paiement
de cette annuité ; ensuite celui d’assurer l’exécution fi
dèle des articles 5 et 6, par la crainte de perdre la moi-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
137
tié de la consignation et d’écarter une foule de de
mandes plus ou moins chimériques, qui se produiraient
infailliblement si elles pouvaient le faire gratuitement.
Le dépôt n’est donc reçu que sur la production d’un
récépissé constatant le versement d’une somme de cent
francs. Ce versement est régulièrement opéré à la recette
générale ou particulière , e t , à défaut, au bureau de
l’enregistrement du domicile.
1 4 1 . — La constatation du dépôt a lieu par un
procès-verbal rédigé sans frais par le secrétaire général
de la préfecture. Ce procès-verbal est rédigé sur un re
gistre à ce destiné , dont les pages cotées par première
et dernière auront été paraphées par le préfet ; il doit
être inscrit à la suite du précédent, sans blanc ni rature;
il est dressé en présence du déposant qui le revêt de sa
signature ; il indique le domicile réel ou élu de l’inven
teur, et constate le jour et l’heure de la remise des piè
ces.1
1 4 2 . — L’indication du domicile est utile, soit pour
le paiement ultérieur de la taxe, soit pour les notifica
tions éventuelles prévues par la loi, dans le cas d’ins
tance en nullité du brevet. Mais bien autrement impor
tante est l’indication du jour et de l’heure de la remise
des pièces , puisque , tranchant la question de priorité,
elle interdit à l’un des inventeurs l’exploitation de sa dé
couverte.
1 Art. 12.
2 C ircu la ire du 1a octobre 1844.
I
�138
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
M. Perpigna cite le fait suivant : le 3 septembre 1824
MM. Calla et Liébert firent enregisfer, à la préfecture du
département de la Seine, une demande de brevet pour
la même invention , à un quart d’heure seulement de
distance. Le brevet fut attribué à M. Calla dont la de
mande avait précédé de quinze minutes celle de son
compétiteur.’
Cet exemple indique ce qu’il faut entendre par indi
cation de l’heure. C’est de l’heure exacte et des minutes
qu’il faut tenir compte. Le déposant ne saurait trop veil
ler à ce qu’il en soit ainsi.
143.
— Une expédition du procès-verbal est remise
au déposant, sans autres frais que le remboursement du
timbre. Le projet du Gouvernement exigeait, en outre,
le paiement du droit d’enregistrement, comme le pres
crivait la législation de 1791 ; mais ce qui était perçu à
ce titre, ne l’était pas par l’administration de l’enregis
trement et des domaines qui n’a jamais eu rien à voir
dans la matière des brevets. C’était la préfecture qui fai
sait ainsi payer la rédaction du procès-verbal et son in
sertion sur le registre spéçial à ce destiné. Le retranche
ment, dans l’article, des mots : et ceux d'enregistre
ment, qui faisaient suite aux mots frais de timbre, con
senti par le Gouvernement lui-même, a fait disparaître
cet émolument autorisé jusque-là.
i M a n u e l des i n v e n t., pag.
d ’i n v e n tio n , n° 41, p. 23.
21J ; — Louis Nouguier ,, D e s b re v e ts
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
139
1 4 4 , — On s’est demandé, si contrairement à l’ar
ticle 6, le brevet n’était pas limité à un seul objet prin
cipal , et si par mégarde l’administration a délivré un
brevet qui s’applique à plusieurs objets principaux , ce
brevet est-il valable et produira-t-il ses effets ordinai
res.
1 4 5 . — M. Louis Nouguier soutient l’affirmative,
d’une manière absolue à l’égard de l’administration et
contre le public :
1” Dit-il, l’administration a passé avec le brevété un
contrat librement débattu, et dont les conditions ont été
respectivement acceptées ; le chiffre de la redevance a
été fixé d’un commun accord. Je ne pense donc pas que
l’administration puisse avoir le droit de soumettre le
breveté à un supplément de taxe.
2° Les nullités sont de droit étroit et ne peuvent se
suppléer. Elles n’existent qu’en vertu d’une disposition
formelle. Or, parmi les cas énumérés en l’art. 30 , on
ne trouve rien qui puisse s’appliquer à l’espèce. Je ne
pense donc pas que les tribunaux aient le pouvoir de
prononcer la nullité.'
C’est, en effet, ce que la cour de Cassation jugeait en
termes exprès le 4 mai 1855.1
146.
—• M. Et. Blanc admettrait l’opinion contraire.
La nullité, suivant lui, résulterait du défaut de paiement
i Des brevets cïinvent., n° 82.
1 D. P.. 55,
682.
�140
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
de la taxe. L’article 321, dit-il , déclare déchu de tous
ses droits le breveté qui n’a pas acquitté son annuité.
Sainement entendue, cette disposition atteint non-seule
ment celui qui n’a pas acquitté, à l’époque voulue, l’an
nuité telle qu’elle résulte du titre, mais encore celui qui
n’acquitte pas l’annuité telle que la loi la lui impose.
Dès lors, en combinant les dispositions de la loi, on ar
rive aux résultats suivants : l’art. 6 défend de compren
dre plusieurs objets principaux dans le même brevet;
d ’autre p a rt, l’art, k dispose que chaque brevet donne
lieu au paiement d’une taxe annuelle de 100 fr. Donc,
en ne payant qu’une annuité alors qu’il en doit deux ou
plusieurs,le breveté est bien légalement frappé de la dé
chéance prévue par l’art. 321.'
147.
— Nous sommes de l’avis de M. Blanc , mais
par d’autres motifs. A nos yeux , la nullité, et non pas
la déchéance, est acquise et doit être prononcée.
Vainement M. Nouguier et la cour de Cassation in
voquent-ils le principe que les nullités doivent être for
mellement écrites dans la loi et ne peuvent être supplées.
Il ne saurait, dans notre matière, s’agir de l’application
de ce principe. Ce qui la domine , c’est cet autre prin
cipe que les privilèges ne sont acquis que dans les cas
et aux conditions expressément prévues.
Que les brevets constituent un privilège, c’est ce qu’on
ne contestera pas. On a dit avec raison qu’ils confèrent
l De la contrefaçon, pag. 551.
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
141
à leur bénéficiaire un droit de veto sur le travail d’au
trui, pendant toute leur durée.
Donc, lorsqu’il s’agira d’appliquer ce droit, on devra
exiger que celui qui entend s!en prévaloir en justifie la
légalité , et prouve qu’il lui a été acquis régulièrement
et dans les conditions prévues. Dans notre hypothèse,
cette justification est impossible. La loi, en effet, décide
expressément qu’un brevet ne peut s’appliquer qu’à un
seul objet principal, et donne à l’administration le droit
de refuser, dans le cas contraire. Ce droit, M. Nouguier
nous l’apprend , est, non une faculté, mais un devoir.
Dès lors, comment pourrait-il être que l’oubli de ce de
voir , que la négligence , que la faute de l’administra
tion pût restreindre la liberté du travail.
La société est essentiellement partie dans le contrat
qui intervient en matière de brevets d’invention. Elle ne
peut être liée que dans les cas et aux conditions prévus.
Or, l’administration elle-même ne peut pas faire qu’il
en soit autrement.
Dans notre hypothèse , d’ailleurs on pourrait dire
qu’il n’existe pas en réalité de brevet. En effet, puisque
celui-ci ne peut avoir qu’un objet, auquel s’appliquerat-il, s’il existe plusieurs objets principaux? Pourquoi à
celui-ci, plutôt qu’à celui-là ? Dans le doute , la liberté
du travail doit triompher : n’est-ce pas là aussi un
principe de droit commun.
Nous pensons donc que la négligence de l’adminis
tration ne saurait créer ni droit ni obligation, et que le
�142
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
brevet ayant plusieurs objets principaux, délivré par rnégarde, ne saurait être opposé aux tiers, ni autoriser une
action en contrefaçon.
A
rt.
8.
La durée du brevet courra du jour du dépôt
prescrit par l’article 5.
SOMMAI RE
148
Silence gardé par la loi de 1791 sur le point de départ de
la jouissance exclusive de l ’inventeur. — Décret du 25
janvier 1807.
149 Innovation introduite par le projet de loi. — Repoussée par
la chambre des Pairs.
150 Discussion à la chambre des Députés.
151 Fixation du point de départ au jour du dépôt des pièces.—
Sa rationnalité.
152 Droit de l ’inventeur dans l ’intervalle du dépôt à la déli
vrance du brevet.
148.
— Les lois de 1791 ne s’expliquaient pas sur
le point de départ de la jouissance exclusive de l’inven
teur. Cette lacune fut comblée par le décret du 25 jan
vier 1807, faisant courir celte jouissance de la date du
certificat de demande délivré par le Ministre de l’inté-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
143
rieur. La délivrance du brevet devant suivre immédiate
ment ce certificat, c’était en réalité du jour de cette dé
livrance que courait le délai.
1 4 9 . — Le projet de loi avait changé ce point de
départ, et l’avait reporté au jour du dépôt des pièces à
la préfecture. Mais cette innovation fut repoussée par
la commission de la chambre des Pairs. Son rappor
teur, M. de Barthélémy expliquant ce rejet, disait : c’est
là une innovation qui ne nous parait pas suffisamment
justifiée. Il est plus équitable de continuer à se confor
mer, a cet égard, aux dispositions du décret de janvier
1807, et de ne faire courir la durée du brevet que du
jour où il est signé par le Ministre.
1 5 0 . — Cette résolution de la chambre des Pairs
souleva une vive discussion à la chambre des Députés.
Elle trouva d’ardents et d’habiles défenseurs : le Minis
tre du commerce et M. Àrago entre autres.
Les motifs qu’ils faisaient valoir étaient : que souvent
les brevets étaient demandés avec précipitation, dans la
crainte qu’avaient les inventeurs d’être devancés ; que
par conséquent, au moment du dépôt, l’inventeur est
rarement en mesure d’exploiter ; que le délai entre le
dépôt et la signature du brevet était done retranché de
la durée de cinq, dix ou quinze ans , ce qui n’était pas
juste.
La bienveillance de l’administration, ajoutait M. Arago, donne une certaine latitude pour les délais. Un bre
vet incomplet est présenté au Comité consultatif des arts
�144
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
et manufactures. Le Comité avertit l’inventeur, qui vient
à Paris.se met en rapport avec les membres du Comité,
et trouve, dans ces communications, les plus utiles ren
seignements. Faire courir le délai du jour du dépôt,
c’est priver l’inventeur des conseils donnés avec désin
téressement par des hommes éclairés et indépendants.
Les partisans de l’opinion contraire répondaient, par
l’organe de MM. Bethmont et Marie : Il est illogique
d’écrire dans la loi que les brevets auront cinq , dix ou
quinze ans de durée, et de laisser cependant un espace
élastique qui s’allongera ou se restreindra selon l’activité
des bureaux de préfecture ou de l’administration cen
trale. Quand un brevet doit avoir cinq , dix ou quinze
ans de durée , ce ne doit pas être cin q , dix ou quinze
ans plus un inconnu qui dépend de la diligence admi
nistrative. D’ailleurs un inventeur, dès qu’il a déposé
sa demande, peut exploiter en toute sécurité sans atten
dre la délivrance du brevet. Il est vrai que, s’il rencon
tre un contrefacteur avant d’avoir son brevet en mains,
s’il veut le faire poursuivre , il n’est pas armé de tous
les titres à l’aide desquels il peut dénoncer le délit au
ministère public. Il ne peut pas faire marcher l’agent ju
diciaire , afin qu’il saisisse chez le contrefacteur l’objet
de la contrefaçon. Mais ce n’est jamais le lendemain du
dépôt que l’inventeur exploite sa découverte, et ce n ’est
jamais non plus quand il commence à exploiter lui-m ê
me qu’il a à redouter la contrefaçon. En un mot, il est
assuré d’être muni de son brevet, s’il lui est délivré
sans lenteur administrative exagérée , avant d’avoir à
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
145
poursuivre aucune contrefaçon. Enfin , l’article proposé
par la chambre des Pairs reconnaît, lui-même , que le
droit de l’inventeur existe du jour du dépôt; que l’in
venteur entre , dès cette époque , en jouissance de son
invention , puisqu’il a le d ro it, en vertu du dépôt, de
faire tous actes conservatoires. C’est donc à partir de ce
dépôt et sans attendre la délivrance d’un titre qui a.pour
effet, non de créer le droit de l’inventeur , mais seule
ment de le constater et de le protéger, que doit courir la
durée du brevet.
151.
— Ces raisons prévalurent et firent adopter
l’amendement proposé en ce sens. Le Gouvernement se
l’appropria, et la chambre des Pairs, de nouveau saisie,
lui donna son adhésion.
Le point de départ de la jouissance exclusive de l’in
venteur est donc le jour et l’heure du dépôt. Il était d’au
tant plus rationnel de le décider ainsi, que la délivrance
du brevet est forcée et ne p e u t, sou£ aucun prétexte,
être refusée. Donc, justifier de ce dépôt c’est, en réalité,
justifier du brevet.
152.
—• Nous n’admettons donc pas que, dans l’in
tervalle entre le dépôt et la délivrance, l’inventeur ne
puisse ni dénoncer le délit au ministère public, ni faire
marcher l'agent judiciaire afin de saisir chez le con
trefacteur l’objet de la contrefaçon. Ce so n t, là , les
conséquences immédiates et directes du d ro it, et on ne
saurait, si celui-ci existe , méconnaître et contester les
autres.
to
i
�146
LOI DU 6
JUILLET
1844
Sans doute, la contrefaçon n’est pas à redouter à cette
époque. Elle ne se produit ordinairement que lorsque
l’expérience est venue démontrer l’utilité et l’avantage
de la découverte, et à ce moment le brevet aura été dé
livré depuis longtemps.
Fallût-il admettre le contraire , qu’on devrait rendre
hommage au droit de l’inventeur. Rien , à notre avis,
ne saurait mettre obstacle à ce que , du jour du dépôt,'il dénonce les contrefacteurs et saisisse la contrefaçon.
A partir de ce moment, nul autre que lui ne peut pro
duire l’objet, ou employer la méthode pour lesquels le
brevet a été demandé.
Ce qui arrivera dans cette circonstance sera , ou que
la contrefaçon aura pour cause la découverte identique
à celle qui a motivé le dépôt, et il s’agira d’une ques
tion de priorité ; ou que cette cause ne sera autre que la
publicité acquise à l’invention avant l’obtention du bre
vet, et la poursuite ne pourra avoir pour résultat que la
condamnation de son auteur à réparer J e préjudice ma
tériel et moral qu’elle a causé au poursuivi.
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
147
SECTION II
De la d é liv r a n c e d e s b revets.
A r t. 9.
Aussitôt après l’enregistrement des demandes
et dans les cinq jours de la date du d ép ôt, les
préfets transmettront les pièces, sous le cachet
de l’inventeur, au Ministre de l ’agriculture et du
commerce, en y joignant une copie certifiée du
procès-verbal de dépôt, le récépissé constatant
le versement de la taxe, et s’il y a lieu le pouvoir
mentionné dans l’article 6.
A r t . 10.
A l’arrivée des pièces au ministère de l’agri
culture et du commerce, il sera procédé à l’ou
verture , à l’enregistrement des demandes , et à
l’expédition des brevets dans l’ordre de la récep.
tion desdites demandes.
�148
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
A
rt.
il.
Les brevets dont les demandes ont été régu
lièrement formées , seront délivrés , sans exa
men préalable, aux risques et périls des deman
deurs , et sans garantie , soit de la réalité de la
nouveauté ou du mérite de l’invention , soit de
la fidélité ou de l’exactitude de la description.
Lu arrêté du ministre constatant la régularité
delà demande sera délivré au demandeur et con
stituera le brevet d’invention.
A cet arrêté sera joint le duplicata certifié de
la description et des dessins mentionné dans l’ar
ticle 6, après que la conformité aura été recon
nue et établie au besoin.
La première expédition des brevets sera déli
vrée sans frais.
Toute expédition ultérieure, demandée par le
breveté ou ses ayants cause , donnera lieu au
paiement d’une taxe de 25 francs.
Les frais de dessins s’il y a lieu demeureront
à la charge de l’impétrant.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
149
S OMMAI RE
153
154
155
156
157
158
159
160
161
162
163
164
165
166
Obligation pour les préfets de transmettre les pièces au Mi
nistre aussitôt après l’enregistrement.
Au pli cacheté doivent être joints le récépissé de la taxe, le
pouvoir du mandataire et une copie certifiée du procèsverbal du dépôt.
Devoir du Ministre à l ’arrivée des pièces.
Dans quel ordre se fait la délivrance du brevet; mais elle
est sans influence sur la question de priorité.
Motifs qui ont fait exclure tout examen préalable en 1791.
Proposition contraire soumise au Conseil des cinq cents. —
Rejet.
Rationalité du système consacré.
Inconvénients qu’entraînait le système contraire.
La loi ne rencontra aucune contradiction en 1844.
L’absence de tout examen devait faire et fit repousser la
proposition de déclarer non brevetables les inventions
, purement scientifiques.ou contraires aux bonnes mœurs
ou à la sûreté publique.
Le respect du principe fit demander la suppression des mots
de l ’art. 11 : régulièrement formée. — Débats à la
chambre des Députés.
Signification et portée exactes de cette prescription.
Effets du rejet sur le renouvellement de la demande et sur
la question de priorité.
Le pouvoir de l ’administration est plutôt une faculté qu’un
devoir.
167 Quel serait l’effet de l ’accueil fait à une demande irrégu
lièrement formée ?
168 Arrêt de la cour de Cassation indiqué comme s’étant pro
noncé pour la validité du brevet.—Examen.
169 Conclusion,
�150
170
171
172
173
174
175
176
LOI DU 6 JUILLET
1844
Qui peut obtenir un brevet.
Peut-on faire, entre les mains du Ministre, opposition à la
délivrance du brevet ?— M. Et. Blanc tient pour l ’affir
mative.
Réfutation.
Résumé.
Comme conséquencede l ’absence d’examen,l’Etat ne garan
tit ni la réalité,le mérite et la nouveauté de l’invention,
ni la fidélité ou l ’exactitude de la description.
A l ’arrêté du Ministre est joint le duplicata de la description
et des dessins.
Frais auxquels donne lieu la délivrance des brevets.
1 5 3 . — En s’occupant de la délivrance des brevets
pour la réglementer, la loi était forcément amenée à ré
gler les formes et le caractère de cette délivrance. C’est
ce qu’elle fait dans la section que nous examinons en
ce moment.
Nous venons de voir que les inventeurs peuvent opé
rer le dépôt de leurs pièces soit à la préfecture de leur
domicile , soit à celle de tout autre département. Cette
facilité , justement accordée , ne pouvait faire concéder
aux préfets le droit dedélivrer les brevets. Cedroit n’ap
partenait qu’au pouvoir central auquel, dès lors, il con
venait d’en réserver l’exercice exclusif.
Il faut donc que les pièces lui arrivent, et c’est ce but
que l’art. 9 a voulu atteindre en prescrivant qu’aussitôt
après l’enregistrement des demandes , et dans les cinq
jours de la date du procès-verbal du dépôt, les pièces
soient transmises au Ministre de l’agriculture et du com
merce.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
131
Cet article confirme l’induction que nous tirions tout
à l’heure des termes de l’art. 5. Puisque les pièces doi
vent être transmises au Ministre sous le cachet de l'in
venteur, il est évident que le préfet n’a ni le pouvoir ni
le droit d’ouvrir le paquet qui lui est remis, et qu’il doit
le transmettre tel qu’il l’a reçu. Il n’est donc, en réalité^
qu’un simple intermédiaire chargé de recevoir et de faire
parvenir la demande à son adresse.
154'. — Mais le récépissé constatant le paiement de
la taxe ; mais le pouvoir que doit représenter le manda
taire de l’inventeur, ne peuvent être dans le pli cacheté.
Or, comme ils doivent également arriver au Ministre,
l’art. 9 enjoint de les annexer aux pièces , ainsi qu’une
copie certifiée du procès-verbal de dépôt. Cette copie a
au moins cet avantage d’apprendre si le préfet a opéré
r l’envoi dans le délai qui lui est prescrit.
155. — A l’arrivée des pièces au ministère de l’a
griculture et du commerce , il est procédé à l’ouverture
du p li, à l’enregistrement des demandes et à l’expédi
tion des brevets. Il est à remarquer que l’art. 10 n’ac
corde aucun délai pour l’accomplissement de ces for
malités. Elles doivent donc avoir lieu immédiatement
et sans aucun retard.
156. — L’expédition du brevet se réalise dans l’or
dre de la réception des pièces. Mais cette expédition est
sans aucune influence sur la question de priorité. Dans
!U
a
:0
'â
�452
LOI DU 6 JUILLET
1844
II cHait naturel de prévoir que les préfets , même en
agissant dans le délai prescrit par l’art. 9 , n ’apporte
raient pas tous la même diligence. Celui-ci transmettra
la demande le premier jour du dépôt, ; celui-là le len
demain ; un troisième , le quatrième ou le cinquième
jour. Or, le Ministre ne pouvant savoir si d’autres de
mandes , que celle qui lui arrive , ont été déposées , et
devant agir dès sa réception,, se trouverait ainsi exposé
à accorder une priorité qui ne serait ni juste ni méritée.
Voilà pourquoi l’art. 8 fait courir la durée du brevet
du jour du dépôt. Ainsi, quelle que soit la date de l’ar
rêté du Ministre, le droit du breveté et sa jouissance ex
clusive remontent au jour du dépôt constaté par le pro
cès-verbal dont l’expédition est entre les mains du de
mandeur, et c’est la date de ce dépôt qui règle la pri
orité.
157.
— La question de la délivrance des brevets
soulevait immédiatement celle de savoir si elle devait avoir lieu après ou sans examen préalable. C’est dans ce
dernier sens que s’était prononcée la loi de 4794.
Mais ce n ’est pas que les objections eussent manqué.
La nécessité d’un examen préalable avait rencontré d’ar
dents défenseurs qui voyaient, dans le principe contrai
re, un péril pour l’industrie, pour le public lui-même.
Où donc est le danger, répondait M. de Boufflers,or
gane de l’Assemblée constituante ? Est-ce que les plus
grandes inepties seraient admises sans examen ? Oui;
mais aussi elles seraient rejetées sans scrupules, et alors
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
153
elles tourneraient au détriment de leur auteur. Mais, di
ra-t-on , pourquoi jamais des contradicteurs ? Mais,
dirai-je à mon tour, pourquoi toujours des contradic
teurs ? Le contradicteur que vous me demandez est ab
solument contraire à l’esprit de la loi ; l’esprit de la loi
est d’abandonner l’homme à son propre examen , et de
ne point appeler le jugement d’autrui sur ce qui pour
rait bien être impossible à juger. Souvent ce qui est in
venté est seulement conçu, et n’est point encore né; laissez-le naître , laissez-le paraître , puis vous le jugerez.
Vous voulez un contradicteur ! Je vous en offre deux,
dont l’un est plus éclairé que vous ne pensez, et l’autre
infaillible : l’intérêt et l’expérience. Me direz-vous que
la loi ne doit rien faire qu’après un examen approfondi?
Cela est vrai pour les récompenses et les punitions qu’elle
assigne à tel ou à tel individu , mais non point pour
la protection qu’elle accorde indistinctement à tous les
êtres qui la réclament........... Enfin, quels étaient donc
ces contradicteurs si regrettés? et qu’est-ce, en effet, que
des censeurs en pareille matière ? C’est un tribunal qui
juge des choses qui n’existent pas encore, et qui, à son
gré, leur permet ou leur défend de naître; un tribunal
qui craint d’être responsable lorsqu’il autorise, et qui ne
risque rien lorsqu’il proscrit ; un tribunal qui n’entend
que lui-même , qui procède sans contradiction , et qui
prononce sans appel dans des causes inconnues où l’ex
périence serait la seule procédure convenable , et où le
public est le seul juge compétent. Et à quels hommes
oserait-on confier une aussi étonnante magistrature à
1
�154
LOI DU
6
JUILLET
1844
exercer dans le domaine de la pensée ? Les mieux choi
sis, sans doute, étaient les savants ; mais les savants,euxmêmes, ne sont-ils pas quelquefois accusés d’être par
ties au procès ? Ont-ils toujours été justes envers les in
venteurs ? Convenons-en, l’étude a peine à croire à l’ins
piration , et des hommes accoutumés à tracer les che
mins qui mènent à toutes les connaissances, supposent
difficilement qu’on puisse y être arrivé à vol d’oiseau.'
Ces observations parurent, et étaient en effet décisi
ves. Le principe de non examen préalable fut, en con
séquence, inscrit dans la loi.
158.
—- Mais de nouvelles attaques vinrent bientôt
en remettre l’utilité en question. Une proposition d’a
brogation fut même soumise au Conseil des cinq cents.
La commission chargée de l’examiner concluait à son
adoption ; et son rapporteur, M. Eudes, disait à l’ap
pui :
« Rien n’est plus mal conçu que le système de faire
délivrer le brevet sur le simple exposé de celui qui se
prétend inventeur. Il peut en résulter une très-grande
distribution de brevets illégitimes , également nuisibles
au commerce , et aux droits de ceux qui en ont juste
ment. Il est donc essentiel que la concession n’en soit
faite qu’à la suite d’un mûr examen et avec une trèsgrande connaissance de cause. La raison le veut, et l’iri-
1 Réponse a u x objections élevées contre l a lo i d u 7 j a n v i e r 1791,
imprimée par ordre de l’Assemblée Nationale,
�SUR LES BREVETS D’iNVËNTION
155
térêt des véritables inventeurs l’exige. Le moyen d’obte
nir ce résultat est de soumettre les demandes de ce genre
à un jury spécial. »
Cette conclusion et ce rapport rencontrèrent de si
nombreuses , de si importantes contradictions , que la
proposition fut soumise à un nouvel examen ; et la com
mission convaincue qu’elle s’était trompée, n’hésita pas
cette fois à demander le rejet de la proposition. C’est en
core M. Eudes qui fut chargé d’exposer les motifs de ce
rejet, et voici en quels termes il le faisait :
« Le brevet d’invention n’est autre chose qu’un acte
qui constate la déclaration , faite par l’inventeur , que
l’idée, qu’il se propose d’utiliser, est à lui seul. Qu’elle
soit bonne ou mauvaise ; qu’elle soit neuve ou ancienne,
le point principal est de ne point l’étouffer dans sa nais
sance, et d’attendre, pour la juger, qu’elle ait reçu tous
ses développements. Il est juste qu’il en recueille les
premiers, s’il dit vrai ; et s’il dit faux , elle sera bientôt
réclamée par ceux qui l’auront employée avant lui. Au
premier cas , l’acte qu’on lui donne est indispensable,
puisque, sans lui, il n ’aurait pas de titre pour agir con
tre ceux qui voudraient la lui dérober; dans le second,
il ne l’empêchera pas d’être déchu du droit privatif qu’il
aurait, sans fondement, essayé d’acquérir.
» Les arts ne prospèrent point dans les entraves ; ils
exigent pour leur accroissement une liberté pleine et en
tière. Il faut la leur garantir par des lois tutélaires.
Gardons-nous de soumettre leurs productions à des for
mes tracassières, et surtout à des vérifications qui pour
raient devenir très-souvent fallacieuses.
�156
LOI DU
6
JUILLET
1844
» Il y a peu d’inconvénients à ce que le charlatanis
me se rende lui-même la dupe de son ineptie , ou de
sa mauvaise foi ; mais il y en aurait beaucoup, si le vé
ritable inventeur se voyait sans cesse exposé à être sup
planté par l’intrigue et la collusion , et à quoi servirait
de soumettre les demandes de brevet à un jury?
» La proposition n’en avait été prise que dans l’in
térêt de la société. Dès qu’il demeure constant qu’il ne
peut souffrir de l’omission de cette formalité, celle-ci,
si elle n’était pas dangereuse , serait tout au moins in
utile. »
4 5 9 . — Cette rétractation , si honorable pour ceux
qui la proclament, est le témoignage le plus éclatant, le
plus péremptoire de l’utilité , et par conséquent de la
nécessité du principe de non examen. A quoi bon , en
effet, une opération condamnée à n ’aboutir qu’à une
supposition plus ou moins fondée ?
L’examen aurait été sans doute confié à l’Académie.
Mais qu’auraient fait les lumières et les vastes connais
sances de ses membres, en présence des difficultés inso
lubles de leur mission.
Comment, en effet , auraient-ils sainement apprécié
une découverle dont la valeur réelle ne pouvait s’établir
et être acquise qu’au bout de cinq à six ans de prati
que ? L’illustre Arago, qui opposait cette objection aux
brevets provisoires de deux ans, citait, comme exemple,
les turbines , et la machine à imprimer les toiles , dite
perrotine.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
157
Combien d’autres qui se sont trouvées, ou qui pour
ront se trouver dans le même cas. Or , qu’aurait fait,
que pourrait faire l’Académie ?
Refuser évidemment le brevet. On peut d’autant plus
le prévoir , que les académies sont un peu comme nos
anciens corps de métiers. Elles ne sont que trop portées
à révoquer en doute les découvertes qu’elles n’ont pas
faites elles-mêmes; et cette propension, si elle s’appuye
sur une absence complète d’éléments d’appréciation, fera
déclarer inutiles et vaines des découvertes qui honore
ront et enrichiront d’autres pays. Notre histoire pourrait
nous offrir plus d’un exemple de pareilles erreurs.
160.
— Sans doute le principe d’un examen préa
lable pouvait faire quelque bien. Il pouvait, dans une
certaine mesure, prévenir le public contre les brevets ri
dicules ou inutiles, garantir contre leurs propres erreurs
des requérants de bonne fo i, et leur épargner des dé
ceptions et des frais. C’est là , observe un éminent ma
gistrat, son bon côté. Mais combien le revers de la mé
daille est chargé 1
« Les inventeurs doivent le redouter : il compromet
la propriété de leur découverte par la nécessité d’en li
vrer préalablement le secret ; il les expose aux chances
d’un refus immédiat, et à la ruine de justes espérances;
il convertit leur droit en une sollicitation de faveur ad
ministrative.
» Pour l’administration , ce serait le plus périlleux
des présents, plein de tâtonnements, d’incertitudes,d’er-
�138
LOI DU 6 JUILLET
1844
reurs , de tentations, d’obsessions, d’attaques; la res
ponsabilité en serait écrasante ; les longs et minutieux
travaux qu’il imposerait, n’aboutiraient qu’à des conjec
tures.
161. — Ces considérations, qui avaient paru déci
sives en 1791 , loin de changer de caractère , avaient
acquis par l’expérience et la pratique un degré de certi
tude plus évident encore. Aussi, lorsqu’en 1844 une loi
nouvelle est venue refondre la matière , le principe de
non examen n’a rencontré aucun adversaire. Ce qui, de
vant la chambre des Pairs, fut mis en question, c’est le
mode de son application et ses conséquences logiques.
162. — Nous avons vu que la commission propo
sait de déclarer non brevetables : 1° les inventions con
traires aux lois, aux bonnes mœurs, à la sûreté publi
que ; 2° les compositions pharmaceutiques ou remèdes
spécifiques ; 3° les principes, méthodes, systèmes et gé
néralement toutes découvertes ou conceptions purement
scientifiques ou théoriques.
Cette proposition créait une exception au principe de
non examen préalable. La commission l’avait si bien
compris, qu’elle introduisait dans la loi deux nouveaux
articles , le premier autorisant le Ministre à refuser le
brevet dans les cas prévus par l’art. 3 ; le second réser
vant le recours au conseil d’Etat contre la décision du
Ministre.
1 Renouavd, des Brevets d'invent., pag. 377.
�SUR LES BREVETS D INVENTION
459
Mais pour apprécier si la découverte était contraire
aux lois, aux bonnes mœurs ou à la sûreté publique,
ou si elle était purement scientifique et théorique, il fal- *
lait un examen qui exposait à tous les inconvénients de
ce système, sans offrir, pour ce cas spécial, des garan
ties particulières. Aussi le résultat de la discussion, dans
les deux chambres, fut-il de réduire la prohibition aux
compositions pharmaceutiques, en n’autorisant le refus
du brevet que lorsque l’objet pour lequel il est demandé
serait qualifié de remède.
165.
— Le respect du principe de non examen pré
alable motiva, à la chambre des Députés, la proposition
de supprimer, dans l’art. 14, les mots : régulièrement
formée.
Lorsqu’une demande aura été formulée, disait M. Ma
rie, qui sera juge de sa régularité ? Est-ce que l’admi
nistration pourra refuser d’accorder le certificat de de
mande, en s’autorisant de l’irrégularité de la demande,
ou n’est-ce pas là une nullité dont le brevet pourra être
frappé , mais qui devra être l’objet d’une appréciation
judiciaire ? Si l’administration se réserve de refuser le
brevet sous prétexte de l’irrégularité de la demande , ce
sera là une sorte d’examen préalable dans lequel nous
tombons.
M. Bethmont présentait les mêmes objections, et ajou
tait : Si votre article 12 n’avait pas une sanction aussi
considérable , je comprendrais cette disposition. Je fais
une demande contenant mon invention ; elle manque
�16 0
LOI DU
6
JUILLET
1844
des formalités voulues par la loi ; elle est considérée
comme nulle. Huit jours après, un autre fera une de
mande semblable pour la même invention, dans un au
tre département et il obtiendra un brevet , tandis que
moi je n’aurai pas été breveté. Par qui sera décidée
cette question de priorité ? Toujours dans le secret de
l’examen préable , au ministère du commerce et par le
Ministre lui-même. Il est bien préférable de laisser aux
tribunaux l’examen de la régularité du titre. Que serace, si l’on attribue au Ministre la faculté de rejeter, sous
prétexte de l’absence ou de l’irrégularité de la descrip
tion ? N’est-ce pas lui donner une mission fort difficile,
lui imposer une responsabilité fort lourde? Il y a là un
arbitraire qu’il faut éviter, en laissant aux tribunaux la
connaissance de toutes les causes de déchéance.
Ces objections supposaient, à l’art. M , un sens et
une portée que nul n’entendait lui donner, et qu’il n’a
vait réellement pas. C’est précisément ce que répon
daient le Ministre du commerce et le rapporteur de la
commission.
« Il y a une confusion d’idées , disait ce dernier.
L’article 30 parle de ce qui entraîne la nullité d ’un bre
vet accordé et obtenu. Ici il s’agit d’une procédure ad
ministrative, qui a pour objet d’arriver à l’obtention du
brevet, qui ne tient en rien à ce qui concerne le fond
de l’invention, le mérite des descriptions, leur étendue,
leur suffisance. Mais il y a des formes administratives
à suivre : la demande doit être adressée à la préfecture;
elle doit être accompagnée de certaines pièces qui doi-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
161
vent concourir à faire admettre le brevet. Il s’agit uni
quement de savoir si ces formalités ont été ou non rem
plies, si la demande a été envoyée, s’il y a une descrip
tion bonne ou mauvaise. Refuser à l’administration cette
vérification matérielle, c’est porter trop loin la défiance,
et dire qu’il faut réserver un procès ; c’est vouloir ôter
à la loi sa simplicité et à l’administration le jugement
de ce qui appartient à l’administration. »
1 6 4 . — Ce commentaire , qui fit adopter l’art. 11,
rend impossible toute équivoque sur le sens et la portée
du mot régulièrement qui y est inscrit. La demande
est régulièrement formée toutes les fois qu’elle réunit les
conditions prescrites par l’art. 5 ,.c’est-à-dire qu’elle in
dique un titre et contient la description de la décou
verte. Peu importe que celte description soit inexacte,
insuffisante ou mensongère; que le titre ait été imaginé
pour dissimuler le véritable objet du brevet. Celui-ci
doit être délivré, sauf aux tiers et, s’il y a lieu, au mi
nistère public à en faire judiciairement prononcer la
nullité. L’administration ne peut refuser le brevet, que
si la demande n’a pas été faite dans la forme prescrite;
que si elle n’énonce pas le titre et ne contient pas la
description de la découverte ; que si les dessins ne sont
ni tracés à l’encre ni à l’échelle métrique ; que si les
pièces ne sont signées ni par l’inventeur , ni par son
mandataire justifiant d’un pouvoir spécial et régulier.
165. — Le refus, motivé sur une de ces causes, ne
i — 11
�162
LOI DU
6
JUILLET
1844
statue rien au fond, et le demandeur est toujours rece
vable à régulariser sa demande. Perdrait-il la priorité
si, avant la demande rectifiée, un tiers avait régulière
ment sollicité un brevet pour le même objet ?
L’esprit de l’art. 11 amènerait à répondre négative
ment à cette question , car il est bien entendu que son
application reste absolument étrangère au fonds de l’in
vention.
Cependant il faut distinguer.Si l’irrégularité de forme
postérieure au dépôt des pièces à la préfecture, laisse ce
dépôt debout et entier , la priorité est acquise dès que,
par sa date, ce dépôt est antérieur à celui réalisé par le
tiers. La priorité est perdue, si l’irrégularité antérieure
au dépôt ou réalisée à son occasion lui enlève et son
existence légale et son efficacité.
166.
— Le pouvoir dont l’administration est armée
est plutôt une faculté qu’un devoir. Mais la loi a telle
ment entendu en prescrire l’accomplissement, qu’elle a
voulu en rendre le Ministre, lui-même, moralement res
ponsable.
En effet, on remarquera que le § 2 de l’art. 11 exige
que l’arrêté ministériel constate la régularité de la de
mande. Cette disposition , disait-on , fait double emploi
avec l’exigence du § 1er. En conséquence,on en deman
dait la suppression.
On répondit que, consentir celte suppression, c’était
donner au Ministre la facilité de consacrer des deman
des irrégulières, et cette proposition fut rejetée. On a
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
163
donc cru que la nécessité de constater la régularité de la
demande obligerait le Ministre à s’assurer personnelle
ment de cette régularité.
Malheureusement on ne pouvait se promettre l’exé
cution stricte de cette obligation. Comment, en effet, le
Ministre pourrait-il vérifier lui-même les nombreuses
demandes qui lui arrivent de toute part ? Il doit donc
laisser aux bureaux le soin de cette vérification qui, dans
la pratique, se traduit par ce motif de l’arrêté: attendu
que la demande est régulière.
167. — On peut donc prévoir l’hypothèse d’une
négligence ou d’une erreur qui ferait délivrer le brevet
malgré l’irrégularité de la demande. Celle hypothèse se
réalisant, quelle serait la position des tiers intéressés ?
Seraient-ils recevables à contester la validité du brevet?
Non , évidemment, si l’irrégularité , se référant à la
forme purement extrinsèque, n’affectait en rien les con
ditions essentielles auxquelles est subordonnée l’effica
cité du brevet ;
Oui, si l’irrégularité plaçait la demande sous le coup
de l’art. 30. Or, comment refuser ce caractère à l’irré
gularité tirée du défaut de description ?
168. — M. Renouard indique , comme ayant jugé
le contraire, un arrêt de la cour de Cassation du 12 juil
let 1837. Cet arrêt refuse, en effet.de prononcer la nul
lité du brevet , sur le motif que l’art. 4 de la loi de
1791, qui régissait la matière, n’imposait pas, à peine
�164
LOI DU
6
JUILLET
1844
de nullité, l’obligation de joindre à la demande un mé
moire descriptif.1
Malheureusement, l’arrêtisle ne fait pas connaître les
faits sur lesquels cet arrêt est intervenu , et notamment
si le brevet avait été délivré en l’absence de ce mé
moire.
Dans ce cas, la doctrine de la cour de Cassation serait
difficile à justifier. Il est vrai que l’art. 4 de la loi de
1791 ne prescrit pas, à peine de nullité, la jonction d’un
mémoire descriptif. Mais l’art. 16 déclarait déchu de
son brevet l’inventeur convaincu d’avoir, en donnant sa
description, recélé ses véritables moyens d’exécution, ou
de s’être servi de moyens non détaillés dans sa descrip
tion. Or, celui qui s’abstient de décrire son invention,
ne fait-il pas évidemment l’un et l’autre ?
L’arrêt de la cour de Cassation ne se justifie donc
qu’en supposant que le mémoire descriptif, non produit
au moment de la demande, l’avait été plus tard et avant
la délivrance du brevet, et cette supposition s’induit de
ce motif du jugement frappé du pourvoi : qu'on ne sau
rait exciper du défaut de jonction d'un mémoire des
criptif, qu'autant que, d a n s l ’i n t e r v a l l e d e
la d e m a n d e à la p r o d u c tio n d u
m é m o i r e , les procédés seraient tombés dans le
domaine public, ou qu'un prétendant droit à la même
invention, après avoir satisfait à toutes les conditions
�SUR I.ES BREVETS D’iNVENTION
165
imposées par la loi, réclamerait la priorité sur son
compétiteur.
Donc un mémoire descriptif avait été produit depuis
la demânde , et n’avait pu l’être utilement qu’avant la
délivrance du brevet. L’omission avait donc été répa
rée, et c’est avec juste raison que, dans ces circonstan
ces, on refusait aux tiers le droit de faire de cette omis
sion une cause de nullité du brevet.
169.
— Quoi qu’il en soit, je crois que, sous l’em
pire de la loi de 1844, le brevet délivré par mégarde,
malgré l’absence de toute description , serait frappé de
nullité et mal obvenu.
Sans doute , l’art. 5 n’exige pas cette description à
peine de nullité, et l’art. 12 se borne, en cas de viola
tion de l’art. 5, à autoriser le rejet de la demande. Mais
ce rejet n’est et ne peut être que le fait de l’administra
tion , et si elle a omis d’exercer le droit que lui donne
la loi, ou de remplir le devoir qu’elle lui impose, estce que son erreur ou sa négligence pourrait nuire ou
préjudicier aux tiers?
Ceux-ci ne sont liés que par le brevet légalement ob
tenu, régulièrement accordé. S’il l’a été en l’absence de
toute description, on ne saurait les empêcher d’en pour
suivre la nullité. Ils n’agiront pas en vertu de l’art. 5.
Mais cette absence tombe évidemment sous le coup de
l’art. 30. En prévoyant et en punissant la description
insuffisante , ou qui n’indique pas d’une manière com
plète et loyale les véritables moyens de l’inventeur, ce-
�166
LOI DU
6
JUILLET
1844
lui-ci a , à plus forte raison , entendu prévoir et punir
le défaut absolu de description.
170.
—• La régularité de la demande acquise , le
brevet doit être délivré, quels que soient le demandeur,
son âge, sa position, son origine.
L’administration , en effet, n’a ni l’obligation ni le
droit de s’enquérir de la capacité civile de l’inventeur.
On a voulu soutenir le contraire, par la raison qu’entre
celui-ci et l’administration il intervient un contrat, et
qu’en cette matière toute partie est reçue à s’enquérir et
à contrôler la capacité de celui avec qui elle contracte.
Mais le mort civilement, le mineur, l’interdit, la fem
me mariée elle-même , ne peuvent être condamnés à
perdre le fruit de leur travail. Si la loi ne leur prohibe
pas la faculté de découvrir ou d’inventer, elle ne saurait
sans injustice leur refuser le profit et la légitime rému
nération des efforts qu’ils ont courageusement tentés, et
heureusement menés à bonne fin.
C’est ce qu’on ferait cependant, si l’on autorisait l’ad
ministration à se prévaloir de leur incapacité, à exiger
le concours des personnes chargées d’agir pour eux ou
de les assister. En effet, les débats qu’entraînerait cette
prétention offriraient de graves inconvénients,celui,entre
autres, d’amener peut-être la divulgation du secret de
l’invention, e t , en enlevant à celle-ci sa nouveauté , de
rendre le brevet impossible.'
I Renouant, n° 84 ; — Et Blanc, pag, 487 ; — Nouguier, n° 28.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
167
D’ailleurs, dans le contrat qui intervient, la partie avec laquelle traite l’inventeur est moins l’administration
que le public, sur le travail duquel le brevet met un
veto temporaire. Or, l’intérêt du public ne saurait souf
frir de la délivrance du brevet. L’incapacité de l’impé
trant ne serait dans le cas de le compromettre que lors
que, revendiquant son droit exclusif, il appelle l’inter
vention de la justice , et à ce moment il est hors de
doute qu’il ne peut valablement agir que par l’intermé
diaire ou avec le concours de celui que la loi charge de
le représenter ou de l’assister.
Ce qui est vrai pour le mineur, l’interdit et la fem
me mariée, ne saurait pas ne pas l’être pour le mort ci
vilement. Celui-ci, d’ailleurs, n’est nullement incapable
d’acquérir. Il ne l’est que pour certains actes de la vie
civile , que pour la faculté d’ester en justice. Il a donc
le droit de se faire délivrer un brevet d’invention, sauf,
lorsqu’il voudra demander à la justice la répression des
atteintes portées à son privilège , ou se défendre contre
les attaques dont ce privilège sera l’objet, à se faire re
présenter par un curateur spécial.1
171.
— Peut-on faire, entre les mains du Ministre,
opposition à la délivrance du brevet? M. Etienne Blanc
soutient l’afïirmalive. La loi spéciale aux brevets, dit-il,
ne le défend pas , et la faculté de former opposition se
trouve dans le droit commun. Mais celte opposition ne
i Et. Blanc, lococilato.
�168
LOI DU
6
JUILLET
1844
peut avoir d’aulre effet que d'empêcher la délivrance du
titre, jusqu’à la décision du litige par la justice.'
172,
— Cette opinion est difficile à justifier. Les
lenteurs qu’elle autoriserait dans l’expédition des bre
vets, méconnaîtraient l’esprit de la loi.
M. Etienne Blanc nous l’enseigne lu i-m êm e. Pour
l’administration , il n’y a d’autre inventeur que celui
qui a régulièrement demandé le brevet. Elle n’a pas mê
me le droit de rechercher s’il est ou non réellement l’au
teur de l’invention.
Comment donc admettre qu’un tiers puisse lui con
férer ce d ro it, ou lui imposer le devoir de suspendre
l’exécution à donner à la demande ?
On le comprendrait, si cette exécution était dans le
cas de préjudicier aux tiers; si la délivrance du brevet
opposait un obstacle quelconque aux droits que ceux-ci
peuvent avoir à prétendre. Mais cette délivrance ne nuit
à personne, ne préjuge rien. Les tribunaux peuvent an
nuler le brevet, s’il a été obtenu sans droit, en pronon
cer la déchéance dans les cas prévus par la loi, et, s’il
a été obtenu au préjudice du légitime ayant d ro it, su
broger celui-ci dans la propriété du brevet.
Evidemment les causes de -l’opposition se rangeront
dans une de ces catégories ; e t , puisqu’on pourra les
faire valoir après comme avant, l’opposition serait sans
utilité réelle, et cette inutilité doit en motiver la prohi-
i Pag. 512.
�quence forcée de l’esprit de la loi. C’est ce qui s’induit
non pas seulement des termes impératifs de l’art. 11,
mais encore et surtout de cette circonstance. La commis
sion, nommée en 1828 pour la révision de la loi, avait
résumé la matière en vingt-sept questions. La septième
de ces questions demandait: Introduira-t-on en faveur
des tiers un moyen quelconque de s'opposer à la déli
vrance du brevet après la demande formée.
Cette question fut résolue négativement, et cela ex
plique le silence gardé à ce sujet par le projet de 1833,
et par celui adopté en 1844. Or, pour admettre le droit
d’opposition, il ne suffit pas que la loi ne l’ait pas pro
hibé, il faudrait encore qu’elle l’eùt formellement au
torisé. Son silence équivaut donc à un rejet form el, et
c’est ce qui résulte avec évidence du travail de la com
mission.
173.
— En dernière analyse , quand une demande
de brevet est régulièrement formée , le brevet doit être
immédiatement délivré. L’administration n’a pas à s’en
quérir des droits que le demandeur a à l’invention , ni
de son état ni de sa capacité civile. Tout ce qui se ré
fère à l’un ou à l’autre, est du domaine de la magistra-
' H' • :
�170
LOI DU 5 JUILLET 1 8 4 4
ture dont l’action n ’est ni arrêtée ni entravée par la dé
livrance du brevet.
174.
— Une conséquence directe et forcée du prin
cipe de non examen, et de l’obligation de délivrer, était
l’absence de toute garantie de la part de l’Etat. Cela ne
pouvait faire l’objet d’un doute pour la réalité, la nou
veauté ou le mérite de l’invention. Ce brevet n’étant que
la constatation de la déclaration du demandeur à cet égard, laissait à la charge exclusive de celui-ci l'obliga
tion de justifier de l’un ou de l’autre.
II n’en était pas de même de la fidélité ou de l’exac
titude de la description. L’article 11 faisant un devoir
de constater la régularité de la demande, et celte régu
larité exigeant une description accompagnant la deman
de, on aurait pu prétendre que la consécration de celleci prouvait la fidélité ou l’exactitude de celle-là.
Mais cette prétention n’aurait eu aucun fondement
solide, puisque, ainsi que nous l’avons dit, la demande
est régulière, dès qu’une description bonne ou mauvaise
y est jointe , et sans que l’administration ait le droit de
la vérifier ou de la contrôler. Cependant et pour éviter
toute difficulté, l’art, 1 1 a donné à cette induction l’au
torité d’une disposition légale , en déclarant en termes
exprès que la délivrance du brevet avait lieu sans ga
rantie de la fidélité ou de l’exactitude de la description.
Ainsi, l’impétrant qui pourra avoir à établir contre
les tiers la réalité, la nouveauté ou le mérite de l’inven
tion, aura, s’il y a lieu, la même obligation quant à la
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
171
fidélité ou à l’exactitude de la description. L’absence de
cette justification , sur ce point comme sur les autres,
aura pour effet de faire annuler le brevet.'
1 7 5 . — A. l’arrêté du ministre qui constitue le bre
vet, est joint le duplicata de la description et des dessins
exigé par l’art. 6. L’examen de ces descriptions et des
sins est indispensable dans la plupart des litiges que sou
lèvent les brevets d’invention. 11 importait donc de met
tre le breveté en position de les produire, toutes les fois
que son intérêt l’exige sans être obligé de recourir cha
que fois au Ministre pour lui en demander copie. On
évitait ainsi des longueurs et des frais.
La destination de ce duplicata faisait craindre une
fraude. Il aurait pu être beaucoup plus explicite et plus
clair que l’original qui reste au ministère , et qui est
destiné à être rendu public. Cette éventualité a paru exi
ger une précaution, et voilà pourquoi l’art. 11 veut que
le duplicata soit certifié conforme. Cette certification doit
être donnée par le Ministre.
176. — La première expédition des brevets est dé
livrée sans frais. Toute expédition ultérieure, demandée
par les ayants droit , donne lieu au paiement de vingtcinq francs.
Cette somme ne se réfère qu’à la copie de l’arrêté et
de la description. La reproduction des dessins pouvant
�«
172
LOI DU
6
JUILLET
1844
occasionner une dépense plus considérable , on en a
laissé spécialement les frais à la charge de l’impétrant.
L’article 11 dit : les frais de dessin s’il y a lieu. Il
ne faudrait pas entendre par là qu’il est facultatif d’exo
nérer le breveté du paiement de ces frais. Ce qui a mo
tivé cette locution, c’est que le breveté peut se borner à
demander une nouvelle expédition de l’arrêté ministé
riel, sans exiger une eopie des dessins. Il a été reconnu,
en effet, qu’on ne délivrerait copie des dessins , que si
elle était demandée , et qu’on pourrait ne la demander
qu’autant qu’on en aurait besoin. Les termes de l’article
11 se réduisent donc à dire : les frais de dessin, si la
copie en est demandée.
Il a été également reconnu, à la chambre des Pairs,
que la copie des dessins était le fait unique de l’admi
nistration ; que le demandeur n’aurait pas le droit de la
faire lui-même, ni d’en charger un artiste de son choix.
M.de Boissy proposait de dire le contraire. Mais sur l’ob
servation de M. le baron Thénard, qu’il était impossible
que les dessins sortissent des mains de l’administration,
sans de graves inconvénients dont il y avait eu plusieurs
exemples malgré toutes les précautions , l’amendement
de M. de Boissy ne fut pas même appuyé.
A
rt.
12.
Toute demande dans laquelle n’auraient pas
été observées les formalités prescrites par les
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
173
numéros 2 et 3 de l’article 5, et par l’article 6,
sera rejetée. La moitié de la somme versée res
tera acquise au Trésor, mais il sera tenu compte
de la totalité de cette somme au demandeur, s’il
reproduit sa demande dans un délai de trois
mois, à compter de la date de la notification du
rejet de sa requête.
A rt.
13.
Lorsque par application de l’article 3 il n’y
aura pas lieu à délivrer un brevet , la taxe sera
restituée.
SOMMAI RE
177 But et objet de l ’art. 12.
178 Dans quels cas la demande sera irrégulière. — Le rejet en
est obligatoire.
179 Rédaction du projet primitif.—Discussion qu’elle souleva.
180 Motifs qui la firent modifier.
181 Véritable caractère de l ’art. 12.
182 Le rejet peut-il devenir l ’objet d’un recours au conseil
d’Etat.
183 Effet du rejet pour inobservation des articles 5 et 6; entraîne
la perte de la moitié de la somme consignée.
184 La demande peut toujours être reproduite.—Effet de la de
mande nouvelle, suivant qu’elle se produit dans les trois
mois du rejet, ou après.
�'174
185
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Le rejet de la demande, par application de l'art. 3 , donne
lieu à la restitution intégrale de la somme versée.—Débat
à ce sujet.
177. — Il semble que l’art. 11 rendait inutile la
première disposition de l’art. 12. En effet, si le brevet
ne doit être délivré que lorsque la demande en a été ré
gulièrement formée , la conséquence logique était que
l’irrégularité de la demande en motivait et en autorisait
le rejet.
En consacrant ce rejet, l’art. 12 ne fait donc que ti
rer la conséquence du principe posé par l’art. 11. Mais
il devait le faire, ne fût-ce que pour indiquer dans quels
cas la demande serait considérée comme irrégulière , et
quels seraient les effets de l’irrégularité, quant à la som
me qui avait dû être préalablement déposée.
178. — La demande sera donc irrégulière, lors
qu’une description d’une invention ou d’une application
qu’on veut faire breveter n’aura pas été jointe à la de
mande ; lorsque les dessins ou échantillons qui seraient
nécessaires pour l’intelligence de la description n’y ont
pas été annexés ; lorsque la demande ne mentionne pas
la durée que l’inventeur entend assigner à son brevet ;
lorsqu’elle contient des restrictions, conditions ou réser
ves; lorsqu’elle n’indique pas un titre renfermant la dé
signation sommaire et précise de l’objet de l’invention;
lorsque la description est écrite en langue étrangère, ou
renfermant des altérations et des surcharges, ou contient
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
175
des dénominations de poids ou mesures illégaux ; lors
que les dessins ne sont pas tracés à l’encre et d’après
une échelle métrique ; lorsqu’un duplicata de la des
cription et ■des dessins n’est pas joint à la demande ;
lorsque toutes les pièces ne sont pas signées du deman
deur, ou par un mandataire dont le pouvoir est annexé
à la demande.
La demande qui réunit ces conditions est donc ré
gulière. À ce sujet, nous répétons que l’administration
n’est pas juge du mode d’exécution donné aux prescrip
tion des articles 5 et 6. Ce n’est que lorsqu’elles n’ont
pas été obéies , qu’elle peut et doit rejeter la demande.
Remarquons, en effet, que l’art. 12 dispose : Toute de
mande, etc........... s e r a , rejetée. Ce rejet impérieu
sement prescrit est donc, non une faculté, mais un de
voir.
179.
— Dans le projet présenté par le Gouverne
ment à la chambre des Pairs, l’art. 12 disposait en ces
termes : Toute demande irrégulièrement formée sera
considérée comme nulle et non avenue. Cette rédaction
donna lieu à de vives réclamations comme entâchée
d’une rigueur que rien ne justifiait.
On convenait bien qu’une demande non signée par
l’inventeur ou son fondé de pouvoir.n’était pas une de
mande; qu’il en était de même d’une demande sans
description , ou non accompagnée des dessins nécessai
res à son intelligence , ou sans titre énonçant l’objet de
l’invention. Mais on trouvait beaucoup trop rigoureux
�176
loi DU 6 JUILLET 1844
de déclarer la demande nulle sur ce motif, et d’exposer
l’inventeur à être privé de
sa
découverte , faute par lui
d’avoir rempli certaines formalités.
180.
— Cette rigueur avait été tempérée dans la
pratique. Le Ministre, en effet, n’avait jamais exercé le
droit de rejet, avant d’avoir averti les demandeurs et les
avoir mis à même de couvrir les irrégularités ou de les
faire disparaître. La certitude qu’il en serait encore ainsi
pour l’avenir, ne contribua pas peu à faire adopter l’ar
ticle, mais modifié et autorisant non la nullité mais le
simple rejet de la demande.
L’article adopté par la chambre des Pairs, et soumis
à celle des Députés , y rencontra de nouveau le repro
che d’une excessive sévérité. M. Délespaul se refusait à
admettre que pour une simple surcharge, que pour une
rature non approuvée , que pour un renvoi non para
phé, la demande pût être rejeté. On objecte , disait-il,
que la demande peut être reproduite. Mais on oublie
que, dans l'intervalle, un nouvel industriel peut gagner
son devancier de vitesse, et demander un brevet pour le
même objet; enlever ainsi la priorité au premier de
mandeur et le dépouiller de son titre.
181.
Ces craintes étaient, à leur tour, fort exa
gérées. L’hypothèse prévue par l’art. 12 ne peut que
difficilement se présenter. Sans doute un inventeur peut
ignorer la loi , mais les avertissements ne lui manque
ront pas. Nous avons vu le Ministre recommander aux
�177
SUR LES BREVETS û ’iNVENTION
préfets d’inviter les déposants à prendre connaissance
des articles S et 6 , et de leur en rappeler les disposi
tions.'
Puis, si cette précaution reste sans effets, en sera-t il
de même de l’avertissement donné par le Ministre , et
de l ’invitation de corriger les irrégularités ? Cette prati
que n’implique-t-elle pas que , si la demande est reje
tée , ce sera par la faute unique de son auteur , et dès
lors quelle rigueur y a-t-il à lui faire subir les chances
de ce rejet.
En réalité donc, l’art. \% est purement comminatoire
et il n ’y a peut-être pas d’exemple qu’il ait été.appliqué.
182.
— Celte application pourrait-elle devenir l’ob
jet d’un pourvoi devant le conseil d’Etat ? MM. Renouard, Nouguier et Dalloz se prononcent pour l'affirma
tive.1
Nous avons le regret de ne pouvoir être de cet avis.
Le texte et l’esprit de la loi s’unissent pour le repous
ser : ce qui résulte en effet de l’un et de l’autre. C’est
ainsi que l’enseigne M. Nouguier lui-même : que l’ad
ministration exerce un pouvoir souverain, quant au re
jet des demandes irrégulières.
On attenterait donc à cette souveraineté, on lui arra
cherait son effet, si la décision prise pouvait être réfor
mée.
1 C ir c u la ir e d u 4er octo b re '1844.
2 N»»'157; — 476; — 455.
I —
12
�)
178
LOI DU 6 JUILLET 1844
Comment le serait-elle d’ailleurs? Le Ministre ne
peut rejeter la demande que pour omission matérielle
des formalités prescrites par les articles 5 et 6. Or, le
pourvoi au conseil d’Etat fera-t-il que cette omission
n’existe pas ; et si elle existe, est-ce que le conseil d’Etat
ne serait pas lié lui-même , et pourrait-il faire autre
chose que de confirmer le rejet ?
A quoi bon dès lors le pouryoi, et dans quel intérêt
la loi l’aurait-elle autorisé ? On ne pourrait admettre sa
recevabilité que dans la supposition que le Ministre au
rait, contrairement à la vérité , déclaré que les articles
5 et fi^ont été méconnus et violés. Cette supposition , à
notre avis, n’est pas admissible, et, en pareille matière,
il n’est pas de Ministre qui osât se permettre un pareil
acte.
185. — Le rejet de la demande pour inobservation
des articles 5 et 6, entraîne la perte de la moitié de la
somme versée , c’est-à-dire cinquante francs. On ne
saurait adresser à cette disposition le reproche de fisca
lité. Ce qui en a motivé la consécration , c’est l’espoir
que ce sacrifice , quoique minime , stimulerait la vigi
lance, et assurerait l’exacte exécution de la loi.
184, — De ce que, en cas d’exécution, la demande
était rejetée mais non annulée , il s’ensuivait que cette
demande pouvait toujours et en tous temps être repro
duite. Le délai de trois mois imparti par l’art. 12! ne
contrarie en rien cette conséquence. Son expiration n’a
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
179
pas d’autre effet que d’attribuer définitivement à l’Etat
la moitié de la somme versée.
Ainsi, si la demande est reproduite dans les trois
mois de la date de la notification du rejet , il est censé
n’y avoir eu qu’une seule et même demande. Le verse
ment opéré lors de la demande rejetée, est accepté com
me valable et devant produire tout son effet.
Si la demande n ’est reproduite qu’après l’expiration
de ces trois mois , le versement primitivement opéré est
réduit de moitié. Il faut donc le compléter, et la nou
velle demande n’est reçue que sur la production du ré
cépissé constatant le versement supplémentaire.
185. — Le rejet de la demande, par application de
l’art. 3 , n’a aucune influence sur le versement opéré.
La somme entière est restituée au demandeur.
M. Dubouchage a combattu cette disposition, et pro
posé , comme la peine d’une demande de brevet pro
hibée par la loi, la confiscation de la taxe versée à l’ap
pui.
M. Teste répondit : le Gouvernement ne peut attacher
la taxe qu’à la délivrance d’un brevet; et toutes les fois
que la porte est fermée au demandeur, il est impossible
de le laisser dehors et de garder son argent.
Pourquoi alors, dans l’hypothèse de l’art. 1â, gardet-on la moitié de l’argent tout en laissant le demandeur
à la porte. Ce qui était juste pour l’un , l’était évidem
ment pour l’autre.
On devait donc ordonner, dans tous les cas, la resti-
�tulion , ou la rétention totale ou partielle de la taxe. En
l’état , les articles 121 et 13 présentent cette anomalie,
que celui qui pèche par omission est exposé à perdre la
moitié de la taxe, tandis que celui qui s’est mis en ré
bellion ouverte contre la loi ne perdra jamais rien. Ce
résultat est d’autant plus regrettable , que le contraire
eût garanti de plus fort le respect des prescriptions de
l’art. 3.
A r t . 14.
1I
Une ordonnance royale insérée au Bulletin
des lois proclamera tous les trois mois les bre
vets délivrés.
A rt
15.
La durée des brevets ne pourra être prorogée
que par une loi.
SOMMAI RE
186
Devoir de publier chaque trois mois l ’état des brevets déli
vrés pendant le trimestre.—Motifs.
187 Caractère de cette mesure.—Comment elle se réalise.
188 Législation ancienne sur la prorogation de la durée des bre-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
181
189 Arrêt de la cour de Cassation validant cette pratique.
190 Critique.
191 La prorogation avait été condamnée par les hommes les
plus compétents. — Tiédeur de l ’administration à l ’ac
corder.
192 Inconvénients nombreux et graves dont elle peut être la
source.
193 Caractère de l ’art. 15.
194 II n’y a que deux exemples de prorogations.—Règle que le
Corps législatif s'est lui-même prescrit à ce sujet.
195 L’article 15 régit la prorogation . qu’il s’agisse d’un brevet
de cinq, de dix ou de quinze ans.
196 Effets de la prorogation. — Le brevet de perfectionnement
pris dans l ’intervalle de l ’expiration du brevet à sa pro
rogation, en sera-t-il atteint?
197 Négative enseignée par M. Et. Blanc.—Ses motifs.
198 Arrêt de la cour de Paris invoqué à l’appui. — Espèce dans
laquelle il est intervenu.
199 Opinion contraire de M. Calmels.—Son caractère juridique.
200 L’effet de la prorogation ne remonte pas au jour de la de
mande qui en est faite.
201 Le breveté peut-il réduire la durée qu’il avait d’abord assi
gnée à son brevet ?
202 Opinion de MM. Et. Blanc et Nouguier pour la négative.
203 Réfutation.
204 La réduction doit-elle adopter le terme de dix ou de cinq
ans ?
205 Publicité qu’elle doit recevoir.
206 Le renonçant ne peut plus rendre au brevet sa durée pri
mitive.
18R. — Il est naturel et juste que le public soit in
struit du droit que l’inventeur acquiert. Cette connais
sance est indispensable pour assurer à ce droit le res-
�482
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
pect qui lui est dû, pour prévenir toute contrefaçon, et
sauvegarder les tiers contre ses conséquences matérielles
et morales.
C’est donc avec raison que l’art. 4 4 prescrit de pu
blier, chaque trois mois, l’état des brevets délivrés pen
dant le trimestre. Cette publication a lieu par insertion
au Bulletin des lois. La proposition de l’insérer aussi
dans le Moniteur fut repoussée comme multipliant les
formalités sans utilité réelle, chaque intéressé pouvant et
devant, de préférence, recourir au Bulletin des lois.
187.
— La publicité prescrite par l’art. 44 est, en
quelque sorte provisionnelle. Elle se borne à indiquer,
par leur titre, les brevets délivrés, sans donner connais
sance ni de la description ni des dessins. C’est cepen
dant cette connaissance qui peut fixer le public sur la
nature et l’étendue de ses obligations. L’ignorance des
moyens employés par le breveté, et qui lui sont exclusi
vement dévolus , pourrait involontairement conduire à
une contrefaçon.
Mais la divulgation de la description et des dessins ne
pouvait avoir lieu dans les premiers moments de la dé
livrance. Nous verrons , sous l’art. 24, les délais qu’on
a cru devoir observer, et les motifs qui en légitiment
l’observation.
188.
— L’article 45 introduit un droit nouveau.
L’intervention de la loi, dans la prorogation de la durée
des brevets, avait bien été admise par la législation de
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
183
1791. Mais l’art. 8 de la loi du 7 janvier ne la prescri
vait que lorsque cette prorogation devait ajouter au dé
lai de quinze ans.
On en avait donc conclu , et fort logiquem entqu’à
l’administration seule appartenait le droit de prolonger
jusqu’à quinze ans, les brevets demandés et délivrés
pour cinq ou dix ans.
Cette restriction ne fut même pas toujours observée,
et, depuis et après la constitution de l’an VIII, des pro
longations de brevets de quinze ans avaient été accordées
par le chef du pouvoir exécutif seul.
189.
— Une de ces prorogations intervenue dans
les premiers temps de la restauration ayant donné lieu
à un procès, la cour de Cassation en consacrait la léga
lité le S mars 18221.
« Attendu, porte l’arrêt, que le droit de prolonger la
durée du privilège résultant d’un brevet d’invention est,
de sa nature, un acte d’administration suprême, et qu’en
reprenant ce droit, attribué au Corps législatif par l’ar
ticle 8 de la loi du 7 janvier 1791 , le chef du Gouver
nement établi par l’acte appelé constitution de l’an VIII,
a usé de l’autorité qui lui était conférée par cet acte ;
que , depuis cette époque jusqu’à la Restauration , les
prorogations de brevets d’invention n’ont pas cessé d’ê
tre accordées par le Gouvernement, sans opposition des
pouvoirs qui avaient droit de juger s’il en résultait une
usurpation de l’autorité législative ; qu’il en est de mê
me depuis la Restauration , ce qui est une juste consé
quence de l’art. 14 de la charte constitutionnelle. »
�184
LOI DU 6 JUILLET
1844
190.
— Mais la conslitution de l’an VIII n’avait
pu survivre à l’Empire qu’elle avait fondé, et la charte
de 1814 n ’autorisait d’aucune manière l’usurpation des
prérogatives du Corps législatif. L’article 14 reconnais
sait bien au Roi le droit de faire des règlements et or
donnances nécessaires pour l’exécution des lois , et non
le pouvoir de faire la loi lui-même.
Donc l’abrogation de la constitution de l’an VIII ayant
rendu à l’article 8 de la loi de 1791 toute sa forcé,
ce qui avait pu être légal et constitutionnel sous l’Em
pire, ne pouvait absolument plus l’être sous la Restau
ration. Il fallait , pour admettre le contraire , donner à
l’art. 14 delà charte l’interprétation qu’on a voulu lui
donner en juillet 1830 , et qui a eu les conséquences
qu’on sait.
191.
— Au reste, l’administration, ne s’est montrée
en aucun temps ni désireuse ni jalouse du pouvoir dont
on voulait l’armer. Elle en a toujours fait d’autant meil
leur marché, qu’il était pour elle un embarras réel, une
source d’importunités et de sollicitations que n’approu
vaient pas toujours la raison et la justice.
D’ailleurs, il était d’autant plus nécessaire de rendre
difficile l’exercice de ce pouvoir, que la prorogation en
elle-même a été absolument condamnée par les hom
mes les plus compétents, notamment par la commission
insjiluéq en 1828 pour la refonte de la législation. Nous
avons déjà dit qu’elle avait résumé la matière dans vingtsept questions, Or , à la quinzième , demandant ; Les
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
183
brevets peuvent-ils être prorogés ? dans quels cas , par
qui, et suivant quelles formes ? elle répondait : j a m a i s .
1 9 2 . — C’est qu’en effet la prorogation du brevet,
faveur insigne pour son propriétaire, est pleine d’incon
vénients , de périls et de danger pour le public. Plus
l’objet breveté sera précieux et promettra d’avantages,
plus l’approche de l’expiration du brevet donnera lieu à
des préparatifs d’exploitation, à des dépenses, à des frais
souvent considérables. Si une prorogation vient tout à
coup rendre cette exploitation impossible encore pour un
temps plus ou moins long, l’inutilité de ces préparatifs,
la perte des dépenses et des frais peuvent devenir une
cause de ruine pour ceux qui ont eu foi dans les pro
messes de la loi.
Ces motifs rendent raison de l’opinion de la commis
sion. Mais cette opinion était trop absolue. Il pouvait se
rencontrer des circonstances telles que la prorogation du
brevet devint un acte de justice. Il convenait de le pré
voir, et, en le prévoyant, de se réserver le moyen de sa
tisfaire à cette nécessité.
193. — L’article 15 consacre cette convenance. La
prorogation du brevet est une exception qui ne doit être
que rarement autorisée, et, pour qu’il en fût ainsi,c’est
au pouvoir législatif que cette prorogation devra être de
mandée. Ainsi on coupait court à toutes ces sollicita
tions importunes qui n’auraient pas manqué d’assaillir
l’administration? si elle eût retenu le droit de proroger.
�186
LOI DU 6 JUILLET
1844
194.
— Il n ’y a que deux exemples d’application de
l’art. 15. Une loi du 18 juin 1856 proroge , en faveur
du docteur Boucherie, le brevet par lui obtenu pour la
conservation et la coloration des bois. Plus tard et le 4
août 1860, une autre loi accorde la prolongation de la
durée de deux brevets d’invention délivrés, en 1845 et
1846, à M. Sax, pour les instruments dits saxo-tromba
et saxo-phones.
Dans la discussion qui amena l’adoption de ces lois,
personne ne méconnut tout ce que la question de pro
rogation avait de délicat. On reconnaissait unanimement
qu’elle ne pouvait être qu’une fort rare exception ; qu’il
fallait , pour que le bénéfice en fût concédé : 1° qu’il
s’agit d’une invention sérieuse, d’une amélioration véri
table apportée dans un art ou dans une industrie ;
2° que l’inventeur, réellement malheureux, eût été em
pêché de tirer profil de son invention par des circons
tances exceptionnelles et de force majeure.
Cette règle, que le Corps législatif a tracée à l’exercice
du pouvoir qui lui a été réservé , rentre parfaitement
dans l’esprit de la loi. Elle imprime, en effet, à la pro
rogation, son véritable caractère. Elle doit, en effet, être
non une faveur, mais un secours accordé au mérite et
au malheur.
195.
— Notre article 15 ne distingue plus, comme
le faisait l’art. 8 de la loi de 1791. En conséquence,
qu’il s’agisse d’un brevet de cinq ans, de dix ans ou de
quinze , la prorogation ne peut être demandée qu’au
pouvoir législasif, et consacrée que par une loi.
�SUR
LES
BR EV ET S
D ’ IN VE NT ION
18 7
1 9 6 . — C’est aux tribunaux qu’il appartient de ré
gler les effets de la prorogation. Or, ces effets seraient
évidents pour tous ceux qui n’auraient acquis aucun
droit spécial dans l’intervalle de l’expiration du brevet
à sa porogation. Ils seraient tenus de respecter le droit
exclusif du breveté , jusqu’à l’expiration du terme fixé
par la loi de prorogation.
Mais si , dans ce même intervalle , il a été pris un
brevet de perfectionnement, son bénéficiaire pourra l-il
exploiter l’invention principale, à l’expiration du terme
primitivement fixé pour la durée du brevet principal ?
197. — L’affirmative s’étaye du principe de non
rétroactivité des lois. Or, si la loi n’a point d’effets ré
troactifs , la prolongation ne saurait avoir pour consé
quence de ravir aux tiers les droits qu’ils ont régulière
ment acquis.
Interpréter autrement la loi, dit M. Nouguier, ce se
rait ruiner ceux q u i, sur la foi d’un brevet de perfec
tionnement , auraient préparé leurs moyens industriels,
formé des établissements commerciaux , contracté des
engagements, et engagé dans ces opérations une partie
de leur fortune.'
1 9 8 . — Cette opinion invoque un arrêt de la cour
de Paris, du 1 0 octobre 1 8 3 2 , qui parait l’avoir inspi
rée. Cet arrêt décide , en effet, qu’une ordonnance de
1 N» 257 ; — conf. Et. Blanc, pag. 426.
�188
LOI DU
6
JUILLET
1844
prorogation ne peut être opposée à celui q u i, antérieu
rement, a pris un brevet de perfectionnement. De sorte
que le premier breveté ne peut l’empêcher d’exercer
l’industrie principale à partir de l’expiration du premier
brevet.
Il s’agissait, dans l’espèce , de la prorogation d’un
brevet de cinq ans, demandée à l’administration, et ac
cordée par elle en vertu de l’interprétation qu’avait re
çue l’art. 8 de la loi du 7 janvier 1791.
La Cour pouvait donc ne la considérer que comme
une faveur, devant d’autant moins influer sur les droits
acquis au brevet de perfectionnement, qu’elle n’avait été
publiée que postérieurement à l’expiration légale du bre
vet dont elle prorogeait la durée.
Cette circonstance seule était décisive contre le breveté
principal, et si l’arrêt en avait excipé pour le déclarer
non recevable dans ses prétentions contre le propriétaire
du brevet de perfectionnement, on n’aurait pu contester
ni sa légalité, ni son caractère juridique.
199.
— Mais comme arrêt de principe, la solution
de la cour de Paris souleva de graves objections. De
puissantes raisons, dit M. Calmels , militent en faveur
de l’opinion contraire, dans l’espèce surtout où l’ordon
nance de prorogation portait que le brevet d’invention
conserverait sa force et sa valeur , et sortirait son plein
et entier effet.
M. Calmels se demande fort justement si l’effet natu
rel de la prorogation n’est pas de conserver au breveté
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
189
sa jouissance exclusive jusqu’à l’expiration du nouveau
délai qui lui est imparti. A quoi servirait-elle s i , mal
gré elle , l’invention tombait dans le domaine public,
même en faveur d’une seule personne ? '
À rien évidemment, car, entre le breveté principal ne
pouvant offrir que l’invention première , et le proprié
taire du brevet de perfectionnement vendant et cette in
vention et le perfectionnement qu’il lui a donné, le pu
blic n’hésiterait pas. Il s’adresserait naturellement et de
préférence à celui qui, pour le même prix, lui fourni
rait des produits supérieurs.
Puis, est-ce que ce propriétaire ne voudra pas user du
droit qu’il a d’autoriser des tiers à exploiter sa décou
verte ? Ne créera-t il pas des succursales ou des dépôts
dans les principaux centres de consommation ?
Donc, le brevet principal aura beau n’êlre tombé dans
le domaine public qu’en faveur d’une seule personne,
son propriétaire n ’en sera pas moins exproprié de son
invention et condamné à la ruine.
Sans doute on ne doit pas, pour lui éviter ce mal
heur, l’attirer sur la tête d’un autre. M ais, avec le sys
tème de la loi de 1844, le danger s’est considérablement
amoindri, s’il n’a pas totalement disparu. Avec l’inter
vention forcée du Corps législatif , on a la certitude que
la prorogation ne sera plus arrachée par la sollicitation,
obtenue par la faveur ; elle ne sera que ce qu’elle doit
i De la propriété et de la contrefaçon, n° 456.
�190
LOI DU 6 JUILLET
1844
être : une exception fort rare, qui n’a été autorisée que
deux fois dans l’espace de vingt ans, de 1844 à 1864.
Je pense donc que la prorogation est opposable à
celui qui, avant cette prorogation, aurait pris un brevet
de perfectionnement. Son droit à exploiter l’invention
première se trouve, de droit, suspendu jusqu’à l’expira
tion du terme auquel la durée du brevet a été proro
gée.
Mais, cela, à la condition que la prorogation sera de
mandée assez à temps pour que la loi puisse être ren
due et promulguée avant l’expiration du brevet. Je crois,
en effet, que si la loi n’était publiée qu’après cette expi
ration, elle ne produirait aucun effet. Le brevet tombé
dans le domaine public ne peut plus devenir la matière
d’un droit privatif.
200.
— Dans l’espèce de l’arrêt de P a ris, on re
poussait cette objection en soutenant qu’il en était de la
prorogation comme du brevet ; que de même que celuici datait du certificat du dépôt des pièces, à quelque époque qu’il fût délivré , de même l’effet de la proroga
tion était de droit reporté au jour de la demande.
Mais, répondait-on, l’assimilation qu’on prétend éta
blir est inadmissible. On conçoit bien que les brevets
produisent effet du jour du certificat de la demande,
parce que le Gouvernement est tenu de délivrer les bre
vets à ceux qui les requièrent, et que le certificat ne fait
que fixer la date du contrat qui se forme avec la société,
et constater la prise de possession d’une industrie. Les
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
191
prorogations sont, au contraire, des actes de faveur ; en
les accordant, l’autorité permet à la possession de con
tinuer. Celte continuité de possession ne peut avoir lieu
que publiquement; il faut donc publication avant que
la possession antérieure n’ait cessé; autrement elle est
interrompue, et ne peut nuire à celui pour qui une au
tre possession a commencé depuis la cessation du bre
vet primitif. Si le brevet d’invention remonte au jour de
la demande, c’est que l’ordonnance qui le proclame ne
fait que déclarer l’existence d’un droit préexistant ; tan
dis que le breveté n’ayant pas un droit acquis à une
prorogation , c’est l’ordonnance seule qui forme son ti
tre ; elle ne doit donc commencer à exister que lorsqu’
elle est notifiée au corps social par la publication.
On ne saurait méconnaître le caractère juridique , et
l’autorité rationnelle de ces considérations. Elles sont,
en effet, décisives. On peut bien proroger ce qui existe,
mais on ne proroge pas ce qui a cessé d’exister. Il s’agit
alors de faire revivre un droit éteint, et, ce pouvoir, per
sonne ne le possède en matière de brevets d’invention.
Les privilèges sont de droit étroit. Ils n’existent et ne
peuvent exister qu’en force d’une loi expresse et positive.
Or, la loi de 1844 , en autorisant la prorogation , n ’a
nullement conféré le droit de faire revivre un brevet ex
piré.
On ne saurait donc hésiter. Pour que la prorogation
soit régulièrement acquise, il faut que la loi qui la con
cède soit promulguée et publiée avant l’expiration du
brevet. Avec celte expiration , et par son fait seul, les
�192
LOI DU
6
JUILLET
1844
droits du public sont ouverts et acquis , et rien ne sau
rait faire que leur exercice en fût de nouveau sus
pendu.
201.
— Le breveté qui a assigné une durée à sa
jouissance exclusive, peut-il ultérieurement réduire vo
lontairement cette jouissance à une durée moindre?
Cette question ne pouvait, sous l’empire de la loi de
1791, s’élever. En effet , la taxe devant être intégrale
ment et en totalité payée au moment de la délivrance
du brevet, la réduction de la durée n’offrait aucun in
térêt pour le breveté ; il devait, en conséquence, en écar
ter même la pensée.
Le paiement par annuités , consacré par la loi de
1844 , empêcherait, à un autre point de vue, la ques
tion de se présenter. Le breveté qui voudrait réduire la
durée de sa jouissance exclusive, est toujours en position
de le faire : il n’a qu’à ne pas payer la prochaine an
nuité.
La question pourrait donc paraître oiseuse, et elle
le serait en effet, si l’exercice du droit de cession ne
la faisait naître , et n’imposait la nécessité de la résou
dre.
On s a it, en effet, que l’art. 20 prescrit, en cas de
cession du brevet, le paiement préalable de toutes les
annuités restant à courir. On comprend , dès lo rs , que
le cédant, ayant intérêt à payer le moins possible, tente
de s’en procurer le moyen en réduisant la durée du bre
vet. Le pourra-t-il ?
�193
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
2 0 2 . —• Cette question divise la doctrine. M. Et.
Blanc se contente de la résoudre sans la discuter. Le
breveté , dit-il , en cas de cession , ne pourra pas s’af
franchir de l’obligation de payer toutes les annuités à
écheoir, en offrant de réduire la durée du brevet.'
M. Nouguier est plus explicite. Il repousse l’affirma
tive, parce qu’elle ne se fonde que sur des considéra
tions, et que des considérations, quelle que soit leur va
leur, ne peuvent vaincre la loi.
Or, la loi est positive, dit-il, elle veut qu’au moment
de sa demande l’inventeur détermine lui-même la du
rée; elle exige qu’avant la cession, la totalité de la taxe
soit acquittée ; quand le brevet est délivré, le contrat qui
se forme entre l’inventeur et la société est irrévocable ;
sans doute l’inventeur peut, par son inexécution, se dé
livrer du brevet qui le gêne, et par conséquent du con
trat qui s’éteint ; mais il ne peut, à lui seul et sans le
concours de l’autre partie , modifier les termes du con
trat , et se faire une position autre que celle qui a été
expressément convenue/
2 0 3 . — Ainsi , l’inventeur qui peut seul et sans le
concours de l’autre partie , briser , anéantir le contrat,
n’aurait pas le pouvoir de le modifier. M.Nouguier con
cède le plus, mais il refuse le moins. Est-ce rationnel et
logique.
1 Pag. 420.
2 N° 260.
i —
13
�194
LOI DU 6 JUILLET
1844
Nous comprenons qu’on ne puisse faire indirecte
ment ce qu’on ne pourrait directement accomplir. Mais
comment admettre qu’on prohibe de faire directement
ce qu’on permet de réaliser indirectement ?
Ce renversement de tous les principes ne saurait être
ni légal ni juridique, et puisque, en s’abstenant de payer
la taxe , le breveté détruit indirectement le contrat, il
doit pouvoir le modifier seulement.
Pourquoi ne le pourrait-il pas ? Est-ce que la loi n’a
recherché que le paiement de la taxe dans la délivrance
des brevets d’invention ? On comprend très-bien qu’elle
ait fait du paiement la condition sine qua non du pri
vilège qu’elle concédait. Mais on ne saurait admettre
que, pour obtenir cette taxe, elle ait impérieusement im
posé ce privilège à celui qui ne voudrait pas en retirer
le profit.
Qui dit privilège , dit faveur pour celui qui l’obtient.
Or, est-ce qu’on n ’est pas toujours maître de renoncer
à une faveur, et cette renonciation qui s’induit tacite
ment du refus ou du défaut de la taxe, ne pourra-t-elle
pas résulter de la déclaration expresse qu’on entend la
réaliser ?
Le soutenir ainsi , c’est étrangement méconnaître le
caractère et le but de la loi.
Le privilège qu’elle assure à l’inventeur est moins
dans son intérêt particulier que dans celui de la société.
On a voulu, en les récompensant, encourager et multi
plier les inventions utiles.
Donc, en cette matière, l’intérêt public est la loi su-
�SUR LES BREVETS DINVENTION
195
prême, et c’est sous ses inspirations qu’il faut résoudre
les difficultés que pourraient soulever les brevets d’in
vention. Or, niera-t-on que ce qui importe à cet inté
rêt , c’est que l’invention tombe au plus tôt dans le do
maine public. Cette vérité , le législateur n’a pu ni l’i
gnorer ni la méconnaître. Est-il dès lors rationnel d’ad
mettre q u e , loin de favoriser ce résultat, il ait entendu
l’éloigner, et cela dans le but unique de percevoir quel
ques annuités de cent francs de plus.
L’Etat n’a qu’un fort minime intérêt à la perception
de cette somme. Il en a un énorme à la vulgarisation
des brevets , qui est dans le cas d’imprimer d’heureux
développements au commerce et à l’industrie. Il doit dès
lors, loin d’y apporter aucun obstacle, favoriser tout ce
qui tend à en hâter le moment. Il est impossible, à mon
avis, d’admettre que le législateur a voulu, a pu vouloir
autre chose.
204.
— Je pense done, avec M. Renouard , qu’il
dépend du breveté de réduire le délai de sa jouissance,
et sa volonté , à cet égard , ne saurait susciter aucune
contradiction. Mais ce que je ne puis admettre, c’est que
la durée ne puisse être réduite qu’à l’un des termes de
dix ou de cinq ans.
Il est vrai que la loi, lorsqu’il s’agit de constituer le
privilège , exige la période quinquennale ; mais elle n’a
limité nulle part la faculté de le réduire. On objectera
* que , ne l’ayant pas prévue , elle ne pouvait la limiter ;
m ais, nous venons de le prouver , si cette faculté n’est
�196
LOI DU 6 JUILLET
1844
pas dans son lexte, elle est évidemment dans son esprit.
Cela suffit pour que rien ne puisse en entraver l’exer
cice.
2 0 5 . — La réduction, qui change la position du
breveté , modifie profondément celle du public appelé
ainsi à jouir de l’invention avant le terme primitivement
fixé. Il faut donc qu’il soit instruit de ce fait capital, et
il ne peut l’être que par la publicité donnée à la déter
mination du breveté.
Cette détermination, à vrai dire, substitue un brevet à
un autre. Il ne saurait, dès lors , exister aucune diffé
rence dans les formes de leur publication. Elle doit être
effectuée suivant les prescriptions de l’art. 14.
2 0 6 . — La réduction est, dès lors, acquise au pu
blic, et l’invention tombe infailliblement dans le domai
ne public, à l’expiration du terme réduit. Toute préten
tion de revenir contre la réduction et de rendre au bre
vet sa durée primitive, ne serait ni recevable ni fondée.
Cette prétention aurait pour objet réel la prorogation
du brevet, et cette prorogation, on le sait, ne peut être
accordée que par une loi. Mais les conditions auxquelles
l’adoption de la loi est subordonnée , comment les ren
contrer chez celui qui, dans le but de payer moins, au
rait renoncé à une partie du terme qu’il avait d’abord
assigné à son brevet.
Une demande de ce genre devrait donc être repous
sée, et le serait infailliblement.
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
197
SECTION III
D es c e rtifica ts d ’a d d itio n .
A rt. 16.
Le breveté ou les ayants droit au brevet au
ront, pendant toute la durée du brevet, le droit
d’apporter à l’invention des changements, per
fectionnements ou additions , en remplissant,
pour le dépôt de la demande, les formalités d é
terminées par les articles 5 , 6 et 7.
Ces changements, perfectionnements ou addi
tions seront constatés par des certificats délivrés
dans la même forme que le brevet principal, et
qui produiront , à partir des dates respectives
des demandes et de leur expéditon , les mêmes
effets que le brevet principal avec lequel ils pren
dront fin.
Chaque demande de certificat d’addition don
nera lieu au paiement d’une taxe de vingt francs.
�198
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Les certificats d’addition pris par un des
ayants droit profiteront à tous les autres.
A r t. 17.
Tout breveté qui, pour un changement, per
fectionnement ou addition, voudra prendre un
brevet principal de cinq, dix ou quinze années,
au lieu d’un certificat d’addition expirant avec
le brevet primitif, devra remplir les formalités
prescrites par les articles 5, 6 et 7, et acquitter
la taxe mentionnée dans l’article 4-
SOMMAI RE
207 Nécessité d’encourager les perfectionnements.
208 Attaques dirigées en 1791 contre les brevets de perfection
nement.—Réponse de M. de Boufïlers.
209 Détermination du législateur. — Faculté donnée à l ’inven
teur de prendre un certificat d’addition.
210 Caractère et effet de celui-ci.
211 Faculté pour les tiers de prendre à toute époque un brevet
de perfectionnement.
212
P a rt faite à l ’inventeur et au perfectionneur.
213 Conséquences qu’elle avait produit.
214 Avaient fait demander la suppression des brevets de perfec
tionnement.
215 Inconvénients et dangers de cette suppression.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
199
216 N’était pas réclamée par les inventeurs.
217 Prescriptions de la loi actuelle.
218
L'option laissée
au
breveté passe à ses ayants droit.— Dis
tinction à faire quant aux cessionnaires.
219 Le certificat d’addition pris par un des ayants droit, profile
à tous les autres.
220 Le brevet de perfectionnement ne profite qu’à celui qui l’a
pris.
221 Si celui-la est le breveté principal, pourra-t-il immédiate
ment exploiter cumulativement l’invention primitive et
le perfectionnement ?
222 Taxe des brevets de perfectionnements et des certificats
d’addition.
223 Quels sont les changements, perfectionnements ou additions
donnant lieu à l ’un ou à l’autre?
224 L ’administration ne peut juger du caractère du brevet de
perfectionnement demandé.— Conséquences.
225 Cette appréciation appartient au tribunal civil ou correction
nel.—Doctrine de la cour de Cassation.
226 Jugement du tribunal de Quimper jugeant que toute modi
fication à l'appareil, postérieure à la délivrance du bre
vet, constituait un perfectionnement —Son caractère ju
ridique.
227 Comment doit être faite la demande d’un certificat d’addi
tion ou d’un brevet de perfectionnement.—Quotité de la
taxe.
207.
— De nos jours, moins que jam ais, on n’o
serait mettre en doute la nécessité et l’utilité d’encoura
ger et de favoriser tout ce qui , d’une manière plus ou
moins directe, peut influer sur le commerce et l'indus
trie , et contribuer à leur développement. A ce titre , il
était impossible de refuser aux additions ou perfection-
�20,0
LOT DU 6 JUILLET 1 8 4 4
nements la récompense qu’on voulait si justement dé
cerner aux inventions ou découvertes nouvelles.
En réalité d’ailleurs, comme le fait remarquer M.
Renouard, perfectionner c’est inventer ; inventer c’est
perfectionner. En effet, le travail de l’homme pour s’as
servir et s’approprier la nature matérielle, dure depuis
le jour où le premier homme a été mis sur la terre , et
une génération ne produit et n’invente qu’avec l’appui
et le service de tout le travail accumulé par les généra, tions qui l’ont précédée.'
208.
— Cette vérité n’était ni méconnue ni contre
dite. Mais elle n’avait pas suffi pour faire admettre par
tous la nécessité et l’opportunité des brevets de perfec
tionnement. De nombreuses objections contre l’une et
l’autre s’élevaient déjà en 1791.
Dans sa réponse imprimée par ordre de la Conven
tion , M. de Boufflers repoussait ces objections par ces
remarquables paroles renfermant une haute et juste ap
préciation de la nature ét du caractère du perfectionne
ment :
»
»
»
»
»
« Après avoir introduit l’auteur de l’invention devant
la société rassemblée, faisons paraître à son tour l’auteur de la perfection. Vous venez, dirait-il,d’accueillir la proposition de cet inventeur, et vous avez pensé, et je pense comme vous , que son invention peut
être utile ; mais il en pouvait tirer plus de parti,
1 N° 68.
�SUK LES BREVETS D’iNVENTION
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
201
comme il me serait facile de le prouver , par une
nouvelle idée qui s’accorde parfaitement avec la sienne et qui lui donne pies de mérite ; assurez-moi
donc la même protection qu’à l u i, et tous les deux,
ensemble ou séparément, nous travaillerons pour votre utilité. Que risquez-vous? Rien. Que risque-t-il?
Rien ; car , ou je me trompe , et alors vous vous en
tiendrez à son idée ; ou j’ai raison , et alors vous adopterez mon idée avec la sienne. Je lui ai laissé ce
qui est à lui, laissez-moi ce qui est à moi. Cherchons
un exemple et remontons par la pensée à la première
enfance du plus beau de tous les arts, de la navigation. Supposons qu’un homme vienne d’inventer la
coque du navire; que peu après un autre a inventé
la rame , un autre le gouvernail , un autre la voile.
Il est clair que chacun de ces hommes a pu faire un
traité particulier avec la société , et se faire assurer
une propiélé particulière ; il est clair qu’une nouvelle
perfection est aussi distincte de l’invention première
que le navire et le gouvernail; il est clair, enfin,
qu’on a mis cent fois plus d’esprit à confondre ces
deux choses, qu’il ne fallait de bon sens pour les distinguer. »
209.
— Ces considérations devaient faire , et firent
impression. Le législateur de 1791 n’hésita pas à décla
rer brevetables les additions et les perfectionnements ap
portés à l’invention , quel qu’en fût d’ailleurs l’auteur.
La seule différence entre les tiers et l’inventeur , c’est
�m
LOr DU
6
JUILLET
1844
que ce dernier pouvait s’assurer la jouissance exclusive
de l’addition ou du perfectionnement par un simple cer
tificat au droit de vingt-cinq livres.
Il eût été , en effet, par trop rigoureux d’exiger de
l’inventeur qu’il prît un nouveau brevet pour chaque
addition ou perfectionnement qu’il apporterait à son in
vention. Cette nécessité aurait pu être ruineuse pour lui,
et créer un obstacle à ce qu’il donnât, à sa découverte,
tous les développements dont elle était susceptible.
210.
— Mais la prise d’un simple certificat n’offrait
pas les avantages de celle d’un brevet nouveau. Celuici , à quelque époque qu’il fût requis et délivré , avait
une durée de cinq, dix ou quinze ans au choix de l’im
pétrant, et sans égard à la durée du premier. Il pouvait
donc survivre à celui-ci, et continuer la jouissance ex
clusive de la découverte perfectionnée.
Le simple certificat, au contraire , n’avait jamais cet
effet. Le droit qu’il conférait venait s’incorporer et s’u
nir à celui résultant du brevet, et n’avait pas d’autre
durée que celle restant à celui-ci. Cette durée expirée,
l’addition ou le perfectionnement tombait de plein droit
dans le domaine public, avec et comme l’invention pre
mière.
Le parti à prendre n’intéressait, en réalité, que l’in
venteur, et la loi n’avait à intervenir que pour accepter
la décision qu’il prenait, et sanctionner l’option que lui
dictaient ses convenances. Elle s’était donc contentée de
lui offrir l’alternative : ou de requérir un second et nou-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
203
veau brevet à la taxe ordinaire ; ou de se contenter d’un
certificat qu’il obtenait pour vingt-cinq livres.
211. — Quant aux tiers , la faculté et le droit de
perfectionner les inventions brevetées étaient absolus et
sans limite. Mais ils ne pouvaient s’assurer la jouissance
exclusive de leur perfectionnement, qu’en prenant un
brevet dans la forme et aux conditions requises. Ces
perfectionnements ne se confondaient donc jamais avec
l’invention qu’ils étaient venus développer et compléter,
et qui demeurait la propriété exclusive de son inven
teur, pendant toute la durée de son brevet.
212. — Cet état des choses créait, entre l’inventeur
et le perfectionneur, des rapports tels qu’il était facile de
prévoir un antagonisme fertile en difficultés et en pro
cès. Le législateur, dans le but de prévenir cet inconvé
nient, voulut préciser la part qu’il entendait faire à cha
cun. La loi du 26 mai 1791, tout en autorisant la dé
livrance des brevets de perfectionnement , déclare , en
conséquence, que le bénéficiaire de ces brevets n’aurait,
sous aucun prétexte , la faculté d’exécuter ou de faire
exécuter l’invention principale ; et réciproquement, que
l’inventeur ne pourra faire exécuter par lui-même le
nouveau moyen de perfection.
213. — Le caractère équitable de cette disposition
ne pouvait être méconnu. Elle n’était, en définitive,
qu’une application du précepte suum cuiqne Iribuito.
Mais, dans l’application, elle n’a abouti qu’à soulever de
*
�" • • V!
204
LOI DU
6
JUILLET
1844
nombreuses difficultés, qu’à faire naître d’interminables
procès.
En effet, le tiers qui imagine un perfectionnement à
une industrie brevetée sait très-bien que, pendant toute
la durée du brevet principal, le profit qu’il se promet
de sa découverte est subordonné au concert à établir
entre lui et le bénéficiaire de ce brevet ; que le refus de
s’entendre, de la part de celui-ci, rend impossible ou à
peu près nulle l’exploitation du brevet de perfectionne
ment.
Ce concert et cette entente, il est facile de le prévoir,
ne s’établiront qu’au prix de notables avantages en fa
veur du breveté principal, qui les fera payer le plus cher
possible. Aussi et pour éviter ces fourches caudines , le
tiers, au lieu d’un brevet de perfectionnement, prend un
brevet d’invention qu’il exploite immédiatement et en
toute liberté.
Sans doute le breveté principal est recevable à soute
nir que la prétendue invention nouvelle n’est qu’un per
fectionnement à la sienne, et il est réduit à le faire. Mais
que de peines, de soucis et de frais, pour venir souvent
échouer devant les incertitudes de l’appréciation hu
maine !
214.
— L'imminence de cette fraude et ses dangers
devenaient, pour les adversaires des brevets de perfec
tionnement , un argument en faveur de leur opinion.
Dans son remarquable travail sur l’industrie française,
M. le comte Chaptal ne manquait pas de s’en préva
loir.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
205
« Il n’est peut-être aucun cas, disait-il, où l’artiste
qui perfectionne puisse faire usage de son brevet;
car, comment concevoir que le perfectionnement apporté à un procédé puisse s’exécuter , sans qu’on ait
la faculté d’exécuter ce procédé lui-même ? Aussi les
artistes qui perfectionnent un procédé déjà breveté,
prennent-ils un brevet d’invention pour échapper à
ce vice radical de la loi de 1791. Cela donne lieu
chaque jour à des procès interminables. Il est rare
que l’auteur d’une découverte importante jouisse paisiblement du résultat de ses recherches. Il consume
sa fortune et ses jours dans les procès, et il a la douleur de voir passer en d’autres mains l’exploitation
d’une industrie qu’il a créée. Il est, en effet, souvent
fort difficile de dire si le résultat obtenu est une découverte nouvelle ou une simple modification de celle
primitivement brevetée. »
215.
— M. Chaptal concluait, en conséquence, à la
suppression des brevets de perfectionnement. Mais le re
mède n’était-il pas pire que le mal ? Quelle en eût été
l’efficacité contre l’inconvénient si justement signalé? La
suppression des brevets de perfectionnement était-elle un
obstacle à la prise d’un brevet d’invention , pour une
simple modification à un procédé déjà breveté ? Déli
vrait-elle l’inventeur de celui-ci de la nécessité de con
sumer sa fortune et ses jours dans les procès; le garan
tissait-elle contre les difficultés qui pouvaient égarer la
conscience du juge ?
�206
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Donc, le remède indiqué ne donnait, à l’intérêt privé,
qu’une protection à peu près nulle, tandis qu’il mécon
naissait et blessait gravement l’intérêt général. On l’a
dit bien souvent, une invention, au moment où elle se
produit , n’a pas dit son dernier mot. Elle ne sort pas
toute perfectionnée du cerveau de son auteur , comme
Minerve toute armée du cerveau de Jupiter. Et les exem
ples ne manqueraient pas pour prouver que le dévelop
pement donné par une étude approfondie ou par une
pratique intelligente, à une idée qui s’est déjà produite,
est souvent plus utile, plus fécond, plus méritoire que
cette idée elle-même.
Supprimer les brevets de perfectionnement, c’était
s’opposer au progrès , cette loi nécessaire du commerce
et de l’industrie; c’était , dit fort bien M. Renouard,
commander, de par la loi, à l’un et à l’autre de demeu
rer stationnaire , et de ne plus avancer lorsqu’ils au
raient fait un premier pas.'
216.
— Ce qu’il importe de remarquer , c’est que
les inventeurs eux-mêmes , dans les plaintes qu’ils fai
saient entendre contre la loi de 1791 , n’allaient pas
jusqu’à demander cette suppression. Ce qu’ils voulaient,
c’était une protection plus large, plus efficace, qui leur
permît à eux-mêmes de faire, à leurs découvertes, les
additions et les perfectionnements que la nécessité de les
1 N» 69.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
207
placer au plus tôt sous l’égide de la loi ne leur laissait
pas le temps d’accomplir.'
Cette demande n’avait pas paru d’abord de nature à
être accueillie. Aussi, à la question de savoir si l’inven
tion d’un perfectionnement, à une industrie préexistan
te, devait donner des droits à l’auteur de ce perfection
nement, la commission instituée en 1828, pour prépa
rer le travail de révision, répondait-elle qu’il fallait s’en
tenir, sur ce sujet, à la loi de 1791.
217. — C’est ce conseil que le législateur de 1844
a suivi, et qu’il a consacré dans la section que nous
examinons.
Aujourd’hui donc , comme par le passé , le droit du
breveté à apporter, à l’invention, des changements, per
fectionnements ou additions est maintenu , ainsi que
l’option qui lui est laissée de prendre un second et nou
veau brevet de cinq, dix ou quinze ans, ou de se con
tenter d’un certificat d’addition q u i , s’incorporant au
brevet principal, n ’a d’autre durée que la sienne et ex
pire avec lui.
218. — L’option laissée au breveté passe à ses
ayants droit, ses héritiers ou cessionnaires. Par rapport
à ces derniers, il y a lieu de distinguer si la cession est
entière et absolue, ou seulement partielle.
Dans le premier cas, le droit de prendre un certificat
1 Supra n° 20.
t
�208
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
d’addition est exclusivement dévolu au cessionnaire. Le
cédant, désormais étranger au brevet, n’est plus qu’un
tiers, et comme tel obligé de prendre un brevet pour les
changements , additions ou perfectionnements qu’il ap
porterait à l’invention première.
Dans le second cas , le droit de prendre un certificat
d’addition continue en faveur du cédant. Mais il ne sau
rait être contesté aux cessionnaires ou autres ayants
droit.
2 1 9 . — L’indivisibilité du brevet, qui l’exigeait ain
si , conduisait à cette autre conséquence consacrée par
l’article 16 : les certificats d’addition , pris par un des
ayants droit, profiteront à tous les autres. Ainsi, le cer
tificat obtenu par le breveté profite à tous ses cession
naires ; celui pris par un de ceux-ci profile à tous les
autres et au breveté lui-même ; enfin,celui délivré à l’un
des héritiers profite à tous ses cohéritiers ainsi qu’aux
autres ayants droit, cessionnaires ou donataires.
2 2 0 . — Pouvait-il en être de même si, au lieu d’un
certificat d’addition, l’un des intéressés prenait un bre
vet de perfectionnement? M. Delespaul, qui tenait pour
l’affirmative , proposait à la chambre des Députés d’a
jouter, à l’art. 17 : le brevet profitera tant au breveté
p r im itif qu'à ses ayants cause. Mais cet amendement
ne fut pas appuyé , et ne devait pas l’être. Sa disposi
tion eût été réellement un effet sans cause.
Si le certificat d’addition profite à tous les ayants
droit, c’est qu’il s’unit et s’incorpore au brevet aveq le-
�209
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
quel il ne fail plus qu’un. Il ne pouvait dès lors pas
être que celui qui avait acquis le droit d’exploiter celuici fût privé de la faculté d’user de celui-là.
Mais le brevet de perfectionnement ne se confond ja
mais avec le brevet principal. Il en reste distinct et sé
paré ; il a une durée à part. Conséquemment, le droit
à ce dernier n’en a jamais conféré , ni pu conférer au
cun au premier, qui reste exclusivement acquis à celui
qui l’a obtenu.
221.
— Si celui-là est le breveté lui-même, pourrat-il immédiatement et cumulativement exploiter l’inven
tion première et le perfectionnement. La question ne
pourrait s’offrir que dans le cas où le brevet primitif a
fait la matière de plusieurs cessions partielles, et dans ce
cas, elle devrait se résoudre par la négative. Il est évi
dent, on effet, que le cédant ne peut, par son fait, an
nuler en quelque sorte la cession, en faisant perdre tout
son prix à ce qui en a fait l’objet?
N’est-ce pas, cependant, ce qui arriverait, si on ré
solvait affirmativement notre question ? Le public, en
effet, ne manquerait pas de donner la préférence aux
produits perfectionnés, et les cessionnaires, qui ne pour
raient offrir qu’une chose inférieure, verraient périr en
leurs mains le privilège qu’ils ont acheté et payé fort
cher.
Je crois donc que, dans ce cas, le cédant doit s’en
tendre avec ses cessionnaires. À défaut, l’exploitation
qu’il ferait de l’invention première et du perfectionnei —
U
�210
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
ment, qu’il lui aurait donné, serait illégale et motiverait
la résiliation, avec dommages-intérêts, des cessions pré
cédemment consenties. : CaMn&
»*.»** V*)
2 2 2 . — La prise d’un brevet de perfectionnement
donne lieu à la taxe de cent francs par an. Le certificat
d’addition ne coûte que vingt francs , une fois payés.
Mais qu’est-ce que cette différence dans la dépense , à
côté des effets respectifs qu’ils produisent ?
2 2 3 . — Quels sont les changements, perfectionne
ments ou addition donnant lieu soit à un certificat, soit
à un brevet ?
La loi ne pouvait entrer dans un détail fort
d ’ailleurs, à établir. Elle a donc gardé , à ce
plus complet silence. Elle n’a pas même cru
utile de mentionner l’exception que consacrait
lation précédente.
difficile,
sujet, le
qu’il fût
la légis
L’article 8 de la loi du 25 mai 1791 disait, en effet :
Ne seront point mis au rang des perfections industriel
les , les changements de forme ou de proportion , non
plus que les ornements de quelque nature que ce puisse
être.
»
»
»
»
»
« Les changements de forme ou de proportion , non
plus que les ornements , disait le rapporteur de la
chambre des Pairs, ne constituent pas des inventions,
à moins, toutefois, que ces changements de forme ne
produisent des effets nouveaux, ainsi qu’il peut arriver pour certains produits d’optique. La loi n’ayant
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
211
voulu breveter que les inventeurs, les auteurs de ces
changements qui n’apportent rien de p lu s, rien de
nouveau à la société , doivent-ils jouir du privilège
qui est réservé aux découvertes ? N on, sans doute.
Cela a paru si évident au Gouvernement, qu’il n’a
pas reproduit, dans son projet, la disposition conlenue dans le dernier paragraphe de l’art. 8 de la loi
du 25 mai 1791. Votre commission, après avoir hésité quelque temps , avant de se décider à ne pas la
reprendre avec la modification ci-dessus énoncée, y
a renoncé , par le même motif. Elle m’a chargé d’en
faire une mention expresse dans le rapport. »
Aucun doute ne peut donc s’élever sur l’esprit de la
loi de 1844. Comme sa devancière, elle considère com
me non brevetables les changements de proportion , et
les ornements de quelque nature que ce puisse être.
Quant aux changements de forme , ils pourront être
brevetés, mais à la condition qu’ils produiront des effets
nouveaux : qu’ils donneront à la société quelque chose
de plus ou quelque chose de nouveau.
224.
— Mais qui décidera du caractère du brevet
de perfectionnement demandé ? Evidemment ce ne peut
être l’administration, et cela par deux raisons décisives:
1° Le droit, pour l’administration, de refuser le bre
vet se borne aux cas prévus par l’art. 3. Il faudrait,
pour l’étendre à d’autres cas , une dispostion formelle ;
et cette disposition n’existe nulle part dans la loi ;
2° Pour juger s’il s’agit d’un perfectionnement réel,
�212
LOI DO
6
JUILLET
1844
ou d’uti simple changement de proportion ou de forme,
il faudrait un examen préalable, et l’administration n’a
ni l’obligation, ni le droit de s’y livrer.
Elle doit donc délivrer le brevet qui lui est demandé,
sauf aux intéressés à en contester l’opportunité et la
possibilité.
2 2 5 . — Le juge naturel de ces contestations est, au
jourd’hui , le Tribunal civil ou correctionnel en premier
ressort, la Cour impériale en second et dernier ressort.
Leur décision est souveraine, car elle est toute en fait et
n ’a d’autres éléments que les inspirations de leur con
science.
Ainsi, la cour de Cassation jugeait, le 30 décembre
1843, qu’il appartient au juge du fait d’apprécier, par
mi les procédés et moyens à l’aide desquels s’exécute et
se met en œuvre le brevet, ce qui constitue réellement
la combinaison nouvelle , l’invention , et ce qui n ’est
qu’un moyen d’action indifférent et qu’on peut changer
à volonté, sans que l’idée de l’inventeur en soit modifiée
ou altérée.'
2 2 6 . — Dans l’espèce de cet a rrê t, le tribunal su
périeur de Quimper jugeait, le 6 janvier 1843, que la
propriété de l’invention brevetée d o it, relativement à
l’action en contrefaçon formée par l’inventeur, être cir
conscrite dans les limites de la description jointe au bre-
1 J. du P., 1844,
539.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
213
*
v e t, constatée par les plans et dessins qui l’accompa
gnent , en sorte que toutes modifications de l’appareil,
postérieures à la délivrance du brevet, constituent des
perfectionnements qui tombent dans le domaine public,
s’ils ne sont eux-mêmes protégés par un brevet de per
fectionnement.
Le caractère juridique de cette doctrine ne nous pa
raît pas pouvoir être méconnu. Il est évident,, en effet,
que le mémoire descriptif, avec les plans et dessins qui
l’accompagnent, fixent et précisent l’objet du brevet, et
donnent les moyens à l’aide desquels il peut être ex
ploité. Si la description n’était pas suffisante pour l’ex
écution de l’invention , ou si elle n’indiquait pas d’une
manière complète et loyale les véritables moyens de l’in
venteur, le brevet serait nul.
Donc, les modifications postérieures à la délivrance
ne peuvent avoir pour objet, ni l’exécution de l’inven
tion, ni l’indication d’un moyen qu’exigerait cette exé
cution. Elles n’auront qu’un b u t , celui d’atteindre au
résultat que se proposait le brevet, plus facilement, ou
plus économiquement, ou d’une manière plus parfaite.
On ne saurait dès lors le méconnaître, elles constituent
une addition, un changement ou un perfectionnement.
Hésiterait-on , si cette modification était le fait d’uu
tiers? La circonstance qu’elle est due au propriétaire du
brevet ne saurait en changer le caractère. De même que
le premier n’acquerrait la jouissance exclusive que par
un brevet, de même le second ne saurait la revendiquer
que s’il a pris un certificat ou un brevet. A. défaut, tout
le monde a le droit de l’exploiter.
�214
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Déjà et le 31 décembre 182$ , la Cour suprême avait
décidé que la question de savoir si une découverte offre
une perfection industrielle, ou seulement un changement
de forme et de proportion , ou un ornem ent, est une
question de fait dont l’appréciation par les juges du fond
ne donne pas ouverture à cassation.
Or, dans l’espèce, le tribunal de Rouen avait déclaré
que l’invention qui a pour objet de donner, à l’aide de
procédés mécaniques, aux nankins français, le pli, l’o
deur, la forme et l’apprêt du nankin des Indes, ne peut
être restreinte à de simples changements de forme ou de
proportions pour lesquels la loi ne permet pas de déli
vrer un brevet.
Certes, la question était délicate , et une appréciation
contraire n’eût offert rien d’extraordinaire.
Le même principe a, depuis, reçu de nouvelles appli
cations. La cour de Paris, notamment, jugeait, le 17 fé
vrier 1844, que tout moyen d’ajouter à une fabrication
un nouveau genre de perfection , étant regardé comme
une invention, on doit considérer comme telle une dé
couverte qui consiste à obtenir, à l’aide du mélange de
plusieurs substances, des faïences ingerçables , avec des
terres qui ne fourniraient que des faïences dont le ver
nis se gercerait.'
227.
— La demande d’un certificat d’addition ou
d’un brevet de perfectionnement, doit être faite con-
1 J. du P
,
1844, 1, 381.
�SUR LES BREVETS D INVENTION
215
formément aux prescriptions des articles 5, 6 et 7. Mais
si le brevet ne peut avoir qu’un seul objet, il n’en est
pas ainsi des additions. Quel que soit leur nombre, elles
peuvent être réunies dans un seul certificat donnant lieu
au paiement d’une taxe unique.
Si le contraire avait été dans l’esprit du législateur,
au lieu de dire dans l’art. 16 : Chaque demande de cer
tificat d'addition donnera lieu au paiement d'une taxe
de vingt francs, il n’aurait pas manqué de dire : cha
que addition donnera lieu, etc. . . . . .
Il y avait un double motif pour ne pas le décider
ainsi.
En premier lieu, la raison qui a fait proscrire les de
mandes collectives ne pouvait s’appliquer à la demande
d’additions, de changements ou de perfectionnements
qui viennent, s’incorporant à l’invention première, et la
complétant, ne former avec elle qu’un seul tout.1
En second lieu, le certificat d’addition ne prolongeant
en rién la durée du brevet, c’est-à-dire le maintien du
privilège exclusif de l’inventeur, il convenait, dans l’in
térêt général, de faire de l’économie de la taxe un mo
tif de le préférer au brevet.
1 Et. Blanc, pag. 511.
�216
lot
bu 6
juillet
1844
*
A r t. 18.
Nul autre que le breveté ou ses ayants droit,
agissant comme il est dit ci-dessus, ne pourra,
pendant une année, prendre valablement un bre
vet pour un changement, perfectionnement ou
addition à l invention qui fait l’objet du brevet
primitif.
Néanmoins, toute personne qui voudra pren
dre un brevet pour changement, addition ou
perfectionnement à une découverte déjà breve
tée, pourra, dans le cours de ladite année, for
mer une defoande qui sera transmise, et restera
déposée Sous cachet, au ministère de l’agricul
ture et du commerce.
L’année expirée,le cachet sera brisé, et le bre
vet délivré.
Toutefois, le breveté principal aura la préfé
rence pour les changements, perfectionnements
ou addition pour lesquels il aurait lui-même,
pendant l’année, demandé un certificat d’addi
tion ou un brevet.
�SUR LES BREVETS D INVENTION
A rt
217
19.
Quiconque aura pris un brevet pour une dé
couverte, invention ou application se rattachant
à l’objet d’un autre brevet, n’aura aucun droit
d’exploiter l’invention déjà brevetée, et récipro
quement, le titulaire du brevet primitif ne pour
ra exploiter l’invention objet du nouveau brevet.
S OMMAI RE
228 Origine de l'art. 18 accordant au breveté ou à ses ayants
droit, pendant un an , le droit exclusif de prendre un
brevet de perfectionnement ou un certificat d’addition.
229 Système des brevets provisoires de deux ans admis par le
Gouvernement.—Son objet.
230 Appréciation par l’exposé des motifs.
231 Par la commission de la chambre des pairs.
232 Son adoption.
233 Etait proposée par la commission de la chambre des Dé
putés.
234 Discussion.—Opinion de M. Marie.
235 Rejet du système des brevets provisoires.— Ce qui lui fut
substitué.
236 Quel est le point de départ de l’année réservée ?
237 Le délai d’un an ne s’applique pas au perfectionnement du
perfectionnement.— Opinion contraire de M. Et.Blanc.
238 Caractère de cette doctrine. — Appréciation par M. Nouguier.
�218
239
240
241
242
243
244
245
246
247
248
LOI DU 6 JUILLET
1844
Elle est repoussée par le texte de la loi.
Plus efficacement encore par son esprit.
Intérêt des tiers à agir dans l’année.
Véritable signification des termes de l’art. 18 : ne pourra
prendre valablement un brevet.
Effet de l’application de l’article.
A l’expiration de l’année, les plis sont ouverts et les brevets
délivrés, s’il y a lieu.
La préférence accordée au breveté principal est juste.—Dans
quels cas et à quelles conditions elle a lieu.
Qui est appelé à décider si ces conditions existent ou non.
Droits respectifs de l’inventeur et du perfectioneur.—Inté
rêt qu’ils ont à s'entendre,
Effet de la nullité ou de la déchéance de l’un des brevets au
point de vue de l’art. 1.9.
228.
—
N ous a v o n s d éjà ra p p elé les ré cla m a tio n s
et les plain tes q u ’avait fait n a ître la faculté d onnée p a r
la lo i de 1791 de d e m a n d e r, en tous tem p s, des b re
vets de
perfectio nn em en t. L a
nécessité
d a n s la q u e lle
n o us so m m e s, d isa ie n t les in v e n te u rs, d ’a ss u re r la p r i
orité à nos découvertes , n o u s
oblige de le s m ettre au
p lu s tôt so u s là sau veg ard e de la lo i, av an t m êm e q u ’
elles soient a rriv é e s à le u r p erfectio n. O bligés a in s i
de
les p ro d u ire d a n s l ’état d ’im p erfectio n q u i acco m pag ne
o rd in a ire m e n t
le
p re m ie r jet
la iss o n s la voie ouverte à des
d ’u n e co nceptio n , nous
perfectio nn em en ts san s
n o m b re q u i se p résen teraien t d ’eux-m êm es à no s m éd i
tations , si la cu p id ité de ce rta in s sp écu lateu rs in d u s
tr ie ls , véritab les fre lo n s du génie de l ’in v e n tio n , ne ve
n a it n o u s en enlever le b é n é fic e , p a ra ly sa n t a in s i entre
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
219
nos mains le développement, souvent même l’exploita
tion d’idées qui nous ont coûté des sacrifices considé
rables.
Ces plaintes, fort exagérées d’ailleurs, avaient, au
moins en apparence , un certain fonds de justice qui.
semblait faire naître la nécessité de remédier au mal
qu’elles signalaient. La commission de révision instituée
en 1828 e û t , un moment , la pensée d’emprunter le
caveal de la législation anglaise. Mais elle se borna à
demander qu’on accordât à l’inventeur un délai de six
mois pour assurer, au moyen d’une déclaration préala
ble, la garantie de ses droits, l’expérience même publi
que de sa découverte, et son perfectionnement.
229.
— Ce desideratum de la commission ne fut
pas accueilli par le Gouvernement. Le projet auquel on
s’était arrêté lui substituait le système des brevets pro
visoires de deux ans, à la taxe de deux cents francs.
Ce système avait un double objet, d’abord , celui de
corriger ce que l’exigence immédiate du paiement inté
gral de la taxe pouvait avoir de trop onéreux; celui,
ensuite, de faire droit aux réclamations des inventeurs,
auxquels on accordait, pendant la durée de ces deux
ans, le droit exclusif de faire à leurs découvertes les
changements, additions ou perfectionnements dont elles
étaient susceptibles, et dont l’exploitation avait indiqué
l’opportunité ou la nécessité.
2 5 0 . — Dans son premier exposé des motifs à la
chambre des P airs, le Ministre de l’agriculture et du
�LOI DU 6 JUILLET
1844
commerce , après avoir exposé ce caractère des brevets
provisoires, ajoutait :
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
« Ainsi, d’une part, tout breveté dont la découverte
ne présenterait pas la réalité ou les avantages sur lesquels il avait compté, sera libre, en y renonçant, de
se dispenser d’acquitter le complément de la taxe ;
d’un autre côté , personne autre que le breveté ne
pouvant prendre, à l’égard de sa découverte, des brevêts d’addition ou de perfectionnements, avant le terme de deux années , ce dernier pourra , sans crainte
d’être devancé par un tiers, apporter les améliorations
successives ipdiquées par la pratique, et il ne courra
plus le risque de se voir enlever le fruit de ses travaux et de ses sacrifices. »
231.
— La commission de la chambre des Pairs
donnait, au projet, la plus entière adhésion. L’envisa
geant à son second point de vue, son rapporteur, l’ho
norable M. Sauvaire Barthélémy, disait :
»
»
»
»
»
»
»
»
»
« C’est une pensée généreuse que celle qui a dicté
celte disposition du Gouvernement. De peur d’être
trahis , les inventeurs , ces hommes utiles, se hâtent
de mettre leur découverte sous la protection de la loi.
Lorsqu’ils les y placent, elles sont rarement à l’état
de perfection que la réflexion leur ferait atteindre. La
mise en œuvre ne fait-elle pas , d’ailleurs , apprécier
toutes les imperfections , tous les inconvénients , et
n’indique-t-elle pas en même temps les moyens d’y
obvier ? Mais comment exécuter ou mettre en prati-
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
»
»
»
»
»
»
»
»
»
que une ivention non brevetée ? Peut-on , sans faire
des confidences souvent nuisibles, se procurer les capitaux nécessaires ? La prudence ne prescrit-elle pas
de se tenir en défiance des ouvriers que l’on pourrait
employer ? D’un autre côté , à peine le secret est-il
divulgué et le brevet d’invention pris, que les malheureux inventeurs deviennent la proie de spéculateurs
toujours à l’affût des améliorations dont leurs procédés sont susceptibles. »
2 3 2 . — Le projet ainsi recommandé , et vivement
défendu par le Ministre de l’agriculture et du commer
ce, et par MM. Girod (del’Ain), Thénard et Gautier, fut
adopté malgré les observations et les objections de M.
Gay-Lussac.
2 3 3 . — A son tour , la commission de la chambre
des Députés lui avait donné toute son adhésion. Elle en
proposait, en conséquence , l’adoption par l’organe de
son rapporteur, M. Philippe Dupin, qui en faisait res
sortir les avantages.
Mais la décision, déjà votée, du paiement de la taxe
par annuité , avait enlevé aux brevets provisoires toute
utilité au sujet de ce paiement. Restait donc unique
ment la prohibition faite à tous autres qu’au breveté, de
prendre un brevet de perfectionnement pendant l’espace
de deux ans.
2 3 4 . — Cette prohibition , vivement soutenue par
le Ministre de l’agriculture et. du commerce et par M.
�222
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Philippe Dupin, rencontra d’ardents adversaires. M. Ma
rie, notamment, reprochait à la lo i, malgré l’intention
de ne créer que trois catégories de brevets, ce qui était
plus que suffisant, d’en autoriser une quatrième , celle
des brevets provisoires de deux ans à la taxe de deux
cents francs ; et sous prétexte d’encourager l’industrie,
de donner à bon compte au charlatanisme un moyen
d’annonce et de publicité.
« Les brevets d’invention , ajoutait l’illustre orateur,
» doivent être chose plus sérieuse. N’est-ce pas, en ef» fet, un privilège exorbitant, une atteinte grave portée
» à la liberté de l’industrie, et une entrave à ses pro» grès , que ce droit exclusif réservé à l’inventeur de
» pouvoir, pendant deux a n s, perfectionner sa décou» verte ? Ce privilège est contraire au principe même de
» la loi. Ce qui peut être l’objet d’un brevet, c’est une
» découverte complète, réalisée, industrielle, utile , et
» non une découverte à l’état d’essai, de tâtonnement;'
» tandis que le brevet provisoire autorise un prétendu
» inventeur à se présenter avec une idée dont il ne s’est
» pas bien encore rendu compte ; un commencement
» de découverte qu’il pourra compléter ou non , mais
» qui lui est réservé à titre de monopole pendant deux
» ans. N’est-ce pas rendre la concurrence impossible,
» ralentir les progrès de l’industrie, dans l’intérêt d’un
» inventeur qui n’a encore enrichi la société d’aucune
» découverte utile ?
Déjà M. Gay-Lussac avait dit : « La loi assure à
» l’inventeur le monopole conditionnel de l’invention
�SUR LES BREVETS ù ’iNVENTION
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
223
mise sous sa tutelle. Mais il n’avait jamais été dans sa
pensée, jusqu’à ce jour , qu’elle dût protéger les uns
en dépouillant les autres, et attribuer à un auteur
breveté les conséquences possibles de son invention,
sous le prétexte incroyable qu’il les aurait trouvées
lui-même plus tard, s’il n’avait été devancé par d’autrès. Assurément, voilà une puissante protection accordée au premier inventeur. Il n ’a pas su compléter
sa découverte, mais tous les industriels vont travailler
pour lui comme serfs d’un nouveau maître. Le fruit
de leur intelligence, leurs veilles, leurs dépenses, tout
est confisqué au profit de l’heureux inventeur breveté. On appelle cela de la protection! Moi, inventeur
industriel , je n’en voudrais pas. Je la répudierais
comme une véritable et flagrante spoliation d’autrui. »
235.
— Ces considérations, qui avaient échoué à la
chambre des Pairs , prévalurent à la chambre des Dé
putés. Elles firent rejeter le système des brevets provi
soires .
Mais on croyait nécessaire de faire quelque chose
pour les inventeurs brevetés , pour les protéger contre
les perfectionneurs. On chargea donc la commission de
proposer un moyen , et celle-ci , dans la séance du 15
avril 1864, présenta à la Chambre un nouvel article qui
se composait exclusivement du premier paragraphe de
l’art. 18.
A la suite de la discussion et d’un amendement de
�m
LOI DU
5
JUILLET
1844
M. Marie, cet article fut complété et adopté tel qu’il fi
gure dans la loi.
Ainsi, tout le monde fieut perfectionner une invention
brevetée, mais nul autre que l’inventeur ou ses ayants
droit ne peut, pendant un an, valablement prendre un
brevet pour un changement, perfectionnement ou addi
tion à l’invention qui fait l’objet du brevet primitif. Les
inventeurs ne se plaindront donc plus qu’on ne leur a pas
laissé le temps de perfectionner leur idée, de lui donner
les développements dont elle est susceptible. On leur ac
corde une année entière , et si au bout de cette année
ils n’ont encore rien fait dans ce but, c’est qu’ils seront
incapables de faire quelque chose.
236.
— Le point de départ de l’année n’est pas in
diqué dans l’art. 18. Mais il semble que , dans la dis
cussion de la loi, on le fixait au jour de la signature du
brevet. Nous croyons, avec M. Et. Blanc, que celte in
dication est erronée, et qu’elle n’est que le résultat d’u
ne préoccupation irréfléchie. En effet, le projet primitif
ne faisait courir la durée des brevets que du jour de
leur délivrance. Il était, dès lors , naturel que le délai
de deux a n s , accordé à l’inventeur , eût le même point
de départ.
Mais l’art. 8 avait changé cet état des choses , quant
à l’entrée en jouissance du breveté, qu’il avait fixée au
jour du dépôt des pièces. Il paraît qu’on l’avait perdue
de vue , dans la discussion de l’art. 18 , sans quoi on
n’eût pas assigné un autre point de départ à l’année que
cet article réserve.
�225
SUR LES BREVETS CONVENTION
Quoi qu’il en so it, le silence gardé à ce sujet par
l’art. 18 appelle naturellement l’appréciation de l’admi
nistration et de la justice. Je ne doute pas que l’une et
l’autre , par respect pour la logique, ne s’en réfèrent à
l’art. 8 , et déclarent que l’inventeur , jouissant de son
droit exclusif du jour du dépôt des pièces, l’année d’é
preuve ne saurait avoir un autre point de départ.
2 3 7 . — L’inventeur q u i, dans le courant de l’an
née , a apporté à son invention un changement , une
addition ou un perfectionnement, a-t-il un nouveau
délai d’un an pour les additions, changements ou per
fectionnements à faire à ceux-ci ?
M. Etienne Blanc soutient l’affirmative. Ainsi, dit-il,
je suis breveté pour un système de lampes. Pendant
l’année qui m’est réservée, je fais breveter ou addition
ner des perfectionnements. A partir du jour où j ’en ai
fait la demande , la loi me réserve encore un an pour
les perfectionnements qui découleront non pas de l’in
vention principale mais des perfectionnements que j’y ai
d’abord apportés.'
2 3 8 . — Cette doctrine aboutirait à ce résultat : que
de perfectionnements en perfectionnements, le breveté
atteindrait bientôt le terme de son brevet primitif, sans
que les tiers eussent joui du droit que la loi leur réserve
expressément. Un pareil résultat, qui n ’est pas dans le
texte de la loi, est moins encore dans son esprit.
i Pag. 404.
i
—
15
�226
LOI DU 6 JUILLET 1844
Comment, d’ailleurs, distinguer les perfectionnements
qui découleraient d’un précédent perfectionnement, de
ceux qui découlent de l’invention principale ? Quels
qu’ils soient, les perfectionnements n’ont et ne peuvent
avoir qu’un b u t , l’amélioration de cette invention. Ils
s’y rapportent donc tous d’une manière directe, et ils ne
peuvent constituer que des moyens distincts faisant l’ob
jet de découvertes nouvelles et indépendantes. L’article
18 les a tous en vue , et réserve à l’inventeur le droit
exclusif de les produire pendant une année. Ce délai
passé , l’inventeur rentre dans le droit commun , et n’a
plus aucune préférence à réclamer.'
239.
— Réduite à ces proportions , la faculté que
concède l’art. 8 est encore exorbitante au point de vue
de la prohibition qu’elle comporte pour les tiers. Nous
sommes, en effet, complètement de l’avis de MM. Loiseau et Vergé : « La solution due à l’amendement de
M. Marie est infiniment préférable au projet primitif.
Mois on eût mieux fait encore de s’en tenir aux princi
pes de la législation antérieure.........A côté des avanta
ges justement réservés à l’industrie, se place le principe
de la libre concurrence qui lui aussi doit être respecté
dans l’intérêt de la société même. Sans doute il faut
donner un privilège à celui qui enrichit l’industrie d’u
ne idée nouvelle ; mais ce privilège une fois accordé, la
voie doit rester ouverte aux perfectionneurs.1 »
1 Nouguier, n° 24 B
2 Loiseau et Vergé, art. 48 c .
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
227
Le reproche fait à ceux-ci d’opprimer les inventeurs
et de les rançonner, nous touche d’autant moins que la
vérité est précisément le contraire. En effet, si les in
venteurs ne peuvent exploiter les perfectionnements dus
à des tiers, ils sont en possession de leur invention qui
offre, par elle-même, un produit avantageux et profita
ble. Le perfectionneur ne peut rien produire , ne pro
duit rien isolément de l’invention principale. Il lui faut
donc acquérir le droit d’exploiter celle-ci, et s’entendre
avec son propriétaire. Evidemment si quelqu’un, en cet
é ta t, est en position de dicter des lois et de rançonner,
ce n’est pas lui. N’est-ce pas ce qui fait qu’au lieu de
prendre un simple brevet d’addition ou de perfectionne
ment , les tiers se font délivrer un brevet d’invention,
au risque des difficultés et des procès qui peuvent et
doivent s’ensuivre ?
La conclusion à tire r, c’est que si l’art. 1 8 doit être
obéi et respecté, du moins faut-il le restreindre dans la
limite qu’il a expressément tracée. L’extension que lui
donne M. Blanc ne saurait donc être admise sans ajou
ter à la loi. Elle n’aurait d’autre résultat que d’immobi
liser sa découverte aux mains de son auteur , et c’est
précisément ce qu’on n’a pas voulu autoriser.
240.
— Cette intention de la loi résulte formelle
ment de la discussion législative de l’art. 18. Nous avons
déjà dit que la commission le réduisait à son premier
paragraphe, et que les trois derniers y furent introduits
par un amendement de M. Marie.
�228
LOI DU 6 JUILLET 1844
«
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
Or , cet amendement s’étayait de l’intérêt public.
L’article de la commission a pour résultat, disait M.
Marie, non-seulement d’accorder au breveté le monopole de la chose inventée , mais en outre de lui
donner un monopole pour les progrès à faire pendant
une année. Il résulterait de là que tous les industriels qui pourraient s’occuper d’un progrès , d’un
perfectionnement à une invention, n’auraient rien de
mieux à faire que de se croiser les bras pendant une
année entière. Si le talent et le génie de l’inventeur
ne se sont point épuisés dans sa première élaboration , il pourrait sans doute arriver à un progrès , à
un perfectionnement nouveau ; mais si au contraire
il s’est épuisé, eh bien ! alors l’industrie restera stationnaire pendant l’année toute entière. »
»
»
»
»
»
« Je ne crois pas, disait de son côté l’illustre Arago,
que la restriction qu’on propose , provenant d’une
préoccupation honorable à laquelle, je l’avoue, je
m’étais associé d’abord, soit dans l’intérêt des inventeurs ; ce qui est certain , en tous cas , c’est qu’elle
n’est pas dans l’intérêt de la société. »
241.
— C’est donc en quelque sorte à regret qu’on
a, pendant un an, réservé l’initiative des perfectionne
ments à l’inventeur lui-même. Or, si cette réserve pou
vait se prolonger indéfiniment et suivant la marche cal
culée des perfectionnements, que deviendrait le droit
qu’on a si formellement stipulé en faveur des tiers ?
Sans doute ceux-ci ne pourront, pendant une année,
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
229
jouir de leur découverte ; mais ils n’en sont pas moins
intéressés à faire diligence, à l’effet de s’assurer la pri
orité sur leur concurrent. Cette priorité, en effet, se ré
glera par la date de la demande , et celle-ci est fixée
par le dépôt des pièces à la préfecture.
2 4 2 . — Puisque ces pièces doivent rester sous ca
chet pendant une année, il est évident que le brevet ne
sera et ne pourra être délivré avant. Comment se faitil donc que l’art. 18 semble supposer le contraire en
déclarant non valable le brevet pris par un autre que
le propriétaire du brevet prim itif, pendant le cours de
l’année ?
Ce qui explique cette disposition , c’est que , l’expé
rience ne l’a que trop prouvé , le perfectionneur , dans
un intérêt facile à comprendre , peut vouloir dissimuler
le véritable caractère de sa découverte , et prendre un
brevet d’invention pour ce qui n ’est en réalité qu’un
perfectionnement à une invention déjà brevetée.
C’est cette hypothèse que l’art. 1 8 régit. Le brevet
ne pourrait être refusé, l’administration ne pouvant
s’enquérir de son véritable caractère, ni contrôler la dé
claration qui lui est faite.
Mais les tribunaux n’hésiteraient pas à l’annuler, sur
la poursuite de la partie intéressée. L’article 18, en dé
clarant le brevet non valable, leur en fait un devoir.
2 4 3 , — Cette nullité aurait pour effet de faire tom
ber dans le domaine public l’idée que le brevet irrégu-
�230
LOI DU
5
JUILLET
1844
lier aurait pour but de protéger , sans qu’elle pût deve
nir plus tard l’objet d’un brevet même de perfectionnement. Ainsi, son auteur se trouverait pris dans son pro
pre piège, et subirait le préjudice qu’il voulait occasion
ner à autrui. Ce résultat, outre qu’il est avoué par la
morale et la justice , est encore de nature à servir de
frein à la cupidité , et à prévenir le mensonge et la
fraude.
244,
— A l’expiration de l’année , les plis déposés
au ministère de l’agriculture et du commerce sont ou
verts, et les brevets délivrés, s’il y a lieu, à ceux qui en
font la demande.
Nous disons s’il y a lieu ; et , en effet, pour que les
tiers soient brevetés, il faut que le perfectionnement dont
ils ont eu l’idée soit nouveau , et n’ait pas déjà fait la
matière d’un certificat d’addition ou d’un brevet de per
fectionnement en faveur du breveté principal. La préfé
rence que l’art. 18 assure à celui-ci, est la conséquence
du principe que le premier paragraphe consacre. A quoi
bon, en effet, la réserve d’une année , si l’inventeur ne
devait exclusivement jouir des perfectionnements qu’il
aurait, dans le courant de l’année, apportés à l’inven
tion première ? Puisqu’on lui accordait le temps et les
moyens de donner à son idée les développements dont
elle est susceptible, il fallait bien lui en assurer le béné
fice , de préférence aux tiers qui en auraient conçu et
exécuté la pensée.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
231
245.
— La disposition de l’art. 18, à ce sujet, est
donc rationnelle et juste. Mais son application condui
rait facilement à l’abus, si elle ne se renfermait pas dans
les limites les plus étroites.
Ainsi, pour que la préférence soit accordée , il faut,
non-seulement que les perfectionnements soient identi
ques, mais encore qu’ils se rattachent si intimément au
brevet principal qu’il soient, en réalité , le développe
ment de l’idée primitive, Il ne suffirait donc pas d’éta
blir qu’ils ont un rapport quelconque avec le brevet prin
cipal.
Cette interprétation de l’art. 18 a été officiellement
donnée, à l’occasion des doutes qui s’étaient élevés à ce
sujet. Le 26 décembre 1854 , une circulaire ministé
rielle, adressée aux chambres consultatives, disait :
« L’article 18 n’a pas été bien saisi du public. On a
» cru généralement que les brevetés avaient désormais
» le droit exclusif, pendant une année, non-seulement
» de perfectionner leur œuvre, mais encore de s’appro» prier tous les brevets obtenus pour un objet ayant
» quelque rapport avec leur découverte. Ainsi dénaturé,
» l’art. 18 n’a plus servi qu’à faire naitre des préten» tions exagérées chez les uns , et qu’à décourager les
» autres.' »
En d’autres term es, la loi n’a pas voulu mériter le
reproche que lui adressait M. Gay-Lussac, de condam
ner tous les industriels à travailler pour l’inventeur
1«Nouguier, n° 214
I*
�m
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
comme serfs d'un nouveau maître ; de confisquer au
profit de celui-ci le fru it de leur intelligence , leurs
veilles et leurs dépenses. Son unique but a été d’assu
rer à l’inventeur, pendant une année , le droit de faire
à sa découverte les additions , changements ou perfec
tionnements dont la mise en oeuvre démontrera la nécessité et inspirera la pensée. S i , pendant cette année,
il n’a su ni pénétrer cette nécessité, ni trouver le moyen
d’y satisfaire , à quel titre prétendrait-il s’attribuer ce
qu’un tiers plus ingénieux et plus habile a su découvrir
et exécuter.
Il faut donc, pour que la préférence puisse être légi
timement réclamée ; 1° que l’inventeur primitif ait luimême, dans le courant de l’année, pris ou demandé un
certificat d’addition ou un brevet de perfectionnement ;
2° que l’idée qui en est le fondement soit identique à
celle que le tiers veut faire breveter ; 3° que le perfec
tionnement qui en résulte se rattache intimément à l’in
vention principale, et en soit le développement.
Faute de ces conditions ou à défaut de l’une d’elles,
le brevet réclamé par le tiers doit lui être délivré, non
obstant le certificat d’addition ou le brevet de perfec
tionnement demandé ou pris par le breveté principal.
246.
— La question de savoir si celui-ci est ou non
fondé à réclamer la préférence, peut être fort délicate.
Quelle est l’autorité appelée à l’apprécier et à la résou
dre ?
A notre avis, ce ne peut être que la juridiction ordi-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
233
naire. N’oublions pas, en effet, que l’administration ne
peut se livrer à aucun examen. Or, n’est-ce pas par le
résultat de celui-ci qu’on pourra le plus souvent recon
naître s’il y a ou non identité ?
Sauf donc le cas où l’identité résulterait clairement,
incontestablement des mémoires descriptifs, des plans et
dessins qui les accompagnent, l’administration délivrera
le brevet aux risques et périls du demandeur , sauf au
breveté principal à établir et à prouver en justice que
la préférence lui étant due et acquise, ce brevet n’a pas
été valablement pris.
247.
— La coexistence de deux brevets, l’un d’in
vention l’autre de perfectionnement, sur deux têtes diffé
rentes , imposait la nécessité de déterminer et de régler
la position et les droits respectifs des titulaires. La loi
de 1791 avait satisfait à cette nécessité, et M. de Bouffïers avait clairement indiqué le sens et l’esprit de sa
disposition.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
« On a cru, disait-il, que le titre accordé à l’auteur
de la perfection, enlevait au premier auteur de la découverte l’exercice privatif de son titre d’inventeur ;
mais il n’en est pas ainsi : l’invention est le sujet, la
perfection est une addition. Ces deux choses diffé—
rentes appartiennent à leur auteur respectif ; l’une est
l’arbre et l’autre est la greffe. Si le premier inventeur
veut présenter sa découverte perfectionnée, il doit s’adresser au second ; et réciproquement le second in venteur ne peut tenir que du premier le sujet auquel
�234
»
»
»
»
»
»
LOI DU 6 JUILLET
1844
il veut appliquer son nouveau genre de perfection ;
ils se verront désormais obligés, quoi qu’ils fassent,
de travailler l’un pour l’autre , e t , dans toutes les
suppositions , la société y trouve son profit ; car , ou
bien ils se critiquent, et alors le public est plus éclairé ; ou bien ils s’accordent, et alors le public est mieux
» servi. »
Notre article 19, qui s’est approprié le principe de la
législation précédente, en a adopté les motifs et les con
séquences. Aujourd’hui donc, comme par le passé , le
perfectionneur n’aura aucun droit d’exploiter l’inven
tion brevetée, et réciproquement le breveté principal ne
pourra exploiter le perfectionnement.
Ils ont donc l’un et l’autre intérêt à s’entendre et à
agir de concert, puisque leurs découvertes se lient inti—
mément et se complètent. M ais, nous le répétons , cet
intérêt est bien plus urgent pour le perfectionneur , car
sa découverte ne sera pas souvent exploitable isolément
de l’invention première , qui p eu t, dans tous les cas,
se suffire à elle-même et procurer un profit à son au
teur.
La position ne serait égale que dans une seule hypo
thèse , à savoir , si l’auteur du perfectionnement n’em
prunte rien à l’inventeur, si son procédé, bien qu’il en
soit le perfectionnement, en est isolé; enfin, si les deux
brevets, pouvant marcher parallèlement sans se rencon
trer et par des moyens différents à l’obtention du même
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
235
résultat, sont susceptibles d’être exploités séparément l’un
de l’autre.'
Cette hypothèse sera assez rare, mais enfin elle peut
se présenter ; et la fusion étant moins nécessaire pourra
s’opérer sur des bases plus équitables.
248.
— La prohibition de l’art. 19 suppose les deux
brevets existants et obligatoirement exécutoires. Elle dis
paraîtrait , si la nullité ou la déchéance de l’un d’eux
venait à être prononcée. L’effet de l’une ou de l’autre
étant de faire tomber l’objet breveté dans le domaine
public, on ne saurait empêcher le perfectionneur ou l’in
venteur d’user d’un droit qui appartient à tous. Ils pour
raient donc réciproquement exploiter cumulativement
l’invention principale et le perfectionnement.
Mais ce droit n’appartient qu’à eux. La nullité ou la
déchéance d’un des brevets n’a aucune influence sur la
validité de l’autre qui continue à s’imposer à tout le
monde.
Conséquemment, si le brevet nul ou périmé est celui
du perfectionneur, le public entrera en jouissance de ce
qui en faisait l’objet ; mais il n’a aucun droit d’exploiter
l’invention principale.
Si la nullité ou la déchéance frappe le brevet de l’in
venteur, le public pourra bien jouir de l’invention, mais
non du perfectionnement qui reste dans le domaine ex
clusif de son auteur.
1 Nouguier, n» 218 ; — Et Blanc, pag. 405.
�236
LOI DU
6
JUILLET
1844
En d ’aulres termes, dans notre hypothèse, il y a dé
placement de personnes. L’inventeur et le perfectionneur se trouvent en présence, non plus l’un de l’autre,
mais en présence du public. Mais la prohibition de l’ar
ticle 19 reste debout et s’impose au public lui-même,
comme elle s’imposait à celui dont le brevet a été an
nulé ou perdu par déchéance.
-
81# -
SECTION IV
De la tr a n s m is s io n e t de la c e s s io n d e s b rev ets-
A
rt.
20
Tout breveté pourra céder la totalité ou par
tie de la propriété de son brevet.
La cession totale ou partielle d’un brevet, soit
à titre gratuit, soit à titre onéreux, ne pourra être faite que par acte notarié et après paiement
de la totalité de la taxe déterminée par l’article 4-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTlON
237
Aucune cession ne sera valable à l’égard des
tiers , qu’après avoir été enregistrée au secréta
riat de la préfecture du département dans lequel
l’acte aura été passé.
L’enregistrement des cessions et de tous au
tres actes emportant mutation sera fait sur la
production et le dépôt d’un extrait authentique
de l’acte de cession ou de mutation.
Une expédition de chaque procès-verbal d’en
registrement, accotnpagné de l’extrait de l’acte
ci-dessus mentionné, sera transmise, par les pré
fets, au ministre de l’agriculture et du commer
ce , dans les cinq jours de la date du procèsverbal .
A rt
2 i.
Il sera tenu , au ministère de l’agriculture et
du commeree, un registre sur lequel seront ins
crites les mutations intervenues sur chaque bre
vet , e t , tous les trois mois , une ordonnance
royale proclamera , flans la forme déterminée
par l’article 14, les mutations enregistrées pen
dant le trimestre expiré.
�238
LOI DU
6
JUILLET
1844
SOMMAIRE
249 Nécessité de la vente du brevet.
250 A quelles conditions il convenait de la consacrer.
251 Etendue du droit de céder.
252 Proposition de limiter la cession partielle. — Rejet. — Ses
motifs.
253 Exemples de cessions partielles.
254 Q u id de l ’apport du brevet en société.—Opinion de M. Nouguier.—Réfutation.
255 Liberté des parties dans la stipulation des conditions de la
cession.
256 Le cédant répond non-seulement de la réalité, mais encore
de l ’efficacité du brevet.—Jurisprudence.
257 La déchéance du brevet entraînerait la résiliation de la
cession.
258 Effets de cette résiliation sur le prix déjà payé pour la pé
riode entre la cession et la résiliation.
259 Conditions.—Authenticité de l’acte.—Paiement intégral de
la taxe.
260 Discussion à la chambre des Députés.
161 Objet du paiement intégral.—Sa légitimité.
262 Son caractère au point de vue de l ’intérêt du public.
>263 La durée du brevet primitif peut être réduite.
• 264 Motifs qui ont fait prescrire l ’acte notarié
265 Qui peut se prévaloir de l ’absence de cet acte.
266 Distinction faite par M. Nouguier.—Son caractère.
267 Arrêt de la cour de Cassation.
268 Qui peut se prévaloir du défaiît de paiement intégral de la
taxe.—Solution de la cour de Cassation.
269 Est-elle réellement juridique.
270 Motifs pour exiger l’enregistrement à la préfecture.
271 Caractère du choix de la préfecture du département où l’acte
a été passé.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
239
272 Effet de l ’enregistrement sur la question de priorité.
273 Distinction entre cet enregistrement et celui de l ’acte de
cession.—Gratuité du premier.
274 Les actes de cession ou de mutation sont régis par l ’art. 20.
Différence entre les uns et les autres.
275 L’article 20 est inapplicable : 10 à la cession de l ’invention
non encore brevetée.
276 2° A la concession d’une licence ou permis d’exploitation.
Devoirs que la prudence impose au concessionnaire.
277 3“ Aux arrangements par lesquels les copropriétaires du
brevet déterminent la part de chacun d’eux dans son
exploitation.
278 4* A l ’acte par lequel, à la dissolution de la société; un as
socié est déclaré propriétaire unique du brevet.
279 Importance pour le cessionnaire de la fidèle observation de
l ’article 20.
280 M. Et. Blanc refuse aux contrefacteurs le droit de se pré
valoir de l'inobservation.—Ses motifs.
281 Réfutation.
282 Effets de l ’enregistrement tardif.
283 Comment se fait l ’enregistrement à la préfecture.— Indica
tions que le procès-verbal doit renfermer.
284 Obligations du préfet.
285 Prescriptions de l ’article 21 .—Leur objet.
286 Le retard de la publication est sans influence sur le droit
du cessionnaire.—Son point de départ.
287 Peut-on faire opposition à l ’enregistrement ?
249.
— La faculté de céder, vendre ou transmettre
le privilège résultant du brevet, ne pouvait être ni mé
connue ni contestée. Propriété mobilière, droit incorpo
rel, le brevet ne pouvait être excepté de la loi commune
en pareilles matières.
�240
LOI DU 6 JUILLET
1844
Il fallait donc en revenir au principe de la liberté des
transactions , dont l’application aux brevets était d’une
nécessité bien plus évidente encore. La plupart des in
venteurs, en effet, n’ont que peu de ressources, et celles
dont ils pouvaient disposer ont été absorbées par les dé
penses et les essais au prix desquels ils sont parvenus à
réaliser leur découverte. Les contraindre , en cet état,
à l’exploiter par eux-mêmes et exclusivement, c’était la
condamner à demeurer à tout jamais stérile en leurs
mains, et rendre irréalisable le profit en vue duquel le
brevet a été demandé et obtenu.
L’iniquité d’un pareil résultat était, par son évidence
même, le plus invincible obstacle à sa consécration. Au
cun législateur n’eût osé le concevoir et l’inscrire dans
ses dispositions. Voilà pourquoi celui de 4791 avait pro
clamé le principe de la transmissibilité des brevets.
250.
— Mais cette transmissibilité pouvait devenir
l’occasion d’abus nombreux, de fraudes graves contre
les tiers. Or, l’imminence de celle-ci a toujours été pour
le législateur une mise en demeure de redoubler de pré
cautions contre ses tentatives. A ce titre, l’art. 15 de la
loi du 25 mai 1791 vint réglementer le principe admis
par celle du 7 janvier, et tracer la forme et les condi
tions de la cession.
La loi de 1844 a suivi les errements de sa devancière
et souverainement réglé le principe qu’elle s’appropriait»
l’étendue du droit qui en résultait, les conditions qu’il
doit réunir pour la validité de son exercice.
�241
SCR LES BREVETS D’iNVENÏION
2 5 1 . — Le droit du breveté de céder son brevet est
absolu et illimité. Il n’a d’autres limites que celles im
posées par le droit commun aux conventions ordinaires;
il peut, dans son exercice, comporter les clauses et con
ditions que les parties jugent utiles ou convenables. Le
respect de cette liberté a été poussé si loin, que la cour
de Cassation a refusé de voir une condition potestative
dans la clause par laquelle le breveté ayant cédé une
quote-part dans son privilège, se réservait d’être le seul
juge de l’opportunité du moment à choisir, et des moy
ens à adopter pour l’exploitation.'
2 5 2 . — Du principe que le breveté n’a à consulter
que son intérêt ou ses convenances, il s’ensuivait que la
cession du brevet peut être totale ou partielle. La com
mission de la chambre dék Pairs proposait de dire que
la cession partielle ne consistait que dans l'abandon du
droit d'exploiter sur une partie du territoire, ou dans
l’abandon d’une part aliquole dans les produits , sans
que dans aucun cas la découverte objet du brevet pût
être divisée. Cette règle , disait le rapporteur , découle
du principe qui veut qu’un brevet ne puisse comprendre
plusieurs objets à la fois, et que les additions se ratta
chent toujours d’une manière intime au brevet prin
cipal.
Mais de ce que l’administration ne doit pas délivrer
des brevets pour des objets multiples, il ne s’ensuit pas
1 24 août 1850 ; — J . d u P
4851, 2, 694.
1 —
46
�LOI DU
6
JUILLET
1844
nécessairement que dans sa mise en œuvre la décou
verte objet du brevet ne puisse être divisée , et si en fait
elle est susceptible de division , pourrait-on interdire la
faculté delà diviser sans attenter au droit d’user libre
ment de sa propriété ?
Prenons pour exemple, disait-on, une machine à va
peur perfectionnée comprenant, d’une part, l’inexplosibilité , de l’autre , l’économie dans le combustible. Sur
quel fondement interdirait-on à l’inventeur la faculté de
vendre, à l’u n ,l’inexplosibilité, à l’autre,le moyen d’é
conomiser le combustible ?
Ces objections développées par MM. d’Argout et Per
sil, firent repousser la proposition de la commission. La
chambre des Pairs n’admit, h la cession partielle, d’au
tre limite que celle qui résulterait d’une impossibilité
matérielle.
255.
— Il y a donc cession partielle valable : lors
que le breveté vendant à un tiers le droit de fabriquer
se réserve le droit exclusif de vendre ou réciproque
ment ;
Lorsque le breveté ne cède son droit que pour un
temps déterminé, passé lequel il se réserve de le re
prendre ;
Lorsqu’il stipule que le cessionnaire ne pourra exploi
ter le brevet que dans un rayon déterminé , par exem
ple, un ou plusieurs départements ; '
i Nouguier, n°* 266 et suiv
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
243
Lorsque l’objet breveté ayant deux qualités distinctes,
son propriétaire cède une de ces propriétés à celui-ci,
l’autre à celui-là.
254'. — M. Nouguier considère comme cession par
tielle l’apport par le breveté dans une société dont il fait
partie , même de la totalité de son brevet. Membre de
l’être moral, dit-il, le breveté est copropriétaire indivis
de toutes les valeurs qui composent l’actif social , e t, à
ce titre, il n’a pas complètement abdiqué les droits que
lui conférait son titre.'
Si l’apport en société constituait une cession , la ces
sion serait totale plutôt que partielle.
Celle-ci , en effet, n’empêche pas le cédant de pour
suivre en son nom les contrefacteurs. Or, le brevet mis
en totalité dans la société, la poursuite n’appartient plus
qu’à l’être moral et ne pourrait être exercée , pas plus
par le breveté personnellement que par tout autre asso
cié. Celte conséquence, enseignée par M. Nouguier luimême5, a été très-expressément consacrée par la cour
dé Cassation le 24 mars 1864.3
Donc, si l’idée d’une cession était admise, on devrait
déclarer la cession totale non-seulement pendant la du
rée de la société , mais encore à sa dissolution ; car si
elle a reçu la propriété du brevet, cette propriété, com-
1 N° 269.
^ N° 827.
3 J. du P , 4864, 4. 4408.
�0
244
LOI DU 6 JUILLET
1844
me toutes les autres, sera vendue à son profit, et le seul
propriétaire du brevet sera désormais l’acquéreur.
Mais si la mise en société était une cession, il faudrait
de toute nécessité qu’on remplit toutes les formalités,
qu’on réalisât les conditions prescrites par notre article
2 0 . Or , c’est le contraire qui a prévalu en jurispru
dence.
Ainsi, la cour de Paris jugeait le 2 7 mai 1 S 5 6 , que
la validité de la mise en société n’était pas subordon
née au paiement intégral de la taxe prescrit par l’arti
cle 2 0 et la cour de Cassation, dans l’arrêt du 2 4 mars
1 8 6 4 que nous venons d’annoter, décide, de son côté,
que celte mise en société n’est point assujettie aux for
malités que ce même article exige.
Ces deux arrêts déclarent formellement que l’apport
en société n ’est pas une cession , et ne peut même lui
être assimilé. En effet , dit la cour de Cassation , tous
les objets qui composent l’actif d’une société appartien
nent indivisément à tous les associés ; à ce point de vue,
la mise en société d’un brevet ne peut être considérée
comme une cession, qui dessaisit d’une manière abso
lue le cédant pour transporter la propriété de la chose
cédée au cessionnaire.
On ne doit donc voir dans l’apport du brevet en so
ciété qu’une mise en commun qui n’est pas et ne peut
même pas être réputée une cession. La détermination de
1
J. du P
., 4858, 4, 84 3.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
245
l’acte intervenu et son caractère ont une importance in
contestable au point de vue de la poursuite en contre
façon et de l’obligation d’observer les prescriptions de
l’art. 20. Ces prescriptions doivent être suivies à la let
tre si l’acte est une cession ; et si la cession est totale, le
cédant, désormais étranger au brevet, n’est plus ni re
cevable ni fondé à poursuivre les contrefacteurs.
2 5 5 . — Au reste, qu’il s’agisse d’une cession totale
ou d’une cession partielle , toute liberté , nous l’avons
déjà d it, est laissée aux parties quant aux clauses et
conditions qu’elles jugeraient à propos de stipuler. Elles
sont, quant à ce, comme pour les conséquences légales
de l’acte, sous l’empire du droit commun en matière de
vente.
2 5 6 . — De là, la conséquence que le cédant est ga
rant non pas seulement de la réalité et de l’utilité du
brevet, mais encore de son efficacité. La cession serait
donc résolue si l’objet du brevet étant illusoire et chimé
rique, était reconnu non susceptible d’être breveté.
C’est ce que la cour de Grenoble avait décidé pour une méthode de calligraphie. Le pourvoi dont son arrêt
avait été l’objet, soutenait qu’en déclarant la méthode
non brevetable , la Cour avait empiété sur les attribu
tions de l’administration ; qu’en déclarant nulle pour
défaut de cause une invention qui avait pour base une
méthode brevetée , encore que l’existence de cette mé
thode fut prouvée par la délivrance d’un brevet, elle a i
�i:
246
loi du
6 juillet 1844
vait faussement appliqué les articles 1128 et 1131 du
Code Napoléon.
Mais loin de censurer l’arrêt, la Cour suprême l’ap
prouve et le confirme. Son arrêt du 21 février 1837
rejette le pourvoi. 11 décide que les tribunaux sont com
pétents pour apprécier si une méthode était ou non bre
vetable , et pour annuler la cession si l’objet cédé ne
pouvait produire les résultats promis. Depuis et par des
arrêts successifs, la Cour régulatrice a de plus fort affir
mé cette jurisprudence.'
Le fondement juridique de celle doctrine s’induit for
cément de l’art. 11 , déclarant que la délivrance des
brevets a lieu sans garantie de la réalité du mérite ou
de la nouveauté de l’invention. Donc on a prévu le cas
d’une invention manquant de réalité, n’offrant ni nou
veauté ni avantage. A qui dès lors, si ce n’est aux tri
bunaux, déférera-t-on la question si elle surgit? Est-ce
qu’après la délivrance du brevet l’administration n’a pas
épuisé sa mission. Est - ce qu’elle pourrait s’immiscer
dans les difficultés d’intérêt privé dont le brevet peut
devenir l’occasion ?
257.
— La déchéance du brevet judiciairement pro
noncée, motiverait sans contredit la résiliation de la ces
sion. L’effet de cette résiliation ne serait pas douteux
pour l’avenir. Tous les engagements h écheoir seraient
1 21 avril 1840; 15 février 1842; 22 août 1844 ; — J . d u P . , 1840>
2, 388; 1842, 2, 383; 1814, 2, 672.
�SUR
LES
BREVETS
D ’iN V E N T IO N
247
de plein droit rétractés , et le prix déjà payé sujet à ré
pétition au moins pour la période restant à courir.
On a été plus loin encore, et faisant rétroagir la ré
siliation au jour de la cession , on a soutenu qu’il y a vait lieu à restitution du prix , même pour la période
écoulée depuis ce jour jusqu’à celui du jugement pro
nonçant la déchéance.
258.
— Mais cette déchéance fera-t-elle que le ces
sionnaire n’ait pas jusque là exploité le brevet, et retiré
les avantages ? Pourrait-on, dès lors, sans une flagrante
injustice lui faire restituer ce qu’il a payé et lui laisser
le profit qu’il a réalisé ?
C’est ce qu’on prétendait dans l’espèce suivante :
La société Taylor, cessionnaire d’un brevet d’inven
tion ayant pour objet de substituer dans les forges l’air
chaud à l’air froid pour activer la combustion, avait au
torisé la dame Wendel, maîtresse de forges, à l’exploi
ter , moyennant 12000 fr. par an, et 3000 fr. pour usage antérieur à la cession.
En 1836, d’autres maîtres de forges demandent con
tre la société Taylor la déchéance du brevet. La dame
Wendel intervient dans l’instance et conclut également
à la déchéance.
Cette déchéance prononcée, la dame Wendel poursuit
judiciairement la rescision de la cession qui lui avait
été faite, avec remboursement des sommes déjà payées
s’élevant à 27000 fr. Cette prétention accueillie par le
tribunal, est repoussée par la cour de Paris qui infirme
le jugement.
�248
LOI
DU
6
JU IL L E T
1844
La dame Wendel se pourvoit en cassation , mais ce
pourvoi est rejeté par arrêt du 27 mai 1837. Ce qui dé
termine ce rejet c’est que , mise en position d’exploiter
le brevet, la dame Wendel en avait retiré de grands a vantages , et que la résiliation ne pouvant influer sur
ces avantages, ne pouvait non plus autoriser la restitu
tion du prix à l’aide duquel ils avaient été obtenus.'
2 5 9 . — En la forme , la cession doit être faite par
acte notarié ; enregistrée au secrétariat de la préfecture;
être précédée du paiement intégral de la taxe restant à
courir.
Cette dernière condition n’était pas entrée, -ne pouvait
pas entrer dans les prévisions du législateur de 1791.
Il était d’autant plus sûr, que le paiement intégral de la
taxe précéderait la cession qu’il l’exigeait au moment de
la délivrance du brevet.
La substitution du système de paiement par annuités
amenait naturellement le législateur de 1844 à examiner
si ce système devait être général et absolu , et s’étendre
même au cas de cession.
2 6 0 . — L’opportunité et la convenance d’une ex
ception , soutenues par la commission , trouvèrent des
contradicteurs dans la chambre des Députés. M. Taillan
dier, entre autres, faisait remarquer que cette exception
pouvait devenir fort onéreuse. Il est rare, disait-il, que
�SUR
LES
BREVETS
D ’I N V E N T I O N
m
les brevetés exploitent par eux-mêmes. Presque tous les
inventeurs sont des ouvriers assez pauvres et réduits soit
à emprunter à des intérêts élevés, soit à céder leurs bre
vets à d’autres plus riches qu’eux. D’ailleurs,le cession
naire peut avoir le même intérêt que le cédant à récla
mer le bénéfice d’un paiement par annuités , et il y a
beaucoup de sévérité à lui en ôter, da/is ce cas, la pos
sibilité.
L’argument tiré de la position peu fortunée des in
venteurs, sérieux et décisif contre le paiement intégral
au moment de la délivrance du brevet, n ’avait aucun
fondement réel contre l’exigence de ce paiement au mo
ment de la cession. Celle-ci, en effet, n’aura jamais lieu
qu’à prix d’argent, et mettra, dès lors, le cédant en po
sition et en mesure de satisfaire à ce qu’on exige de
lui.
261.
— L’intérêt des cessionnaires justifiait et légi
timait celte exigence. Les cessions partielles peuvent être plus ou moins nombreuses, et le cédant n’ayant pas
aliéné son droit au brevet restera naturellement chargé
du paiement des annuités. Or , le retard qu’il mettrait,
ou l’impuissance dans laquelle il serait à l’opérer , en
traînant la déchéance du brevet, nuisait essentiellement
aux cessionnaires qui , placés en présence d’une insol
vabilité certaine , n’auraient pu obtenir le rembourse
ment de ce qu’ils avaient payé.
Cette éventualité facile à prévoir faisait un devoir de
se garantir contre sa réalisation , et la garantie la plus
�250
LOI
DU
6
JU ILL ET
1844
naturelle, la plus efficace élait l’obligation de payer pré
alablement tout ce qui était encore dû de la taxé.
Sans doute, dans l’hypothèse d’une cession totale,c’est
le cessionnaire qui, étant seul intéressé à la conservation
du brevet, sera chargé de payer les annuités. Il y aura
donc substitution d'un débiteur à un autre, et cette sub
stitution ne modifiait en rien la position et les droits de
l’Etat, et n’affaiblissait en rien la probabilité d’un paie
ment exact.
Mais si la cession est faite à plusieurs personnes, car
comme le faisait observer 31. de Lagrange , il est des
découvertes qui, pour être exploitées, doivent se céder à
cinquante ou soixante personnes ; qui sera chargé du
paiement, dans quelles proportions chacun y contribue
ra-t-il, faudra-t-il fractionner l’annuité, accepter deux
francs de celui-ci, deux francs de celui-là ? Ne conve
nait-il pas mieux d’éviter ces embarras par une exigence
qui n’a rien de rigoureux. Celui qui vend son brevet,
ajoutait 31. de Lagrange, ne le vend que parce qu’il en
trouve de l’argent; et par cela même qu’il en réalise la
valeur, il lui deviendra extrêmement facile d’acquitter la
taxe.
D’autant plus facile, pourrait-on ajouter, que le cé
dant paiera avec l’argent des cessionnaires. Il est évi
dent, en effet, que le paiement de la taxe n ’intéressant
plus que ces derniers, le cédant en exigera le montant,
outre et inépendamment du prix qu’il entend retirer
personnellement.
�SUR
LES
BREVETS
D ’i N V E N T I O N
251
262.
— Ces considérations sont justes et justifient
la disposition de la loi au point de vue du paiement de
la taxe. Mais considérée au point de vue de l’intérêt gé
néral, la décision du législateur se comprend moins.
Cet intérêt en effet est que le privilège qui monopolise
une industrie utile dans les mains de l’inventeur , cesse
le plus tôt possible. Sous ce rapport, la déchéance du
brevet satisfait à cet intérêt, et le soin qu’on met à la
prévenir s’écarte quelque peu du but que doit se propo
ser une loi sur les brevets d’invention.
Sans doute il fallait protéger les cessionnaires contre
la mauvaise foi ou la fraude du cédant. Mais cette con
sidération qui est toute puissante dans le cas de cession
partielle, est nulle dans l’hypothèse d’une cession totale.
Mais pouvait-on distinguer? Rien, dans la discussion de
la loi ne vient indiquer qu’on ait eu la pensée de le
proposer.
265.
— Donc et quel que soit le caractère de la
cession, elle ne peut avoir lieu qu’après paiement de la
taxe restant à courir. Pourrait-on, dans l’objet de payer
moins, réduire le brevet à une durée moindre que celle
qui lui avait été d'abord assignée.
Nous persistons à croire qu’une pareille résolution
n’est pas présumable chez le cédant. 11 est évident, en
effet, que plus la durée du privilège devra se prolonger;
plus considérable sera le prix de la cession. Donc, le
cédant qui réduirait cette durée pour payer moins, s’ex
poserait à moins recevoir, et cela sans intérêt réel, puis-
�252
LOI
DU
6
JU IL L E T
1844
que , ainsi que nous venons de le dire , les annuités à
ëcheoir augmenteront d’autant le prix de la cession.
Quoiqu’il en soit, la question venant à se présenter,
il faudrait bien la résoudre, et, nous l’avons déjà dit, elle
doit être résolue par l’affirmative.'
2 6 4 . — L’intérêt des cessionnaires en vue duquel
on a prescrit le paiement intégral de la taxe, rend rai
son de l’exigence d’un acte notarié. Se contenter d’un
acte sous seing privé, c’était ouvrir la plus large voie à
la fraude, et donner naissance à d’interminables procès.
Rien de plus facile , à un cédant de mauvaise foi , que
de compromettre les droits les plus légitimes, et de dé
pouiller un premier cessionnaire en s’entendant avec
d ’autres prétendus acquéreurs , et en antidatant l’acte
postérieur.
Ce danger prévu en 1791, ne pouvait pas ne pas l’ê
tre en 1844. C’est pour le conjurer qu’à l’une et l’autre
époque, on a prescrit l’authenticité à l’acte de cession.
2 6 5 . — Quel serait, par rapport à la cession, l’effet
de l’inobservation de l’art. 20, à l’endroit de l’authen
ticité de l’acte et du paiement préalable de la totalité de
la taxe ?
Il semble que l’art. 20 impose ces formalités aux
parties elles-mêmes , et leur accorde par conséquent le
droit de s’en prévaloir. En effet, il ne dit pas dans ce
1
Supra
n° 201,
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
2S3
paragraphe ce qu’il va dire dans le suivant : aucune
cession ne sera valable à l ’é g a r d d . e s t i e r s .
Or, si les parties ont le droit d’exciper de l’omission de
ces formalités, quelle serait l’utilité de ce droit s’il n’au
torisait la nullité d elà cession.
Mais, sous l’empire de la loi de 1791 , ce droit était
dénié. Cependant l’art. 15 de la loi du 25 mai était bien
plus explicite que notre article 20. Il prononçait la pei
ne de nullité sans aucune distinction.
Nonobstant sa disposition, la jurisprudence avait dé
cidé la validité de la cession faite sous seing privé. La
cour de Cassation, notamment, avait jugé qu’à cet égard
]a disposition de la loi ne concernait que l’intérêt des
tiers ; et que pour ce qui se rapportait aux parties , la
cession était valable qu’elle qu’en fût la forme.'
266.
— Les auteurs approuvent en général celle
doctrine, et l’admettent encore sous l’empire de la loi de
1844. M. Nouguier distingue le cas d’une cession à ti
tre gratuit, et celui d’une cession à titre onéreux.
Dans le premier , d it-il, la cession est doublement
nulle entre parties. Nulle en vertu des principes sur les
donations; nulle en vertu de l’art. 20.
Dans le second , on ne saurait sans iniquité mettre
la convention complètement à néant. Elle vaudra non
comme cession , mais comme promesse régulière de
1 20 novembre '1822.
�254
LOI DU
6
JUILLET
1844
vente, dont les tribunaux pourraient ordonner l’exécu
tion.'
Nous croyons, nous, que l’art. 20, ainsi que le prou
ve le troisième paragraphe, n’a eu en vue que l’intérêt
des tiers; et que s’il prescrit l’acte authentique, ce n’est
qu’à cause de l’enregistrement administratif qu’il doit
recevoir.
Quel motif aurait pu déterminer le refus d’exécution
entre parties, d’un acte librement consenti et signé par
chacune d’elles ? Sa nullité serait donc un effet sans
cause , et la loi n’a pu méconnaître à ce point les lois
de la raison et de la logique.
Donc, si la cession est à titre onéreux , elle est régu
lièrement faite par acte sous seing privé. Sa validité ne
saurait même être contestée par les tiers. La cour de
Cassation l’a formellement décidé dans l’espèce sui
vante :
Blondel et Cie étaient devenus cessionnaires d’un bre
vet par acte authentique et enregistré à la préfecture.
Mais leur cédant n’était devenu propriétaire que par un
acte sous seing privé non enregistré.
Des contrefaçons s’étant produites, Blondel et Cie en
poursuivent les auteurs. Ceux-ci les soutiennent non re
cevables. Votre cédant, objectent-ils, n’avait qu’une pos
session irrégulière , et n’a pu vous transmettre que les
droits qu’il avait lui-même. Or, comme il ne pouvait
i Nos g87 et suiv.
�255
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
en exercer aucun contre les tiers , vous ne sauriez pré
tendre à en exercer aucun. La fin de non recevoir qui
l’eût écarté lui-même, écarte naturellement ses cession
naires.
2 6 7 . — Cette objection ayant été repoussée par la
cour de Paris, l’arrêt fut déféré à la cour de Cassation.
Mais par arrêt du 1er septembre 1856 , celle-ci décide
que le cessionnaire par acte authentique, enregistré à la
préfecture, est légalement investi du brevet, et peut dès
lors poursuivre les contrefacteurs , alors même que son
cédant ne serait lui-même devenu cessionnaire dudit bre
vet que par un acte sous seing privé. Un tel acte,quoi
que non opposable aux tiers, n’en a pas moins eu, en
tre les parties contractantes le caractère translatif de
propriété.'
Il suffit donc que celui qui exerce la poursuite en con
trefaçon ait un titre conforme aux exigences de l’article
2 0 , pour que son droit ne puisse être méconnu et dé
nié , sous prétexte de l’irrégularité du titre de son cé
dant.
♦
2 6 8 . — Dans la même espèce on opposait une autre
fin de non recevoir. Le paiement intégral de la taxe
n’avait eu lieu ni lors de la première , ni lors de la se
conde cession. Ce défaut de paiement, disaient les con-
1 J du P ., -1886, 2, '181.
�256
LOI DU
6
JUILLET
1844
trefacteurs, tombe sous l’application de l’art. 4, et a en
traîné la nullité du brevet.
Mais cette fin de non recevoir est repoussée comme
l’autre : « Attendu , dit la cour de Cassation , que ce
moyen rentre dans le premier ; que les demandeurs in
voquent , en effet sous un autre rapport , l’inexécution
des conditions qui , d’après l’art. 20 , doivent être ac
complies pour les cessions des brevets ; mais que l’arti
cle 20 ne prononce aucune déchéance, et que l’art. 4
étant uniquement relatif au non paiement des annuités
échues successivement, et ne contenant aucune disposi
tion spéciale pour le cas de cession des brevets , est étranger à l’espèce; que l’arrêt attaqué constate, en effet,
que les annuités ont été régulièrement payées. »
269.
— Cet arrêt essentiellement juridique dans sa
première disposition, l’est-il également dans la seconde?
Il est permis d’en douter. Il ne s’agissait plus, ici, d’une
irrégularité imputable au premier cessionnaire. La ces
sion faite à Blondel et Cie n'avait pas été , elle-même,
précédée du paiement intégral de la taxe. L’article 20
avait donc été formellement désobéi.
Prohiber aux tiers de s’en prévaloir , c’est dire que
l’art. 20 n’a aucune sanction , et que les parties restent
libres de l’exécuter ou non. Mais alors mieux eût valu
garder, à ce sujet, le plus absolu silence et s’en référer
à l’art. 40. Comprend-on que la loi ordonne et laisse
en même temps la faculté de se conformer ou non à ce
qu’elle prescrit.
�SUE LES BREVETS D’INVENTION
257
Voilà cependant ce' que la cour de Cassation consa
cre. N’avons-nous pas raison de douter , dès lors , du
caractère juridique de son arrêt ?
2 7 0 . — Sous le rapport de la contrefaçon, les tiers
n’avaient aucun intérêt à connaître les mutations dans
la propriété du brevet. En effet, que le privilège appar
tint à Pierre ou à Jean, nul n’avait le droit de l’usurper
pendant la durée du brevet.
Blais cet intérêt était incontestable , au point de vue
du droit de cession et de son exercice. On pouvait crain
dre, en effet, que le propriétaire du brevet, après l’avoir
vendu une première fois, ne voulût le vendre une se
conde , et retirer de nouveau le prix qu’il aurait déjà
touché.
Celle fraude ne pouvait être évitée que par la publi
cité donnée aux mutations survenues dans la propriété
du brevet. C’est dans ce but qu’en 4844 comme en
4794, on a prescrit et exigé l’enregistrement au secré
tariat de la préfecture d’abord , la tenue d’un registre
spécial au ministère de l’agriculture et du commerce
ensuite, enfin la publication chaque trois mois des mu
tations survenues pendant le trimestre.
2 7 1 . — La loi de 4794 voulait que l’enregistrement
eût lieu à la préfecture du domicile respectif des parties.
Celle de 4844 se contente de le prescrire au secrétariat
de la préfecture du lieu dans lequel l’acte aura été
passé.
i
%
—
17
�258
LOI DU 6 JUILLET . 1 8 4 4
Cette disposition a été substituée à celle du projet qui
renouvelait celle de la loi de 1791, et cette substitution
est regrettable. « Il est possible, disait pour la justifier
M. Bethmont, que la cession soit simultanément faite
à cinquante personnes. Il faudrait donc, dans ce cas,
cinquante dépôts, si chaque cessionnaire était domicilié
dans un département distinct. »
Placée en présence d’une pareille éventualité, la cham
bre des Députés ne pouvait pas hésiter. Mais le parti
auquel elle s’arrêta n’est pas celui qu’elle devait consa
crer.
L’enregistrement a pour but de prémunir les tiers
contre la fraude d’une double vente. Mais pour que ce
but fût atteint, il fallait indiquer un lieu précis où les
investigations pouvaient et devaient se réaliser.
Dire que ce lieu sera celui où l’acte a été passé, c’est
ne rien dire du tout. Car pour connaître ce lieu, il fau
drait d’abord connaître l’existence de l’acte, et celui qui
voudra frauduleusement céder une seconde fois son bre
vet , se gardera bien de faire soupçonner cette exis
tence.
Sans doute l’inconvénient signalé par M. Bethmont
était ré e l, et il ne fallait pas s’y exposer. Mais il était
facile de concilier les précautions qu’il exigeait, avec la
nécessité de rendre les recherches aussi faciles que pos
sibles. Il suffisait de prescrire l’enregistrement à la pré
fecture du domicile du cédant. Ainsi on obtenait un
enregistrement unique , et les intéressés étaient à même
�SUR LES BREYETS D’iNVENTION
259
et en demeure de s’éclairer sur le caractère de l’acte
qu’ils projetaient.
En l’é ta t, celui qui se propose d’acheter un brevet,
et qui veut s’assurer qu’il est bien la propriété de
celui qui offre de lui vendre , doit consulter , pour les
trimestres expirés, l’ordonnance, pour le trimestre cou
rant, le registre , prescrits par l’art. 20. La vérification
de ce dernier devant se faire à Paris , au ministère de
l’agriculture et du commerce , ne sera pas toujours fa
cile pour ceux qui sont domiciliés aux extrémités de la
France. Elle ne sera pas toujours efficace, parce que
l’acte de cession, envoyé par le préfet dans les cinq jours
de l’enregistrement, n ’arrivera peut-être que le lende
main ou le surlendemain de la vérification ; elle entraî
nera, dans tous les cas, une perle de temps plus consi
dérable.
Donc, au point de vue de la protection due au public
contre la fraude d’une double vente, la loi ne fait pas
tout ce qu’elle pouvait faire, et cela est regrettable.
272.
— L’article 20 ne s’explique pas non plus sur
les indications que doit renfermer le procès-verbal de
la remise de l’extrait de l’acte authentique de cession.
Malgré ce silence, nous croyons qu’il doit indiquer nonseulement le jour , mais encore l’heure précise de cette
remise.
L’enregistrement, en effet, complétant et, en quelque
sorte, consommant la cession, règle la question de pri
orité. Celle qui aurait la première subi cette formalité
�260
LOI DU
6
JUILLET
1844
serait préférée à toute autre cession antérieure , fût-elle
constatée par acte notarié. Il faut donc que le procèsverbal ne laisse planer aucun nuage sur l'accomplisse
ment des prescriptions de la loi.
2 7 3 . — L’enregistrement à la préfecture ne doit pas
être confondu avec l’enregistrement fiscal, que doit su
bir l’acte notarié, et qui donne lieu à la perception d’un
droit de 2 p. °|0 sur le prix de la cession. Celte percep
tion et la nécessité d’un acte notarié firent repousser la
proposition du Gouvernement, de soumettre l’enregis
trement à la préfecture à une taxe de 20 fr. On pensa
qu’il ne convenait pas de rien ajouter à ladépensequ’occasionnaient le paiement des honoraires du notaire et
la perception du 2 p. °|0 sur le prix.
2 7 4 . — Telles sont les formalités que l’art. 20 exi
ge pour les cessions et transmissions des brevets. On re
marquera qu’à l’endroit de l’enregistrement au secréta
riat de la préfecture, la formalité est prescrite non pas
seulement pour les cessions, mais encore pour tous au
tres actes emportant mutation.
Mais, à l’égard de ceux-ci, la loi ne dit plus que leur
validité contre les tiers est subordonnée à l’accomplis
sement de cette formalité. Donc, la sanction pénale édic
tée pour la cession leur demeure complètement étran
gère.
M. Renouard en conclut, avec raison, que la cession
doit être enregistrée, tandis que le droit acquis par suc-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
261
cession ou autrement peut l’être. Mais il conseille au
bénéficiaire d’user de cette faculté qui fera que ses droits
seront mieux protégés et plus faciles à défendre. Com
ment , s’il n’a pas publié la mutation , pourra-t-il être
mis en cause dans le cas prévu par l’art. 38 ?'
275.
— Les termes de l’art. 20 indiquent claire
ment le caractère limitatif et restrictif de sa disposition.
Or, si les formalités qu’il prescrit ne sont exigées que
pour le cas de cession ou de mutation de brevet, elles
ne devront pas être observées toutes les fois que l’acte
n’attribue ni la propriété, ni une part dans la propriété
du brevet.
Conséquemment, l’art. 20 est inapplicable à la ces
sion d’une invention non encore brevetée. Cette cession
met le cessionnaire au lieu et place du cédant, même
pour le droit d’obtenir un brevet; et s’il exerce ce droit,
ce brevet nominatif ne mentionnera pas même le nom
du cédant qui ne pourrait, dès lors, ni en disposer ni
le transmettre , où serait donc l’utilité de la publicité à
donner à la cession ?
Mais le cédant pourrait au mépris de ses engage
ments demander et obtenir un brevet en son nom. Nul
doute que sur la réclamation du cessionnaire il ne fût
déclaré seul propriétaire du brevet. Le jugement serait
valablement opposable aux contrefacteurs ; mais le se
rait-il également au cessionnaire, s’il n’avait pas été en-
�262
LOI DU
6
JUILLET
1844
registré à la préfecture ? Le doute, au moins, est per
mis, et dès lors la prudence conseille à celui qui a ob
tenu ce jugement d’accomplir cette formalité.
276.
— La concession d’une licence n’est pas sou
mise aux prescriptions de l’art. 20. On appelle licence
l’acte par lequel le breveté donne ou vend à un tiers le
droit d’exploiter la chose qui fait l’objet du brevet. Quelle
que soit l’étendue de ce droit, qu’il soit partiel ou total,
il n’est pas un droit sur le brevet, il ne confère aucune
copropriété , et n’altère ni ne modifie en rien la posi
tion du breveté. Ces licences sont donc fort indifférentes
pour le public, et ne requièrent, à ce point de vue, au
cune publicité, aucune formalité.
Mais il n’en est pas ainsi pour le bénéficiaire de la
licence. L’acquéreur du brevet pourrait en contester l’ex
istence, et, si la concession a été faite par acte sous seing
privé, soutenir qu’elle est postérieure à la cession et con
certée en fraude de ses droits.
Tout cela peut ne pas être admis par la justice. Mais
il n’en sera pas moins résulté un procès plus ou moins,
des inquiétudes , des dérangements et des frais. Sage
sera celui qui préviendra ces inconvénients et ces tra
casseries, en donnant à sa licence la forme authentique,
et en la faisant enregistrer comme le prescrit l’arti
cle 2 0.’
i Nouguier, n*s 274, 308.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
263
277.
— Du caractère essentiellement limitatif de cet
article, on a conclu qu’il était inapplicable à l’arrange
ment par lequel les copropriétaires d’un brevet déter
minent la part exclusive de chacun d’eux dans son ex
ploitation. Il n'y a là ni mutation, ni transfert de pro
priété, et c’est uniquement l’une et l’autre que régit l’ar
ticle 20. Les parties sont, dès lors, libres de se conten
ter d’un acte sous seing privé , dont la validité ne sau
rait être contestée.
On soutenait le contraire devant la cour de Paris,
mais l’arrêt rendu le 27 mai 1856 repousse cette pré
tention. Un pareil acte, dit la Cour, n’est pas une ces
sion ayant pour objet de transférer la propriété du bre
vet à une tierce personne; il laisse celte propriété se
, continuer sur les mêmes têtes , sauf le partage que les
parties en font pour régler entre elles leurs droits, ce que
la loi ne défend pas , et ce qui est étranger aux pres
criptions de l’art. 20.'
278.
— La cour de Paris avait eu déjà à examiner
la question de savoir si l’art. 20 s’appliquait aux règle
ments des droits des associés, notamment si l’acte par
lequel, à la dissolution de la société , l’un des associés
est déclaré propriétaire exclusif du brevet qui apparte
nait à celle-ci, devait, pour être valable contre les tiers,
être enregistré à la préfecture.
Résolue négativement par la cour de Paris, cette ques-
�m
LOI DU
6
JUILLET
1844
tion fui déférée à la Cour suprême, et y reçut la même
sojution. Un arrêt du 10 août 1849 rejette le pourvoi.
La Cour régulatrice déclare, d’abord, que la disposi
tion de l’art. 20 est de droit étroit et ne peut s’étendre
à aucun autres modes de transmission qu’à ceux qui y
sont taxativement prévus.
Elle ajoute : Attendu qu’aux termes des articles com
binés 852 et 1872 du Code Napoléon, le règlement qui
assigne à chaque associé sa part individuelle dans la
chose commune, n’est que déclaratif et non translatif de
propriété; que l’arrêt attaqué, dès lors, en décidant que
Peuzoldt avait action contre les demàndeurs en vertu de
son brevet, et en rejetant l’exception tirée du défaut
d’enregistrement de l’acte qui l’en a déclaré propriétai
re, loin d’avoir violé la loi, en a fait une juste et saine
interprétation.'
Dans cette espèce, l’associé auquel le brevet était échu
à la dissolution de la société, était précisément le titu
laire de ce brevet qui, après l’avoir obtenu, l’avait versé
dans la société. Il n’avait donc fait que rentrer dans le
droit, à l’exercice exclusif duquel il avait momentanément
renoncé. Propriétaire avant la constitution de la société,
il l’était redevenu à sa dissolution, ce qui permettait à la
cour de Paris de dire, non sans quelque raison, que la
propriété du brevet n’avait jamais cessé de résider en sa
personne,
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
265
Qu'en serait-il, si l’associé déclaré propriétaire ex
clusif du brevet était un autre que l’ancien propriétaire?
Evidemment la solution, d’après la doctrine de la cour
de Cassation, devrait être la même.
En effet, la mise en société du brevet, en transférant
la propriété à l’être moral, opère une mutation. Elle doit
donc réunir les conditions de l’art. 20, c’est-à-dire être
constatée par acte devant notaire , et enregistrée au se
crétariat de la préfecture du département.
L’être moral cessant d’exister , faut-il bien que le
brevet arrive à l’une des individualités qui constituaient
cet être moral. Or, si le règlement entre elles intervenu
à cet effet est non translatif, mais seulement déclaratif de
propriété, il en résulte que le droit de l’associé rétroagit au jour de la mise en société, et que le brevet n’a ja
mais appartenu qu’à lui.
Il n ’y a donc ni transfert ni mutation de propriété,
et par conséquent l’art. 20 , qui exige l’un ou l’autre,
reste absolument inapplicable.
Cet article, d’ailleurs nous l’avons déjà dit, a un but
principal, celui de protéger le public contre les cessions
frauduleuses d’un droit qui, une première fois, a été aliéné. Ce résultat n’est pas à redouter dans notre hypo
thèse. En effet , la publicité donnée à la mutation en
faveur de la société , met les tiers à même d’exiger de
celui qui se prétendrait propriétaire du brevet, celui-là
fût-il le breveté en personne , la preuve qu’il est aux
droits de la société. L’abus étant impossible, la précau-
�«
266
LOI DU 6 JUILLET 1844
tion, que la nécessité de le prévenir avait inspirée,deve
nait inutile. Cessante causa cessai effectus.
2 7 9 . — L’observation exacte et fidèle de l’art. 20
importe , surtout au cessionnaire. Elle e s t, en effet, la
condition sine qua non de l’efficacité de la cession à
l’égard des tiers , et la cour de Cassation a jugé qu’au
nombre de ces tiers se placent non-seulement ceux qui
ont des droits ou des titres à faire valoir contre la ces
sion, mais encore les contrefacteurs quels qu’ils soient.
Ainsi, celui qui n’a qu’une cession par acte sous
seing privé , ou qui nanti d’un acte notarié ne l’a pas
fait enregistrer à la préfecture, n’a aucun droit à exer
cer contre personne, si ce n’est son cédant ou ses héri
tiers. Il n’est pas , à l’égard des tiers , propriétaire du
brevet ; il ne peut donc ni quereller les cessions posté
rieures à la sienne pour lesquelles toutes les formalités
prescrites auraient été remplies ; ni être admis à pour
suivre les contrefacteurs. La doctrine et la jurisprudence
sont, sur ce point, à peu près unanimes.’
2 8 0 . — Seul, M. Etienne Blanc professe une autre
doctrine. A son avis, l’inobservation de l'art. 20 consti
tue une nullité essentiellement relative et qui ne peut ê-
tre invoquée que dans le cas où deux acquéreurs suc
cessifs prétendent droit au même brevet. Elle ne peut
i Nouguier, n° .313 ; — Renouard, n» 172 ; — Cass., 12 mai 1849 et
avril 1850. — J. du P . , 1851, 1, 260; 1852, 2, 245. — S . V , 50,
1, 71 ; 51, 1, 76.
6
�SUR LES BREVETS D’lNVENTION
267
donc l’être ni par le cédant ou le cessionnaire , ni par
leurs représentants, ni par les contrefacteurs.
M. Blanc fait d’abord remarquer que le but de la loi
dans l’art. 20 a été d’éviter les doubles ventes. Il a joute :
« Quel est l’intérêt du contrefacteur à critiquer la
forme de la cession ? Sera-t-il moins coupable pour avoir dérobé la propriété du cédant et non celle du ces
sionnaire ? L’ignorance de la cession ne pourrait être une excuse , car elle reviendrait à dire : j’ai cru prendre
ce qui était à Pierre , et je ne savais pas que je volais
Paul. . . . Et puis ne voit-on pas que si le contrefacteur
pouvait critiquer la validité de la cession en la forme, il
y aurait pour lui un moment d’impunité dont la durée
serait illimitée et dépendrait de la lenteur apportée à
l’expédition du titre. Le droit de propriété serait en
quelque sorte suspendu, car il ne serait plus au cédant
et ne serait pas encore entré dans le domaine du ces
sionnaire.' »
281.
— Il est vrai que les formalités prescrites par
l’art. 20 ont pour objet de prévenir les doubles ventes.
Mais ce n’est pas là leur unique but. La cour de Cassa
tion , dans son arrêt du 12 mai 1849 , leur en assigne
un second. Ces formalités, dit-elle, ont essentiellement
aussi pour objet d’avertir le public industriel, et de lui
apprendre quels sont les ayants droit actuels du brevet,
l Pag. 523 et suiv.
�26S
LOI DU
6
JUILLET
1844
vis-à-vis desquels il doit se mettre en règle, en cas de
fabrication de produits semblables, et dont il a à véri
fier la situation pour connaître les nullités ou déchéan
ces dont les articles 34 et 46 l’autorisent à se préva
loir.
On conviendra que cet intérêt n’est pas moins respec
table que celui des cessionnaires; qu’en conséquence il
appelle et mérite une égale protection. La sanction pénale
qui garantit celui-ci, doit donc garantir celui-là.
Qu’importerait qu’il dût en résulter un temps d’arrêt
dans l’exercice du droit de propriété. Cet inconvénient
ne serait-il pas la conséquence de la faute du cession
naire ? Il pouvait le prévenir et l’empêcher en obéissant
aux prescriptions de la loi. Est-ce donc se montrer trop
rigoureux que de lui imposer la responsabilité de cette
faute ?
Mais, en réalité, le droit de propriété n’est en aucune
manière suspendu , et si le cessionnaire ne peut l’exer
cer, comment empêcherait-on le cédant de le faire. Aux
contrefacteurs déclarant qu’ils ont cru prendre ce qui
était à Pierre, on répondrait avec raison : souffrez donc
que Pierre vous demande compte de votre méfait.
La fin de non recevoir contre le cédant ne pourrait
être accueillie que par la preuve de l’existence de la ces
sion. Or, si cette cession n’a été faite que sous seing
privé, si elle n’a pas été enregistrée, comment ferait-on
cette preuve?
D’ailleurs , la cession étant nulle à l’égard des tiers,
n’a pu , en ce qui les concerne , produire ses effets , le
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
269
transfert de la propriété. Pour eux, donc, cette propriété
n’a pas cessé de résider sur la tête du cédant, pourraiton, dès lors, les admettre à repousser l’action que celuici intenterait ?
En résumé, la fin de non recevoir tirée de l’inobser
vation de l’art. 20 , n’est opposable qu’au cessionnaire
agissant en cette qualité, en son nom personnel et dans
son intérêt, bile ne peut être invoquée ni contre le cé
dant, ni même contre le cessionnaire, si,se couvrant du
nom du cédant, il prétendait en exercer le droit.
Les motifs dont M. Blanc étaye son opinion n’ayant
aucun fondement , cette opinion ne saurait être consa
crée. Il faut donc tenir pour certain que les contrefac
teurs poursuivis sont recevables à exciper de l’inobser
vation des formalités prescrites par l’art. 20.
À quoi leur servira ce d ro it, pourra-t-on dire si le
cessionnaire peut en éluder les effets en se substituant
le cédant, ou en en empruntant le nom ? Ce qui, au pis
aller en résulterait, serait la condamnation infaillible
des contrefacteurs , et il nous semble qu’on ne devrait
pas trop le regretter.
Mais l’objection suppose un accord parfait entre le
cédant et le cessionnaire, accord qui peut ne pas exister.
Il peut se faire que non-seulement le cédant refuse de
poursuivre lui-même , mais encore qu’il ne veuille pas
permettre qu’on se serve de son nom, parce que, com
plice de la contrefaçon, il a lui-même méconnu et foulé
aux pieds ces droits qu’il avait cédé. Dans cette hypo
thèse , le cessionnaire ne puisera que dans l’exactitude
�270
LOI DU
5
JUILLET
1844
qu’il aura mise à remplir les formalités de l’art. 20, le
moyen de conjurer le danger et d’obtenir la réparation
du préjudice qu’il peut éprouver.
282.
— La loi n’a fixé aucun délai pour l’enregis
trement à la préfecture. Elle s’en rapporte, à cet égard,
à l’intérêt que le cessionnaire a à faire diligence.
Cet intérêt est évident et capital. Car, d’un côté , le
moindre retard pourrait entraîner la ruine de la ces
sion , en laissant une cession postérieure acquérir la
priorité par son enregistrement ; et de l’autre ce n’est
que par cet accomplissement que le cessionnaire pourra
poursuivre les contrefacteurs.
Notez que l’enregistrement tardif, utile pour l’avenir,
est sans influence aucune sur le passé , non-seulement
au point de vue du délit de contrefaçon en lui - même,
mais encore à celui de la régularisation de la pour
suite.
Dans une espèce que la cour de Paris avait à juger,
la demande à fin d’enregistrement avait été formée a vant l’introduction de l’instance en contrefaçon, et l’enregistrement effectué avant le jugement. On soutenait,
en conséquence, que la fin de non recevoir, tirée de la
tardivelé de l’enregistrement, n’avait aucun fondement
sérieux.
La cour de Paris ayant jugé le contraire, on se pour
vut en cassation. Mais , par arrêt du 6 avril 1850 , le
pourvoi est rejeté: « Attendu que si au moment des pour
suites le caractère occulte du transport ne permettait
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
271
pas aux cessionnaires d’opposer aux tiers le droit in
complet résultant à leur profit de cet acte , la nullité at
tachée par la loi à l’inaccomplissement de la condition
de publicité qu’elle a exigée ne saurait être couverte par
un enregistrement postérieur intervenu dans le cours de
l’instance ; que cet enregistrement est inefficace soit pour
transformer en un délit susceptible de réparations pri
vées un fait jusque là licite, soit pour communiquer a près coup force et effet à une poursuite qui, à son ori
gine, n’avait pas une base légale.' »
2 8 5 . — L’enregistrement à la préfecture est fait sur
la production et le dépôt d’un extrait authentiqué de
l’acte de cession ou de mutation. Un procès-verbal con
state l’une et l’autre. Nous avons déjà dit qu’il doit in
diquer le jour et l’heure de l’accomplissement de cette
formalité.
Nous avons dit aussi combien l’enregistrement, au
lieu où l’acte a été passé, rendait les recherches diffici
les. Il fallait donc, pour atténuer cet inconvénient, choi
sir et indiquer un lieu central où toutes les mutations et
cessions viendraient aboutir, et où chaque intéressé pût
trouver les renseignements dont il a besoin.
2 8 4 , — Ce point central ne pouvait être que le mi
nistère de l’agriculture et du commerce. C’est ce qui ex
plique que la loi ait prescrit, d’abord, l’envoi d’une ex-
i
J duP.,
1852, 2, 2 4 6 ; —
S. V ., 61, 1, 76.
�272
LOI DU
6
JUILLET
1844
pédition du procès verbal, accompagnée de l’extrait au
thentique de l’acte de cession ou de mutation ; ensuite,
la tenue au ministère de l’agriculture et du commerce
d’un registre sur lesquels sont inscrites toutes les muta
tions sur chaque brevet.
2 8 5 . — S’il était utile et bon de faciliter les recher
ches, il était mieux encore de les prévenir. C’est dans ce
but qu’une ordonnance insérée au Bulletin des lois a
prescrit de donner à ces mutations la plus grande pu
blicité.
Mais on ne pouvait exiger une ordonnance spéciale
pour chaque mutation isolément et au fur et à mesure
qu’elle avait lieu. On a donc fait ici ce qu’on avait déjà
fait pour la publication des brevets. L’ordonnance ne se
ra rendue que tous les trois mois.
Or, avant l’expiration du trimestre et pendant sa du
rée, des mutations peuvent s’être opérées, dont la con
naissance importe à des tiers. Cet intérêt trouve natu
rellement à se satisfaire en recourant au registre sur le
quel les mutations sont inscrites dès qu’elles sont con
nues, et elles doivent nécessairement l’être dans un court
délai, puisque les préfets sont obligés d’envoyer l’expé
dition du procès verbal et l’extrait authentique de l’acte
dans les cinq jours de la date du premier.
28B. — La loi n’a .ni stipulé une sanction pénale à
celle obligation, ni fixé un délai pour la transcription
sur le registre . parce que aucun intérêt ne l’exigeait. Le
�273
SUR LES BREVETS D’INVENTION
cessionnaire ne peut souffrir de la négligence ou du re
tard mis à l’un et à l’autre. On ne pouvait, en effet, lui
imposer la responsabilité de formalités à l’accomplisse
ment desquelles il était forcément étranger , ni le punir
d ’une faute uniquement imputable à l’administration.
Pour lui donc, le fait de l’enregistrement suffît. Son
droit existe et est acquis. Il peut donc l’exercer sans que
les contrefacteurs puissent lui opposer le défaut même
absolu , en l’é ta t, de publication. Or, l’enregistrement
de la cession est forcé , comme la réception des pièces,
lorsqu’il s’agit de la demande d’un brevet. Le préfet n’a
ni le pouvoir ni le droit d’en vérifier l’opportunité. Il
doit l’opérer dès qu’il en est requis, et que l’extrait au
thentique de l’acte lui est remis.
287.
— De là on a conclu , avec raison , qu’il ne
peut s’abstenir , même alors que des oppositions à l’en
registrement lui auraient été signifiées.
Nous ne reviendrons pas sur les observations que
nous avons présentées, et la discussion à laquelle nous
nous sommes livrés relativement aux oppositions faites
à la délivrance des brevets. Les raisons étant les mêmes,
la solution doit être identique.'
Nous nous permettrons seulement de rappeler les con
sidérations que M. Renouard présente à ce sujet :
« L’administration enregistre et publie les cessions ;
» elle ne les juge pas. Les tribunaux seuls sontcompé-
2 S u p r a n° 711.
1 —
18
�274
LOI
DU
6
JUILLET
1844
» tents pour statuer sur les contestations dont elles sont
» l’objet.
» L’enregistrement à la préfecture étant nécessaire
» pour conférer à l’acte de cession son complément de
» validité , un préfet se compromettrait gravement, et
» s’exposerait même à des dommages - intérêts s i , par
» son refus ou par son retard d’enregistrement, il lais—
» sait acquérir, au préjudice de cette cession, des droits
f> à des tiers à qui elle n’est opposable qu’après avoir
» été enregistrée. La loi n’aurait certainement ni voulu,
» ni pu subordonner la validité de la cession à une dé» cision administrative, ni exposer le droit de l’une des
» parties à périr par l’inaccomplissement d’une forma» lité dont la réalisation aurait dépendu d’autre chose
» que de la diligence de cette partie. Alors même que
» l’opposition émanerait soit du cédant, soit du cession» naire, le préfet ne pourrait ni refuser ni retarder l’eny> registrement requis par l’autre des parties contrac» tantes. S’il y a litige sur le contrat, les tribunaux ju » geront.' »
i N° 175. — Conif.; Nouguier, n° 305; — Et, Blanc, pag. 327.
�SUR LES BREVETS D’lNVENTJON
A
rt-
275
22.
Les cessionnaires d’un brevet, et ceux qui au
ront acquis d’un breveté ou de ses ayants droit
la faculté d’exploiter la découverte ou l’inven
tion , profiteront de plein droit des certificats
d’addition qui seront ultérieurement délivrés au
breveté ou à ses ayants droit. Réciproquement
le breveté ou ses ayants droit profiteront des cer
tificats d’addition qui seront ultérieurement dé
livrés aux cessionnaires.
Tous ceux qui auront droit de profiter des
certificats d’addition, pourront en lever une ex
pédition au ministère de l'agriculture et du com
merce, moyennant un droit de vingt francs.
SOMMAIRE
288 Objet de la cession.—Capacité des parties.
289 Exige une chose et un prix.— Effets du défaut de résultats
ou de nouveauté.
290
291
292
293
294
Effets de la cession totale.
Effets de l’association avec un tiers pour l ’exploitation.
De la cession de la copropriété du brevet.
De celle de l’exploitation dans une localité déterminée.
La prohibition d ’introduire les produits dans la zone cédée ne
�276
295
296
297
298
299
300
301
302
303
304
305
306
307
308
309
310
311
312
313
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
s’étend pas aux acheteurs. — Exception en cas de
fraude.
Interdiction, pour le cédant, de fabriquer ou de vendre dans
la zone concédée.—Effets de la résolution dans les deux
cas.—Nature des dommages-intérêts.
Le jugement qui résilierait la cession , doit-il être enregis
tré à la préfecture. — Opinion de M. Nouguier pour la
négative.
Réfutation.
Effets de la cession sur les licences concédées.
Obligation pour le cessionnaire de les respecter.
Les licences doivent avoir acquis date certaine avant la ces
sion.
Nécessité de régler la position du cédant et du cessionnaire,
à l’égard des perfectionnements.
Effets du silence gardé à ce sujet par les lois de 1791.
Remède adopté par le projet.—Observations de la commis
sion de la chambre des Pairs.
Caractère de la proposition du Gouvernement.
Discussion à la chambre des Députés. — Proposition de M.
Marie.—Son retrait.
Examen critique de l’art. 22.
Proposition de M. Ph. Dupin, de mettre sur la même ligne
les brevets de perfectionnement et les certificats d’ad
dition.—Son rejet.
Caractère de cette décision.
o
Objection par laquelle on la justifiait.—Réponse.
Peut-on quereler de fraude l’option que fait le cédant, et la
prise du brevet. — Opinion de MM. Renouard et Nou
guier.
Examen et réfutation.
Moyen donné aux cessionnaires pour conjurer le péril. —
Son caractère.
Droit de chaque intéressé de prendre une expédition du
certificat d’addition .—Condition.
P
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
277
2 8 8 . — La cession d’un brevet a pour objet de
transférer les prérogatives qui en résultent sur la tête du
cessionnaire. Elle est, en réalité, une vente , et comme
telle, soumise pour sa validité, aux conditions régissant
celle-ci.
Or, la première de ces conditions est la capacité des
parties. Le mineur, l’interdit, la femme mariée, incapa
bles de donner isolément un consentement éclairé et li
bre, ne pourraient donc ni vendre , ni acheter valableblement un brevet.
2 8 9 . — Il faut, en second lieu, que la cession offre
une chose et un prix. Or, la chose n’existe pas, lorsque
le brevet a été pris pour un objet qui, ne pouvant pro- duire aucun avantage , n ’était pas brevetable. Nous a vons déjà rappelé la jurisprudence qui, dès longtemps,
a consacré ce principe et ses conséquences.1
Or, ce qui est vrai pour l’absence de résultats, l’est
également pour défaut de nouveauté. On n’achète un
brevet que pour acquérir le monopole de l’exploitation
de l’objet qui en fait la matière. Or, si avant le brevet,
cet objet étant tombé dans le domaine public, tout mo
nopole était impossible , la cession n’a plus de cause.
Résultat de l’erreur, elle doit être annulée.
2 9 0 . — Les effets de la cession sont naturellement
plus ou moins étendus , selon qu’elle est totale ou par
tielle.
1 Supra n° 256.
�278
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
La cession totale met purement et simplement le ces
sionnaire au lieu et place du cédant. Celui-ci, complè
tement désintéressé , n’a plus aucun droit ni au brevet
ni à l’invention pour laquelle il a été obtenu ; il ne peut
ni poursuivre les contrefacteurs , ni exploiter pour son
compte , sans se rendre coupable du délit de contre
façon.
291.
— La cession partielle confère aussi à l’ache
teur tous les droits du brevet , mais dans les limites
qu’elle comporte. Il faut donc, quant à ses effets pré
cis, distinguer le caractère de l’acte, et la nature de ses
stipulations.
Lorsque la cession a pour objet, de la part du bre
veté, de s’associer un tiers dans l’exploitation, elle con
stitue une copropriété indivise. En conséquence , tout
devant être commun dans cette propriété commune, les
deux associés ne peuvent plus exploiter, modifier ou cé
der que d’un commun accord.'
Mais l’indivision ne saurait, être éternelle. Le terme
de celle-ci arrivera naturellement avec l’expiration du
brevet. Mais supposez dans l’intervalle une inimitié, un
dissentiment, une mort , le copropriétaire ou ses héri
tiers pourront-ils vendre leur droit et se substituer un
tiers ?
Nous ne le pensons pas. Une communauté de ce
genre, ayant pour objet une exploitation industrielle, a
1 Et. Blanc, pag. 530 ; — Louis Nouguier , n° 323,
�SUR UES BREVETS D’iNVENTION
279
pour bases essentielles non-seulement la capacité, mais
encore les qualités personnelles, le caractère des par
ties. Chacune d’elles pourrait, à bon droit , refuser le
remplaçant que l’autre voudrait se donner et qui pour
rait n’offrir aucune des garanties qu’elle est en droit
d’exiger.
Le seul moyen de faire cesser l’indivision serait alors
ou une vente amiable du brevet, ou sa licitation en jus
tice.
Notre hypothèse suppose une copropriété certaine,
acquise à prix d’argent. Si le breveté s’était adjoint un
tiers-pour l’exploitation, même avec partage des bénéfi
ces, mais sans rien recevoir de lui, il n’y aurait ni so
ciété ni communauté. Ce tiers ne serait qu’un commis
intéressé , à moins que la convention ne lui accordât
expressément, outre une quotité dans les bénéfices, une
part quelconque dans la propriété.
292.
— Lorsque la cession porte uniquement sur
la copropriété du brevet, le cessionnaire peut jouir à
ses plaisirs et volontés de la part qu’il a acquise. Il peut
l’exploiter séparément, la vendre , la céder en tout ou
en partie , sans avoir ni à consulter son cédant , ni à
s’en entendre avec lui ; poursuivre les contrefacteurs,
enfin exercer dans les limites de la cession tous les droits
résultant du brevet.
Dans cette hypothèse, il y a bien copropriété, mais il
n’y a ni communauté ni indivision. Chaque partie pos
sède séparément, jouit à ses risques et périls, et ne sau-
�280
lo:
du
6
ju illet
1844
rait, si elle est dans l’intention ou dans la nécessité de
vendre , contraindre l’autre partie à vendre également.
On ne pourrait donc, comme le fait M. Et. Blanc, ad
mettre dans ce cas la possibilité légale d’une licitation
en justice.
2 9 3 . — Lorsque le breveté n’a cédé ses droits que
pour une localité déterminée , le cessionnaire a incon
testablement la jouissance exclusive du brevet, dans
toute la zone concédée. À moins d’une réserve expresse
contraire, le cédant lui-même devrait respecter ce droit
exclusif qu’il ne pourrait violer sans se rendre coupable
du délit de contrefaçon.
L’obligation, pour le cessionnaire , de se renfermer
dans la localité déterminée est absolue. Elle comprend
non-seulement la faculté de fabriquer, mais encore celle
de vendre. Il ne pourrait donc introduire et vendre ses
produits, dans la zone réservée, sans porter atteinte aux
droits du cédant et se rendre passible des peines encou
rues par les contrefacteurs.
2 9 4 . — Cette défense d’introduction dans la zone
réservée est exclusive au cessionnaire. Elle ne s’étend
pas aux tiers. Ceux-ci qui auraient acheté valablement
du cessionnaire dans la localité qui lui est dévolue, peu
vent revendre partout où la convenance et l’intérêt de
leur commerce les appellent. Ils usent,dans ce cas, d’un
droit qui leur appartient, et dont nul ne saurait pré
tendre les dépouiller. Ils ne pourraient donc ni être
�considérés comme contrefacteurs , ni être poursuivis
comme tels.
Mais il ne faudrait pas que, sous des apparences lici
tes, le cessionnaire tantât de réaliser indirectement des
actes qu’il ne peut faire directement. N’est-ce pas pour
tant ce qui aurait lieu, si ces prétendus acheteurs n’a
gissaient que.pour son compte, n ’étaient que ses prêtenoms ?
Il y aurait là une fraude évidente que la justice de
vrait réprimer, qu’elle réprimerait incontestablement si
son existence lui était démontrée. La charge de cette
démonstration incomberait au poursuivant. Elle pour
rait être faite par tous les genres de preuve, même par
témoins et par présomptions. La fraude prouvée et ac
quise, la réparation du préjudice qu’elle a pu occasion
ner serait inévitablement accordée au cédant.
295.
— Au reste , il y a à cet endroit une entière
et absolue réciprocité. Par le fait seul de la cession , le
cédant s’est interdit d’exploiter , lui-même , dans toute
l’étendue de la zone concédée. Où serait l’utilité de la
cession s i , malgré son existence, le cédant venait, dans
la localité dévolu^au cessionnaire , créer un établisse
ment rival et faire une concurrence écrasante ?
Le résultat serait le même si, sans y ouvrir un éta
blissement , le cédant inondait de ses produits la zone
concédée, soit par lui-même , soit au moyen de prêtenom. On ne saurait donc pas plus permettre l’un que
l’autre, à moins que la cession en stipulât la réserve ex-
i ;
( i
t;
h îii èr
�282
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
presse. A défaut, la poursuite par le cessionnaire serait
recevable, et la preuve de son bien fondé faite,lui ferait
allouer la réparation qu’il demanderait.
Cette réparation pourrait, dans l’un et l’autre cas, ou
tre une allocation de dommages-intérêts, motiver et en
traîner la résiliation de la cession. Celle-ci, en effet,
quoique ayant pour objet un brevet, n’en est pas moins
régie par le droit commun , et l’inexécution qui , dans
les contrats ordinaires, autorise la résolution, produirait
ici un effet identique.
2 9 6 . — Le jugement qui prononcerait celle résilia
tion doit-il être enregistré à la préfecture, et publié con
formément à l’art. 20 ?
M. Nouguier se prononce pour la négative. Il pense
que les formalités de cet article ne s’appliquent qu’aux
actes de cessions volontaires. Néanmoins , ajoute-t-il,
la prudence commande , à celui qui redevient proprié
taire, de faire enregistrer le jugement ordonnant la mu
tation, et de le porter par la publicité à la connaissance
des tiers.'
2 9 7 . — Nous considérons cornue une obligation
imposée par la loi ce que M. Nouguier qualifie d’acte
de prudence. Il est évident que la connaissance de la
rétrocession intéresse le public bien plus encore que celle
de la cession.
î JS° 34?,
�SUR LES BREVETS D’JNVRNTION
283
Tout ce qui résulterait du défaut de celle-ci serait,
au pis aller, le refus de traiter avec tout autre que le ti
tulaire du brevet, ce qui serait préjudiciable au cession
naire, mais ne saurait nuire en aucune façon au public.
Supposez au contraire que , malgré la résiliation,
l’ancien cessionnaire ait continué d'exploiter et de ven
dre , le cédant , rentré dans ses droits , fera saisir les
produits contrefaits entre les mains des acheteurs , et
poursuivra ceux-ci en contrefaçon.
Cependant, que pourra-t-il leur reprocher? Ils n’ont
fait aujourd’hui que ce qu’ils faisaient valablement hier.
Or, qui les a instruits qu’ils avaient à s’abstenir désor
mais, et faudra-t-il les punir d’une ignorance qu’on n’a
pas pris la peine de dissiper ?
Une pareille iniquité n’a pu entrer dans les prévisions
du législateur. N’est-ce pas précisément pour la préve
nir qu’obéissant à cette règle d’éternelle justice: moneat
priusquam feriat, il a sanctionné l’art. 20 ?
Il est vrai que cet article dispose pour les cessions
volontaires. Mais il met sur la même ligne tous autres
actes emportant mutation. Or, le jugement n’est pas
autre chose qu’un acte plus solennel que les autres, et
si en fait il réalise la mutation, ce qui est incontestable
lorsqu’il résilie une convention , il se place naturelle
ment sous l’empire de l’art. 20. Décider le contraire,
c’est méconnaître l’esprit et le texte de la loi.
298.
— L’effet de la cession , qu’elle soit totale ou
partielle , ne se produit que dans et pour l’avenir. Elle
�m
LOI DU
6
JUILLET
1844
ne saurait donc ni modifier, ni altérer et moins encore
anéantir les droits concédés à une époque antérieure.
Le cessionnaire serait donc obligé de respecter les li
cences que le titulaire du brevet aurait concédées avant
la cession. Ce principe est incontestable. Il ne peut sur
gir de difficultés que sur l’étendue de ses conséquences
et l’opportuilé de son application.
2 9 9 . — L’obligation du cessionnaire est absolue, dit
M. Nouguier. Les licences antérieures devraient être res
pectées , alors même qu’elles ne résulteraient que d’un
titre sous seing privé , pourvu que leur antériorité soit
certaine
Elles devraient l’être, ajoute M. Et. Blanc, alors mê
me qu’elles n’auraient pas été signalées au cessionnaire.
On ne peut reprocher à ceux qui en sont pourvus d’a
voir négligé la formalité de l’enregistrement, puisqu’ils
n’y étaient pas astreints. Il ne restera à l’acquéreur lésé
par ces licences qu’il ignorait, qu’un recours contre son
vendeur qui n’a pas eu la'loyauté de les déclarer.1
3 0 0 . — L’enregistrement dont les porteurs de li
cence sont dispensés, est exclusivement l’enregistrement
administratif qui se réalise à la préfecture. Ce ne peut
pas être celui qui est destiné à donner à l’acte une date
certaine à l’égard des tiers. MM. Blanc et Nouguier exi-
1 N» 322.
a Pag. 523.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
285
g e n t, et avec raison , la certitude de l’antériorité de la
licence. II ne faudrait pas, en effet, que, par une anti
date concertée, le cédant vint après coup grever le ces
sionnaire de charges plus ou moins onéreuses.
Sans doute , le cessionnaire aurait un recours contre
le cédant. Mais que vaudrait ce recours, si ce dernier était insolvable ou l’était devenu ? D’ailleurs, ne vaut-il
pas mieux prévenir la fraude que la réprimer.
La certitude de l’antériorité de la licence était donc
une condition qui s’imposait en quelque sorte d’ellemême, et dont la constatation ne pouvait être abandon
née aux hasards et aux chances de l’appréciation. Elle
devait résulter du titre lui-même. Elle ne sera donc ac
quise que si l’acte de concession est authentique ou que
si, étant sous seing privé , il a acquis date certaine par
un des moyens indiqués par la loi.
501. — Les principes que nous venons d’exposer
et leurs conséquences découlent du droit commun. L’ap
plication de celui-ci aux cessions de brevet ne pouvait
faire le moindre doute , et dispensait le législateur du
soin de les rappeler dans la loi spéciale.
Mais une invention brevetée est presque toujous sus
ceptible d’être modifiée. En général, en effet, les inven
tions dans les arts et métiers n’arrivent à l’état de per
fection qu’à l’aide d'améliorations dont la pratique si
gnale l’utilité et la nécessité. De là ces additions, ces
perfectionnements qui donnent lieu soit à un certificat,
soit à un brevet.
�1.01 DU 6 JUILLET 1 8 4 4
286
Ces additions ou perfectionnements peuvent être le fait
du cessionnaire comme celui du cédant. Devaient - ils
être communs à l’un et à l’autre? Appartenaient-ils ex
clusivement à leur auteur ?
3 0 2 , — Le silence gardé par la loi de 4791 avait
forcément fait résoudre la question dans ce dernier
sens. Ce qui en était résulté était un préjudice immense
pour les cessionnaires.
En effet, le breveté qui avait imaginé un perfection
nement n’avait rien de plus pressé que de céder partiel
lement son brevet. Puis , le lendemain de la cession il
demandait et obtenait soit un certificat d’addition , soit
un brevet de perfectionnement.
Lui seul pouvait en jouir, et les cessionnaires réduits
à n ’offrir que des produits inférieurs, étaient exposés à
subir une écrasante concurrence. Il leur fallait donc ob
tenir à tout prix , sous peine de voir leur cession rester
stérile en leurs mains, la faculté d’appliquer le perfec
tionnement, et ils en étaient réduits à subir les exigences
qu’il plaisait au breveté de leur imposer.
Les plaintes et les réclamations que cet état des cho
ses avaient soulevées, ne permettaient pas au législateur
de se taire; et lui imposaient le devoir de modifier une
loi q u i, disait l’Exposé des motifs , indépendamment
même de toute supposition d'abus, était trop dure , et
imposait à l'industrie des sacrifices qu'elle ne peut sup
porter.
%
�SUR LES BREVETS D’JNVENTION
287
305.
— Comme remède, le Gouvernement propo
sait d’abord la disposition qui forme aujourd’hui l’ar
ticle 22; et de plus, un second paragraphe ainsi conçu:
« A moins de conventions contraires, les acquéreurs
d’objets brevetés auront également le droit d’appliquer
ou de faire appliquer à ces objets les changements, per
fectionnements ou additions garantis par les certificats
ci-dessus. »
La commission de la chambre des Pairs repoussait
ce paragraphe. Son habile organe, M. Sauvaire Barlhe
lemy, expliquait ainsi ce rejet.
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
« La loi ne peut stipuler , ainsi que le fait le paragraphe, que des ouvriers étrangers à l’atelier du breveté pourront ajouter aux choses brevetées les changements, perfectionnements ou additions garantis au
breveté par la puissance publique.
» S’en serait fait, dans ce cas , du droit privatif de
celui-ci; il serait complètement méconnu , et bientôt
des ateliers de contrefaçon s’élèveraient de toutes parts.
L’unité d’atelier pour la confection des objets privi—
légiés est la meilleure garantie que puisse avoir un
inventeur. Autoriser , sans son assentiment, d’autres
ateliers que les siens à retoucher ces produits , et y
faire des additions privilégiées , c’est lui ôter le plus
précieux de ses moyens de défense et de sauvegarde. »
3 0 4 . — A notre avis, la proposition du Gouverne
ment était marquée au coin de l’équité, de la justice
la plus stricte. Evidemment l’art. 22 n’était et n ’est fait
�288
LOI DU 6 JUILLET
1844
que pour le cas d’une cession partielle. Or, n’était-il
par souverainement équitable d’empêcher que celui qui,
la veille, avait acheté et payé fort cher le droit d’exploi
ter un brevet, ne fût, quant à cette exploitation, moins
avantageusement placé que son vendeur, ou que l’ache
teur du lendemain.
Etablir entre eux une parfaite et entière égalité, était
donc un acte de justice. Mais la rédaction du projet
n’allait-elle pas au delà de ce but ? Pour protéger l’a
cheteur, ne sacrifiait-elle l’intérêt du vendeur ? La cham
bre des Pairs , partageant l’avis de sa commission qui
penchait pour l’affirmative , ne pouvait que rejeter le
paragraphe.
3 0 5 . — L’article 221, réduit à une seule disposition,
rencontra des contradicteurs à la chambre des Députés.
M. Marie, entre autres, demandait que les cessionnaires
ne profitassent des certificats d’addition qu’à la charge
de payer une indemnité proportionnelle à l’importance
du perfectionnement. 11 est possible , disait-il , que le
perfectionnement l’emporte sur l’invention principale ,
et l’inventeur d o it, dans tous les c a s, être indemnisé
des sacrifices et des dépenses que lui ont coûté la re
cherche et la découverte du perfectionnement.
Mais on fit remarquer que cette indemnité, l’auteur
du perfectionnelnent était libre de l’acquérir. L’article 22
ne parle, en effet, que des certificats d’addition. Il n:est
donc plus applicable, si le perfectionnement est devenu
la matière d’un nouveau et second brevet.
�SUR LUS BREVETS D’INVENTION
289
Aussitôt M. Marie retire son amendement. S’il est en
tendu, dit-il, qu’un certificat d’addition seul appartient
au cessionnaire , comme il est certain qu’un cédant ne
sera jamais assez insensé pour prendre un certificat
d’addition , lorsqu’il peut prendre un brevet de perfec
tionnement qu’il lui sera possible de vendre , il n’est
plus nécessaire d’exiger une indemnité du cession
naire.
306.
— C’était évident. Mais cette observation qui
justifiait le retrait de l’amendement, était la plus cruelle
critique de la lo i, qui était ainsi convaincue de tolérer
l’état des choses auquel elle avait voulu remédier.
En effet, si le cédant ne sera jamais assez insensé
pour prendre un simple certificat d’addition , lorsqu’il
peut prendre un brevet de perfectionnement, il en ré
sultera que l’art. 22 restera une lettre morte et sans ap
plication possible ; qu’à l’avenir , ce que l’Exposé des
motifs reprochait au passé, continuera de se réaliser, à
savoir : la nécessité pour le cessionnaire , sous peine
de rester en arrière, de payer au cédant, pour chaque
addition, outre la valeur juste et raisonnable du per
fectionnement, le prix arbitraire du monopole qu'il lui
conviendra d'exiger.
Ainsi l'industrie devra continuer à s’imposer des sa
crifices qu’elle ne peut supporter. Toute la différence
consistera en ce que cette obligation qui , avant 1 8 4 4 ,
résultait de plein droit de la lo i, sera, depuis, l’effet de
la volonté arbitraire du cédant, qui est non-seulement
l —
<9
�§190
LOI DU 6 JUILLET
1844
libre de se soustraire à l’exécution de la lo i, mais en
core encouragé à le faire.
3 0 7 . — Donc , tout en proclamant la nécessité du
remède et la volonté de le sanctionner , la loi laisse le
mal se perpétuer. Etrange anomalie que M. Ph. Dupin
se refusait à admettre. Aussi proposait-il de consacrer
pour les brevets de perfectionnement ce qu’on prescri
vait pour les certificats d’addition.
Cette proposition fut rejetée : ce qui s’explique par la
préoccupation qui dominait la chambre des députés, et
dont la nature est suffisamment indiquée par la propo
sition même de M. Marie. L’intérêt du cédant faisait trop
oublier celui du cessionnaire.
3 0 8 . — Sans doute , il faut que le premier soit in
demnisé des peines, soins et sacrifices que lui a coûté
son invention. Mais cette nécessité devait-elle, pouvaitelle fermer les yeux sur ce qu’exigeaient les dangers
auxquels l’abus de cette protection exposait les cession
naires ? faire oublier le tort immense qu’il occasionnait
à l’industrie.
On ne devait donc , sans pencher d’un côté ou d’un
autre, s’occuper que du moyen de concilier tous les in
térêts. Ce moyen était tout trouvé. Il résultait de la ré
ciprocité absolue qu’édictait l’art.
Car, remarquons-le bien, les additions et perfection
nements ne seront pas toujours le fait du cédant. Eclai
ré par l’expérience, mis sur la voie par sa pratique , le
cessionnaire sera naturellement amené à trouver les
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
291
moyens de corriger ou de faire disparaître les defauts
ou les imperfections que lui auront signalé l’une et l’au
tre.
A son tour, il nesera jamais assez insensé pour pren
dre un simple certificat d’addition qui lui serait com
mun avec le cédant, lorsqu’il peut prendre un brevet
de perfectionnement qui lui assurera le monopole de son
invention.
Voilà donc une hypothèse où l’infériorité de position
sera toute du côté du cédant ; où il devra, pour ne pas
rester en arrière , subir les conditions qu’il plaira au
cessionnaire de lui imposer; et où , par conséquent, la
protection qu’on a voulu lui assurer , tournera contre
lui. Or , cette hypothèse est aussi probable que l’autre.
Nous avons donc raison de le dire. Avec le principe de
réciprocité, la proposition de M. Ph. Dupin n’offrait au
cun inconvénient, aucun danger. Seule elle réalisait cet
équilibre qu’on recherchait, et que l’art. 22 est si loin
d’offrir.
5 0 9 . — A l’appui de l’opinion qui a prévalu , on
disait : Qu’arriverait-il, si le perfectionnement était ima
giné par un autre que par le cédant ? Voudrait-on sous
traire le cessionnaire à la nécessité de payer le prix du
perfectionnement ?
Non, évidemment. Mais aussi quelle énorme différen
ce dans les positions ? Le tiers n’a jamais traité avec le
cessionnaire, n ’a jamais pris aucun engagement envers
lui. A quel titre donc celui-ci voudrait-il s’appliquer le
fruit de son génie et de son intelligence ?
�292
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
D’ailleurs, dans cette hypothèse, l’art. 19 protège ef
ficacement le cessionnaire. L’auteur du perfectionne
ment ne peut pas plus empiéter sur ses droits qu’il ne
p e u t, l u i , empiéter sur les siens. Si le cessionnaire éprouve le besoin d’user du perfectionnement , l’auteur
de celui-ci n’en a pas un moindre à exploiter l’inven
tion principale. Ils ont donc intérêt à s’entendre, et cet
intérêt amènera forcément une grande modération dans
leurs exigences réciproques.
Il est donc impossible de rien conclure de cette hypo
thèse, pour celle que régit l’art. 22 qui ne dispose qu’en
tre le cédant et le cessionnaire , et pour le cas d’une
cession partielle exclusivement. En effet, le danger pour
ce dernier n’existe que si le cédant a la faculté d’exploi
ter cumulativement et le perfectionnement et l’invention
principale. Or , cette faculté n’existe que dans le cas
d’une cession partielle. Elle aurait été aliénée et perdue
avec le droit au brevet, si la cession avait été totale.
Reste donc que ce que l’art. 22 a considéré et voulu
comme un acte d’équité et de justice , e st entièrement
abandonné à la volonté et au caprice du cédant. Il est
donc difficile de trouver dans sa disposition cette pro
tection que les cessionnaires méritaient et qu’on décla
rait vouloir leur accorder.
3 1 0 . — Les auteurs , frappés de cette anomalie étrange , ont cherché à l’atténuer. M. Renouard , après
avoir remarqué que l’art. 22 ne s’applique pas aux bre
vets de perfectionnement que le cédant prendrait, ajoute:
�sun
les
brevets
d ' in ventio n
293
Est-ce à dire que , s’il était évident pour les juges du
fait qu’on n’a eu recours à cette forme que dans la vue
d’éluder l’art. 22, et pour rançonner de précédents ces
sionnaires ou pour paralyser la cession à eux faite , ils
resteraient désarmés contre la conviction de cette frau
de ? Non assurément. Mais au lieu d’invoquer l’art. 22
qui réputé comprises dans l’achat antérieur les addi
tions postérieurement incorporées au brevet, on aurait
recours aux règles ordinaires du droit , soit pour faire
annuler la vente, soit pour motiver des dommages-in
térêts.'
La distinction entre les certificats d’addition dont le
cessionnaire profite, dit de son côté M.Nouguier, et les
brevets dont il ne profite pas, pourrait devenir l’occa
sion d’un calcul frauduleux. Le cessionnaire , au mo
ment où il traite avec l’inventeur, n ’acquiert souvent
qu’une œuvre incomplète, entachée des vices inhérents
à la conception première ; le brevet n ’est véritablement
utile et industriellement exploitable que par les modifi
cations de détail qu’il subit. Si l’inventeur, sachant cela,
cède sciemment son brevet avec ses imperfections, avec
la pensée d ’éluder l’art. 22 et de rançonner son ces
sionnaire en prenant des brevets au lieu de simples cer
tificats d’addition , le cessionnaire ne sera pas livré en
victime aux combinaisons déloyales du breveté ; sans
doute il ne pourra fonder ses réclamations sur l’art. 22;
1 N» 166.
�294
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
mais s’attachant aux principes généraux du droit en
matière de contrats , de vente et de quasi-délit, il de
mandera à la justice des tribunaux soit la résiliation des
conventions, soit des dommages-intérêts.'
31 J . — Cette doctrine est essentiellement équitable,
mais je doute fort de sa légalité. A quelque mobile qu’ait
obéi lecédant prenant un brevet de perfectionnement au
lieu d’un simple certificat d’addition, il n’a fait, en dé
finitive, qu’user de la liberté absolue d’option que la loi
lui laisse; du droit qu’elle lui reconnaît expressément.
Or, l’exercice d’un droit ne saurait être , n’a jamais
été considéré comme une fraude, alors même qu’il oc
casionnerait quelque préjudice à un tiers. Feci, sed jure
feci a toujours été l’exception la plus péremptoire con
tre les plaintes qu’un acte à pu soulever.
D’ailleurs la fraude consiste : non in consilio scd in
eventu. Elle résulte donc du caractère dommageable de
celui-ci. Or, l’évènement dans l’espèce sera la nécessité
dans laquelle la prise du brevet a placé le cessionnaire,
ou de traiter avec son cédant et de subir ses exigences,
ou de voir son litre paralysé en ses mains.
Mais ce résultat ne se produira-t-il pas indépendam
ment de tout calcul frauduleux ? Supposez le cédant
dans la plus entière , la plus incontestable bonne foi :
est-ce que les conséquences de son choix ne seront pas
identiquement les mêmes ?
1 N° 328.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
295
Donc le cessionnaire ne pourra en exciper pour con
clure à la fraude. Il lui faudra donc chercher ailleurs
la preuve de celle dont il se plaint, scruter la cons
cience du cédant, sonder ses intentions pour arriver à
une conclusion, peut-être sans aucun fondement réel. *
A quelles conditions les tribunaux eux-mêmes de
vront-ils reconnaître et admettre la fraude ?
On le v o it,,l’opinion de MM. Renouard et Nouguier
est grosse de difficultés, hérissée d’incertitudes. Elle a boutit ou à une impossibilité matérielle et morale, ou à
l’arbitraire le plus dangereux. Elle ne constitue, en dé
finitive , que la négation d’un droit formellement con
sacré par la loi.
Que ce droit soit excessif ; qu’il soit un grave péril
pour le cessionnaire, nous le faisions nous-même re
marquer tout à l’heure. Mais puisque ce caractère n’a
pas empêché sa consécration, il ne saurait non plus créer
aucun obstacle direct ou indirect à son libre exercice.
5 1 2 . — Est-il vrai d’ailleurs que , pour conjurer
le péril qui les menace , les cessionnaires n’aient pas
d’autre moyen que celui que signalent MM. Renouard
et Nouguier ?
L’affirmative imputerait au législateur un tort qu’il
n’a pas eu, et dirigerait contre lui un reproche qu’il ne
mérite pas. S’il a laissé le mal se continuer , il n ’a pas
manqué de placer à côté le remède capable de le préve
nir : la liberté absolue des stipulations est le correctif
naturel de la liberté d’option laissée au cédant.
�296
LOI
DU 6
JUILLET
1844
« En droit commun , disait dans son rapport l’ho
norable M. Sauvaire Barthélémy, c’est à celui qui achète
un objet dont le débit est privilégié, à faire ses condi
tions et ses réserves , et à déterminer , si cela lui con
vient , avec son vendeur , qu’il jouira de la faculté de
lui faire ajouter à l’objet vendu toutes les améliorations
qu’il découvrirait par la suite. »
Ces inspirations qui ont présidé à l’adoption de la loi
ne sont pas seulement le rappel d’un d ro it, elles ren
ferment un enseignement, et donnent un conseil de
haute prudence, qu’il ne ferait pas bon de négliger.
C’est ce qui nous fait de plus fort douter de la léga
lité de la doctrine de MM. Renouard et Nouguier. Le
cessionnaire ne serait lésé que parce qu’il n’aurait pas
pris la précaution qu’il pouvait et devait prendre. Il ne
saurait donc accuser son cédant de fraude sans se con
vaincre lui-même de légèreté et d’imprudence. Sa plainte
serait dès lors irrecevable , car la loi ne donne aucune
protection à celui qui, pouvant se protéger lui-même, a
dédaigné de le faire, et il est juste que chacun supporte
les conséquences de sa faute.
3 1 3 . — Les certificats d’addition étant de plein
droit communs à tous les intéressés au brevet, chacun
d’eux a intérêt d’en justifier le cas échéant. La loi res
pectant cet intérêt a consacré le droit, pour chacun d’eux,
de lever une expédition du certificat délivré à l’auteur
de l’addition , à la seule condition de payer la somme
de vingt francs.
�SUR UES BREVETS D’iNVENTION
297
SECTION V
De la c o m m u n ic a tio n e t d e la p u b lica tio n de»
d e s c r ip tio n s e t d e s s in s d e b rev ets.
A rt. 23
Les descriptions, dessins, échantillons et mo
dèles des brevets délivrés resteront, jusqu’à l’ex
piration des brevets , déposés au ministère de
l’agriculture et du commerce, où ils seront com
muniqués, sans frais, à toute réquisition.
Toute personne pourra obtenir, à ses frais,
copie desdites descriptions et dessins , suivant
les formes qui seront déterminées dans le régle
ment rendu en exécution de l’art. 50.
A rt. 24.
Après le paiement de la deuxième annuité,
les descriptions et dessins seront publiés soit tex
tuellement soit par extrait,
�m
LOI DU fi JUILLET
1844
il sera en outre publié, au commencement de
chaque année, un catalogue contenant les titres
des brevets délivrés dans le courant de l’année
précédente.
A rt. 25.
Le recueil des descriptions et dessins, et le
catalogue publié en exécution de l’article précé
dent seront déposés au ministère de l’agriculture
et du commerce, et au secrétariat de la préfec
ture de chaque département, où ils pourront être
consultés sans frais.
A rt. 26.
A 1expiration des brevets , les originaux des
descriptions et dessins seront déposés au conser
vatoire royal des arts et métiers.
SOMMAIRE
314 Objet de la section 5.
315 Avan tages de la publicité.—Intérêts qu'elle prolége.
316 Législation de 1791. — Son caractère. — Interprétation qui
lui avait été donnée.
�SUR LUS BREVETS l>’lNVEJNTION
299
317
318
319
320
Prescriptions de la loi actuelle.
Utilité de la copie qu’elle prescrit de délivrer.
Nature du droit qui en résulte.
Abrogation de l’exception au principe de la libre communi
cation consacrée par la loi de 1791.
321 Objet du catalogue ordonné par l’art. 24.
322 Publication des descriptions et dessins après le paiement de
la seconde annuité.
323 Sa rationnalité.
324 Objection.—Réponse de M. Renouard.
325 Forme de la publication.
326 Comment elle se réalise.
327 Dépôt du recueil et du catalogue au ministère à Paris, à la
préfecture dans les départements.
328 Dépôt des originaux des descriptions et dessins au conser
vatoire des arts ei métiers, à l’expiration des brevets.
5 1 4 . — La section dans l’examen de laquelle nous
entrons, règle la nature et l’étendue de la publicité que
doivent recevoir les brevets. Jusqu’à présent la loi s’est
bornée à prescrire une ordonnance trimestrielle procla
mant les brevets délivrés dans les trois mois expirés et
les mutations dont ils ont été l’objet.
Mais cette ordonnance ne fait que donner le titre des
brevets , et n’apprend rien sur l’objet de l’invention et
les moyens à l’aide desquels il est obtenu. Il faut pour
tout cela recourir à la description •, aux dessins, échan
tillons ou modèles qui y sont joints. Convenait-il de les
publier , dans quel mode , à quelle époque ? Tels sont
les problèmes qu’il s’agissait de résoudre.
3 1 5 . — La convenance de la publicité ne pouvait
�300
LOI n u 5 JUILLET 1 8 4 4
être ni méconnue ni contestée. Cette publicité était la
conséquence forcée des prérogatives attachées aux bre
vets, du but qu’elles se proposent.
Il faut que la jouissance exclusive du breveté soit res
pectée pendant la durée qui lui est assignée. Il faut donc
qu’elle se manifeste au public. La répression de la con
trefaçon serait-elle juste , si celui à qui on la reproche
n’avait ni connu , ni pu connaître le droit qu’on l’ac
cuse d’avoir usurpé. La publicité qui justifie la pour
suite en principe, en assure l’efficacité , puisque en ré
pandant la connaissance du droit, elle repousse énergi
quement toute prétention d’ignorance et de bonne foi
de la part du contrefacteur.
Il faut aussi que celui qui croit avoir fait une décou
verte puisse vérifier si un autre que lui ne l’a déjà ré
alisée et placée sous la protection d’un brevet , pour
que , le cas échéant, il s’abstienne de toute démarche
ultérieure, de continuer des frais et des dépenses con
damnés d’avance à n’aboutir à aucun résultat utile.§
Enfin, la loi ne pouvait pas admettre que le premier
pas fait dans les arts ou l’industrie fût le dernier mot
de l’intelligence et de la science. Aussi n’a-t-elle pas hé
sité à donner aux développements et aux perfectionne
ments des découvertes , les encouragements qu’elle as
sure à ces découvertes. Or, comment perfectionner une
découverte si , pendant un temps plus ou moins long,
cette découverte reste un secret pour tout autre que son
auteur ? N’était-ce pas là d’ailleurs , contrairement à
l’art. 1 8 , conférer à l’inventeur le monopole des addi-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
301
tions ou perfectionnements pendant cinq, dix ou quinze
ans ?
MM. Charles Dupin et Renouard ont donc pu dire,
de la publicité des brevets, qu’elle était une école d’in
dustrie , un avertissement, une exhortation à tous les
producteurs d’user de leurs droits, en tirant de la dé
couverte le meilleur parti possible ; et comme la prise
de possession , au nom de la société , de son entrée en
jouissance dans l’industrie dévolue au domaine public.
316. — L’évidence et la légitimité de ce triple inté
rêt n’avaient pas échappé au législateur de 1791. Pour
satisfaire à ses exigences il avait, dans l’art. 11 de la
loi du 7 janvier , consacré le droit de tous les citoyens
d’aller librement consulter , au secrétariat de son dépar
tement, le catalogue des inventions nouvelles ; au dépôt
général établi à cet effet, les spécifications des différen
tes patentes actuellement en exercice.
Cette publicité était incomplète, et cet inconvénient
s’aggravait de l’exécution imparfaite qu’on lui avait don
née. En effet, le catalogue rédigé pour la première fois
en 1803, n’avait été réédité qu’en 1812, et n’avait pas
encore été renouvelé en 1826. Mais, à cette époque, le
ministre de l’intérieur, M. de Corbières en fit rédiger un
général qui dut être et qui fut , chaque année , mis au
courant à l’aide de suppléments.
Mis sur la voie par l’indication du catalogue qui ne
donnait que le litre du brevet, l’intéressé, à quelque li
tre que ce fût, devait naturellement être amené à la né>
�302
LOI DU 6 JUILLET 1 84 4
cessité de consulter les spécifications , c’est à dire les
descriptions et dessins. Il pouvait y satisfaire au dépôt
général , c’est à dire au directoire des brevets , puis au
ministère de l’intérieur , et plus tard au ministère de
l’agriculture et du commerce.
On remarquera que la loi ne parlait pas du droit de
se faire délivrer copie de la spécification. Aussi des dou
tes s’étaient-ils élevés à cet égard.
Mais l’existence du droit avait prévalu , et c'est dans
le sens de sa consécration que la loi avait été interpré
tée. N’était-ce pas , en effet, pour assurer la publicité
du brevet que l’art. 11 consacrait la libre communica
tion du catalogue et de la spécification ? Donc, tout ce
qui tendait à favoriser celte publicité , à en reculer les
limites était évidemment sinon dans son texte, au moins
dans son esprit.
5 1 7 . — La loi de 1844 consacre, à son tour , le
dépôt au ministère de l’agriculture et du commerce des
descriptions , dessins , échantillons et modèles des bre
vets délivrés, et en prescrit la communication sans frais,
à toute réquisition. La généralité de ces termes n ’a pas
besoin d’être expliquée. Elle amène forcément à ce ré
sultat , que la communication ne saurait être refusée,
pas même pendant le cours de l’année réservée au bre
veté par l’art. 18.
Ce qui n’était qu’une induction sous la législation
précédente, est aujourd’hui expressément inscrit dans la
loi. Tout intéressé peut, à son gré, se faire délivrer co-
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
303
pie des descriptions et dessins, à la seule condition d’en
payer les frais.
318.
— L’utilité du droit, aujourd’hui consacré, se
justifie d’elle-même , car ce droit répond à un besoin
réel, sérieux, incontestable.
En effet, la communication des descriptions et des
sins, qu’il est facultatif de prendre au ministère de l’a
griculture et du commerce, peut suffire à ceux qui cher
chent à s’abstenir de fabriquer des produits similaires,
d’user des moyens d’application indiqués par le breveté,
ou à s’assurer si telle ou telle découverte a déjà fait ou
non le sujet d’un brevet.
Mais on ne pouvait l’admettre ainsi pour les produc
teurs de bonne foi qui tiennent à éviter même l’appa
rence d’une contrefaçon, et pour ces industriels qui projètent des additions, changements ou perfectionnements
à l’invention brevetée. Les uns et les autres doivent à
chaque instant consulter soit la description,soit les des
sins. Il faut donc qu’ils les aient constamment sous la
main, à leur libre et entière disposition.
S’ils étaient obligés, chaque fois que ce besoin de con-.
sulter se fait sentir, de se transporter au ministère, leur
temps s’écoulerait en allées et venues , et ces allées et
venues que ne coûteraient-elles pas, si celui qui doit y
pourvoir était domicilié ailleurs qu’à Paris.
Voilà pourquoi la loi de 1844 n ’a pas hésité à con
sacrer la pratique qui s’était établie malgré le silence de
la législation précédente,et à sanctionner pour tous ledroit
de se faire délivrer copie des descriptions et dessins.
m
H -ii!
il;.'.
�304
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
3 1 9 . — Ce droit, comme celui de prendre commu
nication au ministère , est général, absolu, sans limite.
Son exercice peut avoir lieu à toute époque , et malgré
l’opposition qu’y ferait le breveté. Ce qui appartient à
celui-ci, dit M. Renouard , c’est le droit d’exploitation
exclusive pendant un temps déterminé. La connaissance
du brevet appartient au public aussi bien qu’au breveté
lui-même. On le décidait ainsi sous les lois de 1791,
par une juste interprétation de ces lois. Aucune con
troverse, sur ce p o in t, ne sera désormais possible , car
l’art. 23 de la loi de 1844 l’a réglé expressément.'
3 2 0 . — Au silence gardé sur la délivrance de co
pies , les lois de 1791 avaient ajouté une exception au
principe de la libre communication. Ainsi , l’inventeur
pouvait obtenir du Corps législatif un décret portant que
son invention demeurerait secrète.
Nous ignorons quelles pouvaient être les raisons po
litiques ou commerciales de nature à légitimer ce se
cret. Ce qui est certain c’est que cette disposition n’avait
jamais reçu d’application. Nous en avons vainement
cherché un exemple de 1791 à 1844.
Le législateur de cette dernière époque avait donc,
pour abroger cette exception, un double motif : d’abord
son inutilité ; ensuite le désir et la volonté de donner à
la publicité des brevets toute l’extension qu’elle pouvait
comporter.
�SU R
LES
BREVETS
d
’ I N V E N TI O N
305
5 2 1 . — Cette intention faisait assez prévoir qu’on
accepterait la disposition prescrivant le catalogue des
brevets. Mais en se l’appropriant, le législateur de 1 8 4 4
en a assuré l’efficacité et l’a complétée. Désormais et
conformément à la pratique adoptée depuis 1 8 2 3 , le
catalogue sera dressé chaque commencement d’année,
et contiendra les titres des brevets délivrés dans le cou
rant de l’année précédente.
L’examen de ces catalogues ne laissera rien à désirer,
quant au passé; mais il n’offre pas le même avantage,
pour le présent. En effet, il arrivera que dans le cou
rant de l’année, dans l’intervalle d’un catalogue à l’au
tre , divers brevets auront été délivrés. Ils seront donc
ignorés jusqu’au catalogue prochain.
C’est là un inconvénient, mais il était inévitable. On
ne pouvait, en effet, prescrire le catalogue jour par jour
et à mesure qu’un nouveau brevet serait demandé et
^obtenu.
\
D’ailleurs, ce qui atténue cet inconvénient: c’est d’a
bord la disposition de l’art. 14 prescrivant la proclama
tion trimestrielle des brevets délivrés pendant le trimes
tre ;
C’est ensuite le droit de prendre à toute époque et
sans frais, communication au ministère de l’agriculture
et du commerce, des descriptions, dessins, échantillons
et modèles; c’est à dire le droit non-seulement de s’as
surer de l’existence du brevet , mais encore de fouiller
dans la pensée de l’inventeur, et de pénétrer le secret de
sa découverte.
i — 20
�306
LOI DU 6 JUILLET
1844
L’ensemble de ces dispositions permet donc de s’as
surer de l’état exact des choses au moment où le be
soin s’en fait sentir.
3 2 2 , — Le premier paragraphe de l’art. 24 intro
duit une grave et importante innovation. Les lois de
1791 ne prescrivaient la publication officielle des des
criptions et dessins qu’après l’expiration du brevet. En
vertu de l’art. 24 , cette publication aura lieu après le
paiement de la deuxième annuité, c’est à dire au com
mencement de la seconde année , puisque les annuités
sont exigibles et doivent être payées d’avance à peine de
déchéance.
C’est là une amélioration , disait le rapporteur à la
chambre des Pairs. Aujourd’hui la publication n’a lieu
qu’à Pexpiralion du privilège. Aussi la publication des
inventions brevetées est-elle restreinte à Paris. Elle exis
tera , à l’avenir , pour tous les chefs-lieux de départe-*
ments.
Pourquoi, disait de son côté le rapporteur de la cham
bre des Députés, attendre l’expiration du brevet pour
divulguer ainsi les ressources nouvelles offertes à l’in
dustrie , et pour provoquer leur perfectionnement, ou
mettre sur la route des découvertes qui s’y rattachent.
3 2 3 . — O ui, la disposition nouvelle est une amé
lioration. Elle met un terme à une inégalité vraiment
fâcheuse. Tous les industriels ont un égal intérêt à con
naître les descriptions et dessins des brevets. Celte con-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
307
naissance, Paris seul pouvant l’offrir, ses habitants pou
vaient plus ou moins facilement l’acquérir. Mais à quels
déplacements coûteux, à combien de frais, à quelle perte
de temps n ’étaient-ils pas exposés ceux qui, domiciliés
ailleurs, étaient obligés de venir l’y chercher.
D’autre part, si la publicité des brevets était et devait
être une école d’industrie, une exhortation, un avertis_ sement à tous les producteurs, d’user de leurs droits en
tirant de la découverte tout le parti possible , l’intérêt
général se trouvait directement engagé, et amenait for
cément à consacrer tout ce qui, convergeant vers ce dou
ble but, était de nature à le réaliser.
Déjà cette nécessité avait été invoquée contre le re
tard d’un an que l’art. 18 consacre , à la faculté pour
le public de perfectionner l’invention , et le motif d’é
quité qui faisait admettre ce retard , ne pouvait même
être invoqué en faveur de celui qui aurait dû se prolon
ger cinq, dix ou quinze ans. Car, qu’on ne s’y trompe
p a s , le défaut de publication équivalait, pour le plus
grand nom bre, à la prohibition d’additionner ou de
perfectionner l’invention..
Il fallait donc, dans un intérêt général et public, don
ner au brevet la plus grande publicité ; celte publicité
devait s’adresser à tous, aller chercher tous les intéres
sés sans les obliger à des déplacements onéreux,et quel
quefois même impossibles à réaliser faute de temps ou
d’argent.
5 2 4 . — L’unique argument qui s’opposait au sys-
�308
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
tème de la loi était puisé dans l’intérêt particulier du
breveté, La publication anticipée des descriptions et des
sins , disait-on , favorise la contrefaçon et compromet
plus ou moins gravement cet intérêt.
Celte conséquence n’avait aucun fondement sérieux.
La contrefaçon frauduleuse n’a pas besoin de la publi
cation. Elle a de quoi se satisfaire amplement dans la
communication qu’elle a le droit de prendre au minis
tère, et devant les difficultés et les dépenses de laquelle
on peut être sûr qu’elle ne reculera pas.
D’ailleurs, si la publicité pouvait offrir quelque dan
ger pour l’inventeur, ce danger, observe fort justement
M. Renouard, est compensé par deux avantages. L’un
est d’augmenter, avec la publicité de la découverte, et la
gloire de l’inventeur, et l’annonce des produits inventés,
et les occasions de débit pour ces produits ; l’autre est
de diminuer le nombre des contrefaçons de bonne foi,
des imitations auxquelles se livrent des individus qui
exercent, comme si elle était libre, une industrie qu’ils
croye'iit libre, et qui est encore brevetée , enfin,des dou
bles brevets pris de bonne foi , pour une même inven
tion, par plusieurs personnes.
L’éminent magistrat jurisconsulte ajoute : La chance
de diminution des contrefaçons de bonne foi offre, aux
brevetés , plus d’utilité que la chance de contrefaçons
frauduleuses ne leur présente de désavantage. Elle en
toure de faveur les actions qu’ils pourront être obligés
d’intenter en justice, et frappe d’une plus forte présomp
tion de mauvaise foi les imitateurs de leurs produits.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
309
M. Renouard arrive donc à cette conclusion*: Qu’il
faut désirer la plus grande publicité possible , quand
même il ne s’agirait que du plus grand intérêt des bre
vetés; mais que si l’on songe à la conservation des droits
du public qu’il faut,dans toute question sur les brevets,
respecter concurremment avec ceux des inventeurs, au
cune hésitation n’est permise.'
On ne saurait rien ajouter à cette démonstration de
l’opportunité et de l’utilité de la disposition nouvelle
consacrée par l’art. 24.
525.
— La publication des descriptions et dessins
a lieu soit textuellement, soit par extrait. Cette dernière
faculté rencontra quelque opposition. M.Betbmont pro
posait notamment de la repousser. Il voyait des incon
vénients à cê que l’administration rédigeât elle-même
l’extrait, et pût ainsi omettre des détails que le breveté
a considéré et dû considérer comme utiles.
Au nom du Gouvernement, on répondait qu’on n ’en
tendait pas morceler les descriptions , et publier seule
ment par analyse les brevets offrant quelque importan
ce. Mais qu’il y avait des brevets absolument déraison
nables, par exemple, sur le mouvement perpétuel, sur
la quadrature du cercle, etc.. .. Qu’il fallait bien se ré
server le moyen de ne pas imprimer des rêveries uni
quement propres à augmenter les dépenses, sans utilité
possible pour l’industrie.
1 N°'I8'I.
i
�310
LOI DU
6
JUILLKT
1844
M. Bethmont n ’insista pas. Mais, tout en retirant son
amendement, il crut devoir exprimer l’opinion que l’ad
ministration devait être large dans le choix des brevets
à imprimer textuellement, ainsi que dans les extraits
auxquels elle réduira la publication des autres ; qu’il était de son devoir de ne pas préjuger l’inutilité de telles
ou telles dispositions, et d’imprimer in extenso les bre
vets portant le cachet de la raison.
5 2 6 . — La publication ordonnée par l’art. 24 a
lieu au moyen d’un recueil spécial, qui est imprimé par
les ordres et sous la direction du ministre de l’agricul
ture et du commerce , comme les catalogues eux-mê
mes.
5 2 7 . — Or, il est évident que ce recueil, que le ca
talogue ne pouvaient être adressés à tous ceux qui ont
intérêt à les connaître, et qui sont naturellement encore
inconnus. Il fallait que tout le monde pût les consulter,
ce qui amenait à établir un centre où l’on serait sûr de
les trouver.
Ce dépôt central est, pour Paris, le ministère de l’a
griculture et du commerce ; dans les départements , le
secrétariat de la préfecture. Aurait-on rencontré, dans
les communes, les garanties de conservation que l’im
portance des préfectures offre et réalise?
5 2 8 . — A l’expiration des brevets, les descriptions,
dessins , échantillons et modèles ont beaucoup perdu
de leur importance. Ils ne sont pas cependant sans in -
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
311
térêt, ne fût-ce que celui d’apprécier les développements
qu’une invention a reçue, en comparant ce qu’elle était
à son point de dép art, et ce que l’ont faite les perfec
tionnements qu’elle a successivement reçus.
Or, ce but est d’autant mieux rempli , par leur dépôt
au conservatoire des arts el métiers , que les modèles,
machines, outils, instruments, appareils y sont exposés
dans ses magnifiques galeries ouvertes au public.,
Quant aux descriptions et dessins, ils continuent à être communiqués, mais sans déplacement, aux person
nes qui le demandent.
�312
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
TITRE III
DES DROITS DES ÉTRANGERS
%
A rt. 27.
*
Les étrangers pourront obtenir en France des
brevets d’invention.
A rt
28.
Les formalités et conditions déterminées par
la présente loi seront applicables aux brevets de
mandés ou délivrés en vertu de l’article précé
dent.
*
A rt. 29.
L ’auteur d’une invention ou découverte déjà
brevetée à l’étranger pourra obtenir un brevet
en France, mais la durée de ce brevet ne pourra
excéder celle des brevets antérieurement pris à
l’étranger.
�329 Caractère de la législation française à l'égard des étrangers.
330 Nécessité de les assimiler aux français , quant aux brevets
d’invention.—Nature de cette assimilation.
Proposition de la restreindre aux étrangers résidant en
France.—Rejet.—Ses motifs.
332 Son inutilité en présence de l’art. 32.
333 L’étranger n’est pas tenu d’exploiter en personne.
334 Il peut aussi céder son brevet.—Conséquences quant à l’o
bligation d’exploiter.
335 Caractère de l’art. 29.—Ses motifs.
336 Reproches qui lui étaient adressés.
337 Considérations en sa faveur.
338 Réponse qui leur était faite.
339 Réciprocité exigée par le projet.—Caractère que lui donnait
,l’Exposé des motifs.
340 Attaque dont elle était l’objet de la part de^s partisans de
l’art 29.
%
341 De la part des adversaires de l'article.
342 Rejet, de l’article par la chambre des Pairs.
343 Son adoption par la chambre des Députés, mais sans la con
dition de réciprocité.
344 Doute que cette condition puisse être efficace.
345 Appréciation de l’art. 29.—Son caractère.
346 Ne méritait aucun des reproches qui lui étaient adressés.—
Pourquoi.
347 Sa nécessité pour le règlement de la durée du brevet pris
en France.—Sagesse de sa disposition à ce sujet.
348 Elle s’applique quelle que soit la cause de l’extinction du
brevet à l’étranger.
349 La faculté de faire breveter en France la découverte déjà
brevetée à l’étranger, appartient au français lui-même,
350 Résumé.
�314
LOI DU
6
JUILLET
1844
3 2 9 . — Le droit de l’étranger , faisant en France
une découverte nouvelle, à s’en assurer temporairement
la jouissance exclusive , en prenant un brevet d’inven
tion, ne pouvait être ni contesté ni méconnu. Une grande
nation comme la nation française est inaccessible à ces
injustes préventions , à ces mesquines jalousies qui ac
cueillent l’étranger dans certains pays, et qu’on rencon
tre encore chez certains peuples.
Nous pouvons rendre à notre législation ce témoigna
ge, qu’elle n’a jamais hésité à les répudier et à les pros
crire. Ainsi, les articles 11 et 13 du Code Napoléon ou
vraient aux étrangers l’exercice des droits civils;, plus
tard , le sénatus-consulte du 19 février 1808 accordait
l’exercice des droits de citoyens, après un an de domi
cile, aux étrangers qui rendront ou qui auraient rendu
des services importants à l’Etat,ou qui apporteront dans
son sein des talents, des inventions ou une industrie utiles; enfin, la loi du 14 juillet 1819 faisait, dans cette
voie, un pas, plus décisif encore , en abolissant le droit
d’aubaine.
3 3 0 . — On ne pouvait , en 1844 , revenir sur des
errements qui font l’honneur de notre patrie. Alors,
comme aujourd’hui d’ailleurs, personne ne révoquait en
doute l’avantage d’imprimer au commerce et à l’indus
trie les plus vastes développements , et par conséquent
la nécessité d’encourager l’étranger à apporter chez nous
ses capitaux et son industrie ; à doter la France des
fruits de son intelligence et de son génie.
�SUR UES BREVETS D’INVENTION
315
On lui devait donc, quant aux brevets d’invention, les
mêmes encouragements, les mêmes récompenses qu’au
français lui-même. Aussi, la disposition de l’art. 27 ne
pouvait-elle rencontrer, et ne rencontra-t-elle aucune
opposition.
Cette assimilation n’est pas seulement un acte de jus
tice, elle est de plus un très-bon calcul. Aussi n’hésitat-on pas à la dégager de la condition à laquelle le Gou
vernement avait eru devoir la subordonner.
331.
— Le projet, en effet, n’accordait le droit de
prendre un brevet qu’à l’étranger résidant en France.
Et cette condition avait été admise par la commission
de la chambre des Pairs.
Mais elle rencontra d’ardents adversaires dans MM.
de Gabriac, Persil, de Turgot et Gay-Lussac qui la fi
rent repousser.
Le Gouvernement adhéra lui-même à ce rejet, et voici
les motifs que le garde des sceaux donnait à cette ad
hésion :
»
»
»
»
»
»
»
« Le Code civil dispose , d’une p a rt, que l’étranger
jouira en France de tous les droits civils qui appartiennent aux français dans le pays de cet étranger ;
d’autre part, il accorde à tout étranger, qui a été autorisé à établir son domicile en France, la jouissance
des droits civils communs à tous les français. Les
mots résidant en France ne rendent ni l’une ni l’autre de ces idées.
» Il est clair , en effet, que l’étranger devra , par la
�316
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
seule force de la loi générale , jouir des droits civils
des français, quand les droits civils de la nation étrangère seront accordés aux français. Ce n’est donc pas
à celte première disposition que le projet a voulu faire
allusion. A-t-il voulu parler de ceux qui étaient autorisés à établir leur domicile en France ? Je ne le
crois pas non plus , parce qu’il est bien clair que si
vous adoptez ce système : qu’il faut encourager les
étrangers à apporter en France des industries nouvelles , il importe assez peu que ces étrangers soient
ou ne soient pas autorisés à établir leur domicile en
France.
» Quelle a été la pensée fort sage de M. le ministre
du commerce ? C’est que l’exploitation du brevet fut
sérieuse ; qu’il y eût là un établissement préexistant
qui garantit qu’effectivement l’exploitation aurait lieu
d’une manière utile pour le pays. Mais il ne faut dire
dans les lois que ce qui est nécessaire ; il faut y évi—
ter toute disposition qui ne présenterait pas un sens
précis et net. Or, qu’est-ce qui constituera la rési—
dence ? Dans quel laps de temps l’établissement devra-t-il être formé ? Comment et par quelle autorité
sera-t-il statué sur l’accomplissement de ces conditions ?
» Je crois donc qu’on peut supprimer les mots rési—
dant en France. Le projet pourvoit lui-même à tous
les intérêts. L’article 32 porte, en effet, que si le brevet n’a pas été mis en exploitation dans les deux ans,
il y aura déchéance. Cet article ne permettra pas de
�SU R
LES
BR EV ET S
D ’ iN V Ë N TI ON
3 17
» prendre un brevet avec la pensée de n’en pas user ;
» et si, par hasard, l’inventeur n’en usait pas , il serait
» déchu, et l’invention rentrerait dans le domaine pu» blic. »
5 3 2 . — Ce commentaire officiel du rejet de la con
dition de résidence en précise le sens et en démontre
l’opportunité. A quoi bon, en effet, une disposition spé
ciale dans la loi sur les brevets , si cette condition ne
signifiait que ce dont disposait déjà le Code Napoléon ?
Si son objet unique était d’assurer l’exploitation effec
tive du brevet en France , qu’importait la préexistence
d’un établissement, et même le séjour en France de
l’inventeur, puisque l’art. 32 proclamait la déchéance
si l’invention n’avait pas été mise en exploitation dans
les deux a n s , ou si elle avait cessé d’être exploitée pen
dant deux années consécutives.
Or que cet article fût applicable à l’étranger , on ne
pouvait à cet égard concevoir le moindre doute. La rai
son seule démontrait qu’en assimilant l’étranger au fran
çais pour les bénéfices du brevet, on l’assujettissait aux
charges, formalités et conditions qui grevaient celui-ci.
On l’aurait donc infailliblement décidé ainsi, alors mê
me que, dans l’intention de prévenir toute difficulté,
l’art. 28 ne l’aurait pas formellement consacré.
— En résumé, le droit pour l’étranger de pren
dre, en France, un brevet d’invention pour toute décou
verte ou application nouvelle, est général, absolu, sans
3 3 5 .
�318
LOI DU 6 JUILLET
1844
conditions ni restrictions autres que celles faites aux
français eux-mêmes. Qu’il ait son domicile en France
ou ailleurs, qu’il y possède ou non un établissement, il
lui suffit de se conformer aux prescriptions des articles
5 et suivants.
C’est au reste ce qui se pratiquait avant la loi de
1844. Tous les jours, disait M. Gay-Lussac, il se pré
sente au comité consultatif des demandes de brevets,
formées par des étrangers , qui , sans même venir en
France, chargent des mandataires d’agir en leur nom.
Mais le brevet obtenu en France doit y être sérieuse
ment exploité. Il faut donc que l’étranger se mette,
dans tous les cas, en mesure de remplir cette condition,
comme le français lui-même, et dans le délai imparti par
l’art. 32. Mais il n’est pas tenu de présider en personne
à cette exploitation. Il peut en confier le soin à un man
dataire agissant en son nom et dans son intérêt.
3 3 4 . — Il peut également céder son brevet, et la
cession totale qu’il en ferait le délierait de cette obliga
tion qui passerait sur la tête du cessionnaire, et son in
exécution , par celui-ci, entraînerait la déchéance du
brevet. Ce droit de cession est inhérent au brevet, et on
ne saurait en contester l’exercice, pas plus à l’étranger
qu’au français lui-même.
3 3 5 . — Le principe consacré par l’art. 27 et ses
conséquences ne rencontrèrent aucune opposition sé
rieuse. Il n ’emfut pas de même de l’art. 29. La faculté
�SUR LES BREVETS u'iNVENTION
319
que celui-ci confère souleva les plus graves difficultés,
devint l’objet des plus vives attaques.
L'Exposé des motifs déclare que, si cette faculté avait
été inscrite dans la loi , c’est qu’on avait cru qu’il était
digne de la France de donner l’exemple de la reconnais
sance du droit des inventeurs sans distinction de natio
nalité, et de poser dans la loi le principe d’un droit pu
blic international pour la garantie des oeuvres du génie
industriel chez tous les peuples.
3 5 6 . — C’était là une noble et généreuse pensée.
Mais pouvait-elle justifier et autoriser cette étrangeté
d’accorder, en France, à bélanger un droit qu’on refu
sait au français, car c’est là le reproche principal qu’on
adressait à l’art. â9.
En effet, le législateur cédant avec raison aux plain
tes unanimes du commerce, et reconnaissant les graves
inconvénients que notre industrie éprouvait des brevets
d’importation, en consacrait la suppression.
Mais, objectait-on, n’est-ce pas revenir sur cette sup
pression que de permettre, à l’étranger, de venir faire
breveter , en France , une industrie pour laquelle il a
pris un brevet dans son pays. Que fait, en effet, cet étranger , sinon importer en France une industrie qui,
bientôt connue, devait tomber dans le domaine public.
Il est, en effet, impossible aujourd’hui qu’un brevet soit
pris en pays étranger sans que, le lendemain, les hom
mes qui s’occupent , en France , de la même industrie
n’en découvrent le secret et n’en tirent parti. Or, placer
�320
LOI DU fi JUILLET
1844
celle industrie sous l’empire du monopole en faveur de
l’étranger, n’est-ce pas faire pour celui-ci ce qu’on re
fusait au français? Où est cependant la différence ? Les
inconvénients existent-ils moins dans un cas que dans
l’autre ? L’industrie nationale en souffre-t-elle moins ?
%
3 3 7 . — On disait, en faveur du projet : Le droit au
brevet découle de l’invention ; il est la rémunération de
la découverte dont l’industrie est dotée ; il doit être ac
cordé à l’inventeur sans distinction de nationalité. Le
français importateur et l’étranger inventeur sont dans
deux positions différentes ; l’étranger n ’est préféré que
parce qu’il a inventé, tandis que le premier n’a d’autre
mérite que d’avoir été plus expéditif que les autres;
aussi le brevet d’importation n’était pour lui que le prix
de la course, que la rémunération du voyage.
338.
' — Sans aucun doute, répondait-on, le brevet
doit être accordé à l’inventeur sans distinction de natio
nalité. Voilà pourquoi l’art. 27 n’a excité aucune récla
mation.
Mais le brevet n’est juste que lorsqu’il rémunère un
service sérieux et réel. On l’a dit bien souvent et avec
raison, la société ne donne que parce qu’elle reçoit, et
si elle accorde un monopole à l’inventeur, c’est que ce
lui-ci la dote d’un nouvel élément de prospérité dont,
sans lui, elle eût été privée.
Que donne à l’industrie française l’étranger venant
prendre, en France, un brevet pour une invention qu’il
a déjà fait breveter dans son pays? Rien évidemment;
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
321
car, sans lui, malgré lui, et par la seule force des cho
ses, cette invention aurait été comme en France où cha
cun aurait pu s’en appliquer le profit. Il est donc évi
dent que l’étranger, en usant de la faculté que lui coni
fère l’art. 29, ne fait que ce que le français importateur
faisait lui-même , c’est à dire , placer sous l’empire du
monopole ce qui devait infailliblement tomber dans le
domaine public.
Est-il vrai d’ailleurs q u e , pour l’étranger lui-même,
le brevet ne soit pas, dans ces circonstances, le prix de
la course? Il faut qu’il se hâte,en effet, car l'exploitation
de son brevet, dans son pays, risque fort d’appeler l’at
tention des intéressés, et de vulgariser sa découverte ;
Il faut aussi qu’il n ’attende pas que, dans son pays,
on ait publié la description et les dessins qu’il a dépo
sés. Cette publicité, en effet, aux termes de l’art. 31, si
elle avait précédé la demande du brevet en France , en
rendrait la délivrance sans effets , en en entraînant la
déchéance.
Il n’y a donc pas entre le français et l’étranger une
position tellement différente qu’on puisse et qu’on doive
accorder à l’un ce qu’on refuse à l’autre.
339.
— Nous apprécierons tout à l’heure le mérite
de ces accusations et de ces reproches. Ce qui est- cer
tain, c’est que le Gouvernement s’en était préoccupé, et
s’était appliqué à atténuer au moins le mal qui les pro
voquait. Le projet, en effet , subordonnait le profit de
l’art. 29 à une condition, à savoir, que la réciprocité
i
—
21
�322
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
fût accordée aux français par la nation à laquelle ap
partenait l’étranger qui réclamait ce profit.
Cette condition est juste , disait l’Exposé des motifs ;
elle est d’ailleurs nécessaire pour prévenir les inconvé
nients et le désavantage qui résulteraient, pour nos pro
duits sur les marchés du dehors, de la concurrence de
produits fabriqués librement à l’étranger , tandis qu’en
France ils seraient grevés de toutes les conséquences du
monopole.
340.
— Mais cette condition n’était acceptée par
personne. Les partisans de l’art. 29 le voulaient absolu,
sans restriction et sans condition. La question, disaientils , doit être envisagée non point dans des idées d’un
égoïsme étroit et jaloux, mais au point de vue plus no
ble, plus élevé de justice générale , de la dignité natio
nale. Déjà la France, toujours hospitalière et généreuse,
a donné un noble et salutaire exemple en abolissant le
droit d’aubaine sans exiger de réciprocité. Les étrangers
sous la tutelle d’un principe général ont été attirés dans
notre p a y s, et cette résolution n ’a eu que de salutaires
et d’heureuses conséquences. Ne doit-il pas en être de
même , quand il s’agit de proclamer le principe que
l’inventeur d’un pays doit trouver protection pour son
œuvre en quelque pays qu’il la transporte ? Le com
merce et l’industrie ne sont-ils pas du droit des gens ?
Ne forment-ils pas le lien de toutes les nations ? Il ap
partenait à la législation française de proclamer ces prin
cipes, et de leur donner place dans la loi sur les brevets
�SUB LES BREVETS D’iNVENTION
323
d’invention. Tôt ou tard cet exemple sera suivi par tou
tes les nations.
5 4 1 . — D’autre part, ceux qui repoussaient l’article
29 ne voyaient pas, dans la condition proposée, le re
mède aux inconvénients qu’ils lui reprochaient. La ré
ciprocité, disaient-ils, s’expliquerait peut-être s’il s’agis
sait, ici, de celle qui se fonde sur des traités diplomati
ques. Mais ce qu’on ne peut comprendre, c’est la réci
procité basée sur la loi étrangère. Elle nous enchaîne aveuglément, bon gré mal gré; une fois engagés, il faut
céder, que cette loi soit ou non modifiée , qu’elle offre
ou non des avantages. D’ailleurs, en présence de l’arti
cle 27, cette condition de réciprocité serait facilement
éludée ; il suffirait, à l’étranger, de se présenter en vertu
de cet article pour obtenir un brevet en France, puis,
quelques jours après , il se ferait breveter soit dans son
pays, soit dans un autre. La réciprocité deviendrait donc
lettre morte. Dans tous les cas , elle serait souvent un
marché de dupes. Ainsi, en France, on prend un brevet
pour 1500 fr. payables par annuités; en Amérique , le
droit exigible avant la délivrance du brevet, est de 30
dollars pour l’américain, de 500 ou de 300 dollars pour
l’étranger; en Angleterre , il est de 8, 10 ou 12000 fr.
Il n’existera donc pas d’égalité parfaite entre la situa
tion qu’on veut accorder, en France, à l’étranger et celle
qui est faite aux français dans les autres pays. Ainsi,
cette faveur qu’on concède si bénévolement à l’étranger,
le français , en supposant qu’il l’obtienne à son tour
�324
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
dans d’autres pays, l’achèterait souvent à un prix fort
élevé.'
3 4 2 . — Ces raisons firent prévaloir à la chambre
des Pairs la première saisie du projet. Contrairement à
l’avis de sa commission , elle rejeta l’art. 29 comme
contredisant la suppression des brevets d’importation ;
comme à peu près sans portée pratique à cause de la
publicité que la délivrance des brevets à l’étranger aura
presque toujours donnée à l’invention ; comme n’éta
blissant qu’une réciprocité illusoire par la facilité de
l’éluder en prenant simultanément le brevet à l’étranger
et en France.
5 4 3 . — L’article 29 fut plus heureux devant la
chambre des Députés. Après une discussion approfondie
dans laquelle l’attaque et la défense se produisirent de
nouveau , le principe fut adopté sous la condition de
réciprocité qui continua d’être repoussée par tout le
monde.
Elle succomba donc, et il était impossible qu’il en fût
autrement. Il faudrait le regretter, si l’art. 29 avait ré
ellement la portée que lui prêtaient ceux qui le repous
saient. Sans doute et en fait, la réciprocité existe à peu
près puisque , à part la Prusse, les autres nations ad
mettent les français à se faire breveter chez elles. Mais
comme on le faisait observer , ce droit s’achète et se
1 Loiseau et Vergé, art. 27, 28, 29.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
325
paye fort cher , d’où résulte une inégalité qui ne laisse
pas la position qui nous est faite sans inconvénients
réels.
5 4 4 . — Au reste , l’adoption de la condition eûtelle réalisé l’effet que s'en promettait le Gouvernement?
Nous en doutons pour notre part, parce que nous cro
yons qu’une réciprocité réelle, juste, efficace ne peut ré
sulter que d’une législation internationale qui, acceptant
le brevet pris dans un pays, lui accordera son effet par
tout, sans autre condition que la publication officielle
de la découverte dans chaque pays. Alors en effet et a lors seulement on aura réalisé le principe que l’inven
teur d’un pays doit trouver protection pour son œuvre
dans quelque pays qu’il la transporte.
Nous nous associons donc au vœu que formulait na
guère à ce sujet le congrès scientifique de Gand, et nous
désirons bien vivement la prompte consécration de cette
uniformité de législation qui, suivant l’expression de M.
Wolowski, peut seule créer la libre concurrence qui doit
exister entre les peuples, répondre aux besoins du libre
échange, et satisfaire aux exigences de la liberté du tra
vail.
3 4 5 . — En attendant qu’il nous soit permis de dire
que l’art. 29 est fort innocent des torts qu’on lui impu
tait , et que les reproches qu’on lui faisait étaient par
trop exagérés d’une part ; trop légèrement accueillis de
l’autre.
�326
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
En effet, dans la discussion on a cru, pour repousser
ces reproches, devoir aller jusqu’à soutenir que l’article
29 avait pour but non d’étendre, mais de restreindre le
droit de l’étranger; qu’il était une précaution contre
lui. L’article 27, disait-on, ayant posé en sa faveur un
principe absolu, le seul objet de l’art. 29 était, non point
de lui conférer un droit nouveau , mais de l’empêcher
d’importer en France un brevet d’invention éteint à l’é
tranger. Sans cette disposition , l’étranger , muni dans
son pays d’un brevet devant expirer dans deux ou trois
ans , aurait pu venir en France prendre un brevet de
quinze ans , et il serait arrivé un moment où l’inven
tion, libre à l’étranger, serait demeurée en France sous
l’empire du monopole.
Mais pour se préoccuper de ce danger, il fallait avoir
complètement perdu de vue que la nouveauté de la dé
couverte est la condition sine qua non de la validité du
brevet, et que l’art. 31 refusait ce caractère à celle qui,
à l’étranger comme en France , a reçu une publicité
suffisante pour pouvoir être exécutée.
Comment donc le titulaire d’un brevet expiré, ou
près d’expirer à l’étranger, aurait-il satisfait à cette con
dition, échappé à la disposition de cet article. Ne disaiton pas , pour justifier la suppression des brevets d’im
portation, que, depuis longtemps, la pratique des arts
les plus difficiles , Vexploitation des industries les plus
secrètes n'ont plus de mystère pour l’œil investigateur
de l’intérêt privé.
Doue, il ne pouvait pas être que le secret d’une in -
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
327
vention exploitée dans un pays quelconque, depuis plus
ou moins longtemps, n’eût pas été pénétré par les in
dustries similaires des autres pays. Dans tous les cas, il
n’est pas de législation sur la matière qui ne prescrive
la publication officielle de l’invention dans un délai plus
ou moins long. Il y avait donc là une garantié contre le
danger auquel on voulait que l’art. 29 eût remédié.
546. ■
— Il faut donc chercher ailleurs la cause de
l’innocuité que nous lui attribuons, et celte cause, à no
tre avis , réside dans ce défaut de portée pratique qui
l’avait fait rejeter par la chambre des Pairs.
Nous sommes de l’avis de ceux qui, dans la discus
sion de la loi, disaient : Il n’est pas possible qu’un bre
vet soit pris en pays étranger sans que , le lendemain,
les hommes qui s’occupent, en France, de la même in
dustrie ne découvrent le secret et n ’en tirent parti. Donc,
l’étranger qui ne viendrait se faire breveter, en France,
qu’après avoir pris un brevet chez lui, courrait la chan
ce de se voir reprocher le défaut de nouveauté, et d’en
tendre proclamer sa déchéance.
Personne ne sera assez insensé pour s’exposer à ce
danger plus ou moins , et l’on peut avoir la certitude
que l’étranger qui voudra se faire breveter chez lui et
en France, mènera de front la double opération et for
mera simultanément les deux demandes.
Il agira donc en vertu , non de l’art. 29 , mais de
l’art. 27, et les reproches, qu’on faisait au premier, on
aurait pu les adresser plus justement à celui-ci , si sa
�328
LOI DO 6 JUILLET 1 8 4 4
disposition n ’avait pas été marquée au coin de la plus
haute utilité sociale et politique.
5 4 7 . — Mais si l’art. 29 ne doit recevoir aucune
application, pourquoi l’inscrire dans la loi ? Sa dernière
disposition répond à celte objection.
On pouvait facilement prévoir l’hypothèse de la co
existence de deux brevets, l’un en France l’autre à l’é
tranger, et, dans cette prévision, régler quelle serait la
durée du premier eu égard à celle du brevet étranger.
Cette réglementation ne pouvait se trouver dans l’ar
ticle 27 qui dispose pour une hypothèse exclusive de la
coexistence de deux brevets. Ce soin appartenait natu
rellement à l’art. 29 qui était ainsi forcément amené à
admettre cette hypothèse.
A ce point de vue, l’utilité de l’art. 29 ne saurait être contestée , pas plus que le caractère éminemment
rationnel de sa prescription. Il ne pouvait pas être, en
effet, qu’une industrie devenue libre, à l’étranger, con
tinuât d’être , en France , sous l’empire du monopole.
Un pareil résultat portait un coup funeste à notre com
merce , et le condamnait à subir , sur les marchés de
consommation, une concurrence écrasante.
Donc, quelle que soit la durée qui lui a été assignée,
le brevet, pris en France , est éteint de plein droit dès
que le terme de celui pris à l’étranger est arrivé.
348.
— L’article 29 n’est, à ce sujet, ni limitatif ni
restrictif. Le motif qui l’a fait consacrer conduit à cette
�SUR LES BREVETS D’iNVENTlON
329
conséquence que , par quelque cause qu’elle soit ame
née, l’expiration du brevet étranger détermine celle du
brevet français.
Un arrêt de la cour de Paris avait méconnu ce ca
ractère et interprété l’art. 29 dans ce sens, qu’il ne peut
être appliqué qu’à l’extinction du brevet par l’expira
tion de sa durée. Elle avait, en conséquence, maintenu
le brevet français , malgré que celui pris à l’étranger,
pour la même industrie , eût été annulé pour défaut de
paiement des annuités.
Mais , sur le pourvoi dont cet arrêt avait été l’objet,
la Cour suprême en prononçait la cassation le 14 jan
vier 1864, pour violation de l’art. 29.
« Attendu, dit la cour de Cassation, qu’étant admis
que.l’art. 29 ne puise sa raison d’être que dans la con
sidération que la France ne doit pas rester sous l’em
pire du monopole, alors que l’industrie est devenue libre
à l’étranger, il faut nécessairement conclure de cette
volonté formelle du législateur, que l’extinction du bre
vet étranger, pour quelque cause qu’elle survienne, doit
emporter celle du brevet français , puisque le résultat
qu’il s’est proposé ne pourrait être atteint, si , par un
motif quelconque , celui délivré en France continuait
d’exister après l’expiration du brevet étranger;
» Attendu que, soit donc que le brevet périsse légale
ment ou accidentellement, il y a dans l’un et l’autre cas
même raison pour prononcer l’annulation du second
brevet.' »
1 J. du P., 1864, 1, 727.
�330
LOI DU 5 JUILLET 1844-
349.
— On remarquera que l’art. 29 , quoique
placé sous le titre qui traite du droit des étrangers , ne
dispose pas cependant spécialement pour eux. Il se bor
ne à dire : l'auteur d'une découverte déjà brevetée à
l'étranger pourra, ect.
Donc , le législateur ne s’est préoccupé que d’une
chose : la qualité d’inventeur abstraction faite de la na
tionalité. Il est dès lors évident que le français, auteur
d’une invention déjà brevetée à l’étranger, est recevable
et fondé à réclamer le bénéfice de l’art. 29. C’e s t, au
reste , ce qui résulte des explications échangées à la
chambre des Députés entre le rapporteur M. Ph. Dupin
et M. Desmousseaux de Givré.
On ne voit pas ce qui aurait pu faire adopter le con
traire. Sans doute il n’est pas à présumer que le fran
çais, habitant en France, aille d’abord porter à l’étran
ger la découverte qu’il vient de faire. Mais, combien de
français qui résident à l’étranger et y exploitent des éta
blissements importants, et pour ceux-là l’intérêt de pro
téger d’abord sur les lieux l’industrie nouvelle qu’ils
viennent de créer est évident. Or, pouvait-il être qu’en
obéissant à cet intérêt, ils se fussent interdit le droit de
se faire breveter en France , et que la loi française leur
refusât une faculté qu’elle accorde si bénévolement à
l’étranger ?
C’est cependant ce que la cour de Paris avait admis.
En conséquence elle avait, dans l’arrêt dont nous par
lions tout à l’heure, décidé que nul autre que l’étranger
ne devait être admis à revendiquer le bénéfice de l’ar
ticle 29.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
331
Mais cette solution est à son tour considérée et cassée
par la Cour suprême , comme appliquant faussement
l’art. 29.
« Attendu , dit l’arrêt du 14 janvier 1864 , que s’il
est vrai que l’art. 29 figure au titre 3 de la loi, intitulé:
Des droits des étrangers, on ne saurait inférer de sa si
tuation sous cette rubrique , qu’il ne soit applicable
qu’au seul cas de l’étranger prenant, en France , un
brevet pour une découverte ou invention déjà brevetée
à l’étranger ; qu’il résulte au contraire tant du texte que
de la nature même de cette disposition , qu’elle régit
aussi bien les regnicoles que les étrangers ;
« Attendu, en effet, que le texte de cet article attri
bue d’une manière générale, à l'auteur de toute décou
verte brevetée à l’étranger, le droit d’obtenir, en France,
un brevet similaire ; qu’il ne fait ainsi aucune distinc
tion entre l'auteur français ou étranger de la découver
te; et qu’en outre il accorde cette faculté non aux brevetés
étrangers, mais aux brevetés à l’étranger. Expressions
qui démontrent que la loi n’a pas restreint seulement
aux étrangers, le droit énoncé en l’art. 29. »
Cette doctrine de la cour de Cassation , outre qu’elle
interprète sainement le texte de la loi, fait une exacte et
juste appréciation de son esprit. Si le titre 3 a été con
sacré, c’est non pas en considération de l’étranger, mais
dans l’intérêt de la France. On a voulu attirer chez nous
les étrangers , les encourager à transporter chez nous
leurs capitaux , leur industrie , leurs découvertes. C’est
ce qui résulte invinciblement de la discussion législative.
�332
LOt DU
6
1844
JUILLET
Cette pensée, cette intention domine dans l’application
à faire de la loi. Il en résulte, en effet, que la seule in
terprétation rationnelle est celle qui , loin de blesser
l’intérêt français, le recommande et le protège. La cour
de Cassation avait donc raison de dire que la doctrine
de la cour de Paris était repoussée non-seulement par
le texte, mais encore par lesprit de la loi.
350.
— En résumé, en France et pour ce qui con
cerne les brevets d’invention , l’étranger , domicilié ou
non , résidant ou non , est assimilé aux français. Cette
assimilation ne s’arrête pas aux avantages. Elle s’étend
aux formalités et conditions qui, imposées aux français,
doivent être obéies par l’étranger.
Toute découverte brevetée à l’étranger peut devenir,
en France, la matière d’un brevet au profit de son au
teur, qu’il soit français ou étranger.
Mais le brevet obtenu en France perd son effet dès
que celui délivré à l’étranger a pris fin , soit que son
extinction arrive par l’expiration de sa durée légale, soit
qu’elle provienne d’une cause accidentelle comme la
déchéance résultant du défaut de paiement des annui
tés.
.y"
.'
/.•
' '
.1
.
Z...''
'
.
■
"
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
333
TITRE IV
DES NULLITÉS ET DÉCHÉANCES
ET DES ACTIONS X RELATIVES
-m
-
SECTION I
De»
N u llité s
A
et
rt.
D éch éan ces.
30.
Sont nuis et de nul effet les brevets délivrés
dans les cas suivants :
Si la découverte , invention ou application
n’est pas nouvelle ;
2 Si la découverte, invention ou application
°
n’est pas, aux termes de l’article 3, susceptible
d’être brevetée ;
�334
loi
ou 6
ju il l e t
1844
3° Si les brevets portent sur des principes,
méthodes , systèmes , découvertes et, concep
tions théoriques ou purement scientifiques,
dont on n’a pas indiqué les applications indus
trielles 5
4°
Si la découverte,invention ou application
est reconnue contraire à l’ordre ou à la sûreté
publique, aux bonnes mœurs ou aux lois du
royaume, sans préjudice, dans ce cas et dans
celui du chapitre précédent , des peines qui
pourraient être encourues pour la fabrication
ou le débit d’objets prohibés ;
5° Si le titre sous lequel le brevet a été de
mandé indique frauduleusement un objet autre
que le véritable objet de l’invention \
6°
Si la description jointe au brevet n’est pas
suffisante pour l’exécution de l’invention, ou si
elle n’indique pas d’une manière complète et
loyale les véritables moyens de l’inventeur ;
7° Si le brevet a été obtenu contrairement
aux dispositions de l’art. 18.
Seront également nuis et de nul effet les cer
tificats comprenant des changements , perfec
tionnements ou additions qui ne se rattache
raient pas au brevet principal.
�Ne sera pas réputée nouvelle , toute décou
verte, invention ou application qui , en France
ou à l’étranger , et antérieurement à la date du
dépôt de la demande , aura reçu une publicité
suffisante pour pouvoir être exécutée.
SOMMAIRE
if l;H ,
351
352
353
354
355
356
357
358
359
360
Importance dn titre IV.—-Son caractère.
Différence dans les effets des nullités et ceux des déchéan
ces.—Résultat des premières.
Ses conséquences pour les cessionnaires du brevet.
Effet de la déchéance.— Son point de départ.— Ses consé
quences quant aux cessionnaires.
La déchéance éteint radicalement le brevet. — La nullité
peut ne l’atteindre que partiellement.
Rejet de la prétention ayant pour but de soutenir l'indivi
sibilité du brevet.
Les nullités et déchéances sont absolues ou relatives. —
Importance de la distinction sous l ’empire de la loi ac
tuelle.
Dans quels cas doit-on admettre ces caractères.
Le jugement ou arrêt qui, avec le concours du ministère
public, repousse la nullité ne profite jamais que contre
ceux qui y ont été parties.
Les articles 30 et 32 sont essentiellement limitatifs et res
trictifs.—Conséquences.
�336
361
362
363
364
365
366
367
368
369
370
371
372
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Première cause de nullité : Défaut de nouveauté. — Sa rationnalité.
S’applique à tous les brevets pris en France , quel qu’en
soit le titulaire.
La nouveauté , en France, ne suffirait pas si elle n ’existait
pas ou n ’existait plus à l ’étranger.
On p e u t, en France , se prévaloir du défaut de nouveauté
dans le pays étranger, alors même que dans ce pays nul
n ’en aurait excipé.
Caractère et objet de l'a rt. 31.— Modification à l'art. 16 de
la loi de janvier 1791.
Caractère que doit offrir la description constituant la divul
gation.
Rédaction proposée par le Gouvernement. — Modifiée par
les Chambres.— Amendement proposé par M. Marie.—
Son caractère.
La question de nouveauté doit être appréciée âu jour du dé
pôt de la demande.
Caractère que doit offrir la publicité par un livre ou écrit.
Peu importe que le livre ou l’écrit, offant le caractère exigé,
ait été vendu à plus ou moins d’exemplaires ;
Ou que le livre ou l ’écrit soit en langue étrangère.
Arrêts sur le caractère de la description constituant la di
vulgation dans ce cas.
373 La divulgation résulte-t-elle d’une correspondance privée ?
—Opinion de M. Nouguier pour l’affirmative.
374 Restriction qui nous paraît convenable.
375 Le divulgation serait acquise par la description enseignée
- dans un cours public.
376 La divulgation résulte de la pratique de l ’invention antéirieurement au brevet,quelque restreinte qu’elle ait été.
•—A quelle condition.
377 La pratique du fait de l’inventeur lui-m êm e, si elle a été
secrète, n ’enlève pas le caractère de nouveauté.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
378
379
380
381
382
383
384
385
386
387
388
389
390
391
392
393
394
395
396
337
Dans quels cas devra-L-on admettre le secret de la prati
que ?
Les essais, pour arriver à la Découverte, ne constituent pas
la publicité.—Arrêts dans ce sens.
Jugement qui l’admet ainsi, pour les essais faits dans le
sein de la société d’encouragement ou chez quelquesuns de ses membres. — Opinion conforme de M. Nouguier.
Opinion contraire de M.Renouard.—Examen et discussion.
Y a-t-il divulgation dans le fait d’avoir vendu ou donné le
produit des essais ?
Dans le dépôt dans une exposition publique ?
Arrêt de la cour de P au, pour la négative.
Examen et. discussion.
Conclusion.
C’est au demandeur en nullité à prouver l’antériorité de la
pratique.
Faut-il que cette pratique ail été générale et publique ? —
Opinion de M. Nougnier pour l’affirmative.
Doctrine contraire deM. Et. Blanc.
Motifs qui nous font préférer celle-ci.
Examen.de la jurisprudence de la cour de Cassation sur ce
point.
Résumé.
Comment s’apprécie la pratique antérieure.— Conséquen
ces, si elle est due à l’infidélité des ouvriers.
Distinction que propose M. Et. Blanc.
Réfutation.
Quid si l’ouvrier infidèle a seul pratiqué ou s’il s’est fait
breteler ?
397
Dans quels cas le brevet est divisible ou indivisible.—Con
séquences de la divisibilité.
398 Exemples de nullité partielle.
399 Deuxième cause de nullité : Invention déclarée non breve
table par l ’art. 3 .—Sa rationnalité.
22
i
�338
LOI DU 6
JUILLET
1844
400 Renvoi.
401 Troisième cause de nullité : Défaut de caractère industriel.
402 Projet primitif. — Modification par les Chambres législati
ves.—Motifs.
403 Intéressantes observations de l ’illustre Arago.
404 L’indication des résultats industriels, dans le brevet luimême est de rigueur.—Conséquence de son absence.
405 Quatrième cause de nullité : Caractère illicite ou immoral
de l’invention. — Motifs qui ont porté le législateur à
s’en expliquer.
406 L’immoralité ou l ’illégalité doit résider dans l’objet même
du brevet.— Conséquences quant aux industries mono
polisées en faveur de l ’Etat ou de certaines classes.
407 Distinction entre l ’objet du brevet et le droit de le mettre
en pratique.
408 Cinquième cause de nullité : Titre frauduleux.— Ses motifs
et sa justification.
,
409 La fausseté de l ’indication ne suffit pas; il faut qu’elle soit
due à une intention frauduleuse.—Conséquences.
410 Arrêt notable de la cour de Cassation dans ce sens.
411 Sixième cause de nullité: Description insuffisante ou dé
loyale.—Son caractère.
412 Rationnalité de la nullité.
413 La loi n ’exige plus l’intention frauduleuse.—Pourquoi.
414 Dans quels cas et à quelles conditions devra-t-on considérer
la description comme insuffisante ?
415 Explication donnée à la chambre des Pairs.
416 La suffisance doit résulter du brevet lui-même. — Arrêt de
la cour de Cassation dans ce sens.
417 L’inventeur est-il tenu d’analyser les moyens, et d’expli
quer les lois mécaniques ou chimiques de son intention?
—Négative enseignée par M. Et. Rlanc.
418 Dissentiment et réfutation.
419 Résumé.
�SUR LUS BREVETS D’i n NVETION
420
421
422
339
Toutes ces causes de nullité sont applicables aux certificats
d'addition et aux brevets de perfectionnement.
Septième cause de nullité : Brevet de perfectionnement ob
tenu contrairement à l ’art. 18. — Fraude qu’elle a pour
objet de prévenir ou de réprimer.
Objet et but de la dernière disposition de l ’art. 30. — Qui
peut s’en prévaloir.
5 5 1 . — Le titre dans l’examen duquel nous entrons
est, sans contredit, le plus important de la loi, et celui
qui intéresse à un plus haut degré les inventeurs et le
public. Il renferme la sanction énergique des conditions
exigées par l’art. \ 1. Il indique et développe celles aux
quelles est subordonnée, quant au commerce et à l’in
dustrie , la validité du brevet, la réalisation du mono
pole dont ce brevet est l’occasion et la source.
Dès qu’il était admis que l’E tat, en délivrant le bre
vet sans examen préalable, ne garantissait ni la réalité,
ni la nouveauté , ni le mérite de l’invention , le droit
de discuter l’un et l’autre ne pouvait être contesté à
tous ceux qui ont intérêt à en dénier l’existence. Le
défaut d’examen , en effet, laissait l’autorité exposée à
toutes les surprises. Or, il ne pouvait pas être que celui
qui aurait réussi dans celle qu’il aurait tentée, pût im
punément jouir des fruits de sa ruse. Il fallait donc
non pas seulement garantir l’administration contre le
piège dans lequel on l’aurait fait tomber , mais encore
mais surtout protéger le public, puisque c’est lui en dé
finitive qui doit, au moins temporairement, supporter
le poids du brevet.
�340
LOI DU 6 JUILLET 1844
Le droit d’en contester la validité, concédé à tous ceux
qui y ont intérêt, atteignait ce double but. Mais ce droit
exigeait une réglementation pour que , dans son exer
cice , il ne devint pas , pour les inventeurs , une source
de tracasseries incessantes et l’occasion de procès nom
breux. De là les dispositions des articles 30, 31 et 32
qui indiquent et énumèrent les causes de nullité et de
déchéance du brevet.
3 5 2 . — L’invalidité du brevet résulte de celle-ci
comme de celle-là. Mais l’une et l’autre diffèrent essen
tiellement, quant à leurs causes et à leur effet.
Le brevet frappé de nullité, dans l’une des hypothèses
prévues par l’art. 30 , n’a jamais eu d'existence légale.
Le vice qui l’entache , ayant préexisté à la délivrance,
révoque cette délivrance qui est censée non avenue , et
par conséquent déclarée n’avoir jamais pu produire au
cun effet. Le brevet n ’a donc existé ni dans le passé ni
dans l’avenir. Il était mort-né et sans efficacité possible
avant comme après la constatation judiciaire de son in
validité.
3 5 3 . —• De là cette conséquence que les cessionnai
res du brevet seront recevables et fondés non-seulement
à refuser de payer la partie du prix qu’ils pourraient
devoir encore, mais en outre à répéter tout ce qu’ils ont
payé. Vainement le cédant arguerait-il de ce que, dans
l’intervalle de la cession à l’annulation du brevet, les
cessionnaires ont bénéficié de son exploitation. Il ré-
�SUR UES BREVETS D’iNVENTION
341
suite de la nullité du brevet, que son bénéficiaire a u surpé une chose qui était dans le domaine public. Dès
lors l’exploitation qu’en ont fait des tiers, fussent-ils ses
cessionnaires, a puisé son fondement légal non dans un
brevet qui n’a jamais éxisté , mais dans le droit que
tous les citoyens avaient d’user d’un procédé, d’une mé
thode ou d’un résultat tombé dans le domaine public.
La prise du brevet, dans ces circonstances, n’a été qu’u
ne véritable usurpation insusceptible de créer le moin
dre profit en faveur de celui qui a osé l’accomplir.
5 5 4 . — La déchéance , au contraire, n’est que la
résiliation du contrat que le brevet crée entre la société
et l’inventeur. Son effet ne saurait donc rétroagir au
moment de la formation de ce contrat. Elle ne saurait
faire, en effet, que le brevet n ’ait été légalement et va
lablement obtenu, et n’ait, dès lors, produit et dû pro
duire tous ses effets jusqu’au fait qui en motive la dé
chéance.
Le point de départ de celle-ci e s t, non le jugement
qui la déclare, mais le jour de la réalisation du fait au
quel la loi l’attache. Le jugement ne fait que constater
ce fait qui a , par lui-même , entraîné pour l’avenir la
perte du privilège. En conséquence, tous ceux qui, dans
l’intervalle de ce fait au jugement, ont usé de l’industrie
brevetée , ont exercé un droit et ne sauraient être con
sidérés et punis comme contrefacteurs.
De leur côté, les cessionnaires du brevet sont receva
bles et fondés à refuser le paiement de ce qu’ils doi-
�i
342
LOI DU
6
JUILLET
1844
vent encore , et à répéter ce qu’ils ont déjà payé. Mais
comme, dans l’intervalle de la cession à la déchéance,
ils ont exploité le brevet et peut-être réalisé un bénéfice
plus ou moins considérable , on pourrait et on devrait
tenir compte de ce profit, et diminuer d’autant les som
mes à restituer.
5 3 5 . — Une autre différence dans les effets de la
nullité et de la déchéance , c’est que celle-ci éteint le
brevet d’une manière absolue et quelque divers que
puissent en être les éléments.
*
La nullité, au contraire , peut n’affecter que tels ou
tels éléments , et laisser le brevet valable et obligatoire
pour tous les autres.
Une invention, en effet, peut se composer d’éléments
distincts, dont quelques-uns ne sont pas nouveaux dans
leur principe , et ne constituent pas l’application nou
velle de moyens connus.
Le brevet ne saurait donc couvrir ces derniers. Mais
sa nullité, quant à ce, ne s’étend ni ne pourrait s’éten
dre aux éléments constituant soit un résultat nouveau,
soit une application nouvelle de moyens nouveaux :
Utile per inutile non vitiatur.
5 5 6 . — On a prétendu soutenir précisément le con
traire. On ne peut, disait-on, scinder un brevet, et, s’il
est valable dans une de ses parties , il doit l’être dans
son entier. Il faut donc ou le faire annuler , ou le res
pecter pour le tout,
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
343
Mais la cour de Paris a formellement condamné cette
prétention. Son arrêt du 14 août 1865 déclare , avec
raison,qu’on ne voit aucun motif sérieux,encore moins
légal, de ne pas admettre l’examen isolé de chacun des
éléments du brevet, et par conséquent l’annulation par
tielle de celui-ci quant à eeux qui seraient reconnus être tombés dans le domaine public.1
5 5 7 . — Un caractère commun à la nullité et à la
déchéance,c’est qu’elles s o n t, l’une et l’autre , absolues
ou relatives. Absolue, elle anéantit le brevet qui ne vaut
plus , ou n’a jamais valu ni pour ni contre personne ;
relative, elle ne profite qu’à celui ou à ceux qui ont été
parties au jugement et l’ont provoqué.
Cette distinction a pu exister ou non , sous la légis
lation de 1791. Nous nous dispensons de le rechercher
parce qu’au moment où nous écrivons, la question n’a
plus aucun intérêt pratique. Nous nous bornons à rap
peler que M.Renouard dit oui, et la cour de Cassation,
non , dans deux arrêts des 25 mars 1842 et 4 mai
1844.
Sous l’empire de la loi qui nous régit , la distinction
est d’une utilité incontestable , et les difficultés qu’elle
peut faire surgir en exigent l’examen.
3 5 8 , — O r, les nullités ou déchéances sont relati-
1 Gazette des tribunaux du 19 août 1S65 ; Monceaux contre Ministre
de la guerre.
�344
LOI DU
6
JUILLET
1844
ves lorsqu’il a été statué sans l’intermédiaire du minis
tère public; absolues , lorsque le jugement a été rendu
avec cette intervention exercée soit par action directe,
soit comme partie jointe.
La société, en effet, n’est représentée que par le mi
nistère public qui est, même aujourd’hui, armé du pou
voir d’agir par action directe'. Le jugement rendu en
l’absence du procureur impérial n’a donc été rendu ni
avec elle ni contre elle. On ne peut le lui opposer. Com
ment, dès lors, l’admettrait-on à en invoquer le béné
fice ?
Mais si la nullité ou la déchéance a été prononcée
sur la poursuite ou la réquisition du ministère public,
il y a chose jugée définitivement contre le breveté et en
faveur de tous. Dès ce moment l’invention est tombée
dans le domaine public, et licite pour tous ceux qui ont
un intérêt à son exploitation.
5 5 9 . — Le jugement ou arrêt q u i, rendu avec le
concours du ministère public, a validé le brevet, a-t-il,
en faveur du titulaire, l’autorité de la chose jugée , et
peut-il l’opposer à ceux qui n ’ont pas été personnelle
ment partie dans l’instance?
Il semble que ce que nous venons de dire tranche
affirmativement la question. C’est cependant l’opinion
contraire qui a prévalu et devait prévaloir.
D’abord , il est difficile d’admettre la chose jugée en
1 In fra art. 37.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
345
matière de nullité ou de déchéance de brevet. L'une et
l’autre reconnaissent des causes nombreuses, et la chose
jugée en regard de tel ou tel paragraphe des articles 30
ou 32, ne peut même être opposée à l’action fondée sur
l’application de tel autre paragraphe.
On chercherait vainement, en effet, les caractères
constitutifs exigés par la loi. Il y aurait bien identité de
demande, même si l’on veut identité de parties, en ad
mettant que la société ait été représentée par le minis
tère public. Mais il faudrait encore l’identité de cause,
et comment l’admettre, lorsque celle de chaque deman
de invoquerait une disposition de loi différente ?
Supposez maintenant que la cause invoquée en se
cond lieu soit la même que celle que le jugement ou
l’arrêt a repoussée , il n’y aurait pas encore , en droit,
chose jugée. En effet, le second demandeur exerce un
droit qui lui est personnel et qui se trouve expressément
écrit dans l’art. 34. Or , ce d ro it, le ministère public
qui représente la société en général, n’a pu ni l’exercer,
ni l’anéantir en l’absence de son bénéficiaire, à l’inté
rêt duquel on n’a pu nuire sans l’avoir entendu et l’a
voir mis personnellement en position de se défendre.
Pour que l’intérêt privé eût été atteint dans cette cir
constance , il aurait fallu que la loi s’en expliquât. Or,
loin de le faire, elle le refuse d’abord en donnant, dans
l’art. 34, l’action à toute personne y ayant intérêt, en
suite en b o rn an t, dans l’art. 37 , le rôle du ministère
public à prendre des réquisitions pour faire prononcer
la nullité ou la déchéance absolue du brevet.
�346
LOI DU
6
JUILLET
1844
Cette nullité absolue est une garantie pour la société
contre le breveté, dit M. Renouard. Mais le même genre
de garantie n’existe que pour le breveté contre les tiers
qui, après que d’autres auront échoué dans leurs atta
ques contre le brevet, remonteront au même assaut. Ce
résultat est fâcheux, mais inévitable ; et la solution con
traire , c’est à dire la déclaration absolue de la validité
du brevet, inadmissible en droit, créerait, en fait, d’in
tolérables abus. Il n’est ni possible , ni juste qu’on su
bisse les conséquences d’un procès auquel on a été étranger. On ne peut pas faire périr mon droit', parce
qu’un tiers a mal défendu le sien. Si un procès en nul
lité ou en déchéance , gagné par un breveté , assurait
envers et contre tous la validité de son brevet, et le ren
dait inattaquable désormais par qui que ce f û t, les ac
tions collusoires , les procédures de complaisance se
multiplieraient avec scandale , et rendraient les tribu
naux complices involontaires des fraudes un peu habi
lement ourdies. Un premier procès jugé exercera , sur
les décisions judiciaires à intervenir , son autorité de
consultation et de doctrine ; il serait monstrueux qu’il
eût l’autorité de la chose jugée.
A l’argument tiré de l’intervention du représentant
de la société, le ministère public, M. Renouard répond:
Qu’on n’impose point par induction , aux intérêts pri
vés, un représentant forcé ; que l’action, même princi
pale , intentée par un particulier en nullité ou en dé
chéance, est un exercice du droit, consacré par l’article
34 , de se défendre contre la servitude dont il est grevé
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
347
par l’existence d’un monopole dont il lui est permis de
contester la validité ; que ce droit ne peut être enchaîné
par le fait du ministère public et par l’insuffisance des
preuves fournies dans un procès précédent.'
Nous ne connaissons aucun monument de doctrine
ou de jurisprudence qui soit venu contredire cette théo
rie et ses conséquences.
360.
— Les dispositions des articles 30 et 32 ayant
un caractère pénal, sont limitatives et restrictives. On
ne saurait donc prononcer soit la nullité , soit la dé
chéance pour d’autres causes que celles qui y sont ex
pressément énoncées, quelle que fût l’analogie entre el
les. Ce serait là violer la loi, et appeller sur la décision
la censure de la Cour suprême.
C’est ainsi qu’un arrêt de la cour de Paris, qui avait
cru devoir annuler un brevet en dehors des cas prévus
par l’art. 16 de la loi de 1791 , était cassé le 13 fé
vrier 1839 , comme substituant aux causes de nullité
réglées et précisées par la loi, une nullité arbitraire mal
gré le caractère essentiellement restrictif de cet article.1
Les nullités ou déchéances n’ont pas cessé d’être sous
l’empire de la loi de 1844 , ce qu’elles étaient sous la
législation précédente. En conséquence , on ne saurait
ni contester , ni méconnaître le caractère restrictif des
articles 30 et 32 qui régissent aujourd’hui la matière,
\
1 Nos 198,199.
2 J. du P., 1844, 1, 811.
�348
LOI DU 6
JUILLET
1844.
et ajouter légalement aux causes de nullité ou de dé
chéance qu’ils énumèrent et consacrent.
3 6 1 . — La première cause de nullité des brevets
est le défaut de nouveauté de la découverte ou de l’in
vention. C’était là la conséquence forcée des exigences
des artiles 1 et 2. Comme nous l’avons dit, le sacrifice
que la société s’impose, en faveur du breveté, n’a pour
fondement et pour cause que le profit qu’elle retirera
plus tard du moyen que celui-ci a imaginé. Or, où se
rait le profit si, avant la prise du brevet , le moyen, le
produit ou le résultat, tombé dans le domaine public,
était à la disposition de tous.
Rien n’était donc plus rationnel que l’exigence de la
nouveauté de l’invention ou de la découverte, et comme
sanction, de faire de son défaut une cause de nullité du
brevet.
3 6 2 . — Cette cause est générale et absolue pour
tous les brevets pris en France, l’eussent-ils été par des
étrangers.
En effet l’art. 29 , en autorisant les étrangers à se
faire breveter en France, ne pouvait leur faire une part
meilleure que celle que la loi faisait aux français , en
conséquence , les causes qui annulaient les brevets pris
par ceux-ci, devaient produire un effet identique sur les
brevets obtenus par ceux-là.
3 6 3 . — On ne saurait même, à cet égard, faire au
cune distinction. La nouveauté réelle de l’invention , en
�SUR LES BREVETS D’iNVENTlON
349
France , ne suffirait pas pour valider le brevet pris en
France. Il serait nul si , au moment de la demande,
cette nouveauté n’existait p a s , ou n’existait plus à l’é
tranger.
Donc, si dans le pays d’origine le brevet avait été at
taqué et anéanti pour défaut de nouveauté , le brevet
pris en France, à quelque époque que ce fût, serait at
teint du même coup , et anéanti comme l’aurait été le
brevet pris à l’étranger.
364.
— Mais supposez que personne, à l’étranger,
n’eût fait valoir le défaut de nouveauté , les français
pourraient-ils en exciper pour faire annuler le brevet
pris en France ? Le pourraient-ils alors même qu’en
f a it, l’invention eût été , avant la délivrance du brevet,
absolument inconnue en France ?
L’affirmative ne saurait rencontrer ni difficultés ni
doute. Lorsque , non content du monopole qu’on lui
laisse exercer dans son pays, l’étranger prétendra l’im
poser aux industriels français, il ne saurait priver ceuxci du droit qu’ils ont d’en contrôler la légalité , d’en
subordonner l’effet à l’accomplissement des conditions
exigées par la loi française, que l’étranger, qui en invo
que le bénéfice , est bien obligé d’accepter dans toutes
ses prescriptions.
Le droit reconnu et acquis , son exercice ne saurait
rencontrer aucun obstacle dans la négligence que les con
citoyens de l’inventeur ont mis à faire valoir les réclama
tions qu’ils auraient pu légalement élever , ni dans la
�350
LOI DO 6 JUILLET
1844
tolérance avec laquelle ils ont accepté un privilège qu’ils
auraient pu ne pas subir.
Ces considérations sont d’une évidence telle, que nul
n’aurait osé les contester. Cependant et pour éviter toute
chicane , le législateur a cru devoir proclamer le droit
des français , d’abord , dans son Exposé des motifs , et
plus explicitement encore dans l’art. 31 , déclarant dé
pourvue de nouveauté l’invention qui, avant la demande
du brevet, a reçu, soit en France, soit à l’étranger, une
publicité suffisante pour pouvoir être exécutée.
5 6 5 . — Ces expressions de l’art. 31 ont été moti
vées par le désir de ne laisser aucune entrave à l’appré
ciation , par les tribunaux , de la question de nou
veauté.
On sait, en effet, que l’art. 16 de la loi du 7 janvier
1791 ne prononçait la déchéance du brevet, que s’il avait été obtenu pour des découvertes déjà consignées et
décrites dans des ouvrages imprimés et publiés. Or, la
publicité de l’invention pouvait résulter d’autres faits,
par exemple, d’un article de jo u rn a l, de lettres missi
ves, de l’enseignement oral dans un cours public, etc...
Le caractère restrictif de l’art. 16 rendait, dans ces
derniers c a s , la solution fort difficile. La cour de Cas
sation ne l’avait pas méconnu, mais elle avait tourné la
difficulté en jugeant, le 22 frimaire an X, que l’art. 16
de la loi du 7 janvier ne s’appliquait qu’aux demandes
principales en déchéance, et qu’en vertu de l’art. 11 de
la loi du 14 mai, celui qui était poursuivi en contrefa-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
351
çon pouvait opposer par voie d’exception tous les moy ens tendant à établir que l’invention n’était ni réelle ni
nouvelle.
Une autre lacune de la législation <ie 4791 était le si
lence gardé sur le caractère que devait offrir la des
cription pour qu’on en fit résulter la non nouveauté de
l’invention. Ce silence avait amené la cour de Paris à
décider qu’il suffisait d’une mention isolée et sans des
cription .
Mais cet arrêt, ayant été frappé de pourvoi, était cassé
le 13 février 1839 comme violant l’art. 16. La Cour
régulatrice déclare que , pour que la déchéance fût en
courue , il fallait que l’ouvrage imprimé et publié con
tînt, outre l’énonciation, la description de la découverte;
et, le 20 mai 1844, elle ajoutait qu’il n ’était pas néces
saire que cette description résultât de termes sacramen
tels ; qu’il suffisait, pour que la déchéance fût encourue,
que la description fût de nature à rendre l’invention
réalisable par chacun.'
3 6 6 . — C’est à dire que la description devait être
assez précise, assez claire pour que l’invention pût être
exécutée par tous ceux qui y avaient intérêt. Cette inter
prétation de la Cour suprême était irréprochable; car,
si la condition n’était pas dans le texte , elle était évi
demment dans l’esprit de la loi. On n’exigeait la nou
veauté que pour empêcher qu’on vîn t, d’une manière
1
J. du P.,
'l 8 4 4 , I , 8 M , 8 1 2 .
�352
LOI DU
6
-JUILLET
1844
quelconque , arracher au public une branche ou un
moyen d’industrie dont il était déjà en possession , et
dont il pouvait, à son gré , s’appliquer le profit. Or,
qu’avait en réalité la société si, connaissant l’invention,
elle ignorait les moyens de la mettre en pratique ?
Quoi qu’il en so it, ces monuments de jurisprudence
signalaient les difficultés qu’il importait de prévenir ; et
c’est pour atteindre ce but que le Gouvernement avait
présenté l’art. 31.
5 6 7 . — Mais, dans le projet de loi, cet article disait
qu’il n ’y avait pas nouveauté , si l’invention avait reçu
déjà une publicité suffisante pour pouvoir être exécutée
soit par la voie de l’impression, soit de toute autre ma
nière. Ces derniers mots furent rejetés comme inutiles.
Le mot publicité , dit-on , comprenant tous les modes
par lesquels l’invention avait pu déjà se rendre publi
que , aussi bien l’impression que tout autre , une men
tion spéciale quelconque était superflue.
Ainsi réduit à ses premiers termes , l’article n’en fut
pas moins attaqué. Un membre de la chambre des Dé
putés, M. Marie, proposait la rédaction suivante :
Ne sera pas réputée nouvelle toute découverte, in
vention ou application qui, en France ou à l'étranger,
et antérieurement à la date du dépôt, aura été indus
triellement pratiquée ou décrite d'une manière techni
que dans un ouvrage imprimé et publié.
« 7J ’ai voulu , disait notre célèbre confrère , préciser
cette expression publicité suffisante qui me paraît trop
�SUR LES BltEVETS
D INVENTION
353
vague et devoir donner naissance à des procès. Il me
semble qu’en interrogeant l’expérience on peut arriver
à consigner, dans l’article, les deux faits principaux qui,
d’ordinaire, constituent la publicité, à savoir : la prati
que de l’invention, sa description. Ainsi, dans tous les
procès qui ont lieu sur les brevets d’invention , quels
sont les faits de publicité qu’on invoque le plus ordi
nairement ? Ce sont ceux qui consistent précisément
dans la pratique de la chose inventée antérieurement au
brevet. On invoque aussi la description de la chose in
ventée dans des ouvrages imprimés et publiés. Voilà les
deux faits principaux constitutifs de la publicité. On évi
terait un grand nombre de procès si, au lieu d’employer
celte expression de publicité suffisante, expression trèsvague, on déterminait dès à présent les faits qui cons
tituent la publicité. On a discuté très-longuement, trèsdiversement sur ce qu’il fallait entendre par descrip
tion ; j ’ai voulu faire disparaître de l’article toutes ces
bases de discussion ; il me semble les avoir fait dispa
raître en disant : ce ne sera pas une description telle
quelle, mais une description technique qui, par consé
quent , présente au lecteur une idée assez nette , assez
précise pour qu’il puisse s’en emparer et réaliser la
chose motivant la délivrance du brevet. »
Il nous semble que le reproche que M. Marie faisait
à l’article pouvait beaucoup plus justement s’adresser à
la rédaction qu’il proposait. Cette rédaction avait en ou
tre le tort de méconnaître le caractère de la loi qui doit
toujours se renfermer dans une formule générale et ne
i
—
23
�354
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
peut descendre dans les détails d’application. D’ailleurs,
est-ce que la question de savoir si la description était
ou non technique , n ’était pas dans le cas de soulever
des difficultés, de faire naître de nombreux procès ?
C’est donc avec raison que le rapporteur, M.Philippe
Dupin , répondait : La rédaction du projet comporte
tous les moyens de publicité ; les termes ‘p ublicité suffi
sante sont généraux, comme doit l’être un principe posé
dans une loi ; ils embrassent tous les cas possibles dont
l’application spéciale est abandonnée à la sagesse des
tribunaux. Au lieu de cela, M. Marie propose de rédui
re à deux cas la publicité qui est de nature à faire con
sidérer une découverte ou invention comme n’étant pas
nouvelle. Mais, outre que les expressions qu’il propose
peuvent être le germe de bien de commentaires et la
source de bien de procès, il y a un grand nombre d’au
tres moyens de publicité. Par exemple : une machine a
pu figurer à l’exposition des produits de l’industrie ;
elle a pu être déposée dans un conservatoire des arts et
métiers. Bien qu’elle n ’ait pas été industriellement pra
tiquée , bien qu’elle n’ait pas été décrite d’une manière
technique, viendrez-vous dire que c’est une découverte
nouvelle ?
5 6 8 . — L’amendement fut donc rejeté, et devait
l’être. Son unique mérite , à notre av is, a été d’avoir
fourni l’occasion de bien déterminer l’esprit de la loi.
elle n’a voulu tracer aucune limite en matière de pu
blicité; quels que soient les éléments dont on prétendra
%
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
355
induire celle-ci, il suffît qu’elle ait été de nature à met
tre le public à même d’exécuter la découverte, pour que
le brevet demandé postérieurement puisse et doive être
annulé.
En effet, la question de nouveauté doit être appré
ciée , en se référant à ce qui existait au moment du
dépôt des pièces à l’appui de la demande du brevet. Il
est évident que, puisque la durée du brevet a son point
de départ dans le fait de ce dépôt, le droit du breveté
est acquis de ce moment, à quelque époque que se ré
alise la délivrance du brevet.
Donc, la publicité que l’invention aurait reçue, dans
l’intervalle du dépôt à la délivrance, n ’a aucune influ
ence sur le sort du brevet, et ne saurait en motiver la
nullité.
3 6 9 . — Comme le disait M. Marie, le plus souvent
on voudra faire résulter la publicité de l’indication de
l’invention dans un écrit, ou de la pratique industrielle
dont elle a été précédemment l’objet.
A l’égard de la première, remarquons que la loi nou
velle , loin de déroger aux exigences de la législation
précédente, telles que les avait définies la cour de Cas
sation , les a expressément confirmées en consacrant
l’interprétation que celle-ci avait donnée aux termes de
l’art. 16 de la loi du 7 janvier 1791.
Il faut donc , aujourd’hui comme autrefois , que la
description soit assez claire, assez précise pour que tous
les intéressés puissent exécuter l’invention ; que le livre
�356
LOI DO
6
JUILLET
1844
ou écrit qui la renferme ait été non-seulement impri
mé, mais encore publié. Tant que cette dernière condi
tion n ’est pas remplie , le livre ou écrit, même impri
mé, n’existe que pour son auteur. Les indications qu’il
renferme sont, pour tous autres, lettres closes et incon
nues.
La publication, c’est à dire la distribution ou la mise
en vente réalisée , toutes ces indications sont tombées
dans le domaine public , et la découverte ne peut plus
devenir l’objet d’un brevet valable : à cet égard il n’y a
pas à distinguer. Qu’il s’agisse d’un livre, d’une bro
chure , d’un mémoire , d’un article de journal , d’une
lettre-circulaire, l’effet est le même si la description offre
le caractère voulu p a rla loi.'
5 7 0 . — Peu importe que la publicité ait é,té plus ou
moins étendue , et le livre ou écrit donné ou vendu à
un plus ou moins grand nombre d’exemplaires. Dans
ce c a s , en effet, si le public , dans l’acception la plus
large de ce mot, n’a pas connu, il a pu connaître, et il
suffit que quelques-uns aient su , pour que tous soient
appelés à jouir de la position que les premiers ont ac
quis.
Il est évident, en effet, comme l’enseigne M.Renouard,
qu’il n’est pas nécessaire, pour qu’une invention tombe
dans le domaine publie, qu’elle parvienne à la connais
sance de tous les individus dont le public se compose. Il
1 iNouguier, n u 496
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
357
serait absurde de l’exiger. Les lecteurs d’un ouvrage,
quelque répandu qu’il soit ou puisse être, ne formeront
jamais qu’un nombre infiniment petit, par comparaison
avec la masse des habitants de l’Empire.
De là M. Renouard conclut, avec raison, que ce se
rait une fort mauvaise défense que de nier la publicité
d’un livre q u i, après l’accomplissement des formalités
extrinsèques de la publication , se serait peu ou point
vendu.1
3 7 1 . — La nullité du brevet, pour une invention
décrite dans un livre publié et imprimé, est acquise a lors même que ce livre serait écrit en langue étrangère.
Le principe qui justifiait la solution précédente amène
forcément à celle que nous indiquons en ce moment.
Nous disons encore avec M. Renouard , qu’un ou
vrage publié en France, en quelque langue que ce soit,
a été lu , compris ou.pu l’être par quelques-uns. L’in
telligence de l’invention s’est donc propagée avec le li
vre; une portion quelconque du public la connaissait.
À son égard , tout brevet ultérieur était impossible , et
dès lors cette impossibilité existait pour tous.
C’est ce que le législateur de 1791 avait implicitement
consacré. En effet, dans le projet soumis à la Consti
tuante, l’art. 16 exigeait que la publication fut faite en
langue européenne. Le rejet de cette condition prouve
qu’on avait banni toute distinction.
�358
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
L'article 31 de la loi actuelle ne laisse plus de place
au doute. La publication en pays étranger entraîne la
perte de la nouveauté. Or, le plus ordinairement, celte
publication se fera dans la langue du pays. Pourquoi
donc celle faite en France, mais en langue étrangère, ne
produirait-elle pas le même effet ?
Refuser de lui reconnaître cet effet serait, d’ailleurs,
arriver au résultat le plus étrange. 11 n’est pas de pays
qui n’ait plus ou moins de ses enfants établis en France
et y exerçant le commerce ou l’industrie. Le livre écrit
dans leur langue n’aurait pour eux ni secrets ni mys
tères. Dès lors, l’invention qui y serait décrite aurait, à
leur égard, perdu sa nouveauté , et la nullité du bfçvet
pris ultérieurement, qu’ils demanderaient, ne pourrait
leur être refusée. Or , concevrait-on qu’en France , un
brevet pût être valable contre les français, nul et sans
effets pour les étrangers ?
Une pareille anomalie ne pouvait entrer dans la pen
sée du législateur. Aussi l’a-t-il expressément proscrite
en plaçant sur la même ligne la publication faite en
langue étrangère même à l’étranger , et celle faite en
France.
Ainsi, dans quelque idiome que soit composé le livre
ou l’écrit, publié soit en France soit à l’étranger, il
suffit qu’il donne la description d’une invention, pour
que cette invention soit désormais insusceptible d’être
valablement brevetée.
5 7 2 . — Quel doit être le caractère de la description
pour qu’elle puisse produire cet effet?
�SUR LES BREVETS D INVENTION
359
Des doutes s’étaient élevés à cet égard sous l’empire
de la législation de 1791; on avait d’abord soutenu qu’il
suffisait que l’écrit publié eût mentionné l’invention,
pour que celle-ci eût perdu sa nouveauté.
Mais un arrêt de la cour d’Amiens, du 18 mai 1839,
repousse cette prétention et déclare que l’art. 16 n’est
applicable que si l’énonciation de la découverte est ac
compagnée de l’indication d’un mode d’exécution qui la
fasse sortir du domaine de la théorie , et en permette
l’application à la pratique.'
À cette prétention des demandeurs en déchéance, les
titulaires de brevet en opposaient une autre toute con
traire. Ils soutenaient qu’il n ’y avait de description,
dans le sens de l’art. 16, que si le livre ou écrit conte
nait la spécification exigée par l’art. 4 de la même loi
du 7 janvier 1791.
Deux arrêts de la cour de Douai, des 27 novembre et
18 décembre 1841 .rejettent cette prétention. Ils dé
clarent que la loi exige, sans doute, pour qu’il y ait dé
chéance , non-seulement que la découverte ait été con
signée dans des ouvrages imprimés et publiés, mais en
core qu’elle y ait été décrite ; mais que par aucune de
ses dispositions elle n’a déterminé les caractères que de
vait avoir cette description ; qu’elle ne dit nulle, part
que ces caractères doivent être les mêmes que ceux de
la spécification q u i, d’après l’art. 4 , doit accompagner
•
! D.
P..
40, a, 118. ••
r
�360
?
LOI DU
6
JUILLET
1844
la demande d’un brevet; que le paragraphe 3 de l’ar
ticle 16 ne renvoie ni explicitement ni implicitement à
cet article 4 ; qu’il ne pourrait pas même y renvoyer,
si l’on considère les motifs qui ont déterminé les exi
gences de la loi , et la nature des conditions exigées;
qu’il suffit donc , pour qu’il y ait déchéance , que les
publications qui ont précédé la délivrance d’un brevet
soient de nature à faire connaître non seulement la découverte elle-même , mais aussi un mode d’exécution,
c’est à dire des moyens et procédés propres à réaliser
industriellement l’invention ; que l’idée nouvelle , ainsi
rendue réalisable, est entrée dans le domaine public, et
ne peut plus en être distraite pour retomber dans le do
maine privé de l’inventeur ou de tout autre.
Cette doctrine interprétait la loi d’une manière trop
rationnelle, pour qu’elle pût provoquer la censure de la
Cour suprême. Aussi était-elle sanctionnée par elle , le
20 mai 1844.'
C’est de cette jurisprudence que s’inspirait le législa
teur de 1844, lorsque, dans l’art. 31, il ne faisait delà
divulgation une cause de nullité, que si sa publicité était suffisante pour permettre d’exécuter l’invention.
*
L’unique question que les tribunaux ont donc aujourd’hui à examiner, est celle de savoir si la publicité allé
guée réunit la condition exigée par l’art. 31. C’est là
une pure question de fait, souverainement laissée à l’ap-
1 .J. du p ., 1844, I, 812,
�SUR LES BREVETS ü ’iNVENTION
361
prédation du juge , et qui échappe à toute censure de
la cour de Cassation.'
3 7 3 . — Une correspondance privée est-elle de na
ture à rendre l’invention insusceptible d ’être brevetée ?
Les termes de la loi actuelle , son intention expresse
d’attacher la perte de la nouveauté à la publicité en
elle-même et indépendamment des moyens par lesquels
elle s’est produite, permettent de poser cette question et
de la résoudre.
M. Nouguier soutient l’affirmative, mais à la condi
tion que la correspondance contienne une publicité suffi
sante pour que l’invention puisse être exécutée.1
3 7 4 . — Cette solution a un. fondement juridique
dans celte règle, qu’un brevet ne peut être nul pour les
uns, valable pour les autres. Or, celui qui a été initié,
par une lettre, dans le secret de l’invention, avant la de
mande du brevet, a incontestablement acquis le droit
de l’exploiter , nonobstant tout brevet ultérieur. Ce que
lui peut, tout le monde a la faculté de le faire.
Cependant, il nous semble qu’on doit distinguer. Ou
la lettre émane d’un tiers, ou elle est le fait de l’inven
teur.
Dans le premier cas , on doit appliquer la solution
donnée par M. Nouguier. Le tiers, en effet, n’a pu é-
1 Cass., 8 avril 1 854 ; — D : P., 54, 5, 81.
? N» 497.
�362
LOI DU
6
JUILLET
1844
crire que parce qu’il connaissait l’invention , e t , s’il la
connaissait, elle n’était plus nouvelle lorsque, plus tard,
le brevet a été demandé.
Dans le second cas, il est difficile de voir dans la let
tre autre chose qu’une confidence qui devait rester se
crète. Il n’y aurait donc lieu à la nullité du brevet ul
térieurement pris que si, abusant de la confiance dont
il a été l’objet, le réceptionnaire a publié ou communi
qué la lettre et divulgué le secret de l’invention.
Dans l’un et dans l’autre c a s , il faut que la lettre
rendue publique indique non-seulement l’invention ,
mais encore le moyen de l’exercer. A défaut de cette
dernière indication , la condition irritante de la loi ne
serait pas remplie , et l’invention n’aurait pas perdu sa
nouveauté.'
375.
— Le défaut de nouveauté peut, en outre, ré
sulter de la divulgation orale de la découverte. Par exem
ple,si elle avait été expliquée et enseignée dans un cours
public.Il importerait peu que cet enseignement fût le fait
de l’inventeurpud’unHiers.On ne saurait distinguer puis
que, en fait, le résultat, c’est à dire la publicité de l’inven
tion et du moyen de l’exécuter n’eti serait pas moins acquis.
Nous croyons même que la nullité du brevet ultéri
eurement pris serait d’autant plus fondée , que l’ensei
gnement serait le fait d’un tiers. Il en résulterait, en ef
fet , q u e , même avant sa divulgation , l’invention était
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
363
connue d’un autre que de celui qui viendrait en reven
diquer l’honneur et le profit. Comment pourrait-il donc
réussir dans cette prétention ?
Ce q u i , dans notre matière , est à considérer, c’est
non la cause de la publicité ni la personne de qui cette
publicité émane, mais le fait lui-même. C’est, en effet,
ce fait qui seul enlève à la découverte toute nouveauté,
en en divulguant le secret et en en facilitant l’exploita
tion.
376.
— Or, que ce fait émane de l’inventeur, ou
qu’il ait été réalisé par tout autre personne , le résultat
est le même. On ne saurait donc distinguer. Nous al
lons voir une application plus précise encore , dans ce
que nous avons à dire de la publicité résultant de la
pratique de l’invention antérieurement à la prise du
brevet.
Cette pratique sera le fait de plusieurs, ou de quel
ques personnes , ou d’une seule : il n’y a pas à distin
guer. Cette pratique , quelque restreinte qu’elle ait pu
être, a fait tomber l’invention dans le domaine public.
A la condition , néanmoins , qu’elle appliquera les
moyens décrits dans le brevet ultérieurement demandé.
En effet , si celui-ci arrivait au résultat ou au produit
déjà pratiqué par des moyens nouveaux , ou par une
nouvelle combinaison ou application de moyens con
nus, le brevet serait valable , quant à ces moyens ou à
ce procédé.
�364
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
377. — Si la pratique émane de l’inventeur seule
ment , elle n’influe sur la nouveauté de la découverte
que si elle est dans le cas d’initier le public au secret
qui en fait l’objet. Elle ne saurait donc motiver la nul
lité du brevet ultérieur, si elle ne remplit pas celte con
dition.
Merlin avait, depuis longtemps , professé et enseigné
cette doctrine. « Il n’est écrit nulle part, disait-il, que
celui qui a inventé un procédé se prive , par l’emploi
qu’il en fait de son autorité privée, et seulement pen
dant un temps quelconque, du droit de s’en faire garan
tir la jouissance exclusive.
« L’auteur d’une découverte industrielle en devient
propriétaire, par cela seul qu’il l’a conçue. 4 la vérité,
sa propriété pourra lui échapper, ou, pour mieux dire,
elle pourra devenir illusoire si, par l’usage qu’il en fait,
il la laisse percer dans le public sans avoir préalable
ment eu recours au moyen que la loi lui indique pour
s’en assurer la pleine et entière jouissance. Mais tant
qu’il la tient secrète, tant qu’il en use sans que le public
puisse en pénétrer le mécanisme, sa propriété reste in
tacte , et il est toujours à temps pour prendre les voies
légales à l’effet d’empêcher qu’elle ne devienne une pro
priété publique.' »
378. — Les difficultés qui ne peuvent naître sur le
principe , surgiront inévitablement lorsqu’il s’agira de
'1 R ép . g é n . . v« b r e v e t s d ' i n v e n t i o n , n° 6.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
365
l’appliquer. À quelles conditions , en effet, dans quels
cas devra-t-on admettre soit le secret, soit la divulga
tion ?
C’est là, il faut en convenir, une question de pur fait,
q u i, livrée à l’appréciation souveraine du juge , n’a
d’autres éléments de solution que les inspirations de la
conscience. Il n’est donc pas possible de tracer une rè
gle quelconque. Cependant les précédents peuvent être
utiles pour déterminer les limites dans lesquelles cette
appréciation doit se circonscrire, et l’influence que cer
tains faits doivent avoir sur le litige.
5 7 9 . — En première ligne se présentent les essais
tentés pour mener à bien la découverte projetée.
On le s a it, il n’est pas d’invention qui atteigne du
premier jet le but qu’elle se propose. Ce n’est qu’à tra
vers des tâtonnements, qu’après des essais plus ou moins
nombreux qu’elle sortira du domaine de l’imagination
et entrera dans le domaine de la pratique.
Ces essais étant une nécessité, il eût été inique de les
considérer comme une divulgation enlevant à l’inven
tion son caractère de nouveauté. Comme conséquence,
il en était de même du concours de tiers, que ces essais
peuvent exiger soit pour les accomplir, soit pour la con
fection de l’appareil qu’il s’agit de créer. C’est ce que la
jurisprudence n’a pas hésité à reconnaître et à consa
crer.
« On ne saurait raisonnablement, ni légalement, di
sait la cour de P a ris, dans un arrêt du 13 août 1840,
�■'
366
LOI DU
6
JUILLET
1844
considérer un inventeur comme faisant usage et livrant
au domaine public la machine qu’il aurait imaginée et
construite, lorsque cet usage se couvre du secret, et n’a
d’autre objet que de reconnaître et de constater avec
quelques personnes les avantages et les inconvénieiîts
de sa découverte ; il est manifeste que ce sont là des es
sais qui tiennent à la nécessité qu’impose toute espèce
de découverte ou d’invention , et que les défendre sous
peine de déchéance serait réduire, le plus souvent, l’in
venteur à l’impuissance et condamner, dès lors, le gé
nie à ne plus avancer dans la voie du progrès et de l’in
vention.1 »
Le 19 août 1853, la cour de Cassation juge que l’in
vention d’une machine peut être déclarée n’avoir pas
perdu son caractère de nouveauté , par cela seul qu’à
une époque antérieure à l’obtention du brevet, l’inven
teur en aurait fait fabriquer certaines parties, et l’aurait
fait fonctionner devant quelques personnes qui avaient
concouru à sa confection.’
Donc, tout ce qui n ’est fait que dans le but de s’assurer de la réalité , du mérite et de la perfectibilité de la
découverte, ne saurait, à moins de circonstances extra
ordinaires et non exigées par la nécessité, lui enlever la
nouveauté , et la rendre désormais insusceptible d’être
valablement brevetée.
1 J . du P . , 1840, 2, 692.
2 Ibid.
1853, 2, 33.
�SUR LES BREVETS û ’iNVENTION
367
3 8 0 . — On sait qu’il existe, pour l’industrie, une
société d’encouragement qui patronne ce qui présente
un caractère d’utilité réelle. Y a-t-il divulgation dans la
communication qui lui serait faite d’une découverte, et
dans les essais qui seraient faits soit dans son sein, soit
chez un ou plusieurs de ses membres délégués par elle?
Un jugement du tribunal civil de la Seine, jugeant en
appel , du 6 octobre 1827 , se prononce pour la néga
tive.
■* • a
ftl. Nouguier adopte cette doctrine. De pareils actes,
dit-il, ne sont que des essais ayant un caractère privé
et confidentiel. Ils ne sauraient constituer la publicité
qui entraine la nullité du brevet ultérieurement pris. Il
. approuve donc le jugement.'
3 8 1 . — Mais M. Renouard, qui rappelle que ce ju
gement a été rendu contre sa plaidoirie , le critique, et
lui reproche de fausser et de détruire la loi par la pré
tention d’être plus équitable qu’elle.2
Nous ne saurions admettre ni cette critique ni ce re
proche. Sans doute, un fait divulgué par l’inventeur est
tout aussi public qu’un fait divulgué par quelque autre
personne que ce soit. Mais nous ne saurions reconnaître
cette divulgation dans des actes q u i, accomplis avec la
société d’encouragement, n’ont d’autre but que d’obte
nir son patronage.
1 N» 517.
2 No. 4 7 et suiv.
�368
LOI DU
6
1844
JUILLET
Aux motifs si justes , si concluants de M. Nouguier,
nous ajoutons qu’on ne recherchera ce patronage que
lorsque le peu de ressources de l’inventeur serait un ob
stacle invincible à ce que son projet arrivât à bonne fin.
En s’adressant à elle , on subit donc une véritable, une
impérieuse nécessité.
À cette nécessité s’en joint une seconde, celle de con
vaincre la société des avantages réels de la découverte
qu’on veut mettre sous sa protection, et par conséquent
de se livrër à toutes les mesures par lesquelles celle-ci
voudra s’assurer de ces avantages.
t
.
;
Il y aurait donc une énorme injustice à considérer
l’exécution de ces mesures comme une cause de nullité
du brevet, que le patronage recherché permettra de pren
dre. Ce serait interdire ce patronage aux inventeurs
pauvres, et blesser non-seulement leurs intérêts, mais
encore celui de la société en empêchant de se produire des
inventions destinées à l’enrichir un jour.
382.
— Le tribunal de Paris est allé plus loin en
core. Il jugeait, le 6 juin 1844, non-seulement que les
essais préparatoires et la publicité qu’ils auraient reçue,
mais encore que le fait d’avoir donné soit à des parents,
soit à des étrangers quelques-uns des produits fabri
qués ultérieurement, ne constituaient pas la divulgation
du secret.
Il est vrai que le jugement n'arrive à cette consé
quence que vu les circonstances particulières de l’espè
ce , ce qui lui enlève toute autorité doctrinale. En effet,
�369
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
si, en thèse, les essais préparatoires ne constituent pas
la publicité exclusive de la nouveauté , il ne saurait en
être ainsi de la disposition ultérieure des produits résul
tant de ces essais.
La raison de la différence est qu’en se livrant aux
essais, l’inventeur ne fait qu’obéir à une nécessité im
périeuse ; qu’ils sont indispensables, et qu’il lui est à
peu près impossible de s’en abstenir.
Cette nécessité n’existe plus, lorsqu’il s’agit de dispo
ser des produits que l’inventeur est arrivé à fabriquer.
Celte disposition n’est donc plus qu’un acte dont il pou
vait s’abstenir, et s’il la réalise, ce ne peut être qu’à ses
risques et périls, et à la charge de subir les conséquen- ces qui peuvent en naître, quant à la publicité de l’in
vention.
Hésiterait-on si l’inventeur, exploitant industrielle
ment sa découverte non encore brevetée, en vendait les
produits ? Pourquoi en serait-il autrement, s’il les don
ne soit à des parents, soit à des étrangers ? Ce qui fait
proscrire la vente c’e s t, non le profit qu’elle peut pro
curer, mais la publicité qu’elle est dans le cas de don
ner à l’invention.
Or, cette publicité peut également résulter du don, et
s’il n’y a aucune différence dans les résultats , on ne
saurait en admettre aucune dans les effets.
Objectera-t-on que le don se renfermera dans un
cercle beaucoup plus restreint que la vente ? Nous ré
pondrons, avec M. Renouard, qu’un fait divulgué en la
personne du premier venu n’en est pas moins tombé
t —
24
�370
LOI DU 5 JUILLET 1844
dans le domaine public ; que s’il fallait qu’une indus
trie, pour être réputée connue, fût venue à la connais
sance de tous les membres du corps social, il n’en exis
terait pas une , si vieille et si usuelle qu’elle f û t , qui
pût avoir ce caractère.
L’inventeur ne doit donc ni vendre , ni donner les
produits de sa découverte , avant d’avoir pris son bre
vet. Les essais, dit M. Et. Blanc, ne doivent être ni ven
dus ni donnés au public, car alors il n’y aurait plus es
sai sur la chose, mais essai sur le public, ce qui cons
titue une divulgation de l’invention.’
Il serait plus exact de dire que ces actes donnent de
la publicité à l’invention , ce qui n ’est pas dans le cas
de lui enlever ip s o f a c t o son caractère de nouveauté.
En effet, aux termes de l’art. 31, la publicité ne produit
cette conséquence que si elle est suffisante pour permet
tre d’exécuter l’invention. Donc , si la publicité résul
tant du don ou de la vente n’offre pas ce caractère, elle
ne saurait ni empêcher la brevetabilité de l’invention,
ni motiver la nullité du brevet pris ultérieurement.
C’est ce que la cour de Paris jugeait, avec raison, le
5 juillet IS iS .”
Dans ce cas il importerait peu que la vente, par ex
emple, conséquence d’une exploitation industrielle , eût
été réalisée sur une vaste échelle. La condition de l’a r-
�SliR LES BREVETS D’iNVENTION
371
ticle 31 est générale, absolue et sans exception.Tant que
les acheteurs n’auront pas été m is , par la vue, l’étude
ou l’analyse des produits, à même de les fabriquer euxmêmes, il n’y a pas divulgation suffisante et par consé
quent perte de la nouveauté. L’usage industriel plus ou
moins long , avant la prise du brevet, n’infirmerait en
rien l’effet de celui qui aurait été plus tard demandé et
obtenu.
La société ne pourrait ni se plaindre , ni lui repro
cher de lui enlever ce dont elle était déjà en possession,
puisque , en fa it, elle n’avait qu’un produit dont elle
ignorait le secret, et qu’elle était dans l’impuissance de
fabriquer.
5 8 3 . — L’inventeur qui expose sa découverte, dans
un concours régional , se met-il dans l’impuissance, de
la faire valablement breveter plus tard ?
«
L’affirmative ne faisait aucun doute pour le rappor
teur de la loi. Nous l’avons vu, en effet, citer le fait de
faire figurer une machine dans une exposition publique,
comme un exemple de divulgation autrement que par
l’impression et la publication de livres ou écrits.
M. Nouguier considère cette opinion comme incon
testable , et en fait une règle obligatoire. Il invoque , à
l’appui, un arrêt de la cour de Bruxelles du 21 novem
bre 1837.
Mais ce qui est vrai pour une invention que la vue
du produit, son étude ou son analyse fait suffisamment
connaître et comprendre, et c’était l’espèce de l’arrêt de
�372
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Bruxelles, peut-on et doit-on l’admettre d’une manière
générale et absolue ? spécialement lorsqu’il s’agit d’un
instrument ou d’une machine plus ou moins compli
quée.
3 8 4 . — Saisie de la question , la cour de Pau la
résolvait négativement, par arrêt du 23 février 1863.
Elle jugeait, en conséquence, que l’exposition d’une ma
chine à un concours régional, avant l’obtention du bre
vet dont elle a été, depuis, l’objet, ne constitue pas une
publicité suffisante pour entraîner la nullité du brevet,
et le rendre sans effets.
« Attendu, dit l’arrêt, que l’examen du jury, qui n’a
d’autre objet que de rechercher et de constater l’utilité
de la découverte, ne peut pas avoir pour résultat de li
vrer souverainement au public la constitution intime des
machines produites , les conditions de leur fonctionne- »
m ent, les divers agencements de leurs organes , et les
diverses méthodes de leur application ;
» Que donner aux études du jury, et, après ses opé
rations , à l’arrivée du public et à ses observations , la
portée d’une saisie de l’idée et de son application au
profit de l’intérêt général, contre la volonté des intéres
sés , serait porter une atteinte des plus graves au droit
de propriété, fausser la pensée qui a inspiré l’établisse—
met des concours, et leur préjudicier en éloignant par
cette menace , jusqu’après l’obtention du brevet, toute
�su r
les
brevets
d ’ in v e n t io n
373
une catégorie d’industriels qui peuvent en réhausser
l’éclat.'
3 8 5 . — Le mérite de cette décision nous paraît fort
contestable. Elle accepte comme existant ce qu’il eût été
peut-être désirable de voir exister. Mais les tribunaux
ne prononcent pas suivant ce qui devrait être; ils ne
peuvent qu’accepter ce qui est.
Sans doute , l’examen du jury n’a pour objet que de
rechercher et de constater l’utilité de la machine qui lui
est présentée. Mais pour arriver à cette constatation , il
faudra bien qu’il la fasse fonctionner sous ses yeux,
qu’il se rende raison de son agencement; qu’il vérifie
le jeu de ses organes , toutes opérations qu’il exposera
dans son rapport pour étayer et justifier son opinion.
La publicité que ce rapport recevra sera donc la des
cription exacte et complète de la machine, et il n’y aura
réellement de non édifiés sur sa constitution que ceux
qui ne voudront pas l’être.
D’autre part , comment cette constitution échapperat-elle aux observations du public ? Nous l’admettons
pour cette foule que la curiosité seule conduit à l’expo
sition, et qui se contente d’admirer sans pouvoir ni vou
loir comprendre.
Mais les gens de métier qui ne vont à l’exposition que
pour se mettre au courant des progrès de leur indus
trie, ceux-là examineront la machine dans ses détails et
1 J. du P
1863, 4 , 368 .
�374
LOI DU 6 JUILLET 1844
dans son ensemble ; ils en étudieront les organes , en
vérifieront l’agencement, et bientôt elle n’aura plus pour
eux ni secret ni mystère.
Comment en douter si , en fait, la vue et l’examen
ont suffi non-seulement pour construire une machine
semblable , mais encore pour l’exploiter. Donc , l’offre
* faite par le demandeur en nullité du brevet, ou par le
défendeur à l’action en contrefaçon, de prouver que l’u
sage par lui fait de la machine est antérieur à la de
mande du brevet, serait péremptoire, et cette preuve ré
alisée ferait inévitablement annuler ce brevet.
58B. — Il faut donc le reconnaître, l’arrêt de la
cour de Pau a le tort de consacrer un principe absolu,
alors que le litige n’en comporte aucun de ce caractère.
De même qu’on ne peut établir, en thèse, que l’exposi
tion dans un concours public divulgue nécessairement le
secret, de même on ne saurait admettre qu’elle n ’aura
jamais cet effet. Le oui ou le non ne peut résulter que
des conséquences que cette exposition a entraînées.
Cette incertitude, nous en convenons, est, pour les in
venteurs, une menace capable de les déterminer à s’abs
tenir, et peut ainsi diminuer l’effet et l’éclat de ces bel
les et utiles fêtes de l’industrie. C’est là un inconvénient
réel qui accuse , dans la loi, une lacune que les tribu
naux ne sont pas appelés à combler.
Il est à regretter qu’on n’ait pas , dans la loi du 5
mars 1855 , étendu à toutes les expositions la mesure
qu’on sanctionnait pour l’exposition universelle, et con-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
375
cédé la faculté de remplacer, dans tous les cas, le brevet
par un certificat de la commission.
En attendant qu’on comble cette lacune , la loi de
1 855 est la condamnation de la doctrine de la cour de
Pau. En effet, si l’admission à une exposition publique
ne peut révéler, ne révèle pas le secret de l’invention,
pourquoi cette loi ? à quoi bon sauvegarder ce qui n’est
pas compromis?'
Nous pouvons ajouter que la cour de Cassation a imimplicitement condamné la doctrine de la cour de Pau.
En effet elle a jugé, le 18 janvier 1864, que l’invention
d’une machine a perdu son caractère de nouveauté , et
dès lors n ’est plus brevetable, lorsque, avant l’obtention
du brevet, l’inventeur a laissé son appareil exposé pen
dant un certain temps ( un mois ) aux regards du pu
blic, dans l’atelier d’un industriel, sans aucune recom
mandation à ce dernier pour prévenir la divulgation de
la découverte , et que cet appareil a été vu par toutes
les personnes que les circonstances ou le désir de l’exa
miner ont amenées dans l’atelier.1
Or, est-il possible de ne pas décider pour le dépôt
dans une exposition publique oit tout le monde est in
différemment adm is, ce qu’on juge pour le dépôt dans
un atelier ouvert seulement à une classe d’individus fort
restreinte? Ainsi on refuserait à la publicité la plus étendue l’effet qu’on accorde à une publicité nécessaire1 Une loi du 3 avril 1867 f a i t , pour l’exposition universelle ouverte à
Paris, ce que la loi du 5 mars faisait pour celle de 1855.
s J. du P ., 1865, 1, 903,
�376
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
ment bien moindre. Il y aurait là une inconséquence
dont la Cour suprême se garderait d’assumer la res
ponsabilité. En pareille matière, comme le disait la cour
de Rouen , dont l’arrêt était sanctionné par la cour de
Cassation , on doit moins prendre en considération la
connaissance que des tiers ont réellement acquise de
l’invention,que celle qu’ils ont été mis à même d’acquérir
par la volonté de l’inventeur.
Nous croyons donc que, dans notre hypothèse, le fait
est souverain , et que la question de savoir s’il y a eu
ou non divulgation est subordonnée à la nature de l’in
vention , et aux conséquences que son exposition a pu
entraîner ; à l’usage qu’en auraient fait des tiers.
Mais celui-ci n ’est à considérer que s’il a été lui-mê
me antérieur à la demande du brevet. Celui qui en au
rait été fait plus tard pourrait n’être qu’un effet des for
malités prescrites par la loi. N’oublions p a s , en effet,
que la demande doit être accompagnée d’un mémoire
descriptif de l’indication des moyens , et, s’il y a lieu,
des plans et dessins ; que ces pièces peuvent être con
sultées à toute époque et par toutes personnes. Or, il ne
faudrait pas qu’on attribuât à l’exposition publique un
effet qui n’aurait d’autre cause que la vue et l’étude des
pièces déposées.
387.
— C’est au demandeur en nullité du brevet à
prouver l’antériorité de l’usage. Cette preuve peut être
faite par témoins.
Si l’usage antérieur au brevet, fait par l’inventeur
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
377
lui-même, annule ce brevet, on ne saurait, à plus forte
raison, dénier cet effet à l’usage par d'autres que par
lui. Où serait en effet la nouveauté , si l’invention déjà
connue avait été pratiquée et exploitée par des tiers, a vant la demande du brevet ?
388.
— Faut-il que cet usage ait été général et pu
blic ? La pratique secrètement faite par une ou plusieurs
personnes suffirait-elle pour qu’il y eût divulgation s’op
posant à l’obtention d’un brevet, et frappant de nullité
celui qui aurait été demandé et pris postérieurement?
« Non, répond M. Nouguier, la société ne connaît et
ne protège que les industries qui s’exercent au grand
jour et qui profitent à tous, soit par les produits qu’elles
livrent à la consommation , soit par les procédés dont
elles popularisént l’application , soit par les améliora
tions que leur publicité appelle. Que signifie une anté
riorité qui, fonctionnant en secret, échappe à la loi du
progrès et ne profite qu’à un seul ?
» Heureusement la loi ne comprend pas ainsi la nou
veauté industrielle, qui est le caractère essentiel de toute
invention brevetable. Cette nouveauté,dans le sens légal,
n’est pas la nouveauté absolue dans le sens radical du
mot. Le législateur n’a pas voulu qu’on pût s’y trom
per; et, dans ce but, il a pris le soin d’en donner une
définition spéciale. Décidant a contrario, il a dit, dans
l’art. 31 : ne sera pas réputée nouvelle l’invention qui
aura reçu u i 1 o p u .T b lio i.to s u f f i s a n t © pour
pouvoir être exécuté. La publicité est donc de l’essence
�378
LOI DU
6
JUILLET
1844
du défaut de nouveauté, et, dans l’espèce posée , alors
que celui qui connaît l’invention agit dans l’ombre avec
mystère, où est la publicité? A l’appui de sa solution,
M. Nouguier invoque un arrêt de la cour de Cassation,
du 19 mars 1853.' »
3 8 9 . — Dans son excellent traité De la contrefa
çon, M. Et. Blanc enseigne l’opinion contraire. Une dé
couverte est nouvelle, d it- il, quand , jusqu’au jour du
brevet, elle n’a existé que pour l’inventeur , et n’a été
connue que par lui. Mais les inventions possédées et
pratiquées , même secrètement, avant le brevet, par
d’autres que. par le breveté, doivent être exclues du bé
néfice de la protection légale, par le seul fait de l’anté
riorité et en dehors de toute divulgation.1
3 9 0 . — Nous sommes de ce dernier avis, et l’opi
nion de M. Nouguier n’a, selon nous, de fondements ni
dans le texte ni dans l’esprit de la loi.
Si on en examine les conséquences , on arrive à ce
résultat étrange d’un brevet valable pour les uns, nul et
sans effets pour les autres.
En effet, M. Renouard en conviendra, celui ou ceux
qui ont connu et pratiqué l’invention , avant le brevet,
ne pourront ni être troublés dans leur possession , ni
être poursuivis et condamnés comme contrefacteurs. Ils
1 N» 506.
2 Pag. 446, 465.
)
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
379
■
conserveront le droit non-seulement de l’exploiter, mais
encore d’en disposer à leur volonté, de la communiquer
ou de la vendre, et ceux qui la tiendront d’eux ne pour
ront aussi ni être poursuivis ni être condamnés, car ils
ne seront que leurs ayants cause pouvant tout ce qu’ils
pouvaient eux-mêmes.
Maintenant, supposez qu’au lieu d’être défendeurs en
contrefaçon , celui ou ceux qui ont pratiqué avant le
brevet en poursuivent la nullité pour défaut de nou
veauté, est-ce que cette nullité pourra être refusée ? Ne
résultera-t-il pas de leur pratique antérieure que l’in
vention était déjà connue, au point de pouvoir être exé
cutée ?
Donc, à leur égard, le brevet pris ultérieurement sera
nul et de nul effet, et si leur demande a été accueillie
avec le concours du ministère public, la nullité sera ab
solue. Comment donc comprendre qu’on puisse en exciper encore contre qui que ce soit? Que deviendrait,dès
lors, cette libre concurrence dont le législateur s’est tant
préoccupé, et quel préjudice n’éprouverait pas la mas
se si un ou plusieurs seulement pouvaient offrir des pro
duits plus perfectionnés , ou fabriquer à un prix qui
leur permettrait de céder ce produit à meilleur marché?
Un pareil résultat ne serait admissible que si la loi
l’avait expressément consacré. Or , elle ne pouvait le
faire, et ne l’a pas fait. Ce dont l’art. 3 1 , comme l’ar
ticle 3 2 , se préoccupe , c’est la divulgation de l’inven
tion. M n’entend nullement que cette divulgation s’adres
se au public en général , car, comme le dit M, Renou-
�380
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
ard, un fait divulgué au public en la,personne du pre
mier venu est tout aussi acquis à la société, qu’un fait
divulgué au public en la personne du défendeur à l’ac
tion en contrefaçon. Quoi si l’invention a été pratiquée
à l’étranger , le brevet pris en France, même par un
français,'serait nul et on le prétendrait valable si,avant
qu’il fût demandé , l’invention qu’il doit couvrir avait
été plus ou moins pratiquée en France ?
Donc , en pareille matière , le défaut de nouveauté
s’induit de la condition exigée par l’art. 31 et est ac
quis. Or, comment contester la publicité suffisante si,
en fait , l’invention a pu être exécutée , et la meilleure
preuve qu’elle l’a pu, c’est qu’elle l’a été.
Au reste, l’art. 1er de la loi n’accorde de brevet que
lorsqu’il y a invention ou découverte. Or, on ne décou
vre pas, on n’invente pas ce qui existe déjà à l’état plus
ou moins public. Qui sait même si le prétendu inven
teur, pénétrant le secret de la pratique de tel ou de tel,
ne viendra p a s , véritable geai, se parer des plumes du
paon , et revendiquer comme une prétendue invention,
ce qui ne serait qu’un plagiat, qu’une usurpation des
fruits de l’intelligence et du génie d’un autre ?
La vérité légale est donc celle-ci : si la découverte
pratiquée avant tout brevet par une seule personne, est
le fait de cette personne même, celle-ci pourra plus tard
la faire valablement breveter, à condition que sa pra
tique soit toujours restée essentiellement secrète. Nous
l’avons déjà dit.
Si celui qui a pris le brevet est un autre que celui
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
381
qui a pratiqué , ou si cette pratique a été le fait de plu
sieurs, le brevet est essentiellement nul et de nul effet.
391.
— L’arrêt de la cour de Cassation, du 19
août 1853, cité par M. Nouguier, est un arrêt d’espèce
et non de principe.
On contestait la nouveauté d’un brevet pris en 1838,
par la raison qu’un métallurgiste avait fait, avant, des
expériences dans une usine en Allemagne.
Mais la cour de Paris avait jugé que ces expériences
ne constituaient que des essais jusqUes en 1840 ou
1841, époque à laquelle l’auteur de la découverte bre
vetée en France en 1838, l’avait publiée en Allemagne;
que ces essais n’avaient été connus ni en Allemagne ni
en France ; qu’ils n’avaient donc pu faire perdre à l’in
vention, objet du brevet, son caractère de nouveauté.
La cour de Cassation saisie du pourvoi le rejette. Son
arrêt vise les faits constatés par la cour de Paris, et ajoute : Attendu que cette constatation des faits qui ap
partenait aux juges correctionnels échappe à toute cen
sure de la part de la cour de Cassation.1
La véritable pensée de la Cour suprême se décèle dans
son arrêt du 19 mars 1821.
Dans cette espèce, un individu poursuivi en contrefa
çon soutenait le défaut de nouveauté de l’invention,qu’il
offrait de prouver avoir été pratiquée avant Pobtention
du brevet.
1 D. P ., 33, 3, 37.
�382
LOI DU
6
JUILLET
1844
Le juge de paix d’abord, le tribunal civil de Bordeaux
ensuite, repoussent la preuve comme non pertinente,
puisque elle n’avait pas pour objet d’établir que cette
pratique était personnelle au demandeur en preuve.
La Cour suprême casse celte décision. Elle déclare,
après un délibéré en la chambre du conseil, qu’une ex
ception naturelle de la part du défendeur en contrefaçon
est de soutenir que le breveté n’est pas inventeur, et que
son procédé était pratiqué avant que le brevet lui eût
été délivré ; qu’aucune loi n’interdit au défendeur de
proposer une telle exception ; qu’aucune loi n’exige non
plus que celui qui est poursuivi comme contrefacteur et
qui offre de prouver que la méthode était déjà prati
quée avant la délivrance du brevet, soit tenu de prouver
aussi qu’il était personnellement en possession de cette
même méthode antérieurement au brevet.
A insi, la Cour suprême déclare qu’on peut exciper
de la pratique d’autrui et qu’on est admissible à en faire
la preuve. A quoi bon cette admissibilité si, cette preuve
faite, on condamnait le défendeur parce que cette pra
tique n’aurait pas été publique.
Dans le système de M. Nouguier, c’est cette publicité
qu’il faudrait établir. Or , dans l’espèce , le demandeur
en preuve n’en excipait même pas, et la cour de Cassa
tion ne fait en aucune manière, de ce caractère, la con
dition de l’exception qu’elle reconnaît appartenir au dé
fendeur en cassation.
Donc , la preuve d’une pratique quelconque est re
cevable, et si elle est recevable, c’est qu’une fois faite le
�SUR LES
BREVETS D’iNVENTION
383
brevet est annulé. Celte faculté n’a u ra it, dans le cas
contraire, aucune utilité, et moins que personne la Cour
régulatrice ne pouvait oublier que frustra probatur
quoi probatum non relevât. Son arrêt est donc la con
damnation la plus explicite de la théorie de M. Nouguier.
3 9 2 . — En résumé, il faut reconnaître, et cela res
sort avec évidence de la discussion législative , qu’une
industrie pratiquée avant l’obtention et la demande du
brevet, manque de nouveauté, et ne peut plus être con
sidérée comme une invention brevetable, puisque le pu
blic , déjà en possession par un ou plusieurs de ses
membres la connaissant et la pratiquant déjà, ne rece
vrait, par le brevet, que ce dont il jouissait ou pouvait
jouir. Mais on doit exiger, pour admettre la pratique
antérieure , autre chose que de simples essais, qu’une
pratique se bornant à des expériences, et qui n’aurait
produit aucun résultat sérieux au point de vue du com
merce ou de l’industrie. Il faut une pratique offrant un
caractère industriel ou commercial incontestable; et,
dans ce c a s , il importe peu qu’elle soit le fait d’un , de
plusieurs ou de tous. Le résultat est le même , il n ’y a
plus ni découverte, ni invention brevetable.
3 9 3 . — La doctrine et la jurisprudence sont unani
mes sur ce p o in t, à savoir : qu’en matière de pratique
et de publicité, c’est le fait lui-même qui est à considé
rer, indépendamment de la cause qui l’a fait se pro-
�384
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
duire; qu’ainsi ne laisse pas que de n’être plus breve
table la découverte qui n’a été divulguée que par fraude
ou par un délit , par exemple l’infidélité des ouvriers
de l’inventeur, le vol de ses plans ou dessins.'
Cette doctrine parait consacrer une immoralité et une
injustice, mais elle puise son fondement juridique dans
la nature des choses. La société qui trouve sous sa
main un avantage matériel est en droit de s’en saisir,
tant qu’un contrat intervenu entre elle et l’inventeur
n ’est pas venu suspendre l’exercice de ce droit. On ne
saurait lui reprocher ni de n’être pas remontée à l’ori
gine de la publicité dont elle profite, ni de s’être abste
nue d’en rechercher les causes. Elle ne devait ni ne
pouvait le faire. Donc, en exploitant une industrie ou
une méthode qu’aucun brevet ne protégeait encore, elle
n’a fait qu'user de son droit.
La demande ultérieure du brevet fera-t-elle que cette
exploitation n’ait pas été réalisée, que, par conséquent,
l’invention ne soit tombée dans le domaine public ? Or,
un brevet peut bien empêcher, pendant un tem ps, ce
résultat, mais jamais le détruire lorsqu’il a été acquis
avant son obtention.
Le droit privatif résultant d’un brevet n’a d’autre
cause que l’avantage que son expiration procurera à la
société. Or, dans l’espèce, le brevet ne donnerait jamais
l Merlin , Brevet d'invent., n° 4 ; — Dalloz , ib id ., n° 71 ; — lienouard, n» 46 ; — Nouguier, n° 510 ; et arrêts cités en note.
��386
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
duire, le public n’a-t-il pas été mis en mesure d’exé
cuter l’invention , ne l’a-t-il pas exploitée ? Dès lors,
comment distinguer dans l’effet, lorsque le résultat est
identique.
Dans tous les cas, il n’y a plus de nouveauté. La so
ciété ne retirera aucun profit du brevet ; pourquoi lui
en imposerait-on la charge , qui ne serait plus qu’une
évidente dépossession , qu’une expropriation que rien
ne saurait ni légitimer, ni autoriser ?
Une telle éventualité n’a pu entrer dans la pensée de
la loi, et nous en avons la preuve dans un incident de
la discussion qu’elle a subie , et dont nous avons déjà
parlé.1
Qu’on se rappelle que le commissaire du Gouverne
ment, M. Senac, s’opposait à ce qu’on pût faire graver
ou lithographier les plans ou dessins, parce que, disaitil , confier ce soin à un artiste , c’était divulguer l’in
vention.
Mais on observa qu’il n’y aurait réellement divulga
tion que si, abusant de la confiance dont il était l’objet,
l’artiste publiait ou répandait ces plans ou dessins. On
admit donc que l’inventeur répondait, même dans le
travail d’invention , de l’infidélité du graveur ou du li
thographe de son choix. Pourquoi, dès lors, ne répon
drait-il pas de l’infidélité de ses autres ouvriers.
Il n’y a donc pas à hésiter. La règle enseignée par
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
387
les auteurs , consacrée par la jurisprudence , est seule
vraie , seule légale. La divulgation de l’invention n ’est
pas plus modifiée par son auteur , que par sa cause,
que par son époque, et le public, une fois saisi, ne sau
rait plus être dépouillé sous aucun prétexte.'
3 9 6 . — Mais , ce qui est vrai pour le public , ne
saurait l’être pour l’ouvrier infidèle. Il est moralement
et rationnellement impossible qu’il pût, dans aucun cas,
se faire un titre de son délit et de sa fraude.
Ainsi et en première ligne , on devrait le condamner
à réparer le préjudice qu’il a occasionné, et à indemni
ser la victime de son abus de confiance.
Pourrait-il, de plus, s’il exploite lui-même l’inven
tion, être poursuivi et puni comme contrefacteur ?
Un arrêt de la cour de P a ris , du 5 juillet 1845 , se
prononce pour l’affirmative. Il décide, avec raison, que
si l’exploitation par le public de bonne foi doit être res
pectée , l’ouvrier q u i , en cette qualité , a été initié à la
connaissance d’un procédé nouveau, inventé par le maî
tre chez lequel il travaillait, ne peut se prévaloir de
l’exploitation frauduleuse qu’il aurait faite de ce procé
dé , antérieurement à la délivrance du brevet demandé
par l’inventeur , pour repousser plus tard une plainte
en contrefaçon dirigée contre lui.1
1 Cass., 40 février 1806 ; 24 décembre 4833; 20 mai4844; — Douai,
27 novembre et 48 décembre 4 844 ; — J. du P., 4842, 2, 3 4 ;—D. P .,
44, 4, 202.
a J. du P., 4845, 2, 454.
�388
3
■iï i
H
Il i l
il I
il®
LOI DU 6 JUILLET 1844
Il est évident que l’exploitation frauduleuse par l’ou
vrier qui ne saurait lui profiter , ne saurait non plus
profiter à qui que ce soit. Ainsi, si cette exploitation est
restée pure personnelle à l’ouvrier , et que secrètement
pratiquée elle n’a pas été dans le cas de divulguer au
public le secret de l’invention , la validité du brevet ul
térieur est incontestable , et les tiers poursuivis en con
trefaçon ne pourraient en exciper, comme ils pourraient
le faire dans l’hypothèse d’une pratique légitime même
isolée. La doctrine de l’arrêt de la cour de Cassation, du
19 mars 1821, ne saurait recevoir ici aucune applica
tion.
. I il !'$ j
!i. *'
Enfin , si l’ouvrier infidèle s’était fait breveter pour
l’invention par lui soustraite, on n’hésiterait pas à l’en
dépouiller , et à accueillir la demande du véritable in
venteur, qui serait recevable et fondé à se faire subroger
au profit du brevet.
lïi
il!
il
Mais cette subrogation n’aurait d’effets que pour l’a
venir, et les cessions antérieurement consenties par l’ou
vrier seraient maintenues. Seulement, tout ce qui serait
encore dû sur le prix, ne serait valablement payé qu’au
patron, à partir du jour où sa subrogation aura rempli
la condition de l’art. 21.
l|
■ikfet
;li iij.
:
5 fl
1 ï |
Il m
i1=13111
îi 3 ? « F
5 9 7 . — L’invention qui a pour objet des combi
naisons complèxes se prêtant un mutuel appui, dont les
unes appartiennent en propre à l’inventeur et dont les
autres sont empruntées au domaine public, est indivi
sible. Elle doit être appréciée dans son ensemble. Peu
�SUR LES BREVETS D’iNNVETION
389
importe même que, pris isolément, chacun de ses élé
ments fût déjà connu avant la demande du brevet. Ce
lui-ci n’en serait pas moins valable et obligatoire , s’il
offre réellement un produit ou un résultat nouveau soit
à l’aide de nouveaux moyens, soit par une nouvelle application de moyens connus. C’est, en effet, par le but
auquel elle arrive , et non par le mode qu’elle emploie,
qu’une invention doit être appréciée.
Mais, lorsque l’invention porte sur plusieurs pro
duits, sur plusieurs moyens , sur plusieurs applications
distincts, elle est essentiellement divisible et doit être ap
précié séparément pour chacun de ses objets.
Le brevet n’est ni valable, ni obligatoire à l’égard
de tous ceux q u i, étant antérieurement connus, ap
partenaient au domaine public. Mais sa nullité , à
leur endroit, le laisse subsister avec tous ses effets,
pour les objets reconnus avoir le caractère de la nou
veauté.
5 9 8 . — La prétention de considérer le brevet com
me indivisible, dans tous les cas, s’est souvent produite.
Mais elle n’a pas cessé d’être repoussée. Nous avons déjà
cité un arrêt de la cour de Paris qui consacre la divisi
bilité. En voici quelques autres qui proclament et ap
pliquent le même principe.
La même cour de Paris décidait, le 29 décembre
1855 , qu’un brevet pris pour une invention complexe,
telle que celle d’un mécanisme pour faire ouvrir et fer
mer les ombrelles, et qui se trouve, pour l’objet princi-
�390
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
pal de l’invention, primé par un brevet antérieur, n’en
reste pas moins valable pour la partie du mécanisme
qui constitue un perfectionnement ; que peu importe
que ce ne soit pas à titre de perfectionnement que le se
cond brevet ait été pris, et que la partie ajoutée ou mo
difiée ne soit pas dans le cas d’être exploitée séparé
ment.'
La cour de Cassation jugeait :
Le 4 mars 1856, qu’un brevet n’est pas indivisible,
et peut n’êtreque partiellement annulé en ce qu’il porte
sur tel objet qui n’est pas nouveau ;’
Le 21 juin même année, qu’en présence d’un brevet
délivré, tout à la fois, pour des procédés et un appareil
propre à extraire l’alcali volatil des eaux ammoniaca
les, l’arrêt qui, déclarant que cette extraction directe de
l’alcali par la distillation des eaux ammoniacales , était
chose connue dès avant le brevet; annule ce brevet en
tant qu’il porte sur cette extraction directe, doit être en
tendu en ce sens qu’il s’applique seulement et d’une ma
nière limitative à l’idée de cette extraction directe; que
cet arrêt laisse au brevet toute sa force, en ce qui tou
che les procédés d’application de l’idée, et l’appareil in
venté pour opérer l’extraction.3
■/
,
y
,
\
1 A n n a le s in d u s l r ., 1856, pag. 23.
2
Ibid.
pag 76.
3 D. P., 58, 1, 49. — V., an surp lu s, nos observations sur les artiles 1 et 2.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
391
3 9 9 . — La deuxième cause d’annulation du brevet
n’est que la juste, que l’inévitable sanction pénale qu’
exigeait la prohibition que consacre l’art. 3. Lorsque la
loi édicte une prohibition , elle donne, non un conseil,
mais un ordre qui doit être obéi. Il faut donc qu’une
pénalité quelconque puisse contraindre à cette obéis
sance.
Il le fallait d’autant plus en matière de brevets d’in
vention , que leur délivrance est forcée , qu’elle a lieu
sans examen préalable. L’administration doit donc se
contenter de l’apparence , et l’on comprend fort bien
que celui qui viole la loi n’ira pas la heurter de front;
ce n’est qu’en paraissant l’exécuter, qu’il tentera de par
venir au but qu’il se propose.
Il ne pouvait pas être que cette dissimulation fût
couronnée de succès. Dès que la vérité apparaîtra , et
la pratique ne manquera pas de la faire connaître,
une satisfaction est due à la loi. Le brevet subreptice
ment et frauduleusement obtenu, est nul et sans effets,
et cette nullité peut être demandée par tous les intéres
sés, et d ’office par le ministère public.
4 0 0 . — Nous avons.déjà examiné le caractère, l’étendue et les effets de la prohibition de l’art. 3 , rap
pelé son inapplicabilité aux compositions alimentaires.
Nous nous bornerons donc, en renvoyant à nos précé
dentes observations, à citer un exemple des limites dans
lesquelles se renferme l’exception.
Un arrêt de la cour de Toulouse , du 10 août 1855,
�392
LOI DU
6
JU ILL ET
1844
confirmé par la cour de Cassation, le 14 décembre mê
me année , déclare que la combinaison de deux subs
tances alimentaires, par exemple du chocolat et du glu
ten , peut être l’objet d’un brevet valable , si le produit
industriel de cette combinaison consiste en un aliment ;
mais que si un pharmacien , en ajoutant à ce mélange
une substance médicamenteuse , telle que le sel de Vi
chy, transforme ce produit en médicament, il n’y a plus
lieu à un brevet valable.'
401.
— Troisième cause de nullité : Défaut de ca
ractère industriel.
Le privilège que la loi a attaché aux brevets d’inven
tion , n’a jamais eu d’autre but que l’intérêt général de
la société q u i, dans un temps donné , entrera en pos
session de l'invention ou de la découverte, et y puisera
de nouveaux éléments de prospérité et de richesses.
Il était, dès lors naturel, qu’on subordonnât la vali
dité du brevet au caractère industriel , à l’utilité prati
que de ce qui en fait la matière. Où serait la raison
d’être du brevet, où l’avantage, nous ne dirons pas seu
lement pour la société , mais encore pour l’inventeur
lui-même, si sa découverte purement scientifique et thé
orique, ne devait et ne pouvait aboutir à aucun résul
tat , ni offrir de produits pouvant tomber dans le com
merce ou l’industrie, et faire la matière de leurs trans
actions.
i Annules indu sir., 18S6, pag. 108.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
393
C’est, en se plaçant à ce point de vue, que le législa
teur a sanctionné le paragraphe 3 de l’art. 30.
—■ Dans le projet présenté aux chambres lé
gislatives, ce paragraphe se bornait à dire : Si le brevet
porte sur des principes, méthodes, découvertes ou con
ceptions théoriques ou purement scientifiques. A la ri
gueur, ces termes pouvaient, par leur combinaison avec
l’art. 2 , faire comprendre et saisir la pensée du légis
lateur. Il était, en effet, évident que puisque, pour être
brevetable , une invention quelconque devait offrir un
résultat ou un produit industriel, le brevet demandé et
obtenu en dehors de cette condition ne pouvait valoir et
devait être annulé.
402.
Mais, dans une matière aussi métaphysique que celle
des brevets d’invention , il importait de ne laisser que
le moinsde place possible h l’interprétation et au doute.
Il ne fallait pas qu’on put rejeter, dans le domaine spé
culatif, des idées qui avaient une importance considé
rable au point de vue du commerce ou de l’industrie.
Si l’idée n’était pas en elle-même brevetable, l’applica
tion qu’elle recevait légitimait la concession d’un bre
vet.
Mais cette application devait être le fait du créateur
de l’idée. S’il ne l’avait ni découverte ni devinée, à quel
titre serait-il venu en revendiquer plus tard la jouis
sance exclusive?
Or, la rédaction du projet ne faisait rien à ce der
nier point de vue, et introduisait, dès lors, dans la so-
�394
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
ciété le germe de nombreuses difficultés et de vives chi
canes.
C’est pour remédier à cet inconvénient que notre il
lustre Arago proposa d’ajouter les derniers mots du pa
ragraphe : Dont on n'a pas indiqué les applications in
dustrielles.
.
403.
— Maintenant, si l’on veut être fixé sur la
portée et le sens réels de ce paragraphe ainsi amendé,
il faut le demander aux observations même de M. Ara
go. Elles sont, en effet, le commentaire le plus clair, le
plus net, le plus précis de cette disposition, et, à ce ti
tre, nous croyons devoir les transcrire.
iÉ tiî
i ; fil
iïl
m
Y
-
li:*
«y-î'lH
I
4 I :Y':'
Y'à
«ara
« Dans le public , disait ce savant immortel , on est
» généralement disposé A croire que tout procédé qui
» n’a pas exigé des combinaisons multiples , des orga» nés mécaniques complexes, est une simple idée. Quel
» fut le premier perfectionnement apporté par Watt à
» la machine à vapeur ? La condensation de la vapeur
» dans un vase séparé du cylindre où le piston se
» meut; ce ne fut pas autre chose. En conséquence on
» ne vit là qu’une idée; et ce n’étaiest pas des rivaux,
» des concurrents , des gens sans capacité qui cher» chaient à amoindrir ainsi l’invention de l’illustre in » génieur ; c’étaient aussi les hommes les plus émir> nents de l’Angleterre, Burke par exemple. Voyons ce
» qu’il advint de cette idée. Après bien des efforts Walt
y> parvint à la faire adopter, il fixa la redevance qu’on
» lui payerait pour en faire usage au tiers de la quam-
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
395
» tité de charbon dont l’invention procurerait l’écono» mie. Eh bien ! dans une seule mine des Cornouailles,
» où il y avait trois pompes d’épuisement, les proprié7> taires crurent faire un marché avantageux en rache» tant la redevance moyennant 60000 fr. par an. Les
» autres inventions de Walt furent également appelées
» de simples idées. Ces observations se reproduiront
» dans notre pays, si l’article n’est pas rédigé avec plus
» de netteté.
» Passons à des cas où l’on a pris un brevet pour
» une véritable idée sans invention quelconque d’orga» nés mécaniques. Tout le monde sait que la vis d’Ar» chimède sert aux épuisements. Les ingénieurs l’em» ploient dans ce but; deux mille ans s’écoulent et l’un
» de nos compatriotes avise que la même machine,qui
» sert à élever l’eau, peut être employée à faire descen» dre du gaz, et qu’il suffît pour cela de la faire lour» n e r, sans y rien changer , en sens contraire , ou de
» droite à gauche. Celte application est importante. 11
» arrive très-souvent, en effet, qu’on a besoin de puri» fier de grands volumes de gaz.de les débarrasser d’u» ne foule de substances étrangères. La vis d’Archimède
» sert à les porter au fond d’une profonde couche d’eau.
» Le gaz se purifie en remontant. Cestes il y avait là
» invention brevetable.
» Voici un exemple plus catégorique encore. Il existe
» de toute éternité , dans les pays pauvres , de petites
» lanternes dans lesquelles la flamme est entourée d’u» rte toile métallique ; ces lanternes n’étaient en géné-
�396
LOT DU 6 JUILLET 1 8 4 4
» ral employées que dans les écuries et les chaumières
» des indigents.Elles sont devenues aujourd’hui la lam» pe de sûreté des mineurs , grâce à une idée de l’il» lustre Davy. On sait que certains mélanges gazeux
» sont explosifs ; si on introduit dans ces mélanges
» une flamme ayant une température suffisamment éle» vée , il se produit à l’instant une détonation qui se
» propage avec la rapidité de l’éclair. Davy a reconnu
» que la flamme engendrée à l’intérieur de la toile mé» tallique se refroidit en passant à travers les mailles,
» de manière à ne pouvoir plus engendrer l’explosion
» à l’extérieur. L’ancienne lampe n’a pas été modifiée.
» On a reconnu seulement qu’elle possède des proprié» tés dont personne ne s’était douté jusqu’alors. Depuis
» ce moment elle a préservé la vie des mineurs ; elle a
» rendu le travail possible dans les localités où il avait
» fallu l’abandonner. Dira-t-on qu’il n’y avait là qu’u» ne idée? Je répondrai qu’en Angleterre tout le monde
» reconnut qu’elle pouvait être brevetée. Davy, dans
» sa haute position sociale, ne crut pas devoir deman» der de privilège , mais il y eut dans le York-Shire et
» dans le Strafford-Shire des fêtes magnifiques, des
» banquets , et les propriétaires de mines de charbon
» de terre lui firent un magnifique présent.
» Le zincage moderne a été dédaigné pendant quel» que temps parce que , dans l’opération , on rendait
» disait-on le fer cassant. Les difficultés ont été vain» eues. On peut maintenant revêtir le fer de zinc sans
» altérer les propriétés primordiales du fer. Eh bien !
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
397
» l’idée de revêtir le fer pour le soustraire à la rouille,
» Malouin l’a publiée il ya une centaine d’années. Mais
» les industriels disaient à Malouin : il y aura toujours
» quelques portions de fer dénudées et la rouille les at» taquera ; il y a plus , l’extérieur des tuyaux , desli—
» tinés à la conduite des eaux, a été revêtu , mais l’in—
» térieur se rouillera comme précédemment. Le zincage
» était abandonné. Cent ans s’écoulent , un ingénieur
» français, M.Sorel se présente et dit: Vous vous trom» pez quand vous croyez que le zinc ne garantit les
» tuyaux que dans la partie qu’il recouvre. J ’affirme,
» moi, éclairé par la grande découverte de Volta , que
» le zinc placé le fer dans des conditions électriques
» tout-à-fait différentes des conditions ordinaires ; j’af» firme que le zinc rendra le fer négatif, que le fer ne
» s’oxidera pas même dans l’intérieur des tuyaux, mê» me là où il n’existe pas une molécule de zinc. M. So» rel a donc trouvé dans un produit non employé,
» dont personne ne faisait usage, et auquel nul indus» triel ne songeait , des propriétés qui l’ont rendu ex» trêmement précieux. Qu’y a-t-il néanmoins si ce n’est
» une idée pure et simple. Je demande que celle idée
» puisse être brevetée. »
M. Arago avait raison. Mais il ne pouvait se dissi
muler que, dans tous ces exemples, ce qui ferait la ma
tière du brevet était, non l’idée en elle-même, mais la
nouvelle application qui lui était donnée. L’idée tom
bée dans le domaine public était le patrimoine de tous,
et chacun pouvait successivement lui donner toute autre
�398
LOI DU
6
JUILLET
1844
application industrielle dont elle était susceptible, et qui
était restée jusque-là inapperçue.
Aussi, ajoutait-il immédiatement : « Une idée pure» ment scientifique n’est pas susceptible d’être brevetée.
» Il en est autrement d’une idée dont on indique les
» applications industrielles. »
404.
— La chambre des Députés le pensa aussi, et
elle déclara que la nullité n’atteindrait que le brevet
pris pour des idées théoriques ou scientifiques dont on
n'aurait pas indiqué les applications industrielles.
Il faut donc que cette indication soit explicitement
dans le brevet. S’il en est autrem ent, le brevet est nul,
alors même qu’en fait, l’idée pour laquelle il a été pris
serait susceptible d’être utilement appliquée au com
merce ou à l’industrie.
Ainsi, dit M. Et. Blanc, le breveté prouverait vaine
ment que sa découverte est susceptible de tel effet, qu’
elle peut donner un tel produit, qu’elle peut recevoir
telle application ; son brevet serait entaché de nullité,
s’il ne contient pas l’indication de ces effets, de ces pro
duits avec leur application à l’industrie. Cela se con
çoit : le brevet ne peut protéger que les effets utiles pré
vus et constatés par l’inventeur ; c’est à dire ce qui était
dans sa pensée, ce qu’il avait découvert, et ce qu’il of
frait en termes formels à la société en échange de la
jouissance exclusive qu’elle devait lui assurer. S’il en
était autrement, le breveté pourrait revendiquer le bé
néfice d’une application industrielle dont il n’aurait pas
�SUR LES BREYETS D INVENTION
399
eu la première notion au moment de la prise de son
brevet. Supposons que cette application ait été décou
verte , comme conséquence de son invention , par un
tiers depuis la prise du brevet ; il est bien évident que
ce tiers aura seul , en suite du brevet qu’il aura per
sonnellement p ris, la jouissance exclusive de celle ap
plication qui est exclusivement son œuvre.'
Ce que le tiers peut faire , n’est pas impossible pour
le breveté. Il peut aussi , après la prise du brevet, dé
couvrir une application qu’il n’avait pas encore soup
çonnée. Rien ne pourrait l’empêcher de s’en assurer la
jouissance exclusive , mais par la prise d’un nouveau
brevet spécial. La nullité du premier n’ayant pour cause
que le défaut d’application de l’idée , on ne saurait en
faire résulter la divulgation de celle pour laquelle le se
cond brevet a été pris.
405.
— Quatrième cause : Caractère illicite ou im
moral de l’invention.
Nous avons déjà dit que la commission de la cham
bre des Pairs proposa d’ajouter à l’art. 3 une disposi
tion déclarant non brevetables, les inventions contraires
à l’ordre ou à la sûreté publique , aux bonnes mœurs
ou aux lois. Mais quels moyens avait l’Etat de découvrir
le véritable caractère de l’invention, qu’on lui dissimu
lerait d’autant plus qu’il serait une atteinte aux lois ?
La délivrance du brevet sans examen préalable ne
1 L'invent, brevet., pag. 351.
�400
LOI DU 6 JUILLET
1844
permettait pas d’espérer , de cette précaution , un effet
quelconque. On renvoya donc à s’en occuper lorsqu’il
s’agirait de déterminer les causes de nullité du brevet.
De là l’insertion, dans l’art. 30 , du paragraphe 4 que
nous examinons.
1 notre avis, on aurait pu omettre de s’en expliquer,
sans que pour cela la nullité fût moins acquise. En ef
fet, il ne pouvait venir à l’idée de personne qu’on pût
acquérir le privilège de violer la lo i, d’offenser les
mœurs , de troubler l’ordre ou de compromettre la sû
reté publique. Ces actes sont interdits par le droit com
mun , qui les considère et les punit comme autant de
délits ; et cela suffisait pour faire annuler le brevet frau
duleusement obtenu par une coupable dissimulation.
Cependant on ne doit pas regretter que le législateur
s’en soit spécialement expliqué. Grâce à cette prévoyan
ce , l’infracteur n’aura aucun moyen de soulever des
difficultés , et de se retrancher derrière de mauvaises
chicanes.
406.
— Il ne s’agit plus que de bien saisir la pen
sée de la loi , et de déterminer le caractère réel de sa
disposition ; e t , à cet égard , on ne saurait se faire un
doute.
Ce qui est annulé , c’est le brevet pris pour une dé
couverte, une invention ou une application illicite ou il
légale. C’est donc dans l’objet même du brevet que doit
résider le caractère proscrit par la loi. Ne devrait donc
pas être invalidé le brevet qui, n’ayant rien d’illicite ou
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
401
d’immoral au fond, ne dégénérerait en délit qu’à raison
de son exploitation.
Ainsi , il est des industries q'üi sont monopolisées aü
profit de l’Etat, par exemple, la manutention, là prépa
ration et la vente du tabac. Qu’un industriel quelcon
que invente une machine pour triturer le tabac ou pour
confectionner les cigares, le brevet qu’il prendra sera
d’une légalité incontestable ; mais il n’a pas capacité
pour l’exploiter, et, s’il le fait, il sera passible des pei
nes prononcées par la loi spéciale.
Qu’un autre invente ou perfectionne un instrument
de chirurgie, s’il l’applique lui-même, il usurpe illéga
lement l’exercice de la chirurgie. On lui appliquera donc
la loi qui réprime cette usurpation. Mais, après comme
av an t, son brevet continuera de produire son effet, et
nul autre que lui ne pourra, pendant sa durée , fabri
quer et vendre l’instrument breveté.
407,
Il faut donc ne pas confondre l’objet du
brevet, avec le droit de l’exploiter. Le paragraphe 4 de
l’art. 30 ne frappe que le brevet dont l’objet est, de sa
nature , contraire à la lo i, quel que soit l’inventeur ou
celui qui l’exploite.
Le brevet qui se rapporte à une industrie monopoli
sée soit en faveur de l’E ta t, soit au profit d’une classe
déterminée , ne se place dans aucune des catégories du
paragraphe 4. Il est donc valable , et son titulaire a le
droit exclusif de fabriquer et de vendre la chose qui en
fait l’objet. Il est seulement privé d’en faire usage. Il doit
I — 26
�402
LOI DU 6
JUILLET
1844
nécessairement céder cet usage à ceux qui sont désignés
par la loi pour l’exercer, et qui ne peuvent, sans se ren
dre coupable de contrefaçon, se l’approprier avant d’a
voir traité avec lui. '
4 0 8 . — Cinquième cause de nullité : Titre fraudu
leux.
Il était du devoir du législateur , contractant pour la
société, de veiller à ce que le contrat qui intervient en
tre elle et l’inventeur offrît, de la part de celui-ci , cette
bonne foi et cette loyauté sans lesquelles il n’est pas de
conventions équitables et justes , et qui en so n t, dans
tous les cas, les bases essentielles.
L’existence de la fraude, excluant toute idée de l’une
et de l’autre, vicie la convention dans son essence, et la
rend incapable de créer et de légitimer un droit quel
conque. C’est donc avec raison que la loi annule le bre
vet, lorsque le titre, sous lequel il a été délivré, indique
frauduleusement un objet autre que le véritable objet
de l’invention.
4 0 9 . — L’exigence d’une substitution frauduleuse
fixe, avec une parfaite précision , la véritable pensée de
la loi. Le vice qu’elle punit d o it, ici , se puiser , non
dans la fausseté de l’indication , mais dans l’intention
qui l’a inspirée. Il peut arriver que l’inventeur se trom
pe, que, par ignorance ou négligence, il ne donne pas
1 Et. Blanc, L'invent, breveté, pag. 831,582.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
403
une désignation aussi exacte , aussi complète qu’il eût
été à désirer. En cet état, ne tenir aucun compte de sa
bonne foi, annuler son brevet, pouvait paraître le sum
mum jus. Mais c’eût été aussi la summa injuria. Le
pouvait-on d’ailleurs raisonnablement, si le mémoire
descriptif, si les dessins joints à la demande complètent
l’intitulé du brevet, et dissipent toute obscurité ?
Le législateur l’a si peu pensé, qu’il n’a pas hésité à
se prononcer en sens contraire. Nous en avons la preu
ve dans les motifs qui lui ont dicté le paragraphe 5 de
l’art. 30.
La chambre des Pairs avait admis la rédaction sui
vante : S i le titre sous lequel le brevet a été demandé
est fa u x , ou indique frauduleusement un objet autre
que le véritable objet de l'invention.
A la chambre des Députés, M. Bethmont s’éleva con
tre cette rédaction. C’est, disait-il, une disposition exces
sivement rigoureuse que celle qui consiste à déclarer nul
un brevet, par cela seul que le titre sous lequel il a été
demandé serait faux. Bien qualifier une invention , lui
donner un titre exact, peut être l’œuvre d’un esprit
d ro it, d’un homme exercé au langage. Mais il est fort
possible que le titre soit faux, et qu’il n’ait pas été don
né avec une intention mauvaise. Je m’inquiète, d’ail
leurs, des procès que cette disposition peut faire naître,
et ce sont les mauvais procès qu’il faut tuer par dessus
toutes choses. Par le mot frauduleusement , vous indi
quez que vous voulez atteindre l’intention mauvaise ou
�4,04
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
malicieuse, et vous avez raison. Mais autrement, vous
faites plus que vous ne devez faire.
Voilà les inspirations qui ont dicté le paragraphe 5
de l’art. 30. Ce qui en résulte évidemment, c'est que
quelque faux, quelque inexact, quelque incomplet que
puisse être le titre sous, lequel le brevet a été p ris , la
nullité édictée par la loi ne saurait l’atteindre que si
l’intention d’agir frauduleusement est constatée et ac
quise contre le breveté. Or, comment incriminer cette
intention, si la description ou les dessins suppléent au
silence du titre et expliquent ce que celui-ci a omis d'in
diquer ?
— En présence des documents législatifs que
nous venons d’indiquer, la jurisprudence ne pouvait pas
se méprendre. C’est cependant ce que la cour de Paris
ayait fait.
410.
M. Sax avait pris un brevet pour des instruments de
musique. Dans l’intitulé du brevet il n’avait pas indiqué
les proportions à observer dans la fabrication des tubes
des instruments faisant l’objet du brevet. Mais les des
sins joints à la demande indiquaient et fixaient ces pro
portions.
Néanmoins et sur la demande des défendeurs à l’ac
tion en contrefaçon , la cour de Paris avait annulé le
brevet : Attendu que Sax n’avait, dans le libellé du bre
vet, ni demandé à être breveté pour les proportions des
tubes , ni décrit ces proportions ; que leur indication
dans les dessins joints au brevet ne saurait suppléer, à
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
405
elle seule, ces deux conditions essentielles à la validité du
brevet.
Sax se pourvoit en cassation, et, le 9 février 1853, la
Cour suprême, après un délibéré en la chambre du con
seil, casse l’arrêt de la cour de Paris par les motifs sui
vants :
« Attendu que l’intitulé d’un brevet se complète et
s’explique par le mémoire descriptif ; que d’après l’arti
cle 30, 5°, de la loi de 1844, l’insuffisance du titre sous
lequel le brevet a été demandé, n’est une cause de nul
lité du brevet que si cet intitulé indique frauduleuse
ment un objet autre que le véritable objet de l’inven
tion ; que d’après l’art. 30, 6°, la description jointe au
brevet n’en entraîne la nullité que si elle n’est pas suf
fisante pour l’exécution de l’invention, ou si elle n ’irtdique pas d’une manière complète et loyale les véritables
moyens de l’inventeur ;
» Attendu que l’arrêt attaqué s’est borné à déclarer
que Sax , dans le libellé de son brevet, n’a ni dentfandé
à être breveté en ce qui concerne les proportions à ob
server dans la fabrication des tubes des instruments, ni
décrit ces proportions , ce qui n’équivâüt'pàS 'aü rëproche de fraude dans l’intitulé, ni à un rëproché'd’insuf
fisance ou de déloyauté dans la description;
» Attendu que l’a rrê t, loin de critiquer la descrip
tion, a reconnu, au contraire, que l’indication des pro
portions a été donnée par les dessins qui y sont joints,
et qui en font partie intégrante ;
» Attendu qu’en cet état des faits par lui constatés
�406
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
l’arrêt n’était pas fondé à déclarer le brevet non valable
à raison du silence qui, dans ce qu’il appelle son libel
lé , aurait été gardé sur les proportions brevetées ; et
qu’en s’appuyant sur ce motif pour ne pas appliquer
l’art. 2 de la loi du 5 juillet 1 8 4 4 , il a expressément
violé cet article et faussement appliqué l’art. 30 de la
même loi.' »
Le caractère juridique de cette doctrine ne saurait être
ni mécounu ni contesté. C’est celle qu’enseignent les
auteurs qui ont écrit sur la matière.’
— Sixième cause de nullité : Description in
suffisante ou déloyale.
4 1 !.
Nous avons déjà eu l’occasion de rappeler qu’en ma
tière de brevet, le droit privatif que la loi accorde a
pour fondement légitime , moins encore l’intérêt parti
culier de l’inventeur, que celui de la société en général.
Le sacrifice temporaire que celle-ci s’impose ne se justi
fie que par les avantages qu’elle trouvera plus tard dans
la pratique de l’invention.
Le législateur était donc en demeure de veiller à ce
que cette espérance se réalise , et de rien omettre de ce
qui devait faire qu’à l’expiration du brevet, et lorsque
la découverte tombera dans le domaine public, la ço-
1 D P., 53, 1, 94.
2 Nouguier , n° 563 ; — Et. Blanc , lnvenl. breveté , pag. 318 ; —
Renouard, n° 421 ; — Calmels, Propr. et contref., n" 255 ; — Rendu
et Delorme, Droit indust., n° 460; — Dalloz , Des brevets d'invenl.,
n» 251 ; — Loiseau et Vergé, art. 30, pag. 1 37.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
407
ciété reçût une chose réelle, sérieuse , d’une exécution
facile. C’est pour atteindre ce but, que nous l’avons vu
sanctionner les articles 5 et 6.
Mais ce n’était pas tout d’avoir posé le principe, il
fallait en assurer et en garantir l’exécution. L’intérêt de
l’inventeur à garder pour lui le secret et le profit de
son invention , même après l’expiration de son brevet,
était si évident, qu’il inspirait naturellement la crainte.
On pouvait et on devait redouter qu’il n’arrivât à ce
but par une description telle quelle , n’ayant d’autre
objet que de violer la loi en paraissant l’exécuter. C’est
pour prévenir toute tentative de ce genre, que le para
graphe 6 de l’art. 30 a été inscrit dans la loi.
Donc, tout mensonge, toute dissimulation, toute réti
cence dans la description , toute indication de moyens
autres que ceux que l’inventeur emploie lui-même, an
nule le brevet, et fait immédiatement tomber l’invention
dons le domaine public.
412,
— Cette peine est rationnelle et juste, et se lé
gitime fort bien au point de vue des principes ordinai
res. Le brevet d’invention n’est qu’un contrat qui inter
vient entre la société et l’inventeur, et qui, comme tous
les contrats , s’impose également à toutes les parties.
Comprendrait-on que la société dût en accepter la char
ge, et être privée de ses avantages ? Qu’elle fût tenue de
l’exécuter, lorsque l’inventeur a osé le méconnaître et le
violer. De quel droit celui-ci viendrait-il en revendi-
�4Q8
LOI DU 6 JUILLET, 1 8 4 4
quer le bénéfice, lui qui s’est volontairement ou déloya
lement soustrait aux obligations qu’il lui imposait ?
413.
—■ Le paragraphe 6 n’exige plus cette inten
tion frauduleuse , à laquelle le paragraphe précédent
subordonne la nullité. C’est que celte intention ressor
tait ici du fait lui-même.
En effet, quelque illétré qu’on suppose l’inventeur, il
ne peut ignorer la nature et le caractère de son inven
tion. S’il en donne une description insuffisante ou inex
acte , c’est qu’il agit de mauvaise foi et qu’il veut sous
traire au public la possibilité d’user de son invention,
comme il le fait lui-même. Il est impossible de suppo
ser qu’un inventeur ne s’est pas rendu compte de sou
invention, et c’est ce même compte qu’il doit rendre au
public.
La mauvaise foi est bien plus évidente encore, s’il in
dique des moyens autres que ceux qu’il emploie luimême. Comment, en effet, interpréter cette substitution
autrement que par la volonté de tromper le public , et
de lui enlever tout pouvoir de lui faire une concurrence
utile après ^expiration du brevet.
Yoilà ce que la loi ne pouvait pas permettre, et voilà
ce qui explique et justifie la nullité qu’elle édicte dans
les cas prévus par le paiagraphe 6.
Donc, l’inventeur ne doit rien taire, rien cacher, rien
dissimuler. Il doit instruire le public de ce qu’il sait
lui-même, mais pas autre chose. La loi qui n’exige pas
moins, n’entend pas qu’il fasse plus. Ainsi, disait l’Ex-
�SUR UES BREVETS d ’i NNVETIo' n
409
posé des mptifs, la description doit contenir la désigna
tion claire, précise, loyale et suffisante des moyens du
breveté, la nullité pouvant également se trouver soit dans
ce qui manquerait, soit dans ce qui aurait été ajouté au
delà de ce qui est néçessaire, si de l’insuffisance ou de
l’excès résultait l’impossibilité d’exécuter l’invention.
4 1 4 . — Dans quels cas et à quelles conditions de
vra-t-on considérer la description comme suffisante ?
Cette appréciation que la loi devait abandonner à la
conscience du juge, ouvrait une bien large porte à l’in
terprétation. Suffit-il que l’invention puisse être exécu
tée par une ou par plusieurs personnes? Faut-il qu’elle
puisse l’être par tous ? On comprend toutes les diffi
cultés que peut soulever la solution , et la diversité de
jurisprudence qui pouvait en naître.
4 1 5 . — Cet inconvénient préoccupait la chambre
des Pairs. Mais comment, en une pareille matière, don
ner une règle précise et uniforme ? Ce qui était possi
ble, c’était d’indiquer nettement la pensée de la loi ellemême, et la commission n’hésitait pas à le faire.
« Les tribunaux apprécieront les circonstances, disait
son honorable rapporteur. Nous nous contenterons de
dire, en principe général avec les lois allemandes, qu’il
faut que la description des moyens et des procédés em
ployés soit suffisante pour rendre l’exécution possible à
un simple ouvrier , s’il s’agit de choses de sa compé
tence , ou à un homme de l’art , s’il s’agit d’objets qui
�410
LOI DU 6 JUILLET
1844
l’excèdent, et ne doivent pas être faits habituellement
par un manoeuvre. »
Cette explication de la loi, acceptée par le Gouverne
ment et par les Chambres , s’impose aux tribunaux qui
doivent en faire la règle de l’appréciation qui leur est
confiée.
416.
— Une autre règle qu’ils doivent également
observer, c’est que, pour juger la question de suffisan
ce , ils n’ont à consulter que le brevet lui-même. Leur
pouvoir d’appréciation, quelque souverain qu’il soit, ne
va pas jusqu’à en modifier les termes , et à substituer
un procédé à celui qui y est décrit, sous prétexte d’er
reur dans l’expression.
La cour de Rouen ayant consacré le contraire , son
arrêt était cassé le 24 mars 1842.
« Attendu, dit la Cour suprême, que de la combinai
son des articles 4 et 16 , nos 1 et 2 de la loi du 7 jan
vier 1791 , il résulte que le porteur d’un brevet n’a de
droit exclusif qu’aux principes, moyens et procédés qui
ont été décrits comme constituant sa découverte dans la
spécification jointe au brevet ; que le délit de contrefa
çon ne peut donc exister légalement que relativement
auxdits principes, moyens et procédés ; que le droit d’in
terpréter un brevet, qui peut appartenir aux tribunaux,
ne va pas jusqu’à substituer un procédé à un autre, ou
à changer la condition que le breveté s’est faite à luimême et qui est la seule que les tiers soient obligés de
respecter ;
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
411
» Attendu que, dans l’espèce, le brevet dont Péthion
est propriétaire, porte que le bois soumis à l’action de
la machine doit y être présenté dans une situation pa
rallèle à l’axe du cylindre ; que la cour de Rouen, sans
s’arrêter à ce mot parallèle, qu’elle décide avoir été em
ployé par erreur , a pris pour base de la décision par
laquelle elle a déclaré la contrefaçon une situation du
bois perpendiculaire à cet axe ; mais que cette diffé
rence dans la situation du bois était précisément un des
moyens de défense de Rowcliffe, et formait un des prin
cipaux motifs sur lesquels les premiers juges s’étaient
fondés pour juger qu’il n’y avait pas de contrefaçon ;
que la cour pouvait sans doute déclarer que la direc
tion dans laquelle le bois est attaqué par la machine est
une circonstance de peu d’importance, et que cette dif
férence entre les procédés employés par Rowcliffe et
ceux décrits dans le brevet, était insuffisante pour faire
disparaître la contrefaçon ;
» Mais que n’ayant pas fait cette déclaration , il ne
lui a pas été permis de modifier le brevet sur un point
dont l’importance, sous le rapport de l’invention , reste
encore controversée entre les parties ; qu’il y a là , de
sa part, un véritable excès de pouvoir.' »
On remarquera que cet arrêt a été rendu sous l’em
pire de la législation de 1791. Mais la loi de 1844 n’a
ni abrogé ni modifié le principe qui en fait la base, on
devrait donc en faire encore l’application.
1 D P ., 42, 4, 227.
�412
LOI DU
6
JUILLET
1844
4 1 7 . — M. Et. Blanc estime que l ’inventeur n’est
pas obligé d’analyser les moyens qu’il emploie ; qu’il ne
doit que la description, c’est à dire une indication exacte
de ses procédés ; qu’il n’est pas tenu , par exemple , à
expliquer les lois mécaniques ou, chimiques en vertu '
desquelles il procède. Une pareille explication , dit-il,
est du domaine de la science , et la loi ne demande à
l’inventeur qu’une explication , qu!une. indication pra
tique, c’est à dire des faits et non de la doctrine.’
4 1 8 . — Oui, la loi n’exige qu’une indication prati
que, mais elle veut en même temps que cette indication
soit suffisante , pour que les intéressés puissent réaliser
cette pratique. L’inventeur qui ne livrerait qu’un pro
cédé, que des organes, sans indiquer le mode d’emploi,
les rapports qui lient ces organes les uns aux autres, ne
donnerait qu’un corps sans âme,c’est à dire un véritable
problème pour la solution duquel il faudrait recourir à
des investigations, scientifiques que tous les intéressés ne
seraient pas dans le cas d’entreprendre , et surtout de
mener à bonne fin.
Est-ce, nous le demandons, pour en arriver là que
la loi ne considère comme valable que la description
suffisante pour que l’invention puisse être exercée dans
les conditions qu’énonçait le rapporteur de la chambre
des Pairs ? Qu’elle fait un devoir à l’inventeur de ne
rien omettre, de ne rien cacher , de ne rien dissimuler
1 Invent, breveté, pag. 320.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
44 3
de ce qu’il sait, ou de ce qu’il fait lui-même ? Qui ose
rait le soutenir, et c’est cependant ce qu’il faudrait ad
mettre dans l’opinion de M. Blanc.
Cette opinion sacrifie la proie à l’ombre. Elle mécon
naît l’esprit de la loi par l’interprétation par trop étroite
qu’elle fait de son texte. La loi qui veut la fin a néces
sairement voulu les moyens , e t, si la mise en pratique
de l’invention par le public nécessite l’analyse des moy
ens , l’explication des lois mécaniques ou chimiques
dont l’invention procède , l’une Ou l’autre devront se
trouver dans le mémoire descriptif, sous peine de nul
lité du brevet pour insuffisance de la description.
C’est, au reste , ce que M. Blanc enseigne lui-même
et très-explicitement. Il nous dit, en effet, quelques li
gnes plus bas :
« Une description est incomplète lorsque, s’agissant
d’un produit chimique , les doses des substances em
ployées ne sont pas ou sont mal indiquées. Il importe
peu que les doses puissent être découvertes par Vana
lyse. La loi veut une description complète , c'est à dire
telle q u ’o n p u i s s e f a b r i q u e r * s û r e
m e n t l'objet, breveté en ne consultant que le bre
vet. »
Pourquoi, ce qui est vrai pour les doses ne le seraitil pas pour les lois mécaniques ou chimiques ? Est-ce
qu’en matière de description , il pourrait exister deux
poids et deux mesures ? El si, dans un cas, on doit pou
voir fabriquer sûrement en ne consultant que le brevet,
on doit évidemment le pouvoir dans tous.
�414
LOI DU
6
JUILLET
1844
Donc , si cette possibilité exige une explication des
lois mécaniques ou chimiques qui constituent l’inven
tion, l’inventeur n’a rempli le devoir qui lui est imposé
qu’après avoir donné cette explication. S’il l’omet , la
description ne remplit pas les conditions prescrites, et
le brevet est nul.
4 1 9 . — En résum é, ce que la loi exige c’est une
description complète et loyale. La description n’est pas
complète, lorsque l’inventeur emploie, dans sa fabrica
tion, un moyen ou une substance qu’il n’a pas indiqué,
ou lorsque par une réticence quelconque il ne donne
pas au public la faculté d’exécuter l’invention ; ou enfin
lorsque par l’excès dans la description il arrive au mê
me résultat.
> "
v
La description est déloyale lorsqu’elle mentionne et
indique des moyens autres que ceux que l’inventeur em
ploie lui-même.
Dans tous les c a s , la nullité est la juste peine de la
violation flagrante des prescriptions impératives de la
loi.
I
4 2 0 . — Toutes les causes de nullité que la loi édic
te, pour les brevets d’invention,^s’appliquent aux certi
ficats d’addition, et aux brevets de perfectionnements.
4 2 1 . — Ceux-ci sont de plus soumis à une nullité
spéciale, dans le cas prévu par le paragraphe 7 de l’ar
ticle 30 , à savoir , s’ils ont été obtenus contrairement
aux dispositions de l’art. 18.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
415
Ce dernier paragraphe de l’art. 30 est la sanction pé
nale de la disposition qui réserve au breveté ou à ses
ayants cause le droit exclusif, pendant une année , de
faire à son invention les changements, perfectionnements
ou additions dont elle pourrait être susceptible. Le prin
cipe adm is, il était rationnel et juste d’en contraindre
l’observation.
Mais, pourrait-on se demander.comment en prévoir
l’application. En effet , si les tiers usant du droit que
leur accorde la deuxième disposition de l’art. 18 , de
mandent un brevet d’addition ou de perfectionnement à
une invention déjà brevetée , cette demande doit rester
déposée sous cachet au ministère du commerce , et ne
sera ouverte qu’à l’expiration de l’année réservée. Donc
le brevet ne sera jamais obtenu avant , par l’excellente
raison qu’il ne peut être délivré.
Le législateur n’a pu prévoir ni supposer que-l’ad
ministration ferait ce que la loi lui prohibe de faire , ni
moins encore régir une hypothèse irréalisable. Il faut
faut donc chercher ailleurs que dans celte hypothèse
la raison d’être de la disposition du paragraphe 7 de
l’art. 30.
Or , cette raison ne se trouve que dans la volonté de
prévenir ou de réprimer la fraude que nous avons déjà
indiquée. Le brevet de perfectionnement, outre qu’il ne
peut être pris qu’après un an de la date du brevet prin
cipal, ne crée, en faveur de son bénéficiaire, qu’un droit
d’une utilité restreinte. Il ne peut être exploité séparé
ment de l’invention principale à la jouissance de laquelle
�416
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
il ne donné aucun droit. D’où nous avons pu conclure
que, le plus souvent, le perfectionneur sera à la discré
tion du propriétaire de celle-ci, qui, à défaut de prati
que du perfectionnement, pourra exploiter utilement la
découverte principale, objet de son brevet.
Un pareil état des choses faisait naturellement prévoir
et craindre que les tiers ne tentassent de s’y soustraire.
Ils le pouvaient facilement, en présentant comme une
invention principale nouvelle ce qui ne serait qu’un per
fectionnement à une invention déjà brevetée.
Le brevet demandé à ce titre , à quelque époque que
ce f û t, serait nécessairement accordé , l’administration
n’ayant ni le moyen ni le droit de contrôler la demande
et d’en vérifier le véritable caractère.
Mais, ce qui est interdit à l’administration est permis
au breveté principal, au public lui-même. Tout inté
ressé est recevable et fondé à discuter ce caractère, et à
prouver que l’objet réel du brevet n’est qu’un perfec
tionnement d’une précédente invention.
Cette preuve faite, le brevet est nul s’il a été pris et
obtenu contrairement à la prescription de l’art. 18,
c’est à dire avant l’expiration de l’année réservée. Ainsi,
celui qui a voulu se soustraire à l’obéissance que la loi
commande , est pris dans son propre piège. Le perfec
tionnement qu’il a inventé lui échappe, et tombe im
médiatement et irrévocablement dans le domaine pu
blic.
4 2 2 , — La dernière disposition de l’art. 30 frappe
�417
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
de nullité les certificats comprenant des changements,
perfectionnements ou additions qui ne se rattacheraient
pas au brevet principal.
Si l’intérêt des tiers est de présenter les perfectionne
ments comme des inventions nouvelles, celui du breveté
principal e s t, au contraire , de donner aux inventions
nouvelles , qu’il imaginerait , le caractère de change
ments , de perfectionnements ou d’additions à sa précé
dente invention.
L’avantage qu’il y trouverait, c’est qu’au lieu d’un
second brevet qui lui coûterait 500, 1000 ou 1500 fr.,
il acquerrait la jouissance exclusive de sa nouvelle in
vention par un simple certificat d’addition à la taxe unique de 20 fr.
Cette fraude est surtout dirigée contre le fisc. Mais
elle n ’en devait pas moins être réprimée assez énergi
quement pour la prévenir et l’empêcher.
La poursuite de la nullité qui en résulte appartient à
tous ceux qui ont intérêt à cette nullité, c’est à dire au
public. En effet, son admission ferait de droit tomber
l’objet du brevet dans le domaine public, et en livrerait
l’usage et la jouissance à tous les intéressés.
La question de savoir si les changements, perfection
nements ou additions se rattachent ou non au brevet
principal, est souverainemeut laissée à l’appréciation
des deux degrés de juridiction.
i
—
27
�418
LOI DU
6
JU ILLET
A rt.
1844
52
Sera déchu de tous ses droits :
1° Le breveté qui n’aura pas acquitté son
annuité avant le commencement de chacune
des années de la durée de son brevet ;
2° Le breveté qui n’aura pas mis en exploita
tion sa découverte ou invention en France, dans
le délai de deux ans à dater du jour de la signa
ture , ou qui aura cessé de l’exploiter pendant
deux années consécutives, à moins que, dans
l’un et l’autre cas , il ne justifie des causes de
son inaction ;
3°
Le breveté qui aura introduit, en France,
des objets fabriqués en pays étranger et sembla
bles à ceux qui sont garantis par son brevet.
Néanmoins le ministre de l’agriculture , du
commerce et des travaux publics pourra auto
riser l’introduction :
1° Des modèles de machines ;
2° Des objets fabriqués à l’étranger destinés à
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
419
des expositions publiques ou à des essais faits avec l’assentiment du Gouvernement.1
SOMMAI RE
423
424
425
426
427
428
429
430
431
432
433
434
435
436
437
438
Justesse de la distinction entre les nullités et les déchéan
ces.—Son fondement.
La déchéance ne fait point obstacle à la poursuite de la
contrefaçon antérieure au fait qui la motive.— Arrêt de
la cour de Cassation.
Son caractère juridique.
Première cause de déchéance : Défaut ou retard de paie
ment de l’indemnité. — Comment elle a été introduite
dans la loi
Le moindre retard est assimilé au refus.
L ’année se calcule de jour à jour.
Le dies à quo compte-t-il dans le délai. — Controverse en
doctrine.
Arrêts de la cour de Metz pour l'affirmative.—Ses motifs.
Arrêt de la cour de Rouen en sens contraire.
Cassation de l'arrêt de la cour de Metz.
Le paiement fait le jour correspondant à celui du dépôt est
valable.
Caractère de la déchéance dans ce cas. — En est-on relevé
par la force majeure ?
Opinion de MM. Nouguier, Renouard et Et. Blanc.
Examen et réfutation.
Comment l ’administration a elle-même interprété la loi.
Jurisprudence.
�420
439
440
441
442
443
444
445
446
447
448
449
450
451
452
453
454
455
456
457
LO I
DU
6
J U IL L E T
1844
Examen d’un arrêt de la cour de Paris excluant la force
m ajeure, et d’un arrêt de la cour de Cassation qui l ’ad
met en principe.
Caractère de ce dernier.
Conclusion.
. Quand doit être fait le paiement.— Quid, si le dernier jour
du délai est un jour férié ?
L’article 32 n'est pas applicable au défaut du paiement
prescrit par l’art. 20 en cas de cession.
Deuxième cause de déchéance : Défaut d’exploitation dans
les deux a n s , ou son interruption pendant ce laps de
temps.—Ses motifs.
La déchéance pour interruption a été introduite par la loi
de 1844.
Débats sur la durée qu’il convenait d’assigner à l’interrup
tion.
Observations de M. Arago.—Leur résultat.
Caractère que doit offrir l ’exploitation.
La déchéance pour défaut ou interruption d’exploitation est
subordonnée à sa c ause.
Jurisprudence dans ce sens.
C’est à celui qui excipe du défaut d’exploitation à en faire
la preuve.
II n’est pas nécessaire que le breveté exploite personnelle
ment.—L’exploitation qu’il permet ou autorise suffit.
Quel est le point de départ du délai de deux ans.
Les causes qui entraînent la déchéance du brevet entraîne
raient celles des certificats d’addition ou de perfection
nement.
Troisième cause de déchéance : Introduction en France
d’objets similaires fabriqués à l’étranger.— Législation
de 1791 à ce sujet.
Modification introduite par la loi de 1844.—Ses motifs.
Nécessité d’autoriser en certains cas l’introduction.— Dis
position de la loi de 1844 à cet égard.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
421
458 Interprétation de la loi par l ’administration.
459 Par l’autorité judiciaire.
460 Loi du 31 mai 1856.—Conséquences.
461 Opposition que rencontra la faculté d’autoriser l’introduc
tion pour essais.—Réponse du rapporteur.
462 Caractère de la faculté laissée au ministre.—Effet du défaut
d’autorisation.
463 Fraudes qu’on peut tenter pour éluder la loi. — Introduc
tion par pièces séparées et par divers endroits.
464 Introduction sous le nom et par le ministère de tiers.—Ses
effets.
465 II n ’y a d’illégale que l’introduction dans un des objets
prévus par la loi.—Conséquence.
423.
— La distinction fort juste que la loi de 1844
a faite entre les nullités et les déchéances, a réduit cel
les-ci aux trois cas énumérés dans l’art. 32.
Nous disons que la distinction est juste , et nous a joutons qu’elle était nécessaire. Comment, en effet, con
fondre et mettre sur la même ligne deux faits arrivant à
un même résultat, il est vrai, mais avec l’énorme diffé
rence que nous avons déjà signalée ?
La nullité, nous venons de le dire , à quelque épo
que qu’elle soit prononcée et acquise, remonte au jour
même du brevet. Ce brevet n’a jamais eu d’existence lé
gale, et n’a pu produire aucun effet.
Donc , l’invention a toujours appartenu au domaine
public. Tout le monde a pu l’exécuter , e t , qu’on l’ait
fait avant le jugement d’annulation ou après , on ne
saurait être ni poursuivi, ni puni comme contrefacteur.
�m
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
424.
— La déchéance, au contraire, si elle ne prend
pas son point de départ au jour du jugement qui la
prononce , ne rétroagit, quant à ses effets , qu’au mo
ment où s’est réalisé le fait qui la motive. Donc , tout
ce qui , avant, a été exécuté contre le droit priva
tif du breveté , constitue une contrefaçon qu’on peut
poursuivre et qu’on doit punir , malgré que , dans
l’intervalle , la déchéance ait été encourue et pronon
cée.
La cour d’Amiens avait cru pouvoir juger le contrai
re. Des termes de l’art. 32 : Sera déchu de tous ses
droits. . . . , elle avait conclu : 1* que nulle distinction
n’était à établir entre les conséquences de l’action en
déchéance faute de paiement de la taxe, et celles de l’ac
tion en nullité ; 2° que dès l’instant où il y a , pour
cette cause, expiration du brevet, le délit de contrefaçon
n’a pu exister, la liberté de s’approprier l’invention ob
jet du brevet étan t, en pareil cas , réputée reconquise
jure post lim inii.
Mais, par arrêt du 7 juin 1851, la cour de Cassation
déclare que le défaut de paiement de la taxe n’a pu por
ter atteinte au droit privatif, ni au privilège acquis au
breveté en vertu d’un titre non encore infirmé par ce
défaut de paiement, ni au droit de poursuite inhérent à
ce privilège , et n’ayant d’autre terme que celui qui est
assigné, par les règles générales de la procédure, à l’ac
tion dont il autorisait l’exercice. En conséquence , elle
�'
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
1
423
casse l’arrêt de la cour d’Amiens pour excès de pouvoir
et violation de l’art. 3 2 .’
4 2 5 . — Il était impossible de ne pas le décider
ainsi. A utant, en effet, la rétroactivité absolue est na
turelle et juste en cas de nullité , autant son admission
au cas de déchéance était irrationnelle et inique. L’effet
unique de celle-ci n’est-il pas la perte du droit qui en
est atteint ? Or, si le droit cesse, c’est qu’il existait avant,
et s’il existait, était-il possible d’interdire à son bénéfici
aire de le faire valoir.
La distinction entre les nullités et les déchéances
s’imposait en quelque sorte d’elle-même , et la loi de
1844 a très-logiquement agi en s’écartant des errements
de* lois de 1791 qui les avaient confondues.
4 2 6 . — Première cause de déchéance : Défaut ou
retard de paiement de l’annuité.
Le paiement de l’annuité est une des charges du con
trat entre l’inventeur et la société. Comme toutes les au
tres, elle s’imposait à la partie. Son inexécution amenait
rationnellement la résiliation du contrat.
Cette cause de déchéance ne se trouvait ni dans le
projet du Gouvernement, ni dans la loi votée par la
chambre des Pairs. Dans l’un et dans l’autre on avait
admis le système du paiement intégral de la taxe avant
i D. P., 51, 1, 246.
�424
LOI DU 6 JUILLET i 8 4 4
la délivrance du brevet, ce qui excluait toute idée de re
fus ou de retard.
Mais les motifs que nous avons indiqués ayant dé
terminé la chambre des Députés à adopter le paiement
par annuité , il était indispensable de prévoir ce refus
ou ce retard, et urgent de les prévenir. Or, quelle pré
caution plus efficace que celle de faire de l’un ou de
l’autre une cause de déchéance du brevet?
4 2 7 . — Pouvait-on , devait-on assimiler le retard
au refus, alors même qu’il ne serait que d’un jour, que
d’une heure ? L’affirmative n’a rencontré aucune con
tradiction. On comprenait que l’opinion contraire affai
blissait les ressorts de la loi et pouvait compromettre
l'effet de sa prescription. On a donc fait de l’exactitude
mathématique du paiement la condition irritante de la
conservation du droit.
4 2 8 . — Des difficultés, cependant, n’ont pas man
qué de surgir. La première s’est élevée sur le moment
précis où le paiement doit être réalisé.
La loi exige que chaque annuité soit payée avant le
commencement de l’année. Comment se calcule l’année?
Est-ce de mois à mois, de jour à jour, d’heure à heure?
Personne n’a soutenu le premier mode. La doctrine
et la jurisprudence sont unanimes. Le délai se calcule
de jour à jour.
429. —
f Tout de suite s’est renouvelée cette ardente
contradiction tant agitée sous notre ancien droit , et
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
425
qu’un de nos vieux jurisconsultes, Tiraqueau, qualifiait
de « controversiosissima controversio ». Le dies a quo
compte-t-il dans le délai ? En cas d’affirmative, le paie
ment fait le jour correspondant à celui du dépôt, mais
avant l’heure indiquée au procès-verbal, est-il valable
et satisfactoire ?
Ce dernier système, qui tend à substituer la compu
tation de momento ad momentum au calcul de jour à
jour, est soutenu par M. Nouguier', repoussé par MM.
Rendu et Delorme1, et par une circulaire ministérWle
du 14 décembre 1844.3
450.
— Par arrêt du 5 février 1862 , la cour de
Metz jugeait que le délai d’une année dans lequel le
breveté d o it, à peine de déchéance , payer chacun des
termes de la taxe, se compte de jour à jour et non d’heu
re à heure; que le jour du dépôt est compris dans l’an
née ; qu’ainsi la déchéance est encourue , si l’une des
annuités n ’a été payée que le jour correspondant à ce
lui du dépôt, alors même qu’il serait établi que le paie
ment a été fait avant l’heure du dépôt.4
Cet arrêt se fonde sur ce que l’art. 8 déclarant que
la durée du brevet courra du jour du dépôt, il est évi
dent que ce jour fait partie de la première année ; que
1 N° 577.
2 Droit industr., n» 467.
3 S. V , 48, 2, 567.
i D. P., 62, 2, 92.
�426
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
le même jour ne pouvant se rencontrer deux fois dans
la même année , le jour correspondant de l’année sui
vante appartient à celle-ci; que, par conséquent, ad
mettant que le dépôt a été fait le 29 décembre 1850,
le paiement réalisé le 29 décembre 1851 est fa it, non
avant, mais dans le cours de la seconde année ;
Qu’à la vérité, le procès-verbal doit mentionner l’heu
re du dépôt ; mais que cette indication n’est utile et ne
peut avoir d’autre but que de et pour déterminer la pri
orité entre deux brevets ; qu'on ne saurait s’en préva
loir contre le public qui , lui , est souverainement régi
par la disposition de l’art. 2260 du Code Napoléon.
Donc, la Cour comprend le jour à quo dans le délai.
Mais ne se met-elle pas ainsi en contradiction avec la
solution la plus généralement adoptée. En effet, la doc
trine et la jurisprudence semblaient avoir admis l’ex
clusion du tlies a quo lorsque le législateur ne s’en était
pas formellement expliqué. Aussi, M. Dalloz qui les ré
sume pose-t-il en principe : Que lorsque la loi se sert
d'expressions ne dérogeant pas à la règle ordinaire :
à c o m p t e r * d u . . . e ix d a t e d u . . . d e
p u i s . . . à c o u r i r d u . . ., le jo u r qui sert de
point de départ n'est pas compris.'
431.
— C’est ce que la cour de Rouen n’hésitait
pas à appliquer à la matière des brevets. Elle jugeait, le
12 décembre 1862 , comme la cour de Metz , que la
i Rép. gén.. v° Délai, n° 29.
�SUR LES BREVETS D’iNVËNTION
427
computation du délai se faisait de jour à jour, mais elle
excluait le dies a quo eu s’élayant de l’opinion de Toullier, Pigeau , Carré et Troplong ; qu’en conséquence le
breveté qui avait déposé sa demande le 29 décembre
1859, pouvait valablement payer pendant toute la jour
née du 29 décembre 1851 , la première année n’expi
rant que ce même jour à minuit.
Subsidiairement, l’arrêt ajoutait que , dans tous les
cas, l’année du dépôt fait le 29 décembre 1850 à trois
heures de l’après-midi, ne finissait que le 29 décembre
1851 à cette heure même qui commençait la seconde
année; que,par conséquent, le paiement fait avant trois
heures était nécessairement valable.'
432.
— Où est la vérité au milieu de cette flagrante
contradiction ? Nous n’avons pas l’orgueil de trancher
nous-même la question. Non nobis inter vos tantos
componere lites. Mais nul ne contestera la compétence
de la cour de Cassation à ce su jet, et voici la solution
qu’elle a consacrée , sur le pourvoi contre l’arrêt de
Metz :
« Vu les articles 4, 8 et 32 § 1 de la loi du 5 juillet
1844;
» Attendu que, aux termes de ces articles, la durée
d’un brevet court du jour du dépôt prescrit par l’art. 5
de la même lo i, et que la taxe annuelle , qui est une
des conditions de la concession d’un brevet, doit, sous
�428
LOI DU
6
JUILLET
1844
peine de déchéance, être payée avant le commencement
de l’année pour laquelle elle est due ;
«
» Attendu que, dans la supputation des délais qui se
comptent par jo u rs, il est de règle , surtout quand il
s’agit de déchéances, d’exclure du délai le jour qui en
est le jour du départ ; que cette règle générale est ap
plicable toutes les fois que les termes d’une disposition
législative n’y résistent pas ; qu’il n’y est, ni expressément ni implicitement, dérogé par aucune dés disposi
tions de la loi du 5 juillet 1 844 ; que, d’une part, l’ar
ticle 4 assignant, à la durée du brevet, cinq , dix ou
quinze années, s’entend nécessairement d’années com
plètes et non d’années réduites d’une fraction quelcon
que ; que, d’autre part, l’art. 8 en disposant que la du
rée du brevet courra du jour du dépôt prescrit par l’ar
ticle 5 , emploie des termes dont la signification habi
tuelle est exclusive du jour indiqué comme point de dé
part de la durée du brevet ;
» Qu’ainsi, le paiement de la première annuité ayant
eu lieu utilem ent, dans l’espèce , le 29 décembre 1852
jour du dépôt de la demande , le paiement de chacu
ne des annuités subséquentes a pu être fait, utilement
aussi, le 29 décembre de chacune des années suivan
tes, et que spécialement la septième annuité a été ac
quittée en temps utile , par le breveté , le 29 décembre
1858;
f> D’où il suit qu’en décidant le contraire , et en dé
clarant le demandeur déchu de son brevet, l’arrêt dé
fi
�SUR LES BREVETS D’iNYENTION
429
noncé a faussement interprété et, par suite, violé les dis
positions ci-dessus visées.' »
Ainsi, la doctrine de la cour de Metz est formelle
ment condamnée, ce qui justifie et consacre celle de la
cour de Rouen , à laquelle la cour de Nancy , jugeant
sur renvoi de la cour de Cassation, se ralliait par arrêt
du 20 mai 1863.1
433.
— Donc, le breveté a pour payer valablement
l’annuité, et chaque année, le jour entier correspondant
à celui du dépôt. On n’a donc pas à recourir au point
de vue subsidiaire qu’examinait et que résolvait la cour
de Rouen. Nous croyons, dans tous les cas, que sa dé
cision , à cet égard , est irréprochable en raison et en
droit..
Il est évident, en effet, que si le dépôt a été réalisé le
29 décembre à trois heures de relevée , l’année n’expi
rera que le 29 décembre suivant à la même heure.
Donc , le paiement fait à deux heures, de ce jour, aura
réellement lieu avant l’année révolue, et par conséquent
avant le commencement de l’année suivante, comme le
prescrit l’art. 32. Admettre le contraire , serait retran
cher au breveté une fraction de l’année, et décider con
tre toute vérité que les heures qui ont précédé le dépôt
ont fait partie de la première année.
1 D. P., 63, 1, 12; — 20 janvier 1863.
�430
LOI DU
5
JUILLET
1844
■434. — La déchéance résultant du défaut ou du re
tard de paiement est absolue. Elle est encourue par le
seul fait du défaut ou du retard. Dès ce m om ent,. l’in
vention est irrémissiblement tombée dans le domaine
public.
C’est là, il faut en convenir, un résultat bien rigou
reux. Mais peut-on légalement le modifier dans l’appli
cation, par exemple, dans le cas où le défaut ou le re
tard de paiement est dû à la force majeure ?
435.
— Oui, enseigne M.Nouguier. Dans toutes les
matières de droit, qu’il s’agisse de prescription, de dé
chéance , de lettres de change ou d’autres contrats , la
force majeure est un cas d’excuse légale. A l’impossible
nul n’est tenu. Mais les tribunaux n’useront de cette fa
culté qu’avec une extrême circonspection, et que lorsque
l’impossibilité de payer aura été dûment constatée'
M. Renouard dit, en même temps, non et oui. Il se
demande s’il y aura des excuses, comme, par exemple,
le cas où le breveté étant décédé, le terme d’une annuité
sera échu pendant le délai légal laissé aux héritiers
pour faire inventaire et délibérer , ou pendant le temps
que les titres et papiers se seront trouvés sous les
scellés.
Il continue : Il est à regretter qu’aucune de ces ques
tions n’aient été prévues par la loi. Son texte semble
n’admettre aucune excuse au retard de paiement, et il
1 N° 580.
�SDR LES BREVETS D’iNVENTION
431
faut convenir que si des excuses étaient possibles et
faisaient dégénérer cette cause de déchéance en mesure
purement comminatoire, le recouvrement des annuités
serait fort mal assuré. Je pense cependant que des obs
tacles matériels, de force majeure , pourront, dans des
cas rares et avec une extrême circonspection, être admis
comme excuse du retard.'
M. Et. Blanc est beaucoup plus affirmatif. Malgré la
rigueur de la disposition , enseigne-t-il, nous pensons
qu’il n’a pas été dans la pensée du législateur d’être im
pitoyable, et que le breveté pourra toujours s’acquitter
du terme arriéré tant que la déchéance de son brevet
n ’aura pas été demandée ou prononcée. Alors seulement
la peine sera encourue d’une manière irrévocable.
Il ajoute : C’est au surplus dans ce sen s, non moins
favorable à l’intérêt du fisc qu’aux brevetés, que l’ad
ministration a toujours entendu et appliqué la sanction
pénale portée par les lois relatives aux brevets, contre
le défaut ou le retard de paiement de la taxe.1
436.
— Ces opinions, la dernière su rto u t, offrent
un imminent danger pour les brevetés. Elles peuvent,
en effet, leur faire illusion sur le devoir que la loi leur
impose , et leur inspirer une sécurité dont ils seraient
infailliblement victimes.
On ne saurait, d’abord, même exciper de la pratique
suivie par l’administration , sous l’empire des lois de
l N° 2'10.
3 L 'in v e n t. b r e v e t pag. 327.
�432
LOI DU
6
JUILLET
1844
1791. Alors , en effet, la taxe * quoique exigible d’a
vance, pouvait être payée moitié comptant et moitié dans
six mois. Mais le breveté qui usait de cette faculté devait
déposer sa soumission de payer dans ce délai.
Cette soumission aux mains de l’administration était
un titre dont elle pouvait toujours contraindre l’exécu
tion. Elle devait de préférence le faire , car la partie de
la taxe à payer lui était acquise, quel que fût le sort du
brevet, tandis que la déchéance qui ne lui donnait ja
mais rien, entraînait la perte de cette partie.
On comprend donc qu’elle ne recourût à cette voie de
rigueur qu’après avoir épuisé tous les délais, et que lors
qu’il devenait évident que le breveté était dans l’impos
sibilité de payer. ,
D’ailleurs, l’art. 16 de la loi du 7 janvier n ’avait pas
fait du retard de paiement dans les six mois une cause
de déchéance; et l’art. 4 , titre 2 de la loi du 25 mai,
qui édictait cette déchéance , ne parlait que du refus,
sans prévoir ni s’occuper du retard.
Ce que la jurisprudence en avait conclu , c’est que la
peine que la loi attachait au non paiement de la taxe était évidemment placée dans les mains de l’administra
tion comme moyen de contrainte, mais qu'elle seule était
maîtresse d’en user ou de ne pas en user suivant qu’elle
le reconnaissait juste et équitable; qu’en conséquence,
les tiers n’étaient ni fondés, ni même recevables à exciper du défaut de paiement.1
i Paris, 43 août 4840; — J . d u P ., 4840, 2, 692.
�SUR
LES
BREVETS
433
D ’i N V E N T I O N
La déchéance pour défaut de paiement de la taxe, di
sait plus tard la cour de Cassation, résultait de disposi
tions spéciales qui chargeaient le Gouvernement de dé
clarer lui-même cette déchéance , et qui , jusqu’à ce
qu’elle eût été déclarée , n’autorisaient pas les particu
liers à s’en prévaloir ; c’est dans ce sens que doit être
entendu et que l’a toujours été l’art. 4, titre 2 de la loi
du 25 mai 1791
En réalité donc , et jusqu’en 1844 , l’administration
avait, en matière de paiement de la taxe, un pouvoir pu
rement discrétionnaire, de l’exercice duquel nul n’avait
à lui demander compte. Elle pouvait, dès lors, d’autant
plus accorder des délais, qu’elle pouvait même remettre
en entier le paiement, et s’abstenir de proclamer la dé
chéance, même au cas de refus.
La loi de 1844 a profondément modifié cet état des
choses. La substitution du paiement par annuité au paie
ment intégral, a d’abord eu pour effet de mettre l’ad
ministration dans l’impossibilité d’en poursuivre et d’en
exiger la réalisation. La première annuité payée, le bre
veté ne doit plus rien , et il n’est tenu de solder la se
conde que s’il le veut bien. Donc, la poursuite viendrait
nécessairement échouer devant le refus que le breveté
ferait de payer.
Mais ce refus serait la violation du contrat intervenu
entre la société et l u i, et cette violation ferait de plein
i 21 novembre 1845 ; — J . du P ., 1840, 1, 712.
i
—
28
�434
♦
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
droit admettre qu’il en a répudié le bénéfice et renoncé
aux effets du brevet.
Le paiement de l’annuité est donc aujourd’hui la con
dition sine qua non du privilège. Or , l’art. 32 ne se
borne pas à prescrire ce paiement sous peine de dé
chéance. Il veut qu’il soit réalisé avant le commence
ment de chaque année, et les tribunaux seuls sont ap
pelés à statuer sur l’inobservation de cette volonté et d’en
déduire les conséquences.
Or, ce que l’administration pouvait faire est interdit
aux tribunaux. Le juge ne peut qu’appliquer la loi,
quelque dure qu’elle lui paraisse. Il méconnaîtrait sa
mission , il excéderait ses pouvoirs s i , au bénéfice d’un
délai qu’il accorderait, il déclarait qu’on peut faire, a près le commencement de l’année , ce que la loi veut
impérieusement qu’on fasse avant; ou si, constatant le
retard , il refusait de prononcer la déchéance , en s’é
tayant de faits postérieurs quels qu’ils puissent être.
437.
— Àu reste , l’administration a franchement
accepté la position nouvelle que lui fait la lo i, et con
fessé son impuissance à accorder désormais un délai
quelconque ; et pour que les brevetés n’en ignorent, elle
a inscrit la clause suivante au recto du brevet ;
»
»
»
»
« La loi n’a point réservé à l’administration d’accorder des délais pour le paiement des annuités , les
questions de déchéance sont exclusivement de la compétence des tribunaux civils. Le ministre ne peut donc
accueillir une demande tendant à obtenir des délais
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
435
» pour le paiement de la taxe et la mise en activité des
» brevets, ou à être relevée d’une déchéance absolue. »
L’administration fait plus encore. Sans que rien l’y
oblige, elle adresse chaque année, aux brevetés, une cir
culaire officieuse pour leur rappeler que les annuités de
cent francs doivent, sous peine de déchéance, être payées
avant le commencement de chacune des années de la
durée du brevet, et qui se termine ainsi :
« Les brevetés qui n ’acquittent pas l’annuité de cha» que année a v a n t l’expiration de l’année précé» dente, encourent donc d e p l e i n d r o i t la dé» chéance prononcée par la loi, et l’administration n ’a
» pas le droit de les en relever. »
•458. — Les tribunaux ne pouvaient interpréter la
loi autrement que l’administration elle-même. Aussi estce dans le même sens que s’est prononcée la jurispru
dence.
Ainsi il a été jugé :
Le 28 décembre 1850, par la cour d’Amiens, que le
défaut de paiement par le breveté d’une annuité , avant
le commencement de chaque année de la durée de son
brevet, emporte déchéance absolue , le retard ne fût-il
que de quelques jours ; que cette déchéance a effet mê
me pour les années pendant lesquelles les annuités ont
été ensuite payées exactement. Le pourvoi contre cet ar
rêt était îejeté de ce chef, le 7 juin 1851
�436
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Par la cour de Metz , le 5 février 1862, que la dé
chéance d’un brevet d’invention , encourue pour défaut
de paiement de l’annuité en temps utile, est générale et
absolue ; qu’ainsi elle peut toujours être invoquée, bien
que les annuités postérieures aient été régulièrement ac
quittées.'
Nous ne saurions donc trop insister à recommander
aux brevetés de se mettre en garde contre l’opinion de
M. Et. Blanc, et de se méfier d’une doctrine q u i, con
damnée par l’administration et les tribunaux, aboutirait
pour eux à la plus amère déception.
439.
— Est-il vrai, maintenant, que le retard de
paiement puisse être excusé par la force majeure qui
l’aurait seule déterminé ?
La cour de Paris a carrément jugé la négative. Elle
déclarait, le 6 décembre 1862 , que la déchéance du
breveté, pour défaut de paiement exact des annuités, avant le commencement de chacune des années de la
durée de son brevet, est absolue et encourue de plein
droit ; que le breveté ne peut en être relevé, alors même
que le retard de paiement aurait eu pour cause un évé
nement de force majeure, tel qu’une maladie ou un état
de démence.1
La cour de Cassation appelée à statuer sur le pour
voi dont cet arrêt avait été l’objet, le rejette le 16 mars
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
437
1864. Mais contrairement à la doctrine de la cour de
Paris, la Cour suprême déclare que la déchéance ne sau
rait être prononcée , lorsque l'omission dont elle est
la conséquence provient d’un obstacle de force majeu
re, c'est à dire d’un de ces évènements qui échappent à
toute prévision et ne comportent aucune résistance.
Seulement elle refuse ce caractère à une maladie quel
qu’en soit le caractère, parce que c'est là un de ces ac
cidents qui peuvent être prévus, contre lesquels doivent
être prises les précautions que conseille à chacun le
soin vigilant de ses intérêts.1
440.
— La cour de Cassation nous paraît consacrer
un principe q u i, avec les conséquences qu’elle en tire,
ne pourra jamais recevoir aucune application.
Nous comprenons qu’une maladie ordinaire ne c o n -'
stitue pas un événement de force majeure. Il est, en ef
fet facile et naturel de la prévoir et de s’en préoccuper.
Puis, un malade peut toujours commettre à un parent,
à un ami, à un mandataire le soin d’accomplir ce qu’il
ne peut faire par lui-même.
Mais la démence , cette mort anticipée , est-ce qu’on
p e u t, est-ce qu’on doit la prévoir ? Celui sur qui elle
vient subitement s’appesantir n’est-il pas dans l’impos
sibilité d’y résister , et de veiller désormais à ce qu’exi
gent ses intérêts.
Si la force majeure ne résulte pas de la démence, dans
�438
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
quels cas pourra-t-on, devra-t-on l’admettre? Sera-ce
dans ceux indiqués par M. Renouard, c’est à dire lors
que, le breveté étant mort, l’annuité écherra pendant le
délai réservé aux héritiers pour délibérer et faire inven
taire , ou pendant que les titres et papiers sont encore
sous les scellés ? Mais les héritiers ont à toute époque le
droit et le devoir de faire tous les actes conservatoires,
et le paiement de l’annuité d’un brevet se place incon
testablement dans cette catégorie.
Or, il n’est pas possible que les héritiers ignorent l’e
xistence du brevet obtenu par leur auteur, et cette con
naissance les met légalement en demeure de prendre
toutes les mesures qu’exige la conservation de ce brevet,
de s’enquérir, auprès de l’administration , de l’époque
de l’échéance de l’annuité et de la solder.
Dans ce cas , d’ailleurs, la faute, si elle n’est pas le
fait des héritiers, sera évidemment imputable au défunt.
D’après le système de la cour de Cassation, la mort, en
effet, est bien plus à prévoir que la maladie. On peut se
flatter d’échapper à celle-ci, à celle-là jamais. Et si on
a pu et dû la prévoir, on est coupable de ne pas avoir
pris les précautions que conseille à chacun le soin vigi
lant de ses intérêts.
. Fera-t-on résulter cette force majeure de l’éloigne
ment , d’un emprisonnement soit en France soit à l’é
tranger ? Mais là encore les précautions étant possibles,
devaient être prises, et on serait d’autant plus inexcusa
ble , qu’on aurait omis de les prendre et de faire faire
par un tiers ce qu’on ne pouvait faire soi-même.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
439
Il faut donc en convenir. Ou l’état de démence con
stitue la force majeure , ou on ne rencontrera jamais
cette excuse ; e t , dans ce cas , à quoi bon un principe
destiné à ne pouvoir jamais être appliqué ?
441.
— Pour n o u s, nous sommes de l’avis de la
cour de Paris , et nous croyons que la loi n’admet au
cune excuse , pas même celle de la force majeure. Ce
qu’elle a voulu, c’est assurer le recouvrement de la taxe
en en faisant la condition irritante de la conservation
du privilège. Or, admettre une excuse quelconque, c’é
tait, M. Renouard le reconnaît lui-même, faire dégé
nérer cette cause de déchéance en mesure purement com
minatoire, et compromettre ce recouvrement.
A cette considération qui explique la sévérité de la loi,
s’en joint une autre : la nécessité d’adopter en cette ma
tière une règle fixe , uniforme , invariable. Or, l’excep
tion de force majeure substituait à cette règle l’appré
ciation toujours arbitraire des tribunaux, devant et pou
vant aboutir à ce résultat, que la même cause qui fai
sait ici rétracter le brevet lui aurait laissé là toute sa
force.
N’est-ce pas ce danger qui préoccupait MM. Renou
ard et Nouguier , et les portait à conseiller aux tribu
naux de n’admettre l’excuse de force majeure que dans
des cas fort rares, et avec une extrême circonspection ?
Au reste,même dans cette étroite limite,il faudrait que
cette opinion trouvât son point d’appui dans la loi. Ne
l’étayer que sur l’équité,c’est aller au delà de ce qui est
�440
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
permis. Nos lois, en effet, n’admettent pas l’interpréta
tion prétorienne. Quelque dures , quelque sévères que
puissent paraître leurs prescriptions , les tribunaux ne
peuvent ni les corriger, ni les modifier.
Or, que l’art. 32 ait entendu n’admettre aucune ex
cuse au retard de paiement, de quelque nature que ce
puisse être , c’est ce qui ressort invinciblement du rap
prochement des paragraphes 1 et 2. Ce dernier n’a pas
voulu faire du défaut d’exploitation ou de sa cessation
une cause absolue de déchéance. Il ne l’autorise donc
que si le breveté ne justifie pas des causes de son inac
tion. Il admet donc nécessairement l’excuse de force
majeure.
Trouve-t-on une semblable restriction dans le para
graphe 1er? Cependant, s’il y avait nécessité dans un cas,
était-il moins indispensable de le faire dans l’autre ? Et
si le paragraphe 1er garde à ce sujet le plus complet si
lence, qu’en conclure si non que le législateur a exclu,
pour celui-ci, ce qu’il a admis dans le second ?
Ce qui est non moins à remarquer, c’est que la dis
cussion législative a été, à cet égard, non moins muette
que la loi. Aucun des orateurs qui y ont pris part dans
l’une et l’autre Chambre, n’a eu la pensée de parler de
la possibilité de cette excuse , de la revendiquer, ou de
la réserver.
Il n’y a donc pas à hésiter, on peut qualifier la réso
lution du législateur d’impitoyable ; mais il ri’est pas
permis de la révoquer en doute.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
441
4 4 2 . — Donc , le paiement.de l’annuité doit être
fait, dans tous les cas et sans exception, avant le com
mencement de chacune des années de la durée du bre
vet. Le moindre retard entraine, de plein droit , la dé
chéance dont l’effet est acquis au public, et peut être re
vendiqué à toute époque par les intéressés, et alors mê
me que les annuités postérieures auraient été valable
ment et utilement payées.
Une autre conséquence de cette règle est que , si le
dernier jour de l’année est un jour férié , l’annuité doit
être payée la veille. Le paiement fait le lendemain ne
ne serait plus réalisé dans les conditions de l’art. 32.
La déchéance serait de droit encourue.'
4 4 3 . — Nous avons déjà dit que l’art. 32 est essen
tiellement limitatif et restrictif; qu’on peut l’appliquer à
des cas autres que ceux qui y sont nominativement in
diqués. En voici une nouvelle preuve :
L’article 20 exige, en cas de cession du brevet, le paie
ment préalable de la totalité de la taxe. Cette condition
n ’ayant pas été remplie dans une circonstance, des tiers
poursuivis en contrefaçon par le cessionnaire, opposaient
la déchéance du brevet faute de paiement de la taxe par
application de l’art. 32.
On répondait que la déchéance étant une peine , ne
pouvait être encourue et prononcée que dans les cas ex
pressément prévus par la loi ; que le paiement exigé par
i Nouguier, n° 578.
�442
LOI DU
6
JUILLET
1844
l’art. 20 n’est pas prescrit, à peine de déchéance, com
me dans l’art. 4 ; que l’art. 32 ne se référait qu’à celuici et non à l’art. 20 auquel il ne faisait même pas allu
sion.
Ce système adopté par la cour de Paris, était défini
tivement consacré par la cour de Cassation , le 1er sep
tembre 1855.’
444.
— Deuxième cause de déchéance : Défaut ou
cessation d’exploitation.
L’obligation de la mise en exploitation de la décou
verte dans les deux ans du brevet, sous peine de déché
ance, avait été imposée par le législateur de 1791. La
loi de 1844 l’a également prescrite parce que , disait
l’Exposé des motifs, on ne peut permettre que le privi
lège accordé à l’inventeur so it, entre ses m ains, une
concession stérile pour l’industrie , une valeur perdue
pour la société.
Celle-ci , en effet, même avant de pouvoir exploiter
elle-même, retire un profit certain des inventions réelle
ment utiles. Elle jouira d’un produit ou nouveau , ou
plus perfectionné, ou obtenu plus facilement et à meil
leur marché ; et c’est en échange qu’elle concède le droit
privatif pour toute la durée du brevet.
Le défaut d’exploitation méconnaît donc la condition
sans laquelle la société n’aurait pas contracté. Il nuit
1 J . du P ., 1856, 2, 181.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
443
essentiellement aux consommateurs, et même aux indus
triels eux-mêmes.
Supposez, en effet, que l’un d’eux soit parvenu à dé
couvrir le produit , la méthode ou le procédé qui fait
l’objet du brevet, l’existence de ce brevet sera un obsta
cle invincible à ce qu’il jouisse de son invention, ou à ce
qu’il en fasse jouir le public. Son titulaire ferme donc la
carrière à des inventeurs plus actifs , et, par son inac
tion, enlève à son privilège toute raison d’être.
Or , comme l’observe fort justement M. Renouard,
l’intérêt public s’opposait énergiquement à ce qu’il exis
tât des inventeurs dont on pût dire : il ne fait rien et
nuit à qui veut faire.'
44-5. — La nécessité de l’exploitation, dans les deux
ans du brevet, ainsi justifiée et admise, il restait à com
bler une lacune que laissait la législation de 1791.
Elle n’avait , en effet, ni prévu ni réglé la cessation
d’exploitation, ce qui aboutissait à ce résultat, qu’après
une mise en activité quelconque, le breveté pouvait im
punément cesser d’exploiter pendant tout le temps que
le brevet avait encore à courir.
Cependant, en quoi la cessation différait-elle du dé
faut d’exploitation ? Pouvait-on ne pas induire de l’une
l’idée d’abandon volontaire du privilège qu’on attachait
à l’autre ? Il était rationnel et nécessaire, puisqu’elle ar-
1 N° 29.
�444
LOI DU 6 JUILLET
1844
rivaient au même résultat, de leur faire produire un ef
fet identique.
4 4 6 . — Restait à déterminer jusqu’à quel délai
l’interruption était licite ; car il n’entrait dans la pensée
de personne qu’une interruption quelconque dût entraî
ner la déchéance. Evidemment, la présomption d’aban
don volontaire du privilège qui en est le fondement s’at
tachait, non au fait matériel de la cessation , mais à sa
durée. Quelle devait donc être cette durée?
Le projet du Gouvernement n’admettait la faculté de
cesser l’exploitation , que pendant une année. Il pro
nonçait la déchéance si elle s’était prolongée au delà.
C’est ce qu’avait également admis la chambre des Pairs.
Mais cette disposition devint l’objet de vives attaques
à la chambre des Députés. Notre immortel Arago, entre
autres, lui reprochait de n’accorder qu’un délai insuffi
sant et dérisoire, et la signalait comme devant aboutir,
dans plusieurs cas, à une criante injustice. Yoiei quel
ques-uns des exemples qu’il citait à l’appui de son opi
nion :
4 4 7 . — « M. Fourneyron invente les turbines , et
ce n’est qu’après cinq années qu’il trouve à en placer la
première; la perrotine ne réussit à s’introduire qu’après
onze années ; le chimiste qui a découvert le moyen d’ex
traire la soude du sel marin , meurt dans la misère ;
l’inventeur de la filature du lin, M. de Girard, se voit
forcé de porter sa découverte en Angleterre; M. Perrot
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
445
combine, en 1 8 2 5 , une machine fort ingénieuse pour
imprimer le papier, en 1 8 4 4 il n’est pas encore parvenu
à en établir une seule; M. Poncelet, un des oracles de
la mécanique, imagine une nouvelle machine hydrauli
que : au lieu de prendre un brevet, il offre aux indus
triels le plan et les détails de sa conception , et ne de
mande pour toute faveur que d’être consulté , dans la
crainte qu’une exécution imparfaite ne fasse douter de
ses principes : quinze mois s’écoulent et le savant aca
démicien, l’un des plus habiles ingénieurs de l’Europe,
ne reçoit pas de réponse. . . »
Aurait-on pu justement, dans ces divers cas, pronon
cer la déchéance, parce que l’inventeur aurait cessé pen
dant plus d’un an une exploitation ne devant avoir d’au
tre résultat que d’absorber ses ressources par une pro
duction exagérée et sans aucun débouché ? Non, évidem
ment, et tout le monde en était convaincu.
Mais, à côté de l’intérêt privé se trouvait directement
engagé l’intérêt public, et on ne pouvait compromettre
celui-ci en entourant le premier d’une protection exces
sive. Qui ne sent, d’ailleurs, que ne rien statuer sur la
cessation d’exploitation, c’était encourager l’inaction pu
rement volontaire , et uniquement dictée par le désir
d’éluder la loi.
Toutefois, les observations de M. Àrago eurent pour
résultat, d’abord, de faire porter d’un an à deux la li
mite au delà de laquelle l’inaction ne pouvait se prolon
ger sans faire encourir la déchéance ; ensuite, la consé-
�446
;
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
cration du droit de justifier des causes de l’inaction dans
les deux cas prévus par le paragraphe 2! de l’art. 321.
448.
— Quel doit être le caractère de l’exploitation
exigée par la loi, comme empêchant la déchéance ? Cette
question ne saurait offrir de bien graves difficultés. Elle
se résout par l’esprit de notre disposition. Il ne faudrait
pas qu’on éludât la loi, en ayant l’air de l’exécuter ; mais
il suffit que l’exploitation soif sérieuse, et réponde dans
une juste limite aux besoins et aux demandes du public.
Dans cette proportion, même on doit distinguer la fa
brication de la vente. Celle-ci ne dépend en aucune ma
nière du breveté, et on ne saurait le rendre responsable
de ce qu’elle ne se réaliserait que peu ou point. Il a fait
tout ce que la loi exige de l u i , dès qu’il s’est efforcé de
se mettre ou qu’il s’est mis en mesure de vendre.
Il n ’est pas même nécessaire que l’exploitation porte
sur toutes les branches du brevet. La loi qui exige celleci n’en a nullement déterminé le caractère. Dès lors,
lorsqu’il s’agit de la peine de déchéance, on ne saurait
se montrer plus exigeant qu’elle ne l’a été elle-même.
L’exploitation , même partielle , l’exclut d’une manière
absolue. C’est ce que la cour de Cassation consacrait ex
pressément les 11 décembre 1857 et 12 février 1858.1
Elle jugeait encore, le 30 mars 1860 , que, lorsque le
brevet d’un inventeur a été suivi d’un certificat d’addi
tion ou de perfectionnement, l’exception tirée , par le
1 D P ., 53,
1 3 7 ; 5, 4 2 .
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
447
prévenu de contrefaçon, d’une prétendue cessation d’ex
ploitation pendant deux ans , n’est recevable que si la
cessation a porté, non sur la découverte décrite au bre
vet primitif, mais sur la découverte modifiée et complé
tée par le certificat d’addition ou de perfectionnement.'
449.
— Il suffit donc que l’exploitation soit sérieu
se. Mais, contrairement à ce qui se réalise au cas de re
tard de paiement, la déchéance pour inaction ou cessa
tion d’exploitation, est subordonnée, non au fait maté
riel de l’une ou de l’autre, mais à la cause qui l’a déter
minée. Si le défaut d’exploitation ou son abandon n’est
que le résultat de circonstances auxquelles le breveté a
dû céder, la déchéance n’est pas encourue. Elle ne serait
plus qu’un effet sans cause, qu’une peine contre les con
trariétés invincibles que l’inventeur a dû subir et dont
il est la première victime.
Les considérations invoquées par M. Arago précisent
ce qu’on doit entendre par les causes qui justifient l’in
action. Il convient, pour dissiper tous les doutes , de
rappeler ce qu’il ajoutait aux observations que nous ve
nons de transcrire :
« Il y a des produits qui sont à la mode aujourd’hui,
* et qui ne sont plus à la mode demain. Telles sont,
» par exemple , les étoffes moirées ; pendant quelque
» temps elles ont du succès ; ensuite un caprice les fait
�448
LOI DO 6 JUILLET 1 8 4 4
» abandonner. Voulez-vous qu’on fabrique ce qui ne
» se vendrait pas ? »
L’injustice qu’il y aurait à l’exiger serait-elle moin
dre, si l’inaction n’avait d’autre cause qu’un défaut réel
de ressources, qu’une absence forcée , qu’une maladie ;
que la résistance du public à accepter la découverte et à
se l’approprier ?
L’esprit de la loi est donc indubitable. Elle n’a voulu
atteindre que l’inaction volontaire, préméditée, calculée.
Donc, on ne saurait appliquer la peine qu’elle prononce
toutes les fois que , le breveté ayant fait tout ce qui dé
pendait de lui pour obéir à ses prescriptions, ses efforts
sont venus échouer devant un obstacle auquel il a dû
céder.
450.
— C’est ainsi que l’a compris la jurispruden
ce, et ce sont ces inspirations qui ont dicté ses décisions
avant et après la loi de 1844.
Le 13 juin 1837, la cour de Cassation jugeait que la
mise en activité d’une invention mécanique , dans les
deux ans du brevet, résulte suffisamment de ce qu’une
de ces mécaniques a été admise à l’exposition de l’in
dustrie française et qu’une autre a été vendue, si, d’ail
leurs , il n’est pas établi que d’autres commandes aient
été faites dans les deux ans, et que le breveté ait refusé
d’y satisfaire ; ‘
Elle déclarait, par deux arrêts du 6 mars 1858, que
�449
SUR LUS BREVETS D’iNVENTION
le défaut d’exploitation du brevet ne peut être opposé,
comme moyen de déchéance, à l’action en contrefaçon,
lorsque cette abstention a pour cause légitime la néces
sité où. s’est trouvé le breveté d’attendre , pour n’être
pas poursuivi lui-même comme contrefacteur, l’expira
tion d’un brevet antérieur dont soin brevet n’est qu’une
modification ou un perfectionnement.'
La cour de Paris jugeait, le 18 juillet 1859, que la
déchéance du brevet pour défaut d’exploitation, dans le
délai prescrit, ne peut être prononcée sous prétexte que
le procédé breveté n’aurait été l’objet que d’applications
infructueuses et en nombre extrêmement restreint, si ces
applications n’ont pas le caractère de simples essais et
attestent, à raison de leur difficulté, que le titulaire du
brevet a fait tout ce qui dépendait de lui pour arriver à
une exploitation régulière.’
Enfin , un arrêt de la cour de Cassation , du 23 no
vembre 1859, est plus explicite encore,
Un brevet avait été pris pour un nouveau système de
graissage des tourillons des arbres et des coussinets, sup
ports, chaises et paliers généralement employés dans les
machines à transmission du mouvement.
Une action en contrefaçon ayant été introduite par le
breveté contre la compagnie du chemin de fer dü Nord;
celle-ci lui oppose la déchéance du brevet pour défaut
d’exploitation pendant deux ans.
1 D. P., 58,
342.
s Ibid. 59, 2, 196,
I
—
'29
�450
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
Le tribunal civil de la Seine repousse cette exception:
« Attendu que la déchéance n’est pas encourue, si l’in
venteur justifie des causes de son inaction ; que l’ap
préciation de ces causes est laissée aux tribunaux qui
peuvent prendre en considération le seul défaut de res
sources pécuniaires, ainsi qu’il résulte de la discussion
de la loi ; que les événements de 1848 ont été, pour le
breveté, une cause suffisante d’inaction. »
Sur l’appel, arrêt de la cour de Paris qui confirme le
jugement, en adopte les motifs et y ajoute cette consi
dération d’une si équitable justesse : Que quand il s’agit
d’une invention qui ne peut être mise en usage par le
public, mais seulemeut par un nombre très-restreint
d’industriels , il est évident que la résistance de ces in
dustriels , à l’emploi de l'invention pendant deux an
nées , ne saurait avoir pour résultat d’amener , à leur
profit, la déchéance du brevet. C’est le pourvoi contre
cet arrêt que la cour de Cassation rejetait le 23 novem
bre 1859.1
Nous avons donc raison de le dire : la déchéance du
paragraphe 2 de l’art. 32 n’atteint que l’inaction volon
taire. La loi ne veut punir, pour ne pas avoir agi, que
celui qui n’a pas voulu agir. Il eût été par trop injuste
d’étendre la peine à celui qui ne s’est abstenu que parce
qu’il y a été contraint par des circonstances impérieu
ses et indépendantes de sa volonté. L’appréciation de ces
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
451
circonstances et de leur caractère est souverainement
laissée à l’arbitrage des tribunaux.
451.
— C’est à celui qui excipe du défaut d’exploi
tation ou de son abandon, pour demander la déchéan
ce , qu’incombe la charge d’établir et de prouver l’une
ou l’autre. Reus excipiendo fit aclor , e t , comme tout
demandeur.il est tenu de justifier du fondement de l’ex
ception dont il se prévaut.
452.
— A ce sujet, il est bon de remarquer qu’il
n’est pas nécessaire que l’exploitation soit le fait person
nel du breveté. Ce que la loi veut, c’est que le public
retire de l’invention tout l’avantage qu’il peut s’en pro
mettre, et, pourvu que ce résultat soit atteint, il est fort
indifférent qu’il soit dû à tel ou à tel.
En conséquence , l’exploitation qu’un tiers ferait de
l’invention , soit en vertu d’une cession , soit en vertu
d’une licence émanant de l’inventeur, mettrait le brevet
à l’abri de toute déchéance , alors même que celui-ci
n’exploiterait pas lui-même ou n’aurait jamais exploité,
pourvu, toute fois, que le tiers eût agi dans les deux ans
du brevet, et n’eût pas suspendu l’exploitation pendant
le même délai de deux ans.'
453.
— L’article 32 fixe le point de départ du délai
de deux ans, non plus au jour du dépôt de la deman-
1 Nouguier , n° 601 ; — Et. Blanc , In v e n t, b re v e té , pag. 577.
�452
LOI
DU
6
JU ILL ET
1844
de, mais à celui de la signature du brevet. M. Et. Blanc
croit que c’est là une erreur de rédaction , née des di
verses modifications que la discussion fît subir au pro
jet primitif. 11 estime donc que nonobstant les termes
de l’art. 32, le délai de deux ans doit partir du jour du
dépôt de la demande.'
Nous croyons cette opinion inadmissible. La déché
ance est une peine; et , en matière de peines , tout est
essentiellement de droit étroit. Elles ne peuvent être in
voquées et appliquées que dans les cas et aux conditions
formellement prévus par la loi.
Il suffit donc que l’art. 32 désigne nommément le
jour de la signature du brevet, pour qu’il soit absolu
ment impossible de prendre un autre point de départ.
L’erreur de rédaction fût-elle démontrée et admise, que
les tribunaux n’auraient ni le droit, ni le pouvoir de la
corriger, ce soin n’appartenant et ne pouvant apparte
nir qu’au législateur.
. J j ;
;V
’
'
* ' 1'
— Le paragraphe 2 de l’art. 32 régit les cer
tificats d’addition, comme les brevets d’invention ou de
perfectionnement. Le défaut d’exploitation ou son aban
don pendant deux ans , qui entraîne la déchéance pour
«ceux-ci, l’entraînerait également pour ceux-là. Dans ce
cas, le point de départ du délai se placerait au jour de
la signature du certificat.
454.
1 In v e n t, breveté, pag. 579
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
433
455.
— Troisième cause de déchéance : Introduc
tion eu France des objets fabriqués en pays étrangers,
et semblables à ceux qui sont garantis par le brevet.
Le légitime et patriotique désir d’assurer à notre in
dustrie la gloire de ses découvertes, et de protéger le tra
vail national, avait déterminé le législateur de 1791 à
déclarer déchu de son brevet, en France , l’inventeur
qui , pour protéger sa découverte à l’étranger , y avait
demandé et obtenu un brevet. C’était pousser la rigueur
au delà de toute limite raisonnable. Aussi , non-seule
ment le but qu’on se proposait n’avait-il pas été atteint,
mais on avait, au contraire, abouti à ce résultat : que
ce qui devait être une faveur pour notre commerce et
notre industrie , n’avait été pour l’un et pour l’autre
qu’une cause d’infériorité et de préjudice.
456.
— Eclairé par les réclamations et les plaintes
unanimes de nos industriels, le législateur de 1844 de
vait déserter celte voie , de toute part condamnée. Il avait, d’ailleurs, pour le faire une autre raison décisive.
Dès q u e , par une plus juste appréciation des exigences
du droit international, il admettait l’étranger à se faire
breveter en France, il n’aurait pu, sans inconséquence,
interdire aux français de se faire breveter à l’étranger.
Ce qui était réellement convenable et utile, c’était, en
échange du monopole résultant du brevet, d’assurer à la
France les avantage® que pouvait offrir l’industrie qui
en faisait l’objet, même pendant la durée du monopole.
C’est dans ce but que le paragraphe % exige une ex-
�434
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
ploitation sérieuse et réelle, pouvant et devant, dans une juste limite, satisfaire aux besoins de la consomma
tion.
Mais , à côté des consommateurs se plaçaient les tra
vailleurs. L’intérêt de ceux-ci étant non moins précieux,
non moins sacré que l’intérêt de ceux-là, il était indis
pensable de lui assurer une égale et efficace protection.
Cette nécessité a dicté le paragraphe 3 de l’art. 32,
que l’Exposé des motifs justifiait en ces termes :
« L’intérêt du pays veut qu’en échange du mono» pôle qui lui est concédé , le breveté fasse profiter le
» travail national de la main-d’œuvre résultant de l’ex» ploitation de son industrie ; s’il en était autrement, le
» brevet ne serait qu’une prime accordée à l’industrie
» étrangère. »
La commission de la chambre des Pairs , se plaçant
à ce même point de vue, s’associait à la pensée du Gou
vernement.
« Nous approuvons complètement cette dernière cau» se de déchéance , disait son rapporteur. En effet, ce
» ce que la loi accorde à un inventeur c’est, non un mo» nopole de commerce proscrit par notre législation gé» nérale, mais un monopole industriel. Dès lors faut-il
» que ce monopole s’exerce au profit de notre indus» trie et de nos travailleurs, et, par conséquent, sur le
» sol français. »
Le but que se proposaient le Gouvernement et la com
mission semblait devoir assurer, à la disposition qui de
vait le réaliser, une adhésion unanime. Il n’en fut rien
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
455
cependant, et plusieurs honorables pairs s’opposèrent à
une prohibition qu’ils signalaient comme sans efficacité
réelle , e t , dès lors , comme une sévérité non justifiée
pour les brevetés. Mais , entraînée par les réponses de
l’habile rapporteur, la majorité de la Chambre n’hésita
pas à l’inscrire dans la loi.
457.
— La prohibition ayant pour objet unique la
protection du travail national, on ne pouvait raisonna
blement l’étendre aux cas où cette protection ne pou
vait recevoir aucune atteinte. Elle ne devait pas surtout
aboutir à ce résultat, de retirer d’une main à l’étranger
la faculté de se faire breveter en France que lui concé
dait, de l’autre, l’art. 29.
O r, l’exercice de cette faculté était dans le cas d’exi
ger l’importation, en France, des modèles des machines
ou des échantillons des produits pour lesquels le brevet
était demandé. En effet,ainsi que l’observe M.Nouguier,
loin de chercher à se créer , à l’aide du droit exclusif
résultant de son brevet, le monopole , en France , du
commerce d’objets fabriqués à l’étranger , le breveté,
par l’introduction de ces modèles ou échantillons, s’ap
prête à faire profiter le travail national de la maind’œuvre qu’exigera l’exploitation dont il prépare et as
sure la mise en pratique.'
L’intérêt même qu’on voulait servir exigeait, donc,
qu’on restreignît la prohibition au cas pour lequel elle
�456
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
était édictée. Fallait-il, pour satisfaire à cette exigence,
consacrer une exception dans la limite que nous venons
d’indiquer ?
Admettre cette exception sans condition, sans contrô
le, c’était s’en référer à la discrétion du breveté qui,
sous prétexte de modèles ou d’échantillons , se livrerait
à une introduction sur une échelle plus ou moins vaste,
et éluderait ainsi la loi dans une certaine proportion.
Le désir de ne pas contrarier une introduction plutôt
utile que nuisible , et d’en empêcher l’excès dans tous
les cas, inspira la pensée d’en conGer le contrôle au mi
nistre de l’agriculture et du commerce. On ajouta donc
à l’art. 32 un dernier paragraphe eonçu en ces termes:
Sont exceptés des dispositions du précédent paragra
phe les modèles de machine dont le ministre de l'agri
culture et du commerce pourra autoriser l'introduc
tion dans le cas prévu par l'art. 29.
458.
— Ce que l’administration avait conclu de cet
appel à l’art. 29, c’est que l’introduction ne pouvait être autorisée que lorsque l’objet à introduire était un
modèle de machine, ou que lorsque l’introducteur déjà
breveté à l’étranger demande à produire un modèle à
l’appui de sa demande d’un brevet en France.
D’où il résultait, disait plus tard l’Exposé des motifs
de la loi do 1856 , que l’industriel, exploitant, pour la
fabrication du même objet, un brevet en France et un
à l’étranger, ne pouvait jouir du bénéGce de l’exception
mentionnée en l’art. 32 ; car cette exception était limi-
�SUR LES BREVETS ï l ’lNVENTION
457
lée au cas où l’auteur de l’invention faisait coïncider sa
demande de brevet en France avec sa demande d’in
troduction du modèle de la machine brevetée à l’é
tranger.
459.
— L’Exposé des motifs déclarait, lui-même,
qu’il était permis de penser que cette interprétation tex
tuelle n’était pas parfaitement conforme à l’esprit de la
loi. Aussi avait-elle été repoussée par les tribunaux.
L’autorité judiciaire s’inspirant exclusivement de cet es
prit, refusait d’appliquer la peine de déchéance, lorsque
l’introduction, faite sans autorisation , n’était pas , par
sa nature, dans le cas d’occasionner la moindre atteinte
au travail national.
Ainsi, le 11 juillet 1846, la cour de Douai jugeait :
1” Que l’importation de produits similaires ri’entraine la déchéance qu’autant qu’elle a lieu dans le but de
frauder la loi et de faire concurrence au brevet; que,
par conséquent, l’introduction faite de bonne foi , eu
France, d’une minime quantité de marchandises qui ne
sont pas destinées au débit et à la circulation mercan
tile , ne se plaçait pas sous le coup de la pénalité de
l’art. 32;
2° Que la prohibition d’importation n’atteint pas les
matériaux destinés à la construction de l’appareil pro
ducteur, lorsque le brevet a été pris, non pour la fabri
cation des machines , mais pour le débit des produits et
pour le système de construction , consistant dans l’a -
�458
LOI DU 6 JUILLET
1844
gencement des diverses parties de l’appareil et les dis
positions d’ensemble.'
La cour de Paris, qui s’était prononcée dans ce der
nier sens dès le 13 août 1840, et sous l’empire des lois
de 1791 \ jugeait, le 8 juin 1855 , que , lorsque des
machines brevetées , par exemple des machines à cou
dre, n’ont été introduites , en France , que comme lieu
de transit, et qu’elles y ont été momentanément dépo
sées seulement comme modèles et pour s’attirer ainsi,
soit des acquéreurs du brevet, soit des associés pour
l’exploitation , il n’y a pas contravention à l’art. 3 2 , et
la déchéance n ’est pas encourue.3
460.
— Cette interprétation de la loi, qui avait reçu
l’assentiment unanime de la doctrine, n’avait pas guéri
l’administration de ses honorables scrupules ; mais elle
l’avait déterminée à s’adresser au pouvoir législatif pour
modifier en ce sens l’art. 32. Cette modification fut con
sacrée par la loi du 31 mai 1856.
Désormais, donc, le ministre de l’agriculture pourra,
dans tous les cas, autoriser l’introduction : 1® des mo
dèles de machine ; 2° des objets fabriqués à l’étranger,
destinés à des expositions publiques, ou à des essais faits
avec l’assentiment du Gouvernement.
1 J. du P., 1846, 2, 446
s
Ibid., 1 8 4 0 ,2 ,6 9 2 .
3 S. V , 55, 2, 580.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
459
461.
— La faculté d’autoriser l’introduction des
modèles de machines , ou d’objets destinés à des expo
sitions publiques, ne souleva aucune difficulté, ne ren
contra aucune opposition.
Il n’en fut pas de même, quant aux objets destinés à
des essais. On reprochait à la loi de n’être pas assez in
dicative , quant à la nature et au nombre des objets,
quant aux circonstances dans lesquelles l’introduction
pourrait être autorisée ; de ne pas être explicite, quant
aux personnes à autoriser. Le ministre, disait-on, auto
risera-t-il l’essai par le breveté seulement et pour son
compte , ou bien le ministre autorisera-t-il l’essai au
profit de tiers, en faveur d’un seul manufacturier ou en
faveur de plusieurs ? L’autorisation accordée à un seul
serait un privilège qui préjudicierait à tous; accordée à
plusieurs ou à tous, elle deviendrait une lésion pour le
travail national.
Il est vrai, ajoutait-on, que ces craintes d’une appli
cation poussée jusqu’à l’abus sont détruites, pour l’épo
que actuelle, par la confiance qu’inspirent et les actes
du Gouvernement et la déclaration solennelle faite na
guère, en son nom, de ses principes en matière de pro
tection du travail national contre une concurrence étran
gère envahissante. Mais les lois permanentes doivent,
non-seulement pourvoir au présent , mais encore pré
voir et les hommes de l’avenir et les inconvénients qui
naîtraient d’elles.
La commission de la chambre des Députés répondait,
par l’organe de son rapporteur : Il est vrai que la loi
�460
LOI
DU
5
JU ILL ET
1844
doit prévoir. Mais ce principe des législateurs de tous les
temps a-t-il fait qu’il existe une lo i, même parmi les
plus sages, qui ne puisse être exagérée dans l’applica
tion et poussée jusqu’à l’abus ? Il faut donc examiner et
adopter le bien que propose la lo i, sans nous laisser
trop dominer par la crainte d’une application impru
dente dans l’avenir. D’ailleurs , l’intention de la loi se
manifeste dans cette expression : essai, et le Gouverne
ment comprend cette expression, comme la commission
elle-même , dans le sens le plus restrictif et , à la fois,
le plus protecteur du travail national et de l’agricul
ture.
462.
— Ces considérations, qui déterminèrent l’adopliori de la loi , en précisent le sens et la portée. La
faculté qu’elle concède au ministre du commerce et de
l’agriculture est circonscrite à des cas d’exception, et ne
doit être exercée que lorsqu’elle n’est pas dans le cas
de porter atteinte au travail national.
On s’en est avec raison référé , à cet égard , à l’ap
préciation du ministre , et on devait le faire , car il ne
pouvait entrer dans la pensé de personne qu’un minis
tre français pût jamais trahir l’intérêt qu’il a mission de
sauvegarder. Aussi , lui a-t-on concédé une faculté , et
non imposé un devoir. En conséquence , quelle qu’elle
soit , sa décision est souveraine et à l’abri de tout re
cours, de toute attaque.
L’introduction réalisée sans l’autorisation , et à plus
forte raison contre son refus , en traînerait la déchéance
�461
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
du brevet , mais dans les conditions prévues par la loi
exclusivement.
465.
— Or, on pourrait fort bien vouloir faire in
directement ce qu’il est prohibé de faire directement.
La facilité qu’on aurait à atteindre ce résultat était un
des arguments que l’opposition à la chambre des Pairs
.faisait valoir , en 1844 , contre la prohibition. En fait,
disait-on, il s’introduit, en France, beaucoup de machi
nes semblables à celles qui s’y fabriquent. Il suffit de
les introduire par pièces, les unes par le nord, les autres
par le midi.
C’est fort possible. Mais comment empêcher celte in
troduction , si elle a pour objet des machines tombées
dans le domaine public. La loi de 1844 e t , plus lard,
celle de 1856 n’ont eu et ne pouvaient avoir en vue que
le breveté auquel elles pouvaient imposer des conditions
en échange du monopole qu’elles lui reconnaissaient.
Par rapport à lui, l’argument n’a aucune valeur. On
ne peut admettre , en effet, que les intéressés , que la
justice elle-même puissent être trompés, et confondre le
simple ajustage des pièces arrivées de divers côtés, avec
la construction que la loi exige en faveur du travail na^
tional. La preuve que les divers organes de la machine
n’ont pas été confectionnés en France , et cette preuve
sera facile , établirait la violation de l’art. 32 et ferait
prononcer la déchéance.
4 6 4 . — On objectait encore que le breveté qui vou»
....
�m
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
drait éluder la loi, n’agira jamais en son nom person
nel. Ce sont des tiers complaisants qui introduiront pour
son compte. A quoi bon , dès lo rs, interdire à l’un ce
qui est licite et permis pour les autres ?
L’article 41 répond à cette dernière partie de l’argu
ment. Il est si peu permis aux tiers d’introduire , en
France , des objets semblables à ceux qui y sont breve
tés , que cet article considère cette introduction comme
une contrefaçon , et la punit des peines édictées contre
celle-ci.
Reste la possibilité d’une collusion entre le breveté et
les tiers introducteurs. Mais la loi spéciale n’avait au
cune précaution à prendre contre cette fraude dont la
répression est assurée par les principes généraux du
droit. La participation du breveté à la violation de la
loi l’en rendrait au moins complice, et l’en ferait juste
ment déclarer responsable.
On doit même , à cet égard, remarquer que la con
duite du breveté pourrait devenir une arme terrible con
tre lui. Il a , en effet, le droit de poursuivre les intro
ducteurs, de les faire punir comme contrefacteurs, d’ob
tenir la confiscation à son profit et une allocation de
dommages-intérêts.
S’il s’abstient de poursuivre , s’il laisse publiquement
débiter et vendre des objets similaires importés de l’é
tranger , comment interpréter une conduite si évidem
ment contraire à ses intérêts ? La seule explication qui
s’offre naturellement, c’est que l’introduction est le ré
sultat d’un concert, et que ne pouvant l’opérer lui-mê-
�/
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
463
me, il la réalise par le concours plus ou moins intéressé
de ses auteurs apparents.
On n’hésiterait donc pas à la considérer comme lui
étant propre et personnelle , et à l’en punir par la dé
chéance de son brevet.
4 6 5 . — De quelque manière donc que se réalise
l’introduction illégale, que la violation de la loi soit di
recte ou indirecte , la déchéance est encourue ; mais,
nous le répétons, il n’y a introduction illégale que dans
l’un des cas prévus par l’art. 32.
On devrait donc juger, aujourd’hui, ce que les cours
de Douai et de Paris jugeaient en 1846 et 1855. On ne
considérerait pas comme violant la prohibition de la loi
l’introduction de quelques échantillons de marchandi
ses, ou celle de machines n’ayant d’autre but que celui
de trouver ou des associés ou des cessionnaires du bre
vet.
A rt.
35.
Q u ico n q u e dans des en seign es , an n on ces ,
p rosp ectu s , affiches , m arques o u estam pilles
prendra la qu alité d e b rev eté sans p osséd er un
b rev et d éliv ré c o n fo rm ém en t aux lo is ou après
l’exp iration d ’un b rev et antérieur \ ou qui étant
�464
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
b re v eté m entionnera sa qu alité de b rev eté sans y
ajouter ces m ots : s a n s g a r a n tie d u G o u v e r n e
m e n t , sera p u n i d ’une am end e de cin q u an te à
m ille francs.
E n cas de récid iv e l’am en d e pourra être p o r
tée au d o u b le.
S O M M A lfiï
466 Objet et but de l'article.
467 Caractère de la prohibition de prendre la qualité de breveté
en l’absence d’nn brevet.
468 Reproche fait à la loi.—Réponse.
469 Le breveté pour un objet ne peut se dire breveté d’une ma
nière générale et absolue dans l’annonce d’autres mar
chandises.
470 La prise de la qualité de breveléaprès l’expiration d’un bre
vet contrevient à l’art. 33.
471 Peu importe que celte expiration résulte de l'échéance du
terme ou de l'annulation du brevet.
472 La prise illégale de qualité peut résulter implicitement des
termes de l’annonce.
473 Nécessité de faire suivre l’indication du brevet de ces mots :
sans garantie du Gouvernement.
474 Comment s’exécute cette prescription.— Caractère de l ’an
nonce faite en lettres autres que celles de l’indication
du brevet.
475 De celle qui se borne aux quatre initiales s.g d.g.
476 Peine édictée contre l’inobservation de l ’art. 33.
�SLR LES BREVETS D’iNYENTION
465
466.
— De tout temps on a été généralement porté
à considérer un brevet comme une garantie du mérite
et de la valeur de l’invention , et le charlatanisme n’a
que trop cherché à propager , à accroître et à exploiter
une idée si favorable à son intérêt. Depuis longtemps
aussi les chambres de commerce , signalant cet état des
choses comme également fâcheux pour le commerce
qu’il discrédite et pour les consommateurs qu’il abuse,
demandaient qu’il y fût remédié.
Entrant dans cette voie , le législateur de 1844 avait
voulu détruire cette fausse croyance qui n’aboutit, le
plus souvent, qu’à la déception la plus complète, en in
scrivant formellement dans la loi la déclaration qu’en
délivrant le brevet, le Gouvernement ne garantissait ni
la réalité ni le mérite de l’invention.
Mais cette déclaration ne pouvait être qu’un palliatif
insuffisant. Si, en droit, nul n’est censé ignorer la loi ;
en fait, une foule de gens l’ignorent, et sont même dans
l’impossibilité de la connaître , et ce sont précisément
ceux-là qui sont le plus accessibles aux trompeuses a amorces du charlatanisme.
Dominée par cette idée, la commission de la chambre
des Députés proposa d’ajouter, au projet du Gouverne
ment , une disposition additionnelle q u i, unanimement
adoptée par les deux Chambres, devint l’art. 33 de la
loi.
467.
— Aux termes de sa disposition , nul ne peut,
dans des enseignes, annonces, prospectus, marques ou
�466
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
estampilles, prendre la qualité de breveté sans posséder
un brevet délivré conformément aux lois, ou après l’ex
piration d’un brevet antérieur.
Cette prohibition est naturelle et légitime. Prendre
mensongèrement la qualité de breveté, c’est entraver une
concurrence licite , abuser dé la crédulité publique , et
nuire au commerce et aux consommateurs.
Mais une pareille ruse est trop grossière et sa consta
tation trop facile pour qu’on ait pu sérieusement la re
douter. Il n’est pas d’exemple qu’elle ait été tentée.
4 6 8 . — Aussi, M. Renouard reprochait-il à la loi
de consacrer une inutilité, et l’accusait-il de faire du
charlatanisme de répression contre d’insaisissables char
latans.
C’est possible. Cependant avant la loi de 1844, le fait
interdit par la loi n’avait pas.manqué de se produire,
et de soulever des réclamations et des plaintes. Si ce fait
a disparu depuis, parce que la loi a permis de saisir ce
qui, avant elle, était insaisissable , son utilité ne saurait
être contestée : son efficacité en est la preuve invincible.
4 6 9 . — Cette utilité est bien plus incontestable en
core, à cet autre point de vue : un industriel qui a ob
tenu un brevet, pour un produit, ne se borne pas tou
jours à fabriquer et vendre ce produit. Le plus souvent,
au contraire, il exploite plusieurs autres articles. Il pour
rait être tenté d’abuser de son brevet, en prenant d’une
manière générale et absolue la qualité de breveté dans
�SUR UES BREVETS D’INVENTION
467
des annonces, affiches el prospectus énumérant tous les
objets de son commerce.
Or, l’art. 33 prévient et réprime cet abus. La qualité
de breveté ne peut être prise qu’à l’occasion de ce qui
fait la matière du brevet exclusivement. Celui - là donc
qui se la donnerait sans restriction, et qui tenterait ainsi
d’abuser de la confiance publique en inspirant la fausse
croyance qu’il est breveté pour tous les objets qu’il dé
bite, contreviendrait à l’art. 33 et encourrait la pénalité
qui y est édictée.
470.
— La loi place sur la même ligne le défaut de
brevet et l’expiration du brevet antérieur. Il n’y avait
pas, en effet, de raison de distinguer. D’abord , parce
que l’annonce d’un brevet mettant obstacle à la concur
rence , on ne saurait, sans préjudicier au commerce et
aux consommateurs, faire supposer que l’obstacle existe,
alors qu’il a disparu ; ensuite, parce que celui qui a été
breveté et qui ne l’est plus , est, pour l’avenir, exacte
ment comme celui qui ne l’a jamais été.
T
" 4 7 1 . — La loi, en ce qui concerne le brevet expiré,
ne distingue pas l’expiration arrivée par l’échéance du
terme, de celle résultant de la nullité judiciairement pro
noncée. Le droit privatif cessant dans les deux cas , on
ne peut plus se donner une qualité irrévocablement
perdue.
Toutefois, la nullité ne produit cet effet que si elle est
absolue. La nullité relative ne profitant qu’à la partie
qui l’a requise et obtenue, laisse le brevet subsister pour
�468
LOI DU 6 JU ILLET
1844
le public. Ori ne saurait donc empêcher son titulaire de
continuer à se dire breveté.
4 7 2 . — Ici, comme p artout, comme toujours, on
ne saurait faire indirectement ce qu’il n’est pas permis
de faire d’une manière directe. Il n’y a, quant à la prise
de la qualité de breveté, rien de sacramentel dans l’ar
ticle 33. Le délit existe , et la peine est encourue toutes
les fois que, des termes des annonces, affiches ou pros
pectus, on peut même implicitement induire l’existence
du brevet.
Ainsi, celui q u i, en annonçant un produit, déclare
qu’il poursuivra les contrefacteurs, prend, en réalité, la
qualité de breveté. Le droit de poursuivre la contrefa
çon n’appartient qu’au titulaire d’un brevet. Donc , se
réserver ce d ro it, c’est évidemment prendre la qualité
de breveté.'
Mais on peut, à toute époque, se dire le seul ou le
premier inventeur de l’objet qu’on annonce. La qualité
d’inventeur ne confère par elle-même aucun privilège.
Celui-ci ne résulte que du brevet. Dès lors, se qualifier
inventeur, sans indiquer explicitement ou implicitement
la qualité de breveté , c’e st, non prendre cette qualité,
mais la répudier.
4 7 3 . — L’annonce d’un brevet réellement obtenu,
et encore en vigueur, ne saurait être empêchée. Elle n’est
i Nouguier, n° 706; — Et. Blanc, L ’in v e n l. b re v eté, pag. 607.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTlON
469
474.
— Mais, M. JRenouard l’avait fort bien prévu.
Le charlatanisme est un protée qui sait varier ses for
mes, et n’hésite pas à éluder la loi, lorsqu’il ne peut ou
vertement la violer. Il était trop intéressé à faire croire
que le brevet est une garantie de la réalité et du mérite
de l’invention, pour qu’il se résignât à déclarer explici
tement le contraire.
En conséquence, on a d’abord , ne pouvant désobéir
ouvertement à la loi , dissimulé l’annonce du défaut de
garantie en l’imprimant en toutes lettres , mais en ca
ractères à peine lisibles ; puis on s’est contenté des qua
tre lettres : s.g.d.g., qu’on a eu soin de rendre aussi
imperceptibles que possible. Est-ce là exécuter la loi ?
MM. Nouguier et Et. Blanc trouvent le premier mode
suffisant. La loi est exécutée , disent-ils , dès qu’à côté
de l’annonce on a pu lire la déclaration de non garan-
m.
que l’exercice d’un droit qui, loin de nuire au public,
lui profite en ce sens qu’il le met en garde contre
toute tentative de contrefaçon.
Mais cette amorce ne devait pas être , pour les con
sommateurs, une amorce trompeuse. Aussi , la loi ne
l'autorise-t-elle que si l’indication du brevet est accom
pagnée des mots : sans garantie du Gouvernement. L’o
mission de cette clause est prévue et punie par l’art. 33.
La fidèle observation de cette prescription était impo
sée par la nécessité de donner à l’art. 11 celte publicité
que l’intérêt public exigeait , et qui garantissait le res
pect dû à la confiance publique.
�470
LOI DU
6
JU ILLET
1844
tie. M. Duvergier est d’avis contraire, et estime que cette
déclaration doit être faite en caractères identiques à ceux
de l’annonce du brevet.
On peut considérer cette dernière opinion comme
bien sévère. Il faut néanmoins reconnaître qu’elle n’est
pas sans fondement, en raison et en droit.
La raison indique qu’une disposition de loi doit être
obéie dans son esprit comme dans son texte. Or, l’arti
cle 33 a voulu mettre un terme à la propagation et à
l’exploitation de l’idée, généralement répandue, qu’un
brevet était une garantie de la réalité et du mérite de
l’invention, en mentionnant expressément le contraire.
Faire cette mention en caractères microscopiques et à
peine visibles , est-ce sérieusement obéir à la loi ? Quel
peut être le but de ces efforts pour cacher au public ce
qu’il a tant d’intérêt à connaître, ce que la loi a voulu
qu’il connût ? Evidemment , on n’agit ainsi que parce
qu’on a intérêt à le faire , et cet intérêt n’est autre que
l’espérance de ne pas dissiper une erreur qu’on a tant
d’avantages à exploiter.
4 7 3 . — Au reste , si des doutes pouvaient exister
sur la suffisance de ce premier mode , il ne saurait en
exister aucun sur le caractère du second. Se borner à
faire suivre l’annonce du brevet des lettres minuscules
s.g.d.g. c’e s t, non exécuter la lo i, mais la violer. La
doctrine est unanime sur ce point.1
1 Nouguier, n° 702; — Et. Blanc, pag. 608; — Calraels, il0 266.
�SUR LES BREVETS D’itfVENTION
471
La jurisprudence, dans le seul exemple d’applicatiôn
qu’elle nous offre , a décidé en ce sens. Ainsi, le tribu
nal correctionnel de Nancy, sur la poursuite du minis
tère public, déclarait qu’une pareille annonce était irré
gulière et proscrite par la loi.'
C’est cependant l’usage contraire qu’on a laissé s’in
troduire et s’acclimater dans la pratique, donnant ainsi
au charlatanisme le facile moyen de rendie stériles les
précautions imaginées contre l u i , et d’exploiter la cré
dulité de ceux pour qui les lettres s.g.d.g. n’ont et ne
peuvent avoir aucun sens.
Ce résultat est fort regrettable , et laisse sans protec
tion la classe qui a le plus besoin d’être protégée. Ne
faudrait-il pas l’attribuer à ce qu’on a trop désintéressé
le public à la répression de la violation de l’art. 33.
Sans doute, tout le monde est recevable à s’en plain
dre et à la poursuivre ; mais, comme la peine se réduit
à une amende, même en cas de récidive, on est généra
lement porté à s’abstenir de procès, dont, en définitive,
on ne doit retirer ni profit actuel, ni un avantage dans
l’avenir.
La commission de la chambre des Députés avait pré
vu cette indifférence, et, pour y remédier, elle proposait
de déclarer qu’en cas de récidive le breveté serait déchu
de son brevet. Il est certain que l’intérêt que le com
merce avait à celte déchéance et le désir d’en préparer
et d’en hâter l’avénement, n’aurait pas manqué de sai1 Gazette des tribunaux du 9 octobre 185t.
�472
LOI DU 6 JU ILLET 1 8 4 4
sir avec empressement l’occasion qu’aurait offert l’inex
écution, ou l’observation irrégulière de l’art. 33.
Mais la peine de la déchéance parut hors de toute
proportion avec le fait qu’elle avait pour but de répri
mer. La proposition de la commission fut rejetée. L’ex
périence a prouvé que le danger que cette commission
voulait empêcher n’avait rien de chimérique. L’indiffé
rence du public, à l’endroit des prescriptions de l’arti
cle 33, a été telle, qu’il n’y a pas d’exemple d’une pour
suite, à ce sujet, de la part de commerçants, industriels
ou consommateurs.
Le défaut de tout intérêt, au résultat de la poursuite,
rend raison de cette indifférence. Ce qui s’explique
moins , c’est la tolérance de l’administration qui , sans
doute , est cause de l’inaction du ministère public. En
l’état, le charlatanisme se joue de la lettre de la loi. Sa
formule ne trompera pas les hommes intelligents et in
struits. Mais ce n’est pas à eux qu’il s’adresse, et, quant
à ceux qu’il exploite.ee ne seront pas les lettres s.g.d.g.
qui les mettront à l’abri de ses perfides amorces.
4 7 6 . — La violation des prescriptions de l’art. 33
est punie d’une amende de 50 fr. à 1000 fr.,qui pourra
être portée au double, en cas de récidive.
FIN DU PREMIER VOLUME.
�TABLE DES MATIÈRES DU Ier VOLUME
Observations générales.............................
'
Première partie : Loi s u r l e s b r e v e t s d ’i n v e n t i o n .
Titre I", Dispositions générales. — Articles 1 et 2. . . 21
Article 3 ...............................................................................65
Article 4 .............................................................................. 91
Titre IL Des formalités relatives à la délivrance des brevets.
—Section I, Des demandes de brevets.—Articles 5 , 6 et 7. 104
Article 8 .............................................................................142
Section I I , De la délivrance des brevets. — Articles 9, 10
et 1 1
Articles 12 et 13
Articles 14 et 15
Section III, Des certificats d’addition. — Articles 16 et 17
Articles 18 et 19..........................................................
Section IV, De la transmission et de la cession des brevets
— Articles 20 et2 1......................................................... 236
Article 22.............................................................................275
Section V, De la communication et de la publication des
descriptions et dessins de brevets. — Articles 23, 24, 25
et 26 ......................................................................... 297
Titre III, Des droitsdes étrangers.—Articles 27, 28 et 29. 312
Titre IV, Des nullités et déchéances et des actions y relati
ves.— Section I, Des nullités et déchéances. — Articles
30 et 3 1 ........................................................................ 3 3 3
Article 32...........................................
418
Article 33......................................................................... 4 6 3
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/331/RES-20982_Bedarride_Brevet-2.pdf
a6f8ae807522df3f8e41424125b86d73
PDF Text
Text
DROIT COMMERCIAL
COMMENTAIRE DES LOIS
SUR LES
BREVETS D’INVENTION
SUR LES NOMS
DES FABRICANTS & DES LIEUX DE FABRICATION
SUR
Tome 2
LES MARQUES DE FABRIQUE ET DE COMMERCE
SUIVI D’UN APPENDICE
CONTENANT LES ACTES ET DOCUMENTS OFFICIELS ET LÉGISLATIFS
»
PAR
J. B
ÉDARRDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
1880
�DROIT COMMERCIAL
COMMENTAIRE DES LOIS
SUR LES
BREVETS D’INVENTION
SUR LES NOMS
DES FABRICANTS & DES LIEUX DE FABRICATION
SUR
LES MARQUES DE FABRIQUE ET DE COMMERCE
SUIVI D’UN APPENDICE
CONTENANT LES ACTES ET DOCUMENTS OFFICIELS ET LÉGISLATIFS
»
PAR
J. B
ÉDARRDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
1880
��PREMIÈRE PARTIE
LOI
SUR
LES
BREVETS
D’INVENTION
TITRE IV
O US N U L L IT É S UT DÉCHÉANCES
ET DUS ACTIONS Y RELA TIVES
SECTION II
Des Actions en N ullités et en Déchéances.
Art.
34
L’action en nullité et l’action en déchéance
pourront être exercées par toute personne y
ayant intérêt.
Ces actions , ainsi que toutes contestations
n — 1
�â
LOI DU
6 JUILLRT 1844
relatives à la propriété des brevets, seront por
tées devant les tribunaux civils de première ins
tance.
A rt . 35.
Si la demande est dirigée en même temps
contre le titulaire du brevet et contre un ou
plusieurs cessionnaires partiels, elle sera portée
devant le tribunal du domicile du titulaire du
brevet.
A rt. 56.
L’afï’aire sera instruite et jugée dans la forme
prescrite pour les matières sommaires, par les
articles 4 0 5 et suivants du Gode de procédure
civile. Elle sera communiquée au procureur
impérial.
SOMMAIRE
477 Difficultés que le silence des lois de 1791, sur l'exercice de
l’action et sur la juridiction à investir, avait fait naître.
Induction qu’on en avait tiré.
478 Disposition de l’art. 34. — Quelle est la nature de l’intérêt
exigé comme condition de la recevabilité de l’action.
�SUR LES BREVETS û ’iNVENTION
3
479 Discussion à la chambre des Pairs.— Interprétation qu’elle
faisait des termes : y ayant intérêt.
480 Interprétation contraire parla chambre des Députés.
481 Caractère de celle-ci.
482 Indépendance absolue des tribunaux.
483 II n’est pas nécessaire que l’intérêt soit né et actuel.
484 Le prévenu de contrefaçon qui a été acquitté est recevable
à se pourvoir,au civil,en nullité ou déchéance du brevet.
485 A plus forte raison s’il avait été condamné.
486 Peut-il invoquer le moyen de nullité repoussé par le tribu
nal correctionnel ? — Opinion en sens inverse de MM.
Nouguier et Et. Blanc.
487 Caractère juridique de la négative.
488 La prise d’un brevet semblable à un précédent n’empêche
pas son titulaire‘de poursuivre la nullité du premier.
489 Cassation d’un arrêt de la cour de Paris qui avait décidé le
contraire.
490 Quel est le juge compétent pour connaître de l’action. —
Pratique suivie sous les lois de 1791.
491 Attribution des actions en contrefaçon aux tribunaux cor
rectionnels, par la loi du 25 mai 1838. — Conséquence
quant à l’action en nullité ou déchéance.
492 L’article 34 consacre cette conséquence. — La nullité ou la
déchéance absolue ne peut résulter que d’un jugement
du tribunal civil.
493 L’administration peut-elle prononcer la déchéance pour dé
faut de paiement ?—Opinion de M. Et. Blanc pour l’af
firmative.
y
494 Examen et réfutation.
495 L’action doit être portéeau tribunal du domicilcdu breveté,
même en cas de cession.
496 Distinction suivant que la cession est totale ou partielle.
497 Le poursuivant a la faculté , mais non le devoir de mettre
en cause les cessionnaires.— Droit de ceux-ci à y inter
venir.
�4
LOI DU 6 JUILLET 1844
498 La citation ne pourrait être donnée devant le juge du domi
cile élu , soit dans la demande du brevet, soit dans le
procès-verbal de saisie.
499 Quid si le breveté est étranger ?
500 Quid. si le brevet a été mis en société ?
501 II est procédé comme en matière sommaire.—Motifs;
502 La demande est soumise au préliminaire de conciliation.
503 Elle est communicable au ministère public.— Objet et effet
de cette prescription.
477. — La question de savoir par qui et devant
quel tribunal devaient être exercées les actions en nul
lité ou en déchéance avait, sous l’empire de la législa
tion de 1791, soulevé quelques difficultés. Comme nous
l’avons déjà indiqué , on avait même admis que la dé
chéance, pour défaut ou retard de paiement, ne pouvait
être prononcée que par l’administration , sans que les
tiers fussent recevables à s’en prévaloir et à la poursui
vre.'
Quant aux autres causes de déchéances et à toutes
celles de nullité, on avait contesté qu’elles pussent faire
l’objet d’une action principale et directe de la part de
ces mêmes tiers. Pensez-vous que mon brevet est nul,
objectait le breveté; exécutez l’invention , et si je vous
attaque, vous opposerez la nullité ou la déchéance com
me exception ; mais quand je ne vous poursuis pas, à
quoi bon votre demande ? Vous ne savez pas si je me
plaindrai ; vous craignez que j’agisse ? Attendez ; jusi Supra n° 436.
�5
que là vous êtes non recevable ; et sans défendre à vo
tre demande, je vous en laisserai supporter les frais.
Cette objection n’avait pas été accueillie , et ne pou
vait l’être. Tant que le brevet existait, la loi garantissait
à son titulaire le droit exclusif d’exploiter l’invention
qui en était l’objet, et il n’était pas possible d’obliger les
citoyens à violer la loi , ce qui, d’ailleurs, n’aurait pas
été sans un immense danger pour eux. Supposez , en
effet, que leur opinion ne fût pas admise ; que le moyeu
de nullité ou de déchéance fût repoussé, ils étaient par
cela même convaincus de contrefaçon,1 condamnés aux
peines portées par la loi, à perdre les frais exposés pour
l’exécution de l’invention , à voir ses produits saisis et
confisqués , et à payer, en outre , des dommages-inté
rêts.
Le silence qu’aurait, d’abord, gardé le beveté pou
vait n’être qu’un piège pour laisser fabriquer une quan
tité plus considérable de marchandises et accroître ainsi
l’importance de la confiscation. Or, prévoir ce danger,
et se garder des s’y exposer était, non-seulement un
droit, mais encore un devoir ; et son exercice ne pouvait
qu’obtenir les sympathies et l’approbation de la justice.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
O
478. — C’est ce que la jurisprudence avait consa
cré, et c’est ce que le législateur de 1844 a inscrit dans
la loi. Aux termes de l’art. 34, l’action en nullité ou en
déchéance pourra être exercée par toute personne y
ayant intérêt.
Cette condition ne fait pas disparaître la difficulté ;
�6
LOI DU 6 JUILLET 1844
elle la déplace. On ne contestera plus que l’action ne
soit recevable avant toute poursuite de la part du bre
veté; mais on déniera à celui qui l’exerce l’intérêt qu’
exige la loi. Il importe donc de se bien fixer sur le sens
et l’étendue de cette exigence.
En fait, tout le monde, sans exception, a intérêt à la
nullité ou à la déchéance du brevet , les consomma
teurs plus encore que les producteurs. En effet, si ceuxci sont obligés de subir les exigences du breveté, ils
s’en rachètent par le prix de la revente. Donc , la libre
concurrence qui naîtra de la nullité ou de la déchéance
du brevet, en diminuant le prix de revient, fera obtenir
à meilleur marché les marchandises qu’on payait fort
cher jusque là.
Il y a là un intérêt évident pour les consommateurs
industriels ou non. Mais cet intérêt rendra-t-il, sans
distinction , les uns et les autres aptes à poursuivre la
nullité ou la déchéance ?
479. —• L’affirmative avait été admise par la cham
bre des Pairs. « Dans l’intérêt de l’industrie et de la
société, disait M. Dubouchage, l’article n’exige pas que
le poursuivant soit mécanicien ou fabricant, comme
l’inventeur. Mais toute personne peut être appelée, dans
l’intérêt de la société en général, et de l’industrie, à at
taquer le brevet. »
L’honorable rapporteur, M. de Barthélémy, était plus
explicite encore. « L’examen préalable étant complète
ment écarté , disait-il , il faut donner aux intéressés le
�7
droit de faire prononcer la nullité d’un brevet qui porte
atteinte à leur droit personnel et aux droits de tous.
Comme tout individu peut, d’un moment à l’autre, de
venir fabricant, mécanicien, chacun a droit de faire pro
noncer la nullité d’un brevet délivré pour une chose
qui n’est pas nouvelle , qui était la propriété de tout le
monde, et qu’un seul a voulu s’approprier. »
C’était là si bien reconnaître que tout le monde était
recevable à poursuivre la nullité ou la déchéance , que. .
M. de Boissy, qui avait proposé de dire : les actions
pourront être exercées par le ministère public et les
tiers, jugea son amendement inutile, et le retira.
SUR LES BREVETS D’INVENTION
480.. — Mais , déclarer tout le monde recevable à
poursuivre, c’était proclamer qu’il y avait intérêt, puis
que celui-ci est et a toujours été la mesure de l’action.
À quoi bon, dès lors, exiger que le demandeur en nul
lité y eût intérêt ? N’était-ce pas dénier ce dont on pré
sumait l’existence. Aussi , lors de la discussion à la
chambre des Députés, M. Donatien Marquis demandaitil la suppression de ces mots de l’art. 34 : y ayant in
térêt. Comment prouvera-t-on qu’on y a intérêt, di
sait-il? Est-ce un intérêt direct? Est-ce un intérêt quel
conque ? Tout le monde a le droit de 'poursuivre une
déchéance.
Cette proposition, appuyée et soutenue par M. Vivien,
fut combattue par le rapporteur M. Philippe Dupin, qui
répondait : La pensée qui a présidé à la rédaction du
projet est celle-ci : en France, on ne connaît pas d’ac-
if
�'m ’
8
ü
ifil
[ j
LOI DU 6 JUILLET
1844
lion publique exercée par de simples citoyens ; ce serait
le seul exemple où un particulier serait admis, dans un
intérêt social et non personnel, à intenter une action
devant les tribunaux ; ce serait une chose exorbitante
d’introduire une disposition aussi anormale dans une
loi. On a donc réduit le droit de demander la déchéan
ce, au cas où )e demandeur aurait un intérêt personnel.
Mais l’intérêt peut être dans l’avenir comme dans le
passé ou le présent. Ainsi, un fabricant voudra faire usage d’une machine brevetée , par exemple , un mar
chand de drap voudra se servir de ce qu’on appelle une
tondeuse; il aura le droit d’attaquer celui qui, sans
droit, aurait pris un brevet pour cette machine. Mais il
faut qu’il y ait un intérêt réel, sérieux, justifié ; les tri
bunaux l’apprécieront. La loi ne peut le déterminer à
l’avance ; autrement on verrait des spéculateurs d’une
nouvelle espèce faire métier de plaider contre les per
sonnes brevetées, et se faire concéder un droit dans l’ex
ploitation, en les effrayant par la menace d’un procès.
481. •*- Ces observations déterminèrent M. Dona
tien Marquis à retirer sa proposition, et expriment dès
lors la pensée de la chambre des Députés. Il en résulte
que celle-ci a beaucoup restreint le sens si large que la
chambre des Pairs attachait aux mots de l’art. 34 : y
ayant intérêt. Mais si celle-ci, investie une seconde fois
de l’examen de la loi, a adopté l’art. 34, rien ne prouve
qu’elle ait accepté le commentaire dont M. Dupin l’a
vait accompagné. De telle sorte que la justice se trouve
!
�SUR LES BREVETS û ’iNVENTION
9
naturellement appelée à choisir entre ces deux interpré
tations, et qu’elle peut tout aussi bien admettre celle-ci
que celle-là.
Quant à nous , s’il nous était permis d’exprimer une
opinion , nous n’hésiterions pas à penser que, si , des
observations de M. Dupin, il fallait induire que ceux-là
seuls auront intérêt qui voudront exécuter l’invention ou
s’en servir , ce serait par trop restreindre le cercle que
la loi a dû se tracer. En effet, il ne nous parait pas pos
sible de laisser de côté la classe si intéressante des con
sommateurs sur q ui, en définitive , pèse tout le poids
du brevet.
Est-ce qu’on pourra ou on devra infailliblement re
pousser l’action de celui qui ne réclame la liberté d’in
dustrie, que parce que la concurrence qui en résultera
lui rendra plus accessible un objet qui lui est indispen
sable ? Est-ce qu’il n’a pas un intérêt réel, sérieux, jus
tifié à se procurer pour cinq ou dix francs ce qui lui
en coûte en l’état vingt ou trente ?
Donc , on ne saurait sans injustice lui dénier le droit
et le moyen d’atteindre à ce résultat. Qu’importe que
les conséquences de l’exercice de ce droit profitent au
public ? Aucune loi ne prohibe de faire le bien de tous,
en faisant triompher son intérêt propre. 11 suffit que
celui-ci soit en question , pour que le droit de le faire
triompher ne puisse rencontrer aucun obstacle dans son
exercice, quoi qu’il puisse en arriver.
Est-il vrai, d’ailleurs, que le particulier qui poursuit
la nullité du brevet exerce l’action publique que nos lois
�10
LOI DU
6 JUILLET 1844
interdisent aux simples citoyens ? Si peu, évidemment,
que, si la demande n’est jugée qu’entre le poursuivant
et le breveté, la nullité ne sera que relative, et ne pro
fitera qu’à celui qui l’a obtenue.
fia nullité ne devient absolue que si, se réunissant au
demandeur, le ministère public la requiert de son côté.
Donc, si la société profite du jugement, c’est qu’elle y a
été partie en la personne de son mandataire. L’action
publique a donc été exercée par celui qui en avait le
droit, et non par le demandeur qui a seulement provo
qué celte action, et a fourni l’occasion de la réaliser.
482. — Au reste , l’indépendance absolue des tri
bunaux est dans le cas de corriger ce que l’une ou l’au
tre interprétation peut avoir d’excessif, et de concilier
toutes les exigences. Le respect dû au brevet ne fera, ni
méconnaître , ni repousser l’intérêt que le poursuivant
peut avoir à sa suppression. La décision du juge, à cet
égard, est souveraine , et c’est moins dans la qualité de
la partie que dans les circonstances spéciales à chaque
espèce qu’il en puisera, qu’il doit en puiser les élé
ments.
D’autre part, la question de savoir si le poursuivant
a ou non intérêt, sera d’avance résolue par la cause mê
me qui le fait agir. Le plus souvent, en effet, l’action en
nullité ne sera que la conséquence des prétentions du
breveté , d’une saisie , d’une poursuite en contrefaçon.
L’intérêt à se soustraire aux effets de l’une ou de l’au
tre est trop évident pour qu’on craigne de le voir con-
�11
tester par le breveté, méconnaître ou dénier par le
juge.
SUR LES RREVETS D’iNVENTlON
483. — Ce qu’il importe de retenir de la discus
sion législative que nous venons d’exposer , c’est que,
contrairement à ce qui se réalise en matière ordinaire,
l’intérêt motivant l’action n’a pas besoin d’être né et ac
tuel. Qu’il existe dans le présent, qu’il ait existé dans le
passé, qu’il doive exister dans l’avenir , l’exigence de la
loi est satisfaite. Les paroles même de M. Philippe Du
pin sont aussi explicites que claires , et la doctrine n’a
pas hésité à les considérer comme la règle à suivre en
ces circonstances.
484. — Celui qui est poursuivi comme contrefac
teur peut proposer l’exception de nullité ou de déchéan
ce devant le tribunal correctionnel. L’action qu’il por
terait en cet étal, devant le tribunal civil, est-elle rece
vable ? Peut-elle être écartée pour cause de litispen
dance?
Le tribunal de la Seine avait cru devoir accueillir
celle-ci, et avait, en conséquence, renvoyé parties et ma
tière devant le juge correctionnel qui avait été le pre
mier saisi.
Mais, par arrêt du 14 janvier 1845, la cour de Paris
réforme le jugement, et déclare que la demande prin
cipale en nullité ayant des résultats tous autres que ceux
qui devaient résulter de l’exception dont le tribunal cor
rectionnel pouvait avoir à connaître, le moyen tiré de la
�iî
LOI DU 6 JUILLET 184-4
litispendance n’avait de fondements ni en droit ni en
fait.'
Ainsi, tant que le tribunal correctionnel n’a pas pro
noncé , ou tant que le jugement n’a pas acquis l’auto
rité de la chose jugée, c’est à dire tant que l’instance est
encore pendante, soit au tribunal, soit devant le juge
d’appel, l’inculpé peut directement saisir le tribunal ci
vil de la demande en nullité ou en déchéance, et celuici est tenu d’y statuer.
Ce droit n’est même pas atteint, si le juge correction
nel a repoussé la plainte. Il n’est que modifié , en cas
de condamnation.
Sans doute , le prévenu acquitté n’a plus à redouter
une nouvelle poursuite en contrefaçon, et le brevet dont
il a obtenu la nullité ou la déchéance n’a plus aucune
valeur en ce qui le concerne. Mais, comme nous le ver
rons tout à l’heure , le tribunal correctionnel ne peut
qu’accueillir ou repousser la plainte, et n’est pas même
autorisé à prononcer la nullité du brevet. Dans tous les
cas, cette nullité est purement relative, et laisse le brevet
conserver toute sa force à l’égard des tiers. Son titulaire
peut donc continuer à se dire breveté, dans des annon
ces, affiches ou prospectus , ce qui lui crée une position
exceptionnelle , et le recommande à la préférence des
consommateurs. Celui-là donc qui, en force du juge
ment correctionnel , est devenu son rival d’industrie,
1 du P , 1848, 1, 111.
�13
n’en est pas moins, relativement à la vente , dans une
position inférieure capable de lui occasionner un sérieux
préjudice. On ne saurait donc lui contester le droit de
faire cesser un pareil état des choses, en poursuivant la
nullité absolue du brevet.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
485. — L’intérêt de celui qui a été condamné com
me contrefacteur, à faire annuler le brevet, est bien plus
évident, bien plus incontestable encore. Si cette nullité
n’amnistie pas le passé et laisse à la condamnation toute
sa force , elle sauvegarde l’avenir , et permet d’exploiter
l’invention en toute sécurité.
486. — Aussi la recevabilité de son action n’a ja
mais pu être, n’a jamais été mise en question. L’unique
difficulté , née de son exercice , est celle de savoir s’il
peut fonder la nullité sur le moyen qu’il opposait com
me exception devant le juge correctionnel,et que celui-ci
a rejeté.
M. Nouguier se prononce pour l’affirmative. D’une
part, dit-il, le condamné, comme tout autre et plus que
tout autre, a intérêt à faire tomber le brevet qui a été la
source de sa condamnation ; d’autre p art, la décision
rendue, par les tribunaux de répression , n’a constitué
la chose jugée que sur le fait spécial objet de la préven
tion ; elle n’a pas eu pour conséquence d’enchaîner l’a
venir et de consolider le brevet.'
«
l N° 643.
/
�n
6 JUILLET 1844
A l’appui de l’opinion contraire, M. Et. Blanc estime
que celui qui a été condamné comme contrefacteur doit
fonder sa demande ultérieure en nullité ou en déchéan
ce, sur des griefs autres que ceux qu’il avait présentés
par voie d’exception. Ainsi, s’il a opposé la nullité, en
se fondant sur le cas prévu par le paragraphe 1er de
l’art. 30 , sa poursuite en nullité ne pourra être basée
que sur l’un des autres cas prévus par cet article ou par
l’art. 32. C’est là une application logique du principe
tutélaire : Non bis in idem , adopté autant dans l’intérêt
des plaideurs que dans celui de la justice, que la viola
tion de cette maxime exposerait à de fâcheuses contra
riétés de décisions.'
487. — L’opinion de M. Nouguier pouvait être ju
ridique sous l’empire des lois de 1791. Les tribunaux
correctionnels n’ayant pas été investis du droit de pro
noncer sur l’exception,n’avaient qu’à considérer le bre
vet lui-même , e t, tant qu’il n’avait pas été annulé , la
condamnation du contrefacteur était la conséquence for
cée de son existence. On pouvait donc soutenir avec rai
son que le tribunal n’ayant ni apprécié ni pu apprécier
le moyen de nullité, n’avait ni jugé ni même préjugé la
validité du brevet, mais l’avait seulement supposée.
La loi de 1844 a profondément modifié cet état des
choses. Désormais, le juge de répression a le droit et le
devoir d’examiner et d’apprécier l’exception de nullité,
1
T.OI DU
L'invent, brevet., pag. 687.
�15
de l’accueillir ou delà rejeter. L’étendue de ce droit est
parfaitement déterminé par ce fait : on proposait à la
chambre des Députés de considérer comme préjudicielle
l’exception de nullité, e t, en conséquence , d’obliger le
tribunal correctionnel de surseoir à statuer jusqu’après
décision du tribunal civil, et celte proposition ne fut
pas admise.'
Le tribunal correctionnel a donc mission de pronon
cer sur l’exception. Sans doute, son jugement se bornera
en définitive à rejeter ou à accueillir la plainte. Mais il
n’arrivera à ce dernier résultat, qu’en déboutant le pré
venu de son exception qu’il déclarera n’avoir aucun fon
dement.
Que cette décision soit, quant à la cause servant de
base à l’exception , sans autorité contre les tiers étran
gers au litige, c’est ce qu’on ne peut ni contester ni dé
nier. Mais il ne saurait en être ainsi, à l’égard de la par
tie elle-même. Que ferait-elle en portant devant le juge
civil le moyen qu’elle a vainement invoqué devant le
juge correctionnel, sinon demander au premier de réfor
mer la décision du second , c’est à dire méconnaître et
violer toutes les règles de la compétence ?
Il y a donc, à son égard, chose définitivement jugée
sur ce qui a fait la matière de l’exception, pour laquelle
elle s’était constituée demanderesse devant le tribunal
de répression. Donc, la soumettre plus tard au tribunal
SUR LES BREVETS D INVENTION
Infra
I
art. 46.
�16
LOI DU 6 JUILLET 1844
civil ce serait, en réalité, former la même demande, fon
dée sur la même cause, entre les mêmes parties, et met
tre le juge dans la nécessité de la repousser, sous peine
de violer l’art. 1351 du Code Napoléon.
M. Nouguier cite à l’appui de sa doctrine l’arrêt de
la cour de Paris, du 14 janvier 1845, que nous anno
tions toul-à-l’heure. Mais, pour qu’il pût le faire utile
ment, il faudrait que cet arrêt se fût occupé de la chose
jugée. Or, non-seulement il ne l’a pas fait, mais il ne
pouvait même pas le faire; car, au moment où l’inslance civile avait été introduite, le tribunal correction
nel avait bien prononcé sur la plainte en contrefaçon;
mais sa décision était frappée d’appel, et n’avait pas,
par conséquent, acquis l’autorité de la chose jugée. Aussi,
le breveté défendeur au civil n’excipait-il pas de celle-ci.
Il se bornait à opposer la litispendance.
En repoussant celle-ci, et en statuant au fond, la cour
de Paris ne décidait que le principe que nous avons déjà
rappelé, à savoir, que tant que l’instance en contrefa
çon n’est pas définitivement vidée, le prévenu peut dé
férer à la juridiction civile la décision du moyen qu’il
oppose , qu’il opposera , ou qu’il a opposé comme ex
ception à l’action correctionnelle.
Nous persistons donc à croire que, si le jugement de
condamnation, qui a déclaré l’exception mal fondée et
l’a repoussée, est devenu définitif, il y a chose jugée sur
le moyen qui servait de base à cette exception ; et que
le condamné ne peut se pourvoir au civil, que s’il fonde
sa demande en nullité sur de tous autres moyens.
�17
4-88. — La justice a eu à examiner et à résoudre la
question de savoir si celui qui a pris un brevet pour un
objet qui a été déjà breveté, peut demander la nullité du
premier brevet, sur le motif que l’invention n’était pas
nouvelle.
Evidemment, cette nullité, si elle éteint le premier
brevet, éteindra le second. Il semble, donc, qu’en la
poursuivant, le titulaire de celui-ci agit contre son pro
pre intérêt, et qu’on devrait, dès lors, le déclarer non
recevable.
Mais cela ne pourrait être vrai que si le maintien du
premier brevet assurait la validité du second. Or, il n’en
est rien : l’antériorité de l’un enlève à l’autre toute ef
ficacité. Le propriétaire de celui-ci n’a plus qu’un titre
vain et stérile, à tel point qu’il ne saurait l’exploiter sans
s’exposer à être poursuivi et condamné comme contre
facteur.
Il n’a donc rien à perdre à la nullité. Il n’a qu’à y
gagner , puisque sa consécration lui permettra la libre
exploitation de l’invention, et assurera la sécurité de son
industrie , non-seulement dans l’avenir , mais encore
pour le passé. Il se trouve donc dans la condition que
l’art. 34 met à la recevabilité de l’action.
Mais, en prenant lui-même un brevet, n’a-t-il pas
reconnu la nouveauté de l’invention , et la possibilité
qu’elle devînt la matière d’un droit privatif. Peut-il donc
se faire qu’il vienne , contre son propre aveu , soutenir
le contraire ?
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
II
V-
2
�18
LOI DU
6 JUILLET 1844
Cette objection, que la cour de Paris avait cependant
accueillie, n’a rien de sérieux ni en fait ni en droit.
En fait, la prise d’un brevet ne prouve autre chose
que la croyance à la nouveauté de l’objet qui en fait la
matière. Mais cette croyance peut n’être que le résultat
de l’ignorance et de l’erreur; et on doit d’autant plus
le présumer ainsi, que le brevet n’a été demandé et ob
tenu qu’après la délivrance d’un premier.
On ne peut, en effet, admettre que l’existence de ce
lui-ci était connue du second breveté. Cette connais
sance , en effet, était de nature à empêcher le titulaire
de celui-ci de se munir d’un titre d’avance condamné à
ne pouvoir lui être d’aucune utilité; et, s’il a ignoré celte
existence, pourquoi n’aurait-il pas ignoré les faits de
publicité qui enlevaient à l’invention son caractère de
nouveauté ? Est-ce que l’absence de ce caractère ne lui
promettait pas un résultat identique à celui qui devait
déterminer l’existence d’un premier brevet ?
En droit, et dans tous les cas, quel pouvait être l’ef
fet de la reconnaissance résultant de la prise du brevet?
La prohibition de prendre un brevet pour un objet déjà
connu, est essentiellement d’ordre public et d’intérêt gé
néral. La renonciation à s’en prévaloir, fût-elle expres
se, ne lierait pas son auteur. A plus forte raison, si cette
renonciation n’est qu’implicite , et qu’on soit obligé de
l’induire d’un fait qui n’est, lui-même, que la violation
de la loi. Quoi, on fermerait les yeux sur l'illégalité du
droit de celui-ci, parce qu’il a plu à celui-là de s’attri
buer un droit atteint du même vice, et l’irrecevabilité de
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
19
l’action opposerait un obstacle invincible à ce que le mi
nistère public exerçât l’action qui lui est réservée, dans
l’intérêt de la société ?
En pareille matière donc , et quelle que soit la posi
tion particulière du demandeur en nullité , l’unique
question à examiner est la nouveauté de l’invention. Si,
au moment de la prise du brevet, cette condition man
quait, on ne saurait ni refuser la nullité du brevet, ni
écarter par une fin de non recevoir la demande qu’en
ferait le second breveté.
,
489. — En décidant le contraire, la cour de Paris
avait méconnu et violé la loi. Aussi , son arrêt encou
rait-il la censure de la Cour suprême.
« Attendu, dit celle-ci, que l’arrêt attaqué a déclaré,
en fait, que Pocquel avait eneouru la déchéance de son
brevet ; que , néanmoins, il a infirmé le jugement qui
avait déclaré la déchéance, et a mis les parties hors de
cour, par le motif que Lambert n’a pu opposer à Poc
quel , que sa prétendue importation était tombée dans
le domaine public et qu’il y avait déchéance de son bre
vet , puisque, en obtenant un brevet semblable , Lam
bert reconnaissait lui-même qu’il pouvait y avoir une
propriété privée à cet égard ;
« Attendu qu’en se fondant sur ce motif pour se re
fuser à déclarer une déchéance que lui-même recon
naissait avoir été encourue , l’arrêt attaqué a créé une
exception qui n’est pas dans la loi, et qu’il a ainsi com-
�20
LOI DU
5 JUILLET 1844
mis un excès de pouvoir et violé l’art. 16 de la loi du
7 janvier 1 7 9 1 »
Pas plus que cette loi, celle de 1844 n’a ni admis ni
autorisé l’exception tirée de la prise d’un brevet sem
blable. On devrait donc encore décider, comme le fai
sait, en 1839, la cour de Cassation. C’est dans ce sens
que s’est prononcée la doctrine.”
490. — Après avoir ainsi déterminé à qui apparte
nait l’action , le législateur de 1844 indique le juge à
qui elle doit être déférée, et règle le mode de procédure
à suivre.
Les lois de 1791 n’avaient rien statué, quant à la ju
ridiction appelée à connaître des actions en déchéance
du brevet. On en avait conclu qu’elles s’en étaient ré
férées au droit commun ; que , dès lors , les litiges de
cette nature étaient de la compétence des tribunaux or
dinaires.
Mais, en fait, c’était le juge de paix qui en était in
vesti, et qui y statuait. Le plus souvent, en effet, la nul
lité n’était proposée que comme exception à l’action en
contrefaçon, et on avait admis que le juge de paix com
pétent pour statuer sur celle-ci, était naturellement in
vesti du droit de prononcer sur celle-là, en vertu de la
maxime : que le juge de l’action était juge de l’excep
tion.
1 D. P., 39, 1, 223.
s Renouant, n° 215 ; — Nouguier, n° 645; — Et. Blanc , pag. 590
�SUR UES BREVETS D’iNVENTION
24
La multiplicité des brevets , l’intérêt si considérable
qu’ils mettent en question , les difficultés si délicates
qu’ils soulèvent avaient, depuis longtemps , signalé les
inconvénients d’en soumettre l’appréciation à un seul
juge , q u i, quelque intègre qu’il fût, ne présentait pas
aux justiciables toutes les garanties qu’ils sont en droit
d’exiger.
491. — Mais , on ne pouvait laisser aux juges de
paix la connaissance des actions en contrefaçon, et leur
interdire d’apprécier et de juger l’exception. Aussi , la
loi du 25 mai 1838 appela-t-elle les tribunaux correc
tionnels à connaître en premier ressort des poursuites en
contrefaçon. Rien n’étant statué sur les actions en nul
lité ou en déchéance, l’induction qu’on avait tirée du si
lence des lois de 1791, et ses conséquences continuèrent
de subsister.
492. — La loi de 1844 a consacré celte induction.
Elle attribue formellement, aux tribunaux civils, la con
naissance des actions principales en nullité ou en dé
chéance. Quant à celles en contrefaçon , elles restent
soumises à la juridiction correctionnelle , qui a reçu la
mission expresse de statuer sur les exceptions qui se
raient tirées , par le prévenu, soit de la nullité ou de la
déchéance du brevet, soit des questions relatives à la
propriété dudit brevet.'
1 Art. 46.
�22
LOI DU
6 JUILLET 1844
De la disposition de l’art. 34 il résulte que les ques
tions de nullité, ou de propriété du brevet, ne peuvent
être définitivement tranchées que par les tribunaux ci
vils , à l’exclusion de toute autre juridiction , même de
la juridiction correctionnelle.
Sans doute, celle-ci est investie par l’art. 46 du droit
d’apprécier l’exception de nullité ou de propriété. Mais
ce droit ne peut s’exercer que relativement à la plainte
elle-même. Ainsi, le jugement correctionnel examine
dans ses motifs le mérite de l’exception. Mais, son dis
positif se borne et doit se borner à déclarer cette excep
tion bien ou mal fondée, et, en conséquence, à acquit
ter ou condamner le prévenu : il n’a rien à prononcer
sur la nullité ou la validité du brevet.
« Lorsqu’un tribunal correctionnel, dit un arrêt de la
cour de Paris, du 4 juillet 1835, est saisi d’une plainte
en contrefaçon, et d’une exception de déchéance du bre
vet du plaignant opposée par l’inculpé, il peut puiser
une fin de non recevoir spéciale contre la plainte, dans
le fait attaqué comme cause de déchéance, si ce fait lui
parait établi ; mais alors , juge seulement du mérite de
la plainte et non de la valeur absolue du brevet, il ne
lui appartient pas de prononcer d’une manière générale
la déchéance du brevet.' »
Aussi, malgré l’acquittement du prévenu, le plaignant
peut prendre, pour le public, la qualité de breveté ; et
1 Gazette des tribunaux, 15 juillet 1855.
�28
le prévenu, lui-même, malgré sa condamnation, est re
cevable à poursuivre la nullité du brevet, mais pour de
tous autres motifs que celui sur lequel il a succombé.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
495. — Si les tribunaux correctionnels, si les tribu
naux de commerce sont incompétents pour connaître
des actions en nullité ou en déchéance, à plus forte rai
son, ce semble, doit-il en être ainsi de l’administration.
Cependant, M. Et. Blanc conteste et repousse cette con
séquence, à l’endroit de Ja déchéance fondée sur le dé
faut ou le retard de paiement de la taxe. Il enseigne,
en conséqueuce, que le prononcé de la déchéance, dans
ce cas spécial, appartient à l’administration.'
494. — Malgré cette restriction , cette opinion ne
nous paraît pas acceptable. Nous l’avons déjà dit, l’ad
ministration qui, sous l’empire des lois de 1791, pou
vait seule prononcer la déchéance en cas de refus ou de
retard de paiement de la taxe , a été dépouillée même
du droit de la poursuivre devant les tribunaux.3
Comment, d’ailleurs, concilier la doctrine de M. Et.
Blanc avec les termes si généraux , si absolus de l'arti
cle 34 ? Est-ce que cet article distingue entre les causes
de déchéance , et réserve l’une d’elle à la juridiction
administrative? E t, si le législateur n’a pas consacré
cette réserve, c’est, comme l’observe M. Renouard, qu’il
1 Invent, breveté, pag. 892.
2 Supra n° 436.
<
�LOI DU 6 JUILLET
1844
n'a pas entendu l’admellre; qu’il a , au contraire , en
tendu que l’administration, après avoir délivré les bre
vets, ne conservât aucun pouvoir sur leur existence. 11
est dès lors évident, ajoute M. Benouard, que la décla
ration de leur nullité ou de leur déchéance est un acte
essentiellement judiciaire , et c’est ce qui résulte invin
ciblement de la discussion de la loi , de son économie
. et de son esprit.1
Des termes de l’art. 34, dit à son tour M. Nouguier,
il fau t tirer cette conséquence : que les tribunaux civils
sont seuls compétents pour prononcer la nullité ou la
déchéance des brevets. L’autorité administrative com
mettrait un excès de pouvoir , si , même en matière de
déchéance fondée sur le défaut de paiement de la taxe,
elle déclarait que le brevet a cessé d’exister.2
Mais, objecte M. Et. Blanc, si la déchéance fondée sur
le non paiement de la taxe ne pouvait être prononcé que
par les tribunaux , qui les saisirait de la question ? Le
ministère public? il ne peut agir directement, en ma
tière de déchéance; les particuliers? mais ils n’attaquent
le brevet, que lorsqu’ils y ont un intérêt actuel. Jusquelà et pendant longtemps peut-être, le breveté pourrait
exploiter sans payer la taxe.
Si l’inconvénient que signale M. Et. Blanc avait quel
que chose de sérieux, il eût pu faire introduire dans la
loi une exception à la compétence exclusive de l’autorité
1 N° 209.
659.
ÿ j\°
�25
judiciaire. Mais personne ne l’a signalé , personne ne
s’en est préoccupé dans la discussion si approfondie, si
minutieuse que la loi a subie dans les chambres législa
tives. Cependant, ainsi que l’observe M. Renouard , la
loi de 1844 ne laisse plus dans le même vague que la
législation précédente , les attributions respectives de
l’autorité administrative et de l’autorité judiciaire. Elle
a fait clairement la part de chaque pouvoir.
C’est donc une réforme que M. Blanc propose, et
qu’il veut faire admettre. Or, tant que le législateur ne
se sera pas prononcé, cette réforme ne serait que la vio
lation de la loi ; et nous ajoutons , avec l’éminent ma
gistrat dont nous venons d’emprunter les parolos, qu’on
ne doit point, même à bonne intention et pour éviter
des embarras pratiques , enfreindre les lois de compé
tence dont le maintien est d’ordre public.
Est-il vrai, d’ailleurs, que l’inconvénient signalé par
M. Blanc soit sérieux? Sans doute , le breveté pourra '
exploiter plus ou moins longtemps, sans avoir payé la
taxe. Mais il ne fera là que ce qu’il aurait le droit de
faire même, après le jugement qui aurait définitivement
consacré la déchéance.
L’utilité du brevet réside toute entière dans le droit
d’empêcher qu’un autre, que son titulaire, exploite l’in
vention qui en fait l’objet. Ce droit, le breveté qui n’a
pas payé la taxe pourra-t-il l’exercer ? Non , évidem
ment , car la plainte en contrefaçon appellerait l’atten
tion sur la régularité de sa prétention , et, comme rien
ne serait plus facile que la découverte du défaut de paieSUR' LES BREVETS D’iNVENTION
�26
LOI DU
6 JUILLET 1844
ment en temps utile, elle aurait pour conséquence iné
vitable la déchéance du brevet. Les nombreuses contes
tations , à ce sujet, que les tribunaux ont eu à juger,
prouvent que le breveté, dans la position que nous sup
posons , ne pourrait se faire illusion sur le résultat de
la poursuite qu’il exercerait.
Il se gardera donc bien de l’intenter, et laissera exis
ter l’usurpation que des tiers se seraient permise, c’est
à dire que la déchéance non encore acquise, en droit, le
serait en fait en faveur de tous ceux qui auraient inté
rêt à en profiter.
L’action principale ne serait pas moins à redouter
que l’exception. Tous les industriels qui fabriquent d’ob
jets similaires ont, à la déchéance du brevet, un intérêt
né et actuel. Se débarrasser de l’obstacle qui restreint
leur industrie dans un cercle étroit et limité, doit être le
but constant de leurs préoccupations. Ils ne manqueront
» pas de se tenir au courant de la position du breveté;
de s’enquérir de la fidélité qu’il aura ou non mis à
à remplir les obligations qui lui sont imposées, et d’agir
dès qu’ils le pourront utilement.
Donc, le droit ouvert en faveur de tous ceux qui ont
intérêt à son exercice, suffit pour assurer l’exécution fi
dèle des conditions faites aux brevetés. Dans tous les
cas, la loi existe : elle est claire, précise, positive. Fûtelle incomplète, défectueuse, d’une application difficile,
elle n’en devrait pas moins être scrupuleusement obéie ;
car, de tous les inconvénients, le pire serait de lui déso
béir sous un prétexte quelconque.
�27
495. — Le tribunal compétent, pour apprécier et
juger le litige , est exclusivement celui du domicile du
breveté. L’action en nullité ou en déchéance est pure
personnelle. Son exercice est donc régi par le paragra
phe 1er de l’art. 59 du Code de procédure civile.
Mais le brevet étant transmissible, peut avoir été cédé
en totalité ou en partie.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
496. — Dans le premier cas, le seul intéressé dés
ormais au maintien du brevet, est le cessionnaire, qui
en a acquis tous les droits, et qui en exerce le privilège.
C’est donc contre lu i, et devant le tribunal de son do
micile, que doit être portée l’action en nullité ou en dé
chéance.
La cession partielle ne désintéresse pas le brevété. Il
n’a, en effet, aliéné qu’une part plus ou moins restrein
te, peut-être même limitée à un territoire déterminé. On
ne saurait donc, sans lui, faire juger la validité du bre
vet. Il est d’autant plus partie nécessaire dans l’instan
ce, que le cessionnaire attaqué pourrait fort bien colluder avec le poursuivant, ne fût-ce que pour s’affranchir
des charges que l’acte de cession lui impose.
Aussi, la loi exige-t-elle , non-seulement qu’il y soit
appelé , mais encore qu’en cas de poursuite collective
conjre lui et un ou plusieurs cessionnaires, l’action soit
déférée au juge de son domicile personnel. C’est là une
dérogation à la faculté que le paragraphe 2 de l’art. 59
du Code de procédure civile confère de citer au domi
cile de l’un des défendeurs au choix du demandeur. Ce
�28
LOI DU 6 JU ILLET 1844
qui justifie celte dérogation , c’est, disait l’Exposé des
motifs, « que le breveté transporte souvent ses droits à
» de nombreux cessionnaires pour différentes parties du
» royaume, et qu’il serait trop rigoureux de le contrain» dre à aller défendre à l’action en nullité ou en dé» chéance partout où se trouve un de ces cessionnaires.
» toute action de cette nature est, d’ailleurs , dirigée
» contre lui, plus que contre les autres défendeurs dont
» il sera presque toujours le garant. »
497.
La mise en cause du breveté est donc né
cessaire et forcée, lorsque le demandeur agit contre les
cessionnaires partiels. A défaut, la chose jugée avec eux
ne le serait pas contre lui.
Il n’en est pas de même des cessionnaires. Le de
mandeur n’est pas obligé de les actionner : la loi l’y
autorise seulement; et à défaut par lui d’user de cette
faculté , la nullité du brevet qu’il aurait obtenue contre
le breveté , n’en anéantirait pas moins le droit de tous
les cessionnaires sans distinction.
Mais ces cessionnaires , s’ils ne sont pas parties né
cessaires, peuvent venir y prendre part. Leur interven
tion ne saurait être ni contestée ni repoussée. Elle se
justifie par l’intérêt qu’ils ont à veiller à ce que la dé
fense soit sérieuse et complète, et à réaliser subsidiaire
ment la demande en garantie qu’ils peuvent avoir à ex
ercer, et à obtenir ainsi, contre le breveté, soit une al
location de dommages-intérêts , soit la décharge de ce
qu’ils devraient encore , soit la restitution de ce qu’ils
�29
auraient déjà payé dans la limite que nous avons indi
quée.'
498. — Le domicile , au juge duquel l’art. 35 en
appelle, est le domicile réel du breveté. L’élection de
domicile , que le paragraphe final de l’art. 59 du Code
de procédure civile déclare attributive de juridiction, ne
peut guère se supposer dans notre matière.
On ne pourrait donc ajourner compélemment ni au
domicile élu dans la demande du brevet, ni à celui élu
dans le procès-verbal de saisie.
L’élection de domicile , que prescrit l’art. 5 , a pour
but et pour unique effet de régler les rapports que la
demande de brevet crée entre l’administration et le pos
tulant. Ainsi, c’est au domicile désigné que devrait être
et serait notifié le rejet de la demande entachée d’irré
gularité.
L’élection de domicile, dans le procès-verbal de sai
sie, n’a, elle aussi, que l’effet que lui attribue exDressément l’art. 584 du Code de procédure civile. C’est au
domicile choisi que le saisi pourra former opposition,
faire des offres réelles , signifier l’appel, c’est à dire ex
ercer les droits qui se réfèrent à la saisie elle-même et
qui en sont les conséquences directes.
Il est impossible de ranger dans cette catégorie l’ac
tion en nullité ou en déchéance du brevet. Sans doute,
ses résultats influeront sur le sort de la saisie ; mais le
SUR LES BREVETS D’ iNVENTION
1 Sxipra n° 353.
�LOI DU 6 JU ILLET 1844
30
droit de l’intenter est indépendant de celle-ci, et, s’il est
réalisé, il n’est certainement pas né à son occasion.
Donc, son exercice au domicile élu n’est autorisé ni par
l’art. 59, ni par l’art. 584 du Code de procédure civile.
499. Cependant, si le breveté est étranger, n’ay
ant en France ni domicile ni résidence , on ne saurait
exiger que les Français allassent plaider contre lui de
vant le juge de son pays.
Mais l’obligation d’exploiter , dans les deux ans , est
imposée à l’étranger comme au français. Si cette obli
gation est remplie, c’est devant le juge du lieu où se fait
l’exploitation que pourra et devra être portée l’action.
Si au défaut de domicile et de résidence, se joint l’ab
sence d’exploitation , l’ajournement sera valablement
donné devant le juge du domicile élu dans la demande
de brevet, et à plus forte raison à celui qui aurait été
élu dans le procès-verbal de saisie. Il ne peut pas être
que, par son fait, l’étranger pût rendre l’action en nul
lité ou en déchéance irréalisable. Or, comment la réa
liser , s’il a plu à l’étranger de n’avoir , en France , ni
domicile, ni résidence, ni exploitation ?
500. — La mise en société d’un brevet en transfère
la propriété à l’être moral , pour tout le temps de son
existence. C’est, en conséquence, contre la raison sociale
que doit être formée la demande en nullité ou en dé
chéance.
Quel que soit, donc , le domicile du titulaire primitif
�SUR LES BREVETS DINVENTION
31
du brevet, cette demande peut et doit être déférée au ju
ge du siège de la société, e t, en cas d’établissements
multiples, au juge du principal.
501. — La procédure à suivre est celle prescrite
par les articles 450 et suivants du Code de procédure
civile, pour les matières sommaires.
A ne considérer que l’importance de l’intéiêt que l’ac
tion en nullité ou en déchéance met en question , on
pourrait s’étonner de cette disposition de l’art. 36. Cer
tes, il est bien de causes soumises à la forme ordinaire, .
qui sont fort loin d’atteindre à cette importance.
Mais on était, ici, dominé par la nature du droit at
taqué lui-même, par celle de l'action et par les circons
tances qui l’auront motivée.
D’une part, le droit privatif du breveté n’est que tem
poraire. Le doute jeté sur sa légalité devait nécessaire
ment en suspendre , en arrêter l’exercice. Il importait
donc que ce doute fut dissipé , dans un sens ou dans
l’autre le plus promptement possible , pour éviter que le
procès ne survécût au droit.
D’autre part, les longueurs de la procédure ordinai
res n’étaient pas moins nuisibles au demandeur en nul
lité ou en déchéance. La sécurité , en vue de laquelle il
agit, ne peut lui être assurée que par l’issue du procès.
Il est donc, jusque là, forcé de s’abstenir d’exploiter ou
de suspendre, s’il l’avait déjà entrepris. De là, un pré
judice souvent considérable qui s’aggrave par tout re
tard, et qu’il est plus convenable de prévenir que d’avoir
à le réparer.
�32
1844
Enfin et le plus souvent, l’action aura été précédée
d’une saisie qui, l’ayant nécessitée, en aura motivé l’ex
ercice. Pouvait-on laisser se perpétuer l’obstacle et le
préjudice que cet état des choses suppose et est dans le
cas d’entraîner ?
En présence de ces motifs réels d’urgence , il n’était
pas permis d’hésiter. Une procédure sommaire était in
dispensable.
502. —• Il semble que ces mêmes motifs peuvent
faire dispenser la demande du préliminaire de la con
ciliation. Mais , la loi n’ayant pas consacré l’exception,
on reste naturellement sous l’empire de l’art. 48 du Code
de procédure civile.
Le demandeur est donc obligé de recourir h cette épreuve, à moins que l’action ne soit dirigée contre plus
de deux adversaires , ou qu’une ordonnance du prési
dent du tribunal n’ait autorisé la citation à bref délai,
en en reconnaissant et en en constatant l’urgence.
LOI DU 6 JU ILLET
503. — L’article 36 exige que la demande soit com
muniqué au procureur impérial. Celte exigence a pour
but de faciliter au ministère public l’exercice de la faculté
que va lui conférer l’art. 37, d’intervenir pour rendre
absolue la nullité ou la déchéance.
Cette exigence a pour effet d’interdire aux parties le
droit de compromettre , aux termes de l’art. 1004 du
Code de procédure civile. Les arbitres ne pourraient ja
mais prononcer ni nullité ni déchéance absolue, et l’in
térêt public ne pouvait comporter un pareil résultat.
�SUR LES BREVETS D’ iNVENTION
33
A r t . 57.
Dans toute instance tendant à faire pronon
cer la nullité ou la déchéance d’un brevet , le
ministère public pourra se rendre partie inter
venante et prendre des réquisitions pour faire
prononcer la nullité ou la déchéance absolue
du brevet.
Il pourra même se pourvoir directement par
• action principale pour faire prononcer la nul
lité dans les cas prévus par les n082, 4 et 5 de
l’article 30.
A r t . 58.
Dans tous les cas prévus par l’article 37, tous
les ayants droit au brevet dont les titres auront
été enregistrés au ministère de l’agriculture et
du commerce, conformément à l’article 21, devont être mis en cause.
A r t . 59.
Lorsque la nullité ou la déchéance absolue
n — 3
�34
LOI DU
6
JU ILLET
1844
d’un brevet aura été prononcée par jugement
ou arrêt ayant acquis force de chose jugée , il
en sera donné avis au ministre de l’agriculture
et du commerce , et la nullité ou la déchéance
sera publiée dans la forme déterminée par l’ar
ticle 14 pour la proclamation des brevets.
SOMMAIRE
504 Caractère de l’article 37. — Dérogations au droit commun
qu’il consacre.
505 Leur justification.
506 Rédaction primitive du projet.
507 Modifications introduites par la chambre des Pairs.— Leurs
motifs.
508 Rejet par la chambre des Députés.— Discussion.— Ses ré
sultats.
509 Conséquences de l’intervention du ministère public , quant
à la compétence des tribunaux.
510 Formes de l’intervention.
511 N’est pas recevable en cause d’appel.
512 A la charge de qui sont les dépens de l’instance ?
513 Droit d appel du ministère public.— Dans quel délai il doit
être exercé.
514 Le désistement du poursuivant, après l’intervention , n’é
teint pas l’action à l’égard du ministère public.
515 Faculté pour le ministère public d’agir par action directe.
—Son caractère.—Dans quels cas elle peut être exercée.
516 Caractère de la restriction aux trois cas prévus.—On aurait
pu l’étendre encore.
517 Dans le cas d’action directe, comme dans celui d’inlerven-
�SUR LES BREVETS D’ iNVENTION
518
519
520
521
522
35
tion , tous les intéressés au brevet doivent être mis en
cause.
Celte obligation n’existe qu’en faveur de ceux dont les ti
tres ont été enregistrés au ministère de l’agriculture et
du commerce.
Ceux qui ont omis cette formalité ne peuvent former tierce
opposition au jugement. — Mais ils peuvent intervenir
dans l’instance.
Devant quel tribunal doit être portée l’action directe ?
A la charge de qui sont les dépens ?
Publicité que doit recevoir la décision prononçant la nullité
ou la déchéance absolue.
504. — L’article 37 se fait remarquer par le carac
tère de ses dispositions , en conférant expressément au
ministère public le droit, non-seulement d’intervenir
dans toute instance tendant à faire prononcer la nullité
ou la déchéance d’un brevet, mais encore d’agir, dans
certains cas , par action directe ; en attachant au juge
ment qui admet cette action , ou qui accueille l’inter
vention , l’effet d’anéantir le brevet à tout jamais et en
faveur de tous, il semble s’écarter des principes de droit
commun en matière d’action , et de ceux qui règlent
l’autorité à attribuer aux décisions de la justice.
D’une part, en effet, on a toujours admis que la re
cevabilité de l’action est entièrement subordonnée à l’in
térêt personnel né et actuel qu’elle offre pour celui qui
prétend l’exercer ; de l’autre , on n’a jamais contesté le
caractère purement relatif de la chose jugée. Aussi, te
nait-on qu’elle ne pouvait profiter ou nuire qu’à ceux
qui avaient été parties au jugement ou à l’arrêt ; et cela
�-.**uv*Jtaww.v*r'«etig1.
LOI DU 6 JU ILLET 1844
36
même dans les matières les plus indivisibles, les ques
tions d’état par exemple.
Cette double dérogation au droit commun, en matiè
re de brevets d’invention, résulte, en effet, de l’art. 37.
Sa consécration a pu paraître exorbitante et regrettable,
et c’est, en effet, ce que pensent MM. Loiseau et Vergé.'
SOS. — Nous ne partageons ni ce scrupule , ni ce
regret. La disposition de l’art. 37 nous paraît, au con
traire , justifiée par la matière spéciale qu’elle régit ;
correspondre à une nécessité réelle, et protéger surtout
l’intérêt du breveté.
Le monopole, dont le brevet est l’origine et la sour
ce, est une lourde charge pour la société. Il enchaîne la
liberté de commerce et d’industrie, et condamne le pu
blic à subir des exigences souvent immodérées. Il n’est
donc légitime et juste, que si , pur dans son origine , il
s’appuye sur un brevet légalement obtenu et régulière
ment conservé. Il dégénère en iniquité , s’il n’a d’autre
base qu’une audacieuse usurpation , ou si le titulaire
du brevet laisse sans exécutions les conditions que son
contrat lui-même lui impose.
Le brevet usurpé attaque , compromet et viole , non
pas seulement l’intérêt de tel ou de tel, mais encore et
essentiellement l’intérêt public et général, par l’obstacle
qu’il oppose au développement du commerce et de l’in
dustrie. N’était-il pas, dès lors, indispensable de donner
1 Sous l’art 37.
�37
à cet intérêt si précieux toutes les facilités qui pouvaient
le protéger et lui faire obtenir la justice qui lui est due.
Ne lui donner d’autres moyens de se produire que
l’action individuelle des particuliers, c’était, entre autres
inconvénients réels et sérieux, l’exposer à aboutir à une
regrettable contrariété de jugements. Tel brevet annulé
ici, aurait été validé là, suivant que l’attaque sérieuse
ment soutenue et développée dans un cas , n’aurait été,
dans l’autre, que le résultat d’une collusion , d’un con
cert frauduleux et intéressé.
Le droit conféré au ministère public , mandataire et
représentant de la société, se légitime par la nécessité de
prévenir ces inconvénients. Il a donc un fondement ra
tionnel et juste. Il en est de même de l’effet général at
taché au résultat de son exercice.
Nous pourrions dire que , si le jugement qui annule
le brevet profite à tous . c’est que tous y ont été parties
en la personne du ministère public. Mais nous allons
plus loin, et nous soutenons que ce résultat est tout en
tier dans l’intérêt du breveté lui-même.
En effet, les causes de nullité ou de déchéances , soi
gneusement indiquées par la loi, sont essentiellement in
divisibles. Elles ne peuvent pas être pour celui-ci, n’être pas pour celui-là. Ainsi, le brevet annulé en faveur
de Pierre , parce que , en réalité , l’invention avait été
publiée ou pratiquée antérieurement au brevet, ou parce
qu’elle n’a pas été exploitée conformément au désir de
la loi , ou parce que la description est insuffisante , ou
indique des moyens autres que les véritables, ou parce
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�LOI DU 6 JU ILLET 1844
38
que la taxe n’a pas été payée en temps utile, etc., le se
ra et devra l’ètre en faveur de tous ceux qui viendront
ultérieurement invoquer le moyen qui a déjà prévalu ;
et qui devront s’adresser à ce juge du domicile du bre
veté qui l’a consacré, et qui fort probablement ne se
déjugera pas.
Le résultat sera donc le même. La seule différence
c’est qu’au lieu d’un seul procès , il devra y en avoir
cent, mille, dix mille, qui sait; et ce déluge de procès,
incapable de sauver le brevet, ajoutera à sa perle l’obli
gation de payer les dépens et les frais , c’est à dire la
ruine du breveté.
Loin donc de regretter la détermination du législa
teur, on ne peut qu’y applaudir. Sa ralionnalilé est si
évidente, que, s’il faut en croire M. Renouard , elle ne
constituerait même pas une innovation, puisque , mal
gré le silence des lois de 1791, la théorie qu’elle consa
cre était suivie et devait l’être.'
506. — Aussi, la résolution d’inscrire dans la loi le
pouvoir d’agir du ministère public, et l’effet général at
taché à son exercice, ne rencontrèrent-ils aucune oppo
sition dans les Chambres législatives. On ne différait
que sur l’étendue de ce pouvoir et le mode de cet exer
cice.
Le gouvernement avait pensé que le ministère public
ne devait pas être armé du droit d’intervenir , et que
1 N» 496,
�39
celui d’agir par action directe ne devait être accordé que
dans un seul cas , et pour tous les autres lorsque, déjà,
le brevet avait été annulé par un jugement passéen force
de chose jugée.
11 avait, en conséquence , rédigé l’article en ces ter
mes : Dans tous les cas où un jugement ou arrêt, pro
nonçant la nullité ou la déchéance d'un brevet, aura
acquis force de chose jugée, et dans le cas prévu par le
n° 3 de l’art. 31 ('aujourd'hui article 30), le minis
tère public pourra se pourvoir pour faire prononcer la
nullité ou la déchéance absolue du brevet.
SUR LES BREVETS D’ iNVENTION
507. — Saisie la première du projet, la chambre
des Pairs l’accepta en principe. Seulement, au cas uni
que que l’article prévoyait, elle ajouta celui où le bre
vet aurait été pris pour les objets que l’art. 3 déclarait
ne pouvoir être brevetés, ou sous un titre frauduleux,
e t, dans tous les autres cas , elle subordonnait l’action
du ministère public à l’initiative du ministre de la jus
tice qui , avisé du jugement ou arrêt passé en force de
chose jugée, aurait prescrit de poursuivre.
Ce qui avait fait admettre cette dernière modification,
c’était le désir de concentrer l’exercice de la faculté de
se pourvoir dans les mains et sous la direction immé
diate du Gouvernement, pour ne pas laisser à chaque
procureur impérial, près de chaque tribunal, le soin
d’agir selon ses propres idées et sa seule impulsion.
508, — C’est précisément cette considération qui fit
�■tu»
40
■iwyr.'v
LOI DU 6 JU ILLET 1 8 4 4
repousser l’arlicle par la chambre des Députés. Organe
de la commission , M. Philippe Dupin exposait ainsi les
motifs de ce rejet, et son remplacement par les disposi
tions qui sont devenues l’art. 37 de la loi. :
« Votre commission a vu beaucoup d’inconvénients à
>> cette intervention du ministre de la justice dans des
» matières qui sont plutôt du ressort du ministre du
» commerce ; à ces injonctions qui ôtent au ministère
» public quelque chose de sa dignité; à ces actions priri» cipales qui ne sont que très-exceptionnellement dans
» les attributions civiles de cette magistrature. Elle a
» cru que le but proposé serait plus sûrement et plus
» convenablement atteint, si Ton accordait au ministère
» public la faculté d’intervenir, par ses conclusions,
» dans les procès portés devant les tribunaux par les
» parties intéressées, et de requérir, dans l’intérêt de la
» société, une nullité ou une déchéance absolue qui im» primerait, à la décision rendue, un caractère de gé» néralité propre à tarir désormais la source de nou» veaux procès. »
Comme , dans, le cours de la discussion , on contes
tait l’opportunité et la nécessité du droit qu’on voulait
attribuer au ministère public, M. Ph. Dupin répondait:
« L’article est d’une haute utilité. Il peut éteindre cette
y> calamité de procès qui s’attache avec tant d’abon» dance aux brevets d’invention. En effet, on n’a rien
» fait lorsqu’on a attaqué un brevet, et fait prononcer
» la déchéance. Celui qui a gagné son procès s’entend
» avec celui qui a perdu, pour exploiter ensemble l’ob-
�41
y> jet de Pin ve'ntien. C’est le public seul qui perd son
» procès ; car, malgré la déchéance prononcée, le mo» nopole continue, et dé nombreux procès surgissent de
» toutes parts. C’est un fléau auquel il fallait mettre un
» terme, et c’est pour cela que nous proposons d’auto» riser le ministère püblic , toutes les fois qu’il y aura
» des causes gravés de déchéance , à requérir l’anéan» tissement complet du brevet, de telle sorte qu’il n’y
» ait plus aucune contestation possible avec qui que ce
» soit. On peut s’en rapporter à la sagesse et à la pru» dente réserve des magistrats , pour être sûr que cette
» intervention ne sera pas intentée à la légère , et mul» tipliée outre mesure. »
De cette discussion sortit l’art. 37, qui fut définitive
ment inscrit dans la loi par l’adoption qu’en fit , plus
tard, l'a chambre des Pairs , malgré le reproche que lui
faisait sa commission de n’être pas sans graves inconvé
nients.
509. — Certes , ce reproche eût été mérité , si , en
fait et en droit, l’exercice de la faculté d’intervenir pou
vait avoir pour résultat de distraire le breveté de ses ju
ges naturels ; mais l’art. 38 nous paraît rendre ce ré
sultat impossible.
Sans doute , l’action intentée cohlre un cessionnaire
isolément, doit être portée devant le tribunal du domi
cile de ce cessionnaire, et non de celui du breveté; sans
doute encore, c’est devant le tribunal ainsi saisi que le
ministère public pourra intervenir.
SUR LES BREVETS D’ iNVENTION
�6 JU ILLE T 1844
Mais, dans ce cas, l’intervention n’aura d’autre effet
que d’obliger le tribunal du cessionnaire à se dessaisir
et à renvoyer la solution au juge du breveté.
En effet, l’intervention du ministère public aura pour
conséquence forcée, aux termes de l’art. 38, la mise en
cause de tous les intéressés au brevet, en tête desquels
se place évidemment le titulaire du brevet. Dès lors,
l’action en nullité sera poursuivie collectivement contre
le breveté et les cessionnaires , et le seul tribunal com
pétent pour y statuer sera celui du domicile du breveté,
ainsi que le décide expressément l’art. 35.
Que cet articlesoit applicable,c’est cedont on ne saurait
douter. La règle qu’il trace est générale et absolue, sans
exception. L’intervention du ministère public ne saurait
modifier les lois de compétence qui sont d’ordre public,
ni leur attribuer un droit que le poursuivant principal
ne pourrait revendiquer lui-même.
Ainsi, au lieu de se défendre devant le juge du ces
sionnaire , le breveté demandera son renvoi devant le
tribunal de son domicile, ce qui devra lui être accordé,
à moins de violer expressément l’art. 35.
Donc, la combinaison de cet article avec l’art. 38 re
pousse le reproche qu'on faisait à l’art. 37. Le breveté
ne peut être distrait de ses juges naturels , que s’il le
veut bien. 11 a le droit et les moyens de se soustraire à
ce danger ; et, s’il s’abstient d’user de l’un et de l’autre,
quel grief lui cause-t-on ? Volenti non fit injuria.
Le système contraire pourrait avoir pour résultat de
contraindre le breveté à plaider devant cinquante tribu42
LOI DU
�43
naux différents , si la nullité du brevet était poursuivie
contre les cessionnaires répandus dans diverses locali
tés, inconvénient que l’art. 35 a précisément voulu pré
venir et empêcher; qui pourrait amener une regrettable
contrariété de jugements, car le brevet annulé, ici, pour
rait fort bien être validé ailleurs ; qui enfin mettrait à
la charge du breveté , qui aurait partout succombé , les
frais énormes de cinquante procès.
Sans doute, on ne saurait empêcher cette multiplicité
de poursuites. Mais l’admission de l’exception d’incom
pétence , par le tribunal du domicile des cessionnaires,
en laissera les dépens à la charge de chaque poursui
vant ; et le renvoi de toutes au juge du breveté fera qu’il
n’y aura jamais qu’un seul jugement sur le fonds, et,
en cas de condamnation, que le droit du breveté à n’être tenu que des dépens de ce jugement.
L’intérêt du breveté, à se prévaloir de l’art. 35, est
donc évident , et cet intérêt à le droit de se produire ;
mais l’incompétence étant purement personnelle , l’ex
ception doit être proposée in limine litis, et avant toute
défense au fonds, sous peine de n’être plus recevable.
Nous pensons donc que quel que soit le tribunal in
vesti, le ministère public a le pouvoir et le droit d’in
tervenir; mais qu’il doit s’abstenir d’en user, si l’ins
tance dirigée contre des cessionnaires est pendante de
vant un tribunal autre que celui du domicile du breveté.
La mise en cause de celui-ci que nécessiterait l’inter
vention l’empêcherait d’aboutir, puisque, sur la demande
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�44
LOI DU 6 JUILLET 1844
du breveté , le tribunal devrait se dessaisir et se décla
rer incompétent.
" .
510.
— Dans les affaires ordinaires, le ministère
public n’intervient que par ses conclusions à l’audience
et après plaidoiries. Il ne saurait en être ainsi, dans le
cas de l’art. 37 ; et la preuve en résulte de l’art. 38.
Il est, en effet, évident que, puisque l’intervention du
ministère public se réalisant, tous les intéressés au bre
vet doivent être mis en cause , tout est à recommen
cer ; que la cause n’est plus en état d’être jugée , et
qu’elle ne peut l’être qu’après une nouvelle instruction,
et sur nouvelles plaidoiries.
Conséquemment, si le ministère public n’intervenait
qu’au dernier moment, tout ce que le tribunal aurait à
faire serait de donner acte de l’intervention, et d’ordon
ner l’appel en cause des intéressés. On ne concevrait
cette forme de procéder, qui occasionne une perte de
temps plus ou moins considérable, que si la conviction
de l’officier du parquet, sur la convenance ou l’utilité
d’une intervention , ne s’est formée qu’à l’audience, et
sur le développement des plaidoiries.
Dans les autres cas , la détermination d’intervenir
prise doit être annoncée à l’avance, soit par des conclu
sions ou par requête versées au procès , soit oralement
à l’audience à l’appel de la cause. Un jugement prépa
ratoire donne acte de l’intervention et ordonne qu’à la
poursuite de la partie la plus diligente, tous les intéres
sés au brevet seront appelés au procès.
�45
S U . — Si le jugement rendu sans que le ministère
public soit intervenu est frappé d’appel, le ministère pu
blic près la Cour pourrait-il intervenir?
Il est impossible de résoudre cette question autrement
que par la négative, tant au point de vue des principes
généraux, qu’à celui de la loi spéciale.
Nous l’avons déjà dit en matière civile , le ministère
public n’a d’autres droits que ceux qui appartiennent
aux simples citoyens. Il est donc régi par les mêmes
disposisions , et passible des exceptions opposables à
ceux-ci.
Or, l’art. 466 du Code de procédure civile n’admet à
intervenir, en cause d’appel, que ceux qui auraient droit
de former tierce opposition à la décision. Ce droit n’a
jamais appartenu au ministère public, dont l’interven
tion, en cause d’appel, devrait dès lors être repoussée.
Elle devrait l’être bien mieux encore, au point de vue
de notre article 38. En effet, si tous les intéressés au
brevet doivent être appelés en cause , c’est qu’ils y sont
nécessairement parties, et ont incontestablement, en cette
qualité, le droit de se défendre devant les deux degrés
de juridiction. L’intervention en appel méconnaîtrait et
violerait ce droit : on ne saurait, en conséquence , ni
l’autoriser ni l’admettre.
SUR LES BREVETS D’ INVENTION
512. — En droit commun et général, la partie qui
succombe doit être condamnée aux dépens. Or, l’inter
vention du ministère public peut n’être pas toujours ac
cueillie et faire annuler le brevet. Si elle est reconnue
�46
LOI DU
6
JU ILLET
1844
mal fondée , le ministère public aura succombé. À qui
incombera la charge des dépens ?
Sans doute, le poursuivant qui a introduit l’instance
succombera de son côté. Mais, l’intervention du minis
tère public, en nécessitant l’appel en cause de tous les
intéressés, peut avoir singulièrement augmenté les frais.
Il semble donc que, faisant la part de chacun, le tribu
nal ou la Cour devrait laisser à la charge du trésor pu
blic, ceux occasionnés par l’intervention.
M. Nouguier l’enseigne ainsi1. Mais M. Renouard est
d’avis contraire. À l’objection que l’intervention du mi
nistère public a été toute spontanée , et ne saurait ag
graver la position des parties qui ne pouvaient ni s’y
opposer, ni l’empêcher, il répond : Le procès n’a existé
avec le ministère public que parce que le particulier
demandeur a suscité une contestation qui, en définitive,
a été jugée mauvaise; former une telle demande prin
cipale, c’est s’exposer à ses conséquences ; l’équité n’est
point blessée de ce que, plus ont été grands les périls
auxquels le demandeur a exposé le breveté, plus la pei
ne pécuniaire soit forte contre le téméraire provocateur
de ces périls.”
Nous croyons l’opinion de M. Nouguier plus rationnelle
et plus juste. Que le poursuivant qui a eu le tort d’intenter
une action sans fondements porte la peine de sa légèreté,
rien de mieux. Mais le ministère public n’a-t-il pas eu,
1 N» 631.
2 pjo 202.
�47
lui,le tort de s’y associer, de se l’approprier? On ne sau
rait, dès lors, admettre qu’on décide, pour lui, autrement
que pour le poursuivant; et puisqu’il a, de son côté, té
mérairement engagé la société qu’il représente , c’est à
celle-ci qu’incombe la responsabilité de cette témérité,
quis mandat ipse fecisse videtur.
Si la nullité du brevet est admise et prononcée, tous
les dépens occasionnés par l’intervention du ministère
public sont à la charge du breveté.
Quant à ceux exposés par le poursuivant, nous dis
tinguons. Si, dès l’origine, celui-ci a collectivement cité
le breveté et un ou plusieurs cessionnaires, aucun doute
ne saurait s’élever. Le breveté doit être condamné à tous
les dépens, même vis-à-vis des cessionnaires qu’il se
rait tenu de garantir, et qui y auraient conclu.
Que si l’action a été intentée contre le ou les cession
naires seulement, le breveté ne doit supporter que les
dépens exposés depuis sa mise en cause ou à son occa
sion. Ceux exposés jusque-là seraient à la charge soit
du poursuivant, soit du ou des cessionnaires qui ont eu
le tort de ne pas appeler le breveté.
Enfin, si, par suite de l’intervention et de l’appel en
cause, le tribunal a, sur la demande du breveté, recon
nu et déclaré son incompétence, tous les dépens doivent
être mis à la charge du poursuivant, même ceux occa
sionnés par l’intervention.
Dans ce cas, en effet, on n’a aucun tort à reprocher
au ministère public. La faute d’avoir saisi un juge autre
que celui qui pouvait statuer , est le fait unique et exSUR LES BREVETS D’ iNVENTION
�48
LOI DU
6
JU ILLET
1844
clusif du poursuivant. C’est donc à lui qu’en incombe la
responsabilité. Le ministère public n’a pu ni s’y oppo
ser ni l’empêcher.
513. — Les jugements qui prononcent sur une ac
tion en nullité ou en déchéance d’un brevet, ne sont ja
mais prononcés qu’en premier ressort. Le droit d’en émetlre appel ne saurait être contesté à tous ceux qui y
ont été appelés ou parties , y compris le ministère pu
blic , s i, malgré son intervention et contre ses réquisi
tions, l’action a été rejetée.
L’ntervention du ministère public, en effet, le consti
tue partie ordinaire dans l’instance, et, comme cette in
stance est purement civile , il a non-seulement la fa
culté , mais encore le devoir de se pourvoir par appel,
s’il croit que le tribunal a mal apprécié le fait ou le
droit.
Mais, pour lui comme pour toutes les autres parties,
l’appel doit être signifié dans les deux mois de la signi
fication du jugement. Celui émis après l’expiration de ce
délai serait tardif et non recevable. Le jugement aurait,
dès lors , acquis force de chose jugée contre le ministère
public.
De là cette conséquence , que cet effet acquis contre
le parquet de première instance , le serait contre celui
delà Cour. Bemarquons, en effet, que sans l’exception
que l’art. 205 du Code d’instruction criminelle consacre
pour l’appel des jugements correctionnels, le procureur
général n’a pas de droits plus étendus que son substitut
�49
le procureur impérial, et que s’il veut appeler du juge
ment auquel ce dernier a été partie, il doit le faire dans
le délai ordinaire, sous peine de forclusion.
SUR LES BREVETS û ’ iNVENTION
514, — L’intervention du ministère public introduit
dans l’instance une nouvelle partie , la société , dont le
dro't est indépendant et distinct de celui du poursui
vant , quoique son exercice tende à un résultat identi
que : la nullité ou la déchéance du brevet.
De là cette conséquence, que, l’intervention réalisée,
le désistement du poursuivant ne mettrait pas fin à l’in
stance. fille continuerait d’exister entre le breveté et la
société représentée par le ministère public. Il est évi
dent, en effet, que celle-ci ne peut dépendre du caprice
du demandeur originaire qui , peut-être , ne désertera
ses prétentions , que parce qu’il s’est entendu avec le
breveté et a obtenu , de lui , un intérêt plus ou moins
considérable dans l’exploitation du brevet.
Le principe que le désistement du poursuivant n’ar
rête pas l’action du ministère public , universellement
admis en matière de crimes ou délits ordinaires , a été
consacré par la jurisprudence à l’égard du délit de con
trefaçon.
Ainsi, il a été jugé que , bien que le délit de contre
façon ne puisse être poursuivi que sur la plainte du bre
veté, le seul dépôt de la plainte ouvre le droit de pour
suivre au ministère public ; qu’en conséquence, le désis
tement du plaignant ne saurait empêcher l’exercice de
n
4
�LOI DU 5 JU ILLET 1844
30
ce droit, alors même qu’il aurait été réalisé avant que
le prétendu contrefacteur eût été mis en prévention.'
Il est vrai qu’en matière criminelle , cette doctrine
s’étaye sur l’art. 4 du Code d’instruction criminelle.
Mais , dans la matière que nous examinons, elle a un
fondement non moins juridique dans l’intervention qui
a rendu la société partie au procès, et lié l’instance en
tre elle et le breveté. On ne saurait donc admettre qu’en
se retirant de l’instance , le poursuivant en amenât la
ruine contre l’intérêt général qui s’est légalement mani
festé et produit avant cette retraite.
315. — A la faculté d’intervenir, la loi a joint, pour
le ministère public, le pouvoir d’agir directement et par
action principale. Comme pour la première, M. Renouard pense que le second existait et était admis avant,
malgré le silence gardé par les lois de 1791. Ce qui rend
cette opinion plus que probable, c’est qu’il n’est pas ad
missible que le législateur ait jamais entendu laisser la
société désarmée contre les scandales et les dangers que
pouvaient offrir certains brevets.
Dès lors, il est évident que, loin d’innover à l’endroit
de l’action directe , l’art. 37 a mis une notable restric
tion au droit du ministère public. En effet , du silence
des lois de 1791, il résultait que l’action pouvait être
1 Amiens, 29 mai 1842; — Paris, 26 janvier 1852; — Cass., 2 ju il
let -1853 ; — J.
P ., 1842,2, 638; 4 852, 4, 479; 1854, 2,236.
V.
n° 589.
infra
du
�SUR LES BREVETS D’ iNVENTION
51
exercée dans lous les cas, tandis que l’art. 37 ne l’auto
rise que si la découverte, invention ou application n’é
tait pas brevetable aux termes de l’art. 3; que si elle est
contraire à l’ordre ou à la sûreté publique, aux bonnes
mœurs ou aux lois de l’empire; que si le titre sous le
quel le brevet a été pris indique frauduleusement un
objet autre que le véritable objet de l’invention.
516. — Cette restriction est rationnelle. Le brevet
nuit sans doute à la société, par l’entrave qu’il apporte
au développement du commerce et de l’industrie. Mais
ceux qui sont le plus immédiatement lésés sont incon
testablement ceux dont l’industrie consiste à trafiquer
d'objets similaires, que le monopole du breveté leur in
terdit de fabriquer et de vendre.
On pourrait donc dire de l’extinction de ce monopole:
Primario spécial utililatem privatam, secundario publicam. Il fallait donc s’en reposer sur l’intérêt que
cette utilité privée met en jeu , et qui ne manquera pas
de se produire et de tenter de se débarrasser des liens
qui l’oppriment.
Aussi, pensons-nous qu’on aurait pu restreindre plus
encore l’action directe du ministèie public. Ce n’est que
très-exceptionnellement qu’il peut être appelé a agir,
principalement en matière civile, et son immixtion n’est
réellement nécessaire que dans le cas où le fait à répri
mer offrant un scandale ou un danger, on a à redouter
l’indifférence et l’inaction des particuliers.
Ainsi , supposez un brevet pris pour une invention
�LOI DU 6 JU ILLET 1 8 4 4 '
52
contraire à l’ordre ou à la sûreté publique, aux bonnes
mœurs ou aux lois, quel est le particulier qui en pour
suivra la nullité ? Quel est celui qui exposera les frais
et courra les chances du procès dont la réussite ellemême ne lui offrirait ni avantage ni profit ?
Il était cependant non-seulement utile mais encore
indispensable de mettre un terme au scandale d’une ex
ploitation réellement délictueuse, et de réprimer la sur
prise audacieuse faite à l’administration. L’action du
ministère public, dans ce cas, était une nécessité.
Mais où était cette nécessité , lorsque le brevet se ré
fère à un objet licite en lui-même, mais non susceptible
d’être breveté ; ou lorsqu’il a été pris sous un titre frau
duleux ? Est-ce que les industriels ou commerçants, ex
ploitant ou voulant exploiter des objets similaires, n’ont
pas, dans ces cas, à l’annulation du brevet, le même
intérêt que dans ceux où le brevet est vicié pour insuf
fisance de la description, défaut de nouveauté ou viola
tion de l’art. 18 ? Pourquoi donc autoriser pour ceuxlà, ce qu’on interdit pour ceux-ci ?
On pouvait donc , dans les uns comme dans les au
tres, s’en référer à l’initiative des intéressés, qui ne man
queront pas de faire, dans les cas prévus par les para
graphes 2 et 5 de l’art. 30 , ce qu’ils feront dans ceux
indiqués dans tous les autres paragraphes du même ar
ticle.
Quoi qu’il en soit, le législateur a pensé autrement,
déterminé peut-être par cette considération : qu’en cette
matière, le trop de précautions ne saurait nuire. Le mi-
�53
nistère public peut donc, dans les trois cas indiqués, agir directement et par action principale. Certes , on ne
l’accusera pas d’avoir abusé de ce pouvoir. Nous n’a
vons, jusqu’à présent, rencontré aucun exemple de son
exercice.
SUR LES BREVETS D’ iNVENTION
517. — Comme pour l’intervention, l’action directe
amène la nécessité de mettre en cause tous les intéres
sés au brevet. Cette exigence a un double but : 1° celui
de mettre ces intéressés en position de veiller à leurs in
térêts , et de suppléer à la négligence ou au mauvais
vouloir du breveté; 2° celui de prévenir les nombreux
procès auxquels la nullité du brevet pourrait donner
lieu entre son titulaire et ses cessionnaires et les ache
teurs de licence.
Il est rare que ces contrats aient lieu à forfait et sans
garantie. Chacun de ceux qui ont traité avec le breveté
pourra donc avoir à exiger soit des dommages-intérêts,
soit la restitution de ce qu’il a payé, soit la décharge de
ce qui serait encore d û , soit enfin un recours pour la
partie des dépens mis à sa charge.
L’appel en cause de tous devient, pour chacun , un
moyen de réaliser son droit en concluant soit principa
lement , soit subsidiairement aux adjudications qui lui
sont dues, et ainsi se trouveront réglées, par un seul ju
gement, toutes les positions.
518. — Les intéressés au brevet peuvent être fort
nombreux, fort éloignés les uns des autres, et le pour-
�f
h
54
LOI DU 6 JU ILLET 1844
suivant, le ministère public lui-même, pouvait être dans
l’impossibilité de les connaître. C’est, surtout, pour pa
rer à cette impossibilité , que l’art. 21 prescrit la tenue
d’un registre sur lequel doivent être inscrites les muta
tions intervenues sur chaque brevet, et leur constatation
trimestrielle.
Comme conséquence naturelle et juste , l’art. 38 ne
prescrit d’appeler que les intéressés dont les titres au
ront été enregistrés au ministère de l’agriculture et du
commerce. Il ne pouvait pas être, en effet, qu’on im
posât une obligation sans donner le moyen de la rem
plir.
C’est donc aux intéressés, qui ne voudront pas courir
la chance d’être condamnés sans avoir été entendus , à
exécuter les prescriptions de la loi relativement à l’en
registrement de leurs titres.
58 9. — Quant à ceux qui auraient négligé cette
formalité , ils doivent subir les conséquences de leur
faute. Non-seulement ils ne seront pas appelés dans
' l’instance , mais encore ils ne pourront , quel que soit
leur intérêt, former tierce opposition au jugement d’an
nulation. Il a dépendu d’eux d’éviter le préjudice qu’ils
éprouvent. Leur désobéissance à la loi ne saurait leur
créer aucun titre.
Pourront-ils intervenir dans l’instance ? L’affirmative
ne nous parait pas contestable. Si le ministère public est
dispensé de les appeler au procès, c’est qu’il ne les con
naissait pas , et ne pouvait pas les connaître. Mais, si,
�55
avertis à temps, ils rompent leur incognito, leur droit à
venir se défendre résulte de leur intérêt à la solution
du procès. Ils peuvent donc intervenir , mais à leurs
frais , sauf la garantie qu’ils pourraient avoir contre le
breveté, en cas d’annulation du brevet entraînant la ré
siliation de leur contrat.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
520. — De la nécessité de la mise en cause de tous
les intéressés résulte que la poursuite , en cas d’action
directe par le ministère public, sera toujours dirigée cu
mulativement contre le titulaire du brevet et les cession
naires.
Nous en concluons qu’aux termes de l’art. 35, le seul
tribunal compétent pour y statuer est celui du domicile
du breveté. "La règle tracée, à cet égard, par cet article,
s’impose à tous et lie la société agissant en nom collec
tif, au même titre que les simples particuliers. Pas plus
que ceux-ci, le ministère public n’est autorisé à distraire
le breveté de ses juges naturels , et à le contraindre à
venir plaider partout où se trouverait un des nombreux
cessionnaires avec lesquels il a traité. Cet inconvénient,
que l’art. 35 a voulu prévenir et empêcher, l’action du
ministère public ne saurait le créer. Il faudrait , pour
cela, une disposition formelle delà loi, et l’art. 38 ne
déroge en rien à la disposition générale et absolue de
l’art. 35.
521. — Si l’action du ministère public est accueil
lie et consacrée, les dépens de l’instance sont à la charge
�LOI DU 6 JU ILLET 1844
56
des défendeurs, sauf le droit, pour les cessionnaires, de
faire valoir leur recours contre le breveté, s’il y a lieu.
Si l’action est rejetée, tous les dépens sont supportés
par le trésor public.
522. — Puisque la nullité ou la déchéance absolue
est acquise à tous , il fallait que la certitude en arrivât
sur tous les points de l’empire, pour que, partout, cha
cun pût s’en approprier le profit. L’article 39 pourvoit
à cette nécessité.
Dès que la décision de justice qui a prononcé l’une
ou l’autre aura acquis force de chose jugée, le ministère
public en avisera le ministre du commerce , et, chaque
trois mois, une ordonnance insérée au Bulletin des lois
proclamera les brevets frappés de nullité ou de déché
ance, pendant le cours du trimestre.
L’époque précise où un jugement est passé en force
de chose jugée est facile â connaitre. Le délai d’appel
est déterminé par la loi , et l’exercice du droit ou son
abandon ne peut être ignoré du ministère public, puis
que c’est contre lui, sur tout, que l’appel doit être émis.
Les arrêts sont bien susceptibles de pourvoi devant la
cour de Cassation. Mais le pourvoi ne doit être notifié,
que s’il est admis par la chambre des requêtes. Jusquelà, il peut être ignoré du ministère public près la Cour
qui a statué. De plus , les arrêts sont, de droit, exécu
toires d’autorité de la cour, et le pourvoi en matière ci
vile n’est pas suspensif.
. Mais, publier en cet état l’ordonnance prescrite par
�57
les articles 39 et 14 , c’est s’exposer à être obligé de la
rétracter plus tard. Il peut se faire, en effet, que l’arrêt
soit cassé, et que la cour de renvoi juge autrement que
ne l’avait fait la première ; et, si cela arrivait, quelle se
rait la position de ceux qui,sur la foi de l’ordonnance,
auraient exploité l’industrie brevetée?
Nous croyons donc qu’il est prudent et sage qu’avant
de donner à l’arrêt d’annulation la publicité prescrite,
le ministre s’assure qu’il n’y a pas eu pourvoi, ou que
le pourvoi a été rejeté.
SUR LES BREVETS D’ INVENTION
-m -
TITRE Y
DE LA CONTREFAÇON, DES POURSUITES
EX DES P E IN E S
- r—
A rt . 40.
Toute atteinte portée aux droits du breveté
soit par la fabrication de produits , soit par
l’emploi de moyens faisant l’objet de son brevet,
constitue le délit de contrefaçon.
�58
LOI DU
6
JU ILLET
1844
Ce délit sera puni d’une amende de 100 à
1000 fr.
A rt 41.
Ceux qui auront sciemment recèle, vendu ou
exposé en vente, ou introduit sur le territoire
français un ou plusieurs objets contrefaits, se
ront punis des mêmes peines que les contrefac
teurs.
SOMMAI RE
523 Caractère et rationnalilë des dispositions des articles 40
et 41.
524 Doute que soulevait la question de savoir si la contrefaçon
devait être considérée comme un délit. — Motifs pour
l’affirmative.
525 Mais par dérogation au droit commun, le délit existe par le
fait, indépendamment de l’intention.
526 Exception pour les cas de complicité prévus par l’art. 41.
527 Caractère de cette exception —Motifs qui la justifient.
528 Obligation dans ce cas d'indiquer celui de qui on tient l'ob
jet contrefait.
529 Définition de la contrefaçon. — Caractères qui la consti
tuent.
530 Lorsque le brevet a été pris pour un produit, il y a contre
façon dans la création de produits similaires , quel que
soit le mode employé.
531 L’usurpation du nom du produit n’est pas contrefaire, si en
réalité le produit est différent.—Exemple.
�SUR LES BREVETS û ’iNVENTION
59
532 Ce qui est vrai pour le produit est vrai pour le résultat nou- *
veau.
533 Quid, si le résultat était connu et public avant l’obtention
du brevet?
534 L’emploi de quelques - uns des moyens décrits au brevet
peut constituer la contrefaçon.
535 La contrefaçon existe alors même que son auteur n’aurait
agi que d’ordre et pour le compte d’un tiers.— Ce tiers
pourra-t-il être poursuivi comme complice ?
536 Obligation du poursuivant de prouver l’identité des objets
saisis avec les objets brevetés.—Comment s’établit cette
identité.
537 Le peu d’importance de la contrefaçon ne peut faire absou
dre le prévenu.— Arrêt de la cour de Cassation dans ce
sens.—Son caractère.
538 Etendue et limite du droit privatif de l’inventeur d’une ma
chine ou d’un appareil.
539 La reproduction d’un organe isolé peut constituer la con
trefaçon.—Dans quels cas ?
540 Droit de l’inventeur d’une application nouvelle de moyens
connus.—Règle tracée par la cour de Rennes.
541 Souveraineté des tribunaux dans l’appréciation des diffé
rences alléguées.—Jurisprudence.
542 La fabrication à titre d’essai ne constitue pas la contrefaçon.
—Doctrine contraire de M. Et. Blanc.
543 Son caractère.
544 Est contrefaçon la fabrication commencée et non achevée.
545 Arrêt de la cour de Cassation dans ce sens en matière de
contrefaçon littéraire.
546 Approbation qu’en fait M. Renouard.
547 Son applicabilité à la contrefaçon industrielle.
548 Celui qui a obtenu l’autorisation d'user d’un procédé bre
veté à certaines conditions se rend coupable de contre
façon s’il ne remplit pas ces conditions,
�60
LOI DU 6 JUILLET 1844
549 La fabrication d’un objet breveté constitue la contrefaçon
quel que soit l’usage auquel cet objet est destiné.
550 De. son côté , l’usage industriel constitue le délit indépen
damment de la fabrication.
551 II en est autrement de l’usage pour ses besoins personnels.
—Exemple.
552 Ou pour les besoins d’une industrie distincte de celle du
breveté.—Arrêt notable de la cour de Cassation.
553 Son importance au point de vue de la commercialité de l’u
sage.
554 A celui du caractère de la complicité spéciale qui exclut
toute application de l'art. 60 du Code pénal.
555 Arrêts conformes à cet égard.
556 La loi déroge également au principe de la solidarité édicté
par l’art. 55 du Code pénal.—Conséquences.
557 Examen d'un arrrêt de la cour de Rouen qui paraît, juger
le contraire.
558 Résumé.
559 Caractère de la pénalité édictée contre le recélé , la vente,
l’exposition en vente ou l’introduction en France d’ob
jets contrefaits.—Condition.
560 La peine est encourue par un fait seul et isolé.
561 Difficultés que peut soulever l’existence du recèlé punissa
ble.—Doctrine de M. Nouguier.
562 Examen et réfutation. — Distinction dans le but que s’est
proposé l’achat fait sciemment.
563 Un fait isolé de vente constitue la contrefaçon.—Qui doit
prouver la bonne ou la mauvaise foi?
564 En est-il de la donation comme delà vente. — Objections
de M. Nouguier contre l’affirmative.
565 Réfutation.
5j66 L’ouvrier qui a fabriqué d’ordre et pour compte du breveté
ne peut être puni comme contrefacteur , si sur le refus
de se livrer de la part de celui-ci il vend les objets dont
il est nanti.
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
61
567 II n’y a exposition en vente que si les objets contrefaits se
trouvent dans les magasins du débitant.
568 L’introduction en France, mais à titre de transit seulement,
ne constitue pas le délit puni par l’art. 41.
569 Est contrefacteur le titulaire primitif du brevet q u i, après
cession totale, continue d’exploiler l’invention ;
570 Celui qui consent que son nom soit apposé avec celui du
contrefacteur sur les objets contrefaits.
525. — Dans les articles que nous avons examiné
jusqu’ici, la loi a prescrit les conditions et les formali
tés à remplir pour l’obtention d’un brevet , son mode
de transmission , et les obligations au prix desquelles
elle assure la conservation du monopole temporaire que
crée le brevet. Elle va maintenant s’occuper des moyens
de faire respecter ce monopole, et d’en assurer la paisi
ble jouissance à son bénéficiaire.
C’était là un devoir qui s’imposait de lui-même. Celui
qui , par son intelligence et son génie, était parvenu à
doter son pays d’un élément nouveau de prospérité et
de richesse , qui ayait fidèlement et loyalement rempli
toutes les conditions que la lui mettait à l’acquisition du
privilège, devait être assuré de jouir en paix de ce pri
vilège. Or, il était facile de prévoir que, plus la décou
verte serait utile , plus elle éveillerait la convoitise, et
multiplierait les tentatives de se l’approprier.
Il fallait donc qu’un frein énergique vint enchaîner
l’une , et que le malheureux succès des autres les em
pêchât de se renouveler. De là, les peines portées con
tre la contrefaçon.
�6 JUILLET 1844
524. — Pouvait-on , devait-on la considérer com
me un délit, c’est à dire comme une atteinte à la société
elle-même ?
Le doute pouvait naître de la nature même du fait
qui la constitue. Il est évident, en effet, que la contre
façon s’attaque principalement à l’intérêt privé du bre
veté , et le compromet plus ou moins gravement. Or,
cette atteinte n’est-elle pas suffisamment expiée par les
dommages-intérêts que le breveté obtiendra, par la con
fiscation des objets contrefaits qui sera prononcée en sa
faveur ?
*
Mais la contrefaçon pouvait avoir un autre résultat.
En rendant illusoire et Yaine la récompense que la loi
accorde aux inventeurs, elle était dans le cas de décou
rager ceux-ci, de les détourner d’entreprises qui coûtent
tant de soins et d’efforts, qui imposent souvent tant de
sacrifices. Ce découragement pouvait entraîner , à son
tour, les conséquences les plus fâcheuses, puisqu’il était
de nature à enchaîner l’essor du commerce et de l’in
dustrie, et à nuire à leur développement. Or, n’était-ce
pas là compromettre l’intérêt public et général ?
La société avait donc aussi une satisfaction à obtenir,
une garantie à revendiquer. Aussi, le caractère de délit
ordinaire imposé à la contrefaçon ne souleva-t-il aucu
ne objection, pas plus en 1844 qu’en 1791.
62
LOI DU
525. — Mais ce caractère a fait naître dans l’appli
cation une grave et sérieuse difficulté. En droit pénal,
a-t-on dit, pour qu’un, délit existe et puisse être puni,
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
68
il faut qu’à la matérialité du fait se joigne sa crimina
lité. Donc, puisque la contrefaçon est un délit, il est évident que , si le prévenu allègue et prouve sa bonne
foi , il doit être renvoyé de la poursuite; sauf le droit
du breveté de poursuivre au civil la réparation du pré
judice que le fait dommageable a pu lui occasionner.
En droit commun, le principe invoqué est incontes
table. Mais appliquer ce principe à la matière spéciale
des brevets d’invention, c’était abandonner la répression
de la contrefaçon à une appréciation purement arbitrai
re et offrant les plus graves difficultés.
L’intention qui a présidé à un délit de droit commun,
résulte souvent du fait matériel lui-même. Le voleur, le
filou, l’escroc qui a pris ou enlevé une chose qui ne lui
appartenaif pas, serait assez mal venu de parler de sa
bonne foi.
Il n’en était pas ainsi de la contrefaçon. Quels n’eus
sent pas été l’embarras et la perplexité du juge, si l’al
légation de bonne foi émanait d’un commerçant haut
placé , ayant toujours joui de la plus honorable , de la
plus universelle considération, d’une réputation de pro
bité et de loyauté jusque là sans tâche ?
Ce qui pouvait en résulter , c’était que , plus la con
trefaçon eût été redoutable par la position du prévenu,
plus elle aurait eu de chances d’échapper à toute ré. pression; et cette impunité relative aurait-elle offert de
moindres dangers que l’absence d’une sanction pénale ?
Non évidemment, et c’est ce dont les tribunaux s’é
taient depuis longtemps pénétrés. Aussi avaient-ils dé-
�v,*|*4w JkW K «-«/*r-.C ;vï.'>r
64
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
cidé que l’excuse de bonne foi n’était ni recevable ni ad
missible en matière de contrefaçon; que le fait matériel
fait encourir la pénalité édictée, sans qu’on ait à se pré
occuper de l’intention qui en a été le mobile.1
Le fondement de cette jurisprudence repose sur ce
fait que , par leur insertion au Bulletin des lois , les
brevets , comme les lois elles-mêmes , sont portés à la
connaissance de tous , et que nul n’est censé les igno
rer. Mais, de plus, tous les brevets se trouvent indiqués
sur le registre tenu au ministère du commerce , et ou
vert au public. Or, l’industriel qui veut se livrer à la
fabrication d’un produit qu’il n’avait pas exploité jus
que là , ou se servir d’une méthode nouvelle , peut et
doit s’assurer s’il le peut sans contrevenir à un brevet
existant. L’omission de toute recherche à ce sujet cons
titue la faute lourde équivalant au dol , et exclut même
toute idée de bonne foi. Il aurait pu savoir , donc il a
su, et, s’il a agi sciemment, comment l’exonérerait-on
de la peine?
S26. — Mais, sous l’empire de la loi de 1791, au
cune distinction n’était admise entre le contrefacteur et
les vendeurs recéleurs ou introducteurs, sur le sol fran
çais, d’objets contrefaits. Donc, comme pour le premier,
le fait matériel suffisait pour placer ceux-ci sous le coup
de la disposition pénale. Cette sévérité n’était ni juste
ni logique. Pouvait-on, en effet, raisonnablement exi1 V. notamment Cass., 27 décembre 1837
J. du P.,
1844, 1, 808.
�65
ger que l’acheteur , le dépositaire, l’introducteur d’une
marchandise, qu’il trouvait dans le commerce, en véri
fiât l’origine et ne l’acceptât qu’après avoir recherché ou
fait rechercher, soit au Bulletin des lois, soit au dépôt
central, si elle n’avait pas fait la matière d’un brevet?.
Si le vendeur ou le déposant était ou n’était pas luimême le breveté ou son permissionnaire ? Le respect du
monopole devait-il aller jusqu’à autoriser de pareilles
entraves à la liberté et à la multiplicité des transactions
q ui, elles aussi, sont les indispensables auxiliaires du
commerce et de l’industrie ?
Le législateur de 1844 a fait cesser cette confusion.
Aujourd’h u i, l’auteur de la contrefaçon est punissable
par le fait seul de la fabrication illégale d’objets breve
tés. La bonne foi elle-même ne saurait l’excuser. S’il a
ignoré l’existence du'brevet, il est coupable de ne pas
avoir su ce qu’il devait et pouvait savoir. Cette ignoran
ce, comme le disait la cour de Cassation, peut bien être
prise en considération pour l’appréciation des domma
ges-intérêts, mais jamais avoir pour effet de le soustrai
re à l’application de la peiné.
Les prévenus de complicité , les vendeurs , recéleurs
ou introducteurs ne sont, au contraire, passibles de la
peine, que s’ils ont agi sciemment. L’introduction de ce
mot dans l’art. 41, sa prétérition volontaire dans l’ar
ticle 40, indiquent et consacrent la distinction que nous
relevons.
527. —■ M, Benouard, dans une dissertation sur le
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�projet de la loi, blâmait cette distinction. « Si l’excuse
de bonne foi n’est pas bonne pour le fabricant, disait-il,
comment le devient-elle pour le débitant ou le déposi
taire ? N’y a-t-il pas pour tous deux même notification
officielle au public? N’y a-t-il pas même préjudice pour
le breveté ? même perte pour ses droits ? Pourquoi ces
deux systèmes si disparates dans deux articles qui se sui
vent ? Ou l’excuse est bonne, et il faut l’admettre pour
tout le monde; ou elle ne vaut rien , et il ne faut alors
l’admettre pour personne.’ »
A la chambre des Pairs, MM. Dubouchage et de Boissy
se firent les échos de ce blâme , mais sans succès. On
leur répondit : le fabricant est toujours présumé con
naître le privilège du breveté ; il existe, en effet, un dé
pôt général où il peut et doit rechercher ou faire recher
cher les inventions brevetées, avant d’appliquer son in
dustrie à des objets nouveaux. Il est donc toujours cou
pable au moins de négligence ou d’imprudence grave,
quand il fabrique un objet dont un autre a le privilège
exclusif. Mais, à la différence du contrefacteur , les in
troducteurs, débitants ou recéleurs peuvent ignorer l’ex
istence du brevet ou la qualité des objets dont ils sont
détenteurs. On ne pouvait imposer, sans une gêne ex
cessive , au commerce la même obligation qu’au fabri
cant.
528. — Cette réponse , qui convainquit la Chami Journal des économistes, décembre <1843.
�67
bre, paraît avoir impressionné M. Renouard lui-même.
En effet, s i, dans son excellent traité de la matière , il
rappelle son opinion de 1843 , il ne dit pas y persis
ter. L’unique regret que lui inspire la loi c’est que,
comme le proposait la commission chargée de préparer
le projet, on n’ait pas imposé aux débitants ou dépositai
res l’obligation de déclarer de qui ils tiennent la mar
chandise.1
Mais, si cette obligation n’est pas explicitement dans
la loi , elle y est, bien sûr, implicitement. Pour ne pas
l’y voir, il faut supposer que c’est au breveté qu’incom
be la charge de prouver que les dépositaires , débitants
ou introducteurs ont agi sciemment, ce que nous croyons
être une erreur.
À notre avis, ce qui s’induit des articles 40 et 41 c’est
que, dans tous les cas, la matérialité du fait en fait pré
sumer la criminalité. Mais cette présomption qui, pour
les fabricants, est juris et de jure, n’est plus, à l’égard
des débitants ou dépositaires , qu’une présomption de
droit comportant la preuve contraire. Or, à qui, sinon
au prévenu, peut incomber la charge de celle preuve
contraire ?
Ce n’est pas tout, en effet, que d’alléguer la bonne
foi ; il faut encore la justifier. Cette bonne foi constitue
l’exception à la poursuite, et, réellement demandeur quant
à ce, le prévenu tombe sous l’application de la règle
aclori incumbit omis probandt.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�1844
Or, de tous les éléments qui peuvent venir à l’appui
de la bonne foi alléguée, le premier et le plus indispen
sable est l’indication de celui de qui on lient la mar
chandise. Le silence gardé à ce sujet ferait supposer, ou
que le prévenu a agi sciemment, et qu’il tient à écarter
de l’instance celui qui pourrait l’en convaincre ; ou
qu’ayant pactisé avec lui, il a intérêt à se soustraire aux
justes recherches du breveté , et se sauvegarder de la
peine qu’il a encourue. Dans l’un et l’autre cas , l’ex
cuse de bonne foi serait inadmissible, et évidemment re
poussée par la justice.
Il n’est donc pas à présumer que le débitant ou le
dépositaire qui a réellement agi de bonne foi , taise le
nom de celui qui lui a vendu ou remis les objets délic
tueux , au risque de voir sa bonne foi non-seulement
révoquée en doute, mais encore repoussée. Celte alter
native lui fait donc, de celte indication, une impérieuse
nécessité, une obligation à laquelle il s’empressera d’au
tant plus de satisfaire , que sa bonne foi ne le sauvera
pas de la confiscation des objets saisis en sa possession;1
et qu’à raison du préjudice que celte mesure ne man
quera pas de lui faire éprouver, il a un recours en ga
rantie à exercer ; et que ne pas réaliser ce recours , ce
serait se convaincre de connivence.
68
LOI DU 6 JUILLET
529. — La loi de 1844 comble une autre lacune
que laissaient celles de 1791. Celles-ci, en effet, ne dé1 Infra art. 49.
�69
finissaient pas la contrefaçon , et ce silence, en autori
sant le doute, laissait une trop large voie aux. difficultés,
et ouvrait un champ trop vaste à l’interprétation.
Aujourd’hui , tout moyen de douter a disparu. Pour
que la contrefaçon existe , il faut, aux termes de l’arti
cle 40 , non-seulement qu’il y ait atteinte au droit du
breveté,mais encore que cette atteinte se soit produite.soit
par la fabrication de produits, soit par l’application de
moyens faisant l’objet de son brevet.
Donc , considérée isolément et abstraction faite des
moyens employés, l’atteinte au droit du breveté n’est pas
un délit de contrefaçon ; elle n’est punissable, que si elle
est le résultat d’une usurpation, soit quant au produit,
soit quant aux moyens à l’aide desquels il a été obtenu.
La doctrine en a donc , avec raison , conclu qu’une
fabrication qui ne serait pas de nature à porter atteinte
au droit du breveté, ou que l’atteinte qui résulterait d’u
ne fabrication ou de l’emploi de moyens, autres que
ceux du breveté, ne constituerait pas la contrefaçon.’
530. — À cet égard, cependant, il faut distinguer le
cas où le produit fait l’objet du brevet, de celui où le
brevet porte sur une nouvelle méthode, ou sur une ap
plication nouvelle de moyens connus.
Dans le premier, il y a contrefaçon dès qu’on fabri
que ou qu’on vend un produit similaire : peu importe
qu’il ait été obtenu par la méthode ou la combinaison
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
1 Nouguier, n» 723 ; — Et. Blanc, L'invent,
breveté,
pag. 623.
�70
LOI DU 6 JUILLET 1844
employée par le breveté , ou par tout autre. Le brevet
portant, non sur les moyens ou leur application , mais
sur le produit lui-même, nul autre que son bénéficiaire
ne peut créer ce produit ni l’exploiter, s’il n’en a obtenu
l’autorisation. Ainsi le décidaient formellement la cour
de Cassation et la cour de Paris, la première, le 15 mars
1856, la seconde, le 31 juillet suivant.'
531. — Bien entendu que, pour que la contrefaçon
existe, il faut que le produit donnant lieu à la poursuite
soit bien celui qui fait l’objet du brevet. Elle n’existerait
donc pas, si le prévenu s’était borné à usurper le nom
sans s’attribuer la chose. Ainsi, celui qui, par exemple,
intitule son cirage : cirage au caoutchouc , alors qu’il
n’entre pas de caoutchouc dans ce cirage, et qui emploie
des bouteilles et étiquettes semblables à celles dont se
sert l’inventeur breveté du cirage au caoutchouc , ne
saurait être poursuivi et puni comme contrefacteur. Ï1
y a là un fait de concurrence déloyale, une usurpation
de litres donnant lieu à une action en suppression et en
dommages-intérêts, mais non le délit de contrefaçon.’
532. — 11 en serait de même, si le résultat auquel
est arrivé le breveté était nouveau, quoique obtenu par
la combinaison de moyens connus. Ce résultat est, alors,
un véritable produit industriel qui, pendant toute la du1 D P., 56, 1, 227; 57, 2, 9.
2 Nouguier , n° 771 ; — Et. Blanc , Invent, breveté , pag. 638 ; —
et arrêt de Paris, du 26 décembre 1841, y cité.
�SUR LES BREVETS d ’ï NVENTTON
71
rée du brevet, appartient privativement à celui qui , le
premier, l’a inventé, et que nul autre que lui n’a le droit
de créer , même par l’emploi d’une combinaison toute
différente.
533. — Si le résultat auquel arrive le breveté était
public et connu , le brevet n’a pu avoir pour effet de
le faire sortir du domaine public , et d’en faire la pro
priété privée du breveté. Ce que le brevet garantit dans
ce cas, ce sont les moyens nouveaux ou l’application
nouvelle de moyens connus par lesquels il est obtenu.
Dans ce cas, tout le monde est libre d’arriver au mê
me résultat, pourvu qu’il l’obtienne par un procédé ou
par une application différant essentiellement de ceux em
ployés par le breveté.
Ainsi, la cour de Cassation jugeait, le 2 9 juillet 1 8 5 9 ,
que le fabricant de châles qui obtient, en variant les
couleurs du fond, des dispositions au moyen desquelles
on peut, par le pliage , donner au châle plusieurs as
pects divers, ne contrefait pas l’invention qui consiste à
oblenir un résultat semblable par des dispositions dont
la différence tient seulement à la diversité des effets du
dessin.'
Ce qui, en effet, faisait, dans cette espèce , l’objet du
brevet, était, non les châles , mais le mode spécial de
leur fabrication , une combinaison particulière du des
sin. Dès lors, celui qui, sans usurper cette combinaison
�721
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
et par des dispositions différentes, arrivait à un résultat
identique , ne s’attribuait pas le droit du breveté et ne
pouvait être coupable de contrefaçon.
534. — Mais il en serait autrement, si l’identité du
résultat n’était obtenu que par l’emploi de quelquesuns des moyens décrits au brevet. En effet, le droit pri
vatif du breveté n’embrasse pas seulement l’ensemble
de son invention, il s’étend à chacun des détails qui en
forment les éléments essentiels.
Vainement donc , le prévenu de contrefaçon exciperait-il de ce qu’il ne s’est approprié que quelques-uns
de ces détails. On lui répondrait, avec raison, que l’ar
ticle 40 réputé contrefaçon , non l’emploi de tous les
moyens, mais l’emploi de moyens faisant l’objet du bre
vet. Il serait donc condamné , à moins que le moyen
usurpé ne fût en réalité insignifiant, et un moyen d’ac
tion qu’on peut changer à volonté sans modifier la pen
sée et l’œuvre de l’inventeur.
Ce n’est donc , en réalité , que lorsqu’il s’agit d’un
produit ou d’un résultat nouveau, que l’emploi de moy
ens différents est prohibé. Quelque importante que soit
cette différence , il suffit qu’elle atteigne au produit ou
au résultat breveté, pour que le délit de contrefaçon ex
iste et que la peine soit encourue.
535. — Du principe que la bonne foi n’est pas à
considérer dans le délit de contrefaçon, il suit que l’ou
vrier qui a fabriqué l’objet contrefait se rend coupable
�73
de ce délit, alors même qu’il n’eût agi que sur l’ordre
et d’après les instructions d’un tiers.
Celui-ci pourra-t-il être également poursuivi et at
teint? L’affirmative ne saurait être contestée. De celui
qui a commandé et de celui qui a exécuté, le plus cou
pable est sans contredit le premier, et il serait contraire
à la raison et à la justice qu’il pût échapper à la peine
réservée au second.
Donc, celui qui, sans fabriquer lui-même, a fait fa
briquer les objets délictueux , se rend coupable et doit
être puni, non pas comme complice de celui qui a fa
briqué , car nous verrons que, pour la contrefaçon, les
articles 59 et 60 du Code pénal sont inapplicables , et
qu'il n’y a de complicité possible que dans les cas pré
vus par les articles 41 et 43 de la loi, mais comme co
auteur de la contrefaçon.
Nous allons plus loin encore , et nous n’hésiterions
pas à admettre qu’il est tenu de garantir l’ouvrier ou
l’entrepreneur de tout le préjudice que celui-ci éprou
verait de la poursuite et de la condamnation dont il au
rait été l’objet. L’effet de cette garantie ne pourrait être
décliné que par la preuve que l’ouvrier n’ignorait pas
le caractère de la commande , et qu’il l’a exécutée sa
chant bien qu’elle aboutissait à une contrefaçon.
Mais, si l’auteur de la commande est punissable , ce
ne peut être que dans le cas où , par son ordre même
et par les instructions qui l’accompagnaient, il a rendu
la contrefaçon inévitable. Il est évident que , demander
à un fabricant un objet quelconque,ce n’est pas encourir
SUR LES BREVETS D’INVENTION
�74
LOI DU 6 JUILLET 1844
la responsabilité des moyens d’exécution qu’il plaira à
celui-ci d’employer.
A cet égard , toutefois , il est une distinction impor
tante. Si l’objet demandé est un produit breveté que le
bénéficiaire du brevet a seul le droit de fournir, le dé
lit résulte du fait seul de la demande ; s’il s’agit, au
fconlraire, d’un objet tombé dans le domaine public , la
demande qui ne prescrit aucun mode d’exécution laisse
celui qui la reçoit entièrement libre, quant à ce; et, s’il
emploie une méthode, un procédé breveté , la faute lui
est toute personnelle, et ne saurait rejaillir sur l’auteur
de la commande.
536. — Le breveté poursuivant en contrefaçon est
obligé de prouver l’identité des objets saisis , avec ceux
pour lesquels il a pris le brevet. Les tribunaux sont
souverainement appelés à décider de celle identité. Mais
pour l’apprécier, ils ne doivent pas se borner à compa
rer ces objets entre eux. Ce qu’ils ont surtout à consul
ter, c’est la spécification contenue au brevet.
Le droit privatif porte moins sur ce que le breveté
fait, que sur ce qu’il a indiqué et déclaré vouloir faire.
Il pourrait arriver qu’éclairé par la pratique , il fût amené à faire autrement, ou à se servir de moyens non
décrits. Donc, si l’on acceptait ses produits comme base
unique de comparaison , on risquerait de lui concéder
un droit exclusif à un objet en dehors du brevet.
Sans doute, il n’est pas défendu au breveté de modi
fier ou de perfectionner son invention. Mais, ces modi-
�i
75
fications ou perfectionnements ne lui sont acquis, que
s’il s’en est assuré la possession par un certificat d’addition. A défaut, disait le tribunal supérieur de Quim
per , les uns et les autres sont tombés dans le domaine
public. D’où la conséquence que les tiers qui se les ap
proprient usent d’un droit, et ne sauraient être considé
rés comme contrefacteurs n’ayant pas contrevenu au bre
vet qui ne les décrit pas.1
SUR LES BREVETS D'INVENTION
537. —• L’identilée justifiée et acquise, le délit exis
te , la peine est encourue et doit être appliquée. Nous
avons déjà vu que les tribunaux n’ont pas à se préoc
cuper de l’intention , et que l’excuse de bonne foi n’est
ni proposable ni admissible.
, On ne saurait non plus admettre , comme excuse , la
i»
minime importance de la contrefaçon et le peu de profit
qu’en aurait retiré son auteur. Les cours d’Angers et de
Douai ayant jugé le contraire , leurs arrêts étaient l’un
et l’autre cassés les 24 avril 1856 et 20 mars 1857.’
Cette cassation était commandée par le texte et par
l’esprit de l’art. 40. Il est évident, en effet, que puisque
le délit résulte du fait matériel , il n’y a plus à distin
guer le plus ou moins d’importance que ce fait a reçu,
le peu de profit qu’il a pu procurer. Dès que le fait est
constant , et qu’il s’est produit dans les conditions de
l’article 40 , l’atteinte au droit du breveté réunit les
1 Sous Cass., 30 décembre 1843; — J. du P., 1844, 1, 839.
3 D P., 56, 1,223; 57, 1, 183.
�9
76
LOI DU 6 JUILLET 1844
caractères exigés, et ne saurait échapper à la répres
sion.
Ce qui est permis au juge c’est, au point de vue pé
nal, de puiser dans le peu d’importance de la contrefa
çon une circonstance atténuante permettant de modérer
la peine, dans les limites de l’art. 463 du Code pénal;
c’est, au point de vue de la réparation civile, d’en tenir
compte dans l’allocation des dommages-intérêts. Mais,
aller au delà et absoudre le prévenu , est un excès de
pouvoir et une violation formelle de la loi.
558. — L’inventeur breveté pour une machine,
pour un appareil, pour une combinaison, à le privilège
exclusif de leur fabrication et de leur exploitation.Toute
ingérence de tiers dans l’une et dans l’autre , sans son
autorisation, constitue le délit de contrefaçon.
«
Le droit privatif n’a d’autre limite que la spécifica
tion contenue au brevet, et il s’étend sur tout ce qui y
est décrit. Il embrasse, par conséquent, non-seulement
l’ensemble, mais encore chacun des organes qui le con
stituent, considéré et pris isolément.
559. — Ainsi, la cour de Cassation jugeait, le 6
février 1864, que la contrefaçon existe lorsque, en vue
d'imiter une invention brevetée, on reproduit un orga
ne isolé de l’appareil à raison duquel le brevet a été
pris; par exemple,le goulot d’un appareil siphoïde pour
la fermeture hermétique des eaux gazeuses ; qu’il im-
�77
porte peu que la reproduction n’ait pas porté sur la to
talité de l’appareil.'
La contrefaçon peut donc n’être que partielle, ne s’at
taquer qu’à cetains détails de l’invention. Elle n’en est
pas moins punissable, à moins que les détails reproduits
ne soient tout à fait insignifiants et, d’une nature telle,
qu’il soit impossible d’admettre que l’auteur de la re
production a eu en vue d’imiter la machine ou l'appa
reil.
540. — Le brevet pris pour une application nou
velle de moyens connus, ne confère le droit privatif que
sur l’ensemble de la combinaison et le résultat qui en
est obtenu. Chaque moyen pris isolément n’a pas cessé
d’être dans le domaine public et, par conséquent, d’ap
partenir à tous.
La cour de Rennes a consacré ce principe et en a dé
terminé l’étendue, en jugeant, le 4 décembre 1861, que
la fabrication séparée de pièces employées dans la con
struction d’une machine brevetée , et qui , prises isolé
ment, sont dans le domaine public , ne constitue pas le
délit de contrefaçon , lorsque cette fabrication n’a pas
pour objet de créer ou refaire la machine, mais seule
ment de tenir les pièces fabriquées comme pièces de re
change à la disposition des possesseurs de la machine,
pour remplacer celles qui se brisent ou se détériorent."
v:.
;
- __
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
1 J. du P , 1864, 1, 911.
« Ibid., 1862,1,656.
�6 JUILLET 1844
Dans l’espèce , le breveté ne contestait pas le droit de
fabriquer les pièces tombées dans le domaine public, avant son brevet ; mais il soutenait que lui seul pouvait
les adapter à sa machine. Mettre celle-ci en état de fonc
tionner , par le remplacement des pièces usées ou bri
sées , c’est , disait-il, la refaire ; porter atteinte à mon
droit, en me privant du bénéfice que ce remplacement
m’eût procuré.
Le tribunal de Laval avait admis ce système; mais
son jugement frappé d’appel avait été infirmé par la
cour d’Angers, le 26 novembre 1860.
Pourvoi en cassation et, le 26 juillet 1861, cassation
de l’arrêt; mais , loin d’en condamner le principe , la
Cour suprême le sanctionne implicitement. Si elle casse,
c’est pour insuffisance de motifs, attendu que le procèsverbal de saisie établissant qu’il était possible de cons
tituer la machine avec les pièces saisies, la cour d’An
gers ne pouvait relaxer le prévenu qu’après avoir cons
taté qu’il n’avait pas fabriqué les pièces séparées pour
en former la machine , et en vue de la contrefaçon , ce
qu’elle avait omis de faire.'
C’est sur le renvoi prononcé par la cour de Cassation,
et en réunion de chambres, que la cour de Rennes rend
l’arrêt que nous venons d’indiquer, et qui, comme celui
de la cour d’Angers, infirme au fond le jugement.
Second pourvoi en cassation ; mais cette fois sans suc78
LOI DU
�79
cès, car ce pourvoi est rejeté par arrêt du 5 juillet
4862.'
Donc , le monopole du breveté pour une application
nouvelle de moyens connus , se borne à exploiter et à
fournir le résultat obtenu par l’ensemble de la combi
naison. Tout le monde a le droit de fabriquer et de ven
dre les pièces constituant cet ensemble et qui sont dans
le domaine public; non pas seulement telle ou telle piè
ce isolée, mais toutes les pièces qui offrent ce caractère.
Seulement, si, par la réunion des pièces fabriquées, on
peut constituer la machine , le prévenu pourra être dé
claré contrefacteur , mais il ne pourra l’être qu’en tant
qu’il serait acquis et constaté, en fait, qu’il n’a fabriqué
les pièces que dans ce but et en vue d’une contrefaçon.
Il n’existe pas de délit, s’il n’a fabriqué que pour ven
dre et fournir les pièces usées ou cassées.
541. — Il est évident que, dans la conviction de ne
pouvoir impunément violer ouvertement la loi, les con
trefacteurs s’efforceront d’y parvenir par des moyens dé
tournés; et lorsque, appelés en justice, on leur deman
dera compte de leur usurpation, ils ne manqueront pas
de faire valoir les différences à l’aide desquelles ils ont
tenté de la déguiser.
Mais les tribunaux , qui jusqu’à prés°nt ont déjoué
ce calcul, ne manqueront pas de le déjouer encore par
une juste sévérité dans l’appréciation des prétendues difSUR LES BREVETS D’iNVENTlON
1 J.
du P.,
1863, 1, 508.
�80
LOI DU 6 JUILLET 1844
férences. A cet égard, la cour de Douai a posé une rè
gle aussi rationnelle que juridique , en décidant , le 30
mars 1846, que celui qui usurpe une partie essentielle
d’un procédé commet le délit de contrefaçon, lors même
qu’il a apporté des modifications à ce procédé, si, toute
fois ces modifications laissent subsister l’idée première,
son application capitale, son résultat industriel.'
Par application de celte règle, il a été jugé :
Par la cour de Lyon, le 25 mai 1853, qu’il y a con
trefaçon d’un appareil breveté pour l’obtention d’un ré
sultat industriel nouveau, au moyen de l’emploi d’une
force naturelle, par cela seul qu’un autre appareil, quelle
que soit sa différence de forme avec le premier , agit en
vertu de la même loi que celui-ci, et réalise l’idée fon
damentale de l’inventeur ; 1
Parla même Cour, le 13 décembre 1861, qu’une dif
férence dans la composition élémentaire de deux pro
duits industriels , dont l’un est breveté , n’empêche pas
qu’il n’y ait contrefaçon , quand celte différence tient à
une modification chimique sans importance ;3
Far la cour de Paris, le 13 mars 1862, qu’il y a con
trefaçon d’un appareil breveté pour l’obtention d’un ré
sultat industriel nouveau, au moyen de la combinaison
d’éléments déjà connus , dans la fabrication d’un autre
appareil qui, malgré certaines dissemblances avec le pre1 J. du P., J847, 2, 352.
2 Ibid., 4859,2, 1036.
s Ibid., 1862, 1, 725.
�SUR LES BREVETS D’jNVENTlON
81
mier, reproduit la même combinaison dans ce qu’elle a
de principal au point de vue du but atteint par l’inven
teur.'
Que deviendrait, en effet, le droit du breveté , si , à
l’aide de différences plus ou moins insignifiantes, cha
cun pouvait s’emparer de son idée, l’exploiter et établir
ainsi une redoutable concurrence? Bientôt le brevet ne
serait plus qu’un titre vain et illusoire, qui ne vaudrait
pas les sacrifices qu’il aurait coûtés.
C’est aux tribunaux à prévenir et à réprimer de pa
reilles tentatives, et à assurer au breveté la protection et
les garanties que la loi a entendu et voulu lui conférer.
542. — La fabrication à titre d’essai constitue-t-elle
la contrefaçon punissable ?
L’affirmative est considérée, par M. Et. Blanc, com
me une conséquence logique et nécessaire , si l’on veut
prendre au sérieux la protection que la loi accorde à
l’inventeur breveté. Qu’on ne dise pas, enseigne-t-il, que
cette solution porte un coup mortel à l’industrie, et qu’
elle anéantit le droit consacré par la loi et qui appartient
à tous , de chercher des perfectionnements aux inven
tions brevetées 1 Celui qui voudra étudier une machine
pour la perfectionner , pourra l’acheter du breveté et
faire ainsi ses expériences. D’ailleurs, ne voit-on pas
qu’il y aurait les plus graves dangers à autoriser les es
sais, et ne serait-ce pas donner un sauf-conduit illimité
1 J du P., 4862, 1 638.
�LOI DU 6 JUILLET 1844
82
à la fraude, que d’admettre la fabrication sous prétexte
d’essais ? En effet, les résultats de cette fabrication ne
seront-ils pas, plus tard, employés ou vendus au préju
dice des droits du breveté ? '
543. — Cette doctrine, on le voit, suppose la fabri
cation d’une machine identiquement semblable à celle
qui fait l’objet du brevet, et, dans ce sens, elle pourrait
paraître juridique. Mais est-ce là ce qui pourrait être
qualifié d’essai ? Qui dit essai, dit tâtonnements, épreu
ves, expériences pour arriver à la. réalisation d’un pro
jet dont on poursuit l’exécution.
Donc, celui qui, ayant conçu la pensée de modifier
ou de perfectionner une machine brevetée , se livrera à
des essais , ne fabriquera pas purement et simplement
cette machine, il y introduira nécessairement les chan
gements, les organes nouveaux dont il veut faire résul
ter les modifications ou les perfectionnements qu’il a
imaginés ; et ce n’est qu’à cette condition qu’il lui sera
possible de donner à son agissement la qualification d’es
sai. La machine que j’ai fabriquée , dira-t-il avec rai
son , se rapproche plus ou moins de la machine breve
tée, mais elle en diffère par les modifications que j’ai
introduites dans la constitution ou dans le jeu de ses
organes ; et celte fabrication n’est que l’exercice du droit
de perfectionnement que me donnait la loi.
Serait-il possible , dès lors, de le considérer et de le
1 L'invent, brevet., pag. 633.
�83
punir comme contrefacteur ? Pourrait-on lui reprocher
de n’avoir pas obtenu un brevet de perfectionnement?
Mais, pour obtenir ce brevet, il fallait offrir des résul
tats, s’assurer de leur possibilité, de leur utilité, c’est à
dire se livrer à des essais. Dès lors, faire de ces essais
un délit, ce serait, en réalité , porter une mortelle at
teinte à l’industrie, et anéantir le droit qui appartient à
tous de chercher des perfectionnements aux inventions
brevetées.
Sans doute, la limite qui sépare les essais de la con
trefaçon peut offrir des difficultés dans sa détermina
tion. Mais, comme l’enseigne fort judicieusement M.
Nouguier.les tribunaux ont une souveraine appréciation
des circonstances du fait, et pour rechercher s’il existe ré
ellement, non une exploitation du brevet, mais unique
ment des essais, des expériences sans publicité aucune,
sans préjudice possible ; et, dans leur désir et leur de
voir de maintenir intacts les droits du breveté, ils auront
le soin d’empêcher que la faculté d’expérience ne dégé
nère en abus, et ne serve de prétexte à une concurrence
illégale.'
544. — Si l’excuse d’essais est rejetée, le fait d’a
voir fabriqué une machine contrefaite est une contrefa
çon punissable , alors même qu’il n’en aurait pas été
fabriqué d’autre, et que celle qui l’a été serait constam
ment restée en la possession du contrefacteur.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
1 N» 748.
�84
LOI DU
6 JUILLET 1844
Mais, faut-il que la fabrication soit complète et achevée ; suffit-il, au contraire, qu’elle soit commencée,
pour que le délit existe ?
La doctrine s’est prononcée dans ce dernier sens. La
fabrication est, par elle-même, une contrefaçon , abs
traction faite de la mise en vente des objets contrefaits,
et alors même qu’elle ne porterait que sur quelques or
ganes de la machine brevetée. C’est cette reproduction
partielle que présentera inévitablement la fabrication
commencée. Dès lors , le délit existant, on ne pouvait
réduire celui qui a le droit d’en poursuivre la répres
sion , à ne l’exercer qu’après en avoir subi les consé
quences préjudiciables dont il est menacé.
La faculté de prévenir un dommage est la conséquen
ce du droit d’en obtenir la réparation. L’intention qui
fait entreprendre une fabrication illicite ne saurait être
douteuse. On ne la commence que pour l’achever ; et
comme on ne fabrique pas pour le seul plaisir de per
dre son temps et son argent, on peut, sans Démérité,
admettre qu’on ne le fait qu’en vue du profit qu’on es
père en retirer.
Donc, le breveté qui apprend qu’un autre que lui se
livre à la fabrication de l’objet breveté, n’est pas obli
gé d’attendre que cette fabrication soit complète et ache
vée ; il est recevable et fondé à intervenir immédiate
ment , à faire saisir les parties fabriquées ou en cours
d’exécution, et à arrêter, dès l’origine, l’atteinte portée
à son droit.'
1 Nouguier, n° 746; — Renouard, n° 13; — Et Blanc, pag. 635.
�85
545. — La cour de Cassation l’a nettement consa*
cré ainsi , non , il est vrai , en matière de contrefaçon
industrielle , mais à l’occasion de l’impression d’ouvra
ges littéraires du domaine privé.
Les éditeurs du poème De l'imagination , de Delille,
firent saisir chez un libraire de Paris quelques feuilles
déjà imprimées et des planches terminées , qui ne lais
saient aucun doute sur le projet d’une contrefaçon. Sur
leur poursuite, le tribunal et la cour de Paris punirent
ce libraire comme contrefacteur.
Celui-ci se pourvut en cassation, et, à l’appui de son
pourvoi, il disait :
« Ce n’est pas l’impression de l’ouvrage que le lé
gislateur a voulu punir. L’exemplaire entre les mains
d’un individu est sa propriété ; c’est un meuble dont il
peut faire usage comme de tous ceux qui lui appartien
nent ; cet usage ne lui est interdit qu’autanl qu’il est
nuisible à quelqu’un. Or, la réimpression d’un livre ne
devient préjudiciable aux éditeurs, qu'autant qu’elle est
suivie de débit et qu’elle porte atteinte au droit qu’ils
ont acquis de l’imprimer et de le vendre, et vendre ex
clusivement à tout autre.
» Ce n’est donc que dans le débit qui constitue une
concurrence destructive du droit exclusif , que se trouve
le délit pour lequel le législateur a établi des peines ; il
n’y a donc pas de délit ni, conséquemment, lieu à pro
noncer une condamnation , dès que l’ouvrage prétendu
contrefait n’a pas été débité. Ainsi, dans l’espèce, le de
mandeur en cassation n’a pu être réputé ni coupable,
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�P
86
LOI DU 6 JUILLET 1844
ni passible d’une réparation, à moins de prétendre que
la loi a voulu atteindre le soupçon, la simple présomp
tion fugitive, de même que l’action, ce qui ne peut pas
raisonnablement se supposer. »
Mais la cour de Cassation déclare que la réimpression
d’un ouvrage du domaine privé, dont l’existence est éta
blie par la saisie de feuilles déjà imprimées, constitue,
non une simple tentative de contrefaçon, mais une con
trefaçon réelle. En conséquence, elle rejette le pourvoi,
par arrêt du 2 juillet 1807.
546. — M. Renouard, qui cite cet arrêt, insiste sur
le caractère juridique de la doctrine qu’il consacre.
« Cette jurisprudence me semble bien fondée, dit-il. Ce
n’est pas seulement sur le préjudice déjà éprouvé, c’est
aussi sur le préjudice possible que doit s’étendre la ga
rantie assurée au privilège. Si l’on s’en tenait à la ré
paration du préjudice déjà causé effectivement, il fau
drait donc, lorsqu’une édition contrefaisante est saisie,
n’accorder de réparation qu’eu égard au nombre d’ex
emplaires vendus. Ce serait étendre la loi et presque
consacrer l’impunité. Le caractère de contrefaçon s’atta
che à toute fabrication illicite dénaturé à porter préju
dice à l’exploitation vénale de l’auteur, à troubler cette
exploitation par des risques dont la loi a expressément
voulu le garantir.' »
i N» 10.
�87
547. — Ces considérations, dont on ne saurait mé
connaître la justesse , dominent la contrefaçon indus
trielle comme la contrefaçon littéraire. Elles justifient la
solution que nous venons d’indiquer dans le cas d’une
fabrication commencée.
Mais il y a entre celle-ci et celle-là cette différence,
que la contrefaçon littéraire résulte infailliblement de
l’impression de quelques feuilles, de la composition des
planches ; tandis que , pour la contrefaçon industrielle,
il faut que la fabrication soit assez avancée pour qu’on
puisse se créer une idée nette et précise de l’intention et
du but de son auteur. Comment, en effet, reconnaître
le délit, si l’on se trouve en présence d’une ébauche
plus ou moins informe, même de la confection d’un ou
de quelques organes isolés ? Et si ces organes incapa
bles de constituer la machine peuvent recevoir une au
tre destination , comment affirmer qu’ils ont été fabri
qués , non.en vue de celle-ci, mais pour se livrer à la
contrefaçon ?
Çette incertitude et ce doute si difficile à trancher ex
pliquent la rareté, disons mieux, l’absence de poursui
tes pour fabrication commencée. Nous n’en n’avons
touvé aucun exemple ni dans la doctrine, ni dans la ju
risprudence.
Mais le droit existe, et, le jour où il sera exercé, les
tribunaux ne manqueront pas de le consacrer, s’il leur
est démontré que la fabrication entreprise ne l’a été
qu’en vue et dans le but d’une contrefaçon.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
r
�88
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
548. — Celui qui use d’un procédé breveté , avec
l’autorisation du titulaire du brevet , doit se conformer
aux conditions que lui fait cette autorisation. En dehors
de ces conditions, l’usage auquel il se livrerait consti
tuerait la contrefaçon. Voici une espèce dans laquelle la
cour de Cassation l’a expressément consacré.
Les sieurs Alcan et Péligat avaient pris un brevet pour
un procédé de graissage et de dégraissage des laines par
l’acide oléique résidu de la fabrication des bougies sté
ariques. Ils avaient autorisé divers fabricants de draps
à se servir de leur procédé, à la charge par eux de leur
acheter l’oléine dont leurs opérations exigeraient l’em,ploi.
Les fabricants s’étant pourvus ailleurs, au mépris de
cette condition , les brevetés firent procéder à la saisie
des laines préparées suivant leur procédé, et poursuivi
rent en contrefaçon.
Leur demande ayant été accueillie en première ins
tance et en appel, les fabricants se pourvurent en cassa
tion. Devant la Cour suprême ils soutenaient que l’em
ploi du procédé ayant été autorisé, ils ne pouvaient êlre
réputés contrefacteurs ; que la violation de la condition
qui leur avait été imposée n’était qu’une inexécution du
contrat pouvant donner lieu à des dommages-intérêts,
et non revêtir le caractère d’un délit.
Mais l’arrêt qui intervint le 20 aoi\t 1851, considère
qu’il est établi, en fait, que les demandeurs en cassation
n’ont pas exécuté la condition moyennant laquelle ils
avaient été autorisés à user du procédé breveté ; que
�89
celte inexécution avait anéanti l’autorisation et mettait
obstacle à ce qu’elle pût être invoquée comme justifiant
l’emploi de ce procédé ; en conséquence il rejette le pour
voi.'
SUR LES BREVETS D’iNVENTlON
549. — La fabrication d’un objet breveté est une
contrefaçon punissable indépendamment de l’usage pour
lequel elle a été entreprise et exécutée. Qu’elle ait eu
pour objet les besoins industriels de son auteur, ou mê
me ses besoins personnels, le délit existe, et, nous l’a
vons déjà dit, son auteur n’en aurait pas moins encouru
les peines portées par la loi.
Le respect de celte règle a été poussé à ce point que
le tribunal de Paris jugeait, le 20 juillet 1834, que la
fabrication qui n’a eu pour but que de créer un modèle
qui n’est jamais sorti des mains de l’auteur de cette fa’ rication, constituait la contrefaçon.
La raison juridique de cette règle est, d’abord, l’usur
pation du droit exclusif du breveté; c’est, ensuite, l’at
teinte à son intérêt, car, s’il avait lui-même vendu l’ob
jet illégalement fabriqué, il eût réalisé un bénéfice.
La privation de ce bénéfice est sans doute une perte
minime ; mais la tolérance dont elle serait l’objet pour
rait entraîner les plus graves conséquences. En effet, ce
qui serait licite pour l’un, le serait pour tous, et bientôt
chacun de ceux qui auraient à se pourvoir de l’objet
1 D. P., 54, 5, 78,
�90
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
breveté, le fabriquerait lui-même ; et que deviendrait le
privilège accordé par la loi.
Il n’y a donc à considérer ni le motif ni le but de la
fabrication , ni l’usage auquel elle est destinée. Dès
qu’elle a été réalisée sans l’autorisation du breveté , le
délit de contrefaçon existe, et la peine est encourue.
550. — De son côté, l’usage par lui-même et indé
pendamment de la fabrication, constitue ce délit. Ainsi,
celui qui achèterait une machine contrefaite et qui l’ex
ploiterait pour les besoins de son industrie, devrait être
et serait infailliblement déclaré contrefacteur.
Vainement exciperait-il de son ignorance, de sa bon
ne foi. L’une ou l’autre pourrait bien faire excuser le
fait de l’achat , mais jamais autoriser une exploitation
qui est une atteinte réelle au droit du breveté, et l’usur
pation de son privilège.
La cour de Cassation s’est invariablement prononcée
dans ce sens. Son dernier arrêt, à la date du 12 juillet
1 8 5 1 , pose en principe que le droit privatif du breveté
comprend non-seulement la confection et la vente de
l’objet breveté, mais encore la fabrication et le débit
de ses produits ; qu’en conséquence, le négociant ou le
fabricant qui achète une machine contrefaite pour en
faire un usage commercial et établir ainsi un commerce
préjudiciable au breveté , et qui a à s'imputer d’avoir
négligé de recourir au moyen queHa loi lui offrait, pour
vérifier et reconnaître si les procédés employés n’étaient
pas brevetés, doit être considéré comme contrefacteur,
�91
et encourt les peines prononcées par la loi à raison de
ce délit.'
551. — On remarquera que la cour de Cassation
parle de l'usage commercial. La concurrence, en effet,
ne peut résulter que de cet usage qui s’applique aux
nécessités d’une industrie et amène un débit plus ou
moins important.
C’était là implicitement reconnaître que l’achat pour
les besoins exclusifs et personnels de l’acheteur ne sau
rait constituer la contrefaçon punissable.
Ce n’est pas à celte déduction logique que s’arrête
l’arrêt ; il la consacre expressément en décidant que le
principe qu’il vient de poser ne saurait s’appliquer à
celui qui n’achète un objet contrefait que pour son usa
ge personnel, et sans intention de spéculation commer
ciale ; que, notamment, le propriétaire ou le cultivateur
ne peut être poursuivi pour contrefaçon relativement aux
machines et instruments contrefaits, dont il fait emploi
pour améliorer les produits desa culture,soit qu’il les des
tine à sa consommation, soit qu’il se propose de les ven
dre; que cette dernière circonstance ne constituant pas
une opération commerciale , la vente des produits ne
cesse pas d’avoir le caractère d’un usage personnel.
Dire , comme on le faisait dans l’espèce , que cette
vente était de nature à porter, dans une certaine limite,
préjudice au breveté, quel qu’en fût le caractère légal ;
SUR LES BREVETS D’INVENTION
! J. du P , <852, 2, 543, et la note.
�LOI DU 6 JUILLET 1844
92
qu’elle constituait donc la contrefaçon, puisqu’il, y avait
atteinte à son droit, et que cette atteinte s’était produite
en faisant usage de la chose brevetée , c’était non re
vendiquer le droit du breveté, mais lui donner une ex
tension qu’il ne comportait pas. Le préjudice qui peut
naître de l’usage en dehors de la fabrication, ne résulte
que de la concurrence qu’il est facile d’entrevoir et na
turel de redouter. Or , quelle concurrence établira la
vente de récoltes, pour l’inventeur breveté d’une herse,
d’une charrue, d’une batteuse, d’un ventilateur.
Ira-t-on jusqu’à prétendre qu’il y a contrefaçon pu
nissable dans l’emploi fait par une couturière , par un
tailleur, par un menuisier , d’éguilles, de ciseaux ou de
rabots contrefaits? Cependant, comme le dit avec raison
M. Renouard, l’outil de l’ouvrier est, à parler le lan
gage exact de la science , une machine avec laquelle il
fabrique, et dont les produits entrent dans le commerce.
Dans tous ces cas, le breveté ne peut alléguer d’autre
préjudice que la privation du profit qu’il eût réalisé, s’il
eût lui-même vendu la machine ou l’outil contrefait.
Mais est-il possible d’exiger qu’avant de contracter, l’a
cheteur aille s’informer si ce qui est exposé en vente est
ou non breveté ; et, si cet achat est légitime , comment
pourrait-on le faire dégénérer en délit, toutes les fois
qu’il n’a pas pour objet une revente commerciale?
552. — La jurisprudence est allée plus loin enco
re. La cour de Paris et la cour de Cassation ensuite out
jugé, que l’usage, pour être délictueux, devait non-seu-
�93
lement offrir un but commercial, mais encore avoir pour
objet l’exercice de l’industrie que le breveté exploite ; et
que l’achat d’objets brevetés, même sciemment contrac
té, non pour les mettre en vente, mais pour les appli
quer aux besoins d’un commerce étranger à cette in
dustrie , ne constitue pas la contrefaçon punie par la
loi.
Un sieur Crignon, limonadier à Paris, avait fait ar
genter par le procédé Ruolz et Elkinton , divers usten
siles servant à son commerce. Les cessionnaires du bre
vet firent procéder à la saisie de ces ustensiles, et le pour
suivirent en contrefaçon. Jugement qui repousse leur
demande.
Sur l’appel et devant la Cour, les brevetés soutenaient
qu’en autorisant la poursuite des recéleurs d’objets con
trefaits, l’art. 41 avait entendu parler de tous détenteurs
de mauvaise foi de ces objets; que si cet article n’est
pas applicable au particulier qui destine ces objets qu’il
délient à son usage particulier , il en est autrement de
celui qui achète pour revendre ou seulement pour louer,
Part. 632 du Code de commerce assimilant l’achat pour
louer à l’achat pour revendre; qu’il suffit d’ailleurs,
pour que l’art. 41 soit applicable, que l’acheteur retire
de l’objet contrefait un profit commercial, car, en pareil
cas, on ne peut l’assimiler au particulier'qui s’est muni
d’objets contrefaits pour son usage personnel; qii’en'toiit
cas le prévenu devait être déclaré coupable de la com
plicité pa'r dons ou promesses , puisque l’argenture des
objets dont s’agit n’avait eu lieu que moyennant un prix
convenu.
SUR LES BREVETS D INVENTION
�6 JUILLET 1844
Ces arguments ne furent point accueillis, et l’arrêt
qui intervint, le 30 avril 1847, confirme le jugement,
et voici par quels motifs :
« Considérant qu’en admettant même que l’art. 60
du Code pénal soit applicable à la complicité en matière
de contrefaçon,concurremment avec les dispositions spé
ciales contenues à cet égard dans l’art. 41 de la loi du
5 juillet 1844 , le fait imputé à Crignon , par les plai
gnants , d’avoir sciemment, moyennant un prix conve
nu , fait argenter par des procédés contrefaits des usten
siles à lui appartenant, ne constituerait pas, alors même
qu’il serait établi, une provocation par dons et promes
ses à commettre le délit de contrefaçon, et ne pourrait,
dès lors, donner lieu contre lui à l’application dudit ar
ticle ;
» Considérant, d’une autre p art, qu’en supposant
que les ustensiles dont s’agit aient été argentés par des
procédés contrefaits, et que Crignon en ait eu connais
sance, il est établi au procès qu’il n’a ni vendu, ni ex
posé en vente lesdits ustensiles , et que l’usage qui en
aurait été fait par lu i, pour les besoins d’un commerce
tout à fait étranger à l’industrie des plaignants, ne sau
rait constituer, de sa part, le fait de recélé d’objets con
trefaits puni par ledit article 41, et passible des peines
qu’il prononce. »
Cet arrêt fut déféré à la cour de Cassation. On lui re
prochait d’avoir méconnu et violé les articles 60 du Code
pénal et 41 de la loi de 1844 , et ce reproche s’étayait
94
LOI DU
�95
des considérations vainement invoquées devant la Cour
impériale.
Mais la Cour suprême, plus affirmative que celle-ci,
déclare qu’en matière de contrefaçon , il ne peut exister
de complicité que dans les cas prévus par les articles
41 et 43 de la loi spéciale ; que , par conséquent, la
cour de Paris n’avait pu violer l’art. 60 du Code pénal,
inapplicable dans l’espèce ;
Qu’il n’y avait pas non plus violation de l’art. 41, le
fait par Crignon de s’être procuré et d’avoir conservé en
sa possession des usten«iles argentés en contrefaçon non
pour les revendre , mais pour s’en servir à son usage
personnel ou dans l’exercice de sa profession de limo
nadier, ne saurait constituer le fait prévu et atteint par
cet article ; elle rejette donc le pourvoi par arrêt du 25
mars 1848.'
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
553. — Cette jurisprudence est importante à un dou
ble point de vue : d’abord elle détermine et précise ce
que doit être la commercialité qui imprime à l’usage le
caractère de délit ; elle n’est acquise que si l’objet con
trefait n’a été fabriqué, ou que, s’il a été acheté, il ne
l’a été que pour l’exploiter ou le débiter, et créer ainsi
une concurrence au breveté.
N’est donc pas contrefacteur ni recéleur celui qui n’a
acquis les objets contrefaits que pour ses besoins per-
�96
LOI DU 6 JUILLET 1844
sonnels ou ceux de son industrie complètement étrangère
à celle du breveté.
Cependant, même dans ce cas, n’y a-t-il pas réelle
ment atteinte au droit de débit exclusif de celui-ci? Dès
que ses produits étaient nécessaires à l’industrie de l’a
cheteur, cet acheteur en les demandant à la contrefaçon
ne lui a-t-il pas arraché le profit qu’il eût retiré s’il
les eût fournis ?
La cour de Cassation ne s’est nullement préoccupée
de ce point de vue qui, d’ailleurs, ne lui était pas mê
me soumis; l’eût-il été, aurait-elle dû et pu l’ac
cueillir ?
Nous en doutons. De toute certitude , le préjudice,
dans la limite que nous indiquons , existe ; mais on ne
saurait élever ce préjudice à la hauteur d’un délit de
contrefaçon. Tout au plus y trouverait-on le germe d’u
ne action en dommages-intérêts. Mais comment con
cilier l’idée de cette action , si le fait en lui-même ne
constitue ni délit ni contravention, et n’est dès lors que
l’exercice d’un droit.
O r, si bien la cour de Cassation le considère ainsi,
qu’elle repousse la confiscation des objets saisis, malgré
la disposition de l’art. 49. Donc,elle ne considère l’ache
teur ni comme auteur ni comme complice de la contre
façon. Comment, dès lors, le condamner à des domma
ges-intérêts quelconques ?
D’ailleurs, le préjudice est ici bien moins dans le fait
de l’acheteur que dans celui du vendeur qui a fabriqué
ou vendu les objets contrefaits. Or, le droit du breveté
�97
contre celui-ci est incontestable, et son exercice amènera
infailliblement la réparation du préjudice dont il peut
avoir à se plaindre.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
554. — Le second point à noter dans l’arrêt du 25
mars 1 848 , est cette proposition que la cour de Paris
n’avait pas cru devoir résoudre, à savoir : qu’en matière
de contrefaçon, la complicité ne saurait exister en de
hors des cas spécifiés par les articles 41 et 43 de la loi
spéciale ; qu’en conséquence l’art. 60 du Code pénal ne
peut être ni invoqué ni appliqué.
555. — Ce principe n’a pas cessé de servir de règle
à l’autorité judiciaire, et se retrouve dans une foule d’ar
rêts subséquents, qui l’appliquent dans toute sa ri
gueur.
Ainsi, la cour de Cassation jugeait :
Le 26 juillet 1850, que la complicité en matière de
contrefaçon est réglée par les articles 41 et 43 , et non
par l’art. 60 du Code pénal; qu’en conséquence ne peu
vent être punis comme complices du délit de contrefaçon
que ceux qui, suivant les dispositions limitatives desdils
articles 41 et 43, ont favorisé la contrefaçon soit en recélant, vendant ou exposant en vente ses produits, soit
en les introduisant sur le territoire français, soit en s’as
sociant avec le contrefacteur ; que la peine ne saurait
être étendue à celui qui a été sciemment l’intermédiaire
du contrefacteur, auprès d'un acheteur des objets pro
venant de la contrefaçon
© ;»
Il — 7
�6 JUILLET 1844
Le â1 novembre 1851, que le fait d’avoir commandé
les objets fabriqués en contrefaçon , tels , par exemple,
que des ressorts mécaniques pour la chapellerie, et d’a
voir refusé d’en prendre livraison , ne constitue pas la
complicité du délit de contrefaçon, dans le sens des dis
positions restrictives et exceptionnelles de l’art. 41.'
98
LOI DU
556. — La complicité du délit de contrefaçon qui
déroge au droit commun de l’art. 60 du Code pénal , y
déroge également au point de vue du principe de la so
lidarité entre complices du même délit’. Tous ceux qui
ont recélé, vendu ou exposé en vente , introduit sur le
territoire français des objets contrefaits, ont commis cha
cun le délit de complicité de contrefaçon. Mais, quelque
corrélation qu’il existe entre le fait de l’un et de l’autre,
il n’y a pas, il ne saurait y avoir un seul et même dé
lit. Chacun d’eux ne peut et ne doit répondre que de
son acte propre et dans les proportions qu’il lui a don
nées.
Ainsi, celui qui est convaincu d’avoir vendu quel
ques-uns seulement des objets contrefaits, n’est tenu des
dommages-intérêts du breveté , qu’à l’occasion de ces
mêmes objets. Il y aurait injustice flagrante à lui infli
ger la responsabilité de tout le dommage que celui-ci
éprouve soit de la vente opérée par d’autres, soit de l’im
portance de la fabrication.
1D.P , 51, 5, 54, 55
2 Art. 65 C. pénal.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
99
Où est, en effet, le lien qui unit les uns aux autres
des personnes qui ne se sont ni concertés ni entendues?
qui agissent à des distances souvent fort considérables ?
Et si aucun n’a existé, où serait le fondement juridique
de la solidarité ?
Cependant, la cour de Paris avait cru devoir l’admet
tre et la consacrer. Mais son arrêt encourut la censure
de la Cour suprême, qui en prononça-la cassation le 16
août 1861.
La Cour régulatrice pose en principe que celui qui a
vendu quelques-uns seulement des objets fabriqués par
un contrefacteur, ne saurait être considéré comme com
plice de tous les faits imputables à celui-ci, et com
me n’ayant commis avec lui qu’un même délit; qu’en
conséquence il ne peut, quant aux dommages-intérêts
et frais, à raison du préjudice causé par l’ensemble de
la contrefaçon, être passible de la solidarité que l’arti
cle 55 du Code pénal prononce contre les individus con
damnés pour un même délit ;
Que les débitants qui ont vendu ou exposé en vente,
chacun dans l’exercice de son commerce et sans aucun
concert entre eux , des produits contrefaits , ne sont pas
complices les uns des autres et n’ont p as, non plus,
commis un même délit, mais des délits distincts sans
lien ni connexité, qui autorisât à leur infliger la solida
rité réservée aux auteurs ou complices d’un même fait.'
�100
6 JUILLET 1844
En d’autres termes, la Cour de cassation n’admet de
solidarité ni des complices avec le contrefacteur , ni
des complices entre eux. Chacun n’a légalement à ré
parer que le préjudice qu’il a personnellement occa
sionné.
557. — Un arrêt de la cour de Rouen , du 4 août
1859, semble s’écarter de celte doctrine. Il juge, en ef
fet , que les prévenus de recélé , vente ou exposition en
vente d’objets contrefaits, poursuivis en même temps que
le contrefacteur , sont tenus solidairement avec lui de
l’amende , des dommages-intérêts et des frais ; qu’ils
doivent être considérés comme complices du délit du
contrefacteur, et non comme ayant commis un délit dis
tinct.'
Cet arrêt peut puiser un caractère juridique dans les
circonstances particulières de l’espèce. Si , du vendeur
au contrefacteur ou aux autres complices , il n’y a ni
identité de délit ni solidarité , il ne saurait en être de
même du contrefacteur en regard des vendeurs. La dis
tinction naturelle et juste dans le premier cas, n’aurait
ni bases ni raison légale dans le second.
Lorsqu’il n’y a en cause qu’un seul débitant, et que
le contrefacteur poursuivi cumulativement n’a à répon
dre qu’à l’occasion des marchandises saisies chez ce
débitant, il n’y a évidemment qu’un seul et même délit,
dont le contrefacteur est l’auteur, et le débitant le comLOI DU
�101
plice, et qui tombe, quant à la solidarité entre eux, sous
l’empire de la disposition de i’art. 55 du Code pénal.
Or, c’est précisément ce qui se réalisait dans l’espèce
de l’arrêt de Rouen. A la suite d’une saisie pratiquée
dans les magasins d’une maison de commerce, le bre
veté poursuivait et cette maison et .celui de qui elle tenait
les objets contrefaits ; il n’était pas même allégué ni que
d’autres marchandises eussent été trouvées en la posses
sion de celui-ci, ni qu’il en eût ou vendu ou remis à
d’autre.
La peine et la réparation civile n’étant demandées
que pour un fait unique , c’est avec raison que la cour
de Rouen déclarait, que la vente des objets contrefaits
ne constituait pas un délit distinct du délit de contrefa
çon ; qu’elle en est une partie intégrante, une coopéra
tion qui, pour être subséquente à ce délit, n’en peut être
séparée, et constitue la complicité.
Il n’y a donc ni antinomie ni contradiction entre cet
arrêt et celui de la cour, de cassation qui ne méconnaît
pas la complicité du débitant dans le délit du contre
facteur , mais qui la réduit aux proportions de ce que
le premier a réellement donné à sa coopération , et se
borne à déclarer que, si une corrélation peut exister en
tre la fabrication des objets mis en vente et la vente de
ces objets, on ne peut reconnaître un lien entre la mise
en vente de quelques - uns des objets provenant de la
contrefaçon et ceux de ces objets saisis chez le fabricant
ou chez d’autres vendeurs.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�102
6 JUILLET 1844
558. — En résumé, chaque débitant assume la com
plicité de la contrefaçon, mais seulement en proportion
des objets qu’il a vendus ou dont il est encore nanti.
Mais il n’encourt aucune responsabilité, quant aux ob
jets contrefaits qui sont encore en la possession du con
trefacteur ou qui ont été livrés ou vendus à d’autres ou
par d’autres. Complices du contrefacteur, dans la limite
que nous indiquons, les débitants ne le sont jamais les
uns des autres. Chacun d’eux a commis un délit sem
blable, mais non un seul et même délit.
LOI DU
559. — La pénalité édictée contre les recéleurs,
vendeurs, exposants en vente ou introducteurs sur le sol
français d’un ou de plusieurs objets contrefaits, était une
nécessité qu’on ne pouvait méconnaître. Si des actes de
cette nature ne sont pas la contrefaçon, ils la favorisent
merveilleusement. Comme on l’a souvent répété, on ne
fabriquerait pas si on ne trouvait les moyens d’écouler
ses produits. Enlever à la contrefaçon cette ressource était donc un devoir, si l’on voulait sérieusement garan
tir le juste et légitime privilège de l’inventeur.
En fait, d’ailleurs, les recéleurs , vendeurs ou intro
ducteurs sont, plus encore que le contrefacteur, les artèans du préjudice, puisqu’ils réalisent et consomment
ce q u i, de la part de celui-ci, n’est qu’une tentative.
Aussi avons-nous vu M. Renouard s’élever contre la dif
férence qu’on établissait entre eux , relativement à l’ex
cuse de bonne foi.
Mais, ainsi que nous l’avons dit, le summum jus de-
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
103
venait ainsi la summa injuria. Celui qui achète pour
revendre , peut-être de la seconde ou troisième main,
peut avoir réellement ignoré le caractère délictueux des
objets dont il n’a pas à rechercher l’origine. Et cette re
cherche, qui est un devoir pour celui qui se propose de
fabriquer un objet nouveau , n’aurait pu être imposée
aux débitants sans jeter le commerce dans la gêne la
plus nuisible , sans semer sur ses pas les obstacles les
plus dangereux.
La nécessité de prévenir ou de réprimer les atteintes
au droit du breveté,ne pouvait faire fermer les yeux sur
les conséquences de ce danger , et dès qu’en fait, la
bonne foi pouvait avoir existé , il était naturel et juste
qu’on en tînt compte.
Voilà pourquoi le mol sciemment a été écrit dans l’ar
ticle 41, qui, par un retour au droit commun en ma
tière de délits, exige, pour que le recel, la vente ou l’ex
position-en vente, l’introduction en France soit punissa
ble , non-seulement le fait matériel, mais encore l’in
tention frauduleuse.
560. — La certitude de l’un et de l’autre constitue
le délit et fait encourir la peine, alors même que tout se
bornerait à un fait isolé de recélé, de vente ou d’intro
duction. Cela résulte invinciblement des termes de l’ar
ticle 4 1 , punissant celui qui a recelé, vendu, exposé en
vente ou introduit en France a n ou plusieurs objets
contrefaits.
Le doute, s’il pouvait exister , serait dissipé par cette
�104
LOI DU 6 JUILLET 1844
circonstance : dans le projet de lo i, l’art. 41 prévoyait
et punissait le d é b it d’un ou de plusieurs objets contre
faits; mais, dans la discussion, on fit remarquer que ce
mot impliquait l’idée d’une habitude , d’une répétition
du même acte ; qu’il était donc impropre , dès qu’on
voulait atteindre et punir même un fait isolé. On sub
stitua donc le mot ven te à celui de d é b it.
Il n’y a donc pas à hésiter, le délit est acquis par un
fait unique réunissant la condition de l’art. 41. Les ma
gistrats , libres dans ce cas de modérer les dommagesintérêts , ne sauraient refuser d’appliquer la peine , au
moins dans les limites de l’art. 463 du Code pénal.
561. — Le fait matériel de vente n’est pas dans le
cas d’offrir de graves difficultés. Le recélé en a soulevé
une. Il est évident qu’il existe , dès qu’on a en sa pos
session un objet contrefait. Mais cette possession peut être la conséquence d’un achat. Y aura-t-il recélé punis
sable, si cet achat a été contracté sciemment ?
M. Nouguier se prononce pour l’affirmative, sans dis
tinguer le but que se proposait l’achat. L’acheteur qui a
été de mauvaise foi, dit-il, et qui a su que la chose a-chetée était le résultat de la contrefaçon , doit être assi
milé au contrefacteur; il s’est rendu complice du délin
quant, en donnant sciemment un asile chez lui aux ob
jets provenant du délit; en ce cas il est un recéleur,
dans le sens de l’art. 4 1.1
�105
562. — Nous ne croyons pas cette doctrine fondée.
Il nous semble que le recélé que cet article punit ne
peut s’entendre que du fait d’avoir reçu et caché chez
soi, à titre lucratif ou gratuit, les objets délictueux pour
les tenir à la disposition du fabricant, ou pour en dis
simuler l’existence ou en favoriser l’écoulement.
L’achat peut n’offrir aucun de ces caractères. Il ne
saurait, dès lors, par lui-même, constituer ni le délit ni
la complicité du délit de contrefaçon ; la possession qui
en est la suite, pourra ou non être assimilée au recélé
punissable, suivant le mobile qui a dirigé l’acheteur.
Si l’achat a eu un but industriel, par exemple , la
revente en nature, ou la création de produits destinés à
être revendus , la seule détention de la chose contre
faite, alors même que la revente n’aurait pas eu lieu, ou
que l’usage auquel elle était destinée n’aurait pas en
core été réalisé, constituerait le recélé prévu et puni par
l’art. 41.
Mais il ne saurait en être ainsi, si l’achat n’a été con
tracté que pour l’usage personnel de l’acheteur. Com
prendrait-on, par exemple, qu’on punît comme recéleur
celui qui aurait chez lui un calorifère, une serrure, une
canne-parapluie,ou tout autre objet uniquement consa
cré au service de sa maison ou de sa personne ? N’estce pas, d’ailleurs, ce que la cour de Paris et la cour de
Cassation ont formellement consacré dans leur arrêt
Crignon ?
Ce n’est donc pas la détention matérielle d’un objet
contrefait qui constitue le recélé,ce qui est seul à considéSUR I.ES BREVETS CONVENTION
�106
LOI DU 6 JUILLET 1844
rer c’est l’origine de la possession , la cause qui l’a dé
terminée. Si elle est la conséquence de l’achat, elle n’est
délictueuse que si l’achat a eu un but commercial ou in
dustriel ; s’il n’a été contracté que pour un usage per
sonnel, l’art. 41 est inapplicable , alors même que l’a
cheteur aurait connu la contrefaçon.
Mais, dans tous les cas , le possesseur est tenu d’in
diquer celui dé qui il tient la chose. Le silence volon
taire qu’il s’imposerait à cet égard ferait présumer une
collusion avec le contrefacteur, et l’exposerait à être con
sidéré comme coauteur fiu délit.
•
563. — La vente d’un objet contrefait, sciemment
faite, ne peut avoir qu’un but de spéculation et de lu
cre. Mais à qui incombe la charge de prouver ? Est-ce
au breveté à justifier la mauvaise foi, ou au vendeur à
établir sa bonne foi ?
On pourrait, dans le premier sens, dire que le délit
résidant exclusivement dans l’intention, on n’aura justi
fié la plainte que lorsqu’on aura établi cette intention.
Mais on ne saurait ne tenir aucun compte de la pu
blicité que reçoivent les brevets. Leur insertion au B u l
le tin des lo is les assimile à la loi elle-même , et l’on
pourrait dire que , comme celle-ci, nul n’est censé les
ignorer.
Que , pour la matière spéciale , ce ne soit pas là une
présomption ju r is et de ju r e excluant toute preuve con
traire , on le comprend. Il n’en restera pas moins cer
tain que , tant que cette preuve contraire ne sera pas
�i 07
faite, la présomption prévaudra. Celui-là donc qui cher
che dans cette preuve le moyen de se soustraire à la
poursuite, sera naturellement seul en position et en de
meure de l’établir.
À plus forte raison le décidera-t-on ainsi, s i, outre
la publicité prescrite par la loi, le propriétaire du brevet
n’a rien négligé de ce qui pouvait en vulgariser l’exis
tence ; s’il l’a indiqué par des annonces, des circulai
res , des affiches insérées dans les journaux. Aussi, le
tribunal de Paris, par un jugement du 29 avril 1845,
annoté par M. Nouguier, décidait-il que les débitants
d’objets contrefaits doivent être réputés avoir agi sciem
ment , si l’inventeur a donné à son brevet une grande
publicité.'
SUR LES BREVETS D’ iNVENTION
564. — Celui qui, au lieu de vendre les objets con/trefaits, les distribuerait ou les donnerait gratuitement,
devrait-il être déclaré contrefacteur, et puni comme tel?
Il est évident que, sous le rapport de l’atteinte portée
au droit du breveté, on ne saurait distinguer la dona
tion de la vente. La première est même, à ce point de
vue, beaucoup plus préjudiciable que la seconde, car la
concurrence qui en résulterait serait absolument invin
cible.1
Mais, objecte M. Nouguier, en matière pénale tout est
1 N» 804. — Conf. Paris , 3 juillet 1839; — Dalloz , Dict. gén.,
n° 3-18
2 Et. Blanc, Invent- breveté, pag. 349
�108
LOI DU 6 JUILLET 1844
de droit étroit, et il est impossible de constituer les dé
lits par analogie. Or, de ce que le breveté subit un pré
judice aussi bien par la donation qui livre au commerce
l’objet contrefait, que par une vente, ce n’est pas une
raison pour changer la signification des expressions lé
gales , pour comprendre le donateur dans la catégorie
des vendeurs. Sous ce premier point de vue, le donateur
n’est donc pas un contrefacteur. Pourra-t-on le répuler
complice ? Mais la cour de Cassation , maintenant dans
leur pureté les principes du droit criminel, a décidé
qu’on ne devait pas élargir le cercle des faits de com
plicité énumérés dans les articles 41 et 43, et qu’on fe
rait une fausse application des articles 39 et 60 du Code
pénal, en les appliquant à la législation spéciale des
brevets d’invention. Dès lors , puisque le vendeur n’est
assimilé au contrefacteur que comme étant son compli
ce, on arrive à faire du donateur le complice du com
plice , et l’on crée nécessairement un nouveau cas de
complicité.'
565. — Si cette doctrine pouvait prévaloir, il n’y
aurait bientôt plus de vendeurs ; tous ceux qui seraient
poursuivis à ce titre ne manqueraient pas de s’affubler
de la qualité de donateur qu’ils auraient eu le soin de
se ménager. Nous ne croyons pas, dès lors, qu’il ait pu
être dans la pensée de la loi d’exposer le breveté à un
si grave danger , les tribunaux , aux difficultés et aux
�109
incertitudes que soulèveraient de trompeuses appa
rences.
Nous sommes loin de méconnaître et de contester le
principe de droit criminel invoqué par M. Nouguier.
Aussi, est-ce par application de l’art. 41, que le dona
teur peut et doit être puni, non comme complice du com
plice, mais tantôt comme auteur du délit, tantôt comme
complice du contrefacteur.
En effet, ou le donateur aura lui-même fabriqué les
objets qu’il donne , ou il les aura sciemment reçus ou
achetés ; sa culpabilité incontestable dans le premier cas,
ne le sera pas moins dans les deux derniers ; car, dès.
qu’il n’a ni reçu ni acheté pour son usage personnel,
dès qu’il livre au commerce les objets contrefaits par l’in
termédiaire de tiers, il est recéleur dans le sens de l’ar
ticle 41. Le recélé existe, soit qu’on cache ou qu’on ven
de soi-même, soit qu’on fasse cacher ou vendre par un
autre. La cour de Cassation le décidait expressément le
26 septembre 1844. Or, que fait le donateur, sinon con
fier à un autre la garde ou la vente des objets dont il ne
se débarrasse précisément que parce qu’il les sait con
trefaits ?
On le voit, il n’est pas nécessaire , pour atteindre le
donateur, d’élargir le cercle des faits de complicité énu
mérés par les articles 41 et 43. On y parvient par une
application, par une saine, par une rationnel1; applica
tion du premier. Ainsi se trouvent répondus et réfutés
les arguments que M. Nouguier invoque à l’appui de sa
doctrine.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�110
LOI DU 6 JUILLET
1844
566.
— Le délit de vente n’exige pas , chez celu
qui le commet, la qualité de marchand ou débitant. Le
simple particulier,l’ouvrier, l’artisan qui vendrait sciem'i
ment, même un seul objet contrefait, encourrait les
peines édictées par la loi. Le caractère délictueux résulte
du fait lui-même, abstraction faite de la qualité de son
auteur.
Mais, l’ouvrier qui a fabriqué d’ordre et pour compte
du breveté , et q u i, sur le refus de celui-ci de recevoir
» les objets confectionnés, les vend pour se payer du sa
laire qui lui est dû , ne commet pas le délit de contre
façon, alors même qu’il aurait vendu sans formalités et
sans en avoir demandé et obtenu l’autorisation de la jus
tice.
La cour de Cassation le jugeait ainsi, le 10 février
1854, parce que, d’une part, il n’y a pas en réalité con
trefaçon , les objets ayant été fabriqués d’après les ins
tructions, d’ordre et pour compte du breveté ; que, d’au
tre part, l’ouvrier non payé , vendant pour retirer ce
qui lui est dû , n’a fait qu’exercer son droit de réten
tion ; qu’en supposant que cet exercice soit entaché d’ir
régularité, celte irrégularité ne saurait jamais constituer
un délit ; que son effet se borne à une allocation de
dommages-intérêts, si, le breveté revendiquant les ob
jets, l’ouvrier est dans l’impossibilité de les restituer.'
î'
567. — L’exposition en vente d’objets qu’on sait ê1 D. P., 54, 5, 80.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
111
tre contrefaits, constitue la complicité du délit de con
trefaçon. La loi la met sur la même ligne que la vente
elle-même , et c’était rationnel. On n’expose en vente
que ce qu’on a l’intention et la volonté de vendre, et
cette intention ayant pour objet et pour but la consom
mation du délit de contrefaçon pouvait et devait être as
similée au délit, et punie comme celui-ci.
Contrairement à ce qu’enseignent MM. Et. Blanc et
Renouard, nous pensons qu’il n’y a exposition en vente
que si les objets sont publiquement mis sous les yeux
de ceux qui peuvent ou qui doivent les acheter. Ainsi
le débitant q u i, en possession d’objets qu’il sait être
contrefaits, leur donne place dans ses magasins ou dans
des locaux où le pubtic est librement admis, les a in
contestablement exposés en vente.
Mais, peut-il raisonnablement en être ainsi de celui
qui a soigneusement soustrait les objets contrefaits aux
regards des acheteurs, et les cache dans un local distinct
de ses magasins et où le public ne pénètre jamais ?
Sans doute cet excès de précautions prouve la fraude
et témoigne de la connaissance que leur auteur avait du
caractère délictueux des objets qu’il détient. Mais cela
peut-il faire qu’on le déclare coupable de les avoir ex
posés en vente, alors qu’il s’est appliqué à en dissimu
ler l’existence en sa possession ?
L’affirmative n’arrive qu’à la plus évidente contre
vérité. Elle est donc inadmissible , et la nécessité de ne
pas laisser un acte de ce genre impuni, que MM. Blanc
et Renouard invoquent, ne saurait la légitimer.
�6 JUILLET 1844
Il n’est pas exact, d’ailleurs, que le fait que nous
supposons dût demeurer impuni. Si son auteur n’a pas
exposé en vente , il a évidemment recélé, et sciemment
recélé. C’est, en effet, ce qu’on induirait du soin qu’il
aurait mis à dissimuler sa possession. Donc, il existe un
moyen légal de l’atteindre, et il est inutile, dès lors, de
se jeter dans une hypothèse que la raison condamne et
repousse.
568. — L’introduction sur le sol français d’objets
contrefaits à l’étranger n’offre pas, pour le breveté , un*
danger moindre, un préjudice moins certain que le re
célé , la vente ou l’exposition en vente de produits ou
d’objets contrefaits en France. On ne pouvait donc ne
pas la placer sur la même ligne , au point de vue du
caractère délictueux et de la peine édictée par la loi.
D’ailleurs, on ne s’explique guères l’introduction,que
pour user des objets contrefaits ou pour les vendre , ce
qui est précisément le but que la loi a voulu prévenir et
prohiber, par respect pour le droit privatif du breveté.
Les lois de 1791 n’avaient rien statué à cet égard;
mais on avait été amené , par la force des choses, à
consacrer la prohibition.
Le doute naissait non pas seulement du silence de la
loi spéciale, mais encore de l’art. 426 du Code pénal.
Celui-ci, en effet, déclarait contrefaçon punissable l’in
troduction sur le sol français d’ouvrages qui, après avoir été imprimés en France , avaient été contrefaits à
l’étranger. Or, pouvait-on étendre à la propriété indus112!
LOI DU
�SUR LES BREVETS d’iNYF.NTION
413
trielle une règle exclusivement faite pour la propriété
littéraire, et si celle-ci n’eût pas été protégée, sans l’ar
ticle 426 du Code pénal ne fallait-il pas une disposition
analogue pour que celle-là pût l’être ? Ne serait-ce pas
méconnaître le premier principe du droit criminel, que
de créer un délit par analogie ?
Malgré ces considérations, le tribunal d’appel de Nan
cy n’avait pas hésité à punir, comme contrefaçon, l’in
troduction d’une machine brevetée en France, et le pour
voi dont son jugement avait été l’objet, était rejeté par
la cour de Cassation le 20 juillet 1830.
Tout doute a aujourd’hui disparu. Les termes de l’ar
ticle 41 sont trop explicites et trop formels pour laisser
place à la controverse. Aussi , la jurisprudence ne nous
offre-t-elle aucun exemple de tentative ayant pour objet
de les méconnaître ou de les éluder.
M. Et. Blanc estime et enseigne que le délit d’intro
duction existe même lorsque l’objet contrefait, destiné à
l’étranger, n’est introduit qu’en transit sur le sol fran
çais.'
Nous ne croyons pas cette opinion juridique. Ce que
la loi .a voulu atteindre, dans l’introduction comme dans
les autres hypothèses de l’art. 41, c’est l’atteinte portée
au droit du breveté , c’est la concurrence que l’usage,
l’emploi ou la mise dans le commerce de la chose bre
vetée tend à créer , au grand préjudice du propriétaire
du brevet.
i Invent, breveté, pag. 351.
u — 8
�114
LOI DU 6 JUILLET 1844
Or, où est l’atteinte, où la concurrence, où le préju
dice, dans le cas d’un simple transit? Evidemment, l’é
tranger qui vend à un étranger , et qui expédie par la
voie de France, ne fait que se servir d’une route ouverte
à tout le monde , et qu’il n’a été ni dans la pensée, ni
dans l’intérêt de l’Etat d’interdire à qui que ce soit, ou
à tel ou tel produit, sauf les formalités édictées par les
lois douanières.
Sans doute , l’excuse de transit peut n’êlre qu’un
mensonge, et le voyage indiqué à l’étranger être rompu
et se terminer en France. Mais on peut, à cet égard,
s’en référer aux suggestions de l’intérêt particulier. Le
breveté saura bien surveiller la marche de la chose con
trefaite, dès qu’il en connaîtra la présence en France,
découvrir et faire constater la fraude, en poursuivre la
répression.
S69. — Le droit privatif que le brevet confère est
inhérent au brevet, et se transmet avec lui conséquem
ment. Le titulaire primitif, qui a totalement cédé le bre
vet, n’a plus aucun droit à l’invention qui en fait l’ob
jet,et qui, désormais , appartient en pleine propriété et
jouissance exclusive au cessionnaire.
On ne comprend pas qu’on ait pu soutenir que l’in
venteur, même après cession totale, ne peut être consi
déré, poursuivi et puni comme contrefacteur, s’il se livre
à un des actes prévus par les articles 40 et 41.
A nos yeux , la qualité d’inventeur n’est qu’une cir
constance aggravante qui appelle toute la sévérité de la
�115
justice. Comme l’observe avec raison M. Et. Blanc , de
toutes les concurrences qui menacent le cessionnaire du
brevet, celle que lui ferait l’inventeur serait la plus re
doutable et la plus coupable.
La plus redoutable , parce que l’invention n’ayant
point de secret pour son auteur , ses produits égaleront
en perfection ceux que le cessionnaire pourra offrir , et
se recommanderont, de plus, à la confiance publique
par le nom de leur inventeur réel ;
La plus coupable , puisque celui-ci, malgré la vente
qu’il a consentie, et le profit qu’il en a retiré, viole, en
continuant l’exploitation de sa découverte , toutes les obligations que sa qualité de vendeur lui impose, et re
tient d’une main la chose dont il a retiré le prix.
Il serait donc injuste non-seulement de refuser devoir
en lui un contrefacteur, mais encore d’user d’indulgen
ce à son égard. A une usurpation coupable se réunit,
contre lu i, une inexécution de contrat non moins cou
pable et qui justifierait, à elle seule , une condamnation
sévère à des dommages-intérêts.
570. — Le tribunal de Paris , statuant sur l’appel
d’une sentence du juge de paix, a jugé, le .14 mai 1817;
que celui qui consent à ce que son nom soit joint, sur
l’objet contrefait, à celui du contrefacteur, peut être dé
claré coupable de contrefaçon, et solidairement condam
né à la réparation du préjudice.'
SUR LES BREVETS D’INVENTION
1 Et. Blanc, L'inverti. breveté, pag. 618.
�LOI DU 6 JUILLET 1844
116
Cette doctrine est rationnelle. Celui qui consent à pas
ser pour le confectionneur d’un objet ; qui le patrone et
lui donne son nom , ne saurait se plaindre qu’on lui
donne la qualité qu’il s’est attribuée lui-même, et ré
pond naturellement des conséquences que celte qualité
peut entraîner au point de vue de la contrefaçon.
Il ne pourrait donc s’y soustraire , qu’en prouvant
qu’on a abusé de son nom, et qu’on ne l’a inscrit sur
l’objet contrefait qu’à son insu et sans son autorisation.
A rt. 42.
Les peines établies par la présente loi ne
pourront être cumulées.
La peine la plus forte sera seule prononcée
pour tous les faits antérieurs au prem ier acte
de poursuite.
A rt . 45.
Dans le cas de récidive, il sera prononcé, ou
tre l’amende portée aux articles 40 et 41, un
em prisonnem ent d’un mois à six mois.
Il y a récidive , lorsqu’il a été rendu contre
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
117
le prévenu, dans les cinq années antérieures, une
première condamnation pour un des délits pré
vus par la présente loi.
Un emprisonnement d’un mois à six mois
pourra aussi être prononcé, si le contrefacteur
est un ouvrier ou un employé ayant travaillé
dans les ateliers ou dans l’établissement du bre
veté, ou si le contrefacteur s’étant associé avec
un ouvrier ou un employé du breveté, a eu con
naissance, par ce dernier, des procédés décrits
au brevet.
Dans ce dernier cas, l’ouvrier ou l’employé
pourra être poursuivi comme complice.
A r t . 44.
L’article 463 du Code pénal pourra être ap
pliqué aux délits prévus par les dispositions qui
précèdent.
SOMMAI»!
571 Peine prononcée contre la contrefaçon.— Ancienne et nou
velle législation.
572 Chaque associé en nom de la maison de commerce, coupa-
�118
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
ble de contrefaçon, doit être personnellement condamné
à une amende distincte.
573 Caractère de l’art. 42.—Prohibition du cumul des peines.
574 L’obligation de n’appliquer que la peine la plus forte a per
du son objet par les modifications faites au projet du
Gouvernement.
575 Commentet par qui il peut être statué sur les faits posté
rieurs à la poursuite ?
576 Effets de la récidive sur la peine à prononcer'.
577 Quand la récidive existera-t-elle ?
578 Caractère de l’exigence que le second fait ait lieu dans les
cinq ans de la condamation.
579 II n’est pas nécessaire qu’on ait contrefait deux fois le mê
me brevet.—Discussion législative à ce sujet.
580 Le texte de la loi comprend même les délits prévus par l’ar
ticle 33.—Controverse sur ce point.
581 Est coupable de contrefaçon et en état de récidive celui qui
condamné une première fois,a de nouveau contrefait l’in
vention d’ordre et pour compte de son patron.
582 Peine encourue par l’ouvrier ou le commis de l’inventeur,
qui contrefait l’invention pour son compte.
583 Par le contrefacteur qui s’est associé cet ouvrier et en a re
çu connaissance des procédés décrits au brevet.
584 Interprétation que MM. Dalloz et Et. Blanc font de cette
disposition de l’art. 43.
585 Examen et réfutation.
586 Caractère et objet de la faculté donnée par la loi de pour
suivre l’ouvrier comme complice.
587 Applicabilité de l’art. 463 du Code pénal.
571. — La peine que la loi prononce contre l’auteur
et les complices de la contrefaçon est une amende de 100
fr. au moins e{ de I5Q00 fr. au plus. C’est aussi l’amende
�119
qu’infligeait la loi du 7 janvier 1791. Seulement, elle
ne l’avait pas déterminée autrement qu’en déclarant
qu’elle serait du quart des dommages-intérêts, sans qu’
elle pût, dans aucun cas , excéder 3000 fr. Elle en or
donnait l’application exclusive aux pauvres du district.
La loi actuelle n’a pas maintenu celte application.
Pourquoi ? Il est difficile de se l’expliquer. Ce qui se
comprend beaucoup mieux, c’est qu’elle ait adopté une
autre base de détermination. Les dommages-intérêts, en
effet , ne peuvent être que la réparation du préjudice
souffert par le breveté. Or, ce préjudice peut être insi
gnifiant , si la contrefaçon est saisie et arrêtée au pre
mier pas; et si les juges n’en allouaient aucun, quelle
devrait être l’amende à prononcer.
La détermination de la loi de 1791 avait cet autre in
convénient de ne pas permettre de mesurer la peine au
tort réel du délinquant. L’amende était la même pour
la bonne et la mauvaise foi , et assimilait au contrefac
teur frauduleux celui à qui on n’avait à reprocher qu’
une négligence ou qu’une imprudence.
La loi de 1844 a fait disparaître tous ces inconvé
nients. Elle a, avec raison, établi, à côté du maximum
de l’amende , un minimum , et la distance qui sépare
l’un de l’autre est assez élastique pour que , indépen
damment de la faculté d’appliquer l’art. 463 du Code
pénal, on puisse proportionner la peine au tort réel qu’
elle a pour objet de réprimer.
Le chiffre de 100 à 2000 fr. a été emprunté au Code
pénal. C’est, en effet, celui que l’art. 427 de ce code éSUPi i.es
brevets d ’invention
�120
5 JUILLET 1844
dicte contre la contrefaçon artistique ou littéraire. Ce qui
était juste et convenable pour celle-ci , ne pouvait pas
ne pas l’être pour la contrefaçon industrielle qui a avec
elle tant d'affinités. ,
LOI DU
572. — L’amende prononcée par la loi est en
courue personnellement par tous ceux qui ont con^couru activement à la contrefaçon. Ainsi, si une société
est déclarée auteur ou complice de cette contrefaçon,
chacun des associés solidaires doit être condamné à l’a
mende. On soutenait le contraire devant la cour de
Rouen. Mais , par arrêt du 4 août 1859 , cette préten
tion fut condamnée, « attendu que l’un et l’autre des
associés participent au même degré à l’exploitation de
leur maison de commerce ; que la vente et l’exposition
en vente dans leurs magasins des objets saisis chez eux,
et déclarés être la contrefaçon de ceux pour lesquels la
demoiselle Milliet a été légalement brevetée , leur sont
communes , et que, dès lors, chacun d’eux a été juste
ment condamné à une amende.' »
573. — L’articla,42 a sagement dissipé tous les dou
tes, tranché toutes les difficultés que pouvait faire naître
la question du cumul des peines. C’était d’autant plus
prudent, que nulle part, plus que dans notre matière,
cette question devait naturellement surgir.
Nous venons de le dire, chaque fait isolé de fabrica-
�121
tion, de recélé, de vente, d’exposition en vente ou d’in
troduction constitue le délit de contrefaçon. Or, il était
facile de prévoir que, le plus ordinairement, on se trou
verait en présence soit de faits successifs de fabrication
ou de vente, soit de l’une et de l’autre cumulativement.
Ces faits successifs constituaient-ils un délit unique ou
multiple? Telle était la question que M. le marquis de
Boissy posait à la chambre des Pairs.
Le premier paragraphe de l’art. 42 répond à cette
question, et la résout par la prohibition de cumuler les
peines. Donc , quelque nombreux , de quelque nature
que soient les faits antérieurs à la poursuite , il n’y a
qu’un délit unique , e t, par conséquent lieu qu’à une
seule amende.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
574. — La recommandation de n’appliquer que la
peine la plus forte était utile et nécessaire dans le systè
me du projet du Gouvernement. Le même individu pou
vait être convaincu d’avoir non-seulement fabriqué,
mais encore vendu , exposé en vente ou introduit en
France des objets fabriqués en contrefaçon. Or, tandis
que l’amende contre les fabriquants était de 100 à 2000
francs, le projet ne prononçait contre les recéleurs, ven
deurs ou introducteurs que celle de 25 à 500 fr. On avait donc à s’expliquer sur celle que la loi entendait
imposer dans ce cas.
Mais cette différence dans la pénalité , adoptée par la
chambre des Pairs, fut repoussée par la chambre des
Députés , sur l’avis de sa commission qui demandait le
�LOI DU 6 JUILLET 1844
m
maintien du principe général de l’égalité de peine entre
les auteurs d’un délit et leurs complices. En cette ma
tière plus qu’en toute autre, disait le rapporteur, la cul
pabilité est identique , e t, si les circonstances appellent
une différence , le juge trouvera le moyen de l’établir
dans l’intervalle qui sépare le maximum du minimum
sur l’échelle des répressions.
11 aurait pu ajouter , que l’art. 41 faisait déjà aux
complices une part assez belle pour qu’on leur refusât
toute nouvelle faveur. En effet, ils ne seront jamais con
damnés, que s’ils ont agi sciemment, c’est à dire, que
s’ils sont de mauvaise foi. Pourquoi, dès lors, une peine
moindre que celle prononcée contre le contrefacteur qui
n’a été, peut-être,coupable que de négligence ou d’im
prudence ?
Quoi qu’il en soit, l’identité de peine, entre les com
plices et l’auteur du délit, amène à cette conséquence,
qu’il n’y a plus de peine moindre ni plus forte. Il ne
s’agira jamais que d’une amende de 100 à 2000 fr. Ce
qui laisse la prescription du deuxième paragraphe de
l’art. 42 sans portée et sans utilité réelles.
575.
— La prohibition du cumul des peines ne se
réfère qu’aux faits antérieurs à la poursuite; et la cour
de Cassation consacrait , en principe , que le cumul est
' autorisé à raison des faits de contrefaçon commis posté
rieurement à cette poursuite, soit avant soit après le ju
gement qui y a statué. Il y a , dans ce cas, deux délits
distincts, et, partant, lieu à deux amendes.
�123
Mais, les juges saisis de la poursuite originaire, peu
vent-ils statuer sur les faits qui l’ont suivis ? La Cour
suprême distingue. Les faits postérieurs à la poursuite,
mais antérieurs au jugement, peuvent devenir l’objet de
conclusions additionnelles que le tribunal a le devoir et
le droit d’apprécier et de juger.
Les faits postérieurs au jugement lui-même ne peu
vent être ni soumis à la Cour saisie de l’appel, ni ap
préciés par elle. Le contraire aboutirait à une violation
manifeste de la règle des deux degrés de juridiction,
puisque la Cour statuerait sur un délit nouveau, qui a
été d’autant moins déféré au premier juge, qu’il n’exis
tait pas au moment où sa décision a été rendue.'
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
576. — De tous temps et en toute matière, la réci
dive a dû être et a été traitée avec plus de sévérité. Celui
qui, sans tenir compte d’une première condamnation,
persiste à faire ce que la loi défend, affiche une immo
ralité telle, un tel mépris pour la justice elle-même, qu’il
mérite toute la sévérité de la loi.
Sous l’empire de la législation de 1791, la récidive
en matière de contrefaçon n’était punie que d’une amende double de l’amende ordinaire. Le législateur de
1844 ne touche pas à l’amende, mais y ajoute un em
prisonnement d’un mois à six mois. L’expérience avait
appris qu’une simple peine pécuniaire n’était pas une
sanction assez énergique contre le mal qu’on voulait
) Cass., 21 août 1838 ; — J , du
P.,
1859, 1, 219,
�1844
empêcher. La chance d’impunité, et l’importance du bé
néfice qu’elle laissait entrevoir, faisait facilement braver
celle de perdre quelques mille francs. Il est évident que
tel qui n’hésiterait pas devant la possibilité de cette per
te , n’osera pas braver l’éventualité d’un emprisonne
ment pouvant être porté à six mois.
m
LOI DU 6 JUILLET
577. — En droit commun, la récidive résulte moins
de la nature de l’acte , que de la peine primitivement
encourue. Aux termes de l’art. 58 du Code pénal, elle
n’est acquise, que si celui qui a commis un second dé
lit, avait déjà subi une condamnation à un emprisonne
ment de plus d’une année.
Exiger cette condition pour la récidive en matière de
oontrefaçon, c’était renoncer à la rencontrer jamais , la
peine d’un premier délit ne pouvant être qu’une amen
de. Il était cependant nécessaire de l’atteindre , si l’on
voulait rendre efficace la protection que la loi a enten
du, dans un intérêt public, assurer aux brevetés.
Des règles spéciales , au point de vue de la récidive,
étaient autorisées par la spécialité du délit. De là , la
disposition de l’art. 43 : Il y a ré c id iv e , lo rsq u 'il a été
ren du co n tre le p réven u , dans les cinq années a n té
rie u re s , une p re m iè re co n d a m n a tio n p o u r u n des d é
lits p révu s p a r la p résen te lo i.
578. — Nous ne pouvons nous rendre raison de cette
' limite de cinq ans posée par la loi,et nous avouons ne pas
comprendrequ’un fait qui,commis le dernier jour des cinq
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
125
ans, entraîne un emprisonnement d’un mois à six mois,
ne soit punissable que d’une simple amende, s’il se pro
duit le lendemain. Est-ce que cet espace de vingt-quatre
heures a changé la nature du fait, lui a enlevé son ag
gravation, diminué sa nocuité? Est-il rationnel de faire
résulter la récidive, non du délit, mais de l’époque qui
le voit s’accomplir ?
Ce n’est pas ainsi que procède l’art. 58 du Code pé
nal, et nous n’hésitons pas à considérer sa disposition
générale et absolue comme plus rationnelle que celle du
deuxième paragraphe de l’art. 43 que nous examinons.
579. — Qu’a voulu dire, d’ailleurs, l’art. 43 ; que
dit-il, en effet ?
On ne saurait équîvoquer sur son esprit. Il y aura
récidive, toutes les fois que, dans les cinq années d’une
condamnation, il y aura un nouveau délit de contrefa
çon , soit par fabrication, par recélé, vente, exposition
en vente ou introduction , soit que ce nouveau délit se
réfère au brevet précédemment contrefait ou à un tout
autre brevet.
La discussion à la chambre des Députés est,à cet égard,
on ne peut pas plus explicite. M. Bethmont soutenait,
en effet, qu’on ne devait admettre la récidive que lors
que la seconde contrefaçon s’exercait sur le même bre
vet. « Je comprends bien, disait-il, qu’un mécanicien
qui aura été reconnu contrefacteur d’un appareil, d’une
machine à vapeur soit regardé comme en récidive , s’il
contrefait la même machine avant l’expiration des cinq
�1&6
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
années. Mais si , dans cet intervalle , on lui fait fabri
quer une machine à filer, ou tout autre métier breveté,
sera-t-il coupable de récidive ? On comprend la gravité
de celle-ci, lorsqu’il y a contrefaçon du même objet ;
en effet, le contrefacteur averti par le premier jugement
n’a pas craint de porter atteinte , par une persévérance
coupable , à un droit qu’il devait respecter. Mais , si la
contrefaçon repose en général dans un fait matériel, il
y aurait dureté à traiter, dans tous les cas, comme un
repris de justice, celui qui contrefait deux machines dif
férentes dans les cinq années. »
Le rapporteur de la loi, M. Ph. Dupin, répondit : si
un voleur relaps venait dire, devant un tribunal correc
tionnel, je ne suis pas en récidive, car la première fois
j’ai volé telle personne , et la deuxième fois j’en ai volé
une autre, M. Bethmont trouverait-il cette défense bien
légale et bien convenable ? Voterait-il la loi qui l’élève
rait à la hauteur d’un principe? Et cependant, c’est là
précisément ce qu’il nous propose d’écrire dans la loi.
Je sais bien que la contrefaçon n’est pas aussi odieuse
que le vol proprement dit, mais ce n’est pas moins une
action coupable; c’est l’invasion illégale sur le droit
d’autrui. Quelle que soit donc l’invention contrefaite, dès
qu’il y a contrefaçons, il y a récidive.
Tout en protestant contre ces explications, M. Beth
mont ne proposa aucun amendement, et c’est sous leur
empire que le paragraphe fut adopté.
580. — Nous avons donc raison de le dire, on ne
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
127
saurait se faire le moindre doute sur la pensée qui a
présidé à cette adoption. Mais le texte va fort au delà en
admettant la récidive dès que, dans les cinq années an
térieures, il a été rendu contre le prévenu une première
condamnation pour un des délits prévus par la pré
sente loi. En effet, l’art. 33 de la loi crée deux délits :
celui de l’usurpation de la qualité de breveté ; celui d’o
mission , dans l’annonce du brevet , de la clause : sans
garantie du Gouvernement. Puisque ces délits sont pré
vus par la loi , comment soutenir et admettre qu’on
pourra ne pas considérer comme récidiviste celui qui,
condamné pour l’un d’eux, aura, dans les cinq années,
commis une contrefaçon ?
C’est pourtant ce que la doctrine la plus générale re
pousse. C’est ce que nient notamment MM. Renouard,
Et. Blanc et Nouguier.
Nous pensons avec ces honorables jurisconsultes, que
cette conséquence est en opposition avec les débats lé
gislatifs, qu’elle s’écarte du sens précis que le rapporteur
de la chambre des Députés donnait à la loi. Nous con
venons que les délits prévus par l’art. 33 ne sont ni un
fait de même ordre, ni un fait aussi grave que la con
trefaçon. Mais cela fait-il qu’ils ne soient prévus par la
loi, et, s’ils le sont, comment les tribunaux pourront-ils
ne pas appliquer l’art. 43 dont la lettre est si précise et
si formelle ? Absoudre ce que le texte condamne ?
Aussi, M. Dalloz qui résume l’opinion des éminents
jurisconsultes que nous venons d’indiquer, et qui en si
gnale la haute probabilité, ajoute-t-il : le système con-
�LOT DU 6 JUILLET 1844
428
traire se fonde sur le texte formel de la loi; il peut être
défendu par des raisons assez spécieuses, et il sera bien
difficile qu’il ne soit pas admis dans la généralité par
les tribunaux : les exceptions, surtout en matière péna
le, trouvent rarement une base logique dans la simple
considération tirée de l’intention plus ou moins proba
ble du législateur.1
581. — Dans tous les cas, si l’état de récidive peut
être douteux, dans l’hypothèse de deux délits, l’un pré
vu par l’art. 33 , l’autre par les articles 40 et 44, il ne
saurait l’être pour le double délit de contrefaçon. Il ex
iste , quel que soit le brevet successivement violé, et en
quelque qualité que le contrefacteur ait agi. A plus forte
raison, si la double contrefaçon porte sur le même bre
vet.
Ainsi, l’ouvrier qui , après avoir été déjà condamné
pour contrefaçon d’un brevet, imite de nouveau la mê
me invention , se rend encore par là coupable de con
trefaçon et se trouve, dès lors, en état de récidive, bien
qu’il n’ait agi, cette seconde fois, que d’après les ordres
et pour le compte de son maître/
582. — Le Code pénal considère et punit soit com
me crime, soit comme délit, la divulgation par un com
mis ou ouvrier, des secrets de la fabrique où il est em1 Brevets d'invent., n° 369.
s Orléans, 24 avril 1835 ;— D.P., 55, 8, 387.
�129
ployé. Quant à celui qui profite de cette divulgation, il
n’est pas douteux qu’il pourrait être puni comme com
plice de l’ouvrier, s’il l’a déterminée par un des moyens
énoncés dans l’art. 60 du Code pénal.
L’ouvrier, le commis ou l’employé qui, abusant de la
confiance forcée que sa qualité a seule déterminé, con
trefait pour son compte personnel l’invention à laquelle
il a été initié dans l’atelier ou l’établissement de son pa
tron, méritait d’être traité plus sévèrement que tout au
tre contrefacteur ; et c’est avec juste raison que, même
hors le cas de récidive t, l’article 43 le déclare passible
de l’amende et d’un emprisonnement d’un mois à six
mois.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
583. — La même peine a été non moins justement
édictée contre celui qui, s’étant associé avec un ouvrier
ou un employé du breveté , a eu connaissance , par ce
dernier, des procédés décrits au brevet.
584. — Ici encore , on a reproché au texte de la
loi d’aller au delà de son esprit. Il semble, en effet, en
résulter, dit M. Dalloz , qu’il suffit que l’ouvrier qu’on
s’est associé ait travaillé dans les ateliers du breveté,
pour que l’aggravation de peine soit applicable, à quel
que époque d’ailleurs qu’ait été commise la contrefa
çon , c’est à dire alors même que le délit serait posté
rieur à la délivrance du brevet et à sa publication. In
terprétée ainsi, la loi aurait un caractère de rigueur dif
ficile à justifier. Aussi, M. Dalloz pense-t-il que l’article
ii — 9
*
�130
LOI DU 6 JUILLET 1844
43, dans la disposition que nous examinons, doit être
restreint au cas où il y a eu divulgation d’une inven
tion encore secrète de la part d’un employé qui avait
été investi, de la part de l’inventeur, d’une confiance
en quelque sorte nécessaire.'
585. — Cette opinion,que partage M. Et.Blanc2, ne
nous parait être ni dans la lettre, ni dans l’esprit de la
loi. Ce qu’elle atteint, ce qu’elle a voulu atteindre, c’est
non l’industriel s’associant avec un ouvrier et ayant, par
celui-ci, connaissance d’une invention quelconque, mais
le contrefacteur qui, dans les mêmes circonstances, se
fait livrer les procédés décrits au brevet.
Or, tant qu’un brevet n’a été ni demandé, ni délivré,
ni public, il n’y a évidemment pas de description , pas
de contrefaçon possible et pas de contrefacteur. Le pré
venu ne réunit donc ni la qualité, ni la condition qu’
exige si formellement l’art. 43.
• Ce fait restera-t-il donc impuni et la loi restera-telle désarmée en présence de l’abus de confiance de
l’ouvrier et de l’immoralité de son nouveau patron ? Ni
l’un ni l’autre évidemment. Tant que l’invention n’a
pas fait la matière d’un brevet, elle est un secret de fa
brique, et sa divulgation par un ouvrier motiverait, con
tre lui et contre celui qui se serait rendu son complice,
l’application de l’art. 418 du Code pénal.
i Des brevets d’invenl., n° 370.
i L'invenl. brevet., pag. 3B8.
#
�131
C’est même là ee qui nous prouve que l’opinion de
MM. Dalloz et Et. Blanc est condamnée par l’esprit de
la loi. L’aggravation de peine que l’art. 43 prononce se
changerait en atténuation, si la divulgation d’une inven
tion encore secrète n’était atteinte que par l’art. 43, et
punie d’un emprisonnement d’un mois à six, au lieu
de l’emprisonnement de trois mois à deux ans édicté
par l’art. 418 du Code pénal. Or, est-il possible de con
cilier l’idée de cette alternative avec la pensée qui a pré
sidé à la présentation et à l’adoption de la loi de 1844.
Pour nous, il n’y a qu’un motif qui puisse expliquer
qu’on n’ait pas fait appel à cet article 418, à savoir, la
délivrance et la publication du brevet. A partir de ce
moment, en effet, il n’y a plus de secret de fabrique
proprement dit, et l’indiscrétion, et l’infidélité de l’ou
vrier pourra bien constituer et constituera , non la di
vulgation de secret, mais une contrefaçon puisant un
caractère spécial de gravité dans cette infidélité même.
Mais, objecte-t-on, comment admettre que cette con
trefaçon soit le résultat de l’infidélité de l’ouvrier , si la
délivrance du brevet, en ayant rendu la description pu
blique, son auteur seul a pu en connaître le secret ?
La connaissance que donne la description jointe au
brevet est purement théorique , et il n’est donné qu’à
peu de personnes de combler l’intervalle qui sépare la
théorie de la pratique. Or, c’est précisément cette pra
tique que l’ouvrier aura enseignée, et c’est cet enseigne
ment pratique que l’art. 43 a voulu atteindre et punir.
Les tribunaux auront donc à apprécier; et si la quesSUR LES BREVETS D’iNVENTION
�LOI DU 6 JUILLET 1844
132
tion de savoir si la connaissance des procédés décrits au
brevet est ou non du fait de l’ouvrier, offre des difficul
tés, elle n’est certes pas insoluble. Les circonstances qui
" ont précédé et suivi l’entrée de l’ouvrier dans les ateliers
du contrefacteur sont autant d’éléments de nature à éclairer la religion des magistrats, et à diriger leur con
science.
Pourrait-on hésiter si , par exemple , il était acquis
qu’avant son association avec l’ouvrier, le contrefacteur
avait tenté de s’approprier l’invention et n’avait pu arri
ver à aucun résultat utile comme celui qu’il a obtenu
depuis cette association ? Si la pensée de contrefaire n’a
été exécutée que postérieurement à l’entrée de l’ouvrier
dans ses ateliers ? Si sans nécessité aucune il a embau
ché cet ouvrier , lui a accordé une part dans son com
merce , ou fait d’autres avantages qu’on n’accorde pas
ordinairement à un ouvrier.
Qu’importerait, d’autre part, que l’ouvrier eût travaillé
plus ou moins longtemps dans les ateliers de l’inven
teur , s’il était acquis que, dès avant son entrée dans
ceux de son nouveau patron ou associé , celui-ci avait
déjà contrefait l’invention ?
Les tribunaux apprécieront donc, et, s’ils appliquent
l’art. 43, ce ne sera pas parce que l’ouvrier que s’est
associé le contrefacteur a été celui de l’inventeur , mais
uniquement parce que, mettant au service de l’un les
connaissances pratiques qu’il a acquises chez l’autre , il
a réellement préparé , facilité et consommé la contre
façon.
�SUR LES BREVETS ü ’iNVENTION
133
586. — La complicité de l’ouvrier, dans ce cas, est
aussi incontestable qu’évidente. On pourrait donc se de- .
mander pourquoi la loi semble supposer le contraire en
concédant la faculté de le poursuivre comme complice.
Mais sa disposition à ce sujet s’explique facilement.
La position d’un ouvrier n’est pas ordinairement telle
qu’on puisse espérer tirer un profit quelconque des con
damnations obtenues contre lui. Dans ce cas la pour
suite ne pouvait avoir d’autre résultat que démultiplier
le nombre des parties, et d’augmenter les frais. Il con
venait donc de s’en référer aux convenances et à l’inté
rêt du breveté , et de le laisser libre de poursuivre ou
non, selon qu’il le jugerait utile ou nécessaire.
S’il poursuivait, l’ouvrier aurait pu puiser dans sa
qualité même une fin de non recevoir contre l’action.
Je n’ai été , aurait-il dit , qu’un instrument passif, que
l’exécuteur obligé d’un ordre que je ne pouvais ni dis
cuter ni refuser. Je ne suis donc pas plus coupable que
le fer ou le bois qui ont servi à confectionner l’objet con
trefait
Le désir et la volonté , d’une part, de laisser le bre
veté libre de suivre ses inspirations ; de l’autre , de dé
barrasser la poursuite de toute fin de non recevoir, de
loul obstacle, expliquent et justifient la dernière disposi
tion de l’art. 43.
Il suit de là que la simple faculté que confère cette
disposition se réfère exclusivement à la poursuite, et nul
lement à ses effets. L’ouvrier pourra être actionné ou ne
pas l’être. Mais s’il l’a été, et si l’existence du fait qu’on
�134
LOI DU 6 JUILLET 1844
lui reproche est acquise , le tribunal n’est pas libre de
ne pas le considérer comme complice, et n’a pas la fa
culté dd l’absoudre : il doit le condamner.
587. — L’application de l’art. 463 du Code pénal
aux délits prévus par la loi de 1844 , que l’art. 44 au
torise, était en quelque sorte imposée par le caractère de
ces délits. Que la bonne foi du délinquant n’excusât pas
le fait dont il est convaincu, on le comprend ; mais elle
était de nature à l’atténuer singulièrement, et il était
équitable et juste de permettre aux tribunaux d’en tenir
compte dans l’application de la peine.
A rt
45.
L ’action correctionnelle , pour l’application
des peines ci-dessus , ne pourra être exercée
pax le ministère public que sur la plainte de la
partie lésée.
A rt. 4 6 .
Le tribunal correctionnel saisi d’une action
pour délit de contrefaçon, statuera sur les ex
ceptions qui seraient tirées par le prévenu, soit
de la nullité ou déchéance du brevet, soit des
questions relatives à la propriété dudit brevet.
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
135
«
SOMMAIRE
588 Caractère du délit de contrefaçon.—Conséquence.
589 Le désistement de la plainte n’enchaîne pas l’action du mi
nistère public.—Réfutation de l’opinion contraire.
590 Arrêts qui l’ont condamnée.
591 A qui appartient le droit de plainte.
592 Titulaire du brevet, avant ou après la mise en société.
593 Peut-il l’exercer du jour du dépôt de la demande et avant
la délivrance du brevet?—Opinion deM. Nouguier pour
la négative.
594 Examen et réfutation.
595 Conclusion.
596 Expiration du droit du titulaire.—Son caractère.
597 Son effet en cas de déchéance , de cession ou de nullité du
brevet.
598 Cessionnaire total ou partiel du brevet.
599 Restriction et nature du droit de celui-ci.
600 Conditions pour l’exercice par l’un et par l’autre.
601 Les simples permissionnaires ne peuvent ni se plaindre ni
poursuivre.
602 Difficulté que peut présenter la détermination de la qualité.
—Pouvoir souverain du juge.
603 Eléments d'appréciation.
604 Controverse sur le droit du tribunal correctionnel de statuer
sur les exceptions de nullité , de déchéance ou de pro
priété tranchée par l’art. 46.
605 Si depuis l’introduction de l'instance correctionnelle le pré
venu a saisi le tribunal civil, le sursis est-il obligatoire?
—Discussion législative.
606 L’article 46 accorde une faculté, mais n’impose pas un de
voir.—Conséquence.
607 Quid dans le cas où l’action correctionnelle n’est intentée
qu’après l’introduction de l’instance au civil.
�136
LOI DU 6 JUILLET
1844 i
608 Caractère du jugement correctionnel sur l’exception.
609 Prétention de lui donner l’autorité de la chose jugée quant
aux nouveaux faits.
610 Arrêts en ce sens de la chambre criminelle de la cour de
Cassation.
611 Discussion et doctrine contraire.
612 Arrêt de la chambre civile qui la consacre.
613 Conclusion.
614 Le droit du tribunal correctionnel quant aux exceptions ne
s’étend pas aux demandes distinctes et principales ac
cessoires.—Exemple.
615 Si le tribunal ou la cour statue séparément sur l’exception,
l’appel ou le pourvoi suspend la décision au fonds.
616 Le pourvoi contre l’arrêt qui a statué au civil sur la nullité,
la déchéance ou la propriété du brevet n’arrête ni ne
suspens pas la poursuite correctionnelle.
617 Devant quel tribunal le breveté doit-il et peut-il introduire
celle-ci?
588. — Le délit de contrefaçon a un caractère spé
cial qu’on ne saurait méconnaître. Ce qu’il affecte prin
cipalement c’est évidemment l’intérêt privé. Mais les
motifs d’ordre et d’intérêt public qui ont déterminé la
concession des brevets d’invention faisaient un devoir
d’en assurer le respect, et d’élever les atteintes au privi
lège dont ils sont l’origine à la hauteur d’un délit social.
Mais il n’y a d’atteinte punissable que celle qui se
réalise contre la volonté et sans l’assentiment du breveté.
Il est évident que si celui-ci permet ou autorise, même
tacitement l’usage que des tiers font de son invention,
cet usage ne saurait constituer un délit. Voilà pourquoi
Je législateur a refusé au ministère public le droit de
�137
poursuivre d’office , et a subordonné son action à la
plainte de la partie lésée.
589. — Si la plainte privée est nécessaire pour la
recevabilité de l’action publique, faut-il, pour que celleci soit suivie, que le breveté ait persisté dans la plainte.
En d’autres termes : le désistement du plaignant fait-il
obstacle à la poursuite par le ministère public ?
M. Renouard enseigne l’affirmative. L’opinion con
traire lui paraît dénier à l’art. 45 ses conséquences na
turelles. Elle ne s’accorde pas avec son texte, dit-il, car
il parle de l’exercice de l’action et non pas de son intro
duction seulement; elle ne s'accorde pas avec son esprit
qui a été de fortifier l’action privée par l’action publi
que indispensable à l’établissement d’une pénalité, mais
de laisser le propriétaive du monopole maître de l’alié
ner, de le modifier, d’y renoncer expressément ou taci
tement, et, par suite, maître du procès.’
Mais quelques lignes plus haut, M. Renouard vient
de dire que la poursuite de la contrefaçon est régie par
le Code d’instruction criminelle, en tous les points pour
lesquels la loi spéciale n’y a pas dérogé.
Or, la loi de 1844 déroge bien au droit du ministère
public de poursuivre d’office ; mais si elle exige la plainte
de la partie lésée , elle se tait sur les effets de cette
plainte. Il faut donc, pour juger de ces effets, s’en réfé
rer au droit commun et au Code d’instruction criminelle
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
1 iN° 233.
�138
LOI DU 6 JUILLET 184-4
qui, dans son article 4, dispose : la renonciation à l'ac
tion civile ne peut arrêter ni suspendre l’exercice de
l’action publique.
590. — Ainsi le breveté est maître de se plaindre
ou de ne pas se plaindre. S’il s’est plaint , il a par cela
même mis en mouvement l’action publique, le ministère
public a recouvré la plénitude de son pouvoir et ne sau
rait être ni arrêté ni entravé dans son exercice par la
volonté , l’intérêt ou le caprice de qui que ce soit. La
courd’Àmiens le jugeait ainsi par arrêt du 9 mai 1842.’
Il est vrai que cet arrêt a été rendu avant la loi nou
velle et sous l’empire de celle de 1838 qui, en déférant
les délits de contrefaçon aux tribunaux correctionnels,
n’exigeait pas au préalable la plainte de la partie lésée.
Mais comme l’observe l’arrêt lui-même, la loi de 1791,
qui régissait la matière , faisait de cette plainte la con
dition de l’action publique, et c’est en se plaçant à ce
point de vue que la cour d’Amiens refuse au désistement
de la plainte l’effet d’arrêter la poursuite du ministère
public.
Au reste, la question s’est représentée depuis la loi de
1844 : un arrêt de la cour de Paris, du 20 janvier 1852,
l’avait résolue dans le même sens que la cour d’A
miens.”
La cour d’Orléans n’avait pas suivi cet exemple , et,
1 J. du P., 1842, 2, 638.
2 Ibid., 1852.1.479.
4
�439
s’inspirant de la doctrine de M. Renouard , elle jugeait
le 14 février 1853 que le désistement de la plainte ar
rête l’action du ministère public.
Cet arrêt fut déféré à la Cour suprême et par elle cassé
le % juillet 1853 , pour fausse application de l’art. 45
de la loi de 1844, et violation de l’art. 4 du Code d’in
struction criminelle.
« Attendu, dit la cour de Cassation, que l’art. 45 de
la loi de 1844 exige seulement la plainte préalable delà
partie lésée pour l’exercice de l’action publique ; d’où il
suit qu’après cette plainte portée, le ministère public
recouvre toute son indépendance , et que loin que son
action puisse être à la merci de l’intérêt, de la volonté
ou du caprice de la partie lésée, elle rentre dans l’appli
cation de l’art. 4 du Code d'instruction criminelle ; que
eette dernière disposition est générale et d’ordre public,
et qu’elle ne reçoit exception qu’au cas où il y a été for
mellement dérogé par la loi ; que cette dérogation ne
résulte pas de l’art. 45 précité, ni d’aucune autre dispo
sition de la loi.' »
Tenons donc pour certain que, eu matière de contre
façon comme pour les délits ordinaires, le désistement,
la révocation de la plainte ne retient ni n’arrête l’action
du ministère public. La partie lésée peut bien transiger
sur son intérêt, le déserter et l’abandonner à titre oné
reux ou gratuit ; elle n’a ni titre ni qualité pour disposer
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
i J. du P., 1854, 2, 236;—V. supra n° 514.
�140
LOI DU 6 JUILLET 1844
de l’action publique. Elle pouvait ne pas la provoquer,
mais dès qu’elle en a ouvert l’exercice, cette action doit
suivre son cours, et ne saurait rencontrer une fin de non
recevoir dans son revirement de volonté.
Pas même lorsque ce revirement étant la suite d’un
accord, le prévenu a été autorisé à exploiter l’invention,
cette autorisation sauvegarderait et protégerait l’avenir,
mais ne saurait amnistier le passé au point de vue de
l’intérêt général que l’action du ministère public a pour
objet de satisfaire.
591. — Pour que la plainte ait l’effet que nous in
diquons , il faut nécessairement qu’elle émane d’une
partie ayant qualité et droit pour poursuivre la contre
façon. Celle qui serait faite par un individu n’ayant ni
droit ni titre n’engagerait même pas l’intérêt privé et ne
saurait à plus forte raison servir de fondement à l’ac
tion publique. Son auteur, en effet, ne serait pas la par
tie lésée dont parle notre article 45.
592. — Nul ne contestera le droit de plainte au ti
tulaire du brevet tant qu’il en est demeuré propriétaire,
peu importerait qu’il l’eût partiellement cédé , ou qu’il
eût concédé des permis d’exploitation plus ou moins
nombreux. Quelque minime que pût être l’intérêt que
, lui laisseraient ces cessions ou ces permis, il n’en exis
terait pas moins , et autoriserait toutes les mesures ten
dantes à le faire respecter.
Cette règle ne reçoit qu’une exception, à savoir : dans
le cas où le titulaire du brevet l’aurait mis en société;
mais dans ce cas même il y a lieu de distinguer.
�SLR LES BREVETS D’iNVENTION
441
Si la mise en société se borne à la jouissance, la pro
priété du brevet est restée tout entière sur la tête du
breveté et dans ses mains. On ne saurait donc lui con
tester la faculté et le droit de se plaindre des contrefa
çons et de les poursuivre.
Si le brevet a été mis en société en pleine propriété
et jouissance , il est devenu la chose non de tel ou tel
associé , mais de l’être moral qui seul a qualité pour
exercer les actions qui peuvent surgir à son occasion.
Sans doute , le titulaire du brevet a un intérêt à son
exploitation , mais il ne puise cet intérêt que dans sa
qualité d’associé. Il ne peut donc agir que comme agi
rait tout autre associé, et, comme tous les autres, il est
lié par le pacte social, c’est à dire qu’il devra agir au
nom social s’il dispose de la raison sociale, et qu’il sera
sans droit et sans qualité si cette disposition est exclusi
vement déférée à un gérant.
595. — Pour le titulaire du brevet se présente la
question de savoir s’il peut se plaindre et poursuivre
dans l’intervalle qui sépare le dépôt des pièces de la dé
livrance effective du brevet ?
M. Nouguier soutient la négative et considère l’opi
nion contraire comme condamnée par les principes gé
néraux du droit, et par les règles de la législation spé
ciale.
« En effet, dit-il , lorsqu’un titre est nécessaire à
l’exercice d’une action , nul ne peut se prévaloir d’un
droit possible, probable même, mais éventuel , pour se
�t
LOI DU 6 -JUILLET 1844
U2
constituer un titre à lui-même. Or, sans un brevet point
de privilège, et le brevet c’est l’arrêté du ministre qui le
confère, et avec lui le droit privatif; la contrefaçon,
c’est l’atteinte portée au droit que le breveté tient de
son brevet. Dès lors comment admettre qu’une contre
façon qui n’existe pas encore, puisqu’il n’existe pas en
core de brevet, puisse être poursuivie. ' »
594.
— S’il est une doctrine qui soit en opposition
avec les principes de la loi spéciale , et c’est de ceux-ci
que nous avons exclusivement à nous préoccuper , c’est
incontestablement celle de M. Nouguier. Prétendre que
le brevet n’existe que du jour de l’arrêté ministériel,
c’est ne tenir aucun compte de l’esprit et de la lettre de
la loi.
SI nous interrogeons, en effet, l’économie générale de
ses dispositions et les débats législatifs dont elles furent
l’occasion , nous arrivons invinciblement à cette consé
quence que , dans la pensée du législateur , un brevet
demandé est un brevet obtenu. Dès que la demande ne
peut être ni vérifiée ni discutée, dès que le ministre n’est
pas libre de refuser l’arrêté, il est évident que cet arrêté,
loin de créer le droit, n’est que la constatation de celui
que le dépôt des pièces a conféré.
Cette pensée du législateur pouvait-elle être exprimée
plus énergiquement que par cette disposition de l’art. 8:
la durée du brevet court du jour du dépôt? Que M.
1N» 818.
�443
Nouguier nous explique comment il concilie cette dis
position avec sa prétention. Si le jour du dépôt est le
point de départ de la jouissance du breveté , le brevet
existe nécessairement. Concevrait-on que ce qui n’exis
terait pas pût produire un pareil effet ? Si le délai court
contre le breveté , il doit courir en sa faveur. Il serait
injuste de le considérer comme jouissant de l’effet du
brevet, et de lui refuser les attributs utiles de cette jouis
sance.
N’y eût-il donc dans la loi que cet article 8, que la
thèse de M. Nouguier n’en serait pas moins insoutena
ble; mais il y a plus encore , et ici c’est avec les armes
fournies par M. Nouguier lui-même que nous allons le
combattre.
Supposez deux brevets pour la même invention déli
vrés à quelques jours de distance l’un de l’autre, à qui
appartiendra la priorité ? Si la doctrine de M. Nouguier
est vraie , à celui qui aura le premier obtenu l’arrêté
ministériel. Or, M. Nouguier enseigne positivement le
contraire : Ce n'est pas celui qui a le premier inventé,
ou celui qui a le premier obtenu la délivrance du bre
vet, mais celui qui a le premier demandé, qui obtient
m brevet valable. Ainsi ce qui, d’après M. Nouguier,
n’existerait pas encore l’emporterait, à son avis qui est
au reste celui de tout le monde , sur ce qui existe et a
existé avant.
D’autre part, aux termes de l’art. 32 , le défaut de
paiement de l’annuité avant le commencement de cha
cune des années de la durée du brevet, en entraîne la
SUR LES BREVETS D ’iNVENTION
�LOI DU 6 JUILLET 1844
444
déchéance. Or, si nous demandons à quelle époque doit
se faire ce paiement, M. Nouguier nous répondra que
c’est au plus lard le jour anniversaire de celui du dépôt.
Dès lors , comment prétendre que le brevet n’existe
que du jour de l’arrêté ministériel, si sa durée court du
jour du dépôt des pièces ; si ce dépôt attribue la prio
rité ; si le paiement de l’annuité fait une heure après
l’année de son échéance serait tardif et ferait encourir
la déchéance? Est-il possible que ce qui n’existerait pas
produisit de tels effets, entraînât de pareilles conséquen
ces ?
Nous avons donc raison de le dire : le certificat du
dépôt est, en réalité, le brevet lui-même et confère im
médiatement tous les droits et privilèges attachés à celuici. L’arrêté ministériel ne fait que constater l’état des
choses existant et acquis. Donc, rien ne saurait empê
cher que le porteur de ce certificat prenne toutes les me
sures qu’exige la conservation de son privilège, et pour
suive les atteintes dont il serait l’objet.
Cette conséquence, M. Nouguier l’enseigne lui-même
lorsque, quelques lignes plus bas, il reconnaît que, mê
me avant la délivrance du.brevet, l’inventeur a le droit
défaire constater par huissier la matérialité des faits dont
il aura plus lard à se plaindre, et d’obtenir la faculté de
faire saisir provisoirement les objets contrefaits. Il est
vrai que M. Nouguier ne voit là que des moyens de se
ménager la preuve des faits dont il aura à se plaindre
quand il sera libre d’agir.
M. Nouguier oublie qu’il ,vient de nous dire que la
�145
contrefaçon est l'atteinte “portée non à l’invention mais
au brevet, et que tant que celui-ci n’a pas été délivré
il ne saurait y avoir contrefaçon. Donc, tout ce qui a
été fait avant n’a été que l’exercice d’un droit. Où donc
est l’intérêt du breveté à s’en ménager la preuve. Le
prévenu se gardera bien de nier le fait qui lui sera im
puté. Il se contentera de dire, avec M. Nouguier, point
de brevet point de contrefaçon, et cette objection n’amè
nerait pas seulement son renvoi de la poursuite ; elle
pourrait encore motiver la nullité du brevet, puisque la
preuve que l’invention était pratiquée avant sa délivrance
enlèverait à celle-ci tout caractère de nouveauté.
La faculté de saisir ne peut se Concevoir que dans la
supposition d’une contrefaçon. Donc , concéder l’une
c’est nécessairement admettre l’autre et, dès lors, l’exis
tence du privilège auquel celle-ci a attenté.
Il y a donc une contradiction flagrante à dénier le
droit de poursuite et à concéder celui de faire dresser un
procès-verbal de perquisition ou de requérir une saisie
provisoire. Mais pour obtenir du président l’autorisation
de réaliser celle-ci, il faut justifier d’un titre, et le join
dre à la requête. Or, quel est le titre qu’exige M. Nou
guier lui-même ? Le brevet s'il a été délivré , e t à
d é fa u t d e b r e v e t, le p ro e è s -v e rto a l
c o n s ta ta n t le d é p ô t d e la d e m a n
d e '. Qu’il nous explique donc comment ce procèsSUR LES BREVETS D’iNVENTIQN
1 N« 843.
n — 10
�146
LOI DU 6 JUILLET 1844
verbal qui, d’après lui, ne confère pas même le droit de
se plaindre, substituera le brevet dans cette circonstance,
et autorisera une mesure aussi grave qu’une saisie pro
visoire.
i
595. — Nous ne pouvons donc que persister dans
l’opinion que nous avons déjà émise1. Dès que la de
mande de brevet a été déposée , le droit privatif à l’in
vention est acquis, et avec lui le privilège et tous les at
tributs qu’il comporte , notamment et surtout la faculté
de poursuivre la contrefaçon. Sans doute cette demande
pourra avoir été irrégulièrement formée et rejetée, mais
c’est là une exception dont le prévenu aura à exciper et
qu’il lui sera très-facile de prouver. Dans tous les cas,
tout ce qu’on pourrait exiger du poursuivant c’est de
justifier, le jour du jugement, de la suite qui a été don
née à sa demande par la représentation du brevet qui
lui a été délivré.
596. — Le droit de poursuite du titulaire du brevet
inhérent à celui-ci expire avec ce brevet lui-même. L’ex
tinction de celui-ci est légale ou conventionnelle.
Légale , lorsqu’elle arrive par l’expiration du terme
pour lequel le brevet a été pris ; ou par suite d’un ju
gement qui en a prononcé la nullité ou la déchéance.
Conventionnelle, lorsque le brevet a été totalement aüéné en faveur d’un tiers. Sans doute , dans ce cas, le
1 Supra n° 152.
�147
brevet n’a rien perdu de sa force et de sa valeur, mais
au profit du cessionnaire exclusivement. Le cédant n’est
plus, à son égard , qu’un tiers ordinaire , e t, comme
nous venons de le dire , l’usage qu’il continuerait de
faire de l’invention le constituerait contrefacteur. Sans
qualité et sans droit pour s’en appliquer désormais le
profit, il ne serait ni recevable ni fondé à se plaindre
des usurpations dont le brevet serait l’objet, ou en pour
suivre la répression.
SUR LES BREVETS D ’INVENTION
597. — Mais la déchéance ou la cession n’a d’effets
que pour l’avenir et ne saurait rétroagir sur le passé.
Conséquemment, le titulaire du brevet pourrait, même
après la déchéance , même après la cession, poursuivre
les contrefaçons commises avant la date de l’une ou de
l’autre, et serait en droit d’en obtenir la réparation.
Il n’en serait pas de même dans le cas d’extinction
du brevet par suite d’un jugement qui en aurait pronon
cé la nullité. Celle-ci, nous l’avons vu.rétroagit au jour
du dépôt des pièces : le brevet est alors censé n’avoir ja
mais existé , et s’il n’a jamais existé il n’a pu devenir
l’occasion d’une usurpation.
O
598. — La cession totale qui enlève au breveté le
droit de poursuivre les contrefacteurs le transfère au
cessionnaire. Le droit privatif et le privilège qui en est
la conséquence sont devenus la chose , la propriété de
celui-ci. Lui seul a désormais intérêt à les maintenir
intacts. Son droit à les protéger , à les défendre contre
�448
LOI DU 6 JUILLET 1844
toute atteinte ne saurait donc être ni méconnu ni con
testé.
Quoique moins étendu que celui du cessionnaire to
tal, l’intérêt du cessionnaire partiel à se plaindre des usurpations dont le brevet est l’objet, n’est ni moins évi
dent ni moins certain. On ne saurait, dès lors non plus,
lui contester le droit d’en demander et d’en poursuivre
la répression.
599.
Mais le droit des cessionnaires partiels se
restreint naturellement dans les limites que lui trace la
convention. Supposez, par exemple, que la cession n’ait
été consentie que pour une région déterminée, pour tels
ou tels départements, il est évident que ce qui se réali
sera en dehors n’intéresse en rien le cessionnaire. Il n’y
aurait là ni atteinte à son droit ni préjudice pour lui.
Pour être recevable à empêcher, il faut au moins avoir
le droit de faire soi-même. Or, ce droit le cessionnaire
ne saurait le revendiquer dans une localité autre que
celle qui lui est assignée.
Mais, le droit d’exploiter entraîne celui de débiter et
de vendre les objets brevetés. Donc, l’intérêt du cession
naire partiel à empêcher l’introduction et la vente de
ces objets, dans les lieux qui lui sont assignés, est évi
dente. La concurrence qui en résulterait pour lui serait
de nature à lui occasionner un grave préjudice. On ne
saurait, dès lors, lui contester le droit de poursuivre ceux
qui auraient introduit, recélé, vendu ou exposé en vente
les objets contrefaits dans les lieux où il a seul le droit
d’exploiter.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
149
600. — Le droit des cessionnaires totaux ou partiels
est la conséquence de l’acquisition de la propriété ou de
la copropriété du brevet. Il puise donc son origine dans
le titre qui constate cette acquisition. Mais son exercice
n’est ouvert que par l’accomplissement des formalités
prescrites par l’art. 20. A défaut, la cession n’étant pas
opposable aux tiers ne saurait devenir , contre eux , le
fondement d’une poursuite quelconque.
601. — Les simples permissionnaires n’ont ni droit
ni qualité pour dénoncer ou poursuivre les contrefac
teurs. La faculté d’exploiter qui leur est exclusivement
conférée ne leur attribue ni la propriété ni la copropriété
du brevet. Ils n’ont donc ni à s’inquiéter ni à recher
cher les atteintes dont il pourrait être l’objet.
Vainement objecteraient-ils que les contrefaçons leur
occasionnent un préjudice , par la concurrence qu’elles
font surgir. Le résultat serait le même si, après les avoir
autorisé à exploiter l’invention , le breveté accordait la
même autorisation à d’autres, et ce droit ne saurait lui
être contesté, à moins qu’il ne se le fût expressément in
terdit. Or , s’il peut autoriser formellement, il le peut
tacitement ; et c’est cette autorisation tacite qui s’indui
rait de son abstention à poursuivre les contrefacteurs.
602. — La qualité de simple permissionnaire ac
quise, aucun doute ne saurait s’élever sur l’absence du
droit de poursuivre. Aussi est-il permis de supposer que
ce qui fera l’objet du litige , dans ce cas , sera, non les
�LOI DU 6 JUILLET 1844
130
effets de la qualité , mais cette qualité elle-même. Les
juges auront donc à décider si le titre a conféré une
simple permission ou une copropriété.
On comprend de quelle importance seront ici les ex
pressions de ce titre. Pourrait-on en effet hésiter si, par
exemple , le droit transmis y était qualifiée d’autorisa
tion ou de permission d’exploiter ?
La difficulté ne naîtra donc que lorsque l’ambiguïté
ou l’obscurité du titre en rendra l’interprétation inévi
table et amènera à rechercher quelle a été la véritable
intention des parties.
603. — Un des éléments essentiels de cette recher
che est le rapprochement du droit conféré avec les effets
naturels et légaux inhérents au contrat dont on reven
dique le bénéfice. Ainsi, céder un droit c’est, de la part
de son propriétaire , s’en dépouiller, le transférer à un
tiers qui seul en disposera désormais. Il ne saurait donc
exister de cession si le cédant, loin de se dépouiller, en
retient la jouissance et en stipule la conservation à son
profit. Donner et retenir ne vont; et ce vieil axiome de
droit a, de tout temps, réuni l’assentiment du bon sens
et de la raison.
Donc, si le breveté ne s’est pas interdit d’exploiter
dans les lieux où le cessionnaire doit exploiter lui-même,
à bien plus forte raison s’il s’en est expressément ré
servé la faculté, l’acte, quelle que soit la qualification
qui lui a été donnée , ne saurait être une cession. Ce
qu’il a uniquement conféré c’est la permission, l’auto
risation d’exploiter.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
4 51
Une espèce jugée par la cour d’Amiens nous offre un
exemple d’application de cette doctrine.
Les sieurs Lebrun et Bohmé , de S1 Quentin , étaient
brevetés pour la fabrication et 1a, vente de pompes à ro
tation aspirante et foulante à lame conique ou mobile.
Par acte du 4 octobre 1 8 4 9 , ils cèdent au sieur Pecquiriaux , h Louvrois, le droit de fabriquer et de vendre,
comme eux-mêmes en avaient le droit, les objets faisant
la matière du brevet. Cet acte porte que tous les per
fectionnements que pourraient faire les brevetés seront
acquis au sieur Pecquiriaux, à la charge par lui de payer
la moitié des frais ; que les inscriptions existantes au
jourd’hui sur les plateaux des pompes resteront les mê
mes pour ce qui concerne MM. Bohmé et Lebrun , et
que les plateaux des pompes sortant de la fabrique de
Louvrois porteront l’inscription de pompes Bohmé et Le
brun, à S* Quentin, et Pecquiriaux à Louvrois.
Enfin, aux termes de l’art. 6, Bohmé et Lebrun s’in
terdisent toute association ou cession nouvelle.
Des difficultés étant survenues , Pecquiriaux se fon
dant surtout sur cet article, se prétend copropriétaire du
brevet, et revendique en cette qualité le droit de pour
suivre les contrefacteurs. Mais cette prétention est re
poussée par la cour d’Amiens qui déclare que la con
vention ne lui a conféré qu’une simple concession d’ex
ploitation.
Pecquiriaux se pourvoit en cassation ; mais, par ar
rêt du 8 mars 1 8 5 2 , son pourvoi est rejeté : attendu
que la cour d’Amiens, saisie de l’interprétation d’une
�LOI DU 6 JUILLET 1844
152
convention verbale, a fait un usage légitime de son droit
en décidant que cette convention renfermait la conces
sion d’une faculté d’exploitation et non la cession par
tielle de la propriété du brevet ; que cette distinction faite
par l’arrêt attaqué est conforme au véritable esprit de la
loi, et ne viole aucun de ses articles.'
604. — L’article 46 a voulu trancher une contro
verse que le silence de la législation précédente avait
fait surgir sur la question de savoir si le tribunal cor
rectionnel pouvait statuer sur les exceptions tirées par
le prévenu de la nullité, de la déchéance ou de la pro
priété du brevet.
Ceux qui soutenaient l’affirmative invoquaient la rè
gle : que le juge de l’action était juge de l’exception ;
ils disaient que le prévenu excipant soit de la nullité,
soit de la déchéance, soit de la propriété du brevet, ne
faisait, en définitive, qu’opposer un défaut de qualité
de la part du poursuivant : ce que le juge avait incon
testablement le droit de vérifier et de décider.
Mais, objectaient les partisans de l’opinion contraire,
soutenir la nullité ou la déchéance du brevet, mettre en
doute sa propriété, ce n’est pas opposer une simple ex
ception, c’est soutenir une question préjudicielle qui ex
cède la compétence du tribunal correctionnel, non pas
seulement parce que la loi l’a expressément déférée à la
juridiction civile, mais encore parce que ce tribunal se-
1
J. du P,, -1852, 2, 265,
266.
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
153
ra, dans bien de cas, dans l’impossibilité de la résou
dre. Supposez, en effet, que le prévenu ait pour unique
contradicteur le ministère public. Comment l'officier du
parquet répondra-t-il aux moyens de nullité ? comment
établira-t-il la propriété du breveté ? et s’il n’est pas en
position de le faire, faudra-t-il que le tribunal accueille
ou rejette de confiance la prétention du prévenu ?
La cour de Cassation avait consacré la première opi
nion , mais le Gouvernement lui avait préféré la secon
de. Dans le projet qu’il présentait, il imposait au tri
bunal correctionnel de renvoyer à la juridiction ordi
naire les exceptions de nullité, de déchéance ou de pro
priété , en déterminant le délai dans lequel le prévenu
devait se pourvoir.
Les chambres législatives repoussèrent cette proposi
tion. Elles pensèrent qu’en matière de brevets d’inven
tion surtout, il convenait d’activer le cours de la justice;
que la jouissance privative n’étant que temporaire , il
était juste et convenable de la protéger contre des pré
tentions qui, souvent, ne seront qu’un calcul pour ga
gner du temps, et continuer les usurpations qui préju
dicient au breveté et annulent son privilège ; qu’en con
séquence elles ne devaient pas autoriser un circuit d’ac
tions , et la possibilité d’éterniser le litige en le portant
successivement devant tous les degrés de juridiction.
Donc, si le prévenu cité en police correctionnelle excipe de la nullité, de la déchéance du brevet ; en con
teste ou en revendique la propriété, le tribunal statuera
sur l’exception. Ï1 n’est pas tenu de renvoyer au tribu
nal civil,
�r
154
LOI DU 6 JUILLET 1844
605. — Mais si, depuis l’introduction de l’instance
correctionnelle , le prévenu a porté son exception de
vant le tribunal civil, pourra-t-il être passé outre au ju
gement correctionnel avant la décision du tribunal civil? "
Devant la cliambre des Députés , M. Delespaul , en
prévision de cette hypothèse, proposait d’autoriser dans
ce cas le tribunal correctionnel à évoquer l’instance ci
vile. Il faisait, avec raison, remarquer que cette instance
pouvait n’avoir été introduite que pour éluder l’art. 46;
et pour se procurer le moyen de retarder la décision du
procès en contrefaçon.
Cette proposition ne fut pas même appuyée. La fa
culté qu’elle réclamait, la loi la donnait implicitement.
L’inconvénient que l’art. 46 a voulu prévenir se réali
sant , il ne pouvait entrer dans la pensée de personne
qu’il fût interdit au tribunal d’user du remède que la loi
a placé dans ses mains.
Repoussée par les Députés, la proposition se repro
duisit, et avec une certaine insistance, à la chambre des
Pairs. Appelée à s’en expliquer, la commission conclu
ait au rejet que son rapporteur motivait en ces termes:
« 11 nous a paru que la disposition réclamée n’était
» pas nécessaire , qu’elle pourrait même excéder, dans
» certains cas , le dessein que vous avez eu en formu» lant l’art. 46, dont les termes paraissent suffire pour
» tarir, dans la plupart des cas, la source des abus si' » gnalés. La jurisprudence fondée sur l’art. 182 du
» Code forestier pourra, ou plutôt devra toujours servir
» de règle aux tribunaux. Saisi du jugement de la con-
'V
�155
» trefaçon , le tribunal correctionnel aura à apprécier
» les circonstances de la cause ; suivant que de ces cir» constances ressortira le plus ou moins de bonne foi
» des parties, ou il accordera un sursis en fixant un dé» lai raisonnable pendant lequel l’action civile sera ju» gée , ou il refusera le sursis demandé s’il voit que ce
» sursis n’est qu’un prétexte pour échapper aux dispo» si lions de l’art. 46, et pour reproduire ce circuit d’ac» fions, ce double procès que le législateur a voulu évi» ter. C’est ainsi, nous l’espérons du moins , qu’on é» chappera , dans la pratique , aux inconvénients que
» vous avez voulu prévenir , que l’on pourrait encore
» redouter.. Nous nous confions, à cet égard et sans ré» serve, à la sagesse, à la prudence et au discernement
» des juges. »
606. — Nous admettons, sans hésiter, dans tous les
cas la théorie que ie rapporteur appliquait à celui où
l’instance civile a été intentée après l’introduction de
l’instance correctionnelle. 11 nous parait, en effet, im
possible d’admettre que le législateur ait entendu impo
ser au tribunal correctionnel le devoir de prononcer,
même lorsqu’il ne serait ni en mesure ni en état de le
faire.
N’est-ce pas ce qui peut se réaliser toutes les fois que
le prévenu n’aura pour contradicteur que le ministère
public? Le tribunal pourra-t-il, devra-t-il rejeter ou ad
mettre de confiance l’exception de nullité ou de proprié
té , si l’officier du parquet n’est pas en position d’en
justifier le bien ou le mal fondé ?
SUR
LES BREVETS D'iNVENTION
�LOI DU 6 JUILLET 1844
156
Nous en concluons que l’art. 46 en réalité confère une faculté, et n’impose pas une obligation. Si le tribunal
pense que l’exception est sérieuse , qu’elle appelle une
instruction et une discussion approfondie, il ne doit pas
hésiter à renvoyer le prévenu à se pourvoir au civil en
lui imposant le délai dans lequel il devra réaliser ce
pourvoi ;
Il ne doit pas hésiter à prononcer sur l’exception, si,
dès à présent, il lui est démontré qu’elle n’est ni sérieu
se ni légitime ; qu’elle n’est qu’un moyen de gagner du
temps et de réaliser ce circuit d’actions que l’art. 46
proscrit fort justement.
607. —- L’action correctionnelle peut n’être intentée
qu’après l’introduction de l’instance en nullité ou en dé
chéance : tout intéressé a le droit de poursuivre en tout
temps l’une ou l’autre. Mais ce n’est qu’après que le ju
gement, qui a accueilli sa demande, a acquis l’autorité
de la chose jugée, qu’il pourra exploiter l’invention bre
vetée. Tout acte d’exploitation, réalisé avant, donnerait
lieu à une saisie, et à une poursuite devant le tribunal
de répression.
Que devra faire celui-ci dans cette hypothèse ? Serat-il obligé de surseoir ? poura-t-il prononcer sur l’ex
ception ? Evidemment, on ne saurait facilement suppo
ser ou admettre qu’une prétention qui s’est traduite en
acte et qui a été déférée à la justice, avant la poursuite
au correctionnel, ne soit qu’un prétexte pour éterniser
celle-ci, et qu’on se trouve ainsi en présence de l’incon
vénient que l’art. 46 a voulu prévenir.
�137
D’autre part, le demandeur en nullité ne doit-il pas
attendre l’issue de sa demande , et peut-il, s’en adju
geant lui-même le profit, se livrer à une exploitation
préjudiciable au breveté? N’est-il pas, dès lors, conve
nable et juste de réprimer immédiatement cette exploi
tation ?
C’est ce que le tribunal correctionnel a à examiner et
à résoudre. L’intention de la loi, de s’en remettre entiè
rement à sa prudence et à ses lumières, ne saurait être
douteuse. Sa décision, quelle qu’elle soit, rentrera donc
dans le cercle de ses attributions.
608. — Nous avons déjà dit que les tribunaux cor
rectionnels ne jugeant les questions civiles, que le pré
venu soulève comme exceptions, que dans la mesure et
dans les limites de l’action pénale, ne prononcent jamais
ni la validité ni Pinvalîdité du brevet. Ils acquittent ou
ils condamnent, c’est à dire qu’ils déclarent qu’il y a ou
qu’il n’y a pas délit.
Donc, ils ne statuent jamais que sur le passé, et, dès
lors, leurs décisions ne sauraient influer sur l’avenir, ni
acquérir l’autorité de la chose jugée, à l’égard des faits
qui peuvent être postérieurement dénoncés ou pour
suivis.
609. — On a voulu cependant distinguer. Cette con
séquence on l’a admise sans difficulté , lorsque le juge
ment correctionnel n’a statué que sur le délit lui-même
et sur ses éléments constitutifs. II est évident, en effet,
que ces éléments, qui existent ou n’existent pas' pour le
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�458
LOT DU 6 JUILLET 1844
fait actuel, pourront se rencontrer ou non dans un fait
postérieur , et que la décision intervenue sur l’un n’a
rien statué, ni pu statuer sur l’autre.
Mais si , avant de prononcer sur le délit, le juge de
répression a eu à résoudre une question préjudicielle ;
s’il n’a acquitté que parce que, disant droit sur l’excep
tion et en reconnaissant le mérite, il en a conclu que le
fait reproché n’a été que l’exercice d’un droit, pourraitil se faire qu’on pût de nouveau incriminer le même
fait? Comment ce qui a été jugé licite dans le passé se
serait-il, depuis le jugement, transformé en délit ? Il y
a donc , dans le premier jugement, chose jugée sur le
caractère de l’acte , et le remettre en question, c’est la
violer.
610. — La cour de Grenoble, se plaçant à ce point
de vue , avait jugé qu’un individu poursuivi pour avoir
exercé la médecine sans autorisation , et qui avait été
acquitté parce que, sur son exception, il avait été admis
qu’une lettre du ministre au préfet tenait lieu d’autori
sation, ne pouvait être poursuivi une seconde fois pour
avoir de nouveau exercé la médecine.
Le ministère public s’étant pourvu en cassation , son
pourvoi fut rejeté le 18 avril 1839, par la chambre
criminelle, après délibération en la chambre du con
seil.'
1 D P., 39. 4. 229.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
159
La même chambre criminelle n’a pas hésité à appli
quer ce principe à la contrefaçon. Elle jugeait, en con
séquence, le 17 avril 1857, que le jugement correction
nel qui a repoussé l’exception tirée par le prévenu , à
raison, par exemple , du caractère non brevetable de
l’invention, mettait obstacle à ce que la même exception
fût de nouveau agitée entre les mêmes parties, en cas de
poursuites nouvelles pour des faits postérieurs de con
trefaçon identiques à ceux déjà réprimées.
Il s’agissait, ici, de la chose jugée contre le prévenu.
Mais il est évident que, si elle existe contre lui en cas
de condamnation , elle doit être acquise en sa faveur
dans celui d’acquittement. C’est au reste ce qui s’induit
des motifs de l’arrêt lui-même.
En effet, après avoir constaté que l’exception, était la
même que celle qui avait été proposée dans la première
poursuite, qu’elle s’appuyait sur la même cause et s’a
gitait entre les mêmes parties agissant en la même qua
lité, cet arrêt poursuit :
« Attendu que si , en matière pénale , la culpabilité
ne se présume pas d’un fait antérieur déjà jugé, et que
si toute prévention doit être appréciée en elle-même, en
dehors de tout précédent, il ne s’agissait pas, dans l’es
pèce, d’un élément du délit, mais d’une exception pré
judicielle autorisée par l’art. 46 de la loi du 5 juillet
1844 , sur laquelle il attribue compétence à la juridic
tion correctionnelle ; et que cette exception constitue un
moyen de droit sur lequel le juge ayant, aux termes du
dit article, statué une première fois, ne pouvait être ap-
�160
LOI DU 5 JUILLET 18 44
pelé à prononcer une seconde dans les mêmes condi
tions.' »
Or, la différence entre un jugement qui acquitte et
celui qui condamne, est tout entière dans le résultat. Il
n’en existe aucune ni dans le caractère du fait ni dans
la condition des parties , c’est à dire que le prévenu
précédemment acquitté renouvelant ^exception qui lui a
réussi, l’exception sera la même; elle s’appuyera sur la
même cause , s’agitera entre les mêmes parties agissant
en la même qualité, constituera un moyen de droit, une question préjudicielle , et non un élément du délit.
Dès lors, s’il y a chose jugée dans un cas, il y a incon
testablement chose jugée dans l’autre.
611. — Aussi, n’hésiterions-nous pas à admettre la
conséquence, si le principe avait un caractère juridique.
Or,'ce caractère nous paraît plus que contestable.
Comment, en effet, admettre que les jugements cor
rectionnels enchaînent l’avenir, et leur attribuer l’auto
rité de la chose jugée, pour les faits de même nature qui
ne se réaliseront que plus ou moins longtemps après
leur reddition ?
La chose jugée s’apprécie par le rapprochement des
demandes successivement introduites et par l’objet qui
a fait la matière du jugement qui est déjà intervenu. Or
ce qui a été soumis en premier lieu au tribual correc
tionnel, et jugé par lui, est un délit, c’est à dire un fait
l D. P., 57, 1,442.
�161
accompli , consommé au moment où sa répression est
demandée, il est naturel et légal, dès lors que le même
fait ne puisse devenir la matière et l’objet d’une seconde
instance. La règle non bis in idem a loujonrs été aussi
sage que nécessaire pour la sécurité publique.
Mais commettre un second délit après un premier ,
e’est évidemment non commettre un seul et même délit,
mais en accomplir deux. Le fait sera semblable, identi
que même si l’on veut dans sa nature et ses caractères;
mais sa réalisation postérieure, les circonstances spécia
les dans lesquélles elle a eu lieu s’opposent à ce qu’on le
confonde avec le précédent. Or, la règle consacrée par
l’art. 360 Cod. d’insl. crim., si elle assure l’immunité
contre toute nouvelle poursuite , exige non un fait plus
ou moins semblable , mais et exclusivement que la se
conde poursuite s’exerce à raison et à l’occasion du fait
même qui a motivé la première.
Donc cette identité absolue du fait ne se rencontrant
pas dans les délits successifs, la condition exigée par la
loi pour qu’il y ait chose jugée, manque, et dès lors on
ne saurait ni invoquer ni consacrer l’exception que celte
chose jugée autorise.
Aussi M. Faustin-Hélie n’hésitait - il pas à critiquer
l’arrêt de la cour de Cassation du 18 avril 1839 , que
nous venons d’annoter. Il ne s’agissait pas , dit-il , du
même fait, mais d’un fait nouveau , postérieur au pre
mier jugement et sur lequel ce jugement n’avait aucune
autorité. A la vérité, ce fait était identique avec le pre
mier, et il pouvait y avoir même raison de décider. Mais
» — \\
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�462
LOI DU 6 JUILLET 1844
il ne s’ensuivait pas que les juges fussent enchaînés par
ce jugement, qui ne pouvait avoir d’autre influence que
celle d’une décision rendue dans un espèce identique.
Il y avait décision sur la question , mais non chose ju
gée sur le fait, et l’art. 360 C. inst. crim., tout-à-fait
inapplicable, n’eût fait nul obstacle à ce que les mêmes
juges, infidèles à une décision qu’ils auraient pu croire
inexacte, eussent adopté une décision contraire.'
612. — Ces observations , d’une vérité juridique,
incontestable , s’adressent à l’arrêt de 1857 , aussi bien
qu’à celui de 1839 , et la conclusion qui s’en déduit,
c’est que la doctrine qu’ils consacrent l’un et l’autre
n’est avouée ni par le texte ni par l’esprit de la loi.
C’est ce que la chambre civile de la cour de Cassation
a expressément reconnu et consacré dans l’espèce sui
vante :
La société Rohifs, Seyrig et Cie, propriétaire de bre
vets pour les turbines, fait saisir chez les sieurs Crespel
Défisse quatre turbines qu’elle soutient contrefaites, et
ajourne ceux-ci devant le tribunal correctionnel d’Arras
qui reconnaît la contrefaçon et condamne les prévenus.
Mais , sur l’appel, jugement du tribunal supérieur ,
et, après renvoi de la cour de Cassation, arrêt de la cour
de Paris qui infirme et renvoie de la plainte.
Divers autres fabricants de sucre poursuivent devant
la juridiction civile la déchéance des brevets. Celle
1 Instr. crim., t. 3, pag. 692.
�163
demande est définitivement repoussée par arrêt de la
cour de Paris, du 19 février 1835, qui déclare les bre
vets réguliers et valables.
Alors la sociétéSeyrig fait de nouveau saisir chez Crespel Défisse, non les quatre turbines qui avaient fait l’ob
jet de l’instance correctionnelle, mais des turbines cons
truites depuis ; et chez les sieurs heyvratz et Cie celles
qui leur avaient été vendues pas Crespel, et les assigne
tous devant le tribunal civil en dommages-intérêts.
Crespel et Leyvratz se prétendant l’ayant - cause du
premier , excipent de l’arrêt rendu sur la poursuite en
contrefaçon et opposent la chose jugée qu’ils en indui
sent, celte exception est accueillie par la cour de Douai
le 6 mars 1856.
Mais Seyrig s’étant pourvu en cassation, cet arrêt est
cassé par la Cour suprême comme violant les art. 360
C. inst. crim. et 1351 C. Nap.
« Attendu , dit l’arrêt de cassation , que quand, aux
termes de l’art. 46 de la loi du 5 juillet 1844, le tribu
nal correctionnel , saisi d’une action en contrefaçon ,
statue sur les exceptions que le prévenu tire soit de la
nullité ou de la déchéance du brevet , soit de questions
relatives à la propriété dudit brevet, il ne fait qu’appré
cier , au point de vue de la prévention , un moyen de
défense qui est opposé à l’action correctionnelle ;
« Que la décision qu’il rend sur ce moyen de défense
ne s’étend pas au-delà du fait incriminé ;
« Qu’en cette matière, comme en toute autre, le tri
bunal correctionnel n’est juge de l’exception que dans la
mesure et les limites de l’action ;
SUR LES BREVETS D’INVENTION
�LOI DU 6 JUILLET 1844
164
« Que poursuivi une première fois devant la juridic
tion correctionnelle pour délit de contrefaçon de turbi
nes, Crespel Delisse a opposé la déchéance et la nullité
des brevets obtenus par la société Rohifs Seyrig et Cie ;
que cette exception a été accueillie par arrêt de la cham
bre correctionnelle de Paris, du 25 février 1853, et que
par suite Crespel Delisse a été renvoyé des poursuites ;
« Qu’il résulte des motifs rapprochés du dispositif de
cet arrêt, que c’est à titre de fin de non recevoir contre
l’action correctionnelle en contrefaçon que la déchéance
et la nullité des brevets ont été demandées et pronon
cées ; que cette décision doit être renfermée dans son
objet, et ne pouvait être invoquée comme ayant l’auto
rité de la chose jugée dans le procès que la même socié
té a intenté en 1855 devant le tribunal d’Arras en répa
ration du dommage que Crespel Delisse aurait causé pour
la fabrication et l’usage de nouveaux appareils de même
nature.' »
613. — Là, croyons-nous, est la vérité légale et ju
ridique, la saine entente des principes et de la loi. Les
tribunaux correctionnels n’apprécient et ne jugent que
le passé, et ne sont jamais appellés à statuer sur l’ave
nir. Toutes les fois donc qu’un ;fait qualifié délit par la
loi se reproduira leur obligation d’en faire le sujet d’une
délibération spéciale ne saurait être ni méconnue ni con
testée. Que le fait nouveau soit la reproduction de l’an1 D. P.; 57, 137.
�165
cien, que les moyens d’attaque et de défense soient iden
tiques, peu importe. Il pourra , comme l’enseigne M.
Faustin-Hélie, y avoir lieu à décider comme la première
fois , mais jamais possibilité de se refuser à prononcer
sous prétexte de chose jugée.
Ce qu’il y a dé jugé c’est l’acquittement ou la condam
nation du prévenu. C’est en effet à l’un ou à l’autre que
se bornera le dispositif de la décision. Quels que soient
les motifs par lesquels le tribunal de répression arrive
au résultat qu’il consacre, dès que la validité ou l’inva
lidité du brevet n’est pas dans ce dispositif , et elle ne
peut y être, il ne saurait y avoir sur ce point chose ju
gée. Soutenir le contraire c’est vouloir que le tribunal
correctionnel tranche une question que la loi défère ex
pressément et exclusivement à la juridiction civile.
Mais, dira-t-on, où sera alors pour le prévenu le pro
fit du jugement qui l’acquitte , s’il ne peut faire dans
l’avenir ce qui est jugé n’avoir été dans le passé que
l’exercice d’un droit ? Dans ce passé puisqu’il ne pourra
plus être recherché pour tous les actes antérieurs au ju
gement quelque nombreux qu’ils aient pu être. Mais le
pardon ou l’absolution du passé n’est pas l’immunité
pour l’avenir, et le tribunal correctionnel pouvait d’au
tant moins accorder celle - ci qu’elle ne lui était pas ,
qu’elle de pouvait même pas lui être demandée. Si le
prévenu avait entendu l’acquérir, il aurait dû se confor
mer à la loi et poursuivre la nullité ou la déchéance du
brevet devant la juridiction civile à laquelle est réservé le
droit de donner à l’un ou à l’autre un caractère absolu
SUR LES BREVETS D’hWENTION
�LOI DU 6 JUILLET 1844
466
et définitif , tant qu’elle n’a pas prononcé. Ce caractère
et ses conséquences ne sauraient être ni revendiqués ni
acquis.
614. — La faculté donnée par l’art. 46 aux tribu
naux correctionnels de statuer sur les exceptions de nul
lité , de déchéance ou de propriété, se restreint aux ex
il ceptions qui sont proposées comme défense à l’action.
Elle ne s’étend pas aux demandes distinctes et principa
le qui viendraient accessoirement se joindre à l’instance
en contrefaçon et qui naîtraient à son occasion.'
Par exemple, cité en police correctionnelle le prévenu
excipe d’un brevet pris par lui pour l’objet qu’on lui re
proche d’avoir contrefait. Il est évident que ce reproche
1 ne saurait être admis que si le brevet opposé était annu
lé ; aussi le poursuivant soutiendra-t-il celte nullité et
demandera au tribunal correctionnel de la prononcer.
Mais, ainsi que le jugeait la cour de Metz, le 21 juin
1855 , cette demande ne constitue pas l’exception dont
parle l’art. 46 , et dont il attribue la connaissance aux
tribunaux correctionnels. Elle est en réalité une deman
de principale régie par l’art. 34 , et de la compétence
exclusive de la juridiction ordinaire.1
615. — Il est dans l’esprit de l’art. 46 que le tribu
nal correctionnel prononce sur l’exception et sur le fond,
/
i Renouard, n° 226.
2 D ,P , 56, 2, 214.
/
-
�SUR LES BREVETS ü’iNVENTION
167
par un seul et même jugement, et c’est ce qui se réali
sera le plus ordinairement. 11 y a en effet entre l’ex
ception et le fond une telle connexité, de rapports si in
times que le rejet de la première entraînera nécessaire
ment la consécration du seeond et réciproquement.
Le contraire peut cependant se réaliser ; le tribunal
ou la cour peut statuer d’abord sur l’exception, et en la
rejetant ordonner qu’il sera ultérieurement passé outre
à l’examen du fond.
L’appel du jugement suspendrait nécessairement cet
examen jusqu’après sa décision. Qu’en serait-il du pour
voi formé contre l’arrêt ?
Son effet suspensif ne saurait, à notre avis, être révo
qué en doute. Il est vrai qu’on a objecté qu’en statuant
sur la nullité , la déchéance ou la propriété du brevet,
la Cour a statué sur des matières purement civiles. Mais
l’effet du pourvoi se règle non sur le caractère de l’ob
jet qui a fait la matière de la décision , mais par le ca
ractère de la juridiction dont cette décision émane; or,
incontestablement dans l’hypothèse que nous supposons,
c’est la chambre correctionnelle qui aura prononcé.
Aussi le pourvoi devra-t-il être réalisé dans les trois
jours sous peine de déchéance ; être déclaré non au
greffe de la cour de Cassation, mais au greffe de la cour
Impériale ; il sera soumis non à la chambre des requê
tes d’abord, mais directement et exclusivement à la cham
bre criminelle.
Donc , si en la forme , si quant à la juridiction , si
quant au délai, le pourvoi subit les conditions des pour-
�LOI DU 6 JUILLET 1844
168
vois en matière criminelle, on ne saurait lui en contes
ter ou lui en refuser l’effet suspensif. La justification
que l’arrêt qui repousse l’exception et ordonne de plai
der au fond], a été l’objet d’un pourvoi , arrêterait né
cessairement le cours de i’inslance jusqu’après décision
sur le pourvoi.
616. — Mais le pourvoi contre l’arrêt qui a, au ci
vil, repoussé la nullité, la déchéance ou la prétention de
propriété du brevet, ne ferait nul obstacle soit à l’in
troduction, soit à la continuation de l’instance correc
tionnelle en contrefaçon. Ici le pourvoi interviendrait
en matière civile et tomberait sous l’empire de la loi du
1er décembre 1790, aux termes duquel : enmalüre ci
vile, la demande en cassation n'arrête pas l'exécution
du jugement, et aucune surséance ne peut être accor
dée dans aucun cas et sous aucun prétexte.
617. — La contrefaçon étant un délit, la détermina
tion du tribunal que le plaignant peut et doit investir ,
se règle par la disposition de l’article 63 C. inst. crim.
Le breveté est donc libre de porter son action devant le
tribunal soit du lieu du délit, soit de la résidence du
délinquant, soit du lieu où celui-ci pourra être trouvé.
Ln matière de contrefaçon le lieu du délit est celui où
se trouvent les objets contrefaits, qu’ils y aient été ou non
saisis , à la condition toutefois que ce lieu soit celui de
leur destination.
Ainsi , la saisie pratiquée en cours de voyage , entre
�169
les mains , sur les voitures ou dans les magasins du
commissionnaire chargé d,e les recevoir et de les expé
dier , n’attribuerait pas juridiction au tribunal du lieu.
Un arrêt de la cour de Cassation , du 22 mai 1835, l’a
ainsi jugé en matière de contrefaçon littéraire, et l’on ne
voit pas le motif qui ferait admettre le contraire pour
la contrefaçon industrielle ou commerciale. L’action de
vrait dans ce cas être portée au tribunal du domicile de
l'expéditeur.
D’autre part, des saisies peuvent avoir été pratiquées
en divers lieux, chez divers fabricants, vendeurs ou dé
tenteurs. Le breveté ne pourrait être contraint à aller
successivement plaider dans chaque lieu ou à chaque
domicile. Il serait donc recevable et fondé à actionner
tous les délinquants devant le juge du domicile de l’un
d’eux à son choix.
SUR LES BREVETS D’iNVENTON
A rt. 4 7 .
Les propriétaires de brevets pourraient, en
vertu d’une ordonnance du président du tri
bunal de première instance, faire procéder, par
tous huissier, à la désignation et description dé
taillées, avec ou sans saisie, des objets préten
dus contrefaits.
L’ordonnance sera rendue sur simple requête
�170
LOI DU
6
JUILLET
1844
et sur la représentation du brevet ; elle con
tiendra, s’il y a lieu, la nomination d’un expert,
pour aider l’huissier dans sa description.
Lorsqu’il y aura lieu à la saisie, ladite ordon
nance pourra imposer au requérant un caution
nement qu’il sera tenu de consigner avant d’y
faire procéder.
Le cautionnement sera toujours imposé à l’é
tranger breveté qui requerra la saisie.
Il sera laissé copie au détenteur des objets
décrits ou saisis , tant de l’ordonnance que de
l’acte constatant le dépôt du cautionnement, le
cas échéant ; le tout à peine de nullité et de
dommages-intérêts contre l’huissier.
A r t . 48.
A défaut par le requérant de s’être pourvu ,
soit par la voie civile, soit par la voie correc
tionnelle, dans le délai de huitaine, outre un jour
par trois myriamètres de distance, entre le lieu
où se trouvent les objets saisis ou décrits, et le
domicile du contrefacteur, receleur, introduc
teur ou débitant. La saisie ou description sera
�171
nulle de plein droit, sans préjudice des domma
ges-intérêts qui pourront être réclamés, s’il y a
lieu, dans la forme prescrite par l’art. 36.
SUR LES BREVETS D INVENTION
SOMMAIRE
618 Utilité et convenance de la saisie provisoire au point de vue
de l’obligation pour le breveté de prouver la contrefaçon.
619 Législation de 1791 —Silence gardé à ce sujet par la loi du
27 mai. — Conclusion qu’on en avait tirée.
620 Son effet quant à l’exécution de la saisie.
621 Loi de 1844. — Caractère qu'elle assigne à la mesure pro
visoire qu’elle autorise.
622 Son objet.
623 La description ou la saisie ne peut avoir lieu que sur ordon
nance du président du tribunal civil. — Comment cette
ordonnance est provoquée.
624 Le président ne peut refuser l’ordonnance.
625 Opinion contraire de M. Nouguier.
626 Examen et discussion.
627 Motifs invoqués à l’appui de cette opinion. — Réfutation.
628 Objections de M. Et. Blanc. — Leur fondement.
629 L’ordonnance n’est susceptible d’aucun recours. — Arrêts
contradictoires de la cour de Paris.
630 Solution à adopter.
631 Caractère du pouvoir conféré au président quant au caution
nement et à son chiffre.
632 Le cautionnement ne peut être ordonné qu’en cas de saisie.
633 L’ordonnance du président à ce sujet ne peut devenir l’ob
jet d’un recours quelconque. — Il peut la modifier en
référé.
�172
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
634 La saisie doit - elle être suspendue jusqu’après le dépôt du
cautionnement ou du complément ordonné sur référé ?
635 Le cautionnement ne peut être fourni qu’en argent.
636 Le cautionnement doit être imposé si le saisissant est étran
ger. — Discussion à ce sujet à la Chambre des députés.
637 La saisie faite sans que le cautionnement eût été exigé ,
est-elle nulle ?
638 Quid du cautionnement si l'étranger a la jouissance des
droits civils ?
639 La saisie peut être opérée même dans le local de l’exposi
tion nationale.
640 Elle peut comprendre les instruments ou ustensiles spécia
lement destinés à la fabrication de la contrefaçon.
641 Peut-elle porter sur les livres et écritures ? — Opinion de
M Nouguier pour l’affirmative, — Réfutation.
642 Comment il est procédé à la saisie. — A qui appartient le
choix de l’huissier.
643 Celui de l’expert est laissé au président. — Motifs.
644 Devoirs de l’huissier.
645 La violation de ces devoirs ferait annuler la saisie et enga
gerait la responsabilité de l’huissier.
646 Délai dans lequel le saisissant doit investir le tribunal. —
Effet de son inobservation.
647 Caractère de la nullité. — N’a pas besoin d’être ordonnée
par justice. — Opinion contraire de M. Blanc.
648 Examen et réfutation.
649 Résumé et conclusion.
650. Effets de la nullité.—Avantages qu’elle confère au saisi.
618. — Comme tout demandeur , le breveté pour
suivant la répression de la contrefaçon , est obligé de
justifier sa prétention et de prouver l’existence du délit
dont il se prévaut. Cette tâche pourrait offrir des difficul-
�473
tés sérieuses ; car s’il arrive quelquefois que l’emploi
frauduleux du procédé soit tellement notoire, que la fa
brication s’exerce sur une échelle si vaste, que le débit
et la vente aient atteint des proportions telles qu’il serait
impossible de les méconnaître ou de les dénier , dans
combien d’autres circonstances l’impossibilité de repré
senter les objets contrefaits que le détenteur , averti par
la poursuite , n’aurait pas manqué de faire disparaître ,
ne serait-elle pas venue opposer, au succès de la plainte,
un obstacle insurmontable?
Il était donc rationnel et juste de ne pas laisser ais \
le sort du procès aux mains du contrefacteur, de donner
au breveté le moyen de se ménager la preuve la plus ex
plicite de la fraude dont il est victime. Ce moyen la sai
sie inopinément requise , et réalisée avant que rien ne
soit venu inquiéter la sincérité du contrefacteur, pouvait
seule le donner.
SUR LUS' BREVETS D INVENTION
619. — Aussi avait-elle été d’abord autorisée parle
législateur de 4791. L’art. 42 de là loi du 7 janvier la
permettait à la seule condition de donner au préalable
bonne et suffisante ca.ution.
Mais la gravité des conséquences qu’un acte de celte
nature pouvait entraîner suscita d’ardentes Aclamations.
A peine promulgué, l’art. 42 devint le but et l’objet d’at
taques tellement vives qu’elles firent reculer le législateur.
Aussi, non-seulement la loi du 25 mai ne reproduit plus
l’art. 12 de celle du 7 janvier, mais encore malgré tous
ses efforts , le comité de législation ne put réussir à y
faire introduire une disposition analogue.
�LOI DU 6 JUILLET 1844
17 4
Ce silence absolu de la loi dernière n’avait, ce semble,
d’autre signification que la prohibition de la saisie préa
lable. Mais eette mesure était si bien dans la force des
choses qu’elle s’imposât dans la pratique , et que cette
pratique s’autorisât de la loi du 25 mai elle-même.
En effet, dans l’art. 12 de son titre 2, cette loi dis
pose : Dans le cas où une saisie juridique n'aurait
pu faire découvrir un objet fabriqué ou débité en frau
de, le dénonciateur supportera les peines énoncées par
l'art. 13 de la lo i, à moins qu'il ne légitime par des
preuves légales, etc....
C’était là évidemment admettre la possibilité d’une
saisie, et d’une saisie préalable puisqu’elle devait avoir
pour résultat d’établir la preuve du délit. Or, comment
concilier cette prévision avec la volonté de proscrire cette
saisie ?
620. — On avait donc conclu de cette disposition ,
et on ne pouvait guère faire autrement , que la faculté
de saisir préalablement était implicitement dans la loi ,
et on en usait dans tous les cas ; seulement comme la
loi ne réglait ni la forme ni les conditions de la saisie ,
chacun la ^atiquait à son gré : celui-ci en demandait
l’autorisation au président du tribunal ; celui-là s’adres
sait directement à l’huissier; un troisième s’adressait au
juge de paix qui accédait ; cet autre enfin au commis
saire de police qui, officier de police judiciaire, se cro
yait en droit de constater le flagrant délit.
Ce que tous oubliaient c’était cette caution bonne et
�175
suffisante dont la loi du 7 janvier avait fait la condition
de la saisie. Ainsi loin d’améliorer les choses, la loi du
25 mai les avait singulièrement empirées en laissant la
saisie au pur caprice de la partie, et en se départant de
la seule précaution qui peut en modérer les excès.
L’expérience avait depuis longtemps démontré les in
convénients et le danger de ces procédés arbitraires. Il
était plus que temps d’y apporter le remède que de toutes
parts on réclamait.
621. — La loi de 1844 a maintenu le droit de saisie
préalable. Elle fait de son exercice une pure et simple
faculté et non un devoir : Les propriétaires de brevets
p o u r r o n t . .. Une saisie, en effet, est une mesure
considérable et grave , et l’erreur dont elle procéderait
pourrait motiver d’importantes adjudications en faveur
de celui qui en aurait été victime. Il n’y avait donc au
cun motif pour contraindre le breveté à courir cette
chance.
Aussi notre article lui laisse-t-il la plus entière , la
plus absolue liberté , non-seulement quant à la mesure
en principe mais encore quant à son caractère et à son
étendue. Il peut donc requérir une saisie partielle dans
le but de se procurer la preuve du délit, ou même une
simple description qui , beaucoup moins préjudiciable
que la saisie, l’exposerait à des dommages-intérêts moins
considérables en cas du rejet de la plainte.
622. — La saisie ou la description qui, sous l’em
pire de la loi du 25 mai 1791, n’était considérée que
SUR LES BREVETS D’INVENTION
�176
LOI DU 6 JUILLET 1844
comme un moyen de preuve , a aujourd’hui ce double
objet : 1° la constatation du délit en plaçant sous la main
de la justice les objets contrefaits ; 2° en assurant l’effet
de la confiscation , de la prévenir en quelque sorte , et
de mettre immédiatement terme au préjudice qui pour
rait résulter de la continuation de la fabrication ou de
la vente de ces objets.
A ce dernier point de vue constituant une véritable
confiscation provisoire , la saisie est un acte considéra
ble. Elle ne va à rien moins, dit M. Renouard, qu’à faire
prévaloir la présomption de contrefaçon sur la présomp
tion d’innocence par laquelle , jusqu’à condamnation ,
les règles ordinaires protègent tout prévenu. L’Assemblée
constituante, frappée de l’énormité de cette faveur faite
au breveté , s’était hâtée , en la retirant, de détruire la
concession qu’elle venait à peine d’en faire.'
Le législateur de 1844 ne s’est dissimulé ni ce carac
tère de la saisie préalable, ni la préférence dont elle ne
manquerait pas d’être l’objet de la part des brevetés , il
n’a pas hésité cependant à la consacrer, etil a eu raison.
Il faut en législation , comme en toute autre matière ,
savoir vouloir ce qu’on veut. Dès lors puisque, dans un
intérêt public , il fallait protéger et garantir le privilège
du breveté , tout ce qui tendait à déterminer efficace
ment ce résultat, devenait licite et obligatoire. Une demimesure qui aurait permis de continuer pendant le pro
cès, la fabrication ou l’exploitation frauduleuse, pouvait
I N» 236.
�177
compromettre et compromettait l’intérêt du breveté par
l’aggravation du préjudice d’abord, en intéressant,, en
suite , le contrefacteur à retarder le plus possible la dé
cision du litige,
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
623. — Tout en laissant le breveté libre d’opter en
tre la saisie et une simple description , la loi intervient
pour en régler l’exercice. Quelle que soit la décision ,
qu’il s’agisse d’une simple description ou d’une saisie ,
elle ne pourra être pratiquée qu’en vertu d’une ordon
nance du président du tribunal civil.
Cette ordonnance est provoquée par une simple re
quête signée soit par un avoué, soit émanant directement
de la partie elle-même. Suivant la formule donnée par
M. Nouguier, cette reqnête indique les nom , prénoms,
profession1et domicile du demandeur, la nature de son
privilège, celle de l’atteinte qui y est portée; le lieu où
s’exercé la Contrefaçon, l’endroit où sont déposés les ob
jets contrefaits ; les*b'om, profession et domicile des con
trefacteurs ; elle signale l’urgence d’arrêter la contre
façon par une saisie, ou la nécessité de constater le délit
au moyen d’une simple description.
Comme pièces justificatives On joint à la requête le
brevet S’il a été délivré, e t, s’il ne l’a pas encore été , le
procès-Verbal constatant le dépôt de la demande ; 2° au
tant que possible la quittance de l’annuité courante ; 3°
les pièces telles que lettres, factures qu’on a pu se pro
curer , et qui sont de nature à venir à l’appui de la
plainte.
a — 12
■i
�178
LOI DU 6 JUILLET 1844
624. — Le président ainsi requis a-t-il mission de
vérifier le droit du requérant, et peut-il refuser l’autori
sation qu’on sollicite de lui ?
La négative nous parait seule admissible. Tout ce que
l’art. 47 permet à ce magistrat , c’est de subordonner
l’autorisation au dépôt d’un cautionnement dont il est
absolument libre de déterminer le chiffre qu’il élèvera
d’autant plus qu’il concevra des doutes sur le bien fondé
de la requête.
625. — On a soutenu l’opinion contraire. Le prési
dent ; dit M. Nougier , apprécie les circonstances ; si la
saisie requise lui paraît un moyen déguisé de concur
rence déloyale , ou dangereuse à cause de la nature de
l’industrie , ou inutile à cause de la notoriété de la con
trefaçon , il refuse son autorisation ; si la constatation
du délit lui semble nécessaire et pouvoir résulter d’une
simple description, sans autoriser la saisie, il permet de
décrire un ou plusieurs des objets argués de contrefaçon;
s’il pense qu’une simple description serait insuffisante
et qu’il faut aller plus loin, il autorise la saisie, à titre
d’échantillons, de quelques - uns des objets contrefaits
dont il confie la garde au saisi , ou dont il ordonne le
dépôt avec ou sans apposition de scellés , soit entre les
mains du saisissant, ou plutôt au greffe du tribunal ;
enfin, si, à ses yeux, l’affaire présente un haut degré de
gravité, s’il s’agit d’arrêter préventivement un atelier de
contrefaçon qui usurpe audacieusement une industrie
privilégiée il permet la saisie.'
1 N° 844.
«
�179
626. — Cette doctrine ne tend à rien moins qu’à dé
férer au président le pouvoir et le droit de statuer au
fond sur l’existencede la contrefaçon, contrairement à la
loi qui en attribue expressément la connaissance au tri
bunal soit civil, soit correctionnel.
Comment en effet ce magistrat se convaincra-t-il que
la saisie n’est qu’un moyen déguisé de concurrence dé
loyale? Il faudra donc qu’il se livre à une instruction ,
qu’il provoque des explications contradictoires, entende
les témoins, vérifie ou fasse vérifier les objets prétendus
contrefaits ; puis s’il croit devoir autoriser la saisie, que
produira cette saisie, lorsque celui qui doit la souffrir ,
prévenu du danger qui le menace , n’aura pas manqué
de faire disparaître tout ce qui pourrait le compromettre?
Mieux valait retirer le droit de saisie que d’en soumettre
l’exercice à de telles conditions.
D’autre part, peut - on raisonnablement mettre en
doute l’utilité de la saisie dans tous les cas, même dans
celui où la publicité de la contrefaçon lui aura donné la
plus grande notoriété. Cette notoriété en prouvera l’exis
tence. Mais est-ce que parce que la plainte sera d’au
tant mieux fondée qu’on devra repousser le moyen de
répression le plus énergique ?
D’ailleurs la constatation matérielle du délit n’est pas
l’unique but de la saisie. Aux termes de l’art. 49 les ob
jets reconnus contrefaits seront confisqués et remis au
plaignant. Or, placer ces objets sous la main de la jus
tice c’est pourvoir à l’efficacité de cette confiscation. Dès
lors l’intérêt du poursuivant à ce que la saisie porte ,
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�LOI DU 6 JUILLET 1844
180
dans tous les cas , sur tous les objets ne saurait être ni
méconnu ni contesté.
N’est-ce pas cet intérêt qui a déterminé le législateur
à laisser le breveté libre d’opter pour la saisie où1pour
une simple description . Or, M. Nougüier lui enlève cette
option pour la donner au président, c’est-à-dire qu’en
définitive sa doctrine méconnaît et viole de la manière
la plus expresse les art. 47, 48 et 49.
627. — Sur quoi donc se fonderait-elle ? M. Nou
guier omet de nous l’indiquer ; mais ceüx qui ont invo
qué son opinion l’ont étayée : 1° sur ce que, à l’exemple
de l’art. 558 C. proc. civ., l’art. 47 ne confère au pré
sident qu’une juridiction gracieuse ; 2° sur ce que assi
gner à ce magistrat un rôle purement passif , serait en
revenir à l’inconvénient d’abandonner l’exercice du droit
de saisir au caprice des intéressés et porter atteinte à sa
dignité.
Si les exigences des principes spéciaux à notre matière
devaient se résoudre par les règles du Code de procédure
civile , ce n’est pas évidemment à l’art. 558 qu’il fau
drait recourir. Celui-ci en effet ne régit que l’hypothèse
d’une saisie-arrêt en l’absence dé tous titres aux mains
du poursuivant. Or, les propriétaires de brevets ont dans
le brevet même un titre certain , authentique, qui, aux
termes de l’art. 557, les autoriserait à saisir, sans per
mission du juge, si notre art. 47 n’avait dérogé à cette
faculté.
C’est donc par sa disposition qu’il faut déterminer le
�SUR JÆS BREVETS D’iNVENTlON
184
caractère du pouvoir qu’elle défère au président. Or , à
ce sujet, on remarque que si la saisie est une faculté c’est
en faveur des brevetés. Les p r o p r ié ta ir e s de brevets
p o u r r o n t , en v e r tu d'une ordon n an ce du p r é s i
d en t, etc. Comprendrait-on dès lors que retirant d’une
main ce qu’il accordait de l’autre, le législateur ait en
tendu que le, président peut , en refusant son autorisa
tion , opposer un véto absolu à l’exercice de cette fa
culté ? car, remarquons-le bien, si le président procède
eu matière purement gracieuse, sa décision sera défini
tive et à l’abri de tout recours.
Quelle différence entre ce texte et celui de l’art. 558
C. proc. civ. Le ju g e p o u r r a , su r req u ête , p e r
m e ttre la s a is ie -a r r ê t ou o p p o sitio n . Ici la faculté est
donnée non à la partie , mais au juge à qui il ne sau
rait être interdit d’en user ou non , suivant qu’il le ju
gera convenable.
Pourquoi donc si l’art. 47 n’a voulu que ce que veut
l’art. 558 , ne pas employer les mêmes termes ? Pour
quoi surtout dire, dans son paragraphe 41 : L’o rd o n
n an ce s o r a ren d u e su r sim p le req u ête , e t su r la
rep résen ta tio n du b re v e t, e tc ... Or, évidemment , si le
législateur a voulu que l’ordonnance s o i t rendue , il
n’a ni admis ni supposé qu’elle p o u r r a i t ne pas
l’être.
A cette différence significative dans les textes se joint
la différence bien plus considérable encore dans la na
ture des actes.
La saisie-arrêt que régit l’art. 548 C. proc. civ. est une
�182
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
mesure purement conservatoire , ne pouvant ni avoir la
moindre influence sur le fond du droit, ni devenir jamais
un obstacle à son exercice ultérieur.
La saisie provisoire dont parle notre article 47 est pour
le breveté, quant au droit en lui-même, à sa poursuite
et à ses conséquences, d’un énorme intérêt; elle peut en
effet être l’unique moyen de constater le délit , de telle
sorte que sans son secours l’action en contrefaçon vien
drait misérablement échouer devant un défaut de preuve.
Elle offre de plus un élément essentiel à la réparation du
préjudice , en devenant l’aliment de la confiscation que
le poursuivant peut et doit obtenir.
On ne saurait donc confondre ces deux actes, ni con
clure que le président peut refuser l’autorisation de cel
le-ci de ce qu’il est autorisé à permettre ou à refuser
celle-là.
Sans doute laisser l’exercice du droit de saisir au ca
price des intéressés serait un grave inconvénient si la loi
n’y avait sagement pourvu en armant le président du
pouvoir de le subordonner au dépôt préalable d’un cau
tionnement pour la détermination duquel elle lui laisse
la plus entière, la plus absolue liberté; il est évident que
ce magistrat n’hésitera pas à user de ce droit toutes les
fois qu’il pourra concevoir un doute sur le droit du pour
suivant, et que plus ce doute aura sa raison d’être, plus
sera élevé le chiffre du cautionnement.
Le breveté répondra donc sur sa fortune de la réalité
de son droit , et cette responsabilité est plus que suffi
sante pour l’empêcher de n’obéir qu’à un pur caprice
dont il serait le premier et le seul puni.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
183
628. — A l’objection tirée de l’atteinte qu’aurait à
souffrir la dignité du magistrat de l’impossibilité de re
fuser l’autorisation, M. Blanc répond : « La dignité du
magistrat n’a point à souffrir d’une doctrine qui lui laisse
le droit de juger quel peut être le danger de la saisie, et
qui lui permet d’élever'en conséquence à son gré le chif
fre du cautionnement pour lequel la loi n’a fixé aucune
limite. A coup sûr ce n’est pas là un rôle purement passif
et son importance ne peut être contestée.
« Le droit absolu revendiqué pour ce magistrat d’ac
corder ou de refuser l’autorisation de saisir, continue cet
honorable jurisconsulte, nous paraît d’ailleurs repoussé
par le texte et surtout par l’esprit de la loi. En effet, la
loi veut (art. 49) que, en cas de condamnation, les ob
jets saisis soient confisqués et remis au plaignant , car
cette confiscation est la première et souvent la seule sa
tisfaction donnée au breveté. Or, que deviendra cette dis
position si le président refuse l’autorisation de saisir, ou
s’il la limite à un certain nombre d’objets? La confisca
tion ne pourra pas être prononcée . ou ne le sera que
sur un nombre restreint d’objets contrefaits. Le prési
dent aura ainsi disposé au profit du contrefacteur'-, et
au grand préjudice du breveté, d’une propriété que la loi
attribue, dans tous les cas, à ce dernier.'
Nous sommes entièrement de cet avis, et nous croyons
qu’il est impossible d’admettre que le législateur ait en
tendu conférer au président le droit et la faculté d’appréi De la
contrefaçon,
pag. 648.
�184
LOI DU 6 JUILLET 1844
cier le plus ou moins de fondement de la plainte ; dès
lors le refus d’autorisation ne pouvant être que la con
séquence de çette appréciation, n’est ni possible ni ad
missible.
629. — Par une conséquence forcée , l’ordonnance
d’autorisation n’est susceptible d’aucun recours. Cette
question s’est bien souvent présentée et sa solution n’a
pas toujours été la même. Ainsi la cour de Paris qui ,
par quatre arrêts successifs , avait déclaré l’appel non
recevable sur le motif que le président faisait acte de
juridiction gracieuse', a, dans un cinquième arrêt, corn
sacré île contraire.
Ce dernier arrêt, du 9 juillet 1855, dispose : consi
dérant que l’appel est de droit commun, et que les par
ties n’en peuvent être privées >que dans les cas expressé
ment déterminés , ou lorsque le législateur a investi le
magistrat de pouvoirs discrétionnaires inconciliables avec
la, faculté de révision par la juridiction supérieure ; que
non - seulement l’art. 47 de la loi du 5 juillet 1844 ne
refuse point aux parties la voie d’appel quand , sur une
plainte en contrefaçon , le juge prescrit telle ou telle des
mesures indiquées en cet article, mais que , si l’on en
visage l’objet de ces mesures, la nature des intérêts qu’el
les se proposent de conserver, la -gravité des circonstan
ces qu’elles peuvent engendrer, il n’existe aucune raison,
i Pour l’indication de ces arrêts, v. Blanc, Ibid-, p. 647 ; .Nouguier ,
n° 848.
Brev. d'invent.,
�1.85
dans le silence de la loi, de déroger à la règle commu
ne. Un nouvel arrêt , du 5 février 1856 , se prononce
dans le même sens/
SUR LES BREVETS D’INVENTION
650* — Cette doctrine nous parait condamnée au
tant par $es conséquences que par le caractère de la
décision du magistrat. Non sans dopte elle ne constitue
pas un acte de juridiction gracieuse. Nous venons de l’é
tablir en indiquant combien l’hypothèse de l’art. 47 dif
fère de celle de l’art. 558 C. proc. civ. Elle est mieux
que cela, elle est un devoir pour le magistrat. Comprendon dès lors que le président n’ayant fait que ce qu’il était
obligé de faire , sa décision pût être querellée devant
l’autorité supérieure., blâmée ou critiquée par celle-ci.
D’ailleurs l’appel, s’il pouvait être reçu, ne pourrait
réussir que par la preuve qu’il n’y a pas lieu à saisir ,
c’est-à-dire qu’il n’existe pas de contrefaçon, et la Cour
serait de piano appelée à statuer sur l’existence ou la
non existence du délit ; mais la loi défère ..très-expressé
ment cette appréciation au tribunal soit civil, soit cor
rectionnel. En se l'attribuant la <Cour violerait dope les
règles de la compétence ; tout au moins statuerait - elle
sans qu’il eût été prononcé par le premier degré de juri
diction / ce qui serait évidemment contraire à tous les
principes.
Enfin si, quant à la recevabilité de l’appel il faut s’en
référer au droit commun , c’est aussi à ce droit qu’il
1 Annales industr., 185a, pag. 178 ; 1856, pag. 78.
�LOI DU 6 JUILLET 1844
186
faudra recourir pour déterminer l’effet que l’appel doit
produire. Cet effet sera donc suspensif. On peut dès lors
avoir la certitude que le contrefacteur ne manquera pas
de l’émettre , même sans aucune chance de Succès. Ne
sera - ce pas pour lui le moyen de gagner du temps et
d’utiliser ce temps en faisant disparaître les objets con
trefaits et à effacer toutes traces ? De manière que lors
qu’il aura été statué sur l’appel , qu’il ne sera peut-être
pas même venu soutenir, la saisie autorisée ne rencon
trera plus rien et aura perdu toute l'efficacité qu’on s’en
était promis et qu’elle aurait eue si elle avait été prati
quée à l’improviste et sans que celui qui devait la souf
frir eut pu connaître le danger qui le menaçait.
Un pareil résultat est si inconciliable avec la pensée
qui a fait admettre la saisie préalable , qu’on peut être
assuré que tout ce qui pourrait y conduire n’est ni dans
la lettre ni dans l’esprit de la loi ; et comme de tous les
moyens l’appel serait le plus immédiat , le plus énergi
que, il ne saurait être ni licite ni permis. La dérogation
qu’exige l’arrêt de 1855 ne résulte-t-elle pas du carac
tère obligatoire de l’ordonnance ?
631. — Enchaîné au point de vue de l’autorisation
de saisir, le président reprend toute sa liberté ; quant à
l’exigence d’un cautionnement , on comprend toute la
gravité d’une mesure qui met un industriel en état de
suspiciou , ou qui suspend ou arrête ses opérations. Si
le respect du privilège du breveté rendait celte mesure
indispensable et nécessaire , il était convenable et juste
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
187
de pourvoir, le cas échéant, à ce que l’auteur ne pût se
soustraire à la réparation du préjudice qu’il aurait mé
chamment ou légèrement causé. De là la faculté laissée
au président de n’autoriser la saisie qu’à la condition de
consigner préalablement un cautionnement.
On pourrait s’étonner que la loi n’ait pas fait de l’e
xigence de ce cautionnement un devoir général et absolu
dans tous les cas ; mais la pauvreté du breveté ne de
vait pas être un motif pour le laisser dépouiller en pré
sence d’une inique spoliation. Où serait d’ailleurs l’uti
lité réelle d’un cautionnement lorsque la notoriété, l’évi
dence de la contrefaçon est telle , que son existence ne
saurait être déniée même par son auteur ?
La loi s’en est donc référée à l’appréciation souveraine
du juge , et elle pouvait s’en reposer sur sa prudence ,
convaincu de l’importance de sa mission et du but que
la loi lui assigne, le magistrat n’hésitera pas toutes les
fois qu’il pourra entrevoir un danger, concevoir un doute
sur le droit qu’on prétend exercer , d’exiger la garantie
que ce danger et ce doute lui paraîtront solliciter en fa
veur du saisi.
652. — Ici, et quant au cautionnement, la mission
du président est de la juridiction gracieuse. L’ordon
nance d'autorisation p o u r r a imposer un caution
nement, mais lorsqu'il y aura lieu à la saisie, dit notre
article, d’où la conséquence que s’il s’agit d’une simple
description , aucun cautionnement ne peut être imposé.
Le préjudice causé par celle-ci est plutôt moral que
�188
LOI DU 6 JUILLET J 8 4 4
matériel. En effet, elle laisse même les objets décrits en
la libre possession de leur possesseur qui peut en dispo
ser après comme avant ; elle n’apporte au commerce et
à l’industrie de celui—c^ ni trouble , ni suspension , .ni
interruption , et il y a d’autant moins à pourvoir d’a
vance a,u moyen d’assurer la réparation de ce préjudice
moral, qu’il n’est pas certain que dans aucun cas cette
réparation sera impçsée.
Aussi croyons - nous que s’il concevait le moindre
dflutesjir Jp solide de son droit, commb dans le cas où
il serait dans l’impossibilité de fournir un cautionnement
quelconque, le breyeté agirait prudemment en ne requé
rant qu’une simple description. Sans doute l’absence de
saisie enlèvera toute efficacité k la confiscation qui lui
aurpit fcit remettre tops les objets SUF lesquels,cette saisie
aiujrait porté. Mais il est évident que la justice lui tiendra
compte de cette conduite , et que les dommages-intérêts
qu’elle allouera en cas de condamnation seront calculés
sur l’ensemble et l’importance des objets décrits, de ma
nière qup s’il ne les reçoit pas ,eq pâture , il ep recevra
la valeur plus ou moins approximative. Ainsi , si de C«e
côté il est exposé à perdre quelque chose, il y aura ga
gné à ne pas avoir eu à déposer un cautionnement, et
en cas de succombance à n’avojr à payeF aucuns dom
mages - intérêts, ou du moins des dommages - intérêts
moindres.
633f — De ce que la nécessité d’imposer un cautionnemeut est, pour le président, non un devoir, mais
�SUfi £ l ’S BRÈVÉlS
d ’ i NVeN¥ i ON
une sîniple faculté , il suit que sa décision à cet égard ,
constituant un acte de la juridiction gracieuse, est h l’a
bri de tout recours , le requérant est' tenu et obligé de
l’exécuter par le dépôt du cautionnement indiqué.
Le saisi, lui, a la voie du référé , non pas celle pour
faire rétracter l’ordonnance d’autorisation, ce qui serait
soumettre au présidents question du mal ou bien fondé
de la prétention qui appartient exclusivement au tribu
nal civil ou correctionnel, mais pour obtenir la cessation
de la saisie, si le cautionnement imposé n’a pas été dé
posé ; pour faire .ordonner un cautionnement, s’il n’ert
a été exigé aucun, ou élever le chiffre auquel s’est arrêté
le président.
Mais dans tous les cas la décision de ce magistrat n’a
rien perdu de son caractère. 11 peut certes accueillir ou
rejeter la prétention du saisi, et quelle qu’elle soit la nou
velle ordonnance ne peut être l’objet d'un appel, soit de
la part du saisissant, soit de celle du saisi.
Ainsi', dans une espèce , le chiffre du cautionnement
fixé d’abord à 3,000 fr., ayant été à la suite de référé
élevé à 15,000 fr., le breveté crut pouvoir se pourvoir
par appel contre aggravation , mais par arrêt du 11 fé^vrier 1846 , la cour de Paris déclara cet appel non re
cevable.’
654. — Mais comment sera-t-il procédé dana ce cas?
L’art. 47 exige que le cautionnement soit déposé avant
1 Blanc,
Contref,
pag. G47, note.
�190
loi du 5 juiixet 1844
de faire procéder à la saisie. Or, comment remplir cette
condition si ce cautionnement est ordonné, ou élevé sur
référé , c’est - à - dire après l’accédit de l’huissier et le
commencement de la saisie ? celle-ci doit-elle être sus
pendue jusqu’après la justification du cautionnement ou
de son complément ?
Nous ne le pensons pas. L’interruption en effet aurait
de trop graves dangers pour le saisissant. Plus le saisi
aurait juste motif de craindre les effets de la saisie, plus
il s’empresserait de faire disparaître les objets délictueux
et de mettre à profit le temps qu’on lui aurait ainsi mé
nagé.
Exposer ainsi le breveté à perdre le fruit de ses-dili
gences ne serait ni convenable ni juste , aussi croyonsnous que le président doit laisser la saisie se poursuivre;
mais il peut et il doit ordonner que, sous peine de nul
lité absolue de cette saisie, et avant qu’elle soit achevée,
le saisissant justifiera du versement du cautionnement
ou de son complément , dans un délai de 24 ou de 48
heures par exemple, moins encore si la position du bre
veté et sa fortune lui permettent de s’exécuter immédia
tement.
635. — L’art. 47 parlant non plus de la caution
bonne et solvable qu’exigeait l’art. 12de la loi du 7 jan
vier 1791, mais d’un cautionnement qui doit être con
signé avant de faire procéder à la saisie, on en a conclu
avec raison que ce cautionnement ne peut être qu’en
argent. C’était là d’ailleurs ce qu’exigeait l’intérêt du
�SUR LES BREVETS D’INVENTION
191
saisissant, puisque ce n’était qu’ainsi qu’il pouvait don
ner à sa saisie le caractère d’imprévu qui devait seul en
assurer l’efficacité..
La
» dation d’une caution entraîne en effet des formalités et des longueurs. La personne offerte doit faire ses
soumissions , justifier de sa solvabilité , et ne peut être
agréée qu’après une discussion contradictoire. Que se
rait-il résulté de tout cela ? évidemment qu’au moment
où l’huissier accéderait, il n’aurait plus rien trouvé de
suspect, et que tout ce qui aurait décelé la fraude aurait
disparu ou aurait été anéanti.
Nous avons donc raison de le dire : l’exigence d’un
cautionnement est toute dans l’intérêt du saisissant. Le
dépôt s’en réalisant hors la présence et sans le concours
du prétendu contrefacteur, rien ne vient avertir celui-ci
de l’orage qui le menace, et de la nécessité de le con
jurer.
636. — La faculté laissée au président d’imposer ou
non un cautionnement n’existe qu’à l’égard du requérant
français. Si ce requérant est étranger, le cautionnement
préalable est obligatoire et doit être exigé.
Cette disposition a été introduite dans la loi à la suite
d’un amendement de M. Boudet : « Le Code de procé
dure , disait cet honorable député , impose à l’étranger,
qui fait un procès à un français, la caution forcée pour
garantir les frais du procès ; à plus forte raison lorsqu’il
s’agit d’une saisie et non d’un procès ordinaire ; car la
saisie peut s’appliquer à la fois à un grand nombre de
�192
LOI DU 6 JUILLET 1844
personnes et arrêter simultanément toutes leurs indus
tries. Si l’étranger n’était pas obligé de fournir un cau
tionnement , il pourrait arriver qu’apfès avOitf attaqué
des Français, comme contrefacteurs, et quand il s’agi
rait de payer des dommages-intérêts considérables, on
ne le trouverait plus. C’est le droit commun que je de
mande en matière de brevets d’invention, comme on l’a
établi dans le droit civil lorsqu’il s’agit d’un procès or
dinaire/ »
Le rapporteur de la loi t M. Ph. Dupin , répondait :
Cette caution dont parle M. Baudet,- n’est jamais ordon
née en matière commerciale , et la question qui nous
occupe est, en effet, une matière commerciale , indus
trielle. J’ajouterai que les étrangers brevetés en France
y ont presque toujours des établissements industriels qui
sont une garantie de solvabilité. Enfin il y a une con
sidération qui doit rassurer tout le monde : le président
qui accorde la faculté de saisir examinera la position de
l’étranger. S’il n’offre aucune garantie de solvabilité , il
ordonnera la caution ; mais s’il présente des garanties ,
il faut laisser au magistrat la possibilité d’ordonner la
saisie sans exiger de caution.
Il est certain qu’on pouvait sans danger s’en rappor
ter à la sagesse et à la prudence du juge. On n’avait pas
à redouter qu’il négligeât aucune des précautions qu’exi
geait l’intérêt de nos nationaux. Mais , disait M. Boudet, le président pourra manquer, an début du procès,
1 Séance du 17 avril 1844.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
193
des renseignements nécessaires ; il aura l’air, dans tous
lestas, de traiter l’étranger moins bien que le français,
tandis que personne et l’étranger lui - même ne pourra
trouver mauvais que les industriels français soient mis à
l’abri des prétentions téméraires des étrangers qui, après
avoir usé du bienfait de la loi qui les admet à prendre
un brevet, en abuseraient pour exercer des poursuites
inconsidérées, Ou pour spéculer sur ces poursuites, comon ne l’a vu que trop souvent.
Ces considérations firent accueillir la proposition et
insérer dans la loi l’obligation par le président d’exiger
un cautionnement du requérant étranger, fût-il à la tête
d’un établissement commercial ou industriel des plus con
sidérables et des mieux accrédités.
637. — On ne peut pas admettre que le président
manque au devoir qui lui est imposé ; mais une erreur
peut faire entrevoir et craindre ce résultat. Quel sera donc
le sort de la saisie pratiquée par un étranger en vertu
d’une ordonnance qui aurait omis de lui imposer un
cautionnement ?
Un jugement du tribunal correctionnel de Paris, du 3
mai 1855, a jugé que, dans ce cas, la saisie était nulle
et ne pouvait produire aucun effet.1
Cette conséquence nous paraît trop rigoureuse et ou
trer la responsabilité de l’étranger pour un oubli auquel
il est resté étranger, saris doute factum judicis, factum
1 Ann. de lapropr indnstr., 4856, p 46.
il — 43
�LOI DO 6 JU ILLET 1844
194
partis. Mais dans notre hypothèse le saisissant n’est pas
seul en faute. Le saisi n’a pu ni dû ignorer la qualité
d’étranger de ce saisissant, et l’absence de justification
du dépôt préalable d’un cautionnement le mettait en po
sition d’empêcher la saisie , tout au moins d’en référer
au président et de faire réparer l’oubli involontaire de ce
magistrat, et il devait le faire.
Donc s’il y a eu imprudence de la part de l’un, il y
a eu certainement de celle de l’autre légèreté et négli
gence.
Le juge doit donc faire à chacun la part qui lui con
vient , et s’il est trop tard pour demander un caution
nement préalable , on peut toujours prévenir l’inconvé
nient que celui-ci avait pour but d’empêcher en faisant
de ce cautionnement à réaliser dans un délai déterminé
la condition du maintien et de la validité de la saisie.
638. — Le président a - t - il également le devoir
d’imposer le cautionnement si l’étranger, admis à éta
blir son domicile en France , y jouit de tous les droits
civils ?
M. Renouard se prononce pour l’affirmative', et c’est
ce qu’enseigne de son côté M. Et. Blanc’.
Mais un arrêt delà cour de Cassation, du 16 décemcembre 1861 , déclare qu’on ne peut , sans violer ex
pressément l’article 13 Cod. Napoléon, imposer la cau1 N» 98.
s De la Contref., p. 669.
�195
tion judicatum solvi , à l’étranger qui jouit en France
des droits civils’.
Ce principe a paru tellement incontestable , que des
auteurs recommandables, que notamment M. Demolombe en conclut que si l'étranger , demandeur dans un
procès engagé avant qu’il ait obtenu l’autorisation d’é
tablir son domicile en France, a, suivant la règle com
mune imposée à tous les étrangers qui n’ont qu’une
résidence de fait en France , fourni caution judicatum
solvi , cette caution demeure déchargée pour l’avenir à
partir du jour où cette autorisation a été accordée1.
Or, si, d’après M. Boudet, l’amendement converti en
loi n’a eu d’autre but que d’imposer à l’étranger , en
matière de brevets d’invention , le droit commun établi
pour lui au civil et pour les procès ordinaires , il est
évident que sa condition, qui le dispense des exigences
de celui-ci, le dispense également des effets de celle-là.
Nous pensons donc avec M. Nouguier que l’étranger
autorisé à avoir son domicile en France , et y jouissant
dès lors de tous les droits civils, est assimilé au Français
quant à la faculté d’ester en justice ; qu’en conséquence
l’exigence d’un cautionnement préalable à la saisie chez
le contrefacteur n’est plus pour le président qu’une sim
ple faculté dont il peut ou non user à son gré.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
659. — La saisie peut être opérée dans quelque lieu
1 Nouguier, n° 955.
�196
LOI Dll 6 JUILLET 1 8 4 4
que se trouvent les objets contrefaits, fût-ce dans le lo
cal de l’exposition nationale. La seule difficulté que la
doctrine ait entrevue dans ce cas est celle desavoir si la
poursuite pourrait être compétemment portée au tribu
nal du lieu de l’expo.sition.
« La question, dit M. Et.Blanc, aurait pu faire doute
sous la législation de 1791 qui ne punissaitque la fabri
cation et le débit ; mais l’art. 41 de la loi actuelle as
simile au contrefacteur celui qui a exposé en vente. La
question se trouve donc tranchée. Vainement, dirait-on
qu’un objet n’est pas exposé en vente, mais simplement
offert à l’admiration publique dans le local destiné aux
expositions solennelles de l’industrie. 11 est trop évident
que les industriels exposent pour vendre, et vendent, en
effet, quand l’acheteur se présente. Ils n’ont pas pour
but d’exciter l’admiration, maisdesecréer desacheteurs.
L’objection n’aurait donc rien de sérieux1.
640. — La doctrine est également d’accord sur le
droit d’étendre la saisie aux instruments ou ustensiles
destinés spécialement à la fabrication deJa contrefaçon.
Il est vrai que l’article 47 garde, à leur sujet, le plus
complet silence ; mais l’article 49 faisant le devoir de
les confisquer, présuppose nécessairement leur saisie et
l’autoriserait au besoin. En effet , il ne peut y avoir de
confisqués que les objets placés sous la main de la jus' Invenl. brev., p. 361. Conf.. Nouguier, n° 852. Renduet Delorme,
Droit ind., n° 544.
�SUR LES BREVETS D INVENTION
197
tice, soit par une saisie, soit par un procès - verbal de
description. Donc, qui veut l’une, veut nécessairement
l’autre.
641. — Peut-on également saisir les livres et écri
tures du prétendu contrefacteur ?
Les livres et écritures ne sont ni des objets contre
faits , ni des instruments ou ustensiles destinés spé
cialement à les fabriquer ; la confiscation n’en pourrait
jamais être, n’en est jamais ordonnée. On ne saurait se
fonder, pour en justifier la saisie , ni sur l’art. 4 7 , ni
sur l’art. 4 9 .
Mais, objecte M. Nouguier, le but de la loi a été non
pas seulement de fournir au breveté le moyen de mettre
sous la main de la justice des objets qui seront plus tard
frappés de confiscation, mais encore, mais surtout d’au
toriser les moyens nécessaires à la constatation.du délit.
O r, si les objets contrefaits , qui sont le corps matériel
du délit, fournissent la preuve du fait, la correspondance
et les écritures commerciales sont les témoins irrécusa
bles de l’étendue des usurpations constituant la contre
façon'.
Sans nul doute la saisie a pour objet principal la cons
tatation matérielle du délit , et la main-mise judiciaire
opérée sur les effets prétendus contrefaits permettra d’at
teindre ce but en permettant de vérifier et de rechercher
la nature et le caractère de ces effets.
1
1 N» 852.
�198
LOI DU 6 JUILLET 1844
Mais la correspondance et les livres que peuvent - ils
établir ? tout au plus la fabrication ou la vente plus ou
moins répétée d’objets similaires. Or , ce que le saisis
sant doit établir c’est non cette fabrication ou cette vente,
mais le caractère frauduleux des objets fabriqués ou ven
dus. Faudra-t-il les déclarer contrefaits parce que ceux
qui ont été saisis ont été reconnus tels ? Nous doutons
de la légalité en matière pénale d’une conséquence dont
la rationnalité peut fort bien être contestée. Il arrivera
souvent que parmi les objets saisis les uns seront décla
rés contrefaits, les autres non. Où serait donc le motif
de ranger ceux qui échappent à toute investigation parce
qu’on n’en trouve la mention que dans les livres, dans
telle catégorie plutôt que dans telle autre ? Est - ce que
dans le doute ce n’est pas la présomption exclusive du
délit qui doit prévaloir.
Inutile à ce point de vue, la saisie des livres et écri
tures ne l’est pas moins à celui de l’étendue de la con
trefaçon. Il ne peut être question de cette étendue que
pour la détermination du chiffre des dommages-intérêts
à allouer. Or, est-ce que cette détermination ne peut pas
se faire équitablement sans avoir sous les yeux les livres
et écritures du contrefacteur ? N’est - elle pas laissée à
l’appréciation souveraine du juge ?
Les éléments naturels et légitimes de ce pouvoir dis
crétionnaire sont la position commerciale du contrefac
teur , le rang que sa maison occupe dans la cité , son
crédit , l’importance notoire de ses opérations. Les li
vres ne sont donc pas indispensables et on ne pourrait
�'199
dès lors les saisir que si l’art. 47 l’avait formellement
autorisé.
Cet article, ajoute M. Nouguier, garde bien le silence
à ce sujet, mais il ne déroge pas aux règles ordinaires
de la procédure et n’enlève pas au président le pouvoir
qui lui appartient de permettre toutes les mesures pro
visoires et urgentes qui sont le prélude et le premier acte
du procès. D’ailleurs il ne faut pas séparer l’art. 47 de
l’art. 49 qui en est en quelque sorte le développement.
Or, l’art. 49 ordonne de comprendre dans la confisca
tion des objets contrefaits celle des instruments ou usten
siles destinés spécialement à leur fabrication ; et, on ne
saurait le méconnaître, les livres qui régularisent la con
trefaçon, les lettres qui en portent la proposition ou l’ac
ceptation , sont des instruments commerciaux à l’aide
desquels la contrefaçon a été ou préparée, ou commise,
ou développée.
Que les livres, que les lettres missives soient des ins
truments commerciaux, nul ne le contestera ; mais l’art.
47 n’englobe pas dans sa disposition tous les instruments
du commerce du contrefacteur ; il n’autorise la confis
cation que de ceux qui sont spécialement destinés à la
fabrication des objets contrefaits. L’impossibilité de
placer les livres et la correspondance dans celte catégo
rie n’a pas besoin d’être démontrée : elle est aussi claire
que la lumière du jour.
D’ailleurs la conséquence de la doctrine de M. Nou
guier serait l’obligation pour les juges de prononcer la
confiscation des livres et écritures et d’en ordonner la
SUR LES BREVETS D’INVENTION
�200
LOI DU 6 JUILLET 1844
remise au breveté. Or, a-l-on jamais eu l’idée, nous ne
dirons pas de consacrer , mais de demander cette con
fiscation et cette remise? M. Nouguier lui-même en en
seignerait-il la légalité ?
Nous ne pouvons donc , malgré notre profonde et
sincèreestimepour la personne et la science de M. Nou
guier , reconnaître un caractère sérieux à l’argument
qu’il lire de l’art. 49.
Nous reconnaissons avec lui que l’art. 47 n’a en rien
dérogé aux règles ordinaires de la procédure et n’a pas
enlevé au président le pouvoir de permettre les mesures
provisoires ; mais ce pouvoir a ses limites et se restreint
nécessairement dans le cercle qui lui est tracé par la loi.
Or, dans notre matière spéciale le pouvoir du président
est expressément circonscrit par les art. 47 et 49.
En matière ordinaire est-il possible d’admettre que la
loi ait permis au président ce qu’elle défend aux tribu
naux eux-mêmes ? Ceux-ci en effet se trouvent, pour ce
qui concerne les livres et écritures des commerçants, en
présence de restrictions qui étaient commandées parla
nature même de ces documents.
Ees livres sont la conscience des négociants, les con
fidents de ses opérations , les dépositaires du secret de
ses relations ; ils constituent une propriété exclusive
ment personnelle et dont l’inviolabilité a été reconnue
par la loi.
Aussi l’art. 14 C. de com. dispose-t-il : La commu
nication des livres et inventaires n o p e u t être
ordonnée en justice que dans les affaires de succession,
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
201
communauté, partage de société et en cas de faillite.
Et l’art, 15 ajoute : Dans le cours d'une contestation ,
la représentation des livres peut être ordonnée par le
juge, même d’office, à l'effet d’en extraire ce gui con
cerne le différend.
Voilà tout ce que le tribunal, tout ce que la Cour im
périale elle - même peut faire, et l’on voudrait qu’avant
même l’introduction de l’instance le président seul puisse
autoriser non plus une communication , non plus une
représentation, mais la saisie provisoire des livres, qu’il
donne ainsi au poursuivant, qui peut-être n’a pas d’au
tre but, l’occasion et le moyen de s’initier dans les se
crets d’un heureux rival d’industrie et d’en abuser à son
profit ! Qu’on nous permette de croire qu’on ne saurait
plus ouvertement méconnaître et violer la loi.
Sans doute c’est en définitive à ses risques et périls
que le breveté agit, et s'il succombe dans sa prétention
il aura à réparer le préjudice qu’il aura injustement
causé. Mais s’il a lu dans les écritures , s’il a pénétré
dans la nature et le caractère de relations dont le secret
faisaitdout le prix, effacera-t-on cette connaissance de sa
mémoire, pourra-t-on l’empêcher d’en abuser ? Il y au
rait là un danger trop réel , trop sérieux , qu’il fallait
d’autant plus prévenir qu’il était impossible de le répri
mer efficacement. C’est pour cela que les art. 14 et 15
C. de com. ont été édictés ; et ces articles qui s’imposent
aux cours et tribunaux opposent un obstacle invincible
à la saisie provisoire des livres et écritures , le président
n’a ni le droit ni le pouvoir de la' permettre.
�202
LOI DO 6 JUILLET 1844
642. — Après avoir consacré en principe le droit de
saisie provisoire et indiqué les conditions de son exer
cice , le législateur règle la forme de cet exercice : la
saisie peut être faite par tous huissiers, et de ces termes
on a conclu que le président qui commettrait un huissier
excéderait ses pouvoirs ; qu’en conséquence la validité
de la saisie faite par un huissier autre que celui commis
dans l’ordonnance , ne saurait être ni méconnue ni
contestée.
Mais si la description peut ne pas être.accompagnée
de la saisie, celle-ci entraîne toujours la nécessité d’une
description. Or, l’huissier n’aura pas toujours les con
naissance qu’exige celle-ci, et de là la nécessité pour lui
d’avoir un auxiliaire pour y procéder utilement.
645. — Laisser la désignation de l’huissier au choix
de la partie n’offrait ni inconvénient ni danger sérieux;
il n’en était pas de même de l’expert. Les connaissances
spéciales que cette qualité suppose impriment à l’opi
nion qu’il émet une certaine autorité et peuvent souvent
faire trancher la question d’identité qui constitue la
contrefaçon.
Il fallait donc veiller à ce que, pure de toute pensée
de faveur ou de complaisance , celte opinion fût le plus
possible l’expression impartiale de la vérité , et quelle
meilleure garantie pouvait - on se ménager que celle
qu’offrait l’initiative laissée au président. On avait ainsi
la certitude que le choix se porterait toujours non seu
lement sur le plus impartial , mais encore sur le plus
�203
capable, ce que l’intérêt du saisissant ne lui conseillerait
pas toujours.
C’est donc au président seul qu’il appartient de déci
der, d’après le caractère de la contrefaçon dont se plaint
la requête, s’il y a lieu de déléguer un expert, et l’affir
mative admise de choisir et de nommer la personne
qui, serment préalablement prêté en ses mains , assis
tera l’huissier en cette qualité.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
644. — La loi exige que l’huissier laisse copie au
détenteur des objets saisis tant de l’ordonnance que de
l’acte constatant ledépôt du cautionnement, lecas échéant,
c’est-à-dire si un cautionnement a été imposé. Suit-il de
là que jusqu’au moment où cette copie peut être laissée
l’huissier peut se dispenser de produire et de communi
quer ces pièces ?
On ne saurait l’admettre. D’une part un huissier se
présentant au domicile d’un tiers , doit justifier de ses
pouvoirs et delà légalité de la mission qu’il vient y rem
plir; d’autre part le commerçant dénoncé comme con
trefacteur n’est tenu de laisser la saisie s’accomplir que
si les conditions exigées par la loi ont été accomplies. Il
faut donc qu’on lui fasse connaître l’ordonnance du pré
sident, d’abord pour justifier de l’existence de celte or
donnance , ensuite pour le mettre à même d’exiger la
preuve du dépôt du cautionnement si l’ordonnance l’a
prescrit, ou dans le cas contraire de se pourvoir en ré
féré pour le faire ordonner.
Il faut donc qu’avant de procéder l’huissier commu-
�204
LOI DU 6 JUILLET 1844
nique les pièces qu’il doit avoir en sa possession, ce dont
il justifie en le mentionnant dans le préambule de son
procès-verbal; qu’après avoir procédé, il en laisse copie
au détenteur des objets saisis.
645. — Le défaut de copie, ou l’insuffisance de celle
qui a été laissée , entraînerait la nullité de la saisie et
donnerait lieu à des dommages - intérêts en faveur du
saisi, il est évident que l’action, dans ce double objet ,
ne pourrait être intentée que contre le saisissant , mais
comme elle aurait son fondement dans la faute et dans
le fait exclusifs de l’huissier , le saisissant aurait un re
cours utile pour se faire indemniser et garantir des ad
judications prononcées contre lui. Il pourrait même ob
tenir des dommages - intérêts en son nom personnel.
N’est-ce pas là , en effet, la conséquence de la respon
sabilité que l’art. 47 fait expressément peser sur l’huis
sier.
Cette responsabilité est acquise alors même que le dé
faut de copie de l’acte constatant le dépôt, par exemple,
tiendrait à ce que le saisissant n’aurait pas remis cet
acte aux mains de l’huissier. L’officier ministériel ne
peut agir qu’aux conditions que la loi impose à l’acte
qu’il s’agit d’accomplir : il doit connaître les pièces dont
il doit être nanti et en exiger la remise préalable. S’il
manque à ce devoir , il commet la faute la plus lourde
de toutes celles qu’on pourrait avoir à lui reprocher.
fl ne saurait en renvoyer la responsabilité au saisis
sant. Celui-ci a pu de très-bonne foi croire à l’inutilité
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
205
de la remise de l’acle, ce qu’il n’était pas permis à l’hussier de supposer et de croire. Loin donc de s’associer à
l’erreur du client il devra l’éclairer, et exiger la remise
d’une pièce sans laquelle il savait ou devait savoir qu’il
ne lui était pas permis de procéder à la saisie.
646. — Etait-il convenable, utile, nécessairede pres
crire le délai dans lequel l’action en validité de la saisie
devait être réalisée en justice ?
L’affirmative ne suscita et rie pouvait susciter aucune
controverse. Le trouble que la description ou la saisie
jette sur les opérations, leur interruption qui est la con
séquence de celle - ci , ne permettait pas de laisser au
breveté la faculté de prolonger à son gré une situation
qui exige une prompte solution. Sans doute on pouvait
croire qu’à défaut de diligences de la part du saisissant,
le saisi n’hésiterait pas à en prendre l’initiative ; mais
cette interversion des rôles n’a pas paru suffisante pour
assurer, dans tous les cas, cette prompte expédition qu’on
voulait obtenir.
L’art. 48 exige donc que le saisissant donne la suite
la plus prompte à ses prétentions, et que dans un délai
de huitaine, augmenté d’un jour par trois myriamètres
de distance entre le lieu où se trouvent les objets saisis
ou décrits et le domicile du contrefacteur, receleur, intro
ducteur ou débitant, il se pourvoie soit par action civile,
soit par la voie correctionnelle. Ce délai court du jour
de la clôture du procès-verbal de saisie. Son inobserva
tion fait présumer l’abandon volontaire de la prétention
�206
LOI DU 6 JUILLET 1844
de contrefaçon , et entraîne la nullité de la description
ou de la saisie.
*
647. — Cette nullité est de plein droit, dit l’art. 48.
Elle est donc acquise par le seul fait de l’expiration du
délai et sans qu’il soit besoin de la faire prononcer par
justice.
Il semble qu’en présence des termes si impératifs de
la loi , il est difficile de se prononcer autrement. C’est
cependant ce que n’admet pas M. Blanc , qui enseigne
que le saisissant est admis à justifier son inaction.
« Les tribunaux , dit-il , seront juges des causes du
retard, comme ils le sont delà question de savoir si le
retard a causé préjudice au saisi, et s'il y a lieu de lui
accorder une réparation. Le bon sens le veut ainsi , et
d’ailleurs cette solution ressort de la discussion devant
les Chambres et des exposés des motifs qui ont révélé
que la pensée du législateur était de punir la négligence
ou la déloyauté, et non le fait matériel du retard'. »
648. — L’erreur de M. Blanc consiste à confondre
deux choses essentiellement distinctes : la nullité de la
saisie et les dommages - intérêts dont elle peut devenir
l’occasion.
Quant à la saisie, nous défions qu’on trouve, soit dans
la discussion de la loi, soit dans les exposés des motifs,
un seul mot à l’appui de la thèse de M. Blanc. Comment
1 lnvenl. breveté, pag. 663.
�207
concevoir que le législateur ait tout juste exprimé le con
traire de ce qu’il aurait voulu. S’il avait eu la pensée
que lui prête M. Blanc , il n’eut pas manqué de dire :
La saisie p o u r r a être annulée ; ou tout au moins:
sera annulée s ’i l y a l i e u . Pourquoi donc au lieu
d’une de ces locutions a-t-il employé celle que nous li
sons dans l’art. 48: La saisie ou description sera nulle
de plein droit , si ce n’est parce qu’il n’admettait à cet
égard ni tempérament ni restriction. Elle a cessé d’exis
ter dès que dans le délai prescrit l’action n’a pas été in
troduite. Voir dans ces termes une simple faculté pour
le tribunal, c’est contredire l’évidence même.
Quant aux dommages - intérêts la loi ayant entendu
en laisser l’allocation à l’appréciation , elle s’en est ex
pressément expliquée : Sans préjudice des dommagesintérêts gui p o u r r o n t être réclamés s ’i l y a
l i e u . Elle a donc voulu pour ceux-ci autre chose que
ce qu’elle voulait pour la saisie, et celte différence, qui
résulte si clairement, si nettement de son texte, lui était
imposée par la nature des choses.
Pour que des dommages-intérêts puissent être alloués,
il faut nécessairement qu’il existe un préjudice. O r, un
simple retard dans la poursuite, loin d’être dommagea
ble au saisi, aura pour lui ce double avantage de lui
faire reprendre, en vertu de la nullité de plein droit de
la saisie, la libre disposition des objets sur lesquels elle
portait, et de mettre ces objets à l’abri de la confiscation
qui exige que les objets saisis aient été légalement main
tenus sous la main de la justice.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�Ce dont le saisi pourra se plaindre c’est non du retard
de l’action , mais de la description ou de la saisie. On
comprend dès lors que si le retard de la poursuite n’est
que l’abandon de la prétention qui avait motivé la sai
sie , il y a dans le fait de celle-ci préjudice incontesta
ble , et par suite nécessité d’indemniser celui qui en a
été victime.
« Des actes aussi rigoureux, la saisie surtout , disait
le premier exposé des motifs à la Chambre des Pairs ,
peuvent porter un grave préjudice à la personne chez
laquelle on les opère. Si donc on l’a fait méchamment,
ou seulement légèrement et sans cause , en sorte qu’on
n’ose pas y donner suite, on est tenu de réparer , con
formément au droit commun, le dommage qu’on a causé
par sa faute. »
Mais la nullité de la saisie , à laquelle le droit de
poursuivre la contrefaçon n’est pas subordonné, ne peut
créer et ne crée aucun obstacle à l’exercice de ce droit ;
ainsi le saisissant qui n’a pas utilisé le délai de l’art. 48
peut, après son expiration , soit pratiquer une nouvelle
saisie, soit introduire directement l’action au civil ou au
correctionnel. S’il use de ce droit dira-t-on de lui qu'il
n'ose pas donner suite à ses prétentions , et qu’il faut
le punir comme ayant agi méchamment ou légèrement
et sans cause , surtout s’il fait condamner comme con
trefacteur celui qu’il a poursuivi.
Comprendrait - on dans ce cas qu’on dût allouer des
dommages-intérêts au contrefacteur par l’unique raison
que le breveté a laissé périmer la première saisie et u’a
�209
intenté son action qu’en dehors du délai qui lui était
prescrit. Mais celui à qui ce retard a nui c’est le breveté
seul qui s’est exposé ainsi à laisser disparaître les objets
mentionnés dans la première saisie, et dans tous les etts
à perdre le bénéfice de leur confiscation à son profit.
SUR LES BREVETS D’iNVENTON
649. — Distinguons donc, comme le fait en réalité
la loi elle-même? L’inobservation du délai prescrit par
l’art. 48 fait de plein droit tomber la saisie dès l’expira
tion du délai sans qu’il y ait été donné suite ; cette sai
sie est nulle , censée n’avoir jamais existé , et ne peut
produire aucun effet ni quant à la constatation du délit,
ni quant à la confiscation des objets qu’elle frappait et
dont le saisi a repris par le fait seul du défaut de pour
suite la libre et entière disposition sans être obligé de la
de mander à la justice , qui ne pourrait d’ailleurs que
la consacrer.
Le retard peut devenir l’origine d’une allocation de
dommages-intérêts en faveur de celui qui a dû souffrir
la saisie, mais à la condition que ce retard ne sera qu’un
abandon de la prétention qui avait motivé cette saisie ;
que l’absence absolue de toute autre poursuite donnera
la certitude que le saisissant n’ose pas donner suite à une
mesure qu’il reconnaîtra par-là avoir été méchamment
ou légèrement et sans cause provoquée et accomplie.
Que si nonobstant la nullité de la saisie et après en
avoir ou non réalisé une nouvelle, le breveté défère à la
justice sa plainte en contrefaçon , il n’y aurait évidem
ment lieu à le condamner à des dommages-intérêls que
�210
LOI DU 6 JUILLET 1844
si celte plainte était en définitive repoussée. Si elle était
accueillie c’est en sa faveur et non au profit du contre
facteur que ces dommages-intérêts seraient et devraient
être prononcés , à quelque époque que la poursuite se
fût réalisée. Loin de nuire au saisi le retard , dans sa
réalisation, lui aurait profité non-seulement en reculant
sa condamnation, mais encore en lui épargnant la con
fiscation qui eut été la conséquence nécessaire de la ré
gularité de la procédure et du maintien de la saisie.
6f»0. — La nullité de la mesure provisoire sollicitée
et ordonnée n’empeche, nous venons de le dire, ni une
seconde description ou saisie , ni la poursuite de l’ac
tion soit civile soit correctionnelle. On pourrait dès lors
d’autant plus douter de son utilité qu’en définitive le ju
ge pourra en consulter le procès-verbal, y puiser sinon
la preuve absolue , au moins des présomptions qui le
rendront moins difficile à l’égard des autres preuves que
le poursuivant produira; enfin que celui-ci peut apporter
en témoignage l’huissier et l’expert qui l’a assisté et qui
l’un et l’autre confirmeront oralement les indications
écrites du procès-verbal.
Mais si sous ces rapports la nullité de la description
profite peu au saisi, il en est autrement quant aux con
séquences de l’action. Comme nous l’avons également
indiqué, cette nullité lui rend, ipso facto, la libre dispo
sition des objets saisis qu’il peut anéantir ou faire dis
paraître, et avec eux un élément essentiel de preuve. La
description oralement donnée par l’huissier ou l’expert
�SLR LES BREVETS CONVENTION
211
ne sera jamais qu’une opinion personnelle qui, pas plus
que la saisie d’ailleurs, ne lie le juge. Elle sera évidem
ment contredite, et le doute que cette contradiction peut
faire naître, l’impossibilité de l’éclaircir par la vérifica
tion des objets prétendus contrefaits, pourrait aboutir à
un acquittement.
A cette chance éventuelle se joint l’avantage d’échap
per à la confiscation. Celle-ci ne peut atteindre que les
objets actuellement placés sous la main de la justice.
S’il n’y a plus de saisie il n’y a plus de main-mise , et
par conséquent plus de confiscation possible en cas de
condamnation , à plus forte raison en cas d’acquitte
ment.
La nullité de la saisie faisant au saisissant le devoir
de se conformer strictement à la loi , devient une éner
gique garantie du soin qu’il apportera à le faire. Le lé
gislateur ne pouvait donc donner à ses prescriptions une
sanction plus efficace et plus impérieuse.
A rt. 49.
La confiscation des objets reconnus contre
faits , e t, le cas échéant, celle des instruments
ou ustensiles destinés spécialement à leur fabri
cation , seront , même en cas d’acquittement,
�LOI DU 6 JUILLET 1844
212
prononcées contre le contrefacteur, le receleur,
l’introducteur ou le débitant.
Les objets confisqués seront rpmis au pro
priétaire du brevet, sans préjudice de plus am
ples dommages-intérêts et de l’affiche du juge
ment s’il y a lieu.
SOMMAIRE
651 La confiscation, des objets contrefaits était la conséquence
forcée de leur caractère.
652 Discussion à propos de la disposition ordonnant la remise
de ces objets au breveté. — Opinion de MM. Simeon et
Dubouchage.
653 Réponse du commissaire du Gouvernement.
654 Caractère que cette discussion imprime à la confiscation.
655 Le tribunal civil est compétent pour la prononcer. — Opi
nion contraire de M. Renouard.
656 Examen et réfutation.
657 Système de MM. Nouguier et Et. Rlanc.
658 Son caractère , ses conséquences quant à la juridiction cor
rectionnelle.
659 Véritable caractère de la confiscation. — Elle est à la fois
une peine et un dédommagement.—Arrêt de la cour de
Metz en ce sens.
660 La confiscation des objets contrefaits, des instruments ou
ustensiles est obligatoire. — Condition exigée pour
ceux-ci.
661 La confiscatipn doit être prononcée alors ipême qua, la va
leur des objets contrefaits dépasserait plus ou moins le
préjudice.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
2^3
662 Péût-elle porter sur les matières premières ? Arrêt de la
cour de cassation ; son caractère.
663 Reproché qùeM. Blanc fait à la cour de cassation d’être re
vende de cette jurisprudence.— Son péu dè’ fondement.
664 Conséquence qui s;induit de ses arrêté.
665 Les matières premières qui ne pourraient être confisquées
comme objets contrefaits, pourraient l’être comme ins
trument de la contrefaçon.
666 Résumé.
667 La confiscation est forcée même en cas d’âcquittetnent. —
Motif de cette disposition.
668 Dans quels cas elle pourra recevoir son applicatioH1.
669 Reproche que lui adressent MM. Loiseau et Vergé ; son peu
de fondement.
670 Comment il est statué si le prévenu acquitté ne détient l’ob
jet que pour son usage personnel.
671 La remise des objets doit être opérée en nature. — Consé
quences.
672 La confiscation serait sans objet s’il n’a été opéré ni des
cription ni saisie préalable.
673 Arrêt de la cour de Cassation dont on veut induire le con
traire. — Examen.
674 Résumé.
675 Les dommages-intérêts ne doivent être que la réparation du
préjudice souffert.—Influence que la confiscation exer
cera sur leur détermination.
676 Ils doivent être calculés non sur le profit et le gain obtenu
par le contrefacteur, mais sur les tort et dommage souf
ferts par le breveté677 Le tribunal correctionnel peut-il ordonner qu'ils séront ré
glés par état.—Raison pour la négative.—Appréciation.
678 Arrêt de la cour de cassation pour l’affirmative.
679 Le tribunal usant de ce droit, ne peut, en attendant le rè
glement , accorder une sommé quelconque à titre de
provision.
�214
LOI DU 6 JUILLET
1844
680 Caractère de la publicité des jugements qui répriment la
contrefaçon.
681 Controverse élevée sur le droit pour la juridiction civile de
l’ordonner. — Doctrine de la cour de Cassation.
682 Son application à la matière spéciale.
683 L’affiche doit être demandée au juge et ordonnée par lui.
684 Objections à l’appui du droit de la partie d’y faire procéder
sans que le juge l’ait ordonnée.
685 Arrêt de la cour de Paris qui les repousse. — Son caractère
juridique.
686 La partie ne peut dépasser le nombre d’exemplaires déter
miné par le jugement.
687 Mais elle peut prendre des mesures pour assurer la perma
nence de l’affiche.
688 L’affiche du jugement doit comprendre le jugement entier,
et en cas de réformation partielle l’arrêt qui la prononce.
689 L’affiche du jugement peut-elle être ordonnée en cas d’ac
quittement ? Opinion de M. Nouguier pour l’affirmative.
690 Motifs qui doivent la faire repousser.
691 Voies de recours contre les jugements rendus en matière
de contrefaçon.
692 L’action civile comme l’action publique se prescrit par 3 ans.
693 De quel jour part ce délai pour le fabricant. — Controverse
à ce sujet.
694 Distinction que fait M. Nouguier dans le cas de fabrication
continue.
695 Son inadmissibilité.
696 Jurisprudence.
697 De quel jour part la prescription en cas de vente , ou d’in
troduction.
698 Le fabricant, le débitant ou l’introducteur, s’il a vendu de
puis moins de trois ans, devrait être condamné en qua
lité de vendeur.
699 Point de départ de la prescription en cas de recelé ou d’ex
position en vente.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
215
700 Les actes d’instruction ou de poursuite interrompent la
prescription. — Effets de la description, de la saisie, de
la simple plainte.
701 L’exception de prescription est d’ordre public. — Consé
quences quant à sa recevabilité et au droit du juge de la
consacrer d’office.
702 Par quel délai se prescrivent la peine et les dommagesintérêts ?
651. — La confiscation des objets reconnus contre
faits était la conséquence forcée de ce caractère. Etait-il
raisonnable, était-il possible en effet de les laisser en la
possession du délinquant qui, en les exploitant ou en les
vendant , aurait ainsi renouvelé impunément le délit
pour lequel il venait d’être condamné, et aggravé le pré
judice du propriétaire du brevet ?
L’affirmative ne pouvait venir à l’idée de personne ;
aussi le principe de la confiscation ne souleva-t-il ni
opposition ni controverse. On convint encore qu’elle de
vait porter non-seulement sur les objets contrefaits, mais
en outre sur les instruments ou ustensiles destinés spé
cialement à leur fabrication.
652. — La disposition qui ordonnait leur remise aux
propriétaires des brevets souleva quelques difficultés, du
moins quantaux objets reconnus contrefaits. M. Siméon
proposait à la Chambre des pairs d’ordonner qu’ils se
raient détruits. Le but de la répression de la contrefa
çon, disait-il , n’est pas seulement de protéger l’intérêt
du breveté ; on a voulu aussi empêcher que le public ne
fût trompé en acceptant, comme supérieurs, des produits
�6 JUILLET 1844
qui n’auraient de cette supériorité que le nom ou l’ap
parence. Or , la remise des instruments peut être utile
au propriétaire du brevet ; mais il en est autrement des
objets contrefaits ; ce propriétaire ne peut pas vendre de
pareils objets , autrement il tromperait le public luimême , car ces objets sont sans doute inférieurs à ceux
qu’il fabrique lui-même.
S’associant à cette pensée , M. Dubouchage ajoutait :
On peut contrefaire à l’étranger des objets brevetés en
France. Si donc on introduit en France des objets fabri
qués en Belgique , et qu’on les remette au breveté pour
les vendre , on contrevient à la loi qui , dans le § 3 de
l’article 32, punit de déchéance le breveté lorsqu’il in
troduit en France des objets fabriqués à l’étranger et
semblables à ceux que le brevet garantit. Cette disposi
tion a eu pour objet de garantir et de protéger l’indus
trie nationale. Or, la vente, comme l’introduction, n’au
rait-elle pas pour effet de nuire à nos travailleurs fran
çais en les empêchant de vivre , en quelque sorte , sur
une industrie nouvelle ?
Ces considérations , la deuxième surtout, étaient sé
rieuses et graves,. Si elles ne suffisaient pas pour faire
consacrer en, principe , et dans tous les cas la destruc
tion des objets contrefaits, du moins militaient-elles en
faveur d’une modification qui aurait rendu cette destruc
tion facultative , en conférant aux tribunaux le droit et
Ig pouvoir de l’ordonner , suivant que les circonstances
leur paraîtraient l’exiger.
m
LOT DU
�SUR LES BREVETS D’iNVENTlON
217
653. — La Chambre en pensa autrement, et ce qui
la détermina c’est que, comme le faisait observer le com
missaire du Gouvernement, la destruction des objets
contrefaits ne servirait à personne , serait une perte ab
solue, ef aurait, dans bien des cas , l’inconvénient d’a
néantir l’élément naturel, le seul peut-être de l’indem
nité due an breveté.
L’objection, ajoutait M. Sénac, repose sur celte hypo
thèse : que les objets contrefaits seraient d’une qualité
inférieure à ceux que produit le breveté lui - même , et
qu’il ne peut être autorisé à vendre des produits contre
faits ; mais je ne crois pas que-cette supposition puisse
être admise , car le contrefacteur fait tout ce qu’il peut
pour obtenir la faveurdu public, il imiteles objets delà
manière la plus exacte possible. La différence, qui fait;
son profit, est celle qui résulte de la différence même qui
existe,entre le prix de revient dont il se contente , et le
prix du monopole qu’exige le breveté ; les objets seront
donc conformes à ceux fabriqués par celui - ci qui , les
recevant à titre de dédommagement, les vendra pour son.
propre compte ou en tirera le meilleur parti possible
dans l’intérêt de sa fabrication. Tout autre mode cause
rait un grave préjudice à l’inventeur..
La supposition dans laquelle se plaçait à son tour M.
le commissaire du Gouvernement , ne se réalisera pas
toujours. Dans bien des cas, les objets contrefaits seront'
réellement inférieurs à ceux que confectionne le breveté,
soit quant à la qualité de la matière, soit quant au fini*
de la main d’œuvre. Mais comment redouter dans cette
�218
loi du 6 juillet 1844
hypothèse que le breveté les jette dans la circulation et
les livre au public ? Il n’en faudrait pas davantage pour
discréditer sa propre fabrication , et l’intérêt qu’il a à
conserver la réputation qu’il s’est laborieusement aequise
est le plus sûr garant qu’il ne disposera des objets qui
lui auront été remis que s’ils sont ou qu’après les avoir
rendus semblables à ceux qu’il produit lui-même.
65-4. — Cette discussion indique nettement le carac
tère que le législateur a entendu donner à la confiscation.
D’après l’art. 11 du Cod. pén. la confiscation spéciale,
soit du corps du délit quand la propriété en appartient
au condamné, soit des choses produites par le délit, soit
de celles qui ont servi ou qui ont été destinées à le com
mettre, est une peine.
Mais cette disposition n’a évidemment en vue que la
confiscation qui est prononcée au profit de l’Etat et qui
a pour but et pour résultat la destruction des objets ou
des instruments délictueux. Comment donc l’appliquer
à la confiscation qui fait arriver ces objets entre les mains
de la partie qui est libre d’en disposer, qui par consé
quent est pour elle la réparation du préjudice qui lui a
été causé ?
Or , que tel soit le caractère de la confiscation pro
noncée par l’art. 49, c’est ce dont il n’est pas permis de
douter en présence de la discussion que nous venons de
rappeler, en présence surtout de ces termes de l’art. 49:
sam préjudice r f g p lœ a m p le s dommages-intérêts.
Pouvait-on dès lors plus énergiquement exprimer que
�219
la remise des objets confisqués n’était faite qu’à ce ti
tre, et pourrait n’être suivie d’aucune autre réparation?
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
655. — Si la confiscation n’est qu’un dédommage
ment accordé à la partie , il s’ensuit qu’on ne saurait
contester à la juridiction civile la faculté et le droit de la
prononcer. C’est cependant ce que conteste M. Renouard
qui soutient que la confiscation est restée une peine. Un
arrêt de la cour de Rouen , du 4 mars 1841 , se pro
nonce dans le même sens’.
M. Renouard recule lui-même devant sa doctrine, et
arrive par un biais à donner aux tribunaux civils le
pouvoir que cette doctrine leur dénierait. Je pense, ditil, que ce serait aller trop loin que de déniera ces tribu
naux le droit de prononcer non la confiscation des objets
contrefaisants, mais leur remise au propriétaire lésé. Je
sais que cette différence ne sera souvent que nominale,
et qu’on pourra arriver, sous d’autres mots , à des ré
sultats analogues. Cependant les résultats ne seront pas
identiques et la qualification n’est pas chose insignifian
te. S’il y a confiscation , les objets appréhendés par la
justice sont remis par elle en nature au propriétaire du
brevet ; s’il ri’y a qu’un ordre à une partie de remettre
l’objet à son adversaire, c’est là une obligation délivrer
ijui peut se résoudre en dommages-intérêts1.
1 D. P., 44, 2, 402.
2 N» 257.
�220
1,01 DU 6 JUILLET 1 8 4 4
656. — Nous n’avons pas à rechercher si celte dif
férence est sérieuse , et si elle ne disparaîtra pas dans
l’exécution. Ce que nous reprochons au biais imaginé
par M. Renouard* , c’est non pas seulemeht d’arriver ,
sous d’autres mots, à dés résultats analogues*, mais en
core, mais surtout de consacrer une inégalité.
Pour qu’il y ait remise au breveté , il faut qu’il y ait
eu d’abord confiscation. L’art. 49 ne laisse aucun doute
à cet égard : Les objets e o n f i s q x i é s seront remis
au propriétaire du brevet. La confiscation préalable est
donc la condition préalable de la remise. Or, si le tri
bunal civil ne peut prononcer cette confiscation , il n’y
aura jamais aucun objet confisqué et par conséquent
dans le cas d’être remis. Pour légitimer le refus qu’il
fait à la juridiction civile d’un droit qu’on ne saurait
raisonnablement lui contester, M. Renouard lui confère
un droit que lui dénie expressément notre art. 49.
Nous disons que le tribunal civil peut et doit même
prononcer la confiscation des objets dont il reconnaît le
caractère délictueux. Il répugne à la raison1d’admettre
le contraire. Quoi , la confiscation n’a été édictée qu’à
titre de dommages-intérêts, c’est à ce même titre que le
tribunal correctionnel est autorisé à la prononcer même
en cas d’acquittement, et le tribunal civil serait incom
pétent pour la consacrer , lui qui est le juge naturel et
légitime des réparations civiles qu’un fait dommageable
peut nécessiter !
Une pareille anomalie ne pourrait être acceptée que si
la loi l’avait expressément consacrée. Or, nous venons
�221
de Je prouver, la lettre et l’esprit de notre article la ré
prouvent et la condamnent de la manière la plus ex
plicite.
SUR LES RREVPTS D’ WVEÏfTION
657* — Ç’est ce que M. Nouguier admet et explique.
Lqs termes du § %de l’art. 49, dit-il, enlevent à la con
fiscation spéciale des objets contrefaits le caractère de
pénalité pour lui conférer le caractère de dommagesintérêts. Ces mots : sans préjudice déplus amples dommtayes intérêts ne peuvent laisser aucun doute. Les
tribunaux civils pourront donc , comme les tribunaux
correctionnels, adjuger au propriétaire du brevet la pro
priété des objets qui, fabriqués par une atteinte au droit
privatif, sont présumés fabriqués pour le compte et au
profit de celui qui possède ce droit'.
En rendant obligatoire, même en cas d’acquittement,
la confiscation des objets contrefaits, dit de son côté M.
Et. Blanc , le législateur a manifestement considéré ces
objets, comme étant la propriété du breveté à qui ils aurient été dérobés. Ainsi la confiscation a perdu son ca
ractère de pénalité pour entrer dans le domaine pure
ment civil1.
t
,
658. -T- La fiction dans laquelle se retranchent ces
deux honorables jurisconsultes ne nous paraît pas moins
condamnée par la loi que le tempérament imaginé par
1 N» 1014.
2 De la contrefaçon, pag. 677.
�'
222
LOI DU 6 JUILLET 1844
M. ftenouard. Si le législateur avait manifestement con
sidéré les effets contrefaits comme la propriété du bre
veté, il se fût borné, à l’exemple de l’art. 366 C. instr.
crim., d’ordonner que les effets pris seraient restitués au
propriétaire, on ne confisque pas même le corps du dé
lit quand il n’appartient pas au condamné'. Or , l’art.
49 parle non de restitution , mais de confiscation ; il
n’accorde celle-ci qu’à titre de dommages - intérêts en
faveur du plaignant. Comment concilier tout cela avec
l’intention que MM. Nouguier et Et. Blanc prêtent au
législateur ?
Si donc les tribunaux civils peuvent et doivent pro
noncer la confiscation des objets contrefaits et en ordon
ner la remise au breveté , c’est évidemment parce qu’ils
ne statuent que sur la réparation civile due à celui-ci ;
mais est-ce à dire qu’en attribuant ce caractère à la con
fiscation, la loi lui a absolument retiré le caractère que
lui donne l’art. 11 du Code pénal ? On ne saurait l’ad
mettre sans méconnaître le texte précis de l’art. 49.
L’affirmative en effet aboutirait à ce résultat que pour
attribuer juridiction aux tribunaux civils , le législateur
aurait désarmé les tribunaux correctionnels. En effet si
la confiscation a un caractère purement civil, à quel ti
tre le ministère public pourrait-il la requérir et le tri
bunal l’ordonner d’office hors la présence et sans le
concours de la partie plaignante ? Or , qu’ils le puisLArt. UC. pénal.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
223
sent, disons mieux , qu’ils le doivent , c’est ce que nul
n’osera contester.
659. — On ne saurait donc , dans notre matière ,
adopter un système absolu. La confiscation n’est exclu
sivement ni une peine, ni une réparation civile ; elle est
cumulativement l’une et l’autre , et c’est ce caractère
complexe qui impose le devoir de la prononcer à la ju
ridiction civile comme à la juridiction correctionnelle et
réciproquement.
Un arrêt de la cour de Metz , du 1 4 août 1 8 5 0 , le
consacre ainsi : « Attendu que la confiscation mention
née, dans les art. 1 2 de la loi du 9 janvier 1 7 9 1 et 4 9
de la loi du 5 juillet 1 8 4 4 , n’est point une peine puis
qu’elle doit être prononcée même en cas d’acquittement
des contrefacteurs; qu’elle ne constitue pas non plus des
dommages-intérêts proprement dit, puisqu’elle doit avoir
lieu sans évaluation préalable ; qu’elle est dans le systè
me de ces deux lois une mesure d’ordre public prescrite
par le législateur d’une manière impérative et absolue
pour tous les cas où il y a contrefaçon ; qu’elle est en
même temps une indemnité accordée au breveté à titre
de dédommagement , sans que les tribunaux puissent
rechercher si ce dédommagement est dans un juste rap
port avec le préjudice causé par la contrefaçon1. »
660. — La confiscation des objets contrefaits, celle
1 J . d u P . , 1850, 2, 642.
�LOI DU 6 JUILLET 1844
224
des instruments ou ustensiles spécialement destinés à leur
fabrication est obligatoire et forcée pour l’une et l’autre
juridiction. Si, quant à ces derniers, l’art. 49 se sert des
termes : le cas échéant, c’est qu’il était impossible de
prévoir et de déterminer ce qu’il fallait entendre par celte
condition spécialement déstinés à la fabrication.
Il est évident que l’enclume et les marteaux , que les
limes ont assoupli et poli le fer qui est entré dans la fa
brication de l’objet contrefait ; que les haches, les scies,
les rabots ont équarri , divisé et façonné le bois dont il
se compose, faudra-t-il donc confisquer tous les enclu
mes, les marteaux, les limes, les haches , les scies ; les
rabots dont se compose l’outillage des ateliers du con
trefacteur ?
Une pareille énormité ne pouvait entrer dans la pen
sée du législateur. Comme l’indiquaient la raison et la
justice, il n’autorise la confiscation que des instruments
et ustensiles qui ont pour destination principale la fa
brication dolosive. Il ne pouvait dès lors, pour l’appré
ciation de ce caractère, que s’en référer à l’arbitrage du
juge.
Au tribunal donc à décider s’il échet ou non de con
fisquer les instruments ou ustensiles saisis. Quelle que
soit l’étendue de la saisie , la confiscation ne peut et ne
doit porter que sur ceux qui seront reconnus remplir la
condition exigée par la loi.
66 ï . — Quant aux objets contrefaits aucun doute ne
saurait exister. Dès qu’ils sont reconnus tels, ils doivent
�225
être confisqués quelles qu’en soit l’importance et la va
leur.
Ainsi, dans l’espèce de l’arrêt de la cour de Metz, que
nous citions tout à l’heure, la valeur des objets saisis dé
passait 200,000 fr., et le tribunal, tout en les reconnais
sant contrefaits, avait refusé d’en prononcer la confisca
tion , par le motif que cette valeur était hors de toute
proportion avec le préjudice causé.
Ce chef du jugement fut réformé et devait l’être. On
ne saurait en effet admettre que la fraude , que le délit
trouvât son excuse dans les proportions qu’il a plu à son
auteur de lui donner. Comme l’observe la cour de Metz,
les tribunaux ne peuvent rechercher si le dédommage
ment résultant de la confiscation est dans un juste rap
port avec le préjudice causé. La contrefaçon est un délit,
et le corps du délit doit être confisqué quel qu’il soit. Si
sa valeur excède le préjudice , les tribunaux n’ont rien
autre à faire qu’à s’abstenir des plus amples dommagesintérêts que la loi les autorise à prononcer lorsque la
confiscation ne couvre pas le préjudice éprouvé par le
breveté.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
662. — La confiscation ne pouvant porter que sur
les objets contrefaits, on ne saurait, en thèse, l’étendre
aux matières premières qui, prises isolément, sont sus
ceptibles de recevoir une destination licite et autre qu’une
fabrication délictueuse.
Mais il en est autrement lorsque par l’emploi du pro
cédé breveté on a réuni deux matières et créé un tout
�LOI DU 6 JUILLET 1 8 44
désormais indivisible et inséparable. Cet ensemble cons
titue alors l’objet contrefait qui doit être confisqué.
Ainsi la cour de Cassation jugeait le 20 août 1851 ,
que lorsqu’un procédé de graissage et de dégraissage des
laines par l’oléine , a été l’objet d’un brevet, les laines
graissées à l’aide de ce procédé, doivent être confisquées,
bien que les laines et l’oléine soient séparément des ob
jets de libre commerce, soit qu’on les considère comme
les produits, soit qu’on ne les considère que comme des
instruments de la contrefaçon'.
C’est ce qu’avait décidé la cour de Metz dont l’arrêt
faisait l’objet du pourvoi. Sans doute , disait celle-ci ,
l’oléine et la laine, examinées séparément, ne sont pas
des objets contrefaits , mais la réunion de l’oléine à la
laine constitue la contrefaçon, et l’effet de cette réunion
est de rendre contrefaits, c’est-à-dire faits contre le droit
du breveté, les objets qui, avant la réunion, étaient dans
le libre commerce. Les laines chargées d’oléine doivent
être considérées comme des objets fabriqués, avec d’au
tant plus de raison qu’après le graissage l’oléine et la
laine ne peuvent plus être séparés, ou du moins que la
séparation de ces deux matières ne peut se faire sans
perdre ou dénaturer en partie l’une ou l’autre’.
Cette doctrine , la cour de Cassation pouvait d’autant
moins la censurer, qu’elle n’était que la juste , que l’e
xacte interprétation du texte etde l’esprit de la loi. Corn.
�227
me l’observe M. Blanc, l’art. 49 ne laisse place àaucune
distinction , car il envisage la contrefaçon aussi bien au
point de vue du produit, qu’au point de vue des moyens:
produits et moyens tout est déclaré par lui matière à
confiscation. La raison le voulait ainsi ; en effet, tout ce
qui émane de la contrefaçon porte atteinte, par le seul
fait de son existence, au droit exclusif du breveté, et, aux
termes de l’art. 40, toute atteinte de ce genre constitue
le délit de contrefaçon’. Or, la réunion de l’oléine à la
laine n’était - elle pas le moyen qui préparait et même
consommait l’emploi illégal du procédé breveté ?
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
663. — Maintenant est-il vrai, comme le lui repro
che M. Blanc, que la cour de Cassation soit revenue en
1853 delà jurisprudence qu’elle consacrait en 1851 ?
Oui, la Cour régulatrice cassait, le 28 mai 1853, un
jugement du tribunal de Versailles qui avait ordonné la
confiscation de marchandises préparées ou travaillées à
l’aide d’une garnisseuse contrefaite, mais le jugement se
taisait sur l’effet de l’application de la machine et sur
l’état des marchandises après cette application , et c’est
le silence gardé à ce sujet qui détermina la cassation.
La Cour régulatrice reproche au jugement non d’avoir
prononcé la confiscation , mais de n'avoir donné à
l'appui de cette confiscation aucun motif particulier
de nature à faire connaître l'effet et l’importance des
modifications qu'avait pu apporter aux marchandises
2 De la Contref., p. 679.
�LOI DU 6 JUILLET 1 8 44
228
en cours de fabrication l'emploi de la garnisseuse , et
d'avoir dès lors jugé en droit, à titre de principe in
variable, qu'il y avait toujours lieu à confiscation non
seulement de l'instrument, machine ou procédé contre
faits, maïs encore des matières premières, marchan
dises ou objets de fabrication auxquels l'instrument ,
la matière ou le procédé contrefait aurait été appliqué.
La cour de Cassation déserte peu le principe de son
arrêt de 1851, que quelques jours après, le 13 du même
mois de mai 1853, elle en prescrit de nouveau l’obser
vation .
La cour de Paris avait jugé que dans le cas d’emploi
illégal d’une machine brevetée, la machine étant le vé
ritable, le seul objet de l’invention, devait seule être con
fisquée ; — que la confiscation ne pourrait s’étendre aux
marchandises auxquelles le changement opéré par l’em
ploi de cette machine ne pouvait donner le caractère
d’objets contrefaits ou d’instruments da contrefaçon.
Mais sur le pourvoi dont il fut l’objet, cet arrêt est
cassé pour violation des art. 1 , 40 et 49 combinés de
la loi du 5 juillet 1844.
« Attendu , dit la Cour suprême , que le sens de ces
mots : objets contrefaits, ne peut être restreint, dans tous
les cas, à l’instrument ou au procédé objet du brevet ;
qu’il appartient au juge du fait d’apprécier, d’après les
circonstances, si les marchandises ou objets de fabrica
tion auxquels l’instrument ou le procédé a été appliqué
ont subi, par suite de cette application, dans leur natu
re, dans leur forme ou dans leur valeur, des modifica-
�229
tions telles qu’ils doivent être considérés comme objets
contrefaits ;
« Attendu que la cour impériale de Paris ne s’est pas
fondée sur cette appréciation pour rejeter la demande en
confiscation des pièces de mérinos saisies ; qu’elle a jugé
en droit et d’une manière absolue que les deux peignes
à épautir pouvaient seuls être l’objet de la confiscation,
et qu’elle s’est expliquée d’une manière insuffisante sur
la nature et l’importance des changements apportés par
l’emploi des peignes contrefaits aux quinze pièces de
mérinos ; que par ses termes trop absolus en droit et in
complets ou insuffisants dans l’appréciation du fait, elle
a violé les articles 4, 40 et 49 combinés de la loi du 5
juillet 4844'. »
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
664. — Ce qui résulte de ces deux arrêts c’est qu’en
droit la nécessité de prononcer la confiscation des ma
tières premières, marchandises ou* objets de fabrication
touchés de l’instrument , de la machine ou du procédé
contrefait , est subordonnée au résultat de l’emploi de
l’un ou de l’autre. Le juge doit donc avant tout appré
cier ce résultat, et ce n’est qu’après avoir constaté l’exis
tence ou l’absence de modifications ou de changements
dans la nature, la forme ou la valeur que ces marchan
dises ou objets de fabrication ont pu subir , le plus ou
moins d’importance de ces modifications ou change: ments , qu’il peut légalement prononcer ou refuser de
1 J. du P., \ 854, %, 54, 55.
�230
LOI DU 6 JUILLET 1844
prononcer la confiscation. En d’autres termes, le juge
ment ou l’arrêt, dans quelque sens qu’il prononce, doit
se justifier par une déclaration explicite des motifs qui
ont dicté la décision’.
665. — Les matières premières qui ne seraient pas
susceptibles de confiscation comme objets contrefaits ,
pourraient être confisquées comme instruments spécia
lement destinés à la fabrication. Ainsi dans l’espèce de
l’arrêt du 14 août 1850 , la cour de Metz prononce la
confiscation non - seulement des laines déjà graissées,
mais encore des oléines en fûts et non encore employées.
« Attendu, dit l’arrê t, qu’il est évident que ces oléines
ne sont entrées chez les filateurs ou tisseurs où elles ont
été saisies que pour servir au graissage des laines, c’està-dire comme agents, ou , ce qui est la même chose ,
comme des instruments de contrefaçon.
° »
*
Mais ce qui était admis pour les oléines n’aurait pu
l’être pour les laines. On ne pouvait dire de celles - ci
qu’elles n’étaient entrées que pour être graissées par le
procédé breveté ; aussi ne pouvait-on confisquer et ne
confisque-t-on que les laines déjà graissées.
666. — En résumé , les matières premières , mar
chandises ou objets fabriqués, peuvent être confisqués ,
soit comme objets directs , soit comme les instruments
de la contrefaçon. La reconnaissance de l’un ou de l’au1 Cass., 2 décembre 1889
D. P. 61, 8, 46. V. J.
du P.,
89, 1016.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
231
tre de ces caractères est une appréciation de faits souve
rainement laissée aux lumières et à la prudence des deux
degrés de juridiction ; seulement le jugement ou l’arrêt
doit explicitement indiquer dans ses motifs les raisons
qui le font se prononcer dans un sens ou dans l’autre,
admettre ou refuser la confiscation.
Celle-ci peut s’étendre même aux objets non contre
faits, lorsque mêlés et confondus avec les objets contre
faits, ils forment un seul tout indivisible et inséparable.
Ainsi un individu ayant joint à des mitres de chemi
nées tombées dans le domaine public des larmiers bre
vetés , le juge de paix , et en appel le tribunal civil de
Paris prononcèrent la confiscation des mitres de chemi
nées comme des larmiers contrefaits.
Vainement le contrefacteur se pourvoit-il en cassation
et soutient—il que les larmiers seuls pouvaient être con
fisqués. Un arrêt du 2 mai 1 8 2 2 rejette le pourvoi, at
tendu qu’il résultait de la forme et de la construction des
mitres et du larmier qu’ils étaient inséparables entre eux,
puisqu’ils sont moulés , pétris , cuits ensemble ; que ne
faisant qu’une seule et même chose , il y avait nécessité
indispensable de les confondre dans la saisie commune,
et par suite dans la confiscation prononcée au profit des
inventeurs primitifs , conformément aux dispositions de
la loi.
Cette nécessité est bien plus impérieuse encore lorsque
l’objet du brevet est un procédé tendant à donner aux
marchandise un apprêt et une forme déterminés. Com
me exemple nous citerons l’espèce jugée par la cour de
Cassation le 31 décembre 1822 ;
�232
LOI DU 6 JUILLET 1844
Un industriel, qui avait obtenu un brevet pour un pro
cédé ayant pour objet de donner aux nankins français,
l’apprêt, le pli et la forme du nankin des Indes, fait sai.sir chez un autre industriel des nankins auxquels ce
procédé avait été illégalement appliqué et le poursuit en
justice. L’existence de la contrefaçon reconnue et admise,
les nankins saisis sont déclarés confisqués, ainsi que les
instruments à l’aide desquels le procédé contrefait était
appliqué.
Devant la cour de Cassation le délinquant soutenait
que les instruments seuls étaient susceptibles d’être con
fisqués ; que les nankins n’avaient rien de contrefait ,
parce que l’application du procédé n’en avait ni altéré
ni changé la nature et la composition.
Mais, répondait-on, ce système suppose que l’inven
tion ne portait que sur des formes et des proportions, ce
qui est une erreur. L’apprêt, c’est-à-dire le grain, la
nuance, le reflet, l’odeur s’attachent à la substance même
de la chose ; ils y sont tellement inhérents qu’il est im
possible de les en séparer sans saisir les nankins euxmêmes.
Ces raisons prévalurent et déterminèrent lè rejet du
pourvoi.
667. — La confiscation des objets contrefaits et des
instruments ou ustensiles spécialement destinés à leur
fabrication ; dans les conditions que nous venons d’ex
poser , celle des matières premières et même des objets
non contrefaits unis et incorporés aux objets contrefaits*
�233
est obligatoire et forcée. Elle doit être prononcée même
en cas d’acquittement.
Cette disposition fut introduite dans l’art. 49 à la suite
d’un amendement présenté et soutenu par M. Vivien. Il
disait, avec raison, que ne pas prescrire la confiscation,
même en cas d’acquittement , c’était autoriser la vente
d’objets contrefaits et par conséquent absoudre et encou
rager la contrefaçon.
C’était évident ; aussi l’amendement fut-il accueilli.
Le devoir qu’il impose aux tribunaux correctionnels n’a,
à nos yeux, rien d’exorbitant, rien même d’inconciliable
avec les principes qui régissent la juridiction criminelle,
alors même qu’on maintiendrait à la confiscation son
caractère de peine comme nous venons de le faire.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
668. — Il ne peut, en effet , être question de son
application dans le cas d’un acquittement fondé sur la
nullité ou la déchéance du brevet ou sur l’inexistence de
la contrefaçon. Il ne pourra donc s’en agir que dans
l’hypothèse où le prétendu délinquant étant un receleur,
vendeur ou introducteur , sera déclaré et reconnu de
bonne foi.
Dans ce cas, à côté de la culpabilité de l’agent, il y a,
s’il est permis de s’exprimer ainsi , la culpabilité de la
chose. La première s’effaçant, laisse subsister la secon
de, et le droit pour le juge de réprimer celle -ci ne sau
rait être affaibli , ni surtout disparaître parce qu’il ne
proclame pas celle-là.
�1844
669. — On a reproché à l’art. 49 d’avoir autorisé
la confiscation en cas d’acquittement contre le contrefac
teur , le receleur , l’introducteur ou le débitant , ce qui
semble supposer que la bonne foi qui excuse ces der
niers pourrait également entraîner l’acquittement du pre
mier malgré la matérialité de la contrefaçon'.
Mais cette induction ne résiste pas devant le texte de
l’art. 40, dans lequel l’absence du mot sciemment a été
unanimement reconnue et acceptée comme signifiant que
pour le contrefacteur la matérialité du fait constitue le
délit indépendamment de l’intention.
Sans doute l’art. 49 aurait pu mieux préciser sa pen
sée en ajoutant aux mots en cas d'acquittement, ceux-ci:
dans les cas prévus par l'art. 4 t. Mais si le texte est
obscur, son esprit, tel qu’il résulte des débats législatifs,
est on ne peut pas plus précis.
Ainsi dans son second rapport à la Chambre des pairs,
M. Sauvaire de Barthélemy expliquait que la faculté de
prononcer la confiscation, même en cas d’acquittement,
ne pourra être appliquée que dans les cas prévus par
l’art. 41 , c’est-à-dire lorsqu’il est nécessaire que l’in
culpé ait agi sciemment pour pouvoir être condamné ;
car dans le cas énoncé par l’art. 40, le délit de contre
façon existant indépendamment de toute intention frau
duleuse , on ne saurait ni prévoir ni supposer un ac
quittement qui pût et dût être accompagné de confis
cation.
m
LOI DU 6 JUILLET
i Loiseau et Vergé, art. 40.
�670. — La confiscation, en cas d’acquittement, ayant
pour objet et pour but d’empêcher la mise en circula
tion ou la vente d’objets délictueux, n’aurait plus aucune
raison d’être, si le receleur ou l’introducteur prouvait ,
outre son ignorance du caractère frauduleux de la chose,
qu’il ne la possède ou ne l’a acquise que pour son usage
ou ses besoins personnels.
Mais à cet égard il convient de rappeler la distinction
que nous avons déjà établie'.
Si la chose est réellement destinée et consacrée à l’u
sage de la personne ou du ménage du possesseur, la con
fiscation ne doit et ne peut pas en être ordonnée ;
Si elle est destinée à l’industrie et aux besoins com
merciaux, son exploitation nuisant aux droits du breve
té, la confiscation est de droit ;
Mais dans ce dernier cas il faut que cette exploitation
établisse une concurrence au préjudice du brevet, ainsi
si' l’industrie à laquelle les objets contrefaits pourvoient
n’a aucun rapport avec celle du breveté, cette concur
rence n’existant pas, il n’y a pas lieu à confiscation.
671. — Celle-ci devant être immédiatement suivie
de la remise des objets aux mains du plaignant, il suit
que les juges ne peuvent laisser au condamné l’option
d’opérer cette remise ou de payer la valeur des objets.
Mais la remise en nature possible , lorsque les objets
contrefaits ont été saisis et placés sous la main de la
l Supra n»s 551, 552.
�236
LOI DU 6 JUILLET 1844
justice, peut devenir impossible en l’absence de saisie ,
ou dans l’hypolhèse d’une simple description, il peut se
faire en effet que dans l’intervalle de l’introduction de
l’instance au jugement définitif, le défendeur ait disposé
de ces effets , ou les ait fait disparaître. On pourrait
donc, dans ce cas, tout en ordonnant la remise en na
ture , condamner subsidiairement le délinquant à en
payer la valeur.
Mais le plaignant n’est tenu d’accepter cette valeur que
s’il lui est matériellement impossible d’arriver à une re
mise en nature. Il pourrait donc si, après le jugement,
il est mis sur la trace des objets, contraindre cette remi
se, en les faisant saisir chez le ou les détenteurs.
672, - S’il n’y a eu ni saisie ni description la con
fiscation serait illusoire faute d’objets sur lesquels elle
devrait porter. Quelle en serait en effet la base ? Où en
seraient les éléments? Comment la restreindre ou l’éten
dre dans de justes et équitables proportions?
Objecter que l’absence de ces mesures ne fait pas obs
tacle à la poursuite en contrefaçon, ce n’est pas répon
dre à ces difficultés d’application. Autre chose est la
poursuite d’un délit, autre chose l’effet que son existence
pourra et devra produire. La première pourra bien ,
malgré le défaut d’une constatation préalable, entraîner
la condamnation du prévenu ; mais la confiscation sup
pose et exige ou une détermination , ou la main-mise
judiciaire des objets prétendus contrefaits. En dehors de
l’une ou de l’autre il pourra bien y avoir délit de con-
�237
trefaçon. Mais où seront les objets susceptibles d’être re
connus contrefaits et par conséquent confisqués ?
SUR LES BREVETS D INVENTION
675. — Sans doute la cour de Cassation, dans son
arrêt du 20 août 1851, dit expressément que pour pro
noncer la confiscation soit des laines , soit des oléines ,
il n’était aucunement nécessaire qu’elles eussent été préa
lablement saisie, mais elle ajoute : qu'en outre il avait
été procédé à leur désignation et description.
La confiscation avait dès lors une base certaine , un
objet déterminé, et en la faisant porter sur tous les ob
jets désignés et décrits les juges avaient non-seulement
usé d’un droit, mais encore rempli un devoir. La Cour
suprême ne pouvait que le décider ainsi.
Donc tout ce qui s’induit de son arrêt c’est que la des
cription équivaut h saisie. Il est vrai qu’elle n’a pas
comme celle-ci l’effet de s’opposer à la disposition ulté
rieure desobjets, mais elle fixe l’importance et l’étendue
de la confiscation et permet, à défaut d’une remise ma
térielle rendue impossible par la disparution des objets
décrits, de condamner le délinquant à en payer la va
leur.
Qu’aurait fait la cour de Metz , qu’aurait fait la cour
de Cassation elle-même si dans l’espèce il n’y avait eu
ni description ni saisie? Nous n’hésitons pas à croire
que la première n’eût prononcé aucune confiscation ;
que dans le cas contraire la seconde eût cassé son arrêt.
En effet, la conséquence forcée de la confiscation est la
remise au plaignant des objets confisqués. Or , observe
�238
LOI DU 6 JUILLET 1844
M. Blanc, à défaut de saisie et description la disposition
ordonnant cette remise est sans exécution possible ; elle
est en même temps nulle, car elle présente tous les ca
ractères d’une disposition par voie réglementaire prohi
bée par l’art. 5 C. Nap., puisqu’elle aurait pour résultat
d’autoriser le breveté à s’emparer de tous les objets qu’il
regarderait comme contrefaits'.
6 7 — En résumé , la confiscation ne peut et ne
doit être prononcée que lorsqu’elle a en vue des objets
certains , déterminés, qui ont subi l’épreuve d’une dis
cussion contradictoire et qui, après examen et vérificaion, ont été reconnus et déclarés contrefaits. La descripttion sans saisie , si elle ne place pas les objets sous la
main de la justice, permet d’en vérifier , d’en constater
le véritable caractère et offre une base certaine à la con
fiscation ; elle supplée donc, quant à ce, à la saisie, et
doit en produire les effets.
S’il n’y a eu ni saisie ni description il ne saurait y
avoir confiscation , car il n’y a rien sur quoi cette con
fiscation puisse porter.
Si ce résultat pouvait être préjudiciable au breveté, il
ne saurait s’en-prendre qu’à lui-même puisqu’il a pu
le prévoir et l’empêcher en prenant les mesures que la
loi lui permettait. Mais ce préjudice la justice a le moyen
de le conjurer dans la détermination des dommagesintérêts qu’elle est appelée à prononcer et dans l’allocai Invent, breveté, pag. 734.
\
�SUR LES BREVETS D’iNVENTON
239
tion desquels elle tiendra compte au breveté de la mo
dération dont il a fait preuve dans la poursuite.
675. — Ces dommages-intérêts ne sont et ne peu
vent être, dans tous les cas, que la réparation du pré
judice causé par la contrefaçon. Il est dès lors évident
qu’ils seront plus ou moins élevés suivant le plus ou le
moins d’importance de la confiscation.
Celle-ci, en effet, est au profit exclusif du breveté et
devient par cela même un élément naturel de l’indemnité
qui lui est due. On ne doit point dès lors en faire abs
traction dans la détermination des dommages-intérêts ,
et si la valeur des objets confisqués égale ou dépasse le
préjudice, toute allocation supplémentaire ne serait plus
qu’une rigueur sans cause.
La loi ne pouvait ni la conseiller ni la permettre ,
aussi s’en explique - 1- elle formellement dans l’art. 49.
En ne réservant que dLe p l u s a m p l e s domma
ges-intérêts s’il y a lieu, elle a prouvé qu’elle entendait
compléter la réparation du préjudice et non l’excéder.
676. — Par une juste appréciation de cette inten
tion le tribunal de Nancy, jugeant en appel, décidait le
20 mars 1827, que les dommages-intérêts devaient être
calculés non pas sur le profit et le gain obtenus par le
contrefacteur , mais sur le tort et le dommage éprouvés
par le propriétaire du brevet'.
1 Sous
cass , 20 juillet 1830,
�240
LOI DU 6 JUILLET 1844
Nous considérons cette décision comme éminemment
juridique. Dans le produit elle gain réalisés par le con
trefacteur se trouve comprise la rémunération des peines
et soins, de l’industrie et du travail personnel qu’il a
employés : rémunération sur laquelle le breveté n’a ja
mais eu aucun droit. La lui attribuer serait donc aller
au delà de ce que la justice conseille et prescrit , de ce
que la loi permet de lui accorder. Les dommages-inté
rêts ne peuvent jamais être que du gain dont on a été
privé et de la perte qu’on a pu faire.
En réalité ces deux éléments se confondent le plus
souvent, et pour le breveté l’unique perte qu’il éprouve
est la privation du gain que lui aurait procuré l’exploi
tation de son invention ou la vente des objets brevetés.
Or, l’appréciation de cette perte n’est susceptible d’au
cune règle précise et absolue ; elle appartient souverai
nement aux tribunaux, qui peuvent fixer dans leurs ju
gements la quotité des dommages-intérêts s’ils sont en
état de le faire actuellement , ou ordonner qu’ils seront
réglés par l'Etat.
677. — Cette dernière faculté n’a jamais été con
testée à la juridiction civile, mais on a prétendu la dé
nier à la juridiction criminelle. Les tribunaux correc
tionnels, a-t-on dit, sont dessaisis dès qu’ils ont statué
sur la plainte ; aussi les art. 161 et 189 C. inst. crim.
leur prescrivent-ils de statuer par le même jugement sur
la peine requise et sur les dommages - intérêts que les
parties civiles ont accessoirement fournies devant eux.
�§41
Cette objection confond le principe avec les consé
quences qu’il est susceptible d’entraîner. Le tribunal cor
rectionnel ou de simple police, statue réellement sur la
demande en dommages-intérêts, lorsqu’il la déclare lé
gitime et fondée, et c'est tout ce que la loi exige de lui.
Comment admettre, en effet, que les art. 161 et 189,
lui font une obligation d’en déterminer le chiffre ? Ils
ne pourraient le faire que si les documents du procès
offraient les éléments de cette détermination. Devra-t-il
donc dans le cas contraire agir de confiance et en aveu
gle, au risque de rester fort en-deça ou d’aller fort audelà de ce qui est réellement dû ?
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
678. — Une pareille interprétation de la loi se ré
fute par elle-même. Aussi, la Cour de cassation décla
rait-elle le 7 juillet 1855, que les art. 161 et 189 C.
inst. crim., supposent que les tribunaux correctionnels
ou de simple police auront le moyen de procéder ainsi
en pleine connaissance de cause ; qu’aucun texte de ce
Code ne leur interdit, de se contenter, en réprimant le
délit ou la contravention , de reconnaître la légitimité
des demandes en dommages-intérêts, et de surseoir à
fixer la quotité du dédommagement réclamé en emplo
yant les mesures d’instruction qui sont de nature à éclai
rer leur conscience sur ce point1.
Cela est évident. Contraindre le juge à prononcer alors
qu’il n’est pas en mesure de le faire est une énormité
i Ann, de lapropr industr., 1855, p. 'MO.
il
16
�H42
1,01 DU 6 JUILLET 1844
dont le législateur n’a pu, même, concevoir la pensée.
679. — Le tribunal correctionnel peut donc, comme
le tribunal civil, accorder des dommages-intérêts en
principe, et ordonner qu’ils seront réglés par étals. M.
Nouguier qui est de cet avis, va plus loin encore, et en
seigne que, lorsque lé préjudice est considérable et cer
tain, le breveté peut réclamer et le tribunal ordonner
qu’une provision sera immédiatement versée à valoir
sur les dommages-intérêts qui seront ultérieurement
fixés, et invoque un jugement du tribunal correction
nel de Paris du 1â juin 1856, rendu entre MM. Gautrot et Sax, et qui ordonnant que les dommages-inté
rêts seront donnés par état, accorde à ce dernier une
provision de 50,000 fr.'.
On ne saurait admettre ni cette doctrine ni ce juge
ment. Il est de principe que le criminel tient le civil, en
l’état. Il faut donc qu’il ait été définitivement statué sur
la plainte avant qu’on puisse allouer la réparation que
l’existence du fait incriminé, est dans le cas d’entraîner.
Dans notre matière , par exemple , il est incontestable
ment dû des dommages-intérêts au breveté, mais s’il y
a contrefaçon. Or quelque affirmative que soit à ce sujet
la décision du tribunal rien n’est encore jugé, puisque
l’appel remet tout en question, et rend tout son empire
à la présomption d’innocence que le juge supérieur ad
mettra et consacrera peut-être.
i N»4038.
�243
Ces principes sont inconciliables avec la faculté pour
le premier juge d’ordonner une provision. L’exercice
de cette faculté ne se comprend que dans certains cas
où il est certain que quelle que soit l’issue du procès,
celui à qui la provision est accordée, aura des sommes
à répéter, des droits à faire valoir; que lorsque la qua
lité des parties et la nature du litige en imposent la né
cessité. Or, aucune de ces circonstances ne se rencon
tre au criminel où il n’est dû une réparation quelcon
que que si la condamnation a acquis l’autorité de la
chose jugée.
Tout au moins, ne pourrait-on admettre le contraire
que si la loi l’avait expressément autorisé. Celte autori
sation, le tribunal correctionnel de Paris l’a fait résul
ter de la disposition de l’art. 188 C. inst. crim., mais
celte interprétation méconnaissait le caractère de cet ar
ticle, qui ne consacrant qu’une exception, doit-être res
treint au cas spécial qu’il prévoit, à savoir celui où un
jugement est intervenu par défaut.
Le jugement indiqué par M. Nouguier, n’avait donc
aucun fondement juridique, aussi, était-il infirmé par
arrêt du 13 août 1856.
« Considérant, dit la Cour, que l’allocation des dom
mages-intérêts réclamée par Sax, en raison de l’ins
tance actuelle , est subordonnée au résultat définitif du
litige en contrefaçon existant aujourd’hui entre les parties ;
« Que l’appel interjeté par Goutrot de la sentence des
premiers juges, remettant en question les droits des partiesdans l’instance actuelle, il n’existe pas, quant à préSUR LES BREVETS D’iNVENïION
�244
LOI DU 6 JUILLET 1844
sent, en faveur de Sax, de droit qui puisse donner ou
verture à une réparation immédiate ; que l’art 188 C.
inst. crim., applicable à la matière spéciale des juge
ments par défaut, ne p.;:ut être étendu au cas des juge
ments contradictoires ; qu’ainsi c’est à tort que les pre
miers juges ont accordé à Sax une provision pour les
dommages-intérêts qui pourront ultérieurement être ac
cordés par la décision définitive à intervenir
680. — La publicité du jugement qui réprime la
contrefaçon, intéresse à un haut degré celui qui a ob
tenu ce jugement, la constatation de son droit et sa vul
garisation qui en résulte, peut faire hésiter ou reculer
ceux qui seraient tentés de l’usurper, ou ramener à lui
ceux qui dans l’ignorance de la contrefaçon traitaient
avec le contrefacteur.
Aussi, et malgré le silence que la législation de 1791
gardait sur la faculté de prescrire l’affiche du jugement
la jurisprudence en avait admis le droit et consacré
l’exercice, elle invoquait et appliquait l’art. 1036 C. procéd. civ.
Aucun doute ne saurait s’élever aujourd’hui, la pra
tique des tribunaux et Cours, est conforme à ces pré
cédents.
681. — La controverse qui s’était élevée a propos
de la confiscation, s’est également produite pour l’affiL—
1 D. P.. 67, 2, t.
�245
che du jugement. La publicité à donner au jugement,
a-t-on d it, est, au point de vue au moins moral, de
toutes les aggravations de la peine la plus considérable,
on ne saurait donc reconnaître à la juridiction civile le
pouvoir et le droit de l’ordonner.
La question du caractère de l’affiche du jugement
s’est présentée à la Cour de cassation dans les circons
tances suivantes :
Dans une affaire de coups et blessures, le tribunal
correctionnel supérieur de St-Flour avait condamné le
prévenu à l’amende, et ordonné pour tous dommagesintérêts l’impression et l’affiche du jugement à 25 exem
plaires.
Le ministère public se pourvoit en cassation et repro
che au tribunal d’avoir violé la loi et excédé ses pou
voirs; l’impression et l’affiche du jugement, disait-il,
sont une peine ; dès-lors, elles ne peuvent être ordon
nées que dans les cas où elles sont expressément auto
risées par la loi, dont, aux termes des art. 163 et 195
C. inst. crim., la disposition spéciale doit être littérale
ment transcrite dans le jugement.
Mais par arrêt du 21 mars 1839 , la Cour suprême
déclare que l’impression et l’affiche du jugement peu
vent être ordonnées, soit à litre de peine, soit à titre de
dommages-intérêts ; que si, dans le premier cas, celte
impression et cette affiche ne peuvent être prononcées
qu’en vertu d’une disposition formelle de la loi, il ne
saurait en être de même dans le second ; qu’alors cette
impression et cette affiche, quoique ordonnées pour un
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�LOI DU 6 JUILLET 1844
246
cas où la loi ne les a pas prescrites, n’ont aucun carac
tère pénal ; qu’elles sont, à proprement parler, une ré
paration accordée à la partie civile, et que la disposition
qui les ordonne ne saurait dès-lors, être attaquée par
le ministère public; en conséquence, elle rejette le pour
voi
682. — Cette appréciation de la Cour souveraine,
tranche la difficulté. Dès que l’impression et l’affiche du
jugement peuvent n’être que l’indemnité, que la répa
ration du dommage causé, dès que le tribunal correc
tionnel lui-même peut les ordonner à ce titre, il est évi
dent que les tribunaux civils spécialement appelés à dé
terminer cette indemnité et cette réparation peuvent et
doivent jouir du même droit.
685. — De ce que l’affiche du jugement doit être
ordonnée par le juge, il suit qu’elle doit être demandée
par la partie intéressée, et accordée par le jugement. À
défaut d’une disposition expresse à ce sujet, l’affiche
spontanément réalisée constitue une illégalité dont il est
dû réparation si elle a causé ou pu causer un préjudice.
En effet qu’on considère l’affiche comme une peine,
qu’on n’y voie qu’une réparation, il est évident que la
partie absolument incapable de prononcer l’une, ne l’est
pas moins de s’attribuer l’autre , le droit de se rendre
justice à soi-même, n’est ni dans nos moeurs ni dans
nos lois.
�247
684. — On a objecté que l’affiche d’un jugement
n’est que l’exercice d’un droit qui, dans notre système
de publicité judiciaire, appartient à toute partie qui a
gagné son procès ; c’est à l’adversaire à s’imputer d’a
voir engagé ou soutenu une mauvaise contestation, en
agissant ainsi, il a consenti à la rendre publique , et ,
dès-lors, il ne saurait se plaindre d’un fait qui lui ap
partient ; que l’art. 1036 C. procéd. civ., a statué pour
un cas spécial, alors que les tribunaux ont ordonné que
le jugement sera affiché aux dépens de la partie con
damnée, mais que si, au contraire, c’est la partie ga
gnante qui se charge elle-même des frais de l’affiche ,
elle n’a pas besoin d’y être autorisée par une décision
judiciaire ; qu’ici s’applique la règle que tout ce qui
n’est pas défendu est permis ; comment d’ailleurs s’ef
frayer de ce droit d’affiche lorsqu’on est obligé de re
connaître celui de publication par la voie des journaux?
Eh l quoi ! un journal pourra publier le jugement à
cent mille exemplaires, et il faudra condamner l’affiche
qui le reproduit ? Ce serait là une inconséquence qui
ne peut être sanctionnée.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
,
✓
685. — Elle l’a été cependant, et avec juste raison.
Un arrêt de la Cour de Paris du 23 février 1839, déclare
que, relativement aux décisions judiciaires, la publicité
consiste dans l’obligation imposée aux magistrats de faire
procéder publiquement aux débats qui précèdent le ju
gement, et de prononcer publiquement les décisions qu’ils
rendent ; que l’affiche des jugements et arrêts prescrite
�248
loi du 6 juillet 1844
par la loi en certaines circonstances, est autorisée par
l’art. 1036 C. procéd. civ., à titre de peine ; qu’en con
séquence, le fait d’y avoir fait procéder sans que le juge
eût prononcé était illégal et dommageable et exigeait
une réparation'.
Le caractère juridique de cet arrêt ne saurait être ni
méconnu ni contesté ; il est évident, en effet, que la loi
n’a pas entendu laisser l’affiche du jugement au ca
price, à l’arbitraire des parties, la preuve c’est qu’elle
fait de cette mesure une exception, et qu’elle n’autorise
les juges à l’ordonner que dans certains cas expressé
ment, et s'il y a lieu, ajoute notre article 42.
C’est donc une simple et pure faculté qu’elle confère,
et le juge est libre de n’en pas user même dans le cas
oit il pourrait le faire. Or s’il ne s’agissait comme on le
prétend, que d’une question de frais, il faudrait admet
tre, qu’en se chargeant de ces frais, le gagnant pourrait
faire afficher le jugement même dans le cas où le juge
aurait refusé d’accueillir la demande qui lu: était faite à
ce sujet, oserait-on aller jusque lè.
Si, donc , le législateur a souverainement déféré au
juge la question de la convenance et de l’opportunité de
l’affiche du jugement, il a par cela même refusé à la
partie le droit et le pouvoir de la trancher ; et si, non
obstant ce refus, celle-ci se permet de le faire, elle se
livre évidemment à un acte qui lui était défendu.
Vainement invoque-t-elle son intérêt, cet intérêt quel-
�249
que évident qu’il soit ne saurait l’autoriser à déterminer
elle-même la satisfaction qui peut lui être due, c’est au
juge qu’elle devait la demander, et si la crainte de ne
pas l’obtenir a été la cause de son silence, on doit d’au
tant plus la punir d’avoir substitué son appréciation à
celle de la justice.
Il n’y a aucune assimilation possible entre la publi
cité par la voie des journaux et celle qui résulte de l’af
fiche.'Combien de personnes qui ne lisent pas le jour
nal dans lequel a lieu l’insertion, qui provoquées par
son apposition, liront et commenteront l’affiche? Celleci a donc un effet plus énergique, plus étendu, plus sûr
que celle-là, et n’est-ce pas par ce motif que la partie
l’a préférée ?
D’ailleurs le journal qui rend compte d’une audience
publique use d’un droit, et on n’a ni à s’enquérir, ni à
rechercher s’il le fait spontanément ou s’il est payé pour
le faire. C’est là la véritable, la seule conséquence de
notre système de publicité judiciaire ; c’est à quoi s’ex
pose celui qui fait ou qui soutient une mauvaise con
testation.
Mais conclure du droit du journal au droit d’affiche
pour la partie, c’est non-seulement méconnaître la loi
mais encore blesser toutes les règles de la logique.
Nous croyons donc que l’impression et l’affiche du
jugement, ne sont possibles que si elles ont été deman
dées et accordées par le juge. L’affiche], nous le répé
tons, est ou une peine, ou une réparation civile, et la
partie, ne peut pas plus s’adjuger celle-ci que pronon
cer celle-là.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�280
LOI DU 6 JUILLET
1844
686. — C’est par application de ce principe qu’il a
été jugé que lorsque l’affiche a été ordonnée à un cer
tain nombre d’exemplaires , ce nombre ne peut être
dépassé sans donner lieu à une action en domma
ges - intérêts ; la Cour de Paris est allée plus loin
encore , elle a jugé le 1er juin 1831 , que le pro
priétaire d’un brevet d’invention qui a été autorisé à
faire afficher, à un certain nombre d’exemplaires, un
jugement qu’il a obtenu contre un contrefacteur, né peut,
en outre, faire imprimer et distribuer ce jugement sous
prétexte qu’il constitue son titre de propriété , sans
être passible de dommages-intérêts envers le contrefac
teur.
Dans cette espèce le breveté ri'avait pas dépassé le
nombre d’affiches déterminé, mais il s’était cru autorisé
a faire imprimer le jugement à trois cent exemplaires, et
à le distribuer avec le mémoire qu’il avait publié dans
l’instance en contrefaçon.
Condamné h 1,000 fr. de dommages-intérêts et à re
mettre à son adversaire les 300 ex. du jugement qui
devaient être lacérés, à peine de 1 fr. pour chaque
exemplaire non remis. Le breveté avait émis appel, mais
la Cour confirme le jugement, et si elle réduit les dom
mages-intérêts à 500, c’est sur l’offre de l’appelant de
remettre 276 exemplaires du jugement non encore dis
tribués.
687. — L’efficacité de l’affiche tient à sa perma
nence qu’il n’est pas donné d’obtenir par les moyens or-
�251
dinaires. On comprend que le contrefacteur a le plus
grand intérêt à ce que l’affiche disparaisse au plutôt,
et qu’obéissant à cet intérêt, il arrachera ou fera arra
cher nuitamment celles qui ont été apposées, et qui ne
peuvent plus être remplacées.
On ne saurait donc empêcher que le breveté, obéis
sant lui aussi à un intérêt évident, se mette en mesure
de conjurer ce danger, et prenne des mesures pour as
surer la permanence et la conservation de l’affiche. Voici
le moyen qui avait été imaginé à cet effet.
Un breveté ayant obtenu la faculté d’afficher le juge
ment rendu contre un contrefacteur, fil coller deux affi
ches sur des cartons mobiles qu’il appendait devant sa
porte chaque matin et qu’il rentrait le soir.
Le contrefacteur considérant ce fait comme un abus
de la faculté conférée par le jugement, cite le breveté
devant le tribunal civil de Paris pour en obtenir la ré
pression avec dommages-intérêts.
Mais un jugement du 25 octobre 1837, le déboute de
sa demande : attendu qu’en ordonnant l’affiche du ju
gement, en fixant le nombre des affiches à apposer, le
tribunal n’a pas déterminé le temps pendant lequel du
rerait chacune d’elles, et qu’il n’a statué ni sur la durée
de ce mode de publicité, ni sur les moyens de conser
vation, qu’il est loisible d’employer à la partie qui a ob
tenu le jugement ; que dans l’espèce il n’y aurait lieu à
suppression et à la destruction des affiches que s’il était
justifié que le nombre ordonné par le jugement aurait
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
�LOI DU
6
JUILLET
1844
été dépassé, et qu’il n’est fait à cet égard aucune justi
fication
M. Renouard approuve cette décision, et il a raison.
Le droit d’afficher le jugement concédé par la justice ,
doit avoir son plein et entier effet. Or ce résultat ne
pouvant être acquis que par la permanence de l’affiche,
tout ce qui ne tend qu’à assurer celle-ci est légitime et
légal.
. — L’affiche ordonnée s’entend non pas seule
ment du dispositif, mais encore des motifs et des quali
tés du jugement, elle doit donc être la réproduction fi
dèle de la grosse délivrée par le greffier.
Si le jugement a été frappé d’appel et réformé en
partie, les chefs qui sont l’objet de cette réformation ,
sont anéantis et ne sauraient dès-lors recevoir aucune pu
blicité. L’affiche ordonnée doit, dans ce cas, ne com
prendre que le jugement tel qu’il est modifié par l’arrêt
et non le jugement primitif, c’est-à-dire que ce qui peut
et doit être affiché c’est l’arrêt lui-même.
688
689. — L’affiche du jugement peut-elle, comme la
confiscation, être ordonnée même en cas d’acquittement?
Les termes de l’art. 49 semblent n’autoriser l’affiche
du jugement que dans le cas où il y a lieu à de plus
amples dommages-intérêts, c’est-à-dire en cas de con
damnation. Il est évident en effet que s’il y a acquitfe1 Renouard, n° 262.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
253
ment, on ne saurait accorder d’autres dommages-inté
rêts que la confiscation des objets contrefaits, des ins
truments ou ustensiles destinés spécialement à leur fa
brication.
Cependant M. Nouguier résout notre question par
l'affirmative. La bonne foi du récéleur, introducteur ou
débitant, dit-il, peut bien faire disparaître le délit, mais
comme elle laisse subsister le fait dommageable, la pu
blicité peut être infligée à titre de réparation civilea.
690. ■— Cette opinion ne nous paraît pas admissi
ble. Nous comprenons une publicité qui infligeant à un
individu la qualité de contrefacteur, le signale à la ré
probation publique comme ayant spéculé sur un délit et
constitue un enseignement pour ceux qui pourraient être
en tés de l’imiter.
En casd’aquittement, le recéleur introducteur ou dé
bitant, ne s’est pas livré à cette spéculation. Son seul
tort est d’avoir ignoré le caractère délictueux des objets
qu’il a reçu, introduit ou débité, et il en est déjà sévè
rement puni par la confiscation de ces objets qui peut
devenir pour lui l’occasion d’une perte considérable.
On comprend cette confiscation puisque éclairé désor
mais sur le caractère des objets, leur détenteur ne pour
rait plus en disposer sans commettre le délit de contre
façon, mais vouloir en outre lui imprimer la flétrissu
re morale qu’entraîne la publicité du jugement serait
un excès de sévérité assi immérité qu’injuste.
�LOI DU 6 JUILLET 1844'
254
Sans doute l’acquittement peut laisser subsister le fait
dommageable, et celui-ci motiver une réparation civile,
mais cette réparation ne peut être exigée que de l’auteur
de ce fait. Or dans notre hypothèse le fait dommagea
ble est la contrefaçon et loin d’y avoir concouru le pré
venu acquitté l’a ignorée, et en est lui-même victime ,
lui en demander une réparation quelconque serait lui
infliger la responsabilité du fait d’autrui en dehors des
cas prévus par l’art. 1384 C. Nap.
Dans tous les cas, s’il pouvait y avoir lieu à réparation
civile, ce n’est pas le tribunal correctionnel qui pourrait
la prononcer. Il est de principe, en effet, que celui-ci
ne peut statuer sur les dommages-intérêts que s’il y a
condamnation , la faculté spécialement accordée aux
cours d’assises par l’art. 366 C. inst. crim. n’a jamais
appartenu à la juridiction correctionnelle.
Il faudrait donc pour que celle-ci pût, en cas d’ac
quittement, ordonner l’affiche du jugement à titre de ré
paration civile, que la loi spéciale eût fait pour l’affiche
ce qu’elle fait pour la confiscation. Or non-seulement
l’art. 49 est muet, mais, comme nous venons de le dire,
de ses termes résulte la preuve qu’il n’admet l’affiche
que dans le cas de condamnation.
Donc le jugement qui l’ordonnerait en cas d’acquit
tement constituerait un véritable excès de pouvoir, une
violation de la loi qui n’échapperait pas à la ceusure de
la Cour de cassation.
691. — 1.es voies de recours dont les jugements en ma-
�SUR LES BREYETS D’INVENTION
255
tière de contrefaçon sont susceptibles, sont celles que le
droit commun autorise ; l’opposition, l’appel, le pourvoi
en cassation, le délai dans lequel elles doivent être réali
sées, leurs effets varient suivant que le jugement ou l’ar
rêt, est intervenu au criminel ou au civil. Ils obéissent,
dans le dernier cas, aux prescriptions du Code de procé
dure, à celles du Code d’inst.crim. dans le premier.
692. — Nous avons déjà indiqué et examiné les
deux fins de non-recevoir pouvant faire repousser l’ac
tion en contrefaçon, à savoir la nullité ou la déchéance
du brevet, il en est une troisième non moins péremp
toire dans ses effets, qui assure l’impunité malgré que le
délit ait été réellement commis, la prescription.
La contrefaçon, de quelque manière qu’elle se soit
produite, étant un délit, le droit d’en exiger la répara
tion n’est que temporaire, il est régi par les art. 637 et
638 C. inst. crim.
Ainsi l’action civile comme l’action publique se pres
crit par trois ans à partir du jour où la contrefaçon a
été commise ; et si dans l’intervalle il a été fait des actes
d’instruction ou de poursuites, du jour du dernier de
ces actes.
693. — Le principe ne saurait souffrir aucune dif
ficulté, il n’en est pas de même de son application qui
soulève d’abord une grave question. On sait que pour
les délits continus et successifs la prescription ne com
mence à courir que du jour du dernier acte qui les cons-
�236
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
titue. La contrefaçon se place-t-elle dans cette catégorie ?
La prescription ne commence-t-elle à courir que du jour
où la fabrication ou la vente a entièrement cessé, ou
bien du jour de chaque fait de fabrication ou de vente
considéré isolement ?
Au point de vue de la pénalité, cette question n’a pas
un grand intérêt, l’art. 42 prohibant le cumul des pei
nes et ne permettant que la peine la plus forte pour
tous les faits antérieurs à la poursuite, la prescription de
tel ou tels de ces faits pourrait ne modifier en rien le
sort du condamné.
Il n’en est pas de même au point de vue des domma
ges-intérêts réclamés par le breveté, ceux-ci doivent in
demniser du préjudice réellement souffert. Or autre chose
est d’avoir à tenir compte de ce préjudice pour une pé
riode de trois ans, autre chose d’être tenu d’en répon
dre pendant 1 0 ou 15 ans.
Il faut donc examiner et résoudre la question. Or si
l’on s’en réfère à l’économie générale de la loi, on est
amené à conclure que le législateur a considéré chaque
fait de contrefaçon comme constituant un délit distinct
susceptible d’être poursuivi et puni indépendamment de
tout ce qui a pu le suivre, l’art. 42 n’aurait pas eu a
prescrire une seule peine pour tous les actes antérieurs
à la poursuite, si tous ces actes n’avaient constitué qu’un
seul et même délit.
Si chaque acte isolé constitue un délit c’est évidem
ment du jour de sa consommation que doit courir la
prescription ; tout fait nouveau pourra bien constituer un
�257
second délit, mais il ne saurait en rien influer sur le
premier qu’il renouvelle, mais dont il n’est pas la corn
tinuation, peu importe que le second délit soit de même
nature que le premier, ainsi celui qui après avoir volé
chez moi va immédiatement voler chez le voisin ou qui
s’introduisant plus tard chez moi, me vole une seconde
fois, ne commet pas un seul et même délit, pourquoi en
serait-il autrement pour le contrefacteur qui ayant fa
briqué, introduit ou débité un objet en fabrique, en in
troduit ou en débite de nouveaux ?
Ce qui est vrai, c’est que le délit de contrefaçon par
fabrication exige que le dernier acte de cette fabrication
soit accompli. Ainsi, dit avec raison M. Uenouard tant que
la fabrication se continue et se complète la perpétration du
délit ne s’arrête pas, et le dernier acte qui l’achève est aussi
repréhensiblequele premier. La prescription ne commence
donc à courir que de l’époque du dernier des actes de l’en
semble desquels le fait général et complexe de la contre
façon a été accompli'.
Il est évident, en effet, que la fabrication successive des
diverses pièces dont se composera l’objet, la machine ou
l’instrument qu’on4se propose de contrefaire ne saurait
être considérée isolément, elle n’a qu’un objet, qu’un but
le délit de contrefaçon qui ne sera consommé que lors
que la réunion des diverses pièces aura produit l’objet,
la matière ou l’instrument. Ce n’est pas en effet telle ou
telle pièce qui constitue la contrefaçon ; celle-ci n’exis
tera que du jour où l’application des diverses pièces arSUR LES BREVETS D’iNVENTION
�258
LOI DU 6 JUILLET 1 8 4 4
rivera à constituer dans un ensemble complet un objet de
nature à remplir le but pour lequel le brevet a été concédé.
C’est donc à partir de ce jour seulement que courra
la prescription quel que soit le temps qui s’est écoulé
entre la fabrication de la première pièce et celle de la
dernière.
Mais si après avoir ainsi complété l’objet, la machine
ou l’instrument, le contrefacteur se livre à une nou
velle fabrication, il commet non un seul et même dé
lit, mais réellement un nouveau et second délit qui ne
saurait ni suspendre ni arrêter la prescription qui court
en faveur du premier.
694. — M. Nouguier ne l’admet pas ainsi pour tous
les cas, si, dit-il, le contrefacteur, organisant un système
général de concurrence, possède un établissement dans
lequel il fabrique, sans interruption, des objets sembla
bles aux objets brevetés, la fabrication étant continue,
le délit se compose d’une série de faits successifs et corfnexes qui ne sauraient être prescrits à leur date respec
tive mais seulement à la date du dernier de ces faits '.
695. — Cette doctrine ne serait juridique que si,
comme pour l’usure, par exemple, la loi ne faisait con
sister le délit de contrefaçon que dans l’habitude ; alors
en effet , chaque fait isolé n’est qu’un élément du délit
qui ne réside que dans leur répétition si elle est assez
1 N° 1081.
�259
fréquente pour constituer l’habitude. On comprend dès
lors que la prescription ne coure que du dernier de ces
actes.
Mais en matière de contrefaçon la loi ne se préoccupe
en aucune manière de l’habitude, chaque acte isolé, M.
Nouguier l’enseigne lui-même, constitue un délit don
nant lieu à une répression et à la nécessité de réparer
le préjudice.
Dès-iors, dans l’hypothèse prévue par M. Nouguier,
il y a non une série de faits aboutissant en définitive à
un délit, mais une série de délits qui se seront succédés
à des époques plus ou moins rapprochées, et dont la ré
pétition n’a en rien modifié ou altéré le caractère pro
pre à chacun d’eux.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
696. — M. Nouguier invoque à l’appui de son opi
nion, un jugement du tribunal correctionnel de Paris
du 12 juin 1856, qui la consacre, et que lui, M. Nou
guier , considère comme un véritable traité sur la
matière.
Or voici ce qu’il advint de ce jugement. La Cour de
Paris ayant cru devoir le confirmer, son arrêt fut déféré
à la cour de Cassation, et cassé, après délibération en
chambre du conseil, le 8 août 1857, et voici par quels
motifs :
« Attendu que si plusieurs délits sont commis par le
même individu, chacun d’eux est réglé par une pres
cription disticte ;
« Attendu que chaque fabrication d’objets en contre-
�LOI DU 6 JUILLET 1844
260
façon d’un brevet, forme un délit à part, qui a son exis
tence propre et sa prescription particulière ; que la fa
brication d’un nombre plus ou moins considérable d’ob
jets, ne peut être prise en bloc pour arriver à n’en faire
qu’un seul et même délit soumis,seulement dans son ensemple, à la prescription applicable au dernier des actes de
fabrication ; qu’il existe, en ce cas, plusieurs délits qui
se succèdent, mais non un délit successif; qu’en jugeant
le contraire, et en comprenant dans les causes de la
condamnation aux dommages-intérêts, même les fabri
cations complètes et les ventes d’objets contrefaits con
sommées antérieurement aux trois années qui ont pré
cédé la poursuite. L’arrêt attaqué a méconnu les carac
tères du délit successif et violé les art. 637 et 638 C.
inst. crim.'.
Là, à notre avis est la vérité légale et juridique. Ce
qui s’en induit c’est que le fabricant poursuivi comme
contrefacteur, n’a à rendre compte que des faits accom
plis depuis moins de trois ans ; que tous ceux qui re
montent à une date antérieure sont couverts par la pres
cription, alors même que la fabrication illicite se fut con
tinuée sans interruption.
697. — La controverse que la fabrication a fait naî
tre, ne s’est jamais élevée pour ce qui concerne le ven
deur. La doctrine et la jurisprudence ont admis que
chaque fait de vente est un délit consommé, qu’il y a
l D. P., 67, 408.
�SUR LES BREVETS D’iNYENTJON
261
donc autant de délits distincts qu’il y a de faits de vente.
C’est donc de la date de chacun d’eux que se calcule le
délai de la prescription en ce qui le concerne.
A plus forte raison, en est-il ainsi des faits d’intro
duction. Ces faits se particularisent mieux encore que
ceux de vente, en conséquence ceux qui remonteraient à
plus de trois ans seraient définitivement couverts par la
prescription.
698. — Mais si les objets fabriqués ou introduits
depuis plus de trois ans avaient été vendus par le fa
bricant ou par l’introducteur depuis moins de temps ,
l’action publique et l’action civile seraient recevables et
fondées. Si fabriquer, si introduire des objets contre
faits est un délit, la vente de ces objets constitue par elle
même un autre délit distinct. La prescription qui protège
l’un n’efface pas l’autre, et si le prévenu ne peut être
condamné comme fabricant ou introducteur, il devrait
l’être et le serait infailliblement comme vendeur s’il a
vendu depuis moins de trois ans.
Ainsi disait la Cour de Paris dans un arrêt de 26 juil
let 1828, le débit d’ouvrages contrefaits ne cesse pas d’ê
tre un délit lorsque la contrefaçon n’est plus un fait pu
nissable ; dès-lors malgré la prescription qui couvre le
fait de contrefaçon , le contrefacteur peut encore être
poursuivi et condamné à des réparations civiles comme
débitant de l’édition contrefaite.
Si l’arrêt ne soumet le débitant qu’à des réparations
civiles, c’est que s’agissant de contrefaçon littéraire, le
litige se trouvait régi par la loi du 19 juillet 1793, qui
�262
LOI DU
6
JUILLET
1844
distinguant le débitant du contrefacteur ne le soumet
qu’à payer à l’auteur une somme équivalente au prix
de 500 exemplaires de l’édition originale.
La loi de 4844 en matière de contrefaçon industri
elle ne faisant aucune distinction, assimilant au con
traire le débit à la contrefaçon et le soumettant à la même
peine, le contrefacteur ou l’introducteur qui échapperait
à cette peine' par le bénéfice de la prescription serait,
dans notre hypothèse, et comme vendeur passible non
pas seulement de dommages-intérêts, mais encore de
tous les effets de l’action publique.
699.
Les délits de recélé et d’exposition en vente
ont un caractère spécial et particulier. Ce qui constitue
le premier, c’est moins la réception des objets contrefaits
que leur détention. Donc, tant que celle-ci se réalise,
le délit se commet et se continue. En conséquence, le
délai de la prescription ne commence à courir que du
jour où la possession du détenteur cesse par la resti
tution ou la disposition des objets contrefaits.
Si après cette dépossession, le recéieur reçoit de nou
veaux objets contrefaits. Il commet un nouveau et se
cond délit qui à son tour ne se prescrira que dans la
condition que nous venons d’indiquer, mais qui ne sus
pendra ni n’arrêtera la prescription du premier, et si
son bénéfice est acquis au moment de la poursuite, ce
premier délit est éteint quelle que soit d’ailleurs la rece
vabilité de l’action pour le second.
L’exposition en vente peut durer un jour, un mois,
�263
un an, et si l’objet exposé est le même, il n’y a qu’un
seul et même délit. En conséquence, la prescription a
pour point de départ unique lejour de la dernière ex
position. D’ailleurs celle-ci de même que la première
est un délit, et où serait l’utilité de la prescription , si
protégé contre les conséquences de cette dernière, le pré
venu restait soumis pour celle-là aux effets de l’action
publique et de l’action civile.
Mais exposer successivement en vente des objets con
trefaits de diverse nature, c’est commettre successivement
le même délit, il pourrrait donc se faire qu’il y eut
prescription pour l’un , s’il était établi qu’il remonte à
plus de trois ans, et dans ce cas pas plus que dans les
précédents, l’imputabilité de l’autre ne pourrait enlever
le bénéfice de cette prescription.
SUR LES BREVETS D’iNVENTION
700. — La prescription de trois ans est interrompue
par un acte d’instruction ou de poursuite. Or, comment
refuser ou dénier ce caractère à la description ou à la
saisie que le breveté requerrait et ferait pratiquer ? Aussi
ne s’est-il élevé à ce sujet ni controverse ni doute.
Que si le breveté se bornait à déposer au parquet une
plainte en contrefaçon, la prescription ne serait pas in- '
terrompue. La plainte, en effet, n’a jamais été ni pu être
considérée comme un acte d’instruction ou de pour
suite. Elle touche si peu celui qui en est l’objet que, peutêtre, il ne la connaîtra jamais.
La plainte ne fait que provoquer une instruction ou
une poursuite ; et s’il y est donné suite, quels que soient
�LOI DU
6 JUILLET 1844
les actes dont elle est devenue l’occasion, la prescrip
tion est arrêtée et ne recommence à courir que de la date
du dernier de ces actes.
Quoique demeuré étranger à l’instruction requise d’of
fice par le ministère public et poursuivie sur son ini
tiative, le propriétaire du brevet profiterait de l’inter
ruption de la prescription que cette instruction détermi
nerait. L’action civile, eu effet, suit quant cà la prescrip
tion, le sort de l’action publique, elle ne s’éteint qu’avec
celle-ci. Elle ne saurait donc être prescrite tant que cette
dernière ne l’est pas elle-même, pour l’une comme pour
l’autre le point de départ de la prescription serait la date
du dernier acte d’instruction.
70!. — La prescription est un moyen d’ordre pu
blic auquel le prévenu ne renoncerait valablement ni di
rectement ni indirectement. Il peut donc l’invoquer en
tout état de cause, en appel pour la première fois. Le
juge peut et doit la déclarer d’office, ainsi le jugeait la
Cour de Paris le 24 février 1855 '.
Par application de ce principe, la Cour déclarait, le
31 août de la même année, que la prescription peut
être proposée, et à défaut, admise d’office, même après
une décision judiciaire ayant acquis l’autorité de la chose
jugée, et condamnant le prévenu à des dommages-inté
rêts à donner par états ; qu’en conséquence les juges ap
pelés à statuer sur les états fournis , et à fixer le chiffre
1 /. du P.. 1853, 2, 326.
�SUR LES BREVETS D’iNVENTION
265
des dommages-intérêts, doivent écarter les faits qui re
montant à plus de trois ans, se trouvent couverts par la
prescription 1.
702. — La prescription qui éteint le droit de pour
suite, peut aussi libérer le condamné des effets de la con
damnation. Mais à ce sujet il y a à distinguer entre la
peine encourue et prononcée sur l’action publique, et la
réparation accordée à la partie civile.
La peine se prescrit par cinq ans révolus, à compter
de la date de l’arrêt ou du jugement rendu en dernier
ressort, et pour les jugements rendus, en première ins
tance, à compter du jour où ils ne pourront plus être
attaqués par la voie de l’appel.
Mais ce n’est plus par ce laps de temps que se pres
crivent les dommages-intérêts. L’art. 642 Code inst.
crim. est formel à cet égard : les condamnations civiles
portées par les arrêts ou jugements rendus en matière
criminelle, correctionnelle ou de police, et devenues ir
révocables, se prescriront d’après les règles établies par
le Code Napoléon.
Or, si l’on s’en réfère à ce Code, la seule prescription
applicable aux droits conférés par les jugements ou ar
rêts, est la prescription trentenaire.
i Annales induslr., 1856, pag 203.
- m
-
�266
LOI DU
6 JUILLET 1844
TITRE VI
DISPOSITION S PA RTICU LIÈRES ET
t r a n s it o ir e s .
A rt. 50.
Des ordonnances royales , portant règlement
d ’adm inistration publique, arrêteront les dispo
sitions nécessaires pour l’exécution de la présen
te loi, qui n’aura effet que trois mois après sa
prom ulgation.
A rt. 51.
Des ordonnances rendues dans la même form e
pourront régler l’application de la présente loi
dans les Colonies, avec les m odifications qui se
ront jugées nécessaires.
A
rt.
52.
Seront abrogés, à com pter du jour où la pré
sente loi sera devenue exécutoire, les lois des 7
janvier et 2 5 mai 1 7 9 1 , celle du 2 0 septem bre
1 7 9 2 , l’arrêté du 1 7 vendémiaire an vu, l’ar-
�267
rêté du 5 vendémiaire an ix , les décrets de 2 5
novembre 1 8 0 2 et 2 5 janvier 1 8 0 7 , et toutes
dispositions antérieures à la présente loi, relati
ves aux brevets d’invention, d’importation et de
perfectionnement.
SUR LES BREVETS D’iNVENTlON
A rt.
53 .
Les brevets d’invention, d’importation et de
perfectionnement actuellement en exercice, dé
livrés conformément aux lois antérieures à la
présente, ou prorogés par ordonnance royale ,
conserveront leur effet pendant tout le temps qui
aura été assigné à leur durée.
A rt,
54 .
Les procédures commencées avant la promul
gation de la présente loi , seront mises à fin
conformément aux lois antérieures.
Toute action, soit en contrefaçon, soit en nul
lité ou déchéance de brevet, non encore inten
tée, sera suivie conformément aux dispositions
de la présente loi, alors même qu’il s’agirait de
brevets délivrés antérieurement.
�268
LOI DU 6 JUILLET
1844
SOMMAIRE
703 Ce titre par son caractère même n'est plus susceptible de
commentaire. Exécution qui lui a été donnée.
— Le titre vi n’a pas besoin de commentaire.
Destiné à régler la transition d’un régime à un autre, il
a produit tous ses effets et ne peut aujourd’hui être ap
pliqué même au point de vue de ses art. 53 et 54.
En effet, nous écrivons en 1867 et la loi est de 1844,
23 ans se sont donc écoulés et on ne saurait imaginer,
ni un brevet pris sous la loi ancienne qui ne fut pas
encore expiré, ni une procédure qui surgie de cette épo
que n’ait pas été définitivement vidée.
Le mode d’exécution de la loi n’a pas été fixé par un
règlement d’administration publique, mais une circulaire
ministérielle du premier octobre, et une instruction du
31 même mois signalent aux préfets les principales dis
positions de la loi, et indiquent l’application qu’elles doi
vent recevoir.
Un arrêté du 21 octobre 1848, et un décret du 5 juin
1850, déclarent la loi applicable aux colonies et à l’Al
gérie.
703.
�DEUXIÈME PARTIE
DES NOMS DES
FABRICANTS DES LIEUX DE
FABRICATION, DES MARQUES DE FABRIQUE
ET
DE COMMERCE.
AVANT-PROPOS.
SOMMAIRE
704 Protection que réclamait la propriété industrielle.
705 En quoi consiste cette propriété.
706 Nécessité de prévenir ou de réprimer les usurpations dont
elle peut être l’objet.
707 Véritable caractère de ces usurpations.
708 La marque est comme le nom une propriété, différence en
tre l’un et l’autre, conséquence.
709 Silence gardé à ce sujet par la législation antérieure à 1789,
motifs.
710 Lettres patentes des 5 mai 1779 et 4 juin 1780, ce qui les
rendit illusoires.
�270
AVANT - PROPOS
711
712
713
714
715
Effets du régime de liberté inauguré par la révolution.
Loi du 22 germinal au xi, son but, son caractère.
Premier tort, exagération de la peine.
Second tort, définition exclusive de la contrefaçon.
Cet état des choses confirmé par l’art 143 C. pén., le rendit
inefficace.
716 Lois de 1824 et 1857.
704. — La propriété quel que soit son principe, dit
M. Rendu, n’a de valeur effective qu’à la condition d’ê
tre protégée par la loi, le droit sans garantie est pure
ment nominal comme la morale dépourvue de sanction,
est inefficace '.
La propriété industrielle, fruit de l’intelligence, du
génie et du travail, se recommandait d’autant plus à la
sollicitude du législateur qu’elle était, par sa nature mê
me, plus exposée aux odieuses entreprises de ces spécu
lateurs éhontés qui ne reculent devant rien de ce qui
leur procure cette richesse qu’ils ambitionnent, de ces
frétons de l’industrie qui viennent dévorer le miel qu’ils
ne savent et ne peuvent produire par eux-mêmes.
Prévenir et réprimer ces coupables spéculation, était,
pour le législateur, un devoir que prescrivait, non pas
seulement un sentiment de justice pour ceux qui en souf
frent, mais encore l’intérêt public qui peut en éprouver
une profonde et dangereuse blessure. L’industrie et le
commerce, eneffet, sont les sources vives de la prospérité
de l’état. Que deviendraient-ils si des contrefaçons plus
i Marq. de fabrique. Ayant-propos, p. m.
�271
ou moins grossières pouvaient en avilir les produils les
plus justement célèbres et leur enlever toute confiance,
tout crédit <
AVANT - PROPOS
705. — L’une et l’autre ne peuvent s’obtenir que
par les efforts le plus soutenus que par une loyauté à
toute épreuve. Ils s’attachent au nom, à la marque d’un
fabricant ou commerçant, à la raison commerciale qu’il
a adoptée, un nom d’un lieu de fabrication réputé pour
la perfection de ses méthodes et la qualité supérieure de
ses produits. N’était-il pas, dès-lors, indispensable d’as
surer et de garantir l’usage libre et exclusif de ces noms
et de ces marques à ceux qui pouvaient légitimement en
revendiquer la propriété ?
Sans doute, la propriété et l’emploi d’un nom patronimique trouvaient une garantie dans les principes du
droit commun ; sans doute, encore l’abus qu’en faisait
un tiers, ouvrait à celui qui en était victime une action,
et lui conférait le droit de faire réprimer cet abus et
d’obtenir la réparation du préjudice qu’il en avait souf
fert. Mais cette action purement civile n’était pas un
frein assez efficace contre la mauvaise foi, et ne répon
dait que faiblement à la gravité de l’acte.
706. — De plus elle pouvait n’aboutir qu’à un ré
sultat illusoire. L’insolvabilité apparente ou réelle de l’u
surpateur rendait toute adjudication irrécouvrable,
amnistiait le passé et constituait une menace et un
danger pour l’avenir.
�m
AVANT - PROPOS
Puis, est-ce que l’intérêt public n’exigeait pas à son
tour une satisfaction de l’atteinte à laquelle on l’avait
exposé et une énergique garantie contre son retour ? La
concurrence déloyale que l’usurpation de noms et de
marques entraînait à sa suite, nuisait aux consomma
teurs en leur faisant payer font cher des marchandises
de nulle valeur et souvent impropres à l’usage auquel
elles étaient destinées, et cet effet tout déplorable qu’il
fut était encore loin de la gravité des conséquences
qu’elle était dans le cas de produire, qu’elle avait pro
duit pour notre industrie.
« C’est à ces manœuvres déloyale, disait le rappor
teur de la loi de 1834, que plusieurs branches de notre
industrie doivent la perte de leurs relations avec l’étran
ger qui leur a fermé ses marchés, du moment qu’il a
vu les plus grossières productions arriver chez lui sous
un nom qu’il était habitué à honorer, et qui avait, jus
que là, mérité et obtenu sa confiance. »
707.
En réalité donc l’usurpation du nom com
mercial est plus qu’une atteinte à l’intérêt privé, elle ne lèse
pas seulement celui qui en est victime dans sa considé
ration et dans sa fortune, elle blesse encore profondé
ment notre industrie nationale dont elle entrave et ar
rête le développement, et devient ainsi une menace et
un danger pour la prospérité publique.
La nécessité d’une énergique et sévère répression en
justifiait la convenance. Sa légalité ne pouvait, d’autre
part, soulever le moindre doute.
�273
708. — En effet, l’attentat contre les propriétés a
toujours été considéré et puni comme un délit. Or que
le nom commercial, que la raison sociale soit une pro
priété qui oserait le contester, ni l’un ni l’autre n’ont
jamais été dans le domaine public. Prendre un nom
qu’un autre a seul le droit de porter, une raison com
merciale que la loyauté et la droiture de son créateur a
rendu célèbre et qui doit être pour lui une source de for
tune, c’est évidemment commettre non pas seulement une
escroquerie, mais encore un vol qui s’aggrave des con
séquences fâcheuses qu’il entraîne pour l’intérêt public.
Sans doute, la marque n’est souvent qu’un emprunt
fait au domaine public, mais tout ce qui résultait de ce
caractère c’était, pour le législateur, le droit d’exiger du
premier occupant la manifestation publique de sa prise
de possession, et d’imposer les conditions à remplir dans
cet objet.
Ces conditions remplies , le droit exclusif est acquis,
l’emblème, le signe qui constitue la marque est devenu
une propriété particulière. Il était dès-lors nécessaire et
juste de faire pour les marques et dans une proportion
plus large, ce qu’on faisait pour les brevets d’invention."
Il n’est pas donné à tous de créer des méthodes, des
combinaisons, des produits nouveaux. Mais la rémuné
ration, qu’il était légitime d’accorder à leurs inventeurs,
pouvait-on raisonnablement la refuser à l’industriel qui
par son intelligence et ses sacrifices est parvenu a don
ner à sa marque une réputation qui assure à notre in
dustrie cette préférence que nous envie l’étranger?
AVANT-PROPOS
h
�i
AVANT-PROPOS
274
L’intérêt public si directement engagé dans un cas ne
l’est pas moins sérieusement dans l’autre. La protection
assurée à la marque n’est pas seulement un témoignage
de respect pour la propriété. Elle pousse au progrès par
l’encouragement qu’elle donne à persister dans la bonne
voie, par le sentiment d’émulation qu’elle provoque.
« Il est clair, dit l’exposé des motifs de la loi de 1857,
que celui qui voit sa marque recherchée par le public
trouve , dans son intérêt même, de fortes raisons de
faire d’incessants efforts d’intelligence et de loyauté afin
de lui conserver la préférence dont elle est l’objet ; il est
clair que l’exemple de marques honorées, recherchées
dans le commerce et devenues, pour ceux qui les possè
dent, une source de fortune, est pour les autres indus
triels une puissante incitation à marcher dans la même
voie. »
Le développement de notre industrie, le progrès de
notre commerce prescrivait d’entretenir et de favoriser
cette persévérance et cette émulation ; le moyen le plus
efficace d’y parvenir était de garantir à chacun la pos
session paisible et exclusive des avantages qu’il était par
venu à se créer par son travail et son intelligence ; une
entière securité dans l’emploi du nom ou de la marque
qu’il avait pu et su entourer de l’estime et de la con
fiance publique.
709. —■ La législation antérieure à 1789 n’était pas
en position de comprendre cette nécessité et d’y satisfaire.
Sous l’empire des jurandes et maitrises, il ne pouvait
�275
exister de marque particulière, puisque chaque corpo
ration avait la sienne, que chaque membre devait ex
clusivement employer. Quant au nom du fabricant, de
quelle valeur pouvait-il être alors que des - réglements
déterminaient, pour chaque nature de produits, l’espèce,
la qualité et le poids des matières premières ? Alors que
chaque corporation imposait le mode de fabrication et
se réservait l’inspection des opérations de la mise en
œuvre? Alors enfin que la moindre infraction à ces pres
criptions entraînait la confiscation des produits , des
amendes considérables, la dégradation de la maitrise
et jusqu’à l’exposition au carcan ?
AVANT-PROPOS
710. — Il est vrai que les lettres patentes des 5 mai
1779 et 4 juin 1780 atténuant cette rigueur, avaient
permis aux fabricants ou de se conformer aux régle
ments , ou de donner à leurs étoffes telles dimensions
et combinaisons qu’ils jugeraient convenables, mais ce
modeste palliatif loin de briser le lien ne parvint pas
même à le relâcher , parce que on refusait aux étoffes
non conformes aux réglements le passeport qui pouvait
seul en assurer la circulation et le débit.
L’effet de la réglementation avait été de faire impri
mer sur les produits le mot réglé qui était le certificat
de leur origine et de la vérification dont ils avaient été
l’objet. Ce certificat le public le recherchait et l’exigeait.
Or comme le mot réglé ne devait et ne pouvait pas fi
gurer sur les étoffes fabriquées conformément à la lattitude que laissaient les lettres patentes, ces étoffes étaient
�AVANT—PROPOS
276
tombées dans un tel discrédit qu’après quelques essais
malheureux on en était revenu au système de la régle
mentation pure et simple, au témoignage de l’exposé des
motifs de la loi de 1857, la marque facultative avait déjà
disparu en 1789.
711. — La révolution vint faire justice de toutes ces
entraves, mais le brusque passage d’un régime d’oppres
sion et de gêne à un régime de liberté complète et ab
solue ouvrit une large porte à l’excès et à l’abus. L’ex
périence autorisa bientôt à dire que si , sous l’ancien
régime le patronage s’était transformé en oppression et la
tutelle en servitude, sous le nouveau, la liberté avait dé
généré en licence.
A mesure en effet que par le résultat de travaux in
telligents, que par une fabrication perfectionnée, un
nom sortait avec éclat de la foule, une marque se re
commandait à l’attention et à la confiance du public, ce
nom et cette marque, livrés à l’avidité de concurrents
aussi apres à la fortune qu’incapables d’y arriver par
enx-mêmes, étaient audacieusement usurpés, prostitués
à des produits indignes de s’en couvrir.
Ce qui en résultait est facile à comprendre ; cette con
currence déloyale était un immense danger pour celui
qui en était victime ; elle l’exposait non-seulement à su
bir la plus profonde atteinte dans sa fortune, mais en
core à voir délaisser un nom ou une marque qu’il était
parvenu a entourer d’une juste réputation , et qu’une
scandaleuse et odieuse avidité deshonorait et avilissait
�277
à plaisir, sans souci de la plaie profonde que pouvaient
en éprouver notre industrie et noire commerce en gé
néral ; du préjudice qu’elle occasionnait aux consom
mateurs dont elle sollicitait et trompait si audacieuse
ment la confiance.
AVANT-PROPOS
712. — De toutes parts s’élevaient les plaintes et les
réclamations les plus vives ; de partout on sollicitait
l’intervention de la loi. Malheureusement, les agitations,
les troubles, les désordres qui accompagnèrent et suivi
rent notre grande renovation sociale, ne permettaient pas
d’accorder à ce grave sujet toute l’attention qu’il méri
tait. Dès qu’un calme , un moins relatif, eut succédé à
la tempête la profondeur de la plaie qu’une concurrence
déloyale sans fin creusait au commerce et à l’industrie
put être sondée, l’urgence d’y remédier comprise. La loi
du 2 2 germinal an xi fut promulguée, èt son article 16
déclare que la contrefaçon des marques particulières,
que tout manufacturier ou artisan a le droit d’appliquer
sur les objets de sa fabrication, donnerait lieu : 1 ” à des
dommages-intérêts envers celui dont la marque aura
été contrefaite ; 2 ° à l’application des peines prononcées
contre le faux en écritures privées.
715. — La gravité de la peine édictée indique l’in
tensité du mal. Mais cette peine, en dehors de toute
proportion avec le fait qu’il s’agissait de prévenir
ou de réprimer outrepassait le but et enlevait au
remède toute son efficacité. Faire de la contrefaçon
�AVANT - PROPOS
278
industrielle un crime, lui infliger une peine afflictive et
infamante, était une énormité qui répugnait à la cons
cience publique. L’expérience démontre que depuis la
loi de l’an xi, la contrefaçon ne s’était ni arrêtée ni ra
lentie, et à peine trouve-t-on quelques rares exemples
que son application ait été provoquée ou réalisée.
Les contrefacteurs trouvaient donc un motif de sécu
rité, une cause d’impunité dans la sévérité même qu’on
avait déployée contre leurs déloyales et odieuses entre
prises.
714. — A celte cause d’inefficacité s’en joignait une
seconde, on sait qu’en matière pénale on ne saurait
procéder par analogie. En dehors des faits formellement
prévus par la loi, il ne saurait exister ni crime ni délit
punissable.
Or l’art. 17 de la loi définissait la contrefaçon. La
marque sera considérée comme contrefaite quand on y
aura inséré ces mots : f a ç o n dL©........et à la suite
le nom d'un fabricant ou d'une autre ville. En pros
crivant celle locution exclusivement, l’article autorisait
par cela même toutes celles qui sans reproduire ses ter
mes sacramentels arrivaient au même résultat.
Cette conséquence ne pouvait échapper à la fraude, et
lui ouvrait une large porte derrière laquelle elle se mettait
à couvert ; elle se gardait bien d’employer les termes fa
çon de.... que la loi prohibait ; elle leur substituait ceuxci : à l'instar de.... près de.... rue de.... filature de....
et à la suite le nom d’un fabricant ou d’une ville.
�279
Puis les débitants qui n’avaient pas moins d’intérêt
que les fabricants au succès de la fraude, coupaient sur
le chef des pièces les mots à l'instar, près, rue ou
filature de.... et offraient ainsi aux consommateurs une
marchandise qui paraissait l’œuvre d’un fabricant re
nommé, ou provenir d’un lieu de fabrication célèbre.
Cette facile consommation de la fraude était une ré
compense et un encouragement pour ses auteurs qui
abusaient ainsi de l’impuissance où s’était placée la loi
quant à sa répression. Aussi le législateur de l’an xi n’a
vait-il rien prévenu, rien empêché, et les réclamations
auxquelles il avait entendu satisfaire continuèrent non
moins ardentes, non moins unanimes. I
715. — Le Code pénal de 1810 ne fit pas à cet
égard ce qu’il aurait pu et dû faire. Loin de corriger
l’excès'dans lequel était tombée la loi de l’an xi, il s’y
associa et le consacra. Ses art. 142 et 143 conservent à
l’usurpation des marques, le caractère de crime et lui
appliquent une peine afflictive et infamante, et comme
ils se taisent sur ses caractères constitutifs, c’était tou
jours à la loi de l’an xi qu’on devait recourir pour leur
détermination.
Le législateur avait donc manqué le but en le dépas
sant, il ne protégeait rien pour avoir voulu trop proté
ger. Les noms industriels les plus honorés, les marques
les plus recommandables , les lieux de fabrication les
plus célèbres restaient à la merci de ceux que l’avidité
et le désir de s’enrichir poussaient à se les approprier, à
AVANT-PROPOS
!
�AVANT-PROPOS
280
en faire le pavillon respecté qui couvrait leur propre in
capacité, le passeport des misérables produits qu’ils n’au
raient pu utiliser autrement.
— C’était là pour nos honnêtes industriels ,
pour nos commerçants loyaux un énorme préjudice et
un imense danger ; pour l’intérêt public lui-même une
atteinte funeste par le discrédit de nos industries au dé
veloppement desquelles on créait l’obstacle le plus in
surmontable. Il était donc indispensable de remédier à un
état des choses si funeste, et de faire droit enfin à des
réclamations qu’inspiraient la propriété violée , la mo
rale foulée aux pieds, l’intérêt privé méconnu , l’intérêt
public compromis.
La loi du 28 juillet 1824 fut un premier pas dans ce
sens, jusque là les noms des fabricants ou de lieux de
fabrication considérés comme marques particulières se
plaçaient sous l’empire de la loi de l’an xi, et n’étaient
pas protégés plus efficacement que les marques ellesmêmes. La loi du 28 juillet fait cesser cette confusion
et en ce qui les concerne, rend la protection plus efficace
et la répression de la contrefaçon plus facile et plus sure.
Seulement on a lieu de s’étonner que le législateur se
fut en 1824 arrêté à moitié chemin, et qu’il n’eût rien
statué sur les marques de fabriques ou de commerce.
Comme le nom lui-même, ces marques personnifient
l’origine des produits qui en sont revêtus, suppléent au
nom qu’elles remplacent. Leur contrefaçon n’entraine
pas des inconvénients moindres et est même plus usuelle
716.
�AVANT-PROPOS
281
que celle des noms, car elle a beaucoup plus de chances
de réussir.
Aussi les plaintes et les réclamations du commerce et
de l’industrie, ne cessèrent de se manifester et de se pro
duire. Leurs organes les plus autorisés les faisaient enten
dre dans toutes les occasions, et cette unanimité parvint
enfin à déterminer le gouvernement à accomplir l’œuvre
si heureusement commencée en 1824.
Dès 1847 une loi fut présentée qui après de patientes
études, après de minutieuses investigations , et sur les
observations des représentants du commerce et de l’in
dustrie consacrait la propriété des marques, en réglait
l’usage’et édictait la peine à appliquer aux contrefac
teurs ou imitateurs.
Les circonstances politiques qui se produisirent bien
tôt empêchèrent l’examen et la discussion de ce projet,
repris plus tard , il est devenu la loi promulguée le 23
juin 1857.
Cette loi et celle du 28 juillet 1824 forment aujour
d’hui le Code complet de la matière des noms et mar
ques de fabrique et de commerce, nous allons en exa
miner les dispositions, en déterminer le caractère et la
portée, signaler les difficultés que leur application a fait
ou peut faire naître, et la solution qu’elles ont reçues
ou qu’elles doivent recevoir.
�m
LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
LOI DU 3 4 JUILLET
OU
1824
SUPPOSITIONS
PRODUITS
9
—
SUR LES ALTÉRATIONS
DE
NOMS SUR LES
FABRIQUÉS.
—
A rt . ier.
Quiconque aura, soit apposé, soit fait apparaî
tre par addition , retranchement, ou par une
altération quelconque, sur des objets fabriqués,
le nom d’un fabricant autre que celui qui en est
l’auteur , ou la raison commerciale d’une fabri
que autre que celle où lesdits objets auront été
fabriqués , ou enfin le nom d’un lieu autre que
celui de la fabrication, sera puni des peines por
tées en l’art. 4^3 du Code pénal, sans préjudice
des dommages'intérêts s’il y a lieu.
Tout marchand, commissionnaire ou débitant
quelconque sera passible des effets de la pour
suite, lorsqu’il aura sciemment exposé en vente
ou mis en circulationles objets marqués de noms
supposés ou altérés.
�SDR LES NOMS
283
A rt. 2.
L ’infraction ci-dessus mentionnée cessera en
conséquence et nonobstant l’art. 17 de la loi du
1 2 avril i8o3 ( 2 2 germinal an xi) , d’être assi
milée à la contrefaçon des marques particulières,
prévue par les art. 142 et i43du Code pénal.
SOMMAIRE
717
718
719
720
721
Caractère de la loi, son but.
Elle était non-seulement légitime mais encore nécessaire.
Réponse de M. Chaptas aux objections qu’on lui adressait. En quoi consiste aujourd’hui la contrefaçon.
Le débitant qui aurait opéré le retranchement, est coupable
comme auteur.
722 II n’y a complicité que dans le cas de l’art. 2, légitimité de
la condition exigée par cet article.
723 Pénalité édictée par la loi, son caractère.
724 Applicabilité de l’art. 463 C. pén.
725 La confiscation est celle prévue et autorisée par l’art. 423
même Code.
726 Conséquences quant à la matière spéciale.
727 Peut-elle être prononcée en cas d’acquittement ?
728 Est forcée dans celui de condamnation.
728 bis Le juge peut-il ordonner la remise des objets confis
qués à la partie lésée ?
729 L'art. 463 C. pén. n’autorise pas le juge a refuser de pro
noncer la confiscation,
730 Résumé.
�284
LOI DU 2 8 JUILLET 1824
731 L’usage de son nom n’est permis qu’à la condition d’éviter
„ toute confusion entre deux établissements.
732 Arrêts indiqués comme décidant le contraire, examen.
733 Etendue de la condition, ses conséquences.
734 Jurisprudence.
735 L’identité du nom et prénon, n’autorise pas. l’interdiction
absolue, opinion contraire de M. Blanc.
736 Examen et réfutation.
737 Arrêts dans notre sens.
738 Dans quels cas cette interdiction serait autorisée. Arrêt de
la Cour de Paris.
739 Association frauduleuse dans le but de nuire à un concur
rent.
739 bis Vente ou cession, du nom.
740 Résumé.
741 Faculté de prendre un nom imaginaire, usage à cet égard.
742 Décisions qui l’ont consacrée.
743 Arrêt dans l'affaire du papier Job.
744 Droit du propriétaire du nom emprunté d’en faire interdire
745
746
747
748
749
750
751
752
753
754
755
l’emploi
Peut-on joindre à son nom le nom de famille de sa femme.
Arrêt notable de la Cour de Poitiers.
Son caractère juridique.
De la qualification de veuve, de fils, de frère, d’oncle, de
neveu, de cousin.
De celle d’ancien ouvrier, d’élève ou d’apprenti. Opinion de
M. Blanc.
Opinion de M. Rendu.
Distinction entre l'ouvrier et l’élève ou l’apprenti, droit de
ces derniers.
L’héritier de l’établissement peut se dire successeur du
précédent propriétaire.
Comment se règle le droit des enfants à cette qualification.
Droit du cessionnaire à l’égard des fils du cédant.
A l’égard du cédant lui-même.
�SUR LES NOMS
285
756 A l’égard de sa famille.
757 Dissentiment à ce sujet avec MM. Rendu et Gastambide.
757 bis A l’égard des tiers.
758 Peut-on verser son nom dans une société pour unique mise
de fonds ?
759 Dans tous les cas, comment se règle la propriété de ce nom
à la dissolution de la société.
760 Le co-licitant peut-il faire insérer dans le cahier de charges
l'interdiction de créer un établissement du même genre.
761 Droit pour tous les associés de se qualifier d’anciens asso
ciés de....
762 Perpétuité de la propriété du nom, conséquence quant à
l’invention tombée dans le domaine public.
763 1" exception à l’interdiction de se servir du nom de l’in
venteur.
764 Seconde exception, conditions.
765 Arrêts de la Cour de Paris pour les limes Spencer et Stubs.
766 Examen et critique de quelques-uns de ses motifs.
767 Doctrine de la cour de Cassation sur l’objet de cette cri
tique.
768 L’étranger est recevable à invoquer le bénéfice de la loi
de 1824.
769 Opinion contraire de M. Gastambide, appréciation.
770 Jurisprudence.
771 Contradiction qu’a soulevée celle de la cour de Cassation
exigeant la réciprocité.
772 Appréciation.
773 La loi protège le nom commercial, conséquence quant à la
qualification désignant l’établissement ou les produits.
774 Décision pour l’élixir de la Chartreuse.
774 bis La propriété de la désignation remplaçant le nom, n’est
pas subordonnée au dépôt.
775 Les Carmes ont seuls le droit à la qualification d’eau de mé
lisse des Carmes.
�286
LOI DU
28
JUILLET
1824
776 Droit exclusif des sociétés anonymes à la qualification qui
les désigne.
777 L’usurpation déguisée doit être réprimée, exemples.
778 Autres exemples.
779 L'emploi de simples initiales n’est pas une usurpation, opi
nion contraire de M. Blanc.
780 Examen et réfutation.
781 Arrêt de la cour de Cassation à l’appui.
782 Véritable sens des termes : apposé sur, le faux nom inscrit
sur les étiquettes, enveloppes, boîtes etc., constitue le
délit d’usurpation.
783 La loi n’est pas applicable aux produits naturels du sol.
784 Motifs qui légitiment la prohibition d’usurper les noms de
lieu.
785 Objections opposées, réponse par le rapporteur de la cham
bre des pairs.
786 Que faut-il entendre par lieu de fabrication ?
787 Droit des industriels de la banlieue ou du voisinage.
788 Les fabricants de vins peuvent leur donner le nom de crû
où que soit située la cuve vinaire.
789 Droit des propriétaires ou vignerons de prendre le nom du
quartier où se trouve leur vignoble.
789 bis II en est de même pour les produits minéraux, extraits
du même banc.
790 La fabrication d’eaux minérales artificielles, est licite.
791 La loi de 1824 ne protège pas les villes étrangères.
792 Actions qu’engendre le délit d’usurpation de noms.
793 Droit du fabricant, et des industriels du lieu dont le nom a
été usurpé.
794 Ces derniers pourraient-ils intervenir dans la poursuite in
tentée par l’un d’eux.
795 Droit des consommateurs.
796 Du ministère public.
797 Devant qui doit être portée l’action publique ou l’action
civile.
�SUR LES NOMS
287
798 Prescription de l’une et de l’autre. Renvoi.
798 bis Autorisation donnée à la douane de saisir d’office les pro
duits étrangers portant le non d’un fabricant ou d’un
lieu de fabrique français, envoyés en transit.
717. — Le législateur de 1824 en présentant le pro
jet aux chambres législatives, obéissait à une nécessité et
cédait aux vœux unanimes-du commerce et de l’indus
trie. Ce projet, disait l’exposé des motifs, n’est pas moins
conseillé par l’expérieuce que réclamé par nos villes
manufacturières, par les conseils généraux de leurs dé
partements. Vous l’accueillerez, nous n’en doutons pas,
avec une égale sollicitude puisque ses dispositions doi
vent avoir pour effet de donner de nouvelles garanties
à la fabrication, au débit de nos produits industriels, et
d’accroître par là, dans l’étranger comme dans l’inté
rieur du royaume, la juste réputation dont ils jouissent.
Cette prévision ne fut pas trompée, pénétrées delà jus
tice des réclamations du commerce, de la nécessité de
les prendre en sérieuse considération, nos chambres lé
gislatives s’associèrent avec empressement aux intentions
du gouvernement, et consacrèrent la loi qui leur était
demandée.
Que l’altération ou la supposition de noms fut une
grave atteinte à l’intérêt privé, personne n’aurait osé le
contester. La concurrence déloyale qui résulte de l’un
ou de l’autre ne laissait pas le moindre doute à ce su
jet. Mais pouvait-on légalement élever cette atteinte à
la hauteur d’un crime ou d’un délit ?
�288
LOI DU
28 JUILLET 1824
A ceux qui auraient été tentés de faire cette question,
l’honorable rapporteur de la chambre des pairs, M. Chaptal, répondait :
« Les dispositions du projet sont justes en ce qu’el
les donnent une garantie à la propriété industrielle, je
dis propriété ! Et en est-il de plus sacrée que le nom
d’un fabricant qui, par un travail assidu, par une con
duite sans tache et des découvertes utiles, s’est placé ho
norablement parmi les bienfaiteurs de son pays?
« Ce que je dis des individus je le dirai des villes
où.des fabricants sont parvenus à créer des genres d’in
dustrie que la supériorité et la qualité constante des pro
duits ont fait apprécier de tous les peuples consomma
teurs ; souvent le nom de la ville apposé sur les pro
produits commande seul la confiance et forme une ga
rantie aux yeux de l’acheteur, et s’il était permis de
revêtir de ce nom des produits inférieurs, la confiance
serait bientôt retirée , et la France perdrait infaillible
ment plusieurs genres d’industrie qu’il importe à sa
gloire et à sa prospérité de conserver.
« Le nom d’un fabricant devenu célèbre par la supé
riorité constante de ses produits, la fidélité et la bonne
foi dans ses relations commerciales, de même que celui
d’une ville qui a créé un genre d’industrie connu et ré
puté dans toutes les parties du monde, sont donc plus
qu’une propriété privée , ils forment une propriété na
tionale. Les produits qui sont revêtus de ces noms sont
admis partout avec confiance, et elle est telle, cette con
fiance, que dans plusieurs lieux de grande consomma
tion on les reçoit sans rompre balle. »
�$89
SUR LES NOMS
Fallait-il s’arrêter devant le principe absolu de la li
berté des transactions? Non, ajoutait M: Chaplal, sans
doute, l’industrie doit être libre, c’est le seul moyen d’en
hâter le progrès et d’exciter l’émulation. Mais il ne doit
pas être permis d’usurper un nom respectable pour
colporter la fraude, pour décrier impunément un ma
nufacturier, pour deshonorer un nom jusque là respecté
et fermer des débouchés au commerce d’une nation.
« Eh bien ! qu’on tolère tacitement de fausses ins
criptions sur les étoffes ; que la loi reste muette sur les
usurpations de noms ; que le consommateur n’ait plus
une garantie sur laquelle puisse reposer sa confiance,
dès ce moment , nos relations commerciales avec les
étrangers sont dissoutes. C’est donc un véritable délit
qu’il appartient à la loi de réprimer. »
7 Ï8 . — Ces considérations étaient irréfutables, elles
justifiaient la gravité de l’usurpation, et établissaient ses
conséquences non-seulement au point de vue de l’inté
rêt privé mais encore à celui de l’intérêt public et géné
ral, il était donc légal et juste qu’en protégeant l’un la
loi, garantit, par une sanction pénale énergique, le res
pect dû à l’autre, et réprimât sévèrement les atteintes
dont le menaçait l’usurpation déloyale des noms.
La gravité et la certitude de ces atteintes n’avaient
d’ailleurs rien d’hypothétique. L’expérience ne permettait
pas même le doute ; la loi de l’an xi ne s’était pas bor
née à faire de l’usurpation des noms un délit, elle l’a
vait considérée et punie comme un crime, mais nous
îi ■— 19
�290
LOI DU
28 JUILLET 1824
venons de voir et de dire avec quelle facilité et par quels
moyens on en éludait les dispositions, et la fraude avait
pris des proportions telles que, dans la discussion lé
gislative, on révélait ce fait ; que des commissionnaires
à l’exportation commandaient périodiquement au pre
mier venu cinquante, cent pièces d’étoffes à la condi
tion qu’il les marquerait du nom d’un fabricant en re
nom ou d’un lieu de fabrication réputé.
On osait même dans des circulaires imprimées mais
signées à la main et datées d’un lieu quelconque, annon
cer au public qu’on fabriquait des rubans de St-Etienne,
des soiries de Lyon, des draps de Louviers, deSédan ou
d’Elbeuf qu’on offrait eu gros à des prix plus avanta
geux que ceux que pouvaient faire ces fabriques.
Les débitants ne manquaient pas de puiser à ces sour
ces ils y trourvaient l’avantage de vendre à des prix su
périeurs les marchandises qu’ils avaient payées moins
cher et d’augmenter ainsi considérablement le bénéfice
de leur revente. Ils avaient donc un intérêt évident à fa
voriser la fraude qu’ils consommaient en lui assurant
les débouchés les plus importants.
Ce qui en résultait, c’est que inondés de produits in
férieurs couverts des noms le plus honorables, les mar
chés français et étrangers se fermaient successivement ;
que ces noms perdaient ainsi leur valeur, et que notre
industrie notionale minée dans sa source tombait dans
le discrédit et le marasme.
s
719. — Ce qui a droit d’étonner, c’est que des abus
�1
SDR LES NOMS
291
c’est que des fraudes aussi funestes, aussi préjudiciables
pour les consommateurs que pour nos honnêtes et lo
yaux industriels aient pu si longtemps impunément se
produire ; que la répression s’en soit fait attendre jus
qu’en 1824; c’est enfin que la loi qui demandait et
proposait cette .répression ait soulevé des oppositions et
des contradictions.
Ne lui reprochait-on pas, en effet, de créer un pri
vilège, un monopole en faveur de quelques-uns contre
l’intérêt de tous, et cela sans nécessité réelle. Car, di
sait-on, les consommateurs sont toujours à même de
distinguer à l’achat les degrés de qualité d’une étoffe.
C’était là étrangement se méprendre sur le caractère
de la loi, et s’étayer sur la contre vérité la plus évi
dente. Il n’était ni dans le texte ni dans l’esprit de la loi
d’empécher qui que ce soit d’exercer tel ou tel commerce,
de se livrer à telle ou telle industrie, chacun à cet égard
est entièrement libre de suivre ses inspirations, de n’é
couter que ses convenances. Tout ce qu’elle exige c’est
que les produits de celui-ci ne se revêtent pas du nom
de celui-là, ou que ce qui est fabriqué et confectionné
dans une ville ne soit pas déclaré l’avoir été dans une
autre. Est-ce donc constituer un privilège, créer un mo
nopole que de vouloir que chacun puisse jouir exclusi
vement du fruit de ses labeurs, et profiter de la réputa
tion que sa loyauté et la supériorité de sa fabrication
lui ont légitimement acquis ?
« Non, disait avec raison M. Chaptal, il n’y a ni mo
nopole ni privilège, toutes les fois qu’il est permis à tout
�â92
LOI DU 28 JUILLET 1824
fabricant d’imiter et de copier la méthode et les procé
dés d’une manière quelconque. Il ne s’agit ici que de
donner une garantie légale à la propriété des noms qu’il
n’est pas permis d’usurper.
« Non, le consommateur ne peut pas apprécier la
marchandise qu’il achète, il ne peut juger que ce qui tom
be sous les sens ; l’œil et le tact suffisent-ils pour pro
noncer sur la solidité des couleurs, pour déterminer avec
précision le degré de finesse d’une étoffe, la nature et
la bonté des apprêts ? Dans les premières années de la
révolution, les bonnes couleurs de la fabrique de Lyon
s’étaient altérées et bientôt nos soiries furent repoussées
par le Nord. Ce n’est qu’en revenant à ses couleurs so
lides que cette importante fabrique a pu retrouver ses
anciennes relations. »
Le reproche était, donc, injuste, sans fondement réel,
il ne pouvait faire repousser une loi dont l’adoption ré
pondait à une nécessité sociale et ne pouvait aboutir qu’à
maintenir le commerce dans cette voie de loyauté seule
capable d’en développer l’essor, qu’à donner une nou
velle sanction à ce principe d’éternelle justice mum cuique tribuito.
720. — L’utilité et la convenance de la loi reconnues
et admises, il fallait en assurer l’efficacité, et pour cela
déserter les errements de l’ancienne législation qui avaient
tant contribué à son insuccès : la définition de la con
trefaçon d’une part, l’excès de la peine de l’autre.
A quoi bon, en effet, s’en tenir à une formule sa-
�m
cramentelle si facile à éluder qu’elle rendait en quelque
sorte le délit insaisissable ? Que pouvait-on vouloir? As
surer à chaque industriel, à chaque centre de fabrica
tion le fruit de la réputation qu’il était parvenu à se
créer. Quoi de plus simple, quoi de plus naturel, dèslors, que d'interdire d’une manière générale et absolue
l’emploi et l’usage du nom de cet industriel ou de ce
lieu à tout autre qu’à celui ou qu’à ceux qui étaient en
droit de l’inscrire sur leurs produits ?
Est-ce que la fraude était moins certaine, moins pré
judiciable de ce que au lieu de façon de.... ou disait :
à l'instar de.... près ou rue de.... filature de....? Quelle
était la raison d’une indication de ce genre si ce n’est
l’intention de créer une confusion et d’abriter sous un
pavillon honorable et honoré des produits qui ne pou
vaient que le discréditer et le perdre ? De créer une con
currence déloyale et de s’approprier le bien d’autrui ?
Ces considérations expliquent la généralité des termes
de l’art. 1 er quiconque aura, soit apposé, soit fait ap
paraître par addition, retranchement, ou par une al
tération quelconque etc.... ainsi la question de savoir si
le délit reproché existe est entièrement laissée à la cons
cience du juge, quel que soit le moyen employé, quel
que déguisement qu’elle ait emprunté la fraude pourra
être atteinte et punie.
Désormais, le fabricant ou manufacturier ne peut ins
crire sur ses produits d’autre nom que le sien, d’autre
lieu de fabrication que celui ou il a son établissement ou
sa fabrique. Ainsi se trouvent également condamnées et
SUR LES NOMS
�294
LOI DU 2 8 JUILLET t8 2 4
proscrites toutes ces locutions à l’aide desquelles ou bra
vait impunément la prohibition de la loi.
721. — Le projet préparé par le gouvernement se
bornait à déclarer passible de la peine ceux qui auraient
par une altération quelconque, soit apposé, soit fait ap
paraître et.... La commission de la chambre des députés
demanda et obtint de faire insérer dans l’article les
mots par addition ou retranchement elle pensa avec
raison qu’il était nécessaire d’atteindre les débitants qui
consommaient la fraude en coupant sur le chef des pièces
les indications qui auraient pu empêcher la confusion.
La loi de l’an xi, en effet, assurait l’impunité à tous
autres qu’aux fabricants qui préparaient la fraude, elle
n’avait ni prévu ni réprimé la complicité dont pouvaient
se rendre coupables les débitants ou commissionnaires.
Le paragraphe 2 de notre art. 1er comble cette regret
table lacune. Mais il n’y a réellement complicité que si
le débitant, marchand ou commissionnaire se borne à
vendre, exposer en vente ou mettre en circulation les ob
jets frauduleusement revêtus d’un nom supposé.
Que si modifiant l’indication imaginée par le fabricant,
il lui fait subir une altération ou un retranchement, il de
vient auteur principal de la fraude et passible de la pei
ne an même titre que le fabricant lui-même, seulement
ce qui constituerait pour celui-ci le délit par addition,
est pour lui le délit par altération ou retranchement.
722, — La nécessité de prévoir et de punir ceux
I
�SUR LES NOMS
295
qui, sans participer ii la fraude , l’avaient cependant
consommée s’imposait d’elle-même. N’est-ce pas, en ef
fet, en interdisant à la fraude les débouchés qui en as
surent le succès qu’on parviendrait à la réprimer effica
cement.
Cependant, ni la loi de l’an xi, ni les articles 142 et
143 du Code pénal , n’avaient rien statué sur le débit
d’objets revêtus de noms supposés ou altérés, ils ne pu
nissaient que l’auteur de la supposition ou de l’altéra
tion, et voici la singulière anomalie qui en résultait.
Le contrefacteur français pouvait être découvert et
atteint. Mais l’usurpation de nos noms les plus recom
mandables n’avait pas moins d’attrait pour l’étranger
que pour les français, et le premier échappant forcément
-à nos lois trouvait dans cette impunité un motif de s’y
livrer sur la plus vaste échelle.
De là pour notre commerce et notre industrie la con
currence la plus dangereuse sur le marché français luimême. L’impunité assurée au débit et à la circulation
des contrefaçons étrangères leur permettant de venir le
disputer à nos produits, et à des prix auxquels la su
périorité de ceux-ci ne leur permettait pas de descendré.
Il n’en sera plus ainsi désormais, si les peines pro
noncées par notre loi, ne peuvent atteindre le fabricant
étranger, elles atteindront ses produits, en punissant les
marchands, commissionnaires ou débitants quelcon
ques qui les auront vendus, exposés en vente ou mis en
circulation.
�296>t
LOI
DU
28
JUILLET
1824
iMais en ce qui les concerne, la culpabilité ne pouvait
résulter du fait lui-même , elle n’est acquise que s’ils
ont agi sciemment, et c’était justice. L’erreur n’a ja
mais,pu constituer un délit. Le débitant peut avoir ignoré
le véritable caractère des objets qu’il vend, expose en
vente ou met en circulation ; il peut avoir été trompé le
premier. Que pouvait-on dès-lors lui reprocher ?
Cette bonne foi et cette ignorance peuvent se ren
contrer chez le marchand de deuxième ou troisième
main, mais comment les supposer chez celui qui trai
tant directement avec le fabricant, reçoit et accepte de
lui des produits portant un nom autre que le sien, in
diquant un lieu de fabrication autre que celui où il a
son établissement ?
Comment les présumer chez celui qui correspondant
ou commissionnaire d’un étranger en reçoit ou lui de
mande des marchandises portant l’indication d’une ori
gine française. A qui persuadera - t - on qu’il a été de
bonne foi, puiser en Allemagne, en Belgique ou en An
gleterre des soiries de Lyon ou des draps de Sédan, de
Louviers ou d’Elbeuf?
Quoiqu’il en soit, c’est au tribunal saisi de la pour
suite qu’il appartient de décider souverainement si le
débitant a ou non agi sciemment. Si oui, la peine est
encourue soit qu’il n’y ait encore que tentative par l’ex
position en vente, soit que tout se borne à la mise en
circulation des objets délictueux.
Les termes exposés en vente, ont ici la même signi
fication que dans l’art. 41 de la loi de 1844 sur les bre-
�297
vêts d’invention, le délit n’existe donc qu’aux conditions
que nous avons indiquées
Le délit de mise en circulation a soulevé une grave
difficulté. Est-ce la mise en circulation en France seument, et pour livrer à la consommation que la loi a
entendu punir, ou bien atteint-elle même le simple pas
sage en transit ?
Un arrêt de la cour de Cassation du 7 décembre
1854 se prononce dans ce dernier sens, et décide en
conséquence que la défense faite aux commissionnaires
de mettre en circulation en France les marchandises
qu’ils savent être revêtues de noms usurpés de fabricants
français, s’étend même aux marchandises de prove
nance étrangère dont le passage en France n’aurait lieu
qu’en transit \
N’est-ce pas, en effet, ce qui s’induisait des termes de
l’art. 1er ? Si la loi n’avait entendu atteindre que la cir
culation qui aboutit à la consommation en France, elle
se fut bornée à prohiber cette consommation, c’est-àdire la vente ou l’exposition en vente qui tend à la réa
liser.
Pourquoi d’ailleurs dans la même hypothèse parler
du commissionnaire qui renfermé dans les limites de
son industrie est nécessairement étranger à la vente ou
à l’exposition en vente ? Si donc la loi le place sur la
même ligne que le marchand et débitant, c’est qu’elle
SUR LES NOMS
/
1 S u p ra n» S67.
2 D. P., 55, 348
1
�298
loi du 28 juillet 1824
lui prohibe de servir d’intermédiaire entre le vendeur et
l’acheteur, entre l’expéditeur et le destinataire dès qu’il
s’agit d’objets frauduleux et lésifs. Or, pouvait-il être per
mis de faire pour l’étranger l’acte qu’on ne peut accom
plir pour le français ?
Au reste le doute s’il avait pu exister, aurait été levé
par l’article 19 de la loi du 23 juin 1857 qui prohibe
à l’entrée et exclut du transit et de l’entrepôt tous pro
duits étrangers portant soit la marque, soit le nom d’un
fabricant résidant en France, soit l’indication du nom
ou du lieu d’une fabrique française, et permet à la
douane elle-même d’en opérer la saisie 1. Il est dèslors évident que le commissionnaire qui sciemment en
faciliterait ou en opérerait le passage sur notre territoi
re, encourrait la peine prononcée par la loi de 1824.
725. — Quel était le caractère réel des faits prévus
et prohibés par l’art. 1er? Quelle était en conséquence
la peine à édicter ?
De la détermination de ces deux points dépendait le
succès delà loi. L’assimilation de l’usurpation du nom
d’un fabricant ou d’un lieu de fabrication au faux
en écritures privées , ne pouvait se justifier? Comme
nous l’avons dit elle répugnait tellement à la conscience
publique, que les parties lésées elles-mêmes n’osaient
invoquer le bénéfice de la loi.
Suivre à ce sujet les errements de la loi de germinal
�299
an xi et des articles 142 et 143 du Code pénal, c’était donc
fatalement aboutir au résultat qu’ils avaient entraîné ,
c’est-à-dire à l’inefficacité absolue des dispositions nou
velles.
Il fallait donc revenir à la vérité des choses, restituer
à la supposition de nom son caractère de délit et le pu
nir comme tel.
Cela donné, l’art. 423 C. pénal, offrait une sanction
utile et suffisante, il y a entre les faits qu’il prévoit et
ceux que la loi de 1824 réprime une telle similitude
qu’on s’explique parfaitement une identité de peine.
Donc la supposition ou l’usurpation d’un nom de fa
bricant ou d’un lieu de fabrication est passible d’un
emprisonnement de trois mois au moins, d’un an au
plus et d’une amende qui ne pourra excéder le quart
des restitutions et dommages-intérêts, ni être au-dessous
de 50 francs.
SUR LES NOMS
724. — L’intervalle entre le minimun et le maxi
mum permet au juge d’avoir égard aux circonstances
qui pourraient solliciter et mériter l’indulgence, et l’ap
plicabilité de l’art. 463 C. pén., porte cette faculté d’ap
préciation à sa dernière limite. .
Il est vrai que la loi se tait sur cette applicabilité,
mais elle n’avait pas à s’en expliquer, en renvoyant pour
la peine à l’art. 423 du Code pénal elle excluait tout
doute à ce sujet.
Le résultat de ce renvoi, en effet, est que l’emprison
nement et l’amende sont prononcés par le Code pénal
�300
LOI DU 28 JUILLET 1824
lui-même, dès-lors, aux termes de l’art. 463, son applicabilité ne pouvait ni être méconnue ni souffrir la
moindre difficulté,
725. — Indépendamment de l’emprisonnement et
de l’amende, l’art. 423 prescrit obligatoirement la con
fiscation des objets du délit ou de leur valeur, mais
seulement dans le cas où ces objets appartiennent encore
au vendeur.
Cette restriction s’explique par l’hypothèse que cet
article régit. Sa disposition suppose en présence le ven
deur et l’acheteur qui a été trompé soit sur la matière,
soit sur la quantité. Or il eût été souverainement in
juste, si celui-ci a payé l’objet qu’il a acquis, de le con
fisquer en ses mains et d’ajouter à la tromperie dont il
a été victime le préjudice qui pouvait résulter pour lui
de la perte de l’objet quelque minime qu’en fut la va
leur.
Il est vrai qu’il avait dans tous les cas un recours
contre son vendeur. Mais que de frais, de démarches, de
soucis pour aboutir quelquefois à voir le recours échouer
devant l’insolvabilité réelle ou apparente du vendeur.
Cette chance pouvait à elle seule décourager la pour
suite, empêcher toute plainte, et laisser impunie une
fraude que la loi a voulu dans un intérêt général pré
venir et reprimer.
726. — Dans l’hypothèse prévue par la loi, de 1824
ce n’est plus l’acheteur trompé seul qui aura: à se plain-
�301
dre ou à poursuivre. Le plus souvent l’action sera in
tentée, soit d’office, soit par le fabricant dont le nom a
été usurpé, ou par un industriel de la localité fausse
ment indiquée ; et dirigée tantôt contre le fabricant, tan
tôt contre le marchand , commissionnaire ou débitant
quelconque.
Relativement au fabricant en la possession duquel les
objets délictueux ont été trouvés et saisis aucun doute ne
saurait exister. On ne saurait, en effet, en ce qui le con
cerne prévoir et admettre un acquittement. Si la plainte
est fondée, il sera inévitablement condamné, et les ob
jets du délit lui appartenant bien certainement, la con
dition à laquelle l’art. 4Ü53 subordonne la confiscation ,
est acquise, et cette confiscation peut et doit être pro
noncée.
SUR LES NOMS
727. — Il n’en est pas de même du prévenu de
vente, d’exposition en vente ou de mise en circulation ,
pour lui la cetitude du caractère délictueux des objets ne
suffit plus. Il n’est punissable que s’il est déclaré avoir
agi sciemment. Mais la bonne foi qui déterminera l’ac
quittement n’influera en rien sur le caractère des objets
revêtus d’un nom usurpé ou supposé. Ils n’en seront pas
moins délictueux. Pourra-t-on en prononcer la confis
cation ? Dans quel cas ?
Que la confiscation soit considérée comme une peine
par l’art. 423 C. pén. C’est ce qui ne saurait être mé
connu ni dénié. Comment dès-lors la concevoir dans
l’hypothèse d’un acquittement ? On pourrait ne pas en
admettre la possibilité.
�3 02
LOI DU
28
JUILLET
1824
Mais, nous l’avons déjà dit, en notre matière, il y a,
outre la culpabilité de l’agent la culpabilité des objets,
s’il est permis de s’exprimer ainsi. L’acquittement qui
fait évanouir la première n’est que la conséquence de
l’ignorance de la seconde. Il laisse donc subsister
celle-ci et ne saurait dès-lors faire obstacle à ce que la
justice ordonne toutes les mesures propres à empêcher
un usage ultérieur qui constituerait un délit.
Supposez qu’un prévenu pour détention de faux poids
ou de fausses mesures soit acquitté , ces faux poids ou
ces fausses mesures en seront ils moins confisqués et
détruits? Or, est-ce que les objets contrevenant à la loi
de 1824 ne sont pas faux ? Où serait donc la raison qui
interdirait pour eux la juste et nécessaire précaution au
torisée pour les autres.
Nous pensons donc que la confiscation peut être pro
noncée même en cas d’acquittement, mais à la condi
tion édictée par l’art. 423 à savoir.si les objets appar
tiennent encore au vendeur, ou si la valeur lui en est
encore due, en s’en référant purement à cet article la
loi de 1824 en a par cela même accepté toutes les dis
positions.
Donc, si le prévenu acquitté sur la prévention de
vente, d’exposition en vente ou de mise en circulation
a payé son vendeur ou l’a réglé en effets négociables,
la confiscation des objets ne peut être prononcée à son
détriment.
Mais, pourrait-on objecter, n’est-ce pas là tomber
dans l’inconvénient qui autorise la confiscation même
�303
en cas d’acquittement ? Le prévenu acquitté laissé en
possession des objets délictueux ne les vendra t-il pas au
grand préjudice du propriétaire du nom, au détriment
des consommateurs qu’il trompera ?
Sans doute, il pourrait le faire, mais il ne le fera pas,
son intérêt en est un sûr garant. En effet tout fait de
vente, d’exposition en vente ou de mise en circulation
des objets délictueux donnerait lieu à une nouvelle pour
suite et cette fois avec la chance assurée d’une condam
nation. Comment, en effet, prétendrait-il n’avoir pas
agi sciemment celui qui par le jugement qui l’a ac
quitté , a été suffisamment édifié sur le caractère des
objets qui avaient motivé la poursuite des effets de la
quelle sa bonne, foi et son ignorance ont pu seules le
garantir ?
On peut donc être certain que s’il dispose ultérieure
ment des objets laissés en ses mains, il ne le fera qu’après avoir détruit et fait disparaître le nom dont l’u
surpation frauduleuse en constituait l’illégitimité.
SUR LUS NOMS
728. — En cas de condamnation les objets du délit
qu’ils se trouvent en mains du fabricant ou du débitant,
marchand ou commissionnaire, doivent être confisqués.
L’art. 423, en effet , ne confère pas une faculté, il im
pose un devoir : les objets du délit s e r o n t confis
qués.
Or si pour le fabricant le délit consiste à apposer ou
à faire apparaître le nom d’autrui sur les produits de
son industrie , pour le débitant ce délit réside dans le
�304
LOI DU
28
JUILLET
1824
fait d’avoir vendu, exposé en vente ou mis en circula
tion ces produits frauduleux sachant qu’ils l’étaient. Dèslors les objets qui se trouvent en leurs mains appartien
nent bien à l’auteur du délit, et la condition exigée par
l’art. 423 est évidemment réalisée.
7 2 8 .bis — Si la confiscation est prononcée sur la
poursuite de celui dont le nom a été usurpé, le tribu
nal pourra-t-il ordonner que les objets saisis lui seront
remis ?
L’art. 423 est absolu, on ne saurait en induire l’autorisation d’ordonner cette remise au plaignant. Mais
les hypothèses qu’il régit ne permettaient ni de prévoir
ni d’admettre la nécessité de cette autorisation. Il ne s’y
agit en effet que de la tromperie consommée au préju
dice d’un acheteur, et d’une poursuite au nom ou sur
la plainte de celui-ci. Dans cet état des choses, c’est
aux mains de l’acheteur que se trouvera forcément l’ob
jet du délit, si bien qu’il ne peut être confisqué que s’il
appartient encore au vendeur. Comment dès-lors, eûton prévu la possibilité d’une remise à l’acheteur?
Tout autre est l’hypothèse de la loi de 1824, le délit
qu’elle prévoit ne préjudicie encore qu’à celui dont le
nom a été usurpé et qui a seul qualité et droit pour en
poursuivre la repression. Pourquoi, dès-lors, le tribunal
n’ordonnerait-il pas la remise des objets confisqués en
ses mains comme premier élément de la réparation qui
lui est due ?
Il nous semble que la loi de 1857, sur les marques,
�305
aurait tranché le doute qu’on aurait pu se faire avant sa
promulgation. En effet, son article 14 confère au tribu
nal la faculté d’ordonner que les produits confisqués
soient remis au propriétaire de la marque contrefaite
ou frauduleusement apposée ou imitée, et l’art. 19 dé
clare l’art. 14 applicable au cas ou les produits étran
gers sont frauduleusement revêtus d’une marque ou d’un
nom français.
Sans doute, en matière de délit, on ne peut raison
ner par analogie, mais ce principe ne se réfère qu’à
l’existence du délit, ou à l’application de la peine. Or,
dans notre hypothèse il ne s’agit ni de l’une ni de l’au
tre, et le prévenu condamné est même fort désintéressé
à la solution. La remise des objets confisqués à la par
tie lésée n’aggrave en rien sa position puisque dans le
cas contraire ces objets confisqués au profit du trésor
n’en sont pas moins perdus pour lui.
Son intérêt réel est même que celte remise s’effectue,
car la valeur des objets qui en feront la matière contri
buera à la réparation à laquelle il est tenu, et dimi
nuera d’autant les dommages-intérêts à allouer à ce titre.
Nous croyons donc que le tribunal a la faculté de
prononcer celte remise et qu’il ne doit pas hésiter à en
user lorsque, par la position du condamné, la partie lé
sée serait exposée à n’obtenir qu’une réparation illusoire
en dehors de cette remise.■ #
SUR LES NOMS
729. — nous venons de dire que l’art. 463 C. Pén.
s’applique aux délits d’usurpation de noms. Donc si les
ii
—
20
�----
,
!
306
LOI DU 28 JUILLET 1824
circonstances paraissent atténuantes , les juges peuvent
réduire l’amende au-dessous de seize francs et l’empri
sonnement même au-dessous de six jours, ou prononcer
séparément l’une ou l’autre de ces peines.
Mais pourrait-on en vertu de ce même article s’abs
tenir de prononcer la confiscation ?
Cette question s’est présentée à la cour de Cassation
dans une espèce où s’agissant de faux poids, le tribu
nal de simple police d’Hesdin avait motivé son refus
de les déclarer confisqués sur les circonstances atténuan
tes permettant d’appliquer l’art. 463.
Pourvoi du ministère public, le 27 septembre 1833 ,
arrêt qui casse le jugement ;
« Attendu que, quelque atténuantes que fussent les
circonstances, les fausses mesures devaient être confis
quées, la confiscation ayant pour objet de retirer de la
circulation et du commerce des instruments qui ne pré
sentent pas la garantie légale. »
Dans un second arrêt du 4 octobre 1839, la Cour su
prême est plus explicite encore au point de vue du prin
cipe : « Attendu qu’on ne saurait admettre que l’art.
463 ait entendu donner la faculté de faire remise de la
confiscation puisqu’il ne .parle que des réductions ou
remises dont peuveut être susceptibles l’emprisonnement
et l’amende." »
Si cette interprétation est juridique, et qui oserait sou
tenir le contraire, notre question se trouve résolue. Dans
1 D, P., 40, \, 377.
�307
les délits prévus par notre loi la confiscation s’impose
par la nécessité de retirer de la circulation et du com
merce des objets qui préjudicient à celui dont le nom
a été usurpé et sont de nature à tromper les consom
mateurs. Voilà pourquoi l’art. 423 la prescrit obligatoi
rement. Si elle est un devoir pour le juge, rien ne sau
rait le dispenser de le remplir, il faudrait pour cela
qu’un texte précis et formel l’y autorisât. Ce texte ne
peut être l’article 463 qui limitant le droit d’atténuation
à la réduction de l’emprisonnement et de l’amende ,
l’exclut par cela même pour les peines que la loi atta
che accessoirement à l’un ou à l’autre.
StJR LES NOMS
730. — En résumé, la loi de 1824 a, avec toute
raison considéré comme un délit l’usurpation des noms
de fabricants ou de lieux de fabrication; se plaçant au
point de vue du péril que cette usurpation peut faire
courir à l’intérêt général, elle en garantit la prohibition
par une triple sanction : l’emprisonnement, l’amende,
la confiscation.
Mais elle n’a pas négligé les justes et légitimes exi
gences de l’intérêt privé, aussi réserve-t-elle les dom
mages-intérêts qui peuvent ère dus à la partie lésée, elle
n’avait rien autre à faire à ce sujet. Le principe, en ef
fet, était déjà écrit dans l’art. 1382 Code Napoléon, et
s’il est en commerce ou en industrie un fait dommagea
ble, c’est sans contredit la concurrence déloyale dont
l’usurpation de noms peut devenir l’occasion et le sujet.
�28 JUILLET 1824
731. — Pour que la loi de 1824 soit applicable au
point de vue de la pénalité, il faut que le délit qu’elle
prévoit existe. Or l’usage d’un nom commercial ou in
dustriel ne constitue pas toujours l’usurpation de ce nom,
par exemple, si celui à qui cet usage est reproché ne
fait en définitive que se servir de son nom propre et per
sonnel.
En droit naturel et civil, l’emploi du nom qu’on a reçu
en naissant est non une simple faculté mais un devoir ;
que ce nom soit porté par deux ou plusieurs personnes
le droit est le même pour tous , et son exercice ne sau
rait être un privilège en faveur de l’un plutôt que de
l’autre.
Mais il est en commerce des nécessités qui s’impo
sent parce qu’elles ont leur fondement dans l’intérêt pu
blic et général, devant lequel cèdent et s’effacent le droit
et l’intérêt privé. Une des plus impérieuses de ces néces
sités est sans contredit celle de conserver et de faire res
pecter ces noms industriels qui par leur célébrité déve
loppent notre commerce et contribuent tant à la gloire
et à la prospérité delà nation.
Pouvait-il être qu’à la faveur du droit individuel et
au bénéfice d’une similitude de nom ou put venir s’ap
proprier les profits d’une réputation péniblement, loya
lement acquise, dresser autel contre autel, et prostituer
à des produits inférieurs et par conséquent avilir et dis
créditer les noms les plus célèbres ?
« Sans doute, disait devant la cour de Cassation M.
le rapporteur Mestadier,la liberté de l’industrie est por-
308
LOI DU
�309
tée jusqu’à la dernière limite ; mais sahojure alieno ;
et le nouveau commerçant, libre de combattre par tous
les moyens légitimes de succès, ne peut cependant com
battre sous la banière de celui qu’il trouve déjà établi ;
il est forcé d’arborer un autre drapeau. »
Ce qui l’exige ainsi c’est, nous le répétons, non pas
seulement le juste respect du droit acquis, mais encore,
mais surtout l’atteinte que l’intérêt public peut souffrir
d’une confusion qui aboutit à tromper le public, et lèse
si gravement le commerce et l’industrie par le discrédit
qu’elle jette sur leurs meilleurs produits.
SUR LES NOMS
732. — Les tribunaux n’ont donc pas hésité ; et
s’ils ont autorisé l’homonyme d’un négociant déjà établi
à se servir de son nom, ce n’est qu’en lui imposant l’o
bligation d’arborer un nouveau drapeau de nature à
prévenir toute confusion.
On a signalé comme contraires deux arrêts l’un de la
Cour de Bordeaux du 25 juin 1841, l’autre de la cour
de Cassation du 24 novembre 1846, mais en examinant
les espèces sur lesquelles ils sont intervenus l’un et l’au
tre on est bientôt convaincu qu’ils n’ont pas la signifi
cation qu’on veut leur donner.
Il est vrai que la Cour de Bordeaux pose en principe
que les personnes qui ont le même nom paironimique
ont un droit égal à s’en servir , et que l’une d’elles ne
peut interdire cet usage à l’autre sous prétexte qu’elle
�310
LOI DU 28 JUILLET t824
en éprouve un préjudice quelconque puisque leur droit
résulte du même principe
Mais le demandeur en suppression signait Charles
Jobit et Cie, et le défendeur, Louis-François Jobit. Il
n’y avait donc aucune confusion possible. L’adjonction
par le nouveau venu de ses prénoms à son nom patronimique en faisait une personne distincte et constituait
ce nouveau drapeau dont parlait M. Mestadier.
En cet état, la Cour de Bordeaux ne pouvait juger
autrement qu’elle ne l’a fait. Le nom patronimique n’a
jamais été ni pu devenir une propriété exclusive, il ap
partient à tous ceux qui ont le droit de le porter, et si
les exigences commerciales ont pu en réglementer l’em
ploi, cette règlementation n’a jamais abouti à une inter
diction absolue pour l’un en faveur de l’autre.
On n’a jamais exigé qu’une seule chose, à savoir que
cet emploi ne créât pas une confusion entre les deux
maisons. La doctrine et la jurisprudence ont été de tous
temps unanimes à ce sujet.
« Il n’y a pas délit de supposition de nom, enseigne
M. Gastambide, lorsque le fabricant imitateur porte luimême le nom qu’il appose sur ses produits, il n’importe
que ce fabricant ait entrepris tel ou tel genre de com
merce par suite de la ressemblance de nom existant en
tre lui et tel fabricant de réputation. Tout ce que peut
obtenir le fabricant imité c’est que son imitateur soit
�311
tenu , tout en inscrivant le môme nom , de diffé
rencier l’ensemble de l’étiquette ou de l’inscription »
Jamais les tribunaux n’ont accordé autre chose. Ils
n’ont jamais imposé au nouveau venu que l’obligation
de différencier son établissement de l’ancien ; et chose
remarquable le moyen qui leur a paru le plus propre à
créer cette différence a été l’adjonction d’un ou de plu
sieurs prénoms au nom patronimique.
Or, cette adjonction Louis-François Jobit l’avait réa
lisée spontanément et avant toute demande, il était allé
par conséquent au-devant de toute légitime réclamation,
au-devant même de l’injonction que la justice se serait
bornée à lui faire. L’impossibilité de confondre la mai
son Louis-François Jobit avec la maison Charles Jobit
et Cie, explique et justifie l’arrêt de Bordeaux.
Dans l’espèce de l’arrêt de la cour de Cassation il s’a
gissait de deux frères, établis dans la même localité, exer
çant la même industrie et s’appelant tous deux Nico
las Stevenel ;
Le cadet, dernier établi avait pour se distinguer de
l’ainé, pris la qualification de Nicolas Stevenel jeune ,
et l’avait annoncé par circulaire à ses correspondants.
Mais ceux-ci se bornant quelquefois à adresser leurs let
tres à Nicolas Stevenel, l’administration de la poste ,
conformément à ses règlements, ne remettait la lettre
au véritable destinataire qu’après l’avoir ouverte en pré
sence des deux frères.
SUR LES NOMS
1 De la Contref., p. 452.
�toi DU 28 JUILLET 1824
312
C’est cet état des choses que l’aîné voulait faire ces
ser, il s’adressait donc à la justice et demandait, non
que son frère cessât de se dire Nicolas Stevenel, mais
que toutes les lettres qui ne porteraient à l’avenir que
cette adresse lui fussent personnellement et directement
remises,
Cette prétention acceuillie par le tribunal de St-Dié,
fut repoussée par la Cour de Nancy et c’est le pourvoi
contre l’arrêt de celle-ci que la cour de Cassation reje
tait le 24 novembre 1846.
Les motifs de ce rejet en fixent le caractère et la por
tée : « Attendu, dit la cour suprême, qu’il ne s’agit de
prononcer ni sur une enseigne antérieure contre la
quelle une enseigne semblable aurait été apposée, ni sur
une raison de commerce à laquelle une raison de com
merce semblable aurait été opposée, mais de deux in
dividus portant et ayant droit de porter les mêmes
noms et prénoms.
» Qu’en cet état la Cour de Nancy a pu, plaçant ces
deux individus sur la même ligne, les renvoyer l’un et
l’autre à se pourvoir, en cas de difficultés, conformé
ment au réglement de l’administration des postes sans
violer aucune loi '.
Aurait-on voulu que la cour de Cassation et la Cour
de Nancy eussent déclaré que le frère cadet s’interdit
de signer Nicolas SteVenel ? Mais l’aîné ne le demandait
même pas, et dès-lors en en consacrant la faculté, les
• 1 D. P., 47, 4, 69.
�313
magistrats ne faisaient que sanctionner un droit libre
ment et volontairement reconnu et accepté par celui-là
même qui pouvait s’en plaindre.
Il n’est donc pas possible d’élever la décision de la
cour de Cassation à la hauteur d’un principe autorisant
dans tous les cas et d’une manière absolue l’emploi d’un
nom connu par un homonyme, principe qui abouti
rait infailliblement à enlever au commerce et à l’indus
trie les garanties que le législateur de 1824 a entendu
leur assurer. N’aboutirait-il pas en effet Aautoriser la con
currence déloyale la plus effrénée, à encourager ces avi
des spéculateurs toujours prêts à se ruer sur les noms
les plus honorables pour acquérir cette fortune à la
quelle leur incapacité et leur ignorance ne leur permet
tent pas d’atteindre ?
SUR LES NOMS
733. — Cette déplorable conséquence pourrait-elle
faire qu’on interdit à un individu le droit de se servir du
nom qu’il a reçu en naissant et qui a été le patrimoine
de sa famille? Personne ne l’a jamais soutenu et aucun
tribunal ne l’a jamais admi., On n’a jamais cru que ce
droit dut complètement s’effacer même devant les exi
gences de l’intérêt public. Ce dont on s’est préoccupé,
c’est de les concilier de manière à ne sacrifier ni l’un
ni les autres.
Ainsi nous venons de rappeler les paroles des M. le
conseiller Mesladier dans son rapport sur l’affaire Nico
las Stevenel. Du principe qu’il ne pouvait pas être per
mis au nouveau venu de combattre sous la bannière de
�314
LOI DO 28 JUILLET 1824
celui qu’il trouve déjà établi, il conclut, non que ce nou
veau venu devra ne pas user de ce nom, mais qu’il sera
obligé d’adopter une différence, une addition à son nom,
un signe distinctif qui prévînt les méprises et conservât
tous les droits avec franchise et loyauté, et il ajoutait
que dans l’espèce Nicolas Stevenel avait satisfait à cette
obligation en se qualifiant Nicolas Stevenel le jeune.
734. — 1 de très rares exceptions nécessitées parla
gravité des circonstances, la jurisprudence a suivi ces
errements.
Ainsi par arrêt du 8 janvier 1821, la Cour d’Aix dé
clare que la nécessité d’une distinction est imposée par
l’intérêt général du commerce lui-même; d’où l’obli
gation pour l’établissement nouveau de différencier sa dé
nomination de manière à ce qu’elle ne puisse être con
fondue avec celle de l’établissement ancien qui a pour
lui l’antériorité de la possession.
En conséquence sur la poursuite des sieurs Roure com
missionnaires de roulage, elle ordonne non que le concur
rent ne pourra se servir du nom de Roure qui est égale
ment le sien, mais qu’il reprendra la dénomination de
Roure aîné, fils de François qu’il avait d’abord em
ployée.
Le tribunal de Paris dans un jugement acquiescé du
5 mars 1856 décide que si le sieur Pineau a le droit
incontestable de s’établir sous son nom, et de mettre ce
nom sur ses magasins, il y a lieu de lui interdire toute
concurrence déloyale et d’ordonner, dans ce but, les me-
�315
sures nécessaires pour éviter la confusion qui pourrait
exister aux yeux du public entre les deux maisons.
Comme telles le tribunal prescrit la suppression des
mots maison Pineau, l’adjonction du prénom René qui
devra précéder le nom et l’obligation de les inscrire l’un
et l’autre sur la même ligne eten caractères identiques
Nous pourrions citer bien d’autres exemples car les
tribunaux n’ont jamais compris que les exigences com
merciales pussent autoriser à interdire à un individu
l’usage de son nom, ils n’y ont vu que la nécessité de
régler cet usage de manière que nul ne vint, au béné
fice d’une ressemblance dans le nom, profiter d’une ré
putation légitimement acquise, et créer une confusion
préjudiciable pour un établissement en renom, et qui
n’aboutirait qu’à tromper le public.
SUR LES NOMS
755. — Le remède est facile lorsque les prénoms
diffèrent, l’adjonction au nom d’un ou de plusieurs de
ces prénoms suffit alors pour différencier les deux éta
blissements et empêcher de les confondre.
Mais on peut prévoir qu’à l’identité du nom patronimique, se joindra celle du ou des prénoms. Faudra-t-il
dans ce cas interdire au nouveau venu l’usage et l’em
ploi de son nom ?
M. Et. Blanc enseigne l’affirmative, le nouveau venu,
1 Annales de la propriété in d u str., 4857 , pag. 54.V . Aix, 16 no
vembre 1863, B u lletin des A rrêts d 'A ix, 1864, p. 41 ; Paris, 28 juillet
4835.
�LOI DU 28 JUILLET 1824
316
dit-il, n’a rien a perdre à cette interdiction. Le nom
d’un fabricant qui est au début de sa carrière n’a aucune
valeur industrielle ; son devancier, au contraire, serait
exposé à perdre le fruit d’une réputation loyalement ac
quise. Aussi nous estimons que la justice ne fait pas
assez pour le premier occupant lorsqu’elle se borne à
imposer au nouveau venu qui porte les mêmes nom et
prénom, l’obligation d’ajouter à son nom une dési
gnation quelconque. Malgré cette désignation il est à
craindre que la confusion naisse toujours de la ressem
blance les noms, la fraude serait d’ailleurs trop facile
736. — Le nouveau venu n’a rien à perdre à l’in
terdiction de se servir de son nom ! mais ce nom sans
valeur industrielle au début est peut-être destiné a de
venir un des plus recommandables du commerce et de
l’industrie et ce patrimoine d’honneur et de considéra
tion celui qui l’a acquis par sa loyauté et son intelli
gence ne pourra l’attacher à son nom, le léguer à ses
enfants 1
D’ailleurs sous quel nom s’établira celui h qui on
interdira le sien ? Ne viendra-t-on pas lui contester ce
lui dont il s’affublera et auquel il n’a évidemment au
cun droit ? Il faudra donc qu’il courre cette chance ou
qu’il renonce a un genre d’industrie auquel l’appelaient
ses convenances, son aptitude, ses goûts, les études de
sa jeunesse !
1 De la contrefaçon, pag. 743,
�317
L'opinion de M. Blanc que M. Rendu admet, mais
d’une manière moins absolue aboutirait donc à une
énorme injustice , elle violerait à l’encontre du nou
veau venu le principe de la propriété du nom, celui
de la liberté absolue du commerce et de l’industrie
et créerait en faveur du premier occupant le monopole
le plus intolérable, et cela contre toute raison, et sans
nécessité réelle.
M. Gastambide nous le disait tout à l’heure, tout ce
que peut exiger le premier établi, c’est que l’établisse
ment nouveau se distingue du sien et ne devienne pas
l’objet d’une confusion dommageable. La justice fait
donc tout ce qu’elle peut et doit faire lorsqu’elle prescrit
les mesures propres à prévenir et à empêcher cette confu
sion et ce but est évidemment atteint lorsque à côté de
son nom le dernier venu est obligé d’inscrire une dési
gnation spéciale qui personnifie son établissement.
SUR I.ES NOMS
737. — C’est ainsi que l’ont toujours compris et
pratiqué nos tribunaux, qu’on nous permette de le jus
tifier par quelques exemples.
Le sieur Arsace Seignette avait fondé à la Rochelle
une maison de commerce d’exportation des eaux de vie
qui avait bientôt acquis unp éclatante réputation sous
la raison A. Seignette. Après sa mort sa veuve et ses
héritiers continuèrent de se servir de ce nom.
Une maison de Surgères qui comptait parmi ses
1 Marq. de fabrique, n° 405.
�LOI DU 28 JUILLET 1824
318
membres un sieur Elysée Seiguette et exploitait la même
industrie, crut pouvoir se servir du nom A. Seignette ;
mais après une saisie préalable de sept pièces d’eau de
vie portant cette désignation, un procès s’engage et la
maison de la Rochelle conclut à ce qu’il soit interdit
à celle de Surgères d’user même du nom de Seignette
qu’elle soutient être sa propriété exclusive.
La défenderesse prétend qu’elle n’a fait qu’user du
droit qui lui appartenait : 1“ parce que l’un des inté
ressés porte le nom de Seignette ; 2° parce que le frère
de celui-ci Alexandre Seignettes a autorisé la société à
se servir de ses nom et prénom ; 3° parce que l’agent
de la maison de la Rochelle aux États-Unis lui a cédé
pour deux ans la faculté d’user de la dénomination A.
Seignettes.
Le tribunal civil de la Rochelle repousse tous ces mo
yens, condamne la maison de Surgères à briser la mar
que à feu qui sert à imprimer la signature A. Seignette,
lui fait inhibitions et défense d’employer à l’avenir cette
signature ainsi que toute autre qualification qui pourrait
la faire confondre avec la maison de la Rochelle, et dans
le cas où elle voudrait se servir du nom de Seignette,
lui ordonne de le faire précéder du prénom Élysée ou
Alexandre ou tout autre, qui sera empreint en toutes let
tres et en caractères de m%es forme et dimension que
le nom de Seignette lui-même.
Sur l’appel de ce jugement la Cour de Poitiers le con
firmait par arrrêt du 12 juillet 1833 '.
! D. P., 33, 2, 2SS.
�319
Ainsi les juges n’admettent pas la possibilité d’inter
dire l’usage du nom patronimique. Ils consacrent au
contraire qu'en adoptant pour marque un nom qui peut
être commun à plusieurs, on ne peut prétendre à la
propriété exclusive de ce nom, ni en déshériter ceux
qui ont droit de le porter ou d’en faire usage.
Voici qui est plus précis encore :
M. Gustave Laurens exploitait depuis longtemps dans
un des quartiers de Marseille une pharmacie qui avait
acquis une grande réputation. Un de ses cousins s’ap
pelant comme lui Gustave Laurens s’établit pharmacien
dans un quartier voisin et s’intitule G. Laurens, une ac
tion en suppression de nom s’engage devant le tribunal
de Marseille.
Cette suppression n’est pas prononcée, seulement il
est ordonné par le jugement que le nouvel établi sup
primera l’initiale G. et fera suivre le nom de Laurens
de la qualification de cousin laquelle sera inscrite en
caractères de mêmes forme et dimension que le nom
lui-même; le tribunal reconnaît que le propriétaire de
la pharmacie ancienne a un droit acquis à la dénomi
nation commerciale sous laquelle son établissement est
connu, que cette dénomination est aussi sa propriété ;
que s'il est vrai que les dénominations commerciales
se tirent des noms du maître d’un établissement, une
dénomination nouvelle doit êtreformèe de manière à
être distinguée de l'établissement ancien malgré l'i
dentité des noms de deux chefs d'exploitation '.
SUR LES NOMS
1 Annales induslr., 486\, pag W .
�320
LOI DU 28 JUILLET 1824
Le tribunal avait raison, rien ne peut faire que celui
qui crée un établissement industriel ou commercial soit
empêché de se servir de son nom, mais il ne saurait
être non plus qu’à la faveur de l’identité de noms et de
prénoms on vienne spéculer sur une réputation loyale
ment et honorablement acquise, s’en appliquer le pro
fit au risque de la discréditer et de l’avilir. Il y a donc
en présence deux droits également sacrés , également
respectables, et il s’agit et ne peut s’agir de sacrifier
l’un à l’autre, il n’y a qu’à les concilier, et à veiller à
ce que leur exercice ait lieu dans des conditions telles
que l’intérêt de chacun soit sauvegardé et protégé dans
une juste et équitable limite. 11 suffit de prévenir et
d’empêcher que cet exercice, ne dégénère en concur
rence déloyale, et pour cela de prescrire des mesures
telles qu’une confusion entre les deux établissements soit
impossible,
738. — Les tribunaux ne l’ont jamais compris au
trement, et s’ils ont interdit quelquefois à un individu
l’usage de son nom,'ce n’a été que dans des circons
tances telles que cet usage était non l’exercice d’un droit
mais le moyen prémédité de créer une concurrence frau
duleuse.
Ainsi par arrêt du 1 8 juillet 1 8 6 1 , la Cour de Paris
prohibe à un industriel qui s’appelait Leblanc Deferrières, d’adjoindre le nom de Leblanc à celui de Deferrières.
Mais cet industriel n’avait exercé jusque là le com-
�321
merce que sous ce dernier nom, il n’avait ajouté le nom
de Leblanc que depuis qu’un autre individu de ce nom
s’était établi dans la môme maison et y exerçait avec
succès une industrie similaire.
La pensée qui avait présidé à cette adjonction n’avait
rien de douteux ; elle n’avait évidemment été conçue
et exécutée que dans le but de créer une concurrence
déloyale, que pour détourner l’achalandage du dernier
venu dans la maison. Aussi la Cour de Paris considèret-elle avec raison, que la question n’est pas de savoir si
(ce qui ne saurait être mis en doute) l’appelant a le
droit et le devoir de prendre, dans la vie civile, tous
les noms que lui donnent les actes de son état eivil,
mais de décider si, alors que depuis longtemps il était
connu dans le commerce sous le nom unique de Deferrières, c’est loyalement qu’il l’a fait précéder, sur son
enseigne et ses factures, du nom de Leblanc, à compter
de l’époque où Leblanc intimé, qui exploite un genre
de commerce semblable au sien, est venu habiter la mê
me maison que lui ; si, enfin , établi au 3me étage de
cette maison, il lui est permis au moyen d’enseignes
nouvellement apposées portant les noms de Leblanc-Deferrières, de faire à Leblanc, qui demeure au 4me, une
concurrence d’autant plus dangereuse que la confusion,
résultant de la similitude de nom, entraînerait néces
sairement chez lui une partie de la clientèle de l’intimé.
La question ainsi posée, et il était impossible de la
poser autrement, sa solution ne pouvait être douteuse.
L’acte reproché n’était plus le légitime exercice d’un
SDR LES NOMS
n — 21
�3ââ
LOI DU
6
JUILLET
1844
droit, mais un fait déloyal et frauduleux, dommageable
qu’il importait de prévenir et de réprimer.
Ainsi l’avait pensé le tribunal de commerce de la
Seine, dont la Cour confirmait le jugement, mais par
respect pour le droit de se servir de son nom, l’arrêt
déclare que l’interdiction cessera le jour où l’une des
parties n’habitera plus la même maison
739. — Il est donc bien évident que cet arrêt puise
son fondement unique, dans la nécessité de proscrire
la concurrence déloyale de quelque manière et sous
quelque forme qu’elle se produise. Cette concurrence ,
en effet, est le fléau des industries honnêtes qu’elle ruine
et déshonore, lever rongeur qui minant le commerce dans
sa base appelle sur lui la méfiance et le discrédit et crée
l’obstacle le plus dangereux à son développement.
La doctrine est unanime à ce sujet, et son enseigne
ment n’a trouvé dans la jurisprudence qu’une éclatante
et constante adhésion. Pénétrés du devoir que leur im
pose l’intérêt public lui-même , nos magistrats n’ont
pas hésité à proscrire l’usage du nom lui-même, lors
que par une association fictive avec le propriétaire de
ce nom, un industriel n’a obéi qu’à une intention de con
currence déloyale.
Un arrêt de la CourdeParisdu 6 mars 1851, nous offre
un remarquable exemple d’application de cette doctrine.
La maison veuve Clicquot et Ponsardin de Rheims ,
s’était acquis une grande réputation dans le commerce
1 Journal de Marseille, 1866, 2, 70.
�323
des vins de Champagne. Un sieur Fisse ayant dans ses
celliers une grande quantité de ces vins imagina qu’il
s’en déférait plus facilement et surtout plus avantageu
sement s’il pouvait les offrir sous le nom réputé de Clicquot.
Il se met donc en campagne et ayant découvert à Pa
ris un individu du nom de Clicquot, simple employé
dans une maison d’assurance, il simule aussitôt une so
ciété sous la raison Clicquot et Cie, dont il se dit simple
commanditaire, dont le siège est à Rheims, et qu’il place
sous la gérance d’un sieur Frantz jusque-là commis chez
un négociant de Rheims et qui reçoit seul le pouvoir et
le droit de signer de la raison sociale. Clicquot continue
de résider à Paris et de remplir son emploi dans la
Compagnie d’assurance au service de laquelle il était
attaché.
La maison veuve Clicquot et Ponsardin s’émeut de
cette entreprise et du préjudice matériel et moral qu’elle
est exposée à en souffrir. En conséquence elle ajourne
Fisse, Clicquot et Frantz devant le tribunal de commerce
de Rheims, pour entendre dire qu’inhibitions et défense
leur seront faites de vendre les vins sous le nom de
Clicquot.
Le tribunal considérant l’acte de société comme sé
rieux et sincère, ne croit pas pouvoir interdire à la rai
son sociale l’emploi du nom de Clicquot qui est celui
d’un des associés, mais sur l’appel la Cour de Paris in
firme et prononce cette interdiction.
SUR LES NOMS
« Considérant, dit l’arrêt, que tous les documents du
�1844
procès, et notamment de ces circonstances ; que Louis
Clicquot n’habite pas la ville de Rheims siège de la so
ciété ; qu’il n’est pas commerçant ; qu’il se trouvait en
1850 hors d’état, par son insolvabilité, d’apporter au
cuns fonds dans une entreprise commerciale ; et encore
de la position qui lui est faite dans la société, il résulte
la preuve que Louis Clicquot n’a été appelé à faire par
tie de la société dont s’agit qu’en raison de son nom
seul, et dans l’espoir, qu’à l’aide de ce nom, la société
nouvelle profiterait du crédit commercial dont jouit la
maison veuve Clicquot et Ponsardin ; qu’il est égale
ment certain que le nom de Clicquot a été, pour le
même motif compris dans la raison sociale de la nou
velle société et se trouve dans la marque apposée sur ses
bouchons ;
« Considérant que cette spéculation imaginée dans le
but ci-dessus indiqué est préjudiciable aux intérêts delà
maison veuve Clicquot et Ponsardin , et doit être répri
mée ; que si Louis Clicquot a le droit de faire le com
merce en son nom personnel, il n’a pas celui de dispo
ser de son nom pour le prêter à des tiers, et pour leur
procurer, à l’aide d’un bénéfice commun le crédit com
mercial dont est aujourd’hui en possession la maison
veuve Clicquot et Ponsardin '. »
Cet arrêt fut déféré à la cour de Cassation comme vio
lant l’art. 544 C. Nap., et appliquant faussement l’art.
5 du décret du 20 février 1810, mais par arrêt du 4
m
1 J.
LOI DU 6 JUILLET
du P.,
4852, 1, 436.
�325
février 1852, la chambre des requêtes rejette le pourvo1
et consacre la légalité de la doctrine de la Cour de
Paris
Une si haute sanction ne pouvait qu’encourager celleci à persister dans sa jurisprudence. Aussi par un se
cond arrêt du 28 juillet1856, interdisait elle à un sieur
Duriot l’emploi du nom de Moreaux, son associé, parce
que la société formée entre eux était une manœuvre
frauduleuse concertée dans le but de faire une concur
rence déloyale à l’établissement de ce nom existant an
térieurement ; que l’acte de société démontrait que Mo
reaux n’était pas un associé sérieux, et qu’il avait abu
sivement prêté son nom à Duriot pour procurer à celuici le moyen de faire naitre la confusion entre les deux
établissements Moreaux et de détourner les pratiques à
son profit \
Ce qui explique ces décisions et leur imprime un
caractère juridique, c’est la nature frauduleuse de l’as
sociation , son défaut de sincérité. Supposez, en effet,
une société réelle et sérieuse. Est-ce qu’on pourrait con
tester ou dénier aux associés le droit de prendre pour
raison sociale le nom de l’un d’eux, ce nom fut-il déjà
porté par un précédent établissement? Non certaine
ment sans violer l’art. 21 C. de com. sans méconnaître
le principe de la liberté du commerce et de l’industrie.
On devrait dans ce cas se borner à prescrire des meSUR LES NOMS
1 J. du P., 1853, 1, 167.
2 Gazette des tribunaux, 31 janv. 1856. V. infrà n° 743.
�326
LOI DU
28
JUILLET
1824
sures propres à différencier la nouvelle maison de !’anc ienne soit par l’adjonction de prénoms comme le fai
sait la Cour de Poitier dans l’affaire Seignette, soit par
toute autre indication que les juges appréciateurs sou
verains en ce cas, trouvent convenable et utile.
Ainsi par arrêt du 6 février 1866, la Cour de Paris
se trouvant cette fois en présence d’une société sérieuse
reconnaît que cette société a pu emprunter aux associés
dont elle se compose, parmi leurs noms, celui qui lui
convient le mieux pour sa raison sociale, mais elle dé
clare que cette raison sociale ne peut devenir pour elle
une enseigne pour détourner l’achalandage d’une mai
son ancienne à laquelle ce même nom appartient et qui
l’a déjà popularisé dans la même industrie.
En conséquence tout en maintenant la raison sociale
Rcederer et Cie, elle ordonne que ce nom sera précédé
du prénom Théophile, et suivi de l’indication maison
fondée en 1864, le tout en caractère de même dimen
sion et de même forme que le nom de Rcederer '.
739.
bis — L’emploi du nom, s’il peut être interdit
dans l’hypothèse d’une association fictive, doit à plus
forte raison l’être lorsque ce nom a été cédé ou vendu
. par son propriétaire à l’industriel qui prétend s’en ser
vir. Il est, en effet, impossible de voir dans un pareil
agissement autre chose qu’une spéculation sur une noto
riété commerciale ou industrielle de ce nom, et la volonté
bien arrêtée de se livrer a une concurrence déloyale.
1 Tribunal de Marseille, 1866, 2, 70.
�327
Nous venons de dire que la célébrité du nom A. Seignette avait été l’objet d’une tentative de se l’approprier
de la part d’une maison de Surgères, voici une autre
manœuvre dont ce même nom eut à se défendre.
Un sieur Tournade, négociant en vins et eaux de vie
de la Rochelle, sachant qu’une dame Verdier s’appelait de
son nom de famille Alzine Seignette, traite avec les
époux, et se fait céder, moyennant un prix convenu, le
droit d’user de ce nom, et il en use en marquant ses
produits A. Seignette.
Nouvelle poursuite en interdiction de ce nom, et cette
fois la Cour de Poitiers n’hésite pas à la prononcer. Par
arrêt du 42 août 4856, elle juge, qu’un comnimerçant
ne peut se servir du nom patronimique d’un tiers, alors
que ce nom est déjà porté par un autre négociant faisant
le même genre de commerce ; qu’un individu non com
merçant ne peut louer à un commerçant le droit de se ser
vir de son nom patronimique losqus cette location n’a
pour objet que de faire profiter celui-ci du crédit d’un
autre commerçant qui porte également ce nom.
« Attendu, porte l’arrêt, qu’en louant à prix d’argent
l’usage du nom d’Alzine Seignette, Tournade n’a eu
d’autre but que d’établir, au moyen de la similitude des
marques, une confusion entre ses produits et ceux de la
maison A Seignette ; que ce procédé est empreint d’un
caractère non équivoque de fraude , et en dehors des
règles d’une loyale concurrence ;
« Attendu que si la marque de fabrique, laquelle
n’est qu’une invention, un emblème, une chose enfin
SüR LES NOMS
�328
LOI DU 28 JUILLET 1824
de pure fantaisie, peut constituer une propriété trans
missible en dehors de l’industrie qu’elle a couverte, il
n’en est pas ainsi du nom patronimique destiné a
représenter la loyauté du marchand et la supériorité de
la marchandise, et que le nom cédé isolément en de
hors de l’exploitation industrielle ou commerciale dont
il a été l’accessoire, ne saurait être transformé en une
étiquette menteuse et en un moyen de fraude contre les
tiers ;
« Attendu que si l’on décidait le contraire, il de
viendrait loisible à tout spéculateur de pousser à ou
trance la concurrence et la fraude, et de ruiner, au mo
yen d’une similitude de nom, la réputation des plus ho
norables établissements, en jetant sur les marchés une
masse de produits défectueux placés sons la protection
d’un nom favorisé »
740. — Des divers monuments de jurisprudence que
nous venons d’indiquer, il résulte que chacun est libre
d’entreprendre telle branche de commerce ou d’in
dustrie qui lui parait la plus convenable et lui offre les
plus grands avantages ; qu’il peut l’exploiter sous son
nom patronimique qui est sa propriété incontestable et
dont on ne saurait lui interdire l’usage par cela seul
qu’un autre portant le même nom l’a précédé dans la
carrière et créé un établissement de même nature;
Que l’exercice de ce droit doit se concilier avec les
�329
exigences de celui déjà acquis, et n’avoir lieu qu’à la
charge de différencier la nouvelle maison afin d’éviter
une confusion qui dégénérerait en une concurrence dé
loyale ; qu’en conséqueuce le nouveau venu doit faire
précéder son nom d’un ou de plusieurs de ses prénoms
ou le faire suivre de l’indication de frère , neveu ou
cousin, ou de tout autre que la justice croira devoir
prescrire ;
Que nul ne peut céder isolément l’usage de son nom
soit à prix d’argent, soit sous le prétexte d’une associa
tion fictive et simulée ; que le commerçant qui recher
che ou provoque un acte de cette nature, et qui tente de
l’exécuter, commet une indélicatesse et une fraude que
la justice peut et doit réprimer, par une interdiction ab
solue de se servir du nom ainsi acquis, loué ou acheté.
SUR LES NOMS
741. — Le nom d’un industriel est moins encore
celui que lui donne son acte de naissance, que celui
sous lequel il exploite son commerce ou son industrie.
Chacun, en effet, est libre de donner à son établissement
le nom qu’il croit le plus propre à en amener et à en
développer la prospérité à la condition toutefois que ce
nom ne soit pas déjà dans le commerce, ou ne soit pas
le patrimoine d’un autre. On ne saurait ni contester ni
dénier au propriétaire de ce nom, fut-il absolument étran
ger au commeree, le droit de réclamer contre son em
ploi et de le faire interdire.
Le droit d’emprunter un nom de convention a été
contesté. Un moment on a prétendu que les noms ima-
�330
LOI DU 28 JUILLET t8 2 4
ginaires ne pouvaient invoquer le bénéfice de notre loi.
Mais c’était là interpréter singulièrement la loi et lui
donner un sens que ne comportait ni son texte ni son
esprit.
En plaçant sur la même ligne le nom et la raison
commerciale, le législateur a suffisamment prouvé qu’il
entendait protéger, non pas seulement le nom patronimique, mais encore toute dénomination qui comme ce
nom lui-même désigne et personnifie un fabricant ou
une fabrique, et jamais on n’a entendu mettre aucun
obstacle, aucune limite au choix de ces dénominations.
« La loi de 1824 n’interdit nullement de prendre un
nom imaginaire, dit avec raison M. Blanc. Ce qu’elle
prohibe c’est l’usurpation de noms, c’est-à-dire le fait
de l’industriel qui s’empare du nom 'd’un concurrent.
Or, celui qui prend un nom imaginaire n’usurpe rien ;
dès - lors , il ne trompe pas le public sur la prove
nance de ses produits, il ne nuit à personne, il use donc
d’un droit incontestable. En conséquence la désignation
consistant dans un nom supposé est une dénomination
dont la jouissance doit être protégée à l’égal de toute
autre désignation puisque les raisons sont les mêmes1. »
742. — C’est ce que la jurisprudence a admis et
consacré. Ainsi un arrêt de la Cour de Paris du 5 no
vembre 1855 déclare que le sieur Sosthème Thomas
qui marquait ses produits du nom de Marquis de l’Horme
1 De la Contref., p. 717.
�331
était propriétaire exclusif de cette dénomination, et avait
le droit d’empêcher ses concurrents de l’employer
Les honorables rédacteurs des annales de la propriété
industrielle, MM. Pataille et Huguet, font remarquer
que l’usage de noms imaginaires est surtout en hon
neur dans le commerce des vins de Champagne. Ainsi
la maison Jacquesseau de Châlons a adopté les noms :
L eplus et C ie, C lau set et J o u qla r ; la maison Mastiat à
Purry, ceux de W asin gton % com te de M o r d a u n t , la
maison Yinages d’Epernay, ceux de Jenny L in d , L. de
SUR LES NOMS
S l-M a r c , A. de S en n eva l.
Cet usage n’est pas étranger aux autres industries, et
le droit exclusif respecté au point défaire proscrire même
l’usurpation déguisée. Un fabricant de gants qui avait
pris le nom de C h a to u illeu r faisait condamner comme
contrefacteur le sieur Chausson pour avoir signé les
gants qu’il fabriquait du psendonyme C h a to u ille r .
Chacun sait que le nom de Nadar a été reconnu et
déclaré appartenir exclusivement à M. Tournachon qui
l’avait le premier employé.
743. — Une espèce plus remarquable encore est
celle du papier à cigarettes Job. Le créateur Joseph Bar
dou, l’avait d’abord marqué de ses initiales J. B. sépa
rées par un signe géométrique dans lequel le public vit
la lettre O, de là l’appellation de Job que Bardou se hâta
d’adopter.
1 Annales industr., 4 865, pag. 2212, 224.
�332
LOI DU 28 JUILLET 1824
Ce papier ayant acquis une grande notoriété l’avidité
des contrefacteurs vivement excitée, donna naissance à
des tentatives dans le but de profiter de cette notoriété,
un sieur Lassauzée entre autres s’empara du nom de
Job et en marqua le papier à cigarettes qu’il fabriquait.
Poursuivi en justice pour usurpation du nom, Las
sauzée soutient que le nom de Job lui appartient parce
que le papier Bardou n’a acquis cette dénomination que
par le résultat de l’erreur du public qui l’avait mal a
propos déduite des simples initiales employées dans l’o
rigine ; que par conséquent Bardou ne pouvait récla
mer la propriété exclusive d’un nom auquel il n’avait
pas même songé.
Cette prétention est repoussée par le tribunal correc
tionnel qui condamne Lassauzée comme contrefacteur,
et son jugement est confirmé par la Cour de Paris le 29
janvier 1852.
Ainsi battu, Lassauzée ne se décourage pas, il se met
en quête, et parvient à découvrir un individu portant
le nom de Job, et se l’associant, il reprend la fabrica
tion du papier Job. Mais cette seconde tentative ne fut
Das plus heureuse que la première, un jugement du tri
bunal de commerce de Paris du 26 février 1857, fait
défense à Lassauzée et Job de fabriquer à l’avenir et de
vendre dans le commerce des papiers à cigarettes sous
le nom de Job sous peine de 100 fr. pour chaque con
travention constatée, et les condamne solidairement à
5000 fr. de dommages-intérêts '.
1 Gazette des tribunaux du T mars 1857.
�v
•
333
On pourrait s’étonner que la justice eût ainsi interdit
au propriétaire du nom l’usage de ce nom et lui eût
préféré celui qui l’avait seulement imaginé. Mais c’était /
là une nouvelle application du principe que nul ne peut
sous prétexte d’une association fictive céder isolément
son nom, dans l’unique but de créer une concurrence
déloyale à une maison déjà établie dans la même in
dustrie '.
Pour échapper à l’application de ce principe on sou
tenait que la société était sérieuse, et à l’appui on pré
tendait que depuis plus de dix ans Job fabriquait et ven
dait sous son nom du papier à cigarettes.
Mais, dit le jugement, cette prétention ne repose que
sur des pièces falsifiées à l’aide desquelles Lassauzée a
cherché à induire le tribunal en erreur, ce qu’en con
clut le jugement c’est que ces moyens de défense prou
vent suffisamment la fraude et la mauvaise foi de Las
sauzée et de Job; que leur société n’est que l’exécution
des menaces que le premier faisait à Bardou dans le
précédent procès ; qu’il est dès-lors constant qu’en s’al
liant avec Job, Lassauzée n’a que l’intention de se met
tre à l’abri du nom de celui-ci pour établir une con
currence déloyale entre ses produits et ceux de Bardou ;
« Attendu, termine le jugement, que si la justice doit
protéger le commerce honnête et loyal, elle ne saurait
trop flétrir les moyens que certains commerçants employent pour attirer à eux frauduleusement les ache
teurs.
SUR LES NOMS
1 Supra n°! 739 et suiv.
�*
334
LOI DU 28 JUILLET 1824
744,
— Ces constatations de fait qui amènent cette
conclusion morale et juste expliquent et justifient la
décision, et prouvent qu’elle eût été tout autre si le tri
bunal s’était trouvé en présence d’une association pure
de mauvaise foi et de fraude, ou seulement d’une récla
mation fondée sur le désir et l’intérêt du propriétaire
d’un nom, de le soustraire aux chances du commerce ,
et au deshonneur auquel l’exposait la possibilité d’une
faillite.
Le droit de prendre un nom de convention ou ima
ginaire n’existe, nous venons de le dire, qu’à la condi
tion que ce nom n’appartienne encore à personne, dans
le cas contraire, on ne saurait ni contester ni mécon
naître à son légitime propriétaire le droit d’en interdire
l’usage et la disposition.
Il importerait peu que ce propriétaire exerçât une
industrie différente, ou ne fut pas même commerçant.
A défaut d’un intérêt matériel, un intérêt moral incon
testable assurerait à l’exercice de ce droit un fondement
inébranlable. Un nom jeté dans le commerce ou l’in
dustrie y est exposé a bien de chances fâcheuses, à la
tache qui peut résulter pour lui d’une déconfiture ou
d’une faillite. On ne saurait donc imposer ces chances à
celui qui ne voudrait pas les courir, et l’action en in
terdiction de l’usage d’un nom, que le désir de lui con
server l’honorabilité qu’il s’est acquise, dicterait au pro
priétaire de ce nom, serait inévitablement accueillie et
devrait l’être.
�I
335
745. — Cet intérêt commun à toute la famille,
pourrait-il aller jusqu’à faire interdire à un industriel
la faculté de joindre à son nom le nom de famille de
sa femme?
On sait que cette adjonction n’est pas rare en com
merce. Elle n’est souvent qu’un moyen de personnifier
un établissement et de le distinguer d’autres établisse—
sements similaires existant dans la même localité.
Autant on doit le tolérer dans cette hypothèse autant
on doit se montrer sévère lorsqu’à défaut de la néces
sité d’une distinction, on peut supposer que l’adjonction
du nom de famille de la femme n’a d’autre objet que
de spéculer sur la réputation que ce nom s’est acquis
dans le commerce ou l’industrie, et de tenter une con
fusion pouvant dégénérer en une concurrence déloyale.
Sans doute, cette intention ne saurait s’induire du
fait seul de l’adjonction, mais le mode d’exécution qui
lui a été donné est dans le cas d’éclairer la conscience
du juge. Comment par exemple la révoquer en doute, si,
par une de ces manœuvres si famillières à la fraude le
nom du mari précédant ou suivant celui de la femme
était écrit en caractères microscopiques, ou d’une forme
telle que celui-ci serait seul en évidence ?
La question n’est donc pas et ne peut pas être en
droit, c’est le fait et l’intention qui l’a dictée qu’il s’a
git d’apprécier, et le pouvoir souverain du juge à cet
égard ne saurait être ni méconnu ni contesté.
Ici encore à côté de l’intérêt matériel des membres
commerçants de la famille de la femme se place et pour
SUR LES NOMS
�336
LOI DU 28 JUILLET 1824
eux et pour les membres non commerçants de cette fa
mille l’intérêt moral puisé dans la volonté de soustraire
le nom aux éventualités fâcheuses du commerce, aux
conséquences d’une faillite. Leur action en suppression
devra-t-elle être acceuillie dès que l’adjonction ne trou
vera pas sa raison d’être dans la nécessité d’une distinc
tion avec d’autres établissements du même genre ?
746. — Un arrêt de la Cour de Poitiers du 8 dé
cembre 1863 se prononce pour la négative. Mais les
circonstances particulières de l’espèce qui ne permettaient
pas de décider autrement, enlèvent à cette décision toute
autorité doctrinale, et en font un arrêt d’espèce.
Un sieur Roux marié avec une demoiselle Hériard,
s’était associé avec son beau-frère et avait conjointe
ment exercé le commerce sous la raison Roux-Hériard.
À la dissolution de la société Roux demeura à la tête
du commerce, et les circulaires adressées au public pour
faire connaître cette dissolution, annonçaient la conti
nuation de ce commerce, sous la raison Roux-Hériard.
Hériard en se retirant reçut la part qui lui était due et
qui fut réglée en billets souscrits Roux-Heriard dont il
fut payé à leur échéance. Reaueoup plus tard il quitta
St-Jean-d’Angely siège de l’ancienne société et du com
merce de Roux, fonda à Bordeaux un établissement du
même genre, et ce n’est qu’après quinze ans qu’il avait
formé contre Roux sa réclamation en suppression du
nom d’Hériard.
Le tribunal de St-Jean d’Angely, sans se préoccuper
�337
de ces circonstances qu’on opposait comme fins de nonrecevoir à la demande, décide en thèse que le droit de
joindre à son nom celui de sa femme est consacré par
l’usage commercial, mais la Cour de Poitiers en tient
compte en ajoutant aux motifs du jugement qu’elle con
firme : considérant qu’il est établi par toutes les cir
constances de la cause qu’il y a eu de la part d’Hériard
père, et des autres membres de la famille consente
ment à ce que Roux fit le commerce sous le nom de
Roux-Hériard
SUR LES NOMS
747. — Il y avait à notre avis une raison non
moins péremptoire, non moins décisive. Le vendeur d’un
fonds de commerce en cédant son établissement cède le
nom qui en est l’accessoire le plus précieux à moins
de stipulation contraire. Or l’associé qui se retire vend
en réalité l’établissement social, et non-seulement Hériard n’avait pas interdit l’usage de son nom, mais il
l’avait encore autorisé formellement en signant les cir
culaires qui annonçaient que son acheteur continuerait
l’emploi de la raison Roux-Hériard.
Quoiqu’il en soit il est évident que la raison que la
Cour de Poitiers tirait du consentement tacite de la fa
mille ne pouvait qu’exercer la plus grande influence sur
la solution. Le changement de la raison de commerce
est de nature à entraîner les plus fâcheuses conséquen
ces pour celui qui y est contraint ; comme le disait le
1 Journal Le Droit, 29 décembre 1863.
�338
LOI DU 28 JUILLET 1824
tribunal de St-Jean-d’Angely, malgré les explications
qu’il en donnerait, combien de correspondants qui n’y
verraient que l’indice d’une insolvabilité imminente,
d’une ruine complète, et qui cédant à des susceptibilités
trop communes en commerce considéreraient la démar
che de la famille comme une preuve de méfiance qu’ils
ne manqueraient pas de partager I
Que les exigences d’un intérêt matériel, ou même
d’une juste et honorable susceptibilité prévalent sur ce
danger, on peut l’admettre, mais à la condition qu’elles
se produiront immédiatement et à l’origine du fait qui
vient les compromettre.
Que si l’ayant connu ils n’ont ni protesté ni réclamé,
si ce silence s’est prolongé pendant un temps plus ou
moins considérable, la tardiveté de leur demande doit
la faire repousser, car le danger signalé par le tribunal
de St-Jean-d’Angely, serait d’autant plus grave que la
raison commerciale à modifier aurait acquis une plus
grande notoriété. On pourrait dès-lors craindre que la
réclamation ne fût qu’un calcul et n’eût d’autre but que
celui de profiter des sacrifices que le désir d’échapper à
ce danger pourrait déterminer.
Nous croyons donc que la demande en suppression
du nom de famille de la femme doit être accueillie si
l’adjonction au nom du mari a eu lieu de mauvaise foi
et dans le but de créer une concurrence déloyale ; qu’elle
peut l’être lorsque le membre de cette famille qui la ré
clame obéit à une honorable susceptibilité et pour sau
vegarder l’honneur du nom.
�339
Mais dans ce dernier cas la réclamation n’est receva
ble que si elle se produit avant que la raison commer
ciale qui a emprunté ce nom ait eu le temps de se ré
pandre et d’acquérir une valeur commerciale, dès que
la notoriété du fait l’a mise en état et par conséquent
en demeure de se produire. Le silence plus ou moins
prolongé est inconciliable avec l’idée d’une atteinte
réelle, soit à l’intérêt matériel, soit à un sentiment d’hon
neur, on doit donc le considérer comme un acquiesce
ment enlevant d’avance tout fondement à une réclama
tion postérieure. Quelle est la durée que doit avoir le
silence pour qu’on puisse lui assigner ce caractère?
C’est ce que la conscience du juge est appelée à appré
cier et à résoudre souverainement.
SUR LES NOMS
748. — Des relations de parenté ou de patrona
ge, autorisent-elles l’emploi du nom commercial ? En
d’autres termes est-il permis de se dire fils, veuve, frère,
oncle, neveu, cousin, ouvrier ou apprenti de...?
En ce qui concerne le fils, la question ne peut se
prévoir et se présenter que si de son vivant, le père se
retirant du commerce a cédé ou vendu son établissement
à un tiers ; en cas contraire, le fils succédant au com
merce de son père, on ne voit pas ce qui pourrait l’em
pêcher de se servir du nom de celui-ci qui est aussi le
sien.
Si du vivant du père, le fils crée un établissement
rival, il aura le droit d’user de son nom patronimique,
mais aux conditions imposées aux tiers portant le même
nom, et à la charge des mêmes obligations.
�340
lo i DU 28 JUILLET 1824
Il n’est, en effet, pas plus permis aux fils quà’ l’é
tranger de créer à son père une concurrence déloyale et
dommageable. On devrait donc sur la demande de ce
lui-ci non-seulement lui interdire de se dire fils de....
mais encore l’obliger de joindre à son nom patronimique un ou plusieurs de ses prénoms ou telle autre in
dication de nature à différencier les deux établissements
et à empêcher toute confusion.
Ce droit du père passe au cessionnaire auquel celuici aurait vendu ou cédé son commerce; une pareille ces
sion comporte ordinairement celle du nom qui le plus
souvent constitue la principale richesse de l’établisse
ment.
Le cessionnaire l’a donc acquis à moins d’une stipu
lation contraire expresse. Dès lors on ne saurait lui con
tester le droit de s’en assurer l’usage exclusif, et d’em
pêcher que l’établissemeut similaire du fils puisse être
confondu avec celui dont il est en possession légitime
ment.
Or, se dire fils de tel, c’est faire supposer qu’on lui a
succédé et qu’on exploite le commerce que celui-ci ex
ploitait , ce qui serait un mensonge dans notre hypo
thèse, et un mensonge de nature à causer un grave pré
judice au cessionnaire. Ce dernier obéirait donc à un in
térêt incontestable en s’opposant à l’énonciation de cette
qualité et sa demande à ce qu’elle fût interdite à son ri
val d’industrie devrait être accueillie.
Celui-ci serait donc réduit à son nom patronimique
qu’il devrait, en outre, faire précéder , accompagner ou
�341
suivre d’indications de nature à prévenir toute confusion
entre les deux établissements.
M. Etienne Blanc, rangeant sur la même ligne les
qualifications de veuve , gendre , frère , oncle , neveu,
cousin, dénie le droit de se les attribuer. Quoique ces
qualifications expriment un fait vrai, dit-il, elles ne sont
pas par cela seul des désignations nécessaires. Permet
tre à un rival d’industrie la qualification qui désigne son
degré de parenté, c’est l’autoriser à tromper l’acheteur.
En effet, ou une telle désignation n’a aucun sens, ce que
l’acheteur ne doit pas supposer,ou elle n’a d’autre signi
fication que celle de successeur, et c’est précisément ce
qu’on ne doit pas tolérer, puisque cette signification a le
double inconvénient de n’être pas vraie , et d’encoura
ger la fraude'.
La qualification de gendre, frère, oncle, neveu, cou
sin n’a par elle-même rien de blâmable. Prise isolément
elle est même un moyen de différencier l’établissement
d’un homonyme, et c’est comme telle que les tribunaux
la prescrivent dans certains cas.
Ce qui en fait la nocuité , c’est la désignation de celui
dont on se dit le gendre, le frère, l’oncle, le neveu ou le
cousin. Et comme d’une part celui-ci aura acquis une
grande notoriété commerciale ou industrielle; comme
d’autre part l’appel qui est fait à son nom ne répond à
aucune nécessité , il est évident qu’il n’est inspiré que
SUR LES NOMS
1 Conlref pag. 746;—Rendu, Marq. de fa ir ., n° 442.
�- '
342
LOI DU 28 JUILLET 1824
par cette notoriété même et dans le but de s’en appli
quer le profit, ce que les tribunaux ne sauraient ni ad
mettre ni tolérer. Nous admettons donc à cet égard la
doctrine de M. Blanc.
Mais il ne nous paraît pas qu’on doive appliquer cette
doctrine à la veuve. Si le gendre , l’oncle , le neveu, le
cousin n’ont aucun droit au nom de leur beau-père, ne
veu , oncle ou cousin , la veuve a un droit incontestable
au nom de son mari qui est devenu le sien par le ma
riage, et que ce mariage lui a même imposé.
Elle le conserve donc tant qu’elle n’a pas convolé à
de nouvelles noces, et nous ne voyons pas à quel titre et
pour quel motif on lui en interdirait l’usage.
Sans doute il ne faut pas que cet usage dégénère en
concurrence déloyale contre l’acheteur du commerce, ou
le successeur légal du mari ; que la veuve puisse faire
supposer qu’elle représente commercialement celui - ci,
alors qu’en fait elle ne le représente pas. Mais le moyen
d’éviter cet inconvénient et de prévenir toute confusion
est fort simple et n’exige pas qu’on lui prohibe un nom
qui est légalement sa propriété. Il suffit d’obliger la veuve
qui entreprend le commerce que faisait son mari à ce
qu’elle fasse précéder son nom de veuve de son nom de
fille : B lan c v eu ve L a u ren t, le tout écrit en caractères
de mêmes formes et dimension. C’est là , à notre avis,
tout ce qu’on peut exiger d’elle , tout ce que la justice
doit ordonner.
749. — Nous arrivons aux rapports de patronage.
�343
Ici encore M. Blanc ne fait aucune distinction. Il ensei
gne qu’on ne peut pas plus se dire élève ou apprenti
que commis ou ouvrier d e .........La raison qu’il en
donne c’est que le nom du maître étant sa propriété ex
clusive, il ne doit être permis à personne de s’en pré
valoir en l’accompagnant d’une des désignations ci-des
sus. On comprend, en effet, ajoute-t-il, le tort sérieux
qui pourrait en résulter pour le fabricant qui, pendant
le cours d’une longue carrière , a pu faire un grand
nombre d’élèves ou d’apprentis. Ceux-ci se serviraient
indirectement de son nom, et porteraient un préjudice
notable soit à lui-même, soit à son successeur1.
SUR LES NOMS
750. — M. Rendu n’est pas aussi absolu. Il pense
que si la qualité d’élève ou d’apprenti peut être interdite,
ce n’est que dans le cas où la prise de cette qualité pour
rait amener une confusion. Par exemple , lorsque l’in
dustriel ferait ressortir sur son enseigne le nom de son
maître autant et même plus que le sien ; quand, d’après
les circonstances, le public pourrait être induit en erreur
et dans la fausse opinion que le maître, antérieurement
établi a été remplacé par son élève ; quand , enfin , il est
justifié que l’apposition du nom du maître fait, au dé
triment de celui-ci, la vogue et l’achalandage de l’élève.1
751. — Le droit n’a jamais dépendu ni pu dépen1 Contref, pag. 714.
2 Marq. de fair., n° 417.
�344
LOI DU
28 JUILLET 1824
dre du mode d’exercice qui pourra en être fait. 11existe ou
il n’existe pas ; et dans le premier cas l’abus qui vicie
rait cet exercice ne saurait l’effacer et le faire disparaî
tre. On corrige l’abus, et le droit reconnu et acquis, on
en renferme l’exercice dans ses limites justes et légales.
Au reste, en ne proscrivant que l’abus, M. Rendu pro
clame l’existence du droit en principe.
À notre avis, cette existence est évidente et si incon
testable qu’on ne saurait lui porter atteinte, même dans
les cas indiqués par M. Rendu. Tout ce qu’il y aurait à
faire ce serait de remédier à la confusion , de prescrire
toutes les mesures propres à la prévenir désormais, com
me on fait à l’égard d’un homonyme.
Mais nous distinguons entre le commis ou l’ouvrier
et l’élève ou l’apprenti ; et le droit que nous reconnais
sons à celui-ci nous le refusons absolument à celui-là.
Le contrat qui intervient entre le maître et le commis ou
l’ouvrier est un simple louage d’œuvres qui n’entraîne
pour l’un que l’obligation de payer, pour l’autre que le
droit de recevoir le salaire convenu. Le maître n’est pas
tenu de communiquer au commis ou à l’ouvrier ses
procédés de fabrication , de l’initier à ses secrets ; et le
contrat venant à se résoudre, le commis ou l’ouvrier
devient, après sa sortie, aussi étranger à l’établissement
qu’il l’était avant son entrée. Des relations de cette na
ture, qui n’ont souvent qu’une durée fort limitée, n’ont
jamais conféré ni pu conférer aucun droit au nom du
maître de cet établissement.
Bien autre est la position de l’élève ou de l’apprenti.
�SUR LES NOMS
345
Le contrat qui intervient entre lui et le patron est un
contrat synallagmatique en vertu duquel, moyennant un
prix convenu soit en argent soit en un travail gratuit
pendant une durée déterminée , ce dernier se charge et
s’oblige d’initier celui-là à la pratique de l’industrie qu’il
exerce , de lui donner connaissance de ses procédés les
plus secrets, de lui communiquer tous ses moyens de
fabrication.
Le plus souvent, ce qui aura déterminé les sacrifices
que s’impose la famille de l’élève ou de l’apprenti, ce
sera la grande réputation du patron dont le reflet doit si
puissamment influer sur l’avenir commercial ou indus
triel de celui qu’on le charge de diriger et d’instruire.
Or comment cet avantage, en vue duquel on a évidem
ment contracté, sera-t-il réalisé, s’il est interdit à l’élève
ou à l’apprenti de prendre cette qualité , et d’indiquer
ainsi l’excellente école dont il sort ?
Il ne nous paraît pas possible d’hésiter entre l’élève
ou l’apprenti et le patron. En se parant du nom de ce
lui-ci, le premier énonce un fait vrai, obéit à une né
cessité réelle, use d’un droit qu’il a acheté et payé. Que
si l’exercice de ce droit contrarie le patron, à qui la faute
si ce n’est à lui-même ? Avant de prendre et de former
des apprentis il devait réfléchir aux conséquences que
cet acte pouvait entraîner, et si, dominé par les avantages que lui procurait l’apprentissage, il s’est dé
terminé à s’en appliquer le profit, il n’y a que justice à
lui en faire supporter les charges.
« Pour repousser cette doctrine, objecte M. Blanc, il
;
�346
LOI DU 28 JUILLET 1824
suffit de remarquer qu’un apprenti inintelligent et qui
n’a pas su profiter des leçons qu’il aura reçues pourra,
par la désignation de sa qualité , discréditer le nom de
celui qui fut son maître. »
M. Blanc fait le public beaucoup plus sot qu’il n’est
en réalité. La crainte de le voir confondre dans la même
réprobation l’apprenti et le maître ne saurait être prise
au sérieux. Tout le monde sait que les meilleurs maîtres
ne peuvent cependant pas corriger la nature, et que l’in
telligence des élèves n’est pas toujours à la hauteur des
leçons qu’ils reçoivent.
Se dire élève ou apprenti , c’est annoncer au public
qu’on a été à bonne école, mais non qu’on s’est assimilé
au maître , qu’on a acquis ses aptitudes , son habileté,
son intelligence. C’est par les œuvres qu’on jugera le ré
sultat obtenu ; et si l’élève ou l’apprenti est réellement
incapable, ce n’est pas à lui qu’on s’adressera ; c’est au
maître qu’on ira demander cette perfection que sa répu
tation promet et que l’élève ne peut ou ne sait donner.
Un arrêt de la cour de Paris, du 21 avril 1834, pro
hibe à un sieur Dujarrier de se donner la qualité d’élève
du sieur Raoux. Mais le sieur Raoux fils, successeur de
son père, qui sollicitait cette prohibition, ne méconnais
sait pas le droit en principe. Si , dans la circonstance, il
en déniait l’exercice, c’est qu’en fait Dujarrier, quoique
employé par son père, n’avait jamais été son élève ; qu’il
n’avait reçu
ni surtout communication
« de lui ni leçons
0
des procédés qui l’avaient rendu supérieur à ses rivaux.
Aussi le tribunal de commerce de Paris avait-il réduit
�347
Le litige à la question de savoir si Dujarrier avait été,
en fait, l’élève de Raoux ; et la prohibition de se don
ner cette qualité avait-elle été la conséquence de sa so
lution négative.
« attendu, dit en effet le jugement, que si Dujarrier,
tout en employant son travail au service de son patron,
a pu étudier les procédés à l’aide desquels celui-ci per
fectionnait la fabrication de ses instruments ; s’il a pu,
par son intelligence , acquérir un certain degré d’habi
leté, fruit de son travail et de ses études ; cependant rien
ne prouve que Raoux lui ait donné directement des le
çons et ait voulu lui dévoiler toutes les ressources de son
art ; que c’est donc à tort qu’il a pris la qualification
d’élève.' »
L’arrêt de Paris du 21 avril confirme ce jugement
par adoption de ses motifs. Dès lors on ne saurait rien
en induire contre la doctrine que nous soutenons et qui
suppose à p r io r i la qualité d’élève ou d’apprenti.
Loin de condamner cette doctrine , ces deux monu
ments de jurisprudence la consacrent explicitement. En
effet, dans un des motifs adoptés par la Cour, le tribu
nal déclare que le f a it d'u n e é n o n c ia tio n v r a ie en e lle SUR LES NOMS
m êm e, in h é re n te à la perso n n n e qu i se l'a ttr ib u e , n e
p e u t ê tr e rep ro ch a b le , su rto u t lo rsq u ’elle n ’a p o u r but
que de fa ir e jo u ir celu i qu i s'en se rt d es a va n ta g es q u 'il
d o it a tte n d re e t r e tir e r de son tr a v a il ; que si D u ja r i Dalloz, Jurip.gén., v° Industrie, n° 82.
�LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
348
rier n'a énoncé qu'un fait exact, on ne comprendrait
pas que les tribunaux pussent lui défendre de déclarer
la vérité.
Aussi le même tribunal ayant à statuer , le 13 octo
bre 1841 , sur une espèce où la certitude de la qualité
d’élève était acquise , reconnaît - il le droit de prendre
publiquement cette qualité :
« Attendu que celui qui souscrit un engagement avec
une personne en réputation dans un genre d’industrie,
et se soumet à lui payer une somme pour recevoir ses
leçons, ou à lui consacrer gratuitement un temps déter
miné , a nécessairement l’intention de recueillir le prix
de ses sacrifices, et de se présenter plus tard comme l’é
lève de celui qui jouit de la confiance et de la faveur du
public ;
» Attendu que si le chef d’une industrie en réputa
tion croit qu’il pourra résulter , pour ses intérêts , un
préjudice de la création d’établissements semblables au
sien par ceux qui recevraient ses leçons , il est libre de
n’en pas donner et de ne pas faire d’élèves; mais qu’on
ne peut lui reconnaître le droit, après avoir donné ef
fectivement des leçons et en avoir reçu le prix, d’inter
dire à ceux qui les ont reçues pendant le temps déter
miné de se dire ses élèves et de se présenter avec ce ti
tre à la confiance publique.' »
Ces considérations si justes, si rationnelles sont la ré1 Dalloz , ibid., n° 360.
�349
futation la plus décisive, la plus péremptoire de l’opi
nion de M. Blanc à l’endroit des élèves ou apprentis.
Les conventions légalement formées deviennent la loi
des parties et obligent non-seulement à ce qui est expri
mé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage
ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature *. Or,
la suite naturelle , légitime de la convention d’appren
tissage est évidemment la faculté de placer son avenir
sous la protection de celui qui vous a initié à la con
naissance de l’industrie, et qu’on a payé de son temps
ou de son argent.
Remarquons que le tribunal exige que les leçons
aient été reçues pendant le temps déterminé. Il est évi
dent en effet que le contrat, s’il oblige l’un, n’oblige pas
moins l’autre, et la durée de l'apprentissage est une de
ses conditions essentielles. Elle est en quelque sorte le
prix des leçons. Celui - là donc q u i, sans y être forcé,
romprait l’apprentissage avant l’expiration du temps qui
lui a été assigné , déchirerait le contrat, en répudierait
la charge, et ne serait dès lors ni recevablq ni fondé à
en revendiquer le bénéfice.
752. — Il en est du nom sous lequel un établisse
ment commercial ou industriel est connu, comme du
nom d’un fabricant ou commerçant. Il ne s’éteint pas
avec le fondateur. L’intérêt de celui qui, après celui-ci,
se met à la tête de l’établissement, à conserver le nom
SUR LES NOMS
i Art. 4134, 1135, Cod. Nap.
�LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
350
qui le recommande à la confiance publique , est trop
évident pour qu’on pût l’empêcher de l’exploiter soit
sous ce nom, soit, s’il se sert de son nom personnel, de
le faire suivre de l’indication successeur de. .. ou an
cienne maison de. . .
Mais le droit à ces qualifications n’est acquis que s’il
y a eu transmission légale ou conventionnelle. A défaut
il importerait peu que celui qui prétendrait se l’attribuer
fabriquât seul les mêmes objets que le défunt, qu’il oc
cupât le même local, qu ’^1 eût été son élève ou son ap
prenti. Son établissement ne se rattacherait en rien à
l’ancien. Il ne pourrait donc employer ni la qualifica
tion de successeur ni prendre la dénomination ancienne
maison.
Ainsi après la mort de Gallin, auteur du méloplasle,
le sieur Lemoine, son élève qui professait la même mé
thode , s’intitulant non-seulement élève , mais encore
successeur de Gallin, un jugement du tribunal de com
merce de Paris, du 24 novembre 1826 , lui fit, sur la
demande de la famille , inhibitions et défense de pren
dre cette dernière qualité.'
755. — Est légale la transmission qui s’opère en
force de la loi, ou par la volonté du testateur. Au pre
mier titre se présentent les enfants, descendants ou les
collatéraux.
Les enfants ou descendants héritent naturellement de
i Et. Blanc, De la contrefaçon, pag. 716.
�354
tout ce qui appartenait à leur auteur ; du nom comme
de l’établissement, à moins que de son vivant celui-ci
n’ait disposé de ce dernier en faveur d’un tiers soit à ti
tre onéreux soit à titre gratuit, ou que par une disposi
tion testamentaire il l’ait légué soit à un étranger soit à
un de ses enfants ou de ses collatéraux. 11 est évident,
dans ce dernier cas, que le légataire, quel qu’il fût, se
rait le seul successeur commercial ou industriel, et pour
rait seul user de cette qualification.
A défaut de disposition de la part du père, l’établis
sement devient le patrimoine commun de tous les en
fants qui peuvent l’exploiter en commun et rester à ce
sujet dans l’indivision.
S’ils se séparent, chacun d’eux a le droit d’exploiter
le même commerce ou la même industrie que leur père.
Dans ce cas, la qualité de successeur, quant à ce com
merce ou cette industrie, doit faire la matière d’une en
tente : on peut, par exemple, convenir que chaque en
fant s’intitulera un des successeurs de. . . .
Si l’entente est impossible, il n’y a plus qu’un moyen:
la licitation. Le droit au nom de l’établissement est,
comme tous les autres biens, tombé dans l’hérédité , et
comme il est essentiellement indivisible, il doit être licité
comme le seraient ceux-ci dans le même cas. La jus
tice devrait donc l’ordonner sur la mise à prix qu’elle
déterminerait, mais entre enfants ou héritiers seulement
et à l’exclusion des étrangers, à moins de demande con
traire de la part des intéressés
L’adjudicataire est seul désormais le continuateur du
SUR LES NOMS
�LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
352
commerce ou de l’industrie de l’auteur commun. A lui
seul appartient le droit de gérer l’établissement sous le
nom qu’il avait reçu , ou de prendre la qualification de
successeur ou d’ancienne maison de. . . . Les autres frè
res ne pourraient même se servir de leur nom patrony
mique qu’en le faisant précéder, accompagner ou suivre
d’indications de nature à prévenir et à empêcher toute
confusion.
7 5 Æ. — La cession qu’un commerçant ou industriel
fait de son établissement, pendant sa vie , en transmet
la propriété avec tous les droits qui y sont attachés , au
cessionnaire. Quels sont les droits de celui-ci au point
de vue du cédant, de la famille, des tiers ?
Pour ce qui concerne le cédant, il est incontestable
qu’en vendant l’établissement il a vendu le nom qu’il
lui avait donné. Ce qui fait la richesse et la valeur d’un
établissement qu’on se propose , non de liquider , mais
de continuer, c’est l’achalandage, et celui-ci est attaché
surtout au nom q u i, depuis longtemps , a su attirer et
mériter la confiance publique. Il est donc impossible de
supposer qu’il ait entendu et pu entendre distinguer l’é
tablissement du nom, et conserver la disposition de ce
lui-ci en aliénant celui-là.
Il n’est pas moins impossible de supposer que cette
distinction et sa conséquence soient entrées dans la pen
sée du cessionnaire. Or, ne serait-ce pas cependant ad
mettre l’une et consacrer l’autre que d’autoriser le cé
dant non-seulement à créer un nouvel établissement du
�353
même genre, mais encore à lui donner le nom sous le
quel l’ancien est connu et exploité ? A notre avis, une
pareille doctrine blesserait la raison et la justice, et vio
lerait la convention légalement intervenue.
SUR LES NOMS
755. — Nous allons même plus loin : non-seule
ment nous refusons au cédant le droit de prendre le nom
de l’établissement vendu ; mais nous lui contestons en
core la faculté de créer , même sous un autre nom , un
établissement similaire, à moins qu’il ne l’ait formelle
ment stipulée et réservée.
A notre avis , l’exercice de cette faculté n’est qu’un
moyen indirect d’éluder les obligations attachées à la
qualité de vendeur , de distraire l’achalandage en tout
ou en partie , c’est-à-dire de s’attribuer la chose et le
prix, ce que ne permettent ni le droit, ni l’équité, ni la
justice.
Vainement le cédant exciperait-il de l’absence d’une
clause prohibitive dans l’acte de cession ou de vente. Il
est des choses qui sont tellement de l’essence du contrat
qu’elles n’ont pas besoin d’y être exprimées. A plus forte
raison de celles qui ne tendraient à rien moins qu’à en
lever à l’acte lui-même l’effet qu’il doit naturellement
produire.
Le premier effet de la vente est d’imposer au vendeur
l’obligation de faire jouir l’acheteur de la chose vendue;
de le garantir de toute éviction totale ou partielle, de tout
trouble. Or ce q ui, dans la vente d’un établissement
commercial constitue la chose vendue , ce ne sont pas
�354
LOI DU 28 JUILLET 1824
seulement les comptoirs, boiseries et même les marchan
dises existant en nature. C’est encore , c’est surtout l’a
chalandage qui peut seul assurer le succès de la spécu
lation. Donc toute tentative qui, de la part du vendeur,
pourrait aboutir à détourner cet achalandage à son pro
fit , serait un trouble à la possession de l’acheteur , une
éviction plus ou moins considérable, et à ce titre elle n’a
pas besoin d’être expressément interdite ; elle l’est suffi
samment par la loi elle-même.
Donc quel que soit le nom sous lequel chante l’éta
blissement, ce nom fût-il le nom patronimique du cé
dant , il devient par la cession la propriété exclusive du
cessionnaire qui peut en interdire l’usage au cédant luimême, à moins d’une clause formelle contraire stipulée
dans l’acte.
756. — Au point de vue de l’intérêt commercial ou
industriel , la famille du cédant ne peut avoir plus de
droits que lui. Ce qui lui est interdit est donc interdit
également à chaque membre de la famille. Le fils luimême ne pourrait ni user du nom de l’établissement cé
dé , ni qualifier sa maison d ’a n cien n e m a iso n ou de
su ccesseur d e ......... , ni moins encore empêcher le ces
sionnaire d’user de ce nom ou de ces qualifications.
Mais lorsque l’établissement cédé porte le nom patro
nimique du cédant, la famille peut avoir un intérêt mo
ral à la disposition qui en est faite. Nous l’avons déjà
dit : plus un nom se sera rendu honorable, plus sera lé
gitime le désir de le conserver pur et sans tache , plus
�SUR LES NOMS
335
on comprendra de la part de ceux qui le portent la vo
lonté de le préserver de l’atteinte même indirecte que
lui ferait subir une déconfiture ou une faillite.
« Il ne faut pas perdre de vue , dit M. Rendu , que
si un nom a une utilité commerciale susceptible d’être
exploitée par un tiers , il demeure, au point de vue ci
vil , l’apanage inaliénable de la famille du cédant, qui
garde le droit de veiller à sa pureté et à son honneur.
L’un et l’autre abandonnés à des étrangers peuvent être
compromis par une faillite ou par tout autre sinistre
commercial. »
La conclusion qu’en tire M. Rendu c’est que le nom
d’une famille de peut rester indéfiniment exposé à de
telles chances , et que les tribunaux ont la faculté de
concilier les deux intérêts opposés en fixant un délai
suffisant pour assurer la transmission de l’achalandage,
après l’expiration duquel le successeur cessera de pou
voir porter le nom du cédant qui rentrera purement et
simplement dans le patrimoine de la famille.'
« Les tribunaux, dit de son côté M. Gastambide, ont
en pareil cas à concilier deux intérêts : l’un commer
cial , qui parait exiger qu’un établissement cédé à un
successeur conserve , au moins pendant quelque temps,
le nom de l’ancien propriétaire , pour le maintien et la
continuation de la clientèle; l’autre civil, important à
l’honneur des familles, et qui ne permet pas qu’un tiers
i Marques de fabrique, n° k\ 8.
�LOI DU 28 JUILLET 1824
356
étranger se pare d’un nom qui n’est pas le sien alors
même qu’il prouverait que ce nom lui a été cédé.' »
757. — Nous ne nous dissimulons pas l’impor
tance de l’intérêt d’une famille à préserver son nom de
toute atteinte de nature à affecter son honorabilité. Mais
cet intérêt moral doit-il et peut-il prévaloir sur le droit
volontairement et légalement concédé , loyalement ac
quis? Peut-il modifier un contrat librement consenti, en
changer les conditions ? Il nous paraît difficile de l’ad
mettre.
Quel que soit le droit de la famille, il ne saurait aller
jusqu’à interdire à celui de ses membres qui crée un établissement commercial ou industriel de vendre cet éta
blissement ; et si cette vente ne peut être empêchée ; si
par la nature des choses elle doit conférer le nom, quel
qu’il soit, donné à cet établissement, on ne comprendrait
pas que la convention légalement intervenue et qui for
me la loi des parties en tout temps et en tout lieu , n’eût
pas la même autorité envers la famille qui n’avait ni à y
intervenir ni à être consultée.
Comprendrait-on davantage que cette famille qui est
restée et a dû rester étrangère au contrat pût, dans le si
lence de ce contrat, limiter l’exercice du droit que le ces
sionnaire a acquis et payé souvent fort cher, et substi
tuer ainsi, contre la volonté et au détriment de cet ache
teur, une nouvelle convention à celle que ses convenani De la Contref., n° 467.
�SUR LES NOMS
ces avaient exigé, et qui, nous le répétons, avait été libre
ment et légalement consentie et acceptée ?
Une pareille supposition répugne à tous les princi
pes, à la conscience publique elle-même. Jamais on n’a
vu une famille user du droit qu’on voudrait lui recon
naître, tandis que la pratique commerciale nous montre
une foule d’établissements aujourd’hui encore exploités
sous le nom de leurs fondateurs malgré de fréquentes
transmissions, et dont les nombreux propriétaires suc
cessifs ont pu, suivant l’expression de M. Gastambide,
faire fortune incognito.
Le droit que nous contestons à la famille, nous le dé
nions aux tribunaux. Les conventions légalement for
mées qui lient les parties , leurs successeurs ou ayants
cause, lient les juges. Où ceux-ci puiseraient-ils le pou
voir de créer un nouveau contrat et de poser une limite
à l’exercice d’un droit concédé sans restriction de durée?
Pourraient-ils le faire sans substituer à la convention
primitive, une convention qui, dans les termes restreints
qu’on lui impose, n’eût peut-être pas été acceptée, sans
rompre par conséquent le concours de volontés sur la
chose et sur le prix, c’est-à-dire sans méconnaitre l’in
tention des parties, sans excéder leur pouvoir, sans vio
ler l’art. H34 du Code Napoléon ?
Est-il vrai d’ailleurs que l’intérêt moral de la famille
soit également engagé dans tous les cas ? Où serait le
danger si le cessionnaire exploitant sous son nom se bor
nait à se qualifier successeur de. .. ou ancienne mai
son de------ Qu’aurait donc , dans ce cas , à redouter
ïjI
�358
LOI DU
28 JUILLET 1824
d’une faillite ou de tout autre sinistre commercial le nom
du prédécesseur ?
Le danger n’existe donc réellement que dans l’hypo
thèse où l’établissement ayant reçu le nom patronymi
que de son créateur a continué d’être exploité sous ce
nom, où le propriétaire actuel agit incognito. Mais dans
ce cas même n’use-t-il pas d’un droit incontestable, à
tel point que MM. Gaslambide et Rendu ne permettent
que le moyen qui tendrait à le concilier avec l’intérêt
moral de la famille.
Ce moyen est-il celui que conseille M. Rendu ? Mais
cet honorable jurisconsulte ne fait pas attention que tant
que le cessionnaire agira sous le nom de son cédant,
c’est à ce nom que demeurera attaché l’achalandage.
Donc quel que soit le terme qu’on assignerait à l’usage
de son nom. Son expiration arriverait infailliblement
sans que l’achalandage eût passé de ce nom connu à
celui du cessionnaire que le public n’a même pas ap
pris et n’a pu apprendre à connaître. Ce n’est en effet
que du jour où le droit d’user de celui du cédant cessera»
que ce nom se produira et que pourra y voir le public si
non un établissement nouveau que rien ne rattache à l’an
cien et auquel il ne donnera sa confiance qu’à bon es
cient et après une longue épreuve de sa valeur.
Quel que soit donc le terme concédé à l’expiration du
quel le cessionnaire ne pourra plus se servir du nom de
son cédant, l’achalandage ne sera ni acquis ni transmis
au premier, précisément parce que tant qu’il pourra user
et qu’il usera du nom de ce dernier, c’est à ce nom que
cet achalandage restera attaché.
�359
Puis la perte du droit d’user de ce nom entraînera
la perte du droit d’empêcher un tiers de s’établir sous
ce nom. Donc du jour de l’expiration du terme accordé
il sera loisible à un homonyme, à un membre de la fa
mille peut-être de venir créer sous son nom un établis
sement rival, et croit-on que le public hésitera entre
cet établissement qu’il croira la continuation de l’ancien
qui avait obtenu et mérité sa confiance, et celui que le
cessionnaire sera réduit à exploiter sous son nom jusquelà absolument inconnu ?
Singulière conciliation que celle qui puisant son fon
dement dans le mépris d’un contrat et la violation de
la loi pourrait aboutir à un pareil résultat. Pour nous,
nous ne saurions voir dans le moyen proposé que le
sacrifice de l’intérêt commercial à l’intérêt purement mo
ral de la famille. La faveur qu’on ferait à celle-ci serait
pour le cessionnaire une énorme, une criante injustice,
une véritable et dangereuse spoliation que les tribunaux
ne voudront jamais consacrer.
Tout ce qu’ils devraient faire , en supposant qu’ils
puissent faire quelque chose, serait d’ordonner qu’à par
tir d’une époque déterminée le cessionnaire exploitera
sous son nom en y ajoutant la qualification de succes
seur d e ... ou ancienne maison d e .. . . Ainsi se trou
verait complètement dégagé l’intérêt moral de la famille.
En effet, la faillite du successeur laisse pur et sans tache
le nom du prédécesseur , respecte le droit du cession
naire qui conserverait l’achalandage acquis à l’ancienne
maison , puisqu’il aurait le droit d’empêcher tout autre
SUR LES NOMS
�I ■
;
!
■;
k■,';\ V ' 5 Î
s:*?! i
de se parer directement ou indirectement du nom de
celle-ci.
757bis. — Le droit que nous reconnaissons au ces
sionnaire contre le cédant et sa famille, ne saurait être
à plus forte raison méconnu ou contesté à l’égard des
tiers. Propriétaire exclusif de l’établissement et du nom
qui lui ont été transmis, le cessionnaire succède, quant
à ce, à tous les droits de son cédant. Comme lui, il peut
empêcher qu’un tiers quel qu’il soit s’attribue ce nom,
ou une qualification impliquant une qualité qui n ap
partient qu’à lui.
Il serait donc recevable et fondé à faire réprimer toute
tentative dans ce sens, tout appel à des rapports de pa
renté ou de patronage de nature à créer une confusion
et à déterminer une concurrence déloyale.
758. — On ne peut contester à un commerçant qui
contracte une société, la faculté de faire de son nom la
raison sociale, à moins qu’il ne s’agisse d’une association
fictive dans l’objet de créer une concurrence déloyale.'
Doit-on réputer faite dans ce but celle dans laquelle
l’associé^dont le nom forme la raison sociale, n’apporte
pour mise de fonds que ce nom lui-même ?
On ne peut à cet égard se prononcer d’une manière
absolue. La question de savoir si on peut légalement
n’apporter dans une société que son nom a été conlro1 Supra n°s 738 et suiv.
�361
versée et diversement résolue ; et c’était inévitable. En
pareille matière, le fait seul abstractivement de toutes au
tres circonstances ne saurait avoir rien de décisif.
D’une part, en effet et commercialement parlant, le
nom qui s’est acquis une grande et juste renommée est
une valeur bien plus réelle, bien plus considérable qu’u
ne somme d’argent quelconque. Si l’argent prépare le
succès, la célébrité du nom l’assure par les débouchés
qu’elle ouvre aux produits sociaux, par la vogue qu’elle
leur imprime.
D’autre part, un nom célèbre sans la coopération ré
elle et effective de celui qui le porte , est-il autre chose
qu’un piège tendu à la confiance publique ? Ainsi que
le dit fort justement M. Troplong, le crédit ne s’accorde
qu’à la personne et à ses œuvres. Or si la personne dont
la réputation commande la confiance n’a , dans la so
ciété que son nom sans son travail, sa prévoyance, son
aptitude , la foi des tiers ne sera-t-elle pas trompée, et
dès lors une telle société ne rentrera-t-elle pas dans la
classe de celles qui sont contraires à la morale publi
que ? '
La loi de 1824 n’avait pas à se préoccuper de ce der
nier point de vue. Son but a été et est de protéger et de
garantir la propriété des noms, de proscrire la concur
rence déloyale entre commerçants ou industriels, et non
de prévenir et de réprimer le tort que le public peut avoir à souffrir de cette concurrence.
SDR LES NOMS
1 Des
sociétés, n° U 5
�362
LOI DU 28 JUILLET 1824
Il ne peut donc être question ici de la validité de la
société, mais de l’effet qu’elle peut produire à l’égard des
industriels similaires. Or, à ce point de vue, l’apport en
société d’un nom, isolément de toute coopération , peut
inspirer la méfiance et le soupçon. Faire présumer qu’il
n’a été recherché que parce qu’on a voulu spéculer sur
la réputation qu’un autre est parvenu à lui procurer dans
le même genre d’industrie.
Mais ce soupçon, cette présomption ont besoin de s’é
tayer d’autres circonstances qui les justifient et les con
firment. C’est donc à rechercher ces circonstances que
doit s’appliquer le juge. Si elles existent , si elles sont
suffisantes pour lui donner la conviction que la société
est simulée , il peut et il doit non annuler la société,
mais lui interdire d’user du nom dont elle a fait sa rai
son commerciale.
Dans le cas contraire, le droit à cette raison doit être
maintenu et consacré, mais restreint dans les bornes
qu’exigera la nécessité de différencier les établissements
et d’empêcher une confusion dommageable.'
759. —■ La réputation qu’une raison sociale est par
venue ù se créer, est le patrimoine commun de tous les
associés. Chacun d’eux, en effet, y a contribué par son
travail et son intelligence. Mais cette raison personni
fiant une réunion d’intéressés , ne saurait survivre à la
dissolution de la société. Si elle peut encore se produire,
�SUR LES NOMS
363
ce n’est que pendant la durée et pour les besoins de la
liquidation.
Celui dont le nom composait la raison sociale en re
prend la propriété exclusive et peut en interdire l’usage
à ses anciens associés. Il est vrai que ceux-ci peuvent
avoir intérêt à se rattacher à une société dont la célé
brité rejaillit forcément sur tous ceux qui en faisaient
partie, et devient pour eux un certificat d’aptitude et de
capacité. Mais cet intérêt ne saurait faire, ni qu’ils pus
sent prendre un nom auquel ils sont devenus étrangers
par la dissolution de l’être moral, ni même se dire suc
cesseur de la société, si en fait ils ne le sont pas.
Or de deux choses l’une : ou la société dissoute a li
quidé et cessé entièrement le commerce; ou elle en a
laissé la continuation à l’un d’eux. Dans le premier cas,
la société n’a point de successeur ; dans le second, cette
qualité n’appartient qu’à celui qui , recevant le fonds
de commerce, en continue l’exploitation. Il est évident
que si chaque associé entreprenant l’industrie ou le com
merce que faisait la société, pouvait l’exploiter sous la
qualification de successeur de celle-ci, la plus grande
confusion régnerait bientôt entre tous ces établissements.
Mais cette qualification est souvent un énorme avan
tage. À ce titre elle n’appartient ni à celui-ci ni à celuilà de préférence, à moins que l’acte social prévoyant le
cas de dissolution l’ait réglé d’avance en désignant l’as
socié qui serait chargé de la continuation des affaires.
A défaut, chaque associé a un droit égal à cette con
tinuation , qui doit dès lors devenir la matière d’une
�364
LOI DU 28 JUILLET 1824
convention et d’une entente entre eux. Si cette entente
' est impossible , le fonds de commerce doit être licité,
comme dans le cas d’indivision entre héritiers, et l’ad
judicataire a le droit exclusif de prendre la qualification
de successeur de la société.'
760. — Le jugement d’adjudication a en effet le ca
ractère d’un contrat de cession entre les colicitants, en
faveur de celui qui reste adjudicataire. In judicio quasi
contrahitur. Mais certaines clauses qui pourraient être
amiablement consenties dans le transport convention
nel, ne sauraient être imposées au colicitant qui s’y re
fuserait. Ainsi le poursuivant ou tout autre intéressé ne
pourrait même demander l’insertion au cahier des char
ges d’une clause portant inhibition d’entreprendre le
même genre de commerce ou d’industrie à la partie
qui ne serait pas adjudicataire,
À l’appui de la prétention contraire on disait devant
la cour de Paris : La vente du fonds de commerce à lieiter comprend, outre l’achalandage acquis en commun,
l’achalandage à venir ; si les vendeurs se réservaient le
droit de former un établissement du même genre près
de celui qu’ils vendent, l’achalandage acquis par la so
ciété ne serait pas réellement vendu , il reviendrait aux
vendeurs ; ce serait là violer les garanties dues à l’acqué
reur, en même temps que vendre incomplètement le fond
social ; on objecte en vain qu’il n’y a rien de commun
i Rouen, 15 mars 1827.
�365
entre la société qui vend et l’associé qui s’établira, puis
que ce sont les associés qui sont personnellement garants
de la vente, et que la garantie suppose l’obligation de
ne pas faire; il faudrait alors pour ne pas violer les
principes du droit et les usages du commerce en ma
tière de sociétés, et pour ne pas tromper l’acheteur, se
réserver formellement le droit d’établir , près du fond à
vendre , un commerce rival, ce qui ne pourrait avoir
lieu sans détruire la valeur réelle du fond social.
Ces considérations qui avaient prévalu auprès des ar
bitres , échouèrent devant la Cour qui les repousse par
arrêt infirmatif du 14 octobre \ 833 :
« Attendu que dans le cas où l’une des parties se
rendrait adjudicataire du fond de commerce avec la clau
se sus énoncée, sa position, encore bien qu’elle eût payé
plus cher , serait beaucoup plus avantageuse que celle
de l’autre partie qui, pour une légère augmentation du
capital, se verrait interdire le commerce dans le quar
tier le plus fréquenté, le plus riche et le plus commer
çant de la capitale ;
» Qu’admettre une semblable interdiction contre le
vœu d’une des parties serait, à son égard, enchaîner et
paralyser l’exercice d’une industrie qui doit être libre
pour tous, à moins d’une renonciation volontaire et for
melle ; que cette liberté est conforme aux principes du
droit naturel, aux règles de l’économie politique et a
l’intérêt général de l’industrie. ' »
SUR LES NOMS
1 D. P ., 36, 2, 48.
�LOI DU 28 JUILLET 1824
366
Notons que, dans l’espèce , l’interdiction réclamée se
renfermait dans une zone déterminée , au voisinage de
l’établissement social. A plus forte raison devrait-on la
repousser dans les cas où elle serait réclamée d’une ma
nière générale et absolue. Le quasi-contrat judiciaire
ne saurait avoir l’effet de la cession conventionnelle.
Celle-ci, en effet, est l’acte d’une volonté spontanée et
libre. Dans la licitation , au contraire , le colicilant ne
vend pas ; il subit la vente avec des chances que la dif
férence des fortunes peut rendre fort inégales. Il est
donc rationnel et juste de refuser à cette vente tout effet
de nature à lier et à enchaîner l’avenir.
76 ï . — Ainsi , après la dissolution.de la société,
chaque associé peut en son nom et pour son compte
personnel créer et exploiter un établissement de même
nature que celui qu’exploitait la société. Il y a même
plus : si la qualification de successeur n’appartient qu’à
celui qui l’a conventionnellement ou judiciairement ac
quise, tous peiivent prendre celle d'ancien associé de...
C’est là sans doute spéculer sur la notoriété que la so
ciété avait obtenue et méritée, mais indiquer la partici
pation qu’on a eue aux affaires sociales, ce n’est pas
s’annoncer comme leur ayant immédiatement succédé,
ce serait plutôt le contraire, puisque dans ce cas on se
dirait non associé, mais successeur de la société. D’ail
leurs cette énonciation mentionne un fait vrai, inhérent
à la personne qui se la donne. Or, comme le dît la cour
de Paris dans son arrêt du 21 mai 1834, elle ne pour-
�367
rait être reprochable que dans le cas où elle serait faite
dans rétention ou de manière à nuire à des tiers.
Le droit est donc acquis, mais son exercice est limité.
Il ne doit jamais constituer un abus et une fraude. Il
aurait évidemment ce caractère si, par sa forme, sa cou
leur, ses dimensions, la différence des lettres, l’annonce
pouvait faire illusion et déterminer une confusion entre
le nouvel établissement et celui du successeur de la so
ciété.
Mais même dans cette bypotbèse, la justice ne sau
rait ni méconnaître ni dénier le droit ; elle doit se bor
ner à corriger l’abus, à réprimer la fraude, en en ren
fermant l’exercice dans des limites telles que toute con
fusion soit désormais impossible. C’est ce que la cour de
Lyon consacrait dans l’espèce suivante :
Les frères Maderni avaient été longtemps associés avec
le sieur Isaac Casati pour la fabrication du chocolat.
Cette société s’étant dissoute en 1848, les frères Maderni
reçurent 45,000 fr. pour leur part du fond social qui
continua à être géré et exploité par Isaac Casati.
Plus tard les frères Maderni ayant créé un établisse
ment pour la fabrication et la vente du chocolat, comme
ils s’étaient réservés de le faire dans l’acte de dissolu
tion, ils se qualifièrent de Maderni frères ex-associés
d'Isaac Casati.
Sur la poursuite de celui-ci, le tribunal de Lyon or
donne la suppression des mots ex-associés d’Isaac Ca
sati. Mais sur l’appel, la cour de Lyon infirme; elle dé
clare qu’on ne saurait interdire aux frères Maderni d’éSUR LES NOMS
�368
loi du 28 juillet 1824
noncer le fait vrai qu’ils ont été les associés d’Isaac Casati, qu’autant qu’il serait démontré que cette énoncia
tion serait dangereuse pour les intérêts du commerce de
celui-ci ; qu’il suffit donc de prévenir ce danger par les
modifications que la justice a le pouvoir de prescrire.
En conséquence , l’arrêt du mai 1850 ordonne
« que sur l’enseigne des frères Maderni, 1° les mots
an cien s a s s o c ié s , remplaceront ceux de ex -a sso ciés ;
2 ° que les mots an cien s associés y figureront en carac
tères d’une dimension de moitié moins forte que celle
des mots M adern i frè re s ; 3° que ceux d’Isetac C a sa ti,
auront en dimension deux tiers de moins que les mêmes
mots M a d ern i frè re s ; 4° enfin que la mention entière
sans aucune exception , M a d ern i frè re s anciens asso
ciés d'Isaac C a sa ti, sera tracée en caractères de la mê
me nature et de la même couleur.' »
762. — La propriété exclusive du nom est perpé
tuelle. Elle survit donc à la propriété exclusive du pro
duit puisant son fondement dans un brevet d’invention
et qui n’est et ne peut être que temporaire. Le bénéfi
ciaire du brevet peut seul pendant la durée de celui-ci
fabriquer et vendre la chose qui en fait la matière. L’ex
piration du brevet, sa nullité ou sa déchéance faisant
tomber cette chose dans le domaine public, la met à la
disposition de tout le monde.
Mais le droit de la fabriquer et de la vendre ne con-
�369
fère pas celui de le faire sous le nom personnel de l’in
venteur. Après l’expiration du monopole comme pen
dant sa durée, comme avant sa naissance.ce nom n’ap
partient qu’à celui qui a droit de le porter. L’inventeur
peut donc en tout temps, comme tout autre commer
çant ou industriel, s’opposer à ce qu’un autre se l’attri
bue, en poursuivre et en faire réprimer l’usurpation, et
empêcher qu’on le fasse figurer sur des produits qu’il
n’a pas confectionnés lui-même. Son droit à cet égard
puise son fondement dans le respect dû à l’inviolabilité
du nom, et dans le plus légitime intérêt , celui de pré
venir le discrédit dont ce nom pourrait être frappé s’il
servait à couvrir et à protéger des produits inférieurs de
nature à lui aliéner la confiance publique.
SUR LES NOMS
765. — Cette règle, comme toutes les autres, com
porte quelques exceptions. Il y aurait réellement impos
sibilité de l’invoquer et de l’appliquer, si l’inventeur n’a
donné à ses produits d’autre qualification que son nom
lui-même. Exemple : l’inventeur des quinquets, celui
des bretelles, etc.. . .
Il est évident en effet que si, dans ce cas, on interdi
sait l’usage de la qualification , on interdirait la fabri
cation du produit, et qu’ainsi, au moyen de cette pré
caution dont il ne manquerait pas d’user, l’inventeur,
au lieu du monopole temporaire que la loi entend lui
conférer, s’assurerait un monopole éternel.
Il faut donc , enseigne M. Blanc, qu’il se résigne à
voir son nom suivre le sort de son invention , et à suii — 24
�370
LOI DU
28 JUILLET 1824
bir la loi qu’il s’est bien volontairement faite à luimême.
Toutefois il n’y est réellement contraint que lorsque
le produit inventé et nouveau n’est désigné par aucune
autre qualité que ce nom, de telle sorte que tombé dans
le domaine public on ne puisse l’en distinguer. Com
ment en effet fabriquer et vendre des quinquets ou des
bretelles autrement qu’en les appelant des quinquiets et
des bretelles.
Mais si le nom de l’inventeur n’indique qu’un genre
spécial, qu’une modification, qu’un perfectionnement à
un produit déjà existant et connu , on pourra bien se
servir de ce nom, mais seulement pour désigner le ca
ractère du produit et non son origine.
Ainsi l’inventeur de la lampe carcel, n’a créé qu’une
lampe d’un nouveau système qui , par l’expiration de
son brevet, est tombé dans le domaine public. Dès lors
tout le monde a pu appliquer ce système, et l’annoncer.
Mais nul autre que Carcel lui-même n’a été autorisé à
se servir de la désignation pure et simple de lampescar cel, parce que cette désignation indiquerait un pro
duit confectionné par celui-ci et sortant de ses ateliers.
Tout ce qui est permis c’est que le tiers qui fabrique
dans le même système , livre ses produits sous le nom
de lampes dites carcel., ou façon carcel, ou suivant la
méthode carcel. C’est ce que la jurisprudence a pres
crit et consacré.
764. — Une seconde exception permet l’usage du
�374
nom de l’inventeur,-lorsque ce nom apposé sur les pro
duits depuis longtemps et sans réclamation, sert à dési
gner non l’origine, mais la qualité de ces produits.
Ainsi le jugeait la cour de Cassation par arrêt du 24
février 4^55. Cet arrêt décide en effet que l’usage par
des tiers du nom d’un fabricant est légal et licite : 1 ° s’il
est constaté que, par l’effet d’un long usage ou d’un
consentement tacite ou exprès , ce nom est devenu la
seule désignation usuelle et réelle d’un procédé de fa
brication tombé dans le domaine public; 2 ° s’il a été
pris des précautions pour éviter toute confusion sur l’o
rigine industrielle du produit fabriqué.
Il est vrai que cet arrêt casse celui de la cour de Pa
ris qui avait autorisé un tiers à se servir des initiales S.
T. ou du nom de S te r lin , en les faisant précéder des
mots fa ço n d e . ... Mais cette cassation n’est motivée
que sur ce que la cour de Paris ne co n sta te aucun f a it
SUR LES NOMS
ou aucun u sage ten d a n t à é ta b lir que le nom de S te r lin
s o it devenu la d é sig n a tio n o r d in a ir e e t reçu e d'u n cer
ta in m ode de fa b r ic a tio n tom bé da n s le d o m a in e 'pu
b lic .1
765. — Un arrêt de la cour de Paris du 3 juin
4843, nous offre un exemple remarquable de la légalité
de l’usage du nom, lorsque ce nom indique et sert, de
puis longtemps dans le commerce, à indiquer non l’ori
gine du produit mais sa qualité.
1 D. P., 56,
66.
�LOI DU 28 JUILLET 1824
372
Depuis plus de quarante ans on fabriquait et on ven
dait en France des limes sur lesquelles on empreignait
lesnomsSpencer eiStubs. Cette indication était connue et
acceptée comme désignant la qualité des limes et non leur
provenance étrangère. Cet usage n’avait jamais excité ni
plaintes ni réclamations de la part des intéressés.
En 1842 , la maison Mathieu Spencer et fils et Wil
liams et Joseph Stubs , actionne devant le tribunal de
commerce de Paris, divers fabricants et débitants de ces
limes, comme ayant usurpé ses noms. Elle conclut à des
dommages-intérêts pour le passé, et à l’interdiction pour
l’avenir d’user des noms Spencer et Stubs.
Le tribunal repousse toutes ces prétentions comme
non recevables, attendu que ni les demandeurs ni leurs
représentants en France n’ayant pas fait le dépôt préa
lable des noms Spencer et Stubs, ne peuvent en reven
diquer la propriété exclusive.
Ce motif n’avait pour fondement qu’une confusion.
En effet il s’agissait dans l’espèce non d’une marque de
fabrique ou de commerce, mais du nom patronimique
de commerçants. Or si la première doit être l’objet d’un
dépôt au greffe , le second en est affranchi , la loi de
1824 n’en imposant nulle part l’obligation. Aussi la
cour de Paris saisie par l’appel ne s’arrête pas à la fin
de non-recevoir.
Examinant la prétention au fond, elle la repousse par
les motifs suivants :
« Considérant que l’empreinte apposée sur les limes
saisies ne reproduit pas exactement le nom commercial
�373
ou la raison commerciale de Mathieu Spencer et fils et
de Williams et Joseph Stubs ; que les noms de Spencer
et Stubs sans autre désignation s’y confondent avec la
marque, et ne font qu’un avec elle ;
» Qu’il est constant que depuis plus de quarante ans
ces noms sont apposés sur des limes fabriquées en Fran
ce et livrées au commerce, et que cet usage, quelque abusif qu’il soit, n’a donné lieu à aueune plainte, à au
cune réclamation de la part des appelants ou de leurs
auteurs ; que d’ailleurs l’empreinte de ces noms a moins
pour objet de faire connaître l’origine de la fabrication
que de désigner la nature et la qualité de la marchan
dise.' »
766. — Ce dernier motif constate suffisamment les
conditions que la cour de Cassation exige pour qu’on
puisse légalement se servir du nom d’autrui. Mais le
premier conduisant à cette conséquence qu’en tire l’arrêtiste : qu’il n’y a usurpation qu’autant que l’empreinte
arguée de contrefaçon reproduit exactement et dans son
entier le nom commercial ou la raison sociale d'un fa
bricant, nous parait inadmissible et méconnaître l’esprit
et le texte de la loi.
Il est en effet évident que le législateur de 1824 a
voulu également protéger et garantir le nom patronymi
que et le nom commercial. Est-ce que le premier n’est
pas une propriété aussi respectable , aussi sacrée que le
SUR LES NOMS
�374
loi du
28
juillet
1824
dernier ? Est-ce que le droit d’en prévenir ou d’en faire
réprimer l’usurpation n’était pas déjà inscrit dans le
droit commun ? Il n’est donc pas possible d’admettre
que, par une dérogation à ce droit, le législateur ait re
fusé au commerçant une faculté qui lui est acquise com
me citoyen.
La preuve qu’il ne l’a ni entendu ni voulu , s’induit
des termes qu’il emploie. L’article 1er met sur la même
ligne le nom et la raison commerciale. Donc celui qui
sans usurper celle-ci usurpe celui-là , tombe sous le
coup de sa disposition. Comment expliquer l’énuméra
tion du nom et de la raison commerciale ? Si le légis
lateur n’avait en vue que le nom commercial, il n’avait
qu’à parler de la raison commerciale qui le constitue.
L’indication conjonctive du nom et de cette raison ne
serait plus, dans ce cas, qu’une redondante superfluité
qu’on ne saurait attribuer à la loi.
D’ailleurs la concurrence déloyale qu’on a voulu at
teindre, l’emploi du nom patronymique ne la réaliserat-elle pas ? Est-il possible dès lors de supposer qu’illi
cite et condamnable lorsqu’elle se produit par l’usage de
la raison commerciale,., elle sera légale et permise au
moyen de l’usurpation du nom patronymique ?
767. — Qu’importait encore que le nom se confon
dit avec la marque de l’usurpateur et ne fit qu’un avec
elle ? La marque peut être tout ce qu’on veut qu’elle
soit ; mais cette liberté s’arrête devant le nom d’autrui.
S’il suffisait, pour acquérir le droit de s’en servir, de
�375
l’introduire et de le confondre dans une marque quel
conque, on pourrait effacer de nos codes la loi de 1824,
car le moyen de l’éluder serait si simple, si facile, qu’il
serait impossible de l’appliquer jamais.
Dans quel but d’ailleurs un commerçant ou fabricant
introduirait-il dans sa marque le nom réputé d’un ri
val d’industrie , si ce n’est pour amener une confusion
entre ses produits et ceux de ce dernier, c’est-à-dire de
créer une concurrence déloyale ? Donc l’y autoriser, se
rait lui permettre précisément ce que la loi défend.
La cour de Paris le comprenait si bien ainsi que, par
son arrêt du 31 décembre 1853, elle faisait défense au
sieur Teissier d’employer sur ses serrures et dans les
enveloppes et ses factures, le nom Sterlin ou les initiales
S T . sans les faire précéder des mots façon de. . et
la cour de Cassation, nous l’avons d^éjà dit, n’admettait
même pas qu’il put en être ainsi. 1
'Ainsi la cour de Cassation décide que la disposition
de l’art. 17 de la loi de germinal an xi, qui considère,
comme usurpation de nom, le fait par un fabricant d’a
voir inséré , dans sa marque de fabrique, le nom d’un
autre fabricant précédé des mots : façon de. . . , est tou
jours en vigueur , sauf à ne frapper ce fait que de la
peine édictée par la loi de 1824 ; que ce principe ne
fléchit que lorsque , par un long usage , ou par suite
d’un consentement soit exprès, soit tacite de la part de
l’intéressé, le nom d’un fabricant est devenu la seule
SUR LES NOMS
1 S u p ra n° 764.
�376
LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
désignation actuelle ou reçue de tel ou tel procédé de
fabrication tombé dans le domaine public.
Le dernier motif de l’arrêt de Paris du 3 juin 1843,
constatant et le long usage du nom de Spencer et Stubs,
le consentement tacite des intéressés et le fait que ce
nom n’indiquait que la nature et la qualité des produits,
est seul juridique et peut seul légitimer la décision con
sacrée par la Cour.
768. — Dans cette espèce s’offrait en outre la ques
tion de savoir si l’étranger était recevable à invoquer
le bénéfice de la loi de 1824. Les demandeurs Mathias
Spencer et fils et William et Joseph Stubs étaient an
glais , et on soutenait que la loi française ne pouvait et
ne devait protéger que ses nationaux.
Mais celte fin de non-recevoir écartée par le tribu
nal, fut également repoussée par la Cour qui déclare que
le fabricant étranger doit trouver en France la même
protection que les nationaux contre la fraude.
On doit à notre avis le décider d’autant plus ainsi,
qu’en celte occurrence la fraude contre l’étranger se
double d’une fraude contre les consommateurs français.
En effet on n’usurpe que les origines qui jouissent d’une
grande réputation ; et en vendant sous la garantie d’une
apparence menteuse des produits inférieurs par la ma
tière, par le mode de leur confection, on trompe les acheteurs qui les payent fort au delà de leur valeur ré
elle.
Prévenir et réprimer cet abus c’est donc en réalité
�377
protéger le public français. Dès lors bien loin d’empê
cher l’étranger de se plaindre de l’usurpation de son
nom, on doit l’appeler et l’encourager à le faire.
Ce ne sont pas cependant ces considérations qui ont
prévalu en 1857, lorsqu’il s’est agi des marques de com
merce et de fabrique. Ainsi que nous le verrons, la loi
qui s’en occupe n’autorise l’étranger à se prévaloir de
ses dispositions que s’il a en France un établissement
commercial ou industriel ; et dans le cas contraire, que
si dans le pays où il réside et où il est établi, des con
ventions diplomatiques créent et admettent la réciprocité
pour les marques françaises.
Cette disposition de la loi du 23 juin 1857 et le si
lence gardé à l’égard des étrangers par celle de 1824,
ont autorisé la prétention d’exiger pour les noms ce qui
est exigé pour les marques, c’est-à-dire la condition de
réciprocité. Cette prétention doit d’autant plus être re
poussée que , même en ce qui concerne les marques,
cette condition a soulevé les plus énergiques protesta
tions de la part des jurisconsultes et des publicistes les
plus autorisés.
MM. Pardessus, Massé, Sérigni, Demangeat, Demolombe la condamnent à l’envi. Comment, dit ce dernier,
il serait permis d’usurper les marques et la raison so
ciale des fabricants étrangers qui ont en France un éta
blissement , un comptoir soit par eux-mêmes soit par
un préposé ! Mais alors on pourrait leur prendre leur
enseigne, cet autre signe commercial que les tribunaux
protègent si sévèrement et avec tant de raison ! On pourSUR LES NOMS
�LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 24
378
rait ouvrir auprès d’eux un établissement qui leur pren
drait tout ce qui constitue l’individualité la personna
lité ; leur raison commerciale, et jusqu’à leur nom pro
pre ! Je ne le crois pas.1
Les auteurs qui ont spécialement écrit sur la matière
ne l’envisagent pas autrement. Le savant et regrettable
Rendu, après avoir rappelé les considérations invoquées
à l’appui de la disposition de la loi de J 857, ajoute :
« Ces considérations ne sont assurément pas sans ré
plique. Lorsque la question a été portée devant les prin
cipales cours d’appel on a fait remarquer , avec autant
de vérité que de noblesse, que la loyauté est l’àme et la
vie du commerce vis-à-vis des étrangers comme des na
tionaux ; que les tribunaux français ne doivent pas per
mettre que les consommateurs soient trompés par des
spéculations que la bonne foi et l’équité repoussent ; que
des actes manifestement interdits par la morale , com
promettent nos véritables intérêts en jetant la méfiance
dans nos relations internationales ; que si les étrangers
sont exclus des droits civils qui ne sont que des créa
tions de la loi française , ils doivent cependant jouir des
droits qui ont leur fondement dans le droit des gens et
dont la loi française s’est bornée à reconnaître l’existen
ce et à régler l’exercice; qu’un des premiers préceptes
de l’équité naturelle est que tout dommage fait à autrui
exige une réparation de la part de celui qui l’a causé ;
i Cours de droit, tom. 1, n° 246 bis.
�379
que si ce principe est formellement consacré par la loi
française, elle ne l’a pas créé , elle n’a fait que le sanc
tionner, que le proclamer, et qu’ainsi, quoique compris
dans nos lois civiles, il n’en conserve pas moins son ca
ractère primitif qui le rend applicable dans tous les temps,
dans tous les lieux ; à l’étranger comme au régnicole ;
que le respect dû à la propriété d’autrui n’est pas une
obligation qui dérive du droit civil , mais bien du droit
naturel et du droit des gens.' »
Les partisans de la réciprocité faisaient beaucoup va
loir une décision d’un tribunal anglais du 16 août 1838,
qui avait repoussé la demande d’un commerçant fran
çais, réclamant contre l’usurpation de son nom et de sa
marque,et enconcluaient que protéger en France les noms
et les marques anglais serait une véritable duperie.
Mais celte décision n’avait pas fait fortune en Angle
terre, car un arrêt de la cour de Chancellerie du 11 juin
1857 consacre le contraire et décide qu’en Angleterre
l’étranger a le droit d’obtenir , d’une cour d’équité , des
dommages - intérêts à raison de l’usage frauduleux de
son nom ou de sa marque.
M. Rendu qui cite ce document rappelle ces paroles
de M. le vice-chancellier AVood : « 11 me paraît clair
» que le fait que les plaignants sont étrangers ne les rend
» pas incapables de demander protection. Il ne peut y
» avoir aucun doute que tous les sujets de tous les pays,
» sans peut-être en excepter même les sujets d’un pays
SUR LES NOMS
1 Marques de fabrique, n°s-H3 et suiv.
�380
LOI DU 28 JUILLET 1824
» ennem i, ont droit de s’adresser aux cours du pays
» pour faire arrêter à sa source le préjudice frauduleux
» causé à leur propriété. »
M. Rendu se demande dès lors avec raison s’il est
possible que la France se montre moins libérale, moins
juste , et méconnaisse les exigences du droit de la pro
priété même étrangère.
Les honorables rédacteurs des A n n ales de la p r o p rié té
in d u s tr ie lle , MM. Pataille et Huguet, estiment de leur
côté qu’on ne saurait refuser de protéger cette propriété
sans blesser nos nationaux eux-mêmes. « L’intérêt de
» notre industrie , enseignent-ils , aussi bien que les
» principes du droit réclament le respect absolu et uni» versel des marques de fabrique même étrangères,
» parce que c’est là une propriété du droit des gens.
» Les usurpations frauduleuses , ces mensonges de fa» brication qui ne profitent qu’à un petit nombre, trom» pent le public , déconsidèrent l’industrie et le com» merce, et constituent une concurrence aussi fâcheuse
» que déloyale pour nos industriels honnêtes.1 »
Lesystèmequi a prévalu, dit de son côté M.Et.Blanc,
nous parait fort contestable , au moins en ce qui con
cerne les marques proprement dites. Dans ce cas , en
effet, l’usurpation est qualifiée crime quand il s’agit d’u
ne marque emblématique (art. 1421 et 143 C. pénal),
et délit quand il s’agit d’un nom (loi du 2l4 juillet 18214).
�381
Or il nous a toujours paru de droit naturel et des gens
de protéger même les étrangers contre les crimes ou les
délits commis à leur égard en France.'
Au reste si le doute est permis sur le caractère de la
propriété des marques emblématiques, s’il est vrai qu’
elle n’est pas du droit naturel et des gens, on ne sau
rait hésiter à l’égard du nom. Le droit de s’en servir ex
clusivement a préexisté à toute législation. La loi civile
a bien pu le reconnaître, le consacrer, en régler l’exer
cice ; mais évidemment elle ne l’a pas créé. Dès lors en
supposant que la loi de 1857 ne mérite pas les repro
ches qu’elle a soulevés , on ne saurait rien en induire
pour ce qui concerne le nom ; et si pour la marque il a
fallu une disposition expresse réglant les conditions aux
quelles l’étranger sera admis à invoquer le bénéfice de
la lo i, l’absence d’une disposition de ce genre dans ,1a
loi de 18214 prouve que le législateur s’en est référé au
droit commun qui ne distingue pas entre le Français et
l’Etranger, et qui assure à tous indistinctement la pro
priété exclusive de son nom.
SUR LES NOMS
769. — M. Gastambide est d’un avis contraire : il
pense que l’usurpation du nom d’un fabricant ou d’un
commerçant étranger n’est ni prévue ni punie par notre
loi’. Mais outre que cette opinion est isolée, elle aboutirait
forcément a l’impunité de l’usurpateur , et cette impuDe la
1
Contref., n° 739.
2 Ibid,, n» 457.
�382
LOI DU 28 JUILLET 1824
nité M. Gastambide lui-même s’en effraye et la repous
se. Aussi admet - il que l’usurpation du nom d’un fa
bricant étranger est passible des peines prononcées par
la loi de 1824 comme tromperie sur l’origine de la mar
chandise et non comme contrefaçon ; qu’elle peut don
ner lieu à des dommages-intérêts envers les acheteurs
trompés, mais non envers le fabricant contrefait.
N’est-ce pas là la plus évidente, la plus insigne con
tradiction ? Si l’usurpation du nom d’un fabricant n’est
ni ■ prévue ni punie par la loi de 1824 , elle est donc
licite et permise. Celui qui se la permet use d’un droit,
et nous ne saurions admettre que l’exercice d’un droit
puisse jamais donner lieu à des dommages-intérêts.
De quoi se plaindrait l’acheteur ? D’avoir été trompé
sur l’origine de la marchandise ? Mais cette tromperie
l’art. 424 du Code pénal ne s’en occupe pas. Il faudrait
donc, comme le fait M. Gastambide, recourir à la loi
de 1824 ; et nous le répétons, si cette loi n’a ni prévu
ni puni l’usurpation des noms étrangers, comprendraiton que l’usurpateur fût, dans un cas quelconque, pas
sible des peines édictées par cette loi, c’est-à-dire qu’il
pût, sur la plainte d’un acheteur, être condamné à l’a
mende et à l’emprisonnement ?
Le tempérament à l’aide duquel M. Gastambide rend
à la loi le caractère de moralité et de justice que son
interprétation lui enlève, est d’autant plus inadmissible,
que cette loi, comme celle de 1857, a eu pour but, non
la répression des fraudes que les faits qu’elle réprime
pourraient amener contre le public , mais uniquement
�383
de protéger les fabricants en mettant leurs noms à l’abri
de toute atteinte.
770. — Nous croyons donc que la loi de 1824,
dans sa lettre et dans son esprit, a entendu protéger et
protège les noms industriels étrangers comme ceux des
français; et que l’intérêt du public français le lui pres
crivait comme un devoir.
Mais ajoutons tout de suite que cette opinion embras
sée et consacrée par les tribunaux de commerce et par
les cours de Rouen et de Paris notamment, n’a pas été
partagée par la cour de Cassation.
Un arrêt de la cour de Paris du 30 novembre 1840,
repoussait la fin de non-recevoir opposée à l’action de
l’étranger :
« Considérant, disait la Cour, que le nom d’un com
merçant est une propriété que les lois de tous les pays
doivent faire respecter ; qu’à ce nom se rattache souvent
une réputation commerciale qui devient un patrimoine
de famille ; qu’un étranger qui apporte en France soit
une industrie, soit des produits fabriqués, doit être pro
tégé comme les nationaux ;
y> Que la bonne foi et l’équité sont de tous les pays ;
que les tribunaux français ne doivent pas permettre que
les consommateurs soient trompés par des spéculations
que la bonne foi et l’équité repoussent ;
» Que s’il est allégué qu’en pareille matière les Fran
çais faisant le commerce en Angleterre (les demandeurs
étaient Anglais), sont exposés à de telles spoliations, ces
SUR LES NOMS
�allégations ne sont pas justifiées ; que le fussent-elles, il
ne faudrait pas moins rendre bonne et loyale justice
aux étrangers qui se placent sous la protection de la loi
française, afin de commander et d’obtenir la même pro
tection pour les Français résidant en pays étrangers.’ »
A ces considérations la cour de Cassation oppose que
l’action en usurpation de nom est de pur droit civil ;
qu’en conséquence , aux termes des art. 11 et 13 du
Code Napoléon, l’étranger non admis à la jouissance des
droits civils ne peut exercer que ceux réciproquement ac
cordés aux Français par les traités de la nation à la
quelle cet étranger appartient. En conséquence et par
arrêt du 14 août 1844 , elle casse celui de la cour de
Paris , et renvoie parties et matière devant la cour de
Rouen.
La question pour celle-ci était nettement posée. Elle
était tout entière dans le caractère de l’action. Etait-elle
de droit civil ? Puisait-elle au contraire son fondement
dans le droit naturel et des gens ?
Mise en demeure d’opter , la cour de Rouen se pro
nonce dans le sens de la doctrine de la cour de Paris, et
comme celle-ci déclare l’action recevable. Son arrêt du
8 juin 1845 considère :
« Que Rowland and son , d’après les art. 11 et 13
du Code Napoléon, n’ayant pas été admis à jouir en
France des droits civils ne sont recevables dans leur ac
tion que si elle n’est pas l’exercice d’un droit civil ;
1 D. P., 41, 2, 73.
�385
» Qu’en effet si les étrangers sont exclus des droits
civils qui ne sont que des créations de la loi française,
ils doivent cependant jouir des droits qui ont leur fondemant dans le droit naturel ou dans le droit des gens,
et dont la loi française s’est bornée à reconnaître l’exer
cice ;
» Qu’un des premiers préceptes de l’équité naturelle
est que tout dommage causé à autrui exige une répara
tion de la part de celui qui l’a causé; que si ce princi
pe est formellement consacré par la loi française , elle •
ne l’a pas créé, elle n’a fait que le sanctionner, et qu’ainsi, quoique compris dans nos lois civiles, il n’en con
serve pas moins son caractère primitif qui le rend ap
plicable dans tous les lieux , dans tous les pays, à l’é
tranger comme au régnicole;
» Que cette maxime d’équité naturelle ne peut être
infirmée parce qu’il s’agirait, dans la cause , de dom
mages-intérêts pour préjudice causé par l’usurpation
d’un nom, et son emploi sur des produits industriels,
dont la propriété ne serait établie et réglée que par la
loi civile ;
» Qu’en effet le respect dû à la propriété d’autrui
n’est pas une obligation qui dérive du droit civil , mais
bien du droit naturel ou du droit des gens; que la pro
priété du nom d’un commerçant peut avoir une grande
importance , et que, dans tous les cas, personne n’a le
droit de lui porter atteinte ; que cette propriété la plus
personnelle de celles qui peuvent appartenir à l’hom
me, n’est pas créée par la loi civile et peut se conserver
S UR LES NOMS
ii — 25
�LOI DU 28 JUILLET 1824
386
sans elle ; que si la loi française intervient pour la pro
téger contre les atteintes qui peuvent y être portées, elle
ne la dénature pas en la reconnaissant, en la défendant,
car elle ne fait que prêter son appui à une propriété
qui a son fondement dans le droit des gens de toutes les
nations civilisées. »
Le pourvoi dirigé contre, ce second arrêt vint déférer
la question aux chambres réunies de la cour de Cassa
tion. L’arrêt qui intervint le 16 juillet 1848 , sur les
conclusions conformes de M. Dupin , confirme la doc
trine de la chambre civile, en adopte les motifs et casse
l’arrêt de la cour de Rouen, comme celle-ci avait cassé
l’arrêt de la cour de Paris.’
• 771. — Cette solution qui a contre elle la presque
unanimité des jurisconsultes a été sévèrement appréciée
par les publicistes. Dans son Droit public , M. Serrigni la repousse par cette considération que l’industrie
dont l’étranger transporte l’exploitation en France de
vient véritablement française , et lui donne droit à la
protection des lois françaises". Telle est aussi l’opinion
de M. Massé.3
Dans son Traité du droit international privé, M.
Fœlix combat cet arrêt au nom de l’intérêt de notre com
merce lui-même.
1 D. P., 48, 1, 140,
s T. 1, p. 225.
3 Droit comm. dans ses rapports avec le droit des gens, 1 . 1, n° 35.
�387
« Nous regarderions, dit-il, la sanction définitive de
la doctrine de la cour de Cassation comme une calamité
de plus à ajouter à celles qu’une jurisprudence et une
législation étroites ont déjà attirées à la France en pro
voquant des mesures de rétorsion en pays étranger.' »
772. — Nul plus que nous n’est disposé à rendre
hommage aux profondes lumières et à la haute science
de la Cour régulatrice, et nous sommes heureux lorsque
nous pouvons abriter nos opinions à l’ombre de sa lé
gitime et puissante autorité. Donc si dans la circons
tance nous répudions sa doctrine, c’est que la réflexion
nous a convaincu que son appréciation du caractère de
l’action est entachée d’erreur, ce dont les meilleurs es
prits ne peuvent toujours se défendre. Cette croyance est
permise lorsqu’on la voit partagée par les Pardessus, les
Demangeat, les Demolombe, les Rendu, les Blanc, les
Serrigni, les Massé , les Fœlix. Ce concours tout au
moins donne lieu à réfléchir, et sollicite un nouvel ap
pel à sa haute justice.
Ce que la Cour s’est proposée c’est de hâter l’admis
sion de la réciprocité. Il faut, disait M. Dupin, que les
gouvernements étrangers soient amenés à conclure des
traités ; et ils reconnaîtront mieux l’utilité de ceux qu’on
leur offre lorsqu’ils en sentiront l’absence.
Certes si quelque chose est à désirer , c’est que les
Français trouvent chez les diverses nations la protection
SUR LES NOMS
i 2“e éd it, p. 207.
�388
LOI DU
28 JUILLET 1824
que nous sollicitons pour l’étranger demandant en Fran
ce qu’on respecte sa propriété.
Mais cette protection l’obtiendra-t-on si, à l’exemple
de quelques peuples en arrière de la civilisation, on mé
connaît les principes de l’équité et de la justice? Les
prohibitions, les tracasseries ne sont bonnes qu’à appe
ler, qu’à motiver les représailles, et ce n’est pas avec el
les et par elles que nous arriverons au but si désirable
et si désiré.
C’est par l’exemple du respect pour le grand principe
proclamé par les cours de Paris et de Rouen qu’on ap
prendra aux autres à le respecter ; c’est en proclamant
que la bonne foi et l’équité sont de tous les pays qu’on
parviendra plus facilement et plus sûrement à convain
cre de cette vérité, que le chancelier d’Angleterre recon
naissait en termes si formels et faisait triompher devant
la cour de Chancellerie.
Pour qu’une idée morale fasse son chemin il faut que
quelqu’un en prenne l’initiative. Or à qui ce rôle con
venait-il mieux qu’à notre noble France toujours si gé
néreuse , toujours à la tête de la civilisation et du pro
grès.
Est-ce que d’ailleurs la protection des noms étran
gers ne tournera pas à notre profit ? N’avons-nous pas
le plus réel intérêt à appeler chez nous les industries utiles qui, par l’impulsion qu’elles impriment au com
merce, contribuent tant au développement de la pros
périté publique ? Or comment veut-on que les étran
gers viennent nous enrichir de leur habileté, de leur in-
�389
telligence, de leurs capitaux , si vous les condamnez à
souffrir que des rivaux d’industrie, incapables de les égaler se parent de leur nom , usurpent leur enseigne,
s’attribuent leur raison commerciale au risque de les avilir, de les discréditer ?
A ce point de vue il est évident que la doctrine de la
cour de Cassation blesse l’intérêt public lui-même. Il le
blesse bien plus encore au point de vue des consomma
teurs. Si l’usurpation d’un nom étranger est permise,
on ouvre la porte à des abus et à des fraudes. On pourra
impunément se jouer de la crédulité des acheteurs , abuser de leur confiance et les rendre victimes des plus
odieuses spéculations.
Nous reprochons de plus à cette doctrine de mécon
naître le caractère de l’action. Elle n’a pu à notre avis
lui donner on fondement purement civil que par la con
fusion que le réquisitoire du procureur général établis
sait entre les noms des fabricants ou commerçants et les
marques de commerce ou de fabrique : assimilant ainsi
deux choses qui, au point de vue du droit, sont sépa
rées par un abîme.
En effet le signe, le symbole, l’emblème, le chiffre qui
constitue la marque, celui qui se l’attribue, l’emprunte
au domaine public. Il prend donc en réalité ce qui ne
lui a jamais exclusivement appartenu. Il fallait donc une
loi pour autoriser et consacrer un pareil résultat ; et cette
loi loin de sanctionner le droit naturel y déroge en don
nant à un seul ce qui avait toujours été la propriété de
SUR LUS NOMS
�LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
390
Mais le nom a-t-il jamais appartenu au domaine pu
blic ? N’a-t-il pas toujours, dans tous les temps, dans
tous les lieux constitué le patrimoine personnel et ex
clusif de celui qui , en naissant, a reçu le droit de le
porter ? Donc la loi qui en prohibe l’usurpation n’en
lève rien à personne ; elle ne fait que sanctionner une
propriété qui existait avant elle et sans elle , et qui par
conséquent avait pour fondement unique et réel le droit
naturel.
Mais objectait le réquisitoire de M. Dupin , l’usage
du nom n’est né que de l’état social et de la nécessité
qu’ont éprouvé les hommes , vivant à côté les uns des
autres, de se distinguer entre eux par des désignations
individuelles.
Cette assertion pourrait être contestée. Dans tous les
cas l’origine du droit ne saurait en changer la nature,
et si sa pratique a puisé sa raison d’être dans une né
cessité sociale, la loi n’a pas créé cette nécessité : elle
s’est bornée à la subir et à en réglementer l’usage.
La propriété n’a été elle-même que la conséquence
de la formation des sociétés. En prendra-t-on texte pour
lui refuser le caractère d’un droit naturel, et ce qu’on
ne pourrait faire pour un meuble ou un immeuble,
pourquoi le ferait-on pour le nom.
Nous ne pouvons mieux résumer cette discussion et
mieux justifier notre opinion qu’en empruntant les hau
tes et éloquentes considérations par lesquelles M. le con
seiller rapporteur Rocher recommandait l’opinion con
traire à celle que l’arrêt consacre :
�SCR LES NOMS
391
« Qu’en France l’autorité publique soit tardivement
» intervenue pour autoriser la collation , ou interdire
» les changements de noms , cela s’explique à l’égard
» des uns par la révélation des inconvénients et de la
» confusion toujours croissants des appellations féoda» les ; à l’égard des autres par l’état transitoire et ex» ceptionnel où s’étaient trouvées les communes avant
» d’avoir reçu (pour ainsi parler) le baptême de la loi,
» et il n’y avait rien à conclure contre le principe gé». néral qui, faisant remonter à l’origine des choses l’af—
» fectation du nom à l’individu et à la famille, la pré» sente comme une des conditions d’existence de la so» ciété ; principe auquel ont rendu hommage , dans
» des temps rapprochés de nous, les lois des 6 fructi—
» dor an n et 1 1 germinal an xi, provoquées par l’in» extricable désordre où avait été jeté notre état civil
» par la liberté indéfinie des désignations nominales.
» Ces désignations, en effet, ont été dès l’enfance du
» monde la conséquence virtuelle et le moyen forcé
» d’exécution de ces contrats que la doctrine et la ju» risprudence ont toujours réputé appartenir au droit
» primitif, parce qu’ils sont comme la vie en action de
» toute association naissante, vente, échange, prêt, do» nation entre-vifs, transactions commerciales de toutes
» sortes. Il y a plus, et en cela se manifeste avec éclat
» un des plus nobles attributs de notre nature morale,
» intelligente et libre , l’institution des noms répond à
» cette impulsion secrète, au gré de laquelle l’homme
» qui , suivant l’expression de l’illustre Portalis , n’oc-
�392
LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
» cape qu’un point dans l’espace et dans le temps, as» pire à étendre, à prolonger, au delà de la tombe, son
» existence d’un moment, associe le sentiment de la fa» mille à toutes ses ambitions de fortune, de vertu et
» de gloire ; se crée un patrimoine d’honneur pour le
» transmettre, ou l’accroit par cela seul qu’il lui a été
» transmis ; mobile qui puise tout ce qu’il a de puis» sance dans l’identification des avantages qu’il nous
» assure, ou de l’opprobre contre lequel il nous prému» nit, avec le signe extérieur qui les représente.
» Le nom que Dieu a fait servir ainsi à la satisfac—
» tion des instincts les plus élevés et les plus impérieux
» qu’il ait mis en nous, héritage fécondé par l’emploi
» de nos facultés , de même que le sol est fécondé par
» nos bras, n’est-il pas dans le domaine de l’homme à
» un semblable titre que les autres biens dont la pro» priété lui a été primitivement dévolue soit comme
» fruit de son travail, soit en vertu de sa destination sur
» la terre , soit à raison de sa supériorité morale sur
» les êtres de la création ? Et lorsque , appliquant les
» déductions au fait, on voit un étranger, un marchand,
» un de ceux à qui la France a de tous temps ouvert
» son sein , qu’elle a de tous temps autorisé à accom» plir sur son territoire les divers actes qui relèvent du
» droit naturel ou des gens , apporter parmi nous son
» industrie, y fonder une maison destinée à en écouler
» les produits, confier à l’hospitalité de la loi française
» l’honneur d’un nom accrédité dans le monde com» mercial, comment serait-il permis à un Français de
�393
» s’emparer de ce nom , de dire sur le marché public
» de la France: c’est moi qui suis cet homme; et de dé» pouiller sous un double rapport celui dont il prend
» la place , en rabaissant au niveau d’une fraude pré» judiciable aux consommateurs le nom qu’il n’usurpe
» ainsi que pour l’exploiter et le démentir ? »
Non cela ne devrait être ni possible ni permis, parce
qu’il y a là une grave atteinte à la loyauté , à la justice
et à l’intérêt public lui-même. Toutes les nations de
vraient sans doute le comprendre. Mais faut-il , parce
que celle-ci méconnaît les plus simples notions de la
raison et de l’équité , que celle-là puisse et doive à son
tour les méconnaître ?
Les cours de Paris et de Rouen n’ont pas voulu l’ad
mettre , pas plus au reste que nos tribunaux de com
merce qui , plus directement encore intéressés dans la
question, l’ont cependant résolue dans le sens que nous
soutenons. Il est regrettable que notre Cour souveraine
ait refusé d’entrer dans cette voie.
SUR LUS NOMS
775. — Le nom dont la loi de 1824 prohibe et pu
nit l’usurpation , n’est pas seulement le nom patrony
mique que porte ou que s’est donné un industriel, mais
encore la dénomination sous laquelle cet industriel ex
ploite son établissement, et qui constitue son nom com
mercial.
Le nom commercial, dit M. Dalloz, est, dans toute
l’étendue du terme, la qualification qui sert à désigner
un établissement de commerce ou d’industrie , et qui
�394
LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
s’appelle nom social ou raison sociale quand l’établis
sement est exploité par une société. Ce nom n’est sou
vent que le nom patronymique du commerçant, G irou x,
Susse, M arquis, etc.. . . Quelquefois il est tiré de la dé
nomination particulière donnée à l’établissement, le
C irque o lym p iq u e , le Café de la ro to n d e, V H yppodrom e, etc... ; ou de l’emblème adopté pour distinguer
un établissement d’autres établissements de même na
ture, tels sont, les deux M agots, les v ille s de F ra n ce,
l'e sc a lie r d e C r is ta l , etc.... ; enfin on entend parfois
par nom commercial la qualification qu’un fabricant
donne aux produits ou l’indication du lieu d’où ils pro
viennent, S o ciété h yg ién iq u e , B o u la n g erie vien n o ise,
B a za r p ro v e n ç a l, etc.
Dans tous les cas la qualification donnée à l’établis
sement ou aux produits est la propriété exclusive de ce
lui qui, le premier se l’est attribuée. On pourra bien
créer des établissements du même genre , fabriquer et
vendre des produits identiques, mais on devra les dési
gner autrement, pour qu’une confusion ne puisse di
rectement ou indirectement nuire ou préjudicier à l’an
cien établissement,
Ainsi la Société immobilière s’est vue interdire de dé
signer l’hôtel qu’elle avait construit par le nom de G rand
h ô tel de Paris , parce qu’un autre -établissement était
déjà exploité sous la qualification de G rand h ôtel.
1
Rép. génér.,
v°
Nom, n°! 78 et suiv.
�393
Par application du même principe, la Cour d’Aix ju
geait, le 22 mai 1829, qu’une enseigne, c’est-à-dire le
nom ou l’emblème d’un établissement commercial est
une propriété légitime qui peut, indépendamment de la
vente, s’acquérir par la possession, tellement que celui
qui l’a prise le premier et qui en jouit depuis plusieurs
années, a le droit de faire supprimer toute autre ensei
gne qui présenterait soit une similitude parfaite , soit
quelque analogie avec la sienne. Un second arrêt de la
même Cour, du 30 août 1864, confirme et consacre la
même doctrine. 1
*
774. — C’est aussi en vertu du même principe
qu’il a été jugé que la dénomination Elixir de la Char
treuse appartenait privativement et exclusivement aux
Chartreux.
Un sieur Berthe , fabricant de liqueurs à Grenoble,
l’ayant employée sur ses produits et dans ses annonces
et prospectus , fut poursuivi et condamné comme con
trefacteur.
Pour se défendre contre cette action , le sieur Berthe
disait : « Je fabrique des liqueurs et élixirs de tous
points semblable à ceux des Chartreux dont j’ai pénétré
le secret avec le secours du magnétisme. Dès lors je puis
appeler mes liqueurs et élixirs liqueurs et élixirs de la
SUR LES NOMS
1 Bremond, Bull, des arrêts d’Âix, 1865, p. 46 ; — V. Gastambide,
C o n lr e fn° 483; — Et. Blanc, ibid., p. 701 et suiv.
�396
LOI DU
28
JUILLET
1824
Leur donner une autre dénomination , ce
serait leur enlever leur spécialité et leur caractère.
» Secondement, je ne pouvais écrire mes prospectus
que d’une manière entièrement conforme à celle des
prospectus des Chartreux, puisque mes élixirs sont com
posés comme les leurs et ont les mêmes vertus que les
leurs.
» Troisièmement, mes marques, cachets et étiquettes
diffèrent essentiellement de ceux du monastère puisqu’ils
portent, non liqueurs de la Chartreuse ou de la Grande
Chartreuse , mais liqueurs fabriquées à S-Pierre de
Chartreuse où j’ai fondé mon établissement ; puisqu’ils
représentent sur les deux angles les médailles que j’ai
obtenues avec celte légende : seule médaille à l’exposi
tion universelle de 1855; puisque mon nom y figure
en toutes lettres. »
Il est évident que le sieur Berthe avait pris toutes les
précautions de nature à déguiser l’usurpation qu’on lui
reprochait, et qui pouvaient à son avis lui permettre de
créer entre ses produits et ceux des Chartreux cette con
fusion sur l’effet de laquelle il avait spéculé.
Mais il ne put parvenir à faire illusion à ses juges.
Le tribunal correctionnel repousse toutes ses exceptions;
il considère :
« En droit, que la loi de 1824 doit nécessairement
s’interpréter en ce sens : qu’il y aura délit et partant
lieu à répression toutes les fois qu’une addition, un re
tranchement , une altération quelconque pourra avoir
pour résultat la confusion de produits nouveaux avec
C h artreu se.
�397
des produits préexistants et formant une propriété par
ticulière ;
» En fait, qu’il ne saurait être contesté que les droits
des R. P. Chartreux ne soient ceux de tout propriétai
re ; que la désignation qu’ils ont adoptée pour leur li
queur , et dont ils ont fait le dépôt en 1852 au greffe
du tribunal de commerce , ne leur appartienne comme
les liqueurs elles-mêmes ; que dès lors personne ne peut
directement ni indirectement y porter atteinte; que per
sonne ne peut rien faire, rien annoncer, rien écrire qui
puisse amener la confusion dont il vient d’être parlé ;
que c’est ainsi que la loi du 28 juillet 1824 a générale
ment reçu son application, et par exprès dans les procès
que les Chartreux ont eu à soutenir, notamment devant
le tribunal de commerce et successivement devant la
cour impériale de Grenoble, et devant le tribunal cor
rectionnel de Lyon qui ont consacré en principe : qu’u
ne identité complète n’est pas nécessaire ; qu’il suffit que
les marques, cachets, étiquettes ou vignettes puissent in
duire le public en une erreur préjudiciable au proprié
taire de l’objet.
Ces considérations répondent aux deux premiers mo
yens invoqués. Quant aux divers faits que le troisième
opposait, le tribunal n’y voit qu’un ensemble de précau
tions et de ruses décélant l’intention frauduleuse par le
soin qu’ils mettent à la dissimuler.
En conséquence Berthe est déclaré coupable d’avoir
fait apparaître sur les liqueurs par lui fabriquées, nonseulement le nom et la raison commerciale des CharSUR LES NOMS
�398
LOI DU 28 JUILLET 1824
treux, mais encore un nom de lieu autre que celui de la
fabrication , et condamné aux peines portées par la loi
et à 500 fr. de dommages-intérêts.’
Il doit en être , en effet, de la qualification donnée
au produit, comme des marques de fabrique ou de com
merce. Il y a fait dommageable et devant être réprimé,
toutes les fois qu’il y a possibilité de confondre les pro
duits entre eux. S’il suffisait de déguiser l’usurpation avec plus ou moins d’adresse pour en assurer l’impunité,
tous les inconvénients que le législateur a voulu préve
nir et réprimer se produiraient bientôt sur l’échelle la
plus vaste.
774bi8. — On remarquera que le jugement rappelle
et constate que les Chartreux avaient déposé au greffe
du tribunal de commerce la désignation qu’ils donnaient
à leurs liqueurs. C’était là sans doute une excellente pré
caution; mais son défaut n’aurait rien pu changer au
résultat.
La désignation donnée aux produits, nous venons de
le dire, équivaut au nom du commerçant, surtout lors
que, comme dans l’espèce, elle indique le lieu de la fa
brication. Elle jouit donc des mêmes immunités que le
nom lui-même.
Or le dépôt au greffe n’est requis que pour la marque
de fabrique ou de commerce proprement dite , c’est-àdire pour le symbole , l’emblème ou le signe qu’un ini Annales induslr., 1888, pag. 119.
�■’ T i f - / ; - ' . !
SUR LES NOMS
399
*
dustriel prend dans le domaine public et qu’il entend
s'attribuer exclusivement. Celui qui use de son nom ne
prend rien à personne ; il use d’un droit que le public
a toujours été en demeure de respecter , et qui n’a dès
lors besoin d’aucune formalité pour qu’il le soit.
Ainsi, dit M. Blanc, à la différence des marques dont
la propriété ne se conserve qu’à la condition qu’elles
auront été déposées dans les formes voulues , les dési
gnations donnent droit à la jouissance exclusive par le
seul fait de la possession première. Ainsi la formalité du
dépôt préalable n’est point exigée. Entre autres arrêts
qui l’ont ainsi décidé , M. Blanc en indique un de la
cour de Paris du 3 0 décembre 1 8 4 3 , affaire Fromont
contre Duret; un de la cour de Lyon du 1 8 janvier
1 8 5 2 , affaire Lecoq contre Boudin ; un second de la
cour de Paris du 27 juin 1 8 5 4 , affaire Treyfousse con
tre Chausson.’
Ainsi l’industriel qui n’a pas déposé la désignation
qu’il a donnée à ses produits, use d’un droit. Mais si ce
dépôt n’est pas nécessaire pour la désignation, il est in
dispensable pour la propriété exclusive des accessoires
qui l’accompagnent, tels que signes, dessins, emblèmes,
et c’est sans doute à ce titre que les Chartreux l’avaient
opéré.
775. — L’exemple des Chartreux a été suivi par
d’autres communautés religieuses. Nous avons aujour1 D e la c o n tre fa ç o n , pag. 74 8.
••
�d’hui la T ro p p istin e, la liq u eu r du M on t-C assin , e ic ...
On pourrait regretter que des communautés vouées à la
prière et aux bonnes œuvres se livrent à des spécula
tions commerciales, et loin de doter le domaine public
de produits dont ils vantent l’utilité et les vertus, appel
lent les sévérités de la justice sur leurs concurrents.
Mais si leur vœu de pauvreté ne les empêche pas d’a
gir ainsi, leur droit au point de vue de la loi civile est
incontestable. Les produits qu’elles inventent et créent,
la désignation qu’elles leur donnent sont évidemment
leur propriété, et on ne saurait refuser à cette propriété
la protection qu’elles réclament pour elle.
Depuis longtemps aussi les Carmes se sont acquis une
grande réputation dans la fabrication de l’eau de mé
lisse. Mais ce qui distingue celle-ci des produits dont
nous venons de parler , c’est qu’elle n’est rien moins
qu’un remède, qu’une préparation pharmaceutique dont
la formule se trouve inscrite au Codex.
De là celte conséquence que tout le monde peut fabri
quer et vendre de l’eau de mélisse , mais nul autre que
les Carmes ou leur représentant légal ne peut la quali
fier d’eau de mélisse' des C arm es.
La cour de Paris a singulièrement varié à ce sujet.
Après avoir prononcé dans ce sens le 12 mai 1825 , elle
décide le contraire le 10 novembre 1843. Ce dernier
arrêt se fonde sur ce que l’eau de mélisse fabriquée sui
vant la formule des Carmes se trouvant mentionnée dans
le Codex , chacun peut la fabriquer sous cette désigna
tion.
�401
Ce qui est au Codex , c’est uniquement la formule
suivant laquelle se prépare l'alcoolat de mélisse. Il est
possible que cette formule soit celle que les Carmes em
ployaient. Mais le Cod»x ne l’indique même pas ; il ne
fait là pour ce produit que ce qu’il fait pour tous les
autres.
Toutes les préparations pharmaceutiques, en effet, fi
gurent au Codex , et doivent y figurer sous peine d’être
considérées et prohibées comme remèdes secrets. Mais
ce recueil, en adoptant une formule, se l’approprie, et
le silence qu’il garde sur celui à qui elle est due, est la
conséquence de ce principe : qu’il ne faut pas confondre
le produit avec le nom de l’inventeur. Le premier peut
être fabriqué par tous, puisqu’il n’a jamais été ou qu’il
n’est plus protégé par un brevet, et qu’ainsi il est dans
le domaine publtc ; mais on ne peut annoncer et vendre
comme émanant de l’inventeur ce qui ne provient pas
de sa fabrication.'
Attacher dans le Codex le nom du premier prépara
teur à la formule de la préparation, c’était unir celui-ci
à celle-là, l’en rendre inséparable, et par conséquent le
jeter avec elle dans le domaine public, rendre une pro
priété particulière la propriété commune , autoriser des
mensonges de fabrication aussi préjudiciables à l’auteur
de la découverte que susceptibles de nuire fu public.
Le législateur ne l’a pas entendu , n’a pu l’entendre
SUR LES NOMS
1 Et. Blanc, Contref., pag. 712.
il — 2(1
�402
LOI DU 28 JUILLET 1824
*
ainsi. C’est ce que la jurisprudence a toujours compris
et consacré. Nous avons déjà vu que pour les prépara
tions pharmaceutiques , le nom de l’inventeur ne peut
être employé par des tiers qu’à la condition de le faire
précéder de ces mots : selon la formule d e .. . '
N’était-il pas, en effet, rationnel et juste d’empêcher
que le public soit trompé sur la provenance réelle du
remède qu’il achète, et que le discrédit dont une ma
nipulation inhabile ou défectueuse peut frapper le pro
duit rejaillisse sur celui qui , par son habileté, son in
telligence et le choix des matières premières , a su don
ner à sa fabrication une incontestable supériorité?
Or, ce qui est juste pour l’individu l’est au même ti
tre pour la communauté. L’être moral est un citoyen
comme un autre, soumis aux mêmes obligations, ayant
les mêmes droits ; et si le droit existe, rien ne saurait
faire qu’il ne rencontrât pas devant les tribunaux une
protection égale.
Conclusion : Des deux arrêts de la cour de Paris, ce
lui de 1825 est le seul juridique. Toute personne peut
fabriquer et vendre l’eau de mélisse. Mais la dénomina
tion d 'ea u de m élisse des C arm es n’appartient qu’aux
Carmes ou qu’à leur représentant légal. L’emploi qu’un
autre en ferait serait illicite et constituerait l’usurpation
de noms prévue et punie par la loi de 1824. Tout au
moins devrait-on exiger que, dans ce c a s, la mention
�403
SUR UES NOMS
du nom fût précédée des mots d ite
lon la fo rm u le des C arm es.
des C a r m e s ,
ou se
Encore ne faudrait-il pas que cette indication fût faite
de manière à masquer une usurpation et à amener la
confusion qu’elle a pour but de prévenir. On devrait
donc exiger qu’elle fût inscrite en caractères de mêmes
grandeur , forme et couleur que ceux de l’annonce du
produit et du nom de celui qui le fabrique.
776. —• Aux termes des articles 29 et 30 du Code
de commerce, la société anonyme n’existe point sous un
nom social ; elle n’est désignée par le nom d’aucun des
associés; elle est qualifiée par la désignation de l’objet
de son entreprise.
Cette qualification devient donc sa raison commer
ciale , qui est dès lors sa propriété exclusive et que nul
ne peut s’attribuer sans contrevenir à la loi de 1824 et
encourir les peines qu’elle prononce.
Le décider autrement serait placer les sociétés anony
mes si utiles , si importantes quelquefois , dans un état
de dangereuse infériorité , puisqu’on les placerait hors
la loi commune, et qu’on leur refuserait tout moyen de
se défendre contre une injuste et déloyale concurrence.
Le tribunal et la cour de Paris ont eu à s’expliquer à
ce sujet dans l’espèce suivante :
Par décret du 6 juillet 1863, le Gouvernement auto
rise la société anonyme /’A p p ro v isio n n e m e n t , so ciété
de c r é d it des h alles et m archés de P a ris. Celle société
avait pour objet : 1° de facilifer avec ses capitaux tou-
�404
LOT OU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
tes les transactions auxquelles donnent lieu les produits
agricoles , les denrées alimentaires et les bestiaux , au
moyeu d’escompte et de réescompte, auprès de tous éta
blissements publics, des effets à une ou plusieurs signa
tures; 21° de se charger de la vente à la commission
pour le compte de tiers , de la consignation de denrées
alimentaires et agricoles.
Une importante maison de Paris , l’ancienne maison
Lesage actuellement sous la raison Morel et Cie, créée
pour la vente des mêmes produits , crut pouvoir pren
dre à son tour la dénomination de C om pagnie d'a p p ro
visio n n em en t des h a lles et m arch és.
Mais sur la poursuite de la société anonyme l’A ppro
visio n n em en t, le tribunal de Paris :
« Attendu que par décret du 6 juillet 1863, la société
/’A p provision n em en t a été autorisée sous la dénomina
tion de société anonyme de crédit des halles et mar
chés ;
» Que ce n’est que postérieurement à cette date que
Morel et 0 e, modifiant la dénomination sous laquelle
leur maison était connue, ont pris celle de C om pagnie
d 'a p p ro visio n n em en t des h alles et m arch és ;
» Attendu que cette modification a eu pour effet de
créer entre les deux établissements une confusion qu’il
convient de faire cesser ;
*
» Dit et ordonne que, dans les trois jours de la signi
fication du présent jugement, Morel et Ci0 seront tenus
de supprimer : 1° de leur enseigne ; 2° de leurs paniers
ou enveloppes ; 3° de leurs factures , têtes de lettres et
�405
autres documents où ils pourraient se trouver, ces mots:
SUR LES NOMS
C om pagnie d 'a p p ro visio n n em en t des h alles et m a r
chés. »
Morel et Cic ayant émis appel, la Cour, par arrêt du
24 janvier 1866 , confirme le jugement par adoption
pure et simple de ses motifs.'
Supposez qu’au lieu d’une modification à une raison
commerciale plus ou moins ancienne, il se fût agi d’une
raison nouvelle, le résultat eût été et eût dû être le même.
Comme nous venons de le dire , on n’aurait pu admet
tre le contraire qu’en plaçant la société anonyme en de
hors du droit commun, qu’en la condamnant, sans pou
voir se plaindre, à subir toutes les concurrences que ses
succès et la légitime réputation qu’elle s’est acquise, ne
manqueraient pas de susciter. La loi de 1824, dans son
esprit et dans son texte , n’a rien qui pût autoriser un
pareil résultat. La dénomination d’une société anonyme,
si elle n’est pas un nom proprement dit, constitue évi
demment une raison commerciale, et se place à ce titre
sous la protection que la loi assure à celle-ci comme à
celui-là.
Au reste si la société anonyme a droit de revendiquer
le bénéfice de la loi de 1824, elle est d’autre part obli
gée d’en respecter les prohibitions. Quelle que soit pour
elle la nécessité de se qualifier par la désignation de
l’objet de son entreprise , son droit s’arrête devant le
1 Gazelle des tribunaux du 46 mars 4866.
1
�406
LOI DU 28 JUILLET 1824
droit des tiers, et il est évident que si, dans l’espèce que
nous venons de citer, Morel et Cie s’étaient, avant juillet
1863 , intitulés C om pagnie d 'a p p ro visio n n em en t des
h alles et m a rch és , loin de pouvoir leur interdire cette
qualification , la société nouvelle eût été , sur leur de
mande, empêchée de se l’attribuer.
Qu’on prohibe à qui que ce soit d’usurper la raison
commerciale d’une société anonyme, c’est naturel, équi
table et juste. Mais où serait la raison de permettre à
celle-ci de prendre une dénomination qui, déjà connue
et réputée en commerce, est pour celui qui l’emploit une
propriété incontestable ?
Dans ce cas la société anonyme doit concilier les exi
gences de la loi avec le respect des droits des tiers , et
si elle se qualifie par l’objet de son entreprise, elle est
tenue de le faire de manière à prévenir et à empêcher
toute possibilité de confusion entre elle et l’établissement
déjà en possession de celte qualification.
777. — La loi de 1824 n’est pas applicable à tou
tes les hypothèses que nous venons d’indiquer. L’homo
nyme qui use de son nom , celui qui, en faveur de re
lations de parenté ou de patronage , se qualifie de fils,
frère, oncle, neveu, cousin, commis, ouvrier d’un in
dustriel renommé, ne commet pas, en effet, le délit pré
vu et puni par cette loi, il n’usurpe rien. Tout se borne
de sa part à une tentative de concurrence déloyale dont
l’appréciation et la répression est de la compétence ex
clusive de la juridiction civile.
�407
En dehors de ce cas , quelles que soient les précau
tions dont il s’entoure , de quelques détours qu’il use,
celui qui fait apparaître sur ses produits le nom d’un
fabricant ou d’un lieu de fabrication mensonger , com
met le délit puni par la loi.
Il ne pourrait pas être qu’on fit indirectement ce que
la loi prohibe de faire directement. Aussi la loi consi
dère la culpabilité comme acquise , que le fait résulte
d’une addition, d’un retranchement ou d’une altération
quelconque.
Il est même à peu près certain qu’on se trouvera tou
jours en présence d’une de ces hypothèses. L’usurpa
tion en effet se garde bien de procéder trop ouverte
ment. Son unique chance de succès est précisément dans
les déguisements qui la rendent plus ou moins saisis—
sable, et que la loi devait dès lors formellement prévoir
et réprimer.
M. Gastambide a puisé dans la jurisprudence divers
exemples des manœuvres que la volonté de spéculer sur
une réputation légitimement acquise inspire à l’avidité
de certains industriels.
Celui-ci annonce qu’il tient les produits de M........ »
célèbre fabricant. Mais les mots qui précèdent ce nom
sont écrits en caractères microscopiques à peine visibles,
de manière que le nom seul écrit en grosses lettres frap
pe exclusivement l’attention et désigne la maison soit
comme succursale, soit comme dépôt de l’établissement
de ce fabricant ;
Celui-là voulant prendre le nom de Verdier, son riSUR LES NOMS
�408
LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 24
val réputé d’industrie, fait peindre sur son enseigne un
oiseau au dessous duquel il écrit au Verdier. Mais ici
encore le mot au est tracé en caractères à peine visibles,
de manière que ce qui frappe exclusivement les regards
est le nom Verdier dont on a voulu profiter, et à l’aide
duquel on s’attire une confiance imméritée;1
C’est le nom de Petit que ce troisième veut usurper.
Il pend donc pour enseigne au gagne petit. Mais usant
d’un même artifice , il met le nom de petit en lettres
majuscules , et ce n’est que par une attention soutenue
qu’on peut découvrir les mots qui le précèdent.’
Ces ruses , malgré leur prétention à la finesse , sont
trog grossières pour que la justice puisse s’y tromper.
Usant de leur pouvoir souverain , les tribunaux n’ont
pas manqué de les réprimer.
778. — En cette matière, en effet, la loi laisse à la
justice la plus entière , la plus absolue liberté d’appré
ciation. Ce qu’elle a à considérer , c’est l’intention qui
a dicté l’acte, et cette intention se décèle par le but qu’on
a voulu atteindre, par les conséquences auxquelles on a
abouti, enfin par les précautions dont on s’est entouré,
et qui, comme le disaient le tribunal et la cour de Gre
noble dans l’affaire des Chartreux, ne font souvent que
démontrer la fraude par le soin qu’elles mettent à la dis
simuler.
1 Gazelle des tribunaux, 9 janvier 1827.
s Ibicl., 6 avril 1833.
�409
Peu importe que l’usurpation ne soit ni brutale ni
complète. Il suffit qu’il puisse y avoir confusion et que
cè soit cette confusion qu’on ait voulu créer, pour que la
peine soit encourue et doive être prononcée.
On sait combien est répandue la réputation de l’eau
de Cologne de Jean-Marie Farina. Un fabricant avait
pris le nom A'Antoine Farina , et se croyait à l’abri
derrière cette différence dans les prénoms. Mais sur la
poursuite de Jean-Marie , le tribunal correctionnel de
Paris le condamne comme usurpateur à trois mois de
prison.*
Un commerçant a été condamné en récidive à deux
ans de prison pour avoir inscrit sur ses crayons le nom
C o n t e sur la poursuite de M. Humblot Conté.*
Le papier Weynen ayant acquis une grande célébrité,
on a fabriqué et mis en vente des papiers W y e n e n ,
des papiers Meynen. Mais ces tentatives sont venues échouer devant la police correctionnelle.3
Enfin un arrêt de la cour de Paris , rendu sur les
poursuites de M. Alexandre, célèbre facteur d’orgues et
d’harmoniums, a condamné comme usurpateur un au
tre facteur qui avait pris le nom d'Alexanèdre.
On ne saurait qu’applaudir à toutes ces décisions. S’il
suffisait en effet d’estropier plus ou moins un nom pour
se mettre à l’abri des prohibitions prononcées par la loi,
SUR LES NOMS
1 Gazelle des tribunaux, 20 juillet 1828.
2
Ibid.,
12 janvier 1829.
3
Ibid.,
22 janvier 1833 ; 26 mars 1836.
�410
28 JUILLET 1824
pour échapper à toute réparation , à toute peine , cette
loi ne serait bientôt plus qu’une lettre morte, et la
concurrence la plus scandaleuse n’aurait plus de
bornes.
Le principe proclamé et consacré par la jurispruden
ce : qu’il n’était pas nécessaire que l’usurpalion fût ser
vile ; qu’il suffisait que le fait incriminé pût créer une
confusion entre les deux établissements, s’imposait par
la force des choses, et pouvait seul assurer toute son ef
ficacité à la volonté du législateur.
LOI DU
779. — Il arrive quelquefois qu’un fabricant ou
commerçant se contente de marquer ses produits de ses
initiales. La reproduction de ces initiales constitue-t-elle
l’usurpation de noms ?
M. Etienne Blanc soutient l’affirmative : « Il y a,
» dit-il, non usurpation de marques, mais l’usurpation
» de noms prévue et punie par la loi de 1824, lorsque
» la marque consistant en de simples initiales a été re» produite. Il faudrait ranger la marque par initiales
» au nombre des marques emblématiques, si la loi avait
» dit expressément que la marque nominale sera seu» lement celle qui reproduira le véritable nom du fa» bricant. Telle n’est pas la disposition de la loi, et nous
» avons démontré précédemment qu’il y a usurpation
» de nom , même dans la reproduction d’un nom de
» convention. Or qu’est-ce que l’emploi des initiales, si
» ce n’est le diminutif du nom ? Les initiales sont évi-
�411
» demment plus près du nom véritable que le nom de
» convention.' »
780. t - A notre avis, cette doctrine ne saurait être
admise. Elle reproche à la loi de n’avoir pas fait ce
qu’elle a, au contraire, très-expressément fait, et se fon
de sur une assimilation que tout repousse.
Comment en effet le législateur de 1824 pouvait-il ex
primer qu’il ne statuait que pour la marque nominale
plus expressément qu’en se bornant à prohiber l’usur
pation du nom 1 Comment si l’emploi des initiales tom
bait sous le coup de ses dispositions, la loi de 1857 spé
ciale pour les marques a-t-elle placé ces initiales dans
la catégorie des marques sur la même ligne que le si
gne, l’emblème, le chiffre ?
Que les initiales soient un diminutif du nom vérita
ble, qu’elles s’en rapprochent plus que le nom de con
vention, elles ne sont pas évidemment ce nom ; et puis
que la loi de 1824 ne voit le délit que dans l’usurpa
tion de celui-ci, étendre ce caractère à l’emploi des ini
tiales, ce serait ajouter à ses dispositions , créer un délit
par analogie ce qui est une hérésie en droit criminel.
Le nom de convention , s’il n’est pas le nom vérita
ble, n’en personnifie pas moins celui qui le premier se
l’est donné. On ne s’appellera pas en commerce Bar
dou, on s’appellera Job. Est-ce qu’un doute peut surgir
sur l’individualité que ce nom représente ?
SUR LES NOMS
i Contref, pag. 775.
�412
LOI DU 28 JU ILLET 1824
Les initiales ne s’appliquent à personne , précisément
parce qu’elles conviennent à trop d’individus. J . 13.
désignent Jules Bonnet, aussi bien que Joseph ou Jac
ques Bonnet, aussi bien que Joseph Blanc, que Jacques
Barthélémy, que Jean Bonnefoy, etc.. . . . Comment la
justice décidera-t-elle quel est de tous ces noms celui
qu’on a voulu usurper, qu’on a en effet usurpé ? Dé
clarera-t-elle qu’ils l’ont tous été, et coridamnera-t-elle
l’usurpateur autant de fois qu’il y aura plainte de la
part d’un de ceux qui ont droit à ces initiales ?
Que feront donc les tribunaux dans cette perpléxité
et ce doute ? Ils suivront les conseils de la raison et de
la loi; ils s’abstiendront et ils acquitteront. Aussi la pra
tique ne s’y est-elle pas trompée, et si l’usage exclusif
d’initiales a été revendiqué, c’est à titre de marque ex
clusivement. On peut en voir un exemple notable dans
un arrêt de la cour de Cassation du 28 mai 1822.
Mai ntenant est-ce que cette perpléxité et ce doute peu
vent exister pour le nom de convention ? Le pseudony
me Job, Nadar personnifie Bardou ou Tournachon aussi
bien que le nom véritable. On ne peut donc raisonner
d’une hypothèse à l’autre, et placer sur la même ligne
l’emploi de simples initiales et celui d’un nom de con
vention, c’est assimiler deux faits qui n’ont entre eux ni
affinité ni similitude.
Il ne saurait donc exister le moindre doute : les ini
tiales ne peuvent être et ne sont qu’une marque emblé
matique dont la propriété exclusive est aujourd’hui ré
glée, non par la loi de 1824, mais par celle du 23 juil
let 1857.
�413
781. — M. Et. Blanc invoque comme justifiant sa
doctrine, l’arrêt de la cour de Paris du 26 avril 1851.
Mais cet arrêt est précisément intervenu entre Bardou
et Lassauzée à l’occasion du papier à cigarettes, et ce
dont il attribue la propriété exclusive au premier c’est,
non les initiales J.B., mais le nom de Job. On ne sau
rait donc en raisonner dans le sens de M. Blanc, à
moins d’assimiler les lettres initiales au nom de conven
tion , ce qui, nous venons de le démontrer, n’est ni ra
tionnel, ni juridique.
Mais ce que la cour de Paris ne décidait pas le 26
avril 1851 , elle l’avait jugé le 29 novembre 1850 , en
punissant des peines édictées par la loi de 1824, l’usur
pation de simples initiales ; mais sur le pourvoi dont il
fut l’objet, cet arrêt encourut la censure de la Cour su
prême qui en prononçait la cassation,le 12 juillet 1851,
sur les considérations suivantes :
« Sur le troisième moyen fondé sur la violation et la
fausse application de l’art. 1 er de la loi du 28 juillet
1824, en ce que l’arrêt attaqué avait appliqé à l’emploi
des initiales d’un nom les peines infligées à l’usurpation
d’un nom ou d’une raison commerciale ;
» Attendu que la loi de 1824 n’a prévu et puni que
l’application, sur des objets fabriqués soit du nom d’un
fabricant autre que celui qui en est l’auteur, soit de la
raison commerciale d’une fabrique autre que celle où
les objets ont été fabriqués, soit enfin du nom d’un lieu
autre que celui de la fabrication ;
» Qu’il est constaté par l’arrêt attaqué que les couSUR UES NOMS
�LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
414
verts contrefaits portaient le chiffre 6 entre les deux pla
teaux d’une balance, marque frauduleusement supposée
de Christofle et Cie ; mais que cette marque ne consti
tuant ni le nom du fabricant, ni la raison commerciale
de sa fabrique , ni le lieu où elle est située , ne pouvait
constituer le délit prévu par la loi du 28 juillet 1824 ;
» Que la loi pénale ne peut être étendue au delà de
ses termes, et qu’elle doit être restreinte aux cas qu’elle
a prévus; que dès lors l’arrêt attaqué en a fait une faus
se application en déclarant que la marque apposée sur
les couverts représentait le nom et la raison commer
ciale de la maison Christofle, puisque la loi punit l’ap
position du nom lui-même ou de la raison commerciale
et non d’un signe représentatif seulement. 1 »
Or les initiales ne sont pas autre chose qu’un signe
destiné à représenter le nom; et M. Blànc le reconnaît
lui-même en enseignant qu’elles sont plus près du nom
que le nom de convention. Donc elles ne sont pas le
nom , et dès lors l’interprétation que la cour de Cassa
tion fait de la loi, condamne expressément la doctrine
que nous repoussons.
La question de savoir si l’emploi des initiales était
l'usurpation du nom ou seulement de la marque offrait,
avant la loi de 1857, un grave intérêt. L’usurpation du
nom n’entraînait, en effet, depuis 1824, qu’une peine
correctionnelle , tandis que l’usurpation de la marque
�415
donnait lieu à une peine afflictive et infamante aux termes de la loi de l’an xi et des articles 1421 et 143 du
Code pénal.
La loi de 1857 donnant à l’usurpation des marques
le caractère de délit, l’intérêt de la distinction a disparu
au point de vue de la pénalité. Mais il existe encore au
point de vue des formalités à remplir pour l’acquisition
de la propriété exclusive, notamment de la nécessité d’un
dépôt préalable au greffe qui seul confère cette proprié
té s’il s’agit d’une marque seulement, et qui ne serait ni
requis ni obligé s’il s’agissait du nom. On ne saurait
donc méconnaître l'utilité de la discussion à laquelle
nous venons de nous livrer.
SUR LES NOMS
y
782. — La loi de 1824 n’admet l’existence du délit
qu’elle punit, que si le nom usurpé a été apposé ou fi
gure sur des objets fabriqués.
Ces termes ont fait naître une difficulté. Faut-il en
conclure qu’il n’y a pas délit lorsque le nom supposé
ne se trouve que sur l’étiquette ou l’enveloppe qui re
couvre la marchandise ?
L’affirmative aboutirait forcément à ce résultat que de
nombreuses et importantes industries se trouveraient
placées hors la loi et condamnées à souffrir sans pou
voir se plaindre des spéculations déloyales et frauduleu
ses dont elles pourraient être l’objet. Comment, en effet,
apposer ou faire apparaître son nom sur des liquides,
sur des éguilles ou des épingles, sur les fils de coton, de
laine, de soie, etc.........
�416
LOI DU 28 JUILLET 1824
Or que le législateur de 1824 n’ait ni entendu, ni pu
entendre abandonner ces industries à la discrétion et
aux entreprises des fraudeurs, c’est ce qui ne saurait être ni douteux ni contesté. Dès lnrs il faut admettre qu’il
n’a pas voulu donner aux termes dont il s’est servi leur
étroite et littérale signification.
Apposé , dit M. Gastambide , veut-il dire identifié à
l’objet fabriqué, de telle sorte qu’il soit impossible d’en
lever le nom sans détériorer la marchandise ? Nous ne
le pensons pas. L’apposition d’un faux nom sur une
bouteille, sur une boite, sur une enveloppe, sur une éti
quette doit être réputée faite sur la marchandise, et est
passible des peines portées par la loi de 1824.'
Suivant M. Calmels , et nous sommes en cela de son
avis, la loi est également applicable lorsque le nom faus
sement indiqué est apposé , non plus sur l’objet, mais
sur un de ses accessoires. Par exemple , si un tailleur
met à un pantalon de sa confection des boutons portant
le nom d’un autre tailleur, si dans la confection des voi
tures neuves ou dans la réparation des voitures vieilles
on emploie des écrous ou chapeaux d’essieu sur lesquels
sont inscrits les noms d’un autre fabricant.1
Mais il est évident , dans ce dernier cas, que le délit
n’existe que si les écrous ou chapeaux d’essieu portant
le nom d’un tiers , ont été fabriqués par celui qui les
1 De la Contref., n° 431. — Conf., Rendu, Marq. defabr., n° 398
2 Des noms et marques de fabrique,
n° 123.
�417
emploie , ou par lui sciemment achetés d’un contrefac
teur. Si celui dont ils portent le nom les fabrique, non
pour son usage personnel, mais pour les débiter et les
vendre, tous ceux qui les tiennent de lui ont incontesta
blement le droit de les employer à leur gré et selon leur
convenance. Le carrossier ou charron qui achète des
objets de son industrie , ne le fait que pour les besoins
de son exploitation : nul ne peut l’ignorer et le vendeur
moins que personne. Il ne saurait donc ni redire à cet
emploi ni prétendre s’y opposer. S’il peut craindre qu’il
lui soit préjudiciable, il n’a qu’à ne pas vendre.
Il n’y aurait non plus aucun délit si, ne substituant
aucune pièce à une autre, le réparateur de la voiture
s’était borné à raccommoder ou à rajuster les pièces an
ciennes.
SUR LES NOMS
783. — En définitive les termes de la loi : apposé
ou fait apparaître sur des objets fabriqués, n’ont qu’un
objet, à savoir, celui de protéger l’industrie , et de ga
rantir à chacun les résultats de ses efforts , les fruits de
son intelligence.
Ce qui s’en induit, c’est que les produits naturels du
sol, les fruits de la terre qui se débitent et se vendent
sans préparation ni manipulation préalable , sont lais
sés par la loi de 1824 en dehors de ses dispositions. Il
est en effet plus qu’évident que leur désignation générique
ne peut appartenir privativement et exclusivement à per
sonne , et que , en dehors de leur qualité même , leur
il — 27
�418
LOI DU 28 JUILLET 1824
valeur ne saurait s’accroître par le nom de celui qui les
vend soit en gros, soit en détail.
Ainsi au point de vue du nom de la personne ou du
lieu de production, la vente des thés, cafés, truffes, rai
sins, amandes, etc.. . . . ne saurait dans aucun cas tom
ber sous l’application de la loi de 1824.
Sans doute le nom du débitant peut offrir une cer
taine garantie sous le rapport de leur pureté, de la sin
cérité de leur provenance. Mais il est parfaitement loi
sible à ce débitant de s’assurer le profit de la réputation
qu’il s’est acquise , en adoptant une marque de com
merce qui signalerait les objets sortant de son magasin,
et que nul autre que lui ne pourrait employer.
784, — Après avoir veillé à la propriété du nom et
de la raison commerciale des fabricants et des indus
triels, la loi s’occupe des lieux de fabrication. Il est des
villes, des pays célèbres par l’excellente qualité de leurs
produits , ou le perfectionnement de leurs procédés de
fabrication. Cette réputation est une richesse nationale,
une propriété publique et collective qui appelait toute la
sollicitude du législateur.
Cette sollicitude les lois anciennes l’avaient exagérée.
Ainsi les statuts accordés à la fabrique de Carcassonne,
le 26 octobre 1666, portaient la peine du carcan pen
dant six heures, contre tout manufacturier coupable d’a
voir apposé sur ses draps la marque d’une ville autre
que celle où ils avaient été fabriqués.
La loi de germinal an xi assimilait au faux l’usurpa-
�419
tion du nom des lieux de fabrication. Mais en restrei
gnant l’usurpation à l’emploi des mots façon de. .. „,
elle laissait une large issue à la fraude, dont l’énormité
de la peine , comme nous l’avons déjà d it, assurait les
développements.
SUR LES NOMS
785. — C’étaient surtout les villes de Louviers, de
Sédan, d’EIbeuf qui avaient à souffrir d’une concurrence
qui avilissait leurs produits si renommés, et leur fermait
successivement les marchés français et étrangers. Aussi
ne cessaient-elles de se plaindre et de réclamer une pro
tection plus efficace, au nom même de l’intérêt public.
Ces réclamations rencontraient tout d’abord une dif
ficulté : la réputation dont ces villes jouissaient était due
surtout à cette circonstance , qu’avant 1 7 8 9 chacune
d’elles ne pouvait fabriquer qu’une sorte de drap dont
les réglements fixaient la qualité, les matières premières,
le mode de fabrication, et dont la sincérité était garantie
par les peines portées contre la violation de leurs pres
criptions.
Or depuis que la liberté illimitée du commerce a été
consacrée et inscrite dans la loi , on a pu fabriquer et
on fabrique, là comme ailleurs, des draps de toutes sor
tes dont les prix varient de 8 à 12 fr. jusqu’à 40 fr.
le mètre. Dès lors objectait-on les qualités inférieures
portant également les noms de Sédan, Louviers, Elbeuf,
où se trouvera pour les consommateurs la garantie qu’il
s’agit bien des produits qui avaient fait la réputation de
ces centres de fabrication ?
�420
LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
Cette objection avait préoccupé la commission de la
chambre des Pairs. Que veulent, disait son honorable
rapporteur, les fabricants de Sédan, de Louviers, d’Elbeuf, qui ont fait la demande de la loi soumise à votre
décision? Ils veulent que leur draperie fine qui, colpor
tée dans le monde entier sous le nom de draps de Sé
dan , de Louviers, d’Elbeuf, a acquis partout une répu
tation méritée , puisse la reprendre. Leurs efforts sont
louables, leurs vœux sont légitimes. Mais ils ne parvien
dront à leur but qu’autant que, par une ordonnance, il
sera réservé aux fabricants de la bonne draperie de Sé
dan, de Louviers, d’Elbeuf, d’ajouter à cette dénomina
tion celle de première qualité. Sans cela les noms de
draps de Louviers, de Sédan, d’Elbeuf n’offriraient au
cune garantie aux consommateurs.
Mais n’ëtait-ce pas là ramener les fabricants de ces
villes à l’état d’avant 1789, et les obliger à ne fabriquer
que le genre de draps que leur permettait la législation
de celte époque; restreindre pour eux la faculté illimitée
de fabrication qui, d’après le rapporteur lui-même, avait ces immenses avantages : 1 ° d’employer l’énorme
variété de laines que produit notre agriculture ; 2 ° de
nous mettre en mesure de rivaliser avec les fabriques étrangères , et de repousser leurs produits analogues ;
3e d’associer la fabrication à tous les goûts et à toutes
les fortunes ?
Aussi le Gouvernement se gardat-il bien de suivre le
conseil que lui donnait la commission de la chambre
des Pairs. Les draperies communes ou grossières ont
�421
leurs diverses qualités comme les fines. Celle des draps
de 8 à 1 0 fr. le mètre est nécessairement inférieure à
celle des draps de 12 à 15 fr. le mètre. Et l’on ne pou
vait empêcher celui qui fabrique ces derniers de les dé
signer comme première qualité de la draperie grossière.
. La crainte que les consommateurs pussent jamais
confondre un drap de l’un de ces prix avec un autre de
40 fr. le mètre, ne pouvait être sérieuse. Quelque diffi
cile qu’il soit à l’œil et au tact de déterminer avec pré
cision le degré d’un produit de cette nature, l’écart dans
le prix accuse une différence telle que celui-là seul pour
rait s’y tromper qui voudrait bien s’y tromper.
On ne pouvait donc empêcher, ni qu’on déclarât fa
briqué à Louviers, à Sédan.à Elbeuf tout ce qui y avait
été fabriqué, ni qu’on indiquât la qualité de chaque ca
tégorie des produits dans le grossier comme dans le fin,
mais de ce qu’on y fa! riquait l’un et l’autre, s’en sui
vait-il qu’on dût et pût permettre aux fabricants étran
gers à ces localités de s’emparer de leur nom et de le
faire apparaître sur leurs produits de quelque nature
qu’ils fussent ? C’est évidemment ce que la raison et l’é
quité ne pouvaient ni tolérer ni admettre.
L’objection ne pouvait donc prévaloir, ni subordon
ner à une condition quelconque une disposition que ré
clamaient absolument l’intérêt du fabricant, la loyauté
et la bonne foi commerciales, l’avenir lui-même de nos
grandes et belles industries.
SUR LES NOMS
786. — La loi a donc placé l’usurpation du nom
�m
LOI DU
28
JUILLET
1824
de lieu de fabrication sur la même ligne que l’usurpa
tion du nom ou de la raison commerciale d’un fabri
cant, et en descendant la peine pour l’une comme pour
l’autre, elle en a efficacement permis la poursuite et ga
ranti la répression.
Que faut-il entendre par lieu de fabrication ? La com
mission de la chambre des Députés préoccupée de ce
fait que la confection de certains produits exige un con
cours d’opérations telles qu’on n’est pas parvenu encore
à les exécuter toutes dans un seul et même établisse
ment , avait exprimé le vœu que le Gouvernement pré
cisât par des dispositions réglementaires les conditions
qui permettaient d’apposer le nom de tel ou tel lieu et
de s’attribuer ainsi les avantages de la célébrité que ce
lieu s’est acquise.
Le Gouvernement ne crut pas devoir déférer à cevœu,
et il eut raison. L’industrie n’est déjà que trop régle
mentée, et les dispositions qu’on lui demandait dans le
but de prévenir des difficultés auraient été une source
de chicanes et dans plusieurs cas une égide pour la
fraude, puisque les magistrats liés par le réglement n’au
raient pu la réprimer, malgré qu’ils fussent convaincus
de son existence.
En pareille matière, disait l'Exposé des motifs à la
chambre des Pairs , les tribunaux juges du délit sont
seuls en état et en mesure d’en apprécier les conditions
et les circonstances de lieu qui peuvent ou non le con
stituer,
�423
/
787. — C’est donc aux tribunaux que la loi s’en
réfère. Ils n’ont qu’à consulter leurs lumières, qu’à sui
vre les inspirations de leur conscience, et l’on peut sans
témérité prévoir qu’ils ne refuseront jamais à un indus
triel le droit d’apposer sur ses produits le nom du lieu
où il a son établissement, alors même que quelques-unes
des opérations qu’exige leur fabrication seraient exécu
tées hors la ville, dans la banlieue , et même dans les
campagnes avoisinantes.
En serait-il de même pour le fabricant qui aurait son
établissement dans la banlieue et non dans la ville mê
me dont il prétend apposer le nom sur ses produits ?
A notre avis , la réputation qu’une ville s’est acquise
tient surtout à la perfection de ses procédés de fabrica
tion, à la qualité et au choix des matières premières , à
la perfection et au fini de ses produits. Or toutes ces qua
lités ne sont pas l’apanage de l’enceinte que forment les
murs de la ville , et il est beaucoup de fabricants de la
banlieue qui, pour tous ces points , ne le cèdent à au
cun de ceux qui demeurent dans cette enceinte , et qui
peuvent fabriquer aussi bien et dans de meilleures con
ditions. On ne voit pas dès lors où serait la raison de
refuser aux uns d’user de la même estampille que les
autres.
Ce refus serait surtout injustifiable si les produits pré
parés dans la banlieue recevaient leur dernier apprêt
dans la ville même.
Dans son rapport à la chambre des Pairs, M. Chaptal
ne faisait aucune distinction. Tous ceux , disait-il, qui
SUR LES NOMS
�424
LOI DD
28
JUILLET
1824
se sont établis dans le voisinage de la ville, pour profi
ter d’un cours d’eau, du plus bas prix de la main-d’œu
vre, de bâtiments plus commodes et plus spacieux, mais
qui emploient dans leur fabrication les mêmes matières,
les mêmes procédés, les mêmes apprêts et dont les pro
duits sont de même nature que ceux que l’on fabrique
à l’intérieur , seront-ils déshérités du droit d’apposer
sur leurs produits le nom de la ville ? Cela ne serait ni
juste ni conforme à l’intérêt de l’industrie.
Il est impossible de ne pas être de cet avis. Toutefois
si dans ce cas on pouvait se créer un doute , ce doute
pourrait-il exister si, outre la conformité des procédés,
l’identité dematières s’ajoutait à cette circonstance,que les
produits préparés dans la banlieue reçoivent leurs der
nières manipulations dans la ville même?
Cet ensemble de faits n’avait pas paru suffisant au
procureur impérial de Sédan. En conséquence il avait
traduit pour usurpation du nom de cette ville des fabri
cants de la banlieue qui apposaient ce nom sur leurs
produits. Le tribunal correctionnel ayant renvoyé les
prévenus, appel fut émis du jugement. Mais le tribunal
supérieur de Charleville confirme le jugement : il dé
clare que des draps fabriqués, ou pour mieux dire lissés
dans les environs de Sédan avec les mêmes procédés et
les mêmes matières que ceux employés dans cette ville,
et qui reçoivent à Sédan même leurs dernières opéra
tions, telles que le tondage, la teinture, etc...., qui en
dernière analyse en font le véritable mérite , sont des
draps de Sédan , et qu’en conséquence les fabricants
�T
__________ '
425
quoique non domiciliés dans l’intérieur de la ville peu
vent , sans contrevenir à la lo i, apposer celte marque
sur leurs produits.
Le ministère public s’étant pourvu en cassation , un
arrêt du 28 mars 1844 rejette le pourvoi et sanctionne
la doctrine du tribunal de Charleville.'
Ces jugement et arrêt, dit M. Blanc, nous paraissent,
au moins par leurs motifs, contraires à l’esprit de la loi.
Le législateur, en effet, ne s’est pas préoccupé et ne de
vait pas se préoccuper de la qualité des matières pre
mières ou de la similitude des procédés. S’il en était
ainsi, il faudrait interdire au fabricant de Marseille, par
exemple , de se servir du nom de celte ville , s’il était
démontré qu’il emploie des matières ou des procédés
différents de ceux généralement adoptés à Marseille; et,
par la même raison, il faudrait autoriser à se servir du
nom de Marseille tous les fabricants qui, à une certaine
distance de Marseille, fabriquent par les procédés usités
en cette ville/
Ce reproche serait mérité, si le tribunal de Charleville
et la cour de Cassation avaient décidé ou entendu déci
der que l’usage d’un nom de lieu de fabrication suivait
l’emploi des mêmes matières premières ou de procédés
identiques à ceux dont usent les fabricants de cette ville,
quelle que fût d’ailleurs la distance entre celle-ci et l’é
tablissement du fabricant étranger. Mais prêter ce sens
SUR LES NOMS
1 J. du P., 1844, 1, 794.
2 jDe la contrefaçon, pag. 761.
■
■
■
■
■
1 '
■■■
' '
/.v. ,1\
.
' .' y'- ‘ '.-l'y
/ .
�m
LOI DU
28 JUILLET 1824
au jugement et à l’arrêt que nous venons d’annoter,
c’est singulièrement se méprendre sur leur signification
réelle et leur faire dire ce qu’ils n’ont ni dit ni voulu dire.
Qu’avaient à décider le tribunal deCharlevilleet,aprës
lui, la cour de Cassation ? Ceci uniquement : les fabri
cants établis dans la banlieue peuvent-ils légalement
donner à leurs produits la même dénomination que celle
dont usent les fabricants de la ville? Peut-on appeler
draps de Sédan des draps fabriqués hors de l’enceinte de
Sédan ?
Que fallait-il donc pour résoudre cette question ? Evi
demment et tout d’abord , rechercher la nature de ces
produits, leur mode de fabrication. Comment, en effet,
se prononcer pour l’affirmative , si les draps fabriqués
dans la banlieue ne l’étaient ni avec les mêmes matiè
res, ni par les mêmes procédés ?
Donc en constatant l’existence de ce double caractère,
le tribunal obéissait à la nécessité
de donner un fonde«
ment juridique à la solution qu’il allait consacrer. Mais
s’il admet et constate l’identité des matières et des pro
cédés de fabrication, ce n’est pas que cette identité lui
paraisse suffisante dans tous les cas. Il ne la déclare telle
qu’en la rattachant à la situation des établissements des
prévenus , qu’à cette circonstance décisive surtout, que
si leurs draps étaient tissés dans la banlieue, c’était à
Sédan même qu’ils recevaient les derniers apprêts, no
tamment le tondage et. la teinture qui en définitive en
faisaient le véritable mérite.
Ce qui s’induit de ce jugement, c’est que pour qu’on
�SUR LES NOMS
puisse prendre le nom d’une ville il faut, non pas seu
lement une identité de matières et une similitude de
procédés de fabrication, mais encore, mais surtout qu’on
soit dans le voisinage de la ville et tellemen tà ses por
tes qu’on y vienne donner la dernière main aux produits
en dehors de son enceinte. Loin donc d’autoriser la con
séquence qu’en tire M. Blanc, les jugement et arrêt la
repoussent et l’excluent.
Non-seulement ils n’ont pas méconnu l’esprit de la
loi , mais ils en ont encore fait la plus saine et la plus
exacte application , en autorisant les fabricants de la
banlieue à se servir du nom de la ville; et lorsque le
tribunal déclarait qu’on ne doit pas resserrer les limites
d’une ville comme Sédan dans la circonscription de ses
remparts ; que la banlieue et les environs de la ville doi
vent profiter de la réputation attachée au chef-lieu , il
ne faisait que s’inspirer des considérations qui avaient
déterminé l’adoption de la loi.
L’honorable M. Chaptal, en effet, ne se contentait pas
de dire dans son rapport qu’il ne serait ni juste, ni con
forme à l’intérêt de l’industrie d’interdire aux fabricants
de la banlieue le droit d’user du nom de la ville, il
ajoute : « Par exemple , Sédan est une ville militaire ;
» son enceinte est très-circonscrite et très-restreinte ; à
» mesure que la fabrique s’est étendue, elle a dû sortir
» des limites tracées pour la défense de la place ; les
» principaux fabricants se sont établis hors des murs.
» Pourrait-on aujourd’hui leur contester le droit de
» continuer à marquer leurs tissus du nom de draps
» de Sédan ? »
�m
LOI DU
28
JUILLET
1824
Cette possibilité le Gouvernement lui - même s’était
empressé de la condamner. D'autres ont paru crain
dre, disait-il dans l’Exposé des motifs, que le nom de
la ville ne pourra plus être employé par les fabricants
de la banlieue qui s'en servaient par le passé. C e s
c r a i n t e s s o n t v a i n e s ; les tribunaux qui,
dans le même cas , avaient à se prononcer , sous l'an
cienne loi, sur l'usurpation vraie ou prétendue d'un
nom de lieu, continueront à juger de même.
Ainsi le législateur n’a rien voulu innover, rien chan
ger à la pratique et ne modifier en rien le droit souve
rain d’appréciation qui a toujours appartenu aux tribu
naux , et celte pratique M. Blanc l’approuve et la con
seille lui-même.
« IJ nous parait, dit-il, que, pour rester fidèle à l’es
prit de la législation sur la matière, il faut, abstraction
faite de la nature des procédés et de la qualité des pro
duits, limiter le droit de se servir du nom de la ville à
tous Es fabricants qui y ont leurs établissements , ou
qui fabriquent dans les localités dépendant de cette ville,
soit que cette dépendance résulte de leur division admi
nistrative, soit qu’elle résulte d’une désignation que l’u
sage aurait consacrée. Ainsi on appelle broderies de
Nancy, des travaux d’éguilles qui sont exécutés par des
ouvrières disséminées dans les campagnes souvent fort
éloignées de la ville.' »
1 Cnnlref., p. 762.
�429
L’abstraction que conseille M. Blanc , possible lors
qu’il s’agit d’objets fabriqués dans la même ville, ne
saurait être admise à l’endroit des fabricants de la ban
lieue. Que ceux-ci puissent employer le nom de la ville,
on le comprend, mais à la condition que leurs produits
seront de même nature que ceux qui ont fait la célébrité
de cette ville. A quel titre par exemple revendiqueraientils le droit de présenter comme draps de Sédan des étoffes fabriquées non-seulement hors de Sédan, mais en
core avec une laine évidemment inférieure , ou avec un
mélange de laine et de coton.
En résumé , l’identité de matières , la similitude des
procédés de fabrication ne sauraient, hors d’un certain
rayon , autoriser à revêtir les produits du nom d’une
ville renommée. Ce droit n’appartient qu’aux fabriques
situées dans le voisinage, dans la banlieue de la ville ;
mais il n’est acquis que si lefirs produits sont réellement
de la même nature que ceux de l’intérieur de la ville,
et les tribunaux appelés à le consacrer peuvent et doi
vent vérifier quelle est la matière dont ils se composent,
quels sont les procédés de fabrication employés, et n’ac
cueillir la demande que dans le cas d’identité , parce
qu’alors seulement les produits de la banlieue seront ré
ellement de la même nature que ceux de l’intérieur et
pourront en prendre la dénomination.
SUR LES NOMS
1
•
'1
788. — La matière première et sa provenance, assez
indifférentes lorsqu’il s’agit de produits purement indus
triels, jouent un grand rôle à l’égard des produits natu-
�430
LOI DU 28 JUILLET 1824
rels qui n’entrent dans le commerce qu’après prépara
tions ou manipulations, par exemple les vins, eaux-devie, farines, etc....
On a longtemps contesté à ces derniers le caractère de
produits industriels susceptibles de créer un droit exclu
sif soit quant au nom, soit quant à la marque du pro
ducteur. Relativement à celle-ci, l’art. 20 de la loi de
1857 a tranché toute controverse et dissipé tous les
doutes.
La loi de 1824 ne s’est pas aussi nettement expliquée
pour le nom. Mais en prohibant d’apposer ou de faire
aparaitre le nom d’autrui sur des o b j e t s falbr*iq x i.e s , elle avait implicitement résolu la question
dans le même sens.
« A coup sûr, disait M. Charles Dupin, les disposi
tions de l’art. 1 de cette loi, qui reproduisent celles de
la loi Chaptal sur les manufactures, donnant le droit ex
clusif de marques à chaque genre de fabrication , étant
établies en termes généraux, il faut en conclure qu’elles
s’appliquent également aux fabrications opérées immédiatemement sur les récoltes agricoles, par exemple, aux
fabrications de vins, eau-de-vie, etc.. , . ' »
Cette conclusion la cour de Cassation la consacrait
formellement les 12 juillet 1845 et 8 juin 1847. En
conséquence elle déclarait que , en droit, les vins doi
vent être placés dans la classe des produits fabriqués,
l Rapport au Sénat de la loi de 1857 sur les marques de fabrique.
�431
et que les propriétaires et vignerons doivent jouir, pour
leurs vins, de la protection que la loi de 1824 accorde
aux fabricants d’objets manufacturés ; qu’il suit de là
que les propriétaires d’un cru réputé ont seuls, mais ont
tous le droit de marquer les vaisseaux contenant leurs
vins par une estampille qui rappelle le cru.'
Le principe reconnu et acquis, comment devait-il être
exécuté ? quel est le lieu dont l’estampille pouvait por
ter le nom ? était-ce celui de la situation des vignobles,
ou celui où se trouvait la cuve vinaire ?
Dans l’espèce de l’arrêt de 1847, le demandeur en
cassation soutenait que le nom à inscrire ne pouvait être
que celui du lieu où le vin était fabriqué , et non celui
du lieu où les raisins avaient été récoltés. En effet, disaitil, la loi parle du lieu de fabrication, et non de celui où
la matière première a été recueillie. On lui contrevient
donc en usant du nom de ce dernier.
M. le conseiller rapporteur Pataille faisait justement
ressortir l’étrangeté de la conséquence à laquelle ce sys
tème aboutissait. Ainsi, disait-il, le raisin de Suresne,
transporté en Champagne pour y subir l’action de la
fermentation,deviendrait du vin d’Ai, et il ne serait plus
permis au propriétaire du vin d’Ai de donner ce nom à
son vin si son cellier vinaire était en dehors de ce terri
toire. L’usage universel, la raison, la morale, la science
protestent hautement contre une pareille conséquence.
5DR LES NOMS
1 J.
du P.,
1845, 2, 655; 1847, 2, 100.
�LOI DU 28 JUILLET 1824
432
Aussi la Cour suprême déclare-t-elle que l’usage uni
versel est de désigner les vins par le nom du cru dont
ils proviennent, sans se préoccuper du lieu où est éta
blie la cuve vinaire ; qu’il est impossible d’entendre la
loi de 1824, en ce sens qu’elle aurait proscrit un usage
aussi parfaitement fondé en raison, et voulu qu’à l’ave
nir on fût obligé de substituer dans le commerce l’indi
cation du lieu de situation du cellier à celle du vigno
ble producteur ; que la loi laisse, au contraire, la liberté
de rappeler, par l’indication de l’estampille, soit le lieu
de fabrication , soit le nom du fabricant, soit aussi,
comme il est d’usage pour les vins , le lieu de produc
tion, exigeant seulement, dans tous les cas, que les in
dications de l’estampille soient conformes à la vérité.
Ainsi tout commerçant vendant du vin, est autorisé à
lui donner le nom du lieu de la situation du vignoble
d’où il est extrait, quel que soit d’ailleurs le lieu où le
raisin est transporté et manipulé. Il ne saurait en être
autrement pour les propriétaires ou vignerons. Tous ceux
qui possèdent ou exploitent des vignes dans un cru re
nommé et qui convertissent leurs récoltes en vins, ont le
droit de désigner ce vin par le nom du cru.
789. — Mais toutes les parties d’un territoire ne
jouissent pas de la même réputation. Dans les quartiers
les plus renommés , il peut exister de certaines zones
que nous qualifierons de plus illustres, et dans ce cas il
faut distinguer.
Ou ces zones constituent des propriétés particulières,
�433
par exemple le clos Vougeot, le château Latour, et nul
autre que le propriétaire ne peut donner à ses vins cette
dénomination ;
Ou elles forment un quartier, une région , et l’usage
de leur nom appartient également à tous ceux qui y
possèdent des vignobles.
Peu importerait que , vu son importance , une pro
priété particulière eût spécialement reçu le nomdu quar
tier. Ainsi le possesseur du château de Cardonne, par
exemple , peut bien empêcher qu’un autre que lui em
ploie l’estampille château de Cardonne, mais il n’est ni
recevable ni fondé à s’opposer à ce que les propriétai
res ou vignerons appellent vins de Cardonne, les vins
qu’ils récoltent sur leurs propriétés situées dans ce quar
tier.'
789bis. — La même règle régit les produits des mi
nes et carrières. Le nom du lieu de la situation des unes et des autres ne peut devenir la propriété exclusive
d’un exploitant qui le premier s’en est servi. Tous ceux
qui puisent au même banc, dans le même quartier, ont
droit au nom de ce banc ou de ce quartier. En pareil
cas, disait la cour de Rennes , le nom appartient, non
à la personne, mais à la marchandise.
Par application de cette règle , la cour de Cassation
jugeait le 24 février 4840, que le fabricant de produits
minéraux tels que la chaux, qui, sans être propriétaire
SUR LES NOMS
1 Bordeaux, 24 mars et 2 avril 4846 : —
J. du
P., 4846, 2, 881.
�434
LOI DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
exclusif de la carrière où il puise la matière première,
désigne ses produits par le nom générique du canton
où la carrière est située, ne peut empêcher un autre fa
bricant de produits analogues, qui puise dans la même
carrière, de donner à ses produits la même dénomina
tion.'
Saisie à son tour de la question, la cour d’Aix la ré
solvait dans le même sens. Elle déclarait, le 27 mai
1862, que le nom de ciment de la Valentine étant celui
du lieu d’où le ciment était extrait, celui qui , le pre
mier , s’était servi de cette désignation , n’était ni rece
vable ni fondé à empêcher un autre fabricant qui puise
rait au même banc de l’appliquer à ses produits.1
790. — La propriété des eaux thermales ne saurait
être contestée aux propriétaires des sources , qui sont
d’autant plus appelés seuls à en vendre, qu’ils sont seuls
en position de le faire.
Mais ces eaux tirent leur valeur et leur efficacité de
leur composition chimique , et cette composition vulga
risée par l’analyse est aujourd’hui universellement con
nue. Tous les pharmaciens, tous les chimistes sont donc
libres de fabriquer les diverses eaux thermales les plus
renommées.
Il y a dans le fait de cette fabrication et dans la vente
dont elle devient l’occasion et l’origine, une concurrence
1 J. du P., 1841, 2, 320.
2 Journal de Marseille, 1862, 1, 158.
�435
dangereuse pour les propriétaires des sources. Quel que
soit le prix qu’ils mettent à leurs eaux naturelles , ce
prix s’aggrave pour l’acheteur du prix du transport, des
chances du voyage, il s’adressera donc le plus souvent
au fabricant des eaux artificielles qui se rencontreront
plus immédiatement à sa disposition.
Alarmés de cette concurrence , les propriétaires des
sources ont prétendu la prévenir. C’est ainsi que les fer
miers des eaux de S'-Alban avaient cité en justice les
sieurs Pédot et Vuillanne à l’effet de leur faire interdire
la fabrication et la vente des eaux gazeuses sous la dé
nomination de S-Alban.
Ceux-ci répondent que leur fabrication était un acte
licite qu’aucune loi n’interdisait, qu’ils pouvaient donc
en vendre les produits. Que tout ce qu’on pouvait exi
ger d’eux c’était de ne pas présenter ces produits com
me des eaux naturelles deSl-Alban ; que cette condition
ils l’avaient remplie en accompagnant l’indication de
leurs eaux de la lettre F 1 qui signifiait factices, offrant
d’ailleurs et à l’avenir d’imprimer ce mot en toutes let
tres dans leurs étiquettes et sur leur cachet.
Au bénéfice de cette offre et à la charge de la réali
ser, le tribunal de Lyon par un jugement que la Cour
confirmait le 7 mai 1841 , déboute les demandeurs de
leurs prétentions ; déclare qu’on ne saurait admettre avec eux, que leur établissement leur donne le droit ex
clusif de se servir du nom de S‘-Alban ; qu’il suffit que
les résultats de leur fabrication restent distincts de ceux
qui sont vendus par d’autres fabricants pour qu’ils ne
SUR LES NOMS
�LOT DU 2 8 JUILLET 1 8 2 4
436
puissent élever des réclamations; que si on admettait
leur système, il en résulterait que la fabrication des eaux
factices serait universellement interdite et que les con
sommateurs quelque éloignés qu’ils fussent des sources
minérales, seraient obligés d’y avoir recours.'
Le caractère juridique de cette décision ne saurait être
méconnu. Ce qui le rend plus évident encore, c’est que
les eaux thermales sont de véritables remèdes, qu’il im
porte dès lors qu’elles se trouvent partout sous la main,
et qu’elles soient accessibles aux pauvres comme aux ri
ches , et puissent être employées dès que le besoin s’en
fait sentir.
Quelle serait la position du malade si l’urgence de
l’emploi reconnue et acquise , il était obligé d’aller le
chercher à cent ou deux cents lieues de son domicile, et
outre la valeur vénale de payer des frais de transport
deux ou trois fois plus considérables ? Si sa fortune ne
lui permettait pas une pareille dépense, faudrait-il qu’il
renonçât à un remède seul capable de lui rendre la santé
et la force qu’exige le travail â l’aide duquel il pour
voira à sa subsistance et à celle de sa famille?
Pouvait-on sacrifier de pareils intérêts à la crainte
d’une concurrence d’ailleurs impossible. Nul ne sera
tenté de confondre les eaux factices ou artificielles d’une
source avec les eaux naturelles, et ceux qui voudront et
pourront user de celles-ci ne s’adresseront évidemment
1 Dalloz,
Rép. g in .,
v» Industrie, nü 3154.
�437
pas au fabricant de celles-là. Tout ce qui est possible et
juste c’est de veiller à ce que ce dernier ne trompe l’ache
teur et ne lui présente comme naturelles des eaux qui
ne le sont pas et ne se livre ainsi à une concurrence
déloyale. Pour cela il suffit, comme le dit la cour de
Lyon, de l’obliger à qualifier ses produits d’eaux facti
ces ou artificielles.
SUR LES NOMS
791. — Les villes étrangères sont - elles recevables
et fondées à revendiquer le bénéfice de la loi de 1824 ?
Nous ne le pensons pas ; et si l’on était tenté de nous
reprocher de nous contredire, nous répondrions :
La différence entre notre solution, et celle que nous
avons adoptée pour les noms de fabricants étrangers ré
sultait forcément de la nature des choses. La propriété
du nom patronymique appartient incontestablement à
l’individu, et celte propriété puisant son fondement dans
le droit naturel et des gens, son respect s’impose à tous
et partout.
Le nom d’une ville n’appartient à personne privati—
vement, et la pensée d’en interdire l’usage aux indus
triels d’une autre localité n’est due qu’au légitime désir
de défendre et de protéger l’un des éléments les plus
précieux de notre industrie nationale. Cette interdiction
n’existe que de par la loi qui la crée. Le droit d’en re
vendiquer le bénéfice est donc un droit purement civil.
Il faudrait donc, pour qu’on permit à l’étranger non
admis à jouir en France des droits civils à s’en préva
loir, que la loi de 1824 s’en fût formellement ^expliquée,
�438
loi du 28 juillet 1824
et eût expressément pris sous sa protection les lieux de
fabrication étrangère.
Or non-seulement elle ne l’a pas fait, mais elle ne
devait ni ne pouvait le faire, et on ne saurait donner
cette extension à ses termes sans en méconnaitre le sens
et la portée. Que le législateur ait entendu et voulu pro
téger nos grands centres de production qui sont une
richesse nationale , c’était une nécessité et un devoir.
Mais quel motif avait-il et pouvait-il avoir d’étendre
cette protection à des pays qui échappent à sa juridic
tion et qu’il n’avait ni mission ni pouvoir de régle
menter ?
Ainsi l’usurpation du nom d’une ville étrangère ne
donne aucun droit aux industriels de cette ville. Ils ne
peuvent investir nos tribunaux ni actionner l’usurpa
teur.
Mais le consommateur français qui a été trompé sur
l’origine de la marchandise, n’aura-t-il pas une action
en vertu de la loi du 28 juillet 1824? Non, répond M.
Dalloz, car l’objet de cette loi n’a pas été de protéger les
consommateurs; elle ne dispose que pour les produc
teurs et pour les pays de production français.'
M. Gastambide enseigne le contraire. La loi de 1824,
dit-il, a un double objet : 1" protéger chaque fabricant
et chaque lieu de fabrication contre le vol des contrefac
teurs; 2 ° garantir à l’acheteur l’exactitude de la pro1 Rép. génér., v° industr., n» 355.
�439
venance, et par conséquent de la qualité de la marchan
dise. Elle ne peut pas protéger une ville étrangère con
tre le contrefacteur, mais elle doit protéger l’acheteur
français contre une manœuvre frauduleuse; les villes
étrangères ne peuvent réclamer, l’acheteur le peut tou
jours lorsqu’il a été trompé par la supposition du nom
d’une ville étrangère. S’il était besoin de sortir des ter
mes de la loi de 1824 pour se convaincre de cette vérité,
on en trouverait la preuve dans le renvoi que fait cette
loi à l’art. 423 du Code pénal, relatif aux tromperies di
rigées uniquement contre l’acheteur.'
Nous sommes de l’avis de M. Dalloz ; qu’on lise les
termes de la loi, qu’on consulte les exposés des motifs et
les rapports présentés aux Chambres législatives , qu’on
s’en réfère à la discussion , on arrive invinciblement à
ce résultat : que le législateur n’a eu absolument en vue
que l’intérêt particulier des producteurs et des lieux de
production, qu’il ne s’est en aucune manière préoccupé
des consommateurs.
Sans doute ceux-ci sont recevables à se plaindre lors
qu’ils ont été trompés sur le nom du fabricant ou du
lieu de fabrication , mais uniquement parce que la loi
fait de cette tromperie un délit passible de l’emprisonne
ment et de l’amende. Or de droit commun et de tous
les temps un délit a ouvert une action à tous ceux qui
en souffrent.
SUR. LES NOMS
i
Contref,
n° 461.
�LOI DU 28 JUILLET 1824
440
Mais loin de donner ce caractère à la supposition du
nom d’une ville étrangère, la loi ne la prohibe même
pas ; elle la permet par cela même, et l’on ne compren
drait pas qu’un fait licite puisse constituer une manœu
vre frauduleuse obligeant à réparation. Feci sed jure
fed, a toujours été l’exception la plus utile, la plus pé
remptoire.
De quelle considération peût être le renvoi que la loi
fait à l’art. 423 du Code pénal ? C’est à la pénalité de
cet article exclusivement que ce renvoi se réfère. Il ne
peut donc aboutir à appeler cette pénalité sur un fait qui
n’est pas même prohibé.
Fallut-il se placer au point de vue de l’art. 423, que
l’opinion de M. Gaslambide n’en serait pas moins inad
missible. Il l’enseigne lui-même : indiquer une prove
nance mensongère , c’est tromper sur la qualité de la
marchandise. Il faudrait donc pour justifier sa théorie
sur la culpabilité de l’acte, qu’il établit que la trompe
rie sur la qualité est prévue et prohibée par l’art. 423.
Or cet article parle bien de la tromperie sur la ma
tière, de celle sur la quantité résultant de l’emploi de
faux poids ou de fausses mesures. Mais de la tromperie
sur la qualité, pas un mot, et ce silence était inévitable.
La qualité d’une chose est une abstraction sur laquelle
il est difficile de s’entendre , très-facile au contraire de
chicaner. Autoriser l’acheteur à réclamer, c’était ouvrir
la porte à d’innombrables procès, à des difficultés souvent
inextricables qu’il était prudent et sage de prévenir.
Or la tromperie sur la qualité peut se produire de
�SUR LES NOMS
441
cent manières ; et comment la loi qui ne s’arrête à au
cune d’elles, qui n’en punit aucune , punirait-elle par
exception celle qui résulterait de la supposition d’un
nom de ville étrangère ?
L’opinion de M. Gastambide n’a donc de fondement
juridique ni dans la loi de 1824, ni dans l’art. 423
du Code pénal ; elle doit être repoussée.
792. — La loi de 1824 ne dispose qu’au point de
vue de l’ordre public, et les peines qu’elle édicte ne sont
que la réparation que la société a droit d’exiger pour
l’infraction qui lèse ses intérêts.
L’atteinte portée à l’intérêt privé entrait dans un au
tre ordre d’idées. La nécessité d’une réparation était
depuis longtemps écrite dans la règle de morale et de
justice qu’édicte l’art. 1382 du Code Napoléon.
Cette réparation peut être demandée à la juridiction
correctionnelle , soit par voie d’action principale et di
recte, soit accessoirement à la poursuite intentée et sui
vie par le ministère public.
La demande peut en être directement portée devant
la juridiction civile. Dans ce cas elle est de la compé
tence du tribunal de commerce.
La faculté pour le tribunal correctionnel d’adjuger
des dommages-intérêts à la partie civile, est subordon
née au jugement du fond. Elle ne peut être exercée que
dans le cas de condamnation.
Sans doute le fait perdant tout caractère de crimina
lité , pourra conserver celui d’acte de concurrence dé-
�442
LOI DU 28 JUILLET 1824
loyale ayant occasionné et occasionnant encore un pré
judice. Mais la juridiction correctionnelle n’a à statuer
et ne peut statuer que sur le délit et ses conséquences.
Ce délit disparaissant, sa compétence est épuisée et elle
ne peut plus que renvoyer les parties à se pourvoir de
vant qui de droit.
795. — L’action publique est ouverte à tous ceux
qui sont lésés par le délit. Elle peut être exercée d’office
par le ministère public.
L’action civile n’appartient qu’à celui ou à ceux qui
ont à se plaindre d’un préjudice, notamment à celui dont
on a usurpé le nom ou la raison commerciale. L’intérêt
qu’il a à faire cesser l’usurpation, à obtenir la répara
tion du préjudice qu’il en a éprouvé ne saurait être ni
méconnu ni contesté.
Le droit que chaque industriel d’une ville dont le nom
a été usurpé a de poursuivre en son nom la répression
de l’usurpation, n’est pas moins certain. Mais quels seront
les effets de son action ? Est-il fondé à exiger et à ob
tenir des dommages-intérêts ?
L’affirmative nous paraît difficile à admettre. Les
dommages-intérêts ne sont et ne peuvent être que la ré
paration du préjudice souffert. Celui-là donc qui les ré
clame doit à priori justifier de ce préjudice, en établir
les proportions et l’étendue.
Or l’usurpation du nom d’une ville lèse évidemment
l’intérêt des fabricants de cette ville ; mais elle leur nuit
à tous également. Si de la collectivité on descend à l’in-
�443
dividualité , dans quelle proportion calculera-t-on le
préjudice ? en existe-t-il un pour celui qui se plaint ?
comment prouvera-t-il qu’il a moins vendu qu’il ne
l’aurait fait sans l’usurpation ? dans le cas où il aurait
en effet moins vendu , comment établira-t-il que cette
diminution est le résultat de l’usurpation plutôt que
d’une des nombreuses chances que présente le com
merce ?
Que faire dans cet état de perplexité et de doute ? Ré
primer l’usurpation, l’interdire à l’avenir, n’accorder à
titre de dommages-intérêts que les dépens de l’instance,
et les frais d’impression et d’affiche du jugement, si elles
sont ordonnées.
794. — La certitude que la justice n’agira pas au
trement nous porte à résoudre négativement la question
de savoir si un ou plusieurs industriels de la localité
peuvent intervenir dans l’instance déjà introduite et
poursuivie par un autre.
Sans doute l’issue de cette instance offre un incontes
table intérêt pour tous. Mais précisément à cause de son
identité absolue, cet intérêt est utilement et suffisamment
garanti aux mains de celui qui en a pris la défense.
Qu’ont donc à craindre les autres? Une collusion en
tre le demandeur et le défendeur? Mais par sa nature
même l’objet du litige se prêle peu à une fraude de ce
genre. Le nom de la ville a été ou non usurpé ; et si
o u i, quelque molle que puisse être l’attaque , la justice
ne laissera pas que de faire son devoir et d’obéir à la
loi qui en ordonne la répression.
SUR LES NOMS
�444
LOI DU 28 JUILLET 1824
Supposez maintenant qu’on soit parvenu à égarer la
justice. En quoi cela nuirait-il aux industriels qui n’é
taient pas parties au procès? Chacun d’eux peut, le len
demain du jugement et sans qu’on pût le lui opposer,
renouveler le procès en son nom et faire réprimer l’u
surpation.
L’intervention n’est donc fondée sur aucune nécessité,
nul danger à courir, nulle crainte à concevoir; oh donc
en serait l’utilité ?
Exciperait-on du profit qui pourrait résulter d’une
condamnation ? Mais nous venons de le voir : rien n’est
moins probable qu’une allocation de dommages-intérêts.
Le fait illégal ne nuit précisément à personne parce qu’il
nuit à tous, et l’impossibilité d’établir soit le préjudice,
soit les proportions dans lesquelles tel ou tel en a souf
fert fera refuser toute allocation de dommages-intérêts.
Sans doute l’intervention aurait un intérêt certain , si
la confiscation des objets frauduleux devait en amener
la remise aux poursuivants qui auraient à les diviser
entre eux, ou à s’en distribuer la valeur.
Mais cette remise autorisée par la loi de 1844 en cas
de contrefaçon d’une invention brevetée, et par celle de
1857 pour usurpation de marques de fabrique et de com
merce, n’est ni consacrée ni permise par la loi de 1824.
Ici en effet la confiscation n’étant ordonnée que par l’ar
ticle 423 du Code pénal, n’a lieu qu’au profit de l’Etat,
ou bien que pour qu’il soit procédé à la destruction des
objets délictueux.
Il est d’ailleurs fort douteux que, dans notre hypo-
�445
thèse, la confiscation s’étende jusqu’à la marchandise.
La pratique est contraire. Le plus ordinairement les tri
bunaux se bornent à ordonner la confiscation des éti
quettes, estampilles, boites , enveloppes ; ou à ordonner
qu’on supprimera l’indication contrevenant à la loi de
1824. Cela est surtout équitable et juste pour l’usurpa
tion du nom d’une ville, car l’attribution à l’Etat ou la
destruction des marchandises confisquées pourrait en
traîner la ruine du délinquant, sans nécessité réelle, au
grand détriment de ses créanciers qui se trouveraient
seuls punis.
En réalité donc l’intervention ne reposerait sur au
cune nécessité, ne pourrait invoquer aucune utilité. Son
seul résultat serait de multiplier outre mesure les lon
gueurs , les qualités et les frais du procès. On devrait
donc la repousser, tout au moins en laisser les frais à la
charge de son auteur quelle que fAt l’issue du procès.
SUR LES NOMS
795. — Dans tous les cas prévus par la loi de 1824,
le droit de plainte , celui de porter l’action soit au cor
rectionnel soit au civil, ne pourrait être contesté ou dé
nié aux consommateurs.
Sans doute le consommateur aura pu ne pas être
trompé sur la matière, et dans ce cas il serait sans ac
tion s’il était réduit à n’invoquer que l’art. 423 du Code
pénal.
Mais la loi de 1824 fait un délit de la tromperie sur
le nom du fabricant ou du lieu de fabrication. Un délit
est une atteinte à l’intérêt social, et son existence donne
�LOI DU 28 JUILLET 1824
446
surtout à ceux qui eu sont directement ou indirectement
lésés, le droit d’en provoquer la répression, de poursui
vre le tort qu’ils peuvent en avoir éprouvé.
L’impossibilité même d’établir ce tort ne ferait pas ob
stacle à la poursuite. Elle pourrait bien influer plus ou
moins sur les dommages-intérêts, mais elle ne saurait
ni empêcher la condamnation et la résiliation de la vente
si elle était demandée.
796. — Ainsi le commerçant dont le nom ou la
raison commerciale a été usurpé, le fabricant d’une ville
dont on a faussement pris le nom , le consommateur
qui a été trompé par l’une ou l’autre de ces fraudes,
est recevable et fondé à les signaler à la justice , à les
poursuivre directement et à exercer à son choix l’action
publique ou l’action civile en réparation.
Le ministère public n’a jamais que l’action publique;
mais on ne saurait lui contester et moins encore lui dé
nier le droit et le pouvoir de l’exercer d’office et en
l’absence de toute plainte de la partie lésée. Ce droit et
ce pouvoir en matière de délit sont généraux et absolus.
Le seul obstacle qu’ils pussent rencontrer serait une dis
position de loi qui y dérogerait expressément. Or la loi
de 1824 ne renfermant aucune dérogation de ce genre,
laisse au droit commun tout son empire.
797. — Que .l’action publique soit exercée par le
ministère public ou par la partie lésée, elle ne doit et ne
peut être portée que devant le tribunal correctionnel.
Mais le doute pouvait naître sur la quetion de savoir à
�447
qui, du tribunal de commerce ou du tribunal civil, il
appartenait de connaître de l’action poursuivie isolément
de l’action publique.
L’usage d’un nom ou d’une raison commerciale peut
être fondé sur une conformité de nom. Le plus souvent
le litige se renfermera dans son mode d’exercice qu’on
voudra faire modifier.
Dans tous les cas, la partie lésée pourra le considé
rer comme un délit ou seulement comme acte de con
currence. S’il s’arrête à ce point de vue , le litige est
commercial par la matière, par la qualité des parties;
dès lors c’est à la juridiction consulaire qu’il doit être
déféré.
Sans doute ce double caractère se rencontre dans l’u
surpation ou l’imitation des marques de fabrique et de
commerce, et c’est cependant le tribunal civil qui est
juge de l’action civile. Mais c’est là une dérogation au
droit commun qui ne pouvait résulter que d’une loi, et
qui a été formellement consacrée par l’art. 46 de la loi
de 4857.
L’absence de toute disposition spéciale dans la loi de
4824 laisse au droit commun tout son empire, et le litige
s’agitant entre commerçants et pour fait de commerce,
se trouve , quant à la compétence , exclusivement régi
par l’art. 634 du Code de commerce.
Mais ce qui est vrai entre l’usurpant et l’usurpé, ne
l’est plus du premier au consommateur. L’action civile
intentée par celui-ci a pour fondement, non une opéra
tion de commerce, mais un quasi-délit. Or on sait qu’en
SUR LES NOMS
«
�LOI DU 28 JUILLET 1824
448
cette matière, sauf le cas d’abordage qui lui est expres
sément réservé, le tribunal de commerce n’est compétent
ni pour vérifier et constater le fait, ni pour en déduire
les conséquences. C’est donc au tribunal civil que le
consommateur devrait exclusivement porter son action.
798. — L’action publique et l’action civile résultant
des délits prévus par la loi de 1824 se prescrivent par
trois ans. Le point de départ de ces trois ans se place
naturellement au jour du dernier fait d’usurpation. Alors
même qu’on dénierait à l’usurpation le caractère de dé
lit successif, il est évident que tant qu’un seul fait res
terait en dehors de la prescription, la position du pré
venu ne serait pas changée au point de vue de la pé
nalité.
Nous n’avons pas à insister sur les difficultés que la
question de prescription peut soulever. Les observations
que nous avons présentées à ce sujet , celles que nous
aurons à indiquer sur la loi de 1857, suffisent pour la
solution juridique de ces difficultés.'
/
7 9 8 bis. — L’intention et le but du législateur ont
été de protéger et de garantir nos industriels et nos in
dustries non pas seulement sur les marchés français,
mais encore à l’extérieur et sur les marchés étrangers ;
d’où la jurisprudence avait conclu, que les marchandi
ses portant faussement le nom de fabricants ou de lieux
1 Supra n°« 692 et suiv ; infra n° 978.
�449
de fabrication français, envoyées en transit à travers la
France , pouvaient être saisies et devaient être confis
quées sur la poursuite des intéressés.
Mais cette faculté était en réalité illusoire par la diffi
culté que rencontrait son exercice. Voyageant sous balle
et sous corde, les marchandises délictueuses ne se ma
nifestaient par aucun indice. Il fallait donc que des avis
arrivassent du dehors et avant leur réception , les mar
chandises ayant atteint le bureau de sortie, se trouvaient
à l’abri de toute atteinte.
Le seul remède efficace contre cette fraude était d’ac
corder à la douane le pouvoir et le droit de saisir lors
que la vérification à laquelle elle doit se livrer à l’entrée
lui aurait décelé la fraude. Ce remède la loi de 1857 l’a
consacré.
Nous verrons sous l’art. 19 de cette loi comment s’ex
écute celte faculté de saisir , les effets et les conséquen
ces de la saisie, les produits sur lesquels elle porte, en
fin le rôle qui est réservé au ministère public.'
SUR LES NOMS
i Infra n»* 982 et suiv.
EIN DU DEUXIEME VOLUME.
��TABLE DES MATIERES DU II"6 VOLUME
Première partie : L o i s u r l e s b r e v e t s d ' i n v e n t i o n (suite).
Pages
Titre IV, Des nullités et déchéances et des actions y relati
ves.— Section II, Des Actions en nullités et en déchéan
ces. — Articles 34, 35 et 3 6 ............................................. 1
Articles 37, 38 et 3 9 ....................................................................33
Titre Y, De la contrefaçon, des poursuites et des peines. —
— Articles 40 et 41, ...............................................................57
Articles 42, 43 et 4 4 ..................................................................116
Articles 45 et 46...............................................................
Articles 47 et.48.............................................................................169
Article 49........................................................................................211
Titre VI, Dispositions particulières et transitoires. — Arti
cles 50, 51, 52, 53 et 54 .......................................................266
Deuxième partie : D e s n o m s d e s f a b r i c a n t s , d e s l i e u x
d e fa b r ic a tio n , d es m a r q u e s d e fa b r iq u e et d e
com m erce.
Avant-propos...................................................................................269
Loi du 28 juillet 1824 sur les altérations ou suppositions
de noms sur les produits fabriqués.—Articles 1 et 2 . . 282
shiutom.
— Page 583, ligne 1 du'titre, au lieu de : loi »ü 24 juillbi, lisez : do 28.
"7ë
134
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/331/RES-20982_Bedarride_Brevet-3.pdf
cd5b0f144d956a773c2598c9dc42f443
PDF Text
Text
DROIT COMMERCIAL
COMMENTAIRE DES LOIS
SUR LES
BREVETS D'INVENTION
SUR
LES
NOMS
DES FABRICANTS & DES LIEUX DE FABRICATION
sun
Tome 3
LES MARQUES DE FARRIQUE ET DE COMMERCE
SUIVI
D’UN APPENDICE
CONTENANT LES ACTES ET DOCUMENTS OFFICIELS E T LÉGISLATIFS
PAR J. BÉDARRDE
Avocat près la Cour d’appel d’A ix, ancien Bâtonnier
PARIS
AIX
L. L A R O S E , L I BRAI RE
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
22 ,
RUB SOUFFLOT,
22
2,
RUB TH FERS, 2
1880
J\V\ eroJUb
�DROIT COMMERCIAL
COMMENTAIRE DES LOIS
SUR LES
BREVETS D'INVENTION
SUR
LES
NOMS
DES FABRICANTS & DES LIEUX DE FABRICATION
sun
LES MARQUES DE FARRIQUE ET DE COMMERCE
SUIVI
D’UN APPENDICE
CONTENANT LES ACTES ET DOCUMENTS OFFICIELS E T LÉGISLATIFS
PAR J. BÉDARRDE
Avocat près la Cour d’appel d’A ix, ancien Bâtonnier
PARIS
AIX
L. L A R O S E , L I BRAI RE
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
22 ,
RUB SOUFFLOT,
22
2,
RUB TH FERS, 2
1880
J\V\ eroJUb
���Législation pour les savons.
Pour la draperie.
Pour les marchandises prohibées.
Pour l ’imprimerie, la pharmacie.
Pour les fabricants de matière d’or et d’argent, et ceux de
cartes à jouer.
807 Elaboration de la loi de 1857.
808 Caractère de cette loi; son objet.
809 Assimilation des marques de commerce aux marques de fa
brique.— Sa rationnalité.
810 Mérite de cette législation.
811 Division de la loi.
799.
— La nécessité d’une législation sur les mar
ques de fabrique est née du principe de la liberté du
commerce et de l’industrie, que la loi du 17 mars 1791
inscrivit dans ses dispositions.
Jusque là en effet sous le régime des maîtrises et juran
des qu’une fiscalité besogneuse avait fait créer et maintenir,
il ne pouvait exister de marques particulières : chaque
corps de métier avait la sienne propre que tous étaient
obligés d’employer, car elle était le certificat de l’origine
dés produits, l’estampille constatant leur qualité et leur
conformité aux prescriptions réglementaires de la cor
poration .
Les efforts et le génie individuels comprimés par ce
régime trouvèrent, dans son abolition , l’occasion et le
moyen de se produire. Chacun put obéir aux inspira
tions de son intelligence, améliorer le mode de fabrica
tion, en perfectionner les produits, en un mot faire plus
et mieux que ses rivaux.
•u .
.
�HISTORIQUE
3
Dès lors aussi la marque, devenue une propriété par
ticulière, appelait l’attention du législateur et exigeait une sage, juste et énergique protection. En effet celle qui,
par la bonté, le fini des produits qu’elle couvrait, se si
gnalait à la confiance du public , ouvrait à ces produits
les plus larges débouchés et conduisait à la fortune. On
comprend l’ardente convoitise dont elle devenait l’objet,
et les abus dont cette convoitise devenait la source.
Tous les commerçants, tous les industriels ambition
nent d’arriver à la fortune : et combien qui ne reculent
devant aucun moyen pour y parvenir.
Or , de tous les moyens, le plus facile était celui de
couvrir son inintelligence , son incapacité d’un pavillon
honoré et respecté. Aussi l’usurpation des marques futelle poussée jusqu’à l’extrême licence, et les emblèmes
les plus justement estimés, prostitués à des produits sans
valeur, indignes d’un pareil patronage , et qui ne pou
vaient que l’avilir et le discréditer.
800.
— Mais le mal ne pouvait pas prendre immé
diatement les proportions qu’il devait atteindre. Les
troubles, l’anarchie , les guerres civiles que la Révolu
tion eut à traverser, étaient autant d’obstacles au déve
loppement et à l’essor du commerce. Aussi le mal s’é
tait-il en quelque sorte localisé dans certaines indus
tries , et ce sont ces industries qu’on songea d’abord à
garantir et à protéger.
Un arrêté des Consuls du 23 nivôse an ix , spécial à
la quincaillerie et à la coutellerie, autorise les fabricants
�à frapper leurs produits d’une marque particulière dont
il leur assure la propriété , à la condition de la faire
empreindre sur des tables communes déposées à la souspréfecture de leur domicile.
Un autre arrêté du 7 germinal an x autorise la ma
nufacture nationale de bonneterie orientale , établie à
Orléans, à mettre sur les envois qu’elle fait à l’étranger
un cartouche conforme au dessin qu’elle a soumis au
Gouvernement.
Mais ces arrêtés ne furent d’aucune utilité, même aux
industries qu’ils avaient pour objet de protéger. L’ab
sence de toute sanction pénale , en effet, n’était pas de
nature à décourager et à retenir les spéculations de la
fraude.
Il fallait donc y revenir. Mais l’expérience des quel
ques années qui s’étaient écoulées avait démontré que la
quincaillerie , la coutellerie et la bonneterie n’étaient
pas seules à réclamer des garanties. Dans toutes les au
tres branches du commerce et de l’industrie, des mar
ques s’étaient produites qui avaient acquis une juste cé
lébrité , et qui avaient été par cela même l’objet et le
but des plus odieuses spéculations.
801.
— La loi du %% germinal an xi d’abord, les
articles 142 et 143 du Code pénal ensuite , s’efforcèrent
de rendre communes à tous les genres de commerce la
protection qu’ils réclamaient.
Cette fois la sanction pénale ne fit pas défaut. Mal
heureusement elle dépassait toutes les justes bornes.
�HISTORIQUE
5
Comme nous l’avons déjà dit, cette législation ne proté
gea rien, précisément parce qu’elle protégeait trop.
C’est cependant sous son empire que le commerce
vécut. La première dérogation qu’elle subit fut la loi de
1824, dont nous venons de commenter les dispositions.
Mais cette loi n’ayant en vue que les nom s, laissait
les marques, même nominales, sous la protection de la
loi de l’an xi et des articles 142 et 143 du Code pénal.
Leur usurpation constituait donc le crime de faux et était passible d’une peine afflictive et infamante, sauf les
quelques exceptions qui résultaient de la législation spé
ciale sur les marques autorisées ou imposées à certaines
branches d’industrie.
Le décret du 5 septembre 1810 ne prononce qu’une
amende de 300 fr. et du double en cas de récidive, con
tre ceux qui auront contrefait les marques permises par
l’arrêté du 3 nivôse an ix aux fabricants de quincaille
rie et de coutellerie.
802.
—■ Les savons ont été l’objet d’une législation
particulière. Trois décrets des 1er avril 1811 , 18 sep
tembre même année et 22 décembre 1812 , prescrivent
la marque que les fabricants sont obligés d’apposer sur
chaque brique de savon, et qui doit être différente selon
qu’ils sont fabriqués à l’huile d’olives, à l’huile de grai
nes ou à la graisse, et donnent une marque particulière
à la ville de Marseille pour ses savons à l’huile d’olives.
Toutes ces marques doivent porter le nom du fabricant
et celui de la ville où il fait sa résidence.
�Le défaut de marque ou son inexactiude, toute fraude
dans la fabrication par l’introduction surabondante
d’eau ou de substances propres à altérer la qualité du
savon , est passible d’une amende de 3000 fr., portée
au double en cas de récidive.
Mais ces divers décrets ne statuent rien ni sur l’u
surpation du nom du fabricant ou de sa résidence , ni
sur celle de la marque particulière dont chaque fabri
cant peut faire accompagner la marque obligatoire. Dès
lors la première jusqu’en 4824, et la seconde jusqu’en
4857, ont été régis par la loi de l’an xi et les articles
442 et 443 du Code pénal.
805.
— Deux décrets ont été rendus pour la dra
perie : celui du 25 juillet 4840 donne aux fabricants de
la ville de Louviers l’autorisation exclusive d’avoir à
leurs draps une lisière jaune et bleue, et défend aux fa
bricants des autres villes de l’employer sous peine d’une
amende de 3000 fr., et de 6000 en cas de récidive.
Un autre décret du 22 décembre , concédant à toutes
les autres villes la faveur faite à celle de Louviers, con
fère à toutes les manufactures de draps de l’Empire la
faculté d’obtenir l’autorisation de mettre à leurs produits
une lisière qui sera particulière à chacune d’elles.
Mais tandis que l’usurpation de celle de Louviers n’est
punie que d’une peine correctionnelle, celle de la lisière
particulière à une ville est, quant à la pénalité, expres
sément soumise à la loi de l’an xi. Ainsi ce qui n’est
que délit dans un cas, devient crime dans un cas ana-
�HISTORIQUE
7
Au reste ces deux décrets n’ont jamais reçu aucune
exécution. Un avis du conseil d’Etat, du 30 avril 1811,
suspend l’effet du premier jusqu’à la promulgation d’un
réglement qui n ’a jamais été fait. Un second avis, du
17 décembre 1813, reconnaît à toutes les manufactures
le droit d’adopter telles lisières qu’elles jugeraient con
venables.
Toutes ces dispositions avaient pour objet non-seule
ment l’intérêt privé des fabricants,mais encore celui des
consommateurs qu’on voulait défendre contre les trom
peries sur la nature des marchandises. C’est ainsi que
l’art. 2 du décret du 18 septembre 1811 déclare que, à
compter du 1er avril prochain , il ne pourra plus être
vendu par les fabricants des savons destinés aux blan
chisseuses, teintures et dégraissage, s’ils ne sont revêtus
de la marque ci-dessus, sous peine de 100 fr. d’amen
de, et du double en cas de récidive.
8 0 4 . — Des raisons d’un autre ordre , tirées d’un
intérêt de douane, de police ou de fiscalités, ont donné
naissance à l’imposition d’une marque obligatoire pour
certaines matières, ou pour quelques professions.
Les prohibitions d’importation que le régime du libre
échange tend à faire disparaître, avaient pour principal
objet de protéger les produits similaires de nos fabriques
et manufactures. Mais comment distinguer ceux-ci de
ceux qu’on aurait pris à l’étranger, si on n’imprimait
aux premiers un cachet qui prouvât et garantît leur ori
gine ?
�8
loi
du
23
ju in
1857
En conséquence l’art. 59 de la loi du 28 avril 1816
dispose : A dater de la présente loi, les cotons filés, les
tissus et tricots de coton et de laine, et tous autres tissus
de fabrique étrangère prohibés, seront recherchés et sai
sis dans toute l’étendue du Royaume. A l’effet de dis
tinguer les tissus fabriqués en France, toute pièce d’é
toffe de la nature de celles prohibées devra porter une
marque et un numéro de fabrication , pour servir de
premier indice au jury dont il sera parlé ci-après.
Les ordonnances des 8 août 1816 , 23 septembre
1818, 26 mai 1819 et 3 avril 1835, rendues pour l’ex
écution de cet article, déterminent la nature et la for
me de l’estampillage et de la marque des tissus de lai
ne, coton ou autres de la nature de ceux dont l’impor
tation est prohibée ; des tricots et produits de la bonne
terie, des châles de laine, de coton ou de soie ; des co
tons filés; des tulles de coton, e tc ... .
8 0 5 . — L’article 1 de la loi du 28 germinal an iv
et l’art. 17 de celle du 21 octobre 1814 , obligent les
imprimeurs à indiquer leur nom et leur demeure sur
tous les produits de leur industrie.
L’article 7 de l’ordonnance du 29 octobre 1845 pres
crit aux pharmaciens d’apposer, sur les substances vé
néneuses qu’ils délivrent, une étiquette indiquant leur
nom et leur domicile.
8 0 6 . — La loi du 19 brumaire an vi enjoint aux
fabricants de matières d’or et d’argent, d’imprimer sur
TK* '
�HISTORIQUE
9
leurs produits un poinçon portant un emblème spécial
choisi par eux et déposé , et la première lettre de leur
nom indépendamment des poinçonsdu titre et du bureau
de garantie.
Enfin l’art. 4 du décret du 9 février 1810 oblige les
fabricants de cartes à jouer à mettre , sur chaque jeu,,
une enveloppe indiquant leurs noms , demeures et si
gnatures en forme de griffes.
En dehors de ces lois et ordonnances et des matières
qu’elles régissent, il est libre à tous fabricants ou manu
facturiers de marquer ou non ses produits, et d’adopter
dans le premier cas tel signe, emblème qu’il juge con
venable. C’est cette dernière marque dont la loi de ger
minal an xi avait entendu garantir et protéger la pro
priété régulièrement acquise.
807.
— Son insuffisance avait soulevé de justes,
d’unanimes réclamations. Une première satisfaction a vait été donnée par la loi de 1824.
Il en fallait une seconde et plus complète, et c’est cellelà que notre loi de 1857 a entendu consacrer après de
longues et sérieuses études.
En effet, dès 1841, les conseils généraux et les cham
bres de commerce et de manufactures préparèrent un
projet de loi qui fut élaboré et adopté par le conseil d’E
tat en 1845.
Adopté en 1846 par la chambre des P a irs, ce projet
fut, en 1847, porté à la chambre des Députés. Le rap
port de la commission était déposé lorsque la Révolu
tion de 1848 vint en faire ajourner la discussion,
�loi
du
23
ju in
1857
En mai 1850, le Gouvernement reprenant la matière,
soumit à l’examen du conseil général de l’agriculture,
des manufactures et du commerce, des questions relati
ves aux modifications à apporter à la législation régis
sant les marques de fabrique. Sur les réponses et après
avoir examiné les documents précédemment recueillis,
le conseil d’Etat arrêta, en 1851, le projet qui fut pré
senté au Corps législatif.
La commission pensa ique le projet pouvait et devait
être modifié. Les nombreux amendements qu’elle pro
posait motivèrent un nouveau recours au conseil d’Etat.
De ces amendements les uns furent admis, les autres
rejetés. Et c’est alors que le projet fut adopté par le
Corps législatif, et promulgué après que le Sénat eut dé
claré ne pas s’opposer à sa promulgation.
808.
— La marque sur laquelle la loi statue n ’est
pas et ne pouvait pas être envisagée comme une vérifi
cation émanant de l’autorité publique , et constatant la
sincérité et la nature de la marchandise. Le législateur
n ’y a vu et ne pouvait y voir, sans rétrograder à la lé
gislation des maîtrises et jurandes, que la signature que
le commerçant, fabricant ou manufacturier appose sur
ses produits pour en constater l’origine , pour leur im
primer, autant que possible, aux yeux du public, le ca
ractère de la personnalité.
Sans doute la sincérité de la marque intéresse le pu
blic qui serait trompé, si le propriétaire de cette marque
l’apposait sur des produits défectueux et inférieurs. Mais
�HISTORIQUE
11
l’intérêt que chacun a à ne pas discréditer une marque
qui lui promet succès et fortune, est une garantie con
tre une fraude de ce genre. Aussi YExposé des motifs
disait-il fort justement que ce qui serait fait directement
et en faveur du fabricant, profiterait largement au public
lui-même : qu’il était évident en effet que si la marque
est suffisamment protégée contre les usurpations, effica
cement interdite à ceux qui n’y ont pas droit ; si, peu à
peu , les fabricants et commerçants honnêtes et intelli
gents sont amenés , par leur intérêt même , à marquer
leurs produits, puis à maintenir et à augmenter la va
leur de leur marque par le soin qu’ils mettront à ne
l’apposer que sur des marchandises loyales , le public
n’aura-t-il pas un moyen très-simple d’éviter les trom
peries dont il est trop souvent victime?
Se préoccuper , dans la législation sur les marques,
de ces tromperies, c’était s’engager à les envisager, au
point de vue des marques non déposées , comme des
marques déposées ; il fallait de plus aller plus loin , et
prévoir les tromperies qui s’exercent par l’annonce , le
prospectus, l’artifice des indications de l’étalage, etc.
Or, ajoutait l'Exposé des motifs, tout cela n’est peutêtre pas dans le domaine de la loi pénale. Le public ne
doit pas être constamment traité comme un mineur ; et
là où il peut faire ses affaires lui-m êm e, où il peut se
défendre contre le charlatanisme et contre la tromperie
par un peu d’attention et de vigilance, il n’esf pas tou
jours nécessaire, il n’est pas toujours prudent de met
tre à son service la loi pénale et le ministère public.
�__________ _
12
loi
nu
2 3 ju in
1857
Tel esl donc le caractère de la loi. Ce qu’elle a eu
principalement en vue , c’est de garantir la propriété
privée des marques adoptées par les commerçants , in
dustriels et manufacturiers ; garantie qui devient un en
couragement à en conserver, à en augmenter la valeur,
et par cela même sauvegarde l’intérêt des consomma
teurs.
809.
— Le législateur a été si convaincu de l’ex
cellence du point de vue auquel il se plaçait , qu’il n’a
pas hésité à couvrir de la même protection les marques
de commerce sur lesquelles les législations précédentes
gardaient le plus complet silence. Où était en effet la
raison de ce silence? S’il est juste qu’un fabricant jouisse
du fruit de son intelligence et des avantages de la per
fection qu’il a su donner à ses produits , il est égale
ment équitable que le marchand qui se distingue par
un choix .intelligent et consciencieux dans ses achats,
par la fidélité et la loyauté qu’il met dans la revente,
soit récompensé de son honnêteté et de sa probité. Il
faut donc que le signe distinctif sous lequel il exploite
son commerce lui soit à son tour garanti; qu’il ne puisse
servir d’enseigne à ceux qui ne revendent les meilleurs
produits qu’après leur avoir fait subir des altérations et
des modifications dans le but d’augmenter leur bénéfice.
MR:
Sans doute avant la loi de 1857, l’usurpation de ce
signe était un acte de concurrence déloyale donnant
naissance à l’action en suppression et en dommagesintérêts. Mais il en était exactement ainsi pour l’usurpa-
.
-
�HISTORIQUE
13
tion des marques de fabrique ; el de l’avis de tous cette
protection n’était rien moins qu’efficace. Or ce qui ne
suffisait pas à la garantie de celles-ci, pouvait-il suffire
à celle des marques de commerce ?
C’est donc avec infiniment de raison que le législa
teur , en les couvrant les unes et les autres d’une égale
et même protection, leur imprime le même caractère, et
exige pour elles le même respect. Sous son égide, l’usage
de la marque de commerce se répandra, et ce résultat,
dit M. Rendu , sera peut-être le moyen le plus efficace
de prévenir les falsifications opérées dans la transmission
de certains objets qui , livrés en bon état par le fabri
cant , parviennent dénaturés au consommateur. Tout
commerçant honnête peut mettre sa maison à l’abri du
soupçon de manipulation frauduleuse , en attachant à
ses marchandises un signe par lequel il prend haute
ment la responsabilité de leur intégrité complète. C’est
là un moyen de crédit et partant de fortune , que nous
ne saurions trop recommander à l’attention des com
merçants.'
810.
— La loi de 1857 ne dit pas le dernier mot
de la matière, et pourra recevoir les améliorations que
la pratique et l’expérience signaleront. Mais elle a l’in
contestable mérite , comme le proclamait le rapporteur
du Corps législatif, de mettre fin à une législation dif
fuse, contradictoire, impuissante; de donner satisfaction
�U
loi
du
23
ju in
1857
à des vœux exprimés de toutes parts ; de réaliser de no
tables améliorations pour l’industrie et le commerce.
811.
— La division adoptée s’imposait en quelque
sorte par la nature du sujet. Après avoir consacré le
principe de la propriété des marques et indiqué leur
caractère, la loi indique les conditions qui font acqué
rir cette propriété , et les formalités à remplir pour sa
conservation.
S’occupant ensuite des étrangers, elle distingue entre
ceux qui possèdent en France des établissements de
commerce, et ceux qui n’y ont ni domicile ni résidence;
elle assimile les premiers aux nationaux quant aux effets
de la loi ; elle n’en confère le bénéfice aux seconds que
si, dans leur pays, des conventions diplomatiques ont établi la réciprocité pour les marques françaises.
Le titre m contient la sanction destinée à assurer l’ex
écution des prescriptions de la loi, et indique les divers
délits qui peuvent naître de leur inobservation , et la
peine encourue par chacun d’eux.
Vient ensuite la détermination de la juridiction appe
lée à statuer sur les actions soit civiles, soit correction
nelles qui peuvent surgir sur la matière.
Enfin le titre v et dernier est consacré aux disposi
tions générales et transitoires que la substitution de la
nouvelle législation à l’ancienne rendait indispensables.
—a j* —
�SUR LES MARQUES
15
TITRE Ier
DIT D R O IT
DE
P R O P R IÉ T É
DES
M ARQUES
A r t . i er.
La marque de fabrique ou de commerce est
facultative.
Toutefois des décrets rendus en la forme de
réglements d’administration publique peuvent,
exceptionnellement, la déclarer obligatoire pour
les produits qu’ils déterminent.
Sont considérés comme marque de fabrique
et de commerce, les noms sous une forme dis
tinctive, les dénominations, emblèmes, emprein
tes, timbres, cachets, vignettes, reliefs, lettres,
chiffres, enveloppes et tous autres signes servant
à distinguer les produits d’une fabrique ou les
objets d’un commerce.
�46
loi
du
23
ju in
1857
S OMMAI RE
812 Difficultés que soulevait le caractère à donner à la marque.
813 Raisons alléguées en faveur de la marque obligatoire.
814 Motifs qui ont déterminé le législateur â la déclarer simple
ment facultative.
813 Appréciation.
816 Exception que la règle peut souffrir.—Par qui et dans quelle
forme elle doit être appliquée.
817 Chaque commerçant ou fabricant soumis à la marque obli
gatoire peut l’accompagner d ’une marque facultative.
818 En quoi consiste la marque de fabrique ou de commerce.
819 Utilité de la détermination de la marque nominale.
820 Quels en sont les éléments et le caractère.—Arrêt de la cour
de Cassation. Appréciation.
821 Solution sous l ’empire de la loi actuelle.
822 Dans quel cas la dénomination donnée aux produits consti
tue la marque nominale.
823 La dénomination d’un produit nouveau est-elle susceptible
de propriété exclusive ?—Arrêt delà cour de Paris pour
l'affirmative.
824 Examen et discussion.
825 La marque peut consisterdans un emblème, une empreinte,
un timbre, un cachet.—Liberté absolue du choix.
826 II n ’est pas nécessaire que le signe soit accompagné d’initia
les.—Arrêt de la cour de Rouen dans ce sens.
827 II y a marque légale dans l ’emploi d’une vignette.— Carac
tère de celle-ci. — Elle n’est acquise qu’à titre de mar
que. Conséquences.
828 Si le dessin est nouveau, est-il susceptible de propriété ex
clusive.
829 Arrêt de la cour de Paris , cité par M. Rendu comme ayant
décidé la négative.—Inexactitude de l’indication.
�47
SUR LES MARQUES
830
L'affirmative est, à notre avis, la seule juridique. A quelle
condition.
831
La condition de nouveauté ne serait pas remplie si le dessin
se bornait à a m a lg a m e r les couleurs ou à combiner deux
dessins connus.
A qui de l’industriel ou de l ’artiste appartient la propriété
du dessin nouveau.
La vignette peut ne reproduire qu’un signe géométrique.—
ce que doit être ce signe.
II y a marque légale dans l’emploi de le Itres ou chiffres. —
Etendue du droit exclusif.
Sont dans la catégorie des marques, les empreintes, timbres*
cachets, reliefs.
La loi actuelle tranche le doute qu’avait fait naître la ques
tion de savoir si les enveloppes mobiles étaient une mar
que, dans le sens de la loi.
Ce que comprend le terme enveloppe.
Le dernier paragraphe de l ’art. 1 est purement érionciatif et
non limitatif.
Les estampilles, les plaques de voiture , les panonceaux ou
écussons se placent dans les catégories de l ’art. 1.
La forme donnée aux produits ne peut constituer la mar
que de fabrique.
Opinion contraire de M. Rendu.—Réfutation.
II en est à plus forte raison ainsi de la couleur.
Caractère de nouveauté que doit avoir la marque. — Ce qui
le constitue.
Droit du propriétaire de la marque de s’opposer à tout ce
qui pourrait amener directement ou indirectement une
confusion entre les produits.
Jurisprudence dans ce sens.
La propriété exclusive de la marque n ’est acquise que con
tre les industries similaires.—Conséquences.
II n’est pas nécessaire que la marque soit apparente.
832
833
831
835
836
S 17
838
839
810
811
842
843
8 44
845
846
847
ni
2
�18
loi du
23 juin 1857
8 1 2 . — La première difficulté qu’une législation
sur les marques de fabrique avait à examiner et à ré
soudre, était de savoir si la marque devait être obliga
toire ou simplement facultative.
La crainte de revenir à cette réglementation étroite
qui, avant 1789 , avait suscité tant d’entraves au com
merce et à l’industrie, devait exercer la plus grande in
fluence sur la solution de la question. Il était difficile,
d’autre part, de répudier les inspirations que soixante
ans de pratique d’un régime de liberté avaient vulgari
sées, et dont le commerce était fort loin de vouloir se dé
partir.
Aussi les conseils généraux du commerce et de l’in
dustrie étaient-ils unanimes pour réclamer qu’on lais
sât la marque purement facultative , et c’est ce que , à
toutes les époques , avait également demandé le conseil
d’Etat.
8 1 3 . — Mais l’opinion contraire rencontrait de nom
breux partisans, et inspirait d’ardentes sympathies. Pour
les uns et pour les autres, la marque obligatoire ne de
vait pas seulement servir efficacement l’intérêt privé des
commerçants et industriels, elle était encore, seule, dans
le cas de répondre aux exigences de l’intérêt général et
public.
« Il faut, disait-on, mettre un terme aux fraudes qui
se commettent sur le marché intérieur , plus encore sur
le marché extérieur. Ces dernières surtout ont la plus
désastreuse influence sur la prospérité de nos fabriques.
�SUR LES MARQUES
19
Les pacotilleurs qui versent sur les places étrangères des
marchandises de mauvais aloi, déshonorent notre indus
trie, lui font une réputation détestable et l’excluent du
marché. Si chaque fabricant était obligé d’apposer sa
marque sur les produits de sa fabrication, il y regarde
rait à deux fois avant de signer une œuvre défectueuse
ou déloyale. Il serait armé pour résister aux obsessions
du commerce intermédiaire, quand celui-ci prétend spé
culer sur la qualité inférieure des marchandises, sur l’é
loignement du marché, sur l’incurie ou sur l’ignorance
des acheteurs. La marque , si elle ne supprime pas la
fraude, en restreint au moins le cham p, c’est le défaut
de responsabilité du fabricant qui la favorise ; la mar
que obligatoire ne crée pas la responsabilité sans doute,
mais elle donne à l’acheteur , au public le moyen de
l’invoquer et d’en faire sentir la portée au fabricant dé
loyal, tout au moins en repoussant ses produits; elle
assure donc à cette responsabilité une réalité et une
sanction. »
A l’objection que la marque obligatoire serait en con
tradiction avec les principes de liberté d’industrie con
sacrés par notre droit public moderne, on répondait que
plus la liberté est grande, plus il importe de rendre sé
rieuse et réelle la responsabilité de ceux qui en usent ;
que ce n ’est point porter atteinte à la liberté de l’indus
trie, que de lui dire : vous usez de votre liberté à votre
gré , mais vous en userez à vos risques et périls, sous
votre responsabilité, et pour que cette responsabilité soit
utile, vous signerez vos œuvres.
�814.
— A ces considérations, les défenseurs de l’o
pinion contraire répondaient : Qu’entend-on par mar
que obligatoire ? Apparemment ce n’est pas le retour à
l’ancienne législation d’après laquelle le Gouvernement
lui-même intervenait pour frapper la marchandise d’u
ne estampille , d’un poinçon constatant la vérification
dont elle avait été l’objet de la part de l’autorité. Ce ne
serait pas, dans ce cas, la marque du fabricant qu’il s’a
girait de rendre obligatoire, mais la marque de l’Etat.
En admettant que cette exigence, objet de tant d’attaques
même sous l’ancien régime, pût se concilier avec les ha
bitudes de liberté contractées pendant soixante ans, avec
les développements immenses que l’industrie a pris, a vec la variété infinie de ses combinaisons, quelle armée
d’employés ne faudrait-il pas pour suffire maintenant à
la tâche ? et pour arriver à quoi ? A rendre l’adminis
tration, l’Etat responsable de la bonne qualité des mar
chandises livrées au public.
Que s’il s’agit seulement de rendre obligatoire la mar
que du fabricant, peu de mots suffiront pour établir
que ce système, même entendu ainsi, serait à peu près
impraticable, fort préjudiciable aux fabricants , et qu’il
n’offrirait aucune garantie sérieuse au public.
Nous disons d’abord qu’il serait impossible à mettre
en pratique, pour un très-grand nombre de produits.
Il est une foule d’objets, comme les dentelles, les châ
les , les écharpes , les cristaux , etc.. . . , qu’on ne peut
marquer autrement que par une étiquette mobile, facile
à enlever, à changer ; qui ne porterait pas , par consë-
�SUR UES MARQUES
21
quent, avec elle, la preuve qu’elle apparlient bien à l’au
teur du produit.
Les mêmes objets, comme les aiguilles, les épingles,
etc., ne peuvent être marqués que par l’enveloppe qui
offre les mêmes inconvénients, puisqu’il est facile de
remplacer les objets qu’elle couvre.
Les tissus en pièces ne peuvent être marqués qu’aux
deux extrémités de la pièce. Or les fragments de pièces,
les coupons suivant le langage du commerce , ne peu
vent pas porter la marque, et les consommateurs n’a
chètent guères que des coupons.
Ainsi la première objection , impossibilité matérielle
d’apposer la marque sur un très-grand nombre de pro
duits , au moins d’une manière à ce qu’elle garantisse
:Toriginede la fabrication.
Nous disons , en second lieu , que le système de la
marque obligatoire serait fort préjudiciable aux indus
triels. En effet il y a des cas nombreux où les fabricants
les plus honnêtes, les plus intelligents sont obligés de li
vrer au commerce des produits défectueux ou de qualité
inférieure. Ce sont les produits d’essai, les produits mal
réussis, les produits d’un prix peu élevés destinés aux
consommateurs de la classe la plus nombreuse , pour
qui le bon marché est indispensable. Font-ils en cela
une opération déloyale? Nullement, si le public est averti
de ce qu’il achète. Cependant le fabricant ne signe point
de tels produits. Si vous l’obligez à les signer, vous lui
interdirez la fabrication très-licite et très-utile des ob
jets destinés à la consommation du peuple ; vous le for-
�22
loi
du
23
ju in
1857
cez à détruire les produits d’essai et les produits mal ré
ussis , c’est-à-dire que vous le ruinez ou que vous le
forcez à compromettre sa marque, et à tromper le pu
blic en lui donnant comme parfaits et loyaux des pro
duits qui ne le sont pas
Vous ne donnez donc à ce public que vous avez voulu
sauvegarder, qu’une garantie illusoirqet bien inférieure
à celle que lui assure la marque facultative.
Avec la marque facultative, en effet, le public peut et
sait reconnaître celle qui a une bonne réputation; il
s’adresse à celle-là de préférence, et il a la cetitude mo
rale que le fabricant honorable à qui elle appartient ne
l’aurait pas apposée sur le produit qu’il achète s’il était
défectueux. Mais avec la marque obligatoire tous les
produits sont signés : c’est la confusion des langues ; à
moins d’une étude spéciale , il est impossible de s’y re
connaître , de distinguer la bonne marchandise de la
mauvaise ; et lors même qu’on sait Ja distinguer, elle
n ’est plus une garantie pour le public, puisqu’elle cou
vre également tous les produits du fabricant, les bons
comme les mauvais.1
Ces raisons que faisaient valoir les conseils généraux
du commerce et de l’industrie, qui avaient déterminé le
conseil d’E ta t, déterminèrent le Corps législatif. Sans
doute, disait le rapporteur de la commission, la répres
sion des fraudes est un résultat excellent, mais fort hy-
i Y. l’E xposé des motifs,
�SUR LES MARQUES
23
pothétique dans le système contraire. Respectera-t-il sa
marque, le commerçant peu jaloux de se faire un nom
commercial ? La marque actuellement obligatoire pour
les tissus de laine et de coton,a-t-elle empêché les frau
des ? Ce qui est certain , au contraire , ce sont les res
trictions gênantes imposées au commerce, même le plus
loyal , par une pareille obligation. L’expérience de plu
sieurs années le démontre. Obliger le producteur à si
gner tous ses produits, n’est-ce pas, sous peine de com
promettre sa marque, l’empêcher de vendre les produits
d’essai ou mal réussis , de faire pour les besoins de la
consommation elle - même des produits inférieurs ou
mélangés? Comprend-on aussi qu’il faille marquer tous
les objets , même les plus simples et les plus vulgaires
qui sont dans le commerce ?
815.
— S’il nous était permis d’émettre une opi
nion , nous dirions que la marque obligatoire n’offre
d’utilité réelle que lorsque , supposant un contrôle de
l’autorité, elle peut être considérée comme une garantie
de la bonté de la matière première, et de l’excellence de
la fabrication. En dehors de ce contrôle, ce qui fait l’au
torité et le prix de la marque, c’est son caractère facul
tatif. Si elle est imposée, le public n’y verra et ne pour
rait y voir que l’observation d’une obligation , que l’ac
complissement d’un devoir, et non une garantie de l’o
rigine et de la qualité de la marchandise.
Si le fabricant est libre de signer ou non ses produits,
c’est cette garantie que donnera l’apposition de la mar.
�84
loi
du
23
ju in
1857
que. Il est évident, en effet, que plus cette marque aura
acquis et mérité la confiance, plus son propriétaire sera
intéressé à lui conserver sa réputation et à la justifier
parla perfection de ses produits. Mieux encore que no
blesse, célébrité oblige, et celui qui tenterait d’abuser de
cette célébrité, qui prostituerait sa signature en la pro
diguant à des produits inférieurs tromperait sans doute
le public, mais il se tromperait bien plus lui-même par
le discrédit dont il frapperait sa marque, sacrifiant ainsi
à un sordide intérêt d’un moment l’avenir de prospérité
et de fortune que lui promettait la confiance qu’il avait
su inspirer.
Ce n ’est pas là une pure et simple théorie. La prati
que atteste tous les jours la valeur de la marque facul
tative. Voyez , dit avec raison M. Wolowski, ce qui se
réalise pour la condition des soies. Personne n’est forcé
de porter ses soies à la condition, et tout le monde les
y porte , et tout le commerce de cette précieuse denrée
se fait par l’entremise du bureau de garantie.'
Où trouver la raison de cette pratique , si ce n ’est
dans la conviction qu’il y a dans cette épreuve un titre
assuré à la confiance publique , et que les soies qui ne
l’auraient pas subie seraient délaissées et méprisées. Or
ce que la condition fait pour les soies, la célébrité de la
marque le réalise pour lès produits d’un fabricant. Et il
n’y a ni à supposer ni à craindre que ce fabricant agisse
1 Journal des économistes, 1844, I. vu, p. 75.
�SUR
LES MARQUES
25
jamais de manière à éloigner cette confiance , et signe
de son nom des produits qui le dépouilleraient bientôt
du prestige qui en fait tout le prix.
C’est donc avec juste raison que la loi a adopté et con
sacré le système de la marque facultative. Les espérances
qu’elle en concevait n’ont pas été trompées. Les abus et
les fraudes qu’on a eu depuis à signaler et à réprimer,
c’est à l’usurpation ou à l’imitation frauduleuse qu’ils
avaient demandé le moyen de se produire.
816.
— Le principe admis est général et absolu, en
ce sens qu’il ne peut y êtré dérogé que dans des circon
stances exceptionnelles puisant leur raison d’être dans
des principes d’ordre ou d’intérêt public.
Ainsi des exigences douanières, des nécessités de po
lice ou de sûreté générale ont fait imposer une marque
obligatoire à certains, produits , à certaines industries.
Ainsi les matières d’or et d’argent, les tissus français si
milaires aux tissus prohibés , l’imprimerie, les substan
ces vénéneuses , etc.. . ., ont des réglements spéciaux,
et cette législation n’a excité ni réclamations, ni plaintes
sérieuses.
Des raisons de même ordre, d’autres non moins puis
santes , l’intérêt de la consommation ou la protection
due à de grandes industries nationales, peuvent nécessi
ter et provoquer les mêmes précautions. C’est à cette
prévision que répond le § 2 de notre article.
Le droit n’a été et ne pouvait être contesté. Mais à qui
de l’administration ou du pouvoir législatif devait en être
�26
LOT DU
23
JUIN
1857
confié l’exercice ? L’article se prononce pour la pre
mière , mais en lui imposant la condition d’agir par la
voie de réglement d’administration publique, c’est-à-dire
par un décret délibéré en conseil d’Etat.
8 1 7 . — Dans tous les cas où la marque est obliga
toire , rien n ’empêche l’adoption d’une marque spéciale
pour chaque fabricant. Tous en effet peuvent ne pas ap
porter dans leur fabrication la même perfection, le mê
me fini, et l’on comprend l’intérêt d’une distinction en
tre les produits de l’un et les produits de l’autre. Celle
distinction ne saurait résulter de la marque obligatoire
qui est identique pour tous les produits similaires. On ne
peut l’établir qu’en faisant suivre la marque indicative
de la nature de la marchandise, d’une seconde désignant
la personnalité du fabricant. Rien ne pouvait s’opposer
à ce qu’il en fût ainsi.
8 1 8 . — La marque de fabrique ou de commerce est
tout signe , emblème ou dessin par lequel un fabricant,
manufacturier ou commerçant désigne les produits qu’il
crée ou qu’il exploite. Aussi le Gouvernement s’en réfé
rant à l’appréciation souveraine des tribunaux, s’élait-il
abstenu de la définir.
La commission du Corps législatif crut qu’il était né
cessaire de s’en expliquer. Elle faisait remarquer les dif
ficultés que soulevait la question de savoir si la mar
que devait être tellement inhérente au produit, qu’on pe
pût l’en séparer sans détériorer l’un ou l’autre, et la né
cessité de les résoudre en déclarant qu’on considérait
�SUR LES MARQUES
27
comme marques, dans le sens de la loi, les timbres, ca
chets, vignettes et enveloppes mobiles.
Le conseil d’Etat s’étant rangé de l’avis de la com
mission, la nomenclature des marques proposée parcelleci fut inscrite dans la loi.
De cette nomenclature il résulte que toutes les dis
tinctions, que le classement des marques avait inspirées,
n’ont plus aucune raison d’être. La seule qui ait sur
vécu est celle entre la marque nominale et la marque
emblématique.
819- — L’utilité de la loi, relativement à la premiè
re , aurait pu être contestée en l’état de la loi de 1824.
Mais en réalité la distinction avait son fondement ration
nel dans ce fait que le nom lui-même peut n’être qu’u
ne marque. La détermination de ce caractère a v a it, de
1824 à 1859, une importance considérable au point de
vue de la pénalité d’abord, à celui de la nécessité du dé
pôt préalable ensuite.
En effet l’usurpation du nom n’encourait qu’une peine
correctionnelle, tandis que si le nom ne constituait qu’
une marque, son usurpation tombait sous le coup de la
loi de l’an xi, des articles 142 et 143 du Code pénal et
était passible de la peine du faux
La loi de 1857 a, sous le rapport de la pénalité, placé
l’usurpation de la marque sur la même ligne que l’u^
surpation de nom. Mais si elle a dès lors retiré à la dis
tinction toute utilité à cet égard, elle n’a rien innové au
second point de vue. En effet le dépôt préalable , qui
�lo i
nu 23
ju in
1857
n’est pas exigé pour l’usage exclusif du nom employé
comme nom, est la condition essentielle de l’action en
répression , si ce nom ne constitue qu’une marque ; et
le prévenu qui établirait ce caractère et le défaut du dé
pôt échapperait, à la pénalité soit de la loi de 1824, soit
de celle de 1857.
8 2 0 . — La distinction a donc encore un intérêt in
contestable , et ses éléments méritent une détermination
précise. La jurisprudence avait admis qu’il convenait en
cette matière de rechercher ce qui , dans le signe em
ployé, paraissait le principal, et ce qui semblait l’acces
soire, soit le nom, soit l’entourage du nom ; et un arrêt
de la cour de Cassation, du 28 novembre 1847, jugeait
que l’art. 1 de la loi de 1824 s’étendait à toutes les us
urpations de noms, effectuées par les moyens et procé
dés qu’il prévoit; qu’en conséquence il comprend la
contrefaçon de celles des marques particulières dont le
nom du fabricant constitue la partie essentielle et prin
cipale.'
Cet arrêt, inspiré peut-être par les rigueurs de la loi
de l’an xi et des articles 142 et 143 du Code pénal, au
rait pour conséquence la négation de la marque nomi
nale. Quel que soit le signe employé , il paraît difficile
en effet de ne pas considérer le nom comme la partie
essentielle et principale. Donc toutes les fois que ce nom
serait employé , la formalité du dépôt ne serait ni re-
1 D. P., 47, \ , 375,
�SUR LES MARQUES
29
quise ni nécessaire pour assurer l’usage exclusif de la
marque.
82 î . — La loi de 1857 a condamné cette jurispru
dence en admettant la marque nominale. Puisque celleci existe , on ne saurait la méconnaître toutes les fois
que le nom, au lieu d ’être employé seul, emprunte une
forme distinctive , et se présente précédé, accompagné
ou suivi d’un signe , d’un emblème quelconque. Il est
évident en effet que, si le nom est par lui-même l’élé
ment de la confiance publique , il n’y a ni nécessité ni
opportunité d’y ajouter un signe qui ne saurait en ac
croître la valeur. L’emploi de ce signe en démontre l’u
tilité, et le tout formant un ensemble indivisible, le nom
s’incorporant au signe et le signe au nom, il n’y a plus
en réalité qu’une marque nominale.
Quelle que soit donc la place que le nom occupe, qu’il
soit au milieu du signe, à côté, en dessus ou au dessous,
il se confond avec celui-ci, et devient avec lui et com
me lui l’indication de l’origine des produits, c’est-à-dire
la marque de commerce ou de fabrique. Le signe com
me le nom devient la propriété exclusive de l’industriel,
mais à la condition du dépôt préalable prescrit par no
tre loi.
C’est au reste aux tribunaux qu’incombe le droit d’ex
aminer le caractère du signe, de décider si par son plus
ou moins d’insignifiance il est ou non un pur acces
soire, et par conséquent d’admettre ou de rejeter la né
cessité du dépôt.
�30
loi
du
23
ju in
1857
8 2 2 . — Il en est de la dénomination donnée aux
produits comme du nom lui-même. Nous avons déjà
vu que lorsqu’elle est employée pour désigner simulta
nément le genre du produit et le lieu de fabrication :
l’élixir de la Grande Chartreuse, par exemple', la déno
mination équivaut au nom qu’elle remplace, et se trou
ve protégée par la loi de 1824.
Mais on ne saurait admettre que la dénomination ne
désignant que le genre, puisse jamais devenir une mar
que de commerce ou de fabrique susceptible de propriété
exclusive. Comprendrait-on, par exemple, que la déno
mination de draps, de dentelles, de satin, de percales,
de gros de Naples, etc.. . . , déposée conformément à la
loi, devint un obstacle à ce que d’autres que le dépo
sant se servît de l’un de ces noms pour désigner la mê
me marchandise ?
Il faut donc, pour que la dénomination puisse deve
nir une marque de commerce , qu’elle se produise sous
une forme spéciale , distinctive. Dans ce cas , ce q u i, à
vrai dire, constitue la marque, c’est moins la dénomi
nation du produit, que la forme, que le signe qui l’ac
compagne. Ainsi dans l’exemple cité par M. Rendu, le
mot satin , s’il est déposé contenu dans un cartouche
spécial ou en caractères tout particuliers, n’empêchera
pas que d’autres fabriquent ou vendent du salin ; mais
nul autre que le disposant ne pourra reproduire le car-
1 S u p r a n° 774.
�SUR LES MARQUES
touche ou se servir des caractères adoptés par lui. Donc
ce qui constitue la marque susceptible d’une jouissance
exclusive, c’est le cartouche, c’est la forme donnée aux
caractères. La dénomination depuis longtemps dans le
domaine public n’a jamais cessé, n’a pu cesser de lui
appartenir.
8 2 3 . — Nous admettons sans balancer que la déno
mination donnée à un produit nouveau ne saurait ap
partenir exclusivement à celui qui l’a déposée , lorsque
le produit ne peut être désigné sous une autre dénomi
nation.
La cour de Paris a décidé le contraire. Elle jugeait le
19 janvier 1852, que la dénomination de gazogène don
née à l’appareil pour fabriquer les eaux gazeuses, ap
partenait exclusivement au sieur Briet qui l’avait le pre
mier appliquée comme marque de sa marchandise et
l’enseigne de son industrie.'
Le sieur Riché auquel on reprochait d’avoir usé de
cette dénomination, répondait qu’il l’avait fait de trèsbonne foi ; que cette dénomination avait été adoptée par
l’usage, et qu’elle était la seule qui pût désigner conve
nablement le genre d’appareils dont il faisait le com
merce.
8 2 4 . — Nous croyons que cette défense était fondée
et qu’on eût dû l’accueillir ; que Briet, inventeur de
1 D. P., 52, 2, 266.
mm
'Kil.
�32
loi
du
23
ju in
18S7
l’appareil, eût le droit exclusif de le fabriquer et de le
vendre pendant la durée du brevet qu’il aurait obtenu,
c’est évident. L’absence de brevet ou son expiration avait
fait tomber l’appareil dans le domaine public, et donné
à tous le droit de le fabriquer et de le vendre.
Est-ce que dès lors la dénomination de l’appareil
n’avait pas nécessairement suivi le sort de celui-ci ?
Comment le public aurait-il exercé le droit qui lui était
acquis , si l’inventeur seul conservait la propriété de la
dénomination qu’il avait lui-même donnée au produit,
et sous laquelle il était exclusivement connu ?
Comprend-on, par exemple, que l’inventeur des bre
telles, des quinquets eût pu, en déposant cette dénomi
nation au greffe, interdire à tout autre de fabriquer ou
de vendre des bretelles ou des quinquets sous celte dé
nomination ? Or ce qui était inadmissible dans ce cas,
ne pouvait être admis pour le gazogène. De même en
effet que le consommateur qui veut des bretelles ou des
quinquets demandera des quinquets ou des bretelles, de
même ceux qui voudront se pourvoir d’appareils pour
fabriquer des eaux gazeuses demanderont des gazogè
nes , puisque c’est sous cette dénomination que ces ap
pareils se sont produits et sont exclusivement connus.
Il est donc évident que si l’inventeur a seul droit à cette
dénomination, même après que son invention sera tom
bée dans le domaine public, ce droit au nom lui assu
rera le monopole de la chose, et ce monopole qui, d’a
près la loi, ne peut exister que quinze ans au plus, lui
sera ainsi assuré ù tout jamais.
�33
SUR LUS MARQUES
Si Briet voulait empêcher qu’une concurrence inin
telligente ou imparfaite ne vint discréditer ses propres
produits, il pouvait et devait qualifier ceux-ci de gazo
gènes Briet ; et alors il eût été de ces gazogènes comme
des lampes carcel. Tout le monde aurait pu fabriquer
ou vendre des gazogènes, mais non se servir du nom
Briet, à moins de le faire précéder de la formule façon
d e . . . ou à l'instar d e . . .
Dans tous les cas il eût pu accompagner la dénomi
nation d’un signe , d’un emblème , d’un chiffre qui lui
fût demeuré personnel, et qui eût différencié sa fabri
cation de celle de ses concurrents.
Nous ne saurions donc reconnaître comme juridique
l’arrêt de la cour de Paris. À notre avis, la dénomina
tion désignant un produit suit le sort du produit luimême. Elle n’est susceptible de devenir une marque de
fabrique et de commerce dont le dépôt assure la jouis
sance exclusive , que si nouvelle et jusqu’alors inusitée,
elle indique non-seulement le genre , mais encore une
qualité spéciale du produit; par exemple : l'encre de la
petite vertu, etc.. . . La dénomination sous laquelle une
chose est communément et généralement connue, lors
que cette chose est dans le domaine public, ne saurait
jamais devenir la propriété d’un seul.
825.
— La question de savoir si les emblèmes, em
preintes , tim bres, cachets peuvent constituer des mar
ques de fabrique ou de commerce , n’a jamais soulevé
aucun doute, et ne pouvait en soulever aucun.
ni
3
�34
loi
do
23
ju in
1857
Le choix de l’emblème est entièrement libre. Une seule
condition est exigée , à savoir , la nouveauté. Mais la
nouveauté n’a pas ici l’acception usuelle que le mot
comporte ; elle s’entend, non de la création, mais seu
lement de l’emploi commercial ou industriel du signe
adopté. La condition est donc remplie dès que ce signe
n ’est pas déjà en usage pour désigner des produits simi
laires d’une fabrique ou d’une maison de commerce.
826.
— Il n’est pas nécessaire que le signe adopté
comme marque soit accompagné du nom de l’industriel,
ou de la maison de commerce , ou du lieu de fabrica
tion, pas même d’initiales quelconques.
On soutenait le contraire devant la cour de Rouen,
dans une espèce où la marque consistait uniquement
dans une étoile imprimée sur un carton de couleur. La
loi du 22 germinal an x i, disait-on, ne punit les con
trefaçons de peines criminelles qu’autant qu’elles s’ef
fectuaient avec celte formule : façon d e . . . ; le décret du
22 juin 1809 exige que le fabricant qui adopte une mar
que la choisisse assez distincte pour qu’elle ne puisse
être confondue avec une autre. Il ne s’agit donc pas
d ’un emblème , d’un soleil , d’une étoile , qui ne sau
raient être considérés que comme une étiquette / mais
d’une marque qui engendre un rapport nécessaire avec
le nom du fabricant ou le lieu de la fabrication. Tel est
le vrai sens de la loi du 22 germinal an x i , suivant
YExposé des motifs fait par le comte Chaptal.
Mais par arrêt du 30 novembre 1840 , la cour de
�SUR LES MARQUES
35
Rouen repousse ce système qui ne tendait à rien moins
qu’à supprimer la marque emblématique, et juge qu’u
ne étoile imprimée sur un carton de couleur est une
marque dans le sens de la lo i, et qu’il n’était pas né
cessaire qu’elle fût accompagnée ni d’initiales , ni de
l’indication du nom du fabricant ou du lieu de fabrica
tion.'
Si le doute était possible sous l’empire de la législa
tion de l’an xi, la loi de 1857 n ’en permet plus aucun.
Elle reconnaît et autorise formellement la marque pure
ment emblématique. Ainsi une étoile , un soleil, une
croix, un oiseau, un lion, légalement acquis par le dé
pôt préalable , deviennent tout autant des marques dé
signant les produits du déposant, et qui ne peuvent être
employées désormais que par lui. Celui qui tenterait de
se les approprier,commettrait le délit d’usurpation, alors
même qu’il ajouterait au signe ses initiales , son nom
ou celui du lieu de fabrication.’
827.
— La marque de fabrique ou de commerce
peut consister en une vignette, en lettres ou chiffres en
relief ou en creux.
Les vignettes sont de petits dessins ou estampes effec
tués à l’aide de la gravure ou de l’impression, et qui
sont collés ou simplement apposés sur les produits ou
la marchandise. On ne pouvait leur refuser le caractère
1 J. du P ., 1841, 1, 232.
2 Calmels, Des noms et marques de fabrique, n° 30.
�de marque, puisqu’ils indiquent la provenance des ob
jets qui en sont revêtus.
Le dessin qui constitue la vignette doit être nouveau.
Mais ici encore cette condition est remplie , dès que ce
dessin n ’a été encore pris par personne et n’a pas encore
servi à désigner les produits d’une fabrication ou les
objets d’un commerce.
Ainsi il a été jugé qu’il importait peu que la vignette
adoptée ne fût que l’image d’un établissement public
appartenant à l’Etat, et dessiné antérieurement dans des
publications scientifiques. Si, dit l’arrêt, il est permis à
toute personne de prendre et de publier l’image d’un établissement public, le fabricant qui, le premier, a pris
cette image pour marque de fabrique , a seul droit de
s’en servir à ce titre.'
La cour de Riom a raison de déclarer que l’usage
exclusif n’est acquis qu’à titre de marque ; car le des
sin que représente la vignette , s’il est dans le domaine
public, ne cesse pas de lui appartenir , et ne devient en
aucune façon la propriété de l’industriel qui l’a pris
pour marque. Il peut donc être reproduit, mais à tout
autre titre, par tous ceux qui y ont intérêt.
828.
— Qu’en est-il, si le dessin est lui-même nou
veau et se produit pour la première fois ? Sa propriété
exclusive ne sau rait, à notre avis , être contesté soit à
l’artiste qui l’a créé, soit à l’industriel qui l’ayant im a-
1 Riom, 23 novembre 4852;—D. P. 53, 2, 437.
�SUR LES MARQUES
37
giné l’a exécuté ou fait exécuter par un graveur ou un
dessinateur. C’est ce que décide très-expressément la loi
du 49 juillet 4793, à la condition qu’elle exige.'
829.
— M. Rendu cite comme ayant jugé le con
traire un arrêt de la cour de Paris du 3 août 4 854 , et
la critique qu’il fait de cet arrêt serait juste et fondée,
s’il avait réellement la portée qu’il lui prête.
Mais dans l’espèce que la cour de Paris avait à ap
précier, il s’agissait de tout autre chose que d’un dessin
adopté pour marque de fabrique. Un fabricant de por
celaines avait, sur nouveaux modèles, créé six vases-ca
rafes d’une forme spéciale. Informé qu’un autre fabri
cant avait reproduit cette form e, il l’avait poursuivi en
contrefaçon.
O
Celui-ci soutenait, entre autres moyens , que la de
mande était non recevable parce q u e , s’agissant d’un
modèle de fabrique , le dépôt au secrétariat du conseil
des prudbommes, prescrit par l’art. 45 de la loi du 48
mars 4 806 , n ’avait jamais été opéré ; que par consé
quent le poursuivant n’avait acquis aucun droit à la
propriété exclusive de ce modèle.
Le tribunal voit dans la forme donnée aux vases-ca
rafes, non un modèle de fabrique, mais une œuvre d’art
et de sculpture dont la propriété exclusive n’est pas su
bordonnée à la formalité d’un dépôt quelconque. En
conséquence il rejette la fin de non-recevoir.
i Gastambide, De la contref., n°» 278 et 318.
�38
loi
du
23
ju in
1857
L’appel de cette décision soumettait donc à la Cour
cette unique question : S’agit-il d’un modèle de fabri
que, ou d’une œuvre de sculpture industrielle. Sans
doute, disait à ce sujet M. l’avocat général Moreau , les
œuvres de sculpture industrielle sont protégées par la
loi de 1793. Mais lorsqu’il s’agit de déterminer les con
ditions auxquelles l’auteur de ces œuvres en conserve la
propriété exclusive , il faut distinguer si l’œuvre a pour
objet la création de produits industriels, ou si, par elle
m êm e, elle constitue une omvre de l’esprit ou du génie
appartenant aux beaux-arts. Or dans le modèle de va
ses sortis de la fabrique des intimés, il peut y avoir in
vention d’une forme, d’un dessin nouveau spécialement
applicable à ce produit de fabrique , mais il n’y a pas
œuvre d’art dans le sens élevé que la loi de 1793 atta
che à ce mot. C’est une sculpture industrielle destinée à
être reproduite, et fabriquée à l’aide du montage et des
procédés particuliers à la fabrication de la porcelaine.
C’est donc le cas d’appliquer les prescriptions de la loi
de 1806, et de décider que, s’agissant d’un modèle ou
dessin de fabrique, la formalité du dépôt préalable était
nécessaire pour assurer la conservation du droit exclusif
de propriété.
Conformément à ces conclusions, la cour déclare que
des produits purement industriels, et qui ne sont appré
ciables que par leur valeur commerciale , tels que des
modèles de vases de porcelaine , ne peuvent être consi
dérés comme constituant des œuvres d’art proprement
dites, spécialement des œuvres de sculpture dans le sens
�propriété artistique;
mais constituant de simples modèles ou dessins de fa
brique dont la propriété exclusive n’est assurée aux in
venteurs que par le dépôt préalable prescrit par la loi
du 48 mars 18 0 6 /
850.
— On le voit, il est impossible de rien induire
de cet arrêt à l’égard de la question qui nous occupe.
Loin de la résoudre dans le sens que lui donne M. Rendu, c’est le contraire qu’il décide implicitement, puis
qu’il n’exige le dépôt préalable que parce qu’il ne s’a
git pas d’une œuvre d’art proprement dite. Il exclut
donc la nécessité de ce dépôt pour celles-ci.
Or que le dessin formant la vignette adoptée comme
marque de fabrique soit une œuvre d’art dans toute l’ac
ception de ce m o t, c’est ce qui ne saurait être ni mé. connu ni contesté. Ce n’est là ni un produit purement
industriel, ni un produit appréciable par sa seule valeur
commerciale; il n’est évidemment ni un modèle ni un
dessin de fabrique.
Dès lors c’est uniquement la loi de 1793 qui le ré
git; il appartient exclusivement à son auteur, sans que
celui-ci ait à en faire le dépôt préalable, comme l’en
seigne avec raison M. Rendu lui-m êm e/
La seule condition qu’exige la loi de 1793, est que le
dessin soit nouveau. Ici la nouveauté se prend dans son
1 J. du P ., 1885, 2, 422.
de fabr., n° 46.
2 Mar g.
�acception ordinaire : il faut, pour qu’elle soit acquise,
que le dessin constitue une œuvre sans précédent et en
core inconnue.il ne suffirait donc pas d’un défaut d’em
ploi commercial qui ne saurait jamais distraire du do
maine public le dessin ou la gravure qui lui appartien
drait réellement.
8 3 1 . — De nombreux arrêts rendus en matière de
dessins de fabrique ont décidé que la simple combinai
son des couleurs arrivant à un effet nouveau ; que celle
de deux dessins connus, quand elle suppose de l’intelli
gence et du g o û t, constituait la nouveauté susceptible
de propriété exclusive en faveur de celui qui en a fait le
dépôt au secrétariat des prudhommes.
Nous ne croyons pas qu’on dût ou qu’on pût le dé
cider ainsi pour les vignettes adoptées comme marques
de fabrique ou de commerce. L’amalgame des couleurs,
la combinaison de deux ou de plusieurs dessins peut,
dans le résultat de la fabrication arriver à la création
d’un produit plus ou moins précieux inconnu jusqu’a
lors.
Mais en dessin ordinaire et pour une œuvre d’art, on
aura beau amalgamer les couleurs, combiner les sujets,
on ne fera jamais que reproduire , que copier ce qui
existe déjà , que créer sous un autre aspect des copies
et non des originaux dont on puisse revendiquer la pro
priété contre les auteurs des dessins primordiaux.
8 3 2 . — A qui, du commerçant ou de l’artiste, ap
partient la propriété du dessin employé comme marque
�SUR LES MARQUES
41
de fabrique , lorsque la nouveauté de ce dessin , comme
œuvre d’a r t , le rend susceptible d’une propriété privée
et exclusive?
Evidemment h celui des deux dont le dessin sera l’œu
vre. L’exécution appartiendra certainement à l’artiste;
mais l’auteur réel d’une œuvre d’art, est la tête qui la
conçoit' et non le bras qui l’exécute. Si l’industriel a luimême indiqué et fourni le sujet, donné le plan, précisé
les proportions , fixé les détails ; l’artiste ne fait que
louer ses œuvres , et tout ce qu’il peut exiger c’est une
juste et légitime rémunération.
Si l’industriel s’est contenté de demander un dessin,
laissant l’exécution au génie et à l’intelligence de l’ar
tiste, la propriété de l’œuvre ne saurait être contestée à
celui-ci.Elle n’appartient à l’industriel que pour l’usage
commercial auquel il l’a destiné, et qui est à son tour
exclusif en ce sens que l’artiste ne pourra ni vendre ni
donner le dessin à tout autre qui voudrait en faire une
marque de fabrique ou de commerce pour des produits
similaires.'
83.5. — La vignette constituant la marque de fa
brique ou de commerce peut ne consister que dans la
reproduction d’un signe , un c a rré , un rond, un ovale’
etc...... ; mais il est difficile d’admettre que par lui seul
un signe de cette nature puisse devenir une marque ex
clusive. Aussi n’em pruntera-t-il ce caractère qu’à la
1 Rendu, Man;, defabr.. n° i"!
�42
lo i
du
23 juin 1857
disposition qui lui a été donnée et à la couleur dont il
a été revêtu. Chacun pourra dès lors, même pour des
produits similaires, user du même signe, mais à la con
dition de n’adopter ni la même disposition, ni la même
couleur.
Le sieur Leperdriel, pharmacien, marquait ses toiles
vésicantes d’une couleur spéciale, par des lignes paral
lèles à des distances égales dans le sens de la largeur et
de la hauteur. Un autre pharmacien ayant adopté pour
ses toiles de même nature la même nuance avec une
sorte de quadrillé , un arrêt de la cour de Paris du 21
janvier 1850, déclare la couleur rouge et la division
métrique propriété de Leperdriel, et fait défense à Delvallée de s’en servir à l’avenir.'
834'. — A plus forte raison devait-on , comme le
fait notre lo i, ranger dans la catégorie des marques de
fabrique et de commerce, les lettres et chiffres adoptés
comme telle par un industriel. 11 est évident qu’aussi
bien que la vignette, que le dessin, que le signe, les let
tres et chiffres deviennent la signature du fabricant ou
du commerçant, et sont le certificat de l’origine des pro
duits de l’un et des objets débités par l’autre.
Cette disposition de l’art. 1 confirme la doctrine que
nous avons adoptée à l’égard des simples initiales.5
Comme ces initiales ne sont que des lettres, dès que la
1 J. du P .. 1880, 1, 171.
2 S u p ra
n° 779.
�SUR LES MARQUES
43
loi met celles-ci au nombre des marques , il s’en suit
que l’usage exclusif en est subordonné au dépôt préala
ble, et que leur usurpation tombe sous le coup, non de
la loi de 18214, mais de celle que nous examinons.
Le choix des chiffres ou des lettres est entièrement
libre. Il n’a d’autres limites que la volonté et la conve
nance du commerçant ou de l’industriel. Ni l’un ni
l’autre n’est tenu de prendre ses initiales ; et quelles que
soient celles qu’il a adoptées, et qui n’ont pas été déjà
employées comme marques,elles deviennent sa propriété
exclusivedès qu’il en a régulièrement opéré le dépôt. Ainsi,
dit M. Rendu, le fabricant qui marque ses tissus d’un T
peut s’opposer à ce que celte lettre soit prise par un
autre fabricant, alors même que celui-ci justifierait qu’
elle est l’initiale de son nom.'
8 3 5 . — L’article 1er considère comme marques de
fabrique et de commerce , les empreintes, timbres, ca
chets, reliefs. Mais ce sont là tout autant de modes de
manifestation de la marque bien plutôt que la marque
elle-même. En effet les empreintes, timbres, cachets, re
liefs n’ont de valeur que par la reproduction des noms,
signes, lettres ou chiffres dont ils se composent, et qu’ils
impriment soit en relief, soit en creux.
Celui-ci n’est pas indiqué par la loi ; cependant on
pourrait d’autant moins se créer de doutes, que le relief
ou le creux sont l’unique moyen de marquer certaines
i Marques de fabrique, ri'1 49,
�44
loi
du
23
.j u i n
1857
marchandises, telles que la quincaillerie, la coutellerie,
les métaux fondus, les savons, les cires, les verres, les
cristaux, etc.. . .
8 3 6 . — La question de savoir si la marque pou
vait consister dans l’enveloppe qui renferme la mar
chandise , ou dans les étiquettes mobiles, était contro
versée. Ainsi, tout en reconnaissant que l’usurpation de
toute indication pouvant être séparée de la marchan
dise et transportée à un autre objet sans rupture ou des
truction, pouvait donner lieu à une action civile, M.
Gastambide refusait aux enveloppes, étiquettes mobiles,
boites, plaques de voiture, etc.. . . , le caractère de mar
que proprement dite. Quand la marque peut être sépa
rée de la marchandise et transportée sur tout autre pro
duit, disait l’honorable magistrat, l’acheteur ne doit a voir qu’une médiocre confiance dans cette marque.'
La cour de Cassation l’avait ainsi pensé , puisqu’elle
jugeait le 22 janvier 1807, que l’usurpation de marque
punie par la loi de l’an x i , n’existait que lorsque la
marque inhérente au produit ne faisait qu’un seul corps
avec lui, et ne pouvait en être détachée sans rupture.
Il est permis de croire que l’énormité de la peine édictée par la loi de l’an xi, avait inspiré cette apprécia
tion de la Cour suprême, et l’assentiment que lui don
nait M. Gastambide écrivant sous l’empire de cette loi.
La doctrine qui en résultait, outre qu’elle diminuait les
�SUR LES MARQUES
45
garanties à mesure que la fraude était plus à redouter
par les facilités qu’elle avait à se produire, avait cet énorme inconvénient de laisser sans la plus efficace des
protections, une foule d’industries auxquelles l’envelop
pe ou l’étiquette mobile s’imposait comme seule marque
possible.
Quoi qu’il en so it, le doute a été tranché par notre
loi contre l’opinion de la Cour suprême et celle de M.
Gastambide. L’enveloppe mobile ou non est rangée dans
la catégorie des marques de commerce, et l’abus qui en
serait fait constituerait le délit d’usurpation prévu et
puni par la loi.
857.
— Le mot enveloppe s’entend dans le sens le
plus étendu. Il comprend tout ce qui sert à entourer, à
renfermer , â contenir les produits ; tous les récipients
depuis les simples enveloppes de papiers, jusqu’aux boi
tes de bois ou de métal, jusqu’aux bouteilles de verre et
aux flacons de cristal.
Mais, comme l’observe M. Rendu, pour que les réci
pients revêtent le caractère légal de marque, ils doivent
offrir un aspect distinct et caractéristique. On doit con
sidérer comme remplissant cette condition, la forme d’u
ne boite si elle n’est pas vulgaire, c’est-à-dire si au lieu
d’être simplement ronde ou carrée, elle est trapézoïde,
pentagone, octogone, etc.. . . ; les traits dessinés sur une enveloppe et distribués ou coloriés d’une certaine fa
çon, en manière de damier ou de rayure ; la configura
tion d’un flacon destiné à renfermer un liquide, si elle
�est caractérisée par des signes moulés dans le verre ou
par le-nom de l’industriel.'
8 3 8 . — La nomenclature de l’art. 1 n’est qu’énonciative. La loi , disait le rapporteur du Corps législatif,
énumère, non pas tous les signes pouvant caractériser
la marque, mais les plus usités et les principaux d’en
tre eux. Aussi notre article ajoute-t-il : et tous autres
signes servant à distinguer les produits d'une fabrique
ou les objets d'un commerce.
8 3 9 . — Il est difficile de supposer un signe qui ne
rentre pas dans une des catégories de l’art. 1er. M. Ren
du indique, comme en dehors de ces catégories, les es
tampilles employées habituellement par la serrurerie, et
qui consistent dans de petites feuilles de cuivre incrus
tées dans les objets de ce genre de commerce; les pla
ques apposées à certaines voitures; les pannonceaux ou
écussons composés de signes héraldiques peints sur des
objets d’ébénisterie, les étiquettes.
Mais le droit d’apposer une estampille , une plaque,
un écusson , une étiquette n’est pas susceptible d’une
jouissance exclusive : il appartient généralement à tous.
Ce que le dépôt fera acquérir , c’est la forme , les let
tres, le signe, le nom qui figurera sur les uns ou les
autres.
L’estampille , les plaques, les écussons, les étiquettes
1 Marques de fabrique, n» 50.
�SUR UES MARQUES
47
ne constituent donc pas par eux-mêmes des marques de
fabrique ou de commerce : ils n’acquièrent ce caractère
que relativement au nom, au signe, aux lettres, chif
fres qui les spécialisent et dont le dépôt préalable inter
dit l’usage à tout autre qu’au déposant. Tout le monde
peut se servir de l’un et de l’autre ; mais copier celui
qui a été régulièrement déposé, serait commettre le délit
d’usurpation de marque.
8 4 0 . — Nous venons de voir que , pour les réci
pients , la forme et la couleur peuvent constituer une
marque de commerce susceptible d’un droit privatif. En
est-il de même de la forme ou de la couleur donnée aux
produits ?
Cette question pourrait paraître oiseuse. Un produit
ne saurait être une marque de commerce précisément
parce qu’il est un produit. Une caraffe , une bouteille
ne cessera pas d’être une caraffe ou une bouteille de ce
que , au lieu d’être blanche ou noire, elle sera noire ou
blanche.
Sans doute ce qui ne saurait être pour la couleur,
peut se réaliser quant à la forme. Son élégance, sa com
binaison peut ajouter à la valeur du produit, constituer
une nouveauté dont il serait injuste de refuser le profit
à son auteur.
8 4 1 . — Mais nous ne saurions admettre avec M.
Rendu , que la configuration de l’objet soit la marque
de fabrique protégée par la loi de 4857, ni que son us
urpation constitue le délit que cette loi prévoit et punit.
�48
loi
do
23
ju in
1857
M. Rendu en convient lui-même. La première idée
qui se présente dans ce c a s , c’est que ce mode de dis
tinguer les produits est un modèle de fabrique et non
une marque ; mais , enseigne-t-il, il n’existe pas de loi
qui protège les modèles de fabrique. La jurisprudence
pressée par les besoins de l’industrie, mais entravée par
l’insuffisance, ou plutôt par l’absence complète de tex
tes, est réduite à chercher dans la loi du 19 juillet 1793
sur la propriété artistique , et dans la loi du 18 mars
1805 sur les dessins de fabrique, faite en vue des ma
nufactures de soieries , des indications lointaines qui
donnent lieu aux hésitations les plus concevables et aux
divergences les plus fâcheuses.*
M. Rendu persuadera difficilement que le produit
que la marque a pour objet de spécialiser puisse luimême être une marque de fabrique. Le caractère que la
loi assigne à celle-ci exclut toute idée de ce genre. Le
résultat de la fabrication ne peut être le signe destiné à
indiquer cette fabrication.
Quant au défaut de protection que M. Rendu repro
che à l’opinion qu’il combat, il n ’a rien de sérieux et de
réel. L’auteur d’une nouvelle forme est toujours libre
de s’en assurer la propriété exclusive , en déposant le
dessin sur lequel il a fabriqué ses produits.
Aucune loi, objecte M. Rendu, n’a encore statué sur
les modèles de fabrique , et l’on est réduit à chercher
1 Marques de fabrique, n° 54.
�SUR LES MARQUES
49
dans les lois de 1793 et de 1806, des inductions loin
taines donnant lieu à des hésitations les plus concevables
et aux divergences les plus fâcheuses.
Mais non , la jurisprudence n’hésite ni ne se contre
dit pas. Un dessin, en effet, est ou une œuvre d’art ré
gie par l’art. 1 de la loi de juillet 1793, ou une œuvre
industrielle tombant sous le coup des articles 5 de cette
loi, et 15 de celle du 18 mars 1806, qui est général et
absolu, et non spécial à telle ou telle industrie. Or on a
pu hésiter sur le point de savoir dans quelle catégorie
on devait ranger l’objet en litige , jamais sur les consé
quences du classement.
Ainsi dans l’arrêt de Paris de 1854 que nous citions
tout-à-l’heure, le tribunal avait vu dans la forme don
née aux carafes une œuvre d’art, et avait appliqué la
loi de 1793. Et si son jugement est réformé , c’est que
la Cour ne voit dans cette forme qu’un modèle de fa
brique qu’elle déclare, sans la moindre hésitation , régi
par la loi de 1806.
Maintenant peut-on équivoquer sur le caractère du
modèle de fabrique ? Ce modèle, dans l’origine, n’a été
qu’un dessin. Un fabricant, en effet, qui veut créer une
forme nouvelle , ne s’abandonne pas au hasard et à
l’imprévu d’une fabrication. Avant de mettre la main à
la pâte, il veut se rendre raison de son idée, en consul
ter l’effet, en fixer les proportions!. Avant donc de ha
sarder la matière première et les frais de la m ain-d’œu
vre dans des essais plus ou moins heureux , c’est au
dessin qu’il demandera s’il y a lieu de suivre ses ins
�pirations et le mode d’exécution qu’il convient d’a
dopter.
Au reste, qu’il s’agisse d’un dessin ou d’un objet déjà
fabriqué, le dépôt pourra et devra être réalisé , et cela
même dans l’hypothèse que M. Rendu adopte. En effet
si cet objet est une marque de fabrique , l’auteur n ’en
acquerra la propriété exclusive que par ce dépôt. Seule
ment il devra l’effectuer au greffe du tribunal de com
merce, tandis que , d’après la loi de 1806 , ce sera au
secrétariat du conseil des prud’hommes ; mais cette dif
férence n’en détermine aucune dans le résultat, et la
propriété exclusive acquise dans l’un ne l’est pas moins
dans l’autre.
Le modèle de fabrique est donc , quant à cette pro
priété , sur la même ligne que la marque de fabrique.
Ce qu’il aura de moins que celle-ci , c’est la faculté de
saisir la juridiction correctionnelle, et d’être ainsi réduit
à n’invoquer que la protection que lui assure l’article
1382 du Code Napoléon. Mais si cette protection suffit,
et l’expérience en a démontré l’efficacité, à quoi bon lui
en concéder une autre. Le désir, disons mieux , la né
cessité de le faire, démontrée qu’elle fût, ne saurait dans
aucun cas faire qu’un produit ou une marchandise soit
une marque de fabrique ou de commerce.
842.
— M. Rendu qui soutient le contraire, va plus
loin encore. Il admet comme marque de commerce la
couleur donnée au produit.
Il est vrai que M. Rendu exige que cette couleur-
�SUR LES MARQUES
51
marque caractérise le produit. Gette condition est assez
difficile à rencontrer. Un verre de cristal, par exemple,
qu’il soit blanc, bleu ou vert, est caractérisé par sa ma
tière ou sa forme ; la percale bleue ou rouge n’en est
pas moins de la percale. Ce qui caractérise en général
un produit quel qu’il soit, c’est la matière qui entre dans
sa composition. Comprendrait-on que celui qui aurait
le premier déposé une pièce de drap noir, bleu ou vert,
eût acquis le droit exclusif à cette nuance et pût en in
terdire l’usage à tous les autres fabricants.
Rien ne saurait atténuer l’énormité d’un pareil ré
sultat , pas même la condition qu’exige M. Rendu , et
qui est à peu près impossible. La couleur qu’affecte l’em
blème ou le signe , la lettre ou le chiffre , ne fait avec
celui-ci qu’un seul tout constituant la marque dont le
dépôt confère la propriété exclusive. Mais la couleur du
produit n’est pas et ne peut pas être un signe suscepti
ble d’appartenir à un seul : elle ne remplit ni les condi
tions ni le but de la marque de commerce ou de fa
brique.
843.
— Celle-ci destinée à tenir lieu du nom de ce
lui qui l’adopte , ne consiste et ne peut consister que
dans un signe servant à distinguer, à individualiser les
produits d’une fabrication ou les objets d’un commerce.
De là cette conséquence , que la liberté de choisir et
de prendre le signe qui convient le mieux, s’arrête de
vant une prise de possession antérieure de ce signe. Sa
reproduction, en effet, ne serait pour le dernier venu
�52
LOI DU
23
JUIN
1857
qu’un moyen de créer une confusion, de placer ses pro
duits sous un pavillon honoré , de distraire l’achalan
dage du premier, au risque du préjudice et du discrédit
qui pourrait en résulter pour celui-ci.
8 4 4 . — C’est cette déloyale et dangereuse spécula
tion que la loi de \857 a pour objet do prévenir et de
réprimer. Il est dès lors évident que chaque industriel
est maître absolu non-seulement de la marque qu’il a
régulièrement déposée, mais encore de s’opposer à toute
manœuvre qui tendrait à établir directement ou indi
rectement une confusion dans les produits.
On comprend, en effet, que l’usurpation brutale et
absolue ne se produira que fort rarement. Il n’est pas
dans les allures de la fraude d’agir avec cette franchise
qui en assurerait inévitablement la répression. C’est par
la simulation , par les déguisements qu’elle cherche à
tourner l’obstacle dont elle veut s’affranchir , et c’est à
multiplier les détours qu’elle applique son habileté.
8 4 5 . — A cet égard les tribunaux ont adopté , et
très-rationnellement, un mode d’appréciation qui per
met de couper court à toutes ces manœuvres. Y a-t-il
ou non possibilité d’une confusion entre les deux mar
ques. Si oui, la nouvelle doit être interdite, quelles que
soient d’ailleurs les différences qui la distinguent de
celle qui a été déposée la première.
Ainsi dans l’espèce de l’arrêt de Rouen du 30 no
vembre 1840, plus haut cité, le sieur Bresson avait a dopté pour marque de ses cotons, une étoile à cinq poin-
�SUR LES MARQUES
53
tes ombrée sur un carton jaune, Le sieur Lelarge, ex
ploitant la même industrie, avait pris le carton jaune et
l’étoile à cinq pointes , mais non ombrée et d’une di
mension différente. Il n’en fut pas moins déclaré con
trefacteur parce que, dit l’arrêt, la marque du sieur Le
large , dite de l’étoile , se rapproche tellement de celle
du sieur Bresson, que l’œil même le plus exercé peut s’y
méprendre , surtout quand elles ne sont pas mises en
comparaison l’uneavec l’autre; que conséquemment l’i
mitation est de nature à tromper les acheteurs et à fa
ciliter au sieur Lelarge l’écoulement de ses produits au
détriment du sieur Bressson.1
Dans l’espèce de l’arrêt de cassation du 28 mai 1822,
les sieurs Forest père et fils , fabricants de rubans de
Sl-Etienne , avaient adopté pour marque une vignette
portant seulement les lettres GF entrelacées dans la let
tre N, destinée à indiquer le numéro de la pièce.
La maison Guérin fils et Cie, fabricant également de
rubans à S‘-Etienne, imagine de prendre pour marque
les mêmes initiales , avec cette seule différence qu’à la
suite de la lettre F se trouve un C, mais de si petite di
mension qu’elle p a ra it, au premier coup d’œ il, n ’être
qu’un accessoire de la lettre F.
Forest père et fils poursuivent en contrefaçon, et leur
demande est accueillie. Le tribunal de Sl-Etienne d’a
bord, la cour de Lyon ensuite considèrent : Que la lettre
�)
84
loi
du
23
ju in
1857
C qui suit la lettre F est tracée d’une manière presque
imperceptible et comme une dépendance de la lettre F;
que du reste l’ovale , la vignette et les dimensions sont,
pour ainsi dire, les mêmes qu’à la marque des sieurs
Forest, de sorte que, vues séparément, elles seront pri
ses l’une pour l’autre ; et en les rapprochant on reste
persuadé que la contrefaçon n’a pu être faite qu’à des
sein de profiter de la réputation que peuvent avoir les
marchandises de Forest père et fils.
C’est le pourvoi contre cet arrêt que la cour de Cassa
tion rejetait le 28 mai 1822.
Ainsi la propriété d’une marque ne confère pas seu
lement le droit d’empêcher son usurpation directe , elle
a pour conséquence celui de s’opposer à toute imitation
plus ou moins déguisée, à tout emprunt partiel de na
ture à créer une ressemblance, à amener une confusion
eutre les produits. Ce dernier droit est même tellement
absolu , que la cour de Lyon et la cour de Cassation
n ’hésitent pas à interdire au nouveau venu l’usage des
initiales de son nom.
Ce qu’elles jugent pour les initiales , la cour de Riom
le décidait pour le nom accolé à un chiffre. Elle décla
rait le 18 février 1834 que , lorsqu’un fabricant a pris
pour marque son nom accompagné d’un chiffre Dumas,
5 2 , un autre fabricant du même nom ne pouvait em
ployer celle de Dumas 152.
Cette dernière marque , dit l’a rrê t, pourrait facile
ment, même sans mauvaises intentions, représenter celle
de Dumas 32; il suffirait, pour obtenir ce résultat, d’in-
�SUR LES MARQUES
35
cliner le coin du poinçon du côté du premier chiffre, de
manière à n’imprimer que les derniers chiffres 32, qui
représentent exactement ceux acquis à l’appelant ; il suf
firait encore de l’égrenage du premier chiffre sur le
coin du poinçon ; il pourrait en être de même de l’é—
moulure ; ces inconvénients prévus et signalés par les
prudhommes et qui n ’étaient que supposés sont devenus
des réalités par la représentation faite à la Cour de la
mes fabriquées par l’intimé et saisies chez lui, sur plu
sieurs desquelles on remarque que le premier chiffre de
132 est effacé , en sorte qu’on n’apperçoit plus que le
chiffre 32.
Suit-il de cet arrêt que l’adoption d’un chiffre par un
commerçant lui en confère à tel point le monopole,
qu’il puisse empêcher qu’un autre que lui employé ce
chiffre en le faisant précéder d’un ou de plusieurs au
tres ?
On ne saurait l’admettre. Ce qui détermine la cour
de Riom, c’est surtout l’identité du nom pouvant déter
miner soit volontairement, soit accidentellement une
confusion. Le sens de l’arrêt résulte de ses motifs , et
mieux encore d’un autre arrêt de la même Cour du 8
août 1844.
Dans cette espèce, un autre coutelier avait adopté le
chiffre 3 3 2 , précédé de son nom Goutte Granelias.
Les prudhommes refusent de recevoir cette marque, par
les motifs d’une confusion possible entre le chiffre 32
et celui de 332.
Goutte Granetias se pourvoit en justice, et la cour de
�56
loi
du
23
ju in
1857
Riom accueillant sa demande, ordonne que la marque
Goutte Granelias 332 sera reçue et empreinte sur la ta
ble d’argent.'
Cette fois encore la Cour avait raison. Supposez en
effet que par l’inclinaison, l’émoulure ou l’égrenage du
poinçon on n’imprimât sur les produits que les deux
derniers chiffres , est-ce qu’il était possible que quel
qu’un confondît la marque Goutte Granetias 5 2 avec
celle de Dumas 52 ? La différence n’était-elle pas tou
jours capitale '? Et le défaut d’intérêt à la substitution du
chiffre 32 à celui de 332 , n’était-il pas une garantie
plus que suffisante contre toute manœuvre tendant à
opérer cette substitution.
La cour de Riom en subordonnant le sort du litige
au plus ou moins de possibilité d’une confusion entre
les deux marques , faisait une juste appréciation de la
matière et une saine application de l’esprit de la loi.
La protection que celle-ci assure à la marque n ’a d’au
tre objet que de prévenir une concurrence déloyale, et
le préjudice matériel et moral qui doit nécessairement
en résulter. Or pour que l’une et l’autre puissent se ré
aliser, il faut que la nouvelle marque puisse être plus ou
moins facilement confondue avec l’ancienne. Dans le
cas contraire , toute prohibition de l’une en faveur de
l’autre n’aurait plus ni fondement rationnel, ni raison
d’équité ou de justice.
1 J , d u P ., 1845, 2, 236
*
\
�SUR LES MARQUES
57
8-46. — Du but que s’est proposée la loi résulte
cette conséquence, que la màrque appartenant à un fa
bricant ou un commerçant n’est sauvegardée en sa fa
veur que contre les industries similajres. Où serait en
effet la concurrence, où la possibilité d’un préjudice, si
un fabricant ou un marchand de soieries , d’indiennes,
e tc .... empruntait la marque d’un fabricant ou d’un
marchand de draps ou de dentelles?
A quel titre donc celui-ci viendrait-il contester et dé
nier à celui-là le droit de désigner ses produits par l’em
blème, les signes, lettres, chiffres qu’il employé lui-même
pour désigner les siens ? Une action en justice pour être
recevable doit avoir pour fondement un intérêt actuel
ou prochain. Dans l’hypothèse que nous supposons cette
condition étant impossible, toute action quelconque ne
serait évidemment ni recevable ni admissible.
847.
— On a soutenu , sous l’empire de la loi de
l’an xi, que la marque de fabrique et de commerce de
vait être apparente. Comment, disait-on, admettre une
concurrence déloyale par usurpation de marque , lorsqu’en fait le produit n’en présente aucune à la vue?
L’ignorance dans laquelle cette absence laisse forcément
l’acheteur sur l’origine du produit , n’exclut-elle pas en
ce qui le concerne toute possibilité de se dire trompé sur
cette origine ?
Ce système ne tendait à rien moins qu’à placer hors
la loi plusieurs industries , notamment celle de la fabri
cation et de la vente des liquides. On sait le développe-
�58
loi
du
23
ju in
1857
ment et l’importance qu’a acquis le commerce du vin de
Champagne ; on sait aussi que le nom et la marque du
fabricant ne peuvent être empreints que sur le bouchon,
et sur la partie qui entre dans le goulot de la bouteille.
Si la marque ainsi apposée n’avait aucune efficacité
ni pour l’industriel ni pour les consommateurs , pour
quoi l’usurperait-on ? Donc si on se livre à cette usur
pation , c’est qu’on est convaincu qu’on en retirera un
profit, et ce profit est-il autrement acquis que par la
concurrence déloyale qui le procure ?
Il ne pouvait pas être que des maisons honorables
devinssent ainsi les victimes de tentatives aussi condam
nables, et que l’impossibilité démarquer autrement leurs
produits les condamnât à subir le préjudice matériel et
moral qui en était l’inévitable conséquence.
Aussi la cour de Cassation n’avait-elle pas hésité. Par
arrêt du 12 juillet 1845 , elle déclarait que la non ap
parence de la marque ne pouvait en autoriser l’usur
pation.
« Attendu, dit l’arrêt, que la loi de l’an xi ne déter
mine point le mode d’après lequel la marque devra être
apposée aux produits fabriqués; que toute prescription
à cet égard eût été impossible à raison de l’immense va
riété des produits ; que toute marque apposée confor
mément aux usages du commerce doit jouir de la pro
tection de cette loi ;
» Qu’il n’est point méconnu que l’usage des fabri
cants des vins de Champagne est d’apposer leur marque
sur la partie du bouchon qui entre dans la bouteille ;
�SUR LES MARQUES
59
que cette marque, encore bien qu’elle ne soit pas appa
rente, n’en constitue pas moins une marque de fabrique,
un signe distinctif à l’aide duquel le fabricant garantit
l’origine de ses produits ;
» Qu’en adm ettant, comme le dit le jugement atta
qué, que placée de cette manière elle ne puisse pas ser
vir à tromper l’acheteur, ce n’est pas là une considéra
tion à laquelle il faille s’arrêter; qu’en effet la contrefa
çon des marques de fabrique est un délit spécial dont il
ne faut pas méconnaître le caractère ; que ce délit a été
précisé et défini, moins dans l’intérêt des acheteurs qui
sont protégés par les dispositions du Code p én al, que
dans celui du fabricant à qui la loi a voulu garantir l’u
sage exclusif de sa marque, afin de lui assurer par là la
jouissance exclusive des avantages et de la clientèle qui
s’attache à la réputation commerciale.' »
Si cette appréciation du caractère du délit et de l’es
prit de la loi pouvait soulever quelque doute avant la
loi de 1857, aucun ne saurait exister depuis sa promul
gation. C’est bien de l’intérêt des fabricants et commer
çants que celle-ci a entendu et voulu protéger. L’Exposé
des motifs s’en explique de la manière la plus formelle
et la plus précise.
Donc en quoi qu’elle consiste , la marque de fabri
que ou de commerce, alors même qu’elle n’est pas ap
parente , est la propriété exclusive de celui qui le pre
mier se l’est attribuée , à la condition toutefois qu’il se
sera conformé aux dispositions des articles suivants.
1 J. du P ., 4 845, 2, 655.
�Nul ne peut revendiquer la propriété exclu»
sive d’une marque, s’il n’a déposé deux exem
plaires du modèle de cette marque au greffe du
tribunal de commerce de son domicile.
A r t . 3.
Le dépôt n’a d’effet que pour quinze années.
La propriété de la marque peut toujours être
conservée pour un nouveau terme de quinze ans
au moyen d’un nouveau dépôt.
A r t - 4.
f,
Il est perçu un droit fixe d’un franc pour la
rédaction du procès-verbal de dépôt de chaque
marque et pour le coût de l’expédition,non com
pris les frais de timbre et d ’enregistrement.
SOMMAIRE
848
849
Carac;ère de la propriété de la marque.—Conséquences.
Conditions auxquelles la loi de 1857 l ’a subordonnée.
�SUR
850
851
852
853
854
855
856
857
858
859
860
861
862
863
864
865
866
867
868
869
870
871
L E S MARQUES
61
Convenance de l’exigence du dépôt.
Motifs qui ont fait prescrire deux exemplaires.— Leur des
tination.
Lieu où doit être effectué le dépôt.—Sa forme.
La loi déroge, à cet égard, aux prescriptions du décret du
23 nivôse an ix, et à la loi du 8 août 1816.
Faculté pour les industriels soumis à la marque obligatoire,
de l’accompagner d’une marque facultative.
Les prud’hommes ne sont plus appelés à donner leur avis
sur le plus ou moins de conformité des marques.
Cas dans lesquels le greffier est autorisé à refuser le dépôt.
La loi de 1857 est inapplicable aux dessins de fabrique.
Caractère du dépôt sous l ’ancienne législation.—Conséquen
ces qu’en avaient tirées la doctrine et la jurisprudence.
Examen et critique.
Système conforme de la loi nouvelle. Conséquences aux
quelles il aboutit.—Appréciation.
Le défaut de dépôt ne fait nul obstacle à l ’action civile de
l ’article 1382.
II crée une fin de non-recevoir contre l’action correction
nelle.—Caractère de cette fin de non-recevoir.
Utilité du dépôt pour la détermination de l’antériorité, et du
plus ou moins de conformité des marques.
Irrégularité du dépôt. Ses conséquences.
Effets du dépôt régulier. Preuve de l’usage antérieur.
Difficultés que peut soulever la question d'antériorité. —
Conséquence.
Limite mise par la loi à la durée des effets du dépôt.— Re
proche que lui fait M. Et. Blanc.
Réfutation.
L’effet de la péremption du dépôt se borne à la perte de l ’ac
tion correctionnelle.
Caractère étrange que celte conséquence imprime à la dis
position de l’article 3.
Forme du renouvellement.
�62
LOI DÜ 2 3 JUIN
1857
872 Objet et but de l'article 4.
873 La marque peut être cédée ou vendue.
874 La cession de l’établissement entraîne celle de la marque, à
moins de stipulation contraire.— Droit du cessionnaire.
Son étendue.
875 Ce droit est-il illimité ?
876 Comment se règle l’usage entre copropriétaires ou commu
nistes.
877 Obligation du successeur ou de l’acheteur de renouveler le
dépôt chaque quinze ans.—Forme du renouvellement.
878 Peut-on saisir isolément la marque ?—Opinion de M. Rendu
pour l’affirmative. Réfutation.
848.
— La définition de la marque de fabrique et
de commerce donnée par la loi, avait pour conséquence
forcée que cette marque devait appartenir à celui qui,
le premier , en avait fait le signe distinctif de ses pro
duits ou des objets de son commerce , la représentation
de son nom.
Nous ne croyons pas, avec M. Rendu, que celte pro
priété soit de droit naturel. Pour qu’une chose appar
tienne au premier occupant, en vertu de ce droit, il faut
qu’elle n’appartienne encore à personne, et soit suscep
tible d’une occupation réelle, effective, d’une mainmise
exclusive.
Or un emblème, un signe, un symbole, des lettres ou
des chiffres appartiennent naturellement à tous. Il s’agit
donc dans leur attribution à un seul, non de sanction
ner la propriété de celui-ci , mais d’en exproprier tous
les au tres, en faisant sortir du domaine public ce qui
lui avait été de tout temps acquis.
. . . ---- -n i
'
•
___
» •
,
�SUR LES MARQUES
63
Pour consacrer une pareille extension du droit de
l’un, une pareille restriction au droit des autres, il fal
lait une loi expresse et positive, qui pouvait seule en édicter le principe, et en tracer les conditions.
849.
— La loi de 1857 semble l’avoir ainsi com
pris pour ce qui concerne les marques de fabrique et
de commerce. Si elle admet qu’elles puissent devenir
une propriété exclusive, elle ne donne à cette propriété
qu’une durée de quinze ans, et la subordonne à la con
dition d’un dépôt préalable. Or tout cela est exclusif de
l’idée d’une propriété de droit naturel qui résulte du fait
seul de l’occupation , et dont la perpétuité est l’attribut
essentiel.
C’est donc dans la loi elle-même que se trouve le
principe et le germe de la propriété exclusive de la mar
que , ce qui lui imprime le caractère de propriété de
droit civil. Cette conséquence se corrobore du système
adopté par la loi de 1824. Certes s’il est une propriété
de droit naturel , c’est celle du nom : aussi le législa
teur en a-t-il consacré la perpétuité, et s’est-il abstenu
de lui imposer une condition quelconque. Pourquoi at-il agi autrement pour les marques , si , comme celle
du nom , leur propriété avait son origine dans le droit
naturel.
Il est vrai, ainsi que nous le verrons tout-à-l’heure,
que le dépôt a été reconnu déclaratif et non attributif
de la propriété ; ce qui fait supposer que la propriété
préexistait au dépôt. Mais cette supposition est inconci-
�64
loi du
23 juin 1857
liable avec l’exigence de celui-ci. Un droit de propriété
en effet s’affirme de lui-même , et le législateur n’a à
intervenir que pour le reconnaître et le constater. S’il
peut en réglementer l’exercice, il est sans qualité et sans
droit pour imposer à cet exercice des conditions sans les
quelles il ne saurait avoir lieu.
Le Gouvernement l’avait bien compris. Aussi les ar
ticles â et 3 du projet disposaient : le premier, Nul ne
peut acquérir la propriété d'une marque, s'il ne d é
pose , etc.. . . ; le second , La propriété de la marque
n'est acquise au déposant que du jou r du dépôt.
Le désir de réprimer toute concurrence déloyale a
bien pu déterminer le Corps législatif à modifier cette
rédaction ; mais cette modification n’a pu changer la
nature et le caractère du droit. Il n’en reste pas moins
certain qu’il ne devient exclusif que par le dépôt ; qu’il
n ’est acquis que dans la limite qui lui est assignée.
8S0.
— L’exigence du dépôt était juste et néces
saire. L'Exposé des motifs le disait avec raison. Les
différents emblèmes, symboles ou signes, dont les fabri
cants ou commerçants peuvent se servir pour remplacer
leur nom, ne sont, à vrai dire, la propriété de person
ne; ils sont dans le domaine public : tout Je monde
peut s’en emparer. Si donc vous voulez déposséder le
public au profit d’un s e u l, du droit de se servir de tel
ou tel signe, il est juste et nécessaire que vous obligiez
le fabricant, qui désire s’en réserver l’usage exclusif , à
rendre son intention publique, à la porter à la connais-
�65
SUR LES MARQUES
sance de tous, et que vous fournissiez aux autres fabri
cants le moyen de connaître les signes dont l’emploi leur
est interdit.
Cette exigence au reste n’était pas une innovation. La
loi de l’an xi l’avait consacrée en disposant dans son
article 10 : Nul ne pourra former action en contrefa
çon de sa marque, s'il ne l'a préalablement fait connaî
tre par le dépôt d'un modèle au greffe du tribunal de
commerce d'où relève le chef-lieu de la manufacture
ou de l'atelier.
851.
— C’était bien, mais ce n’était pas assez. L’u
surpation de la marque est prohibée non-seulement aux
industriels de la localité, mais encore à ceux qui habi
tent partout ailleurs. Or pour ces derniers la recherche
à un domicile souvent fort éloigné et quelquefois incon
nu, n’était pas chose facile; et s’il était équitable qu’ils
fussent éclairés, il était indispensable de leur assurer le
moyen d’y parvenir, en déterminant un lieu où ils de
vaient et pouvaient s’adresser sur quelque point du ter
ritoire qu’ils habitassent.
La loi actuelle y a pourvu en ordonnant le dépôt de
deux exemplaires du modèle, destinés, l’un, à rester au
greffe du tribunal qui a reçu le dépôt, pour servir à la
solution des difficultés que l’action en usurpation peut
soulever sur l’identité ou le plus ou moins de similitude
entre la marque nouvelle et l’ancienne; l’autre,à être en
voyé au conservatoire impérial des arts et métiers , où
IH
�66
loi
du
23
ju in
1857
les marques sont centralisées et classées de manière à
être utilement consultées par les intéressés.
Désormais donc le commerce et l’industrie sont suf
fisamment prévenus. Chacun peut, avant d’adopter une
marque, s’assurer si cette marque est libre ou si elle a
déjà été adoptée par un autre. Les facilités que la loi
assure à cette recherche en rendrait le défaut sans ex
cuse.
852.
— Un décret du 26 juillet 1858, rendu en la
forme d’un réglement d’administration publique , suivi
d’une instruction concertée entre le garde des sceaux
ministre de la justice et le ministre de l’agriculture, du
commerce et des travaux publics, prescrit les formalités
à remplir^pour l’exécution de l’art. 2.
Le dépôt doit être fait au greffe du tribunal de com
merce, et à défaut au greffe du tribunal civil du domi
cile du fabricant ou du commerçant, par lui ou par un
fondé de pouvoir spécial. Dans ce dernier cas, la procu
ration peut être sous seing privé, mais doit être enregis
trée. Elle est laissée au greffier.
Le modèle à fournir consiste en deux exemplaires,
sur papier libre, d’un dessin, d’une gravure, d’une em
preinte représentant la marque adoptée. Le papier doit
former un carré de dix-huit centimètres de côté, dont le
modèle occupe le milieu.
Si la marque est en creux ou en relief sur les pro
duits , si elle a dû être réduite pour ne pas excéder les
dimensions du papier , ou si elle présente quelqu’autre
�SUR LES MARQUES
67
particularité , le déposant l’indique sur les deux exem
plaires, soit par une ou plusieurs figures de détail, soit
au moyen d’une légende explicative. Ces indications
doivent occuper la gauche du papier où est figurée la
marque ; la droite est réservée aux mentions prescrites
au greffier.
Des deux exemplaires, l’un est immédiatement collé
par le greffier sur une feuille d’un registre tenu à cet
effet et dans l’ordre des présentations : ce registre est en
papier libre du format de vingt-quatre centimètres de lar
geur sur quarante de hauteur; il doit être coté et pa
raphé par le président du tribunal de commerce ou du
tribunal civil, suivant les cas ; l’autre doit être, dans les
cinq jours , transmis au ministre de l’agriculture , du
commerce et des travaux publics, pour être déposé au
Conservatoire des arts et métiers.
Sur l’un et sur l’autre, à la droite du dessin, le gref
fier mentionne le numéro d’ordre du procès-verbal , le
nom, le domicile et la profession du propriétaire de la
marque ; le lieu et la date du dépôt, et le genre d’in
dustrie auquel la marque est destinée.
L’accomplissement de ces formalités est constaté par
un procès-verbal sur un registre en papier timbré , et
rédigé dans l’ordre des présentations. Ce procès-verbal
porte un numéro d’ordre et indique le jour et l’heure
du dépôt, le nom du propriétaire de la marque et celui
de son fondé de pouvoir s’il y a lieu, la profession du
propriétaire , son domicile et le genre d’industrie pour
lequel il a l’intention de se servir de la marque ; il est
�68
LOI DU
23
JUIN
1857
signé par le déposant et par le greffier. Une expédition
en est délivrée au déposant.
853.
— Les prescriptions de l’art. 2, quant au lieu
du dépôt des m arques, au nombre et à la destination
des exemplaires, sont générales et absolues. Elles régis
sent tous les genres d’industries, même celles qui sont
soumises à la marque obligatoire. Elles abrogent par
conséquent les dispositions du décret du 23 nivôse an
ix, relativement aux marques de quincaillerie , et celles
de la loi du 8 août 1816 pour la marque des fabricants
d’étoffes.
Ainsi plus de dépôt ni au secrétariat des prud’hom
mes , ni à la sous-préfecture, ni au ministère du com
merce; plus de table d’argent sur lesquelles certaines de
ces marques devaient être empreintes.
85-i. — Il est évident que les industriels soumis à
la marque obligatoire avaient, comme dans le cas de
marque facultative, le plus grand intérêt à s’assurer de
la nouveauté de la marque qu’ils se proposent d’adop
ter. Il était donc convenable et juste de leur offrir les
facilités que crée la centralisation des marques au Con
servatoire des arts et métiers, et la publicité des regis
tres, procès-verbaux, répertoires et modèles dont la loi
prescrit la libre communication.
855.
— Sous l’empire de l’ancienne législation, les
prud’hommes dépositaires et conservateurs de marques,
notamment pour la coutellerie, étaient autorisés à refu-
�SUR LES MARQUES
69
ser d’inscrire sur la table d’argent la marque qu’ils
trouvaient conforme à celles déjà déposées ou qui pou
vait créer une confusion avec l’une d’elles. Dans tous
les cas ils étaient appelés à donner leur avis sur le plus
ou moins de conformité entre la marque n ouvelle et
l’ancienne.
Quelque réduit que fût ce rôle, la loi de 1857 n’a pas
cru devoir l’admettre et le consacrer. Aujourd’hui la na
ture et le caractère des marques sont souverainement et
exclusivement laissées à l’appréciation des tribunaux: d’où
la conséquence que toutes celles qui sont successivement
présentées au dépôt doivent être reçues et admises, sauf
le recours à la justice de la partie intéressée.
8 5 6 . — Cependant la circulaire ministérielle qui
accompagne le décret du 26 juillet 1858, autorise le
greffier à refuser le dépôt, mais seulement dans l’un des
deux cas suivants : si les exemplaires ne sont pas sur
papier de dimension ; s’ils ne sont pas exactement sem
blables l’un à l’autre.
Hors ces cas, le greffier du domicile du propriétaire
de la marque est tenu d’obtempérer à sa réquisition ;
obligé de recevoir et de constater le dépôt, alors même
que la marque ne serait que la reproduction ou l’imi
tation servile d’une autre précédemment déposée à son
greffe.
8 5 7 . — La loi de 1857 s’occupant exclusivement
des marques de fabrique et de commerce, est inappli-
�70
loi
du
23
ju in
1857
cable aux dessins ou modèles de fabrique. Ceux-ci res
tent donc régis par les lois de 1793 et 18 mars 1806.
858.
— Le caractère du dépôt devait nécessaire
ment influer sur les conséquences de son omission. Sa
détermination offrait donc un grave et puissant intérêt.
Sous l’empire de la législation ancienne , la cour de
Cassation avait plusieurs fois jugé que le dépôt était non
attributif, mais déclaratif de la propriété de la marque.'
La Cour suprême induisait ce caractère non-seule
ment de l’art. 18 de la loi de germinal an xr, dont
nous venons de reproduire les termes, mais encore du
décret du 11 juin 1809, disposant, article 5 : Tout mar
chand, fabricant, qui voudra pouvoir revendiquer de
vant les tribunaux la propriétéde sa marque,sera tenu
de rétablir d'une manière assez distincte des autres
pour qu’elles ne puissent être confondues et prises l'une
pour l’autre. Puis l’art. 7 ajoute : Nul ne sera admis à
intenter action en contrefaçon de sa marque , s'il n'a
déposé un modèle, etc.. . .
Ainsi la loi distinguait l’action en revendication de
l’action en contrefaçon ; et si le dépôt préalable autori
sait seul celle-ci, l’autre n’exigeait qu’une seule condi
tion : la nouveauté , la diversité de la marque. Or pour
que la revendication pût être exercée , il fallait de toute
nécessité que la chose revendiquée fût la propriété de
celui à qui on reconnaissait l’action.
i V. notamment 28 mai 1822; 14 janvier 1828 ; 17 mai 1843; —
D. P., 43, 1,327,
�SUR LES MARQUES
71
La cour de Cassation en avait donc logiquement con
clu, que le défaut de dépôt n’avait d’autre résultat que
l’irrecevabilité de l’action correctionnelle, et la doctrine
avait embrassé celte opinion.
« On ne p e u t, disait M. Gastambide, prétendre ici,
comme en matière littéraire, que le défaut de dépôt em
porte abandon de la propriété au domaine public. Com
ment supposer, en effet, que la loi ait trouvé un avan
tage quelconque à faire entrer dans le domaine de tous
une marque qui n’a en soi aucune utilité , et qui n’est
bonne que pour celui qui l’a adoptée ? Le dépôt, en ma
tière de marque, n’est donc pas une déclaration de pro
priété , mais une déclaration de l’intention ou est le
propriétaire de poursuivre les contrefacteurs par la voie
criminelle. À défaut de dépôt, la marque rentre dans le
droit commun et a droit à la protection de l’art. 1382
du Code Napoléon.'»
859.
— L’influence que cette doctrine a exercée sur
le législateur de 1857, nous impose le devoir de l’ap
précier. Sans doute on pouvait l’induire du rapproche
ment des divers textes de lois que nous “avons cité. Mais
était-elle réellement rationnelle et juste ? Nous en dou
tons.
M. Gastambide met sur une même ligne la marque et
le dessin de fabrique, et décide pour l’une ce qu’il vient
1 De la contrefaçon, n° 449 ; — Conf. Et. Blanc, p. 767.
�72
loi
du
23
ju in
1857
d’admettre pour l’autre. Or , à notre avis , il y a entre
l’une et l’autre une immense différence.
Un dessin de fabrique doit nécessairement se faire
remarquer par sa nouveauté : il est donc naturellement
«
la propriété du créateur qui n’a rien pris au domaine
public. Attribuer cette propriété à ce domaine, c’est donc
l’exproprier de son oeuvre, et l’on comprend que la loi
se fût montrée exigeante lorsqu’il s’agissait de consacrer
ce résultat.
Il est difficile d’imaginer une marque nouvelle, dans
l’acception ordinaire de ce mot. Le symbole, l’emblème,
les lettres ou chiffres qui la constituent étaient depuis
longtemps dans le domaine de tous. Il ne s’agit plus dès
lors d’enrichir le public, mais de le priver du droit qui
lui appartenait au bénéfice d’un seul ; c’est-à-dire que
ne qui était un acte de justice pour l’inventeur d’un des
sin, n’est plus qu’une faveur pour celui qui le premier
adopte une marque. Imposer à celle faveur des condi
tions rigoureuses, la subordonner au dépôt préalable,
n’était-ce pas ce que la raison et la justice exigeaient ?
Chose remarquable, la doctrine que nous examinons
réserve toute la sévérité pour l’auteur du dessin. En ef
fet tandis qu’elle décide que le défaut de dépôt n’influe
en rien sur la propriété de la marque, la cour de Cas
sation juge que la mise en vente avant le dépôt fait tom
ber le dessin dans le domaine public et en permet l’i
mitation à tous.’
1 I " juillet 1850;—J . du P., 1850, 2, 259.
�C’est là une anomalie choquante, et nous ne pouvons
nous expliquer que le défaut de dépôt qui exproprie le
créateur du dessin qui n’a jamais rien pris au domaine
public, permette à celui qui lui a emprunté sa marque,
de s’en approprier la propriété exclusive.
860.
— C’est cependant ce que la loi de 1857 con
sacre. La modification des articles 2 et 3 du projet du
Gouvernement ne laisse aucun doute à ce sujet. Le rap
porteur du Corps législatif admettait bien qu’il était évi
dent que tout commerçant devait, pour s’assurer le bé
néfice de la loi, déposer une marque qui est une source
de fortune pour l u i , un gage de confiance pour le pu
blic ; qu’il y avait.imprudence à agir autrement, et que
la loi n’avait pas à le protéger 'plus qu’il ne le fait luimême.
« Mais , ajoutait-il, fallait-il dépouiller de sa pro
priété cet industriel , si négligent qu’il f û t, à ce point
qu’il pût être poursuivi par un tiers q u i, non content
d’usurper sa marque, en aurait fait le dépôt? Telle eût
été en effet la conséquence fatale d’un principe rigou
reux. Il nous a paru dangereux de faire dépendre de
l’accomplissement d’une formalité , de soumettre à la
chance d’une diligence plus active la propriété d’une
marque qui, le plus souvent, tire son importance de son
ancienneté et n’a pas été déposée à cause de son an
cienneté même. Ainsi donc, au propriétaire d*une mar
que déposée, les bénéfice de la loi actuelle, des garan
ties spéciales qu’elle institue , et des actions qu’elle or-
W
l >1 •'
�74
loi
du
23
ju in
1857
ganise; à celui qui n’effectue pas le dépôt, le droit com
mun. 11 se servira de sa marque s’en pouvoir en être
dépouillé, et il demandera à l’art. 1382 du Code Napo
léon les moyens de se défendre contre toute concurrence
déloyale. »
La conclusion est nette et précise; mais s’induisaitelle des prémisses que le rapporteur vient de poser ?
Quoi il est évident que tout commerçant doit, pour
s'assurer le bénéfice de la loi -, déposer sa marque ;
qu'il y a imprudence à agir autrement ; que la loi n'a
pas à le protéger plus qu’il ne le fait lui-même, et pour
récompense de cette imprudence il n’en jouira pas moins
exclusivement de la marque qu’il a adoptée. Tout ce
qu’il aura perdu par l’inobservation de la loi , c’est le
droit d’agir devant la juridiction correctionnelle.
Mais pour lui l’intérêt de celte action n’est ni dans
l’amende, ni dans l’emprisonnement qui pourra en être
la conséquence. Cet intérêt réside tout entier dans la
prohibition contre les tiers de se servir de la marque, et
dans l’allocation de dommages - intérêts. Or tout cela
l’art. 1382 du Code Napoléon le fera obtenir. Pourquoi
donc l’art. 2 fait-il du dépôt la condition de la reven
dication de la propriété exclusive de la marque? N’estce pas précisément cette revendication que l’industriel
exercera devant le tribunal civil ? Comment celui-ci
pourrait-il interdire aux tiers l’usage de la marque et
les condamner à des dommages-intérêts, s’il ne recon
naissait et ne constatait d’abord cette propriété exclu
sive ?
�SUR LES MARQUES
75
Nous croyons donc que les articles 2 et 3 du projet,
qui subordonnaient la propriété exclusive de la marque
à la formalité du dépôt, et ne la faisaient courir que du
jour de ce dépôt,appréciaient beaucoup mieux la nature
des choses et le caractère de la loi. La prescription d’u
ne obligation, d’un devoir doit reposer sur une sanction
assez énergique pour en garantir et en assurer l’accom
plissement. Or dans le système adopté, on ne trouve pas
seulement un défaut absolu de sanction pour l’obliga
tion du dépôt, il y a encore un encouragement à s’y
soustraire. Pourquoi en effet se mettrait-on en peine de
l’exécuter, puisque son inobservation ne fait obstacle ni
à ce qu’on soit reconnu propriétaire exclusif de la mar
que, ni au droit d’obtenir des dommages-intérêts. L’in
terdiction prononcée contre les tiers sera-t-elle moins
absolue , les dommages-intérêts seront-ils moins oné
reux pour l’un, moins profitables pour l’autre de ce que,
au lieu d’émaner de la juridiction correctionnelle , on
les obtiendra de la juridiction civile?
Quant à la crainte de voir un industriel dépouillé de
sa marque par le dépôt qu’en ferait le tiers usurpateur,
elle est chimérique. En effet le dépôt ne confère le pri
vilège exclusif que si la marque qui en fait l’objet est
nouvelle , c’est-à-dire n’est encore ni connue ni usitée
en commerce. Donc si non content de l’usurper, le tiers
en ayant opéré le dépôt venait en réclamer l’usage ex
clusif, il succomberait nécessairement devant la preuve
et la certitude que celui qu’il attaque usait de cette mar
que, non pas seulement antérieurement au dépôt, mais
�76
toi
DU
23
JUIN
1857
encore avant que l’auteur de ce dépôt eût songé à se
l’attribuer.
L’antériorité de possession rendrait le dépôt inefficace
et sans effet : celui qui en exciperait et qui l’établirait
resterait donc libre d’user de la marque. Sans doute son
droit ne serait pas exclusif, mais à qui la faute ? Que
n’obéissait-il aux prescriptions de la loi? Que ne rem
plissait-il la formalité qui devait lui assurer ce résultat.
S’il a omis de le faire, il s’est rendu coupable d’im
prudence, de négligence d’autant plus lourde, d’autant
plus incompréhensible, d’autant plus inexcusable que la
marque a su depuis plus longtemps s’attirer la confiance
publique. N'est-il donc pas juste de lui en faire sup
porter les conséquences ?
En l’état cependant ce sont les tiers qui en sont pu
nis. En effet le caractère simplement déclaratif assigné
au dépôt a pour conséquence forcée que le tiers qui s’est
servi d’une marque non encore déposée, mais employée
par un autre, et qui l’a régulièrement déposée, nonseulement n’en aura pas acquis la propriété, mais pourra
encore être déclaré contrefacteur , si celui qui en usait
avant lui la dépose à quelque époque que ce so it, et
dans tous les cas condamné à des dommages-intérêts
par application de l’art. 1382 du Code Napoléon.
Quel tort a-t-on cependant à lui reprocher ? S’il n’a
pris et déposé la marque qu’après s’être assuré au dé
pôt central du Conservatoire qu’elle n’appartenait en
core à personne qu’elle n ’avait fait jusque là l’objet
d’aucun dépôt. Voilà donc deux individus, l’un ayant
V il
�SUR LES MARQUES
77
fait tout ce que la loi exigeait de lui, l’autre ayant com
mis une lourde imprudence, et c’est le premier qu’une
condamnation comme contrefacteur atteindra dans sa
considération et dans sa fortune ! et le second trouvera
dans sa faute même le moyen de s’enrichir !
Un pareil résultat, outre qu'il blesse les plus simples
notions de la raison et de la justice , est une véritable
prime à la désobéissance à la loi, et ne peut qu’encou
rager à cette désobéissance. Il devait donc faire pros
crire le système qui le consacre. Sans doute le système
contraire pouvait avoir ses inconvénients. Mais ce qui
est certain, c’est que l’intéressé avait un moyen radical
pour les prévenir, se conformer aux prescriptions de la
loi, et remplir la formalité qu’elle prescrit et exige.
Nous ne croyons pas que la propriété de la marque
soit plus précieuse et mérite une protection plus rigou
reuse que la propriété d’une invention , que celle d’un
dessin de fabrique. Or, qu’un inventeur donne la moin
dre publicité à sa découverte avant la prise du brevet ;
que le créateur du dessin vende l’étoffe nouvelle avant
d’avoir déposé le dessin, le domaine public est irrévoca
blement saisi et tout droit à la propriété exclusive à ja
mais perdu. Pourquoi donc, lorsqu’il s’agit d’une mar
que, la même omission n’entraînerait-ellé pas une con
séquence identique.
Nous croyons donc que le dépôt est attributif et non
déclaratif de la propriété, et que c’est ce qui s’induit du
texte de l’art. 2. Nous reconnaissons toutefois que la
discussion législative a donné un autre sens à cet arli-
�78
loi
du
23
ju in
18B7
cle, et que ce sens se corrobore du rejet des articles 2 et
3 du projet.
8 6 1 . — Voici donc les conséquences qui se dédui
sent de cette interprétation :
L’absence de dépôt ne fait nul obstacle à l’action ci
vile fondée sur l’art. 1382 du Code Napoléon. Cette ac
tion a un double objet : d’abord l’interdiction de l’usage
de la marque à tout autre que celui qui l’a le premier
employée; ensuite une allocation de dommages-intérêts
pour réparation du préjudice qui a pu naître de l’usage
illégal de la marque.
L’interdiction doit être prononcée sans qu’on puisse
avoir égard au plus ou moins de bonne foi de celui qui
s’est attribué la marque revendiquée. Mais la bonne foi
doit exercer une décisive influence sur l’adjudication des
dommages-intérêts. Autant les magistrats se montreront
sévères lorsque l’usurpation a eu pour but une concur
rence déloyale, autant ils devront user d’indulgence dans
le cas où ils seront convaincus que l’usurpation est le
résultat d’une erreur inspirée par le défaut de dépôt an
térieur.
8 6 2 . — L’absence de dépôt qui ne rend pas la
poursuite au civil irrecevable, crée une fin de non-rece
voir péremptoire et absolue contre l’action au correction
nel. Du silence gardé par la loi sur l’époque où doit se
réaliser le dépôt, on a conclu qu’il pouvait légalement
l’être même après l’introduction de l’action. Mais cette
réalisation tardive ne saurait empêcher la nullité des
�SUR LES MARQUES
79
saisies pratiquées et de la citation donnée avant son ac
complissement.
x
Toutefois et en ce qui concerne l’exploit introductif
d’instance , sa nullité ne serait réellement utile au dé
fendeur que dans le cas où, dans l’intervalle de la cita
tion au dépôt, la prescription se serait accomplie. Dans
le cas contraire, il n’y gagnerait rien, puisque la réali
sation du dépôt rangerait sous le coj^p de la pénalité
tous les faits antérieurs.
Telle est en effet la conséquence du caractère décla
ratif du dépôt. Ainsi, dit M. Rendu, le contrefacteur ne
pourrait pas même se défendre en prouvant que, depuis
qu’il a été averti par le dépôt, il a cessé de se servir de
la marque revendiquée. Il n’en devrait pas moins être
condamné pour les faits antérieurs.1
C’est en effet ce que la jurisprudence a admis et con
sacré. Dès lors le prévenu qui excipanl du défaut de dé
pôt aura fait annuler la poursuite, n’en retirera d’autre
profit que celui d’avoir retardé sa condamnation. Le
dépôt effectué, on lui demandera compte de tous les faits
antérieurs , notamment de ceux qui avaient fait l’objet
de la première poursuite , et pour lesquels il sera pas
sible de l ’amende et de l’emprisonnement.
C’est là, à notre avis, un nouvel argument contre le
système adopté. Ainsi les faits même q u i, avant le dé
pôt, ne pouvaient donner lieu qu’à une action devant la
1 M a r q u e s de f a b r iq u e , n° 69.
�80
loi
do
23
ju in
1857
juridiction ordinaire , se trouvent par le fait du dépôt
postérieur déférés au tribunal correctionnel. Ils puisent
donc leur caractère de délit , non dans l’acte personnel
de leur,auteur, mais dans l’accomplissement d’une for
malité par le plaignant lui-même. Un pareil résultat,
blesse tous les principes du droit criminel, et il nous
paraît difficile de le concilier avec la raison et la justice.
865.
— Au'point de vue de l’intérêt privé des com
merçants entre eux, le dépôt offre un double avantage:
il peut én premier lieu servir à résoudre la question
d’antériorité. C’est pour cela que le réglement d’admi
nistration publique exige que le procès-verbal indique
le jour et l’heure de la remise et porte un numéro d’or
dre. Supposez que le hasard fasse qu’une même m arque tout à fait nouvelle soit déposée le même jour, ou à
quelques jours de distance, par deux fabricants ou com
merçants : le doute serait impossible ; la propriété ex
clusive en serait acquise à celui qui justifierait par pro
cès-verbal l’avoir déposée, fût-ce une demi-heure avant
l’autre.
Supposez, d’autre part, que le dépôt n’a pas été re
nouvelé ainsi que l’exige la loi, sa réalisation n’en prou
vera pas moins l’usage de sa marque à sa date, et dé
cidera la question de priorité contre celui qui , l’ayant
plus tard déposée, en réclamerait la propriété.
Le second avantage du dépôt est de trancher avec cer
titude les difficultés qui s’élèveraient sur le plus ou
moins de similitude entre deux marques. Le dépôt en
I
�81
SUR LES MARQUES
effet imprime à la marque une authenticité incontesta
ble, et le rapprochement d’un modèle avec celui de la
nouvelle ne permettrait pas le moindre doute sur le bien
ou le mal fondé du reproche d’usurpation.
8 6 4 . — Les auteurs qui ont écrit sur la matière avant la loi de 1857, notamment M. Gastambide, pré
voyant l’hypothèse d’un dépôt irrégulier , enseignent
qu’il ne produirait aucun effet.
Il est évident qu’un dépôt irrégulier n’est pas un dé
pôt, et que son inefficacité ne saurait être ni méconnue
ni contestée. Mais depuis la loi de 1857 et le réglement
d’administration publique qui en détermine l’exécution,
il n’est pas facile de supposer que cette hypothèse puisse
se présenter.
L’irrégularité, en effet, ne pourrait naître que de ce
que le dépôt n’aurait pas été fait au domicile indiqué,
ou de ce qu’il n’aurait pas été déposé deux exemplaires du
dessin, ou de la différence que présenteraient ces exem
plaires entre eux. Mais dans ces derniers cas, le greffier
est tenu de refuser le dépôt : nous venons de voir que
la circulaire ministérielle lui en fait un devoir.
Il devrait également refuser, si le tribunal n’était pas
celui du domicile du propriétaire de la marque, et à ce
sujet il ne pourra jamais se faire le moindre doute, puis
qu’il doit mentionner ce domicile sur chaque exemplaire
et dans le procès-verbal. Il s’en enquerra donc tout
d’abord, et l’indication qui lui sera donnée le mettra à
même de juger s’il est ou non compétent pour procéder
au dépôt.
in
—
G
�82
loi
du
23
ju in
1857
Nous avons donc raison de le dire, rien ne sera plus
rare qu’un dépôt irrégulier. Dans tous les cas l’irrégu
larité lui enlèverait toute efficacité, et l’empêcherait d’a
voir un effet quelconque. Mais cette conséquence se
trouve singulièrement mitigée par la faculté de régula
riser le dépôt à toute époque, et d’acquérir ainsi le droit
de poursuivre et de faire réprimer les faits d’usurpation
même antérieurs.
8 6 5 . — Le dépôt régulièrement effectué ouvre l’ac
tion en revendication de la propriété exclusive devant la
juridiction correctionnelle. Mais il est dans l’économie
de la loi de n’attribuer cette propriété qu’à celui qui, le
premier, a usé de la marque litigieuse.
11 faut donc que le déposant justifie en outre de la
priorité de l’emploi, il ne faudrait pas, en effet, qu’un
tiers profitant de la négligence du propriétaire de la
marque pût, au moyen du dépôt qu’il en ferait, faire
consacrer l’usurpation qu’il se serait permise.
Mais le dépôt, s’il ne prouve pas la priorité d’emploi,
la fait présumer en ce sens que le déposant n’est tenu
à aucune preuve extrinsèque. Il n’a, à l’appui de sa de
mande , qu’à produire l’expédition du procès - verbal
constatant le dépôt en son nom.
Cette présomption ne cède qu’à la preuve contraire, et
cette preuve est naturellement à la charge de celui qui
s’en prévaut. Çelte preuve faite, le dépôt aurait été fait
sans qualité et sans droit : il serait donc infailliblement
annulé , et les parties remises dans leur position réelle.
�SUR LES MARQUES
83
Non-seulement le prétendu usurpateur serait renvoyé de
la plainte, mais il aurait de plus le droit de se faire in
demniser du préjudice que la poursuite aurait pu lui
occasionner.
Il n’est pas douteux que le tribunal correctionnel se
rait compétent pour accorder cette indemnité. Quant aux
dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant
de l’usurpation , il ne pourrait y statuer qu’après dépôt
de la marque par son propriétaire réel ; ce dépôt pou
vant seul lui attribuer juridiction.
8 6 6 . — La preuve de la priorité d’emploi de la
marque sera d’autant plus facile que la marque sera
plus ancienne et déjà fort accréditée. Aussi est-il facile
de prévoir que ce n’est pas à une pareille marque que
s’en prendra l’usurpation. Elle n’a de chances de suc
cès que lorsque, par son emploi récent, la détermina
tion de celui qui a réellement créé la marque , peut of
frir quelques difficultés et permettre l’hésitation. L’inté
rêt des industriels à ne pas offrir cette chance à la frau
de n’a pas besoin d’être démontré , et cet intérêt leur
fait un devoir de déposer leur marque dès qu’ils l’ont
adoptée.
8 6 7 . — L’article 3 déroge au droit antérieur. Sous
l’empire de celui-ci, le dépôt n’avait pas besoin d’être
renouvelé ; une fois régulièrement accompli, la propriété
de la marque qui en faisait l’objet était à tout jamais
acquise au déposant.
Désormais le dépôt n’a d’effet que pour une durée
�84
loi
du
23
ju in
1857
de quinze années ; mais av.ec cette modification, que ce
lui qui aura intérêt à le proroger, a le droit et la faculté
de le faire par un nouveau dépôt à chaque expiration
d’une période de quinze ans.
Cette importante innovation a soulevé de nombreuses,
d’ardentes critiques, Dans un article inséré dans un
journal judiciaire , M. Et. Blanc lui reprochait d’être
une prime donnée à la concurrence déloyale et à la
fraude.'
8 6 8 . — Nous ne saurions nous associer à ce repro
che, ni lui reconnaître aucun fondement sérieux. Alors
même qu’on eût admis que le dépôt était attributif de
propriété, nous ne verrions rien d’injuste à la nécessité
de manifester au bout de quinze ans l’intention de con
tinuer à en jouir. La facilité de se produire donnée à
celte manifestation, exclut toute idée de sévérité et d’in
justice.
Avec le système du caractère simplement déclaratif
du dépôt, le reproche de M. Blanc n’a pas même une
raison d’être, la conséquence de ce système rendant l’i
nobservation de l’art. 3 aussi peu inoffensive pour le
propriétaire de la marque, aussi peu profitable aux tiers
que celle de l’art. %.
8 6 9 . — En effet celui qui n’aura pas renouvelé le
dépôt, n’aura pas une position plus fâcheuse que celle
1 Le D roit, 4*r juin 4 867,
�SUR LES MARQUES
85
de celui qui n’a jamais déposé. Or si celui-ci est rece
vable et fondé à poursuivre par l’action de l’art. 1382
du Code Napoléon, à investir le tribunal correctionnel,
après avoir déposé à quelque époque que ce s o it, pt à
lui déférer même les faits antérieurs , comment contes
terait-on le même droit à celui-là?
« Il est impossible , dit M. Rendu , de soutenir que
la déchéance d’un dépôt effectué peut produire des con
séquences plus préjudiciables que l’absence de tout dé
pôt, en présence d’un texte qui se borne à enlever au
dépôt antérieur l’effet qu’il a pu produire , sans ajouter
aucune autre déchéance qu’il n’est dès lors pas permis de
suppléer ? Comment soutenir que la propriété se perd
par défaillance d’une formalité qui ne l’a pas constituée?
Comment ne pas accorder tout au moins que la marque
qui ne vaudrait plus comme marque légale , vaudrait
comme simple étiquette protégée, de l’aveu de tous, en
tre les mains de son auteur par l’action en dommagesintérêts ? * »
M. Rendu a raison. D’après l’art. 3, l’expiration des
quinze ans enlève tout effet au dépôt. Or en réalité cet
effet se borne , nous venons de le voir , à permettre la
poursuite correctionnelle. Donc cette poursuite sera irre
cevable après l’expiration du délai , tant que le dépôt
n’aura pas été renouvelé. Mais l’action de l’art. 1382
n’est pas un effet du dépôt. Elle en est tellement indé—
1 Marques de fabrique, n° 83.
�86
loi
du
23
ju in
1857
pendante, qu’on en permet l’exercice même en l’absence
de tout dépôt ; et puisqu’elle préexiste au dépôt , il est
évident que le défaut du renouvellement ne l’a ni éteinte
ni fait perdre.
t
Cette inévitable conséquence purge donc la disposition
de l’art. 3 du reproche de n’être qu’une prime donnée
à la concurrence déloyale et à la fraude. Mais son étran
geté, au point de vue de l’exécution que la loi doit re
cevoir, n’a pas échappé à M. Rendu.
870.
— « S’il en est ainsi, observe ce savant juris
consulte, le texte de l’art. 3 est bien près de n’être plus
qu’une lettre morte. En effet, si l’action en dommagesintérêts survit à la péremption du dépôt, la marque ne
tombe pas dans le domaine public , et les tiers qui la
prennent, faute de l’avoir trouvée dans le répertoire des
quinze ans, ne sont pas en sûreté, puisqu’ils sont expo
sés aux conséquences de cette action qui, sauf l’applica
tion d’une peine correctionnelle, a pour l’industriel né
gligent tout l’avantage de l’action fondée sur le dépôt ex
istant , et de plus la certitude d’une réussite assurée;
car malgré la péremption légale du dépôt antérieur , le
fait matériel du dépôt n ’établit pas moins qu’à l’époque
où il s’est accompli, le négociant possédait la marque,
et par conséquent antérieurement au tiers qui ne l’a
prise que depuis l’expiration des quinze ans.
» Pour échapper à ces inconvénients qui paralysent
la disposition de la lo i, refusera-t-on au déposant né
gligent l’action en dommages-intérêts ? Mais ne se met-
�87
SUT» IE S MARQUES
tra-t-on pas en contradiction avec le principe de la pro
priété de droit commun , indépendante du dépôt, que
le Corps législatif a fait passer dans la lo i, et moyen
nant la déclaration formelle faite par l’auteur de l’a
mendement, que cette propriété était protégée par l’ac
tion civile en dommages-intérêts ? ' »
O u i, l’art. 3 est une véritable lettre morte , comme
l’art. 2 , comme toute prescription à l’exécution de la
quelle une sanction pénale ne viendra pas contraindre
ceux qui doivent cette exécution. Or l’observation de
l’art. 3, non-seulement n’est garantie par aucune sanc
tion, mais encore ne procure aucun avantage de nature
à intéresser les fabricants ou commerçants que l’action
civile en dommages-intérêts rassure et protège. En l’é
tat, l’art. 3 n’est qu’un piège pour ceux qui prendraient
au sérieux sa disposition et les considérations sur les
quelles on la fondait. Le fondement de la nécessité du
renouvellement, après chaque période de quinze ans,
reposait, d’après YExposé des motifs, sur cette idée :
qu’il eût été illusoire d’accorder aux parties intéressées
la faculté de rechercher les marques employées , si ces
recherches eussent dû s’étendre à une époque trop re
culée. Il importe à tous , disait de son côté le rappor
teur du Corps législatif, de savoir si une marque est
conservée , ou si , au contraire , elle est tombée dans le
domaine public.
1 Marques de fa briqu e, il» 84.
»
>,
9
1
�88
lo i
du
23
ju in
1857
Donc si après quinze ans une marque n’est plus dé
posée , on devra croire qu’elle n’a pas été conservée,
qu’elle est tombée dans le domaine public. Mais si dans
cette conviction inspirée- par ces documents législatifs on
en fait usage, on se verra bientôt traité d’usurpateur,
blessé dans sa considération , gravement atteint dans sa
fortune et nécessairement condamné par la juridiction
civile.
On ne pourra même pas se flatter d’échapper à l’em
prisonnement et à l’amende. Quelque tardif en effet que
puisse être le renouvellement, dès qu’il sera réalisé, l’ac
tion correctionnelle deviendra recevable non-seulement
pour les faits postérieurs à celte réalisation, mais encore
pour ceux qui l’ont précédée , remontassent-ils à cinq
ans et au delà.
Mieux valait pour le public suivre les errements de la
législation précédente sur la perpétuité du dépôt. On au
rait su au moins à quoi s’en tenir. Faciliter la recher
che , c’était bien ; mais il eût été mieux encore d’atta
cher à son résultat un caractère de sécurité pour ceux
qu’on convie à s’y livrer. VExposé des motifs le pro
clamait lui-même : S’il était nécessaire d’accorder à
la marque une protection efficace , il ne l'était pas
moins de fournir aux fabricants les moyens de se met
tre en règle, et d’éviter des contrefaçons ou des usur
pations involontaires.
En déclarant le dépôt attributif de la propiélé, les ar
ticles 2 et 3 du projet de la loi pourvoyaient à cette dou
ble nécessité d’une mapière équitable et juste. L’amén-
«
e
�SUR LES MARQUES
89
dement du Corps législatif a rompu l’équilibre, sacrifié
l’intérêt du public à celui de l’individu , et sanctionné
une obligation dont l’accomplissement ne présente au
cun avantage réel et qu’on est libre de négliger impu
nément.
8 7 1 . — En attendant que cette anomalie disparais
se, le renouvellement s’il est opéré doit, comme le dé
pôt lui-même, être fait au greffe du tribunal du domi
cile du propriétaire de la marque. Eu effet il résulte du
réglement d’administration publique du 26 juillet 1858,
que le greffe qui a reçu le dépôt primitif n’est appelé à
recevoir le renouvellement, que si le propriétaire de la
marque continue à être domicilié dans le ressort du tri
bunal. Dans le cas contraire, c’est au greffe du nouveau
domicile que le renouvellement doit être reçu; seule
ment le procès-verbal doit mentionner le tribunal au
greffe duquel a été fait le dépôt primitif.
Les formalités à remplir sont celles qui sont prescri
tes pour le dépôt : la seule mention à ajouter est celle
que le dépôt actuel est fait en renouvellement d’un pré
cédent opéré à telle époque.
8 7 2 . — La disposition de l’art. 4 a pour objet de
faciliter et d’encourager l’exécution des articles précé
dents. Il ne fallait pas en effet au défaut d’intérêt, que
le caractère déclaratif du dépôt assigne à cette exécu
tion, ajouter la répugnance que lui aurait imprimée la
nécessité d’un débours trop considérable. Le coût d’un
�fc
90
loi du
23
ju in
1857
franc pour la rédaction du procès-verbal et la délivrance
d’une expédition, n’a certes rien d’exagéré et n’est un
obstacle pour personne, même en y ajoutant les trentecinq centimes pour le timbre du procès-verbal1 et les
droits d’enregistrement.
Des termes de l’art. 4 prescrivant la perception d’un
franc pour chaque marque , M. Rendu en conclut qu’il
est dû autant de fois un franc qu’il y a de marques dif
férentes, alors même qu’il ne serait rédigé qu’un pro
cès-verbal \ La question de savoir s’il suffisait d’un
seul procès-verbal lorsqu’un industriel déposait plu
sieurs marques, pouvait offrir quelque doute. C’est pour
le prévenir qu’un amendement, accepté par le conseil
d’E ta t, a admis l’affirmative , et c’est cette admission
qui a fait consacrer le droit d’un franc pour chaque
marque.
873.
— La marque régulièrement acquise devenant
une propriété, rien ne pouvait empêcher son possesseur
légitime d’en disposer à son gré, de la vendre, de la cé
der soit à titre gratuit, soit à titre onéreux.
A ce sujet on ne pouvait décider pour la marque au
trement que pour le nom, puisque, de même que celuici , elle peut constituer la principale richesse de l’éta
blissement. En conséquence la vente ou la cession de
celui-ci la comprend virtuellement. Il est en effet de ju-
1 Décret du 26 juillet 1888.
2 M arq.
d e fa h r .,
n° 94.
�SUR LES MARQUES
91
risprudence que la vente d’un fonds de commerce em
porte pour l’acheteur, à moins de stipulation contraire,
le droit de faire usage des enseignes et attributs du ven
deur'. Or de tous les attributs d’un commerce, en est-il
un de plus précieux que la marque qui, s’imposant à
la confiance du public , est le seul lien capable d’assu
rer la conservation de l’achalandage dont la valeur en
tre ordinairement pour beaucoup dans le prix de vente.
874.
— Ainsi, que la marque soit nominale, qu’elle
soit symbolique, elle devient la propriété de l’acheteur
ou du cessionnaire de l’établissement. Subrogé au ven
deur, il profite du dépôt opéré par celui-ci sans être obligé de le refaire en son nom avant l’expiration des
quinze ans. Il est recevable et fondé à poursuivre, même
par la voie correctionnelle, non-seulement les tiers qui
en feraient usage, mais encore le vendeur lui-même s’il
l’employait dans une industrie similaire.
Ce droit de l’acheteur ou cessionnaire paraissait, à
l’honorable M. Quesné, susceptible d’être modifié. Lors
qu’une industrie change de mains, disait-il, il est né
cessaire que le public ne l’ignore pas, et ne continue sa
confiance qu’en connaissance de cause. On doit crain
dre qu’un successeur moins soucieux d’un nom qu’il ne
porte pas, n’en exploite et n’en compromette le renom
1 V. notamment P a ri s , 19 novembre 1824 ; Aix, 22 mai 1829 ; Gre
noble, 17 juin 1844 ; Çass., 14 janvier 1845;—J . d u P , 1844, 2, 515;
1845, 1, 530.
�92
loi
du
23
ju in
1857
mérité, par une fabrication moins bonne ou même par
des fraudes criminelles.
En conséquence, à l’exemple de la législation italien
ne , il proposait la disposition suivante : N ul ne peut
fa ire usage d'une m arque à lu i cédée , et com prenant
le nom d 'u n fa b rica n t ou d’un com m erçant , s 'il n ’a
jo u te à cette m arque son propre nom s u iv i du mot
su cc e sseu r.
Cette proposition fut rejetée et devait l’être. Tout en
tière dans l’intérêt des consommateurs, elle entraînait
la loi hors du cercle qu’elle s’était tracée , son objet
unique étant, comme le témoigne expressément VExposé
des m otifs, de pourvoir uniquement à la protection due
aux industriels au point de vue de la marque. Elle n’a
vait donc à se préoccuper ni des tromperies ni des frau
des, dont l’emploi de cette marque pouvait être l’occa
sion pour le public.
Quant à la crainte que, peu soucieux d’un nom qu’il
ne portait pas , le cessionnaire n’en exploitât et n’en
compromit le renom, elle était évidemment chimérique.
Tout ce que ce cessionnaire aurait fait en ce sens tour
nerait nécessairement contre lui-même. Une mauvaise
fabrication,mieux encore une fabrication frauduleuse ne
pouvait avoir qu’un résultat : discréditer la marque, lui
faire perdre la confiance que sa juste réputation lui a vait acquise, et réduire à néant la valeur d’un établisse
ment qu’il avait payé d’autant plus cher que la marque
présentait plus de garanties de succès et de fortune.
Il était donc impossible de supposer et d’imaginer
�SUR LES MARQUES
93
qu’un industriel fût assez oublieux de son propre inté
rêt pour s’appliquer à se ruiner lui-même. L’amende
ment n’avait donc aucun fondement sérieux, et pouvait
même nuire à ceux qu’il entendait et voulait protéger.
Comme l’observait le rapporteur du Corps législatif,
lorsqu’un commerçant, par sa loyauté et la supériorité
de ses produits , a su donner confiance à sa marque,
conquérir un nom respecté, il trouve des avantages con
sidérables et la juste récompense d’une vie commerciale
honorable, dans la cession de sa maison , d’un nom
qui la recommande au public, de la marque qui en si
gnale les produits.
Interdireau cessionnaire deconlinuer purement et sim
plement ce nom et cette marque, n’était—ce pas enlever
à l’un et à l’autre cette valeur commerciale , et priver
le vendeur des avantages et de la juste récompense que
lui assure cette continuation ?
Dans tous les cas la loi ne pouvait se montrer plus
jalouse de la réputation d’un fabricant ou d’un com
merçant que ce commerçant ou que ce fabricant luimême. Elle ne pouvait que lui donner le moyen de sau
vegarder la réputation qu’il s’est acquise contre l’impé
ritie, l’abus ou les fraudes de son successeur. Ce moyen
elle l’a assuré par la liberté absolue qu’elle laisse aux
stipulations de la cession et par la faculté de modifier,
de limiter et même d’interdire au cessionnaire le droit
d’user du nom ou de la marque.
/ Si le cédant n’use pas du remède qui lui est permis,
c’est qu’il a intérêt à s’en abstenir. Il est évident en ef-
�94
loi du
23
ju in
1857
fet que l’interdiction de se servir de la marque, ou que
l’obligation de la modifier influerait puissamment sur
la détermination du prix. Si donc fermant volontaire
ment les yeux sur les inconvénients que la cession pure
et simple peut offrir , il a stipulé et reçu le prix le plus
haut, où seraient la convenance et la justice de le pro
téger contre ces inconvénients, et de l’exonérer des con
séquences de la loi qu’il a lui-même dictée ?
Ainsi le cessionnaire a droit de se servir de la mar
que, même nominale, qui désigne l’établissement qu’il
a acquis, ainsi et de la même manière que le faisait le
cédant, sans restrictions, sans modifications autres que
celles que lui imposerait expressément l’acte de vente
ou de cession.
8 7 5 . — Ce droit est-il illimité dans sa durée? La
famille du vendeur p o u rra-t-elle faire fixer un terme
passé lequel il devra cesser d’exister ?
Nous avons examiné et discuté ces questions à propos
de la cession du nom. Or elles ne peuvent s’élever , à
propos de la marque, que s’il s’agit d’une marque no
minale; et ce que nous avons admis pour le nom, nous
l’admettons sans difficulté pour celle-ci.*
4
8 7 6 . — C’est aussi à nos précédentes observations
que nous nous en référons pour le réglement de la copro
priété de la marque résultant soit de la qualitéd’héritier,
Supra n° 7S6.
�SUR LES MARQUES
95
soit de celle d’associé. Il est évident que tous les ayants
droit sont placés sur la même ligne, lorsqu’aucun titre
ne viendra accorder à l’un d’eux une préférence sur les
autres. Donc à défaut d’entente amiable, on devra re
courir à la licitation, et la marque appartiendra à l’ad
judicataire de l’établissement commercial.'
Sans aucun doute, il ne pourra être interdit à aucun
des cohéritiers ou associés de créer un établissement si
milaire ; mais ils devront adopter une marque distincte.
L’emploi de celle propre à l’établissement licité consti
tuerait le délit d’usurpation contre l’adjudicataire.
877.
— Le cessionnaire, l’héritier ou l’adjudicataire
ne conserve la propriété exclusive de la marque que de
la même manière que son auteur. En conséquence , il
devra en renouveler le dépôt à l’expiration de chaque
période de quinze ans. Toutefois l’inobservation de cette
formalité ne saurait avoir pour lui des conséquences
autres que celles qu’elle aurait entraîné contre le précé
dent propriétaire. Il conserve donc la faculté de pour
suivre devant la juridiction civile, et d’intenter l’action
correctionnelle après le renouvellement qui peut être o péré à toute époque.
Le renouvellement par l’ayant droit devra être opéré
en son nom, avec indication du titre qui Ta subrogé au
droit du déposant primitif. Cette indication nécessaire
lors du premier renouvellement, n’a plus la même uti—
1 S u p r a nos 758 et suiv.
�96
loi du 2 3
juin
1857
lité pour les renouvellements successifs que l’expiration
de quinze ans nécessiterait par la suite.
878.
— M. Rendu enseigne que la marque étant,
comme tout ce qui appartient au débiteur, le gage de
ses créanciers, est susceptible d’être saisie aussi bien que
les brevets d’invention. Celle saisie , dit-il, peut avoir
beaucoup d’intérêt dans le cas où la marque aurait ac
quis une grande notoriété et par suite une grande va
leur commerciale.'
Nous comprenons la saisie d’un brevet d’invention.
Son exploitation en effet n’exige en rien le concours de
son propriétaire. Le mémoire descriptif qui l’accompa
gne en divulgue tous les secrets , et met tout le monde
en état de se livrer à cette exploitation. La saisie et la
vente confère nécessairement ce droit d’exploiter exclu
sivement pendant la durée du brevet, et ce droit peut
être tellement avantageux qu’on n’hésitera pas à le payer
et même fort cher.
Mais la marque , qu’elle soit nominale ou non , n ’a
d’autre valeur réelle que celle d’indiquer la bonne qua
lité des produits, l’excellence du procédé de fabrication.
Or cette qualité et ce mode de fabrication sont le secret
du propriétaire de la marque, et la possession de celleci n’est évidemment pas dans le cas de le communiquer
ou de le divulguer. Qu’aurait donc l’acquéreur , si ce
n’est la faculté d’apposer cette marque à ses propres
l Marq. de f a b r n° HO
�97
SUR LES MARQUES
produits, quelque inférieurs qu’ils fussent, et le droit
de tromper impunément les acheteurs.
D’ailleurs la marque, qu’elle soit nominale ou sym
bolique, n ’est que la signature de l’industriel qui l’em
ploie. Elle n’est une propriété , que parce qu’elle tient
lieu du nom lui-même. La marque, disait l’Exposé des
motifs, est le signe de la personnalité du fabricant ou
du commerçant ; comment donc admettre qu’elle puisse
être saisie ? Est-ce qu’on conçoit la saisie d’une person
nalité, d’un nom, d’une signature séparément de l’objet
sur lequel ce nom ou cette signature est apposée.
Objectera-t-on que le proprietaire de la marque peut
la céder ou la vendre ? Mais le nom peut être égale
ment cédé ou vendu, et en conclura-t-on qu’il peut être
saisi ?
D’ailleurs le propriétaire qui vend sa marque com
munique ses procédés de fabrication et met son succes
seur à même de soutenir et de continuer la réputation
que cette marque s’est acquise. C’est même ce qui fait
le prix réel de la cession. Cette communication le cré
ancier saisissant est-il en état de la donner ? Que serait
donc en ses mains la marque , et comment pourrait-il
en retirer jamais les frais de la saisie ?
Nous croyons donc qu’aucune assimilation n’est pos
sible entre les brevets d’invention et la marque, et qu’il
n’est pas permis de conclure à la saisissabilité de celleci, de la faculté de saisir ceux-là. L’erreur de M. Ren
du, évidente en droit, est reconnue et proclamée par la
ni — 7
�98
loi du 2 3
juin
1857
pratique commerciale. Nous avons assisté à bien de si
nistres qui ont amené la liquidation du fond de com
merce et la vente de toutes les ressources du débiteur.
Or il n’est jamais venu à la pensée de personne de con
sidérer isolément la marque comme une valeur, et de
la vendre à l’instar de tout autre marchandise. Cette
opinion et cette pratique universelles sont la réfutation
la plus péremptoire de la doctrine de M. Rendu.
�99
SUR LES MARQUES
TITRE II
D IS P O S IT IO N S
R E L A T IV E S
ÉTRANGERS
AUX
A r t . 5.
Les étrangers qui possèdent en France des
établissements d’industrie ou de commerce jou
issent, pour les produits de leurs établissements,
du bénéfice de la présente l o i , en remplissant
les formalités qu’elle prescrit.
S
A r t . 6.
Les étrangers et les français dont les établis
sements sont situés hors de France, jouissent
également du bénéfice de la présente loi pour
les produits de ces établissements , si, dans les
pays où ils sont situés , des conventions diplo
matiques ont établi la réciprocité pour les mar
que françaises.
�400
loi du 2 3
ju in
1857
Dans ce cas, le dépôt des marques étrangères
a lieu au greffe du Iribuual de commerce du dé
partement de la Seine.
S O M M A IR E
879
880
Fondement rationnel et équitable de l ’art. 5.
L’étranger qui a en France un établissement industriel ou
commercial est protégé par notre loi.
881 Peu importe qu’il n ’ait pas été autorisé à établir son domi
cile en France, et qu’il n’y soit même pas domicilié de
fait.
882 II en est autrement de celui qui n ’aurait en France que de
correspondants ou des dépôts.
883 Formalités que l’étranger doit remplir pour s’assurer la pro
priété de sa marque.—Où doit être fait le dépôt.
884 Conséquence et effet de leur inobservation.
885 L ’étranger qui n’a aucun établissement en France ne jouit
du bénéfice de la loi, que si, dans son pays, les marques
françaises sont protégées.—Motifs.
886 Caractère de cette condition.
887 Faut-il que la réciprocité résulte d’une convention diploma
tique.—Ne peut-elle être établie par la législation étran
gère ? Opinion de M. Rendu pour la négative.
888 Examen et réfutation.
889 Est assimilé à l’étranger, le français dont l ’établissement
serait situé hors France.
890 Devoirs imposés à l ’étranger en cas de réciprocité.
891 Où doit se faire le dépôt.
892 Mention que doit contenir le procès-verbal.
893 Quel serait l ’effet de l ’absence ou de l ’irrégularité du dépôt;
-----du défaut de son renouvellement.
�SUR LES MARQUES
894
895
896
897
898
101
Le français ne peut acquérir, par le dépôt, la propriété ex
clusive des marques étrangères.
Jugement et arrêt dans ce sens.
Leur caractère rationnel au point de vue non-seulement du
monopole, mais encore des principes de la matière.
Le dépôt fait à la suite d’une convention diplomatique n'a
pas d’effet rétroactif, — Conséquences quant à l ’usage
anlérieur de la marque.
Caractère des traités internationaux.—Conséquences quant
au moment où ils deviennent exécutoires, et au droit des
tribunaux de les interpréter et de les appliquer.
879.
— Lorsque nous avons examiné la question
de savoir si le commerçant étranger était recevable ù
revendiquer le bénéfice de la loi de juillet 1824 sur les
noms , nous avons fait remarquer que la négative au
rait pour premier résultat d’empêcher les étrangers de
venir créer en France des établissements qui, nous do
tant de leur industrie, accroissent le travail national el
concourent par le développement du commerce à l’essor
de la prospérité publique.
La marque qui remplace le nom n’appelait-elle pas
une égale protection ? Le refus de cette protection n’a
boutissait-il pas au même résultat; n’entraînait-il pas
le même inconvénient, le même danger ? La réponse ne
pouvait être douteuse, et cette conviction a dicté au lé
gislateur la disposition de l’art. 5.
« Les principes généraux du d ro it, disait l’Exposé
des motifs, accordant aux étrangers le libre exercice du
commerce et de l’industrie en F rance, l’art. S ne fait
�102
loi do 2 3
juin
1857
que traduire ce principe, en disant que le bénéfice de
la loi est acquis à tous ceux qui possèdent en France
des établissements industriels ou commerciaux, la pro
priété de leur marque leur sera garantie aussi longtemps
que leur travail et leurs capitaux contribueront à la ri
chesse du pays. »
Et c’était justice, car c’était l’unique moyen d’arriver
au but que commandait l’intérêt public le plus incon
testable, celui d’attirer et de retenir parmi nous ces in
dustrieux étrangers qui payent si largement l’hospitalité
qu’ils viennent nous demander.
880.
— Donc l’étranger ayant en France un éta
blissement industriel ou commercial , est de tout point
assimilé au français, quant à la marque qui distingue
et recommande cet établissement. Il est recevable et fon
dé , de la même manière que celui-ci, à s’en ménager
la propriété exclusive, à en empêcher ou à en faire ré
primer toute usurpation.
Ainsi se trouve condamnée l’opinion qui ne permet
tait d’invoquer le bénéfice de la loi française qu’à l’é
tranger qui, autorisé à établir son domicile en France,
y jouissait des droits civils. En ce qui concerne les mar
ques de fabrique et de commerce, la loi n’exige qu’une
seule chose : un établissement en France. Cette condition
remplie, le droit pour l’étranger de revendiquer le bé
néfice de notre loi ne saurait être méconnu ni contesté
aussi longtemps que son travail et ses capitaux contri
bueront à la richesse du pays.
�SUR LES MARQUES
103
8 8 1 . — Non-seulement'il n’est pas nécessaire qu’il
ait été autorisé à établir son domicile en France , mais
encore qu’il l’y ait établi en fait. Il suffit qu’il y exploite
un établissement en son compte. Que cet établissement
soit géré par lui en personne, qu’il soit confié à un man
dataire soit français soit étranger, peu importe ; il n’en
contribue pas moins à la richesse du pays, et dès lors il
n’en a pas moins acquis le bénéfice de la loi.
8 8 2 . — L’étranger qui n’aurait en France que des
dépôts ou des correspondants, satisferait-il à la condi
tion exigée par la loi ?
M. Rendu enseigne là négative, et cette solution a un
incontestable fondement dans l’esprit de la loi. Mettre à
la disposition du public, soit dans des dépôts soif chez
des correspondants, des produits fabriqués, ce n’est pas
créer l’établissement dans le sens que l’art. 5 attache à
ce mot. Le rapport au Corps législatif n’est pas , à cet
égard, moins explicite que l'Exposé des motifs. La loi
n’accorde et n’a entendu appliquer le bénéfice de ses
dispositions aux étrangers qu’en échange du contingent
qu’ils fournissent h la richesse et à l’activité du pays.'
Or l’étranger qui fabrique chez lui et qui ne vient en
France que pour y vendre ses produits , ne contribue
en rien à la richesse nationale : il ne lui apporte ni ses
capitaux ni son industrie. Loin de concourir à l’activité
du pays, il nuit essentiellement à nos travailleurs en les
1 V. Rapport par M. Busson-Billaut.
�404
loi
du 2 3
ju in
4857
privant de la main d’œuvre , qu’il serait bien forcé de
leur demander, s’il exploitait en France son établisse
ment. A quel titre viendrait-il donc réclamer un béné
fice que la loi a subordonné à la plus juste des condi
tions ; et s’il ne nous donne absolument rien, pourquoi
nous demanderait-il quelque chose ?
On ne peut que se ranger à l’opinion de M. Rendu,
et conclure avec lui que l’étranger qui n’a en France
que des dépôts ou des correspondants, n’est ni receva
ble ni fondé à invoquer la protection de notre loi.
8 8 3 . — L’étranger qui remplit la condition exigée
par l’art. 5 , et qui se trouve ainsi assimilé au français
quant au bénéfice de la loi, ne pouvait être exonéré des
charges imposées à celui-ci. Il ne peut donc acquérir la
propriété exclusive de sa marque que par le dépôt pres
crit par l’art. 2.
Ce dépôt devra être fait au greffe du tribunal de com
merce, et à défaut au greffe du tribunal civil, dans l’ar
rondissement duquel est situé l’établissement ; il est reçu
dans les conditions et en la forme que nous venons d’in
diquer et doit être renouvelé après chaque période de
quinze ans.
8 8 4 . — Mais l’assimilation entre étrangers et fran
çais étant à cet égard complète et absolue, il en résulte
que le caractère du dépôt est, pour les uns, ce qu’il est
pour les autres, c’est-à-dire déclaratif de propriété. En
conséquence, la négligence que l’étranger mettrait à l’o-
�SUR LES MARQUES
105
pérer ou à le renouveler créerait bien une fin de nonrecevoir contre l’action en police correctionnelle, tant
que cette négligence se continuerait, mais n’empêche
rait pas l’exercice de l’action en dommages-intérêts de
vant la juridiction civile.
885.
— En s’occupant de déterminer le droit des
étrangers, le législateur de 1857 était forcément amené
à résoudre la question de savoir si, en regard de la
marque, on pouvait et on devait étendre à tous les étran
gers indistinctement la faveur qu’on faisait à ceux qui
possédaient en France un établissement commercial ou
industriel. L’article 6 indique la solution à laquelle on
s’est arrêté. Pour les étrangers, et même pour les fran
çais dont les établissements sont situés hors de France,
le bénéfice n’est acquis que si, dans les pays où ils sont
situés, des conventions diplomatiques ont établi la réci
procité pour les marques françaises.
Cette condition, disait l'Exposé des m o tifs, satisfait à
une pensée de moralité que le Gouvernement s’est efforcé
déjà défaire prévaloir dans les relations internationales.
La réciprocité, en fait de marques, tend d'ailleurs à fa
ciliter les transactions commerciales entre les divers peu
ples , et A les rendre de plus en plus avantageuses aux
uns et aux autres en les fondant sur la plus solide des
bases : le respect mutuel de droits légitimement acquis.
Pourquoi , disait de son côté le rapporteur du Corps
législatif, gêner par des restrictions l’imitation des mar
ques d’un pays où la marque de nos nationaux n ’est
�-106
lo i
du
23
ju in
1857
pas respectée? Pourquoi le faire, surtout quand des pré
jugés , dont le temps fera justice , n’acceptent certains
produits nationaux, même supérieurs, que s’ils sont re
vêtus de marques étrangères ?
886.
— Personne ne mettait en doute le droit du
législateur à refuser aux marques étrangères la protec
tion dont il entourait les marques françaises. Devait-il
le faire. C’est là ce qu’on contestait. Permettre l’usur
pation des marques étrangères , c’était l’encourager et
autoriser certains industriels à tromper le public. Ces
usurpations frauduleuses, ajoutait-on, ces mensonges de
fabrication qui ne profitent qu’à un petit nombre sont,
pour les consommateurs, la source des plus préjudicia
bles déceptions, déconsidèrent l’industrie et le commer
ce , et constituent une concurrence aussi fâcheuse que
déloyale pour les industriels consciencieux qui ont la
loyauté de s’en abstenir.
Nous avons déjà indiqué les nombreuses et graves
autorités qui repoussaient le système de la réciprocité.'
Le Corps législatif ne crut pas devoir en tenir compte,
et on pourrait le regretter. Il y avait là une idée géné
reuse à accueillir et à consacrer, et l’initiative en ap
partenait naturellement à la France qui n’a jamais hé
sité devant les nobles et grands exemples.
Au reste cette réciprocité que l'Exposé des motifs ap
pelait, sera bientôt un fait universellement acquis. Déjà
1 S u p r a n«‘ 768 et suiv.
�SUR LES MARQUES
107
les nations les plus commerçantes, l’Angleterre, l’Italie,
l’Autriche, la Russie, la Belgique, le Portugal, la Saxe,
l’ont concédée dans des conventions diplomatiques.'
Des traités de commerce existent avec les nations les
plus éloignés, les îles Sandwich, la république du Sal
vador, la Chine, le Japon , la république de Nicaragua,
le Pérou, la Turquie, Madagascar, le Paraguay, la ré
publique de l’Uruguay, et chacun de ces traités stipule :
que les sujets et citoyens respectifs des deux Etats joui
ront, dans chacun d’eux, d’une constante et complète
protection pour leurs personnes et leurs propriétés ; qu’ils
auront un facile accès auprès des tribunaux de justice,
pour la poursuite et la défense de leurs droits, et ce aux
mêmes conditions qui seront en usage pour les citoyens
du pays dans lequel ils résideront.
887.
— L’article 6 exige que la réciprocité résulte
de conventions diplomatiques. Faut-il en conclure que
les citoyens d’un pays dont la législation assimilerait,
quant à la marque , les étrangers à ses nationaux , ne
pourraient obtenir en France la protection que les Fran
çais trouveraient chez eux ?
M. Rendu soutient l’affirmative. Il résulte des termes
formels de l’art. 6 , dit-il, que la réciprocité exigée par
la loi est celle qui est établie par des traités diplomati
ques, et non pas seulement par des dispositions législa
tives favorables aux Français. La disposition de cet ar-
1 V. Appendice.
�408
loi du 2 3
juin
1857
ticle est fondée, d’une part, sur l’incertitude que pour
rait offrir aux tribunaux et aux parties intéressées les lé
gislations étrangères , quant au point de savoir si elles
accordent ou non à nos nationaux , en fait et en droit,
une protection réelle; d’autre part, sur les garanties spéciales que présentent les conventions internationales
dont il appartient à notre Gouvernement de surveiller
J
tème de réciprocité admis en principe, la disposition de
l’art. 6 a paru le seul moyen de le rendre complètement
efficace.'
888.
— La qualité des motifs est loin de racheter
l’étrangeté du système. On ne saurait en effet compren
dre que le législateur n’ayant qu’un but, celui d’amener
l’étranger à faire pour nous ce qu’il voudrait que nous
fissions pour lui , eût repoussé ce résultat par ce seul
motif qu’au lieu d’être acquis par une convention diplo
matique , il se trouverait concédé' et consacré par une
loi.
L’incertitude pour les tribunaux et pour les parties
intéressées, que M. Rendu redoute, ne saurait exister.
L’étranger qui invoquera en France une réciprocité,
qu’il fondera sur la loi de son pays, sera bien obligé de
produire cette loi ; et la question de savoir si elle a ou
non la signification qu’il lui prête, trouvera sa solution
I M a r q u e s de f a b r iq u e , n° 123.
�SUR LES MARQUES
409
dans le texte que les magistrats auront nécessairement
sous les yeux.
Comment en effet se créer un doute en présence, par
exemple, de la loi sarde du 12 mars 1855, disposant :
Les m arques et signes d istin c tifs employés à l'étra n g er
sur des produits ou des m archandises de fabrique ou de
commerce étranger, par des personnes qui ont des m a
gasins, des dépôts ou des succursales dans l'E ta l, ou sur
des à n im a u x d e ra c e étrangère répandus dans le royau
me , sont reconnus et garantis , p ourvu que le dépôt en
soit fa it de la m anière et sous les conditions indiquées
dans les articles précédents.
La protection ainsi consacrée en droit, sa certitude en
fait ne saurait être douteuse , à moins d’admettre que
la magistrature étrangère se joue des lois de son pays
et s’applique à les méconnaître et à les violer. Une sup
position pareille n’a pas même besoin d’être réfutée.
Est-il vrai maintenant que les conventions diplomati
ques soient plus efficaces qu’une loi ordinaire ? Sans
doute chaque Gouvernement a le droit d’assurer la com
plète et loyale exécution des traités dans lesquels il a
été partie ; mais il ne saurait contraindre cette exécu
tion que par les armes. Or il n ’est pas d’exemple que
la violation d’un traité de commerce ait jamais paru de
voir constituer un casus belli.
Que fera donc le Gouvernement qui aura à se plain
dre de l’inexécution d’un traité de cette nature? Ce que
la France faisait naguères avec l’Angleterre, relative
ment à l’extradition : il dénoncera le traité et en brisera
le lien pour l’avenir.
�Ainsi, si chaque Gouvernement est libre de révoquer,
abroger ou modifier la loi, il ne l’est pas moins de rom
pre les conventions diplomatiques, soit en les dénonçant,
soit en refusant de leur donner l’exécution qu’elles com
portent, et en plaçant ainsi l’autre contractant dans la
nécessité de s’en délier à son tour. Il n’y a donc sous
ce rapport aucune différence.
Il en existe au contraire une fort sensible dans les ef
fets. Supposez que la loi qui établissait la réciprocité
soit abrogée par le Gouvernement étranger, dès ce jour,
dès cette heure, la justice française est déliée, et le bé
néfice de la loi irrévocablement perdu pour l’étranger.
Qu’un traité soit dénoncé, il n’en conserve pas moins
son effet pendant un temps déterminé. Il n’est pas de
traité qui ne stipule un délai après lequel il cessera de
valoir en cas de dénonciation. C’est ainsi que dans les
traités avec le Portugal, l’Angleterre, la Russie, etc.. . . ,
le délai est de douze mois à partir du jour de la dénon
ciation.
Ainsi donc pendant une année entière, les commer
çants anglais, portugais, russes, etc.. . . pourront obte
nir, pour leur marque, la protection de la loi, alors que
le refus de la justice de leur pays aurait motivé la dé
nonciation du traité. Des deux hypothèses, la plus effi
cace pour l’intérêt français n’est-elle pas celle qui retire
la protection de nos lois le jour même où l’étranger au
rait effacé de ses codes la loi de réciprocité.
Nous ne voyons donc rien de sérieux dans les rai
sons que M. Rendu invoque à l’appui de son système.
�SUR LES MARQUES
\\\
Il est vrai que l’interprétation qu’il fait de l’art. 6 est
celle que lui donnait le rapporteur du Corps législatif.
Mais l’Exposé des m otifs se garde bien de rien dire de
semblable, et son silence prouve que , dans l’esprit du
Gouvernement, il devait en être autrement.
H
L’article 6, nous disait-il tout-à-l’heure, a pour but
de fa ir e p ré va lo ir le système de réciprocité pour les
m arques, qui doit fa c ilite r les relations commerciales
entre les divers peuples , et de les rendre plus a va n ta
geuses aux uns et aux autres, en les fon d a n t sur la plus
solide des b a se s, le respect m u tu el de droits légitim e
m ent acquis. C’est-à-dire qu’on a entendu introduire
dans nos relations internationales une mutualité de com
merce et d’industrie, et cette mutualité si précieuse on
l’aurait repoussée, lorsqu’au lieu de résulter d’une con
vention diplomatique, elle serait consacrée par la loi étrangère elle-même.
Une aussi choquante anomalie n ’est ni possible ni
présumable. Si l’art. 6 ne parle que de conventions di
plomatiques , c’est qu’il n’y avait pas d’autres moyens
pour introduire la réciprocité là où elle n’existait pas, et
que ce moyen était inutile là où cette réciprocité était
assurée par la loi elle-même.
A l’appui de notre doctrine, nous pouvons citer l’o
pinion du Gouvernement lui-même. Le décret de pro
mulgation du traité avec l’Angleterre , du 23 janvier
1860 , fut précédé d’un rapport à l’Empereur par les
ministres des affaires étrangères, et de l’agriculture, du
commerce et des travaux publics. Or voici dans quels
�112
loi du
23
juin
1857
termes ce rapport justifiait l’art. 12 du traité relatif à la
propriété des marques :
« Ce genre de propriété industrielle se recommande
par les mêmes considérations que la propriété littéraire,
et a le droit d’obtenir, p a r les traités o u p a r u n ©
l o i , une disposition qui la protège contre la fraude. »
Or si la loi existe , si elle a consacré déjà le respect
dû à la marque, un traité devient inutile. Comprendraiton cependant qu’en l’absence de celui-ci, on dût ne te
nir aucun compte de celle-là.
Telle n ’est pas évidemment la pensée des ministres
rédacteurs du rapport, et l’alternative qu’ils proposent
nous paraît répondre beaucoup mieux à la nature des
choses que l’exigence absolue d’un traité préconisée par
le rapporteur du Corps législatif.
Nous arrivons donc à conclure que, si la loi étrangère
protège les marques françaises , les industriels du pays
régis par cette loi so n t, par réciprocité , recevables et
.fondés à jouir du bénéfice de la loi de 1857, aux con
ditions que cette loi détermine.
889.
— L’article 6 assimile aux étrangers, les fran
çais dont les établissements commerciaux ou industriels
sont hors de France. Notre loi en effet ne devait rien à
ceux qui, abjurant en quelque sorte leur nationalité et
désertant la patrie, vont porter à l ’étranger leurs capi
taux et leur industrie.. Ne contribuant en rien à la ri
chesse et à la prospérité de la France , ils n’ont pas le
moindre titre à une faveur uniquement réservée à ceux
qui concourent à leur développement.
A
�113
SUR LES MARQUES
Peu importerait qu’ils eussent conservé leur dômidilë
en France. Avec infiniment de raison, la loi ne s’est pré
occupée que de l’établissement industriel ou commetcial. C’est en effet par son exploitation que se réalisera
le but qu’elle se propose, le développement du travail
national.
On devrait donc dans tous les cas décider pour ces
français, ce qu’on déciderait pour l’étranger. Eussent-ils
des correspondants, des dépôts en France, ils ne joui
raient du bénéfice de notre loi, que si une convention
diplomatique ou une loi protège la marque française
dans le pays où est situé l’établissement.
890.
— La réciprocité , soit qu’elle résulte d’une
convention diplomatique , soit qu’une loi la consacre,
ne saurait faire à l’étranger , en France , une position
autre et meilleure que celle de français.
En conséquence les conditions auxquelles e s t, pour
ceux-ci , subordonnée l’acquisition de la propriété ex
clusive de la marque , s’imposaient naturellement aux
étrangers. Quels que soient donc les termes du traité de
réciprocité, l’étranger admis à jouir du bénéfice de no
tre loi devra au préalable en avoir rempli les charges,
c’est-à-dire avoir déposé sa marque dans la forme pres
crite par le décret réglementaire du 26 juillet 1858.
8 9 Ï . — Pour ce qui concerne les étrangers, le droit
de faire le dépôt au greffe du tribunal du domicile était
inadmissible. L’objet du dépôt est de rendre la recherm
— 8
�114
loi du 2 3
juin
1857
che facile pour les intéressés, en faisant arriver un ex
emplaire de la marque au Conservatoire des arts et mé
tiers , et cette facilité n’était pas moins indispensable
pour les marques étrangères que pour les marques fran
çaises.
Or la loi française ne pouvait prescrire aucune obli
gation , imposer aucun devoir aux greffiers des tribu
naux étrangers. Il fallait donc déterminer le lieu où se
rait reçu en France le dépôt des marques étrangères.
Comme point central s’offrait naturellement le greffe du
tribunal de commerce de la Seine, et c’est celui que dé
signe l’art. 6.
892.
— L’article 7 du décret réglementaire de juil
let 1858 prescrit, pour l’exécution de cette disposition,
la tenue d’un registre spécial, et exige l’indication,dans
le procès-verbal, du pays où est situé l’établissement in
dustriel, commercial ou agricole du propriétaire de la
marque, et la convention diplomatique qui a établi la
réciprocité.
Cette dernière indication était en effet indispensable.
Il fallait que les commerçants français fussent édifiés
non pas seulement sur le fait matériel du dépôt, mais
encore sur son fondement légal. On ne pouvait les as
treindre à rechercher dans le B u lle tin des lois s’il était
réellement intervenu, entre la France et le pays auquel
appartient le déposant, un traité établissant la récipro
cité. L’indication de ce traité et la mention de sa date
enlèvent à cette recherche les difficultés qu’elle aurait
offert en l’absence de l’une ou de l’autre.
�SUR LES MARQUES
115
8 9 3 . — Quel serait pour l’étranger l’effet de l’ab
sence ou de l’irrégularité du dépôt, ou du défaut du re
nouvellement après l’expiration des quinze ans ?
Pas autre que celui que l’un ou l’autre aurait pour
les français.
O
Cela résulte, d’une part, de ce fait, que la stipulation
de la réciprocité confère à l’étranger, quant à la mar
que , tous les droits que les français ont sur la leur ;
d’autre part, du principe que le dépôt est, non attribu
tif, mais déclaratif de propriété.
En effet que l’étranger soit propriétaire de la marque
qui désigne et caractérise ses produits ou les objets de
son commerce, c’est ce qui n ’est pas contestable. Seule
ment cette propriété n’est reconnue et admise en Fran
ce, que si une loi ou un traité diplomatique reconnaît
et admet la propriété française dans le pays de cet étranger.
Cette condition rem plie, il n ’y a plus de différence,
plus de distinction. La propriété d’origine étrangère est
devenue propriété française , et a acquis toutes les pré
rogatives attachées à celle-ci. Dès lors aussi l’absence,
l’irrégularité ou le défaut de renouvellement du dépôt
n’aura qu’une-conséquence unique, celle de rendre im
possible l’action correctionnelle. Comme le français luimême, l’étranger ne pourra agir que par la voie civile,
et n’aura à invoquer que l’art. 138Ü! ; mais son droit à
le faire ne saurait être méconnu ni contesté.
8 9 4 . — L’usage en France d’une marque étrangè-
�116
loi
du
23
ju in
1857
re, tant qu’il n’y a pas réciprocité entre les deux na
tions , est évidemment licite. Mais cet usage peut soule
ver des difficultés entre français d’abord ; ensuite entre
l’importateur et le propriétaire de la marque , lorsque,
après un traité établissant la réciprocité, celui-ci vient
en faire le dépôt régulier.
De français à français, la difficulté qui se présente
est celle de savoir si le premier importateur de la mar
que peut en acquérir et en a acquis la propriété exclu
sive par le dépôt qu’il en aurait régulièrement opéré ?
On pourrait pour l’affirmative soutenir que , par le
dépôt, la marque étrangère est devenue celle du dépo
sant ; qu’il est vrai que cette marque , en l’absence de
réciprocité, était dans le domaine public. Mais qu’il n’en
est pas autrement des signes, lettres, chiffres, symboles,
constituant la m arque, et que puisque le dépôt régu
lier, les enlevant à ce domaine, les attribue à celui qui
les a le premier sa isi, il ne saurait en être autrement
de la marque étrangère.
Quelque graves que puissent être ces considérations,
nous ne croyons pas qu’on doive les accueillir. Les mo
tifs qui ont fait proscrire les brevets d’importation mili
tent , à notre avis , plus puissamment encore contre le
résultat auquel elles arriveraient. Le danger dont ce ré
sultat serait la source pour le commerce intérieur, pour
celui d’exportation surtout, acquerrait bientôt des pro
portions ruineuses pour la masse , à l’avantage et au
profit d’un seul.
Etant donnés, les préjugés dont parlait le rapporteur
�SUR LUS MARQUES
\\7
du Corps législatif, et qui font que les produits natio
naux, même supérieurs, ne sont acceptés que s’ils sont
revêtus d’une marque étrangère, rien n’eût été plus fa
cile que de s’assurer le monopole exclusif de toute une
branche d’industrie. Il suffisait de devancer ses rivaux
et de faire le dépôt de toutes les marques étrangères les
plus célèbres, les plus renommées, d’en interdire ainsi
l’usage à tous autres qu’on condamnerait à voir leurs
produits quoique réellement supérieurs , avilis et dé
laissés.
Ce danger menaçant pour l’intérêt public lui-même
acquérait les proportions plus graves encore pour le
commerce d’exportation, Il est des pays qui n’estiment
et n’acceptent certains p ro d u is que s’ils portent une
marque indigène qui jouit d’une notoriété acquise. Ceux
donc qui veulent envoyer dans ce pays des produits si
milaires , sont obligés d’emprunter cette marque qui
peut seule assurer le succès de leur spéculation. Or com
prendrait-on qu’un commerçant pût , par un simple
dépôt, accaparer cet élément de succès ; et pourrait-il
le fairç sans interdire le marché étranger à tous ses
concurrents, et sans blesser mortellement toute une in
dustrie nationale.
Qu’on ne dise pas que la supposition d’un dépôt, com
prenant toutes les marques les plus célèbres, est chimé
rique. Non-seulement elle a été conçue, mais elle avait
été réalisée dans l’espèce suivante :
Il existait à Tunis et à Alger plusieurs fabriques de
bonnets de laine ou calottes que les Turcs mettent au
�118
loi du 2 3
ju in
1857
fond de leur turban, et les Arabes sur le sommet de leur
tête. Ces calottes sont revêtues d’un cartouche contenant
en langue arabe le nom du fabricant, et une marque
de fabrique consistant dans l’initiale du nom du fabri
cant. Les fabriques les plus accréditées, dans les échel
les du Levant, étaient celles de Mustapha Abdalla , de
Abbal et de Omar Albadi.
Cette industrie offrant de grands avantages, des fa
bricants français de bonneterie s’y étaient livrés. Mais
par suite de leur haine pour tout ce qui était d’origine
Roumie, les Turcs et les Arabes ne voulaient acheter et
n ’achetaient que les produits portant le nom et le car
touche des fabricants indigènes; force était donc aux
industriels français ou de renoncer à cette fabrication et
à cette exportation lucratives, ou à revêtir leurs produits
des nom et cartouche qui en assuraient la vente.
C’est ce dernier parti que prirent, en 1817, les sieurs
Benoit Lapanier et Trobry Delatouche, fabricants à Pa
ris de bonneterie orientale; mais c’est aussi ce qu’avaient
fait avant eux les sieurs Mérat et Desfrancs , fabricants
à Orléans, qui, alarmés de cette concurrence, s’empres
sent de déposer au greffe du tribunal de commerce et
au secrétariat des prud’hommes , jusqu’à onze cartou
ches différents, comprenant toutes les marques étrangè’ res les plus renommées.
Ils font alors saisir, dans les magasins de Lapanier
et Delatouche , toutes les marchandises portant un de
ces cartouches ; ils ajournent ceux-ci en usurpation de
marque, et demandent qu’il leur soit interdit à l’avenir
�SUR LES MARQUES
H9
de se servir de ces onze cartouches, avec 10,000 fr. de
dommages-intérêts.
895.
— Par jugement du 14 décembre 1821, le
tribunal de commerce de la Seine les déboute de leurs
prétentions : ,
« Attendu qu’il est reconnu en fait par toutes les par
ties, que les produits des fabriques françaises de bonnets
à l’usage des Orientaux, ne peuvent avoir cours dans le
Levant s’ils sont revêtus de signes qui rappellent leur
véritable origine , et s i, au contraire, ils ne portent pas
l’estampille et la marque de quelque fabricant de Tunis;
» Que cette nécessité pour le commerce français d’i
miter les marques tunisiennes et d’apposer à ses pro
duits les marques de fabrique étrangères, oblige en mê
me temps à choisir les noms et les marques de ceux de
ces manufacturiers qui sont les plus estimés des Orien
taux ;
» Qu’accorder à un fabricant français le droit exclu
sif de s’approprier la marque soit de l’une, soit de plu
sieurs de ces fabriques étrangères, serait faire une chose
préjudiciable à tous et à l’intérêt général du commerce;
» que ce système conduirait à ce résultat, que le fa
bricant qui, le premier, aurait, en exécution de la loi de
germinal an x i , fait le dépôt de la majorité ou de la
généralité des marques employées dans une ville étran
gère , en déclarant qu’il entend les adopter, pourrait
ainsi interdire à tous autres la possibilité d’exercer leur
industrie sur la même partie , et s’appliquer le mono
pole d’une branche entière de fabrication ;
�120
loi du
23
juin
1857
» Qu’en effet, en rentrant dans l’espèce, il est cons
tant que la maison Benoit Mérat et Desfrancs avait adopté et déposé les marques de onze fabricants de Tunis;
» Qu’il n’est pas dans l’esprit de la loi de l’an xi, et
des autres décrets et ordonnances rendus sur la ma
tière, de favoriser un pareil système d’exclusion ;
» Que s’ils ont pour but et pour objet de garantir à
chaque manufacturier la marque qu’il aurait choisie et
d’en interdire la contrefaçon, il n’est évidemment ques
tion que des marques particulières, personnelles à cha
que fabricant, caractéristiques et distinctives de sa fa
brication ;
» Que, dans l’espèce, l’intérêt de Trotry Delalouche
n’était pas de contrefaire les marques de la fabrication
de la maison Benoit Mérat et Desfrancs , mais d’imiter
comme eux les marques et la fabrication des fabricants
de Tunis ;
» Que les deux marques employées par Trotry Delatouche, qui portent les noms Abdalla et Mustapha Abbas, et qui font partie des onze adoptées par Benoit Mé
rat et Desfrancs ne l’ont pas été comme marques dis
tinctives et caractéristiques de la fabrique de ces derniers,
mais seulement parce qu’elles étaient les marques de
manufactures connues et renommées dans le Levant, fort
en crédit près des Orientaux, et qu’elles favorisaient ainsi
d’autant mieux la vente des produits de fabrique fran
çaise. »
8 9 6 . — Le caractère rationnel et juridique de ces
�SUR LES MARQUES
121
considérations n’échappera à personne. Le législateur a
bien pu et dû protéger la marque qui est la signature
et par conséquent la propriété d’un industriel ; il a bien
pu , par des raisons politiques, tolérer l’usurpation en
France des marques étrangères. Mais conférer à qui que
ce soit le monopole de cette usurpation, c’est évidem
ment ce qu’il n ’a ni voulu ni pu faire.
Or n ’est-ce pas en réalité ce monopole que réclame
celui qui, déposant la majorité ou la généralité des mar
ques étrangères, prétend en interdire l’usage à tous ses
rivaux d’industrie ? Le tribunal ne devait, ne pouvait
donc pas hésiter. Aussi son jugement frappé d’appel, était-il confirmé par la cour de Paris, le 26 mars 1822.
Evidemment incontestable au point de vue du mono
pole de l’usurpation , cette décision ne l’est pas moins
à celui des principes du droit commun de la matière.
Nous l’avons déjà dit, pour que le dépôt produise l’ef
fet que la loi lui attribue, il faut que la marque qui en
fait la matière soit nouvelle, c’est-à-dire qu’elle se pro
duise pour la première fois en commerce ou en indus
trie. Or comment reconnaître cette condition , lorsqu’il
s’agit d’une marque étrangère de tous temps connue dans
le pays d’origine et qui n’étant pas susceptible de pro
priété privée en France , y est nécessairement tombée
dans le domaine public?
Sans doute les signes , symboles , lettres ou chiffres
dont un commerçant fait sa marque , sont également
dans ce domaine, et leur adoption par un industriel les
en fait légalement sortir. Mais ces signes, symboles, let-
�<
loi
122
du 2 3
juin
1857
très ou chiffres n’ont jamais été dans le domaine public
que comme lettres, comme symboles , comme signes,
comme chiffres. Les convertir en marques de commerce
c’est donc leur donner une affectation qu’ils n’avaient
pas encore eue , en faire une application spéciale; et
c’est cette affectation , cette application nouvelle que la
loi accepte et protège.
Mais une marque de fabrique ou de commerce étran
gère est dans le domaine public comme marque. En se
l’appliquant on ne crée rien , ni affectation ni applica
tion ; on prend ce qui est, tel qu’il est sans aucune mo
dification : c’est donc la propriété de tous qu’on vou
drait s’appliquer.
Bien loin d’avoir un fondement dans la loi, cette pré
tention est aujourd’hui expressément condamnée par elle.
C’est ce qui s’induit de la suppression des brevets d’im
portation. Si l’invention ne peut devenir la propriété ex
clusive en France de celui q u i, J’y ayant introduite le
premier, aurait obtenu un brevet, on ne comprendrait
pas qu’il pût en être autrement de la marque étrangère,
et que la propriété exclusive en fût acquise par la for
malité du dépôt.
Donc entre français, le droit de se servir d’une mar
que étrangère qui n ’est pas protégée, en France, par le
principe de réciprocité, ne saurait appartenir à un seul.
Tombée dans le domaine public par l’usage qui en est
fait à l’étranger , cette marque est acquise à to u s, de
vient le patrimoine de tous, et nul ne saurait la confis
quer à son profit exclusif.
i
�SUR LES MARQUES
m
897,
— Une difficulté plus sérieuse s’offre pour la
détermination du droit de l’étranger venant après une
convention diplomatique qui admet la réciprocité, dé
poser régulièrement sa marque. Quel sera l’effet de ce
dépôt ? ne lie-t-il que l’avenir ? rétroagit-il au contraire
au point d’empêcher le français qui faisait usage de
cette marque avant la convention, d’en continuer l’em
ploi ?
Il est évident que la réciprocité que notre Gouverne
ment s’efforce de faire prévaloir dans ses relations in
ternationales n’aura , de la part des autres Gouverne
ments, d’autre but que celui de protéger leur commerce
et leur industrie contre les usurpations si préjudiciables
de leurs marques , q u i, outre une concurrence dange
reuse, peuvent avilir et discréditer leurs produits. Dès
lors concéder que la convention diplomatique aura pour
effet non-seulement de sauvegarder l’avenir , mais en
core d’agir efficacement sur le passé : c’est rendre la
conclusion du traité fort désirable, et par conséquent la
favoriser et la déterminer.
Mais un traité diplomatique n’est autre chose qu’une
loi pour les parties contractantes, et ne devient exécu
toire que par sa promulgation. Or une loi n’a pas d’ef
fet rétroactif : ce principe fondé sur le respect des droits
acquis est inscrit dans toutes les législations.
Pouvait-il fléchir et s’effacer devant un intérêt poli
tique, ou des convenances internationales ? La cour de
Cassation ne l’a pas pensé ;
« Attendu , dit-elle dans un arrêt du 30 avril 1864,
�m
loi
du
23
ju in
1857
qu’aux termes de l’art. 2 de la loi du 23 juin 1857, le
dépôt seul autorisant les commerçants à revendiquer la
propriété exclusive de leurs marques ; et Spencer et fils,
fabricants anglais, n’ayant eu aucun droit au bénéfice
de cette lo i, tant que la législation ne leur reconnais
sait pas la faculté d’effectuer utilement en France le dé
pôt de leur marque; le dépôt récent effectué par eux,
en vertu de la législation nouvelle , n’a pu leur donner
le droit de dessaisir le domaine public déclaré en pos
session depuis plus de cinquante ans par l’arrêt atta
qué.' »
Les industriels français peuvent donc, après le traité,
continuer de se servir de la marque qu’ils s’étaient ap
propriée avant, mais telle qu’elle était alors exclusive
ment. Ainsi si à la suite du traité l’étranger modifie sa
marque de quelque manière que ce s o it, le dépôt qu’il
en fait légalement lui en confère la propriété exclusive.
La marque modifiée est, en réalité , une marque nou
velle, distincte de l’ancienne, et ceux qui ont acquis le
droit de se servir de celle-ci ne pourraient user de cellelà sans se rendre coupable d’usurpation.
Ainsi dans l’espèce de l’arrêt que nous venons d'an
noter, les sieurs Spencer ayant, dans la marque par eux
déposée, ajouté à leur nom celui du lieu de production,
Scheffield, , la cour de Cassation reconnaît et déclare
que la marque ainsi modifiée est leur propriété ex-
1 J. du P., 1864, 1, 864.
�SUR LES MARQUES
125
clusive , et que nul autre qu’eux n’a le droit de s’en
servir.
898.
— Les traités internationaux étant des lois, il
s’ensuit : 10 qu’ils sont exécutoires en France , non du
jour de la signature ou de leur ratification, mais du jour
de la promulgation et de leur insertion au Bulletin des
lois ; 2° que leur interprétation et leur application ap
partiennent à l’autorité judiciaire.
Cette dernière conséquence a été souvent méconnue et
contestée. On a plusieurs fois soutenu que les traités étaient de simples actes d’administration et d’exécution.
Mais la cour de Cassation n’a jamais cessé de repousser
cette prétention : elle la condamnait très-expressément
encore le 24 juin 1839.'
« Les traités passés entre les nations , dit ce dernier
arrêt, ne sont pas de simples actes administratifs et d’ex
écution ; ils ont le caractère de lois, et ne peuvent être
appliqués et interprétés que par les autorités chargées
d’appliquer toutes les lois , dans l’ordre de leurs attri
butions , toutes les fois que les contestations qui don
nent lieu à cette interprétation ont pour objet des inté
rêts privés. »
Or les difficultés que pourraient faire naître les am
biguïtés ou les obscurités d’un traité de réciprocité ne se
référeront jamais qu’à des intérêts privés. La compé-
i J . d u P , 1839 , 2 , 208 ; — V . Cass., 27 janvier 1807; 1S juillet
1811 ; 11 décembre 1816 ; 17 mars 1830; 29 novembre 1834.
�126
loi du 2 3
ju in
1857
tence des tribunaux pour les résoudre ne saurait donc
être contestée.
Quant au principe de la nécessité de la promulga
tion des traités , il n’a jamais soulevé ni pu soulever le
moindre doute. Leur caractère de lois les range sous
l’empire de l’article 1er du Code Napoléon ; et comme
toutes les autres lois, ils ne deviennent exécutoires pour
les Français qu’après le délai imparti par cet article.
En conséquence le dépôt de la marque par l’étranger,
avant l’expiration de ce délai, serait irrégulier et sans
effets.
�SUR LES MARQUES
m
TITRE III
P É N A L IT É S .
A r t . 7.
S o n t p u n is d ’u n e a m e n d e d e 5 0 fr. à 3 0 0 0 fr .
e t d ’u n e m p r is o n n e m e n t d e t r o is m o is à t r o is
a n s , o u d e l ’u n e d e c e s p e in e s s e u le m e n t :
1° Ceux qui ont contrefait une marque ou
fait usage d’une marque contrefaite ;
2°
C e u x q u i o n t f r a u d u le u s e m e n t a p p o s é s u r
le u r s p r o d u it s o u le s o b j e t s d e le u r c o m m e r c e
u n e m a r q u e a p p a r te n a n t à a u tr u i ;
3°
C e u x q u i o n t s c ie m m e n t v e n d u o u
m is
e n v e n t e u n o u p lu s ie u r s p r o d u it s r e v ê t u s d ’u
n e m a r q u e c o n t r e f a i t e o u f r a u d u le u s e m e n t a p
p o sée.
�S o n t p u n is d ’u n e a m e n d e d e 5 0 fr . à 2 0 0 0 f r .
e t d ’u n e m p r is o n n e m e n t d ’u n m o is à u n a n , o u
d e l ’u n e d e c e s p e in e s s e u le m e n t :
1°
C e u x q u i , sa n s c o n t r e f a ir e u n e m a r q u e ,
e n o n t fa it u n e im ita tio n f r a u d u le u s e d e n a tu r e
à t r o m p e r l ’a c h e t e u r , o u o n t fa it u s a g e d ’u n e
m a r q u e f r a u d u le u s e m e n t im it é e $
2°
C eux
q u i o n t fa it
u s a g e d ’u n e m a r q u e
p o r t a n t d e s in d ic a t io n s p r o p r e s à t r o m p e r
l ’a
c h e t e u r s u r la n a tu r e d u p r o d u it ;
3°
C e u x q u i o n t s c ie m m e n t v e n d u o u m is e n
v e n te u n o u
p lu s ie u r s p r o d u it s r e v ê t u s d ’u n e
m a r q u e f r a u d u le u s e m e n t im it é e o u p o r ta n t d e s
in d ic a t io n s p r o p r e s à t r o m p e r l ’a c h e t e u r s u r la
n a tu r e d u p r o d u it .
A rt
9.
S o n t p u n is d ’u n e a m e n d e d e 5 0 fr . à 1 0 0 0 fr .
e t d ’u n e m p r is o n n e m e n t d e q u in z e j o u r s à six
m o is , o u d e l’u n e d e c e s p e in e s s e u le m e n t :
�SUR LES MARQUES
1°
129
C e u x q u i n ’o n t p a s a p p o s é s u r le u r s p r o
d u its u n e m a r q u e d é c la r é e o b lig a t o ir e ;
2°
C e u x q u i o n t v e n d u o u m is e n v e n t e u n
o u p lu s ie u r s p r o d u it s n e p o r ta n t p a s la m a r q u e
d é c la r é e o b lig a t o ir e p o u r c e t t e e s p è c e d e p r o
d u its ;
3° Ceux qui ont contrevenu aux dispositions
des décrets rendus en exécution de l’article Ier
de la présente loi.
SOMMAI RE
899
900
901
902
903
904
903
906
907
908
Opportunité et nécessité de la dérogation introduite par nos
articles , quant à la peine à appliquer aux divers faits
qu’ils prévoient.
Difficultés que fil surgir la détermination de cette peine.—
Justification du système adopté.
Délits prévus par l'art. 7.—Peine qu’ils encourent.
En quoi consiste la contrefaçon.
Ses caractères.
Le délit n ’existe que si la marque est contrefaite; que si
celte marque est déjà employée comme telle et à des
produits similiares.
Quid de l'emploi, comme marque, de l ’enseigne d’autrui ?
Ou comme enseigne, de la marque d’autrui ?
Nature de l ’usage que le numéro 1" de Part. 7 assimile-à la
contrefaçon.
L'ouvrier ou artiste auteur de la contrefaçon encourt la pei
ne prononcée par la loi.
ni — 9
�130
909
910
911
912
913
914
915
916
917
918
919
920
921
922
923
924
925
926
927
loi
23
du
ju in
1857
L ’usage, par un industriel, d’une marque contrefaite cons
titue le délit, sans qu'on ait à se préoccuper de l’inten
tion.
Quid de l’ouVrier ou de l’artiste auteur de la contrefaçon
matérielle ?
Ce que la loi entend par l ’apposition de la marque d ’autrui.
Conséquence.
L'apposition ou l’usage de la marque d’autrui est nécessai
rement frauduleux.
Nécessité d’atteindre la vente ou la misé en vente.—A quel
les conditions elle est assimilée à la contrefaçon.
Ce que la loi a entendu par mise en vente.—Conséquences.
Proposition d’ajouter un paragraphe punissant ceux qui au
raient frauduleusement détruit ou altéré une marque.—
Rejet.
Délits prévus par l’art 8.—Peines qu’il prononce.
Le délit d’imitation fut introduit dans la loi par la commis
sion du Corps législatif.—Ses motifs.
Son caractère — Nécessité de la possibilité d’une confusion.
Peut-elle résulter de la forme seule ?—Opinion de M. Blanc
pour l ’affirmative.
Examen et réfutation.
Comment s’apprécie l ’imitation.
Nature de l ’usage prévu et puni par le numéro 1" de l ’ar
ticle 8.
Conséquences quant à l’industriel qui use de la marque
frauduleusement imitée.
Pour l’auteur de l ’imitation
Position de l ’industriel qui use de la marque sans l ’avoir
imitée, et dans l ’ignorance de l ’imitation ?
Caractère du délit prévu par le numéro 2 de l'art. 8.—Dis
cussion au Corps législatif.
La tentative de tromper sur la nature du produit est donc
punissable.—Ce qui la constitue.
ryj-kK .
,
•
s
: s
�SUR LES MARQUES
928
929
930
931
932
933
934
935
936
937
938
939
940
941
942
943
131
Ce paragraphe n’exige pas que l’usage d’une marque pro
pre à tromper l ’acheteur sur la nature du produit ait
lieu sciemment ou frauduleusement.—Conséquence.
Mais la vente ou mise en vente n’est punie que si le préve' nu a agi sciemment.
Cette connaissance pourrait-elle s’induire de l ’habileté du
prévenu et de son expérience commerciale ?
Signification des mots : mis en vente.
Les articles 7 et 8 sont inapplicables au simple recéieur.
Arrêt de la cour de Cassation dans ce sens.
Obligation du prévenu de vente ou de mise en vente de
nommer celui de qui il tient les produits délictueux.
Proposition d’appliquer la peine à la tromperie sur l ’origine
des produits.—Motifs à l’appui du rejet.
Rationnalité de ce rejet.
La fausse indication d ’origine qui dégénérerait en trompe
rie sur la nature est punissable.
Objet de l’art. 9.—Peines qu’il édicte.
Encourent ces peines ceux qui n’ont pas apposé sur leurs
produits une marque obligatoire.
Opinion de M. Rendu sur l’admissibilité de l ’excuse de bon
ne foi.—Réfutation.
La loi n’exige plus que la vente ou la mise en vente ait lieu
sciemment.—Motifs.
Actions qui naissent des délits.—Droits des parties lésées.
Le ministère public peut poursuivre d’office l ’action publi
que.
899.
— Nous avons déjà dit que l’énormité de la
peine, dont la loi de l’an xi et le Code pénal de 1810
frappaient l’usurpation ou la contrefaçon des marques
de fabrique ou de commerce , avait enlevé à leurs dis
positions toute efficacité et assuré l’impunité des contre-
�132
loi du 2 3
ju in
1857
facteurs ou usurpateurs. C’est cependant sous l’empire
de ces dispositions que le commerce et l’industrie ont, à
leur grand regret, vécu jusqu’en 1857.
La loi de 1824, en effet, ne disposait que pour l’al
tération ou la supposition des noms des fabricants ou
des lieux de fabrication. En réduisant l’une et l’autre au
rang de simple d élit, cette loi créait l’anomalie la plus
étrange. Celui qui prenait audacieusement le nom d’un
autre en était quitte pour une peine correctionnelle, que
l’application de l’art. 463 pouvait faire réduire à une
amende au dessous de 16 fr.; et celui qui s’appropriait
le nom purement symboliqueet emblématique encourait
une peine afflictive et infamante, ou tout au moins un
emprisonnement qui, aux termes de cet article 463, ne
pouvait être moindre d’un an. Ainsi par un renverse
ment de toute juste proportion , le fait le moins grave
assurément était puni de la peine la plus forte.
Ce qui surprend et a droit de surprendre , c’est que
cette anomalie n’eût pas frappé le législateur de 1832.
La refonte du Code pénal fournissait naturellement l’oc
casion de la corriger ; et les doléances du commerce et
de l’industrie avaient dès lors acquis un retentissement
tel qu’il était impossible de les méconnaître et peu juste
de les négliger.
Ce que le législateur de 1832 ne songea pas à faire,
celui de 1857 l’a enfin accompli. En considérant et en
punissant comme simple délit l’usurpation ou la con
trefaçon des marques de fabrique ou de commerce, il a
accueilli le vœu unanime des représentants les plus au-
�SUR LES MARQUES
133
torisés du commerce et de l’industrie , et accordé à l’un
et à l’autre une protection bien plus efficace que celle
qu’une intempestive rigueur avait voulu leur asssurer.
900.
— La détermination de la peine à appliquer
aux divers faits pouvant, en cette matière , constituer
des délits , offrit quelques difficultés. Le projet de loi
distinguant la contrefaçon de l’imitation , se contentait
d’élever le maximum pour la première , d’abaisser le
minimum pour l’autre.
La commission du Corps législatif repoussait toute
distinction. Elle reprochait au projet de méconnaître la
nature réelle des actes , de rompre et d’enlever à la loi
ce caractère d’uniformité et d’harmonie si désirable dans
les œuvres législatives; elle proposait en conséquence
de ranger tous les faits dans une seule et même caté
gorie, et de les punir indistinctement des peines portées
par l’art. 423 du Code pénal.
Cet amendement fut repoussé par le conseil d’Etat.
La seule modification qu’il crut devoir faire subir au
projet du Gouvernement fut d’établir un minimum uni
forme dans tous les cas, mais quant à l’amende seu
lement. La différence dans le minimum et le maximum
de l’emprisonnement fut maintenue et consacrée.
L’uniformité dans la loi existe toutes les fois que les
faits de même nature sont rangés dans une seule et mê
me catégorie ; et cette uniformité n’est nullement rom
pue de ce que la peine a été graduée suivant le plus ou
moins de gravité réelle de chaque fait : cette graduation
�134
loi du 2 3
juin
1857
n’est même que rationnelle et juste. On ne„(pouvait donc
blâmer le législateur de la distinction qu’il établissait
entre les délits créés par les articles 7, 8 et 9.
Peut-être pouvait-on lui reprocher de n’avoir pas
mis sur la même ligne la contrefaçon et l’imitation frau
duleuse qui n’est qu’une contrefaçon doublée d’hypo
crisie, et à laquelle les circonstances peuvent affecter un
caractère plus odieux et plus grave qu’à la contrefaçon
elle-même. C’est ce dont se préoccupait la commission
du Corps législatif dont l’amendement avait surtout pour
objet de laisser aux tribunaux l’appréciation souveraine
de ces circonstances , et la faculté de proportionner la
peine à leur plus ou moins de gravité.
Mais les articles 7, 8 et 9 ne laissent rien à désirer à
cet égard. L’écart entre le minimum et le maximum de
l’amendement et de l’emprisonnement, le droit de n’ap
pliquer que l’une de ces peines, mieux encore le pou
voir de les modifier par l’art. 463 que l’art. 12 va con
sacrer , donnent à l’appréciation du juge celte latitude
qu’il était nécessaire et juste de lui accorder , et qui
peut arriver à ce résultat, que le délit prévu par l’art. 8
sera puni d’un emprisonnement de six mois ou d’un
an ; tandis qu’il ne sera prononcé contre celui de l’arti- >
cle 7 qu’une amende moindre de 16 fr.
901.
— L’article 7 punit d’une amende de 50 fr. à
3000 fr. et d’un emprisonnement de trois mois à trois
ans, ou de l’une de ces peines seulement :
1° Ceux qui ont contrefait une marque ou fait usage
d’une marque contrefaite;
�SUR LES MARQUES
135
2° Ceux qui ont frauduleusement apposé sur leurs
produits ou les objets de leur commerce une marque
appartenant à autrui ;
3° Ceux qui ont sciemment vendu ou mis en vente
un ou plusieurs produits revêtus d’une marque contre
faite ou frauduleusement apposée.
Ainsi quatre délits distincts prévus en première ligne:
la contrefaçon d’une marque , l’usage d’une marque
contrefaite , l’apposition de la marque d’un autre , la
vente ou la mise en vente de produits revêtus d’une
marque contrefaite ou frauduleusement apposée.
902.
—• La contrefaçon consiste dans la reproduc
tion de la marque d’autrui, dans le but d’en exploiter la
réputation et d’établir une confusion d’où peut et doit
résulter un profit pour le contrefacteur , un préjudice
matériel et moral pour le propriétaire de la marque con
trefaite. Le sens que la loi attache au délit de contrefa
çon était nettement indiqué par le rapporteur du Corps
législatif : « L’article 7, disait-il, punit la contrefaçon,
c’est-à-dire la reproduction brutale , complète de la
marque. »
On peut dès lors prévoir qu’on n’aura à appliquer
l’art. 7 que dans des occasions assez rares. La repro
duction complète , brutale de la marque offre trop de
dangers et si peu de chances de réussite, que la fraude
ne sera pas souvent tentée d’y recourir. Cette pensée a vait dicté au législateur de 1844 cette règle que nous
avons eue à rappaler, à savoir, que le délit de contrefa-
�136
loi du
23
ju in
1857
çon d’un brevet existe alors même que la reproduction
ne serait que partielle , si elle est de nature à créer une
confusion entre les produits du contrefacteur et ceux qui
font l’objet du brevet.
La loi de 1857 déroge à cette règle , non pas certes
qu’elle ait entendu laisser impunie la reproduction plus
ou moins imparfaite de la marque; mais n’y voyant
qu’une imitation, elle place cette reproduction sous l’em
pire de l’art. 8.
Il n’y a donc pas à hésiter sur le sens de l’art. 7 : il
n ’est applicable que lorsque la marque a été reproduite
au moins dans sa partie essentielle et caractéristique. Si
l’emprunt qu’on en a fait s’en rapproche plus ou moins,
assez cependant pour établir une confusion entre les
produits , et c’est ce qui se réalisera le plus souvent, il
n’y a plus qu’une imitation prévue et punie par l’art. 8.
903.
— La différence dans la pénalité indique le
grave intérêt que présente la détermination du véritable
caractère de l’acte. Or, à ce sujet, la loi a bien pu exi0
ger une reproduction complète, mais elle n’a ni indiqué
ni pu indiquer les caractères qui constituent cette re
production. C’est donc aux magistrats qu’il appartient
de décider souverainement de ces caractères. Il ne fau
drait pas en effet que l’omission calculée de quelques
détails plus ou moins insignifiants arrivât à soustraire
une contrefaçon réelle à la pénalité sévère que la loi a
jugé utile et nécessaire de consacrer.
11 y aurait certainement simple imitation si la rriar-
�SUR UES MARQUES
137
que employée , tout en se rapprochant d’une autre de
manière à rendre une confusion possible , s’en distin
guait cependant, au fonds, d’une manière plus ou moins
sensible. L’emploi, par exemple, d’une forme identique
mais avec des attributs ou des accessoires différents.
Mais verrait-on un simple imitateur dans celui qui
s’appropriant la vignette, le dessin , le signe , le chiffre
ou les initiales d’un autre , se dispenserait d’en repro
duire le cadre, l’entourage, ou le disposerait autrement?
Imiterait-il seulement celui qui adoptant le signe, le
symbole ou l’emblème employé comme marque distinc
tive par un autre , le ferait entrer dans un dessin plus
étendu ; qui, par exemple, l’entourerait d’une guirlande,
au lieu de le reproduire isolément comme le fait le pro
priétaire ?
Oui l’art. 7 a entendu prévoir et punir la reproduc
tion brutale et entière. Mais la question de savoir s’il y
a ou non cette reproduction , est du domaine exclusif
des tribunaux. La solution qu’ils adopteraient pourrait
bien constituer un mal jugé, mais ne saurait, dans au
cun cas, donner ouverture à cassation pour violation ou
fausse application de la loi.
904.
— Pour que le délit de contrefaçon prévu par
l’art. 7 existe, il faut la reproduction d’une marque em
ployée par un autre pour désigner les produits d’une
fabrication ou les objets d’un commerce, et son applica
tion à des produits ou à des objets similaires.
Or s’il est un principe incontestable en droit crimi
�n e l, c’est celui qui veut que les lois pénales se renfer
ment étroitement dans les limites qu’elles se sont tra
cées elles-mêmes; qui n’admet pas qu’un délit puisse
résulter d’une assimilation, d’une analogie.
905.
Dès lors celui qui aurait pris pour marque
de fabrique ou de commerce l’enseigne d’un autre , ne
tomberait pas sous le coup de l’art. 7. En effet il n’au
rait pas contrefait une marque de commerce, si le pro
priétaire de l’enseigne avait une marque autre que cette
enseigne.
Mais si cette usurpation n ’est pas le délit puni par
notre lo i, elle n ’en reste pas moins reprocbable comme
atteinte à une propriété ; car de même que la marque,
l’enseigne est la propriété exclusive de celui qui l’a le
premier adoptée. On ne saurait donc lui contester le
droit de la faire respecter. Il serait recevable et fondé
non-seulement à faire interdire à tout rival d’industrie
de continuer à la prendre pour m arque, mais encore à
le faire condamner à réparer le préjudice qu’il pour
rait avoir souffert de l’usurpation.
9 0 6 . — L’emploi comme enseigne de la marque
d’autrui constituerait-il le délit de contrefaçon de mar
que ? Il est évident que ce délit, tel que le prévoit l’ar
ticle 7, suppose l’usurpation de la marque comme mar
que, et ce n’est pas à ce titre que se l’approprierait ce
lui qui se bornerait à en faire l’enseigne de son établis
sement.
,
Mais l’enseigne est ordinairement reproduite sur l’en-
�SUR LES MARQUES
139
tête des factures, sur les circulaires et annonces de l’é
tablissement , sur les étiquettes apposées sur lés mar
chandises. La confusion est donc facile d’autant plus
que, dans l’intention de la créer, ces marchandises ne
porteront souvent que l’étiquette reproduisant l’ensei
gne, et qui ne se distingueront que par l’adjonction d’un
numéro d’ordre sur chaque pièce.
Ne serait-ce pas là usurper la marque comme mar
que et commettre le délit prévu et puni par l’art. 7 ?
La solution de cette question est tout entière dans les
circonstances. C’est en les appréciant que les tribunaux
décideront si le fait est une contrefaçon ou un acte de
concurrence déloyale ; mais ce dernier ne peut être ré
primé que par la juridiction ordinaire. Le tribunal cor
rectionnel ne pourrait donc, dans ce cas, qu’acquitter le
prévenu, et renvoyer le plaignant à se pourvoir ainsi
qu’il avisera.
907.
— Le numéro 1er de l’art. 7 met sur la même
ligne la contrefaçon de la marque et l’usage d’une mar
que contrefaite, et l’on remarquera que relativement à
celui-ci il n’exige ni que l’usage ait été frauduleux , ni
qu’il ait eu lieu sciemment.
Donc la culpabilité réside dans le fait matériel de la
contrefaçon ou de l’usage indépendamment de l’inten
tion. Il est dès lors évident que l’usage que prévoit l’ar
ticle est d’une nature telle qu’il comporte nécessairement
la connaissance de la contrefaçon. L’usage d’une m ar
que ne peut consister que dans son apposition sur les
�140
loi du
23
ju in
1857
produits ou les objets d’un commerce. Or si c’est cet
usage que le numéro 1er de l’art. 7 a voulu atteindre
et punir, pourquoi le numéro 2 va-t-il exiger que cette
apposition ait été frauduleuse ?
L’usage dont parle le numéro 1er a donc une accep
tion spéciale ; et il est facile de se l’expliquer par la na
ture même des choses.
Que la marque consiste dans une vignette , un des
sin, un symbole, un emblème quelconque, sa reproduc
tion exige des connaissances et une aptitude que ne pos
sède pas toujours l’industriel ou le commerçant qui veut
se servir de cette reproduction. Il devra donc recourir
à un artiste graveur, dessinateur ou lithographe. Dans
ce cas il ne sera pas l’auteur de la contrefaçon maté
rielle, mais il ne pouvait l’ignorer, et c’est cette impos
sibilité qui imprime à l’usage qu’il en fait un caractère
éminemment délictueux.
908.
— Une autre conséquence s’induit du numé
ro 1er de l’art. 7. De ce qu’il réprime et punit distinc
tement la contrefaçon et l’usage de la marque contre
faite , il résulte qu’elle a voulu atteindre l’auteur de la
contrefaçon quel qu’il so it, et alors même qu’il aurait
a g i, non dans son propre intérêt, mais sur l ’ordre et
pour compte d’autrui. Ainsi le dessinateur , le graveur,
le lithographe qui aurait exécuté la marque , ou dans
les ateliers duquel cette marque aurait été exécutée avec
son assentiment, serait coupable de contrefaçon et de
vrait être puni comme tel.
�SUR LES MARQUES
141
C’est ce principe admis par la cour de Paris, que la
cour de Cassation consacrait dans son arrêt du 30 mars
1853
Cela pourrait paraître rigoureux; mais il était
rationnel et juste de le décider ainsi. En effrayant l’ou
vrier et l’artiste sur les conséquences de l’acte qu’on lui
demande. On lui fait un devoir et une loi de n ’agir
qu’avec une extrême prudence, et l’on rend le délit né
cessairement plus rare en lui enlevant l’instrument es
sentiel de sa consommation.
En résumé l’auteur de la contrefaçon matérielle, qu’il
ait agi pour son usage personnel ou au profit d’un tiers,
est passible des peines édictées par l’art. 7. Est égale
ment punissable celui qui ayant fait consommer la con
trefaçon par un tiers, a fait usage de la marque contre
faite. C’est là la véritable, l’exacte signification de l’ab
sence dans le numéro 1er des termes frauduleusement
ou sciemment.
909.
— De cette absence M. Rendu en conclut que,
pour la contrefaçon des m arques, ou l’usage de mar
ques contrefaites, le législateur fait résulter le délit du
fait matériel se u l, sans qu’on ait à rechercher et à se
préoccuper de l’intention qui a pu y présider.’
Cette conclusion nous l’admettons sans restriction à
l’égard de l’industriel qui a fait usage d’une marque
contrefaite, soit qu’il l’ait lui-même exécutée , soit qu’il
1 D. P., 53, t, -198.
2 Marq.
de
fabr., n° -131
�142
loi du 2 3
juin
1857
ait commandé la contrefaçon à un tiers. En notre ma
tière comme en celle des brevets d’invention, la loi en
tend que le fabricant ou le commerçant qui veut adop
ter une marque , s’assure de son caractère et vérifie si
cette marque n’a pas déjà fait l’objet d’un dépôt. La
centralisation des marques et leur classement au Con
servatoire des arts et métiers n’a pas d’autre but que de
permettre et de faciliter cette recherche et cette vérifica
tion.
Donc celui qui omet cette vérification se rend cou
pable d’une négligence , commet une faute trop lourde
pour qu’on ne les considérât pas comme intéressées.
Une considération plus décisive encore c’est la pres
que impossibilité de supposer chez lui l’ignorance de
l’existence et de l’emploi de la marque qu’il tente de
s’approprier. Ce qu’on cherche dans la marque, c’est
l’occasion de s’ouvrir des débouchés , c’est la prospérité
! et la richesse dont elle peut devenir la source. Aussi la
contrefaçon ne s’attache-t-elle qu’à celles qui, par leur
haute et légitime notoriété, promettent l’une et l’autre.
Mais cette notoriété même imprime à l’acte du con
trefacteur un caractère évident de mauvaise foi et de
fraude. Sera-t-il admis à prétendre l’avoir ignorée, lui
qui, exerçant une industrie similaire, est nécessairement
au courant de tout ce qui se rapporte à celte industrie,
de ses divers produits et des marques qui les désignent
au public? Donc en prenant et s’appropriant une de
ces m arques, il a sciemment et volontairement tenté de
s’emparer de la propriété d’autrui., et en l’admettant
ainsi, la loi n’a fait que se rendre à l’évidence même.
�SUR LES MARQUES
143
9 ! 0 . — Il n’en est pas de même de l’artiste qui,
sur commande, a confectionné la contrefaçon. Dans la
sphère où il vit, il a pu ignorer le caractère réel de l’œu
vre qu’on lui commettait, et croire à la nouveauté de la
marque dont on lui confiait l’exécution. On ne saurait
non plus exiger de lui qu’il allât, à chaque commande
qu’il reçoit, vérifier au dépôt central si la marque qu’on
lui propose de dessiner ou de graver a déjà ou non fait
l’objet d’un dépôt par un autre que celui qui traite avec
lui. On ne saurait donc, s’il s’en est abstenu, l’accuser
de négligence ou d’imprudence.
Quel profit d’ailleurs retirera-t-il de la contrefaçon,
et peut-on raisonnablement admettre que , pour le sa
laire souvent fort mince qu’il recevra , il a sciemment
violé la prohibition de la loi et accepté la chance d’une
amende de 50 fr. à 3000 fr. et d’un emprisonnement
de trois mois à trois ans ?
Nous croyons donc qu’en ce qui le concerne, la pré
somption de culpabilité n’est plus ju ris et de ju re ;
qu’elle admet la preuve contraire que les magistrats peu
vent et doivent puiser dans les circonstances particuliè
res de la cause qui leur est soumise. Cette distinction
n’est pas dans le texte de la loi ; mais elle est évidem
ment dans son esprit, car il ne saurait être qu’elle ait
voulu punir comme un délit ce q u i, en réalité, ne se
rait que le résultat de l’ignorance et de l’erreur.'
i V. In fra n° 924.
�144
loi do 2 3
juin
1857
911.
— Le numéro 2 de l’art. 7 punit de la même
peine que le contrefacteur, ceux qui ont frauduleuse
ment apposé sur leurs produits ou les objets de leur
commerce une marque appartenant à autrui. C’est-àdire, comme l’expliquait l’Exposé des motifs, ceux qui
s'étant procuré, d'une manière quelconque, une mar
que,un timbre, un poinçon véritable, s'en servent pour
marquer frauduleusement des produits autres que ceux
des fabricants ou commerçants auxquels appartiennent
ces marques, timbres ou poinçons.
On se rend difficilement raison de la nécessité de cette
disposition de l’art. 7. Le numéro précédent -vient de
prévoir et de punir l’usage d’une marque contrefaite.
Or en quoi peut consister, en quoi consiste cet usage, si
ce n’est dans l’apposition de la marque sur des produits
autres que ceux de son propriétaire ?
La contrefaçon puise sa nocuité et sa criminalité bien
plutôt dans l’emploi qui en est fait, que dans la repro
duction matérielle du signe, du symbole ou de l’emblè
me constituant la marque. Que pourrait on reprocher à
l’auteur de cette reproduction qui, après l’avoir exécuté,
l’enfouirait dans ses cartons et s’abstiendrait d’en faire
un usage quelconque ?
Donc apposer sur ses produits une marque apparte
nant à un autre, c’est contrefaire celte marque, c’est tout
au moins faire usage d’une marque contrefaite. Qu’im
porte que la marque, le timbre, le poinçon soit réelle
ment celui dont se sert leur propriétaire ? Celui-ci use
d’un droit qui lui est exclusivement réservé et que la
�SUR LES MARQUES
145
possession matérielle de la marque, du timbre, du poin
çon ne saurait transmettre. Celui qui ouvre un meuble
avec la véritable clé qu’il s’est procurée, en est-il moins
coupable de vol avec fausse clé ? Pourquoi ne déclare
rait-on pas coupable d’usage d’une marque contrefaite
celui qui n ’en fait l’emploi qu’après l’avoir dérobée ôü
l’avoir obtenue d’une manière tout au moins illégitime ?
La circonstance d’être parvenu à se procurer par un
moyen quelconque la marque, le timbre, le poinçon vé
ritable, atténuerait-elle le tort de s’en servir ? ne l’ag
grave—t—elle pas au contraire ? ne lui enlève-t-elle pas
toute excuse en excluant toute idée d’ignorance et de
bonne foi ?
912.
— Cependant le législateur qui, dans le nu
méro 1er de l’art. 7, voit le délit dans le fait matériel de
la contrefaçon ou de l’usage de la marque contrefaite,
exige, dans le numéro 2, que l’apposition ait été frau
duleusement réalisée. Faut-il en conclure que le plai
gnant devra établir non-sëülement la matérialité de l’ap
position , mais encore son caractère frauduleux et l’in
tention coupable qui en serait le mobile ?
Répondre affirmativement serait, à notre avis , con
vaincre le législateur de la plus étrange inconséquence.
Nous venons de le dire, ce qui donne à l’usage ma
tériel de la marque contrefaite le caractère absolu de
délit indépendamment de l’intention c’est, d’une part,
lïnVfirudence de n’avoir pas vérifié au dépôt central si
cet usage était licite ; d’autre p a r t, l’impossibilité d’adiii — 40
�446
loi
du
23
ju in
1857
mettre l’ignorance de l’emploi que celte marque avait
déjà reçu. En d’autres termes, c’est parce que celui qui
a dû et pu savoir, a su réellement.
Or les mêmes causes doivent produire les mêmes ef
fets , surtout lorsque cette conséquence s’étaye sur une
supériorité de raisons. Cette supériorité de raisons est
ici incontestable , car celui qui appose sur ses produits
la marque d’un autre , après se l’être procurée par un
moyen quelconque, a non-seulement dû et pu savoir,
mais encore n’a pas pu ne pas savoir. Pourrait-il donc
se faire que toute l’indulgence fût en faveur de celui-ci
et qu’on exigeât à son égard la preuve de l’intention
qu’on n’exige pas pour celui-là ?
Un pareil système ne serait ni raisonnable ni juste,
et nous ne saurions admettre que la loi ait entendu le
consacrer. Notre conviction à cet égard se fonde sur les
termes mêmes de l’Exposé des motifs : C elu i q u i s’é ta n t
p r o c u r é d'u n e m a n iè r e q u elco n q u e u n e m a rq u e , u n
p o in ç o n ,
s ’e n s e r t p ou r m a r q u e r f r a u
d u l e u s e m e n t d es p r o d u its , etc.. . . Ainsi c’est
l’emploi qui en est fait qui constitue la fraude. N’est-ce
pas lui, en effet, qui consomme le préjudice , qui crée
cette concurrence déloyale que la loi a voulu prévenir et
réprimer ?
D’ailleurs ce qui constitue l’intention coupable, c’est
la connaissance du caractère illicite de l’acte qu’on ac-*complit. Or si quelqu’un agit sciemment, c’est évidem
ment celui qui s’étant procuré la marque d’un autre
l’appose sur ses propres produits. Dès lors il n’est pas
�SUR l e s “ m a r q u e s
147
possible d’admettre que la loi qui va punir celui qui
a vendu sciemment un ou plusieurs produits revêtus
d’une marque contrefaite ou frauduleusement apposée,
se soit montrée plus difficile pour celui qui s’étant pro
curé la marque d’a u tru i, l’a sans contredit sciemment
apposée sur les produits de sa fabrication ou les objets
de son commerce.
Donc l’apposition de la marque, même véritable, d’un
autre , dans les conditions prévues par le numéro 2 de
l’art. 7 constitue la fraude, entraîne nécessairement l’intention mauvaise et tombe sous le coup de la pénalité
édictée par cet article 7.
913.
— Atteindre la contrefaçon à sa naissance,
l’empêcher ainsi de se produire était nécessaire et juste.
Ce qui ne l’était pas moins c’était de lui interdire les
débouchés dont la facilité était un si dangereux encou
ragement.
Voilà pourquoi le numéro 3 de l’art. 7 assimile le
vendeur au contrefacteur, et le punit de la même peine.
Mais en ce qui le concerne, la position était bien dif
férente. En effet rien n’indique que le débitant a su, pu
ou dû savoir le caractère frauduleux des objets qu’il achète et revend. La circulation commerciale de ces ob
jets, l’absence de toute réclamation au sujet de la mar
que dont ils sont revêtus doit lui inspirer la penséede leur
légitimité,et il n’était ni rationnel ni équitablement possi
ble de le rendre responsable du délit dont il est la victime.
Ces considérations ont dicté la disposition du numé-
,
�448
loi du 2 3
juin
1857
ro 3 de l’art. 7. Le vendeur n’est passible d’une peine
quelconque que s’il a sciemment agi. Donc en ce qui
le concerne il ne suffira pas d’établir qu’il a vendu ou
mis en vente les objets délictueux. Il faudra prouver
qu’il a connu et su que la marque dont ils étaient re
vêtus était contrefaite ou frauduleusement apposée.
914.
— La mise en vente est assimilée à la vente
elle-même. C’est par un amendement du Corps législa. tif que les mots mis en vente ont été substitués à ceux
de exposé en vente que le projet de loi avait adoptés.
Les motifs de cette substitution étaient ainsi expliqués
par le rapporteur du Corps législatif : Les mots exposé
en vente semblent supposer une sorte de manifestation
extérieure ; ceux mis en vente, au contraire, permettent
d’appliquer la peine dès que l’objet du délit est destiné
à être vendu.
C’est donc de cette destination que les juges ont à se
préoccuper. Ils l’admettraient évidemment, si l’objet dé
lictueux avait été exposé en vente. Comment en effet douter
de la volonté et de l’intention de vendre, si cet objet se
trouvait dans les magasins ou entrepôts du débitant,
confondu avec les autres objets de son commerce et par
cela même offert au public ?
Dans le cas contraire, c’est l’intention que les tribu
naux auraient à apprécier et qui devient le fondement
de la culpabilité de l’acte. On pourrait taxer de sévérité
une pénalité n ’ayant d’autre élérfcent qu’une intention
qu’aucun acte extérieur n’a encore indiquée et manifes-
�SUR LES MARQUES
149
tée. Mais cette sévérité était indispensable. Les débitants
sont aux contrefacteurs ce que les recéleurs sont aux
voleurs. Du jour où on aura découragé la vente de la
contrefaçon , et rendu ses débouchés plus périlleux et
partant plus difficiles, on aura porté le coup le plus sen
sible à celte inique et odieuse industrie.
D’ailleurs cette nécessité n’a pas entraîné le législa
teur au delà des limites que la justice prescrivait. Nous
venons de le dire, la possession, la vente, l’exposition ou
la mise en vente d’objets revêtus d’une marque contre
faite ou frauduleusement apposée, n’est punissable que
s’il est acquis qu’elle a eu lieu sciemment. Le poursui
vant devra donc justifier de ce caractère ; et il faut le
reconnaître, ce caractère qui constitue seul le délit sera
d’autant plus difficile à admettre que le débitant n’aura
pris aucune des précautions dont la mauvaise foi est si
prodigue, et n’aura ni cherché à dissimuler, ni dissimulé
l’existence en ses mains des objets délictueux.
Pouvait-il être qu’à l’aide de ces précautions, que par
une adroite dissimulation il parvînt à s’assurer l’impu
nité ? La raison et la justice dictaient la réponse que le
législateur a consacrée. En l’absence d’exposition en
vente , les magistrats auront à rechercher si la posses
sion des objets délictueux n’a pas pour unique objet
leur vente. Comme éléments de cette recherche, ils ont
la qualité du prévenu , la nature de son commerce , la
quantité d’objets trouvés en sa possession de nature à
exclure toute idée d’un usage personnel ; enfin les ven
tes d’objets similairesqu’il peut avoir précédemment con-
�130
loi du
23
juin
1857
senties et exécutées. Ce fait surtout serait décisif, car,
acquis qu’il fût, il ne permettrait pas de douter que les
objets restants ne fussent destinés à être également ven
dus. Vainement donc exciperait-il du mystère dont il
aurait entouré sa possession. Ce mystère lui-même de
viendrait une grave présomption de sa mauvaise foi.
Comment en effet expliquer que , destinant ces objets à
la vente, il les dérobe aux yeux des acheteurs autrement
que par la connaissance du vice dont ils 'sont entachés?
Loin donc d’être trop sévère , la loi n’est que consé
quente et juste. Dès qu’elle était bien résolue à mettre
un terme à la contrefaçon , elle devait, comme elle l’a
fait, autoriser les magistrats à l’atteindre et à la répri
mer à travers tous les détours qu’elle ne manquera pas
d’employer.
915.
— La commission du Corps législatif propo
sait d’ajouter à l’art. 7 un quatrième numéro contre
ceux qui auraient frauduleusement détruit ou altéré
une marque.
Cette proposition fut rejetée et devait l’être. Des deux
faits qu’elle entendait punir, l’un est trop anormal pour
qu’il se réalise jamais, l’autre était suffisamment prévu
et atteint par la loi.
On comprend l’intérêt de contrefaire et de tenter de
s’approprier une marque qui , par sa juste et légitime
célébrité, s’impose à la confiance publique et assure un
débit avantageux des produits qui en sont revêtus.
Mais conçoit-on que le commerçant qui a acquis des
�SUR LES MARQUES
151
objets portant une marque de première valeur soit assez
insensé pour détruire ou altérer cette marque qui fait
tout le prix de ces objets , au risque du discrédit dont il
va les frapper et de la perte énorme qui en résultera
pour lui ?
Prévoir cette éventualité, c’était supposer l’impossible,
et la meilleure de toutes les preuves est celle que four
nit l’expérience. La contrefaçon a soulevé bien des plain
tes , motivé de nombreuses poursuites. Est-ce que ja
mais on a entendu quelqu’un réclamer contre la sup
pression de sa marque ou sa destruction.
La commission n’avait pu se dissimuler l’invraisem
blance d’une pareille tentative. Si elle proposait sa dis
position additionnelle, c’était en premier lieu pour met
tre la loi sur les marques en harmonie avec celle de
1824 sur les noms, et atteindre les altérations non-seu
lement par retranchement mais encore par additions ;
C’était ensuite pour prévenir et empêcher qu’un in
dustriel n ’enlevât la marque du producteur et n’appo
sât la sienne sur les produits de celui-ci , se donnant
ainsi le mérite d’une production à laquelle il était étran
ger.
Au premier point de vue, la disposition était inutile.
L’abus qu’elle voulait prévenir se trouvait prévu et puni
par l’art. 7 ou par l’art. 8.
En effet ou l’altération constituera une contrefaçon ou
elle n’aboutira qu’à une imitation plus ou moins par
faite. Dans le premier cas, elle tombera sous le coup de
l’art. 7 ; sous celui de l’art. 8 , dans le second. Si elle
�15 2
loi du
23
ju in
1857
n ’est ni l’une ni l’autre, à quel titre la punirait-on ? Où
serait l’atteinte portée à la propriété d’autrui ; où la con
currence déloyale ?
Les raisons donpéçs à l’appui du second point de vue
n’étaient guères moins admissibles. « Souvent, disait le
» rapporteur, la marque peut être supprimée sans le
» consentement et même contre la défense du produc» teur, par des intermédiaires qui se donnent pour des
» fabricants, par des concurrents jaloux de substituer
» leur marque à celle d’un autre, se créant ainsi, avec
» les produits de celui-ci, une réputation commerciale.
» Sans doute celui qui achète un produit en a la libre
» disposition. Mais cela ne va pas jusqu’à enlever à un
» fabricant l’honneur que lui procure l’exécution. Toute
» marque est une propriété; elle doit être préservée du
» vol et de la destruction. »
La commission supposait donc qu’un industriel vou
lant se faire un nom et provoquer la confiance publique
par la perfectibilité de ses produits, au lieu de fabriquer
lui-même, ce qui exigerait d’ailleurs une mise de fonds
considérable , achètera le$ produits des fabricants les
plus célèbres, et à leur marque substituera la sienne, et
fepa ainsi à sa maison upe réputation illégitime en se
pprant de produits habilement et consciencieusement
créés par d’autres.'
Trois fois insensé celui qui poursuivrait un tel but
1 Moniteur du 14 mai 1857.
}
i r
. f ■
»t .
�SUR LES MARQUES
153
par un tel moyen. Ce qui en effet donne de la valeur à
un produit, c’est moins sa perfection intrinsèque que la
marque dont il est revêtu. Le rapporteur en convenait
lui-même lorsque, tout-à-l’heure, il nous parlait de ces
préjugés qui font repousser des produits même supé
rieurs s’ils ne portent pas une marque étrangère. Cela
se comprend : d’ailleurs tout le monde est à même d’ap
précier une marque devenue célèbre , tandis que bien
réduit est le nombre de ceux qui savent et peuvent juger
au premier coup d’œil de la qualité réelle de la mar
chandise.
C’est donc surtout à la marque que s’attache la cé
lébrité , et cette célébrité ne s’acquiert pas du jour au
lendemain : elle ne peut résulter que de la multiplicité
des opérations , que de la preuve de la bonté des pro
duits qu’elle désigne que l’expérience fera acquérir aux
consommateurs.
Que deviendra en attendant le commerçant qui aura
substitué sa marque à celle d’un industriel renommé ?
cette marque obscure pourra-1—elle lutter avec celle de
celui-ci ? de quelle valeur seront en ses mains les pro
duits qui lui auront coûtés fort cher et que rien ne re
commande plus à la confiance publique ? ne sera-t-il
pas obligé de les vendre à perte pour se procurer les
débouchés et fournir ainsi aux consommateurs le moyen
et l’occasion d’en vérifier l’excellente qualité ?
Oui il pourra dans un temps donné avoir acquis à sa
marque celte réputation qu’il ambitionne. Mais ce qui
pourra aussi arriver c’est que, par les sacrifices qu’il a
�dû s’imposer, il n’atteindra ce but qu’après s’être réduit
à cesser tout commerce faute de ressources. Comment
dès lors supposer et craindre qu’il coure jamais cette
chance.
Ce qu’un rival d’industrie ne fera pas , un intermé
diaire peut se le permettre et se le perm et, mais dans
des conditions telles que la substitution de la marque se
comprend et se justifie.
Ainsi dans les villes de fabrique, notamment à Rouen,
il existe des commissionnaires qui, avant tout ordre, achètent en fabrique les tissus qu’ils enverront plus tard
soit à leurs correspondants, soit à leurs commettants. Ils
ne les expédient et ne les revendent qu’après avoir don
né aux pièces une forme différente de celle du fabricant.
Ils les divisent en coupons , leur font subir des apprêts
particuliers appropriés aux convenances des consomma
teurs auxquels ces tissus sont destinés, et c’est après cette
manipulation et ce changement de forme que le com
missionnaire revêt ces objets de sa propre marque. Le
représentant de Rouen, l’honorable M. Levavasseur qui
rappelait cet usage, affirmait que c’est de cette manière
que sont apprêtées, expédiées et vendues la plupart des
étoffes de Rouen qui se consomment en Amérique.
Pouvait-on raisonnablement faire de cet acte un délit
et le punir comme tel ? Mais ceux qu’on voulait proté
ger répudiaient hautement cette protection, et la chmbre
de commerce de Rouen, dans laquelle les fabricants étaient largement représentés, réclamait en faveur de l’u
sage et en demandait le maintien.
�SUR LES MARQUES
155
Le commissaire du Gouvernement avait donc raison
de le dire : loin de nuire aux fabricants , cette pratique
sert leurs véritables intérêts, puisque, quelle que soit la
forme adoptée‘par les commissionnaires, cette forme ar
rive en définitive à procurer à leurs produits le plus
grand écoulement possible.
9 1 6 . — L’article 8 punit d’une amende de 50 fr. à
2000 fr. et d’un emprisonnement d’un mois à un an,
ou de l’une de ces peines seulement :
1” Ceux qui sans contrefaire une marque en ont fait
une imitation frauduleuse de nature à tromper l’ache
teur , ou ont fait usage d’une marque frauduleusement
imitée ;
2° Ceux qui ont fait usage d’une marque portant des
indications propres à tromper l’acheteur sur la nature
du produit;
3° Ceux qui ont sciemment vendu ou mis en vente
un ou plusieurs produits revêtus d’une marque fraudu
leusement imitée , ou portant des indications propres à
tromper l’acheteur sur la nature du produit.
9 1 7 . — Le projet de loi ne s’occupait pas de l’imi
tation de la marque. Nous croyons que le motif de ce
silence était q u e , dans la pensée des rédacteurs , l’imi
tation n’était qu’une contrefaçon déguisée , et comme
telle rentrait sous l’application de l’art. 7.
Mais ainsi que nous l’avons vu , la commission du
Corps législatif ne prit pas sa disposition dans cette ac
ception. L’article 7, disait-elle par l’organe de son rap-
�porteur, prévoit la reproduction brutale, complète de la
marque. Mais la fraude cherche troujours à se sous
traire à l’application de la loi. On ne contrefait pas une
marque; on l’imite; si elle consiste dans1des lettres, on
prend d’autres lettres mais affectant les mêmes formes;
un vernis, des couleurs dissimuleront la différence ; ou
bien encore on se sert de la même dénomination qu’un
fabricant, en ajoutant sus une forme plus ou moins per
ceptible le mot : façon.
Dès qu’on interprétait ainsi l’art. 7, il devenait in
dispensable de s’expliquer sur l’imitation, d’autant plus
qu’il suffisait que cette interprétation se fût produite,
pour qu’on pût craindre qu’on n ’en argumentât devant
les tribunaux pour échapper à l’application de l’art. 7.
Cette crainte et le désir de ne laisser planer aucun doute
sur la volonté de la loi d’atteindre et de réprimer l’imi
tation, déterminèrent le conseil d’Etat à adopter l’amen
dement de la commission qui est devenu le numéro 1"
de l’art. 8.
918.
— Les paroles du rapporteur fixent d’une ma
nière indubitable l’esprit de la loi, de quelque manière
qu’elle se soit produite. L’imitation encourt la peine édictée, dès qu’elle est de nature à tromper l'acheteur,
c’est-à-dire dès qu’elle crée la possibilité de confondre
la marque de celui-ci avec la marque de celui-là. Il
est évident que si une confusion quelconque n’était pas
même possible , nul n’aurait le droit de se plaindre et
d ’invoquer la disposition pénale de l’art. 8.
�SUR LES MARQUES
157
La possibilité d’une confusion est donc la condition
essentielle constitutive du délit. C’est cette possibilité dont
la loi se préoccupe uniquement et exclusivement. On
remarquera en effet ces termes : de nature à tromper
l'acheteur. Ainsi la loi n’exige pas que l’acheteur ait
été trompé . il suffit qu’il puisse l’être. Dès lors il im
porte peu que l’imitateur n’ait pas encore atteint le but
qu’il se proposait, qu’il n’ait que point ou peu vendu
des objets qu’il a revêtus d’une marque imitée. Le délit
consiste non dans l’effet que l’imitation a pu produire,
mais dans le but qu’elle se proposait, et qui aurait été
atteint si les poursuites de la partie intéressée n’étaient
venues y mettre obstacle.
De là cette conséquence que les tribunaux n’o n t, en
cette matière , qu’à résoudre une question de fait : la
marque accusée d’imitation est-elle de nature à tromper
l’acheteur ? pouvait-on la confondre avec celle du pour
suivant? Leur décision, quelle qu’elle soit, pourrait bien
constituer un mal jugé , mais ne saurait être attaquée
pour violation de la loi.
919.
— La confusion peut-elle résulter de la forme
seule, et indépendamment des signes, lettres, chiffres ou
initiales constituant le fond de la marque ?
M. Blanc se prononce pour l’affirmative. Si la dispo
sition d’une marque, enseigne-t-il, frappe plus les re
gards que la marque elle-même ou que le nom du fa
bricant, c’est la disposition qui devient l’élément essen-
�158
loi
du
23
ju in
1857
tiel de la marque, et il y a fraude autant que préjudice
possible à s’en emparer.'
920.
— Cette doctrine, il faut en convenir, pourrait
trouver un point d’appui dans les termes généraux du
rapport que nous venons de transcrire. Mais le résultat
auquel elle aboutirait est tel qu’il est impossible de l’ad
mettre.
Supposez en effet un produit destiné à être renfermé
dans un récipient , boite , bouteille ou flacon. Les dix
premiers venus auront employé et épuisé toutes les for
mes qu’il est possible de leur affecter. Que restera-t-il
à ceux qui viendront après ? devront-ils dans l’impuis
sance d’imaginer une forme nouvelle renoncer à une
industrie à laquelle les appellent leur goût, leurs con
venances, leurs intérêts ?
Sans doute l’emploi de la forme et de la couleur adop
tées par un rival d’industrie peut constituer l’imita
tion prohibée par la loi ; mais à la condition de la pos
sibilité d’une confusion. Dès lors si cet emploi a lieu
dans des conditions et avec des indications telles qu’on
n’ait à concevoir aucune crainte de ce genre. On ne sau
rait le prohiber, à moins d’admettre que la forme, que
la couleur est susceptible de propriété exclusive par le
dépôt, ce qui, nous venons de le dire, n’est ni dans le
texte ni dans l’esprit de la loi.
Ainsi dans une contestation relative à l’emploi de fia-
1 C o n l r e f p. 773.
�SUR LES MARQUES
159
cons carrés renfermant un produit chimique similaire,
la cour de P aris, par arrêt du 8 novembre 1855 , re
pousse la plainte en imitation frauduleuse, non pas seu
lement parce que la forme carrée n’est pas une inven
tion nouvelle susceptible de devenir par le dépôt une
propriété exclusive , mais encore , mais surtout parce
que les énonciations des étiquettes des prévenus , leur
nom imprimé en relief sur les capsules métalliques re
couvrant les bouchons, et les mots usine de Granville
moulés en gros caractères sur le verre des flacons, étaient de nature à empêcher toute confusion.'
Personne ne sera tenté de méconnaître ou de contes
ter le caractère rationnel et juridique de cet arrêt. Nonseulement il apprécie sainement la loi spéciale, mais de
plus il rend hommage au plus respectable des principes.
En matière pénale , tout est de droit étroit, et un délit
créé ou défini par elle ne peut exister que dans les con
ditions qu’elle prescrit. Le numéro 1erde l’art. 8 ne punit
l’imitation de la marque que si elle est de nature à trom
per l’acheteur. Là donc où, malgré l’identité de la for
me, il y a réellement impossibilité de confondre les deux
marques, le délit prévu n ’existe pas, et l’application de
la peine ne serait plus qu’un effet sans cause.
■< .
921.
— La question essentielle , en cette matière,
est donc le plus ou moins de possibilité de cette confu
sion, et sa solution est, nous venons de le dire, aban-
i Annales induslr., 18B5, pag 190.
�donnée à l’appréciation souveraine du juge. Ce qui est
à considérer, c’est le résultat final de l’imitation et non
les détails qui en fournissent les éléments. Ainsi, dit à vec raison M. Rendu , un fabricant q u i, ayant modifié
l’entourage et le signe principal de la marque d’un au
tre, ne serait passible d’aucune poursuite pour avoir adopté l’un ou l’autre élément rendu suffisamment dis
semblable à l’envisager seul, pourrait cependant êtrecoupable d’imitation , s’il avait combiné les éléments mo
difiés de la même manière que le propriétaire de la
marque.'
En d’autres termes, la question d’imitation doit s’ap
précier par la ressemblance qui résulte de l’ensemble
des éléments qui constituent la marque, et non par les
dissemblances que ses divers détails pourraient offrir pris
isolément et séparément. Les juges , dit un arrêt de la
cour de Cassation du 5 février 1853, ne peuvent décla
rer l’invention non brevetable par l’unique motif que
ses organes pris isolément se trouveraient tombés dans
le domaine public; ils doivent rechercher si la combi
naison de ces divers organes ne devait pas être consi
dérée comme une application nouvelle susceptible d’être
brevetée.’
Or, en matière de marques'emblématiques ou symbo
liques, il est difficile d’imaginer des détails ou des signes
qui ne fussent pas dans le domaine public bien avant
1 Marques de fabrique, n° 189.
�161
SUR LES MARQUES
leur emploi. C’est donc à fortiori par la combinaison
et l’application qui en est faite qu’on devra décider du
résultat.
9 2 2 . — Nous retrouvons dans le numéro 1er de
l’art. 8 l’imitation et l’usage de la marque imitée placés
sur la même ligne. L’identité des termes fait arriver ici
à la conclusion que nous lirions de ces termes du nu
méro 1er de l’art. 7. La loi a voulu atteindre l’auteur
de l’imitation, et celui qui recourant à un tiers pour son
exécution se sert de la marque imitée.
On ne saurait expliquer autrement l’absence du mot
sciemment relativement à l’usage, car ce n’est que cette
science qui en fait la criminalité.Donc si la loi ne l’a pas
même exigée , c’est qu’elle a admis qu’elle ne pouvait
pas ne pas exister , et cela ne peut être vrai que pour
celui qui a fait exécuter l’imitation dans l’impossibilité
de le faire lui-même.
9 2 3 . — La distinction que nous établissions toutà-l’heure entre l’ouvrier qui exécute et l’industriel qui
ordonne est ici plus marquée et se trouve législativement
consacrée. Ainsi l’art. 8 qui exige que la marque ait été
frauduleusement imitée , n’impose plus cette condition
à l’usage. Il suffit qu’en fait la marque ait été fraudu
leusement imitée, pour que celui qui en use soit passi
ble de la peine édictée.
Les motifs qui le faisaient ainsi vouloir pour la con
trefaçon , militaient de tout leur poids à l’égard de l’i
mitation. Le but de celle-ci ne peut être que de se créer,
ni
—
14
�162
loi
du
23
ju in
1857
à l’aide d’une confusion, le moyen de profiter de la ré
putation de la marque qui s’est depuis longtemps im
posée à la confiance publique. Or plus une marque aura
acquis ce' caractère, et moins il sera possible d’admettre
que son existence aura été ignorée d’un rival d’indus
trie.
Dès lors si ce rival d’industrie use même indirecte
ment de cette marque,sa mauvaise foi est évidente. Peu
importe que l’imitation matérielle soit le fait d’autrui.
En la provoquant, en donnant des instructions pour la
commettre, il se l’est rendue propre et personnelle. Tout
au moins n’a-t-il pu l’ignorer, et c’est avec raison qu’il
est de plein droit déclaré avoir agi sciemment.
924.
— Il n’était ni juste ni possible d’admettre la
même présomption contre celui qui a imité dans l’inté
rêt et pour le compte d’autrui. Son allégation, qu’il igno
rait le caractère de l’acte qu’il a accompli, peut être fon
dée. Donc en ce qui le concerne , on pouvait et on de
vait subordonner l’application de la peine à la preuve
qu’il a frauduleusement agi.
Qu’on ne dise pas que cette preuve est impossible. Elle
résultera des circonstances que chaque espèce présente
ra. Comment douter de la mauvaise foi de l’auteur de
l ’imitation, s’il est établi qu’il n’a pu ignorer l’existence
de la marque, par exemple, si, comme dans une espèce
jugée à Aix , il avait été chargé de l’exécution de cette
marque par son propriétaire légitime ; si recevant la
marque originale, il avait été chargé d’imaginer et d’ex-
�SUR LES MARQUES
463
écufer les modifications qui doivent l’im iter sans la con
trefaire ?
Quoiqu’il en soit la loi s’étant prononcée et ne punis
sant que l’im itation frauduleuse, c’est à celui qui en ré
clame l’application contre l’ouvrierqui a agi pour compte
d ’autrui, à prouver non pas seulem ent le fait m atériel,
mais encore son caractère frauduleux.
925.
— Quelle serait la position de l’industriel qui
. . . .
.
. ,,. . .
| ,
n ayant ni im ité , ni commis 1 im itation de la m arque,
s’en serait servi ?
En ce qui le concerne , la présom ption de connais
sance qui im prim e à l’usage son caractère délictueux, ne
serait q u ’une sévérité d ’autant plus rigoureuse q u ’elle
consacrerait quelquefois une contre vérité. Nous ne cro
yons donc pas q u ’il ait été dans l’intention du législa
teur de la consacrer.
L’usage dans ces circonstances, s’il ne rentre pas sous
l’application du num éro 1er de l’art. 8 , tom berait in
failliblement sous le coup du num éro 3. Il est certain
que celui à qui on l’im puterait au rait vendu ou mis en
vente un ou plusieurs objets revêtus d ’une m arque frau
duleusement imitée ; efco m m e de juste il ne serait con
dam né que s’il m éritait de l’être , c’e st-à-d ire que s’il
avait agi sciem m ent.
On le déciderait de même pour celui qui aurait usé
d ’une m arque contrefaite, sans avoir exécuté ni provo
qué ou ordonné la contrefaçon.
�LOI do
23
JUIN
1857
926.
— Le délit prévu et puni par le numéro 2 de
l’art. 8 se réfère à un ordre d’idées que la loi avait ex
pressément voulu laisser de côté. Considérant les mar
ques au point de vue du di'ôi'f exclusif de leurs proprié
taires, c’est ce droit qu’elle avait voulu exclusivement
protéger.
« Fallait-il aller plus loin dans la protection du pu
blic, disait YExposê des motifs, et prévoir les abus aux
quels peut se prêter le droit de marquer au détriment,
non plus des fabricants ou commerçants, mais des con
sommateurs ? Fallait-il profiter de l’occasion pour édic
ter des dispositions nouvelles contre les tromperies dont
le public peut être victime par le moyen des marques?
On ne l’a pas pensé. On a écarté soigneusement du pro
jet toute disposition qui ne tendrait pas directement au
but indiqué, de faire de la marque une véritable pro
priété et de lui donner de sérieuses garanties. »
Tel n’est-il pas cependant le caractère de la disposi
tion du numéro 2 de l’art. 8 ? 11 ne s’y agit plus en
effet ni de la contrefaçon ou imitation d’une marque,
ni de l’usage ou de l’apposition d’une marque contre
faite ou frauduleusement imitée. La marque apposée est
bien la propriété de celui qui en revêt ses produits ou
les objets de son commerce, et c’est la tromperie contre
le public dont elle peut être l’occasion et le moyen que
la loi prévoit et punit.
Aussi la commission du Corps législatif en contestaitelle l’opportunité ; tout en rendant hommage à son uti
lité, elle lui reprochait d’introduire dans la loi une dis-
�SUR LES MARQUES
165
position étrangèreà son principe, n’ayant avec lui qu’un
rapport de m ots, et propre seulement à altérer lu .sim
plicité et la clarté de la loi ; elle en demandait donc Je
rejet.
Il est certain que la disposition proposée ne fait que
combler une lacune regrettable de notre Code pénal.
L’article 423 ne punit en effet que la tromperie consom
mée, et en laisse par conséquent la tentative sans ré
pression. Atteindre celle-ci, proscrire l’instrument du
délit, était une nécessité de justice qui était aussi ar
demment réclamée.
Sans doute la refonte du Code pénal offrait l’oecasion
d’y satisfaire la plus naturelle. Mais parce qu’elle avait
été négligée , fallait-il laisser se continuer un état des
choses auquel, on en convenait, il était utile de mettre
bn terme ?
Le conseil d’Etat ne le pensa pas ainsi, et il eut rai
son. Il rejeta l’amendement de la commission. Il ne vit
pas grand inconvénient à ce que la loi qui protégeait la
propriété de la marque fit de la pureté de celle-ci une
obligation et un devoir.
Désormais donc la tentative de tromperie sur la na
ture des choses est assimilée au délit consommé et pu
nie comme celui-ci. La seule différence est que le mi
nimum de l’art. 423 du Code pénal est de trois mois,
et celui de notre article d’un mois seulement.
927.
— L’apposition sur la marque d’indications
propres à tromper l’acheteur sur la nature du produit
constitue la tentative punissable.
�'fôn.
166
loi
du
23
ju in
1857
%
Serait donc passible des peines édictées par l’art. 8,
l’industriel qui, sur la marque apposée sur les produits
de sa fabrication ou les objets de son commerce, indi
querait comme tout fil ou tout laine un tissu mélangé
de coton; comme vrais cachemires des Indes, des châles
fabriqués en France; comme véritable tapioca de Manioc
le gluten de froment, etc.. . .
*
928.
— On remarquera que le numéro 2 de l’art. 8
n’exige pas que l’usage qu’il punit ait eu lieu frauduleusemeut ou sciemment. Faut-il en conclure que le
fait seul d’indications propres à tromper l’acheteur sur
la nature du produit constitue le délit, sans qu’on ait à
se préoccuper de l’intention ni à en tenir compte ?
M. Rendu soutient la négative. Il s’agit ici, enseignet-il, d’un délit de droit commun, bien que commis par
un moyen spécial ; ce n’est plus l’usurpation d’une pro
priété sur laquelle chacun peut et doit se renseigner ;
c’est une fraude contre les acheteurs qui ne se conçoit,
au point de vue pénal , qu’accompagnée de l’intention
de nuire.'
On ne saurait se méprendre sur la signification du
mot usage, employée par le numéro 2 de l’art. 8. Ce mot
n ’a pas d’autre acception que celle-ci : Ceux qui auront
adopté une marque portant, etc.. . . Dans son acception
usuelle, l’usage supposerait la vente ou la mise en vente
des objets délictueux, et pour celui-ci le numéro 3 va
1 Marq. defabr,, n° 209
�SUR LES MARQUES
167
subordonner la peine à la condition que la vente ou la
mise en vente aura été faite sciemment.
C’est donc exclusivement l’auteur de la fausse indica
tion que le numéro 2 atteint et punit. Or en ce qui le
concerne, peut-on se créer un doute sur l’intention qui
a été le mobile de son acte. Ici encore la bonne foi ne
saurait résulter que de l’ignorance de la nature réelle des
produits; et celte ignorance pourra-t-elle être, nous ne
dirons pas admise , mais même alléguée en faveur de
celui qui employant dans sa fabrication un mélange de
fil, de laine, de coton ou de soie, indique ses tissus com
me tout fil, tout laine ou tout soie ? celui qui fabriquant
en France des châles , les offre comme cachemires des
Indes ? celui qui extrayant le gluten du froment, le pré
sente comme véritable tapioca de Manioc ?
Non sans doute il n’y a pas là usurpation d’une pro
priété sur laquelle on a omis de se renseigner comme
on pouvait et comme on devait le faire. Il y a pis en
core : quels peuvent être en effet le but et l’intention de
celui qui exécute un des actes que nous venons d’indi
quer ? Nuls autres que de tromper le public et de s’en
richir à ses dépens. Et la loi qui , dans le premier cas,
punit la négligence ou l’imprudence , n’aurait pas agi
de même pour le second qui n’est qu’une fraude pré
méditée et calculée ?
Nous ne saurions ni le croire ni l’admettre. La raison
aurait pu légitimer la proposition contraire. Mais puis
que celui qui a pu ou dû savoir est irrémissiblement cou
pable , comment ne le serait-il pas irrémissiblement
�168
loi
du
23
ju in
1857
aussi celui qui a tellement su qu’il ne pouvait pas ne
pas savoir ?
Il n’y a donc pas à hésiter : indiquer sur la marque
apposée sur ses produits une nature autre que celle que
leur affecte la matière qui a servi à leur fabrication, c’est
se constituer en délit. Le fait emporte avec lui-même la
certitude de l’intention frauduleuse et en fournit la preu
ve la plus péremptoire, la plus décisive.
Quant au commerçant non fabricant, de deux choses
l’une : ou il a ajouté lui-même à la marque du fabri
cant les indications propres à tromper l’acheteur sur la
nature des marchandises, ou il s’est contenté de reven
dre les objets avec la marque dont le fabricant les avait
revêtus.
Dans le premier cas, le fait seul de l’addition le con
stitue en état de d élit, car ce fait est exclusif de toute
idée de bonne foi et ne permet pas de douter de l’inten
tion frauduleuse qui l’a inspirée ;
Dans le second, le commerçant n’est plus qu’un sim
ple vendeur, et se trouve dès lors régi par le numéro 3
de l’art. 8.
929.
— Celui-ci en effet atteint la vente ou la mise
en vente d’un ou de plusieurs produits revêtus d’une
marque frauduleusement imitée ou portant des indica
tions propres à tromper l’acheteur sur la nature du
produit. Mais comme pour les délits prévus par le nu
méro 3 de l’art. 7 et par les mêmes raisons , la vente
ou la mise en vente n’encourt la peine édictée par l’ar
ticle 8 que si elle a eu lieu sciemment.
�SUR LES MARQUES
169
L’élément de la culpabilité ne résulte donc plus du
fait matériel; il réside exclusivement dans l’intention
qui ne s’induit que de la connaissance du véritable ca
ractère de la marque ou du produit. Il faut donc prou
ver que le prévenu n’ignorait pas que cette marque était
frauduleusement imitée , ou qu’elle portait des indica
tions propres à tromper l’acheteur sur la nature du pro
duit.
950.
— Dans ce dernier cas, la science exigée par
la loi pourrait-elle s’induire de ce que les connaissances
spéciales du débiteur ont dû lui faire apprécier la véri
table nature des produits, et l’édifier sur la fausseté des
indications de la marque?
La solution de cette question est souverainement lais
sée à la conscience du juge, et ne saurait comporter une
règle quelconque. Sans doute la fraude peut être si gros'
sière , qu’elle ne pouvait échapper à des yeux exercés
par une pratique plus ou moins longue du commerce.
Mais le contraire se réalisera le plus souvent. Le fa
bricant n’indiquera une nature autre et supérieure que
pour vendre au prix qu’il exigerait de celle-ci ; et ce ré
sultat il ne saurait l’atteindre que par une sophistication
assez adroite, assez dissimulée pour qu’elle puisse faire
illusion aux gens du métier. 11 doit d’autant plus trom
per ceux-ci , que c’est avec eux qu’il traitera exclusive
ment et qu’il n’aura aucuns rapports avec les acheteurs
au détail.
Au reste il est facile d’admettre que le débitant a igno-
�170
loi
du
23
ju in
1857
ré la sophistication, s’il est prouvé et acquis qu’il a payé
les produits au prix que valaient ceux de la nature que
la marque indiquait. Mais comment se prévaudrait-il
de cette ignorance, si à la réception il avait demandé et
obtenu une réduction par la menace d’un laissé pour
compte?
Quoiqu’il en soit pour ce qui concerne la vente ou la
mise en vente , la présomption de non culpabilité pré
vaut et ne cède que devant la preuve contraire. Les élé
ments de cette preuve sont laissés à la prudence et à la
sagesse des tribunaux qui ont un pbuvoir souverain et
discrétionnaire pour les admettre ou les repousser.
9 3 1 . — Les mots mis en vente o n t, dans l’art. 8,
la même signification et la même portée que dans l’ar
ticle 7. Le délit existe dès que le produit revêtu d’une
marque frauduleusement imitée, ou portant des indica
tions propres à tromper l’acheteur est destiné à être
vendu. Cette destination serait facilement présumée , si
le possesseur est commerçant et exploite des objets simi
laires; s’il est nanti d’une quantité telle qu’on ne sau
rait admettre l’idée d’un usage personnel. Elle serait in
contestable, si ces objets étaient exposés dans ses maga
sins ou entrepôts plus ou moins confondus avec les au
tres objets de son commerce.
»
Mais cette exposition et cette confusion ne sont pas
indispensables. Nous l'avons déjà dit, la loi n’a pas en
tendu subordonner le délit à une manifestation extérieu
re quelconque; et c’est pour exclure tout doute à cet é-
�SUR LES MARQUES
171
gard que les mots mis en vente ont été substitués à ceux
de exposé en vente que le Gouvernement avait adoptés.
Quelque soin donc que mette le débitant à dissimu
ler sa possession , il n’en sera pas moins punissable si
celle possession ne peut s’expliquer que par l’intention
de vendre. Il y a plus , cette dissimulation deviendrait
un grave indice de culpabilité. Pourquoi en effet ces
précautions, si les objets sont destinés à l’usage person
nel ? Pourquoi ce mystère si , achetés pour être reven
dus, on en ignorait réellement le caractère délictueux ?
Nimia precautio dolus,et c’est ce qu’on ne manquerait
pas d’admettre dans l’hypothèse que nous supposons.
9 3 2 . — De même que l’art. 7, l’art. 8 n ’a ni prévu
ni puni le recélé des objets délictueux. Faut-il conclure
de ce silence que la détention de ces objets, sans inten
tion de vendre, échappe à toute pénalité ?
On devrait se prononcer pour la négative, si on s’en
référait aux documents de la discussion législative.
L’Exposé des motifs, en effet, contient ce passage dé
cisif : On ri a pas cru devoir mentionner spécialement
les recéleurs, parce que, d'après les principes du droit
pénal, les recéleurs sont punis comme complices.
Il est superflu de rappeler, disait de son côté le rap
porteur du Corps législatif, que les dispositions du droit
commun sur la complicité, et notamment la complicité
par r e c e l, s'appliquent à ces délits comme à tous les
autres.
Le texte et l’esprit de la loi ne nous paraissent pas
�m
loi
du
23
ju in
1857
justifier cette interprétation de ses dispositions, ni com
porter un recours quelconque aux articles 59 et 60 du
Code pénal.
Que ces articles soient applicables à tous les délits pré
vus et punis par ce Code, nul ne saurait le méconnaître
ou le contester. Mais cette applicabilité aux délits créés
par une loi spéciale ne saurait être admise de plein
droit. La matière pénale est, de sa nature, fort peu élas
tique; et un délit, soit au point de vue du délit lui-mê
me, soit à celui de la complicité, n’existe, dans les cas
spéciaux, que si la loi particulière en édictant le délit a
formellement et expressément autorisé et puni celle-là.
Or la loi de 1857 a si peu admis la complicité, qu’elle
érige en délit distinct et principal le fait dont le droit
commun fait résulter celte complicité. Qu’est-ce en effet
que l’usage d'une marque contrefaite , frauduleusement
apposée ou imitée ? la vente ou la mise en vente d’ob
jets revêtus d’une marque contrefaite frauduleusement
apposée ou imitée, ou portant des indications propres à
tromper l’acheteur sur la nature du produit? Pas autre
chose évidemment que s’associer à la fraude de l’auteur
et concourir à la consommation du délit. Pourquoi donc
a-t-on cru devoir les réprimer et les punir, s’ils étaient
déjà atteints et punis par les articles 59 et 60 du Code
pénal ?
D’ailleurs si ces articles étaient applicables à notre ma
tière, sous le rapport de la complicité par recel, il fau
drait l’appliquer également à tous les autres caractères
décrits dans l’art. 60, pourquoi donc ne pas les rap
peler tous ?
�SUR LES MARQUES
173
Si donc la loi se borne à en énumérer quelques-uns,
si à ceux-là même elle assigne non le caractère de com
plicité , mais celui d’un délit principal, on ne peut en
conclure qu’une seule chose, à savoir, que dans la ma
tière spéciale il ne saurait exister de complicité.
L’application des articles 59 et 60 du Code pénal
rendait passibles d’une poursuite tous ceux qui, de près
ou de loin auraient coopéré à la contrefaçon, à l’appo
sition ou à l’imitation frauduleuse , soit en la provo
quant, soit en donnant des instructions, soit en procu
rant les instruments pour la commettre. Comprend-on
les développements qu’on aurait ainsi donné à l’action,
le nombre de prévenus qu’on eût pu appeler en justice,
les innombrables témoins à rechercher et à entendre, les
complications et les frais qui en seraient résultés ?
Ajoutons que s i , pour la matière qu’elle ré g it, la loi
de 1857 n’eût pas dérogé à l’art. 60 du Code pénal, elle
eût déserté les errements de ce Code lui-même.
Celui-ci, en effet, traitant de la contrefaçon littéraire,
distinguait le contrefacteur ou l’introducteur du débi
tant, et prononçait contre celui-ci une peine bien moin
dre que celle portée contre le contrefacteur ou l’intro
ducteur1. Or de tous les faits qui ont consommé le dé
lit , et par conséquent constitué la complicité légale , le
plus énergique est sans contredit l’écoulement de l’édi
tion. Pourquoi donc le Code pénal ne s’en réfère-t-il
1 Art. 427.
�174
loi
du
23
ju in
1857
pas aux articles 59 et 60 ; et s’il a cru que pour attein
dre le débitant une disposition expresse était indispen
sable, n’a-t-il pas reconnu par là que ces articles ne
lui étaient pas applicables ?
Pouvait-on décider pour la contrefaçon industrielle
autrement que pour la contrefaçon littéraire ? Où est la
différence ? Spéciale dans celle-ci , la matière l’est—
elle
moins dans celle-là ? Est-ce que l’usage d’une marque
contrefaite, frauduleusement apposée ou imitée, la vente
des objets qui en sont revêtus ne constituait pas la com
plicité légale ? Où donc était la nécessité de les énumé
rer dans les articles 7 et 8 , et de leur assigner le ca
ractère de délit? Si chacun de ces faits constituait la
complicité, ils étaient suffisamment réprimés par les ar
ticles 59 et 60 du Code pénal,
9 3 5 . — Le principe que ces articles sont inap
plicables aux délits régis par une loi spéciale a été for
mellement consacré par la cour de Cassation le 26 juil
let 1850 , à propos de la loi de 4844 sur les brevets
d’invention.
Un individu qui avait été l’intermédiaire entre le con
trefacteur et l’acheteur des objets contrefaits , avait été
condamné comme complice par application des articles
59 et 60 du Code pénal. Mais sur son pourvoi, la Cour
suprême casse l’arrêt attaqué par les motifs suivants :
« Attendu que les articles 59 et 60 du Code pénal
ne sont applicables aux délits prévus par une loi parti
culière, qu’autant que cette loi n’a pas dérogé à leurs
�SUR LES MARQUES
175
dispositions ; que la dérogation peut être expresse ou
résulter de l’ensemble des dispositions de la loi nou
velle ;
» Attendu que le droit conféré aux inventeurs est d’u
ne nature spéciale ; qu’il a toujours été réglé et protégé
par une législation spéciale ; que jusqu’à la loi du 25
mai 1838 sur les justices de paix, l’atteinte portée à ce
droit ne donna lieu qu’à une action civile; qu’après
qu’elle a été érigée en délit par l’art. 20 de celte lo i, la
loi du 5 juillet 1844 , en réglant tout ce qui concerne
les brevets d’invention , a déterminé les faits auxquels
elle a voulu que ce caractère de délit fût attaché; qu’elle
a puni d’abord dans son article 40 la fabrication de
produits et l’emploi de moyens faisant l’objet du brevet,
c’est-à-dire la contrefaçon elle-même; qu’elle a puni
ensuite ceux qui favorisent la contrefaçon soit en recélant, vendant ou exposant en vente ses produits, soit en
les introduisant sur le territoire français , soit enfin, de
la part des ouvriers'ou employés du breveté , en s’asso
ciant avec le contrefacteur ; que l’énumération contenue
dans les articles 41 et 43 est limitative, et qu’on ne peut
étendre le cercle que cette loi spéciale a tracé à la pé
nalité, en recourant aux dispositions générales des arti
cles 59 et 60 du Code pénal.1 »
Pas une de ces raisons qui ne s’applique évidemment
à notre hypothèse. La propriété des marques est un
1 D. P., s i , 5, 44.
�176
loi
du
23
ju in
1857
droit d’une nature spéciale , régie par une loi spéciale,
celle de 1857. En réglant tout ce qui la concerne, cette
loi a nettement déterminé les diverses atteintes auxquel
les elle a entendu affecter le caractère de délit ; elle pu
nit d’abord la contrefaçon , l’usage d’une marque con
trefaite , l’apposition , l’usage frauduleux de la marque
d’a u tru i, la vente ou la mise en vente d’objets revêtus
d’une marque contrefaite ou frauduleusement apposée ;
elle punit ensuite l’imitation frauduleuse , l’usage et la
vente ou la mise en vente d’objets revêtus d’une marque
frauduleusement imitée; enfin l’usage d’une marque
portant des indications propres à tromper l’acheteur, et
la vente ou mise en vente d’objets revêtus de cette mar
que.
C’est-à-dire que la loi de 1857 fait pour la marque
exactement ce que la loi de 1844 a fait pour les bre
vets d’invention : elle énumère les faits auxquels elle a
voulu attacher Je caractère de délit, et si cette énuméra
tion est limitative dans un cas, elle l’est nécessairement
dans l’autre.
Il est vrai que le recélé d’objets fabriqués en contre
façon d’un brevet d’invention est punissable. Mais il ne
pouvait en être autrement , dès que l’art. 40 de la loi
de 1844 le qualifie expressément de délit. Aurait-on pu
l’atteindre, en cas de silence gardé à son égard ? L’ar
rêt de la cour de Cassation ne permet ni de le supposer
ni de l’admettre.
Si le législateur de 1857 avait voulu et voulait l’at
teindre, comme l’indiquent YExposé des motifs et le
�SUR LES MARQUES
177
Rapport, il aurait dû s’en expliquer, et il était bien fa
cile de le faire. S’il s’est tu , on ne saurait suppléer à
son silence sans étendre illégalement le cercle de la pé
nalité dans lequel son texte s’est renfermé. Quelque au
torité qu’on reconnaisse à des documents législatifs, on
ne saurait leur attribuer le pouvoir de suppléer à la loi,
et de créer un délit qui ne résulterait pas de ses dispo
sition.
Nous pensons donc qu’on ne peut, dans notre matiè
re, recourir aux dispositions des articles 59 et 60 du
Code pénal. Dans les articles 7 et 8, la loi punit, non
la complicité , mais des délits distincts connexes mais
non identiques avec celui de l’auteur de la contrefaçori,
de l’apposition ou de l’imitation frauduleuse. La déro
gation au droit commun, en matière de complicité, ré
sulte donc de l’ensemble de ses dispositions.
Dès lors le simple recélé ne se plaçant dans aucune
des catégories des articles 7 et 8 ne saurait être atteint
et puni ; mais cela n’est absolument vrai que pour le
particulier non fabricant ni commerçant.
Chez ceux-ci en effet la possession d’objets délictueux
ne pourrait guère s’isoler de l’intention,de la volonté de
les vendre. Ils pourraient donc être poursuivis et con
damnés, non pqs toutefois comme recéleurs, mais uni
quement pour avoir sciemment mis en vente des objets
délictueux.
9 3 4 . — Le prévenu poursuivi pour vente ou mise
en vente est présumé de bonne fo i, jusqu’à preuve
ni — 12
�178
loi
du
23
ju in
1857
contraire. Il n’a donc pas à établir lui-même sa bonne
foi.
Cette présomption toutefois ne va pas jusqu’à le dis
penser de nommer, s’il en est requis, celui dont il tient
les objets trouvés ou saisis en sa possession. Le silence
qu’il garderait à ce sujet ferait à bon droit soupçonner
la loyauté de sa possession, et supposer une connivence
inconciliable avec l’idée de la bonne foi.
9 3 5 . — En terminant nos observations sur les ar
ticles 7 et 8 , rappelons qu’un honorable membre du
Corps législatif, M. Tesnières, proposait d’ajouter au nu
méro 2 de l’art. 8 une disposition réprimant la trom
perie sur l’origine des produits.
La commission avait repoussé cette proposition à la
quelle elle reprochait d’altérer et de compromettre plus
encore la simplicité de la loi.
« D’ailleurs, disait le rapporteur, comment détermi
ner d’une manière nette, incontestable le lieu d’origine
ou de fabrication ? La circonscription industrielle s’é
tend , se restreint, se déplace. On appelle dans le com
merce articles de Lyon , de Rouen , de Roubaix , d’A
miens, d’Elbeuf, de Sédan, et c. . , des objets qui sont
fabriqués dans un certain rayon autour de ces villes.
Les eaux-de-vie de Cognac ne se récoltent pas seulement
dans cette commune. Où donc sera la limite à laquelle
commencera le délit ? Ce serait aussi dans le même cas
atteindre et même détruire plusieurs grandes industries
nationales dont les produits égalent au moins les pro-
�SUR LES MARQUES
179
duits étrangers similaires. Que leur origine soit néces
sairement signalée, ils sont discrédités et immédiatement
délaissés pour des objets souvent inférieurs, mais que
recommandent l’habitude et le préjugé. »
9 3 6 . — Au point de vue de nos centres de produc
tion renommés, il y avait un argument plus péremptoire
à opposer à la proposition et qui se tirait de la loi de
18214. Celle-ci, en effet, considère et punit comme un
délit le fait d’avoir soit apposé , soit d’avoir fait appa
raître par addition, retranchement ou par une altération
quelconque sur des objets fabriqués le nom d’un lieu
autre que celui de la fabrication. Or la tromperie sur
l’origine des produits ne pouvant résulter que de l’un
de ces modes, il était inutile de s’occuper de la prévenir
et de la réprimer, la loi de 1824 y ayant déjà suffisam
ment pourvu.
Restait le point de vue des lieux de production étran
gers. Mais en ce qui les concernait, la proposition avait
le tort de revenir sur l’art. 6 qui ne protège les marques
étrangères qu’à la condition de la réciprocité. Il ne pou
vait pas être que les noms des villes étrangères fussent
plus rigoureusement protégées que les marques de la
même origine, et qu’on prohibât aux Français de se ser
vir du nom d’une ville située dans un pays dont les
industriels pouvaient usurper à leur gré le nom de nos
centres de production les plus renommés. Le rapporteur
du Corps législatif avait raison : c’eût été interdire à
l’industrie française la faculté d’imiter par représailles,
�180
loi
du
23
ju in
1857
des industries étrangères, et l’exposer sans défense suffi
sante à une concurrence désastreuse.
Sans doute à côté de ces industries étrangères se ren
contraient les consommateurs français qu’on trompait
sur l’origine réelle des marchandises qu’ils achetaient.
Mais la loi de 1857 n’avait voulu se préoccuper de ce
point de vue que dans l’hypothèse du numéro 2 de l’ar
ticle 8. Puis où était le danger, si l’acheteur recevait un
produit d’une nature identique au produit étranger dont
il portait le nom. Celui qui accepte de l’eau de Cologne
fabriquée en France qu’on lui dit fabriquée à Cologne,
n’en reçoit pas moins de l’eau de Cologne moins par
faite peut-être, mais qu’il payera moins cher ; et cette
infériorité du prix n’est-elle pas de nature à éclairer ce
lui qui entendrait ne recevoir que de l’eau de Cologne
fabriquée à Cologne même.
Dans tous les cas on ne saurait voir là qu’une trom
perie sur la qualité, que la loi n’a nulle part prévue et
ne pouvait pas même prévoir. Les tromperies de cette
nature sont innombrables, journalières, et si elles pou
vaient être déférées aux tribunaux , les juges ne suffi
raient à la tâche de punir celles qui leur seraient cha
que jour déférées.
957.
— L’usurpation du nom d’une ville étrangère
qui dissimulerait et dégénérerait en une tromperie sur
la nature du produit, serait-elle punissable ?
M. Dalloz soutient la négative. Pour lui le caractère
de notre loi conduit à cette conséquence , que le con-
�SUR LES MARQUES
181
sommaleur trompé par l’indication d’une origine étran
gère est absolument sans action.'
Que la loi n’ait pas voulu protéger les centres de pro
duction étrangers, qu’elle n’ait entendu prohiber et pu
nir que l’usurpation du nom de villes françaises, qu’enfin elle se préoccupe non de l’intérêt des consomma
teurs , mais principalement de celui des fabricants et
commerçants, c’est ce qui n’est pas contestable.
Mais a-t-elle également dérogé aux principes géné
raux sur la tromperie sur la nature des marchandises,
à l’art. 423 du Code pénal notamment qui la prévoit et
la punit? Or que ferait, par exemple, le coutelier fran
çais qui vendrait comme acier de Birmingham une cou
tellerie de fer fabriquée par lui ?
Punissable au point de vue du Code pénal, cette trom
perie sur la nature du produit l’est encore à celui de la
loi de 1857. Est-ce que , en effet, il n’y aurait pas là
l’usage d’une marque portant des indications propres à
tromper l’acheteur sur la nature du produit, c’est-à-dire
le délit prévu et puni par le numéro 2 de l’art. 8?
Ainsi quelle que soit l’origine indiquée , il y a délit
si l’indication aboutit à tromper l’acheteur sur la na
ture du produit. Si ce délit a été consommé , l’art. 423
du Code pénal sera applicable ; s’il est resté à l’état de
tentative, c’est par le numéro 2 de l’art. 8 qu’il sera ré
primé.’
1 Nouv. Rép., v° industr., n° 355.
3 Conf. Rendu, Droit in d ., n° 633 ; Marq. de fabr., n°202.
�182
loi
du
23
ju in
1857
958.
— L’article 9 a pour objet de garantir l’exé
cution des lois, décrets et ordonnances qui ont prescrit
à certaines industries une marque obligatoire, ou qui la
prescriront à l’avenir en vertu du pouvoir réservé au
Gouvernement par l’art. 1er de notre loi. L’opportunité
et l’utilité d’une sanction pénale à une obligation légale
et à l’exercice du droit déféré au Gouvernement, ne pou
vaient être ni méconnues ni contestées.
Ce qu’on aurait pu objecter, c’est qu’ici encore la loi
s’écartant du caractère qu’elle s’est donnée se préoccupe
non de l’intérêt des fabricants et commerçants , mais
de celui des consommateurs. Mais la marque obligatoire
a surtout son fondement dans des considérations d’or
dre et d’intérêt public. On ne pouvait pas dans une loi
spéciale aux marques ne pas prévoir les dérogations que
la marque facultative pourrait et devrait subir ; et puis
qu’on laissait au Gouvernement le soin d’y pourvoir,
fallait-il bien édicter contre l’inobservation des règle
ments pris à ce sujet, une peine que ces règlements ne
pouvaient établir et sanctionner.
Les peines prononcées par l’art. 9 sont : une amende
de 50 fr. à 1000 fr. et un emprisonnement de quinze
jours à six mois; mais comme dans les cas des articles
7 et 8 , les juges ont la faculté de tenir compte des cir
constances de nature à provoquer et à mériter l’indul
gence , soit en ne prononçant que l’une de ces peines,
soi en les descendant jusqu’à l’extrême limite tracée par
l’art. 463 du Code pénal.
�SUR LES MARQUES
183
9 3 9 . — Tombent sous le coup de notre article :
1° ceux qui n’ont pas apposé sur leurs produits une
marque déclarée obligatoire. 11 n’est pas permis en ef
fet à un fabricant d’ignorer les conditions imposées à
son genre d’industrie et s’il ne s’est pas conformé aux
prescriptions de la loi spéciale , il ne saurait alléguer
cette ignorance qui n’est même pas probable.
9 4 0 . — Mais , objecte M. Rendu , le fabricant peut
expliquer par des motifs légitimes un retard non inten
tionnel dans l’apposition de la marque obligatoire. Dans
ce cas, l’excuse de la bonne foi ne pourrait-elle être ad
mise par les juges , sans que leur décision encourût le
reproche d’avoir méconnu la loi ? '
Non, répondons-nous sans hésiter. L’allégation d’un
retard ne pourrait être soutenue que si le produit était
encore en cours de fabrication. Or on n’a pas à redou
ter qu’on songe jamais à saisir des objets en cet état. On
ne poursuivra évidemment que les produits confection
nés, sortis de l’atelier et des mains des ouvriers, et par
conséquent prêts à être vendus et pouvant l’être à toute
heure.
Pourrait-on , par exemple , exciper d’un retard non
intentionnel pour des savons qui doivent recevoir la
marque dans la forme même , pour les pièces d’étoffe
ne portant pas la lisière qui doit indiquer l’or faux ou
mi-fin qui entre dans leur tissu, etc.. . . ?
1 Mart/nés de fabrique, n°218.
�184
loi
do
23
ju in
1857
Il çst donc impossible d’admetlre que la loi ait en
tendu autoriser une excuse dont la banalité aboutirait
bientôt à laisser ses dispositions à l’état de lettre morte
ou d’une application fort rare. Sans doute tous les pré
venus ne seront pas coupables au même degré ; mais à
cet égard la loi ne pouvait que s’en référer à l’apprécia
tion souveraine du juge pour faire à chacun la part qu’il
mérite. Et certes on ne l’accusera pas d’avoir renfermé
cette appréciation dans un cercle trop étroit. L’écart en
tre le minimum et le maximum, le droit de n’appliquer
que l’une des peines édictées , la faculté de la modifier
par l’application de l’art. 463 du Code pénal, fournis
sent l’occasion et le moyen de tenir compte de tout ce
qui pourrait atténuer le délit, et de mesurer la répression
à sa gravité réelle,
941.
— Le numéro 2 de l’art. 9 déclare passibles
de la peine ceux qui ont vendu ou mis en vente un ou
plusieurs produits ne portant pas la marque déclarée obligatoire pour cette espèce de produits. Ce qu’il faut re
marquer dans cette disposition , c’est l’absence du mot
sciemment employé dans le numéro 3 des articles 7 et 8.
Ainsi en ce qui concerne les objets non revêtus de la
marque obligatoire , le fait de la vente ou de la mise en
vente.constitue le délit et suppose de plein droit la cul
pabilité. La différence se comprend et s’explique par la
nature des choses.
On peut de très-bonne foi ignorer qu’une marque est
contrefaite, frauduleusement apposée ou imitée, ou bien
�SUR LES MARQUES
185
qu’elle porte des indications propres à tromper l’ache
teur sur la nature du produit. Mais celui 'qui exploite
une industrie soumise à la marque obligatoire n’ignore
pas, ne peut pas ignorer qu’il ne peut vendre ou met
tre en vente les objets de son commerce que s’ils sont
revêtus de cette marque, et il lui est facile de s’assurer
si ceux qu’il reçoit remplissent cette condition. S’il ne
le vérifie , il commet la plus lourde des négligences , et
l’on ne concevrait pas que la loi qui, pour la contrefa
çon des marques , fait résulter la culpabilité du fait de
ne s’être pas assuré au dépôt central si cette marque
n’appartenait pas un autre, n’admit pas cette culpabilité
contre celui qui , possesseur d’un objet, pouvait trèsfacilement vérifier s’il était ou non revêtu de la marque
qui lui était imposée.
Nous avons déjà indiqué la signification des mots
mis en vente. Il n’est pas douteux que cette signification
soit, dans l’art. 9 , ce qu’elle est dans les articles 7 et
8. Il y a donc délit dès que les objets non revêtus de la
marque obligatoire sont destinés à être vendus , sans
qu’il soit nécessaire qu’une manifestation extérieure quel
conque soit venue indiquer cette destination.
942.
— Les faits prévus par les articles 7, 8 et 9
constituent des délits, donnent dès lors ouverture à une
double action : l’action publique et l’action civile.
L’exercice de celle-ci ne peut soulever ni difficulté ni
doute. Evidemment on ne saurait contester au proprié
taire de la marque contrefaite , usurpée ou imitée ; à
�186
un
du
23
ju in
1857
l’acheteur qui a été trompé sur la nature du produit, le
droit de poursuivre en justice la réparation du préjudice
qu’ils éprouvent ou de l’atteinte portée à leur propriété.
Cette poursuite peut être déférée soit au tribunal civil,
soit à la juridiction correctionnelle.
Dans ce dernier cas, la partie lésée est recevable et
fondée à agir par citation directe, ou par la voie d’une
plainte au ministère public.
945.
— Que celui-ci doive poursuivre sur cette plain
te , on ne saurait le révoquer en doute , à moins que
l’instruction qui en aurait été la conséquence ne vînt en
démontrer le mal fondé. Mais peut-il prendre l’initia
tive et poursuivre d’office le délit venu à sa connais
sance ?
La négative ne serait admissible que si, dérogeant au
droit commun eu matière d’action publique pour délit,
la loi spéciale avait formellement interdit cette initiative.
Or dans la loi de 1857 il y a mieux qu’une absence
de toute dérogation h ce sujet. Le droit d’initiative du
procureur impérial a été expressément reconnu et ré
servé. En effet un membre du Corps législatif proposait
d’en subordonner l’exercice à la plainte de la partie lé
sée, par ce motif : que l’intervention du ministère pu
blic dans les affaires particulières des fabricants et com
merçants ne devait être admise qu’avec une extrême ré
serve.
Mais la commission repoussa cette proposition , con
vaincue que le ministère public ferait toujours un exer
cice prudent et mesuré du droit dont il était armé.
�SUR LES MARQUES
187
Ce droit existe donc , mais il est évident que dans la
pratique son exercice ne se réalisera que sur la dénon
ciation ou la plainte de la partie lésée. Comment en ef
fet le procureur impérial pourra-t-il deviner qu’une
marque est contrefaite, usurpée ou imitée? Comment
saura-t-il qu’elle porte des indications propres à trom
per l’acheteur sur la nature du produit ? que des objets
sont fabriqués, vendus ou mis en vente sans être revê
tus de la marque obligatoirement exigée par la loi ?
On est donc conduit par la nature des choses à pen
ser qu’une dénonciation ou un procès-verbal de saisie
viendra solliciter ou provoquer l’action du ministère
public. Etait-il dès lors utile d’exiger l’une ou l’autre,
c’est-à-dire de laisser le représentant de la société désarméen présence d’un délit dont il aurait personnellement
connaissance? Aucune raison, pas même la crainte d’u
ne intervention inopportune , ne pouvait légitimer cette
dérogation au droit commun. Ce n’est pas en l’air et
sur un simple soupçon que le ministère public se déci
dera à agir. Il prendra tous les renseignements, se livrera
à toutes les recherches qui peuvent l’éclairer , fera ou
requerra une instruction , et si en définitive il arrive à
la conviction qu’un délit existe , pourquoi lui serait-il
interdit d’en poursuivre la répression ? Cette répression
n’est plus seulement une affaire particulière, elle intéres
se l’ordre public , la société tout entière ; et en la solli
citant , le magistrat spécialement chargé de défendre et
de protéger l’un et l’antre n ’exerce pas seulement un
droit; il accomplit un devoir.
�loi du 2 3
188
juin
1857
A r t . 10.
Les peines établies par la présente loi ne peu
vent être cumulées.
La peine la plus forte est seule prononcée
pour tous les faits antérieurs au premier acte de
poursuite.
Art. 11.
Les peines portées aux articles 7 ,8 et 9 peu
vent être élevées au double en cas de récidive.
Tl y a récidive lorsqu’il a été prononcé contre
le prévenu, dans les cinq années antérieures, une
condamnation pour un des délits prévus par la
présente loi.
Art. 12.
L’article 4 6 3 du Code pénal peut être appli
qué aux délits prévus par la présente loi.
SOMMAIRE
944
Renvoi,
�189
SUR LES MARQUES
9 4 4 , — Ces trois articles ont été empruntés à la
loi du 5 juillet 1844 sur les brevets d’invention. Nous
renvoyons donc aux observations que nous avons pré
sentées sous les articles 42 et 43 de cette loi.
A r t . 15.
Les délinquants peuvent en outre être privés
du droit de participer aux élections des tribu
naux et des chambres de commerce, des cham
bres consultatives des arts et manufactures, et
des conseils de prud’hommes, pendant un temps
qui n’excèdera pas dix ans.
Le tribunal peut ordonner l’affiche du juge
ment dans les lieux qu’il détermine , et son in
sertion intégrale ou par extrait dans les jour
naux qu’il désigne, le tout aux frais du con
damné.
A r t . 14.
p
La confiscation des produits dont la marque
serait reconnue contraire aux dispositions des
articles 7 et 8 peut, même en cas d’acquittement,
être prononcée par le tribunal , ainsi que celle
�190
loi du
23
ju in
1857
des instruments et ustensiles ayant spécialement
servi à commettre le délit.
Le tribunal peut ordonner que les produits
confisqués soient remis au propriétaire de la
marque contrefaite ou frauduleusement apposée
ou imitée,indépendamment de plus amples dom
mages-intérêts s’il y a lieu.
Il prescrit dans tous les cas la destruction des
marques reconnues contraires aux dispositions
des articles 7 et 8.
A r t . 15.
Dans les cas prévus par les deux premiers
paragraphes de l’article 9 , le tribunal prescrit
toujours que les marques déclarées obligatoires
soient apposées sur les produits qui y sont as
sujettis.
Le tribunal peut prononcer la confiscation
des produits, si le prévenu a encouru,^dans les
cinq années antérieures une condamnation pour
un des délits prévus par les deux premiers pa
ragraphes de l article 9.
I
�SUR LES MARQUES
191
SOMMAIRE
945
Peines accessoires prononcées par l ’art. 13. — Leur carac
tère.
946 Elles ne sont que facultatives pour les juges.
947 La privation de voter aux élections commerciales ne peut ètre demandée par la partie civile.
948 II en est autrement de l'affiche du jugement et de son in
sertion dans les journaux.
949 Elles peuvent être ordonnées par les tribunaux civils.
950 Si la partie civile y a conclu, le jugement doit constater le
951
952
953
954
955
956
957
958
959
960
refus et le motiver.
Le jugement détermine les lieux où l ’affiche doit être ap
posée, et le nombre d’exemplaires.
Les journaux dans lesquels l’insertion doit être faite , soit
intégrale soit par extrait.
La confiscation dans les cas prévus par les articles 7 et 8
était la conséquence du caractère délictueux des objets.
Mais elle n’est plus que facultative. — Motifs donnés par le
rapporteur de la loi. Appréciation.
La raison véritable est dans la nature des choses.
De même que la confiscation , la destruction de la marque
frauduleuse doit être ordonnée en cas d’acquittement.—
Comment elle doit s'opérer.
La confiscation peut être étendue aux instruments et usten
siles ayant spécialement servi à commettre le délit.
Dans le cas de confiscation , la remise des objets confisqués
au propriétaire de la marque peut être ordonnée.-— Qui
peut la requérir.
Intérêt du délinquant à ce qu’elle soit ordonnée.
La remise ne saurait être ordonnée dans le cas prévu par le
paragraphe 2 de l'art. 8.
�192
loi du 2 3
ju in
1857
961
Mais la destruction des indications fallacieuses est obliga
toire.
962 La confiscation , dans les cas de l’article 9 , n ’est permise
qu’en cas de récidive. Pourquoi.
963 Si la confiscation est prononcée elle doit recevoir son effet,
nonobstant le privilège du locateur ou de la douane.
9 4 5 . — Les conséquences de la violation des pres
criptions de la loi sur le respect des marques, ne se bor
nent pas à l’emprisonnement et à l’amende. L’article 13
organise tout un système de|peines morales, et il faut
convenir que c’était là fortifier la garantie qu’on voulait
assurer à la propriété industrielle.
L’interdictionNle participer aux élections des tribu
naux et chambres de commerce , des chambres consul
tatives des arts et manufactures et des conseils des prud’
hommes pendant un temps qui peut être porté à dix
ans, est une des peines les plus efficaces par l’atteinte
qu’elle inflige à l’orgueil et à l’amour-propre. Nous som
mes en France assez peu jaloux d’exercer le droit de vo
ter , mais ce droit nous est précieux. L’incapacité de
l’exercer prononcée par la justice est un stigmate telle
ment honteux, que la chance de l’encourir peut retenir
celui qui ne craindrait pas de braver celle d’un empri
sonnement et de l’amende.
Si du moins on pouvait espérer dérober cette incapa
cité aux yeux du public. Mais l’affiche du jugement que
le tribunal peut ordonner même sur les magasins du
condamné , vient au contraire la vulgariser, l’insertion
�193
SUR LES MARQUES
dans les journaux lui donner un retentissement tel que
le public tout entier sera nécessairement mis dans la
confidence.
« Ces peines , disait avec raison le rapporteur du
Corps législatif, joignent au mérite de l’exemplarité, l’a
vantage d’appliquer au délinquant une peine analogue
au délit. Il a voulu nuire à ses concurrents, surprendre
la confiance publique par l’usage de signes frauduleux
et mensongers ; l’insertion dans les journaux et l’affiche
surtout à la porte de son domicile ou de ses magasins,
mettront le public en défiance et l’obligeront à s’abste
nir de fraudes désormais signalées. »
Mais suffira-t-il qu’il s’abstienne à l’avenir pour con
jurer les effets de la constatation de sa déloyauté pas
sée. La défiance du public une fois éveillée ne disparaî
tra pas si facilement, et longtemps encore il aura à souf
frir de ses effets et à les regretter. N’est-ce pas là pré
cisément ce qui peut l’empêcher d’entrer , en aucun
temps, dans une voie q u i, si elle offre ses avantages, a
aussi ses inconvénients et ses dangers.
946.
— Les mesures autorisées par l’art. 13 sont,
pour les tribunaux, non un devoir mais une faculté.
L’exercice de cette faculté est abandonné à leur pru
dence et à leurs lumières.
Mais cet exercice puise son élément essentiel dans les
effets que le législateur s’est promis de ces mesures,
pour arriver à cette exemplarité qu’on a voulu attein
dre. Pour que le danger qui doit retenir chacun dans la
iii
—
13
�194
loi du
23
ju in
1887
voie de la loyauté et du devoir soit efficace, il faut que
l’affiche et l’insertion dans les journaux soient la règle
ordinaire et leur refus l’exception , et c’est ce que dans
leur sagacité les tribunaux ont compris et pratiqué. C’est
là d’ailleurs un nouveau moyen d’arriver à la véritable
proportionnalité de la peine que la commission du Corps
législatif réclamait avec tant d’insistance.
9 4 7 . — La privation de participer aux élections
commerciales est essentiellement et exclusivement une
peine. D’où la conséquence que le tribunal civil investi
de l’action en réparation du préjudice causé par le dé
lit, n’a ni le droit ni le pouvoir de la prononcer.Ce droit
et ce pouvoir n’appartiennent qu’à la juridiction correc
tionnelle.
Le tribunal correctionnel peut les exercer d’office et
sans y être provoqué. Cette provocalion d’ailleurs ne
peut émaner que du ministère public. La partie civile
n’est là que pour poursuivre la réparation du préjudice
qu’elle a souffert, et la question de savoir si le prévenu
votera ou ne votera pas dans les élections commerciales,
ne se rattache ni de près ni de loin à cette réparation.
9 4 8 . — Il n’en est pas de même de l’affiche du ju
gement et de son insertion dans les journaux. A ne
consulter cependant que les termes de l’art. 13, on se
rait conduit à leur assigner le caractère de peine , et à
admettre , en ce qui les concerne, les conséquences que
nous venons d’indiquer pour l’interdiction de voter dans
les élections commerciales.
�SUR LES MARQUES
195
Mais nous l’avons déjà dit
l'affiche et l’insertion
dans les journaux sont aussi bien une réparation civile
qu’une peine, et c’est ce double caractère qui faisait con
tester au tribunal correctionnel le droit de les ordonner
d’office et sans y être requis; au ministère public celui
de les requérir.
A notre avis, l’art. 13 a voulu trancher ce doute, fai
re cesser toute controverse. En considérant l’affiche et
l’insertion au point de vue de la peine, il a sans aucun
doute permis au ministère public de les requérir et au
torisé le tribunal correctionnel à les ordonner d’office.
Mais a-t-il par là refusé à cette double mesure le ca
ractère de réparation que la cour de Cassation lui assi
gnait et qui lui appartient réellement ? Nous ne saurions
l’admettre. Une pareille conclusion méconnaîtrait l’es
prit et le but de la loi.
Ce qu’elle a voulu tout d’abord garantir et protéger
c’est, en première ligne, l’intérêt des fabricants et com
merçants. Il était dès lors naturel de leur assurer les
moyens de rendre cette protection efficace.
Or de tous ces moyens l’affiche du jugement et son
insertion dans les journaux sont les plus énergiques, les
plus réellement utiles. Une condamnation qui n’aurait
qu’un retentissement restreint ne sauvegarderait pas suf
fisamment l’avenir , n’écarterait pas des magasins du
condamné tous ceux que l’usage frauduleux d’une mar-
�196
loi do
23
juin
1857
que autorisée y a appelés, ne déterminerait pas celte
défiance publique que la condamnation se propose, lais
serait jusqu’à un certain point se continuer cette con
currence déloyale dont la possibilité seule est un dan
ger et un préjudice pour le propriétaire de la marque.
Ce sont cependant ces résultats que le plaignant a le
plus évident intérêt à obtenir. Rien donc ne saurait l’em
pêcher de les demander à la justice qui est d’autant plus
autorisée à les lui accorder , qu’elle peut les consacrer
d’office.
C’est au reste ce qui n’a jamais cessé de se pratiquer
devant les tribunaux. Nul en cette matière, pas plus que
dans le cas de contrefaçon d’une’invention brevétée ou
d’usurpation, n’a contesté au plaignant le droit de con
clure à l’affiche du jugement et à son insertion dans les
journaux. Or ce droit se concilie-t-il avèc la prétention
d’assigner à cette double mesure un caractère exclusive
ment pénal ? Reconnaîtrait-on à la partie civile la faculté
de conclure à l’amende, à l’emprisonnement, à la pri
vation de voter dans les élections commerciales ?
Donc si non-recevable à provoquer ces peines , on
l’admet sans difficulté à réclamer l’insertion et l’affiche,
c’est évidemment que ces dernières sont en même temps
une peine et une réparation civile, comme le consacrait
la cour de Cassation dans son arrêt du %\ mars 1839.»
9 4 9 . — Ce double caractère amène à cette eonsé-
i Supra n° 681.
V
%
�SUR LUS MARQUES
197
quence, que l’affiche et l’insertion peuvent être ordon
nées par les tribunaux civils investis de la poursuite en
répression de la contrefaçon ou imitation frauduleuse.
Si ce pouvoir ne leur était pas attribué par notre article
13 , ils le tiendraient incontestablement de l’art. 1036
du Code de procédure civile qui leur permet de l’exercer
même d’office. A plus forte raison lorsqu’ils y sont pro
voqués.
9F»0. — Le tribunal soit correctionnel soit civil qui
ne croit pas devoir user de la faculté d’ordonner d’office
l’affiche et l’insertion, n’a pas à motiver son refus. Il
en est autrement lorsque la partie lésée a formellement
conclu à l’une et à l’autre. Sans doute les juges ont tout
pouvoir pour repousser ces conclusions ; mais s’ils les
repoussent ils doivent dire pourquoi. Le silence qu’ils
garderaient à ce sujet constituerait un refus ou une omis
sion de statuer qui ferait annuler leur décision.
La cour de Cassation le jugeait formellement le 11
jyillet 1823. Dans l’espèce une plainte en diffamation
lui ayant été déférée, la cour de Paris , tout en recon
naissant la diffamation , s’était bornée à accorder des
dommages-intérêts sans dire les motifs qui la portaient
à refuser l’insertion et l’affiche que la partie civile de
mandait dans ses conclusions.
Pourvoi de la partie civile, et arrêt de la Cour suprê
me qui casse :
s
« Attendu en droit : 1° que les tribunaux chargés
par la loi de statuer sur les poursuites du ministère pu-
�198
loi
du
23
ju in
1857
blic et des parties civiles, violent les règles de leur com
pétence en en refusant l’exercice, lorsque, ayant été sai
sis d’une action publique ou civile, ils s’abstiennent d’y
statuer; 2° que l’action civile se compose de tout ce
qui tend à réparer le préjudice ; qu’en matière de diffa
mation, particulièrement la saisie et la suppression de
l’écrit diffamatoire, l’impression et l’affiche du jugement
qui a reconnu la diffamation et les condamnations pé
cuniaires s o n t, comme moyens les plus efficaces de la
réparation du dommage , les éléments principaux et le
but direct de celte action ; que la demande qui peut en
être faite par la partie civile ne peut être réputée acces
soire de celle qui a pour objet le caractère et la qualifi
cation de l’écrit; que celle-ci n’est qu’un moyen de
preuve du préjudice causé, et que les conclusions prises
pour la réparation de ce préjudice forment toujours la
demande principale; que les tribunaux sont, sans dou
te, les appréciateurs de l’atteinte qui peut avoir été por
tée à l’honneur, à la considération et au crédit d’un in
dividu, par l’imputation des faits publiés par écrit ôu
verbalement ; qu’ils sont aussi les appréciateurs de la
réparation qui peut en être due, et que, hors le cas où
la loi a prescrit un mode particulier de réparation , ils
ont le droit d’admettre, de modifier ou de rejeter d’après
les circonstances les demandes dé la partie civile; mais
qu’ils doivent toujours y prononcer , et qu’à défaut de
dispositions dans le jugement sur ces demandes , il y a
omission ou refus de statuer sur l’action. »
Cet arrêt confirme de plus fort notre doctrine sur le
�SUR LES MARQUES
199
caractère de l’insertion et de l’affiche du jugement. N’estce pas en effet comme élément de la réparation que la
cour la considère , et n’est-ce pas à ce titre qu’elle dé
clare que la demande peut en être formée par la partie
civile, et impose au juge le devoir d’y statuer ?
Or substituez le mot contrefaçon à celui de diffama
tion, et vous vous trouverez en présence et sous l’empire
des considérations relevées par la Cour régulatrice. Il
est évident en effet que, pour l’une comme pour l’autre,
ïimpression et l'affiche du jugement et les condamna
tions pécuniaires sont, comme moyens les plus efficaces
de la réparation du préjudice, les éléments principaux
et le but direct de l'action civile ; que la demande qui
peut en être faite par la partie civile ne peut être ré
putée accessoire de celle qui a pour objet le caractère
et la qualification de l'acte; que celle-ci n’est qu'un
moyen de preuve du préjudice causé, et que les conclu
sions prises pour la réparation de ce préjudice forment
toujours la demande principale.
Dès lors le résultat ne pourrait être différent, et la
décision q u i, en présence de conclusions formelles en
impression et en affiche du jugement, les aurait tacite
ment repoussées en n’accordant qu’une allocation de
dommages-intérêts, violerait les règles de la compétence
et encourrait la censure de la Cour suprême.
951.
— L’article 13 en permettant aux juges d’or
donner l’affiche du jugem ent, leur laisse la faculté de
déterminer les lieux où cette affiche doit être apposée.
�200
i.oi
du
23
ju in
t857
Ils peuvent donc ordonner cette apposition à la porte du
domicile ou des magasins du délinquant. C’est même ce
qu’ils doivent faire pour se conformer à l’esprit de la
loi tel que le déterminait le rapporteur du Corps légis
latif.
Quant au nombre d’exemplaires à afficher et au droit
d’en assurer la permanence , nous renvoyons aux ob
servations que nous avons présentées à ce sujet en trai
tant des brevets d’invention.'
9 5 2 . — Les juges doivent aussi , s’ils ordonnent
l’insertion dans les journaux, désigner soit les journaux,
soit le nombre de ceux dans lesquels celte insertion
devra être réalisée. Il ne faudrait pas en effet que cette
insertion devînt ruineuse; et elle le serait bientôt si,
comme il ne serait que trop porté à le faire, le bénéfi
ciaire du jugement le faisait insérer dans tous les jour
naux qui se publient à Paris et dans les départements.
La même pensée de réduire les frais que doit sup
porter le condamné à une juste proportion, a fait auto
riser les juges à décider si l’insertion dans les journaux
désignés sera intégrale ou seulement par extrait. Dans
ce dernier cas l’insertion se borne au nom des parties,
aux motifs et au dispositif du jugement.
9 5 3 . — La confiscation des produits délictueux, dans
le cas des articles 7 et 8, était une conséquence logique
1 Supra n°s 680 et suiv.
�,
'
- '
SUR LES MARQUES
201
de la nature du délit. Laisser ces produits entre les
mains du condamné, c’était lui permettre d’en disposer,
de les verser dans la circulation , et de perpétuer ainsi
le préjudice que le propriétaire de la marque éprouve
par la contrefaçon , l’apposition ou l’imitation fraudu
leuse.
Celte considération a paru déterminante au législa
teur de toutes les époques. L’article 423 du Code pénal
prescrit la confiscation dans les cas qu’il prévoit, et nous
avons vu que sa disposition s’étend au délit d’altération
ou de supposition de noms de fabricants ou de lieux de
fabrication'. L’article 427 du même Code l’ordonne dans
le cas de contrefaçon littéraire; la loi du 8 juillet 1844,
dans celui de la contrefaçon d’une invention brevetée ;
enfin celle du 1er avril 1851, dans le cas de falsification
de denrées et marchandises.
La loi de 1857 ne pouvait donc hésiter. 11 n’était pas
plus possible ici que là de permettre qu’on pût jeter dans
la circulation des objets frauduleux et lésifs. Aussi l’ar
ticle 14 l’autorise -1—il même en cas d’acquittement.
95Æ. — Mais ce même article ne fait plus qu’une
simple faculté de ce que les lois que nous venons de ci
ter prescrivent obligatoirement. Cette différence,XEayposè
des motifs la fondait d’une part sur ce que le dommage
causé aux tiers par le délit pouvait être de peu d’impor
tance, d’autre part sur ce que la confiscation aurait pu
1 S u p r a n°» 725 et suiv.
�202
loi du
23
juin
1887
entraîner la ruine du délinquant ou compromettre les
intérêts de ses créanciers.
Ces raisons on pouvait les alléguer dans tous les cas
de confiscation et notamment dans celui de contrefaçon
d’une invention brevetée ; et si elles n ’ont pas empêché
le législateur de faire de la confiscation un devoir, on
ne voit pas pourquoi elles justifiaient le parti pris de ne
la considérer ici que comme une simple faculté.
On peut sans doute admettre qu’au moment de la
saisie et de la poursuite le préjudice n’aura pas encore
acquis une grande importance ; mais il l’acquerra bien
certainement s i , resté en possession des objets fraudu
leux, le délinquant conserve la faculté de les vendre et
les vend en effet après le jugement. Cette importance
sera même d’autant plus énorme que la contrefaçon, l’u
surpation ou l’imitation aura été pratiquée sur une échelle telle que la confiscation devrait ou pourrait en
traîner la ruine du délinquant, ou compromettre l’inté
rêt de ses créanciers. Quel avantage aurait retiré de la
poursuite le fabricant ou le commerçant illégalement at
teint dans sa propriété , s i , obtenant la réparation du
préjudice actuel , il devait subir le préjudice bien plus
grand encore dont le menace l’avenir?
955.
— Si cedanger, si cette injustice n’ont pas em
pêché le législateur de n’admettre la confiscation , dans
notre matière, que comme une faculté, c’est que la na
ture des choses elle-même permettait de concilier tous
les intérêts. On remarquera en effet que dans toutes les
�SUR LES MARQUES
203
hypothèses où la confiscation est obligatoire , la fraude
gisant dans l’objet lui-même , il fallait que cet objet fût
anéanti ou retiré des mains de son possesseur pour pré
venir toute possibilité de préjudice et assurer la sécurité
de l’avenir.
Dans les délits prévus par les articles 7 et 8 de notre
loi, la fraude ne réside pas dans le produit lui-même.
Elle est tout entière dans la marque dont on les a re
vêtus. Celle-ci disparaissant, toute possibilité de préju
dice s’évanouit. Il suffisait donc de faire aux tribunaux
un devoir d’ordonner la destruction de la marque , et
c’est ceque notre article 14 leur prescrit d’ordonner dans
tous les cas, et par conséquent dans celui d’acquittement
comme dans celui de condamnation.
Dès lors le poursuivant obtient tout ce qu’il pouvait
demander : réparation intégrale du préjudice éprouvé
jusqu’au jour de la poursuite, sécurité pour l’avenir. On
pouvait donc s’en référer pour la confiscation à l’ap
préciation consciencieuse des magistrats et ne l’ordon
ner que dans les cas où elle paraîtrait indispensable pour
assurer la réparation du dommage.
956.
— La destruction de la marque ordonnée par
le tribunal doit être opérée non-seulement sur les ob
jets saisis et placés sous la main de la justice, mais en
core sur tous ceux qui peuvent être restés libres entre
les mains du prévenu. Ordinairement, en effet, la saisie
ayant pour objet la constatation et la preuve du délit, on
la restreint è quelques objets suffisants pour justifier de
l’une et de l’autre.
�r
LOI DU
23
JUIN
1857
C’est là d’ailleurs un acte de modération que la prudence conseille. Le saisissant, en effet, s’expose à des
dommages-intérêts, si sa prétention n’est pas accueillie;
et ces dommages-intérêts seront d’autant plus considé
rables que la saisie aura porté sur un plus grand nom
bre d’objets et occasionné une plus forte entrave à l’ex
ercice du commerce ou de l’industrie du saisi.
La saisie elle-même n’est qu’une mesure de précau
tion dont la partie lésée est libre de s’abstenir. Il est évident dès lors que si la disposition du jugement ne
s’appliquait qu’aux objets saisis, elle n’aurait aucun ob
jet si, usant de son droit, le poursuivant n ’avait fait pra
tiquer aucune saisie.
Il faut donc nécessairement admettre que la destruc
tion de la marque ordonnée doit être opérée sur tous
les objets où elle se trouve apposée. L’exécution de cette
disposition est entièrement laissée à la discrétion de ce
lui à qui elle est imposée. Mais les conséquences qu’en
traînerait son inobservation garantissent contre toute
velléité de s’y soustraire.
Celui qui condamné aurait, après le jugement, laissé
subsister la marque dont la destruction a été ordonnée,
commettrait un nouveau et second délit qui le rendrait
passible des peines de la récidive.
Le débitant qui sur la preuve de sa bonne foi aurait
été acquitté une première fois, serait inévitablement con
damné si après le jugement il avait vendu ou mis en
�I
SUR LES MARQUES
205
verti par le jugement lui-même du caractère frauduleux
de cette marque, il ne lui serait plus permis d’alléguer
qu’il n’a pas agi sciemment.
9 5 7 . — La confiscation peut être étendue aux ins
truments et ustensiles ayant spécialement servi à com
mettre le délit. Nous renvoyons aux observations que
nous avons présentées sous l’art. 49 de la loi de 1844
sur l’étendue et la portée de ces termes.'
9 5 8 . — Si usant de la faculté qui leur est laissée
les tribunaux prononcent la confiscation , ils ont à dé
cider si les objets confisqués seront ou non remis au
propriétaire de la marque contrefaite ou frauduleuse
ment apposée ou imitée.
Cette disposition de l’art. 14 confirme ce que nous a*
vons dit du caractère de la confiscation dans nos obser
vations sur l’art. 49 de la loi de 1844. Elle est une
peine et une réparation civile ; elle peut donc être re
quise par le ministère public et par la partie civile.
Mais la remise au plaignant n’est évidemment qu’u
ne réparation, et nous ne croyons pas qu’elle puisse être
requise par le ministère public, ni prononcée d’office
par le tribunal.
9 5 9 . — A la différence de l’art. 49 de la loi de
1844 qui prescrit rigoureusement cette remise, l’art. 14
1 Supra n° 660
,
�206
loi
du
23
ju in
1857
de noire loi la déclare simplement facultative. Les juges
peuvent donc la refuser même lorsqu’ils prononcent la
confiscation.
Ce refus, toutefois, n’est guère probable. En effet la
confiscation ne sera ordonnée que dans les cas où l’im
portance du préjudice en démontrera la nécessité. Mais
alors surgit celle d’une réparation intégrale, et la remise
des objets confisqués sera le moyen le plus simple , le
plus naturel, le seul peut-être d’assurer cette répara
tion.
Il est évident d’ailleurs que dans le calcul des dom
mages-intérêts les juges auront égard à la valeur des
objets confisqués , et tiendront compte de cette valeur
dans leur allocation. En définitive donc la remise de ces
objets aboutira à ce résultat unique : que l’indemnité
que le plaignant a le droit d’obtenir, il la recevra en na
ture si les objets confisqués couvrent intégralement le
préjudice, partie en nature partie en argent dans le cas
contraire.
Il est dès lors évident que la remise des objets confis
qués est beaucoup plus dans l’intérêt du condamné que
dans celui de la partie civile. Si celle-ci ne reçoit pas
tout ou partie de son indemnité en nature, il la recevra
en argent ce qui lui serait souvent plus avantageux, tan
dis que le condamné perdant par la confiscation les ob
jets saisis, aurait à payer intégralement et sans compen
sation les dommages-intérêts alloués.
La remise à la partie civile des objels confisqués offre
donc pour lui un intérêt incontestable en appliquant
�SUR LES MARQUES
207
leur valeur à la contribution de l’indemnité à laquelle
il est tenu, en l’exonérant en tout ou en partie de l’obli
gation de la prendre sur ses autres biens. Loin donc de
la contester et de la combattre il devrait la solliciter luimême en cas de confiscation.
960.
— On remarquera que l’art. 14 qui permet
la confiscation dans tous les cas prévus et punis par les
articles 7 et 8 , n’autorise la remise des objets confis
qués qu’au propriétaire de la marque. Or dans le délit
d’apposition ou d’usage d’une marque portant des indi
cations propres à tromper l’acheteur sur la nature du
produit. Le propriétaire de la marque n’est autre que le
délinquant lui-même, et ce n’est certes pas à lui que la
loi aurait entendu qu’on dût remettre les objets confis
qués.
Dans l’hypothèse de ce délit comme dans celle de la
vente ou mise en vente de produits portant une marque
trompeuse, la question de remise ne saurait s’agiter, et
cela se comprend.
Les conséquences de ces délits préjudicient non à tel
ou à tel commerçant ou fabricant, mais aux consom
mateurs en général. Or celui d’entre eux qui aura été
trompé reculera devant la nécessité et les ennuis d’une
poursuite. Il se bornera le plus ordinairement à signa
ler le fait au ministère public et à solliciter son initia
tive. Bien certainement le procureur impérial n’aura ja
mais la pensée de demander la remise des objets confis
qués, pas plus que le tribunal celle de l’ordonner.
�208
loi
du
23
ju in
1857
Supposez que par exception le consommateur trompé
poursuive en son nom ou comme partie civile, son droit
à être indemnisé du préjudice qu’il a éprouvé est évi
dent et incontestable. Mais pour lui ce droit ne peut
consister qu’à rentrer dans les sommes qu’il a payées
contre la restitution de la chose si elle existe encore en
ses mains , ou en cas contraire dans le remboursement
de tout ce qui dans le prix excède la valeur vénale et
réelle de ce qu’il a reçu. Il sera donc'intégralement dé
sintéressé par la résiliation de la vente ou la restitution
de tout ou de partie du prix qu’il a promis ou payé.
La remise en ses mains des objets confisqués l’indem
niserait cent fois, mille fois peut-être au delà de ce qui
lui est dû ; ferait pour lui d’un délit et d’une fraude le
moyen de s’enrichir aux dépens de son auteur , ce que
ni la morale ni la loi ne pouvait tolérer et moins encore
autoriser.
Ce qu’on peut facilement prévoir et présumer c’est
que, dans cette hypothèse, le tribunal s’abstiendra d’or
donner la confiscation, et se bornera à prescrire la des
truction des indications constituant le délit ; que si la
gravité des circonstances le détermine à agir autrement,
c’est le trésor public qui profitera seul de la confisca
tion.
961.
— Mais même dans ce cas la destruction des
indications fallacieuses n’en doit pas moins être ordon
née. Le trésor public ne recevrait ces objets que pour les
vendre , et cette vente il ne saurait y procéder dans des
I
�SUR LES MARQUES
209
conditions qui pour les simples citoyens constituent un
délit ; il ne peut la réaliser qu’après avoir restitué à ces
objets leur caractère et leur nature véritables. Il hésitera
d’autant moins à exécuter à ce sujet l’ordre du tribu
nal, que la loyauté de ses administrateurs en prendrait
dans tous les cas l’initiative.
962.
— Les objets qui ne portent pas la marque
qui leur est obligatoirement imposée sont des objets dé
lictueux. Il semble donc qu’on aurait dû , quant à la
confiscation, les placer sur la même ligne que ceux qui
contreviennent aux articles 7 et 8.
Cependant l’art. 15 ne confère la faculté de pronon
cer cette confiscation que si le prévenu est en état de ré
cidive, c’est-à-dire si dans les cinq années antérieures il
a subi une condamnation pour un des délits prévus par
les paragraphes 1 et 2 de l’art. 9.
La marque obligatoire puise sa raison d’être dans des
motifs d’ordre public et de protection du travail natio
nal. Son omission était un fait grave sans doute , mais
les objets sur lesquels elle aurait dû figurer n’ont en soi
rien de préjudiciable ou de lésif ni dans leur matière ni
dans leur fabrication. Leur confiscation en cet état eût
été d’une sévérité que rien ne justifiait même au point
de vue préventif. En effet une amende de 50 à 1000fr.,
un emprisonnement de quinze jours à six mois, la chan
ce d’être privé pendant dix ans de participer aux élec
tions commerciales , enfin l'affiche du jugement et son
insertion dans les journaux étaient une sanction et une
in
—
14
�210
lo t du 2 3
.11 in
1857
garantie suffisantes pour empêcher l’inobservation des
prescriptions de la loi à ce sujet.
Si la confiscation est facultative en cas de récidive,
c’est que le délinquant a mis une persistance et une
obstination sans excuse dans la voie mauvaise où il s’é
tait engagé; c’est qu’à la violation de la loi vient se
j oindre le mépris pour les ordres de la justice. Il n’y
avait donc plus de place pour l’indulgence qu’une pre
mière faute pouvait inspirer et légitimer.
Quelle que soit la décision du tribunal et même en
cas d’acquittement, si tant est qu’il puisse y avoir ac
quittement en cette matière , la faute qui a motivé la
poursuite doit être réparée; il doit être prescrit aux dé
tenteurs des objets de les revêtir de la marque obliga
toire. 11 est évident en effet que permettre de les laisser
en l’état qui a motivé la poursuite, serait laisser le délit
se continuer, s’aggraver même par des omissions nou
velles qu’on abriterait sous le manteau de l’ancienne.
L’exécution de cette prescription peut offrir de gra
ves difficultés. Le fabricant de matières d’or ou d’argent
pourra toujours et en tout temps revêtir ses produits de
la marque qui leur est prescrite. Mais comment appo
ser, par exemple, sur des savons sortis de la forme une
marque qui devant être en creux sur chaque brique, ne
peut être imprimée que par le relief de la forme ellemême?
Quoi qu’il en soit, l’ordre de la justice doit recevoir
sa pleine et entière exécution. Quoi qu’il en coûte , et
fallut-il recourir à une refonte partielle ou totale, le dé-
�SUR LES MARQUES
211
linquant est tenu d’y pourvoir ; il le doit dans son in
térêt même, car s’il y manquait, il serait dans le cas de
subir une nouvelle poursuite, et cette fois l’état de réci
dive ferait peut-être prononcer la confiscation.
963.
— La confiscation, si elle a été ordonnée, doit
produire tout son effet. Son exécution ne saurait ren
contrer aucun obstacle , pas même dans le privilège du
locateur ou dans celui de la douane.
C’est ce qui a été décidé contre le locateur en faveur
de l’inventeur breveté. Une ordonnance de référé du 18
juin 1850 juge que la confiscation des objets contrefaits
place ces objets hors du comrperce en regard de l’inven
teur, puisqu’il peut seul les vendre, qu’il est libre de les
détruire; d’où il suit qu’ils ne peuvent être un gage des
loyers dus au propriétaire des lieux loués. Celte ordon
nance a reçu l’assentiment de la doctrine.1
Peut-il, doit-il en être de même dans le cas de con
fiscation pour délits prévus par les articles 7, 8 et 9 de
la loi de 1857 ?
M. Rendu soutient l’affirmative*, et avec raison selon
nous. Sans doute la confiscation et la remise des objets
confisqués à la partie civile, obligatoire dans l’hypothèse
de la contrefaçon de brevets d’invention , ne sont plus
que facultatives dans les délits dont les marques de fa
brique et de commerce peuvent être l’occasion. Mais de
l Et. Blanc, De la contrefaçon, p. 679; — Nouguier, n° 1029.
9 Marques de fabrique, n° 265.
�m
LOI
DU
23
JUIN
1857
ce que les juges peuvent ou non la prononcer , il ne
s’ensuit pas que la peine soit modifiée dans son carac
tère, et perde les effets qu’elle est appelée à produire.
Si la confiscation des objets délictueux et leur remise
au propriétaire de la marque sont ordonnées, il sera vrai
qu’au regard de celui-ci ces objets sont placés hors du
commerce ; que seul il peut en disposer , les vendre ;
qu’il est même libre de les détruire. Où donc serait la
raison de décider ici autrement que dans le cas de con
trefaçon d’une invention brevetée ?
Objectera- t-on que le caractère frauduleux tenant ex
clusivement à la marque, la destruction de cette marque
fait disparaître l’indisponibilité des objets qui en étaient
revêtus ?
Mais l’opportunité de cette destruction ne peut être
appréciée et jugée que par le tribunal qui peut se bor
ner à l’ordonner. Si usant de l’alternative qui lui est
laissée il prononce la confiscation , c’est qu’il a pensé
que la gravité des circonstances l’exigeait, qu’elle était
le seul moyen d’accorder à la partie lésée la réparation
qui lui est due.
Se pourrait-il que le locateur substituât son appré
ciation à celle de la justice? Serait-il possible que, ré
formant de son autorité l’arrêt d’une cour souveraine,
il dit oui lorsque celle-ci a dit non ? Ces questions se
résolvent d’elles-mêmes.
Il suffit donc que la justice ait prononcé la confisca
tion et la remise, pour que les objets soient frappés d’in
disponibilité absolue pour tout autre que celui au béné-
�SUR LES MARQUES
213
fîce de qui cette double mesure est ordonnée ; ils sont
désormais sa propriété, et le locateur qui les vendrait
pour se payer de ses loyers, non-seulement attenterait
à cette propriété, mais encore commettrait le délit de
vente prévu et puni par le numéro 3 des articles 7 et 8.
Ce qui pourrait encore en résulter c’est q u e , par une
collusion avec son locataire, il fit perdre au propriétaire
de la marque toute chance d’être indemnisé du préju
dice qu’il a éprouvé.
Il n’est pas possible de décider pour le privilège de
la douane autrement que pour celui du locateur. Les
mêmes motifs conduisent forcément à un résultat iden
tique.
�214
loi
do
23
ju in
1857
TITRE IV
J U R ID IC T IO N S .
A r t . 16.
Les actions civiles relatives aux marques sont
portées devant les tribunaux civils et jugées
comme matières sommaires.
En cas d’action intentée par la voie correc
tionnelle, si le prévenu soulève pour sa défense
des questions relatives à la propriété de la mar
que, le tribunal de police correctionnelle statue
sur l’exception.
SOMMAIRE
964
Ancienne législation sur la juridiction en matière de con
trefaçon ou d’imitation des marques.
965 Système de la loi actuelle.
966 Projet de déférer la juridiction aux tribunaux de commerce.
Rejet.
�SUR LES MARQUES
967
968
969
970
971
972
973
974
975
976
977
978
979
215
La compétence du tribunal civil n’est-elle acquise que lors
que le litige roule sur la propriété de la marque.— Opi
nion de M. Rendu en ce sens.
Examen et réfutation.
Devant quel tribunal doit être portée l’action soit civile soit
correctionnelle.
Qui peut l’exercer.—Initiative laissée au ministère public.
Faculté donnée au tribunal correctionnel de prononcer sur
l ’exception de propriété.
Exception tirée du défaut de l’irrégularité ou du non renou
vellement du dépôt.
Exception tirée de l ’abandon de la marque.—Dans quel cas
elle est admissible.
De l’usage antérieur au dépôt.
Quid de l’usage par des tiers.—Opinion de M. Rendu.
Réfutation.
Exception de chose jugée.—Appréciation.
De la prescription.—Son point de départ.
Limite que l ’art. 16 trace à la compétence du tribunal cor
rectionnel.
964.
— La contrefaçon entière, brutale d’une mar
que ne se présentera que dans des occasions fort rares.
La fraude est trop patente et sa répression tellement as-1
surée, qu’on se gardera bien de s’y livrer. C’est à l’imi
tation qu’on aura recours le plus habituellement : c’est
donc le caractère de cette imitation qu’il faudra recher
cher et surtout déterminer.
Avant la loi de 1857, le plus ou moins de conformité
de deux niarques, la ressemblance de l’une avec l’autre
devait être préalablement appréciée par les prud’hom
mes dont le décret du 11 juin 1809 prescrivait de pren-
�216
loi
ou
23
ju in
1857
dre l'avis. Mais bientôt un second et nouveau décret du
5 septembre 1810 les appela à prononcer comme juges
en matière de marques de coutellerie.
9 6 5 . — Les anciennes chambres législatives saisies
un moment du projet de loi avaient cru devoir accepter
et maintenir ces dispositions. Mais le conseil général de
l’agriculture, des manufactures et du commerce en avait
pensé autrement : l’intervention des prud’hommes lui
avait paru inutile et dangereuse , et il en demandait en
dernier lieu la suppression.
Ce vœu accueilli par le Gouvernement ne rencontra
aucune opposition au Corps législatif. La marque étant
une propriété, il parut naturel d’attribuer les litiges que
suscitaient les atteintes dont elle pouvait être l’objet, aux
tribunaux chargés d’apprécier et de juger les questions
de propriété.
9 6 6 . — Mais quel était le tribunal qui devait être
investi ? Aucun doute ne pouvait s’élever quant à l’ac
tion au criminel : elle ne pouvait être déférée qu’à la
juridiction chargée de la répression des délits , c’est-àdire au tribunal correctionnel.
Le doute naissait à l’égard de l’action en dommagesintérêts intentée par la voie civile. Etait-ce le tribunal
civil, était ce le tribunal de commerce qui devait être
investi ?
Le projet de loi adopté par le conseil d’Etat, sans égard pour le précédent créé par l’art. 34 de la loi de
1844 sur les brevets d’invention, se prononçait pour la
�SUR LES MARQUES
217
juridiction consulaire. 11 l’investissait du droit de pro
noncer toutes les fois que la réparation d’un des délits
prévus par la loi était civilement poursuivie.
La commission du Corps législatif fut d’un avis con
traire. Entre autres motifs elle faisait remarquer que
l’art. 20 étendait l’application de la loi aux produits de
l’agriculture; qu’il n’était pas sans inconvénients de
soumettre à la juridiction exceptionnelle et à ses sanc
tions rigoureuses, des personnes qui n’ont jamais fait
ni voulu faire le commerce ; elle ajoutait que le plai
gnant qui voudrait échapper à la juridiction consulaire
y parviendrait en engageant l’action correctionnelle;
que ce serait par conséquent lui seul qui choisirait la
juridiction , et déciderait de la compétence. En consé
quence elle demandait que toutes les actions civiles re
latives aux marques fussent attribuées à la juridiction
ordinaire.
Cet amendement ayant été accueilli par le conseil d’E
tat, l’avis de la commission est devenu l’article 16 de la
loi.
967.
— Des termes de cet article et des explications
données par le rapporteur du Corps législatif, M. Ren
du conclut que la compétence de la juridiction civile
n’est admise que lorsque le litige a pour fondement la
prétention de propriété de la marque ; que dès lors l’ac
tion en dommages-intérêts pour tromperie sur la natu
re des produits est de la compétence du tribunal de com
merce, cette action rentrant incontestablement parmi les
�218
loi
du
23
ju in
1857
contestations relatives aux engagements et transactions
entre négociants, marchands et banquiers, dont l’article
631 du Code de commerce attribue la connaissance à la
juridiction consulaire.1
968.
— La distinction que M. Rendu établit est in
conciliable avec les termes si généraux, si absolus de
notre article 16. Serait-elle possible, la conséquence
qu’il en tire méconnaîtrait encore les principes que la
nature et le caractère du fait donnant lieu aux domma
ges-intérêts rendent seuls applicables.
Nous l’avons dit ailleurs, les engagements et transac
tions dont le tribunal de commerce est appelé à connaî
tre doivent non-seulement être intervenus entre négo
ciants, marchands et banquiers, mais encore avoir pour
cause un fait de commerce. C’est ainsi que la jurispru
dence a décidé que la juridiction consulaire était in
compétente pour connaître de la demande fondée sur un
délit, sauf l’exception tirée de la combinaison des arti
cles 407 et 633 du Code de commerce, dans le cas d’a
bordage maritime.1
Or le commerçant ou fabricant qui fait usage d’une
marque portant des indications propres à tromper l’a
cheteur sur la nature du produit; celui qui vend ou met
en vente des produits revêtus d’une marque de ce gen
re , commet évidemment un délit ; et c’est ce délit qui
1 Marques de fabrique , n° 285.
3 Notre Comment, de l’art. 631 du Code de comm., n°s 182 et suiv.
�SUR LES MARQUES
219
motiverait l’amende, l’emprisonnement et même la con
fiscation qui fait le fondement unique de l’action en ré
paration du préjudice qu’il a occasionné. Le poursui
vant se plaint non de la vente qui lui a été faite, mais
de la tromperie dont cette vente a été l’occasion ; et c’est
cette tromperie dont il demande satisfaction. Il n’y a
eu entre les parties ni engagement ni transaction ; c’est
une peine véritable qui est sollicitée , c’est d’un quasidélit qu’on excipe et qui évidemment n’a rien , n ’a ja
mais rien eu de commercial.
Il n’y a donc pas à hésiter : quelle que soit la natu
re de la satisfaction d’un fait délictueux, elle ne peut être
demandée qu’au tribunal qui a la plénitude de juridic
tion. A ce tribunal seul appartient le pouvoir de carac
tériser le fa it, de le constater et d’en déduire les consé
quences quelles qu’elles soient. Loin de déroger à ce
principe général , la loi de 1857 le confirme expressé
ment. L’article 16 en effet attribue aux tribunaux ordi
naires, non pas l’action civile qui a pour fondement la
prétention à la propriété de la marque , ce qu’il n ’au
rait pas manqué de faire s'il avait entendu consacrer la
distinction que M. Rendu établit, mais toute action re
lative aux marques. Or se plaindre d’une marque trom
peuse, n’est-ce pas soulever un litige relatif à la mar
que ?
969.
—. Le tribunal civil auquel ce litige doit être
déféré est exclusivement celui du domicile du défendeur.
En effet s’adresser à la juridiction ordinaire , c’est se
�loi du 2 3
ju in
1857
soumettre aux règles qui déterminent sa compétence,
notamment aux dispositions de l’art. S9 du Code de
procédure civile. L’action étant pure personnelle ne peut
être portée que devant le juge du défendeur.
Vainement voudrait-on exciper de l’art. 420 du mê
me Code. Cet article ne régit que la procédure devant
les tribunaux de commerce et la matière commerciale.
Or, indépendamment de ce que notre article renvoit ex
pressément à la juridiction civile , il est évident qu’un
délit même commis par un commerçant n’est pas et ne
saurait être une matière commerciale.
Le juge naturel et nécessaire de l’action publique est
le tribunal correctionnel. Dès lors la question de savoir
quel est celui qui peut et doit être investi, se résout par
les règles tracées par le Code d’instruction criminelle.
Or aux termes de l’art. 63 , le tribunal compétent pour
statuer est soit celui du lieu où le délit a été commis,
soit celui du lieu de la résidence du prévenu, soit celui
du lieu où il pourra être trouvé.
970.
— Toute personne lésée par le délit peut pro
voquer l’action du ministère public , se porter ou non
partie civile, intervenir en cette qualité, ou citer direc
tement en son nom personnel. Ainsi l’acheteur lui-mê
me qui a été trompé par les indications mensongères
de la marque , est libre de prendre l’une ou l’autre de
ces voies, ou de recourir au tribunal civil pour la répa
ration du préjudice qui lui a été causé.
Nous venons de voir que la proposition de subordon-
�SUR LES MARQUES
221
ner l’action du ministère public à la plainte de la par
tie fut repoussée. Il est dès lors évident qu’il peut agir
d’office dans les cas de contrefaçon , d’apposition ou
d’imitation frauduleuse de la marque d’autrui.. Le peutil dans celui de tromperie sur la nature du produit à
l’aide de fausses indications ?
L’affirmative qui n’était pas douteuse au point de vue
de l’art. 423 du Code pénal, l’est moins encore depuis
la loi nouvelle. Le premier punissait seulement la trom
perie consommée ; la seconde a voulu atteindre et a at
teint la seule tentative.
On conçoit quecelui qui a été trompé puisse se plain
dre et provoquer l’action du ministère public, ou pour
suivre personnellement la réparation du préjudice qu’il
éprouve.
Mais la tentative non encore suivie d’effets, si elle est
une menace pour tous , n’a encore causé aucun préju
dice appréciable à personne. Qui donc songerait à s’en
plaindre; où serait la raison d’être de cette plainte ?
Donc contester au ministère public son droit d’initia
tive , en subordonner l’exercice à la plainte de la partie,
c’était tout uniment condamner la volonté du législateur
à n’être qu’une lettre morte et stérile, et laisser sans ré
pression possible cette tentative qu’un intérêt public lui
faisait un devoir d’atteindre et de réprimer.
971.
— Le juge de l’action est juge de l’exception.
Mais cela n’est absolument vrai que pour les tribunaux
qui ont la plénitude de juridiction. Devant les tribunaux
�exceptionnels, l’exception qui s’opposerait à toute poursuite, celle de propriété notamment forme un moyen
préjudiciel qui entraîne le sursis jusqu’à ce qu’il y ait
été statué par l’autorité compétente.
L’article 46 de la loi de \844 sur les brevets d’inven
tion déroge à cette règle. Les mêmes motifs exigeaient
qu’il en fût de même en matière de marques. Il n ’était
en effet pas moins nécessaire d’éviter des renvois devant
les tribunaux civils, renvois sans utilité , qui créent
doubles procès, et qui, p ar conséquent, enfantent dou
bles frais et doubles lenteurs.
On remarquera que notre article 16 n’attribue au
tribunal correctionnel le droit de prononcer que sur
l’exception tirée de la propriété de la marque. En cette
matière il ne pouvait être question ni de nullité ni de
déchéance, comme pour les brevets d’invention : la loi
n ’avait donc pas à s’en préoccuper.
972.
— Mais le pouvoir de prononcer sur l’excep
tion de propriété, entraîne à fortiori celui de statuer
sur toutes celles dont la matière est susceptible et qui
créeraient des fins de non-recevoir contre la poursuite.
Dans cette catégorie se placent l’exception tirée du dé
faut ou de l’irrégularité du dépôt et celle tirée du défaut
de nouveauté de la marque.
Le poursuivant est tenu en effet de justifier du droit
en vertu duquel il agit. Il faut donc qu’il prouve nonseulement qu’il a usé antérieurement de la marque, mais
encore qu’il en a acquis la propriété exclusive par le
dépôt qu’il a dû en faire conformément à la loi.
�SUR LES MARQUES
223
Sans doute l’absence d’un dépôt régulier ne ferait pas
obstacle à l’action civile en concurrence déloyale , mais
elle créerait une fin de non-recevoir péremptoire contre
l’action au criminel. On ne saurait dès lors contester au
prévenu le droit de l’invoquer et de s’en prévaloir.
Il peut donc exiger la production d’un titre régulier,
c’est-à-dire le certificat du dépôt fait par le poursuivant
et en son nom.
.Mais la marque, comme le nom lui-même, peut être
concédée , veudue ou cédée. On ne saurait donc exiger
de celui qui produirait un certificat de dépôt au nom
d’un tiers, autre chose que la justification d’un litre qui
l’a, quant à ce, subrogé au droit de celui-ci..
La loi ne subordonne plus la cession d’une marque
aux conditions qu’elle impose au transport d’un brevet
d’invention. Donc de quelque nature qu’il s o it, le litre
se suffit à lui-même, pourvu qu’il confère la propriété
ou la copropriété de la marque. S’il ne concédait qu’une
permission de s’en servir , sou bénéficiaire ne pourrait,
comme dans le cas d’un brevet d’invention, poursuivre
les contrefacteurs ou imitateurs.
La vente ou cession de l’établissement industriel ou
commercial entraînerait celle de la marque qui en si
gnalait jusque là les produits, à moins que le contraire
n’eût été expressément convenu et stipulé. Le prévenu
ne pourrait donc écarter l’action du cessionnaire, par le
motif que l’acte de cession ou de vente ne mentionne
pas nommément la marque dans le nombre des objets
vendus ou cédés,
•
�Le dépôt de la marque devant être renouvelé après
quinze ans , il est évident que le défaut de renouvelle
ment équivaudrait à l’absence de tout dépôt, et créerait
comme celle-ci une fin de non-recevoir invincible con
tre l’exercice de l’action au criminel.
# ‘x
973.
— Le prévenu pourra-t-il exciper de ce que
le plaignant a cessé d’user de la marque qu’il avait d’a
bord adoptée ?
Cette question est susceptible d’être envisagée à un
double point de vue : le remplacement de la marque par
une autre ; son abandon par suite d’une cessation de
commerce.
Tant que le propriétaire d’une marque déposée exerce
le commerce, son droit exclusif existe. L’usage qu’il fe
rait d’une autre et nouvelle marque ne saurait, par luimême, constituer la renonciation à celui de l’ancienne,
à moins que des annonces formelles par circulaires ou
autres modes de publicité n’aient annoncé et fait con
naître cette renonciation. La possession simultanée de
deux ou plusieurs marques n’est pas, en commerce, un
fait anormal. La loi l’admet si bien, que Fart. 4 pres
crit de percevoir un franc pour le procès-verbal de dé
pôt de chaque marque.
Celui-là donc qui en a déposé plusieurs soit cumula
tivement soit successivement, a acquis la propriété ex
clusive de chacune d’elles, et l’abandon de cette propri
été ne saurait résulter de ce qu’il userait de l’une de pré
férence à l’autre : il est toujours libre de revenir sur cette
préférence.
�m
SUR LES MARQUES
L’abandon du commerce entraînerait, à notre avis,
celui de la marque. Ce que la loi de 1857 a entendu et
voulu, c’est protéger le commerce et l’industrie en assu
rant à chacun de ceux qui s’y livrent l’exploitation ex
clusive du signe auquel la loyauté et la supériorité des
produits qui en sont revêtus ont attaché une grande et
profitable notoriété.
« La marque, disait le rapporteur du Corps législatif,
est le signe de la personnalité du fabricant, du commer
çant imprimé à leurs produits. »
Or s’il n’y a plus ni commerçant, ni fabricant, ni pro
duits, où serait la raison d’être de la propriété d’un em
blème, d’un symbole, d’un signe, qui n ’a de valeur pos
sible que celle qu’il reçoit de la qualité de celui qui
l’emploit et de l’usage qui en est fait ?
La contrefaçon, l’usurpation, l’imitation d’une mar
que n’est punissable et punie que parce qu’elle est dans
le cas de créer une concurrence déloyale, de discréditer
des produits jusque là réputés ; double préjudice qu’il était juste et nécessaire de prévenir. Mais avait-on à le
redouter pour celui qui voulant jouir en repos du fruit
de ses labeurs, a liquidé son commerce et renoncé à son
exercice ?
Le seul profit qu’il pût encore retirer de sa marque
était la valeur qu’elle donnait à son établissement. Mais
s’il n’a ni vendu, ni transmis celui-ci à un successeur,
s’il a ainsi purement renoncé au commerce , le recon
naître propriétaire exclusif de la marque serait faire de
m
—
15
�2S6
loi du
23
ju in
1857
celle-ci un meuble ou un immeuble , et elle n’est évi
demment ni l’un ni l’autre.
La marque pur accessoire du commerce suit néces
sairement le sort de celui-ci. La cessation du commerce
la rend au domaine public dont elle avait été tirée ; elle
redevient res nullius, et appartient désormais à tous.'
Nous croyons donc que le prévenu, qui excipant de
la cessation du commerce par le poursuivant justifierait
son exception,devrait être renvoyé de la plainte qui n’au
rait plus de fondement ni de cause.
974.
— L’exception tirée de l’usage de la marque
par des tiers , antérieurement au dépôt réalisé par le
poursuivant, serait également péremptoire.
Nous avons déjà dit que , pour que le dépôt puisse
produire l’effet que la loi y attache, il faut que la mar
que qui en fait l’objet soit nouvelle , c’est-à-dire non
encore employée en commerce par d’autres que le dépo
sant. Nous avons ajouté que celui qui profitant de la
négligence d’un autre aurait pris et subrepticement dé
posé la marque de celui-ci, n’aurait pas même acquis
le droit de s’en servir.
Alléguer un fait de ce genre serait opposer à la pour
suite un obstacle invincible, puisqu’il aboutirait à établir
que le dépôt n’a ni conféré ni pu conférer à son auteur
la propiété de la marque. On ne saurait donc contester
i Rendu, Marg . de fabr, , n» 27
�SUR LES MARQUES
227
au tribunal correctionnel le droit, ni l’affranchir du de
voir d’y statuer.
e
Personne ne le contestera lorsque le prévenu allègue
un usage antérieur qui lui est personnel. Il y a alors
litige sur la propriété de la marque qui tombe directe
ment sous l’application de la disposition de l’art. 16.
9 7 5 . — Dans le cas contraire , l’exception tirée de
l’usage antérieur par des tiers autres que le prévenu,
est-elle recevable et peut-elle être accueillie ?
M. Rendu soutient la négative. Il la fonde sur un ar
rêt de la cour de Cassation du 25 janvier 1856 qui, en
matière de brevets d’invention, refuse au prévenu le droit
d’opposer l’exception du défaut de qualité du poursui
vant , exception tirée de ce que , quoique le brevet soit
en son nom , il n’est pas l’auteur de l’invention bre
vetée.1
9 7 6 . — M. Rendu assimile donc la contrefaçon,
l’usurpation ou l’imitation de la marque à la contrefa
çon d’un brevet d’invention. Nous ne saurions admettre
ni cette assimilation , ni la conséquence qu’en tire M.
Rendu.
Opposer au titulaire du brevet qu’il n’est pas l ’auteur
de l’invention, ce n’est pas mettre en question la validité
du brevet, ne pas la contester ; c’est reconnaître que
l’invention était réellement nouvelle, n’avait jamais ap -
i
Marques de fabrique,
n°304.
�loi du 2 3
ju in
1857
partenu au domaine public ; que dès lors elle ne pouvait
être exploitée que par son auteur.
Or aux yeux de la loi cet auteur n’est et ne pouvait
être que le titulaire du brevet. Dans l’hypothèse con
traire, celui-là seul a le droit de réclamer et de se plain
dre , à qui on a dérobé sa chose. C’est ce que la cour
de Cassation consacre expressément.
« Attendu, dit-elle, que si celui auquel revient la pro
priété de la découverte est fondé à la revendiquer con
tre celui qui s’en est fait attribuer le titre , le droit qui
dérive de lui seul est, par cela même, un droit purement
personnel, qui ne peut être exercé par les tiers en de
hors de lui et sans son intervention.' »
Comment, en effet, admettre un tiers à revendiquer
une propriété à laquelle il reconnaît n’avoir lui-même
aucun droit, lorsque celui à qui il prétend l’attribuer
prouve, par le silence qu’il s’impose, qu’il est sans droit
et sans titre à cette même propriété.
Supposez maintenant que le prévenu au lieu d’exciper de la propriété d’un tiers, invoque la pratique de la
découverte par ce tiers, antérieurement à la prise du
brevet, pour en conclure que cette découverte n’étant
pas nouvelle, n’a pu devenir la matière d’un brevet, estce que la recevabilité de son exception offrirait le moin
dre doute?
Or c’est évidemment ce qui se réalise dans notre hy
pothèse. La marque ne devient propriété exclusive que
1 D.P., 56, 4, 441
�SUR LES MARQUES
m
par le dépôt. Mais pour que ce dépôt produise cet effet,
il faut que la marque qui en fait l’objet soit nouvelle,
c’est-à-dire ni connue ni employée déjà en commerce.
Donc le prévenu qui soutient qu’avant le dépôt la
marque avait été adoptée et employée par des tiers, con
teste en réalité la validité du dépôt, son efficacité, puis
que la marque n’aurait pas offert la condition de nou
veauté exigée par la loi. Il attaque donc le titre de son
adversaire dans son essence , et présente la défense la
plus utile , la plus péremptoire contre la poursuite dont
il est l’objet.
Cette défense, d’ailleurs , est fondée non sur le droit
des tiers, mais sur un droit propre et personnel à celui
qui l’invoque. Une marque non déposée n’appartient
exclusivement à personne. Celui qui, en cet état, se l’at
tribue, peut bien avoir à répondre à une action en con
currence déloyale de la part du propriétaire qui, le pre
mier , en a fait usage; mais il n’a commis aucun des
délits prévus par notre loi.
Lors donc qu’il est poursuivi comme coupable d’un
de ces délits, il est naturellement autorisé à vérifier et à
discuter le mérite de la poursuite. Son exception tirée de
l’usage antérieur de la marque ne tend pas à faire dé
clarer que cette marque était la propriété de tel ou de
tel ; elle a pour but unique de faire déclarer que le plai
gnant n ’en a jamais acquis ni pu acquérir la propriété
exclusive.
Elle est donc recevable au même titre que le serait
celle du défaut de nouveauté de l’invention brevetée, ti-
�230
loi du
23
ju in
1857
rée de ce que , avant la prise du brevet celte invention
était connue et avait été pratiquée par d’autres que par
le breveté.
977.
— Une autre fin de non-recevoir contre la de
mande peut résulter de l’exception de chose jugée. Les
faits prévus par les articles 7 et 8 donnant ouverture à
l’action civile et à l’action correctionnelle, l’exercice suc
cessif de l’une et de l’autre pourra amener à examiner
quelle influence exercera la décision du tribunal civil
sur la poursuite au correctionnel, et réciproquement.
Nous avons déjà examiné cette question à l’occasion
des brevets d’invention'. Mais les causes de nullité ou
de déchéance des brevets étant multiples, on conçoit trèsbien que le rejet de l’une soit sans influence sur l’exis
tence et l’admission de l’autre.
Mais il en est autrement en matière de marques.
L’usage, la contrefaçon, l’apposition ou l’imitation frau
duleuse de la marque d’autrui puisent leur caractère
délictueux et préjudiciable dans le fait lui-même, et l’on
ne comprendrait pas qu’un fait puisse exister et ne pas
exister; et si le prévenu est acquitté ou mis hors d’ins
tance , parce qu’il est reconnu n ’avoir ni contrefait ni
imité une marque , ni usé d’une marque contrefaite ou
imitée, serait-il possible qu’il fût une seconde fois judi
ciairement poursuivi pour avoir fait l’un ou l’autre ?
M. Rendu qui admet cette possibilité se fonde unique-
�SUR LES MARQUES
231
ment sur deux arrêts, l’un de la cour de Cassation, l’au
tre de la cour de P aris, jugeant dans l’affaire Crespel
Delisse qu’un prévenu acquitté par le tribunal correc
tionnel peut être de nouveau poursuivi devant le tribu
nal civil.'
Mais ces arrêts sont intervenus en matière de contre
façon de brevets d’invention, et si cette matière a quel
que analogie avec celle des m arques, cette analogie ne
saurait, nous l’avons déjà d it, les soumettre l’une et
l’autre à des principes et à des règles absolument iden
tiques.
Au point de vue spécial que nous examinons , la dif
férence entre elles est significative et péremptoire.
Aux termes de l’art. 3% de la loi de 1844 , la nullité
ou la déchéance absolue du brevet ne peut être provo
quée que par le tribunal civil. Le tribunal correctionnel
acquitte ou condamne, mais ne valide ni n’annulle ja
mais le brevet. Il ne fait,dit la cour de Cassation,qu’ap
précier l’exception qui lui est soumise au point de vue
de la prévention et comme moyen de défense opposé à
l’action correctionnelle.
Dès lors si le tribunal correctionnel ne juge rien ni
sur la nullité, ni sur la déchéance du brevet, comment
son jugement pourrait-il créer la chose jugée sur l’une
ou sur l’autre ?
Il n’en est pas ainsi pour les marques. Le tribunal
1 Marq. defabr . , n°310
D.P., 57, 1, 137;—S. V , 57, 4, 629.
�2132
loi du
23
ju in
1857
correctionnel est uniquement appelé à apprécier et à ju
ger s’il y a contrefaçon, apposition ou imitation fraudu
leuse , et ce n’est qu’après avoir résolu affirmativement
ou négativement cette question qu’il condamnera ou ac
quittera. Serait-il dès lors possible, sans violer l’article
1351, qu’entre les mêmes parties, agissant en la même
qualité, le, tribunal civil pût déclarer que la marque re
connue non contrefaite ou contrefaite, est contrefaite ou
ne l’est pas ?
Nous ne saurions l’admettre et nous croyons que
lorsque la juridiction la première investie a jugé au fond,
tout est d i t , et que le caractère qu’elle a assigné à la
marque est définitivement acquis au profit et contre
tous.
Après la décision du tribunal correctionnel qui ac
quitte, il n’y a de recours possible au tribunal civil que
si l’acquittement est fondé sur l’absence ou l’irrégularité
du dépôt, ou que si depuis le jugement la marque a
subi des modifications pouvant en changer la nature, et
dès lors susceptibles de constituer la contrefaçon ou l’i
mitation qui n’existait pas avant ces modifications.
978.
— Une exception non moins utile, non moins
péremptoire est celle tirée de la prescription.
Il est évident q u e , comme tous les délits, ceux pré
vus et punis par notre loi sont régis, quant à la durée
de l’action, par l’art. 638 du Code d’instruction crimi
nelle. En conséquence l’action tant civile que publique
est prescrite , si elle n’est intentée dans les trois ans de
la perpétration du délit.
�SUR LES MARQUES
233
Nous avons vu la cour de Cassation juger que la fa
brication frauduleuse d’une invention brevetée constituait
non un délit successif, mais autant de délits distincts
qu’il y a de faits de contrefaçon.'
Peut-on le décider ainsi pour les délits des articles 7,
8 et 9 ? Nous ne saurions l’admettre. Il nous semble
que la nature des choses y répugne. En effet celui qui
s’approprie, contrefait ou imite la marque d’a u tru i, ne
contrefait pas, n’imite pas de nouveau chaque fois qu’il
l’appose sur un de ses produits. La contrefaçon ou l’i
mitation matérielle ne fait que préparer l’instrument du
délit que l’usage consomme. Où serait en effet la culpa
bilité si, après avoir contrefait ou imité une marque,
l’auteur la gardait par devers lui et s’abstenait de s’en
servir ? N’est-ce pas d’ailleurs par l’usage et par l’usage
seul que se manifestera le délit?
Au reste la question n’offre pas un grand intérêt. On
ne saurait, en notre matière, prévoir de la part du pro
priétaire de la marque contrefaite ou imitée, un silence
de plus de trois ans. Un fait de ce genre acquiert im
médiatement la plus grande publicité par l’introduction
sur le marché des marchandises portant la marque con
trefaite ou imitée. Le danger et le préjudice sont trop
prochains, trop considérables pour supposer que la par
tie intéressée n’en poursuive.pas sur-le-champ la ré
pression.
i Supra n° 695
�234
loi du 2 3
ju in
1857
Aussi n’y a-t-il peut-être pas d’exemple d’une pour
suite de ce genre, sans qu’une saisie préalable soit ve
nue constater l’existence des objets délictueux. Or com► ment exciperait-il de la prescription celui qui en pos
session actuelle de ces objets leur a apposé la marque
contrefaite ou imitée, et qui est ainsi pris la main dans
le sac.
Pans tous les cas, la prescription des faits antérieurs
de trois ans à la poursuite ne serait d’aucune utilité au
point de vue de la peine. Il suffirait de l’existence d’un
seul se plaçant dans les trois années pour que la peine
portée par la loi fut applicable et pût être appliquée dans
son maximum.
Il n’en est pas ainsi quant à la réparation du préju
dice. Doit elle être calculée sur tous les faits à quelque
époque que remonte le premier , ou seulement sur ceux
accomplis dans les trois ans? On voit quant à ce l’im
portance de la question, et l’intérêt considérable qui peut
s’attacher à sa solution.
Pour nous celte solution n’est pas douteuse. La res
ponsabilité limitée que la cour de Cassation admet pour
la contrefaçon d’une invention brevetée ne saurait s’ap
pliquer aux délits de notre loi. L’usage, l’apposition d’u
ne marque contrefaite , l’imitation de la marque d’au
trui et son emploi quelque prolongés qu’ils aient été,
ne constituent qu’un seul et même délit répété,successif,
et la réparation est due pour le préjudice qu’il a occa
sionné du premier jour au dernier. La prescription ne
commence donc à courir que du jour où abandonnant
«
�SUR LES MARQUES
.2 3 3
la marque délictueuse , le prévenu a absolument cessé
d’en faire usage.
979.
— L’article \6 limite la compétence du tribu
nal correctionnel aux exceptions que le prévenu soulève
pour sa défense. C’est au point de vue de cette défense
qu’il doit les examiner, c’est-à-dire qu’il ne peut les
apprécier que relativement à la condamnation ou à l’ac
quittement.
Le tribunal correctionnel est donc sans juridiction
pour prononcer non-seulement sur les demandes recon
ventionnelles qui ne seraient pas la défense à l’action,
mais encore sur toutes les conséquences que l’exception
serait dans le cas d’entraîner.
Supposez par exemple que le prévenu prouve qu’il
est propriétaire de la marque litigieuse, qu’il en a tou
jours fait usage, et que ce n’est que subrepticement que
la partie civile l’a déposée dans le but de légitimer son
usurpation.
Evidemment cette preuve faite , le prévenu aura le
droit non - seulement d’être acquitté , mais encore de
faire interdire à son adversaire l’usage ultérieur de la
marque. Mais cette interdiction le tribunal correctionnel
ne peut la prononcer. L’acquittement qu’il prononce a
épuisé sa compétence. Il doit donc, sous peine d’excé
der ses pouvoirs, renvoyer devant la juridiction ordinai
re qui peut seule connaître de la demande, et consacrer
les conséquences du droit de propriété.
�236
loi du
23
ju in
1857
A r t . 17.
Le propriétaire d’une marque peut faire pro
céder par tous huissiers à la description détail
lée, avec ou sans saisie, des produits qu’il pré
tend marqués à son préjudice, en contravention
aux dispositions de la présente loi, en vertu d une ordonnance du président du tribunal civil de
première instance, ou du juge de paix du can
ton à défaut de tribunal dans le lieu où se trou
vent les produits à décrire ou à saisir.
L ’ordonnance est rendue sur simple requête
et sur la présentation du procès-verbal consta
tant le dépôt de la marque ; elle contient, s’il y
a lieu , la nomination d’un expert pour aider
l’huissier dans sa description.
Lorsque la saisie est requise, le juge peut exi
ger du requérant un cautionnement qu’il est
tenu de consigner avant de faire procéder à la
saisie.
Il est laissé copie, aux détenteurs des objets
décrits ou saisis , de l’ordonnance et de l’acte
constatant le dépôt du cautionnement le cas échéant 5 le tout à peine de nullité et de domma
ges-intérêts contre l’huissier.
�SUR LES MARQUES
A rt
237
48.
A défaut par le requérant de s’être pourvu,
soit par la voie civile, soit par la voie correc
tionnelle, dans le délai de quinzaine, outre un
jour par cinq myriamètres de distance entre le
lieu où se trouvent les objets décrits ou saisis et
le domicile de la partie contre laquelle l’action
doit être dirigée , la description ou saisie est
nulle de plein droit, sans préjudice des dom
mages-intérêts qui peuvent être réclamés , s’il y
a lieu.
SOMMAI RE
980 Caractère de ces articles.—Renvoi.
981 Silence gardé sur l’obligation d’exiger de l’étranger un cau
tionnement préalable.—Conséquences.
980.
— Les dispositions de ces deux articles repro
duisent littéralement celles des articles 47 et 48 de la loi
du 8 juillet 1844 sur les brevets d’invention. Les mêmes
considérations devaient nécessairement amener un ré
sultat identique.
Nous disons qu’il y avait parité absolue de motifs.
�238
loi du 2 3
ju in
1857
D’une part en effet le propriétaire dont la marque a été
contrefaite, usurpée ou imitée , est tout aussi intéressé
que le breveté dont on viole le droit, à arrêter la fraude
dont il est victime , et à se ménager par une saisie ou
une description préalable la preuve du délit dont il se
p la in t, preuve qu’une poursuite immédiate pourrait
compromettre et peut-être faire disparaître.
D’autre part la nécessité d’une prompte solution s’im
posait par l’importance du préjudice qu’une saisie ou
une description préalable peut occasionner à celui qui la
subit. Il ne pouvait pas être qu’on accordât au proprié
taire de la marque ce qu’on refusait au breveté ; la fa
culté de prolonger à son gré l’état de suspicion dans
lequel il place son adversaire , et le temps d’arrêt que
son acte impose à l’industrie et au commerce d’un con
current.
L’identité de dispositions nous dispense de revenir sur
les développements que nous avons donnés sous les ar
ticles 47 et 48 de la loi de 1844. Nous ne pourrions
que répéter les observations que nous ont suggérées ces
deux dispositions sur la forme de procéder à la des
cription ou à la saisie , sur les obligations imposées et
les droits concédés soit à la partie poursuivante, soit au
magistrat chargé d’autoriser l’un ou l’autre de ces actes.
Nous nous bornerons donc à nous y référer.'
9 8 1. — On remarquera que notre article 17 qui
i Supra n°> 618 et suiv.
�SUR LES MARQUES
239
s’approprie les dispositions de l’art. 47 de la loi de 1844
omet de reproduire celle qui rend le cautionnement obli
gatoire lorsque le poursuivant est étranger.
Il semble cependant que le cautionnement obligatoire
s’imposait ici par une supériorité de raisons incontesta
bles.
En effet le brevet devant, à peine de nullité, être ex
ploité en France , son titulaire , à quelque nation qu’il
appartienne, aura nécessairement chez nous un atelier,
un établissement qui devient le gage naturel de ses cré
anciers, et répond comme tel des adjudications qu’une
poursuite irréfléchie ou injuste pourrait faire prononcer
contre lui.
Au contraire l’étranger qui vient, en vertu d’un traité
ou d’une loi établissant la réciprocité, poursuivre les at
teintes qu’il prétend avoir été portées à son nom ou à
sa marque, n’est pas tenu d’avoir en France, et n’y aura
souvent ni domicile ni établissement. Quelle garantie
aura donc le français injustement ou témérairement
poursuivi ? Sur quoi se fera-t-il payer les dommagesintérêts quelquefois considérables qui ont dû lui être al
loués ?
Rendre le cautionnement pour l’étranger obligatoire
dans le premier c a s, simplement facultatif dans le se
cond , est donc une anomalie difficile à comprendre,
plus difficile encore à justifier. Aussi M. Rendu n’hésitet-il pas à admettre et à enseigner que l’art. 47 de la loi
de 1844 régit la matière des marques, qu’en conséquen
ce le président à qui l’étranger demande l’autorisation
�240
loi
du
23
ju in
1857
de saisir est obligé de le soumettre à un cautionnement
préalable.
Il ne nous paraît pas possible d’admettre ni le prin
cipe ni la conséquence. On ne pourrait le faire que si
la loi spéciale se référait purement et simplement à cet
article 47. Dès qu’elle ne l’a pas fait, dès que par son
article 17 elle a tracé la marche que doit suivre le ma
gistrat, il est évident qu’on ne saurait tracer à l’exercice
de son pouvoir d’autres conditions que celles que cet ar
ticle 17 impose.
Quelle que soit la nationalité du requérant, le prési
dent a, non le devoir, mais la faculté de le soumettre à
déposer un cautionnement, Ce qu’il est facile de prévoir,
c’est qu’il n’hésitera pas à user de cette faculté vis-àvis des étrangers. Plus la mesure sollicitée de sa justice
est grave, par le préjudice qu’elle peut occasionner , et
plus il tiendra à ce que la responsabilité qui peut en
naître ne soit pas un vain mot. Nous sommes certain
qu’il n’hésitera jamais à penser que la dispense d’un
cautionnement, sans danger lorsque le réquérant est
français, offrirait les plus graves inconvénients lorsque
ce requérant est étranger ; qu’en conséquence il ne croira
jamais devoir l’accorder.
t
�m
SUR LES MARQUES
TITRE Y
D I S P O S I T IO N S
ex
G É N É R A L E S
t r a n s it o ir e s
A r t . 19.
Tous produits étrangers portant soit la mar
que, soit le nom d’un fabricant résidant en Fran
ce, soit l’indication du nom ou du lieu d’une
fabrique française , sont prohibés à l’entrée et
exclus du transit et de l’entrepôt,et peuvent être
saisis, en quelque lieu que ce soit, soit à la dili
gence de l’administration des douanes, soit à la
requête du ministère public ou de la partie lésée.
Dans le cas où la saisie est faite à la diligence
de l’administration des douanes, le procès-verbal
de saisie est immédiatement adressé au ministère
public.
Le délai dans lequel Faction prévue par l’arIII
—
16
�7
242
tic le
loi
18
du
23
ju in
1857
d e v r a ê t r e in t e n t é e , s o u s p e in e d e la
n u llité d e la s a is ie , s o i t p a r la p a r tie l é s é e , s o it
p a r le m in is t è r e p u b l ic , e s t p o r t é e à d e u x m o is .
L e s d is p o s it io n s d e l ’a r tic le
14
s o n t a p p lic a -
b e s a u x p r o d u it s sa isis e n v e r t u d u p r é s n t a r tic le .
SOMMAIRE
982
983
984
983
986
987
988
989
990
991
992
993
994
Objet de l ’art. 19. Caractère et nocuité de la fraude qu’il
réprime.
Le droit de la partie lésée de saisir les marchandises en
transit avait été consacré par la cour de Cassation.
Ne pouvait être efficace. Pourquoi.
Objection que soulevait la concession de ce droit à la doua
ne.— Réponse de l'Exposé des motifs.
Quelle est la partie appelée à saisir.
Ses droits et ses obligations sont régis par les articles 17
et 18.
La saisie peut être pratiquée en quelque lieu que ce soit. —
Conséquence.
Caractère du droit de saisir donné au ministère public.
Devoirs de la douane. En quelle qualité elle agit. — Consé
quences.
L’action en validité de la saisie n’appartient qu’à la partie
lésée ou au ministère public.—Délai dans lequel elledoit
être réalisée.
Rôle de la douane après la saisie. — Exécution qu’elle doit
donner au jugement.
Motifs qui ont fait déclarer applicable l’art. 14. — Consé
quences.
L’importateur de produits en contravention de l ’article 19
n’encourt d’autre peine que la confiscation.
�SUR LES MARQUES
243
995
Le tribunal peut ordonner que les objets saisis seront remis
à la partie lésée,
996 Quid si la marchandise porte faussement l’indication d’un
lieu de fabrique française ?
997 Dans quel cas le tribunal doit-il ordonner la destruction des
marques ?
982.
— L’arlicle 19 répond à une nécessité que si
gnalaient depuis longtemps notre commerce et notre in
dustrie. Son objet clairement indiqué par l'Exposé des
motifs a été de réprimer enfin une fraude qui non-seu
lement créait à l’un et à l’autre la concurrence la plus
déloyale sur le marché étranger , mais encore tendait à
leur en fermer l’accès par l'infériorité des marchandises
qu’on décorait mensongèrement du nom ou de la mar
que de nos centres de fabrication les plus célèbres, ou
de nos industriels les plus renommés.
On comprend en effet que cette célébrité , que cette
renommée , qui ont tant d’appâts pour la contrefaçon
française, n’excitaient pas de moindres convoilises à l’é
tranger. A l’abri de nos lois, sûre de l’impunité, se mé
nageant toutes les chances de réussite, la contrefaçon étrangère pouvait s’exercer et s’exercait en effet sur la
plus vaste échelle.
Mais son effet exigeait que la fraude s’étayât d’une
simulation. Comment en effet faire accepter comme
marchandises françaises celles qui auraient été expédiées
directement de la Belgique en Angleterre, en Allemagne
et réciproquement ? Il fallait donc, pour faire croire à
�244
LOI d u
23
JUIN
1857
une origine française , que les objets prétendus tels pa
russent au moins venir de France.
On avait donc en France des commissionnaires aux
quels on adressait les marchandises frauduleuses soit
pour l’entrepôt soit pour le transit, et qui étaient char
gés de les faire parvenir à leur destinataire. A. partir de
ce moment elles voyageaient sous lettre de voiture fran
çaise, et elles revêtaient ainsi l’apparence qu’on leur avait donné.
9 8 5 . — Jusqu’à la promulgation de la loi de 1857,
le droit de saisir les marchandises portant des noms ou
des marques supposées et voyageant sur le territoire
français, n’appartenait qu’à la partie lésée, et encore le
lui avait-on contesté. La loi de 1824, disait—on, a bien
puni le commissionnaire qui a sciemment mis en circu
lation des marchandises contrefaites. Mais cette disposi
tion n’est applicable qu’à la circulation destinée à en opérer la vente en France. Cela résulte de ce que cette
loi place sur la même ligne le fait d’exposer en vente
en France et le fait de mettre en circulation, c’est-à-dire
de répandre dans le public.
Quant au commerce de transit, il est placé sous l’em
pire d’une législation spéciale qui n’a pas prévu et ne
devait pas prévoir le cas de fausseté des marques appo
sées sur la marchandise circulant en France. En effet,
d’un côté le délit de contrefaçon commis à l’étranger
n’est pas susceptible d’être poursuivi en France; d’un
autre côté, du moment où la marchandise peut prendre
�SUR LES MARQUES
245
pour se rendre à sa destination, des routes autres que
celles qui traversent le territoire français, et qu’on ne
peut ainsi s’opposer à ce qu’elle arrive au consommateur
étranger , il n’y a plus à se préoccuper que de l’intérêt
supérieur qui fait désirer , pour l’utilité des entreprises
françaises de transport, que les produits étrangers se
rendant à une destination étrangère voyagent de préfé
rence sur le sol français.
Le vice de ce raisonnement était sensible : il ne tenait
aucun compte de ce fait considérable que le voyage sur
le sol français était, non une faculté, mais une néces
sité imposée par celle de donner à la marchandise l’ap
parence d’une origine française. Or quelque faveur que
méritent nos entreprises de transport, on ne pouvait pas
leur sacrifier l’intérêt bien autrement respectable de nos
centres de production, ou de nos industriels qui sont la
gloire et la fortune de notre pays.
Aussi la cour de Cassation n’hésite-t-elle pas à con
damner cette interprétation de la loi de 1824 : Attendu,
dit-elle dans un arrêt du 7 décembre 1852, que sa dis
position ne s’applique pas seulement à la mise en cir
culation en France, dans le but de livrer à la consom
mation française, mais que ses termes généraux s’ap
pliquent aussi à l’expédition de la marchandise à l’é
tranger , lorsqu’elle s’appuie sur un fait de circulation
qui a emprunté une portion du territoire français , cir
culation dont le résultat est de tromper, même à l’exté
rieur , sur l’origine de la fabrication , et de lui donner
�246
loi
du
23
ju in
1857
indûment le caractère apparent d’une fabrication fran
çaise.'
En présence d’un pareil b u t, l’interdiction du terri
toire français était un devoir que réclamaient impérieu
sement les intérêts de notre commerce et de notre in
dustrie. On ne pouvait surtout méconnaître le droit de
la partie lésée de saisir les marchandises voyageant in
dûment en France, et de prévenir la réalisation ou tout
au moins d’obtenir la réparation du préjudice qu’elle en
avait souffert, ou pouvait avoir à en souffrir.
984. ■
— Mais ce droit n’était qu’un palliatif fort in
suffisant. La partie lésée n’avait aucun moyen de l’exer
cer utilement; elle pouvait bien soupçonner la fraude,
mais elle ne pouvait en vérifier ni en constater préala
blement l’existence. Elle était donc réduite à saisir au
hasard et en aveugle, au risque des dommages-intérêts
qu’une erreur pouvait et devait entraîner, sans compter
que bien souvent au moment où il lui aurait été permis
d’agir les marchandises étaient déjà sorties de France et
arrivées à leur destination définitive.
L’article 19 dissipe tous les doutes en prohibant à
l’entrée et excluant du transit et de l'entrepôt les pro
duits étrangers portant soit la marque, soit le nom d’un
fabricant résidant en France , soit l’indication du nom
ou du lieu d’une fabrique française; il sanctionne le seul
remède efficace contre la fraude, en concédant le droit
l D. P., 58, 1, 348.
�SUR LES MARQUES
247
de saisir non-seulement à la partie lésée , mais encore
au ministère public, à l’administration des douanes ellemême.
9 8 5 . — Pour ce qui concerne celle-ci, on pouvait
objecter que le droit qui lui était conféré était dans le
cas de détourner les étrangers de notre territoire et de
compromettre les intérêts qui se rattachent au dévelop
pement du transit étranger à travers la France. Mais ce
grave inconvénient n’aurait été à craindre que s’il s’é
tait agi de donner à la douane des moyens d’inquisi
tion nouveaux en dehors de ceux que lui imposent l’exé
cution de ses réglements, et d’ajouter ainsi aux difficul
tés et aux délais du voyage,
« Or, disait avec raison l’Exposé des motifs, la me
sure à autoriser ne pouvait entraîner, de la part de la
douane, comme recherche, aucunes vérifications plus étendues que celles qu’exigent les intérêts habituels du
service. Il ne résultera donc de la disposition aucune
formalité, aucune gêne et aucuns retards nouveaux pour
le commerce. Qui effraiera-t-elle donc ? qui détourne
ra-t-elle ? Uniquement le commerce déloyal, et ce n’est
point celui-là dont, au surplus, les proportions sont res
treintes et qui , cependant, cause un préjudice notable
à nos fabriques, ce n’est pas celui-là qu’on doit crain
dre de décourager. »
L’article 19 fut donc voté , et le droit de saisir, dès
leur apparition sur notre territoire, les produits étran
gers indûment empreints d’une marque ou d’un nom
�248
loi
du
23
ju in
1857
d’un fabricant ou d’un lieu de fabrication français, con
cédé à la partie lésée, au ministère public, à l’adminis
tration des douanes.
9 8 9 . — La partie lésée dans ce cas est non-seule
ment le fabricant français , mais encore l’étranger qui,
établi en France , concourt par son intelligence et par
ses capitaux au développement de notre commerce ou
de notre industrie. C’est ce qui résulte des termes de
l’art. 19 prohibant l’emploi de la marque ou du nom
d’un fabricant résidant en France. C’était là d’ailleurs
la conséquence de la disposition de l’art. 5. Dès que l’é
tranger possédant en France des établissements d’indus
trie ou de commerce était appelé à jouir du bénéfice
de la loi, il est évident qu’on ne pouvait lui contester
et moins encore lui refuser les moyens tendant à ren
dre ce bénéfice utile et efficace.
987.
— L’action de la partie lésée , quelle qu’elle
soit, obéit aux règles que trace l’art. 17. Ainsi la saisie
ne peut s’opérer que sur ordonnance du président du
tribunal civil ou du juge de paix du canton qui peut exi
ger du requérant le dépôt préalable d’un cautionne
ment.
De plus le saisissant d o it, aux termes de l’art. 18,
réaliser l’action dans la quinzaine, sauf le délai des dis
tances. Il est vrai que l’art. 19 porte le délai à deux
mois , mais évidemment cette prolongation n’est con
cédée que dans le cas d’une saisie opérée par la dou
ane ou requise par le ministère public.
�SUR LES MARQUES
249
En effet, dans l’un et l’autre cas la partie lésée est ad
missible à donner elle-‘même à la saisie la suite qu’elle
comporte , et il est dans l’intention de la loi qu’elle le
fasse, et le délai de deux mois n’a été consacré que pour
la mettre à même de le faire utilement. On pouvait fa
cilement prévoir que par des circonstances indépendan
tes de sa volonté, que par l’éloignement de son domicile
la connaissance de la saisie ne lui arriverait souvent que
plus de quinze jours après sa date, et il eût été injuste
de la forclore avant même qu’elle eût été en mesure et
en demeure d’agir.
« Il a paru juste , disait le rapporteur du Corps lé
gislatif de prolonger le délai pour former la demande en
condamnation. La partie lésée peut avoir un domicile
éloigné, et même ignorer la saisie si ce n’est pas elle qui
l’a faite pratiquer. »
Donc si elle y a fait elle-même procéder , si elle ne
peut par conséquent exciper ni de son éloignement ni de
son ignorance , la prolongation du délai ne serait plus
qu’un effet sans cause , et l’en faire profiter serait mé
connaître les justes considérations qui ont motivé l’ar
ticle 18.
988.
— L’article 19 permet de saisir les produits
frauduleux eu quelque lieu que ce soit, par conséquent
en cours de voyage, comme au moment où ils arrivent
sur le sol français.
Supposez en effet que la douane n’ayant pas décou
vert la fraude ou ayant négligé de la saisir, les produits
�250
loi
du
23
ju in
1857
soient sortis de l’entrepôt ou aient commencé leur voyage
en transit.il ne pouvait pas être que cette erreur ou celte
négligence mit obstacle à l’exercice du droit de la partie
lésée, et la condamnât à subir le préjudice qu’elle a tout
intérêt à prévenir. On ne pouvait donc faire autrement
que de lui reconnaître la faculté d’agir tant que la mar
chandise n’était pas encore sortie du territoire français.
989.
— Le ministère public a le même droit que la
partie lésée. Il peut d’office requérir la saisie des pro
duits frauduleux qu’on tente d’introduire ou qu’on a
introduit sur le territoire français. Celte arme dans ses
mains est une menace utile contre la fraude, mais dont
l’usage rencontre un sérieux obstacle dans la position et
le caractère du magistrat appelé à en disposer.
On comprend que les relations du commerçant fran
çais avec l’étranger le mettent à même d’être prévenu et
de connaître les projets qui s’y trament contre ses inté
rêts. Mais le ministère public n’a à l’étranger ni corres
pondant, ni représentant qui puissent l’avertir et solli
citer sa surveillance. Ce n’est donc qu’après leur débar
quement ou leur arrivée à la frontière qu’il pourra con
naître le caractère frauduleux des produits , et le plus
souvent il ne le connaîtra que par la réception du pro
procès-verbal qui en constate la saisie par la douane.
Son initiative cependant a une incontestable utilité
dans le cas surtout d’erreur ou de négligence de la part
de la douane. Tant que la marchandise n’a pas encore
quitté le territoire , des avis peuvent lui parvenir , des
�SUR LES MARQUES
251
plaintes lui être adressées, et il importait qu’aucun ob
stacle ne s’opposât à la suite qu’il croirait devoir don
ner aux uns ou aux autres.
9 9 0 . — L’administration de la douane a non-seu
lement le droit, mais encore le devoir de saisir les pro
duits qui contreviennent à l’art. 19. Ce devoir s’induit
de ce que ces produits sont prohibés à l’entrée et exclus
du transit et de l’entrepôt.
Mais celte prohibition et celte exclusion tiennent, non
à la nature des produits, mais aux indications menson
gères dont ils sont revêtus ; ils ne se placent donc pas
dans la catégorie du prohibé ordinaire que consacrent
nos lois douanières.
De lâ celte conséquence que la douane est sans inté
rêt dans les résultats de la saisie. En réalité elle agit ici
comme officier de police judiciaire auxiliaire du procu
reur impérial. Aussi est-ce à la requête de ce magistrat
que doit être libellé et dressé le procès-verbal de saisie.
Contrairement aux procès-verbaux en matière de dou
anes, celui-ci ne fait foi que jusqu’à preuve contraire.
Dès lors il n'est pas nécessaire qu’il soit suivi de toutes
les formalités prescrites par la loi du 9 floréal vu, no
tamment de l'affirmation. Il n’est soumis qu’à l’enre
gistrement avant l'expiration du terme de quatre jours
fixé par l’art. 29 de la loi du 22 frim aire an vu.'
Le rôle de la douane est donc parfaitement fixé. Elle
l Circulaire du directeur général, du 6 août \887.
�2521
lo i
du 2 3
ju in
1857
peut et doit saisir, dans notre hypothèse, parce que seule
elle est en mesure de prévenir la fraude que les inves
tigations auxquelles elle doit se livrer à l’arrivée de mar
chandises étrangères lui feront inévitablement découvrir.
Mais absolument désintéressée dans les résultats de la
saisie , elle l’opère au nom et à la requête du ministère
public, et n’a plus qu’à transmettre le procès-verbal au
parquet du ressort.
9 9 ! . — La suite à donner à la saisie n’appartient
qu’à la partie lésée ou au ministère public. Elle doit être
réalisée dans les deux mois à peine de nullité de la
saisie.
Nous avons déjà indiqué les motifs qui ont fait pro
roger le délai en faveur de la partie lésée. Sans doute
aucun de ces motifs ne pouvait s’appliquer au ministère
public. La réception du procès-verbal lui donne néces
sairement connaissance de la saisie, et le mettait à mê
me d’agir dans la quinzaine de cette réception.
Mais puisque la loi appelle dans ce cas l’initiative de
la partie lésée, on comprend que le ministère public croie
devoir l’aviser pour la mettre à même d’agir.
De plus le ministère public peut juger utile et con
venable de procéder à une instruction. Il peut requérir
l’envoi au greffe de tout ou de partie des objets saisis
dont la vérification peut être indispensable pour la cons
tatation du délit. Or on comprend qu’un simple délai de
quinzaine ait paru et fût en effet insuffisant.
9 9 2 . — La suite à donner à la saisie amène des
�SUR LES MARQUES
253
rapports forcés entre la douane et le ministère public.
Leur détermination a fait la matière de deux circulai
res , l’une du ministre de la justice du 27 juin 1857,
l’autre du directeur général des douanes du 6 août sui
vant. La première consacre le droit d’exiger le transport
et le dépôt au greffe de tout ou de partie des objets sai
sis ; l’autre prescrit de les exécuter et fixe le mode de
cette exécution. Le transfert au greffe s’opère sous la ga
rantie du plombage et d’un acquit à caution qui devra
être souscrit par l’agent chargé du transport, et dans
lequel est stipulée l’obligation de le rapporter dans un
bref délai revêtu d’un certificat de réception des objets
par le greffier.
Pour tout ce qui va suivre, le rôle de la douane est
purement passif : il se borne à exécuter la décision de
la justice ; elle n’a pas même à être appelée dans l’in
stance. Elle n’a en effet ni prétention à faire valoir, ni
adjudication à requérir, car elle n’a à se plaindre d’a u
cune contravention aux lois pour l’exécution desquelles
elle est instituée.
Elle n’est donc intéressée que comme ayant en sa
possession les objets saisis ; mais elle ne possède que
pour le ministère public au nom et à la requête de qui
la saisie a été pratiquée. Donc le jugement rendu soit
directement avec l'officier du parquet, soit avec son con
cours et sur ses réquisitions lui est de plein droit com
mun , et elle n’a plus qu’à en exécuter les dispositions,
ce qu’elle peut faire, puisque après le jugement les ob
jets déposés au greffe doivent être réintégrés dans ses
�254
loi du 2 3
ju in
1857
bureaux pour le réglement des droits auxquels leur in
troduction en France peut donner lieu, ou pour veiller
à leur réexportation.
Or le jugement aboutira nécessairement à l’un de ces
résultats : ou il annulera la saisie comme faite injuste
ment ; ou il ordonnera la remise des objets saisis à la
partie lésée ; ou il en prononcera purement et simple
ment la confiscation.
Dans le premier cas , le directeur du bureau déposi
taire des objets leur ouvrira l’entrepôt ou les remettra
sur récépissé à leur propriétaire ou au commissionnaire
chargé par lui d’en opérer le transit.
Dans le second , la remise s’effectuera aux mains de
la partie lésée qui en donnera décharge et qui peut seule
en disposer désormais à ses plaisirs et volonté en ac
quittant, s’il y a lieu, les droits dont les objets peuvent
être passibles soit pour leur passage soit pour leur mise
en consommation en France.
Dans le troisième, la confiscation étant exclusivement
au profit du Domaine, c’est avec les préposés de celui ci
que le chef du bureau de la douane aura à s’entendre
pour que la venteensoit opérée le plutôt possible et pour
le réglement des droits et frais qui peuvent être dus à
l’administration des douanes.1
993.
— L’article 19 ne pouvait pas déroger au prin
cipe que la contrefaçon commise en pays étranger ne
i Circulaire du 6 août 1857.
�SUR LES MARQUES
255
peut être poursuivie en France: aussi se borne-t-il pour
la répression des faits qu’il prévoit à s’en référer à l’ar
ticle 14.
D’autre part, l’appel à cette disposition était indispen
sable pour bien déterminer la pensée du législateur. Se
borner à la disposition du premier paragraphe de l’ar
ticle 19 qui prohibe à l’entrée et exclut du transit et de
l’entrepôt les objets frauduleusement revêtus de marques
ou de noms français, c’était placer leur importation sous
l’empire des articles 41 et suivants de la loi du 28 avril
1816 et 34 de la loi du 21 avril 1818 , aux termes
desquels cette importation est passible de l’emprisonne
ment et de l’amende, et entraîne de plein droit la con
fiscation au profit de la douane.
Or dans la volonté bien arrêté du législateur, la pro
hibition que l’art. 19 consacre n’a pas été dictée par un
intérêt fiscal. Son objet unique est d’ajouter une sanc
tion nouvelle à celles par lesquelles il venait de garan
tir et d’assurer le respect des noms et marques, et don
ner à leur propriété toute l’efficacité qu’elle réclamait.
994.
— L’appel que l’art. 19 fait exclusivement à
l’art. 14 conduit donc à ces conséquences :
1° L’importateur des produits en contravention de
ces dispositions est affranchi de toute peine d’emprison
nement et d’amende. La spécialité de la prohibition la
soustrait à l’empire des lois de 1816 et de 1818. Il n’y
a plus qu’un fait d’introduction de marchandises licites
en elles-mêmes et qui n’empruntent leur caractère frau-
�286
loi du
23
ju in
1857
duleux qu’à la marque ou au nom dont on les a illéga
lement revêtues.
Il faudrait donc, pour qu’une peine quelconque fût
applicable , que la loi spéciale eût fait un délit de cette
introduction. Or la loi de 1857 ne l’a comprise ni dans
l’art. 7 ni dans l’art. 8, et notre article 19 n’édicte con
tre elle que la saisie et la confiscation.
Ce silence est significatif, surtout si on le rapproche
de l’art. 41 de la loi de 1844 sur les brevets d’invention.
Celui-ci en effet range sur une même ligne, quant à la
pénalité , ceux qui auront sciemment recélé , vendu ou
exposé en vente, et ceux qui auront introduit sur le ter
ritoire français les objets contrefaits.
Les articles 7 et 8 de notre loi ne prévoient que la
vente ou la mise en'vente de produits revêtus d’un nom
ou d’une marque contrefaite usurpée ou imitée. Ils se
taisent sur l’introduction qui n’est prévue que par l’ar
ticle 19. Il est donc impossible de lui appliquer une
peine autre que celle que prononce cet article , c’est-àdire la saisie des produits et leur confiscation.
995.
— Seconde conséquence : La confiscation doit
être prononcée. Il est évident en effet que le renvoi à
l’art. 14 a pour objet unique la faculté d’ordonner la
remise des objets confisqués au propriétaire de la mar
que frauduleusement apposée. Dans l’hypothèse de l’ar
ticle 19, il ne peut être question d’acquittement , car il
ne saurait y avoir de poursuite personnelle. La seule
question qui puisse s’agiter est la validité de la saisie
�257
SUR LES MARQUES
qui ne peut être annulée que si le fait reproché n’a au
cun fondement, et, dans ce cas, comprendrait-on qu'on
pût confisquer la marchandise ?
Donc la confiscation ne peut être que la conséquence
du maintien de la saisie, et dans ce cas le juge est ap
pelé à, apprécier si elle doit ou non profiter à la partie
lésée. La loi fait de la remise en ses mains, non un de
voir mais une faculté : nous l’avons déjà établi sous
l’art. 14.
Pour que cette remise soit accordée , il faut qu’elle
soit demandée par celui qui est appelé à en profiter.
Mais pour qu’il puisse le faire , sa présence dans l’ins
tance est indispensable.
Cependant
qui lui a été
lui fit perdre
la loi permet
il pourrait ignorer et la saisie et la suite
donnée. Serait-il juste que cette ignorance
la réparation qui peut lui être due et que
de lui accorder ?
Nous ne saurions l’admettre. Aussi pensons-nous qu’il
est dans l’intention de la loi qu’il soit prévenu et mis à
même de faire valoir son droit ; que le ministère public
doit, sinon le mettre en cause, dü moins lui faire con
naître l’existence de la saisie. N’est-ce pas un peu dans
ce but que le délai pour réaliser l’action a été porté de
quinze jours à deux mois ?
996.
— La remise à la partie lésée est facile, lors
qu’il s’agit de l’usurpation du nom ou de la marque *
d’un fabricant. Mais en faveur de qui l’ordonner, dans
ni
-a
�258
loi du
23
ju in
1857
l’hypothèse de l’indication frauduleuse d’un lieu de fa
brication ?
Sans doute tous les fabricants de la localité sont rece
vables à opérer la saisie , à provoquer la poursuite ou
à poursuivre en leur nom personnel la validité de cette
saisie. Mais comme nous l’avons d i t , dans cette hypo
thèse, celui qui a été lésé n’est pas tel ou tel, c’est tout
le monde , et la remise faite à l’un enrichirait celui-ci
sans réparer le préjudice dont les autres ont souffert,
peut-être dans des proportions plus considérables.
Le tribunal devra-t-il, dans ce cas, s’abstenir de pro
noncer la confiscation ? Nous ne le pensons pas. Ce se
rait là enlever toute sanction à l’art. 19 et laisser sans
protection efficace nos principaux centres de produc
tion. On les exploiterait d’autant mieux que la décou
verte et la saisie de la fraude ne coûteraient rien à son
auteur.
Nous comprenons que la crainte de ruiner un com
merçant français ou de compromettre des créanciers fran
çais ait pu rendre la confiscation facultative dans les cas
prévus par les articles 7 et 8. Mais où serait le motif de
ménager l’étranger assez déloyal pour couvrir de nos
pavillons les plus honorés des produits inférieurs qui ne
peuvent que les discréditer au grand détriment de notre
industrie ? Dût la confiscation entraîner sa ruine, qu’on
ne devrait pas hésiter. On ne lui ferait subir que la juste
peine de son odieuse, de sa déloyale spéculation , et si
la gravité de cette peine est dans le cas d’arrêter et de
de décourager ceux qui seraient tentés de l’imiter, il fau
drait s’en applaudir et non le regretter.
�SUR LES MARQUES
259
Le tribunal devrait donc, dans notre hypothèse, pro
noncer la confiscation des objets saisis, mais purement
et simplement et au profit du Trésor, puisqu’il n’y au
rait, en réalité, aucun propriétaire personnel et exclusif
du nom frauduleusement apposé.
997.
— L’article 14 auquel renvoi! l’art. 19 exige
que, dans tous les cas , le tribunal ordonne la destruc
tion des marques ou du nom frauduleusement contre
faits, usurpés ou apposés.
Appliquée aux délits des articles 7 et 8, cette dispo
sition s’explique et se justifie par la possibilité d’un ac
quittement malgré l’existence et la certitude de la frau
de. Le prévenu de vente ou de mise en vente, qui est
reconnu n ‘avoir pas agi sciemment, peut bien non-seu. lement être renvoyé de la poursuite, mais encore échap
per à la confiscation. Mais sa bonne foi ne saurait faire
qu’il pût désormais vendre les objets maintenus en sa
possession sous une marque ou sous un nom contre
faits, usurpés ou imités; et comme son intérêt serait de
le faire , il est indispensable que la destruction de ces
noms ou marques soit ordonnée par justice.
Dans l’hypothèse de l’art. 19, cette destruction ne se
comprend que dans le cas de la constatation du fait que
cet article prévoit et punit. Qu’aurait-on à détruire, en
*effet, si les objets saisis n’étaient en réalité revêtus ni du
nom oudelam arqued’uncommerçant résidant en France,
ni d’un nom de lieu d’une fabrique française? Dans ce
cas évidemment il n’y aurait qu’à annuler la saisie, qu’à
�260
loi du 2 3
ju in
1857
ordonner la remise pure et simple des objets à leur pro
priétaire, avec dommages-intérêts contre la partie qui
se serait permis de les saisir.
Ce n’est donc que dans le cas où la saisie est décla
rée bien obvenue, qu’il y aurait lieu d’ordonner la des
truction des marques ou indications frauduleusement
apposées. Mais comme la confiscation des objets saisis
serait.et devrait être prononcée, cette destruction ne
pourrait être imposée qu’à celui qui est appelé à profiter
de la confiscation, c’est-à-dire le Trésor ou la partie lé
sée. Dans cette prévision, la circulaire du directeur gé
néral du 6 août prescrit, au bureau qui détient les ob
jets saisis, de veiller à ce que la destruction ordonnée
ait lieu en présence soit du receveur des domaines, s’il
y a confiscation pure et simple ; soit de la partie lésée,
si la remise en ses mains a été ordonnée.
La destruction des marques est utile et nécessaire, dans
l’hypothèse de l’art. 49 , lorsque la confiscation est au
profit du Trésor : il ne saurait être en effet que celui-ci
livrât à la consommation des marchandises dont la faus
se indication d’origine a motivé la saisie et la confisca
tion, et consommât ainsi le préjudice que ces mesures
ont pour objet de prévenir et d’empêcher.
Mais à quoi servirait d’ordonner et d’exécuter cette
destruction , lorsque les objets saisis doivent être remis
à la partie lésée ? Le droit de celle-ci d’en disposer à
son gré n’est ni contestable ni contesté ; et comment
l’empêcher d’user de ce droit sous son nom ou sa mar
que?
�SUR LES MARQUES
m
La disposition du jugement ordonnant la destruction
de la marque aboutirait à ce résultat : que la marque
arrachée aujourd’hui serait rétablie demain, et cette fois
sans que personne eût à y redire. A quoi bon dès lors
cette disposition ?
Sans doute en laissant ou en réapposant son nom ou
sa marque sur des objets qu’il n ’a pas fabriqués luimême , la partie induit en erreur et peut tromper les
consommateurs. Mais sauf le cas prévu par l’art. 8 nu
méro 2, la loi, comme nous l’avons fait remarquer, n’a
voulu ni prévoir ni punir les abus auxquels l’emploi des
marques peut se prêter contre le public.
D’ailleurs si, dans notre hypothèse, la partie vendait
sous son nom ou sa marque des produits inférieurs ou
mal confectionnés , elle se nuirait surtout à elle-même.
Le discrédit qui pourrait en résulter pour l’un et pour
l’autre l’exposerait à un tel péril, qu’il n’est pas suppo
sable qu’elle veuille en courir la chance.
Nous croyons donc que, dans les cas où il ordonne
la remise à la partie lésée, le tribunal peut et doit s’abs
tenir de prescrire la destruction de la marque : d’abord
parce que la partie est toujours libre de la rétablir et
d’éluder ainsi l’ordre de la justice ; ensuite parce qu’on
peut s’en remettre à l’intérêt que cette partie a à ne pas
compromettre, pour un léger bénéfice la réputation que
sa loyauté et la perfection de sa fabrication lui ont ac
quis.
�m
loi du 2 3
ju in
1857
»
A r t - 20.
Toutes les dispositions de la présente loi sont
applicables aux vins, eaux-de-vie et autres bois
sons, aux bestiaux, grains, farines, et générale
ment à tous les produits de l’agriculture.
A r t . 21.
Tout dépôt de marques opéré au greffe du
tribunal de commerce, antérieurement à la pré
sente loi, aura effet pour quinze années à dater
de l’époque où ladite loi sera exécutoire.
A r t . 22.
La présente loi ne sera exécutoire que six
mois après sa promulgation. Un réglement d’ad
ministration publique déterminera les formalités
à remplir pour le dépôt et la publicité des mar
ques , et toutes les autres mesures nécessaires
pour l’exécution de la loi.
�SUR LES MARQUES
263
SOM M AIRE
998
•99
1000
Caractère de l’art. 20.—Ses motifs. Sa rationnalité.
Obligations imposées aux producteurs agricoles qui veu
lent acquérir la propriété exclusive de leur marque.
Conséquences de l’absence de dépôt ou du défaut de re
nouvellement après quinze ans.
1001
Maintien des dépôts antérieurs à la loi.
1002
Doivent être renouvelés après quinze ans.—Point de départ
de ce délai.
Quels sont les dépôts maintenus et acceptés par l ’art 21.
Motifs qui ont fait déclarer la loi exécutoire six mois après
sa promulgation.
Caractère des dépôts faits dans ces six mois et jusqu’à la
promulgation du réglement d’administration publique.
Leur validité
Doivent être renouvelés après quinze ans du jour où la loi
est devenue exécutoire.
1003
1004
1005
1006
998.
— L’article 20 puisait sa raison d’être dans
les üfficultés et la controverse qu’avaient soulevées la
question de savoir si, quelque manipulation qu'ils eus
sent subis, les produits de l’agriculture étaient des pro
duits fabriqués. Appelée maintes fois à la résoudre , la
cour de Cassation s’était invariablement prononcée pour
l’affirmative.1
Ainsi mis en demeure de se prononcer, le législateur
i V. notamment J . du P „ 1845, 2, 655; 1847, 2, 100.
�264
Vj i du
23
ju in
1857
a élevé celte jurisprudence à la hauteur d’une loi , et il
devait le faire. L’agriculture ne contribue pas moins que
le commerce et l’industrie à la prospérité de l’Etat : elle
avait dès lors droit à la même protection , aux mêmes
encouragements. Il fallait donc que les producteurs agricoles, et ceux qui font le commerce des produits de
cette nature, pussent s’assurer la propriété d’une mar
que qui les recommandait à la confiance publique.
Obéissant à cette pensée , le projet de loi avait nonseulement consacré le principe , mais encore énuméré
les divers produits auxquels il entendait l’appliquer. Mais
il avait omis une des industries agricoles les plus consi
dérables, celle des éleveurs. Un amendement de la com
mission du Corps législatif, adopté par le conseil d’Etat,
vint réparer cette omission et compléter l’énumération
de l’art. 20.
Aucune controverse n’est donc possible désormais.
Non-seulement les vins, eaux-de-vie et autres boissons,
les bestiaux, les farines, les grains, mais encore tous les
produits de l’agriculture sont assimilés aux produits fa
briqués, et si le producteur ou le commerçant qui s’en
occupe a adopté une marque qui le personnifie et les
signale à la confiance publique, il pourra en acquérir la
propriété exclusive en remplissant les formalités pres
crites par notre loi.
999.
Il est évident en effet qu’en mettant les
producteurs agricoles sur la même ligne que les produc
teurs industriels , la loi n’a ni entendu ni pu entendre
les dispenser des obligations imposées à ceux-ci.
�SUR LES MARQUES
265
Ils n’ont donc acquis la propriété exclusive de leur
marque , que s’ils en ont opéré le dépôt conformément
à l’art. 2. Ce dépôt n’a d’effets que pour une période
de quinze ans, à l’expiration de laquelle il doit être re
nouvelé ; il n’est efficace que si la marque qui en fait
l’objet est nouvelle , c’est-à-dire non encore connue ni
employée dans un genre d’industrie similaire.
1 0 0 0 . — Il est non moins évivent que l’absence de
dépôt ou le défaut de renouvellement n’a pour le pro
ducteur agricole d’autre conséquences que celles qu’il
entraînerait contre le producteur industriel. Il ne pourra
donc pas ou il ne pourra plus agir par la voie correc
tionnelle. Il n’aura que l’action civile de l’art. 1382 du
Code Napoléon, en réparation du dommage que lui a
occasionné et que lui cause la concurrence déloyale dont
il a à se plaindre.
1 0 0 1 . — Le passage d’une loi ancienne à une loi
nouvelle subordonnant ce droit à des formalités, impose
le devoir de régler , quant à ces formalités , les obliga
tions de ceux dont le droit avait été acquis sous l’empire
de la loi ancienne.
Mais en notre matière , l’acquisition du droit ne se
réalisait que par le dépôt au greffe. La loi du 22 ger
minal an xi n’admettait à exercer l’action en contrefa
çon, que ceux qui avaient au préalable opéré ce dépôt.
Il s’agissait donc d’une formalité à remplir , d’un
mode de manifestation du droit plutôt que du droit luimême, et dans ce cas la loi nouvelle s’impose à tous in
distinctement du jour de sa promulgation.
�266
loi du
23
ju in
1857
Il n’est donc pas douteux que les dépôts faits antéri
eurement à 1857 et sous l’empire de la loi de germinal
an xi , auraient dû être immédiatement renouvelés , si
l’art. 21 ne les avait maintenus expressément.
1002.
—• Mais en faisant cette concession, le légis
lateur était libre de lui imposer la limite qu’il jugeait
utile. Cette limite ressortait naturellement de la disposi
tion de l’art. 3. Il est évident que l’effet du dépôt pos
térieur à la loi se restreignant à une période de quinze
ans, on ne pouvait concéder une durée illimitée et per
pétuelle à celui des dépôt antérieurs.
Donc à quelque époque que le dépôt ait été opéré, il
doit être renouvelé à chaque période de quinze ans. Le
point de départ de ce délai pour les dépôts antérieurs a
notre loi est le jour où cette loi est devenue exécutoire,
alors même que ces dépôts remontassent déjà à plus de
quinze ans.
1005.
— Les seuls dépôts antérieurs que l’art. 21
accepte et maintient, sont ceux qui ont été faits au greffe
du tribunal de commerce. La nécessité de centraliser les
marques et de faciliter ainsi les recherches des intéressés
dictait cette restriction.
Ainsi les dépôts faits soit au secrétariat des prud’hom
mes , soit à la sous-préfecture en conformité du décret
de juin 1809 , de l’arrêté du 23 nivôse an ix , de la loi
du 8 août 1816, ont cessé de produire leur effet du mo
ment où la loi nouvelle a été exécutoire, et dû être im
médiatement renouvelés au greffe du tribunal de com-
�SUR LES MARQUES
267
B
merce du domicile du déposant, dans les formes pres
crites par cette lo i, c’est-à-dire à partir du 27 décem
bre 1857.
1 0 0 4 . — En effet aux termes de l’art. 22, la loi ne
devait devenir exécutoire que six mois après sa promul
gation. Cette dérogation à l’art. 1er du Code Napoléon
reconnaissait, pour motif, la nécessité de donner au Gou
vernement le temps de préparer et d’arrêter le réglement
d’administration publique qui devait déterminer les for
malités à remplir pour le dépôt et la publicité des mar
ques, et toutes les autres mesures nécessaires pour l’ex
écution de la loi.
1 0 0 5 . — Le sort des actes accomplis dans l’épo
que de transition, ou dans l’intervalle entre le 27 juin
1857 date de la promulgation de la loi, et le 27 décem
bre suivant où ont expiré les six mois réservés , a pu
d’abord soulever quelques difficultés, faire naître quel
ques doutes ; mais le temps écoulé depuis cette dernière
époque rend tout litige sur ce point, à peu près impos
sible.
Mais le réglement d’administration qui devait paraître
dans les six mois , n’a été promulgué que le 26 juillet
1858, c’est-à-dire que treize mois après la promulgation
de la loi. De là la question de savoir si le dépôt fait a vant et depuis le 27 décembre 1857, mais autrement que
dans les conditions que la loi entendait prescrire, a va
lablement conféré la propriété exclusive de la marque
pour une période de quinze ans à partir de cette même
époque ?
�268
loi du 2 3
ju in
1857
L’affirmative ne nous parait pas douteuse. L’urgence
du dépôt pour s’assurer la propriété d’une marque nou
velle est trop évidente, pour qu’on puisse admettre que
le commerçant ou fabricant qui l’a adoptée ait dû at
tendre le réglement qui devait compléter la lo i, au ris
que de voir un rival d’industrie le gagner de vitesse et
s’emparer de sa propriété. L’intérêt qu’il a à prévenir
ce danger est trop évident, trop incontestable, pour qu’on
pût raisonnablement et équitablement lui en refuser le
moyen.
Le seul qui se présente à lui est le dépôt au greffe, et
comment s’il l’a réalisé avant la publication du régle
ment lui reprocher de n’avoir pas rempli les formalités
que ce réglement prescrit et exige.
En définitive il est certain qu’à partir du 27 décem
bre, et même du 27 juin 1857, le principe que le dépôt
des marques ne pouvait être fait qu’au greffe du tribu
nal de commerce, ou du tribunal civil là où il n’existe
rait pas de tribunal de commerce , a été acquis et est
devenu obligatoire. Mais quant à la forme et aux condi
tions de ce dépôt, elles ne se sont imposées aux intéres
sés que du jour de la publication du réglement d’admi
nistration publique qui les a mis à même de les con
naître et en demeure de les accomplir.
1006.
— Jusque là il a été impossible de faire au
trement que ce que la loi alors en vigueur exigeait. Donc
le dépôt opéré comme cette loi le prescrivait a été vala
ble et a conféré la propriété de la marque qui en a fait
�SUR LES MARQUES
269
l’objet, mais pour une période de quinze ans à partir du
jour où la loi de 1857 est devenue exécutoire. Tout au
plus en effet pourrait-on , quant à la form e, assimiler
le dépôt fait avant le 26 juillet 1858, à celui dont parle
l’art. 21. Dès lors on ne saurait, pour la période de
quinze ans, admettre un point de départ autre que ce
lui que cet article détermine.
Ainsi que la marque ait été déposée avant ou après le
27 juin, depuis le 27 décembre 1857 jusqu’au 26 juil
let 1858 , la période de quinze ans expirera le 27 dé
cembre 1872 , et dès ce moment s’imposera la nécessité
de renouveler le dépôt.
A ux. 2 3 .
Il n ’est pas dérogé aux dispositions a n té r ie u
res q u i n ’o n t rien de c o n tra ire à la p ré sen te loi.
SOM M AIRE
1007 Historique de l’art. 23.
1008 Incertitude qu’il laisse planer sur sa portée. — Elément
d'appréciation.
1009 Lois et décrets abrogés.
1010 La loi du 8 juillet 1824 est maintenue.
1011 Ne sont pas abrogées les dispositions législatives spéciales
à certaines industries.—Enumération.
�270
loi du 2 3
ju in
1857
1007.
■
— S’il est un principe certain en législation,
c’est celui qui donne à la loi nouvelle l’effet de déroger
à toutes les prescriptions antérieures avec lesquelles elle
ne peut se concilier. Il est évident qn effet que lorsqu’u
ne matière se trouve régie par deux dispositions qui se
contredisent l’une avec l’autre, ce n’est pas l’ancienne à
laquelle il faille recourir et qu’on puisse appliquer.
Malgré cette certitude et cette évidence le législateur
n’omet jamais de s’en expliquer formellement. Il n’est
pas de loi qui ne se termine par une de ces formules :
les dispositions contraires à la présente loi sont abro
gées ; ou sont abroges les lo is , décrets et ordonnances
des.........
Obéissant à ces précédents , le projet rédigé par le
Gouvernement disait dans sa disposition finale, sont a brogèes toutes les dispositions antérieures relatives aux
marques de fabrique.
Mais le conseil d’Etat ne crut pas devoir maintenir
cette formule dont la généralité allait évidemment au
delà de l’intention et du but de la loi.
Les dispositions antérieures relatives aux marques de
fabrique ne procédaient pas toutes du même esprit. Si.
l’intérêt de l’industrie avait dicté les unes, les autres a vaient un tout autre objet, un intérêt de douane ou de
police : un intérêt fiscal les avait inspirées.
La loi de 1857 n’avait qu’un objet : rendre plus utile
et plus efficace la protection due aux légitimes proprié
taires des marques de fabrique et de commerce, et arri
ver ainsi indirectement à sauvegarder l’intérêt des con-
�SUR LES MARQUES
271
sommateurs eux-mêmes. Elle ne pouvait donc abroger
que les dispositions antérieures prises dans le même but
et les termes du projet allaient évidemment au delà.
Le conseil d’Etat leur substitua donc ceux qui sont écrits dans l’art. 23 , et qui à leur tour ne parurent pas
expliquer assez nettement la pensée de la loi. La com
mission du Corps législatif proposait d’indiquer les lois
et décrets antérieurs auxquels il n’était pas dérogé. Mal
gré son utilité pratique, cette proposition ne fut pas ac
cueillie par le conseil d’Etat.
1008.
— En l’état donc une certaine incertitude rè
gne sur la portée de l’art. 23 ; car , comme l’observe
fort justement M. Calmels , il n’est pas si simple qu’on
pourrait le croire de déterminer les effets qu’exerce une
loi nouvelle sur la législation qui l’a précédée ; quelles
dispositions restent encore debout, quelles sont celles
.qui ont disparu : c’est souvent là une question délicate
à résoudre.'
V
Heureusement les magistrats peuvent puiser un élé
ment de conviction dans le caractère de la loi de 1857.
Son intention de ne régler que ce qui se réfère à la pro
priété des marques au point de vue de la pratique du
commerce et de l’industrie, amène en effet à cette con
séquence, qu’elle n ’a ni dérogé ni voulu déroger aux
dispositions précédentes qu’en tant qu’inspirée par Ma
même pensée et se plaçant au même point de vue, elles
1 Des noms et marques de fabrique, pag. 203.
�272
\
loi du 2 3
ju in
1857
garantissaient l’intérêt qu’elle est venue elle-même ré
glementer.
1009.
— Or la législation précédente ne s’était d’a
bord préoccupée que de certaines industries. Ainsi un
arrêté des consuls du 23 nivôse an ix, autorisait les fa
bricants de quincaillerie et de coutellerie à frapper leurs
produits d’une marque particulière dont la propriété leur
était assurée, à la charge par eux de la faire emprein
dre sur des tables communes déposées à cet effet à la
sous-préfecture de leur domicile.
Un autre arrêté du 7 germinal an x concède à la ma
nufacture nationale de bonneterie orientale d’Orléans,
le droit de mettre sur les produits qu’elle envoyait à l’é
tranger, un cartouche dont elle avait soumis le dessin
au Gouvernement.
Mais de ce que telle ou telle industrie pouvait avoir
une marque particulière, il ne s’ensuivait pas qu’il fût
interdit à toutes les autres d’user de la même faculté.
Chacun était libre en effet de personnifier ses produits
par le symbole, l’emblème, le dessin qu’il jugeait con
venable. Seulement cette faculté manquait de toute pro
tection, même en ce qui concernait la quincaillerie, cou
tellerie et bonneterie orientale , puisque les arrêtés des
23 nivôse an ix et 7 germinal an x étaient dépourvus de
sanction pénale.
La loi du 22 germinal an xi vint consacrer le droit
de tous et tracer les conditions de son exercice, et pla
cer le respect du droit légitimement acquis sous la ga
rantie d’une peine afflictive et infamante.
�273
SUR l e s m a r q u e s
Le décret du 14 juin 1809 consacra l’action en con
trefaçon, maintint la peine édictée contre elle ; mais exi
gea un double dépôt, au secrétariat des prud’hommes
et à la sous-préfecture.
Les articles 142 et 143 du Code pénal sans s’occuper
de l’acquisition du droit, s’approprièrent la pénalité édictée par la loi de l’an xi contre sa violation.
Enfin la loi du 8 juillet 1824 vint prohiber toute al
tération ou substitution de noms sur les produits fabri
qués.
1010.
— De toutes ces lo is , la dernière seule est
restée debout. La loi de 1857 réglementant la propriété
des marques, indiquant le lieu et la forme du dépôt, édiclant la peine de la contrefaçon, a par cela même ané
anti et abrogé toutes les dispositions précédentes qui sta
tuaient sur ces divers points.
Mais disposant uniquement pour les marques, elle n’a
ni porté ni pu porter aucune atteinte à la loi de 1824
qui ne s’applique qu’à la propriété des noms. Sans doute
ces noms peuvent être des marques de fabrique ou de
commerce ; mais la preuve qu’ils sont autre chose ré
sulterait de ce fait seul que, depuis 1824, il n’est venu
à l’esprit de personne de prétendre que la loi du 8 juil
let s’appliquait aux marques, et le Gouvernement luimême l’a si peu cru, que, cédant aux sollicitations du
commerce et de l’industrie, il a cru devoir présenter et
sanctionner la loi de 4857. Au reste tout doute est im m
—
18
�m
loi
do
23
ju in
1857
possible , car tous les documents législatifs réservent et
attestent le maintien de celle du 8 juillet 1824.
1 0 H . — Il en est de même pour les diverses dis
positions législatives qui ne s’occupent des marques que
dans un but spécial et dans un intérêt d’ordre public ou
de police, de fiscalité ou de douane, et dont, ainsi que
le disait l'Exposé des motifs , la loi n’avait pas même à
s’occuper.
Il n’est donc rien dérogé à ce qu’elles prescrivent et
exigent. Leur observation dans l’avenir est un devoir
pour les industries spéciales qu’elles régissent.
Ainsi conformément aux lois des 28 germinal an iv
et 21 octobre 1814 , les imprimeurs doivent indiquer
leur nom et leur demeure sur tout ce qui sort do leurs
presses.
Les orfèvres , joailliers et tous fabricants de matières
d’or ou d’argent, ou de plaqués ou doublés de l’un ou
de l’autre, sont toujours tenus de remplir les obligations
que leur impose la lui du 19 brumaire an vi.
Les fabricants de cartes à jouer doivent, aux termes
du décret du 9 février 1810, apposer sur chaque jeu une
enveloppe indiquant leurs nom, demeure, marque et si
gnature en forme de griffe.
Conformément aux décret et ordonnances des 25 juil
let 1810, 28 mars 1815, 24 juillet 1816 et 2 décem
bre 1835, les armuriers et fabricants d’armes de guerre
ou de commerce sont tenus d’apposer sur chaque arme
un poinçon particulier servant à constater qu’elle a été
soumise à l’épreuve déterminée par les réglements.
�SUR LES MARQUES
275
L’ordonnance du 29 octobre 1846 impose aux phar
maciens l’obligation d’apposer, sur les substances véné
neuses qu’ils délivrent, une étiquette indiquant leur nom
et leur domicile.
Les savons ont fait l’objet des décrets des 1 er avril et
18 septembre 1811, prescrivant une marque différente
suivant qu’ils sont à l’huile d’olives, à l’huile de graines
ou au suif ou à la graisse; du décret du 22 décembre
1812 qui édicte une marque spéciale pour ceux fabri
qués à Marseille.
La fabrication d’étoffes d’or ou d’argent fin , mi-fin
ou faux , est régie par le décret du 20 floréal an xin :
chaque pièce doit avoir deux lisières sans marque dis
tinctive pour l’or et l’argent fin ; avec une barre noire
de quarante fils au moins si la dorure ou l’argenture est
fausse ou mi-fine; avec la même marque, mais sur l’u
ne des deux lisières seulement, si elle est mélangée de
fin et de faux ou de mi-fin.
Le même décret règle les conditions de la fabrication
des velours selon qu’ils sont à un, deux, trois ou quatre
poils, ou dans la fabrication desquels il entrera des tra
mes ou organsins crus.
Enfin l’art. 59 de la loi du 28 avril 1816, pour dis
tinguer les tissus étrangers prohibés des tissus similai
res de fabrications françaises, prescrit d’imprimer à ces
derniers une marque et un numéro de fabrication pour
servir de premier indice au jury chargé d’en déterminer
l’origine et le caractère. Les ordonnances des 8 août
1816 , 23 septembre 1819 , la loi des douanes du 21
�376
loi du
23
j u in
1857
avril 1828 et l’ordonnance du 3 avril 1836 , réglaient
l’exécution à donner à cette prescription.
11 est certain que la loi de 1857 n’a porté aucune at
teinte à ces divers monuments législatifs , et que leurs
diverses prescriptions n’ont pas cessé d’être obligatoires.
Mais les divers traités internationaux de commerce qui
sont intervenus depuis , et le principe de liberté qu’ils
adoptent et proclament, tendent chaque jour à restrein
dre les prohibitions , et feront bientôt une lettre morte
des dispositions des lois de 1816 et 1818, et des ordon
nances qui en déterminaient l’exécution. Faut-il s’en
applaudir ? Nous mentirions à toutes nos convictions si
nous considérions l’affirmative comme pouvant inspirer
un doute sérieux et légitime.
FIN DU COMMENTAIRE
�TABLE DES MATIERES DE LA [II™ PARTIE
Pages
Loi du 23 juin 1857. — Des marques de fabrique et de
commerce.
Coup d’œil historique....................................................
1
Titre I, Du droit de propriété des marques —Article 1. . 15
Articles 2, 3 et 4 ............................................................. 60
Titre II , Dispositions relatives aux étrangers. — Articles
5 etet 6 .......................
99
Titre III, Pénalités.—Articles 7, 8 et 9 ....................... 127
Articles 10, 11 et 1 2 ..................................... .
. 188
Articles 13, 14 et 15 ................................................... 189
Titre IV, Des juridictions.—Article 16............................ 214
Articles 17 et 18................................................................ 236
Titre V, Dispositions générales et transitoires.—Article 19. 241
Articles 2 0 ,'21 et 2 2 ................................................... 262
Article 23. ..............................................
-m -
269
��APPENDICE
ACTES ET DOCUMENTS LÉGISLATIFS
K* 1 .
PREMIER EXPOSÉ DES MOTIFS
DE DA
£07
S r it
IÆ S
P résen té
SIItlE! V E T S
le
ÎO
jan v ier
I » ’I N V E N T I O N
1 8 4 3
A LA CHAMBRE DES PAIRS
Messieurs , la législation qui régit en France les découvertes indus
trielles , et dont .nous venons vous proposer la révision , remonte à l’an
née 1791. Elle appartient à cette époque fécondeen grandes réformes, où,
après avoir voté la suppression des privilèges et des corporations, l’As
semblée nationale inscrivait en tête du Code des arts et métiers : L ib e r té
de l'in d u s tr ie , p r o p r ié t é d u t r a v a il ,
�280
APPENDICE
Un demi-siècle a passé aujourd’hui sur cette création , e t , après une
aussi longue épreuve , les lois des 7 janvier et 25 mai 1791 sont restées
à l’abri de toute atteinte dans leurs dispositions fondamentales, lorsque,
depuis longtemps déjà, elles ont cessé, dans leurs dispositions réglemen
taires , d’être en harmonie avec les besoins de l’in d u strie , et avec l’état
des rapports commerciaux des différents peuples.
Avant 1790 , à peine est-il m aintenant utile de le rappeler, les décou
vertes industrielles, comme les grands établissements de manufactures
et les grandes entreprises de commerce , pouvaient être l’objet des privi
lèges exclusifs ; l’histoire en fournit de nom breux exemples, et plusieurs
de nos principales fondations industrielles, les glaces, les tapis, les draps
fins , n’ont pas eu d’autre origine. Mais ces concessions arbitraires ve
naient, le plus souvent, se briser contre d’autres privilèges plus puissants
encore, qui, comme un m ur d’airain, fermaient au génie de l ’invention
le domaine des arts et métiers, et l’obligeaient à aller chercher sur une
terre étrangère une patrie moins ingrate.
« Combien de citoyens précieux, disait M. de Boufflers à l’Assemblée
» Nationale, après avoir négligé le soin de leur fortune pendant les plus
» belles années d’une vie consumée en étu d e s, en recherches , en médi» tâtions; après avoir épuisé leur patrimoine en fabrications, en frais
» inutiles, en essais infructueux , et surtout en vaines démarches , voy» aient souvent leur espoir le plus cher et le mieux fondé s’évanouir tout
» tout à coup ! Combien d’entre eux, en proie à tous les besoins, privés
» de ressources , accablés de regrets et d’inquiétudes , se sont expatriés,
» ou bien ont langui dans des asiles ignorés et souvent humiliants !... »
Les noms de Nicolas B rio t, inventeur du balancier à frapper les mé
dailles; d’Argant, créateur des lampes à double courant d’a ir; de Réveil
lon, fondateur de la première manufacture de papiers peints ; de Lenoir,
qui a porté à un si haut degré de perfection la fabrication des instru
m ents de précision , retentissent encore dans nos annales comme un acte
d’accusation contre les réglements de cette époque, et comme une protes
tation éloquente contre toute idée de retour vers un pareil régime.
La durée des privilèges était alors déterminée par les actes mêmes de
concession; souvent elle était illimitée , jusqu’à l’époque où la déclara
tion du 24 décembre 1762 fixa le terme de ces'concessions à quinze an
nées , sauf prorogation lorsqu’il y aurait lieu Cet état de choses s’est
maintenu jusqu’en 1790.
Mais déjà le mouvement des esprits appelait une réforme dont le be-
�APPENDICE
281
soin était partout, et dont les signes précurseurs se m ontraient déjà dans
les actes du Gouvernement. Dans les premiers jours de février d77*î, fut
signé le mémorable édit de T u r g o t, enregisté le 12 mars au Parlement,
et qui vint déclarer :
« Que Dieu, en donnant à l’homme des besoins, en lui rendant néces» saire la ressource du tra v a il, a fait du droit de travailler la propriété
« de tout homme , et que cette propriété est la première , la plus sacrée
» et la plus im prescriptible de toutes.
» Nous voulons, disait le même édit, abroger ces institutions arbitrai» r e s . .. qui éloignent l’émulation et l’industrie, et qui rendent inutiles
» les talents de ceux que les circonstances excluent d’une comm unauté
» . . . ; qui retardent les progrès des arts par les difficultés multipliées
» que rencontrent les in v en teu rs, auxquels les différentes communautés
» disputent le droit d’exécuter des découvertes qu’elles n ’ont pas faites.»
Cet édit n’eut pas , à la vérité , une longue durée ; six mois à peine
s’étaient écoulés qu’il tombait avec son auteur. Ce fut en vain que le nou
vel édit du mois d’aoùt 1776 , les lettres patentes du b mai 1779 et cel
les de 1780 et 1781, tentèrent de réconforter un édifice qui s’écroulait de
toutes parts ; l’arrêt était porté , et bientôt une révolution tout entière
devait passer là où une simple réforme n ’avait pu se maintenir.
Dans la n u it du 4 au 5 août 1789 , l’Assemblée Nationale votait l’abo
lition des privilèges et la suppression des jurandes et des m aîtrises : et,
le 31 décembre 1790 , elle décrétait la loi q u i , promulguée le 7 janvier
1791 , forme encore aujourd’h u i , avec celle du 25 mai suivant , le Code
des brevets d’invention.
Garantir à tout inventeur , pendant un temps donné , la jouissance
pleine et entière de sa découverte , à la condition que cet inventeur li
vrera cette découverte à la société après l’expiration de son privilège :
tel est le contrat, simple en lui-même, que, sous les formes un peu solen
nelles de l’époque, les lois de 1791 ont substitué au régime arbitraires de
privilèges.
Comment cette idée si n atu relle, cette transaction si équitable entre
les droits de l’inventeur et ceux de la société, s’est-elle produite?
L ’exemple de ce qui se pratiquait en Angleterre depuis le règne de Jac
ques Ier, en 1623 h celui des E tats-U n is, dont l ’acte constitutionnel ve-
1 Statut de Jacques I«, 21» année, chap. ni,
�282
APPENDICE
naît d’être arrêté le 17 septembre 1787, les observations de la chambre
du commerce de Normandie, l’avis des Députés du commerce, publié au
commencement de 1188, ceux des inspecteurs généraux et des intendants
généraux du com m irce, les vœux des bailliages , les cahiers du TiersEtat , et enfin les instances des inventeurs eux-mêmes , tout sollicitait
l ’application de ce système dont les rapports remarquables de M, de Boutfiers déterminèrent l’adoption.
Faut-il m ain ten an t, pour apprécier cette législation, remonter à l’ori
gine des droits des invei te u r s , en rechercher le fondement ; en discuter
le principe, ta nature, l’étendue?
Faut-il dire, avec l’Assemb'ée Nationale, que toute idée nouvelle dont
la manifestation ou le développement peut devenir utile à la société, a p
p a rtien t pr'm itivem en l à celui qui l’a conçue, et que ce serait attaquer
les droits de l'homme, dans leur essence, que de ne pas regarder une dé
couverte industrielle comme la p ro p riété de son au teu r? Faut-il d ire ,
avec Mirabeau, que les découvertes de l’industrie et des arts étaient vn e
pro p riété avan t que l'Assemblée N ationale l'eût déclaré ? Faut-il dire
enfin , avec l’éloquent député, rapporteur de la loi sur la propriété litté
raire en 1841, que si le travail est le prem ier titre, le titre le plus légi
time, le plus inviolable de toute propriété, on ne peut contester les titres
et les droits du travail à ce produit magnifique et saint des plus hautes
facultés que la nature ait données à l’homme, à l’exercice des facultés du
génie humain ?
Ou doit-on admettre, au contraire, que la pensée n ’est la propriété de
celui qui l’a conçue que tant qu’elle ne s’est pas produite au dehors;
qu’une fois rrr'se au jo u r et livrée au monde . elle appartient au monde;
que la matière seule peut être saisie, occupée, retenue ; que l’invention,
produit de la fermentation générale des idées , frm t du travail des géné
rations successives, n ’est jam ais l’œuvre d’un seul homme, et ne peut de
venir sa propriété exclusive, que par le consentement de la société dans
le sein de laquelle il a trouvé le germe que son génie a fécondé?
Heureusement. Messieurs, nous n’avmns pas A vous déférer une ques
tion de pure métaphysique, et nous ne pouvions oublier que les sociétés
qui s’éclairent et s’améliorent par les discussions philosophiques , ne se
gouvernent pas par des principes absolus et vivent de la réalité des faits.
Bornons nous donc à constater ce qui existe, et ce qui existe sans con
testation depuis 1791. L’inventeur ne peut exploiter sa découverte sans
la société; la société ne peut en jouir sans la volonté de l'inventeur ; la
�APPENDICE
283
loi, arbitre souverain, est intervenue : elle a g a ra n ti, à l ’un une jouis
sance exclusive, temporaire ; à l’autre une jouissance différée, mais per
pétuelle. Cette solution, transaction nécessaire entre les principes et les
in té rê ts , constitue le droit actuel des inventeurs . e t , droit naturel ou
droit concédé, propriété ou privilège, indem nité ou rém unération, ce ré
sultat a été regardé universellement comme le réglement le plus équita
ble des droits respectifs ; la raison publique l’a accepté, et il est devenu,
dans cette matière, la base de la législation chez tous les peuples.
La loi de 4791 a fixé au maximum de quinze années la durée de la
jouissance des inventeurs. Cette fixation était arbitraire ..m ais elle avait
pour elle, en France, l’autorité d’un fait accom pli, et, dans un pays voi
sin. l’expérience de plus d’un siècle.
Dans notre ancienne monarchie, en effet, les privilèges, comme on l’ a
déjà d it, étaient la plupart du temps illim ités; la déclaration du 24 dé
cembre 1762 les réduisit à quinze années : « Tous lesdits piiviléges.di» sait cet acte,qui ont été ou seraient dans la suite accordés indéfiniment1
» et sans term e, seront et demeureront fixés et réduits à ce terme de
» quinze années de jouissance à compter du titre de concession.. . »
Les motifs de cette mesure sont développés dans le préambule de la
déclaration : « Les privilèges en fait de commerce, y est-il d i t , qui ont
»
»
»
»
pour objet de récompenser l ’industrie des inventeurs ou d’exciter celle
qui languissait dans une concurrence sans émulation , n ’ont pas eu
toujours le succès qu’on en peut atte n d re , soit parce que les p riv iléges accordés pour des temps illim ités semblent p lu tô t être un p a tri-
»
»
»
»
»
moine héréditaire qu’une récompense personnelle à l’inventeut ; soit
parce que le privilège peut être souvent cédé à des personnes qui n ’ont
pas la capacité requise, soit enfin parce que les enfants, successeurs et
ayants cause du privilégié, appelés par la loi à la jouissance du privilége, négligent d’acquérir les talents nécessaires. Le défaut d ’exercice
» de ces privilèges peut aussi avoir d’autant plus d’inconvénient, qu’il
b gêne la lib e rté , sans fournir au public les ressources qu’il doit en atb tendre ; enfin, le défaut de publicité des titres du privilège,donne soub vent lieu au privilégié de l ’étendre et de gêner abusivement l’industrie
r et le travail de nos sujets, b
En Angleterre , avant 1623 , les patentes pour inventions étaient de
vingt et un ans ; le statut contre le monopole , publié dans la vingt e t
unième année du règne de Jacques Ier, y a substitué des patentes de qua
torze ans.
�284
APPENDICE
Au moment où l’Assemblée Nationale d élib érait, la loi américaine ve
nait de fixer également à, quatorze ans la durée des patentes pour inven
tions.
C’est ainsi que, par une sorte d’accord et sans discussion, se trouva ré
glé le point de la loi le plus difficile peut-être , puisque d’une erreur
d’appréciation pouvait résulter , ou une usurpation contre la société, ou
une spoliation des droits du génie.
Après avoir constitué les droits dés inventeurs et fixé la durée de leur
jouissance , il restait à régler les formes relatives à la reconnaissance et
à l’admission de leurs titr e s , et ici se présentaient les plus graves ques
tions.
Quel serait le juge de la réalité et 'de la nouveauté des inventions?
Car si la société donne, ce ne peut être qu’à la condition de recevoir, et
la société ne recevrait rien, bien plus on lui ravirait ce qui lui appartient,
si la découverte n ’était pas nouvelle, et il y aurait là une sorte d’obliga
tion sans cause.
Pour prévenir ce ré s u lta t, deux systèmes s’offraient au législateur :
l ’examen pralable dps in v en tio n s, ou la délivrance de tous les brevets
demandés , sans examen , mais avec nullité virtuelle des titres délivrés
pour de fausses découvertes.
On disait à l’appui du prem ier : « Rien n ’est plus mal conçu que le
» système de faire délivrer le brevet sur le simple exposé de celui qui
» se prétend inventeur ; il peut en résulter une très-grande distribution
»
»
»
»
»
»
de brevets illégitimes, également nuisibles au commerce et aux droits
de ceux qui en ont justement. 11 est donc essentiel que la concession
n ’en soit faite qu’à la suite d’un m ûr examen et avec une très-grande
connaissance de cause , la saine raison le v e u t, et l’intérêt des véritablés inventeurs l’exige. Le moyen d’obtenir ce résultat est de soumettre les demandes de ce genre à un ju ry spécial.........1 »
En faveur du second système , la délivrance des brevets sans examen
préalable , on d isait: 2 « Où donc est le danger? Est-ce que les plus
» grandes inepties seraient admises sans examen? Oui : mais aussi elles
» seraient rejetés sans scrupule, et alors elles tourneraient au détrim ent
1 Eudes, rapport au conseil des Cinq-Cents, U pluviôse an vin.
2 De Bouflflers, réponse aux objections élevées contre la loi du 7 janvier 1791, im
primée par ordre de l'Assemblée Nationale,
�APPENDICE
»
»
«
»
»
»
»
»
»
»
285
de leur auteur. M ais, dira-t-on , pourquoi jam ais de contradicteurs ?
Mais, dirais-je à mon tour, pouquoi toujours des contradicteurs ? Le
contradicteur que vous me demandez est absolument contraire à l’esp rit de la loi : l’esprit de la loi est d’abandonner l’homme à son propre examen et de ne point appeler le jugement d’autrui sur ce qui
pourrait bien être impossible à juger. Souvent ce qui est inventé est
seulement conçu, et n’est point encore né ; laissez-le n aître, laissez-le
paraître , et puis vous le jugerez. Vous voulez un contradicteur ; je
vous en offre d e u x , dont l ’un est plus éclairé que vous ne pensez , et
l’autre est infaillible : l’intérêt et l’expérience.
» Me direz-vous que la loi ne doit rien faire qu’après un examen ap» profondi ? Cela est vrai pour les récompenses et les punitions qu’elle
» assigne à tel ou tel individu, mais non point pour la protection qu’elle
» accorde indistinctem ent à tous les êtres qui la réclament. Uien n ’est
» si bon que la loi : elle ne cesse de tendre une main secourable à qui
» peut en avoir besoin ; elle assure à chacun un droit égal sur ce qui est
» commun à tous ; elle assure à chacun un droit particulier sur ce qui
» lui est p ropre; elle protège les campagnes ouvertes et les enclos , et
» l’inventeur ne demande que le droit d’enclore sa possession.
« Me demandez-vous ce qui prouve à la loi que cet homme dit la vé» rité ? Je vous réponds que la loi le p résu m e, et qu’elle attend qu’on
» lui prouve le contraire.
» Enfin , quels étaient donc ces contradicteurs si regrettés? Et qu’est» ce en effet que des censeurs en pareille occasion? C’est un tribunal
» qui juge des choses qui n ’existent point encore , et qui à son gré leur
» permet ou leur défend de n aître ; un tribunal qui craint d’être respon» sable lorsqu’il autorise , et qui no risque rien lorsqu’il p ro sc rit; un
» tribunal qui n ’entend que lui-même, qui procède sans contradiction,
»
»
»
»
et qui prononce sans appel dans des causes inconnues où l’expérience
serait la seule procédure convenable , et oit le public est le seul juge
compétent. Et à quels hommes oserait-on confier une aussi étonnante
m agistrature à exercer dans le domaine de la pensée ? les mieux choi-
» sis sans doute étaient les savants ; mais les savants eux - mêmes ne
» sont-ils pas quelquefois accusés d’être parties au procès ? Ont-ils tou» jours été justes envers les inventeurs? Convenons-en , l’étude a peine
i> à croire à l’inspiration , et des hommes accoutumés à tracer les che» mins qui mènent à toutes les connaissances , supposent difficilement
» qu’on puisse y être arrivé à vol d’oiseau. »
�286
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
APPENDICE
« Le brevet d’invention , disait-on encore1, n ’est autre chose qu’u n
acte qui constatera déclaration faite par l’inventeur , que l’idée qu’il
se propose d’utiliser est à lui seul. Qu’elle soit bonne ou mauvaise,
qu’elle soit neuve ou ancienne , le point principal est de ne point l’étouffer dans sa naissance , et d’attendre pour la juger qu’elle ait reçu
tous ses développements. Il est juste qu’il en recueille les prémices,
s’il dit vrai ; et s’il d it faux , elle sera bientôt réclamée par ceux qui
l’auront employée avant lui. Au premier c a s , l’acte qu’on lui donne
est indispensable, puisque, sans lui, il n ’aurait pas de titre pour agir
contre ceux qui voudraient la lui dérober ; dans le second, il lui sera
absolument in u tile , car il ne l’empêchera pas d’être déchu du droit
» privatif qu’il aurait, sans fondement, essayé d’acquérir.
» Les arts ne prospèrent point dans les entraves ; ils exigent pour
» leur accroissement une liberté pleine et entière ; il faut la leur garantir
» par des lois tutélaires. Gardons-nous donc de soumettre leurs produc» tions à des formes tracassières, et surtout à des vérifications qui pour» raien t devenir très-souvent fallacieuses.
» 11 y a peu d’inconvénients à ce que le charlatan se rende lui-même
» la dupe de son ineptie ou de sa mauvaise foi ; mais il y en aurait beau» coup si le véritable inventeur se voyait sans cesse exposé à être sup» planté par l’intrigue et la collusion. Et à quoi servirait de soumettre
» les demandes de brevets à un jury ?
» La proposition n’en avait été prise que dans l ’intérêt de la société ;
» dès qu’il demeure constant qu’il ne peut souffrir de l’omission de cette
» formalité , si elle n ’était pas dangereuse, elle serait tout au moins in» utile »
Ces considérations ont prévalu, et le principe de non examen préalable
est devenu la base de la législation sur la matière. Ajoutons que la rè
gle, acceptée universellem ent, a obtenu la sanction du temps et de l’ex
périence, et que la raison publique, formée par la pratique de l’institu
tion, n ’a déjà plus besoin d’être avertie que le brevet d’invention ne ga
ran tit ni la nouveauté, ni le mérite, ni le succès d’une découverte.
Ainsi se sont aplanies, sans efforts, les difficultés dont on menaçait, à
l’origine, une législation qui renversait les habitudes de plusieurs siècles,
et qui savait en appeler à l’intelligence et au bon sens des citoyens de
1 Eudes, deuxième rapport au conseil des Cinq-Cents, 12 fructidor an vi.
�APPENDICE
287
la servitude , o u , si l’on veut, de la tutelle administrative qui avait pesé
jusque-là sur tous les mouvements du travail et de l’industrie.
Nous laisserons donc en dehors de tout débat les questions relatives à
la propriété des découvertes industrielles , à la rém unération à accorder
aux inventeurs, à la nature et à la durée des droits q u ’il convient de leur
conférer, à la discussion et à l’admission de leurs demandes ; nous ac
cepterons sur ces différents points , comme ayant acquis force de chose
jugée, les solutions de la loi de 1791, et nous nous rencontrerons sur ce
terrain avec les législations de l’Angleterre , des Etats-Unis , de l’A utri
che, etc.
Assez d’autres questions, d’ailleurs, se présentent à l’examen du Gou
vernement et des Chambres.
La loi du 7 janvier 1791 re c o n n a ît. avec les brevets d'invention , des
brevets de perfectionnement et des brevets d’im portation. Ces deux der
nières espèces de titres ont soulevé de vives plaintes, les unes de la part
des inventeurs, les autres de la part de l’industrie.
Les inventeurs ont dit que toujours pressés de m ettre leurs découver
tes sous la sauvegarde de la l o i , ils attendent rarem ent que ces décou
vertes soient arrivées à leur m aturité ; q u ’obligés ainsi de les produire
dans 1 état d’imperfection qui accompag' e ordinairement le premier jet
d’une conception , ils laissent la voie ouverte à des perfectionnements
sans nombre qui se présenteraient d’eux-mêmes à leurs méditations , af
la cupidité de certains spéculateurs in d u striels, véritables frelons du gé
nie de l’invention, r e venait, dès les premiers moments, leur en enlever
le bén lice, paralysant ainsi entre leurs mains le développement, souvent
même l’exploitation , d’idées qui leur avaient coûté des sacrifices consi
dérables d’argent, de temps et de travaux.
Contre les brevets d’im portation , on a fait observer que les rapports
commerciaux entre les différents peuples et les habitudes de 1 industrie
sont bien changés depuis l’époque ou la loi croyait nécessaire d’encoura
ger, par un privilège et par la concession d’un droit de propriété, l’im
portation des découverles étrangères; que. depuis longtemps la pratique
des arts les plus difficiles, l'exploitation des industries les plus secrètes,
n ’ont plus de mystères pour l’œil investigateur de la concurrence et de
l’intérêt privé ; que les brevets d’im portation ne sont p lu s , pour ainsi
dire, que le prix de la coarse. et que, dès lors, loin de les encourager,
il fallait les proscrire, comme une atteinte portée aux droits de la socié
té, comme un vol fait au domaine public,
�288
APPENDICE
D’autres réclamations encore se sont élevées.
La loi du 7 janvier 179-1 déclare que tout inventeur q u i , après avoir
obtenu une patente en F ra n c e , sera convaincu d’en avoir pris une il l’é
tranger, sera déchu do son droit.
La justice, le hou sens, l’intérêt national, protestent depuis longtemps
contre cette étrange disposition.
Ah ! sans doute, disent-ils, si cette interdiction devait avoir pour effet
de réserver au pays le monopole du génie de ses entants, le fruit exclu
sif de leurs découvertes, on comprendrait que la loi frappât les Français,
indignes de ce nom , qui porteraient à l’étranger leurs moyens et leurs
inventions.
Mais quand l’intelligence ne s’arrête pas devant les barrières qui sé
parent les peuples , quand la science et la civilisation franchissent tous
les obstacles , quand la lum ière se répand malgré tous les effo rts, est-il
juste de disputer à l’inventeur une partie de la rém unération que lui doit
la société ; est-il raisonnable de l’empêcher de faire ce que tout autre
pourrait faire à sa place ; est-il d’intérêt national de faire tomber dans le
domaine public, à l’étranger, ce que la loi place en France, et à juste ti
tre, sous l ’empire du monopole ?
Enoncer de pareilles plaintes , c’est leur donner gain de cause , c’est
leur assurer satisfaction complète.
Enfin , les inventeurs se plaignaient d’être sans cesse troublés dans
leur jouissance, et de ne pas recevoir de la loi la protection efficace et
la garantie effective des droits qu’elle leur a promis en échange des avan
tages dont ils font jouir la société.
Depuis longtemps l’administration s’était émue de ces réclamations.
L ’industrie n’est pas seulement l’honneur du pays, elle est, après l’agri
culture , le premier élément de sa fortune et de sa puissance , et sa voix
ne saurait jamais s’élever en vain.
Dès l ’année 1828, M. le comte de Saint-Cricq, alors m inistre du com
merce et des manufactures , avait formé une commission spéciale pour
préparer la révision et l’amélioration des lois sur la-m atière1 ; mais la
difficulté de ce travail le détermina bientôt à ouvrir une sorte d’enquête
1 Cette commission était composée de MM. Girod de l'Ain, président; comteDelaborde, baron Thénard, Molard aîné, Ternaux, Boignet, le chevalier de Saint-Crict[,
Ch. Renouard, Th. Begnault, Cochaud et Guillard de Senainville; en 1831, M. Azévédo y fut adjoint.
,
�289
APPENDICE
auprès des chambres de commerce et des m anufactures, et auprès des
conseils de prud’hommes. D’excellents mémoires ont été la réponse à
cet appel, et ces documents, réunis au travail de la commission, ont servi
de base à un premier projet, qui a été soumis à l’examen des conseils gé
néraux de l’agriculture, des manufactures et du commerce, et, depuis, à
celui du conseil d’Etat. La plupart des dispositions de ce projet ont
trouvé place dans le travail plus complet qui vous est présenté , et au
quel votre haute expérience nous aidera à mettre la dernière main.
La législation actuelle sur les brevets d’invention se compose :
De la loi du 7 janvier 4791 , qui a posé les principes , et celle du 25
mai de la même année, qui en a réglé l’exécution en déternfinant la for
me des titres et les formalités relatives à leur délivrance ;
De la loi du 20 septembre 1792 , qui défend de délivrer des brevets
pour des établissements relatifs aux finances, et supprime ceux qui au
raient été accordés ;
De l’arrêté du 17 vendémiaire an vu , qui ordonne la publication des
descriptions annexées aux brevets expirés , et prescrit le dépôt de ces
descriptions au Conservatoire royal des arts et métiers , après l ’expira
tion des brevets ;
De l’arrêté du S vendémiaire an ix , portant :
4° Que les certificats des demandes de brevets seront signés par le mi
nistre de l’intérieur et que les brevets seront ensuite délivrés , tous les
trois mois, par le premier Consul, et promulgués au Bulletin des lois,
2° Que, pour prévenir l’abus que les brevetés pourraient faire de leur
titre, il sera inséré, par annotation, au bas ce chaque expédition, la dé
claration suivante : Le Gouvernement, en accordant un brevet d’inven
tion sans examen préalable , n'entend garantir en aucune manière ni
la priorité , ni le mérite, ni le succès d'une invention ;
Du décret du 25 novembre 1806, qui abroge la disposition de l’art. 44
du titre de la loi du 25 mai 1791, défendant d’exploiter les brevets d’in
vention par actions , et astreint les inventeurs qui voudront exploiter
leurs titres de cette manière, à se m unir de l’autorisation du Gouverne
ment ;
Du décret du 25 janvier 1807, qui statue que la durée des brevets
commencera à courir de la date des certificats délivrés par le ministre, et
que, dans le cas de contestation entre deux brevetés pour le même objet,
la priorité sera acquise à celui qui, le premier, aura fait le dépôt de ses
pièces au secrétariat de la préfecture du département de son domicile;
ni — 49
*
�290
APPENDICE
Enfin, du décret du 4 3 août 4810 ', qui porte que la durée des brevets
d’im portation sera la même que celle des brevets d’invention et de per
fectionnement, c’est-à-dire de cinq, dix ou quinze années.
Le projet de loi que nous avons l’honneur de vous présenter, embrasse
toute la matière ; il est donc destiné à remplacer les différents actes que
nous venons d’énumérer. La plupart des dispositions de ces actes ont
été reproduites dans ce projet, soit avec une rédaction plus nette et plus
précise, soit avec les modifications nécessaires pour les m ettre plus fran
chement en harmonie avec les principes de la loi.
Le titre Ier définit la matière des brevets d’invention ; il détermine les
objets susceptibles d’être brevetés, et ceux qui ne peuvent l’être ; il fixe
la durée des brevets, et le m ontant de la taxe à payer suivant cette du
rée.
Le titre II règle les formalités relatives à la demande , à la délivrance
et à la proclamation des brevets d’invention ;
Il statue sur les certificats d’addition aux brevets délivrés etr sur la
cession totale ou partielle des brevets ;
Il arrête les mesures relatives, soit à la communication au public, soit
à la publication des descriptions annexées aux brevets délivrés.
Le titre III règle les droits des étrangers en France , soit pour y obte
nir des brevets d’invention, soit pour y faire reconnaître les brevets qu’ils
auraient obtenus à l’étranger.
Le titre V traite des nullités et déchéances et des actions qui peuvent
en être la suite.
Le titre V s’occupe de la contrefaçon, des poursuites et des peines.
Le titre VI charge le Gouvernement de prescrire par voie d’ordonnance
portant réglement d’administration publique , les mesures nécessaires
pour l’exécution de la loi, et abroge toutes les dispositions antérieures.
Titre Ier.
La loi du 7 janvier 1791 avait disposé, en principe, que toute nouvelle
découverte ou invention dans tous les genres d’in d u strie, pouvait être la
matière d’un brevet : le projet de loi reproduit cette définition , mais il
lui ôte son caractère de généralité en énonçant que l’invention de nou
veaux produits industriels, ou l ’invention de nouvéaux moyens de pro-
* Ce décret n’a pas été inséré au B u l l e t i n d e s lo is ,
�APPENDICE
291
duire , ou l’application nouvelle des moyens de production déjà, connus,
constituent l ’invention légale. Cette énonciation résume les différentes
espèces sous lesquelles les découvertes industrielles peuvent se produire,
et elle n’enlève rien à la liberté du génie de l’invention.
L’article 3 déclare que les plans et combinaisons de finances ne sont
pas susceptibles d’être brevetés ; c’est la reproduction de l’interdiction
prononcée par la loi du 20 septembre 1791.
Mais le même article étend cette exclusion aux principes, inventions,
méthodes et généralement à toutes découvertes ou conceptions purement
scientifiques ou théoriques, et ici une explication est nécessaire.
Tout brevet doit avoir pour cause un objet m atériel, saisissable, trans
missible ; un principe purement élémentaire , une découverte intellectu
elle, une vérité scientifique, une th é o rie , une méthode ne sauraient être
brevetés. Il en est, én effet, de ces créations du génie, comme des œuvres
de l’im agination ; la civilisation les accepte comme des bienfaits, mais
aucune puissance au monde ne pouvant en assurer la possession exclu
sive à un seul, la société les paie en gloire et en renom, et elle distribue
aux inventeurs ces brevets d’immortalité qui font les G alilée, les New
ton, les Lavoisier, les Volta.
La vertu de l ’aiguille aimantée constituait un principe élémentaire,
l’homme en a fait la boussole ; l’élasticité de la vapeur a fourni un mo
teur mécanique ; le gaz hydrogène produit le plus bel éclairage des temps
modernes ; l ’air chaud active la combustion ; la pile de Volta opère la fu
sion des métaux à froid; et cependant, ni la vertu de l’aiguille aiman- '
tée, ni l ’élasticité d e là vapeur, ni l’inflammabilité du gaz hydrogène, ni
la force combustive de l ’air chaud , ni l’action galvanique de la pile de
Volta , ne pouvaient être inféodées à un seul homme , tant que le génie
des a rts , em pruntant ces belles découvertes au génie de la science, ne
leur avait pas donné une forme matérielle pour les m ettre au service de
l’humanité.
Ce principe, la législation anglaise l’a depuis longtemps proclamé ; nos
lois de 1791 le contenaient im plicitem ent, et la jurisprudence , d’accord
avec la raison , l’a consacré. Nous ne pouvions donc hésiter à vous pro-,
poser de l’écrire dans la loi.'
L’article 4 m ain tie n t. pour la jouissance des droits des inventeurs , la
durée de cinq, dix ou quinze années que la loi actuelle attribue aux bre
vets; le demandeur reste , comme précédem m ent, seul juge de la durée
qu’il entend assigner à son titre dans ces limites.
�292
APPENDICE
La loi du 7 janvier 4791 d isp o sa it, en même te m p s, que le terme de
quinze années ne pourrait être prolongé que par une l o i , et celle du 25
mai de la même année ajoutait que les prolongations de brevets ne pour
raient être accordées que dans des cas très-rares, pour des raisons ma
jeures et seulement par le Corps législatif.
Cette disposition a été, suivant les temps, diversement interprétée ; on
en a conclu , dans certains c a s , que l’intervention du pouvoir législatif
n’était nécessaire que pour les prolongations de durée au-delà de quinze
années , et quelques prolongations ont été accordées par des actes du
Gouvernement ; mais généralement cette interprétation a paru contraire
aux intérêts comme aux droits de la société.
L orsque, comme dans l’état actuel, l’inventeur est libre de donner à
son privilège une durée de cinq, dix ou quinze années, à son choix , sa
détermination, une fois arrêtée, doit faire sa règle comme celle du public
L’industrie, qui le sait, se dispose en conséquence ; et, lorsque sur la foi
de l’expiration prochaine d’un privilège,elle s’est préparée, à grands frais
peut-être , à l’exploitation libre d’une découverte dévolue , dans sa pen
sée, au domaine public , il ne faut pas qu’une décision soudaine , même
fondée sur des titres légitimes., vienne lui enlever le bénéfice de la loi.
Que serait-ce donc si cette décision n ’était pas basée sur ces raisons ma
jeures qu’en 1794 le législateur s’imposait à lui-même comme condition
de toute prolongation ?
La confiance dans la l o i , nous ne saurions trop le répéter , est une
vertu qu’il ne faut pas'ébranler , car elle est la sauvegarde des droits et
des intérêts de tous ; celui qui a eu foi en elle, a un titre sacré ; et si la
raison d’utilité publique suffit à peine , même avec la condition de l’in
demnité préalable , pour motiver une expropriation, la considération de
l’intérêt privé ne saurait jamais justifier la spoliation des droits publics.
Nous vous proposons donc d’insérer dans la loi (art. 4 5) une disposi
tion formelle portant que , dans aucun cas , les brevets délivrés , quelle
que soit leur durée, ne pourront être prolongés.
Est-ce à dire que si une découverte im portante venait à surgir tout à
coup, qui m éritât une grande exception , le Gouvernement et les Cham
bres dussent se refuser à intervenir ? A Dieu ne plaise que nous accep
tions une pareille négation du droit, disons plus, des devoirs législatifs.
Quand le parlement d’Angleterre étendait à vingt-cinq années la patente
de W a tt, malgré le statut de Jacques Ier, qui ne reconnaissait que des
patentes de quatorze ans, il décernait une récompense nationale , et l’ex-
�APPENDICE
293
ception même donnait plus d’éclat à cette récompense. Puisse la France
avoir souvent de pareilles exceptions à proclamer !
Le même article 4 fixe à. 500 fr. la taxe à payer au Trésor public pour
un brevet de cinq ans , à 1000 fr. celle du brevet de dix ans, à 1500 fr.
celle du brevet de quinze ans. Cette fixation répond à un droit uniforme
de 100 fr. pour chaque année de jouissance. Les taxes actuelles étant de
360 fr., 562 fr. et 1562 fr , en y comprenant les droits d ’expédition et
de dépôt qui demeurent supprimés , il en résultera une augmentation de
138 fr. pour le brevet de cinq et de dix années, et une réduction de 62 fr.
pour les titres de quinze ans. Il n ’existait aucun motif de maintenir l’in
égalité actuelle de la loi.
Titre II.
Les articles 5 à 8 déterminent lek formalités relatives à la rédaction,
au dépôt et à l’enregistrement des demandes de brevets dans les préfec
tures de départements. Ces formalités sont celles qui se pratiquent de
puis 1791, et elles paraissent offrir toutes les garanties nécessaires pour
la sécurité des inventeurs.
Les articles 9 à 15 règlent le mode d’enregistrem ent, d ’ouverture et
d’expédition des demandes de b re v e ts, et la délivrance des titres au m i
nistère de l’agriculture et du commerce,
Ces dispositions consacrent ce qu’une longue pratique a fait établir ;
mais toutes les formalités relatives à la constatation et à la conservation
des droits des inventeurs pouvant être considérées comme essentielles,
elles ont dû trouver place dans la loi.
L’article 11 énonce expressément que les brevets sont délivrés , sans
examen préalable, aux risques et périls des demandeurs et sans garantie
soit de la réalité, de la nouveauté ou du mérite de l’invention, soit de la
fidélité ou de l ’exactitude de la description. Cet article sera transcrit littéralèm ent sur tous les brevets.
Avec le principe de non examen préalable , l ’exécution de la loi est
prompte, facile, régulière ; le rôle du Gouvernement se réduit à un sim
ple enregistrem ent, à un acte purem ent adm inistratif; aux tribunaux
reste la tâche, tâche difficile, il est vrai, mais conforme aux attributions
du pouvoir judiciaire , de juger les contestations relatives à la propriété
des brevets. Dans le système contraire . tout est désordre et confusion,
chaque demande est un procès, et quel est le juge ? L’administration ! et
�294
APPENDICE
après ca jugem ent, possibilité d’un autre jugëment prononçant la nullité
d’un brevet délivré, après examen, par l’autorité administrative ; en d’au
tres termes, subordination du pouvoir adm inistratif au pouvoir judiciai
re, ce qui ne peut être.
Le système de la délivrance des brevets sans examen préalable laisse
d’ailleurs peser sur le breveté la responsabilité de toutes ses erreurs. Si
sa découverte n ’est pas nouvelle, si l’objet n ’en est pas lic ite , si sa des
cription est inexacte , incomplète ou infidèle ; en un mot, si la demande
renferme des causes de nullité ou de déchéance, l’administration, qui n ’a
fait que donner acte au breveté de ses propres déclarations , lui laisse le
soin de les défendre et n ’en accepte pas la solidarité. Par là, tous les pou
voirs restent indépendants et libres, chacun dans sa sphère.
Ce même article 11 renferme une innovation im portante sous un dou
ble point de vue, et qui mérite d'être signalée.
Nous avons dit que les brevetés se plaignent, d’être troublés dans leur
jouissance par la facilité que la loi accorde à tout le monde de prendre
des brevets d’addition et de perfectionnement ; ajoutons que, d’un autre
côté, les brevetés eux-m êm es, après un an ou deux d’exploitation, sont
souvent conduits à reconnaître la futilité et le vide de leurs découvertes,
et que ne pouvant, par une renonciation, obtenir le remboursement de la
partie de la taxe acquittée , ils se laissent volontairement frapper de dé
chéance pour n ’en pas solder le complément.
Afin d’éviter ce double inconvénient , qui est réel et qui mérite d’être
pris en considération, le projet de loi statue (art. 11,13, 14) que les bre
vets ne seront délivrés que pour deux années , m oyennant le paiement
d’une somme de 200 fr. à valoir sur le m ontant de la taxe , et qui de
meurera, dans tous les cas, acquise au Trésor public; qu’avant l’expira
tion de ces deux années, les brevetés déclareront, en acquittant le com
plément de la taxe, la durée qu’ils entendent assigner à leur titre ; et que
tous les brevets à l’égard desquels la déclaration dont il s’agit n ’aurait
pas été faite dans le délai fixé, seront nuis et de nul effet à p a rtir de cette
époque, les inventions qu’elles garantissaient demeurant acquises au do
maine public.
Pendant le môme délai de deux années, le breveté seul (art. 17) pour
ra apporter à l’invention faisant l’objet de son titre , des changements,
additions ou perfectionnements.
Ainsi, d’une part, tout breveté dont la découverte ne présenterait pas
la réalité ou les avantages sur lesquels il avait compté , sera libre, en y
�APPENDICE
295
renonçant, de se dispenser d’acquitter le complément de la taxe, et il lui
suffira, à cet effet, de ne pas faire la déclaration mentionnée dans l’arti
cle 13.
D’un autre côté, personne autre que le breveté ne pouvant prendre, à
l’égard de sa découverte, de brevet d’addition ou de perfectionnement avant le terme de deux années; ce dernier pourra, sans crainte d’être de
vancé par un tiers, apporter à cette découverte les améliorations succes
sives indiquées par la pratique ; il ne courra plus le risque de se voir
enlever le fruit de ses travaux et de ses sacrifiçes.
Cette double disposition présente une amélioration véritable ; elle sera
accueillie avec reconnaissance par les inventeurs , qui trouveront dans
cette mesure une garantie plus réelle que celle qui résulte d’une disposi
tion analogue qui existe dans la législation anglaise sous le nom de caveat.i
Les articles 16 à 49 sont relatifs aux certificats d’addition et à ce qui
constituait précédemment les brevets de perfectionnement.
Le breveté, pendant toute la durée de son titre, pourra apporter à son
brevet tous les changements , additions ou perfectionnements dont il le
croira susceptible ; il lui sera délivré , à cet effet, de simples certificats
dont la durée expirera avec celle du brevet p rin c ip a l, et qui ne donne
ront lieu qu’au paiement d’une taxe de 20 fr. (art. 16).
Q uant aux brevets de perfectionnement proprement d its , ils rentre
ront entièrement dans la catégorie des brevets d’invention ordinaires,
tout changement, addition ou perfectionnement devant constituer une in
vention, suivant la définition de la loi, pour donner lieu à u n brevet va
lable. Cette disposition s’appliquera au breveté comme au tie r s , toutes
1 Le c a v e a t est un acte par lequel un individu qui est dans l’intention de pren
dre une patente, requiert qu’il lui soit donné avis si une au tre patente est demandée
pour une invention analogue à la sienne.
Cet acte est déposé dans le bureau de l 'a t t o r n e y e t dans celui du s o l l i c i t o r gé
n é r a l ; sa durée est d’une année; il peut être renouvelé.
S’il est présenté une demande analogue à celle qui est sommairement décrite dans
le c a v e a t, l’auteur du c a v e a t en est informé sur-le-cham p, et il est tenu de déclarer
dans les sept jours s’il s'oppose à la demande.
Dans ce c a s, l’attorney ou le sollicitor général mande les parties à jour Indiqué,
les entend séparément, et décide s'il y a ou non similitude dans les inventions. Dans
le premier cas, il n'y a lieu à délivrance de brevet ni pour l’un ni pour l’autre, à
moins qu’ils ne s’entendent; dans le cas contraire, le brevet demandé est délivré.
C’est là le cotisât ordinaire; on peut d’ailleurs introduire des c a v e a t en opposi
tion à la délivrance d’un brevet en particulier, au bureau des brevets et mémo au
bureau du grand sceau.
�206
APPENDICE
les fois, que, pour un. perfectionnement, il aimera mieux prendre un bre
vet principal de, cinq, dix ou quinze années qu’un simple certificat d’ad
dition.
L’article 1.9. dispose que le titulaire d’un brevet obtenu pour un per
fectionnement n ’aura aucun droit, d’exploiter l’invention p rincipale, et
réciproquement. Cette disposition est empruntée à l’art. 8 de la loi du
25 mai 1791 ; elle avait, dans.le temps, paru dénaturé à présenter quel
ques difficultés d’applioatipn. Elle est aujourd’hui parfaitement compri
se, et il faut dire qu’elle axait été clairement expliquée par M. de Boufflers dans les termes suivants :
»
»
»
»
»
« On, a cru que le titre accordé à. l’auteur de la perfection enlevait au
premier auteur de la découverte , l’exercice privatif de son titre d’inventeur; mais il n ’en est pas ainsi : l’invention est le su je t, la perfection est une addition. Ces deux choses différentes appartiennent à leurs.
auteurs respectifs ; l’upe est l’arbre, e t l’autre est. la greffe. Si le prem ier inventeur veuf présenter sa découverte perfectionnée, il d o its ’a-
»
»
»
»
»
dresser, ou second, et réciproquement, le second inventeur ne peut tenir
que d.u premier le sujet auquel il veut appliquer son nouveau genre de
perfection, ; ils se verront désormais obligés , quoi qu'i 1s fassen t, de
travailler l’un pour l’a u tre , et dans, toutes les, suppositions,, la société
y trouve son profit,; c a r , ou b ien ,ils se c ritiq u e n t, et alors le. public
» est plus éclairé ; ou bien ifs s’accordent, et alors le public est mieux
» servi. »
D’article, 20, impose au breveté l’objigation d’exploiter en France, d’unemanière effective et continue, l’invention faisant l’objet1du brevet. Cette
exploitation doit avoir lieu dans le délai de deux ans, à partir de la.date
du dépôt.
Les articles 21 à 25 concernent les cessions totales ou partielles do
brevets ; les dispositions des deux premiers articles reproduisent celles
de l’art. 15 de la loi du 25 mai 1791 ; l’art. 23 confère au cessionnaire
de la totalité dn brevet, ou à tous les cessionnaires partiels dudit brevet
agissant ensemble, ou à un seul d’entre eux agissant au profit de tous, le
bénéfice des articles 16 et 17 de la loi, c’est-à-dire le droit exclusif, pen
dant la durée du brevet provisoire, d’apporter à la découverte des chan
gements, additions ou perfectionnem ents, et, pendant toute la durée du
brevet définitif, le droit de faire constater ces changements par de sim
ples certificats d’addition.
E nfin, l’art. 24 décide que les certificats d’addition obtenus par un
�APPENDICE
297
breveté, profiteront de plein droit à ses cessionnaires et à ceux qui au
ront obtenu de lui des licences pour l’exploitation de son invention ; le
même article ajoute qu’à moins de conventions contraires , les acqué
reurs d’objets garantis par un brevet principal auront le droit de faire
exécuter eux-mêmes, sur les objets par eux acquis , les changements ou
perfectionnements décrits dans les certificats d’addition.
Le but de ces dispositions s’explique de soi-même : peu de mots suffi
ront pour le justifier.
En g én éral, les inventions dans les arts et m étiers n ’arrivent à l’état
de perfection qu’à l ’aide des améliorations successives que le temps et la
pratique ne m anquent jamais d'y apporter. Le cessionnaire qui traite avec le breveté, le manufacturier qui achète son invention , n ’acquièrent
ainsi, la plupart du temps, qu’une oeuvre incomplète, souvent même en
tachée des vices inhérents à la conception première ; il faut donc , sous
peine de rester en arrière, que le cessionnaire ou le fabricant se résignent
à payer à l’inventeur, pour chaque addition, outre la valeur juste et rai
sonnable du perfectionnem ent, le prix arbitraire du monopole qu’il lui
convient d’exiger. Cette loi, indépendamment même de toute supposition
d’abus, était trop dure, et imposait à l’industrie des sacrifices qu’elle ne
peut supporter. L’article 24 y pourvoit d’une manière équitable. Les
cessionnaires partiels d’un b revet, et ceux qui auront acquis du breveté
une licence pour l’exploitation de son invention, auront droit au bénéfice
des certificats d’addition obtenus par le breveté ; les acquéreurs d’objets
brevetés p o u rro n t, à moins de stipulations contraires , appliquer à ces
objets les perfectionnements garantis par ces certificats, et, dans ce cas,
ou ils s’adresseront au breveté pour cette application , ou ils les feront
exécuter eux-mêmes, si l’inventeur se montre trop exigeant.
Les articles 28 à 27 règlent les formes de la publicité à donner aux
descriptions des brevets d’invention; les pièces relatives aux brevets pro"
visoires seront communiquées sans déplacement ; c’est l ’état actuel pour
tous les brevets : les descriptions des brevets devenus définitifs , seront
■
’mmédiatement publiées, et cette publication m ettra la société en mesure
de mieux étudier les inventions nouvelles, soit pour en perfectionner les
applications pendant la durée des privilèges , soit pour en préparer l’ex
ploitation après leur expiration. Les inventeurs n ’ont rien à perdre dans
l ’adoption de cette mesure . puisque la communication actuelle des bre
vets met leurs moyens à la disposition du public ; mais la société y ga
gnera considérablem ent, et les tribunaux se m ontreront certainement
�298
APPENDICE
plus sévères, quand les contrefacteurs ne pourront plus invoquer leur
ignorance.
Titre III.
Les articles 28, 29 et 30 déterm inent, relativement aux brevets d’in
vention, les droits des étrangers en France. Ici se présente une distinc
tion.
Aux termes de notre loi (Code c iv il, art. 11) , l’étranger jou it chez
nous des mêmes droits civils que ceux qui sont accordés aux Français
par les traités de la nation à laquelle il appartient ; l’étranger, autorisé à
établir son domicile en France, y jo u i t, même sans la condition de réci
procité (Code civil, art. 13), de tous les droits civils tant qu’il continue
d’y résider.
L ’exercice du commerce et de l’industrie appartient au droit des gens;
il est accordé, sans restriction et sans réserve, aux étrangers comme aux
nationaux : il n ’y a donc aucun obstacle à m ettre à ce que l’étranger ob
tienne en France un b revet d’invention, loin de là le pays doit encoura
gement et protection à ceux qui viennent l’enrichir des fruits de leurs
découvertes ; mais s’il jo u it des mêmes droits que les Français, l’étranger
est soumis aux mêmes obligations , et la première condition du brevet
est l’exploitation réelle et continue de l’invention brevetée (articles 20
et 31).
A l’égard des inventions étrangères, la loi du 7 janvier 1791 déclarait
que quiconque apporterait le prem ier en France une découverte étran
gère , jouirait des mêmes avantages que s’il en était l’inventeur ; mais
cette disposition était moins alors un hommage rendu au génie de l’in
vention, q u ’une prime olïerte à l’im portation des découvertes étrangères.
La suppression des brevets d’im portation écartant cette dernière con
sidération, nous nous trouvons en présence d’une de ces hautes questions
internationales qui rencontrent toujours, en France, une libérale appré
ciation ; et nous avons du nous inspirer des considérations généreuses
qui, lors de la discussion de la loi sur la propriété littéraire, ont retenti
si éloquemment dans l’enceinte des deux Chambres.
Sous l’influence de ces impressions , nous avons cru qu’il était digne
de la France de donner l’exemple de la reconnaissance du droit des in
venteurs, sans distinction de nationalité , et de poser dans la loi le prin
cipe d’un droit public international pour la garantie des œuvres du génie
industriel chez tous les peuples. Nous vous proposons donc, par l’article
�APPENDICE
299
29, de déclarer que l’étranger qui aura obtenu un brevet d'invention dans
son pays, pourra obtenir un brevet en France pour la même découverte
et pour une durée égale à celle de son brevet étranger , dans les limites
toutefois du maximum de quinze ans, fixé pour les brevets français.
Une seule condition spéciale est imposée pour la validité de ces bre
vets ; c’est que la réciprocité soit accordée aux Français par la nation à
laquelle appartient l’étranger. Cette condition est juste ; elle est d'ailleurs
nécessaire pour prévenir les inconvénients et le désavantage qui résulte
raient, pour nos produits, sur les marchés du dehors, de la concurrence
de produits fabriqués librement à l’étranger , tandis que r en France, ils
seraient grevés de toutes les conséquences du monopole.
Les brevets ainsi délivrés resteront, d’ailleurs, soumis à toutes les
formalités et conditions imposées par la loi aux brevets français, soit
pour la délivrance, soit pour la validité , soit pour l’exploitation de ces
titres.
Titre IV.
Articles 31, 32 et 33. Après avoir posé, comme base fondamentale de
la loi, le principe de non examen préalable, il était nécessaire de déter
miner avec précision les causes de nullité contre lesquelles les inven
teurs devaient se mettre en garde.
La première condition de la validité du titre est la nouveauté de l’in
vention. Si la découverte , en effet, n’est pas nouvelle, la société ne re
çoit rien et n’a rien à garantir. Le titre délivré au breveté tendrait, dans
ce cas, à consacrer une usurpation dans le domaine public, et la loi ne
peut la protéger. L ’invention, d’ailleurs, n’est pas réputée nouvelle, si,
antérieurement au dépôt de la demande, elle a reçu en France ou à l’é
tranger, soit par son application , soit par la voie de l’impression , soit
par tout autre mode, une publicité suffisante pour pouvoir être exécutée.
Ces dispositions s’apliquent aux brevets étrangers comme aux brevets
français. Pour les uns, comme pour les autres, la condition de nouveauté
est absolue. Lorsqu’une invention est entrée dans le domaine public, on
ne peut l’y ressaisir pour en attribuer l’exploitation exclusive même à
l ’inventeur. Dès ce moment, en effet, l’industrie s’en empare; les établis
sements se forment; la prise de possession s’accomplit, et la loi no pour
rait , sans avoir un effet rétroactif, et sans opérer une véritable spolia
tion, en déposséder la société.
Deux causes de nullité sont encore consacrées par l’art. 30 : la pre-
�300
APPENDICE
mière résulte de h disposition spéciale de l’art 3 de la présente loi, qui
déclare non susceptibles d'être brevetées les principes, inventions, mé
thodes, et généralement toutes découvertes ou conceptions purement sci
entifiques ou théoriques, en dehors de leurs applications matérielles. La
seconde est écrite dans notre droit commun, qui ne permet pas de con
sidérer comme valable un brevet délivré sur une cause illicite.
Nous avons exposé plus haut les motifs à l ’appui de la nullité des
brevets délivrés pour des objets appartenant exclusivement, par leur na
ture immatérielle , au domaine de l ’intelligence; la nullité des brevets
contraires à la sûreté ou à la morale publique n’a pas besoin d’être jus
tifiée.
Quant aux brevets demandés pour des objets dont l’exploitation , la
fabrication ou le débit pourraient être contraires aux lois du royaume,
la délivrance, qui ne saurait en être refusée, en vertu du principe de non
examen préalable , n’en assurerait pas la validité : la nullité des titres
délivrés serait la première peine du breveté, sans préjudice de l’applica
tion des peines plus graves que pourrait entraîner le délit de fabrication
ou de débit d’objets prohibés par la loi.
Au premier aperçu, ce système semble offrir quelque chose de contrai
re à la raison , de blessant pour l’équité et la morale ; délivrer d’une
main ce qu’il faut frapper de l’autre, paraît, en effet, une contradiction
choquante. Mais d’abord , et nous avons hâte de le dire , il ne s’agit là,
en réalité , que d’une de ces exceptions qui se présentent rarement, et
seulement dans les matières où le droit peut se trouver près du délit, où
le doute permet toujours de présumer la bonne foi.
D’un autre côté , investir l’administration du droit de refuser un bre
vet sur cause illicite , c’est lui imposer l’obligation d’un examen , c’est
lui déléguer une attribution qui , par sa nature et ses conséquences, ne
peut appartenir qu’à l’autorité judiciaire ; c’est renverser le principe mê
me sur lequel la loi repose et sans lequel l’exécution de cette loi ne se
rait plus, pour l’administration, qu’une lutte constante et un intermina
ble débat.
D’autre part enfin , nous l’avons déjà fait remarquer , sous un autre
rapport, si l’administration se trompe (et elle n’est point infaillible), si
un brevet est délivré pour un objet reconnu plus tard contraire aux lois,
les tribunaux ne verront-ils pas dans la délivrance même de ce titre une
sorte de jugement administratif que le breveté ne manquera pas d’invo
quer, et devant lequel leur scrupule s’arrêtera peut-être ? Si au contraire
�APPENDICE
301
l’autorité judiciaire vient à passer outre , il pourra exister sur le môme
objet,contrairement à toutes les règles constitutionnelles, deux jugements
en sens contraire, émanant de deux pouvoirs différents, et donnant ainsi
l’exemple d’une contradiction qui, si elle ne sauve pas la validité du titre,
défendra le contrevenant contre l’application de toute peine.
En présence de ces conséquences, qui ne sont point forcées, nous avons
cru qu’après avoir posé le principe, il fallait en accepter l ’application gé
nérale et absolue.
Une autre cause de nullité ressort des vices que peut présenter la des
cription de l’inventeur. Il est naturel que cet acte, émanant de lui-même,
toutes les irrégularités frauduleuses ou accidentelles dont il serait enta
ché, soient interprétées contre lui.
En principe, la description doit contenir la désignation claire, précise,
loyale et suffisante des moyens du breveté, la nullité pouvant également
se trouver, soit dans ce qui manquerait, soit dans ce qui aurait été ajouté
au delà de ce qui est nécessaire, si de l’insuffisance ou de l'excès résul
tait l’impossibilité d’exécuter l’invention.
Aux causes de nullité qui viennent d’être exposées, il y a lieu de join
dre celle qui naîtrait de la violation des dispositions de l’art. 17, en vertu
desquelles il n ’est perm is q u ’au breveté de prendre un brevet de perfec
tionnement à l ’objet d’un brevet provisoire.
L ’article 33 stipule en outre deux cas de déchéance : le premier, si
l’invention n’est pas exploitée d’une manière effective et continue , en
France, dans le délai de deux ans de la date du dépôt, ou si l’exploitation
est interrompue pendant une année ; le second, si le breveté introduit en
France des objets semblables à ceux qui font la matière de son brevet, et
fabriqués à l’étranger.
La déchéance résultant du défaut d’exploitation est empruntée à la lé
gislation de 179/l ; le projet de, loi y ajoute, dans le même esprit, l’inter
ruption d’exploitation pendant une année. Cette déchéance s’applique au
breveté étranger comme au breveté français ; la loi Veut une exploitation
réelle et non un simulacre d’exploitation ; elle ne permet pas que le pri
vilège accordé à l ’inventeur soit, entre ses mains, une Concession stérile
pour l’industrie, une valeur perdue pour la société.
Par le même motif, la loi ne peut permettre que le brevet ne serve qu’à
créer à l’inventeur un monopole à l’aide duquel il puisse , sans concur
rence et au préjudice du travail national, introduire et débiter en France
des produits fabriqués à l’étranger. La peine de la déchéance prononcée
�302
APPENDICE
contre cette fraude préviendra un abus contre lequel des réclamations se
sont élevées avec raison.
Les lois des 7 janvier et 25 mai 1791 laissaient aux tribunaux ordi
naires la connaissance des actions en nullité ou en déchéance ; mais les
mêmes lois attribuant aux tribunaux de paix le jugement des actions en
contrefaçon , ces derniers se trouvaient presque toujours appelés à pro
noncer incidemment sur les questions de nullité ou de déchéance , en
vertu du principe général qui veut que le juge de l’action soit le juge de
l’exception.
La loi du 25 mai 1838 a fait cesser cet état de choses, en déférant les
actions en contrefaçon aux tribunaux correctionnels. On a considéré
particulièrement que les affaires relatives aux brevets d’invention avaient,
par suite des progrès de l’industrie, une importance toujours croissante;
qu’elles engageaient des intérêts souvent considérables et des questions
de propriété d’une solution difficile, et que ces matières dépassaient visi
blement les bornes ordinaires de la compétence des juges de paix.
Ces raisons nous ont paru sans réplique , et il n’a pu nous venir à la
pensée de changer un état de choses établi à si juste titre. Nous vous pro
posons donc de maintenir la compétence des tribunaux civils ordinaires
pour le jugement des actions en nullité ou en déchéance.
Mais les articles 34 et suivants établissent, relativement au droit d’ex
ercer ces actions et à leurs effets, une distinction q u i, sans être étran
gère aux principes du droit commun, a besoin d’être expliquée avec soin,
parce qu’elle est nouvelle en cette matière.
L ’article 34 donne à toute personne intéressée l’action en déchéance
et l’action en nullité, dans les cas prévus aux numéros 1 , 2, 4 et 5 de
l’art. 31, c’est-à-dire Si la découverte, invention ou application n’est pas
nouvelle, ou bien si elle n’est pas susceptible d’être brevetée, aux termes
de l’art. 3, ou bien ercore si la description jointe au brevet n’est pas suf
fisante pour l’exécution de l’invention, ou ne contient pas les véritables
moyens de l’inventeur ; enfin s’il s’agit d’un brevet délivré pour perfec
tionnements apportés a l ’objet d’un brevet provisoire par un autre que
le breveté lui-même.
Mais quel sera l’effet du jugement intervenu pour ou contre le deman
deur ?
Si l’on s’en tient aux règles du droit civil sur les effets de la chose ju
gée , le jugement ne sera susceptible d’être invoqué que par les parties,
leurs héritiers ou ayants cause , en sorte que le procès pourra toujours
�303
APPENDICE
renaître avec des tiers, sans qu’aucune décision vienne jamais assurer au
public ou au breveté la paisible jouissance de leurs droits ; et s i, afin
d’éviter cet inconvénient, on accorde au jugement force de chose jugée
pour et contre les tiers , on donne évidemment naissance à des actions
collusoires dont le but et le résultat seront de procurer au breveté un
facile succès, et de le mettre ainsi à l’abri des demandes en nullité ou en
déchéance les mieux fondées ; inconvénient tellement grave qu’il rend ce
dernier système entièrement inadmissible.
Mais nous avons pensé qu’on pouvait, en maintenant ici la règle du
droit civil sur les effets de la chose jugée , donner au ministère public,
toutes les fois que la nullité ou la déchéance aura été prononcée sur la
demande d’une partie privée, une action spéciale en nullité ou en déché
ance que nous avons appelées absolues. Tel est l’objet de l ’art. 37. Cette
action qui appartient encore au ministère public dans le cas où la décou
verte, invention ou application brevetée est contraire à l’ordre, à la sû
reté publique, aux bonnes mœurs ou aux lois du royaume ; cette action,
disons-nous, a pour but, ainsi que son nom l’indique, de faire prononcer
la nullité ou la déchéance pour ou contre tous, et de manière que toute
personne puisse invoquer les effets du jugement. Le bénéfice de cette
poursuite, exercée dans l’intérêt de la société et par son représentant na
turel, est donc acquis à toute personne intéressée, et nous obtenons ain
si , par une combinaison en harmonie avec les principes généraux du
droit, un résultat que de bons esprits appelaient de tous leurs vœux.
L ’action du ministère public tendant toujours à l’anéantissement du
brevet, il est juste et nécessaire qu’il mette en cause tous les ayants
droit à ce titre, ainsi que le prescrit l ’art. 39. Enfin , lorsque la nullité
ou la déchéance absolue aura été prononcée par jugement ou arrêt ayant
acquis force de chose jugée , le public qui doit profiter de cette décision
en sera averti dans la forme prescrite pour la proclamation des brevets
(art. 39).
Les articles 35 et 36 règlent la procédure des actions en nullité ou en
déchéance.
Le premier dispose que si la demande est dirigée contre un ou plu
sieurs cessionnaires partiels et contre le titulaire du brevet, elle sera
portée devant le tribunal du domicile de ce dernier.
'
Cette exception à l’art. 59 du Code de procédure civile est suffisam
ment motivée : le breveté transporte souvent ses droits à de nombreux
cessionnaires, pour différentes parties du royaume, et il serait trop ri-
\
�304
APPENDICE
goureux de le contraindre à aller défendre à l’action en nullité ou en dé
chéance, partout où se trouve un de ces cessionnaires. Toute action de
cette nature est d’ailleurs dirigée contre lui plus que contre les autres
défendeurs dont il sera presque toujours le garant.
L ’article 36 soumet les actions qui nous occupent, à la forme prescrite
pour les matières sommaires par les art. 405 et suivants du Code de pro
cédure civile.
Les contestations relatives aux brevets d’invention, quoique soumises
à la juridiction civile, ont, il faut le reconnaître, une très-grande analo
gie avec les matières commerciales , pour lesquelles le législateur a dû
établir une procédure abrégée , et elles réclament une décision d’autant
plus prompte que la jouissance exclusive qui fait l’objet du procès est
temporaire , et que , dans le cas où l’action est préjudicielle à une pour
suite en contrefaçon, elle sera souvent précédée de la saisie d’objets pré
tendus contrefaits.
Quant à la communication au procureur du roi, prescrite par le même
article 36 , elle est suffisamment motivée par la nature même de ces de
mandes, qui intéressent au plus haut point la liberté industrielle, et par
la nécessité, pour ce magistrat, d’apprécier toutes les parties d'une affaire
dont le résultat peut lui ouvrir une action qu’il ne doit intenter qu’en
parfaite connaissance de cause.
Titre V.
L ’article 40 définit la contrefaçon , et prononce contre ce délit une amende de 100 fr. à ”2000 fr.
L ’article 44 punit d’une amende de 25 fr. à 500 fr. les introducteurs
ou débitants d’objets contrefaits.
Ces amendes sont celles que l’art. 427 du Code pénal applique à la
contrefaçon artistique ou littéraire, sauf que nous avons cru devoir assi
miler l’introducteur au débitant plutôt qu’au contrefacteur lui-même.
Le mot sciemment nous a paru également devoir être ajouté dans la
disposition relative aux introducteurs et débitants q u i, à la différence
du contrefacteur, peuvent, même sans négligence ou imprudence vérita
blement imputables, ignorer l ’existence du brevet ou la qualité des ob
jets dont ils sont détenteurs.
L ’article 42, prévoyant le cas d’une récidive spéciale, prononce, outre
l’amende , un emprisonnement que cette circonstance motivait suffisam
ment.
�305
APPENDICE
Toutefois , l’art. 43 qui permet d’appliquer l’art. 463 du Code pénal
aux délits prévus par la loi qui nous occupe , donne aux tribunaux le
moyen d’adoucir la peine , même dans ce dernier cas, s’ils reconnaissent
l’existence de circonstances véritablement atténuantes.
L ’article 44 n’admet l’action correctionnelle que sur la poursuite ou
sur la plainte de la partie lésée. Dans le silence de cette partie, on peut
penser qu’elle a consenti, soit expressément, soit tacitement, aux actes
contraires à ses droits exclusifs.
Nous avons dit que l’art. 34 maintient aux tribunaux civils ordinai
res la connaissance des actions principales en nullité ou en déchéance.
L ’article 45 leur réserve expressément ces actions , lorsqu’elles sont
formées incidemment à une poursuite en contrefaçon.
Nous avions pensé, en vue de la plus grande rapidité possible, à laisser
ici le juge de l’action juge de l’exception , et à ne point faire du moyen
de nullité ou de déchéance une question préjudicielle civile ; mais les
nombreuses affairesdont sont surchargés les tribunaux correctionnels,dans
les grands centres de population où se produisent presque toutes les ac
tions en contrefaçon; la crainte de retarder par une instruction et des
débats purement civ ils , l’expédition d’affaires d’autant plus urgentes
qu’elles entraînent souvent une détention préventive, nous ont détermi
nés à prescrire le renvoi de la question préjudicielle devant les tribu
naux civils, en fixant un délai dans lequel le prévenu devra se pourvoir.
Les actions préjudicielles en nullité ou en déchéance sont naturelle
ment soumises à la procédure et aux autres règles qui composent la sec
tion n du titre iv ; mais nous avons cru devoir les dispenser du prélimi
naire de conciliation. Des poursuites rigoureuses déjà commencées ne
laissent, en effet, aucune chance de succès à ce préliminaire qui ne ferait
alors que retarder une décision qui a besoin d’être d’autant plus prompte
qu’elle devra souvent prononcer sur le résultat d’une saisie.
L ’article 46 règle les formalités de la saisie ou description des objets
contrefaits, à la requête du breveté ou de ses ayants droit, et remplacera
très-avantageusement une des parties les plus défectueuses de la législa
tion actuelle sur la matière.
La partie lésée a le choix de procéder par voie de saisie ou par voie
de simple description, si elle croit cette dernière mesure insuffisante pour
la constatation des faits et la conservation de ses droits.
Elle devra , dans les deux cas, faire procéder par huissier, en vertu
d’une ordonnance du président du tribunal de première instance.
iii
—
20
�306
APPENDICE
L orsqu'elle demandera l’autorisation de saisir, le président pourra, s’il
le juge convenable , lui imposer un cautionnement dont le montant sera
déterminé par l ’ordonnance et devra être consigné avant la saisie.
Ces dispositions, ainsi que les autres formalités prescrites par l’art. 46
s’expliquent et se motivent d’elles-mêmes.
Il en est de môme de l’art. 47, qui prononce la nullité de la saisie ou
description , sans préjudice de tous dommages-intérêts , si le requérant
n’y a pas donné suite dans un délai déterminé. Des actes aussi rigou
reux , et la saisie surtoat, peuvent porter un grave préjudice à la per
sonne chez laquelle on les opère Si donc on l'a fait méchamment ou seu
lement légèrement et sans cause, en sorte qu’on n’ose pas y donner suite,
on est tenu de réparer , conformément au droit commun , le dommage
qu’on a pu causer par sa faute.
L ’article 48, qui prononce la confiscation des objets contrefaits au pro
fit du breveté ou de ses ayants droit, a été puisé dans les art. 427 et 429
du Code pénal ; mais le projet de loi prescrit la remise des objets en na
ture, et sans que le plaignant ait besoin de justifier de son préjudice.
Titre VI.
L ’article 49 charge le Gouvernement de prescrire les mesures néces
saires pour l ’exécution de la loi. Un réglement d’administration publi
que devra déterminer, en effet, la forme des titres, actes, procès-verbaux
et autres pièces essentielles énoncées dans les art. 1, §, 7, 9, 44, 13,
46 et 17 ; il arrêtera, en outre, les dispositions propres à assurer l’exé
cution uniforme de la loi.
Le même article statue que la loi n’aura effet que six mois après sa
promulgation, et ce délai est nécessaire pour la publication du réglement
et l’envoi des instructions.
Enfin, le dernier article prononce l’abrogation de toutes les disposi
tions législatives antérieures.
Tels sont, Messieurs les Pairs, les motifs principaux des dispositions
du projet de loi que nous avons l ’honneur de vous présenter"; nous avons
évité dans cette matière essentiellement pratique, et qui touche aux plus
graves intérêts de l’industrie, toutes les discussions purement théoriques
ou philosophiques qui auraient pu, en appelant de nouveau le débat sur
des questions résolues par la législation actuelle, ébranler les principes
qui en font la force.
�APPENDICE
307
Nous ne vous proposons aucun changement dans les dispositions fon
damentales de cette législation ; nous maintenons le brevet d'invention
comme titre de l’inventeur ; nous maintenons la durée de cinq , dix ou
quinze années assignée à ce titre; nous maintenons surtout, et nous for
tifions même la règle de la délivrance des brevets sans examen préala
ble, règle en vertu de laquelle l’administration se borne à donner acte de
ce qu’on lui demande régulièrement quant à la forme, laissant toutes les
difficultés relatives aux droits des inventeurs à l’appréciation des tribu
naux , seuls juges compétents pour prononcer sur des questions de pro
priété, de validité de titres, de fraude et d’application des lois pénales.
Les innovations les plus importantes consistent dans la création du
brevet provisoire de deux années. création qui sera si favorable aux in
venteurs , et dans la suppression des brevets d’importation , qui étaient
devenus si préjudiciables aux intérêts de notre industrie.
Le projet de loi reconnaît et assure le droit des inventeurs étrangers ;
c’est un hommage qui était dû au génie industriel des peuples, nos ému
les dans la carrière des arts utiles ; c’est un appel à la réciprocité, véri
table fondement du droit public des nations.
La loi détermine avec précision les causes de nullité et de déchéance
des brevets ; dans un système qui accorde à l’inventeur, à ses risques et
périls , tout ce qu’il demande , il était-nécessaire de marquer les éGueils
avec soin, et de réserver expressément à la société le droit de reprendre
tout ce qui lui appartient.
Enfin, nous avons introduit dans le projet, pour la procédure relative
aux actions en nullité et en déchéance et aux poursuites en contrefaçon,
des dispositions spéciales q u i, sans cesser d’être en harmonie avec les
règles ordinaires de notre droit civil et criminel, nous ont paru les plus
propres à assurer aux inventeurs une bonne et prompte justice.
�APPENDICE
308
N° 2.
RAPPORT DE LA COMMISSION
F A IT
LE 20
MARS
1843
A LA CHAMBRE DES PAIRS
Messieurs, il y a bientôt quatre années, cette Chambre retentissait
des plus nobles paroles à l’occasion de la loi destinée à protéger les droits
des auteurs. Le génie, le travail, la science, trouvaient ici les plus élo
quents apologistes, et l’assemblée tout entière applaudissait à une légis
lation qui assurait, d’une manière plus étendue et moins précaire , les
jouissances matérielles résultant de leurs œuvres, aux hommes auxquels
la plus haute des récompenses est d’ailleurs réservée, la renommée, •l’hon
neur et la reconnaissance du pays
Espérons que cette législation, si sagement élaborée dans cette encein-r
te, ne tardera pas longtemps encore à prendre sa place dans le Code de
nos lois.
Aujourd’hui, Messieurs, passant de cette région si noble et si élevée,
dans une sphère non moins utile et également digne de toute votre at
tention , le Gouvernement appelle vos méditations sur les droits qu’il
convient de réserver au génie de l’invention dans les arts industriels.
Cette matière est vaste et difficile ; elle touche à la fois aux intérêts les
plus vivaces de la société, que vous avez la mission de défendre, et à une
multitude d'intérêts privés que votre devoir est de protéger.
La commission à laquelle vous avez confié l’examen de ce projet de
loi si important, s’est entourée de tous les documents propres à l’éclairer;
et après s’être livrée svec zèle à l’accomplissement de la tâche laborieuse
qui lui était imposée, elle vient rendre compte à la Chambre du résultat
de ses travaux.
�APPENDICE
309
Il est aujourd’hui une vérité universellement reconnue , c’est que le
travail national, c’est-à-dire l’emploi plus ou moins intelligent des forces
vitales d’un peuple, dirigées vers le sol par la culture, ou appliquées aux
produits du sol par l’industrie, est la principale cause de la puissance et
de la richesse des nations. Si la conquête, en effet, forme le plus souvent
leur territoire, le travail seul le vivifie et le protège. Encourger le tra
vail, sous quelque forme qu’il se présente , le laisser libre dans son ac
tion , le multiplier autant que possible, lui faciliter la voie du progrès,
tel est le devoir du législateur. Malheur à un peuple indolent ou routi
nier ; il serait bientôt à la remorque des autres peuples , et ne tarderait
pas , en perdant sa richesse et sa puissance , à tomber dans un véritable
état d’infériorité.
Mais, pour qu’une nation occupe sur la scène du monde le rang que
peuvent lui assigner d’ailleurs une population active et nombreuse, un sol
étendu et fécond , un climat et une situation des plus favorables , il ne
suffit pas qu’elle travaille comme certains peuples de l’Asie, en ne faisant
qu’imiter ce qui s’est toujours fait dans son sein, il faut encore que, par
le développement et la constante application des intelligences, par le tra
vail de ses savants, par le génie inventif de ses ouvriers , loin de rester
dans un état stationnaire, elle fasse faire sans cesse des pas nouveaux à
à son industrie.
Il faut qu’en augmentant son bien-être, ses jouissances et ses besoins,
elle cherche dans des créations nouvelles non-seulement l’occasion et la
facilité de les satisfaire, mais qu’elle se procure encore, dans l’intérêt de
son commerce, des objets d’échange plus nombreux. C’est ainsi qu’elle
sera en mesure de rivaliser avec les autres peuples et de soutenir la con
currence de ses voisins.
Mais, pour obtenir ces féconds résultats , il ne suffira pas au génie de
ses citoyens de faire d’utiles emprunts à la nature en conquérant sur elle
des produits industriels jusqu’alors inconnus ; il faudra encore perfec
tionner les moyens d’obtenir ceux dont elle est en possession, soit en di
minuant la main d’œuvre, soit en employant des agents ou des moteurs
moins coûteux, ou des rouages moins compliqués.
Encourager les inventeurs de nouveaux produits ou les inventeurs de
procédés plus prompts , plus faciles , plus économiques pour produire ;
obtenir par là l’abaissement du prix de revient, qui importe si essentiel
lement à la prospérité du commerce et au bien-être des consommateurs,
ainsi qu’un accroissement dans la richesse nationale : tel doit être le but
�310
APPENDICE
constant des efforts de l ’administration ; tel est celui du projet de loi sur
les brevets d’invention, soumis en ce moment à votre examen.
Personne n’ignore qu’avant la grande Révolution française , les plus
vastes et les plus importantes entreprises de commerce ou d’industrie
pouvaient être l’objet de privilèges exclusifs. Le Gouvernement récom
pensait par des privilèges de cette même nature les nouvelles inventions
industrielles ; mais les inventeurs étaient fréquemment entravés par des
difficultés suscitées par les communautés qui leur disputaient le droit
d’exécuter les découvertes qu’elles n’avaient point faites.
Les lois qui proclamèrent la liberté du commerce et de l’industrie, que
le célèbre Turgot avait cherché à établir dans le royaume dès 4776, en
globèrent dans la même proscription les privilèges commerciaux et les
privilèges accordés aux inventeurs. A l’ancien système économique , au
système restrictif, on substitua un système de liberté absolue.Moins sage
que ne l’avait été l’Angleterre dans son fameux bill abolitif des monopo
les commerciaux de la vingt et unième année du règne de Jacques Ier, en
4623, l’Assemblée Nationale fit table rase sur tout le passé ; elle détrui
sit tout ce qui avait existé sans songer à mettre quelque chose à. la pla
ce ; sans songer â la garantie qu’elle devait à des droits justes et sacrés.
Avec le régime de liberté absolue, la situation des inventeurs devint plus
déplorable qu’elle ne l’était auparavant. Cet état de choses ne tarda pas
à exciter de vives plaintes , et de toutes parts on sentit le besoin d’une
législation nouvelle,qui accordât une protection réelle et efficace aux in
venteurs en faisant disparaître tout l’arbitraire que la concession des an
ciens privilèges pouvait mettre dans la main du Gouvernement.
Dès 4789, le ministre du roi Louis X V I à Londres, que le rapporteur
de votre commission se permettrait de nommer , s’il n’avait l’honneur
d’occuper sa place dans cette enceinte, transmit aux inspecteurs généraux
du commerce la législation et les monuments de la jurisprudence de la
Grande-Bretagne sur cette importante matière. L ’année suivante, en 4790,
ces mêmes inspecteurs et une multitude d’inventeurs sollicitaient de l’As
semblée constituante l’application du système, si heureusement pratiqué
en Angleterre depuis près de deux siècles , en faveur des nouvelles in
ventions.
Garantir à tout inventeur ou à tout auteur de combinaisons nouvelles
en matière de fabrication, la jouissance de sa découverte pendant un cer
tain temps, qui ne peut excéder quatorze années, mais en exiger une
description fidèle qui permette à la société d’en jouir pleinement à l’ex-
�appendice
311
piration du privilège ; délivrer à cet inventeur ses lettres patentes de pri
vilège sans examen de la nouveauté de l’invention, mais en même temps
autoriser les tribunaux à prononcer la nullité ou la déchéance du mono
pole qu’elle confère si l’invention n’est pas nouvelle : telle est la base de
cette législation qui a servi de type à la législation américaine et à celle
de plusieurs Etats de l’Europe.
Tel est aussi le point de départ de l’Assemblée constituante dans les
lois des 7 janvier et 25 mai 4791 , qui régissent aujourd’hui chez nous
cette matière. Seulement cette assemblée fit un droit absolu pour l’inven
teur de ce qui maintenant encore est considéré en Angleterre comme une
grâce émanant du pouvoir royal ; grâce q u i, au reste , n’est pour ainsi
dire jamais refusée. Tel est également le système qui préside au projet
qui vous est présenté par le Gouvernement, système dont l’expérience et
le temps confirment l’avantage.
Aux lois des 7 janvier et 25 mai 4791 sont venues s’ajouter, pour com
pléter le Code des brevets d’invention :
1° La loi du 20 septembre 4792 qui défend au pouvoir exécutif de dé
livrer des brevets pour des établissements de finances et supprime l’effet
de ceux qui auraient été accordés, attendu, est-il dit dans les considé
rants, qu’ils pourraient être dangereux, et que d’ailleurs les brevets ne
doivent être accordés que pour les inventions relatives aux arts et mé
tiers ;
2° L ’arrêté du 8 octobre 4798, qui fixe le mode de publication des pro
cédés brevetés à l’expiration des brevets ;
3° L ’arrêté des Consuls, du 27 septembre 1800 (5 vendémiaire an ix),
portant que ie certificat d’un brevet d’invention sera signé par le Minis
tre de l’intérieur , et que les brevets seront délivrés tous les trois mois
par le Premier Consul, et promulgués au Bulletin des lois. Cet arrêté,
pour prévenir l’abus que les brevetés faisaient de leurs titres , ordonne
qu’il sera inséré au bas de chaque expédition de brevet, la déclaration
suivante : Le Gouvernement, en accordant un brevet sans examen pré
alable, n ’entend g a ra n tir en aucune manière n i la priorité, n i le mé
rite, n i le succès de l'invention ;
4° Le décret du 25 novembre 4806 , qui abroge la disposition de l’ar
ticle 14 du titre n de la loi du 25 mai 4794,en ce qui concerne la défense
d’exploiter les brevets par actions ;
5° Le décret du 25 janvier 1807, d’après lequel les années de jouis
sance d’un brevet commencent à courir du jour de la signature du certi-
�312
APPENDICE
ficat de demande , délivré par le ministre , et la priorité d’invention , en
cas de contestation entre deux brevetés pour le même objet, date du dé
pôt des pièces à la préfecture ;
6° Enfin , le décret impérial du 16 août 1810, non inséré au Bulletin
des lois et au Moniteur, portant que la durée des brevets d’importation
sera la même que celle des brevets d’invention et de perfectionnement.
Tel était, il y a peu d’années, l’état de la législation sur les brevets d’in
vention.
Tout en rendant le plus sincère hommage aux principes qui avaient
dicté les lois des 7 janvier et 25 mai 1791 , les inventeurs et les indus
triels demandaient depuis longtemps la révision de plusieurs dispositions
de ces lois, dont la partie réglementaire avait surtout besoin d’être amé
liorée. L ’attribution à la juridiction des tribunaux de paix de toutes les
contestations relatives aux brevets d’invention , n’était plus en rapport
avec l’importance de ces affaires, depuis que l’industrie française a pris
de si heureux développements. La loi du 25 mai 1838 a satisfait à ce
premier vœu.
Mais il en était d’autres plus essentiels peut-être encore, qu’elle ne
pouvait plus longtemps méconnaître. Les inventeurs reprochaient à nos
lois de ne leur laisser aucun moyen d’éprouver leur œuvre avec sécurité»
avant de prendre un brevet, ou de pouvoir le perfectionner à l’exclusion
de tous autres, pendant un certain temps, après sa concession.
Cependant entre l’idée première d’une découverte et sa réalisation aussi
complète et aussi parfaite que peut la concevoir et la mettre en œuvre
un homme habile , la distance est considérable ; et il n’est pas donné à
l’esprit le plus exercé, à l ’imagination la plus féconde, à l’œil le plus pé
nétrant, de la parcourir du premier coup. Envisager de prime abord une
question sous toutes ses faces est l’œuvre du génie; mais prévoir à l’a
vance tous les inconvénients ou tous les avantages qu’une découverte
présentera dans son exécution, excède les bornes de l’esprit humain.
Le projet de loi pourvoit d’une manière heureuse , suivant nous , à
cette lacune de notre législation. Etendant sa sollicitude sur les intérêts
de nos inventeurs, sans causer le moindre dommage au pays, il fait aussi
cesser la défense qui leur était faite de prendre des brevet^ à l’étranger
pour une industrie brevetée en France. En même temps qu’il fait droit
aux justes plaintes des inventeurs, il ne néglige pas les intérêts non
moins sacrés de la société. 11 prohibe pour l’avenir les brevets d’impor
tation.
�APPENDICE
313
Ces sortes de brevets avec les rapports multipliés qui existent aujour
d’hui entre les peuples, avec la facilité des communications, n’étaient
plus qu’une prime prélevée par la course sur les produits de notre indus
trie.Le commerce en demandait depuis longtemps l’interdiction. Le pro
jet en la prononçant, satisfait au vœu général De nombreuses disposi
tions réglementaires y modifient d’une manière presque toujours heu
reuse les usages actuellement suivis. Il suffit de citer celle qui dispensera
le Gouvernement de prononcer la déchéance des brevets pour défaut du
paiement de la taxe. Cette tâche était souvent pénible , embarrassante et
fâcheuse pour l’administration. Elle désirait le changement de cette dis
position .
Appelé ainsi par les suffrages de tous les intéressés, le projet de loi sur
les. brevets d’invention ne pouvait apparaître à votre commission qu’avec
le caractère d’utilité, de nécessité et d’urgence que les ministres qui se
sont succédé au département du commerce, lui ont reconnu.
Votre commission a pensé, malgré la divergence d’opinion de l’un de
ses membres les plus distingués, qu’il convenait de procéder dans cette
circonstance par voie de codification, et de ne pas laisser épars çà et là,
quelques lambeaux de législation.
Après avoir ainsi jeté un coup d’œil rapide sur les principes qui servent
de base au projet de loi, apprécié les innovations qu’il consacre, reconnu
son utilité et approuvé sa forme, nous devons vous faire connaître main
tenant ses divisions.et l’examiner ensuite dans ses détails.
Le titre Ier, sous la rubique Dispositions générales , définit le droit
accordé aux inventeurs, indique les objets susceptibles d’être brevetés,
règle la durée des brevets ainsi que leur taxe.
Le titre II traite des formes à suivre pour leur délivrance. I l se divise
en cinq sections. Il s’occupe successivement de la demande des brevets,
de leur délivrance, des- certificats d’addition, de l’exploitation, de la ces
sion des brevets, de la communication et de la publication des descrip
tions.
Le titre III est relatif aux droits des étrangers.
Le titre IV traite des nullités et déchéances.
Le titre V s’occupe de la contrefaçon et des peines.
Le titre V I, sous l ’intitulé Dispositions particulières et transitoires,
prescrit 1a, promulgation d’une ordonnance pour l’exécution de la lo i, abroge toutes les dispositions législatives antérieures sur les brevets d’in
vention et contient quelques dispositions nécessaires pour la transition
de l’ancienne législation à la nouvelle.
�314
APPENDICE
Titre Ier.
D is p o s itio n s
g é n é ra le s .
L’article 1er de la loi du 7 janvier <1791 portait ces mots: Toute décou
verte ou nouvelle invention dans tous les genres d’industrie est la pro
priété de son auteur. L’article I ” du projet de loi évite sagement cette
qualification de propriété. Nous approuvons sa réserve et nous sommes
d’autant mieux fondés à proposer à la Chambre de s’y conformer, que
déjà dans la loi q u ’elle a discutée il y a bientôt quatre années, elle a évité d’employer cette expression en définissant les droits des auteurs sur
leurs ouvrages.
Les discussions qui ont eu lieu à cette époque, et le vote qui les a sui
vies nous dispensent d’entrer dans l’examen approfondi d’une question
p lu tô t philosophique que législative, question qui ne pourrait être réso
lue ici d’une manière opposée à celle du projet du loi sans en renverser
l ’économie , à moins de se refuser à suivre dans toutes ses conséquences
logiques le principe que l ’on aurait posé.
Sans contredit, rien n ’est plus intimêment uni à l’homme que sa pen
sée ; par cela même qu’il la conçoit, l’auteur d’une découverte en est pro
priétaire ; mais ce droit lui échappe dès qu’il veut la produire au dehors,
c’est-à-dire en obtenir un résultat. Elle passe au domaine public. Il a
besoin de la société et de la loi pour lui assurer le privilège de la m ettre
seul en œuvre et d’en recueillir privativement les avantages. Le législa
teur est donc m aître de fixer les conditions de cette jouissance exclusive
que l’inventeur ne tient que de lui
Nous vous proposons de dire alors avec l ’article du projet de l o i , en
en modifiant un peu les term es, que toute découverte ou invention nou
velle dans tous les genres d’industrie, confère à son auteur, sous les con
ditions et pour le temps déterminés par le projet, le droit exclusif d’ex
ploiter à son profit ladite découverte ou invention , et que ce droit sera
constaté par des titres délivrés par le Gouvernement, sous le nom de bre
vets d’invention.
L’article-2 définit les objets susceptibles d’être brevelés, savoir: l’in
vention des nouveaux produits industriels ,pou l’invention ou l ’applica
tion nouvelle de moyens connus pour l’obtention d’un produit industriel.
Ces termes , dans leur généralité , semblent embrasser et comprendre
�APPENDICE
31 5
toutes les inventions ou applications susceptibles d’être brevetées. Nous
y avons cependant rem arqué une lacune que nous vous proposons de
combler. On p e u t, à l’aide de moyens nouveaux, ou par l’application
nouvelle de moyens c o n n u s, ne pas toujours obtenir un p ro d u it, mais
un simple résultat industriel. Il y a lieu à breveter l’inventeur dans l ’un
et l’autre cas. L’article amendé a pour b u t de l’exprimer. Vous l'adopte
rez, M essieurs, car vous penserez avec nous que tout ce qui rend plus
facile ce qui est utile, et produit plus d’effet avec moins d’efforts, mérite
d’être encouragé à l’égal de l’invention.
A peine l’Assemblée constituante avait-elle proclamé que toute nou
velle découverte dans tous les genres d’industrie était la propriété de son
auteur , et avait-elle posé d’une manière trop absolue , suivant n o u s, le
principe de non-examen préalable pour quelque cause que ce pû t être,
qu’un assez grand nombre de gens profitèrent du goût de l’époque pour
les innovations, et des embarras du Trésor pour demander et obtenir des
brevets pour des plans ou établissements de crédit ou de finance
La loi des 20 et 25 septembre 1792 eut pour b u t de faire cesser cet abus en disposant que le pouvoir exécutif ne pourrait plus concéder des
brevets d’invention aux établissements de finance, et en supprimant l’ef
fet de ceux qui avaient été accordés. L’Assemblée déclare dans le préam
bule que la loi de 1791 doit être entendue dans ce sens qu’il n ’y a de
brevetables que les industries relatives aux arts et métiers. Nous en avons conclu avec le Gouvernem ent, la jurisprudence et les législations
étrangères, que toutes les inventions qui se rapportent uniquem ent à la
science, à l’intelligence, ne pouvaient être l’objet de brevets, et que leurs
résultats industriels pouvaient seuls être brevetés, Ainsi, un principe,
une idée, une observation, une méthode scientifique ne sont pas suscep
tibles d’être brevetés, mais bien leur application spéciale et positive à
une fabrication déterminée.
Il ne suffit pas pour qu’une industrie puisse être brevetée qu’elle don
ne des produits et des résultats susceptibles d’entrer dans le commerce,
il faut encore qu’elle soit licite , c’est-à-dire que cette industrie ne soit
contraire ni aux lois, ni aux bonnes mœurs, ni à la sûreté publique. Car
si la société , dans l’intérêt de la protection qu’elle doit à chacun de ses
membres, dans l’intérêt même de l’universalité des citoyens doit encou
rager les inventions dans la personne de ceux qui les trorfvent ; si, dans
ce but, elle ne doit mettre aucune entrave à la production de la pensée in
dustrielle, comme à la production de la pensée littéraire, il est cependant
�316
A PPEN D IC E
des limites au delà desquelles cette protection mal entendue et mal apappliquée, cette liberté sans bornes , ne produiraient que des dangers et
des maux.
Le Gouvernement l’a senti comme votre commission, aussi vous pro
pose-t-il de déclarer, dans l’art. 33, que les brevets qu’on pouvait le for
cer à délivrer suivant son sy stèm e, contrairement à cette règle de salut
pour la société, pourront être annulés par les tribunaux. Quant à nous,
profondément convaincus que le Souverain ne doit point privilégier ce
qu’il serait obligé de prohiber et de p u n ir, nous vous proposons de dé
clarer dans ce même article 3 que les industries contraires aux lois, aux
bonnes mœurs et à la sûreté publique , ne sont pas susceptibles d’être
brevetées ; et nous vous demandons de décider, dans l'a r t 14 , que le
m inistre devra rejeter la requête des hommes qui respecteraient assez
peu la morale publique et les lois de leurs pays pour les outrager ainsi.
Ici, Messieurs, a commencé à se manifester entre le m inistre du com
merce et la majorité de votre com m ission, un dissentiment que les ex
plications réciproquement échangées n ’ont pu faire disparaître. Ce dis
sentim ent s’est encore accru lorque, conformément au vœu unanime des
diveses commissions spéciales formées au ministère du commerce pour
préparer le projet actuellement en discussion, conformément au désir des
conseils supérieurs de l’ag ricu ltu re, du com m erce, à celui du conseil
d’Etat auquel il a été soumis , et enfin sur la demande de l ’Académie de
médecine, nous avons décidé de vous proposer de ne pas autoriser la con
cession des brevets pour des remèdes secrets. La loi du 7 janvier 4791,
dans sa généralité et dans son respect pour le principe de propriété ab
solue de l’inventeur de toute nouvelle découverte, n ’excluait du brevet
d’invention ni les industries illic ite s, ni les compositions pharmaceuti
ques. La loi du 14 mai même année , a rt. 9 , prononça la déchéance du
brevet obtenu pour toute industrie et to u t objet que les tribunaux jugeraiént contraires aux lois du royaum e. Cette loi garde également le si
lence sur les remèdes secrets.
Un grand nombre de brevets furent pris à cette époque pour des re
mèdes de cette nature ; plus tard l’autorité, dans l’intérêt de la santé pu
blique, fut obligée de régler cette matière.
La loi du 24 germinal an x i porte, art. 25 : Nul autre qu’un pharm a
cien ne peut préparer , vendre ou débiter aucun médicament. » — Aux
termes de l’art. 32 : « Les pharmaciens eux-mêmes ne peuvent vendre
de remèdes secrets. » — Enfin, d’après l’art. 36 : « Toute annonce ou
�APPENDICE
317
affiche im prim ée, indiquant des remèdes de cette espèce est prohibée. »
En 1810 , l’Empereur , voulant d’un côté augmenter les moyens utiles à
l ’art de guérir en facilitant l’emploi des remèdes propres au soulagement
des maladies, et de l’autre empêcher le charlatanisme d'imposer un trib u t
à la crédulité ou d’occasionner des accidents funestes en débitant des
drogues sans vertus ou des substances inconnues et dont on pouvait faire
par ce motif un emploi nuisible à la santé ou dangereux pour la vie de
ses sujets >, rendit le 18 août de cette année u n décret relatif à cette ma
tière. Aux termes de ce décret, les permissions accordées aux inventeurs
ou propriétaires de remèdes secrets doivent cesser immédiatement. Tout
individu qui découvre un remède et veut qu’il en soit fait usage , doit
en rem ettre la recette au Ministre de l’intérieur. Le m inistre formé une
commission prise parm i les professeurs des facultés de médecine à l’effet
d’exam iner la composition et de reconnaître : 10 si son administration
ne peut être dangereuse ou nuisible en certains cas ; 2° si le remède est
bon en s o i , s’il produit des effets utiles à l ’humanité ; 3° quel est le
p rix qu’il convient de payer pour son secret à l ’inventeur du remède re
connu u tile, en proportionnant ce prix au mérite de la découverte , aux
avantages qu’on peut en retire r pour l’humanité, et même aux avantages
personnels que l’inventeur eût pu en attendre. Emcas de réclamation de
la part des inventeurs contre les décisions de la première commission, il
doit être nommé une commission de révision. Sur leur a v is , et après avoir entendu lui-même les inventeurs, le m inistre de l’intérieur doit pro
voquer une décision souveraine , faire un traité avec l’inventeur , sou
mettre ce traité à l’homologation du conseil d’Etat, et publier sans délai
le remède dont il s’agit.
L’article 8, en particulier, contient cette disposition formelle : Nulle
permission ne sera accordée désormais aux auteurs d’aucun remède
simple ou composé dont ils voudraient tenir la composition secrète,
sauf à procéder comme il est dit ci-dessus.
Les seuls remèdes reconnus par la loi 2 étant ceux qui sont composés
soit conformément au Codex ou formulaire rédigé par les ordres de l’au
torité, soit conformément aux prescriptions doctorales dans chaque cas
particulier, ou ceux dont la recette a été achetée et publiée par le Gou«
1 Texte dn préambule du décret.
» Loi du 21 germinal an xi.
�318
APPENDICE
vernement, on a considéré que tous les remèdes en dehors de ces catégo
ries, lors même que l ’inventeur en aurait divulgué la composition, sont
des remèdes qui n’offrent aucune espèce de garantie pour la santé publi
que, et sont par cela même réputés seci'ets
Il résulte donc de la loi et de l’interprétation qu’elle a reçue , que la
délivrance d’un brevet pour des remèdes secrets, alors même que ce bre
vet en contient la révélation complète , ne leur fait pas perdre le carac
tère légal de remèdes secrets, et qu’il est formellement défendu par l’ar
ticle 8 du décret du 18 août 1810 , de délivrer des permissions pour les
vendre.
Cependant, u n grand nombre de brevets ont été et sont encore tous les
jours accordés pour des compositions pharmaceutiques ou remèdes spé
cifiques. En cela, l ’autorité croit devoir obéir aux prescriptions lâcheu
ses et certainement bien rigoureuses pour elle , résultant du principe de
propriété consacré par les lois des 7 janvier et 25 mai 1791, qu’elle con
sidère comme ne lui perm ettant pas de refuser des brevets dans aucun
cas.
Mais toutefois , avant de les délivrer , elle a soin de consulter l’Acadé
mie de médecine pour savoir si la composition peut être nuisible ou dan
gereuse. Si l’Académie la déclare telle , on en prévient l’inventeur ; si
celui-ci persiste, on lu i donne son brevet, mais on a la précaution d’a
vertir le ministère public pour qu’il forme une demande en nullité de ce
même brevet et qu’il en poursuive l’exploitation.
Telles sont, Messieurs, les explications que M. le m inistre nous a pré
sentées pour calmer nos inquiétudes et rassurer nos consciences , en cas
d’adoption du système qu’il nous a présenté.
Mais ce système auquel on peut se soumettre lorsque la législation en
vigueur paraît en faire une obligation, doit-on l’adopter lorsqu’on revise
cette législation elle même ?
R eportons-nous, Messieurs , à l'origine et au berceau de ces lois. Le
législateur de 1791, dominé par les idées de son époque , pénétré des
principes et du besoin d’une liberté commerciale exagérée, qui lu i firent
rejeter jusqu’à la pensée de maintenir ou de reconstituer les chambres de
commerce aujourd’hui si utiles , ne fit - il pas une p a rt trop large à ce
i Voir l’arrêt de là cour royale de Paris, du 24 décembre 1831, et un grand nombre
de jugements rendus depuis.
�APPENDICE
319
qu’il considérait comme la propriété de l’inventeur industriel ? N’eut-il
pas trop peu de souci du véritable intérêt de la société et de celui du
pou v o ir, en accordant à un inventeur un privilège pour une industrie
contraire aux lois et à la sûreté publique, et en obligeant le Monarque à
en revêtir la patente de sa signature et à la faire sceller du sceau de l’E
tat ? Il ne suffit pas que par une loi postérieure de quatre mois à la pre
mière, ce législateur a it autorisé les tribunaux à prononcer la nullité de
pareilles patentes ; la majorité de votre commission n ’hésita pas à dire
qu’il eût été plus conforme au bien public, aux devoirs et à la dignité du
Gouvernement de les refuser.
Le principe du refus des brevets par le pouvoir souverain , pour des
industries contraires aux lois, aux mœurs, à la sûreté publique, n ’est-il
pas inscrit sur le frontispice de toutes les législations européennes ? Et
cependant toutes , à l’exception de la Belgique , de la H ollande, de la
P ru sse et de la Sardaigne n ’ont-elles pas adopté comme nous le principe
de non-examen préalable, en ce qui concerne la nouveauté ou l’utilité de
l ’invention?
T out gouvernement a le droit et le devoir de faire exécuter les lois, il
doit empêcher ce qu'elles prohibent On ne peut vouloir q u ’il accorde
un privilège à ce qu’elles défendent, à ce qui compromettrait l’ordre pu
blic ou la sûreté des personnes , et qu’après avoir ainsi privilégié une
chose contraire à la m o rale, il en fasse poursuivre la nullité devant les
tribunaux,
Par respect pour l’autorité qu’il exerce dans ses tribunaux, on voudrait
que le Roi du h au t de son trône , sur le rapport du contre-seing de son
m inistre, proclam ât un brevet d’invention , pour un objet justem ent et
manifestement prohibé, laissant ainsi les citoyens,victimes du débit p ri
vilégié d’un poison, jusqu’à ce que son procureur général, averti par son
ministre, eût dirigé des poursuites pour faire annuler cet acte royal qu’on
ne saurait qualifier. N’y a-t-il pas là quelque chose qui répugne à la na
ture et à la dignité du pouvoir souverain ?
Dans notre système , l’adm inistration n ’à q u ’à examiner une chose ;
c’est la nature de l’invention : est-elle licite ; elle accorde le brevet sans
examen préalable des procédés de l’inventeur ; ces procédés échappent et
doivent toujours échapper , d’après nos principes , à ses agents qui n ’as
sument à cet égard aucune responsabilité ; si l’adm inistration trouve au
contraire que l ’invention est illicite , comme elle a u s s i, dans la sphère
qui lui est assignée , doit assurer le règne des lo is , elle refusera le bre i
�320
APPEN D IC E
vet, et n’accordera plus ainsi un prétendu privilège à une industrie que
la loi défend d’exploiter.
Si l’inventeur a des raisons de croire que la religion du ministre a été
trompée, la voie du recours au conseil d’Etat lui est ouverte. Ainsi dispa
rait toute apparence, tout soupçon d’arliitraire.
L'examen de l’adm inistration n’ayant dû porter que sur la question
de savoir si l’industrie pour laquelle on réclame un privilège , est licite
d’après les lois , et non sur les questions de nouveauté et de priorité de
l’invention et sur les autres points accessoires ; nous vous proposerons
de décider , conformément aux règles ordinaires , que la concession du
brevet, même par ordonnance royale rendue sur le rapport du comité du
contentieux du conseil d’Etat, ne fait pas obstacle à ce que les tiers por
tent à cet égard leurs réclamations devant les tribunaux.
Ce système, où tout s’enchaîne, se combine, où tous les genres de ga
rantie sont offerts à la société et aux intéressés eux-mêmes ; ce système,
qui rend à l’administration le caractère auguste de gardienne des lois et
des mœurs qu’elle ne saurait abdiquer dans aucun de ses actes ; ce sys
tème qui l’établit en sentinelle vigilante, pour garantir la santé publique
de l ’emploi de tan t de drogues nu isib les, ou pour empêcher les citoyens
d’être la dupe des charlatans pour des mixtions composées de substances
connues , que tout le monde peut faire et varier de mille manières -, ce
système , qui restitue au décret, toujours en vigueur , du 18 août 1810,
toute sa force bienfaisante , en faisant entrer immédiatement dans le do
maine public, après avoir indemnisé l’inventeur aux frais de l’Etat, le peu
de remèdes secrets vraiment salutaires ; ce sy stèm e, si fort en rapport avec les fondations pieuses faites en faveur de l ’art de guérir par le chari
table M. de Monthyon ; ce système , répéterons-nous en finissant cette
longue discussion, ne nous appartient pas en propre, il est l’œuvre de
commissions composées d’hommes spéciaux , sanctionné par plusieurs
prédécesseurs de M. le m inistre actuel ; il a été homologué par les con
seils supérieurs du commerce et de l’industrie, adopté par le conseil d’État. La majorité de votre commission espère qu’après tan t d’im portantes
autorités il obtiendra également vos suffrages,
Nous avons adopté à l’unanim ité l’art. 4, qui fixe la durée des brevets
à cinq, dix ou quinze années, en décidant qu’ils donneront lieu à une taxe
de S00, 1000 et 1500 fr. suivant le terme de durée choisi par l’inventeur
dans l ’une de ces trois périodes.
Si cet article n ’a été l’objet d’aucun dissentiment dans votre commis-
�*
321
APPENDICE
sion, il a donné lieu à de nombreuses réclam ations venues du dehors. Il
n ’entre pas dans notre pensée de vous entretenir de toutes celles qui nous
ont été adressées sur celte grave matière. Notre tâche serait trop étendue;
cependant comme il s’agit ici de la disposition la plus importante de la
loi, de celle qui détermine la durée du privilège des inventeurs et en fixe
le prix, nous croyons nécessaire de vous faire connaître les vœux que
plusieurs d’entre eux ont exprimés eux-mêmes ou qui ont été consignés
dans divers écrits. Les uns voudraient que ce qu’ils appellent la propri
été industrielle fût traitée à l’égal de la propriété littéraire , et que par
conséquent la durée du privilège fût fixée à toute la vie de l ’inventeur et
s’étendit même au delà. D’autres , se fondant sur ce que le privilège de
l’auteur est exempt de toute ta x e , demanderaient qu’il en fût de même
du privilège de l’inventeur ; un grand nombre eût voulu des taxes moin
dres , quelques-uns, des taxes graduées , payées par annuités et suivant
une progression croissante d’après le nombre d’années que l’inventeur eût
choisi pour la durée de son brevet dans la limite maximum de quinze
ans ; sans être astreint à adopter un des périodes quinquennaux ci-dessus
déterm iné.
La pensée industrielle et la pensée littéraire, dirons-nous aux premiers,
sont toutes deux sans doute le produit de l’intelligence ; mais sont-elles
au même degré l’apanage particulier de ceux qui les ont conçues, et leurs
auteurs doivent-ils dès lors être traités à l’égal l’un de l’autre ? L’indus
trie se compose de la masse des découvertes préexistantes ; aussi l’indus
trie profite-t-il bien plus pour ses inventions de toutes les connaissances
répandues avant lui dans les arts et m é tie rs, que le littérateur ne tire
parti des ouvrages existant daus les bibliothèques. Un mécanicien ordi
naire, de nos jours, en sait plus pour la perfection de son art que le plus
habile inventeur des siècles précédents. L’industrie, par un heureux p ri
vilège, non-seulement ne perd ja m a is, mais d’un pas tantôt plus lent,
tantôt plus rapide , elle avance incessamment. Le génie des auteurs est-il
également progressif? Notre siècle, sous ce rapport, dépasse-t-il celui de
Périclès, d’Auguste, de Louis XIV ? N’établissons donc point de compa
raison entre les applications diverses du génie de l’homme à des objets si
différents. N’est-il pas d ’ailleurs une circonstance q u i , en dehors de ce
parallèle, vient impérieusement exiger des règles différentes ? Les droits
accordés aux inventeurs par les brevets d’invention ne constituent-ils pas
à leur profit un temps d’arrêt pour l ’industrie ? N’est-il point expressé
ment défendu de faire usage du perfectionnement apporté à une invention
in — 21
�*
322
APPENDICE
privilégiée sans l’assentiment du breveté ? En est-il de même de l’homme
de lettres et du savant ? Les livres ne sont-ils pas faits avec des livres,et
chacun n ’est-il pas libre de s’inspirer des idées et du travail d’autrui?
Le plagiat seul ne constitue-t-il point la contrefaçon?
D’ailleurs , par un accord presque unanime , les nations si divisées et
si différentes sur la manière de traiter les hommes de lettres et les sa
vants , n ’ont-elles pas fixé toutes le privilège des inventeurs à quatorze
ou quinze années au plus ?
Ce n’est pas à to rt sans doute, dirons-nous maintenant aux adversai
res de la taxe, que ces divers gouvernements se sont accordés pour exi
ger une taxe pour les brevets. Est-il exorbitant de demander un droit
modéré, un droit qu’on pourrait à peine appeler rém unérateur, en com
pensation du privilège d’exploitation exclusive conféré aux brevetés par
la société ? non, sans doute. N’est-il pas im portant dans un système qui
admet la délivrance des brevets , sans l’examen préalable de l’utilité de
prétendues inventions, d’écarter au moins par l’obligation d’acquitter la
taxe , la plus grande partie de ces billevesées et de ces rêveries que l’on
présenterait chaque jo u r au bureau des brevets ? Le principe de la taxe
ne pouvait donc être sérieusement contesté. Sa quotité , telle qu’elle est
déterminée par le Gouvernement, nous a paru équitable ; si elle est lé
gèrement accrue pour les brevets de cinq et de dix a n s , elle reste pour
les brevets de quinze ans (ceux qui se rapportent en général aux indus
tries importantes) au taux fixé par le tarif joint à la loi du 25 mai 4 791 elle est même un peu moindre, et cependant combien le prix de l’argent
n’est-il pas diminué depuis cette époque , de combien les taxes de toute
autre nature ne sont-elles pas accrues.
La loi ne saurait dore être considérée comme marquée au coin de la
fiscalité. Loin de là. Si elle fait subir une augmentation de moins de
150 fr. aux brevets de cinq et de dix a n n é e s, elle crée des brevets pro
visoires de deux ans , qui ne seront passibles que d’un droit de 200 fr
Un grand nombre d’in v en teu rs, peu assurés des avantages de leurs dé.
couvertes,ne seront plus obligés, comme auparavant, de dépenser au delà
de 400 fr. pour pouvoir se livrer en toute sécurité à des essais , et ce
n’est qu’après avoir réussi, c’est-à-dire après avoir acquis les moyens de
solder le supplément du prix de leur brevet, q u ’ils auront à en verser le
m ontant, Us hésiteront moins alors à prendre des brevets de quinze an
nées. Ceux de cinq ans , aujourd’hui les plus nombreux, disparaîtront
presque complètement. Il peut n ’être pas hors de propos de rappeler ici
�APPENDICE
323
qu’une patente d’invention coûte , pour être exploitée pendant quatorze
ans dans l’Angleterre, l’Ecosse, l’Irlande , 7950 fr. non compris les frais
de requête qui s’élèvent de 250 à 500 fr. L’extension pour les colonies
ne coûte rien de plus si elle est faite d’une manière collective ; quand
elle n’est réclamée que plus tard, il faut payer une nouvelle taxe.
L ’introduction dans notre législation d’un brevet provisoire de deux
ans, qui permet aux inventeurs de faire toutes les expériences et tous les
essais utiles ; la crainte d’augmenter les écritures et de les compliquer ;
l’inconvénient qui résulterait d’une position moins nette et moins tran
chée pour les industries non brevetées, obligées de recourir sans cesse
aux actes de concession pour connaître exactement la durée des privilè
ges, nous ont fait rejeter le système tendant à substituer à nos brevets
de cinq, dix et quinze années , des brevets dont la durée eût été laissée
au choix des inventeurs, en donnant naissance à un droit annuel et pro
gressif, ainsi que cela est pratiqué en Autriche.
Le nombre des brevets est aujourd’hui sept fois plus considérable qu’il
n’était du temps de l’Empire. Il tend toujours à s’accroître. Il résulte du
tableau qui nous a été remis par l’administration , que le nombre des
brevets accordés s’est élevé , pendant les neuf premiers mois de 1842 , à
1085, dont 576 de cinq a n s , 315 de dix ans , 1 9 4 de quinze ans. Le
nombre des brevets d’addition a été de 524 pendant ces trois premiers
trim estres ; il n’avait été que de 274 pendant tout le cours de l’année
précédente.
Titre II.
Passons au titre II, qui traite des formalités relatives à la délivrance
des brevets. Quiconque veut obtenir u n brevet d’invention dépose sous
cachet, à la préfecture, sa demande au m inistre. Il jo in t à l’appui la des
cription de l ’invention , les dessins et les échantillons nécessaires pour
son intelligence. La demande, limitée à un seul objet, ne doit contenir ni
condition, ni restriction, ni réserve. Il résulte de là que toute demande
qui comprendrait plusieurs objets distincts devrait être rejetée par le mim istre. La description, d’après le projet, devrait être entièrement écrite
en français ; nous vous proposons de supprim er le m ot entièrement, qui
n ’ajoute rien au sens de la phrase et pourrait empêcher l ’emploi, souvent
nécessaire, de mots techniques empruntés aux autres langues. Un dupli
cata de la description et des dessins doit être jo in t à la requête ; nous
vous demandons d’exiger que cette requête renferme un titre contenant
la désignation sommaire et précise de l'invention.
�324
APPENDICE
En Angleterre, toute demande qui indique un titre inexact est par cela
même entachée de n u llité; nous n’adoptons pas cette règle sévère; nous
nous contentons d’autoriser le m inistre (nouvel art. 13 ) à modifier le
titre sous lequel le brevet aura été demandé , si ce titre ne rem plit pas
son objet, et après qu’il aura entendu le comité consultatif des arts et
manufactures, et prévenu l’inventeur.
Les descriptions jointes aux brevets ne doivent être publiées qu’à l’ex
piration du brevet provisoire ; pendant la durée de ce brevet, il importe
que les tiers soient instruits de l’existence des concessions de cette na
ture ; ils ne le seront dans les départements que par la promulgation qu’en
fera le Bulletin des lois (art. 17, disposition nouvelle). Il importe que
ce bulletin énonce, d’une manière sommaire et précise, l’objet de l’inven
tio n ; il im porte aussi que la rédaction du catalogue, existant au m inis
tère , ne puisse être l’objet d’aucune critique. Cette disposition nouvelle
rem plira ce double but.
Nous faisons à l’art. 8 un changement im portant. Le Gouvernement
propose de faire courir la durée d’un brevet de la date du dépôt des piè
ces à la préfecture. C’est là une innovation qui ne nous p araît pas suffi
samment justifiée. Il est plus équitable de continuer à se conformer à cet
égard aux dispositions du décret du 23 janvier 1807, et de ne faire cou
rir la durée du brevet que du jour où il est signé par le m inistre. L’in
venteur, en effet, ne doit, dans aucun cas, souffrir des re ta rd s , bien in
volontaires sans doute, que l’expédition de son brevet pourrait éprouver.
Votre commission ne peut du reste que rendre hommage à la prom ptitu
de avec laquelle les titres sont délivrés en ce moment au ministère. Le
réglement d’adm inistration publique devra renfermer des dispositions
pour que, conformément à l’art. 10, les parties n ’apportent, par leur faute
ou négligence, aucun retard à l’expédition des demandes dans l ’ordre de
leur réception.
La section 2 traite de la délivrance des brevets. Elle comprend les ar
ticles 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 du projet du G ouvernem ent, et s’étend
dans celui de la com m ission, depuis l’art. 9 jusqu’à l’art. 16 inclusive
ment.
L’article 11 détermine que les brevets, dont la demande aura été régu
lièrement formée , seront délivrés sans examen préalable aux risques et
périls des demandeurs, et sans garantie soit de la réalité, soit de la fidé
lité ou de l’exactitude de la description. Comme le Gouvernement, nous
voulons encourager la pensée industrielle dans son berceau ; nous ne
�appendice
325
voulons point entraver les arts, les soumettre à des vérifications souvent
trompeuses ; nous concevons qu’il soit impossible de juger à l’avance si
ce qu’on prétend nouveau n’est pas connu dans quelque manufacture iso
lée ; de prévoir le degré d’utilité que peut avoir une découverte lorsqu’elle
aura pris du développement. Nous excluons donc l’examen préalable en
ce qui concerne la nouveauté ou le mérite de l’invention , la fidélité ou
l’exactitude de la description , et nous laissons aux particuliers le soin
d’attaquer les brevets à cet égar.d, et d’en faire prononcer la nullité.
Nous pensons toutefois que le réglement d’administration publique de
vra reproduire la disposition de l’arrêté des consuls , du 5 vendémiaire
an xi, sollicité par le premier consul lui-même, et portant que, pour pré
venir l’abus que les brevetés pourraient faire de leurs titres , il sera in
séré au bas de chaque expédition la déclaration dont nous avons rapporté
le texte au commencement de ce rapport.
Ce mode de délivrance des b re v e ts, sans examen préalable de la nou
veauté et de l’utilité d’une invention , presque universellement accueilli
chez les nations industrielles, à l’exception de la Prusse, de la Belgique,
de la Hollande et de la Sardaigne, ainsi que nous l’avons déjà dit, n ’a pas
trouvé un seul contradicteur au sein de votre commission.
Mais nous avons pensé, en même tem ps, que le Gouvernement devait
avoir le droit et le devoir d’examiner , non-seulement comme le veut le
projet, si la demande est régulière et si elle n’embrasse pas plusieurs ob
jets distincts, mais encore si cette demande n ’est pas contraire aux lois.
La commission ne reviendra pas sur les observations étendues qu’elle a
faites à cet égard on discutant l’art. 3 ; elle ne peut que s’y référer. Elle
fera seulement rem arquer ici que la rédaction du premier paragraphe de
l’art. 11 , a été modifiée par elle dans le sens de ces observations. Les
autres modifications de détail, faites h ce même article, s’expliquent d’el
les-mêmes et n’exigent point de développements.
Nous avons donné les motifs du nouvel art. 12 en parlant de l’art. 6 :
nous n ’y reviendrons pas. La commission a complété l’art. 1g du projet
du Gouvernement, en fixant l’époque à partir de laquelle courra le délai
de trois mois accordé à l’inventeur , pour renouveler une demande irré
gulièrement formée, sans être tenu de payer une seconde fois la taxe.
Les nouveavx articles 14 et 13 , que nous aUtons l’honneur de vous
proposer, sont également la conséquence du système que nous avons ar
rêté pour l’art. 3 et développé à son occasion. Nous nous bornerons à
rappeler ici quelles précieuses garanties l’intervention du conseil d’Etat
�326
APPENDICE
et la réserve du droit des tiers établissent soit pour l’ordre publie , soit
pour l’unité de jurisprudence dans tout le royaume, unité que les efforts
de nos législateurs et de nos magistrats doivent toujours chercher à main
tenir.
Dans les deux années qui suivront la date du brevet provisoire , les
brevetés, alors bien fixés sur le mérite , l’utilité et les avantages de leur
découverte, déclareront le temps qu’ils prétendent assigner à la durée de
leur brevet définitif : tel est le but de l’art. 16, qui règle les formes à sui
vre dans ce cas ; si la découverte n ’a pas répondu à l’attente des inven
teurs , ils ne feront aucune diligence , leur invention tom bera de plein
droit à la fin de deux années dans le domaine public. Ils n ’auront eu alors à débourser pour ce privilège tem poraire et ce temps d’épreuve que
la nouvelle loi leur donne , qu’une somme de 200 fr. Nous avons déjà
fait rem arquer combien ce nouveau système était favorable aux inven
teurs, obligés, d’après la législation e x istan te, de prendre un brevet de
cinq, dix ou quinze années, avant d’avoir pu se livrer à l’examen pra
tique de leurs œuvres , avant d’en avoir connu les ré s u lta ts , et de faire
ce choix , avec la presque certitude de ne pas obtenir de brevets de pro
rogation uniquem ent réservés pour des circonstances graves et exception
nelles.
D’après le projet du Gouvernement (art. U ) , une ordonnance royale
devait proclamer, tous les trois mois, les brevets devenus définitifs.Nous
vous proposons de décider, dans l’intérêt des tiers exposés à devenir con
trefacteurs, sans en avoir été avertis en aucune manière (ainsi que nous
P a v o is déjà expliqué, à l’occasion de l ’art. 6), que le B ulletin des lois
com prendra aussi bien la proclamation des brevets provisoires que la
proclamation des brevets définitifs.
L’article 1S déten.oine que la durée des brevets définitifs ne pourra
être prolongée dans am "un cas. Ainsi, il ne sera plus loisible à l’adminis
tration d’accorder des p i orogations pour des brevets de cinq et dix an
nées. Nous avons cru néanm oins devoir ex p rim e r, ainsi que le faisait
l ’art. 8 de la loi du 7 janvier '1791 , pour les cas exceptionnels de pro
longation des brevets au delà t r 11 maximum de quinze années , que le
pouvoir souverain de la loi planb.'rait toujours au-dessus de la défense
contenue dans cet artiefé , et que le .Corps législatif pourrait y déroger
dans des circonstances et pour des cas extraordinaires.
La section 3 traite dqs certificats d’addition et des brevets d’invention
pour perfectionnements.
�APPENDICE
327
L’article 2 de la loi du 7 janvier 1791 porte : « Tout moyen d’ajou» ter à quelque fabrication que ce puisse être un nouveau genre de per» fection sera considéré comme une invention. »
La loi du 25 mai dit, article 8 : « Si quelque personne annonce un
moyen de perfection pour une invention déjà brevetée , elle obtiendra,
sur sa demande , un brevet pour l’exercice privatif dudit moyen de per
fection , sans qu’il lui soit permis , sous aucun prétexte , d’exécuter ou
de faire exécuter l’invention principale , et réciproquem ent, sans que
l’inventeur puisse faire exécuter par lui-même le nouveau moyen de per
fection.
» Ne seront point mis au rang des perfections industrielles les chan
gements de forme ou de proportion, non plus que les ornements de quel
que genre que ce puisse être. »
Les brevets de perfectionnements créés par ces dispositions des lois,
ont été souvent critiqués; à tort, suivant nous.
Un des organes les plus illustres des intérêts de l’industrie française,
M. Chaptal, les a vivement attaq u és1 ; suivant lui, on ne peut raisonna
blement assimiler le mérite des perfectionnements à celui de la décou
verte. « Il n’est peut-être, dit-il, aucun cas où l’artiste qui perfectionne
» puisse faire usage de son brevet ; car comment concevoir que le pér
il
»
»
»
»
»
»
»
»
fectionnement apporté à un procédé puisse s’exécuter sans q u ’on ait la
faculté d’exécuter le procédé lui-même ? Aussi les artistes qui perfectionnent un procédé déjà breveté prennent-ils un brevet d’invention
pour échapper à ce vice radical de la loi de 1791, cela donne lieu chaque jour à des procès interm inables. 11 est rare que l’auteur d’une découverte im portante jouisse paisiblement du résultat de ses recherches ; il consume sa fortune et ses jours dans les procès, et il a la douleur de voir passer en d’autres mains l’exploitation d’une industrie
qu’il a créée. Ce vice de la législation est inhérent à la nature même
»
»
»
»
des choses, car les tribunaux ont à prononcer si le perfectionnement
est une découvert^nouvelle ou une'sim ple modification de ce.lle des
brevets , si c’est un pur accessoire de la dernière ou un procédé nouveau, et dans beaucoup de cas il est bien difficile de motiver un juge-
» ment. »
L’auteur conclut de ces observations que les brevets de perfectionne-
i Voir son ouvrage sur l'Industrie Française.
�328
APPENDICE
ment devraient être supprimés. Quant à, n o u s , de ces paroles si impo
santes et du grand nombre de justes réclamations qui nous ont été sou
mises, nous concluons avec le Gouvernement que nous devons accorder
aux inventeurs une protection plus large et plus efficace , une protection
même absolue, complète et exclusive pendant un certain temps ; mais
nous ne voulons pas priver les tiers , agissant i c i , il faut bien le recon
n aître, dans l’intérêt de la société , du droit d’apporter à une invention,
pendant toute la durée du b re v e t, les diverses améliorations dont elle
est susceptible Un perfectionnem ent, lorsqu’il ne se borne pas à une
simple modification de forme, est une Véritable invention, et comme tel
a droit d’être breveté. Les changements de forme ou de proportions non
plus que les ornements, ne constituent pas des inventions, A moins tou
tefois que ces changements de forme ne produisent des effets nouveaux,
ainsi qu ’il peut arriver pour certains produits d’optique , la loi n’ayant
voulu breveter que les inventeurs. Les auteurs de ces changements qui
n’apportent rien de plus , rien de nouveau à la société , doivent-ils jouir
du privilège qui est réservé aux découvertes ? Non , sans doute. Cela a
paru si évident au G ouvernem ent, qu’il n ’a pas reproduit dans son pro
jet la disposition contenue dans le dernier paragraphe de l’art. 8 de la
loi du 25 mai. Votre commission , après avoir hésité quelque temps avant de se décider à ne pas la reprendre avec la modification ci-dessus
énoncée , y a renoncé par le même motif. Elle m’a chargé d ’en faire une
mention expresse dans le rapport,
Nous avons refondu dans les art. 49 et 20 de notre projet, l’a rt 23 du
projet du Gouvernement. Aux termes de l’art. 49, non-seulement le bre
veté , ses ayants droit ré u n is , mais encore ses ayants droit agissant sé
parément, mais stipulant alors au profit de tous, à cause du principe de
l’indivisibilité du b re v e t, auront droit d’apporter au brevet les change
ments, perfectionnements ou additions dont il paraîtrait susceptible.
L’article 20 déclare que nul autre que le breveté ou ses ayants droit
ne pourra , pendant la durée du brevet provisoiçp , obtenir valablement
un brevet de perfectionnement.
Par là les brevets de perfectionnement, dont M. Chaptal demandait la
suppression com plète, sont prohibés pendant les deux premières années
de la découverte. C’est une pensée généreuse qui a dicté cette disposition
au Gouvernement. Comme lui, votre commission a senti le besoin deve
n ir d’une manière efficace au secours des inventeurs. De peur d’être de
vancés ou trahis, ces hommes utiles se hâtent de mettre leurs découver-
�APPENDICE
329
tes sous la protection de la loi Lorsqu’ils les y placent, elles sont rare,
ment à l’état de perfection que la réflexion leur ferait atteindre. La mise
en œuvre ne fait-elle pas d'ailleurs apprécier seule les im perfections, les
inconvénients, et n’indique-t-elle pas en même temps les moyens d’y
obvier ?
Mais comment exécuter ou mettre en pratique une invention non b re
vetée? Peut-on, sans faire des confidences souvent nuisibles, se procurer
les capitaux nécessaires ? La prudence ne prescrit-elle pas de se tenir en
défiance des ouvriers que l’on pourrait employer ! D 'un autre côté, à
peine le secret est-il divulgué et le brevet d’invention pris , les malheu
reux inventeurs ne deviennent-ils pas la proie de spéculateurs toujours
à l’affût des améliorations dont leurs procédés sont susceptibles ? Ne
sont-ils pas obligés de compter avec eux et de leur acheter un perfec
tionnement qu’un peu de temps, de réflexion ou de pratique leur eût fait
découvrir ? Doit-on les laisser à leur merci et n ’avoir aucun égard aux
nom breux sacrifices de temps , de soins et d’argent qu’ils ont pu et dû
faire ?
En Angleterre, chacun peut faire enregistrer dans le bureau de l’attor
ney ou du sollicitor général,une demande connue sous le nom ieca v ea tf
dans laquelle il annonce une invention. Par cet acte il place sa découverte
sous la sauvegarde de la lo i, et requiert en même temps qu’on lui indi
que s’il a été déjà donné des patentes sur cet objet, et met opposition à
ce qu’on en délivre d’autres au préjudice de celle qu’il se propose de
prendre dans le délai d’une année. Ce délai,d’un an peut être prorogé.
S’il est présenté une demande analogue à celle qui est sommairement
décrite dans le caveat, les deux inventeurs expliquent leurs moyens au
juge qui décide s’il y a similitude dans les inventions. Si cette similitute
n’apparait pas aux yeux de l’attorney, le brevet est accordé
Nous pensons que le système du brevet provisoire, tel qu’il est défini
par le p ro je t, protégera d’une manière plus efficace les intérêts des in
venteurs, que ne pourraient le faire des dispositions empruntées au sys
tème des sauvegardes usitées en Angleterre. Outre les abus auxquels des
dispositions analogues pourraient donner naissance, elles auraient le
grave inconvénient de nécessiter l’examen préalable pour des questions
de nouveauté et de priorité : ce que l’ensemble du projet tend à éviter
1 Voir la note page 295.
�330
APPENDICE
Aux termes de l’art. 6 , une demande de brevet ne peut comprendre
plusieurs objets distincts ; il ne faut pas que plus tard , et sous prétexte
d’additions, on puisse violer cette règle et se soustraire ainsi à l’obliga
tion de prendre un nouveau brevet. La disposition que nous avons l’hon
neur de vous proposer dans l’art. 21 préviendra tout abus à cet égard,
et pourvoit à la lacune que le projet du Gouvernement présentait sur ce
point.
Si le breveté préfère prendre un brevet de perfectionnement de cinq,
dix ou quinze ans, plutôt qu’un certificat d’addition finissant avec le bre
vet principal, l’art. 22 lui en donne le droit. Il ne pourrait être plus mal
traité à cet égard que le reste des citoyens. Ce nouveau brevet n ’influera
en rien sur les droits du publ:c, sur l’invention, principale à l’expiration
du brevet prim itif. Cette disposition était certainement dans l’esprit de la
l o i , peut-être même pouvait-elle résulter de la combinaison de divers
paragraphes : nous l’avons placée pour plus de clarté dans le texte mê
me de l’article.
Nous ne proposons aucun changement à l’art. 19 du projet du Gou
vernement devenu le 23e du nôtre. Il est juste, en effet, que le proprié
taire d’un brevet de perfectionnement ne puisse exploiter l’invention déjà
brevetée sans l ’assentiment de celui auquel appartient l’invention prin
cipale, et réciproquement, et que celui-ci n ’ait aucun droit sur le brevet
obtenu pour une invention nouvelle se rattachant à l’objet de son bre
vet. Sans doute c’est une gêne réciproque,m ais cette gêne mutuelle amè
ne des concessions et des traités.
La section IV était intitulée de l'exploitation et de la cessation des
brevets.
Un seul article, vivement attaqué, constituait tout ce qui avait rap
port à l’exploitation dans cette section. Nous avons transporté les dispo
sitions de cet article, portant le n» 20 dans le projet du Gouvernement,
dans l’a rt 35 de celui de la com m ission, en leur faisant subir lés modi
fications dont elles nous ont paru susceptibles. De notre côté nous avons
ajouté au projet quelques règles relatives à la transmission des brevets
par d’autres voies que par celle de la cession. Ainsi se justifie le change
ment fait à la rubrique de cette section. Les dispositions qu’elle contient
sont très-sim ples. Le breveté peut céder son brevet en tout ou en partie
par acte notarié. Une disposition nouvelle explique ce qu’on doit entenpar cession partielle. Cette cession ne peut jamais avoir pour effet de di
viser la découverte décrite dans le brevet. Cette règle découle du principe
�APPENDICE
331
qui veut qu’un brevet ne puisse comprendre plusieurs objets à la fois et
que les additions se rattachent toujours d’une manière intime au brevet
principal.
Les cessions n ’ont d ’effet à l’égard des tiers qu’autant qu’elles sont en
registrées au secrétariat des préfectures.
L ’enregistrement de ces cessions et de tous autres actes emportant mu
tation a lieu sur la production authentique d’un ex trait de ces actes. Les
préfets transm ettent dans les qiiinze jours les procès-verbaux constatant
l’enregistrem ent au ministère du commerce , où les mutations interve
nues sur chaque brevet sont inscrites sur un registre tenu à cet effet.
Ces m utations sont ensuite proclamées dans la même forme que les bre
vets.
v
Ainsi que nous l’avons déjà expliqué , la disposition comprise dans
l’art. 23 du projet du Gouvernement a trouvé place dans les art. 19 et
20 de celui de la commission.
L’article 24 du projet du G ouvernem ent, devenu l’art. 23 du nôtre,
est divisé en deux paragraphes : le premier porte que les cessionnaires
d’un brevet et ceux qui auront acquis .d’un breveté une licence pour
l’exploitation de la découverte , profiteront de plein droit des certificats
d’addition ultérieurem ent délivrés. Nous adoptons cette disposition qui
découle du principe de l’indivisibilité du brevet et de ses accessoires.
Tout inventeur qui ne voudrait pas faire jouir les cessionnaires des
améliorations qu’il pourrait faire à son invention première, serait obligé
de prendre un second brevet et de payer de nouveau la taxe. Le deuxiè
me paragraphe de l’art. 24 portait q u ’à moins de conventions contraires
les acquéreurs d’objets brevetés auraient le droit d’appliquer ou de faire
appliquer à ces objets les changements, perfectionnements ou additions,
garantis par les certificats délivrés par le ministre.
Nous n ’avons pu adopter cette disposition.Eût-elle été marquée au coin
de l’équité et de la justice , ce qui peut être contesté ; elle présenterait
dans son exécution de telles difficultés, et pourrait donner lieu | tant
d’abus, que nous nous sommes déterminés à proposer la suppression en
tière du paragraphe en question.
En droit commun , c’est à celui qui achète un objet dont le débit est
privilégié, à faire ses conditions et ses réserves, et à déterminer, si cela
lui convient, avec son acheteur , qu’il jouira de là faculté de lui faire ajouter à l’objet vendu toutes le^ améliorations qu’il découvrirait par la
çuite» Le traité fait entre eux Stipulera les bases de cet arrangement et
�332
APPENDICE
le prix à solder. Mais la loi ne saurait prévoir pour tous les cas et pour
toutes les industries ce que des contrats privés peuvent seuls faire pour
quelques-unes d’entre elles ; elle ne peut d’avance fixer le prix qui de
vrait être payé par l’acheteur au vendeur pour ces additions à tant d’ob
jets de nature si différente. Elle peut encore moins stipuler ainsi que le
fait le paragraphe dont il s’agit, que des ouvriers étrangers à l’atelier du
breveté pourront ajouter aux choses achetées', les changem ents, perfec
tionnements ou additions garantis au breveté par la puissance publique.
C’en serait f a i t , dans ce cas , du droit privatif de celui-ci ; il serait
complètement méconnu , et bientôt des ateliers de contrefaçon s’élève
raient de toutes parts. L’unité d’atelier pour la confection des objets pri
vilégiés est la m eilleure garantie que puisse avoir u n inventeur. Autori
ser sans son assentiment d’autres ateliers que les sie n s, à. retoucher ces
produits et y faire des additions privilégiées , c’est lui ôter le plus pré
cieux de ses moyens de défense et de sauvegarde. N’est-il pas plus fa
cile, en effet, de découvrir un atelier de contrefaçon , que de prouver la
contrefaçon elle-même sur un objet saisi, quand on parvient à s’en em
parer ? Ne serait-il pas, à l’avenir, beaucoup plus em barrassant d’attein
dre ces ateliers et d’obtenir des condam nations, si les contrefacteurs
pouvaient alléguer pour leur défense q u ’ils n ’ont pas exécuté l’invention
p rin cip a le , mais seulement opéré des changements et des additions que
la loi les autorisait il appliquer, et que pour cela ils ont eu besoin de se
préparer, de s’outiller en conséquence ? Vous penserez , sans doute com
me nous, que la loi ne pouvait pas aggraver ainsi la position des inven
teurs, et q u ’il convient de laisser aux conventions particulières le soin
de faire des stipulations de la nature de celles que le projet prévoyait.
La section V, intitulée de la communication et de la publication des
brevets, contient une innovation importante.
L’article 28 prescrit la publication des descriptions des brevets dès
qu’ils sont devenus définitifs , ainsi que celles des inventions tombées
dans,le domaine public. C’est là une amélioration notable; aujourd’hui
cette publication n’a lieu qu’à l’expiration des privilèges ; aussi la publicieité des inventions brevetées est-elle restreinte à Paris. Elle existera à
l ’avenir pour tous les chefs-lieux de départements.
Les autres modifications proposées à cette section n ’exigent point de
commentaires.
�a p p e n d ic e
333
TItPe III.
Le titre III traite des d roits des étrangers. Ce chapitre établit un
principe de réciprocité tout à fait digne d’éloge; il tend à créer, en fa
veur des inventeurs, un droit international pour lequel nous sommes
assurés de toutes vos sympathies. Non - seulement l’étranger rési
dant en France pourra y obtenir un brevet, ce qui est conforme à notre
droit public largement interprété, puisque la faculté de faire le comm er
ce appartient au droit des gens , mais encore l’étranger , breveté ailleurs
qu’en France, pourra recevoir un brevet d’invention dans le royaume, si
la réciprocité est accordée aux Français par les lois du pays où il a été
breveté.
Le projet du Gouvernement restreignait cette faculté à l’étranger bre
veté par son propre pays ; cependant cet étranger peut avoir fait sa dé
couverte partout ailleurs que dans sa patrie , et s’y être fait breveter ; il
ne doit pas être exclu pour cela du bénéfice de cette disposition favora
ble, si le Gouvernement qui l’a breveté accorde la réciprocité à nos con
citoyens ; tel est le motif de la différence que vous remarquerez entre
l’art. 29 du projet qui vous a été présenté et l’art. 31 de celui de la
commission.
Les conditions pour qu’un brevet délivré à un étranger soit valable
seront les mêmes que celles qui sont exigées pour la validité du brevet
délivré à un regnicole ; il faudra donc qu’aux termes de l’art. 34 l ’in
vention soit nouvelle, c’est-à-dire q u ’elle n ’ait pas reçu, non-seulement
en France, mais même partout ailleurs, soit par la voie de l’impression,
soit de toute autre manière, une publicité suffisante pour pouvoir être
exécutée.
On ne doit point se dissimuler que cette règle exclura du bienfait de
la disposition les industriels, qui auront été brevetés dans des pays où,
comme en Russie , par exemple , les descriptions jointes aux demandes
de brevets sont publiés par la voie des journaux ou des recueils, immé
diatement après la concession , et q u e , dans tous les cas , les étrangers
n’aient besoin de faire grande diligence pour pouvoir en profiter.
Pour parer à cet inconvénient, il eût fallu accorder aux inventeurs un
délai pendant lequel ils auraient p u transporter leur industrie en Fran
ce, alors même que leu r découverte et leurs moyens eussent été publiés
à l’étranger; mais c’était déroger à leur p ro f it, à notre droit commun,
�I
334
A PPEN D IC E
anticiper sur le domaine public , et faire pour eux ce que nous refusons
aux regnicoles en ne délivrant plus de brevets d'im portation.
Nous croyons qu’un moment viendra où le Gouvernement vous pro
posera d’élargir la mesure qui se trouve dans l’art. 30, d’effacer le p rin
cipe de réciprocité qu’il y a posé, comme il l’a ôté depuis plus de vingt
ans de notre Code civil à l’égard du droit d’aubaine ; on vous demandera
un jour de substituer à cette règle de réciprocité , qui ne laissera pas
d'offrir des difficultés dans l’exécution , un principe plus large , plus gé
néreux encore, celui de l’assimilation complète de l’étranger au Français
en fait de brevet d’invention.
Déjà cette assimilation est proposée dans le p ro je t, à l’égard de l’é
tranger en France. Le pas à faire n’est pas bien considérable , quand il
s’agit de l’accorder à l’étranger qui n ’y réside pas sans doute , mais que
la loi oblige à fonder et à entretenir des établissem ents im portants sur
notre s o l, et à ne pouvoir vendre en France ( sous peine de nullité du
brevet) des objets fabriqués par lui-même ou par ses ayants droit à l’é
tranger.
Toutefois il n ’appartenait pas précisément à la commission de prendre
l’initiative sur cette matière ; elle a pensé que l’opportunité de cette me
sure pouvait être m ieux jugée par le Gouvernement que par elle-même ;
qu’il convenait de lui en laisser l ’appréciation et de lui perm ettre d’at
tendre les résultats et les leçons de l’expérience.
Titre IV.
Le titre IV, divisé en deux sections, est consacré : 1° aux nullités et
déchéances ; 2° aux actions ouvertes p o u r les faire prononcer.
Ce titre est un des plus im portants de la loi. A défaut d’examen p ré
alable, il forme la seule garantie du publie contre les usurpations de b re
vets.
Le brevet est usurpé lorsque l’invention manque de nouveauté ; car,
dans ce cas, le prétendu inventeur, loin d’enrichir la société d’une décou
verte, tend à enlever à l’industrie , à son profit particulier , une part du
domaine public qu’elle a droit d’exploiter ; tout le monde doit alors être
libre d’attaquer un brevet ainsi fondé sur une fausse cause; chacun , en
effet, n ’est-il pas intéressé à en faire prononcer la déchéance, quand il a
été accordé pour un produit dont on est en possession, ou pour un pro
cédé décrit o u déjà usité ?
Tout le monde ne doit-il point avoir aussi le même droit lorsque la
�APPENDICE
335
description jointe au brevet n’est pas suffisante pour l’exécution de l’in
vention, et n’indique pas d’une manière complète et loyale les véritables
moyens de l’inventeur?
N’importe-t-il pas, en effet, que la société , qui donne un privilège et
s’impose des sacrifices, reçoive, en échange de l’avantage qu’elle accorde,
quelque chose de sérieux et d’une exécution facile , lorsque l’invention
ou l’application brevetée tomberont dans le domaine public? Rien ne
doit être dissimulé; le mensonge et la fraude doivent retomber avec tou
tes leurs conséquences sur un inventeur de mauvaise foi.
Les tribunaux apprécieront les circonstances; nous nous contenterons
de dire en principe général , avec les lois allemandes , qu’il faut que ia
description des moyens et des procédés employés soit suffisante pour ren
dre l’exécution possible à, un simple ouvrier , s’il s’agit de choses de sa
compétence , ou a un homme de l’art, s’il s’agit d’objets qui l’excédent,
et ne doivent pas être faites habituellement par un manœuvre.
Le brevet sera encore nul s’il a été obtenu pour des perfectionnements
faits à une invention déjà brevetée pendant les deux ans de durée du
brevet provisoire, le droit de faire breveter des additions appartenant ex
clusivement, pendant ce temps d’épreuve créé par la loi, au premier in
venteur.
Le système que nous avons adopté dans les articles 44 et 45 de notre
projet, explique et motive la différence qui existe entre notre art. 33 et
l’art. 31 du projet du Gouvernement.
Des réclamations assez vives se sont élevées contre les dispositions de
l’art.34. Aux ternies de cet article, on ne doit pas réputer nouvelle toute
invention qui, en France ou à l’étranger, aurait reçu antérieurement à la
date du dépôt de la demande , soit par la voie de l’impression , soit de
toute autre manière, une publicité suffisante pour pouvoir être exécutée.
On a représenté qu’en Angleterre toute découverte non publiée ou non
pratiquée dans l’un des trois royaumes était considérée comme nouvelle;
que ce principe, loin de nuire à l’industrie de la Grande-Bretagne, avait
été pour elle la source de féconds résultats. Ne sera-t-il pas d’ailleurs bien
difficile pour un inventeur de s’assurer que son invention n’est point con
nue dans quelque coin du globe? Cela n’empêchera-t-il point les inven
teurs de prendre des brevets qui pourraient être ainsi frappés tout à coup
de nullité ou de déchéance?
L’adoption du système anglais ne tendrait à rien moins qu’à nous pla
cer, pour les brevets d’importation , non sous l’empire de la législation
�336
APPENDICE
actuelle , niais à nous faire réirogader jusqu’à celle que le décret du 18
août 1810 ' avait voulu créer ; en sorte qu’au lieu d’abolir, ainsi que nous
vous le proposons , les brevets d'importation pour des industries breve
tées à l’étranger , les seuls reconnus par les lois de 1791 , et usités au
jourd'hui, nous en accorderions pour tous les produits ou tous les pro
cédés non encore connus dans notre pays. À quoi serviraient alors les
voyages d’exploration de nos industriels, les missions de nos savants, de
nos ingénieurs, de nos marins, si le vaste domaine de l’industrie étran
gère ne devait être exploité chez nous qu’au profit de quelques individus
dont le mérite et le talent ne viendraient pas , le plus souvent, justifier
le déplorable privilège ? Les arts industriels étant beaucoup plus avancés
en Angleterre qu’ailleurs , on conçoit que l ’industrie de ce pays ait pu
prospérer avec une législation opposée en ce point à la nôtre ; mais n’en
serait-ce pas fait de notre richesse industrielle , si nous étions obligés
d’encourager par un monopole l’importation des procédés étrangers ? Les
moyens employés par les fabricants du dehors sont-ils donc si difficiles
à pénétrer et à connaître ? Nos industriels ne sont-ils pas intéressés à
soutenir la concurrence de leurs rivaux, à prendre les meilleurs modes
de fabrication, à les faire explorer par des hommes spéciaux et habiles !
Faut il aggraver le sort de nos produits sur nos propres marchés et sur
ceux du dehors, en les chargeant d’un droit au profit d’un monopole in
juste et sans motif ? Faut-il mettre-des entraves au développement de
notre prospérité, de notre richesse, de notre force 1 Ne vaut-il pas mieux
que les inventeurs éprouvent quelque embarras , peut-être même beau
coup de difficultés, pour rechercher si leurs inventions sont ou ne sont
pas publiées, connues ou pratiquées au dehors, plutôt que de charger en
France des chaînes du privilège une industrie librement pratiquée en
pays étranger, et de nous placer ainsi volontairement dans une position
inférieure à nos rivaux. Votre commission s’est refusée à toute modifi
cation à cet article ; elle s’est reposée avec confiance sur la sagesse des
tribunaux pour en faire l’application à chaque cas particulier.
L’article 33 du projet du Gouvernement, devenu le 35e du nôtre, con
tenait deux cas de déchéance : le premier, si l’invention n’était pas ex
ploitée dans le royaume d’une manière effective et continue,dans le délai
de deux ans, à dater de la formation de la demande, ou si l’exploitation
1 Ce décret n’a pas été inséré au B u l le ti n d es lo is .
�APPENDICE
337
en était interrompue pendant une année ; le second, si le breveté intro
duisait en France des objets fabriqués en pays étranger , et semblables
à ceux qui lui étaient garantis par son brevet.
Nous approuvons complètement cette dernière cause de déchéance. En
effet, Messieurs , ce que la loi accorde à un inventeur , ce n’est pas un
monopole de commerce proscrit par notre législation générale, un mono
pole industriel; dès lors faut-il que ce monopole s’exerce au profit de
notre industrie et de nos travailleurs ; et par conséquent sur le sol fran
çais. Quant à la première cause de déchéance, nous n’avons pas cru de
voir exiger d’une manière aussi incisive que le projet, que l’industrie
fût toujours exercée d’une manière continue, et nous avons pensé que
des circonstances de force majeure , que nous laissons à la sagesse des
tribunaux le soin de définir et d’apprécier suivant les circonstances, pou
vaient relever des deux cas de déchéances prévus dans le premier para
graphe.
L’action en nullité ou en déchéance est ouverte à, tout intéressé ; les
actions de cette nature doivent être portées devant les tribunaux civils,
oùellesseront jugées dans laforme prescrite pour les matières sommaires.
Cependant comme les jugements n’ont d’effet qu’entre les personnes
qui les ont obtenus, ou qui ont été parties au procès, il en résulte qu’un
brevet déclaré nul à l’égard de quelques personnes, ne continue pas moins
à rester debout et à pouvoir produire son effet pour le reste du public.
C’est là un inconvénient auquel l’art. 39 a pour but de parer. Nous vous
proposons de décider dans cet article que chaque fois qu’il aura été rendu
un jugement ou arrêt, prononçant la nullité ou la déchéance du brevet,
le garde des sceaux en sera instruit : celui-ci, après avoir consulté son
collègue le ministre du commerce , pourra prescrire au ministère public
de se pourvoir pour faire prononcer la nullité ou la déchéance absolue
du brevet.
Cette disposition nous paraît préférable à celle de l’art. 57 du projet du
Gouvernement, qui laissait à chacun des procureurs du roi près les tri
bunaux du royaume , le soin de se pourvoir , selon ses propres idées et
sa seule impulsion.
Le paragraphe 3 de l’art, 31 du projet du Gouvernement ayant disparu
de la rédaction de notre art. 33 , nous n’avions plus à nous en occuper
ici.
Vous remarquerez, Messieurs, qu’aux termes de l’art. 40, le ministère
public doit mettre en cause tous les ayants droit au brevet dont les titres
m — 22
�APPENDICE
ont été enregistrés au ministère du commerce ; il s’agit en eflet d’annuler
d’une manière complète et définitive le titre qui leur est commun. Si la
nullité est prononcée , le ministre du commerce en est informé sur-lechamp, et pour que le public en soit instruit, il la fait proclamer au
338
Bulletin des lois.
Titre V.
Le titre V.est consacré à la poursuite des contrefaçons et des peines.
Ce titre forme la sauvegarde des droits des inventeurs, comme le pré
cédent établit celle du public.
Pour qu’une poursuite contre des contrefacteurs soit efficace, il faut
sans doute que la justice soit éclairée,mais il est nécessaire aussi qu’elle
soit prompte et peu coûteuse, les objet contrefaits ayant souvent peu de
valeur. Les inventeurs ne rencontrant pas toujours ces conditions devant
les tribunaux civils où ils sont obligés d’avoir recours à des avoués et à
des avocats, n’usent presque jamais de la faculté qui leur est attribuée
par l’art. 3 du Code d’instruction criminelle , de poursuivre les délin
quants devant les tribunaux civils ; presque toujours ils portent plainte
au procureur du roi, quelquefois ils citent directement au tribunal de
police correctionnelle. La justice y est plus prompte et moins chère pour
eux ; d’ailleurs ces tribunaux sont dans l’habitude de juger sur des preu
ves testimoniales auxquelles on est fréquemment obligé de recourir en
matière de contrefaçon.
Très-souvent les prévenus cités devant ces tribunaux excipent du dé
faut de nouveauté de l’invention et se pourvoient^ en nullité de brevet.
On pourrait induire de l’exposé des motifs de la loi de 1838 que ces ex
ceptions devraient être portées devant le tribunal civil, mais, d’après la
jurisprudence, des cours royales, confirmée par un arrêt récent de la cour
de Cassation, le prévenu est admis à prouver devant le tribunal saisi de
l’action en contrefaçon , qu’il a employé l’invention antérieurement au
brevet, ou que d’autres en ont usé pareillement avant le brevet. L’article
4S du projet du Gouvernement changeait cette jurisprudence et renvoyait
le jugement des exceptions de nullité devant le tribunal civil. C’était un
grave inconvénient. Très-souvent les contrefacteurs ne dirigent cette ac
tion en nullité ou déchéance que pour gagner du temps et continuer leur
industrie illicite, si préjudiciable à l’inventeur, pendant le temps qu’exi
gent de longues procédures et la nécessité de parcourir les divers degrés
de juridiction. Cette coupable manœuvre ne doit point être encouragée,
�APPENDICE
339
et nous avons dû adopter des dispositions qui ne présentassent pis l’in
convénient,de donner à juger trois procès au lieu d’un, et permissentde
donner un cours beaucoup plus prompt à l’action de la justice. En vain
objecterait-on que lorsque des questions de propriété sont soulevées de
vant les tribunaux correctionnels, ces tribunaux doivent surseoir à sta
tuer et ne doivent point en connaître ; ordinairement ces exceptions ont
trait à la propriété foncière ou tout au moins à des droits de toute autre
nature que ceux résultant d’un brevet d’invention. Ce brevet ne consti
tue qu’un privilège temporaire ; les profits qui en résultent peuvent être
limités à un temps très-court; n’est-il pas d’un haut intérêt pour un in
venteur qu’un atelier de contrefaçon qui lui fait une injuste concurrence
soit promptement brisé? C’est pour atteindre ce but que nous avons in
troduit dans l’art. 47 la disposition qui autorise les tribunaux correc
tionnels . saisis d’une action en contrefaçon , à juger les exceptions qui
seraient tirées de la nullité ou de la déchéance des brevets, soit des ques
tions relatives à leur propriété.
A l’exception de cette disposition fondamentale, nous n’avons fait que
de légères modifications aux articles dont le titre ée compose.
A l’art. 42, pour établir d’une manière plus nette la distinction que le
projet de loi établit entre le fabricant et le débitant, nous avons fait dis
paraître de la rédaction le mot coupable, le fabricant étant toujours pré
sumé connaître le privilège du breveté , tandis que pour le débitant il
faut qu’il soit établi qu’il a agi sciemment.
Nous laissons subsister les mêmes pénalités : IQO fri à 2000 fr. d'a
mende contre le contrefacteur; 25 fr. à 500 fr. contre le débitant ; nous
adoptons la même durée pour l’emprisonnement en cas de récidive, pour
laquelle nous ne changens rien à la définition donnée dans le projet.
Nous maintenons l’application de l’art. 463 du Code pénal, et nous lais
sons subsister l’article qui la consacre, la loi et la jurisprudence n’ac
cordant en droit commun le bénéfice de cet article, qu’au cas d’emprison
nement et d’amende prononcés par le Code pénal ; nous admettons éga
lement qiie l’action correctionnelle ne puisse être exercée par le minis
tère public que sur la plainte de la partie lésée.
Il va sans dire que lorsque le procureur du roi intentera une action
en nullité ou en déchéance absolue du brevet conformément à l’art. 39,
cette action ne pourra être portée que devant le tribunal civil du domi
cile du breveté.
Aux termes de l’art. 48, les propriétaires du brevet pourront, en vertu
�340
APPENDICE
d’une ordonnance du président du tribunal, rendue sur la représentation
du brevet,faire procéder par huissier à la description avec ou sans saisie
des objets contrefaits. Nous y ajoutons qu’un expert sera nommé, en cas
de nécessité, pour aider l’huissier à faire la description.
En cas de saisie , il peut y avoir lieu à cautionnement. Ce cautionne
ment sera fixé par l’ordonnance du président et discuté, le cas échéant,
dans les formes ordinaires. Adéfaut par le requérant de se pourvoir dans
la huitaine, par la voie civile ou par la voie correctionnelle, la saisie ou
la description deviendra nulle ; des dommages-intérêts pourront en outre
être prononcés : nous vous proposons de les faire régler par le tribunal,
jugeant comme en matière sommaire.
Outre ces peines, la confiscation des objets contrefaits, et même au be
soin celle des ustensiles destinés d’une manière particulière à leur con
fection, sera prononcée. Ces objets seront alloués au breveté sans préju
dice de plus amples dommages-intérêts. Nous rendons au tribunal la fa
culté qu’il exerce aujourd’hui d’ordonner l’affiche de son jugement, con
formément aux lois de 1791.
Titre VI.
Le titre VI contenait les dispositions particulières, nous y avons ajouté quelques dispositions transitoires.
L’article 49, devenu le 51e, disait que des ordonnances royales portant
réglement d’administration publique, arrêteraient les dispositions néces
saires pour l’exécution de la présente loi, qui n’aurait d’effet que six mois
après sa promulgation.
Ce délai était considéré comme nécessaire d’après l’exposé des motifs,
pour la publication du réglement et l’envoi des instructions ministériel
les qui devront suivre la promulgation de la loi. Nous n’avons point
pensé qu’un délai aussi long fût indispensable pour cela, et nous n’avons
pas voulu priver d’avance, pendant six mois, les inventeurs et le public
du bénéfice du projet de loi.
Le Code forestier n’a été promulgué que deux mois après avoir reçu
la sanction royale et lorsque les réglements qui devaient le suivre ont
été préparés. Si cela est nécessaire, ne pourra-t-on pas ne promulguer la
loi actuelle qu’un peu de temps après sa sanction ? Nous avons remplacé
dans la rédaction de l’article les mots : ordonnances portant réglement
d ’administration publique, par ceux ordinairement usités d’ordonnan-
�APPENDICE
341
ces rendues dans la forme des réglements d‘administration publique.
Cette formule n’a pas été adoptée par un vain motif. Tous les régle
ments d’administration publique doivent être délibérés nécessairement
en assemblée générale du conseil d’Etat, et il n’en est pas de même des
autres ordonnances.
Sur la demande de M.le ministre de la marine, nous avons inséré dans
le projet (art. 53) une disposition qui autorise le Gouvernement à faire
régler l’application de la loi dans les colonies, par des ordonnances roy
ales.
Dans l’état actuel de la législation, cette délégation était nécessaire.
Nous adoptons, avec un changement de rédaction léger , mais néces
saire, un article portant abrogation de toutes les dispositions législatives
rendues jusqu’à ce jour en matière de brevets.
Enfin nous introduisons sous les numéros 54 et 55 deux articles tran
sitoires qui disposent, le premier, que les brevets d’invention, de perfec
tionnement et d’importation , accordés jusqu’à ce jour ou prorogés par
ordonnance royale, conservent leurs effets pendant tout le temps assigné
à leur durée. Cette disposition , en quelque sorte de droit commun , ne
saurait être contestée. Cet article contient un second paragraphe pour
autoriser le Gouvernement à user pendant six mois encore, après la pro.
mulgation de la loi, de la faculté que lui laisse la législation actuelle, de
proroger , dans des circonstances graves et tout à fait exceptionnelles,
jusqu’au maximum de quinze années , les brevets qui auraient pu être
pris pour cinq ou dix ans
Il nous a été représenté de toutes parts que la loi qui vous est sou
mise, améliorerait singulièrement le sort des inventeurs ; qu’en recon
naissant la nécessité d’un temps d’épreuve pendant lequel les brevetés
pourront déterminer, en connaissauce de cause , quelle devra être la du
rée de leur brevet, elle satisfait à un vœu depuis longtemps exprimé ;
mais que celte loi si favorable pour les inventeurs à venir était bien dure
pour les brevetés actuels.
Notre contrat, ont dit les pétitionnaires qui ont recouru à notre bien
veillance, s’est formé sous l’empire d’une législation qui permettait d’ob
tenir quelquefois des brevets de prorogation, jusqu’au maximum de
quinze années. Ces prorogations ne pourront plus avoir lieu à l’avenir,
le projet est formel à cet égard. Ne serait-il pas convenable, puisque nos
découvertes ne sont point encore tombées dans le domaine public , de
�342
APPENDICE
considérer nos brevets de cinq ans, à l’égal des brevets d’épreuve admis
par le projet, et de nous autoriser comme les titulaires des brevets pro
visoires , à les faire prolonger jusqu’à un terme qui ne peut excéder
quinze années ? Si on ne veut pas nous faire participer à cet avantage,
que le projet considère comme un acte de justice rigoureuse et tardive
envers les inventeurs , qu’au moins le Gouvernement ait la faculté de
proroger nos brevets, conformément à l’ancienne loi.
Nous ne pouvions, Messieurs, sans donner une sorte d’effet rétroactif à
la lo i, vous proposer d’accéder au premier vœu des pétitionnaires, mais
le second était conforme à la justice, conforme d’ailleurs à la disposition
du premier paragraphe de l’article que nous vous proposons.
Nous avons reconnu que , bien que le Gouvernement s’abstînt depuis
assez longtemps, d’accorder des prorogations de brevets, il n’avait pas
moins le droit de le faire; que l’art. 8 de la loi du 7 janvier 1791 , en
déclarant que les patentes ne pourraient être prolongées au delà de quinze
années, sans un décret du pouvoir législatif, avait implicitement accordé
au Gouvernement la faculté de les prolonger dans les autres cas ; que l’ar
ticle 8 de la loi du 25 mai même année n’avait été rendu que pour régler
le mode d’exécution de la première ; qu’enfin le Gouvernement avait dans
tous les temps et sous tous les régimes usé de cette faculté.
Le ministre est sans doute libre de ne pas en faire usage, les parties
ne peuvent se pourvoir au conseil d’Etat, contre le refus de prorogations.
C’est là une question réservée à la haute prudence et livrée au libre ar
bitre de MM. les ministres.
Toutefois, le législateur serait coupable si, à l’époque d’une transition
d’une législation moins favorable à un régime beaucoup meilleur , il ne
conservait pas dans des dispositions transitoires une faculté réservée au
Gouvernement par la loi ancienne, afin de lui donner le moyen de venir
au secours de l’industrie honnête,utile et malheureuse. Seulement, nous
restreignons à six mois le temps pendant lequel le Gouvernement pourra
l’exercer. Aidé des lumières du conseil supérieur de l’agriculture et du
commerce, au besoin même de celles de commissions spéciales, il n’au
rait pas à craindre que sa religion fût trompée. Nous n’avons pas perdu
de vue que l’exécution littérale de la condition de durée du brevet devait
être la règle , la prorogation un cas tout à fait exceptionnel. Notre
rédaction l’indique ; nous espérons que la Chambre voudra bien l’a
dopter.
�-1
APPENDICE
343
L’article 56 et dernier dispose que les procédures commencées avant
la promulgation de la loi seront mises à fin, conformément aux lois exis
tantes, et que les actions en nullité ou déchéance de brevets seront ju
gées conformément à la présente loi, bien qu’il s’agisse de brevets déli
vrés antérieurement.
Cet article n’a pas besoin d’explications.
La commission est arrivée à la fin de son importante tâche ; il ne lui
reste plus qu’à conclure en proposant à la Chambre l’adoption d’un pro
jet de loi utile, vivement attendu , et qui formera , avec le projet de loi
préparé pour régler les droits des inventeurs de dessins pour les fabri
ques , un véritable Code sur la propriété industrielle , si importante au
jourd’hui dans notre pays.
�APPENDICE
344
5.
EXPOSÉ DES MOTIFS
P résen té
le
4 T
avril
484fc3
A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Messieurs , nous avons l’honneur de vous présenter, par l’ordre du
Roi, le projet de loi sur les brevets d’invention qui vient d’être adopté
par la chambre des Pairs. Ce projet, résultat d’une longue expérience^
d’une étude approfondie, se recommande à toute la sollicitude de la'Cham
bre, par l’importance des intérêts qu’il embrasse et par l’influence que
ses dispositions peuvent exercer sur l’industrie nationale.
Le génie de l’invention n’a plus , il est vrai, comme à une autre épo
que , à ouvrir une lutte pour être admis à jouir du fruit de ses décou
vertes ; la loi a consacré son droit, et ce droit, qui prend son origine
dans l’exercice de la plus noble faculté de l’homme, est désormais à l’a
bri de toute atteinte
Mais la législation actuelle , généreuse et libérale dans ses principes,
protège mal l’invention industrielle, et la laisse en butte aux tracasse
ries de l’envie et aux empiétements de la cupidité.
^
Et d’autre part, improvisée, pour ainsi dire, au milieu de la tourmente
politique, elle a besoin de recevoir, dans ses dispositions réglementaires,
ce complément, qui ne saurait être que l’œuvre du temps, et sans lequel
il n’existe pas de bonne législation pratique
C’est pour faire droit à ces observations fondées, que, dès longtemps,
le Gouvernement avait confié à des hommes, non moins éminents par leur
�APPENDICE
345
savoir que par leur dévouement au bien public, l’honorable mission de
réviser l’ouvrage de l’Assemblée Nationale.1
Leurs travaux , soumis à l’examen des conseils généraux de l’agricul
ture, des manufactures et du commerce, revus par le conseil d’Etat, com
plétés enfin par une dernière étude, forment la base du projet qui vous
est soumis, et ce projet, nous vous le présentons avec d’autant plus de
confiance , qu’il vient de traverser , avec succès, dans une autre Cham
bre, l’épreuve d’une savante et profonde discussiôn.
Hâtons-nous donc d’aborder les points principaux de la loi qui vous
est proposée , et de faire ressortir ses différences avec la législation ac
tuelle sur la matière : l’économie entière du travail, son but, son esprit,
ses conséquences en ressortiront plus clairement.
Les arts , l’industrie et le commerce ont été , chez tous les peuples éclairés, l’objet de la vive sollicitude des gouvernements. Le premier, en
France, Charlemagne comprit, suivant l’expression du président Hénault,
que la véritable grandeur ne va jamais sans cela , et il encouragea
les lettres et les arts ; Philippe-Auguste protégea la liberté des marchands;
saint Louis essaya de régler la police des métiers ; Charles VII réprima
les privilèges excessifs qui avaient été accordés à quelques manufactures;
Louis XI encouragea la plantation des mûriers , fonda les relais de pos
tes , comprit les avantages de l’uniformité des poids et mesures, et favo
risa l’établissement de l’imprimerie, ce moyen puissant de civilisation,
qui, en rendant impérissable le trésor des connaissances humaines , a
donné véritablement l’immortalité au génie. Enfin François Ier créa la
manufacture do Lyon, et Henri IV, protecteur de l’agriculture, celles des
tapisseries, des glaces,; etc.
Mais ce n’est réellement que du règne de Louis XIV que date le déve
loppement des arts , du commerce et de l’industrie en France. En peu
d’années, dit Chaptal, on vit ce que peut un grand roi, secondé par un
grand ministre..
« On attira dans le royaume les savants les plus célèbres et les manu-
1 Cette commission, instituée le 13 octobre 1858, par M. le comte de Saint-Cricq,
alors m inistre du commerce et des manufactures , était composée d'abord de MM.
Girod de l’Ain . président; comte Alex. Delaborde , baron Thénard , Molàrd aîné,
Ternaux, Boignet, lo chevalier de Saint-Cricq, Ch. Renouard, Th.Regnault, Cochaud
e t Guillard de Senainville, secrétaire: — le 19 octobre 1835, MM. Gay-Lussac, Quénault, E. Vincens et Azévédo y furent adjoints.
�346
APPENDICE
»
»
»
»
»
»
»
»
facturiers les plus habiles: Van-Robais , pour la draperie fine ; Ilindret, pour la bonneterie; Huyghens, pour les mathématiques; Winslow, pour l’anatomie ; Cassini, pour l’astronomie ; Roëmer, pour la
physique. Les primes et les encouragements furent prodigués à l’industrie et au commerce ; les franchises des ports furent étendues et
organisées, et, vers la fin du xvne siècle, la France partageait le commerce du monde et rivalisait d’industrie avec lès nations les plus flolissantes.
» ........... En moins de vingt années, la France égala l’Espagne et la
» Hollande, pour la belle draperie ; le Brabant, pour les dentelles ; l’Ita» lie , pour les soieries ; Venise , pour les glaces ; l’Angleterre , pour la
» bonneterie ; l’Allemagne , pour le fer-blanc et les armes blanches; la
» Hollande, pour les toiles.1 »
Malheureusement, quand le génie de Colbert cessa d’animer cette gran
de organisation dont il était l’âme , les réglements qui , dans ses mains,
avaient été un moyen puissant de progrès et de prospérité, devinrent, après lui, une chaîne pesante pour l’industrie..
Colbert lui-même l’avait prévu, lorsque, dans son testament politique,
il écrivait : « Quand V. M. supprimerait tous les réglements faits ju s
qu ici, à cet égard, elle n’en ferait p as plus mal. »
Un siècle après , le mémorable édit qui sera toujours cité dans l’his
toire de l’industrie en France , déclarait : bizarres, tyranniques, con
traires à ïhu m an ité, .......... les statuts des corporations , ces codes obs
curs , rédiges p a r l'av id ité, adoptés sans examen , et auxquels il n ’a
m anqué , pour être l’objet de l'indignation publique , que d’être con
nus .2
1 De l ’i n d u s t r i e fr a n ç a i s e , par M. le comte Chaptal, 1 .1, D is c o u r s p r é li m i n a ir e ,
pag. 40 et 41.
J Edit de février 1776, enregistré au Parlement le 12 mars suivant. On lit co qui
suit dans le préambule :
« Louis, etc... . C’est sans doute, l’appât de ces moyens de finances qui a prolongé
l'illusion sur le préjudice immense que l’existence des communautés cause à l’indhstrie, et sur l’atteinte qu’elle porte au droit naturel.
•> Cette illusion a été portée chez quelques personnes jusqu’au point d’avancer que
le droit de travailler é tait un droit royal que le prince pouvait vendre et que les su
jets devaient acheter.
» Nous nous hâtons dé rejeter une pareille maxime.
» Dieu, en donnant à l’homme des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource
du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme; et cette propriété
es t la prem ière, la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes.
�APPENDICE
347
C'est qu’en effet ces réglements n’étaient plus, depuis longtemps, qu’un
moyen de finances , et l’appât de ce moyen avait prolongé l’illusion sur
le préjudice immense que causait à l’industrie l’existence des commu
nautés : illusion , disait le même arrêt, qui a été portée, chez quelques
personnes, jusqu’au point d’avancer que le droit de travailler était un
droit royal que le prince pouvait vendre, et que les sujets devaient acheter.
Aussi, lorsqu’en 1794, après la commotion violente qui n’avait laissé
debout aucune des parties de l’édifice social, l’Assemblée constituante
eut à relever, une à une, les institutions nécessaires au gouvernement
d’une grande nation ; elle ne put hésiter un seul moment.
Devant elle se présentaient deux systèmes entièrement opposés : l’un
qui venait de périr et qui se montrait, non pas tel que, du xvie au iv n e
siècle, il avait fait la grandeur et la prospérité de la France , et que re
commandait encore le génie de Colbert, mais arbitraire, oppressif, décrié,
par l’abus des moyens et succombant sous le poids de la réprobation pu
blique; l’autre, qjii avait pour lui la tentative généreuse de TurgoU, les
principes de la philosophie moderne, dont ce ministre était le représen
tant au pouvoir, et le cri de la raison publique
Dans ce débat, la cause de la liberté prévalut : au gouvernement arbi
traire succéda l’exercice libre des droits; au régime préventif, celui de
la répression. Un économiste avait dit : « La plus grande des maximes
» et la plus connue , c’est que le commerce no demande que liberté et
» protection ; mais dans l’alternative , entre la liberté et la protection,
» il serait bien moins nuisible d’ôter la protection que la liberté.2 »
La loi de 1791 proclama la liberté et organisa la protection : révolu
tion immense qui consacrait la liberté de la parole et, des cultes, en mê
me temps que la liberté-de la presse et de l’industrie.
» Nous regardons comme un des premiers devoirs de notre justice et comme un
des actes les plus dignes de notre bienfaisance, d’affranchir nos sujets de toutes ces
atteintes portées à ce droit inaltérable de l’humanité. Nous voulons,en conséquence,
abroger ces institutions arbitraires q u i.. . . . r e t a r d e n t le s p r o g r è s d es a r t s p a r le s
d iffic u lté s m u ltip lié e s q u e r e n c o n t r e n t le s in v e n t e u r s , a u x q u e l s les d iffé r e n te s
c o m m u n a u té s d i s p u t e n t le d r o i t d ’e x é c u te r le s d é c o u v e r te s q u 'e lle s n ’o n t p a s f a i
te s ........... »
1
L’édit de 1776.
* Melon, E s s a i p o l i t i q u e s u r le co m m e rce , chap. xi, pag. 716; C o lle c tiq n d es éco
n o m is te s , 1843, tom. 1.
%
�348
A PPEN D IC E
Telle est encore la base de notre droit industriel, et spécialement de
celui qui régit les brevets d’invention.
Un savant jurisconsulte1, dont les travaux, ont répandu une vive lu
mière sur la n a tu re , l’origine et les droits de la propriété industrielle,
écrivait en 1825 : « Par le tra v a il, l’homme peut devenir le propre a r
tisan de sa fortune. La Providence , en lui donnant le besoin des choses
m atérielles, lui a donné aussi la liberté. Le tra v a il, suite et effet de la
liberté, est la source la plus abondante et la plus pure de la pro
priété............. »
Ajoutons que si, dans le libre exercice des facultés de l’homme, il est
une œuvre qui mérite au plus haut degré la qualité et les droits du tra
vail , c’est le produit de l ’intelligence ; c ’est cette noble fonction du gé
nie , qui va sans cesse versant dans la civilisation des trésors dont la
source est inépuisable, et dont la dispensation est un bienfait de la Pro
vidence.
Avant 1791, les inventions industrielles ne conféraient aucun droit à
leur au teur; leur exploitation pouvait seulement devenir l’objet d’un
privilège exclusif dont la durée, fixée par l’acte même qui l’octroyait, ne
dépassait pas quinze années. La déclaration du 24 décembre 1762 avait
réglé les conditions générales de ces concessions q u i , la plupart du
temps, frappées d’impuissance par les réglements des communautés, re s
taient comme une lettre morte, entre les mains des inventeurs, si même
elles ne devenaient souvent pour eux une cause de ruine.
Nous n’en citerons qu’un seul exemple ; c’est celui de Nicolas Briot,
qui est rapporté par Leblanc, dans son T raité historique des monnaies.
« Combien d’obstacles, dit-il, ne fit-on pas contre la machine du balan» cier dont on se sert aujourd’h u i , lorsqu’on l’a voulu établir ! Non»
»
»
»
»
seulement les ouvriers qui fabriquaient la monnaie au m arteau, mais
même la cour des M onnaies, n ’oublièrent rien pour la faire rejeter.
Tout ce que la cabale et la malice peuvent inventer fut mis en usage
pour faire échouer les desseins de Nicolas B r io t, tailleur général des
monnaies, le plus habile homme de son art qui fût alors en Europe.
» ............... La cabale de ses ennemis p ré v a lu t, et sa proposition fut
» rejetée Le chagrin qu’il eut de trouver si peu de protection en France,
' Ch. Renouard, T r a ité d e s b r e v e ts d 'i n v e n t i o n , pag. 22; Paris, 1825
�APPENDICE
»
r
»
»
349
pour une chose que nous admirons aujourd’hui, l’obligea de passer en
A ngleterre, où l’on ne manqua pas de se servir utilement de ses
machines et de faire, par son moyen , les plus belles monnaies du
monde.
» La France serait peut-être encore privée de cette merveilleuse in» vention, sans M. le chancelier Séguier. Ce grande homme, la gloire de
» son siècle, passant par-dessus toutes les chicanes que les ouvriers de
» la Monnaie avaient faites contre B rio t, et n ’ayant aucune considéra» tion pour les arrêts qu’ils avaient obtenus contre l u i , en fit donner
» d’autres , lorsqu’on voulut fabriquer les louis d ’or , qui y étaient en» tièrement contraires , et qui établirent en France l’usage de ces ma
in chines.1 »
La loi du 7 janvier 4791 et celle du 25 mai su iv a n t, q u i, avec quel
ques actes postérieurs , forment encore aujourd’hui le Code des brevets
d’invention, consacrèrent, au contraire, le droit des inventeurs à la pro
priété de leurs découvertes, e t , répudiant toute censure préalable , éta
blirent en principe :
Que toute découverte ou invention dans tous les genres d’industrie
serait la propriété de son auteur (loi du 7 janvier 4791, art. 1) ;
Que cette propriété serait tem poraire ; que la loi en garantirait la
pleine et entière jouissance et q u ’elle serait constatée par des patentes
expédiées sous la dénomination de brevets d ’invention ( loi du 25 mai
4794, art. 4 et 8) ;
Que les titres seraient délivrés, sans examen préalable, aux risques et
périls des demandeurs , et sans garantie de la priorité, du mérite ou du
succès de l’invention (arrêté du 5 vendémiaire an ix) ;
Que tout brevet obtenu pour un objet reconnu contraire aux lois du
royaume , à la sûreté publique ou aux réglements de police , serait an
nulé par les tribunaux , sans préjudice de toutes autres poursuites ( loi
du 25 mai 1794, art 9) ;
Que les brevets seraient encore annulés par les tribunaux, dans le cas
où la découverte ne serait pas nouvelle, et dans celui où l’inventeur au
rait célé ses véritables moyens (loi du 17 janvier 1791, a rt 46) ;
1 Le Blanc, T r a i t é h is to r iq u e d e s m o n n a ie s , Paris, in-4«, 1G90.
�350
APPENDICE
Le temps a donné sa sanction aux principes sur lesquels repose la loi
de 4 791, et ces principes sont encore ceux dont nous v e n o n s, après un '
intervalle de plus de cinquante années , vous demander la consécration
nouvelle
T itr e
D is p o s itio n s
I er.
g é n é ra le s .
Le titre Ier du projet proclame lé droit des inventeurs à la jouissance
entière et exclusive de leurs découvertes pendant un temps limité ; il
détermine les objets susceptibles d’être brevetés, et ceux qui ne peuvent
pas l’être valablement ; il maintient' la durée des brevets à cinq, dix ou
quinze années , et ré ta b lit, dans la quotité de la taxe , l’égalité propor
tionnelle à cette durée.
Procédant d’une manière différente en apparence , la loi. du 7 janvier
1791 déclare , dans son article 1er, que toute nouvelle découverte est la
propriété de son auteur , et immédiatement a p r è s , elle ajoute : qu’afin
d’assurer à l’inventeur la propriété et la jouissance temporaire de sa
découverte , il lui sera délivré une patente pour cinq , dix ou quinze
années.
Mais ces deux dispositions im pliquent une contradiction manifeste ;
la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière
la plus absolue, droit perpétuel dont nul ne peut être dépouillé sans une
juste et préalable indemnité.
Il y a deux ans à peine , cette grave question de la propriété des œu
vres du génie s’agitait dans cette enceinte , et de cette lutte rem arquable
par le talent et l’éloquence des o ra te u rs, ressortait pour tous les esprits
une distinction manifeste entre les conceptions immatérielles et les pro
ductions commerciales de l’intelligence ; entre l ’idée et l’application ; en
tre la pensée, manne céleste, que Dieu donne et ne vend p a s 1, pour que
l’homme à son tour ne puisse la vendre à ses sem blables, et la création
matérielle, traduction, substantiation, si on peut le dire , de la pensée :
entre le génie de la matière enfin, et la m atière du génie.
D’upe p art on disait :
1 M. de Lamartine, séance du 23 mars 1841.
�APPEND ICE
351
« La pensée mise au jour, livrée au monde, appartient su monde : le
» domaine des idées est un domaine commun ; il nous appartient à tous,
» comme l’atmospère où nous puisons la vie , que chacun aspire et que
» chacun renvoie aux successives aspirations de tous les êtres vivants
» et des générations qui doivent suivre
» Une pensée ne peut devenir le patrimoine héréditaire d’un homme,
» parce que cet homme jamais n’èn est l’unique créateur ; les idées sont
» filles des idées, elles sont engendrées les unes par les autres.
» Quand le moment d’une découverte est venu, il semble que le monde
» en soit plein ; l’air en est chargé ; il faut que l’éclair s’allume et éclate
» en un point.
» Il est de ces époques providentielles où les grands faits humanitai»
»
»
»
»
res doivent s'accomplir, où l ’on voit tout-à-coup la découverte de l’Amérique, le doublement du Cap, l’imprimerie , la réforme. A qui tout
cela? A tout le monde. L’hum anité creuse pendant des siècles, un homme donne le dernier coup de sonde, et la vérité ja illit; mais elle n ’est
point à lui, elle est à tous ceux qui ont travaillé.1 »
Et d’un autre côté, ceux-là même auxquels la religion du génie inspi
rait le plus de munificence dans leur rém unération, n’allaient pas jusqu’à
réclamer pour ses œuvres la propriété absolue, perpétuelle.
« Constituerons -nous , disait la Commission dont M. Lamartine était
» l’éloquent rapporteur , constituerons-nous la propriété des œuvres de
» l’intelligence à perpétuité ou pour un temps seulement ? Nous nous
» sommes posé cette question et nous dirons pourquoi nous étions une
» commission- de législateurs et non une académie de philosophes. Com» me philosophes , rem ontant à la m étaphysique de cette question , et
» re tro u v a n t, sans doute , dans la nature et dans les droits naturels du
» travail intellectuel, des titres aussi évidents, aussi saints et aussi iru» prescriptibles que ceux du travail des m ains, nous aurions été amenés,
» peut-être , à proclamer théoriquem ent la perpétuité de possession des
» fruits de ce travail. Comme législateurs, notre mission était autre :
» nous n ’avons pas voulu la dépasser. Le législateur proclame rarement
» des principes absolus, surtout quand ce sont des vérités nouvelles ; il
» proclame des applications relatives , pratiques et proportionnées aux
1 M. Lestiboudois, séance du 22 mars 1841.
�352
APPEND ICE
» idées reçues, aux mœurs et aux habitudes du temps et des choses dont
» il écrit le Code.
» La propriété des grandes œuvres de l’esprit est le patrim oire de la
» société avant d’être le domaine privé et utile d’une famille quelcon» que. Que veut la société ? Ne pas dépouiller, mais j o u i r . . . . 1 »
Heureusement, Messieurs, et perm ettez-nous de répéter ici ce que nous
disions à une autre Chambre, nous n’avions pas à vous déférer une ques
tion de pure métaphysique, et nous ne pouvions oublier que les sociétés
qui s’éclairent et s’améliorent par les discussions philosophiques, ne se
gouvernent point par des principes absolus , et vivent de la réalité des
faits.
Bornons-nous donc à constater ce qui existe et ce qui existe sans con
testation depuis 1791. L’inventeur ne peut exploiter sa découverte sans
la société ; la société ne peut en jouir sans la volonté de l’inventeur. La
loi, arbitre souverain, intervient ; elle garantit à l’un une jouissance ex
clusive, temporaire ; à l’autre une jouissance différée, mais perpétuelle.
Cette solution, transaction nécessaire entre les principes et les intérêts,
constitue le droit actuel des inventeurs ; e t , droit naturel ou droit con
cédé , propriété ou privilège , indem nité ou rém unération , ce résultat a
été regardé universellement comme le réglement le plus équitable des
droits respectifs ; la raison publique l’a accepté, et il est devenu, dans
cetie matière, la base de la législation chez tous les peuples.
Ces considérations nous ont porté à modifier la définition des droits de
l’inventeur , donnée par l’art. 1 de la loi du 7 janvier 1791 ; mais cette
modification, dans la forme , n ’enlève rien en réalité au juste tribut que
la société est heureuse de payer au génie de l ’inventeur.
Examinons maintenant les autres dispositions du même titre.
La législation actuelle n ’avait défini qu’incomplétement ce qui peut
être la matière du brevet : la loi du 7 janvier 1791 déclare que c’est toute
découverte dans tous les genres d'industrie, et tout moyen d'ajouter à
quelque fabrication que ce puisse être un nouveau genre deperfection
(art. 1er). La loi du 25 mai de la même année explique que les brevets
peuvent être accordés pour tous objets d’industrie jusqu’alors incon
nus (art. 1er) ; et ajoute que l’on ne doit pas m ettre au rang des perfec-
1 Rapport de la Commission sur le projet de loi relatif aux droits des auteurs,
séance du 13 mars 1841.
�353
APPEN D IC E
tions industrielles , les changements de formes ou de p ro portions, non
plus que les ornem en ts, de quelque genre que ce puisse être ( titre n ,
art. 8). Enfin, la loi du 20 septembre 1792 déclare qu’il ne peut être ac
cordé de brevet qu’aux auteurs de découvertes ou inventions dans tous
les genres d’industrie, seulement relatifs aux arts et métiers, et qu’il ne
peut en être obtenu pour des établissements de finances.
La rédaction proposée pour l’art. 2 embrasse dans la généralité de ses
termes toutes les fo rm e s, sous lesquelles l ’invention peut se manifester.
Elle comprend non-seulement les produits nouveaux ou Xapplication
nouvelle de moyens connus , à l’aide desquels il est possible d’obtenir,
soit un produit, soit un résultat industriel quelconque ; tel qu’une force
motrice , l’inexplosibilité d’un ap p a re il, la solidité ou le brillant d’une
teinture, etc.
Par la rédaction primitive de cet article , nous avions entendu com
prendre , sous le terme générique de produit industriel , non-seulement
les produits proprement dits, mais encore les effets ou résultats de toute
nature qui peuvent être obtenus dans l’industrie. L’addition du mot ré
sultat, dans la disposition qui nous occupe, rend cette intention plus ma
nifeste , et le Gouvernement s’est empressé d’adhérer à cet amendement.
Après avoir défini, dans la loi, ce qui est susceptible d’être breveté, il
n’était peut-être pas rigoureusement nécessaire de déterminer ce qui ne
peut pas donner lieu à un brevet valable ; mais nous avons pensé que, si
une'pareille déclaration est superflue pour les jurisconsultes et pour les
tribunaux, elle constitue certainement un avertissement utile pour la gé
néralité des industriels, qui, ayant peu de temps à donner à l’étude des
lois, ont surtout besoin de codes qui parlent clairement à l’intelligence.
Les objets non susceptibles d’être valablement brevetés sont : 10 les
plans et combinaisons de firiânces ; 2° lés principes, inventions, métho
des et généralement toutes découvertes ou conceptions purement scienti
fiques ou théoriques.
La première interdiction, comme on l’a v u , a été prononcée par la loi
du 20 septembre 1792 ; la seconde résulte de la nature même des choses
qui ne permet pas d’attribuer à un individu la possession et l’exploita
tion privative de la pensée.
La jurisprudence a consacré cette interprétation ; mais il était d’au
tant plus nécessaire de l’écrire dans la loi, que l’application en a été con
testée, notamment à l’occasion de plusieurs méthodes d’enseignement, et
de l’emploi de l’air chaud dans la métallurgie.
in
—
23
�354
APPENDICE
A ces interdictions, la chambre des Pairs a cru devoir en ajouter un»
autre : celle des préparations pharm aceutiques et remèdes spécifiques.
Vous le savez, Messieurs, aux termes de la loi du 21 germinal an xi,
les pharmaciens ne peuvent livrer et débiter de préparations médicinales
qne sur la prescription du médecin , et nul ne peut vendre de remèdes
secrets. Le décret du 25 prairial an x n i, rendu sur l’avis du conseil d’E
tat, statua depuis, que la défense de débiter des remèdes secrets ne con
cernait pas les préparations et remèdes qui avaient été approuvés dans
les formes légales, avant ladite lo i,et que les auteurs et propriétaires de
ces remèdes pourraient les vendre par eux-mêmes. Mais le décret du 18
août 1810, rapportant ces dernières dispositions, prescrivit (art. 7) que
tout individu qui aurait découvert un remède et voudrait qu’il en fût fait
usage , serait tenu de le rem ettre au ministre de l’intérieur qui le ferait
examiner par une commission , et sur le rapport favorable de cette der
nière , l’achèterait au nom du G ouvernem ent, pour en faire jouir la so
ciété. Le même décret ajoute : que nulle permission de débit ne sera ac
cordée à l’avenir aux auteurs d’aucun remède , lesquels seront tenus dé
se conformer aux dispositions qui précèdent.
»
»
»
»
»
»
« Nous avons reconnu, disait le préambule de ce décret, que si ces remèdes sont utiles au soulagement des maladies, notre sollicitude constante pour le bien de nos sujets doit nous porter à en répandre la
connaissance et l’emploi, en achetant des inventeurs la recette de leur
composition ; que c’est pour les possesseurs de tels secrets un devoir
de se prêter à leur publication , et que leur empressement doit être
d’autant plus grand, qu’ils ont plus de confiance dans leur découverte.
■»
»
»
»
» En conséquence,voulant d’un côté propager les lumières et augmenter les moyens utiles à l’art de guérir, et, de l’autre empêcher le charlatanisme d’im poser un trib u t à la crédulité, ou d’occasionner des accidents funestes, en débitant des drogues sans vertu ou des substances
inconnues , et dont on p e u t, par ce m o tif, faire un emploi nuisible à
d
la santé ou dangereux pour la vie de nos sujets, nous avons, e tc .. . . »
Les dispositions du décret précité continuent d'être exécutées, et lors
que l’inventeur ou le propriétaire d’un remède secret en invoque le bé
néfice, sa demande est transm ise , avec la recette et l’échantillon du re
mède ou de la préparation pharmaceutique, à l’Académie royale de mé
decine qui, aux termes de l ’art. 2 de l’ordonnance royale du 20 décembre
1820, a été substituée à la commission prévue par l ’art. 3 du décret de
1810. Le ministre statue ensuite sur le rapport de l’Académie , e t , sui-
�APPENDICE
355
vant les conclusions de ce rapport, prescrit les mesures nécessaires, soit
pour l’achat de la préparation, soit pour la répression du débit que pour
rait en faire l’inventeur , contrairement aux dispositions de la loi du 21
germinal an xi, et du décret de 1810.
La partie d’adm inistration chargée, au ministère de l’agriculture et du
commerce, de l’instruction des demandes relatives aux remèdes secrets,
est tout à fait distincte de celle qui s’occupe de la délivrance des brevets
d’invention. *
Lorsque pour satisfaire à un autre besoin, l’inventeur d ’un remède se
cret veut provisoirement faire constater par un titre son droit de prio
rité , et m ettre la propriété de sa découverte à l’abri des inconvénients
qui pourraient résulter de la divulgation de son se c re t, il se pourvoit
pour obtenir un brevet d’invention , et ce brevet expédié sans examen
préalable, lui est délivré à ses risques et périls et en l’avertissant que,
si sa préparation rentre dans la catégorie des remèdes spécifiés dans la
loi du 21 germinal an xi et le décret du 18 août 1810 , le brevet ne lu i
donnerait pas le droit de la débiter contrairem ent à la défense portée
par ces actes.
Du reste, ainsi que l ’a jugé la cour de cassation , dans un arrêt du 19
novembre 1840, la délivrance du brevet, complètement distincte de l’in
struction administrative qui précède l ’achat des remèdes secrets, n ’équi
vaut pas à l’accomplissement des formalités prescrites par le décret de
1810 ; a tte n d u , comme l ’exprime l ’arrêt précité , que cette délivrance a
lieu sur la simple demande de celui qui se prétend inventeur, sans ga
rantie aucune, de la réalité ou de l'utilité de l’invention , aux risques
et périls de celui qui obtient le brevet-, principe qui ne fait point obs
tacle aux progrès de la science , puisqu’il laisse une entière liberté à
l’emploi sur ordonnance et à la discussion de tout remède nouveau.
Quoi qu’il en s o i t , le Gouvernement n ’a pas cru devoir combattre en
principe , l’amendement de la commission de la chambre des Pairs , qui
tendait à exclure les préparations pharm aceutiques des objets breveta
bles, si l ’on peut s’exprim er ainsi, parce q u e, en présence des réclama
tions nom breuses que soulèvent les manœuvres coupables du charlata
nisme, il était convenable de donner cette satisfaction à la morale publi
que, que blesse sans cesse le scandale de ces manœuvres.
Mais la commission de la chambre des Pairs, en proposant de déclarerdans la loi que les préparations pharm aceutiques ne seraient plus bre
vetées , entendait que le ministre de l’agriculture et du commerce sou-
�356
APPEN D IC E
m ettrait les demandes à u n examen préalable , et refuserait les brevets
réclamés pour les objets qui seraient reconnus présenter le caractère de
préparation pharmaceutique. Le recours au conseil d’Etat était ouvert
aux parties contre la décision du Ministre.
Ce système constituait une innovation dans l’économie de la l o i , et
entraînait le renversement complet des principes q u i , depuis cinquante
ans, régissent la matière.
Le Gouvernement, disposé à admettre l’exclusion, ne pouvait accepter
l’examen préalable, et la Chambre a partagé ses convictions, en rejetant
l’examen, après avoir voté l’exclusion.
L’adoption de cet amendement ne porte donc aucune atteinte au sys
tème actuel de la législation , et le résultat de son application sera de
faire repousser, sans examen, les demandes qui seraient présentées dans
les termes mêmes de la prohibition. B ie n tô t, d’ailleurs , une loi spé
ciale , destinée à régler la police de la pharmacie , viendra fortifier les
garanties que la société réclame dans l’intérêt de la santé et de la morale
publiques.
L ’art. 4 reproduit, quant à la durée des brevets, la disposition de la
loi de 1791 ; la limite extrême de quinze années est celle qui avait été
déjà fixée par la déclaration du 24 décembre 4762 , pour les privilèges
d’invention. Toutes les législations étrangères l’ont adoptée , et même
celle de l’Angleterre et des Etats-unis n ’accordent que quatorze années,
et celle de la Russie n ’en concède que dix.
Par le même article, la quotité de la taxe a été fixée uniformément à
4 0 0 fr. par année , en supprim ant tous les frais accessoires q u i , précé
demment, en augmentaient indirectement le chiffre.
Les dispositions relatives à la durée des brevets et à la quotité de la
taxe, ont donné lieu, en dehors des C ham bres, à quelques observations
qui ont été discutées avec talent dans le rapport présenté à la chambre
des Pairs par sa commission. Nous ne reproduirons pas les considéra
tions développées dans ce ra p p o rt, et qui ont fait partager à la chambre
les convictions du Gouvernemént sur la convenance de la durée et sur la
modération de la taxe, proposées par le projet de loi.
�APPENDICE
357
Titre II.
D e s fo rm a lité s re la tiv e s à la d é liv ra n c e d es b re v e ts .
Les dispositions des art. 5, 6, 7 et 8 de la première section sont ré
glementaires ; elles consacrent ce que la pratique a fait établir , et au
moyen des doubles pièces qui seront fournies par les demandeurs , l’ex
pédition des brevets, qui aujourd’hui a lieu dans le délai d’un mois,
s’effectuera dans la moitié de ce délai.
La chambre des Pairs a introduit dans cette section u n amendement
consistant à exiger que le demandeur joigne à sa description , un titre
indiquant la nature et l’objet de la découverte par une désignation som
maire et précise, afin qu’on ne puisse pas dissimuler, sous une énoncia
tion mensongère , le véritable objet du brevet et le soustraire ainsi à
l’attention soit des personnes qui auraient intérêt à le consulter, soit du .
ministère public, chargé de défendre les intérêts de la société.
Les art. 9 à 16 (deuxième section) règlent les formalités relatives à
l’ouverture , à l’enregistrement et à l’expédition des demandes au m inis
tère de l’agriculture et du commerce. Les dispositions de ces articles
garantissent les intérêts des inventeurs, et déterminent la forme dans la
quelle seront délivrés et publiés les brevets d’invention.
Dans cette section se rencontrent deux dispositions im portantes, dont
l’une même peut être considérée comme dominant toute l’économie de la
loi ; on comprend qu’il s’agit de la question de l’examen préalable.
L’art. 11 statue que les b re v e ts , dont la demande aura été régulière
ment formée , seront délivrés , sans examen préalable , avx risques et
périls des demandeurs, et sans garantie , soit de la réalité , de la nou
veauté ou du mérite de l'invention,soit de la fi délité ou de l’exactitude
de la description.
Avant 1791 , on l’a vu , il y avait concession arbitraire des privilèges
d’invention ; il y avait, en outre, système préventif d’examen préalable.
L’Assemblée constituante a substitué à ce régim e, le système répres
sif, qui consiste à délivrer le brevet, sur la demande de l’inventeur, sans
exam en, à ses risques et périls , en lui laissant le soin d’en défendre la
validité devant les tribunaux , si elle est contestée , et sans préjudice de
toutes poursuites pour les infractions dont il se rendrait coupable par
l’exploitation de sa découverte.
�A PPEN D IC E
358
Ce système n ’est pas, vous le savez, Messieurs, particulier aux brevets
d’invention ; il forme la base de notre législation générale pour toutes
les manifestations de la pensée, dans ses différentes formes.
L ’examen préalable constituerait donc , i c i , une véritable dérogation
au droit commun.
Lorsqu’après le vote de la loi du 7 janvier 1791 , l’Assemblée consti
tuante eut à en régler l’exécution par celle du 25 mai suivant, quelques
objections s’élevèrent contre cette loi, dont on accusait la dangereuse fa
cilité. M. de Boufflers répondit :
« Où sont donc ces dangers ? Est-ce que, demande-t-on, les plus gran» des inepties seraient admises sans exam en?
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
» Oui, mais elles seraient rejetées sans scrupule , e t alors elles tourneraient au détrim ent de leur auteur. Mais, dira-t-on, pourquoi jamais
de contradicteur ? Mais , dirai-je à mon tour , pourquoi toujours des
contradictions ? Le contradicteur que vous demandez est absolument
contraire à l’esprit de la loi ; l’esprit de la loi est d’abandonner l ’homme à son propre examen , et de ne point appeler le jugement d’autrui
sur ce qui pourrait bien être impossible à juger. Souvent, ce qui est
inventé est seulement conçu et n ’est pas encore né : laissez-le n a ître ;
laissez-le paraître, et puis vous le jugerez. Vous voulez un contradicteur ; je vous en offre deux , dont l’un est plus éclairé que vous ne
pensez, et l’autre est infaillible : l’intérêt et l’expérience.
» Me demandez-vous ce qui prouve que cet homme dit la vérité ? Je
» vous réponds que la loi le présume et qu’elle attend qu'on lui prouve
» le contraire.1»
En l’an v i , les principes sur lesquels reposait la législation de 1791
furent remis en question :
»
»
»
»
»
« Rien n ’est plus mal conçu, disait Eudes au conseil des Cinq-Cents,
que le système de faire délivrer le brevet à l’ouverture de la dépêche
et sur le simple exposé de celui qui se prétend inventeur ; il peut en
résulter une très-grande distribution de brevets illégitimes, également
nuisibles au commerce et aux droits de ceux qui en ont justem ent : il
est donc essentiel que la concession n ’en soit faite qu’à la suite d’an
1 De Boufflers, réponse aux objections élevées contre la loi du 7 janvier 1791, im
primée par ordre de l’Assemblée Nationale,
i
�APPEND ICE
359
» m ûr examen , et avec une très-grande connaissance de cause ; la saine
» raison le veut, et l’intérêt des véritables inventeurs l’exige.1 »
Six mois à peine s’étaient écoulés que le même rapporteur venait dé
clarer « que le rapport qu’il avait fait précédemment ne devait être
» considéré que comme un essai sur cette m a tiè re , qui n ’avait pas été
» traitée depuis l’Assemblée constituante ; » et, après avoir successive
ment réfuté toutes les objections q u ’il avait présentées lui-même , il ajoutait :
« S’attacher à ce que l’artiste qui aura mis en œuvre une idée à la» quelle il attribue plus ou moins de mérite, ne soit ni contrarié, ni en» travé, lorsqu’il voudra la m ettre au jo u r , c’est là que se trouve la vé» ritable clé d’une bonne législation en 'cette matière. Le brevet d’in» vention qu’il demande , n ’est autre chose qu’un acte qui constate sa
» déclaration que l’idée qu’il se propose d’utiliser est à lu i seul. Qu’elle
» soit bonne ou mauvaise, q u ’elle soit neuve ou ancienne, le point prin»
»
»
»
»
»
»
»
cjpal est de ne point l’étouffer dans sa naissance et d’attendre , pour
la juger , qu’elle ait reçu tous ses développements : il est juste qu’il
en recueille les prémices, s’il dit vrai ; et, s’il dit faux, elle sera bientô t réclamée par ceux qui l ’auront employée avant lui. Au premier
cas, l’acte qu’on lui accorde lui est indispensable, puisque , sans lui,
il n ’aurait pas de titre pour agir contre ceux qui voudraient la lui dérober ; dans le second, il lui sera absolument in u tile , car il ne l’empêchera pas d’être déchu du droit privatif qu’il aurait, sans fondement,
» essayé d’acquérir.
» Les arts ne prospèrent pas dans les entraves : ils exigent pour leur
» accroissement une liberté pleine et entière ; il faut la leur garantir
» par des lois tutélaires. Gardons-nous donc de soumettre leurs produc» tions à des formes tracassières, et surtout à des vérifications qui pour» raient devenir très-souvent fallacieuses. Il y a peu d ’inconvénient à ce
» que le charlatan se rende lui-même la dupe de son ineptie ou de sa
» mauvaise foi ; mais il y en aurait beaucoup si le véritable inventeur
» se voyait sans cesse exposé à être supplanté par l’intrigue et la collu» sion.
» S’il existait encore quelque incertitude dans les esprits, il suffirait
» pour la bannir de citer l’expérience acquise à cet égard en Angleterre,
i Eudes, rapport au conseil des Cinq-Cents, 14 pluviôse an ri.
�360
APPENDICE
» où, depuis près d’un siècle, les brevets d’invention se délivrent sur le
» simple exposé de ceux qui les requièrent, sans que cet usage, malgré
» son ancienneté , soit dégénéré en abus ; c ’est même à lui que ce pays
» doit en grande partie l’état florissant de ses fabriques et manufactu» res.> »
Ce rapport fit tomber complètement les réclamations qui s’étaient pro
duites, et l’attaque dont la loi de 1791 avait été l’o b je t, ne servit qu’à
faire ressortir l ’excellence du principe sur lequel elle repose et à le for
tifier même par une nouvelle et profonde discussion.
La loi, depuis cette époque, a été exécutée avec une facilité qui,m ieux
que tous les raisonnements, peut servir à prouver la supériorité,en cette
matière, du système de la répression sur le régime préventif, et, nous ne
craignons pas de le répéter , avec ce sy stèm e, l’exécution de la loi est
prompte, facile, régulière ; le rôle du Gouvernement se réduit à une con
statation administrative ; aux tribunaux reste la tâche difficile , il est
vrai, mais conforme aux attributions du pouvoir judiciaire, de juger les
contestations relatives à la propriété des brevets.
Le système de la délivrance des brevets, sans examen préalable, laisse
d’ailleurs peser sur le breveté la responsabilité de toutes ses erreurs. Si
sa découverte n ’est pas nouvelle, si l ’objet n ’en est pas licite, si sa des
cription est inexacte, incomplète ou infidèle; en un m o t, si la demande
renferme des causes de nullité ou de déchéance, l’administration, qui n ’a
fait que donner acte au breveté de ses propres déclarations, lui laisse le
soin de les défendre et n ’en accepte pas la solidarité. P ar là , tous les
pouvoirs restent indépendants et libres, chacun dans sa sphère.
C’est donc avec une profonde conviction et avec toute l’autorité que
donne une expérience d’un demi-siècle , que le Gouvernement a m ain
tenu dans la loi le principe du non-examen préalable.
L a seconde disposition , qui mérite d’être particulièrem ent signalée,
est celle de l ’art. 14, portant q u e , dans les deux années qui suivront la
date du b re v e t, les brevetés déclareront au secrétariat de la préfecture,
qui aura reçu le dépôt de la demande , la durée définitive qu’ils enten
dent asssigner a leur brevet dans la limite des périodes indiquées par
l ’art. 4. Cette disposition améliore considérablement la position des in-
i Eudes, deuxième rapportait conseil des Cinq-Cents, 12 fructidor an vi.
�A PPEN D IC E
361
venteurs. On sait que , généralement pressés de m ettre leur découverte
sous la sauve-garde du brevet, ils n’attendent pas que le temps ait mûri
leur conception , et comme souvent un intervalle immense sépare l’idée
première de son applicat'on pratique , il arrive fréquemment qu’ils re
connaissent la futilité de leur prétendue découverte , après le paiement
complet de la taxe ; au moyen du temps d’épreuve qui leur sera ainsi
accordé, ils pourront se mieux fixer sur le mérite de leur invention et
choisir , en plus parfaite connaissance de cause , la durée à assigner à
leur brevet.
.D’après l’art. 12, les demandes de brevets présentant des irrégularités
substantielles, seront considérées comme nulles et non avenues ; il en
sera de même lorsque , contrairement à l ’art! 3 , un brevet aura été de
mandé soit pour une composition pharmaceutique , soit pour une con
ception purement théorique et sans application matérielle . soit pour un
plan ou combinaison de crédit ou de finances : dans ces deux cas, la taxe
sera restituée ; dans le premier , c’est-à-dire dans le cas d’irrégularité,
elle restera acquise au Trésor ; mais il en sera tenu compte au deman
deur, s’il reproduit sa demande dans un délai de trois mois.
La section n i traite des certificats d’addition. Le breveté ou ses ayants
droit continueront d’avoir le droit d’apporter à l’invention , pendant la
durée du brevet, tous changements, additions ou perfectionnements, les
quels seront constatés par de simples certificats d'addition délivrés dans
la forme du brevet primitif, et expirant avec ce brevet.
A cette disposition, qui appartient à la législation actuelle , le projet
de loi ajoute (art. 18) une disposition nouvelle po rtan t que le breveté
seul, ou ses ayants droit pourront, pendant la durée du brevet, obtenir
valablement un brevet pour un changem ent, perfectionnement ou addi
tion à l’objet du brevet. Cette innovation, plus efficace que le c a v e a t1
anglais , avec lequel elle n ’a d’ailleurs qu’une analogie éloigné , a pour
b u t de perm ettre à l’inventeur de se livrer à des essais et de mettre sa
découverte à l’épreuve, sans crainte de se voir enlever le fru it de ses tra
vaux et de ses sacrifices.
La chambre des Pairs a donné une pleine adhésion à cette améliora
tion im portante ; et qu ’il nous soit encore permis de citer ici les termes
du rapport de sa commission :
1 Voir la note page 295.
�362
APPENDICE
« C’est une pensée généreuse, a-t-elle dit, qui a dicté cette disposition
» au Gouvernement. Comme l u i , votre commission a senti le besoin de
» venir, d’une manière efficace, au secours des inventeurs.
» ...........Nous pensons que le système du brevet provisoire, tel qu’il
» est défini par le projet, protégera d’une manière plus efficace les inté» rêts des inventeurs , que ne pourraient le faire des dispositions em» pruntées au système des sauvegardes usitées en Angleterre. »'
Les art. 19 et 2(bsont la reproduction des art. 7 et 8 de la loi du 25
mai 1791.
La section îv est relative à la transmission et à la cession des brevets.
L’art. 21 reproduit, en les complétant par la production et le dépôt
d’un extrait authentique de l’acte de cession, les dispositions des art. 14
de la loi du 7 janvier 1791, et 15, titre n , de celle du 25 mai de la mê
me année. Les taxes de l’enregistrement adm inistratif des actes de ces
sion étaient ensemble de 30 fr., le projet de loi les réduit à 20 fr.
L’art. 22 , consacrant une mesure adoptée depuis longtemps , prescrit
la tenue, au ministère de l’agriculture et du commerce, d’un registre des
tiné à l’inscription'des mutations et cessions de brevets intervenues.
L ’art. 23 fait jouir les cessionnaires du brevet, et ceux qui auront ob
tenu de lui une licence pour l’exploitation de sa découverte, du bénéfice
des certificats d’addition qui lu i auraient été ultérieurement délivrés , et
l’on préviendra ainsi l’abus que le breveté pourrait faire de la faculté
que la loi lui réserve de perfectionner son invention.
La section v règle les formalités relatives à la communication et à la
publication des descriptions et dessins de brevets.
.Dans l’état actuel, et en vertu de l ’art. 11 de la loi du 7 janvier pré
citée , tous les brevets , descriptions et modèles sont communiqués au
public , à toute réquisition , au ministère de l’agriculture et du com
merce.
Cette disposition est maintenue, mais seulement pour les brevets pro
visoires. On avait demandé, dans l’intérêt des brevetés, que les descrip
tions relatives à ces brevets fussent tenues complètement secrètes ; mais
jl est à considérer que la communication en est nécessaire, d’abord pour
que les inventeurs puissent toujours, avant de prendre un b re v e t, véri
fier si leur découverte n ’est pas déjà l’objet d’un brevét délivré , e t , en
second lieu, parce que toute poursuite en contrefaçon serait impossible,
si le contrefacteur pouvait invoquer légitimement son ignorance.
;
�363
APPENDICE
Les descriptions et dessins des brevets provisoires, tombés dans le do
maine public, et des brevets définitifs, seront publiés immédiatement, et
cette mesure , en faisant connaître dans tous les départements . les dé
couvertes brevetées qui n’y sont actuellement annoncées que par le ca
talogue annuel, donnera de l’essor à l’industrie, tandis que la faculté de
consulter les descriptions ne profite actuellement qu’aux industriels de la
capitale. Les brevetés n’y perdront rien en réalité , et l’industrie géné
rale y gagnera. La chambre des Pairs a considéré avec raison ce chan
gement comme une amélioration notable.
Titre III.
D e s d ro its d es é tr a n g e r s .
L’art. 27 porte que les étrangers pourront obtenir en France des bre
vets d’invention. Cette disposition est conforme à notre droit public, qui
permet aux étrangers, sans aucune restriction , l’exercice du commerce
et de l’industrie en France.
Le projet primitif, en consacrant, conformément au vœu général, la
suppression des brevets d’importation, avait admis une exception en fa
veur des étrangers auxquels il accordait la possibilité de faire reconnaî
tre leur brevet en France, en y remplissant les formalités prescrites par
la loi. Nous avions cru qu’il convenait de donner ainsi l’exemple du res
pect du droit des inventeurs , sans distinction de nationalité , en posant
dans la loi le principe d’un droit public international pour la garantie
réciproque des œuvres du génie industriel chez tous les peuples.
La commission de la chambre des Pairs avait pensé , avec nous , que
c’était lfi un principe utile à proclamer. La Chambre a cru répondre dans
une juste mesure au vœu du Gouvernement et de sa commission , en
supprimant, dans l ’art. 27, l’obligation de résidence qui était imposée
aux étrangers comme condition de l’obtention d’un brevet.
\
>
�364
APPENDICE
Titre IV.
D e s n u llité s e t d é c h é a n c e s e t d es a c tio n s y re la tiv e s .
SECiroN i™. — Des nullités et déchéances.
Avec le système de non-examen préalable , les causes de nullité des
brevets doivent être définies avec soin : la garantie de la société, en ef
fet, repose tout entière sur le droit réservé au ministère public et aux
particuliers de contester la validité du brevet.
La première condition de toute invention ou découverte est la nou
veauté ; car la nouveauté seule peut conférer un droit au breveté , et il
est évident que , s’il n’apporte rien à la société , la société n’a rien à lui
garantir : lom de l à , son titre ne ferait que consacrer une usurpation
sur le domaine public.
Il y a également nullité : 4« si la description, jointe au brevet, n’est
pas suffisante pour l’exécution de l’invention , ou si elle n’indique pas
d’une manière complète et loyale les véritables moyens de l’inventeur ;
2° Si le brevet a été pris contrairement aux dispositions de l’art. 18.
qui réserve au breveté ou à ses ayants cause le droit d’apporter des per
fectionnements à l’objet du brevet provisoire ;
Et 3° si des certificats ont été obtenus pour des perfectionnements
qui ne se rattacheraient pas au brevet principal.
Ces différentes nullités peuvent être , en quelque sorte , considérées
comme d’intérêt privé , bien qu’elles se rattachent à l’intérêt général de
l’industrie; mais il en est d’autres qui sont tout à fait d’ordre public :
par exemple, si, à l’aide d’un faux litre ou autrement, on a demandé et
obtenu un brevet pour une découverte relative à une préparation phar
maceutique , ou à une combinaison de finances , ou à une pure théorie
sans application matérielle , ou pour une découverte , invention ou ap
plication contraire à la sûreté publique ou aux lois du royaume.
Les nullités relatives au défaut de nouveauté ou à l’insuffisance de la
description étaient prévues par l’art. 4 6 de la loi du 7 janvier 4791 ; les
autres nullités d’intérêt, privé sont la conséquence des dispositions rela
tives au brevet provisoire ou au certificat d’addition.
Les nullités d’ordre public étaient établies par l’art. 9 , titre n , de la
loi du 25 mai.
�A P P E N D IC E
365
L’art. 30 explique qu’on ne doit pas réputer nouvelle toute découverte
qui, antérieurement à la date du dépôt, aura reçu , soit en France , soit
à l’étranger , une publicité suffisante pour pouvoir être exécutée. La gé
néralité de ces termes embrasse tous les modes de publicité , soit que
cette publicité résulte de l’usage qui aurait été fait de l’invention , soit
qu’elle provienne de la publication des procédés, ou de tout autre mode.
Aux cas de nullités qui viennent d’être spécifiées , la loi ajoute deux
causes de déchéance : la première, contre le breveté qui n’a pas mis en
exploitation sa découverte dans un délai de deux ans, ou qui a cessé de
l’exploiter pendant une année ; la seconde, contre l’inventeur qui intro
duit en France des objets fabriqués à l’étranger , et semblables à ceux
pour lesquels il est breveté.
L’exploitation réelle et effective de la découverte est la condition obli
gatoire du brevet ; il ne faut pas qu’à l’aide d’un semblable titre on puis
se, dans un cas donné, empêcher en France l’exercice d’une industrie ou
la construction d’appareils dont l’exploitation aurait lieu à l’étranger.
L’art. 16 de la loi du 7 janvier 1791 imposait aux brevetés l’obligation
d’exploiter ; nous avons cru qu’il était convenable de la maintenir.
Quant à l’interdiction pour le breveté de tirer de l’étranger des pro
duits semblables à ceux dont il a le monopole, elle est également fondée
sur l’intérêt du pays, qui veut qu’en échange du monopole qui lui est
conféré , le breveté fasse profiter le travail national de la main-d’œuvre
résultant de l’exploitation de son industrie. S’il en était autrement, le
brevet délivré à l’inventeur ne serait qu’une prime accordée à l’industrie
étrangère.
S ection n . — Des actions en nullité et en déchéance.
Les lois des 7 janvier et 25 mai 1791, en déterminant les différentes
causes de nullité ou de déchéance applicables aux brevets d’invention,
n’ont indiqué ni la juridiction qui doit en connaître , ni les personnes
qui peuvent exercer les actions qui en résultent.
De ce silence , on a conclu avec raison que les actions en nullité ou
en déchéance appartiennent à toute personne intéressée , et qu’elles doi
vent être portées devant les tribunaux civils ordinaires ; mais il conve
nait que cet état de chose fût consacré par une disposition expresse ;
aussi, la loi du 25 mai 1838, art. 20 , a-t-elle déclaré formellement que
�366
APPENDICE
les actions concernant les brevets d'invention seraient portées, s'il s'a
gissait de nullité ou de déchéance, devant les tribunaux civils depre
mière instance.
L’art. 32 du projet reproduit cette disposition , mais il est plus com
plet, en ce qu’il s’explique sur les personnes à qui appartiendront les
actions en nullité ou en déchéance, et sur les contestations relatives à la
propriété des brevets.
Quant à la nécessité d’un brevet pour être admis à intenter l’action,
elle n’est que l’expression d’un principe général et constant en droit, que
les tribunaux appliqueront ici suivant les règles ordinaires.
Les art. 33 et 34 règlent la procédure des actions civiles dont il vient
d’être parlé.
D’après l’art. S9 du Code de procédure civile, lorsqu’il y a plusieurs
défendeurs au procès, l’action est portée devant le tribunal du domicile
de l’un d’eux, au choix du demandeur.
Dans le cas prévu par l’art. 33 du projet, il était convenable de lui
ôter ce choix , et de l’obliger à saisir le tribunal du principal défendeur,
c’est-à-dire du breveté , dont les cessionnaires partiels ne sont que les
représentants Les brevetés font habituellement de nombreuses cessions
pour les différentes parties du royaume , e t , sans l'exception formulée
par la disposition qui nous occupe , ces hommes utiles se verraient in
cessamment forcés à aller soutenir devant les tribunaux éloignés de leur
domicile, des procès où. ils sont presque toujours les seuls défendeurs
véritablement intéressés, par suite de la garantie qu’ils doivent à leurs
cessionnaires.
L’art. 34 soumet les actions dont il s’agit à la forme prescrite pour
les matières sommaires, par les art. 405 et suivants du Code de procé
dure civile. Deux considérations paraissaient décisives pour faire adop
ter ici ce mode de procéder ; c’est que les droits sur lesquels on plaide
‘et dont le procès gênera souvent l’exercice, sont temporaires, et que la
matière a la plus grande analogie avec les affaires commerciales pour les
quelles le législateur a toujours établi la procédure la plus abrégée.
Quant à la communication au procureur du Roi , prescrite par le mê
me art. 23, elle est suffisamment motivée par la nature même de ces
demandes qui intéressent au plus haut point la liberté industrielle , et
par la nécessité , pour ce magistrat, d’apprécier toutes les parties d’une
affaire dont le résultat peut lui ouvrir une action sur laquelle nous de
vons appeler spécialement l’attention delà chambre.
�APPENDICE
367
D’après les règles de notre droit civil (art. 1351 C. civ.), l’autorité de
la chose jugée n’a d’effet qu’entre les parties , leurs héritiers ou ayants
cause, et le principe qui ne donne ainsi à la vérité judiciaire qu’une va
leur relative est tellement général, qu’il s’applique aux matières les plus
indivisibles de leur nature, et, par exemple, aux questions d’état.
Si l’on s’attache à ce principe , un jugement prononçant la nullité ou
la déchéance sur la demande d’un particulier , ne pourra ôt e invoqué
que par celui-ci ou ses ayants droit, et toute autre personne voulant s’as
surer le libre et paisible exercice de la même industrie, sera forcée d’in
tenter ambreveté un nouveau procès dont le résultat peut être différent.
D’un autre côté, si, pour éviter cet inconvénient et limiter le nombre
des procès, on voulait étendre l’empire de la chose jugée , et établir ici,
par exception à l’art. <331 du Code civil, que le jugement aura effet
même à l’égard des tiers , on s’exposerait évidemment à faire naitre des
actions collusoires , dont le but et le résultat seraient de procurer au
breveté un facile succès , et de le mettre ainsi à l’abri des demandes en
nullité ou en déchéance les mieux fondées.
Il ne serait, en effet, ni juste, ni conséquent d’établir que le deman
deur représente la société quand il gagne le procès, mais qu’il ne la re
présente plus lorsqu’il le perd, en sorte que le breveté aurait toujours
la sociétépour adverse partie , sans pouvoir jamais gagner le procès
contre elle.
Mais nous avons pensé qu’on pouvait, en maintenant ici la règle du
droit civil sur les effets de la chose jugée entre parties privées,donner au
ministère public une action spéciale en nullité ou en déchéance abso
lues action dont le but sera de faire prononcer la nullité ou la déchéan
ce pour et contre tous. Tel est l’objet du paragraphe 1 de l’art. 38. Le
bénéfice de cette poursuite exercée, au nom de la société, par son repré
sentant légal, appartiendra donc à toute personne intéressée ; et nous
obtenons ainsi, sans crainte de collusions , et'par une combinaison en
harmonie avec les principes généraux du droit, un résultat véritablement
désirable. Seulement il nous a paru convenable de n’ouvrir cette action
au ministère public que lorsqu’un arrêt ou un jugement ayant acquis
force de chose jugée , auront déjà prononcé la nullité ou la déchéance
sur la demande d’une partie privée, et la chambre des Pairs, en adoptant
le système qui vient d’être exposé, a pensé que, pour introduire un utile
esprit d'ensemble dans l’exercice de ce droit nouveau, il convenait de ré-
�368
APPENDICE
server au Gouvernement le soin d’apprécier les circonstances ou l’intérêt
public commanderait d’y recourir.
Le paragraphe 2 du même art. 35 donne encore au ministère public,
mais cette fois directement, l’action en nullité ou en déchéance absolues,
dans les cas prévus aux n°» 2 , 3 et 4 de l’art. 29 , c’est-à-dire , « si la
» découverte, invention ou application n’est pas, aux termes de l’art. 3,
» susceptible d’être brevetée ; si la découverte, invention ou application
» est contraire à l’ordre ou à la sûreté publique , aux bonnes mœurs ou
» aux lois du royaume; enfin, si le titre, sous lequel le brevet a été de» mandé, est faux ou indique frauduleusement un objet autre que le véy ritable objet de l’invention, b
Défenseur de l’ordre et des lois , le ministère public est ici dans ses
attributions ordinaires ; il peut donc agir spontanément et sans qu’une
décision judiciaire soit venue établir que le brevet porte atteinte à des
intérêts privés.
Le particulier qui veut faire prononcer la nullité ou la déchéance,
peut ne mettre en cause qu’un ou plusieurs des ayants droit au brevet ;
seulement il sait qu’il ne pourra se prévaloir du jugement contre ceux
qu’il n’aura pas assignés. Mais l’action du ministère public ayant pour
but de détruire entièrement le brevet, de manière qu’il ne soit plus per
mis à personne d’en réclamer les effets, il fallait évidemment qu’il mit
en capse, ainsi que le prescrit l’art. 36, tous les ayants droit qu’il peut
connaître, c’est-à-dire ceux dont les titres sont enregistrés au ministère
de l’agriculture et du commerce ; et les nullités ou déchéances pronon
cées sur sa demande pouvant être invoquées par toute personne, il con
venait de les rendre publiques dans la forme déterminée pour la pro
clamation des brevets : ce que prescrit l’art. 37 dû projet.
Titfe V.
D e la c o n tre fa ç o n , d es p o u rs u ite s e t d es p e in e s .
Les lois des 7 janvier et 25 mai 4791 ne donnent aucune définition de
la contrefaçon , et celle de l’art. 423 du Code pénal ne comprend évi
demment que les diverses espèces de la contrefaçon artistique ou litté
raire. Cette lacune devait être comblée, et l’art. 38, § 4crdu projet, dé
finit la contrefaçon industrielle : « Toute atteinte portée aux droits du
�369
APPENDICE
- » breveté, soit par la fabrication des produits, soit par l’emploi de moy» ens faisant l’objet de son brevet. «
La loi précitée du 7 janvier 1791, art. 12, inflige au contrefacteur une
amende du quart des dommages-intérêts alloués au plaignant et ne pou
vant pas excéder 3000 fr., ladite amende applicable aux besoins des pau
vres.
Il n’existait aucune raison pour donner ici au produit de l’amende une
destination particulière , et le plus ou moins de dommage constaté n’est
qu’un des nombreux éléments qui concourent à assigner au délit plus
ou moins de gravité.
Ce mode de pénalité, étranger d’ailleurs à l’esprit général de notre lé. gislation répressive , ne pouvait donc être maintenu ; et il nous a paru
naturel d’adopter ici l’amende de 100 fr. à 2000 fr. établie par l’art. 427
du Code pénal, pour la contrefaçon artistique ou littéraire. Tel est l'ob
jet du second paragraphe de l’art. 38.
L’art. 39 punit le recel, la vente, l’exposition en vente ou l’introduc
tion, en France, d’un ou plusieurs objets contrefaits.
Cette disposition, puisée dans les art. 426 et 427 du Code pénal, offre
cependant une rédaction plus précise çt plus complète : 1° en ce qu’elle
emploie le mot vente qui s’applique à un fait même isolé , au lieu du
mot débit qui semble entraîner-l’idée d’habitude ou, au moins,-de répé
tition du même fait ; 2° en ce qu’elle comprend expressément , parmi
les faits prohibés, l’exposition en vente qui devait être assimilée à la
vente même ; 3° en ce qu’elle comprend également le recel, que la cham
bre des Pairs a ajouté , avec raison , aux faits prévus dans la rédaction
primitive ; 4° en ce qu’elle ne punit les faits qu’elle prévoit que lors
qu’ils ont été commis sciemment, c’est-à-dire avec connaissance de la
contrefaçon.
Vous remarquerez , Messieurs, que le mot sciemment n’a pas été in
troduit dans là définition de la contrefaçon même. Il existe, en effet, un
dépôt général où le fabricant peut et doit rechercher ou faire rechercher
les inventions brevetées , avant d’appliquer son industrie à des objets
nouveaux. Il est donc toujours coupable , au moins de négligence ou
d’imprudence grave, lorsqu’il a fabriqué des objets déjà brevetés au pro
fit d’un autre.
Mais on ne pouvait, sans une gêne excessive, imposer au commerce la
même obligation de recherche ; il convient donc de ne punir le vendeur
m
24
�370
APPENDICE
et l’introducteur d’objets contrefaits , que lorsqu’ils auront eu connais
sance de la contrefaçon.
Le projet les punit, du reste , d’une amende moindre que celle qu’il
inflige au contrefacteur.
En principe général, le Code pénal punit les complices de la même pei
ne que l’auteur principal du fait (art. 59), sans distinguer entre les co
auteurs,c’est-à-dire,ceux qui ont participé directement à la perpétration
du délit, et ceux dont la complicité résulte de faits particuliers.
Mais, dans quelques cas , et notamment en matière de contrefaçon, le
même Code punit certains faits de complicité comme des délits distincts,
et leur applique une peine moindre que celle qui frappe l’auteur du fait
principal.
Le dernier système me parait préférable, en ce sens que la culpabilité
présente des degrés différents, et qu’il n’est pas impossible d’apprécier
d’une manière générale, suivant que la participation au délit est plus ou
moins directe. Le projet s’est conformé à ce système ; il a même , ainsi
que vous l’avez vu , assimilé au vendeur le recéleur et l’introducteur,
qui peuvent n’être, comme lui, que des agents secondaires de la contre
façon.
La récidive a toujours été considérée comme une circonstance qui ag
grave le délit.
Il existe dans notre droit deux espèces de récidive , celle qu’on peut
appeler générale, et qui résulte de ce que l’auteur du fait a été condamné
antérieurement pour crime , ou frappé d’un emprisonnement correction
nel de plus d’une année, et la récidive spéciale qui consiste dans la per
pétration d’un délit de même nature que celui pour lequel une condam
nation a déjà atteint le coupable. Cette dernière circonstance est consi
dérée, par la loi du 7 janvier 1791, comme aggravant le délit de contre
façon, et nous avons cru devoir, dans l’art. 40 du projet, maintenir un
système parfaitement fondé , suivant'flous. Cette circonstance indique,
en effet, de la part de l’agent, une immoralité spéciale plus grande , et
appelle conséquemment une répression plus sévère , pour laquelle nous
avons même cru devoir prononcer ui\ emprisonnement correctionnel.
Seulement, il nous a paru convenable de déterminer une époque après
laquelle la récidive, ne prouvant plus suffisamment que le coupable est
dans des conditions particulières, ne semble plus exiger une pénalité spé
ciale.
La chambre des Pairs a pensé que la peine de l’emprisonnement de-
�APPENDICE
371
vait aussi être appliquée si le contrefacteur est un ouvrier ayant tra
vaillé dans les ateliers du breveté, ou si, s’étant associé avec un ouvrier
du breveté, il a eu par lui connaissance des procédés décrits au brevet
Elle a pensé également que l’ouvrier pouvait être, dans ce cas, consi
déré comme complice du contrefacteur.
Nous avons admis ces dispositions conçues dans le même esprit que le
second paragraphe de l’art. 418 du Code pénal.
Du reste, l’art. 41 permet, dans tous les cas, l’application de l’art. 463
du Code pénal, et, par conséquent, la substitution de l’amende à l’empri
sonnement, s’il existe des circonstances véritablement atténuantes.
En principe général, tout délit, dans notre droit, donne lieu à une
action répressive , qui peut être exercée d’office par le ministère public,
de quelque manière qu’il ait acquis la connaissance du fait, et sans qu’il
ait besoin d’être saisi par une plainte de la partie léséê.
Mais, dans certains cas, et par différentes considérations , il ne lui est
permis d’agir que sur cette plainte, par exemple en matière de chasse sur
la proprité d’autrui.
Le breveté pouvant avoir consenti aux faits qui paraissent constituer
une infraction à ses droits exclusifs, il convenait d’établir ici une ex
ception semblable , et de n’admettre la poursuite du ministère public
que sur une plainte qui repousse la supposition favorable au libre exer
cice du commerce et de l’industrie. Tel est l’objet de l’art. 42.
Sous la législation de 1791 , l’aetion en contefaçon, quoique correc
tionnelle , était portée devant le juge de paix , jugeant civilement, et
l’action principale en nullité ou en déchéance , devant les tribunaux ci
vils ordinaires Mais si ces dernières étaient formées incidemment et
comme défense à une poursuite en contrefaçon , on tenait que le juge de
paix pouvait en connaître, d’après le principe de droit : le juge de l’ac
tion est juge de l’exception.
La loi du 25 mai 1838, art. 20, en déférant les actions en contrefaçon
aux tribunaux correctionnels; a attribué expressément, ainsi que nous
l’avons d it, les actions en nullité et en déchéance aux tribunaux civils
de première instance, et il a été expliqué lors de la présentation et de
1 Voyez l’Exposé des motifs à la chambre des Pairs , M o n ite u r du 12 mai 1837,
pag. 1157 ; —Discussion à la chambre des Pairs, M o n ite u r du 6 février 1838, pag.221 ■
— Discussion à la chambre des Députés, M o n ite u r du 26 avril 1838, pàg. 1032.
�372
APPENDICE
la discussion de la loi , qu’elles devraient être jugées par ces tribunaux
lors même qu’elles seraient formées incidemment à une poursuite en
contrefaçon. La loi du 25 mai 1838 paraît donc avoir ainsi considéré
les questions préjudicielles de nullité ou de déchéance , en matière de
brevet d’invention , comme des questions essentiellement civiles qui échappaient à la juridiction des tribunaux répressifs
Nous avions cru devoir adopter ce système que nous avions complété,
en prescrivant le renvoi à fins civiles de toutes les contestations relati
ves à la propriété du brevet, et en ordonnant aux tribunaux correction
nels de fixer un délai pour intenter l’action préjudicielle.
Nous voulions éviter ainsi de charger les chambres correctionnelles
d’affaires dont les débats peuvent être longs et ralentir le cours de la
justice répressive, et nous désirions également prévenir, autant que pos
sible , des décisions contradictoires sur les questions relatives à l’exis
tence et à la validité d’un même brevet.
Mais la chambre des Pairs a pensé que les droits à garantir ne cons
tituant qu’un privilège temporaire, quelquefois de très-courte durée , et
les objets contrefaits ayant souvent peu de valeur, la poursuite en con
trefaçon n’aurait toute l’efficacité désirable que si la justice était prompte
et peu coûteuse, conditions que les brevetés rencontreraient surtout de
vant les tribunaux correctionnels.
Elle a donc substitué à l’art. 45 du projet primitif une disposition qui
attribue au tribunal correctionnel saisi de l’action en contrefaçon la con
naissance des questions préjudicielles de nullité ou de déchéance, .ou re
latives à la propriété du brevet.
Nous avons reconnu l’intérêt que les brevetés pouvaient avoir à faire
décider par la même juridiction toutes les questions soulevées sur la
poursuite en contrefaçon ; e t, confiants dans le zèle dés magistrats pour
imprimer, dans tous les cas, à l’expédition des affaires correctionnelles,
toute l’activité désirable , nous avons donné notre entière adhésion à un
système que nous avions nous-mêmes songé à introduire dans le projet.
Depuis la loi du 25 mai 1838, la poursuite en contrefaçon étant devenue
une action correctionnelle ordinaire, la saisie, à la requête du ministère
public, peut être faite par les officiers de police judiciaire , suivant les
règles du droit commun. Mais il fallait régler les formes spéciales sui
vant lesquelles, sur ce point, l’instruction aurait lieu à la requête de la
partie privée. Tel est le but de l’art. 44, qui établit clairement des for
mes simples, mais offrant les garanties nécessaires contre les abus pos-
�APPENDICE
373
sibles du droit de saisie ou de description accordé aux propriétaires de
brevets. Cette disposition remplacera très-avantageusement une des par
ties les plus défectueuses de la législation actuelle sur la matière.
On ne peut permettre au breveté de prolonger indéfiniment l’état de
suspicion dans lequel il a placé celui chez qui il a fait opérer la saisie
ou description, et surtout l’espèce d’interdit qui résulte de la première
de ces mesures. Il faut même qu’il y donne suite dans le plus bref dé
lai, et son inaction peut-être , à bon droit, considérée comme un aveu
du mal-fondé de ses prétentions. Il convenait donc de déclarer alors la
saisie ou description nulle de plein droit, en rappelant le principe du
droit commun , qui veut que chacun soit tenu de réparer le dommage
qu’il a causé par sa faute. Tel est l’objet de l’art. 45 du proj'et
La loi du 7 janvier 1791 , art. 12 , prononçait la confiscation des ob
jets contrefaits ; mais elle n’en attribuait pas le profit au breveté, même
en partie.
Le Code pénal, art. 427, prononce, dans le cas de contrefaçon artisti
que ou littéraire , la confiscation non-seulement des objets contrefaits,
mais encore des planches , moules ou matrices qui ont servi à commet
tre le délit; et l’art. 429 veut que le produit de la vente des objets con
fisqués soit remis à la partie lésée pour l’indemniser d’autant, du préju
dice qu’elle aura souffert.
L’art. 46 du projet maintient la confiscation spéciale établie par la lé
gislation de 1791 et par le droit commun; mais au lieu de prescrire la
remise au plaignant du produit de la vente des objets confisqués , nous
voulons que ces objets lui soient remis en nature et sans qu’il ait be
soin de justifier de son préjudice,
Cette disposition vous paraîtra, sans doute, aussi juste que conséquen
te avec les principes admis sur la matière des brevets d’invention. Le
breveté a seul, en effet, le droit de fabriquer et vendre les objets sur
lesquels porte son brevet, et l’Etat doit respecter lui-même ce privilège :
or , il le viole incontestablement s’il vend les objets confisqués ; et en
remettant au breveté le produit de la vente jusqu’à concurrence du pré
judice que lui a causé le contrefacteur , on ne réparera pas le préjudice
plus grand, peut-être, qui va résulter pour lui de la vente à l’encan et à
bas prix, d’objets que , d’après son titre , il avait seul le droit de vendre
au prix élevé qui résulte forcément de la jouissance exclusive. Personne
autre que le breveté ne pouvant utiliser légalement les objets confisqués,
il faut les lui attribuer ou les détruire : or, entre ces deux partis, il n’é
tait pas permis d’hésiter.
�374
APPENDICE
Titre VI.
D is p o s itio n s p a rtic u liè r e s e t tr a n s ito ir e s .
L’art 47 charge le Gouvernement d’arrêter les mesures nécessaires à
l’exécution de la loi. Un réglement d’administration publique devra , en
effet, déterminer la forme des titres , actes et procès-verbaux énoncés
dans les art. 1, 5, 7, 9, 11,14, 17 et 21 , et prescrire , en général, les
dispositions propres à assurer l’exécution uniforme de la loi.
Le même article porte que cette loi n’aura effet que trois mois après
sa promulgation, délai rigoureusement nécessaire pour la préparation du
réglement et des instructions que le Gouvernement devra y joindre.
L’art. 48 règle le mode suivant lequel la loi pourra être appliquée
aux colonies ; et l’art. 49 abroge toutes les dispositions antérieures sur
la matière des brevets d’invention, d’importation et de perfectionne
ment
Enfin , les art. 50 et 51 , ajoutés au projet par la chambre des pairs,
rappellent les principes du droit commun sur les effets de la loi quant
aux droits acquis et à la forme des procédures.
�APPENDICE
3T8
N° 4 .
RAPPORT DE LA COMMISSION1
FA IT LE
5
JU IL L E T
1843
A I,A CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Messieurs, avant la révolution de 1789, la loi ne reconnaissait aucun
droit et n’accordait aucune protection à ceux qui enrichissaient l’indus
trie nationale d’une découverte nouvelle : ils ne pouvaient conquérir la
jouissance exclusive de leur invention que par la concession arbitraire
d’un privilège que la médiocrité protégée arrachait à la faveur et que le
mérite délaissé ne pouvait obtenir. Souvent même les lois oppressives
des jurandes et maîtrises les excluaient personnellement de l’exploitation
de ce qu’ils avaient créé , si leur affiliation aux corps d’arts et métiers
ne leur restituait le droit et la liberté du travail. C’était la conséquence
d’une législation qui tenait toutes les industries ou dans les chaînes du
pouvoir ou dans celles des corporations.2
Cette législation porta ses tristes fruits. Le génie de l’invention lan
guit découragé sur cette terre industrieuse de France, ou, cherchant ail
leurs un asile hospitalier, il enrichit l’étranger de ses plus précieuses dé
couvertes.
1 Cette commission était composée de MM. T erm e, comte de Las-Cases, Denis,
Phil. Dupin, m arquis de Lagrange, Mathieu, Molin, Pascalis et Rivet.
» On avait été jusqu’à poser en principe que « le droit de travailler était un droit
» royal, que le prince pouvait vendre et que les sujets devaient acheter. » ( Voyez
Préambule de l’édit de février 1776, note pag. 346, 347).
�376
APPENDICE
La Révolution renversa le vieil édifice des corporations et inscrivit au
frontispice du Code des arts et métiers ce grand principe : liberté de
l'industrie, propriété du tra v a il. Mais son niveau , planant sur toutes
les parties du corps social , abolit sans distinction comme sans examen
tout ce qui portait le nom de privilège. C’était encore la négation du droit
des inventeurs. Les deux principes opposés conduisaient au même résul
ta t par des routes différentes.
L’Assemblée nationale comprit to u t ce q u ’il y avait là d’injustice et
de funestes conséquences pour les intérêts industriels de la France.
Depuis le règne do Jacques Ier, en 1 623 i, l’Angleterre avait adopté en
faveur des inventeurs un système d’encouragement et de protection doht
elle recueillait abondamment les salutaires effets. Les Etats-Unis venaient
d'entrer dans la même voie. Les observations de la chambre de Norman
die , l’avis des députés , des inspecteurs et des intendants généraux du
commerce , les vœ ux des bailliages , les cahiers des Etats , les réclama
tions des inventeurs , provoquaient à suivre l’exemple donné par deux
grandes nations.
Ces voix furent écoutées. Deux lois , en date des 7 janvier et 25 mai
•1791 , jetèrent chez nous les premiers fondements de la législation pro
tectrice des inventions et découvertes industrielles. Elles furent en quel
que sorte la charte des inventeurs , et commencèrent une ère nouvelle
pour l’industrie.
Comme ta n t d’autres œuvres sorties des mains fécondes de l’Assem
blée constitu an te, les lois des 7 janvier et 25 mai 1791 portent l ’em
preinte de sa hauté .Sagesse. Elles reposent sur une idée simple qui peut
se résumer en ces mots : G arantir à tout inventeur, pendant un temps
donné , la jouissance exclusive de sa découverte, à la condition qu’il li
vrera cette découverte à la société après l’expiration de son privilège.
Le temps et l’expérience n ’ont fait que sanctionner ces principes.
M ais, au début d’une législation nouvelle , il est impossible de tout
prévoir. D’ailleurs, les lois les mieux faites ne sauraient devancer les ré
vélations de l’avenir , les rapports qu’il doit créer , les besoins qu’il peut
^aire naître. Pour se maintenir à la n lu te u r de leur destination, elles ne
doivent donc pas demeurer stationnaires dans une société en progrès.
Filles du temps et de l’expérience , il faut qu’elles m archent avec leur
i Statut de Jacques I»r, 21e année, chap. ni.
\
�APPENDICE
377
siècle, qu’elles suivent Iss mouvements de la civilisation, qu’elles satis
fassent à tous les intérêts légitimes qui sè produisent.
Cinquante années d’épreuve ont appris ce qu’il y avait d’essentielle
ment vrai dans la législation de 1791, signalé ses erreurs ou ses lacu
nes , appelé des réformes ou des compléments dans plusieurs de ses dis
positions. Le moment était venu de procéder à sa révision ; elle était
sollicitée de toutes parts et a fixé l’attention de tous les ministres qui se
sont succédé au département du commerce.
Quelle époque d’ailleurs pouvait m ieux convenir à ce travail de per
fectionnement ? Sous la double influence de la paix et de la lib e rté , le
commerce a prodigieusement étendu son e sso r, le génie de l’invention
fait sans cesse de nouvelles conquêtes et développe chaque jour une plus
grande puissance ; de toutes p a r ts , l’industrie agrandit sa sphère et fait
éclater ses merveilles ; la science lui révèle ses secrets, lu i prête ses d i
rections et ses secours ; les arts lui fournissent leur élégance et leur éclat ; toutes les forces intelligentes des nations travaillent à l’accomplis
sement de ce grand œuvre. Aux luttes ruineuses de la guerre ont suc
cédé les rivalités vivifiantes du commerce ; le champ de bataille où se li
vrent ces combats n’est pas seulement une province , un royaum e; c’est
l’univers entier ; le sceptre du monde a cessé d’être le prix de la force et
de la violence pour devenir celui du travail et de l’industrie. La se pla
cent pour toutes les nations le secret du bien-être et de la richesse au
dedans, la source de l ’influence et de la puissance au dehors.
Au milieu de cette émulation universelle, malheur au peuple qui se
laisserait aller aux engourdissements de l’indolence et de la routine ? Un
état de déchéance rapide et d’inévitable infériorité serait sa punition. Le
premier besoin , le premier devoir de tout peuple qui veut devenir ou
rester grand et f o r t , est d ’encourager le travail dans toutes ses applica
tions ; de lui ouvrir et de lui faciliter la voie du progrès dans toutes les
branches de l’industrie humaine ; de favoriser par ses protections , de
provoquer par ses récompenses les efforts et les découvertes de ses sa
vants, de ses artistes, de ses ouvriers ; de marcher sans cesse au perfec
tionnement de ses p ro d u its, ou à la conquête de produits nouveaux ; de
rechercher des procédés industriels plus p u issa n ts, plus faciles, plus
prompts , plus économiques ; de multiplier enfin ses objets de consom
mation et ses moyens d’échange, ce double élément de la prospérité des
nations.
Tel est l’utile et noble b u t des lois destinées à encourager le génie de
l’invention. Celle qui vous est proposée est de ce nombre.
�378
APPENDICE
Déjà, nous l’avons dit, il ne s’agit point d’une œuvre entièrement nou
velle, d’une création sans précédents. Les lois de 1791 et les lois posté
rieures qui ont essayé de les compléter, ont établi des dispositions fon
damentales qui, presque toutes, sont à l’abri de critique et d’atteinte. Le
travail qui vous est présenté n ’est qu’un travail de révision et de perectionnemenl.
Deux voies s’ouvraient devant le législateur pour arriver au b u t qu’il
se proposait.
Il pouvait se contenter de présenter une loi complémentaire qui , abrogeant dans les lois antérieures les parties dont le temps a signalé les
inconvénients, aurait ajouté les dispositions dont la nécessité ou l’utilité
se sont révélées , et laissé subsister celles qui ont reçu la sanction de
l 'expérience et de la pratique.
Ce parti simplifiait l’œuvre nouvelle. Mais n ’y avait-il pas un immen
se inconvénient à laisser en présence et en lutte des lois qui se h e u r
tent et s’abrogent en certains points , tandis qu’elles doivent conserver
sur d’autres points une vie commune ? N’était-ce point créer une foule
de difficultés d’application, rendre plus incertaine pour les industriels la
connaissance de leurs droits et de leurs devoirs, et ouvrir devant eux la
source calamiteuse des procès ?
*
On a pensé qu’il valait mieux reprendre toutes les lois existantes, les
coordoner, les réviser, les compléter et les refondre en une seule loi des
tiné à devenir le Code des inventeurs. C’est là que ces hommes , absor
bés par leurs méditations et leurs travaux , étrangers aux subtilités du
droit, et dont le temps est si précieux, iront chercher et trouveront sans
peine la science de tout ce qui les intéresse.
La commission n ’a pu qu’applaudir à cette déterm ination, q u i . a fait
éclore le projet de loi soumis à votre examen , projet vivement sollicité
par les organes les plus élevés du commerce , préparé avec soin par le
Gouvernement et amélioré dans plusieurs parties par la chambre des
Pairs.
Nous allons vous en faire connaître l’économie générale et les princi
pales bases.
Six titres se partagent ses dispositions :
Le titre Ier définit le droit accordé aux inventeurs , indique les objets
susceptibles d’être brevetés, règle la durée et la taxe des brevets.
Le titre I I , subdivisé en cinq sections , s’occupe successivement de la
demande des b re v e ts, de leur délivrance , des certificats d’addition , de
/
�379
APPENDICE
l ’exploitation des brevets, de leur cession, de la communication et de la
publication des descriptions.
Le titre III règle les droits des étrangers.
Le titre IV traite des nullités et des déchéances.
Le titre V est relatif à la contrefaçon et aux peines destinées à la ré
primer.
Enfin , le titre VI renferme des dispositions réglementaires et transiloires.
'''
Titre Ier.
D is p o s itio n s
g é n é ra le s .
Toute loi repose sur un principe d’équité naturelle et de raison qu’il
importe de bien fixer , pour ne point s’égarer dans les conséquences ou
pour ne point marcher au hasard et sans règle.
A in s i, dès les premiers pas on a dû se demander quelle est la nature
du droit que la loi va définir et réglementer?
Est-ce un droit naturel ou nn droit concédé ? Est-ce une propriété vé
ritable ou un privilège temporaire, une rém unération, une indem nité?
L ’exposé des motifs pose timidement ces questions sans les résoudre,
quoique la loi les tranche, ainsi qu’on va le voir.
Nous avons pensé qu’il convenait de les aborder franchement.
Et qu’on ne dise point que ce sont là de vaines disputes de mots ou
des discussions m étaphysiques qui ne sont point du domaine du légis
lateur. Les mots représentent les idées1 ; et ici ils représentent plus que
dos idées, ils représentent des droits.
Placée, comme nous l’avons vu , en face du système restrictif de l’an
cien régime et du nouveau système de liberté absolue, l’Assemblé cons
tituante voulut s’ouvrir une meilleure voie , également éloignée de ces
deux extrêm es. Et, comme pour protester plus énergiquement contre les
injustices du passé , elle éleva le droit méconnu des inventeurs , nonseulement au rang d’un droit de p ro p riété , mais encore à la hauteur
• « La plupart des disputes chez les hommes, a dit Pascal, viennent de ce qu’ils ne
s’entendent pas sur la valeur des mots. Commencez par fixer cette valeur, et vous
» commencerez à vous entendre. »
�380
APPENDICE
d’un de ces droits naturels , inaliénables et sacrés qu’elle avait si hau
tement proclamés comme la base nécessaire de toute organisation civile.
« Ce serait attaquer les droits de l’homme dans leur essence , que de
» ne pas regarder une découverte industrielle comme la propriété de
» son auteur.' »
Aussi l ’art. 1er pose-t-il ce principe comme base fondamentale de la
loi : « Toute découverte ou nouvelle invention dans tous les genres
» d’industrie, est la pro p rié té de son auteur. »
Mirabeau, se laissant entraîner à la même pensée , s’écriait que « les
» découvertes de l’industrie et des arts étaient une propriété a va n t que
» l’Assemblée nationale l ’eût déclaré. »
Or , l’un des caractères essentiels et dominants de la propriété , c’est
la perpétuité. Celui qui est investi de ce droit ne peut le perdre que par
une abdication ou par une expropriation avec indemnité préalable ; ou
bien ce n ’est plus la propriété. L’Assemblée constituante avait elle-mê
me proclamé ce principe dans l’art. 17 de la déclaration des droits de
l ’homme.
Et voilà que, se m ettant en contradiction avec le principe de propriété
q u ’élle vient de poser en faveur des inventeurs , et avec le principe de
perpétuité q u e lle a reconnu être un des caractères du droit de propri
été , cette Assemblée ajoute immédiatement dans ce même article pre
m ier , que la loi ne garantit à leurs auteurs la pleine et entière jouisssance des découvertes ou inventions nouvelles, que « suivant le mode
» et p o u r le temps qui seront déterminés. » — Viennent ensuite des li
m itations , des déchéances et des causes d’extinction multipliées. La loi
est en perpétuelle contradiction avec son principe ; son article premier
la condamnait à être constamment illogique.
Qu’est-ce, en effet, qu’une propriété qui n’est pas même viagère , qui
ne doit durer que cinq, dix ou quinze années ; qui ne peut s’asseoir ou
qui s’évanouit faute d’une taxe acquittée ou d’un parchemin obtenu ; qui
périra parce qu’on ne l’aura point exploitée pendant un an ou deux , et
dont la précaire existence sera sans cesse menacée par des déchéances ?
Il faut le reconnaître : ou ce n ’est pas une propriété , et alors on a to rt
de lui en donner le nom ; ou c’est, une propriété , et Ton a tort de lui en
refuser les effets et les garanties ; car la société , la civilisation , la loi,
1 Préambule de la loi du 7 janvier 1791.
�APPENDICE
381
reposent sur le droit de propriété ; et à quelque chose qu’il s’applique,
on ne peut y porter atteinte sans ébranler l’édifice social.
La question mérite donc d ’être examinée. Nous le ferons en peu de
mots, et nous essayerons de rétablir la loi sur sa base véritable.
On a répété souvent que s'il existe pour l’homme une véritable pro! p rié té , une propriété sacrée . c’est celle de la pensée qu’il a conçue , de
l’invention qu’il a créée. Rien n’est plus vrai. Mais, comme toute autre,
cette vérité a ses limites. Essayons de les reconnaître.
Tant que l’idée, la conception d’une découverte n ’est pas émise, il est
incontestable qu’elle est la propriété exclusive de celui qui l’a enfantée.
11 peut la 1conserver ou l’émettre ; la garder pour lui ou la communiquer
aux autres.Ce droit n ’a pas besoin d’être reconnu ou protégé par la loi ;
nul ne peut l’usurper ou y porter atteinte. Une telle propriété, si on peut
l ’appeler ainsi, est inaccessible comme la conscience, impénétrable com
me la pensée.
Mais une fois émise, une fois jetée dans le vaste fonds commun des
connaissances hum aines, une idée n ’est plus susceptible de cotte jouis
sance exclusive et jalouse qu’on appelle propriété ; on ne peut empêcher
personne de la recueillir dans le livre où elle est écrite,dans le cours où
on la professe, dans les communications où elle circule. Celui qui l’ac
quiert ne l’enlève pas à celui qui l’avait acquise avant lui. A l’inverse
des choses matérielles que la propriété concentre dans la main d'un seul,
elle demeure entière pour chacun, quoique partagée entre un grand nom
bre ; elle est comme l’air que tous re sp ire n t, comme la lumière qui luit
pour tous.
Dira-t-on que si l’idée abstraite et spéculative n ’est point et ne peut
être une propriété, l’idée matérialisée par la mise en œuvre peut pren
dre un corps, se condenser en quelque so rte , se substantialiser dans un
objet matériel et constituer de cette manière une propriété véritable ?
Nous l’accordons. Mais qu’est-ce à d ire?
Sans doute , si l’inventeur d’une découverte a construit ou fait cons
truire la machine qu’il a conçue et dont il veut doter l’industrie ; s’il a
fabriqué les produits nouveaux dont il veut enrichir la société, ces p ro
duits et cette machine sont sa propriété. Nul ne le lu i conteste.
Mais là n ’est point la question qui s’agite dans l’intérêt des inventeurs;
c’est au contraire la limite oü elle commence.
En effet, le droit de chacun rencontre une limite dans le droit des au
tres. En face du droit de créatio n , se trouve le droit de reproduction et
�382
APPENDICE
d’imitation qui vient aussi de Dieu, qui a sa source aussi dans le travail
dirigé par la pensée. Faut-il que ce droit soit immolé au prem ier pour
toujours ou pour un temps donné ? Là est la difficulté.
Il s’agit pour l’inventeur de sa v o ir, non pas s’il pourra traduire par
l’exécution les conceptions de son intelligence, non pas s’il sera proprié
taire des résultats matériels qu’il aura ainsi obtenus; mais s’il aura seul
ce droit d’exécution, s’il pourra exclure les autres travailleurs du béné
fice d’une création semblable, s’il obtiendra la faculté d’enchaîner leurs
bras et de les empêcher de produire ce qui est entré dans leur intelli
gence. Voilà ce qu’il réclame. Il lui faut non-seulement que sa liberté
soit assurée, mais q u ’on lui livre la liberté d’a u tr u i, qu’il lui soit ac
cordé une sorte de mainmise sur une force productive qui est en dehors
de lui, et qu’on crée en sa faveur une exception à cette grande règle de
l’indépendance du travail , qui est une des plus belles et des plus utiles
conquêtes de la Révolution.
Or, quelque imposantes que soient la parole de Mirabeau et l’Autorité
de l ’Assemblée constituante . il est évident que ce droit de veto sur le
travail d’autrui n ’est pas un de ces droits naturels , préexistants aux
lois , et que les lois ne font que reconnaître et consacrer. Il est évident
encore que ce n ’est point là ce qu’on appelle une propriété.
Et qu’on ne croie pas que ceci tende à nier les droits des inventeurs,
ou le privilège qu’ils réclament. Nous voulons seulement expliquer ces
droits et leur restituer leur véritable caractère ; nous voulons les asseoir
sur des bases inébranlables.
Ôr, toute découverte utile est, suivant l’expression de K a n t, la pres
tation d’un service rendu à la société. Il est donc juste que celui qui a
rendu ce service en soit récom pensé'par la société qui le reçoit. C’est
une transaction équitable, un véritable c o n tra t, un échange qui s’opère
entre les auteurs d’une découverte nouvelle et la société. Les premiers
apportent les nobles produits de leur intelligence , et la société le u r ga
ran tit en retour les avantages d’une exploitation exclusive de leur dé
couverte pendant un temps déterminé. Cette rém unération a même ceci
de rem arquable que ces p ro d u its , pris dans la chose m êm e, sont pres
que toujours en rapport direct avee le mérite de l ’invention qu’il s’agit
de récompenser.
Sans doute, c’est un privilège, un monopole. Mais ces mots n ’ont rien
d’odieux , quand ils n ’ont point pour effet de concentrer dans une main
favorisée des procédés connus, quand ils ont au contraire pour but d’ou-
�APPENDICE
383
vrir de nouvelles voies dont tous doivent profiter, et d’étendre le domai
ne des arts et de l’industrie.
Avec ces idées simples et claires , il devient facile de donner à la loi
un caractère logique , et de mettre toutes ses parties d’accord avec son
principe. Le droit de propriété, avec son caractère absolu et sa préroga
tive de perpétuité , est désintéressé dans la question. Il ne s’agit que
d’un contrat sous la tutelle et la foi duquel le génie de l ’invention livre
à la société ses précieuses découvertes. Le problème à résoudre se ré
duit à savoir si les conditions du contrat sont équitables, c’est-à-dire si
la société s’est montrée assez reconnaissante envers l’inventeur, et si les
intérêts du pays sont suffisamment protégés.
Bien que l’exposé des motifs soit entré timidement dans cet ordre d’i
dées, il est évident qu’elles ont servi de base au projet de loi qui vous
est présenté.1
En effet, dans la rédaction de l’art. 'Ier, on a ejïacé le principe de pro
priété écrit dans la loi du 7 janvier 1791 , e t , prenant la définition du
droit des inventeurs dans ses effets plutôt que dans son essence, l’article
nouveau se borne à dire que « toute nouvelle découverte et invention
dans tous les genres d’industrie, confère à son auteur, sous les condi
tions et pour le temps déterminés , le droit exclusif d’exploiter à son
profit ladite découverte ou invention, »
Cette définition suffisait à la théorie que nous venons d’expliquer,
sans toutefois heurter trop vivement les autres systèmes. Elle a paru suf
fisante à votre commission, qui l’a adoptée.
L’art. 2 détermine ensuite quelles sont les inventions et découvertes
susceptibles d’être placées sous la protection d’un brevet.
L’invention peut se manifester sous des formes et par des procédés
divers.
Elle p e u t, par d’utiles em prunts faits à la nature , conquérir sur elle
des produits nouveaux
Elle peut créer seulement de nouveaux moyens pour obtenir plus faci
lement ou à moins de frais des produits en circulation.
Enfin elle peut se borner à une application nouvelle de moyens déjà
connus.
1 Elles avaient aussi prévalu dans la Chambre , lors de la discussion du projet de
loi sur la propriété littéraire. Le principe absolu de propriété avait à peine compté
deux ou trois défenseurs.
�384
APPENDICE
Tous ces modes d’invention peuvent conduire à des résultats indus
triels im portants, et méritent, à ce titre, la protection de la loi.
L’art. 2 a eu pour objet de les embrasser dans la généralité de sa ré
daction, et, par là, d’éclaircir et de compléter les définitions un peu con
fuses des lois existantes.
L’article suivant pose quelques exceptions.
Il déclare d’abord non susceptibles d’être brevetées les compositions
pharm aceutiques ou remèdes spécifiques.
Ce n ’est pas assurément qu’on ait méconnu ce que les découvertes en
ce genre peuvent avoir d’importance sous le rapport industriel L’inven
tion du sulfate de quinine , par exemple , est tout à la fois un service
rendu à la société et un objet dé commerce considérable. Mais de graves
considérations ont commandé l’exception écrite dans l’art. 3.
En effet, bien que les brevets d’invention soient délivrés sans examen,
comme nous le dirons bientôt; bien que la loi proclame et qu’il soit écrit sur ces brevets mêmes, qu’ils ne préjugent point le mérite de l’in
vention, une foule de personnes y voient une sorte de garantie et de re
commandation , et le charlatanisme exploite trop souvent cette erreur
populaire.
D’ailleurs, u n remède peut n’être pas seulement dangereux par sa pro
pre efficacité, il peut l’être aussi par l’usage inopportun et par l’applica
tion inintelligente qu’on en fait.
Il faut donc , dans l’intêrèt de la santé publique , sauver la crédulité
du double danger d’ajouter f o i , sur la foi d’un brevet d’invention , à la
puissance salutaire d’un remède inefficace ou dangereux , ou de s’admi
nistrer un remède bon en lui-même en dehors des conditions dans les
quelles il peut être utile.
Les intérêts de l’inventeur ne sont point d’ailleurs complètement dé
pourvus de protection. Ils restent sous l’empire du décret du 18 août
1810, qui autorise l’achat par le Gouvernement des remèdes secrets dont
le m érite serait reconnu et constaté.
On a objecté que, pour échapper à l’exception prohibitive, on fera bre
veter les compositions pharm aceutiques comme préparations chimiques
applicables aux arts. Mais à cela deux réponses : d’abord, les tribunaux
ont mission de réprimer la fraude partout où elle se réfugie ; ensuite le
danger que la loi a voulu prévenir, disparaîtra par le fait seul que l’ob
je t breveté ne se produira point comme remède ou préparation pharm a
ceutique.
�385
APPENDICE
Une seconde exception est prononcée par l’art. 3 , relativement aux
plans et combinaisons de crédit et de finances.
Les brevets appliqués à ces conceptions deviendraient facilement un
moyen de fraude et un piège contre les fortunes particulières.
L ’expérience n ’a pas tardé à le démontrer.
A peine les lois de 4-791 avaient p a r u , qu’un grand nombre de spécu
lateurs, profitant du goût de l’époque et des embarras du Trésor , cou
vrirent sous des brevets d’invention leurs combinaisons financières.
Deux années ne s’étaient pas encore écoulées que , par une loi du 20
septembre 1792 , l’Assemblée nationale crut devoir couper le mal 'dans
sa racine. Le préam bule déclare ces brevets dangereux , et dit qu’il est
im portant d’en arrêter les effets ; et, non content de décider que le pou
voir exécutif ne pourra plus accorder de brevets d’invention aux établis
sements relatifs aux finances , le décret supprime par une disposition
rétroactive l’effet des brevets qui avaient été accordés.
La loi du 20 septembre 1792 s’est encore étayée sur u n autre princi
pe, et a pris occasion de déclarer que les brevets « ne peuvent être ac
cordés qu’aux auteurs de toute découverte ou nouvelle invention dans
tous les genres d’industrie seulement relatifs aux arts et m étiers. »
C’est aussi par ce m otif que l’art. 3 du projet met en dehors des ob
jets susceptibles d’être brevetés a les principes, méthodes, systèm es, et
généralement toutes découvertes scientifiques et théoriques. »
La loi est faite dans l’intérêt de l’industrie et non dans l’intérêt de la
science. Son domaine est dans la région des fa its , et non dans celle des
abstractions. Elle ne peut et ne doit s’appliquer qu’à u n objet matériel,
saisissable; transm issible, ou à un procédé applicable , déterminé , con
duisant à un résultat industriel quelconque.
D’ailleurs, les principes, les méthodes-, les systèmes sont du domaine
de la pensée. Il est impossible d’en assurer la possession exclusive à un
seul. Us n’en sont susceptibles que lorsque , des hauteurs de la théorie,
ils»descendent dans les réalités de l’application.
Enfin , breveter une idée que son auteur n ’a pu rendre réalisable , ne
serait-ce point donner la rém unération avant le service ? Et puis n ’y au
rait-il pas ce danger pour l’industrie d’arrêter , par le brevet donné à
l’abstraction, les découvertes de ceux qui trouveraient les moyens d’ar
river à l’exécution même ?
- '
Cette sage distinction était implicitement renfermée dans la loi de
III
—
25
�386
APPENDICE
4791 ; la jurisprudence l’avait consacrée ; la loi nouvelle a eu raison de
la formuler d’une manière précise.
Là se bornent les lim itations apportées par l ’art. 3. Le Gouvernement
n’a pas cru devoir maintenir celles qui lui faisaient un devoir de refuser
un brevet aux inventions contraires à l’ordre, à la sûreté publique, aux
bonnes mœurs ou aux lois : non qu’il veuille accorder à ces inventions
ou l’autorisation ou l’impunité ; il déclare, au contraire, que les brevets
délivrés pour de tels objets sont nuis et de nul effet. Mais il a pensé avec raison que les prohibitions proposées entraînaient un examen préa
lable, contraire à un pricipe fondamental que nous aurons à expliquer
tout à l’heure : que la production de la pensée industrielle devait être
exempte d’entraves comme la production de la pensée littéraire ; que
dans l’une comme dans l’autre manifestation, le système préventif devait
être exclu comme dangereux pour la liberté , et le système répressif ad
mis comme étant seul en harmonie avec nos lois et nos institutions.
La durée des brevets soulève plusieurs graves questions.
Dans certains pays, comme l ’Angleterre et les Etats-U nis, les brevets
ont tous la même durée.
En France , on a cru devoir admettre trois catégories de brevets dont
la durée, déterminée par les brevetés eux-mêmes, serait de cinq, de dix
ou de quinze années.
Le projet m aintient cette classification, et ce n’est pas sans motif. Les
inventions n ’ont pas toutes la même importance n i le même avenir. La
loi a laissé aux inventeurs le soin de lim iter la durée de jouissance qui
leur était nécessaire pour tirer p arti de leurs découvertes.
Mais en même temps elle a fixé un maximum de quinze années. C’est
celui qui avait été établi par la déclaration du 26 novembre 1762 pour
les anciens privilèges, et adopté p ar les lois de 4791 pour le système des
brevets. Ce term e avait chez nous la puissance d’un fait consacré par
l’usage. Deux grandes nations in d u strie lle s, l’Angleterre et les EtatsUnis, n’accordent à leurs patentes qu’une durée de quatorze ans ; dix an
nées seulement de protection sont accordées à l’industrie naissante de la
Russie. I c i , comme sur tant d’autres points , c’est encore la législation
française qui porte la plus haute empreinte de libéralité.
C ependant, de vives réclamations se sont fait entendre , et l ’on a de
mandé pourquoi ce qu’on appelle la création industrielle n ’obtenait point
la même protection que la création littéraire ou artistique ; pourquoi le
droit de l’inventeur ne dure que quinze a n s , quand celui de l ’écrivain,
�APPENDICE
387
du peintre et du dessinateur dure pendant leur vie entière et s’étend mê
me au delà ?
Les réposes étaient faciles.
Sans doute, la création industrielle et la création littéraire ont la mê
me source ; toutes deux sont le produit de l’intelligence. Mais à part
cette noble communauté d’origine, y a-t-il parité entre elles ?
Les découvertes faites dans les arts et métiers n ’empruntent-elles pas
au passé beaucoup plus de secours que les œuvres de l’écrivain ? La pen
sée industrielle n ’est-elle pas susceptible d’être conçue et réalisée de la
même manière par plusieurs personnes ? Ne peut-on pas affirmer que, si
elle ne fût point éclese à une époque, elle se serait inévitablement pro
duite plus tard sous les indications des besoins du commerce, sous l ’in
fluence d’une observation attentive, et quelquefois par le seul bienfait
du hasard? En peut-on dire autant des œuvres littéraires ? Si le génie
de Molière n’eût pas créé le T artu fe et le M isanthrope, le genre hu
m ain n ’eùt-il pas à jamais été déshérité de ces chefs-d’œuvre ?
Enfin, les droits accordés aux inventeurs industriels constituent un
tem ps d’arrêt pour l ’industrie. Il n ’est pas permis de faire comme eux, ni
même de faire mieux. On ne peut m ettre en œuvre les perfectionnements
obtenus qu’avec leur assentim ent ou à l ’expiration de leur privilège.
Dans les lettres, au contraire, ou dans les beaux-arts, le sujet traité par
un auteur reste dans le libre domaine de l’art et de la pensée ; tous les
a rtis te s , tous les écrivains peuvent y puiser des in sp ira tio n s, le repro
duire sous une autre forme et entrer en concurrence avec celui qui a ou
vert la carrière. Eût-elle paru la première sur la scène ; la Phèdre de
Pradon n’aurait point empêché le glorieux avènement de la Phèdre de
Racine.
Qu’on cesse donc de comparer des créations dénaturé si diverses.
Reste à parler de taxe.
Son principe est juste ; c’est un trib u t faiblement rém unérateur du
monopole que la loi établit en faveur des in v e n te u rs, et de toutes les
protections qu’elle leur accorde contre elle-même. C’est a u s s i, dans un
système qui commande la délivrance des brevets sans examen préalable,
le seul moyen d’empêcher une foule de rêveries et de puérilités d’entra
ver le commerce et d’usurper une protection qui n ’a ôté établie que pour
les découvertes sérieuses et u tiles.1
1 Le nombre des brevets tend toujours à s’accroître. Il est aujourd’hui sept fois
�388
APPENDICE
Cette dernière considération devait conduire encore à ne pas descendre
à un chiffre trop minime.
Mais comment asseoir la taxe des brevets ?
En Belgique , elle est calculée sur l’importance présumée de l’objet
breveté Mais quel arbitraire, quelle difficulté, disons mieux, quelle im
possibilité dans cette appréciation d’un objet encore inconnu !
On a préféré prendre pour base la' durée du brevet.
Cent francs par année , tous frais compris , n ’ont point paru à votre
commission un taux exorbitant.
Ainsi, l’on paiera 500 fr. pour un brevet de cinq ans , 1000 fr pour
un brevet de dix ans, et 1500 fr. pour un brevet de quinze années.i
C’est une légère augmentation pour les deux premières espèces de bre
vets. La troisième, qui s’applique aux inventions vraiment importantes,
reste au taux fixé par la loi du 25 mai 1791.
Quelques hommes expérimentés dans ces matières auraient voulu que.
pour l’acquittem ent de la taxe, on adm it le système de la législation au
trichienne , c’est-à-dire le paiement par annuités. Ce système a quelque
chose de séduisant ; il favorise les inventeurs qui sont sous le poids de
la détresse ; mais il rend lés perceptions plus longues et plus difficiles ;
il augmente et complique les écritures de comptabilité ; il multiplie les
causes de déchéance et peut frapper les négligences, l’absence, la mala
die , à l’égal de la mauvaise foi; il ne donne au contrat intervenu entre
l ’inventeur et la société d’autre sanction que l ’abandon d’un brevet té
mérairement sollicité ; enfin (et c’est la considération la plus g rav e), il
ne perm et pas aux intéressés de connaître exactement la durée des bre
vets , et de savoir avec précision ce qui tombe dans le domaine public
ou ce qui reste sous la restriction d’un droit privatif.
La commission a admis les bases du projet.
plus considérable qu’il n’était du temps de l’Empire, et il résulte des tableaux remis
par l’adm inistration, que le nombre des brevets accordés s’est élevé , pendant les
neufs premiers mois de 1842, à 1085 , dont 576 de cinq an s, 315 de dix ans, et 194 de
quinze ans. Le nombre de brevets d’addition a été de 524 pendant ces trois premiers
trim estres ; il n’avait été que de 274 pendant tout le cours de l’année précédente.
1 Pour être exploitée pendant quatorze ans en A ngleterre, en Ecosse et en Irlan
de, une patente d’invention coûte 7950 fr., non compris les frais de requête, qui s’é
lèvent de 250 à 500 fr. L’extension pour les colonies ne coûte rien de plus, quand elle
est demandée collectivement; si elle n’est réclamée que plus tard, on exige une nou
velle taxe.
�389
APPENDICE
D’ailleurs , comme on va le voir , une heureuse innovation vient au
secours des inventeurs peu fortunés, en leur permettant de prendre, moy
ennant 208 fr.. un brevet provisoire qui les met à même d’expérimenter
leur découverte, et leur donne le temps de se procurer les ressources né
cessaires pour prendre un brevet définitif.
Titre II.
s
D e s f o r m a lit é s r e la t iv e s à la d é liv r a n c e d e s b r e v e t s .
Nous avons p eu d e chose à vous dire sur les détails fort simples de la
procédure administrative qui doit précéder l’obtention des brevets , et
qui fait l’objet de la section première de ce titre : ce sont des disposi
tions réglementaires dont plusieurs ont pour elles l ’épreuve du passé , et
dont quelques autres sont une évidente amélioration pour l ’avenir. Exi
ger une désignation claire et complète de la découverte à breveter ; assu
rer aux auteurs de cette découverte le rang que leur assigne la date de
leur demande ; garantir à la fois les droits présents de l’inventeur et les
droits futurs de la société, tels sont les objets principaux de ces disposi
tions.
200 fr, doivent être versés à valoir sur la taxe de brevet dont la du
rée ne courra que du jo u r de sa délivrance , bien que les droits de l’in
venteur soient assurés du jo u r de la demande.
Le seul amendement que propose la commission c’est que les procèsverbaux destinés à constater le dépôt des pièces au secrétariat général
des préfectures, soient tenus sur un registre spécial qui ne perm ettra au
cune intercalation , et qui présentera plus de garanties que des procèsverbaux détachés
La section deuxième, relative à la délivrance des brevets , soulève des
questions plus graves et qui m éritent de fixer votre attention.
On s’est demandé d’abord si les brevets devaient être accordés avec ou
sans examen préalable.
Pourquoi, a t-on dit, concéder ce qui, plus tard, devra être retiré, an
nulé ? Qu’a-t-on à gagner à ces brevets illégitimes qui restent sans u ti
lité pour ceux-mèmes qui les obtiennent ? Ne vaut-il pas mieux refuser
dès le principe que de briser plus tard ce q u ’on aura commencé par ac
corder ?
�390
A PPEN D IC E
Ces objections. graves en apparence , n ’ont pas empêché de maintenir
le principe de délivrance des brevets sans examen préalable.
Les arts et le commerce vivent de liberté. On n ’a pas cru devoir les
déshériter du respect de notre législation en général pour la libre mani
festation de la pensée sous quelque forme q u ’elle se produise , et de la
répugnance pour les mesures préventives si fécondes en abus. L’examen
préalable serait l’établissement de la censure en matière d’in d u strie. Et
comment s’exercerait cette censure ? C om m ent, par exemple , décider
qu’un fait industriel est nouveau, et qu’il ne s’est pas produit dans l ’en
ceinte d’une manufacture ou dans la retraite d’un ouvrier obscur et la
borieux ? Comment prévoir et juger le degré d’utilité d ’une découverte à
peine née, qui n ’a reçu aucuns développements, qui n’a pas encore subi
l ’épreuve de l ’application ? Quels seront les contradicteurs de ce débat ?
Qui représentera les parties intéressées ? Et môme où prendre des juges?
Qui exercera cette magistrature conjecturale sur les domaines de la pen
sée et de l’avenir ? Sera-ce un commis métamorphosé en juré des choses
industrielles qu’il ignore ? Prendra-t-on un homme pratique , qui sou
vent n ’est qu’un homme de routine, pour juger un homme de théorie et
d’inspiration ? Appellera-t-on des savants qui, pour être savants, ne sa
vent pourtant pas encore toutes choses ; qui ont leurs préventions, leurs
préjugés, leurs coleries; dont le postulant contredit peut-être les doctri
nes , les travaux , les idées? Ce sont là de véritables impossibilités. On
l’a dit avec autant d’esprit que de raison : En cette matière, la seule p ro
cédure convenable est l’expérience: le seul juge compétent, est le public.
D’un autre côté , le,jugement rendu sera-t-il souverain ? Alors com
bien d’intérêts ignorés pourront être compromis. Sera-t-il susceptible
d’être réformé par les tribunaux ? Voilà le pouvoir adm inistratif soumis
au pouvoir judiciaire.
Enfin , l ’examen préalable emporterait responsabilité morale pour le
juge et garantie pour l ’invention : double écueil qu’il fallait éviter.
On a voulu faire une distinction : m aintenir la délivrance du brevet
sans examen pour ce qui tient à la nouveauté ou au mérite de l’inven
tion ; mais perm ettre l ’examen préalable el la faculté de rejet pour les
inventions ou découvertes qui seraient contraires à l’ordre ou à la sûreté
publiques, aux bonnes mœurs ou aux lois du royaume.
Les auteurs du projet n’ont pas cru qu’il fût possible de scinder ainsi
le principe, d’établir deux ordres de procédure et deux catégories de
brevets. Aucun fait gravé n ’avait indiqué la nécessité de ces précautions-
�APPENDICE
391
Le système d’examen préventif a,donc été complètement rejeté, et l’o n a
laissé aux tribunaux le soin d’annuler ou de réprimer les infractions de
toute nature. L’art. 11 du projet porte que « les brevets dont la de
mande aura été régulièrement formée seront délivrés sans examen préa.
labié , aux risques et périls des demandeurs , et sans garantie soit de la
réalité, de la nouveauté et du mérite de l’invention, soit de la fidélité ou
de l’exactitude de la description. »
Grâce à ce système , aucune invention utile ne peut être étouffée dans
son berceau : mais en même temps aucune usurpation ne peut s’établir.
Quand une découverte est présentée comme nouvelle par son auteur,
l ’autorité adm inistrative enregistre cette déclaration et l’entoure des so
lennités qui doivent en assurer l’efficacité. Si la déclaration est vraie,
elle produit tous les effets que la loi y a attachés. Si elle est fausse , si
la prétendue invention n ’en est pas une, si elle blesse les lois, les mœurs,
l’ordre p u b lic, les tribunaux chargés de l'application des lois frappent
de m ort le brevet usurpé. Ainsi tous les intérêts sont protégés ; tous les
pouvoirs publics fonctionnent avec régularité dans la sphère qui leur
appartient.
Ces principes ont été consacrés en 1791. Un moment attaqués en l’an
vi , au sein du conseil des C inq-C ents, ils ont reçu les hommages de
ceux-là mêmes qui les avaient un instant méconnus b Us sont reçus
chez presque toutes les nations industrielles 2. Une longue expérience a
justifié leur sagesse. Votre commission a pensé qu’on avait eu raison d’y
persister.
Ici vient se placer la plus im portante innovation que renferme le pro
jet de loi : c’est la création des brevets provisoires, q u’on pourrait appe
ler aussi brevets d'essais.
Une découverte industrielle est une œuvre de patience et d’investiga
tion. Elle ne jaillit point complète du cerveau de l’inventeur comme Mi
nerve sortit tout armée du cerveau de Jupiter. Entre l ’idée première et
sa réalisation parfaite, que d’essais, de tâtonnements, de corrections, de
changements, de rectifications ! Combien de fois la pratique vient dé
jouer les calculs de la théorie et lu i demander de nouvelles inspirations!
1 Voir les deux rapports , en sens opposé , de M. E udes, du 14 pluviôse et du la
fructidor an vi.
» Le principe contraire n’a prévalu qu’en P russe, en Belgique, en Hollande et
en Sardaigne.
�392
APPENDICE
Au milieu de ce travail, l’inventeur a crainte de se voir devancer dans
la carrrière et prim er par un rival actif et vigilant. Alors il se hâte de
prendre rang avant que son œuvre ait reçu toute la perfection qu’il pou
vait lui donner, et de placer sa découverte sous la sauvegarde d’un bre
vet hâtif.
Ce n’est pas tout. D’après la législation de 4791 , il était obligé , de
prime abord, de prendre un brevet définitif, d’en déterminer la durée et
de payer au moins la moitié de la taxe avant d’avoir pu livrer sa décou
verte à l’épreuve de la pratique , expérimenter ses résultats, pressentir
l’accueil qu'elle devait recevoir et l’extension qu’elle devait atteindre.Les
illusions de l’espérance conseillaient souvent de prendre le brevet le plus
long et le plus cher, pour une invention qui D’était pas viable, et une dé
fiante timidité ou une position gênée faisaient prendre un brevet de
courte durée pour une découverte pleine d’avenir. Souvent aussi on se
laissait frapper de déchéance pour ne pas solder le complément d’une
taxe élevée nécessitée par un long brevet dont la futilité était reconnue.
Enfin l’invention avait à peine paru dans son état d’enfance et d’im
perfection, qu’une foule d’industriels, habitués à vivre sur les idées d’au
tru i, s’en em p araien t, se faisaient breveter pour des perfectionnements
qui souvent n’en sont pas, ou qui s’offrent d’eux-mêmes , discréditaient,
autant qu’il était en eux,l’œuvre prim itive,et tâchaient d’entrer d’unefaçon
quelconque en partage de bénéfices avec l’inventeur rançonné par eux.
Les art. 14 et 18 du projet ont obvié d’une manière heureuse à tous
ces inconvénients.
D’abord l’inventeur n ’est plus tenu de déterm iner'dès le principe la
durée de son b re v e t, et de payer la moitié de la taxe. Moyennant une
somme de 200 fr. imputable sur la taxe qui sera déterminée par le bre
vet définitif , il peut prendre un b re v e t, q u i , pendant deux années, de
meure à l’état de brevet provisoire. Pendant ce temps, il a le loisir de se
livrer avec sécurité à tous les essais utiles et de perfectionner sa décou->
verte. Nul autre venant le troubler ou le devancer dans ses expériences
ne peut obtenir un brevet valable pour un changement, perfectionnement
ou addition. Cependant le public et le breveté s’éclairent sur le mérite
de l’invention : si elle n’obtient pas les succès espérés , l’inventeur est
maître de s’arrêter là ; si ses espérances se réalisent, il peut, en connais
sance de cause et suivant la mesure de la réussite, déclarer, avant la fin
des deux années , la durée qu’il entend assigner à son brevet dans la li
mite des trois périodes indiquées par l’art. 4. Alors il devra payer le
�APPENDICE
393
complément de la taxe ; mais deux ans d'exploitation et de succès lui
en auront facilité les moyens.
Cet ensemble de dispositions apporte une amélioration véritable dans
le sort des in venteurs, et leur présente une garantie bien plus efficace
que celle qui résulte d’une disposition analogue de la législation anglaise
connue sous le nom de caveat.]
Aussi a-t-on accueilli avec faveur cette partie du projet. Seulement
quelques personnes ont critiqué avec amertume la disposition qui ne
permet pas aux tiers de prendre un brevet de perfectionnement pendant
la durée du brevet provisoire. Elles y ont vu une espèce d’attentat à la
liberté de l’in d u strie , et des perfectionnements certains sacrifiés à des
perfectionnements éventuels. <r C om m ent, a-t-on d i t , donner à un in
venteur le privilège exclusif de travailler sur son idée et de la perfection
ner seul pendant deux années, enlever i tout autre la faculté de la mo
difier et de l’améliorer, mettre, en quelque sorte, les intelligences en in
terdit ! C’est trop se préoccuper des intérêts de l’inventeur et pas assez
des droits de la masse et de la prospérité de l’industrie en général. Cela
est d’autant moins juste que l’on peut espérer peu de perfectionnements
de l’inventeur, qui s’est épuisé sur son idée première ; qui, souvent placé
sous l’empire d’une idée fixe , ne voit guère que ce qu’il a v u , s’agite
sans cesse dans un cercle d’où il ne peut sortir , et n ’aperçoit point ce
qui paraît fort simple à celui dont l’imagination n ’est point fatiguée par
un laborieux enfantement. »
Quelque imposantes que puissent paraître ces raisons , votre commis
sion n’en a point été touchée. Il ne s’agit pas seulement de ce qui peut
être avantageux, il faut voir aussi ce qui est juste.
Or, l’équité ne commande-t-elle pas de laisser à l’inventeur le temps
de conduire lui-même son œuvre à maturité , d’interroger les résultats
de la pratique pour corriger les erreurs de la théorie . et de demander
aux faits les indications que la spéculation seule ne pouvait donner ?
Et qui donc aurait droit de s’en plaindre ? L’inventeur pouvait conser
ver sa découverte et ne la révéler au public qu’au bout de deux années
réservées à ses travaux de perfectionnements. Faut-il le punir d’avoir
devancé cette époque et appelé la société à jouir plus tô t du fruit de ses
veilles ?
1 Voir la note page 296.
�394-
APPENDICE
D’ailleurs, les hommes qui se ruent sur une invention nouvelle dès
qu’elle a p p a ra ît, qui cherchent A hisser leur nom sur des découvertes
qui ne sont pas d’eux , sont-ils toujours bien favorables ? A côté des
perfectionnements réels , n ’y a-t-il pas beaucoup plus de perfectionne
ments nominaux et de pure spéculation ?
On a demandé encore si la prohibition de l’art. -18 faisait un devoir
au m inistre de refuser le brevet de perfectionnement demandé dans le
cours des deux années d ’interdiction. Il est évident que non , puisque
to u t brevet demandé doit être accordé sans examen. Seulement, l’art. 48
déclare que le brevet de perfectionnement, pris dans les deux ans du
brevet provisoire ne sera pas valable.
Mais alors, a-t-on poursuivi, le perfectionnement tom bant dans le do
maine public profitera donc , pendant la durée du b re v e t, à l ’inventeur
et ensuite à la société? Sans doute. Mais à qui la faute? A celui qui a
encouru la déchéance en foulant aux pieds les prohibitions de l’art. 48,
et en prenant un brevet en dehors des conditions légales.
A ces restrictions près, le projet de loi permet, comme les lois actuel
les, de breveter les changements, additions ou perfectionnements appor
tés à une invention précédemment brevetée.
En effet, un perfectionnem ent, quand il ne se borne pas à un simple
changement de forme ou à une insignifiante modification , peut avoir le
caractère et souvent l ’importance d’une création nouvelle.
Seulem ent, si le changement, l’addition ou le perfectionnement éma
nent de l’inventeur breveté , il aura le choix ou de prendre un brevet
spécial pour cinq, dix ou quinze années, ou de se faire délivrer un sim
ple certificat d’addition se rattachant au brevet prim itif et soumis alors
à une faible taxe de 20 fr.
Si c’est un tie r s , il lu i faut un brevet soumis aux mêmes formalités,
aux mêmes conditions et aux mêmes droits que les brevets prim ordiaux.
Mais la raison et la justice dictaient l’art. 20, suivant lequel : « q u i
conque aura obtenu an brevet pour une découverte, invention ou appli
cation se rattachant à l’objet d’un autre b rev et, n ’aura aucun droit d’ex
ploiter l’invention déjà brevetée , et réciproquement le titulaire du bre
vet prifnitif ne pourra exploiter l’invention objet du uouveau brevet. »
Les motifs de cette double règle ont été parfaitement expliqués dans
l’excellent travail du rapporteur de l’Assemblée co n stitu an te, M. de
Boufflers.
« On a cru , d is a it-il, que le titre accordé à l’auteur de la perfe ction
�APPENDICE
395
enlevait au premier auteur de la découverte , l’exercice privatif de son
titre d’inventeur ; mais il n ’en est pas ainsi : l’invention est le s u je t, la
perfection est une addition. Les deux choses différentes appartiennent à
leurs auteurs respectifs : l’une est l’arbre , et l’autre est la greffe. Si le
premier inventeur veut présenter sa découverte perfectionnée, il doit s’a
dresser au second , et réciproquement le second inventeur ne peut tenir
que du premier le sujet auquel il veut appliquer son nouveau genre de
perfection ; ils se verront désormais obligés, quoi qu’ils fassent, de tra
vailler l ’un pour l’autre , e t , dans toutes les suppositions , la société y
trouve son p ro fit, car , ou bien ils se c ritiq u e n t, et alors le public est
plus éclairé, ou bien ils s’accordent,et alors le public est mieux servi.' »
Si le projet m aintient les brevets de perfectionnement, il supprime les
brevets d’im portation , cette prime étrange accordée à une simple péré
grination industrielle , plaçant sur la même ligne que l’inventeur celui
qui va chercher l’invention des autres à quelques kilomètres de la fron
tière, qui rapporte ce que chacun peut aller prendre, et ce qui serait ve
nu quelques jours, quelques semaines plus tard.
A une époque où les rapports des peuples étaient peu nombreux et
semés d’obstacles , où les guerres et les prohibitions élevaient des .^ar
rières difficiles à fra n c h ir, les brevets d’im portation ont pu avoir leur
utilité. Aujourd’hui ils n'ont que des inconvénients et sont pour le com
merce des entraves sans compensation. Leur suppression était vivement
sollicitée; c’est encore un des bienfaits du projet de loi.
La section iv du titre 11 donne des règles pour la transm ission et la
cession des brevets. La loi a dû autoriser ces transactions, mais il était
nécessaire d’en expliquer les effets et de les environner d’une sage p u
blicité destinée à prévenir toute incertitude sur les droits de chacun et
sur la manière de les exercer.
Dès que les brevets sont délivrés et les droits de l’inventeur assurés,
les descriptions, dessins, échantillons et modèles des brevets déposés au
ministère du commerce doivent être communiqués , sans frais , à tous
ceux qui le réclament.
La raison en est simple. 11 faut bien que ceux qui veulent se faire
breveter soient mis à même de vérifier s’ils n ’ont pas été devancés dans
leur découverte et dans l ’obtention d’un brevet
1 De Boufïlcrs, réponse aux objections élevées contre la loi du 7 janvier 1791, im
primée par ordre de l’Assemblée Nationale.
�396
APPENDICE
Ces descriptions et dessins peuvent être d’ailleurs un utile objet d’é
tude ; leur publicité est que école d’industrie ouverte à tous ; il suffit
aux intérêts des brevetés q u ’on ne puisse exploiter- leur découverte.
Cependant ou ne permet pas que , pendant la durée du brevet provi
soire , aucuns calques , croquis ou notes soient pris sur les pièces com
muniquées’. C’était une conséquence , pour ainsi dire obligée , du droit
exclusif de perfectionnement accordé au breveté pendant cette période.
Mais, à l’expiration du brevet provisoire, toute personne pourra obte
nir, à ses frais, copie des descriptions et dessins, suivant les formes ré
glementaires, que la loi abandonne aux soins de l’administration.
Toutefois , cette communication dans les bureaux ne pouvait guère
profiter aux industriels de la province; elle n’avait d’utilité.réelle que
pour ceux de la capitale.
La loi ancienne avait cherché à corriger autant que possible cette iné
galité , en ordonnant que la publication officielle , par la voie de l’im
pression ou de la gravure, aurait lieu dès que l’expiration du brevet au
rait mis fin au privilège.
Mais pourquoi attendre l’expiration du brevet pour divulguer ainsi les
ressources nouvelles offertes à l’industrie , et pour provoquer leur per
fectionnement , ou mettre sur la route des découvertes qui s'y ratta
chent ? L’art. 23 veut que la publication soit faite aussitôt que le bre
vet provisoire a été converti en brevet définitif.
Seulem ent, pour ne pas m ultiplier les frais hors de mesure et sans
motifs , et aussi pour ne pas rendre les recherches trop laborieuses , la
publication pourra , suivant l ’importance des objets , se faire textuelle
ment ou par extrait.
Il sera en outre publié, au commencement de chaque année , un cata
logue contenant les titres des brevets délivrés dans le courant de l’année
précédente.
Enfin, ce catalogue et le recueil des descriptions et dessins doivent être déposés au ministère de l’agriculture et du commerce et au secréta
ria t de la préfecture de chaque département.
Ajnsi sont prises, aussi complètement que possible , toutes les mesu
res propres à répandre l’éducation industrielle, et à faire pénétrer sur
tous les points du royaume les découvertes qui intéressent le commerce
et les arts.
�APPENDICE
397
Titre III.
D e s d r o it s d e s é t r a n g e r s .
La France s’est toujours montrée hospitalière et généreuse envers les
autres nations. La première , elle a aboli le droit d’aubaine et admis les
étrangers à jouir du bienfait de ses lois.
A plus forte raison devait-elle ouvrir ses portes à celui qui vient ap
porter un tribut de découvertes nouvelles. Il était digne d’elle de donner
l’exemple du respect pour le droit des inventeurs sans distinction de
nationalité , et d’élever la garantie pour les œuvres du génie industriel,
à la hauteur d’un principe de droit public international.
L’exercice du commerce et de l ’industrie, en effet, n ’appartient-il pas
essentiellement au droit des gens ?
Le projet de loi, tel qu’il vous est présenté, n ’a soumis les étrangers à
aucune condition de réciprocité; donnant a in s i, comme on l’avait fait
en 1819 pour la loi dès successions , une preuve de désintéressement et
de haute civilisation.
Tout inventeur étranger, q u ’il soit déjà breveté ailleurs , ou q u ’il ne
le soit pas, qu’il soit ou non résidant en France , pourra donc se faire
breveter comme le Français, et aux mêmes conditions.
Or , une de ces conditions essentielles est que l’invention soit nou
velle, c’est-à-dire qu’elle n ’ait reçu ni en France ni a ille u rs, soit par la
voie de l’im pression, soit par toute autre manifestation extérieure , une
publicité suffisante pour pouvoir être exécutée.
On ne peut se dissimuler , et la loyauté fait un devoir d’en donner
hautem ent a v is , que cette règle paralyse le bienfait de la loi nouvelle à
l’égard des industriels qui auraient été brevetés dans le pays où , com
me en Russie, les descriptions jointes aux demandes de brevets sent p u
bliés immédiatement après la concession. Mais pouvait-on faire pour les
étrangers plus qu’on ne fait pour les régnicoles ?
Toutefois, la commission vous propose un amendement pour expliquer
que si l’auteur d’une invention ou découverte déjà brevetée ailleurs, peut
obtenir un brevet en forme , la durée de ce dernier brevet ne devra pas
excéder la durée du brevet étranger. Il ne faut pas que la protection ac
cordée par la France devienne pour elle une cause d’infériorité , et que
dans son sein on enchaîne, par le monopole, ce qui partout ailleurs se
rait libre de cette entrave.
�398
APPENDICE
Titre IV.
D e s n u llité s e t d é c h é a n c e s e t d es a c tio n s y re la tiv e s .
S ection ir». — Des nullités et déchéances.
La faculté de vérifier les droits du breveté et d’apprécier la valeur de
son titre, était la conséquence nécessaire de la délivrance du brevet sans
examen préalable. Toute la garantie de la société est là.
Ainsi doit être réprimée l’usurpation de ceux qui se sont présentés
comme les auteurs d’une découverte qui n’est pas nouvelle , ou qui ont
surpris un brevet pour des objets que la loi avait déclarés non suscepti
bles d’être brevetés.
On ne peut non plus laisser subsister un titre destiné à protéger Ce
qui serait contraire à l’ordre, à la sûreté publique, aux bonnes mœurs et
aux lois du royaume.
Les sévérités de la loi sont dues encore à la fraudé , qui a dissimulé
sous un faux titre le véritable objet de l’invention ; à la réticence cou
pable qui a produit une description insuffisante, ou dissimulé ses moy
ens d’exécution ; à l’invention faite sur la découverte d’autrui pendant
la durée du brevet provisoire ; aux certificats menteurs d’addition ou de
perfectionnement qui, n’ayant aucun rapport avec l’intention dotée d’un
brevet principal, aurait pour effet de constituer de véritables brevets )
sans en supporter les charges.
Toutes ces causes de nullité portent leur explication avec elles-mê
mes.
C’est encore une disposition parfaitement en rapport avec le principe
de la l o i , que celle de l’art 30 , qui ne veut pas qu’on considère comme
nouvelle toute découverte, invention ou exploitation qui, en France ou à
l’étranger, aurait reçu antérieurement à la date du dépôt de la demande,
soit par la presse, soit par la gravure, soit par une exploitation connue,
soit par tout autre mode de manifestation , une publicité suffisante pour
pouvoir être exécutée avec ces seuls secours.
En effet, les avantages du monopole accordé au breveté sont le prix
d’une révélation industrielle dont il dote la société ; mais la société ne
lui doit rien, si elle ne reçoit rien de lui. Le brevet serait alors un effet
sans cause.
�APPENDICE
399
Enfin deux raisons de déchéance sont écrites dans l’art. 31 : la pre
mière , contre le breveté qui a laissé sommeiller son invention pendant
deux années sans la mettre en exploitation , ou qui a interrompu pen
dant une année entière l’exploitation commencée ; la seconde, contre ce
lui qui introduirait en France des objets fabriqués à l’étranger et sem
blables à ceux pour lesquels il est breveté.
Si la société consent à se déshériter pour un temps du droit d’exploi
ter librement une découverte utile , c’est pour reporter les avantages de
cette exploitation à l’inventeur. Mais s’il les dédaigne ou les délaisse , il
est censé les abdiquer, et il en est déchu. De même la protection de la
loi française ne peut lui être continuée, quand, au lieu d’en faire profiter
le travail national, il en reporte les profits aux travailleurs étrangers.
La se bornent les causes de nullité et de déchéance maintenues par le
projet de loi.
Il a sagement fait disparaître une autre cause écrite dans la loi du 7
janvier 1791 , contre celui q u i, ayant obtenu un brevet en France, se
faisait breveter à l’étranger pour la même invention.
Cette disposition jalouse allait contre son but, car elle avait pour effet
de rendre libre à l’é tranger ce qui était chez nous soumis aux exigences
du monopole , c’est-à-dire de défavoriser à la fois le breveté et l’indus
trie nationale au profit de l’industrie étrangère. Elle devait donc être ef
facée de la loi nouvelle.
Toutefois , la commission a cru devoir introduire ici une prohibition
dont la déchéance du brevet peut devenir la sanction dernière.
Déjà nous avons eu occasion de le dire , une opinion trop générale
ment répandue considère les brevets comme une garantie du mérite de
l’invention, et le charlatanisme des brevetés cherche trop souvent à pro
pager, à accroître et à exploiter cette erreur. Plusieurs chambres de
commerce ont signalé ce moyen de fraude comme également fâcheux
pour le commerce, qu’il discrédite, et pour les consommateurs, qu’il abuse.
La commission vous propose de décider, que lorsque des affiches,
prospectus ou annonces auront reçu une rédaction évidemment destinée
à tromper le public sur le mérite des brevets, ce fait constituera un délit
qui pourra être puni d’abord par une amende de 30 fr. à 100 fr., et en
cas de récidive, par la déchéance du brevet lui-même.
�400
APPENDICE
S ection
ii.
— Des actions en nullité et en déchéance.
En déterminant les différentes causes de nullité ou de déchéance ap
plicables aux brevets d’invention, les lois des 7 janvier et 25 mai 1791
avaient gardé le silence, et sur la juridiction qui devait en connaître et
sur les personnes qui pouvaient les invoquer,
De là beaucoup d’incertitudes et de procès.
Les dispositions destinées à combler cette lacune sont fort simples.
L’action en nullité ou en déchéance est ouverte à tous ceux qui y ont
intérêt. C’est l’application du droit commun.
Cette action doit' être portée devant les tribunaux ordinaires, c’est-àdire devant les tribunaux civils de première instance , et par appel de
vant les Cours royales. Cest encore le droit commun auquel la loi du
25 mai 1838 avait déjà ramené.
Si le droit résultant du brevet a été disséminé par des cessions en di
verses mains , l’action doit être concentrée au tribunal du domicile du
titulaire breveté.
L’instruction doit être celle des affaires sommaires , c’est-à-dire aussi
rapide et aussi peu coûteuse que possible.
Mais, comme ces contestations intéressent la liberté du commerce et
de l’industrie, elles devront être communiquées au ministère public.
Une seule disposition a un caractère de nouveauté qui mérite expli
cation :
D’après les règles du d ro it, l’autorité de la chose jugée se concentre
contre les parties, leurs héritiers ou ayants cause, et ce principe, qui ne
donne à la vérité judiciaire qu’une puissance relative , est tellement ab
solu , qu’il s’applique même aux matières les plus indivisibles par leur
nature, comme les questions d’Etat.
Sous l’empire d’un tel principe , un jugement qui prononce la nullité
ou la déchéance d’un brevet sur la demande d’une personne intéressée,
laisserait la question entière vis-à-vis de tous autres, et la lutte pourrait
se ranimer sans cesse et se prolonger indéfiniment.
D’un autre côté, si l’on avait voulu faire exception au principe et étendre l’autorité de la chose jugée à l’encontre des tiers en matière de
brevet, on s’exposait à faire naître des actions collusoires, dont le but et
le résultat auraient été souvent de couvrir les vices d’un brevet et de le
mettre à l’abri des attaques les mieux fondées.
�401
APPENDICE
Pour obvier à tous ces inconvénients, l’art. 35 du projet de loi voulait que, dans tous les cas où un jugement ou arrêt, prononçant la nul
lité ou la déchéance d’un brevet, aurait acquis la force de la chose jugée,
il en fût donné avis au garde des sceaux, ministre de la justice, qui au
rait pu prescrire au ministère public de se pourvoir pour faire pronon
cer la nullité ou la déchéance absolue.
Votre commission a vu beaucoup d’inconvénients à cette intervention
du ministre de la justice dans des matières qui sont plutôt du ressort du
ministre du commerce , à ces injonctions qui ôtent au ministère public
quelque chose de sa dignité, et à ces actions principales qui ne sont que
très-exceptionnellement dans les attributions civiles de cette magistra
ture.
D’un autre côté, en formant ainsi après coup et peut-être devant d’au
tres juges, une action nouvelle après un premier jugement, n’exposeraiton pas la justice à des contrariétés de décisions toujours fâcheuses? Ne
se pourrait-il pas que la demande à fin de déchéance ou de nullité abso
lue, fût rejetée quand la demande première aurait été accueillie ?
La commission a cru que le but proposé serait plus sûrement et plus
convenablement attein t, si l’on accordait au ministère public la faculté
d’intervenir par ses conclusions dans les procès portés devant les tribu
naux par les parties intéressées , et de requérir, dans l’intérêt de la so
ciété , une nullité et une déchéance absolues qui imprimerait à la déci.
sion rendue un caractère de généralité propre à tarir désormais la source
de procès nouveaux.
De plus, on lui réserve l’initiative d’une action principale toutes les
fois qu’il s’agirait de faire tomber le brevet, comme contraire à l’ordre
ou à la sûreté publiques ou aux bonnes mœurs.
Titre V.
D e la c o n t r e f a ç o n , d e s p o u r s u it e s e t d e s p e in e s .
Après avoir protégé la société contre les usurpations de brevets, la loi
devait protection aux brevetés contre les inventions des contrefacteurs.
Le projet de loi établit des peines sagement graduées qui s'aggravent
par l’état de récidive , ou par l’infidélité des ouvriers employés dans les
ateliers des brevetés, mais que l’équité du juge pourra tempérer par l’ap
plication de Fart. 463 du Code pénal.
ni —
26
�402
APPENDICE
Les complicités étaient réprimées plus faiblement que le délit princi
pal. La commission a cru devoir maintenir le principe général de l’éga
lité des peines entre les auteurs d’un délit et leurs complices. En cette
matière plus qu’en tout autre, la culpabilité est identique, et si les cir
constances appellent une différence , le juge trouvera le moyen de l’éta
blir dans l’intervalle qui sépare le maximum et le minimum , sur l’é
chelle des répressions.
La connaissance des poursuites en contrefaçon , abandonnée par les
lois de 4791 à la juridiction des juges de paix, a été restituée par la loi
du 25 mai 1838 aux tribunaux correctionnels plus en rapport avec la
gravité des intérêts et la nature des condamnations. Cette attribution est
maintenue.
Les poursuites sont simples et rapides. L’initiative est exclusivement
réservée aux parties intéressées. La saisie est facultative , et l’on peut y
suppléer par une constatation détaillée. Dans le cas de saisie , un cau
tionnement peut être imposé à celui qui la requiert. La demande doit
être formée dans la huitaine qui suit cette saisie, ou la constatation qui
la remplace.
Le tribunal corretionnel devant lequel l’action en contrefaçon est por
tée, peut connaître de toutes les exceptions proposées, alors même qu’el
les seraient tirées d’une invocation de nullité ou de déchéance,ou qu’elles
reposeraient sur des questions relatives à la propriété du brevet. On évitera ainsi des renvois devant les tribunaux civils, renvois sans utilité
,
f
qui créent doubles procès et qui, par conséquent, enfantent doubles frais
et doubles lenteurs.
Enfin , au lieu d’ordonner, comme le faisait la législation de 1791, la
vente des objets saisis et la remise de leur produit au propriétaire du
brevet, l’art. 46 du projet, procédant par une voie plus courte et plus
rationnelle , ordonne qu’on remette au breveté les objets eux-mêmes en
nature, pour qu’il en dispose comme il lui conviendra le mieux.
Titre VI.
D is p o s itio n s p a rtic u liè r e s e t tr a n s ito ir e s .
Ce dernier titre renferme des dispositions particulières et transitoires.
Il délègue à des réglements d’administration publique le soin d’arrêter
les dispositions nécessaires pour l’exécution de la loi. Loin de reprocher
4
�403
APPENDICE
cette délégation , peut-être pourrait-on reprocher au projet de ne l’avoir
pas étendue à plusieurs des dispositions réglementaires qui le surchar
gent. C’est un reproche qu’on serait fondé à adresser à plus d’une de nos
lois nouvelles.
Des ordonnances rendues dans la même forme réglementaire pourront
étendre aux colonies le bienfait de la lo i, et en régler l’application avec
les modifications qui seront jugées nécessaires, à raison de la différence
des lieux et des intérêts en présence.
Pour tarir une source féconde de discussions sur les dispositions abro
gées ou maintenues dans les lois anciennes sur les brevets d’invention et
de perfectionnement, l’art. 49 prononce l’abrogation complète et absolue
de toutes les lois. La loi nouvelle formera désormais le seul Code en
cette matière.
Enfin le projet se termine par un hommage au grand principe de nonrétroactivité des lois
Tel est l’ensemble de ses dispositions. Il nous a paru répondre aux
vœux et aux besoins du pays, et votre commission vous en propose l’a
doption avec les amendements indiqués.
L’application de cette loi ne manquera pas d’à-propos au moment où
la France industrielle se prépare à déployer dans une solennelle exposi
tion le magnifique spectacle de ses richesses, de ses progrès, de ses con
quêtes , et à marquer ainsi le degré auquel elle s’est élevée sur l’échelle
de la civilisation. Puissent les garanties nouvelles offertes au génie de
l’invention exciter ses efforts, développer ses ressources et en faire sortir
de nouveaux éléments de prospérité et de grandeur pour notre pays I
t
�404
APPENDICE
5.
DEUXIÈME EXPOSÉ DES MOTIFS
P r é se n té
le
29
a v r il
4 8 -<t4
A LA CHAMBRE DES PAIRS
Messieurs les Pairs, vous avez adopté, l’année dernière, un projet de
loi destiné à régler d’une manière plus certaine les droits des auteurs
des découvertes et inventions industrielles , et la discussion approfondie
à laquelle vous vous êtes livrés, en mettant en lumière les principes fon
damentaux sur lesquels reposent les lois de 1791, a donné à ces princi
pes une sanction et une autorité nouvelles.
La chambre des Députés, à son tour, a reconnu et proclamé les droits
des inventeurs, et elle s’est attachée , par l’organe de sa commission , à
en déterminer la nature , l’étendue et les limites , mais elle a en même
temps introduit, dans les dispositions réglementaires du projet, des mo
difications qui nous mettent dans le cas de vous le rapporter.
Le système de la lo i, consacré par une application d’un demi-siècle,
est la concession d’un privilège temporaire accordé à l’inventeur en échange et pour prix de sa découverte ; privilège légitime et sacré , si la
découverte est réelle ; titre vain et entaché de nullité si la prétendue in
vention n’existe que dans l’imagination du demandeur. Le brevet est
l’acte qui constate la déclaration d’invention ; la garantie de tous est
dans la délivrance de cet acte, sans examen préalable, et aux risques et
périls du demandeur.
�APPENDICE
40S
Aucun des changements introduits dans le projet de loi ne porte at
teinte à ces principes fondamentaux : plusieurs même ont pour effet d’en
étendre et d’en fortifier l’application : nous les examinerons rapidement.
L’art. 2 du projet que vous aviez adopté , déclarait susceptibles d'être
brevetés les inventions nouvelles. L’art. 3 déclarait non susceptibles d'ê
tre brevetées les compositions pharmaceutiques , les plans et combinai
sons de crédit et de finances ainsi que les principes, méthodes, et géné
ralement toutes découvertes ou conceptions scientifiques ou théoriques.
On a fait remarquer , avec raison , q u e , dans ces deux articles , les
mots susceptibles d'être brevetés n’avaient pas la même acception et la
même portée ; que, dans le premier, ils tendaient seulement à définir les
objets qui peuvent être valablement brevetés , sans impliquer pour le
Gouvernement la faculté ou l’obligation d’examen préalable et le droit de
refus, laissant aux tribunaux le soin d’annuler les brevets qui auraient
été pris contrairement aux dispositions de la loi.C’était donc là une pure
définition.
Dans l’art. 3, au contraire , les mots non susceptibles d'être brevetés
entraînaient, dans la pensée du législateur, l’obligation de refuser la dé
livrance des brevets demandés pour les préparations pharmaceutiques et
pour les plans et combinaisons de crédit et de finances ; tandis que pour
les principes, méthodes et découvertes scientifiques et théoriques, ils re
prenaient le caractère de simple définition , les tribunaux seuls pouvant,
dans ce dernier cas, trancher, la question de savoir si telle découverte
appartient au domaine de la science ou à celui de l’industrie.
Les amendements introduits dans les art. 2 et 3 font cesser cette confusiqn. L’art. 2 est devenu la définition, l’explication de l’art. <l«r. Les
mots non susceptibles d'être brevetés, maintenus dans l’art. 3, et appli
qués seulement aux préparations pharmaceutiques et aux plans de crédit
et de finances, excluent ces deux natures d’objets des matières pour les
quelles il peut être délivré des brevets, et le Gouvernement devra refu
ser la délivrance de ceux qui lui seraient demandés.
Quant aux principes, méthodes, systèmes, découvertes ou conceptions
théoriques ou purement scientifiques , la disposition de l’art. 3 , qui les
déclarait non susceptibles d’être brevetés, a été reportée dans l’art. 30 :
le public se trouvera ainsi averti que les brevets qui seraient pris pour
des découvertes de cette nature seraient frappés de nullité virtuelle , et
le principe de non-examen préalable recevra par là une nouvelle consé
cration.
�406
APPENDICE
L’art. 4 maintient la taxe des brevets telle qu’elle avait été fixée par
le projet primitif ; mais il a été ajouté à cet article un nouveau paragra
phe portant que la taxe sera payée par annuités de 100 fr. à peine de dé
chéance, si le breveté laisse écouler un terme sans l’acquitter.
Cette innovation était grave, et le Gouvernement a dû faire ses efforts
pour la faire repousser à cause des inconvénients qu’elle pouvait présen
ter dans l’application, tout en ne méconnaissant pas les avantages parti
culiers qu’elle offrait aux inventeurs.
Il était à considérer, en effet, que la facilité de prendre un brevet mo
yennant une simple taxe de 100 fr., était de nature à encourager le char
latanisme, contre lequel s’élèvent de si justes réclamations ; qu’il en ré
sulterait une augmentation considérable du nombre des brevets à déli
vrer et une complication dans les écritures, non-seulement pour l’expé
dition des titres , mais encore pour le compte à ouvrir à chaque breveté
et la correspondance à suivre périodiquement avec les receveurs gêné •
raux des quatre-vingt-six départements ; qu’il faudrait, en o u tre, pré
voir un accroissement important de dépense , par suite de la publication
immédiate de la totalité des brevets délivrés. D’un autre côté , l’indus
trie devait redouter l’incertitude qui naîtrait de l’ignorance de la durée
effective des brevets, et la nécessité de recourir sans cesse au Bulletin
des lois ou aux registres de l’administration , pour connaître les titres
tombés en déchéance à défaut de paiement d’une annuité. Enfin se pré
sentait l’inconvénient très-grave d’exposer les cessionnaires du breveté
principal à voir frapper de déchéance dans leurs mains , et sans faute de
leur part, le titre dont eux-mêmes auraient acquitté le prix to ta l, lors
que le breveté aurait négligé d’acquitter une annuité.
Indépendamment de ces objections, il était à craindre que la disposi
tion dont il s’agit, et dont l’idée a été empruntée à la législation de l’Au
triche , ne détruisît le système du brevet d 'essai qui avait été considéré
avec juste raison comme une des améliorations les plus essentielles de la
loi proposée.
Mais, nous devons le reconnaître , les dispositions additionnelles vo
tées à la suite de l’amendement introduit dans l’art. 4, ont assez atténué
les inconvénients de cet amendement pour que le Gouvernement , pre
nant en considération les avantages qu’il présente pour les inventeurs;
s’y soit rallié sans hésitation, et vous en propose aujourd’hui l’adoption.
L’art. 33 a pourvu , par une peine sévère , à la répression de l’abus
�a p p e n d ic e
407
que le charlatanisme pourrait faire des brevets d’invention ; l’art. 32
prononce la déchéance de plein droit du breveté qui n’aura pas acquitté
son annuité avant le commencement de chacune des années de la durée
de son privilège; l’art. 24 dispose que les descriptions et dessins ne se
ront publiés qu’après le paiement de la deuxième annuité , e t , dans la
plupart des ca s, cette disposition suffira pour faire justice de ces inven
tions sans valeur et sans consistance, que votre commission traitait avec
raison de futilités et de rêveries ; l’art 18 dispose que nul autre que le
breveté ou ses ayants droit ne pourra, pendant la première année, pren
dre un brevet pour un changement, perfectionnement ou addition à l’in,
vention faisant l’objet du brevet primitif ; enfin, l’art 20 ne permet pas
de cession totale ou partielle d’un brevet qu’après le paiement de la to
talité de la taxe déterminée par l’art. 4.
A l’aide de ces dispositions et de la publication trimestrielle des bre
vets qui seront tombés en déchéance , faute de paiement d’une annuité,
l ’administration pourra pourvoir à la mise à exécution du système nou
veau introduit dans la loi ; les avantages du brevet provisoire se trouve
ront conservés dans une mesure satisfaisante , et il ne sera pas à crain.
dre que les tiers de bonne fo i, cessionnaires de la totalité ou de partie
d’un brev et, puissent être lésés par la négligence , l’insolvabilité ou la
fraude de leur cédant.
Ces considérations, Messieurs, vous détermineront, comme le Gouver
nement, à donner votre assentiment à, l’innovation proposée, et qui, si
elle doit réaliser pour les. inventeurs les résultats qu’on a fait envisager,
mérite certainement d’être accueillie avec faveur.
L’art. 6 , dont le dispositif a été emprunté à la législation de 1791,
exige que la demande de brevet soit limitée à un seul objet. La rédac
tion de cet article a été complétée , en ajoutant que la demande pourra
comprendre , avec l’objet principal, les objets de détail qui en font par
tie intégrante et constitutive , et les applications dont on voudra s’assu
rer le privilège.
L’art. 7 a réduit à 100 fr. la somme à payer avant le dépôt de toute
demande de brôvet d’invention. C’était une conséquence naturelle de l’a
mendement qui a introduit dans la loi le système des annuités de 100 f.
L’art. 8 disposait que la durée des brevets courait à partir de la si
gnature du brevet par le ministre, mais que les droits de priorité du
breveté et la faculté de faire tous actes conservatoires lui appai'tien-
�408
APPENDICE
draient à dater du procès-verbal de dépôt de la demande. On a craint,
avec juste raison, les inconvénients qui pourraient résulter d’une double
date, et comme, d ’après la loi nouvelle, l’expédition des titres n’entrainera plus d’autre délai que celui qui sera nécessaire pour collationner
la double description fournie par le breveté, il n’y aura jamais qu’un in
tervalle très-court entre le dépôt de la demande et la délivrance du titre,
et par conséquent il était sans intérêt réel d’attacher des effets différents
à la date du dépôt et à celle de la délivrance du brevet.
A l’art. 14 a été supprimée la disposition portant qu’un extrait de
l’ordonnance royale de proclamation des brevets, serait délivré à, chaque
breveté ; on a voulu, par là, simplifier les formes de l’expédition des ti
tres, et faire bien comprendre à tout le monde que le certificat signé par
le ministre forme un titre complet et constitue seul le brevet.
L’art. 16 a été modifié dans la rédaction seulement, en exprimant
dans un paragraphe spécial que les certificats d’addition pris par un des
ayants droit au brevet profiteront à tous les autres. ,
En maintenant à l’art. 18 le privilège accordé au breveté de pouvoir
prendre seul , pendant la première année , des brevets pour un change
ment, perfectionnement ou addition, il a paru convenable de créer, pour
les tiers, un moyen de prendre dateet de faire enregistrer dans la forme
ordinaire , toutes demandes relatives à des perfectionnements, change
ments ou additions à une découverte déjà brevetée. Les demandes, ainsi
déposées, ne seront ouvertes qu’à la fin de l’année de privilège du brevet
primitif, et tous les droits de priorité seront ainsi conservés.
L’art. 20 dispose, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer , qu’au
cune cession totale ou partielle d’un brevet ne pourra être faite qu’après
le paiement de la totalité de la taxe déterminée par la loi. Il n’est pas
besoin d’insister sur la nécessité absolue de cette disposition , qui peut
seule mettre à couvert les intérêts des cessionnaires , souvent en trèsgrand nombre, qui, sur la foi de leur contrat, auront pu faire des dépen
ses plus ou moins considérables d’installation et même prendre des en
gagements envers des tiers.
Le même article ne maintient plus l'enregistrement des cessions , à
peine de nullité, qu’au secrétariat de la préfecture du département dans
lequel l’acte de cession aura été passé , il sera pourvu administrative
ment à ce que la mention de cession intervenue soit inscrite également
au registre du département où le cédant avait domicile quand il a acquis
ses droits
�APPENDICE
409
• Les dispositions des articles 23 à 26 , relatives à la communication et
à la publication des descriptions et dessins des brevets, ont été coordon
nées avec les articles précédents , qui ont réglé le paiement de la taxe
par annuités, et le privilège du breveté pendant la première année après
la délivrance du brevet. Jusqu’à l’expiration des titres , les descriptions
et dessins resteront déposés au ministère de l’agriculture et du commer
ce ; les brevets, dont la seconde annuité aura été acquittée , seront pu
bliés textuellement ou par èxtraits , et après leur expiration , les origi
naux des descriptions et dessins seront envoyés et resteront déposés au
Conservatoire royal des arts et métiers ; pour qu’on y puisse toujours
recourir en cas de besoin.
Ces dispositions simples et d’une exécution facile s’expliquent d’ellesmêmes.
Un article nouveau a été introduit sous le n° 29, dans le titre in, qui
traite des droits des étrangers. Cet article concède à l’auteur d’une dé
couverte, qui a pris un brevet d’invention en pays étranger, le droit de
prendre un brevet en France pour la même découverte, et pour le temps
restant à courir sur la durée du brevet pris à l’étranger. Cette disposi
tion, qui existe déjà dans la législation de plusieurs pays, notamment en
Autriche et en Bavière , méritait de trouver place dans la loi française,
et la chambre des Députés, en la votant, n’a même pas cru qu’il fût di
gne de la nation , et véritablement utile pour l’industrie , d’attacher à
cette concession aucune concession de réciprocité. Le Gouvernement qui
déjà, dans son projet prim itif, était entré en partie dans cette voie , n’a
pu qu’applaudir à cet amendement qu’il vous demande de consacrer.
Un nouveau cas de nullité a été ajouté à ceux que prévoyait l'art. 30.
Il porte sur les brevets qui auraient été pris pour des principes, métho
des, systèmes, découvertes et conceptions théoriques ou purement scien
tifiques, dont on n’aurait pas indiqué les applications industrielles.Nous
avons expliqué précédemment les motifs fondés qui ont fait reporter à
cet article les dispositions dont il s’a g it, et qui, dans le projet primitif,
avaient été placées à l’art. 3 sous une autre forme. Cette modification
rentre complètement dans l’esprit de la loi.
L’art. 32, relatif aux déchéances, présente un double amendement : le
premier, qui déclare déchu de plein droit le breveté qui n’a pas acquitté
son annuité avant le commencement de chacune des années de la durée
de son privilège. Dans le système précédent, les brevets n’étant délivrés
�410
APPENDICE
qu’après le paiement de la taxe, ce cas de déchéance n’existait pas : avec
le système des annuités il est indispensable , et forme la garantie des
droits du publie). — La seconde modification a pour objet d’étendre à
deux années, au lieu d’une , la durée d’interruption d’exploitation d’une
découverte, nécessaire pour entraîner la déchéance du brevet. Cette ex
tension, toute dans l’intérêt des inventeurs, est conforme à l’esprit de la
loi et mérite d’être accueillie.
Dans le même titre figure une disposition nouvelle qui a pour but de
réprimer les écarts journaliers du charlatanisme, et l’abus que font trop
souvent les brevetés d’un titre qu’ils savent bien leur avoir été délivré
sans garantie et sans examen préalable, et qu’ils présentent à tort com
me garantissant soit la nouveauté , soit la réalité , soit le mérite de leur
invention. Une peine de 80 fr. à 1000 fr. punira quiconque prendra faus
sement la qualité de breveté, ou qui mentionnera cette qualité , sans y
ajouter ces mots : sans garantie du Gouvernement. En cas de récidive,
l’amende pourra être portée au double. Cette disposition a été appelée
par un besoin trop généralement senti pour n’être pas adoptée, et la la
titude qui existe entre le minimum et le maximum de la peine, permet
tra au ju g e, dans les différents cas , de mettre la répression en rapport
avec le délit.
L’art. 39 du titre iv portait que dans tous les cas où un jugement ou
a rrê t, prononçant la nullité ou la déchéance d’un brevet, aurait acquis
la force de chose jugée, il en fût donné avis au garde des sceaux, minis
tre de la justice, qui aurait pu prescrire au ministère public de se pour
voir pour faire prononcer la nullité ou la déchéance absolue. La cham
bre des Députés a vu des inconvénients à cette intervention du ministre
de la justice dans cette matière ; on a craint que ces injonctions au mi
nistère public n’ôtent quelque chose à sa dignité : d’un autre côté , a-ton dit, en formant ai,nsi après coup , et peut-être devant d’autres juges,
une action nouvelle après un premier jugement , n’exposerait-on pas la
justice à des contrariétés de décisions toujours fâcheuses? Ne se pourraitil pas que la demande à fin de déchéance ou de nullité absolue, fût reje
tée quand la demande première aurait été accueillie ?
La chambre des Députés, placée sous l’influence de ces considérations,
a pensé, avec sa commission, que le but proposé serait plus sûrement et
plus convenablement a tte in t, si l’on accordait au ministère public la fa
culté d’interveuir dans les procès portés devant les tribunaux par les
�APPENDICE
411
parties intéressées, et de requérir, dans l’intérêt de la société , une n u l
lité ou une déchéance absolues qui im primeraient à la décision rendue
un caractère de généralité propre à tarir la source de procès nouveaux
Vous apprécierez, Messieurs, ces observations, qui ont motivé l ’adop
tion de l’amendement introduit dans l’art. 39.
L’art. 40, adopté par la chambre des Députés dans les termes où il avait été voté dans cette enceinte, dispose que « toute atteinte portée aux
» droits du breveté, soit par la fabrication de produits, soit par l’emploi
» de moyens faisant l’objet de son brevet, constitue le délit de contrefa» çon, » et il punit ce délit d’une amende de 100 fr. à 2000 fr.
L’article su iv a n t, également adopté tel qu’il était sorti de nos délibé
rations, porte que « ceux qui auront sciemment recelé , vendu ou ex» posé en vente , ou introduit sur le territoire français un ou plusieurs
» objets contrefaits , seront punis des mêmes peines que les eontrefac» teurs. »
En comparant ces deux dispositions, et en se reportant aux deux ex
posés des motifs présentés par le G ouvernem ent, il est impossible de
méconnaître que , dans la pensée du projet de loi , la contrefaçon , à la
différence des faits de complicité , résulte de la seule atteinte portée aux
droits du breveté et sans q u ’il soit nécessaire d’établir l’intention frau
duleuse. « Il existe, en effet, disions-nous dans l’exposé des motifs à la
» chambre des Députés, un dépôt général où le fabricant peut et doit
» rechercher ou faire rechercher les inventions brevetées avant d’appli» quer son industrie à des objets nouveaux. Il est donc toujours coupa» ble, au moins de négligence ou d’imprudence grave, lorsqu’il a fabri» que des objets déjà brevetés au profit d’un autre.
» Mais on ne pouvait, sans une gêne excessive, imposer au commerce
» la même obligation de rechercher ; il convenait donc de ne punir le
» vendeur et l’introducteur d’objets contrefaits, que lorsqu’ils auront eu
» connaissance de la contrefaçon. »
Malgré cette explication, on a pensé que l’a rt. 41 ne devait s’entendre
que d’une atteinte portée frauduleusem ent aux droits du breveté , et on
a , au moins , exprimé le désir de voir expliquer cette disposition dans
ce sens.
Nous ne pouvons, Messieurs, admettre ce système.
S’il est vrai qu’en principe général l’intention frauduleuse est néces
saire pour constituer le d é lit, il est également vrai que cette règle ad-
�412
APPENDICE
met de nombreuses exceptions commandées par des circonstances parti
culières et par les nécessités de la répression ; la loi punit alors l’im pru
dence ou la négligence ; les exemples en sont nom breux. non-seulement
dans les matières spéciales, mais encore dans les lois pénales ordinaires,
et ce serait une erreur que de croire que ces lois ne prononcent jamais,
en pareil cas, la peine de l’emprisonnement.
Vouloir, pour se rattacher A un principe général sujet à beaucoup d’ex
ceptions , exiger du poursuivant qu’il établisse l’intention frauduleuse
contre le prévenu de contrefaçon, c’est rendre la répression souvent im
possible , et changer la législation actuelle d’une manière extrêmement
défavorable aux inventeurs , dont les plaintes les mieux fondées portent
précisément sur les difficultés de la poursuite et l’insuffisance de la ré
pression.
Enfin , Messieurs , il a été introduit à l’art. 49 un changement qui
donne aux tribunaux le pouvoir de prononcer sur les dommages-intérêts
demandés contre le prévenu, même en,cas d’acquittement, c’est-à-dire si
le fait de la contrefaçon étant établi, le prévenu est néanmoins acquitté.
Cette attribution civile , donnée exceptionnellement à la juridiction ré
pressive, trouve dans les art. 358 et 359 du Code d’instruction criminel
le , un précédent qui justifie cette innovation avec d’autant plus de rai
son, que la composition des tribunaux correctionnels est la même que
celle des tribunaux civils de première instance.
�1
413
APPENDICE
N° 6.
c istc f ü
ans-:
du
m m s t é m e l i j
1er o c t o b r e
E
1844
Sur l’application de la loi.
Monsieur le p réfet, la loi du 5 juillet 1844 sur les brevets d’inven
tion , promulguée le 8 du môme mois , est exécutoire le 9 octobre cou
rant. Je viens appeler votre attention sur les principales dispositions de
cette l o i , qui apporte de notables améliorations dans la position des in
venteurs, et qui entraînera quelques changements dans la marche suivie
par l’administration pour l’enregistrement et ^expédition des demandes
de brevets.
La loi nouvelle , comme les lois des 7 janvier et 25 mai 1791, a posé
en principe que les brevets d ’invention ne peuvent s’appliquer qu’aux
découvertes relatives aux arts industriels , et que ces titres doivent être
expédiés sans examen préalable.
Sur le premier p o in t, la loi du 5 juillet est encore plus explicite que
les lois précédentes : aux termes de cette l o i , l’invention de nouveaux
produits industriels , l’invention de nouveaux moyens ou l’application
nouvelle de moyens connus pour obtenir un résultat ou un produit in
dustriel, peuvent seuls devenir l’objet d’un brevet valable. Les princi
pes, méthodes, systèmes, découvertes ou conceptions théoriques, ou pu
rement scientifiques , ne sont pas susceptibles d’être brevetés valable
ment, à moins que l’inventeur n’ait donné à l’appui l’indication d’une ap
plication industrielle.
�h\k
APPENDICE
La législation actuelle a d’ailleurs reproduit l’exclusion qui avait été
prononcée par la loi du 20 septembre 1792 , contre les plans et combi
naisons de crédit et de finances, et elle y a ajouté celle des compositions
pharmaceutiques et remèdes de toute espace.
Mais ces dispositions restrictives n ’ont pas , dans le vœu de la l o i , la
même portée , et elles ne peuvent avoir les mêmes conséquences dans
l’application. Les unes appartiennent au régime préventif, et l’exécution
en est confiée au Gouvernement ; les autres , protégées par la sanction
pénale d’une nullité absolue, ont été placées, pour leur observation, sous
l’autorité répressive des tribunaux.
Cette distinction, qui résulte des termes exprès de la loi, votre préfec
ture doit avoir soin, le cas échéant, de la faire bien comprendre aux de
mandeurs, en leur rappelant :
1° Qu’il ne peut être délivré de brevets pour des compositions phar
maceutiques et remèdes de toute espèce, ou pour des plans et combinai
sons de crédit et de finances ;
2° Que les brevets qui seraient délivrés pour des principes, méthodes,
systèm es, découvertes ou conceptions théoriques ou scientifiques , sans
application industrielle, seraient nuis de plein droit.
Cette explication bien comprise portera toujours les inventeurs, je me
plais à le croire, à renoncer à une demande qui ne pourrait jamais abou
tir qu’à un titre entaché de nullité ; mais s i , contre mon attente , il en
était autrem ent, votre préfecture ne devrait pas perdre de vue , à l’égard
des brevets demandés pour des principes sans application industrielle,
que le Gouvernement n’a pas le droit de les refuser , et d o it, dès lors,
borner son action à un avertissement officieux ; et à l’égard des prépara
tions pharmaceutiques ou des plans de finances , que la loi n’a attribué
qu’au m inistre de l ’agriculture et du comnftrce , et non aux préfectures,
le droit de refus du brevet.
L’on doit donc , dans l’u n comme dans l’autre c a s , enregistrer les de
mandes , et rem plir à leur égard les formalités prescrites par la loi. Ces
formalités, déterminées par le titre il, sont les suivantes :
I.
Exiger le récépissé constatant le versement de la somme de d 00 f .,
à valoir sur le paiement du m ontant de la taxe ;
IL Faire déclarer le domicile réel ou élu de l ’inventeur dans le dé
partem ent , et, si le demandeur n’est pas lui-même l’inventeur, réclamer
le pouvoir écrit de ce dernier ;
�APPENDICE
III.
415
Recevoir le paquet cacheté contenant la demande au m inistre, la
description de l’invention , les dessins ou échantillons nécessaires pour
l’intelligence de la description, et le bordereau des pièces déposées ;
IV Dresser et faire signer par le demandeur le procès-verbal consta
tant le dépôt de la demande ;
V. Remettre au demandeur une expédition du procès-verbal de dépôt
sans autres frais que le remboursement du prix du timbre ;
VI. Enfin, expédier au ministre de l’agriculture et du commerce , avec une lettre d’envoi, et dans les cinq jours de la date du dépôt, le pa
quet cacheté remis par l’inventeur ou son re p résen tan t, et y joindre le
récépissé de la taxe, la copie certifiée du procès-verbal de dépôt, e t , s’il
y a lieu, le pouvoir ci-dessus mentionné.
I. La durée des brevets est fixée comme précédemment à c in q , dix
ou quinze an n ées, et le montant de la taxe à 800, 1000 et 1800 fr.; la
somme à payer d’avance, qui, sous l’ancienne législation, était de la moi
tié du m ontant de la taxe , est réduite uniformément à 100 fr., dont la
moitié reste acquise au Trésor, si la demande vient à être rejetée par une
des causes énumérées dans l’art. 12 de la l o i , et n ’est pas reproduite
dans le délai de trois mois, à compter de la notification de ce rejet.
II. L’élection de domicile a de l’importance , soit pour le paiement
ultérieur des annuités de la taxe , soit pour les notifications éventuelles
prévues par la loi dans le cas d’instance en nullité absolue du brevet.
La loi n’ayant pas déterminé la forme du pouvoir à exiger des repré
sentants des inventeu rs, le mandat sous seing privé peut être admis ;
mais, dans ce cas, la signature du mandant doit être légalisée.
III. Les demandes de brevets doivent être déposées cachetées , pour
n’être ouvertes qu’au ministère de l’agriculture et du commerce ; les des
sins ou modèles qui pourraient y être joints doivent rester également
sous le cachet du demandeur.
La demande ou requête au m inistre doit, à peine de nullité, satisfaire
à chacune des conditions imposées par l’art. 6 de la loi. Il est donc de
la plus grande importance que les inventeurs soient bien prévenus de
cette circonstance , et j ’insiste expressément pour q u e , avant d’être ad
mis à faire le dépôt de leurs pièces, ils soient invités à prendre connais
sance de cet article. Je rappelle particulièrem ent, en outre , que la re
quête ne doit comprendre qu’une seule invention avec l’ensemble des dé-
K
�416
APPENDICE
tails accessoires qui la constituent ou la complètent, et avec l’indication
de ses diverses applications; qu’elle doit déterminer la durée (cinq, dix
ou quinze ans) que l’inventeur entend assigner à son brevet ; qu’elle ne
peut contenir aucunes conditions , restrictions ou réserv es, comme se
raient l’invitation de tenir la description secrète , de ne pas délivrer le
brevet avant un délai déterminé , la réserve d’en porter ultérieurement
la durée à dix ou quinze années , etc.; qu’elle doit présenter un titre
donnant la désignation sommaire et précise de l’objet de l’invention, en
ne perdant pas de vue que toute indication mensongère qui tendrait à
dissimuler le véritable objet de l’invention serait une cause de nullité
du brev et; que la descriptiun doit ê tre , également à peine de nullité,
suffisante pour l’exécution de l ’invention , et doit exposer d’une manière
complète et loyale les véritables moyens de l ’inventeur ; enfin, qu’il doit
être produit un duplicata collationné avec soin et exactement conforme
au prim ata, tan t de la description que des dessins ou échantillons y an
nexés.
IV. Le procès-verbal constatant le dépôt doit être écrit sur un re
gistre spécial ouvert à cet effet, dont les p a g e s, cotées par première et
dernière, auront été préalablement parafées par vous-même. Tous les
procès-verbaux y seront inscrits à la suite les uns des autres, sans blanc
ni ratures ; ils seront dressés en présence des parties intéressées, porte
ront un numéro d’ordre et indiqueront le jo p r et l’heure de la remise
des pièces.
V. Une expédition du procès-verbal sera remise au déposant, moyen
nant le remboursement du p rix du timbre.
Le droit d’enregistrement de 12 fr., qui avait été établi par la loi du
25 mai 1791, a été supprimé.
VI. Ainsi que je viens de le rappeler, les demandes de brevets dépo
sées dans les préfectures doivent m’être adressées immédiatement ; la loi
a même voulu que le délai entre le dépôt et la transm ission au minis
tre , n’excédât jam ais cinq jours. L’observation de cette obligation est
d’autant plus importante, que, d’après la loi nouvelle, la durée du brevet
court à partir du jour même du dépôt.
Telles s o n t, Monsieur le p ré fe t, les formalités à rem plir, en vertu de
la loi nouvelle , pour obtenir un brevet d’invention. L’accomplissement
exact de ces formalités est essentiel ; car la l o i , par son art. 1 2 , a pro
noncé la nullité des demandes à l’égard desquelles ces formalités n ’au-
�417
APPENDICE
raient pas été remplies ; il importe donc que les demandeurs en soient
bien avertis. Il importe également qu’ils ne perdent pas de vue que dor
én av an t, par suite de la disposition de la loi qui oblige l’inventeur à
fournir sa description en,double expédition, il ne s’écoulera qu’un inter
valle de quelques jours à peine entre l’arrivée des demandes au minis
tère et l’expédition des brevets , et qu’ainsi les inventeurs ne se trouve
ront plus en mesure, soit de demander à prolonger la durée d’un brevet,
soit de renoncer à leur demande avant la délivrance du titre.
Les dispositions que je viens de rappeler s’appliquent indistinctement
A tous les inventeurs , français ou étrangers ; la loi ne fait aucune diffé
rence entre les uns et les autres, et il était digne de la France de donner
ainsi l'exemple du respect pour 1endroit des inventeurs, sans distinction
de nationalité. L’étranger qui, comme le Français, rem plit les formalités
imposées par la loi, doit donc être admis de la même manière à faire
constater son droit.
Mais , si l’invention qui fait l’objet du brevet demandé a été déjà bre
vetée dans un pays étranger, le demandeur doit signaler ce fait dans sa
demande au m inistre , et indiquer , par une date précise , le terme de la
durée du brevet étranger; en o u tre , il doit déclarer quel est, dans la li
mite de cette durée, le nombre d’années qu’il entend assigner au brevet
à lui délivrer , et l’inventeur étranger ou français , qui prend ainsi un
brevet pour sa découverte brevetée en pays étranger, ne doit pas oublier
que la loi française ne réputé pas nouvelle toute découverte , invention
ou application qui, en France ou ailleurs , a reçu , antérieurement à la
date du dépôt de la demande , une publicité suffisante pour être exécu
tée. Ces dispositions ont remplacé celles qui, sous la législation antérieu
re , réglaient ce qui était relatif aux brevets d’im portation , désormais
supprimés.
Les formalités relatives aux brevets destinés à constater des change
ments, améliorations ou perfectionnements, sont, aux termes des art. 16
et \ 7, les mêmes que celles que je viens d’indiquer Un seul cas mérite
explication : suivant l’art. 18 , nul autre que le breveté ou ses ayants
droit, ne peut, pendant une année , prendre valablement un brevet pour
une addition , changement ou perfectionnement à une invention déjà
brevetée, seulement la loi fournit à l’inventeur le moyen de prendre date
pour sa découverte , en l’autorisant à déposer une demande de brevet
qui ne doit être ouverte qu’après l’expiration de l'année de privilège ac
cordée à l’inventeur primitif. Les demandes de cette nature seront reçues
ni
•— 27
�418
APPENDICE
et enregistrées comme les autres demandes, mais le procès-verbal de dé
pôt devra indiquer spécialement l’invention à laquelle se rattache l’addi
tion ou le perfectionnement qu’on veut faire breveter.
Ces premières in stru ctio n s, Monsieur le préfet, vous m ettront en me
sure d’arrêter les dispositions nécessaires pour l ’exécution immédiate de
la l o i , et je vous adresse ci-joint un modèle du procès-verbal destiné à
constater le dépôt des demandes de brevets d’invention. Ce procès-verbal
a été calculé de manière à satisfaire aux différentes prévisions de la loi,
et j ’ai fait remplir , à cet effet, quatre exemplaires de ce modèle , des
formules à suivre dans les quatre cas qui peuvent se présenter.
Je vous transm ettrai successivement des instructions su r les autres
parties de la loi, et notamment sur l’enregistrement des cessions de bre
vets et le paiement des annuités.
Le ministre secrétaire d'Etat de l’agriculture et du commerce,
L. Cunin-G ridaine.
7.
IN S T ttU C T IO lV
M Il¥ IS T É M tn E E ,X lE
du 31 octobre 1844
Sur l’exécution de la loi.
Monsieur le préfet, l’art. 20 de la loi sur les brevets d’invention con
tient des dispositions qui reproduisent en partie celles de la loi du 25
mai 1 791 ; elles posent avec netteté le principe du droit qui appartient
au breveté de disposer librement de la propriété de son brevet, en même
�APPENDICE
4-19
temps qu’elles subordonnant l’exercice de ce droit à l'accomplissement
des formalités nécessaires pour prévenir les fraudes et garantir les inté
rêts des cessionnaires.
Le droit de disposer du brevet étant général et absolu , l’autorité n ’a
point à intervenir dans l’examen des conventions auxquelles l’exercice
de ce droit peut donner lieu, en tant qu’elles ne contiennent rien de con
traire à l ’ordre public ; le breveté peut aliéner la propriété de son titre
pour un ou pour plusieurs départements, ou pour la totalité du territoi
re français. 11 peut autoriser l’usage total ou partiel de sa découverte
sans aliéner son droit de propriété. Il peut, en ou tre, adopter toutes les
combinaisons que comporte la libre disposition de cette nature de pro
priété.
Mais d’un côté , aux termes de la loi, le breveté est déchu de tous ses
droits , s’il n ’a pas acquitté à l’échéance chacune des indemnités de la
taxe de son b re v e t, e t , de l’a u tre , aucune cession totale ou partielle ne
peut avoir lieu avant le paiement de la totalité de cette taxe.
D ’autre p a r t , la cession ne peut être faite que par un acte notarié , et
l’acte de cession doit être enregistré au secrétariat de la préfecture du
département dans lequel l’acte a été passé. L’autorité doit donc veiller à
ce que ces form alités, à l’observation desquelles la loi a subordonné la
validité des cessions, soient exactement accomplies, et je vous prie, Mon
sieur le p ré fe t, de vouloir b ie n , à cet effet, prescrire dans votre préfec
ture les dispositions suivantes.
Aucun dépôt d’acte de cession ne doit être admis que sur la produc
tion et le dépôt : 1° du récépissé é ta b lissa n t, en temps utile , le paie
ment de la dernière annuité échue, autre que la première ; 2° d’un récé
pissé du receveur général dans les départem ents, du receveur central à
P a r is , constatant le versement intégral du complément de la taxe du
brevet ; et 3» d’un extrait authentique de l’acte notarié , passé devant
un notaire du départem ent, et constatant la cession totale ou partielle
du brevet, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux.
Toutefois , si le brevet avait déjà été l ’objet d’une cession antérieure,
l’expédition du procès-verbal d’enregistrement de ladite cession et l ’ex
trait authentique de l’acte notarié dont il vient d’être parlé suffiraient
pour l’enregistrement. Cette dernière pièce seule devrait rester annexée
au procès-verbal.
Un procès-verbal, dressé en présence du déposant et signé par lui,
constatera le dépôt des pièces ci-dessus m entionnées, et énoncera les
�420
APPENDICE
noms, qualité nt domicile du déposant, s’il est autre que le breveté , du
cédant et du cessionnaire; la désignation précise du brevet, la nature des
droits conférés au cessionnaire et les conditions de ladite cession qui
pourraient affecter la propriété du brevet.
Les procès-verbaux de l’espèce , comme les procès-verbaux relatifs
aux demandes de brevets , seront dressés de suite et sans aucun blanc,
sur un registre spécial à ce d e stin é , coté et parafé comme il a été dit
dans mon intruction du 1er octobre courant. Ils porteront un numéro
d’ordre et seront rédigés dans la forme du modèle ci-annexé.
La loi n’a pas ordonné qu’il soit délivré expédition du procès verbal,
m ais cette mesure d’ordre peut être adoptée dans l’intérêt des parties ;
elle ne doit entraîner d’autres frais que le remboursement du prix du
timbre.
Enfin, de même que pour les demandes de brevets, les procès-verbaux
d’enregistrement des actes de cession doivent m’être transm is dans les
cinq jours de leur date, et ils doivent être accompagnés du récépissé
constatant le paiement de la dernière annuité échue , du récépissé du
complément de la taxe et de l’extrait ci-dessus mentionné de l’acte de
cession. L’accomplissement des autres formalités concerne mon départe
ment, et je n ’ai besoin de m’y arrêter que pour vous dire qu’aussitôt après l’arrivée des pièces, il vous en sera accusé réception, en attendant
la proclamation trim estrielle ordonnée pair l’art. 21 de la loi.
J’ai fait rem arquer que l’autorité n ’était pas juge des conventions par
ticulières intervenues entre les parties. J ’insiste sur cette observation,
afin que vous vous pénétriez bien de l'obligation de faire procéder, sans
d élai, à l’enregistrement des actes de cession présentés sans s’arrêter à
l’examen des questions de fond qui pourraient surgir.
L’administration ne manque pas , sans doute , à ce devoir, et se mon
tre paternelle en donnant officieusement aux parties les avis qui peuvent
les éclairer ; mais , si le requérant persiste , l’enregistrement doit être
effectué sur-le-champ. Il importe en effet que cet acte , auquel la loi à
subordonné la validité des cessions envers les tiers, ne soit jam ais retar
dé par la faute de l’administration
Les observations qui précèdent s’appliquent aux cessions proprement
dites, aux cessions partielles comme aux cessions totales , aux cessions
à titre gratuit comme aux cessions à titre onéreux , en un m o t , à tous
les actes volontaires par lesquels le breveté transporte ou étend à d’au
tres la propriété de son titre. Tous ces actes, sans exception; entraînent
nécessairement le paiement préalable du complément de la taxe.
i
�APPENDICE
421
Mais là propriété du brevet peut aussi se transm ettre par d’autres voies
que la cession : sa m utation peut résulter d’un ju g em en t, dans le cas
d’action en revendication de la propriété de la découverte. Elle peut être
le résultat d’un décès , d ’un p artag e, d’une séparation d’associés, etc.
Dans ces différents cas, il y a 1ieu à la production et à l’enregistrement
de l’extrait de l’acte qui opère la mutation. Mais la loi n ’a pas subordon
né l ’enregistrement de cet acte , comme celui des actes de cession , à la
condition du paiement préalable du complément de la taxe. Votre pré
fecture n’a donc point à l’exiger, et elle doit se borner à réclamer le ré
cépissé constatant le paiement de la dernière annuité échue. Je me ré
serve d’ailleurs l’examen et la solution des difficultés qui pourraient se
produire à l ’occasion de l’enregistrement des actes de cession et de muta
tion, et je vous recommande, dans le cas de doute, de faire procéder pro
visoirement à l’enregistrem ent, sous réserve de la décision à intervenir.
Je vous rappelle, en outre, que, d’après les dispositions formelles des
art. 27 et 28 de la loi , la qualité d’étranger, soit comme c é d a n t. soit
comme cessionnaire, ne doit faire apporter aucun obstacle à l’enregistre
ment de l’acte de cession ou de mutation de brevets , ni aucun change
ment pour les formalités prescrites pour cet enregistrement.
Les présentes instructions s’appliquent aux brevets qui auront été dé
livrés sous l’empire de la loi du 5 juillet d e rn ie r, comme aux brevets
pris antérieurement. Seulem ent, à l’égard de ces derniers , auxquels ne
s’étend pas le système des annuités, vous n ’aurez à demander, avec l’ex
trait authentique de l’acte de cession ou de mutation , que la preuve du
paiement de la seconde moitié de la taxe.
Le ministre secrétaire d’Etat de l'agriculture et du commerce,
L. Cunin-Gridaine.
�422
APPENDICE
.
8
A llâ t E T E E U
O C T O B R E M84LS
Réglant l’application de la loi dans les Colonies.
Le président du conseil des ministres , chargé du Pouvoir exécutif,
sur le rapport du m inistre de l’agriculture et du commerce ;
Vu l’art. 51 de la loi du 5 juillet 1844; — Vu l ’avis du ministre de
la marine et des colonies; — Le conseil d’E tat entendu;
Arrête :
A rt. 1er. — La loi du 5 ju illet 1844, sur les brevets d’invention, re
cevra son application dans les colonies à partir de la publication du p ré
sent arrêté.
Art. 2. — Quiconque voudra prendre dans les colonies un brevet
d’invention devra déposer, en triple expédition, les pièces exigés p ar l’ar
ticle 5 de la loi précitée dans les bureaux du directeur de l’intérieur. Le
procès-verbal constatant ce dépôt sera dressé sur un registre à ce destiné
et signé par ce fonctionnaire et par le dem andeur, conformément à l’ar
ticle 7 de ladite loi.
Art. 3. — Avant de procéder à la rédaction de ce procès-verbal de
dépôt, le directeur de l’intérieur se fera représenter : 1 » le récépissé dé
livré par le trésorier de la colonie, constatant le versement de la somme
de 100 fr. pour la première annuité de la ta x e ; 2° chacune des pièces,
en trip le expédition, énoncées aux S 1 , 2, 3 et 4 de la loi de 1844. Une
expédition de chacune de ces pièces restera déposée sous cachet dans les
bureaux de la direction pour y recourir au besoin. Les deux autres ex
péditions seront enfermées dans une seule enveloppe scellée et cachetée
par le déposant.
�APPENDICE
423
Art. 4. — Le gouvernement de chaque colonie devra , dans le plus
bref délai après l’enregistrement des demandes, transmettre au ministre
de l’agriculture et du commerce, par l’entremise du ministère de la ma
rine et des colonies, l’enveloppe cachetée contenant les deux expéditions
dont il s’agit, en y joignant une copie certifiée du procès-verbal, le ré
cépissé du versement de la première annuité de la taxe , et, le cas éché
ant, le pouvoir du mandataire-.
Art. 5. ■
— Les brevets délivrés seront transmis, dans le plus bref dé
lai, aux titulaires, par l’entremise du ministre de la marine et des colo-_
nies.
Art. 6. — L ’enregistrement des cessions de brevets, dont il est parlé
en l’art. 20 de la loi du 5 juillet 1844, devra s'effectuer dans les bureaux
du directeur de l’intérieur. Les expéditions des procès-verbaux d’enre
gistrement, accompagnées des extraits authentiques d’actes de cession et
des récépissés de la totalité de la taxe, seront transmises au ministre de
l’agriculture et du commerce, conformément à l’art. 4 du présent arrêté.
Art. 7. — Les taxes prescrites par les art. 4, 7, 11 et 22 de la loi du
8 ju illet 1844 seront versées entre les mains du trésorier de chaque co
lonie, qui devra faire opérer le versement au Trésor public et transmet
tre au ministre de l'agriculture et du commerce, par la même voie, l’état
du recouvrement des taxes.
Art. 8. — Les actions pour délits de contrefaçon seront jugées par
les Cours d’appel dans les colonies. Le délai des distances fixé par l’ar
ticle 48 de ladite loi sera modifié conformément aux ordonnances qui,
dans les colonies, régissent la procédure en matière civile.
J
�424
,
APPENDICE
•V
* ■<*/
* 4 1:
9.
n É c n u iv n u s ju i w i s s »
D écla ra n t la loi a p p lica b le à l ’A lg é rie .
Art. 1er. — (Conforme à l’art. 1er de l ’arrêté du 21 octobre 1848).1
Art. 2. — Les pièces exigées par l ’art. 5 de la loi du S juillet 1844,
seront déposées en triple expédition par l’impétrant, au secrétariat de la
préfecture à Alger , Oran ou Constantine ; une expédition de ces pièces
restera déposée sous cachet au secrétariat général de la préfecture où le
dépôt aura été fa it, pour y recourir au besoin. Les deux autres expédi
tions seront enfermées dans une seule enveloppe, scellée et cachetée par
le déposant, pour être adressées au ministre de la guerre.
Art. 3. — Le préfet devra , dans le plus bref délai après l’enregistre
ment des demandes, adresser au ministre de la guerre, qui le transmet
tra au ministre du commerce , l’enveloppe cachetée contenant les deux
expéditions dont il s’ag it, en y joignant les autres pièces exigées par
l’art. 7 de la loi du S ju illet 1844. Les brevets délivrés seront envoyés
par le ministre du commerce au ministre de la guerre, qui les transmet
tra aux préfets, pour être remis aux demandeurs.
Art. 4. —• (Conforme à l’a it 7 de l’arrêté du 21 octobre 1848).s
Art. 5. — Les actions pour délits et contrefaçons seront jugées par
les tribunaux compétents en Algérie. Le délai des distances fixé par l’ar
ticle 48 de la loi du 5 juillet 1844 , sera modifié conformément aux lois
et décrets qui, dans l ’Algérie, régissent la procédure en matière civile.
1 V. s u p r a n° 8, pag. 422. — i Ib id ., pag. 423.
\
�425
A PPEN D IC E
N# iO
EXPOSÉ DES MOTIFS
1O E
h
A
Xj O I
O E
1 8 * X
SUR LES NOMS DES FABRICANTS & DES LIEUX DE FABRICATION
A LA CHAMBRE DES D É PU T É S'
Messieurs, la réputation des produits fabriqués est pour le manufac
turier une véritable propriété que la loi garantit.
11 est des villes de fabrique dont les produits ont aussi une réputation
qu’on peut appeler c o llectiv e, et e.’est encore une propriété. — Les draps
de bouviers ou de Sédan sont distingués dans le commerce des espèces
particulières; et il importe aux fabricants de ces villes d’empêcher que
d’autres tissus plus ou moins semblables ne se confondent avec les leurs,
à la faveur d’une déclaration mensongère , qui aurait le double inconvé
nient de les discréditer et de tromper le consommateur.
L a législation, par des motifs de haute importance s’est abstenue d’as
sujettir en général les produits industriels à une marque apposée par
l’autorité ; mais elle a donné ce droit à tout fabricant, et l’art. 16 de la
loi du 12 avril 1803, qui le confère, attache à la contrefaçon la peine de
faux en écriture privée, avec dommages-intérêts. L ’art. 143 du Code pé-
■ M o n ite u r du 30 juin 1824.
�426
APPENDICE
nal confirme cette disposition ou ne la modifie que relativement à la pei
ne : il prononce la réclusion contre quiconque aura falsifié la marque
d’un établissement de commerce ou aura fait usage des marques contre
faites.
Toutefois ces dispositions pénales n’atteignent point celui q u i, sans
contrefaire la marque, ni usurper le nom d’a u tru i, et en employant son
propre nom, ne falsifie que le nom du lieu de fabrication.
A la vérité la même loi du 12 avril 1803 porte , art. 13 , que « la
» marque sera considérée comme contrefaite , quand on y aura inséré
» ces mots : façon de, et à la suite le nom d’un autre fabricant ou d’une
» autre ville. » Mais l’impunité résulte de l’excessive sévérité d’une as
similation qui confond et punit sans distinction, comme crime de faux,
l ’aveu d’une imitation avec une supposition de lieu , ou si l’on veut une
supposition de lieu avec 1a, contrefaçon directe d’une marque personnelleAussi les fraudeurs se sont mis facilement à couvert, en évitant matériel
lement la seule manœuvre décrite dans la lo i, et on a vu des draps ori
ginairement marqués de tel domicile, près Louviers ou rue de Louviers,
et des marchands complices de la supposition ainsi préparée, couper sur
l ’étoffe les mots près ou rue d e , en faire des draps de Louviers et les
vendre pour tels, etc.
'
Le projet de loi que le Roi nous a ordonné de vous présenter doit met
tre un terme <\ ces coupables abus.
Il n’ôte rien à la juste sévérité dont le Code pénal frappe la contrefa
çon directe. Il fait cesser l’assim ilation, tout à la fois trop rigoureuse et
insuffisante qui résulte de la loi du 12 avril 1803 entre la contrefaçon et
la simple manœuvre avec laquelle , sur une marque non contrefaite , on
fait paraître un nom supposé.
Il complète la définition du délit qu’il s’agit de p u n ir, et embrasse les
diverses fraudes possibles que la loi de 1803 n’avait pas prévues ; il at
teint celle qui apposerait ou ferait apparaître par une altération quelcon
que, sur des produits fabriqués , le nom d’un fabricant autre que le vé
ritable, ou d’un lieu autre que celui de la fabrication, et classe ce délit,
quant à la peine , avec ceux d’une égale gravité , c’est-à-dire avec les
fraudes qui se commettent du vendeur à l’acheteur, et que le Code pénal
a réunies dans son art. 423. La peine portée par cet article est suffisan
te, sans qu’il y ait lieu de craindre qu’on hésite à la prononcer pour ex
cès de rigueur : c’est l ’emprisonnement de trois mois au moins , d’un an
au plus
, et une amende qui ne peut excéder le quart des restitutions ou
�A PPEN D IC E
427
dommages-intérêts, ni être moindre de 50 fr.; et en outre la confiscation
des objets du délit, s’i l s a p p a r t i e n n e n t encore a u v e n d e u r .
Ces derniers mots de la loi pénale ont averti qu’une distinction était
à introduire dans le projet de loi. Le délit a été commis ou préparé par
le fabricant, quand il a supposé un nom, ou introduit à dessein, dans sa
marque, un mot destiné à favoriser la fraude, au moyen d'un retranche
ment ou de toute autre altération. Ce fabricant est le principal coupable.
Le débitant peut être complice , soit qu’il ait demandé la fabrication
frauduleuse, soit qu’il ait lui-même exécuté les altérations, il subira les
peines ordinaires de sa complicité : c’est le droit commun.
i
Si la marchandise appartient encore aux vendeurs (auteurs ou compli
ces), l’art. 423 du Code pénal assure la confiscation.
Mais un marchand de bonne foi peut exposer en vente dans son ma
gasin , innocemment, sans être instruit de la fraude , des marchandises
dont la marque se trouve ainsi falsifiée ou altérée. Il ne faudrait pas lais
ser un prétexte d’abuser de la lettre de la loi pour prétendre contre un
tel vendenr la confiscation qui n’a pu être exercée que contre le vendeur,
auteur ou complice du délit. On propose donc ici de déclarer que le sim
ple débitant ne sera passible des effets de la poursuite , qu’autant qu'il
aurait exposé en vente, sciemment, les objets marqués des noms suppo
sés ou altérés.
Tels sont, Messieurs , les principaux motifs des deux articles de loi
que nous vous proposons. Leurs dispositions n’étaient pas moins conseil
lées par l’expérience que réclamées par nos villes manufacturières , par
les conseils généraux de leurs départements. Vous les accueillerez, nous
n’en doutons pas , avec une égale sollicitude . puisqu’elles doivent avoir
pour objet de donner de nouvelles garanties à la fabrication, au débit de
nos produits industriels , et d’aeeroitre par là , dans l’étranger comme
dans l’intérieur du royaume, la juste réputation dont ils jouissent.
�428
APPENDICE
il.
RAPPORT DE LA COMMISSION'
A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Messieurs , la commission que vous avez nommée pour examiner le
projet de loi tendant à réprim er les altérations ou les substitutions de
noms sur les produits fabriqués, m'a chargé de soumettre à la Chambre
le résultat de cet examen.
L’industrie est une source des plus fécondes de la prospérité publique
et de la richesse des Etats. I l n ’est pas de Français qui n ’ait parcouru
avec orgueil , pas d’étranger qui n ’ait visité avec une jalouse admiration
ces vastes et superbes portiques du palais de nos rois, que la sollicitude
éclairée du Monarque bien-aimé ouvrit récemment à l’émulation de ses
sujets et où vinrent à l’envi s’exposer à nos regards étonnés ta n t de ma
gnifiques chefs d’œuvre et de brillants essais.
Si l’industrie contribue à la richesse des Etats , elle contribue aussi à
la fortune du m anufacturier , et la réputation des objets fabriqués est,
pour lui, ainsi que l ’a dit M. le m inistre de l’intérieur , une véritable
propriété que la loi doit garantir.
Il est des villes de fabrique dont les produits ont aussi une réputation
qu’on peut appeler collective, et c’est encore une propriété.
Les draps de Louviers ou de Sedan sont distingués dans le commerce
' M o n ite u r du \ n juillet 1821, pag. 885.
�APPENDICE
42 9
comme des espèces particulières ; et il importe aux habitants de ces vil
les d’empêcher que d’autres tissus, qui y ressemblent plus ou moins, ne
se confondent pas avec les leurs , à la faveur d’une déclaration menson
gère qui aurait le double inconvénient de ,les discréditer et de tromper
les consommateurs.
La législation, par des motifs de haute importance, s’est abstenue d’as
sujettir les produits industriels à une marque apposée par l’autorité;
mais la loi du 12 avril 1803 confère à tout fabricant le droit d’une m ar
que personnelle et locale.
Cette m arq u e, lorsqu’elle a acquis toute l’authenticité dont elle est
susceptible, devient la propriété du m anufacturier; c’est sous l’égide de
cette marque qu’il conserve à sa fabrication la Réputation qui en assure
le succès ; elle est la sauvegarde ds son industrie : c’est aussi une signar
ture sous la foi de laquelle il garantit les produits q u ’il offre au con
sommateur.
Celui qui contrefait cette marque commet donc un attentat à la pro
priété , puisqu’il enlève à celui à qui seul elle appartient le fruit d’une
fabrication qu’il cherche toujours à perfectionner.
C’est pourquoi l’article 10 de la loi précitée du 12 avril 1803 attache
à la contrefaçon la peine du faux en écriture privée , avec dommages et
intérêts.
L’art. 143 du Code pénal confirme cette disposition ou ne la modifie
que relativement à la peine : il prononce la réclusion contre quiconque
aura falsifié la marque d’un établissement de commerce ou aura fait usa
ge des marques contrefaites.
Toutefois ces dispositions pénales n ’atteignent point celui q u i , sans
contrefaire la marque ni usurper le nom d’autrui , et en employant son
propre nom, ne falsifie ou ne simule'que le nom du lieu de sa fabrication.
A la vérité , la même loi du 12 avril 1803 p o rte , art. 13 , que « la
» marque sera considérée comme contrefaite quand on y aura inséré ces
» mots : façon de , e t, à la suite, le nom d’un autre fabricant ou d’une
» autre ville. » Mais l’impunité résulte de l’excessive sévérité d’une as.
similation qui confond et punit sans distinction , comme crime de faux,
une im itation avec supposition de lieu , ou si l’on veut une supposition
de lieu avec la contrefaçon directe d’une marque personnelle.
D’ailleurs , les fraudeurs se sont mis facilement à c o u v e rt, en évitant
matériellement la seule manœuvre décrite dans la lo i , et l’on a vu des
draps'originairement marqués de tel domicile : p rés de Louviers, ou rue
�430
APPENDICE
de Louviers, à l'instar de Sedan, ou filature de Sedan, et des marchands
se rendant par une de ces additions complices de la simulation ainsi
préparée, couper sur le chef les mots près de ou rue d e , à l’in star de;
en faire par ces retranchem ents des draps de Louviers ou de Sedan , et
les vendre pour tels, etc. J ’occuperais trop longtemps votre attention,
Messieurs : ma position personnelle rendrait d’ailleurs ma tâche trop
pénible , si je devais vous réciter ici tous les exemples de ce genre de
fraude ; exemples que plusieurs manufacturiers se sont empressés de por
ter à la connaissance de votre commission.
Cette fraude est devenue si commune , et la sécurité de ceux qui s’y
livrent si parfaite , qu’on serait tenté de croire qu’il n ’existe point de
lois de répression, surtoùt quand on voit dans des circulaires imprimées
et revêtues de signatures à la m a in , annoncer tout simplement au com
merce que l’on fabrique dans tel endroit des draps qu’on se propose de
présenter sous la m arque de tel autre lieu auquel se rattache une grande
célébrité.
On assure que , d’un autre côté , des commissionnaires expéditeurs à
l’étranger commandent périodiquem ent, dans certaines manufactures,
cinquante ou cent pièces d’étoffe , à la condition que le manufacturier y
fera apposer une marque de telle ou telle ville qui n ’est pas celle de fa
brication.
Vous êtes frappés du préjudice immense qui résulte de ces coupables
abus ; ils tendent à détruire une réputation précieuse , en la prostituant
à des produits qui ne m éritent pas d’y participer ; ils introduisent dans
le commerce le dol et la mauvaise fo i, en trom pant le consommateur
qui, privé des connaissances nécessaires pour bien juger l ’objet qu’on lui
présente, s’en rapporte au nom qu’il y voit inscrit, et, sous cette perfide
apparence, le paye souvent bien au delà de sa vraie valeur.
C’est encore à ces manœuvres déloyales que plusieurs branches de no
tre industrie doivent la perte de leurs relations avec l’étranger qui leur
a fermé ses marchés du moment qu’il a vu les plus grossières produc
tions arriver chez lu i sous un nom qu’il était habitué à honorer, et qui
avait jusque-là obtenu toute sa confiance.
Le Gouvernement ne veut point comprimer l’essor de l’industrie ni en
paralyser les conceptions ; mais , sans entrer ici dans la question de sa
voir s’il serait convenable d’en régler l'exercice en réunissant chacune
des diverses branches qui s’y livrent par un lien commun de confiance
et d’affection, par une solidarité de probité et d’h o n n e u r, vous convien-
�APPENDICE
431
drez qu’il était du devoir du Gouvernement de mettre un terme aux fu
nestes conséquences de ce scandaleux désordre.
C’est ce qu’il a eu intention de faire par le projet de loi qu’il vous
présente.
Encore bien que ce projet soit applicable à tous les genres d’objets fa
briqués , l’exposé des motifs par M. le ministre de l’intérieur dit assez
qu’il est aussi destiné à satisfaire à de justes et vives instances ’, si sou
vent réitérées par plusieurs villes manufacturières de France, et particu
lièrement par celles de Louviers et de Sedan, auxquelles se sont empres
sés de se réunir un grand nombre de fabricants d'Elbeuf.
Ce que je viens de vous dire, Messieurs, relativement aux manœuvres
à l’aide desquelles on parvenait à altérer la marque des draps de Lou
viers et de Sedan , a déterminé votre commission à introduire dans le
premier paragraphe de votre projet les mots addition et retranche
ment.
Il lui a paru indispensable aussi d’y comprendre la raison commer
ciale , qui peut contenir et contient quelquefois un nom autre que celui
du fabricant.
Il était également nécessaire de disposer , relativement au lieu de fa
brication ; et un erratum au feuilleton de la séance qui a suivi la pré
sentation de la loi, vous a appris que c’était par suite d’une omission du
copiste qu’il ne se trouvait point dans le projet distribué.
Votre commission a pensé qu’il fallait aussi désigner le marchand en
gros et le commissionnaire, qui sont autres que ce qu’on appelle dans le
commerce le simple débitant.
Enfin , craignant que les seuls mots : exposé en vente , ne donnassent
lieu à quelque interprétation à l’aide desquelles les coupables pourraient
se soustraire à la peine , en achetant des marchandises marquées de
noms supposés ou altérés, pour les vendre dans un autre endroit, ou les
exporter sans les faire entrer dans leurs magasins , votre commission
vous propose encore d’ajouter , dans le second paragraphe de l ’article
précédent, les mots : ou mis en circulation.
Relativement au lieu de fabrication , je dois vous dire que la confec
tion de certains produits exige u n concours d’opérations telles q u ’on
n’est point encore parvenu à les exécuter toutes dans un seul et même
établissement. Cette considération nous a déterminés à exprimer le vœu
que le Gouvernement s’occupât de préciser par des dispositions réglemen
taires les conditions qui donnent droit aux fabricants d’apposer la mar-
�432
APPENDICE
que ou le nom de tel ou tel lieu , et de participer en conséquence à l’a
vantage de la réputation collective de ces produits.
Nul doute, Messieurs, que ces dispositions réglementaires devront être
telles qu’elles puissent garantir tous les intérêts légitimes, sans laisser à
la fraude le moyen d’éluder les effets de la loi.
Ce projet de loi n ’ôte rien à la juste sévérité dont le Code pénal frap
pe la contrefaçon directe. Il fait cesser l’assimilation tout à, la fois trop
rigoureuse et insuffisante qui résulte de la loi du 22 avril 1803, entre la
contrefaçon et la simple manoeuvre avec laquelle , sur une marque non
contrefaite, on fait passer un nom supposé.
Il complète la définition du délit qu’il s’agit de punir , et embrasse les
diverses fraudes possibles que la loi de 1803 n’avait pas prévues ; il a t
teint celle qui apposerait ou ferait apparaître par une altération quelcon
que, sur des produits fabriqués, le nom d’un fabricant autre que le véri
table, et d’un lieu autre que celui de la fabrication.
Il classe ce délit, quant à la peine, avec ceux d’une égale gravité, c’està-dire avec les fraudes qui se commettent du vendeur à l’acheteur, et que
le Code pénal a réunies dans son art. 523 ainsi conçu :
« Quiconque aura trompé l’acheteur sur le titre des matières d’or ou
d’a rg e n t, sur la qualité d’une pierre fausse vendue pour fin e, sur la na
ture de toute marchandise ; quiconque , par l’usage de faux poids ou de
fausses m esu res, aura trompé sur la quantité des choses vendues , sera
puni de l’emprisonnement pendant trois mois au m o in s, un an au plus,
et d’une amende qui ne pourra excéder le quart des restitutions et dom
mages et intérêts, ni être au-dessous de 50 fr.
» Les objets du délit ou leur v a le u r, s’ils appartiennent encore au
vendeur, seront confisqués ; les faux poids et les fausses mesures seront
aussi confisqués, et de plus seront brisés. »
La peine portée'par cet article est suffisante, sans qu’il y ait lieu de
craindre qu’on hésite à la prononcer pour excès de rigueur
Les dernières dispositions de la loi pénale ont averti qu’une distinc
tion était à introduire dans le projet de loi. Le délit a été commis ou
préparé par le fabricant, quand il a supposé un nom ou intro d u it à des
sein dans sa marque un mot destiné à favoriser la fraude, au moyen d’u
ne addition , d’un retranchement ou de toute autre altération. Ce fabri
cant est le principal coupable.
Le m archand peut être com plice, soit qu’il ait demandé la fabrication
frauduleuse , soit qu’il ait lui-même exécuté les altérations : il subira
donc les peines ordinaires de sa complicité ; c’est le droit commun
�433
APPENDICE
Si la marchandise appartient encore aux vendeurs ( auteurs ou com
plices), l’art. 423 du Code en assure la confiscation.
Mais un marchand de bonne foi peut exposer en vente dans son maga
sin, innocemment, sans être in stru it de la fraude, des marchandises dont
la marque se trouve ainsi falsifiée ou altérée. Il ne faudrait pas laisser
un prétexte d’abuser de la lettre de la loi pour prétendre contre un tel
vendeur la confiscation qui n ’a pu être décernée que contre le vendeur,
auteur ou complice.
On propose donc ici de déclarer que tout marchand, commissionnaire
ou d éb itan t, ne sera passible des effets de la poursuite , qu’autant qu’il
aurait sciemment exposé en vente, ou mis en circulation, les objets mar
qués de noms supposés ou altérés.
Tels s o n t, Messieurs , les principaux motifs qui ont déterminé votre
commission à vous proposer d’adopter, avec les modifications de rédac
tion qu’elle y a in tro d u ite s, les deux articles de loi qui vous sont pré
sentés ; leurs dispositions, comme vous l’a dit M. le m inistre de l’inté
rieur, n ’étaient pas moins conseillées par l’expérience que réclamées par
nos villes manufacturières et par les conseils généraux de leurs dépar
tements. Vous les accueillerez,nous n ’en doutons pas,avec une égalé solli
citude, puisqu’elles doivent avoir pour objet de donner de nouvelles ga
ranties à la fabrication, au débit de nos produits industriels, et d’accroî
tre par là, dans l’étranger, comme dans l’intérieur du royaume , la juste
réputation dont ils jouissent.
ni
28
�434
APPENDICE
12.
EXPOSÉ DES MOTIFS
A LA CHAMBRE DES PAIRS >
Messieurs , une loi du 23 germinal an xi (1 2 avril 1803 ) , qui pro
nonce la peine du fau x contre la contrefaçon des marques particulières,
que tout manufacturier ou artisan a droit d’apposer sur les objets de sa
fabrication, ajoute , art. 17 : « La marque sera considérée comme con
trefaite, quand on y aura inséré ces mots : façon d è..., et, à la suite, le
nom d’un autre fabricant ou d’une autre ville. »
Un article qui assimile au crime de faux, et qui punit d’une peine in
famante la simple mention d’une ville oïl la marchandise n ’a pas été ré
ellement fabriquée, a paru d’une sévérité exorbitante. Les fabriques les
plus intéressées contre la fraude ont réclamé de toute part. Elles ont re
présenté que l’excès de la peine en procurait l’impunité.
Mais il n’en est pas moins certain qu’aux yeux de la l o i , la supposi
tion du nom de fabrique faussement attribué au produit d’un autre lieu
est frauduleuse et punissable. En proposant une loi qui modifie la peine,
qui la proportionne mieux au d é lit, le Gouvernement ne vient donc pas
demander un droit nouveau, imposer de nouveaux réglements, n i mena
cer de restrictions inconnues la liberté de l’industrie française ; il ne
i M e m te u r du 11 juillet 1894, pug. 947.
�APPENDICE
435
vient que rendre exécutables , au profit de la bonne f o i , les mesures de
protection que la législation existante devait et prom ettait à chaque fa
brique.
La réputation d’une manufacture e s t , pour le fabricant, une propriété
à laquelle il tient justement, et que la législation a non moins justem ent
protégée. Qu’est-ce que le droit q u ’elle lui donne d’apposer sa marque
sur ses produits , si ce n ’est la garantie légale et reconnue de cette sorte
de propriété ? Que sont les rigueurs décernées contre la contrefaçon , si •
non la sanction de ce droit ? Or, personne n ’ignore qu’il est des villes
oû la réputation de la fabrique est solidaire, si l’on peut s’exprimer ain
si : la loi l ’a reconnu, tantôt en attribuant exclusivem ent à chaque ville
où se fabriquent des tissus, des lisières distinctives, tantôt et plus géné
ralement , comme nous venons de le voir , en assim ilant la contrefaçon
du nom de lieu à la contrefaçon du nom du fabricant. Cette sanction,
cette protection , puisqu’elle existe dans les lois , personne ne voudra
sans doute l’en retrancher ; là serait l’innovation devant laquelle il fau
drait s’arrêter.
Mais, en proposant d’ôter à l ’art. 17 de la loi de 1803 une rigueur dé
placée , on a dû encore modifier cette disposition pour la mieux confor
mer à l ’esprit de cette loi ; elle ne veut pas q u ’on suppose un nom de
ville ; mais, en spécifiant les mots par lesquels elle a prévu que se ferait
cette supposition , elle a ouvert la porte à un autre a b u s , celui de com
mettre la même fraude en évitant de se servir des mots prévus par la loi.
Ainsi il est dit qu’une marque sera contrefaite , si l’objet fabriqué porte
façon de... (de Lyon, par exemple, sur tissu d’Avignon) , et l’on n ’avait
pas même dit qu’on punirait à plus forte raison celui qui y aurait écrit :
fabrique de L yon. Cette imprévoyance a donné lieu à beaucoup de scan
dales : les tribunanx ont vu des fabricants apposer des marques fraudu
leuses, où le nom de Louviers avait été amené sous un prétexte, par ex
emple , comme le nom d’une rue dans leur propre ville ; et des m ar
chands , au moyen de cette complicité , altérant ou coupant sur le drap
les paroles artificieusement arrangées pour leur donner un sens innocent
en apparence, y ont fait paraître le nom seul de L o u v ie rs, comme m ar
que du ljeu de fabrication. Ce n ’est donc pas in n o v e r, c’est rendre à la
loi de 1803 sa rédaction naturelle , que de défendre toutes ces superche
ries. La chambre des Députés a cru devoir ajouter au texte du projet de
loi quelques ex p licatio n s, pour mieux embrasser toutes ces fraudes ; en
�436
APPENDICE
un mot, pour que le produit d’un lieu no fût pas marqué faussement du
nom d’un autre : c’est toute la loi.
C’est dans cet état que le projet en est soumis à Vos Seigneuries.
Quelques personnes auraient désiré que l’on désignât les conditions
sous lesquelles le fabricant, qui fait exécuter dans la campagne une par
tie des opérations de sa fabrique , sera néanmoins en droit d’user , dans
la marque, du nom de la ville où il est domicilié.
D’autres ont paru croire que ce nom de la ville ne pourra plus être
employé par les fabricants de la banlieue qui s’en servaient par le passé:
ces craintes sont vaines ; les tribunaux qui, dans le même cas, avaient à
se prononcer , sous l’ancienne l o i , sur l’usurpation vraie ou prétendue
d’un nom de lieu de fabrication , continueront à juger de même ; et,
quand il le faudra, le Gouvernement ne m anquera pas au devoir de pro
mulguer les réglements qui, en rappelant les dispositions légales, en as
sureront partout l’exécution.
Le bu t de la loi proposée est si simple, qu’on peut Être assuré de l’as
sentim ent des fabriques : c’est depuis 1840 qu’à plusieurs rep rises, elles
ont réclamé le changement aujourd’hui proposé.
Après un grand nombre de consultations, le conseil général des manu
factures en a délibéré dès \ 822. Des députations des fabricants de Sedan
et de Louviers sbnt venues porter leurs observations , et toutes les pré
cautions ont été prises pour arriver à un bon résultat.
�APPENDICE
W
437
13.
RAPPORT DE LA COMMISSION
A LA CHAMBRE DES P A IR S 1
Messieurs, l’article
du projet de loi qui est soumis à Vos Seigneu
ries contient toute la loi ; il prononce la peine de l’emprisonnement et
celle de l’amende contre tout individu qui aurait apposé sur des produits
fabriqués le nom d’un fabricant autre que celui qui en est l’auteur , ou
le nom d’un lieu autre que celui de la fabrication.
Ces dispositions sont justes, elles sont nécessaires.
Elles sont justes en ce qu’elles donnent une garantie à la propriété in
dustrielle. Je dis : propriété ! et en est-il de plus sacrée que le nom
d’un fabricant q u i , par un travail assidu , une conduite sans ta c h e , et
des découvertes utiles , s’est placé honorablement parmi les bienfaiteurs
de son pays et les créateurs de son industrie ? S’il est glorieux de porter
des noms illustres dans la carrière des a rm e s, de la m agistrature, de
l’adm inistration, il est pareillement honorable de consacrer le sien par
de grands services rendus à l’industrie, une des principales sources de la
richesse et de la prospérité d’un Etat.
Ce que je dis ici des individus , je le dirai des villes où des fabricants
sont parvenus à créer des genres d’industrie , que la supériorité et la
qualité constante des produits ont fait apprécier de tous les peuples con
sommateurs : souvent le nom de la ville apposé sur les produits com-
' M o n ite u r du 20 juillet 1824, pag. 1815,
�\ 38
APPENDICE
mande seul la confiance cl forme une garantie aux yeux de. l’acheteur ;
et s’il était permis de revêtir de ces noms des produits inférieurs, la con
fiance serait bientôt retirée , et la France perdrait infailliblement plu
sieurs genres d’industrie qu’il importe à sa gloire et à sa prospérité de
conserver.
Le nom d’un fabricant devenu célèbre par la supériorité constante de
ses produits , la fidélité et la bonne foi dans ses relations commerciales,
de même que celui d’nne ville qui a créé un genre d’industrie connu et
réputé dans toutes les parties du monde, sont donc plus qu’une propriété
privée ; ils forment une propriété publique et nationale. Les produits re
vêtus de ces noms sont admis p artout avec confiance ; et elle est telle,
cette confiance, que , dans plusieurs lieux de grande consommation , on
les reçoit sans rompre balle.
Eh bien ! qu’on tolère tacitem ent de fausses inscriptions sur les étof
fes ; que la loi reste muette sur ces usurpations de noms : que le con
sommateur n ’ait plus aucune garantie sur laquelle puisse reposer sa con
fiance, dès ce moment nos relations commerciales avec les étrangers sont
dissoutes. C’est donc un véritable délit qu’il appartient à la loi de ré
prim er. Et qu’on ne dise pas que le consommateur saura bien distinguer
à l’achat les degrés de qualité d’une étoffe : non , Messieurs , le consom
m ateur ne peut pas les apprécier ; il ne juge que ce qui tombe sous les
sens; l’œil et le tact suffisent-ils pour prononcer sur la solidité des cou
leurs , pour déterminer avec précision le degré de finesse d’une étoffe,
la nature et la bonté des apprêts ? Dans les premières années de la Ré
volution , les bonnes couleurs de la fabrique de Lyon s’étaient altérées,
et le Nord repoussa bientôt nos soieries. Ce n ’est qu’en revenant à ses
couleurs solides que cette im portante fabrique a pu retrouver ses ancien
nes relations
Sans doute l’industrie doit être libre : c’est le seul moyen d’en hâter
les progrès et d’exciter l ’émulation ; mais il ne doit pas être permis d’u
surper un nom respectable pour colporter im punément la fraude , pour
décrier un manufacturier , pour déshonorer un nom jusque-là révéré, et
fermer des débouchés au commerce d’une nation.
Qu’on ne dise pas non plus q u ’on établit par la loi un monopole ou
un privilège entre les mains de quelques fabricants : non , Messieurs , il
n ’y a ni monopole ni privilège , toutes les fois qu’il est permis à un fa
bricant d’im iter et de copier les méthodes et les procédés d’une manière
quelconque. 11 ne s’agit ici que de donner une garantie légale à la pro
priété des noms qu’il n ’est pas permis d’usurper.
�APPENDICE
A3?>
Dans tous les temps , le Gouvernement s’est occupé de l’objet qui est
maintenant soumis à vos délibérations
Les statuts accordés à la fabrique de Carcassonne, le 26 octobre 1666,
portaient la peine du carcan, pendant six h e u re s, contre tout manufac
turier qui apposerait sur ses draps la marque d’une autre ville ou d’un
autre fabricant.
La loi du 12 avril 1802 assimile au crime de faux et prononce des
peines infamantes contre les contrefacteurs du genre dont il s’agit.
La sévérité seule de ces lois les a fait tomber en désuétude. Les fabri
cants les plus intéressés à la répression du délit n ’ont pas voulu en pour
suivre l’exécution, tant il est vrai que toujours la peine doit être propor
tionnée au délit, et qu’il est un sentiment naturel plus fort que l ’intérêt
personnel,et antérieur à toutes les lois,qui repousse tout ce qui ne parait
pas juste.
Le projet de loi qui vous est soumis ne prononce que des peines cor
rectionnelles contre le même d élit, et sous ce rapport il atteint le même
but, sans compromettre le sort de la loi.
Ce projet de loi consacre un principe : la garantie des noms des fabri
cants et des villes de fabrique. Il restera après son adoption à en régler
l’exécution.
Ici se présentent de graves difficultés , qui ne pourront être résolues
que par des ordonnances interprétatives et réglementaires.
Les fabricants établis dans l’enceinte tracée et limitée d’une ville de
fabrique doivent-ils jouir seuls du droit d’apposer le nom de la ville sur
leurs produits ? Ceux qui se sont établis dans le voisinage pour profiter
d’un cours d’eau , du plus bas prix de la main-d’œ u v re , de bâtiments
plus commodes et plus spacieux , mais qui emploient dans leur fabrica
tion les mêmes matières , les mêmes procédés , les mêmes apprêts , et
dont les produits sont de même nature que ceux que l’on fabrique à
l’intérieur , seront-ils déshérités du droit d’apposer sur leurs étoffes le
nom de la ville ? Cela ne parait ni juste ni conforme à l’intérêt de l’in
dustrie. Par exemple, Sedan est une ville m ilitaire, son enceinte est trèscirconscrite et très-restreinte ; à mesure que la fabrique s’est étendue,
elle a dû sortir des lim ites tracées pour la défense de la place ; les prin
cipaux fabricants se sont établis hors des murs ; pourrait-on aujourd’hui
leur contester le droit de continuer à m arquer leurs tissus du nom de
drap de Sedan.
L’ordonnance doit prévoir ces difficultés et les résoudre d'avance pour
éviter toute contestation entre les fabricants.
/
�4 4 ‘0
APPENDICE
Une autre difficulté se présente, et celle-ci n’est pas la moins grave.
Depuis qu’on a donné toute liberté à l’industrie manufacturière, les fa
briques de Sedan , d’E lb eu f, de Louviers , qui ne pouvaient fabriquer
chacune qu’une sorte d’étoffe, ont varié à l’infini la qualité de leurs pro
duits et ont fabriqué dans la seule ville d’Elbeuf vingt sortes de draps,
dont les prix varient depuis 8 et 12 fr. jusqu’à 30 et 40 fr. l’aune.
Cette liberté a produit plusieurs bons effets : le premier, d’employer à
une bonne fabrication l’énorme variété de laines que produit aujourd’hui
notre agriculture ; le second, de nous mettre en mesure de rivaliser avec
les fabriques étrangères et de repousser leurs produits analogues; le troi
sième, d’associer la fabrication à tous les goûts et à toutes les fortunes.
Mais vous ne pouvez pas empêcher qu’un fabricant d’Elbeuf, de Sedan
du de Louviers, ne marque son drap, quelle que soit sa qualité, du lieu
où il a été fabriqué ; le projet de loi qui vous est soumis l’y autorise ex
pressément.
Je dis plus : vous ne pouvez pas empêcher que d’autres fabricants ne
s’établissent dans ces trois v ille s, pour acquérir le droit de revêtir des
produits quelconques du nom d’une ville célèbre par sa fabrication.
Ainsi la loi serait incomplète sous ce rapport et l’effet en serait illu
soire.
Que désirent les fabricants de Sedan et de Louviers qui ont fait la de
mande de la loi qui est soumise à votre délibération ? Us veulent que
leur draperie fine , qui, colportée dans le monde entier, sous le nom de
draps de Sedan ou de Louviers, a acquis partout une réputation méritée,
puisse la reprendre. Leurs efforts sont louables. Leurs vœux sont légiti
mes ; mais ils ne parviendront à leur but qu’autant que, par une ordon
nance, il sera réservé aux seuls fabricants de la bonne draperie, ancien
nement connue sous le nom de draps de Louviers ou de Sedan, d’ajouter
à cette dénomination celle de prem ière qualité. Sans cela , les noms de
drap d’E lb eu f, de Sedan ou de Louviers , n ’offriront aucune garantie au
consommateur.
La commission vous propose l’adoption de la loi.
�441
APPENDICE
N® 1 4
EXPOSÉ DBS MOTIFS
n
SUR
LES
#;
E A
MARQUES
fjffijT
DE
D E
FABRIQUE
1 8
ET
DE
5 7
COMMERCE
AU CORPS LÉGISLATIF
Messieurs , des plaintes s’élèvent depuis longtemps sur l’incohérence
de la législation relative aux marques de fabrique et de com m erce, sur
l’incertitude de la juridiction en cette matière . et sur l ’exagération des
dispositions pénales qui réprim ent la contrefaçon , exagération qui en
traîne, le plus souvent l’impunité
Les conseils généraux des manufactures et du commerce , les conseils
généraux des départem ents, les chambres de commerce , les chambres
consultatives des manufactures , tous les organes de l’industrie et du
commerce ont dem andé, à plusieurs reprises et avec instance, une révi
sion de cette législation
Une prem ière fois la question fut soumise aux conseils généraux des
manufactures et du commerce , dans leur sesssion de 1841 -42. Ces con
seils , dans des avis étudiés avec so in , posèrent les bases d’un projet de
loi q u i , délibéré par le conseil d’Etat au commencement de 1845 , fut
présenté à la chambre des Pairs le 8 avril de cette année.
Ce p ro je t, discuté en 1846 seulement par cette Chambre , et adopté à
peu près dans les termes proposés par le G ouvernem ent, ne fut porté à
la chambre des Députés qu’en 1847.
�U2
APPENDICE
Le rapport de la commission , qui apportait d’assez profondes modifi
cations au projet de la l o i , ne fut soumis à la Chambre que dans les
derniers jours de la session de 1847. Il n ’avait pu être discuté lorsque
la révolution de Février éclata.
La question fut reprise en 1850. Le conseil général de l’agriculture,
des manufactures et du commerce la discuta de nouveau dans la session
de cette année , e t , à la suite de sa délibération , un nouveau projet fut
envoyé par le Gouvernement au conseil d’E ta t, qui l’adopta avec certai
nes modifications le 17 juillet 1851. Mais les événements politiques vin
rent, encore une fois, l’ajournér.
ï
Il s’agit, comme nous l’avons dit, de refondre, en la complétant et en
la coordonnant, la législation existante sur les marques de fabrique et
de commerce. P ar con séq u en t, il convient avant tout de rem ettre sous
vos yeux l ’état actuel de la législation su r cette m atière, en faisant pré
céder cet exposé d’une courte analyse des dispositions légales qui la ré
gissaient sous l’ancien régime.
§ ».
Avant 1789, une m ultitude de m étiers étaient assujettis à l’obligation
de la marque. Mais la m arque n ’était pas alors cé qu’elle est générale
m ent aujourd’hui : la simple signature du fabricaut ou du commerçant
sur l’objet de sa fabrication ou de son commerce ; elle était de plus le
certificat de l’autorité publique touchant la qualité du p ro d u it, son ori
gine, son poids, e tc .. . .
Le Gouvernement fixait, pour chaque nature de p roduits, l’espèce, la
qualité et le poids des matières ; il déterminait les conditions de la fa
brication , il inspectait même les opérations de la main-d’œuvre. Puis,
vérifiant la conformité du produit avec le type réglementaire , il y appo
sait son estam pille, qui prenait ainsi le caractère d’une garantie publi
que.
Cette mise en tutelle de l’industrie nationale et des consommateurs avait pour sanction une pénalité très-sévère : confiscation des produits,
�APPENDICE
-«3
amendes considérables , dégradation du corps de métier , exposition au
carcan,. . . Et, pour la mise à exécution d’une telle législation, on com
prend qu’il fallût une armée entière d’employés : maîtres-gardes, grands
et petits jurés, jurés généraux et p a rticu liers, inspecteurs , contrôleurs,
officiers prud’hommes, e t c . . ..
Comme on trouvait des ressources pour le Trésor royal dans la créa
tion de ces divers offices, -l’esprit de fiscalité s’était emparé de cette ins
titution et avait poussé jusqu’aux abus les plus criants et les plus préju
diciables au travail national cette réglementation de l’industrie, qui o ri
ginairement avait eu l’intérêt public pour b u t , e t qui avait été inspirée
par l’excellente pensée de garantir la sincérité des m archandises, et de
protéger l’honneur et les intérêts généraux du commerce français , en
France et hors de France, contre les fraudes de marchands et fabricants
déloyaux.
Ce régime suscitait des plaintes très-sérieuses. Il avait été l ’objet des
remontrances du Tiers Etat dans les cahiers des Etats généraux de 1614;
Colbert l’avait condamné dans son testam ent politique; dès 1780 , plu
sieurs villes de fabrique, celle de Nîmes entre autres, s’en étaient de fait
affranchies. Il fut très-considérablement modifié, en ce qui touche la fa
brication des, tissus, par les lettres patentes du 5 mai 1779, et par celles
du 4 juin 1780. Ces deux actes introduisirent un régime interm édiaire ;
il fut désormais loisible aux fabricants d’adopter, dans la fabrication de
leurs étoffes, telles dimensions et combinaisons q u ’ils jugeraient à pro
pos , ou de s’assujettir à l’exécution des réglements. Les produits de
vaient recevoir, comme auparavant, une marque, une estampille de l’au
torité publique. Mais, dans le cas où les produits étaient conformes aux
réglements, ils portaient le mot réglé, qui n ’était pas apposé sur les tis
sus fabriqués librem ent. Il paraît même q u e , dans la pratiqué , et non
obstant les lettres patentes de 1779 et de 1780, le plomb de la libre pra
tique avait disparu avant 1789.
La Révolution affranchit complètement l’industrie. Tous ces régle
ments périrent par la loi du 7 mars 1791, qui supprima les maîtrises et
les jurandes.
Désormais , plus d’estampille de l’autorité , destinée à. attester la loy
auté des marchandises et à garantir le public contre la fraude ; sup
pression même de toute obligation pour le producteur de signer ou de
m arquer ses produits. La m arque de fabrique ou de commerce, la signa-
�444
APPENDICE
ture du fabricant sur l’objet de sa fabrication ne fut plus qu’une faculté,
qu’un droit ; mais ce droit était illusoire , parce qu’il était sans protec
tion légale suffisante , parce qu’il n’était pas protégé par une peine pro
noncée contre le contrefacteur.
« Sous l’ancien régime , disait avec énergie le rapporteur du projet de
» loi sur les marques, présenté en 1847 à la chambre des Députés, sous
» l’ancien régime , le patronage s’était transformé en oppression , et la
» tutelle en servitude; sous le régime nouveau, la liberté ne tarda pas à
» dégénérer en licence. »
Il fallut donc mettre un frein aux abus graves q u ’engendra la liberté
absolue de l’industrie. Le législateur dut intervenir.
C’est ici que nous entrons dans l’exposé de la législation qui régit au
jourd’hui la matière q u ’il s’agit de reviser.
§ 2Après 1789 . la première disposition réglementaire qui se rencontre
sur les marques de fabrique est un arrêté des consuls du 23 nivôse an
ix , qui autorise les fabricants de quincaillerie et de coutellerie à frapper
leurs ouvrages d’une marque particulière dont la propriété leur était as
surée, à la charge par eux de la faire empreindre sur des tables commu
nes déposées à cet effet à la sous-préfecture de leur domicile.
Puis, vient un arrêté du 7 germinal an x, qui autorise la manufacture
nationale de bonneterie orientale établie à Orléans à m ettre sur les en
vois qu’elle fait à l’étranger un cartouche conforme au dessin q u ’elle a
soumis au Gouvernement.
Mais ce droit de propriété de la m arque , reconnu aux fabricants de
quincaillerie et de coutellerie , puis à la manufacture nationale de b o n
neterie orientale d’Orléans, était dépourvu de sanction.
La loi du 22 germinal an x i généralisa la reconnaissance du droit ap
partenant à chaque fabricant et artisan d’apposer sa marque particulière
sur les objets de sa fabrication, et édicta ane sanction.
P ar son art. 16, elle déclarait que la contrefaçon des marques donne
rait lieu :
10 A des dommages-intérêts ;
2° A l’application des peines prononcées contre le faux en écritures
privées, Toutefois , par son art. 18 , elle subordonnait l’exercice de l ’ac-
*
�A PPENDICE
445
tion en contrefaçon de la marque au dépôt préalable d’un modèle de cette
marque au tribunal de commerce.
L a loi de l’an xi ne statuait point sur la juridiction à laquelle de
vaient être soumis les litiges en matière de marques. On restait sous
l’empire du droit commun.
Le décret du 11 juin 1809 , rectifié par un avis du conseil d’Etat ap
prouvé le 20 février 1810 , et contenant réglement sur les conseils de
prud’hommes , introduit quelques dispositions importantes relativement
à la juridiction en matière de m arques. Il investit les conseils de prud’
hommes d’un droit d’arbitrage à l ’effet d’indiquer les différences à éta
b lir entre telle m arque et telle autre. Si la voie de l’arbitrage ne réussit
pas, la difficulté est portée au tribunal de commerce.
Du re s te , le décret de 1809 m aintient l’action criminelle en contrefa
çon , et m aintient également la nécessité du dépôt pour l’exercice de
cette action ; mais il exige un double d é p ô t, l ’un au greffe du tribunal
de commerce, l’autre au secrétariat du conseil des prud’hommes.
Le 22 février 1810 fut promulgué le Code p é n a l, dont les art. 142 et
143 vinrent confirmer les dispositions de la loi de germinal an x i , et
punirent des peines appliquées au faux en écritures p riv é e s, savoir : de
la réculusion , la contrefaçon des sceaux , timbres ou marques des éta
blissem ents particuliers de banque et de comm erce; et du carcan , a u
jo u rd ’hui remplacé par la dégradation civique , l ’usage frauduleux des
sceaux, timbres ou marques de ces établissements.
Telles sont les dispositions générales sur les marques de fabrique.
Elles ont été complétées et plus ou moins modifiées, pour certains pro
duits spéciaux, par des décrets que nous analyserons sommairement.
Savons.
Il y a trois décrets sur les m arques de savons : l’un du 1er avril 1811,
les autres du 18 septembre de la même année et du 22 décembre 1812.
Pour les savons, la m arque du fabricant est obligatoire ; elle doit être
de forme différente, suivant que le savon est fabriqué à l’huile d’olive,
à l’huile de graines ou à la graisse ; elle doit porter le nom du fabricant
et celui de la ville où il fait sa résidence.
La ville de Marseille jo u it d’une marque particulière pour ses savons
à l’huile d’olive.
�446
APPENDICE
Une peine correctionnelle , une amende frappe celui qui livre au com
merce des savons non m arqués ou indûm ent revêtus de la m arque a ttri
buée à une autre espèce de savons.
Une amende frappe également celui qui usurpe la marque spéciale des
savons à l’huile d’olive de Marseille.
Quant à l’usurpation de la marque particulière appartenant à un fa
bricant, elle reste soumise à la peine criminelle édictée par la loi de ger
minal an xi et par les art. 442 et 443 du Code pénal.
Quincaillerie et Coutellerie.
La quincaillerie et la coutellerie sont l’objet de dispositions spéciales
écrites dans le décret du S septembre 4 840, qui dérogent assez notable
ment à la loi de l’an x i , au décret de 4809 et aux art. 4 42 et 4 43 du
Code pénal.
La contrefaçon des marques n ’est plus punie ici d’une peine crim i
nelle, mais simplement d’une peine correctionnelle, une amende de 300
francs pour un prem ier délit, une amende double et un emprisonnement
de six mois en cas de récidive.
D’après le décret de 4809, les contestations civiles en matière de mar
ques sont soumises , comme on l ’a d i t , à l’arbitrage des prud’hommes
d’abord , et , si l’arbitrage ne réussit pas , au tribunal de commerce. En
matières de m arques de quincaillerie , il n ’en est point ainsi : les con
seils de prud’hommes sont investis d’une véritable juridiction , et non
plus seulement du droit d’arbitrage ; e t , s’il n’y a pas de conseils de
prud'hommes, c’est le juge de paix qui prononce.
D raps.
La marque des draps est également réglementée par une législation
spéciale , savoir : p ar le décret du 2S juillet 4840 , qui attribue aux fa
bricants de Louviers le droit exclusif de donner à leurs draps une lisiè
re jauné et b le u e , et qui frappe d’une amende les fabricants des autres
villes qui emploieraient cette lisière ; et par le décret du 22 décembre
4 842, qui dispose que chaque manufacture de draps pourra obtenir l’au
torisation d ’une lisière particulière exclusivement affectée à ses produits,
et, de plus, rend obligatoire pour les draps la marque de fabrique.
�APPENDICE
447
Mais on ne fera que mentionner, en p a ssa n t, ces deux décrets , parce
qu’ils sont restés sans exécution : le prem ier, par suite d’un avis du con
seil d’Etat, approuvé par l’Empereur le 30 avril 1811, portant que l’exé
cution de ce décret devait être suspendue ju sq u ’à la promulgation d’un
réglement qui n’a jamais été fait; le second, celui du 22 décembre 1812,
par l’effet d’un autre avis du conseil d’E ta t, approuvé par l’Empereur le
17 décembre 1813 , qui a m aintenu à toutes les manufactures le droit
d’adopter telles lisières qu’elles jugeraient convenables.
§
3.
Ici se présentent, dans l’exposé de la législation existante sur les m ar
ques , un certain nombre de lo is, décrets ou ordonnances qui se ratta
chent au s u je t, mais auxquels il ne peut être question de toucher dans
le projet de loi actuel; on verra tout à l’heure pour quelle raison.
Dans cette catégorie particulière, il faut comprendre notam ment :
1° L’art. 59 de la loi du 28 avril 1816 , qui oblige les fabricants de
cotons filés et de tissus de coton et de laine à im prim er sur leurs pro
duits une m arque et un numéro de fabrication, afin de les distinguer des
produits étrangers similaires prohibés ;
2° Les ordonnances des 8 août 1 8 1 6 , 23 septembre 1818 , 26 mai
1819 et 3 avril 1836, qui déterminent, pour l’exécution de l’art. 59, tout
ce qui concerne l’estampille et la m arque des tissus de laine , coton ou
autres de la nature de ceux qui sont prohibés, des tricots et produits de
la bonneterie, des châles de laine, de coton ou de soie , des cotons filés,
des tulles de coton, etc ;
3° La loi du 28 germinal an iv (art. 1 ), et la loi du 21 octobre 1814
(art. 17), qui obligent l’im prim eur à indiquer son nom et sa demeure
sur tous les produits de son industrie ;
4° L’ordonnance du 29 octobre 1846 (art. 7) qui prescrit au pharma
cien d’apposer, sur les substances vénéneuses qu’il délivre, une étiquette
indiquant son nom et son domicile ;
5° La loi du 19 brum aire an vi, qui enjoint aux fabricants de matiè
res d’or et d’argent d’im prim er sur leurs produits un poinçon portant un
emblème spécial choisi par eux et déposé , et la première lettre de leur
nom, indépendamment des poinçons du '.itre et du bureau de garantie ;
6" Le décret du 9 février 1810 (art. 4), qui oblige les fabricants de
�448
APPENDICE
cartes à jouer à m ettre sur chaque jeu une enveloppe indiquant leurs
noms, demeures, enseignes et signatures en forme de griffes.
Le projet de loi a c tu e l, qui a pour objet d’assurer une protection ré
elle à la m arque de fabrique et de commerce , d’intéresser, par l’effica
cité de la protection qui la couvrira désormais , le fabricant ou le com
merçant qui la possède à lui donner de la valeur et à s’en faire une sour
ce de fortune par la loyauté de ses produits , et d’arriver, par ce moyen
indirect, à sauvegarder les intérêts du consommateur lui-même , n ’avait
point à s’occuper des actes législatifs ou réglementaires ci-dessus rappe
lés , parce qu’ils procèdent d’un tout autre intérêt, l’intérêt de douane,
l’intérêt de police, ou l’intérêt fiscal.
La loi du 28 juillet 1824 se rattache plus étroitem ent à l’intérêt que
nous avons en vue. Cette loi est celle qui punit des peines portées en
l’art. 423 du Code pénal, savoir . d’une peine correctionnelle (amende et
em prisonnem ent), celui qui usurpe non plus la marque , c’est-à-dire le
signe conventionnel qui remplace le nom du fabricant, mais le nom luimême ou la raison commerciale du fa b ric a n t, ou même le nom du lieu
de la fabrication. Bien qu’il y ait un rapport très-direct entre l’objet de
cette loi et celui du projet a c tu e l, on n’a point pensé qu’il y eût lieu de
toucher à la loi de 1824 , puisqu’elle édicte contre l’usurpation du nom
une peine de la même nature que celle dont il s’agit de frapper l’usurpa
tion de la marque, et puisqu’elle accorde au nom du fabricant la même
protection qu’il s’agit d’assurer à sa marque. La loi de 1824 reste donc
complètement en dehors du projet qui vous est soumis.
§
4.
Revenons par conséquent à la législation qu’il s’agit de reviser , sa
voir : à la loi de germinal an xi, au décret du 11 ju in 1809, aux art. 442
et 143 du Code p é n a l, et aux différents décrets spéciaux sur les savons
et sur la quincaillerie
L’exposé qui a été fait plus haut de cette législation a démontré qu’elle
présente un défaut d’harmonie qui ne s’explique pas , et des contradic
tions dans ses dispositions prin cip ales, celles qui sont relatives à la ju
ridiction et à la peine.
A in si, en ce qui touche la juridiction , on a vu que , d’après le décret
du 11 juin 4 809 qui est g é n é ra l, les contestations civiles oui s’élèvent
�449
APPENDICE
sur les m arques sont d’abord soumises au conseil de prud’hommes à ti
tre de conciliation , puis , s’il n ’y a pas conciliation , aux tribunaux de
commerce. Mais s’agit-il de contestations relatives aux marques de la
quincaillerie et de la coutellerie , le décret postérieur du o septembre
1810 , dérogeant au décret de 1809 , attribue juridiction au conseil de
prud’hommes qui prononce comme juge, et à son défaut au juge de paix.
Les prud’hommes paraissent aussi avoir juridiction relativement aux
marques de savons, aux termes de l’art. B du décret du 1er avril 1811.
En ce qui touche les dispositions pénales, môme contradi’.tion.
D’après la loi du 22 germinal an x i , combinée avec les art. 142 et
143 du Code pénal, la contrefaçon des marques et l’usage frauduleux des
véritables marques sont punis d’une peine crim inelle, la réclusion et la
dégradation civique. D ’après le décret du 5 septembre 1810 , la contre
façon des marques de la coutellerie n ’est punie que d’une peine correc
tionnelle, 300 fr. d’amende.
C’est aussi une peine correctionnelle qui frappe le contrefacteur de la
m arque spéciale attribuée aux savons à l’huile d’olive de la ville de Mar
seille. Mais la contrefaçon des m arques particulières des fabricants de
savon reste punie par la peine criminelle du Code pénal.
La législation des marques ne présente pas seulement des contradic
tions; on y signale aussi des lacunes. Ainsi la loi de germinal an xi,
non plus que le Code p é n a l, ne punissent point le débit des ouvrages à
marques contrefaites ; d’où il suit que les produits étrangers revêtus de
marques françaises contrefaites, qui viennent, en France même, faire la
concurrence la plus déloyale à nos fabricants , ne donnent point lieu à
l’application d’une peine. Des auteurs pensent qu’on ne peut poursuivre,
celui qui les débite, que par la voie civile
Mais le vice principal et considérable de cette législation, c’est l’exa
gération de la peine prononcé par la loi de germinal an x i et par le Code
pénal, qui, étant hors de proportion avec la criminalité du fait qu’il s’a
git de réprimer , entraîne l ’impunité. Un auteur ■, qui a écrit un livre
estimé sur la matière , déclare que, comme il s’agit de la cour d’assises,’
cette juridiction n’est saisie que dans des cas très-rares; que la gravité
de la peine a été et sera encore trop souvent une cause d’acquittement.que, dans l’état de la législation, les intérêts lésés ne peuvent réellement
1 Gastambide, T r a ité d e s c o n tr e fa ç o n s , pag. 425.
in
— 29
�450
APPENDICE
poursuivre ces sortes d’affaires que par la voie civile. Or , il ne semble
pas qu’il y ait à démontrer ni le droit qu’a la loi pénale d’intervenir
pour la répression d’une action dont la criminalité est incontestable,
puisque la contrefaçon des marques c’est le détournement frauduleux de
la clientèle ou de l ’achalandage d’autrui ; ni la nécessité et la convenance
de mettre entre les mains des parties lésées un moyen de défense plus
énergique que l’arme des dommages-intérêts.
Le bu t du projet de loi qui vous est soumis , Messieurs , est donc de
combler les lacunes de la législation sur les marques , de faire cesser le
défaut d’harmonie qui existe entre ses diverses dispositions, de détermi
ner la juridiction d’une manière uniforme, enfin de donner à la peine un
degré d’énergie suffisant, mais qui ne dépasse pas le but. Vous aurez à
apprécier si la solution du problème est heureusement donnée.
Il
Avant d’entrer dans l’examen des questions spéciales que soulèvent
les divers articles du projet de loi et des motifs qui les e x p liq u en t, il
convient de déterm iner le terrain sur lequel se sont placés les auteurs du
projet, et de préciser l’esprit général et le principe des dispositions pré
sentées à votre approbation.
§ «
.
Et d’abord , il n ’est pas besoin de faire rem arquer que la marque in
dustrielle ou commerciale ne s’entend point ici de l’estampille au moyen
de laquelle l’autorité inscrit son visa sur certains produits spéciaux
qu’exceptionnellement elle vérifie , soit dans un intérêt de police , soit
même dans un intérêt de garantie publique, mais uniquem ent de la mar
que personnelle au fabricant ou au com m erçant,que celui-ci est dans l’u
sage d’apposer sur les objets de sa fabrication ou de son commerce pour
en constater l’origine.
L’apposition du nom est fa plus sûre et la plus claire de toutes les
marques. Cependant l’usage des signes , emblèmes ou symboles destinés
à remplacer le nom, usage qui remonte aux temps où la connaissance de
l’écriture et de la lecture était ra r e , s’est conservé, non-seulement parce
�APPENDICE
451
qu’il est traditionnel et passé dans les habitudes , mais parce qu’il est
commode. Sur beaucoup d’objets , le nom occuperait une trop grande
place, et la marque symbolique le remplace avantageusement.
Déjà nous avons dit que , quant au nom , la loi du 28 juillet 1824 a
assuré la protection qui lui est due ; que cette protection est jugée suffi
sante, qu’il n’y a rien de plus à faire à cet égard. Le projet n’a donc à
s’occuper et ne s’occupe que de la marque symbolique ou emblématique
employée par le fabricant ou par le commerçant pour remplacer son
nom sur les produits de sa fabrication ou de son commerce.
Il est clair que le fabricant q u i , par la supériorité de ses produits,
par l’habileté et la sincérité de sa fabrication, s’est acquis une renommée
méritée, a un grand intérêt à revêtir de sa marque les objets qui sortent
de sa fabrique , puisque cette m arq u e, qui les signale à la préférence du
public, en facilite et en assure le débit. Il est clair encore que celui qui
voit sa marque recherchée / préférée par le public , trouve, dans son in
térêt même, de fortes raisons pour faire d’incessants efforts d’intelligen
ce et de loyauté afin de lui conserver la préférence dont elle est l’objet.
11 est clair enfin que l’exemple des marques h o n o rées, recherchées dans
le commerce et devenant pour ceux qui les possèdent une source de for
tune , est pour les autres industriels une puissante incitation à marcher
dans la même voie. Mais à quelle condition l’industrie trouvera-t-elle
réellement dans la marque les avantages qui viennent d’être signalés ?
A la condition que la marque sera réellement et efficacement protégée
par la loi ; que le fabricant trouvera une sécurité entière dans l’emploi
qu’il pourra faire de sa marque ; enfin qu’il recevra de la loi des garan
ties suffisantes et faciles à réclamer contre le contrefacteur.
Et maintenant, nous ajoutons que ce qui aura été fait directement au
profit et dans l’intérêt du fabricant profitera larg em en t, par une consé
quence nécessaire, au public lui-même. En effet, si la m arque est suffi
samment protégée contre les u su rp a tio n s, efficacement interdite à ceux
qui n ’y ont pas droit, si, peu à peu, les fabricants et commerçants hon
nêtes et intelligents sont amenés , par leur intérêt même , à marquer
leurs produits , puis à maintenir et à augmenter la valeur de leur mar
que , par le soin qu’ils auront de ne l’apposer que sur des marchandises
loyales, le public n’aura-t-il pas un moyen très-simple d’éviter les trom
peries dont il est trop souvent victime , en exigeant des intermédiaires
auxquels il s’adresse la marque qu’il sait devoir inspirer confiance et
présenter des garanties ?
,
�452
APPENDICE
Fallait-il aller plus loin dans la protection du p u b lic , et prévoir les
abus auxquels peut se prêter le droit de marque au détrim ent non plus
des fabricants ou commerçants, mais des consommateurs ? Fallait-il pro
fiter de l’occasion pour édicter des dispositions nouvelles contre les
tromperies dont le public peut être victime p ar le moyen des marques ?
On ne l’a point pensé. Sauf une seule disposition dont il sera parlé u l
térieurement, à l’occasion du titre n i, on a écarté soigneusement du pro
je t toute disposition qui ne tendrait pas directement au b u t indiqué plus
haut, de faire de la marque une véritable propriété , et de lui donner de
sérieuses garanties.
La loi, comme on le verra tout à l’heure, n’a voulu appliquer le béné
fice de ses dispositions protectrices qu’à la m arque déposée ; c’est à cellelà seulement qu’elle entend accorder certains avantages, certains privilè
ges. Mais , si vous vous placez au point de vue de l’intérêt des consom
m ateurs, des tromperies dont ils peuvent être les victimes par le moyen
des m arq u es, la distinction essentielle et fondamentale des marques dé
posées et de celles qui ne le sont pas disparaît ; car la tromperie est la
même et a la même conséquence pour le public , soit qu’elle se pratique
par une m arque déposée, soit qu’elle s’exerce par une marque non dépo
sée. Ici d o n c , et au point de vue de la tromperie pratiqué envers le pu
blic , il vous fraudrait confondre ce qu’ailleurs , dans un autre point de
vue , vous êtes obligé de distinguer soigneusement ; vous seriez conduit
à altérer sensiblement la simplicité et la clarté de la loi.
11 y a plus : une fois dans cette voie , vous devez aller plus loin. Si
vous prévoyez les tromperies pratiquées par le moyen des marques dé
posées ou non déposées , la force des choses vous oblige à prévoir égale
ment les tromperies qui s’exercent par des moyens très-voisins de ceuxlà : l’annonce, le prospectus, l’artifice des indications de l’étalage, etc.
Eh bien ! il faut le dire , tout cela n ’est peut-être pas du domaine de
la loi pénale. Le public ne doit pas être constamment traité comme un
mineur , et là où il peut faire ses affaires lui-même, où il peut se défen
dre contre le charlatanisme et contre la tromperie par un peu d’attention
et de vigilance , il n ’est pas toujours nécessaire et il n ’est pas toujours
prudent de mettre à son service la loi pénale et le ministère public.
D’ailleurs, il ne faut pas oublier que l’art. 423 du Code pénal et la loi
du 27 mars 4 854 ont pourvu déjà et suffisam m ent, ce semble, à la pro
tection due aux consommateurs contre les fraudes du commerce. Cet ar
ticle et la loi de 4 851 ré p rim e n t, en effet , les tromperies sur la nature
�APPENDICE
453
des m archandises, les falsifications différentes dont elles peuvent être
l’o b je t, ainsi que les fraudes sur la quantité des choses livrées. Si l’ex
périence dém ontrait que la loi de police commerciale , faite en 1851,
pour compléter et développer l’art. 423 du Code pénal, est elle-même in
suffisante et incomplète , il y aurait à examiner si une loi nouvelle doit
être faite. Mais ce n ’est point ici le lieu.
A in si, la m arq u e , signe convenu, qui remplace sur le produit le nom
du fabricant ou du commerçant, tel est l’objet précis et limité du projet
de loi. Assurer à la marque une protection suffisante, efficace , facile à
obtenir, dans l’intérêt de celui à qui elle appartient, et, par voie de con
séquence, dans l’intérêt du consommateur, tel est le principe fort simple
et qui domine les dispositions nouvelles.
Cela d i t , il ne nous reste plus q u ’à, faire connaître les motifs particu
liers des articles qui ne s’expliqueraient pas d’eux-mêmes.
§ 9.
Le projet est divisé en cinq titres :
Le premier traite du caractère purement facultatif de la, marque et des
conditions auxquelles la propriété de la marque s’acquiert ou se conser
ve; — le second, des droits des étrangers; — le troisième, des pénali
tés ; — le quatrième, des juridictions ; — le cinquième contient les rè
gles générales et les dispositions transitoires que comporte le sujet.
Titre Ier.
Du droit de propriété des marques.
A r t . 1 f. — Cet article pose en principe et d’une manière générale
le caractère purem ent facultatif de la marque. Une disposition de cette
nature nous a paru être le véritable point de départ de la loi projetée.
La question du caractère obligatoire ou facultatif de la marque a été fort
agitée dans ces derniers temps ; c’est la question la plus grave du projet;
il fallait c’en expliquer tout d’abord.
Bien que le système absolu de la marque obligatoire ait été plus ou
moins com plètem ent, plus ou moins explicitement repoussé dans tous
�454
APPENDICE
les projets antérieurs et par tous les corps auxquels ils ont été soumis,
nous devons rappeler en peu de mots les arguments sur lesquels il s’ap
puie.
Il faut mettre un terme, dit-on, aux fraudes q u i se commettent sur le
marché in té rie u r, plus encore sur le marché extérieur. Ces dernières,
surtout, ont la plus désastreuse influence sur la prospérité de nos fabri
ques. Les pacotilleurs , qui versent sur les places étrangères des m ar
chandises de mauvais aloi, déshonorent notre industrie, lui font une ré
putation détestable, et l’excluent du marché. Si chaque fabricant était obligé d'apposer sa m arque sur les produits de sa fabrication, il y regar
derait à deux fois avant de signer une œuvre défectueuse ou déloyale ; il
serait armé pour résister aux obsessions du commerce intermédiaire,
quand eelui-ci prétend spéculer sur la qualité inférieure des marchandi
ses , sur l ’éloignement des marchés , sur l’incurie ou sur l’ignorance des
acheteurs. La m arque, si elle ne supprime pas la fraude, en restreint au
moins le cham p. C’est le défaut de responsabilité du fabricant qui la fa
vorise : la marque obligatoire ne crée pas la responsabilité , sans doute,
mais elle donne à l’acheteur , au public , le moyen de l’invoquer et d’en
faire sentir la portée au fabricant d é lo y al, tout au moins en repoussant
ses produits ; elle assure donc à cette responsabilité une réalité et une
sanction.
Aux objections tirées de ce que la m arque obligatoire serait en con
tradiction avec les principes de liberté de l’industrie consacrés par notre
droit public moderne , les partisans de la m arque obligatoire répondent
que plus la liberté est grande, plus il im porte de rendre sérieuse et ré
elle la responsabilité de ceux qui en usent ; que ce n ’est point porter at
teinte à la liberté de l’industrie que de lui dire : Vous usez de votre li
berté à votre gré ; mais vous en userez à vos risques et périls , sous vo
tre responsabilité , et pour que cette responsabilité soit réel le , vous si
gnerez vos œuvres.
Les adversaires du système de la marque obligatoire tie n n e n t, à leur
tour, le langage suivant :
D’abord , qu’entend-on par la marque obligatoire? A pparem m ent, ce
n’est pas le retour à l’ancienne législation d’après laquelle le Gouverne
m ent lui-rnême intervenait pour frapper la marchandise d’une estampil
le, d’un poinçon , constatant la vérification dont elle avait été l'objet de
la part de l’autorité. Ce ne serait pas , dans ce c a s , la marque du fabri
cant qu’il s’agirait de rendre obligatoire , mais la marque de l’Etat. Eh
�APPENDICE
455
bien ! sous l ’ancienne législation,alors que l'industrie française était ré
glementée de toutes parts, habituée de longue main à un régime qui était
loin d’être celui de la liberté, alors que d’ailleurs elle était si peu déve
loppée , ce système soulevk de telles plaintes , entraîna de tels abus , de
telles tracasseries, que , même avant la Révolution , il avait succombéQue serait-ce donc aujourd’hui , avec les habitudes de liberté dans les
quelles l’industrie et le commerce ont vécu depuis soixante ans, avec les
développements immenses que l’industrie a pris , avec la variété infinie
de ses combinaisons ? Quelle armée d’employés ne faudrait-il pas main
tenant pour suffire à la tâche? Et pour arriver à quoi ? A rendre l’ad
m inistration,l’Etat,caution responsable de la bonne qualité des marchan
dises livrées au public !
Il existe , assurém en t, certains cas exceptionnels où l’on a reconnu
qu’il était possible, utile, nécessaire même, de faire intervenir la vérifi
cation de l’autorité , puis de faire constater cette vérification par une es
tampille.
Ainsi, le titre des matières djor et d'argent est vérifié par les bureaux
de garantie, et le produit reçoit deux poinçons de l’autorité, celui du ti
tre et celui du bureau de garantie ; les armes à feu sont éprouvées , et le
fonctionnaire qui en fait l’épreuve revêt de son poinçon le canon éprou
vé ; l ’enveloppe des cartes à jouer est frappée du tim bre de la régie qui
constate que l ’impôt a été payé ; les poids et mesures portent une em
preinte par laquelle les vérificateurs certifient qu’ils sont conformes aux
types réglementaires.
Mais ce n’est plus q u ’à titre très-exceptionnel que l’autorité inter
vient aujourd’hui dans la vérification de certains produits de l’industrie,
et , on ne craint pas de le dire , le système de la marque obligatoire de
l’Etat , pour peu qu’on lui donnât un peu d’étendue , à plus forte raison
si on l’entendait, d’une manière générale, est un système qui ne soutient
pas l’examen.
Que, s’il s’agit seulement de rendre obligatoire la m arque du fabricant,
peu de mots suffiront pour établir que ce système, même entendu ainsi,
serait à peu près im praticable, fort préjudiciable aux intérêts des fabri
cants, et qu’il n’ofïrirait aucune garantie sérieuse au public.
Nous disons d’abord qu’il serait impossible à mettre en pratique pour
un très-grand nombre de produits.
Il est une foule d’objets comme les dentelles, les châles, les écharpes,
les mouchoirs, les cristaux, etc., qu’on ne peut marquer autrement que
�456
,
APPENDICE
par une étiquette mobile , facile à. enlever , à changer , qui ne porterait
pas par conséquent avec elle la preuve qu’elle appartient bien à l’auteur
du produit.
Les menus objets, comme les aiguilles , les épingles , etc., ne peuvent
être marqués que par l’enveloppe , qui offre les mêmes inconvénients,
puisqu’il est facile de remplacer les objets qu’elle couvre.
Les tissus en pièces ne peuvent être marqués qu’aux deux extrémités
de la pièce. Or, les fragments de pièces, les coupons, suivant le langage
du commerce , ne peuvent pas porter la m arq u e , et les consommateurs
n’achètent guère que des coupons.
A insi, la première objection : impossibilité matérielle d’apposer la
marque sur un très-grand nombre do produits , au moins de manière à
ce qu’elle garantisse l’origine de la fabrication.
Nous disons, en second lieu, que le système de la marque obligatoire
serait fort préjudiciable aux industriels. En effet, il y a des cas nom
breux où les fabricants les plus honnêtes, les plus intelligents , sont obligés de livrer au commerce des produits défectueux ou de qualité infé
rieure. Ce sont les produits d’essai, les produits mal réussis, les produits
d’un prix ppu élevé , destinés aux consommateurs de la classe la plus
nombreuse, pour qui le bon marché est indispensable. Font-ils en cela
une opération déloyale ? N ullem ent, si le public est averti de ce qu’il achète. Cependant le fabricant ne signe point de tels produits qui nui
raient à sa réputation. Si vous l’obligez à les signer , vous lui interdirez
la fabrication très-licite et très-utile des objets destinés à la consomma
tion du peuple , vous l ’obligerez h détruire les produits d’essai et les
produits mal réussis, c’est-à-dire que vous le ruinez, ou que vous le for
cez à compromettre sa marque.
Et puis enfin, le public dont vous avez voulu sauvegarder les intérêts,
vous ne lui donnez qu’une garantie illusoire et bien inférieure à celle
que lui assure la marque facultative.
Avec la marque facultative , en e ffet, le public peut reconnaître, sait
reconnaître celle qui a une bonne réputation; il s’adresse à celle-là de
préférence, et il a une certitude morale que le fabricant honorable à qui
elle appartient ne l’aurait pas apposée sur le produit qu’il achète, s’il était défectueux. Mais, avec la m arque obligatoire, tous les produits sont
marqués ou signés ; c’est la confusion des langues ; à moins d’une étude
spéciale, il est impossible de s’y reconnaître , de distinguer la bonne
marque de la mauvaise : e t , lors même qu’on sait la distinguer , elle
�APPENDICE
*57
n’est plus une garantie pour le public, puisqu’elle couvre également tous
les produits du fabricant, les bons comme les mauvais.
.Ces raisons , et d’autres q u ’il serait trop long d’énumérer, ont fait re
pousser le système absolu de la marque obligatoire.
Toutefois, le système opposé, celui de la marque facultative , entendu
d’une manière absolue, pouvait avoir aussi ses inconvénients, et l’on a
compris que , pour certains produits spéciaux et à titre exceptionnel, il
pourrait y avoir utilité, nécessité même de rendre la marque de fabrique
ou de commerce obligatoire.
Cette nécessité est démontrée par les faits existants. Nous avons déjà
cité certains actes législatifs auxquels il ne s’agit p o in t, auxquels per
sonne ne propose de porter atteinte , et qui o n t rendu la marque ou le
nom du fabricant obligatoire pour les produits auxquels ils s’appliquent.
En ce m o m en t, la marque ou le nom est et restera obligatoire pour
l’im primerie, pour les matières d’or et d’a rg en t, pour les tissus français
et similaires aux tissus étrangers prohibés , pour les c a rte s, pour les
matières vénéneuses. Or , la variété des combinaisons de l’industrie est
telle aujourd’h u i, qu’on peut comprendre qu’il apparaisse tout à coup
des produits nouveaux ou des combinaisons nouvelles de produits an
ciens qu’il soit nécessaire d’assujettir à la marque , soit dans ùn b u t de
police s’il s’agit d’un produit qui présente certains dangers pour la so
ciété , soit dans un b u t de garantie publique s’il s’agit d ’un produit que
le public serait absolument hors d’état de vérifier quand il l’achète , et
dont il aurait intérêt à pouvoir constater ultérieurem ent l’identité , soit
enfin pour satisfaire à des intérêts semblables ou analogues à ceux qui
'
ont motivé les dispositions légales précitées.
Mais c’est seulement à titre exceptionnel, on l’a dit expressément dans
le paragraphe 2 de l’art. 1, que l’obligation de la marque pourrait être
imposée à certains produits spéciaux, et sous la garantie d’un décret dé
libéré en conseil d’Etat. 11 peut y avoir grande utilité , et on n ’aperçoit
aucun danger à reconnaître ce droit au Gouvernement dans ces limites
et en cette forme.
A r t . 2. — Cet article détermine la condition essentielle et absolue
à laquelle est subordonnée la propriété de la marque , sans laquelle on ■
ne peut revendiquer le bénéfice de la loi et la protection spéciale qu’elle
accorde à la m arque. Cette condition, c’est le dépôt du modèle de la mar
que en double exemplaire au greffe du tribunal de commerce.
*
�458
APPENDICE
Le motif de cette disposition est facile à comprendre.
Les différents em blèm es, symboles ou signes dont les fabricants peu
vent se servir pour remplacer leur nom ne sont à vrai dire la propriété
de personne-: ils sont dans le domaine public , tout le monde peut s’en
emparer. Si donc vous voulez déposséder le public, au profit d’un seul,
du droit de. se servir de tel ou tel signe, il est juste et il est nécessaire
que vous obligiez le fabricant qui désire s’en réserver l’usage exclusif à
rendre son intention publique,,à la porter à la connaissance de tous, et >
que vous fournissiez aux autres fabricants le moyen de connaître les si
gnes dont l’emploi leur est interdit. Tel est l’objet principal de l’obliga
tion du d é p ô t, qui équivaudra à une notification faite au public par le
fabricant qui a pris possession d ’une marque , pour informer ses confrè
res de cette prise de possession , et faire naître son droit de propriété
exclusive. Un des deux exemplaires du modèle restera déposé au greffe
du tribunal de commerce pour servir au jugement des contestations qui
pourront s’élever ; l’autre exemplaire est destiné, dans la pensée du Gou
vernem ent , au conservatoire des arts et métiers , où les marques seront
centralisées et classées de manière à pouvoir être mises facilement à la
disposition des intéressés.
Il est bien entendu, d’ailleurs, qu’il ne saurait être interdit à person.
ne d’user d’une marque non déposée ; mais la m a rq u e , dans ce cas , ne
constituera pas pour celui qui s’en servira une propriété interdite à tous
autres. Il ne jouira pas du bénéfice de la l o i , il n’aura pas l’action cor
rectionnelle, et s’il lui reste l’action civile, en réparation des dommages
causés , ouverte par l’art. 1382 du Code Napoléon , toujours est-il q u ’il
ne pourra trouver dans l’usage habituel , dans la possession antérieure
d’une marque, autre chose qu’un élément insuffisant par lui-même , et
ne pouvant que concourir avec d’autres circonstances pour établir son
droit à des dommages-intérêts.
Telle est la pensée qui a fait écrire , dans les art. 2 et 3 , que la p ro
priété de la marque ne pouvait être acquise et conservée qu’au m oyen
du dépôt et à partir du dépôt. S’il était nécessaire d’accorder à la m ar
que une protection efficace, il ne l ’était pas moins de fournir aux fabri
cants les moyens de se m ettre en règ le, et d’éviter des contrefaçons ou
des usurpations involontaires.
A r t . 3 & 4. — C’est ce même ordre d’idées qui a amené les rédac
teurs du projet à limiter, par l’art. 3 , les effets du dépôt à u n e durée de
�APPENDICE
459
quinze années, sauf à reconnaître au propriétaire de la marque le droit
de renouveler son dépôt tous les quinze ans pour conserver sa marque.
Il eût été , en effet, illusoire d’accorder aux parties intéressées la faculté
de rechercher les marques em ployées, si ces recherches eussent dû s’é
tendre à une époque trop reculée. E t , d’autre p a r t , ce n’était point im
poser une condition bien difficile ni bien coûteuse , que d’exiger un dé
pôt nouveau tous les quinze ans , quand le dépôt a lieu au greffe du tri
bunal de commerce du domicile , et quand les frais de ce dépôt ont été
réduits à une somme minime.
Titre II.
Dispositions relatives aux étrangers.
A r t . 5. — Les principes généraux du droit accodant aux étrangers
le libre exercice du commerce et de l’industrie en F ran ce, l’art. 5 du
projet ne fait que traduire ce principe, en disant que le bénéfice de la loi
est acquis à tous ceux qui possèdent en France des établissements in
dustriels ou commerciaux ; la propriété de leurs marques leur sera gaantie aussi longtemps que leur travail et leurs capitaux contribueront
à la richesse du pays.
A r t . 6. — Mais on n ’a point pensé que le même avantage dût être
étendu, sans réserve, aux établissements situés hors de France et exploi
tés , soit par des étrangers , soit même par des Français Le bénéfice de
notre législation ne peut être accordé à des établissements situés en pays
étrangers, qu’autant que des garanties équivalentes nous seront offertes
en retour et qu’une réciprocité réelle aura été stipulée dans une conven
tion diplomatique. Cette condition fait l’objet de l’art. 6. Elle satisfait à
une pensée de moralité que le Gouvernement s’est efforcé déjà de faire
prévaloir dans les relations internationales. La réciprocité , en fait de
marques , tend d’ailleurs à faciliter les transactions commerciales entre
les divers peuples , et à les rendre de plus en plus avantageuses aux uns
et aux autres, en les fondant sur la plus solide des bases, le respect mu
tuel des droits légitimement acquis.
Les fabriques et maisons de commerce établies à l’étranger ne ressor
tissant à aucune do nos juridictions, il devient indispensable de détermi-
�460
APPENDICE
ner d’une manière particulière le mode à suivre pour le dépôt des m ar
ques étrangères. Le second paragraphe de l’art.6 porte que cette formalité
devra s’accomplir au greffe du tribunal de commerce de la Seine. L’exis
tence d’un seul lieu de dépôt facilitera les recherches et les vérifications
des intéressés.
Titre III.
Pénalités.
A r t . 7. — Cet article prévoit trois délits qu’il punit de la même
peine :
Le prem ier consiste dans la contrefaçon de la marque appartenant ré
gulièrement à un fabricant ou à un com m erçant, ou dans l’usage de la
marque contrefaite. Ce délit avait été assimilé au faux en écritures p ri
vées par la loi du 22 germinal an x i et par l ’art. 142 du Code pénal,
qui le punissait par conséquent de la réclusion. Nous avons déjà dit que
cette pénalité excessive n ’était point appliquée et q u ’elle entraînait l’im
punité. La peine prononcée par l’art. 7 et celle des articles suivants ne
seront plus qu’une peine correctionnelle.
Le second délit prévu par l’a rt.,7 est celui que commet l’individu qui,
s’étant procuré d’une manière quelconque une m arq u e, un tim bre , un
poinçon véritables, s’en sert pour marquer frauduleusement des produits
autres que ceux des fabricants ou des commerçants auxquels appartien
nent ces marques, timbres ou poinçons.
Vient, en troisième lieu, le délit de ceux qui, sciemment, vendent ou
exposent en vente les produits portant des marques contrefaites ou frau
duleusement apposées. Nous avons déjà dit que ce d é lit, complètement
assimilable aux deux premiers, n’avait point été prévu par la législation
existante.
On n ’a pas cru devoir mentionner spécialement les recéleurs , parce
q u e , d’après les principes du droit p é n a l, les recéleurs sont punis commecomplices.
A r t . 8. — Cet article punit d’une peine qu’on a cherché à rapprocher
le plus possible de celle prononcée par l’art. 7 :
1° Celui qui se f a i t, de la marque déposée , un moyen de tromper le
�APPENDICE
461
public, en y insérant des indications propres à induire les acheteurs en
erreur sur la nature du produit qui en est revêtu ;
2° Celui qui, sciem m ent, vend ou expose en vente des produits pré
sentant ce genre de fraude.
L ’art. 423 du Code pénal punit déjà les tromperies sur la nature de la
marchandise ; mais il ne s’applique qu’à la tromperie réalisée. Il a paru
juste d’aller plus loin et d’atteindre même la tentative de tromperie,
lorsqu’elle a lieu par l’abus des faveurs mêmes qu’accorde la loi. Cette
disposition , qui est en parfaite harmonie avec le caractère de moralité
que la loi présente, n’a point paru d’ailleurs compromettre la simplicité
de son but, qu’on a tenu à conserver en é c a rta n t, comme nous l’avons
dit,toute disposition plus spécialement destinée à protéger le publie con
tre les fraudes dont il peut être victime.
Art . 9. — Enfin l’art. 9 attache une peine , mais moindre que les
deux précédentes , à la violation , soit des dispositions des décrets qui,
aux termes de l’art. 1, auront assujetti à l’obligation de la marque cer
tains produits spéciaux , soit des autres dispositions d’exécution de ces
mêmes décrets.
Ar t . 10, 41 & 42. — Ces trois articles , empruntés à la loi du 5
juillet 4 844 sur les brevets d’invention, on t pour objet d’interdire le cu
mul des peines lorsque le délinquant a à répondre , devant le tiibunal,
de plusieurs des délits antérieurs au prem ier acte de p o u rsu ites, sauf
l’application , en ce c a s , de la peine la plus forte ; — de permettre aux
tribunaux d’élever les peines au double , lorsqu’il a été prononcé contre
le prévenu, dans les cinq années antérieures, une condamnation pour un
des délits prévus par la loi ; et de les autoriser à modérer la peine sui
vant le« circonstances, en perm ettant l’application de l ’art. 463 du Code
pénal.
A r t . 43. — Les peines mentionnées ci-dessus atteignent le délin
quant dans ses biens et sa liberté. Le juge peut, suivant les c a s , cumu
ler l ’amende et l’emprisonnement, ou n ’appliquer qu’une seule de ces pé_
nalités. Mais il a paru juste et nécessaire de les fortifier par d’autres
peines purement morales. En conséquence , les tribunaux sont autorisés
par l’art. 4 3 à interdire aux délinquants toute participation aux élec
tions des tribunaux de commerce, des chambres de commerce, des cham
bres consultatives des arts et manufactures, et des conseils de prud’hom-
�462
APPENDICE
mes pendant un temps qui n’excédera pas dix ans. De plus , les trib u
naux pourront ordonner que les jugements de condamnation soient affi
chés et publiés dans les journaux. Cette dernière disposition , indépen
damment de l’effet moral qu’elle doit produire, aura l’utilité'de prém unir
les consommateurs et les fabricants contre le renouvellement de fraudes
déjà commises à leur préjudice.
Ar t . 44. — La confiscation des objets dont la marque serait recon
nue contraire aux dispositions des art. 7 et 8, et des instrum ents ayant
spécialement servi à commettre le délit, est le complément de la répres
sion.
En matière de contrefaçon des œuvres d’a rt et d’e s p r it, l’art. 427 du
Code pénal prononce la confiscation comme une conséquence nécessaire
de la peine dont le délit est frappé. T outefois, il n ’a pas paru possible
d’aller aassi loin en matière de contrefaçon des marques ; l’art. 14 ne
rend point la confiscation obligatoire pour le juge , qui appréciera les
circonstances , notam ment l ’importance du dommage causé par la con
trefaçon et les conséquences que pourrait avoir la confiscation.
Il se peut en effet que , d’une p art , le dommage causé aux tiers , par
le d é li t, soit de peu d’importance et q u e , d ’autre p a r t , la confiscation
soit de nature à entraîner la ruine du délinquant ou à compromettre les
intérêts de ses créanciers.
Toute latitude doit donc être laissée au juge sur ce p o in t, ainsi que
sur la question de savoir si les produits confisqués devront être ou non
remis au propriétaire de la marque qui a été contrefaite ou frauduleuse
ment apposée, sans préjudice de plus amples dommages-intérêts, s’il y a
lieu.
Ce qui est obligatoire pour le juge, dans tous les cas, même dans ce
lui où il y aurait acquittem ent, c’est d’ordonner la destruction des m ar
ques reconnues contraires aux dispositions de la loi.
Ab t . 15. — Cet article, prévoyant le cas où il s’agirait d’infraction
aux dispositions des décrets qui ont rendu la marque obligatoire , veut
que le tribunal ordonne toujours , même s’il y a eu acq u ittem en t, l’ap
position de la marque sur les produits objets de la poursuite. Mais
la confiscation, dans ce cas et pour un prem ier délit, serait excessive et
ne peut point être prononcée par le juge.
Toutefois, ce complément de la répression se justifie, et le second pa-
�APPENDICE
463
ragraphe de l’art. 15 l’autorise, si le délinquant, condamné une première
fois pour infraction à l’obligation de la marque , est poursuivi de nou
veau pour un délit de même nature , avant le laps de cinq années. La
menace de confiscation peut être, en effet, le seul moyen d’empêcher l’in
dividu qui est rentré dans la possession des objets poursuivis pour in
fraction à l’obligation de la marque, de résister à. l’injonction du juge et
de les rem ettre dans le commerce sans les marquer.
Titre IV.
Juridictions.
Abt . 16. — Dans la législation actuelle , et d’après le décret du 11
juin 1809 , les conseils de prud’hommes ont une part d’action au moins
consultative en matière de marques de fabrique; ils interviennent même
comme juges; d’après le décret du 5 septembre 1810 sur les marques de
la coutellerie. Le projet de loi discuté devant les anciennes chambres lé
gislatives avait maintenu l’intervention conciliatrice des prud’hommes.
Le conseil général de l’agriculture , des manufactures et du commerce,
dans l’une de ses dernières sessions, a demandé que cette intervention
fût supprimée comme une formalité inutile. Il faut bien le reconnaître,
en effet, les conseils de prud’hommes sont institués pour vider les diffé
rends qui s ’élèvent entre les patrons et les ouvriers. Leur intervention
en matière de marques de fabrique les introduit dans des débats d’une
tout autre nature, puisqu’il s’agit alors de contestations entre fabricants
seulement. Les tribunaux de commerce sont d’ailleurs parfaitem ent ap
tes à prononcer sur les affaires de m arques. Enfin , il se présente des af
faires de cette nature dans un grand nombre de villes où il n ’existe pas
de conseils de prud’hommes, et où l’arbitrage préliminaire est supprimé
sans qu’il en résulte aucun inconvénient. Par ces motifs, l’art. 16 énon
ce purem ent et simplement que les actions civiles sont portées devant
les tribunaux de commerce.
En cas de poursuites à fins pénales , l’action est dévolue au tribunal
de police correctionnelle , conformément au droit commun. S i , sur une
poursuite en contrefaçon , le prévenu soulève pour sa défense des ques
tions relatives à ia propriété de la marque , le même tribunal pronon-
�464
APPENDICE
cera sur l’exception ; il a aussi qualité pour statuer sur toutes les de
mandes qui se rattachent à l’objet principal. Cette dernière disposition,
empruntée à la loi du 5 juillet 1844 sur les brevets d'invention , a pour
b u t de donner à l’action de la justice un cours beaucoup plus prom pt et
de mettre obstacle aux incidents que les contrefacteurs on t intérêt à
m ultiplier afin de gagner du temps.
11 était inutile d’ajouter dans la loi que le ministère public est auto
risé à poursuivre d’office , pour l ’application de la peine , les infractions
aux dispositions qu’elle renferme. Cela est de droit en matière pénale,
toutes les fois qu’il n’y est pas dérogé expressément. Il 'était inutile éga
lem ent de mentionner que la juridiction assignée aux tribunaux de com
merce et aux tribunaux correctionnels de France , en cette matière , ne
déroge point à la juridiction de nos consuls , si le litige s’élève hors de
France entre Français, juridiction qui reste réglée conformément à d’an
ciens édits et ordonnances e t , pour certains p a y s , à des capitulations,
traités ou usages encore en vigueur , ainsi qu’à des lois récemment pro
mulguées.
A b t . 17. — Cet article règle les formalités de la description,avec ou
sans saisie, à laquelle il peut être procédé à la requête de la partie lésée.
Il est nécessaire, dans ce cas, de prendre certaines précautions pour em
pêcher des poursuites vexatolres inspirées par l’intérêt privé Lorsque
ces mêmes opérations ont lieu à la requête du ministère p u b lic , il y est
procédé dans les formes déterminées par le Code d’instruction criminelle.
Le projet de loi confère éventuellement au juge de paix le pouvoir
d’autoriser la description avec ou sans saisie. Ce droit ne lu i avait pas
été accordé dans le projet discuté en 1847 ; mais on a considéré que ce
m agistrat est plus rapproché des justiciables ; que , dans bien des cas,
l’obligation de se pourvoir auprès du président du tribunal civil en traî
nerait des retards préjudiciables à la partie lésée , en facilitant la sup
pression du corps du délit.
A r t . 18. — Cet article est em prunté, comme plusieurs des disposi
tions qui ont ôté mentionnées ci-dessus, à la loi du 5 juillet 1844 sur
les brevets d’invention. On ne doit pas perm ettre au plaignant de pro
longer à son gré l’état de suspicion dans lequel son adversaire est placé,
et surtout l ’espèce d’interdit qui résulte de cette dernière mesure. Si,
dans un certain d é la i, le requérant n ’a pas donné suite à ses premières
�APPENDICE
465
poursuites, cette inaction sera rëgardée comme un aveu implicite de l’in
justice de sa prétention. La description , avec ou sans saisie , sera nulle
de plein d r o i t, sans préjudice des dommages-intérêts qui pourront être
réclamés devant le tribunal de commerce, d ’après les principes du droit
commun.
Titre V.
Dispositions générales ou transitoires.
Il ne nous reste p lu s , m essieurs, à vous entretenir que de quelques
dispositions générales ou transitoires qui complètent le projet.
Art. 19. — Cet article a pour objet de combattre un abus qui a
soulevé de vives réclamations dans divers centres m anufacturiers. Il ar
rive fréquemment que des produits étrangers portant frauduleusement,
soit la marque, soit le nom d’un fabricant résidant en France, soit l’in
dication du lieq d’une fabrique française, sont présentés pour le transit
et gagnent le bureau de sortie sans que l’adm inistration des douanes
puisse agir et avant que les intéressés aient pu intervenir. Ces fraudes,
qui ont pour but d’enlever des débouchés à notre commerce , peuvent avoir des effets d’autant plus fâcheux que les produits sont souvent de
mauvaise qualité et servent à discréditer les marques ou les noms dont
ils sont revêtus. Afin de combattre cet a b u s , l'art. 19 autorise la saisie
de tout produit de cette nature , à la requête du ministère public ou de
la partie lésée.
Il ne faut pas d’ailleurs se préocuper de la crainte que cette disposi
tion puisse compromettre les intérêts d’ordre supérieur qui se rattachent
au développement du transit étranger envers la France. En effet, nous
nous sommes assurés qu’elle n ’entrainera et qu’elle ne peut entraîner, de
la p art de la douane, aucune recherche, aucune vérification plus étendue
que celle qu’exigent les intérêts habituels de son service ; par consé
quent, il ne résultera de la disposition aucun retard, aucune formalité et
aucune gêne nouvelle pour le commerce. Qui effrayera-t-elle donc, qui
détournera-t-elle? Uniquement le commerce frauduleux et déloyal : et
ce n ’est point celui-là d o n t, au surplus, les proportions sont restreintes
et qui cependant cause un préjudice notable à nos fab riq u es, ce n ’est
point celui-là qu’on doit craindre de détourner et de décourager
III
—
30
�*
466
APPENDICE
Ar t . 20. — Cet article étend l’application de la loi aux vins, eaux-
de-vie , farines et autres produits de l’agriculture. Il y a , en effet, des
avantages sérieux pour les producteurs agricoles et même pour ceux qui
font le commerce des produits de cette n a tu re , à pouvoir s’assurer la
propriété d’une marque qui distingue leurs produits et qui les signale à
la confiance du p u b lic , et à jo u ir , sous ce ra p p o rt, des mêmes faveurs
qui sont accordées aux producteurs industriels.
Ar t . 21. — Cet article contient une disposition transitoire qui s’ex
plique et se justifie d’elle-même, au profit de ceux qui, antérieurement à
la loi, ont déposé leur marque au tribunal de commerce ; elle les dispense
d’un nouveau dépôt au moins pour une première période de quinze ans.
Ar t . 22 — Un réglement d’administration publique doit détermi
ner , aux termes de l’art. 22 , toutes les mesures d’exécution que com
porte la loi, notamment ce qui concerne les formalités du dépôt des mar
ques, la formation de la collection au conservatoire des arts et métiers,
etc___ La publication ultérieure de ce réglement et les mesures à pren
dre par le commerce et par l’industrie, pour se m ettre en règle vis-à-vis
de -la loi nouv elle, obligeaient à déclarer que la loi ne sera exécutoire
que six mois après sa prom ulgation'
Art . 23. — L’art. 23 et dernier porte qu’il n ’est pas dérogé aux
dispositions antérieures qui n ’ont rien de contraire à la nouvelle loi. Cela
est de principe ; il a été jugé utile de le dire cependant pour faire mieux
ressortir que la loi nouvelle a un b u t restreint et ne touche q u ’à une
partie de la législation des m arques. Nous avons eu soin plus haut de
préciser ce but et d’énumérer les principaux monuments de la législa
tion qui restent en dehors de l’action de la loi nouvelle.
Nous espérons, Messieurs, que les dispositions du projet que nous ve
nons d’avoir l’honneur de vous exposer vous paraîtront résoudre avec
prudence et mesure les questions délicates engagées dans la réforme de
la législation sur les marques de fabrique et qu’elles m ériteront votre
approbation.
�•467
APPENDICE
W
15.
RAPPORT DE LA COMMISSION
Présenté
le
S a
avril
1 8 S 7
AU CORPS LÉGISLATIF
M essieurs, le projet de loi dont vous nous avez confié l’examen est
la réalisation de vœux incessamment exprimés par les représentants de
l’industrie et du commerce , qui le réclament comme une protection né
cessaire et ur\ véritable bienfait. Aussi votre commission vous eût-elle
soumis son travail dès la session dernière, si elle n ’eût été amenée à l’a
journer par la pensée même de mieux servir les intérêts qui s’y trou
vent engagés.
Divers projets de lois sur les brevets d’invention, les dessins de fabri
que, étaient à l’étude, et il y avait avantage, suivant n o u s , à les réunir
dans le même examen et la même délibération. -Régir par les mêmes
principes des matières identiques, tout au moins connexes, donner a la
lo i le caractère si désirable d’harmonie et de simplicité , tel était notre
désir, favorablement accueilli par le G ouvernem ent, jaloux de donner à
l ’industrie, qui le demande si vivement, son Code Napoléon.
L’étude de ces projets paraît avoir soulevé des difficultés qui en retar
dèrent la présentation , et nous avons dû reprendre l’examen de la loi
spéciale que vous nous avez renvoyée. Nous avons d’ailleurs la ferme
confiance que le Gouvernement n ’abandonnera pas la pensée qu’il avait
paru partager, et dont la réalisation serait pour l’industrie et le corn-
�468
APPENDICE
merce une amélioration considérable ; nous l’attendons de ses intentions
libérales et sagement progressives.
Les marques sont to u t signe par lequel un fabricant ou un commer
çant distingue les produits de sa fabrique ou de son commerce. Leur us
age , qui remonte au temps où l’écriture et la lecture étaient peu con
nues , et qui est presque aussi ancien que le commerce lui-même , s’est
conservé et étendu : il est simple, facile et passé dans les habitudes.Mais
leur caractère, leur but ont changé plus d’une fois ; il importe de les dé
term iner nettement.
Au Moyen-Age, l’industrie et le commerce avaient, comme la propriété
foncière, une organisation féodale. Les corporations , les maîtrises , les
jurandes avaient tout hiérarchisé ou asservi. Le législateur faisait luimême la division du travail ; enfin , appliquant faussement la louable
pensée de prévenir les fraudes commerciales, il en était venu à réglemen
ter la fabrication et à en contrôler les opérations
Alors<était apposée la marque , qui n ’était pas seulement la signature
du com m erçant, mais le certificat de garantie de l’autorité publique. De
là une véritable servitude pour l’industrie nationale, asservie à des types
légaux , frappée de peines énormes en cas d’erreurs dans la fabrication,
qui devenaient des manquements à la loi, vexée enfin par tous les jurés,
contrôleurs, inspecteurs, dont l’esprit de fiscalité et les besoins du T ré
sor avaient multiplié les offices.
Ce régime souleva de fréquentes et sérieuses réclamations. Les états
généraux de 1614 en demandèrent formellement la modification. Con
damné par Colbert, abandomné en fait dans plusieurs centres importants
de fabrication, il fut notablement adouci, en ce qui concerne les tissus,
par le réglement du 5 mai 1779 et les lettres patentes du 4 juin 1780.
Désormais les fabricants purent, dans la fabrication de leurs étoffes, ou
s’assujettir à l’exécution des réglements, ou adopter telles dimensions et
combinaisons qu’ils préféraient. Dans l ’un et l’autre c a s , les produits
recevaient la marque de l’autorité publique , mais , dans le p re m ie r, ils
portaient le mot : réglé.
La loi du 7 mars 1791, en supprim ant l’ancien régime commercial,
affranchit complètement l’industrie ; mais, il faut bien le dire, en ce qui
concerne les marques, à l ’oppression succéda la licence.
Sans doute le droit qu’a tout fabricant ou commerçant d’apposer son
nom ou sa m arque ne pouvait périr , car il dérive de la nature des cho
ses et se confond avec le droit même de travailler ; mais , destitué de
�A P P E N D IC E
469
toute garantie pour le faire respecter , ce droit restait illusoire : c’était
une propriété privée de tout moyen de se défendre.
Un pareil état de choses ne pouvait durer et motiva de promptes et
énergiques réclamations. Le 28 messidor an v n , un message du conseil
i
if i>
!§ !
des Cinq-Cents recommande au Directoire la pétition d’un grand nombre
de fabricants de coutellerie et quincaillerie , réclamant les garanties de
la marque, et un arrêté des consuls, du 23 nivôse an ix, autorise ces fa.
bricants à frapper leurs ouvrages d ’une marque spéciale , et leur en as
sure la propriété à charge de dépôt. Un autre arrêté de germinal an x
donne une marque spéciale à la manufacture nationale de bonneterie établie à Orléans.
Conçue dans des vues générales , et destinée à réglementer les manu
factures et ateliers , la loi du 22 germinal an xi proclame le droit pour
tout manufacturier et artisan d’appliquer un signe particulier sur ses
produits, et punit la contrefaçon des peines portées contre le faux en écriture privée. L’exercice de cette action est subordonné au dépôt p réa
lable de la marque.
Le décret du 11 juin 1809 , relatif à l’organisation des conseils de
prud’hom m es, leur attribue le soin de veiller à l’exécution des mesures
conservatrices de la propriété des marques. Un avis du conseil d’Etat
rectifie et complète ce décret, en décidant que cette juridiction est pure
ment gracieuse et que, à défaut de conciliation par les prud’hom m es, la
difficulté est portée devant les tribunaux de commerce.
Enfin le Code p é n a l, promulgué le 22 février 1810 (art. 142 et 143),
punit de la réclusion la contrefaçon des sceaux, timbres ou marques des
établissements particuliers de banque ou de commerce, et de la peine du
carcan , remplacée depuis 1832 par la peine de la dégradation civique,
l’usage frauduleux des sceaux , timbres et marques de ces établisse
ments.
Dans un ordre d’idées analogues, mais qu’il est essentiel cependant de
ne pas confondre , la loi du 28 juillet 1824 punit des peines portées en
l’art. 423 du Code pénal les altérations ou suppositions de noms sur les
produits fabriqués.
A ces dispositions générales s’ajoutent des décrets et ordonnances rela
tifs à certains produits spéciaux et qu’il importe de rappeler.
Les lois du 28 germinal an v (art. 1) et du 21 octobre 1814 (art. 17)
astreignent l’im primeur à indiquer son nom et sa demeure sur tout ce
qu’il imprime.
Il
i l
�'470
APPENDICE ,
La loi du 19 brum aire an vi ordonne aux fabricants de m atière-d o r
et d’argent d’im primer sur leurs produits une marque spéciale et dépo
sée, indépendamment des poinçons du titre et du bureau de garantie.
Le décret du 9 février 1810 imposé aux fabricants de cartes à jouer
l’obligation de donner à chaque jeu une enveloppe indiquant leurs noms, ,
demeures et signatures.
Le 25 juillet 1810 , un décret rend à la fabrique de LoUviers le droit
exclusif dont elle jouissait avant la loi de 1791 , d’avoir pour ses draps
une lisière jaune et bleue , et un second décret du 22 décembre 1812
prescrit les formalités à suivre par les villes qui voudront obtenir la fa
veur d’une semblable mesure.
La quincaillerie et la coutellerie sont l’objet de dispositions particuliè
res dans le décret du 8 septembre 1810, qui abaisse la peine pour ren
dre la répression plus efficace, et donne compétence pour les marques de
ces industries aux conseils de prud’hommes et, à leur d é fa u t, aux juges
de paix.
Un autre décret du 1cr avril 1 8 1 1 , suivi des décrets des 18 septembre
1811 et 22 décembre 1812, prescrits aux fabricants de savons d’apposer
leur marque sur leurs produits e t d’en déposer l’empreinte. La ville de
Marseille obtient une m arque particulière pour ses savons à l’huile d’o
live.
La loi du 28 avril 1816 , pour faciliter la recherche à l’intérieur des
tissus prohibés, enjoint aux fabricants français de produits similaires d’y
apposer leur m arque ; le mode d’application de cette marque et les indi
cations qu'elle doit renfermer, sont déterminés par les ordonnances des
8 août 1816, 23 septembre 1818, 26 mai 1819 et 3 avril 1836.
-, Enfin l’ordonnance du 29 octobre 1846 oblige les pharmaciens à ap
poser sur les substances vénéneuses une étiquette indicative de leur nom
et de leur demeure.
Depuis longtemps les défauts et les lacunes de cette législation sont si
gnalés : composée d’éléments divers , souvent contradictoires , elle sou
lève des critiques qu’il serait trop long d’énumérer , mais dont les plus
graves cependant doivent être rapportées.
La marque, dans les lois qui viennent d’être rappelées, est tantôt obli
gatoire, tantôt facultative.
La condition préalable d’une poursuite en contrefaçon est le dépôt de
la marque. Mais où ce dépôt doit-il être effectué ? L’arrêté du 23 nivôse
an ix veut que ce soit à la sous-préfecture ; la loi du 22 germinal an xi,
�171
APPENDICE
au greffe du tribunal de commerce ; le décret du 11 juin 1809 , au se
crétariat du conseil des prud’hommes ; la loi du 8 août 1816, à la souspréfecture et au ministère du commerce.
De quelle juridiction relèvent les contestations en cette matière ? Le
décret du 11 juin 1800 les soumet aux prud’hommes, mais à titre de con
ciliation ; e t , à défaut de conciliation, aux tribunaux de commerce. Au
contraire, le conseil des prud’hommes et le juge de paix, là où ce tribu
nal n’existe p a s , prononcent comme juges sur les difficultés relatives
aux marques de la quincaillerie, de la coutellerie et des savons. (Décrets
des 5 septembre 1810 et 1«r avril 1811).
L a diversité n’est pas moins grande en ce qui touche les peines.
La loi du 22 germinal an x i et le Code pénal qualifient crime et pu
nissent comme tel la contrefaçon et l’usage frauduleux des marques. La
contrefaçon des marques de coutellerie, des savons et des draps est punie
d’une peine correctionnelle. Mais la quotité de la peine n ’est pas la mê
me dans chacun des décrets relatifs à ces divers produits.
Omission non moins fâcheuse : ces lois et décrets punissent la contreJaçon des marques, mais laissent impuni le débit fait sciemment de pro
duits dont la m arque est contrefaite.
Enfin, l’exagération de la peine portée par la loi du 22 germinal an xi
et le Code pénal a rendu toute répression impossible. Les rares pour
suites qui ont eu lieu ont abouti à des acquittem ents ; elles ont cessé
depuis longtemps. Seule, l’action civile est exercée, mais entravée, éner
vée par les contradictions et les difficultés que nous avons indiquées.
Aussi les conseils généraux des manufactures et du com m erce, ceux des
départements, les chambres de commerce ne cessent de demander une lé
gislation plus simple, plus complète, plus efficace.
Un projet de loi fut préparé en 1841 par les conseils généraux des ma
nufactures et du commerce , élaboré en 1844 par le conseil d’Etat, et adopté en 1846 par la chambre des Pairs Le rapport était fait et déposé
à la chambre des Députés, quand éclata la révolution de Février.
En 1850, le conseil général du commerce et des manufactures prépara
les bases d’un nouveau projet que le conseil d ’Etat vota en 1851.
De ces longues et consciencieuses études est né le projet dont vous êtes saisis.
Quel en est le b u t , quel en est le caractère ? C’est ce qu’il faut tout
d’abord préciser.
Le principe fécond de la liberté de l’industrie inscrit dans nos lois est
\
�472
APPENDICE
entré si avant dans nos mœurs qu’il n ’en saurait disparaître. Il ne pou
vait done s’agir de considérer et d ’organiser la marque comme une véri
fication faite au nom de l’Etat réglementant la fabrication , une garantie
de l’autorité publique en certifiant la nature et les conditions. S’il en est
autrem ent pour certains produits, ce sont là des exceptions édictées dans
l’intérêt de tous pour la sécurité de chacun ou la défense du travail na
tional, et dont des nécessités d ’ordre public pourraient seules justifier la
rare extension.
Le projet s’occupe uniquem ent de la marque que le fabricant ou le
commerçant appose sur les objets de sa fabrication ou de son commerce,
pour en constater l'origine, pour leur imprimer autant que possible, aux
yeux du public, le caractère de sa personnalité.
La marque est donc une propriété privée que la loi doit défendre. Tel
est le principe du projet de l o i , principe dont nous aurions voulu tirer
des conséquences plus nombreuses et plus fécondes, et que nous nous
sommes efforcés de maintenir, sans le compliquer de dispositions étran
gères. Son application n ’est pas seulement un acte de justice, c’est un a^,
vantage précieux pour le commerce loyal, une garantie donnée au public!
Protéger efficacement la marque , c’est amener l’in d u strie l, le commer
çant à l’employer , c’est aussi les intéresser à en rehausser la valeur par
la loyauté et la perfection des produits dont ils revendiquent la respon
sabilité; c’est donc, en résum é, servir les intérêts de la production et du
consommateur
Excepté quelques innovations qu’il nous avait paru possible d’étendre,
le projet de loi qui vous est soumis ne constitue pas, à vrai dire, une lé'
gislation nouvelle. Il résume , coordonne, rectifie ou complète les pres
criptions légales existant aujourd’hui, dans une série de dispositions dont
il faut analyser les motifs particuliers.
Titre Ier.
Du droit de propriété des marques.
Art . 1=<-. — La m arque est le signe de la personnalité du fabricant,
du com m erçant, imprimée à leurs produits ; elle constitue donc une vé
ritable propriété que proclame l'intitulé même de ce titre , et qui est le
�APPENDICE
473
premier mot de la loi. Mais cette manifestation de sa personnalité, cette
revendication de sa responsabilité par l’industriel ou le commerçant doitelle rester libre ; doit-elle , au contraire , être une obligation légale ? en
un m o t , la marque doit-elle être obligatoire ou seulement facultative ?
Telle est, Messieurs, la grave question que soulève toute loi su r les mar
ques , qu’ont agitée les organes de l’industrie , qui partage les chambres
de commerce, et qu’il fallait résoudre dès le début de la loi.
C’est au nom du commerce et dans son intérêt qu’on réclame l’obliga
tion de la marque. La liberté de l ’industrie n ’a qu’un c o rre c tif, la res
ponsabilité de l’in d u strie l, sinon elle dégénère en licence. Que le fabri
cant soit tenu de signer son œuvre, le marchand les objets qu’il vend, et
les fraudes qui ont si gravement compromis notre commerce à l’étran
ger, qui troublent si souvent le marché intérieur, disparaissent presque
complètem ent, car nul n ’en osera prendre publiquem ent la responsabi
lité. La m arque obligatoire ne protège pas seulement la consommation,
elle protège l’industrie elle même contre les fraudes plus nombreuses en
core du commerce interm édiaire q u i , chaque jo u r , compromet la répu
tation du fabricant en trom pant le consommateur. Sans doute elle ne
crée pas la responsabilité, mais elle donne les moyens, nuis aujourd’hui,
de l’appliquer. Qu’on ne parle pas de difficultés d’application. Pendant
des siècles , et jusqu’à la loi de 4791 , l’obligation de la m arque a été le
droit commun de l’industrie. Elle a existé avec des conditions de vérifi
cation et de surveillance q u ’il ne s’agit pas de ressusciter; elle existe au
jourd’hui sans obstacles dans plusieurs pays étrangers; elle est donc pra
tiquement posible.
Si graves que soient ces raisons , Messieurs , elles n ’ont pas persuadé
votre commission, pas plus que tous ceux qui ont élaboré tous les projets-de loi antérieurs.
La répression des fraudes est un résultat excellent sans doute , mais
fort hypothétique dans l’espèce. Respectera-t-il sa m arque , le commer
çant peu jaloux de se faire un nom commercial ? La m arque actuelle
ment obligatoire pour les tissus de laine et de coton a-t-elle empêché les
fraudes ? Ce qui est certain, au contraire, ce sont les restrictions gênan
tes imposées au commerce même le plus loyal par une pareille obliga
tion. L’expérience de plusieurs siècles le démontre. Obliger le produc
teur à signer tous ses produits, n ’est-ce pas, sous peine de compromettre
sa marque, l’empêcher de vendre les produits d’essai ou mal réussis, de
faire pour les besoins de la consommation elle-même des produits infé-
�474
APPENDICE
rieurs ou mélangés ? Comment faire pour les produits les plus exigus,
ceux non susceptibles d’être marqués , ceux dont la marque doit dispa
raître dans la vente en d é ta il, ceux enfin qui sont l’œuvre de plusieurs
fabricants ?
Comprend-on aussi qu’il faille m arquer tous les objets, même les plus
simples et les plus vulgaires qui sont dans le commerce ?
La marque obligatoire ne diminue t-elle pas enfin les garanties que
donne la marque facultative ? Avec ce dernier système , tout fabricant
habile, tout marchand loyal use de la faculté consacrée par la loi , et le
publie s’adresse à eux avec confiance , certain qu’ils n ’apposeront pas
leur marque sur un produit défectueux. Si tous , au contraire , sont te
nus d’apposer leurs marques, il en résultera une confusion dans laquelle
le consommateur ne pourra distinguer les bonnes et les mauvaises.
Nous n ’hésitons donc pas à vous proposer de déclarer la marque sim
plement facultative. Toutefois, à ce principe le projet de loi apporte un
tempérament propre il désintéresser la plupart des objections formulées
contre lui et à concilier tous les intérêts. C’est presque toujours en se
préoccupant exclusivement d’une ou de plusieurs industries particulières,
qu’on réclame l ’obligation de la m arque , et l’on est alors porté à géné
raliser une mesure dont apparaît l’utilité spéciale. Déjà des actes législa
tifs qui ont eu, qui ont encore leur raison d’être dans des principes d ’or
dre ou d’intérêt public , et dont nul ne demande la modification , ont
rendu pour certains produits la marque ou le nom obligatoire : ainsi
pour les matières d’or et d’a rg e n t, les tissus français similaires à ceux
prohibés, l’imprimerie, les substances vénéneuses, etc.
Des raisons du même ordre . d’autres non moins puissantes , l’intérêt
évident de la consommation ou de grandes industries nationales peuvent
rendre utile , nécessaire même , de déclarer obligatoire la marque de fa
brique ou de commerce. Dans ce b u t, les intéressés devront s’adresser
au Gouvernem ent, à qui nous vous proposons de déléguer ce soin , con
vaincus que lui seul est à même d’apprécier exactement l’utilité de sem
blables mesures, certains enfin qu’il usera avec prudence de son pouvoir
discrétionnaire Hàtons-nous d’ajouter que son exercice est soumis aux
garanties des réglements d’administration publique , et que ce seront là,
en tous cas , des exceptions rares au principe qui doit rester debout de
la m arque facultative.
Il est presque inutile d’ajouter qu’en déclarant la m arque obligatoire,
les décrets déterm ineront le mode et les conditions de cette marque.
�APPENDICE
475
En quoi consistent les marques ? Le projet de loi, évitant le péril d’u
ne définition, et laissant à la doctrine et à la jurisprudence le soin de la
faire, était resté muet à cet égard. Votre commission a pensé que la don
ner serait prévenir de nombreuses difficultés, et elle en a pris le principe
dans les projets présentés aux précédentes assemblées. Le conseil d ’Etat
a adopté son amendement. La marque est tout signe servant à distinguer
les produits d’une fabrique ou les objets d’un commerce , et la loi é n u
mère non pas tous ces signes, mais les plus usités et les principaux p ar
mi eux. Si la marque est la représentation du nom , il faut reconnaître
que l’apposition du nom est la plus claire et la plus sûre de toutes les
' marques. ..
Le nom lui-même est donc une marque, mais à la condition que, pour
éviter toute confusion , il affectera une forme d istin ctiv e, et qu’il aura
été satisfait aux prescriptions de la présente loi. Ce n’est pas là, disons1c tout de suite, une observation théorique ; elle a, au contraire, des con
séquences pratiques évidentes. La loi actuelle a pour objet les marques ;
la loi du 28 juillet 1824, qu’elle n ’abroge nullement, protège le nom des
commerçants et punit les usurpations, retranchements et altérations dont
ils peuvent être l’objet, et cela sans aucune condition de dépôt ou de for_
me particulière. La loi actuelle va plus loin et fait autre chose : elle pro
tège comme toute autre marque le nom devenu marque , par l’exécution
de ses diverses prescriptions.
Art . 2. — La première, la principale de ces prescriptions est le dé
pôt de la marque. Adopter une marque, c’est se réserver propre l’emploi
d’un signe, c’est en interdire désormais l ’emploi aux antres. Il est donc
nécessaire de faire connaître à tous que tel signe , hier dans le domaine
public , est devenu m aintenant une propriété particulière et exclusive.
S’il convient de protéger cette propriété, il faut aussi prévenir les con
trefaçons involontaires. Le dépôt est la constatation officielle de cette
j Eft'
prise de possession, la notification au public de ce droit de propriété ; il
ne le crée pas, il le révèle.
Le dépôt est-il attributif ou seulement déclaratif de la propriété des
marques ? C’est là une question grave, controversée encore sous la légistion existant aujourd’hui, et que le projet du Gouvernement tranchait en
faisant acquérir la propriété par le dépôt.
mi
Que tout fabricant, que tout commerçant doive, pour s’assurer le bé
néfice de la lo i, déposer une m arque qui est une source de fortune pour
pi
�476
APPENDICE
lui, un gage de confiance pour le public, cela est évident ; il y a im pru
dence à agir au trem en t, et la loi n ’a pas à le protéger plus qu’il ne le
fait lui-même. Mais fallait-il le dépouiller de sa propriété, cet industriel
si négligent qu’il fût, à ce point qu’il pût être poursuivi par un tiers qui,
non content d’usurper sa marque , en aurait opéré le dépôt ? Telle eût
été , en e ffet, la conséquence fatale d’un principe rigoureux : il nous a
paru dangereux de faire dépendre de l’accomplissement d’une formalité,
de soumettre à la chance d’une diligence plus active , la propriété d’une
marque q u i, le plus so u v e n t, tire son importance de son ancienneté et
n ’a pas été déposée à cause de son ancienneté même.
Cette pensée a inspiré à notre honorable collègue , M. Legrand, un amendement consistant à remplacer les premiers mots de l’a r t .2 par ceuxci : N u l ne peut revendiquer la p ro p riété exclusive, e tc .. . . Cet amen
dement, adopté par votre commission, l’a été également par le conseil
d’Etat.
Les mêmes raisons nous avaient porté, avec M. Legrand, à demander
le changement du premier paragraphe de l’art. 3, en ne reconnaissant la
propriété de la m arque qu’à p artir du jo u r du dépôt; cette disposition
paraissait faire du dépôt la cause de la propriété. Le conseil d’E ta t, par
la suppression de ce paragraphe, a écarté toute difficulté et rendu inutile
l’amendement par lequel nous inscrivions , dans l ’art. 3 comme dans
l ’art. 2 , ce principe que le dépôt est simplement déclaratif de la p ropri
été des marques. Ainsi donc, au propriétaire d’une m arque déposé le bé
néfice de la loi actuelle, des garanties spéciales qu’elle institue et des ac
tions qu’elle organise ; à celui qui n ’effectue pas le d é p ô t, le droit com
mun. Il se servira de sa marque, sans pouvoir en être dépouillé, et il de
mandera à l’art. 1382 du Code Napoléon les moyens de se défendre con
tre toute concurrence déloyale.
Le dépôt a d’autres avantages qui en justifient surabondamment la né
cessité. Il d o n n e, dans les questions de p rio rité , un élément de certitu
de ; dans les questions de contrefaçon, une pièce de comparaison irrécu
sable. Ce dépôt sera fait au greffe du tribunal de commerce en un double
exemplaire. MM. les commissaires du Gouvernement nous ont déclaré
que le projet du Gouvernement, en demandant un second exemplaire, est
de centraliser les m arques au conservatoire des arts et métiers , de for
mer ainsi pour tout l ’Empire un dépôt général qui perm ettra toutes les
recherches et facilitera la répression des fraudes. Votre commission n ’a
pu q u ’applaudir à cette pensée, éminemment utile à l’industrie et au pu
blic .
�APPENDICE
477
Art . 3 & 4. — Les avantages de cette réunion et du dépôt lui-m ê
me seraient illusoires si, pour connaître une marque , les recherches de
vaient embrasser un grand nombre d’années. Il importe également à tous
de savoir si une marque est conservée, ou si, au contraire, elle est tom
bée dans le domaine public. C’est donc avec raison que la loi limite à une période de quinze années l’effet du dépôt. 11 peut, d’ailleurs, toujours
être renouvelé. Les frais de ce dépôt sont minimes ; il ne fallait pas ce
pendant que ces actes fussent sans compensation pour les officiers pu
blics chargés de les recevoir. Le même fa b ric a n t, le même commerçant
peut, s’il a plusieurs m arques, en faire le dépôt dans un seul procès-ver
bal ; mais le droit de rédaction sera perçu autant de fois qu’il y aura de
marques déposées. Tel était sans doute le sens de l’art. 4 ; mais la com
mission a cru devoir le dégager plus nettement par un amendement que
le conseil d’Etat a adopté.
Dans la pensée de donner aux dispositions relatives à la propriété des
marques un caractère particulier de loyauté et de m oralité, notre hono
rable collègue M. Quesné a proposé l’amendement suivant, qui se serait
ajouté à l’art. 3 : « Nul ne peut faire usage d’une marque à lui cédée,
et comprenant le nom d’un fabricant ou d’un com m erçant, s’il n ’ajoute
à cette m arque son propre nom, suivi du m ot successeur. » La loi sarde
du 12 mars 1883 contient une disposition analogue.
Lorsqu’une industrie change de mains, il est nécessaire, suivant notre
honorable collègue, que le public ne l’ignore pas et ne continue sa con
fiance qu’en connaissance de cause. Ne doit-on pas craindre aussi qu’un
successeur, moins soucieux de l’honneur d’un nom qu’il ne porte pas_
n’en exploite et n’en compromette le renom mérité , par une fabrication
moins bonne ou même par des fraudes criminelles ?
Tout en rendant justice à la pensée morale et élevée de cet am ende
ment , votre commission n ’a pas cru devoir l’accueillir. Il lui a paru ne
se rattacher qu’indirectement à la l o i , et avoir plu tô t pour objet le nom
du commerçant régi par la loi du 28 juillet 1824 , tandis que la loi ac
tuelle s’occupe exclusivement des marques. L orsqu’un comm erçant, par
sa loyauté et la supériorité de ses produits, a su donner confiance à sa
marque, conquérir un nom respcté, il trouve des avantages considérables
et la juste récompense d’une vie commerciale honorable, dans la cession
de sa maison , du nom qui la recommande au public , de la marque qui
en signale les produits. L’adoption de l’amendement rendrait impossible
toute cession semblable, tarira it, pour le commerçant, une source légiti
me de profits, et supprim erait un élément puissant de loyale émulation.
�478
APPENDICE
Titre II.
Dispositions relatives aux étrangers.
Art . 5 & 6. — Admettre les étrangers à exercer en France le com
merce ou l’industrie, c’est leur garantir sécurité et protection. Elles leur
sont dues en échange du contingent qu’ils fournissent à la richesse et à
l’activité de notre pays. Il était donc ju s te , et l’art. B consacre ce prin
cipe, d’accorder aux étran g ers, pour leurs établissements en France , le
bénéfice de la loi, à la charge d’en rem plir les obligations. Ce n’est,d’ail
leurs , à leu r é g ard , que l ’application du droit commun en matière de
commerce.
La même faveur devait-elle être accordée aux établissements situés
hors de France et appartenant à des étrangers ou même à des Français ?
Le projet ne le propose point ; il établit une règle plus équitable , plus
protectrice de nos intérêts : la réciprocité. Pourquoi gêner par des res
trictions l’im itation des marques d’un pays où la m arque de nos natio
naux n ’est pas respectée? Pourquoi le faire, surtout quand des préjugés
dont le temps fera justice n ’acceptent certains produits nationaux, même
supérieurs, que s’ils sont revêtus de marques étrangères ?
La loi va plus loin : elle exige, et avec raison , que cette réciprocité
résulte de conventions diplomatiques. Il ne suffira pas que la loi étran
gère punisse les usurpations et les contrefaçons de nos marques. L’on
ne peut accorder la garantie de notre législation sans savoir si des garan
ties égales nous seront accordées , si nous n ’échangeons pas une protec
tion efficace contre une protection illusoire. La réciprocité n ’existera
que si elle est stipulée dans un traité.
Cette hypothèse se réalisant, il fallait déterminer le lieu où les étran
gers opéreraient le dépôt qui est la condition absolue pour user du bé
néfice de la loi. Il a paru plus facile pour eux , plus avantageux pour le
commerce g é n é ra l, de décider que cette formalité sera remplie au greffe
du trib u n al'd e la Seine.
�APPENDICE
479
tfitre III.
Pénalités.
A r t . 7. — Les reproches les plus graves adressés à la législation ac
tuelle sur les marques sont la diversité , la contradiction et l’énormité
des peines qu’elle prononce , et qui ont pour résultat l’impuissance et
l ’im punité.
La loi du 22 germinal an vi et ïe Code pénal qualifient crime la con
trefaçon des m arques , et la punissent des mêmes peines que le faux en
écriture privée. C’est là une exagération évidente, démontrée par ses re
grettables conséquences. Il n ’y a , en effet, aucune assimilation à faire
entre l’atteinte pins ou moins directe portée à une propriété et la créa
tion criminelle d’un acte contenant obligation pour autrui.
Aussi le projet de loi range-t-il uniformément dans la catégorie des
délits les attaques contre la propriété des marques ; mais là s’arrête l’u
niformité de la loi. La peine, tout en conservant le caractère correction
nel, n’est pas la même pour tous les délits. Pour les uns le maximum
s’élève, pour les autres le minim um s’abaisse davantage, sans que votre
commission ait pu se rendre un compte exact de la gravité différente de
ces délits et de la convenance d’en varier la répression. Divers amende
ments de MM.'Legrand et Tesnière , qui se confondent avec ceux de la
commission, avaient pour b u t de faire disparaître cette imperfection.
Pénétrée de l’idée mère du p r o je t, votre Commission a voulu donner
à la loi un caractère de simplicité et d’harmonie toujours désirable dans
les œuvres législatives, plus précieuse peut-être encore ici, puisque l’ab
sence de ces avantages est une des causes principales de la réforme qui
nous est proposée. Elle a pensé qu’il convenait d’édicter la même peine
contre tous les délits relatifs aux m a rq u e s, en laissant aux juges toute
la latitude possible pour en faire une équitable application. Cette peine,
elle l’a cherchée dans des dispositions légales p u n issa n t, si l’on peut
parler ainsi; des délits de la même famille. Nous trouvions, en effet, pu
nies des peines portées par l’art. 423 du Code p é n a l, les tromperies sur
la nature de la chose vendue, — les usurpations et altérations de nom
(loi du 28 juillet 1824), — les contrefaçons en matière de brevets d’in-
�480
APPENDICE
vention (loi du 6 juillet 1844), — certaines fraudes dans la vente des
marchandises ( loi du 27 mars 1851 ), — les mêmes fraudes relative
ment aux boissons (loi du 5 m ai 1855). — Nous avons donc proposé
de punir des peines portées en l’art. 423 du Code pénal tous les délits
contre les marques de fabrique ou de commerce.
Au nombre de ces délits, ne doit-on pas faire figurer la destruction et
l’altération frauduleuse de la marque ? Pour encourager l’usage de la
marque facultative, suffit-il de punir les contrefacteurs ? Souvent la mar
que peut être supprimée sans le consentement et même malgré la défense
du producteur , par des interm édiaires qui se donnent pour fabricants,
par des concurrents jaloux de substituer leur marques ê celle d’un autre
et de se créer avec ses produits une réputation commerciale. Sans doute
celui qui achète u n produit en a la libre disposition , mais cela ne va
pas jusqu’à enlever au fabricant l’honneur que lui procure l’exécution.
Il en est ainsi pour les œuvres de l’art et de l’esprit ; pourquoi en seraitil autrem ent des œuvres industrielles ? Toute marque est une propriété,
nous l’avons reconnu, et c’est le premier mot de la loi actuelle. Elle doit
être préservée du vol et de la destruction. Plusieurs chambres de com
merce en ont manifesté le vœu avec instances : le projet de la commis
sion de la chambre des Députés, en 1845, contenait une disposition for
melle en ce sens; la loi sarde du 12 mars 1855 a consacré ce principe,
que MM. Tesnière et Legrand nous ont également proposé d’inscrire dans
la loi.
Votre commission a formulé ces idées dans deux amendements suc
cessivement présentés au conseil d’Etat et tous deux rejetés par lui, sauf
un point spécial qui se rattache à l'a rt. 8. Voici le second de ces amen
dements :
« Sont punis des peines portées en l’art. 423 du Code pénal :
» 1» Ceux qui ont contrefait une marque ou fait usage d’une marque
n contrefaite ;
» 2° Ceux qui ont frauduleusement apposé sur leurs produits ou les
» objets de leur commerce une marque appartenant à autrui ;
» 3° Ceux qui ont frauduleusement imité une marque ou se sont ser» vis d’indications tendant à tromper sur la marque d’autrui ;
» 4° Ceux qui ont frauduleusement détruit ou altéré une marque ;
» 5° Ceux qui ont sciemment vendu ou mis en vente un ou plusieurs
�4-81
APPENDICE
» produits dont la marque serait ou aurait fait l’objet d’un des délits pu» nis par les paragraphes précédents. »
Nous avons dit que ces amendements ont été repoussés. Deux chan
gements toutefois ont été introduits dans la rédaction primitive ; le m i
nimum de la peine a été abaissé à 30 fr,.; l’application de l’art. 463 du
Code pénal permet d’ailleurs d’adoucir encore la répression ; enfin nous
avons proposé, dans cet article et les suivants, de substituer aux mots :
exposé en vente, qui semblent supposer une sorte de manifestation exté
rieure, ceux-ci : mis en vente , qui perm ettent d’appliquer la peine dès
que l’objet du délit est destiné à être vendu.
Cette modification a été adoptée.
Ainsi modifié, l ’art. 7 prévoit et punit trois délits :
<1° La contrefaçon d’une m arque, c’est-à-dire sa reproduction aussi
parfaite qu’on aura pu y parvenir ;
2° L ’apposition frauduleuse de la marque d’a u tru i, c’est-à-dire le fait
de celui qui s’est procuré la m arque véritable d’une autre personne et
s’en est servi pour marquer ses produits ;
3° La vente et la mise en vente de produits défectueux : c’est là le fait
le plus im portant à punir ; la fraude serait restreinte sans le débit qui la
rend productive.
Il est superflu de rappeler que le3 dispositions de droit commun sur
la complicité, et, notamment, la complicité par recel, s’appliquent à ces
délits comme à tous les autres.
A r t . 8. — Cet article du projet émane d'un tout autre ordre d ’idées.
Il ne punit plus des délits contre la propriété des m arq u es, mais des dé
lits commis au moyen de l ’emploi des marques ; il réprime l’usage de
marques portant des indications propres à tromper l’acheteur sur la na
ture du produit et la mise en vente ou la vente de produits ainsi m ar
qués.
Que cette disposition ait quelque utilité, votre commission ne le con
teste pas. Elle comblerait une des nombreuses lacunes qu’on regrette
dans l’art. 423 du Code pénal. Qu’au lieu d ’atteindre seulement la trom
perie consommée, si difficile à saisir,
de tromperie ; que la loi du 27 mars
rées et marchandises ; que toutes ces
num érer , et qui sont la honte et la
la loi punisse toutes les tentatives
1 881 s’applique à toutes les den
fraudes, qu’il serait trop long d’é
ruine du commerce , soient réprim
—
!
31
�482
APPENDICE
mées, rien de mieux, et nous exprimons le vœu formel qu’une loi de po
lice commerciale réalise les améliorations réclamées de tous côtés et in
diquées par l’expérience; mais il nous a semblé que pour opérer une ré
forme pëu im portante par elle-même , c’était introduire dans la loi une
disposition étrangère à son principe , et n’ayant avec lui qu’un rapport
de mots, s’exposer au reproche, si bien rappelé dans l’exposé des motifs,
d’altérer la simplicité et la clarté de la loi. Prévoir , dans une loi sur la
propriété des m a rq u e s, les abus auxquels peut se prêter ce d r o it, cela
condu irait, dans une loi sur la vente des armes de guerre ou des subs
tances vénéneuses, à punir l’usage homicide qu’on en pourrait faire.
V otre commission vous eût donc proposé de rejeter l ’art. 8 comme
nuisant à l’harm onie du projet de loi et le compliquant sans grande u ti
lité ; mais un des amendements qu’elle avait proposés à l’art. 7 ayant
été reporté à l’art. 8 p ar le conseil d’E t a t , elle s’est vue placée dans la
nécessité, si elle p e rs ista it, de rejeter une amélioration qu’elle considère
comme indispensable.
L ’art. 7 punit la contrefaçon, c’est-à-dire la reproduction brutale,
complète , de la marque. Mais la fraude cherche toujours à se soustraire
à l’application de la loi. On ne contrefait pas une m arq u e, on l’imite. Si
elle consiste dans des le ttr e s , on prend d’autres le ttre s, mais affectant
les mêmes formes ; u n vernis , des couleurs dissimuleront les différen
ces, ou bien encore on se sert de la même dénomination qu’un fabricant,
en a jo u ta n t, sous une forme plus ou moins perceptible , le mot façon.
Ces fraudes sont innombrables et se cachent de mille manières ; mais
les magistrats sauront les reconnaître, et ils auront le moyen de les at
teindre efficacement. L’amendement adopté par le conseil d’Etat punit
en effet ceux qui, sans contrefaire une marque, en ont fait une imitation
frauduleuse, de nature à tromper l’acheteur, ou ont fait usage d’une mar
que imitée frauduleusement.
Les deux autres paragraphes de l’art. 8, que nous acceptons, non sans
regret, punissent ceux qui, au moyen d’une marque, ont trompé ou tenté
de trom per l’acheteur sur la nature du p ro d u it, et ceux qui ont vendu
des produits ainsi marqués.
L’honorable M .Tesnière a proposé d’appliquer l’art. 8 aux tromperies
et tentatives de tromperies sur l’origine des produits.
Votre commission n’a pas accueilli cet amendement. Il aggravait d’a
bord l ’inconvénient reproché à l’art. 8 de compromettre la simplicité de
la loi. Et puis, comment déterminer d’une manière nette , incontestable,
�APPENDICE .
483
le lieu d’origine ou de fabrication ? La circonscription industrielle s’é
tend, se restreint, se déplace. On appelle dans le commerce : articles de
Lyon, de Rouen, de Roubaix, d’Amiens, d’Elbeuf, de Sedan , e t c . . ., des
objets qui sont fabriqués dans un certain rayon de ces villes. Les eauxde-vie de Cognac ne se récoltent pas seulement sur cette commune. Où
donc sera la limite à laquelle commencera le délit? Ce serait aussi, dans
plusieurs cas , atteindre et même détruire plusieurs grandes industries
nationales dont les produits égalent au moins les produits étrangers si
milaires. Que leur origine soit nécessairement signalée, ils sont délaissés
immédiatement pour des objets souvent inférieurs, mais que recomman
dent l’abitude et le préjugé.
Enfin, c’est interdire à l’industrie française la faculté d’imiter, par re
présailles, des industries étrangères , et l’exposer sans défense suffisante
à une concurrence désastreuse.
Des abus sans doute peuvent se produire ; le remède en est dans la
faculté donnée au Gouvernement de rendre la marque obligatoire dans
certains cas exceptionnels. Lorsqu’enfin l’usurpation d ’un lieu d’origine
aura pour effet d’établir une confusion avec les marques d’autres com
merçants , ceux-ci trouveront dans les art. 7 et 8 les moyens de pour
suivre tout ce qui serait une contrefaçon ou une im itation. Le droit com
mun enfin autorise à demander la réparation du préjudice éprouvé par
tout fait de concurrence déloyale.
Art . 9. — Après avoir attribué au Gouvernement le droit d’assujet
tir certains objets spéciaux il l’obligation de la marque , il fallait donner
à ce droit une sanction ; tel est le but de l’art. 9.
Un paragraphe additionnel a été proposé par M. Legrand ; il est ainsi
conçu : « Dans les cas prévus par l ’art. 7, la poursuite ne pourra être
» intentée par le ministère public que sur la plainte de la partie lésée. »
Convaincu que l’intervention du ministère public dans les affaires parti
culières des fabricants et commerçants ne doit être admise qu’avec une
extrême réserve , notre honorable collègue a voulu la restreindre aux
seuls cas où l ’ordre public est sérieusement intéressé. Votre commission
a pensé que cette restriction aurait de graves inconvénients, notamment
dans l’hypothèse prévue par l’art. \ 9, et elle s’est refusée à l’inscrire dans
la loi, certaine que le ministère public fera toujours un exercice prudent
et mesuré du droit dont il est armé.
�484
APPENDICE
Ab t . 10, 11 & 12, — Dans une pensée de concordance et de sim
plicité, le projet emprunte à la loi du 5 juillet 1844 , qui régit une ma
tière analogue, les brevets d’in v en tio n , ses dispositions sur le cumul
des peines, la récidive, les circonstances qui la constituent et l’atténua
tion, si utile et si équitable, de l ’art. 463 du Code pénal.
Art . 13. — Indépendamment des peines matérielles que ces articles
prononcent, l’art. 13 donne aux tribunaux le pouvoir de priver tempo
rairem ent les délinquants du droit de participer aux élections consulai
res et commerciales; ils pourront aussi ordonner l’affiche de leurs juge
ments et leur insertion dans les journaux. Nous avons proposé au con
seil d’Etat, qui a adopté notre amendement, de reproduire les termes de
la loi du 27 mars 1851 ( art. 6 ), pour ces.utiles dispositions. Au mé
rite de l’exemplarité, ces peines joignent l’avantage d’appliquer au délin
quant une peine analogue au délit. Il a voulu nuire à ses concurrents,
surprendre la confiance du public par l’usage de signes frauduleux ou
mensongers : l’insertion dans les journaux et l’affiche, surtout l’affiche à
la porte de son domicile et de ses magasins , m ettront le public en défi
ance et l’obligeront à s’abstenir de fraudes désormais signalées.
Ar t . 14. — La répression serait illu so ire , si les produits dont la
m arque fait l’objet d’un délit pouvaient continuer à circuler librem ent.
Aussi le tribunal peut-il, même au cas d’acquittem ent, en prononcer la
confiscation , ainsi que celle des ustensiles et instrum ents ayant servi à
commettre le délit. Mais il doit dans tous les c a s , et c’est là une dispo
sition impérative , ordonner la destruction des marques contraires aux
a rt. 7 et 8. On ne peut les conserver après avoir reconnu qu’elles sont
une violation de la loi et du droit de propriété.
Une réparation est due évidemment au propriétaire de la marque qu’on
a contrefaite ou frauduleusement apposée et imitée. La plus naturelle,
celle qui se présente à la pensée , c’est de lui attribuer jusqu’à due con
currence les objets mêmes du délit dont il se plaint. Ce n ’est l à , toute
fois, qu’un droit dont il est libre de ne pas user et que les tribunaux
sont m aîtres de rejeter ou de consacrer.
Le plaignant consultera son intérêt, le magistrat la justice.
Ar t . 15. — Le délit de n ’avoir pas apposé une marque obligatoire,
ou d’avoir vendu contrairem ent à cette prescription, peut avoir des con
séquences graves ; cela est é v id e n t, si l'on se rappelle que le plus sou-
�APPENDICE
485
vent la marque est rendue obligatoire dans des intérêts d ’oidre public
ou pour la défense du travail national. Le tribunal devra donc toujours,
même au cas d’acquittem ent, faire disparaître le d é lit, en ordonnant
l’apposition de la marque. Cette infraction , grave par elle-m êm e, le de
vient encore plus quand elle se répète ; aussi, pour le cas de récidive, la
loi permet aux juges de prononcer la peine rigoureuse de la confisca
tion.
Titre IV.
Juridictions.
Ar t . 16. — La propriété des marques définie et protégée, les délits
contre elle prévus et punis , à quel tribunal faut-il confier cette défense
et cette répression ?
La législation qu’il s’agit de réformer , sur ce point encore , offre une
diversité vraim ent remarquable.
Tantôt ce sont les prud’hommes et les juges de paix, tantôt les tribu
naux de commerce et aussi les tribunaux ordinaires.
En matière de compétence , l’unité est une règle impérieuse dont on
ne saurait s’écarter sans danger.
Tous les délits relatifs aux marques seront, comme tous les autres dé
lits, jugés par les tribunaux de police correctionnelle ; c’est le droit com
mun, et il n’y a aucun m otif d’y déroger. Souvent le prévenu soulève,
pour sa défense, des questions relatives à la propriété de la m a rq u e ro n t
l’exam en, s’il fallait le renvoyer devant la juridiction compétente, sus
pendrait le jugem ent de la poursuite et deviendrait souvent un moyen
de la retarder et de gagner du temps. Par un heureux em prunt à la loi
du S ju illet 1844 sur les brevets d’invention , la loi donne compétence
aux tribunaux correctionnels pour juger l’exception et statuer sur toutes
les demandes qui se rattachent nécessairement à la poursuite. Il n ’est
pas besoin de dire que toutes les poursuites peuvent être dirigées par la
partie lésée aussi bien que par le m inistère public , et q u ’elles sont ré
gies par les dispositions du Code d’instruction criminelle.
Mais si l’action civile est seule engagée , quel tribunal en connaîtra ?
Il était difficile de la soum ettre aux conseils de prud’hommes , dont le
�486
APPENDICE
nombre est encore trop restreint, et dont l’institution a surtout pour ob
je t de terminer les difficultés entre patrons et ouvriers. 11 fallait opter
entre les tribunaux de commerce , ainsi que l’indiquait le p ro je t, et les
tribunaux ordinaires, comme l’ont proposé plusieurs membres de la com
mission et l’honorable M. Tesnière.
C’est à cette dernière idée que votre commission s’est arrêtée.
La marque de fabrique ou de commerce est une propriété ; c’est donc
aux tribunaux chargés d’apprécier les questions de propriété qu’il faut
attribuer ces litiges. Les difficultés relatives aux brevets d’invention sont
soumises aux tribunaux civils par la loi du 5 juillet 4 844, dont l’expé
rience a justifié les dispositions sur ce point. P o u rq u o i, d’ailleurs , ne
pas rendre ces tribunaux uniformément compétents pour les marques ?
Sinon , il serait loisible au p laig n an t, en engageant l’action correction
nelle , de porter , à son gré , l’affaire devant les juges civils ou les juges
de commerce. Ce serait à coup sûr une disposition législative fort criti
quable , celle qui comm ettrait à une partie la faculté de choisir la ju ri
diction et de décider la compétence.
La détermination de la juridiction commerciale n’eût pas été sans in
convénients : l’art. 20 de la loi en étend l’application aux produits de
l’agriculture ; on eût donc soumis à la juridiction exceptionnelle des tri
bunaux de commerce , et peut-être à ses sanctions rig o u reu ses, des per
sonnes qui jam ais n ’ont fait ni ne veulent faire le commerce.
E nfin, dans un grand nombre d’arrondissements , les tribunaux civils
jugent les affaires commerciales. Nous n ’avons donc vu, avec ces raisons
de principes, que des avantages considérables à leur confier une mission
dont l’accomplissement et le succès nous sont présagés par l’expérience
de la loi sur les brevets d’invention.
Des motifs de célérité et d’économie dans le jugement nous ont fait
emprunter une autre disposition à la loi du 5 juillet 1844, pour dire que
ces affaires, attribuées uniformément aux tribunaux civils, seront jugées
comme matières sommaires.
L ’amendement a été adopté par le conseil d’Etat.
A r t . 17. — Pour réprimer le délit, pour reconnaître le droit de pro
priété , il importe de saisir l’objet du délit ou de la contestation. La loi
réglemente donc le droit de saisie, en donnant au magistrat qui l’autorise
le pouvoir d’en modérer la rigueur et d’exiger des garanties pour empê
cher les poursuites vexatoires.
�APPENDICE
487
A défaut de tribunal dans le lieu où se trouvent les objets à saisir ou
à décrire, le juge de paix pourra autoriser ces mesures. La loi a voulu
rapprocher ainsi le magistrat du justiciable , et ne pas désarmer le droit
de propriété par des retards fâcheux.
Art . 18. — Cet article, emprunté à la loi du 5 juillet 1844, est une
garantie donnée à la partie lésée. Si la plainte est sérieuse, elle doit se
produire devant la justice. Tout retard devient une vexation ou est un
aveu d’impuissance ; la saisie tombera donc, à défaut de poursuites dans
le délai de quinze jours, augmenté à raison de la distance , et des dom
mages-intérêts pourront être réclamés contre le plaignant téméraire ou
de mauvaise foi.
Titre V.
Dispositions générales ou transitoires.
Certaines dispositions sont nécessaires pour compléter la loi ou en as
surer l’exécution. Il nous reste à les analyser :
A r t . 19. — Parm i les fraudes dirigées contre notre industrie et no
tre commerce , il en est une qui mérite d ’être signalée et surtout répri
mée. L ’on fabrique à l’étranger des produits portant la marque ou le
nom d’un fabricant français , ou bien l’indication d’un lieu de fabrique
française; on les présente en France pour le transit ; elles en sortent avant qu’on ait pu les saisir , mais portant avec elles la preuve d’un sé
jour en France qui semble justifier leurs indications mensongères. Ces
fraudes s’exercent le plus souvent avec des marchandises de mauvaise
qualité et causent le plus grave préjudice à ceux dont on usurpe le nom
et les marques.
Le projet a donc fait sagem ent, en prohibant ces produits à l’entrée,
et en autorisant leur saisie à la requête du ministère public ou de la par
tie lésée.
Nous avons cru qu’il fallait aller plus loin et conférer le même droit
à l’adm inistration des douanes, qui seule peut connaître ces fraudes, les
constater, les saisir; et contre la fraude , la rapidité de la poursuite est
la condition du succès.
�488
A P P E N D IC E
Les marchandises saisies serviront à indemniser ceux dont les mar
ques et noms ont été ainsi compromis. L’emploi eu sera fait conformé
ment à l’art, 14.
Il a paru juste seulement de prolonger le délai pour former la deman
de en condamnation. La partie lésée peut avoir un domicile éloigné , et
môme ignorer la saisie, si ce n ’est pas elle qui l’a fait pratiquer.
Cés divers amendements ont été adoptés par le conseil d’Etat, qui y a
apporté d’utiles améliorations.
A r t . 20. — Les progrès de l’agriculture, les efforts heureux et per
sévérants d’un grand nombre d’agriculteurs et d’éleveurs doivent appeler
la protection de la loi. Il leur importe , comme à ceux qui font le com
merce des mêmes objets, de pouvoir s’assurer l’usage exclusif d’une mar
que pour distinguer leurs produits et appeler la confiance du public.
Nous avons proposé au conseil d’E ta t, qui l'a accepté , une énuméra
tion plus complète , et dans laquelle nous avons compris une industrie
agricole considérable, celle des éleveurs.
Un amendement de M .Tesnière, tendant à. introduire aux produits in
diqués dans cet article le bénéfice de la loi du 28 juillet 1824 , a été écarté comme ne se rattachant pas au projet actuel.
A r t . 21. — Beaucoup d’industriels et de commerçants ont, dès long
temps , déposé leurs marques ; il était inutile de leur imposer un dépôt
nouveau : celui qu’ils ont opéré avant la loi actuelle sera valable pour
une période de quinze ans, à p artir du jour où la loi sera exécutoire.
A r t . 22. — Cet effet de la loi sera nécessairement retardé. Un ré
glement d’administration publique est nécessaire pour organiser le dépôt
des marques , la formation du dépôt général, la publicité à donner aux
marques, en un m ot assurer la bonne exécution de la loi. Afin que ce ré
glement puisse être mûrem ent préparé, la loi ne sera exécutoire que six
mois après sa promulgation.
Ar t . 23. — L’article dernier maintient les dispositions antérieures
que ne contredit pas la loi. C’est là sans doute une form ule; mais il était utile^âci de rappeler que la loi actuelle a un objet spécial, limité ;
qu’elle n ’abroge en rien les lois, décrets et ordonnances sur les marques
déjà obligatoires, la juridiction des consuls français en pays étranger, la
loi du 28 ju illet 1824, e tc .. . . Nous avions proposé au conseil d’Etat une
�APPENDICE
489
rédaction qui nous semblait exprimer plus nettement cette idée, mais il
n’a pas cru devoir l’accueillir. C’est là, au surplus, un dissentiment sans
importance, puisque la même pensée nous anime : la marque de fabrique
çt de commerce déposée, voilà l’objet exclusif du projet de loi (art. 2).
Ce projet, Messieurs, met fin à une législation diffuse, contradictoire,
impuissante. !1 donne satisfaction à des vœux exprimés de toutes parts,
et il réalise de notables améliorations pour l’industrie et le commerce.
Peut-être était-il possible de les étendre encore. Le projet, s’il les ajour
ne, ne les rend pas du moins impossibles, et nous les attendons, confiants
dans l’expérience et la protection éclairée du Gouvernement.
Nous avons l’honneur de vous proposer l'adoption du projet de loi
suivant.
jl'l
i
lie.",
N° 16
RAPPORT OE LA OOlYHffllSSfON
Présenté le 4 ju in 4857 au Sénat.
Messieurs les Sénateurs.
L ’industrie moderne procède selon des règles nouvelles. La rapidité avee laquelle, les inventions se succèdent, le mouvement d’association qui
agglomère de puissants capitaux , l’importance que la force de la vapeur
obligé d’attribuer à la proximité des dépôts du combustible minéral qui
�490
APPENDICE
l’engendre , les règles qu’un sentim ent chrétien introduit dans les rap
ports des chefs de manufactures et des o u v rie rs, tout indique qu’il est
nécessaire et opportun de préparer un Code industriel ou les devoirs et
les droits des manufacturiers, ceux des ouvriers et de la société trouvent
une expression réfléchie et des garanties coordonnées avec soin.
En attendant que ce travail considérable puisse être soumis aux déli
bérations du Corps Législatif et du Sénat, le Gouvernement a voulu don
ner satisfaction à un droit de propriété délicat à régler, qui a souvent été
l’objet de l’attention publique, et il a préparé une loi spéciale sur les
marques de fabrique.
Les marques constituent une véritable signature, par laquelle le com
merçant et l’industriel caractérisent les produits de leur commerce ou
de leur industrie. Leur emploi a précédé la connaissance de l’écriture et
se retrouve comme étant d'un usage familier chez tous les peuples et il
toutes les époques.
En France, toutefois, sous le régime des jurandes et des maîtrises, avant
Louis XIV, la marque, étant obligatoire , n’était appliquée qu’après que
la marchandise avait été reconnue par la corporation comme étant fabri
quée en conformité des règles qu’elle s’était imposées. C’était une signa
ture dont l’application, autorisée par la corporation, devenait une garan
tie envers la société.
Ce régime, qui s’opposait évidemment à tout changement, à tout pro
grès individuel, fut adouci dans la pratique par Colbert, perdit beaucoup
de sa rigueur dès les premiers temps du règne de Louis XIV et disparut
tout entier sous le régime révolutionnaire.
La licence p rit alors la place d’une règle trop étroite. Le producteur
demeurait bien libre de déposer sa signature sur les objets qui sortaient
de ses a te lie rs, mais la l o i , qui l ’eût protégé avec tan t d ’énergie contre
un faussaire qui eût contrefait sa signature au bas d’un engagement de
cinq francs, demeurait m uette lorsque, par une marque de fabrique im i
tée ou contrefaite, une concurrence déloyale venait le frapper de ruine.
On citerait par centaines des inventeurs honnêtes qui ont dû les re
vers sous lesquels ils ont succombé à ce silence de la loi, et même plus
tard à la répugnance que les tribunaux éprouvaient à faire usage d’une
loi trop sévère.
Sous le C onsulat, en effet, la marque de fâbrique fut rétablie d’abord
on faveur des fabricants de coutellerie et de quincaillerie et de la manuacture de bonneterie d’Orléans. Bientôt la loi du 22 germinal an xi re-
�APPENDICE
401
connut à la marque dont il était fait dépôt préalable toute la valeur
d’une signature; elle en assimila la contrefaçon au faux en écriture
privée.
La sévérité des conséquences de cette assimilation rendait presque tou
jours illusoire l’application de la loi. Dans la pratique , on a essayé de
pourvoir aux difficultés qui en naissaient, au moyen d’un grand nombre
de règles spéciales provoquées par les demandes de certaines industries
ou de certaines villes , et formulées dans des décrets , dos ordonnances
et même des lois. C’est ainsi que la loi du 28 avril 1816 prescrit aux fa
bricants français , pour faciliter la recherche des tissus p ro h ib és, d’ap
poser leur marque sur tous les objets similaires sortant de leurs ate
liers.
La loi actuelle est destinée à faire disparaître cette confusion et à ra
mener sous une pensée et sous une action unique tous ces faits épars,
toutes ces règles discordantes, toutes ces juridictions mal définies.
Elle a été l’objet d’une longue élaboration„ Un projet préparé par les
conseils généraux des manufactures et du commerce, en 1844, étudié par
le conseil d’Etat en 4 845 , adopté par la chambre des Pairs en 4 846 , avait été déjà l’objet d’un rapport près la chambre des Députés en 4 847,
lorsque la révolution de Février survint.
La question fut reprise en 4 850 devant le conseil général d’agricultu
re, du commerce et des manufactures , dont le projet fut approuvé en
4854 par le conseil d’Etat.
C’est donc une loi longuement étudiée et sagement mûrie que le Gou
vernement vous demande de sanctionner ; en voici l’économie :
La m arque de fabrique, telle que la loi entend la garantir, n ’est point
obligatoire , elle est facultative ; sa garantie n’engage en rien la respon
sabilité de l’E tat qui ne répond en aucune façon de la qualité des pro
duits.
S’il est des exceptions à cette règle générale, elles se justifient par des
nécessités d’ordre public et doivent demeurer rares.
La m arque de fabrique reste donc une signature que l’industriel est
libre de déposer sur ses produits , et dont la société lui garantit l’usage
exclusif quand il a déclaré qu’il entend s’en réserver la propriété , au
moyen d’un dépôt préalable effectué au greffe du tribunal de commerce
de son domicile.
Quelques personnes auraient désiré que la marque fût obligatoire pour
tous les manufacturiers. E videm m ent, il y aurait excès dans une telle -
�i92
APPENDICE
prescription. Que dans un intérêt public , pour des matières alim entai
res, pour des médicaments, la marque de fabrique qui en garantit la na
ture, la pureté et l ’origine , qui permet de rem onter au coupable en cas
de fraude, soit exigée , rien n ’est plus légitime assurément ; c’est un de
voir que le Gouvernement a compris de tout te m p s, un droit qu’il s’est
réservé dans la loi nouvelle.
Dans le système de la loi, il peut toujours , en effet , pour une classe
déterminée de produits, rendre la marque de fabrique obligatoire.
D’autres intérêts auraient souhaité qu’une marque de fabrique fût k
jam ais garantie à l’industriel qui l’aurait adoptée, une fois le premier dé
pôt effectué. La loi veut au contraire que ce dépôt soit renouvelé tous
les quinze ans.
Le système de la loi est sage ; la limite choisie pour la durée du droit
ouvert par le dépôt correspond à celle des brevets d’invention ; elle est
pratiq u e et suffisamment protectrice des intérêts du propriétaire de la
marque.
Il faut, en effet, que l’industriel qui veut adopter une marque person
nelle ne soit pas exposé à devenir contrefacteur sans s’en douter. C’est
assez qu’il soit obligé de vérifier toutes les marques déposées pendant
les quinze années antérieures : n ’exigeons pas qu’il soit exposé à des ré
clamations qui remonteraient plus loin. L’ouverture donnée à ces récla
m ations sans terme exposerait les plus honnêtes gens à toutes les entre
prises de la cupidité ; certaines marques devenues célèbres par des suc
cès récents seraient l’objet de procès suscités par des propriétaires de
marques semblables, an cien n es, ignorées et discréditées par le peu de
succès des produits qu’elles caractérisaient.
Enfin , pourquoi la propriété industrielle serait-elle plus particulière
ment protégée que la propriété ordinaire ? Si les droits de l’un sont frap
pés de prescription dans certains cas déterminés , pourquoi en se ra it-il
autrem ent des droits de l’autre ?
Votre commission appelle en term inant l’attention du Sénat sur la
seule des dispositions de la loi qui ait été devant elle l’objet de réclama
tions qu’elle ait cru devoir écouter avec intérêt. Il s’agissait du cas où la
marque n ’étant ni contrefaite, ni imitée , elle aurait pourtant été l’objet
d’une usurpation pratique par l’emploi de certaines formes ou figures
qui, par leur analogie avec elle, seraient propres à induire en erreur l’a
cheteur inattentif.
Il nous a paru que les tribunaux étaient clairement a rm é s, et les in-
�APPENDICE
493
dustriels sûrement garantis à cet égard par l’article de la loi qui punit
ceux qui, sans contrefaire une marque, en ont fait une imitation fraudu
leuse, de nature à tromper l’acheteur, ceux qui ont fait usage d’une m ar
que frauduleusement imitée, ou même ceux qui ont mis en vente sciem
ment des marchandises portant de telles marques.
La loi soumise à votre sanction rétablit donc la règle dans une matière
délicate, où les intérêts des consom m ateurs, ceux du commerce et ceux
de l’industrie se trouvaient depuis longtemps en souffrance.
Elle donne au Gouvernement impérial, si jaloux de m aintenir le com
merce dans une voie droite et morale , les moyens de frapper ceux qui
s’en écartent, et dè défendre l’industrie honnête contre leurs agressions.
Elle lui garantit les pouvoirs nécessaires pour faire plus efficacement
encore cette guerre à la fraude que l’adm inistration et la magistrature ont
fermement inaugurée au moment même où l’Empereur prenait posses
sion du pouvoir , et dont les populations p au v res, qui en ressentent
mieux les bénéfices , lui gardent au fond du cœur une reconnaissance
sincère.
Nous avons l’honneur de vous p ro p o ser, par tous ces m o tifs, de dé
clarer que le Sénat ne s’oppose pas à sa promulgation
�4.94
APPENDICE
17.
1
OÉCRET MT
*«
J f U I E E E V ± 8 58
Concernant les formalités à remplir pour le dépôt et la
publicité des marques de fabrique et de commerce.
Napoléon, par la gr&ce de Dieu et la volonté nationale, empereur des
Français, — à tous présents et à venir salut :
Sur le rapport de notre m inistre secrétaire d’Etat au département de
l ’agiculture , du commerce et des travaux publics ; — v u l ’art. 22 de la
loi du 23 juin 1857 sur les marques de fabrique et de commerce , ainsi
conçu :
« Un réglement d’adm inistration publique déterminera les formalités
» à remplir pour le dépôt et la publicité des m arques , et toutes les au» très mesures nécessaires pour l’exécution de la loi. »
Notre conseil d’Etat entendu,
Avons décrété et décrétons ce qui suit :
Akt . 1er. — Le dépôt que les fabricants, commerçants ou agricul
teurs peuvent faire de leur m arque au greffe du tribunal de commerce de
leur domicicile, ou, à défaut de tribunal de commerce , au greffe du tri
bunal civil, pour jouir des droits résultant de la loi du 23 juin 1857, est
soumis aux dispositions suivantes,
Ab t . 2. — Ce dépôt doit être fait par la partie intéressée ou par son
fondé de pouvoir spécial.
La procuration peut être sous seing privé, mais enregistrée; elle doit
être laissée au greffier.
�APPENDICE
495
Le modèle à fournir consiste en deux exemplaires sur papier libre
d’un dessin , d’une gravure ou d’une empreinte représentant la marque
adoptée.
Le papier forme un carré de dix-huit centimètres de côté, dont le mo.
dèle occupe le m ilieu.1
A r t . 3. — Si la marque est en creux ou en relief sur les produits,
si elle a dû être réduite pour ne pas excéder les dimensions du papier,
ou si elle présente quelque autre particularité, le déposant l'indique sur
les deux exemplaires, soit par une ou plusieurs figures de détail, soit au
moyen d’une légende explicative.
Ces indications doivent occuper la gauche du papier où est figurée la
m arque : la droite est réservée aux mentions prescrites à l’art. 5 , con
formément au modèle annexé au présent décret.
A r t . 4. — Un des deux exemplaires de la m arque est collé par le
greffier sur une des feuilles d’un registre tenu à cet effet ut dans l’ordre
dos présentations. L’autre est transmis dans les cinq jours au plus tard
au m inistre de l’agriculture , du commerce et des travaux publics , pour
être déposé au conservatoire impérial des arts et métiers.
Le registre est en papier libre, du format de vingt-quatre centimètres
de largeur sur quarante centimètres de hauteur, coté et paraphé par le
président du tribunal de commerce ou du tribunal c iv il, suivant les cas
A r t . 5. — Le greffier dresse le procès-verbal du dépôt dans l’ordre
des présentations , sur un registre en papier tim bré , coté et paraphé,
comme il est dit à l’article précédent. Il indique dans ce procès-verbal :
t° le jour et l’heure du dépôt; 2° le nom du propriétaire de la marque
et celui do son fondé de pouvoir ; 3» la profession du propriétaire , son
domicile et le genre d’industrie pour lequel il a l’intention de se servir
de la marque.
Chaque procès-verbal porte un numéro d’ordre ; ce numéro est égale
ment inscrit sur les deux modèles , ainsi que le nom , le domicile ou la
profession du propriétaire de la marque , le lieu et la date du d é p ô t, et
le genre d’industrie auquel la marque est destinée.
Lorsque , au bout de quinze ans , le propriétaire d’une marque en fait
un nouveau d é p ô t, cette circonstance doit être mentionnée sur les mo
dèles et dans le procès-verbal de dépôt.
l Voir le modèle annexé au décret, pag. 497.
�V
496
APPENDICE
Le procès-verbal et les modèles sont signés par le greffier et par le
déposant ou par un fondé de p o u v o ir,
Une expédition du procès-verbal de dépôt est délivrée au déposant.
A r t . 6. — Il est dû au greffier , outre le droit fixe d’un franc pour
le procès-verbal de dépôt de chaque marque, y compris le coût de l’ex
pédition, le remboursement des droits de timbre et d’enregistrem ent. Le
remboursement du timbre du procès-verbal est fixé à trente-cinq centi
mes.
Toute expédition délivrée après la première donne également lieu à la
perception d’un franc au profit du greffier.
A r t . 7. — Le greffier du tribunal de commerce du département de
la Seine chargé, dans le cas prévu par l’art. 6 de la loi du 23 juin 1857,
de recevoir le dépôt des marques des étrangers et des Français dont les
établissements sont situés hors de F ran ce, doit en former un registre
spécial, et mentionner dans le procè-verbal de dépôt le pays où est situé
l’établissement in d u strie l, commercial ou agricole du propriétaire de la
marque, ainsi que la convention diplomatique par laquelle la réciprocité
a été établie.
A r t . 8. — Au commencement de chaque an n ée, les greffiers dres
sent sur papier libre et d’après le modèle donné par le m inistre de l’a
griculture, du commerce et des travaux publics, une table ou répertoire
des marques dont ils ont reçu le dépôt pendant le cours de l’année pré
cédente.
A rt 9. — Les registres, procès-verbaux et répertoires déposés dans
les greffes , ainsi que les modèles réunis au dépôt central du conserva
toire impérial des arts et métiers, sont communiqués sans frais.
A r t . 40. — Notre ministre de l’agriculture, du commerce et des
travaux publics , et notre garde des sceaux, m inistre de la ju stic e , sont
chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.
�497
APPENDICE
MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE, DU COMMERCE
ET DES TRAVAUX PUBLICS
M O l i È E E annexé au décret portant réglement d’admi
nistration publique pour l’exécution de la loi sur les
marques de fabrique et de commerce.
Place réservée
Place réservée
aux
aux
indications
Place du dessin.
mentions
•
du
du
...
Vl.» . w
.jj
déposant.
greffier.
( Le papier doit former un carré de 0“ 18“ de côté.)
�498
a p p e n d ic e
18.
JfWIS T R U C V I O W arrêtée de concert entre le garde des
sceaux , ministre de la justice , et le ministre de l’agri
culture, du commerce et des travaux publics, pour l’exé
cution de la loi du 23 ju in 4857 et du décret du 26 ju il
let 4858, sur les marques de fabrique et de commerce.1
Les fab rican ts, commerçants ou agriculteurs qui veulent déposer
leurs marques au greffe du tribunal de commerce, ou, à défaut fie trib u
nal de commerce, au greffe du tribunal civil, peuvent, soit s’y présenter
eux-m êm es, soit se faire représenter par un fondé de pouvoir spécial.
Dans ce dernier c a s , la procuration peut être dressée sous seing privé ;
mais elle doit être enregistrée et laissée au greffier pour être annexée au
procès-verbql mentionné ci-après.
Le déposant doit fournir , en double exemplaire , sur papier libre , le
modèle de la m arque qu’il a adoptée. Ce modèle consiste en un dessin,
une gravure ou une empreinte, exécutés de manière à, représenter la m ar
que avec netteté et à ne pas s’altérer trop aisément. Le papier sur lequel
le modèle est tracé doit présenter la forme d’un carré de dix-huit centi
mètres de c ô té , et la marque doit être tracée au milieu du papier. Dans
le modèle annexé au d é c re t, un espace de h u it centimètres de hauteur
sur dix centimètres de largeur est réservé à la marque. On ne pourrait
admettre un dessin excédant sensiblement cette lim ite et ne laissant pas
les espaces nécessaires pour les mentions à insérer en vertu du décret.
* M o n ite u r du 8 septembre 1858.
�APPENDICE
499
Si la marque est en creux ou en relief sur les produits , si elle a dû
être réduite pour ne pas excéder les dimensions prescrites , ou si elle
présente quelque autre particularité , le déposant doit l ’indiquer sur les
deux exemplaires , soit par une ou plusieurs figures de d é ta il, soit au
moyen d’une légende explicative.
Ces indications doivent occuper la gauche du papier où est figurée la
marque ; la droite est réservée aux mentions qui doivent être ajoutées
par le greffier, ainsi qu’il sera dit ci-après.
Le greffier vérifie les deux exemplaires. S’ils ne sont pas dressés sur
papier de dimension ou conformément aux prescriptions énoncées cidessus, ils sont rendus aux déposants pour être rectifiés ou remplacés.
Dans le cas où deux modèles de la m arque ne seraient pas exactement
semblables l’un à l’autre, le greffier devrait également refuser de les ad
mettre. Le déposant désigne au greffier celui des deux exemplaires qui
doit rester au greffe, et sur lequel doit être écrit le mot p rim a ta , et ce
lui qui est destiné à être déposé au conservatoire impérial dos arts et
métiers, et sur lequel on écrit le mot duplicata.
Le greffier colle le premier de ces exemplaires sur , une des feuilles
d’un registre qu’il tient à cet effet. Les modèles y sont placés à la suite
les uns des autres, d’après l’ordre des présentations. Le registre est four
ni par le greffier, il doit être en papier lib re , du format de 24 centimè
tres de largeur sur 40 de hauteur. Le papier de chaque modèle ayant
18 centimètres de côté, il doit en tenir deux sur le recto ou le verso de
chaque feuillet, et il doit rester une marge de 3 centimètres à gauche et
à droite , et de 2 centimètres en h aut et en bas. Le registre est coté et
parafé par le président du tribunal de commerce ou du tribunal civil,
suivant les cas. Le nombre des feuillets est proportionné au nombre des
dépôts qui s’effectuent ordinairement dans la localité.
Le greffier dresse ensuite sur un registre en papier timbré, coté et pa
rafé comme le registre mentionné ci-de'ssus , le procès-verbal de dépôt,
dans l’ordre des présentations. Il indique : 40 le jour et l’heure du dé
pôt ; 2° le nom du propriétaire de la m arque et, le cas échéant, le nom
de son fondé de pouvoir ; 3° la profession du propriétaire, son domicile
et le genre d’industrie pour lequel il a l ’intention de se servir de la mar
que. Le greffier inscrit, en outre, un numéro d’ordre sur chaque procèsverbal et reproduit ce numéro dans l’espace réservé à la droite de cha
cun des deux exemplaires du modèle. Il y joint le nom , le domicile et
la profession du propriétaire de la marque , le lieu et la date du dépôt,
�500
APPENDICE
et le genre d’industrie auquel la marque est destinée. De plus, lorsqu’au
bout de quinze ans le propriétaire d’une marque en fera un nouveau dé
pôt , cette circonstance devra être mentionnée sur les deux modèles et
dans le procès verbal du dépôt.
Le greffier et le déposant ou son fondé de pouvoir doivent apposer
leur signature: \° au bas du procès-verbal ; 2° au-dessous des men
tions portées à'droite et à gauche sur les deux exemplaires du modèle.
Si le déposant ne sait ou ne peut signer , il doit se faire représenter par
un fondé de pouvoir qui signe à sa place.
Pour le registre des procès-verbaux, comme pour le registre des mo
dèles , le nombre des feuillets est proportionné à celui des dépôts qui
s’effectuent ordinairement dans la localité.
11 est dû au greffier, outre le droit fixe d’un franc pour le procès-ver
bal de dépôt de chaque m arque , y compris le coût de l ’expédition, le
rem boursem ent des droits de tim bre et d’enregistrement. Le rem bourse
ment du tim bre du procès-verbal est fixé à trente-cinq centimes.
Dans le cas où une expédition du procès-verbal est demandée ultérieu.
rem ent au greffier par une personne quelconque , elle doit être délivrée
moyennant l’acquittement d’un droit fixe d’un franc et le remboursement
du droit de tim bre.
Les modèles déposés au greffe , ainsi que les procès-verbaux dressés
par le greffier, doivent être communiqués sans frais, à toute réquisition.
Le second exemplaire de chaque modèle déposé sera transm is par le
greffier, dans les cinq jours de la date du p rocès-verbal, au m inistre de
l’agriculture , du commerce et des travaux publics. Cet exemplaire est
destiné au conservatoire impérial des arts et métiers, où i l sera commu
niqué sans frais à toute réquisition.
Au commencement de chaque année, le greffier dressera sur papier li
bre et d’après le modèle qui sera donné par le m inistre de l’agriculture,
du commerce et des travaux publics , un répertoire des marques dont il
aura reçu le dépôt pendant le cours de l’année précédente. Ce répertoire
sera conservé au greffe et communiqué sans frais à toute réquisition
comme les documents ci-dessus.
�APPENDICE
501
N° 1 9.
TRAITÉS DIPLOMATIQUES
JF*O R T U G A L
12 avril 1851, traité avec le Portugal.
Art . 47. — Les hautes parties contractantes d ésiran t, en outre,
protéger l’application à l’industrie manufacturière des travaux d’esprit
ou d’art, profitent do cette occasion pour déclarer, d’un commun accord,
que la reproduction , dans l ’un des deux pays , des marques de fabrica
tion apposées dans l’autre sur certaines marchandises pour constater leur
origine et leur qualité, sera assimilée à la contrefaçon des œuvres d’art,
poursuivie comme telle , et que les dispositions relatives à la répression
de ce délit, insérées dans la présente convention, seront également appli
cables à la reproduction desdites marques de fabrique.
Les marques de fabrique dont les citoyens ou les sujets de l’un des
deux Etats voudraient s’assurer la propriété dans l’autre , devront être
déposées exclusivement, savoir : les marques d’origine portugaise, à Pa
ris, au greffe du tribunal de commerce de la Seine, et les marques de fa
brique française, à Lisbonne, au greffe du tribunal de première instance.
11 ju illet 1866, nouveau traité portant :
Art . 7. — En ce qui concerne les marchandises et les étiquettes des
marchandises ou de leur em ballage, les dessins et les marques de fabri-
�502
APPENDICE
que ou de commerce, les sujets des Etats respectifs jouiront dans l’autre
de la même protection que les nationaux.
SAXE
49 mai 4856, traité avec la Saxe.
Ab t . 19. — Les hautes parties contractantes d ésiran t, en outre,
protéger l ’application à l’industrie manufacturière des travaux d’esprit et
d’art, déclarent , d’un commun accord , que la reproduction , dans l’un
des deux pays , des m arques de fabrique apposées dans l’autre sur cer
taines marchandises, pour constater leur origine et leur qualité, sera as
similée à la contrefaçon des œuvres d’a r t , et que les dispositions relati
ves à la répression de ce délit, insérées dans la présente convention, se
ront également applicables à la reproduction desdites marques de fabri
que.
Les marques de fabrique dont les sujets de l’un des deux Etats vou
dront s’assurer là propriété dans l’autre , devront être déposées exclusi
vement, savoir : les marques d’origine saxonne, à Paris, au greffe du tri
bunal de commerce de la Seine ; et les marques d’origine française , de
vant l’autorité compétente en Saxe pour recevoir ce dépôt, lorsqu’il sera
effectué par des sujets saxons, en v ertu des prescriptions légales
R U S S IE
H ju in 4857, [traité avec la Russie.
Abt . 1er. — Les Français en Russie et les Russes en France joui
ront, en matière de commerce et d’industrie , de tous les privilèges, im"
�APPENDICE
5 ,0 3
munités et autres faveurs quelconques dont jouissent ou jouiront les n a
tionaux.
Art . 22. >— Les hautes parties contractantes, désirant assurer dans
leurs Etats une complète et efficace protection à l ’industrie manufactu
rière de leurs sujets respectifs , sont convenues, d’un commun accord,
que toute reproduction dans l ’un des deux pays des marques de fabrique
apposées dans l ’autre , sur certaines marchandises , pour constater leur
origine on leur qualité, sera sévèrement interdite ou prohibée, et pour
ra donner lieu à une action en dommages-intérêts valablement exercée
par la partie lésée devant les tribunaux du pays où la contrefaçon aura
été constatée.
Les marques de fabrique, dont les sujets de l’un des deux Etats vou
draient s’assurer la propriété dans l’autre, devront être déposées exclusi
vement, savoir : les marques d’origine russe, à Paris, au greffe du tribu
nal de commerce de la Seine ; et les marques d’origine française , A SlPétei'sbourg, au départemet des manufactures et du commerce intérieur.
BADE
2 juillet 4857, traité avec le Grand-Duché de Bade.
A r t . 1er. — La reproduction, dans l’un des deux pays, des timbres
et marques de fabrique apposés sur les produits industriels ou manufac
turiers de l ’autre pays, pour en constater l’origine et la qualité , sera as
similée à la contrefaçon des œuvres d’art et d’e s p r it, et les dispositions
concernant la répression de cette contrefaçon , insérées dans le traité y
relatif de ce jour, seront applicables à la reproduction desdits timbres et
marques dé fabrique.
A r t . 2. — Les tim bres et marques de fabrique, dont les sujets de
l ’un des deux Etats voudront s’assurer la propriété dans l’autre, devront
être déposés exclusivement, savoir, les timbres et marques d’origine ba-
�504
APPENDICE
doise , au greffe du tribunal de commerce de la Seine , et les timbres et
marques d ’origine française, au bureau du bailliage de la ville de Carlsruhe.
ANGLETERRE
23 janvier 4860, traité avec l’Angleterre.
Abt . 12. — Les sujets des hautes parties contractantes jouiront,
dans les Etats l’une de l’autre, de la même protection que les nationaux,
pour tout ce qui concerne la propriété des marques de commerce et des
dessins de fabrique de toute espèce.
—
*
Rapport à l’Empereur par les ministres des affaires étran
gères, et de l’agriculture, du commerce et des travaux
publics, n° 49.
L’article 12 pose une règle de probité commerciale trop souvent vio
lée , celle de la propriété internationale dçs marques et dessins de fabri
que. Cette clause eût-elle été contraire à quelques intérêts d ’un commer
ce parasite, que nous n ’aurions pas hésité à en proposer l’adoption ; mais
en réalité notre industrie, celle notamment qui emploie les matières tex
tiles , est trop souvent victimes de la contrefaçon de ses dessins. Les étoffes sont imitées et contrefaites quelquefois même avant d ’avoir été li
vrés au public. Des traités nom breux ont garanti la propriété littéraire
entre les divers pays. Ce genre de propriété industrielle se recommande
par les mêmes considérations , et a le droit d’obtenir , par les traités ou
par les lois, une disposition qui la protège contre la fraude.
�APPENDICE
505
B E L G IQ U E
1er mai 1861, traité avec la Belgique.
A r t . 45. — Les sujets de l’une des hautes parties contractantes
jouiront, dans les Etats de l’autre, de la même protection que les natio
naux pour tout ce qui coucerne la propriété des marques de fabrique ou
de commerce , ainsi que des dessins ou modèles industriels et de fabri
que de toute espèce.
Le droit exclusif d’exploiter un dessin ou modèle industriel ou de fa
brique, ne peut avoir, au profit des Français en Belgique, et réciproque
ment au profit des Belges en France, une durée plus longue que celle fi
xée par la loi du pays à l’égard dos nationaux.
Si le dessin ou modèle industriel ou de fabrique appartient au domai
ne public , dans le pays d’origine , il ne pourra être l’objet d’une jouis
sance exclusive dans l’autre pays.
Les dispositions des deux paragraphes qui précèdent sont applicables
aux marques de fabrique ou de commerce.
Les droits des sujets des hautes parties contractantes , dans les Etats
de l’autre, ne sont pas subordonnées à l’obligation d’y exploiter les mo
dèles ou dessins industriels ou de fabrique.
IT A L IE
29 ju in 1862, traite avec l’Italie.
A r t . 43. —- Les sujets de l’une des hautes parties contractantes
jouiront, dans les Etats de l’autre, de la même protection que les natio
naux, pour tout ce qui concerne la propriété des marques de fabrique ou
de commerce, ainsi que des dessins ou niodèles industriels et de fabrique
(}e toute espèce,
�506
APPENDICE
Le droit exclusif d’exploiter un dessin ou modèle industriel ou de fa
brique ne peut avoir, au profit des Français en Italie, et réciproquement
au profit des Italiens en France , une durée plus longue que celle fixée
par la loi du pays à l’égard des nationaux.
Si le dessin ou modèle industriel ou de fabrique appartient au domai
ne public dans le pays d’origine, il ne peut être l’objet d’une jouissance
exclusive dans l ’autre pays.
Les dispositions des deux paragraphes qui précèdent sont applicables
aux marques de fabrique ou de commerce.
Les droits des sujets de l’une des hautes parties contractantes , dans
les Etats de l’autre, ne sont pas subordonnées à l’obligation d’y exploiter
les modèles ou dessins industriels ou de fabrique.
Le présent article ne recevra son exécution dans l’un et l’autre pays,
à l’égard des modèles ou dessins industriels ou de fabrique, qu’à l’expi
ration d’une année à partir de ce jour.
Les Français ne pourront revendiquer en Italie la propriété exclusive
d’une m a rq u e , d ’un modèle ou dessin , s’ils n ’en ont déposé deux exem
plaires au bureau central des privatives industrielles à T urin.
Réciproquement les Italiens ne pourront revendiquer en France la
propriété exclusive d’une marque, d’un modèle ou d’un dessin, s’ils n ’en
ont déposé deux exemplaires à Paris, au greffe du tribunal de commerce
de la Seine.
P R U S S E ©t Z O L L W E R IN
Traité du 2 août 4862, promulgué le 4G mai 4865.
Art. 28. — En ce qui concerne les marques ou étiquettes des m ar
chandises ou de leurs emballages, les dessins et marques de fabrique ou
de commerce , les sujets de chacun des Etats contractants jouiront res
pectivement dans l’autre de la même protection que les nationaux.
Il n’y aura lieu à aucune poursuite à raison de l’emploi, dans l’un des
deux pays , des marques de fabrique de l’autre , lorsque la création de
ces m arques, dans le pays de provenance des produits, remontera à une
V
�APPENDICE
SOY
époque antérieure à l ’appropriation de ces m arques, par dépôt ou autre
ment, dans le pays d’importation.
A U T R IC H E
44 décembre 4866, traité avec FAutriche.
A r t . 11. — Les sujets de l’une des hautes parties contractantes •
jouiront, dans les Etats de l’autre, de la même protection que les natio
naux , pour tout ce qui concerne la protection des marques de fabrique
et de commerce, ainsi que des dessins et modèles industriels et de fabri
que de toute espèce.
Le droit exclusif d’exploiter un dessin ou un modèle industriel ou de
fabrique ne peut avoir, au profit des Autrichiens en France et des Fran
çais en A utriche , une durée plus longue que celle fixée p a r la loi du
pays à l’égard des nationaux.
Si le dessin ou modèle industriel ou de fabrique appartient au domai
ne public, dans le pays d’origine, il ne peut être l’objet d’une jouissance
exclusive dans l’autre pays.
Les dispositions des deux paragraphes précédents sont applieables aux
marques de fabrique et de commerce.
A r t . 12
— Les sujets Autrichiens ne pourront réclamer, en France,
la propriété exclusive d’une m a rq u e , d’un modèle ou d’un dessin , s’ils
n’en ont déposé deux exemplaires à Paris, au greffe du tribunal de com
merce de la Seine.
R éciproquem ent, les Français ne pourront réclamer , en A utriche, la
propriété exclusive d’une m arque, d’un dessin ou d’un modèle, s’ils n ’en
ont déposé deux exemplaires à la chambre de commerce de Vienne,
�508
APPENDICE
N° 20.
CIRCULAIRE DU MINISTRE DE LA JUSTICE
d u 5 7 j u i n 1857.
Monsieur le procureur général, la loi relative aux marques de fabri
que , qui va être incessamment prom ulguée, établit pour la répression
des fraudes qui se commettent en cette matière de nouvelles pénalités.
Son exécution exigera dans certains cas le concours de l’adm inistration
des douanes et de l’autorité judiciaire. Lorsque les agents des douanes
auront, aux termes de l’art. 19 de la loi, opéré la saisie de produits ve
nus de l’étranger avec une marque française, ils devront dresser procèsverbal de cette saisie et le transm ettre immédiatement au ministère p u
blic. Outre l’envoi de ce procès-verbal, il arrivera quelquefois que, pour
l’instruction de la procédure , les marchandises saisies seront transpor
tées, en tout ou en partie, au greffe du tribunal, ce qui suspendra néces
sairement l’accomplissement des formalités de douane et l’exercice des
droits appartenant à l’adm inistration.
Afin de garantir à cet égard toute sécurité aux intérêts de l’industrie
et de l’E tat que la douane a également mission de protéger, M. le m inis
tre des finances demande que, dès que le tribunal aura, soit prononcé la
confiscation, soit ordonné la remise aux propriétaires de la m arque con
trefaite des marchandises arrêtées à la douane, ces marchandises , lors
qu’elles auront été déposées au greffe, soient réintégrées au bureau de la
douane, pour y demeurer jusqu’à ce que toutes les formalités légales
aient été accomplies,
�I
509
APPENDICE
Le chef de service des douanes de la localité sera, d’ailleurs, tenu, d’a
près les instructions qui lui seront adressées, de justifier au procureur
impérial de l’exécution des dispositions du jugement du tribunal.
M. le ministre des finances a exprimé , en second lieu , le désir que,
dans tous les cas , les frais du procès-verbal, de transport et autres qui
auraient été avancés par la douane, soient liquidés dans le jugement à
la charge de la partie condamnée.
Ces demandes m ’ayant paru fondées, je vous prie, M. le procureur gé
néral , de vouloir bien y donner dès à présent satisfaction , en adressant
à vos substituts des instructions pour qu’ils veillent a ce que les mesu
res ci-dessus spécifiées ne soient janïais négligées, et en les invitant à se
concerter, toutes les fois q u ’il en. sera b e so in , avec les chefs de douane
de leur arrondissement pour aplanir les difficultés qui pourraient se pré
senter.
Je désire que vous m ’accusiez réception de cette circulaire et m’infor
miez de ce que vous aurez prescrit pour son exécution.
S ig n é : Abbatucci.
3\° 2 1 .
CIRCULAIRE DU DIRECTEUR DES DOUANES
du 6 a o û t 4857.
Le Bulletin des lois, n° 514, du 27 ju in dernier, a publié la loi sur
les marques de fabrique et de commerce, qui a été sanctionnée par l’Em
pereur le 23 du même m ois. Une ampliation de celte loi est jointe à la
présente.
�510
APPENDICE
« Aux termes de l’art. 49, tous produits étrangers, e t c . . . . »
Ces dispositions comportent quelques explications pour guider le ser
vice dans l’application qu’il aura à en faire.
Et d’abord, je dois faire rem arquer q u ’une saisie de l’espèce, quoiqu’exercée à la diligence de l ’adm inistration des douanes , ne s’opère en
réalité que dans un intérêt d’ordre public et à la requête du ministère
public.
Le procès-verbal à rédiger dans ces occasions devra donc être libellé à
la requête de M. le procureur impérial près le tribunal auquel ressortira
le bureau de douane où cet acte sera rédigé. Il devra donner une descrip
tion exacte des marchandises arrêtées et des marques-dont elles sont re
vêtues ; si ces marques consistent en étiquettes ou autres impressions
susceptibles d’être enlevées, on en annexera une ou plusieurs au procèsverbal de saisie , en les y fixant par une empreinte en cire du cachet en
usage dans le bureau. Les m archandises seront d’ailleurs , dans tous les
cas, scellées sur l ’enveloppe extérieure d’une ou plusieurs empreintes du
même cachet.
Les procès-verbaux de ces sortes de saisies n ’étant de nature à faire
foi en justice que jusqu’à preuve contraire, il n’est pas nécessaire qu'ils
soient suivis de toutes les formalités prescrites par la loi de douane du
9 floréal an v u , notam m ent de l ’affirmation ; mais il sera indispensable
qu’ils soient enregistrés avant l’expiration du term e de quatre jours fixés
par l’art. 20 de la loi du 22 frimaire an v u , le délai de deux mois spéci
fié dans le dernier paragraphe de l’art. 4 9 devant courir d’une date cer
taine.
Les receveurs transm ettront immédiatement au procureur impérial les
procès-verbaux ainsi régularisés, et, si aucun avis ne leur parvient tou
chant la suite qui y sera donnée, ils devront, dix jours au moins avant
l’expiration du délai de deux mois dont je viens de parler, réclamer d’of
fice de ce m agistrat un avis qui puisse fixer le service sur le sort ulté
rieur de la saisie.
Les marchandises déposées au bureau , après la saisie , y seront 'con
servées ave soin, à moins que le tribunal n ’en ordonne l’apport au greffe.
Dans ce dernier cas , l’expédition s’en effectuera sous la garantie du
plombage et d’un acquit-à-caution qui devra être souscrit par l’agent
chargé du transport et dans lëquel on stipulera l’obligation de le rappor
ter dans u n bref d é la i, revêtu d’un certificat de réception des objets par
le greffier du tribunal.
�APPENDICE
511
Conformément aux instructions que S. Exc. le garde des sceaux vient
d’adresser de son côté à MM. les procureurs généraux, instructions dont
je joins une ampliation à la suite de la présente, les marchandises ame
nées au greffe seront, après la solution du procès, réintégrées au bureau
de la douane où la saisie en aura été opérée, à l’effet d’y être soumises à
l’application du régime qui leur sera propre, selon qu’elles seront ou non
frappées de prohibition à l’entrée. Ce renvoi devra être accompagné, soit
d’une expédition, soit d’un extrait authentique du jugement du tribunal.
Si cette pièce n’était pas pro d u ite, les receveurs devraient la réclamer
immédiatement près du procureur impérial.
Les quatre cas différents qui sont à prévoir peuvent se résumer ainsi:
1° ou il y aura abstention de poursuites de la part du ministère public
et de la partie lésée; 2° ou le tribunal aura déclaré la saisie nulle pour
défaut de fondement et ordonné la remise des marchandises au détenteur
dépossédé ; 3° ou il aura ordonné la remise des marchandises à la partie
lésée; 4° ou il auri, prononcé la confiscation de ces mêmes marchandises.
Dans le premier cas, le receveur, après la notification reçue du minis
tère public , rem ettra la marchandise pour la destination iudiquée dans
la déclaration primitive au détenteur saisi contre son récépissé motivé et
écrit sur papier tim bré II conservera ce récépissé pour la décharge de
sa responsabilité. — Dans le second cas , le receveur devra également,
contre récépissé, rem ettre les marchandises aux mains de qui il aura été
ordonné par le jugement dont ampliation ou extrait authentique sera en
tre ses mains. Ces marchandises demeureront soumises au régime sous
lequel les plaçait la déclaration de l ’im portateur réintégré dans sa pro
priété. — Dans le troisième cas , la remise des marchandises s’opérera
dans les mêmes conditions , avec cette seule différence que la confirma
tion de la saisie et l’attribution de la propriété à un tiers faisant tomber
ta déclaration faite en donane par le premier détenteur, le nouveau pro
priétaire devra être admis à déposer une autre déclaration pour le tran
sit , la réexportation , l’entrepôt ou la consommation, selon que le com
porteront d’ailleurs la nature des produits et le régime sous lequel la lé
gislation des douanes les place. — Enfin, dans la quatrièm e hypothèse,
c’est-à-dire quand le tribunal aura prononcé la confiscation des marchan
dises , les'receveurs se concerteront avec leurs collègues des domaines
pour que la vente soit effectuée sous le plus court délai possible et avec
insertion dans le cahier des charges de la clause stipulant que la vente a
lieu , suivant les cas , à charge du paiement des droits de douane ou de
réexportation et avec fac u lté , s’il y a lieu , de transit et d’entrepôt. La
�512
APPENDICE
marchandise ne sera livrée à l’acquéreur que sous l’accomplissement pré
alable des dispositions qui précédent.
Le service ne perdra pas de vue, au surplus, que, selon les termes de
l’art. 14 de la loi, lorsque la confiscation ou la remise à la partie lésée
des marchandises dont la marque aura été reconnue contraire aux dis
positions des art. 7 et 8 , le jugement devra prescrire la destruction de
ces marques. Lors donc que le jugement contiendra cette prescription,
les receveurs des douanes devront veiller à ce que la destruction ordon
née ait lieu en présence , soit du receveur des domaines ^’il y a confis
cation, soit en celle de la partie mise en possession de la marchandise si
telle est la destination donnée à cette marchandise. Les frais de cette opération suivront le sort des autres frais occasionnés par la saisie. Les
directeurs référeront à l’adm inistration des difficultés d’application qui
pourraient surgir en cette matière.
Les receveurs devront informer sans délai le procureur im périal qui
aura été saisi de l’affaire , de l’exécution, en ce qui concerne la douane,
des dispositions résultant des jugements i n t e r v e n u s . A u x termes de
la circulaire du garde des sceux, les frais dont l’avance aura été faite par
la douane pour le procès-verbal, le transport des marchandises, s’il y a
lieu, etc., seront liquidés dans le jugement à la charge d e là partie con
damnée. Les receveurs d ev ro n t, en conséquence, fournir au procureur
impérial un relevé exact et complet de ces frais de toute nature.
Je ferai rem arquer, en term inant, que, ainsi que le porte l’art. 22, la loi
du 23 ju in ne sera exécutoire que six mois après la date de sa prom ul
gation , c’est-à-dire le 27 décembre prochain. Jusqu’à cette époque , on
continuera à procéder comme par le passé, en informant directement et
sans retard le ministre de l ’agriculture, du commerce et des travaux pu
blics, ainsi que la partie lésée, si elle est connue , de toute présentation
qui serait faite en douane , à l’arrivée de l’étranger , de produits revêtus
de marques françaises.
Les directeurs des douanes sont invités à donner , chacun dans son
ressort, des ordres conformes aux dispositions de la présente et à tenir
la main à leur ponctuelle exécution.
Signé:
T h , Gbéterin .
�TABLE DE L’APPENDICE
ACTES ET DOCUMENTS LÉGISLATIFS
Pages
N» 1. Prem ier Exposé des motifs de la loi de 1844 s u r le s b r e v e ts d 'i n v e n t i o n ,
à la chambre des Pairs, __________________ _____________________ 279
N” 2.
Rapport de la Commission,_______________________________________ 308
N“ 3.
Exposé des motis .à la chambre des Députés, _______________________ 344
N« 4.
Rapport de la Commission,_______________________________________ 375
N° 5.
Deuxième Exposé des motifs à la chambre des P airs,.________________ 404
N° 6.
Circulaire ministérielle du 1er octobre 1844 sur l’application de la loi, — 413
N° 7.
Instruction ministérielle du 31 octobre 1844,________________________418
N» 8.
Arrêté du 21 octobre 1848 réglant l’application de la loi dans les Colonies, 422
N» 9.
Décret du 5 juin 1850 déclarant la loi applicableà l’A lgérie,____________ 424
N° 10. Exposé des motifs de la loi de 1824 s u r le s n o m s d e s fa b r i c a n t s e t d es
li e u x de fa b r ic a tio n , à la chambre des D ép u tés,____ ______________ 425
N» 11. Rapport de la Com m ission,___________________________ ;___________ 428
N» 12.
Exposé des motifs à la chambre des P a ir s ,________ ___ ____________
N“ 13.
Rapport de la Commission,_______________________________________ 437
4 34
N" 14. Exposé des motifs de la loi de 1857 s u r le s m a r q u e s de fa b r iq u e e t de
co m m e rce , au Corps L égislatif,_________________________________ 441
N« 15.
Rapport de la Commission,------------------ ----- -------------------467
N“ 16.
Rapport de la Commission du S én at, ----------------------------------------------489
N» 17. Décret du 26 juillet 1858 concernant les formalités à remplir pour le dé
pôt et la publicité des marques de fabrique et de com m erce,________494
»
Modèle annexé au décret, ________,_______________________________ 497
N“ 18. Instruction des m inistres de la justice et de l'agriculture, ___________ 498
111
33
�514
APPENDICE
N“ 19. T r a ite s d i p lo m a tiq u e s . Portugal , _______________________________ 501
»
Saxe,____________________________________ 502
»
R ussie,__________________________________ 502
»
Bade,_________ ,_________________________ 503
»
A ngleterre,_______________ _______________ 504
»
Belgique,-------------------
>
I ta lie ,___________________________________ 505
505
>
Prusse et Zollwerin, ______________________ 500
»
A utriche,---- ----------------------------------- --------- 507
N" 20. Circulaire du m inistre de la justice du 27 juin 1857^---------------------------508
N“ 21.
Circulaire du directeur des douanes du G août 1857,-------------------------- 509
FIN DE L’APPENDICE
�TABLE ALPHABETIQUE
DES MATIÈRES
(Le chiffre indique le numéro des paragraphes)
A
A B R O G A T IO N . — Quelles sont
tion en nullité du brevet précé
les lois précédentes abrogées ou
dent, 488 et suiv.
maintenues par la loi de 1859 ? Devant qui doit être portée l’aetion
1007 et suiv.
en nullité, 490 et suiv.
A C T IO N C IV IL E . — Difficultés La mise en cause de tous les ces
sionnaires est facultative, 497.
que la loi de 1791 avait fait naî
tre sur l’exercice de l’action en L’action ne peut être portée devant
nullité ou en déchéance et sur la
le juge du domicile élu, soit dans
juridiction à investir, 477.
le brevet, soit dans le procès-ver
bal de saisie. — Q uid si le bre
L’action peut être aujourd’hui exer
veté est étranger, 498 et suiv.
cée par tous ceux qui y ont inté
rêt ; nature et caractère de cette Si le brevet a été mis en société, 500.
condition, 478 et suiv.
Procédure à suivre, 501
Il n’est pas nécessaire que l’intérêt Action qu’engendre l’usurpation de
nom de lieux de fabrication. Droit
soit né et actuel, 483.
des consommateurs et du minis
Le prévenu de contrefaçon, acquitté
tère public, 793 et suiv., 970.
ou condamné par le tribunal cor
rectionnel , peut intenter l’action Quel est le juge compétent 797.
en nullité devant la juridiction Actions qui naissent de l’inobser
vation des art. 7, 8 et 9 de la loi
civile, 484 et suiv.
de 1857 sur les marques. Qui peut
Peut-il invoquer le moyen de nul
les exercer, dans quel délai elles
lité repoussé par le tribunal cor
doivent l’être , 942 et suiv., 980
rectionnel, 486 et suiv.
et suiv. — V. Déchéance, M ar
La prise d’un brevet pour le même
ques , N o m , N u llité , Prescrip
objet n’est pas un obstacle à l’ac
tion, U surpation.
�516
TABLE
« » h i u :( i i » v \ i :i .i . ii:
—Qui peut l’intenter, V. A ction,
P lain te.
Devant quel tribunal doit-elle être
portée, 617.
par les art 7, 8 et 9 de la loi de
1857.— Droits du tribunal quant
au nombre d’exemplaires et à la
détermination du lieu où ils de
vront être apposés, 948 et suiv.
A C T IO N P U B L IQ U E . — V. MU
nistère public.
A G E N T S . — N’est pas brevetable
l’application nouvelle d’agents co
nus; motifs, 45 et suiv.
a c t io n
A D D IT IO N (Certificat d’).—V. A M EN D E. — V. Peine.
Perfectionnememenl.
A N N U IT É . — V. Taxe.
A F F IC H E . — L’affiche d’un ju
gement réprim ant une contrefa A P P O S IT IO N . — L’apposition
frauduleuse de la marque d’autrui
çon doit être demandée au juge et
encourt la peine de l’art. 7, 911.
être ordonnée par lui ; conséquen
ces, 683 et suiv.
Elle est par le fait même considérée
comme frauduleuse, 912.
La partie ne peut outrepasser le
nombre d’exemplaires fixé . mais Le défaut d’apposition de la marque
elle peut prendre toutes les mesu
obligatoire est un délit.Peine qu’il
res pour en assurer la perm anen
encourt, 938 et suiv.
ce, 686 et suiv.
A
P
P R E N T I. — V. Nom.
Ce que doit contenir l’affiche du ju
gement, 688.
A S S O C IÉ . — Chaque associé eu
Peut-elle être ordonnée en cas d’ac
nom de la maison coupable de
quittem ent, 689 et suiv.
contrefaçon doit être condamné, à
une amende distincte, 572.
Elle peut l’être dans les cas prévus
B
B A N L IE U E . — D roit des indus Rejet de la proposition de substi
tuer le mot patente à celui de bre
triels de la banlieue, V. U surpa
vet. 40.
tion de noms.
Le brevet n ’implique aucune garan
B R E V E T D’IM P O R T A T IO N .—
tie de la part de l’Etat ; obligation
Réclamations qu’il avait soule
de l’indiquer ; comment elle est
vées, 21.
exécutée, 41.
Sa suppression, conséquences, 63. La délivrance du brevet est obliga
toire et forcée, 43.
B R E V E T D ’IN V E N T IO N . — Mais le brevet ne produit son effet
Lois des 7 janvier et 25 mai 1791,
que si l’invention est nouvelle;
catégories qu’elles ad m etten t, 11
caractère de la nouveauté, 43 et
et suiv.
suiv.
Projet de loi présenté en 1843, à la Effet du brevet suivant qu’il arrive
chambre des Pairs, 22.
à un produit nouveau , ou à une
application nouvelle de moyens
La prise d’un brevet est la condi
connus ; sur quoi porte-t-il dans
tion sine qua non du droit exclu
ce dernier cas, 58 et suiv.
sif de l’inventeur, 39.
�TABLE
Conditions imposées à la demande
d’un brevet, '107 et suiv.
Elle doit être limitée à un seul ob
je t principal , énoncer les détails
et les applications dont il est sus
ceptible, 109 et suiv.
Le brevet pris pour un produit nou
veau s’étend à toutes les applica
tions susceptibles de créer celuici, 117.
La demande doit indiquer la durée
que l’inventeur entend donner au
brevet, 118.
Ne peut contenir ni restrictio n s, ni
conditions , ni réserves , 119 et
suiv.
Doit indiquer un titre renfermant la
désignation sommaire et précise
de l’objet de l’invention , 121 et
suiv.
Le titre peut être changé ou modifié
tant que le brevet n ’est pas déli
vré, 124.
Caractère de la description, 125.
Ne peut être écrite en langue étran
gère, 126 et suiv.
Les mots rayés comme nuis doivent
être constatés, et les pages et ren
vois paraphés, 128.
En quelle forme elle doit mention
ner les poids et mesures, 129
Elle doi t être accompagnée de des
sins ou échantillons ; dans quels
cas, 130 et suiv.
Effet du défaut do production ou de
l’irrégularité des dessins, 132.
P eu v en t-ils être lithographiés ou
gravés, 133.
La description doit être donnée en
double exemplaire, 134.
517
préfecture que sur le vu du récé
pissé constatant le versement de
la première annuité, 140.
Comment est constaté le dépôt; in
dications du procès-verbal, 141 et
suiv.
Remise d’une expédition au dépo
sant, frais à payer, 143.
Le brevet délivré malgré que la de
mande ne se bornât pas à un ef
fet principal serait-il valable, 144
et suiv.
Forme et moment de l’envoi de la
demande au ministre du commer
ce ; devoirs du ministre ,1 5 3 et
suiv.
Ordre de la délivrance des brevets ;
n ’exerce aucune influence sur la
question de priorité, 156.
La délivrance a lieu sans examen
préalable; motifs, conséquences,
157 et suiv.
La demande qui n’est pas régulière
ment formée peut être rejetée; na
ture de l’irrégularité, en quoi elle
peut consister, 163 et suiv.
Effet du rejet quant au renouvelle
ment de la demande et à la ques
tion de priorité, 165.
Nature de la faculté de rejeter la de
mande irrégulière, 166.
Quel serait l ’effet de son accueil,
167 et suiv.
Qui peut obtenir un brevet, 170.
Peut-on faire opposition à sa déli
vrance, 171 et suiv.
Conséquences de la délivrance sans
examen quant à la réalité, le mé
rite et la nouveauté de l’inven
tion , la fidélité et l’exactitude de
la description, 174.
En quelle forme est délivré le bre
vet ; frais de la délivrance, 175 et
suiv.
Chaque pièce et le bordereau qui les
indique doit être signé par le de
mandeur ou son mandataire ; dans
ce cas le pouvoir est annexé, 135
et suiv.
Dans quels cas celle-ci pourrà-t-elle
être refusée, 177 et suiv.
Le dépôt des pièces n’est reçu à la
�518
TABLE
Ce refus peut-il devenir l’objet d’un
recours au conseil d’Etat, 182.
Le refus pour violation des art. 8 et
6 entraîne la perte de la moitié
de la somme consignée, 183.
La demande peut être renouvelée.
Effet de la nouvelle suivant qu’elle
est faite dans ou après les trois
mois, 184.
Si le refus est fondé sur la non bre
vetabilité de la découverte la som
me consignée est intégralement
restituée, 185. — V. Déchéance,
N ullité.
B K E V E T DE P E R F E C T IO V K E IIE X T — Plaintes soulevées
à son occasion, 20.
Silence observé à ce sujet par la loi.
Sa signification, 62. — V. Déché
ance, N u llité, Perfectionnement.
B R E V E T E . — Prohibition de
prendre cette qualité à défaut d’un
brevet ou après son expiration.
Son caractère, 466 et suiv.
Le breveté pour un objet ne peut se
donner cette qualité d’une maniè
re générale dans l’annonce com
prenant d’autres objets, 469.
La prise illégale de qualité peut résulterdes termes de l’annonce,472
Obligation de faire suivre l’indica
tion du brevet des mots sans g a
rantie du gouvernement. Com
ment elle est entendue et exécutée
dans la pratique, 473 et suiv.
Peine encourue pour inobservation
de l’une ou de l’autre de ces pres
criptions, 476.
Le breveté qui après cession totale
continue d’exploiter le brevet se
rend coupable de contrefaçon, 569.
c
C A C H E T . — V. Marque.
C A U T IO N N E M E N T .—V. Saisie
C É D A N T . — V. Cession.
C E S S IO N . — Nécessitéde prévoir
la vente ou cession des brevets
d’invention ; conditions à exiger,
249 et suiv.
Etendue du droit de céder, 251.
Proposition de limiter les cessions
partielles ; rejet, 252.
Exemples de cessions partielles,253
La mise en société de brevets est-elle
une cession, 254.
Liberté laissée aux parties quant
aux stipulations de la cession,255
Garantie qui incom beaucédant,256
La déchéance du brevet entraînerait
la résiliation de la cession. Effet
de la résiliation quant au prix
déjà payée, 257 et suiv.
Conditions exigées pour la validité
de la cession, 259 et suiv.
Qui peut »e prévaloir du défaut d’ac
te authentique, 265 et suiv.
Du non-paiement intégral de la taxe
268 et suiv.
Doit être enregistrée à la préfecture
du département dans lequel l’acte
est passé, 270 et suiv.
Effet de cet enregistrement sur la
question de priorité, 272 et suiv.
Toutes ces conditions sont exigées
en cas de m utation quelconque,
274.
Les dispositions de l’art. 20 sont in
applicables : à la cession d’une
invention non encore brevetée,
275;
A la cession d’un permis d’exploita
i
�TABLE
519
tion, devoirs du permissionnaire,
ficat d’addition moyennant la som
276 ;
me de 20 fr., 313.
Aux arrangements que prennent en
tre eux les co-propriétaires d’un C E S S IO N N A IR E . ■ ■V. Cession.
brevet, 277 ;
A l’acte par lequel, à la dissolution C O M M U N IC A TIO N . — Objet et
avantage de la libre communicade la société, un associé est décla
cation des descriptions , dessins,
ré propriétaire unique du brevet
échantillons et modèles des bre
social, 278.
v ets; droit d’en obtenir copie,
Intérêt du cessionnaire à rem plir les
314 et suiv.
conditions exigées par la loi, 279.
Leur inobservation peut être oppo- C O M P L IC IT E . — La complicité
sée par les contrefacteurs, 280 et
du délit de contrefaçon exige le
suiv.
fait et l’intention frauduleuse,526
Effet de l’enregistrement tardif à la
su’v '
préfecture ; forme et suite de l’en- Obligation pour le prévenu de comregistrement; indications du proplicité d’indiquer celui de qui il
tient
l’objet
contrefait, 528.
cès-verbal ; son envoi au m inistre
................
..........................
du commerce, 233 et suiv.
Le tiers sur l ’ordre de qui et pour
compte duquel la contrefaçon a
Inscription de la cession sur un re
été exécutée peut-il être poursui
gistre spécial, sa publication, 285
vi comme complice, 535.
et suiv.
Peut-on s’opposer à l’enregistrement La complicité n ’existe que dans les
de la cession, 287.
conditions prévues par la loi spé
ciale ; elle ne saurait s’induire des
La cession ne peut intervenir qu’en
caractères indiqués dans l’art. 60
tre personnes capables et doit of
du Code pénal, 554 et suiv.
frir une chose et un p r i x , 288 et
suiv.
C O M P O S IT IO N S P H A R M A
Effet de la cession totale, 290 ;
C E U T IQ U E S . — Ne sont pas
De l’association avec un tiers pour
brevetables; motifs, 69 et suiv.
l’exploitation, 291 ;
De la cession de la copropriété,292; Exception à la prohibition de se ser
vir Ju nom du premier prépara
Du perm is d’exploitation dans une
teur, 81 et suiv.
localité déterminée, conséquences
de ce permis, 203 et suiv.
Q uid si la composition est en même
temps un remède et un objet utile
Le jugement qui résilierait la ces
à l’industrie, 84.
sion doit-il être enregistré à la
La non brevetabilité ne s’étend pas
préfecture, 296 et suiv.
aux procédés de fabrication, con
La cession n’annulle pas les permis
séquences, 85.
d’exploitation antérieurement concédés, conséquences, 298 et suiv. D roit exclusif du premier préparaD roit des cessionnaires sur les cerrateur, sa nature, 86 et suiv.
tificats d’addition pris après par Doit-on ranger dans la catégorie des
le breveté. Réciprocité en faveur
préparations pharm aceutiques ,
du cédant. Q uid pour les brevets
l’appareil mécanique destiné à un
de perfectionnement, 301 et suiv.
traitement orthopédique, 88 et
D roit de chaque intéressé à se faire
salv délivrer une expédition du certi- Sont assimilées à ces préparations
�5 20
TABLE
les compositions pour la médeci- C O N T R E F A Ç O N . — Caractère de
né vétérinaire, 90.
la contrefaçon d’une invention
brevetée ; exeption au droit com
C O N F IS C A T IO N . — La confis
mun quant à la nécessité de l’in
cation des objets saisis était la
tention frauduleuse, 523 et suiv.
conséquence de la contrefaçon ;
Définition
de la contrefaçon, 529.
discussion sur leur remise au bre
Lorsque le brevet a été pris pour un
veté, 651 et suiv.
produit, il y a contrefaçon dans
Caractère de la confiscation, 654.
la création de produits similaires
Peut être prononcée par le tribunal
quel que soit le mode de fabrica
civil, 655 et suiv.
tion, 530.
La confiscation des objets contrefaits L’identité de nom ne constitue pas
et des instrum ents et ustensiles
la contrefaçon, si les produits sont
est obligatoire, 660.
différents, 531.
Même lorsque la valeur dépasserait
Ce qui est vrai pour les produits
le préjudice, 661.
l’est également pour les résultats
Peut-elle porter sur les matières pre
nouveaux ; conséquences , 532 et
mières, 662 et suiv.
suiv.
Les matières premières qui ne pour
L’emploi de quelques-uns des moy
raient être confisquées comme ob
ens décrits au brevet peut consti
jets contrefaits, pourraient l'être
tuer la contrefaçon, 534.
comme instrum ent de contrefaçon
La contrefaçon existe alors même
665 et suiv.
qu’on n ’aurait agi que d’ordre et
L a confiscation est forcée même en
pour compte d’autrui, 535.
cas d’acquittement, 667 et suiv.
La remise des objets contrefaits doit Obligation pour le plaignant de prou
ver l’identité des objets saisis aêtre opérée en nature, 671.
vec ceux pour lesquels il est bre
La confiscation n ’aurait aucun objet
veté ; comment s’établit cette iden
s’il n’a été fait ni description ni
tité, 536.
saisie préalable, 672 et suiv.
Le peu d’importance de la contrefa
La confiscation ne fait pas obstacle
çon ne peut faire absoudre le dé
à l’adjudication de dommages-in
linquant, 537.
térêts ; ce que doivent être ceuxDans quel cas la reproduction d’un
ci, V . Dommages-intérêts.
organe isolé peut constituer la
Elle n’est plus que facultative dans
contrefaçon, 539.
les cas des art. 7 et 8 de la loi de
1857 sur les m arques; motifs, Q uid lorsqu’il s’agit de l’application
nouvelle de moyens connus, 540.
953 et suiv.
Peut être prononcée dans celui de Les tribunaux appécient souveraine
ment, 541.
l’art. 9 s’il y a récidive, 962.
Si elle est prononcée, elle doit sor La fabrication à titre d’essais ne con
stitue pas la contrefaçon , 542 et
tir à effet nonobstant le privilège
suiv.
du bailleur ou de la douane, 963.
Son caractère dans le cas de l’art.19 Secus de la fabrication commencée
d e là loi de 1857; au profit de
et non encore achevée, 544 et suiv.
qui elle peut être ordonnée , 992 Le perm issionnaire qui ne rem plit
et suiv— V. Marque, Nom, Uspas les conditions du perm is se
urpation,
rend coupable de contrefaçon,548
�TABLE
521
La fabrication d’un objet breveté II suffit d’un seul fait, 560.
constitue la contrefaçon quel que Se rend coupable de contrefaçon cesoit l ’usage auquel cet objet est
lui qui consent à ce que son nom
destiné, 549.
figure sur des objets contrefaits
De son côté l’usage industriel est la
avec ce' u^ c*u contrefa°teur . 870.
contrefaçon abstraction faite de En quoi consiste la contrefaçon des
toute fabrication, 550.
marques, 902 et suiv.
Il en est autrement de l’usage pour Est punissable dans la personne de
l’ouvrier ou de l’artiste qui l’a
les besoins personnels ou pour
exécutée, 908 et suiv.— V. M ar
ceux d’une industrie distincte ,
que, Usurpation de noms.
551 et suiv.
Le recelé, la v e n te , l’exposition en C O S M É T IQ U E . — Sont breveta
vente ou l’introduction en vente
bles les compositions d’un nou
d’objets brevetés constitua non la
veau cosmétique, 90.
complicité mais le délit de con
trefaçon , si l’auteur a agi sciem C R É D IT . — Les combinaisons de
ment ; conséquences quant à l’ap
crédit ou de finances ne sont pas
plication de la peine, 559 et suiv.
brevetables, 65 et suiv.
1)
D E C H E A N C E . — La loi de 1791 Peut-on exciper de la force ma jeure,
434 et suiv.
déclarait la déchéance du brevet
dont le titulaire avait pris un bre Quand doit être fait le paiement ;
qu id si le dernier jour du délai
vet A l’étranger, 19.
est un jour férié, 442.
Son abrogation par la loi nouvelle,64
La déchéance n ’est pas encourue
Effets de la déchéance; de quel jour
pour défaut de paiement de la to
ils partent; conséquences quant
talité de la taxe en cas de cession,
aux cessionnaires, 354 et suiv.
443.
Est absolue ou relative, 357 et suiv. 2mc cause : défaut d’exploitation
dans les deux ans ou son inter
Son caractère dans l’un et dans l’au
ruption pendant deux ans, 444 et
tre cas, 359.
suiv.
Il ne saurait exister d’autres causes
de déchéances que celles formel Caractère que doit offrir l ’exploita
tion, 448.
lement prévues par la loi, 360.
L’effet du défaut d’exploitation ou
La déchéance ne fait pas obstacle A de son interruption est subordon
la poursuite de la contrefaçon an
né à sa cause, 449 et suiv.
térieure, 423 et suiv.
Obligation pour celui qui excipe du
défaut d’exploitation ou de son
1re cause de déchéance : défaut de
interruption d’en fournir la preu
paiement de l’annuité, 426.
ve, 451.
Le moindre, retard équivaut au re
refus, 427.
L’exploitation peut avoir lieu pour
le compte du breveté, 452.
L’année se calculede jour Ajo u r,428
Le fiies a quo com pte-t-il dans le Point de départ du délai de deux
delai, 429 et suiv,
ans, 453.
�522
TABLE
Ces deux causes de déchéances sont D E P O T . — La marque de fabri
communes aux certificats d’addi
que ou de commerce doit être dé
tion, 484.
posée ; où et en quelle forme, 850
et suiv.
3me cause : introduction en France
de produits similaires fabriqués à Le dépôt est simplement déclaratif,
l’étranger, 485 et suiv.
conséquence quant à ses effets,
858 et suiv.
Exception pour le cas d’introduction
autorisée, débats à ce s u j e t, 457 Effets du dépôt irrégulier, 865.
et suiv.
Caractère de la faculté laissée au Le dépôt doit être renouvelé après
quinze ans ; effet du non renou
ministre ; effet du refus d’autori
vellement, 867 et suiv.
sation, 462.
Caractère de l’introduction par piè Forme du renouvellement, 871.
ces séparées , par divers endroits Coût du dépôt, 872.
ou sous le nom de tiers; ses effets,
Où doit être opéré le dépôt de la
463 et suiv.
m arque de l’étranger qui a un éIl n 'y a d’illégale que l ’introduction
tablissement en France, 883.
dans un des objets prévus par la
Où , si l’étranger n’a en France ni
loi, conséquences, 465.
résidence ni établissement, 891.
L’adm inistration ne peut prononcer
la déchéance,même en cas de non Effet de l’absence , de l’irrégularité
paiement de l'annuité , 493 et
ou du défaut de renouvellement
suiv.
du dépôt, 893.
D É C O U V E R T E . — Ne sont pas Effet du dépôt de marques étrangègères par un Français, 894 et suiv.
brevetables les découvertes pure
m ent théoriques, scientifiques ou Du dépôt fait par l ’étranger en suite
contraires aux bonnes mœurs ou
d’une convention diplom atique,
à la sûreté publique , 67 et suiv.
897.
V. Brevet d'invention, N ullité. Caractère de ces conventions, con
séquences, 898.
D É L IT S . — Délits prévus par les
art. 7, 8 et 9 de la loi de 1857, Maintien des dépôts antérieurs à la
loi, conditions, 1001 et suiv.
peine qu’ils encourent, 901, 916,
938.—V. Contrefaçon, M arque, Caractère de ceux réalisés depuis,
N om , U surpation.
mais avant le réglement d’admi
nistration publique du 26 juillet
D É L IV R A N C E . — Forme et ef
1858, 1005 et suiv. — V. M ar
fets de la délivrance des brevets,
ques
V. Brevets d'invention.
D E M A N D E . — Formes et condi
tion de la demande de Brevet, V.
Brevets d'envention.
D E S C R IP T IO N . — Son caractè
re , V. Brevet d ’invention, N u l
lité, Saisie.
D É N O M IN A T IO N . — Dans quels D E S S IN S . — La demande en dé
livrance du brevet doit être ac
cas la dénomination donnée aux
compagnée des dessins, V. Bre
produits constitue la marque no
vet d'invention.
minale, 822.
Celle donnée à un produit nouveau ISESSMS S»E FABRIQUE. ---est-elle susceptible de propriété
A rrêt du Conseil de 1787 pour la
exclusive, 823 et suiv.— M ar
propriété des dessins de fabri
ques.
que, 7.
�I
TABLE
523
D E S T R U C T IO N . — La destruc Peut - il en attendant allouer une
tion des marques frauduleuses
somme quelconque à titre de pro
doit être ordonnée même en cas
vision, 679.
d’acquittement, 986, 994.
D O N A T IO N . — La donation d’ob
d iv is ib il it é —v. Brevet d'in
jets contrefaits faite sciemment
vention, N ullité.
constitue-t-elle le délit de contre
façon, 864.
HOMMAGES - INTÉRÊTS. ----
Ce qu’ils doivent être, 675.
D O U A N E .— La douane a le droit
Sont calculés non sur le profit et le
de saisir les produits étrangers re
gain obtenus par le contrefacteur,
vêtus du nom ou de la marque
mais sur le préjudice souffert par
d’un commerçant français, ou du
le Breveté, 676.
nom d’un lieu de production fran
Le tribunal correctionnel peut-il or
çaise ; effets de la saisie, ses con
donner qu’ils seront réglés par éséquences, 982 et suiv.
tats, 677 et suiv.
et nécessité de les assimiler aux
Français pour ce qui concerne les
CIELLES. — Caractère licite
découvertes et inventions nouvel
de leur fabrication, 790, V. Usur
les, 329 et suiv.
pa tion .
Rejet de la proposition d’exiger la
résidence en France, 331 et suiv.
é l è v e . — V. Nom.
L’étranger n’est pas tenu d’exploiter
e m b l è m e . — V. Marques.
en personne, 333.
Il peut céder son brevet ; effets de
e m p r e in t e s . — V. Marques.
la cession quant à l’exploitation,
334.
e m pr is o n n e m e n t .—y. Peine Le titulaire d’un brevet d’invention
à l’étranger peut en obtenir un en
e n r e g is t r e m e n t . —V. Ces
France pour la même invention
sion.
ou découverte, 335 et suiv.
Durée
du brevet français dans ce
E S S A IS . — Les essais tentés pour
cas, 347 et suiv.
arriver à la découverte n ’enlèvent
pas à celle-ci le caractère de nou La faculté de faire breveter en Fran
veauté, 379 et suiv. V . Nullitéce une invention brevetée à l’é
tranger est acquise aux Français
La. fabrication d’objets brevetés à ti
eux-mêmes, 350.
tre d’essais ne constitue pas la
contrefaçon, 542, V .Contrefaçon. Les étrangers sont recevables à in
voquer le bénéfice de la loi de
e s t a m p il l e . — v. M arques.
1824pourla protection due à leurs
noms, 768 et suiv.
É T R A N G E R . — Législation con Mais non quant aux lieux de fabri
cernant les étrangers ; convenance
cation, 791.
EAUX MINERALES ARTIFI
�524
TABLE
L’étranger qui a en France un éta- E X C E P T IO N . — Compétence du
tribunal correctionnel pour sta
blissement commercial ou indus
tuer sur les exceptions tirées de
triel j o u i t , pour sa marque , du
la nullité , de la déchéance ou de
bénéfice assuré aux Français, 879
la propriété du brevet; sa nature,
et suif.
604 et suiv.
Cette jouissance ne saurait apparte
nir A l’étranger qui n ’a en France Caractère du jugement sur l’excep
tion , constitue-t-il la chose jugée
que des correspodants ou des dé
quant à ce, 608 et suiv.
pôts, 882.
Formalités que l’étranger a à rem Le tribunal correctionnel ne peut
statuer sur les demandes princi
plir pour s’assurer la propriété
pales et distinctes, 614.
exclusive de sa m arque; effet de
leur inobservation, 883 et suiv. S’il prononce séparément sur l’ex
ception , l’appel suspend la déci
A quelles conditions l’étranger qui
sion sur le fond, 615.
n’a en France ni résidence ni éta
blissement acquiert-il la propriété Devant quel tribunal doit être por
exclusive de sa marque , 885 et
tée l’action correctionnelle, 617.
suiv.
Exceptions en matière de prévention
de contrefaçon, d’altération ou
La réciprocité peut résulter de la lé
d ’im itation de marques ; pouvoir
gislation étrangère, 886 et suiv.
du tribunal correctionnel, 971 et
Est assimilé à l’étranger le Français
suiv.
qui asesétablissements horsF rance ; conséquences, 889.
EXPOSITION EN VENTE, ---Devoirs à rem plir par l’étranger en
Dans quels cas elle constitue le
cas de réciprocité; effet de leur
délit de contrefaçon, 559.
inobservation, 891 et suiv.
Son caractère, 567.
F
F IN A N C E S ___Les plans et com F O R M E S .— Les changements dans
binaisons de finance ne sont pas
la forme ne sont pas susceptibles
brevetables, V. Crédit.
d’être brevetées, V. Brevet d'in
vention.
f a r i n e s . — V. P roduits a g ri
coles.
F I L S .— Peut-on se donner la qua
lité de fils d e . . . , V. Nom.
çjahantie .
—y
F R È R E . — Peut-on se dire frère
d e . . . , V. Nom.
Brevet d ’invention, Cession.
�TABLK
525
H
hom oxim e .
— V. Nom.
ï
IM IT A T IO N . — L’imitation de D roit des inventeurs industriels ;
son caractère, 27 et suiv.
la marque d’autrui est un délit, à
quelles conditions, 916 et suiv. Conditions auxquelles ce droit est
acquis , 3 8 et suiv., V. Brevet
L’imitation délictueuse ne peut ré
d'invention.
sulter de la forme seule, 919.
Comment elle s’apprécie, 921.
Nécessité de ne l’accorder que pour
un temps déterminé , 91 et suiv.
1XD1 YIW1 IIII.i t *: DU BREVET
Objections
et réponses, 93 et suiv.
V. N ullité.
Caractère rém unérateur de la durée
de quinze ans, 96.
i n i t i â t e s . — v. Marques,Noms,
Usurpation.
Faculté pour l’inventeur de la rédui
re à dix ou cinq ans, 97.
IN S E R T IO N . — L’insertion dans
les journaux du jugement doit être La durée fixée par le breveté peutelle être modifiée , prolongée ou
ordonnée par justice ; dans quels
réduite, 106.
cas, 948.
Nature de l’insertion ; qui peut la De quel jo u r commence à courir la
demander, 949 et suiv , V. A ffi
jouissance exclusive de l’inven
che.
teur, 148 et suiv.
in s t r u m e n t s . _
y . Confis IN V E N T IO N . — Nécessité d’en
cation.
courager et de multiplier ainsi les
inventions; pratique suivie en
i n t e r v e n t i o n . — y . Ministère
Angleterre dès 1623, 1 et suiv.
public.
IN T R O D U C T IO N . — L’introduc
tion en France d’objets contrefaits
fabriqués à l’étranger,mais seule
ment à titre de transit, ne consti
tue pas la contrefaçon , 568 , V.
Contrefaçon.
Secus de l’introduction d’objets por
tant le nom , la marque de fabri
cants , ou le nom de lieux de fa
brication français ; peine encou
rue dans ce cas , 990 et suiv., V.
Usurpation.
Réclamation contre celle qui était
suivie en France, 8.
Loi du 7 janvier 1791, 10 et suiv.
Caractèreque lui assignent le préam
bule et l’art 1er, 12'.
L’invention n ’est brevetable que si
elle est nouvelle, 44 et suiv.
Que si elle offre un produit ou un
résultat industriel ; ce qu’il faut
entendre par là, 47 et suiv.
Doit-elle être utile , avoir une im
portance réelle , 54 et suiv., V.
A ddition , Brevet d'invention,
IN V E N T E U R S .— Nature du pri
Per feclionnements.
vilège accordé aux inventeurs sous
l’ancienne législation, 4.
�526
TABLE
J
titu a n te : conséquences pour les
JU R A N D E S . — Caractère de la
inventeurs, 9.
législation à ce sujet ; obstacles
qu’elle opposait aux inventions, 3
JU R ID IC T IO N . — Devant qui
Appréciation qu’en faisait Colbert;
doivent être portées les actions
sa suppression par Turgot, S.
en contrefaçon d’un brevet d’in
Son rétablissement, 6.
vention, 490 et suiv.
Modifications qu’elle reçut par les Celles en usurpation de nom , conlettres patentes du 5 mai 1779, 7
trefaçon, im itation ou altération
Son abolition par l’Assemblée Consde marques, 964 et suiv.
L
L O I. — A quelle époque est devenue obligatoire la loi de 1857 sur
les marques, 1004.
i ,jeu
de
f a b r ic a t io n .
—
—
y i M arques.
M
m a ît r is e s
* — V. Jurandes.
M A R Q U E S. — Dispositions de la
loi du 22 germinal an x i et de
l’art. 142 du Code pénal; leur ca
ractère, 24.
Loi du 23 juin 1857, 25.
Législation intermédiaire imposant
une m arque obligatoire à certai
nes industries, 799 et suiv.
La loi de 1857 met sur la même li
gne la m arque de commerce et la
m arque de fabrique, 809 et suiv.
La marque devait - elle être obliga
toire ou facultative ; débats à ce
sujet, solution, 812 et suiv.
Pouvoir de l’administration de pres
crire une marque obligatoire ; en
quels Cas et dans quelle forme, 816
D roit de l’industriel de faire suivre
la marque obligatoire d’une m ar
que facultative, 817.
En quoi consiste la m arque de fa
brique ou de commerce, 818.
Caractère et éléments de la marque
nominale, 819 et suiv.
De quoi se compose la marque em
blématique, 825 et suiv.
Les emblèmes, empreintes, timbres,
cachets, lettres ou chiffres cons
tituent la marque légale ,8 3 4 et
suiv.
La loi considère comme telles les
enveloppes ; ce que comprend ce
terme, 836 et suiv.
L’art. 1er n ’est qu’énonciatif; con
séquences à l’endroit des plaques
de voiture, pannonceaux et estam»
pilles, 838 et suiv.
�TABLE
La forme et la couleur données aux
produits ne peuvent constituer la
marque, 840 et suiv.
Caractère de la condition de nou
veauté que la marque doit offrir;
ce qui la constitue, 843.
La marque ne peut être indirecte
ment imitée pour établir une con
fusion, 844 et suiv.
Comment s’en acquiert la propriété
exclusive, V. Dépôt.
N’est jamais acquise qu’à l’égard des
industries similaires, 846.
11 n’est pas nécessaire que la m ar
que soit apparente, 847.
La marque de fabrique ou de com
merce peut être vendue ou cédée,
873 et suiv
Droits et obligations de l’acheteur
ou cessionnaire, 875 et suiv.
Ne peut être isolément saisie , 878,
V. C ontrefaçon, Im itation, U s
urpation.
527
A la charge de qui sont les dépens,
512.
Le ministère public a le droit d’ap
peler du jugement, 543.
Le désistement du plaignant après
l’intervention n ’éteint ni n ’arrête
l’action du ministère public, 54 4.
Faculté pour le ministère public
d’agir d’office ; cas-dans lesquels
elle peut être exercée, 54 o et suiv.
En cas d’action directe comme dans
celui d’intervention de la part du
ministère public, tous les intéres
sés doivent être mis en cause ;
quels sont ces intéressés , 547 et
suiv.
Devant quel tribunal doit être por
tée l’action directe du ministère
public, 520 et suiv.
Ne peut agir au correctionnel que sur
la plainte de la partie lésée, 588.
Le désistement de la plainte ne peut,
dans ce c a s, arrêter la poursuite,
589 et suiv.
MATIÈRES PREMIÈRES. ---Peut-il
agir d’office dans les délits
V. Confiscation.
relatifs aux marques, 970, 985.
MUVISTÈRE PUBLIC. — A le
M O Y EN S. — Est brevetable l’ap
droit d’intervenir dans toute ins
plication nouvelle de moyens con
tance ayant pour objet la nullité
nus ; ce qu’il faut entendre par
ou la déchéance du brevet, et de
moyens, V. B revet d'invention.
requérir l’une ou l’autre , 504 et
suiv.
M U T A T IO N . — Tout acte opérant
Conséquences de l’intervention quant
m utation dans la propriété du bre
à la compétence du tribunal ; ses
vet est soumis aux conditions exi
formes, 509 et suiv.
gées dans le cas de cession, 274,
L’intervention n’est pas recevable
V. Cession.
en appel, 54 1.
toute confusion entre les deux éNOM. — Loi du 28 juillet 4 824
tablissements; conséquences, 733
sur les noms de fabricants et les
et suiv.
lieux de fabrication, 25.
L’identité de noms et prénoms n ’au
L’homonime ne peut user de son
torise pas à en interdire l’usage
nom qu’à la Condition de prévenir
au dernier venu, 735 et suiv.
�528
TABLE
Dans quels cas cette interdiction
invention ou d’une m a rq u e , V.
pourrait-elle être ordonnée, 738.
Brevet d'invention,M arque,N ul
lité, Vignette.
Le nom ne peut être isolément ven
du , cédé ou mis en société dans N U L L IT É . — Différence quant
un bu t de concurrence déloyale,
aux effets entre la nullité et la
739 et suiv.
déchéance ; résultat de la premiè
D roit de prendre un nom imaginai
re, 354 et suiv.
re,propriété exclusive,741 et suiv. Ses conséquences pour les cession
Peut-on joindre à son nom le nom
naires, 353.
,
de famille de safemme,745 et suiv. La nullité peut n’être que partielle,
Q uid de la qualification de parent
355 et suiv.
ou d’allié, 748.
Est relative ou absolue; importance
De celle d’ancien ouvrier, d’élève ou
de là distinction, 357 et suiv.
d’apprenti; distinction,749et suiv. Il ne saurait exister d’autres causes
L’héritier de l ’établissement peut se
de nullité que celles expressément
dire successeur du titulaire, 732.
prévues par la loi.
Comment se règle le droit des en 4rc cause, défaut de nouveauté : est
fants à cette qualification, 753.
absolue et s’applique à tous les
La cession de l ’établissement entrai • brevetsprisen France, 364 et suiv.
ne celle dunom ; droit du cession Il n ’y aurait pas nouveauté si l ’in
vention inconnue en France était
naire à l’égard des fils du cédant,
connue à l ’étranger , alors même
754.
que nu l n ’eût invoqué à l’étran
A l’égard du cédant lui-m ême, 733.
ger le défaut de nouveauté , 363
A l’égard de la famille, 736 et suiv.
et suiv.
A l’égard des tiers, 757t>is.
Il n’y a pas nouveauté si, antérieu
Peut-on apporter son nom comme
rem ent au dépôt de la demande,
mise de fonds dans une société ;
l’invention ou application nou
comment s’en règle la propriété à
velle a reçu une publicité suffi
la dissolution de la société , 758
sante pour pouvoir être exécutée,
et suiv.
365 et suiv.
Perpétuité de la propriété du nom ; La question de nouveauté doit être
conséquences quant à l’invention
appéciée au jo u r du dépôt de la
tombée dans le domaine publie,
demande; caractère de la divulga
762.
tion par un livre ou un écrit,369
et suiv.
Exception à l ’interdiction de se ser
vir du nom de l’inventeur, 763 et La divulgation peut - elle résulter
d’une correspondance privée,373.
suiv.
Elle serait acquise par la description
La loi protège le nom commercial ;
enseignée dans un cours public,
conséquences quant à la dénomi
375.
nation à l’établissement ou aux Elle résulterait de la pratique de
produits, 773 et suiv.
l’invention même par l’inventeur,
La dénomination remplaçant le nom
à moins qu’elle n ’eût été secrète,
n’a pas besoin d’être préalablement
376 et suiv.
déposée, 774bis, y . Peine, Usur Dans quels cas devra-t-on admettre
p a tio n .
ce caractère, 378.
Les essais tentés pour arriver à la
N O U V E A U T É . — Comment elle
découverte ne constituent pas la
s’apprécie selon qu’il s’agit d’une
divulgation, 379 et suiv.
�529
TABLE
Q uid du fait d’avoir vendu ou don
né les produits des essais, 382
Du dépôt dans une exposition pu
blique, 383 et suiv.
A qui incombe la preuve de la pra
tique antérieure ; faut-il que cette
pratique ai t été générale,388etsui.
Qu’en est-il si elle est due à l’infi
délité d’un ouvrier, 383 et suiv.
Dans quels cas le brevet est-il divi
sible : exemples de nullités par
tielles, 397 et suiv.
2me cause de nullité , non breveta
bilité de l’invention, 399 et suiv.
3me cause , absence de caractère in
dustriel, 401 et suiv.
L’indication des résululats indus
triels dans la description est de
rigueur ; conséquences de l’omis
sion, 404.
4»»! cause, caractère immoral ou il
licite de l’invention ; quand estil acquis, 405 et suiv.
5 me cause, titre frauduleux , ce qui
le constitue, 408 et suiv.
6me cause , description insuffisante
ou déloyale : ses caractères , 411
et suiv.
Dans quels cas et à quelles condi
tions devra-t-on réputer la des
cription déloyale ou insuffisante,
414 et suiv.
La suffisance doit résulter du brevet
lui-même, 416.
L’inventeur est-il tenu d’analyser les
moyens et d’expliquer les lois mé
caniques ou chimiques de son in
vention, 417 et suiv.
Les causes qui annulent les brevets
annuleraient les certificats d'addi
tion, 420.
7me cause, prise d’un brevet de per
fectionnement dans l’année réser
vée au breveté , 421 et suiv., V.
Saisie.
OUVRIER. — Peut-on s’intituler ancien ouvrier d e . . . , 749, X.Nom,
N ullité, Peine.
p i A ï o i e i i A r a . — v . M arque.
PEIiVE. — Les contrefacteurs et
ceux qui ont sciemment recelé,
vendu, exposé en vente, ou intro
duit sur le territoire français un
ou plusieurs objets contrefaits,
encourent une amende de 100 fr.
à 2000 fr , 571.
Les peines ne peuvent être cumu
lées, la plus forte est seule appli
quée, 573 et suiv.
En cas de récidive , la peine d’em
prisonnement d’un mois à six
mois est encourue ; ce qui cons
titu e la récidive, 576 et suiv.
L’emprisonnement pourra être pro
noncé hors le cas de récidive , si
le délinquant est un ouvrier ou
employé ayant travaillé dans les
ateliers du breveté , ou si s’étant
associé avec un ouvrier ou em
ployé du breveté, il a eu connais
sance par lui des procédés décrits
au brevet, 582 et suiv.
Caractère de la faculté de poursui
vre l’ouvrier ou l’employé dans
ce dernier cas, 586.
ni — 34
�530
TABLE
L ’art. 463 du Code pénal est appli Nul autre que le breveté ou ses
ayants droit ne p e u t, pendant la
cable, 587.
première année du brevet, obtenir
Peine applicable à l’usurpation des
valablement l’un ou l’autre , 228
noms de fabricants, ou de ceux de
et suiv., V. N ullité.
fabrication, V. U surpation.
A la contrefaçon , imitation ou ap Point de départ de l’année, 236.
position frauduleuse des marques 11 en est autrem ent pour le perfec
de fabrique ou de commerce , V.
tionnement du perfectionnement,
ces mots.
237 et suiv.
Les
tiers peuvent cependant deman
P E B F E C T l O Î V I S E M B a ’ T . ---der dans l’année soit un brevet
Nécessité d’encourager les perfec
de perfectionnement, soit un cer
tionnem ents; législation de 1791
tificat d’addition qui ne doit être
à cet égard, 207 et suiv.
délivré qu’à l’expiration de l’an
Difficultés qui naissaient de la part
née, 241 et suiv.
faite à l’inventeur et au perfectionneur ; inconvénients pour le La préférence , en cas de concours,
est due au breveté; à quelles con
prem ier; conséquences, 211 et
ditions, 245.
suiv.
Système de la loi nouvelle; droit du Qui est appelé à décider si ces con
breveté d’apporter à son inven
ditions sont remplies, 246.
tion, pendant la durée du brevet, D roit respectif du titulaire du b re
les changements , perfectionne
vet d’invention et de celui du bre
ments ou additions; conditions,
vet de perfectionnem ent, ou du
217.
certificat d’addition, 247.
Le droit du breveté passe à ses ayants
droit ; distinction quant aux ces Effets de la nullité ou de la déché
ance de l’un des brevets sur ce
sionnaires, 218.
droit, 248.
Le certificat d’addition pris par un
des ayants droit profite à tous les P 1EKMISSÏOSISIAIES.E.— V. Ces
autres, 219.
sion, Contrefaçon, P lain te.
Le brevet de perfectionnement ne
profite qu’à celui qui l’a p ris,220 P L A IN T E . — Le droit de plainte
est acquis au breveté du jour du
Si celui - là est le breveté principal,
dépôt de la demande, 591 et suiv.
pourra-t-il exploiter immédiatetement le brevet prim itif et le Peut-être exercé par le cessionnaire
perfectionnement, 221.
total ou partiel ; 598 et suiv.
Taxe des brevets de perfectionne Q uid du simple perm issionnaire,
601 et suiv.
ment et des certificats d'addition,
222 .
Quels sont les changements, perfec î » I , A ÿ I J E § 5»S 3 A © in i'B J R J E . •— V. M arques.
tionnements et additions donnant
lieu à l’une ou à l’autre, 223.
P O U R V O I. — Le pourvoi confie
A qui appartient le droit d’en ap
l’arrêt qui statue sur la nullité, la
précier et d’en déterminer le carac
déchéance ou la propriété du bre
tère, 224 et suiv.
vet n’est pas suspensif, 616.
Comment doit être faite la demande
d’un brevet de perfectionnement P R A T IQ U E . —• Dans quels cas
la pratique antérieure à lademanou d’un certificat d’addition, 227.
�TABLE
de du brevet entraine-t-elle le dé
faut de nouveauté , 376 et suiv.,
V N ullité.
P R O D U IT S
M IH É H A ll* .—
V . PRODUITS
Usurpation de noms.
— L’action ci
vile comme l’action publique pour
contrefaçon se prescrit par trois
ans, 692.
De quel jour part ce délai pour le
fabricant contrefacteur, 693 et
suiv.
Pour le vendeur ou l’introducteur,
697.
Le fabricant ou l’introducteur qui
aurait vendu depuis moins de trois
ans serait condamné comme ven
deur, 698.
Point de départ de la prescription
en cas de recelé ou d’exposition
en vente, 699.
Quels sont les actes d’instruction
qui interrom pent la prescription,
700.
L’exception de prescription est d’or
dre public; conséquence, 701.
Par quel délai se prescrivent la pei
ne et les dommages-intérêts, 702
Prescription de l’action pour usur
pation de noms, 798.
Pour contrefaçon , imitation ou ap
position frauduleuse de marques,
978.
p r e s c r ip t io n .
— V. Brevet d'in
vention, Cession.
p r io r it é
.
rive à un produit nouveau, quels
que soient les moyens employés,
47 et suiv.
.AGR1COI.GS.-----
Jouissent du bénéfice de la loi de
■1857 sur les marques de fabri
que ou de commerce, 998 et suiv.
PRODUITS ALIMENTAIRES.
— Sont brevetables, 90.
PROPRIÉTÉ INDUSTRIE!.UE
— Protection qui lui était due,
704.
En quoi elle consiste, 705.
Nécessité de réprimer les usurpations
dont elle peut être l’objet; vérita
ble caractère de ces usurpations,
706 et suiv.
La marque comme le nom constitue
une propriété ; différence entre
l’une et l’autre, 708.
Ancienne législation avant 1789,
709 et suiv.
Loi du 22 germinal an x i ; son ca
ractère, 712 et suiv
A rt. 142 et 143 du Code pénal, 718.
Caractère de la loi de 1824, 717 et
suiv.
Nature de la propriété des marques
de commerce ou de fabrique. 848
et suiv.
PR OiaoGA 'iriOiN. — Ancienne
législation sur la prorogation des
brevets d’invention . 188 et suiv.
Ne peut plus être accordée que par
une loi, 193 et suiv.
. — Caractère du pri
vilège accordé aux inventeurs sous Effet de la prorogation quant au bre
l’ancienne législation, 4.
vet de perfectionnement pris dans
l’intervalle de l’expiration du bre
Etendue et lim ite du privilège de
vet à sa prorogation, 196 et suiv.
l’inventeur d’une machine ou d’un
appareil, 538, V. Brevet d'inven Cet effet ne remonte pas au jour.de
tion , Inventeur, Invention, Per
la demande en prorogation, 200.
fectionnement.
p u b l ic a t io n . — Obligation de
p r d d u i t . — Est brevetable 1p.
publier chaque trois mois les bre
découverte ou l’invention qui ar
vets délivrés pendant le trimesp r iv il è g e
�(
532
TABLE
Ire ; motifs de cette formalité, sa
blicité de l’invention sur le bre
forme, 186 et suiv.
vet, V. Brevet d'invention. N ul
lité.
Publication du catalogue contenant
les titres des brevets délivrés dans Publicité que doit recevoir le juge
l’année, 321.
ment prononçant la nullité ou la
déchéance d ’un brevet, 522.
Publication des descriptions et des
sins après paiement de la seconde Caractère de la publicité à donner
annuité ; sa forme, 322 et suiv.
aux jugements ou arrêts réprimant
la contrefaçon ; peut-elle être or
Où se fait le dépôt des catalogues et
donnée par la juridiction civile,
recueils publiés, 327 et suiv.
680 et suiv., V. Affiche, Béduction.
F i i i M C i T Û . — Effet de la pu
R
La réduction doit être d’une période
quinquennale ou décennale, 204.
Publicité qu’elle doit recevoir, 205.
R E C E L É . — Le recel d’objets con
trefaits constitue le délit de con On ne peut revenir contre la réduc
tion et rendre au brevet sa durée
trefaçon, 559.
primitive, 206.
Le délit résulte du fait m atériel,fûtil unique,s’il a été commis sciem R EM ÈD E . — V. Compositions
ment, 560.
pharmaceutiques.
Difficultés qui peuvent surgir sur
R E M IS E . — Les objets confisqués
son caractère, 561.
sont remis au breveté ou au pro
Le simple recel n ’est pas puni par
priétaire du nom ou de la m ar
la loi de 1857 sur les marques de
que, V. Confiscation.
fabrique et de commerce, 932.
Caractère de la remise en ce qui.
concerne ce dernier, 958 et suiv.
r é c ip r o c it é . — Dans quels
cas elle est exigée, 885.
R É S U L T A T . — L’invention est
Peut-elle résulter de la loi comme
brevetable si , par des moyens
d’un traité diplomatique , 887 et. connus , elle arrive à un résultat
suiv., V. É tran ger.
industriel nouveau ; en quoi con
siste celui-ci, 47 et suiv.
R E C O U R S. — Voies de recours Ce qui, considéré en soi, n ’est qu’un
contre les jugements en matière
résultat peut constituer, par l’ap
de contrefaçon, 691.
plication, un moyen brevetable ;
exem ple, 61, V. Brevet d'inven
nÉorCTiow. — Le breveté peut
tion, N ullité.
réduire la durée qu’il avait d’a
bord assignée à son b re v e t, 201
et suiv.
( ’O M M I i n r U I . K .
V. Nom.
—
�TABLE
533
. — Convenance et utilité Q uid si l’étranger jou it en France
de la saisie provisoire, législation
des droits civils, 638.
ancienne, 618 et suiv.
La sajsje p eut gtre opérée dans le
Loi actuelle ; caractère qu’elle assilocal d’une exposition nationale,
gne à cette mesure, 621 et suiv.
639.
La description ou la saisie ne peut Peut comprendre les instrum ents et
avoir lieu que sur ordonnance du
ustensiles, mais non les livres et
président du tribunal civil ; com
écritures, 640 et suiv.
ment est provoquée cette ordon Forme de la saisie ; choix de l’huis
nance, 623.
sier et de l ’expert, 642 et suiv.
Le président ne peut la refuser, 624 Obligations de l’huissier ; effet de
et suiv.
leur inobservation, 644 et suiv.
L’ordonnance n’est susceptible d’au
Délai dans lequel le saisissant doit
cun recours, 629 et suiv.
réaliser l’instance; effet de l’inob
Pouvoir du président de prescrire
servation, 646,
un cautionnement préalable ;
La nullité est de plein droit et n ’a
quand peut-il être exercé, 631 et
pas besoin d’être prononcée par la
suiv.
justice, 647 et suiv.
Caractère de la décision qui l’ordon
Par qui p>ut être réalisée la saisie
ne, 633.
des produits étrangers qui contre
La saisie doit - elle être suspendue
viennent à l’art. 19 de la loi de
jusqu’après le dépôt du cautionne
1857; droits et obligations du sai
ment, 634.
sissant, 982 et suiv.
Le cautionnement ne peut être don
s o l i d a r i t é . — Le principe de
né qu’on argent, 635
la solidarité édicté par l’art. 55
Il est obligatoire lorsque celui qui
du Code pénal est-il applicable en
requiert la saisie est étranger,636
matière de contrefaçon , 556 et
La saisie faite sans que le caution
nement ait été exigé, dans ce cas,
serait-elle nulle, 637.
s a is ie
T A X E . — Difficultés que l’établissement de la taxe fit naître; re- Son effet quant à la durée du breproches qui lui étaient adressés,
ve^
98 et suiv,
C om m ent, à quelle époque , dans
Système du projet de loi, 101.
quel délai doit se réaliser le paieAdop'ion du paiement par annuités, ment, 426 et suiv., V. N u llité.
103 et suiv.
�534
t im b r e .
TABLE
— y . M arques.
T R o m P E M E S . — L’art. 8 de la
loi de 1857 punit la tromperie
sur la nature du produit au moyen
d’indications ajoutées A la m ar
que, 926.
La tromperie sur l’origine n ’est pu
nissable que si elle dégénère en
tromperie sur la nature , 936 et
suiv.
U
U S A G E . — En quoi consiste l’u- L’usurpation, quelque déguisée qu’sage d’une marque contrefaite ou
elle soit, doit être réprim ée; exfrauduleusem ent apposée ou im iemples, 777 et suiv.
tée, 907.
L’emploi de simples initiales ne con
stitue pas l’usurpation de noms,
La matérialité constitue le délit sans
779 et suiv.
qu’on ait à se préoccuper de l’in
tention, 909, 922.
L’emploi du nom inscrit sur les éti
quettes, enveloppes, boites, etc.,
L ’usage d’une marque portant des
constitue l’usurpation, 782.
indications propres à tromper sur
la nature du produit est un délit; Prohibition d’usurper le nom des
caractère de ce délit ; peine q u ’il
lieux de fabrication; débats légis
encourt, 916, 826 et suiv.
latifs, 784 et suiv.
Que faut-il entendre par lieux de fa
u 8 t e m 8 i i .e s . — V. Confiscation
brication; droit des industriels
de la banlieue ou du voisinage,
«JSUnPATIOW M
>E NOMS. ---786 et suiv.
En quoi consiste aujourd’hui l’u
surpation de noms, 720 et suiv. Dans quelque lieu que soit situé
leur cuvevinaire, les fabricants de
Peine qu ’elle encourt; son caractè
vins peuvent donner à leurs pro
re ; applicabilité de l’art. 463 du
duits le nom du lieu d’oû pro
Code pénal, 723 et suiv.
viennent les raisins, 788.
Nature de la confiscation; consé D roit des propriétaires ou vignerons
quences, 725 et suiv.
d ’user du nom du lieu de la situPeut-elle être prononcée en cas d ’ac
tion de leur vignoble, 789.
quittement, 727.
Les produits m inéraux extraits du
même banc ont droit à la même
Est forcée en cas de condamnation,
dénomination, 789bis,
728.
L’art. 463 du Code pénal n’autorise II n ’y a pas usurpation du nom de
pas le juge à refuser de la prononlieu dans la fabrication d’eau micer, 729 et suiv.
nérale i artificielles, 790.
Y
— La vente d’objets con
Il suffit d’un fait de vente isolé,563
trefaits , sachant qu’ils le sont,
constitue le délit de contrefaçon ; La vente qu’un ouvrier fait pour se
payer de ce qui lu i est dû d’objets
conséquences, 559.
v este.
�TALBE
535
fabriqués d’ordre et pour compte
borne à reproduire un signe géo
du breveté , ne constitue pas un
métrique, 833.
délit, 566.
Caractère que doit avoir la vente ou v i n s . — Les fabricants de vins
l’exposition en vente de produits
peuvent donner à leurs produits
portant une marque contrefaite,
le nom du cru, 788.
ou frauduleusement apposée ou Les propriétaires ou vignerons , ce
imitée , ou contenant des indica
lui du quartier où est situé leur
tions propres à. tromper sur lan avignoble, 789, V. Marque, Pro
ture des produits, 913, 929, 931.
duits agricoles, Uusurpation de
La vente ou mise en vente d’objets
noms.
non revêtus de la marque obliga
v o i s i n a g e . — D roits des indus
toire est un délit, 941.
triels du voisinage d’un lieu de
v l e ü E T ï B . — Constitue une
fabrication réputé, V. Usurpation
marque de fabrique ou de com
de noms.
merce ; caractère qu’elle doit of
V O T E ( droit de ). — Les con
frir, 827.
damnés pour contravention aux
Si le dessin est nouveau, est-il sus
art. 7, 8 et 9 de la loi de 1857,
ceptible de propriété exclusive, ce
peuvent être privés du droit de
qui constitue dans ce cas la nou
voter aux élections commercia
veauté, 828 et suiv.
les ; durée de l’interdiction ; son
A qui en appartient la propriété,832
caractère, 945 et suiv.
Peut-elle exister , si la vignette se
FIN
DE
LA TA BL E A LPH A BE TI QU E
ET DU T R O I S I È M E E T D E R N I E R VOLUME.
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Droit commercial. Commentaire des lois sur les brevets d'invention, sur les noms des fabricants & des lieux de fabrication, sur les marques de fabrique et de commerce : suivi d'un appendice contenant les actes et documents officiels et législatifs
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-20982/1-3
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1880
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234482079
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-20982_Bedarride_Brevet_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
3 vol.
472, 449, 535 p.
21 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/331
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Commentaire des lois des 6 juillet 1844, 28 juillet 1824 et 23 juin 1857 suivi d'un appendice
Abstract
A summary of the resource.
Jassuda Bédarride, jurisconsulte provençal et avocat au barreau de la Cour-en-Provence commente dans ces trois tomes la législation sur les brevets d’invention.
Trois lois sont traitées dans ces ouvrages : les lois des 6 juillet 1844 sur les brevets d’invention, celle du 28 juillet 1824 relative aux altérations ou suppositions de noms sur les produits fabriqués et celle du 23 juin 1857 sur les marques de fabrique ou de commerce. Le premier tome est consacré aux quatre premiers titres contenus dans les lois sur les brevets. Dans le deuxième tome, l’auteur achève de commenter les lois de 1844 et poursuit avec les lois de 1824. Le dernier tome commente la loi de 1857.
Résumé Morgane Dutertre
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Examen des textes législatifs de 1824 et 1857 relatifs aux brevets d’invention, au nom des commerçants et aux marques de fabrique et de commerce
Brevets d'invention -- Droit -- France
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/366/RES-AIX-T-114_Sabatier_Retrait.pdf
57987b580fc156747f83078077543ef2
PDF Text
Text
UNl\'ERSITÉ DE FRANCE - FACULTÉDE DROIT D'AIX
-
114-
tU-
D B OIT A D MINISTBATI F.
I. - Les pelils cours d'eau non navigables ni flollables appartiennent aux riverain .
If. - En cbho1·s d~s ~ùific s ù ~c larés dom:rniaux par
ùes lois es.pr~s3es, c~ ux. qui ·onl olhrts à un s~ rvice
public, tels que: hôtel de préfectures, mairies, ministères, font partie Liu tloma1ne privé de l'État.
DU RETRAIT CONVENTIONNEL
THÈSE
l' OUR
DROIT PÉNAt..
L'étranger jugé définitivem ent dans son pays
pour un crime co mm1" en France ne peut être pom·suivi
s'il revient sur le territoire françai·.
JI. - La concubine du m.u1adultére peut être poursnirie comm~ complice du crime adu ltére.
III . - La dem1nù e en autorisation de poursuites
contre un député, n'interrompt pas la prescription.
I. -
LE DOCTORAT
PRÉSENTÉE ET SOUTENUE
PAR
LÉ ON SAB ATIER
A\.OC.\.T
'l'auca mea
ÉCONOMIE POLITI2tl'E.
La propriété lilléraire , par on fond ement et ses caractè1·as doit, en vertu des principe de l' éco nomie politiqu e, racevoi r du go u,·crn emen Lla même protection que
la propriété foncière.
Vu par nous professe ur président de la thèse,
A. LA
RI~ .
Vu, le ll ecleur de l'Académie d'Aix ,
MARSEILLE
IMPRn! ER I E ET STf: RÉOTYPIE T. SA'.\IAT ET c"
1:; , Qur,i du C1n:ll. u.
Chel'lalier de la légion d·honneur,
J. BOURGET.
!8'''" 1!SJJE e.AJ.l.SJ.~Q()f.])9S;IJl4"1
11111 1111111 11111111111111111
100215510
18
80
�c51Z morb tl'ère
c.9t ma
:-/lt~re
�DU RETRAIT CONVENTIONNEL
INTRODUCTION
L'intérêt général exige que les propriétés ne demeurent pas incertai nes.
CA~tDACÉR~S.
Discours préliminaire sur le troisième projet
de Code civil.
Un des sentiments les plus naturels au cœur de l'homme,
1. c'est l'attachement que lui inspirent les lieux qui l'ont vu naître,
grandir, aimer, souffrir. Quand il avance en âge, sa pensée se reporte
avec attendrissement vers la maison témoin des jeùx de son enfance,
la maison où vivaient tous les chers êtres disparus, objets de ses premières affections, et elle lui devient comme une amie. Cette idée a
souvent inspiré les poètes. Brizeux l'a rendue avec émotion :
« Oh! ne quittez jamais le seuil de votre porte !
Mourez dans la maison où votre mère est morte! ...
Quoi qu'il en soit de la généralité de ce sentiment, ce ne sont
2. pas les poètes seulement qui s'en sont faits les interprètes: les législateurs de tous les temps l'ont prévu et en ont tenu compte.Au MoyenAge on en voit la preuve évidente dans des institutions comme le
Retrait lignager, le Retrait de frareuseté, le Retrait d'esclèche, - bien
qu'elles aient surtout été inspirées par des considérations politiques
analogues à celles qui présidèrent à l'organisation des Retraits censuel
et féodal. - On trouve encore la trace de cette préoccupation du
législateur dans cette autre antique institution, le Retrait Conven-
tionn.el ou Réméré.
�-7-
-G3. - Le réméré tire son origine des lois mosaïques. Il y avait
mémc ceci de particulier chez les anciens Hébreux qu 'i l n'était pas
besoin de stipuler expressément dans le contrat de vente la faculté de
racheter; elle y était de droit sous-entendue. Ceci tient à la manière
dont la propriété était organisée chez ce peuple prim itif et grossier.
La tradition rapporte que les premiers législateurs hébreux fire nt
un partage des terres entre tous les habitants du pays. Mais leur but,
qui était de maintenir le plus possible l'éga lité de fortune, n'eût pas
eté atteint s'ils n'avaient apporté des entraves a ux changements que
devaient naturellement amener dans la position des citoyens le plus
ou moins de forces, d'intelligence, d'aptitude et de zèlê au travail de
chacun d'eux. De là diverses règles restrict i\•es de la liberté des
conventions, établies par Moïse dans le Lévitique. (1)
Tous les cinquante ans avait lieu le Jubilé, c'est-à-dire que tous les
cinquance ans les ventes consenties étaient de plein droit anéanties,
les biens aliénés faisaient retour à la famille ou à la tribu , sans qu'il y
eùt d'ailleurs aucu ne restitution de prix à faire à l'acheceur (Lévitique,
ch. XXV, vers. 8-23. ). Ceci re\•ient à dire que la vente, telle que nous
la concevons aujourd'hui, était inconnue des H ébreux (2); à proprement parler, il n'y avait chez eux que des cessions de jou issance pour
une durée maxima de cinquante ans. Aussi le prix des immeubles
variait- il beaucoup suivant qu'on était plus ou moins rapproché de
l'année jubilaire, c'est-à-dire suivant le temps que devait durer la
jouissance de l'acheteur (L évitique, ch . XV. vers. 16.).
Et , dans l'intervalle d'un jubilé à l'au tre, il était loisible a u vendeur ,
en vertu de la clause de réméré sous-entendue, de reprendre son bien
en en restituant le prix à l'acheteur. Cette faculté de retrait n'était
limitée dans le temps que par rapport a ux maisons des villes pour
lesquelles elle ne durait qu'un an.
(1) Elles eurent d'ailleurs l~s plus funestes conséquences au point de' uc é.:onomique. C'est à elles que les philosophes modernes attribuent, en majeure partie,
l'état misérable dans lequel languit toujours le peuple d'lsrael. Franck. le Communisme jugé par l'histoire; Liberté de penser, t. 11. p. 307; Jules Simon , La
Liberté, t. I, ch. Il. p. 38 1. - Dans tous les cas, un résultat immédiat, et trës
regrettable. devait se produire et se produisit en effet : une profonde répugnance
pour l'agriculture.
(2) Quant aux immeubles. - Par exception, les maisons si tuées dans l'enceinte
des villes échappaient au retrait jubilaire. (Lévitique. ch. X.X.V, vers. z~-3o.)
•
"tqueleretrait était connu aussi à Sparte. (V.
ad Pandectas, t. Ill, sp. CXXI.) Dans ~e but
Leyser, Meditat . h l'
umulation des biens entre les mains de
·
d'empec cr ace
· é éd' "dé
Politique f ïles dont on re d ou t a1"t la puissance, il y avait. . t ec1
C'
quelques ~m1 . s d 'immeubles ne seraient jamais définitives: est
q ue les alténat10n
R
ù la propriété ne pouvait être
.
de la règle recue à orne, o
l'inverse
· . . é
.
r un temps h m1t .
. è
transmise pou
d"
e les Romains ne prat1qu rcnt pas
S. - Ceci ne ve~t ~as ~relqu
de la loi mais il put y faire
, , Il e dériva iama1s C1eZ eux
'
', d"
1
le rémere.
n
.
, . 1 dont je me propose d ctu 1er p us
'ob.et
d'une
convention
spec1.a
e,
l
J
(V n•• "2 et su1v.)
loin les effets.
·
de réméré fut très fréquemment
A Moyen-Aae 1a c1ause
.
l'
6. u
:::>
A
. fi a-t-elle particulièrement atteninsérée dans les ventes. ( l) l uss1d x XVI•• siècle Dumoulin , Tirad · urisconsu tes u
'
·
·
tion des gran s J
•
d, eloppement qu'elle n'avait 1ama1s
queau ..... ( 2 ) Elle pnt alors un ev
4· -
Il
~a~a·~~~es
connu à Rome.. d
, . e h ypothécaire n'existait pas.
l' fance. 1e rea1m
Le crédit était ans en
, , ~ , que se réalisèrent tous les
l
. des ventes à remere
Il
C'est par a voie
.
bT
(V Troplong, De la Vente, t.
,
emprunts avec gage immo 1 ier.
.
n' 692.) ,.
. • '
- Tira ueau en fait déjà la re~arque
Bien qu il favonsat l usure I• et q5) - l'Eglise elle-meme ne
( De retract. conv., prœjat., n 4
'
li la Sorbonne à la réunion des
lu • il y a deux
' (V ·.1e J ~rm zal
Thans,
llier de Poncheville
délégués des Sociétés savantes, par M.
~d le but d'éviter le droit se1gneuque, ans
· A
d en
Offeciel du 27 avril I 8715' . ) • nou s apprend
.
uvent dans le pays de Saint- man , .
rial de lods et ventes, on '.ecour~1t ~en te l~ plus grande affinité avec la ~·ente a
Flandre, à un contrat .spécial q~1 terre à l'autre pour quatre-vingt-dix-neuf
réméré. L'une des parties ve.n~a1t s
re rendre à l'expiration de ce ter~e en. en
ans avec facu lté pour ses hénuer~ de la p , t1'trede mort-gage.et cette ahénauon
•
. Ce1as•a?.pelait la vente a
remboursant
le pnx.
était considérée comme mobilière.
.
ut voir dans les écrits
Q! t à T1raqueau, on pe
·
(2) Dumoulin est assez connu. ~ao 1 était tenu. Ses disciples chanta1e~~ s~
de ses contemporains en que~le estime 1 ts d'em hase et d'exagération: ~uo1
gloire en vers latins qui n'étaient pas exempue une p~ofonde érudition, méritaient
. ses ouvrages, où l'on. remarq
. l'è
qu'il en soit,
, des Retraits était parucu
i re ment fameux.
..
la faveur qui les accueillit. So~ Traite ·re d'écrire après lui sur cette mauere, se
D"Ar<>entré jugeant qu'il serait téméra1
• renvoyer les lecteurs à ce savant
o dans• le Commen . de sa Coutume, a
borne.
taire
ouvrage.
·
(i) Un curieux m é' moire,
p:
�-9-
-8condamna pJs, en principe, le retrait con,·cntionnel; les canons le
dedarent licicelExtrm•agant., lib. III, t. V, deempt .. c. 1 et :i.).
!'. - Pend.10~ la p~rioJ,e de réorg~nisation ~olitique et civile qui
5ui,·~t la ReYolunon de 1 j89,le _Retr•u.c conventionnel eut à supporter
~e '''esactaqucs. Dans prem1~r proietde Code ci,·il que présenta
C:imbJcerès à la Com'ent1on ~at1onalc, sa suppression radicale était
rn?posée." Le .:ontrat de venre, disait-il (tit re III, de la l 'ente et de
/'Echange, arr. 1 1 .), admet toutes sortes de stipulations et de condi tions. Il ne pourra néanmoins être stipulé en faveur du vendeur
aucun.: fac.:ultédc rémére. » Ec la mëme règle était reproduite en des
rennes à peu près identiques, dans les deux projets qui suivirent.
Remarquo_ns qu u?e t~é~ènse ~xpress~ était nécessaire pour empêcher
la co~ \'Cnt10n de ~e.n:ere; le sin1ple silence de in loi n 'eùt pas suffi pour
encr.:rner la proh1b1tion du pacte, car les principes généra u x admettent la libercé pour les parties de subordonner leurs actes à
une
· 1 ·
. ·
con d ~uon rcso ut01re, pourYu qu'elle n 'ait rien de contraire à l'ordre
·
public et aux bonnes mœurs (Paris, 16 juillet 18 36 ,· Dalloz, R ep.,
. l'
\
ente, n q52. ).
8. - Que firent les rédacteurs du Code? Ils conservèrent le Retrait
· t
mais en modifiant profondément les règles gui J'<>v
conventionnel,
. a1en
,
..
reg1 .iusqu ~eux:« ~ ous a~ons ~ru, dit Portalis, dans son Exposé des
motif~du t1.tre \. I, line Ill C. civ., ... devoir autoriser la stipulation
de la faculte de rachat. Ce pacte offre au citoyen ou au père de fa m i lle
malheureux des ressources dont il ne serait pas jus te de le dépouiller . ..
On peut vendre pour se ménager un secours, sans perdre l'espérance
de rc_ntrer dans sa pr~priété. )) ( Séance du ï ventôse an XII, Motifs
1:
et Dzsc~11rsprono.nces lor.ç de la publication d11 Code civil, p. s9 s.)
Et le tnbun Grenier, dans son discours au Corps Lé<>islatif se félicite
'
0
.
c
d
es periectionnements apportés en cette matière: Ci Cette faculté de
rachat est organisée de la manière la plus heureuse pa r le projet de loi.
fi s'agissait de concilier l'intérêt particulier du vendeur avec l'intérêt
public ..... (' ) Quand on connait les entraves tolérées, é:ablies me me
(_1l Quand la propriété n'est pas tou t-à-fait stable 1 deux choses s'en ressenten t
•
r ·
q UI. font o u con t ri'b uent a· 1aire,
pour une part prépondérante, la pro~périté des
natio~s: l'agriculture et le crédit. On ne s'attache pas à un immcubl.! qu'on n'est
~~s sur ~e conserver; on pourrait presque répéter ici ce que dit Montesquieu de
·
· d u d espotisme
11nsécur1té qui· nait
: c Il en résulte toujours l'abandon de la cu ltu re
par !'ancienne jurisprudence sur cette matiere, d~ combien de ~rocès
ne voit- on pas étouffer le ger me, dont la convention la plus précise ne
pouvait mettre l'acquéreur à l'abri ! » (Séance du 1 5 ventôse an XII,
cod. op., p. 625.)Ces améliorationsserontsignaléesenleurlieu,àfur
et à mesure du développement du sujet.
de porter à
9 . - L a plus impor tante consiste dans l'interdiction
e1'ercer le
ra
pour
vendeur
le
plus de cinq ans le délai dans !quel
retrait.
Sur quoi se fonde cette at teinte à la liberté de conven tions?
Elle serait naturelle dans une législation franchement hostile aux
résolutions de propriété. Mais nous voyons en d'autres endroits le
Code laisser pendant trente ans ( 1) suspendue sur la tètede l'acquéreur
la condition résolutoire, quoique le trouble apporté dans les transactions, et les entraves a u crédit soient les mêmes dans ces cas-là. On
peut même remarquer, avec M. Duvergier (De la 'Vente, t. l I, n• 19 ),
que « l'incertitude qui nait des stipulations des contrats a beaucoup
moins d 'inconvénients que celle qui r ésulte des termes de la loi. La
propriété qu'une clause expresse du titre translatif rend résoluble se
présente à tous les yeux avec ce vice originaire ; il suffit pour
l'apercevoir de lire le con trat. L orsque, au contraire, c'est d 'un texte de
loi que naît l'incertitude, l'ignorance n'est pas légalement possible,
des terres ..... On ne répare, on n'améliore rien ..... ; on ne fait point de fossés, on
ne plante point d'arbres; on tire tout de la terre, on ne lui rend rien ..... ». ~e même
effat sera produit, partiellement, et par le réméré et par toute autre cond1u~~ réso:
lutoire. D'ailleurs, il sera rare qu'un acheteur sérieux accei;te celte cond1t1on; s1
l'on n'a pas simplement affaire à un usurier, on se trouvera en présence d'un ami
qui rend un service (A. Jourdan, I<èg lcsfo11damc11tales du Droit français, p.3 ..p .)
D'autre part,eiuel est le prêteur qui se contentera d'une hypothèqu:: sur l'immeuble
rachetable ? Qu'est-ce qu'un gage que des tiers pourront faire évanouir~ l~ur gr~
par l'exercice du retra it ! Si le propriétaire intérimaire trouve un capitaliste qui
lui prête sur cette garan tie, ce ne sera qu'aux conditions les plus dur~s : le prêteur
s'indt:mnisera du péril de la résolution.
(1). En 1850, M. Crémieux arn1t émis la proposition? à laqu.elle il ne ~ut
malheureusement pas donné suite, de considérer comme éteinte l'action r~soluto1re
du vendeur non payé au bout de dix ans à compt.!r de l'.!ch é1nce du d:rn1er terme
de paiement. - Le Code civ il italien (art. 19.n - 1080, 1088 - 1 ·~3J - 1308 1511 - 1553 - 17 8 7 ) sauvegarde le droit des tiers dans un certain, nomb:e de
cas, mais ses innovations ne paraissent pas toutes heureuses, en ce quelles gcnent
la liberté des contractants.
�Tl -
-
10 -
mais elle existe sou' ent en rcalitc; et des engagements se contractent
sans connaissance du germe de dissolution qu'ils renferment. » _
Quoi qu il en soit, l'effet non dou tcux de la règle nouvelle a été
d:attén~cr les inconvenients du retrait, et non pas de les faire
d1spara1tre. - Parce que ces inconvénients subsistent tout entiers
p~r d'autres conditions résolutoires, ce n'est pas un motif suffisant
de .condam~er la d~_cision ~u législateur, qui a pu se montrer peu
logique, mais dont 1 rnnovat10n, toute restreinte et spéciale qu'elle est
~e ma~que pas ~e sagesse et d'utilité. Ce qui a particulièrement atti ré
l attention .d:s redacteurs du Code sur cette condition résolutoire, ce
sont ~es ~n:1ques acerbes dont elle venait d'être l'objet de la part de
certains 1unsconsultes et économistes réformateurs. Ils voulurent leur
~o~ner une demi-satisfaction, consacrer une transaction entre ces
1de_es no~Yelles qu'ils trouvaient trop hardies et la legislation qui se
~resenta1t à eux. avec le prestige d 'une ancienne tradition. _ Fallait11 aller p~us loin , et j usq u à la mesure radicale proposée par
C~m~aceres ? J e ne le pense pas. La liberté des conventi ons est un
principe essentiel qu'il ne faut violer qu'à la dernière extrémité.
_1 o. -:- Seulement, des améliorations considérables sont encore
necessa1:es, et spécialement au point de vue de la publicité. La clau se
d~ ret:a.n, cachée, dans un acte de vente, au milieu d'une foule de
d1_s~os1t1ons de détail, peut échapper à l'examen de l'acheteur. JI serait
des1rable q~'elle fût mise en évidence, en vedette, pour ai nsi dire
dans le reg1st:e des transcriptions; et, par exemple, il paraîtrait aussi
e.fficace que s.1rople d'en faire sommairement mention en marge de
1acte tr~nscnt, comme l'a décidé la loi de l 85 5 (art. 9) pour la
subrogar10n à l'hypothèque légale des femmes mariées. Ce 'caractère
résoluble de la propriété devrait de plus être rappelé de la même facon
à chaque mutation nouvelle. (1) Par là les dangers du retrait serai~nt
( r ~ D'u ne manière générale, le système de publicité aujourd'hui en vigueur a
beso.m ~·urgente~ réformes. Parmi les améliorations proposées, il en est une d 'une
applrcauon sr facrle,qu'elle ne parait soulever aucune objection. li s'aoirai t simplem~nt de rappeler dans l'acte d'aliénation les noms des propriétaires"antécédents.
~1r~~x encor:e,on ~:urrait tenir un registre de transcriptions par noms de propriétés,
au 11eu de. sen r.etérer seulement aux noms des propriétaires. li y aurait grand
a\•ant.age a .ré_un1 r ~e service des h ypothèques à celui du cadastre. (A. Gautier,
'7Jro1t adnwustratif, t. Il , p. 258. ). L'Allemagne a déjà réalisé ce progrès.
considérablement réduits, et les tiers évincés n'auraient plus bonne
grâce à se plaindre <le surprises q u'il leur aura it été si facile d'éviter.
l l . Mais, objecte-t-on, il y a contre le réméré des g riefs spéciaux
qui n'existent pas contre les autres conditions résolutoi res, et qui ne
tiennent pas à l'incertitude jetée dans la propriété. On a remarqué, et
cela est indéniab le, qu e ce pac te n'est guère, dans la pratique, qu'une
forme de prêt sur nan tissement et sert à éviter la ta xation de l'intérêt
établie par la loi du 3 septembre 1807. Mai s ici le tort ne paraît pas
être au pacte de retra it: cette loi de 1 807 est un dernier vestige d' idées
surannées et condam nées. Il ne convient pas d'entrer ici dans le
développement de cette question d'écono mie sociale; mais, depuis
Turgot et Bentham, c'est une vérité acq uise que le taux de l'intérêt
doit rester légalement libre et seulement soumis à la grande 101 de
l'offre et de la demande. ( l)
Il est d'a illeurs facile d'empêcher, sans loi prohibitive, que les
parties ne recourent de préférence au retrait conventionnel comme
moyen de créd it. Si les populati ons rurales du Midi de la France en
font un usage fréquent ( V. Troplon g, n• 692 . ) , cela ti ent aux
imperfections qui existent encore da ns notre régime hypot hécaire, et
particulièrement à l'énormité des fra is d'expropriation. Ces frais
atteignent, en moyenne, pour les ventes de Soo francs et au-dessous, le
chiffre incroyable de 134 francs 14 centimes pour cent du prix ; on
conçoit que nos petits capitalistes soient peu curieux de garanties
hypothécaires données dans de pareilles conditions. P o ur les ventes de
501 à 1000 francs, les frais s'élèvent encore au chiffre déjà exorbitant
de So francs 79 centimes po ur cent. (Voir le rapport adressé au
Président de la R ép ubl ique par le garde des sceaux , s ur le comptererrdu général de la justi ce ci vile et commerciale, en l 87 5 ; J ournal
officiel du 19 novembre 1877.) C'est cet état de choses qu 'il importe
de modifier profondément. - Du reste, le tarif du l o octobre 1841
n'en a plus, sans doute, pour lo ngtemps. Un projet de loi nouvelle
est déposé sur le burea u de la Chambre des députés depuis le 18
mai 1876 .
12. On a constaté que, pendant que le taux de l'intérêt était
( 1) Déjà plusieurs nations, l'Ang leterre , la Hollande, l'Espagne,. .. o.nt do~né le
signal d'une réaction salutaire et proclamé la librrt~ du taux de l'rn téret. Cet
exemple ne peut qu'êlre suivi.
�12 -
illrmitê, la \Cntc ~ remere a,,1it .-esse d'etre us1tee {Toullier, de la
'Vente, n 313. ). Quand cette règle aura de nou,·eau eté adoptée en
France, quand les frais d'expropriation auront été ramenés à des
proportions rai::.onnables, il e:.t certain qu·on ne recourra plus à ce
contrat qu'en de bien rares occasions ( 1 ) . Un but désirable sera donc
atteint, sans qu 'on ait eu besoin d 'employer ce remède toujours
regrettable, une restriction à la li bercé.
DROIT ROMAIN
1. -
(1) C'c::.t le r"sulta.t que .:es Jeux rdorme> sont en ''01c de produire en Belgique,
!...Jurent, Principes de 'D1 oit cii•il fra111;ais , t. XXI\' n• 3;~i.)
Principes généraux de la Vente.
Le droit de propriété. de propriété immobillière surtout,
1 3. ne fut jamais entouré d'un respect plus profond que chez les anciens
Romains. Eux qui durent tant aux peuples voi~ins et à la civilisation brillante que, huit cents ans avant notre ère, faisaient fleurir
dans !'Etrurie et dans la Campanie les vieux Toscans, leur empruntèrent (1) notamment l'institution, qui joue dans l'histoire romaine
un si grand rôle, des augures publics, au nombre desquels figuraient
les agrimensores. Ces arpenteu rs étaient des prêtres; les bornes
qu' ils posaient entre deux champs furent divinisées; et le Sabin Numa
Pompilius institua la fête des Terminalia, dévouant aux dieux infernaux ceux qui violeraient les limites malgré la majesté des pierres
mal taillées qui les g1rdaient. Ce caractère religieux attaché à la
propriété immobilière, qui n'était, chez un peuple jeune et encore
barbare, que l'exagération d' une idée juste et d'un sentiment naturel ,
porte à penser que tout ce qui peut resserrer les liens du propriétaire
et de son immeuble dut être accueill i avec faveur à Rome, et que
des institutions comm e celle que les commentateurs du Moyen-Age
ont appelée pacturn de retrovendendo (2) y furent connues de bonne
heure.
14. - Avant d 'expliquer ce qu'était ce pacte, qui forme l'objet
de la présente étude, il est bon de rappeler sommairement quelles
étaient les principales règles régissant le contrat de vente, dans
lequel il intervenait.
15. - L a vente se formait constnsu (Gaii Comment. III ,?. 135
et 136. ). Elle était parfaite dès que l'accord s'était établi entre les
(1) a Limitum prima origo, sicut Varro descripsit, a disciplina Etru"a ... •
Jul. Frontin., de limitibus; nov. enchirid., C. Giraud, p. 679.
(i) Cc nom ne se trouve pas dan• les textes.
�-
-
14 -
parcies sur la chose et le prix. Mais cel~ ne signifie pas que, c~mmc
dans le droit civil moderne, la propriété fût dès lors transferée à
l'emptor. Une p:ireille règle n'a jamais été re~ ue chez l:s Rom:i.ins.
Le contrat de vente n'a pour effet chez eux que de lier les deux
.
. ,
parties, de créer des obligations réciproques.
L'acheteur doit transférer au vendeur la propnéte du pnx convenu.
C'est là sa principale obligation. - Le vendeur doit livrer la possession de la chose vendue, - garantir de toute éviction, - indemniser
du préjudice occasionné par les vices cachés, - et pra:staref!dem (1 )·
Quant à la propriété de la chose vendue, il fallait pour la
i 6. transférer qu'au double consentement des parties se joignit o~e
formalité manitestant extérieurement le changement dans le dominiu111. Il fallait, selon que fobjet était mancipi ou nec mancipi, la
mancipation ou la tradition. Que dis-je? il ne suffisait pas que la
chose eût t!té livrée; la propriété ne quittait le vendeur que lorsque
le prix avait été intégralement acquitté. l nstit. Justin ._ lib. II, d~
rerum divisione, ~ +1 : «... Venditœ et traditœ non aliter empton
adquiruntur, quam si is venditori pretium solverit, vel alio modo ei
satisfecerit, vel uti expromissore au t pignore dato .... » Le vendeur
impayé qui n'avait pas usé de son droit de rétention ( L. 13 n°8,
Dig., de actionibus empti et venditi.) conserva it le droit de revendiquer sa chose même si elle n 'était plus aux mains de l'acheteur.
.
'
Mais le contrat de vente subsistait, et l'acheteur n'avait, plus tard ,
qu'à effectuer le paiement pour que la propriété lui fat acquise
ipso facto.
De cette législation résultait un très curieux état de choses :
même après la tradition faite, le vendeur, et non l'acheteur, pou-
(1) Mais. si l'obligation de transférer la proprit:té n'est p_as imposée au vendeur
comme obligation principale et distincte, on peut la considérer comme contenue
• dans l'obligation de livrer toutes les fois qu'il est propriétaire et que la chose
est res nec mancipi, el elle résulte de l'obligation de ne_p~s commet!~~ d~ dol t~n t
lorsqu'il est propriétaire et que la chose est res ma11c1p1 q~e. lorsqu 11 n est point
propriétaire et qu'il le sait. 1 Accarias, t II, p. 458, n• 1. « S1 1d quod cmpt~m est
nequc tradatur neque mancipetur, venditor cogi pot~st, ut tradat aut ':1anc1pc:t. 5
Jul. Paul. Sentent., Jib. 1. tit. XIII A,§ 4. Adde Ga11 comment. lV, n 131 A. La
règle n'avait donc d'importance pratique qu_e lorsque le vendeur se croyait ~1
n'était pas propriétaire. L'acheteur ne pouvair alors exercer de: recours tant qu 11
n'était pas inquiéte.
rS, -
vait valablement consentir des droits sur la chose jusqu'au jour
du paiement, qui, d'ailleurs, ne pouvait les anéantir.
Mais, comme l'indique la fin du paragraphe des Institutes précité, la propri été passait à l'emptor avant qu'il eût payé le prix
lorsque Je venditor ava it sui vi sa fo i, si fidem emptoris secutus
fiterit, et, par exemple, s' il lui ava it accordé un terme pour sa
libération. Seulement, dans ce cas, le vendeur était exposé aux
risques de l'insolvabilité de l'acheteu r. Car c'est à tort qu'on a
prétendu que le vendeur romain avait un privilège inter chirograplzarios. -- On s'est appu yé principalement en ce sens sur la
loi 34, Di{(., de rebus auctoritate judicis possidendis seu vendendis :
« Quod quis navis fab ricandœ, vel emendœ, vel arrnandœ, vel instruendœ causa, vel quoquo modo crediderit, vel ob navem venditam
petat, habet privilegium post fiscurn . » Mais a-t-on le droit de généraliser une pareille décision ? Ne peut-on dire qu'il y avait peut-être
ici un motif spécial de déroger au droit commun, et que l'auteur de
la loi, Marcien, s'est inspiré sans doute de la faveur due à la navigation , qu'il importait d'encourager, puisqu'on devait aller chercher au
loin les blés nécessaires au peuple ? On t rouve en plusieurs endroits
des traces de cet esprit du légistateur romain, notamment dans cet
édit de Claude qui accorJe le droitdecité au Latin qui, aya nt construit un navire d' une grandeur déterminée, aura pendant six ans
transporté du fromentàRome(Excorpore Domit . U lp.,t. III , de
latinis, ~ 6).
17. - Ce défaut de privilège étai t d'autant plus regrettable pour
le vendeur que la loi ne lui offrait pas la ressource de l'action résolutoire pour non paiement du prix. (1) Il était tenu par l'action ex
empto comme l'acheteur par l'action ex vendito. Chacun d'eux était
obligé de respecter ses engagements alors même que l'autre ne remplissait pas les siens. On reconnaissait qu'au moment du contrat
chacun des contractants avait bien eu en vue, en s'obligeant, l'obligation de l'autre, mais on considérait qu' une foi s le contrat formé
les obligations qui en étaient nées devenaient indépen.~ a nte~ l 'une ~e
l'autre·' et ' dès lors , Je but de celui qui exécutait ce qu il avait. promis
.
n'était plus d'obtenir le bénéfice des promesses de l'autre part!e, mais
simplement de se libérer lui-même. - Ce n'est qu'en la matJère des
(1) V. art. 118~, 1654 C. c1v ..
�-
-
16 -
·nnommés que l'auteur d'une datio ob rem était re~u à
contra t s 1
d · fi , 1
·
répéter sa chose s'il ne recevait pas dans le éla1 . x_e a prestat10~
,
e en retour · il avait pour cela une condtclzo ob rem dat1,
con,enu
'
l" XII . l
aussi nommée causa data causa nonscc11ta. ( Dig. , 1b.
, tit. V,
l. 1 6, Celsus; Cpr. l ib. X.IX, tit, V, l.
P~ulus).
.
1 g __ Les intérêts des contractants eta1 en t donc in suffisa mment
garantis. Qu'un acheteur pay~t le prix d 'ach~t a:·ant ~a tradit ion, il
n ·avait pas d'autre ressource, s1 Je Yendeur .refusait de li vrer ~a c~~se,
e de lui demand er par l'action ex vend1to des dommages-10terets,
qu
·
ressource que l'état de fortune du ''endeur pouvait re~ d re 1·11 uso1re.
Et dans le cas cité plus haut , où le vendeur a accorde un ter me à
l'a~heteur, il est exposé sans défense aux risques de l'insolvabilité de
ce dernier.
Tels étaient les principes de droit com~un. On en voit les
1 9. inconvénients, et l'on comprend que les parties cherchassent les
moyens d'éviter ceu x qui leur paraissaient les plus graves. De là la
fréquence des pactes adjoints.
S.,
II. -
Des Pactes adjoints à la vente.
20. - Ex pacto actio t1eq11e 11ascitur neque tollitur, dit un vie u x
brocard; mais cela n'est vrai que des pactes nus, et sous des distinctions
à faire d'après les diverses époq ues de la législation romaine. Quant
aux pactes ajou tés in continenti à un contrat de bon ne foi, ils participèrent de bonne heu1e à la force de ce contrat lui-même et à sa
sanction ·, ils furent reaardés
comme en fa isant partie intégrante .
0
Papinien, Marcell lis, ülpien se sen·ent de ce~ expressions: « Solemus
dicere pacta con,·enta inesse bonœ fidei judiciis ... Ea pacta insu nt qure
legem contractui Jant, id est qure in ingress u con tractus facta su nt. »
( Dig., lib. II, tit . XI\', l. 7, ~ 5.) Et cette difference n'est pas sans
fondement rationnel: Dans l'esprit des parties, le pacte adjoint est
souvent une clause essentielle, c'est lui qui détermine un consentement
qu 'en son absence elles n'eusse nt donn~ qu 'ù de tout autres conditions.
IL est bien évident, au contrai re, que le pacte fa it après cou p, ex
intervallo, n'a pas exercé d 'i nfluence sur la volonté des parties a:.i
moment du contrat ; une législation fo r maliste comme celle de
Rome ne devait donc pas lui donner la méme puissa nce. - S' il
avait trait aux adminicula, c'est-à-d ire à quelque point accidentel
17 -
et accessoire ( veluti: ne cautio du pla: prœstetur, aut : ut euro
fidej ussore ca utio duplre prœstetur ; - de contrahendâ emptione,
Ditr. , 1. 72.), il ne fourn issait que la ressource d'oppo~er une
exception, et seu leme nt q ua nd il n 'avait pas eu pou r but d 'aggraver
les o bliga tions. S'il avait · rait aux éléments essentiels du cont rat
)
substantialia, il était pleinement efficace quand il in tervenait re adhùc
inteJTrà,
car , par un dou ble accord d e volontés , dont l'un , tacite , n e
0
se révèle qu 'à l'a nalyse ph ilosophiq ue, il éta it consid éré comme ayant
renou velé le contrat. (V. Demangeat, t. II , p. 353.) Ce sont les
propres expressions d 'U lpien et de Pompon ius : cc Quod ammodo
quasi renovatus con tractus videtur. i> (Loi 7 précitée, § 6.) - Cette
doctrine était encore co ntroversée à l'époque de P apinien ; ce jurisconsulte paraît h ésiter ; il rapporte l'opinion de Pau l, q ui est conforme:
« Paulus notat, si, omnibus in tegris manentibus, d e augendo vel
diminuendo pretio rursum conven ir, recessum a priore contractu, et
nova emptio intercessisse videtu r . » ( Dig-., li b. XV III, rit. 1, l. 72.)
2 r. Les pactes qu 'on trouvait le plus souvent ajoutés au contrat
de vente avaient pour but soit de modifier seseffets nalurels quant à la
li vra ison, q uant au paiement, quant aux produits, au x intérêts, à la
r espo nsabilité de la fau te, ou quant aux risques et périls, soit de
restreindre ou d 'étendre l'obli gation de garanti r de l'éviction
et des vices cachés, et d 'établi r des s ûretés spéciales au profit
de l'une d es parties; d 'a utres, sti pu lés lo rsq ue le vendeur acceptait
la foi de l'acheteur, tendaient à assu rer le paiement du prix. Parmi
ces derni ers, il convien t de citer: - le pactum hypothecœ, par lequel
le venrleur se réserve un droit d 'h ypothèque sur la chose vendue à
crédit, - le pacte portant que jusqu'au paiement l'acheteur ne
détiendra la chose qu'à titre de bail 011 de précaire, - la clause de
constitut p ossessoire, par laquelle le vendeur, perdant la propriété de
l'objet vendu, en conserve la possession, - le pactum reservati dominii, par leq uel la propriété de la chose est exp ressément réservée au
vendeur, - enfi n la /ex commissoria, dont les jurisconsultes romains
se sont beaucoup plus occ u pés ( V. notamment Dig. lib. XV III ,
tir. III.), et qui devait être très-usitée . On appelle ainsi la clause par
laquelle il est déclaré que, s i l'acheteur ne paie pas le prix, la ve nte
sera considérée comme n0n avenue ( 1) . Le vend eur avait droit de
(1) On comprendrait que ce pacte intuvint aussi bien pour le cas où ce serait
non l'acheteur, mais le vendeur qui manquerait à ses engagements. V. J. P. Molitor, t. 1, n · 509.
2
�-
[~
-
.::hoisir entre l'exécution et la résolution du contrat, mais, une fois
son choix fait, il ne pouvait pas revenir à l'autre parti ( L. 4, § 2 1 tit.
cil.) . Sïl optait pour la rcsolution, il recouvrait non-seulement la
chose vendue, mais aussi tous les fruits, et l'acheteur perdait ce qu'il
avait donné à titre d'arrhes vel alio nomine ( L. 5 et 6, eod. tit.).
D'autres pactes encore étaient apposés, dans des buts différents.
- Dans le pactum displice11tiœ, l·un des contracta nts (c'est presque
toujours l'acheteur ) se réserve la faculté de se départir du contrat.
C'est ce que nous nommons en droit frança is vente à l'essai (art. 1 587
C. civ.); seulement , elle avai t généralement chez les Romains le
caractère d'une condition résolutoire ( L. 3, D., contralzendâ emptione.
Cpr. art. 1588 C. civ.)
Quelquefois le vendeur, craignant d'avoir été obligé de vendre à
trop bas prix, tâche d'y remédier en insérant dans le contrat la clause
d'i11 diem addictio ( Dig., lib. XV III , tit. II ), par laquelle il se
résen·e le droit d'accepter ultérieurement une offre d'achat plus
avantageuse. Après quelques hésitations, on considéra cette clause
comme une condition résolutoire et non pas suspensive ( L. 2, pr.,
tit. cit.. Cpr. eamd. leg., ~ 4.).
Il pouvait arriver aussi que le vende ur vo ul ût se réserver un moyen
de ravoir sa chose. Il imposait alors un pactum protimeseos(~po'ttfJ."lO'tç,
! c.iç, préférence, de ftpo'ttµ.àw ) dans lequel l'acheteu r s'engageait, s'il
revendait la chose, à lui donner la préférence. L 'acheteur se trouve
ainsi tenu de porter les offres d'achat qui lui seraient faites à la
connaissance de son vendeur, auquel un délai moral est accordé pour
se décider ( J. P. Molitor, n• 518. ).
Le même résultat pouvait être obtenu , et d' une m anière plus
sure, par la clause que les vieux romanistesJ sinon les Romains , ont
baptisée pactum de retrovendendo (1). C'est ce dernier qui fait plus
spécialement l'objet de cette étude.
, (1) En sens inv~rse, o~ concevrait un pact111n de retroemendo, par lequel
1acheteur acquerrait le droit de force r par l'acti on empti le vendeur à reprendre sa
cb?se, en remboursant le prix d'achat. ( t.lolitor, n• 5.rn.) Cette conven tion est
usitée de nos jours en Hollande. ( Cour prov. Holl. mérid., 19 déc. 1849. - V.
Dalloz, V• Vente, n• , 4 4 o.)
-
t9 -
III. - Nature du pactum de retrovendendo
Ce pacte, sur lequel nous ne possédons que quelques docu22 . ments épars, est celu i par lequel le vendeur se rf.serve le droit de
résoudre le contrat et par lequel il tend à se faire rendre sa chose,
moyennant la rest itut ion des sommes que l'acheteur lui a payées. Il
présente beaucoup d'analogie avec la /ex commi.çsoria, mais, nonseulement le but poursuivi dans les deux clauses est bien différent ,
mais encore il faut remarquer : d'abord, que l'acheteur a un moyen
d'éviter la résolution provena nt du pacte commissoire,c'est de payer
le pri x ; si elle a lieu, c'est toujou rs par sa faute . Au contraire, en
cas de clause de réméré, le \'Codeur est parfaitement libre de résoudre
le contrat, sans que l'ach eteur ait aucune faute à se reprocher et sans
qu'il ait aucun moyen de l'empêcher. En cas de pacte commissoire,
un élément du contrat fait défaut a u moment de la résolution : le
prix n 'est pas payé, l'acheteur n'a pas rempli ses engagements. Au
contraire,quand sur vient la résolution basée sur le pactum de! retrovendendo, toutes les obligations ont été exécutées (au moins le plus
souve nt: le prix aura été payé, puisqu'il est reconnu que la personne
qui vend à réméré obéit à u n besoin d'argent immédiat) ; les choses
sont en l'état normal: pour y porter atteinte, il faut un fait postérieur dépendant u niquement de la volonté du vende ur. - C'est bien
à tort au ssi qu'on a semblé parfois vouloir confondre notre pacte,
soit avec l' in diem addictio, soit avec lepactwn protimeseos; le réméré
a sa physionomie particulière qui n'est celle d'aucun autre pacte. Je
n 'insiste pas sur ces différences. Voi r le président Favre, passim.
Les obligations qui naissent du pacte de rachat se trans23. mettaient aux h éritiers des contractants. - Quant aux héritiers de
l'acheteur.il devait nécessairemenl en être ainsi pour que le but visé
par le vendeur pût être atteint. Ce dern.ier n'aurait pas consenti,
sans doute , à subordonner sa rentrée en possession d'un immeuble
.
auquel il attache un grand prix d'affection à la durée plus ~u moins
mê me de• faire , dans
de la vie de son acheteur. L'usage était
lonoue
• .
t>
les conve ntions, mention expresse des héritiers, ce qui ne veut pas
dire que cette mention fùt indispensable pour les lier (L. 9, D. , de
probat.; 1. 57, de verb. oblig.). - Quant aux héritie:s ~u vendeur,
on a voulu tirer une objection de la loi l, C., de pact1s intèr empt.
�-
-
20 -
et 1•tnd., qui prévoit le cas de l'exercice de la clause tan t par le vendeu r
lui-même que par ses héritiers. Ici encore, il faut dire que, de ce que
dans !"espèce du rescrit on aYait énoncé formellement les héritiers du
'endeur, il ne ~uit pas que, à défa u t de cette mention, ils n 'eussent
pu user du droit acquis par leur auteur, - la règle étan t que tous
les droits pécuniaires resulra nt des contrats passent aux héritiers,
à moins d"obstade proYena nt de b nature même de la convention ou
des termes dans lesq uels elle est conçue.
Aucun texte ne s'explique sur la cessibilité du droit de
2-}. r~méré. Mais elle ne peut être mise en doute. Vainem ent,abuscraiton de cette idée que, l'atfec1ion que le vendeur peut avoir pour sa
chose, des ét rangers ne !"auront pas, et que, d ès lors, la raison d 'être
du pacte fait d.:faut. Il n'y a pis là motif s uffisa nt pour q ue ce dro it
appreciable, qui fai t partie du p1trimoine et n'est pas exclusivemen;
attaché à la personne du vendeur, puisquïl est transmissible soit
'
. dans la situation exceptionnelle d'i ncess ibilité.
mis
25. - <.2u'arriYerait-il si le co ntrat portait que la faculté de rachat
ne serait exercée q ue par le Yende ur ? P armi les vieux commentateurs qui agitèrent la question, les uns pensaient q ue cette formu le
a vai r pour effet d 'empêcher aussi bien la transmiss ion du droit aux
béri_tiers que sa cession ; d 'autres, plus nombreux , décidaient que la
cesston seule était impossible: « llla dictio taxativa exdudi r tantum
persona~ prorsus ex:raneas, non au tem successores. » Il y a là, à
mon. avis, une question à rrsoudre en fait, d 'après l'intemion des
parties.
26. - Il pouvait arri ver que la vente eùt été faite par plusieu rs
':endeurs ou que le vendeu r unique mour ût laissa nt p lusieurs héritiers. Sans d~ute, chacun d'e~x n·a,·ait droit au ret ra it que pour une
pa rt proportionnelle au drott de propriété q u'i l avait sur la chose
v~_ndue ( r) . Mais il eût été inique qu'i ls pussent s'armer du défau t
d e~endue de leur dr~ir ~our_ nuire à l'acheteu r et tronquer ent re ses
mains un~ chose qu 11 n ava it ac hetée qu 'avec l'intentio n de la conser.ver entière (V. 1. 4, ~ 2, de verbor. obligat.). D'où des difficultés
qui ont for t t_ou:menté lc5 anciens commentateurs. P our que l'acheteur demeurat indemne, Fulgosi us voulait que celui de plusieurs
·
· sol1dum
· 111
· une action
de l'acheteur on d onnait
( 1), Contre. les héritiers
parce
.
que 1 obhgauon de livrer, consistant en un fait,é tait considérée comme indivisible.
21-
vendeurs qui serait seul d isposé à rémérer payât le prix total, pour
avoi r sa part seule. P au l de Castro considérait le retrait comme
impossible, s' il n'était exercé par tous les covenùeurs: u Emptor
poterit dicere quod non est obl igatus, nisi utriq ue; ideo, si vclit rem
habere, ambovenia nt. » D'autres opinions se prod uisirent encore,
jusqu'au jo ur où Dumo uli n vint, en l'absence de tout texte, créer de
to utes pi èces une théorie ( 1) pa rfaitement co n fo rme aux inspirations
de l'équi té; et , comme celle- ci est la même partout et dans tous les
temps, o n peut supposer sa ns témérité que les règles, suivies par les
Rom ains sur cc poi n t, présen taient avec la doct rine moderne la plus
g rande an alogie.
27. - Si l'acheteur mourait la issant pour héritier un fUpille,
fallait-il u!! déc ret du magistrat, pou r que le vendeur pùt exercer le
retrait? Je ne le pense pas, - m algré J'oratio Sei,eri (L. 1, ~ 2 , de
r ebus eorum qui sllb tuteiâ). L orsque, en effet, le pacte est invoqué,
ce n 'est pas une vente qui a li eu, c'est la résolution d 'une vente antérieu re; le vendeu r fait valoir l'événement d'une condition qui grevait
ab initio le droit de p ropriété de l'a uteu r d u pupille ; ce n 'est qu'avec
ce caractère résolu ble que la prop riétéapassé sur la tête de ce dernier.
Nous ne som mes do nc pl us dans les termes du sénatus consulte. D"ailleurs, fùt-i l vrai qu 'il s'agît d' u ne revente, l'auctoritas prœsidis
n'aurai t enco re pas été nécessaire au t u teur, puis.:i_u'on pouvait consi dérer le père comme ayant permis l'aliénat ion ( L. t et 3, C. ,Quando
decreto opus non est).
28. -
Mais que fa udrait-il d écider si la clause de réméré était
insé rée d an s u ne vente consentie à u n acheteur mineur ? Sera it-elle
vala ble ? Quelques a nciens docteurs pensaient que non. Elle est con trai re, disaien t-i ls, aux lois qui défenden t l'aliénatio n des biens des
mineurs . Mais no us savons déjà qu 'il ne faut pas voir une revente
dans le pactum de retr ovendendo. Ils ajout!tient quelques arguments
d'analogie, tirés de textes du Di geste et ~u Code. L a loi 7, ~.,de
prœd. minor., déclare nulle u ne conven tion par la:iuelle un mrne~r
consentait à la résoluti on d'u ne donat ion qui l ui avait été faite. Ma is
les termes m êmes d e cette loi la issent voir qu'il s'y agit d'une con vention faite après coup, et non d'u ne clause portée par l'acte même de
donation , qui eût été pa rfaitement valable: " Unicuique licet quem
( 1) Elle est développée plus loin, n•• 135 et suiv.
�-
22 -
'oluen.t liberalitati sure rood~m apponere. n La 1. 1, ~4,D., de rtbus
cor., dedare nulle l:i con,·enuon par laquelle un mineur acheta nt
·
bl~· con~enta1.t
· à ce qu ··1
d.emcuràt hypothéqué 'au profit du
un
1mmeu
1
Yendeur,
1usqu
au
paiement du pnx,
11 nam ubi dominium qures't
•
.
.
•
.
•
1 um
est m10on, crep1t non posse obltgan. »Mais en doit obse rver
...
1· .. é
que
cette d.e~1s'.on e~t.~la JUS~1ti e, car la constitution d'hypoth èque n'a
pas SUl\l l acqu1srnon de tonds, elle l'a accompaanée au contra·
c.: d
·
.
o
'
ire, et
1e .1on s n a eré acquis que grevé. C'est ce que remarq ue Paul dans la
101
· 10
·
. smvante .(1. 2) : u Sed hie. videtur illud movere quod cum do m10
p1gnus qu::es1tum e:.t, et ab tnitio obligatio inhresit .. . »Aussi le ju risconsulte
recommande-t-il
.
.
. dans ce cas • comme remède à un e r è g1eau
mo10s subtile {V. Poth1er, Traité de la V ente. t. 1 n• 37 6 · fi )
d
· l'
.
.
'
, in ne. ,
e re~ounr à empereur qui, par rescrit, devra donner vigueu r à l'h _
potbeque.
y
~.9· ~ Lor:que le. c.réancier hypothécaire o~ gagiste n 'était p~s payé
à 1echeance,11
vendre
enaagee
et stipule r q ue 1e pro.. .
•poU\a1t
.
. la chose
.
o
pnetaire,son deb1teur, aurait le dro it de la retirer des mains de l'acheteur, moy:nnant le remboursement du prix que celui-ci aurait p , ·
Poure·xp 11quer cette d ec1s1on
' · · de Julien on peut dire que le · a)e.
·
d ·
. .
'
creanc1er
est man ataire du debiteur ; si, en effet lors de la vente d'u b'
h , th • . 1
. d.
,
n ien
) po .eque, e pnx epasse le montant des sommes dues il est te 11
d: restituer _l'excédant au débiteur. Or, le mandataire
tenu
ceder ses act10ns au mandant, et Ulpien tenait même cette cession
pour ~ous~entendue (Accarias, n• 637). Voi là comment le débiteur
pouv~1.t ag~r co.ntre l'acheteur, soit par une action personnelle, l'actio
v~nd1tz, soit mei:1e, dans le dernier état du droit, par la revendication.
· 13 ' D ., d~ P_~g_nerat. act.; 1 7, ~ I, de distract. pignor.)
3o. -: Mais l a~,.dès ma définition, affirmé que nous étions en prés.~~ce dune con~1t1on résolutoire de la vente. Cela a pourtant été
'n.ementconteste. Zoannetus, Voët, \Van Vetter n'y ont voulu voir
qu u~e promesse de revente qui sort à effet, une seconde vente en
sens m
· verse de
. la prem1·è re. E t, pen d ant quelque temps il fut recu
parmi nos
anciens
docteurs q ue 1e D roit
· C outum1er
. qui avait
' imprimé
,
.
1e caractere
d'une
co
d
·
·
·
·
'
.
n it1onreso1utoireauRetraitconventionnel était
:~~ce
en ?pposition a:•ec le droit romain (1
Je n'en 'crois
. Sz t res tnempta, » disent les textes (L. 7' C., de pactis inter
é~ait
(
;01?t
l.
d~
tmpt. et vend. ); 41 emptio ,·escindatur, » L. 7, ~ i, D., de distract .
pignor .); etc. Ces expressions indiquent bien la résolution du contrat
primitif. - T outefois, on ne peut nier que des innovations aient eu
lieu, et, parce que d.ans la l !gislatio n romaine et dans la nôtre la
clause a u ra le caractère résolutoire, cc n'est pas à dire que les effets
seront les mêmes.
lV. - Effets de la Condition Résolutoire.
3 J. - Comment fonctionne donc à Rome la condition résolutoire ?
Quels en sont les effets ?
Remarquons d'abord , en passant, que cette expression n'était pas
employée par les jurisconsultes r omains, et qu'en effet elle appartient
à une terminologie peu e:>.acte. Supposons une vente avec pactum
displicentiœ, in diem addictionis, de retrnvendendo. lls disaient dans
ce cas q ue la vente était pure et simple ; et ils avaient raison en ce
sens que les effets se produisaient immédiatement. 11 est vrai que la
condition prévue s'accom plira peut- être, et résolution s'ensuivra.
Mais qu'es t-ce qu i est incertain, gu'cst-cequi est conditionnel? C'est
la résolu tion d. u contra t. <1 Pura emptio quœ sub conditione resolvitur, » dit Ulpien ( L. 2, Dig., lib. XV III , tit. II. Adde Paul., 1. 2,
~ 5, D ig., lib. XLI, t it. I V.). Cette résolution est suspendue jusqu'à
l'évènement de la condi tion. On comprend toutefois que, pour plus
de commodité et de brièveté de langage, un nom spécial ai t été donné
à cette sorte de condition su spensive qui ne s'applique qu'à l'extinction des droits.
32. - Le vieux droit civil des Romains posait en principe la perpétuité des obliga tions, qtt'il entendait ainsi: une fois un rapport de
droit établi entre deux personnes, nul laps de temps ne peut suffire à
l'effacer. Ad tempus deberi non potest ( ï 3, Instit. Justin., lib. III ,
tit. XV.). ( 1) Or, qu'est-ce que la condition résolutoire apposée à
une obligation ? C'est , dans l'intention des parties, la possibilité d'arrêter et d'éteindre l'effet de cette obligation . Le pur droit civil devait
donc tenir pour n on avenue l'apposition d'une semblable clause aussi
(1) Ce principe s'applique même aux obligations nées d'un contrat de bonne foi.
( li, V . dans 1e
'
!lierne
sens Duran ton , t · XVI , n• 38 g.
Accarias,t. IL p. 18), n•
1,
�bien que celle d 'un terme e.x tinctif. De l'une à l'autre il n'y a que la
différence du certain à l'incertain; les parties conviennent d'un certain
jour ou d'une certaine hypothèse. mais l'etfet à produire est le même:
la disparition de l'obligation.
Ici comme ailleurs, ce sont les préteurs qui vin rent au secours des
p:irties et leur fournire nt d es moye ns de faire prévaloir leur volonté.
Ils supposèrent une remi se faite par le créancier pour telle époque ou
pour tel cas; les mots é tablissant le terme extinctif ou la condition
résol utoire continuère nt à être re t ranchés de la stipulation, mais on
les traduisit en un pacte d on t l'exécution fut assurée a u moyen des
exceptions pacti conventi ou doli mali. Quand le paiement avait déjà
eu heu , c'est d'une action q u ·a\'ait besoin le débiteur, et l'on peut induire d'un texte d 'Ulpien qu'elle ne lui faisait pas d éfaut: « Sive ab
initio sine causa promissum est, si ve fuit causa promittendi, qure fini ta
est, vel secuta non est, dicendum est condictioni l ocum fore. 11 L. 1 ,
~ 2,
D., de condict. sine causa.
33. - Les contrats innommés admettent, cela va sans dire, la
condition résolutoi re. Cette matière est tout entière régie par l'équité,
et l'on y obéit le plus possible à la volonté des parties.
3+. - O_uant aux contrats nommés, une seule exception est à signaler à la règle générale qui proscrit la condition résolutoire. D 'après
led roit civil lui-même les contrats consensu en sont valablement affectés. Seulement, la condition devra porter sur le contrat lui-même, et
non pas sur quelqu'une des obligations qu'il produit ( Accarias,
n• 542.). -Si les parties convenaient d ' une co ndition résolutoire dans
un a utre contrat nommé, ce contrat se fo rmerait bien mais la clause
ré~olutoi re s~rai t regardée com me nulle et non aven~e. On pourrait
obiecter la 101 -J.O, Dig., li b. XII, ti t. I : " Pacta in continenti facta stip11lationi ioesse creduntur ... » i\l ais M. Bufnoir ( Traité de la Condition, p. 128) fait tres-justement remarquer que, dans l'espèce dont
e.lle ~·occ.upe, il s'agit de restreindre et n on pas d'éteindre les effets de
l obl1gat1on. P.our le.s condition~ de cette dernière espèce, jamais, pas
plus dans la st1pulat10n que dans les autres contrats nommés elles ne
''audron~ de_rlei ~ droit; elle_s ne sauraient sortir à effet que ~ar le secours pre:onen d un.e exception de dol, lorsque du moins il n'y a pas
eu exécut10n ava nt 1 eventus conditionis.
3 5. - Quel pouvait être le motif de cette différence entre les divers
contrats? - On a pu être tenté de le voir <lans le caractère bonœ fiàei
des contrats de vente, de louage, de société et de mandat. Mais ce ne
sont pas là les seuls contrats de bonne foi ( Ciccro, de Officiis, Ill,
1 5 1 t 7 ; Gaju s, comment. IV ,~ 62; Justi n ., ln.~ tit~t., lib. IV , tit. VI,
n• 2 8 .); il faudrait donc, pour que cette explication fût acce ptable,
que la cond'.tion ré sol utoire va lût ipso jure dan s les autres contrats
présentant ce caractère ; ce qui n 'est ~as.. .
.
.
.
J'ai déjà signalé à quel point le droit civil romain_ était formali~te.
Cela est vrai non seule ment en ce qui concerne la naissance des droits,
mais aussi pour le ur extinction. Par une application des règles de.la
méthode inductive qui, je crois , n ·a ici rien de téméraire, les roman istes modernes sont arrivés à pen c;er que, dans les premiers temps de la
législation romaine, toutes les foi s qu'un acte sol~nnel était requ is
pour consacrer la volonté de l'homme, la révocation ~e cet acte. ne
pouvait avoir lieu qu'au moyen de l'emploi de pareille sole nnité.
«Etant donné une obligation engendrée par un de ces contrats où les
effets du consentement sont déterminés et limités par un élé ment formel, les parties ne pouvaient l'_éte~ndr~ d'un co~m~n accord qu'en
recourant aux formes mêmesq u1 lut avaient donne naissance. » (Accarias, t. II, p . 706.) Cette généralisa tion ~ro~veson poi_nt d'appui dans
quelques textes précieux, dont la transcn pt~oo va i_ne ? 1spenser de plu~
amples développements. C'est d 'abord Gaius qui, 11b: I Regularum,
par<'lît énoncer un principe communément reçu à son epoque: « Omnia qure jure contrahuntur contrario jure. pereunt. ii ( L. 100'. D., de
regulisjuris.) Puis, Ulpien, dans un e 101 célèbre ( 35, eod. fit. ), ~é
veloppe la même idée: « Nihil tam n a~urale est quam eo .gen~re qu1~
quid dissolverr, quo colligatum est: 1deo verborum oblt~at10 ~erb1s
tollitur . nudi consensus obligatio contrario consensu d1 ssolv1tur. »
Enfin, Pomponius se fai t l 'écho de cette règle tra~itio~nelle ( 1. 80,
D., de solutionibus et liberationibus ) : << Pr~ut q u1dqu1d_contra~tum
est, ità et solvi Jebet: ut, cum re contraxenmus, re solv1 de~et · velu li cum mutuum dedimus, ut retro pecuni re tantundem s_ol v1_debeat:
Et cum verbis aliquid contraximus, vel re ~el v~r?is obligatio_ sol\'t
debeat: verbis, veluti cu m acceptum prom1 sson.s~t: re, velu~i cum
sol vit quod promisit. JEquè cum emptio vel vend1t10, ve.l locat.10 contracta est : quoniam conse nsu nudo contrahi potest, et1am disse_nsu
contrario dissolvi potest. i> ( Adde 1. 1 ~" q~ando. liceat ab em~tzone
discedere. Cpr. Inst., quidus modis obltgatio tollitur, et 1: 8, Pl.., C.,
.. ) . Donc , la volonté des parties, le mutuel d1ssent1ment
d e repu d us.
�Jb
suffit pour rujner ce que le consentement réciproque avai t eu la puissance d'édifier. .Mais il faut pour cela que cette volonté se manifeste
re 11011 secutti ( L . 2 1 C., lib. IV, tit. X LV), quand les choses son t
encore entieres, c'est-à-dire ava nt qu 'il y ai t eu com mencement d'exécution de part ou d'autre. Cela afin que le contrarius consensus éteigne simultanément toutes les obligations nées du contra t ; car, puisque
les contrats consensuels sont synallagmatiques, le mode d'extinction
correspondao t doi.t logiq ue~ent produire libération des deu x côtés ( 1 ).
Or, pour .revenir à un pomt de vue moins général, comment s'analyse uae Yente sous condition résolutoire? On y découvre: 1 • un
contrat c?~erzsu; 2• undistrat ~onsensun <.suspend u, il est vrai, par
une condition); 30 enfin, ce qui est nécessaire pour l'efficacité de cette
seco~de ma~ifesta~ion ~e l~ volonté de parties, ~ne res integra. _ Ne
serait-ce pomt là l explication naturelle de la différence signalée entre
les contrats qui nous occupent et les au tres contrats nommés?
36. - Si donc la condition résolutoire insérée dans un contrat
consensu s'accomplit, et, pour préciser, si le vendeur à réméré résout
la ven~e, qu 'ad\•iendra-t-il ? Quand le contrat n 'a pas encore été mis à
e:xécu,t10~, la répons~ e~t fac ile: les obligations auxq uelles il avait
d?nne n~ssanc~ sont etemtes, et tout finit par là. Mais cela sera rare .
S1 donc l exécution a précédé, quels seront les effets de la résolution ;>
vendeur a-t-.il le dr~it de reprendre sa chose en la revendiquant:
soit entre les mams del acheteur, soit même entre les mains de tiers
ayants c~use de c~~ui-;i? Pour l'époque classique (2), on peut répondre hardiment qu 11 n avait pas ce droit.
37. - C'est un t~ès vieux principe de droit romain que la propriété
ne. peut être transmise ad certam diem vel conditionem. J'ai ~igna lé
déjà une règle. a_nalogue ~uant a ux obligations. Seulement, il faut
remarquer la d1fference capitale qui existe entre les deux cas. Lors-
L:
(i) Cpr. I. 1 et~· D.',de r~scind. ve11dit. - La convention qui tendrait à libérer
ut nie! seule .:1es parties n auraJC que la for ce d'un pacte de non p etendo. - Accarias
'
. 'p. 7'l 6 .
ti~~~io:e~~é~~ens com~entateurs d.u Droit Romain
s'accordaient à dire, sans disP.:rezius (in ~~~fc qu l 1~ t~nn~1t au vendeur que des actions personnelles .
em, 1 · ' tJt. XLI, n• 18) en témoigne: « Hrec senten tia
omniu
t F b m consensu recepta est, sccundum Covarruviam, li b. Ill Var .. cap 8 n• S
'
• a rum , de error. Pragm., dccad. 22, err. io. »
qu'une condition résolutoire affecte des obli gations, ces obligations
prennent bien n aissance, la cond ition seule est tenue pour nulle ( t ).
Si elle s'appliq ue à des tra nslations de propriété, tout est nul: la propriété n'est pas transférée (2) . D'où vient cela? On a donné comme
raison que les modes solennels de tra nsmission de la propriété ne se
prêtaient pas aux modalités qu i pourraient la soumettre à une résolution conditionnelle. li est vrai que, la mancipation étant l'affi rmation
d'un droit de p ropriété basé sur un e ve nte imaginaire, on ne comprendrait pas que le droit ainsi affir mé n'eOt pas d'existence certain1.. : il est
ou il n'est pas ; pas de milieu possible. De même, l' injure cessio, qu i
n'est que la fiction d'u ne vindicatio, ne peut porter sur un droit incertain; « N ulla legis actio prodita est de fu tu ro.» (Fragm. Vatic., n• 49.)
Mai s tout ceci, comme on le voit, n'a trait qu'àu terme a quo ou à la
condition ex quâ. Quant à la condition résolutoire, l'incompatibilité
qu'on allègu e n'est pas aussi complète qu'on le _Prétend. ~e remarq.~e
d'abord qu'il n'y a rien de choq ua nt pour la raison à faire, dans lm
jure cessio ou la mancipatio (3), l'affirmative pure et simple d'un
droit qui, quoique résoluble, existe. E t , en effet, je trouve au n• 48
des Fragmenta Vatica na qu'u n droit d'usufruit peut être constitué ad
tempus par injure cessio ( Adde ~ So. ) . D'ailleurs, ce qui achève de
prouver qll' il ne s'agit pas uniquement d' une impossibilité tenant à la
forme de l'acte t ranslatif, mais d' u ne prohibition absolue tenant au
fond à la nature même du droit tra nsféré, c'est que lt>s jurisconsultes
rom~ins, quand ils énoncent notre règle. ne font au~un~ distinction
entre la transmission par un acte solennel et celle qUL a lieu par une
( 1) li est conforme à l'intért!t de tous que les obligations finissent par ~·~teindre.
Seulement, elles ne s'éteignent que par des modes déte.rminé~, et ln cond1t10~ r ésolutoire ne figure pas parmi eux. - La même r~gle était admise pour les scn•1tudcs
prédi alcs que pour les obligations.
( 2 ) Elle l'était pourtant dans la donation à cause de mort: parce q~e la cond '.ti~n
résolutoi re n'y était que tacite. Sauf la ressource pour le donateur dune co11d1ct10
sine causâ en cas d'événement de la condition, c'est-à-dire de prédécès du dona-
taire ( L . 35 , ê 3, D., de mortis ca11sâ do11at .).
(3) De même, dans l'adj11dicatio, puisqu'elle ne c~nsi~te pas da~s la déclaratlo.n
d'un fai t accompli , mais dans l'attribution d'un droit faJCe par le iuge, on ne voit
pas ce q ui empêcherait ce dern ier de limiter le d roit qu'il confère au moyen d'un
terme o u d'une condi tion. Seulement . la pratique ne devait pas beaucoup user de
cette facu lté.
�-
:r.8 -
simple tradition (pour les choses nec mancipi. ). Elle tenait à la
manière même dont ils envisageaient le droit de propriétt .C'était pour
Je propriétaire un droit absolu, exclusif, qui ne pouvait p.1s être
limité dans le temps. La perpétuité est de son essence. Au moins au
moment de l'acquisition, il est censé q 1'on ne do it pas cesser d'être
propriétaire. Ad tempus proprietas transferri nequir ( ~ 283, Fragm.
Vatic.).Ce qui exclut toutes les clauses convenues ab initio et d'après
lesquelles l'expiration d 'un certain temps ou l'arrivée d'un certain
fait aurait la Yertu de faire re\·enir de plein droit la propriété sur la
tête de l:alié~ateur
Si donc nous supposons qu'en fait une pareille
convenuon ait eu lieu, elle sera nulle comme portant sur un droit
q~i n'es.t ~a~ la pro~~iété ni un autre üroit accepté et classé par la
science iund1que. D ailleurs, la condition résolutoire ne peut looiquement éteindre que les actes juridiques qui sont l'œuvre du s~ul
consentemenr.Or,le transfert de propriété dema ndait pour s'accomplir
plus que.!e c~nsen~ement des parties. Le pacte résolutoire ne pouYait
donc qu etre 1mpu1ssant à Je détruire.
~8'. - Il résuhe de tout ce qui précède que la résolution ne produisait_effet ~ue sur le contrat de vente lui-m ême. Mais quels droits
cette resolution du contrat don nait-elle au vendeur? Ce fut vraisemblabl~ment la condictio sine causâ qui lui fut la première accordée:
•.F~ttcausapromittendi quœfinita est ..... '>( L. 1 ,~2, D .,de condictzone causâ.) Mais cette actio n ne donnait pas au demandeur
pleine
satisfaction:
n'ayant
pas sa source dans la convention t elle
•
•
•
•
n assurait pas 1 exécut10n des Jirestations qui pouvaient être dues de
part et d'~utr.e. Un premier progrès fut réalisé quand le vendeur put
intenter 1 action de dol: du moins peut-on penser qu'i l fut recu à
pr~fiter de l'innoYation d'Aquilius Gallus. La condictio était ' une
actton de droit strict; l'action de dolo était une action arbitraire·
e~~e ~résenrait donc une ~rande supériorité sur la précédente. Mai~
c etait encore un e arme bien impa1 faite: D'abord, l'action ayant un
<.').
. l
~) M. Bufnoir fo rmule ainsi la règle: • On ne peu t, da'ls l'acte d'aliénation,
ins~rer une clause en VC!rtu de laquelle! la propriété se trouverait frappée entre les
mains de l'acquéreur d'une rés:ilution ou d'une extinction cond itionnelle. r. Il faut
se ~arde~ de lui donner plus d'extension , car il peut arri1cr fort bien que (sans
~u il Y ait eu transmission ad tempus ) la propriété se trouve affectée d 'une con:iitJon résolutoire ·1·e 'e
't ·
•
.
,
n n c1 era1 qu un exemple : 1-.:gs pur et simple pe1· 11e11dicationem tant que le légataire ne l'a ni accepté ni répudié,
-
z9 -
caractère infamant n'était pas donnée contre les héritiers de l'auteur du dol(1 ); de plu s, elle n 'était qu'anna!e. Les prudents comprirent qu'il fallait donner au vendeur une action contractuelle. Mais
quelle serait cette action ?
Sur ce point des divergences se produisirent. Un grand nombre de
jurisconsul tes, et c'étaient surtout ceux de l'école Sabinienne, inclinaient à donner l'action même du contrat, l'actiovenditi. Ils s'appuyaient sur le principe qui veut qu :on consid~re les pac~es adjoin~s i~
continenti à un contrat de bonne foi comme faisant partie de celui-ci.
<t Quinimo interdum format ( nuda pactio ) ipsam actionem, ut in
bonre fidei judicii s ... » ( L. 7, ~ 5; dep.1ctis .) Néanmoins, cela n'allait
pas sans difficulté. Nesemble-t-il pas étrange qu'un vendeur puisse
invoquer l'action née de la vente et qu'il ne peut avoir qu'en tant que
vendeur pour souteni r qu'il n'y a plus de ve nte et qu'il n'est pas.vendeur? Ulpien ne peut s'empêcher d'en faire la remarque:« Et qu1~em
finita est emptio ..... ,, ( L. 4, pr., de lege Comm.h et les Procultens
se servent de cet argument, bien puissant, il faut le reconnaître,
pour battre en brêche le premier système . Pompooius essaye
pourtant d'écarter l'objection : Statuant dan~ !:espèce d'une l~x ~om
missoria 1 «ad diem pecunia non soluta, dtt-11, placet vendtton ex
vendiro eo nomine actionem esse : nec conturbari debernus quod
inernpto fundo facto dicatur aclionem ex vendito fi'.turam es~e: in
emptis enim et vcnditis potius id quod ac tum quam 1d quod dtctum
sit sequendum est; et, cum lege id dictu~: sit, afparet hoc du.ntax~t
actzmz esse. ne venditor .:!mptori, Fecttma ad dzem non soluta, oblz,,.atus esset: non ut omnis obligatio empti et venditi utrique solve;etur. » ( L . 6, ~ 1, D., li b. XV 11I , tit. l. ) ~one, toutes les o~ligations
ne seraient pas éteintes, malgré la résolution du .contrat; 1 acheteur
resterait encore tenu lorsque le vendeur ne le serait plus.
Proculusse plaçait à un tout autre point de vue: dans la ~oi 12, au
titre D e prœscriptis verbis, il prévoit le cas d_'~ne vente faite pa_r .un
m ari à sa femme avec clause de reméré cond1ttonnelle. la cond1t1on
con sistant dans Je divorce provoqué par la femme, et il accorde, dans
( i) On n'avait contre eux qu'une action in factum jusqu'à. concurrence de ;e
dont ils s'étaient enrichis q duntaxat de eo quod ad eos pervenit » ( L. 1 7• ~ 1 • ·•
de dola malo. Adde, eod.' tit. , 1. 26 et 29.); il en était de même contre l'auteur du
dol après l'année écoulée ( L. :z8, D., tit. cit. ).
�-
3o -
ce cas une action in factum, qui, certainement, est l' action prœscripti~ verbis (1). « ldque et in aliis perso~nis ob.s ervandum,,
ajoute-t-il. Pour Proculus et ceux de son école, il y avait dans le pacte
résolutoire Je germe d'un contrat in nommé do ut des dont l'existence
érai t subordonnée à l'évènement de la condition résolutoire.
Malgré cela, nous voyons l'actio venditi confirmée par des rescri ts
d'Antonin Caracalla et Septime Sévère, au témoignage d'Ulpien, qui
déclare quœstionemjam décisam (L. 4, pr., D . , lib. XVIII, tit. Ill.).
Mais l'opinion des Proculiens était trop rationnelle pour être rejetée
complètement; et, sous le règne d'Alexandre Sévère (n2-235 ap.
J.-C.), qui eut successivement pour préfets du prétoire ces deux
grands hommes d'Etat doublés de grands jurisconsultes, Ulpien et
Paul , et qui s'aban<lonnait si volontiers à leur bienfaisante influence
(V. Lampride, Alex., passim, notamment 29, 3o), n ous voyons les
deux doctrines mises sur un pied d'égalité. La règle est donnée, à propos justement de notre pacte de rachat: L. 2, C., lib. IV, titre. L.IV:
c1 Si fundum parentes tui eà lege vendiderunt ut, sive ipsi sive heredes
eorum emptori pretium quandocumque vel intra certa tempora obtulissent, restitueretur, teque parato satisfacere conditioni dictre ht res
emptoris non paret, ut contractûs fides servetu r, actio p rœscriptis
verbis vel ex venaito tibi dabitur. »
39. - L'intérêt théorique de la question tranchée par Alexandre
de cette façon conciliante e.st évident. Quant à son intérêt pratique, il
est plus difficile à apercevoir. En effet, l'action prœscriptis verbis était
de bonne foi, comme l'action venditi. Comment une action créée en
vue des contrats innommés, cette matière éminemment de bonne foi,
n'eût-elle pas eu ce caractère? Que, par conséquent, ce soit l'une
ou l'autre des deux actions qui soit exercée, les obligations de l'acheteur et du vendeur seront les mêmes: dans aucun cas elles n e se borneront à la restitution de la chose vendue ou du prix. payé. Il y aura,
(1) Je le crois à raison du nom de l'auteur et de la rubrique du titre où se
trouve la loi. On sait, d'ailleurs, que, appliq uée à l'action prœscriptil verbis, l'expression i11fact11m ne doit pas être prise Jans son sens ordina ire. Elle a une i11tentio ~onçue in jus; la demonstratio seule est conçue en fait, dans le but d'expliquer
au_1u~e les faits particuliers qui on t eu h eu et qui n'ont pas reçu en droit de dé no·
mtn~tlon fropre. « .•. contractus existunt quorum appella tiones nu lla:: jure c ivi li
prodtta> sunt. • L. 3, O., de prœscr. verbis. Adda, eod. tit.,I. 2; 1. 1, ~ 2 ; 1. 15 ; 1. 6.
-
31 -
en outre, à tenir compte << de iis qure sunt maris et consuetudinis, l>
(L. 3 1, ~ 20, D., de ~dilit. edict.), et, d'une manière générale,de tout
ce que pourra dem•rnder l'équité, tant pour l'existence que pour
l'étendue des obligation s.
Ces actions étaient-elles, de plus , arbitraires ? C'est là un point
douteux, que les textes ne tran chent pas. On sait que les actions arbitraires sont celles dans lesquelles un ordre préalable (arbitrium, jussus) était donné par le juge au défendeur, de restituer; faute de quoi,
condamnation s'ensuivait. (Gai. Comm. I V,~ i 63 .) C'était une sorte
de réaction contre le prin ci pe gêna nt. de la procédure form ulaire, de la
condamnation in variable au paiement d'une somme d'argent. Constatons d'abord qu'i l n'y avait pas incompatibilité entre le caractère
d'arbitraire et celui de bonne foi. Gai us nous donne la formule arbitraire, tant in jus qu'in factum, des actions de dépôt et de commodat
(Comment. IV , ~ 47· Adde l. 3;P, D., Commodati velcontra; l. 1,
~ 2 1, depositi ,,e/ contra; l. 22, eod. tit. ). Pourquoi la vente, qui
présente les mêmes caractères et est également un contrat consensu et
de bonne foi, aurait-elle été dans u ne position différente? Il semble
que devaient être arbitraires toutes les actions tendant à une restitu·
tion ou une exhibition. Il est vrai que ceci n 'est qu'une hypothèse, et
nulle part nous ne voyons qu'il soit question du juramentum in !item
à propos de ces deux actions. Mais fa nt-i l que ce silence des textes
nous étonne ? Est-ce que les actions dont s'agit n'ont pas presque toujours pour but tout autre chose que la restitution de la chose vendue?
Dès lors, il est bien naturel q ue, lorsque les prudents en parlent, ils
les envi sagent dans leur fo nction hab ituelle et principale à 'actions
tendant à amener un paiement. Ce n'étaie, d'ailleurs, que dans des cas
exceptionnels, oll il y avait dol du défendeur. que le chiffre de la cond~mnation étai t fixé pa r le serment du demandeur (L. 41, ~ 1, D., de
rejudicata. ). Le plus souvent, c'étai t le juge lui-même qui le déterrninait( L. 2, ~ r, D., de in litemjurando. - Voir aussi l' importante loi
68, de rei vindicatione.). - ki se présenterait une autre question,
dans l'examen de laquelle je n'entrerai pas : quelle était la force obliga toire du Jussus? Je me contenterai de dire que, suivant l'opi nion
qui paraît la plus probable, la réintégration violente du demandeur
n 'est possible que lorsqu'on se heurte à un simple obstacle de fait,
comme le refus d'exhiber ou de restituer, mais elle ne l'est pas quand
il y a un obstacle de droit, quand il fa udrait un acte juridique auquel
�- 33 le détendeur. T el est le cas ici: l'acheteur est devenu proconsen t't
i
r:'
.
priétaire ; on ne peut le contraindre à retra ns1erer 1a propriété, ni se
passer de lui pour cela.
.
.
,
.
_
Donc,
voilà
l'an
~ie?
Droit
Romain.
~e
v~ndeur
na
que des
40
actions personn elles, il n agit que comme creanc1cret non comme
propriétaire. Que l'ache teur ai t constitué s ur la chose des droits réels,
servitudes ou aut res, que même il l'ait vendue, la condition résolutoire survenant ne donnera à son cocontractant aucun droit vis-à-vis
des tiers qui auront acquis ces d roi ts en dépit cependant de l'intention originaire des parties . Le vendeur devra se contenter de dommaaes-intérèts. Mais il y a plus. Supposons qu e l'acheteur ait encore en
~es mains la chose vendue parfaitement libre de toute charge. S'il lui
plaît de refuser la restitution dont sa conscience lui fait un devoir, le
vendeur devra se con tenter, à l'époque classique, sous le système formulaire, d'une satis facti on pécuniaire. Bien maigre r essource, si
l'acheteur est for tement obéré l Le vendeur ne to u chera qu ' un si mple
dividende et aura le chagrin de voir sa chose servir à désintéresser les
autres créanciers; ce qui sera surtout pénible dans le cas de /ex commi.ssoria, où il n'aura peut-être ri en touché sur le prix convenu.
On voit quelle situation intolérable était faite au vendeur, et l'on
comprend immédiatement le remède qu 'il con venait d' y apporter. li
s'agissait de renverser le vieux pri ncipe qui interdisait d'établir la
propriété ad conditionem, de décider que de plein droit elle reviendrait
à l'aliénateur au moment de l'évènement de la condition résolutoire
convenue.
Mais, pour rompre avec une trad ition si ancienne, avec des idées
si profondément enracinées dans les esprits, il falla it un e audace que,
pendant longtemps, les jurisconsultes les plus b ardis n 'osèrent pas
montrer.
41. - Enfin , deux d'entre eux, Marcellus et U lpien, plus entreprenants que les autres, commencèrent à ba ttre en brèche l'ancienne
théorie, qui répondait si peu à l'i ntenti on des contractan ts.
Le premier, Marcellus, dans le cas d' une in diem addictio, fait
tomber les droits consentis medio tempore par l'acheteur: « Scribit ...
rem pignori esse desi nere, si emptor eum fundum pignori dedisset...>
(L. 4, ~ 3, D., lib . XVlll, tit. II. Adde 1. 3, lib . XX , tit. VI.)
Puis, Ulpien , qui a rapporté la décision de son devancier, et qui
s'est appuyé de son autorité, déclare, toujours à propos de la même
clause résolutoire, que l'acheteur ne saurait prétendre, une fois la
condition accomplie, exercer encore la revendication:« ... post allatam
conditioncm, jam non potest in rem actione uti ... >) ( L. 41, D., lib.
VI, tit. l.).
42. - Quelle est la portée de ces textes? Ulpien remarque que
l'acheteur est propriétaire. Si, dans la première esp~ce, le gage fin it, ce
doit être parce que le droi t de propriété fi nit lui-même. Favre soutient
que la raison en est que la causa pignoris est ab initio suspendue,
u a causa dominii consti tuendi. >1 Or, la résolution de la vente utollit
intellectum translationis dorninii prrecedentis ; » il en est donc comme
si le constituant n'avait jamais été propriétaire, et le gage ne peut
valoir. Disons plus simplement qu' il dut paraître juste à Marcellus
et Ulpien que l'ach eteur, qui n'avait qu' un droit frappé d'u n caractère
r ésoluble, ne pût conférer des droits plus stables quele sien.-Quant
à la loi 41, s'il y est dit que l'acheteu r n'a pas la re,·end ication , c'est
qu'on l'y considère comme aya nt perdu la propriété. Favre admet bien
cela, m ais il ne veu t pas convenir que cette propriété que perd l'acheteur retourne directement et de plein droit a u vendeur. Il faudrait,
d 'après lui, une rétrotradit ion, et il obtiendrait celle-ci en fa isant
condamner l'acheteur, su r l'action ex vendito, à lui retransférer la
p ropriété . Ce système paraît bizarre. Une objectio n bien simple suffit
à le renverser : l'acheteur n 'a plus la propriété, o n l'avoue, et cette
propriété qu 'il n'a plus on veu t qu'il la transfère l N'est-il pas plus
naturel de penser que, pour les au teurs de nos lois, le vendeur sous
pacte d'in diem addictio recouvrait la .propr!été au. m~ment ~ê~e
où l'acheteur en était dépoui llé, à la suite de la melzori.s condztzonzs
allatio?
Mais étendaient-ils cette décision aux autres pactes réso lutoires? Il
est bien' difficile d'élucider cette question.
D'abord nous trouvons certains cas où Ulpien lui-même n'accordait
qu'une ac:ion personnelle. Ainsi, lorsque l'obli.gat~o~ de re_n?re était
née quasi ex contractu. De m èmc au cas de dotzs dzctzo anteneure au
m ariage, lor sque le mariage n'a point lieu: «si '.orte nupt'.re n~~
sequantur nun cio remisso, si quidem sic <ledit muher ut stat1m vin
res fiant condicere eas debebit misso nuncio., . » ( Ulp., l. 7, ~ 3, D .,
lib. XX ÎII, tit. III. ) De même encore probab lemen t en la m atière
des cont rats innommés: Celui des cont ractants qui a exécuté n'a que
la condictio ob rem dati et non la rei vindicatio ( L . 4, C., lib. IV,
tit. L X IV.).
3
�-
54 -
Puis, d'une part, on ne rencontre aucun texte de lui statuant sur
ce poi nt q uant à la /ex commissoria ou au pactum de r etrovendendo.
D'autre part, il faut remarquer la position particulière des contractants en cas d'in dicm addictio . Le but de ce pacte étant seulement
de rendre possible une seconde vente à un prix plus ékvé, la
r ésolution ipso fure était nécessaire ici plus q u'ailleu rs . Un vendeur qui n'eù t eu qu 'une action personnelle n'eût pas eu les
moyens de satisfai re un second acheteu r ni, par conséquent, de
t raiter sérieusement avec lui. De plus, celui q ui achetait sous une
pareille clause devait tenir toujours so n argen t prêt et s'attendre
constamment à voir le pacte sortir à effet. Sa possession, jusqu'à
l'expiration du délai, était aussi peu stable que possible. Aussi, le
pli.:s souYent, ce délai deYait- il être fort cou rt , ce qui diminuait
les incom•énients de la résolution ipso jure. Il y avait donc là
des raisons spéciales de décider qui ne se rencontraient pas dans
les autres pactes.
Cependant, nous voyons l'action en r evendication accordée encore
par Ulpien dans un texte dont je n'ai pas parlé, et qu'on a invoqué
pour formn ler une règle générale appl icable à tous les cas analogues, où il s'agi t de résolution. Ce texte est la loi 29, D ., de mortis
causa donatiouibus. Dwx cas y s:>n t prévus : qua nt au premier,
aucun doute ne pouvait exister: il s'y agi t d' u ne donation à cause
de mort ainsi conçue: (( ut, si mors cont igisset, tune haber ct, cui
donatum est.·~ ~o us_so mmes en présence d'une condition suspensi ve;
t~u te transm1ss1on immédiate de la propriété a été impossible. Il
n.Q.5t don.c n,ull~men~ surprenant que le jurisconsulte nous dise que,
si.ne d11b10 , l •1ct1on rn rem compète au don a!e ur: tant que celui-ci
n est pas mort, la condition demeure en suspe ns, le donataire ne
peut ?r~t~ndre aucun droit; si cc dernier prédécède, la conàition
est defailhe .. Le second cas réglé est plus intéressant, il a plus rapport
a notr e m~tlère. «... Si quis Yero ~i c donavit ut jam nunc h aberet;
redderet, si conYaluisset , vd <le pra.:l io vel pereore rediisset · potcst
· · · ·inte° cont1g1sset;
· q ' UJ· l 11io rum
.•1, s1
J
in rem
defendi
• uonato1
.
. con1ptte-e
.
nm autem e1 cu1 donatum est . Sed, et si morte prreventus si t is cui
donatum est, ad h ùc quis dabit in rem donatori.» Ici la volonté du
' ·
·
·
et nous sommes
a bien éte' d e se d epou
don:iteur
1·11er 1mmcdiatement
.
·
·
· resoluto1re.
bien
On remarquera qu . Ul. en présen ce d' une cond".1llon
pien ne donne pas sa solution san s une cert aine hésitation , qui se
-
35 -
tt~a h~t ~ar 1'~.mpl~i des. mots «potest defendi- 11 Ne serait-il donc pas
temera~re d. induire d u_ne décision ainsi donnée que toujours, aux
yeux d Ulp1en, la propriété revenait à l'aliénateur de plein droit par
'
l'évènement de la condition?
Nous trouvons a u Code ( 1. 3, de pactis inter emptorem et vendit~rem composi,tis) un rescrit relatif à la lex commissoria , qui émane
~ A:lexandre Sevère,_ et nous avons constaté l'ascendan t que l'illustre
1unsconsulte e:erça1t sur l'esprit de ce prince, dont il fut, jusqL1'à sa
mort , le conseiller le plus écou té. Or, il y est formellemen t décidé
que le vendeur im payé (q ui a suivi la foi de l'acheteur) n'aura pas
la revendication . Et, s' il en est ainsi dans le cas de !ex commissoria à
plus fo rte raison devons-nous croire que le vendeur n'en étai t
a rmé en cas de pactwn de 1·etrovendendo. Car il était certainement
plus nécessaire de protéger le vendeu r dans le cas de /ex commissoria
où il courait le risque de perdre à la fois la chose et le prix, que
celui de réméré, où, du moin s, il ne devait perdre que la différence
entre la valeur de la chose et le pri x de vente. De pl us, l'instabilité
dans la propriété de la chose vendue n'au rait, avec le premier pacte,
duré que peu de temps, le ve ndeur ayant un intérêt évident à presser
l'acheteur de se libérer; tandis qu 'il eOt été possible, avec le deuxième
pacte, qu'elle duràt un temps fort lo ng, puisque, jusqu'à Théodose
le J eu ne, l'action de réméré était imprescri ptible et que beaucoup
d'années pouvaient s'écouler avant que le vendeur trouvât avantage
~as
dan~
à reprendre sa chose.
43. - S' il est hasardeux, en présence de ces considérations, de
dire que Marcellus et Ulpien avaient érigé en principe général la
résolution ipso }lire de la transmission de propriété en même temps
que celle du cortrat, il n'en est pas moins v rai que ces deux éminents
jurisconsultes donn èrent le signal d'une réaction contre des idées
surannées.
L a doctrine nou velle qu'ils introduisirent, quelle que fùt du reste
l'étendue qu'ils en tendaien t donner à son application, rcsta- t-elle
isolée ou fut- elle adoptée par les prudents contemporains et postéri eurs? - On a prétendu qu 'elle reçut leur adhésion. Examinons
les textes qui ser vent d'appui à cette opinion .
44. - Ecartons d'abord la loi 14, D., de mortis causâ donat., qui
ne sau rait être regardée comme décisive, car ses termes s'appliquent
aussi bien à une donation sous condition suspensive.
�-
36
( cod . tit.) est ainsi con~ue : u J ulia n us ait : Si quis
. d
1
.
.
i
onatore
vend1derit,
causa
·s
.
.et 1oc vivo
.
• sibi donatum
senoum mor t 1
sset
1
lu
conva
s1
habeb1t,
donator
condi.ctionem
· ; pre t"
.ccerit
1 et hoc
.
.
11
f
r. »
compellllu
restlluere
m
scrvu
ipsum
et
alioquin
lcgerit.
.
d ona1ore
d
,
·
.
.
'
Il semble donc que. de l'avis de J ulie n, il ne .tenait qu a u o nateu r
. contenter de
d ere Prendre di rectement la chose vendue au l ie u de se
l'action personnelle. Mais il est d.i~ cilc d e. ne pas croJre que ce tex te
a été remanié et dénatu ré par J ust1men, pu isque no us voyons en u n
autre end roit (L. r9 , eod. tit.) ce même J ulien refuser form.ell~m~~ t
la revendicati on au donateur da ns le même cas. «... Nec h u ii.: s1mi11s
est is qui rem q•.1am mortis causà acceperat alii porrà dederi t : nam
donator hui c non rem sed pre tium ejus condi cere t. >l
On ne saurait non plus rien ind uire de certain de la loi 8 , D ., de
[e o-e comm. , où Scœvola emploie bien, il est vrai, l'exp ression vindica~·e, mais sans q u'elle puisse êt re regard ée comme ayan t u ne significati on techniq ue. ( Accari as, t. II , p. +70 1 n• 3. ) Peut-être entend- il
parler se ulement d'actio n en res titu tion.
On en a dit autant du mo t vindicatio employé dans une con stitution
d'AlexandreSévère (C., lib. I V, tit. LIV, l. 4 ) . Mais je dois d'abord
transcrire ce texte important, ainsi que celui qu i le précède, dont
j'ai déjà parlé, et avec lequel il paraît présenter une ant inomie flagrante. L. 3 : « Qui eâ lege p rred lu m vendidi t , ut , n isi reliquum
pretium int ra cenum tem pus restitutum esset , ad se r everteretur :
si non p recariam possessionem trad id it, rei vindicationem non h11.bet,
sed actionem ex vendito. » Voi là qui est aussi for mel que possible ;
et pourtant le Yende ur avait p ris soin d e sti puler exp ressément le
retour direct de la propri été à défa u t de paiement: p r œdium ad se
« Commissoriœ vcnd itio ni s legem exercere non
reverteretur. L.
potest q ui, po~t prrestitutum pretii sol ve nd i d iem , non vindicationem
1"ei eligere, sed usurarum p reti i peti tionem sequi m al uit. » Ne
semble- t- i l pas que l'oppositio n , la co n lradii.: tion n e pe u vent pas
être plus accusées? Et œs deux déc isions sont du mêm e p rince! I ndépendamment de l'explication que j'indiquais en commençant, et
qu i consiste à refuser au mot vi11d icatio son se ns h a bi tuel, o n en a
présenté plusieurs au tres. Voët, suiv i par Zi m mern , pense q u 'on s'en
référai t à l' in te ntion des p:irties; il y a u ra it eu à disting uer deux
sortes de fo rmul es : si le pacte r ésolutoire éta it con eu directis ver bis
(res inempta sit), c'était le cas de la loi 4 , le vendeu~ était arm é de la
La 1o1· -i 7, ;i((
+:
r evendication ; s'il était conçu verbis obliquis ( r es redeat) , on se
t rouvai t sous l'empire de la lo i 3, et le vende u r était réd u it à l'action
personnelle. Cette d istinction me paraî t arbitraire. I 1en tst une autre
qui semble ind iquée, bien q ue trop peu clairement, par Je rapprochement de nos deux textes: Qua nd la propr iété a été transférée,
l'évènemen t d e la co nd itio n résolu toire ne donne jamais au vendeu r
q u' u ne acti on per sonn elle; seulement, la loi 4, q ui parle de revend ication, se place dans l'h ypothèse où la possession de l'acheteur était
p récaire, cette possession ne chan gea n t de caractère que lorsque le
vendeur opte pour le paiement des intérêts d u prix, parce qu' u n ven deur ne saura it exiger à la fois la chose et le prix. (1)
L e doute est possible qua nt à l'opinion p rofessée par Paul, car on
se trou ve en p résen ce de deu x tex tes de l ui qui paraissen t conçus
dans des systèmes di fférents . L e p remier (L. 39, D., de mortis causa
dnnat. ) prévoit l'affranchissement d'un esclave donné à cause de mort
et n'acco rde d ans ce cas au donateur qu 'une action personnelle en
d ommages- in térêts. Ma is d ans l'au tre (1. 9, pr., l ib. XXX IX, tit. III.)
il est d it qne celui qu i acqui ert une ser vitude sur un fonds vendu
sou scondi Lion résolu toi re d oit, pour assu rer le mai n tien de son acquisition , traiter non -seulemen t avec l'acheteur, propi iétaire actuel,
.
mais aussi avec le ve ndeur. « I n diem ad d icto prredio et emptons et
vendito ris volu ntas exqui renda est : u t sive re manserit penes emptorem sive recesseri t, certum sit voluntate domini factam aquœ cessionem'. l> On a su p posé , pour concilier ces deux textes, que P,1ul visait
dans la loi 9 le cas d ' une in diem addicto sous condi tion suspensive.
E n effet cela expliquera it la d iffé rence des solutions données; mais,
bien qu:il y ait eu que lq ue hésitat ion sur ce poi?t (V. 1. 2, D ._, de in
diem addict. ) , le pac te d'in diem addictio était présumé fait sous
conditio n r ésolutoire, à moins que les parti es n'eussent express~ment
manifesté une vo lonté cont rai re (J . P. Molitor, t. I , p. 607.) . S1 donc
le ju risconsulte emplo ie, sa ns aut re indication , l'expression d'in diem
addictio on doit tout natu rel kmcnt penser q u'il envisage cette op~
r ation s~us son aspect et avec ses caractères ordinaires. De sorte .qu'il
est bien difficile de savoi r dans q uelle mesur e P aul approuvait les
tendances réformat rices de son ami U lpien .
(1) V. une autre explication dans Etienne,. Inst itutes, t. li, P· 19.
�-
38 -
t encore tirer une objection embarrassante d ' une constitu. 0 nd'pAeutonin Caracalla ( L. 1, C., l ib. IV, ti t . UV). Peut-être n'y
d \ . d .
, 1 .
n
tlOO
e la rétrocession et non la r cso ut1on e p cin ro1t.
·
.
.
. . . ffi .1 d'
v1se-t-on q u
, _ t-..fais s'i lestquelquclo1sd1 c1 e exp11qucr certams textet>~eut-ètre d'.ailleurs altérés, d' un e man i~re satisf~isantc, je per. ' à croire pourta nt que l'opinion qu 1 accordait au vendeur,
·
· . l' ·
é l
. ·
s1ste
rem
'accomplissement de la cond1t1on r . so uto u e, act10n zn
. ,
.
.
apr ès l
n'était professée, pendant la p~no~e classique, qu e par une m1~onte
, prits novateurs ; et j'en vo is d abord une preuve dans la 101 3 au
.
.
d
d es
Code ( tit. cit.), qui, ne réservant que le cas e pos~ess~on précaire, formule bien une règle absolue, et sur laquelle 11 n y a pas moyen
d'équivoquer. La revendication. y est formellement :efusée: « rei
vindicationem non habet (vend1tor). » - Dans le meme sens, on
trouve le principe général rappelé et consacré dans la constitution de
Dioclétien dont j'ai déjà parlé (F ragm. Vatic., n• 283). - Enfin, il
est un grand nombre de textes où il n'est parlé que des actions person nelles. Par exemple, dans la loi 1 S, li b. X II , tit. IV; « Cum servus tuus in suspicionem furti Attio venisset, dedisti eum in quresti onem sub eâ eausâ ut si id repertum in eo non esset, rederetur tibi :
is euro tradidit prrefecto vigi lum , quasi in facino re depre hensum ... 1l
Certes la condition de retour est bien clairement formu lée dans cette
'
quels secours accorde-t-on à l'ancien m aî tre de l'esloi. Cependant,
clave ? Labéon lui donne l'action ad exhibendurn, <( q uoniam fecerit
(Attius) quominus exhiberer. » Mais Proculus la lui refuse, ainsi que
l'action furti, à raison du transfert de propriété. Il n'accorde que
des dommages-intérêts, et c'est aussi la conclusion de Pomponius,
qui paraît se faire l'interprète du sentiment gé néral. «Ages cum Attio,
dare eum tibi oportere: quia et ante mortem (servi) <lare tibi eum
oportuerit. »A ucun de ces jurisconsultes ne songe à accorder l'action
en revendication, qui serait, cependant, pour le vendeu r, la plus utile
jusqu'au jour où le vigilum prœfectus aura frappé de mort l'esclave.
Rappelons-nous que l'une des sources du Droit Romain est dans les
répon ses des prudents. Les tex.tes où nous voyons Marcellus et U lpien
accorder une action in rem n'ont pas été écrits par eux en tant qu' interprètes du droit établi, mais en tant que législateurs. Mais cette
doctrine nouvelle était si révolutionnaire qu'elle dut mettre un très
long temps à conqu érir tous les esprits. E lle ne dut entrer dans la
législation que peu à peu, et son triomphe définitif, sa consécration
officielle et générale ne date que de Justinien. (Pellat, Exposé de~
principes généraux de la propriété; commentaire de la loi 41, D., de
rei vindicatione, p. 274 et suiv. ; - Bufnoir, traité de la condition,
p . i36 et suiv.)
46. - Toute cette mati ère a été l'objet de vives controverses. On
a soutenu , d'une part, que Je vendeur a toujours eu l'action réelle.( 1)
Nous avons déjà YU qu'i l y a des tex tes qui son t inconciliables avec
cette d octrine, notamment le n• 383 dc.s Fragm ents du Vatican.Ajoutons la loi 26, au Code, de legatis, dont il va êt re bientôt
parlé .
D 'ailleurs, ne serait-il pas bien ex traordinai re qu'une législation,
comme celle de Rome dans les premiers temps, qu'on pourrait appeler, non pas seulement formaliste, mai s matérialiste, eût admis le
principe abstrait d e la résolution ipso jure des transferts de propriété?
Enfin, s'il fallait une preuve de plus, je la trouverais dans la manière
dont les Romains pratiquaient le nantissement à l'origine. Le débiteur, par la mancipati on ou par la traditio n, suivan t b nature de la
chose engagée, transférait pleinement la propriété à son créancier, et
celui-ci s'obl igeait par un contrat de fiducie à re tran sf~rer la propriété, après paiement de sa créa nce. N'aurait-ce p:is été là une
compl ication bien inutile, si l'on ava it eu la possibilité d'aliéner la
propriété du gage sous la condition résolutoire du paiement de ta
dette?
47. - D 'autres roman istes, entre autres M . Maynz, ont un sys tème diam étralement opposé. Sui va nt eux , l'aliénation de la propriété
ad tempus vel ad conditionem était chose im possible même au temps
de Justinien. A l'appu i de leu r thèse, ils in voquen t la maxime:
c Res inter alios acta aliis nec nocet, nec prodest. » L'acheteur qu i
seul a contracté avec le vendeur doit seul être att eint par la résolution ; il serait inique que des tiers qui n'ont pas consenti au pacte
en supportassent les effets. A cela j'oppose _la règle: « _emo plus
juris dare potest quam ipse habet. n Si l'action réelle e~:iste contre
l'acheteur . elle doit aussi bien exister contre ses ayants cause.
: Vanger?': , Lehrb11ch,_
( ) Cette opinion parait ass~z accréditée en Allemagne _
1
; Thibaut, Civ. Arch., X VI, p. 383 ; Z1mmern, 1b1d., 1, p. 2S 1 ,
l q6, t. , p.
1
149
Fritt, ibid., vm, p. ,s6.
�-40 . n vrai que cette théorie présente, surtout à défaut de
Il est b te
., é d
publicité dans les mutations de pr~pnet , e g raves da.ngcrs
les tiers. S'ils sont prudents , ils demanderont à voir les
' ls; ·ils You· · ree
· d es· d 101ts
· ve ulent acqu énr
pour
de celui de qui· ils
·
d
·, , S
.
t1tres
dront connaitre l'étendue de son droit de propn ete. ans o u te, leur
, 1·ailance et les précautions qu 'i ls prendront n e suffiront pas toujou rs
~ l~ur éviter tout dommage ; mais, que la loi soit im parfaite, ce n'est
pas une raison po~r n.ier so~ e~ i sten ce: P ar ~e motif! je nc..discuterai
pas une autre ob1ect10n theonq.ue qui con~1st: à ~ire ~u '. l est. contraire à l'essence même du droit de propnéte qu 11 soit eta bh avec
limitation dans sa durée. Cette vieille idée me paraît d'ailleurs
inexacte et ne répond pas aux exigences de to us les cas possibles (1).
Des textes très précis établissent qu'elle n'était plus admise à l'époque
de Justinien . C'est d 'ab0rd la loi 2, au Code, de do11ationib11s quœ
sub modo vel conditione vel certo tempore conficiuntur : « Si rcrum
tuarum proprietatem dono dedisti, ira ut post mortern ejus qui accipi t ad te rediret, donatio valet : cum etiam ad tempus cerlum ve/
incertum ea ficri potest, lege scilicet , qure ei imposita est, conservanda. ll Cette constitution, q ui figure dans la compilation de J ustinien sous le nom des empe reurs Dioclétien et Maximien, contient
une décision exactement in verse de celle qu 'ils ava ient prise en
réalité. C'est, en effet, ainsi que le r emarque M. Vernet ( Textes
choisis, F· 138 ), une reproduct ion du n• 283 F ragm. Vatic., déjà
mentionné plusieurs fois. J ust in ien conserve avec respect l'espèce
sur laquelle statuaient ses prédécesseurs, et même leur langage, mais,
par la simple suppression d'une négation, il change la solution, qui
!le lui convenait plus (2). La même théorie est aussi proclamée dans
la loi 26, au Code, de legatis, dont le texte indique même que la
jurisprudence s'était déjà ralliée en partie aux idées d' Ulpien au
( 1) On s'accorde, a peu près, aujourd'hui à reconnaitre que la perpétuité est
seulement de la nature du droit de propriété, d'une mani ère générale. L'idée de
l'étendue et celle de la dur.!e d'un droit sont tout-à-fait d istinctes. Les auteurs modernes tendent de plus en pl us à enseigner cette disti nction, notamment à propos
du droit de propriété artistique et littéraire. V. Gautier. t . Il, p. 416 et su iv.
(z) Voici quel était le texte origi nal : « Si prred iorum s tipendiariorum proprie·
tatem dono dedisti, ita ut post mortem ejus qui accepit ad te rediret, donatio irrita
ut, cum ad tempus proprietas tran~ferri nequivcrit. t
-
41 -
moment où elle parut. « lllud quod de legatis vel fideicommissis
temporalibus, utpote irri tis, a legum conditoribus definitum est,
emcndare prospeximus : sa ncien tcs etiam talem lega to rum vel fideicommissorum speciem valcre, et firmitatem habere. Cum enimjam
constitutum sit fie ri posse temporales donationes et contractus, consequens est etiam legata et fideicommissa qure ad tempus relicta su nt
ad eamdem similitudinem confirmari ... i> Il paraît impossible d'éluder
d es textes si clairs . M. May nz répond cependant en leur opposan t
d'autres tex tes qui accorden t au vendeur les actions personnelles ex
vendito ou prœcriptis verbis. Pourquoi Justinien les aurait-il conservés au Digeste et au Code s'i l donnait réellement au vendeu r cette
arme meilleure, la reYe ndication ? - L a raison en est bien simple :
Nous connaisso ns l'utilité de l'actio in rem: la propriété revient au
vendeur franche et libre de to us les droits réels dont l'acheteur aura
pu la g rever ; si même ce dernier avait aliéné la chose, le vendeur
pourrait la suivre et la rep rendre entre les mains des tiers. Mais la
revend ication suppose que le vendeur était propr iétaire au jour de
la ma ncipation ou de la tradition ; il fau t quïl m ontre qu'il l'était.
Si donc il ne peut en admin istrer la preuve, il recourra au x actions
perso nnelles, pour lesquelles il suffit d 'établir qu' il y a eu contrat de
vente. Et si l'acheteur, medio tempore, a usucapé la propriété ( L. 2,
~ 1 , D., de in diem addict. ), le vendeu r, par l'action venditi, se fera
rendre le bénéfice fa it par l'achete ur à l'occasion de la vente, il se
fera t ransférer cette propriété. De plus, et cela suffit à expliquer
pourquoi Ju stinien a conservé les textes rela tifs au x actions personnelles, le juge de l'actio n en r evendication n 'a pas qualité pour
s'occuper des faits antérieurs à l'époque où le vendeu r a recouvré son
droit de propriété CAccari as, n• 614. ) ; les actions personnelles
offrent l'avantage de se prêter à toutes demandes de prestations accessoires. Le vendeur, lors de l'événement de la condition résolutoire,
est bien propriétaire d e l'objet principal, il n'est que créancier des
fruits et autres accessoires. E n effet, il n 'a pu les comprenjre, comme
le fonds, dans la l ivraison ad conditionem, puisque, au moment oll
elle a été fa ite, ils n'existaient pas encore.
48 . - Ces considérations amènent à examiner brièvement si le
retour de la propriété sur la tête du vendeur s'accomplissait avec effet
rétroactif. J 'ai déjà indiqué accidentellement que tel n 'est pas mon
avis, et je peux m 'ap puyer sur rautôrité de romanistes distingu6s:
�-
42 -
• ... tous les textes qui traite nt d e l'exti n ction des droits réels établis
pende11te conditione sur la chose pl r l'achete ur su pposent tou jours
qu e, mè mc ex postjacto, ces d roits d oi ve nt être considérés comme
régulièrement éca blis, com me aya n t duré jusq u 'à l'arri vée de la co ndition, et comme prena nt fin à cette é poque. » ( B u fno ir, op. cit.).
O n n·a qu'a parcou rir les tex tes précités d e Ma rcell us et Ulpie n po ur
être convaincu de cette vé rité. Qu'on se rappelle a ussi les ter mes des
lois 2 , Cod e, lib. V lll , t it. LV, et 26, lib . VI , t it. XXXV II. Il n' y
avait pas r étroacti vi té de la condition accomplie; i l y ava it seu lement
translatio ad temp us de la propriété.
En fa veu r du système de la rPtroacti vité, on tire argume~t d 'u ne
loi citée ci-dessus, 9 , pr. , D., dt! aquâ , et aquœ pluviœ arcendœ. Si,
a-t-on dit, a près l'eventus conditionis, la ser vitude est rega rdée
co mme ayant é té constituée voluntate domini, c·est tp e, rétroa ctivement, le vendeur est considéré comme aya nt été prop ri étaire à
l'époque de cette constitution . A cela plusieurs réponses o nt é té fa ites:
on a dit qu'il n 'était p as bien certain q u e ce texte v isâ t l'hy po thèse
d'u ne condition résolutoire; qu 'il était même fo rt douteux que P a ul,
son auteu r , admî t da ns a ucu n cas la résolu tion ipso j?tr~ du droit
de pro?ri.été. Enfin , M. Bufn oir ( op. cit., p. 4 83 .) so u ti e nt que
P a u l v1sa1t le cas d ' une servitude éta b lie jure prœlorio per usum et
patientiam. De la pa rt du co nstitu a nt le simple co nsen teme nt à so n
exercice su ffit ; et ce consentemen t peu t êt re don n é va la b leme nt pa r
le ve.~deur sous la condition suspe nsive qu 'i l deviend ra propriétaire
de l 1mmeu ble grevé.
49 · - M ais quel est l'in térêt de la con t roverse, puisque d a ns les
deux cas s'étei g~en.t tous les droits nés du c hef de l'ac he te u r (1)?
E n vertu d u principe de n on rétroac ti vité : - 1• le ve nd eu r n e
recouvre. pas la proprié té des fr u its e t accessiones, qu'il n e po urra
p a rconsequent revend iquer s'ils se t rou vent entre les mains de tie rs
et q u 'il ne pourra, comme je l'ai déjà di t plus h a ut , exige r d e l'ache~
teur q~e par. l'action ex-vendito. - 2° le vendeur n 'est pas saisi
d~ plem d.ro1t des actions q ui p rennent naissa nce à l 'occasio n d e
fai t~ comm~s penda~t ~a posse~sion de l'ach eteur, actio legis A quiliœ ,
actzo furtz, condzctzo jurtz va , e t il n e peut les exercer que si
'à
( 1) N emo plus j uris .•.. . Cette maxi me s'a pplique a ussi birn à la duré
e qu
l'é tendue du droit. Fritting, Ueber den Be{(ri.ff der Riickriehuug , p . 6G.
cession lu i en est faite . - 3' Le ven deur, n 'étant plus et n 'étant pas
encore propriétaire, ne sa urait consen tir media tempore des droits
réels sur l'immeuble vend u . - 4° le vendeur jo ui ra d e la servitu de
acqui se au profit du fo nds pa r l'ac heteur ( L. 8, ~ 1, D. ,quernadmodum
servitutes amittunlur,), tand is qu'elle s'éteindrait si le droit de propriété était anéanti au ssi in prœteritum ; on voi t que le vendeu r
n 'a ura p as tou jo u r s à se plaindre de s effe ts de la n on-rétroactivité.
- s· L es servi t udes é tei n tes pa r la con fusion n e renaîtront pas de
plein d roit ; les pa rties pourron t se u lemen t en exiger le rétablissement . - E n fin , n ou s a vons d éjà vu que, lorsque le vendeu r n' étai t
pas p r oprié tai re du tonds vend u et que l'acheteurl'usuca pait p endente
conditione , ce dernier en demeurait p ropriétaire mê me a près l 'eventus
conditionis, a yant posséd é en ve rtu d' une juste ca use, le contrat de
ven te, qui n 'est é teint qu ' in f ut11nm1 ( L . 4 , pr ., D., lib. X VIII ,
tit . II 1). Seu lement, c'est , e n derni ère an alyse, a u p rofit du vendeu r
qu 'aura été dépouillé l'a nci en p ropr ié taire, pu ii;qu e l'achete ur doit
lui rendre compte de tou t le bt!néfice qu 'il a retiré du contrat. (1).
So. - Cette g ra n de questi on ües effets de la condition résolutoi re,
en Droit Ro m ain , d ans le contrat d e vente , m' a entraî né à de longs
développe ments, d 'où n aî t peu t-être u n peu de confusion. Résumons
e n quelques m ots le système q u e j'ai adopté.
P a r l'évèn e ment de la condi tion :
Si le contra t n 'a pas e n core re~u d 'exéc uti on, les ob ligations sont
puremen t et sim p leme nt é teintes.
Si l'exécutio n a e u lieu , le tra nsfer t de propriété subsiste, le cont ra t d e v ente seul est résolu . Le vendeu r n 'a donc à son ser vice qu 'une
action pe rso n nelle, qu i fut d ·abord la condictio sine causâ, p uis l'actio venditii accordée par les S ab i ni ens et /' actio prœscriptis verbis
acco rdée pa r les Proc uli ens. Ces de u x dern ières éta n t contractuelles,
( 1) Mais. qu'en serait-il s i l'usucapion n'était pas encore accomplie au jour de
l 'eve11t11s co11ditio11is? Javol e nus a:lmettait l'accessio possessio1111m ( L. 19. D ..
de usurpat .. A dde 1. 6, de div. temp .. Cpr. 1. 13, de adq11ir. vel ami tt. possess.) :
Je vendeur n'étant que l'ayant cause de l'acheteur, il suffisait pour qu'elle se prod uisît q u'il fût lui -même de bonnt! fo i au moment où commençait sa possession .
Plus tard, qua nd la propri~ lé fait r etou r au vendeur ipso j ure et qu'il n'esL plus
l'ayant cause de l'ach e te u r, le résultat ne devrait 1 igo ureusement p lus être le même.
Mais , les règles nouvelles n'ayant été in trodu ites q ue pour favor iser le vendeur.
celui-ci pourra, qua nd il y trouvera avantage. s'en tenir aux anciens principe$.
�-44 et assuran t l'exécution des prestations réciproques qui pouvaient être
dues, c'était là un premier progrès, que consacra une constitution
d'Alexandre Sévère.
Mais la vieille règle que la propriété ne peut être transmise ad
tempus vel ad conditionem constituait pour le ve ndeu r une entrave et
un péril , auxq uels voulurent po rter remède quelques ju risconsultes
éminents, Marcellus, Ulpien, en accordant, au m oi ns dans certai ns
cas, l'action in rem. L 'idée nou velle, qui venait se heu rter à une tradition séculaire ne fut pas admise sans une vive et longue opposition
et c'est.seu.lement sous J usti_nien que nous la voyons triompher. L~
re\•end1cat1on ne su pplanta pas, d 'ailleurs, les actions personnelles
dont elle laissai t subsister l'utilité; elle vint seul ement s'ajouter~
elles, avec ses ava ntages pa rticuliers.
. E~fin , rema~quon s q ue la résolution de la propriété ne se produisit
1ama1s rétroactivement; mais le principe de n on-rétroactivité, sainement entendu, ne laisse pas de présenter q uelquefois des avantages
pour le vendeur.
V. - Conditions d'exercice du Pacte
51. - Les parties étaient libres de régler comme elles l'entendaient l'exercice de la facu lté de rachat. Elles pouvaient fa ire consister l'é.vénem,ent de, la condition, soit da ns Je remboursement effecti f
du pnx paye par 1 acheteur, dans le délai convenu, soit dans de sim ples offres, réelles ou verb1les, ou dans la pure manifestation de la
volonté d~ Ye~deur. Mais, lorsque le contrat n 'avait pas précisé ce
que devr~1t fa1~e l_e ~end_eur, pou r éviter la déchéance de son droit, à
quel parti fall~1t~1l s arreter? On ne peut tirer argument ni de la loi
7 '. ~·, d~ pactzs znt.er en~pt. et vend., n i de la loi 2, eod. tit. Si Ja prem1ere ~x1ge la co_ns1gnat.1on 1 c'est uni que ment par application de la
· ava ·ient convenu
volonte des .part•es
. , dans l' esp èce d u rescrit,
. - • qui
qu~ la c~nd1tion serait ~c~om~lie lorsque Je prix payé aurait été rendu · "Si a te compara vit 1s CUJUS meministi, et convenit ut si intra
certum.. ~empus. soluta J_uerit data quanti tas, s it res in e~pta ... »
(V. Boenus, d~c1s. I 24, n" 26 et seq .). La loi 2 se conten te de simples
offres. ( 1), mais, dans l'espèce tranchée par le rescrit, le contrat avai t
le (1:~~n p7ut même se demander si ell e entend exiger des offres réelles, comme
P . end~t Barthole. « · · • teque parato satisfacerc conditioni dicta: , dit le
rescrit; co a peut auui bien s';ppli9ue.r à des offre~ purement verbales. '
encore prévu et réglé ainsi la difficulté: « ..• fundum ... eâ lege vendiderunt ut, si ... pretium obtulisse11t, restitueretur ... » Les textes ne
résolvant donc pas la question d 'une manière générale, toutes les
opinions se sont produites, et Tiraqueau nous montre (dans son traité
de retract. genti/it., ~ 1 , glos. 17, n• 8 etglos. 19, n• 4 et seq.) à quel
point les commentate~rs du moyen-age étaient divisés à ce sujet.
P erezi us se contentait d 'offres réelles: (( Redimere volens tenelur
pretium totum offcrre, nec opus est id consig nare ... Sola realis obla t io sufficit; eâque factâ justificabitur hujus pacti conditio, quœ est ut
oblate pretio res rest ituatur. «(Ad codicem, sub tit. de pactis inter
empt.) Favre repoussait même la nécessité des offres réelles (Cod., lib.
IV, t. XXXV I , def. 6.); et, en effet, comment aurait-on pu astreindre
le vendeur, dont la cause est, d'ailleurs, favorable, à des formalités
qui ne lui auraient été prescrites ni par la con vention ni par la loi,
si, toutefois, il n'existai t pas sur la matière de textes plus décisifs que
ceux qui nous sont parven us?
Lorsque le délai fixé est entièrement écoulé, le vendeur n'a plus
aucun moye n de recouvrer sa chose que par une nouvelle conven tion .
VI. - Elfets.
Obligations du vendellr. -
52. - Il doit rendre tous les profits
qu 'il a reti rés du co ntrat. ( 1) En première ligne, le prix de vente.Mais, qllid des intérêts? Nous verrons pl us loin que les fr uits lui
sont restitués; or, il sera it in juste qu'il retî n t à la fois les intérèts du
prix et les fruits de la chose. Les intérêts sont considérés comme la
représentation du jntcll/S (L. 13, ~ 19 et seq., D., de action. empt.;
l. 5, C., de act. empt.) .
L e vendeur doit restituer en outre les dépenses nécessaires faites
par l'acheteur (L. 16, D., de in diem addict.), puisqu'il aurait dù les
faire l ui-même s'il avait gardé la possession du fo nds. - Il serait
imprudent de décider par a contrario du texte d 'Ulpien, dans la loi
(1) Dans le cas de /ex commissoria le vendeur ne restitue rien. A-t-il m.;rne
touché une partie du pri x, il la garde; Seulement, l'acheteur est alors autorisé à
conserveries fruits (L. 6, pr.,et 1. .J.. § 1 , D , de lege co111111. ) . Cette sévérité tient
à ce que la résolution se produit par la faute de l'acheteur.
�- 47 précédente, que les dépenses simplement utiles ne devaient pas être
restituées. Les lois 14, D., de niortis causa, 55 et 61, /ocati, s'opposent à l'adoption de cette idée. Je pense, d'une manière générale,
qu'elles devaient être restituées, au moins jusqu'à concurren ce de la
plus-value; autrement, le ' 'codeur se serai t enrichi aux dépens de
l'acheteur. Mais, il fa ut tenir grand compte des circonstances: « bonus judex variè ex personnis causisque constituet. >> ( L. 38, D., de
rei vind .. ) Si l'acheteur faisait des dépenses qui, quoique utiles,
seraient excessives, eu égard à la fortune du vendeur, on ne comprendr:iit pas que, par ce calcul déloyal, il pût mettre ce dernier dans
l'impossibilité d'exercer le réméré. Dans ce cas, il y aurait lieu
d'assimiler les dépenses utiles aux dépenses simplement volu ptuaires,
pour lesquelles la règle est que le vendeur doit être tenu quitte en
laissant l'acheteur enlever tout ce qui peut être enlevé sans détérioration du fonds.(\ Sufficit tibi permitti tollere ex his rebus qure possis:
dùm ita ne deterior sit fondus quam si initio non foret œdificatu m.»
(Eâd. leg. ).
On a nié, d' une manière générale, le droit de l'acheteur au remboursement des impenses. Le pri x du réméré, a-t-on dit, est fixé
d'ayaoce et ne doit pas être mod ifié. Gluck, Leyser, Molitor répon dent justement que le remboursement du prix et celui des impenses
sont choses tout-à- fait distinctes et indépendantes; l'un ne peu t être
considéré comme augmentant l'autre, puisqu' il n'en fait pas partie.
On ajoute que l'acheteur doit supporter le ri sque, étant propriétaire;
mais il est debitor speciei envers le vendcur,ct, comme tel , il ne doit
paslesupporter ( Molitor, n· 519.). Remarquons enfin que l'intérêt
public, qui veut que les biens s'améliorent, sou ffrirait de la solution
proposée. L'acheteur n'aurait garde de faire des réparations dont un
autre que lui pourrait recueillir impunément le bénéfice
Obligations de I'acheteur. - 53. - li doit d'abord 'resti tuer la
chose, mais là ne se bornent pas ses obligations. Il en a d'autres,
nai ~sant du pr~ju~ice q.u' il cause par sa faute ou du bénéfice qu'il
réalise. Le préjudice dott être réparé et le bénéfice transmis.
Qu~n.t au préjudice,. Pau l s'exprime ainsi : 11 ... per quam actionem
( :·endltl ) ._.. quo d~tenor res c~ lpa vel dolo malo ejus facta sit, reci~1 et ve~ditor; et 1ta Labeoni et Nervœ placuit . >> L'acheteur doit
ind~mn.1ser le vendeur ~es dégradations provenant de sa négligence,
car il n est pas tout-à-fait dans la situation d'un acheteur ordinaire :
son abusus est limité par l'obligation éventuelle de restituer, qu'il ne
doit pas perdre de vue.
Quant au bénéfice, l'iicheteur en rend également compte ..C'est au
vendeur que doivent profiter les accessiones, telles que l'alluvion et le
part de l'esclave. C'est à lui aussi que doivenL revenir, au moyen d'une
cession, les interdits ( undè vi, quod vi aut clam) et les actions
(j'ur:i, legis Aquiliœ) qu'a pu acquérir l'acheteur medio tempore,
relativemen t à la chose ( L. 4, § 4, D., de in diem add. ) .
54. - Que faut-il décider au sujet des fruits? Nous sommes en
présence de textes contrad,ictoires. La loi 2, au Code, de pactis inter
empt., décide que l'acheteur doit compte des fruits à partir de l'offre
du prix de rachat : d'où l'on pourrait conclure qu'il a droit de garder
tous les fruits percus antérieurement. Mais di verses lois sont concues
dans un esprit to~t différent: \\ Per quam actionem (venditi), dit la
loi 14, ~ 1, lib. XVII[, tit. II, fructus quos prier emptor percepit...
recepiet venditor. » Ulpien a dit dans la loi 2, in fine, au même titre,
ifructus
que l'acheteur sous pacte d'in diem adictio profite des fruits <
et accessiones lucrari » ; il ajoute ( l. 6, pr .) : « lllud quod dictum
est, fructus interea captes emptorem priorem sequi, totiens verum est
quoticns nullu s emptor existit qu i meliorem conditionem adfe1at,
vel falsus existit : sin vero existit emptor postcrior,ji·uctus refundere priorem debere constat (sed venditori) : et ità Julianus .....
scripsit. » La loi 4, ~ 4, eod. tit , est dans le même sens: l'acheteur, y
est-il dit, doit (\ prœstare judicio venditi fructus quos percepit. »
- Devant cette divergence, quelques auteurs on t proposé une solution intermédiaire, et ont dit, s'appuya nt par analogie sur les lois 5,
6 et 7, D., soluto 111atrimonio, que le vendeur ne pou nit avoir droit
q u'aux fruits de la dernière année (celle du retrait), et seulement dans
la proportion de sa jou issance pendant cette année. Mais nous ne
voyons pas que, nulle part, il soit parlé de partage des fruits à propos
de la résolution de la ve nte. L 'assimilation paraît donc arbitraire. Je pe11se qu'il ne faut pas être bien surpris des différences que l'on
trouYe dans les solutions données au Di geste et au Code. Il ne fa ut
pas oublier que chaque prudent comme chaque empereur était
législateur et obéissait à la tournure particulière de son esprit. De
plus, la plupart des te xtes compris dans ces compilations sont des
décisions d'espèces, où grand compte a été tenu des circonstances de
la cause. (V. Bufnoir, op. cit., P·+74· ). J'aime mieux m'en rapporter
�à l'ouvrage connu sous le nom de Fragmenta Vaticana, qui, comme
le remarque justement l\1. C. Giraud (Novum enchiridion, p. 3 17 ),
semble avoir été composé plus en vue de l'Ecole qu'en vue du Palais,
et où il 'y a donc plus de chances de trouver la pure doctrine, dégagée
des tempéraments q ue des considérations particulières d'équité pouvaient y apporter dans la pratique. Au n' 14 est formulée, ce semble,
la règle générale: << Lege venditionis inempto prredio facto,fructus
interea perceptos judicio venditi 1·eslitui placuit, q uoniam eo jure
contractum in exordio videtur. »
VII. - Délai.
55. - Les pa rties pouvaient con venir ou non d'un délai po ur
l'exer.:iœ du pacte de rachat. « ... Si emptori pretium quandocumque
obtulissent vel intra certa tempora, ... » dit la loi 2, C., de pactis
inter emptorem et venditorem. Quand elles s'étaient expliquées, on
s'en tenait évidemment au x termes du contrat. Dans le cas contra ire,
que fallait-il déc ider? V0ët pensait qu'il y avait lieu d'appl iquer la
loi 3 r, ~ 22, D., de .IEdilit. edicto, qui accorde, dans l'espèce d 'un
pactwn displicentiœ, soixante jours utiles à compter du jour de la
vente. D'autres, frappés sans doute des inconvénients d' une incertitude prolongée sur la propriété, pensaient qu'il ne falla it accorder au
vendeur qu'un délai peu étendu. Ils tiraient un argument d 'analog ie
de la loi 23 in fine , D .. de obligat. et action., qui statue sur la /ex
commissoria: « ... Servius rectissimè e:i:istimavit, si quando dies qu à
pecunia daretur sententia arbitri comprehensa non esset, modicum
spatium datum videri. H oc idem dicendum et cum quid eà lege
venierit ut, nisi ad di em pretium solutum fuerit, inem pta res fi at. l>
Je pense, quant à moi , que, dans le droit classique, puisque les action s
dérivant des contrats étaient des acti ons civiles et, partant, perpétuelles, le silence des cont racta nts sur la durée de la convention de rach at
avait pour effet de la rendre perpétuelle. Et, lorsqu e T héodose le
Jeune éta blit la prescription trentena ire (1. 3, C., de prœscriptione
X~X vel XL annorum: «... H re actiones annis triginta continuis
ex.tmguantur, qure perpetu::c videbantur ... »), elle s'y trou va naturel~ei:ie~t, soumise. - _Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, qu e la durée
lllim1tee de la faculte de rachat présentât, à l'époque classique, des
dangers excesssifs, puisque no us sa von s que le vendeur était alors
réduit à des actions personnelles impuissa ntes à porter atteinte aux
droitll des tiers.
DROIT COUTU!iIER
56. - On entend , en général ,par d roit de retrait Je droit pou r une
personne de faire r entrer en sa possession un bien qu'elle avait aliéné,
moyenn ant rem boursemen t à l'acquéreur d u prix d'achat. - Dès lors,
le retrayé, si l'on ve ut m e passer ce mot , perd la qualité d'acheteu r,
qu'il est censé n'avoir jamais eue. « O b retractum, dit Ti raquea u (de
retr. lign., ~ 29, gl. 2, n• 2 ), fi ngitu r emptor retro non acquisivisse. »
57. - L es retrai ts étaient très no mbreux dans notre ancien droi t.
Ils étai ent en harm o nie avec les idées d u temps sur la Famille et la Société. T o us n 'étaien t pas universellement admis, mais chaque coutume en reconn aissait plusieurs.
58 . - L es pri ncipa ux étaient:
Le retra itj éoda/ ou seigneuria l, c'est-à-di re le droit donné par la
loi aux seig neu rs de retirer, en désin téressant l'acheteur, les fiefs
de leu r m ou va nce ve nd us o u aliénés par acte équipollent à vente;
Le retra it censier ou censuel . qu i é' ait pour les biens rotur iers
.
ce que le retra it féoda l étai t pour les fiefs;
L e retrai t lignager, c'est-à-dire le droit accordé par la 101 au.x pa rents du ve ndeur d'u n immeuble d'obliger l'achete ur à le leurdél1vrer,
moyen nan t remboursement de tout cc que l'acquisition lui a coùtl!.
(Merlin , V0 R etrait lignager ) ;
Le retrait de mi-denier; plusieurs institutions é aient désignées
sous ce nom (V. R épcrt. Gu yot et ~Ierlin, V· R etrait), 1:1ais ~n l'en tendai t surtout de celle dont parle P othicr dans son chapitre XI l ! du
trai té des re traits: i< Lorsque deux conjoints par mariage et communs
en bien s, dont l' u n était lignager du vendeur, l'autre etranger, ont
acheté, duran t la commu nauté, un héritage propre du Yendeur, les
coutumes de Pa ris, ar t . 1 55, et d'Orll!ans, art . 38 [, accordent,_ ~~rès
la dissolution d u mariage, au conjoint lignager, ou~ ses her1t1.e:s
lignagers et, à leur refus, aux a utres lignagers, le retrait de la mo1llé
'4-
�-
So
du conjoint étranger, ou de ses héritiers étrangers, à la charge de rembourl'er la moitill, tant du prix que des loyaux-coûts et mises
(n• 4881 » ;
Le retrait sttccessoral, c'est-à-dire la facul té pou r tout héri tier
d'.!cartcr de la succession, en lui remboursan t son prix de cession, tout cessionnaire non successible des droits d'un cohéritier.
59. - Il y en avait plus de Yingt autres, qui constituaient autant
d'entraYes à la circulation des biens, autant d 'atteintes au droit naturel du propriétaire de tirer le meilleur parti possible de sa chose et d 'en
disposer librement, sous la se ule condition de ne ca user de préjudice à
personne. Voir Merlin, Rép., V• Retrait. - La Révolution balaya
toute cette législa tion opp:essive et confuse, incompatible avec les
idées modernes.
60. - On ne retrouve, dans Je Code civil, que quatre retraits.
Ce sont:
1• Le retrait successo ral (art. 841 C. ci v.) ;
2• Le retrait litigieux , c'est-à-dire le droit pour un débiteur de se
libérer entièrement , envers la personne à laqu elle aurait été cédé le
droit de créance prétendu, moyennant le simple remboursement du
prixdecession etd es accessoires, inté1ètsetloyaux-c0Gts (art. i 699,
1700) ; - encore, ces deux in stitutions sont-elles, aujourd'hui, l'objet
de très Yives critiques , auxquelles o n ne peut s'empêcher de reconnaître un fondement sérieux ;
3• Le retrai t d'indivision (a rt. qo8),qui es t le retrait de mi-denier
modi fié ; la principale différence consiste en ce qu e le droit de retrait
actuel n'est plus réc iproque, il n 'appartient qu 'à l'un des deux conjoints, la femme ; de plus, le ret rai t de mi-denier, qui pou vait aut refois n'être considéré que comme un e espèce particulière de retrait
lig nager, a perdu en passant da ns le Code , ce caractère · l'o ri cri ne
du bien sou mis au retrait n'est plus considérée; le légi;lateu/' n 'a
en vue que la protection de la femme commune·,
. 4° En~n , le retrait conventionnel o u réméi-P, qui offre quelques
srn gu !an tés.
6 1. - L or sque les auteurs veulent défi nir le retrait d 'une manière
génén~le , presqu e toujours on les voit su?poser que ce droit ap pa rtient
à. un, tle~·s, à une perso nne autre que le vendeur et l'acheteur qui font
l operat10n donnant occasion de retraire. u Le droit de retrait dit
'
51 -
Pothier ( Traité des Rtttraits, n° 1), n 'est autre chose que le droit de
prendre le marché <i'un aut re et de se rendre acheteur à rn place. »
C'es~, suivant ~aillart (Cout. d'Artois, tit. III, n• 5), « le droit q u'a
un tiers de se fai re subroger à la J.> lace de l'ache1eu r d'une chose, en
remboursant à l'acheteur, dans un temps fixé, le prix principal et les
accessoires de la chose "endue. » Tel était bien aussi le point de vue
de Dumoulin, quand il appe lait le retrait un jus p1·œial ionis, c'est-à ·
dire un droit de préf~rence, de prée mption, - et quand il disait:
<< Perinde est ac si emisset (qui retrax it) ab i:1so ve nd itore, et primus
emptor non est ampli us in co nsiJeratione, et perinde habetur ac si
non emisset. » - Ce point de vue con venait, en effet, à la plupart des
cas; il manquerait d 'exactitude pour le retrait conventionnel: Celui
qui vend et celui qui retrait y so nt touj ours, au moins ju ridiquement,
la même personne.
Ensuite, le nom m ême de notre retrait appelle l'attention su r un
point essentiel qui suffit à le distinguer: il est conventionnel. C'est le
propriétaire qui, u sant de son droit, décla re qu'i l ne veut pas abandon ner sa chose sans espoi r de la recouvrer: s'il s'en dépouille, ce
n'est qu 'à telle conditio n. Loin d'être a in si une affi rmati on du droit
du propriétaire, la plupart des retraits en étaient plutôt la négation :
i ls gênaient et rest reig naient ce dro it, ils avaient pour effet de paralyser la \'olonté du propriétaire , lorsq u'il entendait transférer définitivement, irrévoca blement so n d ro it.
62. - So us ce mème nom de Retrait Conventionnel,l'ancien Droit
connaissait une a utre institu tion , - la se ule à laquelle Pothier l'attribue, et dont il a fai t l'objet de la dern ière partie de son T raité des
Retraits. C'était le« dro it q ui naissait d'une con\•ention apposée lors
de l'aliénation d 'u n héritage, par laquelle celui qui l'avait aliéné a' ai t
sti p ulé que lui et ses su ccesseu rs pourraient, toutes les jo:s que l'hérita ge serait vendu, soit par l'acquéreur,soi t par ses successeurs,a"oir
la pré férence su r les acheteurs et p rendre leur man:hé. » ( Pothier.
R etr., n• 53 1 ). - C'~tait le P acte de h~férence éte ndu à perpét u ité.
Malgré son caractère co ntractuel et non légal, cette institution ,qui
r appelle et q u i po u rrait ressusciter, dans une certaine m esure, les inégalités et les abus de l'époque féodale, ne saurait- être admise
aujourd'hui (Bugnet , su r P othier, /oc. cit. ,note.) Il est vrai qu'aucun
tex.te ne proscrit expressément une telle convention, et que ce qui n 'est
�pas défendu doit être permis, mais elle paralyserait indéfiniment la
propriété et l'esprit général de nos lois nouvelles s'oppose à ce qu 'on
la tolère.
63. - Resterait maintenant à exposer les règles reçues autrefois
en matière de retrait conventionnel o u réméré, ma is, pour éviter des
répétitions, je renvoie ces détails à la dernière partie de ce travail,
dans laquelle je signalerai, toutes les fois qu 'il y a ura lieu , les différences entre l'ancienne législation et la nouvelle.
DROIT FRANCAIS MODERNE
Chapitre !. - GÉNÉRALITÉS
I. -
Définition du Retrait Conventionnel.
64. - L e pacte de R etrait Conventionnel est la clause par laquelle
une personne, vendant une chose, stipule de l'acheteur, acceptant,
qu'elle aura le droi t de la reprendre, en remettant cdui-ci en même
situa tion que s'il n'y avait pas eu de contrat, c'est- à-dire en lui
remboursa nt le prix principal et quelques access::,ires indiqués par
l'article 1673.
C'est cette espèce particu lière de résol ution de la vente que le Code
civil appe lle fac ulté de rachat ou de réméré ( pour redimere, - de la
particule prépositive re, - qu i sert à indiquer soi t la répétition d'un
acte, soit le reto ur en arr ière, - c. t de cmere, acheter.). Je préfère,
avec des auteurs éminents, employer l'expression Retrait Conventionnel.
65 . - Ne sem blerait- il pas, en effet, à s'en tenir à la terminologie
du Code , qu'il y a deu x opérations juridiques, deux con trats successifs
de vente en sens inverse l'un de l'autre, (1) le vendeur primitif
devenant acquéreu r à son tour de la chose dont il s'était défait, tandis
que l'acquéreur prendrait le rôle du vendeu r ? Ce serait là une idée
inexacte, et les conséquences logiq ues qu' il faudrait ti rer de cette
donnée dénatureraient le contrat tel que nous le connaissons. Si tel
(1) Telle était la doctrine de Zoannetus , de Voêt et de plusieurs autres anci<?ns
docteurs. Tiraqueau ne sui t pas ces errem~n ts, et, comme je l'ai dit déjà. le titre
qu'il donne à son ouvrage est De Retrnctu Co11ventionali. « Quod pactum, écritil (prœfat., n• 1), vu/gus de rctrovendendo, nonnulli de r e'°endendo appellant. •
�· é é l point de départ du législateur, il fa udrait reconnaitre
'd
•
·
. .
avait t e
qu 'il n'y a pas été fid èle, .et ses ~éc1 s 1on~ pourra1en t ~tre co nsd1 é;ées
comme arbitraires. Mais 11 est bien certa i n q ue 1~ .c 1101:< seu 1 e 1examené par l'autorité d 'u ne longue t rad. 1t1on, a été mauvais
.
.,
.
,
pression,
et qu e sa conception du droit de r émé ré est irréprochable théori .
q uement.
11 n'y a qu'une Yente, et la ~lause qui y e~t insérée dans l'intérêt
du \' en Jeur n'est qu'une cond1t1on résol ut:>1re de cette vente, que
l'on ne peut en aucune faço n co nsidére r comme u 1: seco nd contrat ;
c'est tout le contraire: pour parler comme les anciens a uteurs, E st
distractus fOtius quam con!ractus.
Il est si vrai qu e tel a bien été le point de vue auque l se sont placés
les rédacteurs du Code qu'ils ont eu même so:n d'é viter la dé fi nition
un peu é-:iuivoque que donna it leur guide hab ituel, P othi er. « La
clause de réméré, disait -il , est une clause par laquelle le ve ndeur se
réserve la faculté de racheter la chose vendue. >> Et il a joutait: « Par
cette clause, l'acheteur contracte l'obligation de rendre au vendeur la
chose vendue, lorsqu'il l ui plaira de la racheter , en sat isfa isant aux
co nditions du rachat. » L'a rticle 16 59 C. civ. n 'emp lo ie plus que ces
expressions:« le vendeu r se réserve de r eprendre la chose vendue,
moyennant la restitution ... » etc. Et dès le déb ut du chap itre,
l 'art. 1658 ( 1) use d 'une précis ion sign ificati ve et bien propre à jeter
la lumière sur le caractère de cc so i· disant réméré ou r ac hat, quand il
di t: « Indépendamment des causes de nullité ou de r ésollltion déjà
expliquées ... , le contrat d e vente peut être r ésolu par l'exercice de la
faculté du rachat. .. » - Du reste, le grand jurisconsulte lui-même
ne se tenai t pas strictement à sa définition ( 2 ); et , qu a nd il ex pose en
( 1) C!t article n'est pas po urtant à l'abri de toute critiq ue. Il parait confondre
deux ch oses bi ~ n disti nctes. la resc ision et la résolu tio n. ~ l a i s il ne fa u t voir là qu' une
erreur .ie rédaction . q u'i l impo rte dl! r e leve r . Ell e n'a dû le jour, sans doute, q u'à
u n mirage trompeur, le législate ur ne c::rns idéran t à ce m oment que les résJ ltats
qu'on obtient pa r l'une et l'autre ,·oie. l•:n cas dt r '!Sci s io n, le contrat est dès l'origine in fec:é, u n vice radica l l'em pl!d1e de naitre. E n cas de résolu tion.au con trair: ,
le contrat a cté parfaitement valable, il es t détr uit ex fO çf facto . T oul li er, t Vil,
n• SS 1. - On doit ad resser à Portal is h! reproche d ' u ne confusion a nalogue: Parl ~nt d~ pacte de ré tra it, il dit, dans son ExJ.·osé des A.otifs, n• 23 , q ue u par
1exercice de ce lte faculté, la vente e3t résolue 0 11 a111111lée. » ( Lo.:ré, t. Vil , p. 76 .)
(z ) ~'il l'el1t fait , il e ût décidé, par exemple , que l'exerci ce de la fac ulté de rachat
donn~lt h ! u aux profits seigneuriau x, à de nouveaux dro its fis caux, et qu'il ne
rorta1t paHtteinte au x droits réels constitués par l'acheteur pe ndant sa possession.
Or, r.ur les deux points, ce sont les solutions inverses qu 'il adopte.
55 -
détail les effets de la clause, il ne s' inspire plus que des sai nes notions
juridiques, et nous avons seulement une preuve de plus de la difficulté q u 'il y a , m ême pour le plus savant et le plus sensé, à construire
une bon ne définition.
66. - Certains a u teu rs, qui ad mettent que la promesse unilatérale
de vente rend le sti pu Jan t propriétaire sous condition suspensi ve ( 1) ,
se sont dem andé si on ne pourrait pas ar river à une ex plication
satisfaisante du pacte de retrait en le considérant comme la promesse
( 1) L es savan ts d isciples de Zacharire, MM. Aubry et Rau (t. IV. l 349, édit. t87r) ,
pense n t au contraire que le stipulan t n'a, jusqu'au jour où il déclare vouloir
acheter, qu'u n s imple dr oi t de crlance, et accusent les partisans de l'autre opinion
de confond re avec une condition suspensive d'une vente, d'ailleurs parfaite, u n élément nécessaire à l'existence m<!me de la ven te , à savoir : le consentement de l'une
des parties à s'obliger comm e acheteur. M. Col met de San terre répond à ce reproch e avec justesse, ce me semble: « Po ur nous , le contrat n'est pas une vente conditionnelle, c'est un con trat un ilatéra l cond itionnel , et il n'est pas de l'essence d'un
contrat u ni latéra l que les deux parties soient obligées, loin de là; on peut donc
a ccep ter comme condition valable de cette convention unilatérale l'engagement que
con tracte ra la partie non obligée dans Je principe, et qui translormera le contrat
en un con trat synallagmatique . » - Qu'on n'oppose pas l'art. t t 7.i., d'après lequel
to ute obligat ion est n u lle lorsqu'ell e a étécontractée sousune cond ition potestative.
L'article ajou te: cc de la par t de celui q ui s'oblige.~ O r , ici, l'obligation du vendeur
n'est pote~tative que de la part de ce lui envers lequel elle a été contractée; cela ne
sau rait suffire à l'annu le r ( Cass. , z jui ll. 1839.). Quan t à l'obligation de l'ache teu r ,
elle tom bera it sous Je coup de l'article; elle n'existe pas, cela est év ident (V. art.
n'avors lJ UC l'apparence d'un contrat synal158 7 , '1!>E8) i c'est pour cela que nous
lagmatique (Col met de Sa nte r re, t. V, n• 9+ bis 1V; t.Vll. n• 10 bis\/. Cpr. Domat,
hb, J, t . Il , s 12.). - C~tte théorie, qu i présen te dans sl!S effrts de très-!?raves
inconvén ie nts économiques, parai t cei;e ndant répondr e à une analyse jur idique
e xacte. - O n com prend quelles différences d~ns les conséquences entrain~ J'ad~p
tio n de l'un o u de l'au tre systeme.Dans celu i qui ne concède au stip~lant qu' un 1us
ad rem obtine11dam on doi t admettre qu'il n'est pas opposable: aux uers de bonne
foi en faveur desqu~ls le promettant aurai t, dans J'inten•alle de sa promesse. à la
perfec tio n du con 1rat de ve nte , consti 1ué des droi ts réels sur la chose promi~e ou
l'aura it même a liénée; le stipulant n'aurai t <!'au •re ressource que le droit d~
demander des dommages-i ntér 1!1s au promettant. Oa ns le systè~e ~d1•erse, qui
s'a ppuie sur l'effe t 1~t roacti f de l'art. 117<). ces droi1s r éels, ces aliénations tomb~
raie nt d ès q ue le s ti pu la nt aurait fai t connnitre sa rnlonté d'acheter. - à hl co~d1 tion tou te fo is q u'on se fû t confor mé à la règll! de publicité dt. l'art. 1" de la loi_ du
z3 mars 185 5. - Quant e ux r isques les deux systèm~s s'accordent à recon~a1tre
q ue, j-isqu'au jo ur où le stipulant déclare vo uloir acMter , ils reste nt sur la ti;:te du
promettant.
�-
56 -
unilatérale de vendre acceptée, faite par l'acheteur au vendeur. Ne
semble-t- il pas qu'on arrive ainsi aux 1:1êmes effets que lorsqu'on
de ve nte ? Ce
recourt à l "d"'e
1 "' d'une condition résolutoire du contrat
.
serait une erreur de le penser; les .ré~ultats ne sera1e.?t pas absolumt'.nt
les mêmes. Sans me placer au point tle vue fi scal, J observe une différence importance. Si loin qu'o~ f~s~e re~onter dans I~ passé l'effet
de la dé.:laration du vendeur pnm 1llf qu 11 veut parfaire le contrat
commencé par ren"aaement unilatéral de l'au tre partie, et recouvrer
0 0
"l .
sa chose, on est bien forcé de reconnaitre que, - pour qu 1 ait pu
promettre de ve ndre, de reven,J~~· ~il faut que,. pen~ant un !aps de
temps quelconque, si cou 1t qu il soJt, la pr~priété ait repose sur la
tête de l'acheteur. On ne transm<:t que ce qu o n a. Par conséquent,
qu'on ne respecte pas les droits par lui constitu~s, ÏY sous~ ris. Mais
quel prétexte pourrait-on invoquer pour détruire ceux qui sont nés
sans son concours et malgré lui, en vertu de la loi, et en même temps
que naissait son droit de propriété, quelque éphémère qu 'ait été
celui-ci, n'eùt-i l duré qu 'un instant de raison ? Des hypoth èq ues
1éaales ou i'udiciaires ont pu préexister, en effet, à ce contrat de vente,
0
.
à la convention principale qui o père le premier trans fe rt de propneté,
et, puisque c'est de plein droit qu 'elles se so nt immédiatement étendues à l'immeuble, objet de ce transfert, puisque la volonté de
1acheteur n'a pu l'empècher d'en être grevé, elle va être aussi
impuissante à les anéantir dans la clause accessoire pa r laquelle il se
dépouille de la propriété qu'il venait d'acquérir. On voit par là qu 'il
n'est pas indifférent de décomposer notre opération de La manière
proposée ou de n'y voir qu' un contrat conditionnellement résoluble.
Cette deuxième théorie, je le répète, trouve so n fo ndement dans les
expressions de la loi (art. 1658 ); il importe de s'y tenir.
67. - Tout en concédant qu'il n 'y a bien là qu'une seule opération
juridique, on a essayé de la ptésenter sous un aspect qui est également erroné. Ce serait une vente non immédiatement trans lat ive de
propriété. mai s soumise à la condition suspe nsi ve du non exercice du
droit du vendeur dans le délai convenu. La Cour de cassation a
condamné cette fa usse doctrine dans un arrêt du 18 mai 1813.
Du reste, je n'ai garde de dire que les parties ne pourraient pas
attribuer ces caractères à leur conven ti on et s ubordonner le t ransfert
de propriété à la condition sul'pensi ve du défaut de rachat da ns le
délai fixé. Seulement, il faudrait qu'elles s'en fussent expliquées
d'une manière précise.
Il. -
Pacte ex-intcrvallo.
68. - Dans tout ce qui précède j'ai supposé un pacte de retrait
adjoint à la vente iu continenti, en faisant parti e intégrante. Cette
remarque est essentielle pour se faire une idée juste de l'opération;
Tiraqueau en faisait déjà l'observation , ~ 1, glos. 2, n• 1. A ce prix
seulement, la condition résolutoire produ ira tout son effet. Cette
manière de voir est corroborée par les mots qu'emploie l'art. 1659:
« le vendeur se réserve ... »
Que si l'acte portant convention de retrai t était distinct de l'acte
relatant la vente, si la première, au lieu d'être concomitante à la
seconde, n'était surven ue qu'ex intervallo, alors la doctrine que j'ai
examinée et repoussée plus haut trouverait sans conteste son application. L'opération juridique aura it perdu sa simplicité: elle s'analyserait en un premier contrat de vente, parfait, sans restrictions, et en
un deu xième contrat unilatéral contenant seulement promesse de
ven-irefaitepar l'acheteur, ce qui donnerait un caractère résoluble et
précaire à la propriété de celui-ci, qui jusque-là demeurait pure et
simple. - Les conséquences se déduisent d'elles-mêmes : les droits
constitués par l'acheteur dans l'intervalle de l'un à l'autre contrat
seraient à l'abri de la résolution.
III. - Modalités.
69. - Cette convent ion de retrait sera pure et si~ple, le pl.us
souvent, mais rien n 'empêcherait de subordonner le droit de retraire
(1) à une condition (Cass., 7 juin 1814; - T roplong, n·. 7?5.).
Ainsi, l'on pourrait convenir que, si, avant un temps détermine, u n
canal ou un chemin de fer était établi dans la localité où se trouve
le fonds vendu, le vendeu r pourrait le reprendre, ou, à l'inverse, que,
du jour de cet établiss';!ment, il perdrait le droit de rachat. (Dalloz ,
Rép., v• Vente, n• ,459.) - On comprendrait aussi que, l'acheteur
(r) Ce vocable est aujourd'hui inusité. li était autrefois reçu dans la langue
littéraire et employé techniquement par les ju ri st~s. ~oysel s'en serva1,t couramment· on Je trou ve aussi dans Pothier. Je ne me fera i pas scrupult.> de 1employo:r,
car il ; épond au dé5ir naturel d'éviter une périphrase, et il me paraît préférable à
retire•-, trop vague, et à rémfre1·, inexact•
�-
58 -
er au moins la ·iouissa nce de l'objet penda nt u n certain
.
vou lant s ass ur
un terme fû t con venu ava n t lequel le ve nde ur ne
.
laps d e temps,
po urrait pas user de son d roit ( i ).
I V. _ Qu i p eut Acheter et V endre à r éméré.
. _ La capacité est la règle ; l'in capacité, l'exception (art. T 123).
70
de
ables de vend re ou <l'acheter. avec ou sa ns la clause
·
.
.
Sont incap
· 1 person nes à q ui la lo i enlève fo r mellem ent ce d roit ( art.
f
·
· b' ·
retrait, es
6, 1 5 .) . Mais il n'y a pas de p ro11i i tio n qu i, ne r~ppan t
5 5
97
1 9 1
9
pas le contrat de vente simp le, frappe la ve nte à pacte de retrai t ; car
ce pacte n'est pas modifica ti f de l'essence de la ven te. Ceux que, d'une
sous
· , e ae'néra le , on nomme i ncapa bles ( drt. 1 1 2 + ) peuvent,
·
manier
0
certaines autorisations ou conditions, acheter et vendre. S i ces fo rmalités protec trices ont été obsen·ées, l'insertio n a u co~tra t d~ notre
clause sera parfai tement va lable. Cela ne souffre. ~as difficulte quant
à la femme mariée, q ui est sou mise à des r ègles specinles (a rt. 2 17 1 '.?19,
8, 1 449, r 538 , 1576.). Mais pour_ les au~ res i ncapables d.e d roit
142
comm u n cela a été contesté. J'examrne rapide m ent la quest ion par
rapport a~x mineurs. Même solut ion doit êt re do n née pou r les in ter-
.s
di ts (art . 509).
A l'admission d u pac te de retra it qua nd le vendeu r est un mineur,
on oppose les formes spéc iales dans lesqu elles ces ve n tes doivent
avoir lieu (art. -t59 C. civ., 953 et su iv. C. Proc. civ. - D uve rg ier,
t. II , n• 17. ). J e ne saisis pas la force de cette objec tion. Pour quelle
raison n'adm ettrait-o n pas l'insertio n da ns le cahier des charges d'u ne
clause avertissan t les ti ers que la vente es t soumise à cette condi tion
résolutoire? Il sem ble même q u'elle en t re da ns l'esprit de la loi, q ui
entoure les mi neu rs de sa soli ici rude et voit avec r egre t l'aliéna tion de
leu rs biens. - A cela on pour ra répond r e q u'en prescriva nt la ve nte
au x enchères la loi a eu pour but de faire po r te r les im meubles au
pl us hau t prix possi ble, et que ce but ne sera pas atteint grâce à la
clause de ret rait. Il est bien vrai que le pr i x de l'adjudication sera
moins élevé qu ' il ne l'eû t été; mais i l s'agit de savoi r , - et c'est un
( r) Par faveur pour le r etrayant, qu elq ues auteu rs ava ient contesté autrefois la
validité d'u ne telle conven tion . Serres. Just. tit. de Empt. vend ,~ 4 i Catdan ,
1v. V, ch . 5; Fonmaur, traité des Lods et Ven tes ,~ 392.
1
-
59 -
po in t su r lequ el dev ra porter l'examen du Conseil de fa mille et du
T rib un al , - s'i l ne va ut pas m ieux un prix m oindre avec la chance
d e recou vrer plus ta rd l'immeuble al iénc! dans u n pressan t besoin. (1 )
A l'ad m i ~sion de ce pacte qua nd c'est l'acheteur qui est mineur, on
a op posé la même raison (:?). Voici commen t se formulait l'objection:
P as plus a u mome nt q u' il achète q u'en u n autre momen t le m ineur
ne peu t s'o blige r valab lement à aliéner u n immeuble sans décret de
justi ce et cer tai nes autres for malités; or, c'est à quoi tendrait une telle
clause. E n conséquence, les partisa ns de cette opinion concluaient
qu 'il falla it la te n ir pour n ulle, et rép uter pur et simple le contrat qui
la co ntenait. D ès longtemps on s'est élevé contre ce système : Balde,
P i nell u s, T ir aq ueau on t répondu q u e les aliénations défendues sont
les aliénatio ns sponta nées, no n les aliénations nécessaires comme
celles qu i ont lieu en vert u d'une clause d u contrat même d'acquisit ion . - On ajoute cette considérat io n d'équité que le pacte a eu pour
résultat d 'abaisser le prix, et que Je mineur ne peut pas, comme disai t
P othier ( n• 386), syncoper ainsi son effet de fa~on tout à la fois à
p rofiter du bon marché qu'il a déterminé et à rejeter le côté désavantageux. - Mais la raiso n pérem ptoi re es t tirée de la noti on même du
d ro it de R etrai t Convention nel : comme nous l'avons déjà vu, il ne s'y
agi t pas d'une alié natio n , d'u ne revente, ma is d'une condition résolutoi re d e l'ac hat. ( Bugnet, su r P ot hier, /oc. cit., note ; Troplong,
n"' 70 1 et 707.)
V . - R etrait mobilier.
71 . - L a clause de retrait pourrait-elle figurer dans une Yente
m obilière? Pou rq uoi pas? L a loi est muette sur ce point, mais, u ne
te!le condition, n'ayant r ien de contraire aux mœurs ou à l'ordre
pu bl ic, est pa r celà même licite, ainsi q ue l'a justemeutdécidé la Cour
(r ) Je crois inu!ile de m'appuy-.r sur l'article 1663'. Cet argu~ent de, tex'.c n.e
serait p 1s décisif: on pourrait m 'objecter, non sans raison peut-~tre, ~u en_l ~cra
vant les r.!dacteurs du Code pensaient au cas où le vendeur à rémeré larsscrart a sa
mort des hér itiers mineurs.
(2' Fachinreus , lib. Il. con trov. 3. Cc docteur prévoit qu'on pourra ~'c!tonnerquc,
ne r:iaintenant pas la cJauso:: de retrait. il rnlintienne pourtant le contrat de ,·en'.~·
•Non est no,·um in minoribus et pupillis. si, durn ipsi alios obligant, contrà al11~
non obligentur, ubi solemnia juris non in te r veniunt. •
�-
60 -
de P aris ( i6juillet1836; Dalloz, R ép., V" Vente, n• 1452. ). Si, dans
la plupart des articles de la section, le Code s~ sert d 'un mot qui ne
peut désigner qu'un immeub~e, le mot « héritage >~, cela s'explique
tout naturellement parce qu e c est surto utquant aux immeubles qu'on
usera de cette clause. Il fa udrait pour qu'elle pût produi re son effet
quant aux meubles que ceux -ci ne fùssent pa? sortis des mains de
l'acheteur ou que la personne , da ns les mains de laquelle ils seraient
passés, connût le danger de retrait. ~aute de ~uoi , le ven~eur se heurtera à la règle de l'art. 2279. Mais, ce qui prou ve qu en pensan t
surtout aux immeubles le légi~lateur n'a pas en tendu proscrire l'application de notre clause aux meubles, c'est qu'en donnant sa définition du retrait il se sert des termes généraux « chose vendue. n (a rt.
165g) .- P eut- être seulement ya ura-t-il plus encore à craind requant
aux meubles qu 'on n'ait eu pour but de tourner l'a rt. 2078 .
VI. - Comparaison avec le Pacte de Préférence.
72. - On n'a pas assez di stingué quelquefois le Retrait Conventionnel du Pacte de Préférence. D es diff<!rences caractéristiques
séparent pou rtant nos deux clauses . La deuxième est celle par laquelle,
vendan t définitivement mon immeu ble, je st ipule que, au cas où l'acheteur voudrait revendre, il dev ra m e donner la préférence pour Je
prix qu'i l trouvera de sa chose. No us ne sommes plus ici en présence
d'une résolution conditionnelle àe la ven te. Si le pacte sort à effet, si
la chose vendue reYient entre les mains du vendeur, c'est à un nou ' 'eau titre et en vertu d'un véritable rachat.
Quel est l'effet du pacte de préférence? Avant le Code, il don nait
naissance à un dro it réei su r l'imm euble, m ais se ul em ent quand il
était stipulé en faveur du ve nd eur, ou bien inséré dans un acte de
partage au profit de communistes; et non par exemple quand il était
stipulé entre deux coacquéreurs, même solidaires ( Grenoble,
V ente, n• 313 .) . On a prétend u q ue
I l mai 1827; Dalloz, Rép .,
telle devait être encore aujourd 'hui l'interp réta tion à lui donn er, et
que le vendeur aura it une action réelle contre le n ouvel acheteur
(Riom, 3o juin 184 3 ) . - Mais la jurisprud ence et la d octri ne paraîl>s~n t s'acco~der à dire que le pacte de préfé re nce n 'enge ndre qu'une
simple obligation de faire. L 'acheteur qui voudra re vendre devra,
avant de conclure, mettre son vendeur en demeu re de déclarer s'il
v·
-
61 -
veut ou non invoquer la clause et prendre pour lui le marché offert.
A défa ut de q uoi, il sera soumis a ux dommages- intérêts de raison.
Mais le vendeur ne pou rrai t attaquer le tiers nouvel ach eteur, à
moins pourtan t que celui- ci n 'eût eu connaissance de l'engagement
de son prop:e vendeur, ce~te mau vaise foi donnerait li eu d 'appliquer
la r ègle de 1 art. 1 167 C. c1 v. (Colmar, 5 fructidor an X II j ; Toulouse,
16 novembre 1825; Bordeaux , 19 août 1834. Duvergier, t. 11. n• i3;
Troplon g, n• 132.) De même, les droits consentis sur l'immeuble par
l'achet~ur s ubsi ~te rai ent à la r evente et à l'exe rcice du pacte. (Ricard,
Donations, partie I II, n• 268; Despeisses, t. II, p. 254.)
VII. -
Comparaison avec le Prêt sur Gage.
73. - L a vente avec pacte de retrait ressemble beaucoup au contrat d 'en gagem en t. J 'ai déjà dit qu 'elle pouva it servir à déguiser un
con trat pignoratif.
Dans l'ancien droit,où la plupart des Parlements prohibaient absolument le prêt à intérêt, le contrat pig norati f était nul. Le Prêtre
indique (cent. 4, chap. X; ci té par F erri ère, dict. du droit, v• contrat pignoratif, t. I , p. 562.- V. Merlin,eod. v•.) les caractères auxquels on peut reconnaître que l'opération doit être frappée : 1° Vilitas
pretii, 2° Consuetudo / œnerandi ( a parte emptoris), 3° reconductio,
qua ndo ven ditor remans it in possesssione ; la somme convenue alors
sous le nom de loyer ou fermage n 'est au tre chose qu'un paiement
d 'i ntérêts. Quelques auteurs exigeaient d 'au tres conditions : i l fallait,
par exemple, que le contrat n 'eût été fai t qu'après que le vendeur
avait sollici té l'ache teur de lui prêter de l'argen t, ou encore que le
vendeur se fùt engagé à compter en rache tant une somme plus forte
que le prix qu 'il a\'ai t re~u. Mais Covarruvias, cité par Pothier qui
l'approuve (vente, n• 406), déclarait qu'on ne pouvait pas établir a
priori de cri teriu m , et que c'était à la sagesse du juge de résoudre
chaque espèce d 'après les circonstances particulières. Quoique la
législation a it changé, la décision doit être la m ême aujourd'hui.
Le Code permet et règlemente l'antichrèse (art. 2085 et suiv.); il
autorise en principe le p rêt à in térêt. Mais il se peut qu'on cherche
encore , dans notre convention, un moyen d'éviter, soit la limitation
de la loi du 3 septembre 1807 , soi t la défense faite au créancier par
les articles 2078 et 2088 C. civ. (Adde loi du 2 juin i841 : nouv.
�C Proc. civ.) de s'approprier l'objet du nantissement sans
2
' bl'
· é · d déb't
·
74
art.
1 eur, eta 1es par la
protectrices d es rnt ~ets u
les for malités,
loi. - Le contrat vaudra comr:1e ant1~~1rèse ~u comme v~nte à réméré
sui\'ant les circonstanees et suivant l 111ten t1on des parties. Ce n'est
u'en cas de fraude ou de dol qu ' il sera décla ré nul. Tel est le sys~me auquel se rallie la jurisprudence.. (V. Dalloz,. v• nan'.issement,
n·· 3i6 et su iv.; ver;te, n• i444 et su1v .. V. aussi Toull1cr, t. IX,
n• 3 1 3; Duvergier, vimte, t. II , n• 11; Troplong, vente, t. II,
n' 529) .
. _ Mais, supposons chez l'u? et l'autre contr~ctant.des inten·
74
tentions honnêtes, et non la volonte de tourner la 101. Il n en est pas
moins vrai que dans la vente à pacte de retrait, comme dans le prêt
sur nantissement, nous voyons le troc d'une somme d'argent contre
un objet meuble ou immeuble quelconque, dans le but principal de
fournir à l'une des oarties la quantité de monnaie dont elle se trouve
avoir besoin et que son créd it personnel ne peut suffire à lui procurer;
et, quand a cessé cette gêne momentanée, nous voyons l'échange se
0
reprodui re en sens inverse.
Ce serait pourtant une grave erreur de confondre nos deux contrats; ce serait méconnaî tre la volonté des parties et la vérité jurididique. - Que se passe-t-il dans le cas d'emprunt avec nantissement?
L'emprunteur conserve la propriété de la chose qu 'il donne comme
garantie; l'en gagiste n'a que Je droit de la garder en sa possession,
jusqu'au temps du r emboursement, et d'en percevoir, en attendant,
tous les fruits et toute l'utilité. - Dans notre hypothèse, a u contraire,
la propriété est bien aliénée: elle passe sur la tête de l'acheteur, qui
per\oit les fruits à titre de propriétaire et se comporte de tous points
comme tel. La clause de retrait ne laisse au vendeur que le droit
d'anéantir plus tard rétroactivement ce transfert de propriété, s'il le
juge alors à sa convenance et si, d'ailleurs, il se trou ve en mesure de
satisfaire aux restitutions nécessaires. Abstraction faite de la difficulté
qu 'il pourra éprouver à se procurer avant le terme fixé la somme à
rembourser, et du regret qu'il pourra, par s uite, resse ntir de ne pas
recouvrer l'objet engagé, le vendeur est dans une posi t ion favor isée;
personne ne peut le contraindre à faire ce remboursement; il est le
maître, l'arbitre so u verain de la situa tion ; à son g ré, Je contrat sub·
siste ou ne subsiste pas. T elle n 'est pas, il s'en faut, la condi tion de
l'emprunteur; il doit, et se trouve dans la position de tout débiteur:
63 -
son créancier, le prêteur, le forcera à effectuer le paiement. Il ne
pourra pas ir.ême s'y soustraire en abandonnant la chose engagée. Et
voyez quelle différence au point de vue pratique! Non seulement le
vendeur examinera au moment d'exercer le retrait l'état de l'objet
vendu et tiendra compte des changements qui donneraient naissance
à un bénéfice ou à un e perte: si l'immeu ble a reçu une plus-value
fortuite, il usera ce rta inement de son droit; si, au contraire, il y a eu
des détériorations, il se gardera bien d'invoquer une clause qui, tou t
à son avantage en princi pe, lui serait, en réali té, préjud iciable; Mais,
allons plus loin : survienne la perte totale de lïrnrneublc, les choses
se passent comme en cas de vente pure et simple, Je vendeur n'en
souffre aucunement. Au contraire, le débiteur perdrait l'objet de son
gage, et ne cesserait pas pour cela d'être tenu de l'intégralité de la
somme prêtée.
Si j'entrais dans les détails, je pourrais montrer encore des différences dans la manière dont la loi a réglé les deux contrats. Mais je crois
avoir suffisamment caractérisé l'un et l'autre.
VIII. - Comparaison avec le Report.
La vente à pacte de retrait offre aussi quelque analogie avec
7 5.
une certaine opération commerciale appelée Report.
Qu'est-ce, d 'abord, que Je Report ? supposons un marché ferme qui
vie nt à exécution. Pour un motif quelconque, l'acheteur regrette
d'avoir à payer et prendre livraison en ce moment. Il s'entend avec
son vendeur, et, d'un commun accord, la date de l'exécution du
contrat est reculée, elle est reportée, par exemple à la fi n du mois
suivant.
Dans cette opération quelques-uns ne voient autre chose qu' un
prêt sur gage. Si l'acheteur garde le prix qu 'il devait compter, c'est
comme emprunteur; si le vendeur garde les titres qu'il devait livrer,
c'est à titre de oage. Le prix nouveau représente, outre l'ancien prix,
les intérêts de la somme due jusqu'à l'époque nouvellement fixée; il
y aura donclieu d'appliquer la loi du 3 septembre 1807, et ces intérêts
ne pourront dépasse r 6 o/o. Ce système, qui serait la ruine de la spéculation, n'est pas acceptable. 11 n 'y aura pas prêt, puisque le prêt est
un contrat réel et qu'on ne voit pas, au moment du contrat, s'effectuer
la livraison de la chose prêtée. De pl us, il sera parfois impossible de
�-
Ô'4- -
prétendre qu'il y ait gage, car le ,·endeur n 'aura pas toujours les titres
,
. ,
en sa possession.
Suivant l'opinion la plus accréd 1tee, le Report s analyse en deux
ventes inverses )'une de l'autre: la première au comptant , faite par
l' cheteur au vendeur primitif ; la seconde à term e, par le vendeur
( :eporteur) à l'acheteu r ( reportè) . La différence des deux prix
s'explique natu re llement par ce fait du term e stipulé da ns la seconde
vente. _ On échappe ainsi à la nécessité d'observer le taux légal dela
loi de 1807 ( 1) .
du ~eporté et celle . d~t ve nde~r avec
7 6. - Entre la situati~n
clause de retrai t conventionnel, il y a toute la d1fference qui sépare
une vente à terme d'une vente sous condition. L e premier a un droit
actuel (2) dont l'exigibilité seulement est reculée jusqu'à un certain
jour; le droit du second, au contraire, est sus pendu par une condition.
Ce n'est pas tout : le reporté n'est pas maître d'u ser de rnn droit ou
de n 'en pas user; le reporteur peut le contraindre à exécuter le
contrat. Le vendeur à pacte de rachat, au contraire, est absolument
li bre: il ne retraira que si bon lui semble.
IX. - Rescision pour lésion (art. 1676 ).
77. - La précaution q ue prend le vendeur à réméré de se réserver
un moyen spécial de résolution ne saurait le priver des moyens que
la loi met, d'une manière généra le, à la dispositio n de to ut vendeur.
Si , par exemple, il a été lésé de plus des sept do uzièmes dans le
pri x d·un immeuble, il peut, au lieu d'exerce r le retrait, fa ire r escinder le contrat en vertu de l'art. l 674 ( Bourges, 2 r mars 1827,
Sirey, 29, 2, 112.). ll y trouvera cet a vantage de n 'a voir pas à rem-
. ( 1) Cette explication n'est-elle pas bien compliquée et bien pénible? Ne vaudraitil pas mieux dire simplement q ue le report n'est q ue la substi tution d'un deuxième
marché au premier~ Le premier n'a pas abou ti ; t ractativem cnt, bénévolement, le
vendeur consent à en fai re un autre, et son co nsentement lui est payé: c'est l'indemnité de report.
O~ devrait en conclure que le reporteur n'a pas droit de d isposer des valeurs
qu.il détie~t, n'en étant pas propriétaire. Mais la pratique de la Bourse lui recon·
-
65 -
bourser à l'ac~eteu r les fraise~ loyaux-coûts d u contrat. Cpr. art. 1673
et 168 1 C . c1v.) . Il est vrai q u'il devrn recou rir à la justice pour
prouver que les conditions constitutives de la lési on se rencontrent
bien dans la vente; et, de plus, il se peut que , par cette voie, il
n'arrive pas à recou vrer l'immeuble, si l'acquéreur, p rofitant de
l'option que lui donne l'ar t. r 68r, se décide à le garder en payant,
sous la déduc tion d'un dixi ème de la somme totale, le suppléme nt
du juste prix. Mais il pourra y avo ir des cas où l'action en rescision
sera seule possible, lorsque le vendeur aura laissé écouler sans ag ir le
délai de retrait moind re de deux ans, - comme, à l'inverse, si le
retrait a été stipulé pour quatre ou cinq a ns, il sera la seule ressource
d u vendeu r après les deux premières années (a rt. 1676, al. r .). C'est
à raison des avantages différents que présenteront tantôt l'une tantô t
l'autre de ces voies, que le législateur a pris soin de dire q ue les de ux
délais courraient simultanément et que le temps de la rescision pour
lésion ne serait pas su spendu f ar la faculté de résoudre la vente en
retrayant ( a rt . 167 6 in.fine.).
78. - Dans l'estimation que l'on fait de l'immeuble po ur savoir
s'il y a lésion suffisante pour resci nder, faut-il tenir compte de la
dépréciation résultant de la clause de retrait? - Il fa ut que la lésion
de pl us des sept douzièmes porte sur la valeur vénale de l'immeu ble,
telle qu'elle résulte de toutes les circonstances propres à attirer ou
éloigner les acquéreurs ; P ortalis a développé cette idée dans son discours au Corps législ atif ( Locré, t. XIV, p. 166 et su iv. ) . Or, a u
nombre des circonstances qui influent sur la valeur vénale des biens
se trouve certainement la condition r ésolutoire expresse de retra it.
« Res ità vendita mino ris rest imanda est qua m si simpliciter et sine
eo pacte fuisset vendita. 11 ( Tiraqueau, de R etr act. convent., prœj.,
n• zo.) La justice veut do nc q ue cet élément d u calc ul ne soi t pas
négligé; et c'est une so mme représenta tive de la Yaleu r de l'im meu ble
ainsi amoindrie dont les cinq do uzièmes au m oins auront dù sen·i r de
prix d'achat ( Faber, lib. IV, tit. 3o, defin. 27. ) .
Chapitre II. NATURE DU DROIT DE RETRAIT CONVENTIONNEL
I . - Réalité.
2
:, )
~ait.cc ~ro1t, à la charge par lui de fo urnir des titres équivalents au jour de la
liquidation. Ils sont regardés comme fongi bles .
79. - L e droit de retrait est-il réel ou personnel ? Pothier, q ui ne
paraît pas avoir p rété à cette question toute l'attention qu'elle
�-
66 -
ous dit seulement q ue ce n 'est pas proprement un droit
( )
,i •
.
. par rapport h' l'h,cn. un d ro1t
m .nte r ' n ~ ·t dans l'ht!rita"e mais
•
•
::> ,
que l e ven deur.. 1
· 1 ualific de;·11s ad rem. Cette expression ne serai t-elle
'bl d
· ·
.
taCTe, et i 1 e q
'nt claire par elle-même, il serait 1mposs1 e e douter
;:- ffi
,. . .·
.
.
•
pas su samm~
da ns son 1ntroduc· que lui donne Pothier p u1squ il éc 11t
, . .
,
, .
'
de la portee
· , I Co•tturne d'Orléans t n• 1oq ) q u « il nall de l obl1 gat1on
·
·
t1on a a
contractée envers nous de no us donner u ne chose, »
.
. .
'
personne lle
bli<>ation " ne nous donne aucun d101t dans la chose qui en
1aque \le O ::,
l'
·
c ·t r bi·et et oblige seulement enYers n ous 1a personne qui a cond .
.
~
,
0
1:11
tractée. » _ Ainsi, le droit du retrayan t serait un pur ro1t de
créa nce.
Cette théorie a été adoptée par un certain nombre d'arrêts (2), et,
dans la doctrine contemporaine même, elle trouve un puissant appui
dans J\1~1. Aubry et Rau. l éanmoins, ce p:::iint de v ue a été repoussé
par la grande majorité des auteurs, et il est possible, je crois, de
démontrer qu'i l manque de justesse.
So. -- Tout le monde sait, et j'ai déjà eu l'occasion de le faire
remarqu er, que le Yendeur à pacte de r et rait ne retire jan:ais de sa
chose un prix aussi consid~rable, à beaucoup près, que si la ven te
était pure et simple. D"où vient cela? D 'où peut Yenir ce fait, non pas
accidentel, mais prévu, im manquable, que l'adjon cti on d 'une clause
au contrat abaisse le prix, sinon de ce fait que la clause apporte une
diminution dans les avantages faits à celui qui donnera ce prix? On
paye moins, c'est qu'on reçoit moins. Le vendeur ne s'est pas dépouillé
aussi complètement qu'il le pouvait; il a conservé quelque chose de
ce qu'il avait, c'est-à-dire du droit de propriété. - Cette manière de
voir est autorisée par les expressions qu'emploie l'art. 1659 : cc ... le
vendeur se réserve le droit de reprendre la chose. >> On ne peut voir
là une allusion à l'acquisition d'un droit nouveau . Sans doute, ce
droit nouveau existe! Le contrat a eu pour effet de donner au vendeu r
une action personnelle pour contraindre l'acheteur à subir le retrait
comme pour le contraindre à payer son prix d'achat. Mais, n'y a- t-il
pour le Yendeur qu'une action personnelle, n'y a - t-il qu'un droit de
(1) Au moins ici (Traité de la vente, n• 387.); car plus loin ( n• 395) il sémble
revenir sur son assertion et s'exprime en excellents termes.
(z) En Belgique, au contraire, où le Code Napoléon est toujours en vigueur, la
jurisprudence des cours est conforme li l'opinion que je vais exposer plus loin.
créa~ce? Le Code ne nous laisse aucun dou te possible à cet égard: le
retrai t peu t être exer cé au mépris des ayants cause de l'acheteur tant
de ceux qui avaien t obtenu de lui sur l'immeuble une constit~tion
d ' hy~othèque ou de servi tude ( art. 1673 ~ 2)quedeceux à qui il
l'avait revendu ( art. 1664). Or, n'est- ce pas précisément le caractère
du droit réel, du jus in r e, d 'ètre opposable aux tiers ? Il y a eu un
démembrement de la propriété; qu elque chose, que je réduirai autant
qu_'on le v~udra, jusqu'à l'appe~er simplement une chance de propriété, mais quelque chose qui n 'a pas le caractère de relativité
personnelle du dro it de cr éa nce, quelque chose qui a tous les caractères du droit réel a été rete n u par le vend eur ; et c'est pour cela que
l'ar~. 1659 emploi.e un e expression qui indique non pas l'acquisition,
m ais la conservation. - N'est-ce pas, du reste, ce qui paraît dès le
premier abord? L 'acheteur a-t-il le droit le plus absolu, le plus complet qu 'on pu isse avoir su r une chose? On est bien forcé de convenir que
non . Il exerce actu ellement le droit de propriété, mais il lui manque
au moins la certitude de la perpétuité. Ce qui lui manque, un autre
doit l'avoir. Peut-être rcstera-t-i l propriétaire: il a des chances pour
cela ; peut-être cessera-t-il de l'ètre: son vendeur a des chances pour
le redeveni r. C'est là u ne situa ti on bien connue en droit: Si l'acheteur est prop riétaire sous condi tion résol utoire, le vendeur est
propriéta ire sous condition suspensi ve (r). Il y a eu, au profit du
vendeur, rétention partielle du droit primitif, non en ce que ce droit
s'est restreint à telle partie de l'immeu ble matériellement délimitée ou
à telle qu ote-par t indivise du droit, - sous ce rapport la transmission
à l'acquéreur a été très-complète, - ma is en ce qu'il a conservé une
évent uali té, un espoir de propriété. Et c'est là ce qui constitue la
( 1) On objecte encore que ce qui prouve bien que le droit du vendeur n'est pas
un droit de propriété sous condition suspensive, c'est que, d'ordinaire, quand la
condition défaillit, le contrat est regardé comme n 'ayant jamais existé, tandis que,
dans notre matière, il n'y a, lorsque le retr:iit n'est pas exercé, qu'une dé~héance
pour le vendeur, mais la clause n'est pas regardée comme n'ayant pas ét~ stipulé,
L'objection me parait obscure; elle est, à coup sûr. très subtile. Je cherche dans
les textes, et ne trouve que l'art. 1662, qui déclare que, faute de retrait, 4 l'acquéreur demeure propriétai re irrévocable. • N'est-ce pas l'effet ordinaire de la défaillance d'une condition résolutoire'? Je ne vois pas la différence qu'on pret~nd
signaler. Il me semble que le vendeur est bien dans la même situation que si jamais
le pacte de retrait n'avait été stipulé.
�-
68 -
'été us condition suspensive . - Ce droit réel qu'a le vendeur
propn so
.
.
.
.
.
, '" 1 la"i sse passer sans ao ll" le délai co nvenu pour 1 exercice
'
'=' .
.
•
d 1splra1t s 1
·
e s ~vanouit a uss i le droit de l acheteur quand le
'
.
d u retrait, con101
retrait est opéré avant l'expiration du term e. .
.
.
Sr. _ Dois-je, à présent, me den~a nder si le droit de retrait e~t
·im roo b·1·e
. ~ Les princioes
la réponse
: Porte-t-il
1 1 1.
.
ooénéraux un posent
.
.
.
·1
est
mobilier·
porte-t11
sur
un
immeuble,
il
est
1
euble
sur un m
,
'
.
immobilier. J us assumit naturam rei pro quâ compet1t.
II. - Transmissibilité.
-
69 -
84. - Réciproquement, la néccssit~ de subir le r etrai t con ventionnel est a ussi tran smiss ible a ux héritiers de l'acheteur ( Ti raqueau ,
~ 1 , glos. 6, n 1• 26,27.). Ma is, sur ce point, il y a pl us: le vendeu r
peut r evendiqu er l im meuble entre les mains de n'importe quel
dé tenteur, ayant cause ou non de l'acheteur, et, par conséquent, obligé
ou non.
85 . - A joutons que le d roit de retrait est parfa itement divisible,
tant activement q ue passivement. Je me borne pou r le moment à
énoncer cette proposition , qu i fer a l'objet de longs dé veloppements
( aux n•· t3 4 et suiv. ) .
III. - Cessibilité.
g 2, _ Il va sans dire que le droit de retrait est tran smissible aux
héritiers. Notre Code ne le dit pas expressém ent comme la loi romaine
( L. 2 , C., li b. IV , tit. LIV ), m ais il indique d a~1 s l'a rt. ~ 66.9 une
conséquence de cette règle qu' il suppose p rééta blie , et qui n est en
effet qu'une application du principe plus g~néral .d e ~·art. 1122_; je
n"apercois rien dans la nat ure de la con vent10n qu i deno te la necessité de 'restreindre l'exe rcice du d roit à la personne m ême du vendeur.
Que si cette restri ct ion avai t été stipulée clans le contra t, il est bien
évident que la volonté des parties, con for me d 'ailleu rs sur ce point
avec l'intérêt général de la stabilité de la propriété , devrait être
respectée.
83 . - Mais, qu'y aura it- il li eu de décider da ns le cas où il serait
dit q ue le vende ur seu l pou rrait exercer le retrait ? Les auteurs
an ciens se posaient la questio n, et la résolvaient de la m anière suivante: ( 1) le droit de retrait ne pourrait être cédé à n n ti ers , mais il
continuerait même da ns ce cas à passer a ux héritiers d u vendeu r, car,
en d roit, ils ne sont pas disti ncts d u vendeur lui-même ; ils continuent
sa personne et sont censés avoir vendu eux- m êm es. J e cro is cette
décision fo ndée ; elle devrait être su i,•ie toutes les fois que ri en dans
le:; termes du contrat ne démo ntrerait q ue les parties ont eu en vue
l'exclusion des héritiers du vendeur ; car c'est avant tout une question
d'interprétation de la volonté des contractants.
( 1) li semble ressortir d'un passage de Fachinée qu'elle a trouvé jad is qu:lques
contradicteurs: Co11trov .. lib. Il , c. 11 .
( 2 ) De nos jours, il est arri vé que l'acheteur a essayé de repousser le cession naire
en alléguant que la cession é1ait en tachée de nullité c~m.'1'1e portan t.s~r la chose
d'au trui (art. 1Sgg ) . Cett e pr~lcntion n'a pas étt! accue illie ( ~ass ..' Î Ju illet 18 20) ;
elle ne devait pas l'êt re, cela ressort à f ortiori des idées que J~ vais .exposer. - Du
reste dans )'espèce. l'acheteur trouvait en apparence u n porntd appui dans qu elq\.les
expr~ssions dont l'acte se servait mal à propos. Mais c.'est u n sys'.ème. qu'on doit
réprouver que celui qui con5is te à s'emparer de$ accadenls de n:dact1~n p~ur en
tirer parti. Il fau t aller au fond des choses et scruter l'inten tion des parues.
( 1) Pas tous; certâins incl inaient à fa ire aux héritiers ap plicatio n de la maxime:
• Diction es taxativa:: affirmativè positœ o m nes alias personas et casus prreter cxpressos excluduat. , Tiraq ueau, s'appuyant s ur la loi 8. ~ 4, D., de pi{{1t. act,, fit
ÎUitice de cet excès.
(3) La personne qu i acquiert un fon ds dèjà ve~d~ à réméré ~·en te~d ~cq~énr
q u'u ne propriété éventuelle, et sait bien que, po~r v1v1fie r son dr~1t et ~.e_trui re 1obstacle c'est·à-d ire la p remière vente, il n'es t qu un seul moyen, ! exer<.:1<.:e d u retrait
conv~n tionnel. En achetan t l'im n'euble, elle a donc certainemen t en v~e le retra.it ,
_ de même que c'cstl'immeublequ'onconsidère en sefaisantcéderledro1tdc retraire
( Duvergier , t. II. n• 29.).
86. - Le droit de retrait , - ce qui précède l'a déjà donné à
entendre, - est dans le patrimoi ne du vendeu r comme tout au tre
droit parfai tement dis ponible; le Yendeur peut l'aliéner au profit
d'u n tiers s'il le ju ge à propos, si pa r exem ple il ne peut pas fourni r
lui-même la somme nécessaire pour l'exercice du retrait. T elle a été
de to ut te mps l'opinion généra le ( 1), et, de nos jours (2), les m aît res
les plus a utorisés enseig nent même que le vendeur peu t co nsenti r
une vente nou velle portan t directement sur l'immeuble : P our donner un sen s à cette conve ntion (art. 1 r 56 , 11 57), peut- on dire dan s
le systèm e qui ne recon naî t au vendeur q u'un droit de créance, il
fa ut décider , et telle a d ù être, en effet, l'inten tion des parties (3) ,
�-
- 7r-
70 -
qu'elle a contenu cession virtuelle de la faculté de retrait. Cette
s'explique encore mieux quan.i on admet que le vendeur
· ·
. ( )
..
dé c1s1on
avait aussi un droit réel: Il a cédé ce qu 11 avait .1 : non-seulement
action personnelle dériYant du contrat, - c est là un accessoire
(
,
.
son
art. 160 2 ,
expressement
•
.
. .
quon a pu se dispenser de m entionner
son d roit réel, sa pro- 6 ::) - mais aussi et pnnc1palement
•
•
1 6 1 :> , 1 2 J . )
nt désormais à son cession· 'té sous condi ti e n suspensive ; la issa
.
. .
. .
.
.
pne
naire le soin de faire advenir la cond1t1on. La 1unsprudence, qu 1
hésitait d'abord à adopter cette solution (z), a fini par la con.
sa.:rer (3 ).
8 . _Qu elle sera la situation du cessionnaire d'un droit de Retrait
7
Conve ntionnel ? Elle sera sur la plupart des points la même que
celle d'un vendeur qui l'exerce lui-même. - Je n 'ai donc pas à en
faire ici un exposé complet ; je n'ai qu 'à ren voyer aux détails qui se
trou veron t dans les chapit res su ivants.
Mais quelques difficultés peuvent naître de la qualité du retrayant,
de ce fait que ce n'est pas le vendeur qui agi t, m ais un tiers subrogé
dans ses droits. !l peut y avoir conflit d'intérêts entre plusieurs ayants
cause du vendeur.
88. - Ainsi, un vendeur concède, pendente tempore retractî1s,
une hy pothèque sur l'immeuble vendu, puis il cède à un tiers son
droit de retrait. Comment concilier les droits des divers intéressés?
Les personnes qui ont obtenu hypothèque seront le plus souvent des
prêteurs; ils sont venus au secours du vendeu r, mais s'en se raient
probablement ob tenus s' ils n'avaient compté dans une certaine
mesure sur cette garantie. On peut faire valoir en leur faveur de
puissa ntes considérations de crédit. D' un autre côt~, le cessio·rnaire a
ress usc ité en quelque serte un gage qui était perdu rour eux, ou,
plutôt, il a Yivitié cette ga ran ti e qu i n'était jusqu'alors qu'éventuelle
et qui, sans lui , n'aura it produi t aucun effet, n'ayant pris aucune
existence positive. Est·ce 1ui qui doit être sacrifié?
La questi on, on le vo it , c~t assez délicate; el le s'est prése ntée
plus ieurs fois dans la pra tiql!e, et les tri bunaux l'ont di,·e!'se ment
résolue.
89. - Une questi on préalab le doit ê•re examinée: lcs hypo hègu~s
constituées par Je vendeur pendan t le délai convenu pour l'exerli.:e
du retrait sont-ell es ,·alables?
Nous con na'sscns la na ture du droit du vendeur. J'ai assez longuement insisté sur sa réalité (s11prà, n• 79 et sui"ant. ) r ou r n'avoir pas
besoin d 'y revrn ir, je crois. 11 semblera it q ue, par là même, a ét.!
démontrée la val idité d'hypothèques nées de son chef. Elle est pourtant co ntestée par des auteurs du plus granJ poids, ceux-là mêmes
qui contestent a ussi que Je \'tndeur scit propriétai re sous condition
suspensive. - En admettant même qu'i l en soit ainsi, que le vendeur
ne se t rouve pas réduit à un droit de créance, purement p.::r sonnel,
ils ne se ti ennent pas po~ r battus.
Vo ici comment ils en visagen t la question: qui pe ut hypothèquer?
T ra nspo rto ns· nous a u ::.iè.ge de la matière, aux art. 212+ et su!va nts.
Qu 'y voyons-no us? L es rédac teurs du Code: toutes les fois qu'il s ont
traité des droits con<lition nellcmen t suspendus ou résolubles, se sont
placés au poi nt de v ue de cel ui q u i acquérait ce droit en Yertu d'un
contrat, et non po int de celui qui le retenait d'un droit plus con,idcra ble, plus entier , qu 'il ava it et dont il s'est désinvest i partiellem ent Ils ne supposent pas qu e la condition suspensi\'e et la conditi on résoluto ire puissent se r encontrer dans le m.!me acte, ou du
m oins, ne cons idérant qu e la position de l'acq uére ur, ils dé.:ideot
d 'après la nature de so n drcit, et alternati\ ement, que l'acte cont ient
un e condit ion suspensive se ulement o u une condition résoluto ir e
seulem ent. C'est peut-être là un tort, c'est ne regnrder qu'un seu l
côté des choses, mais il faut tenir compte de cette maniè1e de fai1e
du législa teu r. Q uand il a écri t l'art. 2 125, il etait sous l'empire de
ces idées; elles do ivent servir à l'éclairer. Il y perm et d'hypothé 1uer ,
à q ui ? A cel ui qui es t propriétair e, à cel ui même dont le droit de pror
(1) Qui actionem habet ad r em recuperandam e t ipsam rem habere videtur.
Paul, 1. 15, D., de reg. juris.
(2) Req. r ej . 4 aoùt 1 82 ~. et 7 juillet 182q. Ces arrêts se fonda ient surtout sur
ce que les tiers n'ont pas le droit d'invoquer la rétroactivité de la cond ition, qui ne
profite qu'aux parties contractantes. Mais l'ach eteur d'un immeuble précédemment vendu sous pacte de retrait est-il donc un tiers à l'égard de son vendeur ? Au
contraire, • il est son représentant; il est saii.i de tous ses droi ts et h abile à les
exercer comme lui-même. • f'uvergier, /oc. cit ..
(3) Mais seulement par su ite du pr emier motif: Gre noble, 17 février 1!!49;
Nîmes, 18 décembre 1849.
�-
7z -
priété est sous condition. On sait que par là il n'entend qu'un
acquéreur conditionnel (1).
Est-ce bien certain? Quelle en est la .preuve~ Lorsqu'une idée est
reconnue juste, quand ~a règle qu'elle tend à' faire adm~ttre ~e.s'éca'.te
pas du droit commun, il fa ut autre chose qu une assertion d1v111atoire
pour persuader que Je législateur l'a re~oussée. - ~-e ~oint de départ
est celui-ci : Je vendeur à pacte de retrait est propneta1re sous condition suspensive; peu im porte si dans la pratique des affaires on ne le
qualifie pas ainsi; j'ai établi ~e point de droi~. T~ut prop~iétaire pe~t
disposer de sa chose dans la limite de so~ droit : s1 son. dr~1t est conditionnel, celui qu'il concède le sera aussi , nemo plus ;uns dare potest
quàm ipse lzabet. Tel est Je droit commun. La liberté la plus entière
doit être laissée aux conYentions quand elle n'ont rien de contraire
aux principes de la morale et à l'intérêt général de la société. N'est-ce
pas le cas de la convention par laquelle notre vendeur s'accorde avec
un tiers pour lui conférer une hypothèque qui aura d'ailleurs le même
caractère de précarité que son propre droit (2)? L 'affermissement ou
la disparition de l ' un aura pour conséquence l'affermissement ou la
disparition de l'autre? (3) - Pour que cette con vention ne pût avoir
lieu,il faudrait un texte bien formel. Or ,consultons les termes de la loi:
« Cellx qui n'ont sur l'immeuble qu' un droit suspendu par une con-
( 1) On s'appuie encore sur l'art. z 129 1 qui emploie l'expression c immeuble~
actuellement appartenant au débiteur. » - N'isolons pas ct:t article. Voyons quel
a été son but : Il pose le principe de la SFécialité de l'hypoth èque conventionnelle
et prohibe l'hypothèque des biens à venir. Mais peut-on dire que l'immeuble soumis au retrait est un bien à venir pour le retrayant ~ Je ne veux faire qu'une réponse:
on ne niera pas, je l'espère, la rétroactivité de la cond ition accomplie; si le vendeur exerce le retrait, il est donc réputé, de par la loi, avoir été p ropriétai re au
moment de la constitution de l'hypothèque.
(z) Craint-on que cette garantie ne soit pas assez sérieuse, assez solide ! Elle l'c:st
autant, ce me semble, que si l'hypo1l1èque était constituée par l'acquéreur conditionnel! Veut-on décourager cet élément de crédit! Pourquoi prendre les intérets
des futurs prêteurs plus chaudement qu'eux-mêmes ? C'est eux qui sont les mcil·
leurs juges des gardnties qui leur sont offertes .
(3) A qut:I bizarre résultat n'arrivc-t-on pa3 dans le système adverse lorsque le
ret:,ait ~st c;xerd ! le vendeur n'a pas pu, dit-on, hypothéquer medio tcmpore parce '
qu 11 n avait plus de droit sur l'imme uble; mais l'achec.!ur non plus, puisqu'il est
censé ~·a\•oir jamais eu de droit. a L'immeuble sera donc h ors du commerce pendant cinq ans ! • F. Llurent, Principes de droit civil français, t. XXI V.
dition, ou résoluble dans certains cas, ou sujet à rescision, ne peuvent
consentir qu' une hypothêq ue soumi se aux mêmes conditions ou à la
même rescision. » Où voit-on la restriction annoncee? Ces expressions
ceux qui ont sur l'immeuble un droit conditionnel ne sont-elles pas
tout-à-fait générales? Pourquoi donc supposer que les auteurs du
Code n'ont pas senti quelle était leur portée (1)?
90. - D'autres auteurs, (z ) préoccupés aussi d'éviter un conflit
entre les créanciers hypothécaires du vendeur et le cessionnaire (3)
ont pensé qu'on pouvait y arriver tout en reconnaissant au vendeu r
un droit réel et la faculté d'hypothèquer. Seulement, ont-ils dit, les
hypothèques concédées ne naîtront que dans le cas où la condition
qui suspend le droi t du constituant se réalisera; or, lorsque c'est un
cessionnaire qui exerce le retrait, la condition ne se réalise pas plus
que si le retrait n 'était pas exercé du tout. L'immeuble ne peut être
effectivement grevé, les hypo thèques ne prennent pas de consistance,
puisque le vendeur, qui a cessé d'être propriétaire, ne le redevient
point.
On apercoit tout de suite l'injustice de ce système : Permettre au
vendeur d.'anéantir par un pur acte de sa volonté les droits réels qu'il
a constitués! Permettre au débiteur de rendre ses engagements inefficaces (4), à son g ré! Tant d'arbitraire entre- t -il dans l'esprit de
notre législation? Non, et les principes les plus certains s'opposent à
l'adoption d' un pareil système.
La condition résolutoire, lorsqu'elle s'accomplit, remet les choses
( 1)
Cela ne rappelle-t-il pas la fameuse scène où Bélise et Philaminte commentent
à leur façon tes vers de Trissotin et lui dévoilent le fond de sa propre pensée:
Mais quand vous avez fait ce charmant quoi qu'on die,
Avcz~vous compris. mus, toute son énerg1~.!
. )
Songiez-vous bien mus-même à tout ~e q1:11} nous dit.
Et pt:n ~i ez-vous alors y mettre tant d esprit.
( 2 ) Paul Pon t, Priv. et hyp.; Massé et Vergé, sur Zacharire.
(3) Je crois que c·est à celte préoccupation qu'il faut surtout a~tribuer_ la mauvaise volonté qu'ont rencontrée les créanciers, e~ lesju~emP.nts qu.• on\mecon.nu la
validité de leurs h ypothèques. Quand ce confttt ne s est pas presentc, on na pas
contesté qu'elles fussent \'alablcs (Douai, 22 juillet 1820.).
( 4' S~ns doute, il Jemcurerait personnellement obligé:.mais. les créanciers ont
voul.u autre chose, ils ont voulu s'associer aux chances qu 11 avait de recouvrer son
ancien droit.
�- 7+ en l'état primitif. C'est au cédant qu'appartenait la propriété de
l'immeuble (i), c'est au céJant qu'elle doit revenir. Ou bien, il n'y
a pas de résolution. C'est un dilemme. Il est v~ai quel~ propriété ne
s~jouroe pas sur la tète du cédant; dans la réali té des fa.1ts, elle ne fait
qu'y passer le temp..; nécessa~re pour qu e la r~solut10 n s'~père, un
instan t de raison ; aprl:s quoi , elle est tra nsmise au cessionnaire.
Mais, cet instant, si court qu'il ait été, a suffi pour vivifier
le droit des créanciers. L eur hypoth èq ue était conditionnelle; la
condition qui la suspend ait, c'était le r etour de l' immeuble en la
propriété de leur au teur . Ce retou r a été éphémère, ça été la durée
d'un éclair? Il n'importe (2), car, en vertu de la fi ction légale de
r étroactivité (art. 11 79), leur auteur est censé avoir été propriétaire
jusqu'au moment de la cession, - puisqu'il fau t bien que quelqu'un
l'ait été entre les deux contrats, que, bien évidemment , le cessio!lnaire n'a de droit qu'à partir de l'acte de cession, et que l'acheteur,
lui, est réputé, de par la loi, n'en avo ir jamais eu! Leur h y pothèque
a donc pris force , ils sont investis désormais du droit de suivre l'immeuble qui leur avait été évent uell ement affecté,
91. - Le conflit s'affirme donc, inévitable , entre ces créanciers et
le cessionnaire. Mais quoi! c'est à lui qu 'ils doi vent l'effi cacité de
leur gage, et ils iraient le dépouiller entièrement l Une telle injustice
est-elle possible ? E xaminons si la lo i la consacre.
J 'ai commencé par affirmer le droit du cessionnaire. J 'ai repoussé
ensuite le système qui nie absolument celui des créanciers hypothécaires. Maintenant, plusieurs solutions sont possi bles. Ce que voudrait l'équité, c'est que le cessionna ire demeurat indemne, que son
argent ne servît pas uniquement à assurer les droits des autres sans
(1) Nous avons déjà vu que, au fond, cessio n de droit de retrait et vente de
l'immeuble sont même chose. Le vendeur avait une propriété grevée de certains
droits; qu'a-t-il pu transmettre à son cessionnaire ~ une propriété grevée des
mêmes droits. Je J'ai dit et je le répt:te : Ncmo plus juris Jare pou.sr quam ipse
habet.
(2) Peu importe aussi que ce ne soi t pas la personne même du vendeu r qui
rembourse à l'ache teur les sommes qu'il avait Jébour;.ées. On ne peu t agir que de
son cht:f. Aussi, le cessionnaire le rcpréscnte-t-il. li n'avait pas de droit propre.
Ce n'.est que.sa qualité d'ayant cause Ju vendeur qui le rend recevable à exercer le
retrait; ~t, .si le retrait exercé profite à cet ay<1n t cause paruculier, pourquoi ne
profiterait-il pas aux autres?
profit pour lui-même, - et que les créanciers hypothécaires fussent
ensuite désin téressés, suivant leur rang, sur l'excédant de valeur de
l'immeuble.
92. - P o ur cela, que fa udra it-il ? ll faudrait que le ces5ionnaire
fût privilégié ( 1). L 'est-il ? On l'a soutenu. M. Labbé, qui est l'auteur de cette doctrine (2), le subroge au privilège qu'il reconnaît à
1'acquéreur.
Sans doute, nulle part dans les textes on ne trouve de privilège
établi en fa veur de cet acquéreur; mais peut-on ne pas être frappé de
l'analogie qui existe, au moment du retrait, entre sa position et celle
d'un vendeur ? Elle est si g rande qu'elle a créé la confusion d'où est
né l'em ploi des mots rachat et réméré. C'est sur -cette analogie que
M . Lab bé appuie son système.« li serait aussi injuste, dit - il, de voir
les créanciers du vendeur à réméré s'emparer de la chose vendue,
l'acheteur n'étant pas préalablement satisfait par la restitution du prix,
que de vo ir les créanciers d'un acheu:ur ordinaire s'appropri er la
valeur de la ch ose vendue en face du vendeu r impayé. 11 y a dans la
( 1) On a proposé d 'autres moyens de venir au secours du cessionnaire. Ces
moyens, on les a che rch és dans l'analogie qu'offre sa position avec celle du tiers
détenteur d'un fonds h ypoth équé qui l'améliore, y construit.Quelle e't la situation
de celui-ci ! Le droi t de rétention eiu'on a voulu lu i accorder est absolument vain
car il ne s'agit p lus. comme en Droit Romain, d'obtenir par l'action hypothécaire
la possession . li ne saurait empêcher les créanciers de mettre l'immeuble en vente,
et, s1 l'adjudicataire se voit opposer le conflit qui existe entre les créanciers hypothécaires et le cessionnaire, ce sont choses qui ne le r egardent pas: il consigne son
prix, etentre en possession.Mais s'il n'a pas cette ressource d'un droit de rétention,
le tier s détenteur n'en a-t- il pas une autre? L'opinion générale lui en accorde u_nc
en effe t, bien plus efficace, un droit de distraction ou de prélèvement s~r le ~ni::
(V. P . Po nt, P riv. et hyp ., t. li, n' 1208. ). Le posse~eur de mauvaise foi qui
a construi t sur le terrain qu'il possède a, s'il n'est remboursé de la v aleur des
matériaux qu'il a employés et du prix de la m ain-d'œuvre, le ~r~it de supprim.er
ses pla ntations et constructions (art. 555); et c'est la combinaison de ~e. ~roit,
qu'il faut reco nnaitre à f or tiori à notre tiers détenteur , ave~ la rè~le i\~al1t11s non
est indulgendum qui donne naissance e n sa faveu r au dr01t d_e d1str~ct10~. - En
admettant m ême que cc raisonnement soi t fondé, on ne pourrait ps 1appliquer au
cessio nnaire du droit de retr ait : il n'a donné à l'immeuble auc une plus-,•alue ,
l'immeuble entie r. tel quïl se trou' e en tre ses mains, est soumis à l'a:tion hypothécaire, il ne peut donc prétendre à aucu n jus tollendi et, par suite, à aucun
prélèvement sur le prix.
(2) R ev11e ,,.;. ique de législation et deji.rispr11de11ce, XXI• année.
�-
76 -
situation de l'acheteur à rémé ré aya nt droit au remboursement du
prix les mêmes rai s~n s de privilège que d~ns la situat ion d~ Ye~~eur
ordinaire ayant droit au payement du pri~. )) . Et M. Labbe prev1ent
l'objection qn'on ne peut manquer de lui ~aire <( Pourquoi donc la
loi ne parle+elle pas de ce privilége? >> e n disa nt que le législateur
n 'a considèré que les cas généraux, pour lesquels le droit de r étention
(reconnu par l'art. r673, 1•• aliné~, in.fine,) s ~ffit à yrotéger l'acheteur, que c'est l'existence de ced roll d e réten tion qui a empêché de
proclamer aussi un privi lège, que, pa r conséquent, « dans les hy pothèses où le droit d e rétention ne suffit pas ( r), le privilège doit
apparaître,» et qu'en fi n , s'il en a été a utreme nt disposé à l'égard du
,endeur, c'est que quant à lui , et ceci est évident, on ne pouvait
songer à le laisser rédui t a u droit de réte ntion.
Voilà le système résumé da ns ses parties essentielles, quan t à la
première proposition. Arrivé là, j'aurais encore plusie urs points à
étudier, relutivement à la publicité de ce privilège, etc. J 'a urais
surtout à me demander comment on a r r ive à faire passe r sur l a tète
du cessionnaire le privilège que l'o n vient d e créer en fave ur de
l'acquéreur (2). !\fais, sa ns alle r plus loi n d ans cette exposi tion, je
ferai remarquer que tout e cettê théorie, ratio nnelle d 'aille urs et tort
équitable, se h eurte inévitablement à l'inflex ib le règle« Pri vilegia
strictissimre su nt in te rpretation is. » On ne peut qu'appla udir au but
poursuivi pa r l'auteur, mais on ne saurai t engager la ju risprudence
à s'inspirer de ses idées. Elle sorti rait d e son rô le, e t empièterait su r
le domaine du législa teur. - On s'appuie s ur l'a rt . 4 du Code civil,
et l'on dit que, dans le sile n ce d es textes, les tribuna u x n e doivent
s'inspirer que de la raison naturelle. Il faut aussi ne p as violer les
principes généraux de n ot re droit: et l'un d 'eux, je v iens de le rappeler: N ul privilège ne peut naître que de la l oi; il n 'est pas permis
en cette matière de p rocéder par voie d'analogie.
( 1) Quelles sont ces hypothèses/ Elles doivent être assez rares. On peut citer
comme exemple le cas où l'acheteur consent à livrer l'immeuble sans être encore
remboursé, afi n que le vendcur profite d'une bonne occasion, qui s'offre de
revendre. Le privilège est ici nécessaire . En ce i1ens, Colmar, 12 juillet 18 16.
(2) M. Labbé n'y arrive encore qu'en in voq uant la ressemblance qui existe entre
1a posi.iion ~u cession naire et certaines situati ons pour lesquelles le Code établit
de plein droit la subrogation (art. 1251 C. ci v., 1• et 2•.). Mais, il l'a dit lui-même,
augmenter les cas de subrogation légale dépasse le pou1•oir de l'interprète.
- 77 93. - Voilà donc le cessionnaire insuffisamment garanti 1- Il est
vrai. Le législateur n 'a pas songé à notre h y pothèse. Il y a dans la loi
une lac u ne. Au législateu r seul il appartient de l a combler; l 'interprète n e peut que la signa ler.
94. - E t d 'ailleurs, cette imprévoyance de la loi est-elle assez
grande pour déjouer absolumen t tous les calcu ls de la prudence humai n e? Je p ense qu 'à force de p récauti ons le cessionnaire peut arri ver
à remédier aux inconvénients de sa situation. Mais il fa u t qu'il s'y
prenne tô t ; c'est ici le cas de répèter l'adage : « leges vigilanti bus,
n on dormientibus adsu nt ; » il fau t qu'il ne se hâte pas d'opérer ses
paiements, m ais s'assure d'abord qu 'il ne pourra pas être inquié té pa r
la sui te, et surtout qu 'avant de s'en gager dans l'opération il en envisage tous les aspects. Quand la cession lui est proposée, qu'il vérifie,
au bureau des h ypot hèques de la situation de l 'immeuble, si des inscription s ont été prises. Supposons qu'il n' y en ait pas eu: qu'il s'emp resse d'exercer le retrait et de faire transcrire ( 1) son contrat; et, lors
( 1) F era -t-il transcrire le contrat de cession ou l'acte qui constate l'exercice du
retrait '! Ce ne peut ê1re que le contrat de cession, car Je jugement qui statue sur
l'action en réméré, ou l'acte quelconque qui y supplée, n'est que déclaratif. A ce
moment Je droit se consolide, mais il préexistait. Le germe en est dans la cession :
le vendeur, je l'ai dit souvent, était propri étai re sous condirion suspensive ; cette
situation est devenue celle du cessionnaire. Or, bien que le droi t de mutation ne
soit pas immédiatement ex igible dans les ventes sous condition suspt:nsive, la
transcription en doit être opérée sans retard, sans attendre l'é\'ènement de la condidion ; c'est le seul moyen d'éviter des surprises. La mutation a lieu du vendeur au
cessionnaire tou l comme si le vendeur, après avoir lui-même exercé le retrait, lui
eût vendu l'immeuble et l'en eût mis en possession~ Cass., 2 1 germmal an Xll).
Puisque c'est en \ ertu de œtte cession que le cessionnaire devient propriétaire et
que la muta tion a lieu, 11 est nécessaire que transcription en soit faite. •C'est l'accomplissement de cette formalité, dit Ill. Troplong. qui fixera le moment précis où
la propnété, revenue au vendeur, aura passé, au regard des tiers, sur la tête du
cessionnaire n On a contesté la nécessité de cette transcription (Aubry et Rau,
t, 11, ~ 209.). tout en regrettant le défaut de publicité qu i résultera de l'imperfection
de la loi sur ce point. Cela tient à ce qu'on considère à tort le vendeur comme
n'ayan t et n ~ pouvant transmettre qu'un droit de créance. Sur quoi porte la cession '!
disent encore MM. Rivière et Huguet ( Questious théoriques et pratiq11es s11r la
transcription, n°' i o9 et suiv.). li faudra it, aux termes de la 101 ?u 23 mars 1 ::-S~,
que ce fût sur un droit de propriété immobihèœ ou sur des droits réels susceptibles d'hypothèque (art. 1••, 1•.). Eh bien, une action en réméré peu t-elle c!tre hypoth~quée ? - C'est là mal poser la question. J'ai montré par avance que le vendeur à pacte de retrait pouvait hy pothéquer son droit, quel que &oit le nom dont
on le nomme. Or, c'est ce droit qui fait l'objet de la cession.
�même qu'il y a urait des créanciers h ypothécaires, il aurai t préven u
leurs atteintes ( loi du 23 mars 1855, art. 6, r"' alinéa.). Supposons
maintenant que des inscriptions aient éré prises du chef du vendeur i
supposons qu'il existe des h ypot.hèqu~s dispensées d' inscription. Que
pourra faire dans ces cas le cess10nnaire? Il fa ut ~lors chercher autre
chose. Il a la ressource de la purge (1). L e pn x convenu avec le
cédant se compose de deux éléments : 1 • les sommes à rembourser au
premier acheteur, c'est-à-dire le prix principal et les accessoires énumérés dans l'art. 1673; 2° le prix de la cession elle-même. Q u'i l fasse
offre de ce prix conformément aux chapitres VIII et IX du titre des
Privilèges et l?Ypothèques. - Les créanciers hy pothéca ires ont deux
partis à prendre : Ils peuvent accepter les offres ; dan s ce cas, ce qui
leur sera distribué, c'est le prix de cession qui devait ê tre payé au
vendeur-cédant. Ils peuvent refuser et s urenchérir : C'est alors le
droi t de retrait qui est mis aux enchères ( L abbé, /oc. cit.).
95. - Le conflit peut aussi se produire entre deux cessionnaires
du droit de retrait. On s'est demandé s'il y aurait lieu dans ce cas
d'appliquer l'art. 1690 C. civ. Il en serai t ainsi s'il était vrai, comme
l'a prétendu la Cour de cassation (Rej., 23 juillet 183 5) 1 que cet
article s'a pplique non seulement au transport des créances, mais aussi
au transport de tou s droits ou actions s ur un ti ers, et , en général, de
tout ce qui fo rme la matière du chapitre V III du titre de la Vente,
intitulé : << Du transport des créances et autns droits incorporels (2).,, Voilà une affirmation surprenan te. 11 serai t difficile
(1) Mais, l'acquéreur sous condition suspensive peut-i l purger? Par les c::i:pressions
dont ils se servent (11011vea11 propriétaire, tiers détenteur /. les art. 218 1 et suivants
montrent qu'il s'agit d'un transfert de propriété opéré. On comprend quel inconvénient 11 y aurait à permettre d'an~antir des droits sérieusement établis à celui qui
n'a pas lui-même un droit certain et définitif. Telle n'est pas tout-à-fait la position
du cessionnaire: D'abord, les hypotht:qucs consent ies medio tempore par le vendeur ne grè,ent pas l'immeuble de la même façon que celles consenties par un
p.ropriétaire dont le droit n'a subi aucune diminution ; elles ne portent, avant l'exerctce du retrait, que sur le droit, tel quel, du vendeur; c'est une menace d'hypothèque
pour le futur droit de propriélé; et c'est ce droit, tel qu'i l se comporte, ce droit
:onditionnel, qui lui appartient d.!sormais, que le cessionnaire entend purger. Puis,
11 dépend de lui que la condition se réali se ou non, et il manifeste en purgeant
qu'il a l'in tention d'user de son droit,
(2) T ous ~~sauteurs remarquen t l'étrangeté de ce langage qui semble autoriser
à penser qu 11 y a des droits corpo1·els
79 -
d'émettre u ne proposition plus contraire à l'esprit comme au texte de
la loi. D ans le système du Code, aucune publicité n'est organisée. La
volonté suffit à trans f~re r la propriété même à l'éga rd des tiers. L a
même règ le s'applique au x autres droits, sauf exception. Cette exception se rencontre en effet dans les art. 1690, 169 1. Que doit-on fa ire
lorsqu'on se trouve en présence d'une disposi tion exceptionnelle? on
doit en délimiter le terrain; et tou t ce qui ne rentre pas dans ses termes reste sous l'empire de la règle générale. Quelle est la portée de
notre exception ? Les ex pressions des deux articles précités l' indiqu en t
assez : ils em~loi en t jusqu'à trois fois le mot \< débiteur. " Le sens de
ce mot ne peut être douteux : il s'agi t d'un rapport d'obligation ; les
créances seules so;it soustraites au droit commun des cessions de droit.
E n conséquence MM . Aubry et Rau ( t. I V,~ 359) décident for mellement que l'accomplissement des formalités indiquées par ces articles
n e sera pas nécessaire non seulement quant à la cession de droits réels,
tels que l'usufruit et les droits successifs, - ceci paraît incontestable (1)1 - ainsi que celle des actions immobilières ( Contrà Troplong, Vente, n• 909.) 1 << mais encore quant à la cession de droits
personnels sur des objets immobiliers ou sur des objets mobiliers
dé terminés dans leur individualité, tels, par exemple, que le droit de
bail. '' C'est peu t-être aller un peu loin. En ce qui concerne spécialement le d roit de bail, il me paraî t difficile de le soustraire à la nécessité de la signification: Q u'est le droit du preneur autre chose qu'un
d roit de créance? J e sais bien que des controverses se sont élevtes sur
son caractère juridique, mais on paraît tendre au jourd'hui à en reconnaître la personnalité (Colmet de Santerre, t. V II , - Laurent,
t. XXV.), et, dans tous tes cas, c'est l'opinion de MM. Aubry et Rau
eux-mêmes ( t. IV, ~365). Quoi qu'il en soit, si les conclusions de
ces savants auteurs me paraissen t exagérées sur certains points, je les
crois absolument fondées en ce qui concerne les cessions de droits de
retrait conventionnel. (En ce sens, arrêt de Turin du 17 germinal
an X II. Contrà , Toulouse, 18 mars 1812.) ~lais, pour moi, ce qui
est surtout décisif c'est qu'il s'agitd'undroit réel: l'objetde la cession
a été un droit de propriété - condition nel, mais de sa nature opposable à tous. Si , par erreur ou autre~ent,. l'acqué.reur.à rém~ré ~·~.tait
laissé rembourser par un second cess1onna1re et 1U1 avait restitue l 1m( t) li y a pourtan t des arrêts contraires.
�80 -
- 81-
meuble, le premier cessionnaire pourrait poursu ivre cet immeuble
entre les mains de ce détenteur sans tit re va lable, comme il le pourrait
entre les mains d'un ayant cause de l'acheteur (art. 1664 ). _ Il
convient seulement de réserver, pour le cas peu pratique de retrait
mobil ier, l'application de l'art. 1 i+ t.
Je rappelle que dans cette quest ion je me suis uniquement placé en
présence du Code, et qu 'il y a aujou rd'hu i un moàe efficace de publicité des cessions. J 'ai ad mis en effet suprà (note r , page 77) que la
loi du 23 mars r 8 55 les soumet à la transcription .
96 . - Le droit de retrait, qui est transmissible et cessible ne peut
en aucune façon être considéré comme exclusivement atta~hé à la
pe~sonne du Yendeur. Ses créanciers pourront donc l'exercer ( Despe1sses, t. J, p. ·44 ).
Les rédacteurs du Code, on ~e sait trop pourquoi, - peut-être
dans le but louable d'empêcher une trop grande instabilité de la propri~té, - a~aient dècidé l_e contraire ~ans l'art. 94 du projet primitif;
mais cet article fut suppnmé sur la iuste réclamation du Tribunal
d'appel de Bordeaux ( Maleville, t. III, p. 4 r 5).
, 97. - . ~·a~tion d: _retrait conventionnel pourrait-elle faire l'objet
d une sa1s~e 1mm?bil1ère ? La même question se pose à propos de
t?ut.es actions qu.1 t~ndent à revendiquer un immeuble, soit qu'il
s_ag1sse de re_vend1cat1on proprement dite, soit qu'il s'agisse de rescis10n pour lé_s10n, dol, etc., ou de résolution pour une cause quelconque._ M._ P1.geau (Procédure civile, Partie v·, tit. IV, ch. I " . )
e~s:1gna1t l affirmative, se fondant sur ce que tous les biens d'un
deb1te~r ~ont le ~age commun de ses créanciers, sur ce que l'art. 2204
ernpl?1e l expression générale « biens immobiliers ,» et que nos actions
sont immeubles, aux term es de l'art. 526. Mais la grande majorité des
a~teurs ( 1) a adopté une opinion contraire. L'art 2204 semble ne
viser, en. elfe~, que les immeubles corporels, puisq u'il ajoute aux
.
« bien 1mmobil'e
mots
réputés
1 rs >> ceux-ci· . << et leu rs accessoires
.
.
bles corporels sont les seuls qui. aient,
·
immeubles ' » et que les 1mmeu
· 1e, dans son n• 2 montre bien que
•
de tels accessoires · Le meme
art1c
·
· en mentionnant
tel est so n esprit
expressément un ' immeuble incor-
pore!, le d~o.it d' usufruit, ce qui eut été inutile si le législateur avait
entendu designer dans le n• 1 tous les immeubles. JI a, sans doute
reculé devant la difficulté d'organiser une procédure pour ces sorte~
de saisie. Aussi donne-t-on en faveur du second système, cette rai~on
que les formali tés voulues par l'art. G75 C. Proc. civ. (transport dl.
l'huissier su r le bien saisi, désignation de l'extérieur des objet~,
arrondissement, tenants et abouti ssants, etc.) ne seraient pas possibles à l'égard de biens incorporels. Peut-être aurait-on pu admettre.
comme le voulaient MM. Pigeau et Duran ton (t. XX I, n• 7), la
facu lté pour les créanciers d'opérer comme s'il s'agissait de saisi r l'objet même de l'ac tion, c'est-à-dire de désigner les confronts de lïmmeu ble à retraire ou à revendiquer, etc. Et, dans tous les cas, on
peut s'étonner que des biens pour lesquels ne se rencon trent pas les
mêmes raisons d'insaisissabilité que pour les droits d'usage, par
exemple, ou pour les servitudes. échappent à la Yente judiciaire par
les créanciers, qi.; i ont pourtant un droit de gage général sur le patrimoine de leur débiteur (art. 2093 C. civ.). D'autant plus que le droit
qu'ils tiennent de l'article 11 66 ne pourra toujours remplacer utilement le droit de saisir l'action elle-même et de la faire vendre, pour
l'adjudicataire la faire valoir à son gré. En notre matière du retrait
conventionnel, il y a, pour le créancier qui ne peut inYoquer que
l'art. 1r66, des débours considérables don t il devrait fa ire l'avance, ce
qui parai yserai t peut-être son droit. Ce ne serait donc pas nécessairement, comme on l'a prétendu (Dalloz, V• Vente publique d'imm.,
n' 7 2 ), dans un but frustratoire que les créanciers choisiraient la voie
-
'
1
• 3. p ·1 n..
( 1) Tarrible, Rép. de Merlin , v• Expropriation
• n , crs1 , x!feSt., t, I , p. 279,
.
.
Ill .
Dch·incourt
, Ch' 1' 'P 4°7 · Favard , v• Expropr. , ~ .!, n• 1 • Bcrriat C depr 1 t II
· ' '
• •
P · 63 " ; auveau > n · 2 1 g 11~ , •• 3 · - V •aussi. Orléans, 27 'janvier 1842.
de la saisie immobilière.
LIV. - Transcriptibilité
98 . - puisque la vente, quoique soumise au pacte de retrait con·
ventionnel, produit son effet translatif, elle doit, cela ya sans dire,
être transcrite. Mais, au moment de l'exercice du retrait, lors même
qu'un acte serait dressé pour le constater ( Flandin, transcr. en mat.
Jzyp., t . I , n• 85), il n'y a pas lieu à une transcription nouvelle. A
moins pou1 tant qu'il n'y ait eu recours aux. tribunaux, car il faudrait
alors appliquer la disposition de l'art. +de la loi du 23 mars ~ 85~ :
,, Tout juoemcnt prononcant la rl!solution ... d'un acte trans.:ritdo1t,
0
dans le m ois , à dater d~ jour oà il a acquis l'autoritl! de la chas~
6
�-
82 -
. , êt
entionné en marge de la transcri ption faite sur le regis1uaee,
re m
.
cl'.
1 c
0
E n dehors de ce cas, il est imposs1b 1e imposer a 1ormalité
tre ... l>
·
'l ·
de la transcription ; les termes de la 10 1 ne.sontyas assez e astiques.
Et pourtant, des tiers pourront par là être ind u its en erreur, surtout
au vendeu r . .Ils. n'autant que 1a Possession ne sera pas revenue
.
ette
ressource
après
avoir
découvert
, .au ,milieu des
ron t qu C C
•
.
spositions
de
l'acte
de
ven
te,
la clause de retrait,
au t res dl
. cl aller,avant
de traiter avec l'acquéreu r, consulter le vendeur et lu1 de ma nder s'il
n'a pas usé de son d roit. Mais, s'.il y a un_e lacun e dans la loi_, l'i?terprète ne peut que la regretter. L a: te qui ~o~state un retrait_ ne~
porte juridiquement aucune mu ta t10n; 1la iunsprudence e_mp1étera1t
sur le domaine des législateurs en vo ulant le faire t ranscrire. En attenda nt une réforme sur ce poi nt, on ne peut qu'approuver le conseil
que donne M. Lesenne (n• 8), ~ux no~aires de :aire ?pérer sur les
reaistres des conservateurs mention de 1 acte de resolut1on dans tous
le; cas, par extension de l'art. 4 préci té, et vu l'utilité. que pr~sentera
cette opération pour le crédit du retrayant et la sécunté des tiers. Que si le retrai t était exercé après l'expira tion du délai fixé a u contrat de vente, ce ne serait plus un retrait véritable ; il y aurait revente, mutation nouvelle de propriété : la tran scription ser ait obligatoire (V. infra, n• 182).
V. - Droits du Vendeur medio fempo1·e.
99. - J'ai été amené par les discussions précédentes à m 'expliquer surla posi tion du vendeur pendente conditione retracti1s.Il m'a
fa llu prendre parti sur des points très controversés. J e me borne à
rappeler ici que, à mon sens, le vendeur conserve un droit éventuel
sur l'immeuble qu'il a aliéné. li en est propriétaire sous la condition
suspensive de l'exercice du retrait. D 'où j'ai tiré diverses conséquences. J'en ai conclu qu'il peut hypothéquer l' immeuble et même en
consentir une nouvelle aliénation , ces actes n e devant produire effet
qu'en cas d'échéance de la condition. - Faut-il ajouter qu'il peut
constituer sur lui des servitudes? Evidemment. Les mê mes raisons imposent la même solution . Mais, chose q u i surprend a u p rem ier abord,
les auteurs mêmes qui combattent les proposi tio ns précédentes se
rallient à la dernière (V. Aubry et Rau, t. IV. ~ 3 57, in fine). Le
- 83
motif qu'ils en donnent est que rien ne s'oppose à la constitution
d'une servitude sous la condition si dominiurn acquisitumfzterit, contrai rement à ce qui a lieu pour l'h ypothèque. Je commence par dire
que je considère comme exacte l' idée ex primée quant aux servitudes :
ou i, rien n 'empêche qu'on en constitue valablement sur un héritage
dont on n 'est point encore propriétaire, pour le cas où on le deviendrait. M ais est-ce bien là notre espèce ? Je crois avoir suffisamment
démontré que ce n 'est pas ainsi qu'il faut envisager les droits du vendeur à pacte de retrait, et que l'immeuble vendu avec cette clause
n 'est pas pour lui un bien fut u r, puisque,si elle est mise à exécution,
il sera censé avoir été propriétaire au moment où il consti tuait des
droits.
Le vendeu r à réméré, propriétaire sous condition suspensive, a le
droit de faire des actes conservatoi res contre les tiers, en prévi~ ion du
casoù il r ecouvrerai t son héritage. Si, par exemple, il s'apercevai t
qu' un voisin exerçât indûment une servi tude continue e_t apparente
(art. 690), il serait recevable à en interrompre la prescript10n (art .
zz44 et sui vants).
VI. - Droits de l'Acheteur medio tempore .
100. - Jusqu'au retrait, le contrat est à considé:er :omm~ p~r et
simple. L 'acheteu r exerce tous les droits d'un propriétaire. Il JOU lt de
l'immeuble, en perçoit les fr uits, administre, consent des. bau~ (ar~.
1673 in.fine) ; il peut concéder sur l'immeuble. des dï0'.ts re~~s, 11
peut l'hy pothéq uer, il peut l'aliéner; quant à l u'. , ce~a n es_t 01.e.~ar
personne. Seulement , l'existence de tous ces _d roits n est de~n1t1\ ement assurée que lorsqu' il est devenu certain que la propriété du
constituant ne sera pas résolue.
.
.
1o1. - L 'acheteur à pacte de retrait, successeur particulier non
personnellement obligé au paiement des dettes hy p_othécaires, a le
droit de purge r (Aub ry et Rau, t, IV ._~ 35ï). I ~ fau_t bien que,c~n~me
tout au tre acheteur, il puis~e se garanti r des creanc1ers hypoth~cat~es'.
s'assurer qu'i l ne paiera pas deux fois,ou qu'il ne se verra pas depou1llc
sans compensation du bien dont il aura cru payer val:lblement
le prix.
102. - Il est vrai que, ù ralsQn du b,1s prix de la vente, les cré'.l nciers hypothécaires pourront se trouver lésés. D'u ne part, ln somme
�-84-
- 85offerte par l'acheteur ne représente pas toute la _valeur de l'immeuble ;
. utre part même si une surenchère se produit, la somme à toucher
da
.
.
l
'
ne sera jamais assez forte, la c~!!dition réso ~-toi~e qui aff~cte le fonds
arrêtan t les adj udi cataires. Voilà donc un p reiud1ce ca use aux créan. .
ciers plr le simple fai t de leur débiteur.
Lïnjllstice de ce résultat~ ~m~n: quelque~ iu_n~consnltes ~ propoposer diverses théories auss i rngen1euses qu origin ales, mats contre
lesquelles protestent les principes les plus certains.
L ' un (M . P etit, Traité des surenchères, p . 290) voudrait que,
lorsque l'acheteur sous clause de retrait purge selon son droit et
qu'une surenchère se produit, l'adj udi cataire reçut le bien uti optim:un maximum, parfaitement libre de cette menace de réméré qui
décourage les offres. 1 lais, - outre qu'une telle décision équivaudrait presque, dans la pratique, à refuser à l'acheteur le droi t de purger, car les créanciers ne s'en tiendraient évidemment jamais au prix
peu élevé qu'il leur offrirait, - n 'est-il pas constant en droit que l'adjudicataire ne peut, au g ré de son caprice ou de son intérêt,faire abstraction des clauses qui accom pagnaient r acte d'acquisition ? Il ne
peut aYoir plus de droit que n'en avait le tiers acquéreur ; il reçoit la
propriété telle qu'elle était entre les mains de ce dernier. Et, d'ailleurs, la loi elle-même (art . 837 C. Proc. civ.) no us di t que l'acte
d"aliénation (qui con tient dans l'espèce une clause résolutoire) doit
être déposé au g reffe et tenir lieu d e m inuted'enchère.
Un au tre auteur (M. L abbé, Rt!vue critique, t. V III , p. 22 1) part
de cette idée bien hardie que le droit des créa nciers h ypothécaires n'a
pas été entièrement éteint par la purge faite par l'acheteur à réméré,
quïl a subsisté sur le jus in redu ve nde ur: d 'où il suit que, lorsque
le retrai t est exercé, ceux qui n'ont pas été désintéressés verront leur
hypothèque reprendre sa force première, en vertu du principe de
l'art. 2x33 que l'hypothèque acquise s'étend à toutes les améliorations et augmentations de la chose hypothéquée. - L es art. 2 r 80 3•
et 2186,qu i ne distinguent pas, ne paraissent pas comporter une telle
interprétation. -Que si le vendeur ne retraya it point, il s"opérerai t,
au moment de l'expi ration du délai, et au profit de l'acheteur, une
adjonction d' un droit nouveau à celui qu'il avait déjà .Ce droit nou veau,
cette prolongation de d1·oit doit donner lieu à une nou velle purge. Sans insister su r les difficu ltés que présenterait dans la pratiq ue ce
supplément de purge, je ferai simplement rem arquer que, pour l'im-
poser à l'acheteur, il faudrait un texte formel , à défaut duquel il peut
dire: « J e n'acquiers aucun droit nouveau: La condition rés0lutoire
est défaillie ; en vertu du principe de rétroactivité, je su is censé avoir
toujours été prop riétai re incommutable ; j'ai purgé comme tel, e:t,
me trouva nt dans la situation ordinaire et normale, je n' ai plus ri en
à faire avec vo us. »
ro 3. - J 'insiste sur ces idées. Quand l'acheteur aura fa it opérer la
transc ription de so n contrat, qu 'il au ra fait aux créanciers inscrits les
notifications vou lues par les art. 2 183 et 2 184, que, faute de réquisition
de surenchère, la valeur de l'im meuble sera demeurée d éfin iti vement
fixée a u pri x offert, que les créanciers auront été colloqués selon leur
r ang d ' inscripti on, qu elle sera la situation ?
Su pposons d 'abord que le retrait ne soit pas exercé. - Si c'est parce
que le vendeur ne le juge pas conforme à ses intérêts, parce qu' il manque de l'argent nécessaire, ou enfin bénévolement, à raison des rapports d 'amitié qui l'unissent à l'acheteur, pas de difficulté: tout est
fini pour les créanciers h ypothécaires. Mais il peut arriver, - et le cas
s'est produit, - q u e l'acheteur paye au vendeur une certaine somme
pour l'abandon de son droit de retrait. Ne fa ut-il pas alors considére r
cela comme un su pplémen t de p ri x de l'immeuble, supplément qui
devra reven ir aux créanciers inscrits qu i n'on t pas été désintéressés?
L eu r h y pothèque portait sur toute la valeur de l'i mmeuble. Le prix de
vente, comme toutes les fois qu'il y a clause de retrait, a dû être notab lem ent inféri eur. La so mme payée aujourd'hui n'est donc autre
chose que la représentation du complément de cette valeur qui, tou t
entière, était leur gage. S'il n'en était pas ainsi, le vendeur pourrait,
au moyen d'une entente avec l'acheteur, frustrer les créanciers hypothécaires. - J e ne pense pas que cette théorie soit admissible. Elie
est t rop contraire à la notion universellement accep tée des effets de la
purge. Lorsque le juge a prononcé la clôture de l'ordre, il a ordonné
main-levée et radiation de tou tes in scriptions grevant l'immeuble, et
m ême de celles d es créanciers qu i ne sont pas venus en rang utile.
N'est-ce pas sig ne que tou t était fin i ? E t, en effet, l~ loi _( art. 2 18?,
3°, C . civ.) place la purge au nombre des modes d'extinc tion des pn vilèges et h y pothèques, elle lui attrib ue les m~mes ~ff~ts qu 'à la
renonciatio n des créancier s à l'hypothèque et à l inscnption ( Cass.,
2 3 août 1 8 r ). Que viendraient-ils donc pré tendr~ sur cet~e som.m e
7
purement mobilière qui n 'est payée au vendeur qu en cons1dérat1on
�-
86 -
de l'abandon de son d roit de retrait ? Si les cr éanciers.esti maient que
l'immeuble ,•endu Yalait réell~m~nt pl.us q ue I~ ~n x. de vente, ils
n'avaient q u'il ne pas accepter 1oftre qui leur en eta1t fa ite et à r equéri r la mise aux enchères ( 1 ). - E n conséquence, la somme payée par
l'ac, uéreur après l 'accompl issem~nt d~s formalités de la pu ~ge d~nnera
1
lieu à une distributio n par contnbut10n entre to us les creanc1ers du
vendeur sans disti nction.
Si nous supposons à présen t que le re trait soit exercé, - ne pourr ait-on pas dire que Je d roit des créanciers h ypothécaires qui n'ont
pas été intégralement dési ntéressés s'est canto nné su~ ~e jus in re co~d i~
tionoel que nous avons reconnu a u vendeur, qu ils se sont ainsi
trouvés dans la même situation où no us avons vu que se trouvent ceux
q ui obtiennent du vende ur une h y pothèque medio tempore, et que,
par conséquent, ils doivent être a ussi da ns la m ême position q ue
ceux-ci q uand la condi tion q ui suspend le droit de leur commun débiteur s'accom plit ? Est tota in toto . .. .. J'a i déjà dit quelq ues mots de
cette théorie, que q uelques au teurs semblent avoir été encli ns à adopter , mais qui paraît dénuée de fo ndement, et à laquelle je ne m 'arrête
point. La purge éteint toutes les hypothèques.
104. - Le vendeur était-il propriétaire de l'immeu ble objet du
contrat, - il en a transmis la propriété à l'acheteur. A dater de sa mise
en possession commence pou r celui-ci la prescript ion cl.es droits réels,
servitudes ou hypot hèques , q ue pourraient prétendre des tiers.
N'était-il pas propriétai re, - ce qu'il a transmis à l'acheteur se
(1) Peut-être cependant l'équité n'est-elle pas ent ièrement satisfaite par cette
faculté laissée aux créanciers hypothécaires. L'acte de s urenchère doi t contenir
soumission de porter ou fai re porter l'immeu ble à un d ixième en sus du prix
offert par l'acheteur et des charges qu i en font part ie. Le créancier peu t être retenu
par la crainte de YOir ainsi lui rester, même pour u n prix encore inférieur à la véritable rnleur, un immeuble dont il n'a pas besoin, alors q uï l ne peut d istraire de
son commerce une aussi for te somme. - Mais je répond rai par le motif qui a dicté
la règle de l'art. :u85 n• '2. li ne fallai t pas admettre les réquisi ti ons de mise aux
enchères sans aucune garantie de base sérieuse; bien sou ven t elles n'auraient été
motivées que par l'espri t de chicane et de taquineri e. Le légi slateu r, qui a à tenir
compte de tant de considérations et d'in térêts opposés, choisit la solution q ui
d'une manière générale, lui paraît la plus équitable; mais il est bien difficile qu'il
ne se rencontre pas quelque cas particul ier où des intérêts se trou ven t injustement
fro issés par elle,
réduit à la possession, plus un titre qui pourra servir de base à l'usucapio n.
Ce sont les deu x situations prévues par l'art. 166 5, qui dit: « l'acquéreur à pac te de rachat . .... peut prescrire tant contre le vé ritable
maître que contre ceux qui prétendraien t des droits ou hypothèques
sur la chose vendue. »
1o5. - Mais, co mment l'achete u r pourrait- il prescr ire medio temp ore? le déla i du r etrait est au maximum de cinq ans et celui de
l'usucapion n 'est ja mais moindre de di x ans ! J e réponds q u'il y a un
double intérêt à la règle posée : - 1 .. hypothèse : Primus vend à Secundus,avec pacte de retrait, un immeuble qu'il possédait utilement
depuis huit, di x- huit, vingt- huit ans ( 1), suivant les di vers cas des
art. 2262 et 2265 . Avant l'expiration du temps fixé pour le retrait,
au bout de trois a ns, par exemple, l'a ncien propriétaire revend iq ue
l'immeuble. Sec und us, aya nt cause de P rimus, pe ut in voquer la possession de son auteur et la joindre à la sien ne propre, ce qui lui perm ettra de repousser la demande intentée contre l ui et de garder
l'immeuble. (Pau, 16 novembre 1836. ) - 2° hypothèse : Vente à
rémér é par Pri mus à Secu ndus. Primus laisse passer cinq ans sans
user de la clause. P uis, cinq, quinze, vingt-cinq ans s'écoulent. L e
vrai p ro priétai re revend iqu e. Secundus ne peu t invoquer la possession
de P rimus, qui, je le suppose, n'avait pas commencé de prescrire;
mais Secu ndus lui-m ême a possédé utilement, et , puisque les cinq ans
du jou r du cont ra t à la déchéance de son vendeur doi vent, d'après
notre article, compter pour la prescription, elle est accomplie; il restera p ropriétaire.
106 . - La m atière n'offre pas de di ffic ulté lorsque le retrait n'est
pas exercé. L a propriécé est acquise à l'acheteur en vertu de l' usucapion, - propriété parfaitement li bre de toutes les cha rges réelles qui
pou vaien t la grever a u profit de tierces personnes.
Mais, que décider en cas de résolu tion de la vente? L'acheteur n'a
plus d 'intérêt à ce que l'usucapion ait été accomplie ; cela n' importe
plu s qu'au r etrayant. Seulemen t le Code est muet sur la q uestion qui
s'élève de savoir s'il peut invoquer la possession de l'acheteur.
( 1) J e prends des espèces simples où ne se trouvent pas à la fo is _de~ année~ d~
présence et des années d'absence, ce q ui donnerait lieu à la prescnptton de du; a
vingt ans (art. 2266.).
�-
88 -
Les auteurs déddcnt que oui, et, je le crois, aYec juste raison ( i).
Le retrait replace les choses en l'état où elles é taient au moment de la
Yen te. le Yendeur n 'a pas cessé un seu l insta nt d'êt re propriétaire.
.. .
.
'
Cependant, l'immeuble, on ne peut effacer ce ta it , a été aux mains de
l'acheteur. Mais comment? N'est-ce pas par la Yo lonté du vendeur
lui même? Ce ne peut donc être que pour ce dernier qu'il a possédé.
J e fais i ci application de !"art. 2228, a u titre de la Prescription: « La
possession est la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un
droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêm es, ou par
un autre qui la tient ou qui l'exerce en notre nom.>) On objectera
que cela est contr:iire à l'intention de l'acheteur, qui entend posséder,
non pas au nom de son vendeu r, mais en so n propre nom. On ne saurait l'assimiler au fermier, à l'u sufruitier, à l'antichr ésiste, au séquest re,et autres personnes certainement visées par l'art. 2 228 ,détenteurs à
titre précaire qui ne peuvent légalement aYo ir l'animus sibi habendi
( art. 2229, 2231 ). A cela je réponds qu'on a tort d 'affi rmer cette intention chez l'acheteur: il ne sait pas lui-mêm e à qui profitera sa
possession . Ce qu'il conn aît, c'est son contrat, dont il ne peut faire
abstraction : s'il n'y a pas retrai t , c'est pour lui-mêm e que la prop~iété aura été consolidée; - mais, dans le cas inverse, qu'il ne peut
p:is ne pas prévoir, dans le cas où se réalise ce retour de la chose au
vendeur qui est l'une des deu x éve ntualités en présen ce desquelles il
doit constamment se placer tant que le délai n 'est pas expiré, comment
et pourquoi ne pas ad mettre qu 'il s' est r endu un compte exact de sa
situation , qu 'il n 'a pas exagéré ses d roits, et que sa possession sera
utile à celui par le fait duquel il détenait l'imm euble ? Il ne pc..ut rien
dire d'avance: il presc rit pour le compte de qui il appartiendra.
M. Colmetde Santerre (t. VII , n• 111 bis, III ,) ajoute que, quant
à la possession seulement, il n 'est pas impossible de considérer le vendeur retrayant comme l'ayant cause de son ach ete ur. « Le vendeur,
dit-il, ne prend pas une possession vacante ; il ne succède pas seulement dans le temps à la possession de l'acheteur; il y a une succession
( 1) Le tribun F aure disait, ,fans Je Rapport qu 'il fit au Tribunal, s ur Je titre de
la ~ente, au nom de l~ section de législation : u P enda nt la durée du temps l'acqucre'.1r. ex_e:~e les memes droits qu'aurait exercés son vendeur, po ur tout ce qui
tend a 1 uttl1t~ et à la conservation de l'objet vendu, et Le vendeur en profite s'il fait
usa~e de la fac11lté q u'il s'est réservée. » Séance du 1 2 v entôse an X II.
-
89 -
juridique ; la possessio n actuelle du vendeur dérive de celle de !'acheteur , car celui-ci a dû transférer à celui-là la possession en vertu d'un
contrat qui l'y obligeait.» Ce second raisonnement, d'après lequel
nous serions en présence d'une question d'accession de possessions à
trancher en nous inspirant de l'art . 223 5, me paraît inexact. Le retrait
exercé efface rétroactivement le droit de l'acheteur; si le vendeur reprend la chose, c'est en vertu d'un droit qui lui est propre, et, quant
à la propriété, tous les auteurs sont unanimes à reconnaître qu 'il n'est
pas l'ayant cause de son acquéreur. Le contrat de vente est complètement anéanti, et, puisqu' il n'a jamais été propriétaire, l'acheteur
n 'a pu posséder à ce titre; par la force des choses, il n'a possédé qu e
pour le vendeur. C'est la première explication que j'ai présentée, qui
est fondée sur l'effet même de la résolution.
107. - On a pu dire aussi ( Troplong, passim ) que l'acheteur
prescrit contre son vendeur, en ce sens que, lorsqu'est écoul~ le laps
de temps fixé par le Code, le vendeur ne peut plus utilement intenter
une action contre lui. Dans ce cas, c'est plutôt une prescription
libératoire du droit de retrait qui le mena~ait qu 'une prescription
acquisitive d'un e propriété qui dès le jour du contrat lui a appartenu.
Il presc rit aussi contre le vendeur l'action personnelle en paiement
du prix.
Mais une autre question de presc ription peut s'élever entre
l'acheteur et le ve ndeur. Primus et Secundus sont propriétaires de
deu x fonds vo isins. Le fo nds de P rim us est g revé d'une servitude
de passage, par exemple, ou de puisage, ou. de ~acage ... au .profit.du
fo nds de Secundu s. Or, je suppose que depuis déjà plus de vingt-cmq
ans Secundus négli ge d'user de la ser vitude 1orsque P rimu~ se .rend
sous pacte de retrait, acquéreur du fond s d omina nt . Ret~a1t a lieu à
l'extrême limite du délai quinquennal, alors que la trentième an nee
depuis le dernier acte d'exercice de la servitude est complèteme~ t
expirée . Malgré l'art. 706, le retrayan t jouit-il encore d'un certa1.n
temps (dans l'espèce, quatre ans et quelques mo is ) pendant lequel 11
pourra empêcher la perte de la servitud e ? ~· ?uranton ( ~· xv.1,
) pense qu' auc un mo yen n e s'off:e ~ lUi d échappe~à 1 a~ph
n•
411
1
cation de cette règle. Tant pis pour l Ul, d it cet auteur, ~ l s~bt t un
i n'a t il pas au moment de la redact1o n du
d
.
••
- d ommage. P ou rqu O
contrat de vente, obligé l'acheteur d'y faire une reconnaissance e son
108. -
�-
90 -
-
droit? Faute Je c.::ttc précJut ion, la pres.:ription a conti nué de courir.
Il ne peur pas s'en plaindre, d'autant plus que l'art. 11 80, aux
termes duquel« le créancier peut, avant que la condition soit accomplie, exercer rous les actes conservatoires de son droit,» l u i donnait
la faculré, même après la vente, jusqu'au complet écoulement des
trente annél!s, Je faire des actes interruptifs. Cette th éorie est- elle
fondée? Je soutiens que non . En vertu de la vente, les deux héritages ont été réunis dans la main de Primus. Qu'est-il besoin d'attendre plus longtemps ? L 'art. 705 n 'est-il pas formel : « to ute servitude
est éteinte lorsque le fonds à qu i elle est due, et celu i qui la do it, sont
réunis dans la même main»? Et c'est cette servitude éteinte, le mot est celui de la loi, - que M. Du ranton voudrait voir conserver! Elle n'existe plus, et n 'est donc plus suscepti ble ni de consen·ation ni de prescription . On pourra objecter qu'il n 'est pas
certai n que cet état de choses soit définitif, que, si l'acquisition par
laq uelle s'estopéréela réunion des fonds servant et dominant vient à
être an nulée, rescindée, ou résolue, la servitude est censée n'avoir
jamais été éteinte ( Duran ton, t. V, n• 666 ). Primus au rait donc eu,
dans ce cas, intérêt à ce que la prescripcion cont inu ât à cou rir malg ré
la confusion. Sans doute; mais la position ne serait p lus égale, et la
règle contrà non valentem agere non currit prœscriptio serait
violée, car, en admettan t m ême que la servitude conservât une existence virtuelle, elle n.:appartiendrait plus à Secu ndu s, m ais à Primus,
auquel elle a été vend ue (art. 16 1 5) avede fo nds domin ant dont elle
était une qualité, et dont peut-être elle a haussé le prix . Et, dit
M. Troplong, «si· les actes possessoires étaient interdits au vendeur
comment des actes d'in terruption destinés à les remplacer auraient-'
ils été opportuns?» - L a vérité juridiq ue, - il fa ut toujours en
revenir à cette idée fo ndamen tale, - est que la résolution remet les
ch.oses en l'état primitif. Tous les droits que Secundus ava it aliénés
lui font retour. Il avai t vendu à Primus un fonds pourvu d'un
avantage spécial, qui doit se retro uver au jour du réméré avec la
qu'il avait alors.- On pe~t tirer en faveur cle !~opinion
même. vitalité
.
que J a1 adoptée, un puissant argument de l'art. 2177 C. civ. ( Pardessus, Servitudes, n• 3oo ).
)
)
10
9· -
La même décision devait être prise dans le cas ot1 la servi-
t~de existerait sur le fonds vendu au profit à ' un immeuble de
1acquéreur.
!)1 -
De m êœe aussi, s'il y avait, au jour de la vente sous
110. clause de retrait, sur l'immeuble vendu, au profit d'un fonds de
l'acheteur, ou réci proqueme nt , une ser vitude ( continue et apparente)
en voie de prescription, il y aurait lieu de juger que cette prescription
acquisitive a été suspendue à compter du jour de la vente même. En
effet, c'est le seul moyen que les choses soient véritablement remises
au mê m e état que s'il n'y avait pas eu contrat; et, de plus, tant que
les deux héritages sont restés dans la même main, les actes d'interrupti o n n 'étaient pas possibles à la partie intéressée. ( Massé et Vergé,
surZachari a::, t. I V, p. 3 16. )
Continuant à rechercher quels sont les droits de l'acheteur
111. sous pacte de retrait conventionnel pendtJnte condilio11e, j'arri ve à
l'examen d'une disposition légale sur le sens de laquelle les auteu rs
ne sont pas d 'accord, celle de l'art. 1666. Je commence par en donner
le texte: <1 Il ( l'acquéreur à pacte de rachat) peut opposcrle bénéfice
de la disc ussion aux créanciers de son vendeur. 1> Quelle est la portée
de cette règle ? Et d'abord, qu'entend-on par bénéfice de discussion?
- C'est la facu lté qu'a une personne tenue d'une dette accessoirement
à une autre personne d'exiger, lorsqu'elle est poursuivie en paiement,
que àes poursuites préalab les soient dirigées contre le débiteur principal. Ain si po ur la caution : elle n 'est obligée à payer le créancier
qu'à défaut du débiteur (a rt. 2021) . - C'est encore l'exception par
laquelle le tiers détenteur d'un immeuble, non tenu personnellement,
demande que, avant de l'en exproprier, le créancier hypothécaire ait
à poursuivre la ven te d'autres immeubles demeurés en la possession
d u débiteur ( art. 2 170). L'exercice de ce droit est subordonné à
certaines conditions déterminées par les art. 2022 et suivant. Supposon s que l'immeuble vendu à réméré soit grevé d'hypothèque:
le créancier hypothécaire veut user de son droit de suite. L'acheteur,
dont la position est exactement celle du tiers détenteur visé par l'article précité, puisq ue,pendente conditione retructûs,il est propri~taire,
peut certainement le r envoyer à discuter les fonds demeures aux
mains d u vendeur. - P our qu'il en fû t ainsi, la règle générale suffisait, et, si l'a rt. 1666 n'avait pas d'autre signification, il ne
con tiendrait q u 'une répétition inu tile. Cependant: un gran_d nombre
d'auteurs ne lui donnent pas d'autre effet. J e n adopterai pas le~r
système, auquel, outr e qu' il a l'inconvénient de supposer une redite
�-
92 -
te rs du Code ( 1), on peut adresser le reproche de ne pas tenir
·
..
d
0
, ·
.
nes au u
n préten qu il
te de la rédaction de 1 art1c 1e.
• •
•
,
;>
.
.
assez gran d Comp
· <rt des créanciers hypothécaires seulement. - 1 article dit. le.t
.
hé .
h
.
s ao1
des créanciers ypot caires, il est
" ·ers . De plus , s'il s'aait
o
creancz
· ossible d"après les principes sur la matière, de distinguer suivant
· 1e d"it: les
· - l' artic
'
imp
dont ils t ·iennent leur d roit:.
propriétaire
l'ancien
. .pas compris
créanciers de son vendeur. Le législateur n 'aurait donc
la portée des expressions qu'il employait, trop restnct1ves sur un
point et d'autre part trop géné~ale~ .. Quelle a pu êt~e sa pensée? N~us
avons vu que le droit de retrait n etant pas exclusivement attache à
la personne du vendeur, ses créa~ciers pouvaient l'exercer à sa place,
en vertu de l'art. r 166. Ne serait-ce pas en vue de cette hypothèse
que Je bénéfice de discussion ~urait.été ~-on~éd.é à .l'acheteu.r par u~e
disposition spéciale - nécessalfe pu1squ il s a~issa~t d.e sortir du d.ro1t
commun? Cela est contesté. M. Troplong, qui prevoit cette explication ( Vente, n• 7+3), remarque avec raison que les créanciers
ne font qu'user du droit de leur débiteur comme il le
chiroaraphaires
0
ferait 1ui-même, ils sont dans la même si tuation que lui, et, ajoute+
il, ils ne peuvent se voir opposer une exception qui ne serait pas
recevable à l'encontre du vendeur. En l'absence de l'art. 1666, cela
serait parfaitement raisonné, mais cet article me paraît, par la précision de ses termes, avoir justement pour but de créer une dérogation
à ce principe généralement vrai . C'est seulement en décidant ainsi
qu'on peut expliquer l'ex istence même de notre article (2) et la
manière dont il est rédigé sans éprouver le besoin de critiquer ses
auteurs, couçabl~s d'inattention et de légèreté. Ce système est d'ailleurs rationnel et conforme à l'intérêt général de la stabilité des
propriétés. Les créanciers veulent être payés: que ce soit avec tels ou
tels biens, peu doit leur importer. Si donc le vendeur a des biens
suffisants à les satisfaire,pourquoi priverait-on l'acheteur des chances
( 1) Il est vrai que ce n'en serait pas le seul exemple. - On peut encore observer
que le titre VI, où se trouve l'art. 1666, a été fait avant le titre XVIII, où se trouve
l'art. 2170.
(2) En Belgique, où la nouvelle loi hypothécaire (du 16 décembre 1851) ne
r~connait plus au tiers détenteur d'un héritage hypothéqué de bénéfice de discussion, on admet que telle est encore actuellement la portée de l'art. 1666. F. Laurent,
t. XXIV, n• 390.
favorables de son contrat? ( Colmet de Santerre, t. VI J, n• 112 bis;
Mourlon, t. II, n· 64+. ) Cette garantie doit surtout lui être accordée
dans le système qui dispense les créanciers, quand ils veulent exercer
les droits et actions de leur débiteur, de la nécessité d'une autorisation
judiciai re. ( Demolombe, t. XXV, n" i o4 et suiv.; Larombière, t. I,
su r l'art. r 166.)
r 12. - J usq u' ici, l'acquéreur à pacte de retrait nous est apparu
jouissant de toutes les prérogatives des acheteurs ordinaires. Il faut
m aintenant mentionner une disposition qui lui fait, dans un certain
cas, une situation particulière. Tout acheteur doit respecter les baux
consentis par son auteur, pourvu qu'ils soient constatés par écrit
ayant date certaine au jour de l'aiiénation, à moins que le droit d'expulsion n 'ait été stipulé dans le contrat de bail (art. 17.+3 ). Même
dans ce cas, l'acheteur à réméré ne pourra pas expulser le preneur,
tant qu'il ne sera pas devenu propriétaire incommutable (art. i751).
Cette décision vient du peu de faveu r avec lequel la loi voit ces
expulsions de fermiers ou de locataires ( Demante, Louage, n• 198 ).
C'est un véritable amoindrissement des droits de notre acquéreur,
qui est justifié par l'incertitude où l'on est s'il re~tera propr~étaire.
Le vendeur a manifesté, en se réservant le droit de retrait, son
intention de reprendre plus tard l'immeuble en l'état où il s.e trouv~it
au jour du contrat de vente, par conséquent av~c le dro1,t a~. bail.
C'est cette volonté présumée du vendeur qui avait amene deJà les
anciens Parlements à appliquer constamment notre règle (R~us:eaud
de la Combe, Jurisprud. civ., V· Bail, sect. ,, n• S._). Mais 11. ne
faudrait pas l'exagérer, et appliquer, comme on l'a fait ( Duv~rg1er,
Troplong, Marcadé ), une disposition si rigoureuse à l'expu~s~on de
locataires dont les baux n'ont pas date certaine. Quelle position ~e
ferait-on pas à notre acquéreur! On le placerait en del~ors du droit
commun de l'art. 1 328, et, sans cette règle protectrice, à q~ell~s
fraudes ne serai t-il pa:. exposé! J'achèterais une maison ~our en 1ou1r
moi-même, et l'on pourrait rn'en empêche~ en m~ revélant après
coup des actes sans date certaine dont on av~1t eu soin d: me cach~r
jusque-là l'existence! Cette in iqu ité ne peut etre consacree ~ar not1e
droit, et j'incline à croi re,malgré la génér.alité des termes de 1, ~rt.,? 5 i ,
. . ai t ue d'un droit d'expulsion expressément resen t: lors
'ï
IV 2 3 5 . Colmet de Santerre,
qui ne s y ao q
d
,
?1 •
'~
de la location (Aubry et Rau, t.
111d1ce en ce sens ans
un
voir
pas
t. VII , n• 198 bis. ). Ne doit-on
�-94l'emploi des mêmes expressions fait dans cet articl~ et dans 1:~rt.17+8 :
<t fa faculté d'expulser le preneur»? Quant au bailleur, qu il ne s'en
prenne qu'à lui- même s'il voit le preneur recourir en indemnité
contre lui: ne pouvait-il pas avertir l'acheteur et l ui imposer l'obligation de respecter le bail malgré la clause d'expulsion? Quelle que
soit sa position, c'est lu i qui se l'est faite.
11 3. - Je n'ai plus qu'un mot à ajouter : Quoique propriétaire,
l'acheteur ne jouit pas, quant à la chose, d'une liberté absolue, d'un
abusus complet. li doit la conserver en bon père de fa mille. C'est ce
que disait expressément Tiraqueau : << .. . licet emptor esset interim
dominus rei , ea tamen jam crat obnoxia retractui, ex ipso contractu
yenditionis; ideôque eà interim uti debuit ut bonus paterfamilias, ut
alià re subjecta restitutioni .. . »
J'aurai occasion de revenir plus tard là-dessus, en examinant le
détail du règlement de compte qui doit s'établir entre les parties au
moment de l'exercice du retrait. Quant à présent, je me contente de
dire que cette obligation se traduira en dommages- intérèts pour le
montant des détérir)rations; mais il ne serait pas possible d'accorder
au vendeur, media tempore, un droit de surveillance et la fac ulté de
contrarier l'acheteur dans la manière dont il comprend l'exploi tation
du bien ( V. Orléans, 20 mars 1812) ; il a en son pouvoir le moyen
le meilleur d'empêcher les dégradations: c'est la clause insérée au
contrat, qui lui permet de retirer l'immeuble qui souffre de la mauvaise administration de l'acheteur.
Chapitre III. - ACTION DE RETRAIT CONVENTIONNEL
I. - L'intervention de justice n 'est pas nécessaire.
114. - Avant d'aborder cette étude, il importe de prévenir l'équivoque qui peut résulter de qucl1ues passages de notre Code. L'art.
1662 s'exprime ainsi: << Faute par le vendeur d'avoir exercé son
ac.rio~ d~ réméré dans le terme prescrit, l'acquéreur demeure propriéta1re ir.revocable. 1> Devons- nous indu ire de cet article que le vendeur
est obligé, pour user de son droit de retrait , d'avoir recours à une
95 -
~ct:on j~diciaire ? Cela se.mble d'abord d'autant plus naturel que
1 expression exercé son action n 1y est pas accidentelle; elle se retrouve
dans les art. 1664, 1668, 1671, 1672. Et cependant c'est là un
rés ultat q ui choqu_e le jui,-i sccnsulte, et même tout ho~me de sens,
car - quel est le ~oie des JU~es? lis doivent trancher les litiges, mettre
fi n aux con~estat1ons; ~a i s pourquoi supposer qu'un désaccord
s ~lèvera t~uiours au suiet de l'exécution de notre clause spéciale?
S1 les parties ont tout prévu et tout réglé, et si aucune d'elles ne
méconnaît ses engagements, elles n'ont que faire de l'intervention de
justice; pourquoi les forcer à se rendre devant les tribunaux? Cette
dérogation aux plus sages principes du droit commun ne se comprendrait pas.
0
Il .r~s sort nette~ent des art. 11 83 et II84 (à contrario ) que la
condition résolutoire expresse produit son effet de plein droit 1 sans
demande judiciaire; et la faculté de retrait n'est pas :rntre chose
qu' une condition résolutoire ex presse. La condition gît dans la volonté
du vende ur retra yant; c'est une condition protestative de sa part.
Cela ne saurait empêcher l'effet résolutoire de s'accomplir ipsojure.
Seulement, il fau t que l'évènement de la condition soit apparent et
clairement manifesté. Il faut qu 'on ne pu isse douter si le vendeur
veut exercer son droit; mais on ne peut exiger plus: il suffit qu'il
déclare son intention ( Cass., 5 février i 856). A la suite de cette
déclaration, il y aura, comme nous le verrons, un règlement de
comptes à établir, di verses restitutions à fa ire, des obligations à remplir
de part et d'autre, mais ce n'est plus là la condition proprement dite,
dont l'éYènement résout le contrat. La condition est accomplie, la
vente est résolue dès la déclaration de volonté qu'a faite le vendeur.
Si cette théorie est exacte, comment expliquer la rédaction du Code
sur ce point? Il se peut qu'il y ait quelque impropriété dans les
termes dont il s'est ser vi et que j'ai cités (1); mais il prouve luimême, en d'autres endroits, que, dans la pensée de ses auteurs, les
( 1) Encore faut-i l remarquer que nulle part le Code ne se sert de l'expression
technique inle11/er 1111e actio11; il dit: exercer son actio11. Ce langage inusité
n'indiquerait-il pas l'intention de donner au mot action le sens du mot droit? Dans l'art. 1670 se trouvent les mots plus précis de mise e11 cause et de demande,
mais cela s'explique aisément parce qu'il s'y agit vraiment d'un désaccord: il y a
procès pour savoir si et com ment le retrait s'effectuera.
�-
96 -
-
•t c dans la pratique ce que j'ai montré qu'elles sont
·.
d.
.
choses d ol\ent cr
A·nsi dans l'art. 1669 , il nous 1t qu 1 en est de
. .
d
. ·
theonquement. 1 ,
, è c prévue que pour celle de l article précé ent, et,
.
l'
r .
.
.
.
mlme pour l esp c
l deLl" si tu ati ons 11 emploie une 101s ex pression
.
pour rea0 1er es
l' t" on de réméré, » une fois celle « user de la faculté de
_
•
·d ·
· ·fi ·
« exen.er ac 1
nant P.videmment une s1gm cation 1 ent1que.
,
·
rac hat, » en 1e Ur don
rt aussi du rapprochement cles art. r671, 1672 , dune
X IV
( F
L~
.
e a ressO
_ Cl
,
enet, t.
3 de l'autre. - Enfin, le tribun ~aure
· ·
·é
part, 1 67 ,
) traduisait ainsi la r ègle légale: << L~ propn té est irrevocap.
170
blement acquise à l'acheteur si le vendeur laisse passer le terme sans
··z
A
11 ser
'
de la faculté. »
.
.
.
.
Aussi ces conclusions ont-elles rallié la doctnoe et la JUnsprudence.
II. - Nature de l'Action
s. _ Voilà donc qui est chose admise: le retrayant n'aura pas
11
forcément à intenter une demande judiciaire, à recourir aux_art.2_245
C. civ. et 5 C. Proc. ci v. Mais, si l'entente n e peut se faire, s1 les
7
partis ne règlent pas leur situation à l'am~able, alors, par l~ force des
choses, une instance devra s'engager. Mais comment procedera-t-on?
.
Et d'abord, quelle est la nature de l'act~on ~n retra_it ? ,.
La question a soulevé, surtout dans l a~c1e.n d:o1t , d 1.nterm.1nables
controverses (1) dans le détail desquelles 11mest1mposs1ble d entrer.
Je va is droit à ce que je crois être la vérité; l'action en retrait est d_e
celles qu'Ulpien appela persona/es in rem scriptœ (2) et que le Droit
français appelle actions mixtes (3).
(1) - Sur lesquelles il s'en greffe d'autres, touch an t la nature générale des ac·
tions en résolution , celle des actions mixtes, etc .. .
("z) Cujas les caractérisait ainsi : « Actionum in personam alire sunt omnimo?o,
id est vi ipsâ et scrip turâ, aliœ vi ipsâ in personam , sc ri pturâ in rem ... Hœc actto..
personalis, scribitur tamen generaliter et in rem .. . Hic duo notanda sunt : Non
omnem actionem in personam ita scrib i ut quis dicat adversar ium sibi dare aut
tacere oportere, sed et alii s modis, ut puta verbis in rem directis, et ita accipie~
dus est~ Omnium i11st. de act. > Recit. solem. sur la loi 9 au Dig., QJlod mctus
ca11sâ.
(3) Tiraqueau, de retract, ge11til , ~ 8, glos. 3 ; Furgolc, Test., t. II, ch. vu,
sect. 3 ; Loysel, de l'action mixte, liv. Il , ch. l, n• 3. - Ce qui prouve que leur
doctrine a prévalu dans Je droit actuel sur les idées romaines, t elles que je vais les
exposer dans la note suivante d"après l'opinio n la plus accréd itée c'est que. d~~s
l'art. '.>9, le C. Proc . civ. établit deux compétences distinctes pour les actions di visoires, actiones mixtœ du Droit romain , et ce qu'il appelle, lui, actions mb:tes.
97 -
'6 .. -
Qu'est-ce, en effet, qu'une action mixte ( i )? Je rappelle
ce q~e nous entendons par là. Ce n'est pas, à vrai
dire, un e action spéciale; c'est la réu nion dans une instance de deux
actions'. une réelle, une personnelle, ayant chacune leur importance
et rela t1 ves à la même chose ( 2).
l
s: mm:11reme~t
Or, la clause de retrait conventionnel insérée au contrat de vente
don ne naissance à un droit de créance contre l'acheteur, d roit en vertu
duquel le vendeur pou rra le contraindre à exécuter son enaagement
t>
.
nté de ce'
petsonnelle ; - et la déclaration de volo
- c 'es t l 'action
dernier, qui constitue l'évènement de la condition, résolutoire quant
à son cocontractant, suspensi ve guant à lui-même lui redonne un
d roit de propriété en vertu duquel il pourra reven:li~uer l'immeuble
'
- c'est l'acti o n réelle.
Dans tout ce qui précède, je ne me suis occupé que des
i 17. rappo rts d u ve ndeur et de l'acheteur. Mais le Code (art. 1664) dit que
le réméré peut être exercé aussi contre les tiers détenteurs (3) ; et
cela n 'a ri en que de naturel, puisque le retraya nt a un d roi t de propriété et qu 'un tel droit, de sa nature, est opposable à tout le monde.
Seu lement, dans ce cas, l'action est purement r éelle (4), car entre le
( r) Ce nom n'a plus le sens qu'il avait dans le Droit romain. C'étai t alors l'instance dans laquelle le juge pouvait déplacer la propriété et. reconnaissant l'existence d'une obligation. prononcer une condamnation pécuniair~ . C'étaient le~
actions ji11i11m 1·egu11dor11m, commrmi dividundo, familiœ erciscrmdœ, petitio hœreditatis. Elle::s sont, aujou rd'hu i, pures réelles.
(2) La procédure compliquée du moyen-âge ne permettait p.1s d'invoquer à la
fo is un d roit réel et un droit personnel. C ~ n'estqu'au XV• siècle que cette simpli fication fut imagi née, pour Je Parlement de Grenoble, par un jurisconsulte dauphinois nommé Guy de la Pape. Elle fut adoptée Far les autres Parlements. - Quan;I
on vou lu t la baptiser. on trouva dans le Droit romai n l'expression actiones mixtœ
qui lui seyait parfaitement, et, la dt!tournant de son sens primitif (llubérus, lnst.
de act. , n• 22) , on l'appliq ua à cette innovation.
(3) Cette expression est plus exacte que cell e de l'article: •second acquéreur, •
qu i est trop restrictive
(4) C'est, au contraire, le seul cas où elle serait mixte d'apr~ quelques anciens
auteurs, que s u it M. Carré (t. r, p. 470 et suiv). ll s·appuie surtout sur la définition
de l'action mixte qu'il trou'e dans Du parc-Poullain (Pr incipesde droit, t. Vlll, p. 4 ' •
et d'après laquelle serait mixte l'action qui, ayant une chose pour objet (t!l.!ment
réel), dél'iverait d'un contrat passé entre le défendeur et un tiers (élément pcrt.on nel). Dans l'espèce du r~trait conventionn el, le retrayant puiserait le droit d'agir
ï
�,
. d eur et les tiers'_, il n'y a point de rapport
( 1)
\en
, d'obligation.
. .
1
à
on
.comprendq
ue
je
n'admets
pas
a
necess1te
pourlevenP ar l '
1 m ains
. d' u n tiers,
.
de
d eu r, q ui veut reprend re l'imme uble en tre es
l'
l
l'
· ·1
faire au préalable résoud re le contra t cont re .ac 1eteur, et , ass1m1
ari on que fait M. Du ver gier ( t. II , p. 17) de 1 art. I 6~-t à l art. 1.6 ~-+ ·
Les situations ne son t pas les mêmes. Dans un cas Il y a cond 1t1on
résolutoire légale, tacite; da ns l'autre, conditio n résolu toire conven tionnelle, expresse. La seconde est pl ~s énergique qu_e l~ ~r~mi ère (_2) .
S'aait-il de défaut de pa iement du pn x, la sen tence Judiciaire est mdis~ensable : en effet , l'action ~ue le ''.ende.ur :eut exercer contre les
tiers c·est la reve ndica tio n, c est-à-dire 1 ac twn par laquelle o n se
dans le contrat intenenu entre son acquéreur et le sous- acquéreur; et, si néanmoins ractio:i n'est pas pure personnelle, ce serait parce qu'elle a l'immeuble seul
pour objet, et que, le retrayant n'ayant pas figuré au contr:it, il n'y a pas de vùitable lien d'obligation entre Je détenteur et lui. Qui ne voit le sophisme'! Le vendeur n'a que faire de s'informer du titre du tiers détenteur. (Et si ce n'est pas en
"ertu d'un contrat ? S'il s'agit d'un usurpateur! ... ) C'est son bien qui est détenu:
il n·a pas besoin de savoir autre chose, et, sans entrer dans les subtilités, il n'a
qu'à dire: • L'immeuble m'aprarticnt , rendez- le moi.11
(1) D'après un autre systèmr, l'action serait dans tous les cas, même à l'égard
des tiers, purement personnelle. L"acqu ér~ ur n'avait qu'un droit résoluble; il n'a
pu transmettre autre lhose à des tiers La condition résolutoire est, au moins
d'une manière sous-entendue, attachée à leur contrat. a L'action que leur intente le
vendeur originaire dérive de l'engagement qu'ils ont taciteme nt et indirectement
contracté en,•ers lui , comme en.:on: de celui de restituer, que leur imfose la loi.
Elle est donc p~rso nnelle par sa nature; elle l'est aussi par son objet, qui est d'obtenir l'exécution du pacte orig inaire dont ils se sont implicitemen t chargés. »
Poncet, actions, n• 119. La démonstration est in suffisante. Je me contenterai de
faire remarquer que. si ces prémisses é1aicnt admisi:s, o n abouti rait à nier qu'il
existe d'autres actions que les actions personnelles. L"action hypothécaire ne serai t
pas réelle: le détenteur n"est-il pas obligé tacitement et implicitement de rendre
l'immeuble hypothéqué au créancier hypothécaire! !."actio n en revendication ne le
serait pas davantage: le détenteur n'est-il pas obli gé de même d'accéder à la récl3.
mation du véritable propriétairi: ? Sans doute, ils y sont obligés! Mais comment?
Il me semble qu'on joue sur les mots. lis sont obligés de se laisser dépouiller de
l'i mmeuble non en vert u de leur prom!sse ou de leur fait, mai s parce qu'ils man quent de droit. (Sic, T roplong, n• 629.) On ne peut supposer une substitution taci te
des sous-acquéreurs aux clauses du contrat primitif. Cela serait sou vent contraire
à la réalité des faits; notre art. 166-1- lui-même prévoit i11 fine le cas où le vendeur
agit contre ll!l tiers détenteur qui 11 ignoré l'existence du pacte de retra it.
r~) Certes. art . 165 \ 1ti56.
1
-
99 -
prétend pr?pr iétaire, qu'on ne peut exercer qu'en cette q ualité, - et
la convention .de vente a suffi , dès ava nt le paiement du prix, pour
que cette q ua lité passâ t de la tête d u vendeur sur celle de l'acheteur :
elle n'abando n nera celu i-ci ou l'aya nt cause à qui il l'aura transférée
que lo rsq ue, la fa ute du non-paiement ayant été prouvée contradictoiremen t avec l'acheteur di rect, le contrat qui l'a rendu propriétaire
sera judiciai remen t . résolu. - S'agit-il de pacte de retrait, rien de
pareil. Sans dou te, pou r qu e le vendeur puisse réclamer l'immeuble
détenu pa r un tiers, il fa ut q u'il en soit redevenu propriétai re. Mais
comm ent le r edevient-il ? Nous ne retrouvons pas ici de réglementation sem bla ble à celle des art. r65 5 et r656. La sommation même
n"est pas exigée. Tout ce q ue veu t la loi, - je l'ai dit suprà, - c'est
q ue le vendeur manifeste sa volonté ( 1), - d' une fa~on quelconque,
puisqu'une manière spéciale n'a pas été imposée par le Code, la Cour
de Cassation le reconnaît, (art. I 667, i 669, 167 3) , - et comment
cette volonté serai t-elle manifestée avec plus d'évidence et d 'éclat q ue
par la revendica tion ?
118. - Il va sa ns dir e que le sous-acquéreur actionné ne pourrait
se dispenser de rendre l'immeuble en satisfaisant le vendeur par des
dommages-in térêts (2). Cette préten tio n tendrait à empêcher le but
de la clause d 'être atteint: car, en la stipulant, le vendeur n'a voulu
autre chose qu e de se ménage r un moye n de recouvrer un héritage
qui avait pour l ui une gra nde valeur d'affection.
III . - Retrait exercé contre un tiers de d étenteur .
1 19. On avait mis en dou te dans le très ancien droit si le retrait
pouYait ê tre exercé contre les tiers (V. Perezius, Prœlect .. lib. IV,
t. 54 ; Favre, Code, lib . I V, t. 36; etc.). En effet, les lois romaines
ne réso lrnnt pas clairement la q uestion , le champ restait ouvert à la
controverse. Ceux qui pensaient qu'il y avai t rachat, vente nouvelle,
( 1) Dt:sce moment la propriété lui a fait retour. li e>tHai ~ue ce~taines ~bli
gation~ doivent être remplies par le retrayant, comme garantie de 1accomplissement desquelles un droit de rétenuo n est établi. Mais ceci n·a trait qu'à la rentr~e
en possession. Je dois revenir sur œ point.
(2) F avre , Code, Jib. IV, t. 36: « lnterest vend itoris rem ipsam habere potius
quam rc:i œstimationem. »
�-
10 1 -
JOO -
décidaient, ce qui était logique, que l'action était ~ou te personnelle,
et penchaient pour la n~gative. Mais les autr~s, e~ c est en ce. se ~ s que
rononcait la majorité des docteurs, estimaient qu e 1ac tion du
Q
.
.,
se P
uant a ux commentae deur pouvait étre intentée contre les ti ers.
.
d
.
,
.
v n
teurs des coutumes, ils ne pouvaient qu enseigner ce eux1ème système, le droit coutumier s'y étant aussi formellement rallié (t ) que
l'a fait depuis, notre Code.
120.' _ Ce droit du retrayan t d'agir contre les tiers est parfaitement justifié au point de vue juridique: il est la conséquence de la
règle qu'on ne saurait transférer à au~rui plus ~e d_roit qu:on n'en a , et
de la nature même du droit de propriété. E s t-il bien équitable ? Il est
à l'abri de toute critique lorsqu e les sous -acquéreurs ont connu la
clause de retrait: ils ont accepté d 'avance la position qui pourra leur
être faite plus tard par sui te de son exercice, ils ont pu en calculer les
inconvénients. Mais en est-il de même quand ils ont ignoré cette
clause ? Je dis qu' encore dans ce cas les tiers n 'ont à s'en prendre qu'à
eux-mêmes et à leur négli gence (2). Ils avaient le droit, et la plus
vulgaire prudence le leur conseillait, de se fa ire li vrer les titres de leur
auteu r, et d'en prendre conna issa nce a va nt de traiter. Alors ils auraient vu quelle était la condition de celui de qui ils vou laient acheter, puisque le pacte de retra it a nécessairement trouvé sa place dans
le contrat de vente qui l ui a transmis la propriété (3).
D'ailleurs, depuis vingt-cinq ans la publicité est organisée, et les
tiers peuvent désormais s'in form er , a u x bureaux de Conservation des
hy pothèques, de la situation juridique de l'immeuble qu'ils se propo-
( 1) Tiraqueau, de R eil'actu couvent., l -J., glos. 1 , n• 1 ; Charondas, R ep., li b. XII,
c. 54; Despeisses, t. I, p. 42; - Lapeyrt:re, et les auteu rs qu'il cite, lett . R, n• 3.
- Pothier décidait (n• 398', et il est certain que son aYis do it être s uivi, que s i
l'usufruit de lïmmeuble a,·ait été, par l'acheteur, séparé d e la nue pro priété, l'ac tion devrait se donner tant contn l'usufrui tier que contre le nu pro priétaire. Ce
n'est là qu'une application particulière de la règle: R esoluto jure da11tis ...
(2) Tout ceci soit dit sans préjudice des justes critiq ues for mulées par les économistes contre toute action rt:solutoire, au poin t <le vue du crédit. V. suprà, Jntrod11ction.
(~)On n'_en pourrait di re au tant s'il s'agissai t d'une deux ième ou troisième aliénauon, puisque, le vendeur n'étan t plus l'ache teur à réméré, l'exhibi tion de son
contrat d'acquisition, muet Sl ns dou te sur la clause résolutoire aurait laissé nos
'
déter.tcurs dans lïgnCJrJnc~.
!
sent d 'acquérir. Ils po urraient opposer au vendeur, quand celui-ci
prétendrait rémérer, soi t le défaut de transcription de l'acte de vente
lui- même, soit, s'il s'y trouve des lacunes, le défaut de transcription
de la da use de retrait.
Lorsque, du reste, ils ne peuvent éviter de la subir, un
121. r ecours en indemnité leur reste ouvert, conformément à l'art. 1626,
contre leu r a u ~u r qu i a probablement usé des manœuvres, ou tout
a u moins d'une dissimulation, fraud uleuses.
Quelle sera la portée de ce recours? Elle est déterminée par
l'article général sur la matière de l'éviction (art . 1630) , puisque
aucune exception n 'y a été apportée pour notre cas. - En ce qui
concerne le prix, le sous-acquéreur n'aura pas à le répéter de son
vendeur, s'il est le même que celui de la vente primitive, car il en
aura été remboursé par le retrayant. - Mais il se peut que les prix
aient été différents, et les a uteurs sont unanimes à décider que, lors
même que le prix de la seconde vente aurait été plus élevé , c'est seulement la somme con venue dans le premier contrat dont la restitu tion
sera garantie par le droit de rétention ( Tiraqueau, ~ 7, glos. r, n• t 5 ;
Despeisses , t. I , p. 4 2 ; Pothier , t , I , n° 42S.). La condition du retra·
ya nt ne doit pas ê tre plus mauvaise qu~ s'il retirait la ch.ose des
mains de l'acheteur direct : Nemo ex altenus facto prreg ravari debet.
C'est donc a lors par son auteur immédiat que le détenteur évincé
.
se fera r emplir de la différen ce.
Q uand , à l'inver se ' Je prix de la seconde vente est momdre, le ven.
deur retrayant continue à être tenu de l'en tier prix qu'il a reçu; mais
à qui r eviendra l'excédant du pri x de la première v.ent~ sur la ~econde ?
Sera-ce à l'acheteur primitif ou au dé tenteur ? D apres Poth1er ( l~c.
cit.) , ce derni er pourra le retenir, car l'acheteur, en revenda~t, lui a
implicitement cédé tous les droits qu'il avait par r~pport à _l'1m?1euble et qui pouva ient tendre à en ga rder la possess10n . Poth1er repond
ainsi à cette objection de Barthole: (< jura qure coi:ipetu~.t p~rso;re
non transeunt nisi cedantur. » Balde et Petrus avaient deJà fait ( ·
· I , ((~ I ,,-, at:> l • 1 , ni' 1 5 et seq.) la même
·
•
, d e retr. c onv ., t1t.
T1raqueau
· 1· n s1'ngularem successorem
·
·
'
. sine
reponse : « J us defens1oni s transit
ullâ cessione. » Mais il convient justement de se demander si cette
idée qui est fondée peut se rvir à justifier la décision que l'on propos.e
l' heteur , en revendant ' soit
J, d
, '.
dans' l' es pèce. Precisons. a mets que ac
prés umé céder tous les droits, m ême person nels, au moyen desqu els
�-
J02
103
son acheteur pourra se défendre contre les tiers : cela est une suite
naturelle de l'obliga tio n de garantie. Quant aux autres droits personnels, qui ne pourraient tendre au même but, la présomption de
cession serait dénuée de base . Or, le droit que l'on veut donner au
détenteur aura-t-il pour effet de faciliter son maintien en possession
de l'immeuble vend u ? Oui, dit-on, puisque c'est lui donner le moyen
de retenir l' immeuble jusqu'au remboursem ent d\me somme plus
forte que son propre prix. Mais le même résultat est atteint dans
l'autre système : le détenteur doit appeler en cause son vende ur pour
qu 'il résiste lui-même à la demande en retrai t. Et il ne déguerpira
jamais que sur la preuve de la restitution du prix intégral de la pre·
mière Yente . Mais ce paiement préa lable qui devra avoi r lieu, sera-til fait tout entier à lui ou pour partie à son au teur, ceci est une toute
autre question; - et le détenteur ne retiendra pas plus longtemps la
chose dans une opinion que dans l'aut re. ( Labbé, Étude sur les
Retraits, n· 29, Re1•11e critique, t. V I . ). - Ajoutons qu'il paraît bien
plus conforme à l'équité que l'excédant du prix de la première vente
reste entre les mains du premier acheteur, puisque nous avons vu, en
sens inverse, que, si le prix de revente était supérieur, il serait obligé
de restituer à son acheteur évincé plus qu 'il n'aurait recu lui-même.
Si notre acheteur souffre un désavantage dans un c;s, n' es t-il pas
naturel qu 'il ait un avantage corrélatif dans l'hypothèse inverse? Il a
fait la revente à ses risques et périls, et reste seul exposé aux chances
du retrait ( Labbé, ibidem. ).
122. Supposo ns qu'au lieu d 'une revente amiable il s'agisse
d'une expropriation pour cause d' utilité publique( V.loi du 3 mai 1841 ),
le Yendeur ne pourra sa ns doute, en usant de la faculté de retrait,
recouvrer l'immeuble; il ne saurait prétendre qu'à l'indemnité, et
po~rra s'o~poser par une saisie-arrêt à ce q u'elle soit payée entre les
mains de 1ac heteur. Il aura in térêt à invoquer la clause de rachat
dans le cas très probable où cette indemnité sera supérieure au montant des restitutions g u 'il devra effectuer.
f ac tion est mi xte; le retrayant pouna donc la porter à son gré
devant le tribunal du dom icile de son dit acheteur ou devant celui de
la sit uation <1u bien r.: vendiqué (a rt. 59, al . 4, C. Prov. civ. ). - On
n'a pas toujours été d'accord sur ce point: Albericus disai t formellement (s ur la lo i 3, ~ 1, Dig. , ad exhibend.): « Primus emptor omnimo conveniri debc: cor àm judiœ su i dom icilii. »Cela n'a rien de
rn r prenant si l'on observe le point de départ d ' Albericus et des autres
auteurs qui déc idaient de même. Su ivant eux, le vendeur agissant
contre so n acheteur n'avai t qu'une acti on pure personnelle. On en
trouve, foco citato, la déclaration ainsi fo rmulée: « .•.. . Aut agitur
adversus deb itorem obl iga tum, et tune est personalis; aut ad versus
extraneum possessorem, et t un e est realis ... Nec inconveniens est, ut id addas, - un:lm eamdemque rem esse diversre naturre, diversis
respecti bus. »
Si c'est contre un tiers détenteur que la demande est dirigée,
l'action est purement réelle, et c'est le tribunal de la si tuation des
biens qui aura seul compétence pour en ordonner le délaissement
(art. 59, al. 3, C. Proc. civ.).
12+. Mais, tout d'abord, une question se pose: le vendeur
retrayant sera-t- il tenu de passer par le préliminaire de conciliation?
Il fau t di sti nguer. Si le vendeur a commencé, comme Je demandent quelques auteurs, par fai re des offres réelles, il sera dispensé
d'a ller deva nt le juge conciliateur, aux termes exprès de l'art. 49, 7',
C. P roc. civ. - S' il n'en a pas agi ainsi, il demeure soumis, selon le
droit commu n , à l'épreuve prél im inai re. - Cette disti nction paraît
adopté:! pa r la jurisprudence ( Orléans, 11 novembre I 83 1 ; cass ..
24avril 1 812 . ).
IV. 12
Compétences.
~· - Devant quel tribunal le retrayant devra-t-il p rocéde r? Il
convient de distinguer.
s·1 1··immeuble se trouve encore entre les mains de l'acheteu r direct
V. - Intérêt de la double action.
I25. _ Si l'acheteur a deux actions, .i1 ne saurai t être tenu de l~s
exercer toutes deux. Il peu t se contenter de l' une d'elles; et. 11
semble m ême que le choix entre e\lei est sans importa~ce, a~ .moins
tant que l'objet est demeuré aux mains de l'acheteur 1mme~.1at. J_e
vais montrer que c'est là une erreur. - D 'a bord, se présente l intéret
de compétence que j'ai déjà signalé. - Mais ce n'est p~s le seul.
1., cas : Il n'y a pas eu de nouvelle.aliPnation de 1'1m~eu~le.
L'action personnelle peu t avoir plusieurs avantages. D aboid , en
�-
104 -
l'intentant le vendeur n'a pa à prouver son droit de propriété; il n'a
qu'à s'app~yer sur le contrat: l'acheteur ..sera con~amné à d~~aisser,
sur la simple preuve de l'engagement qu 11 en a pns, la cond1t1on de
retrait échéant. De plus, le vendeur obtiendra par elle le rem boursement des prestations auxq ue!les l'acheteur est ten_u, ce que l'action
réelle serait impuissante à lui procurer. - Celle-ci, à son tour, lu i
sera très utile si l'acheteur est obéré: elle servira à éviter le concours
des créanciers sur l'immeuble, elle créera en faveur du vende ur une
cause de préférence.
2•• cas: L'acheteur a revendu l'immeuble. - J'ai dit que contre
le s<?us-acquéreur l'action réelle étai t seule possible; mais l'action
personnelle subsiste : elle pourra ètre intentée contre l'acheteur
direct, en réparation du dommage causé à l'immeuble par lui ou ses
ayants cause. - Il peut même arriYer que l'action person nelle seule
soit utile au vendeur : si l'objet du retrait est u n meuble corporel et
quïl y ait lieu d'appliquer la règle de l'art. 2279, la seule ressource qui lui reste, sera d'actionner l'acheteur en dommages-intérêts.
VI. - Fins de non-recevoir.
126. - L'acheteur pourrait en opposer deux:
Au bout du laps de temps convenu en tre les parties, et au maximum au bout de cinq ans (art. l 660), la prescription, sur laquelle
j'aurai à revenir longuement ( in/rà , n•• 2or et suiv. ).
127. - De plus, la renonciatiorz au droit de retrait. Il est bien
évident que le vendeur est li bre de la faire, ses créanciers conservent
d'ail leurs la faculté d'exercer, si elle anit lieu à leur préjudice, l'action révocatoire de l'art. r 167 .
Elle pourrait même être tacite. Mais il faudrai t dans ce cas que les
faits d'où on prétendrait l' induire fû ssen t bien concluants. - Le
président Favre estimait qu'i l y avait présompt ion suffisante de
l'abandon du droit quand le vendeur figurait dans un contrat de
revente consenti par l'acheteur et donnait lui-même son consen tement.
Le nouvel acquéreur, alors, « non tautum in emptoris jura sucessisse
intelligitur .. ., sed etiam domin ium , quod non nisi revocabile fuera t
pen~ emptorem, sibi acquisiisse irrevocabiliter, perindè ac si primus
vend1 tor redemisset tum cùm huic vendidisset. » (Code, lib. IV,
-
105 -
t. 28. Item Despeisses, tit. 1, sect. VI,~ 8; Pothier, n• 443.) Si telle
n'avait pas été en effet l'intention du vendeur, on ne s'expliquerait
pas qu'il fût intervenu pour donner son consentement, le contrat
n'aya nt nul besoin de lui pour se former. - Il n'en serait pas de
même si, par exemple, l'acheteur, mariant son enfant, lui avait donné
en dot l'immeuble soumis au retrait, et que le vendeur eth figuré au
nombre des témoins du futur conjoint ou eût dressé l'acte comme
notaire. Ici la présence du vendeur au contrat aurait sa raison d'être
sa ns qu'on fût obligé de supposer chez lui l'intention d'abdiquer
aucun de ses droits.
Tiraquea u décidait qu' il y aurait encore renonciation tacite quand,
après avoir consigné le montant des restitutions, le vendeur le retirerait (t). M. Duvergier combat cette opi nion (t. II , n• 67) . L'argumentation quïl presente d'après Merlin ( V• Faculté de rachat )
paraît irréfutable. Il commence par reconnaître que telle devait
certainement être la règle autrefois, dans les pays où la consignation
était exigée par quelque statut ou usage local pour l'exercice du
rachat. Mais, aujourd'hui qu'il n 'en est plus ainsi selon la majorité
des auteurs, une telle présomption de renonciation ne peut subsister.
Le retrait de la somme consignée n'est plus inconciliable avec la
volonté persévérante d'user du droit de rémérer.
VII. - Retrait m obilier.
12 8. - J 'ai indiqué la limitation apportée à la règle ~e l'art. 1~64
par les art. 11 41 et 2279 (2). Meubles n'ont pas de suite. L es tiers
possesseurs de meubles corporels sont complètement à l'abri, pou:vu
qu'ils soient de bonne fo i. lis n'avaient pas les moyens de connaitre
la clause: quand on acquiert un meuble, on ne demande pas à son
(1)De Retract couvent.,~), glos.
10. Item Despeisses, t. 1, P· 4S; P~thier, n· 44+
Telle était la décision expresse de la coutume de Poitou, art. 2 77, 111 fine. . .
( 2 ) Voudrait-on argumenter de ce que le vendeur est propriétaire s_o~s cond1t1on
suspensive de l'objet soumis au retrai t pour soutenir que cette condit~on suspendé
est con test
la prescription instantanée comme tou tes 1es au tres.) J'admets' ce qui d'
d
(Aubr}' et Rau t Il ~ 183 n· 3), qu'il s'agit bien ~dans l'art. 227~ un cas. e
' ·
'
·
é
d
par suite
prescription. Il n~e 'sera toujours
facile de r pon re. que la .suspension
.. (
)
de condition n'est pas reçue en matière de prescription acquisitive art. 22 57 ·
-
�-
t06 -
vendeur de montrer un titre d'acquisition : le plus souvent il n' y
aura pas eu d'écrit.
Doit- on dire de mème des créanciers qui o nt acquis sur le meuble
un droit de gage exprès ou tacite ? Je crois que \'affirmath·e doit
résulter de l'espr it de la lo i tel qu 'il se révèle dans l'art. 2 r o2. n• 4 ,
al. 3. (Aubry et Rau , t . I V,~ !357 . ) On objecte qu 'une telle préféren ce ne doit être accordée au créancier gagiste que lorsque le ve ndeur
aait comme créancier pri vilégié réclam ant son prix et non lorsqu'il
r~·end ique ( Laurent , t . XX IV, ch. IV , sect. 2 ., ~ 3. ). Il est bien
Yrai que l'art. 2 102 ne statue in terminis que sur Je conflit <les
privilèges du vendeur et du locateu r. Mais ne convient-il pas d'élargir un peu sa formule? Ce n'est, je crois, qu'une application du
pri n.:ipe des art. 2279 et 11 .p . Ce qui le prouve, c'est qu 'il réserve
p récisément le cas où le locateur aura it connaissance par un moye n
quelconque des droits du vendeur ( Dans notre espèce ces droits sont
ceu x qui résultent de la clause de retra it.). Mai s, quand il ne les a
pas connus, ou, pour généraliser, quand Je créancier gagiste, locateur,
voiturier, ou autre, est de bon ne foi , so n dro it est préférable à celui
::le tous créanciers, ces créanciers fu ssent-ils d 'ailleurs propriétaires
( par l'effet d'u ne condition résolutoire ou autrement) , car la bonne
foi du possesseur, q uand il s'agit d e meubles, est invinci ble, sauf les
cas de perte ou de vol. Elle perm et, en général, à ce possesseur
d'acquérir instantanément la propriété ; à fortiori, dans l'espèce,
doit-ell e lui permettre de repousser to ute prétention de nature à
porter atteinte à son droit d e gage. - On a contesté qu elq uefois
\'étendu e que je donne à la règle de l'art. 2279, et on a voulu la restreindre à l'acq uisiti o n de la propriété. Or, il est évident que, si la
déten tion de meubles à titre de gage ne produisait pas pour le gagiste,
quant à son privi lège, le même effet que , pour le possesseur proprement dit. sa possession , quant au droit de propri été, m o n raisonnement
crou lerait. Mais c'est à tort qu 'on le prétend; la loi se se rt d'une
formule tout- à - fait générale: « En fait de meubles, la possession vaut titre ;» et rien ne do nne le droit d 'en limiter l'application.
- Le créancier gagiste pourra <ionc opposer son droit fondé sur la
b?nne foi, non à fin de prescrire ( la questi on de propriété est
reservée; le vendeur l'a reprise par la manifestat ion d e sa volonté de
retraire.), mais à fin de repousser jusqu'à paiement de sa créance la
revendication dirigée contre lui . ( Aubry et R au , t. I T, p. t 1 9. ) .
-
107 -
VIII. - A partir de quand peut-on retraire.
La question a été soulevée au XVI' siècle par un juris129.
nommé Zoa nnet us , que 1··ai dé'à
consulte de Bologne,
J c1' té , et qui· est
•
~on~u par so~ traité De Ernptione cum pacto retro venditionis. Mais
· avec.;.
JI na pas
S de lui donner une solution en ha r m 001e
. 1 .ho nneur
. eu
·
de
avant
devrait
les. vrais principes.
ur
vende
le
lui
re t raire,
,
,
.. ui vant
.
laisse r tou1ou.rs l 1mmeu ble un certain temps entre les ma ins de
!'acheteur ; s inon, l'intérêt du contrat intervenu entre eux serait
détru.it. Il en ~st ici, prétend cet auteur, co mme en cas d e prêt, où il
est bien certain que le prêteur ne sa urait être recu à réclamer le
remboursem ent des sommes fournies au lendemain 'du jour où il les
a comptées à l'emprunteur. Cette argumentation n'est pas sérieuse
comme l'a très-bien démontré Pothier. L'analogie in voquée n'exist;
pas. Quand un contrat de p rêt se form e, il est évident que l'emprunteur se propose un emploi immédiat de la somme empruntée: ce serait
manquer à la bonne foi qu e d'abuser de ce qu' un terme n'ai t pas été
fixé pour redemander les deniers, sans l ui lai sser le temps de s'en
servir d 'abord in specie et d'en amasser ensuite de nouveaux pour se
l ibérer de la dette qu'il a contractée. Le prêteur ren<l service, et
Bene.ficium nemini debet esse captiosum ( Pothier, n• 397). Au
con traire, en cas de vente avec retrait, celui qui est pressé par un
besoin d'argent c'est le vendeur ; et l'on ne peut pas dire d 'une
manière générale que l'acheteur a un besoin momentané de l'objet
acheté et que c'est d ans Je seul but de s'en servir quelque temps .
quitte à le rendre ensuite, qu'i l en fait l'acquisition. Le plus souvent
il lui est m ême ava ntageux, si le retrait doit se produire, qu 'il ait lieu
dans les premiers jours qui sui vent le contrat. C'est alors une opération
manquée, et il va chercher au plus tôt un autre emploi de son argent,
plus fructueux. - L ' hy pothèse que je discute sera d 'ailleurs fort rare.
On peut supposer, par exemple, qu'au lendemain d' une aliénat io n
faite à contre-cœur le ve ndeur se trouve, à l'improviste, légataire de
sommes suffisantes pour lui permettre de rentrer en possession de
l'héritage affectionné.
IX. Qu id s'il s'agit d'une part indivise et qu'il y ait licitation.
J3o. - Il paraît, et cela n'a rien qui doi ve surprendre, qu'il est
assez rare dans la pratique de voir une vente à réméré porter sur des
parts indivises. Le champ d'application de l'art. 1667 ne sera donc
�-
108 -
. d . mais pour être complet, il faut dire quelle est
,
.
.
•
pas très-eten u ,
devoir signaler
l'hypothèse que prévoit cet articl~, e; 1e crois mem e
.ffi. \tés sur lesquelles 11 na pas statué .
q uelques d 1 1.:u défaveur que la 10 1. attache très- .iustement à 1.état
f'
.
.
i3r. - V u 1a
t ut copropriéta1 re a le droit de la ai re cesser par une
. d. · ·
.
. .
d'in 1v1s1on, o
. et si quelque hentage ne peut commodement
.
deman de en par rage , ,
e la vente s'en fai t aux enchères (art. 1686).
être pa rtagé en n atur , . . .
.
,
. , .
C'est ce qu 'on appelle ltc1tat1on.
'un immeuble a)·ant fait l obiet d un e vente partielle
. .
.
Su pposon S q U
avec clause de retrait se trou ve, pendente retractus conditzone, dans
ce
en nature ; et demandons-nous
.
.
o
cette s1·r ua t'ion d"in1partaaeabilité
qui peut alors arriver. - Il ~o_nvi~nt de faire des .d1stinc_tto?s.
~., _ Premier cas. La lzcitation est provoquee cont1 e l acheteur.
précisément l'espèce
"'-L·•ac heteur se rend adJ'ud icataire., - . Voilà
. ;>
,
a.
dont Je Code s'est occupé. Comment 1 a-t-11 reglementee.
Le Yendeur ne peut, normalement, reprendre en vert_u du pacte de
retrai t que la chose Yend~e, mais aussi _ne pe~t--0~1 l'o?li_ger à étend re
son retrait à d'autres objets. Il est m eme dec1de à 1 ail. 167 1 qu e,
lorsqu' un héritage est acquis de différent~s per~onnes par des .actes
distincts, chaque vendeur peut borner l ex.ercice. de son . droit, de
retrait à la part d'héritage qui l ui ap parte nait. Mais cet a rticle n entend parler qued'acquisi rions tou:e spon~ané~s de la p.art de l' :c~eteur .
Or si dans notre espèce la propriété a bien eté acqu ise en real1té par
de~x actes séparés, la vente et l'adjudication, nous allons voi r quel
caractère présente le second de ces actes et comment il s'est imposé
.
fataiement. pour ai nsi dire, à l'ac heteur.
Celui ci pou rra-t-il donc contraindre le vendeur-retrayant à retraire
tout l'héritage? L'art. 1667 décide affirmati vcm ent, et l'on conçoit q ue
souYent l'acheteur soit heureux de ne pas se trouver rédu i t à une portion indiYise, moins importante peu t-ètre qu e celle qu'il tenait de son
vendeur, et dont il n'aurait pas fai t l'objet d' une acquisition isolée. Le
vendeur savait, d'après la nature du droit qu 'il cédait, ce qui pouvait
survenir. Il ne peut pas se plaindre: S'il n'avait pas aliéné, il eût bien
été fo rcé, comme l'a été l'acheteur, de subir la licita tion, et tout porte
à croire que lui aussi se serait rendu adjudi cataire : il tient à la chose
puisqu'il exerce le retrait , il aura it usé de tous les moye ns pour la
conserver. De même, l'acheteur, qui n'a pu éviter la demande fondée
sur l'art. 8 15 C. Ci v., n' étai c pas, il est vrai, forcé de se rendre adjudicataire, mais c'était la seule ressou rce qui lui restât pour em pêcher
-
109 -
la Ferte de la chose. L 'acquisition qu'i 1a faite peut donc être considérée
comme une de ces dépenses nécessaires qui sont, en fi n de compte, à la
charge du r etraya nt (art. 1673).- 11 va sans d ire que le vendeur a dans
ce cas, à res:ituer, out.rc le prix de ve nte, le montan t de J'adjudic~tion.
Pour unique m~uf de la. décision du législateur, M. Troplong
( n· 744 ) donne les 10co nvén1encs de l'indivision, qui renaîtrait entre
l'acheteur et le vendeur, et des partages répétés, toujours onéreux .
Dans ces co~sidé rations il y a du v rai : mais elle sont tout-à- fait gé nérales, et, s1 telle eût été la r aiso n de dtcider des auteurs de l'article
leur déci sion aussi et1t été générale, tandis que nous verrons bientô~
qu' il est des cas où l'acheteur ne peut rnntraindre à retirer le tout.
Une question se pose. Le vende ur, qui peut, dans l'espèce qui vient
d'êcre examinée, être obligé de r etraire la propriété de l'immeuble
entier, ne peut-il, s'il le juge à propos, - et il y aura intérêt en cas
de plus-value, - exiger cette reddition intégrale? On Je soutien t
(Colinet de Santerre, n• I t 3 bis Il I ), et cela par cette raison que, le
Code restant muet sur ce point, les commentateurs doivent s'attacher
ù main teni r l'égalité entre les deux parties. Il est certain que, si ce
droi t n'est pas reconnu au vendeu r, toutes les chances favorables de
l'opération so nt pour l'acheteur: il ne court pas grand risque à se
rendre adj udi cataire : la valeur de l'immeuble augmente-t-elle, il se
garde d 'exiger le retrait total ; dim inue-t-elle, il y recourt, - et c'est
le vende u r qui en souffre . Sans doute, cela est fàc heux, d'autant plus
fâcheux que la cause de l'acheteur est la plupart du temps peu sympathiq ue. Mais ne nous laissons pas entraîner par un sentiment de
compassion peut-ètr e exagérée. N'oublions pas que le vendeur qui
désire ne pas su pporter les suites d'une adjudication malencontreuse
a un moyen sûr d'y échapper : il n'a qu'à laisser dans l'oubli le pacte
de r et rait. - Peut-étre même, si les résultats sont absolument
m alheu reux, l'acheteu r préférera- t-il se débarrasser d'une portion de
l'hérita<>e dépfri cc volontairement, renoncer dans ce but au droit
'
)
0
théorique mais illusoire d'exiger retrai t intégral. - D'ailleurs, la
quest ion n' est pas là. C'est en vert u de sa volonté propre, et par u n
acte indépendant, que l'achece ur s'est porté adju dicaire de l'immeuble.
li y a u ne par tie de son droit qu 'il ne cient pas du recrayant . La
ven te a été l'occasion de l'adjudication, mais elle n'en a pas été la
cause n écessa ire. - De plus, l'art. 1667 contient une exception au
droit commun, que nous ne devons pas étendre ; l'argument a contrario qu'il fo urnit est très-s~rieux, pu isqu'il nous ramène à la règle.
�-
-
110 -
_Enfin, nous devons remarquer que le vendeur, se trouv ant après
le retrait dans l'indivision avec son acheteur, pourra provoquer une
licitation et se rendre adjudicat&ire de l'héritage entier, s'il le désire.
L'art. 1667 ne
~· Un copropriétaire se rend adjudica taire. réale pas ce cas, et cela n 'est pas étonnant parce qu'il n 'a pour but
q;e d'établir les droits réciproques de l'acheteur et du vendeur. Or, ici
l'acheteur a perdu l'immeuble. Ce n 'est donc pas à lui que devra s'adresser le vendeur. Mais, le vendeur a-t -il le droit d'aller revendiquer
entre les mains de l'ad judicataire? Cela semble douteux. Chaque copartageant est réputé avoir succédé seul et immédiatement à tous les
effets qui lui sont échus sur licitation (art. 883); comme celui du
partage, l'effet de la licitation, encre copropriétaires, n'est que déclaratif. Seulement, il importe de se rappeler les principes que j'ai établis
au début de cette étude. L 'acheteur à pacte de retrait n'a pas sur sa
chose le droit le plus étendu qu'on puisse avoir; le vendeur en demeure propriétaire sous condition suspensive. Donc, le copropriétaire
qui voudrait faire une acq uisirion définitive devrait les mettre en cause
l'un et l'autre. Que si le vendeur ne figure pas à la licitation, quant au
droit dont il est toujours investi, comment veut-on que l'effet rétroactif se produise conformément à la théorie de l'art. 8l53? Est-il possible
de faire remonter dans le temps le droit de l'adjudicataire au-delà du
con trat qui a saisi l'acheteur, et jusqu'au jour de l'acquisition com mune du copropriétaire qui se porte aujourd'hui adjudicataire et du
c:>propriétaire vendeur? Est-il possible d'anéantir le droit de ce dernier, qui n'était pas partie à la licitation ? Non, l'art. 883 ne trouve
pas ici d'application; l 'effet de l'adjudication est tout relatif: valable
entre les parties, elle ne peut être invoquée contre le tiers vendeu r;
par rapport à lui, l'adjudicataire n'est que l'ayant cause"de l'acheteur·
- le retrait pourra avoir li eu (art. 1664, 1673 . - V. Colmet de San~
terre, n• 1 i3 bis IV.) .
L'adjudicataire ainsi dépouillé aura naturellement le droit de répéter de l'ac~ete~r, .so~ c~licitan~, ce qu'il lui avait payé pour sa part
dans le pnx d adiud1cat1on . L art. 884 etablit en effet les coparta~eants garants les uns des autres . Mais on doit se garder d'exagérer
1effet de cette garantie. L'adjudicataire évincé ne serait pas fondé à
demander ~e.s d?mmages-intéréts, puisq ue c'est lui-même qui a provoq ué la hc1tat10n. Son colicitant n'est pas dans la si tu ation d'un
l'b
·
ve nd eur ord.maire,
1 re de contracter ou de s'abstenir· il a subi · il a
,
'
\
Ill
-
par l'adjudicataire lui-même , qui , s'il éprouve u n pré.JUété
,,
. contraint
d1ce, 1 eprouve par sa foute. ( Idem, ibidem.)
'(· Un étran?rr se rend adjudicataire. - Le vendeur peut certain ement revendiquer entre ses mains la nart indivise sur laquell ·1
e1
r
.
d . d
é
,
'
s est reserv un ro1t e retrait. Et l'adjudicataire alors, comme dans
le cas précédent, pourra exercer un recours contre l'acheteur dont il
est l'ayant ~aus~. - ~e rappelle que la licitation, lorsque )es é~rangers
y sont admis, ti ent heu de vente. Donc, en ce cas la garantie est due
selon les art. 1626 etsuiYants.
L 'ac he te~r pouvait faire insérer au cahier des charges la clause Je
non-garantie pour le cas de retrait , ce qu i eût exercé une grande influence sur les enchères. S'il ne l'a pas fait, il pourra même être tenu
de domm ages- intérêts. Qu 'il ne se plaigne pas! il est en faute : Est-ce
lui qui a appe lé aux enchères les étrangers (art. 1687) , - il ne l'a fait
qu 'à ses périls et risqu es, il savait bien que son droit de propriété
avait besoin d'être consolidé par la prescription quinquennale et que
pendant ce temps l'éviction pouvait se produire. Les étrangers ont-ils
été admis malgré lu i à la licitation, et, par exemple, de plein droit
parce que des mineurs ou d'autres incapables étaient en cause (art.
1687 in fine, 460, 839), - il devait demander que le poursuivant
procédât aussi con tre son vendeur, ce qui eût écarté tout danger de
retrait et l'eùt par su ite protégé con tre un recours en garantie provenan t de ce chef.
t33 . - Second cas. La licitation est provoquée par l'acheteur.Et r.:marquons qu 'à ce cas doit être assimilé celui où la licitation
n'était pas l'unique moyen J e sortir de l'indivision: l'immeuble était
susceptible d'un partage en nature et l'acheteur, qui en avait le droit,
ne l'a pas exigé.
a:. L'acheteur se rend adjudicataire. - Il n' y a plus alors de raison
pour abandonner le droit commun. Le vendeur peut retraire, mais
on ne saurait le forcer à retrJire le tout; cela ressort des termes
mêmes de l'article ( Maleville, t. III , p. +10 ). Et cela s'explique
aisément: l'acheteur ne peut plus dire alors qu'il a subi une forçe
majeur-:, que sa dépense érait le se ul moyen de conserver la chose,
l)u'elle était nécessaire. Que 1i"at1en.:lait-il pour sortir de l'indivision
que Je droit de retrait f ùt prescrit ?
~· Un autre que l'acheteur se rend adjudicataire. - Ne voulant
pas recommencer un e argumentation déjà présentée, je me borne à
�-
11 2 -
émettre la ..:onclusion : le retrait pourra avoir lieu. - Seulement,
l'acheteur ne pourra dans ce cas éluder la demande de dom mages et
i ntérêts de l'adjudicataire, même quand celui-ci était copropriétaire
de l'immeuble licité. En effet, la raison pour laquelle il en est dispensé, à mon sens, dans l' hypothèse examinée plus haut ( n• 132, ~)
ne peut être invoq uée ici. E n prenant l'initiative de la licitation,
l'acheteur a commis une faute et ainsi assumé une responsabilité aussi
grande que celle d'un vendeur (Colmet de San terre, n• 1 I3 bis V I I.).
Enfi n, dans tous les cas où l'adjudicataire est un autre q ue
l'acheteur et où il s'agit d' un retrait mobilier, je rappelle qu 'il peut y
avoir lieu d'appliquer l'art. 2279. Le droit de revendication est perdu
dans ce cas pour le retrayant, mais, on le sait déjà, l'action personnelle
lui reste. Par elle il obtiendra, s'il le juge à propos, ce que l'acheteur
a touché pour sa part du prix de licitation. Ici, la position du vendeur
est satisfaisante: C'est l ui qui a toutes les chances favorables, puisqu'il
n 'usera de son droit que si le prix touché par l'acheteur est supérieur
à la somme des remboursements qu'il doit faire.
On peut même se demander (V. Colmet de Santerre, /oc. cit.) si,
dans le cas où la licitation a été provoquée par l'acheteur et où le
meuble licité a postérieurement acquis une pl u~Yal ue,il ne serait pas
possible au vendeur de se faire accorder des dommaaes-intérêts
) par
t>
la
attendre
sans
liciter
faire
de
t
hâtan
se
en
ce seul fait que l'acheteur,
Je
plus-value.
cette
de
fin du délai du retrait, l'a privé du bénéfice
crois que l'acheteur devrait être condamné, parcé qu'il est en faute de
n'a:oir ~as parlé de la clause résolutoire de son titre d 'acquisition, ce
qu1 est bien le cas prévu, puisque nous avons supposé l'adjudicataire
de bonne foi (art. 2279).
X. -
Divisibilité.
134. - Quand l'objet d 'une convention est divisible les droits
auxquels elle donne naissa nce le sont aussi, tant ceux q~i tendent à
la résoudre que ceux qui ont pour but de l'exécuter. C'est pourquoi le
cas le plus fréquent est la divisibilité et spécialement pour les ventes
à ré~ér.é, qui, la pl.upartdu temps, ;nt pour objet un heritage.
. L act10n en retrait conventionnel est donc p resque tOUJ·ours di visible.
-
tI3 -
5. - Plusieurs personnes, copropn'éh · active ( 1 ). - 13
·I. Dd'ivisibilité
ointement à un t'e
coni·
vendent
le
tage,
ta1res. u n én
1 rs, avec clause de
.
.
re~ra1t. Ou b1e~, ce qu i, en droit, est la même situation, un propriétaire. vend so~ 1.mmeublc s~us pa:te de retrait; puis, il meurt, laissant
p.lus1eurs hén t1 ers. De plein droit, l'action se divise. Chaque cohéritier ou c.haque covendeur ne peut user que pour sa part de la fac ulté
de retrai t (art. 1668, t669).
de. nos articles ne serait-elle pas fo rmelle cette solution
L a décision
.
ne se.r~1 t. pas morns certaine dans nos principes actuels. Un héritage
est d1v1Slble, comme je l'ai fait remarquer plus haut· c'est une
raison décisive ; e~, ~e plus, un héritier ne succède aux ~ctions que
pour sa part héréd1 ta1re (art. 12 17, 1 220). - Il paraît qu'autrefois on
l'avait contesté: quelq ues docteurs (2) soutenaient qu'un héritier ou
un vendeur pourraien t retraire pour le tout, même contre le gré de
l'acheteur (3), en lui donnant caution toutefois de le défendre s'il
était u ltérieurement poursuivi par un cohéritier ou par un coven <le ur. P othier (n• 396) fait allusion à ces divergences, et déclare se
rallier à l'opinion de Dumoulin, qui avait fait justice de cette théorie
( Tract. de div. et ind., P. 3) ; puis termine par cette phrase : « il
doit être au pouvoir de l'acheteur de conserver, s'il le juge à propos,
les autres parts, si les autres héritiers n'exercent pas le réméré. ,,
Est-ce donc une question d'appréciation à fa ire par l'acheteur? On comprend que souvent il n'aura ac heté l'héritage que pour l'avoir
dans son intégralité; s' il a acquis malgré la clause de retrait, c'est
qu'il pensait qu'on lui reprendrait tout ou qu'on ne lui reprendrait
rien; mais il ne peut s'accommoder d'un re trait partiel, qui ferait
renaître l'indivision et lui donnerait des copropriétaires qu'il n'a
jamais eu l'intention de subir.
Et cependant, si un seul des vendeurs - ou des héritiers - se
présente pour reprendre sa part, il ne fait qu' user de son proit. Peut)
( 1) Grâce à Dumoulin, cette matière, qui ne laisse pas de présenter encore de
sérieuses difficultés, est débarrassée d'un grand nombre de controverses qui l'en·
combraient et l'obscurcissaient avan t lui.
(2) On peut citer Boerius, Papon, Automne. V. Lapeyrère, lett. R, n• 6.
(3) li en serait certainement ainsi en cas de solidarité en tre les créanciers (art.
1197), sauf à celui qui aurait retrait le tout à compter avec ses consorts (ar~. 12.16).
Dumoulin, Tract. de divid. et individ., P. 3, n1 ' 577 et seq.; Pocquet de L1vo01ère,
tit. des retraits, n• 8. Lyon , 7 septembre 1826, D., 27, z , 89.
�-
114 -
étre arrivera-t-il que l'acheteur voudra bien le laisser exercer. Tout
se règle alors d'apr ès les principes d ~ droit commun. Mais s'.1'~1ypo:
thèse que je viens de prévoi~', et q~ 1 est t~·ès~p~·ob~ble, se r~al1 se,. s1
l'acheteur juge que ce retrait partiel pré1ud 1 ~1era1 t à ~es 111.térets,
peut-il s'y opposer? Doit-on apporter sur ce point une de rogat10n au
d1oit commun?
Oui, et cela pour deux motifs. D'abord , le r etr ai t cl.oi t remettre les
choses en l'état où elles étaient avant le cont rat de ven te: l'acheteur
doit être rendu indemne. Or, n 'est-i l pas visible qu'après l'exercice
partiel du retrait sa position serait moins bonne? il aurait à subir les
inconvénients de l'indivision; ces inconvP.nients peuvent être tels,
qu'il n'aurait pas consenti à se rendre acquéreu r s'il avait pu prévoir
ce résultat ( Pothier, n° 396 ). - L 'autre ra ison est la nature du droit
de rétention, que l'art. 1673 accorde à l'acheteur. Alors même qu' il
s'applique à une chose di visible, ce droit, à la manière de l'hypothèque, reste indi visible. Peu importe que l'un des ayants droit déclare
vouloir retraire l'immeuble en r emboursant la portion de prix qu'il a
touchée; l'acheteur conserve le droit de le garder jusqu'à ce qu'il soi t
intégralement désintéressé. Comme un vende ur n 'est obligé de faire
déli vrance que contre un paiement intégral (a rt. 1612 ). ( Troplong,
n•748.)
136. - Voilà justifié le tempérament qu'on peut apporter au droit
du covendeur ou du cohéritier. Mais, d'une manière précise et pratiquement formulé, quel est le remède aux inconvéni en ts résu lta nt de
l'état de communauté? Quel secours préventif est accordé à l'acheteur? Aura-t-il ici le pouvoir que lui recon naît dans un autre cas
l'art. 1667? P ourra- t-il forcer un demandeur unique à reprendre
l'immeuble entier?
Il en écai t ainsi dans l'ancienne jurisprudence. Il importe de se
fixer, avant d'aborder la législatio n actuelle, sur ces précédents historiques. J e crois ne devoir pas reculer devant une citation un peu
longue, et que le meilleur moyen de fai re le jour sur la ma tière est de
donner le passage où Dumoulin la traite ex professa :
" Mero jure non potest unus petere redemptionem nisi partis sure
virilis, vel pro parte suâ contingenti, si habebant partes suas inrequales. Cùm autem obligatio sit dividua, ut non acquiritur ad preti um,
nisi pro parte contingenti; ita non aquiritur ad redimendum et idem
de aliis dependenti bus , ni si pro eâdem parte contingenti. Et sic, etiamsi
-
115 -
unu> tot um pretium offerat, non tamen polest cogcre emptorem revendere, nisi pro parte suâ, ad quod non potest eum cogere nisi toto
quoque pretio oblato, ut reus habeat electionem revendendi partem,
vel totum, u t a contractu discedat indemnis.
« Aut sun t pl ures hœredes uni us venditoris, et adhuc omninô idem
dico: Quamvis enim iste non possit petere nisi partem, tamen, ne sibi
sit obliga tio sua inutilis, cohreredibus cessantibus, aut dissimulantibus et for tè colludentibus cum emptore causifican te si non teneri
r evendere partem, nec teneri ad totum nisi omnibus: toto enim pretio
oblato et election e si bi relictâ, non habet justum interesse, etiamsi
cohreredes actoris exclusi essent vel tempore, quia unus solus infrâ
tempus redimendi venit, vel si expressè renuntiassent, vel ccssissent
sua jura reo, nihilomi nus tcnetur partem contingentem revendere
actori , vel revendere eidem totum toto pretio recepto. ( 1)"
Voi là qui est très-clair, et le motif est de toute justice. Il fallait empêcher que le refus d' un seul, malveillant, malhonnête peut-être,
paralysâ t le droi t des au tres. Si un tel refus se produisait, il s'opérait,
comme l'explique Tiraqueau (!oc . cit.), au profit de ceux qui vou laient r etraire une espèce d'accroissement à leur part des parts des
ren onçants. Si les renonciations n 'étaient pas défini tives, si des
coaya nts dro it s'étaient contentés de s'abstenir sans vouloir abdiquer
la facu lté de se prononcer dans l'un ou l'autre sens avant l'expiration
d u délai convenu, ils pouvaient revenir contre celui d'entre eux qui
aurait pris les devants et exen:er contre lui le retrait comme ils l'auraient fait contre l'acheteur, mais seulement dans la mesure de leur
droit indivis.
137 . - Ce système respectait tous les droits et tous les intérêts. Le
Code n 'avait , semble-t-il, qu'à le reproduire, et la proposition en fut
(l ) Tract . de div. et ind, nlt 582, 583, 58~. - De cette page magistrale on peut
rapprocher ce passage où Je président Favre expose la même doctr~ne à peu. près
dans les même termes : , Quoties hœreditarium aliquod jus est red1mendre re1 qua:
a defuncto vendita erat sive ex conventione competat , sive ex causà immodica:
lœsionis, potest unus e~ coha::rcdibus, ve invitis aliis, jure proprio, jus illud exercere. Propterea quod, sicuti non est cogendus is a quo redimitur ut partem retr~
Yendat, qui utique partem non fuerat empturus; icà cohœredum agere fortassi s
nolentium contumacia damno afficere non debet eum qui in jure suo persequendo
vult esse diligentior. 11 Code, lib. Ill, tit. zS. - Adde: Ti:aqueau, ! 1, glos. 6;
Charondas , R ép., 1. XII, ch . 54; Despeisses, t. l, p. 46; Poth1er, n · 396.
�-
116 -
faite lors de la discussion au Conseil d'Etat. Après un débat un peu
confus, auquel prirent part Defermon, Treilh~rd ~tCamba~érès,Y fut
convenu qu'un amendement en ce sens serait aiou té à 1 art. XC du
projet (séance du 3o frimaire a~ :C-I 1). Mais l'op~osition du Tribunat
empêcha plus tard cette mod1hcat1on ( Malevtlle, t. 1I~ , .P· 412 ).
L'art. XC resta ce qu'il était et prit place dans le Code civil sous le
numéro 1670. En voici le texte : « ..... l'acquéreur peut exiger que
tous les covendeurs ou tous les cohéritiers soient mis en cause (1),
afin de se concilier entre eux pour la reprise de l'héritage entier; et,
s'ils ne se concilient pas, il sera renvoyé de la demande. 1> Il faut voir
quelle est la portée de cette disposition, et dans quelle mesure elle a pu
modifier l'ancien droit. - Quelques auteurs croient que sur aucun
point la législation n'a changé (2). A mon avis, c'est aller un peu loin;
mais il ne faudrait pas exagérer non plus l'innovation.- Il convient,
pour plus de clarté, de distinguer les divers cas, en procédant analytiquement.
r38. - Quand y a-t-il ou n'y a-t-il pas conciliation, au vœu de
la loi?
Les coayants droit peuvent s'accorder pour exercer le retrait en
commun, ou chacun pour sa part. Ce premier cas est sans difficulté.
Mais ils peuvent prendre d'autres partis. - Ceux d'entre eux qui
n'ont pas l'intention de retraire peuvent céder leurs droits aux autres,
- gratuitement ou moyennant un prix. Q uand c'est sou s cette forme
que se produit la conciliation, les retrayants cessionnaires peuvent,
cela se comprend, exercer le droit pour le tout, alors même que l'acquéreur préférerait garder les parts des cédants et subir seulement
quelques retraits partiels.
139. - Au lieu de s'associer à l'exercice du retrait, et sans céder
expressément leurs droits au retrayant, les coayants droit m is en cause
peuvent, selon ce que j'ai dit s11prà ( n• 1 27), renoncer à l'exercer
jamais. Ils sont dès lors désintéressés du débat. Celui qui veut retraire
et l'acquéreur se retrouvent seuls en présence. Si le premier consent à
retraire le tout, l'acquéreur, qui demeure indemne, n'a pas d'intérêt
~1) Il suit de cette rédaction que ce n'est pas à l'acquéreur à avancer les frais de
mise en cause. - Duranton, t. XVI, n· 416; Troplong, n· 752.
(2) Duranton, t. XVI. n· 416; Duvergier, t . li, n· 35; Troploog, n• 750; Marcadé
sur les art, 1668 :\ 167 1.
-
rr7 -
légitime à s'y opposer. C'est dans l'abandon du droit de la part des
~ns ~t ~ans .le consentement de la part d' un autre, à profiter, comme
1 écr~va1t. ~1raquea ~~ d~ l'espèce d'accroissement qui en résulte, que
consiste 1c1 la conc1liat1on nécessaire. Dira-t-on que les renonciations
qui se sont produites ont étein t pour partie le droit de retrait qui dès
lors ne peut pl us être exercé pour la totalité ( Laurent, n• 4 r 3)?
Cette objection est spécieuse. L'acheteur a, par sui te des renonciations, droit acquis à ce que le retrait ne soit pas exercé pour le tout.
Mais aussi ne prétend-on pas t'éclamer le tout contre son gré ( 1 ). C'est
lui qui, lorsqu'u n des vendeurs - ou des héritiers - a demandé à reprendre sa part, a répondu que tout retrait qui ne serait pas intégral
lui causerait un préjud ice. Il y au rait mauvaise foi à repousser le retrait partiel uniquement parce qu'il est partiel et, quand on a fait
d i paraître ce caractère dommageable, à repousser l'offre nouvelle de
retrait parce qu'il ne l'est plus. Le droit du retrayant ne peut être
complètement à la merci de l'acquéreur. Ce droit est ou divisible ou
indivisible; c'est à lui de choisir, mais il ne peut dire « il est divisible»
quand on veut l'exercer pour le tout, << il est indivisible » quand on
veut l'exercer pour partie (Col met de Santerre, t. VII, n• r 1 S bis V.).
Cela impliquerait. Le bon sens comme l'équité protestent contre cette
idée.
140. - Supposons enfin que les ayants droit mis en cause aient déclaré ne pas u ser de leur droit de retraire pour Je moment, mais sans
vouloir ni le céder au demandeur ni renoncer à l'exercer jamais. Le
droit qu 'ils ont, il leur conYientde ne pas s'en servir encore, mais ils
entendent ne compromettre pas l'avenir; et il est certain qu'on ne
peut les priver du délai qu 'ils se sont réservé, ou qu~ leur acc~rde la
loi, pour faire leur option. Nous savons quelle était la solut1~n ~e
l'ancienne jurisprudence. Le demandeur, que l'acquéreur empecha1t
d'exercer un retrait partiel, reprenait l'héritage en entier et remboursait en entier l'acquéreur de ce qui lui était dû. Celui-ci n'avait do~c
pas à se plaindre, puisqu'il était indemne. Quant aux coayants droit,
s'ils se décidaient à re traire, ils n'ava ient , pour recouvrer leurs
parts indivises de propriété, qu'à faire raison pour ces parts
(l) < Intelli ge tamen si emptor velit recedi a toto contractu . Alioqui potest, Si
1
malit, pro cohrercdum portionibus rem re11nere~ nec cogitur eam retroyendere e
qui mandatum ab aliis non habet. » Favre, loc. crf .. .
�-
du coùt du réméré à celui qui en avait pris l'initiative. S 'ils laissaient expirer le délai san s manifester leur intention à cet égard,
ils étaient déchus de plein droit ( r) conformément au droit
commun, et l'unique retrayant demeurait propriétaire irrévoca ble.
comme J'eùt fait l'acquéreur. En quoi cette législation nuisait -elle
à leurs intérêts ? Ils conservent toute leur liberté d 'action jusqu 'à la
dernière minute du délai de retrait (2), ne se prononçant que s'ils le
veulent, quand et comme ils le veulent (3) . - Mais, il n'est plus
possible aujourd'hui de décider ainsi. C'est précisément là, suiva nt
moi, ce que l'art. 1670 a voulu empêcher. Il n'a pas eu seulement
pour but d e protéger l'acquéreur, qui n e souffre aucun dommage
quand on lui offre de reprendre, à son g ré, la partie ou le tout ; s'il en
eüt été ainsi, il n 'y ava it qu 'à reproduire la d isposition de l'art. 1667
qui y suffisait pleinement, Les r édac teu rs du Code ont voulu protéger aussi les coayants droit du r etrayant (4 ), et ils ont cru que le
moyen le plus efficace éta it d 'empêc her l'objet vendu de sortir des
mains de l'acheteur et d e passer dans celles du demandeur tant que
durerait cet état de choses, au besoin jusqu'à l'expiration du délai de
ret rait.
Si, avant cette époqu e, les aya nts droit se décidaient to us à retraire,
il y aurait alors conciliation , et l'acheteur n' aurait plus qu 'à s'exécuter de bonn e g râce. L 'art. i 670, en effet , quand il déclare qu'il doit
être ren voyé de la demande, se place uniquement a u moment où
l'un des ayants d roit veut u ser d e la fac ulté de retrait. Et sa déci sion
ne signifi e pas qu'il y a dès lor s d échéance p ar suite du défa ut de
con~iliation . Ce serait un moyen t rop sim ple de priver de leur d roit,
et bien avant le temps fixé, les covend eurs ou les cohéritiers : Pour
(1) Au ~o~ns s'il s'ag~ssait de prescription légale. V . Po thie r, n· 436.
(2) Par la 1e réponds a la cri tique de M. Col m et de Santerre n•• 11 S bis II et III.
. (3) .on po~rrai t ~bjeter peut-être que leur intérê t se trou v; b lessé en ce qu'ils
aimai~nt m ieux voir, rester !_'objet du contrat aux mains d e l'acquéreur à qui ils
ont ~t co.nfi ancc, q u aux mains du r etr ayant, q u'i ls n'ont pas p u choisir. Mais il
·
· ·
·
serait
sera sage.
q ue son ad m 1n1strat1on
, . fac ile à. celui-ci de le ur . d onner caution
ou à l'u n
confiance
oigné
tém
t
n
ie
a
Et d a:lleurs, 1~.ne. se:a pas touiou rs vra i qu'ils
ou à 1autre:s 11 s agit de cohéri tiers ....
\4) Cela ressort d'u n passage du rapport présenté par Fau re a u Tri buna t au
no.m de la section de législation. dans la séance du 1 z ventôse an XII. Motifs et
Ducou,.s, p. 61 3.
119 -
n'aurait qu 'à s 'e n ten d re avec l' un
sa propriété,
consolider
.
. , . l'.1cheteur
,
d entre eux , qu1. l act1o nnera1t aussitôt après le con trat c'est-à-dire à
une ép~q ue ?LI 1.l est bien certain qu'ils ne pourraien~ pas rémérer.
~ela l.u1 ~erait d .auta nt plus facile que, ce genre de vente se fai sant à
vil pnx , il aurait touj0urs intérêt à sacrifier une fa ible so mme po
ur
·
1 ·
co1:rompre c~ u 1 qu1 a urait la plus petite part de propriété ou le plus
cUJsant besoin d argent. ( 1)
Donc, tant qu e n'aura pas sonné la dernière heure du délai le
ret~a'.~ P?urra être ~x ercé par les coaya nts droit, - même par c~lui
quis etait heurté à 1 art. r 670. -- Voudrai t-on alléguer les règles sur
la chos~ ju?ée.? .M.ais nous savons que l'exercice du retrait n'est pas
un e actio n 1ud1c1a1re; et, dans l'espèce, le droit du demandeur n'était
pas contesté, je le s up pose. Ce q ui a pu fa ire l'objet d'une contestation
c'était tout autre chose que le fon d du droit de retrait, c'était un~
question d e for me et, par exemple, de savoir si l'acheteur était obligé
d 'accéder à la dema nde telle qu'elle lui était fa ite (Colm.et de Santerre,
/oc. cit. ) . C'est ainsi qu 'un d ébiteu r, qui a fa it des offres jugées
in suffisantes , sera it ad mis à fa ire des offres plus complètes.
Si, au contraire, les coayants droit d u demandeur laissaient écoul er
le délai sans ag ir, ils sera ient forclos, cela va sa ns d ire. Mais lui , lui
qui s'est montré diligent, qu'elle serait sa situation ? Le but de
l'art. r 670 a été pleinement atteint : jusq u'au d erni er moment l'intérêt d e ses cohéritiers - ou de ses covendeurs - a été sauYega rdé ;
maintenant ils sont ho rs de cause. Si donc le de mand eu r n'est pas
dé~hu, lui au ssi , de son droit et qu'il ve uille en user , la même exception ne pourra plus lui êt re opposée. Or, il n'est pas déc h u; il a fai t
tout ce q u' il d evait pour conserver son d roit : il a mani festé sa volonté
d 'user du pacte de retrai t. et de la fa~on la pl us énergiq ue, par une
dem ande en justice ; la condi tio n résol u toire s'est accomplie à son
profit (V. ch ap. IV, sect. I. ) . La situa ti on est la même qu e si, un
se ul des aya nts droit se présentant vers la fi n d u d élai de ret ra it,
l'acheteur, q uelq ue tem ps après, opposait l'intérêt qu'il a à ne pas
conse rve r une pro priété partielle et indiv ise, alors qu e le droit des
autres a déjà péri ( h ypo thèse prév ue pa r Dumoulin , passage rapporté
ci- d essu s, in f ine ) . P ar là même il conse nt à ne pas se p révaloir de
0
( 1) Dans ces ve n tes sur tout on peut appliquer le mot de Cujas: r Pt.oès cmptore m invid ia e t pe nès v enditorem inopia. •
�-
r20 -
l'extinction partielle du droit de réméré ( Troplong, n• 751) ; Et, si le
demandeur consent à retraire la chose entière, il n'a pas le droit dela
retenir ( l) .
14 1. - Cette solution s'impose d'autant plus qu'il y aurait à
craindre en son absence une fraude semblable à celle que je signalais
plus haut ( n· 140, 3° al. ) , la contumacia cohœredum agere nolentium, la co/lusio cum emptore. Ici, l'acheteur soudoierait un de ses
auteurs pour qu 'il s'oppose à l'exercice àu retrait et paralyse ainsi le
droit de ses consorts ( Bugnet, sur Pothier, n• 3 96, note) . Est-il
possible que nos législateurs aient laissé une arme aussi dangereuse
aux mains de celui dont ils considéraient avec raison la cause comme
peu favorable, et qui n'hésiterait pas, le plus souvent, à s'en servir?
142. - Il n'est pas besoin d'ajouter que si personne n'a offert de
retraire le tout, l'acquéreur, au bout du délai , demeure irrévocablement propriétaire (art. 1662).
143. - Dans tout ce qui précède j'ai supposé, avec les articles
dont je m 'occupais, une vente conjointe. Mais, dans quels cas pourrat-on dire que la vente est faite conjointement? C'est là une question
de fait ; tout dépend de l'intention des parties. Il faut unité de
contrat, l'art. 1668 lui-même le dit. Mais il ne s uffit pas qu'un seul
acte ait été dressé, car rien n 'empêche qu' il contienne plusieurs
opérations ( Duvergier, t . II, n• 38 ; Laurent, n• 414) . Il faut que la
vente soit faite pour un seul prix et sans désig nation de parts
( Duranton , n• 417; Trop long, n· 75 5 ; Marcadé, art. 1668-1671).
S'il en est autrement, s'il y a plusieurs ventes distinctes et indépendantes, l'acheteur doit subir en vers chacun de ses vendeurs la loi
de son contrat (Maleville, t. II 1, p . 4 12; Demante, n• 1 16 ) , et l'on
comprend que l'art. 1671 l'oblige à souffrir des retraits partiels auxquels il s'est sciemment exposé. Mais, je rappelle que cette d ure loi ne
lui est imposée que lorsqu'il s'agitd'acquisitions purement spontanées;
elle ne serait pas justifiée en cas de licitation, et nous avons vu que ce
cas est différemment réglementé ( n" l 3 1 et suiv.).
(~ ) .Objectera-t-on que le retrayant n'avait pas de d roi t sur la chose en tière ?
i7a:s ile~ est, de 11_1ê.m~ da~s l'espèce réglée par l'art. 1667. Dans l'un et l'autre cas
n Y a I~ qu un ~1a1s imaginé en vue de respecter le plus possibl e les intérêts des
deu~ partie.~. ~t, 1e le répète, la position du demandeur n'est pas bien enviable: il
ne ttentqu a 1 acheteur de le réduire à son contigent.
-
121 -
·
I 1. Divisibilite passive.- r 43. - Quand le débiteur meurt la1ssant
h, · ·
·
pl.us1eurs entiers, chacun d'eux n'est tenu que fOUr sa part héréditaire ( a:t: 122?) · L'art. 1672, qui fait l'application de cette règle
aux héritiers d un acheteur a réméré, prévoit plusieurs hypothèses.
a. Le partage n'a pas encore eu lieu quand le vendeur veut user de
la faculté de retrai t. - Chaque héritier ne peut nécessairement être
poursuivi que pour sa part ( 1) .
~· L e partage a eu lieu en nature et chaque héritier a pris de la
chose une part exa~tement proportionnelle à son droit héréditaire. Même solution.
y. Le partage a attribué la chose entière à l'un des héritiers Notre article décide qu'il peut être actionQé pour le tout. C'était déjà
la solution de l'ancien droit : « is potest conveniri in solidum apud
q uem tota res reperitur, >1 disait Tiraqueau ( /oc. cit. ) . En effet, il
peut et il doit faire une restitution totale, car il y a indivisibilité de
paiement conformément au 2° de l'art. 1221. Puis, aux termes de
l'art. 1664, le vendeur peut réclamer la chose entre les mains de tout
tiers détenteur , ce qui autorise la revendication contre l'héritier dans
le lot duquel la chose est tombée . Enfin, sans invoquer le caractère
réel de son action, le vendeur pourrait s'appu yer sur Je principe de
l'art. 883; et cela lui serait utile dans le cas où il s'agirait d'un objet
mobilier, que l'un des héritiers aurait reçu de bonne foi d'un e
conventio n avec les autres. Si, pour les parts de ses cohéritiers, on
considérait celui-ci comme leur ayan t cause, il pourrait opposer une
fin de non-recevoir basée sur l'art. 2279. Mais, quand il est considéré
comme ayant cause d u défunt, ce moyen d'éviter une entière restitution lui échappe, ca r il n'a d'autre titre que celui du défunt, et sa
bonne foi personnelle n 'est d'au cun poids dans le débat. ( Demantc
et Colm et de Santerre, n°' 1 r 7 et 11 7 bis.)
Au reste, si le ve ndeu r peut agir pour le tout contre l'héritier détenteur de l'objet vendu, ce n'est là pour lui qu' une faculté et non une
nécessité . Il tient de son contrat le droit d'intenter contre chaque
cohéritier une action personnelle pour sa part héréditaire, et il peut
en user m ême après le partage, fait qui lui est étranger et qui,. ~ar
conséquent, est impuissant à décharger ses débiteurs. Il peut lut etre
avantageux de recourir contre chacun des représentants du vendeur
( r) On l'avait autrefois mal à propos mis en ;!ou te, V. Tiraqueau, § 1, glos. 6.
�-
112 -
primirif, - si l'héritage a subi des détériorati_ons con sidérables . ....
( Dur:rntoo, t. XVI. n· 419; Troplong, n• 7J7; Dalloz, Rep. , V•
Vente, n· 1 52 i. )
14+ - Je passe rapide ment en revue qu elques autres espèces sur
lesquelles la loi ne statue pas expressément.
8. Le partage a attri bu é à l'un des héritiers, non pas la chose entière,
mais une part plus impo rtante que celle q ui correspondrait à sa part
héréditaire. - Il faut décider, par a nalogie avec l'espèce précédente,
que le vendeur pourra intenter contre lui une action pour une part
supérieure à sa part héréditaire, car les mêmes raison s se reproduisent:
le vendeur- retraya nt est un propriétaire q ui reprend son bien partout
où il le trouve, et l'bér iti~r défendeu r, étant censé, quant à tout ce
qui est dans son lot, avoir succédé seul et directement au défun t , le
représente et e:st tenu , comme il l'aurait été lui-même, de l'obligation
de restituer : le défunt, qui n'avait qu'u n droit résoluble, le lui a
transmis tel quel, et il n'est pas possi ble d'empêch er les effets de la
condition résolutoire échéant.
t. Un seul des héritiers possède exclusivement la chose, non pas en
vertu d'un partage, mais par usurpation , par tolérance o u autrement.
- Il ne saurait être douteux que le venàe u r puisse procéder cont re
lui , pu isqu'il est armé d'un droit rée l.
( Il n'est pas douteux davantage que la même solution sera it applicable au cas où plusieurs personnes auraient acheté un héritage en
commun sous pacte de ret rait, car les principes sont les mêmes dans
ce cas. - Le vendeur pourrait à son gré exercer son ac tio n contre
!"une de ces personnes et non contre les au tres, sans q u'elles p ussent
se plaindre de ce retrait partiel. Si, en fait, elles n'a vaien t ac heté la
chose que pour la posséder entière, elles devaient prévenir le danger
par des énonciations formelles au moment du contrat ( 1) . A défaut
de quoi, le vendeur est parfaitement fondé à leur dire: " Aucun de
vous n 'est propriétaire du tout; a u moment de l'achat qu e vous
m'avez fait, vous vous êtes trouvés da ns l'indi visio n , et , auriez -vous
( t) Si pourtant il résultait évidemment des circonstances que la ch ose était
~estii'.ée à un usage incompatible avec le morcellement, le retrayant devrait subir
1ap~hcat'.on de l'art 1218 : « L'obligation est ind1vi~i ble, quoique la chose ou
le fa'.t qu_1 en est l'objet soit divisible par sa nature, si le rapport sous lequel ell e est
constdéree
. dans !'o bl'tga t"ion ne Ia ren d p11s susceptible d'exécution partielle. •
Duvergier. n• 4o .
-
123 -
eu l'intention d 'y rester toujours
.
, vous ne pouv 1"ez pas vo us y engager
valablement. Donc,
quoique
vous
ayez acquis en commun , ce n 'é tait
·
,
que
pour
proceder
plus
tard
à
un
partage
que
dès
lors
vous
po
·
, .
u v1ez
prevo1r. »
<'. Hujusmodi pactum (écrivait Tiraqueau, loc . cit.) vel non est
unicus contractus , vel certè in eo sunt dure obligationes
"b
··
·1·b
, qui us
scil 1 ~et qui 1 et emptorum tenetur revendere. Ideoque poterit venditor queml i bet eorum compellere ad revendendam suam partem . »
Cha.pitre IV. - CONDIT!ONS D'EXERCICE DU RETRAIT CONVENTIONNEL.
I. -
Condition du retour de la propriété
r45 . - Comment s'opère le retrait? Quels sont les actes par
lesquels Je vendeur conservera son droit?
J 'ai déjà eu occasion de m'occuper de la question. J e l'ai tranchée
alors par un e simple affirmation : Il suffit, ai-je dit, pour l'exerci ce
du retrait et l'anéantissemen t du contrat de ven te que le vendeur
déclare expressément qu 'il veut retraire. C'est pourtant un des points
les plus co ntroversés de la mati ère : de puissants arguments sont
mis en avant de part et d'autre; et ce n'est pas sans avoir longtemps
hésité que j'ai pris position.
·
Déjà dans l'ancien droit les auteurs n'étaient pas d'accord, et toutes
les opinions qui aujourd'hui encore trouvent des partisans y avaient
été soutenues. Le Code, qui, prévenu par ces dissentiments, aurai t
dû se montrer explicite, a gardé le silence. Il faudra rechercher quel
est son esprit et s'i nspirer des principes généraux et de droit commun.
146. - La condition résolutoire expresse opère par la volonté des
parties contractantes : la clause de retrait conventionnel n 'est autre
chose qu'une cond ition résolutoire expresse. Cette condition est
potestati ve. L a loi ne disant pas d'une manière po:.itiveen quoi elle
consiste, tout ce qu'on pourra exiger de celui qui a droit de la faire
échoir, c'est une manifestation de volonté. Rien de pl us naturel que
ce qui suffit à former un contrat suffise à le détruire. Dans le système
du Code civil , la propriété se déplace par le seul effet de l.a vo~onté.
147. - Mais, dit-on, vous vous méprenez sur ce qui doit con~-
�-
124 -
tituer l'évènement de la condition de retrait, .et vous avez tort de
'tendre que les textes ne nous apprennent nen à ce sujet. Sans
pre
.
d. .
doute en un sens, l'accompli ssement de la con 1t1on est subordonné
à la v~lonté du vendeur : mais il serait trop simple, en vérité, qu'il
lui suffit de dire « Je veux 1; pour rentrer dans sa propriété; l'art. 1659
nous dit ce qu'i l doit faire: il faut qu'il restitue à l'acheteu r le prix
d'achat et qu' il opère certains remboursements indiqués à l'art. 1673.
Voilà la condition! Tant que ces remboursements ne seront pas faits,
le contrat de vente subsistera ( r ). Cette opinion est, entre autres
auteurs éminents, celle du judicieux professeur M . Colmet de Santerre
(t. VII, n• r 18 bis z. ).
S'il était certain que tel est le sens de l'art. t6S9, tout serait fini
par là, les jurisconsultes ne se seraient pas divisés, il n'y aurai t place
que pour une interprétation. Mais on a de tout temps contesté la
portée de rénonciation qui termine notre article. Son but n'est pas de
dire comment s'exerce le retrait; il ouvre la section, et définit le pacte
qui en sera l'objet; faut-il s'étonner quïl mentionne cette conséquence
nécessaire de la reprise de la chose, le remboursement à l'acheteur de
tout ce qu'il a dépensé à 1' occasion de cette chose ? C'est ainsi que la
vente suppose un prix, mais son effet n'est pas subordonné au paiement de ce prix ; le seul consentement rend l'acheteur propriétaire et
parfait le contrat (art. t 583).
148. - La volonté du vendeu r retrayant présente une double
face: il veut ravoir sa chose, et par là m ême, pour la ravoir, il consent
à remplir les obligations que la loi lui im pose et qui tendent à rendre
indemne l'acheteur. Ces deux faces de l'opération sont insépara bles,
et voilà pourquoi, d'après moi, il n 'est pas nécessaire que le vendeur
parle des remboursements qu'il doit opérer. Il s'engage implicitement
à les effectuer en déclarant qu'il veut retraire; la manifestation de sa
volonté à ce sujet emporte soumission tacite de faire les restitutions
auxquelles a droit l'acheteur ( Marcadé , sur l'art. 1662.),
149. - Cette volonté serait fort claire et très suffisamment manifestée par un ajournement lancé contre l'acheteur. Coquille soutenait
( Quest. et Répons., ch. 261) que la demande en justice non accompagnée d' « offre de deniers à descouvert >> n'interrompait pas la
(1) A moins qu'ils n'aient é té empêchés par le mam·ais voùloir de l'acheteur
(art. 1178).
-
125
·
d
.
P rescription. Je crois, au contraire ' très sage la J· unspru
en ce qui
décide. que, survenant
dans le délai léoal
elle em pe·c h e 1a déc heance
·
.
.
o ,
( Bastia, t o ia nv1er 1838; Nîmes 31mars 1s40 ) Le bo
.
.
'
. .
n sens n ··10diq ue-t-11 pas que, s1 le vendeur revendique sa chose il est d.
éà
· 1
bl.
·
,
1spos
re~'. phr es o . 1gat1ons sans l'accomplissement desquelles il sait
qu il ne pourrait en recouvrer la possession?
1 5o. - Quand le vendeur a déclaré qu' il veut retraire il a mis
son droit ~l'abri de la déchéance. Le délai quinquennal peut ~xpirer:
encore qu a ucun remboursement n'ait été fait, l'acheteur ne peut
éléver la prétention d'être propriétaire incommutable de l'immeuble.
S'il n'a pas été désintéressé, c'est qu'apparemment il n'était pas oressé
de l'être ( 1) : le vendeur était prêt à le satisfaire. - L'art.' 16 3
7
prévoit (1•• ali n.) cette situation: le retrait exercé, les restitutions non
effectuées avant les cinq ans ( Troplong, sur l'art. 16 62 ; Laurent,
n· 398. - Rejet, 5 février 1856.) . - Au reste, il sera rare que l'acheteur à qui l'intention de retraire sera connue ne se hâte pas de rentrer
dans ses fonds : c'est un spéculateur dont la spéculation a échoué:
son premier soin va être de retirer les sommes qu'il y avait engagées
pour leur trouver un autre placement.
Si, quand il se déclare prêt à recevoir remboursement, - et par là
je réponds à cette objection : « le vendeur pourra être de mauvaise
foi et n'avoir pas, au moment qu'il dit vouloir retraire, les sommes
nécessai res pour remplir sa promesse implici te de désinléresser son
acheteur! >> - s'il se heurte alors à la mauvaise volonté du vendeur,
(( il l ui sera facile d 'en finir avec les moyens dilatoires de celui- ci, en
( 1) On se demandait autrefois s i l'acheteur qui aurait acquiescé à une demande
en retrait ou qui aurait été condamné au délaissement de l'héritage pourr ait contr1indre le vendeur-retrayant à lui fa ire les restitutions auxquelles il aurait droit.
Pothier, Vente, n• +z8. Dumoulin décidait que oui parce qu'il s'était formé un
contrat ou quasi-contra t par lequel, en retour du délais de l'immeuble, le retrayant
s'était engagé au paiement de tout le contenu de ses offres. Et, d'a~rès Mornac,
ad 1. 39, C., de Episc. et clericis, la jurisprudence était en ce sens. Tira~ueau, ad
finem tit111i, n• 28, et Grimaudet, n· 33 , étaic~t d'un sentiment contraire, par~e
que licet 11nicuiq11e contenmere q11œ pro se mtroducta sunt. Les c?utu"?es e
l' Anjou, art. 407, et du Maine, art. 418, étaient favorab les à ce dern1~r avis, et,
quand le retrayant, renonçant après coup à recouvrer la chose: ser:fusa1t a~x prestations.obligeaient l'acheteur à se contenter des dommages-mrérets. Poth1er, Retraits, n• 395. Aujourd'hui ta solution affirmative ne peut faire aucun doute, surtout
dans le système que j'essaye de justifier.
�-
126 -
obtenan t jugemen t contre l ui ( 1); car s'il ne paie pas sur les poursuites
q ui seront fait~~ . il sera déchu , par la raison que, q uand nou s avons
dit que des offres verbales sont suffisantes (2) pour in terrompre la
prescription et don ner ou vertu re à l'action, nous avo ns toujours
sous-entendu que le ve ndeur doit les r éaliser ava nt la fi n du li tige.»
T el était déjà l'avis du jurisconsulte q ui a le plus approfondi peutêtre la matière:<< Debet intelligi (ditTiraquea u,de retractu genti/it. ,
~ 1, glos. 17, n' 8) ut satis sit d icere se offerre par atum, etiam si non
cradat, idq ue faciens dicetur satis offerre ; verùm a nte condemnationem debet is qui ità obtulit face re q uod o btulit . »
-
127 -
(1) Troploog, n• 72+ - Dira -t-on que par là on restaure le système condamné
(art. 1662) des jugements de déchéance'! Nullement, car , dans ce système tel que
je l'exp:nerai uhlfrieurcment (n• 204), l'acheteur devait p rovoquer le vendeur à
ré,•éler ses intenuons , et celui-ci pouvait impunément la isser écouler sans se prononcer le délai de la prescription con\•entionnelle. R ien de pareil ici : tout espoir
de retraire est perdu lorsque le vendeur ne s'est pas expliqué avant le terme con·
venu. c C'est lui, dit i\l. Troplong, qui doit prendre l'initiative, et un jugement
n'est nécessaire que pour vaincre sa mauvaise foi. N'est-ce Fas là le droit communh
151. C'est
ainsi q u'on pourra s'assurer que la vo 1ont éd u ven .
deur
est
sérieuse
et. que sa. déclaration n'est pas t,em é raire
· ; c•est ainsi
. .
,
qu
on
pou
r
ra
pallier
les
in
convénients
d'un
systè
·
.
,
.
me qui, J., en con vien s, n est pas économiquement irréprochable ( )
·
·
~
1 ·d 1 1·
1 , mais qui me
parait ce u 1 e a 0 1.
1 52. - U ne observation essentielle doit d'ailleurs être ca·t J' ·
·
é
·
d
1< 1 e. a1
ra iso
· s"l
, nn, au point e v ue purem ent théorique . M ais,
1 est vrai·
q u en l.état
la lé~islati on le vendeur retrayant puisse fa ire connaître son in ten tion à acheteu r de n'importe quelle man'è
·
1 re, Ja question
d.e pr~uve e.st r éservée (Ma rcadé, Laurent, !oc. cit.) Le vendeur qui
s. en ti end r ait à ces do n née~ se he.urterai t in vinciblement à la règle de
1 ~rt . r3 4 1 '.et so~ bon droit sera1ttout platonique. La preuve testimom~le ne l~i serai t g uère plu_s accessi.bl.~ p~r le mo!en de l'art. 1347 ,
pu isq ue 1 ache teu r, de la main de q u11ecnt devrait être aut a soin 1 le
plus possible, d'éviter de fournir des armes contre lui. D~ même \'a rt.
1 348 se ta inapplicable, sinon dans son 4• et très-exceptionnellem~nt .Comptera-t-on sur l'aveu, su r le refus de l'acheteur de prêter le serment
(2) Sur l'autorité de MM . Marcadé, Laurent, etc., je suis allé plus loin encore
et j'ai cru pouvoir dire que de~ offres expresses n'étaient poin t indispensables.~
Au contraire, un grand nombre de commentateurs exigent des offres réelles.
Ainsi ~e voulaient Balde, 13oerius. Perezius , Mantica, Coquille, pour ne citer q ue
les anciens. - La coutume du Poirou était encore p lus r igoureuse: elle ex igeait
qu~ c~s offres réelles fus sent. t>n cas de refu s, suiviès de consignation (art. 277);
l ~ iunsprudence du par.lemenc de Navarre était en ce sens (Merli n, v· réméré); et
Cha~ondas , Voet, De sp~1sses généralisaient cette opinion , qui compte encore des
paru.sans. - L~ néc~ss1 t~ d~ la consignation doit d'abord être repoussée: la consignation est destmée a temr heu de paiement, mais ce paiement lui- m ê me. ce remboursement, l'art .. 1 67~ montre qu'il n'est pas nécessaire pour l'exercice du retrait.
~n. effet, da~s la suuanon.qu~ prévo.it cet article le prix n'est pas payé, et pourtant
a~.h~teur n est plus propriétaire, pui sque la loi lui donne un droit de rétention que
JU~1d1quement on ne peut.concevoir coexistant sur la mi:me tête avec le: droit de propri~té. ~aurent , n· 400, 111 fine. De plus, quand une convention oblige deux particuliers a des prestations réciproques, aucun d'eux ne peut être forcé de se dessaisir
a"ant l'autre.
Troplong ' n· 720 ,· Da Iloz, n · 1499. La cons1onauon
·
·
.
ne sera que
facuhauve, et lorsqu'elle aura 1·1eu. eIl e aura pour euet
.r de procurer
"
au vendeur les
a~an tages de la possession. - Quant aux offn:s r éelles nou!> trouvons un arrêt de
i!>g3 ~ar lequel le Sénat <le Chambéry dcclarait que I~ vendeur n'a pas besoin d'y
recourir (V.. F'avre • lib IV • t · -~6) . et Ie parement
1
· aussi·
de Toulouse professall
cette doctrine
·
· du
C
. . IV
· . Montpellier • 2 3 novem b re 1 8 40, aff. Vareilhes).
Sous l'empire
odc la iu n sprudcncc est constante à proclamer la même r~gle (V Dall oz n 1500)
E t cela se comprend · Quand une q uestion
· """
..._ ce genre se pose, le devoir
· · du
' 1uge
·
est·
d e consulter toue d'abord les ter mes d e 1a convention.
·
·
·
Que s 1· la con,·ent1on
n'a rien
statué sur. ce point, où puiserait-on le droit d'imposer au vendeur une obligation
dont la 101 ne parle pas? F.n effet, a ucun texte sur la manère ne contient le mot
offres. Ce silence serait- il explicab le si l'in lention du législateur avait été de forcer
le vendeur à accomplir cette forma lité! - Elle serait d'ailleurs impossible au
moins quant à une partie des sommes à restituer, les indemn ités pou r améliorations et réparations nécessa ires, qui, n'étant pas liquides, doivent faire l'objet d' un
débat amiable ou judiciaire. Et pourtan t le Code ne fait entre elles aucune dislinction. Il énonce simultanément (art. 1659, 1673) et comme soumis à des règles
communes les rembour5ements ci- dessus énoncés et celui du prix prinfipal et des
loyaux- coûts du contrat. - Quand l'art. 1673 suppose l'absence de paiement dans
le délai, il suppose aussi l'absence de consignation, puisque consignation équivaut
à paieme n t. M~us, s'il en es t ainsi , que seraient, on peut se le demander, des offres
réelles qu~ ne suivrait pas la consignation (art. t '.?57) ! Quelle différence y aurait-il
entre elles et des offres verbales (Troplong , sur l'art. 1662)? J'ajoute: quelle différence entre ces offres-là et l'offre tacite qu'implique la déclaration de volonté du
retrayant? - E nfin, une dernière considération est suggérée par la tradiuon, par
l'esprit des r édacteur s du Code et pJr l'équité; c'est celle qui a surtout entraîn.E la
jurisprudence : des deux parties en cause, la plus favorable est certainement le
vendeur. Trop souvent l'acheteur est un usurier qui cherche une source de lucre
dans la détresse d'au lrui. S1 donc un doute est possible dans l'interprétation , c'est
le premier qui doit en profiter.
(l) En ce qu'i l fac ilite outre mesure la résol ution du droit de l'acheteur, ce qui
est contraire à l'intérêt général.
!
d:
1
�-
u8 -
décisoi re? Quelle imprudence de s'en remettre à la bonne foi de cet
homme. qui, la plu part du temps, sera aussi avide que peu scru-
chaqu e partie doit rendre à l'autre ce qu'elle a recu d'elle (D
emante,
,
vente, n• I 18).
puleux!
Si donc le r<!trayant est sage, il fera constater sa volonté par un
écrit; et la forme d'écrit qu'il devra choisir naturellement, c'est une
sommation adressée au vendeur de se préparer à rend re l'immeuble
et d'établir le compte des restitutions auxquelles il aura droit. Il
sera même bon , v u l'obscuri té de la loi, d'y mentionner expressément
kt proposition de remboursement. - L es officiers publics compétents
pour faire cette sommation sont les huissiers, et aussi les notaires,
puisqu'ils ont compétence pour les offres réelles (Col met de Santerre,
n• 118 bis III. ).
II. - Conditions de la rentrée en possession.
1 53. - Nous avons vu comment le vendeur empêche son droit de
retrait de tomber en péremption. Que doit-il faire pour vaincre le
droit de rétention de l'acheteur et obtenir qu'on lui rende sa chose?
Prix. - 1 54. - La première obligation 'du vendeu r est de rendre
le prix qu'il a reçu. Que si, chose improbable, il ne l'avait pas encore
touché, il devrait en donner décharge à l'acheteur.
155. - On avait mis en doute dans le très-ancien droi t , à ce que
rapporte Zaannetus (n• III ), si la restitution devait porter sur la
somme fixée comme prix dans le contrat de vente ou sur la valeur de
la chose au moment du retrait. C'est toujours le faux point de vue
que j'ai signalé déjà bien des fois: ceux qui embrassaient la seconde
opin~on disaient que, le réméré étant une seconde vente, quand la conve~tion est muette sur la somme à restituer, l'acheteur primitif s'est
tacitement engagé à céder la chose à son ancien vendeur moyennant
un prix qui ne saurait équitablement être déterminé que d'après ce
qu'elle vaudrait à l'époque où la cession aurait lieu. Il est bien certain aujourd'hui que cette idée doit être repoussée: les ar t. 1659 et
1673 ne prête:lt pas à l'équivoque. Déjà quelques coutumes s'étaient
prononcées dans le même sens : celle du Poitou disait formellement
(art. 370) que le vendeur devait resti tuer le prix du contrat. Et, dès
avant le Code (V. Pothier, vente, n• 411), la doctrine était unanime
à procla_mer cette règle, fondée sur la raison décisive que le retrait
conventionnel est une clause résolutoire de la vente, d 'où il suit que
129 -
•
,
156. - Serait-il
, impossible de stipuler expressement dans le
. donc
· d e vente''
contrat .la prestation d une somme différente d u pnx
·
D.
c
Poth1er (n• 4i3) permet, de stipuler une som me pl us 1orte.
e ~u 0 1
.
d
· d
11 onne eux raisons: d abord , la faculté de rém érer n •est pas· d ue
au vend eur
,. par . la .n ature même du contrat de ven t e; on coroprend
il ne 1 obtienne pas gratuitement ·· l'excédan t d e 1a somme
qu
donc
..
· de cette
sera l e prix
qu 11 devra rendre
,
. sur celle qu 'il avait recue
.
faculté. Et, s1 _cons1d~rab le qu~ soit la somme ainsi convenue, le vendeur ne sa u rait se plaindre, p~1sque, décidant seul de l' application de
la _clause ou de sa non-application, il n'est jamais forcé d'opérer le
paiement. La p~upart des auteurs ont suivi ce système (i), tout en
rem~rquant qu un tel co~trat favorise beaucoup l' usure et que les
magistrats. auront_ le devoir de veiller à ce que la loi du 3 septembre
1~07 ne soit pas v10lée. A cela M. Colm et de Santerre répond (n• r 1 8
bzs VI) .q~'o~ ne se trouve pas ici dans l'hypothèse exceptionnelle où
cette_ 101 11m1te le taux de l'in térêt. Il valide donc toujours cette convent10n comme n'ayant d'ailleurs rien de con traire à l'ordre public ni
aux bonnes mœurs. En sens inverse quelques auteurs la considèrent
com~e illicite en elle-même (2). - Il est certain que bien souvent
les tribunaux reconnaîtront qu'i l y a contrat pignoratif. Si, l'espèce s'est pr~sen tée (arrêt cité note i), - le vendeur qui reçoit
27_,~oo francs doi t en rendre 3 5,ooo, ona abusé de sa position pour
~u1 1m~oser des conditions qui rendent le retrait onéreux et presque
1mposs1ble. Et pourtant il n'est pas dans le cas où la rescision est
admise pour cause de lésion! Faut-il en conclure, comme on l'a
fait, que l'aliénation de son immeuble constitue une mauvaise affaire,
mais qu'il est désarmé? Il est probable que nous ne sommes pas en
présence d' une vente véritable, mais d'un prêt, dans lequel le prêteur
cherch e à garder pour un prix dérisoire l'objet qu'il a reçu en gage,
et d' un prêt . usuraire, car la somme de 8.ooo fra ncs représente des
intérêts bien su périeurs à ceux qu'autorise la loi de 1807.
( r) Zacharire, Aubry et R au, t. IV, ê 357. no 3; Duvergier, t. II, n• 12; Cham-'
p ionn ière et Rigaud, n· 2092 - V. Paris, 9 mars 1808, Sirey, 8, 2 , 157 ; adde
Gand. 26 mai 1858, P asicrisie, 1858, 2, 39+·
(2) Delvincourt, t. III , p. r 59, notes; Duran ton, t. XVI, n· 429 ; Troplong, n• 69b
�-
130 -
Quand il n'en sera pas ainsi et que les parties n'aur~nt eu en réa.
· t en t'on
lité d'autre in
1 que de faire une vente, la .clause
, qu1 nous occupe
.
•
l'd
'e
en
vertu
du
principe
de
la
hberte
devra etre va 1 e
.
. des conventions.
S eu1ement f;audra - t - il l'appeler retrait. conventionnel,
,
.
. . pacte de·
,
''
C
a"tbi'en
à
tort
que
les
parties
1
auraien
t
ams1
nommée.
remére r e ser 1
.
•
La condition résolutoire ne peut résoudre que ce.qui a eu lieu. Elle
remet les choses en l'état an térieur: on ne peu t s app~ye~ pour amener ce résultat que sur les éléments dont se constituai t la vente.
Celui qui paye plus comme retraya nt ~.u'il. n'a r~çu comme vendeur
ne se retrouve pas au même état que sil n y ~va1t pas eu con trat; le
contrat, qui devrait être entièrement anéant1, conserve cet eff~t . de
lui faire débourser une certaine somme. Ce n est plus la cond~t10.n
résolutoire pure (1); un changement est a~porté ~ircà substant1~/1,a
retractûs ; c'est une opération nouvelle. qui produira des effets d1fferents. Le te:xte de l'art. 1659 fournit un argument en faveur de cette
opinion; il est ainsi conçu: (< . . . reprendre la chose ven.due, moyennant la restitution du prix principal. .. » N'est-ce pas dire que, lorsqu'il s'agira de la clause ainsi définie, l'acheteur ne pourra jamais
exiger plus que ce qu'il a reçu?
.
Pothier (n• 414) décide encore qu'il pourra être supulé une somme
plus faible. Il n'y a plus alors à craindre des intentions ~surai_r~s
chez l'acheteur, qui fait, au contraire, à son vendeur une hbérah te,
au cas où le retrait est exercé. On peut y voir un pacte de remise de
partie de la créance qui doit naître de l'accomplissement de la condition. (Bugnet, ibidem).
r 57. - Qu'en serait-il si la faculté de réméré avait été stipulée
après coup? Nous savons que le pacte ainsi opposé ex intervallo ne
donnerait pas naissance à un véritable droit de retrait con ventionnel ; il s'agirait d'un réméré dans le sens étymologique, d'un rachat
proprement dit et non de la résolution de l'achat primitif. Puis donc
qu'on n'a pas à se préoccuper ici de la nature des conditions résolu1
( r) Bugnet, sur Pothier, t. Ill, p. 173, n• 1 ; Laurent, t. XXIV, n· 40 1. - Cependant, il y aura à examiner si, en fait, les parties n'ont pas eu précisément pour but
de maintenir entre elles l'égalité: il se peut que l'excédant du prix soit destiné à
représenter les intérêts, que, normalement, le vendeur ne serait pas tenu de rendre
et que pourtant il retiendrait injustement au gré de l'acheteur parce que la chose
objet du contrat n'était pas frugifère ou ne produisait pas des fruits pour une
nleur équivalente.
toi res, le pri~cipe de la li be~té des conventions reprend sans difficulté son empire, tout se réduit à connaître l'intention des parties et
si elles se font formellement expliquées, tout est fini par là. Elle~
auro nt pu valablement stipuler pour la seconde vente, qu'elles nomment retrait m al à propos, un prix différent de celui de la première.
Que si elles n'ont pas précisé quelles devraient être les restitutions et
se sont contentées de convenir que le vendeur pourrait retraire, elles
ont ai nsi indiqué d'une manière indéniable la relation de la convention q u 'elles · faisa ient au contrat de vente, et ce sera suivre leur
volonté que de faire produire à ce pacte des effets semblables autant
que possible à ceux du pacte de retrait. Ce sera donc le prix de la
première·vente qu i déterminera le prix de la seconde, et non la valeur
de la chose (Poth ier, n• 412) .
• 1 58. On posait autrefois en question si le prix devait être rendu
par le retrayant en la même monnaie qu'il avait été payé par l'acheteur~ Pothier décide a'r.ec raison (n• 415), et cette règle est applicable
à to~s les cas où la dette est d'une somme d'argent, que le prix, qui a
dû être payé en monnaie ayant alors cours, doit être restitué en mon naie ayant cours au moment du retrait. Il donne pour motif que
«dans la monnoie ce n'e.st pas les espèces qu'on considère, mais
seul~ment la 'som me ou valeur que le Souverain
voulu qu'elles
signifiassent i>, et cite à ce propos un passage du texte célèbre de
Paul , 1. 1. D., lib. XVIII,· tit. I : «... ea materia formâ publicâ per~ussa usum dominium que non tam ex substantiâ prrebet quam ex
quantitate. ii· 11 importe de se mettre en garde contre l'erreur ~co_n?
mique qui semble contenue dans ces explications d'une règle 1ur~d.1 quement incontestable, et de rappeler que l'Etat ne peut pas c~o1s1r
arbitrairement la matière qui sert de monnaie, sans qu'elle ait une
valeur intrinsèque réelle, ni fixer la valeur de cette matière cap.ri cieusement sans tenir compte de ses qualités, des frais de production
ou de trans~ort, et des variations de la loi de l'offre ~t de l_a demande .
Quand le cours forcé des espèces est mainte~u mvan~ble après
qu'on les a - multipliées d'une manière ex~ess1ve et quelles sont
décriées, la" valeur ' nominale des marchandises augmen_te; pour e.n
avoir la même quantité il faudra payer quatre ou cinq fois plus._ Mais
quand le prix est fix.éd'avance en vertu d'une oblig~tion antérieure,
. cette equ1ta
, · bl e proport1on
quand on ne peut établir
. d'après les
.
h
di'
se-monnaie
et des autres
valeurs relatives nouvelles de 1a marc an
a
�-
13Z -
marchandises, les créanciers peuvent souffrir un préjudice énorme.
On comprend, en particuli~r, quelle perte pourrait subir un acheteur sur qui un vendeur peu scrupuleux exercerait le retrait moyennant des espèces dépréciées. Et, s'il s'agit en effet d'une m onnaie
n'ayant pas de valeur par elle- m ême, qui n'est réell ement que le signe
de la richesse imposé par l'autorité, quelle baisse peut su rvenir dans
les cinq années du délai l A u bout de cinq années d'existence, gr<îcc à
la multiplication inintelligente qu i en fut fai te, les ass ig nats avaient
subi une dépréciation de quatre-vingts pour cent. Un peu plus tard
ils n'achetaient plus rien. Chacun ayan t en portefeuille des sommes
énormes de papier-monnaie (r), un vendeur à pacte de retrait pouvait
recouvrer son immeuble sans aucun sacrifice, - et ruiner peut-être
ainsi son acheteur.
1 59. - Le prix que rem bourse le retrayant sera-t-il distri bué entre
les créanciers hypothécaires suivant leur rang ou au marc le fra nc
entre. t~us les créanciers? La mème question se posait à propos du
retrait hgnager, et Pothier décida it ( Retraits, n• 43+) que l'ordre des
constitutions d'hypothèques devait être observé, au moins au cas où
lïmmeuble avait déjà été saisi avant l'exercice du r etrai t. Mais cela
est-il admissible? Le retrait résout le droit de l'acquéreur sur la chose·
et, si l'acquéreur n'a pas eu de droit, il n 'a pas pu en conférer. L~
cr~anci~r h!'pothécaire n 'a :eçu qu' un droit de préférence résoluble;
a~iou~d h~1 que la résolution s'est produite, il se retrouve sur un
pied d égalité avec les autres créanciers. La somme remboursée sera
un.e valeu r .pureme~t m?bilière et dev iendra le gage des créanciers
c?1rographa1res; Mais,. ~1ra.-t-on, il convient de tenir compte de cette
circonstance qu une sa1s1e s es t produite antérieurement au remboursement du ~rix. Qu'importe.! La saisie ne confère pas de droit nouveau.
~Ile garanltt seulement contre des actes volontaires ultérieurs du débiteur. Or, lorsqu'est exercé le retrait, la saisie se trouve nulle comme
a)~ant été pratiquée sur un bien dont le débiteur n'était pas propriétaue. ( Labb~ , Et:!de sur les 1-etraits, n• 20, Revue critique r 8 55.)
~et~e concluswn semblait décou ler naturellement des consid~rations
si bie.n déduites par Pothier .lui-même (/oc. cit., n• 43 1 ) après Du .
rnoulrn ( cons. Par ., (t
1 · r, :;s 2,0, g.
1 5, qurest. 5 n• 45) et ' Tiraqueau
'
· n ''· 8 et seq.).
· 11·,, .â.3,
(de 1·etract· con ven t .. , t1t.
Le r etrai t était à
(1) Oq en émi\ pour plus de quarante milliards.
-
133 -
pouvait se f;a1·r:e céd er 1a somme
prévoir, et un créancier diligent
.
le tran spor t d e cette créance
signifier
et
rembQursa bl e en cas de retrait
.
é :en tu elle. ( L abbé, /oc. cit., n• z z.)
· un·1mmeu bl e avec
16 0 . - Supposons qu'une personne ayant ache·t·é
.
.
re'g·
le
sous
marie
se
pacte de retrait conventionnel
1me d e 1a commu.
nauté légale. L e retrait étant exercé , la somme rembo ursée tom berat -clle dans la communauté ou sera- t-elle ' comme r·imrneu bl e, propre
.
~ L
h
"
à l epoux ac, eteu r. e pr~x est chose mobilière et tombera dans la
communau te .. - U né question exactement analogue se trouve discutée
dans les anciens a uteurs. Il suffira de rappeler brièvement les éléments de la contreverse.
du retrait, l'achete ur est mort , laissant deux
d
, Au .jour l'de l'exercice
legataires, .un e ses ~eubles, l'autre de ses immeubles. Auquel des
deux le prix devra-t-il être remboursé? Pothier, qui examine ce
point à l'occasion du retrait lig nager ( n• 423 ), décide que le prix ne
peu t être prétendu que par\' héritier aux immeubles. En cel; il s'écarte
de ses d_evancie;s ( Ti ~a~ueau, .G~im1Udet. .. ), qui enseignJient que,
le retrait détruisa nt 1achat lui · même dans la personne de l'acquéreur, l'argent payé par celui-ci en vertu du contrat n'a pas été en réa- ·lité le prix de l'immeuble et ne le repr~sente point; aujourd'hui donc,
la dette du r etrayan t es t d'u_ne somme purement mobilière par son origine et sa cause ; ce qu 'i Ldoi t c'est la resti tuti on d'une somme à lui payée
sans cause. Cette op inion paraît bien préférable. Pothier objecte que
l'acheteur a été propriétaire de l'immeuble jusqu'au moment duretrait. Cela est vrai tant que ce retrait n'a pas eu lieu; mais, dès qu'on
l'exerce, grâce à l'effet rétroactif de la condition accomplie il est
censé que jamais l'acheteur n'a eu de propriété immobilière, qu'il ait
pu la isser dans sa succession . Ce qu 'il a transmis, c'est la créance
conditionnelle en remboursement de la somme payée comme prix.
Car il serait peu exact de dire avec Pothier qu 'au jour du décès de l'acheteur cette créance n'avait aucune existence : elle avait une existence conditionnelle, elle était subordonnée à l'arrivée de cet évènement: le retrait. Enfin, Pothier avance que c'est envers celui entre
les mains de qui il trouve la chose que l'acheteur contracte l'obligation
de rembourser. N 'est- il pas plus vrai de dire, avec M. Labbé (op. cit.,
n' 38), que c'est enve rs celui qui a indû ment payé (soit l'acheteur) ou
son représenta nt ? Or, pour toucher une somme d'argent, le représentant de l'acheteur ne peut êtr e que le légataire des meubles.
�-
13'4 . -
Accessoîres. - 16 1. - Le vendeur doit-il rendre les-intérêts du
prix ? Les auteurs dé.;ident que non (1). En effet, l'art. 1673, qui énumère _ limitativement (cela ressort de l'art. 16 59) - les r estitutions
que do it opérer le vendeur, n e parle pas des intérêts. En_général
pourtant ils font partie du prix , et l'on doi~ croire que l'é~ithète (\ principal » dont la loi ac.;ompag ne par deux fois le mot « pnx » a eu pour
but de les exclure. C'est là une dérogation apportée a u principe de la
résolution, tel qu'il est formulé pa t' l'art. I r 83 ( Lauren t, n• 4 02) : si'
les choses étaient complètement remises au m ême état_q u e si la vente
n'avait pas existé, les parties ne devraien.t rien pou-yoir !etenir de ce
qu'elle leur avait procuré : le vendeur dev rait rendre le prix avec les
intérêts, comme l'acheteur la chose et les fruits. Le moti f de cette dérogation est la difficul té des comptes qu'il y a urait lieu d'établir au
moment du retrai t ; e'est po ur o bvie r à ces inconvénients et éviter des
procès que la loi a fai r application de la m axime: «· Fnlctu s cum usuris compensantur, » les intérêts du prix sont compensés avec les fruits
de la chose; ajouto ns : ou avec son usage, car la c.h ose peut n 'être pas
frugifère, et l'on ne voit aucune raison sat isfa isante de fa vo1 iser l'acheteur d' une galerie de tableaux plus q ue l'acheteur d' un vignoble : la
position doit être égale pour tous deux; la rétroacti vité de la condition
ne pe ut faire que l'acheteur des tableaux n'en ait pas joui pendente
conditione et que le vendeur n'en ait pas eté privé pendant le même
temps; qui dira si le plaisir qu'a goûté cet acheteur n'équivaut pas
aux bénéfices qu'a retirés l'autre de ses vendanges (2)? D'où nous de vons conclure qu'aucun d'eux n'aura rien à r endre que les vignes ou
les tableaux, et, réci proquement, qu'aucun d'eux n 'aura d roit aux
intérêts du prix.
. Du r~st~, si les parties désirent éviter l'inégalité, par suite l' injustice, qui resultent souvent de cette com pensation, - qu'elles règlent
(1) D~ranton, t. XYI, n• 424; Duvergier, t. II, n· 5o; Troplong, t. II, n• 735;
Laromb1ère, t. Il , art. 1184, n· 70; Aubry et Rau, t. IV, § 35 7 , n• 1 ) .
(~ Cotn:iet de Santerre, t. V .. n· 98 bis Il ; Demolombe, Obligations, t. If, n· 49/l.
oudratt-on, se fondant sur ce que l'achl!teur de la chose non fruoifère l'a possédée sans titre, puisque l'achat est résolu , ex iger de lu i un loyer, s~uf à en corn ·
pe~ser. le montant avec celui des intérèts du prix ? Mai s, ce s~rait ajouter aux
obhgau~ns de l'acheteur et substituer la volonté de la loi ou de la justice à cellz
d~s parties (Colmet de Santerre, ibidem). Cette idée étant repoussée c'est donc
bien dans ce cas l'usage de 1a ch ose qui· se compense avec les intérêts.
.
'
-
135 -
par av~nce dans I ~ contrat le sort des intérêts et des fruits au cas
d'exerc1c: du retrait; elles ont pleinement le droit de modifier la loi
surcepornt. (V. ~r.uxelles, r 3 octobre1 82 5, Pasicrisie, 1 g,5 1 p. Sor.)
r 62. - La déc1S1on du Code est conforme à la tradition de l'ancien
d roit. Pothier (Vente, n• 417 ) se demandait si l'acheteur serait recevable à. r éclame; les intérêts en offrant de compter les frui ts, et approuva it un arre t du to août 1626, rapporté par Lep rêtre, qui tranchait la question négati vement._ Si l' acheteur fait une telle proposition,
c'est que les récoltes ont été maigres, il se serait bien gardé de la faire,
si elles eussent été abondantes. Lui laisser le droit de prendre à son
gré l'un ou l'autre parti serait une iniquité absolument inadmissible
dans notre droit.
r63. - Il est tout n atu rel que si quelque charge, - Pothier
(n' 41 9) donne en exemple l'obligation de copier un manuscrit; avait été sti pulée en sus du pri x, le retrayant devrait en indemniser
l'acheteur, ca r c'est là, à proprement parler, un e partie du prix.
r 64. - L'art. r 59 3, qui met les « frais d'actes et autres accessoires
à la vente» à la charge de l'acheteur, considère que, devenant ?ropriéta ire, c'est lui q u i en profite su rtout. Aussi, quand il y a résol ution de la propriété ainsi acquise, la loi (art. 1673 ) abandonne ce
système et fait supporter la perte de ces frais inuti les au vendeur
retraya nt. Rien de plus juste : Celui ·là doit payer qui retire de l'acte
u n avantage: or, une seule clause du contrat reste debout, la clause
de retrai t, tou te en faveur du vendeur retrayan t. L'acheteur, au
contraire, doit indemnis discedere: il y comptait lorsqu'il accordait
au vendeur cette faculté à laquelle il n'avait pas droi t par la nature
du· cont ra t et , pou r employer le langage de certaines coutumes, cette
grdce de réméré. ( Pothier, n• 42 r ; Laurent, n• 403.)
La loi d'ailleurs montre en parlant des loyaux-cozîts que l'acheteur n'a 'pas le d r;it d'exiger le remboursement d: tout ce qu'il a
déboursé, peut- être par prodigalité ou par ostentation (futa ~n cadeaux aux domest iq ues), ou même dans le but de rendre 1exercice du
retra it encore pl ûs difficile (pllta en payant largement des co~su.lta
ti0ns d'avocats a u xquelles il n'y avait pas juste sujet, ou en multipliant
·
·inutiles
· ) ; 1·1 ne peu t pre' tendre qu'au• remboursement
des ·expertises
,
de ses dépenses léaitimes," que tout a1,1tre acheteur eut egalement. sup21
portées ( Tiraqu;au ~ 6, glos. 2 ; - Pothier ,' .Vente,. n°' 4 20 • 4 i
Retraits, n" 31 r et ~l;iv.)" telles que: les fra is de passation du contrat,
�-
136 -
honoraires du notaire, droits d'enregi~trement , é ping_les et po_ts de vi n
. lés au contrat salaires des proxenètes ou courtiers , frais de vost 1pu
,
. .
,.
bl
.
aae ayant eu pour unique but de v1s1ter l 1mmeu e à acheter, frais
y 0 .
. d
d'enlèvemen t de la chose, frais e transport, etc ...
165. _ Enfi n , si par hasa rd le p rix de ve n te n 'avait pas été de
suite acquitté et que en attendan t_l'acheteu r e? eû t servi les intérêts,
ces intérêts devr aient lui être restitués, du moms q uand le vendeur
aurait usé de son d roit de rétention jusqu'au paie ment , jouissant
ainsi et des intérêts et des fruits ; mais cette espèce , que prévoit
Pothier (Retraits, n• 3 17), est bien improba ble.
I mpenses ( l ) . - l 66 . - Le vendeur retraya nt ne doit pas s'enrichir aux dépens de l'acheteur. P a r conséquent , si celui-ci a fa it sur
le fonds des t ravaux de réparation, d 'embellissemen t, il doi t en être
inàemnisé. Mais dans quelle mesure? Il y a lieu de distinguer.
167. - Pour les réparations néce:;saircs, elles sont remboursab les
en entier. Sans elles le vendeur n 'eût pu exercer le retrait, puisque
la chose aurait péri ; ou, du moins, il n'au ra it plus eu d' intérêt à
user de son droit, puisque la chose eût perd u de jo u r en jour de sa
valeur. Si donc c'est à lui qu'elles profitent, il est juste qu 'il les supporte. - Mais il devrait en indemniser l'acheteur, alors m ême qu'au
jour du retrai t elles auraient été détrui tes par quelque cas fort uit;
Pothier ( Retraits, n• 338) donne en exemple la reconstruction d'un
pignon de grange incendié plus tard par le fe u du ciel. L 'acheteur,
au moment qu 'il faisait cette répa ration, avait un mot if légitime ; il
s'agissait de sauvegarder l'immeuble, abs tractio n faire de la person ne
qui profiterait de sa conser va tion ( Grimaudet , VII I , I.) .- Ceci su ppose démontrée l'urgence des trava ux qu i ont été fa its; da ns le but
d'é,·iter les contestations sur ce point il sera sacre à l'acheteur de
'
0
fai re constater l'état des lieux par u n expert q ue nommera d'office le
tri bunal de première instance dans le ressort duquel les bâtiments
sontsi tués, comme dans le cas de l'art. 2 1 o3, 4•.,. Quand la nécessité de
la dépense aura été ainsi justifiée, le vendeur n 'a plus sujet d e plainte :
(1) Il va ~a?s dir~ qu'il s'agit de celles qui sont fa ites sur la chose et non pas
seulement a 1 ?ccas10~ de la chose, comme pourrait l'être l'achat de chevaux ou de
b~ufs pour faire valoir un héritage; si ccux:-ci venaient à mourir, l'acheteur n'au rai t pas le droit, au m~ment du retrai t, d'en répéter le pri x, encore q u'il fu t constll~t que, sans les beso10s de l'exploitation , il n'en eût jamais fa it l'achat et n'eût,
pa conséquent, pas essuyé cette perte. Pothier, R efl"aits, n• 329.
si la chose éta it restée entre ses mai ns, il aurait d û se résoud re à la
faire lui- même (Agen, 28 mars 1860 , Sirey, 60, 2, 1 6 .). S'il
7
trouve le chi ffre des resti tutions trop onéreux, il n 'a qu'à s'abstenir
de retirer l'immeuble.
Si d'ailleu rs l'acheteur avait par incurie exceptionnelle, inexcusable, payé aux fou rnisseurs et aux ouvriers un prix bien plus considérable que ne méritait la valeu r de leurs services, le vendeur ne
devrait p as être victi me de cette lourde faute qui lu i rendrait peutétre le retrait impossible. Il pourrait donc Jaire réduire le chiffre
des rem boursements à la somme qu'eû t dépensée un administrateur
raisonnable. C'est une question d'appréciation pour les juges, qu i
auront surtou t à rechercher s'il n 'y a pas eu collusion de l'acheteur
et de l'entrepreneur. - Au reste, peu importe, si le prix payé n'est
pas tout -à-fa it anormal, que le vendeur eût des moyens personnels
de taire exécute r à meilleur compte les travaux: : il doit rendre la
somme entière, à moins qu'il ne soit établi que l'acheteur s'est hâté
de faire p rocéder lui- même à ces trava ux dans l'unique dessein de
n u ire au retraya nt, neque enim malitiis indulgendttm . ( Pothier,
Retraits, n•• 339, 340.)
Il est cependant des impenses nécessaires qui échappent à
1 68 . la règle de l'a rt. r673 et ne sont pas remboursables par le vendeur.
T elles sont les dépenses d'entretien (Tiraqueau, ~ 7, glos. 1, n• 4; Pothier Vente n• 4 23 ; Cpr. le même, R etraits, n• 33 6.), - Arg.
arr. 60 608 , ~ parce qu 'elles sont chargées des fruits ou de la jouissance, - ainsi q ue l'impôt foncier, qui est dû par celui qui t~uch~
les r evenus, et l'im pôt des por tes et fenêtres qui est . dû par c_e~u1 qui
profi te de ces ou vertures. De même pour le~ c~nhmes additionnels
dé partem entau x et communaux, ne fussent-ils imposés que temporairement (V. P roudhon , IV , 1792; Ducaurroy, Bonnier et Rou~
tai n,'II, 2 o6; Demolombe, X, 601.), - et la contribution aux f~a1s
de c~rage des fossés ou cou rs d'eau non dépendant du domain~
public, en vertu de la loi du 14 floréal an X I ( P roudhon , I V, 1793,
Aubry et Rau , II /~ 231 , s·.)·
.
Q ue fa u t- il décider au sujet des charges exceptio?nel:es
1 69 . _
établies sur la propriété, en cas de guerre, pa_r ex:mple, 1r:ipots
·
·
c és.~ Il semble qu'il faille appliquer
ext raordmaires
et empr unts 1orc
. ,
.
3).
p ar analogi e dan s la mesure d u poss1·ble ' l'art ·. 609 (ahnea
.
'
1
t'
r·
du
capital
dont
il
aura
L 'acheteur pourra réclamer a res 1tu 10n
s:
�-
138
fait l'avance. _ De même si l'on requ éra it pendente conditione
l'acquittement des obligations légales qu i . ~èsen t ~u r la ~r~pri été:
frais de bornage (opéré à la demande d u voisin), - rn de mn1tes pour
dessèchem ent de marai s, ouver ture de canaux et de routes, ou co nstruction de à igues, en vertu de la loi du 16 sept':mbre 1807, - enfi n,
contribution aux fra is d'éta blissement de trottoirs, en ver t u de l:t loi
d u 7 juin 1845 ( V . Aubry et R au , /oc. cit., 6°.).
170. - Sur les impenses sim plement u tiles, l'art. 167 3 s'explique
ainsi: « Le vendeur ... doit rem bo urser ... les réparations qu i ont
auamenté
ia valeur du fonds, jusqu 'à concurrence de cétte
au gmen~
.
tation .. ... >) L'ancien droit ( coutumes de P a ris, .art. 146; de T ours,
Iï O; de Loudun , 13 du ch. 1 5; d'Anjo u , 378; d 'Angoumois, 79 ;
de Poitou , 37 1 .) di_st!ng uait, im posait a u ve n_de_ur cette obliga tion
lorsque la conditio!1 étai t sti pulée po ur plusieu rs années, mais non
lorsqu'elle ne pou vai t échoir qu e da ns l'a n née suiva nt la vente.
Pothier, qui approuve cette décisio n et la gé néralise ( Vente, n• 4 24),
donne pour motif que l'acheteu r em pêché penda nt un an seulement
d'apporter des changements à l'immeu ble ne sou ffrira Fas un gra nd
préj udice, mais qu'i l en. serait a ut rement si cette interdictio n durait
un plus long temps, q ue même l'intérêt publ ic se ra it a ttei nt, car il
demande q ue l'ac heteu r puisse méliorer l'héri tage, au risq.uè d' aller
dans ses in novations contre les vues de son vendeur. Les ·r édacteurs
du Code, nôurris de la lecture de P othier, o nt sa ns doute jugé en cet
endroit irrésistibles ces considéra tions d 'intérêt gé néral trop ·souvent
perdu es de vue en notre matière, et ils ont adopté comme r ègle uniforme et sans limitation de temps la décisio n q u "clles jus ti fia ient. Si
donc l'acheteur construit un b1timen t su r le terrai n acquis, il a ura
d roit de demande1: au retraya nt tout Je m on tant de · la "m ieux-va lue
qu'il aura créée. On peut être su rpris _d e voir q ue, si la m ieu x-value
est importante, il recevra plus q u 'il n'a dé boursé; si les a uteu rs du
Code s'en étaient tenus aux principes, ils eussen t décidé q u 'il suffisait
que le vendeur ne s'enri chît pas aux dépen~ de l'acqu éreur, et qu'il
n'aurait par conséquent à restituer, à so~ choi x, q ue la plus-value
ou la dépense, selon q ue serait m oind re l'un e ou l'a utre de ces deux
sommes. C'est ce q u'ils avaient prescri t à l'éga rd d u posses se ur de
bonne foi, à l'ar t. 555. Mais on considéra q ue dan·s notre espèce ,
bien qu'il ne d ût pas y avoir, à propre ment · par ler , de perte de la
part de l'achete ur,· il serait pou rtan t ·rjgo u1:eux ~e voir le retrayant
-
139 -
bénéficie r san s pudeur de l' heureux résultat d u travail d' un autre. _
En sens i nverse, - et ce cas sera plus fréquent, - lorsq ue la plusvalue sera m oindre que la so mme dépensée pour la produire, J' a~he
teur ser a véritablement en perte ; mais c'était à lu i de bien calculer
les ch a nces de l'opération qu'il ten tait; il connaissait sa position, il
devait ne pas perdre de vue que ce serait peut- être u n au tre q u i
aurait le pr ofit des travau x projetés.
17 r: - M ais, il se peut que ces travaux , tout en étant utiles en
ce qu' ils ·ont augmenté la valeur du fo nds, constituent, à cause de
leur im portance , une gêne véritable po ur le vendeur. Ceux qui ,
aliénant un bien , se réservent expressément la faculté d'en reprendre
plus tard la propriété, sont forcés de vendre par besoin d'argent. Il
leur sera .déjà' bien difficile dans la plupart des cas de se procurer l'argent n écessaire · pour reco~v rer l~m: héritage. L'achete~r .p~ur le
rendre impossible n'a qu à mult1 plter des travaux, qm d ailleurs
améliorent l' immeuble, mais qui son t disproportionnés avec la
fortune de celui qui devrait, en dernière analyse, en su pporter le prix.
Continuera-t-on dans cc cas à exiger que le vendeur restit ue au moin s
une somme éq u ivalente à la plus-value?. ll est un cas sur lequel tout
le mon de s'accorde à d~clarer que non : c'est celu i où l'achet e~r n'a
d'au tre but qu e de nu ire au vendeur et d'entraver l'exercice du
eu
. .
1
d
retrait: Mais, alors même q u'il n'en est pas ainsi, la p upart es
auteurs décident , con for mément à l'an cie!l droi t , conformé~e nt au
Droit R o m ain et au fameux tex te de Celse I njundo, l. 38, ~· · lt b. ~ l ,
ti t. y,· que le vendeur pou rra rentrer en posse~sio_n sans av?1r à operer
des remboursem ents excessifs. Les travaux q u1,é_tant donnee~ d au tres
circonstan ces, auraient été considérés corn.me im penses uti~es pourro nt êt~e tra ités comme impenses voluptuall'es .A c~ la on ob1e.cte que
la loi n e disting ue pas et q ue, dès lors, toute ?e~ense qui do ~ne
lieu .à une a ugmentation de valeur du fonds doit etre rembou ~ée
.
( L auren t , n• 40.,.~ ) · Et ' en
dans la m esu re de cette m ieux-value
. euet '
1cs
.
1
r
qu'on
pmsse
f
les termes de l'art l 673 sont trop o1mes pou
.
1
.espèc~ ~:J~~l:e:e~s;l~~epcaes'\~~
él uder . Q u 'on ne dise pa_s, par une
,
·
li dit
gêne une perso nne ne llll est pas utzle (t) ·
.
· ·t cette echappatoire.
m ots t ravaux utiles et supprime
ams
.
.
utiliter gestum. )
1·m onitt Inon videtur
( 1 ) « Quod importab1lem sarcmam . P
_, . Pothier, vente, n• 424.
4
1
.
•
'
Adde
Despe1sses,
·
•
P•
"
T1raqueau, ! 7, glos. 1. n ::>.
•
�-
140 -
«réparations qui ont augmenté la va l:ur. ~u, fonds,• :e qui est~ar~ai
tement clair et précis, et m ontre que 1 ut1hte de la depense doit etre
appréciée par r apport à l'immeuble et non par rapport au. vP,ndeur.
On ne serait pas plus he ureux en allég uant qu e le Code na entendu
parler que des améliorations 11 qui rentre~t dans les calculs pru dents d' un père de famille qui n 'aventure nen. » Troplong, n• 760. )
Comment voir une pensée aussi restri cti ve dan s un tex te si largement
concu ? Cela n'est pas sérieux. La seule exception qu 'on puisse
app~rter à la règle est celle que j'~i sig nalée e_n déb~tant, basé~ sur
la maxime F1·a11s omnia corr11mp1t. - P eut-etre m e me pourrait-on
s'appuyer en ce sens sur la Constitution de Dioclétien. et Maximien ,
1 6 , au Code, tit. XLIX, lib . IV, dont on a essayé de tirer un argument contraire : les mots« si bonâ fide fac ta sunt. » y sig nifieraient
que les dépenses ne doivent ètre remboursées qu 'avec une certaine
mesure, de façon à ne pas écraser celui qui doit fai re les remboursements (Brunerna nn, sur la loi 13, ~ 22, D ., de act. empt. et Yend. ;
T roplon g, n• 683) ! Mais,de quelque faço n qu'on interprète ce texte,
il n'y a là qu 'une a nalogie : la rai son de d écider es t dans l'art. 1673.
172. - Supposons q ue l'immeuble fû t, a u m om ent de la vente,
grevé d'hypoth èque ou de servitude et que l'acheteur ait, ava nt
l'exerci ce du retrait, payé les créanciers h y pothécaires ou racheté la
servitude. - Da ns l'es pèce, l'acheteur n 'a pas eu droit de se plaindre
avant le re trai t, parce qu'il a connu l'existen ce des charges et qu 'elles
ont influé su r la détermina tion du prix de vente. - D evons- n o us
considérer cette dépense comme utile, e t le retraya nt devra-t-il en
teni r compte à ce tit re? Assurément, elle a é té ütile, en dégagean t
la propriété des entraves qui pesaie nt sur elle. Mais on ne peut l u i
appliquer, dans sa lettre, l'art. i 67 3 ,qui ne parle qu e des ré parations.
N'est-il pas, cependant, conforme à l'esprit de n otre législation de
décider affirmativement ? Cela est équitable,et cela do it ê t re. D 'abord,
s'il s'agit d 'un acheteu r qui a désintéressé un cr éancier h y pothécair e,
il est subrogé dans les droits de ce créa n cier en vertu de l'ar t. 12 5 J,
3°. - II n 'a donc rien à r edou ter. - S 'il a rach eté une servitude, il
n: paraî t pas qu'il puisse invoquer les princi pes sur la gestion d 'affaires et l'art. 1375, car , bien qu'il sût que l a propriété reviendrait
~eu,t-êtr: a~ Yendeur, ce n 'est pas en vue d e cette h y pothèse qu 'il a
l1beré 1 héritage, c'est son propre intérêt qui l e diri geait sans doute
(V. art. 1372). Da ns la gestion d 'affaires, il suffit que l'entreprise a it
été heure usement conçue et sagement menée; peu importe le résultat.
Mais, si on se trouve avoir géré l'affai re d 'a utrui , quand on n'avait
en vue que son in t !rê t personnel, on doit être traité avec moins de
faveur (Colmet de Santerre,t. V, n' 349 bis V.). Il appartient ici au
retray ant, qui , peut-être, aimait mieux souffrir la servitude que la
racheter, d e juger ce qui lui est le plu s ava ntageux . S 'il approuve
l'opération, c'est co mme s'il avait donné mandat à l'acheteur, il doit
lui rembourser le prix qu 'il a payé. Mais s' il ne la sanctionne pas,
l'acheteur perd tout droit contre lui et peut seulement intenter la
condictio ob rem dati re non secutâ contre le propriétaire voisi n, qui
recouvre pour son héritage le droit dont il avait fait l'abandon. (Pothier, Retraits, n° 3 55). - Si le vendeur avait déjà ratifié l'acte, au
moment où il veut reprendre la jouissa nce de l'immeu ble, l'acheteur
serait fondé à lui opposer son d roi t de rétention, quant au remboursement de cette d épense, comme pour ceux visés da ns l'art. 1573.
173. - Quant a u x travaux de pur agrément, qui n'apportent à
l'immeuble sur lequel ils sont fa its au cune plus-value, l'art r673
décide implicitemen t, par le seul fait de son silenc~, que le ve~deur
n 'est p as tenu d 'en indemniser l'ach eteur. c~ dermer a corr_im1s un.e
imprude n ce inexcusa ble en se h à tant d 'embellir.un fonds q~1 pouvait
lui échapper d 'un moment à l'autre. Tout ce qu on peut lui acco~de~,
etl'équité ex ige qu'on sui ve cette analogie, c'est la faculté ~ont 1ou1t
l'usufruitier e n vertu du 3• alinéa d e l'a rt. 599 et que plusieurs coutumes reco~naissaient exp ressément à l'acheteur exproprié dans les
divers cas de retraits (Co ut. d e L aon, art. 253 ; de Châteauneuf,
89 ; etc.).
.
, . .
d
1
En vertu de cette disposi tion équitable, dont l ongi ~e est ans _a
loi In +zmdo l 'ac heteur qui a fait des impenses voluptuaires a le dro.1t
J'
'
· d
oas ded' en lever tout ce qu' ila mis su r l e fo nds, à la cond.1t1on
~ n~ .
grade r celui-ci e t de l e reme ttre dans son premier état. Ainsi des g~a
ces des tab lea u x des boiseries sc ulptées, des parquets mosa1ques, es
•
'
r·
2
glos . 1 '
Chambran les d e marbre des chem inées, etc. ( traqueau. & 7'
c
•
M · · l'acheteur
n· 6 · P otbier V ente, n°' 403 et +z4 m fi ne.)
~is, si .
t
'
•
.
"l
produits u01quemen
voulait d étruire les embellisse ments qu 1 a
b •
d
l ".
ff
d
eintures ou ru 1er es c i ..... 1animo nocendi, par exemple e acer es p
. n•al;tzïs ind11l~
· l 'en e mpec
· h er ' neque enzm
milles le vende ur pourrait
.
t'• •r quelque
'
t l' heteur pou rrai t re ire
O'endum ? Quand d e l'en lèvemen ac
,
éd
· parao
l'
êcher d y proc er (J. s1
a vantage, le ret raya nt peut encore em p
�-
142 -
tus tantum dare quantum habiturus est possessor his rebus allatis, »
(D., lib. VI, de rei l•i11d., 1. in fundo), si peu considérables que
soient d'ailleurs ces restitutions eu égard à la dépense que les tra''aux ;vaient oéc:Ssitée.Et si 1 malgré ces offres d'indemnité, l'acheteur
détruisait les améliorations, il pourrait être condamné· envers l e retrayant à des dommages-intérêts (f'othier , Retraits, n• 3 3z ) .
17+ - Le vendeur . retrayant n e peut exiger le délaissem en t de
son héritage qu'après qu'il a satisfait à toutes les ob ligations ci-dessus
énoncées.
On avait même, autrefois, agité la question, - qui ne s'élevait pas
seulement à propos du retrait, - si l'ach ete ur pouvait jamais être
contraint ma11u militari à se dessaisir de la chose. · Certains auteurs,
tels que Sl.'.ulting. Noodt, · Wissenback, Tiraqueau, pensaient que
l'acheteur qui s'obstinait à refuser l'al.'.complisseme nt de son obligation ne pouvait qu'être condamné à des dommages-intérêts par ce que
Nemo potest cogi prœcisè ad factum. Mais cette opi nion était combattue par Cujas, Zoes, Pinellus, Zoannetus, Fachinée, Perez, D aveza n,
Chassanée, · Barbeyrac, et la pratique l'avait abandonnée . En effet,
comme l'explique fort bien Pothier , le principe invoqué n'est juste
que lorsqu'on serait forcé,pour arriYerà l'exécution du fait, d'exercer
une contrainte sur la personne même du débiteur. Mais ici,- d e quoi
s'agit-il? de la restitution de la chose vendue; «No n est merum, factum, sed magis ad dationem· al.'.cedit » ( Pothier, Vente, n • 399; adde
n• 67. -Cpr. C. civ. art. I 14-b 16 10).
175. - Aujourd'hui, le droit du retrayant n 'est pasdouteux.Dans
le dernier état de l'ancienne jurisp rudence, on le reconnaissait . aussi
universellement. Mais une controverse s'é tait élevée sur un autre
point. Il s'agissait de savoir quelle était l'étendue du droit de rétention de l'acheteur, s'il garantissait aussi bien les sommes n on liquides
quelesautres. Tiraqueau (~7,glos. 1, n° 13. Adde . PauldeCastro,
Cons. 260, lib. 2) enseignait que l'achete ur pouvait garder la ch ose
jusqu'à satisfaction complète : «.. . non tenetur emptor rem r estituere
prrestita sibi cautione de illis (impe nsis) restituendis, cùm erunt liq uidre: sed tune demùm tantùm cùm hre solutœ fucrint post earum liqu idationes. » Despeisses (t. I , p. 4+) rapporte quelques arrêts dans les
quels l'opinion condamnée par le sa,·a nt auteur se.trouve adoptée par
le parlement de Bretagne: le vendeur, sans a ttendre une l iquid.'.ltion
peut-être longue, po .1 vai t , en payant les som mes l iquides, exiger la
restitution de sa ~hose, s'.il fournissait bonne et suffisante caution.
Mais l'oP,ini.on générale distinguait ~ettemcnt les sommes liquides
de celles qui n e l~ sont p~s : Les premières doivent ê tre garanties par
le droit de rétent~on; ~a'.s, qu:rnt aux: secondes, elles ne doivent pas
retarder la .r~ntree e n JOU1 ssance du vendeur, qui n'est même pas tenu
de fournir caution. T el était le sentiment de Pothier (Vente, 0 • 42 6).
Mais les' auteurs du Code ne l'ont pas suivi, et la généralité des ex p ression s qu'ils ont employées doit faire supposer qu'ils ont entendu
consacrer la doctrine de Tiraquea u : « toutes ces obligations,. .. »
disent-ils (art. r 67 3 , r •· al., in fine) ; et parmi elles se trouvent les
restitutions de sommes non liquides. ( Duvergier, t. II, n' Sr ; Troplong, n•762; Marcadé,sur l'art. 1673 ,n• r).
· 176.: - Il n 'est pas besoin d'ajouter que l'acheteur peut renoncer
à se prévaloir de son droit de rétention et restituer la chose au
retray.'.l nt sans perdre pour cela son action personnelle en remboursement: Quand même , ayant soulevé des difficultés sur le droit
de retrai t du vendeur, il a urait été condamné sans avoir parlé des
remboursements auxquels il avait droit, ou sans les avoir tous énumérés, ce silence n e peut en aucune fa~on, et dans aucune mesure, être
considéré comme un abandon de sa créance (Tiraqueau, § 7, glos. 1,
n• 14; - Troplong, n•. 763). Sauf le cas des art. 1282, 1283, la
remise ne se présume point.
Mais l'acheteu r réduit à sa créance ne saurait invoquer le privilège du vendeur; cela résulte de la nature du r.etrait. ~Merlin . Vprivil. de créanc., sect. IV, § 5, n°' +et 5; Persil, sur lart. 2103,
§ 1 ; Paul Pont, Priv. et hyp., n• 189; Aubry et .Rau, t. III,§ 263,
1• -
V. suprà n· 92.)
Ch&.pitre V. -
EFFETS DU RETRAIT ~ONVENTIONNEL
I. _ Retour de la propriété.
- p
b·enétablir les effets du retrait conventionnel,_ il faut
'77.
o~r 1
.
.
v nte mais la résolution du
se rappeler qu il ne cons titue pas u ne re e '
, .
.
.
c cl
t le se dPdmront fac1 1ement
con tr at primitif. D e cette idée 1on amen a
toutes les co nséquenees .
�-
144 -
1 8. _ La première et la plus importante c'est que le retraya nt
reciuvre la propriété de l'objet quïl avait vendu,_ et que,. s'i~ s'agit
d'un immeuble et que transcription de la clause ait été faite, il peu~
même revendiquer entre les mains des tiers, m algré leur bonne foi
(art. 166+ ) .
En effet, l'aliénation est résolue même dans le passé. L 'acquéreur
n'a pas été vraiment propriétaire et n'~ pu p~r c?nséqu~~t v~lable
ment vendre à autrui. Soluto jure dant1s solv1tur JUS acc1p1entts.
179. - Il en est de m ême pou r tous les droits que l'acheteur a pu
constituer medio tempore. L'effet r étroactif de la condition accomplie
anéantit toutes les charges et hypothèq ues qu i peuvent être nées de
son chef. (art . 1179, 11 83, 1673 al. 2,2125.)-Tiraqueau , combattant l'opinion contrai re qui avai t eu des partisans, se borne (~ 3,
glos. 1, n• 12 ) à donner pour raison que, si toutes ces charges devaient
subsister, ce serait donner à l'acheteur u n moyen presque sûr de pri ver le vendeur du bénéfice de la clause: et Quia etiam emptor posset
fraudare venditorern, rem emptam tot servitutibus, debitis et obligationibus onerando ut roulto satiùs esset venditori eam apud empto rem relinquere quàm recuperasse to t tan tisq ue o neribus s ubditam. »
II. - Enregistrement.
180. - 11 y a exception pour l' Etat, représen té par l'ad minist ration
de !'Enregistremen t. La résolution ne l'atteint pas. Cela tient à des
principes particuliers. Au moment de la vente un mouYement de
valeurs se produit, la propriété est r~ellemen t transférée ; il y a do nc
lieu au pa iement d'un droit de mutation , soit 4 f. p. o/o, et du d r oit
de transcription soit 1 f. So p. o/ o plus les décimes de gue rre, act uel lement un double décime et demi ; en tout près de sept francs par cent
francs; - tout comme si le vente était pure et simple. Qua nd l:i
condition résol utoire s'accomplit,éta ntdonnée la doctrine de la rétro activité, les sommes payées devra ient être rendues. Mais la loi
fondamenta le en la matière de l'enregistrement a posé le principe qu e
tout droit régulièrement perçu ne peut être rest itué, quels que soient
les évènements ultérieurs (a rt. 60, loi d u 28 frimaire an V II ) . L a
r ésolution survenant, tout s'écr oule au tour d u contrat l· l'Etat reste en
dehors de cet évènement. Cela par des considérations d 'intérêt supérie ur: si l'on permettait des r épétitions contre l'Etat a u bout d'u n
temps peut-être assez long, les prév isions budgétaires ne seraient
plus en harmonie avec la vérité des faits.
18 r. - Mais ne pourra-t-on même exiger le paiement de nouveaux droits au moment du retrait ? Non, puisqu'il n'y a pas création,
addi tion d 'un droit de prop riété nouveau, mais reprise du droit ancien;
ici les particuliers sont protégés par l'idée qu'il y a simplement retour
à l'état de choses antérieur. (A. Gautier , Cours de Droit administratif, t. II, p. 3 18 et 324. ) - Néanmoins, l'art. 68 (~ 2 , n• 11) de
la loi du 22 frimaire frappe l'exercice du retrait d'un droit de
cinquante centimes par cent frc.1ncs ( avecles décimes: o f. 60 p. o/ o),
comme tous les actes de quittance. C'est que les législateurs, toujours
en éveil qu and il s'agit des intérêts fisca ux, ont prévu que souvent dans
la pratique les soi-disant con trats de ven te avec retrait conventionnel
ne seraient qu'une forme de prêt . Et, bien que les parties se soient ainsi
volo nta ire m ent so umises à un droit plus fort que celui qui est per~u
au m oment de la formation du co:-itrat de prêt ordinaire (droit
co mmun des obli gations, 1 f. 25 par 100 f.), on n'a pas voulu qu'elles
év itàssent par là le droit de quittance qu'elles auraient eu à payer.
182 . -- Déjà dans l'ancien droit on décidait qu'un nou veau profit
de vente n'était pas d û en vertu du retrait. Après l'avoir dit (au n• 430
de son traité de la Vente) ( I) , Pothier ajoute (dans le numéro
s ui vant) qu 'il en serait diffüemment lorsque la faculté de retrai re
n'a ura it été accord ée que par un pacte fait ex intervallo. C~la est
naturel puisqu'alors il y a revente. Au mo~ent de la c?nvenuon o_n
percevrait seulement un droit à' acte, le dro1_t .fixe de tro1~ fra ncs exigible dans tous les cas d'obl ig.Hion sous cond1t1on suspensive. Le :~ s te
serait payable plus tard, au moment de l'évèn~m~nt de, l~ cond1t1on
(2). O n pouvait déJui re d~jà cette règle des prinl'.1pes.g~nera~x et de
l'art. 68, qui dit que, p:mr qu'i l ne soit dù que le d~o1t de qu1ttanc~,
il fa ut que le retrait ait été constaté par «al'.tes publics dans les délais
°
· en f ·1 pour l'hérit:iae
lorsqu'il
l'a
Il y explique aussi que, si le vendeur était
· ::i
r . ,
.
d
. d' n porter de nouve1u 1a 101 a son
vend u , Il n'a p as besoin, au iour u retrait, . e
•Jr h~ureus•m•nt plus
··
~ ~
seigneur, p arce que la 1,01· prem1ere
r ev1· t · Mais cela n o. e ~
( 1)
qu'un intérêt h istorique:.
b · d ·
oyen·1 té ale de vente o tien rai 1 m
't l'eu
simpleme
nt,
si
l'on
.
· à • prévaloir il y aurai 1
nant un prix que l'o n renonç.it sen
.
' d
·n ce attc:ndu l'absence de
présentait l'acte à l'enregistrement, au droi t fix.e e qui an '
m ouvem ent d e valeurs.
10
(2) Et, quand l'autc:ur d e la prom::sse uni .a ~
�-
stipulés - ou faits sous sign&ture privée et présentés à l'enregistrement avant l'expiration de ces délais. >l L'art. 69 (~ 7, n• 6) décide
ex pressément que le retrnit après cinq ans est soumis aux mémcs
droits qu 'une vente. - De mên"!e, il y aurait lieu au paiement de
nouveaux droits quand le retrait ne serait exercé qu'en vertu d ' une
prolongation du délai au-delà de celui primi ti ve ment fixé dans le
cont rat. Les effets de la prolongation ne peuvent pas être les mêmes
que ceux d'une modali té affectrnt le contrat dès s:t nai ssa nce. Du reste,
quelle que soit la vérité au sujet de la prorog:nion du délai primitif
(V. infra, n• 215), !'Administration exige le paiement des droits d e
mutation dès là que Je retrait est exercé après l'expiration du laps de
temps accordé au moment de la vente ( Délibération des 19 novembre, 5 décembre 1809, z8 juillet 18 z4) (1) .
1 47
-
la r~v~~te et même, postérieurement, avant la reprise de possession
del hentage, car la vente ne donnait alor s naissance qu'à des créances
personnelles ad rem obtinendam; 1. 20, C. , de pactis: u Traditionibus non nudis conventionibus dominia transferuntur. » Cette raison
n 'est plus b(:n ne aujourd'hui, et néanmoins la controYerse su bsiste
encore; elle a été ex rosée s11prà (Ch. 1, n• 66 et note 1 ) . Mais, les
auteurs modernes qui se rallient à la doctrine de Domat doivent, - et
l'intérêt du crédit public exige impé rieusement cette restriction, - en
subordonner l'appiication au cas où Je soi-disant retrayant a eu soin
de faire transcrire le pacte qui a engendré son droit ( l. z3 mars 18 55,
art.
1 ••, 1 • ) .
IV. - La chose retraite reprend ses caractères antérieurs.
III. - Pacte ex intcri:allo.
183. - J'ai déjà indiqué (11° 68, in-fine) cette autre différence
entre la clause de retrait et le pacte fait da ns le même but ex-intervallo'. que da ns ce ~ernier cas les charges et h y pothèques constituées
?ar l ach.eteur subs.1stent. Cda s'explique puisque les rô les se sont
intervertis, que l'acheteur est devenu ve ndeur, et que le vendeur,
devenu acheteur, est son ayant cause. Toutefois, Dom:i.t (2) rem arque,
pour cette hypothèse, où la faculU de retrai t n'est accordée qu 'après
coup. que le retrayant n'est tenu de respecter que les droits constitués
p:ir l'acheteur dans l'intervalle de la vente à la convention de retrait
et n'~ pas à su.bir ceux qui n'on t pris naissance que depuis cette convention. Poth1er n'admettait 'pas cela, et conservait sans distinction
tous les droits concé.iés par l'acheteur (3) avant la perfection de
( 1 ) On sai:.d éjà que le retrait est cessible . Le cess ionnaire nchète véritablement
·
au céJant. S 11 us•- <le la facu lLé • 1'l payera s rr. so (plus les décimes)
pour cent de
1a som~? formée par les restitutions à faire à l'acheteur dépo!isédé et por le prix
d e cession.
( 2 ) Liv. I, .t. Il, s. 12, n· 8 . Dans le mCmc sens Cugnet, sur Pothicr, n· 432, note.
(3~ A moins pourt~ nt que l'acte q ui avait établi la fa culté de retrait n\ût été
passd par ~ei·ant notaires ou reco111.u en justice : l'h y poth èque qui nai ssa it dat: s
. . alors les hypothèques ultéeux c1rconstan ~·es au p r ofi t d u vcn d eur primait
ces
.
. tempore. polior j ure; vente, n · 4h.
· 1e p otzor
rieurement concédées• en vertu c.l ~•l a reg
184. - La chose reprend dans le patrimoine du vendeur le même
caractère, les mêmes qualités qu'elle y aYait a'•ant son aliénation. Le
vendeur n'a pas un nouveau titre de propr:été; c'c~t l'ancien qui reprend vigueur. Si par e~cmpl~ lïmm~uble retiré était ?r~pre. à un
époux ( art. 1404 et su1v. ), il redeviendra propre; s1 c était un
conquêt (art. 1401, 3° ) , il retombera dans la c?mmunau~~ ( Bugnet,
su r Potbier, n• 430, note). - De même, P oth1er (loco cztato. Adde
Tiraq ueau , ad lit.fin. , n• 164,) enseignait que, lorsque l'irnmeu~le
était propre d ' une certaine ligne, il devait reprend~·e, .après ~e ret1:a1t~
la qualité de propre de cette ligne. Mais il est de principe auiourd hui
qu'il ne faut pas considérer l'origine des biens pour en règler la succession (art. 73z.).
v.
_Legs suivi de vente à réméré.
Supposons qu' après avoir légué à quelqu'u~ une cho.se
•ende en se réservant le droit de retr<11t.
.
. .
d eterm1nee le testa!eur 1a '
. . uden ce d'accord avec les principes romams,
.'
léauée uecomme contenant
'
Notre a ncienne Jllfl.s pr .
.
,
q
ne considérait les al1énat1ons de la chose b
une résom ption de foi t de la volon té de révoquer le l~gs, p:esom p:1on
d 'autres présomptions tirées meme
,.
p .
'd '·'dait on dans notre
susceptible d ctrc combattue par
d 1 s du testament Aussi eu
. ' . 1: ·é , rion tactte du legs. Le
des cir..:onstances en e :or.
cas qu ' il n'y avait pas lieu de presume1 al 'oca
,
18 5. -
. ,
�-
légataire çonservait son droit sur la chose si le vendeur avait usé de
la faculté de retraie ; sinon, il pouva it exercer le retraie lui-même.
( Ricard , traité des donations, part. III , chap. III, sect. I 1I , n• 268.
Adde Despeisses, t. 11, p. 25+) Mais, q uand les auteurs du Code
civil posèrent la règle q ue toute aliénation de la chose léguée emporterait révocation du legs, ils Je firent d' une m anière absolu e ( l ) ,
voulant tarir une source ft!conde de querelles et de procès, et, pour
accentuer leur décision au tant qu'elle pouvait l'être ( Discussion au
conseil d'Etat et rappo rt de Jaubert a u t ri bu n ~t, - Locré, Lég., X I,
p. 260 et 4ï3.) ils visèrent expresséme nt le cas pour lequel le doute
était le plus possible, celui de la vente à réméré (art r o3 8. ). -Ainsi
donc, lorsque le retrait s'effectue, le cont ra t de vente résolu
conserve encore cet effet d'infi rmer le legs antérieur de la chose
retraite.
VI. - Prescription accomplie et chose jugée intérim.
186 . - J 'ai déjà indiq ué que, la chaîne des temps étant renouée
le ret raya nt sera censé avoi r possédé par l'intermédiaire de l'achete u;
et.pourra com pter. pour la prescri ption la possession de celui-ci. ( V.
Tiraquea u, foc. czt., n' t 14. - V. aussi sztprà , n' rn6 .)
187. - Que faut-il décider quan t aux j u 0~eme nts rend us medio
temp~re contre l'ach.eteur ou en sa faveu r ? Le ven deu r retraya nt
peut-11 ~e n pr~valo1 r. ~ t peut-on les lu i opposer? I n jud iciis quasi
contralzzmus, dit un v1e1 l adage. Poth ier ajou te (Obliga tions, P. I V,
c~. III , se1:t. ~): « Eadem debe t esse ratio judiciorum, in q ui bus
v.1demur quasi contrahere, ac conventionum. »Or, pour les conve nt ions, la règle a éte de tout temps qu 'e lles ne lient que les parties
co?tractan tes, ~t ne profitent ni ne nuisent anx tiers (ar t. 11 6 5 ) . De
meme pour les Jugements: «Res inter alios judicatre di t une consti~ution de Gordien, neq~e :n:olumentu m afferre his ~ui judicio non
mterfuerunt, neque prre1ud1c1um solent irrogare. >l ( L . 2 , c., lib . VII,
1
( r ~ Codmme il n'y a là pourtant qu'une disposition d éc larative de la volonté présu m. ed i ul tcstat~ur, il faut réser ver le cas où, dans l'acte d'aliénat ion même il
aurait <.:C aré qu'il
• · sorti· rait
• à effet lorsque
'
. n 'entenda·1t pas r é 1•oquer 1e lcgs. Cdu1-c1
1e testateur aurait avant sa mort recouvré la propriété de la chose aliénée Aubry
et R au, t. Vll, ê 725: Demolombe t t • XXlJ , 2 3o.
·
149 -
tit. LVI. ) T el est encore le principe(art. 135 1 ): Les jugements
n'ont l'a utorité de la chose jugée que lorsq u'il y a identité de parties.
L~ ret raya nt est-il l'ayant cause de l'acheteur, qui a plaidé? Nous
savons que non. Lui avait -il don né mandat de plaider? Certes, parle
fa it seul qu'i l lui a im posé l'obligation éventuelle de restitller la chose,
il lui a donné mandat de faire le nécessa ire pour la conservation de
cette chose : De là pour l'acheteur mandat d'ad ministre r et de soigner.
Mais, plaider est un acte grave, qui excède les li mi tes de ce mandat;
plaider, c'est compromettre le droi t objet du procès. On a dit: le propriétaire sous condition suspensive peur, après l'évènement de la
condition; in voquer, parmi les jugements rendus pour ou contre le
propriétaire sous condition résolutoi re, ceux qui sont favorables, sans
avoir à r edouter ceu x qu i sont contraires (Au bry et Rau, t.VI Il , ~169,
texte et note 55 ) . Cet te doctrine paraît inj uste. Elle fait à celui qui
plaide contre le propriéta ire sous condition résolutoire une position
inacceptab le: s'il gagne le procès, il ne l'a g1gnéquc sur ce de rnier ;
s'il le perd , il l'a perd u aussi vis-à-vis du propriétaire sous condition
suspensive : le mandat existait da ns le second cas et non dans le prem ier . Ce mandat éq ui voq ue, ce « mandat de gagner le procès» est
contraire à toute éq uité (Colmet de Santerre, t. VII , n• 1I1 bis IV et
t . V, n• 328 bis XX I II. ) Mieux vatns'en tenir au principe rappelé plus
haut, et di re que le retraya nt ne souffr ira et ne bénéficiera pas plu~ des
jugements rendus pour ou contre son ~~heteur que des conventions
qu'au ra faites ce dernier pendente condztzone.
VII. - Restitutions à faire par l'acheteur.
88. _ Il ne suffit pas que l'acheteur restitue la chose ac.h eté~, a~ec
1
les accessoires qui en dépendaient au jour de la vente. Il doit satisfaire
en outre à plusieurs obligat ions.
D'abord, si la chose au moment du ret~ait.se tr~uv~ dégra~~e p~r sa
faute, il n'est pas dou teux, quoique la 101 n end1senen, qu 1l.do1t.de
ce chef, inde mn ité au retrayant:« .. . quia, licet e~ptoresse~ mte.nm
dom inus rei, ea tamen jam erat,ut dixim.us, o~ nox1 a .retractu1, ex ipso
· 1·s ., 1'deoque e:i interi m ut1 debu1t ut bonus pater
con tractu ven d .tt1on
·
.
.
familias, ut alià re subjectà rcstitutioni ( 1) . » S1, faute de faire quel'/ f
fi
n 6? et seq .. Addt Dumoulin, sur
( t ) T iraq ueau, de i·etract .l)ge11t1. -'s' e~ t.p 4n3, 9; . Pothier , n ' 400 i Maleville, t . Ill
Paris, t . l, gl. 8, n· 57 et s. j espe1• , · • . '
p. 413.
�-
-
150 -
ques dépenses nécessaires , par ex emple de rép.arcr les toits, il ~ laissé
l'eau causer des dégât dans les appartements, 11 sera condamne à des
domma"es-intérêts. Que si la chose se trouvflit d égradée sans qu 'il y
eût faut~ de l'acheteur, mais par fo rce majeure. par l'effet iné vita ble
du temps (p uta des meules u sées par Je serv ice ), la responsabilité
disparait, le r etrayant ne peut préte ndre diminue r Je chiffre de ses
remboursements à raison des dég radations, puisque, nous le savo ns
déjà, il doit rendre non pas la valeu r actue lle de l'héritage, m a is le
pri x qu'il en a reçu, et que, s'il n 'en étai t ai!lsi, l'acheteur n e serait
pas remis au même état qu'avant la ve nte. C'est Yainement, - et
Pothier en fait la remarque ( n• 401 ) , - que le ret rayant in voquerai t
le principe que la chose est aux risq ues de !"acheteur à partir du
contrat : il est censé qu'elle n'a pas changé de mains, et de plus, si le
pré;udi.:e l'effarouche, il dépend, en effet, de lui de ne point le subir,
- en s'..tbstenant d'exercer le retrait.
189 . - Mais, pend ente conditione, la con tenance de l'irnmeu bic
peut avoir augmenté d u fait de l'acheteur , qu i a pu réunir au fonds
rachetab le un autre fonds à l ui appartenant. Il est inco n testable quï l
sera en droit de retenir ces adjonct ions. Mais, sera-ce à lui de les prouver, et , si au moment du retrait une seule clôture existe, si tous les
biens so nt confondus sous la même d énomination, sera -ce à l ui de
d~ montrer qu'il y a des distinctions à faire, qu 'il y a des parcelks qui
doivent échapper à la clause d e réméré ? Cela ne fai t pas doute. Cepen dant un an êt de la Cour de Nancy ( 1) du 1 °' juin 1832 décide le
contraire , et c'est au d ema ndeur ( dans l'espèce, Je D o ma ine )
qu'il impose la charge de prouver, non pas seulement que la
terre connue sous le nom de Loupy-le-Petit ava i t été soumise lors
de son aliénation à un pacte de réméré dont les délais n 'étaient
pas exp.i rés encore, mais aussi que le droit portait surtou s les points
de la dite terre. On comprend la difficu lté d ' une par eille preuve,
La pl upart du temps on possède en bloc, on n'a pas de titre pour
chaq ue parce! le. Avec un tel système les revendicatio ns dev iendra ien t
imp.ossibles, ou seraient du moins un e arme im p ui ssante ; on n e
ferait que r~connaî tre l'existence du droit d'une manière pla tonique.
"Ayan t raison en gros, on s uccomberait en rl étail. » M. Troplong
(n• 768), pour démontrer le mal fondé de cet a rrêt , invoq ue des
151 -
arguments d'a nalogie tirés des règles ad mises en cas de fidéicommis,
d'emphy téose, de fiC'f, et l'autorité de nombreux auteurs (t) qui les
rappor tent. Une considération bien simp le suffit pour arriver au
but: Une fois établ i que lïmmeubleX ... cst~cumis au droit de re trait,
l'acheteur , qui étai t jusque-là défe ndeur, devient, sïl prétend que
parti e dudit immeuble, ajoutée après coup, peut étre par lui retenue,
demand eur quant à cette exception. C'est donc à lui de démontrer
q•Je sa demande est juste et q u'i l ne veut di st raire que ce qu'il a
adjoint. D'ailleurs, qu'ailègue-t-il ? son propre fait. N'est-il pas naturel qu'il a it à le prouver lui-même?
A l/uvion. - 1 ço. - Il en serai t tout autrement, C't l'acheteur
n'aurait a ucun droit de r eten ir les accessions si, au lieu de provenir
de so n fait, elles étaien t le résultat d 'un phénomène naturel, comme
l'a ll uvion, c'est-à-dire l'atterrissement successif qui se forme lentem en t imperceptiblement aux fonds r iverains des rivières. (a.rt. 55 ~ ,
C. civ., 1 · al. ). Cet te solution a été conte~tée. Zo:innetus d1stmgu:i1t
si la vente était faite en bloc ou à la mesure. Au premier cas, l'alluv ion devait reveni r au vende-.i r ; au second cas, l'acheteur la gardait.
Ce système eut peu d'adhérents. Et la maj?ri té des anciens ~oc.teu rs ,
au témoignage de F ach inée ( Controv., 11 ~. ~I , c. 6), déc1da1t que
l' acc ru e devait rester à l'acheteur. Cette opinion est encore celle de
D espeisses et d e P othier. Pour la souteni r on invo~uait,.outr7 qu~l~
ques arguments de texte peu concluants, cette cons1dérat 1~n d équ1.te
· si· la chose avait été notablemen t endomma gée par cas fortuit,
· ·1 t
,
q ui,
l' heteur eût subi la perte, car le vendeur n eût pas retrait ; 1 es .
'aya n t les chances malheureuses il ait aussi les bonnes, ubi
. act
,
.
'
1us e qu
· /um ibi /u crum. Cette raison serait fondee dans un contrat
~~:~;nerait l'égalité, m'.lis tel n'est pas le cas; ~'effet d~ pacte es!
justement d e laisser au vendeur le droi t de prend re 1 un ou 1 aut~e ~r ~1
suivant son intérêt ou son caprice; l'acheteur y a consenti, 1 na
- 1 de ces citations, qui indique tri!s-bien l'in'
. .
.. substituer au mot fidéicommis le
(1) Je ne repr0Ju1ra 1 qu une ~eu ·~ .
convénient de h doctrine adverse; t n y a qua . et fideic~mmisso (lege : retrac.
è •enit qJod bona propr1a
Q .
.
. . doque fu ndos et confin1a, et mu. d
m ot retrait : « uia s'l!p e'
.
.
ampltan o m 1 nu~n
f d t
.
b a fuisse fideicomm1sso sub1ecta
' .
tui i sub1ec ta con un un ur, ' .
"d 0 si consta t a111.i u,1 on
1
1
. . ~ tencbitur prob:i.re quœ essent
t a ndo eor um qu:i 1ta te m, e '
.
. fac to poss:ssoris , 1r sv
fid icom miss:irio. , F'usam:s, Q!fœst .
d
et obscuri tatem esse causata~ .
e
. . 1·: s omniaad1ud1can aerun t
bon a propria, a ta '
6 1g, n. 49 , de jidei subst.-
(1.) Contrà, V. Metz, 16 j!l-nvier 1826.
•
�15z -
donc jamais à se plaindre : la clause de retrait est uniquement en
faveur de son adversaire ( Bugnet, sur P othier, n• 402, note.). S i,
d·ailleurs, en cas de diminution fortuite de va leur, le retrait était
exercé, nous savons que ce serai t bien le retrayant qui supporterait
le dommage. - On ajoute dans l'aut1e système, que, lorsque
l'acheteur retient l'alluvion, il ne revient rien de ce qui a fait l'objet
de la vente, puisqu'elle est surve nue ap1ès le contrat. Enfin, il es t
bien vrai qu'il est des cas où l'acheteu1· est obligé de rendre tou t ce
qui ac.:ède à la chose, tout ce qui en est provenu (ainsi en cas de
rescision ou de rédhibition); mais ici, il n'en doit pas être de même
car la résolution n'a lieu que pour l'a\'enir; le contrat subsiste pour
le passé ( P otbier, n• 402) . Ces idées sont insoutenables, si l'on consulte les principes. La condition résolutoire, une fois accomplie,
étend son effet a u passé (art. 1183 ) . Or, à qu i profite l'alluvion des
rivières (1)? C'est au propriétaire (art. 556, 2 ° al.). Et qui était
propriétaire au moment où l'accrue s'est produite?Ce n 'est pas l'acheteur ,dont les droits sont anéantis r étroacti ,·ement,c'est le vendeur, qui
est cens~ n'avoir jamais vendu (2) . D'ai lleurs, l'augme ntation qui est
survenue n'est pas distincte de l'immeuble; celui-ci est, en droit,
parfaitement le même; on ne pourrait pas établir de séparati on; cela
résulte de la nature même de l'allu vion, incrementum latens -
quod ita paulatim adjicitur ut intelligere non possis quantum q'uoquo momento temporis adjiciatur. L 'obligation de rendre porte sur
tout le fonds sans restriction(3) . De tels arguments son t ir résistibles,
et nous voy~ns.aujou~d'hui ce système, à peine soutenu jad is par
quelques écnvarns, Tiraqueau, Cagnolus et P a ul de Castro obtenir
1
l'assentiment de tous.
Trésor. - 19r. - Il est étrange que des auteurs qui reconnaissent au vendeur le droit de revendiquer l'all uvion lui dénient le droit
~.l) Navig:ibles ~u non \art.' 556,
2 • al.). Dans l'ancien droit, l'alluvion des preappar1ena11 au r~ 1, s1 les propriétaires riv~rains n'a\'aient titre . Po1hier,
loc. ci~., note. Il .en sera1t.~e même ~ujourd'hui si l'a1terrissement s'é1ait formé
tout d un coup, d une manu:re appréciable et perceptible. Cass., 8 décembre 1 863.
(2~ Delvincourt, t. III, p. 159, notes; Proudhon , Dom. pub ., t. IV, n · 1297 . Duverg1er, t. II, n· SS; Laurent, t. XXIV, n· o .
'
4 7
. (3) Bugnet. Loc. cit .. Dans le même sens on a fait valoir la faveur qui s'attache
~o.ralemventTà la cause du retrayant, et quelques autres motifs,quisemblentmoins
'"rieux. . roplong, t. U, P· 2 )8.
m1ere~
-
t53 -
de se .f~ire ren~ re la n;ioitié du tr~s~r trOll Vé dans l'héritage pendente
cond1t1one, soit que l acheteu r nait touché que cette moitié en sa
qualité de proprié!aire actuel, soit que, l'ayant trouvé lui-même il
ait acquis le tout, auquel cas la part qu'il a eue comme in,·ent~ur
reste certainement à l'a bri de toute réclamation. M. Bugnet (/oc. cit..
Adde Potbier, n• 404) essaye de justifier cette différence en disant
que le principe de l'alluvion est une qualité juridique du fonds, que
l'allu vion a donc été corn prise virtuellement dans la vente, tandis
que le trésor n 'est pas un acccssoired(! l'immeuble, c'est Dei beneficium ou legis bene.ficium ; l'acheteur le tient non pas du contrat,
mai s de l'art. 7 16, qui le Lui attribue définitivement. li est vrai,
comme le reconn aît Potbier, que le t résor,à la diffé rence de l'alluvion,
existait au moment de la vente et était alors renferm é dans l'héritage
vendu, mais il n'a pas été Yendu lui-même, puisque le vendeur n'y
avait aucun droit, qu 'il n'appartenaità personne jusqu'à l'attribution
que la loi en a faite au moment de sa découverte ( 1). - Tous ces
raisonnements doiven t tomber devant la réflexion si souvent répétée
que l'exerc;ce du retrait conventionnel n'est que l'évènement d'une
condition résolutoire. L'a~heteur n'a eu aucun droit qu'en sa
qualité de propriétaire, ma is la condition..s'acc~mplit.: il ~'a ja~ais
été propriétaire; c'est donc sine causa qu il ret1endra1t dcsorma1s le
trésor ( Du ranton, t. XVI , n• 425; Demolombe'.t. XI II.' n~ 46. ;
L arom bière, t. I I , ar t. 118+, n• 53.). - On essayerait en vain l assimilation d u trésor aux: fr ui ts. Quand les droits sur un héritage sont
d i\'isés entre un nu-propriétai re et un usufruitier, ce dernier ne peut
élever aucune prétention sur le trésor (art. 598 in/me) ; c'est l'autre
qu i seul en profite avec l'in venteur.
, , ,
.
.
1l!fines. _ 192 . - Le fonds vendu à remere contenait une n:ime.
Medio tempore, l'acheteur touche la redevan~e que la lo~ du
21 avril i8ioattri b ue au propriétaire. Le retrait ét~nt exerce, en
llevra-t-il compte au vendeur ? - La redevan~e, qui P?u rtant ~~
consiste le plus souvent qu'en une somme d .argent, n est que
conséquence du droit du propriétaire sur ~n i m~~-uble, et c~mm~
telle entre ses mains, est considérée co mme im~obihere._ E ldle iDepré.t
'
·
•
( A Gautier Cou1 s e
roi
sente une partie du fo nds lui-meme · ·
.'
· ·
Administratif, t. 1, p. 3 i3 et sui v. ) . Il est donc, sui vant les pnnc1 pes,
(1) C'était alors un tiers qui re,•enait au propriétaire.
�im possible à l'arheteur, qui, le retrai t effect ué, n 'a jam ais été propriétaire, de la rete nir. Il con viendra de voir tou tefois si des te rm es
de l'acte il ne ressortirait p:ts que les p:uties on t entendu assimi ler
l:t redevance aux frui ts, et que le vendeur a abandon né sans réserve
son droit, - qui est cessible, - pendan t la durée d u dé lai. S i cette
inten tion ne se manifeste pas . l'acheteur devra rendre les s0mmes
pe rçu e~. Mais pou rrn-t- il au moins en garder les in térê ts? L'équ ité
voud rai t dans tous les cas une répo:ise affirm ative. J e crois néa nmoins qu' il faut distinguer . L'acheteur voi t s'évano uir so n d roit de
p ropriété d:ms le passé comme dans l'avenir; il n'a e u que la
jouissa nce, comme un usufruitier. Or, quelle est la sit uation de
l' usufrui tier à l'égard des mines qui son t contenu es d ans le
fo nds grevé? Il n 'y a aucun droit, tou t le mo nde est d'accord su r
ce point; mais la distinction que faisait l'art. 598 du Co.ie civi l
- qui est devenue inapplicable aujourd'hui aux susbtances extra i te~
de la m i ne, - est proposée (V. eumd., i&id. ), avec ra iso n, ce semble
q~a~t ~ux intérêts de la r edeYance. Pourquoi ne pas faire la mêm~
d1st1nct1on dans le cas qui nous occupe? La rJison de décider est la
~ême, ~t cela paraît con for.me aux idées du législateur. Il fau t do nc
d1r~: ~acheteur aura droit de reteni r les i ntérêts lo rsqce la mi ne
était dei à ouver te au mome n t de la vente; ce n'est là q u' u n'! sa ae i n terprétat ion de la volonté des parties, qui ont certainement penstda ns ce
cas ~ux produits de la concession. L es in térèts eu x-mê mes devront êt re
restitués lorsq ue la mine n'au r a été ouvet•te que postérieu r ement à la
ven te. Cett~ solu.tion est bien rigou reuse, sans do u te, mais on ne voit
pas à quel titre 1 acheteur pourrait conserver ces in térêts. C'est ici le
cas de se rappeler le pré.:epte don né précisément en not re matière
par u n maî.t re éminent: ~Restituer aux principes to u te l ïnfl uen ce qui
l ~u:appart1ent ,e.n éc.~rtant d~ la discussion les ra isons d'équité, lescons i~era~10n_s .parttculieres , qui, p résentées de part et d'autre d'u ne maniere 1nge01euse, laissent l'esprit en suspens et qui, on ne saurait trop
le répéter, sont les mortelles ennemies des vraies sol utions scientifiques. ". ( Duvergier, t. II , n• 55.)
Fruzts. - 193. - Le vendeu r qui poursui t la résolution de la
vente en vertu de l'art. 1654 peut répéter tous les fruits perçus (1). Le
155 -
ven~eur qu i, r~sou t la ven te en vertu d' un pacte de retrait n'a pas Je
droit de les repeter; la rétroactivité de la condition résolutoire n'atteint
pas les actes de jouissance ( 1 ); l'acheteur garde lès fruits qu'il a percus
c?mme le.vend~ur garde les in térêts du prix (2); une com?ensatfon
s est établie. L art. 1673 co nsacre implici tement ce système en ne
co~ p re.n a1~t parm i les restitutions q ue doi t faire le retrayant que le
pnx pnn c1pal. F ructus cum usuris conipensa11tur.
194 . - L a règle qu i vient d'ét re posée su r l'acq uisition des fruits
par l'acheteu r est-elle absolue? Q uelques difficultés ont été soulevées.
Q uel est le sort des fru its pendants au moment de la vente? L'achet eu r les r ec ueille incontestablement (art. 1G14 ); ma is ne devra ·t- il
pas plus tard, quand le retrait s'effectuera, en tenir compte au vendeu r retrayan t ? Pothier ( n• 407 ), considéran t que la valeur des
vendange ou moisson futures a exercé une influe nce sur le contrat et
a ha u ssé le p rix de vente, tenait que le vendeur ne s~rait obligé de
resti tuer que ce prix déduction faite du montant de ladite récolte;
autre ment, résul tat in juste, l'acquéreur aurait eu les fruits gratuitement. Cette opin ion n'a jamais prévalu. T iraqueau exprimait en ces
te rmes un avis con t ra ire : << Quod autcm postea dictum est, emptorem r ccupcrare in tegrum pretium et ni hi lominus habere integros
illos fru ctus, ratione quorum pretium ipsum auctum fuerat, eodcm
modo dilui potest. Nam, si id vcniret considerandum, sequeretur
1 uoJ emptor debere t restitue re partern illorum fructuum. Sed et illud
q uoque dici potest, quod quemadmodum emptor percepit illos fruct us, ità et venditor percepit aut percipere potuit ut ili tatem ex pretio
quod iJli datu m est interim dùm illud non reddit; quœ utilitas miMais l'art. S!>o C. Civ. définit le possesseur de bonne foi celui qui possède comme
propriétaire 0 en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vice~. •
c~tte Jéfinition est-eile ap?liCl\:lle à l'ac~uéreur sous p1cte de rachat~ - La véritable raison de distinguer est qu'on ne Feut dire s~r l'art'. 165.J.. comme sur
l'art. 6 3, qu'i l y a eu entre les deux parties convenuon tacite de compenser les
1 7
fruits avec les intérêts. V. ~l.1rc:1.Jé, sur l'art. 1673 , n· 3,
(1) Demolombc, t. XXV, n" 6+, 539 et suiv.; Aubry et Rau, t. IV , f 302, texte
4
et note 76 · Col met de S:i.ntcrrc, t. V, n" 101 bis II, 98 bis II.
( \ Cuja~ ad tit. Cod. De pactis ·11ter. empt.; Tiraqueau, ~ 5, glos. z, n'• t et
2
seq.; Charondas, R ép., liv. Ill, ch. XXXlll , liv. Xll. ch. LIV ; i~utomne, adc~r '~
Cod. , de pactis i11ter. empt.; Maynard, liv· II, ch. XXXI; Despmscs, P· 45 • · •
(ll ) Q~ellques au.teurs.( T roplong • n· 735.) veulent que le motif de cette
r èglac son
de
ègl a. mauvaise foi de J'acq ué reur, qui· a manqué à ses obligations Le motif
r e inverse eo cas de réméré serait donc que l'acheteur est de.bon ne foi
P otbier, n· 405.
\
�-
156 -
nimè contemnenda est. » ( ~ 5, glos. 4, n"' 12 et seq .. ) Cette opinion
parait bien préférable. Si le vendeur pensait que, eu étiar<l à l'importance de la récolte prètc au moment de la vente, il ne se t rouverait
pas, plus tard, suffisamment ind emnisé par la jouissance qu'il aurait
eue du prix jusqu·au jour du retrait, s'il en te ndait déroger à la règle
g~néra le de compens:ltion des fruits et des intérêts, s'i l considérait
qu'une partie du capital à recevoir paierait non l' immeuble mais ses
produits pendants et ne devra it p.:tr consé.1uent pas ètre remboursée
s'il usait de la fa cul té de retraire, il devait s'en expli,1uer clairement
Jans le contrat. A défaut de stipulation expresse en ce sens, il demeure
soumis au droit commun. Il n'y a eu qu"trn prix et il n 'y a eu qu 'une
vente, la Yenre du fonds. - Est-il d 'un bien grand intérêt qu e l'heure
de la moisson fût proche ou loi ntaine lors de la vente? Si elle était
proche, les fruits auront été perçus plus tô t p:ir l'ac heteur, mais son
bénéfice ne sera pas plus considerable : en effet, les fruits ne se reproduisant qu'à des intervalles périoJiques ré3lés par la nature, l'acheteur devra attendre une révolution de temps , généralement d' une
année, une fois la récolt:! fa ite, ava nt d"e n toucher de n:rnveaux. Les
fruits perçus, à quelque époque qu' ils Je soient, reprt5sent<! nt la
joui ssance du fond~ p~nd:int un e année, cette année pendant lHquelle
le ,· e~deur a e ~ la 1ouissance continuelle du prix, dont il a pu disposer dune manière.fructueuse. ( Bugnet, sur P othier, loc. cit., note.)
- S~pp~sons m~ rntenant, ce qui sera d'ailleurs très-rare, que le
ret.raH soit exerce au lendemain même de celte récolte qui était déjà
pre'.e au moment du contrat. L'acheteur a possédé l'immeuble un
mois peut-être ; aura-t-il le d roi t de garder les fruits de toute l'ann ée?
Je n~ le pense pas : d~ ns un espace de temps si court, le prix n'a pu
fructifier entre les mains d u vende ur ; s'il n'y a pas eu d 'in tére ts, on
ne peut pas en compenser la dette avec celle des fr ui ts·1 ou d u moins
il serait injuste de compenser les in térêts d'un mois avec les fruit~
d'un a?. Il_sen:bk donc q ue, dans le si lence des textes, l'appli cation
de la regle equitable Fru ctus cum usuris compensantur amène à un
~artage d~s fr uits de. l'ann ée propo rtionnel au temps pendan t lequel
1 une et~ autre partie ont eu droit de jouir du fond s ve nd u et retiré.
Zacharne, t. Il, p. 523; Duvergier, t. II , n• 57 ; Marcadé sur
'
l art. 1673, n• 3 ).
moment
au
Que faut-il.décider quant aux fruits pendants
de 1exercice du retrait ?- Ji ne s'agit toujours que des fruits na tu-
rels et industriels.( art. 583), et non des fruits civils ( art. 584 ), qui,
dans toutes les circonstances, s'acqui èrent sans nul doute jour par
jour. - Quant a~x. fruits n'ltu rels (ce terme est assez large pour
comprendre aussi ce que le Code appelle les fr uits industriels ), on
est loin d'être d'accord.
Dans l'ancien droit, beaucoup d'auteurs, Cumanus, T iraqueau,
Ranchin 1 Fachi née, Jason, Socin, Coquille, et les coutu mes d'Angoumois ( art . 78 ) et de Poitou ( art. 369) voulaient le partage des
fruits entre les deux part ies au prorata du temps de l'an née, étant
équitable qu 'on donne une parti e des fruits à l'acheteur puisque le
vendeur a joui du prix durant peut -être les deui• tiers, les trois
quarts de l'ann ée. Le parlement de Dijon adopta cette doc;rine dans
un arrêt du 28 mars 1584 ( Bou\'Ot, t. I, 9, 3 ). Et la question fut
tranchée dans ce sens pour le rachat des biens d'église par un édit
royal de janvier 1 563 .
Au contraire, Pothier rapporte ( n• 408) que les coutumes de la
Marche , de l'Auvergne et du Lodunois attri buaient les fru its pendants en totalité au vendeur, à la charge de rembourser les frais de
labours et semences. Lui-même adopte cet avis (r) et le généralise,
- tout en reconnaissant la sagesse de la première décision,- par
le motif que les cQutumes de Paris et d' Orléans étaient conçue~ dans
cet esprit : elles n'a vaient point trai té du droit de rémér: , mais, en
matière de retrait li gnager, elles rejetaie nt le partage (P~r~s: art. 13 ~;
Orléans, art. 37 + ) : les situations étant a n a~ogue~, l~ dec1s1on. devait
être la même. (En ce sens : pa rlement de Pans, mat 1 )02 et mai t466!
parlement de T oulouse, septembre 158+ ) - Quelques auteu ~s qui
soutenaient cette opinion refusaient même à l'acheteur le prelèvement des fra is de culture. ( Maynard, liv. Il, ch. XXXI i B~cquet,
V, n• 55., Chopin , Priv. r11st., hv. III ,
. e, ch . '"
m
A
.ues d ro z'ts d e ;·ust ic
ne
. d"d
ch . V , n° 1. )
Le Code ci vi l prévenu par ce désaccord, aurait u onne~ t~
règle. il ne l'a ~as fa it. - Le projet présenté par la comm 1ssio~
thermidor an VI Il consacrai t
'
.
.
nommée par le go uve rnement 1e 2 4
1
( art. 95) l'opinion de Pothier, mais lors de la d1scuss10n au conse1
(
1
· t?S.-:
le vendeur qui a ainsi perçu les fruits de
.
d . t ;re' ts du prix pour cette année,
( 1) Plus loin, n· 4 18, il dé: lare que
.
· l'a ·heteur es in c
·
. .
toute l'année doit fa ire ra1so~. a . .~ f . la ·ouissance de la chose et du pru:.
l'équité ne permettant pas qu il ait a la ois J
�-
158 -
d'État cet article fut supprimé. ( Fenet, Trav. pr~parat., t. XIV,
p. 14 1.)-Lgcontroversesubsistedonc. Maleville, (t. III , p.414)
condamne Je p1rtage, pour éviter des pro.:ès : communia rarit
jurgia; il accorde l'intégralité des fruirs rend.1nts au retrayant.
C'est la rè.,.le donnée p1r le Code en mJtièr<! d' usufruit, art. 58 5 1
0
.
u L es fruits ... pendants par branches ou p:ir racines ... a u moment
ol:t .finit l'usufruit, appartiennentau propriétaire, sans récompense ...
des labours .et des semences ..... ( 1) » Cet te décision m éri te-t-elle
d 'être générali sée? 11 ne le semble pas. On s'en est remis au hasard
du soin des intérêts du nu-propriétaire et de l'usufrui tier: l'un
d'entre eux sera blessé sans doute, mais enfin la balance est égale
pour eux; jusqu'à la fin de l'usufruit o n ne peut pas savoir p:>ur qui
sera la perte ou J'avantage: l' usufruitier meurt-il à la fin d'une
année et à la veille d' une r écolte, c'est le nu-propriétaire qui gagne ;
meurt-il au début de l'année, au lendemain de la récolte, ce sont ses
héritiers qui sont favorisés. Mais quand il s'agit de retrait conventionnel, on ne se trouve plus dans l'atten te d ' un événement casuel :
il dépend du vendeur de retraire à telle ou telle époque de l'année, et,
s'il n'avait pas à com?t'!r ensuit:! avec l'achete ur, ce serait toujours
au moment où celui-ci s'app rêtera it à r ecue illir Je juste fruit de wn
tra vail qu'i l se ver rait dépouillé d e l'immeu ble ensemencé et labouré
par lu i. Sic vos non vobis ... (V . Co lmet de Srnterre, n• i 18 bis IX.)
Il vaut mieux adopter le prem ier système et décider, avec la m ajo rit~
des auteurs, qu 'un partage aura lieu entre les p:irties dans la proportion du nombre de jours qui se sont écoul6s depuis le jour correspondant à celui Je la ven te jusqu'à celui du retrait. (Aubry et Rau,
t. IV, p. 410. )C'est la décision qu 'au titre du contrat de mariage
( art. 1571) le C::ide reproduit des lois romaines ( L . 5, 6 et 7 1
D., lib. XXIV, tit. III ).
196. - L'équité veut d 'ailleurs que Je vendeur qui recueille au
moins pour partie les fruits pendants lors du retrait supporte une
part proportionnelle des frais de semences et de labou rs. (Tiraqueau ,
§ 5, glos, 4, n• 17 ; Pothier, n• 409.)
(1 ) Il en était de même autrefois dans plusi eu rs cas, par exemple lors d'une
restilution de fideicomm is ; mais il n'y avait pas alor~ comme en notre m'.\tière à
maintenir scrupuleusement l'ég.tlité entre lc.:s deux parties : comme le remarque
fort bien Fachinée (controv. lib. II, c. 14), elles sont étrangères l'une à l'autre,
elles n'ont pas contracté entre elles. Troplong, n· 770.
197. - Mais, en présence de l'incertitude régnant sur la matière
il serait de la prudence des notaires d'engager les pa rties à supplée;
a u x textes légaux qui font défaut par une réglementation convent ionnelle p ré\.'. ise et complète de la question des fruits. - Quelquefois, lors même que les p1rties n'auront pas expressément dérogé à la
1ègle ordi n ai r~, il sera possible que les circonstances démontrent la
volonté de déroger. Soit la vente à réméré d'un bois dont la coupe la
plus prochaine n'aura lieu q ue longtemps après l'expiration du délai
fixé pour l'exercice du retrait. N'est-i l pas év ident qu 'un tel contrat
contient de la part de l'acquéreur une renonci ation à toute prétentention sur le prix de la coupe, dans le cas où lP rém éré serait exercé?
( Sic Duvergier, t. II , n• 57; Marcadé, art. 1673, n• 3; Dalloz, V·
Vente, n• 1 548. ) C'est alors l'usage pur et simple du bois qui se compense avec les intérêts du prix.
198 . - Reste un point à examiner. Comment et à partir de quand
le vendeur assure-t-il son droit aux fruits? Faut-il des offres? Fautil même une con signation du prix? Pothier (n' 410) enseignait que,
lorsque les .:ou t urnes ne se pronon~aicnt pas, le vendeur avait.droit
aux fruits percus depuis les offres, parce que l'acheteur ne doit pas
profiter de so ~ in juste résistance et des chicanes qu'il soulè.ve: « l'acheteur ne peu t pas se plaindre d'ètre pendant Je temps qu à duré. le
procès privé tout à la fois de la jouissance. de 1'~1éri.ta,ge. e t du pnx,
puisq u'i l n 'a tenu q u'à lui de recevoir le pri~ qui 1~1 r.ta~t offe:tet de
ne pas faire de procès : Dam1111m quod quis culpa sua sentit'. non
videt11r sentire. » Cela paraît fort juste: Quand le ven.de~r a fait des
offres, il avait l'argent à la main, la somme ne prodlllsa1t donc plus
aucun intérêt; il ne peut pas dépendre du caprice de_J'ach~teur.de ~e
pri re r aussi des fruits ( T roplong, n• 774 ) . Néanmorns, c es t ~pi
1
nion contraire que consacraient la plupart d~s c?~tumes .(l~em . .ralos 6 n· 4 ) et qui semble avoir ete adoptee impltc1tequeau, § 4, g . .
.
.
D l .
t t III
ment ar lè Code (V. Cass .. rejet, 14 mai 1807. e v1ncou'.' .
'
P
R
IV
) En effet, 1art. 1673
410
08 note 1 · Aubry et au, t.
, P·
··
,
P· 9 '
'
ession et par consequent,
décla re que le retrayant ne rentrera en poss .
, ,
. .
ne rofiter.1 des frui ts, qu 'après avo~r ~péré ~o~tes ~es rest1tu~~~7_s
dot~ il est tenu. Or il résu lte des prrnc1pes generaux que la c . t
. '
. ent . de simples offres ne saura1en
gnatio n seule équivaut au paiem
'
d
ependan t ne restera
. é . ( ·t
) _ Le ve n eur c
emporter lib rauo n at · 12 7 ·
.
!honnêtes prévues, pa1·
pas désarmé en présence des contestations ma
s
�-
160
Potbier: il pou rra faire condamner l'acheteur à des dommagesintérèts (Bugnet, sur P othier, n• 41 o, no te).
VIII. -
Baux.
199. -
L'acheteur sous pacte de retrait avait droit de jou ir
de l'immeuble soit par l ui-même soi t p:ir d'autres . S'il l'a loué,
le bail sera -t-il résolu avec le con tra t où il avai t puisé son
droit d'administrer ? La question a été controversée (Tiraqueau, § 3,
glos, 1, n• 1 4) 1 et, selon la rigueu r des prin cipes, le droit du prene~r
ne pourrait pas être opposé au retrayant (Laure nt n• 417). Mais,
l'intérêt public ne pouvait p:1s s'accommoder de cette sol ution: Il faut
que les biens trouvent de bons locataires, su rtout de bons fermiers, et
ce résulcat, désirable aussi pour le vendeur comme pou r l'acheteur ne
peut étre obtenu si l'on n'écarte pas cette menace éventuelle d'expulsion : C'est le motif que fit valoir dans son rapport (n• 28 ; Locré,
t . VI I, p. 98), le tribun Faure, et qui expliq ue la disposition finale
de l'art. 1673. Cet article im pose au vendeur l'obligat ion de respecter
les baux qu'aurait consentis l'acqué reur ( r) , et réserve le cas de
fraude. - Cette restriction n 'avait pas besoin d'être formulée; elle
est de droit: Fra ;cs omnia corrumpil. On pou rra voir des i ndices de
fraude soit dans le peu d'élévation du prix de bai l (Tiraq ueau de
retract. gentil., ~. 1, glos 7, n• 7 5), soit dans une durée excessive ou
dans l'empressement qu'au rait mis l'ac heteu r à le consentir longtem?s avant l'expiration du bail courant. (T roplong, n° 777. ). Peut-être a-t-on considéré en outre q ue la résolu tio n ne de,·ait pas
porter at tei nte aux actes d'administration (Aubry et Rau, t. I V,
p. 81 ), par-:e que la vente consentie plr le retrayant impliquair ratificatio n des actes de cette nl t ure qui pourraient être faits loyalement
par r acheteur, et que, restlnt constant que cette volonté a existé,
quel que soit ultérieurement le sort du contrat il s'en est déaagé une
'
0
espèce de man.f at de gérer le bien objet de la vente. (Colmet de Santerre, n• 1 1 9 bis) .
200. - Mais, sauf le cas de fraurie, les baux p:tssés par l'acheteu r
font-ils foi de leur date à l'égard du vendeur? L'a rt. 1673 n'a pas,
comme l'art. 1743, exigé la date certai ne. Et, si l'on considère le
(1 ) Cpr, art. 595, 1429, 1430 C. Civ ..
161 -
ve ndeur retrayant comme un mandat par rapport aux actes de simple
a i mi nistration, il ne pourra pas contester leur date dans les termes
de l'art. 1328 (Col met de Santerre, ibidem). Mais les tribunaux doivent se montrer soupçonneux en cette matière. Aujourd'hui, tous
baux immobiliers auront dô être enregistrés. Les parties sont tenues
de les déclarer, car, depuis une loi d'aofit 1871 1 ils ne sont plus soumis seulement au droit d'acte, mais au droit de mutation.
Chapitre VI. -
EXTmCTION DU DROIT DE RE'l'RAIT CONVENTIONNEL
I. - Divers modes d'extinction
20 1. _ Le droit de retrait conventionnel ~'étei.nt par les moyens
énumérés au chapitre de !'Extinction des Obligatzons, ar~. 123~. Il
faut r éserver pourtant la compensation , dont on necon~o1t pas d application possible à la matière.
J 'ai déjà dit quelques mots de la remise volo~taire (notamment
• 1 2 ) - Mais le seul mode qui comporte des developpements parn
7 · c'est le dernier prévu, la prescri· ption.
·
ticuliers,
- D'a bord, q uelques
mots d' historique.
11. _Ancien Droit.
Il importait autrefois de distinguer suivant. qu~ les parties
.
avaient ou non fi x·é le temps dans lequel pourrait s exercer le
202. -
r etrait. Il '
- Dans
a _
ny a pas eu de délai fixé conventionnellement.
.
·
?.
r
·
,
.
d
(T ' raqueau en cite p1us1eurs , <: • ,
ce cas ' d anciens octe~rs
1
u ue le droit de retraire devai t
glos . 2, ni• r 5 et seq. ) avaien t sodu.te~ qt ' ls c'est une faculté que se
· · bl E effet
1sa1en - 1 •
être im prescript1 e. n
, . .
ue la prescription ne s'apréserve le vendeur.; or, il est de :ri~~r~~ ~ustice de ce raisonnemen~
plique pas à ce qui est de fac ult .
fon~re la faculté naturelle qui
en r emarquan t qu'il ne faut rs conrtains actes comme le d roit que
.
t 1 monde de 1a1re ce
•
appartient à tou e
.
1 f cuité spécialement ,appartechacun a d 'él ever sa maison ' avec a a · l' è e d'un contrat qu "l
1 a
d'une clause parttcu 1 r
nant à un tel en ver tu
. t'ble ainsi que tous les autres
fait. Cette dern ière doit ~t·e prescnp 1
11
�163 -
droits. (1). Aussi décida-t-on que le silence des parties soumettrait
la facu lté de retrait, conformément au droit commun. à la prescription trentenaire (2. )
Les trente ans écoulés, l'ayant droit au retrait étai t absolument et
de plein droit déchu, à moins que, toujours su ivant les r ègles générales, le privilège de la minorité ne l ui valû t trn sursis. (3).
~. - 203. - Un délai a été stipulé au contrat. - Devait-on toujours s'en tenir à la convention des parties, quelle que fût l'étendue
du délai ?
Suppo~ons que la clause por tât un temps plus long que celui de la
prescnpuon légale: quarante ou cinquante ans ... Sur la force de
cette clause les aYis étaient partagés. Du nod pensait (foc. cit.) que du
mo ment qu'on n'aYait pas à craindre, en présence de ce délai dé~er
mi~é ,. que la pr~pri été demeurât perpétuellement in certaine, il y
a\·a1t lieu de la valider, - à la d ifférence du cas où le vendeur se serait
réservé l~ droit de .retraire à toujours, car les prescriptions son t d'ordre public, et Pnv~torum pactis jus pztblicum mutari non potes/
( L. 38, D ., de pactzs) (+). Cette considération est assez puissante
pour q u on comprenne que dans l'un et l'au tre cas la ma;orité ait
voul u qu 'on s'en tînt au terme légal (Ferrière Dictiom/aire v·
Réméré, p. 727) .. P othier ajoute seulement ( Vente: n• 3'63) que, I~rs
que la prescnpt1on trentenaire, qui n 'a pas laissé de courir ma!aré
le vceu d~s parties, s'est trouvée suspendu e, arrêtée dans son co:rs
la :?nven~10n .pourrait produire cet effet qu'au bout du laps de temp~
qu ~l avait s tipulé le vendeur se t rouverait entièrement déchu du
droit de rémérer. ~insi, cette stipula ti on expresse, loin de l ui être
Il en était de même dans le
favor~ble, ne pouvait que lui nuire. cas ou ..le ~en.deur se réservait la facu lté pour le temps de sa vie:
lorsqu il vivait plus de trente ans, il était déchu de plein droit · et
1
)
)
t)' ~~u~~~; 1:;gc;_ïptioi~, ~'. CI,c .. xn.; Pothier, Vente, n· 39 1, - Introd. au
3
' hoprn, hb. III, de daman., tit. IX, n• 1 .
r eans, n
·
(2) Cout. de Paris' art · !08.' d'O r léans, art. 269. V. Henris et Bretonnier t I
• · •
1· 4, quest. 9 1.
.
.C
(3) Tiraqueau, § 1 , glos. 2 n .. 1 et
scq.' harondas, hb. II, c. 31; Despeisses,
t. I, p. 46. • La faculté donné
trente ans entre aa o-és et non epp~r.lcéon~~at d~ racheter héritage ... se prescrit par
rivi gres, »dit la coutume de P<iris
5
.
!4) Adde Tiraqueau • /oc • c·t
1 ·; Despeisses,
t. 1, P 42. - V. art. ·6, 2220 C. Civ.
s' il mourait ava nt ce te rme, ses héritiers étaient exclus du droit de
recouvrer la chose, s'il n'avait lui- même de son vivant manifesté sa
volonté de la reprendre ( P othier, n• 394 ). - De même encore le
vendeur, s'il avait stipulé un délai de trente ans aurait com~is
'
une imprudence, et, contra irement à ce q u'on pourrait croire le
r~sultat ~ût été. différent de celui qu'il eût obtenu en gardant' le
silen ce : il aurait par là seulement supprimé pour lui ou ses aya nts
cause la possibilité de suspension ( Idem, n• 435 ).
204 . - En sens inverse, supposons que la clause indiquât un laps
de temps moind1·e q ue celui de la prescri ption légale. Dans ce cas, on
considérait qu' il eût été injuste d'ajouter au délai conventionnel en
en suspendant le cours à raison de la minorité des ayants droit
( F aber, lib. VII , tit. Xlll , d. 3; Coquille, Cout. de Nivernais,
ch. XX I V, art. 23. ). C'eùt été aller contre la volonté des parties,
obliger l'acheteur à plus qu'il n'avait consenti : il avait accepté l'obligation de rendre l'héritage, mais avec cette restriction essentielle que
cette obligation ne pèserait sur lui qu'un certain temps : il n'eût pas
contracté peut-être s'il eût pu s'attendre à demeurer un plus long
temps dans l'incertitude. ( Pothier, n• 43+ V. Lapeyrère, lett. R,
.
n• i 6. )
Mais d 'autre part, l'antipathie naturelle et vivace surtout à cette
époque con tre ceu x qui étaient suspects d'usure, et par suitela défaveur attachée à la cause de l'acheteur, avaien t amené dans le courant
du XV II• siècle (1) la jurisprudence suivante : L'expiration du délai
conventionnellement fixée ne suffisai t pas pour la déchéance du
vendeur; il fallait, pour êtr e entièremen t en sûreté , que l:achete~r
obtînt un jugement de purification, et, s'il ne le dema~da.1t p~s, il
pouvait se voir enlever l'immeuble tant que la prescription legale
•
.
n'était pas accomplie (2).
L 'esprit de protection pour le vendeur avai t meme ~ouss~ le parlement de Toulouse et celui de Paris jusqu'à proroge~ invana?le~e~t
et de plein d roit à trente ans le délai que la c~nvention avait reduit
à un temps moindre : les tribunaux: ne pouvaient pas avant ce terme
.
·
'ème chambre des enquêtes'
(1) Arrêt rendu consultis class1b11s en 1a cmqu1
, 5. Rousseaud de la Combe
Mars 16,o.
.
43
(2) BroJeau, sur Louet, 1. R. , ch. XII; Poth ter, n 2 ' .
Recueil de j1wispr11de11ce, Y· f.iculté de .-ac/lat, P · 3° • n 4·
�le declarer fordos l Boutaric, Instit., p . +Bo; Despeisscs, t. 1, sect.6,
~ , p. 42. ). ?-.1ais cette règle~ insu.ffisa1~ment. motivée p~r l' idée que
7
Je yendeur avait subi la pression dune impérieuse nécess1té,demeura
locale et exceptionnelle : en effet, indépendamment de ses inconvénients au point de vue de l'intérêt général de la société, elle ne favorisai t celle des parties considérée comme n 'ayant pas été libre, qu'en
sacrifiant injustement l'autre dont on méconnaissait la volonté
formelle.
Plus sage était la décision de la coutume de Poitou , qui, dans son
art. 367, disait expressément que le retrait deva it être exercé« dedans
le temps de grâce,)) à peine de déchéance ( 1). Le parlement de Bordeaux avait également repoussé ces ab us et voulai t que l'expiration
du délai conventionnel ameniit de plei n droit la perte de la faculté
( Lapeyrère, lett. R, n• 13; Malevi lle, t. III, p. 408 ).
205. - Cette prescription de trente ans qu i, selon la jurisprudence
générale, était nécessaire, à défaut de jugement de purification, pour
éteindre le droit du vendeu r partait évidemment du jour de la naissance de ce droit, c'est-à-dire du jour où le contrat de ve nte à
réméré avait été conclu. C'est à tort que Leprêtre avait souten u
l'opinion contraire. D'après cet auteu r les trente ans ne devaient se
compter qu'à partir de l'expiration du délai conventionnel ; mais
on n'en voit pas la raison, et Pothier fait très-justement observer
que la prescription légale doit courir, sans distin ction, contre tout
droi t, du jour qu'il est ouvert et qu'il a pu être exercé ( Vente,
n• 437 ).
206. - D'autres controverses s'étaient élevées, que je dois passer
sous sileD.ce, car elles ne présen tent plus d'intérêt aujo urd'hui.
V. notamment dans Pothier, n•• 438 et 439.
III. - Innovations du Code.
207. -
Quant au délai de réméré, les rédacteu rs. du Code ont
(1) Dans son commentafre sur la coutume de la Rochelle Valin rapporte un
arrc!t.confirmatif de cet usageen date du 18 aoùt 1747 . Sœfve, cité par Poth ier,
men~aonne également un arr.Zt du 27 m ars 1669 qui repoussa une demande de
~etra! t f~rmé~ après !'expiration du temps con\ entionnellement fixé , mais avan t
1 expi.rau?n des trente ans. V. art. 109 des placités de Normandie. V. aussi Rej .,
ccr frimaire an XIl.
165 -
grandement modifié la législation qu'ils trou va ient en vigueur. Si
leurs améliorations sont insuffisantes, elles ne sont pas moins r:!elles.
208 . - D'abod, dans aucun cas l'acheteur n'aura besoin d'un
ju gement pour se garantir du retrait. Le jour où le délai expire, le
contrat se trouve p u rifi~ de plein droit. L'art. 1652, qui le décide
ainsi, ne distingue plus entre le cas de prescri ption légale et celui de
p rescription conventionnelle. « Cette distinction, dit Portalis dans son
Exposé des motifs, ne nous a offert qu'une vaine subtilité. Est- il
nécessaire de fa ire déchoir un vendeur d'une action qui n'existe plus?
Cette action, dont la durée avait été déterminée par le contrat, peutelle se su rvivre à elle-même? Pourquoi vouloir qu'une partie soit
obligée de rapporter un jugement qua nd la sûreté est pleinement
garantie par la convention ( t )? » La défaillance, ainsi que l'accomplissement des cond itions, produit son effet de plein droit (art. t 176).
Ce pri ncipe était violé par la règle ancienne.
209. - La restriction la plus sévè re apportée pa: I~ ~ode à la
liberté des parties se trouve dans l'art. 1660, qui de~1de que le
terme conve nu ne poun·1 pas excéder cinq anné~s . La rais.on en ~st
donnée par les législateurs eux-mêmes. Portalis, loco crta~o, dit.:
«Le bien public ne comporte pas que l'on prolonge trop une 1n c.el'll·
tude qui ne peut que nuire à l'agriculture et au com~.erce;. » Et_ l ora ·
teur du T ribunat, Greni er, ajoute qu'il fau t «concilier l 1ntéretya;ticulier avec l'i ntérêt public, qui s'oppose à ce que les propnétes
demeurent pendant longtemps incertaines et flottantes.' » .<Fenet,
t. XIV, p. 20 r.) Ces considérations d'.~nté~êt général 1ust'.fi.ent(2)
t l'art r 66o - sans q u il soit ab~olument v1 a1 poursu ra bondam men
·
•
· l'
la
tant comme le prétend Maleville (t. II l, p. 408), que, s1 on. a
volo,nté de racheter son fonds, dans cinq ans on en trouvera touiours
les moyens.
•
dT
e doit
Il faut observer cette règle lors merne que 1a e ivrance n
2 0
~ · -:- éd'atementeffectuée Ledélai courtdu jourducontrat(3).
pasetre1mm 1
·
(1) Séance du 7 ventôse an XII, MotiJ.; et discours, p . 596.
(2) V. C<-P· Introd., n· 9·
.
A b
e t Rau t, IV. p. 407 , - Poussant
66
(3) Tiraqucau, ~ 1 , glos. 21 n .. d:l:yconditio~ accomplie, Zacharire (§ 3!>7,
à l'excès la doctrine de la r.!troac11lv1td .
ompter à partir du contrat encore que
•
que le dé ai oil se c
é
note 5) a m~me soutenu
.
C
't lier directement contre la vo1ont
. . suspensive e serai a
> s· 1
la vente soit sous con d 1t1on .
·
. r er la pensée du législateur. 1 a
.
N
ait-ce pas aussi 1orc ·
,
manifeste des parues. e ser
.
·1 serait impossible au vendeur d user
é ]'
'après ]es Cl nq ans, 1
condition ne se r ~ is~ qu . C t ,
valentem .... V. art. 2257.
du droit qu'i l s'était r~serve . on ra n011
é
�.-
166 -
Une stipulation expresse a urait pu cependant assigner au d élai un
point de départ différent, et par exemple le jour de la liv raison . Mais
sous cette réserve qu 'il ne peut résulter d 'une pareille conYenlion
une prorogation du délai au -delà de cinq a nnées à partir du jour de
la vente. (Duvergier, t. II , n• 22 .)
21 J. - Le Code n 'établissant pas en notre matière d e règles spéciales sur le cakul du délai, force est de s'en tenir a u x princi pes généraux. La supputation se fait de jour à jou r. Le dies a quo, c'est-àdire le jour où s'est fai t le contrat, se t rouvant fo rcément incomplet,
doit ètre négligé. Le dies ad quem sera, au con tra ire, compté, puisque
la loi déclare la prescription acquise par l'accomplissement du dernier jour du terme ( 1) . Art. 2260, 226 1 C. civ .. L 'art. 1033 C .
Proc. civ. dispose, il est vrai, que le dies ad quem n 'est pas compris
dans les délais ; mais cet article est seulement relatif aux actes de procé,iure et n'est pas applicable en notre matière. ( R eq., 7 mars 183 4 ,
Dalloz, V• vente, n· 148 5) . - Ce dies ad quem devrai t être corn pris
dans le délai, lors même qu'il serait jour férié; il serait impossible de
retraire le lendemai n (2) . V. art. 1037, C. Proc . ci v., qui donne au
vendeur un moyen d 'agir ce jour de fê te même, « en vertu de permission du j u?e l> , car il y a péril en la demeure. - Les parties
auront. pu d1 ailleurs régler elles-mêmes ces questions-là. ( Req.,
17 mai 18 14.)
z 12. - Le délai court contre toutes personnes 1 et même contre les
mineurs. Il est bien entendu d 'ailleurs, et l'art. 1663 le décide m ême
~~pressément, que, si du défaut d'exercice d u retrait résultai t pour
l 1~capable quelque dommage, il aurait un recours contre cel ui à
qui l'administration de ses biens était confiée.
.Cette :e~le étant ~énérale, la seconde diff~rence qui séparait a utref~1s le. dela1 con vent1on ;iel du délai légal se trouve abolie. Et cela n ·a
n en d ét?noant, puisque les rédacteurs du Code voyaient le réméré
avec moins de faveur que les anciens docteurs.
1 3. - Pour expliquer l'art. l 663 on a dit que le Code ne pouvai t
qu,ad~ptet',la r~gle re~~e aut~efoi s pour le délai conventionnel, attendu
qu auiourd hui le délai devait fo r cém ent êtr e fixé par les parties, la
7
}er. ïl
(1) Besancon, 20 mars 1809. Lim
'd , oges, . JUI et i 8tg. - V. décision conforme
de la Régie ·dans le c t
on ro eur e 1 Enregistrement n· 4 55
)
· 31 mars 1840.
•
(2 Angers, 3 mai 1830 ·' R eq. re1·,, 7 mars 1834 ;' N1mes
1
·z
prescription t rentenaire n'étant plus applicable. (Colmetde Santerre
n• I 0 9 bis I.) Mais il est difficile de ne pas voir là une erreu r. Lors~
que deux personnes contractent, elles peuvent touj ours s'en référer
au x lois existantes pour ce qui concerne l'effet d e leurs conventions :
c'est ce qu 'elles sont censées fa ire quand elles gardent le silence sur
des points de d étail ; il serait puéril de les obliger à transcrire toutes
les dispositions légales auxquelles elles veulent se soumettre. L 'art.
1660 fixe à la fois un delai maximum - Si la faculté était stipulée
pour un terme plus long, elle serait réd ui te de plein droit à ce terme;
- et un délai unifo eme : - Si les parties n'ont fixé aucun temps c'est
que leur volonté aura été d'accepter le délai q uinquennal de droit
commun (Maleville, t. III, p. 408; Aubry et Rau, t. IV, p. 407;
Laurent, t . XXIV, n• 384.) . Et cette prescription légale ne pouvait
êt re suspendue en faveu r des mineurs, d'après les règles générales
elles-mêmes: C'est une courte prescription ( art. 2278 ).
21 4. - Le juge ne peut sous aucun prétexte proroger le délai
convenu (art. t661 ) . - Encore que ce délai soit moindre de cinq ans.
Les parties ont eu en effet pleine liberté de se tenir au-dessous de ce
chiffre, et, ce faisant, elles se sont même conformées au vœu du législateur qui est que cette période d 'incertitude se prolonge le moins
possible.
21 S. - Mais, le droit refusé au x juges, les parties ne l'ont-elles
pas ? Si elles ont dans le contrat fixé le délai à moins de cinq ans, ne
.
.
peuvent-elles point le proroger ?
La question est controversée. Elle l'était déjà dans l'a~c1en droit.
L e président Bouhier concluai t négativement ( Observations sur la
Coutume du Duché de Bourgogne, t. II, ch. LXXVII, p. 1014 ).
Mais l'affirmative était enseignée par la majorité des auteurs. (V. le
•
président F avre, Code, li b. VII, t. 13, def._3.). 1 •
Il semble que la solution doit être auJourd hm celle-ci : Que le
délai primitivement convenu soit déjà expi.ré ?~ qu'il ~e le soit pas
encore ( ) (et qu 'il ai t été d'ailleurs égal ou rnfene~r à cmq ans), .les
1
parties auront droit de fixer un délai nouveau.- Mais une observation
(1) Pour ce dernier cas on oppose l'art. 2 2 20 C. c. (Troplong, t. li , n · 7 17)
Mais il paraît inapplicable (Dalloz, v· vente, n· 14q2). A pr~premen~ parler: ce
le titre dernier du Code
n'est pas d'une prescription, telle qu'on l'entend
da~s
civil , qu'i l s'agit ici. V. Aubry et Rau , t , VIII ,§ 77
1
•
4·
�-
168 -
essentielle doi t être faite : les con trac tants a u raient b ea u em ployer
l'expression« prolongation» ou quelque autre analogue, ce l angage
ne saurait prévaloir sur la force des choses. L e con tra t de vente et l e
pacte de retrait conventionnel qui en es t une clause sont parfaits;
rien n 'y peu t être ajouté après co u p. Tiraqueau disai t t rès-form ellemen t (~ 1 , glos. Î> n' 25): « ... Non est propria prorogatio , sive
extensio, sed potius renovatio, au t simile qu id p iam. » Cette convention nou velle qui in terv ient, ce pacte ex intervallo n 'es t a u tre chose
qu'une promesse de revente (1). J 'en ai déjà indiqué les effets (2)
{ n° 68) : Si le retrait es t exercé après l'expiration du prem ie r terme
fixé, le Yendeu r dena respecter t ous les droits nés du ch ef de 1'ach eteur
de l'un à l'autre contrat. Ne seron t anéantis que ceux ccncédés postérieurement à la transcription de la deuxième convention . On
comprend, en effet, que pour ces derniers seulement la résolution n 'est
pas absolument injuste: la menace existait déjà au momen t qu'ils o n t
contracté. Quant a u x autres, ils ont bien accepté, lor squ'ils on t acquis
une servitude ou reçu hypothèque en garantie d 'un prêt, ces droits
tels qu'ils étaient, c'est- à- dire résolubles; mais seulem ent pendan t
u n certain temps dès lors déterminé, - peut-être très-court, q u elques
mois ou même quelques jours; ils d\'aient pu, dans une certaine mesure, calc uler les ch ances de retrait et n 'auraient pas voul u d'une in certitude pl us longue. O n ne peut pas changer après coup leu r position. Art. 1165, 1321 C. civ. -Donc, alors même qu'on admet dans
notre espèce un effet rétroactif, il faut dire que la réso lution n'atteint
pas indistinctement tous les ay ants cause de l'acheteur, quela rétroactivité s'arrête au jour de la publicit~ donnée à la promesse de revente.
- En outre, de nouveaux droiLs de mutation doiven t être payés.
( Cass., 22 brumaire an X I V et 2 août 1808. - V . suprà, n • 182.)
(1) Ce système paraît l'emporter. V. Colmet de Santerre, t. Vll, n .. 107 bis Il,
III et IV; Laurent, t. XXIV, n ..
(2) Po~r régler ces eftets. il faudra tenir compte le plus possible de l'intention
de:; p~rttc~ contrac.t.antes. Il semble donc que M. Troplong a exagéré en disant
(loc. cit. ) dune man_1ere_ générale que l'art. 1673 ne sera pas applicable dans notre
cas, q~allt aux ~bhgattons qu'il impose au retrayant. En employant les mots
•retrait conventt~nnel .b ou «réméré D les parties ont clai rement marqué que le
ven.d eur rétro~ess1onna1re aura mêmes restitutions à faire que s'il s'agissait d'un
vén. Lible retrait· Cette conven t"ion ·tmp11c1te
• • d oit
· avoir
· autant de force que s1· elle
était expresse (Dalloz, n· l+gl ).
Au tre remarq ue importante : Ne s'agissant pl us, à proprement
parle r, de la facul té de retrait , on ren tre dans le droit commun, et
l'a rt. 1660 cesse d'être applicable; rien n'empêche que la promesse
de r e vente soit fa ite pou r un espace de dix ou de quinze ans, ou mêm e pour un t emps indétermi né. Sans dou te, on peut s'en étonner et
le trouver t rès-regr etta ble si l'o n croit que par cette promesse la prop ri été se trouve affectée d' un e condition résolutoir e. Mais on ne peut
suppléer pour cette conven t ion une limite que le législateur n'impose
pas. Il a pensé p robab le men t qu' il n'y avait pas dans ce cas péril
social, a ttend u la rareté de telles conventions. Il avait dû intervenir
quan t a ux pactes de réméré et restreindre sur ce point la liberté des
parti es. C'est que ces pactes, fré'1 uents jadis, se font dans des conditions telles que l'acheteur, inv i n ci blement alléché par l'affaire, pourrai t se con tenter d 'u ne chance de réussite et accepter imprudemment
une très -longue période d'i ncertit ude, q u i l ui serait présentée par le
vendeur co m me la condition sine quà non du marché. Mais, après le
contrat, quand l'ac heteur est deven u propriétaire, dans quel bu t
consentirai t-il pour u n long terme une promesse de reven~~? Cela
est peu à craind re et l' intérêt de l'acheteut' est pour la soc1eté u ne
gara ntie ju gée su ffisa n te. (Colmet de San terre, loco citato).
IV - Effets de la condition défaillie .
z t 6. _ Ces effets ont déjà été ex posés, passim. Je me borne à les
rappele r t rès -sommairemen t.
. ,
Quand le vendeur n 'a pas usé dans le ~élat leg~l ~u convenu de la
faculté de ret raire qu' il s'était réservée, 11 y a declzean~e (~. _Au,bry
r1
6.). L'acquéreur demeu re propriétaire 1rrevoet R au,t. VI ,p.4 2
..
bl
t
cable(art. 1662); les droits q u'il a concédés ~u r 11mme.u , e son
·déso rmais à l'abri de la résol ut ion ; et ceux, q u e n. sa qua~1te,de p~~
priétaire sous condition suspensive le vendeu r auratt constitues me io
tempore tom bent avec son propre droit (art. I 176, et z r 2 5).
�POSITIONS
'DROIT 'R_.OM A IN
1. II .. -
 l'origine, la propriété ne pouvait pas être transférée
ad tempus.
La condition résolutoire n'avait pas, dans le droit classique, d'effet contre
les tiers.
III. - A l'époque de Justinien, l'évènement de la condition résolutoire donne
au vendeur une action réelle pour la reprise de la chose vendue.
IV. - Le retour de la propriété au vendeur, par suite de l'évènement de la
condition résolutoire, se produisit toujours à Rome sans effet rétroactif
V. - Le vendeur peut, après l'accomplissement de la condition résolutoire,
joindre à sa possession celle de so11 acheteur .
V I . - Est libératoire le paiement fait entre les main1 d'un adjectus solutionis
gratià malgré la défense du créancier.
'DROIT CIVIL
I. -
Le mineur peut acheter avec la clause de retrait conventionnel.
II. - Ses biens peuvent être vendus avec cette clause.
Ill. - L'acheteur peut opposer le bénéfice de discussion même aux créanciers
chirographaires du vendeur se présentant pour exercer le retrait au nom de
celui-ci.
IV. - Medio tempore, le vendeur peut g rever conditionnellement de droits
réels, servitudes et hypothèques, le bien qu'il a vendu sous pacte de retrait.
V. - Les hypothèques constituées par le vendeur pendente conditione sont
opposables au cessionnaire du droit de retrait, si elles ont été constituées avant la
transcription de la cessio11.
VI - Les f,-11its p erçus penda11t l'année, dans le cours de laquelle le retrait est
exercé, doivent être partagés entre l'acheteur et le retrayant proportionnellement
au nombre de jours qui se sont écoulés depuis le jour correspondant à celui de la
vente jusqu'à celui du 1·et1"ait.
VII. - Le retrayant peut joindre à sa possession cdle de l'acheteur pour
parfaire Ta prescription .
�-
1 7~
-
DROIT COMMER CIAL
TABLE
J. - Lts venus à livrer sont valables.
II. - Selon le droit strict, les ma,·chés à t1,,.me ne le so11t pas.
Ill. - L e report n'est pas 1111 p ; ét s11r gage.
JV. - L a filière 11e constitue qu'une simple indicatio11 de pa iement, dans lu
termes de l'article 1 2 77.
DROI T A DMI NISTRATI F
I . - Lts tribuuaux judiciaires, saisis de po11rs11ites contr e des fonc tionnaires,
ont le droit d'apprécier la légalité des actes admiuistratzfs et de les interpréter,
quand cela sera uécessaire pour la solution de l'affaire.
Il. - L es édifices affectés à
1 II. -
IV. -
1111
service public font partie d11 'Domai11e public.
L es cimetières font partie du Domai11e public comnumal.
lly a11rait avantage à transformer l'impôt foncier en impôt de quotité.
V. - Il serait égalemant utile de rattacher la tra11scnjtio11 au Cadastre.
INTRODUCTION ................. : ................... .
5
DROIT ROMAIN.... ....... . ....... ... ..................
13
1. - Principes généraux de la Vente ..................... . •... .... ....
Il. - Pactes adjoints à la Vente .................................. . . .. .
111. - Nature du pactum de retrovendendo ... . . . ...... . . . ... • .. .... ....
IV. - Effets de la Condition résolutoire . . .. ..... .. .. .. . . ...... . ....... .
V. - Conditions d'exercice du pacte ........•.... . ... .... ...... . . ... . . .
VI. - Effc:ts .................................•........... · . · · · · · · · · · · ·
VIT. - Délai ................... . .......... . .......... · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
VI. - Les trib1ma11x admi11istratifs ne so11t pas une conséquence nécessaire du
principe de la séparation des pouvoirs.
DROIT COUTUMlER .......................... . . .. .... .
49
DRO IT FRANÇAIS MODERNE ... . .... .. .... . .. . ... . ... .
53
Généralités .... . ....... . .. . .......................... .
53
DROIT PtNA L
CHAP.
I. -
L'action civile se prescrit en même temps que l'action publique.
11. - La prercription de la peine est basée sur l'o11bli prés11mé de la condamnation prononcée.
JJJ. - La règle de l'article 637, ! 2, C. Jnst. crim., q11e l'acte de poursi.ite est
i11terr11ptif de la prescription même à l'égard de l'agent 11on po11rsuivi est co11'
forme a11x principes.
. IV. - La prescription de la pours11ite du délit d'habitude d'usure court du
JOUr de la dernière stipulation usuraire.
Vu:
Le Président de la Thèse,
J . BRY.
V u et permis d'imprimer :
Le Recteur de l'Académie d'Aix,
Chevalier de la Ugion-d'Honneur,
J . BOURGET.
1.
Il.
HL
IV.
1 -
- Définitions .......... . ..... . .... . ...... . ...... . ............... ·.
- Pacte ex-i11tervallo ...... . ... . .. . ..... .. .............. · .. · · · · · · · ·
- Modalités .... .... . . ........... . . ...... . ..... . .. .•.. . · ·. · · · · · · · ·
- Qui peut acheter et vendre à réméré ......... . .......... ··· ·· ··· ·
V. VI. Vil. VIII. IX. -
Retrait mobi lier .................... ........ · .. ·. · · · · · · · · · · · · · · ·
Comparaison avec le Pacte de préférence . . . . . . . . . . ... · . · · · · · . · · ·
Comparaiso n avec le Prêt sur gage .. . ................. ·.· . . · .·· · ·
Comparaiso n avec le Report .... ... ... ... ... . ... . .. ·.· · ··········
Rescision pour lésion (art. 1676 ) .• . ..... ·. · •. · · . · · · · · · · · · · · · · · ·
CHAP.
1. Il. Ill. IV. V. \'!. -
II. -
Nature du droit de Retrait Conventionnel ....... ·······
Réalité ............ . .... .. .. . .......... · .. ······················
Transmissibi lité . . .............. · .. · . . · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Cessibilité .......................... · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · •
Transcriptibilité .............. · .... · · ·. · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·"
Droit du vendeur medio tempore ...... · ... · . .... · · · · · · · · · .. · · · ·
Droits de l'acheteur medio tcmpore . . . ... . ....... · · · · · · · · · · · · · · · ·
53
;7
;7
58
59
60
61
63
64
t>S
65
6
69
81
82
83
�174 lll. - Action de Retrait Conventionnel. .. •• . •• • • · • · · · · •. • •. .
94
L'intervention de Justice n'est pas nécessaire . . · ·. · • . · · · · ·. • · · · · · .
Nature de l'action .. ...•............. . .. ·····.······· · .· ······ • ··
Retrait exercé contre un tiers détenteur .... .. . . · .. · .. ··· •. .. . ····
Compétence . . . ....... ... . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Intérêt de la double action ....................... · . · · .. ·. · ... ·. .
Fins de non recevoir ... , . . . . . ... . ........ . ........... . .. .... · · .
Retrait mobilier........... . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
A partir de quand peut-on retraire ... .. .... ... . ... . .... . .... · .. · · ·
Q!fid s'il s'agit d'une part indivise et qu'il y ait licitation.......... .
Divisibilité. .... .... . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
94
96
99
loz
103
104
l oS
107
llz
Conditions d'exercice du Retrait Cpnventionnel. ......
123
ÛW'.
1. II. Ill. IV. V.
VI.
VU.
VJII.
-
IX. -
X. -
CaAP. IV. -
1o7
1. - Condition du retour de la propriété • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Il. - Conditions de la rentrée en possession. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
CH.i.P. V. 1. Il. -
Ill. IV. V. -
VI. VTI. -
VIII. -
Effets du Retrait Conventionnel .. ... ...... . . . . . . . . . . . . . 143
Retour de la propriété. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Enregistrement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ....... . ....... · · · · · . · · · ·
Pacte ex i11tervallo ..... . ...... .. .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La chose reprend dans le patrimoine son caractère antérieur... .. . .
Legs suivi de vente à réméré....... . .. .. . .. .. .. .......... .. . .....
Prescription accomplie et chose jugée iutérim.... ...... ....... ...
Restitutions à faire par l'acheteur..... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Baux. ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
143
1.14
146
147
147
148
149
160
CHAP. - Extinction du droit de retrait Conventionnel. ....... .. .... . 161
I. - Divers modes d'extinction... ... .. ............. . ................. Hi l
Il. - Ancien droit . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
m. - Innovations du Code. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16+
IV. - Effets de la condition défaillie. . ......... ... ....... ........ . . . . . . 169
POSITIONS .. .. . .. . .. . .. . . . .. . .. . .. . . . . . . . . . . . . . .. . . .. . .
171
��•
.~
'
•
!
1
1
1
1
1
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Du retrait conventionnel : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit civil
Droit coutumier
Droit romain
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Sabatier, Léon
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-114
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Samat et Cie (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1880
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234730544
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-114_Sabatier_Retrait_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
174 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/366
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1880
Notes : La thèse porte : Marseille (15, quai du Canal) : Samat et Cie, Imprimeurs-Stéréotype, 1880
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Du droit de retrait dans les contrats considérés comme deux contrats successifs de vente en sens inverse l'un de l'autre, le vendeur primitif devenant acheteur de la chose vendue
Contrats -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/494/RES-2388_Bizos_Freres-Boileau.pdf
4a3e074fd518e958cff773d8090df079
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Frères (Les) de Boileau-Despréaux : six leçons faites à la Faculté des lettres d'Aix
Subject
The topic of the resource
Biographie
Poésie
Histoire de l'université
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bizos, Gaston (1848-1904)
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU des Fenouillères - Arts, lettres et sciences humaines (Aix-en-Provence), cote RES-2388
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Veuve Remondet-Aubin (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1880
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/245339248
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-2388_Bizos_Freres-Boileau_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
123 p.
In-8° (24 cm)
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 16..
France. 17..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU des Fenouillères - Arts, lettres et sciences humaines (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Biographie du célèbre poète et polémiste du 17e siècle au travers de ses deux frères, Gilles, avocat et rimeur, membre de l'Académie française, et Jacques, chanoine de la Sainte-Chapelle
Boileau, Nicolas (1636-1711) -- Biographie Boileau
Gilles (1631-1669) -- Biographie
Jacques (1635-1716) -- Biographie Boileau
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/522/BULA-40930_Seranon_Notes-voyage.pdf
de3bd54d7e3fd76a9770c0dd6ea643a7
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Notes de Voyage, la Durance, ses vallées, ses affluents
Description
An account of the resource
Fin 19e siècle, la Durance parcourue à pied du Montgenèvre à la Camargue : mélange d'observations géographiques, de détails historiques et de digressions, parfois singulières, sur l'intelligence ou le crétinisme "congénital" des populations locales
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU des Fenouillères - Arts, lettres et sciences humaines (Aix-en-Provence), cote BULA 40930
Publisher
An entity responsible for making the resource available
M. Olive (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1880
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/245418393
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BULA-40930_Seranon_Notes-voyage_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
75 p.
in-16
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Provence. 18..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU des Fenouillères - Arts, lettres et sciences humaines (Aix-en-Provence)
Subject
The topic of the resource
Récits de voyages
Approvisionnement en eau
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Séranon, J. de. Auteur
Spatial Coverage
Spatial characteristics of the resource.
Notes de Voyage, la Durance, ses vallées, ses affluents <br />- Feuille <i>Forcalquier</i> ; 223 ; 1868 ; Dépôt de la Guerre (France) ; Chartier (graveur)/Beaupré (graveur)/Pierron (graveur), ISBN : F802231868. <br />- Lien vers la page : <a href="http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=27409" target="_blank" rel="noopener">http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=27409</a>
Récits de voyages -- Provence -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/597/FR_MMSH_MDQ_HPE_BR_035_03.pdf
c8b784b70f9002c75c83fcb6cf345ec0
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
peste (La) de Marseille (La). Mgr de Belsunce et la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus
Subject
The topic of the resource
Histoire de la Provence
Epidémies
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
J. R.
Source
A related resource from which the described resource is derived
Médiathèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (Aix-en-Provence), cote FR_MMSH_MDQ_HPE_BR_035_03
Publisher
An entity responsible for making the resource available
s.n. (Millau)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1880
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/252428145
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/FR_MMSH_MDQ_HPE_BR_035_03_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
8 p.
20 cm.
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/597
http://cinumed.mmsh.univ-aix.fr/idurl/1/16750
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Marseille. 17..
Abstract
A summary of the resource.
Résumé rédigé à partir d'un article paru 1er octobre 1878 dans la <em>Revue des Questions historiques</em>, sous le titre <em>Journal du [sieur Goujon] Maître-d'Hôtel de Mgr de Belsunce durant la peste de Marrseille 1720-1722</em>, par D. Théophile Bérengier Extrait de la "Revue des questions historiques". Octobre 1878 (<span><a class="
link_gen
" target="_blank" href="http://www.sudoc.fr/105917451" rel="noopener">http://www.sudoc.fr/105917451</a></span>)<br /><br />Provenance MMSH Aix-en-Provence, Histoire de Provence > Brochures Espeut<br /><br />
<pre style="text-align: center;"><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Mgr_de_Belsunce_1671-1755.jpg" /><br /><em>Mgr de Belsunce, évêque de Marseille durant la peste (1671-1755)</em></pre>
<br />En 1720, pour la 23ème fois depuis J.-C., Marseille est contaminée par la peste. Le Parlement d'Aix décrète son isolement complet pour éviter que ses habitants, en fuyant, ne propagent davantage la terrible épidémie. Le secours des magistrats et des médecins qui prennent de très grands risques, ne suffit pas : la fête du Sacré-Coeur de Jésus instaurée par l'évêque du diocèse, Mgr Belsunce, stoppe enfin l'épidémie en 1722, ce que les marseillais s'empresseront d'oublier !
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (MMSH Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
En 1720, pour la 23ème fois, Marseille est contaminée par la peste. Le secours des magistrats et des médecins ne suffit pas : la fête du Sacré-Coeur, instaurée par l'évêque du diocèse, stoppe enfin l'épidémie, ce que les marseillais oublieront...
Spatial Coverage
Spatial characteristics of the resource.
<p>peste (La) de Marseille (La). Mgr de Belsunce et la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus <br />- Feuille <i>S.n.</i> ; 58-59 ; 1970 ; Institut géographique national (France), ISBN : C60_058_70. "Prises de vues aériennes de 1969 ; Révisé en 1970" <br />- Lien vers la page : <a href="http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=51470" target="_blank" rel="noopener">http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=51470</a></p>
Belsunce, Henri-François-Xavier de (1670-1755)
Peste -- France -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 18e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/610/BULA-4123_Bertulus_Chevalier-Roze.pdf
22b555f0a0eefc8aa880d54a98f7fd89
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Grand (Le) Pionnier laïque de 1720, ou le Chevalier Nicolas Roze, commandeur de l'Ordre hospitalier de Saint-Lazare, et les horreurs de la peste, légende du XVIIIe siècle dédiée au peuple marseillais
Subject
The topic of the resource
Santé publique
Biographie
Epidémies
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bertulus, Evariste (1809-1882). Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU des Fenouillères - Arts, lettres et sciences humaines (Aix-en-Provence), cote BULA 4123
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Barlatier-Feissat père et fils (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1880
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/252626710
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BULA-4123_Bertulus_Chevalier-Roze_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
40 p. : ill.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/610
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Marseille. 17..
Abstract
A summary of the resource.
<pre style="text-align: center;"><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Chevalier_Roze_1675-1733.jpg" /><br /><em>Portrait du Chevalier de Roze (1675-1733)<br /></em></pre>
<br />A bord du <em>Grand-Saint-Antoine</em> qui apporta la peste à Marseille, arrivent le capitaine Chataud, reconnu responsable de l'épidémie, et le chevalier Roze qui organisa héroïquement la lutte contre le fatal fléau : une vraie légende !<br /><br />A consulter également sur le site de l'Association des Amis du Patrimoine Médicalde Marseille (A.A.P.M.M.) : <a href="http://patrimoinemedical.univmed.fr/articles/article_chevalier-roze.pdf" target="_blank" rel="noopener" title="Le Chevalier Roze"><em>Le Chevalier Roze : entre mythe et réalités</em>, par le ProfesseurJean-Louis Blanc</a>
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU des Fenouillères - Arts, lettres et sciences humaines (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
A bord du <em>Grand-Saint-Antoine</em> qui apporta la peste à Marseille, arrivent le capitaine Chataud, reconnu responsable de l'épidémie, et le chevalier Roze qui organisa héroïquement la lutte contre le fatal fléau : une vraie légende !
Peste -- France -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 18e siècle
Roze, Nicolas (1671-1733) -- Biographies